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La campagne présidentielle au Mexique

« Et la nuit, tous les chats sont gris ». Sancho Panza, dans El Ingenioso Hidalgo Don Quijote de La Mancha de Miguel de Cervantes Saavedra
28 mai 2024 | tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/laune/la-campagne-presidentielle-au-mexique.html
Carlos Alberto Ríos Gordillo
1.- Le triomphe de la gauche [avec Andrés Manuel López Obrador-AMLO, à la tête d'Ensemble nous ferons l'histoire, avec 53,19% des voix] à l'élection présidentielle mexicaine de 2018 – incroyable, tonitruant et écrasant – a peut-être été plus surprenant pour les initiés que pour les observateurs extérieurs. La coalition politique défaite [Ricardo Anaya Cortés du PAN, à la tête de Pour le Mexique en avant, avec 22,28% des suffrages et José Antonio Meade Kuribreña, ancien secrétaire des Finances sous Peña Nieto, à la tête de Tous pour le Mexique avec 16,41% des votes] a non seulement subi une débâcle électorale, mais a également été confrontée à une menace d'extinction : des milliers de ses militants allaient quitter les rangs des partis politiques où ils avaient été actifs pendant une courte période. De plus, la menace de la perte de l'enregistrement électoral des partis s'est accompagnée d'une réduction dramatique du nombre de leurs représentants dans la Chambre des députés et dans le Sénat. Alors que le centre de gravité de la politique des partis s'était déplacé vers la gauche, l'opposition s'éteignait en temps réel.
2.- Trois ans plus tard, suite aux effets de la pandémie de Covid-19, le gouvernement fédéral était pris entre le constat d'inefficacité de la politique « d'aplatissement de la courbe » (comme on disait à l'époque) des décès, et les travaux d'architecture sociale et économique : l'aéroport international Felipe Angeles (AIFA), la raffinerie « Dos Bocas » [Pemex a construit cette gigantesque raffinerie dans l'Etat de Tabasco, Etat dont est originaire AMLO], le « Train Maya » [réseau de chemin de fer qui traverse la péninsule du Yucatán et suscite des dégâts environnementaux ainsi que des effets négatifs sur les populations premières]. Projets dont la pérennité relevait d'un pronostic réservé. Or, lors des élections de mi-mandat de 2021, le gouvernement fédéral continue de remporter des victoires dans les Etats de l'intérieur du pays, bien qu'il perde sa majorité à la Chambre des députés. Il doit maintenant négocier ses réformes en cours : l'Institut national électoral (INE-composé de 12'000 membres et contrôlant les cartes d'électeur qui servent de cartes d'identité au Mexique, structure qu'AMLO veut défaire) et le Pouvoir judiciaire fédéral (PJF), et remettre le commandement de la Garde nationale [GN-renforcée par AMLO et surtout placée sous la direction de l'armée qui a acquis un pouvoir économique dans les infrastructures et de même dans le contrôle des « oeuvres de bienfaisance »] au Secrétariat à la défense nationale (SEDENA). Pour le parti au pouvoir Morena, il était temps de négocier avec une opposition qu'il avait minimisée pendant trois ans. Mais l'opposition fait de même en refusant toute réforme, en contestant toute proposition, en votant contre toute initiative. L'humiliation du vaincu a renforcé le désir de revanche et le vote contre Morena l'a enhardi : l'opposition a exercé son pouvoir pour verrouiller toutes les initiatives, tout en préparant son retour à la présidence en 2024.
La campagne électorale s'intensifie. La plupart des médias sont des ennemis du gouvernement. S'y ajoute l'activisme des conseillers électoraux de l'INE et de la présidente de la PJF [Norma Lucía Piña Hernández], ainsi qu'une série d'organisations « citoyennes », comme « Mexicains contre la corruption ». Ils ont collaboré de manière de plus en plus organisée contre le gouvernement, dont le chef AMLO, le président du Mexique, dans sa conférence matinale [las mañaneras] – véritable pouvoir politique et médiatique – tout en exerçant son « droit de réponse », leur a offert des arguments pour leur lutte politique, en particulier dans les médias et les réseaux dits sociaux.
3.- Si le président Lopez Obrador n'a pas reconnu les luttes féministes ou les luttes pour la défense des territoires et de l'autonomie – s'éloignant de plus en plus de la gauche sociale et des mouvements anticapitalistes : les dits « radicaux de gauche », qu'il assimile aux « conservateurs » – il a également créé le grand bélier contre son gouvernement. Par un étrange paradoxe, le gouvernement issu d'une victoire démocratique a créé, avec ses tentatives de réforme de l'INE, du PJF et de l'Institut national d'accès à l'information (INAI), la plateforme de lutte de ses opposants politiques acharnés : « la défense de la démocratie menacée par l'autoritarisme dictatorial ».
La parole et la figure de López Obrador ont été si efficaces et si dynamiques que c'est de lui qu'est venu l'élixir magique qui a ranimé une opposition politique moribonde. La défense de la démocratie, si chère à la gauche dans ce pays, a été expropriée par la droite et utilement utilisée pour établir un lien avec un large secteur de la population mexicaine, généralement conservateur et craignant le « communisme », censé être animé par le progressisme de López Obrador et de ses « alliés » latino-américains : Cuba et le Venezuela, en premier lieu. Sans pouvoir de rassemblement massif, toutes les marches organisées dans la capitale du pays par des groupes de « citoyens » ont eu du mal à remplir quelques avenues du centre-ville de Mexico et l'esplanade du Monument à la révolution. Néanmoins, une fois que le message selon lequel la « démocratie était menacée » par une « dictature » en marche a été habilement inséminé par les médias, les intellectuels de droite et une foule de commentateurs, d'animateurs et d'influenceurs, le paysage politique s'est métamorphosé. Dès lors, « les marches roses pour la démocratie » (Marcha Rosa por la Democracia) ont pris de l'ampleur et le zocalo (place de la Constitution) de Mexico a été investi. La défense de la démocratie a été scandée par des milliers de voix, non seulement désabusées par le gouvernement (parmi ceux qui en 2018 ont voté pour lui et ceux qui ne l'ont jamais soutenu), mais très souvent enragées contre lui : « El INE no se toca/El INE no se toca » (l'INE ne se touche pas/El INE ne se touche pas) – [la place l'INE dans le contrôle des cartes d'électeur impliquait par sa dissolution une ouverture pour des opérations électorales d'AMLO].
4.- La ruse de la droite s'est transformée en mobilisation politique (avec des citoyens réellement lassés ou directement lésés par le gouvernement), en s'appropriant une technologie de protestation sociale très chère à la gauche mexicaine : des marches dans l'espace public, cette fois-ci, colorées en rose. Mais la « marée rose » cache les vraies couleurs qui l'animent : la pigmentocratie des partis politiques d'opposition, dont l'alliance actuelle obéit au « Pacte pour le Mexique », créé au début du mandat de six ans du gouvernement PRI-Parti révolutionnaire institutionnel d'Enrique Peña Nieto (2012-2018). Craignant d'être rejetés, ces partis [qui forment une étrange coalition électorale en 2024] n'ont pas pu se montrer sous leurs propres couleurs : bleu (Partido Acción Nacional, PAN), rouge (Partido Revolucionario Institucional, PRI), jaune (Partido de la Revolución Democrática, PRD), le faisant à travers la couleur de la « société civile ».
Sur la base de la violence endémique dans le pays et de la confusion politique déclenchée par les médias (où rien n'est ce qu'il paraît être), le moment était venu de montrer qu'ils en avaient assez de la « dictature de López » et de désavouer les grands travaux d'infrastructure, considérés comme « gaspillage », « opacité », « inefficacité » et « corruption » – à l'exception des programmes sociaux, élevés au rang de droits constitutionnels par l'actuel gouvernement. Ce faisant, après avoir distillé peurs et mensonges, la droite a pénétré la psyché d'un large secteur de la population prêt à descendre dans la rue et, comme cela s'est avéré, sur les places publiques des principales villes du pays.
Débordant, l'optimisme de la foule a injecté des illusions dans un droit parasitaire qui s'est nourri de son hôte. Après un parcours erratique des anciens partis, il existait enfin une base sociale capable de soutenir une candidature qui, d'une part, correspondait au profil de ces foules et, d'autre part, pouvait rivaliser avec le parti au pouvoir et sa figure de proue dans la compétition à venir : la gouverneure de Mexico [de décembre 2018 à juin 2023], Claudia Sheinbaum [voir l'article publié sur ce site le 27 mai]. Les attaques à outrance – bien qu'en retard – et une candidate [de l'opposition] capable de rivaliser sur le plan de l'égalité des sexes sont concrétisées dans le programme de travail du groupe rival du président, de son parti, de Claudia Sheinbaum et de la coalition « Continuons à écrire l'histoire » (Parti vert, Parti travailliste, Morena). La campagne consistait à aller contre, ou à s'opposer à, sans concéder ni reconnaître, sans accepter ni valoriser. Tout nier, sans rien proposer de nouveau, est devenu le dogme des partis évincés du pouvoir, habilement dissimulé sous le masque de la société civile, et le fil conducteur de la campagne présidentielle.
5.- L'opposition, celle du « Pacto por México », a annoncé son processus interne. Plus de trente candidats se sont inscrites, mais seuls deux avaient de réelles chances : Beatriz Paredes (PRI – diplomate, première gouverneure femme de Tlaxcala) et Xóchitl Gálvez (liée au PAN, qui se présente comme candidate citoyenne – d'origine otomi, ethnie indigène, sénatrice de 2018 à 2023). Dès le départ, cette dernière semblaient la plus avantagée. En effet, l'opposition, aussi peu scrupuleuse que besogneuse, a mordu à l'hameçon de son alter ego : López Obrador, qui, habile à créer ou ressusciter des ennemis, pensait que la candidate présidentielle serait Xóchitl Gálvez, qui avait en principe des aspirations politiques plus modestes : gouverner la ville de Mexico. Mais comme elle était considérée comme l'ennemie à battre lors des élections de 2024, les prévisions de sa victoire se sont rapidement accrues. En manque de leaders féminins capables de se connecter à la population et de susciter un mouvement de masse, l'opposition a soudain découvert en Xóchitl Gálvez l'aimant capable d'attirer un secteur découragé, en colère et mobilisé contre le président, qu'elle qualifiait de « narco-président ».
Gonflée par les médias dès le début (elle a été assimilée à la « vierge de Guadalupe » – « patronne du Mexique », depuis 1895), Xóchitl Gálvez a remporté le processus interne pour être la candidate présidentielle des partis qui composent la coalition « Fuerza y Corazón por México », sans qu'il y ait eu une élection. La défense de la démocratie avait commencé sans cette dernière ! L'important était l'investiture accordée par les plus hautes sphères des partis politiques, qui avaient misé sur une candidate qui se présentait comme un cocktail idéologique : d'origine indigène, dit avoir appartenu à un courant trotskiste dans sa jeunesse, critique radicale du PRI, femme d'affaires prospère, gouverneure modèle dans une circonscription de Mexico, vendeuse de gelées dans son enfance et femme mûre qui a toujours du cran, et ainsi de suite. Sourire crispé, formes arrondies et petite taille, généralement vêtue de huipiles indigènes [vêtement mexicain brodé], la candidate « citoyenne » de la pigmentocratie [rouge, bleu, jaune] a parcouru le pays avec un discours neuf, spirituel, jovial et simple, ce qui n'empêche pas qu'il soit futile, éhonté, raciste, sexiste et classiste.
Son ignorance n'a d'égale que sa propension au mensonge et à la calomnie. Son langage, à la mesure de son monde, a été l'objet d'une attention constante. Ces derniers jours, faisant étalage de sa « prodigieuse mémoire » d'enfant, elle avouait avoir appris « les continents des capitales du monde » ! Le prodige de la mémoire serait dépassé par un exploit : « En plus, j'ai appris la capitale du monde », dit-elle fièrement. C'est peut-être pour cela que, lors d'un simulacre d'élection dans les universités mexicaines, elle n'a pas obtenu la première place souhaitée, mais la troisième, derrière Jorge Álvarez Máynez, du parti Movimiento Ciudadano (MC), avec lequel les dirigeants des autres partis avaient, dans un premier temps, demandé de s'allier. Par la suite, ils y ont renoncé en faveur de Xóchitl Gálvez. Désireux de valoriser son parti, Jorge Álvarez Máynez poursuit sa stratégie de positionnement au centre, nécessaire pour obtenir des majorités aux législatives.
6.- Orchestrée pour désorienter l'opinion publique, la campagne électorale et sa candidate est marquée du sceau d'un véritable charabia. Le désordre régnant s'est retourné contre ses orchestrateurs et menace les listes de sénateurs plurinominaux (les leaders des trois partis politiques en premier lieu), le nombre de gouvernorats, le nombre de députés et l'enregistrement des partis. Cela accroît le désespoir de Xóchitl Gálvez et la virulence de la campagne. Et ce, à tel point que la confusion a fini par engluer ses créateurs, ainsi que la candidate à la triste mémoire.
Quant à elle, sa prétendue origine indigène et son militantisme de gauche se sont révélés être une imposture politique, tout comme son caractère a révélé ses traits ordinaires et vulgaires. Ni son bain de gauche, ni ses origines populaires n'ont suffi à la rapprocher de la population et à impulser un mouvement de masse à elle seule. En coulisses, elle sème la zizanie et crée des conflits. Quant à la campagne, sa logique est simple : déformer, tromper, confondre, mentir, nier. Ce visage de la droite apparaît ici dans toute sa clarté.
Incapable d'utiliser la répression pour soumettre et submerger, la droite a eu recours à la confusion politique. La force de la base sociale de Morena explique la stratégie de la droite : ressembler à la gauche, cacher les programmes de lutte de la gauche et ses conquêtes sociales, et mettre en œuvre une confusion dont elle peut tirer des dividendes. Ainsi, lors de la dernière marche de la « marée rose » (19 mai), « citoyenne » seulement en tant qu'hypothèse, la nature partisane qui s'est toujours cachée derrière la « société civile » est apparue au grand jour. Elle y a été contrainte par la perspective proche de l'élection du 2 juin : la couleur rose n'apparaît pas sur les bulletins de vote, mais les partis politiques qui se cachaient sous elle, eux, apparaissent (PRI, PAN, PRD). Et ils ont été « invités », avec tous leurs candidats « citoyens », au rassemblement de la « société civile » sur le Zócalo de Mexico, que Gálvez a magistralement utilisé pour clôturer sa campagne. Seule la proximité de l'élection a contraint à supprimer le camouflage politique.
7.- Un tour de passe-passe politique s'est déroulé sur le zócalo : l'alchimie entre les partis politiques qui ont besoin d'une base sociale pour les citoyens et la « société civile » qui prétend être fatiguée des partis. Beau travail de métamorphose, le discours de Xóchitl Gálvez est l'emblème de l'appropriation et de l'expropriation du discours de la gauche et de ses programmes de lutte ; un symbole de la défense non plus de la démocratie (de l'INE), mais désormais de la République (au Mexique). « Avant le parti, nous avons la Patrie. Avant le parti, nous avons la République. Avant le parti, nous avons la démocratie et avant le parti, nous avons le Mexique. Le Mexique d'abord. » Ainsi a commencé l'oratrice en disant qu'elle avait été invitée par les « citoyens », dont la présence justifiait l'alliance nécessaire entre les vieux partis et la « société civile ». Si la fin justifie les moyens, la visibilité légitime ce carnaval politique et le délire de la foule : « Une lutte pour l'âme du Mexique ». Cette « large coalition » était nécessaire pour « défendre trois valeurs : la vie, la vérité et la liberté », par opposition à « la mort, le mensonge et la peur », l'héritage de ce gouvernement !
Paragraphe après paragraphe, le discours a tout englouti sur son passage : les causes et même les sujets sociaux de la gauche (les mères à la recherche des disparus, par exemple), qui sont à la fois non résolus dans l'action du gouvernement de López Obrador, et les étendards de la lutte de la gauche sociale, cachés par la droite. En montrant sa capacité à se métamorphoser en son contraire, le discours était aussi faux dans sa forme que vrai dans son contenu : la démocratie et la justice ont été deux grandes valeurs de la gauche au Mexique, mais le paradoxe est que la droite s'est opposée autant à l'une qu'à l'autre. « Des temps de santé, d'amour et d'espoir », a prédit Xóchitl Gálvez à une foule qui scandait des slogans, tout en brandissant les drapeaux des trois partis, les roses, celles de la candidate et même le drapeau mexicain. C'est dans l'espoir que s'enracine la force de la foule, qui défend la démocratie et l'âme du Mexique, face à la « dictature de López » et à son « héritière » : la « narco-candidate » Claudia Sheinbaum !
8.- Malgré cela, la coalition « Continuons à faire l'histoire » [et la candidate Claudia Sheinbaum] gagnera l'élection présidentielle et, avec elle, continuera à recycler des politiciens peu présentables qui ont adhéré à Morena avant même l'exode de la défaite électorale de 2018, et qui gouvernent aujourd'hui dans une bonne partie des Etats du pays. Cette gauche qui ressemble tant à la droite gagnera à nouveau. Ce qui est curieux, c'est que, dans une sorte de solidarité entre les contraires, les extrêmes se touchent : la droite, parce qu'elle se prétend de gauche, et la gauche, parce qu'elle se prétend différente de la droite.
Dans la confusion ambiante, tous les chats sont gris. (Article publié par Sin Permiso le 22 mai 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Carlos Alberto Ríos Gordillo est professeur du département de sociologie de la Universidad Autónoma Metropolitana, Unidad Azcapotzalco.
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Dans un Mexique qui suffoque, des élections sans écologie

Les enjeux environnementaux passent au second plan dans l'élection présidentielle du Mexique, le 2 juin. Le pays fait pourtant face à de fortes sécheresses et à une hausse des projets destructeurs.
Tiré de Reporterre. Légende de la phot : Sous la chaleur de Mexico, des affiches de Claudia Sheinbaum, candidate de la majorité au pouvoir, appellent à voter à l'élection présidentielle du 2 juin 2024. AFP/Yuri Cortez.
Les derniers sondages le confirment : le Mexique élira sa première « presidenta » (« présidente ») le dimanche 2 juin. « En tant que femme, ça va au-delà de toutes nos attentes », s'émeut Elisa, 26 ans, durant la clôture de campagne de l'ultrafavorite Claudia Sheinbaum. Dans son dernier discours, l'ancienne maire de la capitale (2018-2023) a énuméré les principaux points de son programme. Si les questions d'égalité de genre arrivent dans les premiers, les enjeux environnementaux ne sont évoqués qu'en quinzième position.
Face à elle, Xóchitl Gálvez, la candidate de la coalition de droite, joue souvent du bilan environnemental du président sortant, Andrés Manuel López Obrador (dit « AMLO »), très critiqué. « Xóchitl Gálvez se concentre sur la question climatique et sur une transition vers les énergies propres, analyse Leticia Merino, professeure à l'Université nationale autonome du Mexique et coordinatrice de l'Agenda socio-environnemental 2024. Mais comme d'autres, elle a tendance à réduire les enjeux environnementaux à la seule question climatique. »
Claudia Sheinbaum représente l'alliance de gauche, mais elle est surtout vue comme la dauphine du très populaire président López Obrador. Physicienne de formation et ancienne membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), c'est pourtant elle qui semble avoir le plus d'expérience sur les questions environnementales.
L'eau, première préoccupation
Avec des températures en constante hausse (jusqu'à 52 °C), une vague de chaleur ayant déjà fait quarante-huit morts et une sécheresse qui touche 70 % du territoire, le Mexique suffoque. À l'image du Cutzamala, le système de barrages alimentant Mexico en eau, qui fonctionne à moins de 30 % de ses capacités, les ressources en eau s'amenuisent. La perspective de stress hydrique est l'une des principales sources d'inquiétudes des Mexicains et Mexicaines.
Claudia Sheinbaum propose de changer la loi sur la gestion de l'eau, qui assure à l'État fédéral un contrôle total sur la ressource en dépit d'une gérance locale qui favoriserait les inégalités de distribution. Une proposition insuffisante, selon Leticia Merino, puisqu'il est impossible de savoir dans quel sens ces changements seraient opérés.
« Les programmes de Xóchitl Gálvez et Jorge Máynez [candidat du Mouvement citoyen, parti aux intentions de vote très faibles] sont assez pauvres, ils ne parlent presque pas d'environnement, explique la spécialiste. Et pourtant Claudia Sheinbaum n'en dit pas beaucoup plus, il n'y a rien sur la biodiversité ni sur les océans. » La perte de biodiversité et notamment des mangroves augmente pourtant la vulnérabilité face aux événements climatiques, comme avec Otis, ouragan de force 5/5, qui a littéralement détruit Acapulco en octobre 2023.
Mégaprojets
Le bilan de l'administration actuelle joue un rôle considérable dans la campagne. Et le mandat d'AMLO est notamment marqué par de grands projets, dont l'utilité divise : « Leur grande mesure a été de réduire les budgets alloués à la santé, à l'éducation, à l'écologie pour les transférer aux mégaprojets du président, déplore Leticia Merino. Alors que ceux-là violent souvent leurs propres lois sur l'environnement. »
Parmi les projets qui créent la controverse, le Train Maya et ses 1 500 kilomètres de voies ferrées reliant le sud-est mexicain, ayant engendré une importante déforestation et contamination de l'eau, ou le « corridor interocéanique », système de connexion entre les océans Atlantique et Pacifique pour concurrencer le canal de Panama.
Au Mexique, encore près de la moitié de l'électricité produite provient des énergies fossiles et notamment du charbon. Pour amorcer la transition énergétique, Claudia Sheinbaum prévoit de suivre une politique extractiviste et d'exploiter d'importantes réserves de lithium.
Au-delà de l'élection présidentielle, les législatives, locales (9 des 32 États changeront de gouvernement) et municipales rebattront aussi certaines cartes en matière de politiques environnementales.
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Lorsque le Nicaragua a poursuivi l’Allemagne en justice, certains médias ont mis le Nicaragua au banc des accusés*

Lorsque le Nicaragua a accusé l'Allemagne d'avoir aidé et encouragé le génocide israélien à Gaza devant la Cour internationale de Justice (CIJ) le mois dernier, les lecteurs des grands médias auraient pu sérieusement se demander si l'affaire du Nicaragua avait une quelconque légitimité.
Par John Perry, Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR-USA), New York, 30 mai 2024
John Perry a écrit pour The Nation, London Review of Books, Guardian, Council on Hemispheric Affairs, CounterPunch, Grayzone et d'autres médias. Il est basé à Masaya, au Nicaragua.
https://fair.org/home/when-nicaragua-took-germany-to-court-media-put-nicaragua-in-the-dock/ <https://fair.org/home/when-nicaragu...>
Traduction : Google+
L'affaire visait l'Allemagne comme étant le deuxième plus grand fournisseur d'armes d'Israël, parce que les États-Unis, le plus grand fournisseur d'Israël, n'acceptent pas la compétence de la Cour sur cette question. L'objectif ( comme l'a expliqué l'avocat du Nicaragua ) était de créer un précédent d'application plus large : les pays devraient assumer la responsabilité des conséquences de leurs ventes d'armes pour éviter qu'elles ne soient utilisées en violation du droit international.
De nombreux médias institutionnels ont adopté un point de vue plus clivant. Le Financial Times (08/04/24) a déclaré à ses lecteurs : « Le gouvernement autoritaire du Nicaragua a accusé l'Allemagne de « faciliter le génocide » à Gaza à l'ouverture d'une affaire politiquement chargée. Le deuxième paragraphe d'un article du New York Times (8/4/24) citait des « experts » qui y voyaient « une démarche cynique d'un gouvernement totalitaire visant à renforcer son image et à détourner l'attention de son propre bilan de répression qui ne cesse de s'aggraver ». Le Guardian (09/04/24) a nuancé son commentaire en faisant remarquer que « le Nicaragua n'est guère un exemple en matière de respect des droits de l'homme ».
Les doubles standards sont ici évidents. Si le gouvernement américain devait faire ce qu'il n'a pas fait jusqu'à présent, et condamner la violence génocidaire d'Israël, les grands médias occidentaux ne rappelleraient pas à leurs lecteurs les crimes contre l'humanité américains, tels que les tortures d'Abou Ghraib, les extraordinaires « renditions » ou les centaines d'emprisonnements sans procès à Guantanamo. Il est difficile d'imaginer que Washington soit accusé d'« hypocrisie » ( Guardian, 9/04/24 ) pour avoir dénoncé les crimes d'Israël. Toute condamnation d'Israël par les États-Unis ou l'un de leurs alliés occidentaux serait prise au pied de la lettre – en contraste flagrant avec le traitement médiatique d'une telle action par un pays ennemi officiel comme le Nicaragua.
*L'Allemagne « à son meilleur »*
Titre du journal El Pais : « La pire version du Nicaragua contre la meilleure version de l'Allemagne » Pour El País (11/04/24), faciliter le massacre de masse à Gaza est « l'Allemagne… à son meilleur », car elle est « motivée » par son « sens des responsabilités issu d'une histoire tragique ».
Parmi les médias de l'establishment, le journal espagnol El País (11/04/24) était peut-être le plus vitriolique dans sa description du Nicaragua. Son article sur le procès était intitulé « La pire version du Nicaragua contre la meilleure version de l'Allemagne ».
« La troisième affaire judiciaire internationale sur la guerre à Gaza oppose un régime accusé de crimes contre l'humanité à une démocratie forte et légitime », explique l'article. « C'est peut-être une noble cause, mais son défenseur ne pourrait pas être pire. »
L'article, qui ne reprenait aucune des preuves présentées par les deux parties, commentait assez curieusement que l'Allemagne était « à son meilleur » pour défendre sa cause, que sa « défense contre les accusations du Nicaragua est solide et que sa légitimité en tant qu'État démocratique est inattaquable ». Un commentaire vraisemblablement destiné à opposer sa légitimité à celle de « la dictature nicaraguayenne ».
En plus de son article cité ci-dessus, le New York Times (08/04/24) a publié un rapport plus centré sur l'affaire elle-même. Cependant, ce sont CNN (09/04/24) et Al Jazeera (08/04/24) qui se sont démarqués en couvrant l'affaire sur ses propres mérites plutôt que de se laisser distraire par une animosité envers le Nicaragua.
La présentation négative dans la plupart des médias a été répétée lorsque, plus tard en avril, ils ont titré que la demande du Nicaragua avait été « rejetée » par la CIJ (par exemple, AP, 30/04/24 ; NPR, 30/04/24), avec le New York Times (30/04/24) n'oubliant pas encore une fois d'insérer un commentaire désobligeant sur le caractère « hypocrite » de l'action du Nicaragua. Ces rapports de suivi ont largement négligé l'impact de cette affaire sur la capacité de l'Allemagne à armer davantage Israël lors de son attaque continue contre Gaza.
Le New York Times (02/03/23) a publié un titre assimilant les sandinistes nicaraguayens au parti nazi allemand, en affirmant que « la militarisation du système judiciaire contre les opposants politiques, comme cela se fait au Nicaragua, est exactement ce qu'a fait le régime nazi ».
Les grands médias ont proféré leurs critiques du Nicaragua grâce à un rapport publié fin février par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Un « groupe d'experts des droits de l'homme sur le Nicaragua » (le « GHREN ») avait produit son deuxième rapport sur le pays. Son premier, l'année précédente, avait accusé le gouvernement du Nicaragua de crimes contre l'humanité, ce qui a donné lieu à ce titre délirant du New York Times (02/03/23) : « Les « nazis » du Nicaragua : des enquêteurs stupéfaits citent l'Allemagne d'Hitler. »
Le leader du GHREN, l'avocat allemand Jan-Michael Simon, avait en effet comparé l'actuel gouvernement sandiniste aux nazis. La journaliste du Times Frances Robles a cité Simon :
« La militarisation du système judiciaire contre les opposants politiques, comme cela se fait au Nicaragua, est exactement ce qu'a fait le régime nazi », a déclaré Jan-Michael Simon, qui dirigeait l'équipe d'experts en justice pénale nommés par l'ONU, dans une interview.
« Des gens massivement déchus de leur nationalité et expulsés du pays : c'est exactement ce que les nazis ont fait aussi », a-t-il ajouté.
C'est toute une accusation, étant donné que les nazis ont créé plus de 44 000 camps d'incarcération de différents types et tué quelque 17 millions de personnes. Robles a donné peu de chiffres sur les crimes dont le Nicaragua est accusé, mais a mentionné 40 exécutions extrajudiciaires en 2018 attribuées à des membres de l'État et ses alliés, et a noté que le gouvernement Ortega avait en 2023 « retiré la citoyenneté à 300 Nicaraguayens qu'un juge a qualifiés de « traîtres à leur pays natal ».
Robles a également cité Juan Sebastián Chamorro, membre d'une famille de l'oligarchie nicaraguayenne qui compte parmi les plus farouches opposants au gouvernement sandiniste ; Chamorro a affirmé qu'il y avait des preuves de « plus de 350 personnes assassinées ». Même si c'était vrai, cela semble être très éloigné de « exactement ce que les nazis ont fait ».
Comme la plupart des journalistes occidentaux, Robles – qui a également écrit un récent article de la CIJ pour le Times – n'a prêté aucune attention aux critiques du travail du GHREN formulées par des spécialistes des droits de l'homme, qui ont affirmé que le GHREN n'avait pas examiné toutes les preuves mises à sa disposition et interviewé uniquement des sources d'opposition. Par exemple, l'ancien expert indépendant de l'ONU, Alfred de Zayas, a fustigé leur premier rapport dans son livre « The Human Rights Industry », le qualifiant de « pamphlet politique » destiné à déstabiliser le gouvernement du Nicaragua.
Même si l'on prend le récit du GHREN au pied de la lettre, le génocide de Gaza est au moins 100 fois pire en termes de nombre de morts, sans compter d'autres éléments horribles, tels que la famine délibérée, les bombardements aveugles, la destruction d'hôpitaux et bien plus encore par l'armée israéliennes. On ne sait pas pourquoi les accusations contre le Nicaragua devraient délégitimer les accusations contre l'Allemagne.
Histoire de La Haye.Le New York Times a titré le 28 juin 1986 : « La cour mondiale soutient le Nicaragua après que les États-Unis rejettent le rôle des juges »
En 1986, le New York Times (28/06/86) rapportait que la CIJ avait déclaré les États-Unis coupables de « formation, armement, équipement, financement et approvisionnement des groupes de Contras » et d'« attaques directes contre les installations pétrolières et les ports du Nicaragua ».
De nombreux médias ont mentionné le long historique de soutien du Nicaragua à la Palestine – ce qui met à mal l'accusation de cynisme qui sous-tend cette affaire – mais rares sont ceux qui ont souligné l'histoire des succès de ce pays d'Amérique latine à La Haye. Comme l'a souligné Carlos Argüello, l'ambassadeur du Nicaragua aux Pays-Bas qui a dirigé la CIJ, le Nicaragua a plus d'expérience à la Haye que la plupart des pays, y compris l'Allemagne. Cela a commencé avec son procès pionnier contre les États-Unis en 1984, lorsqu'ils ont obtenu une compensation de 17 milliards de livres sterling (qui n'a jamais été payée) pour les dommages causés au Nicaragua par la guerre des Contras financée par les États-Unis et le minage de ses ports.
Une exception notable à cette falsification historique est venue de Robles au Times (4/8/24), qui a fait référence au cas de 1984. Mais il ne s'agissait clairement pas de rappeler aux lecteurs les crimes américains, ni de démontrer que le Nicaragua est un acteur à prendre au sérieux dans le domaine du droit international. Les deux universitaires qu'elle a cités ont tous deux servi à décrire le cas actuel comme simplement « cynique ».
Le premier, Mateo Jarquín, cité par Robles, aurait déclaré que le gouvernement sandiniste avait « une longue expérience… d'utilisation d'organismes mondiaux comme la CIJ pour se tailler une place au niveau international – pour renforcer sa légitimité et résister à l'isolement diplomatique ». Robles n'a pas divulgué le surnom de Jarquín : Chamorro. Comme sa source dans l'article précédent, il fait partie d'une famille qui compte plusieurs opposants au gouvernement.
Robles a également cité Manuel Orozco, un ancien Nicaraguayen travaillant au Dialogue interaméricain basé à Washington, dont les principaux bailleurs de fonds sont l'Agence américaine pour le développement international et l'Institut républicain international, connus pour leur rôle dans la promotion des changements de régime, notamment au Nicaragua. Orozco a déclaré à Robles que « le Nicaragua n'a pas l'autorité morale et politique pour parler ou défendre les droits de l'homme, et encore moins sur les questions de génocide ».
*« Ils se sont effectivement rangés du côté de l'Allemagne »*
Associated Press : « Le plus haut tribunal de l'ONU rejette la demande du Nicaragua demandant à l'Allemagne de suspendre son aide à Israël. »
L'Associated Press (30/04/24) n'a pas saisi l'importance de la décision de la CIJ selon laquelle, « à l'heure actuelle, les circonstances ne sont pas telles qu'elles nécessitent » une ordonnance interdisant à l'Allemagne d'expédier des armes à Israël – à savoir, que l'Allemagne a soutenu qu'elle avait déjà interrompu ses expéditions de telles armes (Verfassungblog, 5/2/24).
Le 30 avril, la CIJ a refusé d'accorder au Nicaragua les mesures provisoires demandées contre l'Allemagne, exigeant notamment l'arrêt des livraisons d'armes à Israël. En tête d'affiche de ce résultat, l'Associated Press (30/04/24) a déclaré que le tribunal « se rangeait effectivement du côté de l'Allemagne ». Le média a cependant poursuivi en expliquant que le tribunal avait « refusé de rejeter complètement l'affaire, comme l'Allemagne l'avait demandé », et qu'il entendrait les arguments des deux parties, avec une résolution qui n'arriverait probablement pas avant des années.
C'était mieux que le rapport de NPR (30/04/24), qui mentionnait seulement que le tribunal poursuivait l'affaire dans son dernier paragraphe.
Mais l'avocat et professeur allemand Stefan Talmon (Verfassungblog, 02/05/24) a précisé que la décision du tribunal « limite sérieusement la capacité de l'Allemagne de transférer des armes à Israël ».
« L'ordonnance du tribunal a été largement interprétée comme une victoire pour l'Allemagne », a commenté Talmon. "Un examen plus approfondi de l'ordonnance montre cependant le contraire." Il a conclu que même si la CIJ n'interdisait pas de manière générale la fourniture d'armes à Israël, elle lui imposait des restrictions significatives en soulignant l'obligation de l'Allemagne « d'éviter le risque que de telles armes puissent être utilisées pour violer les Conventions sur les génocide et de Genève ».
Et Talmon a souligné que le tribunal semblait avoir pris sa décision selon laquelle un ordre d'arrêt des expéditions d'armes de guerre n'était pas nécessaire, sur la base de l'affirmation de l'Allemagne selon laquelle elle avait déjà cessé de le faire.
« En soulignant expressément qu'« à l'heure actuelle », les circonstances n'exigeaient pas l'indication de mesures conservatoires, la Cour a clairement indiqué qu'elle pourrait indiquer de telles mesures à l'avenir », a écrit Talmon.
Les médias de l'establishment, apparemment distraits par « l'hypocrisie » du Nicaragua qui défie un pays dont la « légitimité en tant qu'État démocratique est inattaquable », n'ont pour la plupart pas remarqué que ses efforts juridiques ont donc été au moins partiellement couronnés de succès : ils ont forcé l'Allemagne à renoncer à ses efforts inlassables de soutien au génocide israélien à Gaza et a alerté les politiciens allemands sur le fait qu'ils risquent d'être tenus pour responsables en vertu du droit international s'ils transfèrent d'autres armes de guerre.
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Dans une Europe à la croisée des chemins, la légitimité d’une voix anticapitaliste

La campagne électorale des Européennes porte la marque d'un contexte anxiogène et du désenchantement pour de larges couches de la population. Dans cette tribune plus de 125 personnalités belges, françaises et internationales dont Ken Loach, Aurore Koechlin, Miguel Urban, Andreas Malm, Olivier Besancenot ou encore Roseline Vachetta appellent à rassembler toutes les forces de la rupture sociale et écologique après les élections et à préparer le rapport de forces, en défense d'un programme de transformation sociale et écologique à la hauteur des enjeux.
Tiré de Gauche anticapitaliste
24m mai 2024
Par Gauche anticapitaliste
Cette campagne électorale porte la marque d'un contexte anxiogène et du désenchantement pour de larges couches de la population. Le « monde d'après » une pandémie meurtrière est marqué par un dérèglement climatique accéléré, des inégalités sans précédent, la Méditerranée transformée en cimetière, les invasions de l'Ukraine et de Gaza…
Ajoutons la montée du militarisme, de la répression policière et de l'extrême droite en Europe et ailleurs : les Orban, Meloni, Van Grieken, Le Pen ou Poutine, qui s'attaquent aux droits des femmes et personnes LGBTI+ à disposer de leur corps sans subir de violences, alors que le définancement des services publics fait porter aux femmes la surcharge de travail du soin.
En Belgique, la décision de regrouper les différentes élections régionales, fédérales et européennes ne peut effacer l'enjeu de ces dernières. Comment répondre à ces crises capitalistes sans passer aussi par l'échelle européenne et internationale ? La vaccination anti-Covid, les sanctions à prendre vis-à-vis des régimes russe ou israélien, la crise agricole, etc., ont montré l'importance du niveau européen.
Ces crises ont remis à l'ordre du jour la possibilité de prendre des mesures fortes : fermetures et réquisitions d'entreprises, sanctions internationales, contrôle des prix, taxation exceptionnelle…Pour autant qu'il y ait la volonté politique et le rapport de forces.
Les traités au fondement de l'UE consacrent sa construction par et pour les grandes entreprises privées du continent, dominée par des pouvoirs échappant au contrôle démocratique : Conseil, Commission et Banque centrale européenne. Elle est gangrenée par les lobbies patronaux et ceux de régimes despotiques, de la Russie au Qatar. La social-démocratie et les Verts refusent de la remettre en cause. Ces courants ont mené, en loyauté vis-à-vis du patronat, des décennies de privatisations, de libéralisations, et de casse des droits sociaux des travailleur.se.s, qui accentuent le désastre écologique.
Face à eux, des blocs réactionnaires et d'extrême droite se nourrissent des impacts antisociaux du capitalisme vert et prétendent fournir une alternative qui aggrave le racisme et le déni climatique.
Ces dernières années, l'Union européenne a conclu des « Pactes », nocifs pour ce qu'ils prétendent soigner. Le « Green Deal » ne permet pas de répondre au danger existentiel du réchauffement climatique et de l'effondrement de la biodiversité, parce qu'il s'inscrit dans la continuité capitaliste, productiviste et néolibérale des politiques de l'UE depuis quarante ans. Il consacre ainsi le gaz et le nucléaire comme « énergies de transition ». Le « Pacte migratoire » accentue la politique meurtrière de l'UE à ses frontières : il renforce l'agence Frontex connue pour ses violations des droits humains et le financement de pays tiers pour qu'ils chassent et emprisonnent les réfugié.e.s par tous les moyens possibles, jusqu'à les refouler dans le désert, comme en Tunisie.
Enfin, le « Pacte budgétaire » consacre le retour de l'austérité et des paquets de « réformes » néolibérales ralentis par la pandémie et la crise sociale liée aux prix de l'énergie. Pour la Belgique et ses régions, l'après-élections annonce des coupes budgétaires d'ampleur : Franck Vandenbroucke (Vooruit) évoque le « Plan global » d'austérité de 1993, les libéraux et la N-VA proposent d'aller tailler dans les services publics, la Sécurité sociale et la santé pour près de 30 milliards dans la législature à venir.
La gauche de gauche souffre encore à l'échelle européenne d'une absence d'un projet de société alternatif et d'une stratégie d'affrontement assumé avec le capital et ses institutions, le pire exemple étant l'évolution de Syriza en Grèce. En Belgique, le PTB incarne une des rares forces de gauche ascendantes en termes électoraux mais il n'embrasse pas la diversité des courants de la gauche radicale et ne peut constituer à lui seul une réponse suffisante aux questions stratégiques majeures à l'ordre du jour.
Nous connaissons la Gauche anticapitaliste et l'engagement de ses militant.e.s dans de multiples combats : aux côtés des Delhaizien.ne.s et des travailleur.se.s de la santé, dans les initiatives antifascistes et en défense des sans-papiers, dans les actions de désobéissance civile de Code Rouge contre TotalEnergies et Ali Baba, dans les luttes féministes, LGBTI+ et la solidarité avec les Palestinien.ne.s et les Ukrainien.ne.s ; pour un syndicalisme de combat et démocratique et une alternative politique large, plurielle et unitaire.
La Gauche anticapitaliste fait partie des courants marxistes révolutionnaires ouverts et vivants et met en avant un programme de transformation radicale vers un écosocialisme démocratique. Elle défend la nécessité d'abolir Frontex et de refonder une Europe solidaire, de socialiser le secteur financier et l'énergie, de répudier les dettes publiques, d'une décroissance juste et planifiée, et défend un front uni des mouvements sociaux, syndicaux et de gauche contre les blocs de droite et d'extrême droite.
Sans nécessairement partager la totalité de son programme, les signataires de cet appel soulignent la légitimité de la liste qu'elle présente aux élections européennes : la liste Anticapitalistes, sur laquelle figure Philippe Poutou, porte-parole du NPA et ancien candidat aux présidentielles en France.
Enfin, nous appelons à rassembler toutes les forces de la rupture sociale et écologique après les élections et à préparer le rapport de forces, en défense d'un programme de transformation sociale et écologique à la hauteur des enjeux. Un monde nouveau est nécessaire, et même urgent ; nous sommes de celles et ceux qui pensent qu'il est possible.
Premiers signataires :
Ken Loach, réalisateur
Aurore Koechlin, autrice féministe
Miguel Urban, député de l'Etat espagnol au Parlement européen
Andreas Malm, auteur et professeur associé en écologie humaine, Université de Lund en Suède)
Olivier Besancenot, ancien candidat à la présidentielle française
Roseline Vachetta, ancienne députée européenne
Christine Poupin, porte-parole du NPA-L'Anticapitaliste, militante écosocialiste
Omar Slaouti, militant antiraciste et conseiller municipal Argenteuil
Ugo Palheta, sociologue, maître de conférences à l'université de Lille
Daria Saburova, chercheuse et membre du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine
Hanna Perekhoda, chercheuse en histoire
Ilya Budraitskis, politiste, journaliste et militant socialiste russe,
Paul Murphy, député (TD) People Before Profit en Irlande
En Belgique :
Joëlle Sambi, militante et artiste
Rosetta Scibilia, syndicaliste et ancienne déléguée chez Delhaize
Arnaud Levêque, Centrale Générale FGTB
Bintou Touré, porte-parole du Comité des femmes sans-papiers Belgique
Irène Zeilinger, féministe
Céline Caudron, militante féministe
Eleonore Merza Bronstein, militante féministe et juive décoloniale
Eitan Bronstein, De-Colonizer
Bruno Beauraind, chercheur au GRESEA
Jalil Bourhidane, permanent CNE
Mathieu Verhaegen, Président CGSP-ACOD ALR-LRB Bru
Youri Vertongen, docteur en sciences politiques, UCLouvain
Jacinthe Mazzochetti, professeure à l'UCLouvain et autrice
Binta Liebmann Diallo, infirmière sociale
Oli Vermeulen, membre de Fabriek Paysanne
Eric Toussaint, docteur en sciences politiques, membre du CADTM international
Sébastien Kennes, militant Luttes paysannes/Occupons le terrain
Esmeralda Wirtz, militante pour la justice climatique
La liste complète des signataires :
Abufom Pablo,Coordinateur politique du Movimiento Solidaridad (Chili)
Aissat Kamel, universitaire et militants écologiste (Algérie)
Antoine Sébastien, Docteur en Sciences Politiques et Sociales (UCLouvain), Marie Skłodowska-Curie Global Postdoctoral Fellow
Arets France, enseignante retraitée, militante syndicale CGSP active dans le soutien aux sans-papiers
Beauraind Bruno, Chercheur au GRESEA
Berquin Manu, médecin
Besancenot Olivier, ancien candidat du NPA à l'élection présidentielle française
Bigorne Alexia, Doctorante en santé publique et militante féministe et LGBTI+
Bilous Taras, co-éditeur de la revue Commons, membre du Mouvement Social (Ukraine)
Bouchez Freddy, militant de la Marche des Migrant.es région du Centre
Boulard Coralie, Doctorante à la KULeuven
Bourhidane Jalil, permanent CNE
Bouvy Jérôme, Philosophe hospitalier au Grand Hôpital de Charleroi
Brice Léonard, Chercheur en informatique, ULB
Bronstein Eitan, De-Colonizer
Bucci Mario, militant antifasciste
Budraitskis Ilya, Politiste, journaliste et militant socialiste russe
Calderón Alí, Poète, professeur à la Benemérita Universidad Autónoma de Puebla (Mexique)
Cardinal Valérie, Groupe montois de soutien aux sans-papiers
Carvalho Nadja, co-responsable des relations internationales du PSOL (Brésil)
Caudron Céline, militante féministe
Chaumont Laura, travailleuse dans un service de prévention des violences faites aux femmes
Chritiaens Hans, permanent syndical SETCa-FGTB
Coelho Allan, Philosophe et professeur à l'université de San Francisco
Como Eliana, militante féministe et syndicaliste CGIL, Confédération générale italienne du travail
Daher Joseph, Chercheur à l'université de Lausanne et militant internationaliste
De Mond Nadia, militante féministe et internationaliste belgo-italienne
De Wit Bruno, Délégué BBTK-SETCa Social Profit à Malines
Devriese Cédric, animateur en éducation permanente
Di Campo Thérèse, photojournaliste et militante des droits humains
Di Martinelli Muriel, Secrétaire fédérale CGSP-ACOD ALR-LRB BRU
Djermoune Nadir, enseignant chercheur, architecte urbaniste (Algérie)
Duggan Penelope, membre du Bureau de la Quatrième Internationale
Elophe Cyril, auteur de bande dessinée et représentant de la fédération ABDIL
Fekete de Vari François, chercheur et assistant à l'ULB/UCLouvain.
Fichefet Charlotte, Chercheuse et militante solidaire de l'Ukraine
Filoni Chiara, Militante féministe
Fonsny Pauline, militante solidaire de la lutte des sans papiers
Fossion Jamie Lee, ULB, coordinatrice en maison médicale
García Hernández Franck, sociologue, historien cubain et membre de Comunistas (Cuba)
Grun Laurence, réalisatrice
Guérard Martin, JOC
Gueye (dit Ziza Youssouf) Abdelazize, chanteur et danseur
Haberkorn Amir, Syndicaliste, militant anti-capitaliste
Hirach Faiza, militante syndicale
Houart Claire, psychologue clinicienne, psychothérapeute
Houart François, comédien
El Manouzi Ismail, directeur du journal « Al mounadil-a » (Maroc)
Izzo Alba, Comédienne et animatrice
Jiang Wanjing, Doctorante à la KULeuven
Karaoglan Ufuk, militant antiraciste
Kassar Hassène, universitaire, Tunis
Kennes Sébastien, militant Luttes Paysannes / Occupons le Terrain
Koechlin Aurore, Autrice féministe
Kyselov Oleksandr, Assistant de recherche à l'université d'Uppsala, membre du Mouvement Social (Ukraine)
Larrache Antoine, éditeur de la revue Inprecor
Laublin Régis, Militant syndical
Leidinger Romane, enseignante et militante syndicale
Leterme Cédric, Docteur en sciences politiques et sociales, chercheur-militant
Levèque Arnaud, Centrale Générale FGTB
Liasheva Aliona, co-éditrice de la revue Commons, membre du Mouvement Social (Ukraine)
Liebmann Diallo Binta, Infirmière sociale
Loach Ken, réalisateur
Lowy Michael, sociologue écosocialiste
Lucia Bayer Mats, Chercheur à l'université de Delft
Maes Renaud, Professeur à l'Umons et l'UCLouvain
Malafatti Fernanda, Docteure en éducation et enseignante à Sao Paulo
Malm Andreas, Auteur et professeur associé en écologie humaine, Université de Lund (Suède)
Mann Kay, Membre de Solidarity (USA)
Manuel Meneses Ramirez José, Docteur en philosophie et professeur au Colegio de Morelos (Mexique)
Martinez Andrade Luis, Docteur en sociologie de l'EHESS, chercheur à l'UCLouvain
Mathieu Freddy, ancien Secrétaire Régional de la FGTB Mons-Borinage
Mazzochetti Jacinthe, Professeure à l'UCLouvain et autrice
Medvedev Kirill, Musicien, poète et activiste de gauche russe
Merza Bronstein Eleonore, Militante féministe et juive décoloniale
Moonens Alessandra, médecin et avorteuse
Mora Youri, doctorant en psychologie sociale (ULB)
Mosquera Martin, éditeur principal de Jacobin Amérique latine
Moustakbal Jawad, Membre du secrétariat d'ATTAC/CADTM Maroc
Murphy Paul, Député (TD) de People Before Profit (Irlande)
Ndiaye Modou, Porte parole de la Voix des Sans Papiers Belgique
Palheta Ugo, sociologue, maître de conférences à l'université de Lille
Paquet Fanny, militante féministe
Parzenczewski Ester, chroniqueuse littéraire à « Points critiques »
Pasetti Quentin, Enseignant dans l'enseignement supérieur
Peltier Benjamin, militant des droits humains
Perekhoda Hanna, Chercheuse en histoire
Pilash Denys, co-éditeur de la revue Commons, membre du Mouvement Social (Ukraine)
Piron Daniel, ex-Secrétaire régional interprofessionnel de la FGTB Charleroi
Pommier Nicolas, ingénieur du son
Poupin Christine, porte-parole du NPA-L'Anticapitaliste, militante écosocialiste
Puissant Hamel, Délégué SETCA non-marchand
Renoir Milady, voisine solidaire de la lutte des sans papiers
Rivera Rodrigo, Senior Communications Officer at European Transport Workers' Federation
Rodriguez Bonfanti Dominique, militante progressiste
Saburova Daria, Chercheuse, membre du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine
Sambi Joelle, militante et artiste
Schievers Sean, travailleur social
Scibilla Rosetta, syndicaliste et ancienne déléguée chez Delhaize
Sepulchre Douglas, Assistant et doctorant à l'ULB
Skyba Oleksandr, Syndicat indépendant des cheminots et membre du Mouvement Social (Ukraine)
Slaouti Omar, militant antiraciste et conseiller municipal Argenteuil
Tidva Artem, militant syndical et membre du Mouvement Social (Ukraine)
Tlili Jalel, Sociologue, Tunis
Tondeur Julien, Historien
Tondeur Bruno, réalisateur/animateur
Touré Bintou, Porte parole du Comité des Femmes Sans Papiers Belgique
Toussaint Eric, docteur en sciences politiques, membre du CADTM international
Trémouilhe Julie, Auteure
Urban Miguel, député de l'Etat espagnol au Parlement Européen
Uyttebroek Julien, Travailleur syndical
Vachetta Roseline, ancienne députée européenne
Van Hasselt Thierry, artiste
Vander Elst Martin, Anthropologue et activiste
Vanneste Pierre, photographe et réalisateur
Veltmans Peter, Délégué syndical ACOD-CGSP Finances
Verhaegen Mathieu, Président CGSP-ACOD ALR-LRB BRU
Vermaut Tatiana, Enseignante
Vermeulen Oli, membre de Fabriek Paysanne
Vertongen Youri, Docteur en sciences politiques, UCLouvain
Warocquiez Dominique, activiste internationaliste
Weyts Thomas, SAP-Antikapitalisten, actif dans le réseau européen de solidarité avec l'Ukraine
Wirtz Esmeralda, Militante pour la justice climatique
Zabotin Lucas, Doctorant en anthropologie, université de Cambridge
Zeilinger Irène, féministe
Photo : Ken Loach (licence Creative Commons)
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Belgique - Le PTB entre rupture et participation

La Gauche anticapitaliste présente une liste aux élections européennes, pour une alternative anticapitaliste digne de ce nom. Aux niveaux fédéral et régional, nous appelons à voter PTB, en particulier pour les candidat⸱es issu⸱es des luttes sociales. Au-delà de nos désaccords, l'essentiel est en effet que « ici et maintenant, seul le PTB est en mesure d'infliger la gifle la plus monumentale possible à la droite et à l'extrême droite, tout en sanctionnant cette prétendue gauche (PS et Ecolo) qui leur déroule le tapis rouge. » (1)
Tiré de Gauche anticapitaliste
28 mai 2024
Par Freddy Mathieu et Daniel Tanuro
On voit bien aujourd'hui à quel point cette « gifle monumentale » effraie les possédants. C'est pourquoi la classe politique et les médias dominants assiègent le PTB pour lui faire dire qu'il est prêt à participer au pouvoir. En même temps, beaucoup dans les syndicats et les associations souhaitent que PS, ECOLO et PTB s'accordent pour faire barrage à la droite. Situation complexe. Pris entre deux feux, le PTB riposte en formulant ses « points de rupture » pour aller au pouvoir. Problème : les points avancés sont très insuffisants pour concrétiser une vraie rupture. Pourquoi le PTB adopte-t-il un profil aussi bas ? En quoi est-ce lié à l'histoire de cette organisation et à ses limites ? Et comment aller plus loin, comment, dans le contexte réactionnaire d'aujourd'hui, faire émerger sur le plan politique une alternative anticapitaliste à la hauteur des défis ? Voilà les trois questions débattues dans cette contribution au débat par des militants de la Gauche anticapitaliste.
Le PTB a le vent en poupe. Quoique les sondages soient à prendre avec prudence, sa percée est vraiment impressionnante. Elle déstabilise très sérieusement la politique traditionnelle, en particulier la social-démocratie et les Verts. Le bilan de ces partis étant jalonné de renoncements et de trahisons, il est réjouissant de les voir mis en difficulté : c'est comme une revanche. Elle traduit l'aspiration à une alternative. Le PTB prétend incarner à la fois la revanche et une alternative. Sociale, écologique, éthique, démocratique, crédible et radicale. Tournant le dos à « l'extrémisme », il se profile comme « la gauche authentique ». Une gauche qui ne renie pas ses valeurs, qui refuse les compromissions, qui met ses actes en conformité avec ses paroles et qui propose des changements concrets. C'est une raison majeure de son succès.
Mais cet énorme succès a un point faible : plus il se renforce électoralement, moins le PTB peut se soustraire à la question de la participation au pouvoir. Le PS et Ecolo l'attendent au tournant. Ils espèrent prendre à leur tour une revanche sur ce parti qui les démasque et leur prend des voix. Le calcul est simple : les gens comprendront qu'il ne sert à rien de voter pour un parti de « couillons » (Magnette) qui refusent de « prendre leurs responsabilités ». La pression monte aussi au sein des syndicats. La FGTB le dit ouvertement : du côté francophone, elle espère une gauche unie pour mieux relayer ses revendications au sein des gouvernements.
Un point d'inflexion
Alors, participer au pouvoir ? Jusqu'à présent, les porte-parole du PTB bottaient en touche. Aux journalistes, ils répondaient en substance : « On verra plus tard », « Nous ne sommes pas encore assez forts », « Il faut y aller d'abord au niveau communal », « Voyez Zelzate, c'est la preuve que nous sommes prêts, s'il y a une vraie rupture »… Or, cette ligne est devenue intenable. Quand vous êtes devenu un grand parti qui plaide pour l'urgence d'une alternative de gauche face à la menace grandissante de l'extrême-droite, vous ne pouvez pas esquiver ainsi la question du pouvoir. Le pouvoir est par définition le but de toute politique. Au stade actuel de son développement électoral, un PTB qui esquiverait la question du pouvoir amorcerait probablement son déclin. Voilà pourquoi Hedebouw et ses camarades, aujourd'hui, mettent dans le débat public les conditions de leur participation éventuelle. C'est un point d'inflexion.
Il prend une double forme.
D'une part, le PTB soumet à une série de personnalités de gauche un texte intitulé « Voter PTB : pour une vraie alternative de gauche » (2). Ce texte fustige « un capitalisme prédateur et exploiteur qui dicte sa loi et accumule des profits sans limites ». Les signataires constatent que « le tableau est sombre ». Ils ne veulent plus « se contenter des politiques de compromis qui finissent toujours par s'enliser. Le ‘sans nous ce serait pire' n'est plus de mise, disent-ils : l'heure est à la rupture, à l'affirmation de politiques réellement alternatives, à la construction de nouveaux rapports de forces ». Ils et elles remarquent que « les élus du PTB ont fait la démonstration de leur capacité à agir au sein d'institutions parallèlement à leur combat dans les luttes sur le terrain ». En conséquence, ils et elles « partagent l'espoir et la volonté du président de la FGTB, Thierry Bodson, qu'au lendemain des élections des négociations soient menées sérieusement entre le PS, Ecolo et le PTB qui arithmétiquement pourront être majoritaires en Wallonie et à Bruxelles. En dépit du double langage du PS et du refus d'Ecolo de se situer clairement sur un axe gauche-droite, concluent-ils, il nous importe en tout cas que le PTB, sans se renier, aille au bout du possible de ces négociations. »
D'autre part, comme en écho à cet appel, le PTB distingue des « points de rupture » à tous les niveaux de pouvoir (fédéral, wallon et bruxellois). Dans son programme, cette démarche est justifiée comme suit : « Nous faisons le choix de la rupture avec les politiques néolibérales de ces trente dernières années. Ce choix est nécessaire pour répondre aux urgences sociales en matière de pouvoir d'achat, de justice fiscale, de fin des privilèges politiques et de climat ».
On a donc d'une part une intention générale – rompre avec le néolibéralisme d'« un capitalisme prédateur et exploiteur » ; d'autre part une série de « points de rupture » concrets que le PTB pose comme conditions nécessaires de sa participation éventuelle.
Un exercice périlleux
En soi, pour des anticapitalistes, cette démarche est justifiée. On ne peut pas, dans le genre de situation que nous connaissons, se contenter de plaider pour la révolution, la destruction de l'État bourgeois et le pouvoir des soviets. On ne peut pas davantage se contenter de la convergence des luttes à la base, en esquivant la question de leur débouché politique. Celui-ci est indispensable. Une politique de rupture doit donc comporter plus qu'un programme de revendications et des formes de lutte : pour être crédible, elle doit tracer la perspective d'un gouvernement de rupture, et tracer le chemin pour l'imposer à la classe dominante.
Ce n'est pas un exercice facile. C'est même un exercice extrêmement périlleux, parce que le PTB doit dire s'il est prêt à gouverner avec le PS et Ecolo. C'est là qu'est le piège. Car une chose est claire comme de l'eau de roche : aucune rupture digne de ce nom n'est possible avec le PS et Ecolo. Aucune. Avec ces partis-là, il est même vain d'espérer le début d'une rupture. Les leçons de l'histoire et celles de l'actualité plus récente le montrent. En particulier pour la social-démocratie. Elle a fait le choix du capitalisme il y a plus d'un siècle. Elle est structurellement incapable de revenir en arrière. Les dernières illusions se sont envolées depuis le tournant « social-libéral » des PS, dans les années quatre-vingt. Depuis, celles et ceux qui ont envisagé de faire avec la social-démocratie (et avec les Verts) un bout de chemin qui serait « anti-néolibéral » sans être « anticapitaliste » se sont cassés les dents. Pourquoi ? Parce que le néolibéralisme est le seul régime compatible avec les exigences du capital au stade actuel de son développement. Il n'y en a tout simplement pas d'autre.
Dès lors, pour les anticapitalistes, le seul moyen d'éviter le piège des négociations gouvernementales consiste à poser des « points de rupture » répondant à la fois à trois critères : correspondre à des revendications clés des couches exploitées et opprimées ; former un ensemble limité mais cohérent de mesures, incompatible avec la politique néolibérale de cogestion du système ; s'inscrire clairement dans une dynamique d'émancipation anticapitaliste.
Au ras des pâquerettes
Examinons les « points de rupture » du PTB à partir de cette approche.
Premier constat : ils se limitent à quatre domaines – « pouvoir d'achat, justice fiscale, fin des privilèges politiques et climat ». Il n'y a pas de « point de rupture » face au racisme, à l'islamophobie, aux violences contre les femmes, à la LGBT-phobie, à la pollution chimique, au pillage néocolonial des ressources, à la remilitarisation. La suppression des centres fermés pour étrangers ne figurant pas au programme du PTB, il n'est pas étonnant (mais plus que déplorable !) qu'elle ne constitue pas un « point de rupture »… Mais pourquoi des demandes qui sont au programme, telles que l'aide au développement à 0,7% du PIB, ou l'annulation des dettes illégitimes, ne constituent-elles pas des « lignes rouges » ?
Deuxième constat : les « points de rupture » du PTB dans les quatre domaines ci-dessus ne permettent pas de « rompre avec les politiques néolibérales des trente dernières années ». Voyons cela de plus près :
. « Justice fiscale ». La « taxe des millionnaires » de 2% sur les fortunes de plus de 5 millions d'euros et 3% sur les fortunes de plus de 10 millions est « une ligne rouge » pour le PTB. Un impôt sur les patrimoines est certainement une revendication très importante mais 1°) le seuil d'imposition (5 millions !) est nettement trop élevé ; 2°) « prendre l'argent où il est » requiert aussi d'augmenter le taux de l'impôt des sociétés (ISOC). Il était de 33% environ jusqu'à ce que le gouvernement décide, en 2019, de l'abaisser à 25%. Demander le retour aux 33% n'est pas plus « extrémiste » que d'exiger le retour de la pension à 65 ans. Le programme du PTB ne le fait pas. Il demande l'application effective des 25% aux grandes entreprises et la suppression des niches fiscales, au nom de l'égalité entre PME et grandes entreprises, mais ce n'est pas un « point de rupture ».
. Pour « protéger le pouvoir d'achat » (3), le PTB a deux « points de rupture » : 1°) « réviser » la loi sur la compétitivité ; 2°) « refuser l'austérité européenne », ces « règles européennes qui voudraient qu'on fasse des économies sur les pensions, la santé et les services publics ». C'est vraiment trop limité. Pourquoi seulement « réviser » la loi sur la compétitivité ? Elle doit être abolie ! Et pourquoi s'engager seulement à empêcher de nouvelles mesures européennes d'austérité ? Européennes ou pas, il faut commencer à abolir les mesures qui ont déjà plongé 15% des Wallon⸱nes et 28% des Bruxellois⸱es sous le seuil de pauvreté, en particulier des femmes. Par exemple revenir à l'individualisation des droits en sécurité sociale (imposée, sans diktat européen, par le « socialiste » Dewulf en 1981). Elle est au programme du PTB, mais il n'en fait pas un point de rupture.
. « Climat ». Le programme du PTB dit beaucoup de choses : « contrôle public et démocratique du secteur de l'énergie », « gestion publique des réseaux d'hydrogène », « planification écologique », « sortie du marché du carbone », « plan d'investissement public ambitieux dans les énergies renouvelables, la rénovation des logements et les transports publics », etc. Raoul Hedebouw et ses camarades ne sont pas anti-productivistes, ça, on le sait. Ils ne revendiquent pas la suppression des productions inutiles ou nuisibles. Mais, tout de même : alors que la planète brûle, peut-on se contenter de la gratuité du TEC et de la STIB comme unique « point de rupture » ? Pourquoi pas le refus de l'expansion du trafic aérien ou de la construction de nouvelles autoroutes, par exemple ? Ou la dénonciation de l'accord néocolonial (concocté par la ministre Groen Tinne Van der Straeten) qui permet à la Belgique d'accaparer le potentiel renouvelable d'Oman, afin de produire dans ce pays – sans payer d'impôt et avec la complicité du despote local – l'hydrogène vert nécessaire à la pétrochimie anversoise ?
. « Privilèges politiques ». Sur ce point, on ne peut pas reprocher au PTB de faire le grand écart entre son programme et ses « points de rupture » : la revendication-phare de son programme – diviser par deux les salaires des politiciens – constitue pour lui un point de rupture majeur. Cette revendication se justifie pleinement du point de vue anticapitaliste. Le problème, c'est la place tout à fait centrale que le PTB lui donne dans sa propagande de masse, les accents de celle-ci et le danger de confusion avec le « tous pourris » de l'extrême-droite. Ce danger serait contré si le PTB exigeait une hausse de l'impôt des sociétés et un plafond à la rémunération des patrons. Malheureusement, ces revendications sont absentes de son programme électoral.
Troisième constat : là où le PTB n'a aucune chance de participer au pouvoir (au fédéral), ses « points de rupture », bien que très insuffisants, sont cependant précis. Le PTB n'entrera pas au gouvernement fédéral s'il n'obtient pas : « la fin du blocage salarial », « une vraie taxe des millionnaires », « le retour de la pension à 65 ans », « le refus de l'austérité européenne » et « la fin des privilèges en politique – en particulier la division par deux des salaires des politiciens ». Aux autres niveaux de pouvoir, c'est plus flou. Pour la Wallonie, outre la gratuité du TEC, le PTB avance « entre autres » « la mise sur pied d'un service public wallon des déchets sans taxe déchets ou sacs poubelles payants ». Pour Bruxelles, outre la gratuité de la STIB, il avance « entre autres » un refinancement fédéral de la Région, la fin de la soumission aux grands promoteurs immobiliers et la construction de logements 100% publics. Que recouvre la formule « entre autres » ? Le texte ne le dit pas…
En conclusion, les « points de rupture » du PTB sont : 1°) trop au ras des pâquerettes sur le plan socio-économique ; 2°) muets sur les revendications féministes, antiracistes, antimilitaristes, anticoloniales et anti-exclusion ; 3°) nettement au-dessous de ce qui serait nécessaire pour commencer à faire face sérieusement à l'urgence écologique en général, climatique en particulier.
Gradualisme et populisme de gauche
Il y a deux interprétations possibles à cette conclusion. Elles ne sont pas nécessairement contradictoires.
La première est que le PTB ne veut pas aller au pouvoir mais opte pour un profil très bas parce qu'il craint par-dessus tout d'apparaître comme celui qui a empêché la formation de gouvernements plus à gauche, ce qui risquerait de lui nuire aux communales. Il est probable qu'il craint surtout de décevoir les syndicats, la FGTB en particulier. C'est pourquoi ses points de rupture privilégient la fin du blocage salarial, la justice fiscale et le retour à la pension à 65 ans.
La seconde est que le PTB est prêt à « prendre ses responsabilités » si les résultats le permettent et que l'opportunité se présente. Le flou des points de rupture aux niveaux wallon et bruxellois semble être une indication dans ce sens : ne pas se lier les mains, on ne sait jamais ?…
On y verra plus clair dans quelques semaines, inutile d'anticiper. Quoiqu'il en soit, cette campagne rapproche le PTB d'un seuil qualitatif dans la longue évolution qu'il a entamée en 2007-2008. À l'époque, il décidait de se débarrasser de son image de parti stalinien, « extrémiste », pro-chinois (antisyndical et anti-Cuba à l'origine !), justifiant les crimes des Khmers rouges, l'écrasement de Tien An Men, la tyrannie en Corée du Nord (on en passe…) Le succès a été au rendez-vous, c'est le moins qu'on puisse dire – il est même spectaculaire ! Pourtant, en dépit de sa nouvelle image et de changements réels, le PTB conserve quelque chose de son passé : le dogme du « rôle dirigeant du Parti » (« le Parti dirige le front ») et, plus largement, le bilan du stalinisme (« globalement positif », comme disait Georges Marchais).
Paradoxalement, c'est ce reste qui s'exprime aujourd'hui à travers les « points de rupture ». Le passage du maximalisme au minimalisme est un grand classique des partis de la mouvance stalinienne. Comme son ex-rival le PC pro-Moscou avant lui, et pour les mêmes raisons, le parti de Raoul Hedebouw et de Peter Mertens s'engage dans une logique gradualiste de « petits pas ». Comme le PC avant lui, il l'accompagne d'une stratégie de « soft power » par la construction de ses propres associations (Intal, etc.) et par la prise de contrôle de fractions des appareils syndicaux, tels qu'ils sont.
Cette logique des petits pas porte un nom : le réformisme. Ce que le PTB fait aujourd'hui y ressemble de plus en plus. Nous ne nous en réjouissons pas, car ce n'est pas une bonne nouvelle pour la gauche ! Mais la vérité a ses droits. Au vu de la campagne actuelle, il est légitime de se demander ce qui distingue encore le PTB de la social-démocratie classique – la social-démocratie telle qu'elle était avant de se rallier au tournant néolibéral.
Bien sûr, le PTB ne s'est pas sali les mains au pouvoir, il est dans la plupart des luttes. Bien sûr, la social-démocratie est pro-OTAN, tandis que le PTB penche pour les BRICS (mais il ne revendique plus que la Belgique sorte de l'Alliance atlantique…) Les différences sont donc évidentes. Reste que le programme du PTB dans ces élections n'est pas substantiellement différent de celui de la social-démocratie. Exemple typique : la nationalisation des banques. Le PTB s'en faisait le champion. Dans sa campagne électorale, elle est remplacée par la demande d'un « contrôle public significatif sur le secteur financier » avec « création de banques publiques » et « séparation des banques d'affaires et des banques de dépôts ». C'est un programme de régulation anti-néolibérale à la Joseph Stiglitz, pas une programme anticapitaliste à la Karl Marx. Les signataires de l'appel de vote pour le PTB ont donc tout à fait raison : « des convergences programmatiques existent » avec le PS et Ecolo. Selon le Bureau du Plan, la proposition du PS sur la taxation des patrimoines est plus radicale à certains égards que celle du PTB.
Serait-ce pour masquer ces convergences que le PTB appuie à fond sur ce qui le distingue le plus nettement aux yeux des électeurs lambda – « la lutte contre les privilèges en politique » ? Ou serait-ce pour attirer des électeurs des classes les plus populaires, à qui ses autres « points de rupture » paraîtraient peu accrocheurs ? Les deux à la fois, sans doute… Le « populisme de gauche » du PTB le distingue en effet carrément du PS (et d'Ecolo !) Ceci dit, cependant, il y a aussi des similitudes PTB/PS sur le plan de la stratégie. En particulier sur la conception des rapports entre parti et mouvements sociaux.
« La politique, c'est le monopole du Parti » : telle est la marque de la social-démocratie. Elle se pose en prolongement politique des mouvements sociaux. Les syndicats, notamment, doivent donc se subordonner aux objectifs électoraux du Parti, accepter les limites de sa stratégie gradualiste. À la fin des années cinquante, quand la FGTB, au nom du monde du travail, a voulu imposer au PS son Programme de réformes de structure (un programme qui a contribué grandement à la montée vers la grève de 60-61), celui-ci s'y est opposé de toutes ses forces. « L'émancipation des travailleurs et des travailleuses sera l'œuvre des travailleurs et des travailleuses elleux-mêmes » n'est pas un mot d'ordre de la social-démocratie. Or, ce n'est pas davantage un mot d'ordre du PTB. On le voit bien aujourd'hui dans la manière dont il détermine ses « points de rupture » : en fonction de ses propres calculs politiques dans une « séquence » donnée de sa propre construction.
Pour le PTB, aujourd'hui, la « séquence » est dominée par la bataille peu visible mais très réelle qu'il mène pour l'influence au sein de l'appareil de la FGTB. D'où l'accent très socio-économique (au sens étroit) des « points de rupture ». Mais la démarche du PTB ne consiste pas vraiment à relayer politiquement l'alternative syndicale, comme la gauche socialiste le faisait au temps des Réformes de structure. L'exemple du volet fiscal est significatif : la FGTB est évidemment pour la taxation des patrimoines, mais elle articule cette demande sur d'autres. Le PTB, pour sa part, focalise ses « points de rupture » sur la seule « taxe des millionnaires ». En parallèle, son programme inclut « des propositions pour soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) » (pas seulement les petits indépendants : les PME). « Le Parti dirige le front ». Dans la « séquence » actuelle, le Parti estime que le front qu'il dirige doit s'élargir aux PME.
Quelle alternative ?
La critique est aisée, dira-t-on, quelle est votre alternative, vous qui ne représentez rien – ou si peu ?
C'est vrai : notre courant politique est plus que modeste. Il a été en concurrence pendant de longues années avec celui du PC, puis avec celui du PTB. Et le PTB a gagné. C'est devenu un parti puissant. Son hégémonie sur la gauche est indiscutable, et il rayonne en Europe. Il faut pouvoir acter ce fait, sans aigreur ni ressentiment. Mais on peut être petit et lancer une mise en garde correcte. C'est ce que nous faisons à travers cet article. Le but n'est d'ailleurs pas d'étaler nos désaccords avec le PTB. Nous n'avons donc pas fait la critique du positionnement « campiste » du PTB en appui aux BRICS, bien que ce positionnement soit, selon nous, en contradiction avec « la tendresse des peuples » (comme disait Che Guevara), c'est-à-dire avec l'internationalisme. À l'heure où le vote PTB concentre les espérances de beaucoup, nous avons voulu pointer le danger qu'un glissement vers le gradualisme peut faire courir à toute la gauche dans notre pays, y compris au PTB lui-même.
Il va de soi que notre critique requiert une alternative. Il se fait que la gauche syndicale, dans une période pas si lointaine, s'est posée cette question : comment sortir de la subordination à la social-démocratie et à son gradualisme ? Comment faire émerger une alternative politique anticapitaliste sans mettre en danger l'indépendance syndicale ? La réponse apportée tenait en quelques idées audacieuses. Elle émanait de la direction de la FGTB de Charleroi qui, à l'époque, en avait fait une brochure (4) : faire vivre « un syndicalisme plus combatif et démocratique » ; « élaborer le programme anticapitaliste que nous, en tant que syndicalistes, voulons voir relayé sur le terrain politique » ; jouer sur cette base le rôle moteur dans « le regroupement de toutes celles et ceux qui aspirent à une alternative anticapitaliste ».
Le principe de base était simple, il consistait à renverser le rapport entre mouvement social et politique : « Nous élaborerons notre programme et nous mènerons nos luttes en fonction d'une seule préoccupation : les besoins des travailleurs et travailleuses. Nous les encouragerons à s'impliquer activement et démocratiquement, afin que ce programme et ces luttes soient les leurs. Alors, nous renverserons la situation. Alors, nous regagnerons de la force. Alors, au lieu que les partis nous dictent leur politique, c'est nous qui exigerons des partis qu'ils s'engagent à lutter avec nous pour ce programme ».
« La force à regagner »
Ce texte évoquait la « force à regagner ». Ce point est décisif. Non seulement pour les syndicats mais aussi pour les autres mouvements sociaux. Depuis dix ans, on voit bien que la percée électorale d'un nouveau parti, même « de gauche authentique », ne permet pas, en soi, d'enrayer la dégradation des rapports de forces à la base, dans les entreprises, les écoles, les quartiers. « Il n'est pas de sauveur suprême, dit la chanson, ni dieu, ni César, ni tribun ». Ajoutons : « ni parti ». La dégradation, en fait, ne peut être enrayée que si les forces qui luttent sur le terrain convergent, pensent, créent, résistent et donnent le ton d'une reconquête de la politique par en-bas, dans une perspective clairement anticapitaliste et démocratique.
On a vécu un embryon de cela en 2012-2014, en particulier lorsque la CNE s'est jointe à l'appel de la FGTB de Charleroi. L'assemblée qui a réuni 500 syndicalistes de tous bords, de nombreux activistes des associations et toute la gauche radicale (Géode de Charleroi, 2014) était une première concrétisation de l'intention exprimée dans la brochure « Huit questions » : « Nous ne voulons pas figer les choses. Au contraire : il s'agit d'ouvrir un espace et d'enclencher une dynamique. Le processus de regroupement politique doit s'élargir aux membres de gauche du PS et d'Ecolo, aux intellectuels de gauche, aux militants associatifs. (…) Dans une certaine mesure, nous nous inspirons de l'action des militants ouvriers du 19e siècle qui ont œuvré à la création du POB (l'ancêtre du PS) parce qu'ils avaient compris la nécessité d'un outil politique pour renforcer leur combat. Mais il faut évidemment tirer les leçons de la manière dont cet outil politique a fini par leur échapper ».
Notre courant politique s'est engagé avec enthousiasme dans ce bouillonnement porteur d'espérance et d'émancipation. Le PTB s'y est impliqué également. Mais, pour lui, ce n'était qu'une « séquence » de sa propre construction. Dès le soir des élections de 2014, ayant réussi sa première percée au Parlement grâce aux listes PTB-Gauche d'Ouverture, le Parti sifflait la fin de la récréation. Pas besoin de regroupement, il y a le PTB. Pas besoin d'inverser les rapports entre mouvements sociaux et politique, le PTB fait la synthèse. Pas besoin d'ouvrir un espace pour créer une dynamique, devenez membre du PTB. Le petit embryon d'outil politique dont les gauches syndicales et associatives avaient commencé à se doter en forçant les organisations politiques de gauche à y participer loyalement, s'est « figé ». « L'outil politique leur a échappé ».
Dix ans après, on mesure l'ambiguïté du résultat. D'une part, le PTB vole vers un triomphe électoral. Tant mieux pour toute la gauche ! D'autre part, les « points de rupture » qu'il a déterminés tout seul sont très au-dessous du programme syndical, encore plus au-dessous du programme que la FGTB de Charleroi adoptait en 2012 dans son autre brochure, (5) et ignorent d'autres fronts de lutte…
Notre alternative, demandiez-vous ? Reprendre ensemble le fil de ce qui avait été tenté en 2012-2014, en tirant toutes les leçons de l'expérience. Appliquer la même méthode en tenant compte du nouveau contexte (géostratégique, idéologique, écologique, politique et social). Il n'y a pas d'autre voie. Nous entendons en tout cas construire notre propre courant politique pour porter cette perspective avec plus de force, avec toutes celles et tous ceux qui en comprendront l'importance. Entre rupture et participation, la responsabilité du PTB sera à la mesure de son succès électoral.
Freddy Mathieu et Daniel Tanuro
Photo reprise de la page facebook du PTB.
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Notes
↑1. Lire « Et si on réinventait l'espoir ? Déclaration de la Gauche anticapitaliste en vue des élections de 2024 »
↑2.https://pour-une-vraie-alternative-de-gauche.net/
↑3. La gauche devrait bannir cette expression néolibérale, car, en réalité, la dépendance des travailleurs/euses aux achats sur le marché exprime leur dépossession de tout pouvoir de décision sur l'économie. Marx a montré cela très clairement.
↑4. « Politique et indépendance syndicale. Huit questions en relation avec l'appel du premier mai 2012 de la FGTB Charleroi-Sud Hainaut »
↑5. « 10 objectifs d'un programme anticapitaliste d'urgence élaboré par la FGTB Charleroi-Sud Hainaut »
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Ne rien lâcher contre l’antisémitisme

Nous étions invités le mardi 21 mai à une table ronde organisée par la présidence de l'Université de Lille en présence de Régis Bordet, président de l'Université de Lille et animée par Pierre Savary, di-recteur de l'ESJ, sur le thème Israël-Palestine : Comment une communauté universitaire s'engage avec la présidente de l'association Academic Solidarity With Palestine et deux militants de l'Association Libre Palestine.
Nous y allions pour dénoncer la restriction des libertés publiques et la répression du mouvement étudiant en soutien au peuple palestinien avec l'interdiction de conférences et les interventions policières dans les universités. Nous y allions également pour alerter sur l'antisémitisme dont sont victimes les étudiants juifs depuis le 7 octobre et la nécessité pour les organisations syndicales étudiantes, pour le mouvement de solidarité avec la Palestine et pour l'administration universitaire d'entendre leur souffrance. Et de garantir aux étudiants juifs des conditions d'études sereines en combattant l'antisémitisme.
Malheureusement nous n'avons pas pu faire entendre notre voix car nous sommes tombés dans une véritable embuscade. Avant même le début de la table ronde, les deux militants de Libre Palestine ont refusé de nous adresser la parole ce qui n'augure rien de bon dans le cadre d'une discussion. Après une présentation rapide du débat par Pierre Savary, une militante de Libre Palestine a lu un communiqué collectif, préparé à l'avance avec l'ensemble de ses camarades nous a t-elle précisé.
Dans ce communiqué, il était peu question de solidarité avec le peuple palestinien. Il s'agissait surtout d'une diatribe haineuse contre le collectif Golem que nous avons dû écouter pendant que plusieurs étudiants nous filmaient avec leur portable, à l'affut du moment où, face aux calomnies, nous finirions par perdre notre sang froid. Après avoir appelé à la décolonisation de toute la Palestine historique, l'étudiante nous a accusés d'être des partisans de Netanyahu, de soutenir un génocide à Gaza, d'être des colons, d'être un collectif raciste et antisémite.
Elle n'a pas hésité à expliquer que la lutte contre l'antisémitisme était une cause noble mais pas dans le cadre du mouvement de solidarité avec la Palestine. Nous ne sommes pas antisémites a-t-elle dit, la preuve, nous aurions aimé que l'UJFP et Tsedek puissent venir à la place de Golem. Et puis de toute façon, l'antisémitisme c'est la faute d'Israël a-t-elle affirmé en citant Rony Brauman.
À la fin de ces accusations antisémites que personne n'a essayé de stopper, son camarade s'est levé et est venu nous lire, les yeux dans les yeux en nous pointant du doigt, un poème de Mahmoud Darwish : Parmi les paroles passagères : Vous fournissez l'épée, nous fournissons le sang. Vous fournissez l'acier et le feu, nous fournissons la chair […] prenez votre lot de notre sang et partez , nous accusant ouvertement d'avoir du sang sur les mains, d'être responsables et même partie prenante des massacres à Gaza. Le public s est ensuite levé brandissant des drapeaux palestiniens et en nous hurlant des slogans Sionistes, fascistes, c'est vous les terroristes, On ne discute pas avec des sionistes Vous n'avez pas votre place ici, Vous êtes des colons, Nous n'avons pas pu parler et nous avons dû subir sans broncher les calomnies antisémites dont on nous a abreuvé. Seuls quelques étudiants sont restés jusqu'à la fin pour enfin nous écouter et nous les en remercions.
Nous avons plusieurs messages à adresser aux militants de Libre Palestine qui ont écrit ce communiqué ainsi qu'aux étudiants présents dans le public qui nous ont traité de fascistes et de colons.
Avec ce communiqué, pendant cette table ronde, vous avez sombré dans l'antisémitisme.
Vous faites l'amalgame entre Juifs, israéliens, sionistes, colons et criminels de guerre que vous utilisez de manière interchangeable. En nous accusant d'être complices d'un génocide quand bien même nous avons toujours dénoncé les massacres à Gaza et appelé à un Cessez-le feu, vous nous mettez une cible dans le dos et vous encouragez la violence à notre égard. Vous vous réfugiez derrière Tsedek, l'UJFP et Rony Brauman pour mieux essentialiser tous les Juifs qui n'ont pas grâce à vos yeux et les accuser des crimes de l'armée israélienne dont ils ne sont en rien responsables.
Vous perdez l'occasion de soutenir le peuple palestinien et vous préférez vous attaquer à des étudiants juifs dont le seul tort est de parler d'antisémitisme. S'en prendre aux Juifs, qu'ils soient sionistes ou pas, n'aide en rien le peuple palestinien.
La haine antisémite que vous avez étalée au grand jour pendant cette table ronde est un désastre pour votre collectif dont vous avez dévoilé l'imposture, un désastre pour les étudiants juifs qui ne se sentent plus en sécurité pour étudier, et surtout un désastre pour le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien dont la perméabilité avec l'antisémitisme est un des principaux freins.
À la présidence de l'Université de Lille, nous voulons dire qu'il n'est pas normal qu'il n'y ait pas eu de réaction de votre part face à l'agression antisémite dont nous avons été victimes sous vos yeux, qu'il n'est pas normal que nous ayons dû supporter les invectives seuls sur l'estrade pendant 20 minutes pendant que vous discutiez avec les étudiants, qu'il n'est pas normal que nous nous soyons sentis en danger et humiliés dans le cadre d'un événement organisé par la présidence de l'Université de Lille.
Pour revenir au thème de cette table ronde, la communauté universitaire doit s'engager de deux façons : en garantissant la liberté de réunion, de débat et de manifester aux étudiants d'une part et d'autre part en garantissant la sécurité des étudiants face à l'explosion des actes antisémites depuis le 7 octobre. Force est de constater qu'aujourd'hui, la communauté universitaire échoue aussi bien dans un cas que dans l'autre.
22/05/2024 – Collectif GOLEM
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Impunité d’Israël, complicités de la France

Trop peu, trop tard. On ne peut qualifier autrement la pudibonderie des mots d'Emmanuel Macron face à la guerre génocidaire qui se poursuit dans la bande de Gaza. Il ânonne d'abord un vœu pieux, qui sonne bien trop faux : « Il faut que les opérations israéliennes cessent à Rafah. » Mais contrairement à ce que le président français affirme laconiquement, ce n'est pas aujourd'hui mais depuis plusieurs mois qu'il n'y a plus de zone sûre pour les Palestiniens.
30 mai 2024 | tiré d'Orient XXI | Photo : Jérusalem, 24 octobre 2023. Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (à droite) et le président français Emmanuel Macron (à gauche) après leur conférence de presse commune. Christophe Ena / POOL / AFP
https://orientxxi.info/magazine/impunite-d-israel-complicites-de-la-france,7377
Qui se souvient que le président Emmanuel Macron avait déclaré que Rafah constituait « une ligne rouge » ?
Ce dernier a fait mine, depuis l'Allemagne, de tenir ses positions, sur lesquels pourtant il n'a cessé de reculer à chaque nouvelle violation de la part d'Israël. Droit dans ses bottes, il a rappelé « le droit d'Israël à se défendre » — comme si le droit international pouvait concevoir que l'on puisse se défendre contre ceux qu'on occupe — ; mais, surtout, il désigne un seul coupable : « Le Hamas est responsable de cette situation ». La chutzpah israélienne s'exporte aussi en Hexagone.
Des éléments de langage vides de sens
Soyons clairs : la France officielle est complice de ce qui se passe à Gaza. En justifiant ainsi le génocide en cours, elle a accordé, avec les membres de la majorité et souvent ceux de l'opposition de droite et d'extrême droite — mais parfois aussi de gauche —, tous les arguments qui servent à blanchir le gouvernement de Benyamin Nétanyahou.
La France d'Emmanuel Macron n'a pris aucune mesure concrète pour stopper cette offensive. Les sanctions économiques, les mesures symboliques d'invisibilisation du drapeau, le boycott sportif à la veille des Jeux olympiques, la question des armes, tout cela n'est bon que contre la Russie. Face à Tel-Aviv, l'imagination fait défaut.
À ce jour, la diplomatie française n'a pas cru bon de réagir à l'ordre de la CIJ. Il a fallu quatre jours et quelques massacres — encore — pour que le chef de l'État — et seulement lui — évoque, sans le commenter, l'ordre de la plus haute instance judiciaire internationale, dont les décisions sont contraignantes pour les pays de l'ONU. Pour tous sauf Israël, qui fait fi du droit international comme humanitaire. Pour tous sauf ses alliés, comme les États-Unis mais aussi la France, dont la complicité dans le génocide en cours est accablante.
À l'image de l'Élysée, ou plutôt à ses ordres, le Quai d'Orsay n'est plus celui qui, il y a 20 ans, par la voix de son ministre, faisait l'honneur de la France en s'opposant dans le siège de l'ONU à l'invasion américaine de l'Irak ; ni celui qui, en 1980, entraînait l'Europe à reconnaitre le droit à l'autodétermination des Palestiniens et à négocier avec l'Organisation de libération de la Palestine, dénoncée alors par Israël et les États-Unis comme « organisation terroriste ». Le voilà aujourd'hui qui s'enferme à travers son dernier communiqué dans des éléments de langage vides de sens : « gravité de la situation », « indignation ». À croire que la France n'est plus un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, dont Paris contribue à torpiller la crédibilité des agences, comme elle l'a fait avec l'UNRWA, suivant le discours israélien.
Il faudra plus que quelques appels tardifs, purement déclamatoires, au cessez-le-feu. Il faudra plus que quelques votes aux Nations unies sur l'admission de la Palestine, qui se sont accompagnés d'un refus de reconnaître l'État palestinien ; l'Espagne, l'Irlande et la Norvège n'ont pas eu ces pudeurs. Il faudra plus que le communiqué verbeux du Quai d'Orsay sur la proposition du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) de lancer des mandats contre des dirigeants israéliens et palestiniens, accompagné de circonvolutions laissant entendre qu'Israël pourrait poursuivre les crimes commis par son armée, rendant inutiles de tels mandats, alors même que jamais des militaires de haut rang n'ont été sanctionnés par la justice israélienne depuis des décennies. Et on attend les protestations de Paris face à la campagne menée depuis une décennie pour discréditer la cour, menacer ses dirigeants, que vient de révéler le journal israélien +972 Yuval Abraham et Meron Rapoport, « Surveillance and interference : Israel's covert war on the ICC exposed », +972, 28 mai 2024. [1].
Le 22 mai, le ministre des affaires étrangères français Stéphane Séjourné a reçu à Paris Israël Katz, son homologue israélien. Celui-ci est un des rares dirigeants nommés par la CIJ comme ayant tenu des propos qui relèvent de l'appel au génocide. Le 13 octobre 2023, Israël Katz avait en effet déclaré sur X : « Nous allons combattre l'organisation terroriste Hamas et la détruire. Toute la population civile de Gaza a reçu l'ordre de partir immédiatement. Nous vaincrons. Ils ne recevront pas une goutte d'eau ni une seule pile jusqu'à ce qu'ils quittent le monde. » Katz a remercié son homologue français pour son opposition à la reconnaissance d'un État palestinien et pour son refus de mettre sur le même plan le Hamas et Israël, comme l'a fait le procureur de la CPI. Cette réception chaleureuse se passait au moment même où Israël intensifiait ses massacres à Gaza, et spécialement à Rafah.
Un partenaire sécuritaire de choix
Que peut faire la France pour faire pression sur Israël afin qu'il arrête ses opérations dans la bande de Gaza ? Alors que 35 % des exportations israéliennes sont destinées à l'Europe, ce levier économique n'est même pas agité ; pas plus que l'arrêt des livraisons d'armes, de composantes de fabrication (dont les chiffres d'exportation par la France restent flous) ou de munitions ; pas la moindre velléité non plus de faire respecter le droit international, en sanctionnant les entreprises françaises qui, comme Carrefour ou Alstom, sont présentes dans les territoires occupés. Tel-Aviv demeure également un partenaire sécuritaire de Paris, que ce soit pour les caméras de surveillance munies de logiciels de reconnaissance faciale qui seront utilisées pour les JO, ou pour la fabrication des drones de surveillance, notamment utilisées dans le contrôle de la frontière sud de l'Europe.
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Au niveau de l'Union européenne, Paris s'oppose à ceux qui veulent suspendre les accords d'association avec Israël, alors que chez les voisins de Wallonie, on interdit désormais aux avions transportant des armes pour Israël de transiter par l'aéroport de Liège. Et quand les étudiant·e·s de Sciences Po, de l'École normale supérieure (ENS) ou de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) occupent pacifiquement les locaux de leurs institutions pour demander la suspension d'accords de coopération avec les universités israéliennes, souvent liées à l'industrie de défense et d'armement, ils et elles sont viré·e·s manu militari, accusé·e·s, à tort, d'antisémitisme et de mettre leur établissement « à feu et à sang ». Or, seules des mesures concrètes qui feraient payer à Israël le prix de son aventure sont capables d'infléchir la stratégie de massacre de son armée. Désormais la France est à l'arrière-garde des pays européens dans le soutien au droit international et aux droits des Palestiniens.
La Convention pour la prévention et la répression du [crime de génocide] fait obligation à tous les États signataires de prendre des mesures pour « prévenir un génocide en cours », même quand celui-ci ne se déroule pas sur leur territoire. En s'y refusant, la France, pays signataire, s'expose à être poursuivie pour ses manquements. Or, elle y oppose un axiome qui tente lâchement d'instrumentaliser le sentiment de culpabilité historique face à la Shoah : « Accuser l'État juif de génocide, c'est franchir un seuil moral. »
Des cris de colère à Paris et ailleurs
Il faut mesurer ce qu'est devenue l'image de la France dans les pays du Sud ; il faut voir l'ambassade française caillassée à Beyrouth, entendre les cris de colère des manifestants devant l'Institut français de Tunis, réaliser la déception des Palestiniens, jadis si prompts à rendre hommage au pays de de Gaulle et de Jacques Chirac. Sur le plan intérieur, le gouffre se creuse chaque jour davantage entre le discours officiel et une partie de la population qui, horrifiée par ce chèque en blanc donné à Israël, se précipite dans la rue pour crier son désespoir et son désarroi. Depuis lundi soir à Paris, ils sont plusieurs milliers à descendre dans des manifestations quasiment spontanées, transformées en marches de révolte dans plusieurs quartiers de la ville. Des drapeaux français se mêlent à ceux de la Palestine, de l'Afrique du Sud et de la Kanaky, portés par des citoyens qui refusent que leur gouvernement et leur président légitiment en leur nom près de huit mois de génocide.
À l'heure où les extrêmes droites, à l'assaut du Parlement européen, nourrissent par tous les moyens les relents identitaires d'électeurs nostalgiques de la grandeur d'antan, il n'existe qu'une seule manière d'être du bon côté de l'Histoire : prendre effectivement partie pour arrêter le premier génocide du XXIe siècle.
Alain Gresh : Spécialiste du Proche-Orient, il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont De quoi la Palestine est-elle le nom ? (Les Liens qui… (suite)
Sarra Grira : Journaliste, rédactrice en chef d'Orient XXI.
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[1] Yuval Abraham et Meron Rapoport, « Surveillance and interference : Israel's covert war on the ICC exposed », +972, 28 mai 2024.

La résistible ascension des extrêmes droite en Europe

En France, les extrêmes droites constitueront sans doute la première force politique lors des élections européennes de juin 2024 et sans doute la deuxième (ou la troisième) force à l'échelle de l'Union européenne.
Un nombre relativement important de partis d'extrême droite et de droite extrême figurent désormais dans le camp des vainqueurs aux élections nationales et, même, participent aux exécutifs nationaux.
Avril 2024 | Revue L'Anticapitaliste n° 155 (avril 2024)
https://npa-lanticapitaliste.org/actualite/international/la-resistible-ascension-des-extremes-droite-en-europe
Tour d'horizon européen
En Italie, les extrêmes droites, avec le parti Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni et la Lega1, dirigent ensemble le gouvernement depuis les législatives du 25 septembre 2022, en plus du parti de droite affairiste Forza Italia de feu Silvio Berlusconi.
En Suède, deux semaines auparavant, le parti des Démocrates de Suède2 (SD) figurait parmi les vainqueurs des législatives suédoises du 11 septembre 2022. Avec 20,5 %, les SD sont devenus la deuxième force politique du pays en termes d'électorat, derrière le Parti social-démocrate (30,3 %) désormais dans l'opposition. À la suite, le parti des Modérés (droite classique, 19,1 %), réussit à former une coalition avec les chrétiens-démocrates, les libéraux et les SD. Si ce dernier parti n'occupe aucun ministère, la majorité parlementaire du gouvernement dépend de lui, et il siège à la « coordination » des partis de la coalition. L'accord de gouvernement porte largement sa signature en matière d'immigration et de sécurité.
En Finlande, suite aux législatives du 2 avril 2023, le parti des Vrais Finlandais est devenu la deuxième force politique avec 20,1 % des voix, derrière la droite classique, talonnant le « Parti de la coalition nationale » (20,8 %). Ici, l'extrême droite est entrée au gouvernement du conservateur Petteri Orpo en occupant des ministères, aux côtés du principal parti du droite ainsi que des chrétiens-démocrates et du parti de la minorité suédoise. Les Vrais Finlandais occupent notamment les ministères de l'Économie, des Finances, l'Intérieur, la Justice ainsi que le ministère des Affaires sociales. Chose remarquable : depuis l'été 2023, la Finlande est traversée par une succession de mouvements de grève ainsi que de mouvements de protestation universitaires contre des « réformes » antisociales mises en œuvre par ce gouvernement, dont, en dernier lieu, une grève qualifiée de politique (alors qu'un projet de Loi doit justement interdire les grèves dites politiques…) de quinze jours à compter du 11 mars 2024, dirigée contre une sorte de super-« Loi Travail » à la finlandaise.
Dans d'autres pays européens, l'extrême droite est en position de force. Aux Pays-Bas, Geert Wilders, fondateur en 2008 (et juridiquement le seul membre jusqu'à aujourd'hui) du Parti pour la liberté (PVV) est sorti dirigeant de la première force électorale des dernières législatives du 22 novembre 2023, avec 23,49 % des voix, après avoir obtenu 10,79 % en 2021. Or, s'il n'a pas réussi, à la suite, à former un gouvernement dont il serait le Premier ministre par manque de soutien du parlement, les Pays-Bas semblent néanmoins se diriger vers un gouvernement de coalition dont le PVV serait la première force. Une future coalition devrait réunir, outre le PVV, un parti paysan qui proteste contre les normes environnementales (le BBB), un parti de droite libérale (le VVD), ainsi qu'une scission du parti chrétien-démocrate.
En Autriche, le fragile gouvernement fédéral réunit depuis janvier 2020 la droite conservatrice (ÖVP) et les Verts. Mais le parti d'extrême droite FPÖ3 devrait être le vainqueur des législatives à venir à l'automne 2024, pour lesquels environ 30% des voix lui sont pronostiqués. En attendant, le FPÖ participe actuellement au gouvernement dans trois régions sur huit.
En Europe de l'Est, si le parti national-conservateur PIS a perdu les législatives en Pologne du 15 octobre 2023, le parti hongrois Fidesz du Premier ministre Viktor Orban, au pouvoir depuis 2010, gouverne toujours à Budapest. Les deux partis couvrent une gamme qui, en France, engloberait à la fois la droite et une partie de l'extrême droite. En Hongrie, il existe à ses côtés un parti d'extrême droite non intégré au gouvernement, le Jobbik (« Le meilleur ») ; ce parti a tenté de se recentrer sur la période la plus récente, mais sous peine de la scission d'un courant plus dur et plus extrémiste qui a donné naissance, en 2018, au mouvement Mi Hazank (« Chez nous »). Les sondages pronostiquent actuellement une chute de Jobbik à moins de 3 % des voix, contre 6,34 % en 2019 et surtout 14,67 % en 2014 ; mais la nouvelle formation Mi Hazank percerait avec plus de 8 %.
Deux groupes au parlement européen
Les extrêmes droites siègent principalement dans deux groupes séparés. D'un côté le groupe Identité et démocratie (ID), créé en 2019, qui regroupe entre autres le RN français, la Ligue italienne, le PVV néerlandais, le FPÖ autrichien et le parti allemand AfD4. De l'autre côté, le groupe des Conservateurs et réformateurs européens (ECR), dont la colonne vertébrale était initialement constituée par les Conservateurs britanniques jusqu'à leur départ du Parlement européen suite au Brexit, regroupe notamment les Fratelli d'Italia, les Démocrates de Suède, les Vrais Finlandais ou encore le parti espagnol VOX. Le PIS polonais en constitue désormais la première force.
Cependant, Fidesz, a quitté en mars 2021 le groupe du parti populaire européen (PPE qui regroupe les droites bourgeoises classiques) et négocie son rattachement à d'autres groupes, dont l'ECR et l'ID. Le parti hongrois pourrait jouer un rôle de pivot, permettant un rapprochement entre ces deux derniers. Bien que des clivages notamment en matière économique soient perceptibles entre l'ID et l'ECR, la majorité des membres des ECR s'affichent peu ou prou libéraux en matière économique, même si une partie du groupe ID met en avant la démagogie sociale populiste à l'instar du RN français… en tout cas : tant que ces partis siègent dans l'opposition dans leurs pays respectifs.
Enfin, le parti français Reconquête, qui présente également une liste aux européennes du 9 juin 24 mais qui n'est pas assuré de franchir la barre des 5 % des voix requises pour entrer au parlement, siège actuellement au groupe des ECR avec son seul eurodéputé sortant, Nicolas Bay, élu en 2019 sur la liste du RN. Or, outre l'appartenance à des regroupements parlementaires différents, de profonds clivages – apparents ou réels – traversent la « famille » des extrêmes droites.
Clivage sur la Russie
La majorité de ces partis dans l'Union européenne, surtout dans la partie occidentale ainsi qu'en Allemagne, étaient historiquement très favorables, voire explicitement liés au régime russe des années d'après 2000. Mais ce positionnement est devenu nettement plus difficile à assumer publiquement depuis début de la guerre contre l'Ukraine.
Parmi les plus critiques, officiellement, de l'invasion russe en Ukraine se trouve actuellement le RN français. La raison en est simple : le principal parti de l'extrême droite hexagonal pense s'être tellement rapproché de l'arrivée au pouvoir à l'échelle nationale qu'il ne pourra pas se permettre un positionnement qui le mettrait en porte-à-faux avec l'opinion majoritaire. Comme lors de la campagne électorale présidentielle de 2022, où, après l'annonce du début de la guerre en Ukraine, le RN se trouve contraint de mettre au pilon 1,2 million d'exemplaires d'un huit-pages, parce que ce tract était illustré avec une photo montrant Marine Le Pen avec Vladimir Poutine pour montrer ses qualités de « femme d'État ». Dans les jours suivants, Marine Le Pen affirmera que l'Ukraine était l'illustration positive d'une « lutte de libération nationale », pour prétendre que son parti se situait dans la même logique.
D'autres partis, structurellement alliés au RN français, ne se positionnent pas de la même manière. C'est le cas du FPÖ, qui était lui aussi formellement lié, depuis 2016, par un accord officiel de coopération avec le parti de Poutine Russie Unie. Certains de ses représentants prétendent aujourd'hui que l'accord n'aurait été « que formel ». Cependant, la ministre des Affaires étrangères nommée fin 2017 sur proposition du FPÖ (sans qu'elle possède la carte du parti), Karin Kneissl, avait invité Vladimir Poutine à son mariage en août 2018. En septembre 2023, Karin Kneissl annonça son déménagement à Saint-Pétersbourg. Par ailleurs, depuis l'arrestation, le 29 mars 2024, d'un ex-agent de la Direction nationale de la sûreté et du renseignement autrichien pour espionnage au profit de la Russie, l'appareil d'État autrichien est secoué par les révélations sur des activités pro-russes…
Le RN français n'a à aucun moment mis en cause son alliance avec le FPÖ, qui constitue un pilier de sa politique d'alliances européennes. Pire pour le positionnement officiel du RN actuel, leur groupe au parlement (ID), a élargi ses rangs à la fin février 2024 au parti bulgare Vazradjane (« Renaissance ») ainsi qu'au Parti national slovaque (SNS). Or, les deux sont de proches alliés du régime de Vladimir Poutine au sein de l'Union européenne. En ce qui concerne le parti bulgare, trois de ses députés participèrent, le 16 février 2024 à Moscou, à une réunion de Russie Unie. Quant au SNS, il participe à Bratislava à une coalition gouvernementale qui mène, avec Fidesz en Hongrie, la politique extérieure la plus pro-russe parmi tous les pays membres de l'Union européenne.
Pseudo-clivage sur la « remigration »
Un autre clivage, largement factice, est apparu au mois de février 2024. Depuis la mi-janvier 2024, des manifestations massives, culminant à plus d'un million de participantEs dans différentes villes allemandes, s'étaient déclenchées contre le parti allemand AfD. Le motif résidait dans la publication, le 10 janvier 2024, d'un reportage tourné en caméra cachée sur une réunion tenue à huis clos des cadres du parti AfD, des membres de la mouvance identitaire, des représentants de l'aile la plus droitière de la CDU (Union chrétienne-démocrate, droite classiques) et d'une fraction du patronat. Lors de celle-ci, l'activiste autrichien identitaire Martin Sellner – interdit, depuis, de séjour sur le territoire allemand – s'était répandu sur le thème de la « remigration »5. Sellner avait notamment fantasmé sur l'expulsion de deux millions de personnes, dont des personnes ayant la nationalité allemande mais « mal intégrées » ou « complices de l'immigration de masse », dans un État-modèle (non identifié) en Afrique du Nord qui se destinerait à les accueillir.
Marine Le Pen avait alors pris ses distances avec le parti allemand, s'interrogeant publiquement sur l'opportunité de continuer de travailler avec lui au Parlement européen. La co-présidente du parti AfD, Alice Weidel, lui écrivit une lettre publique, prétextant des erreurs de traduction, et prétendant que son parti ne demandait que la reconduite à la frontière des délinquants étrangers condamnés, « en application de la loi ».
Toujours est-il que ce clivage est largement imaginaire, la prise de position publique de Marine Le Pen n'étant due qu'à la volonté de faire bonne figure vis-à-vis de l'opinion publique, souhaitant éviter toute apparence « extrémiste ». Or, l'un des piliers du groupe ID au Parlement européen, le FPÖ, et notamment son président Herbert Kickl – qui était ministre de l'Intérieur autrichien de 2017 à 2019 –, utilise depuis des années le terme de « remigration » de manière éhontée, sans que Marine Le Pen n'ait trouvé à y redire, jusqu'ici.
Une autre Europe, débarrassée du fascisme
Les vrais clivages ne se situent ainsi pas à l'intérieur de l'extrême droite, dont les prises de position peuvent être largement élastiques, mais entre l'extrême droite et ses adversaires. Les dirigeants européens ont besoin de relancer et réorienter leur économie nationale (coupes budgétaires ; augmentation de l'exploitation ; chômage « structurel »), dans un contexte de course à la guerre. Devant le mécontentement des populations, la démagogie réactionnaire patriarcale et xénophobe, alliée à la répression des mobilisations laissent un espace important aux extrêmes droites, qui apparaissent bien souvent comme le seul véritable parti d'opposition. En ce sens, la politique, nécessairement libérale, de l'Union européenne est un marchepied pour le fascisme européen.
À nous de mener un combat sur les positions de fond, refusant leurs idées qui restent inacceptables sous toutes les formes. Nous revendiquons l'ouverture des frontières, ainsi qu'une redistribution des richesses à l'échelle européenne. De manière immédiate, nous sommes pour un salaire minimum européen et des droits sociaux égaux pour tou·tes. Cela suppose de sortir des carcans imposés par l'Union et nécessitera de grandes mobilisations victorieuses sur tout le continent.
Notes
1. La Ligue est le nouveau nom, depuis 2018, de l'ancienne « Ligue du Nord ».
2. Fondé en 1988, Démocrates de Suède était à l'époque un parti ouvertement néonazi, qui s'est « normalisé ».
3. Le FPÖ, le Parti de la Liberté d'Autriche, parti créé en 1955 des décombres du nazisme par la transformation de la « Ligue des indépendants » elle-même créée en 1949. La vie politique autrichienne était contrôlée par les Alliés de la Seconde guerre mondiale jusqu'en 1955, année de conclusion du Traité de neutralité, qui restitua sa pleine souveraineté à la République autrichienne. Jusqu'en 1955, la reconstitution d'un parti trop proche du nazisme historique s'avérait ainsi impossible. Dès l'obstacle levé, le FPÖ se mit en place, son premier président Anton Reinthaller (décédé en 1958) ayant été secrétaire d'Etat à l'Agriculture sous Adolf Hitler.
4. Fondé en 2013, l'AfD « Alternative pour l'Allemagne » est un parti d'extrême droite présent au Bundetag depuis sa création. Il devrait récolter autour de 18% aux prochaines élections européennes.
5. La remigration est un concept inventé par Renaud Camus, un écrivain français d'extrême droite.
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Ukraine : et maintenant ?

Les débats sont parfois difficiles entre militant·es révolutionnaires. Ceux sur la question nationale le sont particulièrement, car ils touchent à la fois à des vies humaines en danger et à des analyses complexes, pleines de contradictions. Nous recevons régulièrement des messages critiquant tel ou tel article concernant la Palestine, le Hamas ou l'Ukraine. Notre rôle en tant que presse de l'Internationale est à la fois de reproduire les positions majoritaires et de permettre que s'expriment les désaccords, dans le débat respectueux qui s'impose entre camarades. L'article de Manul Garí reproduit ci-dessous fait partie des textes avec lesquels des camarades exprimeront des désaccords importants mais il nous semble nécessaire que ce point de vue soit partagé.
13 mai 2024 | Inprecor.org numéro 720
https://inprecor.fr/index.php/node/4042
« La barbarie réapparaît, mais cette fois elle est engendrée au sein de la civilisation elle-même et en fait partie intégrante. C'est une barbarie lépreuse, une barbarie comme la lèpre de la civilisation. »
Karl Marx, L'idéologie allemande
Après les discours prononcés à l'occasion du deuxième anniversaire de l'invasion de l'Ukraine par Poutine, la réalité nous crache au visage. La mort de dizaines de milliers de soldats ukrainiens et russes, celle de milliers de civils ukrainiens, l'émigration forcée de millions d'entre eux, la destruction d'infrastructures critiques, d'habitations et de bâtiments publics, la dévastation de champs agricoles fertiles, l'augmentation de la dette publique de Kiev et l'impact international sur les prix alimentaires devraient nous faire réfléchir sur le bilan humain et matériel de la guerre. Et en ce moment, la situation sur le front est dans une impasse tragique.
Après l'invasion de l'Ukraine par Poutine, il n'y avait aucun doute : le peuple ukrainien a tout à fait le droit de se défendre par les armes. Le type d'action militaire le plus approprié dans les conditions spécifiques est une autre question. Et les conditions imposées par chacun des pays qui apportent leur soutien et les dynamiques politiques qui s'ouvrent sont également une autre question. Les États-Unis, en particulier, déterminent politiquement le cours des événements et, par l'intermédiaire de leurs soldats, mènent une bataille contre une autre puissance impérialiste, la Russie de Poutine.
Il y a aussi un résultat politique de la guerre dont nous devons tenir compte : tant en Ukraine qu'en Russie, l'idéologie nationaliste d'exclusion préexistante et le poids des partis et courants d'extrême droite se sont renforcés, les politiques économiques oligarchiques néolibérales et la corruption à grande échelle se sont consolidées, ainsi que les politiques liberticides contre les droits démocratiques, syndicaux et sociaux. Et prenons-en note : les mercenaires et les soldats de fortune ont proliféré et, sur le champ de bataille, combattent non seulement des soldats ou des volontaires, mais aussi des sociétés de guerre. Ni en Russie ni en Ukraine, la démocratie et les libertés n'ont été renforcées. Bien au contraire, au vu des faits.
Tant dans la société martyre ukrainienne que dans la société russe en souffrance, les messages des ethno-nationalismes commencent à s'infiltrer, atteignant le niveau atroce du ridicule consistant à effacer des étagères et des sites web les chefs-d'œuvre de la littérature de l'autre pays et même du sien lorsqu'ils expriment une hétérodoxie. Le bataillon fasciste Azov peut être heureux de son intégration complète dans les rangs de l'armée ukrainienne. Les tsars de la mère Russie peuvent se réjouir dans leurs tombes des excès de leurs héritiers au Kremlin. On cache aux deux peuples ce qu'ils ont en commun en exacerbant les différences : la culture est elle aussi un champ de destruction pour l'ennemi. À ce sujet, Milan Kundera – qui en savait quelque chose – écrivait que « pour liquider les peuples, on commence par leur enlever leur mémoire. On détruit leurs livres, leur culture, leur histoire. Et quelqu'un d'autre leur écrit d'autres livres, leur donne une autre culture et leur invente une autre Histoire. Ensuite le peuple commence lentement à oublier ce qu'il est et ce qu'il était. »
Mais il existe également un équilibre politique international que les stratèges du Pentagone et leurs partenaires mineurs à Bruxelles n'avaient pas prévu : les sanctions économiques occidentales contre la Russie n'ont pas entamé son PIB, bien au contraire. Celui-ci n'a cessé d'augmenter pour deux raisons : le gaz russe continue de couler à travers les terres ukrainiennes vers les pays de l'Union européenne (paradoxes de la position occidentale) et Poutine a eu un autre facteur en sa faveur, c'est que le monde a considérablement et rapidement changé. La mondialisation néolibérale compte plusieurs puissances émergentes qui aspirent ouvertement à défier l'hégémonie des États-Unis d'Amérique, ce qui a profité aux arsenaux et aux finances russes. Le monde perd des ressources et de la nourriture, mais les oligarques de l'Est et de l'Ouest s'enrichissent.
Par où commencer ?
Les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Il convient de rappeler la récente déclaration de Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne : « Ne rien faire n'est pas une option ». La question est de savoir quoi faire, quelle option adopter à partir d'une position de gauche socialiste radicalement démocratique et internationaliste. Et, bien sûr, ce n'est pas le « plus de bois » des Marx Brothers, qui, en termes communautaires pour Borrell, se traduit par la fabrication de plus d'armes, la vente de plus d'armes, l'augmentation des budgets militaires au détriment des dépenses sociales (les dépenses publiques, même si les impôts augmentaient, évoluent selon la règle d'airain de la somme nulle). Cette voie a déjà été expérimentée et Biden, Ursula von der Leyen et la haute représentante de l'UE pour la politique étrangère et la sécurité le savent bien.
Après les importantes livraisons d'armes et d'argent au gouvernement de Volodymyr Zelensky par les États-Unis et l'UE, la situation militaire – pour des raisons qui ne font pas l'objet de la réflexion d'aujourd'hui – stagne et est favorable au gouvernement du satrape Poutine. Le jeudi 2 mars dernier, l'Union européenne a approuvé 50 milliards d'euros supplémentaires pour soutenir l'appareil militaire ukrainien1 . Depuis le début de l'invasion, l'UE a contribué à hauteur de 84,3 milliards d'euros, dont 21 pour l'Allemagne, 71,4 pour les États-Unis et 13,3 pour le Royaume-Uni. Un argent accompagné d'un fort soutien diplomatique et médiatique occidental et, c'est très important, d'un soutien direct sur le terrain de la sécurité et du renseignement, avec un déploiement technologique et le plus grand réseau d'espionnage au monde. Est-il vraiment logique de parier sur la victoire totale ? C'est l'option de Poutine, de Biden et Borrell. Mais attention, peuple ukrainien, sois prudent, les vents d'ouest peuvent changer de direction et tu pourrais te retrouver dévasté et abandonné dans l'effort de guerre s'il ne réussit pas à court terme.
Il faudra chercher d'autres voies. Là n'est pas le chemin. Tout d'abord, la gauche politique occidentale, les syndicats et les mouvements sociaux doivent se faire entendre indépendamment des gouvernements. Comme dans les meilleures traditions du mouvement ouvrier internationaliste face aux guerres impérialistes. Pour cette raison, la subordination aux diktats de l'impérialisme lui-même ne peut pas se reproduire, comme le 1er mars 2022, après l'invasion de Poutine, lors d'un vote au Parlement européen en faveur de l'élargissement de la présence de l'OTAN dans les pays voisins de la Russie. Si je ne me trompe pas, le procès-verbal du Parlement européen reflété dans le B9-0123/202, Podemos et ERC ont voté pour ; Bildu, BNG et IU se sont abstenus ; Miguel Urbán d'Anticapitalistas était l'un des 13 député·es européen·es qui ont voté contre et, évidemment, le PP, le PSOE, VOX et Ciudadanos ont voté pour.
Pour mieux faire valoir sa propre position, il faut essayer – au-delà de la propagande de guerre et belliciste – de comprendre la nature du conflit en cours puisque les simplifications sont l'arme du démon de la guerre et du campisme. Et dans la guerre en Ukraine, plusieurs strates et conflits convergent : il y a une guerre défensive de libération nationale de l'Ukraine contre une guerre d'occupation russe, un conflit au sein de la communauté ukrainienne installé dans le Donbass concernant les relations avec l'empire voisin et où s'expriment des identités nationales différentes, et une guerre inter-impérialiste par procuration des États-Unis – et de l'OTAN – contre la puissance russe. Si tous ces éléments ne sont pas pris en compte, il n'y a pas de solution démocratique et populaire possible.
La guerre qui annonce des guerres
La tension entre les impérialismes, dont plusieurs pays possèdent des armes nucléaires, a fait monter la température et les décibels. Il est naïf de penser qu'elles ne seront jamais utilisées, comme l'a dénoncé à plusieurs reprises Ernest Mandel – avec qui je partage les analyses des fléaux du capitalisme tardif. Je suis également entièrement d'accord avec Ken Coates – président de l'organisation Bertrand Russell, coordinateur de la campagne pour le désarmement nucléaire européen (END) et membre éminent du parti travailliste britannique – lorsqu'il a déclaré de manière visionnaire il y a des décennies que « la dissuasion est un modèle conçu pour un monde bipolarisé, mais la bipolarité du monde est en train de disparaître. Si toutes les nations doivent devenir des puissances nucléaires pour être indépendants, le monde ne durera pas longtemps… ».
La situation actuelle est volatile et dangereuse, basée sur un modèle figé, sur une doctrine d'équilibre de la terreur vieille de 40 ans. Nous pouvons en conclure, au vu des précédentes conflagrations mondiales et de la dynamique actuelle de prolifération des conflits, ce que le sous-commandant insurgé Marcos, depuis le Chiapas, a qualifié de « quatrième guerre mondiale ». Sur la scène internationale, n'importe quel petit élément déclencheur peut mettre le feu à la plaine, comme cela s'est produit deux fois au 19e siècle.
L'opération militaire spéciale de Poutine est une manifestation sanglante de la logique expansionniste de l'impérialisme russe. Pour y parvenir, le président russe a dû d'une part falsifier l'histoire pour étayer son discours, et d'autre part restreindre les quelques libertés et droits des personnes et des peuples qui constituent cette grande prison des peuples qu'est la Russie d'aujourd'hui, réprimant toute manifestation politique et syndicale indépendante. Dans le même temps, et il faut en tenir compte, Poutine exprime son inquiétude face à trois faits à ne pas sous-estimer : l'extension constante de l'OTAN vers l'est, l'enracinement de la guerre dans le Donbass depuis 2014 dans laquelle une partie des Ukrainiens se déclarent pro-russes, et les propositions occidentales visant à inclure l'Ukraine dans l'OTAN et récemment dans l'UE.
Le résultat de son action est contradictoire : d'une part, elle a renforcé le sentiment national ukrainien y compris celui de secteurs russophones hors du Donbass qui ont rejoint la défense armée de l'Ukraine et, d'autre part, elle a provoqué une résurgence et une (re)légitimation hypocrite de l'OTAN, qui depuis le fiasco afghan était sans mission et sans fonction comme un poulet sans tête. En fait, il a donné des arguments à ceux qui, au Sommet de Madrid de l'Alliance atlantique, ont identifié la Russie comme l'ennemi principal et ont commencé à débattre de la mer de Chine pour susciter la crainte d'avancées du concurrent asiatique. Chez les impérialismes, personne n'agit sans raison.
Le résultat de l'évolution de l'oligarchie poutinienne est un renforcement de l'idéologie ethnonationaliste panrusse exclusive et, par conséquent, un virage vers l'autoritarisme typique de l'évolution des principales puissances néolibérales. Le capitalisme russe veut renforcer sa position mondiale pour participer à la nouvelle répartition des influences, au pillage extractif du Sud global et améliorer sa balance commerciale. La poursuite de la guerre favorise Poutine, et il ne faut pas croire – selon les données dont nous disposons actuellement – qu'une victoire totale sur l'armée russe est possible et ébranlerait Poutine. Ce n'est que si une forte opposition démocratique et socialiste arrive à se reconstruire en Russie que la dérive actuelle du Kremlin pourra être stoppée et que le cours de l'histoire pourra être modifié en renversant l'oligarque.
Dans le cas des États-Unis et de l'OTAN, une bataille est livrée indirectement. C'est le peuple ukrainien qui compte ses morts, tout en essayant de restreindre le pouvoir des puissances impérialistes concurrentes. Cette guerre par procuration évite pour l'instant de rapatrier des corps aux USA sous la bannière étoilée. Toute interprétation de l'attitude de l'impérialisme nord-américain et européen comme défenseurs des libertés et de la démocratie, ou du droit légitime à l'autodéfense du peuple ukrainien, revient à se boucher les yeux et les oreilles face aux nombreuses actions – passées et présentes – de l'impérialisme occidental pour défendre les intérêts du grand capital de leurs pays ou multinationales respectifs. À commencer par la renaissance de l'industrie militaire européenne et nord-américaine qui, tout en fournissant de nouvelles machines de mort, commence également à établir des plans pour la future reconstruction du pays. La bonne affaire.
Une fois de plus, le vieux Marx avait raison lorsqu'il disait que les capitalistes et leurs États formaient une « bande de frères en guerre ».
Il existe des alternatives, luttons pour elles
Comme on peut le constater, cette guerre comporte de multiples niveaux et pièges cachés derrière les discours guerriers. Nous devons aborder cette réalité avec détermination et prudence pour éviter de pleurer. Les tendances guerrières doivent être combattues avec des propositions qui soient utiles à la fois au peuple A et au peuple Z, en l'occurrence le peuple ukrainien et le peuple russe. Le principe à partir duquel doit partir une position internationaliste indépendante est la guerre contre la guerre impérialiste, en construisant une réponse solidaire en faveur d'une paix juste et durable. La seule solution durable à cette guerre est de mettre fin à l'invasion et à l'offensive russes, aux bombardements des populations civiles et des infrastructures énergétiques.
Les points qui permettraient un large front pour faire pression sur les gouvernements russe et nord-américain, ainsi que sur les gouvernements de chaque pays impliqué, peuvent être résumés comme suit :
Il faut exiger un cessez-le-feu pour arrêter la saignée, la destruction des ressources et l'exil, ainsi que la démilitarisation et la dénucléarisation des frontières de l'Ukraine et la fin des livraisons d'armes par les pays impérialistes occidentaux, tout comme les embargos et les mesures économiques qui, en fin de compte, pèsent non pas sur l'oligarchie mais sur le peuple russe. Le corolaire de ce qui précède est le retrait immédiat des troupes russes et la promotion de la neutralité et du non-alignement de l'Ukraine auprès de tous les impérialismes participant au conflit.
Il est très important de mettre fin au secret diplomatique et à la raison d'État qui nous privent de la vérité. Par conséquent, toutes les négociations possibles de cessez-le-feu ou de paix doivent être publiques devant les peuples ukrainien et russe, ainsi que devant le monde entier. La logique internationaliste implique la solidarité avec le peuple ukrainien et en particulier avec les secteurs minoritaires de gauche et syndicaux qui s'opposent aux mesures antisociales de Zelensky et qui existent, même si elles sont trop faibles pour jouer un rôle important et indépendant dans le conflit. Solidarité entre les peuples avec le peuple ukrainien au-delà de ses dirigeants néolibéraux, solidarité étendue aux secteurs du peuple russe qui résistent au dictateur.
Cela signifie qu'on doit commencer par reconnaître et défendre le droit du peuple ukrainien à résister à l'invasion de Poutine, à décider de son propre avenir dans son propre intérêt tout en respectant les droits de toutes les minorités ; son droit à déterminer cet avenir indépendamment des intérêts de l'oligarchie ou du régime capitaliste néolibéral actuel, des pressions du FMI ou de l'UE – et nous revendiquons ainsi l'annulation totale de leur sa dette – et le droit de tou·tes les réfugié·es et personnes déplacées de rentrer en toute sécurité et en possession de tous leurs droits.
Pour construire un avenir pacifique en Ukraine, il est nécessaire d'assurer l'exercice du droit à l'autodétermination du Donbass sous la supervision de pays non alignés dans le conflit et l'annulation de la dette extérieure qui pèse comme une épée de Damoclès sur toute la société ukrainienne.
Pour payer les coûts matériels de la guerre, il faut briser le secret bancaire et en finir avec les paradis fiscaux afin de confisquer les avoirs des oligarques russes et de leurs complices internationaux pour les utiliser à la reconstruction de l'Ukraine et des familles russes touchées par la guerre.
Et enfin, il ne faut faire aucune concession à l'existence de blocs militaires (OTAN, CSTO et AUKUS2 ), qui loin d'être une garantie de paix et de défense, sont des instruments d'agression et de guerre contre les peuples. Nous ne devons pas non plus accepter l'utilisation cynique de la guerre en Ukraine pour augmenter les budgets militaires et l'industrie de guerre. Et, ce n'est pas le moins important, nous devons exiger un désarmement mondial, notamment en ce qui concerne les armes nucléaires et chimiques, œuvrer pour une paix mondiale dans laquelle aucun État n'impose, n'envahit ou n'opprime l'autre ; c'est-à-dire une paix sans colonisateurs ni cimetières de peuples colonisés.
Avec cela, nous pouvons peut-être démentir les écrivains russes actuellement vilipendés, comme Maxime Gorki, qui, lors des funérailles d'Anton Tchekhov, a déclaré que le message qu'il nous avait laissé était « Mesdames et Messieurs, nous n'avons pas appris à vivre en paix ».
Le 29 février 2024
Manuel Garí est économiste. Il est membre d'Anticapitalistas, section espagnole de la IVe Internationale et membre du comité de rédaction du magazine Viento Sur.
Cet article a été publié le 2 mars 2024 par Viento Sur.
Notes
1. « Los líderes de la UE acuerdan por unanimidad la ayuda de 50.000 millones para Kiev », 1er février 2024, Público
2. L'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) est une organisation intergouvernementale à vocation politico-militaire fondée le 7 octobre 2002, dominée par la Russie, qui regroupe la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan. AUKUS (acronyme de l'anglais Australia, United Kingdom et United States) est un accord de coopération militaire tripartite – mais pas formellement une alliance militaire – formé par l'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni. Rendu public le 15 septembre 2021, il prétend contrer l'expansionnisme chinois dans l'Indo-Pacifique.
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Élections aux États-Unis : un saut dans l’inconnu

En novembre prochain, les élections aux États-Unis auront lieu. Sauf événement judiciaire peu probable, le match concernera en priorité les deux candidats qui se sont opposés il y a 4 ans : Trump contre Biden. Il s'agit des plus vieux candidats à l'élection de son histoire, le précédent record établi par les mêmes à la précédente élection.
Revue L'Anticapitaliste n° 156 (mai 2024)
Par Édouard Soulier
Crédit Photo
Scènes du campement de solidarité avec Gaza qui a été rétabli à l'université de Columbia et qui en est à son quatrième jour. © Abad Diraniyeh - Own work, CC0
Les derniers sondages de mai 2024 donnaient 42 % d'intentions de vote pour Trump contre 41 % pour Biden. Mais le système de suffrage censitaire (1) est trompeur car il est nécessaire de gagner certains États-clés pour l'emporter et à ce jour l'avance de Trump est plus importante dans chacun de ceux-ci (Arizona, Pennsylvanie, Géorgie et Michigan). L'incertitude est totale à ce jour sur qui pourra être le vainqueur. Les procès criminels de Trump et les choix politiques de Biden peuvent contribuer à expliquer un climat général particulier mélangeant agitation et apathie politiques. Agitation car l'enjeu politique pourrait être central pour l'avenir de la « démocratie américaine », mais également apathie car, à l'exception de la base radicalisée de Trump, il n'y a d'engouement populaire pour aucun des candidats.
Le danger trumpiste contre la passivité Biden
Le programme de Trump fait froid dans le dos : construction de nouveaux camps de concentration et d'expulsion pour les demandeurs d'asile ; répression et expulsion des étudiant·es pro-palestinien·nes sur les campus ; attaques contre la presse ; licenciement massif des employé·es du gouvernement ; grâce des golpistes du 6 janvier – semer le chaos dans la gestion impérialiste mondiale.
D'ailleurs, une deuxième édition de Trump fait hésiter même les milieux dirigeants capitalistes américains. La classe dirigeante avait, au moins en apparence, misé sur la rivale de Trump, Nikki Haley, dont les principaux fonds de campagne ont été abondés par l'organisation Americans for Prosperity (2). Nikki Haley est une conservatrice de droite extrêmement réactionnaire mais qui semble plus contrôlable que Trump. Cette perspective (sauf ennui judiciaire) s'est envolée lorsqu'elle a abandonné la course aux primaires (3). En tout cas, Trump a définitivement gagné les Républicains à sa cause et a placé différents membres de sa famille à des postes clés de la direction du parti.
Biden est indéniablement un candidat de la classe dirigeante américaine et il n'a eu de cesse de le montrer en 50 ans de carrière ininterrompue. Suite à l'élection de 2020, l'aile gauche des Démocrates avait proposé le Green New Deal, un plan d'investissement fédéral sur les infrastructures et la transition énergétique. Bien que représentant seulement la moitié du budget militaire, ce plan fut jugé trop important. Par exemple, en Virginie occidentale, où le taux de pauvreté infantile est passé de 20,7 % à 25 % entre 2021 et 2022, son sénateur Démocrate, Joe Manchin, s'y est opposé. Certains aspects furent abandonnés, dont celui pour réduire de moitié la pauvreté des enfants. En dernière instance, les investissements colossaux du « plan Biden » ont profité en grande partie aux couches de la population à hauts revenus. Les autres ne voient que très peu, voire pas du tout, de différence dans leur vie quotidienne. Cela dit, les États-Unis ont réussi à contenir l'inflation, comparativement à la zone euro, même si le prix des produits de première nécessité reste bien plus élevé qu'avant, tandis que les hausses de taux d'intérêt, nécessaires pour « freiner l'inflation », ont elles-mêmes exacerbé une crise du logement qui touche particulièrement les jeunes et de nombreuses personnes âgées à revenus limités. Les résultats économiques sous Biden sont plutôt bons d'un point de vue capitaliste. Or, c'est précisément dans ce domaine que les sondages montrent une plus grande confiance dans les Républicains.
Nouveaux visages des États-Unis
Selon le recensement (4) de 2020, les « blancs » non hispaniques ou latinos représentent désormais 57,8 % de la population des États-Unis, contre 63,7 % en 2010. Le taux de natalité subit une baisse plus forte chez les « blancs » que dans les autres groupes ethniques. Ces facteurs objectifs devraient pousser le parti Républicain vers une marginalité permanente. Mais la peur de devenir minoritaire fait des « non-blancs », des LGBT et de l'avortement les cibles privilégiées des idéologies suprémacistes, nationalistes et religieuses, qui dominent largement ce parti aujourd'hui.
L'immigration aux États-Unis vient principalement d'Amérique centrale, d'Amérique du Sud et d'Asie, où les États-Unis ont créé une situation invivable depuis les années 1960, par leur politique de libre-échange, leur guerre contre le communisme puis contre la drogue. Les Républicains ne proposent que des murs et des prisons. Les sorties racistes contre les migrants·e, qui n'ont pas cessé depuis des années, sont en constante augmentation depuis le début d'année. Le racisme anti-immigrants est central dans la stratégie des Républicains pour reprendre la Maison Blanche. Mais sur cette question, les Démocrates restent fidèles à la stratégie de sélection des « bons » et « mauvais » migrants et s'acharnent à essayer de faire passer des lois de consensus avec les Républicains pour « régler » ce problème.
Alors qu'il devrait être majoritaire, le vote pour les Démocrates se rétrécit chez les jeunes, les Afro-Américain·es et dans les autres communautés non blanches et immigrées, ainsi que parmi les LGBTIA+. Les Démocrates ont fait trop de promesses et n'ont pas assez apporté de changements réels – en termes de justice raciale, d'allègement de la dette étudiante, de réforme de l'immigration, de lutte contre le changement climatique.
De plus, le soutien traditionnel de Biden à l'État d'Israël n'est plus accepté par la jeunesse étatsunienne. Elle est horrifiée par le génocide en cours en Palestine. L'ampleur de la mobilisation en cours sur les campus universitaires nord-américains ne s'était pas vue depuis la guerre du Vietnam. Même la jeunesse juive nord-américaine (traditionnellement Démocrate) est moins attachée au sionisme et est moins encline à justifier les crimes contre l'humanité au nom d'un foyer national Juif. Ajoutons qu'en 2020, le vote des communautés arabo-américaines et palestiniennes a été l'une des clés du succès Démocrate. L'une des plus importantes communautés se trouve dans le Michigan qui est un État crucial pour la victoire en novembre. Même s'il est trop tôt pour voir s'il y aura réellement un impact en termes de votes, il semble que la direction du parti Démocrate a délibérément choisi d'ignorer cet électorat. Notons que l'association American Israel Public Affairs Committee soutient systématiquement les candidat·es les plus engagé·es en faveur d'Israël et finance des concurrents face aux figures pro-palestiniennes comme Rashida Tlaib, Cori Bush et Ilhan Omar lors des primaires Démocrates.
Un autre cheval de bataille pour la droite et le parti Républicain est leur volonté d'en finir avec le droit à l'avortement aux États-Unis, après leur victoire à la Cour Suprême (5). Dès que celui-ci est soumis aux votes, par des référendums locaux, il l'emporte de manière décisive mais cela n'empêche pas d'autres États conservateurs de continuer à durcir son interdiction. Sur cette question, une grande partie de l'électorat se rangera du côté des Démocrates. Même si cette croisade est perdue d'avance, la détermination des Républicains pourrait, de justesse, préserver la présidence Démocrates.
Une autre politique est nécessaire
La mobilisation des électeurs doit advenir mais pas celle pour des élections, celle pour une lutte politique différente. Les points d'appui existent pour développer cette alternative. Tout d'abord le renouveau du militantisme ouvrier, qui a abouti à des contrats syndicaux avec des gains importants pour les travailleurs de l'automobile, ou chez UPS, et à des avancées dans l'organisation d'entreprises telles que Tesla et Amazon. La vague de créations de nouvelles sections syndicales en est aussi un signe. Deuxièmement, le combat continue contre l'extrémisme anti-avortement du parti Républicain. En outre, dans plusieurs États du Sud, on remarque des luttes contre les interdictions de livres ou des mesures de contrôle électoral comme au temps de la ségrégation. Enfin, la force et la détermination du mouvement pour la Palestine peuvent succiter un mouvement de résistance plus large.
Pour l'instant ces mouvements n'ont pas trouvé de traduction politique et n'ont pas encore pesé fortement sur la dynamique au niveau de la politique électorale nationale. Mais la lutte des classes est active. Il faut juste qu'elle soit suffisamment résistante et structurée pour affronter l'inconnu de ces prochaines élections.
Notes
1. Aux États-Unis, chaque État désigne des grands-électeurs, qui sont tou·tes en faveur du candidat arrivé en tête dans l'État (sauf dans deux États où ils sont répartis à la proportionnelle). C'est ce collège électoral qui désigne le président. Ainsi, un·e président·e peut être élu·e alors qu'il a moins de voix nationalement que son concurrent.
2. American for prosperity (AfP) est un groupe financé par les frères Koch, propriétaires d'un conglomérat pétrochimique, commercial et financier. Fondé en 2004, il est considéré comme le lobby le plus influent pour les élections aux États-Unis, tant au niveau national qu'au niveau local.
3. Les deux grands partis organisent des élections primaires dans chaque État pour désigner le candidat à la Maison-Blanche, où ne votent que les adhérents de chaque parti.
4. Les Échos, « L'Amérique de 2020, moins blanche et plus métissée » publié le 13 août 2021.
5. En 1973, la Cour Suprême empêche la criminalisation de l'avortement dans tous les États-Unis (arrêt Roe v. Wade), ce qui le rend légal sur tout le territoire. En 2022, la Cour Suprême infirme sa décision de 1973 (arrêt Dobbs v. Jackson), autorisant chaque État à criminaliser à nouveau l'avortement.
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