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L’intelligence artificielle et les algorithmes : au cœur d’une reconfiguration des relations internationales capitalistes

21 avril 2024, par Rédaction

Dans cet article, nous explorons certaines reconfigurations de l’économie politique des relations internationales dans la foulée de l’avènement de nouveaux modes d’exploitation et d’expropriation et de nouvelles relations de dépendance à l’ère des technologies algorithmiques et de l’intelligence artificielle (IA).

Nous identifions d’abord certaines limites de l’hypothèse influente du « techno-féodalisme » pour expliquer les changements politicoéconomiques contemporains, et nous adoptons plutôt le cadre du « capitalisme algorithmique » qui nous apparait plus apte à rendre compte des développements actuels. Deuxièmement, nous examinons les nouveaux rapports capital-travail engendrés par la montée des plateformes et par la prolifération du « travail digital », en nous concentrant surtout sur des espaces du Sud global. Nous nous penchons ensuite sur une nouvelle modalité de transfert de valeur du Sud global vers le Nord sous la forme de l’extraction de données rendue possible par le déploiement d’infrastructures de technologies numériques dans des pays du Sud. Finalement, nous discutons brièvement de la rivalité sino-américaine et nous faisons appel au concept de « périphérisation » afin d’explorer quelques tensions, déplacements et continuités dans l’économie politique internationale, de la période du capitalisme néolibéral à celle du capitalisme algorithmique.

L’économie politique de l’IA et des algorithmes : une logique féodale ou capitaliste ?

Comment conceptualiser le contexte historique du déploiement accéléré des technologies d’IA ? L’économiste Cédric Durand a formulé une théorisation des transformations contemporaines de l’économie politique du numérique qui a réveillé l’économie politique hétérodoxe de son sommeil dogmatique et qui exerce une grande influence au sein de la gauche[2]. Sa conceptualisation « technoféodale » de l’économie politique contemporaine constitue une contribution d’une grande valeur, mais elle souffre également de limites importantes. Le concept de technoféodalisme met l’accent sur les intangibles[3] et sur les déplacements qu’ils occasionnent dans l’organisation de la production, de la distribution et de la consommation. Selon cette hypothèse, le durcissement des droits de propriété intellectuelle, la centralisation des données et le contrôle oligopolistique de l’infrastructure sociotechnique au cœur du déploiement des technologies algorithmiques et du pouvoir économique des grandes plateformes participent tous à la formation d’une vaste économie de rentes structurée autour de relations de dépendance de type « féodal ».

Les configurations économiques technoféodales sont largement répandues, selon Durand. D’une part, elles s’expriment dans les relations de travail : « Alors que la question de la subordination se trouve au cœur de la relation salariale classique, c’est le rapport de dépendance économique qui est prééminent dans le contexte de l’économie des plateformes[4] ». Durand détecte une dynamique de dépendance non capitaliste dans un contexte où la gestion par les plateformes d’une myriade de travailleuses et travailleurs dispersés subvertit les formes contractuelles d’exploitation du travail salarié. D’autre part, des dynamiques « féodales » se déploient également dans les relations entre différents capitaux : « L’essor du numérique bouleverse les rapports concurrentiels au profit de relations de dépendance, ce qui dérègle la mécanique d’ensemble et tend à faire prévaloir la prédation sur la production[5] ». Malgré la diversité des innovations, notamment autour de l’IA, lesquelles se multiplient à un rythme accéléré, il peut sembler tentant d’aller plutôt vers la notion de féodalisme étant donné la tendance lourde à la stagnation de la productivité et de la croissance économique.

La terminologie féodale identifie certes des changements importants dans les relations fondamentales du capitalisme, mais elle crée à notre avis un cadre conceptuel anachronique qui souffre de limites importantes, surtout lorsqu’il s’agit d’analyser le moment contemporain du déploiement de technologies algorithmiques et de l’IA dans une perspective globale. Premièrement, le terme génère une conception du changement sociohistorique eurocentriste en situant les développements contemporains dans un cadre conceptuel qui reproduit l’expérience historique européenne. Deuxièmement, et de façon reliée, le cadre conceptuel « néoféodal » ignore ainsi comment le capitalisme s’est développé à l’échelle mondiale à partir d’une articulation interne de formes hétérogènes de travail et de marché, d’exploitation et d’extraction, en particulier en rendant l’existence de formes marginales et subordonnées en périphérie indispensable pour le maintien de formes capitalistes plus typiques au centre. Troisièmement, le modèle mène à une conception réductionniste de la transition en niant son contenu concret. Dans l’analyse d’un processus en cours, il est problématique de recourir à des débats sur la transition du féodalisme au capitalisme alors que ceux-ci portent sur des modes de production pleinement constitués sur le plan historique. Cela risque de mener à un raisonnement tautologique, où des caractéristiques soi-disant « non capitalistes » de la nouvelle économie sont étiquetées a priori comme « féodales », pour ensuite en faire dériver un modèle « technoféodal ». Pour ces raisons, la référence au féodalisme européen est davantage une allusion, une métaphore, certes très évocatrice, mais sans véritable pouvoir explicatif[6] : il s’agit davantage par cette notion de signaler des changements économiques contemporains sous le sceau d’un sentiment général de « régression ».

Il faut à notre avis inscrire la récente vague de changements sociotechniques dans un cadre qui permet de saisir les reconfigurations globales et les combinaisons émergentes entre anciennes et nouvelles formes d’accumulation. Plutôt qu’un « retour vers le futur » féodal, nous soutenons que les transformations contemporaines représentent un nouveau stade du développement capitaliste, le capitalisme algorithmique[7], au sein duquel une logique d’exploitation/extraction capitaliste déploie des mécanismes rentiers et de nouvelles formes de dépendance[8]. Comme nous l’ont rappelé entre autres Nancy Fraser, David Harvey et David McNally, l’extraction et « l’accumulation par dépossession » sont des processus continus de l’accumulation du capital, et non pas un moment « d’accumulation initiale » révolu, ou encore des restes historiques de modes de production précapitalistes.

Le capital algorithmique se caractérise par le développement et l’adoption rapide des technologies algorithmiques portés par un impératif d’extraction de données qui (re)produit des relations d’exploitation/extraction dans les espaces-temps du travail, du loisir et de la reproduction sociale, brouillant ces distinctions du point de vue de l’économie politique du capitalisme[9]. En effet, l’exploitation du temps de travail dans la production de valeur d’échange, la forme « classique » de l’accumulation capitaliste, s’accompagne désormais d’une nouvelle forme d’extraction, celle des données, qui se produit pendant et au-delà du temps de travail. On observe ainsi de nouvelles formes de production de valeur qui s’étendent au-delà du temps de travail au fil de différentes opérations d’extraction, de traitement et de transformation de données qui génèrent diverses formes d’actifs et de marchandises pour les capitalistes algorithmiques.

Depuis le milieu des années 2000, les algorithmes se sont encastrés dans divers aspects de l’accumulation du capital, que ce soit sur le plan de la production, de la distribution ou de la consommation. Ils médiatisent les relations sociales, orientent les flux de la (re) production socioéconomique et du travail, et disséminent leur logique prédictive dans la société. Il est désormais ardu de trouver des secteurs économiques, des marchés, voire des sphères de la société, qui ne soient pas transformés ou influencés par les données massives et les algorithmes. Depuis la crise du néolibéralisme financiarisé de 2007-2008, le capital algorithmique reconfigure, réoriente et transcende divers processus et dynamiques du capitalisme néolibéral, alors que les compagnies technologiques des GAFAM[10] entre autres sont devenues les plus grandes compagnies au monde et des fers de lance de l’accumulation capitaliste. Bien entendu, les transitions historiques s’opèrent sur le long terme, et la crise de 2007-2008 est selon nous le symbole d’un processus prolongé de chevauchements et de changements plutôt qu’une rupture nette ou subite. Néanmoins, une transition s’opère effectivement depuis les 15 à 20 dernières années et reconfigure le système capitaliste et son économie politique internationale. De ce point de vue, les nouvelles articulations des rapports entre le Nord et le Sud global se déploient non pas dans le contexte d’un moment « néoféodal » mondialisé, mais dans celui de l’avènement du capital algorithmique. Les nouvelles relations dans la division internationale du travail et les nouveaux mécanismes de transfert de valeur du Sud vers le Nord (et maintenant aussi vers la Chine) se saisissent plus aisément de ce point de vue.

Rapports capital-travail et division internationale du travail

La montée historique du capital algorithmique s’accompagne de reconfigurations importantes du travail aux ramifications internationales. Au premier chef, de nouvelles formes de travail digital combinent, au sein d’assemblages divers, des processus d’exploitation du travail et d’extraction de données sous quatre formes principales. Le « travail à la demande » est le résultat d’une médiation algorithmique, souvent par des plateformes, de l’économie des petits boulots (gig work) ; le « microtravail » fragmente et externalise des tâches numériques auprès de bassins de travailleuses et travailleurs du clic ; le « travail social en réseau » est le lot d’utilisatrices et d’utilisateurs de plateformes, notamment les médias sociaux, lesquels produisent du contenu et traitent des données ; finalement, le « travail venture » forme une nouvelle élite du travail autour de femmes et d’hommes programmeurs, ingénieurs et autres scientifiques de données et experts en IA employés par les firmes technologiques[11]. Chacune de ces formes de travail digital déploie une logique d’exploitation/extraction, alors que la valeur et les données migrent du travail vers le capital algorithmique.

Ces reconfigurations de la relation capital-travail ont en retour réajusté des pratiques de sous-traitance et de délocalisation du travail par les compagnies technologiques du Nord vers les travailleuses et travailleurs du Sud. L’exemple bien connu de la plateforme américaine Uber, qui a conquis tant d’espaces urbains et semi-urbains dans le Sud global, est évocateur de cette tendance large. De plus, la sous-traitance du microtravail par les firmes technologiques auprès de travailleuses et travailleurs du digital du Sud global crée de nouvelles relations d’exploitation/extraction directes et indirectes. Des cas bien documentés comme celui de la sous-traitance par la firme OpenAI de travail d’étiquetage et de « nettoyage » des données utilisées pour entrainer son large modèle de langage ChatGPT auprès de microtravailleuses et microtravailleurs kenyans est évocateur. Ces derniers devaient « nettoyer » les données d’entrainement de ChatGPT afin d’en retirer les contenus violents ou inacceptables pour le modèle tels que des agressions sexuelles, l’abus d’enfants, le racisme ou encore la violence qui pullulent sur Internet[12]. Plusieurs de ces travailleuses et travailleurs ont souffert par la suite du syndrome de choc post-traumatique. Cela n’est que la pointe de l’iceberg d’un vaste réseau de nouveaux marchés de travail digital qui reconfigurent la division internationale du travail à l’ère numérique.

Hormis le microtravail effectué sur la gigaplateforme Amazon Mechanical Turk, surtout concentré aux États-Unis, la plupart du microtravail est effectué dans le Sud global. Le travail digital configure ainsi ses propres chaines de valeur selon une dynamique qui reproduit les pratiques de délocalisation suivant l’axe Nord-Sud de la division internationale du travail. En 2024, la majorité des requérants de microtravail se trouve dans les pays du G7, et la majorité des exécutants de ces tâches dans le Sud global. Souvent, ces travailleuses et travailleurs ne sont pas reconnus comme employés des plateformes, ne jouissent d’aucune sécurité d’emploi, d’affiliation syndicale ou de salaire fixe. Ces personnes héritent également de tâches aliénantes et sous-payées d’entrainement d’algorithmes, de traitement de données et de supervision d’intelligences artificielles qui passent pour pleinement automatisées.

La constitution d’un marché international du travail digital mobilise différents mécanismes institutionnels de l’industrie du développement international. Par exemple, la montée d’organisations d’« impact-sourcing[13] » participe d’une redéfinition du développement international autour de la notion de « fournir des emplois au lieu de l’aide[14] ». La logique de l’impact-sourcing n’est pas nouvelle, elle reproduit des processus de délocalisation et la quête de travail bon marché typique de la mondialisation néolibérale, comme la délocalisation des emplois de services à la clientèle en Asie, notamment en Inde. L’impact-sourcing se concentre toutefois sur la délocalisation du travail digital. Au départ, ces organisations d’externalisation étaient sans but lucratif pour la plupart et, appuyées par la Banque mondiale, elles distribuaient des téléphones portables et des tâches de microtravail dans des camps de réfugié·es, des bidonvilles et dans des pays du Sud global frappés durement par des crises économiques, au Venezuela par exemple. Plusieurs de ces organisations sont devenues par la suite des compagnies à but lucratif qui jouent désormais un rôle majeur dans la constitution et l’organisation d’un marché du travail digital dans des communautés où les occasions d’emploi formel sont rares. La firme Sama par exemple, celle-là même engagée par OpenAI pour sous-traiter l’entrainement des données de ChatGPT, est active en Afrique, en Asie et en Amérique latine, où elle constitue des bassins d’emploi de travail digital à bon marché, notamment en Haïti et au Pakistan.

Nous voyons ainsi que le capital algorithmique introduit des modes d’articulation d’activités formelles et informelles, de boulots d’appoint et de tâches diverses sur plusieurs territoires. Le contrôle centralisé algorithmique de toutes ces activités garantit qu’elles produisent des données qui (re)produisent des formes de surveillance, de pouvoir social et de subordination du travail. Le travail qui supporte le développement de l’IA et des technologies algorithmiques ne provient donc pas uniquement de la Silicon Valley. C’est plutôt un travail collectif mondial qui produit l’IA à l’heure actuelle, mais la concentration de richesse et de pouvoir qui en découle se retrouve aux États-Unis et en Chine.

Extraction des données et transfert de valeur

La montée du travail digital dans le Sud global est également symptomatique de l’impératif d’extraction du capital algorithmique. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la plupart des accords mondiaux de libre-échange qui structurent le commerce international régulent le mouvement des biens et services, mais aussi des données. Les géants du numérique comme Meta, Google, Amazon et Microsoft dominent à l’échelle mondiale et sont actifs dans le déploiement d’une infrastructure numérique dans les pays du Sud global en échange d’un accès exclusif aux données ainsi générées. Les ramifications internationales de cette « datafication » du Sud global[15] nous invitent à réviser le contenu de concepts tels que le colonialisme ou encore l’impérialisme. L’hégémonie américaine de la deuxième moitié du XXe siècle s’est bâtie sur des rapports économiques inégalitaires et des transferts de valeur du Sud global vers le Nord global, surtout vers les États-Unis et leurs alliés, sous diverses formes : la division internationale du travail, l’échange inégal, la coercition et l’appropriation par le marché, ou encore le mécanisme de la dette. L’ère du capitalisme algorithmique reproduit ces relations d’exploitation/extraction, mais déploie également un nouvel aspect : les transferts de valeur qui s’opèrent du Sud vers le Nord prennent désormais également la forme d’un transfert de données vers les centres que sont les États-Unis et la Chine[16], un transfert de données qui s’accompagne d’un pouvoir algorithmique de surveillance[17], de dépendance et potentiellement de gouvernementalité algorithmique[18] qui posent de nouveaux défis à la souveraineté nationale des pays du Sud. C’est ce que nous appelons le néocolonialisme algorithmique.

La « datafication » du Sud global a également des conséquences importantes dans la sphère du développement international, où l’on assiste à un transfert de pouvoir vers des acteurs du secteur privé. Les compagnies algorithmiques ont maintenant supplanté les autres joueurs traditionnels du complexe institutionnel du développement international (ONG, organisations internationales, gouvernements, banques de développement, organisations humanitaires, etc.) en ce qui concerne les informations sur les populations du Sud global. Les donateurs et autres bailleurs de fonds du développement international se tournent désormais vers des compagnies technologiques pour un accès aux données collectées par leurs applications, lesquelles sont plus nombreuses et détaillées que celles colligées par les méthodes « traditionnelles » (recensements, enquêtes, recherches scientifiques, etc.). Il en résulte que ces compagnies privées héritent d’un plus grand pouvoir de définir les enjeux de développement, de fixer des priorités et d’influencer la gouvernance des projets de développement.

De nouvelles dynamiques de pouvoir émergent ainsi entre acteurs publics et acteurs privés, ce qui soulève également des enjeux épistémologiques et éthiques. D’une part, les données extraites par les compagnies algorithmiques reflètent davantage la situation des populations « connectées » que celle des populations moins intégrées à l’économie de marché, au monde numérique et à la consommation de masse. D’autre part, la propriété des données donne aux capitalistes algorithmiques le pouvoir de voir tout en niant aux utilisatrices et utilisateurs le pouvoir de ne pas être vus. Mark Zuckerberg, par exemple, fait appel à une rhétorique philanthropique afin de promouvoir son projet de développement international « internet.org », visant à connecter gratuitement à l’Internet à l’échelle mondiale les populations défavorisées. L’intérêt de Meta dans un tel projet consiste bien sûr à s’approprier ainsi toutes les données générées par ces nouvelles connexions à grande échelle, surtout dans un contexte où la plupart des pays du Sud global visés par une telle initiative n’ont pas de législation solide concernant la propriété des données ou encore la protection de la vie privée. C’est cette logique extractive, combinée à un « solutionnisme technologique[19] » sans complexe, qui pousse IBM à vouloir utiliser l’IA afin de solutionner les problèmes en agriculture, en santé, en éducation et des systèmes sanitaires au Kenya, ou encore le géant chinois Huawei à développer environ 70 % du réseau 4G en Afrique, en plus de conclure des contrats notamment avec les gouvernements camerounais et kenyan afin d’équiper les centres de serveurs et de fournir des technologies de surveillance[20]. Les compagnies algorithmiques du Nord et de la Chine accumulent ainsi du pouvoir, de la richesse et de l’influence dans les pays du Sud global par ces formes de néocolonialisme algorithmique.

L’économie politique internationale du capitalisme algorithmique et la périphérisation

Le néocolonialisme algorithmique et les relations sino-américaines

L’avènement du capitalisme algorithmique se produit dans une conjoncture internationale de possible transition hégémonique. La croissance soutenue et parfois spectaculaire de la Chine dans les 40 dernières années se traduit désormais par une mise au défi du pouvoir unipolaire américain en place depuis la fin de la Guerre froide. La Chine est encore bien loin de l’hégémonie mondiale, mais sa montée en puissance ébranle déjà les dynamiques de pouvoir en Asie. Alors que le champ gravitationnel de l’accumulation mondiale s’est déplacé de la zone nord-atlantique vers l’Asie du Sud et du Sud-Est dans les dernières décennies[21], la Chine a développé son propre modèle de capitalisme algorithmique autoritaire et se pose désormais en rival mondial des États-Unis sur le plan de l’accumulation algorithmique et des technologies d’IA[22]. Les tensions manifestes dans cet espace de compétition internationale s’accompagnent d’un déclin soutenu du pouvoir économique des pays de l’Union européenne, pour qui le développement du capitalisme algorithmique se fait dans une relation de dépendance envers les États-Unis.

Tout comme le capital algorithmique américain déploie ses rapports capital-travail et ses modes d’exploitation/extraction dans de nouvelles configurations internationales, le capital algorithmique chinois déploie également une infrastructure technologique au fil de ses investissements internationaux, construisant des réseaux de transfert de valeur et de données en Asie, en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient, des réseaux orientés vers la Chine. Les flux mondiaux de données prennent ainsi deux directions majeures, les États-Unis et la Chine, avec l’exception notable de la Russie, le seul pays du monde autre que les États-Unis et la Chine à conserver une certaine forme de souveraineté numérique. Alors que le capital algorithmique déploie son unique configuration de mécanismes d’exploitation/extraction, des espaces du capitalisme mondial qui étaient jadis centraux dans l’accumulation du capital sont maintenant en voie de devenir périphériques.

La périphérisation

L’infrastructure sociotechnique algorithmique contemporaine imprègne de plus en plus chaque pore des chaines de valeur mondiales et approfondit les segmentations entre nations et régions au sein des espaces d’accumulation du capital. Le processus actuel de périphérisation de certains espaces du capitalisme mondial doit toutefois être remis dans un contexte historique plus long : la dépendance mondiale envers les GAFAM (et leurs contreparties chinoises) s’enracine dans des formes du droit international et des processus politiques hérités de la période néolibérale. La thèse technoféodale peut également être critiquée de ce point de vue : en décrivant un monde où les pouvoirs privés surpassent ceux des États, elle reproduit la même confusion qui caractérisait les arguments du « retrait de l’État » lors des rondes de privatisations intensives au plus fort de la période néolibérale. En fait, cette asymétrie de pouvoir est elle-même promulguée par les États sous la forme du droit, et elle résulte des positions inégales qu’occupent les différents pays en relation avec les compagnies technologiques transnationales. En ce sens, des formes de gouvernance néolibérale perdurent dans des types d’administration qui favorisent les compagnies privées et maintiennent en place l’orthodoxie budgétaire. Les politiques d’innovation demeurent ainsi largement orientées vers le secteur privé, et le système de droit de propriété intellectuelle international hérité de la période néolibérale sous-tend l’hégémonie des GAFAM aujourd’hui. En adoptant une perspective historique à plus long terme, nous voyons que la subordination d’États et de leur territoire à des compagnies transnationales n’est pas nouvelle dans le capitalisme ; en fait, il s’agit d’une condition structurelle qui distingue les pays périphériques des pays du centre.

Les « nouvelles relations de dépendance » à l’ère contemporaine se comprennent plus aisément lorsqu’on tient compte de l’histoire des monopoles intellectuels au-delà de la Californie. La vaste offensive de privatisation des actifs intangibles a débuté dans les années 1990 et s’est appuyée sur les tribunaux et les sanctions commerciales afin d’obliger les pays du Sud à se conformer au régime strict de droit de propriété intellectuelle. L’Accord de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC; TRIPS  en anglais) est né d’une collaboration avec des entreprises du savoir du Nord de façon à établir des unités de production partout dans le monde tout en limitant l’accès aux intangibles par l’entremise des brevets. La disponibilité de cette infrastructure pour les pays du Sud était conditionnelle à l’adoption d’une forme renouvelée de domination. De plus, bien que les États-Unis et la Communauté européenne occupaient à l’époque une position dominante dans les secteurs informatique, pharmaceutique, chimique et du divertissement, et détenaient les marques déposées les plus importantes au monde, les États-Unis, en tant que premier exportateur mondial de propriété intellectuelle, jouissaient de davantage de marge de manœuvre pour consolider leur position et celle des compagnies qui possédaient d’importants portfolios de propriété intellectuelle.

Quelques décennies plus tard, le sol a certes bougé. Le développement du néocolonialisme algorithmique modifie l’ancienne division entre les gagnants du Nord et les perdants du Sud. Le durcissement du droit de propriété intellectuelle affecte même le Nord global, surtout les pays européens ou encore le Canada, et ce, en raison d’effets à long terme de politiques de flexibilisation et d’austérité qui ont jeté les bases de la montée du capital algorithmique. Cela illustre bien la complexité des transitions historiques, qui sont autant des moments de rupture que de chevauchement d’un vieux monde qui prépare le terrain pour le nouveau. L’Europe est désormais durablement larguée dans la course aux technologies algorithmiques et à l’IA, notamment en raison de systèmes d’innovation nationaux qui demeurent largement articulés autour du leadership du secteur privé, ce qui empêche les gouvernements d’intervenir dans les jeux de la concurrence capitaliste internationale. Alors que la Chine et la Russie ont été en mesure de développer de robustes écosystèmes numériques nationaux, on constate l’absence de capital européen au sommet du secteur technologique algorithmique, et les pays européens doivent pour la plupart se fier à l’infrastructure numérique de compagnies américaines.

Alors que l’avantage industriel historique européen s’est effrité sans être remplacé par de nouvelles capacités, cela nous rappelle que la compétition dans l’ordre international est bidirectionnelle : certains pays gagnent du terrain, d’autres en perdent. Comme le rappelle Enrique Dussel[23], les relations de dépendance entre des capitaux nationaux avec des degrés d’intrants technologiques différents sont un produit de la concurrence internationale. La « dépendance » européenne découle ainsi d’une logique de compétition internationale qui a altéré la relation des pays de l’Union européenne avec les intangibles. L’expérience européenne n’est pas celle d’une transition vers un autre mode de production « technoféodal », mais celle d’un passage de l’autre côté de l’ordre capitaliste mondial, celui de la périphérie. Loin d’un « retour vers le futur » néoféodal, ce processus de périphérisation qui affecte l’Europe, mais également d’autres espaces du capitalisme mondial, est symptomatique d’une reconfiguration des relations d’exploitation/extraction dans le nouveau stade du capitalisme algorithmique.

Par Giuliana Facciolli, Étudiante à la maîtrise à l’Université York et Jonathan Martineau, professeur adjoint au Liberal Arts College de l’Université Concordia.


NOTES

L’autrice et l’auteur remercient Écosociété de sa permission de reproduire certains passages du livre de Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco, Le capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle, Montréal, Écosociété, 2023.

  1. Cédric Durand, Techno-féodalisme. Critique de l’économie numérique, Paris, Zones, 2020. D’autres contributions importantes à la conceptualisation des changements contemporains en lien avec le concept de féodalisme viennent entre autres de : Jodi Dean, « Communism or neo-feudalism? », New Political Science, vol. 42, no 1, 2020 ; Yanis Varoufakis, « Techno-feudalism is taking over », Project Syndicate, 28 juin 2021 ; David Graeber parle de son côté de « féodalisme managérial » dans les relations de travail contemporaines. Voir David Graeber, Bullshit Jobs, New York, Simon & Schuster, 2018; en français: Bullshit Jobs, Paris, Les liens qui libèrent, 2018.
  2. Les actifs intangibles sont des moyens de production qu’on ne peut « toucher », par exemple un code informatique, un design, une base de données. Durand, Techno-féodalisme, op. cit., p. 119.
  3. Durand, p. 97.
  4. Durand, p. 171.
  5. Pour une critique différente mais convergente, voir Martineau et Durand Folco, 2023, op. cit., p. 174-179.
  6. Martineau et Durand Folco, 2023, op. cit.
  7. L’idée des relations capitalistes comme assemblages de modes d’exploitation et d’extraction (ou expropriation) et de l’accumulation du capital comme à la fois un processus d’exploitation et de « dépossession » est inspirée de contributions de Nancy Fraser, David Harvey et David McNally : Nancy Fraser, « Expropriation and exploitation in racialized capitalism : a reply to Michael Dawson », Critical Historical Studies, vol. 3, no 1, 2016 ; David McNally, Another World is Possible. Globalization and Anti-capitalism, Winnipeg, Arbeiter Ring Publishing, 2006 ; David Harvey, Le nouvel impérialisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2010.
  8. Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco, « Paradoxe de l’accélération des rythmes de vie et capitalisme contemporain : les catégories sociales de temps à l’ère des technologies algorithmiques », Politique et Sociétés, vol. 42, no 3, 2023.
  9. NDLR. Acronyme désignant les géants du Web que sont Google, Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft.
  10. Antonio A. Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Paris, Seuil, 2019 ; Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco, « Les quatre moments du travail algorithmique : vers une synthèse théorique », Anthropologie et Sociétés, vol. 47, no 1, 2023 ; Gina Neff, Labor Venture. Work and the Burden of Risk in Innovative Industries, Cambridge, MIT Press, 2012.
  11. Billy Perrigo, « Exclusive : OpenAI used kenyan workers on less than $2 per hour to make ChatGPT less toxic », Time, 18 janvier 2023.
  12. Parfois traduit en français par « externalisation socialement responsable ».
  13. Phil Jones, Work Without the Worker. Labour in the Age of Platform Capitalism, Londres,Verso, 2021.
  14. Linnet Taylor et Dennis Broeders, « In the name of development : power, profit and the datafication of the global South », Geoforum, vol. 64, 2015, p. 229‑237.
  15. Ce phénomène a certains précédents, notamment la compagnie IBM qui s’appropriait dès les années 1970 les données transitant par ses systèmes informatiques installés dans certains pays du Sud global. Il se déploie toutefois aujourd’hui à une échelle beaucoup plus grande.
  16. Shoshana Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance, Paris, Zulma, 2022.
  17. Antoinette Rouvroy et Thomas Berns, « Gouvernementalité algorithmique et perspectives d’émancipation. Le disparate comme condition d’individuation par la relation ? », Réseaux, vol. 1, n° 177, 2013, p. 163‑96.
  18. Evgeny Morozov, To Save Everything, Click Here. The Folly of Technological Solutionism, New York, PublicAffairs, 2014.
  19. Mohammed Yusuf, « China’s reach into Africa’s digital sector worries experts », Voice of America, 22 octobre 2021.
  20. David McNally, Panne globale. Crise, austérité et résistance, Montréal, Écosociété, 2013.
  21. Kai-Fu Lee, AI Superpowers: China, Silicon Valley, and the New World Order, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 2018.
  22. Enrique Dussel, Towards an Unknown Marx. A Commentary on the Manuscripts of 1861-63, Abingdon, Taylor & Francis, 2001.

 

Le sage centenaire

20 avril 2024, par Yvan Perrier — ,
Guy Rocher a vu le jour le 20 avril 1924. Il a donc maintenant 100 ans révolus. Il est un des 9 500 centenaires que compte le Canada. Nul doute que l'implication de cet homme (…)

Guy Rocher a vu le jour le 20 avril 1924. Il a donc maintenant 100 ans révolus. Il est un des 9 500 centenaires que compte le Canada. Nul doute que l'implication de cet homme dans nos grands débats de société, tout au long de son parcours de vie en général et surtout de la fin des années quarante à aujourd'hui, a été bénéfique et profitable pour nous tous et toutes.

Son anniversaire de naissance me permet de revenir sur certains aspects de sa vie et de profiter de l'occasion pour lui dire un immense merci pour tout ce qu'il a fait et continue toujours de faire pour notre collectivité encore aujourd'hui. Dans les prochaines lignes, je veux vous parler de l'homme que je connais, de l'auteur que je lis, du professeur de sociologie qui m'a enseigné, de l'acteur social qui m'interpelle et bien entendu de l'ami indéfectible que j'apprécie.


Un parcours diversifié

Guy Rocher a un parcours atypique. Après des études classiques ininterrompues qui le mènent à l'obtention d'une licence en droit, il délaisse les bancs d'école pour se joindre à la Jeunesse étudiante catholique (JEC). C'est au sein de cette organisation, dans laquelle il milite bénévolement à temps plein, qu'il va décider, quelques années plus tard, d'effectuer un retour aux études universitaires en sociologie. Entre-temps, il fera la rencontre d'une personne qui va l'inviter ultérieurement à participer aux travaux d'une commission d'enquête, dont on parle encore aujourd'hui de plusieurs de ses recommandations.

De cette époque (des années quarante et cinquante), deux hommes méritent d'être nommés : le père Georges-Henri Lévesque et bien entendu Paul Gérin-Lajoie. Pourquoi ces deux personnes ? D'une part, c'est le père Lévesque qui a parrainé Guy Rocher dans ses démarches d'inscription à la prestigieuse Université Harvard et, pour sa part, Paul Gérin-Lajoie fera de notre jeune nouveau centenaire un commissaire chargé de formuler des recommandations porteuses d'avenir en matière d'éducation pour la province de Québec (et j'ai nommé la célèbre Commission Parent).

Il m'arrive souvent de me demander ce qui aurait pu arriver aux enfants de la classe ouvrière qui ont vu le jour au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale n'eût été les travaux de cette commission d'enquête. Une chose est certaine, peu parmi les bébés boomers, issus des milieux populaires, auraient été en mesure d'accéder aux niveaux d'enseignement supérieur. C'est grâce aux travaux des membres de la Commission Parent et aux audacieuses propositions de réformes contenues dans leur rapport qu'il y a eu, durant les années soixante, la création d'une kyrielle de nouvelles institutions scolaires au Québec (les polyvalentes, les cégeps et aussi le réseau de l'Université du Québec). En bref, la création de plusieurs dizaines d'établissements d'enseignement susceptibles de permettre autant aux filles en plus grand nombre qu'aux garçons de développer leurs aspirations scolaires et de pouvoir poursuivre leurs études en s'endettant le moins possible. Montrons-nous reconnaissant à l'endroit des hommes et des femmes qui ont fait partie de cette commission d'enquête et qui n'ont pas hésité à oser proposer la reconfiguration de notre système scolaire pour en faire un système intégré (de la prématernelle à l'université) et adapté aux nouvelles exigences de la société du savoir et surtout moins porteur de discrimination fondée sur le sexe. Mais Guy Rocher c'est plus qu'un ex-membre de la Commission Parent, c'est aussi un grand intellectuel inspirant.

L'intellectuel inspirant

En écoutant ou en lisant Guy Rocher, nous nous retrouvons avec un scientifique qui tient des discours ou qui rédige des textes invitant à douter des théories doctrinales. Sa démarche nous incite fortement à analyser et à nuancer ce qui mérite de l'être. Pour être bref, Guy Rocher nous encourage à éviter dans nos réflexions et notre production de connaissances les chapelles dogmatiques ou les catégories illusoires que reprennent à leur compte les personnes au pouvoir ou qui ambitionnent de le conquérir. Il est certes un brillant scientifique ; un des rares à pouvoir communiquer avec clarté dans une langue accessible au plus grand nombre. Son style d'écriture s'oppose au langage hermétique de trop nombreux universitaires nébuleux qui s'expriment dans une exposition de leur savoir tarabiscotée à outrance. La pensée de Guy Rocher s'éloigne évidemment d'un manichéisme simpliste ou des oppositions élémentaires et souvent binaires.


Un regard analytique qui va au-delà des théories toutes faites

Il m'a toujours été agréable de lire un texte écrit par Guy Rocher ou de prendre connaissance de ses résultats de recherche. Son étude portant sur les aspirations scolaires (l'étude du groupe ASOPE) nous en a appris beaucoup sur les raisons expliquant pourquoi certains jeunes abandonnaient l'école. À l'époque où les théories sur la surdétermination en dernière instance ou non des structures sociales étaient à la mode et faisaient des adhérentes et des adhérents rapidement, lui et son équipe de recherche ont plutôt découvert, à travers une longue étude empirique, que dans certains cas la raison principale résidait dans le fait que le personnel de l'école et certains parents demandaient à leurs enfants « que vas-tu faire à la fin de tes études ? ». La fin des études correspondait ici au secondaire 5. Pour le jeune professeur de cégep et d'université que j'étais, les résultats de cette recherche m'ont fait comprendre que la réponse à certains faits sociaux ne résidait pas, hélas, dans la richesse d'un cadre théorique élaboré au XIXe siècle ou dans les écrits d'universitaires localisés dans une tour d'ivoire de certaines institutions prestigieuses. Guy Rocher n'adhère pas au déterminisme à la manière d'Émile Durkheim. Il est d'avis que la découverte sociologique est à la fois le résultat d'une intervention de la société sur elle-même et implique également de reconstruire le tout dans les gestes et les paroles des individus concernés par le phénomène à l'étude. Inspiré en cela par Max Weber, Guy Rocher a pratiqué le constructivisme sociologique bien avant que celui-ci soit de mise dans la recherche actuelle.

Guy Rocher et la curiosité

Lors d'une intervention au Collège Montmorency, Guy Rocher a déclaré qu'il existait deux sources d'accès au bonheur : la curiosité et l'adhésion à une cause susceptible de modifier l'organisation de la vie dans la Cité. C'est en effet l'étonnement ou la curiosité, si vous préférez, qui le conduit depuis fort longtemps dans la voie de la résolution de l'énigme du changement social. Sans la curiosité, il n'y a pas, selon lui, de connaissances susceptibles de nous permettre de comprendre le monde ou ses phénomènes concrets et de trouver des voies qui mènent à la résolution du changement raisonné. Pourquoi les filles et les garçons n'ont-ils pas accès aux mêmes programmes de formation scolaire et universitaire ? Pourquoi les francophones, les autochtones, les allophones subissent-elles et -ils des discriminations face aux anglophones ? La quête du savoir ou de la connaissance chez Guy Rocher puise incontestablement dans une forme de stupeur devant le monde tel qu'il se présentait ou se dresse devant lui. C'est la persistance de son étonnement, tout au long de sa longue vie d'adulte, qui lui a permis de continuer à interroger d'une manière franche et authentique le monde dans lequel nous sommes et où nous retrouvons des personnes qui veulent le garder intact, tandis que d'autres veulent contribuer à le refaçonner. Chez Guy Rocher, le premier moteur du changement reste incontestablement la surprise, l'étonnement ou la curiosité devant ce qui est et ce qui ne fonctionne pas. Voilà aussi pourquoi face à ce monde divisé et présentant des injustices, pour être heureux, il faut adhérer à des causes en s'impliquant et en s'engageant.

Le professeur Guy Rocher

Je côtoie l'ex-professeur Guy Rocher depuis maintenant 35 ans. J'ai assisté à son séminaire portant sur la sociologie du droit ; séminaire donné à des étudiantes et des étudiants de deuxième et troisième cycles à l'Université de Montréal. Nous étions environ une vingtaine de personnes à suivre ce cours. Au menu des séances hebdomadaires de chaque cours : l'étude d'un ou de plusieurs documents puisés à même un volumineux recueil de textes, des exposés du professeur, mais surtout un échange intense entre le professeur et les étudiantes et étudiants portant sur les textes lus. Moi, j'ai toujours été étonné par la richesse de cette approche pédagogique. Le professeur Rocher avait autant de plaisir que nous à commenter les textes, mais aussi à écouter les commentaires des participantes et participants. Durant ces échanges, j'ai vu monsieur Rocher prendre des notes ; je l'ai entendu reconnaître humblement ne pas avoir perçu la question sous l'angle exprimé par l'étudiante ou l'étudiant et il reconnaissait la pertinence de ce point de vue. Monsieur Rocher sait écouter les autres avec beaucoup d'ouverture d'esprit, tout en étant très tolérant face aux points de vue qui s'opposent aux siens.

L'acteur social

Monsieur Rocher est aussi un acteur social qui a beaucoup donné à la collectivité. Il a largement contribué à façonner certaines institutions qui ont fait du Québec une société dynamique, porteuse de changements bénéfiques et nécessaires. Pensons ici à nouveau à sa contribution à la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la Province de Québec (la Commission Parent) qui a permis la mise en place d'un système d'éducation démocratique, accessible, public et laïque. C'est principalement grâce à l'acteur social Guy Rocher (et aux autres commissaires de la Commission Parent) que plus de deux millions de personnes ont pu se diplômer aux niveaux collégial et universitaire ; ce qui n'est pas peu dire. En tant qu'acteur social, Guy Rocher a joué un rôle important lors de la rédaction de la Charte de la langue française au Québec (la Loi 101). De plus, durant la grève de ses collègues universitaires, il n'a pas hésité à prendre parti en leur faveur. Tout en étant attaché à l'Université de Montréal, il a demandé à la ministre de l'Éducation de l'époque de financer adéquatement l'UQAM. Que dire de ses interventions lors des grèves des professeurs de l'Université Laval et de l'Université du Québec à Montréal en 1976-1977 ? À cette époque, il a été un sous-ministre du développement culturel qui n'a pas eu peur d'ouvrir la porte de son bureau à des présidents de syndicats, alors que le ministre de l'Éducation préférait entendre le seul point de vue des recteurs de ces universités désertées pendant plus de 15 semaines.

Une vie qui a contribué à changer le monde

Quand je regarde la vie de Guy Rocher, je constate qu'il est possible d'analyser, dans le cadre d'une démarche rigoureuse et originale, notre monde en vue de le changer en fonction des intérêts du plus grand nombre. Guy Rocher est pour moi un sociologue et un citoyen qui s'est mis au service des membres de la société en nous suggérant fortement d'envisager la nécessité de s'enrôler socialement et politiquement, d'abord en observant notre monde, ensuite en identifiant les injustices et finalement en s'engageant dans la voie du changement afin de combattre les discriminations intolérables entre les sexes, les oppressions inqualifiables entre les groupes ethniques et culturels ainsi que les exclusions inacceptables des groupes minoritaires.

Pour conclure : Sur un ton un peu plus personnel…

De ce qui précède, deux mots me viennent en tête : générosité et inspiration. Monsieur Rocher vous êtes un être profondément généreux. Vous avez donné beaucoup aux autres et vous êtes toujours disponible pour continuer à donner. Encore aujourd'hui, vous intervenez quand on sollicite votre avis sur certains enjeux de société. Vous nous montrez qu'une personne, même centenaire, peut toujours entreprendre avec passion ce qu'elle a le goût de faire. Contrairement à ce que suggère Sénèque, vous êtes la preuve que même à un âge avancé il n'est pas nécessaire de se retirer de la scène publique. Il y a incontestablement beaucoup de vous dans ce que nous sommes.

Sur un ton un peu plus personnel qu'il me soit permis de dire que vous êtes un de ceux qui m'ont inspiré dans la voie des études avancées, mais surtout à trouver du plaisir dans les sentiers non balisés à emprunter qui mènent à la découverte sociologique. Vos écrits n'ont jamais cessé d'alimenter ma réflexion critique.

Monsieur Rocher, continuez à afficher ce sourire serein d'une personne qui ne renonce pas à jeter un regard critique sur la vie en société. Pour cette raison et encore plusieurs autres, moi, je vous encourage à continuer à nous livrer le résultat de vos analyses… Sachez en terminant que votre nom figure bien haut sur la courte liste de personnes exceptionnelles qui marquent leur époque. Bonne continuation, monsieur Rocher, et surtout longue vie… notre monde a toujours besoin de personnes qui ont une soif de justice sociale et qui indiquent la voie à définir et à emprunter pour réaliser le nécessaire changement social.

Vous incarnez, depuis fort longtemps, aux yeux de plusieurs un sage. À partir d'aujourd'hui, le 20 avril 2024, nous pouvons dire, salutations amicales à l'ami Rocher, le sage centenaire.

Yvan Perrier

20 avril 2024

yvan_perrier@hotmail.com

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Vers une théorie globale du capitalisme algorithmique

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La littérature sur l’intelligence artificielle (IA) et les algorithmes est aujourd’hui foisonnante, c’est le moins qu’on puisse dire. Toutefois, la plupart des analyses des impacts de l’IA abordent différents domaines de façon isolée : vie privée, travail, monde politique, environnement, éducation, etc. Peu de contributions traitent de façon systématique des rapports complexes qui se tissent entre le mode de production capitaliste et les algorithmes. Notre hypothèse de départ est qu’on ne peut comprendre le développement fulgurant des algorithmes sans comprendre les reconfigurations du capitalisme, et vice versa.

Pour saisir adéquatement les implications sociales, politiques et économiques des machines algorithmiques, il faut situer ces innovations dans le contexte de mutation du capitalisme des deux premières décennies du XXIe siècle. Nous suggérons que la valorisation des données massives et le déploiement rapide de l’IA grâce aux avancées de l’apprentissage automatique (machine learning) et de l’apprentisage profond (deep learning) s’accompagnent d’une mutation importante du capitalisme, et ce, au même titre que la révolution industrielle qui a jadis propulsé l’empire du capital au XIXe siècle. Nous sommes entrés dans un nouveau stade du capitalisme basé sur une nouvelle logique d’accumulation et une forme de pouvoir spécifique, que nous avons baptisé capital algorithmique. Ce terme désigne un phénomène multidimensionnel : il s’agit à la fois d’une logique formelle, d’une dynamique d’accumulation, d’un rapport social et d’une forme originale de pouvoir fondé sur les algorithmes. Il s’agit de conceptualiser la convergence entre la logique d’accumulation du capital et l’usage accru de nouveaux outils algorithmiques. Par contraste, l’expression « capitalisme algorithmique » renvoie plutôt à la formation sociale dans sa globalité, c’est-à-dire l’articulation historique d’un mode de production et d’un contexte institutionnel, ce que Nancy Fraser appelle un « ordre social institutionnalisé[2] ». Il faut donc distinguer la société capitaliste dans laquelle nous sommes, et le rapport social spécifique qui se déploie d’une multitude de manières.

Si la littérature a produit une panoplie d’appellations qui mettent l’accent sur différents aspects du capitalisme contemporain (capitalisme de surveillance, de plateforme, etc.), le concept de « capital algorithmique » comporte plusieurs avantages heuristiques afin de saisir la logique du nouveau régime d’accumulation capitaliste. Il permet d’abord de replacer le travail et la production au centre de l’analyse, mais également d’identifier ce qui, à notre avis, constitue le réel cœur de la logique d’accumulation du capitalisme aujourd’hui et de la relation sociale qui s’y déploie : l’algorithme. En effet, l’algorithme est le principe structurant du nouveau régime d’accumulation capitaliste qui prend appui sur, réarticule, et dépasse le néolibéralisme financiarisé. Premièrement, l’algorithme devient le mécanisme dominant d’allocation du « travail digital » (digital labor). Deuxièmement, l’algorithme ou l’accumulation algorithmique devient le mécanisme dominant de détermination du processus de production. Troisièmement, les algorithmes et les données qui leur sont associées deviennent un objet central de la concurrence entre les entreprises capitalistes. Quatrièmement, les algorithmes médiatisent les relations sociales, notamment par l’entremise des réseaux sociaux et des plateformes numériques. Cinquièmement, les algorithmes médiatisent l’accès à l’information et à la mémoire collective. Sixièmement, l’algorithme génère des revenus en participant à la production de marchandises, ou en tant que mécanisme participant de l’extraction de rentes différentielles. Septièmement, au-delà des entreprises privées, nombre d’organisations et de sphères sociales, allant des pouvoirs publics, services de police, complexes militaires, aux ONG de développement, en passant par les soins de santé, l’éducation, le transport, les infrastructures publiques, etc., ont recours à des technologies algorithmiques afin d’exercer leur pouvoir ou leurs activités. C’est la raison pour laquelle l’algorithme, bien davantage que le « numérique », le « digital », la « surveillance » ou autre constitue le cœur du nouveau régime d’accumulation : il médiatise les relations sociales, préside à la (re)production socioéconomique et diffuse sa logique prédictive dans la société contemporaine.

Si l’expression « capitalisme numérique » peut servir à désigner de manière large les multiples façons dont les technologies numériques influencent le capitalisme et inversement, cette catégorisation demeure trop générale et abstraite pour bien saisir les mécanismes et métamorphoses à l’œuvre au sein des sociétés du XXIe siècle. Plus précisément, l’hypothèse du capitalisme algorithmique suggère qu’il existe une rupture entre deux phases ou moments du capitalisme numérique. Alors que la période qui part de la fin des années 1970 correspond à l’émergence du capitalisme néolibéral, financiarisé et mondialisé, dans la première décennie du XXIe siècle, avec l’arrivée de nouvelles technologies comme l’ordinateur personnel et l’Internet de masse, une série de transformations a produit un effet de bascule ; les médias sociaux, les téléphones intelligents, l’économie de plateformes, les données massives et la révolution de l’apprentissage automatique ont convergé avec la crise financière mondiale de 2007-2008 pour accélérer le passage vers une reconfiguration du capitalisme où la logique algorithmique joue un rôle déterminant.

Pour éviter une conception trop mécanique et réductrice du capitalisme algorithmique, il importe de positionner notre perspective parmi la littérature foisonnante des théories critiques du capitalisme contemporain. Comme il existe une variété de positions entourant les relations complexes entre les technologies et le système capitaliste, nous pouvons distinguer trois principaux axes de débats : l’IA comme outil du capital, la nature du capitalisme et les possibilités d’émancipation.

L’IA, outil du capital ?

Premièrement, dans quelle mesure les algorithmes sont-ils des outils soumis à la logique capitaliste ? Selon une première position acritique, les algorithmes possèdent leur propre réalité, fonctions et usages potentiels, de sorte qu’il est possible de les analyser et de les développer sans faire référence au mode de production capitaliste, à ses impératifs d’accumulation, à ses modes d’exploitation et à ses contraintes spécifiques. Cette vision dominante des algorithmes, largement partagée au sein des milieux scientifiques, industriels et médiatiques, inclut les théories courantes de l’IA, l’éthique des algorithmes ou encore les positions techno-optimistes qui considèrent que les données massives, les plateformes et l’apprentissage automatique pourront créer un monde plus efficace, libre et prospère. Si les auteurs n’hésitent pas à reconnaitre les risques propres à ces technologies, l’objectif ultime est de « harnacher » la révolution algorithmique afin qu’elle soit au service du bien commun, ou encore qu’elle permette de réinventer le capitalisme à l’âge des données massives[3].

Face à ces positions acritiques, des théories critiques n’hésitent pas à dénoncer cette fausse indépendance de la technique et à voir dans les algorithmes un nouvel outil au service du capital. La question de savoir s’il existe plusieurs usages possibles des données massives et de l’IA est matière à débat, mais toutes les approches critiques du capitalisme partagent un constat commun : ce sont les grandes entreprises du numérique qui contrôlent en bonne partie le développement de ces technologies. En effet, ce sont elles qui possèdent les droits de propriété intellectuelle, les budgets de recherche, les centres de données qui stockent nos données personnelles, de même que le temps de travail des scientifiques et celui des lobbyistes qui font pression auprès des gouvernements pour empêcher des législations contraires à leurs intérêts[4]. Nous soutenons la thèse voulant que les technologies algorithmiques soient principalement ou surtout développées en tant qu’outils d’accumulation du capital, tout en étant aussi utilisées dans une variété de sphères de la vie sociale avec des conséquences qui débordent largement cette finalité économique. Sans être réductibles à leur fonction lucrative, les données massives et les algorithmes sont appropriés, façonnés et déployés selon une logique qui répond aux impératifs du mode de production capitaliste et contribuent à modifier ce système en retour.

Nous croyons d’ailleurs, comme d’autres, que les craintes associées aux dangers de l’IA, des robots et des algorithmes constituent souvent au fond des anticipations de menaces liées au fonctionnement du capitalisme. Comme le note l’écrivain de science-fiction Ted Chiang, « la plupart de nos craintes ou de nos angoisses à l’égard de la technologie sont mieux comprises comme des craintes ou des angoisses sur la façon dont le capitalisme va utiliser la technologie contre nous. Et la technologie et le capitalisme ont été si étroitement imbriqués qu’il est difficile de distinguer les deux[5] ». Certaines personnes craignent par exemple que l’IA finisse un jour par nous dominer, nous surpasser ou nous remplacer. Or, derrière le scénario catastrophe d’une IA toute-puissante version Terminator[6] ou de la « superintelligence » présentant un risque existentiel pour l’humanité du philosophe Nick Bostrom se cache la domination actuelle des entreprises capitalistes. Le problème n’est pas l’IA en soi, mais le rapport social capitaliste qui l’enveloppe et qui détermine en bonne partie sa trajectoire. Un autre problème se surajoute : le capital algorithmique est lui-même imbriqué dans d’autres rapports sociaux comme le patriarcat, le colonialisme, le racisme, la domination de l’État.

Certains diront qu’il faut abolir l’IA – ou certaines de ses applications –, saboter les machines algorithmiques, refuser en bloc la technologie, mais ce sont là des réactions qui s’attaquent seulement à la pointe de l’iceberg. Nous sommes confrontés aujourd’hui à une dynamique similaire à celle que Marx observait à son époque, celle de la révolution industrielle où la machine commençait déjà à remplacer une partie du travail humain. Aujourd’hui, la « quatrième révolution industrielle », célébrée par Klaus Schwaub, représente au fond une révolution technologique qui relance la dynamique d’industrialisation, mais à l’aide de machines algorithmiques et de systèmes décisionnels automatisés. La réaction néoluddite qui vise à détruire ces machines est tout à fait normale et prévisible, mais il faut voir ici qu’il est vain d’avoir peur de ChatGPT, des robots ou des algorithmes. Ce qu’il faut, au fond, c’est remettre en question l’ensemble des rapports sociaux qui reproduisent la domination qui se manifeste aujourd’hui en partie par le pouvoir des algorithmes.

Qu’est-ce que le capitalisme ?

Qu’entend-on exactement lorsqu’on parle de « capitalisme » ? S’agit-il d’une économie de marché où les individus se rencontrent pour échanger des biens et services, un système économique basé sur la propriété privée des moyens de production et l’exploitation du travail par les capitalistes, ou encore une dynamique d’accumulation fondée sur la logique abstraite de l’autovalorisation de la valeur qui tend à transformer le capital en « sujet automate » ? Selon la perspective que l’on adopte sur la nature du capitalisme, l’analyse du rôle exact des algorithmes sera bien différente.

Lorsque les institutions du capitalisme comme l’entreprise privée et le marché sont tenus pour acquis, l’usage des données et des algorithmes sera généralement analysé à travers la lunette des applications potentielles pour améliorer la performance des entreprises. Les algorithmes seront conçus comme des « machines prédictives » permettant d’accomplir une multitude de tâches : réduire les coûts de production, améliorer le processus de travail, optimiser les chaines de valeur, bonifier l’expérience client, guider les décisions stratégiques, etc.[7]

Si on adopte plutôt une perspective critique du capitalisme dans le sillage du marxisme classique, on aura plutôt tendance à mettre en lumière les dynamiques d’appropriation privée des nouvelles technologies, les rapports d’exploitation et les résistances des classes opprimées. Cette conception du capitalisme aura tendance à voir le monde numérique comme un « champ de bataille[8] ». En effet, le capitalisme algorithmique repose en bonne partie sur le pouvoir prédominant des géants du Web, l’exploitation du travail et de l’expérience humaine; il renforce différentes tensions, inégalités et contradictions du monde social, et de nombreux fronts de résistance luttent contre ses effets pernicieux : mouvements pour la protection de la vie privée, mobilisations contre Uber, Amazon et Airbnb, sabotage de dispositifs de surveillance, Data 4 Black Lives[9], etc. Cela dit, les analyses uniquement axées sur la « lutte des classes » et les approches inspirées du marxisme classique ont tendance à réduire le capitalisme numérique à un affrontement entre les géants du Web – les capitalistes – et les femmes et hommes « utilisateurs » ou « travailleurs du clic » qui se font exploiter ou voler leurs données. On omet ainsi l’analyse conceptuelle minutieuse des rouages de l’accumulation capitaliste et des rapports sociaux qui structurent la société capitaliste dans son ensemble et sur laquelle il faut se pencher.

C’est ce qu’une troisième approche critique, distincte du marxisme classique, cherche à faire : adopter une vision holistique qui considère le capital comme « une totalité qui prend la forme d’une structure quasi objective de domination […] une situation d’hétéronomie sociale qui prend la forme d’un mode de développement aveugle, incontrôlé et irréfléchi sur lequel les sociétés n’ont aucune prise politiquement[10] ». Dans la lignée des critiques marxiennes de la valeur, l’analyse du capitalisme se concentre sur les catégories centrales de la société capitaliste comme le travail abstrait, la marchandise et la valeur. La critique du capitalisme comme « totalité sociale aliénée » implique donc la critique radicale de la valeur et des « médiations sociales fétichisées », de « l’imaginaire communicationnel du capitalisme cybernétique » et de la « révolution culturelle de l’idéologie californienne » qui nous mènerait vers un « monde numériquement administré[11] ». Or, ces approches totalisantes, malgré leurs prouesses théoriques, ont tendance à éluder les conflits, résistances et possibilités d’émancipation présentes dans le développement économique.

Ces deux approches critiques marxiennes, prenant appui l’une sur les conflits de classes et l’autre sur la logique totalisante du capital, ont donc chacune leurs forces et leurs faiblesses. Selon nous, le capital algorithmique tend à coloniser l’ensemble des sphères de l’existence humaine par une dynamique d’accumulation basée sur l’extraction des données et le développement accéléré de l’IA. Le capitalisme ne se réduit pas à un rapport de force entre classes antagonistes : il représente bel et bien une totalité sociale. Or, il faut également éviter le piège fataliste des approches surplombantes et réifiantes, et analyser en détail les rapports de pouvoir et les conflits qui se déploient dans le sillon de la montée du capital algorithmique. Il est donc nécessaire, pour une théorie critique des algorithmes, d’articuler les deux logiques distinctes, mais complémentaires du capital : « la logique du capital comme système achevé » et « la logique stratégique de l’affrontement[12] ».

Quelles possibilités d’émancipation?

L’accent plus ou moins grand porté sur la logique du capital (comme dynamique totalisante) ou la stratégie d’affrontement (faisant intervenir l’agentivité des acteurs) implique une évaluation différenciée des possibilités d’émancipation sous le capitalisme algorithmique. Des approches centrées sur la lutte des classes soutiennent parfois que l’impact de l’IA est grandement exagéré par les capitalistes, lesquels visent à effrayer le mouvement ouvrier des dangers imminents de l’automation. Astra Taylor soutient par exemple que les récits catastrophistes liés à l’arrivée des robots et du chômage technologique de masse sont des tentatives délibérées d’intimider et de discipliner les travailleurs et travailleuses en brandissant le discours idéologique de ce qu’elle nomme la fauxtomation[13]. Sans doute, des capitalistes utilisent-ils cette rhétorique de la sorte. Nous aurions tort cependant de minimiser l’impact de l’IA sur le processus de travail, les emplois et des secteurs entiers de l’économie. Même si les estimations sur le chômage engendré par l’automation varient grandement (de 9 % à 50 % en fonction des méthodologies utilisées), il faut bien reconnaitre la tendance du capital algorithmique à remplacer les humains par les robots, ou du moins à les compléter, surveiller et contrôler par de nouveaux moyens algorithmiques sophistiqués. S’il pouvait achever sa logique en totalité, le capital algorithmique viserait à développer un capitalisme pleinement automatisé.

À l’opposé du spectre, les auteurs du courant « accélérationniste » évaluent positivement l’horizon d’une automation généralisée, pour autant qu’elle soit combinée à une socialisation des moyens de production[14]. Les technologies algorithmiques jetteraient ainsi les bases d’une économie postcapitaliste au-delà du travail[15]. D’autres courants comme le xénoféminisme et les théoriciens du « capitalisme cognitif » soulignent également le potentiel émancipateur du travail immatériel, des pratiques de collaboration, de l’hybridation humain-machine et des nouvelles technologies[16]. À l’instar de Lénine, selon qui « le communisme, c’est le gouvernement des soviets plus l’électrification du pays », on pourrait dire que les courants anticapitalistes techno-optimistes considèrent aujourd’hui que le cybercommunisme signifie « le revenu de base plus l’intelligence artificielle[17] ». Cela n’est pas sans rappeler la position de Trotsky sur le taylorisme, « mauvais dans son usage capitaliste et bon dans son usage socialiste ». On trouve la vision la plus aboutie de ce marxisme accélérationniste chez Aaron Bastani et sa vision d’un « communisme de luxe entièrement automatisé » (fully automated luxury communism), qui propose l’utopie d’une économie postrareté par le plein déploiement des forces productives algorithmiques au-delà des contraintes de la logique capitaliste. Dans cette perspective, le capital algorithmique creuserait sa propre tombe, en laissant miroiter la possibilité d’un monde pleinement automatisé, basé sur l’extraction de minerai sur les astéroïdes, la production d’aliments synthétiques et la réduction drastique du travail humain[18]. Cette vision parait digne d’un Jeff Bezos ou d’un Elon Musk qui porterait soudainement une casquette socialiste.

Cela dit, il semble bien naïf de croire que l’automation algorithmique soit mauvaise sous les GAFAM, mais bonne sous le socialisme. Loin de poser les bases d’une société au-delà de la misère et des inégalités, le capital algorithmique automatise les différentes formes de domination, contribue à la surexploitation des ressources naturelles et siphonne notre temps d’attention grâce à ses multiples technologies addictives. En d’autres termes, l’extraction toujours plus intense des données et le développement actuel des algorithmes contribuent à créer les bases d’un capitalisme pleinement automatisé, accélérant la pénurie de temps et de ressources naturelles.

Enfin, il serait trompeur de se limiter à la logique du capital, en omettant les stratégies d’affrontement qui peuvent dégager des possibilités d’émancipation pour dépasser l’horizon du capitalisme automatisé. À la différence des courants technosceptiques et néoluddites qui refusent en bloc les technologies algorithmiques, il existe différentes perspectives de résistance et des stratégies anticapitalistes visant une potentielle réappropriation collective des données et des algorithmes[19]. Il est possible d’envisager les potentialités et limites liées à la planification algorithmique dans une optique d’autolimitation écologique, de justice sociale et de démocratie radicale[20].

Le capitalisme algorithmique comme ordre social institutionnalisé

Nancy Fraser a développé durant les dernières années une théorie globale du capitalisme qui comprend non seulement un mode de production économique spécifique, mais aussi une articulation avec la nature, les pouvoirs publics et le travail de reproduction sociale[21]. Cette reconceptualisation permet de saisir l’imbrication du capitalisme avec les inégalités de genre et la crise du care (les soins), les dynamiques d’expropriation et d’exploitation au sein du capitalisme racialisé, ainsi que les dynamiques complexes qui alimentent la crise écologique, laquelle exacerbe les inégalités raciales, économiques et environnementales. Ce cadre conceptuel large inspiré du féminisme marxiste permet de saisir l’enchevêtrement des multiples systèmes de domination (capitalisme, patriarcat, racisme, etc.) et d’éclairer les « luttes frontières » présentes dans différents recoins du monde social. La perspective critique de Fraser nous semble ainsi la meilleure porte d’entrée pour brosser un portrait systématique de la société capitaliste qui nous permettra ensuite de mieux comprendre comment les technologies algorithmiques reconfigurent celle-ci.

Nancy Fraser propose de voir le capitalisme comme un ordre social institutionnalisé. Que cela signifie-t-il ? Fraser définit d’abord la production capitaliste en la définissant par quatre caractéristiques fondamentales : 1) la propriété privée des moyens de production ; 2) le marché du travail ; 3) la dynamique d’accumulation ; 4) l’allocation des facteurs de production et du surplus social par le marché. Le capital algorithmique reconfigure les modèles d’entreprise (hégémonie des plateformes numériques), les formes du travail (travail digital et travail algorithmique), la dynamique d’accumulation (par l’extraction de données et les algorithmes), ainsi que l’apparition de nouveaux marchés (marchés des produits prédictifs, etc.). Mais cette caractérisation sommaire du système économique capitaliste reste largement insuffisante.

Selon Fraser, la « production économique » repose en fin de compte sur l’exploitation de trois sphères « non économiques » : la nature, le travail de reproduction sociale et le pouvoir politique, qui représentent ses conditions de possibilité. Loin de nous concentrer sur la seule économie capitaliste, il faut s’attarder sur les différentes sphères de la société capitaliste à l’ère des algorithmes. L’avantage de la perspective de Fraser est de décentrer l’analyse de la contradiction économique capital/travail pour mettre en lumière les multiples tendances à la crise du capitalisme sur le plan social, démocratique et écologique : « La production capitaliste ne se soutient pas par elle-même, mais parasite la reproduction sociale, la nature et le pouvoir politique. Sa dynamique d’accumulation sans fin menace de déstabiliser ses propres conditions de possibilité[22]. » Aujourd’hui, le capital algorithmique cherche à résoudre ses multiples crises et contradictions par l’usage intensif des données et de l’intelligence artificielle : innovations technologiques pour accélérer la transition écologique (efficacité énergétique, agriculture 4.0, voitures autonomes, robots pour nettoyer les océans), soutien des tâches domestiques et de reproduction sociale (maisons intelligentes, plateformes de services domestiques, robots de soins pour s’occuper des personnes ainées et des enfants), solutions des crises de gouvernance (ville intelligente, optimisation de l’administration publique, police prédictive, dispositifs de surveillance), etc.

Cela dit, la théorie de Fraser souffre d’un oubli majeur : elle n’aborde pas du tout la question technologique. Elle analyse l’évolution historique du capitalisme à travers ses différents stades ou régimes d’accumulation, mais elle s’arrête au stade du capitalisme néolibéral, financiarisé et mondialisé. Or, il semble bien que l’infrastructure technologique représente une autre condition de possibilité du capital, que Fraser omet de mettre dans son cadre théorique : sans système de transport et de communication, sans machines et sans outils techniques, il semble difficilement possible de faire fonctionner le capitalisme, y compris dans ses variantes mercantiles et préindustrielles. Autrement dit, Fraser semble avoir oublié les conditions générales de production dans sa théorie globale du capitalisme, y compris les technologies algorithmiques qui contribuent aujourd’hui à sa métamorphose. Pour combler cette lacune, il nous semble donc essentiel de compléter le portrait avec les contributions névralgiques de Shoshana Zuboff et de Kate Crawford, qui jettent un regard perçant sur les dimensions technologiques de l’économie contemporaine, laquelle repose de plus en plus sur la surveillance et sur l’industrie extractive de l’intelligence artificielle.

Le capitalisme de surveillance comme industrie extractive planétaire

Le livre L’âge du capitalisme de surveillance de Shoshana Zuboff offre un portrait saisissant des mutations de l’économie numérique qui a vu naitre l’émergence de nouveaux modèles d’affaires basés sur l’extraction de données personnelles et le déploiement d’algorithmes centrés sur la prédiction de comportements futurs[23]. Alors que le développement technologique des ordinateurs et de l’Internet aurait pu mener à diverses configurations socioéconomiques, une forme particulière de capitalisme a pris le dessus au début des années 2000 avant de dominer complètement le champ économique et nos vies. Voici comment Zuboff définit ce nouveau visage du capitalisme contemporain :

Le capitalisme de surveillance revendique unilatéralement l’expérience humaine comme matière première gratuite destinée à être traduite en données comportementales. Bien que certaines données soient utilisées pour améliorer des produits ou des services, le reste est déclaré comme un surplus comportemental propriétaire qui vient alimenter des chaines de production avancées, connues sous le nom d’« intelligence artificielle », pour être transformé en produits de prédiction qui anticipent ce que vous allez faire, maintenant, bientôt ou plus tard. Enfin, ces produits de prédiction sont négociés sur un nouveau marché, celui des prédictions comportementales, que j’appelle les marchés de comportements futurs. Les capitalistes de surveillance se sont énormément enrichis grâce à ces opérations commerciales, car de nombreuses entreprises sont enclines à miser sur notre comportement futur[24].

Zuboff fournit une excellente porte d’entrée pour comprendre la mutation fondatrice du capital à l’aube du XXIe siècle : l’extraction et la valorisation des données par le biais d’algorithmes se retrouvent maintenant au cœur du processus d’accumulation du capital. Elle offre aussi une deuxième contribution majeure. Selon elle, le capital de surveillance n’est pas réductible à un simple processus économique ; il donne lieu à l’émergence d’une nouvelle forme de pouvoir inquiétante : le pouvoir instrumentarien, soit « l’instrumentation et l’instrumentalisation du comportement à des fins de modification, de prédiction, de monétisation et de contrôle[25] ». Cette « gouvernementalité algorithmique » ne sert pas seulement à extraire de la valeur par le biais de publicités ciblées qui anticipent nos comportements futurs ; ces machines prédictives visent aussi à influencer, à contrôler, à nudger (donner un coup de pouce) et à manipuler nos conduites quotidiennes. Cette nouvelle logique de pouvoir dans différentes sphères de la vie sociale, économique et politique confère à cette configuration du capitalisme sa plus grande emprise sur les rapports sociaux et notre relation au monde.

Une limite de l’approche zuboffienne est qu’elle insiste beaucoup, voire peut-être trop, sur la question de la surveillance et de l’appropriation des données personnelles. Sa théorie a le mérite de décortiquer la nouvelle logique d’accumulation du capital et les mécanismes inédits de contrôle algorithmique des individus, mais elle finit par déboucher sur le « droit au temps futur », le « droit au sanctuaire », et autres revendications qui se limitent à la protection de la vie privée. La théorie de Zuboff ne permet pas vraiment de thématiser les injustices en termes de classe, de sexe et de « race » qui sont amplifiées par la domination algorithmique. Elle suggère un recadrage du capitalisme, soulignant la contradiction fondamentale entre l’extraction des données et le respect de la vie privée. La critique de l’exploitation du travail par le capital chez Marx est ainsi remplacée par la critique de l’extraction/manipulation de la vie intime des individus dans leur quotidien. Ce n’est donc pas un hasard si Zuboff passe sous silence le rôle du travail, l’extraction des ressources naturelles et les enjeux géopolitiques dans son cadre d’analyse. Pour nous, la surveillance ne représente que l’un des nombreux visages du capital algorithmique, qui a des conséquences beaucoup plus étendues.

C’est la raison pour laquelle il nous semble essentiel de compléter ce premier aperçu de Zuboff par un portrait élargi des nombreuses ramifications de l’IA dans le monde contemporain à travers l’approche riche et originale de Kate Crawford. Celle-ci propose de dépasser l’analyse étroite de l’IA qui est devenue monnaie courante de nos jours et qui la voit comme une simple forme de calcul, un outil comme le moteur de recherche de Google ou encore ChatGPT. Bien que ces multiples descriptions ne soient pas fausses, elles dissimulent néanmoins toute une infrastructure complexe en concentrant notre attention sur des technologies isolées, abstraites, rationnelles et désincarnées :

Au contraire, l’intelligence artificielle est à la fois incarnée et matérielle, faite de ressources naturelles, d’énergies fossiles, de travail humain, d’infrastructures, de logistiques, d’histoires et de classifications. Les systèmes d’IA ne sont pas autonomes, rationnels, ou capables de discerner sans un entraînement computationnel extensif et intensif basé sur de larges ensembles de données, de règles et de récompenses prédéfinies. Et compte tenu du capital requis pour bâtir l’IA à large échelle et des manières de voir qui optimisent celle-ci, les systèmes d’IA sont ultimement conçus pour servir les intérêts établis dominants. En ce sens, l’intelligence artificielle entre dans le registre du pouvoir[26].

Pour Crawford, on ne peut comprendre les algorithmes adéquatement, d’un point de vue strictement technique, sans les insérer au sein de structures et systèmes sociaux plus larges. Crawford élargit notre champ de vision en montrant que l’IA repose sur l’extraction généralisée de minerais, d’énergie, de travail humain, de données, d’affects et d’éléments de nos institutions publiques. C’est pourquoi elle propose de concevoir l’IA d’un point de vue matérialiste et holistique, en évitant les pièges d’une vision trop formelle et idéaliste telle que véhiculée par l’éthique des algorithmes.

Néanmoins, cette vision donne un aperçu encore trop parcellaire et fragmenté de ce système en voie de consolidation. La riche cartographie de Crawford donne à voir les multiples visages, territoires et manifestations de ce phénomène complexe, mais sans fournir une grille d’analyse, un cadre conceptuel ou une théorie globale permettant d’expliquer et de comprendre ces différents enjeux dans un tout cohérent. C’est pourquoi il nous semble essentiel de comprendre l’enchevêtrement complexe entre la technologie, le pouvoir et le capital au sein d’une théorie globale du capitalisme algorithmique qu’il reste à déployer[27].

Par Jonathan Martineau, professeur adjoint au Liberal Arts College de l’Université Concordia et Jonathan Durand Folco, professeur à l’École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère de l’Université Saint-Paul.


NOTES

Cet article est une version remaniée de la thèse 2 du livre de Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco, Le capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle, Montréal, Écosociété, 2023.

  1. Nancy Fraser et Rahel Jaeggi, Capitalism. A Conversation in Critical Theory, Cambridge, Polity Press, 2018.
  2. Viktor Mayer-Schönberger et Thomas Ramge, Reinventing Capitalism in the Age of Big Data, New York, Basic Books, 2018.
  3. Voir par exemple Nick Dyer-Witheford, Atle Mikkola Kjøsen et James Steinhoff, Inhuman Power. Artificial Intelligence and the Future of Capitalism, Londres, Pluto, 2019.
  4. Cité par Ezra Klein, « The imminent danger of A.I. is one we’re not talking about », The New York Times, 26 février 2023.
  5. NDLR. Terminator est un film américain de science-fiction sorti en 1984 où le Terminator est une créature robotisée programmée pour tuer.
  6. Ajay Agrawal, Joshua Gans et Avi Goldfarb, Prediction Machines. The Simple Economics of Artificial Intelligence, Boston, Harvard Business Review Press, 2018.
  7. Philippe de Grosbois, Les batailles d’Internet. Assauts et résistances à l’ère du capitalisme numérique, Montréal, Écosociété, 2018, p. 30.
  8. NDLR. Mouvement de militants et militantes et de scientifiques dont la mission est d’utiliser la science des données pour améliorer la vie des Noirs·es.
  9. Maxime Ouellet, La révolution culturelle du capital. Le capitalisme cybernétique dans la société globale de l’information, Montréal, Écosociété, 2016, p. 38.
  10. Ibid., p. 60.
  11. Pierre Dardot et Christian Laval, Marx, prénom : Karl, Paris, Gallimard, 2012.
  12. Astra Taylor, « The automation charade », Logic, n5, 2018.NDLR. Fauxtomation est un mot inventé par Taylor et formé de « faux » et d’« automatisation » pour exprimer comment le travail accompli grâce à l’effort humain est faussement perçu comme automatisé.
  13. Nick Srnicek et Alex Williams, Inventing the Future. Postcapitalism and a World Without Work, Brooklyn, Verso, 2015.
  14. Paul Mason, Postcapitalism. A Guide to Our Future, Londres, Allen Lane, 2015.
  15. Helen Hester, Xenofeminism, Cambridge (UK) /Medford (MA), Polity Press, 2018 ; Laboria Cuboniks (Collectif), The Xenofeminist Manifesto. A Politics for Alienation, Brooklyn, Verso, 2018 ; Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, Paris, Exils, 2000 ; Yann Moulier Boutang, Le capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation, Paris, Amsterdam, 2007.
  16. Dyer-Witheford, Kjøsen et Steinhoff, Inhuman Power, 2019, op. cit., p. 6.
  17. Aaron Bastani, Fully Automated Luxury Communism, Londres, Verso, 2020.
  18. Voir à ce sujet, Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, « Cartographier les résistances à l’ère du capital algorithmique », Revue Possibles, vol. 45, n° 1, 2021, p. 20-30.
  19. Cédric Durand et Razmig Keucheyan, « Planifier à l’âge des algorithmes », Actuel Marx, n° 1, 2019, p. 81-102.
  20. Nancy Fraser, « Behind Marx’s hidden abode », New Left Review, n86, 2014 ; Nancy Fraser, « Expropriation and exploitation in racialized capitalism : a reply to Michael Dawson », Critical Historical Studies, vol. 3, no 1, 2016 ; Nancy Fraser, « Contradictions of capital and care », Dissent, vol. 63, no 4, 2016, p. 30‑37 ; Fraser et Jaeggi, Capitalism, 2018, op. cit ; Nancy Fraser, « Climates of capital », New Left Review, no 127, 2021.
  21. Fraser et Jaeggi, Capitalism, 2018, op. cit., p. 22.
  22. Soshana Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance, Paris, Zulma, 2020.
  23. Ibid., p. 25.
  24. Ibid., p. 472.
  25. Kate Crawford, Contre-atlas de l’intelligence artificielle. Les coûts politiques, sociaux et environnementaux de l’IA, Paris, Zulma, 2022, p. 8.
  26. C’est là l’objet des 20 thèses de notre livre, Le capital algorithmique, 2023, op. cit.

 

Deux pas en avant, un pas en arrière pour Unifor à Amazon

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/04/26938702387_dd87f35334_o-1024x681.jpg18 avril 2024, par West Coast Committee
Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, a retiré sa demande d'accréditation auprès du British Columbia Labour Relations Board (BCLRB) pour deux centres (…)

Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, a retiré sa demande d'accréditation auprès du British Columbia Labour Relations Board (BCLRB) pour deux centres d'exécution d'Amazon en Colombie-Britannique. La décision du syndicat est intervenue quelques minutes avant l'audience prévue (…)

Heures et promesses d’un débat : les analyses de classes au Québec (1960-1980)

17 avril 2024, par Archives Révolutionnaires
Archives Révolutionnaires republie ici un article d’Anne Legaré (née en 1941), militante et théoricienne marxiste. Suivant les travaux de Nicos Poulantzas, elle a mené les plus (…)

Archives Révolutionnaires republie ici un article d’Anne Legaré (née en 1941), militante et théoricienne marxiste. Suivant les travaux de Nicos Poulantzas, elle a mené les plus ambitieuses études sur les classes sociales au Québec dans la seconde partie du XXe siècle, notamment à travers son ouvrage Les classes sociales au Québec (1977). Dans cet article publié en 1980 dans Les Cahiers du socialisme, Legaré propose un bilan des principales contributions théoriques sur le sujet des classes au Québec depuis 1960, en critiquant le double écueil du nationalisme et de l’économisme. L’article est joint d’une bibliographie chronologique qui recense les contributions les plus importantes sur le sujet (les notes sont mises entre parenthèses).

Aujourd’hui, la revalorisation des travaux de Legaré semble nécessaire à un moment où les études sur les classes se font rares, alors que leur importance pour comprendre la réalité sociale, elle, n’a pas diminué. Qui fait partie du prolétariat ? De(s) classe(s) moyenne(s) ? De la bourgeoisie ? Quels sont leurs intérêts, leurs secteurs d’activité ? Quelles fractions de classes sont pertinentes à considérer ? Quelles alliances de classes sont (im)possibles ? Voilà autant de questions préliminaires sur lesquelles nous laisse Legaré pour comprendre notre cycle de lutte actuelle.

Archives Révolutionnaires tient à souligner l’important travail d’archivage numérique des Classiques des sciences sociales de l’UQAC, d’où est tirée la version de cet article.

***

Introduction

L’heure est aux bilans. En effet, la conjoncture nous presse de réfléchir et les quelques mois qui viendront, quelle qu’en sera leur issue, pèseront lourd d’expérience dans la lente démarche du mouvement socialiste au Québec. J’aimerais joindre à ce cheminement une réflexion rétrospective sur l’évolution de la contribution des intellectuels de gauche sur les classes sociales québécoises depuis quinze ans.

Le bilan que je me propose de faire comprendra deux grandes parties. La première tentera de situer dans leur contexte les textes partant de la Révolution tranquille à la victoire péquiste de 76 et rappellera à travers leur chronologie, le cheminement parcouru par ces analyses. La deuxième partie fera la synthèse du débat sur la bourgeoisie qui a dominé la période du règne péquiste jusqu’à maintenant en s’efforçant de dégager sommairement les propositions idéologico-politiques qui lui sont reliées.

Le questionnement sur les classes depuis le début de la Révolution tranquille a été, à mon avis, scandé par quatre grandes questions, chacune d’elle révélant les préoccupations majeures des intellectuels à partir de leur lien aux diverses phases organisationnelles du mouvement ouvrier.

La première question fut celle posée par Dofny et Rioux en 1962 : qu’est-ce qui sépare et qu’est-ce qui unit les classes sociales au Québec ? À cela, ils répondaient qu’il y avait au Québec une seule classe unie par l’ethnicité. Ensuite, Bourque et Frenette ouvrirent en 1970 deux questions : la première fut celle de la composition sociale de la petite bourgeoisie québécoise et la seconde, en creux, fut celle de l’existence d’une bourgeoisie québécoise, question qui sera en fait, dans l’histoire récente, reprise à partir de 1976-1977. Enfin, Céline St-Pierre en 1974 avait posé celle du lieu de division sociale entre la classe ouvrière et la petite bourgeoisie.

Trois éléments conjugués ont à mon avis, présidé à ce découpage :

1)   le rapport de ces questions à la conjoncture du moment (soit : a) d’abord la scission du NPD et la formation du PSQ ; b) la création du M.S.A. puis celle du PQ ; c) la période précédant l’élection du PQ, caractérisée par l’électoralisme et par le développement de l’extrême gauche ; d) le règne du Parti Québécois ;

2)   la spécificité des thèmes évoqués touchant chacun des aspects théorico-politiques de l’analyse des rapports sociaux ;

3)   enfin, la pertinence de ces textes et leur répercussion dans la mémoire politique des dernières années.

1. Le contexte historique général

Tant les thèmes que les approches ont grandement évolué depuis 15 ans. La question nationale fut cependant au cœur de toutes ces analyses. Parfois considérée comme étant le seul aspect important de la division sociale, parfois au contraire greffée aux classes comme aspect second, plus récemment, enfin, l’oppression nationale fut étudiée en tant qu’élément constitutif de la structure de classes elle-même ou de la division sociale du travail. Ces trois temps dans l’évolution du rapport entre classes et nation indique un remarquable progrès dans la pensée socialiste et marxiste au Québec, progrès commandé par l’évolution des rapports de classes eux-mêmes.

Cette évolution dans les rapports de classes fut consolidée par la démonstration de plus en plus irréfutable effectuée par le PQ lui-même de son conservatisme socio-politique fondamental. Autour de cette lente et progressive mise à jour, poursuivie à travers l’exercice du pouvoir jusqu’à maintenant, les intérêts des classes et fractions se sont progressivement précisés et continuent de le faire.

Cependant, la démarche intellectuelle fut tributaire des transformations dans les rapports de classes d’un double point de vue. En effet, les chercheurs qui s’appliquèrent à faire progresser les analyses de classes eurent d’abord comme souci majeur, et avec raison, de lier leur démarche à ce qu’ils percevaient comme questions stratégiques pour l’organisation du mouvement ouvrier québécois. Parfois, leurs résultats furent pertinents, parfois leurs observations s’avérèrent mal orientées. Et de plus, ces textes furent souvent débordés par les aléas du mouvement lui-même. Car on ne peut encore parler jusqu’à ce jour de prise à son compte par le mouvement de ces travaux. Ceci ne peut être imputé ni aux chercheurs ni aux organisations. Les intellectuels sont ni à côté ni au-dessus de l’histoire, ils sont dedans et en tant que tels, ils en subissent les conditions. Les quinze dernières années ont été éprouvantes pour les travailleurs québécois. La question nationale, sacralisée par le PQ, a brouillé les cartes. Le mouvement ouvrier a été freiné dans son organisation et les travaux des intellectuels de gauche ont été mêlés à cette difficile naissance.

La démarche intellectuelle fut donc tributaire des rapports de classes dans la mesure où, comme on le verra plus loin, les études sur les classes sociales se sont nouées à la conjoncture organisationnelle du moment ouvrier en tentant à travers leur diversité, de répondre finalement à une seule question : comment, et par quel parti, seront satisfaits, à tel ou tel mouvement, les intérêts des classes dominées, question à laquelle le mouvement ouvrier lui-même n’apportait pas de réponse claire.

Ensuite on peut dire que cette démarche de recherche et de réflexion fut tributaire des étapes suivies par le mouvement ouvrier dans la mesure où ces travaux demeurèrent isolés et ne furent pas inscrits d’une manière directe dans sa démarche. Ce n’est que depuis peu de temps que les conditions se précisent pour une collaboration organique entre les intellectuels et les organisations ouvrières au Québec.

Les rapports de classes ont donc été dominés pendant cette période par un gigantesque effort de clarification des intérêts de chaque parti, clarification effectuée d’abord en rapport avec la scène politique par l’expérience négative du pouvoir sous le gouvernement péquiste. Mêlés à ce cheminement historique, les travaux des intellectuels québécois ont tenté de fournir une connaissance étayée des différentes étapes que traversait le mouvement nationaliste.

C’est ainsi que témoignait de ces préoccupations idéologiques l’article de Rioux et Dofny. Cet article, repris à son propre compte par J. Marc Piotte en 1966 [1] (3) pour être ensuite critiqué surtout par Michel Van Schendel en 1969 et par Gilles Bourque et Nicole Frenette en 1970, témoignait des interrogations qui dominaient à ce moment-là en avançant des propositions d’analyse fortement teintées de nationalisme.

Qu’il suffise de se rappeler les nombreux événements qui accompagnèrent cette phase. On connut du côté des mouvements sociaux la fondation du R.I.N. en 1960 et sa transformation en parti en 1963, la formation de la CSN (1960), la fondation du NPD (1961), le Rapport Parent, l’émergence du FLQ, la scission au NPD–Québec et la formation du PSQ, puis le lancement de la revue Parti Pris en 1963 ; ensuite ce fut la création du ministère de l’Éducation, l’acquisition du droit de grève dans les services publics et para-publics, et la création de l’UGEQ en 1964 ; enfin les nombreuses grèves de 1965-66 et enfin, la fondation du MSA en 1967.

L’année de lancement de la revue Parti Pris, marqua en effet un effort particulier pour reconnaître les différences sociales et politiques qui s’affrontaient à travers la question nationale et pour dégager des intérêts correspondants, que ce soit dans le RN, le RIN, le MS A puis dans le PQ.

En 1968, suite à la fondation du MSA, les positions de ces intellectuels se divisèrent autour de l’analyse du rapport MSA/classes sociales. D’un côté, Jean-Marc Piotte encouragea un appui au MSA, pour qui « une large fraction des masses les plus politisées et les plus conscientes suivent Lévesque… Se situer hors du MSA, c’est se condamner à demeurer extérieur à la fraction la plus progressiste des masses populaires » disait-il [2] (7) (p. 132). Piotte reviendra sur cette position en 1975 lorsqu’il fera la critique de l’allégeance du PQ avec l’impérialisme en disant « actuellement, face au PQ et compte tenu de la faiblesse et de la division des organisations socialistes, il faut se démarquer clairement du projet indépendantiste et défendre la véritable solution aux problèmes fondamentaux des travailleurs : le socialisme » [3] (7) (p. 170)

D’un autre côté, à l’instar de Piotte et au même moment, soit à l’été 68, Gilles Bourque, Luc Racine et Gilles Dostaler fondent le Comité Indépendance-Socialisme (C.I.S.) et formulent une critique sévère des intérêts de Lévesque qu’ils disent représentant d’une « classe antagoniste à celle des travailleurs » [4] (6) (p. 30). Déjà, l’interrogation la plus angoissante et la plus décisive était au cœur des débats : en appuyant le MSA, ou plus tard le PQ, les travailleurs allaient-ils marcher à leur défaite comme classe ? Cette question n’a cessé de hanter les recherches qui furent faites par la suite.

A. Des analyses historiques

Avant de présenter les textes dont l’objet principal était de relier ponctuellement la scène politique aux classes en lutte, je fournirai une vue d’ensemble d’une série de travaux de portée historique plus large. Ces travaux doivent être mentionnés car ils fournissent un cadre général indispensable à la compréhension de l’étude des articles suivants. Ils permettent de voir également que cet aspect plus général de la recherche a subi des transformations et s’est acheminé aussi sur des terrains éminemment politiques. J’ai tenté, à travers toute cette étude, de respecter scrupuleusement la progression chronologique et de présenter tous les principaux travaux. S’il en est qui ont échappé à ma vigilance, je prie les auteurs de m’en excuser.

En 1967, un article d’Alfred Dubuc [5] (4) présentait le processus de formation de l’État canadien comme un moyen permettant la centralisation financière nécessaire au développement de la bourgeoisie. Selon cette thèse, l’État canadien n’a pas été le produit de rapports entre les classes mais plutôt l’instrument de la bourgeoisie commerciale et bancaire. En 1970 parut ensuite le premier ouvrage de Gilles Bourque intitulé Classes sociales et question nationale au Québec [6] (10). Cet ouvrage contient la thèse de la double structure de classes, se superposant et renvoyant à chacune des deux nations. Bourque fera la critique de cette thèse dans le numéro 1 des Cahiers du Socialisme disant, pour l’essentiel : « On ne peut produire une définition « classiste » de la nation sans tomber dans le réductionnisme et, curieusement, dans le nationalisme lui-même. On risque, en effet, dans ce dernier cas, de produire des analyses affirmant l’existence de structures de classes nationalement hétérogènes » [7] (25) (p. 195). Dans le même champ de préoccupations, une version refondue, corrigée et augmentée de Unequal Union de Stanley Ryerson, parue en anglais en 1968, sera traduite en 1972 [8] (13). Une des thèses centrales de cet ouvrage est que le mouvement national des Patriotes de 37 avait un « caractère démocratique et anti-impérialiste ». Ryerson y fait ressortir l’émergence « des manufactures domestiques, d’une industrie locale et autochtone » et la formation d’une « classe coloniale ».

En 1975, un article d’Hélène David [9] (15) met en rapport la scène politique et le mouvement ouvrier, et rompt avec la périodisation conventionnellement liée à la Révolution Tranquille en dégageant les conditions de « cinq moments conjoncturels » différents qui caractérisent cette période.

En 1978, Dorval Brunelle fournit, dans La désillusion tranquille [10] (22) des éléments nouveaux et originaux pour aborder l’analyse des relations des provinces entre elles ainsi que par rapport au gouvernement fédéral : la thèse qui s’en dégage tend à faire ressortir que « le Canada est surtout une somme de gouvernements » (provinciaux) caractérisée par « l’absence totale d’intégration au niveau des rapports économiques ». De plus, l’étude expose à travers l’histoire politique récente et en particulier celle du Conseil d’orientation économique, comment évoluèrent les conditions politiques de développement de la bourgeoisie québécoise au cours des années 60.

Nicole Laurin-Frenette en 1978 [11] (11) élabore un nouveau cadre conceptuel pour l’analyse de la nation et défend comme thèse que c’est le procès de production de l’État qui assigne sa place à la nation ainsi qu’aux appareils qui la reproduisent et à leurs agents. Le rôle du nationalisme est de « garantir la reproduction de la place de l’État (national) ». L’auteur applique son postulat théorique à l’analyse de six conjonctures depuis le Régime français, et s’inscrit en même temps en rupture avec la thèse qu’elle soutenait avec Gilles Bourque en 1970 sur le rapport de la petite bourgeoisie technocratique avec le projet de souveraineté-association.

Mai 79 vit d’abord la parution d’un ouvrage de Roch Denis [12] (37) qui met l’emphase sur les rapports entre le mouvement ouvrier et la question nationale et conclut sur les difficultés de formation d’un parti sans son intégration transitoire aux organisations syndicales. L’ouvrage aboutit à cette conclusion après une longue analyse des différentes phases traversées par le mouvement ouvrier, ses organisations et par le rôle des intellectuels depuis 1948.

Enfin, Gilles Bourque et moi-même [13] (38) avons tenté dans Le Québec–la question nationale, de lier les événements politiques survenus depuis la Conquête aux rapports de classes et aux transformations des modes et formes de production. Les principales thèses développées portent sur la résistance paysanne au développement du M.P.C., sur la formation de l’État canadien caractérisé par une tendance structurelle à l’éclatement sur le rapport privilégié de l’U.N. et de Duplessis avec la bourgeoisie locale, du P.L.Q. et de la Révolution tranquille avec la bourgeoisie canadienne, du projet de souveraineté-association et du gouvernement péquiste avec la bourgeoisie non monopoliste québécoise et enfin, sur l’issue de l’actuel enjeu référendaire.

B. De la Révolution tranquille jusqu’à la formation du P.Q. En 1968 : l’éveil du nationalisme de gauche

Pour aborder les textes portant plus spécifiquement sur le rapport classes/scène politique, cette première tranche de la périodisation s’imposait car les écrits de cette première période portaient en germe les questions qu’allait soulever plus tard la formation du Parti québécois.

C’est pourquoi, sans doute, l’article de Dofny et Rioux [14] (1) eut-il tant d’échos comme s’il réveillait, en quelque sorte, le subconscient de la pensée en gestation. La thèse principale qu’il contenait, consistait à poser que les Québécois forment ensemble une classe dite « ethnique », unifiée par l’originalité de sa stratification sociale face au groupe anglais dominant.

Un an après, Mario Dumais, comme Jacques Dofny et Marcel Rioux, veut « ouvrir la voie à une action politique cohérente » dans un article [15] (2) qui comporte d’abord une assez longue élaboration théorique sur le fait qu’existent des classes, puis sur une méthode qui se veut rigoureusement marxiste pour les analyser. Ce texte ne fait pas de différence entre la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie traditionnelle ; la classe des travailleurs y est composée de « ruraux, de manuels et de non-manuels », comprenant aussi des « employés de bureau, des techniciens et des intellectuels » ; les couches marquent une distinction entre hommes et femmes. Le texte représente alors la première recherche concrète de la période sur la division sociale du travail au Québec. Cependant, la faiblesse de son cadre conceptuel ne permit pas d’en faire une utilisation très large.

Piotte, lui, reprend ensuite à son compte [16] (1) les principales affirmations de Dofny, Rioux (1962) et de Dumais (1963) en tentant de les recouper. Il retient les « valeurs, les institutions, les comportements des Québécois » (comme le font Dofny et Rioux) pour démontrer d’abord comment ils sont souvent « nord-américains avant d’être canadiens ou canadiens-français »; ensuite, il fait sienne la thèse du Québec, classe ethnique à l’intérieur d’une société globale, le Canada. Ceci amènera Piotte à affirmer que « RIN a un rôle historique essentiel quoique transitoire en tant qu’avant-garde du processus de libération dirigé par « les collets blancs ». On voit dans ce texte que pour Piotte comme pour beaucoup d’autres, le concept de petite-bourgeoisie ne recouvrait à ce moment-là que les P.M.E., les professionnels et les artisans. Les collets blancs représentent une couche de la très large « classe des travailleurs ».

Réfléchissant sur l’esprit qu’avait animé l’équipe de Parti Pris durant les années 60, Jean-Marc Piotte écrivait récemment à propos de cette période : « Vivant la rupture comme une libération intellectuelle, nous n’étions guère pressés de nous trouver des racines historiques. Nous nous prenions pour l’avant-garde intellectuelle de la révolution… Me relisant, je fus littéralement étonné : je me croyais marxiste alors que ma catégorie fondamentale d’analyse demeurait – si on excepte Notes sur le milieu rural, d’ailleurs seule enquête menée sur le terrain – bel et bien la nation » [17] (3) (p. 14-15). Et commentant son texte de 1966, résumé plus haut, Piotte dira : « mon étude du Québec n’est pas centrée sur la lutte de classes à laquelle j’articulerais les mouvements de libération nationale, mais sur la nation que je cherche à éclairer à la lumière des classes sociales » [18] (3) (p. 16). Les six textes de la période de 68-76 qui suivent, marqueront un progrès notoire par rapport à cette dernière tendance.

Le premier texte de cette période, signé de Bourque, Racine et Dostaler [19] (6) contient d’abord une critique radicale du MSA, inspirée d’un texte de Bourque publié dans Parti Pris quelques mois plus tôt [20] (5). Bourque, à cette époque-là préparait déjà son ouvrage Classes sociales et question nationale au Québec – 1760-1840. Par cet article, les trois auteurs posent comme élément central la persistance et la dominance des intérêts bourgeois dans la formation du MSA à travers la présence de Lévesque et de ses associés. Les auteurs y reconnaissent la présence dans le mouvement d’éléments de gauche « non organisés » mais ils posent que ceux-ci seront utilisés pour masquer l’aspect conservateur véritable du mouvement.

Paraît ensuite, signée de Michel Van Schendel [21] (8), la première critique de la thèse publiée par Dofny et Rioux en 1962. Michel Van Schendel tente de cerner ce qui définit « structurellement » la classe ouvrière québécoise. Ce texte contient en outre une critique serrée des notions de classe et de conscience ethnique utilisées par Dofny et Rioux et fondamentalement opposées au matérialisme historique. Michel Van Schendel joue alors un rôle important dans l’équipe de la revue Socialisme.

Un an plus tard, en 1970, paraît l’article de Luc Racine et de Roch Denis [22] (9) qui (avec l’éditorial de ce numéro qui avait été préparé par M. Van Schendel et Emilio de Ipola) est le premier de cette période à reconnaître l’existence d’une « moyenne bourgeoisie canadienne française. » Plus que par une simple allusion métaphorique, ce texte, quoique prudemment, précise que cette bourgeoisie est sous-traitante, et que le PQ est le représentant de sa fraction nationaliste. Ce texte fait aussi des distinctions très pertinentes entre bourgeoisie et petite-bourgeoisie. Cependant, si cette dernière indique une « prolétarisation graduelle », la classe ouvrière, elle, y recouvre indistinctement tous les travailleurs manuels et intellectuels, les ouvriers et les employés. Le PQ y est clairement vu comme un recul par rapport au MSA en autant qu’il est plus clairement pro-impérialiste que le RIN.

Après le texte de Jacques Dofny et de Marcel Rioux publié en 1962, celui de Bourque-Frenette [23] (10), quoique se voulant marxiste, représente la deuxième forte percée du nationalisme de gauche dans l’analyse sociologique québécoise. Même si ce texte se fixe comme objectif « de dégager au moins les éléments de base d’une théorie marxiste de la nation, du nationalisme et des rapports entre classes sociales, nations et idéologies nationalistes » et « s’inspire de la pratique du mouvement révolutionnaire au Québec au cours des dix dernières années », il contient quelques extrapolations dont l’utilisation sert aujourd’hui encore d’arguments aux thèses nationalistes. Gilles Bourque de son côté, a largement fait la critique des positions contenues dans ce texte en ce qui concerne le PQ comme parti de la petite-bourgeoisie en disant pour l’essentiel : « je ne peux suivre Niosi quand il déduit…le caractère exclusivement petit-bourgeois du Parti Québécois. Au-delà de désaccords théoriques spécifiques…, il me semble de plus en plus urgent de repenser la problématique implicite de la plupart des analyses proposées jusqu’ici » [24] (14) (p. 122).

Nicole Frenette a, elle, également pris ses distances (1978) en disant « nous recherchions les dites bases objectives de la nation et, comme bien d’autres, nous trouvions de tous côtés des mirages parmi lesquels nous tentions de distinguer l’objet, la nation, de son reflet dans le miroir du nationalisme » [25] (31) (p. 55). Pourtant, encore aujourd’hui, avertis de l’autocritique des auteurs, des auteurs comme Sales, Niosi et Monière continuent d’appuyer leurs propositions sur ce texte.

En même temps que Roch Denis et Luc Racine et un an à peine après la première parution du texte de Bourque-Frenette, Michel Van Schendel relève la confusion contenue dans le texte de Bourque-Frenette au sujet de la bourgeoisie [26] (12). Il affirme en effet qu’il existe une bourgeoisie québécoise qui accumule et tend, à travers ses porte-parole péquistes qui eux, sont d’origine petite-bourgeoise, à « prendre l’aspect d’une bourgeoisie d’État-Patron ». Michel Van Schendel souligne que cette « conséquence désarmante » de l’analyse de Bourque-Frenette était « décidément, dit-il, opposée à leurs prémisses théoriques ». Enfin, Van Schendel y définit la classe ouvrière québécoise comme « typique du capitalisme du centre dominant ». À partir de ce texte, un débat est lancé et deux problèmes majeurs s’imposent donc pour les recherches futures : l’existence de la bourgeoisie québécoise et la composition de la classe ouvrière.

À l’automne 1971 avait été formé au CFP un groupe de recherches sur les classes, groupe dans lequel on trouvait trois militants d’organisations populaires, Jean Roy du C.R.I.Q., Charles Gagnon du Conseil central de la C.S.N. à Montréal et Bernard Normand du CFP ainsi que trois intellectuels, Céline St-Pierre, Gilles Bourque et moi-même. C’est au cours de réunions qui s’échelonnèrent pendant huit mois que les critères de la division sociale du travail furent approfondis. Ainsi, le groupe avait dégagé la distinction entre travaux directement et indirectement productifs qui devint la clé de voûte de l’élaboration théorique que formula par la suite Céline St-Pierre [27] (14). Quelques-uns des aspects de la position à laquelle arrivait Céline St-Pierre ne faisant pas consensus, elle finalisa seule la démarche qui avait été jusque là collective. Ce texte fut important à plusieurs titres.

D’abord il répondait à des besoins très aigus des milieux militants et étudiants face à la théorie des classes. Ensuite, il contenait un certain nombre de notions nouvelles qui permettaient à ceux qui étaient engagés dans l’action d’établir une hiérarchie « théorico-stratégique » entre les couches de travailleurs auprès desquels ils oeuvraient. Il permet aussi de constater, à partir de sa large diffusion, que ces questions étaient à l’ordre du jour. La formation de ce groupe de recherche au CFP en témoigne d’ailleurs.

Dans ce texte, Céline St-Pierre posait que la classe ouvrière comprend les travailleurs directement productifs et la classe laborieuse, ceux qui le sont indirectement ainsi que tous les travailleurs manuels improductifs. Le prolétariat est donc l’ensemble de toutes ces places, soit la classe ouvrière et la classe laborieuse. La nouvelle petite-bourgeoisie, elle, comprend les travailleurs intellectuels affectés à la reproduction de la force de travail. La fonction politique de cette approche est donc d’étendre la classe ouvrière au plus grand nombre de salariés possibles. Cette élaboration eut et a encore une grande influence auprès des intellectuels québécois. Jean-Marc Piotte y ajoutait en 1978 quelques précisions. « Je me sépare donc de Céline St-Pierre sur les points suivants. L’utilisation gramscienne de la distinction travailleurs intellectuels/travailleurs manuels me permet de démarquer plus nettement la nouvelle petite-bourgeoisie des travailleurs improductifs, membres de la classe laborieuse qui oeuvrent eux aussi, à la reproduction des rapports sociaux nécessaires à la production de la plus-value… Je nomme classe laborieuse ce que Céline St-Pierre appelle « les classes laborieuses autres que la classe ouvrière »… [28] (17) (p. 212).

Le texte de Céline St-Pierre, avait, malgré les points de vue divers qu’il a pu entraîner, une qualité sans contredit : sa méthode claire permit aux chercheurs de trier avec adresse et cohérence parmi les couches de la division du travail celles qui correspondaient à leurs préoccupations idéologiques, ce qui permit à plusieurs de se démêler dans l’écheveau complexe des classes sociales en les sensibilisant à l’hétérogénéité du corps social.

À l’automne 1977 paraissait mon ouvrage Les classes sociales au Québec [29] (16). J’aimerais ici dégager ce qui constituait, à mes yeux, son apport principal, en faire une brève critique et dégager ce qui m’apparaît une priorité pour les analyses futures.

Ce travail se caractérise principalement par le fait que les classes et fractions qui y sont constituées condensent à la fois des distinctions économiques ainsi que des critères de domination/subordination, de sexes, de salaires, d’autorité/d’exécution, etc. La petite-bourgeoisie y est une classe déchirée. La contribution idéologique de ce texte consiste, selon moi, dans le fait d’avoir établi, tout au long de l’étude de la division sociale au Québec, un recoupement avec la place des femmes. Distinguer entre femmes et hommes de la classe ouvrière, entre ménagères et travailleurs productifs, entre la couche féminine du travail manuel improductif et la couche masculine est aussi important et litigieux que la démarcation entre petite-bourgeoisie et classe ouvrière. Non pas que les femmes forment une classe mais leur présence dans les classes reproduit doublement et d’une manière spécifique à chaque fois pour elles et pour les classes les rapports de pouvoir puisqu’elles sont les supports de la domination/subordination. Mon étude mettait l’accent sur cette question. Dans la représentation concrète que je donnais de la structure de classes, la répartition de l’ensemble tenait compte des ménagères, ce qui bouleversait les distributions statistiques conventionnelles. De plus, je conservais dans la couche prolétarisée de la petite-bourgeoisie les salariés manuels improductifs, ce qui correspondait à 7 % de la population et a semblé troubler la conscience prolétarienne de nombreux intellectuels.

Je ne crois pas, par ailleurs, avoir atteint l’objectif qui aurait consisté à fournir des représentations suffisamment empiriques de la structure sociale. Par « empiriques », je veux dire repérables spatialement et décrites localement. L’étude, en fait, n’a accompli que les deux premières étapes de son parcours, i.e. la démarche abstraite et théorique d’abord conduisant à la seconde, structurelle. La dernière étape non franchie aurait été de remonter au plus concret et d’opérer l’analyse de la fusion entre la structure et la conjoncture. Il est bien évident qu’on ne dispose pas des données historiques complètes permettant de finaliser cette phase de la recherche pour chaque classe sociale.

Enfin, une dernière réflexion s’impose à moi à propos des futures analyses de classes. Il me semble de plus en plus essentiel de tenir compte des modes concrets dans lesquels les ensembles sociaux vivent leur rapport à la société comme la question de l’identification à chaque sexe (dans la théorie, la classe ouvrière n’a pas de sexe). D’autre part, gommer l’existence des classes comme sujets m’apparaît aussi être une erreur politique et théorique : la dimension historiciste doit être présente aussi dans les analyses.

Car l’alliance large que les défenseurs du concept large de prolétariat ou de classe ouvrière étendu à tous les opprimés salariés recherchent devra témoigner de multiples différences sociales. Il n’y a pas dans le concret de classe ouvrière monolithique, classe sans sexe, sans âge, sans ethnie, sans espace physique propre. Seule existe la conjugaison de multiples déterminations et formes sociales singulières.

C’est confrontés à l’action politique et au changement que les partis de gauche traditionnels se heurtent à ces différences. C’est pourquoi, au sortir de la phase actuelle, nos recherches devront devenir de plus en plus spécifiques et reconnaître la pluralité du corps social.

C. Pendant le règne du Parti québécois jusqu’au référendum : des différences théorico-politiques

Contrastant avec les périodes précédentes, les quatre dernières années viennent de nous valoir une abondance exceptionnelle de textes. La période sera marquée par un questionnement qui porte sans contredit sur la composition de classes et sur l’hégémonie de l’alliance consacrée par le gouvernement péquiste. La réflexion sur la nature de classe de cette alliance présuppose évidemment une connaissance appropriée des ensembles socio-politiques composant la structure sociale et qui entrent en interaction dans les luttes politiques concrètes. Sur ce dernier point, les diverses étapes traversées par ce débat ont révélé des différences théoriques assez fondamentales.

La partie suivante du présent texte se développera donc à partir d’événements internes du cheminement de la gauche intellectuelle. En effet, contrairement aux deux périodes précédentes pour lesquelles les textes faisaient suite à l’actualité et étaient l’aboutissement surtout de collectifs fermés (Parti Pris, Socialisme, groupe de recherche du CFP), les travaux diffusés depuis novembre 1976 témoignent de préoccupations de plus en plus complexes, d’une écoute plus large et partant d’ailleurs de rencontres publiques. Deux colloques ont été à l’origine de la formulation des deux tendances qui allaient principalement s’opposer quant à l’analyse du PQ. Ces tendances, depuis les deux colloques qui eurent lieu en novembre 1977, ont donné suite à de nombreux textes sur la bourgeoisie québécoise et sur la question nationale. Pour illustrer ce phénomène, voici, à titre d’exemples, quelques-uns des titres des articles étudiés plus loin : « La nouvelle bourgeoisie canadienne-française »(Niosi), « Les nouveaux paramètres de la bourgeoisie québécoise » (Fournier), « Petite bourgeoisie envahissante et bourgeoisie ténébreuse » (Bourque).

Je ferai donc une étude plus systématique des principaux articles directement liés à ces colloques, considérant que leur aspect polémique et l’évolution qui les a en même temps marqués leur confèrent, de par ce caractère dynamique, une importance idéologique majeure.

Les 10 et 11 novembre 1977, la Société canadienne de science politique et l’Association canadienne des sociologues et des anthropologues de langue française organisèrent (par l’entremise de Jean-François Léonard) un colloque proposant comme thème un « bilan du gouvernement du Parti québécois » intitulé « Un an après ». Au cours de ce colloque, dans l’ensemble des interventions qui portèrent sur le PQ, les communications de Pierre Fournier, d’Arnaud Sales et de Gilles Bourque traitèrent plus exclusivement du PQ dans son rapport aux classes sociales. Ces trois communications furent publiées dans La chance au coureur [30] (19-20-21) et marquèrent le point de départ d’une longue course à la recherche d’un consensus. Une semaine plus tard avait lieu à Toronto, les 18 et 19 novembre 1977, le colloque « The American Empire and dependent States : Canada and the Third World ». Une session particulière y était consacrée au Québec et avait pour thème : « The Parti Québécois government, social classes and the state ». Jorge Niosi et moi-même y présentions des communications dont les commentateurs furent Pierre Fournier et Jean-Guy Vaillancourt. Plusieurs chercheurs québécois assistèrent à ce colloque et participèrent ensuite aux discussions dont Arnaud Sales, Carol Levasseur, Paul Bélanger et Gilles Bourque. La contribution de Jorge Niosi correspondait dans ses grandes lignes à l’article qu’il publia six mois plus tard dans le premier numéro des Cahiers du Socialisme [31] (24). En ce qui me concerne, le texte de ma communication fut repris par la Revue canadienne de sociologie et d’anthropologie dans son numéro de mai 1978 [32] (23).

Par la suite, ces prolégomènes à l’étude du Parti québécois furent analysés, critiqués, nuancés dans les trois premiers numéros des Cahiers du Socialisme (1978-1979), dans un numéro spécial de la revue française Politique aujourd’hui paru au printemps 1978, ainsi que dans un ouvrage collectif publié sous la direction de Pierre Fournier en décembre suivant. Les incidences idéologico-politiques exprimées dans ces colloques et contenues dans ces articles ayant des implications politiques pour l’étape dans laquelle nous entrons, elles méritent notre plus grande attention.

Avant, cependant, d’en amorcer l’analyse, je ne voudrais pas négliger de faire mention de quelques autres travaux non moins utiles à notre démarche. Je pense en particulier à des ouvrages comme celui de Dorval Brunelle La désillusion tranquille [33] (22) qui a été le premier à démontrer avec précision la capacité de la bourgeoisie québécoise de mettre en place des mesures concrètes assurant le développement de ses ressources économiques propres. Je pense aussi aux ouvrages de Jorge Niosi sur le capitalisme canadien et d’Arnaud Sales sur la bourgeoisie industrielle canadienne-anglaise et canadienne-française au Québec [34] (35) ainsi qu’à l’essai de Jacques Mascotto et de Pierre-Yves Soucy intitulé Sociologie politique de la question nationale [35] (36). Enfin, je voudrais souligner, parmi d’autres, l’excellent article de Carol Levasseur et de Jean-Guy Lacroix, « Rapports de classes et obstacles économiques à l’association » paru à l’automne 1978 dans le deuxième numéro des Cahiers du Socialisme [36] (30). Quoique je ne partage pas tous les points de vue exprimés dans l’ensemble de ces travaux, j’aurais souhaité pouvoir leur consacrer une étude approfondie à la lumière des récents débats sur la bourgeoisie québécoise. On comprendra que dans les limites du présent texte il me soit impossible de le faire.

2. Une problématique

Il est clair, je ne saurais m’en cacher, que l’analyse concrète des classes sociales au Québec ainsi que le développement et l’affermissement des prémisses conceptuelles qui la servent représentent pour moi un centre d’intérêt de toute première importance. Avec d’autres, j’ai consacré la majeure partie de ces dernières années à travailler ces questions et en ce qui concerne ma recherche personnelle sur la structure de classes au Québec, c’est en 1970 que je l’ai commencée.

C’est pourquoi je me permettrai de rappeler pour commencer les principaux éléments d’analyse de la bourgeoisie et du Parti québécois que j’avais élaborés dans mon ouvrage Les classes sociales au Québec [37] (16) paru au moment même où se tenaient les deux colloques mentionnés plus haut, soit en novembre 1977, dans la mesure aussi où il furent largement repris au cours de la réflexion qui allait s’ensuivre.

Cinq éléments définissaient alors pour l’essentiel mon analyse : 1) « Le PQ est le représentant des intérêts de la bourgeoisie non monopoliste au Québec » (p. 191) ; 2) « les aspects super-structuraux de détermination de la place de la bourgeoisie non monopoliste québécoise ont un effet de domination sur sa constitution. Sous sa seule détermination économique (malgré sa faiblesse structurelle, elle, surdéterminée), détermination s’accrochant inlassablement à des velléités autonomistes de couleurs multiples, la bourgeoisie québécoise n’aurait pas fait long feu » (p. 191) ; 3) « de son existence structurelle en intérêts et pratiques économiques, juridico-politiques et idéologiques distinctifs, ce capital devient une force sociale organisée, produisant ses effets sur toutes les classes et sur tous les partis au Québec et même au Canada tout entier… c’est la constitution de la bourgeoisie non monopoliste québécoise en fraction autonome de classe par cette formation en parti » (p. 192); 4) « les éléments canadiens-français qui participent aux rapports monopolistes s’amalgament à ceux-ci de telle sorte que leur caractère « ethnique » ne supporte encore aucun fractionnement » (p. 189); 5) « On voit bien que les politiques d’un parti ne s’analysent pas seulement quant aux caractères des agents qui le composent mais surtout par son rapport aux places de classes de la structure qu’il comble ou vise à combler. Ainsi, les analyses expliquant le PQ par sa composition dite « technocratique » conduisent à toutes sortes de méprises simplificatrices et évacuent le problème des luttes au sein de l’État, et, indirectement, du fédéralisme canadien… (le PQ est une) organisation de la bourgeoisie non monopoliste à clientèle ouvrière et petite-bourgeoise » (pp. 193-194).

Isoler ces éléments permet de saisir la trajectoire que suivit par la suite le débat sur les classes. On le verra plus loin, c’est successivement que s’inscrivirent les oppositions et les consensus face à ces éléments.

Pour commencer chronologiquement par la fin, je citerai, à titre d’illustration, la dernière pièce d’œuvre à date de cette réflexion, parue quand Denis Monière écrivit, il y a aussi peu longtemps qu’en octobre dernier « Est-il possible alors de parler d’une bourgeoisie « QUÉBÉCOISE » au sens plein du terme, quand celle-ci est à ce point liée qu’elle est absolument incapable d’influencer de façon autonome le développement économique du Québec ? Cette bourgeoisie liée et dépendante ne peut être qualifiée de québécoise par le simple fait qu’elle réside sur un territoire géographiquement situé, le Québec. Cette bourgeoisie résidant au Québec peut-elle réellement s’identifier à un projet national qui risquerait de compromettre sa position actuelle auprès et vis-à-vis du capital et de la bourgeoisie canadienne, dont elle ne représente qu’une fraction ethnique dépendante ? Il faut répondre par la négative » [38] (39) (p. 157). Et, conséquence de cette première position, « la souveraineté-association… implique qu’une plus grande part de pouvoir politique sera contrôlée par la nouvelle petite bourgeoisie qui pourra ainsi accéder à l’élite du pouvoir économique » [39] (39) (p. 157).

Les voies politiques opposant les positions citées sont claires, leurs prémisses théoriques, elles sont plus complexes et malheureusement je ne pourrai ici qu’en faire rapidement mention. Les fondements des différences méthodologiques et théoriques sont, bien entendu, idéologiques. Cependant, ces différences peuvent parfois témoigner de l’influence prévalente d’une approche sur une autre dans un contexte culturel scientifique à un moment donné et ne signifient pas nécessairement que ces positions n’évolueront pas ni que leurs auteurs en assument pleinement et définitivement à chaque fois toutes les conséquences. C’est pourquoi je m’efforcerai de traiter avec précaution de ces divergences, sans présumer de leur avenir. Cependant, avant d’en dégager l’évolution, il serait utile, me semble-t-il, de dégager à grands traits ce qui sous-tend ces interprétations de la conjoncture récente.

3. Des différences théoriques

Certes l’unanimité sur la structure des rapports sociaux au Québec aurait entraîné une plus grande unité au niveau de l’analyse du Parti québécois et, en conséquence, de la stratégie et des tactiques à mettre en œuvre dans la gauche québécoise.

Or il n’en fut pas ainsi. Ceux que j’appelle ici « les chercheurs universitaires de gauche » (sans connotation d’exclusivité, bien entendu, par rapport aux auteurs chercheurs marxistes dont les travaux ne sont pas étudiés ici) pour la commodité sociologique de l’expression, ces intellectuels d’appartenance large au matérialisme sont partagés quant à la définition de la division sociale du travail caractérisant le Québec, i.e. quant à l’existence, à la composition interne et à l’importance des unes et des autres classes sociales.

Les désaccords quant à la bourgeoisie, fondent sans doute les principaux débats. Pour les uns, il n’y a pas de bourgeoisie proprement québécoise, pour d’autres, la distinction entre la bourgeoisie canadienne-française d’un côté et québécoise de l’autre fait l’objet d’un litige ; pour d’autres encore la reconnaissance d’une bourgeoisie nationale et/ou d’une bourgeoisie compradore est acquise, pour d’autres elle, ne l’est pas ; enfin, quelques-uns trouvent essentielles les distinctions entre capital monopoliste et capital non monopoliste, entre petite bourgeoisie et PME : et d’autres les considèrent superflues. L’inclusion ou l’exclusion de l’un ou de l’autre de ces critères affecte la vision du PQ et les positions politiques conséquentes.

Un corollaire des divergences précédentes à propos de la bourgeoisie surgira d’ailleurs à propos de la petite-bourgeoisie. En effet, à cause de sa position intermédiaire entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, les critères qui délimitent cette classe, autant vers le haut que vers le bas, feront l’objet de désaccords. Du côté des frontières entre avec la bourgeoisie, et la petite-bourgeoisie les définitions seront diverses *. Certains y incluront par exemple, tous les professionnels, y compris ceux qui capitalisent et concentrent leurs ressources en complexifiant l’organisation du travail entre plusieurs niveaux et services ; dans ces cas, les chercheurs qui les rangent (malgré la concentration de leurs revenus) dans la petite bourgeoisie privilégient le critère de la « nature » abstraite de leur travail de professionnels, indépendamment de la transformation du rapport social. Les mêmes travaux seront portés à nier l’existence d’une bourgeoisie québécoise puisque la petite bourgeoisie nationaliste y tient lieu de classe dominante québécoise opposée à la bourgeoisie canadienne. Tomberont donc dans la petite bourgeoisie les gestionnaires du capital-action, des sommets de l’État et souvent les PME. Pour ce courant, la petite-bourgeoisie est une classe comportant une forte polarisation vers le haut. Pour ce courant également plusieurs couches de travailleurs intellectuels salariés (cols blancs), et tous les employés forment avec les travailleurs de la production la classe ouvrière. Ce schéma aboutit le plus souvent à deux classes proprement québécoises, une petite bourgeoisie d’artisan, de gestionnaires, de professionnels, de hauts fonctionnaires d’État et d’intellectuels de la reproduction et une classe ouvrière recouvrant le reste des salariés. Au niveau de l’analyse conjoncturelle, ce cadre conceptuel supportera l’analyse du PQ comme parti de la petite bourgeoisie avec alliance populiste de la classe ouvrière, c’est-à-dire le reste de la population québécoise. Les mêmes recherches nieront donc d’un côté l’existence d’une bourgeoisie québécoise et présenteront de l’autre le PQ comme parti à tendance sociale-démocrate sous la gouverne d’intérêts petits-bourgeois.

Dans un sens tout à fait différent, d’autres travaux reconnaissent l’existence d’une bourgeoisie québécoise ayant une place politique propre et une petite-bourgeoisie qui est moins la condensation des intérêts économiques d’une élite qu’une classe profondément contradictoire, comprenant un vaste ensemble de salariés socialement démarqués de la classe ouvrière et polarisés à la fois vers elle et vers la bourgeoisie. En conséquence, le Parti québécois présente pour ce 2e courant une configuration plus complexe dans laquelle son rapport propre à la bourgeoisie québécoise sera un facteur central dominant, une alliance plus contradictoire avec les couches sociales dominées, à la fois celles de la petite-bourgeoisie et celles de la classe ouvrière. Ce dernier courant ne voit pas le PQ comme parti social-démocrate puisque le rapport politico-idéologique de ce parti aux classes dominées est la légitimation des intérêts sous-jacents de la bou

Le budget Freeland, une revue de presse

16 avril 2024, par Presse-toi à gauche — , ,
Voici les réactions des organisations syndicales et populaires au budget fédéral 2024-2025. Nous les publions au fur et à mesure de leur publication. Un budget qui ne va (…)

Voici les réactions des organisations syndicales et populaires au budget fédéral 2024-2025. Nous les publions au fur et à mesure de leur publication.


Un budget qui ne va pas assez loin (CSQ)

Après la pluie d'annonces des dernières semaines : 500 M$ pour la santé mentale, 9 G$ pour l'armée, un « Plan du Canada pour le logement » à 5 G$, 1 G$ pour l'aide alimentaire et 2,1 G$ pour amorcer la mise en place d'une assurance médicaments universelle et publique…, il nous semblait difficile d'être surpris par le budget fédéral déposé ce mardi par la ministre des Finances, Chrystia Freeland.

Par Pierre-Antoine Harvey, conseiller CSQ

À la surprise générale, le déficit est inférieur aux prédictions des analystes. Un déficit de 40 G$ équivalant à seulement 1,3 % du PIB, soit trois fois moins que la moyenne des pays de l'OCDE1. Le gouvernement pourra remercier la vigueur imprévue de l'économie au Canada et aux États-Unis pour ces bons résultats.

Ce budget, qui se veut progressiste et axé vers les jeunes générations, fait plusieurs pas dans la bonne direction. Cependant, il aurait pu aller beaucoup plus loin, étant donné les différentes crises réelles auxquelles la population fait face.

Une plus grande justice fiscale

La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) se préoccupe de la justice fiscale et salue l'initiative du gouvernement fédéral d'augmenter les impôts sur les gains en capital des plus riches, ce qui devrait générer des recettes fiscales supplémentaires de 17,7 milliards de dollars.

Actuellement, les Canadiens paient des impôts sur 50 % de leurs gains en capital. Le gouvernement a annoncé que ce taux passera à 66 % pour les gains supérieurs à 250 000 $ annuellement à partir du 25 juin 2024. Pour les gains inférieurs à ce seuil, la partie imposable demeure à 50 %. De plus, le taux d'inclusion des gains en capital des entreprises et des fiducies sera également majoré de 50 % à 66 %.

Investissements dans le logement abordable (et non social !)

Le gouvernement fédéral s'engage à encourager la construction de 250 000 logements supplémentaires d'ici 2031, comme indiqué dans son « Plan du Canada pour le logement » de 8 G$ qui introduit plusieurs mesures d'aide aux constructeurs, aux futurs propriétaires ainsi qu'aux locataires.

Cependant, cette initiative, bien qu'essentielle, demeure encore trop timide en termes de développement du logement social ou coopératif, qui est essentiel pour aider les ménages les plus pauvres, soit les premières victimes de la crise du logement.

En parallèle, Ottawa prévoit transformer des terrains et des édifices fédéraux afin de construire 30 000 nouveaux logements à travers le Canada. Le budget nous apprend que Postes Canada, qui compte plus de 1 700 bureaux de poste à travers le pays, et les Forces armées pourraient devoir se départir d'immeubles sous-occupés.

Malheureusement, la cible de logements dits « abordables » est fixée à seulement 20 %, sans garantie qu'il s'agisse de véritables logements sociaux en dehors du marché privé.

Enjeux autochtones

En ce qui concerne les dépenses pour les peuples autochtones, le budget fédéral prévoit cette année des investissements avoisinant les 3 milliards de dollars à travers le pays. Malheureusement, ce montant est insuffisant, surtout en prenant en compte les besoins criants en matière de services essentiels qui ne sont pas pourvus dans les communautés des Premières Nations.

La santé et le soutien de la jeunesse recevront la part du lion des fonds destinés aux peuples autochtones dans le budget fédéral 2024-2025. Ottawa prévoit investir 1,06 milliard de dollars dans le premier de ces domaines et 499 millions de dollars dans le second. En santé, l'accent est mis sur l'amélioration de l'accès aux soins et aux services de santé mentale, avec des investissements respectifs de 1,06 milliard de dollars (dont 646 millions cette année) et de 630 millions de dollars (dont 315 millions cette année).

On s'éloigne de la transition juste

Si le dernier budget avait une forte saveur environnementale, la transition juste est la grande absente du budget 2024-2025. La mesure à connotation environnementale qui se démarque semble être avant tout une protection contre les attaques préélectorales du Parti conservateur.

Près de 600 000 entreprises de moins de 500 employés recevront une compensation pour la taxe carbone. La taxe de 15 $ par tonne de carbone émis génère beaucoup de mécontentement dans toutes les provinces…, à l'exception du Québec et de la Colombie-Britannique, qui ont leur propre Bourse du carbone ou une taxe déjà plus élevée.

Marcher sur les platebandes de Québec

Plusieurs des mesures progressistes mises de l'avant par Ottawa laissent présager un empiètement sur les compétences provinciales. La défense des juridictions du gouvernement du Québec est importante, mais elle ne doit pas être une excuse pour l'immobilisme. Québec doit s'entendre avec Ottawa pour recevoir les sommes équivalentes, tout en s'assurant que ces dernières serviront à la mise sur pied de programmes, totalement québécois, qui s'attaqueront aux problèmes concrets de la population.

Par exemple, l'argent fédéral prévu pour l'assurance médicaments doit permettre la mise en place d'un réel régime public universel d'assurance médicaments québécois. Elles ne doivent pas être détournées afin de servir de « plaster » sur le régime hybride québécois, qui a démontré ses lacunes2.

La stratégie du saupoudrage

La stratégie du gouvernement consistant à disperser les fonds dans une multitude de mesures, bien que progressive, présente des lacunes. Le saupoudrage financier sur divers postes de dépenses entraine une mise en œuvre partielle de nombreuses initiatives, notamment en ce qui concerne l'assurance médicaments universelle et à payeur unique …, qui ne couvre qu'une sélection restreinte de médicaments3.

Pour répondre aux besoins actuels, des mesures structurantes sont nécessaires pour stabiliser réellement l'économie et soutenir les travailleurs. Malheureusement, la stratégie du saupoudrage ne suffira pas à accomplir cette tâche.

Des finances publiques qui vont bien

Quoi qu'en disent les prophètes de l'austérité : surprise ! Les finances publiques du Canada vont bien ! Le déficit n'a pas explosé, et le pays se retrouve avec la dette la plus soutenable des pays membres du G74. La crise du logement, la crise écologique, la crise de l'abordabilité, la crise des conditions de vie dans les communautés autochtones, etc., exigeaient que le gouvernement intervienne. Il faudrait même qu'il accélère ses interventions et les coordonne mieux avec les provinces si nous voulons offrir un répit à la population, qui subit les conséquences de ces multiples crises.


Déception des artistes en arts visuels canadiens : le droit de suite tant attendu n'est pas inclus dans le budget fédéral 2024

OTTAWA, le 18 avril 2024 – Les artistes en arts visuels de tout le pays attendent depuis longtemps que le Canada reconnaisse le droit de suite pour les artistes canadiens. Les organisations qui les représentent, le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV) et le Front des artistes canadiens (CARFAC) représentent ensemble plus de 5 000 artistes dans tout le pays. Les artistes ont exprimé leur frustration à l'égard du gouvernement canadien, car cet important droit économique pour les artistes visuels a encore une fois été exclu du budget 2024 – qui ne prévoit pas non plus d'autre soutien spécifiquement pour les artistes en arts visuels.

Le droit de suite est une redevance qui permet aux artistes d'obtenir une part de la richesse produite par la revente de leurs œuvres. Il permet au Canada de s'aligner sur la législation de plus de 90 pays dans le monde qui disposent déjà de lois sur le droit de suite. Bon nombre de ces lois prévoient que les artistes en arts visuels reçoivent 5% lorsque leurs œuvres sont revendues sur le marché secondaire par un intermédiaire tel qu'une maison de vente aux enchères ou une galerie d'art. Le droit de suite permet aux artistes de bénéficier du succès continu de leurs œuvres. Si le droit de suite s'applique à tous les artistes en arts visuels, celui-ci aurait été particulièrement favorable aux artistes seniors qui ont travaillé pendant des années à développer leur carrière artistique et qui se retrouvent souvent en situation de précarité durant leurs vieux jours. Cela aurait été également une grande victoire pour les artistes autochtones, qui ont trop souvent été exploités sur le marché secondaire de l'art.

Le droit de suite apporterait un soutien financier bien mérité et reconnaîtrait la contribution continue d'un artiste à la culture canadienne.

“L'adoption du droit de suite pour les artistes en arts visuels au Canada est essentielle », déclare Camille Cazin, directrice générale du RAAV. “Le droit de suite rétablit un équilibre en garantissant que les artistes sont équitablement rémunérés pour leur travail lorsque leurs œuvres sont revendues à des prix supérieurs à la valeur initialement reçue par l'artiste et nous mettrait en conformité avec nos partenaires internationaux. Nous demandons instamment au gouvernement de respecter son engagement de mettre en œuvre ce droit dans un avenir immédiat afin de garantir l'équité et la reconnaissance de la contribution des artistes à la richesse culturelle et économique du Canada. »

« L'absence d'inclusion du droit de suite des artistes dans ce budget est une incroyable déception pour la communauté artistique canadienne. Tout le monde sait à quel point ce droit aiderait les artistes en arts visuels canadiens à se remettre de la pandémie et leur permettrait de bénéficier d'une nouvelle source de revenus pour les années à venir », a déclaré April Britski, directrice générale nationale de CARFAC, qui se bat depuis près de vingt ans pour que ce droit soit inscrit dans la législation canadienne. « Nous continuerons à travailler avec le gouvernement pour qu'il respecte son engagement de présenter un projet de loi sur le droit de suite et pour que les artistes en arts visuels soient mieux rémunérés pour leur travail. »


Budget fédéral 2024 - La FNCC déplore le peu d'intérêt d'Ottawa pour la survie des médias

MONTRÉAL, le 18 avril 2024 - La Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC-CSN) salue la reconduction de certains financements en culture, aux festivals, aux arts vivants et au Fonds du livre, par le gouvernement fédéral, tout en déplorant le fait que ces financements soient ponctuels. La FNCC est également déçue qu'Ottawa n'ait pas annoncé de nouvelles mesures pour les médias qui sont en grande difficulté, particulièrement en région.

« Ottawa a certes bonifié de 42 millions de dollars le financement public de Radio-Canada, réduisant la nécessité d'abolitions de postes annoncée en décembre 2023. Nous saluons aussi la reconduction de l'Initiative de journalisme local annoncée en février. Mais qu'en est-il des autres médias ? La crise des médias, on ne l'invente pas. Elle se vit tous les jours. Ottawa doit en faire plus pour la résorber, c'est sa responsabilité de préserver l'information de qualité, qui est essentielle pour la démocratie », déclare Annick Charette, présidente de la FNCC.

La FNCC est présentement en campagne afin de mettre de l'avant des solutions structurantes à cette crise qui perdure. « Plusieurs solutions relativement simples sont à la portée d'Ottawa. Ne manque que la volonté politique du gouvernement fédéral ! », enchaîne Mme Charette.

La FNCC propose notamment que le crédit d'impôt à la masse salariale des médias d'information soit renforcé, en l'étendant aux salles de rédaction radio et télé. Pour la presse écrite, ce crédit pourrait être élargi afin de couvrir l'ensemble des emplois.

La FNCC propose aussi de doubler la déduction d'impôt pour les achats publicitaires auprès d'un média d'information. « Enfin, dans le contexte où des géants du numérique comme Meta rient de nos règles fiscales, il est aberrant que des organismes publics et des ministères fédéraux leur achètent encore de l'espace publicitaire. Le gouvernement fédéral devrait être cohérent en cessant immédiatement de transiger avec ce type d'entreprise et en adoptant une politique d'achat publicitaire responsable, visant à appuyer les médias d'information », continue Mme Charette.

Pour le secteur culturel, la FNCC et ses membres s'inquiètent du pourcentage de réponses positives aux projets soumis au Conseil des arts du Canada, qui semble se réduire actuellement. « Y a-t-il moins d'argent ? Là aussi, les besoins sont grands et l'action est urgente ! », termine la présidente.


Budget libéral - La CAQ doit injecter les fonds fédéraux dans les réseaux publics en crise, pas les dilapider en baisses d'impôt (FSSS-CSN)

MONTRÉAL, le 17 avril 2024 - La FSSS-CSN demande au gouvernement de la CAQ de réaffecter intégralement les fonds fédéraux destinés à des enjeux sociétaux, de santé, pour renforcer le filet social, non pas de dilapider les fonds en octroyant de nouvelles baisses d'impôt.

La Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), la plus grande organisation syndicale en santé et services sociaux, regrette que la Coalition avenir Québec ait laissé le champ libre au gouvernement du Canada qui piétine allègrement les plates-bandes du Québec.

« La CAQ a négligé les investissements requis pour répondre aux diverses crises qui ont actuellement cours et qui affaiblissent le filet social qu'il s'agisse de la crise du logement, de l'insécurité alimentaire, de la montée des problèmes de santé mentale, du manque de places dans les services de garde éducatifs à l'enfance », fait remarquer le président de la FSSS-CSN, Réjean Leclerc. « Elle a aussi préféré octroyer des baisses d'impôt qui profitent disproportionnellement aux mieux nantis plutôt que de s'attaquer aux maux du secteur public. »

Pas le choix

Dans ce contexte malheureux, les transferts budgétaires du fédéral, quoiqu'insuffisants, sont nécessaires et bienvenus… pourvu que le gouvernement de la CAQ se serve de l'argent pour réinvestir dans les réseaux publics de santé et services sociaux ainsi que dans les services de garde. Pas pour faire des chèques de 500 $ ou offrir des baisses d'impôt aux plus riches.

« Le gouvernement de la CAQ doit impérativement protéger les services publics du Québec en utilisant les transferts fédéraux pour s'attaquer aux nombreux enjeux qui secouent notre nation : santé, logement, services de garde, financement du communautaire, soins à domicile, etc. », réclame Réjean Leclerc.

Nouveaux revenus

La FSSS-CSN salue, par ailleurs, la décision d'Ottawa de chercher de nouveaux revenus dans les classes les plus aisées de notre société.

« Au lieu de pencher vers l'austérité, Québec devrait prendre des notes et s'octroyer de nouvelles sources budgétaires », avance Réjean Leclerc. « Des exemples : revoir la fiscalité trop avantageuse des grandes entreprises, diminuer les subventions aux riches corporations, éliminer l'évitement fiscal, taxer le patrimoine des 1% les plus fortunés, mettre en place un impôt sur les gains en capital, etc. »

Il y a de nombreuses mesures qui permettraient d'accroître les revenus de l'État et d'offrir les services auxquels les citoyennes et les citoyens sont en droit de s'attendre. Tout en favorisant le rétablissement du filet social, qui fait la fierté de la population québécoise.


Budget fédéral 2024 - Un pas vers plus de justice fiscale (CSN)

MONTRÉAL, le 16 avril 2024 - La CSN salue les augmentations d'impôt sur les gains en capital de plus de 250 000 $.

« C'est un pas vers plus de justice fiscale entre les mieux nantis et ceux qui gagnent leur argent en travaillant », déclare Caroline Senneville, présidente de la CSN.

Le gouvernement a ajouté plusieurs nouveaux programmes intéressants ces dernières années, mais il faudra qu'il pense à les consolider pour que la population en profite vraiment. C'est sans compter des programmes déjà en place depuis plusieurs années, comme l'assurance-emploi ou les transferts pour la santé, qui méritent d'être bonifiés.

« Ce sera tout un défi de mener tout ça à terme dans un délai raisonnable. Il y a beaucoup de pain sur la planche », ajoute la présidente.

La CSN est par ailleurs déçue qu'il n'y a pas de nouvelles mesures pour les médias qui sont en grande difficulté, particulièrement en région. L'information de qualité est essentielle pour la démocratie.

L'annonce d'un projet de loi sur le droit à la déconnexion pour les entreprises de compétence fédérale est une bonne nouvelle. La CSN tient à collaborer au projet de loi.

Toujours pas assez pour le logement

Les nouvelles dépenses d'Ottawa pour le logement, annoncées avant le budget, représentent un effort louable d'augmentation du nombre de logements, mais cela demeure insuffisant, surtout à court terme. La Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) prévoit qu'il faudrait construire 3,4 millions de logements d'ici 2030 pour atteindre une offre suffisante afin d'assurer un retour à l'abordabilité. Or, si ce n'est pas abordable, c'est impossible de se loger.


Réaction de la FTQ au budget fédéral : « La nature ayant horreur du vide, on comprend pourquoi le fédéral agit dans les "champs d'incompétence" de la CAQ » ‒ Denis Bolduc, secrétaire général de la FTQ

MONTRÉAL, le 16 avril 2024 - La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) salue plusieurs des mesures annoncées dans le budget fédéral, comme les investissements dans le logement, l'assurance médicaments ou l'aide alimentaire, et estime qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction pour répondre aux besoins de la population. La centrale considère qu'il est important pour le Québec de protéger ses champs de compétence, mais comprend les actions du palier fédéral face au gouvernement de la CAQ. Pour la FTQ, il faut s'attaquer à la vie chère, à la crise du logement, à l'aide alimentaire, aux soins dentaires ou à l'assurance médicaments. C'est pourquoi Québec et Ottawa doivent collaborer et s'entendre rapidement pour que les milliards de dollars sur la table aident ceux et celles qui peinent chaque jour à joindre les deux bouts.

« La population québécoise souffre encore beaucoup de l'inflation. Se loger est rendu inabordable, la fréquentation des banques alimentaires ne cesse d'augmenter et le phénomène de l'itinérance atteint des proportions alarmantes. Il ne faut donc pas se surprendre que le fédéral réagisse. La nature ayant horreur du vide, on comprend pourquoi le fédéral agit dans les "champs d'incompétence" de la CAQ », déclare le secrétaire général de la FTQ, Denis Bolduc.

« Devant l'urgence actuelle, il faut mettre de côté les chicanes de clôtures. Les deux paliers de gouvernement doivent collaborer pour que l'argent soit utilisé aux programmes auxquels il est destiné et non pour baisser les impôts, donner des chèques cadeaux pour se faire élire ou payer des millionnaires pour venir jouer au hockey », ajoute le secrétaire général.

Aussi, il faut saluer les mesures sur les gains en capital qui visent les mieux nantis. Il s'agit d'une mesure positive, mais beaucoup d'efforts restent à faire, notamment en ce qui concerne la lutte efficace contre l'évitement fiscal et l'évasion fiscale. Soulignons également le 1,5 milliard de dollars qui seront investis en culture et communautés.

Par ailleurs, la FTQ invite les oppositions à faire preuve de bon sens et à travailler avec le gouvernement Trudeau pour une adoption rapide du projet de loi anti-briseurs de grève et une mise en œuvre dès sa sanction royale. Les travailleurs et les travailleuses ne devraient pas attendre 18 mois comme ce qui est proposé à l'heure actuelle. Ottawa doit également bonifier l'assurance-emploi et poursuivre ses efforts pour l'instauration d'un régime public et universel d'assurance médicaments. « Au Québec, le régime hybride (public-privé) est complètement inadéquat. Trop de personnes à faible revenu se privent de médicaments faute d'argent. Il est déjà démontré qu'un régime public et universel permettrait d'économiser plusieurs milliards de dollars grâce à un plus grand pouvoir de négociation. La raison doit l'emporter sur les intérêts des lobbys pharmaceutiques et des compagnies d'assurances », conclut le secrétaire général.


Budget fédéral : des promesses reléguées aux oubliettes, déplore le Réseau FADOQ

MONTRÉAL, le 16 avril 2024 – Près de trois ans après la dernière élection fédérale, le Réseau FADOQ constate que le gouvernement du Canada semble abandonner définitivement les promesses faites aux électrices et électeurs aînés.

En 2021, le Parti libéral du Canada s'était engagé à bonifier le Supplément de revenu garanti (SRG), à créer un crédit d'impôt pour la prolongation de carrière et à améliorer le crédit d'impôt pour aidant naturel.

Aucune de ces mesures ne figure au budget fédéral dévoilé mardi.

« Nous sommes profondément déçus qu'aucun de ces engagements ne fasse partie du budget. Il s'agit de mesures qui feraient une différence dans la vie de centaines de milliers de personnes. Le gouvernement libéral avait entre autres l'occasion de s'attaquer à la détresse financière des personnes de 65 ans et plus en bonifiant le Supplément de revenu garanti. Ces personnes n'ont pas été entendues », déplore la présidente du Réseau FADOQ, Gisèle Tassé-Goodman.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral continue d'exclure les personnes de 65 à 74 ans de la bonification de 10 % du montant de la pension de la Sécurité de la vieillesse alors que cette augmentation est versée aux personnes de 75 ans et plus.

« Au Réseau FADOQ, nos membres de 65 à 74 ans nous parlent quotidiennement de cette exclusion à laquelle ils et elles font face. On ne devrait pas avoir deux classes de personnes aînées dans notre société, mais c'est ce qui se passe actuellement », souligne Mme Tassé-Goodman.

Rappelons qu'une personne de moins de 75 ans qui reçoit uniquement la Sécurité de la vieillesse et le SRG bénéficie d'un revenu annuel de seulement 21 45,72 $, ce qui se situe sous le seuil de pauvreté officiel du gouvernement fédéral. Avec un tel revenu, il est impossible de composer avec l'augmentation des prix à la consommation sans avoir à faire des choix déchirants dans la vie de tous les jours.

Des gestes à venir, mais un déploiement complexe

Le gouvernement du Canada a profité du dépôt du budget pour annoncer le financement de 1,5 milliard $ sur cinq ans à Santé Canada afin de soutenir l'établissement du Régime national d'assurance médicaments. Le nouveau financement fédéral ne remplacerait pas le programme public d'assurance médicaments existant du Québec, mais viserait plutôt à le bonifier et à l'élargir.

Le Réseau FADOQ tient à souligner que le déploiement du Régime national d'assurance médicaments du fédéral est timide, puisqu'il ne cible que la couverture universelle de nombreux contraceptifs et de certains médicaments contre le diabète.

Le gouvernement du Canada a également réitéré sa volonté de déposer un projet de loi sur les soins de longue durée sécuritaires afin notamment d'appuyer de nouvelles normes nationales et d'améliorer les soins de santé dans les établissements de soins de longue durée comme les CHLSD.

Bien que ces deux gestes démontrent une volonté politique, le gouvernement du Canada souligne néanmoins que leur concrétisation devra se faire avec le concours des provinces et territoires, présageant un déploiement long et complexe.

Des efforts en logement

Le gouvernement fédéral a également annoncé plusieurs mesures afin de juguler la crise actuelle du logement. Il prévoit notamment favoriser la construction de logements sur des terrains publics ou encore des terrains appartenant à Postes Canada et à la Défense nationale. Le gouvernement fédéral souhaite également convertir des immeubles de bureaux fédéraux sous-utilisés en logements et taxer les terrains vacants pour encourager la construction de logements.


Budget fédéral : déception sur toute la ligne (Conseil national des chômeurs et chômeuses)

Montréal, le 16 avril 2024 – Le budget fédéral s'avère une grande déception pour le Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC).

« Il n'y a rien. Pas de réforme, même pas de mesures ciblées pour que le programme soit plus juste, plus équilibré et plus protecteur pour les travailleurs et les travailleuses », a déclaré Pierre Céré, porte-parole du CNC. « Comme à a chaque année, le gouvernement prolonge la mesure des cinq semaines de prestations supplémentaires aux travailleurs et travailleuses saisonniers de 13 régions du Canada. Encore une fois, du temporaire et c'est trop peu. Cette mesure est un copier-coller du dernier budget 2023, c'est rire du monde ! ».

Le CNC critique également le refus du gouvernement de suivre ses propres projections pour résorber le déficit pandémique de la caisse de l'assurance-emploi, préférant plutôt réduire le taux de cotisation à un plancher historique, et s'empêchant de facto de faire des améliorations. « En refusant d'augmenter même minimalement le taux de cotisation, le gouvernement se prive d'argent, prolongeant le déficit de la caisse de l'assurance-emploi pour mieux justifier son inaction. Il se condamne lui-même à l'inaction », a déclaré le porte-parole.

Le CNC s'interroge finalement sur les raisons du revirement total du gouvernement, qui promettait encore l'année dernière une réforme complète de l'assurance-emploi, afin d'en faire un programme « digne du 21e siècle ».

« Pourquoi le gouvernement s'est engagé à réformer l'assurance-emploi s'il n'avait pas l'intention de le faire ? Il a engagé des dépenses, à hauteur de 5 millions de dollars, pour effectuer des consultations et des recherches. Il sait très bien ce qu'il faut faire. Il a donné très clairement sa parole, et a entretenu l'espoir. Qu'est-ce que les ministres attendent ? », a poursuivi Pierre Céré.

« Le gouvernement prévoit lui-même dans ce budget une augmentation des taux de chômage pour les deux années à venir, mais préfère ne rien faire. Le gouvernement devrait savoir que nous ne sommes pas à l'abri de crises et de catastrophes naturelles. Il semble préférer l'inaction et l'irresponsabilité », a conclu le porte-parole.


Budget fédéral 2024 : le gouvernement a les moyens d'en faire plus (IRIS)

OTTAWA, ON, le 16 avril 2024 - La ministre des Finances du Canada Chrystia Freeland a déposé aujourd'hui son 4e budget fédéral qui, en continuité des budgets précédents, ne cède pas à un conservatisme fiscal qui aurait été particulièrement inadapté aux crises actuelles.

Selon l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), la situation des finances publiques du Canada est loin d'être alarmante. Elle continue d'être enviable quand on la compare à celle des autres pays du G7. Ce faisant, le gouvernement devrait aller plus loin pour aider la population canadienne à faire face aux différentes crises que traverse le Canada.

Service de la dette historiquement bas en proportion du PIB

L'exercice budgétaire 2024-2025 prévoit des revenus de 497,8 G$ et des dépenses de 537,6 G$, pour un déficit annuel de 39,8 G$. Le service de la dette, qui atteindra 54,1 milliards cette année, demeure parmi les plus faibles des trente dernières années lorsque rapporté au PIB et à l'ensemble des revenus du gouvernement.

« L'idée reçue selon laquelle le Canada est surendetté ne résiste pas à l'épreuve des faits. Même avec le maintien des taux d'intérêt à un niveau élevé, le déficit et les frais d'intérêt encourus en pourcentage du PIB demeurent marginaux en 2024-2025 », remarque Colin Pratte, chercheur à l'IRIS.

Imposition des entreprises et des mieux nantis : un rattrapage nécessaire

Le gouvernement prévoit générer de nouvelles sources de revenus totalisant 6,5 milliards de dollars, principalement grâce à un rehaussement à 66% du taux d'inclusion des gains en capital, qui rapportera environ 4 G$ par année.

Le gouvernement aurait pu dégager encore plus de marge de manœuvre fiscale. Le Directeur parlementaire du budget a en effet calculé qu'un retour à un taux d'inclusion de 75% des gains en capital, c'est-à-dire le taux qui prévalait dans les années 1990, engendrerait des revenus additionnels de 13 G$.

Notons que le taux d'imposition des entreprises au fédéral a diminué de 60 % depuis les années 1980, passant de 37,8 % à 15 %.

« Il y a un énorme rattrapage à faire en matière d'imposition des entreprises au Canada ; le gouvernement est sur la bonne voie, mais devra aller plus loin s'il veut ''soutenir la classe moyenne'' pour faire face aux différentes crises », remarque Colin Pratte.


Budget fédéral 2024 - Toujours pas assez de logements d'ici 2030 (CSN)

MONTRÉAL, le 15 avril 2024 - Les nouvelles dépenses d'Ottawa pour le logement, annoncées avant le budget, représentent un effort louable d'augmentation du nombre de logements, mais cela demeure insuffisant.

La Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) prévoit qu'il faudrait construire 3,4 millions de logements d'ici 2030 pour avoir une offre suffisante afin d'assurer un retour à l'abordabilité. Or, si ce n'est pas abordable, c'est impossible de se loger.

« L'intention du gouvernement est bonne, mais ça ne permettra pas d'atteindre l'abordabilité dans le secteur du logement d'ici 2030. La demande est telle, qu'une stratégie canadienne en consultation avec tous les partenaires impliqués, dont les provinces, serait essentielle pour faire en sorte que toute la population puisse avoir accès à un logement décent, et ce, à coût accessible », affirme Caroline Senneville, présidente de la CSN, précisant que le financement et la main-d'œuvre devront être au rendez-vous si l'on veut que ce méga chantier aboutisse enfin.

La CSN estime que le déficit ne devrait pas empêcher de voir plus grand sur cet enjeu crucial. Le directeur parlementaire du budget estimait l'an dernier que le gouvernement fédéral pouvait accroître ses dépenses de 1,7 % du PIB, ou 49,5 G$, sans nuire à sa viabilité financière à long terme. Il serait par ailleurs possible d'augmenter les revenus d'Ottawa tout en assurant une meilleure redistribution de la richesse. La CSN propose, par exemple, une taxe sur les services numériques pour les géants du web, laquelle avait déjà été envisagée par le gouvernement fédéral. Comme il n'y a toujours pas d'entente multilatérale pour imposer ces entreprises, le Canada devrait mettre en place une telle taxe, dès 2024, comme annoncé dans le précédent budget.

Des promesses toujours en plan

Alors que le gouvernement Trudeau est en place depuis 2015, la réforme de l'assurance-emploi n'a toujours pas été réalisée et quelque 60 % des Canadiennes et des Canadiens qui perdent leur emploi n'ont pas le droit à des prestations. Les syndicats et plusieurs groupes communautaires exigent depuis plusieurs années des changements fondamentaux. Rien n'est fait.

Le régime d'assurance médicaments universel n'est pas encore en place, mais la CSN salue le premier pas dans cet important dossier. Il faudra toutefois aller plus loin que la couverture de deux médicaments et pour cela, il faudra une entente avec les provinces.

La décarbonisation de l'économie canadienne piétine. Ottawa doit être au rendez-vous pour appuyer des moyens concrets de réduction des émissions de carbone, comme l'augmentation de l'offre en transport en commun. « Les intentions sont là, mais l'atteinte des objectifs prend énormément de temps », conclut la présidente de la CSN, qui estime qu'il serait pourtant possible de se donner les moyens de faire ce qui doit être fait pour l'avenir de nos enfants.


Le FRAPRU commente les mesures du budget Freeland sur le logement : Un changement de cap souhaitable, mais beaucoup trop timide

MONTRÉAL, le 16 avril 2024 - Le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), un regroupement québécois pour le droit au logement, accueille favorablement certaines des mesures proposées dans le Plan du Canada sur le logement dévoilé vendredi et dont les détails seront annoncés dans le budget de la ministre Chrystia Freeland. Il estime cependant que le gouvernement Trudeau mise encore trop sur le marché privé pour s'attaquer à la crise du logement.

Sa porte-parole, Véronique Laflamme, explique cette réaction en demi-teinte « Depuis des années, le FRAPRU revendique un vigoureux changement de cap d'Ottawa dans ses investissements en logement pour qu'ils soient clairement dirigés vers le secteur sans but lucratif et l'aide aux personnes et aux familles qui vivent le plus durement les effets de la crise. La Défenseure fédérale du logement et le Conseil national du logement, deux entités mises sur pied par le gouvernement fédéral pour surveiller le droit à un logement adéquat au Canada, ont fait des recommandations allant dans le même sens. Certaines des mesures du Plan du Canada sur le logement qui seront confirmées aujourd'hui opèrent un tel virage, mais les incitatifs visant à encourager les promoteurs privés à construire, eux, ne peuvent résulter qu'en des logements totalement inabordables dans le contexte actuel ».

Des changements salués

Le FRAPRU salue l'ajout attendu dans le budget de 1 milliard $ pour le Fonds pour le logement abordable permettant « de soutenir davantage les fournisseurs de logements sans but lucratif, coopératifs et publics et de répondre aux besoins des personnes les plus touchées par la crise du logement ». Il considère cet investissement additionnel d'autant plus bienvenu qu'il permettra entre autres de pérenniser l'Initiative de création rapide de logements qui finance la réalisation de logements abordables permanents pour des personnes et des familles vulnérables.

Le regroupement se réjouit aussi de la création d'un Fonds canadien de protection des loyers de 1,5 milliard $ qui permettra l'acquisition de logements locatifs existants pour les sortir de la spéculation. « Le FRAPRU revendiquait une mesure similaire depuis des années », rappelle Véronique Laflamme, en ajoutant que les fonds prévus ne seront pas suffisants, puisque ce sont des contributions plutôt que des prêts qui devraient être accordées pour assurer la pérennité et l'accessibilité financière des logements sans but lucratif ainsi réalisés.

Le FRAPRU attend enfin avec impatience les détails du Programme de coopératives d'habitation doté d'un budget de 1,5 milliard $ et annoncé lors du budget 2022. Véronique Laflamme lance un appel à ce sujet : « Le modèle de coop d'habitation qui s'est historiquement développé au Québec est basé sur une mixité de revenus permettant entre autres à des ménages à faible revenu d'y avoir accès, grâce à une aide financière additionnelle. C'est aussi ce que devrait faire le nouveau programme dont les détails seront dévoilés à l'été 2024 ».

Trop pour les promoteurs privés

« C'est bien beau de vouloir construire plus de logements, plus rapidement, comme l'affirme le Plan du Canada sur le logement, mais il ne faudrait pas pour autant construire à n'importe quel loyer et augmenter ainsi le problème d'inabordabilité ». C'est en ces termes que Véronique Laflamme a fait part du désaccord du FRAPRU face à certaines mesures du Plan favorisant en grande partie les promoteurs privés et des logements qui sont majoritairement inabordables, dont l'ajout de 15 milliards $ dans le Programme de prêts à faible coût L'introduction d'une nouvelle mesure de déduction fiscale permettant aux constructeurs de « lancer davantage de projets en augmentant leur retour sur investissement après impôt » qui s'ajoute à l'élimination de la taxe sur les produits et services (TPS) sur les nouveaux projets d'appartements locatifs, peu importe leur loyer. « C'est dilapider indirectement des sommes qui seraient beaucoup plus utiles en logement social », insiste Véronique Laflamme.

Le FRAPRU s'inquiète finalement de l'utilisation que le gouvernement fédéral pourrait faire de ce qu'il appelle « un plan historique de terres publiques disponibles pour le logement ». Il craint que ce plan répète les erreurs de l'Initiative des terrains fédéraux, inaugurée en février 2019 et qui, en décembre 2023 avait permis la réalisation de 4000 logements mais dont 57 % n'étaient même pas abordables, selon les critères fédéraux déjà élastiques. Il ajoute qu'au Québec, cette initiative n'a jusqu'ici servi qu'à la réalisation de 12 logements. Le FRAPRU réclame que les terrains publics soient réservés au secteur sans but lucratif.

« Le gouvernement Trudeau semble avoir compris qu'il devait favoriser davantage le logement sans but lucratif qu'il ne le faisait jusqu'à maintenant avec sa Stratégie nationale du logement. Il doit cependant aller beaucoup plus loin et y concentrer ses investissements. Le logement social demeure le seul véritable moyen de s'attaquer en profondeur à la crise du logement dans toutes ses dimensions, dont la pénurie d'appartements, mais aussi leur inaccessibilité financière et il faut prendre tous les moyens pour augmenter rapidement la maigre part qu'ils occupent sur le parc locatif du Québec et du Canada », conclut la porte-parole du FRAPRU.

Le FRAPRU analysera le budget qui sera déposé aujourd'hui et y réagira. Il se réjouit de possibles mesures fiscales visant à faire contribuer davantage les très riches aux fonds publics en espérant que ces fonds permettront de lutter davantage contre les inégalités sociales en finançant massivement le logement social. Le regroupement espère que d'autres mesures fiscales favorisant de façon disproportionnée les propriétaires seront également revues.


De l’état du monde et du déni des gens qui nous gouvernent

16 avril 2024, par Pierre Mouterde
Pierre Mouterde Quelle étrange période que celle que nous vivons! Et sans doute faut-il désormais apprendre à aiguiser son regard pour tenter d’aller au-delà des apparences (…)

Pierre Mouterde Quelle étrange période que celle que nous vivons! Et sans doute faut-il désormais apprendre à aiguiser son regard pour tenter d’aller au-delà des apparences premières. Car c’est justement cela le propre des élites économiques, politiques et médiatiques de notre temps : être dans (…)

« L’art palestinien est une manière de se questionner politiquement »

16 avril 2024, par Amélie David
Entretien avec l’artiste palestinienne Shuruq Harb, menée par Amélie David, correspondante du journal Shuruq Harb est une artiste, réalisatrice et écrivaine palestinienne, (…)

Entretien avec l’artiste palestinienne Shuruq Harb, menée par Amélie David, correspondante du journal Shuruq Harb est une artiste, réalisatrice et écrivaine palestinienne, actuellement installée à Ramallah en Cisjordanie. Pour elle, l’art est une forme de résistance, qui prend ses racines dans (…)

Un boulevard pour l’industrie ou une ville durable

16 avril 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Pour revitaliser son côté Est, la ville de Rimouski prévoit d’acheter une quinzaine de terrains. Ce projet vise la (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Pour revitaliser son côté Est, la ville de Rimouski prévoit d’acheter une quinzaine de terrains. Ce projet vise la construction d’une voie d’accès pour que le quartier industriel rejoigne le port. Un projet de décontamination de la zone (…)

La pollution des industries en Abitibi-Témiscamingue

16 avril 2024, par MédiAT — , ,
22 mars 2024 | AMOS | https://mediat.ca - Une émission d'intérêt public où autour d'une table ronde, un panel discute d'un sujet qui implique des enjeux en (…)

22 mars 2024 | AMOS | https://mediat.ca -

Une émission d'intérêt public où autour d'une table ronde, un panel discute d'un sujet qui implique des enjeux en Abitibi-Témiscamingue.

Cette semaine, nous discutons de la pollution des industries en Abitibi-Témiscamingue.

Le panel de la semaine est : Guylaine Beauchemin, animatrice/productrice, Christian Péloquin, journaliste et Marc Nantel, porte-parole du regroupement Vigilance (Revimat).

Le travail d’entrepôt chez Amazon : un travail à hauts risques

16 avril 2024, par Félix Lapan, Virginie Robert — ,
Avec l'essor du commerce électronique, l'entreprise Amazon a connu une croissance continue de ses activités qui n'a pas ralenti avec la pandémie, bien au contraire. La (…)

Avec l'essor du commerce électronique, l'entreprise Amazon a connu une croissance continue de ses activités qui n'a pas ralenti avec la pandémie, bien au contraire. La multinationale a réussi à se positionner stratégiquement avec l'expansion du commerce en ligne. Cette croissance s'est évidemment accompagnée de l'ouverture de nombreux entrepôts et de centres de distribution partout dans le monde, notamment en Amérique du Nord. La grande région de Montréal en accueille plusieurs, dans lesquels sont à l'œuvre des centaines de travailleuses et de travailleurs chaque jour. Non syndiqués, ces travailleuses et travailleurs, souvent à statut précaire, sont soumis à des conditions de travail physiquement très exigeantes qui entrainent leur lot d'accidents et de maladies du travail. Les pratiques productivistes de l'entreprise semblent en effet faire bien peu de cas de la santé et la sécurité du travail.

Printemps 2024 | tiré du journal de l'UTTAM
https://uttam.quebec/journal/journal_printemps_2024_no3.pdf

Comme nous le verrons dans ce dossier, la prospérité de cette multinationale est en bonne partie tributaire des conditions de travail calamiteuses qu'elle impose à ses employés et de certaines pratiques douteuses en santé et sécurité du travail. Nous nous pencherons d'abord sur les exigences du travail d'entrepôt dans cette entreprise et les risques auxquels sont exposés les travailleuses et travailleurs. Nous examinerons ensuite les tactiques qu' utilise pour entraver la reconnaissance des lésions professionnelles.

Le travail d'entrepôt : un travail pénible, exigeant et dangereux

Un récent projet de recherche, mené conjointement par le Groupe interuniversitaire et interdisciplinaire de recherche sur l'emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS), le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTTI) et l'Association des travailleurs et travailleuses d'agence de placement (ATTAP) a brossé un portrait saisissant du travail dans le secteur de l'entreposage à Montréal.

Au terme d'une recherche-action centrée sur la réalité des travailleuses et travailleurs des entrepôts d'Amazon et de Dollarama, les chercheuses et chercheurs ont publié un rapport qui met en lumière de nombreux problèmes liés aux conditions de travail qui prévalent dans ces entreprises. Sorti en décembre dernier, ce rapport, intitulé « Mobiliser pour la santé et la sécurité du travail dans les entrepôts : des travailleurs et travailleuses d'agences au taylorisme numérique », est disponible en ligne [1] . Notre dossier découle à la fois des infor mations qu'on retrouve dans le rapport de ce projet de recherche et de témoignages que des travailleuses et des travailleurs d'entrepôts d'Amazon ont confié à l'uttam.

Des tâches et horaires qui épuisent les travailleuses et travailleurs

Le travail d'entrepôt est connu pour être associé à un risque élevé de blessures et de troubles musculosquelettiques. Chez ?mazon, les tâches et les horaires éreintants participent au problème et augmentent les risques auxquels sont exposés les travailleuses et travailleurs. Au total, plus des deux tiers (69,7 %) des travailleuses et travailleurs d' ?mazon interrogés dans le cadre de la recherche du GIREPS ont d'ailleurs déclaré que les horaires de travail de l'entreprise nuisent à leur santé. [2]

La formule la plus répandue pour les horaires de travail en vigueur dans les entrepôts d'Amazon prévoit 4 journées de 10 heures par semaine (soit 2 quarts de travail de 5 heures chacun par jour pendant 4 jours), auxquelles s'ajoute une 5e journée de 10 heures dans les périodes de pointe (période des Fêtes, par exemple). Les travailleuses et travailleurs peuvent d'ailleurs être tenus, par contrat, de travailler les fins de semaine et les jours fériés, surtout dans les périodes de fort achalandage (comme les « Prime Day », par exemple). À ceci, s'ajoute du temps supplémentaire « volontaire », mais que les travailleuses et travailleurs ne se sentent souvent pas en position de refuser. Le travail s'exécute en étant continuellement debout et les temps de repos pendant un quart de travail sont minimaux.

De tels horaires, qui impliquent de longues heures consécutives de travail physique, sont éreintants. À mesure que les heures passent, les travailleuses et travailleurs ressentent de plus en plus de fatigue physique pendant la journée. Plusieurs rapportent ressentir de la fatigue chronique ou de l'épuisement, après quelques mois de travail, et les journées de congé s'avèrent généralement insuffisantes pour rattraper la fatigue accumulée. Il semble que ce soit particulièrement vrai pour les travailleuses et travailleurs qui font les quarts de travail de nuit. Ce sentiment de fatigue ou d'épuisement entraine une diminution de la vigilance qui implique un risque accru d'incidents pouvant causer une blessure et une augmentation de la vulnérabilité face aux troubles musculosquelettiques. Enfin, le sentiment d'épuisement rend les travailleuses et travailleurs plus sensibles au stress et aux détresses psychologiques. Plusieurs se plaignent de ne plus avoir d'énergie pour quoi que ce soit d'autre, après leurs longues heures de travail, qu'il s'agisse de participer à un programme de francisation, de s'occuper de tâches domestiques ou de passer du temps de qualité avec leur famille.

De multiples risques de blessure

Les travailleuses et travailleurs identifient plusieurs risques auxquels ils sont exposés au travail et qui ont un impact direct sur leur santé. Une majorité (51,7 %) des travailleuses et travailleurs d' ?mazon interrogés dans le cadre de la recherche déclare en effet que leur état de santé s'est effectivement détérioré à cause de leur emploi, après en moyenne 13 mois et demi de travail [3] . Les salariés rapportent de la fatigue ou de l'épuisement, des douleurs aux jambes, aux pieds, au dos, au cou et aux membres supérieurs, ainsi que de l'anxiété ou de la dépression et de nombreux autres problèmes de santé. Deux travailleuses ou travailleurs sur trois (66,6 %) estiment par ailleurs que ce n'est qu'une question de temps avant que des douleurs ou de la fatigue ne les forcent à s'absenter du travail ou à quitter leur emploi. [4]

Le travail d'entrepôt implique aussi beaucoup de manipulations de charges, parfois lourdes, et souvent répétées. Des colis manipulés en vitesse, parce que l'employeur exige du rendement, sont souvent saisis dans des postures non ergonomiques. Certaines charges dépassent les vingt kilos et leur manutention dans une mauvaise posture pose un risque élevé de blessure. À elle seule, la répétition des gestes et des manipulations finit par entrainer des douleurs musculosquelettiques pour une grande proportion des travailleuses et travailleurs.

Des travailleuses et des travailleurs se blessent aussi en circulant dans l'entrepôt quand les lieux sont encombrés, lors de chutes d'objets ou en étant frappés par un équipement mobile. Parfois, des doigts se coincent entre des équipements et des colis ou des blessures surviennent quand la main d'une travailleuse ou d'un travailleur est écrasée entre les rouleaux d'une machine. D'autres rapportent des événements liés à des produits potentiellement toxiques qui se sont accidentellement répandus dans l'air sans que l'employeur n'agisse pour assurer la sécurité des travailleuses et travailleurs exposés. D'autres contraintes liées à l'environnement de travail, telles que la chaleur l'été, le froid en hiver et le bruit constant et élevé dans l'entrepôt, peuvent également causer des problèmes de santé.

La qualité de la formation offerte aux employés à la suite de leur embauche est très variable. Si elles permettent parfois d'enseigner de bonnes méthodes de travail, notamment pour la manutention, dans les périodes où l'entreprise procède à de très nombreuses embauches sur une courte période, les formations sont souvent expéditives. Les travailleuses et travailleurs qui intègrent un entrepôt après une formation déficiente courent un risque particulièrement élevé de se blesser.

Les pratiques productivistes chez Amazon

Les méthodes qu' ? Amazon utilise pour mesurer la productivité des travailleuses et des travailleurs, et exiger d'eux le maximum de rendement, contribuent aussi grandement aux risques à la santé et à la sécurité. Pour plusieurs postes de travail, dans plusieurs de ses entrepôts, l'entreprise établit des quotas à atteindre, tels qu'un nombre de colis à scanner à l'heure. Les travailleuses et travailleurs qui dépassent leurs objectifs gagnent des « points » qu'ils peuvent éventuellement échanger contre des produits corporatifs « Amazon » gratuits. Au contraire, ceux qui n'atteignent pas les objectifs reçoivent des avertissements et, éventuellement, des sanctions.

Ces systèmes de punitions et récompenses encouragent évidemment le travail à très grande vitesse et la réduction du temps de repos, ce qui augmente les risques pour les travailleuses et travailleurs.

Ce ne sont pas tous les postes de chaque entrepôt qui sont assujettis à de tels quotas. Pour certains postes, il est difficile de quantifier ainsi le rendement. Plusieurs machines imposent elles-mêmes un rythme de travail élevé. L'entreprise utilise aussi d'autres tactiques pour garantir la productivité maximale des salariés, en comptabilisant, par exemple, le temps passé aux toilettes ou le nombre de fois qu'une travailleuse ou un travailleur va boire de l'eau.

Toutes ces pratiques productivistes ne mettent pas seulement en danger la santé physique des employés, elles sont aussi une source importante de stress, selon ce que rapportent un grand nombre de travailleuses et de travailleurs, et contribuent à leur usure sur le plan psychologique.

Quand des travailleuses et travailleurs tentent d'exercer leurs droits à la prévention

Conscients des problèmes de santé et sécurité du travail chez Amazon, des travailleuses et travailleurs de l'entreprise ont tenté, au cours de la dernière année, d'exercer leurs droits dans l'espoir de faire changer les choses. Rappelons que depuis avril 2022, la Loi sur la santé et la sécurité du travail prévoit que dans tous les milieux de travail de 20 salariés ou plus, un comité de santé et de sécurité du travail doit être formé et que des travailleuses et travailleurs doivent être élus par leurs pairs pour y siéger, tout comme une représentante ou représentant des salariés, disposant d'un temps de libération pour faire de la prévention.

Malheureusement, quand des travailleuses et des travailleurs d'entrepôts de la Grande région de Montréal ont tenté de former des comités de santé et de sécurité comme la loi le leur permet, Amazon leur a appris que de tels comités existaient déjà. Les travailleuses et travailleurs siégeant sur ces comités avaient en fait été choisis par l'employeur, sans élection. Quand des travailleuses et travailleurs ont exigé la tenue d'une assemblée pour élire leurs représentants, l'employeur a répliqué en organisant lui-même des élections, sans assemblée. Amazon a plutôt invité les salariés des entrepôts concernés à voter, par un moyen électronique, entre les candidates et candidats sélectionnés par l'entreprise elle-même, ignorant des travailleuses et travailleurs qui avaient manifesté leur intérêt.

Ces pratiques ne sont pas conformes à la loi, qui prévoit que ce sont les travailleuses et travailleurs, et non l'employeur, qui doivent choisir ou élire leurs représentants. Pour les salariés, il est impossible d'avoir confiance en des représentants sélectionnés par l'employeur selon des critères obscures, répondant aux besoins et intérêts de la compagnie.

Face à ces situations, des travailleuses et travailleurs se sont adressés à la CNÉSST, ce qui a conduit à des visites d'inspection de la Commission dans les entrepôts d'Amazon. Une toute récente recherche publiée par l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS) [5] a recensé les rapports de ces interventions. Si ces visites ont parfois confirmé qu'Amazon n'avait pas permis la tenue d'assemblée et l'élection des représentantes et représentants en santé et sécurité du travail par les travailleuses et travailleurs, elles n'ont eu que peu de suivis et ont mené à peu de changements concrets jusqu'ici. Tout au plus, l'entreprise a parfois été avertie qu'il faudrait permettre aux travailleuses et travailleurs d'élire des représentants la prochaine fois pour remplacer ceux que la compagnie avait choisis.

Le jeu d'obstruction d'Amazon et la mise en échec des droits des travailleuses et travailleurs

Avec la pénibilité du travail chez Amazon et le peu de soucis de ce géant de l'entreposage pour la santé de ses travailleuses et travailleurs, les lésions professionnelles y sont monnaie courante. Cependant, ce qui ajoute l'insulte à l'injure, c'est qu'Amazon met en place des pratiques et des tactiques de mise en échec des réclamations à la CNÉSST de ses travailleuses et travailleurs et, lorsque cette mise en échec ne fonctionne pas, de judiciarisation du processus de réparation.

Les pratiques et les stratégies relatées ici sont des procédés que nous avons vus être mis en œuvre dans les dossiers de travailleuses et travailleurs que nous avons aidés. Ces pratiques surviennent assez régulièrement pour y voir une stratégie de la part d'Amazon, contrairement à des pratiques isolées. Nous exposerons donc ces pratiques dans l'espoir de préparer les travailleuses et travailleurs à les déjouer et ultimement regagner leurs droits aux soins, aux traitements et aux indemnités.

La stratégie AmCare

Qu'est-ce que AmCare ? Il s'agit du service d'infirmerie industrielle de la compagnie, Amazon Care. Au Québec, le « service » AmCare n'est pas présent dans tous les entrepôts, contrairement aux États-Unis où la pratique semble plus répandue. L'infirmerie a par ailleurs bien mauvaise presse aux États-Unis, avec raison [6]. Amazon y a été mise à l'amende à quelques reprises pour avoir omis de respecter ses obligations en vertu de la Occupational Safety and Health Act, une loi analogue à la Loi sur la santé et la sécurité du travail. C'est notamment l'absence de déclaration dans leur registre des consultations auprès d'AmCare qui leur a valu des amendes [7]. Aux États-Unis, comme au Québec, il semble bien qu'AmCare serve le géant de la même façon : contourner les législations en vigueur et remettre les travailleuses et les travailleurs à la tâche le plus rapidement possible au détriment de leur santé.

Dans les dossiers des travailleuses et travailleurs aidés par l'uttam, l'effet le plus visible d'AmCare est le refus presque systématique des réclamations pour accident du travail. En effet, en misant sur leur position en tant que service d'infirmerie d'usine, le service AmCare prône un retour rapide sur le plancher des travailleuses et travailleurs qui les consultent pour des douleurs liées au travail, tout en négligeant de faire remplir des rapports d'incidents. En fait, AmCare mise à la fois sur sa position d'autorité et sur la méconnaissance des droits de ses travailleuses et travailleurs, afin de rendre toutes futures réclamations presque systématiquement rejetées par la CNÉSST.

Pour illustrer le propos, voici l'exemple d'une situation typique que nous avons vue se jouer dans les dossiers des travailleuses et travailleurs qui réclamaient à la CNÉSST à la suite d'un accident chez Amazon :

La travailleuse ressent une douleur au travail qui devient peu à peu intolérable. Elle informe son chef de ligne et ce dernier lui propose, en premier, un repos temporaire de quelques minutes, tout au plus, qui sera comptabilisé comme son temps de pause-café. Si à la fin de ce repos, la douleur est toujours présente, on lui suggère d'aller voir AmCare, accompagnée de son superviseur.

Chez Amcare, on la questionnera sur sa position de travail : a-t-elle bien suivi les consignes pour lever les boites ? A-t-elle fait les échauffements indiqués sur son écran ? N'avait-elle pas des douleurs avant de venir travailler ? Puis on finira la courte consultation en proposant deux choix : un retour à la maison qui sera comptabilisé comme une absence non-justifiée, considérant que les absences cumulées peuvent mener au congédiement, ou des tâches allégées pour le reste de la journée. On lui demande donc de choisir entre sa sécurité d'emploi ou sa santé. Évidemment, jamais il ne sera question de remplir un rapport d'incident. Ni AmCare, ni le superviseur n'en feront mention, et cela, même si la travailleuse indique que la douleur est bien survenue durant l'exécution de ses tâches et à son poste de travail. Le déroulement de la rencontre suggère, par ailleurs, très souvent que c'est la faute de la travailleuse si elle a mal, et cette culpabilisation fonctionne très bien ! Elle incite à ne pas en demander davantage, voire à être reconnaissante de l'accommodement offert si généreusement…

On procède à l'accommodement maison sans en conserver de trace. Jusqu'au moment où, plusieurs jours plus tard, Amazon demandera à la travailleuse, qui demande toujours des tâches allégées, d'aller faire remplir un document « d'accommodement pour une condition personnelle » chez un médecin.

Lors de ce rendez-vous, la travailleuse, qui expliquera à son médecin la situation, ressortira fort probablement, à juste titre, avec une attestation médicale et une date d'événement remontant à la première rencontre avec AmCare. Elle devra toutefois attendre son horaire habituel pour se rendre sur les lieux du travail, l'employeur étant inaccessible aux travailleuses et travailleurs non assignés à l'horaire en cours… mesure antisyndicale oblige ! Amazon recevra donc l'attestation médicale de la CNÉSST quelques jours après la consultation médicale et prétendra n'avoir jamais été informée de l'accident de la travailleuse avant la réception de cette attestation. Et le tour est joué pour Amazon.

En effet, entre le passage chez AmCare, consultation pour laquelle la travailleuse n'a aucune trace, et la remise de l'attestation médicale, il peut s'écouler 5-10-15, voire 20 jours. Pour la CNÉSST, ce délai de déclaration à l'employeur, et ce délai de consultation chez le médecin, justifient à eux seuls le refus quasi automatique de la réclamation d'accident. Même en présence d'une blessure survenue sur les lieux du travail et dans l'exécution des tâches, qui permettraient à la victime d'accident du travail de bénéficier de la présomption, la CNÉSST refusera la réclamation. Les déclarations verbales de la travailleuse ne valent pas beaucoup, comparativement à la négation mur à mur de l'employeur qui prétend « n'avoir jamais été informé de la situation ».

Amazon , une culture de crainte et de silence

La stratégie de l'employeur semble assez efficace, puisque le nombre de travailleuses et travailleurs d' ?mazon qui essuient des refus à la CNÉSST est très élevé. Tellement que le mot se passe dans les entrepôts de ne pas perdre son temps avec la CNÉSST ; qu'Amazon c'est trop gros, c'est trop fort. Et on les comprend…

Les efforts déployés par ?mazon pour empêcher la reconnaissance des lésions professionnelles, dès la première instance, amènent les travailleuses et travailleurs à entreprendre le chemin de croix du Tribunal. Pour les travailleuses et travailleurs d'Amazon, particulièrement celles et ceux qui ont des barrières linguistiques [8] , la montagne apparait insurmontable. Et c'est à ce moment qu'Amazon emploie sa deuxième stratégie pour mettre en échec les droits des travailleuses et travailleurs : la transaction. Si vous cherchez un jugement impliquant Amazon en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, vous n'en trouverez qu'un seul... qui refuse la réclamation d'un travailleur. C'est qu'Amazon règle tous ses litiges par transaction, souvent sans reconnaissance de la lésion et avec des clauses de confidentialité qui empêchent les victimes de parler de leurs expériences. L'entreprise achète le silence des travailleuses et travailleurs qu'elle rend malades. Et ça, c'est lorsqu'elle ne réussit pas à cultiver suffisamment de craintes pour les amener à simplement abandonner leurs recours.

L'aura de cette Amazon monstrueuse n'épargne pas non plus les travailleuses et travailleurs qui ont réussi à faire reconnaitre leurs lésions en déjouant la stratégie AmCare. Celles et ceux dont la lésion est reconnue directement par la CNÉSST recevront assurément l'acte introductif d'Amazon qui contestera leur réclamation au Tribunal. De plus, comme beaucoup d'employeurs le font, l'entreprise utilisera, au maximum de sa capacité, l'arsenal des droits que prévoit la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour aider les patrons à rendre le parcours de réparation difficile : évaluations médicales à répétition, propositions d'assignation temporaire répétées... de quoi épuiser même les travailleuses et travailleurs les plus vigoureux. Et il y a aussi tous ses petits irritants soudains : avertissements disciplinaires sur la performance, messages répétés de risque de perte d'emploi à cause « d'absence non justifiée », cafouillage administratif créant des surpayés avec la CNÉSST, etc. C'est presque si, par hasard, la victime de lésion professionnelle était aussi victime de mauvaises gestions internes de l'entreprise…

Pour contrer Amazon : résistance et solidarité

Face à un employeur comme Amazon, les travailleuses et travailleurs doivent faire preuve de beaucoup de courage pour défendre leurs droits et revendiquer des changements. Pour résister contre une telle multinationale, motivée par la soif de profits et disposant d'énormes moyens pour écraser les salariés, les travailleuses et travailleurs ne peuvent opposer que leur solidarité et leur détermination.

C'est ce que commencent à faire plusieurs travailleuses et travailleurs de l'entreprise, qui prennent des risques pour revendiquer des changements. On ne peut qu'admirer le courage de ces non syndiqués qui défendent leurs droits en santé et en sécurité tout en sachant qu'ils s'exposent à des représailles, alors qu'ils sont souvent dans des situations précaires. Soulignons aussi la détermination des victimes de lésions professionnelles qui, malgré les obstacles, défendent leurs droits face à ce géant et ne reculent pas devant des batailles de David contre Goliath au Tribunal.

Souhaitons que la persévérance et la solidarité de ces travailleuses et travailleurs finissent par triompher de l'insouciance d'Amazon pour la santé de ses employés et de son mépris pour leurs droits.

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[1] Mobiliser pour la santé et la sécurité du travail dans les entrepôts : des travailleurs et travailleuses d'agences au taylorisme numérique, https://iwc-cti.ca/wp-content/ uploads/2023/12/Rapport-Entrepot-version-web-finale-3.pdf.

[2] Ibid., p. 29.

[3] Ibid., p. 31.

[4] Ibid.

[5] Santé et sécurité au travail – Le déficit de participation dans les milieux non syndiqués au Québec, Mathieu Charbonneau, IRIS, étude publiée le 29 février 2024 et disponible en ligne à l'adresse https://iris-recherche.qc.ca/ publications/droits-travail-non-syndique/.

[6] Voir par exemple : WIRED, How Amazon's In-House First Aid Clinics Push Injured Employees to Keep Working, 2019, https://www.wired.com/story/amazons-first-aid-clinics-pushinjured-employees-to-keep-working/ ou Irene Tung et all, Injuries, Dead-End Jobs, And Racial Inequity In Amazon's Minnesota Operations, National Employment Law Project, décembre 2021, https://www.nelp.org/wp-content/uploads/ Report-Injuries-Dead-End-Jobs-and-Racial-Inequity-inAmazons-Minnesota-Operations-.pdf.

[7] Exemple d'un constat d'infraction : https:// www.osha.gov/ords/imis/establishment.violation_ detail ?id=1611567.015&citation_id=01001.

[8] Voir Mobiliser pour la santé et la sécurité du travail dans les entrepôts : des travailleurs et travailleuses d'agences au taylorisme, qui relève l'importante présence de travailleuses et travailleurs issus de l'immigration dans les entrepôts d'Amazon.

À propos du travail et des pratiques militantes du Centre des travailleuses et travailleurs immigrants (CTI)

16 avril 2024, par Martin Gallié, Manuel Salamanca Cardona — ,
Voici comment le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) définit sa mession. "Le CTI défend les droits du travail des immigrants et se bat pour la dignité, le (…)

Voici comment le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) définit sa mession. "Le CTI défend les droits du travail des immigrants et se bat pour la dignité, le respect et la justice. Voici quelques-uns de nos principaux objectifs :

- L'éducation populaire sur les droits des travailleurs
- L'amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs immigrants
- Mobilisation autour des questions liées au lieu de travail (accidents du travail, harcèlement, salaires ou heures supplémentaires non payées, congés de maternité, etc.)
- Fournir un espace sécuritaire aux travailleurs immigrants pour recevoir des informations, des ressources et des recommandations en toute confidentialité."

L'entrevue réalisée par Martin Gallié permet de voir comment cette mission se réalise concrètement comme un combat de tous les jours.

Le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (IWC-CTTI) est un espace de luttes à protéger et à promouvoir. C'est tout particulièrement le cas dans un contexte marqué par la montée du racisme, où la droite et l'extrême droite québécoise, relayées par une partie de la gauche, ne cessent de cibler les étrangers et les étrangères comme responsables de tous les maux de la société québécoise, que ce soit le délabrement du système de santé, le sous financement des services sociaux ou les coûts des loyers.

Manuel Salamanca Cardona, travailleur et militant de longue date au sein du CTTI revient dans cet entretien sur les luttes, les revendications et les activités du centre. Il décrit les conditions de travail et de vie des travailleurs et des travailleuses migrant.es, leur exploitation éhontée dans tous les secteurs d'activités mais tout particulièrement dans les métiers sous-payés et les plus pénibles (ouvriers agricoles, préposées aux bénéficiaires, restauration, manutentionnaires dans les entrepôts d'Amazon ou de Dollarama etc.) ; et cela, partout au Québec. Il raconte également comment ces travailleurs et ces travailleuses, - que tout le Québec appelait il n'y a pas si longtemps « nos anges gardiens » - sont privé.es des droits civils et politiques et du travail les plus élémentaires, légalement ou de facto, leurs isolement et l'absence de toute protection syndicale dans la plupart des cas.

Manuel insiste enfin sur la combativité, les luttes actuelles et l'urgence impérieuse de construire des solidarités concrètes, sur le terrain, pour faire face à la montée du racisme et lutter contre un système qui ne profite en pratique qu'è une toute minorité.


Version audio de l'entrevue :

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Le Canada doit suspendre le commerce d’armes avec Israël

16 avril 2024, par Collectif syndical — ,
Alors que les bombardements israéliens, qui ont déjà entraîné un nombre alarmant de morts civiles, se poursuivent dans la bande de Gaza, l'Alliance de la Fonction publique du (…)

Alors que les bombardements israéliens, qui ont déjà entraîné un nombre alarmant de morts civiles, se poursuivent dans la bande de Gaza, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), et le Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public (SNEGSP) demandent au gouvernement canadien de suspendre immédiatement le commerce d'armes et d'équipement militaire avec Israël.

10 avril 2024 | tiré de l'Aut'journal

Plus de 30 000 Palestiniennes et Palestiniens ont été tués à la suite des bombardements dans la bande de Gaza effectués par Israël en réponse à l'attaque du Hamas du 7 octobre dernier. Rappelons que lors de cette attaque, environ 1 200 personnes, dont une majorité de civils innocents, ont été tuées et plus de 200 personnes, dont des enfants, ont été prises en otage. On estime que 100 personnes sont toujours en captivité, et leurs familles ainsi que leurs communautés en souffrent. Un cessez-le-feu s'impose de toute urgence afin de permettre aux otages israéliens de retourner à la maison en toute sécurité et de mettre fin à la dévastation et aux morts à Gaza.

La majorité des Palestiniennes et Palestiniens tués par des frappes aériennes israéliennes à Gaza sont des civils. Constat alarmant : environ le tiers sont des enfants. Des dizaines de milliers de Palestiniennes et de Palestiniens ont été blessés et environ deux millions de personnes ont été déplacées. De plus en plus d'information circule sur la pénurie d'aide humanitaire et sur les problèmes de famine et de santé qui touchent la population. On rapporte également de troublantes attaques contre des civils et des infrastructures, dont des établissements de soins de santé. Maintenant, l'armée israélienne menace de mener une offensive terrestre à Rafah. Pourtant, c'est vers Rafah qu'on a dirigé plus d'un million de Palestiniennes et de Palestiniens fuyant les frappes aériennes israéliennes dans le nord de la bande de Gaza.

Le Canada exporte de l'équipement militaire en Israël, entre autres via les États-Unis. Ce faisant, il risque de se rendre complice de la violence et des violations des droits de la personne qu'Israël commet à Gaza. Le Canada importe également de l'équipement militaire d'Israël, ce qui, selon des groupes antiguerre, soutient l'industrie et les opérations militaires d'Israël.

En plus des appels urgents pour un cessez-le-feu permanent et une aide humanitaire, de plus en plus de syndicats, de membres de la société civile, d'organisations humanitaires et de dirigeant(e)s élu(e)s de partout dans le monde appellent à un embargo sur la vente d'armes à Israël afin d'aider à mettre fin à la terrible violence dans la bande de Gaza.

D'autres pays, dont la Belgique, l'Italie, l'Espagne et les Pays-Bas, ont suspendu les transferts d'armes vers Israël. Les experts des droits de la personne des Nations Unies (en anglais seulement) ont sonné l'alarme, avertissant que l'envoi à Israël d'armes, de munitions et de pièces qui seraient utilisées dans la bande de Gaza constitue probablement une violation du droit humanitaire international. En vertu de traités internationaux, des pays – dont le Canada – ont l'obligation légale de s'abstenir d'envoyer des armes, des munitions ou des pièces si on croit qu'elles seront utilisées pour violer le droit international. Les gouvernements doivent également rejeter les demandes de permis d'exportation d'armes qui pourraient être utilisées pour commettre des actes de violence à l'égard de femmes et d'enfants.

La récente décision de la Cour internationale de Justice (CIJ), qui a confirmé un risque plausible de génocide dans la bande de Gaza et ordonné à Israël de prévenir des actes de génocide, amplifie l'importance et l'urgence de respecter nos obligations. En tant que signataire de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le Canada doit se conformer à la décision de la CIJ et prendre toutes les mesures possibles pour prévenir un génocide dans un autre pays.

Des données récentes obtenues par The Maple (en anglais seulement) concluaient que le gouvernement canadien avait approuvé des exportations militaires vers Israël d'une valeur de 28,5 millions de dollars entre octobre et décembre 2023.

Au mois de mars, à la suite de la motion non contraignante présentée à la Chambre des communes, le gouvernement canadien s'est engagé à cesser d'approuver les demandes de permis d'exportation d'armes vers Israël. Il s'agit d'une première étape importante vers un embargo complet sur les armes.

Nous exhortons le gouvernement canadien à suspendre immédiatement le commerce d'armes et d'équipement militaire avec Israël, conformément aux obligations légales du Canada. Le Canada doit imposer un embargo sur les armes afin d'aider à mettre fin aux horreurs qui se produisent à Gaza.

En outre, nous réitérons nos appels pour que le gouvernement canadien :

• soutienne activement un cessez-le-feu immédiat et permanent ;
• demande le retour sécuritaire des civils gardés en otage par le Hamas ;
• exhorte fortement le gouvernement d'Israël à se conformer à la décision de la CIJ afin de prévenir des actes de génocide à Gaza, et à empêcher et punir toute incitation directe et publique à commettre un génocide ;
• assure la distribution sécuritaire de l'aide humanitaire à Gaza, et rétablisse notamment son financement de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) ;
• demande la fin de l'occupation du territoire palestinien comme étape cruciale pour une paix juste et durable dans la région.

Nous espérons que ces mesures aideront à soutenir des solutions politiques à long terme afin d'assurer la paix et la sécurité pour les peuples de Palestine et d'Israël, ainsi que pour tous les gens de la région.

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« L’État de Palestine » entre liquidation de la cause et poursuite de la lutte

Face à la catastrophe actuelle qui dépasse la Nakba de 1948 en horreur, atrocité, létalité, destruction et déplacement de population, « l'Autorité palestinienne » a lancé (…)

Face à la catastrophe actuelle qui dépasse la Nakba de 1948 en horreur, atrocité, létalité, destruction et déplacement de population, « l'Autorité palestinienne » a lancé depuis Ramallah une nouvelle requête au Conseil de sécurité des Nations Unies pour sa reconnaissance comme État membre de l'organisation internationale au même titre que les autres États membres. (Traduit de l'arabe.)

Gilbert Achcar
Professeur, SOAS, Université de Londres

Tiré de Blog médiapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/090424/l-etat-de-palestine-entre-liquidation-de-la-cause-et-poursuite-de-la-lutte
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.

La condition palestinienne s'est détériorée au-delà de tout ce qu'elle a connu en plus de 75 ans de souffrance et d'oppression, depuis que le mouvement sioniste s'est emparé de la majeure partie des terres de Palestine entre le fleuve et la mer et a achevé d'occuper ce qui restait moins de vingt ans après. Face à la catastrophe actuelle qui dépasse la Nakba de 1948 en horreur, atrocité, létalité, destruction et déplacement de population, « l'Autorité palestinienne » (AP) a lancé depuis Ramallah une initiative censée compenser les souffrances du peuple palestinien, à savoir une nouvelle requête au Conseil de sécurité des Nations Unies pour la reconnaissance de l'AP de Ramallah comme État membre de l'organisation internationale au même titre que les autres États membres.

Réjouis toi, peuple de Palestine. Tes énormes souffrances n'ont pas été en vain. Elles sont même sur le point de franchir un grand pas sur la voie d'une « solution » à ta cause, cette même « solution » (ici dans le sens de liquidation) à propos de laquelle Joe Biden – le partenaire du gouvernement sioniste dans la guerre génocidaire en cours sur la terre de Palestine – a affirmé, dès les premiers jours de la campagne effrénée lancée il y a plus de six mois, qu'il devenait urgent d'éteindre le volcan palestinien qui continue d'entrer en éruption inévitablement et par intermittence, mais à un rythme accéléré au cours des dernières années. La vérité est que Biden, à son retour à la Maison Blanche en tant que président, a cherché avant tout un « succès » politique facile au Moyen-Orient en s'efforçant d'amener le royaume saoudien à monter dans le train de la « normalisation avec Israël », que son prédécesseur, Donald Trump, avait engagé sur une nouvelle voie avec les Accords d'Abraham conclus avec la complicité des Émirats arabes unis.

Biden s'était rendu compte qu'essayer de faire avancer la soi-disant « solution à deux États » l'amènerait à une confrontation avec son « cher ami » Benjamin Netanyahu. Il choisit d'éviter cela pour des raisons opportunistes et en raison de sa passion pour le sionisme, auquel il a ouvertement déclaré un jour son adhésion personnelle. Les efforts de son administration se sont donc concentrés sur la voie de la « normalisation », négligeant celle de la « solution » jusqu'à ce que le volcan explosât à nouveau avec l'opération lancée par le Hamas et la guerre d'anéantissement menée par Israël qui s'en est suivie, sans précédent en folie et intensité de destruction depuis au moins un demi-siècle, non seulement au Moyen-Orient mais dans le monde entier. La « solution » (liquidation) est donc revenue sur la table, et le président américain a appelé à la « revitalisation » de l'AP de Ramallah. Cette dernière s'y est vite conformée, interprétant la demande à sa guise, non pas comme le remplacement par des élections démocratiques de son chef vieillissant et dépourvu de toute légitimité, mais plutôt comme le remplacement de son premier ministre par un autre aux ambitions politiques moindres, d'une manière qui n'a trompé personne.

L'AP s'est ainsi enhardie à exiger officiellement qu'on lui accorde un siège de membre ordinaire à l'ONU, au lieu de la seule décision qui aurait pu la racheter devant l'histoire, qui aurait été de déclarer la désobéissance civile à Israël de son « autorité », dépourvue de toute autorité sauf pour servir les objectifs de l'occupation et qui regarde, impuissante, non seulement l'anéantissement de Gaza, mais aussi le génocide rampant en cours en Cisjordanie même. Et s'il leur était impossible de mettre fin à leurs relations avec l'État sioniste, il aurait mieux valu pour eux d'annoncer la dissolution de leur « autorité » plutôt que de continuer à participer à la liquidation de la cause de leur peuple. Car s'ils sont aujourd'hui plus près que jamais d'obtenir le siège souhaité, ce n'est pas grâce à leurs prouesses diplomatiques, mais seulement parce qu'accorder à « l'État de Palestine » l'adhésion à part entière à l'ONU est devenu le moyen le moins coûteux pour les gouvernements occidentaux de prétendre contrebalancer quelque peu leur soutien inconditionnel à la guerre génocidaire en cours, qui a trop duré et s'est aggravée en horreur, jusqu'à l'actuel usage de la famine comme arme de guerre.

La Grande-Bretagne elle-même, par la bouche de son ministre des affaires étrangères et ancien premier ministre, a annoncé sa disposition à envisager de reconnaître « l'État » de l'AP, tandis que d'autres pays européens, dont l'Espagne suivi par la France, ont commencé à se préparer à une reconnaissance similaire. Il convient de noter que le même gouvernement britannique qui exprime sa disposition à cette reconnaissance, rejette l'appel lancé par des experts juridiques britanniques officiels et non officiels à cesser de fournir des armes à l'État d'Israël, car cela constitue une violation du droit international en partageant la responsabilité d'une guerre qui viole les règles les plus fondamentales de ce droit en matière de conduite des guerres. Il est donc devenu certain que les efforts visant à accorder à l'AP un siège régulier à l'ONU ne seront pas bloqués par un veto français ou britannique, de sorte que la seule question qui reste en suspens est de savoir ce que fera l'administration américaine. Elle a été la première à appeler à la création d'un « État palestinien », mais elle ne veut pas rompre complètement ses relations avec Netanyahu, ni d'ailleurs avec la majeure partie de l'establishment sioniste qui s'oppose à une telle démarche. Elle craint également de renforcer la position de Netanyahu en le présentant comme défenseur obstiné des intérêts sionistes face à toutes les pressions, y compris celles du grand frère et complice dans le crime. L'administration Biden pourrait donc à nouveau recourir à l'abstention sous un prétexte quelconque, avec une grande lâcheté.

Quant au résultat, il sera comme la montagne qui a accouché d'une souris, car accorder à la « Palestine » (c'est-à-dire près de dix pour cent de son territoire historique) un siège ordinaire à l'ONU n'est rien de plus qu'une souris en comparaison de l'immense montagne d'épreuves que le peuple palestinien a endurées et qu'il endure encore. Quelle valeur accorder, en effet, à un État fondé sur des territoires fragmentés sous le contrôle total de l'État sioniste, de telle sorte que sa prétendue souveraineté serait d'un type qui lui ferait envier les bantoustans créés dans le passé par le régime de l'apartheid en Afrique du Sud ?

Le seul progrès qui pourrait être réalisé par une reconnaissance internationale de l'État de Palestine serait que la première déclaration de cet État après sa reconnaissance inclue une insistance sur la cessation immédiate de l'agression en cours, un appel à imposer des réparations à l'État sioniste pour les crimes qu'il a commis, l'exigence que tous les détenus palestiniens soient libérés et que toutes les forces armées et colons sionistes soient retirés de tous les territoires occupés en 1967, y compris la Jérusalem arabe. Cela devrait être combiné avec un appel à la communauté internationale pour permettre le retour de tous les réfugiés palestiniens qui le souhaitent, et leur hébergement dans les colonies après l'évacuation des colons sionistes, tout comme les pionniers sionistes se sont installés dans les villes et villages palestiniens dont ils se sont emparés à la suite de la Nakba de 1948 après les avoir vidés de leurs habitants d'origine. Seule une telle position pourrait faire de la reconnaissance internationale de l'État de Palestine une étape dans la lutte au long cours contre le sionisme, au lieu d'être un pas vers la liquidation de la cause palestinienne.

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 9 avril en ligne et dans le numéro imprimé du 10 avril. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Crise mondiale, conflits et guerres : quel internationalisme pour le XXIe siècle ? Un tour d’horizon à l’heure de la « polycrise »

16 avril 2024, par Pierre Rousset —
Chaque puissance choisit les victimes qui lui conviennent et abandonnent les autres. Nous nous refusons à entrer dans ce type de logique. Nous défendons les droits des Kanaks (…)

Chaque puissance choisit les victimes qui lui conviennent et abandonnent les autres. Nous nous refusons à entrer dans ce type de logique. Nous défendons les droits des Kanaks en Kanaky quoi qu'en pense Paris, les Syrien.nes et les peuples de Syrie face à l'implacable dictature du clan Assad, les Ukrainiennes et Ukrainiens sous le déluge de feu russe, les Palestiniennes et Palestiniens sous le déluge des bombes US, les Portoricain.es sous l'ordre colonial étatsunien, », les peuples de Birmanie même quand la junte est soutenue par la Chine, les Haïtiens à qui protection et asile sont refusés par ladite « communauté internationale.

14 avril 2024 | tiré d'Europe solidaires sans frontières

Viento Sur - Il semble évident que nous nous trouvons dans le contexte d'une crise mondiale multidimensionnelle, dont l'une des caractéristiques est un relatif chaos géopolitique, dans lequel on assiste à une multiplication des guerres et à une aggravation des conflits inter-impérialistes, comment définirais-tu cette phase ?

Pierre Rousset -Vous vous référez à la « crise mondiale multidimensionnelle » (je dirais plutôt une crise planétaire). Je pense qu'il est important de s'y arrêter, avant d'aborder les questions géopolitiques. Cette crise, en effet, surdétermine tout et nous ne pouvons plus nous contenter de faire de la politique comme avant. Nous atteignons en effet le « point de bascule » que nous redoutions depuis longtemps, et ce bien plus vite que prévu.

Jonathan Watts, rédacteur en chef sur l'environnement global du Guardian, tire la sonnette d'alarme en titrant son article du 9 avril « Le dixième record mensuel consécutif de chaleur alarme et déconcerte les climatologues. ». En effet, « Si l'anomalie ne se stabilise pas d'ici au mois d'août, « le monde se retrouvera en territoire inconnu », déclare un expert en climatologie. […]. Cela pourrait signifier que le réchauffement de la planète modifie déjà fondamentalement le fonctionnement du système climatique, et ce bien plus tôt que les scientifiques ne l'avaient prévu ».

L'expert cité juge que cette stabilisation d'ici août est encore possible, mais quoi qu'il en soit, la crise climatique fait d'ores et déjà partie de notre présent. Nous sommes dedans et ses effets se font déjà dramatiquement sentir (le chaos climatique).

La crise globale à laquelle nous devons faire face affecte tous les domaines de l'écologie (pas seulement le climat) et leurs conséquences sur la santé (dont les pandémies). Elle concerne l'ordre international dominant (les dysfonctionnements insolubles de la mondialisation néolibérale) et la géopolitique des puissances, la multiplication des conflits et la militarisation du monde, la fabrique sociale intime de nos sociétés (fragilisée par la précarisation généralisée nourrie par tout ce qui précède)…

Qu'y a-t-il de commun à toutes ces crises ? Leur origine « humaine », en tout ou en large partie. La question de l'impact humain sur la nature n'est évidemment pas nouvelle. Quant à la croissance des émissions de gaz à effet de serre, elle remonte à la révolution industrielle. Cependant, cette « crise générale » est étroitement corrélée au développement du capitalisme d'après la Seconde Guerre mondiale et puis à la mondialisation capitaliste. Elle est caractérisée par la synergie entre un ensemble de crises spécifiques qui nous plonge dans une situation sans précédent aucun, à la frontière de multiples « territoires inconnus » et d'un point de bascule global.

Pour la qualifier de façon concise, j'aime le terme de « polycrise ». Il est certes un peu déroutant, étranger au langage du quotidien, mais il souligne, étant au singulier, que nous parlons d'UNE crise aux multiples facettes, qui résulte de la combinaison de multiples crises spécifiques. Nous n'avons donc pas à faire à une simple addition de crises, mais à leur interaction qui démultiplie leur dynamique, nourrissant une spirale mortifère pour l'espèce humaine (et pour une bonne partie des espèces vivantes).

Ce qui s'avère particulièrement révoltant, et pour tout dire hallucinant, est que les pouvoirs établis annulent aujourd'hui les maigrelettes mesures qui avaient été prise pour tenter de limiter un tant soit peu le réchauffement climatique. C'est le cas notamment des gouvernements français et britanniques. C'est aussi le cas des grandes banques aux Etats-Unis, ou celui des compagnies pétrolières. Au moment où il était évident qu'il fallait les renforcer, et diablement. Les très riches dictent leur loi. Ils ne considèrent pas que nous sommes tous dans le même bateau. Des régions entières de la planète sont en passe de devenir invivables, là où les hausses de température se combinent à des taux très élevés d'humidité dans l'air. Qu'à cela ne tiennent, ils iront vivre là où il fait encore bon.

Nous sommes entrés de plain-pied dans l'ère des pandémies. La destruction des milieux naturels a créé les conditions de promiscuités favorables à la transmission inter-espèce de maladies dont Covid est devenu l'emblème. La fonte du permafrost sibérien est annoncée et pourrait libérer des bactéries ou virus anciens contre lesquels n'existe ni immunisation ni traitement. En ce domaine nous risquons aussi d'entrer en territoire inconnu : la crise climatique est porteuse d'une crise sanitaire multidimensionnelle.

La catastrophe était prévisible et a été prévue. Nous savons maintenant que les grandes compagnies pétrolières avaient commandité dès le milieu des années 1950 une étude qui avait décrit avec une précision remarquable le réchauffement climatique à venir (dont elles ont néanmoins nié des décennies durant la réalité).

Nous n'avons pas fini de faire le tour des milles et une facettes de la « polycrise », mais il est peut-être temps d'en tirer quelques premières implications.

C'est autour des pôles que l'impact géopolitique du réchauffement climatique est le plus spectaculaire, surtout dans l'Arctique. Une voie de navigation interocéanique s'ouvre au nord, ainsi que la perspective d'exploitation des richesses du sous-sol. La compétition inter-impérialiste dans cette partie du monde prend une dimension nouvelle. La Chine n'étant pas un pays riverain de l'Antarctique, elle a besoin de la Russie pour y opérer. Elle fait payer à Moscou à l'est du continent eurasiatique le prix de sa solidarité sur le front ouest (Ukraine) en assurant son libre usage du port de Vladivostok.

En termes de géopolitique mondiale, je voudrais pointer l'importance de deux sujets qui ne sont pas mentionnées dans les questions qui suivent.

L'Asie centrale tout d'abord. Elle occupe une place pivot au cœur du continent eurasiatique. Pour Vladimir Poutine, elle fait partie de la zone d'influence privilégiée de la Russie, mais pour Pékin, c'est l'un des passages clés du versant terrestre de ses nouvelles « routes de la soie » en direction de l'Europe. Une partie complexe est actuellement engagée dans cette partie du monde, mais fort peu intégrée à nos analyses.

Par ailleurs, le réchauffement climatique nous rappelle l'importance cruciale des océans qui couvrent 70% de la surface du globe, jouent un rôle décisif dans la régulation du climat, abritent des écosystèmes vitaux, le tout étant menacé par la hausse de température des eaux. La surexploitation des ressources océaniques est, comme on le sait, un enjeu majeur, ainsi que l'extension des frontières maritimes qui ne posent pas moins de problèmes que les frontières terrestres. Une réflexion géopolitique globale ne peut faire l'impasse sur les océans, ainsi que sur les pôles.

Un autre aspect clef de la « crise multidimensionnelle » à laquelle nous sommes confrontés concerne évidemment la mondialisation et la financiarisation capitalistes. Elles ont abouti à la formation d'un marché mondial plus unifié que jamais dans le passé, afin d'assurer la liberté de mouvement des marchandises, des investissements et des capitaux spéculatifs (mais pas des personnes). Plusieurs facteurs sont venus perturber cette « mondialisation heureuse » (pour les grands possédants) : une stagnation des échanges marchands, l'ampleur prise par la finance spéculative et les dettes, la pandémie Covid qui a révélé les dangers de la division internationale des chaines de production et le degré de dépendance de l'Occident vis-à-vis de la Chine, contribuant à la modification rapide des relations entre Washington et Pékin (de l'entente cordiale à la confrontation).

Ce sont les grandes entreprises occidentales qui ont voulu faire de la Chine l'atelier du monde, afin d'assurer une production à faible coût et de casser le mouvement ouvrier dans leurs propres pays. C'est l'Europe qui a été à la pointe de la généralisation des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à laquelle Pékin a adhéré. Elles étaient toutes convaincues que l'ancien Empire du Milieu leur serait définitivement subordonné, et il aurait pu en être ainsi. Si ce ne fut pas le cas, c'est que l'aile marchante de la bureaucratie chinoise, une fois les résistances populaires brisées dans le sang (1986), a réussi sa mutation capitaliste, donnant naissance à une forme originale de capitalisme d'Etat.

Le capitalisme d'Etat a une longue histoire en Asie orientale, sous l'égide du Kuomintang (Guomindang) en Chine ou à Taïwan, en Corée du Sud… De par son histoire, la formation sociale chinoise est évidemment unique, mais elle combine assez classiquement le développement d'un capital privé et l'appropriation capitaliste des entreprises d'Etat. Nous n'avons pas à faire à deux secteurs économiques séparés (une économie fondamentalement duale) ; ils sont en effet étroitement liés par de multiples coopérations, ainsi que par le biais de clans familiaux présents dans tous les secteurs.

Sous l'égide de Deng Xiaoping tout d'abord, la Chine convertie au capitalisme a discrètement amorcé son envol impérialiste et a pu bénéficier de l'éloignement géographique des Etats-Unis, longtemps incapables de réaliser leur recentrage sur l'Asie (il n'a été assuré que par Joe Biden, dans la foulée de la débâcle afghane).

En conclusion de ce point, notons que :

• La situation géopolitique internationale reste dominée par le face-à-face entre un impérialisme établi (les Etats-Unis) et un impérialisme montant (la Chine). Ce ne sont bien entendu pas les seuls acteurs du grand jeu mondial entre puissances, petites et grandes, mais aucune autre ne pèse d'un poids comparable aux deux « super-puissances ».

• Ce conflit a pour particularité un degré très élevé d'interdépendance objective. Certes, la crise de la mondialisation néolibérale est patente, mais son héritage est toujours là. Il n'y a plus de « mondialisation heureuse », mais il n'y a pas non plus de « démondialisation (capitaliste) heureuse ». Les conflits géopolitiques sont à la fois le symptôme de cette situation de crise structurelle et en accentuent les contradictions. Dans une certaine mesure, nous sommes ici aussi entrés en « territoires inconnus », sans précédent.

• Tout en restant la principale « super puissance », l'hégémonie des Etats-Unis a subi un déclin relatif. Ils ne peuvent continuer à gendarmer le monde sans l'aide d'alliés fiables et efficaces qui manquent à l'appel. Ils sont affaiblis par la crise politique et institutionnelle provoquée par Donald Trump et ses conséquences diplomatiques durables (perte de confiance de leurs alliés). On peut dire qu'il n'y a plus d'impérialisme « classique », vu l'ampleur de la désindustrialisation qu'a connue le pays. Joe Biden mobilise aujourd'hui des moyens financiers et légaux considérables pour tenter de redresser la barre en ce domaine, mais ce n'est pas une tâche facile. Rappelons qu'un pays comme la France était incapable, même face à une urgence vitale (Covid), de produire du gel hydroalcoolique, des masques chirurgicaux et des FFP2, des blouses pour le personnel soignant. Cela ne relève pourtant pas de la technologie de pointe !

• La Chine était, en ce domaine, en bien meilleure position. Elle avait hérité de l'ère maoïste une base industrielle autochtone, une population au taux d'alphabétisation élevée pour le tiers monde, une classe ouvrière formée. Devenue atelier du monde, elle a assuré une nouvelle vague d'industrialisation (en partie dépendante, mais pas seulement). De gros moyens ont été investis pour assurer la production de technologies de pointe. Le parti-Etat a pu organiser le développement national et international du pays (il y avait un pilote dans l'avion). Ceci dit, le régime chinois est aujourd'hui plus opaque et secret que jamais. On sait comment la crise politico-institutionnelle affecte l'impérialisme US. Il est bien difficile de savoir ce qu'il en est en Chine. Cependant, l'hypercentralisation du pouvoir sous Xi Jinping, devenu président à vie, semble bien être maintenant un facteur de crise structurelle.

• Le déclin relatif des Etats-Unis et la montée en puissance inachevée de la Chine ont ouvert un espace dans lequel des puissances secondaires peuvent jouer un rôle significatif, au moins dans leur propre région (Russie, Turquie, Brésil, Arabie saoudite…). Ainsi, je pense que la Russie n'a pas cessé de placer la Chine devant une succession de faits accomplis aux frontières orientales de l'Europe. En agissant de concert, Moscou et Pékin étaient largement maîtres du jeu sur le continent eurasiatique. Cependant, il n'y a pas eu de coordination entre l'invasion de l'Ukraine et une attaque effective sur Taïwan.

Dans ce contexte, précisément, peut-on considérer que l'invasion russe de l'Ukraine et le soutien des puissances occidentales à l'Ukraine pour y faire face font de cette guerre une guerre inter-impérialiste qui nous amène à évoquer la politique de Zimmerwald (guerre à la guerre) pour y répondre ? Ou, au contraire, sommes-nous face à une guerre de libération nationale qui, bien que soutenue par les puissances impérialistes, oblige la gauche occidentale à se solidariser avec la résistance du peuple ukrainien contre l'invasion russe ?

Pierre Rousset : La politique de Zimmerwald était de demander une paix, sans annexions. Or, certaines des personnes qui se présentent comme des héritiers de Zimmerwald proposent de céder tel ou tel morceau de l'Ukraine à la Russie, d'y organiser des référendums pour valider leur séparation de l'Ukraine, etc., mais passons.

Le plus simple, pour répondre à cette question, est de reprendre le déroulé des événements. Une invasion se prépare en mobilisant aux frontières des moyens militaires considérables, ce qui prend du temps et se voit. C'est Poutine qui l'a fait. A ce moment-là, l'OTAN était en pleine crise politique, après l'aventure afghane, et le gros de ses forces opérationnelles en Europe n'avait pas été redéployé à l'Est. La préoccupation principale de Biden était la Chine et il essayait même encore de jouer Moscou contre Pékin. Les services secrets US ont été les premiers à alerter qu'une invasion était possible, mais l'avertissement n'a été pris au sérieux ni par les Etats européens ni même par Zelinsky lui-même.

En Europe occidentale, la plupart d'entre nous avions alors peu de contacts avec nos camarades est-européens (en particulier ukrainiens) et nous avons été nombreux à analyser les événements en termes uniquement géopolitiques (une erreur à ne jamais commettre), pensant que Poutine se contentait d'exercer une forte pression sur l'Union européenne pour attiser les dissensions post-afghanes au sein de l'OTAN. Si tel avait été le cas, l'invasion ne devait pas avoir lieu, car elle aurait l'effet inverse : redonner un sens à l'OTAN et lui permettre de resserrer les rangs. C'est bien ce qui s'est passé ! De plus, avant l'invasion russe, une majorité de la population ukrainienne souhaitait vivre dans un pays non aligné. Aujourd'hui, seule une très petite minorité envisage leur sécurité autrement qu'en alliance étroite avec les pays de l'OTAN.

Pour ma part, ce n'est que très peu de temps avant l'invasion que j'ai eu le sentiment qu'elle était possible, alerté par mon ami Adam Novak.

Nous en savons maintenant beaucoup plus : l'invasion avait été préparée depuis plusieurs années. Elle s'inscrit dans un grand projet de restauration de l'Empire russe dans les frontières de l'URSS stalinienne, avec Catherine II pour référence. L'existence de l'Ukraine n'était qu'une anomalie dont Lénine était coupable (selon les termes mêmes de Poutine) et elle devait réintégrer le giron russe. En fait, les Ukrainien.nes l'appellent l'invasion à grande échelle et soulignent que la subversion et l'occupation militaire du Donbass, Luhansk et Crimée en 2014 constituaient une première phase de l'invasion. L'« Opération spéciale » (le mot « guerre » était prohibé jusqu'à tout récemment et le reste en pratique) devait être très rapide et se poursuivre jusqu'à Kiev, où un gouvernement aux ordres serait établi. Les forces occidentales, prises de court, ne pourraient alors que s'incliner devant le fait accompli – et prises de court, elles le furent. Même Washington n'a réagi politiquement qu'avec un temps de retard.

Le grain de sable qui a fait s'enrayer la machine de guerre fut l'ampleur de la résistance ukrainienne, imprévue par Poutine, mais aussi en Occident. On peut vraiment parler d'une résistance massive, populaire, en osmose avec les forces armées. C'était une résistance nationale, à laquelle beaucoup de russophones ont participé (et tout l'éventail politique, à l'exception des obligés de Moscou). Pour qui en doutait, il n'y avait pas de preuve plus éclatante que celle-ci : l'Ukraine existe bel et bien. Nous sommes dans le second cas de figure que vous évoquiez.

Le temps n'efface pas cette vérité « originelle » et notre obligation de solidarité. Une double obligation de solidarité, j'ajouterais. Avec la résistance nationale du peuple ukrainien et avec les forces de gauche qui continent à lutter, en Ukraine même, pour les droits des travailleurs et des syndicats, pour les libertés d'association et d'expression, contre l'autoritarisme du régime Zelynsky et contre les politiques néolibérales (prônées par l'Union européenne)…

Bien évidemment, l'Ukraine est devenue un point chaud du conflit de puissances russo-occidental. Sans la fourniture d'armes par les Etats-Unis, notamment, les Ukrainien.nes n'auraient pas pu tenir de « fronts ». Cependant, avec constance, les fournitures d'armes ont toujours été en deçà de ce qu'il aurait été nécessaires pour mettre décisivement en échec Moscou. Jusqu'à aujourd'hui la maîtrise de l'air par l'armée russe n'a pas été contrée. Et les pays de l'OTAN se divisent à nouveau, alors que la crise préélectorale aux Etats-Unis bloque le vote des fonds à destination de l'Ukraine.

Après avoir eu la possibilité de construire des défenses en profondeur et de se réorganiser, Moscou continue à être le moteur de l'escalade militaire en Ukraine, avec l'aide des obus nord-coréens et des financements fournis par l'Inde ou la Chine (via la vente de produits pétroliers), et elle pousse la politique du fait accompli jusqu'à l'ignoble : la déportation d'enfants ukrainien.nes et leur adoption dans des familles russes.

Si oui, que répondre à ceux qui considèrent que le soutien à la résistance sert les intérêts des puissances occidentales (avec l'approbation du gouvernement Zelenski) qui veulent prolonger la guerre, sans se soucier des ravages (humains et matériels) qu'elle produit, et qu'il est donc nécessaire de promouvoir une politique active de défense d'une paix juste ?

Pierre Rousset : Je ne suis pas moi-même engagé activement dans la solidarité Ukraine. Je maintiens, à contre-courant de l'actualité, mes activités de solidarité Asie. Je me suis immergé dans la question israélo-palestinienne (c'est dur à vivre). Alors je resterais prudent.

Nous ressentons toutes et tous l'ampleur des ravages de cette guerre, d'autant plus importants que Poutine mène une guerre qui cible sans vergogne la population civile. C'est insupportable.

Cependant, ce n'est pas notre soutien, mais Poutine qui prolonge cette guerre. Il ne faut quand même pas diluer les responsabilités. Si par le terme de « paix juste » on entend une trêve indéfinie sur la ligne de front actuel, cela condamnerait cinq millions d'Ukrainien.nes dans les territoires occupés à vivre sous un régime d'assimilation forcée, avec en plusieurs autres millions déporté.es vers la Fédération russe proprement dite.

Je pense que le rôle du notre mouvement de solidarité est, avant tout, de contribuer à créer les meilleures conditions pour la lutte du peuple ukrainien et, en son sein, pour la gauche sociale et politique ukrainienne. Ce n'est certainement pas à nous de déterminer ce que pourrait-être les termes d'un accord de paix. Je pense qu'il nous faut être à l'écoute de ce que demandent la gauche ukrainienne, le mouvement féministe, les syndicats, le mouvement des Tatars de Crimée, les écologistes (entre autres), et de répondre à leurs appels.

Il nous faut aussi écouter la gauche et les mouvements contre la guerre en Russie même. La plupart des composantes de la gauche anticapitaliste russe pensent que la défaite de la Russie en Ukraine pourrait constituer l'élément déclencheur ouvrant une porte vers la démocratisation du pays et l'émergence de divers mouvements sociaux.

Celles et ceux qui dans la gauche occidentale prétendent que la gauche en Europe de l'Est « n'existe presque pas » se trompent.

Croire qu'un mauvais compromis ‑ sur le dos des Unkrainien.nes ­‑ pourrait mettre fin à la guerre est une illusion qui me paraît dangereuse. C'est oublier les raisons pour lesquelles Poutine est entré en guerre : liquider l'Ukraine et poursuivre la reconstitution de l'Empire russe, mais aussi s'emparer de ses richesses économiques (dont son agriculture) et instaurer un régime de nature coloniale dans les zones occupées.

L'appareil d'Etat poutinien est gangréné par les hommes des services secrets (KGB-FSB). Il est déjà intervenu dans toute sa zone de proximité, de la Tchétchénie à l'Asie centrale et à la Syrie. Il n'existe internationalement que par ses capacités militaires, ses ventes d'armes, de produits pétroliers ou agricoles…

J'ai une défiance totale envers « nos » impérialismes dont je connais les fortitudes et que je n'ai de cesse de combattre. Je ne m'en remettrai jamais à eux pour négocier ou imposer un accord de paix. Voyez ce que sont devenus les accords d'Oslo en Palestine !

Alors, il n'est pas question pour moi que les mouvements de solidarité « entrent dans la logique des puissances » (quelles qu'elles soient). Ils doivent garder leur complète indépendance vis-à-vis, notamment, des Etats et gouvernements (y compris celui de Zelensky). Je le répète, nous sommes à l'écoute des forces de gauche ukrainiennes ainsi que de la gauche antiguerre en Russie.

D'autre part, les Etats-Unis et l'UE utilisent la guerre russe en Ukraine et l'augmentation des tensions internationales comme alibi pour le réarmement et l'augmentation des dépenses militaires. Peut-on parler d'une « nouvelle guerre froide » ou même de la menace d'une guerre mondiale dans laquelle l'utilisation d'armes nucléaires n'est pas exclue ? Quelle doit être la position de la gauche anticapitaliste face à ce réarmement et à cette menace ?

Pierre Rousset : Je suis contre le réarmement et l'augmentation des dépenses militaires par les Etats-Unis et l'Union européenne.

Ceci étant dit, je pense qu'il faut élargir le propos. Une nouvelle course aux armements est engagée dans laquelle la Chine (et même la Russie) semble avoir l'initiative en plusieurs domaines, dont celui des armes supersoniques qui rendraient inopérants les boucliers antimissiles existants ou permettraient de cibler de très loin l'armada d'un porte-avion. Rien n'a été véritablement testé, à ma connaissance, et je ne sais pas ce qui est vrai ou relève de la science-fiction, mais d'autres camarades sont certainement plus savants que moi en ce domaine.

Cependant, la course aux armements est en elle-même un problème majeur. Pour les raisons usuelles (militarisation du monde, capture par le complexe militaro-industriel d'une part exorbitante des budgets publics…), mais aussi du fait de la crise climatique, qui rend encore plus urgente la sortie de l'ère des guerres en permanence. La production d'armement et leur utilisation n'entrent pas dans le calcul officiel d'émission des gaz à effet de serre. Un terrible déni de réalité.

La menace d'utilisation de l'arme nucléaire a été plusieurs fois brandie par Poutine, sans effet (je ne lui demande pas d'être cohérent avec ses déclarations). Je doute que la menace de guerre nucléaire découle directement du conflit ukrainien en cours (j'espère ne pas me tromper), mais je pense néanmoins que c'est (malheureusement) un vrai sujet. Là aussi je vais élargir le propos.

Il y a déjà quatre « points chauds » nucléaires localisés. L'un est situé au Moyen-Orient : Israël. Trois le sont en Eurasie : Ukraine, Inde-Pakistan, péninsule coréenne. Ce dernier est le seul à être « actif ». Le régime nord-coréen enchaîne périodiquement les essais et les tirs de missiles dans une région où stationne l'aéronavale US et se trouve le plus grand complexe de bases US à l'étranger (au Japon, surtout dans l'île d'Okinawa). Joe Biden a déjà fort à faire avec l'Ukraine, la Palestine et Taïwan et se passerait bien d'une aggravation de la situation dans cette partie du monde (la Chine aussi), situation dans laquelle la responsabilité de Trump a été lourdement engagée, mais celle du dernier rejeton de la dynastie héréditaire nord-coréenne aussi.

Petit problème : il faut vingt minutes à un missile nucléaire nord-coréen pour atteindre Séoul, la capitale du Sud. Dans ces conditions, l'engagement à ne pas utiliser le premier l'arme nucléaire devient difficile à appliquer.

La France fait partie des pays qui préparent politiquement l'opinion publique à l'usage éventuel d'une bombe nucléaire « tactique ». Il faut nous opposer vigoureusement à cette tentative de banalisation. Malheureusement, il y a une sorte de consensus politique national qui fait que l'on ne fait pas de « notre » arsenal nucléaire une question de principe pour conclure des accords politiques, y compris à gauche et même quand on est pour son abolition.

La question du réarmement, de la nouvelle course aux armements, du nucléaire doit impérativement faire partie de l'activité des mouvements antiguerres de part et d'autre des frontières. Ainsi, malgré les terribles violences intercommunautaires qui ont accompagné la partition de l'Inde en 1947, la gauche pakistanaise et indienne fait conjointement campagne pour le désarmement.

Peut-on parler de « nouvelle guerre froide ». Je trouvais dans le temps cette formule très eurocentrée. En Asie, la guerre était torride (l'escalade US au Vietnam). Aujourd'hui, que voudrait-elle dire, à l'heure de la guerre russe en Ukraine ? Je comprends qu'elle soit reprise dans la presse, dans un débat, mais je pense que nous ne devrions pas l'utiliser, et ce pour deux raisons principales :

• Elle rabat l'analyse sur une approche très limitée de la géopolitique. La guerre n'est en effet « froide » que du fait qu'il n'y a pas confrontation directe entre grandes puissances. Cela n'empêche pas, mais cela ne contribue pas à une analyse concrète des conflits « chaud ».

• De façon générale, je ne suis pas féru d'analogies historiques : « sommes-nous en… ». On n'est jamais « en… », mais dans le présent. Je sais que l'histoire contribue à expliquer le présent et que le présent contribue à revisiter le passé, mais la formule « nouvelle guerre froide » illustre bien ma réticence. La « première » Guerre froide opposait le « bloc occidental » au « bloc oriental ». A cette époque, le bloc soviétique et la Chine n'entretenaient que des rapports économiques limités avec le marché mondial capitaliste. La dynamique révolutionnaire se poursuivait (Vietnam…).

Aujourd'hui, le marché mondial capitaliste s'est universalisé. La mondialisation est passée par là. La Chine en est devenue l'un des piliers. L'interdépendance économique entre elle, les Etats-Unis et les pays ouest-européens est étroite. On ne peut rien comprendre à la complexité du conflit sino-étatsunien sans prendre pleinement en compte ce facteur. Pourquoi alors recourir à une vielle formule pour ajouter après : mais tout est différent, bien entendu.

Je dirais que le thème de la nouvelle guerre froide convient aux campistes des deux camps. Aux campistes qui veulent justifier leur soutien à Moscou et Pékin. Ou à celles et ceux qui veulent se ranger dans le camp de la Démocratie et des Valeurs occidentales contre les autocrates.

Un petit contrepoint pour terminer : Biden est un homme du passé. Il a appris à négocier les menaces nucléaires au travers de plusieurs crises majeures. Cette expérience peut aujourd'hui lui être encore utile.

Concernant la guerre d'extermination menée par l'Etat d'Israël à Gaza, quels sont les enjeux de cette guerre ? Pourquoi les Etats-Unis, malgré leur récente abstention au Conseil de sécurité de l'ONU, continuent-ils à soutenir Israël ? Quel rôle doit jouer notre solidarité internationaliste avec le peuple palestinien ?

Pierre Rousset : Quels sont les enjeux de cette guerre ? La survie même des Gazaouis. Un spécialiste de ces questions (l'élimination de populations) a eu une formule qui me paraît très juste. Il n'avait vu une situation aussi grave par son « intensité ». Dans d'autres cas, un plus grand nombre de personnes sont mortes, mais Gaza est un territoire minuscule qui subit une attaque multiforme d'une intensité inégalée. Même si les bombardements cessaient et que l'aide arrivait en masse, les décès se poursuivraient dans la durée.

La population entière vivra avec des stress post-traumatiques répétés, à commencer par les enfants dont le taux de mortalité est effarant. Les plus jeunes, victimes de malnutrition, n'auront jamais droit à une vie « normale ».

Autres enjeux, l'existence même de la Cisjordanie où les Palestiniens sont soumi à la violence quotidienne des colons suprémacistes juifs, appuyés par l'armée et les paramilitaires. Les Gazaouis survivants vont-ils être forcés à l'exil via l'Egypte ou la voie maritime ? Les Palestiniens de Cisjordanie survivants vont-ils être expulsés en Jordanie ? Le projet du Grand Israël va-t-il s'imposer ?

On peut inscrire dans le temps long la colonisation de la Palestine, mais nous vivons un terrible point tournant. Netanyahou n'a jamais défini ses objectifs de guerre (à part la destruction totale du Hamas, une entreprise qui n'a pas de fin). Je ne vais pas essayer de les définir à sa place, d'autant plus que la situation est volatile.

Le bombardement du consulat iranien à Damas, le 1er avril, est un exemple de la fuite en avant dans laquelle Netanyahou est engagé au-delà des frontières de la Palestine. C'est une violation flagrante de la Convention de Vienne qui protège les missions diplomatiques. La cible de l'attentat était de hauts dirigeants du Hezbollah qui s'y trouvaient, mais cela ne « justifie » rien. Il y a toujours des « ennemis » de choix dans les missions diplomatiques, dont des officiers supérieurs. Les Israéliens le savent bien, les agents du Mossad déguisés en diplomates, ayant assassiné ou enlevé plus d'une personne en pays étrangers. Il est curieux et inquiétant que ce bombardement n'ait pas suscité plus de protestations.

Téhéran ne veut pas la guerre, mais doit réagir. On est sur un fil du rasoir.

Joe Biden a construit son propre piège en assurant d'emblée son soutien inconditionnel au gouvernement israélien, par sionisme intime et sans consulter les experts de sa propre administration, ce qui lui vaut une série de démissions fracassantes. Il ne peut plus soutenir l'insoutenable, mais ne cesse pas pour autant la fourniture d'armes et munitions en Israël. Je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression qu'il a tout simplement perdu la main diplomatique dans le monde arabe et s'occupe pour l'heure de blinder des accords de défense avec le Japon et les Philippines, au cas où Trump emporterait la prochaine présidentielle.

[Une mise à jour : l'Iran a mené une attaque aérienne contre Israël dans la nuit du 13 au 14 mars (correction 13-14 avril PTAG). Selon un décompte israélien, plus de 300 projectiles ont été tirés : 170 drones, 30 missiles de croisière et 110 missiles balistiques. Téhéran avait annoncé l'opération, confirmée par les Etats-Unis. Il faut plusieurs heures pour que ces armes atteignent Israël, ce qui laissait tout le temps nécessaire en abattre en bonne partie sur le trajet. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Jordanie y ont contribué. Une base militaire israélienne a néanmoins été touchée. L'objectif de cette opération était clairement politique, un avertissement en réponse à l'attentat de Damas. C'était la première fois que le régime iranien s'attaquait ainsi directement à Israël. Téhéran a annoncé que son opération n'aurait pas de suite, si du moins les Israéliens s'en tenaient là. Face à l'Iran, Joe Biden est toujours en mesure d'activer un front de pays occidentaux et arabes. La dépendance d'Israël envers ses protecteurs se confirme.]

Venons-en à la dernière question. Quelles sont, à mon sens, les tâches d'une solidarité internationaliste avec le peuple palestinien ?

Tout d'abord, l'urgence absolue, sur laquelle une très large unité peut se faire : cessez-le-feu immédiat, entrée d'une aide massive par toutes les voies d'accès à la bande de Gaza, protection des convois et des travailleur.es humanitaires (nombreux sont celles et ceux qui ont été tués), reprise de la mission de l'UNRWA dont le rôle est irremplaçable, arrêt de la colonisation en Cisjordanie et rétablissement dans leurs droits des Palestien.nes spolié.es, libération des otages israélien.nes et des prisonnier.es politiques palestinien.nes…

Nous défendons sans « mais » le droit à la résistance, y compris armée, des Palestiniens ; mais cela n'implique ni un soutien politique au Hamas ni de nier que des crimes de guerre ont été commis le 7 octobre, ce dont attestent de nombreuses sources indépendantes. Parmi ces sources mentionnons l'association Physicians for Human Rights-Israel (Médecins pour les Droits Humains, PHRI) ; des villageois bédouins du Néguev qu'Israël refuse de protéger, mais qui a subi des attaques répétées de la part du Hamas ; des militantes et militants israélien.nes qui ont consacré leur vie à défendre les droits des Palestinien.nes…

Le Hamas est aujourd'hui la principale composante militaire de la résistance palestinienne, mais est-il porteur d'un projet émancipateur ? Nous avons toujours analysé les mouvements engagés dans les luttes de libérations que nous soutenions. Pourquoi serait-ce différent aujourd'hui ?

Notre rôle d'internationaliste est, aussi, de tracer un fil, aussi ténu soit-il entre les tâches présentes et un avenir émancipateur. Nous défendons le principe d'une Palestine où pourront vivre ensemble les habitant.es de cette contrée historique « entre la mer et le fleuve » (inclus le retour des réfigié.es palestinien.nes). Cela n'arrivera pas sans de profonds bouleversements sociaux dans la région, mais nous pouvons donner corps à cette perspective en soutenant les organisations qui agissent aujourd'hui ensemble, juives/juifs et Arabes/Palestinien.nes, envers et contre tout. Toutes et tous prennent de gros risques pour continuer à afficher cette solidarité judéo-arabe dans le contexte actuel. Nous leur devons la solidarité.

La solidarité judéo-arabe est aussi l'une des clés de développement des mobilisations internationales, notamment aux Etats-Unis où le mouvement Jewish Voice for Peace a joué un rôle très important pour contrer la propagande des lobbies pro-israéliens et ouvrir l'espace de la contestation.

Comment analyses-tu la stratégie de politique étrangère de la Chine et son conflit avec Taiwan ?

Pierre Rousset : Je pense que Xi Jinping a pour priorité la poursuite de l'expansion mondiale de la Chine et sa consolidation, la compétition avec les Etats-Unis dans le domaine des hautes technologies à double usage civil et militaire, la recherche d'alliances diplomatiques significatives (un talon d'Achille face aux Etats-Unis), le développement de ses propres zones d'influences dans des régions jugées à ce stade stratégique (comme le Pacifique sud), le renforcement de ses capacités militaires aéronavales et spatiales ou de surveillance et de désinformation. L'invasion de Taïwan ne serait pas à l'ordre du jour.

Les voies d'expansion de la Chine diffèrent de ses prédécesseurs. L'époque a changé. Pékin ne possède qu'une grande base militaire classique, à Djibouti. Cependant, elle signe des accords avec un nombre croissant de pays pour avoir accès à leurs ports. Mieux, elle en prend possession en tout ou partie, ce qui lui assure un réseau maritime étendu de points d'attache à double usage civil et militaire. Les services de sécurité présents dans les entreprises chinoises à l'étranger sont assurés par des militaires, ce qui permet à l'armée de s'informer et d'établir des contacts.

La politique chinoise est de caractère impérialiste et on voit mal comment il pourrait en être autrement. Toute grande puissance capitaliste se doit de garantir la sécurité de ses investissements et de ses communications, la rentabilité politique et financière de ses engagements.

Pékin a proclamé sa souveraineté sur l'entièreté de ladite mer de Chine du Sud, une zone de transit international majeure, qu'elle a militarisé sans tenir compte des droits maritimes des pays voisins. Elle s'approprie les richesses halieutiques et prospecte les fonds marins. Un régime autoritaire emploie des méthodes autoritaires partout où il pense pouvoir le faire. Certes, un régime impérialiste dit démocratique peut faire de même…

Outre la prolongation des situations de guerre en Syrie, au Yémen, au Soudan ou en République démocratique du Congo, il existe une guerre dont on parle peu en Occident, en Birmanie. Pourriez-vous commenter l'état actuel de ce conflit ?

Pierre Rousset : Un mot sur le Soudan. Il y a dans ce pays une riche expérience de résistances populaires « à la base », dans des conditions extrêmement difficiles, qui mériterait d'être mieux connues (et soutenue).

La Birmanie a constitué un cas d'école. Les militaires ont assuré leur mainmise exclusive sur le pouvoir à l'occasion d'un putsch, le 1er février 2021. Le lendemain, le pays entrait en dissidence sous la forme d'un arrêt de travail généralisé et d'un immense mouvement de désobéissance civile. Le putsch avait avorté, mais l'armée n'a pas pu être chassée, faute d'un soutien international immédiat. Les militaires ont pu reprendre progressivement l'initiative par une répression sans merci. Dans la région centrale, initialement pacifique, la résistance populaire a dû entrer en clandestinité, puis s'engager dans la résistance armée. Elle a recherché l'appui de mouvements ethniques armés opérant dans les Etats de la périphérie montagnarde du pays.

Il est difficile d'imaginer un mouvement de résistance civique plus ample que celui qu'a connu la Birmanie – mais l'entrée dans la lutte armée s'est imposée comme une nécessité vitale, fondant sa légitimité sur l'évidence de l'autodéfense. Cela lui a permis de traverser l'épreuve du feu et de s'organiser progressivement sous forme de guérillas indépendantes ou liées au Gouvernement d'Unité nationale, expression du parlement dissous par les militaires et (enfin) ouvert aux minorités ethniques.

Le conflit a pris des formes terriblement dures, l'armée ayant notamment le monopole de l'aviation. Il était aussi complexe, chaque Etat ethnique ayant ses propres caractéristiques et choix politiques. Peu à peu, cependant, la junte a perdu la main. Elle avait l'appui de la Chine (pays frontalier) et de la Russie, mais s'est révélée incapable de garantir à Pékin la sécurité de ses investissements et la construction d'un port donnant accès à l'océan Indien. Son isolement international s'est accentué et ses alliés de l'ASEAN se sont divisés.

Aujourd'hui, l'armée cède du terrain dans de nombreuses régions et le front d'opposition à la junte s'est élargi. La Birmanie est un pays à l'histoire très riche, mais malheureusement méconnue en Occident.

Pour conclure, l'aggravation de la crise économique et la multiplication des conflits tant au niveau international que régional semblent indiquer un tournant dans le contexte international qui nécessite de repenser les politiques de solidarité internationaliste. Quelles sont les pistes pour construire un internationalisme en phase avec l'évolution des conflits internationaux au XXIe siècle ?

Pierre Rousset : Il y a une recomposition en profondeur avec pour ligne de force l'opposition entre « campisme » et internationalisme. Nous pouvons avoir de nombreuses différences d'analyses, mais la question est de savoir si nous défendons toutes les populations victimes.

Chaque puissance choisit les victimes qui lui conviennent et abandonnent les autres. Nous nous refusons à entrer dans ce type de logique. Nous défendons les droits des Kanaks en Kanaky quoi qu'en pense Paris, les Syrien.nes et les peuples de Syrie face à l'implacable dictature du clan Assad, les Ukrainiennes et Ukrainiens sous le déluge de feu russe, les Palestiniennes et Palestiniens sous le déluge des bombes US, les Portoricain.es sous l'ordre colonial étatsunien, », les peuples de Birmanie même quand la junte est soutenue par la Chine, les Haïtiens à qui protection et asile sont refusés par ladite « communauté internationale.

Nous n'abandonnons pas des victimes au nom de considérations géopolitiques. Nous soutenons leur droit à décider librement de leur avenir et, quand telle est la question, leur droit à l'autodétermination. Nous nous retrouvons avec les mouvements progressistes qui, de par le monde, récusent la logique de « l'ennemi principal ». Nous ne sommes dans le camp d'aucune grande puissance, qu'elle soit nippo-occidentale, russe ou chinoise. L'occupation est un crime en Ukraine comme en Palestine.

Face à la militarisation du monde, nous avons besoin d'un mouvement antiguerre mondial. C'est vite dit, mais bien difficile à faire. Pouvons-nous nous appuyer sur des solidarités transfrontalières locales (Ukraine-Russie, Inde-Pakistan) pour ce faire ? Ou sur l'immense mouvement de solidarité avec la Palestine ? Sur les forums sociaux comme celui qui vient de se réunir au Népal ?

Il nous faut aussi intégrer la question climatique à la problématique des mouvements antiguerres et, réciproquement, les mouvements écologistes militants gagneraient, si ce n'est déjà fait, à intégrer la dimension antiguerre à leur combat. Idem concernant l'arme nucléaire.

La personnalité de Greta Thunberg me semble incarner le potentiel des jeunes générations confrontées à la violence de la « polycrise ». Mais ses engagements demandent de la ténacité, ce dont elle ne manque certes pas, une capacité à agir dans la durée, ce qui n'a rien d'évident. Ma génération militante avait été lancée sur orbite par la radicalité des années 1960 et, pour nous en France, par l'expérience fondatrice de Mai 68. Une sacrée impulsion. Qu'en est-il aujourd'hui ?

P.-S.
• Interview à paraître dans le prochain numéro de Viento sur.

Une mise à jour a été introduite le 14 avril à 16h30 concernant l'attaque aérienne lancée par Téhéran contre Israël dans la nuit du 13 au 14 avril.

Une correction a été apportée le 15 avril 2014.

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Une seule journée pour rappeler l’urgence de se mobiliser massivement pour défendre la vie sur cette planète menacée !

16 avril 2024, par Révolution écosocialiste — ,
La nature et la civilisation humaine sont menacées par les conséquences de l'exploitation capitaliste . Les bouleversements climatiques sont vécus partout sur la planète : (…)

La nature et la civilisation humaine sont menacées par les conséquences de l'exploitation capitaliste . Les bouleversements climatiques sont vécus partout sur la planète : sécheresses, incendies de forêt, inondations à répétition, ouragans ou typhons de plus en plus dévastateurs. La biodiversité (abeilles, poisson, insectes,etc) en subi les effets : exploitation des énergies fossiles, agriculture industrielle utilisant massivement des pesticides, déforestation pour favoriser les monocultures, pêches industrielles qui mènent à la disparition de nombre d'espèces marines. L'exploitation forcenée de la nature est en train de réduire les espaces et les formes de vie de façon dramatique.

Et nous n'avons qu'une seule journée pour dénoncer tout cela ?

La montée de régimes autoritaires et l'utilisation d'une rhétorique raciste et patriarcale

Le capitalisme devient de plus en plus incapable de répondre aux besoins humains les plus essentiels avec le développement des famines qui touchent largement des populations du Sud global.
Pour défendre ses possibilités de continuer de tirer profit de la nature, la bourgeoisie, les États et partis politiques, revendiquent la planète comme un territoire commun à exploiter sans limites. Leurs politiques visent à réduire les espaces démocratiques par l'utilisation de la répression policière et judiciaire pour casser les mobilisations écologiques. Les mouvements sociaux qui s'opposent à leurs visées sont de plus en plus durement réprimés.

Pour diviser les classes populaires, la classe dominante et les élites politiques à son service, n'hésitent pas à utiliser la rhétorique xénophobe et raciste. Elles approfondissent ces idées anti-immigration en construction l'image du mâle blanc et profitent du contexte de guerre pour maintenir les formes actuelles de la société dominante. Ces idéologies visent à définir les femmes comme une minorité de genre pouvant être soumise à des féminicides et à définir les colonisé-e-s comme des minorités de race devant être asservis aux besoins et au maintien de la domination blanche.

Cette crise sociale alimente la crise écologique partout dans le monde.

Nous faudrait-il plus qu'une journée pour dénoncer toute cette exploitation ?

Les soulèvements contre la destruction capitaliste de la terre se préparent…

La compréhension de plus en plus profonde des enjeux de la crise climatique a donné lieu à des mobilisations massives, particulièrement de la jeunesse. Des millions de personnes sont descendues dans les rues ces dernières années.

Ces différents mouvements ont pris la forme de manifestations monstres, d'occupations de places (Tahrir, Occupy Wall Street, mouvement étudiant au Québec et au Chili, occupations des villes en Espagne, mouvement des Gilets jaunes en France, mobilisations massives au Liban, luttes des femmes en Amérique latine et sur tous les continents avec le développement de grèves des femmes, luttes paysannes et grèves générales des paysan-ne-s en Inde…

Les gains arrachés par ces mouvements de masse n'ont pas réussi à remettre en cause durablement la domination et la prédation opérées par les grandes entreprises multinationales. Mais elles ont commencé à jeter les bases de l'émergence et la consolidation à une large échelle de nouvelles forces capables de proposer la construction d'un système alternatif au capitalisme.

Pour une alternative écosocialiste

Pour répondre aux aspirations populaires, la gauche écosocialiste défend la nécessité de construire des convergences sociales et politiques édifiées à partir des luttes sociales contre toutes les formes d'exploitation capitaliste et d'oppression de genre et de race pour lutter pour l'égalité et la démocratie sociale véritable.

Ce jour de la terre doit nous permettre de rappeler que l'internationalisme politique doit être partie prenante de notre combat et que la solidaire internationaliste n'est pas seulement souhaitable, elle est essentielle à un véritable soulèvement de la terre pour la défense de la vie sur cette planète.

Pour que la Journée de la terre devienne réalité 365 jours par année.

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La défense collective des droits encore oubliée

16 avril 2024, par Collectif — , ,
Québec, 10 avril 2024. Les groupes de défense collective des droits (DCD) des régions de Québec et Chaudière-Appalaches sont extrêmement déçus du budget déposé par le ministre (…)

Québec, 10 avril 2024. Les groupes de défense collective des droits (DCD) des régions de Québec et Chaudière-Appalaches sont extrêmement déçus du budget déposé par le ministre Girard le 12 mars 2024. Des représentant.es des groupes de la grande région de Québec se sont rassemblé.es devant le 425 rue Jacques Parizeau afin d'interpeller la Ministre responsable de la Solidarité sociale et de l'Action communautaire, Chantal Rouleau. Les groupes dénoncent leur sous-financement chronique et l'absence d'un mécanisme d'indexation de leur subvention.

Nos missions mises à mal

Ce manque chronique de financement de la défense collective des droits a un impact direct sur la population, alors que les demandes d'aide augmentent en flèche. L'explosion des prix des denrées, la crise du logement, l'isolement, le manque d'accès aux soins de santé sont autant de facteurs qui entravent l'exercice des droits et qui forcent une part grandissante de la population à frapper à la porte des groupes de défenses de droits. « On a l'impression d'être le dernier rempart pour protéger
les droits de la population et trop souvent les attaques viennent du gouvernement lui-même
» selon Nicole Dionne, du Bureau d'animation et d'information logement (BAIL). « Dans un contexte où le gouvernement prend le parti des propriétaires, la moindre des choses c'est de financer adéquatement les groupes qui défendent les locataires. C'est une question de respect des droits et de justice sociale », poursuit-elle.

L'indexation c'est vital

Rappelons que les groupes de défense de droits ne bénéficient pas d'un mécanisme d'indexation de leur subvention. « L'absence d'indexation de nos subventions place notre secteur dans une situation de grande précarité. Au fil de l'inflation, nos budgets s'amenuisent ce qui nuit durement aux conditions de travail dans les groupes. Si la situation ne s'améliore pas rapidement, on fera face à un exode des travailleurs et des travailleuses. Certains groupes sont dans un perpétuel processus d'embauche et n'arrivent plus à stabiliser une équipe de travail fonctionnelle », dénonce Vania
Wright-Larin du Regroupement d'éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (RÉPAC 03-12).

Malgré les demandes répétées, la ministre Rouleau continue de faire la sourde oreille avec un manque de considération flagrant envers les réalités difficiles des groupes de DCD. Pourtant, la colère gronde dans les groupes qui se sentent tout simplement abandonnés par la ministre. « Au cours des deux dernières années on a répété une demande simple, d'avoir minimalement droit à une indexation annuelle qui freinerait de façon durable l'appauvrissement des groupes et qui permettrait d'envisager la réalisation de nos missions sans devoir constamment chercher du financement alternatif », termine le porte-parole.

Les droits ça se défend, collectivement !

Les groupes de défense de droits de toutes les régions du Québec seront en action durant les prochains mois afin de faire valoir leurs revendications. Selon le Regroupement des organismes de défense collective des droits (RODCD), ce n'est pas moins de 154 M$ qu'il manque dans le réseau pour permettre aux groupes de défense de droits de remplir adéquatement leur mission. Sylvain Lafrenière, porte-parole du RODCD est très déçu par l'attitude de la ministre : "L'espoir qu'avait suscité la nomination, pour la première fois, d'une ministre responsable à l'action communautaire semble déjà avoir fait long feu. Aucun des dossiers qui concernent les organismes en DCD, qui sont directement sous sa responsabilité, n'avance depuis sa nomination."

Les groupes de la région promettent d'être très actifs et de mettre toute la pression nécessaire sur la ministre Rouleau pour qu'elle délie les cordons de la bourse afin de soutenir adéquatement la défense des droits et l'ensemble de l'action communautaire autonome.

Lien vers l'événement du 10 avril.

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Ils ne se sont pas « éclipsés » !

16 avril 2024, par Coalition Halte-Air Saint-Hubert — , ,
Longueuil, 10 avril 2024.- Les vols gros porteurs de Chrono Aviation se poursuivent à l'aéroport de Saint-Hubert-Longueuil et continuent d'empoisonner la vie de milliers de (…)

Longueuil, 10 avril 2024.- Les vols gros porteurs de Chrono Aviation se poursuivent à l'aéroport de Saint-Hubert-Longueuil et continuent d'empoisonner la vie de milliers de personnes sur la Rive-Sud, malgré l'arrivée du mois d'avril (voir le tableau plus bas).

Comme la Coalition Halte-Air Saint-Huberts'y attendait, Chrono Aviation a attaqué la décision de Transport Canadadevant le tribunal pour la faire casser. La Coalition n'est pas étonnée que Chrono cherche à contourner les règles,comme d'autres compagnies aériennes le font ailleurs. Le vol du mercredi 3 avril dernier s'y est même repris à plusieurs fois pour atterrir à 1h45 en pleine nuit.

Dans un courriel envoyé à la Coalition, une citoyenne raconte : « La nuit dernière nous avons été de nouveau réveillés à 2 h 08 par 2 départs de vol de Chrono jet. La mairesse Fournier avait annoncé en grande pompe l'arrêt des vols de nuit à partir du 1er avril 2024. Que se passe-t-il ? C'était un vacarme d'enfer, une explosion assourdissante. »
Il semble en effet que ces arrivées et départs tonitruants des 737 ont **éclipsé** les promesses et annonces faites le mois dernier par les responsables politiques. Après une rafale d'articles élogieux et de flatteuses entrevues médiatiques, la Coalition constate que les médias semblent moins empressés à rapporter et commenter ce camouflet reçu par le ministre Pablo Rodriguez, et surtout par la mairesse Catherine Fournier qui n'hésitait pas à vanter l'entente de DASHL avec la Ville de Longueuil, saluait le courage du ministre, et affirmait sur plusieurs plateformes que l'interdiction serait en vigueur dès 1er avril.

Alors que des tractations avaient lieu depuis des mois avec Chrono, DASHL et les responsables politiques se retrouvaient à la "table de développement" (au groupe de travail « climat sonore ») pour prendre le thé. Ces mêmes personnes, avec une désinvolture assumée, savaient bien que cette interdiction ne serait que relative et allait s'étirer dans le temps.

Aucune victime du bruit ne sera étonnée s'il n'y a ni amende dissuasive ni sanction réelle à l'encontre de Chrono pour le non-respect de cette interdiction…

Comme l'écrivait encore la citoyenne : « Avons-nous été bernés par le politique ? Est-ce que le comité peut alerter les médias de la situation ? »

La Coalition invite donc les médias à rapporter que la situation de non-respect des citoyen.ne.s se poursuit à l'aéroport de Saint-Hubert-Logueuil, et invite les victimes du bruit à déposer une plainte ( https://tinyurl.com/mr3xmnha ). Celles-ci sont transmises à Transport Canada qui pourrait s'en servir contre Chrono Aviation.

Quant aux « gestionnaires » de DASH-L, aucune autocritique de leur gestion de l'aéroport. Même si ce sont eux qui ont signé le contrat avec Chrono, ce ne sont pas eux qui subissent cette cacophonie ni celle à venir avec le développement de l'aérogare de Porter Airlines puisqu'ils n'habitent pas près de l'aéroport.
Comme ils le disent si bien maintenant : "On est ailleurs !..."

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Aéroport de Saint-Hubert Décollage prévu malgré les voyants au rouge

16 avril 2024, par Julien Keller — , ,
30 millions en 2030, 40 millions en 2040, 50 millions en 2050. De quoi parle-t-on ? Du nombre anticipé de passagers et passagères aérien·ne·s dans la région de Montréal, du (…)

30 millions en 2030, 40 millions en 2040, 50 millions en 2050. De quoi parle-t-on ? Du nombre anticipé de passagers et passagères aérien·ne·s dans la région de Montréal, du moins selon les prévisions des gestionnaires de l'aéroport de Saint-Hubert à Longueuil (DASH-L) qui entendent développer cet aéroport pour seconder Montréal-Trudeau (YUL).

Julien Keller, professeur, Département des Sciences de l'UQAM (Collaboration spéciale)

5 avril 2024, tiré de PressMob, Édition écrite, vol. 5, no 4

Devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le directeur général de DASH-L Yanic Roy s'enthousiasmait le 24 novembre 2023 de l'augmentation à venir du trafic aérien dans le Grand Montréal, qui se chiffre actuellement à 21 millions de passagers et passagères. En pleine crise climatique, il faut faire preuve d'irresponsabilité pour accepter, justifier puis encourager un tel accroissement.

L'industrie du transport aérien repose aujourd'hui à plus de 99% sur une seule énergie : le pétrole. Un carburant indépassable, puisque le seul à pouvoir offrir une densité énergétique suffisante pour mouvoir des avions de plus de 50 tonnes sur des milliers de kilomètres, quoi qu'en disent les chantres de l'avion électrique.

Cette consommation ahurissante de kérosène par les avions engendre inexorablement plusieurs pollutions gravissimes. Une pollution de l'air aux particules ultra-fines (du nanométal tel que le plomb ou le nickel comme relevé par la professeure Ariya de l'Université McGill) qui sont cancérigènes selon des études scientifiques récentes de l'Université de Berne. Cette pollution de l'air s'ajoute à celle déjà responsable de 4000 morts prématurées annuellement au Québec selon Santé Canada.

Et cette pollution atmosphérique ne pourra qu'empirer à l'avenir avec les redoutés mégafeux de forêt, à l'instar de ceux de l'été 2023. Des mégafeux récurrents et anticipés par les climatologues du GIEC, qui sont la conséquence d‘un « effondrement climatique » pour reprendre l'expression du secrétaire général de l‘ONU. On le sait, cette situation a pour origine principale l'activité humaine, notamment nos émissions de gaz à effet de serre (GES) comme le dioxyde de carbone (CO2). Une tonne de kérosène émet environ trois tonnes de CO2. Que l‘on songe à la quantité de CO2 qui résultera de l'utilisation programmée des dizaines de milliers de tonnes de kérosène par année à St-Hubert, alors qu'il est nécessaire de réduire nos émissions de GES !

Comme si cela ne suffisait pas, l‘aéroport de St-Hubert présente une autre caractéristique particulière : il est enclavé dans la ville de Longueuil. D‘ailleurs, l'hôtel de ville lui-même jouxte les pistes. Ainsi, le développement prévu de l'aéroport St-Hubert, avec ses 4 millions de passagers et passagères à terme, générera une pollution sonore considérable sur une zone d‘environ 100 km2 d‘après une récente modélisation, perturbant ainsi la vie de 100 000 habitant·e·s. Les études sont unanimes : elles indiquent toutes une perte d'espérance de vie notable, de 1 mois jusqu'à 3 ans, en raison des problèmes cardio-vasculaires et des troubles de sommeil provoqués par le bruit.

Il faudrait plutôt tirer les leçons du passé. Le monde de l'aéronautique se nourrit artificiellement de son propre optimisme jusqu'à la démesure, traçant des droites à l'infini dans un monde fini. Le livre récent du professeur Jacques Roy, sur la saga des aéroports montréalais, est là pour nous rappeler qu'il est nécessaire de faire preuve de réalisme en se basant sur des études d'impact (économiques, sanitaires, environnementales) avant de lancer tout projet majeur de développement d'un aéroport.

Or, dans le cas de Saint-Hubert à Longueuil, force est de constater qu'aucune étude n'a été publiée pendant les deux consultations publiques de 2022 et que les élu·e·s locaux n'ont pas été plus informés que la population. Deux études concernant les GES et le bruit commanditées par DASH-L seraient en cours, mais dans la mesure où les travaux de construction de l'aérogare ont débuté en août dernier, on comprend que celles-ci ne viendront en rien contrecarrer le projet.

La campagne médiatique de l'aéroport (DASH-L) et de la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, autour de l'« écoaviation » – expression antinomique sans réalité tangible – ne parvient pas à dissiper l'impression que ce projet n'a pas été réfléchi dans un contexte de crise climatique et plus généralement de crise environnementale. Il n'a manifestement pas non plus été conçu plus globalement avec l'objectif de sortir de l'approche « toujours plus » de l'industrie aéronautique. À titre d'exemple, le plan officiel de réduction des émissions canadiennes pour 2030 visant une réduction de 40 % des émissions (sous le niveau de 2005) ne pourra se faire sans que le transport aérien ne réduise aussi son impact carbone. Dans ce délai, cela n'est possible que par une diminution sensible du trafic aérien.

En matière d'industrie aérienne, il est plus que temps de changer de paradigme. Il faut faire l'inverse de ce que préconisent les dirigeants actuels, attentistes et immobilistes, et prendre des mesures contraignantes. Oui, il faut faire l'inverse de ce qu'a préconisé Mme Catherine Fournier en juillet dans une entrevue où elle compte sur le changement des comportements humains et à de nouvelles technologies – les deux étant tout aussi hypothétiques – pour diminuer l'impact de l'aviation. Sans même y voir de contradiction avec la réalité des faits, elle était partie au même moment s'amuser en Italie avec des avions bien polluants !

(Aussi publié sur le blogue de l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques - IRIS)

Appel à signer une déclaration et à faire un don en solidarité avec les employé-es du Centre justice et foi mis à pied Boîte de réception

16 avril 2024, par Comité de soutien aux employé-es mis à pied du Centre justice et foi — , ,
La suspension abrupte des activités du Centre justice et foi (CJF) et la mise à pied cavalière de son personnel, sans justification valable, le 21 mars dernier, suscitent la (…)

La suspension abrupte des activités du Centre justice et foi (CJF) et la mise à pied cavalière de son personnel, sans justification valable, le 21 mars dernier, suscitent la consternation. Cette décision du conseil d'administration a de graves conséquences pour les employé-es et pour tout ce qui compose le CJF : la revue Relations, le secteur Vivre ensemble, le volet sur l'avenir du christianisme social.

Si vous avez à cœur tout le travail important réalisé par l'équipe du CJF mise à pied, montrez votre appui sans tarder afin de dénoncer l'injustice qui lui est faite et qui heurte frontalement les valeurs de justice sociale portées jusqu'ici par le CJF. Toutes et tous sont invité-es à signer la déclaration (lectorat et abonné-es de Relations, lectorat du webzine de VE, citoyen-nes, professionnel-les, directions d'organismes, acteurs de différents milieux, etc.) et à faire un don.

Dans un contexte de hausse des loyers et du coût de la vie, la perte abrupte de revenus peut vite devenir intenable, même en ayant accès à l'assurance-emploi, les employé-es mis à pied ont besoin de votre soutien.

Rendez-vous à l'adresse :soutenonslesemployesducjf.org

Vous y trouverez la liste des 45 premiers signataires de la déclaration, les instructions pour faire un don, une section Médias et d'autres suggestions d'appuis possibles.

Merci

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Statistiques annuelles de la CNÉSST : de plus en plus d’accidents et de maladies du travail

16 avril 2024, par Journal de l'UTTAM — , ,
Les statistiques annuelles publiées par la CNÉSST l'automne dernier révèlent de fortes tendances, depuis la fin de la pandémie, à la hausse des lésions professionnelles. Alors (…)

Les statistiques annuelles publiées par la CNÉSST l'automne dernier révèlent de fortes tendances, depuis la fin de la pandémie, à la hausse des lésions professionnelles. Alors que la « modernisation » des régimes de santé et de sécurité du travail devait améliorer la prévention des accidents et des maladies du travail, c'est le contraire qui semble se produire pour l'instant.

Journal de l'UTTAM
https://uttam.quebec/journal/journal_printemps_2024_no3.pdf

Ce n'est qu'à l'automne 2023 que la CNÉSST rendait publiques ses statistiques finales pour l'année 2022. Ce décalage est normal puisqu'il y a toujours un délai entre la fin d'une année et la publication des statistiques finales pour cette année. Les tendances que nous observons dans ce rapport statistique datent donc de plus d'un an et on ne peut pas encore savoir si elles se maintiendront en 2023 et 2024. Toutefois, la tendance observée est tellement forte que nous croyons nécessaire de l'examiner.

Une très forte augmentation des lésions professionnelles

La hausse marquée des réclamations pour accident ou maladie du travail entre 2021 et 2022, alors que le régime transitoire de prévention entrait pourtant en vigueur, est spectaculaire. Alors que la CNÉSST avait reçu 127,375 réclamations en 2021, ce nombre a bondi à 190 875 en 2022, ce qui représente une augmentation de 50 %. Le nombre d'accidents du travail pour lesquels des travailleuses et travailleurs ont produit une réclamation a augmenté de 56 % et le nombre d'accidents acceptés par la CNÉSST a crû de 61 % pour s'établir à 149 812 pour la seule année 2022.

Du côté des réclamations pour maladie professionnelle, la croissance n'est « que » de 14%, alors que 19 878 réclamations étaient produites dans l'année. Le nombre de décès par accident du travail a également augmenté de 15 % dans la même période. Des hausses d'une telle ampleur, particulièrement pour le nombre d'accidents du travail, n'ont pas été vues depuis longtemps.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces chiffres. La hausse est partiellement attribuable à une augmentation des réclamations pour la Covid-19 contractée à l'occasion d'éclosions en milieu de travail, parfois à la suite d'une diminution ou de l'abandon du télétravail ou de mesures sanitaires au travail. Le fait qu'une main-d'œuvre particulièrement jeune et à risque, par manque d'expérience, de subir des accidents, ait intégré le marché du travail dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre, permet aussi, sans doute, d'expliquer en partie l'augmentation des accidents du travail. Le manque de personnel das certains milieux peut aussi pousser des employeurs à exiger davantage de productivité des travailleuses et travailleurs en poste pour compenser le manque d'employés, augmentant du même coup le risque d'accidents du travail.

Enfin, si une augmentation du nombre d'accidents du travail s'observe tant pour les travailleurs que pour les travailleuses, c'est pour ces dernières que la hausse est la plus spectaculaire, avec une augmentation de 107 % chez les femmes contre 26 % chez les hommes. Ainsi, sans doute pour la première fois depuis que la CNÉSST compile des statistiques, le nombre d'accidents du travail subis par des travailleuses dépasse en 2022 celui des travailleurs (83 171 accidents du travail subis par des femmes contre 66 641 subis par des hommes).

Ces chiffres indiquent aussi que dans sa première année d'application, la réforme de 2021 ne semble pas avoir permis d'améliorer la prévention des lésions professionnelles. On en retient que, contrairement à l'adage selon lequel « le travail, c'est la santé », non seulement les milieux de travail demeurent dangereux au Québec, ils semblent même le devenir de plus en plus.

L'avenir nous dira si cette inquiétante tendance à la hausse du nombre de lésions professionnelles se maintiendra ou si les statistiques redeviendront plus proches de ce qu'on observait avant la pandémie. En attendant, ces chiffres nous confirment que la lutte pour les droits des travailleuses et travailleurs, tant pour la prévention que pour la réparation des lésions professionnelle, demeure plus que jamais pertinente.

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Le Canada doit enquêter sur les organisations caritatives qui financent les crimes de guerre israéliens

16 avril 2024, par Voix juives indépendantes — , , ,
Je vous invite à signer dès maintenant la pétition parlementaire et à exiger de la ministre qu'elle mette fin sans délai à la pratique consistant à utiliser le système de (…)

Je vous invite à signer dès maintenant la pétition parlementaire et à exiger de la ministre qu'elle mette fin sans délai à la pratique consistant à utiliser le système de bienfaisance canadien pour financer des crimes de guerre israéliens.

Cher/chère lecteur ou lectrice,

Au cours des cinq dernières années, plus d'un milliard de dollars ont été transférés en Israël par des organismes de bienfaisance enregistrés au Canada. Bien qu'une grande partie de ces fonds soit effectivement destinée à des activités de bienfaisance légitimes, des centaines de milliers de dollars sont acheminés de manière à soutenir certaines des organisations israéliennes les plus odieuses, dont quelques-unes sont directement complices du génocide en cours.

Un organisme de bienfaisance en particulier, la Mizrachi Organization of Canada, transfère des « dons de charité » à des organisations israéliennes impliquées dans des activités telles que le blocage de convois d'aide humanitaire en route vers Gaza et le nettoyage ethnique de la population palestinienne de Jérusalem-Est et de Cisjordanie.

Et tout cela est subventionné avec l'argent de vos impôts.

Signez dès maintenant la pétition parlementaire : mettons fin aux subventions des crimes d'Israël !

Les organismes de bienfaisance sont censés œuvrer à l'avancement du bien commun ou au bénéfice du grand public. C'est du moins ce que l'on nous affirme, et c'est dans cet esprit que nous les subventionnons collectivement par un mécanisme de crédits d'impôt.

L'Agence du revenu du Canada (ARC) a le mandat de garantir que ces fonds servent bel et bien à des activités de bienfaisance légitimes et que les organismes bénéficiaires ne contreviennent pas aux règles de l'ARC ni aux lois canadiennes ou aux principes du droit international.

Pour être tout à fait clair, les propres lignes directrices de l'ARC interdisent que des dons de charité soient transférés à une armée étrangère ou soient destinés à soutenir des activités jugées contraires aux principes de la politique étrangère du Canada, comme les colonies israéliennes illégales.

Pourtant, comme nous l'avons constaté dans le cadre de nos efforts auprès de l'ARC pour faire révoquer le statut d'organisme de bienfaisance du Jewish National Fund (JNF) of Canada, le gouvernement choisit souvent de fermer les yeux sur de telles violations : une forte pression populaire est nécessaire pour le forcer à prendre des mesures conséquentes.

Signez la pétition dès maintenant !

Au cours des dernières années, un certain nombre de plaintes ont été transmises, en collaboration avec nos partenaires du Mouvement pour une Paix Juste (JPA), à la ministre du Revenu national et à l'ARC au sujet des dons de charité qui servent à soutenir des activités israéliennes illégales. Plusieurs de ces plaintes concernent un organisme de "bienfaisance" connu sous le nom de Mizrachi Organization of Canada, qui semble être le principal fournisseur de reçus d'impôt au Canada pour le mouvement sioniste religieux extrémiste en Israël.

C'est pourquoi aujourd'hui, VJI et JPA, en collaboration avec le criminologue Miles Howe, ont envoyé une lettre à la ministre du Revenu national, Madame Marie-Claude Bibeau, pour lui demander de révoquer le statut d'organisme de bienfaisance de Mizrachi Canada.

La liste des organisations que soutient Mizrachi Canada est tout simplement scandaleuse.

L'une d'elles, Im Tirtzu, se vante de participer au blocage des camions transportant de l'aide humanitaire à Gaza en pleine famine. Une autre, Women in Green, encourage ses sympathisant·es à donner des drapeaux israéliens pour que les soldats de Tsahal les plantent à Gaza. Sans parler des généreuses sommes transférées à l'organisation de colons extrémistes, Regavim, cofondée par le ministre d'extrême droite du cabinet israélien, Bezalel Smotrich, et la Duvdevan Foundation, qui soutient une unité clandestine de l'armée israélienne tristement célèbre pour ses assassinats de Palestinien·nes.

Je vous invite à signer dès maintenant la pétition parlementaire et à exiger de la ministre qu'elle mette fin sans délai à la pratique consistant à utiliser le système de bienfaisance canadien pour financer des crimes de guerre israéliens.

Lisez et relayez notre lettre ouverte à la ministre

Je vous remercie d'avance de l'attention que vous portez à cette question importante,

Corey

Corey Balsam (il/lui)
Coordinateur national
corey@ijvcanada.org

Faire un don à VJI ou devenir membre

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Réaction au budget canadien

16 avril 2024, par Pierre Jasmin, Tamara Lorincz — , ,
Budget de la Défense : le Canada gaspillera 8,1 milliards de dollars de plus dans les cinq prochaines années, 73 milliards de dollars au cours des 20 prochaines années. (…)

Budget de la Défense : le Canada gaspillera 8,1 milliards de dollars de plus dans les cinq prochaines années, 73 milliards de dollars au cours des 20 prochaines années.

Tamara Lorincz –
Traduction et ajouts en rouge de Pierre Jasmin

Bonjour à toustes,

Aujourd'hui, le gouvernement Trudeau a annoncé une augmentation massive des dépenses militaires et des programmes d'armes à forte intensité de carbone dans le cadre de la nouvelle mise à jour de la défense du Canada intitulée Notre Nord, fort et libre. Ce rapport est présenté à la fois par le ministre canadien de la Défense, Bill Blair, ET par la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, selon les premières pages de la mise à jour sur la défense.

La politique de défense du Canada constitue donc de facto notre politique étrangère.
Le gouvernement fédéral dépensera 9 milliards de dollars supplémentaires pour fabriquer davantage d'armes et de munitions, 18,4 milliards de dollars pour les hélicoptères d'attaque, 2,8 milliards de dollars pour la cyberguerre, 2,7 milliards de dollars pour les missiles, 9 milliards de dollars pour les flottes navales, davantage d'artillerie, de chars de combat, de véhicules blindés et de drones d'attaque, en particulier en vue d'une nouvelle militarisation de l'Arctique et des océans. Honteusement, le Premier ministre a expliqué que le gouvernement augmentera les dépenses militaires de 73 milliards de dollars sur 20 ans, ce qui sera inclus dans le prochain budget 2024 qui sera publié le mardi 16 avril – et ce, en plein milieu d'une urgence climatique et d'une crise de pauvreté aigüe.

Depuis l'Accord de Paris des Nations-Unies 2015, les dépenses militaires annuelles du Canada ont déjà augmenté de 95 % pour atteindre 39 milliards de dollars par an, soit 1,3 % du PIB. Désormais, nos dépenses militaires atteindront 1,7 % du PIB, soit environ 50 milliards de dollars par an. Voir à la page 6 du rapport sur les dépenses de défense de l'OTAN, les dépenses militaires du Canada : https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2023/7/pdf/230707-def-exp-2023-fr.pdf

Le Canada se classe au 14e rang mondial pour ses dépenses militaires qui augmentent considérablement : non productives, dommageables pour l'environnement, à forte intensité de carbone et provoquant une dangereuse course aux armements.*Toutes ces dépenses militaires signifient moins de fonds publics pour l'adaptation climatique, les soins de santé, l'éducation, le transport en commun, le logement abordable et la réconciliation autochtone.

Le Canada dépense 1 milliard de dollars pour l'adaptation climatique, mais vient d'annoncer 4 milliards de dollars supplémentaires cette année pour la guerre en Ukraine et n'a aucun plan pour y mettre fin. Grâce à la nouvelle mise à jour de la défense, la réponse du Canada au changement climatique devient de plus en plus militarisée – nous n'avons pas besoin de soldats entraînés au combat pour faire face à des événements météorologiques extrêmes. Nous avons plutôt besoin d'une réponse d'urgence non militarisée et de pompiers de forêt formés, de mesures d'adaptation au climat, de refroidissement, de bâtiments écologiques, d'emplois verts, de développement des énergies renouvelables, de transports en commun étendus, etc.

Le militarisme accéléré du Canada est motivé par notre appartenance à l'OTAN et notre partenariat de défense avec les États-Unis. Le militarisme de l'annonce fédérale en matière de défense exacerbera la dégradation du climat et sonne le glas d'une décarbonation rapide pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris (GIECC) et ceux de développement durable. Cyniquement, il y a deux semaines, Affaires mondiales Canada a publié son nouveau Plan d'action national pour les femmes, la paix et la sécurité 2023-2029, sans AUCUNE consultation publique avec les groupes de femmes et AUCUN budget alloué. Voir « Fondements pour la paix : Plan d'action national du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité - 2023 à 2029 » : https://www.international.gc.ca/transparency-transparence/assets/pdfs/women-peace-security-femmes-paix-securite/2023-2029-foundation-peace-fondation-paix-en.pdf. *

Rien de ce que le gouvernement canadien fait dans le monde n'est conforme au programme d'ONU Femmes, Paix et Sécurité et ne crée une base pour la paix. Le Canada a contribué à renverser les gouvernements démocratiques d'Haïti en 2004 et d'Ukraine en 2014, entraînant chaos et violences ; malgré ses intentions de paix, notre pays a aidé à bombarder la Syrie et l'Irak de 2014 à 2016, la Libye en 2011, a participé à une mission sanglante de combat en Afghanistan jusqu'en 2014, a exporté des armes en Arabie Saoudite, au Bahreïn, au Pérou, en Ukraine et en Israël, en prolongeant ainsi des conflits violents et en soutenant un horrible génocide à Gaza.

Pire encore, l'armée canadienne ne fait PLUS de maintien de la paix. Le Canada occupe actuellement le 69e rang avec seulement 47 policiers de maintien de la paix participant aux opérations de soutien de la paix de l'ONU. Consultez le dernier rapport sur la contribution des troupes et de la police aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies ici : https://peacekeeping.un.org/sites/default/files/02_country_ranking_68_november_2023_revision_1.pdf

Guy A. Lepage répéta deux fois à la télévision de Radio-Canada à Mélanie Joly le 7 avril la critique de l'ex-général Roméo Dallaire à ce sujet : « Canada grand parleur, petit faiseur ». Le 30e anniversaire du génocide rwandais voit le professeur de l'UQAM Bernard Duhaime mandaté par l'ONU pour faire la lumière, aidé par les reportages de Sophie Langlois (R-C).

Le Canada investit peu ou pas d'argent dans la diplomatie ou dans la consolidation de la paix pour mettre fin aux conflits. Il ressort clairement de cette nouvelle mise à jour en matière de défense que le Canada se prépare dangereusement à une guerre avec la Russie et la Chine et risque ainsi une escalade nucléaire sur une planète qui se réchauffe rapidement.

Veuillez contacter votre député pour lui dire que vous êtes opposéE à la nouvelle politique de défense du Canada Notre Nord, fort et libre et que vous voulez que le Canada se retire de l'OTAN et de ses guerres et investisse dans la paix, l'action climatique et la sécurité humaine.

Si nous voulons entretenir tout espoir climatique, nous avons besoin de démilitarisation et de désarmement pour la décarbonisation. Nous devons de toute urgence faire la paix avec tous les pays, y compris l'Ukraine, la Palestine, la Russie, la Chine, l'Iran, la Corée du Nord, le Venezuela, le Nicaragua, etc., pour coopérer à résoudre l'urgence climatique et la crise de la pauvreté, en particulier pour le logement

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En Europe, Northvolt a tenu des consultations publiques !

16 avril 2024, par John Olympio — , ,
Northvolt est au centre d'une controverse concernant le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) au Québec. Benoit Charette, ministre de l'Environnement, a avoué (…)

Northvolt est au centre d'une controverse concernant le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) au Québec. Benoit Charette, ministre de l'Environnement, a avoué que le gouvernement québécois a volontairement fait en sorte que Northvolt évite de devoir passer un examen du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) par crainte de perdre le projet. L'entreprise est aussi revenue sur ce qu'elle a dit auparavant et reconnaît avoir cherché à y échapper. Or, selon les informations que nous avons recueillies, l'entreprise suédoise accepte des consultations auprès des populations européennes. Pourquoi pas au Québec ?

7 avril 2024 | Journal des Alternatives
https://alter.quebec/__trashed-3/

Plusieurs usines de Northvolt en Europe ont fait l'objet de consultations populaires

Dès le début d'existence de la startup, on constate que l'entreprise a organisé des consultations publiques pour son usine à Skellefteå en Suède, le pays de sa naissance1. Elle a ainsi tenu compte des préoccupations locales et intégré des modifications dans son projet final.

Elle a aussi adopté une démarche similaire à Gdańsk en Pologne et à Heide en Allemagne2, ou encore au Portugal, où plus de 1 100 personnes ont participé à la consultation publique pour l'usine de Northvolt à Setúbal3.

Une stratégie de consultation pour se démarquer de Tesla

À Schleswig-Holstein, en Allemagne, et malgré qu'elle avait déjà obtenu l'appui des gouvernements provinciaux et fédéraux, Northvolt a maintenu ses consultations au niveau municipal. Elle a ensuite invité des résident.es à visiter ses usines en Suède.

Selon le journal local, c'est probablement cette approche qui explique son succès face à Tesla, dont un projet similaire n'avait pas passé le vote. En revanche, même en Europe, les projets Northvolt ont suscité des débats parmi les écologistes. Si en Allemagne, les écologistes se sont opposés au projet Schleswig-Holstein, du côté danois, le projet ne reçut pas d'opposition citoyenne.

Northvolt, surprise de la réaction au Québec

Le PDG de Northvolt Amérique du Nord, Paolo Cerruti, s'est dit « surpris » devant la mobilisation écologiste au Québec. Pas surprenant si on tient compte des modifications des lois concernant le BAPE que le gouvernement du Québec a fait. Notons qu'en Suède, lorsqu'un village suédois a critiqué la destruction de l'équivalent de 150 terrains de football pour construire son usine, l'entreprise s'était dite « surprise » de la réaction de la population locale, affirmant qu'elle avait respecté toutes les mesures de consultation publique. Malgré ces contestations, l'entreprise a bénéficié finalement du soutien de la population en Europe et les projets ont pu se développer.

La population du Québec a droit à un BAPE

Pourquoi ne pas permettre une consultation publique au Québec ? Comme ailleurs, le dialogue avec les populations locales et les enjeux de démocratie écologique demeurent des éléments essentiels subjuguant les enjeux d'efficience, comme le soutient le Comité action citoyenne (CAC).

« Comment se peut-il que le plus grand projet industriel privé de l'histoire du Québec ne soit pas évalué de manière indépendante ? » questionne Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada. Et d'ajouter : si le plus grand projet industriel privé de l'histoire du Québec n'est pas assez « gros » pour qu'il y ait un BAPE, quel projet le sera ?

Soutenons les actions pour demander un BAPE :

Multiplions les courriels auprès de Benoit Charette

Signons la pétition du Comité action citoyenne sur Change

1. Rapport de consultation publique de Northvolt à Skellefteå
[↩]

2. Invitation à des consultation publiques pour son usine à Heide [↩]

3. Rapport de consultation publique de l'agence publique de l'environnement portuguaise[↩]

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Le Québec possède le meilleur potentiel éolien en Amérique du Nord (avec T-N-L)

16 avril 2024, par Ralliement contre la pollution radioactive — , ,
Le NREL est un immense organisme américain consacré à la recherche sur l'énergie, avec une section complète sur l'éolien. La photo est tirée de la section Wind Data and Tools (…)

Le NREL est un immense organisme américain consacré à la recherche sur l'énergie, avec une section complète sur l'éolien. La photo est tirée de la section Wind Data and Tools contenant profusion de données, d'outils de modélisation et divers utilitaires.

Tiré de https://www.facebook.com/ralliementcontrelapollutionradioactive

Selon le NREL (National Renewable Energy Laboratory - USA)

Le NREL est un immense organisme américain consacré à la recherche sur l'énergie, avec une section complète sur l'éolien. La photo est tirée de la section Wind Data and Tools contenant profusion de données, d'outils de modélisation et divers utilitaires.

Le National Renewable Energy Laboratory prévoit que le coût de l'énergie éolienne va baisser de 25% entre 2012 et 2030.

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