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Manifestation de solidarité avec la Palestine à Québec

9 avril 2024, par PTAG — , ,
Le 7 avril dernier, plusieurs centaines de personnes se sont réunies devant l'Assemblée nationale à Québec pour dénoncer les attaques génocidaires contre le peuple palestinien (…)

Le 7 avril dernier, plusieurs centaines de personnes se sont réunies devant l'Assemblée nationale à Québec pour dénoncer les attaques génocidaires contre le peuple palestinien de Gaza. Elles ont scandé des slogans dénonçant la complicité du gouvernement canadien et du gouvernement du Québec et ont demandé que ces gouvernements exigent un cessez-le-feu immédiat. Les manifestant-e-s se sont ensuite dirigé-e-s vers le consulat américain pour dénoncer sa complicité des États-Unis dans les massacres de l'armée israélienne.

Nous présentons ci-dessous, la prise de parole faite à l 'ouverture de la manifestation qui a rappellée les revendications de cette importante mobilisation et la diversité des appuis à cette dernière.

Nous publions également,à la suggestion de Serge Roy, l'intervention de Jesse Greener de Voix Juives indépendantes [1] lors du passage de la manifestation devant le consulat des États-Unis.


À la manifestation Tout le monde dans la rue pour la Palestine le 7 avril 2024 à Québec j'ai été impressionné par le discours de Jesse Greener de Voix Juives Indépendantes. Le discours a été prononcé devant le consulat des États-Unis sur la rue de la Terrasse-Dufferin dans le Vieux-Québec. Plus de 500 personnes ont participé à la manifestation partie de l'Assemblée nationale. Le discours a soulevé les appuis des manifestantes et manifestants. Je vous invite à lire la transcription de cette prise de parole convainquante.

Serge Roy, militant de Québec


Intervention de Jesse Greener de Voix Juives Indépendantes SOLIDARITÉ AVEC LE PEUPLE PALESTIEN

Je vous apporte des salutations de Voix Juives indépendantes, l'organisation la plus grande de personnes juives progressistes au Canada.

Aujourd'hui je dirai quelques mots sur le Sionisme, d'une perspective juive progressiste.
D'abord, c'est quoi le Sionisme ? Au fond, c'est une idéologie politique. Plus précisément, il s'agit d'un mouvement nationaliste apparu au 19eme siècle pour établir un pays pour des juifs en Palestine.
C'est bien connu qu'on n'a pas besoin d'être juif, pour être Sioniste. Par exemple, nous sommes devant le consulat américain. Les États-Unis sont dirigés par Joe Biden, le Sioniste le plus puissant sur la planète. Geonocide Joe, comme il est appelé, est bien connu pour avoir dit que, si Israël n'existait pas, les États-Unis devraient l'inventer.

L'histoire n'est pas trop différente ici au Canada. Notre système économique, notre industrie intellectuelle, etc. sont profondément connecté avec ceux d'Israël. Donc, même si les Canadien-ne-s critiquent le génocide israélien, son militarisme, son nationalisme, ses droits inégaux qui favorisent sa population juive blanche, le Canada reste un pays Sioniste.

On comprend tout cela. Mais il y a un autre point sur la question du Sionisme qui a besoin d'être dit. Beaucoup de juifs ne sont pas Sioniste. Par exemple, je ne suis pas moi-même sioniste.
Informellement, mon organisation Voix Juives Indépendantes a été aussi anti-Sioniste. Mais, je suis heureux de vous le dire, en janvier dernier, nous avons officiellement annoncé que Voix juives indépendantes est une organisation anti-sioniste.

Avec cela, nous nous joignons à d'autres organisations juives populaires comme Jewish Voices for Peace aux États-Unis. On peut dire clairement qu'on est en opposition à la suprématie religieuse et raciale de l'état israélien. Et qu'on s'oppose à l'occupation des terres palestiniennes et le traitement odieux de ces peuples. En effet, nous voyons clairement que le Sionisme constitue les racines qui poussent le fascisme militaire croissant en Israël actuellement.

Dernièrement, j'ai dit quelques mots sur des effets invisibles du Sionisme. Comme beaucoup d'entre vous le savez, la pâque juive s'approche. C'est un temp pour réfléchir sur les injustices dans le monde, passé et présent. Nous racontons des histoires des juifs anciens fuyant l'esclavage d'Égypte ; et les attaques qu'ils ont subies quand ils ont été les plus vulnérables. Pour notre famille et tant d'autres, c'est le moment de relier ces leçons aux luttes actuelles pour réaliser l'égalité et la libération auxquelles les gens sont encore confrontés.

De telles réflexions font partie intégrante de la tradition juive de la discussion et du débat. Elles contribuent également à maintenir notre culture dynamique et moderne.

Malgré tout cela, je viens d'apprendre que ma famille a été bannie de notre synagogue pour le Séder de pâque juive cette année à cause de notre participation dans les manifestations comme celle d'aujourd'hui. En effet, c'est dû à une influence Israélienne dans notre synagogue qui ne veut pas que les participants soient en notre présence. Ils sont inquiets des juives et des juifs qui voient que le génocide istraélien démontre clairement que l'histoire de pâque juive est directement liée aux luttes des Palestiniens d'aujourd'hui pour survivre.

Il semble peut-être que c'est une ironie que notre synagogue ait été colonisée par les influences de l'état israélien. Mais encore, une fois, sionisme n'a aucun rapport avec judaïsme, ou la culture juive. Et c'est pourquoi les juifs doivent aussi y résister.

Et pour résister au sionisme, nous devons regarder qui le soutient. Ce sont les pays de l'ouest comme les États-Unis, le Canada et l'Allemagne qui ont poussé le sionisme à ses limites.

Donc, à Joe Biden et Justin Trudeau, les Juifs progressistes disent cessez de nous utiliser, nous les Juifs et notre culture comme des boucliers humains pour vos objectifs politiques, militaristes et économiques. On dit d'arrêter d'armer Israël et commencez dès maintenant à le forcer à un cessez-le-feu !

Au nom de ma famille et de Voix juives indépendantes on vous remercie pour l'invitation à vous adresser la parole aujourd'hui.

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[1] Voix juives indépendantes Canada (VJI) est une organisation issue de la base ancrée dans la tradition juive qui s'oppose à toute forme de racisme et qui promeut la justice et la paix pour tous en Israël-Palestine. VJI dispose de comités locaux actifs partout au Canada, dans les villes et sur les campus universitaires.

Les militants et militants de gauche du monde entier se rassemblent autour de Boris Kagarlitsky et appellent à la libération de tous les prisonniers politiques russes opposés à la guerre.

9 avril 2024, par Andrea Levy — , ,
Le célèbre sociologue et dissident russe a été emprisonné le 13 février pour une durée de cinq ans sur la base d'accusations de 'justification du terrorisme' forgées de toutes (…)

Le célèbre sociologue et dissident russe a été emprisonné le 13 février pour une durée de cinq ans sur la base d'accusations de 'justification du terrorisme' forgées de toutes pièces

25 mars 2024 | tiré de Canadian Dimension | Photo : Boris Kagarlitzki (deuxième à partir de la droite) comparaît lors d'une audience de son procès. Photo avec l'aimable autorisation de TASS.
https://canadiandimension.com/articles/view/leftists-worldwide-rally-around-boris-kagarlitsky-call-for-liberation-of-all-russian-anti-war-political-prisoners

Boris Kagarlitsky, intellectuel et dissident russe de renom, publiera un nouveau livre ce mois-ci chez Pluto Press. Intitulé The Long Retreat : Strategies to Reverse the Decline of the Left, il aborde des questions épineuses : pourquoi la gauche est elle aussi faible historiquement au niveau mondial et que faire. Au grand dam de ses nombreux amis et camarades du monde entier, Kagarlitsky ne fêtera pas le lancement du livre avec eux, car il est actuellement incarcéré dans une prison russe pour son opposition à l'invasion russe de l'Ukraine.

Il a d'abord été arrêté par le Service fédéral de sécurité (FSB) en juillet 2023 sous l'accusation ridicule de "justification du terrorisme" pour des remarques désinvoltes et humoristiques qu'il avait faites en ligne neuf mois plus tôt à propos de l'explosion d'une bombe par les forces ukrainiennes sur un pont en Crimée. « Malheureusement, le Léviathan n'a pas le sens de l'humour », a ironisé Kagarlitsky dans un article écrit pour Portside après sa libération quelque peu inattendue six mois plus tard, assortie d'une amende, d'une interdiction d'enseigner et de diverses restrictions à sa liberté d'expression. Les procureurs, pour leur part, ont rapidement démontré leur sinistre détermination à réprimer le fauteur de troubles. Arguant que la peine de Kagarlitsky était "injuste en raison de sa trop grande clémence", ils ont fait appel devant un tribunal militaire russe en février, affirmant faussement qu'il n'avait pas coopéré avec le tribunal ni payé l'amende initiale. Le 13 février 2024, ce tribunal fantoche l'a reconnu coupable et l'a condamné à cinq ans d'emprisonnement dans une colonie pénitentiaire.

À la suite de ce jugement bidon, la famille, les amis et les connaissances en Russie et dans le monde entier se sont rassemblés, comme ils l'avaient fait après sa précédente arrestation, et ont lancé une campagne de solidarité internationale appelant à la libération de Kagarlitsky et de tous les prisonniers politiques russes. L'un des principaux outils de cette campagne est une pétition qui a été traduite dans près de 20 langues, dont le russe et l'ukrainien. Les signataires constituent la « crème » de la gauche mondiale, incluant des personnalités aussi connues que l'ancien leader du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn, l'autrice Naomi Klein, le leader de La France Insoumise Jean-Luc Mélenchon, l'économiste Yanis Varoufakis et le philosophe Slavoj Žižek, ainsi que des dirigeantEs et des représentantEs éluEs de partis de gauche et progressistes, de même que des milliers d'intellectuels et de militantEs du Nord et du Sud, de l'Australie à l'Argentine, du Royaume-Uni à l'Afrique du Sud, et de l'Allemagne au Brésil, sans oublier de Moscou à Kiev. La pétition a recueilli plus de 13 500 signatures dans 45 pays depuis son lancement à la mi-mars.

Au Canada, des personnalités aussi connues que Judy Rebick, Greg Albo et Sam Gindin ont déjà apposé leur signature , tandis qu'au Québec, le leader parlementaire de Québec Solidaire Gabriel Nadeau Dubois a également signé la pétition, tout comme Jan Simpson, la présidente nationale du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes, qui représente plus de 60 000 travailleurs et travailleuses.

L'objectif de la campagne de solidarité internationale avec Boris Kagarlitsky est de lancer un appel aux forces de gauche et démocratiques à travers le monde afin d'exiger l'arrêt de la campagne de Poutine visant à réduire au silence les voix qui en Russie, non seulement s'opposent à la guerre en Ukraine, mais rapportent également les graves problèmes qui s'accumulent en Russie à la suite de cette guerre. Comme le souligne la déclaration de la campagne, « sans l'attention de la communauté internationale, les prisonniers politiques russes opposés à la guerre seront laissés seuls face à un gouvernement qui les condamne non seulement à l'emprisonnement, mais aussi à la possibilité de la mort ». Les conditions de vie dans les centres de détention et les colonies pénitentiaires russes sont inférieures aux normes et représentent un danger pour la santé des prisonniers, comme Kagarlitsky en a déjà fait l'expérience lors de son précédent séjour à la prison de Syktyvkar, dans la République des Komis.

Une dissidence qui ne se dément pas

Bien entendu, ce n'est pas la première fois que Kagarlitsky est arrêté et emprisonné ; ce n'est même pas la première fois qu'il est arrêté alors qu'un nouveau livre se profile à l'horizon. Alors Rédacteur en chef du journal samizdat Levy Povorot (Left Turn) de 1978 à 1982, il a été arrêté sous la direction de Youri Andropov pour "activités antisoviétiques" quelques jours seulement après avoir achevé le manuscrit de son livre sur les intellectuels soviétiques, qui a été traduit en anglais et publié en 1988 sous le titre The Thinking Reed (Le roseau qui pense). L'ouvrage a été internationalement acclamé et a remporté le prix Deutscher Memorial, décerné chaque année pour des écrits exceptionnels à propos ou de tradition marxiste. L'année passée en prison en 1982 n'a pas réussi à étouffer ni son engagement en faveur de la justice et de la démocratie socialiste, ni son courage. Il a été arrêté une nouvelle fois en 1993 pour son opposition au coup d'État de Boris Eltsine et tabassé par les forces de sécurité de ce dernier.

Quelque trente ans plus tard, Kagarlitsky est redevenu une cible de l'État russe. En 2021, il a passé dix jours en détention administrative pour avoir incité la population à protester contre les élections frauduleuses à la Douma d'État, qui avaient conféré une large victoire au parti au pouvoir, Russie Unie, que Poutine a aidé à fonder et qui lui restait fidèle. Mais c'est la condamnation publique par Kagarlitsky de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 qui a réellement provoqué l'ire du régime. En tant que fondateur et rédacteur en chef de Rabkor ( Correspondant ouvrier), un site web et une chaîne YouTube de gauche, il avait pris publiquement, avec les autres membres de l'équipe de Rabkor, une position très ferme contre la guerre. Au nom de Rabkor, il avait signé une résolution adoptée par la « Table ronde des forces de gauche contre la guerre », qui dénonçait l'invasion comme l'expression des « ambitions malsaines en matière de politique étrangère d'un cercle restreint de personnes à la tête du pays, et comme un moyen de détourner l'attention des échecs du gouvernement russe en matière de politique intérieure ».

Kagarlitsky a d'abord été puni en étant qualifié d'« agent étranger », une tactique déployée aussi contre des dizaines de médias indépendants, de journalistes, d'artistes et d'organisations nationales et étrangères de toutes sortes jugées hostiles aux intérêts du Kremlin. Mais il a refusé d'être réduit au silence et des représailles plus sévères étaient à prévoir.

Boris Kagarlitsky lors de manifestations contre les élections à Moscou, en 2012. Avec l'aimable autorisation de Boris Kagarlitsky/Facebook.

Le politologue et sociologue russe Grigory Yudin est membre du comité de solidarité internationale de Boris Kagarlitsky. Il connaît, pour l'avoir subie , la brutalité que le régime réserve aux dissidents. Le 24 février 2022, il avait participé à une manifestation contre l'invasion de l'Ukraine et avait été battu par la police jusqu'à en perdre connaissance. Dans une interview récente, il faisait remarquer que « le prix de la protestation en Russie est de plus en plus élevé ».

Interrogé sur la campagne de solidarité avec Kagarlitsky, Yudin m'a dit que : « Boris est à la fois un penseur important et un militant courageux qui, par sa personne, révèle la cruauté du régime néolibéral peut-être le plus brutal de la planète à l'heure actuelle. Humilié, stigmatisé par l'État comme ‘extrémiste' et ‘agent étranger' (l'équivalent russe de ‘traître'), condamné à cinq ans de prison à l'âge de 65 ans et jeté dans une cellule surpeuplée, il demeure fidèle à ses principes et à ses convictions ».

« Se battre pour sa liberté est une opportunité importante pour la gauche mondiale dans cette terrible guerre qui fait rage en Europe et qui menace de s'intensifier », a poursuivi Yudin. « Si nous parvenons à libérer Boris, nous aurons des moyens de pression pour arrêter cette guerre et façonner l'ordre mondial d'après-guerre dans l'intérêt des peuples, et non des élites guerrières. Il s'agit clairement d'une situation d'unification de la gauche mondiale qui est sous le choc, à la fois fragmentée et désorientée par cette guerre impériale ».

Il faut noter que bien qu'il ait été un critique ferme et courageux de la guerre, Kagarlitsky n'est pas une figure incontestée de la gauche en ce qui a trait à l'évolution de ses opinions sur les relations entre la Russie et l'Ukraine. De nombreux Ukrainiens de gauche, par exemple, se méfient de Kagarlitsky en raison de son soutien antérieur à la présence russe à Donetsk, Luhansk et en Crimée, bien qu'ils se félicitent de son opposition à l'invasion massive en cours et reconnaissent l'importance d'un mouvement anti-guerre russe pour contrecarrer les ambitions de Poutine. Andrej Movchan en est un bon exemple. Dans son article pour Open Democracy, il appelle à la solidarité internationale avec Kagarlitsky malgré le soutien antérieur de ce dernier à l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et aux mouvements séparatistes pro-russes au Donbass, ce que Movchan reconnaît comme procédant de l'opinion de Kagarlitsky selon laquelle il y avait des éléments progressistes ‘anti-impérialistes' à l'œuvre dans cette région. Movchan poursuit en reconnaissant que « Kagarlitsky a peut-être un jour soutenu des sections de la gauche patriotique russe qui aspirent à l'expansion territoriale. Mais aucun autre personnage de gauche aussi connu n'a fait plus pour inculquer à des milliers de Russes une vision compréhensible : le régime de Poutine est criminel, l'invasion de l'Ukraine est criminelle, rien ne la justifie et il faut s'y opposer ».

Kagarlitsky a également des détracteurs parmi ceux qui, à gauche, lui reprochent, entre autres, d'avoir sous-estimé le rôle des États-Unis et de l'OTAN dans la précipitation du conflit actuel.
Cependant, quelles que soient les divergences d'opinion avec Kagarlitsky qui peuvent persister dans certains milieux, l'ensemble de l'opinion de gauche s'accorde à dire qu'il est une victime de la campagne impitoyable de répression politique déclenchée par Vladimir Poutine pour calmer et étouffer l'opposition à la guerre – une campagne qui s'intensifie à mesure que l'appétit du public russe pour le conflit diminue.

Persécution croissante des militants et militantes pacifistes et critiques du Kremlin

Bien entendu, Kagarlitsky est loin d'être le seul à être emprisonné pour des délits de pensée et d'expression. Selon l'ONG russe de défense des droits de la personne OVD-Info, entre le 24 février 2022 et le 22 janvier 2024, 19 850 personnes ont été placées en détention pour avoir pris position contre la guerre. En 2023, OVD-Info a également signalé une augmentation du nombre de peines de prison infligées à des manifestants et des manifestantes anti-guerre, ainsi qu'une augmentation de la peine moyenne pour les cas d'opposition à la guerre, qui est passée de 36 mois en 2022 à 77 mois en 2023.

En tant que principal vecteur de critique de la guerre et, plus généralement, de ‘l'autocratie néolibérale' de Poutine (pour reprendre les termes de Kagarlitsky), la gauche en Russie est soumise à une répression sans précédent. De nombreuses organisations ont été fermées et des militants et militantes ont été emprisonnéEs pour divers motifs fallacieux.

Comme le souligne un éditorial sur le site du parti EuropeanLeft, il est "évident que les accusations criminelles contre Boris Kagarlitsky constituent une attaque contre l'ensemble du mouvement de gauche ». Mais comme le rappelle un pamphlet publié en russe et en français par un groupe d'émigrés politiques russes et les rédacteurs de la Tribune des Travailleurs en France, les grands médias se sont concentrés presque exclusivement sur Alexeï Navalny et divers critiques libéraux du régime de Poutine, ignorant essentiellement les nombreux intellectuels et activistes de gauche qui ont fait l'objet d'une répression sévère.

Ils soulignent que « Tout citoyen se revendiquant de positions politiques progressistes, les militants, les travailleurs, les syndicalistes sont persécutés par le régime de Poutine, de même qu'il persécute certains militants de l'opposition bourgeoise et des partisans d'un ‘ capitalisme à l'occidentale' » (ma traduction).

Outre Kagarlitsky, la brochure présente plusieurs autres prisonniers et prisonnières politiques, tels que le mathématicien anarchiste Azat Miftakhov, qui a été accusé de ‘hooliganisme' pour avoir brisé une fenêtre dans un bureau local du parti Russie Unie et condamné à une peine de six ans qu'il a purgée dans une colonie pénitentiaire. Miftakhov a ensuite été arrêté à nouveau et accusé de ‘justifier le terrorisme' pour des commentaires qu'il aurait faits à des codétenus. Le 28 mars 2024, il a été emprisonné pour une nouvelle période de quatre ans.

Une autre des nombreuses dissidentes persécutées est l'artiste et musicienne Aleksandra (Sasha) Skochilenko, qui a protesté contre l'invasion de l'Ukraine par la Russie sur les médias sociaux, par le biais de la musique ‘Jams for Peace', et en remplaçant les étiquettes de prix des supermarchés par des autocollants contenant des informations sur ce que l'armée russe faisait à Marioupol. Skochilenko a été arrêtée en avril 2022 et accusée, en vertu de l'article 207.3 du Code pénal, d'avoir sciemment diffusé de fausses informations sur l'utilisation des forces armées de la Fédération de Russie. Elle a été condamnée à sept ans d'emprisonnement dans une colonie pénitentiaire.

Il y a aussi Darya Polyudova, fondatrice du mouvement Résistance de gauche et critique du Kremlin, qui s'est ouvertement opposée à la guerre contre l'Ukraine et à l'annexion de la Crimée. Elle a d'abord gouté à la répression de l'État en raison de son soutien aux mouvements d'indépendance régionale en 2014, lorsqu'elle a été condamnée à deux ans dans une colonie pénitentiaire pour ‘incitation publique au séparatisme'. Elle a été de nouveau arrêtée en 2020, cette fois pour incitation au séparatisme et ‘justification publique du terrorisme par le biais d'Internet'. En mai 2021, elle a été condamnée à six ans de prison. Apparemment, cela n'a pas suffi aux autorités ; en 2021, le FSB l'a inculpée pour "avoir organisé une communauté extrémiste" et, un an plus tard, elle a été condamnée à neuf ans d'emprisonnement dans une colonie pénitentiaire.

Dans une interview accordée à Green Left, la fille de Kagarlitsky, Ksenia, a réitéré ce que son père avait écrit en avril 2023 (dans Canadian Dimension, en l'occurrence) : « Si nous voulons mettre fin à la persécution politique en Russie et dans d'autres pays du monde, nous devons nous battre pour tout le monde ».

La campagne de solidarité internationale pour Boris Kagarlitsky vise à construire un tel rapport de force, qu'il devienne impossible pour les personnages politiques qui dialoguent avec le gouvernement russe de l'ignorer, ce qui permettrait de faire pression pour la libération de Kagarlitsky (son appel devrait être entendu au début du mois de mai). La campagne vise également à attirer l'attention sur le sort des hommes et des femmes prisonniers politiques russes, dont la grande majorité est incarcérée sur la base d'accusations sans fondement.

Kagarlitsky lui-même a récemment été transféré du centre de détention provisoire de Moscou, où il partageait une cellule avec 15 autres hommes, au centre de détention n° 12 de Zelenograd. Sa première lettre, publiée par Rabkor et traduite par Renfrey Clarke, témoigne de son courage inébranlable et de son sens de l'ironie. Il y pose son regard de sociologue sur la vie carcérale. Un autre livre est peut-être en préparation. Espérons que la campagne de solidarité internationale Boris Kagarlitsky contribuera à ce qu'il le termine en tant qu'homme libre.

Toutes les personnes qui veulent soutenir Boris Kagarlitsky en signant la pétition peut la trouver sur freeboris.info et change.org.
Andrea Levy est rédactrice-coordonnatrice de la revue Canadian Dimension et membre du Comité de solidarité internationale pour Boris Kagarlitsky.
Traduction : Canadian Dimension - Presse-toi à gauche

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Russie. Vers une conscription militaire record avant une nouvelle offensive en Ukraine

9 avril 2024, par Sasha Yaropolskaya — , , , ,
Après la lune de miel des élections présidentielles, le régime de Poutine annonce une nouvelle phase de conscription militaire ce printemps, une des plus ambitieuses des dix (…)

Après la lune de miel des élections présidentielles, le régime de Poutine annonce une nouvelle phase de conscription militaire ce printemps, une des plus ambitieuses des dix dernières années.

2 avril 2024 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Russie-Vers-une-conscription-militaire-record-a-l-aune-d-une-nouvelle-offensive-en-Ukraine

Tous les ans, au printemps et en automne, est organisée une conscription pour le service militaire obligatoire en Russie. Traditionnellement, ce sont les les hommes de l'âge de 18 à 27 ans qui sont concernés. Cependant, début 2024, le plafond de l'âge de conscription a été relevé jusqu'à 30 ans, et l'objectif fixé pour ce printemps est un des plus élevés de la dernière décennie : 150 000 hommes. Il est facile de voir pourquoi. Dans les conditions de la guerre avec l'Ukraine, les enjeux de cette conscription sont plus importants car au cours de ces deux dernières années la Russie a subi de lourdes pertes et cherche constamment à renforcer ses effectifs sur le front et à l'arrière.

Le régime de Poutine a déjà mené une première vague massive de « mobilisation partielle » en 2022, soumettant les civils russes à un entraînement militaire rapide et superficiel et les envoyant directement au front, une approche qui a montré par la suite son inefficacité. Il a également cherché à mobiliser les prisonniers des colonies pénitentiaires avec la promesse de libération conditionnelle à ceux qui signaient un contrat avec le Ministère de la défense les obligeant à combattre jusqu'à la fin de « l'opération militaire spéciale ». Quant au service militaire obligatoire, le régime lance activement des poursuites pénales contre tous ceux qui tentent de l'esquiver. En 2022, 1.121 personnes ont été condamnés pour désertion au service militaire, avec des peines allant jusqu'à deux ans d'emprisonnement.

La conscription peut servir le front

Les jeunes hommes conscrits ne seront pas envoyés directement au front, assure l'État major russe. Mais en réalité, vers la fin de leur conscription, ces soldats pourront faire face à l'intimidation et aux diverses pressions de leurs supérieurs cherchant à leur faire signer des contrats avec le Ministère de la défense pour les envoyer au front. Même avant de signer de tels contrats, une partie des soldats conscrits sera affectée dans les régions frontalières de Belgorod et Kursk qui subissent des bombardements de l'armée ukrainienne et même des incursions terrestres de certaines unités. Dans ce sens, la conscription militaire présente des enjeux de vie et de mort pour les hommes concernés.

Selon les informations du média russe Verstka, qui s'appuie sur ses sources au sein de l'administration du président, le Kremlin prévoit également une nouvelle vague de mobilisation militaire cherchant à enrôler au front plus de 300 000 hommes. Il s'agira du recrutement des réservistes, des étudiants des universités militaires et des soldats conscrits que la hiérarchie va pressuriser jusqu'à la signature des contrats. Le régime espère rassembler un nombre suffisant d'hommes par ces canaux afin d'éviter une nouvelle chasse à l'homme massive sur le modèle de la mobilisation partielle de 2022, qui a provoqué à la fois des actes terroristes contre les bureaux de recrutement militaire mais aussi l'exode de dizaines de milliers de travailleurs qualifiés vers les pays d'Europe, du Caucase et d'Asie Centrale. Deux semaines après les élections présidentielles marquées par les manifestations et l'attentat sanglant du Crocus City Hall, le régime ne souhaite pas secouer la barque davantage, tant qu'il a le choix.

Guerre en Ukraine : quels sont les objectifs de Poutine en 2024 ?

A quoi se prépare au juste le régime de Poutine ? Après l'échec de la contre-offensive ukrainienne en 2023 et le début d'une nouvelle offensive russe en octobre 2023, la Russie a réussi à capturer environ 518 kilomètres carrés du territoire ukrainien, selon le Telegraph. L'armée russe a notamment pris la ville d'Avdiivka, poussant un millier de soldats ukrainiens à reculer de cette position. Après ces maigres succès, la Russie se préparerait, selon The Economist et les affirmations du président ukrainien Zelensky, à une grande offensive en mai-juin qui serait la plus ambitieuse depuis la tentative de blitzkrieg en février 2022. Si ces déclarations se confirment, on pourrait faire quelques hypothèses sur l'opportunité du moment actuel pour une nouvelle offensive russe.

Il y a d'abord la fatigue de la guerre du côté ukrainien où l'effet de « l'union sacrée » au nom de la défense de la patrie s'est épuisé après deux ans de privations de guerre et les nombreuses défaites au front. Les volontaires pleins d'enthousiasme patriotique sont rares de ces jours en Ukraine et des centaines de jeunes hommes cherchent plutôt activement à fuir la conscription militaire obligatoire. Le soutien financier et militaire apporté à l'Ukraine au début de la guerre a été considérable avec les États-Unis qui ont accompli au cours de ces deux dernières années le plus grand investissement extérieur depuis le Plan Marshall en 1948. Mais aujourd'hui, la Maison Blanche de Biden est plongée dans une véritable crise politique avec le parti Républicain bloquant activement tout projet législatif de nouvel envoi d'armes à l'Ukraine. Le probable retour au pouvoir de Donald Trump en novembre, qui prône une politique extérieure isolationniste, ne présage rien de bon pour l'Ukraine entièrement dépendante du soutien occidental pour ses besoins militaires. Face à cette faiblesse états-unienne, les États européens se sont engagés à un soutien plus actif à l'Ukraine : le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France ont signé les garanties de sécurité avec le pays et l'Union Européenne a envoyé un paquet significatif d'aide militaire au début d'année. Mais ces efforts peuvent ne pas suffire pour remplacer le rôle qu'ont joué les États-Unis dans ce conflit. Et c'est de cette brèche-là que tente de se saisir Poutine.

À bas la boucherie de la guerre !

La guerre de mouvement que livrait l'armée russe en février 2022 sur l'ensemble du front ukrainien a révélé d'énormes limites militaires et logistiques de l'armée russe. S'appuyant sur les informations incomplètes voire fausses venant de ses officiers, sergents et généraux, l'État-major de Poutine a perdu des dizaines de milliers de soldats professionnels dans des offensives peu réfléchies. Depuis que la Russie est passée à la défensive, le front est alimenté par les recrues civiles et issues du système pénitentiaire russe mais aussi par un flux de volontaires qui signent des contrats avec le Ministère de la défense en espérant améliorer leurs conditions économiques, l'armée étant le seul secteur de l'économie qui paie des salaires élevés aux hommes sans études supérieures.

Forcés ou volontaires, tous ces hommes sont envoyés à une mort quasi certaine dans la guerre des tranchées où leur courage ou combativité individuelles ne comptent pas pour grand-chose face aux drones low-cost ukrainiens qui les tuent tous les jours par centaines. Ces hommes servent de chair à canon à leur commandement, qui est prêt à sacrifier leurs vies massivement pour conquérir des positions sans importance stratégique comme Bakhmout ou Avdiivka. Loin de la propagande nationaliste chauvine du régime de Poutine promettant la gloire aux soldats, ce sont ces morts absurdes et privées de sens qui montrent vraiment ce qu'est la guerre au 21ème siècle.

C'est pourquoi la conscription militaire obligatoire en Russie est une véritable tragédie, tout comme elle l'est du côté ukrainien. L'État fait le tour de ses territoires, ciblant en particulier les Républiques nationales et les régions rurales, il sévit sur sa jeunesse, la sacrifiant sur l'autel de cette guerre sanglante et profondément réactionnaire. Ceux qui ne vont pas mourir dans la boue des tranchées resteront mutilés, physiquement ou psychologiquement, à vie, avec une génération entière qui sera marquée, comme après les guerres d'Afghanistan et de Tchétchénie, par le trouble du stress post-traumatique. Deux ans après le début de la guerre, il est évident que la seule véritable manière de mettre fin à ce massacre ne sera pas un cessez-le-feu temporaire décidé par le haut, mais une révolte des classes populaires russes et ukrainiennes contre leurs dirigeants et contre les puissances impérialistes qui rendent possible cette boucherie.

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Russie. « Le voyage continue » : une lettre de prison de Boris Kagarlitsky

9 avril 2024, par Boris Kagarlitsky — , ,
Boris Kagarlitsky, sociologue russe de renom, a été incarcéré le 13 février 2024 pour une durée de cinq ans sur la base d'accusations forgées de toutes pièces de « (…)

Boris Kagarlitsky, sociologue russe de renom, a été incarcéré le 13 février 2024 pour une durée de cinq ans sur la base d'accusations forgées de toutes pièces de « justification du terrorisme ». En réalité, son seul crime a été de s'élever contre la guerre menée par la Russie en Ukraine.

Son dernier appel devant être entendu début mai, la campagne de solidarité internationale Boris Kagarlitsky a lancé une pétition internationale demandant sa libération ainsi que celle de tous les autres prisonniers politiques. [La rédaction d'Alencontre s'associe à cette campagne.]

Vous trouverez ci-dessous la première lettre publique que Boris Kagarlitsky a envoyée depuis le centre de détention n° 12 de Zelenograd, où il est actuellement détenu. Ecrite à sa fille Ksenia, elle a été traduite par Renfrey Clarke à partir de la version russe originale publiée par Rabkor [dont Kagarlitsky était rédacteur en chef]. Renfrey Clarke a également traduit le dernier livre de Boris Kagarlitsky, The Long Retreat : Strategies to Reverse the Decline of the Left, disponible en pré-commande chez Pluto Press.

2 avril 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/europe/russie/russie-le-voyage-continue-une-lettre-de-prison-de-boris-kagarlitsky.html

***

Après mon retour à Moscou depuis Syktyvkar [république des Komis, à 1300 km au nord-est de Moscou], un journaliste de ma connaissance m'a incité à écrire quelque chose sur mes expériences en prison. L'idée m'a séduit et je me suis immédiatement mis au travail. Mais après avoir écrit une quinzaine de pages, je me suis rendu compte que je n'avais pas assez de matière pour un livre entier. Le problème a été rapidement résolu, car le Léviathan a veillé à ce que j'aie de nouvelles occasions d'approfondir mes connaissances sur la vie en prison. A la suite d'une requête du bureau du procureur, une cour d'appel a décidé de réexaminer la peine prononcée à Syktyvkar [le 26 juillet 2023 pour « appels publics au terrorisme »] et m'a de nouveau envoyé [le 13 février 2024] derrière les barreaux [après avoir été libéré le 13 décembre].

Ma dernière expérience de la prison s'est révélée différente à bien des égards de la précédente. En l'espace d'un peu plus d'un mois, je suis passé par trois prisons et cinq cellules, avant de m'installer dans ma « cellule longue durée » [à Zelenograd, dans l'oblast de Moscou], où j'écris ces lignes. Le résultat est que j'ai fait la connaissance de nouvelles personnes et que j'ai eu accès à un matériel extrêmement riche. Beaucoup de nouvelles pensées me sont venues à l'esprit et je les écris petit à petit (ces pensées n'ont pas toujours un rapport avec la vie carcérale, mais elles sont évidemment influencées par l'expérience que j'ai vécue ici). Les occasions de réfléchir à la philosophie et à la psychologie ne manquent pas, mais les découvertes les plus riches sont liées aux transferts d'un endroit à l'autre que j'ai été obligé de subir.

Bien que les règles de la vie carcérale soient fondamentalement les mêmes partout, la pratique réelle peut être très différente, non seulement d'une prison à l'autre, mais même d'une cellule à l'autre. Dans chaque lieu, des communautés distinctes naissent, évoluent, se désagrègent et se reforment au gré des circonstances. Il y a des grandes et des petites prisons, des riches et des pauvres, dans les provinces et dans la capitale. Les gardiens peuvent être aimables et même compréhensifs, mais ils peuvent aussi être méchants. Les détenus sont de différents profils humains, appartenant à différents groupes culturels et classes sociales. Il y a toujours des sujets de conversation, même si ces conversations ne sont pas toujours agréables. Lorsque les détenus sont transférés d'une prison à l'autre, ils échangent des informations sur ce qui se passait dans leur dernier lieu de détention et sur ce à quoi ils peuvent s'attendre dans le nouvel établissement. Ce qui intéresse le plus les gens, c'est bien sûr la nourriture. Manger décemment est l'un des principaux plaisirs que l'on peut espérer de la vie en prison, et la qualité de la nourriture carcérale fait donc l'objet de discussions particulièrement animées.

Lorsque je suis arrivé à Zelenograd, j'ai été placé, pour une raison quelconque, dans une cellule de quarantaine, bien que les deux semaines que j'avais passées à Kapotnya [sud-est de la municipalité de Moscou] équivalaient déjà à une quarantaine. Le problème de cette quarantaine était que les gens de l'extérieur ne pouvaient pas me contacter normalement. Je ne recevais pas de colis et mes trois nouveaux compagnons de cellule étaient exactement dans la même situation. C'est là que j'ai entendu parler de la maison d'arrêt de Medvedkovo [Moscou], où, paraît-il, les prisonniers sont très bien nourris. Oh, les louanges que j'ai entendues sur les cuisiniers de cette prison pendant ma période de quarantaine à Zelenograd ! Le porridge dans cet endroit ! La quantité de viande dans la soupe ! La taille des portions distribuées au dîner ! A en juger par les commentaires de mes compagnons de cellule, cet établissement méritait une étoile Michelin.

Lorsque vous atterrissez dans une cellule dotée d'un réfrigérateur et d'un téléviseur, vous commencez à dépendre moins de la cuisine de la prison et plus des colis alimentaires et de vos compagnons de cellule. Tout n'est pas partagé, ni avec tout le monde, mais la gestion en commun des ressources est tout à fait naturelle et raisonnable. Dans la cellule où j'ai été placé à Kapotnya, j'ai été frappé par le fait que des procédures démocratiques avaient été mises en place, certaines questions étant décidées par vote, d'autres par consensus. La nourriture, en revanche, ne relevait pas de la propriété commune. Les détenus s'étaient répartis en plusieurs groupes (nous étions en tout entre 13 et 15, avec des arrivées et des départs constants), et à l'intérieur de ces groupes, les ressources étaient partagées. J'ai fini par y voir une sorte d'anarcho-socialisme, même s'il y avait aussi des individualistes. Par exemple, il y avait un ancien responsable universitaire qui avait été emprisonné pour corruption. Le réfrigérateur était rempli par ses réserves de nourriture, qu'il ne partageait avec personne. Une fois, il est vrai, il s'est approché de moi et m'a offert un morceau de gâteau. J'ai été étonné et j'ai accepté le cadeau avec gratitude. Malheureusement, la raison de sa générosité est apparue immédiatement : le gâteau avait dépassé sa date de péremption.

Ici, à Zelenograd, la cellule est plus petite et il ne vient à l'idée de personne d'établir des procédures formelles, et encore moins de procéder à des votes. Néanmoins, des communautés informelles prennent inévitablement forme et fonctionnent selon leurs propres règles. Le degré de solidarité et d'entraide qui y règne est sensiblement plus élevé qu'à l'extérieur.

Bien sûr, j'ai eu de la chance. J'ai été placé dans une cellule avec des gens corrects, pour autant que cela soit possible dans de telles conditions. Mais ce n'est peut-être pas si surprenant. La plupart des détenus, après tout, ne sont pas des malfaiteurs endurcis, mais des gens ordinaires qui sont entrés en conflit avec la loi, qui ont cédé à une tentation ou qui ont perdu le contrôle de leur situation. Lorsque j'ai été placé dans ma cellule à Kapotnya, l'un des détenus, qui était là depuis plus longtemps que les autres, m'a immédiatement dit : « Vous seriez ici pour un meurtre, n'est-ce pas ? » J'ai été choqué. « Est-ce que j'ai vraiment l'air d'un meurtrier ? » La réponse fut encore plus inattendue que la question : « Les gens qui sont ici pour meurtre non prémédité sont tous très décents, intelligents et gentils. » En revanche, la réputation des prisonniers politiques n'est pas toujours très bonne. « Certains d'entre eux ont une trop haute opinion d'eux-mêmes et, dans l'ensemble, ils sont enclins à l'hystérie. » J'espère avoir pu améliorer quelque peu la réputation des prisonniers politiques aux yeux de mes compagnons de cellule.

La prison de Zelenograd, où l'on a fini par me placer, est petite et dispose de ressources limitées. Cela se voit dans la quantité et la qualité de la nourriture, et dans le fait que l'établissement est en sous-effectif chronique. Les gardiens se plaignent constamment de tout cela, s'attirant la sympathie et la compréhension des prisonniers. En général, cependant, la qualité de la nourriture de la prison cesse de vous déranger une fois que vous êtes placé dans une cellule équipée d'un réfrigérateur. Notre cellule est particulièrement chanceuse : l'un des détenus est diplômé d'un institut de cuisine et est pâtissier de métier. Il a réussi à obtenir une cocotte-minue pour la cellule, et chaque soir, l'endroit est rempli d'arômes délicieux.

Malheureusement, si un réfrigérateur peut devenir source d'émotions positives, il en va tout autrement d'un téléviseur. Curieusement, ces deux appareils existent dans une sorte d'unité organique : soit vous avez les deux, soit vous n'avez rien. Chaque jour, la télévision vous abreuve de propagande qui se transforme en une sorte de bruit de fond auquel il est difficile d'échapper en changeant de chaîne – le message est partout le même. Au bout d'un certain temps, cependant, on développe une immunité. La télévision a également une fonction positive : elle permet de connaître l'heure.

En discutant avec mes compagnons de cellule pendant quelques semaines, et dans certains cas seulement quelques heures, j'ai peu à peu constitué une sorte d'encyclopédie des types humains et des histoires de vie, sur la base de laquelle je pourrais peut-être, un jour, écrire un bon livre. Toutes ces expériences et connaissances devront cependant encore être résumées et retravaillées. J'espère pouvoir le faire à l'extérieur ! Pour l'instant, je me contente d'accumuler des connaissances. Le voyage continue. – Zelenograd, 25 mars 2024 (Texte en anglais publié par LINKS International Journal of Socialist Renewal ; traduction rédaction A l'Encontre)


Russie. « Soutenir les prisonniers politiques de gauche est un acte de solidarité pratique »

8 avril 2024 | Alencontre
Par Boris Kagarlitsky

Depuis une prison russe, le sociologue Boris Kagarlitsky a écrit la lettre ouverte qui suit afin de soutenir une large campagne de solidarité avec les prisonniers politiques russes de gauche.

Boris Kagarlitsky a lui-même été emprisonné pour cinq ans le 13 février 2024 sur la base d'accusations – forgées de toutes pièces – de « justification du terrorisme ». En réalité, son seul crime a été de s'élever contre la guerre menée par la Russie en Ukraine.

Une pétition mondiale appelant à sa libération et à celle de tous les autres prisonniers politiques opposés à la guerre peut être signée ici.

La lettre a été traduite par Renfrey Clarke à partir de la version russe originale. Renfrey Clarke a également traduit le dernier livre de Boris Kagarlitsky, The Long Retreat : Strategies to Reverse the Decline of the Left, à paraître chez Pluto Press.

***

Dans son rapport à la Douma d'Etat [de la Fédération de Russie], le Premier ministre russe, Mikhaïl Michoustine, a cité une multitude de chiffres témoignant de la croissance de l'économie et de l'amélioration du bien-être de la population. Malheureusement, il existe dans notre pays un autre indice qui ne cesse de croître. Il s'agit du nombre de prisonniers politiques.

Un nombre important des personnes qui sont derrière les barreaux pour leurs convictions politiques appartiennent à des organisations de gauche. Des socialistes, des communistes et des anarchistes, ainsi que des démocrates de gauche qui ne sont membres d'aucun parti ou organisation, sont constamment victimes de la machine répressive. Chaque dossier a bien sûr ses particularités, mais la situation générale est claire. Le mouvement de gauche s'exprime en faveur des droits sociaux et démocratiques, contre le militarisme et l'autoritarisme, et il en paie le prix.

Heureusement, le soutien aux prisonniers politiques dans notre pays devient également un phénomène important. Des milliers de personnes écrivent à ceux qui ont été arrêtés, préparent des colis et envoient de la nourriture ainsi que des vêtements chauds. Il est incontestablement nécessaire de soutenir tous ceux qui, sans recourir à la violence, défendent leurs opinions et subissent de ce fait des persécutions. Nous devons connaître et nous souvenir de tous leurs noms.

Néanmoins, les gens de gauche peuvent et doivent faire plus pour ceux et celles qui partagent des opinions analogues. Le plus important est qu'en combinant nos efforts pour aider les prisonniers politiques, nous contribuons à renforcer le mouvement et à établir une coordination entre les individus et les groupes. Il est beaucoup plus fructueux de travailler ensemble pour aider ceux qui, partageant les mêmes convictions, souffrent pour leurs idées que de poursuivre d'interminables discussions pour savoir qui avait raison dans les discussions politiques soviétiques des années 1920, pour savoir comment considérer Staline et Trotsky, et pour savoir qui doit être considéré comme un marxiste irréprochable et qui comme un réformiste, un opportuniste ou, à l'inverse, un sectaire.

L'unité politique et la maturité politique s'acquièrent au cours de l'activité politique. Dans les conditions actuelles, où l'action politique et l'auto-organisation dans notre pays sont devenues extrêmement difficiles, aider nos « compagnons de pensée » emprisonnés n'est pas seulement un acte humanitaire, mais aussi un geste politique important, un acte de solidarité pratique.

Maintenant que cette initiative [de soutien aux prisonniers politiques de gauche] se concrétise enfin, nous devons tous la soutenir. Nous pouvons et devons nous unir à son sujet. Après ce premier pas, d'autres suivront. Pour que l'avenir devienne réalité, nous devons y travailler dès maintenant.

J'espère vivement que ceux et celles qui partagent mes messages sur les réseaux sociaux et mes lecteurs soutiendront l'initiative unitaire en faveur des prisonniers politiques et de tous les militant·e·s de gauche qui ont souffert de la répression politique. C'est ainsi que nous pouvons gagner ! – Boris Kagarlitsky, 4 avril 2024 (Lettre publiée sur le site Links le 7 avril 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

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Grande manifestation régionale pour le Jour de la Terre

9 avril 2024, par Coalition régionale justice climatique et sociale —
URGENCE CLIMATIQUE ! URGENCE SOCIALE ! Parc du Musée du Québec Dimanche 21 avril 2024 à 13:00 Il y a quelques jours, on apprenait que le réchauffement de la planète (…)

URGENCE CLIMATIQUE ! URGENCE SOCIALE !
Parc du Musée du Québec
Dimanche 21 avril 2024 à 13:00

Il y a quelques jours, on apprenait que le réchauffement de la planète avait franchi le cap dramatique de 1,5°C avec près de 6 ans d'avance sur les prévisions les plus pessimistes. L'urgence d'agir n'a jamais été aussi grande car c'est maintenant la limite des 2°C qui pourrait être franchie d'ici la fin de la décennie. Événements météorologiques extrêmes, augmentation du coût de la vie, problèmes de santé, destruction des milieux naturels, érosion des berges, etc. Si les conséquences sont connues et de plus en plus visibles, les actions de nos dirigeantEs tardent à se concrétiser.

La mobilisation de la population est essentielle pour forcer nos gouvernements à agir ici, mais également au niveau international pour accélérer la transition. C'est pourquoi les milieux étudiants, syndicaux, communautaires, féministes et environnementaux de la région de Québec ont choisi d'unir leurs forces pour la justice climatique et sociale et d'organiser une grande manifestation régionale à Québec le 21 avril prochain, pour le Jour de la Terre, autour des trois revendications suivantes :

1- l'accélération de la lutte et de l'adaptation aux crises climatiques et de la biodiversité, notamment par la sortie urgente des énergies fossiles ;

2- un réinvestissement massif dans les services publics et les programmes sociaux, notamment en taxant davantage la richesse ;

3- une transition juste et inclusive pour les communautés et les travailleuses et travailleurs.
Toute la population est invitée à descendre dans la rue le dimanche 21 avril afin d'exiger une transition juste, sociale et écologique.

Faire face aux défis environnementaux et rebâtir ensemble une plus grande justice sociale fondée sur des services publics et des programmes sociaux de qualité, c'est désormais une question de survie !

*il y a aura une traduction LSQ*

🌎 21 avril 2024 - Montréal :
https://www.facebook.com/events/934588828244577
🌎 21 avril 2024 - Capitale nationale :
https://www.facebook.com/events/1449343342665697
🌎 22 avril 2024 - Sherbrooke :
https://www.facebook.com/events/431264126061443

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La crise agricole a rejoint le Québec… fin prêt à l’accueillir et l’envenimer

9 avril 2024, par Marc Bonhomme — ,
Comme en Inde et Europe, c'est le clash agro-industrie versus climat La crise agricole a rejoint le Québec — si le Premier ministre le dit ! — après avoir soulevé les (…)

Comme en Inde et Europe, c'est le clash agro-industrie versus climat La crise agricole a rejoint le Québec — si le Premier ministre le dit ! — après avoir soulevé les agriculteurs de l'Inde et de l'Union européenne. Le vent européen a frappé l'Est du Québec avant de toucher la plaine montréalaise. C'est le signal qu'il faut des changements structuraux au-delà « des indemnisations historiques en assurance récolte » de cette année. Les fermes familiales québécoises, malgré le phénomène marginale des micro-fermes maraîchères vendant directement aux consommatrices, fusionnent historiquement comme ailleurs. Même devenant agroindustrielles, elles restent cependant plus modestes que celles canadiennes ou étatsuniennes. Avant même le dernier été catastrophique de pluies trop abondantes ou de sécheresse, de hausse du prix des engrais due à la guerre contre l'Ukraine et, last but not least, de la hausse des taux d'intérêt, elles étaient au bord du gouffre.

7 avril 2024

Au Québec la politique de soutien du lait pour le marché intérieur, principale production québécoise, est fort différente de celle du porc vendu mondialement. La volatilité des prix mondiaux favorise les « intégrateurs » porcins qui réduisent les fermiers à la sous-traitance par manque de capitaux sans toutefois leur enlever le risque de marché. Quant aux quotas, « l'une des plus lourdes hypothèques qui pèsent sur l'agriculture québécoise » (Rapport Pronovost, 2008), ils lestent de 60% la valeur marchande de la ferme laitière moyenne, ce qui handicape tant les investissements productifs que la relève. En résulte un « endettement sans précédent des agriculteurs », relativement plus important de 50% qu'en Ontario et plus du triple qu'aux ÉU et qui « a doublé au cours des dix dernières années » d'ajouter le rapport Pronovost, ce qui provoque « la baisse des revenus agricoles ». Cette baisse a obligé les ménages agricoles, particulièrement la conjointe, à travailler à l'extérieur de la ferme pour les deux tiers de leurs revenus afin de se maintenir à flot.

Le rapport Pronovost n'ayant pas été appliqué sauf à la marge, l'agriculture québécoise est devenue fragile aux bouleversements mondiaux, dussent-ils être climatiques, géopolitiques et économiques, qui ont convergé sur le monde postpandémie. Éclatait le printemps passé sur la scène publique la crise du porc qui n'a pu être colmatée que sur le dos du prolétariat sous-payé et en partie racisé du monopsone Olymel, des petits éleveurs porcins et du contribuable… mais pas suffisamment selon le président de l'UPA. Pour la production maraîchère mal assurée, grande ou petite, c'est la crise totale à faire pleurer. Si on en juge par leur participation aux actuelles mobilisations, les producteurs de lait, du moins la relève, bénéficiant de la protection des quotas acquis à prix d'or, tirent aussi le diable par la queue.

Plus ça change… plus est sacrifiée l'agriculture à la filière batterie

De constater le président de l'UPA au congrès de décembre dernier : « Nos coûts sont plus élevés, on s'endette plus, pour moins de profit. C'est ça la réalité ». Plus ça change….

Depuis 2015, la dette des agriculteurs québécois a plus que doublé, connaissant une hausse de 115 %, pour atteindre 29,4 milliards de dollars. Sur la même période, leurs revenus ont baissé de 38 %, d'après des données de la Financière agricole citées par Martin Caron [président de l'UPA]. […] Près d'une famille agricole sur deux dépendrait aussi d'un revenu extérieur, une proportion en hausse depuis quelques années. […] À ces pressions économiques se sont ajoutés les événements environnementaux extrêmes de l'été. Gel tardif au printemps, feux de forêt, sécheresse ou pluies abondantes ont affecté les récoltes, selon les régions.

Des mesures d'urgence sont en cours nous dit-on soit « le travail de réforme du programme d'assurance récolte […], la demande au gouvernement fédéral que soit déclenché le programme Agri-relance [qui vise spécifiquement à aider les producteurs agricoles touchés par une catastrophe naturelle, NDLR] et le grand chantier que Québec a entrepris pour alléger le fardeau administratif des agriculteurs et qui devrait apporter des résultats d'ici l'automne. » C'est indispensable mais l'agriculture a surtout besoin d'être sortie du « business as usual » de l'agro-industrie carnée vers l'agroécologie végétarienne en commençant par la préservation des terres agricoles de la menace tant du capital financier, que réclame Québec solidaire, que de l'industrie éolienne :

Au Québec, la superficie des terres en culture est de 0,24 hectare par habitant. C'est le taux le plus bas au sein de l'OCDE [l'Organisation de coopération et de développement économiques, qui regroupe 38 pays développés]. Aux États-Unis, ce taux est de 1,52 hectare par habitant. La zone agricole est constamment grugée et grignotée par des développements de toutes sortes. En plus des superficies exclues de la zone agricole, des milliers d'hectares ont été sacrifiés pour des « utilisations non agricoles » (UNA) en zone verte. Depuis 25 ans, la perte réelle représente 57 000 hectares [570 km2 , soit plus que l'île de Montréal]. Les UNA sont une approche sournoise. Les terres visées par leur implantation demeurent comptabilisées en zone verte. Or, elles perdent leur vocation agricole et, plus souvent qu'autrement, de manière irrémédiable.

L'implantation de parcs éoliens en zone agricole est un exemple type d'UNA. Imaginez 3000 à 5000 éoliennes sur le territoire agricole du Québec, soit le nombre nécessaire pour répondre à la demande d'Hydro-Québec. […] Avec près de 3000 éoliennes de cinq mégawatts installées pour atteindre les objectifs de demande […], c'est près de 100 milliards $ qui seront versés aux promoteurs éoliens au cours de cette période [30 ans]. Tout dépendamment de leurs marges bénéficiaires, ce sont des centaines de millions de dollars de profits que nous nous apprêtons à leur accorder chaque année.

Soulignons qu'il s'agit ici d'assurer en toute sécurité, donc dans une perspective de souveraineté alimentaire, au peuple québécois la nourriture quotidienne soit la base de son existence. À cet égard, le président de l'UPA « estime que les gouvernements fédéraux et provinciaux doivent accroître la part de leur budget consacré à l'agriculture. D'après des données de l'UPA, cette proportion était de 1,47 % au fédéral en 2013, elle est passée à 0,42 %. Au provincial, la proportion du budget réservée à l'agriculture et à l'agroalimentaire est passée de 1,47 % il y a 10 ans à 0,98 % aujourd'hui. » De répondre Québec solidaire aux maniaques de la lutte contre la dette publique pourtant nettement sous contrôle malgré les apparences et sachant que billionnaires, multimillionnaires et grandes entreprises sont loin de payer leur juste part :

Quand c'est le temps de donner des milliards pour des multinationales étrangères pour faire des batteries, il ne manque jamais d'argent. Mais quand vient le temps de soutenir les hommes et les femmes qui nourrissent le Québec, le gouvernement de François Legault leur réserve moins de 1% du budget. (Discours de Gabriel NadeauDubois lors de la manifestation de St-Jean-sur-Richelieu)

La révolution agrobiologique passe par le rejet du joug financier du libre-échange

Il faudrait cependant pousser plus loin la coche de la critique comme le fait l'organisme de gauche paysanne mondiale Via Campesina en réaction aux manifestations agricoles européennes :

À cette situation s'ajoutent de nouvelles ambitions en matière de transition écologique et de lutte contre le dérèglement climatique. L'Union européenne a souhaité mettre en place le Green deal, un pacte vert en vue de réduire l'utilisation des émissions de carbone, de pesticides, promouvoir des systèmes alimentaires durables, augmenter les surfaces en bio, etc. Le Copa-Cogeca [fédération européenne des grandes entreprises agro-industrielles] s'y est tout de suite opposé alors que ECVC [Coordination européenne de Via Campesina] de son côté a salué les objectifs en déplorant le manque d'outils de mise en œuvre. La montée en gamme engendre forcément une augmentation des couts de production, et elle ne peut pas se faire dans le cadre du libre-échange. On a ainsi un pôle qui défend le business contre la transition, et un autre qui défend la sortie du libéralisme pour pouvoir mettre en place des politiques écologiques. À l'heure actuelle on a clairement perdu une bataille, même si un débat intéressant a émergé au niveau européen.

Face au discours anti-paperasse des protestataires, on a parfois l'impression d'un mot-code anti-écologie bien qu'iels ont cent fois raison de réclamer un soutien majoré pour s'y conformer. Et il va falloir soulever la pression du libre-échange qui y est pour beaucoup dans la crise du porc et l'est en sous-main pour ce qui est de la production maraîchère et même céréalière. L'épuisement des sols, la pollution aquatique et les émanations de GES de l'agro-industrie s'acheminent à la vitesse grand V vers un clash, tout en y contribuant, eu égard aux crises du climat et de la biodiversité. On est encore loin du compte d'une solution structurelle de la crise.

Sans une remise en cause de l'endettement des fermes familiales et de leur concentration/transformation en fermes capitalistes, de la monopolisation des industries en amont et en aval de la production agricole, en particulier de l'hyperconcentration de la distribution soit trois distributeurs dont deux hors Québec contrôlant de 90 à 95% du marché, on sera coincé entre le Charybde du libreéchange et le Sylla du protectionnisme. Historiquement, le recours au coopératives dans un environnement capitaliste a été un échec. Desjardins, Coop fédérée/Olymel et Agropur participent comme les autres banques et autres fournisseurs à l'étouffement de la ferme familiale, sans compter leur antisyndicalisme notoire. On a du pain sur la planche.

Marc Bonhomme, 7 avril 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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La lutte aux changements climatiques au-delà de la taxe carbone canadienne

9 avril 2024, par Richard Fidler — ,
Nous devons avoir un autre type de gouvernement attaché au soutien aux victimes des changements climatiques, pas à ceux et celles qui les alimentent Richard Fidler, (…)

Nous devons avoir un autre type de gouvernement attaché au soutien aux victimes des changements climatiques, pas à ceux et celles qui les alimentent

Richard Fidler, Canadian Dimension 25 mars 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Les changements climatiques sont la partie très visible, la plus menaçante expression, d'une crise écologique planétaire. Ils sont au cœur et le résultat d'un système économique basé sur les énergies fossiles et qui poursuit sans fin la croissance basée sur l'exploitation des ressources naturelles renouvelables ou non, en dépassant les capacités de la nature.

Notre approche doit être à l'avenant face aux défis structurels que présente cette crise à l'organisation sociale, si nous voulons mettre un frein et inverser la catastrophe écologique. Elle nous heurte de front mais elle est alimentée par notre propre dépendance aux énergies fossiles.

Globalement, nous nous battons encore pour faire reconnaitre cette dépendance. La récente conférence COP28, la 28ième depuis celle de Kyoto en 1990, a réussi pour la première fois à trouver un consensus sur l'obligation dans laquelle nous sommes d'entreprendre une transition de sortie des énergies fossiles si nous voulons atteindre l'objectif mondial de « zéro émission » de GES en 2050.

Est-ce que nous y sommes ? Le Centre de politiques alternatives canadien a publié dernièrement les résultats d'une étude récente qui nous informent que la moitié du pétrole utilisée par les humains.es l'a été durant les 27 dernières années. La moitié du gaz l'a été durant les 21 dernières années et la moitié du charbon durant les 37 dernières années. Résultat : la moitié des 1,77 mille milliards de tonnes de dioxyde de carbone émises l'ont été durant les 30 dernières années. 14% l'ont été depuis l'accord de Paris en 2015.

À ce jour les énergies renouvelables, éoliennes, solaires et thermales n'ont fait aucune différence sur l'usage des énergies fossiles per capita. Elles n'ont servi qu'à augmenter notre consommation. En 2022, les énergies fossiles représentaient 82,9% de la consommation totale mondiale.

Pourtant leur production et leur utilisation sont en train de détruire la planète. Nous devons donc trouver et développer les renouvelables pour remplacer les fossiles. Et peut-être encore plus important, trouver des moyens d'éliminer l'inefficacité et l'aspect socialement indésirable de cette consommation. Nos sociétés doivent devenir moins dépendantes des forces du marché qui mènent à la production et la consommation des énergies fossiles dans notre système capitaliste. En plus de générer de plus en plus d'inégalités sociales et de détérioration des services publics.

Où en est le Canada ?

Il est le 4ième plus grand producteur de pétrole au monde. Plus de la moitié de sa production est exportée. 90,8% concerne les énergies primaires : 54% de pétrole, 31% de gaz naturel, 6% de charbon. Les énergies hydrauliques, nucléaires et renouvelables constituent le reste.

La dernière publication du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, le Plan de réduction des émissions, affiche un engagement de réduction des GES de 40 à 45% sous le niveau de 2005 en 2030 et l'élimination complète en 2050.

Le plan annonce un plafond d'émissions à venir, une stratégie de construction verte et la création de réseaux électriques alimentés par des énergies renouvelables. Il prévoit aussi la promotion des véhicules électriques, surtout les voitures, des investissements majeurs dans les technologies de captation du carbone et son entreposage ou encore des captations directement dans l'air et la fin de l'extraction du pétrole et du gaz. Jusqu'ici, pratiquement, ce dernier engagement est introuvable (dans les faits).

Et nous voilà avec de nouveaux oléoducs et des installations construites pour exporter le GNL (gaz naturel liquéfié) et les autres produits des énergies fossiles qui seront extraits pendant plusieurs années à venir. Les statistiques ne tiennent pas compte des émissions émises et consommées en dehors du Canada. L'achat du projet d'oléoduc Trans Mountain par le gouvernement canadien a coûté jusqu'à maintenant, environ 35 milliards de dollars. Les installations de Prince Rupert pour traiter le GNL, dans lesquelles investit la controversée compagnie Northern Gateway, et dans l'oléoduc attenant, a coûté 40 milliards. Quatre autres installations semblables sont envisagées.

La mise en œuvre du plan fédéral est laissée aux provinces et aux entreprises privées, les résultats sont donc douteux. En Ontario, le Premier ministre D. Ford a mis fin à un grand nombre de projets d'énergies renouvelables, augmentant ainsi la dépendance de la province au gaz naturel. La Première ministre albertaine, D. Smith a considérablement réduit les projets d'énergies renouvelables. En Colombie Britannique, le gouvernement NPD poursuit l'expansion (de la production) de GNL et supervise une augmentation de la production des gaz de schiste. À Terre-Neuve et Labrador, les revenus du pétrole et du gaz comptent pour environ 25% du produit intérieur brut de la province et elle prévoit doubler sa production de pétrole.

L'élément central du plan fédéral réside dans le prix du carbone déjà en place avec les programmes de la Colombie Britannique et du Québec. Le plan souligne que « mettre un prix sur la pollution est largement reconnu comme la formule pertinente et efficientes pour réduire les GES ». Les producteurs et les consommateurs.trices sujets.tes à des augmentations périodiques du prix du carbone pourraient changer leurs habitudes pour celles plus favorables au climat.

Mais, il faut être clairs. La régulation des émissions est une alternative à la planification et la quantification des réductions dans l'extraction et le développement des énergies fossiles. Comme beaucoup de critiques l'on souligné, l'imposition d'un prix au carbone ne régule pas les émissions. Il s'agit d'une mesure basée sur un calcul arbitraire qui ne prend pas en compte, en général, les « externalités » l'accumulation des émissions, les trous dans les vérifications et, dans le cas des crédits attachés au marché du carbone, les impacts disproportionnés des changements climatiques dans les pays du sud. Pour les milieux d'affaire, il ne s'agit que d'un coût pour faire des affaires. Et le programme sera toujours à la bonne hauteur pour assurer au monde des affaires du Canada qu'il ne sera pas désavantagé face à leurs compétiteurs.trices. On évitera ainsi des soubresauts économiques qui nécessiteraient plus d'intervention sur les marchés.

Toutefois, les consommateurs.trices, ceux et celles qui utilisent les énergies fossiles pour le chauffage ou le transport, portent la responsabilité morale et financière du prix du carbone. Le gouvernement fédéral a tenté de faire baisser la grogne avec des rabais pour 80% de ces personnes. Et plus récemment, l'opposition populaire l'a obligé à exempter de ce frais, les habitants.tes des Maritimes qui se chauffent au fuel. Mais le gouvernement insiste encore pour dire que l'imposition du prix au carbone va permettre de réduire les émissions de GES d'un tiers d'ici 2030.

Clairement, l'objectif général du Plan canadien est de faire durer le plus longtemps possible les énergies fossiles comme source principale d'énergie en utilisant les « compensations » qu'offre le marché et le commerce du carbone pour arriver à « zéro-net » émissions. Sans surprises, beaucoup de Canadiens.nes sont réticents.es envers ces politiques anti sociales et anti écologiques qu'ils et elles sont obligés.es de payer en partie.

Quelle est l'alternative ?

Dans son dernier ouvrage, A Good War : Mobilizing Canada for the Climate Emergency, Seth Klein défend de manière convaincante l'idée qu'il nous faut changer d'approche. Il compare le peu que le Canada fait face à la crise climatique avec la mobilisation massive du pays lors de la seconde guerre mondiale. Les esprits étaient en état d'urgence, on a imposé des mesures, on a reconfiguré la production industrielle en faisant construire des tanks et de jeeps au lieu des autos, et par-dessus tout, on ne s'est pas fié aux forces des marchés. Il y a eu une vraie planification, la nationalisation d'environ 50 compagnies de la couronne et on a dépensé tout ce qu'il fallait pour gagner.

M. Klein soutient que c'est ce qu'il nous faut en ce moment. D'abord un inventaire national car c'est sur une telle base qu'on pourra coordonner la production de masse des équipements nécessaires pour réussir à atteindre les nouvelles cibles de réduction des GES. Il faudra construire toutes les nouvelles usines nécessaires pour produire les panneaux solaires, les éoliennes, les thermo pompes et les autobus électriques en masse. La technologie existe déjà. Une programmation précise devra être adoptée pour la réduction de l'extraction des énergies fossiles au Canada. Elle devra s'accompagner d'un plan solide et juste de transition pour les travailleurs du secteur et les communautés qui dépendent de cette industrie.

En même temps que l'interdiction de nouvelles infrastructures liées aux énergies fossiles, nous devrons élaborer un plan de développement majeur d'installations publiques pour une production verte qui devra impliquer tous les niveaux de gouvernement. Des milliards de dollars devront être investit dans les énergies renouvelables. Il faudra mettre aux nouvelles normes, les trains à grande vitesse, la poursuite de l'électrification du réseau ferroviaire du pays, celle des transports publics et le développement des bornes de recharge, de la capture du méthane dans les fermes et sur les sites d'enfouissement.

Mais, malgré le meilleur des scénarios, S. Klein nous prévient qu'il restera un certain niveau de réchauffement climatique. Donc nous sommes obligés.es dès maintenant d'investir des sommes importantes dans l'adaptation à cette situation, dans la résilience des infrastructures et se préoccupant particulièrement des communautés vulnérables qui ont besoin d'être mieux protégées des désastres climatiques comme les feux de forêts, les chaleurs extrêmes, les inondations etc. Nous devons aussi investir des sommes importantes dans l'aménagement des forêts pour diminuer les risques de feux dans les zones rurales et près des communautés des Premières nations. Cela devrait apporter des milliers d'emplois durables dans les zones qui dépendent des ressources naturelles. Nous devons avoir un grand plan pour réparer et rehausser les systèmes naturels de séquestration (du carbone) canadien. Il faut aider la nature à capter le carbone dans l'atmosphère. Cela veut dire un programme majeur de reforestation et bien sûr, la préservation des forêts existantes.

Et M. Klein ajoute un point important. Comme les militants.es pour un Nouveau plan vert l'ont souligné : « nous avons besoin de plus que des investissements directs dans les infrastructures climatiques ; nous devons aussi consentir des investissements extrêmement importants dans les infrastructures sociales et dans une économie compatissante. Cela veut dire des investissements de tous les niveaux de gouvernement dans l'habitation publique sans émissions de GES, leur engagement solide à construire des centaines de milliers de nouveaux logements non soumis aux marchés. Donc, que le fédéral et les provinces financent des services universels publics, accessibles et de qualité, de garde des enfants, de soins aux personnes âgées et aux handicapés.es. Ce sont des services déjà presque sans émissions et qui représenteraient un renforcement important à l'accès aux logements abordables ».

Finalement, nous devons adopter une série de lois et de règlements qui vont établir un calendrier pour s'assurer de l'application de certains éléments : « Des cibles claires … intégrées dans les lois et bien publicisées vont donner un signal plus important aux marchés que n'importe quel prix donné au carbone. Les industries et les consommateurs.trices sauront qu'il leur faut modifier leurs plans en conséquence. Si elles sont renforcées, ces cibles vont forcer les manufactures, les constructeurs.trices, les installateurs.trices et les compagnies extractives à planifier leurs investissements en fonction de ce calendrier ».

J'ajouterais quelques remarques au tableau de S. Klein. En plus de ses perspectives nationales, il faut prendre en considérations les dimensions internationales. Il faut être solidaires avec les luttes pour la justice climatique des peuples du sud. Ils sont les premières victimes du réchauffement de la planète. Ils s'opposent aussi aux relations commerciales inégales, a la sur-exploration de leur travail, au pillage de leurs ressources naturelles par les capitaux internationaux et demandent le retrait de leurs dettes illégitimes. Cela implique de collaborer avec des pays comme la Chine pour développer un marché mondial des ressources et des technologies alternatives.

Les Premières nations sont les principales cibles qu'on tente de forcer ou d'intégrer dans des « partenariats » avec des entreprises et les gouvernements dans l'exploitation capitaliste de leurs territoires et ressources. La solidarité avec leurs luttes pour l'auto détermination et l'autonomie est essentielle.

La transition en elle-même va apporter un surcroît d'émissions (de GES). Il faudra l'éliminer si on ne veut pas que le « budget carbone » n'explose. Il faut donc combattre l'impératif de croissance capitaliste.

Est-ce que cela signifie aller vers la décroissance ? Certaines productions et certains services ne devraient pas décroître mais être supprimés aussi tôt que possible. Par exemple : les mines et les installations liées au charbon, au pétrole, à la production de munitions, la publicité industrielle, les plastiques, les pesticides, etc. Mais d'autres, au contraire, devraient progresser : les énergies renouvelables, l'agriculture biologique, les services essentiels comme l'éducation, les soins de santé et la culture.

Globalement, cette contreproposition vise un « changement de système » d'approche aux changements climatiques. La stratégie, les programmes, sont orientés vers la satisfaction des besoins sociaux et communautaires, en dehors de la recherche du profit. Et, si je puis me permettre, cela est considérablement différent de l'analogie que fait S. Klein avec la mobilisation durant la seconde guerre mondiale. À cette époque, c'est la classe dirigeante qui s'est unie dans un effort national. Ce sont les intérêts de classe qui ont mené à cette une unité.

Aujourd'hui, cette unanimité inter classes n'existe pas. Nous sommes plutôt devant ce que certains.es critiques appellent : « un régime d'obstruction » élaboré à partir d'une matrice de contrôle corporatif et financier de nos processus politiques et économiques, des diffuseurs de nouvelles et d'autres médias culturels. Leurs centres de pouvoir se trouvent dans une combinaison d'intérêts pétroliers basés à Calgary et bancaires et financiers à Toronto. Nous avons un problème structurel. Pour le vaincre nous devons développer des alliances, des coalitions de travailleurs.euses, de fermiers.ères, de communautés amérindiennes, de minorités radicales, d'étudiants.es, de jeunes, de pauvres, contre l'oligarchie gazière et pétrolière. Il faut aussi coupler la lutte aux GES à l'opposition à l'austérité capitaliste.

Un défi majeur : restructurer les transports

L'étude des émissions de GES par secteurs au Canada montre que plus de la moitié est produite par l'extraction des ressources fossiles et 25% à 28% par les transports. Quelle pourrait-être une stratégie alternative pour ce secteur qui compte autant comme service que le logement et les soins de santé dans la vie quotidienne des populations ?

S. Klein met en tête de liste, « d'étendre les transports publics avec un plan pour non seulement pour les rendre plus accessibles mais aussi singulièrement plus abordables. Ce qui veut dire minimalement, la gratuité pour les populations à faible revenu mais qui puisse évoluer vers des services payés par la puissance publique, donc gratuit au même titre que les soins de santé ».

C'est ce que nous avec Free Transit Ottawa : rendre le système de transport public accessible à tous et toutes, sans frais tout comme les écoles publiques, les pistes cyclables et les trottoirs. Ces transports publics radicalement améliorés non seulement combattraient la pauvreté et l'exclusion sociale mais serait en plus une des mesures les plus importantes dans la lutte aux changements climatiques.

Et les autos et les camions ? L'extension des chemins de fer réduirait sensiblement le camionnage sur les grandes routes et en ville les camions devraient être électrifiés. La voiture individuelle a déterminé le schéma de nos villes et de notre culture depuis des centaines d'années. Elle a contribué au développement de l'étalement urbain, à empiéter sur les terres agricoles et humides. Elle induit des dépenses supplémentaires et des pertes de temps à ceux et celles qui l'utilisent pour leurs déplacements quotidiens. Non seulement faut-il mettre fin à la construction, la vente et la publicité pour ces véhicules qui fonctionnent aux énergies fossiles mais il faut les remplacer par des transports publics plus étendus, électrifiés pour le transport inter cité par rail également.

Les travailleurs.euses de l'usine GM à Oshawa ont défendu cette option quand, en 2019, la compagnie a mis fin à ses opérations sur ce cite où elle produisait depuis plus de 100 ans. Le comité d'action politique du local 222 du syndicat Unifor a mené une campagne appelée Green Jobs Oshawa. Il appelait le gouvernement fédéral à prendre l'usine en mains, d'en faire une propriété publique et de la convertir pour la fabrication de véhicules électriques en mettant la priorité sur les équipements gouvernementaux comme les camions de Postes Canada. D'ailleurs, le syndicat de Postes Canada avait déjà fait la proposition de passer à l'électrification (de sa flotte) et de créer de nouvelles fonctions de services bancaires et de services à domiciles, localement.

Le gouvernement fédéral et certaines provinces ont choisi de ne pas remplacer les autos mais simplement de les électrifier. Ils ont plutôt investi environ 50 milliard de dollars dans la construction de 3 usines géantes, 2 en Ontario et une au Québec, pour la fabrication des batteries pour les véhicules électriques. Ces usines sont des propriétés privées. Les critiques soulèvent la question de la pertinence de ce dernier investissement à une compagnie étrangère qui aurait pu construire son installation et produire sans cette subvention. On peut aussi se demander ce qu'il en serait si ces sommes étaient investies dans l'extension de transports publics électriques. Et qu'en est-il des coûts environnementaux pour l'extraction des métaux nécessaires à la fabrication des batteries ? Est-ce logique de vouloir réduire les émissions de GES en développant massivement les mines parmi les plus gourmandes en énergie et très polluantes ?

Finalement il faut garder à l'esprit qu'une campagne pour des transports publics améliorés et gratuits va se frapper à une sérieuse opposition de la part des développeurs qui détiennent de grandes proportions de terres aux abord des villes, de l'industrie pétrolière et automobile et d'autres secteurs d'affaire qui favorisent la faible taxation et de la part des politiciens.nes qui les représentent.

Pour mettre en place des transports publics accessibles et gratuits il faudra développer un puissant mouvement qui puisse combattre efficacement cette opposition. Il devra s'appuyer sur ceux et celles qui dépendent des transports publics, sur le environnementalistes militants.es mais il devra aussi inclure une large frange de travailleurs.euses et de professionnels.les dont les employés.es actuels des sociétés de transport comme OC Transpo. Pour y arriver, nous devrons mettre des énergies dans l'éducation autant que dans les luttes pour des réformes immédiates de baisse du coût de ces transports et pour en accroitre l'accessibilité. Il faudra nous joindre aux luttes existantes et en initier de nouvelles.

En dernier ressort, nous devrons avoir une autre sorte de gouvernement qui aura la volonté politique de coordonner et consolider la transition, un gouvernement qui appuiera l'aide aux victimes des changements climatiques pas ceux et celles qui participent à leur production.

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« Lavender », l’intelligence artificielle qui dirige les bombardements israéliens à Gaza

9 avril 2024, par Yuval Abraham — , ,
L'armée israélienne a désigné des dizaines de milliers d'habitants de Gaza comme des suspects, cibles d'assassinat, en utilisant un système de ciblage par intelligence (…)

L'armée israélienne a désigné des dizaines de milliers d'habitants de Gaza comme des suspects, cibles d'assassinat, en utilisant un système de ciblage par intelligence artificielle (IA), avec peu de contrôle humain et une politique permissive en matière de pertes « collatérales », révèlent le magazine +972 et le site d'informations Local Call.

Tiré de France Palestine Solidarité. Article initialement paru dans +972 Magazine. Photo : Octobre 2023, vue aérienne de bâtiments écroulés et de la destruction dans la bande de Gaza © UNRWA Photo/Ashraf Amra

En 2021, un livre intitulé L'équipe humain-machine, comment créer une synergie entre humain et intelligence artificielle qui va révolutionner le monde a été publié en anglais sous le pseudonyme de « Brigadier General Y.S. ». Dans cet ouvrage, l'auteur – un homme dont nous pouvons confirmer qu'il est l'actuel commandant de l'unité d'élite du renseignement israélien 8200 – plaide en faveur de la conception d'une machine spéciale capable de traiter rapidement des quantités massives de données afin de générer des milliers de « cibles » potentielles pour des frappes militaires dans le feu de l'action. Une telle technologie, écrit-il, résoudrait ce qu'il décrit comme un « goulot d'étranglement humain à la fois pour la localisation des nouvelles cibles et la prise de décision pour approuver les cibles ».

Il s'avère qu'une telle machine existe réellement. Une nouvelle enquête menée par +972 Magazine et Local Call révèle que l'armée israélienne a mis au point un programme basé sur l'intelligence artificielle (IA), connu sous le nom de « Lavender », dévoilé ici pour la première fois.

Selon six officiers du renseignement israélien, qui ont tous servi dans l'armée pendant la guerre actuelle contre la bande de Gaza et ont été directement impliqués dans l'utilisation de l'intelligence artificielle pour générer des cibles à assassiner, Lavender a joué un rôle central dans le bombardement sans précédent des Palestiniens, en particulier pendant les premières phases de la guerre. En fait, selon ces sources, son influence sur les opérations militaires était telle qu'elles traitaient les résultats de la machine d'IA « comme s'il s'agissait de décisions humaines ».

Officiellement, le système Lavender est conçu pour marquer tous les agents présumés des ailes militaires du Hamas et du Jihad islamique palestinien, y compris les moins gradés, comme des cibles potentielles pour les bombardements. Ces sources ont déclaré à +972 et à Local Call que, pendant les premières semaines de la guerre, l'armée s'est presque entièrement appuyée sur Lavender, qui a marqué jusqu'à 37 000 Palestiniens comme militants présumés – avec leurs maisons – en vue d'éventuelles frappes aériennes.

Au début de la guerre, l'armée a largement autorisé les officiers à adopter les listes d'objectifs de Lavender, sans exiger de vérification approfondie des raisons pour lesquelles la machine avait fait ces choix, ni d'examen des données brutes de renseignement sur lesquelles elles étaient basées. Une source a déclaré que le personnel humain ne faisait souvent qu'entériner les décisions de la machine, ajoutant que, normalement, il ne consacrait personnellement qu'environ « 20 secondes » à chaque cible avant d'autoriser un bombardement – juste pour s'assurer que la cible marquée par Lavender est bien un homme. Et ce, tout en sachant que le système commet ce que l'on considère comme des « erreurs » dans environ 10 % des cas, et qu'il est connu pour marquer occasionnellement des individus qui n'ont qu'un lien ténu avec des groupes militants, voire aucun lien du tout.

En outre, l'armée israélienne a systématiquement attaqué les personnes ciblées alors qu'elles se trouvaient chez elles – généralement la nuit, en présence de toute leur famille – plutôt qu'au cours d'une activité militaire. Selon les sources, cela s'explique par le fait que, du point de vue du renseignement, il est plus facile de localiser les individus dans leurs maisons privées. Lavender a marqué jusqu'à 37 000 Palestiniens comme militants présumés – avec leurs maisons – en vue d'éventuelles frappes aériennes.

D'autres systèmes automatisés, dont celui appelé « Where's Daddy ? » (Où est papa ?), également révélé ici pour la première fois, ont été utilisés spécifiquement pour suivre les individus ciblés et commettre des attentats à la bombe lorsqu'ils étaient entrés dans les résidences de leur famille.

Le résultat, comme en témoignent ces sources, est que des milliers de Palestiniens – pour la plupart des femmes et des enfants ou des personnes qui n'étaient pas impliquées dans les combats – ont été éliminés par les frappes aériennes israéliennes, en particulier au cours des premières semaines de la guerre, en raison des décisions du programme d'intelligence artificielle.

« Nous ne voulions pas tuer les agents [du Hamas] uniquement lorsqu'ils se trouvaient dans un bâtiment militaire ou participaient à une activité militaire », a déclaré A., un officier de renseignement, à +972 et à Local Call. « Au contraire, l'armée israélienne les a bombardés dans leurs maisons sans hésitation, comme première option. Il est beaucoup plus facile de bombarder la maison d'une famille. Le système est conçu pour les rechercher dans ces situations. »

La machine Lavender rejoint un autre système d'IA, « The Gospel », au sujet duquel des informations ont été révélées lors d'une précédente enquête menée par +972 et Local Call en novembre 2023, ainsi que dans les propres publications de l'armée israélienne. La différence fondamentale entre les deux systèmes réside dans la définition de la cible : alors que The Gospel marque les bâtiments et les structures à partir desquels, selon l'armée, les militants opèrent, Lavender marque les personnes – et les inscrit sur une liste de personnes à abattre.

En outre, selon les sources, lorsqu'il s'agissait de cibler de jeunes militants présumés marqués par Lavender, l'armée préférait n'utiliser que des missiles non guidés, communément appelés bombes « stupides » (par opposition aux bombes de précision « intelligentes »), qui peuvent détruire des bâtiments entiers sur leurs occupants et causer d'importantes pertes humaines. « Vous ne voulez pas gaspiller des bombes coûteuses sur des personnes sans importance - cela coûte très cher au pays et il y a une pénurie [de ces bombes] », a déclaré C., l'un des officiers de renseignement. Une autre source a déclaré qu'ils avaient personnellement autorisé le bombardement de « centaines » de domiciles privés d'agents subalternes présumés marqués par Lavender, nombre de ces attaques tuant des civils et des familles entières en tant que « dommages collatéraux ».

Selon deux des sources, l'armée a également décidé, au cours des premières semaines de la guerre, que pour chaque agent subalterne du Hamas marqué par Lavender, il était permis de tuer jusqu'à 15 ou 20 civils ; par le passé, l'armée n'autorisait aucun « dommage collatéral » lors de l'assassinat de militants de bas rang. Les sources ont ajouté que, dans le cas où la cible était un haut responsable du Hamas ayant le rang de commandant de bataillon ou de brigade, l'armée a autorisé à plusieurs reprises le meurtre de plus de 100 civils lors de l'assassinat d'un seul commandant.

L'enquête qui suit est organisée selon les six étapes chronologiques de la production hautement automatisée de cibles par l'armée israélienne au cours des premières semaines de la guerre de Gaza.

Tout d'abord, nous expliquons le fonctionnement de la machine Lavender elle-même, qui a marqué des dizaines de milliers de Palestiniens à l'aide de l'IA.

Ensuite, nous révélons le système « Where's Daddy ? » (Où est papa ?), qui a suivi ces cibles et signalé à l'armée qu'elles entraient dans leurs maisons familiales.

Troisièmement, nous décrivons comment des bombes « stupides » ont été choisies pour frapper ces maisons.

Quatrièmement, nous expliquons comment l'armée a assoupli le nombre de civils pouvant être tués lors du bombardement d'une cible.

Cinquièmement, nous expliquons comment un logiciel automatisé a calculé de manière inexacte le nombre de non-combattants dans chaque foyer.

Sixièmement, nous montrons qu'à plusieurs reprises, lorsqu'une maison a été frappée, généralement la nuit, la cible individuelle n'était parfois pas du tout à l'intérieur, parce que les officiers militaires n'ont pas vérifié l'information en temps réel.

Étape 1 : Générer des cibles

« Une fois que l'on passe à l'automatisme, la génération des cibles devient folle »

Dans l'armée israélienne, l'expression « cible humaine » désignait autrefois un haut responsable militaire qui, selon les règles du département du droit international de l'armée, pouvait être tué à son domicile privé, même s'il y avait des civils à proximité.

Des sources du renseignement ont déclaré à +972 et à Local Call qu'au cours des précédentes guerres conduites par Israël, étant donné qu'il s'agissait d'une manière « particulièrement brutale » de tuer quelqu'un – souvent en tuant toute une famille aux côtés de la cible – ces cibles humaines étaient marquées très soigneusement : seuls les commandants militaires de haut rang étaient bombardés à leur domicile, afin de maintenir le principe de proportionnalité en vertu du droit international.

Mais après le 7 octobre, lorsque les militants du Hamas ont lancé un assaut meurtrier contre les communautés du sud d'Israël, tuant environ 1 200 personnes et en enlevant 240, l'armée a adopté une approche radicalement différente, selon les sources. Dans le cadre de l'opération « Épées de fer », l'armée a décidé de désigner tous les agents de la branche militaire du Hamas comme des cibles humaines, quel que soit leur rang ou leur importance militaire. Cela a tout changé.

Cette nouvelle politique a également posé un problème technique aux services de renseignement israéliens. Au cours des guerres précédentes, pour autoriser l'assassinat d'une seule cible humaine, un officier devait passer par un processus d'« incrimination » long et complexe : vérifier par recoupement les preuves que la personne était bien un membre haut placé de l'aile militaire du Hamas, découvrir où elle vivait, ses coordonnées, et enfin savoir quand elle était chez elle en temps réel. Lorsque la liste des cibles ne comptait que quelques dizaines d'agents de haut rang, les services de renseignement pouvaient s'occuper individuellement du travail d'incrimination et de localisation.

Mais une fois que la liste a été élargie pour y inclure des dizaines de milliers d'agents de rang inférieur, l'armée israélienne a compris qu'elle devait s'appuyer sur des logiciels automatisés et sur l'intelligence artificielle. Le résultat, selon les sources, est que le rôle du personnel humain dans l'incrimination des Palestiniens en tant qu'agents militaires a été mis de côté et que l'intelligence artificielle a fait le gros du travail à sa place.

Selon quatre des sources qui ont parlé à +972 et à Local Call, Lavender – qui a été développé pour créer des cibles humaines dans la guerre actuelle – a marqué quelque 37 000 Palestiniens comme étant des « militants du Hamas » présumés, des jeunes pour la plupart d'entre eux, en vue de leur assassinat (le porte-parole de l'armée israélienne a nié l'existence d'une telle liste dans une déclaration à +972 et à Local Call).

« Nous ne savions pas qui étaient les agents subalternes, parce qu'Israël ne les suivait pas régulièrement [avant la guerre] », a expliqué l'officier supérieur B. à +972 et à Local Call, expliquant ainsi la raison pour laquelle cette machine à cibler a été mise au point pour la guerre en cours. « Ils voulaient nous permettre d'attaquer automatiquement [les agents subalternes]. C'est le Saint Graal. Une fois que l'on passe à l'automatisation, la génération des cibles devient folle ».

Les sources ont déclaré que l'autorisation d'adopter automatiquement les listes d'objectifs de Lavender, qui n'avaient été utilisées auparavant que comme outil auxiliaire, a été accordée environ deux semaines après le début de la guerre, après que le personnel des services de renseignement a vérifié « manuellement » l'exactitude d'un échantillon aléatoire de plusieurs centaines de cibles sélectionnées par le système d'intelligence artificielle.

Lorsque cet échantillon a révélé que les résultats de Lavender avaient atteint une précision de 90 % dans l'identification de l'affiliation d'un individu au Hamas, l'armée a autorisé l'utilisation généralisée du système. À partir de ce moment-là, ces sources ont déclaré que si Lavender décidait qu'un individu était un militant du Hamas, il leur était essentiellement demandé de traiter cela comme un ordre, sans qu'il soit nécessaire de vérifier de manière indépendante pourquoi la machine avait fait ce choix ou d'examiner les données brutes de renseignement sur lesquelles elle est basée.

« À 5 heures du matin, [l'armée de l'air] arrivait et bombardait toutes les maisons que nous avions marquées », raconte B.. « Nous avons éliminé des milliers de personnes. Nous ne les avons pas examinées une par une – nous avons tout mis dans des systèmes automatisés, et dès que l'une [des personnes marquées] était chez elle, elle devenait immédiatement une cible. Nous la bombardions, elle et sa maison ».

Les résultats meurtriers de ce relâchement des restrictions au début de la guerre ont été stupéfiants. Selon les données du ministère palestinien de la Santé à Gaza, sur lesquelles l'armée israélienne s'appuie presque exclusivement depuis le début de la guerre, Israël a tué quelque 15 000 Palestiniens – soit près de la moitié du nombre de morts à ce jour – au cours des six premières semaines de la guerre, jusqu'à ce qu'un cessez-le-feu d'une semaine soit conclu le 24 novembre.

« Plus il y a d'informations et de variété, mieux c'est »

Le logiciel Lavender analyse les informations recueillies sur la plupart des 2,3 millions d'habitants de la bande de Gaza grâce à un système de surveillance de masse, puis évalue et classe la probabilité que chaque personne soit active dans l'aile militaire du Hamas ou du Jihad islamique. Selon certaines sources, la machine attribue à presque chaque habitant de Gaza une note de 1 à 100, exprimant la probabilité qu'il s'agisse d'un militant.

Lavender apprend à identifier les caractéristiques des agents connus du Hamas et du Jihad islamique, dont les informations ont été transmises à la machine en tant que données d'entraînement, puis à repérer ces mêmes caractéristiques – également appelées « traits » – au sein de la population générale, ont expliqué les sources. Une personne présentant plusieurs caractéristiques incriminantes différentes obtient une note élevée et devient ainsi automatiquement une cible potentielle pour un assassinat.

Dans L'équipe humain-machine, le livre cité au début de cet article, l'actuel commandant de l'unité 8 200 plaide en faveur d'un tel système sans citer Lavender nommément. (Le commandant lui-même n'est pas nommé, mais cinq sources au sein de l'unité 8 200 ont confirmé que le commandant était l'auteur de ce livre, comme l'a également rapporté Haaretz ).

Décrivant le personnel humain comme un « goulot d'étranglement » qui limite la capacité de l'armée au cours d'une opération militaire, le commandant se lamente : « Nous [les humains] ne pouvons pas traiter autant d'informations. Peu importe le nombre de personnes chargées de produire des objectifs pendant la guerre, il est toujours impossible de produire suffisamment d'objectifs par jour ».

Selon lui, la solution à ce problème réside dans l'intelligence artificielle. Le livre propose un petit guide pour construire une « machine à cibles », similaire à Lavender, basée sur l'intelligence artificielle et des algorithmes d'apprentissage automatique. Ce guide contient plusieurs exemples de « centaines et de milliers » de caractéristiques susceptibles d'augmenter la cote d'un individu, comme le fait de faire partie d'un groupe Whatsapp avec un militant connu, de changer de téléphone portable tous les quelques mois et de changer fréquemment d'adresse.

« Plus il y a d'informations et plus elles sont variées, mieux c'est », écrit le commandant. « Informations visuelles, informations cellulaires, connexions aux médias sociaux, informations sur le champ de bataille, contacts téléphoniques, photos. Si, dans un premier temps, ce sont les humains qui sélectionnent ces caractéristiques, poursuit le commandant, au fil du temps, la machine en viendra à les identifier d'elle-même. » Selon lui, cela peut permettre aux armées de créer « des dizaines de milliers de cibles », la décision de les attaquer ou non restant du ressort de l'homme.

Ce livre n'est pas la seule source où un haut commandant israélien a fait allusion à l'existence de machines à cibles humaines comme Lavender. +972 et Local Call ont obtenu des images d'une conférence privée donnée par le commandant du centre secret de science des données et d'IA de l'unité 8200, le « colonel Yoav », lors de la semaine de l'IA à l'université de Tel-Aviv en 2023, dont les médias israéliens ont parlé à l'époque.

Dans cette conférence, le commandant parle d'une nouvelle machine cible sophistiquée utilisée par l'armée israélienne, qui détecte les « personnes dangereuses » en se basant sur leur ressemblance avec les listes existantes de militants connus sur lesquelles elle a été entraînée. « Grâce à ce système, nous avons réussi à identifier les commandants des escadrons de missiles du Hamas », a déclaré le colonel Yoav lors de la conférence, en faisant référence à l'opération militaire israélienne de mai 2021 à Gaza, au cours de laquelle la machine a été utilisée pour la première fois.

Les diapositives de la présentation, également obtenues par +972 et Local Call, contiennent des illustrations du fonctionnement de la machine : elle est alimentée en données sur les agents du Hamas existants, elle apprend à remarquer leurs caractéristiques, puis elle évalue d'autres Palestiniens en fonction de leur degré de ressemblance avec les militants.

« Nous classons les résultats et déterminons le seuil [à partir duquel il convient d'attaquer une cible] », a déclaré le colonel Yoav lors de la conférence, soulignant qu'« en fin de compte, ce sont des personnes en chair et en os qui prennent les décisions. » « Dans le domaine de la défense, d'un point de vue éthique, nous insistons beaucoup sur ce point. Ces outils sont destinés à aider [les officiers de renseignement] à franchir leurs barrières. »

Dans la pratique, cependant, les sources qui ont utilisé Lavender au cours des derniers mois affirment que l'action humaine et la précision ont été remplacées par la création de cibles de masse et la létalité.

« Il n'y avait pas de politique “zéro erreur” »

B., un officier supérieur qui a utilisé Lavender, a expliqué à +972 et à Local Call que dans la guerre actuelle, les officiers n'étaient pas tenus d'examiner de manière indépendante les évaluations du système d'IA, afin de gagner du temps et de permettre la production en masse de cibles humaines sans entraves.

« Tout était statistique, tout était ordonné – c'était très sec », a déclaré B.. Il a noté que ce manque de supervision a été autorisé malgré des contrôles internes montrant que les calculs de Lavender n'étaient considérés comme exacts que dans 90 % des cas ; en d'autres termes, on savait à l'avance que 10 % des cibles humaines destinées à être assassinées n'étaient pas du tout des membres de l'aile militaire du Hamas.

Par exemple, des sources ont expliqué que la machine Lavender signalait parfois par erreur des individus dont les modes de communication étaient similaires à ceux d'agents connus du Hamas ou du Jihad islamique, notamment des policiers et des membres de la défense civile, des parents de militants, des habitants dont le nom et le surnom étaient identiques à ceux d'un agent, et des habitants de Gaza qui utilisaient un appareil ayant appartenu à un agent du Hamas.

« À quel point une personne doit-elle être proche du Hamas pour être [considérée par une machine d'IA comme] affiliée à l'organisation ? », s'est demandé une source critiquant l'inexactitude de Lavender. « Il s'agit d'une limite vague. Une personne qui ne reçoit pas de salaire du Hamas, mais qui l'aide pour toutes sortes de choses, est-elle un agent du Hamas ? Une personne qui a fait partie du Hamas dans le passé, mais qui n'y est plus aujourd'hui, est-elle un agent du Hamas ? Chacune de ces caractéristiques – des caractéristiques qu'une machine signalerait comme suspectes – est inexacte ».

Des problèmes similaires se posent en ce qui concerne la capacité des machines de ciblage à évaluer le téléphone utilisé par une personne désignée pour être assassinée. « En temps de guerre, les Palestiniens changent de téléphone en permanence », explique cette source. « Les gens perdent le contact avec leur famille, donnent leur téléphone à un ami ou à une épouse, ou le perdent. Il est impossible de se fier à 100 % au mécanisme automatique qui détermine quel numéro de téléphone appartient à qui ».

Selon les sources, l'armée savait que la supervision humaine minimale en place ne permettrait pas de découvrir ces failles. Il n'y avait pas de politique « zéro erreur ». « Les erreurs étaient traitées statistiquement », a déclaré une source qui a utilisé Lavender. « En raison de la portée et de l'ampleur du projet, le protocole était le suivant : même si l'on n'est pas sûr que la machine est bonne, on sait que statistiquement, elle est bonne. C'est pourquoi on l'utilise. »

« Elle a fait ses preuves », a déclaré B., la source principale. « Il y a quelque chose dans l'approche statistique qui vous fait respecter une certaine norme et un certain standard. Il y a eu un nombre illogique de [bombardements] dans cette opération. De mémoire, c'est sans précédent. Et je fais bien plus confiance à un mécanisme statistique qu'à un soldat qui a perdu un ami il y a deux jours. Tout le monde, y compris moi, a perdu des proches le 7 octobre. La machine l'a fait froidement. Et cela a facilité les choses. »

Une autre source du renseignement, qui a défendu le recours aux listes de suspects palestiniens établies par Lavender, a fait valoir qu'il valait la peine d'investir le temps d'un officier de renseignement uniquement pour vérifier les informations si la cible était un commandant de haut rang du Hamas. « Mais lorsqu'il s'agit d'un militant subalterne, il n'est pas souhaitable d'investir du temps et de la main-d'œuvre dans cette tâche », a-t-elle déclaré. « En temps de guerre, on n'a pas le temps d'incriminer chaque cible. On est donc prêt à prendre la marge d'erreur de l'utilisation de l'intelligence artificielle, à risquer des dommages collatéraux et la mort de civils, et à risquer d'attaquer par erreur, et à s'en accommoder ».

B. explique que la raison de cette automatisation est la volonté constante de créer davantage de cibles à assassiner. « Le jour où il n'y avait pas de cibles [dont l'évaluation des caractéristiques était suffisante pour autoriser une frappe], nous attaquions à un seuil plus bas. On nous mettait constamment la pression : "Apportez-nous plus de cibles". Ils nous ont vraiment crié dessus. Nous avons fini [par tuer] nos cibles très rapidement ».

Il a expliqué qu'en abaissant le seuil d'évaluation de Lavender, le système marquait plus de personnes comme cibles pour les frappes. « À son apogée, le système a réussi à générer 37 000 personnes comme cibles humaines potentielles », a déclaré B. « Mais les chiffres changeaient tout le temps, parce que cela dépendait de l'endroit où l'on plaçait la barre de ce qu'était un agent du Hamas. À certains moments, la définition d'un agent du Hamas était plus large, puis la machine a commencé à nous fournir toutes sortes d'agents de la défense civile et de la police, sur lesquels il serait dommage de gaspiller des bombes. Ils aident le gouvernement du Hamas, mais ne mettent pas vraiment les soldats en danger ».

Une source qui a travaillé avec l'équipe militaire d'analyse des données qui a entrainé Lavender a déclaré que les données collectées auprès des employés du ministère de la sécurité intérieure dirigé par le Hamas, qu'il ne considère pas comme des militants, ont également été introduites dans la machine. « J'ai été gêné par le fait que lors de la formation de Lavender, le terme "agent du Hamas" a été utilisé de manière vague et que des personnes travaillant pour la défense civile ont été incluses dans l'ensemble de données de formation », a-t-il déclaré.

La source a ajouté que même si l'on pense que ces personnes méritent d'être tuées, le fait d'entraîner le système sur la base de leurs profils de communication rendait Lavender plus susceptible de sélectionner des civils par erreur lorsque ses algorithmes étaient appliqués à l'ensemble de la population. « Comme il s'agit d'un système automatique qui n'est pas géré manuellement par des humains, la signification de cette décision est dramatique : cela signifie que vous incluez de nombreuses personnes ayant un profil de communication civil en tant que cibles potentielles. »

« Nous avons seulement vérifié que la cible était un homme »

L'armée israélienne rejette catégoriquement ces affirmations. Dans une déclaration à +972 et Local Call, son porte-parole a nié l'usage de l'intelligence artificielle pour incriminer des cibles, affirmant qu'il s'agit simplement « d'outils auxiliaires qui aident les officiers dans le processus d'incrimination ». Le communiqué poursuit : « Dans tous les cas, un examen indépendant par un analyste [du renseignement] est nécessaire, qui vérifie que les cibles identifiées sont des cibles légitimes pour l'attaque, conformément aux conditions énoncées dans les directives de Tsahal et le droit international. »

Toutefois, des sources ont indiqué que le seul protocole de supervision humaine mis en place avant de bombarder les maisons de militants « juniors » présumés marqués par Lavender consistait à effectuer une seule vérification : s'assurer que la cible sélectionnée par l'IA était un homme plutôt qu'une femme. L'armée partait du principe que s'il s'agissait d'une femme, la machine avait probablement commis une erreur, car il n'y a pas de femmes dans les rangs des ailes militaires du Hamas et du Jihad islamique.

« Un être humain devait [vérifier la cible] pendant quelques secondes seulement », a déclaré B., expliquant que ce protocole a été adopté après avoir constaté que le système Lavender « avait raison » la plupart du temps. « Au début, nous faisions des vérifications pour nous assurer que la machine ne s'embrouillait pas. Mais à un moment donné, nous nous sommes fiés au système automatique et nous nous sommes contentés de vérifier que [la cible] était un homme – c'était suffisant. Il ne faut pas beaucoup de temps pour savoir si quelqu'un a une voix d'homme ou de femme ».

Pour effectuer la vérification homme/femme, B. affirme que dans la guerre actuelle, il « consacrerait 20 secondes à chaque cible à ce stade, [pour en faire] des dizaines par jour. Je n'avais aucune valeur ajoutée en tant qu'humain, si ce n'est d'être un tampon d'approbation. Cela permettait de gagner beaucoup de temps. Si [l'agent] apparaissait dans le mécanisme automatisé et que je vérifiais qu'il s'agissait d'un homme, j'avais l'autorisation de le bombarder, sous réserve d'un examen des dommages collatéraux ».

Dans la pratique, les sources ont déclaré que cela signifiait que pour les hommes civils marqués par erreur par Lavender, il n'y avait pas de mécanisme de supervision en place pour détecter l'erreur. Selon B., une erreur courante se produit « si la cible [du Hamas] donne [son téléphone] à son fils, à son frère aîné ou à un homme au hasard. Cette personne sera bombardée dans sa maison avec sa famille. Cela s'est souvent produit. C'est la plupart des erreurs causées par Lavender », a déclaré B.

Étape 2 : Relier les cibles aux domiciles familiaux

L'étape suivante de la procédure d'assassinat de l'armée israélienne consiste à déterminer où attaquer les cibles générées par Lavender.

Dans une déclaration à +972 et à Local Call, le porte-parole de l'armée israélienne a affirmé, en réponse à cet article, que « le Hamas place ses agents et ses moyens militaires au cœur de la population civile, utilise systématiquement la population civile comme bouclier humain et mène des combats à l'intérieur de structures civiles, y compris des sites sensibles tels que des hôpitaux, des mosquées, des écoles et des installations de l'ONU. Les Forces de défense israélienne sont liées par le droit international et agissent conformément à celui-ci, en dirigeant leurs attaques uniquement contre des cibles militaires et des agents militaires ».

Les six sources avec lesquelles nous nous sommes entretenus ont fait écho à ces propos dans une certaine mesure, affirmant que le vaste réseau de tunnels du Hamas passe délibérément sous les hôpitaux et les écoles, que les militants du Hamas utilisent des ambulances pour se déplacer et qu'un nombre incalculable de moyens militaires ont été placés à proximité de bâtiments civils.

Les sources affirment que de nombreuses frappes israéliennes tuent des civils en raison de ces tactiques du Hamas – une caractérisation qui, selon les groupes de défense des droits de l'homme, élude la responsabilité d'Israël dans l'apparition de ces victimes.

Toutefois, contrairement aux déclarations officielles de l'armée israélienne, les sources ont expliqué que l'une des principales raisons du nombre sans précédent de victimes des bombardements israéliens actuels est le fait que l'armée a systématiquement attaqué les cibles dans leurs maisons privées, avec leurs familles – en partie parce qu'il était plus facile, du point de vue du renseignement, de marquer les maisons familiales à l'aide de systèmes automatisés.

En effet, plusieurs sources ont souligné que, contrairement aux nombreux cas d'agents du Hamas engagés dans des activités militaires depuis des zones civiles, dans le cas des frappes d'assassinat systématiques, l'armée a régulièrement fait le choix actif de bombarder des militants présumés lorsqu'ils se trouvaient à l'intérieur de maisons civiles où aucune activité militaire n'avait lieu. Ce choix, ont-ils déclaré, est le reflet de la manière dont le système israélien de surveillance de masse à Gaza est conçu.

Les sources ont déclaré à +972 et à Local Call que, puisque chaque habitant de Gaza avait une maison privée à laquelle il pouvait être associé, les systèmes de surveillance de l'armée pouvaient facilement et automatiquement « relier » les individus aux maisons familiales. Afin d'identifier en temps réel le moment où les agents entrent dans leurs maisons, divers logiciels automatiques supplémentaires ont été développés.

Ces programmes suivent des milliers d'individus simultanément, identifient le moment où ils sont chez eux et envoient une alerte automatique à l'officier chargé du ciblage, qui marque alors la maison pour le bombardement. L'un de ces logiciels, révélé ici pour la première fois, s'appelle « Where's Daddy ? » (Où est papa ?).

« Vous entrez des centaines [de cibles] dans le système et vous attendez de voir qui vous pouvez tuer », a déclaré une source connaissant le système. « C'est ce qu'on appelle la chasse au large : vous copiez-collez les listes produites par le système de ciblage. »

La preuve de cette politique est également évidente dans les données : au cours du premier mois de la guerre, plus de la moitié des victimes – 6 120 personnes – appartenaient à 1 340 familles, dont beaucoup ont été complètement anéanties à l'intérieur de leur maison, selon les chiffres de l'ONU. La proportion de familles entières bombardées dans leurs maisons dans la guerre actuelle est beaucoup plus élevée que lors de l'opération israélienne de 2014 à Gaza, ce qui confirme l'importance de cette politique.

Une autre source a déclaré qu'à chaque fois que le rythme des assassinats diminuait, d'autres cibles étaient ajoutées à des systèmes tels que « Where's Daddy ? » pour localiser les individus qui entraient chez eux et pouvaient donc être bombardés. Elle a ajouté que la décision de placer des personnes dans les systèmes de repérage pouvait être prise par des officiers de rang relativement bas dans la hiérarchie militaire.

« Un jour, de mon propre chef, j'ai ajouté quelque 1 200 nouvelles cibles au système [de repérage], parce que le nombre d'attaques [que nous menions] diminuait », a déclaré cette source. « Cela me paraissait logique. Rétrospectivement, cela semble être une décision sérieuse que j'ai prise. Et de telles décisions n'ont pas été prises à des niveaux élevés ».

Les sources ont indiqué qu'au cours des deux premières semaines de la guerre, « plusieurs milliers » de cibles ont été initialement entrées dans des programmes de localisation tels que « Where's Daddy ? ». Il s'agissait notamment de tous les membres de l'unité d'élite des forces spéciales du Hamas, la Nukhba, de tous les agents antichars du Hamas et de toute personne ayant pénétré en Israël le 7 octobre. Mais très vite, la liste des personnes à abattre s'est considérablement allongée.

« À la fin, il s'agissait de tout le monde [marqué par Lavender] », a expliqué une source. « Des dizaines de milliers. Cela s'est produit quelques semaines plus tard, lorsque les brigades [israéliennes] sont entrées dans Gaza et qu'il y avait déjà moins de personnes non impliquées [c'est-à-dire de civils] dans les zones du nord ». Selon cette source, même certains mineurs ont été désignés par Lavender comme des cibles à bombarder. « Normalement, les agents ont plus de 17 ans, mais ce n'était pas une condition. »

Lavender et des systèmes comme « Where's Daddy ? » ont donc été combinés avec un effet mortel, tuant des familles entières, selon certaines sources. En ajoutant un nom figurant sur les listes générées par Lavender au système de localisation des maisons « Where's Daddy ? », a expliqué A., la personne marquée était placée sous surveillance permanente et pouvait être attaquée dès qu'elle mettait le pied chez elle, ce qui faisait s'effondrer la maison sur toutes les personnes qui s'y trouvaient.

« Disons que vous calculez [qu'il y a un] [agent du Hamas] et 10 [civils dans la maison], a déclaré A.. En général, ces dix personnes sont des femmes et des enfants. De manière absurde, il s'avère que la plupart des personnes que vous avez tuées étaient des femmes et des enfants ».

Étape 3 : Le choix de l'arme

« Nous menions généralement nos attaques à l'aide de "bombes stupides" »Une fois que Lavender a désigné une cible à assassiner, que le personnel de l'armée a vérifié qu'il s'agit bien d'un homme et qu'un logiciel de suivi a localisé la cible à son domicile, l'étape suivante consiste à choisir la munition avec laquelle on va la bombarder.

En décembre 2023, CNN a rapporté que, selon les estimations des services de renseignement américains, environ 45 % des munitions utilisées par l'armée de l'air israélienne à Gaza étaient des bombes dites « stupides », connues pour causer davantage de dommages collatéraux que les bombes guidées.

En réponse à l'article de CNN, un porte-parole de l'armée cité dans l'article a déclaré : « En tant qu'armée attachée au droit international et à un code de conduite moral, nous consacrons de vastes ressources à minimiser les dommages causés aux civils que le Hamas a contraints à jouer le rôle de boucliers humains. Notre guerre est contre le Hamas, pas contre la population de Gaza ».

Trois sources des services de renseignement ont cependant déclaré à +972 et à Local Call que les agents subalternes marqués par Lavender n'ont été assassinés qu'avec des bombes stupides, afin d'économiser des armements plus coûteux. L'une des sources a expliqué que l'armée ne frappait pas une cible subalterne si elle vivait dans un immeuble de grande hauteur, parce qu'elle ne voulait pas dépenser une « bombe au sol » plus précise et plus chère (avec des effets collatéraux plus limités) pour la tuer. En revanche, si une cible de rang inférieur vivait dans un immeuble de quelques étages seulement, l'armée était autorisée à la tuer, ainsi que tous les habitants de l'immeuble, à l'aide d'une bombe muette.

« C'était comme ça pour toutes les cibles juniors », témoigne C., qui a utilisé divers programmes automatisés dans la guerre actuelle. « La seule question était de savoir s'il était possible d'attaquer le bâtiment en limitant les dommages collatéraux. En effet, nous menions généralement les attaques avec des bombes stupides, ce qui signifiait détruire littéralement toute la maison et ses occupants. Mais même si une attaque est évitée, on s'en fiche, on passe immédiatement à la cible suivante. Grâce au système, les cibles ne s'arrêtent jamais. Il y en a encore 36 000 qui attendent ».

Étape 4 : Autoriser les pertes civiles

« Nous avons attaqué presque sans tenir compte des dommages collatéraux »

Une source a déclaré que lors de l'attaque d'agents subalternes, y compris ceux marqués par des systèmes d'intelligence artificielle comme Lavender, le nombre de civils qu'ils étaient autorisés à tuer à côté de chaque cible était fixé, pendant les premières semaines de la guerre, à 20 au maximum.

Selon une autre source, ce nombre aurait été fixé à 15. Ces « degrés de dommages collatéraux », comme les militaires les appellent, ont été appliqués de manière générale à tous les militants juniors présumés, selon les sources, indépendamment de leur rang, de leur importance militaire et de leur âge, et sans examen spécifique au cas par cas pour évaluer l'avantage militaire de les assassiner par rapport aux dommages attendus pour les civils.

Selon A., qui était officier dans une salle d'opération cible pendant la guerre actuelle, le département du droit international de l'armée n'a jamais auparavant donné une telle « approbation générale » pour un degré de dommages collatéraux aussi élevé. « Ce n'est pas seulement que vous pouvez tuer toute personne qui est un soldat du Hamas, ce qui est clairement autorisé et légitime en termes de droit international », a déclaré A.. « Mais ils vous disent directement : Vous êtes autorisés à les tuer en même temps que de nombreux civils. »

« Chaque personne ayant porté un uniforme du Hamas au cours de l'année ou des deux dernières années pouvait être bombardée avec 20 [civils tués] comme dommages collatéraux, même sans autorisation spéciale », a poursuivi A.. « Dans la pratique, le principe de proportionnalité n'existait pas. »

Selon A., cette politique a été appliquée pendant la majeure partie de la période où il a servi. Ce n'est que plus tard que l'armée a abaissé le niveau des dommages collatéraux. « Dans ce calcul, il peut s'agir de 20 enfants pour un agent subalterne… Ce n'était vraiment pas le cas dans le passé », explique A.. Interrogé sur la logique sécuritaire qui sous-tend cette politique, A. a répondu : « La létalité ».

Le degré de dommages collatéraux prédéterminé et fixe a contribué à accélérer la création massive de cibles à l'aide de la machine Lavender, selon les sources, car cela permettait de gagner du temps. B. a affirmé que le nombre de civils qu'ils étaient autorisés à tuer par militant junior présumé marqué par l'IA au cours de la première semaine de la guerre était de quinze, mais que ce nombre « augmentait et diminuait » au fil du temps.

« Au début, nous avons attaqué presque sans tenir compte des dommages collatéraux », a déclaré B. à propos de la première semaine qui a suivi le 7 octobre. « En pratique, on ne comptait pas vraiment les gens [dans chaque maison bombardée], parce qu'on ne pouvait pas vraiment savoir s'ils étaient chez eux ou non. Au bout d'une semaine, les restrictions sur les dommages collatéraux ont commencé. Le nombre est passé [de 15] à cinq, ce qui a rendu nos attaques très difficiles, car si toute la famille était à la maison, nous ne pouvions pas la bombarder. Puis ils ont à nouveau augmenté ce nombre. »

« Nous savions que nous allions tuer plus de 100 civils »

Des sources ont déclaré à +972 et à Local Call que maintenant, en partie à cause de la pression américaine, l'armée israélienne ne génère plus en masse des cibles humaines subalternes à bombarder dans les maisons civiles. Le fait que la plupart des maisons de la bande de Gaza aient déjà été détruites ou endommagées, et que la quasi-totalité de la population ait été déplacée, a également empêché l'armée de s'appuyer sur des bases de données de renseignements et des programmes automatisés de localisation des maisons.

E. a affirmé que les bombardements massifs des militants juniors n'ont eu lieu que pendant la première ou les deux premières semaines de la guerre, et qu'ils ont ensuite été interrompus principalement pour ne pas gaspiller les bombes. « Il existe une économie des munitions », a déclaré E.. « Ils ont toujours eu peur qu'il y ait [une guerre] dans l'arène nord [avec le Hezbollah au Liban]. Ils ne s'attaquent plus du tout à ce genre de personnes [de rang inférieur] ».

Cependant, les frappes aériennes contre les commandants de haut rang du Hamas se poursuivent, et des sources ont déclaré que pour ces attaques, l'armée autorise le meurtre de « centaines » de civils par cible – une politique officielle pour laquelle il n'y a pas de précédent historique en Israël, ni même dans les récentes opérations militaires américaines.

« Lors du bombardement du commandant du bataillon Shuja'iya, nous savions que nous allions tuer plus de 100 civils », a rappelé B. à propos d'un bombardement du 2 décembre qui, selon le porte-parole de l'armée israélienne, visait à assassiner Wisam Farhat. « Pour moi, psychologiquement, c'était inhabituel. Plus de 100 civils, c'est une ligne rouge à ne pas franchir. »

Amjad Al-Sheikh, un jeune Palestinien de Gaza, a déclaré que de nombreux membres de sa famille avaient été tués lors de ce bombardement. Habitant de Shuja'iya, à l'est de la ville de Gaza, il se trouvait ce jour-là dans un supermarché local lorsqu'il a entendu cinq explosions qui ont brisé les vitres.

« J'ai couru vers la maison de ma famille, mais il n'y avait plus d'immeubles », a déclaré M. Al-Sheikh à +972 et à Local Call. « La rue était remplie de cris et de fumée. Des pâtés de maisons entiers se sont transformés en montagnes de décombres et en fosses profondes. Les gens ont commencé à chercher dans le ciment, avec leurs mains, et j'ai fait de même, à la recherche de traces de la maison de ma famille. »

La femme et la petite fille d'Al-Sheikh ont survécu – protégées des décombres par une armoire qui leur est tombée dessus – mais il a retrouvé 11 autres membres de sa famille, dont ses sœurs, ses frères et leurs jeunes enfants, morts sous les décombres. Selon l'organisation de défense des droits de l'homme B'Tselem, les bombardements de ce jour-là ont détruit des dizaines de bâtiments, tués des dizaines de personnes et en ont enseveli des centaines sous les ruines de leurs maisons.

« Des familles entières ont été tuées »

Des sources des services de renseignement ont déclaré à +972 et à Local Call qu'ils avaient participé à des frappes encore plus meurtrières. Afin d'assassiner Ayman Nofal, le commandant de la brigade centrale de Gaza du Hamas, une source a déclaré que l'armée avait autorisé le meurtre d'environ 300 civils, détruisant plusieurs bâtiments lors de frappes aériennes sur le camp de réfugiés d'Al-Bureij le 17 octobre, sur la base d'un repérage imprécis de Nofal. Des images satellite et des vidéos de la scène montrent la destruction de plusieurs grands immeubles d'habitation à plusieurs étages.

« Entre 16 et 18 maisons ont été détruites lors de l'attaque », a déclaré Amro Al-Khatib, un résident du camp, à +972 et à Local Call. « Nous ne pouvions pas distinguer un appartement d'un autre – ils ont tous été mélangés dans les décombres, et nous avons trouvé des parties de corps humains partout ».

Al-Khatib se souvient qu'une cinquantaine de cadavres ont été retirés des décombres et qu'environ 200 personnes ont été blessées, dont beaucoup grièvement. Mais ce n'était que le premier jour. Les résidents du camp ont passé cinq jours à sortir les morts et les blessés.

Nael Al-Bahisi, ambulancier, a été l'un des premiers à arriver sur les lieux. Il a dénombré entre 50 et 70 victimes ce premier jour. « À un moment donné, nous avons compris que la cible de la frappe était le commandant du Hamas Ayman Nofal », a-t-il déclaré à +972 et à Local Call. « Ils l'ont tué, ainsi que de nombreuses personnes qui ne savaient pas qu'il était là. Des familles entières avec des enfants ont été tuées. »

Une autre source du renseignement a déclaré à +972 et à Local Call que l'armée avait détruit une tour à Rafah à la mi-décembre, tuant « des dizaines de civils », afin d'essayer de tuer Mohammed Shabaneh, le commandant de la brigade du Hamas à Rafah (on ne sait pas s'il a été tué ou non lors de l'attaque). Selon cette source, les hauts commandants se cachent souvent dans des tunnels qui passent sous des bâtiments civils, et le choix de les assassiner par une frappe aérienne tue donc nécessairement des civils.

« La plupart des blessés étaient des enfants », a déclaré Wael Al-Sir, 55 ans, qui a assisté à la frappe de grande envergure que certains habitants de Gaza considèrent comme une tentative d'assassinat. Il a déclaré à +972 et à Local Call que le bombardement du 20 décembre a détruit un « bloc résidentiel entier » et tué au moins 10 enfants.

« Il y avait une politique totalement permissive concernant les victimes des opérations [de bombardement] – tellement permissive qu'à mon avis, il y avait un élément de vengeance », a affirmé D., une source des services de renseignement. « L'élément central était l'assassinat de hauts responsables [du Hamas et du Jihad islamique] pour lesquels ils étaient prêts à tuer des centaines de civils. Nous avions un calcul : combien pour un commandant de brigade, combien pour un commandant de bataillon, etc. »

« Il y avait des règles, mais elles étaient très indulgentes », a déclaré E., une autre source du renseignement. « Nous avons tué des gens avec des dommages collatéraux à deux chiffres, voire à trois chiffres. Ce sont des choses qui ne s'étaient jamais produites auparavant ».

Un taux aussi élevé de « dommages collatéraux » est exceptionnel non seulement par rapport à ce que l'armée israélienne jugeait auparavant acceptable, mais aussi par rapport aux guerres menées par les États-Unis en Irak, en Syrie et en Afghanistan.

Le général Peter Gersten, commandant adjoint des opérations et du renseignement dans l'opération de lutte contre l'Etat islamique en Irak et en Syrie, a déclaré à un magazine de défense américain en 2021 qu'une attaque avec des dommages collatéraux de 15 civils s'écartait de la procédure ; pour la mener à bien, il avait dû obtenir une autorisation spéciale du chef du Commandement central des États-Unis, le général Lloyd Austin, qui est aujourd'hui secrétaire à la Défense.

« Dans le cas d'Oussama Ben Laden, la NCV (Non-Combatant Casualty Value) était de 30, mais dans le cas d'un commandant de rang inférieur, la NCV était généralement de zéro », a expliqué M. Gersten. « Nous sommes restés à zéro pendant très longtemps. »

« On nous disait : "Faites tout ce que vous pouvez, bombardez" »

Toutes les sources interrogées dans le cadre de cette enquête ont déclaré que les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre et l'enlèvement d'otages avaient fortement influencé la politique de l'armée en matière de tirs et de degrés de dommages collatéraux.

« Au début, l'atmosphère était pénible et vindicative », a déclaré B., qui a été enrôlé dans l'armée immédiatement après le 7 octobre et a servi dans une salle d'opération. « Les règles étaient très souples. Ils ont détruit quatre bâtiments alors qu'ils savaient que la cible se trouvait dans l'un d'entre eux. C'était de la folie. »

« Il y avait une dissonance : d'une part, les gens ici étaient frustrés que nous n'attaquions pas assez », poursuit B.. « D'autre part, à la fin de la journée, on constate qu'un millier d'habitants de Gaza sont morts, la plupart d'entre eux étant des civils. »

« L'hystérie régnait dans les rangs des professionnels », affirme D., qui a également été incorporé immédiatement après le 7 octobre. « Ils ne savaient pas du tout comment réagir. La seule chose qu'ils savaient faire était de commencer à bombarder comme des fous pour essayer de démanteler les capacités du Hamas. »

D. a souligné qu'on ne leur avait pas dit explicitement que l'objectif de l'armée était la « vengeance », mais a exprimé que « dès que chaque cible liée au Hamas devient légitime, et que presque tous les dommages collatéraux sont approuvés, il est clair que des milliers de personnes vont être tuées. Même si officiellement chaque cible est liée au Hamas, lorsque la politique est si permissive, elle perd tout son sens ».

A. a également utilisé le mot « vengeance » pour décrire l'atmosphère qui régnait au sein de l'armée après le 7 octobre. « Personne n'a pensé à ce qu'il faudrait faire après, une fois la guerre terminée, ni à la façon dont il serait possible de vivre à Gaza et à ce qu'ils en feraient », a déclaré A.. « On nous a dit : maintenant, il faut foutre en l'air le Hamas, quel qu'en soit le prix. Tout ce que vous pouvez, vous le bombardez ».

B., la source principale du renseignement, a déclaré qu'avec le recul, il pense que cette politique « disproportionnée » consistant à tuer des Palestiniens à Gaza met également en danger les Israéliens, et que c'est l'une des raisons pour lesquelles il a décidé de se prêter à l'exercice de l'interview.

« À court terme, nous sommes plus en sécurité, car nous avons blessé le Hamas. Mais je pense que nous sommes moins en sécurité à long terme. Je vois comment toutes les familles endeuillées à Gaza – c'est-à-dire presque tout le monde – motiveront les gens à rejoindre le Hamas dans dix ans. Et il sera beaucoup plus facile pour [le Hamas] de les recruter ».

Dans une déclaration à +972 et à Local Call, l'armée israélienne a démenti une grande partie de ce que les sources nous ont dit, affirmant que « chaque cible est examinée individuellement, tandis qu'une évaluation individuelle est faite de l'avantage militaire et des dommages collatéraux attendus de l'attaque… Les Forces de défense israéliennes ne mènent pas d'attaques lorsque les dommages collatéraux attendus de l'attaque sont excessifs par rapport à l'avantage militaire ».

Étape 5 : Calcul des dommages collatéraux

« Le modèle n'était pas lié à la réalité »

Selon les sources du renseignement, le calcul par l'armée israélienne du nombre de civils susceptibles d'être tués dans chaque maison située à côté d'une cible – une procédure examinée dans une enquête précédente de +972 et Local Call – a été effectué à l'aide d'outils automatiques et imprécis.

Lors des guerres précédentes, les services de renseignement passaient beaucoup de temps à vérifier le nombre de personnes présentes dans une maison destinée à être bombardée, le nombre de civils susceptibles d'être tués étant répertorié dans un « fichier cible ». Après le 7 octobre, cependant, cette vérification minutieuse a été largement abandonnée au profit de l'automatisation.

En octobre, le New York Times a fait état d'un système exploité à partir d'une base spéciale dans le sud d'Israël, qui recueille des informations à partir de téléphones portables dans la bande de Gaza et fournit à l'armée une estimation en temps réel du nombre de Palestiniens qui ont fui le nord de la bande de Gaza vers le sud.

Le général de brigade Udi Ben Muha a déclaré au New York Times : « Ce n'est pas un système parfait à 100 %, mais il vous donne les informations dont vous avez besoin pour prendre une décision ». Le système fonctionne par couleurs : le rouge indique les zones où il y a beaucoup de monde, tandis que le vert et le jaune indiquent les zones qui ont été relativement débarrassées de leurs habitants.

Les sources qui ont parlé à +972 et à Local Call ont décrit un système similaire de calcul des dommages collatéraux, utilisé pour décider de bombarder ou non un bâtiment à Gaza. Elles ont indiqué que le logiciel calculait le nombre de civils résidant dans chaque maison avant la guerre – en évaluant la taille du bâtiment et en examinant sa liste de résidents – puis réduisait ces chiffres en fonction de la proportion de résidents censés avoir évacué le quartier.

Par exemple, si l'armée estime que la moitié des habitants d'un quartier sont partis, le programme comptabilise une maison qui compte habituellement 10 habitants comme une maison contenant cinq personnes. Pour gagner du temps, l'armée n'a pas surveillé les maisons pour vérifier combien de personnes y vivaient réellement, comme elle l'avait fait lors d'opérations précédentes, afin de savoir si l'estimation du programme était effectivement exacte.

« Ce modèle n'était pas lié à la réalité », a déclaré l'une des sources. « Il n'y avait aucun lien entre les personnes qui vivaient dans la maison aujourd'hui, pendant la guerre, et celles qui étaient répertoriées comme vivant dans la maison avant la guerre. Il nous est arrivé de bombarder une maison sans savoir qu'il y avait plusieurs familles à l'intérieur, qui se cachaient ensemble. »

Selon cette source, bien que l'armée sache que de telles erreurs peuvent se produire, ce modèle imprécis a tout de même été adopté, parce qu'il était plus rapide. Ainsi, selon cette source, « le calcul des dommages collatéraux était complètement automatique et statistique » – produisant même des chiffres qui n'étaient pas des nombres entiers.

Étape 6 : Bombarder la maison d'une famille

« Vous avez tué une famille sans raison »

Les sources qui ont parlé à +972 et à Local Call ont expliqué qu'il y avait parfois un décalage important entre le moment où les systèmes de repérage comme Where's Daddy ? alertaient un officier qu'une cible était entrée dans sa maison, et le bombardement lui-même – ce qui a conduit à la mort de familles entières, même sans atteindre la cible de l'armée. « Il m'est arrivé plusieurs fois d'attaquer une maison, mais la personne n'était même pas chez elle », a déclaré une source. « Le résultat est que vous avez tué une famille sans raison. »

Trois sources du renseignement ont déclaré à +972 et à Local Call qu'elles avaient été témoins d'un incident au cours duquel l'armée israélienne avait bombardé la maison privée d'une famille, et qu'il s'était avéré par la suite que la cible visée par l'assassinat n'était même pas à l'intérieur de la maison, étant donné qu'aucune vérification supplémentaire n'avait été effectuée en temps réel.

« Parfois, [la cible] était chez elle plus tôt, puis le soir, elle est allée dormir ailleurs, par exemple dans un sous-sol, et vous ne le saviez pas », a déclaré l'une des sources. Il y a des moments où l'on vérifie deux fois l'emplacement, et d'autres où l'on se dit simplement : « D'accord, il était dans la maison au cours des dernières heures, alors vous pouvez simplement bombarder ».

Une autre source a décrit un incident similaire qui l'a affecté et l'a incité à accepter d'être interrogé dans le cadre de cette enquête. « Nous avons compris que la cible était chez elle à 20 heures. Finalement, l'armée de l'air a bombardé la maison à 3 heures du matin. Il y avait deux autres familles avec des enfants dans le bâtiment que nous avons bombardé ».

Lors des précédentes guerres à Gaza, après l'assassinat de cibles humaines, les services de renseignement israéliens appliquaient des procédures d'évaluation des dommages causés par les bombes (BDA) – une vérification de routine après la frappe pour voir si le commandant en chef avait été tué et combien de civils avaient été tués en même temps que lui.

Comme l'a révélé une précédente enquête sur le +972 et Local call, ces procédures impliquaient l'écoute des appels téléphoniques des parents ayant perdu un être cher. Dans la guerre actuelle, cependant, au moins en ce qui concerne les militants subalternes marqués à l'aide de l'IA, les sources affirment que cette procédure a été supprimée afin de gagner du temps.

Les sources ont déclaré qu'elles ne savaient pas combien de civils avaient été effectivement tués dans chaque frappe, et pour les militants présumés de bas rang du Hamas et du Jihad islamique marqués par l'IA, elles ne savaient même pas si la cible elle-même avait été tuée.

« Vous ne savez pas exactement combien vous avez tué, ni qui vous avez tué », a déclaré une source des services de renseignement à Local Call dans le cadre d'une précédente enquête publiée en janvier. « Ce n'est que lorsqu'il s'agit de hauts responsables du Hamas que vous suivez la procédure du BDA. Dans les autres cas, vous ne vous en souciez pas. Vous recevez un rapport de l'armée de l'air indiquant si le bâtiment a explosé, et c'est tout. Vous n'avez aucune idée de l'ampleur des dommages collatéraux ; vous passez immédiatement à la cible suivante. L'accent était mis sur la création d'autant de cibles que possible, aussi rapidement que possible ».

Mais alors que l'armée israélienne peut tourner la page de chaque frappe sans s'attarder sur le nombre de victimes, Amjad Al-Sheikh, le résident de Shuja'iya qui a perdu 11 membres de sa famille dans le bombardement du 2 décembre, a déclaré que lui et ses voisins sont toujours à la recherche de cadavres.

« Jusqu'à présent, il y a des corps sous les décombres », a-t-il déclaré. « Quatorze bâtiments résidentiels ont été bombardés avec leurs habitants à l'intérieur. Certains de mes proches et de mes voisins sont toujours ensevelis. »

Traduction : AFPS

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Santé inc. Mythes et faillites du privé en santé

9 avril 2024, par GMob-GroupMobilisation — , ,
Le privé en santé, est-ce que ça fonctionne ? Au-delà des considérations morales et idéologiques, Anne Plourde, chercheuse à l'Institut de recherche et d'informations (…)

Le privé en santé, est-ce que ça fonctionne ? Au-delà des considérations morales et idéologiques, Anne Plourde, chercheuse à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), a voulu confronter cinq mythes sur le privé en santé à la réalité des faits. À la lumière des expériences menées au Québec et ailleurs dans le monde, son constat est implacable : le privé multiplie les échecs depuis un siècle, il ne coûte pas moins cher, n'est pas plus efficace, ne réduit pas les listes d'attente et n'améliore pas la qualité des soins. Autrement dit, le privé fait moins avec plus, ce qui est l'exact contraire de l'effet recherché. Mais ce n'est pas une fatalité. À rebours des discours officiels, il est temps de procéder à une déprivatisation complète des services de santé pour résoudre l'état de crise quasi permanent qui affecte notre système public.

4 avril 2024 | tiré de la lettre de GMOB

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Québec solidaire demande à la CAQ de stopper l’ouverture de nouvelles cliniques spécialisées privées

9 avril 2024, par Québec solidaire — , ,
Pour mettre fin à l'expansion du privé qui fait mal à notre réseau public de santé, le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, et le responsable en matière de (…)

Pour mettre fin à l'expansion du privé qui fait mal à notre réseau public de santé, le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, et le responsable en matière de santé, Vincent Marissal, demandent au ministre Christian Dubé de stopper dès maintenant l'émission de nouveaux permis de centres meìdicaux speìcialiseìs (CMS).

27 mars 2024 | Québec solidaire

« L'entêtement idéologique de la CAQ envers le privé pour régler les problèmes du réseau de la santé ne fonctionne pas. Les Québécois se font avoir, ils paient de l'impôt et s'attendent à recevoir des services de santé, mais beaucoup n'ont pas le choix de se tourner vers le privé ou ils paient très cher pour avoir des soins. Ce système à deux vitesses ne fonctionne pas, ni pour les patients, ni pour les fonds publics. Il faut dès maintenant stopper l'ouverture de nouveaux centres médicaux spécialisés (CMS) qui ont explosé sous la CAQ et privent le public de ressources », a déclaré Gabriel Nadeau-Dubois en point de presse mercredi matin à Montréal.

En 2021, la CAQ elle-même annonçait vouloir freiner l'essor des CMS, qui grugent les ressources du public et coûtent cher à l'État, mais le gouvernement Legault a finalement décidé de les autoriser, soi-disant pour baisser les listes d'attente en chirurgie. Le constat d'échec est frappant : les listes ne bougent pratiquement pas.

« Les cliniques médicales spécialisées qui pratiquent des chirurgies d'un jour se construisent souvent à proximité des hôpitaux, dont elles grugent les ressources et le personnel. Résultat des courses : on enrichit le privé et on s'appauvrit collectivement. Il faut arrêter de s'entêter avec un modèle qui coûte cher, à l'État comme aux patients et qui, en plus, ne réduit pas les listes d'attente en chirurgie longues de milliers de personnes », a ajouté M. Marissal.

Faits saillants

Depuis l'arrivée au pouvoir de la CAQ, le ministère de la Santé et des Services sociaux a délivré plus de 36 nouveaux permis pour des centres médicaux spécialisés.

Le nombre de médecins spécialistes ayant exercé au sein d'un CMS dans le cadre du régime public est passé de 226 en 2018 à 917 en 2023.

Selon une analyse de l'IRIS, certaines opérations chirurgicales au privé peuvent coûter jusqu'au triple du coût d'une même opération effectuée au public.

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Électricité bradée et privatisation :

9 avril 2024, par Germain Dallaire — , ,
Depuis principalement le début du deuxième mandat caquiste, c'est un euphémisme de dire que les repaires habituels de la population québécoise sont bousculés. Au début des (…)

Depuis principalement le début du deuxième mandat caquiste, c'est un euphémisme de dire que les repaires habituels de la population québécoise sont bousculés. Au début des années 2020, on était dans le surplus énergétique confortable et Hydro-Québec offrait cette image rassurante de navire amiral de notre économie. En l'espace de quelques mois, on est passé à un climat de panique où il faudrait plus que doubler la production d'électricité. Hydro est pratiquement devenu un bazou passé de mode et prêt pour la casse. Malgré l'hiver exceptionnellement doux qu'on vient de connaître, certains ont même évoqué le spectre du bris de service. Même l'énergie nucléaire reprend du galon.

Évidemment, on connaît la raison de ce virage. Prétextant la transition énergétique, le gouvernement a ouvert toute grande la porte aux entreprises voulant profiter de nos bas tarifs d'électricité. À 5,3 sous le kilowattheure pour la grande industrie, nos tarifs sont parmi les plus bas au monde mais ce n'était pas suffisant puisque jusqu'au 31 décembre dernier, les entreprises avaient la possibilité de demander un rabais de 20% sur ce tarif, rabais applicable jusqu'en 2032. Fin octobre, lorsque le gouvernement a annoncé la date limite du 31 décembre, déjà 82 des 165 clients industriels s'étaient prévalus du rabais. Suite à son annonce, on sait que les entreprises se sont garrochées. On ne connaît pas encore le nombre et la liste est confidentielle, top secret commercial... On sait cependant les chiffres des entreprises toutes catégories qui ont demandé des capacités supplémentaires d'électricité s'élève à 150. Même le très prodigue Fitzgibbon annonce qu'il ne pourra répondre favorablement à toutes les demandes faute d'énergie disponible. Du même souffle… il invite les entreprises à l'auto-production d'électricité. Et les cadres d'Hydro-Québec dirigés par Monsieur privatisation Michael Sabia de reprendre le message. Peut-être que l'augmentation de 21% des primes en 2023 encourage… Ainsi, nos p'tits copains de la CAQ, non seulement vont s'enrichir avec l'électricité à vil prix mais en plus on va attaquer sérieusement le monopole d'Hydro. Le monde des affaires est aux anges. N'en jetez plus, la cour est pleine. Quel pactole que cette transition énergétique !

Et voilà maintenant que sur le vaste territoire québécois, les éoliennes s'apprêtent à contester aux épinettes leur statut dominant. C'est la frénésie actuellement. En 2023, le Québec comptait 1500 éoliennes. D'ici 2035, Hydro-Québec compte tripler la production actuelle (4000 mégawatts). Selon le plan Sabia, les éoliennes supplémentaires occuperont l'équivalent de 15 fois la superficie de l'île de Montréal.

Comme des enfants qui ont trouvé un truc nouveau, les caquistes justifient tous ces chambardements en parlant de transition énergétique. Leurs critères concernant l'octroi de la réduction de 20% aux entreprises sont simples : augmentation de la production, amélioration de la productivité ou ajout d'une nouvelle production. À ce compte, le Québec fait de la transition énergétique depuis le début du XXième siècle lors de la construction de ses premiers barrages . C'est si peu de la transition énergétique que même l'expression écoblanchiment paraît déplacée. Il faut tout simplement parler d'électricité bradée et d'accélération du processus de privatisation d'Hydro-Québec, tout ça au profit des p'tits copains. Duplessis est passé à l'histoire avec son fer à 1 cent la tonne, Legault risque de le faire pour son électricité à 4 sous le kilowattheure.

L'hypocrisie des caquistes saute aux yeux quand on prend en considération ses agissements en matière d'environnement. Au début de mars, le ministre de l'environnement n'a surpris personne en révélant que c'est par crainte de voir Northvolt s'installer ailleurs que le gouvernement caquiste a bafoué toutes les règles environnementales régissant le Québec . Pour les installations d'éoliennes, les caquistes ont aussi assoupli les règles. Ces actions sont d'ailleurs tout ce qu'il y a de plus cohérent avec l'ensemble de leur œuvre. On n'a qu'à penser à la fonderie Horne, aux émanations de cuivre dans le port de Québec, au traitement des caribous ou encore à leur inaction totale dans le transport en commun, les faits démontrent à l'envie que la transition énergétique sert de faible prétexte à la dollarisation et la privatisation de l'électricité. Le ministère de l'environnement en est réduit à être l'essuie-pied du super-ministre Fitzgibbon.

Pourtant, des solutions existent qui n'ont pas besoin de bouleverser les acquis fondamentaux de la société québécoise. Un, dans une période de rareté de main d'œuvre, il est illogique de favoriser un développement industriel tout azimut. Pour pallier cette rareté, on a ouvert toutes grandes les portes aux travailleurs étrangers ce qui a pour effet d'accentuer la crise du français, celle du logement et de mettre sous pression l'ensemble de nos services publics qui sont déjà plutôt mal en point. On note au passage que cette main d'œuvre bien vulnérable comble d'aise le p'tits copains. Deux, ce qui était acceptable en période de surplus d'électricité devient aberrant en période de pénurie. Le Québec a signé deux contrats de vente d'électricité avec le Maine et la Ville de New York. À eux seuls, ces contrats représentent 10% de la production d'électricité actuelle d'Hydro-Québec. En période de surplus, ces contrats étaient avantageux. En période de pénurie, le coût de construction des installations nécessaires pour honorer ces contrats les rend déficitaires. En plus de l'électricité, c'est de l'argent que nous allons exporter, de l'argent tiré de la poche des consommateurs québécois d'électricité. La résiliation de ces deux contrats s'impose. Trois, avant de tapisser le territoire du Québec de parcs éoliens, il faudrait exploiter le potentiel offert par le territoire des grands barrages. En plus d'offrir une connexion facile au réseau, ces territoires ont l'avantage d'être éloignés des populations minimisant d'autant la pollution visuelle et sonore des parcs éoliens.

Terminons maintenant avec la cerise sur le sundae. Voilà que notre pyromane en chef Fitzgibbon joue les pompiers en pointant un doigt accusateur vers les consommateurs ordinaires d'électricité en disant qu'ils gaspillent notre précieuse ressource. C'est le comble, celui-là même qui favorise la vente de feu de nos kilowattheures et la privatisation d'Hydro-Québec se permet de nous faire la leçon. Comme dirait l'autre « Plus c'est gros, plus il y a de chances que ça passe ». Qu'on ne s'y trompe pas. Comme à son habitude, notre cher super-ministre maquille de mots vertueux une immense couleuvre. Ainsi, en divisant les Québécois entre bons et mauvais consommateurs, on tasse ces derniers dans le coin ouvrant la porte à des augmentations de prix que tout le monde va souhaiter. La désignation d'un délinquant, c'est la première étape vers la remise en question d'un programme universel. Il s'agit d'un procédé classique. De plus, pendant que la populace se chicane entre elle, notre stratège en chef continue bien tranquillement à jouer au Père Noël avec notre acquis collectif.

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Comment réduire les inégalités de richesse au Québec ?

9 avril 2024, par Gabriel Danis — , ,
Une délégation de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) a participé au Forum Patrimoine et santé, le 3 avril dernier, à Montréal. Organisé par l'Observatoire québécois des (…)

Une délégation de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) a participé au Forum Patrimoine et santé, le 3 avril dernier, à Montréal. Organisé par l'Observatoire québécois des inégalités, ce colloque a permis d'explorer les enjeux sociaux importants qui se cachent derrière les inégalités de patrimoine et de richesse au Québec.

Gabriel Danis est conseiller CSQ.

4 avril 2024 | tiré du site de la CSQ
https://www.lacsq.org/actualite/comment-reduire-les-inegalites-de-richesse-au-quebec/

Avec la crise du logement et les difficultés croissantes d'accès à la propriété, les effets concrets des inégalités de patrimoine et de richesse se font de plus en plus sentir. Alors que les inégalités de revenu peuvent être réduites par la fiscalité, les services publics et les luttes syndicales pour de meilleures conditions de travail, les inégalités de patrimoine explosent et passent pourtant sous le radar des politiques publiques et fiscales.

L'état des inégalités au Québec

Au Québec, en 2019, les 10 % des familles les plus riches accaparent, en moyenne, un revenu 9 fois plus élevé que celui des familles faisant partie des 40 % des plus pauvres. Or, ces mêmes familles les plus nanties possèdent, en moyenne, un patrimoine 76 fois plus élevé que celui des 40 % des familles les plus pauvres ! Qui plus est, les 20 % des familles les plus nanties possèdent 68 % de la richesse accumulée alors que les 40 % des familles les plus pauvres ne possèdent que 3 % du patrimoine.

Ces inégalités criantes ne sont pas neutres et touchent principalement les femmes, les locataires et les populations marginalisées.

Quels effets ?

Les effets des inégalités de richesse sont connus et bien réels. Par exemple, ce sont notamment d'importants déterminants des inégalités sociales de santé, de réussite scolaire et d'égalité des chances. Ainsi, les inégalités de richesse et de patrimoine contribuent à compromettre une mobilité sociale qui est de plus en plus en panne au Québec et au Canada.

Quels leviers d'action ?

On oublie souvent que les inégalités croissantes de richesse ne vont pas nécessairement de soi et sont le fruit de décisions collectives. Dit autrement, il s'agit d'une question foncièrement politique et morale. Si nous souhaitons ne pas reproduire les niveaux d'inégalités que l'on retrouve aux États-Unis, le laissez-faire ne peut perdurer.

Heureusement, des solutions existent ! Qu'on pense à l'amélioration des régimes de retraite publics, à la pleine imposition des gains en capitaux, à l'imposition d'une partie des gains en capital sur la vente de la résidence permanente, d'un impôt partiel sur les héritages de plus d'un million, etc. L'accroissement des inégalités n'est pas inévitable, il relève davantage d'un manque de volonté politique à agir sur ces causes.

Pourtant, selon un récent sondage, dont les résultats ont été présentés pendant l'évènement, la population québécoise est majoritairement favorable à plusieurs mesures visant à réduire les inégalités de richesse.


L'endettement comme générateur d'inégalités au Québec

3 avril 2024 | par Geoffroy Boucher et Sandy Torres
https://observatoiredesinegalites.com/endettement-inegalites-quebec/

Cette note d'analyse est la troisième d'une série explorant les liens entre les inégalités de patrimoine et de santé. Si l'étude du patrimoine dans sa globalité est éclairante à bien des égards, un examen plus approfondi de la dimension de l'endettement met en lumière certaines disparités, notamment en matière d'accès au crédit et de capacité d'emprunt. En quoi l'endettement influence les inégalités au Québec et plus particulièrement les inégalités sociales de santé ?

Faits saillants

  • La dette des familles moins nanties est majoritairement composée (74 %) de dettes à la consommation. Pour les familles les mieux nanties, c'est l'inverse : la dette est principalement (78 à 86 %) de nature hypothécaire.
  • Le prêt hypothécaire est le principal facteur d'accumulation de richesse pour un grand nombre de familles au Québec. De 1999 à 2019, la dette hypothécaire a augmenté de 154 milliards de dollars, alors que la valeur des actifs immobiliers a augmenté de 503 milliards de dollars.
  • L'accès au crédit est toutefois inégal. 1 personne sur 5 ayant déjà fait une demande de crédit s'est déjà fait refuser celle-ci. Cette proportion est plus élevée chez les hommes (23,2 %), les personnes autochtones (38,5 %), les personnes racisées (28,4 %) et les personnes à plus faible revenu (25,6 %).
  • Les personnes n'ayant pas accès au crédit dans les institutions financières se tournent parfois vers des prêts alternatifs à des taux d'intérêt très élevés. Au Québec, 3,7 % des personnes ont eu recours à des prêts alternatifs au cours des 24 derniers mois, tels que des prêteurs non bancaires en ligne, des prêteurs sur gages ou sur salaires. Cette proportion est plus élevée chez les femmes (4,3 %), les personnes racisées (7 %) et les personnes autochtones (9 %).
  • Parmi les personnes ayant des dettes, 28 % éprouvent des difficultés de remboursement . Ces difficultés sont davantage observées chez les personnes qui ont eu recours au crédit pour pallier une situation difficile, telle qu'une perte d'emploi ou une maladie (70 %) ou une combinaison de difficultés économiques (62 %).
  • Au Québec, les personnes ayant recours à l'endettement pour effectuer des dépenses courantes affichent un moins bon état de santé générale que celles n'y ayant pas recours. En effet, près du quart des ménages ayant un tel usage compensatoire du crédit perçoit sa santé comme mauvaise ou passable. Cette proportion est de 11 % chez les ménages qui n'ont pas recours à l'endettement pour effectuer des dépenses courantes.
  • On observe une relation positive entre le niveau de stress autoévalué et la difficulté à rembourser ses dettes. Au Québec, le niveau de stress engendré par les dettes atteint une moyenne de 2,9 (sur une échelle de 1 à 10) chez les personnes ne présentant aucune difficulté à rembourser leurs dettes. Chez les personnes pour lesquelles le remboursement des dettes s'avère très difficile, le niveau de stress moyen grimpe à 9,8.

Pour lire l'étude : L'endettement comme générateur d'inégalités au Québec, cliquez sur l'icône :

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Développons ensemble une vision concertée de la forêt

9 avril 2024, par Collectif — , ,
Dans le cadre de la démarche de réflexion sur l'avenir de la forêt lancée par le gouvernement depuis février dernier, plus d'une vingtaine de partenaires du milieu forestier (…)

Dans le cadre de la démarche de réflexion sur l'avenir de la forêt lancée par le gouvernement depuis février dernier, plus d'une vingtaine de partenaires du milieu forestier unissent leurs voix dans un consensus historique pour demander des changements majeurs quant à la manière dont la forêt est aménagée et gérée.

Tous ensemble, nous convenons que la Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier adoptée en 2010 doit être revue en profondeur pour amener des changements ambitieux au régime forestier actuel dans le respect des acquis, mais qui favoriseront une foresterie innovante et rassembleuse. Ce consensus rallie aussi bien l'industrie forestière, sylvicole, acéricole et faunique, les coopératives forestières, les représentants de la forêt privée et des utilisateurs de la forêt à des fins récréatives, les syndicats de travailleurs, des groupes environnementaux et de conservation de la nature ainsi que des élus municipaux.

Pour les partenaires, le manque de prévisibilité actuel rend difficiles un aménagement et une utilisation cohérents du territoire et limite les initiatives innovantes.

La gouvernance de la forêt, lourde et complexe, se retrouve déconnectée de ce qui se passe dans les régions, sur le terrain, et de ceux qui y vivent et en vivent. La collaboration et la concertation doivent être remises de l'avant, car elles se perdent à travers une myriade de tables.

Ces enjeux exigent une réponse coordonnée et ambitieuse pour assurer l'adaptation de notre forêt aux menaces des changements climatiques qui s'accélèrent.

Un aménagiste indépendant par territoire

Ainsi, nous proposons de réviser le cadre de gouvernance pour établir les responsabilités aux bons niveaux territoriaux afin d'être plus près des enjeux, en mettant en place un aménagiste indépendant par territoire, intégré et imputable. Nous proposons également d'intégrer les différents usages et les différentes valeurs de la forêt à même la planification de l'aménagement forestier.

Enfin, nous proposons aussi de continuer de miser sur la forêt naturelle et son dynamisme pour s'adapter, favorisant ainsi la résilience des écosystèmes et le maintien des services socioécologiques attendus. Ces mesures, parmi d'autres, sont essentielles pour maintenir la vitalité économique des entreprises du territoire, maximiser les retombées pour la société québécoise, soutenir les travailleurs et leurs communautés ainsi que protéger la biodiversité et la santé des forêts du Québec.

Qui plus est, les partenaires attestent que l'aménagement du territoire forestier devra reconnaître les droits des Premières Nations en leur accordant la place qui leur revient.

La forêt privée ne doit pas être oubliée lors de cette remise en question. Ainsi, les partenaires sont d'avis que le ministère des Ressources naturelles et des Forêts doit être plus actif en amont des processus gouvernementaux de manière à s'assurer que les règlements et lois soient modernisés et plus respectueux du droit de produire des propriétaires forestiers. Une amélioration de l'environnement d'affaires des propriétaires forestiers est également souhaitée.

Nous faisons donc appel aux acteurs gouvernementaux ainsi qu'à la société civile pour soutenir ces propositions, qui constituent une occasion unique de réaliser une transition juste vers une gestion durable et inclusive de nos forêts. Celles-ci, ainsi que les activités qu'elles soutiennent, sont trop importantes pour les régions du Québec, comme pour l'ensemble de la société, pour les laisser plus longtemps confinées à un régime qui ne permet pas de répondre aux défis actuels et à venir, aussi bien sur le plan économique qu'environnemental.

Ensemble, nous pouvons mettre sur pied un aménagement digne d'une forêt d'avenir et faire de ce projet de société une fierté nationale. Il est temps de passer à l'action !

Consultez la brochure : Propositions des partenaires pour l'avenir de la forêt québecoise

Yanick Baillargeon, président, Alliance Forêt boréale

Rénald Bernier, président, Groupements forestiers Québec

Louis Bégin, président, Fédération de l'industrie manufacturière FIM‐CSN

Gaétan Boudreault, président, Fédération des producteurs forestiers du Québec

Daniel Cloutier, directeur québécois, Unifor

Claire Ducharme, vice‐présidente, Conservation de la nature Canada

Dominic Dugré, président‐directeur général, Fédération des pourvoiries du Québec

Normand Fiset, président, Fédération québécoise pour le saumon atlantique

Louis‐Serge Gagnon, président, SFI‐Québec

Stéphane Gagnon, président, Fédération québécoise des coopératives forestières

Nancy Gélinas, doyenne, faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, Université Laval

Luc Goulet, président, Producteurs et productrices acéricoles du Québec

Jacques Laliberté, président, Association des grands propriétaires forestiers du Québec

Charles‐Philippe Mimeault‐Laflamme, président, Association des entrepreneurs en travaux sylvicoles du Québec

Guillaume Ouellet, président, ZECs Québec

Jean‐François Samray, président‐directeur général, Conseil de l'industrie forestière du Québec

Alice‐Anne Simard, directrice générale, Nature Québec

Luc Vachon, président, Centrale des syndicats démocratiques (CSD)

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Le Québec, société distincte des aîné.e.s édenté.e.s

9 avril 2024, par Émilie Laurin-Dansereau, Michel Verdon — , ,
Je suis un septuagénaire à faible revenu. Le 29 février dernier, j'ai reçu une lettre du gouvernement fédéral via laquelle j'ai pu m'inscrire au nouveau programme de soins (…)

Je suis un septuagénaire à faible revenu. Le 29 février dernier, j'ai reçu une lettre du gouvernement fédéral via laquelle j'ai pu m'inscrire au nouveau programme de soins dentaires mis en place par le gouvernement fédéral.

par Michel Verdon, citoyen
Émilie Laurin-Dansereau, conseillère budgétaire à l'ACEF du Nord de Montréal

J'étais ravi, car j'attends depuis longtemps de voir un dentiste. Étant à faible revenu, je n'ai pas les moyens de recevoir les soins dont j'ai besoin. Or, il y a un hic. Au Québec, ça risque d'être terriblement compliqué, voire impossible d'obtenir lesdits soins promis.

Pourquoi les Québécois.e.s pourraient ne pas avoir accès au programme de soins dentaires gratuits ?

Parce que le gouvernement Legault refuse catégoriquement de travailler conjointement avec Ottawa, prétextant que ce domaine est uniquement de « compétences provinciales ». D'où son exigence démesurée d'obtenir une compensation financière d'égale valeur, laquelle, plus souvent qu'autrement, sera utilisée pour autres choses, sinon disparaîtra du radar comme par magie. Et pendant que j'y suis, me vient à l'esprit les 940 millions $ octroyés au gouvernement Legault par Ottawal'an dernier, une somme faramineuse destinée à venir en aide aux étudiants ayant des prêts à rembourser, mais qui s'est envolée quelque part. Où exactement ? Qui sait ? C'est encore plus désolant quand on sait que plusieurs provinces canadiennes offrent des programmes de soins dentaires non seulement aux prestataires de l'aide sociale, mais aussi à des gens à faible revenu, et plus particulièrement aux aîné.e.s qui sont prestataires du Supplément de revenu garanti, et cela depuis belle lurette ! C'est le cas par exemple del'Ontario, de l'Alberta,
de la Colombie-Britannique et de l'Île-du-Prince-Édouard. Pourquoi ne pourrions-nous pas avoir la même chose au Québec ? Ne sommes-nous pas nous aussi des Canadiennes et Canadiens à part entière ?

Alors, vous savez, quand Messieurs Legault, Dubé, Girard & compagnie nous racontent qu'il existe au Québec un excellent programme de soins dentaires, c'est faux ! À l'exception des bénéficiaires de l'aide sociale et des enfants de 9 ans et moins, je le répète, il n'existe aucun programme de soins dentaires au Québec. Ce sont des mensonges, voire de la désinformation ! Bref, la CAQ n'en a rien à cirer d'un programme de soins dentaires pour les gens dans le besoin. Comme nous le faisait remarquer Réjean Parent : « C'est un gouvernement de gens d'affaires qui travaille pour les gens d'affaires sans trop se soucier des citoyens mal pris. »

Tout ça pour dire, finalement, que dans La Belle Province où les gens avec un revenu net de 20 000 ou 30 000 $ par année n'ont absolument aucune couverture dentaire, ce programme serait plus que bienvenu ! Du moins, en attendant un vrai programme de gratuité des soins dentaires pour tous et toutes. Les liens entre la santé buccodentaire et la santé en général sont démontrés depuis longtemps. Il est temps que les soins dentaires soient inclus dans le programme d'assurance maladie.

En bout de ligne, verrons-nous un jour, au Québec, la lumière au bout du tunnel avec ce merveilleux programme de soins dentaires du gouvernement fédéral ou est-ce le train du gouvernement de François Legault que nous apercevons au loin et qui fonce sur nous à toute vitesse, le train d'un Troisième Lien imaginaire électrifié par de belles batteries Northvolt .

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« Mutinerie. Comment notre monde bascule »

9 avril 2024, par Dirk Tuypens — , ,
Pendant quatre mois, Peter Mertens, secrétaire général du PTB, s'est immergé dans ce monde qui vacille et y a analysé tout ce qui gronde, gémit et s'ébranle. Le résultat est « (…)

Pendant quatre mois, Peter Mertens, secrétaire général du PTB, s'est immergé dans ce monde qui vacille et y a analysé tout ce qui gronde, gémit et s'ébranle. Le résultat est « Mutinerie ».

17 novembre 2023 | tiré du site du Parti du travail de Belgique

Le monde est comme une mer houleuse. Les bruyantes vagues peuvent être annonciatrices de grands bouleversements. Pendant quatre mois, Peter Mertens, secrétaire général du PTB, s'est immergé dans ce monde qui vacille et y a analysé tout ce qui gronde, gémit et s'ébranle. Le résultat est « Mutinerie », un livre disponible en librairie à la fin de l'année.

Nous rencontrons Peter Mertens le lendemain du jour de la remise de Mutinerie à l'éditeur EPO qui se charge de la version originale en néerlandais. Avant sa sortie, l'auteur nous en donne un avant-goût. Le secrétaire général du PTB croit en la force de la littérature et a hâte d'en parler avec les gens.

Y a-t-il un moment précis où vous vous êtes dit : « Maintenant, je m'installe à mon bureau et j'écris ‘ Mutinerie' » ?

Peter Mertens. Un moment important a certainement été l'annonce, en mai de cette année, du fait que les économies émergentes – les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) – ont dépassé les pays riches du G7 en termes de poids économique. Nos médias n'en n'ont presque pas parlé. On se concentre toujours sur la situation économique des pays du Nord. Et soudain, cette annonce. J'ai voulu explorer les relations entre tout cela. Rapidement, l'idée d'écrire un nouveau livre s'est imposée.

Un livre qui se concentre sur le monde dans son ensemble…

Peter Mertens. Je pense qu'il est important de relier les résistances du Nord et du Sud. C'est facile pour nous de nous concentrer sur ce qui se passe dans le Nord, mais tout est lié avec le Sud. Ça a toujours été le cas, tout au long de l'histoire.

Je crois fermement que les gens veulent savoir comment le monde fonctionne. Il est important de connaître le fil rouge de l'histoire, de comprendre que notre monde avance comme un tout, et ce, depuis bien longtemps. Le commerce, les mers, les ports, tout cela nous relie. Ce qui se passe en Indonésie ou en Bolivie est important pour nous, et ce qui se passe en Belgique est important pour le Brésil.

« Mutinerie » sonne comme une fabuleuse aventure en mer. Pourquoi ce titre ?

Peter Mertens. Lorsque Poutine a envahi l'Ukraine, cette agression a été condamnée à juste titre, y compris par les pays du Sud. Ceux-ci ne connaissent que trop bien l'importance de la souveraineté. Mais ils n'ont pas souhaité soutenir les sanctions annoncées par Washington contre la Russie. Après tout, nombre d'entre eux sont eux-mêmes soumis à de telles sanctions.

Fiona Hill, ancienne membre du Conseil de sécurité des États-Unis, avait fustigé cette attitude en la qualifiant de « mutinerie ». Si le choix de ne pas suivre la voie des États-Unis est considéré comme une mutinerie, alors je pense qu'il s'agit d'une « bonne » mutinerie. Elle annonce la fin d'un monde unipolaire, avec les États-Unis comme leader incontestable.

Au début du livre, vous vous rendez au Royaume-Uni. Pourquoi ?

Peter Mertens. J'ai appris qu'une action sociale était en cours au Royaume-Uni depuis près d'un an. Nos médias n'en ont pas parlé non plus. Il y a plus d'actions sociales au Royaume-Uni aujourd'hui que dans les années 1970. La crise frappe très durement, là-bas. Dans le livre, je donne la parole à une infirmière du nom de Kath dans le livre. Elle travaille dans un hôpital à Londres et s'est mise en grève pour la première fois de sa vie. Cela fait déjà vingt mois d'affilée que les Britanniques voient leurs salaires réels baisser. Les gens qui ont été applaudis pendant la pandémie de coronavirus ne peuvent plus se rendre au travail la dernière semaine du mois, parce qu'ils n'ont pas les moyens de payer l'essence de leur voiture ou le ticket de bus. Les chauffeurs de bus de Londres se sont également mis en grève parce leurs salaires sont beaucoup trop bas et leurs horaires impossibles. Un conducteur sur sept a recours à une banque alimentaire.

Il y a beaucoup de résistance. Une toute nouvelle et jeune génération rejoint les syndicats. C'est également le cas en Allemagne et aux États-Unis.

Heureusement, car au Royaume-Uni, le droit de grève est violemment attaqué…

Peter Mertens. C'était déjà le cas à l'époque de Margaret Thatcher, Première ministre conservatrice arrivée au pouvoir en 1979. Avec le président des États-Unis de l'époque, Ronald Reagan, ils ont forcé l'avènement de l'ère néolibérale, avec le démantèlement de la protection sociale et du droit du travail, et en donnant la priorité au monde de la finance…

Thatcher a d'ailleurs fait preuve d'une remarquable honnêteté en déclarant : « Je veux briser le cœur et l'âme de la nation. » Le sentiment collectif en Grande-Bretagne la dérangeait. La working class (classe travailleuse) a toujours été très forte et très unie. C'est ce que Thatcher voulait briser. Et elle l'a fait en réprimant notamment la grève historique des mineurs et en introduisant des lois antisyndicales très sévères. Aujourd'hui, en réponse au Summer of Discontent (l'été du mécontentement), nom donné à l'actuelle vague de résistance, le gouvernement britannique adopte à nouveau des lois répressives contre les grèves. Le fait d'être en possession d'une pancarte que vous voulez accrocher à une clôture quelque part peut déjà vous coûter une interdiction de manifester.

Cela nous rappelle quelque chose…

Peter Mertens. Oui, en Belgique, le ministre Van Quickenborne (Open Vld) a déposé une proposition de loi visant à limiter le droit de manifester. On observe la même chose en Égypte et au Canada, entre autres. En outre, les syndicalistes ne sont pas les seuls à être visés par ces lois ; les militants pour le climat le sont également. Cela montre la peur que génère la conscience naissante et croissante d'une nouvelle génération de syndicalistes et de jeunes.

Vous écrivez : « La classe travailleuse est de retour. »

Peter Mertens. Les contradictions socio-économiques de notre société font que tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. C'est un fait. En Angleterre, il faut attendre plus longtemps pour se faire opérer si l'on est issu de la classe travailleuse que si l'on réside dans le cœur financier de Londres. C'est pareil avec la justice. Il suffit, chez nous, de regarder l'affaire Sanda Dia (jeune étudiant de l'université de Louvain, décédé lors de son baptême en 2018 au sein du cercle élitiste Reuzegom, NDLR) et son traitement par rapport à celui des riches étudiants du cercle. La classe joue un rôle important. Pour la première fois, de nombreuses personnes en sont à nouveau conscientes. Mick Lynch, syndicaliste britannique, a déclaré à ce sujet : « La classe travailleuse est de retour et nous refusons de rester pauvres plus longtemps. »

Les contradictions sont vraiment dramatiques. Kath, l'infirmière, m'a raconté qu'elle ne faisait plus de thé que le matin. Le soir, elle n'allume plus sa bouilloire, parce que cela coûte trop cher. Au même moment, elle voit la BP (British Petroleum) encaisser des surprofits faramineux et le Premier ministre britannique s'offrir une grande piscine chauffée dans sa maison de campagne, qui consomme tellement d'énergie que le réseau électrique local ne suffit pas.

Chez nous, Christian Leysen (Open Vld) est entré à la Chambre vêtu d'une épaisse écharpe de laine. Il a voulu montrer aux gens ce qu'il fallait faire pour économiser de l'énergie, alors que les ménages font déjà d'énormes sacrifices pour joindre les deux bouts. Ils n'ont pas eu besoin d'un entrepreneur de l'Open Vld pour s'y mettre. La classe sociale joue donc un rôle important et la conscience de classe augmente. C'est une bonne chose.

La classe travailleuse ressent chaque jour à quel point le coût de la vie augmente. Quelles sont les principales causes de la hausse des prix ?

Peter Mertens. Après la pandémie de coronavirus, nous avons vu les prix augmenter une première fois. Il fallait remettre la machine économique en marche. Mais c'est parti dans tous les sens. Les voies de transport internationales étaient toutes embouteillées. C'est également à cette époque que le porte-conteneur Ever Given a bloqué le canal de Suez, ce qui a entraîné la mise à l'arrêt de nombreuses chaînes de production dans le monde. Cela montre très clairement à quel point le commerce mondial est intimement lié aux chaînes de production. Les importantes pénuries et les problèmes d'approvisionnement engendrés ont entraîné des hausses de prix.

Ensuite, ce sont les prix de l'énergie et des denrées alimentaires qui ont augmenté. On a rapidement remis la faute sur la guerre en Ukraine. Cette guerre joue certainement un rôle, mais elle n'en est pas la cause. Le marché du pétrole est dominé par cinq entreprises : ExxonMobil, TotalEnergies, Shell, BP et Chevron. En 2022, ces entreprises combinées ont réalisé 200 milliards de dollars de profits. Les marchés des céréales, eux, sont contrôlés par quatre géants : ADM, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus. Ces monopoles imposent des prix de monopole. C'est comme ça qu'ils réalisent leurs surprofits gigantesques.

Beaucoup de spéculateurs sont également actifs dans les bourses des céréales.

Peter Mertens. C'est exact. À la bourse des céréales, vous pouvez spéculer sur d'éventuelles pénuries de céréales sans être vous-même négociant en céréales. Le fonds de pension japonais est l'un des principaux spéculateurs sur ce marché boursier. C'est de la folie. L'argent de nos pensions est privatisé et utilisé pour spéculer sur les céréales, ce qui, au final, nous fait payer plus cher le prix du pain, du riz ou du maïs.

Les fortes hausses de prix sont dues à des prix de monopole d'une part, et à la spéculation d'autre part. C'est ce qu'ont confirmé, entre autres, les Nations unies, Oxfam et l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Les conséquences sont dramatiques. En Allemagne, l'une des économies les plus riches d'Europe, un ménage sur dix n'a pas les moyens de se payer un repas sain tous les jours.

Que répondez-vous aux économistes qui affirment pourtant que ce sont les salaires qui font augmenter les prix ?

Peter Mertens. C'est une étrange déclaration. Les salaires réels sont en baisse depuis 20 ans, y compris chez nous. La loi sur les salaires a diminué les salaires réels de 2 %. Comment pourraient-ils faire augmenter les prix ? L'économiste Isabel Weber a comparé la période qui a suivi les deux guerres mondiales à celle qui a suivi la pandémie de coronavirus, quand l'économie avait besoin d'être relancée. Elle a constaté que les grandes entreprises ont augmenté leurs marges bénéficiaires au cours des deux périodes. Les gens ne se rendent pas compte que le chaos n'est pas fini. C'est pareil aujourd'hui. C'est pourquoi nous plaidons au Parlement pour une réglementation des prix.

Lorsque Weber a sorti ses conclusions, elle a été attaquée par la sacro-sainte économie dominante. Mais plusieurs instituts de recherche ont constaté qu'en 2022, deux tiers des augmentations de prix étaient dues à l'accroissement des marges bénéficiaires. Le FMI (Fonds monétaire international) l'a également confirmé.

Vous vous attaquez aux multinationales et aux spéculateurs. Les détracteurs diront : « Le PTB accuse toujours les multinationales et les riches. »

Peter Mertens. Le pouvoir des grandes entreprises transnationales sur nos vies ne peut être sous-estimé. Dans le livre, je vais à la rencontre d'un nutritionniste de la BBC, qui dit que non seulement toute la biodiversité, mais aussi la diversité alimentaire sont en train de disparaître. Nous disposions autrefois de quelque 500 000 sortes de graines différentes, ce qui nous a permis de développer un régime alimentaire très diversifié. Ce nombre a été considérablement réduit. Il ne reste qu'une seule sorte de soja, une seule sorte de riz...

Nous avons l'illusion d'avoir une grande diversité, mais il s'agit d'une diversité industrielle. C'est problématique, non seulement pour notre alimentation, mais aussi pour l'avenir. Parce qu'une grande partie de cette production alimentaire industrielle est beaucoup moins résistante au changement climatique. L'impact des quatre géants de l'alimentation sur le contenu de nos frigos est énorme. C'est néfaste pour le climat, pour la biodiversité, pour notre alimentation et pour nos portefeuilles.

Idem pour les compagnies pétrolières ?

Peter Mertens. Les profits réalisés par les géants du pétrole en 2022 sont sans précédent. Cela a poussé les assemblées d'actionnaires du début de l'année à jeter par dessus-bord les plans pour sauver le climat. Ils avaient pourtant promis de passer à une production sans énergie fossile. Ils avaient promis de ne plus forer pour trouver de nouvelles sources d'énergie fossile. Mais depuis que les actionnaires ont vu leurs dividendes exploser, ils ont retourné leur veste. Ils réinvestissent dans les combustibles fossiles et prévoient de dépenser 140 milliards dans l'extraction du pétrole. António Guterres, secrétaire général des Nations unies, a qualifié cette décision de « folie totale ».

Qu'il s'agisse d'alimentation ou de pétrole, il est urgent de discuter de la manière dont nous pouvons démocratiser ces secteurs et les remettre entre les mains de la société.

Nous voyons les inégalités s'aggraver dans le monde entier. Pourtant, des personnalités comme le philosophe belge Maarten Boudry affirment que le problème ne vient pas des super-riches. L'inégalité ne poserait pas problème.

Peter Mertens. Comme les grands actionnaires exigent que les dividendes continuent de couler à flots, on perd des sommes invraisemblables, qui ne sont pas investies, par exemple, dans les hôpitaux, l'enseignement ou le climat. Les banques perçoivent un intérêt de 3,25 % sur l'argent qu'elles déposent auprès de la Banque centrale européenne. Une fois de plus, elles réalisent des milliards de profits, alors qu'en parallèle, les travailleurs en perçoivent environ 1 % et voient par ailleurs leur argent s'évaporer. Les privilégiés, sous couvert de leurs diplômes universitaires, viennent dire qu'on ne devrait pas s'en prendre à l'accumulation de la richesse. Je ne vois pas pourquoi.

L'Union européenne estime que 45 milliards d'économies sont nécessaires en Europe. C'est insensé. Les syndicats prévoient déjà des actions, et ils ont bien raison. Parce que ce sont les familles qui vont souffrir de ces plans d'austérité, les services vont craquer. Déjà aujourd'hui, les crèches et les transports publics sont mal en point, sous prétexte de faire des économies. Et nous devrions à nouveau prendre sur nous car il ne faut pas accuser les riches ? Pourquoi devrions-nous nous conformer à cette idée ?
“De bollebozen met hun universitaire diploma's zeggen dat we niet mogen kijken naar de opgestapelde rijkdom. Ik zou niet weten waarom niet.” (Foto Solidair, Dieter Boone)

Revenons aux pays du Sud. Comment voyez-vous les mouvements qui ont lieu là-bas ?

Peter Mertens. Ce que nous observons aujourd'hui, c'est le renouveau du désir de véritable souveraineté. Lorsque les pays du Sud ont accédé à l'indépendance dans les années 1950-1960, ils n'étaient souverains que de nom. Sur le plan économique, ils sont restés liés et dépendants du Nord et de ses institutions financières. Cette nouvelle quête de souveraineté est plus forte en Amérique latine. Plusieurs pays, plus ou moins progressistes, se demandent pourquoi ils ne peuvent pas utiliser leurs ressources pour leur propre développement. Et je pense que c'est justifié.

Bien sûr, de nombreux pays du Sud ont des régimes que nous ne soutenons pas. En Inde, par exemple, le gouvernement autocratique de droite qui est au pouvoir est contre les droits des femmes, pour la privatisation du secteur agricole, qui est raciste... 250 millions de paysans et de travailleurs sont descendus dans la rue pour lutter pour le progrès social. Il s'agit probablement de la plus grande grève de l'histoire. Il y a donc aussi des mutineries internes dans ces pays : les paysans sans terre au Brésil, les métallurgistes en Afrique du Sud, le mouvement paysan et le mouvement des femmes en Inde... Nous soutenons pleinement ce pouvoir venu d'en bas et les mouvements populaires qui tentent d'imposer un programme progressiste.

Mais le Sud est également en ébullition au niveau des États, à la recherche d'une nouvelle forme de non-alignement, loin du monde unipolaire sous le joug de Washington, du FMI et de la Banque mondiale. Les pays des BRICS ont créé leur propre banque d'investissement. Désormais, les pays peuvent, lorsqu'ils souhaitent faire un nouvel emprunt, choisir de s'adresser non pas au FMI, mais à la banque des BRICS. Cela rend Washington très nerveux.

L'hégémonie américaine est-elle en train de se terminer ?

Peter Mertens. Nous en voyons les prémices, je pense. En juillet, l'Union européenne a organisé un sommet avec les pays d'Amérique latine et des Caraïbes. Un fonctionnaire de la Commission européenne y a déclaré : « Il semble que les pays d'Amérique latine et des Caraïbes veuillent être traités sur un pied d'égalité. » Curieuse déclaration. Bien sûr qu'ils le veulent. Nous devons évoluer vers un système économique où ces pays sont effectivement égaux et peuvent disposer de leurs ressources en toute souveraineté, sans ingérence de la part des institutions internationales.

Mais les États-Unis et l'Union européenne ne semblent pas encore l'avoir compris.

Peter Mertens. Ils ont manifestement manqué des points de basculement importants. Le premier a été la guerre en Irak en 2003. Une guerre illégale basée sur des mensonges. L'Irak était accusée de produire des armes de destruction massive, mais elles n'ont jamais été trouvées. Toutes les infrastructures ont été détruites et cela a déclenché une vague de violence fondamentaliste. Cela a eu un impact majeur dans le Sud. Ils ont appris que le droit international ne s'applique apparemment pas aux États-Unis.

Un deuxième moment clé a été la crise financière de 2008. Wall Street n'était pas seulement la banque des États-Unis, mais celle du monde entier. Et en un instant, tout le système financier s'est effondré. Partout dans le Sud, les gens ont compris que le dollar comme monnaie dominante n'était peut-être pas la solution la plus sûre. Les BRICS sont nés en réponse à cette crise.

En 2009, le sommet de Copenhague sur le climat a échoué. On avait promis 100 milliards de dollars aux pays du Sud pour leur donner la possibilité de se développer, mais rien n'a été fait.

Et puis il y a eu la pandémie de coronavirus, où nous avons vu que les vaccins n'ont pas été partagés. Tous ces points de basculement ont conduit les pays du Sud à chercher, depuis maintenant 20 ans, une alternative à Washington. L'hégémonie des États-Unis a à présent un rival. Le match bat son plein.

« Mutinerie » aborde de nombreux thèmes. Il y en a tellement qu'un lecteur voulant agir pourrait se demander par où commencer. Que faire ?

Peter Mertens. Je pense que les gens rechercheront toujours les choses simples. La plupart des gens veulent pouvoir nourrir sainement leurs enfants, payer leurs factures d'énergie, envoyer leurs enfants à l'école, avoir accès aux soins de santé, avoir un emploi décent, avoir un toit au-dessus de leur tête... Presque tous les mouvements, au Nord comme au Sud, tournent autour de ces questions. Le plus important est de soutenir ces mouvements, et d'être solidaires. Cela nous rendra plus forts. Si les jeunes, les militants pour le climat, le mouvement des femmes... si tous continuent à défendre leurs droits tout en se montrant solidaires avec les mouvements du Nord et du Sud, nous serons plus forts.

(Cet article a été publié dans le numéro d'automne du magazine Solidaire)

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Le Canada expulse le plus grand nombre d’immigrés depuis dix ans, malgré la promesse de laisser davantage de personnes rester au pays

9 avril 2024, par Noushin Ziafati — , ,
Bien qu'il ait promis une voie d'accès au statut pour un plus grand nombre de migrants, le Canada a dépensé plus de 100 millions de dollars pour les expulser au cours des deux (…)

Bien qu'il ait promis une voie d'accès au statut pour un plus grand nombre de migrants, le Canada a dépensé plus de 100 millions de dollars pour les expulser au cours des deux dernières années

27 mars 2024, Breach Media

Le gouvernement libéral expulse les migrants à un rythme sans précédent par rapport à la dernière décennie, bien qu'il se soit engagé à permettre à davantage de sans-papiers de rester au pays, selon les chiffres obtenus par The Breach.

Rien qu'en 2022 et 2023, le Canada a expulsé plus de 23 000 migrants sans papiers, pour un coût de plus de 111 millions de dollars. Il s'agit du plus haut niveau d'expulsions depuis 2012, lorsque le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait expulsé près de 19 000 personnes en une seule année.

Cela va à l'encontre de l'engagement du gouvernement libéral pris en décembre 2021 de mettre en place un programme de régularisation qui permettrait à un plus grand nombre de sans-papiers de rester au pays.

Dans une lettre de mandat, le premier ministre Justin Trudeau a demandé au ministre fédéral de l'Immigration de s'appuyer sur les programmes existants, comme le programme Guardian Angels qui a offert aux demandeurs d'asile travaillant dans le secteur de la santé pendant la pandémie une voie d'accès à la résidence permanente, pour « explorer davantage les moyens de régulariser le statut des travailleurs sans papiers qui contribuent aux communautés canadiennes ».

L'ancien et l'actuel ministre de l'Immigration ont tous deux déclaré qu'ils avaient l'intention de respecter cet engagement. En décembre dernier, le ministre de l'Immigration, Marc Miller, a déclaré qu'il travaillait sur une proposition de programme de régularisation qu'il espérait présenter au Cabinet ce printemps.

« La promesse est maintenue », a-t-il déclaré à l'époque.

Les défenseurs des travailleurs migrants affirment que les politiques du gouvernement sont contradictoires. Ils exhortent Ottawa à mettre en pause les expulsions pendant qu'il élabore son programme de régularisation.

Le programme, disent-ils, devrait être à la fois vaste et complet, ce qui permettrait à des milliers de Canadiens qui vivent et travaillent ici de rester.

Des millions de dollars « gaspillés »

Parmi ceux qui doivent être expulsés figure Tarun Godara. Crédit : Tarun Godara

Godara est arrivé au Canada en tant qu'étudiant étranger en provenance de l'Inde. Après avoir terminé un programme menant à l'obtention d'un diplôme au Cambrian College de Sudbury, en Ontario, il a choisi de s'enraciner.

Il a occupé plusieurs emplois, payé des impôts, s'est fait beaucoup d'amis, a eu un chien et a appris à embrasser sa sexualité en tant qu'homme gay.

L'appel de Tarun Godara pour rester au Canada a été rejeté par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Et le mois dernier, on lui a dit qu'il serait expulsé du Canada après l'échec de ses tentatives de renouvellement de son permis de travail postdoctoral. L'IRCC avait rejeté sa demande, qui détaillait le danger et la persécution auxquels il serait soumis en Inde en tant qu'homme gai. De retour chez lui, a-t-il dit, il a été victime de chantage de la part d'une ancienne partenaire et violé, ce qui a eu des effets dévastateurs sur sa santé mentale.

Malgré cela, M. Godara a déclaré qu'IRCC avait déterminé qu'il ne risquait pas « d'être persécuté, torturé, de mettre sa vie en danger ou de subir des peines ou traitements cruels ou inhabituels s'il était renvoyé en Inde ».

« Je ne me suis jamais senti aussi déshumanisé », a-t-il déclaré. « Je ne suis littéralement qu'un numéro de demande. »

Syed Hussan, directeur général de l'Alliance des travailleurs migrants pour le changement, a déclaré qu'il n'était « pas logique » que le gouvernement Trudeau ait dépensé autant d'argent pour expulser des milliers de personnes alors qu'il travaillait sur un programme de régularisation.

Il a dit que c'est de l'argent gaspillé pour « séparer les gens de leurs familles, pour arracher les gens à leurs communautés et pour retirer les travailleurs du pays ».

Gauri Sreenivasan, codirectrice générale du Conseil canadien pour les réfugiés, a qualifié d'« incohérente » la position du gouvernement sur les expulsions.

D'une part, ils « cherchent à tenir leur engagement de régulariser le statut de centaines de milliers de personnes qui attendent depuis des années un statut permanent », a-t-elle déclaré. Mais d'un autre côté, « ils ne font rien pour s'attaquer à l'expulsion de ces mêmes personnes ».

Sreenivasan a également souligné que le système d'immigration canadien « crée des vulnérabilités » pour que les gens perdent leur statut d'immigration légal. Cela comprend les étudiants étrangers dont le visa d'étudiant a expiré, les travailleurs étrangers temporaires qui ont fui un employeur abusif ou abusif lié à un permis de travail fermé, et les victimes de la traite de personnes qui sont admissibles à un permis de séjour temporaire.

Le Canada a dépensé plus de 111 millions de dollars pour expulser des personnes au cours des deux dernières années seulement.

Les expulsions en chiffres

Les chiffres fédéraux montrent que l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a expulsé environ 7 500 personnes en 2021, pour un coût de plus de 43 millions de dollars.

Dans les années qui ont suivi, ce nombre n'a cessé d'augmenter. Près de 8 300 personnes ont été expulsées en 2022 et environ 15 000 en 2023, pour un coût de 53 millions de dollars et de 58 millions de dollars par an, respectivement.

La principale raison invoquée pour justifier les expulsions était la non-conformité, un terme utilisé pour décrire les personnes vivant au Canada sans statut ou étudiant sans autorisation. Cela comprend les personnes qui ont dépassé la durée de leur séjour au Canada, ainsi que les demandeurs d'asile.
La criminalité, qui ne représentait que cinq pour cent de tous les cas, était la deuxième raison principale.

L'ASFC a indiqué que le coût moyen d'un « renvoi sans escorte » est d'environ 3 800 $ et qu'un « renvoi avec escorte » coûte, en moyenne, 12 500 $.

Les renvois avec escorte sont des expulsions dans le cadre desquelles des personnes sont escortées par des agents de l'ASFC pour des raisons médicales ou pour « réduire au minimum les risques pour la sécurité de la personne renvoyée, du public voyageur et du personnel de la compagnie de transport ».

L'ASFC a refusé une demande d'entrevue. Dans une déclaration écrite à The Breach, l'agence a déclaré que la décision de renvoyer quelqu'un du Canada « n'est pas prise à la légère »
.
« Le processus de renvoi joue un rôle essentiel dans le soutien du système d'immigration et de détermination du statut de réfugié du Canada et contribue aux priorités du gouvernement du Canada en matière de sécurité publique », peut-on lire dans le communiqué.

Interrogée sur l'augmentation des expulsions, l'ASFC a déclaré que le principal moteur de l'augmentation des expulsions en 2023 était le protocole additionnel à l'Entente sur les tiers pays sûrs, qui est entré en vigueur en mars dernier.

Ce protocole limite davantage la capacité des demandeurs d'asile d'obtenir le statut de réfugié au Canada.

Il stipule que si une personne n'a pas de membre de sa famille au Canada, n'est pas un mineur non accompagné ou n'est pas passible de la peine de mort dans son pays d'origine, le Canada peut l'expulser vers les États-Unis.

Le Canada expulse plus de migrants qu'il ne l'a fait depuis plus d'une décennie.

« Le temps presse »

On estime qu'un demi-million de sans-papiers vivent au Canada, mais le gouvernement n'est pas en mesure de déterminer le nombre exact parce que certaines de ces personnes peuvent craindre de se manifester, ce qui rend plus difficile leur suivi.

Dans une déclaration écrite à The Breach, l'IRCC a déclaré qu'il explorait des options pour régulariser le statut des travailleurs sans papiers.

« IRCC s'est engagé auprès d'experts universitaires et d'intervenants pour appuyer ce travail », peut-on lire dans le communiqué. « Au fur et à mesure que nous avançons dans notre travail, nous continuerons d'écouter les experts ainsi que les migrants sans papiers eux-mêmes. »

Le ministère de l'Immigration a déclaré qu'il tiendrait compte des leçons qu'il a tirées des récentes initiatives de régularisation, y compris son programme pilote de 2019 qui a permis à 500 travailleurs de la construction sans statut dans la région du Grand Toronto (RGT) d'obtenir la résidence permanente. Ce programme a été élargi en janvier 2023 pour doubler sa portée à 1 000 travailleurs de la construction dans la région du Grand Toronto.

Mais le temps presse, ont souligné Hussan et Sreenivasan.

Leurs organisations – l'Alliance des travailleurs migrants pour le changement et le Conseil canadien pour les réfugiés – demandent une pause immédiate dans les expulsions au Canada pendant qu'un programme de régularisation est en cours d'élaboration.

« Ils ont juste besoin de mettre fin aux expulsions et de mettre en œuvre un programme complet et inclusif », a déclaré Hussan.

Sreenivasan était d'accord. Elle a déclaré que ce programme devrait offrir des voies d'accès à la résidence permanente avec des critères simples, larges et clairs pour exclure le moins de personnes possible, permettre aux gens de comprendre facilement s'ils sont admissibles et réduire les délais de traitement des demandes.

De plus, elle a déclaré que le programme devrait être offert de façon continue plutôt que sur une base ponctuelle, réduire au minimum les exigences en matière de documents, assurer la coopération de l'ASFC pour s'assurer que les personnes qui demandent une régularisation ne seront pas visées par des procédures de renvoi et permettre à des groupes tiers d'aider les gens dans le processus de demande.

« Il y a eu des expériences réussies de régularisation en Europe. C'est parce que les formulaires et le processus étaient très simples », a déclaré Sreenivasan. « Il faut reconnaître que les personnes dont le statut est précaire font face à des obstacles lorsqu'il s'agit de remplir ces documents. »

David Moffette, professeur de criminologie à l'Université d'Ottawa dont les recherches portent sur l'intersection entre le droit criminel et le droit de l'immigration, a déclaré que la stratégie de régularisation du Canada devrait être large et ne pas s'appliquer uniquement à des industries spécifiques telles que la construction et les soins de santé, qui ne concernent qu'un petit segment de la population sans papiers du Canada.

Il soutient que la régularisation du statut des sans-papiers qui vivent et travaillent déjà au Canada leur permettrait de s'enraciner plus profondément ici et de continuer à contribuer à l'assiette fiscale, à l'économie et à la société du Canada.

« Vous avez deux solutions : vous dépensez beaucoup d'argent pour les expulser, ou vous dépensez moins d'argent pour leur permettre de continuer à faire les grandes choses qu'ils font de toute façon sans les permis », a-t-il déclaré.

L'attente de l'expulsion comme une « bombe à retardement »

Pour l'instant, l'avenir de personnes comme Godara est en jeu. Il rejette la décision d'IRCC selon laquelle il ne risque pas d'être en danger ou persécuté chez lui, en Inde. Bien que la Cour suprême de l'Inde ait dépénalisé les relations homosexuelles en 2018, Godara affirme que la société indienne est encore loin d'accepter l'homosexualité.

Dans une décision rendue l'année dernière, la Cour suprême n'a pas légalisé les mariages entre personnes de même sexe. Le gouvernement d'extrême droite de Narendra Modi, quant à lui, a déclaré que les mariages homosexuels n'étaient pas« comparables au concept d'unité familiale indienne d'un mari, d'une femme et d'enfants », stigmatisant davantage la communauté queer.

Godara a retenu les services d'un avocat et a demandé que son cas soit examiné par les tribunaux de la Cour fédérale. Ses amis et sa communauté ont mis en place une campagne GoFundMe pour collecter des fonds pour la coûteuse bataille juridique et ses dépenses en attendant que le processus se déroule.

Il dit qu'il est reconnaissant pour le soutien qu'il a reçu, mais son anxiété grandit de jour en jour.
« Chaque jour est comme une bombe à retardement », a-t-il déclaré.

Il espère que le gouvernement canadien reconnaîtra les contributions des sans-papiers et leur permettra de rester dans ce pays qu'ils ont appris à appeler leur chez-soi.

« Nous avons payé des milliers de dollars. Pourquoi nous avez-vous laissé venir ici pour nous jeter dehors comme si nous n'étions littéralement rien ?

Noushin Ziafati est une journaliste primée qui a couvert des sujets sur l'immigration, la santé, la discrimination et l'environnement. Elle a notamment été rédactrice et productrice numérique à CTV News et journaliste à La Presse canadienne en Ontario, au Chronicle Herald en Nouvelle-Écosse et au Telegraph-Journal au Nouveau-Brunswick.

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Au Canada, le gouvernement sous la menace d’un “mouvement national contre la taxe carbone”

9 avril 2024, par Martin Gauthier — , ,
Au Canada, la pression monte pour réclamer que le gouvernement de Justin Trudeau supprime la taxe carbone utilisée pour lutter contre les effets du changement climatique. (…)

Au Canada, la pression monte pour réclamer que le gouvernement de Justin Trudeau supprime la taxe carbone utilisée pour lutter contre les effets du changement climatique. Augmenté de 15 dollars par an depuis le 1er avril, ce prélèvement a fait monter les prix à la pompe, à la grande colère des consommateurs.

03 avril 2024 / tiré du site du Courrier interntional | Photo : .Une station-service à Edmonton, dans l'État canadien de l'Alberta, le 29 mars 2024. PHOTO ARTUR WIDAK/NURPHOTO/AFP
https://www.courrierinternational.com/article/economie-au-canada-le-gouvernement-sous-la-menace-d-un-mouvement-national-contre-la-taxe-carbone

À dix-huit mois des élections fédérales canadiennes, le Premier ministre conservateur de l'État de l'Ontario, Doug Ford, a sonné la charge mardi 2 avril, rapporte CBC News : “Cette taxe sur le carbone doit disparaître ou, dans un an et demi, le Premier ministre [Justin Trudeau] partira, […] je vous le garantis.”

Le même jour, dans l'ouest du pays, des opposants à cette taxe environnementale ont manifesté aux abords de l'autoroute transnationale pour une seconde journée consécutive en Saskatchewan, signale Radio-Canada. La radio publique canadienne précise que “ces manifestants font partie d'un mouvement national contre la taxe carbone” qui a débuté la veille.

Un sondage national rendu public le 25 mars illustre l'ampleur du phénomène : 40 % des Canadiens demandent l'abolition de la taxe, et 11 % veulent voir son montant baisser. Le Devoir rappelle que sept des dix Premiers ministres provinciaux “avaient demandé à M. Trudeau de renoncer à l'augmentation annuelle de 15 dollars la tonne du taux de la tarification du carbone”. Majoration entrée en vigueur le 1er avril.

Double impôt

Pas suffisant pour faire reculer le Premier ministre libéral,observe encore Radio-Canada dans un autre article. Ce dernier invite ses opposants à présenter une solution de substitution “viable” afin de réduire les émissions polluantes canadiennes.

Instaurée par Ottawa en 2018, la taxe sur le carbone est de facto un impôt sur la pollution, explique La Presse :

“Elle fait partie des politiques mises en place [par le Canada] pour atteindre sa cible de réduction des gaz à effet de serre (GES) en vertu de l'accord de Paris sur le climat [en 2015]. […] Elle augmentera de 15 dollars par année pour atteindre 170 dollars la tonne en 2030.”

Le Canada, poursuit le quotidien dans un autre article, possède deux programmes de tarification du carbone : un pour les entreprises, qui paient une taxe sur une part de leurs émissions réelles ; l'autre étant une taxe à la consommation appliquée aux achats de combustibles fossiles. Les particuliers qui paient cette taxe fédérale dans les huit provinces et les deux territoires où elle est appliquée reçoivent une remise, quatre fois par an, en compensation.

Cette politique tarifaire a fait légèrement augmenter les prix des aliments ou des vêtements, mais a entraîné une hausse des coûts plus importante dans d'autres secteurs, “puisque les entreprises qui doivent la payer augmentent le coût de leurs biens et services pour compenser”.

Une taxe condamnée ?

Le président de la Fédération ontarienne de l'agriculture, Drew Spoelstra, affirme à CBC News que la taxe empêche ses membres d'investir dans des technologies propres : “Nous devons utiliser du carburant et de l'énergie pour produire les aliments que nous consommons tous.”

Car le Parti conservateur, qui caracole en tête dans les sondages, milite pour abolir cette taxe, etle Globe and Mail estime que sa survie est menacée. Face à la fronde actuelle, le quotidien Le Soleil est plus lapidaire :

“La question n'est plus de savoir si cette taxe va pouvoir survivre aux attaques incessantes qu'elle subit, mais bien quand elle sera abolie.”

Martin Gauthier

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Canada. Réfugiés syriens et ukrainiens, un accueil à deux vitesses

9 avril 2024, par Farah Mekki — , ,
L'activisme du gouvernement Trudeau pour proposer aux réfugiés ukrainiens le meilleur accueil possible depuis deux ans réveille de douloureux souvenirs migratoires chez la (…)

L'activisme du gouvernement Trudeau pour proposer aux réfugiés ukrainiens le meilleur accueil possible depuis deux ans réveille de douloureux souvenirs migratoires chez la diaspora syrienne réfugiée au Canada. Des politiques d'immigration aux défis d'intégration, en passant par les perceptions sociales locales, l'arrivée des Syriens fuyant le régime de Bachar Al-Assad a été parsemée d'obstacles à surmonter.

3 avril 2024 | tiré d'Orient XXI | Photo : Montréal, 12 déembre 2015. Le personne de la Croix-Rouge canadienne accueillant des réfugiés syriens dans leur pays d'installation. Immigration, réfugiés et citoyenneté Canada.
https://orientxxi.info/magazine/canada-refugies-syriens-et-ukrainiens-un-accueil-a-deux-vitesses,7174

Le Canada, terre d'asile inconditionnelle ? Le 31 mars 2024, le programme de visas d'urgence mis en place dans le cadre de l'Autorisation de voyage d'urgence Canada-Ukraine (AVUCU) est arrivé à expiration. Déjà prolongé d'un an, ce programme permet aux réfugiés ukrainiens d'obtenir la résidence temporaire au Canada par l'accès à un permis de travail ouvert. Suite à l'annonce de ce « moyen spécial », le ministère de l'immigration a approuvé 960 091 demandes de visa, et 248 726 civils ukrainiens sont arrivés sur le territoire. D'après le bureau gouvernemental Immigration, réfugiés et citoyenneté Canada (IRCC), ils pourraient être près de 90 000 de plus à affluer sur le territoire.

Une semaine après l'invasion russe de l'Ukraine, le premier ministre Justin Trudeau annonçait l'abandon de contraintes administratives pour les Ukrainiens souhaitant fuir leur pays, telle que la réduction du délai d'obtention de visa, la dispense de frais pour certains types de titres de voyage d'urgence, etc. Les formalités administratives canadiennes se voient ainsi largement assouplies dans l'objectif de faciliter le processus d'immigration des réfugiés ukrainiens.

DES CONTRAINTES ADMINISTRATIVES ET POLITIQUES

La mise en place de mesures d'urgence dans un contexte de crise des réfugiés n'est pas rare dans l'histoire migratoire canadienne. La dernière vague importante de réfugiés accueillis sur le sol canadien remonte à 2015. Cette année-là, plus de 4 millions de Syriens quittent leur pays en conséquence de la guerre civile provoquée par Bachar Al-Assad, qui a fait 507 000 morts. La guerre éclate en 2011, mais il faut attendre septembre 2015 pour que l'ancien gouvernement fédéral, mené par le conservateur Stephen Harper, dévoile un plan d'accueil et de sélection des réfugiés syriens. Pressé par l'opinion publique et l'opposition, Ottawa s'engage à accueillir 20 000 Syriens sur le territoire en quatre ans, sous certaines conditions administratives, politiques et idéologiques.

Sous le feu des critiques, le gouvernement Harper collabore avec l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), afin d'accueillir ce quota promis de Syriens alors réfugiés en Turquie, en Jordanie et au Liban. Toutefois, les délais de traitement et de prise en charge sont conséquents. Pour se voir délivrer un visa, les Syriens déplacés en Turquie doivent attendre en moyenne six mois. Ceux en Jordanie patientent deux ans et demi, et pour les civils réfugiés au Liban, les délais atteignent jusqu'à trois ans et demi. Au final, ils seront 39 636 à arriver au Canada entre novembre 2015 et décembre 2016, dont 35 % parrainés par le secteur privé et 55 % pris en charge par le gouvernement, d'après l'IRCC.

« EST-CE QUE LE SYSTÈME EST TOUT SIMPLEMENT RACISTE ? »

« Tous les jours, j'assiste à l'arrivée de nouveaux réfugiés ukrainiens, et tous les jours, je suis de nouveau confrontée aux injustices et au mépris auxquels ma famille et moi avons fait face pour arriver jusqu'ici », raconte tristement Haya Bitar, 23 ans. Originaires d'une famille athée de Damas, Haya, ses parents et sa sœur habitent à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, lorsque la guerre civile éclate en Syrie. Les relations politiques se tendent entre les Émirats et la Syrie, et les Bitar assistent à l'expulsion de nombreuses familles syriennes de cet État fédéral du Golfe. Craignant d'être renvoyés à leur tour à Damas, ils cherchent à rejoindre les États-Unis où habite une partie de leurs proches. Sans succès. En 2016, l'ancien président américain Donald Trump signe le Muslim Ban, une série de décrets exécutifs visant à interdire l'entrée aux États-Unis aux ressortissants de certains pays à majorité musulmane, dont la Syrie. « Trump interdisait littéralement à ma famille d'entrer sur le territoire à cause de leur passeport syrien, et les frontières européennes étaient fermées. Il ne nous restait plus qu'une seule option : le Canada », poursuit Haya Bitar.

La famille s'engage alors dans un périple administratif qui ne prend fin qu'en 2019, lorsqu'un agent de l'immigration canadienne leur annonce qu'ils sont autorisés à entrer sur le territoire. « Ils avaient perdu notre dossier. Pour les agents de l'immigration, nous ne sommes que des piles de papiers administratifs qu'on laisse trainer sur un bureau, dénonce la jeune femme. Pourtant, il s'agit de nos vies, nous sommes des êtres humains. » Lorsque la famille syrienne arrive à Montréal, au Québec, elle est confrontée à la précarité. Les diplômes syriens des parents d'Haya n'ont pas de valeur au Québec, et leur statut de réfugiés les freine lourdement dans leur recherche d'emploi :

Nous étions en sécurité, mais le stress de ne pas trouver d'emploi rongeait mes parents de l'intérieur. Finalement, en quoi la vie de réfugiés au Québec était-elle si différente de celle que nous avions à Abou Dhabi ?

Les parents d'Haya jonglent entre différents jobs alimentaires et les cours de français, 35 heures par semaine nécessaires à leur adaptation et à la recherche d'emploi. L'étudiante de 23 ans suit également un programme de langue depuis son arrivée au Québec. C'est dans ce contexte qu'elle rencontre plusieurs réfugiés ukrainiens. « J'ai ressenti tellement de colère contre l'immigration canadienne lorsque j'ai appris que le processus d'immigration avait été facilité pour les Ukrainiens », révèle la jeune femme, avant de fustiger le « deux poids, deux mesures des politiques migratoires ».

Certains d'entre eux reçoivent un visa de tourisme en deux semaines, alors que ma famille a mis trois ans pour obtenir le simple statut de réfugié. Est-ce parce que nous, Syriens, sommes perçus comme un danger ? Est-ce que le système est tout simplement raciste ?

LAÏCITÉ ET NATIONALISME

Lorsque la famille Bitar procède à sa demande d'asile auprès de l'immigration canadienne, la crise migratoire syrienne se trouve au cœur des débats dans le pays. Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, des courants d'opinion hostiles à l'accueil des Syriens sur le territoire canadien font leur apparition. Des liens entre l'islam, le terrorisme et l'accueil des Syriens sont établis par les conservateurs et les médias, et l'argument sécuritaire est généralement mis en avant dans les discours concernant l'accueil des réfugiés syriens. Pour Leila Benhadjoudja, spécialiste de la laïcité et chercheuse à l'Institut d'études féministes et de genre à l'université d'Ottawa,

les politiques d'immigration et d'accueil des personnes réfugiées sont structurées par des logiques raciales, mise à l'œuvre notamment dans des discours sécuritaires. Lorsqu'il s'agit de réfugiés racialisés, les affects de peur et de soupçon sont mobilisés et alimentent alors les logiques sécuritaires dans l'intérêt de « protéger » la nation.

Une « panique morale » affecte tout le pays et n'épargne pas le Québec, où les débats houleux sur la laïcité et le port du hijab sont relancés avec l'arrivée des Syriens, poursuit Leila Benhadjouda.

Le discours nationaliste sur la laïcité au Québec s'articule de manière à présenter la nation comme féministe, ayant aboli le patriarcat, l'homophobie et les violences sur les minorités genrées. On y oppose alors les personnes réfugiées et musulmanes qui viendraient saboter ce projet d'une nation moderne, progressiste et démocratique.

Ce type d'argument chauvin deviendrait ainsi un outil identitaire à visée politique, servant un « discours sécuritaire qui légitimerait le contrôle accru des frontières ». Pour la chercheuse,

les politiques d'immigration au Canada étaient ouvertement racistes, maintenant elles sont devenues néo-racistes. On ne parle plus de race, mais de culture, d'adaptation et d'intégration.

Si le Canada se conforme à une tradition multiculturelle, le modèle québécois adopte une approche davantage républicaine, dite « à la française ». Un mimétisme politique qui amène le premier ministre québécois François Legault à adopter en juin 2019 un projet de loi sur la laïcité de l'État, également connue sous le nom de loi 21. Validé par la Cour d'appel du Québec le 29 février 2024, ce texte controversé interdit le port de signes religieux aux employés de l'État provincial qui occupent des postes d'autorité coercitive, comme les policiers ou les juges, ainsi qu'aux enseignants du primaire et du secondaire dans le secteur public.

UNE ENTRAIDE COMMUNAUTAIRE

Solidarité. C'est le mot d'ordre de la mission que se sont donnée Adelle Tarzibachi et Josette Gauthier, co-fondatrices des Filles Fattoush. Cette entreprise de restauration créée en 2017 emploie uniquement des femmes réfugiées syriennes. « Lorsque le gouvernement a annoncé l'accueil de 25 000 réfugiés, nous nous sommes immédiatement demandé comment aider les femmes syriennes à s'intégrer et à trouver un emploi dès leur arrivée », relate Adelle Tarzibachi. Jusque-là bénévole auprès d'églises impliquées dans l'aide administrative et le parrainage privé des réfugiés syriens, la cheffe d'entreprise originaire d'Alep qui se sentait « impuissante face à la guerre » a trouvé avec cette initiative un moyen d'aider à sa façon. C'est d'ailleurs à l'église qu'elle rencontre Maria, sa cheffe cuisinière, arrivée sur le territoire canadien avec ses deux enfants de 7 et 9 ans, début 2017. « Nous avons vécu 6 ans sous les bombardements à Damas », raconte-t-elle. « Il fallait fuir pour que mes enfants soient en sécurité. Cependant, je n'ai pas pu immigrer plus tôt à cause des délais de traitement de notre dossier par l'immigration canadienne. » Dans sa fuite, Maria laisse son mari derrière elle.

Il ne voulait pas quitter ses parents, mais il compte nous rejoindre. Nous sommes en attente de procédures, depuis un an. On ne sait pas combien de temps cela peut prendre, j'espère qu'il finira par venir.

Même si la Syrienne décrit des difficultés d'adaptation lors de son arrivée sur le territoire canadien, elle se félicite d'avoir trouvé un équilibre, notamment du fait de son activité professionnelle. « C'est mon premier emploi et j'ai l'impression de travailler avec ma famille. Malgré les problèmes du quotidien, je trouve beaucoup de bonheur dans mon milieu de travail », poursuit-elle. Plus qu'un tremplin pour ces femmes réfugiées, le lancement de Filles Fattoush est un moyen pour Adelle Tarzibachi de « créer un pont » entre la Syrie et le Québec. « À l'époque, les médias véhiculaient une image négative de mon pays, ils ne parlaient que de guerre et de réfugiés », se souvient-elle. « Ce projet était une goutte de positivité dans un bassin de négativité. » Avant de conclure : « Il est important de montrer que ces réfugiés décrits comme un danger sont arrivés avec un riche bagage culturel à faire découvrir au Québec. »

FARAH MEKKI
Journaliste.

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La résolution du NPD sur la Palestine est un pas en avant mais elle ne suffit pas

9 avril 2024, par Owen Schalk — , ,
Cette résolution peut permettre de changer le statut quo concernant Israël mais on s'en souviendra aussi comme d'une occasion manquée Owen Schalk, Canadian Dimenson, 22 (…)

Cette résolution peut permettre de changer le statut quo concernant Israël mais on s'en souviendra aussi comme d'une occasion manquée

Owen Schalk, Canadian Dimenson, 22 mars 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Lundi le 18 mars 2024, Mme Heather McPherson, députée NPD et critique en matière d'affaires étrangères, a présenté à la Chambre des Communes, cette résolution sur la situation au Proche Orient. Elle était endossée par le chef du Parti, M. Jagmeet Singh. La proposition a été adoptée. Elle était non contraignante et appelait à ce que la politique canadienne envers la sécurisation de la paix au Proche Orient soit reconsidérée à la lumière des attaques israéliennes contre la Bande de Gaza.

La première version de cette résolution était beaucoup plus étoffée que celle mise aux voix. Mais quand même pas au niveau adéquat. Dans cette première version, on demandait à ce que le Canada se joigne aux 139 autres nations qui ont reconnu, sans équivoque, l'État de Palestine. Cela représente 72% des membres des Nations Unies. Elle demandait aussi que toutes les transactions de matériel militaire soient suspendues et que des sanctions soient prises contre les élus.es israélien.nes qui incitent au génocide.

Comme le souligne Yves Engler, le NPD aurait pu et dû inclure l'annulation du Traité de libre-échange entre les deux pays qui est en place depuis 1997 ou tout au moins restreindre les importations des produits issus de la Cisjordanie, de déclarer qu'il y aurait des enquêtes sur les Canadiens.nes qui se battent à Gaza pour savoir s'ils et elles ont commis de potentiels crimes de guerre, que les efforts de l'armée israélienne pour recruter des combattants.es au Canada sont illégaux selon la loi sur les engagements à l'étranger et réviser la définition d'antisémitisme donnée par l'Alliance pour la mémoire de l'holocauste qui est libellée pour minimiser toutes les critiques sérieuses contre Israël.

Mais, même ces additions n'auraient pas suffi à mettre fin à la participation complice du Canada à la violence israélienne contre les Palestiniens.nes.

Le retrait des articles de principes du texte d'origine a été décidé entre le NPD et les Libéraux après des discussions en aparté. Les parties se sont entendues pour que la critique du Hamas soit plus étoffée, de remplacer la référence à la reconnaissance de l'État palestinien à l'ONU par « la négociation d'une solution à deux États pour les Israéliens.nes et les Palestiniens.nes » et de remplacer également la suspension du commerce de matériel militaire entre les deux pays par la promesse de : « cesser les futures autorisations de transfert d'armes vers Israël ».

Fondamentalement, les Libéraux n'ont consenti à voter en faveur de la résolution qu'après qu'elle ait été épurée de ses articles les plus solides. La résolution a été adoptée par 204 voix pour et 117 contre.

Après avoir salué la version finale de la résolution comme « un petit pas vers la fin de la complicité du Canada dans la guerre génocidaire d'Israël à Gaza », Canandians for Justice and Peace in the Middle East, (CJPME) a exprimé sa déception que : « la majorité des termes de la résolution aient été dilués ou modifiés de telle manière que les fausses présentations israéliennes soient promues et que l'adhésion à l'horrible statut quo se maintienne ».

Loin de suspendre les exportations d'armes vers Israël, l'article tel qu'amandé, permet au Canada de continue à armer les forces de défense israéliennes (IDF en Anglais). Comme le rapporte The Maple, Ottawa, « ne retirera pas les permis existants d'exportation de matériel militaire vers Israël ». C'est un geste significatif considérant que selon le Ministère des affaires mondiales, il y a 315 de ces permis valides.

D'avoir retiré les permis existants de la résolution signifie que les composantes de munitions, les équipements et d'autres technologies dont les détecteurs vont encore être expédiés alors que la Cour internationale de justice a trouvé qu'il était plausible de penser qu'Israël commettait un génocide à Gaza. Le Canada lui-même doit se présenter devant ce tribunal pour complicité dans ce génocide.

Après le 7 octobre, le gouvernement Trudeau a autorisé de nouvelles exportations de matériel militaire vers Israël à hauteur de 30 millions de dollars. Comme le souligne le vice-président de CJPME, Michael Bueckert : « c'est tout comme si le Canada avait accru ses exportations d'armes au beau milieu d'une entreprise génocidaire ».

Affaires mondiales Canada assure que les équipements militaires envoyés à Israël sont non létaux. Il semble que le gouvernement fédéral fasse une distinction entre les « armes proprement dites » avec les pièces détachées qui tombent arbitrairement dans la catégorie « non létale » même si elles peuvent servir dans toute une série d'armements et de véhicules dont des avions militaires.

On a accusé les Libéraux de délibérément créer une confusion à propos de la nature des exportations d'armes vers Israël. Ils peuvent ainsi repousser les critiques faites à leur programme. La distinction entre « armes proprement dites » et armes « non létales » pour les pièces détachées en serait un exemple. La ministre des affaires étrangères, Mélanie Joly soutient aussi qu'il n'y a plus de transferts d'armes vers Israël malgré que le gouvernement honore encore les 315 permis actifs.

Est-ce qu'Ottawa va continuer à autoriser des exportations d'armes vers Israël pendant qu'on nous assure qu'il n'approuve que les pièces non létales ? Est-ce que des armes canadiennes aboutissent en Israël via des pays tiers ? L'assouplissement des termes de la résolution permet de penser que c'est possible.

Malgré son ton peu offensif, les politiciens.nes qui soutiennent Israël l'ont critiquée comme certaines aitres organisations. Dans leurs grands titres, les médias ont réagi avec enthousiasme disant que le Canada cessait de livrer des armes à Israël. Même l'élue démocrate à la Chambre des représentants des États-Unis, Mme Ilhan Omar, a salué l'adoption de cette résolution. Elle ne semble pas avoir été au courant que cela n'empêche pas d'honorer les contrats existants et que le transfert de technologie militaire « non létales » va se poursuivre.

Certains.es voient la résolution comme un petit pas important qui permettrait de modifier le statut quo envers Israël. Y. Engler note que contrairement à la position absolument favorable à Israël de l'ancien leader du NPD, Thomas Mulcair, celle de « Jagmeet Sing se montrant plus sévère envers Israël sur les réseaux sociaux, est un progrès ».

On a aussi vu la résolution comme une démonstration que les protestations publiques peuvent faire bouger les aiguilles sur d'autres politiques questionnables. Selon Y. Engler, « ce pas en avant c'est produit parce que des centaines de milliers de personnes ont envahi les rues, interpelé les politiciens.nes, écrit aux élus.es, occupé des bureaux, etc. ces derniers mois. Quelle leçon en tirer ? Que nous devons accroitre la pression contre l'establishment canadien qui donne à Israël les moyens d'opérer sa tuerie de masse à Gaza et d'y installer la famine ».

Les marchandages autour de la résolution dans les coulisses, nous indiquent que les exigences du public sont toujours à la merci de dangers de récupération ou de manipulation. CJPME note que : « des dizaines et des centaines de Canadiens.nes ont envoyé des requêtes de soutient à une certaine résolution à leurs députés.es, et voilà qu'elle n'existe plus. L'assouplissement des termes de cette résolution du NPD affaiblit la portée du vote des parlementaires. Il s'agissait d'une concession importante aux Libéraux pour permettre son adoption ».

Ce sont les événements à venir qui seront le véritable test de ce qu'elle peut signifier. Si le gouvernement adopte un embargo sur le soutient militaire à Israël, la résolution aura été un succès. Si au contraire, rien ne change, elle sera vue comme une occasion manquée de plus.

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Justin Trudeau en mode prébudgétaire… et préélectoral

9 avril 2024, par Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) — , ,
Le premier ministre Justin Trudeau souhaitait obtenir l'adhésion de la population en faisant une série d'annonces prébudgétaires susceptibles d'améliorer la qualité de vie des (…)

Le premier ministre Justin Trudeau souhaitait obtenir l'adhésion de la population en faisant une série d'annonces prébudgétaires susceptibles d'améliorer la qualité de vie des ménages canadiens ; il a surtout récolté des reproches face à ces multiples ingérences dans des compétences provinciales. C'est sans compter le nombre de gens qui, face à de telles dépenses, s'insurgent de l'ampleur du déficit à venir.

5 avril 2024 | tiré de la lettre de l'IRIS

Il ne manque pas de domaines où Ottawa pourrait intervenir dans l'intérêt des Canadiennes et des Canadiens sans pour autant se mettre à dos les provinces – qui ont ceci dit effectivement négligé depuis trop longtemps leur filet social. Par exemple, le gouvernement fédéral pourrait redoubler d'efforts afin de s'assurer que toutes les communautés autochtones du pays aient enfin accès à de l'eau potable.

Il pourrait aussi investir dans une transition réellement juste et coordonner une sortie des hydrocarbures pour éviter que les catastrophes naturelles ne s'intensifient en raison des changements climatiques et ne nuisent davantage à l'économie. À cet égard, il pourrait également aider les municipalités à développer davantage leur réseau de transport en commun afin de donner aux citoyen·ne·s l'option de se déplacer autrement qu'en voiture.

Et dans un tout autre ordre d'idées, pourquoi ne pas soutenir davantage Postes Canada afin de s'assurer qu'un service postal de qualité et à bas prix demeure accessible dans toutes les communautés plutôt que de laisser cette entreprise publique être affaiblie par des compétiteurs privés aux pratiques douteuses.

Contrairement à la campagne de peur qui a commencé au sujet du déficit de l'administration fédérale, la situation financière du gouvernement canadien demeure enviable comparativement à la moyenne des pays du G7 et son service de la dette se trouve à un niveau historiquement faible, lorsque comparé à ses revenus. Bref, Ottawa a les moyens de faire mieux tout en respectant les prérogatives des provinces.

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Aujourd’hui marque six mois de génocide – Voix juives indépendantes

9 avril 2024, par Voix juives indépendantes — , , ,
Pendant six mois, le monde a observé les Palestiniens assassinés, blessés et déplacés en masse par l'occupation israélienne. Le Canada a aidé et encouragé cette atrocité. Les (…)

Pendant six mois, le monde a observé les Palestiniens assassinés, blessés et déplacés en masse par l'occupation israélienne. Le Canada a aidé et encouragé cette atrocité. Les contrats d'armement entre le Canada et Israël ont circulé librement dans les deux sens : exportation de puissance militaire vers Israël, importation d'armes israéliennes « testées au combat » sur des enfants palestiniens.

Depuis le 7 avril 2024, le Canada a mis en place un gel des nouveaux permis d'armement, mais depuis le 7 octobre, « la valeur totale des nouveaux permis autorisés en deux mois a dépassé le record annuel sur 30 ans de 26 millions de dollars d'exportations militaires canadiennes vers Israël en 2021« .

C'est la complicité sous sa forme la plus vile.

Trois mois après le début de ce génocide, une fillette de six ans est morte coincée dans l'épave de la voiture familiale alors que les chars israéliens se rapprochaient d'elle.

Quatre mois après le début de ce génocide, les habitants de Gaza en étaient réduits à « manger de l'herbe et à boire de l'eau polluée », alors que des milliers et des milliers d'enfants se trouvaient à des stades dangereux de famine.

Cinq mois après le début de ce génocide, les corps des Palestiniens déplacés ont été brutalement écrasés par les chars israéliens. Les patients des hôpitaux ont été sommairement exécutés. Des parents ont perdu leurs enfants. Des enfants ont perdu leurs parents.

Et pourtant, le Canada continue de commercer dans le sang avec l'État israélien.
Nous ne pouvons pas permettre que cela continue. En plus de reconnaître ce génocide et de s'efforcer d'y mettre fin, le Canada doit immédiatement s'assurer qu'il n'est plus responsable d'aucune partie de ce génocide.

Cela ne veut pas dire que nous devons revenir au monde tel qu'il était auparavant. La Palestine-Israël d'avant octobre 2023 était déjà profondément injuste.

Nous devons aller plus loin : nous devons mettre fin à l'apartheid israélien.

Il doit y avoir un nouveau statu quo, dans lequel le peuple juif et notre foi ne sont pas rendus complices du meurtre et de la torture de dizaines de milliers de personnes.
Pessah approche, et avec lui le rappel de nos souffrances passées. En tant que Juifs, nous avons le devoir d'empêcher les autres de souffrir comme nous avons souffert, sous des régimes écrasants de destruction et de mort.

En vertu de ce devoir, nous demandons au Premier ministre Justin Trudeau, à la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly et au gouvernement canadien d'appliquer les mesures provisoires définies par la Cour internationale de justice (CIJ), notamment en veillant à ce que l'armée israélienne ne viole pas les droits des Palestiniens en vertu de la convention sur le génocide. Nous demandons au gouvernement canadien d'imposer un embargo total sur les armes à destination d'Israël.

Si l'on ne met pas fin au commerce des armes avec Israël, il est indéniable que la majorité des habitants de Gaza risquent de mourir dans d'atroces souffrances.

Il est de la responsabilité de tous, y compris des Canadiens, d'empêcher que d'autres habitants de Gaza ne meurent. En tant que Juifs, nous avons crié « n'oubliez jamais ». C'est pourquoi, liés par notre devoir envers nos ancêtres et nos familles, nous devons mettre en œuvre la logique morale du « plus jamais ça ».

Le 7 avril 2024

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De conjoint.e.s de fait avec enfant au régime d’union parentale

9 avril 2024, par Fédération des femmes du Québec — , ,
Une réforme du droit de la famille était attendue depuis des décennies, la dernière réforme ayant eu lieu en 1980, notamment concernant les conjoints et conjointes de fait. Le (…)

Une réforme du droit de la famille était attendue depuis des décennies, la dernière réforme ayant eu lieu en 1980, notamment concernant les conjoints et conjointes de fait. Le gouvernement caquiste a déposé un projet de loi le 27 mars dernier, le Projet de loi n° 56, loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d'union parentale.

Tiré de : Infolettre FFQ 4 avril 2024

Ce projet de loi est le troisième volet de la réforme globale en droit de la famille, suivant le Projet de loi 2 en matière de filiation, de droit des personnes et d'état civil (sanctionné en juin 2022 mais dont la mise en vigueur est prévue en juin 2024) ainsi que le Projet de loi 12 en matière de filiation, des enfants nés suite à une agression sexuelle et de gestation pour autrui (sanctionné en juin 2023).

Voici un bref aperçu de ce troisième volet de réforme :

Création de la notion et du régime d'union parentale pour les conjoint.e.s de fait ayant des enfants ;

Mise en place d'un patrimoine d'union parentale (résidence principale, meubles, voitures) dès la naissance ou l'adoption d'un enfant et règles prévoyant leur répartition à la séparation ;
REER, fonds de pension, résidences secondaires (incluant les meubles) et pension alimentaire pour ex-conjoint ou ex-conjointe exclu.e.s de ce régime ;

Mise en place d'une prestation compensatoire pour un conjoint ou une conjointe s'étant appauvri.e après avoir contribué à l'enrichissement du patrimoine de l'autre conjoint ou conjointe ;

Possibilité de faire fixer la pension alimentaire pour enfant sans l'intervention du tribunal à l'aide du service de calcul offert par le Service administratif de rajustement des pensions alimentaires pour enfants ;

Pour l'héritage, les conjoints et conjointes peuvent hériter de l'autre conjointE décédée s'iels vivaient ensemble depuis plus d'un an au moment du décès ;

Obligation pour le tribunal d'accorder des dommages-intérêts en situation de violence judiciaire ;

Assouplissement des règles de procédure afin qu'une entente entre conjoints et conjointes sur les conséquences de leur séparation ait force de jugement ;

Favoriser la prise en charge des dossiers par un.e seul.e et même juge ;

Possibilité pour les conjoints et conjointes actuel.le.s ayant des enfants de se retirer par acte notarié de l'application de ce régime, partiellement ou totalement ;

Application de la loi aux parents dont les enfants sont né.e.s ou adopté.e.s après le 29 juin 2025, à moins que ces derniers et dernières se marient, s'unissent civilement ou signent un contrat notarié pour que le régime de l'union parentale ne s'applique pas dans leur cas.

Pour lire le Projet de loi n° 56, Loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d'union parentale intégralement, c'est parici !

Vous avez envie d'en apprendre davantage ? Vous avez envie de faire entendre votre point de vue et participer aux débats et actions à venir ?

Nous vous invitons à la Rencontre d'appropriation et d'action collective sur le PL56 organisé par le Groupe des treizes le 5 avril prochain de 13h à 14h30 viaTeams. Seront des nôtres :Hélène Belleau, Carmen Lavallée et Audrey Bernard.

Si vous ne pouvez pas être des nôtres, écrivez à representations@ffq.qc.ca pour obtenir l'enregistrement. Également, nous vous invitons à nous faire parvenir par courriel vos expériences, vos opinions et expertises concernant ce dossier afin que nous puissions les collectiviser et approfondir nos commentaires concernant ce projet de loi !

Vous avez envie de savoir ce que la FFQ a adopté comme positions dans le passé à ce sujet ? C'est par ici ! Nous avions d'ailleurs, en 2016, fait un appel pour un débat public sur la réforme du droit familial. La FFQ avait d'ailleurs déposé un mémoire dans le cadre des consultations publiques sur la réforme du droit de la famille en 2019 !

Vous avez envie de savoir ce qui se dit et s'écrit au sujet du PL56 ? Voici quelques ressources pour aiguiller vos réflexions :

Une « union parentale » désavantageuse pour les femmes, déplorent des organismes, 2 avril 2024, Le Devoir

24.60 : Réforme pour mieux protéger les enfants en cas de séparation, 27 mars, entrevue à Radio-Canada

Québec veut créer l'union parentale pour les conjoints de fait avec enfants, 27 mars, La Presse

Solidarité et égalité au cœur du droit de la famille, juin 2019, Mémoire du CIAFT et Réseau des tables régionales des groupes de femmes du Québec

Nouveau régime d'union parentale : le volet de la réforme tant attendu !, 27 mars 2024, Communiqué de presse du FAFMRQ

Réflexions sur la réforme du droit de la famille, 18 août 2023, Barreau du Québec

Réflexions sur la réforme du droit de la famille, juin 2019, Chambre des notaires du Québec

Le droit familial : un enjeu d'égalité !, mai 2018, FAFMRQ

Au plaisir de s'approprier cette réforme, ensemble !

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Nouveau régime d’union parentale : le volet de la réforme tant attendu !

9 avril 2024, par Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec — , ,
Montréal, le 27 mars 2024 – La Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ) accueille avec enthousiasme le dépôt du projet de loi 56 (…)

Montréal, le 27 mars 2024 – La Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ) accueille avec enthousiasme le dépôt du projet de loi 56 du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barette, concernant le volet parentalité et conjugalité de la réforme du droit de la famille.

Celui-ci s'étant particulièrement fait attendre, déjà en 2013, dans le cadre de la cause Lola C. Éric, la Cour suprême du Canada avait invité le législateur québécois à corriger la situation, jugeant son régime discriminatoire notamment en n'accordant pas de droit alimentaire aux conjoints de fait. Le code civil ne prévoit aucun droit, ni aucune obligation pour ces conjoints. Ainsi, « le dépôt de ce nouveau projet de loi nous apparaît aujourd'hui comme une bonne nouvelle pour l'encadrement juridique des conjoints de fait avec enfant et nous espérons que cette réforme viendra finalement annuler les effets discriminatoires sur les enfants nés hors mariage » souligne Mariepier Dufour, directrice générale de la FAFMRQ.

La Fédération salue la proposition du présent gouvernement d'étendre les règles de protection et d'attribution de la résidence familiale prévues pour les conjoints mariés ou unis civilement applicables aux conjoints qui sont en union parentale.

Rappelons qu'actuellement plus de 60% des enfants de la province naissent de parents non-mariés. Après plus de dix ans de débat et de questionnements sur la question, il était grand temps d'agir pour l'encadrement juridique des conjoints de fait. C'est pourquoi l'annonce d'un nouveau régime d'union parentale présente des avancées notables pour le droit familial québécois, qui sur cette question n'a pas été modernisé depuis 1980. La FAFMRQ enjoint sa voix à celle du ministre Jolin-Barette soutenant que cette protection pour les enfants nés hors mariage, visant à leur offrir un filet de sécurité, fait consensus socialement.

La position défendue par la FAFMRQ est celle d'étendre les protections actuelles du mariage, incluant le partage du patrimoine, la protection de la résidence familiale et la pension alimentaire pour ex-conjoint, aux conjoints de fait avec enfants. Bien que l'annonce d'un régime d'union parentale soit réjouissante, la Fédération prendra le temps d'analyser et de questionner les différences entre ces deux régimes, notamment en ce qui a trait à ce qui est inclus dans le patrimoine d'union parental, et les trous qui pourraient potentiellement être créés dans le filet de sécurité offert aux enfants. De plus, une question demeure quant aux familles recomposées sachant que nombre de divorces tardent à être officialisés.

Qu'arrivera-t-il alors aux enfants qui naissent dans une union dans laquelle l'un des parents est encore marié ?

La FAFMRQ est emballée de prendre connaissance de ce nouveau projet de loi et est déterminée à collaborer avec le ministre et la commission des institutions afin qu'un encadrement juridique des conjoints de fait avec enfant offre une plus grande protection et équité en cas de séparation. La réforme du droit de la famille se doit d'assurer tant la protection des membres les plus vulnérables de la famille que de s'assurer que le droit familial mette fin aux inégalités entre les femmes et les hommes au lieu de contribuer à les maintenir ou même à les augmenter.

Pour la FAFMRQ, étant impliquée et militant depuis plus d'une décennie pour de meilleures protections juridiques, nous accueillons ce projet de loi comme une victoire. Le projet de loi 56 ouvre la voie pour un droit plus juste et équitable pour tous les enfants. Il importe que des valeurs de solidarité et de soutien mutuel guide ce travail de réforme !

La Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec existe depuis 1974. Sa mission est de défendre les droits et les intérêts des familles monoparentales et recomposées du Québec et de fournir un soutien à ses associations membres par des services de formation et d'information. La FAFMRQ regroupe une quarantaine d'associations membres à travers le Québec.

Source : La Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec

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Près de 2000 individus, plus de 150 organismes et les trois partis d’opposition appuient la demande de l’Afeas pour une Journée nationale du travail invisible

9 avril 2024, par Association féminine d'éducation et d'action sociale (Afeas) , Comité inter-associations pour la valorisation du travail invisible (CIAVTI) — , ,
À l'occasion de la 24e Journée du travail invisible, l'Association féministe d'éducation et d'action sociale (Afeas) et le Comité inter-associations pour la valorisation du (…)

À l'occasion de la 24e Journée du travail invisible, l'Association féministe d'éducation et d'action sociale (Afeas) et le Comité inter-associations pour la valorisation du travail invisible* (CIAVTI) demandent au gouvernement de tout mettre en œuvre pour faire officiellement du premier mardi du mois d'avril la Journée nationale du travail invisible (JNTI). Près de 2000 personnes et plus de 150 organismes ont signé le Manifeste pour la valorisation du travail invisible remis à la ministre responsable de la Condition féminine le 27 mars dernier.

« Ce travail, majoritairement réalisé par des femmes, a une grande valeur, souligne Lise Courteau, présidente de l'Afeas. Il déleste le gouvernement d'un fardeau économique (à travers le travail des personnes proches aidantes notamment) et permet à d'autres – souvent des hommes – d'effectuer davantage d'heures de travail salarié (notamment grâce aux soins des enfants par les mères). Il est important de valoriser les personnes qui accomplissent le travail invisible en rendant leur travail “visible” ».

Les trois partis d'opposition joignent aujourd'hui leur voix à celles de l'Afeas, du CIAVTI et de leurs nombreux·ses allié·e·s pour demander la reconnaissance officielle de la JNTI d'ici sa prochaine édition en 2025. Il s'agit par ailleurs d'une action prévue à l'Article 3.2.5 de la Stratégie gouvernementale pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2022-2027.

Citations

« Le travail invisible a une valeur inestimable pour la société tout entière. En majeur partie accompli par des femmes, il est temps de lui apporter une reconnaissance et une visibilité afin qu'il soit de moins en moins invisible. C'est pourquoi, au Parti libéral du Québec, nous sommes fiers d'ajouter notre voix à la demande de création d'une Journée nationale du travail invisible. Nous le devons aux milliers de personnes qui travaillent dans l'ombre. »

Brigitte B. Garceau, responsable de la Condition féminine pour le Parti libéral du Québec

« Le travail invisible n'a d'immatériel que le nom. Il ne tient qu'au gouvernement de réaliser sa Stratégie pour l'égalité ; ce faisant, il fera un pas important pour rendre visible et valoriser ce travail essentiel à la bonne marche du monde et réalisé majoritairement par les femmes. »

Ruba Ghazal, responsable de Condition féminine pour Québec solidaire

« Le travail invisible qu'effectuent les femmes de manière disproportionnée est essentiel au fonctionnement de notre société. Tous gagneraient à ce que le travail invisible reçoive une meilleure reconnaissance et que ce travail soit valorisé, c'est pourquoi la Journée du travail invisible, doit officiellement être mise en œuvre. »

Méganne Perry Melançon, porte-parole du Parti québécois

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Révolution contraceptive : liberté de choix, égalité d’accès

9 avril 2024, par Fédération du Québec pour le planning des naissances — , ,
Montréal, 2 avril 2024 — La Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) - soutenue par divers organismes et regroupements à travers la province - lance la (…)

Montréal, 2 avril 2024 — La Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) - soutenue par divers organismes et regroupements à travers la province - lance la campagne Révolution contraceptive :
Liberté de choix, égalité d'accès.

Cette campagne demande au gouvernement du Québec d'agir immédiatement dans l'intérêt de toute la population québécoise pour garantir l'accès universel gratuit à tous les moyens de contraception dans la province.

Le Québec est mûr pour une nouvelle révolution contraceptive et est en mesure de se repositionner comme leader au Canada, mais également dans le monde pour l'accès à la contraception et la justice reproductive. Nous
revendiquons :

* La gratuité de tous les moyens de contraception disponibles au Québec pour toutes les situations de couverture médicale

* L'amélioration de la formation ainsi que de l'information transmise aux professionnel.le.s de la santé sur les moyens de contraception offerts afin de dispenser des services de conseil soutenant le libre-choix

* L'augmentation du financement des organismes qui sensibilisent et fournissent de l'information et de l'accompagnement notamment aux personnes marginalisées ou qui sont davantage susceptibles de discrimination et de
préjugés de la part de professionnel.le.s de la santé sur les questions de contraception (personnes racisées, en situation de handicap, 2SLGBTQIA+, etc.)

Le 1er avril 2024 marque le premier anniversaire de l'annonce des mesures de gratuité des moyens de contraception en Colombie-Britannique. Jusque-là, le Québec se situait parmi les provinces les mieux pourvues en
termes d'accès à la contraception.

L'accès à la contraception gratuite est une condition primordiale dans l'atteinte de l'égalité entre les genres et dans la diminution des inégalités sociales et économiques. Bien qu'au Québec certains moyens de contraception soient remboursés par les assurances privées ou par la RAMQ, ces coûts annuels peuvent être énormes pour les personnes à
faible revenus et ne couvrent généralement que 70% à 80% des frais1. Cette situation est inacceptable puisqu'il a été démontré dans de nombreuses études que le coût des moyens de contraception constitue la
principale barrière pour les personnes qui souhaitent avoir recours à un moyen de contraception23. "Toute personne nécessitant une contraception devrait pouvoir choisir sa méthode librement, sans devoir tenir compte du
coût à l'achat ou périodique. Cette décision nécessite une session.

Fédération du Québec pour le planning des naissance (FQPN)
asgignac@fqpn.qc.ca


* Société canadienne de pédiatrie, « L'accès universel à la
contraception sans frais pour les jeunes du Canada », 2019,
https://cps.ca/fr/documents/position/acces-universel-a-la-contraception-sans-frais-pour-les-jeunes-du-canada.
* Jennifer Hulme et al., « Barriers and Facilitators to Family Planning
Access in Canada », Healthcare Policy 10, no 3 (février 2015) : 48‑63.
* Amanda Black et al., « Canadian Contraception Consensus - Chapter 1 :
Contraception in Canada », Journal of Obstetrics and Gynaecology Canada
37, no 10 (1 octobre 2015) : S5‑12,
https://doi.org/10.1016/S1701-2163(16)39370-7.

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Le militantisme LGBTQ+ en mutation au Québec

9 avril 2024, par Philippe Granger — , ,
De la légalisation du mariage homosexuel à la prohibition de la discrimination basée sur l'identité de genre, le Québec aura connu, à travers les décennies, des avancées (…)

De la légalisation du mariage homosexuel à la prohibition de la discrimination basée sur l'identité de genre, le Québec aura connu, à travers les décennies, des avancées sociales, politiques et légales majeures pour les personnes LGBTQ+. C'est bien souvent des militants – LGBTQ+ ou pas – qui auront porté à bout de bras ces causes, risquant parfois leur carrière, leur réputation et leur vie afin que les personnes LGBTQ+ puissent être reconnues, acceptées et protégées. Toutefois, le militantisme d'aujourd'hui s'apparente-t-il au militantisme d'antan ? Qu'est-ce qui distingue le militantisme LGBTQ+ en 2024 ?

PHOTO : Line Chamberland / Celeste Trianon / Alexe Frédéric Migneault
tiré de Fugues Infolettre , le 2024-04-05

Par Philippe Granger, 29 mars 2024

Alexe Frédéric Migneault ne s'est jamais vraiment considéré comme une personne militante. Cette personne non binaire vivant à Montréal s'est toutefois retrouvée sous le feu des projecteurs à la fin de 2023 pour son militantisme. Depuis de nombreux mois, voire des années, Alexe Frédéric Migneault souhaite que ses documents de la Régie de l'assurance maladie du Québec porte la lettre « X », et non « F » ou « M », ce qu'iel peut légalement exiger depuis maintenant plus d'un an. Après avoir multiplié les démarches infructueuses auprès de la bureaucratie gouvernementale, Alexe Frédéric a décidé d'effectuer des grèves de la faim.

Sa dernière grève de la faim, datant de la fin du mois de novembre 2023, a duré douze jours, et a été largement médiatisée. Cherchant principalement à faire avancer son propre cas, Alexe Frédéric se considère davantage comme « un opportuniste désespéré » plus qu'un militant.

« Je n'avais pas du tout l'habitude de m'impliquer activement dans des causes militantes. L'objectif initial de mes actions était purement égoïste : c'était pour faire débloquer mon dossier à moi, et puis ça s'est élargi au fur et à mesure que je gagnais en visibilité et en soutien. »

Parce qu'aujourd'hui, l'atteinte de l'égalité sur papier est de moins en moins ce qui est visé – de très nombreuses avancées ayant déjà été faites à cet égard -, mais davantage l'application de ces mesures adoptées. Les partis politiques et les instances juridico-politiques reconnaissent désormais tous l'existence et les droits des personnes LGBTQ+, ce qui n'était pas nécessairement le cas auparavant.

« À l'époque, il n'y avait aucun interlocuteur nulle part. Il n'y avait aucun relais politique. Il fallait se batailler juste pour avoir des interlocuteurs, des interlocutrices, alors que maintenant, il y a un ou une ministre qui est responsable, il y a un bureau de lutte contre l'homophobie et la transphobie, il y a l'opposition… », souligne ainsi Line Chamberland, professeure au département de sexologie de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de 2011 à 2020.

L'action militante aura permis une reconnaissance des LGBTQ+ aux yeux des politiciens, mais il ne faut quand même pas oublier l'apport (relativement récente) des alliés et alliées, rappelle Line Chamberland : « Une autre grosse différence c'est qu'il y a des alliés. Dans les années 80, il n'y avait pas d'alliés. Ça s'est [développé] petit à petit, [notamment avec] les syndicats, avec la Fédération des femmes du Québec… Ces alliances-là sont encore là, même si des fois j'ai l'impression qu'elles sont moins entretenues. »

Les trans et non-binaires à l'avant-plan

Le militantisme LGBTQ+ actuel porte désormais une attention particulière aux personnes trans et non-binaires, des personnes bien longtemps marginalisées non seulement au sein des instances politiques, mais aussi au sein-même des organisations LGBTQ+.

Si les réalités trans et non-binaires restent encore mystérieuses pour plusieurs, Line Chamberland constate une évolution assez fulgurante de la sensibilisation à ces réalités.

« Les droits des trans et non-binaires ont progressé plus rapidement. [Il reste que] les identités trans et non-binaires ne sont pas toujours bien connues dans la population, même auprès des groupes alliés. »

La mise à l'avant-plan récente des personnes trans et non-binaires mène à un certain ressac. Line Chamberland constate ainsi encore de l'hostilité envers ces personnes. Un phénomène que Céleste Trianon corrobore. Céleste Trianon est une militante trans. Fondatrice et directrice générale du collectif Juritrans, Céleste effectue de l'aide juridique afin de soutenir les personnes trans et non binaires. Selon elle, les hostilités actuelles peuvent parfois miner le militantisme LGBTQ+. « Ce n'est pas une année facile présentement pour faire du militantisme. […] C'est un temps effrayant pour militer, mais c'est un temps plus nécessaire que jamais », clame-t-elle.

« Je vois beaucoup de parallèles entre aujourd'hui et la crise du SIDA, quand les personnes séropositives étaient vues sous-humains, inférieurs. C'est ça qu'il faut combattre [présentement pour les trans]. »

Si Alexe Frédéric ne va pas jusqu'à comparer la situation à celle de la crise du SIDA, iel considère que des similitudes peuvent être constatées entre la discrimination envers les minorités sexuelles et la discrimination envers les personnes trans et non binaires. « Le combat pour la reconnaissance des identités de genre non-traditionnelles, c'est clairement une continuité des batailles pour les orientations sexuelles atypiques. C'est exactement les mêmes arguments qui sont utilisés contre nous les personnes trans et non-binaires que ce qui étaient utilisés contre les personnes homosexuelles. »

Réseaux sociaux : amis ou ennemis ?

Parler des réseaux sociaux comme facteur de changement majeur du militantisme est inévitable. L'arrivée de ces outils de communication ont notamment permis à des militants d'obtenir une plus grande visibilité, mais laissent aussi place à des propos haineux contre les personnes LGBTQ+. Ainsi, c'est afin de préserver sa santé mentale qu'Alexe Frédéric évite les réseaux sociaux « comme la peste ». Cette situation adhère en quelque sorte à son approche militante, Alexe Frédéric considérant qu'il est « plus facile de garder en tête l'humanité d'un sujet quand c'est une personne dans sa totalité que quand c'est 1000 likes. »

« Les réseaux sociaux jouent un rôle un peu trop important », juge pour sa part Céleste Trianon. « C'est beaucoup plus facile de rejoindre des milliers de personnes à la fois, de faire passer des messages rapidement et efficacement, mais, en même temps, […] les réseaux sociaux demeurent des boucliers de la désinformation qui sont le principal ennemi de la cause trans et des causes LGBT dans le monde en ce moment. »

Des propos que semble soutenir Line Chamberland : « Peut-être que les débats sont plus polarisés aujourd'hui. Les réseaux sociaux, c'est sûr que ça change la manière que se font les débats et la polarisation actuelle ne facilite pas les débats. »

Dans tous les cas, Céleste se fait plutôt optimiste quant à l'avenir des LGBTQ+, et appelle aux militants de ne pas lâcher le morceau. « Nos communautés ne peuvent pas disparaître. C'est quelque chose que l'Histoire a constaté à de nombreuses reprises. […] Les choses vont éventuellement s'améliorer, c'est sûr, mais ça va nécessiter que nos communautés continuent à revendiquer notre humanité, tant et aussi longtemps que ce sera nécessaire. »

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Faire reculer la privatisation sur tous les fronts !

9 avril 2024, par Confédération des syndicats nationaux (CSN) — , ,
La CSN poursuit sa campagne en 2024 pour un réseau Vraiment public. L'objectif principal des prochains mois sera de faire reculer la privatisation du réseau de la santé et des (…)

La CSN poursuit sa campagne en 2024 pour un réseau Vraiment public. L'objectif principal des prochains mois sera de faire reculer la privatisation du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS). Le printemps sera consacré à la recherche-action afin de recueillir des informations et des récits sur les différentes formes de privatisation qui ont cours et des conséquences qu'elles entraînent sur nos membres et la population. Il faut aussi mettre en lumière les liens unissant les milieux d'affaires et les élu-es avec l'accélération de la privatisation du RSSS.

Le 15 mars 2024, lors du conseil confédéral, l'instance démocratique de la CSN entre les congrès, les délégué-es ont adopté une résolution plaçant la lutte contre la privatisation au sommet des priorités de la CSN. Pour les travailleuses et les travailleurs de tous les secteurs, la défense de l'accès universel à des services publics de qualité est une nécessité.

Par ailleurs, l'amélioration de la situation exige qu'on remette en cause le rôle de plus en plus prépondérant des entreprises privées. Par exemple, en 2024, force est de constater que la première ligne, la porte d'entrée du réseau, est presque entièrement contrôlée par des entreprises privées. Est-ce à des entrepreneurs de décider où et quand doivent être offerts des services sociaux ou de santé ? Est-ce souhaitable que la possibilité d'accumuler des actes facturables oriente l'offre de services ? Est-ce équitable que la rémunération des médecins constitue 20 % du budget total en santé et services sociaux ?

Le mantra des chambres de commerce voulant que le secteur privé fasse toujours mieux que le secteur public est tout simplement faux. L'offre de la première ligne en est un exemple patent. En effet, la création des Groupes de médecine de famille (GMF), des entités privées, a lamentablement échoué dans sa mission à améliorer l'accès à un médecin de famille et à désengorger les urgences. Le statu quo n'est plus possible. Le vrai changement aujourd'hui, c'est de reprendre en main collectivement, dans le secteur public, les services de première ligne.

La CSN entend militer en ce sens au cours des prochains mois. Les tenantes et les tenants de la privatisation trouveront sur leur chemin une CSN résolue à exiger un changement de cap. Il ne suffit plus de stopper la privatisation, il faut la faire reculer. Il faut déprivatiser le système en faveur d'un réseau Vraiment public.

Le privé en santé – Pas une erreur de parcours

Le conseil confédéral de mars recevait la chercheuse Anne Plourde de l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques(IRIS), pour nous amener à réfléchir aux raisons qui poussent les gouvernements à refaire toujours les mêmes erreurs, d'une réforme à l'autre. Pour Anne Plourde, ce n'est pas par incompétence. « En fait, nous dit-elle, bien que les citoyennes et les citoyens constatent l'échec de nos élu-es à améliorer les choses, il y a, dans notre société, certains milieux pour qui ces réformes sont, au contraire, un véritable succès ! »

En réalité, il faut remonter à la création du réseau public au début des années 70 pour trouver la dernière grande victoire des travailleuses et des travailleurs : la mise en place de l'assurance maladie. À l'époque, les milieux d'affaires ont farouchement résisté. La raison de leur opposition était simple : l'existence d'un système public qui fonctionne bien est incompatible avec la génération de profits. De plus, le système québécois se voulait au départ des plus démocratique et décentralisé. Chaque hôpital, chaque CLSC et chaque CHSLD comptait un conseil d'administration indépendant formé par des citoyennes et des citoyens. Rappelons que l'approche était résolument avant-gardiste : le système public québécois a dès le départ intégré la dimension de la médecine communautaire, en plus des CLSC, qui se voulaient la porte d'entrée idéale pour la population.

Pour Anne Plourde, le capitalisme a de tout temps été bien mauvais pour la santé. Par exemple, lorsque la recherche de profits conditionne l'offre de service en santé, plus la population est malade, meilleures sont les perspectives de profits pour le privé. À l'inverse, la prévention et l'absence de maladie entraînent une contraction pour le marché privé. Pour offrir des services à moindre coût, les entreprises privées doivent soit rogner sur les conditions de travail des employé-es, soit rogner sur la qualité des services. Et que dire du fait qu'en pleine période de pénurie de personnel, un médecin, qui n'est plus rémunéré par la RAMQ, limite l'accès universel et gratuit à ses soins pour les prodiguer plutôt à une clientèle aisée qui a statistiquement moins de problèmes de santé ?

Opposés dès le jour un

Suivant cette grande victoire des travailleuses et des travailleurs au début des années 70, l'opposition à la création d'un régime entièrement public n'a jamais baissé les bras. C'est ainsi qu'on a assisté à des vagues successives de privatisation. De leur côté, la plupart des médecins ont toujours résisté à intégrer le système public, s'inscrivant davantage comme des travailleurs autonomes et des entrepreneurs indépendants, alliés naturels, en quelque sorte, des élites économiques. De cette manière, les cliniques privées se sont multipliées et l'on voit aujourd'hui apparaître des chaînes de cliniques où les médecins-entrepreneurs sont propriétaires aux côtés d'autres entreprises à but lucratif. Loin d'être source d'efficacité, au contraire, le capitalisme en santé et en services sociaux est la principale cause du manque d'accès au réseau pour la population.

C'est pourquoi il faut absolument sortir la logique marchande de notre réseau public, au nom de la santé globale de la population et de l'intérêt public. Le défi est de taille, car le gouvernement de la CAQ poursuit la voie empruntée par tous ses prédécesseurs depuis 30 ans, à toute vapeur.

À lire

Les deux derniers ouvrages d'Anne Plourde, Santé inc. – Mythes et faillites du privé en santé et Le capitalisme, c'est mauvais pour la santé, sont disponibles chez PôleDoc, Service de documentation de la CSN.
https://csn.inlibro.net/

Santé-Québec, OÙ en sommes-nous ?

Suivant l'adoption sous bâillon du projet de loi 15, en décembre 2023, la nouvelle agence de gestion Santé Québec se met graduellement en place. Malgré l'adoption de la loi, la CSN demeure résolue à revendiquer un changement d'approche de la part du gouvernement. Nous sommes loin de baisser les bras pour contrer cette réforme néfaste ! Toutefois, nous avons l'obligation de nous préparer en vue de la création d'un employeur unique pour l'ensemble du réseau public de la santé et des services sociaux. Notons que la date exacte d'un éventuel vote d'allégeance syndicale n'est toujours pas connue. Nous vous tiendrons informés dès que nous en saurons davantage.

À terme, tous les salarié-es du réseau public devront voter afin de choisir l'organisation syndicale qui les représentera à l'avenir. En bref, l'ensemble des accréditations syndicales existantes, qu'il s'agisse des CISSS et des CIUSSS ou des établissements n'ayant pas été fusionnés lors des réformes précédentes, seront fusionnées pour former six grandes unités nationales. Ces six unités sont issues d'un certain redécoupage des quatre catégories de personnel du réseau, existant depuis la réforme Couillard de 2005. La CSN représente actuellement des membres dans chacune des six nouvelles catégories.

Personnel en soins infirmiers

Les salarié-es dont la pratique est régie par la Loi sur les infirmières et les infirmiers, les salarié-es membres de l'Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires ainsi que les salarié-es qui ont pour fonction d'assurer la qualité des soins infirmiers.
Ex. : Infirmière auxiliaire, conseillère en soins infirmiers, infirmière.

Personnel de soutien opérationnel et de métiers

Les salarié-es des services auxiliaires de type manuel ainsi que les métiers spécialisés ou non spécialisés pouvant requérir un certificat de qualification. Ex. : Salubrité, cuisine, ouvrière ou ouvrier.

Personnel d'assistance aux soins cliniques

Les salarié-es dont l'emploi est caractérisé par l'exécution de tâches semi-spécialisées pour apporter un soutien fonctionnel à des professionnel-les ou à des techniciennes et techniciens de la santé et des services sociaux. Ex. : Préposé-es aux bénéficiaires, agentes et agents d'intervention.

Personnel de soutien de nature administrative

Les salarié-es dont l'emploi est caractérisé par l'exécution de travaux administratifs,
professionnels, techniques. Ex. : Acheteuse, agente administrative, magasinière.

Techniciennes, techniciens et professionnel-les de la santé et des services sociaux

Les salarié-es dont l'emploi est caractérisé par la dispensation de services de santé et de services sociaux aux usagères et aux usagers par des techniciennes et techniciens et des professionnel-les pour des travaux de nature professionnelle ou technique exécutés dans le cadre des services de santé et des services sociaux. Ex. : Éducatrice et éducateur, psychothérapeute, psychologue.

Techniciennes, techniciens et professionnel-les de soutien spécialisé et en soins cardiorespiratoires

Les salarié-es dont l'emploi est caractérisé par un soutien aux soins dans les secteurs spécialisés et dans le domaine des soins cardiorespiratoires par des techniciennes et techniciens et des professionnel-les. Ex. : Technologiste médical, inhalothérapeute.

La liste complète des titres d'emploi par catégorie se retrouvera en annexe de la loi qui n'est pas encore disponible sur le Web. La création de l'employeur unique annonce une centralisation inédite des relations de travail. À la CSN, nous entendons continuer d'offrir des services de proximité aux travailleuses et aux travailleurs, à leur donner une voix démocratique forte et à les soutenir dans leurs luttes au quotidien.

Cinéma : « Amal - Un esprit libre » de Jawad Rhalib ou le combat acharné d’une professeure de lettres pour une pédagogie sans tabou

9 avril 2024, par Café pédagogique — , ,
Réalisateur belgo-marocain, Jawad Rhalib, revendique une démarche artistique engagée, soucieuse de valoriser le respect d'autrui, la liberté d'expression et la primauté de la (…)

Réalisateur belgo-marocain, Jawad Rhalib, revendique une démarche artistique engagée, soucieuse de valoriser le respect d'autrui, la liberté d'expression et la primauté de la culture et de l'éducation sur les préjugés et l'obscurantisme. Son expérience du journalisme puis ses va-et-vient entre le documentaire social (« El Ejida, la loi du profit », « Les Damnés de la mer », « Au temps où les arabes dansaient ») et les fictions caustiques de cinéma (« 7, rue de la Folie », « Insoumise », « Boomerang ») manifestent souci de réalisme et critique sans concession des dysfonctionnements politiques, économiques et de la montée des intolérances religieuses qui fracturent nos sociétés.

Tiré de http://www.cafepedagogique.net/2024...>" class="spip_out" rel="external">Café pédagogique

Le Café pédagogique, Paris, 2 avril 2024

Bande-annonce ( 1 min 29 ) : https://www.youtube.com/watch?v=__kEA5A6Fb0

*Une fiction dérangeante, fruit d'une longue maturation*

A partir d'un long travail de recueil de témoignages et de recherches de terrain, il peaufine sur plusieurs années ( scénario coécrit avec David Lambert et Chloé Léonil ) le portrait fervent d'Amal ( Lubna Azabal, interprète saisissante ), jeune professeure de lettres dans un lycée de Bruxelles, prônant des méthodes pédagogiques audacieuses, fondées sur la liberté de s'exprimer et de penser chez les élèves. Le fondement d'un enseignement aux prises avec les préjugés et l'hostilité de certains jeunes et de leurs familles. Au point de mettre au jour la domination de l'obscurantisme religieux. C'est le début d'un engrenage, digne d'un thriller, conduisant la combattante solitaire ( ou presque ), – mollement soutenue par sa hiérarchie frileuse et des collègues vulnérables – , à affronter des périls grandissants : du harcèlement d'une élève homosexuelle par ses congénères criant à l'indécence, de l'usage malsain des réseaux sociaux, des menaces de mort et autres manifestations de haine à l'encontre d'une professeure habitée par l'amour des arts et de la littérature, persuadée du pouvoir émancipateur de la transmission.

*L'emprise de l'extrémisme religieux, la force d'un esprit libre*

Amal, courageuse et solitaire (même si subsiste la tendresse inquiète de son compagnon), doit faire face au malaise d'une classe aux divisions exacerbées, au point que la violence et les affrontements physiques n'en sont pas toujours exclus ; le filmage – étayé par des ajustements du script au fil du tournage – révèle les contradictions en chacun des adolescents qui se cherchent, des préjugés liés au sexe et au genre, des interdits religieux contraignants aux doutes quant à leur bienfondé, de la souffrance de la harcelée ( moquée aussi pour ses tatouages et son habillement différent ) à la rancœur accumulée par d'autres victimes de discriminations.

Amal doit aussi tenir compte d'une spécificité de l'École publique en Belgique. Même si une réforme (les cours devenant optionnels) devrait entrer en vigueur à la rentrée scolaire 2024, pour l'heure les cours de religions sont obligatoires et intégrés au cursus et dans chaque école les élèves choisissent la religion qu'ils souhaitent approfondir. Aucun membre du corps enseignant n'a le droit de voir ce qu'il se passe. La jeune professeure sans peur s'oppose ouvertement au professeur de religion très influent, Nabil ( Fabrizio Rongione ), et imam converti, également influent dans l'environnement social de l'établissement.

Pourtant la flamme d'Amal ne s'éteint pas. Même si une partie des élèves s'offusque de l'étude et de la lecture en classe d'une œuvre du poète arabe Abu Nawas, auteur du VIIIe siècle, célébrant la liberté sexuelle au grand dam de parents brandissant une liste de « livres interdits d'enseignement » selon une interprétation extrémiste de leur religion, elle ouvre encore le champ des possibles au-delà des programmes de littérature en Français également étudiés, au nom de la beauté d'une culture d'origine, apte à ouvrir les esprits prisonniers d'un dogmatisme mortifère.

Avec « Amal-Un esprit libre », film "choc" sur les écrans français le 17 avril prochain, le cinéaste frappe un grand coup, convaincu de la capacité du cinéma à susciter le débat, réveiller les consciences, « contribuer à changer les choses ».

L'héroïne mise en scène par Jawad Rhalib adresse avec enthousiasme cette injonction à ses élèves au début de leur aventure collective : « Lisez, posez-vous des questions, développez votre esprit critique et vous serez libres ».

Au terme d'un combat à haut risque et à l'issue incertaine, Amal continue à relever le défi de l'éducation avec panache.

Parution dans le cadre d'un partenariat. Par Café pédagogique, 2 avril 2024

https://www.ufo-distribution.com/movie/amal/

Drame | *Durée* : 1h51
De : Jawad Rhalib
*Avec * : Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée, Kenza Benbouchta, Ethelle Gonzalez-Lardued, Johan Heldenberg, Babetida Sadjo, Mehdy Khachachi
*Production * : Scope Pictures, Serendipity Films

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Concert-hommage aux femmes dans l’histoire et dans la création musicale

9 avril 2024, par Renel Exentus — , ,
Le samedi 23 mars 2024, la Société de recherche et de diffusion de la musique haïtienne (SRDMH), en collaboration avec le Centre international de documentation et d'information (…)

Le samedi 23 mars 2024, la Société de recherche et de diffusion de la musique haïtienne (SRDMH), en collaboration avec le Centre international de documentation et d'information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne (CIDIHCA), a organisé un concert qui marqua une fois de plus la scène musicale montréalaise. Malgré le froid, le public était au rendez-vous à la Salle de concert du Conservatoire où l'événement a eu lieu. Loin d'être une simple activité récréative, le concert s'inscrivait dans le cadre de la Semaine d'action contre le racisme et pour l'égalité des chances (SACR).

Rappelant que cette 25e édition de la SACR se tient en territoire autochtone non cédé, les présentatrices ont souligné la principale thématique du concert : le rôle des femmes dans l'histoire et dans la création musicale. À cet effet, le programme regroupait d'illustres compositeurs et compositrices d'Haïti, d'Argentine et de France. Le récital débutait avec la pétillante pièce Nostalgia de la renommée chanteuse haïtienne Martha Jean-Claude (1) adaptée pour flûte et piano par Victor Mirabal. Édith Bouyer et Julien Leblanc ont interprété la pièce avec une virtuosité qui captiva l'auditoire dès les premières notes (2).

L'émerveillement du public s'accrut lorsque les interprètes ont entamé l'exécution des Deux pièces pour flûte et piano de Carmen Brouard : « Chant du jour » et « Divertissement ». Composées pour le célèbre flûtiste Despestre Salnave en 1968, ces pièces figurent parmi les plus exigeantes de Carmen Brouard du point de vue de l'harmonie, de la mélodie subliminale et de la cohésion. Cette première partie du concert prit fin avec l'Histoire du tango, célèbre pièce musicale, composée en 1985 par l'Argentin Astor Piazzola. Œuvre en quatre mouvements, Histoire du tango a permis de saisir les principaux moments de l'évolution du tango des Afro-Argentins du début 20e siècle à aujourd'hui.

La deuxième partie du concert a débuté avec Musique pour Les Aïeules de Jean Brierre. Conçue originellement pour flûte, alto et violoncelle en 1951 par le compositeur haïtien Werner Jaegerhuber, Musique pour Les Aïeules est jouée dans une réduction pour flûte et piano par Julien Lebanc. Sa structure énonce six thèmes, correspondant chacun à l'histoire d'une héroïne de l'indépendance d'Haïti. Dans le contexte de la semaine contre le racisme, Musique pour Les Aïeules de Jean Brierre a non seulement bercé l'âme du public, mais elle l'a également amené à méditer sur les amnésies de l'histoire. En outre, Édith Bouyer a interprété deux autres pièces de Werner Jaegerhuber pour flûte seule : Prélude et Fugue écrites dans le style de Bach, dédiées au flûtiste Despestre Salnave.

Julien Leblanc a enchainé avec trois morceaux tirés de la pièce Femmes de légende de la compositrice française post-romantique Mélanie Bonis (1858-1937) qui s'est battue elle-même pour se faire une place dans l'univers musical trop masculin de son époque (3). L'œuvre évoque la figure de grandes héroïnes mythologiques et leur sort tragique aux mains des hommes : un enjeu social encore d'actualité.

La deuxième partie s'acheva avec la Sonate Vaudou Jazz du compositeur haïtien Julio Racine (4). Conçue pour piano et flûte, cette pièce, d'une grande originalité, propose trois styles en un : la forme et l'orchestration sont du registre classique ; les harmonies sont de l'ordre du jazz ; les motifs rythmiques notamment dans la partie piano renvoient à la musique folklorique traditionnelle haïtienne. Ce syncrétisme a résonné au cœur d'un auditoire composé majoritairement de membres de la diaspora haïtienne : enfants et adultes se sont laissé bercer par les jeux rythmiques à l'instar du « Bateau ivre » de Rimbaud.

En rappel les duettistes reprirent Nostalgia de Martha Jean-Claude sous des applaudissements intenses. Ils saluèrent le public en recevant, dans une ambiance solennelle, des fleurs présentées par des membres de la SRDMH. Pour couronner cette soirée magistrale, on procéda à la vente signature de l'album du célèbre opéra La Flambeau du compositeur David Bontemps.

Notes

1- Pour plus de détails, voir les liens suivants : https://watch.eventive.org/mardidoc/play/61d091944cd62c00e30f551c
https://www.haitiinter.com/martha-jean-claude-la-nostalgie-haitienne/

2- Édith Bouyer est licenciée en musicologie de l'Université de Haute-Bretagne et a étudié la flûte traversière au Conservatoire de Rennes (France), École des Arts de la scène, dans la classe de Gladys Bouchet. Elle est aussi diplômée du Programme d'enseignement de la musique de l'UQAM où elle fut assistante de recherche en musicologie sous la direction de Claude Dauphin. Par ailleurs, le pianiste canadien Julien LeBlanc est reconnu pour sa grande sensibilité musicale et ses dons de communicateur. Basé à Montréal, il est très actif sur la scène musicale canadienne comme soliste, chambriste et accompagnateur. Pour plus de détails sur Julien Leblanc et Édith Bouyer, voir les liens suivants : https://www.julienleblanc.com/bio-fr
https://ca.linkedin.com/in/%C3%A9dith-bouyer-9a1388175

3- Pour mesurer l'impact de l'éducation religieuse et sexiste sur la vie et la carrière de Mélanie Bonis, voir les liens suivants : https://guides.loc.gov/feminism-french-women-history/famous/mel-bonis
https://www.rtbf.be/article/mel-bonis-le-destin-clair-obscur-d-une-compositrice-hypersensible-et-mystique-11163909

4- Décédé en 2020, Julio Racine était flûtiste, chef d'orchestre et compositeur. Il a étudié Conservatoire National d'Haïti et à l'école de Musique de l'université de Louisville. Après ses études, il retourne en Haïti où il est devenu professeur de flûte et chef de l'Orchestre Philharmonique Sainte-Trinité. Pour plus de détails, voir les liens suivants : https://crossingbordersmusic.org/explore-the-music/haiti/julio-racine/
https://julioracine.com/
https://www.srdmh.com/concerts

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Maryse Condé, la sorcière bien aimée

9 avril 2024, par Mustapha Saha — ,
Paris. Mardi, 2 avril 2024. A peine rentré d'un long périple en Provence avec Elisabeth, un pèlerinage en dix étapes, sur les traces, entre autres, de Jean Lacouture à (…)

Paris. Mardi, 2 avril 2024. A peine rentré d'un long périple en Provence avec Elisabeth, un pèlerinage en dix étapes, sur les traces, entre autres, de Jean Lacouture à Roussillon, j'apprends la disparition, à l'âge de quatre-vingt-dix ans, de Maryse Condé, de son nom de naissance Maryse Liliane Appoline Boucolon.

Par Mustapha Saha

Une amie fidèle. La maison de Maryse Condé à Gordes se trouve à quelques kilomètres de Roussillon. Impossible de la voir. Elle est hospitalisée à Apt. Elle est partie dans son sommeil. Rien de plus terrible qu'une nécrologie. Les célébrations médiatiques ne durent qu'une journée. Les écrivains, les poètes, les philosophes, les artistes vivent perpétuellement. Ils s'invitent à tout moment, opportunément, par leurs écrits, leurs œuvres. « Les morts ne meurent que s'ils meurent dans nos cœurs. Ils sont là, partout autour de nous, avides d'attention, assoiffés d'affection. Quelques mots suffisent à les rameuter. Ils pressent leurs corps invisibles contre le nôtre, impatients de se rendre utiles ».

A Gordes, Maryse Condé tombe sous le charme du Village des bories, hameau anciennement dit Les Cabanes, sur les pentes des Monts de Vaucluse. Elle commente cette singularité architecturale avec science et poésie. Une borie, de l'occitan bòria, signifie aujourd'hui une cabane de pierre sèche. Le mot désigne, à l'origine, une ferme, un domaine agricole. Les architectes sont des bergers, des paysans, des maçons, des gens du pays. La voute en encorbellement, sans coffrage, est la phase la plus délicate de l'assemblage. Les pierres son disposées horizontalement, légèrement penchées pour éviter les infiltrations d'eau. Chaque rangée est en surplomb par rapport à la rangée intérieure. Les pierres croisées sont solidaires les unes des autres. Le faitage de grosses dalles assure la stabilité de la voute. Au dix-huitième siècle, pendant la reconversion des terres sauvages, des forêts, des garrigues en champs cultivables, les bories sont des habitations saisonnières, liées aux travaux agricoles, pourvues de dépendances, bergerie, cuve à vin, fouloir, chevrière, four, grange, grenier, magnanerie, soue. Les fouilles ont exhumé des céramiques, des pièces de monnaies anciennes, des silex taillés, utilisés par les paysans comme couteaux, pierres à briquet, pierres à fusil. Les céréales alternent avec des oliviers, des amandiers, des mûriers. Une polyculture typiquement méditerranéenne comprenant également la vigne, le miel, la truffe, l'élevage du ver à soie. C'est Pierre Viala, poète, écrivain, qui redécouvre et sauvegarde les bories dans les années soixante. Aux commencements, avant le verbe, était la pierre.

J'extrais de ma bibliothèque deux livres de Maryse Condé, lus et relus, Ségou, en deux tomes, Les Murailles de terre et La Terre en miettes, la saga d'une famille aristocratique du Mali. Se décrivent le dépérissement des cultures animistes et polythéistes, du culte des ancêtres, des initiations magiques. L'âme africaine en déperdition. Implantation durable de la religion musulmane. Pénétration dévastatrice du colonialisme français. Esclavagisme. Ségou, capitale historique. Mes visites remontent à la mémoire. La mosquée sénégalaise de Ba Sounou Sacko. Le tombeau massif de Biton Mamary Coulibaly, fondateur de la dynastie bambara au dix-septième siècle. Inscription sur la stèle en français. Le monarque transforme un groupe de jeunes chasseurs en armée conquérante des deux rives du Niger, de Tombouctou à Djenné, de Djenné à Bamako. La légende raconte que Mamary Coulibaly, surprenant la fille de Faro, génie du fleuve, en train de voler des aubergines dans son champ, lui laisse la vie sauve. Pour le gratifier, Faro lui instille une goutte de son lait dans chaque oreille. Il peut ainsi entendre les complots qui se trament contre lui. Mamary Coulibaly a régné quarante-quatre ans.

L'ouvrage de Maryse Condé narre l'épopée de Dousika Traoré, de ses quatre fils, Thiékoro, Siga, Naba, Malobalide, de leurs descendants. Le patriarcat est cérémonial. Les femmes occupent une place centrale. S'évoque le retour d'esclaves d'Amérique latine, des Caraïbes, des Antilles sur leur terre ancestrale. Se rappellent les relations endémiques, organiques, avec la terre marocaine. A travers la destinée de la famille Traoré, c'est toute l'histoire du Sahel qui se décline, dans ses splendeurs et ses décadences, ses fatalismes et ses dissidences. La tribalité pratique naturellement la démocratie directe, l'interactivité, la transversalité, la consensualité, la palabre. « La parole est un fruit. Son écorce est le bavardage. Sa chair est l'éloquence. Son noyau est le bon sens ». S'insèrent dans la trame romanesque, des pertinences historiques, sociologiques, philosophiques. Au-delà des tribulations existentielles, demeurent l'énigme de la mort, le secret de la vie. Les pensées africaines ont résolu la question de la mort par un pacte avec les esprits, autorisés à revenir sur terre selon des rituels convenus. Les sorciers, les griots, les psychopompes sont maîtres du jeu. Le mystère n'est pas la mort. Le mystère, c'est la vie. « Qu'est-ce que la vie ? Est-ce une femme folle qui hurle et déchire ses haillons en les jetant au vent ? Est-ce un aveugle qui, dans la nuit de ses jours, culbute à chaque précipice et se rattrape aux ronces ? Dites-moi ce que c'est, la vie ? ». Toute l'histoire de l'humanité ramène à l'Afrique. Malheur aux exclus de ce retour. « Les esclaves croient qu'une fois morts, leur esprit se détache de leur corps et retourne à la source africaine. L'esprit s'élance de la cascade d'Acomat, traverse les mers et les océans jusqu'à ce que l'odeur d‘huile de palme et de poisson séché de la terre africaine le saisisse à la gorge. Mais moi, je ne reviendrai jamais à Ségou. Je ne franchirai jamais ses murailles de terre, rouges, friables, éternelles. Je n'arpenterai jamais le vestibule aux sept portes. Je n'entendrai jamais dire mon nom ». Les jeunes générations d'antillais, transplantés dans la métropole, ignorent leurs origines africaines. Ils se disent français et rien d'autre.

Maryse Condé rêve toute sa vie de l'indépendance de son île natale. Elle se réclame continuellement d'Aimé Césaire et de Frantz Fanon, du poète et de l'analyste de l'oppression, de l'aliénation, de la dépossession. Aimé Césaire mis en exergue par Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs. « Je parle de millions d'êtres infectés de peur, de complexe d'infériorité, de tremblement, d'agenouillement, de désespoir, de larbinisme » (Discours sur le colonialisme). Toute l'œuvre de Maryse Condé peut se résumer ainsi : « L'être humain n'est pas seulement possibilité de reprise, de négation. S'il est vrai que la conscience est activité de transcendance, nous devons savoir aussi que cette conscience est hantée par le problème de la compréhension. L'être vivant est un vibrant acquiescement aux harmonies cosmiques. Arraché, dispersé, confondu, condamné à voir se dissoudre, les unes après les autres, les vérités par lui élaborées » (Frantz Fanon).

Maryse Condé est une sorcière de la littérature, comme l'afro-américaine Toni Morrison. La sorcellerie s'entend ici au sens de médecine. Moi, Tituba sorcière noire de Salem, plonge en Amérique du Nord au dix-septième siècle. Tituba est une ancienne guérisseuse devenue esclave, accusée dans l'affaire des sorcières de Salem. La traduction anglaise est préfacée par Angela Davis, qui retient l'éloge de la révolte. En 1692, vingt-cinq personnes sont exécutées pour sorcelleries sur témoignages de fillettes prétendument possédées. Quelques années plus tard, l'erreur judiciaire est officiellement reconnue. L'épisode historique met en lumière un phénomène de panique collective toujours actuel, la quête obsessionnelle de sécurité, les dévastations de la rumeur, la perversité délationniste, la paranoïa persécutrice, la mentalité inquisitoire. Le fascisme prospère sur ce terreau-là . La magie est une arme de résistance. « Qu'est-ce qu'une sorcière ? La faculté de communiquer avec les invisibles, de garder un lien constant avec les disparus, de soigner, de guérir n'est-elle pas une grâce supérieure ? La sorcière ne doit-elle pas être révérée au lieu d'être crainte ? ». Tituba est en connexion permanente avec sa mère génétique et sa mère adoptive. Elle se nourrit des énergies insufflées par les présences invisibles. « Man Yaya m'a appris à écouter le vent, à mesurer ses forces au-dessus des cases qu'il s'apprête à broyer. Elle m'a appris la mer et la montagne. Tout vit. Tout est doué d'une âme, d'un souffle ».

Se réactivent les spiritualités animistes, chamaniques, magnétiques, initiatiques. Maryse Condé s'immerge dans les interrogations essentielles. Elle traite par la dérision le féminisme occidental, l'héroïsation du féminin. L'histoire peut se lire comme un conte fantastique, mais aussi comme une parodie. Un amant de Tituba l'appelle « ma sorcière bien-aimé ». La fille adoptive choisie depuis l'au-delà se nomme Samantha, comme le personnage de la série télévisée. Se critique le féminisme manichéiste français et sa revue Sorcières. La sorcellerie est incompatible avec le militantisme et le spectacle médiatique. « Un livre, on ne sait pas comment il va tourner. Au départ, on a une idée précise. Mais, au fur et mesure, l'histoire se charge d'une série de hantises. Quand on arrive à la fin de la rédaction, on est étonné par le résultat. Des obsessions, des hantises, des idées fixes, c'est ça la littérature finalement. Les questionnements reviennent sans cesse parce que l'écrivain ne trouve pas de réponse ». L'écriture tente de se défaire du pesant bagage, elle le reprend encore plus lourd.
Mustapha Saha
Sociologue

* Toutes les citations renvoient à Maryse Condé sauf mentions contraires.

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