Presse-toi à gauche !
Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...

Un premier bilan

Le Conseil national s'est déroulé dans un climat tendu à cause du non-dit sous-jacent aux propositions soumises par la direction de QS tant à propos de la déclaration de Saguenay que la révision du programme. Ce constat est tellement évident, même les médias parlent clairement de recentrage pour écarter les positions de gauche. Il y a une conception stratégique derrière la déclaration de Saguenay et la réécriture du programme, c'était l'éléphant dans la pièce. Les membres délégués méritaient que la direction de QS fasse preuve de limpidité, ça n'a pas été le cas et cela a alimenté les tensions.
Le Conseil national de février 2023 avait pris acte de la nécessité de renforcir la présence de QS en région et avait décidé de lancer « une tournée de mobilisation et de consultation dans les régions du Québec, afin de consulter les membres solidaires de ces régions, la population québécoise, la société civile et les mouvements sociaux, pour mieux enraciner le projet solidaire dans la réalité de l'ensemble des régions. » Il avait été décidé « que les résultats de cette tournée soient soumis aux membres lors d'une future instance nationale. »
Or, il n'y a pas eu de rapport. Rien qui indiquait quelles régions ont été visitées, quels groupes on a rencontré, quelles préoccupations elles ont soumis et quelles ont été nos réponses. Est-ce qu'on a tenté d'expliquer les motifs qui soutiennent nos positions ? Quelles étaient les difficultés rencontrées ?
La déclaration de Saguenay ne contenait aucun élément de rapport qui aurait pu nous mettre sur la piste des motifs qui soutenaient les propositions avancées dans le cahier. Il fallait faire un acte de foi. Ce travail aurait été pourtant essentiel et respectueux.
On aurait ainsi pu regarder ensemble les constats de la tournée, en tirer des conclusions sur ce qui doit être fait pour mieux rejoindre les préoccupations en région et mandater le prochain congrès pour en disposer. Cela aurait été un exercice collectif beaucoup plus rassembleur et correspondant au mandat d'un CN : organiser la discussion du congrès.
La révision du programme
On nous a imposé au pas accéléré un texte de révision programmatique qui contenait en plus des changements aux politiques de notre programme et de nos plateformes antérieures en ce qui a trait à l'industrie forestière et notre position en agriculture concernant l'UPA. Comment la direction de QS ne pouvait-elle pas s'attendre à une résistance ? Au lieu de composer avec les membres, on a senti la direction en affrontement contre ceux et celles qui questionnaient ses propositions d'orientation.
Certaines propositions adoptées ont permis de sauvegarder des éléments importants et de permettre un échéancier un peu plus long, - comme le retrait de l'appui au monopole syndical de l'UPA, le choix clair du CN de rejeter la proposition principale de “modernisation” du programme entendu comme une refonte totale - en faveur plutôt de sa réactualisation entendue comme une mise à jour ciblée.
Cependant la proposition pour que le programme soit exempt d'engagements politiques trop spécifiques a été adopté. À quoi peut-on maintenant s'attendre maintenant dans cette révision du programme sinon qu'elle efface les éléments trop revendicateurs ? On en a eu un aperçu avec la déclaration de Saguenay concernant la reconnaissance du rôle central de l'industrie forestière stipulant « qu'un gouvernement solidaire va adopter une stratégie d'adaptation des forêts aux changements climatiques, en collaboration avec les communautés touchées et l'industrie. »
Le programme actuel stipule que : « En plus du secteur minier, Québec solidaire préconise de placer la grande industrie forestière sous contrôle public (participation majoritaire de l'État) en envisageant, au besoin, la nationalisation complète. »
Avant de procéder à un changement de cap aussi important, il serait approprié de faire une étude un peu plus approfondie concernant les bénéfices de la nationalisation par rapport aux subventions gouvernementales faramineuses accordées au fil des ans à cette industrie. Il nous semble que c'est un minimum de rigueur.
La direction de Québec solidaire nous amène ainsi bien en deçà de ce que René Lévesque avait préconisé concernant une de nos ressources naturelles importantes, la nationalisation de l'hydroélectricité.
André Frappier
28 mai 2024
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Semaine nationale d’actions régionales de la Coalition solidarité santé Le privé, c’est tout sauf santé !

C'est avec conviction, espoir et détermination que la Coalition solidarité santé [1] organise, avec l'appui de ses membres très mobilisés, une Semaine nationale d'actions régionales contre la controversée réforme Dubé en santé et la privatisation des soins de
santé et de services sociaux.
Dans presque toutes les régions du Québec, des activités auront lieu lors desquelles plusieurs organisations viendront exprimer leur désaccord avec les politiques visant la privatisation des services de santé ainsi que leur centralisation. Il y a consensus au sein de la société civile et nous souhaitons nous faire entendre.
Pendant la dernière semaine de mai, nous lancerons au gouvernement un message fort et clair : _Le privé, c'est tout sauf santé !_ L'objectif de ces actions est non seulement de faire pression sur le gouvernement pour arrêter la privatisation de notre réseau, mais aussi de sensibiliser la population aux dangers qui guettent l'accessibilité aux soins et aux services.
Selon les organisations membre de notre coalition, lesquelles proviennent de tous les secteurs de la société civile, le gouvernement du Québec fait fausse route en disant que le privé est la solution aux problèmes d'accessibilité au réseau public, alors qu'on sait très bien qu'il en est plutôt la cause ! « Chaque clinique ou hôpital privé qui ouvre vient drainer les ressources du public et aggrave ainsi les problèmes d'accès au réseau public. Les médecins et le personnel de la santé et des services sociaux ne poussent pas dans les arbres, chaque travailleur.se qui va vers le privé est un.e travailleur.se de moins dans le public. On ne peut juste pas se permettre de voir le privé s'accaparer les précieuses et rares ressources du public », déclare Sophie Verdon, co-coordonnatrice à la Coalition solidarité santé.
En effet, le gouvernement choisit d'orchestrer un système où l'État subventionne les compagnies privées pour qu'elles dispensent des soins de santé. On rassure la population en lui disant qu'elle n'aura rien à payer car ce sera couvert par la carte d'assurance-maladie, mais au final, ce sont les Québécois.e.s qui, collectivement par le biais de leurs impôts, assumeront des coûts beaucoup plus élevés en santé afin de couvrir la portion importante de profits inhérente à la médecine privée.
Selon Geneviève Lamarche, co-coordonnatrice de la Coalition solidarité santé, « environ la moitié des soins de santé et de service sociaux sont déjà privatisés au Québec. Ceux-ci sont généralement moins performants et plus coûteux. De plus, le secteur à but lucratif induit de graves lacunes dans les soins offerts, comme ce fut le cas dans les résidences privées pour aînés pendant la pandémie. Même le ministre Dubé, favorable au privé, a dû interdire progressivement les agences privées au moyen d'une loi pour contrer leurs effets délétères désorganisant le réseau ».
« La Coalition ne peut accepter cette nouvelle réforme qui centralisera et privatisera davantage le réseau public de la santé. L'amélioration de l'accès aux soins et aux services de santé et services sociaux doit plutôt passer par une valorisation du réseau public et de son personnel. Les entreprises à but lucratif ne visent tout simplement pas les mêmes objectifs que ceux de l'État et de la santé publique », rappelle Sophie Verdon.
Pour consulter la liste des événements régionaux.
À propos de la Coalition Solidarité Santé
La Coalition Solidarité Santé est un regroupement québécois d'organisations syndicales, communautaires, de groupes de personnes âgées, de personnes en situation de handicap et de personnes proches aidantes. La défense des grands principes qui constituent les pierres angulaires du réseau de santé depuis sa mise sur pied, à savoir le caractère public, la gratuité, l'accessibilité, l'universalité et l'intégralité, sont à la base de toutes les interventions de la Coalition Solidarité Santé.
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Tu nous manques

TU NOUS MANQUES
Jan J. Dominique
En 1957, à Port-au-Prince, naît Karine Rivel. La même année, François Duvalier, dit Papa Doc, est élu à la tête d'Haïti, quelque temps avant d'en devenir le dictateur brutal et d'imposer sa milice tortionnaire. Le destin de Karine, et de tous les membres de sa famille, sera à jamais marqué par cette dramatique coïncidence.
Une fabrique de gris-gris pour sauver Philippe, un enfant emmuré dans un silence traumatique. Le dévouement d'un médecin-sorcier-écrivain, Jacques, qui met tout en œuvre pour l'aider. La fuite de Karine, devenue médecin, qui soigne les pauvres et devra se cacher pour sauver sa peau et celle de ses enfants. L'exil d'un frère rebelle, Jean Baptiste, et la quête de sa fille, Isabel, qui part à sa recherche en Amérique latine. Et le regard tendre et lucide de Simone, Man Mona, fantôme veillant sur chacun d'eux.
Entre les souvenirs familiaux et le présent des retrouvailles, Tu nous manques suit le destin des femmes vaillantes de cette famille haïtienne ordinaire et extraordinaire, marquée dans sa chair par la violence politique, les mensonges et la résistance. Comment survivre, sinon en combattant la terreur ? Que veut encore dire « libérer la terre natale » lorsque tous les morceaux ont volé en éclats ?
Jan J. Dominique a travaillé comme éducatrice et journaliste à Radio Haïti Inter à Port-au-Prince. L'assassinat de son père en 2000, puis un attentat et des menaces l'obligent à partir. Elle vit aujourd'hui à Montréal. Aux Éditions du remue-ménage, elle a publié Mémoire d'une amnésique (2004), La Célestine (2007), Mémoire errante (2008) et L'écho de leurs voix (2016).
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photo ©Chloé Charbonnier

« Le devoir-taire des femmes » – au sujet de 3 livres

Trois livres démontent les mécanismes du silence imposé à des femmes par les violences domestiques ou celles de la rue.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/05/22/le-devoir-taire-des-femmes-au-sujet-de-3-livres/
Forts, utiles, complexes, ils aident à penser des questions urgentes et les réponses possibles de la société Comment sont entendues les femmes soumises à des violences dites domestiques par le tribunal civil ? se demande Solenne Jouanneau dans Les femmes et les enfants d'abord ?. L'enquête porte sur l'ordonnance de protection de 2010 qui devrait permettre de « sécuriser la séparation » d'avec le conjoint maltraitant. Avec Les femmes du coin de la rue, Patricia Bouhnik enquête au plus près de celles qui sont déjà séparées et rendues muettes, réduites aux figures déviantes du féminin. Son ouvrage nous conduit vers des scènes de rue, où chacune d'elles cherche à se cacher plus encore. Enfin, Carol Gilligan développe une éthique de résistance et de libération qui commence par l'écoute radicale.
Ces trois ouvrages démontent – chacun à sa manière – les mécanismes du devoir-taire. Comment disparaître, se masquer, éteindre l'incendie, retenir les mots, se couvrir et s'éclipser, s'enfermer en cas de danger, écarter la menace ou le chantage, échapper à l'accusation en somme. « Savoir s'effacer » serait-il un art genré ? Le droit ne cesse de se cogner à des corps en mouvement. Il se heurte aux transformations des sensibilités envers les femmes « en danger ». Mal armés, les magistrats entendent peu les menaces psychologiques en deçà des coups, des chocs et des blessures. Comment entendre la vérité de l'abus, du chantage, de la faiblesse économique, de la domination, tant que le langage du droit l'enfermera sous la cloche du seul « conflit familial » ? Combien de fois les femmes devront-elles répéter les mêmes choses, dans différentes instances, dire et répéter les détails de ce qui a eu lieu et continue d'avoir lieu ? Comment élargir les vues des magistrats, pour une prise en compte des « atteintes » à la volonté des femmes, la captation de leur décision, les barrages faits à leur autonomie ? Du combat féministe à la cause publique, les violences au sein du couple ont été peu à peu « déprivatisées » depuis que le caractère « aggravé » des actes de maltraitance est entré dans la loi. Problème public ? Solenne Jouanneau étudie – au-delà de la punition – comment protéger matériellement les femmes et les enfants par une audience en urgence afin de les faire bénéficier de plusieurs mesures de protection : être autorisé à dissimuler son adresse ; interdire à l'agresseur de posséder une arme ; lui interdire d'entrer en contact avec les personnes protégées ; enfin organiser autrement les relations avec les enfants, notamment leur garde. L'ouvrage enquête dans plusieurs tribunaux, dresse des statistiques, épluche des décisions de justice, entend des magistrats, explore les formations des juristes. Massivement, à plus de 80%, ce sont des femmes pauvres économiquement qui font appel au dispositif des ordonnances de protection. Sans ressources propres, elles ne peuvent s'extraire du danger, se dégager du chantage, se retirer des pièges. Sont-elles pour autant entendues ? Comme l'explique un juge : « On ne nous demande pas de juger de la réalité des violences. On nous demande d'apprécier la vraisemblance des violences, qui peuvent être physiques, mais pas seulement, elles peuvent aussi être psychologiques par exemple, ce qui est encore plus dur à évaluer ; et si cette violence place une personne, ex-conjoint ou conjoint, dans une situation de danger. » L'embarras est de mise.
L'enquête se loge dans cet écart. On entre dans le bureau du juge aux affaires familiales qui interprète les critères d'appréciation énoncés par la loi. Et de se prononcer sur les seuils de la violence – suffisamment grave ou pas – pour engager ou écarter une protection en urgence. Car 60% des demandes de protection seront rejetées ! En matière civile, on découvre que les mots sont en bataille. Cent fois on s'interroge. Qu'est-ce qu'une relation de couple, une violence conjugale, une tension, un danger, un risque ? Et les magistrats de fouiller certes les codes civil et pénal, mais aussi l'intranet des tribunaux, les définitions mises en circulation par l'action publique en matière de « lutte contre les violences faites aux femmes » ; les actions de communication gouvernementale ; les cours d'appel ou les délégations régionales à l'Égalité Femmes-Hommes ou encore l'Observatoire des violences envers les femmes. Bataille de définitions, à chacun son langage. « En quoi une violence conjugale, demande un magistrat, serait séparable des conditions de logement, de l'argent qui manque, du souci des enfants ? » Ah non, répond un second : « Les violences physiques donnent lieu à des constatations physiques, des certificats médicaux. En matière de violence psychologique, c'est beaucoup plus compliqué à retenir. Ça crée trop d'hésitations. Et la problématique de preuve ? Pour ma part, j'admets plus facilement le concept de violence psychologique en plus des éléments permettant de croire aussi à des violences physiques ».
Les jugements tremblent. Il en découle que sur 6 000 demandes par an, 40% sont refusées. Entre conflits conjugaux, disputes parentales, violences conjugales, les juges se heurtent à des événements, tentent de les empoigner, glissent sur des affects contraires, alors les mots souvent se désagrègent. La violence s'envole vers d'autres contrées ! Pour les spécialistes des violences de genre, la différence entre « le conflit » et « la violence » tient à la nature de la relation qui unit les deux partenaires. Est-elle égalitaire ou inégalitaire ? Est-elle ou non basée sur la recherche du contrôle et de la domination de l'autre ? Rien à voir avec la démarche des magistrats qui dessine tout autrement la frontière entre le conflit et la violence : les faits de violences ont-ils une cause ? se demandent-ils. Peut-on imputer la responsabilité de ces actes de violence à une seule des deux parties ? Sont-ils suffisamment graves pour justifier l'impossibilité d'une démarche de conciliation ? Et après, comment déterminer les conditions d'organisation de la séparation et les droits qui seront accordés à chaque partie ? Qui va garder le logement à son nom ?
Ces questions sont d'autant plus fortes chez les juges qu'ils se méfient des scènes entendues, soupçonnent des chausse-trappes, hésitent entre le droit des enfants et un risque de manipulation puisque l'ordonnance permet d'obtenir des droits spécifiques tout en en retirant à l'auteur vraisemblable des violences. Ainsi, pour les couples pacsés ou les concubins, l'attribution du logement commun ne relève normalement pas de la compétence du juge. Selon la même logique, les chances d'obtenir l'exercice unilatéral de l'autorité parentale, la suppression du droit de visite ou la mise en place d'un droit de visite avec un médiateur sont beaucoup plus importantes dans le cadre de cette procédure que dans les procédures classiques.
Dès lors, les violences dénoncées font l'objet d'une hiérarchisation implicite. C'est en particulier le cas des violences physiques dites « légères » et des pratiques de harcèlement psychologique, notamment lorsqu'elles sont interprétées comme une conséquence des « conflits » générés par la séparation du couple. Les jugements dansent entre « violence conjugale » et « conflit conjugal », dans une pesée largement aveugle aux enjeux de la domination masculine. Il ne s'agit plus de protéger les femmes qui le demandent mais de fixer un seuil de violence variable dans le couple, un quantum socialement et juridiquement tolérable. De sorte que les violences se trouvent profondément remaniées à travers un filtre, une méthode de traduction de « ce qui s'est passé ». Un nouveau voilage, en somme. Car le magistrat travaille à l'horizon de la plus simple preuve, ce qui a pour effet de « donner la prime à l'hématome et aux bras cassés parce que c'est bien clair, bien net », confirme une magistrate. À l'inverse, la notion de « vraisemblance » ne favorise pas la prise en considération des violences psychologiques ou verbales qui, si elles n'ont pas été commises devant témoin ou enregistrées, ne laissent que peu de traces. Le vraisemblable, de quoi s'approcher du doute, de l'incertitude, d'une sorte de neutralité qui fait baisser la tête sur ses chaussures. De sorte qu'en 2024 cette ordonnance de protection des femmes fléchit et s'incline. À peine quelques centaines. Entendre les femmes, au tribunal civil : le chemin est encore long.
Hématomes et bras cassés ? Et après ? Que se passe-t-il pour certaines d'entre elles ? Pour celles qui n'auront pas été protégées ou pour qui la protection de la justice aura été absente ? Nombre de femmes au fil des ruptures se retrouveront sans domicile. Bien après les séances au tribunal, l'ouvrage de Patricia Bouhnik propose une cartographie de la ville et de ses « femmes de la rue » : « je suis partie de ces disparitions-là pour tisser le fil des histoires, recouper les contextes et déterminants et tenter de restituer la force des expériences et capabilités engagées ».
Ruptures familiales ou conjugales, perte d'emploi, placement des enfants, exil, expulsions. Ces femmes n'ont pas osé porter plainte ou la police n'a pas voulu les entendre. Certaines ont frôlé la mort, elles ont réussi à partir, s'appauvrissant encore. D'autres vivent ces violences au quotidien, taillent une pipe contre une dose de crack. Le déclassement se mesure aussi à des formes successives de dépouillement. Partie avec trois valises dans lesquelles Cathy a rangé son passé, il ne lui en reste plus qu'une aujourd'hui. La vie entière de Coralie tient, quant à elle, dans un sac à dos. Awa et Farhia n'ont plus de sac du tout.
Les femmes – dans ce paysage de désolation – complètement oubliées ? De l'école à la psychiatrie, du centre de protection maternelle au médecin généraliste, les systèmes d'alerte ne sont pas branchés les uns aux autres. Les femmes se murent. Comment s'en étonner tant on leur a appris à souffrir en silence. Disparaitre est la seule issue. S'enfermer en cas de danger : la menace subie, le chantage, le trafic, l'argent si rare, les excès. Se retirer sur la pointe des pieds, le sacrifice ultime. Au bout de l'oubli, de l'endurance et de la survie, invisibles et monotones comme la prison ou la prostitution, ces filles, ces femmes, ces mères, ces grands-mères échangent avec Patricia Bouhnik d'une manière incomparable. Le miroir narratif coupe le souffle.
À la dérive on les suit. Il s'agit pour elles de marcher sur les frontières des zones de passage – chambres d'hôtel, compagnons de fortune –, des points de replis sur des recoins – embrasures, bancs, friches, stations de métro, gares – ou de rejoindre des regroupements discrets en squats ou chambres proposées dans des foyers, hôtels sociaux, centres d'hébergement d'urgence ou associatifs, appartements vétustes ou précaires ; avec parfois un passage en prison ou aux urgences psychiatriques. La tournée de ces lieux éclaire les nuits de dépendance et de pénitence. « J'ai mal partout, tout le temps, susurre Nadia qui a 22 ans. Les enfants sont tout le temps fatigués et malades, on ne s'arrête jamais, on va d'un endroit à l'autre pour manger, demander, on est tout le temps dans la rue, c'est très difficile… J'attends dans la rue, je me cache, des fois, quand je vois la police. Neige, pas neige, beau pas beau, c'est tous les jours la même chose. Je mange dehors, les enfants c'est pareil que moi, comme tout le monde… Quand il fait très froid c'est le plus dur ». Ne jamais s'arrêter de circuler. Passer de lieu en lieu en courant, c'est le prix à payer pour gagner une petite sécurité sans agression, en évitant l'insulte de « mauvaise mère », en attendant un pli de rue, un recoin ou un bout de chambre pour se réfugier.
Et une pluie qui tombe. Incapables, incompétentes, indigentes, indignes, infâmes, la liste est longue de ces forces négatives qui peuplent ces dominations souterraines, avec ces mots mi-juridiques mi-psychiatriques qui hantent le langage institutionnel jusqu'à contaminer le plus ordinaire des gestes. Cette série des « in » marque les actes moteurs autant que les actes mentaux. Dans ces interstices, le droit n'agit qu'en « négatif sur » les modes de repos, les circulations, les recoins, les manières de se laver, d'aimer même. Femme vieille, seule, sans attache, pauvre de surcroit, mal née et mal aimée, chaos humain comme autant de cicatrices, dans ce sous-sol strié de menaces existentielles imminentes. Le retrait du droit de ces espaces de danger accentue les effondrements. L'idée même de « non-assistance à personne en danger » se dissout dans le caniveau. Ce serait la faute à « pas de chance » ?
Nous sommes bien entre l'implicite, le non-dit, le devoir-taire que l'on nomme à tort le silence, autant dire le dernier maillon de la traque. Nous sommes bien au bord du féminicide. Discret, celui-là. Faire revenir les voix des femmes dans la conversation humaine et dans les arènes sociales ?Psychologue et philosophe, auteure d'un ouvrage de référence en sciences humaines, Une voix différente (In a Different Voice : Psychological Theory and Women's Development, 1982, trad. fr., Flammarion, 1986), Carol Gilligan poursuit cette idée en toute modestie dans Une voix humaine, sorte de conversation chaleureuse envers les femmes et toutes les populations assignées et rendues invisibles. Peut-on changer la tonalité de cette conversation ? se demande-t-elle, donner voix aux expériences humaines qui ne sont ni parlées, ni vues. Pour ce faire, ne faut-il pas un changement dans l'organisation ou la structure même de la conversation, qu'elle porte non seulement sur le genre mais aussi sur le soi, les relations avec les proches, l'interdépendance, la morale ?
Avec Carol Gilligan se prolonge une réflexion sur le silence et la parole, sur la différence entre le fait de pouvoir s'exprimer et celui d'être entendue, sur l'écoute radicale comme acte politique. Dès lors, l'écoute est une manifestation de l'éthique du care : faire attention, répondre précisément aux questions, prendre au sérieux et résister au cadre patriarcal de ses propres réponses. Cultiver la voix et l'écoute, n'est-ce pas exercer justement une éthique de la démocratie ? Néanmoins, cela suppose tout un travail sur ce fameux cadre patriarcal, les fenêtres étroites de qui doit être entendu (la voix du père) ou pas, notamment dans les chaînes de grande vulnérabilité exposées dans les deux ouvrages précédents. Penser et ressentir, dire et savoir, autant d'oppositions par lesquelles la voix de l'expérience est perdue ou discréditée, déplacée par une autre voix, détentrice d'une autorité – le patriarcat – que l'on prend pour sienne. C'est dans ce plissement que se tient l'écoute radicale suggérée par Gilligan, « une façon de s'accorder à la voix sourde, sous-jacente, à cette autre conversation qui se joue entre les lignes de dialogue ». L'auteure s'attache ainsi à promouvoir des voix de résistance, dans des situations concrètes et pratiques, une attitude de « sollicitude » envers toutes les positions de vulnérabilité, une éthique attentive aux singularités et non pas impérative et impersonnelle. Se rejouent ainsi les questions un peu plus compliquées qu'il n'y paraît : « qu'est-ce que parler veut dire ? » ; « qu'est-ce que prendre la parole offre comme perspective et à quel coût ? » ; « qui donne ou retire la parole ? ».
Jean-François Laé
Solenne Jouanneau : Les femmes et les enfants d'abord ? Enquête sur l'ordonnance de protection. CNRS, 412 p., 26 €
Patricia Bouhnik : Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité. Syllepse, 174 p., 17 €
Carol Gilligan : Une voix humaine. L'éthique du care revisitée. Climats, 192 p., 22 €
Le Courrier de la Marche Mondiale des Femmes contre les Violences et la Pauvreté – N° 431 – 12 mai 2024
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Femmes et dettes dans les mailles du capitalisme et du patriarcat

Le livre présente une recherche collective combinant anthropologie, économie politique et histoire.
Tiré de CADTM infolettre , le 2024-05-23 07:56
21 mai par Christine Pagnoulle , Isabelle Guérin , Santosh Kumar , Govindan Venkatasubramanian
Isabelle Guérin, Santosh Kumar & Govindan Venkatasubramanian, The Indebted Woman. Kinship, Sexuality, and Capitalism¸ Stanford University Press (California), 2023, 229 p. dont 13 pages de notes, 23 pages de bibliographie et un index de 11 pages.
Note de lecture de Christine Pagnoulle
Elle s'appuie sur des observations menées conjointement pendant deux décennies dans une communauté du Tamil Nadu où habitent, dans des zones distinctes, des Dalits et des personnes appartenant à des castes reconnues. Cette étude vient compenser le peu d'attention accordée aux femmes dans le capitalisme financier, alors que les femmes et plus spécifiquement les femmes endettées, constituent un rouage essentiel de ses mécanismes. Il ajoute la dimension sexuelle, l'utilisation du corps en garantie de dettes, qui n'est sinon quasi jamais abordée. Deux des huit chapitres y sont consacrés. Ils montrent entre autres que les femmes endettées ne sont pas victimes passives, qu'il y ait ou non une véritable attirance amoureuse, la dette s'immisçant au plus intime de leur vie, elles négocient habilement, tant avec leur mari qu'avec un amant-créancier. En même temps, les rapports sexuels hors mariage sont jugés déviants et transgressifs, et cela de plus en plus compte tenu de la montée des conservatismes. Les femmes sont donc tiraillées dans leur féminité : comment être femme, avoir besoin d'un prêt et préserver sa respectabilité ?
L'endettement est omniprésent dans la vie quotidienne des classes exploitées. Or au sein d'un ménage l'endettement des hommes et des femmes est de nature différente. Les hommes se tournent davantage vers des créanciers qui sont des personnalités connues, leurs employeurs, des amis ou parents alors que les femmes recourent à des prêts sur gage et utilisent le microcrédit, qui est à la fois cher et dégradant. La destination des prêts varie également selon les genres, mais de façon moins marquée. Il s'agit relativement peu de lancer une entreprise, contrairement aux discours des promoteurs de microcrédit, mais plutôt de faire face aux dépenses quotidiennes, aux frais de scolarité et de santé, et – de façon écrasante – au coût des cérémonies (voir tableau page 76).
Certes le néolibéralisme a réussi à instiller chez les pauvres le sentiment qu'ils sont personnellement responsables de leur condition et doivent par conséquent se soumettre à tout ce qui peut leur être imposé. Mais dans le cas de la femme endettée, en tout cas dans la communauté étudiée, la dette (impayable) est avant tout envers la parentèle et la caste. Notons que le statut de la femme a subi une évolution négative, en parallèle avec la détérioration des politiques sociales, et la fin de la mise en cause de la hiérarchie de castes et le renforcement du patriarcat : là où elle représentait un bien désirable, une source de revenus sur le marché du travail et faisait l'objet de dons avant le mariage, elle est désormais perçue comme un poids et c'est la famille de l'épousée qui doit apporter une dot. Voilà qui constitue une dette initiale, tant morale que matérielle, vis-à-vis de leur propre famille. Pourtant, le recours à un endettement financier extérieur peut les aider à briser certaines contraintes familiales et le carcan des castes. Des groupes d'entraide permettent l'accès au capital financier mondialisé et ainsi d'échapper à une relation de dépendance personnelle et dans certains cas d'affirmer sa crédibilité en tant qu'agent économique. Ces groupes d'entraide ont hélas décliné avec l'emprise du microcrédit ; celui-ci permet de limiter les dettes de caste mais déplace plutôt qu'il n'élimine la domination : les femmes sont désormais dépendantes du marché : la domination se déplace et se multiplie.
La gestion des dettes par les femmes représente un travail considérable, indispensable au fonctionnement du capitalisme, et visible. Le travail, ce n'est pas seulement la production de biens et de services avec valeur marchande, c'est aussi le travail de reproduction sociale, dont fait partie la gestion du budget du ménage. Quand les ressources financières manquent, elles doivent jongler avec les créances, emprunter là pour payer ici. La complexité des opérations est illustrée par un schéma qui donne le vertige page 93. Ce travail trop souvent ignoré tant des chercheurs que des proches compense les failles du capital privé (salaires trop bas) et de l'État (manque de protection sociale). Les remboursements absorbent en moyenne 48% des revenus du ménage, dont 30% pour les intérêts. L'objectif visé par la gestion des dettes est d'en réduire le coût, en négociant les taux d'intérêt et les délais de remboursement, mais aussi en créant des circuits propres qui échappent au secteur financier. Par ailleurs le ‘travail de la dette' génère de la plus-value pour le capital, et ceci de deux façons, directement par le paiement d'intérêt et indirectement, en compensant des salaires trop bas, source évidente de plus-value pour les patrons.
En plus de leur savoir-faire et de leur ingéniosité, les femmes doivent pouvoir compter sur la solidarité. Ensemble, elles créent des interstices hors capitalisme et obligations de parenté.
La situation des femmes endettées au Tamil Nadu rappelle la condition des ouvrières de l'époque victorienne, qui assumaient de la même manière la gestion des dettes, à une différence près : la culture capitaliste du 19e siècle valorisait l'épargne alors que la spéculation actuelle multiplie les sollicitations à la dépense à crédit. Elle est similaire à celles des femmes dans bien d'autres parties du monde.
Pour conclure, si les contraintes du mariage et des liens de parenté sont tout autant des formes de violence et d'oppression sur la ‘femme endettée' que l'argent et le marché, il ne faut pas sous-estimer sa capacité à créer des espaces interstitiels de liberté (pour leur corps et pour leur parole) en dehors des règles du patriarcat et du marché.
Certains débiteurs sont davantage que d'autres astreints au remboursement, les femmes le sont au premier chef. Mais cela n'a rien d'inévitable et les campagnes pour l'annulation des dettes se multiplient. Cependant à elle seule une annulation ne suffit pas : il faut remédier aux causes structurelles de l'endettement. Enfin soyons conscient·es que si l'on tient compte de tout le travail gratuit fourni par les femmes, la situation d'endettement est renversée : les femmes sont en fait créancières d'une énorme dette de soins et à ce titre aussi il faut en finir avec la honte et la culpabilité que ressentent trop souvent les femmes endettées.
Isabelle Guérin est directrice de recherche en socio-économie à l'Institut de Recherche et Développement. Elle définit l'objet de ses travaux actuels comme étant « la financiarisation des économies, ce qu'elles produisent en termes de renforcement et reconfiguration des inégalités mais aussi d'émergence de pratiques alternatives et solidaires ».
Santosh Kumar, outre son activité de chercheur, est directeur de la Mithralaya International School of music, dance and arts qu'il a fondée en 2012.
Govindan Venkatasubramanian est un sociologue à l'Institut français de Pondichéry ; ses recherches portent entre autre sur les rapports entre travail, finance et dynamique sociale.
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G7 : Poursuite ou non de la suspension du paiement de la dette ukrainienne

Dans cet entretien publié par la CADTM, Éric Toussaint raconte les discussions (et désaccords) en cours dans les grandes puissances impérialistes concernant la dette de l'Ukraine et les sanctions contre la Russie, ainsi que des propositions que les anticapitalistes peuvent défendre.
21 mai 2024 | tiré du site d'Inprecor
Pourquoi le G7 discute-t-il de la dette de l'Ukraine ?
Depuis plus d'un an dans le cadre du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni), les dirigeants des principales puissances alliées contre la Russie suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, débattent et n'arrivent pas à trouver un point d'accord concernant le financement de la guerre et de la reconstruction de l'Ukraine.
Il faut rappeler que dans le cadre des sanctions prises par les alliés autour de l'OTAN, les actifs de la Fédération de Russie dans les pays occidentaux s'élevant à environ un peu moins de 300 milliards de dollars ont été bloqués. Et la majeure partie de ces actifs se trouve dans une « clearhouse » nommée Euroclear basée à Bruxelles.
Quels sont les créanciers de l'Ukraine ?
L'aide apportée par les États-Unis et par les puissances occidentales européennes se fait, dans le cas des États-Unis, sous forme de dons d'armes ou d'autres aides financières, tandis que les Européens fournissent les armes sous forme de dons, et tout le reste de ladite aide financière est sous forme de prêts que l'Ukraine devra rembourser. La dette de l'Ukraine s'élève à plus de 100 milliards de dollars. Les marchés financiers, c'est-à-dire de grands fonds d'investissement et des banques, parmi les grands fonds d'investissement, par exemple BlackRock et PIMCO, sont détenteurs de titres de la dette ukrainienne. Il y a aussi des fonds vautour qui rôdent et ont acheté des titres de la dette ukrainienne à des prix très bas, avec une décote de 70 à 80%. Du côté des institutions multilatérales, il y a la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, qui sont des créanciers de l'Ukraine. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international ne font aucun don et le FMI a continué pendant la guerre à exiger le remboursement de ses crédits en prélevant un taux d'intérêt élevé.
Y a-t-il eu une décision des créanciers de suspendre les remboursements demandés à l'Ukraine ?
En juillet 2022, les puissances occidentales se sont mises d'accord pour reporter tous les paiements de la dette pour une période de deux ans. En juillet 2024, si la suspension du paiement de la dette n'est pas prolongée, l'Ukraine doit reprendre les paiements.
Et en conséquence, depuis des mois, des négociations sont en cours sur ce qui va se passer après juillet 2024. L'Union européenne a reporté la date à laquelle les remboursements devront reprendre, un report de plusieurs années. Et donc, ce qui est en question, c'est principalement les remboursements aux créanciers privés, ainsi qu'à des pays qui ne sont pas directement dans l'alliance occidentale, ou qui sont même opposés à cette alliance occidentale, et notamment la Chine qui est aussi une créancière de l'Ukraine, mais aussi la Russie.
Il faut préciser également que les autorités de Kiev ne demandent pas l'annulation de la dette ukrainienne. Ils sont pour poursuivre l'endettement du pays. Le gouvernement néolibéral de Zelensky a emprunté à l'intérieur de l'Ukraine pour financer la guerre, la résistance à l'invasion russe, et a continué à emprunter à l'étranger, notamment auprès du FMI, de l'UE, etc.
En 2022, faut-il rappeler qu'une pétition avait été lancée pour l'annulation de la dette ?
Du côté des mouvements sociaux et de l'opposition de gauche à la guerre, il y a une exigence d'annuler complètement la dette de l'Ukraine pour libérer le peuple ukrainien de ce fardeau et lui permettre de résister et d'avoir droit à une reconstruction du pays conforme à ses intérêts. Une pétition mondiale a circulé dès 2022.
Pourquoi la négociation a-t-elle lieu au sein du G7 et pas du G20 ?
La négociation sur comment financer la guerre et la reconstruction se fait au sein du G7, parce que si cela devait se discuter au sein du G20, cela inclurait les puissances du Sud global, notamment les BRICS, et donc y compris la Russie et la Chine qui sont opposés à la politique occidentale de sanctions. Le Brésil, l'Inde et l'Afrique du sud sont aussi opposées aux sanctions. Par exemple bien que l'Inde soit alliée aux États-Unis, elle a augmenté depuis l'invasion de l'Ukraine ses achats de pétrole auprès de la Fédération de Russie.
Quels sont les désaccords entre les membres du G7 ?
À l'intérieur du G7, il y a des désaccords importants. Le gouvernement des États-Unis dit qu'il est possible de saisir les avoirs de la Fédération de Russie, et ces avoirs se trouvent principalement en Europe et en particulier à Bruxelles. Les États-Unis disent : « Prenons ces avoirs, ces actifs financiers, mettons-les dans un fonds pour financer la guerre et la reconstruction », tandis que les Européens, la majorité des Européens jusqu'ici, de l'Union Européenne, disent : « Non, si on fait ça, on touche à l'immunité des États, et ça ne concernera pas que la Fédération de Russie » mais surtout ce qui compte pour eux, c'est que si on saisit les avoirs de la Fédération de Russie, et notamment ceux qui se trouvent à Bruxelles, le risque c'est que les puissances comme la Chine, les États du Golfe, et d'autres pays qui placent leur argent en Europe, retirent leurs actifs financiers des banques européennes, parce que ce qui arrive à la Fédération de Russie pourrait leur arriver aussi dans le cadre de sanctions qui seraient prises contre eux pour d'autres raisons dans le futur. Et donc les Européens, et notamment Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, mais aussi le gouvernement italien, les Belges, les Français, les Allemands, sont contre qu'on touche, qu'on prenne carrément les actifs de la Fédération de Russie qui se trouve à Bruxelles, pour les conséquences que cela aurait pour l'euro comme monnaie de réserve internationale et pour les grandes banques privées européennes. L'euro perdrait son statut de monnaie de réserve, ou en tout cas son statut de monnaie de réserve internationale risquerait selon eux d'être fortement affaibli vu ce précédent. Une partie importante des dépôts de puissances comme la Chine ou du Moyen-Orient dans les banques privées européennes risqueraient également d'être retirée. Les Britanniques se rangent plutôt du côté de Washington dans cette discussion mais ils sont plus prudents que les dirigeants d'Outre Atlantique.
Vers quel compromis s'oriente le G7 ?
On va certainement vers le fait que le G7 va décider de ne pas exproprier les avoirs russes, et donc de maintenir le gel des avoirs russes, et sur la base de ces actifs russes, ils vont créer un mécanisme pour émettre des titres de la dette au nom de l'Ukraine, on peut le supposer, ou au nom d'un consortium de pays pour prêter cet argent à l'Ukraine.
Et donc, dans ce cas-là, les actifs russes serviraient de garantie aux grands fonds d'investissement et aux grandes banques qui achèteraient des titres de cet emprunt qui ensuite fournirait l'argent qui serait prêté à l'Ukraine, et qui donc augmentera de manière substantielle la dette ukrainienne.
Dans la presse spécialisée, on parle d'un emprunt de 30 milliards de dollars.
Qu'est-ce qu'il faudrait défendre comme position ?
Je dirais qu'en principe, les actifs d'un État agresseur, un État qui a envahi le territoire d'un autre, ou qui activement participe à l'agression militaire d'un autre pays, devraient pouvoir être saisis. Mais la question, c'est qui gère les actifs, et pour quels objectifs ? Et là, dans la situation internationale actuelle, on ne voit absolument pas comment serait réalisable le fait qu'une saisie soit contrôlée par les mouvements sociaux, par les citoyen·nes du pays agressé, de manière à ce que l'utilisation des fonds saisis serve réellement aux intérêts du peuple du pays agressé. La saisie des biens d'un pays agresseur devrait évidemment concerner tous les pays agresseurs et cela veut dire que les États-Unis et ses alliés qui ont réalisé de nombreuses agressions et invasions devraient être soumis à cette règle. Or ce n'est évidemment pas le cas. Les États-Unis ont multiplié depuis près d'un siècle et demi la saisie de biens d'autres États à commencer par les biens des États qu'ils agressaient ou envahissaient comme cela a été le cas à Haïti à partir de 1915, pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres.
Mais il n'y a pas que la saisie des actifs d'un pays agresseur qui devrait être prise en considération comme mesure possible. Un fonds de financement de la reconstruction de l'Ukraine et de la résistance ukrainienne à l'agression pourrait être financé ou devrait être financé par un impôt prélevé sur les grandes entreprises privées qui profitent de la guerre. Les industries d'armement allemandes, françaises, nord-américaines et d'autres pays profitent d'une manière très importante de l'augmentation des budgets militaires, des fournitures d'armes à l'Ukraine (Bien sûr du côté russe l'industrie d'armement fonctionne à plein régime également.).
C'est le cas par exemple de l'entreprise Rheinmetall en Allemagne qui fait des profits extraordinaires, mais ça concerne d'autres très grandes entreprises d'armement. Il faudrait au minimum qu'elles payent un impôt proportionnel à l'augmentation de leurs bénéfices ou égal à l'augmentation de leurs bénéfices et que ce montant soit transféré à un fonds de développement géré avec la participation directe du peuple ukrainien.
Il faudrait également qu'on saisisse les avoirs des oligarques qui profitent de l'agression de l'Ukraine, tant les oligarques russes que des oligarques ukrainiens qui profitent de la situation. Ainsi, des montants substantiels pourraient être récoltés pour financer la résistance du peuple ukrainien et la reconstruction du pays.
A noter que si on prélevait un impôt équivalent aux bénéfices supplémentaires faits par les entreprises d'armement dans le cadre de cette guerre et d'autres guerres en général, ça limiterait la propension de ces entreprises à se réjouir de la poursuite de la guerre et à y contribuer car elles n'en tireraient pas directement un bénéfice.
Les mesures en termes de saisie des biens des oligarques, de saisie, donc confiscation, expropriation de leurs biens, vont directement à l'encontre du caractère sacré de la propriété privée, et donc on n'a pas vu depuis 2022 des saisies importantes car les gouvernements occidentaux ne sont pas du tout enclins à y procéder même s'ils sont opposés à la Fédération de Russie. Il faudrait recenser exactement ce qui a été fait, mais c'était extrêmement limité et ça n'a pas été transféré dans un fonds sous contrôle des populations ukrainiennes. En fait, il n'y a eu aucun impôt spécial par rapport aux entreprises qui profitent de la guerre. J'ai parlé des entreprises productrices d'armes, mais on peut aussi parler des superprofits faits par les sociétés gazières et pétrolières qui ont bénéficié de l'augmentation énorme du prix du gaz liquide et du pétrole suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
On peut aussi parler de l'augmentation des bénéfices des entreprises qui commercialisent les céréales au niveau mondial, comme les quatre grandes entreprises multinationales qui contrôlent 80 % du marché mondial des céréales. Ce sont trois entreprises américaines et une entreprise européenne. Un impôt spécial sur les bénéfices de ces entreprises aurait dû être prélevé, devrait être prélevé, y compris de manière rétroactive à la fois pour financer les besoins de toutes les populations et pour venir en aide au peuple ukrainien. Il faut également continuer à revendiquer l'annulation de la dette ukrainienne.
Rien de cela n'est envisagé par les dirigeants du G7 et donc il faut avancer une position clairement alternative et en opposition à la politique du G7 qui vise à prolonger la guerre à la financer largement par de la dette. La position des pays membres du G7 vise à utiliser la situation y compris avec la perspective de prendre le contrôle de richesses naturelles de l'Ukraine, d'obtenir la privatisation d'entreprises publiques ukrainiennes comme l'entreprise de gaz, ainsi que l'entreprise de production et distribution électrique. Ces entreprises sont des entreprises publiques et le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, les gouvernements d'Europe, de l'Union européenne, de la Grande-Bretagne, des États-Unis voudraient les voir privatisées.
Et il faut lutter bien sûr aussi contre les grands fonds d'investissement, les grandes banques privées qui tirent profit de la guerre en prêtant de l'argent aux puissances directement investies dans cette guerre et à l'Ukraine et qui en tirent un profit important.
Il faut aussi savoir que plusieurs banques privées européennes, dont l'autrichienne Raiffaisen, les allemandes Deutsche Bank et Commerzbank, les italiennes Unicredit et Intesa Sanpaolo ont poursuivi des activités dans la Fédération de Russie. Et malgré les sanctions, elles ont multiplié par 4 leurs profits dans ce pays depuis le début de l'invasion de l'Ukraine. Elles viennent de payer 800 millions d'euros d'impôts sur bénéfices aux autorités russes sans qu'aucune mesure ne soit prise de la part des autorités européennes. Voir les révélations du Financial Times datant du 28 avril 2024.
L'auteur remercie Sushovan Dhar pour son aide.
Le 21 mai 2024.

Pourquoi publier une revue antispéciste ?

Des militantes francophones contre le spécisme publient pour la première fois une revue papier. À quoi pense le mouvement animaliste ? Quels débats le nourrissent ? Réponse argumentée et présentation de ce numéro par la corédactrice en chef de L'Amorce.
Tiré d'AOC media
Des militantes francophones contre le spécisme publient pour la première fois une revue papier. À quoi pense le mouvement animaliste ? Quels débats le nourrissent ? Réponse argumentée et présentation de ce numéro par la corédactrice en chef de L'Amorce.
Ce printemps 2024, paraît une nouveauté, L'Amorce, au sous-titre sans équivoque : revue contre le spécisme. Sous une couverture orangée, on y trouve des articles en forme de questions : « Faut-il se fier aux intuitions spécistes ? » ou « Pourquoi la droite tient-elle tant à son verre de lait ? ». On peut aussi y lire une entrevue avec le philosophe Peter Singer, auteur du fameux Animal liberation (1975). Et qui analyse la polémique sur Sandrine Rousseau et les barbecues ? Nulle autre que l'autrice de La Politique sexuelle de la viande, l'écoféministe Carol J. Adams.
Je le sais parce que je suis co-rédactrice en chef de L'Amorce. Cette revue, en ligne depuis 2018, est le fruit d'un collectif de philosophes, sociologues, intellectuelles et militantes qui s'intéressent de près au spécisme. (Nous utilisons le féminin par défaut pour certains groupes mixtes ; c'est étrange au début, mais c'est comme pour le tofu : on s'habitue). Ce qui est nouveau ce printemps, c'est que la revue est pour la première fois publiée en un volume papier aux éditions Éliott. Voilà donc l'occasion de répondre à une question aussi simple que légitime : pourquoi publier une revue antispéciste ?
À bien y penser, je vois au moins quatre raisons.
La première raison, c'est que nous avons raison. Il existe bel et bien une oppression massive, violente et omniprésente, contre les animaux. Qui plus est, cette oppression passe largement inaperçue. Il faut donc en parler. Le spécisme, cette discrimination en fonction de l'espèce, n'est pas seulement un concept abstrait : des dizaines de milliards d'animaux terrestres (sans compter d'innombrables animaux aquatiques) sont élevés et envoyés chaque année à l'abattoir alors que l'on sait pertinemment qu'on pourrait s'en passer.
Dire, un peu crânement, je vous l'accorde, que nous avons raison, c'est dire que le spécisme existe et qu'il y a d'excellentes raisons morales de le combattre. C'est assumer son identité de revue militante. Comment rester indifférents et ne pas vouloir amorcer (et oui) un changement culturel lorsqu'on prend la mesure des violences spécistes ?
En philosophie morale, presque personne ne soutient sérieusement qu'il est légitime de discriminer les individus en fonction de l'espèce. Comme le montre François Jaquet dans son dernier livre, Le pire des maux : éthique et ontologie du spécisme, le spécisme, tout comme le racisme, viole un principe fondamental d'égal traitement des individus. Nous avons raison, mais nous savons aussi que les gens s'en remettent rarement à la raison dans leurs jugements moraux. Dans ce premier numéro de L'Amorce, le philosophe suisse interroge la psychologie morale des intuitions spécistes, celles-là mêmes qui conduisent à minimiser ou ignorer les intérêts des animaux.
Ces intuitions, constate-t-il, s'expliquent par le tribalisme et la dissonance cognitive. On perçoit moralement les animaux comme des membres d'une autre tribu, et on ajuste nos croyances à nos pratiques – culinaires notamment. Puisque ces facteurs explicatifs sont sans rapports avec la vérité des intuitions spécistes, il s'ensuit qu'elles ne sont pas fiables. Pour penser le spécisme, il faut donc se méfier de nos intuitions – qui correspondent au système 1 du psychologue Daniel Kahneman – et examiner des arguments en mobilisant le système 2, la raison. À la réflexion, n'est-ce pas ce qu'essaye de faire une revue ?
La seconde raison de publier, c'est de rassembler. Car un volume papier, c'est d'abord ça : réunir sous une même couverture des auteurs et des autrices dont on juge la parole pertinente. Et ce faisant, créer du lien, constituer un « nous ». Car ce rassemblement a bien sûr un sens politique. Il signale une présence : nous sommes nombreux, y compris dans le monde universitaire, à penser que nous avons un gros problème avec le spécisme. En ce sens, publier une revue antispéciste, c'est donc participer à un mouvement social et politique, à un projet collectif.
La revue s'ouvre d'ailleurs avec un texte collectif, La Déclaration de Montréal sur l'exploitation animale, lancé le 4 octobre 2023. Signée par plus de 500 philosophes moraux et politiques, elle ne plaide pas pour la viande locale ou bio, mais condamne explicitement toute forme d'exploitation des animaux sentients, c'est-à-dire capables d'éprouver du plaisir, de la douleur ou des émotions. Lorsqu'il m'arrive d'avoir des doutes (déformation professionnelle), je me souviens qu'il existe une expertise philosophique, et que ce n'est pas demain la veille que 500 philosophes moraux et politiques seront prêts à se commettre pour défendre l'exploitation animale.
Mais quand bien même les antispécistes auraient tout faux, cela ne changerait rien à la troisième raison de publier : c'est intéressant. Contrairement à ce qui se passe pour la plupart des gens – ce qui inclut la plupart des journalistes et des intellos – il faut bien comprendre que, pour les animalistes, la question de l'éthique de l'exploitation animale est réglée depuis longtemps. Nous nous intéressons aujourd'hui à d'autres questions, plus pragmatiques, plus politiques.
L'humanisme de la gauche possède un revers embarrassant : le suprémacisme humain.
D'ailleurs, où situer politiquement l'animalisme ? Si les organisations féministes manifestent souvent leur soutien à Black Lives Matter, aux immigré·es ou aux homosexuel·les, « les groupes animalistes restent en dehors de ces solidarités progressistes », constate Will Kymlicka. Cela viendrait d'une croyance profondément enracinée en chacune, à savoir que la valeur de l'humanité réside dans sa différence avec l'animalité.
On le voit bien avec les métaphores et les insultes animalières utilisées pour dévaloriser, en les déshumanisant/animalisant, des groupes vulnérables (femmes, musulman·es, Noir·es), ceux-là même que défend la gauche. Et le philosophe canadien de résumer : « L'argument le plus courant en faveur des droits des animaux repose sur la continuité entre les humains et les animaux ; à l'inverse, l'argument le plus courant pour les droits des groupes déshumanisés repose sur une discontinuité radicale entre les humains et les animaux. » Qui l'eut cru, l'humanisme de la gauche possède un revers embarrassant : le suprémacisme humain.
Un écho très concret de ces préoccupations résonne dans la lettre ouverte qu'adressent des militantes antispécistes – des orphelines de la gauche – aux féministes. Les autrices proposent à leurs alliées une « solidarité passive », le respect d'un principe de non-nuisance. Concrètement, cela implique par exemple « de cesser d'alimenter le spécisme via des slogans suprémacistes humains (« nous ne sommes pas des animaux », ou encore « nous ne sommes pas du bétail », « ni viande ni objet ») » ou que l'option végétalienne soit offerte par défaut dans les rassemblements militants.
De même, au Brésil, explique Sandra Guimarães en entrevue, le mouvement du « véganisme populaire » construit des ponts avec la lutte des paysans sans terre et d'autres mouvements de justice sociale. L'activiste brésilienne du réseau antispéciste UVA (União Vegana de Ativismo) s'empare de thèmes comme la réforme agraire, l'agroécologie, la souveraineté alimentaire ou la décolonisation des pratiques agricoles. Pour elle, toute bonne stratégie doit tenir compte des besoins des gens : « La vie du peuple est tellement difficile que si la lutte n'améliore pas concrètement la vie des classes populaires dans le présent, elle ne fera jamais sens pour nous. »
En Amérique du Nord, les masculinistes se moquent des soy boys, ces hommes véganes soi-disant féminisés par le soja. Mais ce n'est pas tout. Comme le rappelle Élise Desaulniers, l'extrême droite instrumentalise aussi un fait biologique, à savoir que tous les êtres humains ne sont pas égaux devant la digestion du lait, pour valoriser la « race blanche ». En effet, seules les populations (adultes) qui possèdent une mutation génétique capitale, la « persistance de la lactase » peuvent digérer le lait. Pour les personnes d'ascendance européenne et des peuples nomades d'Afrique, c'est un héritage de leur ancêtre ayant domestiqué les vaches. Ajoutez à cela la couleur du lait et voyez comment l'extrême-droite peut en faire un symbole qui conjugue suprémacisme humain et suprémacisme blanc. Avouez que c'est intéressant.
Publier une revue antispéciste, c'est rassembler en créant des juxtapositions inédites : c'est touiller de l'information et lancer des idées. Que se passera-t-il dans la tête des lectrices qui liront un article sur l'intelligence artificielle, un autre sur la souffrance des animaux dans la nature et un troisième sur le Black veganism ? Quelles connexions inédites vont s'enclencher ?
Publier une revue contre le spécisme, c'est chercher une reconnaissance intellectuelle.
Quant à la quatrième raison, c'est qu'il y a de la place pour nous. Hélas. La couverture médiatique est en effet saturée de spécisme : presque tous les vecteurs d'information tiennent pour acquis que l'espèce est un critère de discrimination légitime. Or, pour avoir un marché libre des idées, il est crucial que toutes les positions soient exprimées (et en particulier les bonnes !). Cette dernière raison, même nos détracteurs devraient l'endosser. Brisons les monopoles idéologiques et accueillons, sous vos applaudissements, une nouvelle perspective cohérente et radicale.
La revue mérite en particulier d'exister dans l'espace informationnel francophone. Car L'Amorce n'est pas particulièrement une revue française. Cinq d'entre nous vivent à Montréal ou sont québécoises, l'un vient de Suisse, deux vivent en Angleterre et une demeure même à la campagne, en Ardèche. De fait, nous sommes bien placées pour apprécier la lenteur d'allumage relative des intellos aux enjeux animalistes dans divers pays. Et la France ne nous impressionne pas beaucoup.
Dans les journaux, lorsqu'on s'aventure à parler d'antispécisme, on équilibre aussitôt le papier avec « l'autre côté de la médaille ». Des ouvrages publiés par des journalistes (par exemple du Figaro ou de Philosophie magazine) prétendent invalider l'antispécisme. Ils agitent le spectre de la panique morale et hurlent au loup, ce qui ne contribue pas à élever le débat. Je me souviens en particulier d'un dialogue de sourds lorsque Valéry Giroux fut invitée par Alain Finkielkraut sur France Culture à défendre son Que sais-je ? sur l'antispécisme.
Notre projet consiste à offrir des analyses que l'on n'entend pas à la radio. Ainsi, Valéry Giroux pose dans ce numéro une question qui fâche, impubliable ailleurs : les véganes qui, comme moi, se privent au quotidien des délices tirées de l'exploitation animale, ne le feraient-il pas pour rien ? Quelle est l'efficacité réelle du boycott végane ? Avec sa rigueur habituelle, la philosophe québécoise analyse la plus récente littérature scientifique sur le sujet et conclut qu'il existe de bonnes raisons non seulement déontologiques, mais aussi conséquentialistes de se priver (ouf !). Elle s'inscrit par-là dans le courant très « esprit critique » ou zététique qui se développe depuis quelques années dans le monde animaliste – et dont Florence Dellerie est une autre représentante, en plus d'avoir paré ce premier numéro de ses croquis animaliers.
En définitive, je crois que c'est une certaine reconnaissance intellectuelle que l'on va chercher lorsqu'on décide de publier une revue contre le spécisme. C'est la responsabilité de contribuer au débat et le droit de répliquer lorsqu'on juge que des intellos disent n'importe quoi sur le sujet. Ce qui arrive plus souvent qu'autrement. Thomas Lepeltier, dont la revue papier reprend une tribune contre certaines thèses environnementalistes, a écrit tout un livre sur le sujet, L'imposture intellectuelle des carnivores.
Les intellos sont responsables de ce qu'ils écrivent. Ainsi, lorsque Baptiste Morizot attaque l'antispécisme avec un mauvais argument, nous estimons devoir lui répondre (« Un philosophe confondant »). Lorsque l'anthropologue Charles Stépanoff cire les bottes des chasseurs français, nous pensons qu'une riposte est requise (« Un anthropologue chachant chacher »). Publier une revue contre le spécisme, c'est assumer le contre. C'est tenir son cap dans la bataille des idées et donner le change aux défenseurs du spécisme.
En résumé, je vois au moins quatre raisons, en 2024, de publier une revue francophone contre le spécisme : parce qu'il y des raisons morales de combattre cette discrimination, parce que c'est politiquement rassembleur, parce que c'est intéressant et pour donner à la critique du spécisme la place légitime qui lui revient dans le monde des idées. Gageons que ce sont autant de raisons de lire une revue antispéciste.
NDLR – Après cinq ans d'existence en ligne, le revue L'Amorce a publié un premier numéro papier paru le 17 avril.
Martin Gibert
PHILOSOPHE, CHERCHEUR EN ÉTHIQUE DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AFFILIÉ AU CENTRE DE RECHERCHE EN ÉTHIQUE (CRÉ) ET À L'INSTITUT DE VALORISATION DES DONNÉES (IVADO) À L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

L’ascension d’un nouveau paradigme économique : le cybersocialisme

Si l'histoire est écrite par les vainqueurs, la multiplication des échecs de l'hégémon capitaliste nous invite à revisiter le passé pour explorer des solutions négligées. Telle est l'approche de Cédric Durand et Razmig Keucheyan dans leur ouvrage « Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique », où les auteurs mobilisent l'histoire et des institutions existantes pour proposer un modèle alternatif concret, bien qu'ambitieux.
23 mai 2024 | Joutnsl des Alternatives
https://alter.quebec/lascension-dun-nouveau-paradigme-economique-le-cybersocialisme/?utm_source=Cyberimpact&utm_medium=email&utm_campaign=Sinformer-et-agir--lactualite-a-ne-pas-manquer-avec-le-Journal-des-Alternatives
Cédric Durand était l'invité d'un séminaire organisé par l'atelier d'Écologie sociale du capitalisme avancé (ESCA) en collaboration avec l'Institut de recherches et d'informations socioéconomiques (IRIS Québec) et le Centre de recherche sur les innovations et les transformations sociales (CRITS) pour défendre la dimension économique de son livre qu'il a écrit en collaboration.
Repenser le rapport avec la nature
Si les adeptes du modèle néolibéral attribuent les failles du marché à une trop grande ingérence de l'État dans l'économie, selon Cédric Durand, nous avons aujourd'hui perdu la maîtrise de notre rapport avec la nature. Mais comment restaurer le métabolisme entre les humains et la planète Terre quand « le capital ne sait pas payer pour des choses qui ne rapportent absolument rien ». Pour les auteurs cela implique d'inverser la dialectique d'efficacité et de protection de l'environnement.
Face à cela, le capitalisme vert est une fausse bonne idée, selon M. Durand. D'une part, le principe du « pollueur-payeur » est injuste, car il implique que plus on est riche, plus on a le droit de polluer. Mais en plus, les incitatifs sont souvent mal définis et donc inefficaces. La nature, dans sa complexité, et sa multiplicité dépassent grandement le raisonnement économique traditionnel.
La planification : un outil de regain de contrôle
Face à ces enjeux, les auteurs proposent de raviver l'antagoniste historique du marché : la planification. Mais qu'est-ce que la planification économique ? Elle consiste à nationaliser les moteurs stratégiques de l'économie et à offrir une politique de crédit selon les priorités planifiées, permettant ainsi aux individus de se réapproprier les modes de production.
Cette planification doit être technologique, écologiquement viable et démocratique. Contrairement au XXe siècle, les progrès technologiques en matière d'information permettent aujourd'hui une planification plus précise et efficace. On peut désormais utiliser une panoplie d'outils pour mesurer l'impact écologique et intégrer ces données dans l'évaluation de la viabilité des entreprises.
Une démocratie renforcée par la planification
Dans l'imaginaire collectif, le modèle économique libéral est souvent perçu comme le seul défenseur de la démocratie face aux économies planifiées autoritaires. Cependant, Durand et Keucheyan soutiennent que la démocratie peut légitimer la planification. En effet, il s'agirait de choisir entre plusieurs scénarios possibles, avec une implication directe du peuple dans les décisions à l'échelle nationale et locale.
Cette transition nécessiterait une profonde modification de nos modes de consommation, telle qu'exigée par les crises écologiques et sociales. Bien que la planification soit souvent associée à la dictature des besoins, comme dans le communisme soviétique, cela n'est pas une fatalité. Plusieurs outils peuvent être mis en place pour éviter ces dérives, notamment en éliminant les besoins artificiels imposés par le marketing et de rendre la consommation plus intelligente et consciente des réalités humaines et sociales.
Le renforcement des services publics jouerait également un rôle crucial en allégeant le poids de l'incertitude et de la précarité sur les populations. Grâce à des services publics robustes, les individus seraient libérés de nombreuses contraintes économiques privées. Par exemple, on pourrait se rendre au travail ou se promener dans un parc sans se soucier de la facture d'hôpital en cas d'accident. Ces services publics garantiraient un filet de sécurité, permettant.e de vivre sans la peur constante de l'insécurité.
En somme, les auteurs envisagent un modèle « cyber-socialiste » où la technologie et la planification écologique se combinent pour offrir une alternative viable et inspirante au capitalisme. Bien qu'ils proposent une réponse claire à la question « que faire ? », l'éternelle question du « comment ? » reste en partie insoluble.
Pour en savoir plus, on vous invite à lire « Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique » de Cédric Durand et Razmig Keucheyan, aux éditions La découverte.

Vers un grand mouvement écosocialiste international

La sixième Rencontre écosocialiste internationale et la toute première Rencontre écosocialiste d'Amérique latine et des Caraïbes a eu lieu du 9 au 11 mai dernier à Buenos Aires. Cet événement a réuni environ 300 personnes d'une quinzaine de pays pour discuter des stratégies de résistance contre le capitalisme et pour explorer des alternatives nécessaires et urgentes à ce système. Il a été unanimement reconnu qu'un fort mouvement écosocialiste international est la clé pour répondre aux crises écologiques et sociales actuelles.
Tiré d'Alter Québec.
La rencontre a mis en évidence l'urgence d'agir face aux limites planétaires et à la menace que représente le modèle actuel de production et de consommation. Les participant.es ont souligné l'importance de construire un monde fondé sur la justice climatique, environnementale et sociale. Ces dernier.ères ont discuté des diverses luttes menées par différents groupes dans le monde entier, cherchant à transformer radicalement le système actuel. Les discussions ont mis en avant la résistance contre l'accumulation de capital et les privilèges d'une minorité qui détruit les biens communs.
De plus, l'événement a insisté sur le besoin urgent de dépasser la simple survie en tant qu'espèce. Les participant.es ont exprimé leur engagement à construire une alternative au capitalisme actuel, qu'il soit néolibéral, colonial, extractiviste, raciste ou patriarcal. Dans cette perspective, l'écosocialisme se présente comme la voie privilégiée, éloigné des formes d'exploitation dominantes.
Plaidoyer pour un vaste mouvement international écosocialiste
Le panel de clôture, intitulé « Vers un grand mouvement écosocialiste international », a marqué un moment fort de la rencontre. Modéré par Juan Tortosa (Solidarités Suisse), il a réuni des figures clés telles que Germán Bernasconi (Poder Popular Argentine), Sébastien Brulez (Gauche anticapitaliste de Belgique), Felipe Gutiérrez Ríos (Observatorio Petrolero Sur argentin) et Vanessa Dourado d'ATTAC Argentine.
Le débat s'est ouvert sur l'importance de replacer les luttes écologiques dans une perspective historique et culturelle, en se connectant à la nature de manière profonde. Par exemple, les limitations du progressisme actuel ont été soulignées, avec un accent mis sur l'agroécologie comme solution viable pour nourrir à la fois les familles individuelles et la population dans son ensemble. En effet, cette approche de l'agriculture permet de produire la nourriture de manière durable en harmonie avec les écosystèmes naturels, tout en soutenant les communautés locales et en réduisant la dépendance aux intrants chimiques.
Les discussions ont également reconnu la diversité des visions du socialisme moderne parmi les participant.es, mais ont affirmé un consensus anticapitaliste fort. D'après Vanesa Dourado (ATTAC Argentine), cette diversité de perspectives doit être considérée comme un enrichissement pour le mouvement, tout en mettant également en lumière l'importance des luttes territoriales en tant que bastions essentiels de résistance.
La nécessité d'une réinvention de l'espoir face à la cooptation des agendas capitalistes par des partis supposément de gauche — notamment le PS européen — a été un point crucial du débat. Les participant.es ont insisté sur l'importance d'un mouvement de masse pour un véritable changement systémique, soulignant que ce changement ne peut être atteint que par une mobilisation collective large et inclusive. Cet appel nous encourage à poursuivre le travail que nous faisons au Journal des Alternatives, notamment sur l'importance de l'internationalisme comme fondement essentiel pour la réalisation de changements durables, y compris dans la perspective d'une action politique électorale.
En conclusion, les participant.es ont exprimé leur détermination à renforcer leurs organisations et à poursuivre la lutte contre le capitalisme sur tous les continents. L'idée de continuer à grandir et à se préparer pour les futures batailles a été mise en avant, avec l'engagement de se réunir à nouveau pour lutter où que ce soit, sur n'importe quel continent. Ainsi, la concertation des luttes écosocialistes entend se poursuivre avec la 2e Rencontre écosocialiste d'Amérique Latine et des Caraïbes à l'occasion de la 30 COP, qui se tiendra à Belém, au Brésil, l'année prochaine.
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La 6e Rencontre écosocialiste internationale et la 1re Rencontre écosocialiste d’Amérique latine et des Caraïbes se sont terminées

La ville de Buenos Aires a accueilli pendant 3 jours (9, 10 et 11 mai) environ 250 militant·es venu·es de 30 pays différents. Après plus d'un an de préparation, nous avons réussi à nous réunir dans l'Auditorium de l'ATE (Association des Travailleurs de l'État) pour discuter et essayer de penser à des stratégies pour alimenter la résistance dans la bataille contre le système capitaliste.
23 mai 2024 | tiré de site du CADTM
https://www.cadtm.org/La-6e-Rencontre-ecosocialiste-internationale-et-la-1re-Rencontre-ecosocialiste
Comme l'a dit Michael Löwy, cet événement écosocialiste est « historique ». "On perçoit que l'axe de l'écosocialisme mondial se déplace du centre vers la périphérie... car nous sommes confrontés à une crise écologique très grave qui affecte davantage le Sud.
Nous le constatons actuellement au Brésil, dans la région du Rio Grande do Sul, dont la capitale, Porto Alegre, a été inondée, faisant des centaines de mort·es, des disparu·es et des millions de sinistré·es. Cette catastrophe est étroitement liée à la déforestation en Amazonie (entre 2020 et 2021, l'Amazonie brésilienne perdra 8712 km2 de forêt), qui est à l'origine du réchauffement climatique, les sols n'absorbant pas. Ce phénomène est aggravé dans cette région par la substitution de la biodiversité par des méga-cultures de soja et des méga-productions bovines. Tout cela est encouragé par le banc ruraliste du Congrès fédéral, connu sous le nom de « banc de bœufs », qui s'emploie à détruire la « législation environnementale ».
De nombreuses questions ont été abordées au cours de ces journées intenses et enthousiastes. Elles ont commencé par le panel des histoires des Rencontres écosocialistes internationales avec Juan Tortosa de SolidaritéS (Suisse), Alice Gato de Climáximo (Portugal), Iñaki Bárcenas de EH Gune Ecosozialista (Pays basque) et la modératrice Vanesa Dourado d'ATTAC Argentine. Ils ont souligné la nécessité d'« agir globalement », d'avoir « un projet de société différent du capitalisme » et que la transition industrielle en Europe « ne peut se faire au détriment de l'Amérique latine et des Caraïbes ».
Plusieurs ateliers se sont déroulés simultanément : sur l'extractivisme dans le Cerrado brésilien et la restriction des ressources en eau, ou encore sur les débats écomarxistes avec Facundo Nahuel Martín, du CONICET Argentine, Iñaki Barcena de EH Gune Ecosozialista et modérés par Martina Eme Halpin de Poder Popular.
Enfin, au même moment, l'atelier Racismes environnementaux s'est tenu avec les camarades brésiliennes Natália Chaves, co-conseillère de la Banque féministe de São Pablo, du PSOL, et Joziléia Kaingang, Coordination nationale des femmes indigènes, et Gregorio Mejía du Syndicat des travailleur·euses et de la centrale unitaire des travailleur·euses de Colombie. Mejía a dénoncé le fait que « sans eau ni nourriture, à cause de la contamination de l'extractivisme, les gens sont la proie du trafic de drogue ». Cháves a déclaré : « La révolution sera indigène et noire ou ne sera pas ».
Pendant le déjeuner, les participant·es ont échangé les points de vue et les idées qui ont émergé au cours des différents ateliers. L'une d'entre elles est celle d'Evelyn Vallejos, de Catamarca, qui a déclaré « être venue avec l'intention de contribuer à la construction d'un programme commun et d'une stratégie mondiale avec lesquels nous pourrons faire face à la droite internationale ».
Les ateliers ont repris dans l'après-midi, l'un d'entre eux traitant de la réalité de la situation face à la dépossession : Spoliation des territoires et des corps, auquel ont participé Karina Navone de l'ISP (Argentine), Emilio Téllez du Sindicato Nacional del Bosque (Mexique), María Eva Koustsovits de l'ATE Nacional (Argentine), Iñigo Antepara de EH Gune Ekosozialista (Pays Basque), Edid Escobar du Congreso de los Pueblos (Colombie) et la participation virtuelle de Rafaela Pimentel de Territorio Doméstico (Espagne).
Simultanément, l'atelier Libre-échange et environnement : une tension insurmontable dans le capitalisme ? s'est tenu avec Luciana Ghiotto du Transnational Institute et d'ATTAC Argentine, Pablo Solón de l'Assemblée mondiale pour l'Amazonie (Bolivie), Julio Gambina de CPI/ATTAC Argentine et Francisca Fernández Droguett du Movimiento por el Agua y los Territorios MAT et de l'Escuela Popular Campesina de Curaco de Vélez (Chili).
Ce même après-midi, a eu lieu l'atelier sur le changement climatique et le militarisme, animé par Juan Tortosa de SolidaritéS (Suisse), avec la participation d'Elsa Bruzzone du CEMIDA (Argentine), de Tárzia Madeiros du Setorial Ecossocialista do PSOL (Brésil) et, virtuellement, de Nick Buxton du Transnational Institute.
Les ateliers se sont poursuivis par une série de débats sur le climat, la science et l'écosocialisme, avec la participation de José Seoane de l'IEALC (UBA) d'Argentine et de João Camargo de Climáximo (Portugal), tandis qu'Alexandre Araújo Costa de l'Universidade Estadual do Ceará du Venezuela et Liliana Buitrago de l'Observatoire d'écologie politique du Venezuela y ont participé virtuellement.
Parallèlement, un atelier sur la dette et la financiarisation de la nature a été organisé, animé par María Elena Saludas du CADTM/ATTAC Argentine, avec la participation de : Fernanda Gadea d'ATTAC Espagne, Éric Toussaint, porte-parole du CADTM International et Beverly Keene, membre de Dialogue 2000 et coordinatrice de Jubilé Amériques du Sud.
L'atelier sur le droit et la transition écosociale a suscité un grand intérêt, avec la participation des députés PSOL Brésil Renato Roseno de Ceará et Flavio Serafini de Rio de Janeiro, ainsi que Claudio Katz, économiste de la gauche argentine (EDI) et Joziléia Kaingang de l'Articulation nationale des femmes indigènes (Brésil). M. Katz a affirmé que « les scénarios de catastrophe environnementale n'ont pas de solution avec le capitalisme ». Il a été démontré qu'il est impossible d'humaniser le capitalisme. En ce sens, Roseno a expliqué que « la logique du capital a toujours été irrationnelle, le socialisme est la seule possibilité de survie » et que, par conséquent, « nous devons recréer les formes politiques ». « L'un des piliers de la droite est la propagande des valeurs conservatrices sous l'idée d'un passé meilleur », a-t-il ajouté, précisant que « notre défaite a été idéologique ». La jeunesse marginalisée de la périphérie a été éduquée avec des valeurs réactionnaires. La contre-culture a été cooptée par la droite. M. Serafini a ajouté une autre réflexion sur le scénario : « Nous ne pouvons pas céder à l'idée que Twitter est la liberté, qu'il a un propriétaire derrière lui, qu'il est de droite et qu'il intervient dans l'avenir politique des pays ».
L'après-midi, un atelier sur les luttes territoriales et la criminalisation a été présenté, modéré par Germán Bernasconi de Poder Popular et avec la participation de : Mariana Katz de l'équipe des peuples indigènes du SERPAJ (Argentine), Enzo Brizuela de l'Assemblée Algarrobo (Andalgalá, Argentine), Silvina Álvarez de Mar Libre de Petroleras Red de Comunidades Costeras (Mar del Plata, Argentine), Evelyn Vallejos de l'Unión de Trabajadores de la Economía Popular (UTEP) (Catamarca, Argentine), Matías Crespo de Marabunta (Chubut, Argentine), Mauricio Cornaglia de la Marcha de los Barbijos de Rosario (Argentine) et de l'Asamblea Popular por el Agua (Mendoza, Argentine).
La journée s'est terminée par une invitation à regarder l'excellent documentaire El Paraná : La Disputa por el Río au cinéma Gaumont. Ce film d'Alejo di Rissio et Franco González, qui se sont aventurés le long du bassin du Paraná pour explorer la réalité profonde des riverains, parle des projets d'exportation mondiaux et de la mesure dans laquelle ils affectent les pêcheurs, les insulaires et les communautés locales. Il met l'accent sur la perte absolue de souveraineté.
Le dernier jour de cette réunion cruciale s'est déroulé le samedi 11 avec la transmission en direct du débat écosocialiste avec la participation de : Suelma Ribeiro de la Rede Brasileira de Eccosocialistas (Brésil), Jawad Moustakbal d'ATTAC CADTM Maroc et la présence virtuelle de Michael Lowy de la IVe Internationale. La conférence était animée par Arlindo Rodrigues du Rede Brasileira de Eccosocialistas (Brésil). M. Lowy a déclaré que « le changement climatique est la pointe la plus dramatique de la crise environnementale, une menace sans précédent dans l'histoire de l'humanité ». Il a ajouté : « Nous sommes les passagers d'un train suicidaire appelé civilisation industrielle capitaliste moderne et la tâche urgente est de l'arrêter. C'est la révolution que nous devons faire ».
Puis ce fut le tour de l'atelier COP 30 : Premier entretien de la réunion d'Amérique latine et des Caraïbes, animé par Júlia Câmara de Subverta PSOL (Brésil) et dont les intervenants étaient : Pablo Solón de l'Assemblée mondiale pour l'Amazonie (Bolivie), Alice Gato de Climáximo (Portugal), Arlindo Rodrigues de Rede Brasileira de Eccosocialistas (Brésil) et Eduardo Giesen de Grupo Iniciativa Ecosocialista (Chili). Solon a déclaré : « Nous avons un consensus, personne ne croit aux COP. Par conséquent, nous devons proposer un accord différent de l'accord de Paris et aller de l'avant ». « Nous devons conclure un accord qui soit le fruit d'un débat avec les communautés et les mouvements », a proposé M. Rodrigues. Dans ce sens, Lexe a indiqué que « faire un contre-sommet, c'est profiter du fait que l'attention est là et que, depuis les socialismes, nous devons nous mettre au premier plan ». « Un contre-accord est fondamental, mais il doit être soutenu par une rupture écosocialiste. La COP doit être empêchée et brisée », a prévenu M. Gato.
Après le déjeuner, l'atelier Souveraineté alimentaire : l'agroécologie en tant que pratique politique a débuté, animé par Fernando González Cantero du CONICET (Argentine), avec la participation de Perla Britez de CONAMURI-Vía Campesina (Paraguay), de la Fédération rurale et de Damian Verzeñassi de l'Institut de la santé socio-environnementale. Après l'atelier, Mme Britez a déclaré : « Dans la Via Campesina, nous disons qu'il faut mondialiser la lutte et l'espoir, car la résistance est territoriale, mais le capitalisme est mondial ». Yanina Settembrino a ajouté qu'en Argentine, « 60% de ce que les familles consomment aujourd'hui est produit par l'agriculture familiale ».
Parallèlement, l'atelier Énergie et capitalisme s'est déroulé, sous la direction de Carla Isarrualde, de l'organisation 19 de Diciembre (Argentine). Les participants étaient Melisa Argento du Colectivo de Acción por la Justicia Ecosocial (CAJE) et de l'Asociación Argentina de Abogadxs Ambientalistas (Argentine), Nicolás Nuñez d'Ambiente en Lucha et membre de la Coordinadora BFS (Argentine). Nuñez a averti que « loin d'être d'accord avec l'hypothèse de l'effondrement, la crise environnementale ne détruira pas le capitalisme. Une crise environnementale ne détruira pas le capitalisme, mais celui-ci s'effondrera grâce à la pratique politique d'une lutte organisée ». Bertalot a expliqué : « D'une certaine manière, l'histoire du capitalisme est l'histoire de la consommation d'énergie fossile ». « Les énergies renouvelables au sein du capitalisme se font aussi sous la règle de l'extractivisme de l'accumulation par dépossession », a-t-il poursuivi, ajoutant qu'en plus de l'aliénation des travailleur·euses de ce qu'ils produisent, « on pourrait aussi parler d'une aliénation du flux d'énergie de la production grâce à la mécanisation ».
Deux ateliers simultanés ont suivi. L'un d'eux était Ecoféminismes, animé par Paula Delfino de Marabunta (Argentine) et auquel ont participé : Juana Antieco qui est Kimelfe (éducatrice traditionnelle de la communauté Mapuche Tehuelche Newentuaiñ Inchin de Costa Lepa), Francisca Fernández Droguett du Movimiento por el Agua y los Territorios MAT et de l'Escuela Popular Campesina de Curaco de Vélez (Chili), Natália Chaves, co-conseillère de la Banca Feminista de São Pablo du PSOL (Brésil), et Jessi Gentile de la Coordinadora de la Red Ecosocialista MST et membre de la Coordinadora BFS (Argentine). Juana Antieco a déclaré : « Il est fondamental de passer de la résistance à la construction politique ». Droguett a déclaré : "L'écoféminisme est pour et par les gens, pas seulement les femmes. Nous partons de nos propres expériences d'oppression, mais nous nous battons pour les gens.
Analía Zárate de l'Observatorio Petrolero Sur - FOL (Argentine), Ariel Moreno, travailleur de Secco PTS (Argentine) et Luján Rodriguez de Marabunta (Argentine) ont participé à l'atelier sur les perspectives de classe pour la transition énergétique. Il était animé par Martín Álvarez de l'Observatorio Petrolero Sur (Argentine). M. Zárate a lancé un avertissement : « Nous devons réfléchir à la transition énergétique en fonction des intérêts qui seront en jeu et de la manière dont nous allons nous positionner. Jusqu'à présent, il ne semble pas y avoir d'autre voie que l'extractivisme ». En ce sens, M. Moreno a déclaré : « Nous nous battons pour que la transition aille de pair avec la nationalisation des entreprises énergétiques, afin qu'elles soient sous le contrôle des travailleur·euses ».
Après de longs et puissants débats, le dernier panel, intitulé « Vers un grand mouvement écosocialiste international », a pris place. Il était modéré par Juan Tortosa de SolidaritéS (Suisse) et réunissait Vanessa Dourado d'ATTAC Argentine, Germán Bernasconi de Poder Popular Argentine, Felipe Gutiérrez Ríos de Marabunta et de l'Observatorio Petrolero Sur d'Argentine, et Sébastien Brulez de Gauche Anticapitaliste de Belgique, ce dernier représentant ceux qui accueilleront la prochaine Rencontre écosocialiste internationale qui se tiendra en 2026.
Dans le panel de clôture, Gutiérrez Ríos a expliqué que « le capitalisme a généré un concept d'environnement qui n'a pas d'histoire. Et c'est le cas. Le Pehuén (arbre sacré de la mythologie mapuche) d'aujourd'hui n'est pas le même qu'il y a 500 ans. Nous faisons partie de cette nature ». « Cela n'a pas de sens d'être dans le wagon de queue du progressisme actuel parce que nous savons, et cela a été démontré, qu'il ne sert pas à résoudre le problème entre le capitalisme et la nature », a-t-il averti. « Penser la préfiguration comme un espace de pouvoir. L'agroécologie, non pas comme un moyen de nourrir ma famille, mais comme un moyen de nourrir l'ensemble de la population », a-t-il prédit. Ce fut ensuite au tour de Vanesa Dourado d'ATTAC Argentine, qui a déclaré à propos de cette réunion : « Il est clair que nous avons des différences sur la façon dont le socialisme devrait être aujourd'hui. Mais nous sommes d'accord sur le fait que nous sommes en rupture, que nous sommes anticapitalistes. Il y a eu un accord sur le fait que les mouvements de lutte, les mouvements territoriaux, sont les lieux de lutte. C'est là que nous pourrons gagner », a-t-il déclaré. M. Brulez a mis en garde contre le fait que « le PS européen a réalisé l'agenda capitaliste avec l'aile droite », de sorte qu'« il est nécessaire de réinventer l'espoir ». C'est le monde écosocialiste. « Le changement systémique ne se produit qu'avec un mouvement de masse, c'est comme ça », a-t-il conclu.
Nous nous sommes quittés en rappelant les paroles de Felipe Gutiérrez Ríos :
« Maintenant, nous allons retourner dans nos territoires et nous allons nous réunir à nouveau, revenons avec des triomphes la prochaine fois. Faisons grandir nos organisations, que les capitalistes se méfient car nous allons nous réunir à nouveau et nous allons continuer à lutter où que nous soyons, sur n'importe quel continent ».
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