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Les Jeux olympiques n’ont pas eu lieu

Décortiquant la Charte olympique et les documents liants le Comité international olympique à ses partenaires, Marc Perelman décrypte ce qui s'avère être une idéologie autoritaire et plus soucieuse de profits que d'écologie, de santé publique, de respect des territoires, d'éducation, malgré des promesses vertueuses. Il analyse « le coeur du projet olympique et de ses valeurs, ainsi que les conséquences sociopolitiques sur nos territoires et dans nos vies ».
Non seulement les Jeux olympiques et paralympiques prévus à Paris en 2024 occupent d'ores et déjà une partie de l'actualité mais aussi le « terrain » avec pas moins de 7000 points de travaux en cours dans la capitale et la Seine-Saint-Denis, pour le plus vaste et le plus long chantier depuis Hausmann. Marc Perelman consacre un long chapitre à la confiscation mémorielle opportunément réalisée par la concordance décidée entre la date de l'ouverture des jeux et celle de la fin de la restauration de Notre-Dame de Paris. C'est toute la ville qui sera ainsi « durablement colonisée par l'olympisme » puisque cette « olympisation » (le terme est de Coubertin) s'étendra à d'autres monuments : compétitions d'équitation au château de Versailles, d'escrime au Grand Palais, de beach-volley près de la Tour Eiffel, de vélo sur les Champs Élysée, de tir à l'arc aux Invalides, de triathlon au Trocadéro, de nage libre dans la Seine,… La rénovation de l'île de la Cité préconise sa « mise en tourisme » pour la rendre « conforme à l'urbanisme de la capitale du XXIe siècle » c'est-à-dire en transformant « l'actuel piéton en superconsommateur ».
Le Dossier de candidature de Paris 2024 ne s'embarrasse pas d'euphémismes. Il s'engage « à réduire tout risque potentiel de perception négative des Jeux » ! Les quelques opposants politiques ne remettent jamais en question l'idéologie des Jeux, ni n'analysent « les JO comme une institution intégrée à l'ordre capitaliste, structurellement liée à la compétition qui en est la seule matrice ». Les Insoumis se contentent de dénoncer le mercantilisme et les écologistes parisiens proposent d'organiser des Jeux écolos. L'auteur s'attarde peu sur le budget annoncé, fixé à 6,8 milliards. Même s'il rappelle que ceux des Jeux précédents dépassaient en moyenne de 179% les prévisions. Il s'intéresse surtout à « la façon dont les JO parviennent à faire partager l'idéologie de la compétition des uns contre les autres au nom du bonheur d'être ensemble, de la citoyenneté partagée, de la santé, de l'éducation, de la culture pour tous, etc. » « Dans le sport, personne ne conteste la compétition, qui en est aussi le moteur et reste surtout son “point aveugle“. Et pourtant le sport de compétition ne ressemble en rien au jeu ou à l'activité ludique, qui eux font appel à la liberté de se mouvoir quand on veut et où on veut, à la gratuité, à la non discrimination entre les sexes, à l'accueil de corps différents, à l'indifférence quant aux résultats, aux refus de la performance, du record et de la prouesse, au rapport libre, organique et plastique avec une nature non artificialisée. » « Les JO fabriquent un monde à l'image d'une immense compétition. Ils fabriquent ou plutôt redoublent le monde de la compétition économique capitaliste par une compétition, pour le coup, musculaire entre les individus censés représenter leurs nations (il est pourtant précisé dans la Charte olympique que les compétitions se déroulent entre athlètes ou entre équipes, et non entre nations). »
La Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), créée en février 2017, s'est engagée à ce que les nouvelles constructions protègent et développent la biodiversité, atténuent le réchauffement climatique. Marc Perelman, architecte de formation, y voit surtout une « architecture sans âme, (…) subordonnée à l'urbanisme actualisé du greenwashing » et une smart city dont la consommation d'énergie ne sera certainement pas en baisse. Les organisateurs ne parlent que des « 100% de spectateurs se déplaçant en transports en commun », sans tenir compte des moyens utilisés pour rejoindre la capitale. Il est également permis de douter des promesses de « zéro imperméabilisation » des sols, de « 100% de l'alimentation » en filière locale (avec Coca Cola comme partenaire officiel !).
La lecture du contrat liant la ville hôte au CIO est affligeante : la ville est responsable de tout tandis que le CIO empoche des royalties, y compris sur l'utilisation des symboles olympiques, sans être jamais redevable d'impôts directs ou indirects. Aucun autre événement ne peut avoir lieu, avant ou après les Jeux, sans l'accord préalable du CIO. Le projet de loi relatif à l'organisation des Jeux a été voté en mars 2018 et se présente comme « l'ultime ordre de soumission aux oukases du CIO ». Article 10 : « les constructions, installations et aménagements directement liés à la préparation, à l'organisation ou au déroulement des Jeux olympiques et paralympiques 2024 et ayant un caractère temporaire constituent des réalisations dispensées de toute formalité au titre du code de l'urbanisme ».
La Charte olympique, véritable « codification de l'olympisme », défend une « philosophie de la vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l'esprit. Alliant le sport à la culture et à l'éducation, l'olympisme se veut créateur d'un style de vie fondé sur la joie dans l'effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels », dans le complet déni d'un olympisme « entaché de tant et tant de méfaits, de forfaitures, de mensonges réguliers, de dissimulations, de ruses, de mascarades, quand ce ne sont pas prévarications, concussions et malversations ». Quand elle évoque le « sport », elle ne parle que de compétition, « c'est-à-dire d'une activité codifiée, institutionnalisée, développant sa propre logique avec ses records, sa violence partout déployée », l'inverse du jeu, « une activité désintéressée, sans but lucratif, ludique, libre ».
Si toute forme de discrimination est proscrite, les JO ont bel et bien renforcé le régime nazi en 1936 et à Mexico, en 1968, quelques jours après le massacre de trois cents étudiants, Tommie Smith et John Carlos ont été exclus pour avoir levé leurs poings gantés de noir en signe de protestation contre le racisme aux États-Unis.
Si la Charte stipule donc bel et bien que les compétitions voient s'affronter des athlètes, « en épreuves individuelles ou par équipes et non entre pays », tout dans leur déroulement, depuis l'ouverture « quasi militaire », les hymnes nationaux, les classements, prouve le contraire.
L'auteur étudie ensuite l'impact des Jeux en Seine-Saint-Denis où la construction du village olympique, par exemple, implique le « déménagement » de vingt-cinq entreprises, d'une école d'ostéopathes, d'un foyer de migrants, d'un lycée professionnel, du réfectoire et de l'internat d'une école d'ingénieurs. Il rappelle le coût exorbitant de l'entretien du Stade de France pour 20 à 30 événements par an, réglé par les habitants, jusqu'à ce que la société d'e-sport Team Vitality (dont l'équipe de jeu vidéo de football Fifa !) ne s'engage comme club résident.
Pierre de Coubertin étant déjà l'objet de nombreuses études, l'auteur nous propose quelques échantillons significatifs de ses déclarations pour découvrir le personnage. Extraits :
« La théorie de l'égalité des droits pour toutes les races conduit à une ligne politique contraire à tout progrès colonial. Sans naturellement s'abaisser à l'esclavage ou même à une forme adoucie de servage, la race supérieure a parfaitement raison de refuser à la race inférieure certains privilèges de la vie civilisée. »
« Ô sport, tu es la Fécondité ! Tu tends par des voies directes et nobles au perfectionnement de la race en détruisant les germes morbides et en redressant les tares qui la menacent dans sa pureté nécessaire. »
Suivent vingt-et-une « thèses », série de réflexions philosophiques ou sociologiques sur les « ressorts structurels du sport », parmi lesquelles nous avons glané quelques bribes pour donner le ton et aussi envie d'en lire plus :
« Intégrée à l'ensemble des institutions que les hommes se sont donnés, et jusque dans l'école, la compétition assigne les individus de leur naissance à leur mort à une société dont la matrice politique est la lutte de tous contre tous. »
« Le sport nait à la fin du XIXe siècle et se déploie en tant que projet politique et idéologique dans un cadre économicopolitique capitaliste structuré par la forme compétitive de l'organisation globale des rapports sociaux. »
« Les manifestations sportives déversent sans interruption des flots de résultats, de statistiques et d'anecdotes qui saturent l'espace comme le temps. “Le sport ne s'arrête jamais“ afin qu'on “oublie la politique“, comme l'énonce la chaîne de télévision quatari BeIN sport ».
« Le dopage, la violence ou encore le racisme (antisémitisme inclus) sont consubstantiels au sport. Ils ne l'altèrent pas ; ils n'en sont pas des excroissances monstrueuses : ils sont la vérité du sport. »
« La critique du sport n'a pas de projet et elle n'est pas un projet puisque son seul objectif est la disparition de son objet : le sport. »
N'en doutons pas, cet ouvrage suscitera de nombreuses réactions. Il a l'immense mérite de pulvériser un discours dominant.
2024 – LES JEUX OLYMPIQUES N'ONT PAS EU LIEU
Marc Perelman
192 pages – 18 euros
Éditions du Détour – Bordeaux – Janvier 2021
editionsdudetour.com/index.php/2024-les-jeux-olympiques-nont-pas-eu-lieu
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État d’urgence olympique

Derrière la mise en place, pour la tenue des JO 2024, de mesures dites « exceptionnelles » visant au bon déroulement de l'exception, se profile un « état d'urgence olympique ». Sécurités, libertés et droits se voient reconfigurés, la « fête » olympique constituant avant tout la célébration d'un certain ordre, nouvelle étape de l'imposition d'un projet autoritaire, sous couvert de célébration sportive.
10 juin 2024 | tiré de la lettre d'AOC.media
« Exceptionnel ». Le mot est partout : à moins de deux mois des JO 2024. Fête exceptionnelle, cérémonies exceptionnelle, sites exceptionnels, ferveur exceptionnelle… Cette volonté d'ériger les Jeux de Paris en célébration de l'exception, affirmée dès l'origine (le mot figurait déjà 58 fois dans le dossier de candidature), se retrouve aujourd'hui dans une formule à la tournure proverbiale, dont la pauvreté langagière masque mal l'autoritarisme : « À événement exceptionnel, mesures exceptionnelles ».
Peut-être faut-il voir dans cette récurrence un aveu. On peut s'étonner en effet d'entendre qualifier aussi souvent d'exceptionnel un événement organisé tous les quatre ans, prévu depuis près de dix ans, planifié à la minute près, et qui n'a donc, en fait, rien d'un « événement » au sens propre du terme, du fait dont l'irruption nous surprend, du major event derridien déchirant la toile de nos jours.
Or, derrière cette maxime maintes fois répétée se cache aussi une équivalence entre les Jeux eux-mêmes, décrits d'avance comme un moment unique par ses dimensions et son retentissement, et les « mesures » adoptées depuis la désignation de Paris comme ville hôte et que l'on peut mieux décrire, selon une acception plus étroitement juridique, comme des mesures d'exception.
Il faut dire que la France a fait depuis près de dix ans l'expérience de l'extension progressive, et quasiment irrésistible, de l'exception au service du pouvoir. La vague d'attentats vécue au mitan des années 2010 – tout particulièrement ceux de Paris en janvier et novembre 2015 – a souvent été invoquée comme moment fondateur de l'unanimité autour de l'organisation de JO. Jusque-là, le projet suscitait en effet plutôt les doutes, voire les résistances (celle de la maire de Paris notamment, tardivement ralliée au projet). Or, ces mêmes attentats constituent aussi le point de départ d'une politique de l'urgence qui n'a pas seulement traduit une réponse au terrorisme, mais aussi, et peut-être d'abord, la généralisation d'une véritable technique de gouvernement, pour la mise en ordre d'un certain nombre de mouvements sociaux. On le sait en effet, les lois votées dans le cadre de l'état d'urgence antiterroriste et, par la suite, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, ont largement accru les pouvoirs dont disposent les préfets et les forces de l'ordre : des pouvoirs exceptionnels en matière d'interdiction de rassemblements publics, ainsi que de contrôle et de restriction des déplacements, y compris individuels.
Très rapidement, les pouvoirs ouverts par l'état d'urgence déclaré au soir du 13 novembre furent ainsi très largement utilisés pour empêcher un certain nombre de manifestations et de rassemblements publics, politiques ou syndicaux. On peut ainsi rappeler que l'usage des pouvoirs d'urgence contre des mobilisations populaires a été observé dès la fin de 2015 lorsque, à l'occasion de la Conférence des Nations unies sur le climat (COP 21), organisée à Paris du 30 novembre au 12 décembre, de nombreux militants écologistes se sont vus touchés par des assignations à résidence, avec obligation de pointer plusieurs fois par jour au poste de police. Même chose en 2016, pour endiguer l'opposition à la loi travail (ou « loi El Khomri ») portée par le président Hollande et le gouvernement Valls, étape majeure dans la destruction des droits des salariés. Contre la contestation syndicale et populaire, le gouvernement, par l'intermédiaire de ses préfets, a alors pris, en s'appuyant sur les pouvoirs exceptionnels ouverts par l'état d'urgence, pas moins de 574 mesures individuelles à l'encontre de militants, pour empêcher leur participation aux rassemblements prévus.
Ces usages ont persisté, et ont été amplifiés sous la présidence Macron, dont le premier quinquennat s'est déroulé en majeure partie (35 mois sur 60) sous régimes d'état d'urgence – celui régi par la loi de 1955, activé au lendemain des attentats et resté en vigueur jusqu'au 1er novembre 2017, et l'état d'urgence sanitaire créé en mars 2020. Le recours à l'état d'urgence et aux possibilités qu'il offre aux autorités est d'ailleurs souvent évoqué pour contrer des vagues de protestations populaires, comme à l'époque du mouvement des « gilets jaunes », ou encore pour répondre aux émeutes consécutives à l'assassinat du jeune Nahel Merzouk lors d'un contrôle de police en juin 2023, même si sa mise en œuvre la plus récente est plus localisée, retrouvant les origines coloniales du dispositif, dans le cadre du regain de tensions en Nouvelle-Calédonie.
Surtout, ces pouvoirs exceptionnels ont été pour leur plus grande partie intégrés au droit commun après l'adoption de la loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » en octobre 2017, et celle de la loi dite « sécurité globale » en mai 2021. C'est donc bien une transformation des mesures exceptionnelles en pouvoirs permanents qui a eu lieu, et cet arsenal juridique permet d'assurer de façon courante la restriction des libertés, en ciblant les mouvements sociaux et écologistes, souvent touchés par ces mêmes mesures de surveillance accrue, d'assignation à résidence, ou d'interdiction de déplacement. Ce fut de nouveau le cas à l'encontre des manifestations faisant suite au projet de réforme des retraites au printemps 2023, et violemment réprimées tandis que la loi était adoptée par recours à l'article 49.3 de la constitution. Ainsi appliqué, l'état d'urgence en France, et l'ensemble des mesures auxquelles il ouvre, souvent elles-mêmes rendues après coup permanentes, ont en premier lieu visé à saper les moyens de lutte sociale et de contestation contre différents projets d'inspiration néolibérale.
Or, après l'état d'urgence sécuritaire et l'état d'urgence sanitaire, la caractérisation des JO de 2024 comme un événement « exceptionnel » requérant des mesures « exceptionnelles » aboutit aujourd'hui à la formulation discrète, mais politiquement et juridiquement tangible, de ce que l'on pourrait appeler « état d'urgence olympique ».
Les JO sont l'occasion de l'instauration d'un véritable autant que discret régime d'état d'urgence.
Comme souvent par le passé, et d'une façon parfois particulièrement tragique, comme à Pékin ou à Rio – et quoi que l'on aurait pu espérer autre chose dans le cadre d'un État à référentiel démocratique – c'est dans le cadre des chantiers pour l'organisation des Jeux que l'exception a fait son entrée. En mars 2018, déjà, une loi avait allégé les procédures d'urbanisme pour les constructions des JO, que le président Macron lui-même avait décrite comme une « loi d'exception ». À cela s'ajoutent, de façon tout aussi classique (ce qui ne les rend pas moins discutables) un certain nombre de dérogations accordées pour l'occasion aux organisateurs, au Comité international olympique, aux sponsors, comme diverses exonérations fiscales, ou encore l'autorisation plus triviale de consommer de l'alcool dans les stades dans les espaces « VIP », en contradiction avec la loi Evin s'appliquant aux spectateurs lambda.
Mais pour les Jeux de Paris, l'exception olympique ne s'arrête pas là et a investi d'autres domaines, au point de produire un effet profond et durable sur la démocratie française elle-même. La loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques (ou « loi JO ») a ainsi ajouté un grand nombre de mesures dérogatoires à celles existantes, y compris d'ailleurs des dérogations concernant le droit du travail, par exemple pour l'assouplissement des règles sur le travail dominical pendant la durée des Jeux. Les « besoins exceptionnels » résultant des Jeux permettront ainsi aux commerçants des communes où sont situés les sites, ou dans les communes limitrophes, de ne pas respecter l'interdiction du travail dominical, y compris dans le domaine de l'habillement, de l'électronique, ou encore pour les coiffeurs, même si l'on ne voit pas trop en quoi le repos dominical dans ces secteurs doit garantir la bonne tenue des Jeux olympiques.
D'autres mesures surtout concernent de façon importante la sécurité et le maintien de l'ordre, renforçant l'arsenal juridique formé cette dernière décennie et justifiant de reconnaître dans le contexte actuel un véritable « état d'urgence olympique » – alors même que le caractère organisé, planifié des JO, aurait dû nous préserver de toute la « suspension » de la normalité, de la rationalité, de la légalité, qu'ont pu entraîner les actes terroristes ou la pandémie de Covid, épisodes à côté desquels l'été olympique parisien tient plutôt du simulacre d'événement.
À ainsi été adoptée dans cette « loi JO 2024 » une technologie de « vidéosurveillance intelligente » permettant de détecter des comportements suspects grâce à un traitement algorithmique des images collectées par les caméras installées dans l'espace public, et par les drones équipant les forces de l'ordre. En somme, c'est bien une forme dite « atténuée » de reconnaissance faciale qui entre en vigueur, pour la première fois dans l'Union européenne d'ailleurs, un système dont les dangers pour la vie privée et la liberté d'expression ont été largement soulignés. Rappelons en particulier que tout système de vidéosurveillance algorithmique tend à renforcer des biais discriminatoires et racistes déjà très largement à l'œuvre dans les pratiques de maintien de l'ordre.
Ce dispositif annoncé comme « exceptionnel », c'est-à-dire en théorie temporaire, est entré en vigueur dès sa promulgation, et peut donc d'ores et déjà être utilisé (et il l'est) pour toute manifestation (sportive ou non), dans à peu près tout lieu fréquenté par le public. Elle restera par ailleurs applicable bien au-delà de la fin des Jeux olympiques, c'est-à-dire jusqu'à la fin mars 2025. Le temps, peut-être, sans doute même, d'en rendre l'usage définitif. Bien évidemment, il est en effet question que ce dispositif « temporaire », « exceptionnel », lié aux besoins « spécifiques » des Jeux olympiques soit rendu permanent, comme tant d'autres dispositifs exceptionnels avant lui. On peut imaginer (et frémir d'ailleurs à cette idée) l'usage très large qui pourrait être fait de ces technologies dans le cadre de la surveillance des manifestations contre les réformes économiques ou sociales du gouvernement, ou pour « encadrer » toutes sortes d'événements politiques et de rassemblement militants.
Le gouvernement français a d'ailleurs très rapidement après l'adoption de la loi JO évoqué, par la voix de la ministre des Sports et brièvement de l'Éducation nationale, Mme Oudéa Castera, son souhait de pérenniser ce dispositif s'il « fait ses preuves » pendant la période d'expérimentation. Cette condition est évidemment suffisamment floue pour ne pas manquer d'être remplie : qu'est-ce qu'un dispositif de sécurité qui fait ses preuves ? Si la sécurité est assurée, on pourra assurer que les caméras dites « intelligentes » y sont pour quelque chose. Si un quelconque événement survient, on y verra une raison de pérenniser ce moyen supplémentaire dans les mains des forces de l'ordre. Et si des excès surviennent dans les usages de cette technologie, voire des bavures, bien évidemment nous n'en saurons rien, et cela ne changera rien, puisque c'est là le quotidien de la police en France.
On peut aussi ajouter que si la vidéosurveillance « biométrique » a ainsi été autorisée par la loi JO de 2023, celle-ci ne constitue d'une certaine façon qu'une occasion pour la mettre en œuvre, puisque ce type de technologie lui-même était déjà connu, ayant été acheté depuis une dizaine d'années déjà par l'Intérieur comme par de nombreuses collectivités territoriales. La reconnaissance faciale a ainsi été expérimentée hors de tout contrôle et de tout encadrement juridique – la CNIL a lancé à ce sujet une procédure de contrôle en novembre 2023, dont les résultats restent attendus. Il ne restait donc plus qu'à autoriser cette technologie. Or, si les textes se limitent à la « vidéosurveillance intelligente », le logiciel Briefcam utilisé par les forces de l'ordre comprend aussi une fonction de reconnaissance faciale dont l'activation ne peut être totalement contrôlée. La France, premier pays de l'UE à autoriser ce type de technologie, a par ailleurs largement poussé, lors des débats sur l'IA Act (adopté par le Parlement européen le 13 mars dernier), contre toute interdiction totale de la reconnaissance faciale dans l'espace public. Que l'autorisation de la reconnaissance faciale ait vocation à être mise à l'ordre du jour ne fait donc aucun doute, et les mesures sécuritaires exceptionnelles adoptées pour les Jeux de Paris constituent, sur ce chemin, une étape décisive.
La cérémonie évoque les entrées royales qui élaboraient une représentation codifiée du pouvoir.
N'oublions pas enfin, parmi les mesures d'exception liées aux JO, les restrictions de circulation étendues à l'échelle de la région-capitale dans son ensemble, ainsi que quelques mesures notables de police sociale : les étudiants qui ont récemment dû libérer leur logement en pleine période d'examens, et trouver à se loger ailleurs jusqu'à l'automne ; ou encore la multiplication ces dernières semaines des actions des forces de l'ordre contre les campements de migrants, contre les sans domicile fixe, les personnes marginales, pauvres, qui dorment dans leur voiture, dans des squats ou des abris de fortune, et qui sont aujourd'hui victimes d'un nettoyage social silencieux mais méthodique et systématique, partout à Paris et en proche banlieue. La ville et ses habitants se trouvent ainsi soumis à Paris à une « violence olympique » récemment soulignée par la journaliste Jade Lindgaard dans son livre sur le sujet, Paris 2024 (éd. Divergences).
En cela, les JO sont bien l'occasion de l'instauration d'un véritable autant que discret régime d'état d'urgence propre au caractère artificiellement engendré de l'« exception » olympique. Au profit de qui ? Qu'est-ce qu'une fête populaire tournée contre les citoyens censés constituer cette fiction du peuple français ?
Toute fête est assurément politique. L'affirmation tient de la tautologie, en même temps qu'elle reste vague. La grande machinerie olympique ne peut quant à elle se défaire d'une logique de démonstration, de représentation d'un pouvoir pour lequel les Jeux représentent avant tout l'opportunité d'accroître les moyens légaux d'un autoritarisme de plus en plus affirmé. En cela d'ailleurs, la décision visant à faire sortir la cérémonie inaugurale du cadre habituel du stade (et qui ne faisait pas partie des plans annoncés dans la candidature parisienne) participe aussi d'un détournement de l'événement sportif vers une politisation radicale. Dans moins de deux mois, en effet, glissera sur la Seine le spectacle par lequel la ringardise du récit national, masquée pour l'occasion sous un accoutrement pop, s'offrira au reste du monde.
Par quelques aspects, la cérémonie prévue évoque quelques exemples historiques plus particuliers. Elle paraît tenir des entrées royales qui, à partir de la fin du Moyen Âge, avaient élaboré une représentation codifiée du pouvoir, comme l'ont jadis montré Bernard Guenée et Françoise Lehoux dans leur anthologie sur le sujet : à la fois « spectacle bruyant et coloré » et véritable « Fête-Roi », mettant en scène la rencontre du monarque et du peuple pour mieux asseoir, sous l'apparence du serment et de l'échange, la souveraineté du premier s'affirmant sur le second. Ou encore, de la festivité louisquatorzienne, véritable continuation de la politique (et de la guerre) par d'autres moyens, selon Louis Marin dans Le Portrait du roi, et moment par lequel « le coup d'État du Prince est représenté dans le miracle de la fête » – moment de révélation du pouvoir, de retour à son fondement, « apocalypse de son origine » retrouvée par le spectacle de la force.
Voilà donc ce à quoi l'on peut s'attendre, ce qui nous sera bientôt donné à voir : la représentation de l'ordre même, spectacle du pouvoir et de la fiction nationale s'imposant aux spectateurs conviés, chacun tenu à sa place et selon son rang social, depuis les spectateurs munis de billets gratuits et qui seront massés sur les quais haut, jusqu'aux ponts privatisés pour l'occasion, à 9 500 euros la place. Chacun, filmé, analysé par les algorithmes policiers, occasion vivante de mettre en œuvre à grande échelle les nouvelles mesures d'exception issues de cet « état d'urgence olympique » introduit clandestinement – et de faire la preuve de leur efficacité dans la perspective de leur intégration permanente au droit.
NDLR : Julien Le Mauff a récemment publié L'Empire de l'urgence, ou la fin de la politique aux PUF
Julien Le Mauff
HISTORIEN, POLITISTE, ATER EN SCIENCE POLITIQUE À L'UNIVERSITÉ DE LILLE
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Le RES avec le Front populaire

Le réseau éco-syndicaliste est né en 2021 à la suite d'un appel signé par plus d'une centaine de syndicalistes. Aujourd'hui plus que jamais, la mobilisation de toutes les forces progressistes, à commencer par les forces syndicales, alliées aux forces de l'écologie, dans un front populaire uni, est indispensable pour faire barrage au rassemblement national.
Tiré du blogue de l'auteur.
Le réseau éco-syndicaliste est né en 2021 à la suite d'un appel signé par plus d'une centaine de syndicalistes. C'est un réseau intersyndical qui fait le lien entre syndicalisme et écologie, entre justice sociale et justice environnementale, à partir des premier.es concerné.es, les travailleurs et travailleuses eux mêmes.
Aujourd'hui plus que jamais, la mobilisation de toutes les forces progressistes, à commencer par les forces syndicales, alliées aux forces de l'écologie, dans un front populaire uni, est indispensable pour faire barrage au rassemblement national et l'empêcher d'accéder au pouvoir dans les institutions, mais aussi dans la rue, sur nos lieux de travail, dans nos écoles, dans nos vies.
Depuis 3 ans, nous avons été aux côtés des travailleurs et des travailleuses les plus concernées par les questions sociales écologiques : soutien à la mobilisation des salarié.es de l ONF, tribune et aide logistique aux salarié.es des déchets pendant la réforme des retraites, participation active à la mobilisation des travailleurs sans papiers face à la loi immigration, soutien aux agricultrices et agriculteurs en colère face à l agro-industrie et aux supermarchés, soutien aux travailleurs de la logistique, campagne sur les accidents et les morts au travail avec les travailleurs de la construction, notamment dans la demande de justice pour Amara Dioumassy sur le chantier d'Austerlitz.
Ces salarié.es sont à la fois les premiers acteurs et les premier.es impacté.es par la destruction du vivant causée par l'activité humaine. Soumis à l'agrobusiness qui tue la terre et qui finira par tous nous affamer si nous ne faisons rien, les travailleurs et travailleuses agricoles sont aussi les premières victimes des cancers liés aux pesticides. Les salarié.es des déchets et de la propreté se mettent chaque jour en danger pour rendre vivables nos villes, face aux conséquences terribles de la croissance infinie qui engendre un telle production de déchets qu'elle pollue l'eau, le sol, et l'ensemble de la vie. Une semaine de grève des éboueurs et tout notre système sanitaire s'affole. Les travailleurs de la construction sont les premiers témoins de l'artificialisation des terres, mais aussi les premières victimes des accidents, morts au travail et maladies professionnelles liées aux produits toxiques et à l'usure des corps.
Ces trois secteurs d'activité : agriculture industrielle, déchets, construction, ont un impact considérable sur la qualité de l'air, de l'eau et des sols dont dépend notre survie pour boire, manger, et respirer. On ne fera pas d'écologie sans le monde du travail. C'est évident. C'est la raison d'être du RES.
On constate aussi que ces secteurs, les plus pénibles, sont particulièrement concernés par la division raciale du travail et le racisme environnemental : les travailleurs agricoles, des déchets, de la propreté, de la construction, sont souvent immigrés ou descendants de la colonisation française. Avec la catastrophe climatique, certain.es sont déjà des réfugié.es climatiques. Ils seront aussi les bouc émissaires et les premières victimes des actes racistes qui se multiplieront si l'extrême droite arrive au pouvoir.
Aujourd'hui l'extrême droite a gagné en partie la bataille des idées : elle reprend à son compte le slogan du front populaire de 1936 : pain, paix, liberté. Face aux ravages du néolibéralisme, elle promet aux travailleurs pauvres, aux laissé.es pour compte, que la vie sera plus facile si les entreprises produisent plus, et si les gouvernants instaurent la préférence nationale et le racisme en acte, renforcent la liberté d'opprimer.
– L'extrême droite au pouvoir, c'est le productivisme à outrance, le soutien à l'agrobusiness, aux énergies fossiles, à la destruction de la planète
– C'est la répression syndicale et politique, la casse du code du travail, l'impunité face aux discriminations
– C'est enfin le soutien à toutes les forces réactionnaires dans la rue et dans nos vies, les ratonnades, la peur de l'autre
Plus que jamais, il est indispensable que le syndicalisme, les forces de l'écologie et les forces anti racistes se conjuguent pour lutter contre l'extrême droite, dans la rue, dans les urnes, dans les entreprises, mais aussi dans dans la bataille des idées, avec nos familles, nos collègues qui sont tentés par les sirènes de Bardella.
Pour toutes ces raisons, le RES se tient aux côtés des travailleurs, travailleuses et des forces progressistes ce samedi 15 juin, mais aussi dans toutes les initiatives qui se tiendront par la suite.
L'assemblée de rentrée du RES aura lieu le samedi 21 septembre à Paris, et nous déterminerons ensemble, en fonction de la situation politique, la meilleure façon de contribuer à la lutte pour le respect de l'égalité des droits, du monde du travail et de la planète, notamment à travers les questions de racisme et de santé au travail.
Le RES, le 15 juin 2024
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EXISTANTES Pour une philosophie féministe incarnée

Cécile Gagon
Marie-Anne Casselot
Remettre à l'ordre du jour des sujets traditionnellement boudés par la philosophie occidentale : voilà le mandat que se donne cet essai écrit à quatre mains par des philosophes féministes. Elles y dévoilent les dynamiques de domination à l'œuvre dans les concepts classiques tels que la raison, la justice ou l'autonomie, et remettent en question le prétendu sujet universel.
Explorant une philosophie du quotidien, ancrée dans l'expérience sensible, les autrices tracent de multiples chemins vers une autre subjectivité politique. Ainsi se construit une pensée à la fois critique, vulnérable et incarnée, qui fait écho aux grandes idées qui traversent un champ en pleine effervescence.
Plusieurs théoriciennes sont ici présentées, notamment Simone de Beauvoir, Judith Butler, Elsa Dorlin, Kristie Dotson, Camille Froidevaux-Metterie, Emilie Hache, Patricia Hill Collins, Monique Wittig et Iris Marion Young.
Originaire de Québec, CÉCILE GAGNON est chargée de cours et doctorante en philosophie à l'Université de Montréal.
MARIE-ANNE CASSELOT est doctorante en philosophie à l'Université Laval. Elle a codirigé l'ouvrage Faire partie du monde : réflexions écoféministes.
photo ©Katya Konioukhova
En librairie le 28 mai 2024 | 22,95$ | 184 pages
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La crise du logement

La crise du logement fait régulièrement les manchettes depuis des mois, et pour cause, elle s'avère particulièrement aiguë depuis quelques années, en Europe comme en Amérique du Nord.
Que ce soit le récent moratoire de trois ans sur les évictions, mis de l'avant par la ministre de l'Habitation du Québec France-Élaine Duranceau, ou le mépris du gouvernement Macron pour la question du logement, les gouvernements ne s'attaquent pas aux causes du problème.
Selon David Madden et Peter Marcuse, auteurs de Défendre le logement. Nos foyers, leurs profits, (à paraître le 4 juin), la crise du logement est l'état normal, voire optimal, du marché immobilier en régime capitaliste. Les « solutions » temporaires ou technocratiques, comme le développement de meilleures technologies de construction ou l'accès facilité à la propriété, bien que parfois utiles, ne suffiront donc jamais. Le logement doit être considéré comme un besoin vital et exige des réponses radicales de réappropriation des espaces. Une lecture essentielle pour penser la crise en cours et la marchandisation sans précédent du logement.
À l'occasion de la parution de cet essai incontournable, la librairie La Livrerie (Montréal) et Écosociété organisent une causerie le mardi 11 juin avec Marcos Ancelovici (préfacier du livre) et ses invité⋅es.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la crise du logement n'est pas causée par le manque d'unités locatives, des taux d'intérêt élevés ou une conjoncture économique défavorable. Selon l'urbaniste Peter Marcuse et le sociologue David Madden, c'est l'état normal – voire optimal – du marché immobilier en régime capitaliste. Cela fait cent ans qu'il y a une « crise », notamment pour les plus vulnérables. Il s'agit d'une conséquence logique et prévisible de notre système économique : « [...] l'habitation n'est pas produite et répartie afin de fournir un toit à chacun, mais comme une marchandise destinée à enrichir une minorité. »
Défendre le logement nous plonge dans un conflit opposant deux conceptions du logement. D'un côté, on le considère – à juste titre – comme un droit fondamental, un foyer défini par sa valeur d'usage ; de l'autre, il devient sans problème un privilège, un bien immobilier qui possède d'abord et avant tout une valeur d'échange.
Cet ouvrage essentiel met ainsi le doigt sur les processus de marchandisation du logement qui, au cours des dernières années, ont atteint des sommets inégalés, notamment avec l'essor des plateformes comme Airbnb et l'utilisation de l'immobilier comme instrument d'accumulation financière. Une situation qui ne fait que creuser les inégalités dans la ville : quand le profit prend le pas sur le droit de se loger, les loyers augmentent, leur qualité diminue et les communautés sont confrontées à la violence des expulsions, de la gentrification, de la stigmatisation et de la honte. Voilà ce que Madden et Marcuse nomment l'aliénation résidentielle.
Essai incontournable pour comprendre les causes et conséquences du problème du logement, il fait aussi le point sur les solutions progressistes et montre combien cet enjeu ne peut être résolu par des solutions technocratiques : meilleures technologies de construction, aménagement plus intelligent du territoire, nouvelles techniques de gestion, accès facilité à la propriété... Parfois utiles, ces changements ne suffiront jamais. La crise du logement a des racines politiques et économiques profondes et nécessite une réponse radicale de réappropriation des espaces, une réponse qui dépasse la reconnaissance symbolique d'un droit. Le logement est d'abord politique.
David Madden est professeur assistant au département de sociologie et au programme des villes de la London School of Economics. Auteur de nombreux ouvrages, Peter Marcuse (1928-2022) était professeur émérite en urbanisme à la Graduate School of Architecture, Planning and Preservation de l'Université Columbia. Tous deux ont été publiés dans de nombreux journaux et magazines.
En librairie le 4 juin au Canada / 30 août en Europe
Préface de Marcos Ancelovici
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Julien Besse
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Résistances et ripostes contre l’ordre du monde

Nous avons le plaisir de vous présenter le No 17 de la revue
l'internationaliste sur le thème
Résistances et ripostes contre l'ordre du monde
Mai 2024
G7 et Sud global « philosophiques » : les conditions d'un dialogue juste et
équitable
*Nkolo Foé *
RASA, une initiative inspirant des stratégies et la réflexion prospective
aux souverainistes africains
*Cheikh Gueye *
Référentielles pour comprendre la crise actuelle en Ayiti
*James Darbouze *
« DU BLOCUS RENFORCÉ À LA RÉSISTANCE CRÉATRICE ». In-
interview du Président cubain Miguel Díaz-Canel
*Ignacio Ramonet *
Le Sahel africain entre attaques terroristes, crise de la démocratie et
revendications de souveraineté
*Téguewindé Sawadogo*
*CIRFA*
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PALESTINE Un féminisme de libération

Nada Elia
Pour reconnaître que la lutte palestinienne pour la liberté et l'autodétermination est, plus que jamais, un enjeu féministe.
Comment expliquer qu'Israël, malgré ses attaques meurtrières à Gaza et sa violation du droit international, reste à l'abri de toute véritable critique ? Pourquoi de nombreuses féministes du Nord global, si promptes à dénoncer l'impact du « fondamentalisme islamique » sur les femmes palestiniennes, restent-elles silencieuses quand il s'agit de décrier l'occupation et le génocide que perpétue l'État israélien en Palestine ?
En déconstruisant les associations fallacieuses entre antisionisme et antisémitisme, la professeure et militante palestinienne Nada Elia rappelle la place des femmes et des personnes queers dans la lutte pour la libération de la Palestine, et revendique le démantèlement des structures coloniales qui écrasent la population à Gaza et en Cisjordanie.
Palestinienne de la diaspora née en Irak, 𝗡𝗔𝗗𝗔 𝗘𝗟𝗜𝗔 vit aux États-Unis, où elle enseigne les études culturelles et arabo-américaines au Fairheaven College de l'Université
Western Washington.
Elle est notamment l'autrice
de 𝐺𝑟𝑒𝑎𝑡𝑒𝑟 𝑡ℎ𝑎𝑛 𝑡ℎ𝑒 𝑆𝑢𝑚 𝑜𝑓 𝑂𝑢𝑟 𝑃𝑎𝑟𝑡𝑠 : 𝐹𝑒𝑚𝑖𝑛𝑖𝑠𝑚, 𝐼𝑛𝑡𝑒𝑟/𝑁𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚, 𝑎𝑛𝑑 𝑃𝑎𝑙𝑒𝑠𝑡𝑖𝑛𝑒 (Pluto Press, 2023).
En librairie le 11 juin 2024 | 15,95$ | 128 pages
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Travailleuses de la résistance

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/06/04/travailleuses-de-la-resistance/
Contre les attentes de Kremlin, qui espérait que son opération militaire spéciale ne durerait que trois jours, l'Ukraine continue à présent à résister efficacement aux forces d'occupation. Si le rôle de la mobilisation populaire, à travers les innombrables initiatives bénévoles qui ont parsemé le pays, a souvent été souligné, nous ne disposons encore que de peu de travaux sur l'organisation concrète de cette résistance sur le plan local, ainsi que sur les rapports de classe et de genre qui la traversent.
En s'appuyant sur une enquête de terrain menée à Kriviy Rih, grand centre d'extraction minière et de métallurgie situé en Ukraine centrale, ce livre s'intéresse à la manière spécifique dont les hommes et les femmes des classes populaires, souvent russophones et anti-Maïdan, s'engagent dans le mouvement de solidarité avec l'armée et les populations civiles touchées par la guerre. Comment s'organisent-ils face à l'agression russe, quelles sont leurs motivations, leurs préoccupations, leurs activités et leurs modes de fonctionnement ? Quel est le degré d'autonomie de leurs initiatives et quels rapports entretiennent-elles avec l'Etat et les pouvoirs locaux, les partis politiques, les syndicats, les ONGI et les organisations des classes moyennes et supérieures ? Le choix méthodologique d'aborder le bénévolat sous l'angle de la sociologie du travail permet en outre d'interroger l'articulation entre le travail bénévole, le salariat et le travail domestique, et de montrer comment l'Etat s'appuie sur cet élan spontané de solidarité, qui met à sa disposition des masses colossales de travail gratuit, pour assurer les services publics cruciaux tout en poursuivant les réformes néolibérales entamées en 2014.
Le livre s'intéresse enfin plus largement aux points de vue exprimés par les membres des classes populaires sur la situation économique, sociale et politique de leur pays. Que pensent-ils des évènements qui secouent l'Ukraine depuis 2013 ? Comment évaluent-ils les réformes de ces dix dernières années, les batailles autour de la mémoire historique et de la question linguistique ?
Points fort : S'éloignant des approches géopolitiques de la guerre en Ukraine, l'ouvrage en éclaire les enjeux du point de vue de l'expérience de la résistance.
L'ouvrage s'appuie sur un travail de terrain de trois mois qui a permis de réaliser une quarantaine d'entretiens individuels et collectifs à Kriviy Rih et à Kiev. L'auteure a pu également observer et participer au travail de deux organisations bénévoles, et les accompagner dans plusieurs missions humanitaires. En se donnant pour objet l'activité bénévole des classes populaires à Kriviy Rih, l'auteure a voulu étudier un cas-limite de la résistance ukrainienne.
Les enquêtés étaient en effet en grande partie opposés au soulèvement de l'Euromaidan en 2013-2014 ; ils continuent à parler russe ou un mélange de russe et d'ukrainien, et ont de la famille en Russie ; la référence à l'URSS reste ancrée dans leur mémoire collective. L'ouvrage remet ainsi en question le stéréotype de la division profonde de l'Ukraine entre l'Ouest pro-européen à l'Est pro-russe. Grâce à l'apport méthodologique de la sociologie du travail bénévole, l'ouvrage aborde la résistance ukrainienne comme un phénomène social hétérogène traversé par des rapports de classe et de genre, ce que les approches en termes d'« engagement citoyen » ignorent généralement.
Biographie : Daria Saburova est née à Kiev en 1989. Elle est doctorante en philosophie au laboratoire Sophiapol (Université Paris Nanterre) et membre du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine.
*-*
Mon livre « Travailleuses de la résistance » est parti chez l'imprimeur !
À paraître bientôt aux éditions du Croquant.
Ce livre est issu d'une enquête de terrain que j'ai menée entre janvier et mars 2023 à Kryvyï Rih. En prenant du recul par rapport aux approches géopolitiques de la guerre, je pose la question des rapports de classe et de genre qui traversent la résistance ukrainienne, en m'intéressant spécifiquement aux organisations bénévoles des femmes des classes populaires.
Merci à celles et ceux qui ont contribué à ce livre par les récits qui l'ont nourri, par les lectures et les relectures, les discussions et les encouragements !
Daria Saburova
https://www.facebook.com/people/Ukraine_CombArt/100090567559766/
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« Abécédaire de la forêt »

Information publiée le 5 juin 2024 par Marie Berjon < fabula.cnrs[a]fabula.org > sur le site internet « Fabula – La Recherche en littérature » < www.fabula.org/actualites/121193/pascale-auraix-jonchiere-frederic-calas-christiane-connan-pintado-agata-jackiewicz-et-catherine.html <http://www.fabula.org/actualites/12...> >
Source : Honoré Champion < champion[a]honorechampion.com >
L'/Abécédaire de la forêt/n'est pas un dictionnaire comme les autres : le genre y est en parfaite harmonie avec l'objet d'étude. Telle la forêt, où s'ouvrent sentiers et chemins de traverse, l'Abécédaire croise les analyses de biologistes, littéraires, linguistes, juristes, écologues et vétérinaires sur un espace qui ne semble unique qu'en apparence : la forêt et ses composantes, végétales ou animales, visibles ou invisibles, que scrutent des regards croisés entre disciplines artistiques et scientifiques. Il s'agit d'un kaléidoscope raisonné, non exhaustif mais éclectique, miroir des questionnements actuels sur la forêt, aussi merveilleuse que menacée.
Le lecteur peut à son goût suivre l'alphabet, qui le mène d'« Album » à « Zoonoses », trouvant sur sa route aussi bien les réalités de l'écosystème forestier ( Arbre, Champignons, Essences, Mycorhize…) que les fictions et inventions de nos imaginaires ( Baba Yaga, Blanche-Neige, Loup, Perché, Sorcières et fées… ). Libre à lui de tracer son propre parcours et, comme les auteurs, d'emprunter une première allée avant d'en suivre une autre, qui bifurque.
Il (re)découvre ainsi les univers boisés, leur histoire, leur actualité, les risques que présente leur avenir. Il enrichit son expérience et sa représentation de la forêt, immense et mystérieux domaine de nos rêves.
Avec les contributions de : Pascale Auraix-Jonchière, Sandra Barantal, Sébastien Baudoin, Fabienne Bercerol, Katia Blairon, Frédéric Calas, Marie Chanderlier, Christiane Connan-Pintado, Corinne Fournier Kiss, Anne-Marie Garagnon, David Gomis, Agata Jackiewicz, Caroline Lardy, Esther Laso y Leon, Françoise Laurent, Camila Leandro, Aurore Leocadie, Catherine Lenne, Jacques Marckert, Jordan Martel Lanneyn, Xavier Morin, Guillaume Papuga, Catherine Tauveron, Frédérique Toudoire sur la Pierre.
Extrait de l'introduction... <https://www.honorechampion.com/fr/i...>
Table des matières... <https://www.honorechampion.com/fr/e...>
« Abécédaire de la forêt » par Pascale Auraix-Jonchière, Frédéric Calas, Christiane Connan-Pintado, Agata Jackiewicz et Catherine Tauveron (dir.), Éditions Honoré Champion, collection "Champion les dictionnaires", Paris, 2024. EAN : 9782380960822. 400 pages, Prix : 25 euros. Date de publication : 23 mai 2024 < www.honorechampion.com/fr/book/9782380960822 <http://www.honorechampion.com/fr/bo...> >.
*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, le 11 juin 2024*
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"La machine à tricoter. Écrits sur les femmes et le travail"

Dès le mois de septembre 1944, Alice Rivaz écrit pour l'hebdomadaire "Servir" une série d'enquêtes consacrées à des métiers féminins. Elle y décrit les conditions de travail de femmes de ménage et de travailleuses à domicile dont elle rapporte les propos. Le ton de ces articles est résolument empathique : il s'agit, comme le titre de la série l'indique, de se mettre « à l'écoute de celles qui travaillent », autrement dit à l'écoute de celles dont la parole n'est guère entendue ou considérée.
« La machine à tricoter. Écrits sur les femmes et le travail, par Alice Rivaz, éditions Héros-Limite, collection "Tuta Blu", Genève, 2024.EAN : 9782889550999. 192 pages. Prix : 18 euros. https://heros-limite.com/livres/la-machine-a-tricoter/
Information publiée le 10 juin 2024 par Faculté des lettres - Université de Lausanne < marc.escola[a]unil.ch >, sur le site internet « Fabula – La Recherche en littérature ».
Source : Jacob Lachat < Jacob.Lachat@unil.ch >
L'écrivaine ne se contente pas d'exposer des parcours de vie laborieuse de manière impartiale ; elle s'implique dans le portrait des femmes qu'elle rencontre tout en donnant à voir leurs gestes et leurs savoir-faire. Elle les interroge aussi sur les aspects les plus matériels de leurs tâches ( activités, emploi du temps, revenu chiffré, budget familial, etc. ) en cherchant à mettre au jour la réalité matérielle de leurs métiers précaires.
Dans ses articles, Alice Rivaz s'essaie à différentes formes d'écriture et se confronte à des enjeux politiques et sociaux qui ne cesseront de faire retour dans la plupart de ses livres : la condition ouvrière, la question sociale, la guerre, le suffrage féminin, ou encore la situation des femmes dans le monde des lettres.
Sur 20 pages***=> Parcourir la Table des matières et lire la Préface de Jacob Lachat… <https://www.fabula.org/actualites/d...> *
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* *Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, Québec, le
16 juin 2024 *
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Préface de Silyane Larcher au livre de Philomena Essed : Comprendre le racisme au quotidien

Madeline est directrice du département juridique de la filiale française d'une multinationale japonaise1. Près d'une vingtaine de personnes, secrétaires, analystes financiers et avocat·es, travaillent sous ses ordres. À l'exception du personnel de sécurité et de ménage, elle est la seule salariée noire de l'entreprise. Les personnes qui l'ont embauchée sont étasuniennes et japonaises. Ses employeurs sont très satisfaits de ses compétences et de son travail. Pourtant lorsqu'elle se déplace en Suisse ou au Luxembourg pour représenter le groupe afin d'établir de gros contrats, elle rencontre toujours des réactions spontanées, souvent contenues, parfois explicites, d'étonnement. Elle n'est jamais celle à laquelle client·es ou collaborateur·trices s'attendaient a priori. Ce qui dans ce monde très socialement privilégié peut occasionner quelques quiproquos. Les contrôleurs de train inspectent méthodiquement ses papiers d'identité lorsqu'elle voyage en classe business. Un matin où elle se rendait plus tôt qu'à l'accoutumée au bureau, habillée en leggings et en baskets afin de profiter de la salle de sport du dernier étage de l'immeuble de l'entreprise, l'un des gardiens l'intercepte avant qu'elle ne monte dans l'ascenseur. Il craignait une intrusion inopportune dans les lieux. Pourtant, elle avait utilisé son badge pour entrer… Comme ses revenus confortables le lui autorisent, il lui arrive de se rendre dans des boutiques de luxe de l'avenue Montaigne à Paris pour faire du shopping. Elle est très souvent suivie de près par les vigiles qui anticipent un possible vol ou alors les vendeuses s'adressent spontanément à elle en anglais, persuadées qu'elle est Africaine-Américaine. Pourtant, Madeline est d'origine guadeloupéenne, donc Française.
Maman d'une petite Ana de 10 ans, elle reçoit aussi les plaintes de sa fille qui s'est vue écartée d'un concours très sélectif de danse classique en raison de ses courbes, jugées trop « généreuses pour une fillette de son âge », et de sa coiffure, tenue pour non conforme aux exigences de la scénographie d'un prestigieux ballet ; sans parler de ces moments d'amusements où les petits camarades d'Ana lui intiment, dans des jeux de rôles, d'occuper la position de servante « pour rigoler », entraînant chez cette dernière incompréhension et désolation. Ces situations saturent la vie quotidienne de cette Française cadre supérieure racialisée comme noire dans ses activités les plus ordinaires, qu'elles soient professionnelles, familiales ou de loisir. Leur accumulation et leur caractère routinier décrivent ce que Philomena Essed qualifie de « racisme quotidien », objet du présent livre, qui définit aussi ce que c'est d'être « racisé·e », terme issu de la sociologie française entré au dictionnaire de la langue française en 2019.
Dans un contexte français où les notions d'« intersectionnalité » et de « racisme systémique » se banalisent dans le vocabulaire politique courant, autant qu'elles font l'objet de controverses politiques et universitaires, il faut se réjouir que les lectrices et lecteurs français·es et francophones puissent découvrir le travail pionner de Philomena Essed. Rendu désormais accessible par une remarquable traduction de Damien Trawalé et Patricia Bass, sous le titre Comprendre le racisme quotidien. L'étude que l'on va lire ici a une histoire et une postérité particulières à l'étranger d'abord, mais aussi en France dans une certaine mesure. J'y reviendrai. Pour comprendre le caractère en son temps pionnier de la recherche dont ce livre est tiré, il faut néanmoins dire quelques mots du contexte dans lequel elle a vu le jour.
Sociologue née aux Pays-Bas de parents de la classe moyenne supérieure, originaires du Suriname (ou Guyane Hollandaise), Philomena Essed a passé sa vie entre cette ex-colonie2néerlandaise d'Amérique du Sud où elle a grandi, les Pays-Bas où elle arrive avec sa famille à l'âge de 14 ans, et les États-Unis où elle réside depuis plus de vingt ans3. Dans ces circulations transatlantiques, le racisme et l'analyse critique de la race, les engagements féministes et en faveur de la justice sociale, ont été indissociablement au cœur de ses préoccupations politiques, sociales et scientifiques. C'est comme étudiante en anthropologie sociale, à la frontière entre monde immigré – condition qui ne fut pas vraiment la sienne, mais définissait plutôt celle de ses parents et de son entourage – et monde intellectuel néerlandais, c'est-à-dire national et bourgeois, qu'elle s'est intéressée à la question raciale, et plus singulièrement à l'expérience vécue du racisme aux Pays-Bas. Basé sur une enquête qualitative par entretiens approfondis et non-directifs conduits à la fin des années 1980 auprès de 55 femmes afro-descendantes diplômées du supérieur, réparties entre les Pays-Bas et les États-Unis (la Californie),Comprendre le{} racisme quotidien est devenu un classique de la sociologie du racisme et des études de genre outre-Atlantique en raison de son approche novatrice du racisme et des dynamiques de racialisation. Après une précédente recherche menée à une plus petite échelle auprès de femmes migrantes de milieux sociaux variés, originaires du Suriname vivant aux Pays-Bas, Philomena Essed a étendu son exploration de l'expérience vécue du racisme auprès de femmes de même origine migratoire, mais de classes moyennes supérieures, et auprès de femmes Africaines-Américaines, également de classes moyennes supérieures. En s'inscrivant au croisement de la psychologie sociale, de la sociologie et de l'analyse de discours, ce travail venait bousculer les approches dominantes du racisme et des relations entre groupes racialisés qui se concentraient le plus souvent soit sur l'étude des préjugés et des croyances raciales, soit sur l'étude des manifestations institutionnelles du racisme, notamment sous le prisme de l'approche par les discriminations et les politiques publiques. Autre élément majeur du début des années 1990, Philomena Essed venait défier le consensus politico-moral, ancré dans l'opinion majoritaire néerlandaise, qui affirmait que les Pays-Bas étaient – en dépit d'une histoire coloniale qui embrassait la traite esclavagiste atlantique et la colonisation de l'Afrique du Sud ! – un pays de traditions culturelles pluralistes peu touché par le racisme, alors identifié à une réalité historique des États-Unis. Le choix de comparer, au niveau de la recherche doctorale dont sera plus tard tiré ce livre, l'expérience vécue de femmes afro-descendantes diplômées des Pays-Bas et des États-Unis ne doit rien au hasard. Il s'agissait pour la jeune chercheuse, d'une part de contourner l'idée admise que le racisme relevait d'une idéologie du rejet ou de la haine peu présente parmi les élites occidentales cultivées, dites éclairées et progressistes, et d'autre part, de contester l'autre idée de sens commun selon laquelle le racisme se traduirait essentiellement par des discriminations, c'est-à-dire l'inégal accès à des droits et à des opportunités (logement, travail, accès à la santé, etc.).
En se penchant prioritairement sur des femmes noires et métisses de classe moyenne supérieure, souvent universitaires, la sociologue s'est de surcroît donné les moyens d'abstraire l'interprétation de l'expérience de la racisation de logiques d'infériorisation d'emblée déterminées par les conditions socio-économiques de vie des personnes qu'elle a interrogées. De manière très heuristique, cette stratégie méthodologique vient opposer un démenti à la thèse, très en vogue en France – où la recherche s'est longtemps concentrée sur le vécu des travailleuses et travailleurs issu·es de l'immigration postcoloniale, surreprésenté·es dans les classes populaires –, qui assimile les logiques de racialisation à des mécanismes symboliques, parmi d'autres, de mise à l'écart des classes subalternes. Ainsi, là où d'aucuns voudraient voir des logiques de race dans la production des discriminations et des inégalités sociales se trouverait en vérité une reconfiguration de la lutte des classes4. À l'instar de l'expérience de Madeline présentée en ouverture de ce texte, les résultats des travaux de Philomena Essed nous enseignent que les classes supérieures diplômées non-blanches n'échappent pas à des logiques de racialisation, de minorisation, de contrôle, de mise à l'écart et de subalternisation, donnant toute son épaisseur, sa multi-dimensionnalité et son hétérogénéité au « racisme quotidien ». Enfin, focaliser l'analyse sur les femmes a pour autre vertu heuristique d'inscrire la compréhension du racisme de facto dans sa relation coextensive avec le genre. Sans que Philomena Essed forge le concept à peu près contemporain d'« intersectionnalité » – que l'on doit à Kimberlé Crenshaw (1989) –, elle théorise toutefois l'imbrication du genre et de la race dans les rapports sociaux de pouvoir qu'elle qualifie de « racisme genré » (gendered racism). Il faut en effet souligner la dimension véritablement imbriquée, indissociable, de l'identité genrée et de l'assignation raciale dans l'approche du racisme menée ici, tant une réception devenue courante de l'intersectionnalité en France tend à laisser croire que l'analyse intersectionnelle consisterait en l'analyse d'une concaténation ou combinatoire de segments sociaux (classe, race, genre, âge, etc.) juxtaposés dont l'élucidation permettrait de rendre compte de la domination sociale5. Il n'y a donc pas d'un côté le racisme et de l'autre, le sexisme que les chercheur·euses devraient se donner pour tâche de démêler. Au contraire, l'autrice considère qu'il est analytiquement difficile – sinon impossible – de distinguer dans l'expérience de la racisation les aspects qui relèveraient strictement de l'assignation raciale et à l'opposé, ceux qui ne relèveraient que de l'oppression sexiste. Ainsi, uniment race et genre procèdent ensemble des modalités par lesquelles la racisation, dans un contexte spécifique, inscrit un sujet social identifié à un groupe essentialisé dans une place, un rôle ou une fonction fantasmée et généralement à la fois subalterne et genrée.
Ce sont les limites de sa socialisation d'étudiante féministe qui ont confronté Philomena Essed à ses premières interrogations touchant spécifiquement au racisme. Cette précision est importante. Car depuis cette position singulière, la conscience des points aveugles du « nous » rassembleur du mouvement féministe néerlandais a conduit la jeune chercheuse, au début des années 1980, à interroger l'expérience des femmes afro-surinamaises des classes populaires et moyennes parmi lesquelles elle gravitait. On aurait pu croire que l'analyse féministe aurait conduit à l'analyse antiraciste. Tout autre chose s'est pourtant joué dans cette position à la fois politique et épistémique ou « positionnalité » (positionality) selon le terme anglophone, condition d'un regard spécifique et d'émergence d'une question sur le monde social. L'isolement expérientiel, donc intellectuel, parmi des féministes aveugles à l'ampleur de l'expérience du racisme et des discriminations dans la vie des femmes surinamaises a imposé l'investigation du racisme en tant que tel, autrement dit à investir l'invisible pour un regard ou « point de vue » majoritaire. La construction de l'objet de recherche a ainsi soigneusement découlé de la rencontre intime avec l'hégémonie des luttes politiques progressistes aveugles à la race et les discours de déni quant aux formes diverses d'expression du racisme dans le tissu social lui-même. Indissociable de sa socialisation régulière avec des immigré·es du Suriname de classes sociales variées et de sa propre expérience en tant qu'afro-descendante et militante féministe, la démarche de Philomena Essed, qu'il faut donc comprendre comme une véritable entreprise de dévoilement, s'est fondée sur une hypothèse forte : le racisme traverse l'ordre social et imprègne, à divers degrés et de manière différenciée, la vie sociale des personnes noires ou non-blanches plus largement. Et pour démontrer qu'il n'est pas une « affaire étasunienne », il fallait apprécier l'expérience de femmes noires et métisses des Pays-Bas à l'aune de celle de femmes Africaines-Américaines et ainsi donner à lire ce qu'elles ont en partage, mais aussi de distinct, dans leur confrontation ordinaire à la racisation. Paru initialement en anglais chez un éditeur étasunien distribué en Grande-Bretagne et en Inde car l'autrice avait délibérément fait le choix de ne pas écrire sa thèse en néerlandais, Understanding Everyday Racism, a d'abord fait l'objet d'un accueil controversé aux Pays-Bas tout en étant loué aux États-Unis pour son inventivité méthodologique, en même temps que pour son originalité et son audace compte tenu de l'approche comparative inédite qu'il proposait. Venant enrichir les approches courantes de la race et du racisme, il s'est aujourd'hui imposé dans bien des bibliographies de sociologie du racisme et d'études de genre de par le monde.
Traduit en français plus de trente ans après sa publication à l'attention d'un lectorat francophone, les analyses de Philomena Essed font étrangement écho à des débats français incessants. On trouvera en effet de nombreux traits communs entre ce qu'elle décrit de la société néerlandaise du tournant des années 1980-1990 et la société française d'aujourd'hui, plus de vingt ans après le début du 21e siècle. Pourtant, sans doute en raison de sa forte dimension méthodologique qui peut lui donner une apparence aride, en France l'ouvrage est resté connu essentiellement des spécialistes sans qu'il n'ait été jugé utile d'envisager sa traduction, donc de lui offrir une vie au-delà des milieux scientifiques. On le trouve ainsi régulièrement cité dans les travaux de sociologie des discriminations6, entre l'interprétation du racisme comme épreuve morale et comme vécu des « micro-agressions », terme du registre psycho-émotionnel qui n'apparaît pas sous la plume de Philomena Essed7. Il fait partie de l'attirail méthodologique de nombreuses thèses de sociologie consacrées à la race et aux discriminations racistes. Mais cette connaissance ancienne de l'ouvrage ne semble pas avoir entraîné de prise au sérieux des résultats de la recherche ni de discussion large de ses enjeux pour la conceptualisation même de l'objet « racisme » dans un pays comme la France8. Certes, le mot même de « racisme » se révèle ductile dès lors qu'il désigne aussi bien une idéologie ou une doctrine, généralement assimilée aux théories pseudo-scientifiques du 19e siècle, que l'hostilité à l'égard d'un ou plusieurs membres d'un groupe situé au bas d'une hiérarchie entre groupes humains en cela constitués en races. Cette hostilité elle-même fondée sur la croyance dans la supériorité d'une « race » par rapport à d'autres se trouve par exemple cristallisée dans des pratiques institutionalisées (en particulier juridiques), telles qu'on peut l'observer dans la ségrégation du Sud des États-Unis ou dans l'apartheid de l'Afrique du Sud, mais aussi dans la mise en œuvre du code de l'Indigénat dans les colonies françaises ou même dans la division de couleur entre libres et esclaves qui régit les sociétés de plantation des Amériques (Caraïbe, Amériques du Sud et du Nord).
Dans le fond, la notion de « racisme quotidien » théorisée par Philomena Essed perturbe un consensus d'ordre psychologique, en même temps qu'un dogme moral – fruit de l'éthos des démocraties dites « modernes » –, en vertu duquel le racisme serait une réalité du passé et ses résurgences, la pure expression de l'attachement anachronique à de « vieilles idées » antimodernes, à des « passions tristes » dont les groupes minoritaires construits en bouc-émissaires seraient les cibles privilégiées. Ce mot de « racisme » serait donc bien malvenu dans une république qui fonde son pacte social sur le lien civique entre des individus abstraits, toutes et tous membres d'une même communauté d'égaux. Pour peu qu'on veuille lire Comprendre le racisme quotidien autrement que comme un ouvrage offrant un protocole d'enquête à des chercheur·euses, que l'on consente encore à se départir des définitions étroites – et rassurantes – du racisme pour mieux le sociologiser, on se rendra vite compte que la démonstration confronte à l'idée dérangeante que le racisme est une réalité prégnante du présent, qu'il est mobile, voire ubiquitaire. C'est sans doute l'une des difficultés théoriques et épistémologiques de l'analyse : si le racisme est partout, c'est qu'il n'est peut-être nulle part après tout ! Or l'intérêt de l'ouvrage, qui explique sa postérité, est d'offrir l'appareillage théorique permettant d'identifier et d'analyser, donc de comprendre, les manifestations contemporaines du racisme dans des démocraties hétérogènes ou pluriethniques en raison des legs sociaux de l'esclavage et des migrations venues des anciennes colonies. Le racisme quotidien n'est pas ici celui de l'insulte, du trait d'humour sans équivoque ou de l'agression raciste susceptible de faire l'objet d'un dépôt de plainte, ni celui de l'interpellation policière fondée sur le délit de faciès, ni même celui du militantisme politique ou médiatique de groupuscules d'extrême droite inquiets du « grand remplacement ». La contemporanéité du racisme que décrit Essed s'inscrit dans l'étoffe même du social, dans la banalité du quotidien, et à ce titre se caractérise, non par son éclat ni son bruit, mais bel et bien par son invisibilité, par son caractère microscopique. Ni racisme idéologico-politique ni racisme institutionnel stricto sensu, le racisme quotidien « est l'intégration du racisme dans des situations quotidiennes par le biais de pratiques (cognitives et comportementales […]) qui activent des relations de pouvoir sous-jacentes9 ». Défini de la sorte, il est un racisme actif ou en acte, processuel et relationnel, produit dans les relations sociales elles-mêmes, celles-ci impliquant des rapports de pouvoir entre individus appartenant à des groupes minoritaires et majoritaires. Plus encore, précise la sociologue, « le racisme quotidien n'existe pas au singulier, mais seulement au pluriel, en tant que complexe de pratiques et de situations cumulatives et liées les unes aux autres10 ».
Le livre restitue en une analyse longuement détaillée l'expérience de Rosa N., afro-surinamaise, médecin gériatre en établissement hospitalier, présentée en cas idéal-typique de la réalité hétérogène du « racisme quotidien ». « L'histoire de Rosa N., explique Essed, ne rapporte pas d'idéologies racistes ou de mouvements racistes ou fascistes organisés. Elle relate simplement ses expériences quotidiennes dans des situations de routine impliquant des personnes “normales”11. » Il ne s'agit pas pour l'autrice de restituer le vécu au sens simplement émotionnel ou moral des personnes enquêtées dont Rosa N., mais bel et bien de reconstituer de l'intérieur, c'est-à-dire à partir de leur perspective (donc de leur point de vue et de leur position sociale), le savoir expérientiel qu'elles élaborent à titre personnel et par interconnaissance à propos de situations accumulées, répétées dans la vie de tous les jours et contextualisées rendant compte du maillage socio-racial qui les enserre et dessine les contours de ce racisme spécifique qu'est le racisme quotidien. Les détails et éléments de contexte rapportés par Rosa N. permettent à la sociologue de resituer l'enquêtée dans une structure relationnelle et institutionnelle plus large qui la dépasse et sans laquelle il ne serait pas possible de comprendre les enjeux et la nature de son expérience sociale. Ainsi, précise Essed :
En raison de sa profession, un nombre proportionnellement élevé de membres du groupe dominant auxquels elle est confrontée dans ses interactions quotidiennes appartiennent à l'« élite » néerlandaise éduquée. Les relations entre Rosa N. et les membres du groupe dominant sont racialisées parce qu'elles sont structurées par les stratifications plus larges de la société.
Dans le même sens, l'expérience de Madeline évoquée précédemment n'est pas réductible à sa seule interaction, prise isolément, avec l'agent de sécurité de l'immeuble de son entreprise par exemple, ni encore à l'étonnement de la vendeuse qui découvre qu'elle n'est pas Africaine-Américaine. Elle ne peut être comprise qu'au regard de la position de Madeline dont l'identité de femme, noire, en outre isolée dans son milieu social et professionnel élitiste, la singularise par rapport à la norme définie par le groupe majoritaire, implicitement blanche. Le racisme quotidien dans la vie de Madeline ne se comprend qu'à l'aune de cette accumulation routinière de circonstances qui l'inscrivent à côté de la place qu'elle occupe socialement et qui ce faisant, définissent la place à laquelle elle est a priori attendue, sa place, supposément « naturelle » et généralement inférieure à celle du groupe majoritaire – ceci pouvant arriver par exemple, même quand le vigile dans l'immeuble ou le contrôleur est une personne noire comme elle, car il n'appartient pas à la norme de majorité. On comprend par-là, et Philomena Essed y insiste plusieurs fois dans le livre, que le racisme quotidien n'est pas un phénomène individuel ni psychologique, simple affaire de préjugés ou d'hostilité à l'égard d'un·e autre, ni même un phénomène étroitement institutionnel, mais bel et bien un processus fluide et relationnel qui traverse les interactions sociales, celles-ci étant sous-tendues par des dynamiques de pouvoir et des hiérarchies sociales historiquement construites. En effet, Rosa N. et Madeline ne correspondent pas à l'idée préconçue, tenue pour évidente, au préjugé donc, de l'expert dans un cas et de la femme fortunée, dans l'autre. Parce qu'elles ne sont pas à leur place présumée, elles sont rappelées à l'ordre racial par des tiers (supérieurs hiérarchiques, collègues, interlocuteurs ordinaires) sous la forme, selon Essed, de la marginalisation, de la « problématisation » (le fait par exemple que leur présence soit remise en cause ou tenue pour incongrue ou qu'elles soient encore sous-estimées) et de la neutralisation (containment). Pour le dire autrement, leur présence « détonne » dans des milieux sociaux dont la hiérarchie n'est pas seulement socio-économique, mais aussi, on le voit à travers ces interactions, en dernière instance racialisée (et genrée).
La force du travail de Philomena Essed fut de saisir, sans doute avec plus de finesse que ne le permet la notion englobante de « racisme systémique », les intrications entre micro-interactions et macrostructures dans le cours ordinaire de la quotidienneté et de les analyser dans leur interdépendance. En déconstruisant les modalités de formation de la connaissance interne du racisme par les personnes qui le vivent au quotidien – des femmes afro-descendantes –, le livre montre de manière détaillée que les routines de pensée (cognitions) qui associent mécaniquement et régulièrement une couleur de peau, un genre, des traits ou phénotypes, à des comportements, des places ou fonctions sociales, et qui sont elles-mêmes indissociables de pratiques sociales exercées par des acteurs tant individuels qu'institutionnels, sont enracinées dans des représentations sociales dominantes héritées. Ces routines de pensées, manières ordinaires de voir le monde et d'interagir avec lui, font en effet peser sur des corps des attentes sociales spécifiques déterminées par des préjugés historiques. Il en découle que dans des sociétés façonnées, même à des degrés divers, par l'histoire coloniale, l'ordre social se présente nécessairement comme un ordre racial. Toute la tâche de la recherche est alors d'aider à discerner l'ampleur de ces effets d'héritage dans les représentations sociales et surtout leur part agissante dans les relations sociales, nécessairement inscrites dans des situations sociales spécifiques et contextualisées. De manière plus cruciale et au-delà du monde universitaire, dans un pays où l'idéal universaliste se confond en pratique avec le déni du caractère racial de l'ordre social ou avec le tabou de la race comme rapport social, on peut faire le pari que l'ouvrage de Philomena Essed offrira à ses lectrices et lecteurs français·es, les outils intellectuels pour dessiller les yeux et décrypter les ressorts cachés de la domination raciale dans leur quotidien comme dans celui de leur entourage. S'il n'est pas possible de combattre le racisme quotidien sans interroger le caractère d'évidence des valeurs hégémoniques de l'ordre social, une telle entreprise réclame au moins de recouvrer la vue sur l'ordinaire des relations sociales.
Silyane Larcher
Chargée de recherche au CNRS en sciences politiques et professeure associée en Études de genre et des sexualités à l'université Northwestern (États-Unis).
Philomena Essed : Comprendre le racisme au quotidien
Edition établie par Damien Trawalé
Traduit de l'anglais par Damien Trawalé et Patricia Bass
https://www.syllepse.net/comprendre-le-racisme-quotidien-_r_22_i_1072.html
Notes
1. NdÉ. Madeline est ici le prénom fictif d'une connaissance proche qui existe réellement et dont j'ai toutefois modifié quelques caractérisations pour protéger l'anonymat. Cette situation ordinaire permet d'introduire le sujet de l'ouvrage ici donné à lire, mais aussi les effets très concrets de socialisation des femmes universitaires afrodescendantes, également objet du texte d'Essed.
2. Le territoire devient largement autonome en 1954, puis officiellement indépendant en 1975.
3. Pour en savoir plus sur le parcours biographique et intellectuel de l'autrice, voir Philomena Essed et Silyane Larcher, « Conversation avec Philomena Essed », Raisons politiques : revue de théorie politique, n° 89, février, 2023, p. 77-95.
4. Ce problème fut au cœur de la controverse qui opposa Gérard Noiriel, historien de l'immigration, et Éric Fassin, sociologue du genre, sur la pertinence du recours à la catégorie analytique de race et à l'usage de l'intersectionnalité dans la sociologie française. Voir Abdellali Hajjat et Silyane Larcher (dir.), « Intersectionnalité », Mouvements, 2019, https://mouvements.info/intersectionnalite/. Voir aussi Sarah Mazouz, Race, Paris, Anamosa, 2021.
5. Pour une analyse plus détaillée de cette réception on lira avec profit Evélia Mayenga, « Les traductions françaises de l'intersectionnalité : race, mondes académiques et profits intellectuels », Marronnages : les questions raciales au crible des sciences sociales, n° 2 (1), https://doi.org/10.5281/zenodo.10246750. Contre l'appauvrissement de l'intersectionnalité dans ses usages et circulations, voir, par Jennifer, Nash, une des figures montantes du féminisme noir étatsunien, Réinventer le féminisme noir : au-delà de l'intersectionnalité, Nantes, Aldéia, 2022. Voir également Jules Falquet, Imbrication : femmes, race et classe dans les mouvements sociaux, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2019.
6. Voir Didier, Fassin, « Nommer, interpréter : le sens commun de la question raciale », dans Didier Fassin et Éric, Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, Paris, La Découverte, p. 35 ; François Dubet et col., Pourquoi moi ? L'expérience des discriminations, Paris, Le Seuil, 2013, p. 11 ; Julien Talpin et col., L'épreuve de la discrimination : enquête dans les quartiers populaires, Paris, Alpha, 2023, p. 29. Sur les microagressions, terme forgé en 1970 par un psychologue africain-américain, voir plus largement Derald Wing Sue, Microagressions in Everyday Life. Race, Gender and Sexual Orientation, New York, Wiley Press, 2010.
7. Un article récent souligne cette mésinterprétation de la recherche consistant à assimiler le « racisme quotidien » aux « micro-agressions », deux concepts pourtant distincts, les secondes ne constituant qu'une dimension du premier. Voir Dounia Bourabain et Pieter-Paul Verhaeghe, « Everyday Racism in Social Science Research. A Systematic Revie », Du Bois Review. Social Science Research on Race, n° 18-2, 2021, p. 221-250.
8. Chose que saisit très bien la sociologue africaine-américaine Trica Keaton dans un ouvrage récent, explicitement inspiré des travaux de Philomena Essed. Voir Trica Keaton, #You Know You're Black in France When : The Fact of Everyday Antiblackness, Cambridge, MIT Press, 2023.
9. Philomena Essed, Understanding Everyday Racism. An Interdisciplinary Theory, Newbury Park, Sage, 1991, p. 50.
10. Ibid., p. 147.
11. Ibid., p. 164.

Deux peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme de Shlomo Sand

La création d'un État binational où Israéliens et Palestiniens seraient citoyens du même État a jadis été l'aspiration de nombreux intellectuels juifs critiques, de gauche comme de droite. Les prises de position en faveur du binationalisme, d'Ahad Haam dès la fin du xıxe siècle à Léon Magnes en passant par Hannah Arendt et beaucoup d'autres, pour qui le désir de créer un État juif exclusif sur une terre peuplée en majorité par des Arabes entraînerait un conflit violent et insoluble, se sont révélées tout à fait exactes. Avec l'arrivée aux affaires de l'extrême droite en Israël, les massacres perpétrés par le Hamas et les bombardements de la bande de Gaza, la question d'un État binational est devenue une urgence pour toute la région. Lui tourner le dos n'y changera rien.
Deux peuples pour un État ? Relire l'histoire du sionisme
par Shlomo Sand
Traduit par : Michel Bilis
Éd. du Seuil
Paru le 05/01/2024
Le binationalisme ne relève pas seulement du vœu pieux, mais aussi de la réalité présente : 7,5 millions d'Israéliens-juifs dominent, par une politique d'expulsion, de déplacement, de répression et d'enfermement, un peuple palestinien-arabe de 7,5 millions de personnes, dont une grande partie est privée de droits civiques et des libertés politiques élémentaires. Il est évident qu'une telle situation ne pourra pas durer éternellement.
Shlomo Sand est un historien israélien, professeur émérite à l'université de Tel-Aviv, et auteur de nombreux livres, dont certains ont suscité de vifs débats (Comment le peuple juif fut inventé, Fayard, 2008). Son dernier ouvrage au Seuil, Une race imaginaire. Courte histoire de la judéophobie, a été publié en 2020.
Traduit de l'hébreu par Michel Bilis
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Sommaire
Avant propos
1. « Terre des ancêtres » ou terre des indigènes
Le foyer ancestralÀ propos de la nationEthnocentrismeBinationalisme ?
2. « Un esclave qui vient à régner » : une question cachée
L'amant d'autres ?Centre spirituel ?Ignorer l'autre
3. Alliance pour la Paix contre « Muraille d'acier »
Les débuts de l'AllianceLa fraction « extrémiste »Hans Kohn et la fin de l'Alliance
4. Martin Buber, Hannah Arendt et le binationalisme
Du Volkisme à Je et TuVers l'idée binationaleHannah Arendt et l'antisémitismeUn État-nation juif ?
5. Théopolitique et l'association Ihoud
Un Américain pas tranquilleLe chancelier prophèteL'association IhoudLe dernier des Mohicans
6. La gauche et « La fraternité entre les peuples »
Le marxisme sionisteCommunistes en PalestineFin d'une idée
7. L'Action sémite et un État arabo-hébraïque
Le contexte « cananéen »Une gauche « sémite »La Charte hébraïque
8. 1967 : un pays à partager ou un pays à unifier ?
Trois pétitionsMenahem Begin contre l'apartheidLa détresse du sabra blancFissures à gaucheLa désillusion : suiteLa sensibilité s'aiguise
9. « On ne peut pas applaudir d'une seule main »
Curiosité et réconciliationL'idée nationale palestinienneÉtat démocratique unique ?Le paradigme binational
10. Conclusion. Apartheid, transfert ou État binational ?
La patrie s'élargit. Les nouveaux pionniers. Hégémonie sur le terrain. Stychie et catastrophe. L'option cachée. Alternatives imaginaires. Utopies et calamités.

L’État d’Israël contre les Juifs de Sylvain Cypel

Après le massacre commis par le Hamas près de Gaza le 7 octobre 2023, ayant causé la mort de 1 140 personnes, la guerre menée par Israël a fait plusieurs dizaines de milliers de victimes chez les Palestiniens et déplacé par la force 80 % d'entre eux, suscitant des plaintes internationales pour crimes " de génocide " et " contre l'humanité ". Ce livre explique en quoi les agissements de l'armée israélienne sont l'aboutissement d'une longue maturation.
Imagine-t-on en France une loi qui établirait deux catégories de citoyens : par exemple, les " Français de souche " et les autres, qui ne bénéficieraient pas de droits égaux ? Une telle loi a été votée par le Parlement israélien en 2018, au bénéfice des seuls citoyens juifs. De par le monde, les dirigeants " illibéraux " plébiscitent désormais Israël, fascinés par sa capacité à imposer une idéologie " identitaire ", où xénophobie et islamophobie bénéficient d'un large soutien populaire. Avec quelles conséquences, pour les Palestiniens comme pour les Israéliens ?
En France, le CRIF, représentant du judaïsme et lobby pro-israélien, promeut un soutien sans faille aux actions des gouvernants d'Israël. Mais, aux États-Unis, des responsables juifs et plus encore la jeunesse juive dénoncent l'occupation indigne des Territoires palestiniens. Va-t-on vers un divorce irrémédiable entre Juifs israéliens, engoncés dans le tribalisme, et Juifs américains, qui redécouvrent les attraits de la diaspora ?
Sylvain Cypel a été directeur de la rédaction de Courrier international et rédacteur en chef au Monde. Il a couvert la seconde Intifada en 2001-2003 et a été correspondant du Monde aux États-Unis de 2007 à 2013.
Table des matières
Préface. Dahiya – " Le destin de notre génération "
La politique comme continuation de la guerre
Le point Godwin du débat
Le Hamas, la résistance et l'échec
Une société démembrée, une autre ensauvagée
" Génocide ", " crime contre l'humanité "... Les mots et les faits,
Biden, Macron et la faillite de l'" Occident "
Introduction
" Ce qui ne s'obtient pas par la force s'obtient en usant de plus de force "
La fascination pour Israël des nouveaux dirigeants identitaires
1. " L'imposition de la frayeur ". La réalité de l'occupation militaire
L'armée la plus morale du monde
L'enseignement du mépris
" L'épanouissement d'un Ku Klux Klan juif "
Israël, champion de la " guerre au terrorisme "
2. " Uriner dans la piscine du haut du plongeoir ". Ce qui a changé en Israël en cinquante ans
La fin du déni
L'affaire Azaria
L'impunité et la brutalisation de la société
L'" odeur du fascisme "
3. " Mais quel est ton sang ? ". L'État-nation du peuple juif
" Une loi mauvaise pour Israël et mauvaise pour le peuple juif "
Le triomphe de l'ethnocratie
" L'espace vital du peuple juif "
4. " Ils ne comprennent pas que ce pays appartient à l'homme blanc ". Une idée émergente : la pureté raciale
Haro sur les " infiltrés " noirs
Les liens avec les " suprémacistes " blancs
La quête du gène juif
5. " Localiser, pister, manipuler ". La cybersurveillance, nouvelle arme politico-commerciale d'Israël
La tradition des ventes d'armes
La cybersurveillance dernier cri
" Agir sous les radars "
Israël et l'affaire Khashoggi
Après les Palestiniens, la surveillance des Israéliens déviants
6. " L'État du Shin Bet est arrivé ". Quand le peuple plébiscite la " démocratie autoritaire "
Des Palestiniens, Israël étend ses filets aux Juifs mal-pensants
BTS, l'ennemi intérieur
BDS, la " menace stratégique "
L'État sécuritaire en action
7. " Une espèce en voie de disparition ". La société civile israélienne en souffrance
Qui a encore besoin d'une Cour suprême ?
Le désarroi de l'opposition citoyenne
8. Quand Hitler " ne voulait pas exterminer les Juifs ". Netanyahou, l'histoire " fke " et ses amis antisémites
Le mufti de Jérusalem instigateur de la Shoah ?
Le ciment de l'islamophobie
L'alliance avec le vieil antisémitisme d'Europe de l'Est
Le cas Soros : Trump est-il antisémite ?
9. " Il n'est pas nécessaire ni sain de se taire ". Crise au sein du judaïsme américain
Ces Juifs américains qui tournent le dos à Israël
Pourquoi ce tournant intervient-il aujourd'hui ?
Crise au parti démocrate
La contestation du statut d'Israël aux États-Unis
10. " Pas ça ! Vous ne me citez pas là-dessus... ". L'aveuglement des Juifs de France
De l'adhésion à la Révolution française au sionisme d'extrême droite
Le CRIF, organisme communautaire ou lobby pro-israélien ?
L'entre-soi ethnique et le poids de la couardise
11. " Je suis épuisé par Israël, ce pays lointain et étranger ". Schisme dans le judaïsme ?
" Quel Israël soutenez-vous, exactement ? "
" Là se situe la faiblesse qui nous fera choir "
" Renouveau diasporique " aux États-Unis
Vers une scission dans le judaïsme ?
12. La " relation spéciale " avec Israël, jusqu'à quand ?
L'affligeant legs de Donald Trump
Un État d'apartheid
Biden a-t-il une stratégie crédible ?
Conclusion. " Israël contre les Juifs ".
Tony Judt, in memoriam
Remerciements.
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Des lectures à propos du Front populaire de 1936 en France

Voici quelques suggestions de lectures pour comprendre les résonances du passé qui ne manqueront pas d'être évoquées dans les prochaines semaines à l'occasion des législatives en France et la mise sur pied du Nouveau Front populaire. Une occasion pour renouer avec une mobilisation extraordinaire qui s'est malheureusement terminée sans avoir atteint son plein potentiel. Bonne lecture.
La France du Front populaire
Jacques Kergoat, 2006, Éd. La Découverte, 420 p. ISBN : 9782707148629

La mémoire collective des Français conserve présentes les images du Front populaire : grèves, occupations d'usines, manifestations, accords Matignon, semaine des 40 heures, congés payés, etc. Grâce à des archives inédites et de nombreux entretiens avec des acteurs de ces événements, Jacques Kergoat s'est efforcé de montrer dans ce livre les incertitudes, les hésitations, les rêves et les passions des Français des années 1930.
C'est une France provinciale et rurale, qui semble se réveiller d'un long sommeil tranquille et découvre avec stupeur les nouvelles contraintes de ce temps de crise. La jeunesse revendique une place ; les femmes travaillent, manifestent et font grève ; la seconde génération d'immigrés italiens et polonais s'intègre tant bien que mal dans une France composite, qui accueille alors les réfugiés espagnols.
Les partis politiques et les syndicats vivent des clivages, des scissions ou des recentrages. Ainsi toute la société amorce une profonde mutation. De l'empire colonial aux nouvelles industries, de la musique au cinéma, tout exprime ce remue-ménage. Le Front populaire est l'instant privilégié de ces changements : signe de santé sociale, élan d'optimisme, volonté d'un mieux-être.
Jacques Kergoat (1939-1999), sociologue, historien du socialisme, a milité au Parti socialiste unifié avant de rejoindre la Ligue communiste révolutionnaire, dont il était devenu l'un des dirigeants. Fondateur de la Fondation Copernic, il a co-dirigé l'ouvrage Le Monde du travail (La Découverte, 1998).
Table des matières
1. Les années hésitantes
La mutation morose
La crise
Les choix du patronat
Le parti radical à la croisée des chemins
Le temps des ligues
La flambée verte
Les stratégies syndicales
Le PCF : sectarisme et ultra-gauchisme
Socialistes : reconstruction et nouvelles divisions
Paysans, ouvriers : même combat ?
2. La naissance du Front populaire
Le scandale Stavisky et le 6 février
Les appareils hésitent
Le 12 février
Premières initiatives unitaires
L'affaire Doriot
Le pacte d'unité d'action
Remous radicaux
L'Internationale communiste et le tournant du PCF
Les répercussions à gauche
Plan, catalogue ou programme ?
Doriot et Bergery
Une droite sans politique
Pacifisme et nationalisme face au pacte Laval-Staline
Un 14-Juillet tricolore
3. La victoire électorale
Émeutes à Brest et à Toulon
Exclusions en chaîne
La " gauche révolutionnaire "
L'adhésion radicale
Le programme du Front populaire
Un seul parti ouvrier ?
La réunification syndicale
La gauche paysanne reste divisée
Tensions internationales
Un climat social et politique perturbé
La campagne électorale
Premier tour : poussée à gauche
Une majorité " Front populaire "
4. Les grèves de juin
L'exemple de l'aéronautique
La première vague de la métallurgie parisienne
PC et PS : ébranlés à gauche
Il n'y aura pas de ministres communistes
Le premier gouvernement Blum
La deuxième vague
L'accord Matignon
Les grèves repartent de plus belle
Il faut savoir arrêter une grève...
Une très lente " deffervescence "
Bilan statistique
La mue de la CGT
La CFDT aussi
Socialistes et communistes : des adhérents par milliers
Un mouvement ouvrier en recomposition
5. La Révolution française a-t-elle commencé ?
Des grèves " payantes "
L'origine des grèves
La signification de juin 36
À l'aube de la révolution ?
Le rôle de l'extrême gauche
Les contradictions des militants du PCF
La droite se ressaisit
Jacques Doriot et le PPF
Le parti social français
Un rapport de forces incertain
6. Pour l'Espagne
Il y a toujours des Pyrénées
Léon Blum et la non-intervention
La gauche hésitante
L'organisation de la solidarité
Les Brigades internationales
Une non-intervention " relâchée " ?
La gauche divisée
7. Les premières lézardes
Le PCF et le " front des Français "
La dévaluation
Les radicaux divisés
Patronat et bourgeoisie à l'offensive
Un budget militaire renforcé
Le gouvernement Blum et l' Église
La pause
Les afrrontements de Clichy
La chute du gouvernement Blum
Le tour de Chautemps
La Cagoule
Les élections cantonales
La gauche et les colonies
L'évolution de la politique coloniale
L'isolement des socialistes anticolonialistes
Les grèves de l'hiver 1937 et la démission de Chautemps
Les combinaisons parlementaires à l'ordre du jour
La droite traditionnelle sur le devant de la scène
L'impossible union nationale
Le second gouvernement Blum
Les grèves de la métallurgie parisienne
La nouvelle politique économique de Blum
Et Blum tombe pour la seconde fois
8. L'agonie
L'heure de Daladier
Marceau Pivert s'en va
Une situation sociale instable
Munich
Les décrets Reynaud
Le congrès de Nantes de la CGT
Les grèves sauvages
Vers l'affrontement
La grève du 30 novembre
Les raisons de l'échec
La répression patronale
La répression gouvernementale
La répression judiciaire
Faibles réactions ouvrières
9. Le paysage de la défaite
Organisation du travail et nouvelles qualifications professionnelles
Le mouvement de la jeunesse
La place des femmes
Les immigrés exclus
10. Repères pour un bilan
Une incontestable réussite : les congés payés
La réforme scolaire s'enlise
L'Office du blé et la condition paysanne
Des nationalisations en trompe l'oeil
Une progression inégale du pouvoir d'achat
L'application des 40 heures
11. Le mouvement culturel
Le monde irréel de la chanson
Du sport rouge au sport populaire
Écrivains engagés et lectures ouvrières
Le cinéma, miroir du Front populaire
Bibliographie
Livres
Articles
Travaux universitaires
Index géographique
Index des noms.
Juin 36
par Jacques Danos et Marcel Gibelin, 1986, Ed. Bons caractères, 320 p. ISBN : 2915727082

Les 2 et 3 juin, ce sont des entreprises appartenant à l'industrie chimique, à l'alimentation, au textile, aux industries graphiques, à l'ameublement qui sont paralysées par la grève et occupées (...) Le 4 juin, les grèves s'étendent encore : les camionneurs, la distribution des journaux, les restaurants et hôtels, le livre, la serrurerie, l'orfèvrerie, la distribution d' essence, les laboratoires pharmaceutiques, l'habillement, le bâtiment, le gaz, l'agriculture (...)
Partout où elles éclatent, les grèves s'accompagnent d'occupation, partout elles rassemblent la quasi-totalité du personnel ; partout elles sont immédiatement appuyées par la sympathie active de la population (...) Le désordre apparent des mouvements dispersés peut se transformer en une manifestation puissante, en un mouvement général les conséquences seront peut-être Redoutables. ".
La réalité de juin 1936 que nous faisons découvrir cet ouvrage est bien différent de la version forgée par les dirigeants des partis du Front populaire, et reprise par leurs héritiers politiques. Jacques Danos et Marcel Gibelin montrent que ce ne fut pas le gouvernement du Front populaire de Léon Blum qui accorde à la classe ouvrière les 40 heures, les congés payés, le droit d'élire des délégués, ou les importantes augmentations de salaires. Tout cela fut arraché par la grève.
Les accords Matignon ne furent pas un cadeau offert à la classe ouvrière pour la récompenser d'avoir bien voté, mais un contre-feu mis en place à la hâte par le patronat et le gouvernement Blum soutenu par la CGT et les partis de gauche, animés par même une préoccupation : tenter de ramener dans son lit le torrent de la grève. Ils y réussirent, mais difficilement.
Ce livre a été édité pour la première fois en 1952. Son intérêt est d'abord historique. Les auteurs ont su nous faire revivre cette période et le mouvement gréviste de manière enthousiasmante et détaillée. Tous ceux qui sont partie prenante des combats des travailleurs y retrouveront l'atmosphère, l'élan de ce grand moment du mouvement ouvrier. Ils y trouveront aussi des leçons qui éclairent la période actuelle.
Front populaire, révolution manquée
par Daniel Guérin, 2013, Ed, Agone, 504 p. ISBN 9782748901733

« À travers tout le pays, les travailleurs étaient en grève, et ils occupaient les usines. Ils avaient trouvé une nouvelle forme d'action directe : la grève sur le tas. Ils l'avaient choisie eux-mêmes, en dehors et contre la bureaucratie syndicale, parce qu'ils estimaient à juste titre que ce moyen de pression serait plus sensible aux capitalistes que les simples grèves d'antan “ dans le calme et la dignité “.
Au lendemain du 1er mai, passant aux actes, les ouvriers de l'usine Bréguet, au Havre, avaient occupé les ateliers. Latécoère à Toulouse, Bloch à Courbevoie avaient suivi l'exemple. Le mouvement avait pris très vite le caractère d'une vague de fond. Le pays que Blum s'apprêtait à gouverner n'était déjà plus celui qui, quelques semaines plus tôt, avait porté le Front populaire au pouvoir. Le rapport des forces sociales était renversé.
Cette grève générale avait surgi spontanément de la conscience ouvrière et elle avait des mobiles élémentaires : la crise économique et les décrets-lois déflationnistes qui avaient durement frappé une partie des salariés. L'unité syndicale enfin scellée, l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement populaire ouvraient aux masses paupérisées la perspective d'un changement radical. »
Comme pour tout grand mouvement social, comprendre les raisons de son échec alimente la mémoire des luttes afin d'en tirer les leçons. En ce sens, ce livre est un véritable classique de l'histoire sociale du XXe siècle.

Les GES ne plafonnent pas mais croissent à un taux croissant

Régulièrement les grands médias annoncent le plafonnement ou la baisse des émanations des gaz à effet de serre (GES), La Presse pour le Canada, le Washington Post pour la Chine, The Economist pour l'Europe, le New York Times pour le monde. Et pourtant il n'en est rien.
Cette baisse ou ce plafonnement ou tout simplement une décélération de la hausse du CO2, le principal GES, on ne la voit pas quand on examine l'évolution de l'étalon de mesure par excellence soit celle de l'observatoire de Mauna Loa à Hawaï qui enregistre la densité du CO2 depuis 1958. Au XXIe siècle, la réalité a plutôt été une accélération du taux de croissance de chaque décennie (ligne noire). La baisse du taux de croissance des premières années de la présente décennie s'explique par l'effet de la pandémie. Mais le record de 2023 vient effacer toute illusion :

Source : Trends in CO2, Global Monitoring Laboratory, Earth System Research Laboratories, NOAA
Est-ce que les autres GES compenseraient ? Le taux de croissance du méthane, même en baisse annuelle depuis le début de la présente décennie, reste en moyenne pour le début de celle-ci le plus élevé depuis la décennie 1980 :

Source :Annual Increase in Globally-Averaged Atmospheric Methane, Global Monitaring Laboratory, NOAA
Quant aux émissions d'oxyde nitreux atmosphérique et de l'hexafluorure de soufre atmosphérique, les deux autres GES en importance, elles sont tendanciellement en nette croissance depuis l'an 2000 :
Source : Annual Increase in Globally-Averaged Atmospheric Nitrous Oxide and Atmospheric Sulfur Hexafluoride, Global Monitoring Laboratory, NOAA
Ce mensonge systématique — en comparaison, les « fake news » de l'extrêmedroite sont de la petite bière — est propagé par les grands médias et corroboré par les grandes gueules de ce monde, intellectuels organiques du capitalisme.
L'embêtant pour leur politique de communication c'est que les démocraties parlementaires qui s'accrochent vaille que vaille aux droits fondamentaux n'ont pas encore réussi à faire taire leurs scientifiques. Ce n'est pas pour avoir tenté de le faire tel le canadien gouvernement Harper ultra-conservateur qui en plus a saboté le recensement de 2011. On imagine ce que font ou pourraient faire les démocraties dite illébérales et les régimes carrément dictatoriaux qui commencent à être légion. Une présidence Trump, encore plus déterminée que ne l'était le gouvernement Harper, ne pourrait-elle trouver le moyen de faire taire les scientifiques de l'observatoire de Mauna Loa ?
Feux de forêt et guerres en rajoutent à la « fake news » du plafonnement des GES
Cependant, s'il est difficile de faire mentir les données provenant directement d'une lecture instrumentale de la densité des gaz atmosphériques, il n'en est pas de même pour celles provenant des émanations à la source soit celles colligées en grande partie par les entreprises elles-mêmes souvent sans supervision selon des méthodologies variées puis regroupées par les gouvernements, dont l'intérêt est de les minimiser, et enfin centralisées à l'ONU. Évidemment, ces données restent essentielles car elle sont les seules à pouvoir être distribuées par pays et par secteurs. Mais elles ne passent pas le test de la comparaison des grands totaux mondiaux par type de gaz dont l'arbitre est la croissance de la température terrestre qui ne décélère pas et est peut-être en accélération si l'on se fie à l'année 2023 :

Selon Copernicus, « la température mondiale moyenne sur les 12 derniers mois (juin 2023-mai 2024) est la plus élevée jamais enregistrée » soit « 1,63 °C au-dessus de la moyenne préindustrielle de 1850-1900 » nettement au-dessus du 1.5°C. Alors, qui ment effrontément ? Le mensonge ne provient pas seulement de données tordues mais aussi d'émanations de GES non rapportées qui sont de plus en plus substantielles. L'an dernier, selon la chronique Down to Earth du 13 juin 2024 de The Guardian, « les incendies dévastateurs ont émis environ 6,5 milliards de tonnes de dioxyde de carbone, annulant les efforts de lutte contre les émissions… » soit 17% des émanations officiellement rapportées de CO2 » pour 2023. L'année en cours est mal partie avec des incendies dévastateurs en Méditerranée et qui débutent en Californie.
Les guerres en rajoutent. Selon The Guardian,
[l]e coût climatique des deux premières années de la guerre de la Russie contre l'Ukraine est supérieur aux émissions annuelles de gaz à effet de serre produites individuellement par 175 pays… […] L'invasion russe a généré au moins 175 millions de tonnes d'équivalent dioxyde de carbone (tCO2e), en raison de l'augmentation des émissions dues à la guerre directe, aux incendies de paysages, aux vols détournés, aux migrations forcées et aux fuites causées par les attaques militaires sur les infrastructures de combustibles fossiles, ainsi que du coût futur de la reconstruction en termes de carbone. […] Cela équivaut à faire rouler 90 millions de voitures à essence pendant une année entière - et c'est plus que le total des émissions générées individuellement par des pays comme les Pays-Bas, le Venezuela et le Koweït en 2022.
Les émanations de GES de la guerre-massacre contre Gaza durant les 120 premiers jours dont 30% proviennent des avions cargo étatsuniens connus pour avoir transporté des bombes, des munitions et d'autres fournitures militaires vers Israël, toujours selon un autre article du Guardian, ont été équivalentes à celles annuelles d'un micro-état comme le Vanuatu sans prendre en compte la reconstruction :
Le coût en carbone de la reconstruction de Gaza sera supérieur aux émissions annuelles de gaz à effet de serre générées individuellement par 135 pays. […] Historiquement, les gouvernements ont mal pris en compte le coût climatique de la guerre et, plus largement, du complexe militaro-industriel. […] Dans l'ensemble, les conséquences de la guerre et de l'occupation sur le climat sont mal connues. Grâce en grande partie à la pression exercée par les États-Unis, la déclaration des émissions militaires est volontaire, et seuls quatre pays soumettent des données incomplètes à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
On peut se consoler, au moins pour les émanations de méthane, grâce au développement récent des satellites en mesure de détecter le pot aux roses des grands émetteurs qui ne peuvent plus se cacher :

Source : The European Space Agency
La grande bourgeoisie fonce droit devant jusqu'à l'absurde réactionnaire
À qui et pourquoi cette gargantuesque « fake news » globale et durable peut-elle être utile ? Évidemment à ce 1%, cette grande bourgeoisie, s'appuyant sur la moyenne bourgeoisie du 9%, qui mène l'économie à la tête de quelques centaines de transnationales, dont le noyau stratégique financier de quelques dizaines « too big to fail », quelques centaines de grandes universités et think-tanks et une dizaine de gouvernements-clefs. Contraints par la loi d'airain de la compétition entre capitaux qui pousse à la centralisation-concentration des entreprises et son corollaire au niveau de la hiérarchie des États, ce 1% n'en a que pour la maximisation des profits et la puissance dominatrice des États jusqu'à la guerre.
Pour le reste c'est « Après moi, le déluge ».
« L'industrie mondiale du pétrole et du gaz a engrangé environ 4 000 milliards de dollars de bénéfices en 2022, contre une moyenne de 1 500 milliards de dollars ces dernières années. Le secteur pourrait dépenser cet argent de bien des manières, mais jusqu'à présent, les entreprises semblent vouloir rembourser leurs dettes et reverser une bonne partie de ces bénéfices à leurs actionnaires. » Au Canada, ces superprofits n'ont pas empêché Shell de gagner« plus de 200 millions de dollars en vendant des crédits carbone pour des réductions qui n'ont jamais eu lieu, le tout en faisant du lobbying contre les réglementations visant à plafonner les émissions. » Quant aux cinq grandes banques canadiennes, selon Greenpeace, elles « continuent à injecter plus de 100 milliards de dollars par an dans les combustibles fossiles… ».
Si le gouvernement canadien ne cesse de tergiverser à propos du contrôle des émanations de l'industrie pétrolière au point d'en être ridicule, il n'hésite pas une seconde à se conformer aux ordres des ÉU et de l'OTAN eu égard au niveau de son budget militaire. Faut-il pleurer ou rire des frasques de la CAQ à propos du troisième lien, scandale écologique doublé d'absurdité économique drapé par l'empoisonneuse sécurité qui fait avaler une dose léthale de racisme et de sexisme à une populace figée par la peur, ce pour quoi la CAQ est passé maître avec le PQ pas loin derrière. Jusqu'au soi-disant progressiste Projet-Montréal qui déroule le tapis rouge à l'archi-polluante Formule 1, dans tous les sens du mot, occasion d'enrichissement autant pour la transnationale responsable que pour les petits commerces, au point de devoir s'auto-humilier parce que la pluie abondante a gâché la fête.
La grande « fake news » du soi-disant progrès de la lutte climatique sert à perpétuer le train-train capitaliste de l'absurde petite politique politicienne jusqu'au risque d'une troisième guerre mondiale dont le terrain est labouré par deux guerres génocidaires auxquelles il faudrait ajouter les deux guerres civiles hautement meurtrières du Soudan et de la Birmanie et bien d'autres. Quand les grandes puissances de l'OTAN dénoncent à juste titre la guerre génocidaire ukrainienne mais qu'ils arment l'État sioniste perpétrant un plus important génocide tout en traitant d'antisémites ceux et celles qui dénoncent le sionisme qui en est la cause, quitte à renier les droits fondamentaux sensés porter notre civilisation, l'absurde devient incommensurable. Faut-il se surprendre que dans un tel contexte, le grand public perde de vue l'enjeu central à la survie de l'humanité, soit les crises conjointes des courses folles vers la terre-étuve et vers la sixième grande extinction.
Il est certainement rationnel de stratégiquement bloquer la montée des extrêmes droites qui surfent sur l'absurdité du monde mais non pour revenir au libéralisme parlementaire qui leur a pavé la voie avec son austérité néolibérale.
À la recherche de la stratégie unificatrice contre la marginalité toujours vaincue
Afin de tenter de se sortir de la marginalité, une bonne partie de la nébuleuse québécoise écologiste, à l'invitation de Mob6600, s'est réunie en une « rencontre inter-luttes » le 15 juin sous la thématique « Quels moyens pour la lutte sociale et écologiste ? » dans le cadre du « Camp climat » dans la forêt Steinberg. Une quinzaine de groupes, en cinq minutes chacun, s'y sont présentés. Ces présentations et la discussion qui s'ensuivit ont permis de souligner points forts et points faibles à corriger. La grande majorité des groupes étaient petits et même groupusculaires à l'exception de deux, Fondation Suzuki et le CCMM-CSN, qui se donnent une vocation de « soutien à la mobilisation citoyenne », par exemple construire des coalitions dans un bassin de 140 organisations ou le soutien logistique, en plus de tâches qui leur sont propres vis-à-vis le grand public ou le mouvement syndical comme des campagnes, de la représentation et de l'éducation. Chacun se démarquait pas ses caractéristiques soit de domaine d'intervention (Northvolt, friche L'Assomption, pipeline 9B, feux de forêt, extension du Port de Montréal à Contrecœur, transport collectif) et la particularité de ses méthodes (diversité des tactiques, désobéissance civile, procès politique, réunions d'information, blocages, représentation, mémoires, rapports scientifiques, comités paritaires, sites web et Facebook, actions clandestines en soutien, podcasts).
Ressortaient deux groupes. Mères au front est une fédération d'une trentaine de groupes locaux comptant environ 8 000 membres. Chaque groupe mène ses propres luttes mais le centre donne la priorité à certaines comme les enjeux de la Fonderie Rouyn-Noranda, Northvolt et les caribous. Mob6600, étant donné son attache territoriale reconnue dans la discussion comme facteur facilitant la mobilisation, a amorcé la transition vers l'action de masse par des manifestations et des activités culturelles ce qui ne l'empêche pas dans un cadre de diversité des tactiques de faire de la représentation et de l'action directe tels des blocages.
La discussion a permis de souligner les défauts du fonctionnement en petits groupes exigeant la super-militance tels l'éparpillement et l'épuisement militant. Les victoires sont rares. Même les victoires contre l'exploitation des hydrocarbures ouvraient la voie à la filière batterie quoique ce n'était pas le cas du projet de pipeline Énergie-est. La moindre des choses est de ne pas se condamner les uns les autres, plutôt se faire résonnance, tout en ne fermant pas la porte à l'indispensable critique mutuelle et en reconnaissant l'avantage de la diversité d'opinions et des tactiques qui permettent de rejoindre différents milieux. Constamment réagir dans l'urgence peut faire perdre de vue le fondement anticapitaliste et décolonial des luttes et faire oublier le ralliement des personnes opprimées, premières victimes de la crise climatique, et l'unité avec les peuples autochtones, fer de lance de la lutte climatique.
La grande difficulté reste la transcroissance vers les mobilisations de masse d'autant plus que l'ennemi est puissant monétairement comme légalement, et n'hésite pas à s'unir du fédéral au municipal (Mob6600, Northvolt) malgré leurs chicanes par ailleurs. Des initiatives rassembleuses s'annoncent comme la coalition d'une quarantaine de groupes « La suite du monde » pour la manifestation climatique de la fin septembre qui n'a pas eu lieu l'an dernier. Mais la gent étudiante, en ce moment démobilisée quant à la lutte climatique, et le mouvement syndical, dont la mobilisation a déjà déçu, seront-ils de la partie en masse ? Rien n'est moins certain.
On remarque aussi le projet « Les soulèvements du fleuve » comme « volonté de mettre en branle un mouvement de résistance au développement industriel, colonial et extractiviste. De mettre en résonnance ce qui résiste et s'organise. Une tentative qui rassemble de multiples groupes, initiatives et usages. […] On pourrait ainsi résumer cette ultime lubie du gouvernement : éventrer le Nord, bétonner le Sud et transformer le fleuve Saint-Laurent en autoroute. » Voilà qui est bien dit mais y aura-t-il une suite et une croissance de cette coalition anti-décroissance ? Il est certainement exact que Contrecœur, Ray-Mont Logistique, Northvolt et les mines qui l'approvisionnent, l'élargissement du Port de Québec veulent faire du fleuve et de ses affluents une autoroute de la marchandise comme jamais aux dépends des bélugas et de la préservation des berges riches en source de vie. Les soulèvements du fleuve pourrait être la coalition en opposition au Projet Saint-Laurent de François Legault.
Le volet politique Québec solidaire et sa dissidence aux abonnés absents
Manque à ce panorama de la lutte climatique le volet proprement politique tout comme il faisait défaut au Festival de la décroissance conviviale dans la même forêt Steinberg il y a deux semaines. Depuis le dernier Conseil national de Québec solidaire, on sait que le nouveau programme de facto a balancé par-dessus bord tant le cadre général de la décroissance que la priorité à la production de batteries pour le transport collectif de la part de l'usine Northvolt. La dissidence à cette orientation semble penser que la simple lutte contre la privatisation d'HydroQuébec et la nationalisation des entreprises exploitant les ressources naturelles suffiraient à corriger le tir. Le bilan du socialisme du XXe siècle a plus que démontrer que la nationalisation mur à mur sans démocratisation de la planification afférente, telle en Union soviétique, peut faire pire en dommage environnemental. Hydro-Québec, nationalisée depuis plus d'un demi-siècle, ne poursuit-elle pas une politique croissanciste de capitalisme vert ?
On peut penser qu'une planification démocratique d'une économie socialisée et décentralisée du XXIe siècle opterait sans hésiter pour une décroissance matérielle réduisant drastiquement le niveau moyen de consommation tout en élevant celui du 50% mondial le plus pauvre.
En bénéficierait grandement le niveau de bien-être de tout le monde grâce à une société de sobriété solidaire et égalitaire. Ce qui signifie au moins la fin du règne de l'auto solo et du bungalow avec son corollaire d'étalement urbain au bénéfice de logements collectifs dans des quartiers et villages quinze minutes reliés par des parcs nature et un réseau de transport actif et public. Mais il semble que le mouvement écologique québécois devra se passer de l'outil essentiel d'une orientation dite écosocialiste sur la scène politique autrement qu'en vain discours du dimanche. Québec solidaire et sa dissidence en restent à se chamailler pour la meilleure chaise sur le pont du Titanic.
Marc Bonhomme, 16 juin 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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Le nouvel âge des fléaux du capitalisme. Les machines à pandémie (V)

Les nouvelles zoonoses sont inextricablement liées à l'industrialisation des volailles, des porcs et des bovins. En mars, Cal-Maine Foods [Ridgeland, Mississippi], le plus grand producteur d'œufs des Etats-Unis, a signalé que des poules de l'une de ses usines d'œufs du Texas avaient contracté l'influenza aviaire hautement pathogène de type A, mieux connue sous le nom de grippe aviaire. Pour éviter que la maladie ne se propage, l'entreprise a abattu 1,6 million de volailles. Il ne s'agit là que du dernier abattage massif dans le cadre de l'épidémie actuelle de grippe aviaire : plus de 100 millions de volailles d'élevage et d'innombrables oiseaux sauvages sont morts aux Etats-Unis et au Canada depuis le début de l'année 2022 [2].
« Le système alimentaire mondial est un désastre à évolution lente, mais il n'est pas cassé. Il fonctionne précisément comme un système alimentaire capitaliste est censé fonctionner : il se développe constamment, concentrant les richesses dans quelques monopoles puissants, tout en transférant tous les coûts sociaux et environnementaux à la société. » Eric Holt-Giménez [1]
Aux Etats-Unis, Cal-Maine exploite 42 « installations de production » dans lesquelles 44 millions de poules pondent plus de 13 milliards d'œufs par an. En 2023, ses bénéfices bruts s'élevaient à 1,2 milliard de dollars pour un chiffre d'affaires de 3,1 milliards de dollars [3]. Dans ce contexte, la perte de 1,6 million de volailles au Texas est un inconvénient mineur – d'autant plus que le gouvernement états-unien (en réponse au lobbying de l'agro-industrie) paie pour les volailles abattues lors d'épidémies de grippe aviaire. Des millions de poulets morts, c'est le prix à payer pour faire des affaires, et ce n'est pas très grave.
Les virus de la grippe ont été transportés par les oiseaux aquatiques pendant des siècles sans les rendre malades, mais lorsqu'une variante appelée H5N1 s'est propagée aux canards d'élevage dans le sud de la Chine, en 1996, elle a rapidement évolué vers une forme à la fois hautement infectieuse et mortelle pour les volailles. Cette version s'est ensuite propagée aux oiseaux sauvages et a continué à muter tout en se répandant dans le monde entier. La maladie touche principalement les volailles, mais, entre 2003 et 2019, 861 cas humains ont été signalés dans 17 pays, et 455 des patients sont décédés [4].
- Appellation des virus
- Il existe quatre types de virus de la grippe : A, B, C et D. Le type A est le plus courant et provoque les symptômes les plus graves. Les sous-types ayant des caractéristiques et des effets différents sont nommés d'après les propriétés des protéines Hemagglutinin (H) et Neuraminidase (N) présentes à leur surface. Par exemple, A(H7N2) est un sous-type de virus de la grippe A qui possède les protéines H-7 et N-2. Plus de 130 sous-types de type A ont été identifiés, et chacun d'entre eux se présente sous des formes multiples, appelées clades (groupes d'organismes) ou groupes.
Une variante de la grippe apparue pour la première fois chez les porcs aux Etats-Unis et au Mexique en 2009 a ensuite infecté des millions de personnes dans le monde entier, tuant entre 150 000 et 575 000 personnes.
Depuis la fin des années 1990, une nouvelle variante hautement pathogène du H5N1 est devenue la principale cause de grippe aviaire en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique du Nord, causant la mort de millions de volailles. En avril 2024, le département états-unien de l'Agriculture a signalé que, pour la première fois, le virus avait infecté des vaches laitières. Le 8 mai, le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) a indiqué que 36 troupeaux de vaches laitières dans 9 Etats étaient touchés par le H5N1, mais il s'agit certainement d'une sous-estimation, car de nombreux exploitants refusent de tester le bétail ou de signaler les infections.
Un ouvrier de laiterie du Texas est le premier exemple connu de transmission du H5N1 d'un mammifère à l'homme, mais là encore, il est possible que d'autres cas n'aient pas été signalés, d'autant plus que les symptômes de cette grippe chez l'homme sont légers et de courte durée. Le risque pour la santé humaine est actuellement considéré comme faible, mais comme le souligne l'épidémiologiste Michael Mina, « la transmission incontrôlée parmi le bétail signifie que le virus se trouve de plus en plus en contact avec l'homme. Chaque exposition humaine, à son tour, offre la possibilité de nouvelles mutations qui pourraient permettre une transmission interhumaine. Bien que le risque d'une pandémie de H5N1 soit actuellement faible, les conséquences de l'inaction pourraient être catastrophiques. » [5]
Les usines à grippe
Jusqu'au troisième quart du XXe siècle, un virus de la grippe aviaire qui se serait propagé à un poulet ou à un porc domestique se serait rapidement retrouvé dans une impasse. Presque tous les poulets étaient élevés dans des fermes familiales, dans des troupeaux de quelques dizaines d'unités : 400 formait déjà un très grand élevage. Les porcs étaient élevés en nombre beaucoup plus restreint. Par conséquent, même si le virus était très contagieux, il aurait rapidement manqué de nouveaux hôtes à infecter.
Les choses ont changé avec ce que l'on a appelé « l'altération la plus profonde de la relation entre l'animal et l'homme depuis 10 000 ans » [6], à savoir l'expansion rapide d'exploitations d'alimentation animale concentrée (CAFO), plus précisément appelées « fermes industrielles ».
Aujourd'hui, une poignée d'entreprises géantes contrôlent la production de poulets de chair (poulets élevés pour la viande) et de poules pondeuses (poulets élevés pour les œufs). Dans une installation typique, des centaines de milliers de volailles sont entassées dans des bâtiments sans fenêtres, avec peu d'espace pour se déplacer. A la fin du XXe siècle, l'industrie de la volaille en Amérique du Nord a été complètement transformée et ses méthodes ont été largement copiées, notamment en Asie du Sud-Est et en Chine.
La transformation de l'élevage porcin a été encore plus rapide à partir des années 1990.
- « En 1992, moins d'un tiers des porcs des Etats-Unis étaient élevés dans des fermes de plus de deux mille animaux, mais en 2004, quatre porcs sur cinq provenaient de l'une de ces exploitations géantes, et en 2007, 95% d'entre eux en provenaient. Une analyse réalisée par Food & Water Watch a révélé qu'entre 1997 et 2007, 4600 porcs ont été ajoutés chaque jour à un élevage industriel, portant le total à plus de 62 millions d'animaux. » [7]
Dans le monde, les trois quarts des vaches, poulets, porcs et moutons sont élevés dans des installations industrielles confinées. Aux Etats-Unis, la proportion d'animaux élevés dans des fermes industrielles est bien plus élevée, avec plus de 99% des poulets et 98% des porcs.
Les volailles et les animaux de ces systèmes industriels ont été élevés pour croître rapidement et produire des quantités constantes de viande ou d'œufs tout en consommant un minimum d'aliments. Grâce à des programmes de sélection axés sur le profit, les volailles commerciales ont perdu plus de la moitié de la diversité génétique de leurs ancêtres sauvages [8]. Les élevages industriels sont peuplés d'animaux génétiquement identiques qui réagissent de la même manière aux nouvelles infections – un virus qui rend un animal malade peut faire de même pour les autres sans qu'il soit nécessaire de procéder à d'autres mutations. Si un poulet d'une méga-ferme contracte la grippe aviaire, la plupart des autres mourront en quelques jours.
Si l'on voulait construire une machine à créer des pandémies, on pourrait difficilement faire mieux que le système des fermes industrielles. Comme l'écrit Rob Wallace : « Notre monde est encerclé par des villes de millions de porcs et de volailles en monoculture, pressés les uns contre les autres, un écosystème presque parfait pour l'évolution de multiples souches virulentes de grippe. » [9]
- « Même si cela n'est pas intentionnel, l'ensemble de la chaîne de production est organisé autour de pratiques qui accélèrent l'évolution de la virulence des agents pathogènes et la transmission qui s'ensuit. Les monocultures génétiques – animaux et plantes alimentaires dont le génome est presque identique – suppriment les pare-feu immunitaires qui, dans des populations plus diversifiées, ralentissent la transmission. Les agents pathogènes peuvent désormais évoluer rapidement autour des génotypes immunitaires communs de l'hôte. Par ailleurs, la promiscuité diminue la réponse immunitaire. L'augmentation de la taille des populations d'animaux d'élevage et la densité des élevages industriels favorisent la transmission et les infections récurrentes. Le haut débit, qui fait partie de toute production industrielle, fournit un réservoir continuellement renouvelé en vulnérabilités au niveau de l'étable, de la ferme et de la région, supprimant ainsi le plafond de l'évolution de la mortalité des agents pathogènes. Le fait de loger un grand nombre d'animaux ensemble récompense les souches qui peuvent le mieux s'en débarrasser. L'abaissement de l'âge d'abattage – à six semaines pour les poulets – est susceptible de sélectionner des agents pathogènes capables de survivre à des systèmes immunitaires plus robustes. » [10]
De même, un groupe de travail pluridisciplinaire parrainé par le Council for Agricultural Science and Technology (Etats-Unis), organisme à but non lucratif, a conclu :
- « L'un des principaux effets des systèmes modernes de production intensive est qu'ils permettent la sélection et l'amplification rapides d'agents pathogènes issus d'un ancêtre virulent (souvent par le biais d'une mutation ténue), ce qui accroît le risque de propagation et/ou de dissémination de la maladie. … En d'autres termes, en raison de la révolution de l'élevage, les risques mondiaux de maladie augmentent. » [11]
L'émergence accélérée des zoonoses est inextricablement liée à l'industrialisation de la « production » des volailles, des porcs et des bovins, elle-même inextricablement liée à la volonté d'expansion du champ soumis capital et à son accumulation, quels que soient les dommages causés. Des bénéfices annuels de 4,9 milliards de dollars (Cargill), 4,4 milliards de dollars (JBS Foods) et 4,1 milliards de dollars (Tyson Foods) [12] ne sont possibles que les coûts des pandémies et de la pollution sont reportés sur la société dans son ensemble. Tant que les élevages industriels généreront de tels bénéfices, l'agro-industrie continuera à considérer les maladies épidémiques comme un coût acceptable de son activité.
L'agro-industrie, comme le dit Rob Wallace, a conclu une alliance stratégique avec la grippe. Big Food est en guerre contre la santé publique, et la santé publique est en train de perdre [13]. (A suivre –Article publié sur le blog de Ian Angus Climate&Capitalism le 15 mai 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre. Voir les quatre premières contributions publiées sur ce site les 12, 16, 27 mars et le 24 avril)
Notes
[1] Eric Holt-Giménez, Can We Feed the World without Destroying It ?, Global Futures (Cambridge, UK ? ; Medford, MA : Polity Press, 2018), 86.
[2] Andrew Jacobs, “A Cruel Way to Control Bird Flu ? Poultry Giants Cull and Cash In.,” The New York Times, April 2, 2024, sec. Science.
[3] Cal-Maine Foods, “3Q 2024 Investor Presentation.”
[4] Centers for Disease Control and Prevention, “Highlights in the History of Avian Influenza (Bird Flu),” Centers for Disease Control and Prevention, July 8, 2022.
[5] Michael Mina and Janika Schmitt, “How to Stop Bird Flu From Becoming the Next Pandemic,” TIME, May 9, 2024.
[6] Michael Greger, Bird Flu : A Virus of Our Own Hatching (New York : Lantern Books, 2006), 109–10.
[7] Wenonah Hauter, Foodopoly : The Battle over the Future of Food and Farming in America (New York : New Press, 2012), 171.
[8] William M. Muir et al., “Genome-Wide Assessment of Worldwide Chicken SNP Genetic Diversity Indicates Significant Absence of Rare Alleles in Commercial Breeds,” Proceedings of the National Academy of Sciences 105, no. 45 (November 11, 2008) : 17312–17.
[9] Rob Wallace, Big Farms Make Big Flu : Dispatches on Infectious Disease, Agribusiness, and the Nature of Science (New York : Monthly Review Press, 2016), 38.
[10] Rob Wallace et al., “COVID-19 and Circuits of Capital,” Monthly Review 72, no. 1 (May 1, 2020) : 1–15.
[11] Council for Agricultural Science and Technology, “Global Risks of Infectious Animal Diseases,” Issue Paper, February 2005, 6.
[12] Warren Fiske, “‘Big Four' Meat Packers Are Seeing Record Profits”, Politifact, June 30, 2022.
[13] Wallace, Big Farms Make Big Flu, 11 ; “COVID-19 and Circuits of Capital,” 12.
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L’héritage de la seconde guerre mondiale

Pour le 80e anniversaire du débarquement de Normandie (1944), les différents gouvernements impérialistes ont voulu souligner l'engagement des soldats, mais surtout les résultats de la victoire des Alliés sur le type de société qui a résulté de cette victoire. Dans le chapitre du livre d'Ernest Mandel sur la Seconde Guerre mondiale, ce dernier tire un tout au bilan de cette guerre, bilan sur lequel il vaut la peine de revenir, surtout à la lumière de la remontée de l'extrême-droite à l'échelle mondiale.
(tiré du livre : Sur la Seconde Guerre mondiale, une interprétation marxiste, Ernest Mandel, Éditions La Brèche, 2018, pp. 196 à 204)
Les destructions laissées par la Seconde Guerre mondiale sont stupéfiantes. Quatre vingt millions de personnes ont été tuées, si l'on inclut celles qui sont mortes de faim et de maladies en rapport direct avec la guerre, huit fois plus que pendant la Première Guerre mondiale. Des douzaines de villes ont été totalement détruites, surtout au Japon et en Allemagne. Les ressources matérielles susceptibles de nourrir, habiller, loger, équiper tous les pauvres de ce monde ont été gaspillées à des fins purement destructives. Des forêts ont été dévastées et des terres agricoles laissées en friche à une échelle qu'on n'avait plus vue depuis la Guerre de Trente ans ou l'invasion mongole de l'Empire islamique.
Les ravages destructeurs sur les esprits et le comportement humain ont été les plus graves. Violence et mépris barbares à l'encontre des droits humains élémentaires, à commencer par le droit à la vie, se sont' répandus à un niveau jamais atteint durant et après la Première Guerre mondiale.
L'apogée de cette montée de la barbarie fut l'avènement de la Bombe, véritable quintessence de la force destructive fondamentale du capitalisme tardif. Depuis 1945, l'ombre de l'annihilation finale plane sur le destin de l'humanité sous la forme d'un sinistre nuage en forme de champignon. Cette ombre empoisonne déjà des centaines de milliers d'êtres humains, tant eux-mêmes que leurs descendants, elle empoisonne aussi leur esprit. Sans parler des effets, sur le long terme et largement méconnus, des retombées radioactives directes de la bombe nucléaire ou des explosions expérimentales.
Toutes ces destructions ont-elles été inutiles ? Le capitalisme international est-il sorti de la Seconde Guerre mondiale ayant résolu les contradictions fondamentales, structurelles et conjoncturelles, qui l'avaient mené au conflit ? Nombre d'observateurs l'auraient catégoriquement nié dix ans plus tôt, alors que contrairement à la période de l'entre-deux-guerres, on pouvait constater que l'économie capitaliste internationale avait fait l'expérience de deux décades [1](presque trois, dans les pays anglo-saxon) de croissance sans précédent, interrompue seulement par des récessions mineures et d'une longue période historique avec un bas niveau de chômage et une hausse impressionnante du niveau de vie des· masses travailleuses des pays impérialistes.
Aujourd'hui, il est évident que ces vingt à vingt-cinq années de boom économique ne furent qu'une parenthèse, « une onde longue expansive » de l'économie capitaliste, qui suivait la « longue dépression » de l'entre-deux-guerres, et qui sera elle-même suivie d'une « longue dépression » d'une durée encore plus longue que celles des années 1913-1939 [2]
Bien sûr, cette parenthèse a vu les forces productives opérer un nouveau bond en avant. La troisième révolution technologique a généré une énorme augmentation des biens matériels et des compétences et des connaissances de la classe ouvrière internationale, sans parler de l'explosion du nombre des salariés. Même si les progrès matériels et intellectuels furent inégalement répartis, suivant le développement des pays capitalistes, ils ont permis d'élargir la base à partir de laquelle construire le socialisme. Les conditions matérielles pour bâtir un socialisme mondial d'abondance et de dépérissement global de la division du travail entre patrons et travailleurs étaient bien plus importantes en 1970 qu'en 1939, sans parler de 1914. Elles le sont encore plus en 1985.
En même temps, cependant, le prix que le genre humain doit payer pour ce retard dans l'instauration du socialisme mondial, pour la survie de ce capitalisme pourrissant, devient de plus en plus en plus effrayant. La tendance des forces productives à se transformer en forces destructrices non seulement se manifeste par des crises périodiques de surproduction et des guerres mondiales, mais cela se manifeste de plus en plus implacablement dans le champ de la production, de la consommation, de rapports sociaux, de la santé (particulièrement la santé mentale) et, par-dessus tout, dans cette suite ininterrompue de guerres locales. À nouveau, le coût global de ces souffrances humaines, de ces morts et de ces menaces pour la survie physique de l'humanité est sidérant. Il dépasse tout ce qu'on a pu voir pendant la Première et la Seconde guerre mondiale. [3]
Deux excellents exemples suffisent à souligner ce point (beaucoup d'autres pourraient être cités). Depuis 1945, il ne s'est pas passé une seule année sans que des guerres "locales" n'éclatent quelque part sur le globe, et souvent simultanément. La plupart de ces guerres sont des guerres contre-révolutionnaires d'intervention contre des mouvements d'indépendance nationale ou contre des révolutions sociales. Le nombre des victimes égale ou dépasse, déjà, celui de la Première Guerre mondiale.
La perversion de la consommation et des besoins humains par la production de masse standardisée, fondée sur le profit, impose toujours plus de maladies et de morts à l'humanité. Non seulement elle implique à la fois augmentation de la surproduction et compression artificielle de la production de nourriture à l'Ouest, de même que faim et famine dans le Sud, mais elle génère aussi, en Occident même, un flot croissant de biens de consommation, dont la nourriture, inutiles, dangereux el empoisonnés. Le résultat en est la croissance dramatique des maladies dites de « civilisation », comme les cancers et les occlusions coronariennes, causées par l'air vicié, l'eau et le corps lui-même. De nouveau, un tribut stupéfiant est payé à la mort. La menace d'empoisonnement de l'air, des mers, de l'eau et des forêts pose la question de la survie physique de l'humanité dans les mêmes termes que la pose la guerre mondiale nucléaire.
En ce sens, la Seconde Guerre mondiale n'a rien résolu, c'est-à-dire n'a éliminé aucunes des causes de fond des crises de plus en plus intenses menaçant la survie de la civilisation et de l'humanité. Hitler a disparu, mais la vague de destruction et de barbarie continue de monter, quoique de façon plus diverse et moins concentrée (pour autant qu'on évite une troisième guerre mondiale) [4], car les causes destructrices sous-jacentes demeurent. C'est la dynamique expansionniste de la concurrence, l'accumulation du capital et un impérialisme de plus en plus autocentré, avec tout le potentiel destructeur que cette expansion recèle face à la résistance et la désobéissance croissante de millions, si ce n'est de centaines de millions d'êtres humains, qui opèrent en "boomerang", c'est-à-dire de la "périphérie", les peuples dominés, vers le " centre " impérialiste.
La militarisation des États-Unis traduit la permanence de cet expansionnisme et son pouvoir de destruction, nonobstant de particulières circonstances historiques. Joseph Schumpeter affirmait, contre les marxistes, que les racines de l'impérialisme étaient essentiellement précapitalistes, semi-féodales, de type absolutiste-militariste et non de la responsabilité du business capitaliste. [5]Il a essayé de le prouver en affirmant que le pays le plus puissant du monde, les États-Unis d'Amérique, n'avait ni armée ni establishment militaire à proprement parler. Il est allé jusqu'à réitérer ses arguments, qu'il avait déjà une première fois avancés juste après la Première guerre mondiale, dans son classique Capitalisme, socialisme, démocratie(datant de 1943, c'est l'une des rares études historiques bourgeoises dernières cinquante dernières années qu'il vaut la peine de mentionner, largement supérieure à la critique de Marx par Popper, sans parler des vociférations antisocialistes de Frederich A. Hayek. [6]
Il est vrai que les spécificités historiques du capitalisme US, ses limites et la faiblesse des États de sa sphère d'influence commerciale en Amérique latine, lui ont donné la possibilité de s'étendre géographiquement, tout en ne recourant que peu à la force (en tout cas, significativement moins que les puissances européennes ou le Japon.) Plus tard, après la Première Guerre mondiale, la gigantesque supériorité industrielle et financière de l'impérialisme US fit que gouverner « pacifiquement » (non sans utiliser le « gros bâton »ici ou là, bien sûr) était plus efficace que les occupations territoriales directes ou les aventures militaires à grande échelle.
L'issue de la Seconde Guerre mondiale a tout bouleversé. À commencer par l'avènement d'une complète hégémonie de l'impérialisme US impliquant qu'il pouvait, de plus en plus, jouer le rôle de gendarme mondial du capitalisme. En ce sens, les contradictions entre l'internationalisation des forces productives et la permanence de l'État-nation furent, partiellement et temporairement, surmontées. Mais il lui était impossible de jouer ce rôle sans un puissant establisment militaire en expansion. L'impérialisme US dut affronter littéralement toutes les contradictions du capitalisme international et de plus, les réduire puis les réprimer.
Sous le capitalisme, particulièrement l'impérialisme dans sa phase de « capitaliste tardif » caractérisé par de monstrueuses quantités de capitaux en recherche permanente de champs d'investissement, un establishment militaire en expansion signifie des firmes industrielles capitalistes en pleine croissance, tournées vers la production d'armes. Elles y ont un intérêt propre, car l'État se porte garant de l'augmentation permanente de la production et des profits ainsi générés. D'où l'apparition du « complexe militaro-industriel » pour citer les mots judicieusement choisis d'Eisenhower, général devenu président des États-Unis.
Ainsi, en définitive, Schumpeter avait complètement tort, et les marxistes avaient raison à propos du cas, exemplaire, des États-Unis. Au-delà de toutes ses spécificités historiques et de sa singularité, quoique avec un demi-siècle de retard sur la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, le Japon et l'Italie, la militarisation des États-Unis procédait directement des besoins du grand business et de l'impérialisme US.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Aussi puissant fût-il, l'impérialisme US ne pouvait affronter simultanément, avec ses seules ressources militaires, l'Union soviétique, le processus de révolution permanente dans les pays coloniaux et semi-coloniaux et une classe ouvrière périodiquement rétive et explosive dans plusieurs pays impérialistes. Il avait besoin d'alliés : il devait les soigner, au premier chef, financièrement. En conséquence, l'impérialisme US vit la loi du développement inégal et combiné [7] se manifester pour la première fois contre lui-même.
Quand les États-Unis entreprirent de reconstruire et de consolider l'impérialisme d'Allemagne de l'Ouest et du Japon (de la même façon qu'ils avaient précédemment présidé à la reconstruction et à la stabilisation de la France et de l'Italie), ils initièrent un processus qui offrit à ces pays l'opportunité d'atteindre une croissance de la productivité industrielle en moyenne plus rapide, ainsi qu'un profil industriel plus moderne, que ceux des États-Unis eux-mêmes. C'était la conséquence de la défaite et des destructions que ces pays avaient subies. Ainsi, la constitution de la machine de guerre américaine assura aussi la fonction de pressurisation d'alliés récalcitrants, de façon à ce qu'ils ne s'autonomisent pas trop sur les plans financier, commercial et industriel, fonction qui fut elle-même, petit à petit, sapée par les modifications des rapports de forces au détriment de l'impérialisme américain. Ainsi, en dépit de son hégémonie militaire, le « règne du dollar » et de la domination américaine sur la propriété et le contrôle des entreprises multinationales ne durèrent pas plus de vingt ans après la Seconde Guerre mondiale. Si l'on garde en tête la puissance industrielle et militaire soviétique, qui cassa dans les années cinquante, le monopole américain tant sur les armes nucléaires que sur les moyens de les utiliser, le « siècle américain » a à peine duré plus d'une décade. Bretton Woods [8] le « règne du dollar. [9], le « règne des multinationales contrôlées par les Américains, ont réellement permis après 1945-1948, au capitalisme américain et mondial d'éviter un effondrement économique comparable à celui de la grande Dépression [10] Mais ces mesures s'érodèrent et, finalement, aboutirent à la longue dépression qui a commencé à la fin des années soixante - début des années soixante-dix" [11]
Le boom d'après-guerre ne fut pas non plus la conséquence automatique du choix d'une expansion commerciale et financière « pacifique » de l'impérialisme US. La précondition du plan Marshall, donc des exportations massives de capitaux et de tout ce qui en découlait, était d'en finir avec la montée du mouvement ouvrier de l'après-guerre dans plusieurs pays impérialistes clés, particulièrement la France, l'Italie et le Japon où le militantisme était largement canalisé par les PC et, de ce fait, perçu comme une menace directe par l'impérialisme américain. Cette montée ouvrière eut lieu aussi aux États-Unis, bien qu'avec un niveau de politisation et de radicalisation moindre. [12]
Dans ces conditions, la lutte des classes dans les principaux pays capitalistes, comme à l'échelle internationale, se combina avec les rapports conflictuels entre les différentes grandes puissances et avec la guerre froide, d'une façon spécifique et discontinue. Certaines des principales grèves dans l'industrie doivent être distinguées de grèves plus tardives, par exemple la vague de grèves aux USA et les première grèves sauvages massives, en Belgique et en France, résultant du départ des PC des coalitions gouvernementales, sous la pression de la classe ouvrière (et non sous la pression de l'impérialisme américain ou des bourgeoisies européennes). Mais les défaites partielles de ces combats, combinées à un capitalisme de plus en plus répressif (dont le Taft Hartley Act [13] et l'érosion graduelle de la puissance syndicale aux États-Unis, fournissent les exemples les plus significatifs), ainsi que le tournant des PC d'une politique de participation à des gouvernements de coalition vers des positionnements ultragauches, conduisirent au déclin général du militantisme ouvrier - même en Grande-Bretagne où la désorientation politique avait le plus de chance d'être évitée grâce à la présence d'un gouvernement travailliste assis sur une large majorité parlementaire actrice d'importantes réformes législatives. Alors que la stabilisation du capitalisme dans les principaux pays impérialistes permettait au boom économique de démarrer sur des bases favorables - le déclin de la première vague de radicalisation et d'engagement des travailleurs de l'après-guerre - elle conféra au développement du rapport de forces entre les classes une orientation particulière, tout à fait différente de celle de 1923. [14]
Aucune classe ouvrière de pays impérialistes ne subit de défaite écrasante. Alors que la guerre froide occasionna de grosses divisions idéologiques et organisationnelles à l'intérieur du mouvement ouvrier, elle contraignit les impérialistes à payer le prix fort pour garder leur "front intérieur" relativement calme. En conséquence du boom économique de l'après-guerre dans la société occidentale - induisant une nouvelle augmentation du salariat, c'est-à-dire de l'industrialisation et, en conséquence, les attentes de plus en plus pressantes des travailleurs de voir leurs désirs réalisés par leurs luttes syndicales et leurs initiatives politiques (sauf aux USA) - le mouvement ouvrier organisé continua de se renforcer dans les pays impérialistes. Il atteignit des niveaux records, dans et hors des usines. Pendant un moment, cette croissance sembla réellement alimenter le boom en permettant aux masses de s'équiper de biens durables et d'acheter leur logement. Mais à partir d'un certain point, symbolisé par mai 68, les contradictions entre cette croissance et le fonctionnement normal de l'économie capitaliste devinrent évidentes.
D'un autre côté, les conditions mêmes dans lesquelles le « Siècle américain » avait été conçu : le règne des entreprises multinationales et les conséquences de la troisième révolution sur les matières premières (élimination graduelle du travail humain), facilitèrent le passage de l'impérialisme de la domination directe du "tiers monde" [15] à sa domination indirecte (du colonialisme au néocolonialisme) sans aucune redistribution significative des profits (la plus-value mondiale) en faveur des classes dirigeantes du tiers-monde.
Un flux constant de richesse du Sud vers le Nord, se maintint pendant toute la période de l'après-guerre, alimentant, à la fois, le boom lui-même et la révolte contre la surexploitation induite, prenant la forme de mouvements de libération nationale. Les vieux empires s'étaient effondrés. Mais la tentative de stabiliser un nouvel américain "indirect" tendait petit à petit vers l'échec. [16]
De ce point de vue, également, la Deuxième Guerre mondiale n'avait structurellement rien résolu pour le capitalisme. Le capitalisme s'était stabilisé et avait prospéré en Occident de 1948 à 1968. Mais le prix payé fut des crises continuelles dans le tiers monde et l'accumulation d'éléments de plus en plus explosifs en Europe occidentale - qui explosèrent en 1968. La crise de l'impérialisme n'avait pas été résolue.
Pas plus que la crise des rapports de production capitaliste. Le répit n'avait pas été utilisé pour réparer la digue. Les brèches s'élargissaient. Et, par ces brèches, les flots de la révolution pourraient recommencer à se déverser. Cela reste la meilleure chance, en fait la seule chance, d'éviter la troisième guerre mondiale. Le genre humain ne peut être sauvé de la destruction que par un contrôle rationnel, international et national, sur ses affaires, c'est-à-dire en abolissant les classes, les conflits entre nations et la concurrence.. Et seule une fédération mondiale démocratique et socialiste peut atteindre cet objectif.
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[1] Nous sommes en 1986. NDE
[2] À ce propos, voir Ernest Mandel, Late CapitalismLondres 1976. Le troisième âge du capitalisme, La Passion, Paris 1997) et The Long Waves of Capitalism Development, Cambridge 1981Les Ondes Longues du développement capitaliste, Syllepse, Paris, 2014
[3] Pendant le bombardement de l'Indochine par l'aviation américaine, entre 1964 et 1973, la puissance destructrice larguée fut trois fois plus importante que durant l'ensemble de la Seconde guerre mondiale en Europe et en Asie, guerre de Corée incluse : 7,5 millions de tonnes de bombes dont 400 000 tonnes de napalm.
[4] Selon Amnesty International, la torture est, aujourd'hui, régulièrement pratiquée (institutionnalisée] dans plus de 50 pays.
[5] Josef Schumpeter, Zur Soziologie der Imperialismen (1919) publié en anglais sous le titre Imperialism and Social Classes (en français Impérialisme et classes sociales, Flammarion 1999).
[6] Voir, par exemple, The Road to Serfdom, 1944. (La route de la servitude, PUF, 2013)
[7] Voir Michel Husson http://hussonet.free.fr/rouage4.pdf, p.4, qui cite Trotsky, Histoire de la révolution russe, t. 1,p.42, Seuil. Nde.
[8] Accords signés en juillet 1944, aux États-Unis, entre les 44 pays alliés pour organiser les grandes lignes du nouveau système financier mondial. nde.
[9] Bien sûr, ce ne fut possible que grâce aux dommages irréparables de la seconde guerre mondiale a causés aux finances et à la marine marchande et militaire britannique. Les autorités anglaises, dans un document très clair, disaient : alors que les transports commerciaux des Nations Unies s'améliorent, et cela va probablement continuer, les importations britanniques continuent régulièrement de se dégrader. »(cité par Howard, Grand Strategy pp. 632-636). En 1937, la Grande-Bretagne importait pour près de cinq millions de tonnes par mois, tous biens confondus. Les chiffres tombent à deux millions et demi de tonnes, fin 1940 - début 1941, puis à deux millions, en été 1942, enfin passent à un million et quart, entre novembre 1942 et février 1943. En 1941, les stocks de nourriture et de matières premières, sauf l'huile, étaient montés à quatre millions de tonnes au-dessus du niveau de sécurité minimum. En avril 1943, ils étaient à un million de tonnes sous ce niveau minimum. La situation financière était encore pire. Tous les placements avaient été pratiquement liquidés. Le solde de sa balance en dollars était débiteur de un milliard.
[10] La Grande Dépression commence en 1928, passe par le krach du 24 octobre 1929, dit le "jeudi noir" et s'achève avec la Seconde Guerre mondiale. nde.
[11] E.Mandel, The Second Slump, 3e édition. Londres 1986.
[12] Sur la vague de grèves d'après-guerre aux USA : Jeremy Breker, Strike, San Francisco 1972
[13] Loi américaine de 1947 qui interdit les grèves spontanées, impose un prévis de 60 jours, oblige les dirigeants syndicaux à se déclarer "non communistes", etc. nde.
[14] Caractérisé par le chômage de masse et la paupérisation de la population. nde.
[15] Vocable désuet désignant, globalement, les pays dominés : les pays n'appartenant pas à l'ensemble des pays impérialistes ni au bloc post-capitaliste, soviétique et chinois. nde
[16] La liquidation de l'Empire britannique en Inde offre une confirmation frappante de l'application de la théorie du matérialisme historique étendue au rôle de l'individu dans l'histoire de Plékhanov. Il affirme que lorsque la nécessité historique (de classe) d'un certain type de personnalité apparaît, les circonstances y pourvoient et de fait en produisent plusieurs. Afin de gérer le retrait de l'Inde aussi pacifique que possible, l'Empire britannique avait à sa disposition non seulement un "Lord de la gauche travailliste" descendant d'une famille noble et ami de Nehru et Gandhi, Sir Stafford Cripps, mais aussi un héritier de la famille royale elle-même, Lord Mountbatten. David Cannadine résuma sa participation tout à fait correctement : « Ses conceptions progressistes, son expérience à l'est de Suez, et ses liens étroits avec le roi lui-même, en firent l'homme idéal pour en finir avec la domination britannique en Inde en 1947 (...) Quand il est né, la reine Victoria était sur le trône, l'Empire britannique était le plus grand empire qu'on ai jamais vu et la livre ne valait pas seulement vingt shillings mais aussi cinq dollars. Quand il est mort, Mme Thatcher était au 10 Downing Street, la marine anglaise n'était plus que l'ombre d'elle-même, l'Empire britannique s'était désintégré dans le Commonwealth et la livre ne valait pas deux dollars »

Législatives en France : Communiqué de presse CFDT, CGT, Unsa, FSU, Solidaires

L'abstention et l'extrême droite ont atteint un record lors des élections européennes de ce 9 juin. Cette tendance est à l'œuvre dans toute l'Europe mais la France est le pays dans lequel les listes d'extrême droite font le score le plus élevé.
Les organisations syndicales alertent depuis des années sur la crise sociale et démocratique qui traverse notre pays. Une politique qui tourne le dos au social et qui crée déclassement, abandon de nos industries et de nos services publics, le passage en force contre la mobilisation historique contre la réforme des retraites, l'absence de perspectives de progrès et la banalisation des thèses racistes, constituent le terreau sur lequel l'extrême droite prospère.
En décidant de dissoudre l'Assemblée nationale, et d'organiser des élections législatives en trois semaines, après les premiers départs en vacances et à la veille des Jeux Olympiques, le président de la République prend une lourde responsabilité.
Il faut un sursaut démocratique et social. A défaut, l'extrême droite arrivera au pouvoir. Nous l'avons vue à l'œuvre dans l'histoire et aujourd'hui en Italie ou en Argentine par exemple : austérité pour les salaires et les services publics, réformes constitutionnelles remettant en cause l'indépendance de la justice et le rôle des syndicats, attaques contre les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, remise en cause du droit à l'IVG, politiques racistes qui mettent en opposition les travailleuses et les travailleurs en fonction de leur religion, de leur couleur ou de leur nationalité. Nous connaissons ses votes en France comme en Europe, ils sont toujours défavorables aux travailleuses et aux travailleurs.
Notre République et notre démocratie sont en danger. Il faut répondre à l'urgence sociale et environnementale et entendre les aspirations des travailleuses et des travailleurs et notamment :
– Augmenter les salaires et les pensions ;
– Revenir sur la réforme des retraites et sur celles de l'assurance chômage ;
– Défendre nos services publics et en garantir l'accès à toutes et tous sans condition de nationalité et sur tout le territoire. Notre école, notre recherche, notre système de santé, de prise en charge de la dépendance, notre système de justice sont asphyxiés et ont besoin d'investissements massifs ;
– Mettre fin à la verticalité du pouvoir en commençant par restaurer la démocratie sociale à tous les niveaux, entreprise, branche, territoire et interprofessionnel ;
– Mettre en place des mesures de justice fiscale et notamment taxer les super profits, dividendes et rachats d'actions ;
– Instaurer enfin l'égalité salariale et éradiquer les violences sexistes et sexuelles ;
– Instaurer le droit à la régularisation pour tous les travailleurs et travailleuses étranger·es sur la base d'un certificat de travail ;
– Relocaliser et transformer notre industrie pour répondre aux besoins sociaux en environnementaux en la protégeant du dumping social, fiscal et environnemental ;
– Créer de nouveaux droits pour permettre aux travailleuses et aux travailleurs d'anticiper les transformations environnementales et de sécuriser leur emploi.
Dans l'immédiat, nous appelons le président de la République à la cohérence. L'Assemblée nationale est dissoute, les réformes doivent donc être interrompues étant donné qu'il n'y a plus aucun contrôle démocratique. Le gouvernement doit en particulier immédiatement renoncer à sa réforme de l'assurance chômage.
Nous appelons à manifester le plus largement possible ce week-end pour porter la nécessité d'alternatives de progrès pour le monde du travail.
Le 10 juin 2024.
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Communiqué de la CGT : Face à l’extrême droite, le front populaire !

L'abstention et l'extrême droite ont atteint un record lors des élections européennes de ce 9 juin. Cette tendance est à l'œuvre dans toute l'Europe mais la France est le pays dans lequel les listes d'extrême droite font le score le plus élevé et progressent le plus.
10 juin 2024
Tiré de https://snjcgt.fr/2024/06/10/face-a-lextreme-droite-le-front-populaire/
C'est avec une énorme colère que la CGT accueille ces résultats alors qu'elle alerte, en vain, depuis des années. Emmanuel Macron en porte la première responsabilité. Il n'a cessé de banaliser le Rassemblement National, en reprenant ses thèses, et mène avec le patronat une politique sociale violente qui accrédite l'idée que la seule alternative serait l'extrême droite.
En décidant d'organiser des élections législatives en trois semaines à la veille des Jeux Olympiques et après les premiers départs en vacances, le président de la République joue, encore une fois, avec le feu, en faisant primer de petits calculs politiciens.
Nous ne le laisserons pas faire. Ni recul social, ni banalisation du racisme et de la xénophobie. Forte de son histoire, la CGT prend toutes ses responsabilités pour empêcher qu'à nouveau les travailleuses et les travailleurs ne soient enfermés dans une fausse alternative entre l'extrême droite et le néolibéralisme, dont les forces de l'argent seraient les plus grandes gagnantes.
Les résultats du 9 juin le démontrent. Sans sursaut immédiat, l'extrême droite arrivera au pouvoir. Notre République et notre démocratie sont en danger. Pour empêcher la catastrophe organisée par Emmanuel Macron et Marine Le Pen d'advenir, l'unité de la gauche est indispensable. Pour battre l'extrême droite, le monde du travail a besoin d'espoir et de perspectives en rupture avec la politique d'Emmanuel Macron. Il faut répondre à l'urgence sociale et environnementale, avec des propositions fortes pour augmenter les salaires et les pensions, défendre notre industrie et nos services publics et gagner le droit à la retraite à 60 ans. Un débat en profondeur doit être mené pour que les leçons soient vraiment tirées pour bâtir une alternative durable.
Quant au gouvernement, il doit immédiatement renoncer à sa réforme de l'assurance chômage et à toutes les contre-réformes en cours et notamment la réforme de la fonction publique.
La CGT appelle le monde du travail à se syndiquer, à s'organiser, à participer à toutes les initiatives de mobilisation contre l'extrême droite et contre la politique d'Emmanuel Macron, en commençant par l'appel des organisations de jeunesse à se rassembler dès ce lundi soir. La CGT appelle tous les travailleuses et travailleurs à prendre d'ores et déjà leurs dispositions pour pouvoir voter les 30 juin et 7 juillet prochains. Attachée à l'unité des salariés, la CGT échangera, ce soir, avec les autres organisations syndicales sur les possibilités d'actions communes et examinera toute proposition d'action unitaire.
Montreuil, le 10 juin 2024.
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Ukraine : syndicats contre guerre et libéralisme

Depuis le début de la guerre, le mouvement syndical ukrainien, y compris cheminot, se bat sur deux fronts. Il participe massivement à la lutte pour chasser l'occupant russe. Il doit aussi combattre les mesures gouvernementales qui utilisent la loi martiale pour fragiliser le Code du travail et les droits syndicaux pour préparer la thérapie de choc néolibérale de l'après-guerre.
Tiré de Entre lesl ignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/06/16/ukraine-syndicats-contre-guerre-et-liberalisme/
Depuis l'agression armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine le 14 février 2022, « Ukrzaliznytsia » (les chemins de fer ukrainiens) a montré qu'elle était une entreprise d'infrastructure essentielle. Les cheminots contribuent à la capacité de défense de l'État par leur travail héroïque pendant les hostilités et les attaques à la roquette. Des dizaines de milliers se sont enrôlés dans l'armée ukrainienne. Il y a un an, selon les syndicats des chemins de fer ukrainiens, 353 d'entre eux ont été tués dans les combats ou les tirs croisés et 819 étaient blessés.
Démantèlement à bas bruit des droits sociaux
Alors que la guerre et la survie économique absorbent l'attention de la population, « un démantèlement à bas bruit des droits sociaux se poursuit » alertait Le Monde Diplomatique de novembre 2023. En mars 2022 déjà, un premier projet de loi visait la réglementation des relations de travail en temps de guerre. Ce projet a été adopté sans débat ni vote par le parlement ukrainien. « Une méthode, explique Mediapart (21.6.2023), facilitée par l'interdiction des grèves et des manifestations par la loi martiale, en vigueur depuis l'invasion russe. » Les employeurs peuvent désormais augmenter le temps de travail hebdomadaire de 40 à 60 heures, licencier leurs employé∙es dans un délai de dix jours ou suspendre temporairement leurs contrats de travail.
En juillet 2022, les parlementaires votaient un second projet de texte suspendant les accords collectifs d'entreprise et donnaient à l'employeur toutes marges de manœuvre pour modifier unilatéralement les conditions de travail. Le texte imposait cette fois des changements qui ne se cantonneront pas au temps de guerre. Le 9 août 2022, ETF, la Fédération européenne des travailleurs des transports qui représente à Bruxelles les syndicats de cheminot∙es de tous les pays européens et leurs membres dont ceux du SEV, avait tiré la sonnette d'alarme. ETF avait écrit aux plus hautes instances européennes pour leur faire part de ses préoccupations quant à ce projet de loi n°5371 qui prive quasiment 70% des salarié∙es de leurs droits. Elle leur demandait d'agir pour faire stopper les attaques contre le mouvement syndical en Ukraine.
Droit du travail, victime collatérale de la guerre
En vain. La loi était ratifiée le 17 août 2022 par le président Zelensky. Pour les entreprises de moins de 250 salarié∙es, plus aucun accord collectif ne s'applique : les contrats de travail sont « négociés » et signés directement entre l'employeur et l'employé. Dans une lettre du 19 août, les Confédérations internationale et européenne des syndicats avaient dénoncé, dans un courrier d'une rare fermeté, adressé à la Commission et au Conseil européen, une loi « antisociale », « motivée par des oligarques derrière le parti au pouvoir, qui se moquent des intérêts du peuple ».
Livia Spera, secrétaire générale de l'ETF, a exprimé clairement son mécontentement en février 2023 après un an de conflit : « Le sacrifice des travailleurs des transports ukrainiens ne doit pas être récompensé par la destruction de leurs droits par leur gouvernement. Nous faisons savoir aux décideurs ukrainiens que le mouvement syndical international est conscient des soi-disant « réformes » et des plans de privatisation qui sont poursuivis sous la couverture politique de cette guerre, et que nous ne l'accepterons pas. Les droits des travailleurs ukrainiens ne doivent pas devenir des dommages collatéraux dans cette guerre. »
Alors que la guerre se durcit, l'offensive néolibérale du gouvernement redouble fin 2023 avec un nouveau projet de réforme du Code du travail ukrainien élaboré par le ministère de l'Économie et publié par le gouvernement. Le document complet compte 264 articles et constitue une attaque antisociale centrale contre les droits des travailleurs. Le but est de perpétuer les restrictions « temporaires » des droits de la période de guerre après la victoire. L'idée est notamment de pouvoir encore réduire les primes en cas d'heures supplémentaires ou de travail de nuit et de simplifier les procédures de licenciement des travailleurs. Le syndicat des cheminots et travailleurs de la construction des transports d'Ukraine (Turtcu), membre de l'ETF, a réagi en janvier 2024 et a souligné la nécessité de le réviser. Il y a urgence, car si le nouveau code devait être adopté cette année, il entrerait en vigueur en 2025.
Après-guerre néolibéral
On peut se demander pourquoi l'État ukrainien attaque pareillement le service public et le droit du travail alors qu'il devrait se concentrer sur la guerre. Même si la perspective peut sembler lointaine, la réponse se trouve dans la reconstruction à travers un « plan Marshall », y compris pour le rail, qui aiguise les appétits. Fin 2022, la Banque mondiale estimait à 350 milliards d'euros le coût des dommages en Ukraine. La question était déjà à l'agenda lors de la conférence de Lugano à l'été 2022. Le « brouillon » du plan de reconstruction citait comme contrainte institutionnelle à un « marché du travail moderne » la « position de résistance des syndicats ». Jusqu'à présent, les plans suivent largement les traditions néolibérales en se basant sur les principes de déréglementation, libéralisation, soutien des secteurs d'exportation et privatisation pour attirer les capitaux.
Les élites ukrainiennes prennent donc les devants en assouplissant le Code du travail pour satisfaire l'Europe et le FMI qui avaient « offert » des prêts conditionnés en échange de « réformes » favorables aux entreprises, mais aussi pour attirer les capitaux européens et américains. Alexander Rodnyansky, principal conseiller économique du président ukrainien, ne cache pas que l'Ukraine doit devenir attractive par « un vaste programme de privatisations et une remise à plat du droit du travail » (The Guardian, octobre 2022).
Le peuple et les travailleur∙euses ukrainiens méritent toute notre solidarité. En Ukraine, guerre et capitalisme ne semblent malheureusement être que les deux faces d'une même médaille qui n'amène que morts, souffrance et régression sociale implacable.
Yves Sancey
yves.sancey@sev-online.ch
Ucraina, i sindacati contro la guerra e il liberalismo
https://andream94.wordpress.com/2024/06/16/ucraina-i-sindacati-contro-la-guerra-e-il-liberalismo/
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Peste brune et continent noir

L'élection présidentielle française approche à grands pas. Le premier tour aura lieu le 10 avril et, selon les sondages, plus de 30 % des électeurs se disent prêts à voter pour l'extrême droite, incarnée par deux candidats : Marine Le Pen et Eric Zemmour. Si l'on ajoute les électeurs de la candidate du parti Les Républicains, Valérie Pécresse, dont certaines de ses propositions sont directement empruntées à l'extrême droite, près d'un Français sur deux pourrait être tentés par ces idées.
Tiré d'Afrique XXI.
Et pour cause : avec la complicité d'une partie des médias (dont ceux possédés par l'homme d'affaires Vincent Bolloré), les thèses d'extrême droite dominent désormais la campagne électorale. L'immigration, l'islam et le « grand remplacement » sont devenus les sujets numéro 1 du débat public.
L'idéologie de l'extrême droite française, et plus largement européenne, a beaucoup évolué depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si la hiérarchie raciale et l'antisémitisme restent de puissants ferments, l'islamophobie et le séparatisme culturel sont de nouveaux chevaux de bataille. Les Africains et la diaspora africaine sont en première ligne.
L'AFRIQUE AU CŒUR DE L'HISTOIRE DE L'EXTRÊME DROITE
Paradoxalement, l'Afrique - avec ses guerres d'indépendance, l'apartheid en Afrique du Sud ou encore les réseaux affairistes avec la France et l'Europe - a nourri l'idéologie d'extrême droite. Dès les années 1960, c'est sur le terreau des indépendances (et dans un mouvement de réaction) que naissent, en France, l'OAS, Occident et Ordre Nouveau - et en Belgique, le Cabda, puis le MAC.
Très vite, des militants de ces organisations s'engageront dans la voie du mercenariat et deviendront des « chiens de guerre » au service de la Françafrique. On les retrouvera dans tous les mauvais coups (au Katanga, au Biafra, aux Comores…), puis dans les rangs d'organisations politiques, parmi lesquelles le Front national, cofondé par Jean-Marie Le Pen en 1972.
La dynastie Le Pen fait une obsession de l'Afrique et de ses chefs d'État. Mais elle n'a que rarement réussi à s'y faire recevoir avec les honneurs. En revanche, certaines de ses idées ont bonne presse auprès de nationalistes africains. En critiquant la Françafrique (tout en en profitant), elle a cultivé des réseaux, comme au Congo Brazzaville, et gagné des partisans. En parallèle, des militants panafricanistes n'hésitent pas à se revendiquer de certains idéologues d'extrême droite, à l'image de Kemi Seba.
À quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle, nous proposons de revenir sur l'histoire complexe de l'extrême droite française avec le continent, sur son essence raciste et sur ses incompatibilités avec les luttes panafricaines contemporaines.
« Grand remplacement », le nouveau masque du racisme
STÉPHANE FRANÇOIS · FÉVRIER 2022
Le « moment congolais » de l'extrême droite européenne
NICOLAS LEBOURG · MARS 2022
Les pérégrinations africaines de la dynastie Le Pen
MICHAEL PAURON · FÉVRIER 2022
« Anjouan la rebelle », le rêve rattachiste des nostalgiques de l'Empire
RÉMI CARAYOL · MARS 2022
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Afrique du Sud. Le déclin électoral du « glorieux » ANC et le gouvernement d’« unité nationale »

L'Afrique du Sud traverse une profonde crise politique et sociale. La défaite retentissante du Congrès national africain (ANC) lors des élections générales du 29 mai – où l'ancien parti de Nelson Mandela n'a obtenu que 40% des voix et a perdu 17 points par rapport à 2019 – a reflété le fort rejet par les électeurs et les électrices de la formation politique qui a dominé le pays depuis la chute de l'apartheid et l'appel aux premières élections multiraciales en 1994.
Tiré d'À l'encontre.

Au cours de son mandat, l'ANC a promu un modèle de développement économique néolibéral qui s'est traduit par des taux de chômage élevés, une pauvreté de masse, des inégalités massives de revenus et de richesses, un sous-développement rural et urbain et une mauvaise qualité et administration des services publics de base par l'Etat. Cette situation a été aggravée par une corruption généralisée de l'Etat qui a entraîné une perte de confiance dans les institutions publiques. Cependant, l'ANC a conservé de fortes majorités électorales, ce qui a maintenant changé. Pour les élections de 2024, il était envisagé que l'ANC tomberait au-dessous de la barre des 50%. Il y a là un trait dominant révélé par ces élections, car leur résultat implique une rupture par rapport aux 30 ans de domination de l'ANC dans le domaine de la politique électorale, ce depuis la fin officielle de l'apartheid en 1994.
La plupart des sondages donnaient à l'ANC un score de 45%, donc en baisse. Cependant, on s'attendait généralement à ce que l'ANC obtienne entre 45% et 50%, un chiffre qui lui permettrait de former un gouvernement de coalition en forgeant des alliances avec des partis plus petits [de droite et de gauche]. Mais cela ne s'est finalement pas produit et le système politique sud-africain s'est dès lors engagé sur une voie incertaine.
Une autre grande surprise de ces élections a été le résultat spectaculaire du parti uMkhonto weSizwe [Lance de la nation] (MK), dirigé par l'ancien président Jacob Zuma, six mois seulement après sa création. MK a obtenu 14,58% des voix au niveau national et 45% dans la deuxième province du pays, le Kwazulu-Natal, qui abrite 20% de la population sud-africaine. L'ascension de MK s'est faite aux dépens de l'ANC, les deux partis partageant la même base électorale. MK est, à proprement parler, une scission de l'ANC. Son chef, Jacob Zuma, qui a présidé l'Afrique du Sud de 2009 à 2018 et l'ANC lui-même, jouit toujours d'une grande popularité auprès de nombreux membres et partisans de son ancienne force politique (l'ANC), malgré ses positions conservatrices et ses scandales de corruption.
La domination incontestée de l'ANC
Les premières élections démocratiques, organisées en avril 1994, ont marqué la victoire de la lutte de libération nationale sur le régime d'apartheid. Dirigé par Nelson Mandela, l'ANC a triomphé lors des élections avec un score écrasant de 62% des voix et a obtenu le mandat de conduire le peuple vers la « terre promise » d'une Afrique du Sud véritablement libérée, avec « une vie meilleure pour tous ». L'ANC a été perçu et a revendiqué pour lui-même le rôle de parti exclusif dans la lutte pour la libération nationale de la majorité noire, car les autres organisations qui ont combattu l'apartheid ont été gravement affaiblies [entre autres, par la répression] et n'ont jamais réussi à se rétablir.
Des années 1980 au début des années 1990, l'ANC a réussi à s'insérer et à s'allier aux principaux mouvements de masse du bloc historique anti-apartheid, alors organisé autour du Front démocratique uni [United Democratic Front, 1983-1991, ayant initialement une base syndicale dès le début des années 1970 et une base dans les quartiers comme Soweto dès 1976] qui comprenait des dizaines de mouvements de résistance et de la société civile (jeunesse, étudiants, civiques, syndicaux, féminins, ecclésiastiques, sportifs, etc.) Pendant 15 à 20 ans, l'ANC a bénéficié d'un soutien important, issu de la légitimité de la lutte anti-apartheid. Cela a rendu difficile toute forme d'opposition extérieure au parti.
Les mouvements de masse alliés à l'ANC étaient autonomes et contestaient souvent la direction du parti. Par exemple, le Congrès des syndicats sud-africains [Congress of South African Trade Unions-COSATU, créé en 1965] a vivement contesté la stratégie macroéconomique connue sous le nom de GEAR (Growth, Employment and Redistribution), qui a consolidé la restructuration néolibérale à partir de 1994.
Après les cinq premières années de gouvernement, l'ANC a réussi à coopter un nombre considérable de dirigeants des mouvements de masse pour leur confier des postes au sein du gouvernement et des entreprises d'Etat, par le biais de programmes de discrimination positive et de la politique connue sous le nom de « black political empowerment » (autonomisation / responsabilisation politique des Noirs). Les mouvements civiques et sociaux, regroupés au sein de la South African National Civic Organisation (SANCO), ont cessé d'être indépendants et ont rejoint l'alliance dirigée par l'ANC avec le Parti communiste et le Congrès des syndicats sud-africains. Une fois que les dirigeants des mouvements de masse ont été cooptés par l'ANC et ont perdu leur autonomie, ils ont fini par tomber dans le giron du parti au pouvoir, ce qui a conduit à la dissolution du bloc historique anti-apartheid au début des années 2000.
La légitimité de l'ANC a commencé à s'éroder sérieusement à mesure que la crise néolibérale, qui associait des résultats médiocres en matière de développement à une corruption généralisée au sein de l'Etat, atteignait sa maturité. Au début des années 2000, la transformation de l'ANC d'un mouvement de libération nationale de gauche en un parti néolibéral centriste, de facto, était déjà clairement visible.
A partir de 2009, lorsque Jacob Zuma a accédé à la présidence, le déclin électoral de l'ANC a commencé à être irréversible, bien que Zuma ait conservé un soutien important dans certains milieux. Le parti est passé de 69,69% des voix en 2004 à 65,90% en 2009. Et de 62,10% en 2014 à 57,50% en 2019. Un déclin lent mais constant, jusqu'en 2024, où cette baisse a été de 17 points de pourcentage, ce qui a remis en question les images d'autosatisfaction de l'ANC en tant que « glorieux mouvement » de libération nationale.
Un renouveau cosmétique
Depuis le départ anticipé de Jacob Zuma de la présidence début 2018, empêtré dans diverses affaires de corruption, le parti a annoncé qu'il développerait un processus de renouvellement. Ce processus, qui devait consister dans la lutte contre la corruption et un nouveau modèle économique – incluant la restructuration de la banque centrale, la réforme agraire et la redistribution des richesses et des revenus au profit de la majorité noire pauvre – ne s'est jamais concrétisé.
Face à la réticence du parti à développer un véritable renouveau, son discrédit n'a cessé de croître. Sans Zuma comme bouc émissaire, la corruption est devenue de plus en plus injustifiable et les faits ont commencé à être révélés sans relâche. Le ministre des Sports et de la Culture [Zizi Kodwa] a été arrêté le 5 juin, une semaine seulement après les dernières élections, accusé d'avoir reçu des pots-de-vin d'une valeur de 1,6 million de rands (89 000 dollars) de la part d'un homme d'affaires ayant reçu des contrats gouvernementaux d'une valeur de 400 millions de rands (22 millions de dollars). Pour ne rien arranger, l'actuel président, Cyril Ramaphosa, dont l'accession au pouvoir s'est appuyée sur une campagne de lutte contre la corruption, fait l'objet de graves soupçons de malversations après qu'il a été découvert qu'il avait dissimulé un vol de plus d'un demi-million de dollars dans sa ferme de Phala Phala. L'origine réelle de l'argent reste inexpliquée.
En novembre 2022, l'ANC a utilisé sa majorité au parlement pour bloquer l'enquête sur l'origine de l'argent volé dans la ferme du président. L'enquête, menée par un groupe indépendant composé de deux juges à la retraite et d'un avocat chevronné, a été interrompue après que la majorité parlementaire de l'ANC a rejeté le rapport compilé par les experts. Le parti des Combattants pour la liberté économique [Economic Freedom Fighters], associé à la gauche politique, a porté l'affaire devant la Cour constitutionnelle. Si la Cour constitutionnelle juge que le Parlement a mal agi dans l'affaire Phala Phala et demande une nouvelle enquête parlementaire, l'actuel gouvernement d'unité nationale pourrait être déstabilisé. A cela s'ajoute un autre événement extrêmement grave : l'arrestation de la présidente du Parlement et membre éminente de l'ANC, Nosiviwe Mapisa-Nqakula [ministre de la Défense de 2012 à 2021 et présidente de l'Assemblée nationale d'août 2021 au 3 avril 2024], qui fait l'objet d'une enquête dans le cadre d'un scandale de corruption dans lequel elle aurait reçu des pots-de-vin d'un montant total de 25 000 dollars.
Le chômage, les faibles taux de croissance, les faibles niveaux d'investissement, les inégalités, la pauvreté, le fonctionnement désastreux des services publics tels que la santé, l'éducation et le logement, ainsi que la détérioration des infrastructures publiques [eau, électricité…] se sont aggravés depuis l'arrivée au pouvoir de Ramaphosa. Bien qu'il ait promis une transformation économique radicale axée sur l'amélioration des conditions de vie de la population noire, dont la grande majorité vit dans la pauvreté, aucun programme de ce type n'a été mis en place. La politique anti-corruption proclamée et le programme économique transformateur promis, les deux piliers du renouveau de l'ANC, brillent par leur absence.
Crise et montée des forces de droite
La faible participation électorale est l'un des symptômes de l'apathie politique de la population. Traditionnellement, elle se situait autour de 70% – le pic a été de 89% en 1999 – mais en 2019 elle est tombée à 66% et lors des dernières élections à 58%. L'ANC est suivi par l'Alliance démocratique, un parti libéral, avec près de 22% [depuis 2009, la Democratic Alliance gouverne un des neuf Etats, le Western Cape, le troisième en termes de population].
Dans ce contexte, paradoxalement, le parti de l'ancien président Zuma, qui a gagné le soutien de nombreux électeurs de l'ANC, a progressé. La MK tend à être plus forte dans le KwaZulu-Natal [deuxième province la plus peuplée] ainsi que dans le Gauteng [la plus peuplée bien que de superficie réduite] et le Mpumalanga [ancienne Eastern Transvaal, ], deux provinces importantes dans lesquelles prédomine l'ethnie zouloue. Cette situation s'explique par la forte prévalence de l'identité, du symbolisme et du nationalisme zoulous dans le discours de Zuma. Toutefois, le facteur décisif du résultat électoral spectaculaire de MK est la popularité de Zuma lui-même parmi une partie de la base électorale de l'ANC. Ainsi, la chute de l'ANC de 54% à 16,99% au KwaZulu-Natal ne peut être attribuée qu'à l'ascension spectaculaire de MK, qui a obtenu 45% dans la même province.
Bien que le MK se présente comme un parti de gauche, il déclare ouvertement dans son manifeste son soutien aux idées conservatrices. Celles-ci consistent notamment à donner plus de pouvoir constitutionnel aux chefs traditionnels (largement reconnus comme n'ayant pas de comptes à rendre) et même à subordonner les dirigeants politiques à ces chefs ethniques. Dans le même temps, le MK affirme qu'il abolira les freins et contrepoids de l'ordre constitutionnel actuel et le remplacera par un ordre non contrôlé de suprématie parlementaire dans lequel « la majorité » gouvernera sans retenue. Il a également préconisé le rétablissement de l'appel militaire de l'époque de l'apartheid pour « inculquer la discipline » aux jeunes.
Un autre parti en pleine ascension, l'Alliance patriotique [Patriotic Alliance créé en 2013 par des hommes d'affaires plus que douteux], a remporté 9 sièges à l'Assemblée nationale. L'AP est dirigée par deux anciens détenus qui mobilisent les communautés métisses (représentant 8,2% de la population) avec une idéologie communautariste racialisée combinée à un ferment brut de xénophobie qui appelle ouvertement à l'expulsion de tous les étrangers [issus des pays africains voisins], quel que soit leur statut légal.
Vers un gouvernement d'« unité nationale »
Maintenant que l'ANC n'a obtenu que 40% des voix, sa capacité à former un gouvernement est remise en cause. Avec 45%, il aurait pu former un gouvernement rapidement, avec le soutien des petits partis, mais les résultats obligent l'ANC à entamer des négociations avec les autres grands partis. Les trois organisations les plus importantes du pays, outre l'ANC, sont l'Alliance démocratique libérale, les Combattants pour la liberté économique, issus de l'ANC et associés à la gauche anticapitaliste et au nationalisme noir radical, et le MK de Jacob Zuma. Le fait que les idéologies de ces partis soient si différentes les unes des autres complique les négociations en vue de la formation éventuelle d'un gouvernement de coalition [voir note 1].
L'Alliance démocratique, l'un des partis avec lesquels l'ANC doit discuter, est un parti qui promeut l'austérité budgétaire et monétaire ainsi qu'une vaste politique de privatisation et rejette des politiques telles que la discrimination positive. La base sociale de l'Alliance démocratique, dirigée par John Steenhuisen, est très majoritairement blanche, un secteur qui ne représente que 7,3% de la population mais qui, trente ans après la chute officielle de l'apartheid, reste le groupe racial le plus privilégié et le plus puissant économiquement et socialement, en raison de l'absence de mise en œuvre de mesures de transformation sociale visant à corriger les déséquilibres du passé.
L'option d'une coalition avec ce parti a été rejetée par la base et l'aile gauche de l'ANC, ainsi que par le Parti communiste [influent dans l'ANC] et le Congrès des syndicats sud-africains (COSATU). Cependant, c'est l'option préférée de l'establishment de l'ANC. Un accord pour former un gouvernement d'unité nationale avec l'Alliance démocratique et les petits partis a déjà été annoncé au moment où nous écrivons [1]. (Article publié par NUSO, juin 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Gunnett Kaaf a fait des études d'économie politique et d'histoire. Il réside à Bloemfontein. Est coauteur de Destroying Democracy. Neoliberal capitalism and the rise of authoritarian politics, 2021.
Notes
[1] Le Financial Times du 15 juin 2024 écrit : « Lors d'un vote parlementaire vendredi soir, Ramaphosa a largement battu Julius Malema, le leader radical des Economic Freedom Fighers (EFF), qui a fait campagne sur un programme de nationalisation des banques et d'autres industries décisives. » Malema a obtenu 44 voix au parlement et Ramaphosa 283, pour le poste de président. La réélection de Ramaphosa a impliqué un accord avec Democratic Alliance et y compris ave Inkatha Freedom Party [IFP, 17 sièges] dominé par l'ethnie zoulou. Annelie Lotriet, membre de la direction de DA, a été élue comme présidente du parlement. Ramaphosa a déclaré : « Il ne s'agit pas d'une grande coalition de deux ou trois partis, mais d'un gouvernement d'unité nationale. Nous étions déjà ici en 1994 lorsque nous avons cherché à unir notre pays et à le réconcilier. »
Les secteurs capitalistes – entre autres ceux liés à DA – saluent l'accord comme marquant un tournant dans l'histoire récente, tournant présenté comme « une occasion de stabilisation et de relance économique ». Au plan international, les voix s'élèvent déjà pour une pause dans l'initiative de l'Afrique du Sud en direction de la Cour internationale de justice (la requête face à Israël) et une rediscussion sur la place des troupes sud-africaines en RDC, troupes intégrées à la Communauté de développement d'Afrique australe. Elles sont officiellement chargées d'aider « les forces gouvernementales de la RDC à lutter contre les rebelles du M23 ».
Toutefois une grande interrogation reste à propos de la stabilité de cette coalition. (Réd. A l'Encontre)
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La Via Campesina : Appel urgent pour sauver la révolution et le peuple soudanais

Dans le contexte de l'aggravation de la crise humanitaire et politique qui sévit au Soudan depuis le déclenchement de la guerre absurde le 15 avril 2023, le mouvement La Via Campesina exprime sa solidarité totale avec le peuple soudanais dans sa lutte héroïque pour la liberté, la paix et la justice.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/06/15/la-via-campesina-appel-urgent-pour-sauver-la-revolution-et-le-peuple-soudanais/
Le Soudan, qui a obtenu son indépendance en 1956 après des décennies de lutte contre le colonialisme britannique, est depuis confronté à de nombreux défis, notamment des conflits internes, des régimes dictatoriaux et une corruption endémique.
En 2019, le peuple soudanais s'est soulevé contre le régime du président Omar elBéchir dans une révolution pacifique connue sous le nom de « Révolution de décembre ». La révolution a réussi à renverser el-Béchir après de grands sacrifices, mais elle n'a pas pu réaliser le changement escompté, le pays souffrant toujours d'instabilité politique et économique. Cette révolution a été le résultat direct de décennies de privation et de répression subies par le peuple soudanais, notamment les jeunes confrontés à un taux de chômage élevé, et en particulier les agriculteur.rices qui représentent plus de 61% de la main-d'œuvre du pays. Ces derniers ont été maltraités par l'orientation politique des gouvernements successifs, servant les intérêts des investisseurs et des agents des multinationales, et exécutant les diktats de la Banque mondiale en matière de privatisation des terres.
Les Soudanais·es, en particulier les jeunes, ont souffert d'une corruption généralisée dans tous les secteurs de l'État, ainsi que d'une longue domination militaire qui a duré des décennies, réprimant les libertés fondamentales et empêchant le peuple d'exercer ses droits démocratiques. Cette situation a engendré un sentiment général de frustration et de désespoir, poussant toutes les couches de la société, en particulier les jeunes, à descendre dans la rue pour demander un véritable changement et des réformes radicales.
Cette période a suscité de grandes attentes quant à l'établissement d'un gouvernement civil capable de réaliser les aspirations du peuple soudanais, y compris celles des agriculteurs et agricultrices qui ont formé des comités pour récupérer les biens publics, comme les projets agricoles et les terres, afin qu'ils deviennent une propriété commune et ne soient plus sous le contrôle d'une élite dirigeante. Cependant, les forces militaires ont continué à dominer les rouages de l'État. Au lieu de la transition vers un gouvernement civil et démocratique, les conflits internes et les tensions politiques ont perduré, cherchant à servir leurs intérêts liés aux puissances mondiales et régionales.
Le 15 avril 2023, une guerre civile sanglante éclate au Soudan après l'échec des négociations entre le Conseil militaire de transition et les forces d'opposition. La guerre se déroule entre l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide, se transformant en une lutte de pouvoir entre ces deux factions, ce qui a conduit à une grave insécurité et à de graves violations des droits humains. La situation politique s'est compliquée, les divisions internes au Soudan se sont approfondies et la guerre s'est prolongée, avec des puissances régionales et internationales jouant un rôle dans l'exacerbation du conflit pour servir leurs intérêts en intervenant directement et en soutenant un camp au détriment de l'autre. Certaines sources accusent des acteurs étrangers, comme les États-Unis et l'Union européenne, de chercher à affaiblir le Soudan et à diviser ses ressources. Ces accusations suggèrent que ces puissances soutiennent les factions en conflit pour atteindre leurs propres objectifs géopolitiques.
Cette guerre a engendré une tragédie humanitaire effroyable, coûtant la vie à plus de vingt mille personnes, en blessant cinquante mille autres et en déplaçant plus de 8,5 millions de personnes de leurs foyers. De plus, la guerre a conduit à une destruction quasi totale des infrastructures, au pillage des marchés et des fermes, et à la perturbation des moyens de subsistance, aggravant de manière catastrophique les conditions de vie.
Aujourd'hui, le Soudan souffre d'une crise humanitaire sévère, caractérisée par une pénurie grave de nourriture, d'eau et de médicaments, ainsi que par la détérioration des services de santé et l'absence de sécurité. Plus de 24,7 millions de personnes ont un besoin urgent d'aide humanitaire, dont 14 millions d'enfants. Les hôpitaux fonctionnent en dessous de leur capacité, voire sont totalement arrêtés, et la sécurité alimentaire est en état d'urgence. Le mouvement La Via Campesina condamne fermement cette guerre absurde, financée et soutenue par des forces régionales au service de leurs intérêts étroits, la considérant comme faisant partie d'un plan impérialiste visant à affaiblir le Soudan et à faire échouer son processus révolutionnaire. Ces forces ciblent les ressources économiques du pays, y compris les terres agricoles et les projets vitaux tels que le projet Al Jazeera et Al-Managil, qui constituent l'épine dorsale de l'économie agricole au Soudan. Nous considérons que cette guerre n'est rien d'autre que la continuation des politiques néolibérales imposées par les puissances impérialistes depuis 1989, lesquelles ont conduit à la privatisation du secteur public et à la destruction des infrastructures agricoles et industrielles du pays. Ces politiques ont appauvri les agriculteur.rices et les travailleur.euses agricoles, les poussant au bord du gouffre, où leurs terres ont été confisquées et leurs récoltes saisies.
Le mouvement La Via Campesina affirme que la seule solution à la crise soudanaise réside dans :
– L'arrêt immédiat de la guerre et la cessation des interventions étrangères qui alimentent le conflit.
– La libération de tous les prisonniers politiques et des leaders des comités de résistance.
– La constitution d'un gouvernement civil représentant la volonté du peuple soudanais et exprimant ses aspirations.
-L'achèvement d'une constitution permanente reflétant les aspirations du peuple soudanais et garantissant les droits des citoyen.nes et la justice sociale.
Nous appelons toutes les forces progressistes et libres du monde à se solidariser avec le peuple soudanais dans sa lutte. Il est essentiel de faire pression sur les régimes qui soutiennent la guerre pour y mettre fin et de soutenir les efforts en faveur d'une solution politique pacifique pour restaurer la stabilité au Soudan et assurer une vie sûre et digne à tou.tes ses citoyen.nes. La lutte du peuple soudanais est une lutte pour la liberté, la dignité et la justice, et elle concerne l'ensemble de l'humanité. Aujourd'hui, le peuple soudanais montre sa résilience et sa détermination, et il est crucial que nous nous tenions à ses côtés en cette période critique.
Vive la lutte du peuple soudanais ! Vive un Soudan libre et fier !
La Via Campesina 22 mai 2024
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La marche de la « Nouvelle Calédonie » vers la « Kanaky indépendante »

La France coloniale montre encore une fois qu'elle n'a pas de parole, qu'elle n'est pas digne de confiance. Son Assemblée nationale vient de voter le reniement de l'engagement pris en 1988 par les « accords de Nouméa » que « seules les personnes inscrites sur les listes électorales avant la date de signature des accords de Nouméa en 1998 et leurs descendants pouvaient voter au référendum d'autodétermination ». En effet la nouvelle « loi sur le dégel du corps électoral » accorde « le droit de vote pour le référendum d'autodétermination aux colons européens non nés sur le territoire kanak ». Le communiste Bertolt Brecht disait : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple et le remplacer ». C'est ce que nous avons appelé un génocide par substitution que l'impérialisme colonial français poursuit aussi en Martinique, Guadeloupe et Guyane.
Tiré d'Afrique en lutte.
L'annexion coloniale française avait dès 1853 pris la forme d'une colonisation de peuplement dont l'objectif incessant et permanent est la minorisation dans leur propre pays, à défaut de la disparition ou quasi-disparition génocidaire à la manière étatsunienne des Amérindiens, des Kanaks. Ainsi de 100.000 habitants en 1800, la population autochtone est réduite un siècle plus tard à 40.000, puis en 1920 à 27.000 conséquence de la « pacification » par les massacres de masse et une prime à chaque soldats français ramenant des paires d'oreilles puis une tête de Kanak. Le nazisme colonial par l'obtention lors du génocide « en 1917... la prime était de 20 F pour un prisonnier et de 25 F pour un mélanésien mort ! ».
La révolte en 1988 s'était conclue par le massacre de la grotte d'Ouvéa se soldant par la mort de 19 militants kanaks et de deux militaires français. Comme les vrais « pères des indépendances africaines », les leaders Kanaks indépendantistes assassinés par l'ordre colonial sont Jean-Marie Tjibaou et Eloi Machoro.
Comme l'écrit mon camarade Algérien Saïd Bouamama « Alors que la Kanaky est inscrite par l'Organisation des Nations-Unies sur la liste des territoires à décoloniser depuis 1946 et que la France est annuellement épinglée pour son refus de respecter le droit à l'autodétermination du peuple kanak, l'État français tente par cette nouvelle manœuvre coloniale d'enterrer définitivement la perspective d'une Kanaky indépendante ».
Voilà pourquoi le sang coule à nouveau en Kanaky avec l'envoi de renforts militaires, des forces spéciales du GIGN ou du RAID qui répriment sauvagement la révolte populaire indépendantiste.
L'occident impérialiste hégémonique unipolaire séculaire barbare est en déclin face à l'exigence souverainiste des puissances émergentes porteuses d'un monde multipolaire (BRICS). En décadence, l'occident et la France impérialiste de plus en plus fascisants refusent par les guerres d'agressions, les sanctions et la répression coloniale le droit à l'indépendance des peuples, et nations. Cette fascisation est illustrée par la nature intrinsèquement répressive de la « démocratie » bourgeoise devenue à l'époque le capitalisme à son stade suprême l'impérialisme comme le dit Lénine à l'intérieur avec les mains et les yeux arrachés des Gilets Jaunes, les 49/3 soumettant le pouvoir Législatif au pouvoir Exécutif, les traitements inhumains fait au sans papiers, les interdictions et judiciarisation de la solidarité avec la Palestine génocidée, etc. Elle est illustrée aussi par la complicité totale des USA/OTAN/UE avec le fascisme colonial sioniste israélien qui commet depuis 1948 des crimes contre l'humanité et des épurations ethniques et religieuses en Palestine et aujourd'hui un génocide à Gaza.
L'impérialisme français s'entête vainement à maintenir coûte que coûte ses dernières colonies dont la Kanaky dans la prison coloniale pour continuer :
– à piller le nickel dont 10 % de la superficie du territoire en contient, soit 20 % des réserves mondiales prouvées, voire 40 % des réserves estimées pour les plus optimistes et qui produit 7.5 millions de tonnes de minerai brut extraites chaque année et 45 000 tonnes de ferro-nickel transformées, 9 % de la production de la planète, soit le 5e rang mondial ;
– à posséder la zone économique exclusive qui fait que d'une superficie de dix-huit mille cinq cents kilomètres carrés, la Kanaky dispose d'une zone maritime d' un million sept cent quarante milles kilomètre carré.
– à s'accaparer du sous-sol de cette zone décrite comme un sous-sol marin recelant des métaux rares, de cobalt et de manganèse, d'hydrocarbures ;
– à maintenir une présence géostratégique contributive de l'impérialisme français à la stratégie d'encerclement de la Chine communiste populaire par les USA/OTAN.
Cette nouvelle révolte populaire indépendantiste en Kanaky est annonciatrice du début de la fin de ce qui reste encore de l'empire colonial français en attendant que s'y mettent les Antilles et Mayotte qui doit retourner dans la patrie comorienne.
L'Afrique passée du colonialisme au néo-colonialisme prend aussi le chemin de la fin de la françafrique.
La solidarité anti-coloniale et anti-néocoloniale des peuples opprimés d'Afrique, des océans pacifique et atlantique est une exigence stratégique qui doit rencontrer la solidarité des internationalistes de France, d'Europe et des USA.
La Chine communiste populaire, la Corée du nord, le Vietnam, Cuba, l'Algérie, la Namibie, le Zimbabwe, l'Angola/Mozambique/Guinée-Cap-Vert/ l'Afrique du Sud ont vaincu, Palestine vivra.
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Législatives 2024 : face à la menace RN, la riposte féministe s’organise

Associations, collectifs et syndicats planifient, ensemble ou en parallèle, des actions le 23 juin pour faire barrage au Rassemblement national. Et appellent à voter à gauche, les 30 juin et 7 juillet.
Tiré de l'Humanité
www.humanite.fr/feminisme/elections/legislatives-2024-face-a-la-menace-rn-la-riposte-feministe-sorganise
Par Kareen Janselme <https://www.humanite.fr/authors/kar...> , L'Humanité, France. Mis à jour le 12 juin 2024 à 19h40
Depuis le coup de semonce de dimanche aux<https:/www.humanite.fr/politique/e...>'>élections européenneset la réplique sismique provoquée par la dissolution de<https:/www.humanite.fr/politique/e...>'>l'Assemblée nationale, les communautés féministes et queer s'interrogent sur les modes d'action efficaces et rapides à déployer pour contrer l'avancée du RN.
Très vite, les réseaux sociaux et des tribunes ont pu porter de nombreuses voix féministes. « L'extrême droite n'est pas une bonne nouvelle pour les femmes », a rappelé la Fondation des femmes, dénonçant le programme délétère du parti d'extrême droite contre les <https:/www.humanite.fr/feminisme/e...>'>droits sexuels et reproductifs, contre l'accès aux droits et aux services publics, précisant que « les femmes n'appartiennent ni à leur mari, ni à leur famille, ni à la patrie ».
Choisir la cause des femmes, qui avait persuadé la FI, le PS-PP, EELV et le PCF d'inscrire dans leur programme leur projet européen pour le droit des femmes et des personnes LGBTQI +, demandait dès le 9 juin une coalition des forces de gauche. « Nous ne nous résignons pas au tapis rouge que le président de la République déroule à l'extrême droite », précisait l'association.
*Une mobilisation commune le 23 juin*
Passé la réaction et la prise de parole engagée, des assemblées générales n'ont pas tardé à se réunir pour organiser la riposte sur le terrain. Mardi soir, la Fondation des femmes rassemblait une centaine d'organisations pour construire une journée d'action féministe. « C'est historique de notre point de vue, mais tout autant que ce moment », analyse Laura Slimani, directrice du pôle projets de la Fondation.
Comment rassembler une vague puissante et inclusive pour se faire entendre ? Si certains collectifs annoncent sans ambiguïté leur couleur politique à gauche, d'autres organisations plus institutionnelles ont du mal à s'afficher publiquement.
« Nous préparons une grande mobilisation pour le 23 juin, à laquelle toutes et tous pourront participer pour alerter sur les dangers de l'extrême droite pour les femmes, détaille Laura Slimani. Le mouvement doit être fort et visible à Paris et partout en France, mais inclure au-delà des organisations féministes. Tout l'enjeu est de créer quelque chose le plus large possible, que le mouvement féministe soit le catalyseur d'une grande mobilisation, complémentaire à celle du monde du travail du 15 juin et de la Marche des fiertés du 29 juin. Il faut occuper le terrain et montrer que la France dit non à l'extrême droite. »
*L'expérience militante des féministes en soutien à la campagne du front populaire*
Le même soir, simultanément, 200 militantes #NousToutes répondaient présent à un rendez-vous précipité. « Nous n'avons pas le temps d'attendre, toutes les réunions ont eu lieu en même temps, s'excuse presque Marie, l'une des porte-parole collégiales de #NousToutes. L'une d'entre nous s'est rendue à la réunion organisée par la Fondation des femmes, mardi soir, une autre membre menait la nôtre en même temps. J'en connais certaines qui participaient à l'Assemblée féministe Paris-Banlieue. Nous sommes toutes en contact entre nous pour développer des actions complémentaires. Les temps sont très courts. »
Leur collectif s'est, lui, prononcé franchement pour une union <https:/www.humanite.fr/politique/f...>'>de la gauche dès dimanche. « Nous appelons à voter le nouveau Front populaire, enchaîne Marie. Pour nous, le féminisme est à gauche. Mais là, notre premier objectif est d'aller récupérer un maximum de votes abstentionnistes, voire de faire changer certaines opinions en allant à la rencontre des personnes sur les territoires, notamment dans les petites localités. Notre second objectif est qu'il n'y ait /pas d'agresseurs parmi les <https:/www.humanite.fr/politique/a...>'>candidats /investis par les partis de gauche. »
#NousToutes entend utiliser ses outils et son expertise particulière : réaliser de grosses campagnes sur les réseaux sociaux, avec des messages simples et percutants luttant contre les fausses informations, mobiliser en masse par tractage et coordonner des actions de collage sur toute la France. « Nous voulons aussi interpeller des personnalités culturelles, éloignées du monde associatif, pour qu'elles prennent position et sensibilisent les jeunes », ajoute Marie – 60 % des 18-24 ans n'ont pas voté aux Européennes et doivent être mobilisés contre les idées fascistes.
La relève féministe, qui soutient le nouveau Front populaire, exige aussi que les agresseurs soient disqualifiés et insiste pour « l'investiture de femmes, jeunes, de quartiers populaires, milieux ruraux et du monde du travail ». D'autres assemblées générales s'organisent en banlieue, autour des mères isolées, dans les mouvements antiracistes, antivalidistes, queer et trans, ces prochains jours. Si un mot d'ordre commun n'a pas encore été trouvé, la résistance est collective.
*Sur le même thème :* « Stopper l'immigration sauverait les femmes européennes » : à Bruxelles, comment le RN instrumentalise les droits des femmes
Les associations féministes se mobilisent contre la menace que fait peser le RN
sur les droits des femmes.© Teresa Suarez / Réa
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Violences sexuelles : comment accompagner les survivantes ?

Interview de Lisa Serero par Francine Sporenda
Lisa Serero, autrice et défenseuse des droits humains, a débuté sa carrière en tant que journaliste spécialisée dans les questions d'identité. Victime elle-même de violences sexuelles, elle vient de publier « Nos survivantes. Violences sexuelles, le pouvoir des proches » (Leduc société)
FS : Vous rappelez que les violences masculines sont un problème majeur de santé publique à cause des nombreuses conséquences à long terme qu'elles entraînent pour les victimes. Par exemple, en 2020, 6,7 millions de personnes ont été recensées comme ayant été victimes d'inceste. Or une des conséquences fréquentes de la dénonciation de l'inceste, c'est l'explosion de la cellule familiale : en plus de son trauma initial, la victime est souvent accusée de mensonge et rejetée par sa famille. Pouvez-vous commenter sur les conséquences pour les femmes quand elles dénoncent leurs agresseurs ?
LS : Il faut d'abord s'imaginer le parcours du combattant qu'a dû traverser la victime avant même de dénoncer son agresseur : avoir mis des mots sur ce qu'elle a vécu, avoir accepté son statut de victime, s'être délestée (partiellement) de la honte générée par la violence sexuelle et de la culpabilité de dénoncer un membre de sa famille. Les victimes ont conscience qu'une telle révélation risque de faire exploser la cellule familiale et qu'elles se retrouveront au cœur du cataclysme. D'autant que la parole des enfants et des femmes est systématiquement mise en doute. La société leur prête souvent de mauvaises intentions, en particulier dans la dénonciation de violences sexuelles. Ces enfants ou ces femmes utiliseraient ce motif pour attirer l'attention, se venger d'un homme ou encore lui soutirer de l'argent.
Or, lorsque l'on écoute les victimes, on s'aperçoit qu'aucune d'entre elles n'a tiré de bénéfice de la dénonciation ! Dénoncer des violences sexuelles a un coût financier, psychologique, social extrêmement fort. Les survivantes prennent le risque de ne pas être crues et d'être rejetées par leur famille. Le déni des proches peut être dévastateur. Il est plus facile de traiter la victime de menteuse ou de menteur que d'imaginer son mari, son fils ou son frère agresser sexuellement une autre personne. Une étude montre d'ailleurs que les proches apportent davantage de soutien aux victimes lorsque l'auteur est un inconnu que lorsque c'est un membre de l'entourage, comme c'est le cas dans 90% des violences sexuelles.
Il existe aussi une profonde méconnaissance des mécanismes des violences sexuelles et du système de domination, notamment de l'enfant. Lorsqu'une victime décide de parler plusieurs années après les faits, cela peut être un instrument utilisé pour décrédibiliser sa parole, alors que l'emprise et l'amnésie traumatique empêchent la victime de parler juste après les faits. C'est donc la double peine pour les victimes. Ajoutons à cela la faible probabilité que leur agresseur soit condamné par la justice puisque 94% des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. On comprend alors mieux pourquoi de si nombreuses victimes préfèrent se murer dans le silence plutôt que d'affronter la violence de leur entourage et des institutions. Le problème, c'est que le manque de soutien de la part de l'entourage aggrave les séquelles du stress post-traumatique qui peuvent se manifester plus fortement et/ou plus durablement (troubles de l'alimentation, conduites à risque, anxiété, dépression…). Dans les cas d'inceste, moins de 2 victimes sur 10 entretiennent une bonne relation avec leur père et moins de 3 victimes sur 10 entretiennent une bonne relation avec leur mère.
FS : Vous dites que le soutien des victimes de violences masculines par l'entourage est crucial pour leur reconstruction mais vous signalez qu'une « réaction inadaptée, même bien intentionnée (…) peut aggraver la situation des victimes ». Vous détaillez ce qu'il faut éviter dans le soutien aux victimes : ne pas juger, ne pas dire « moi à ta place… », ne pas pousser la victime à porter plainte si elle n'est pas prête, etc. Pouvez-vous commenter ?
LS : Toutes les victimes interrogées dans le livre ont appréhendé l'annonce à leur entourage. Bien souvent, elles se sont d'abord confiées à une personne dont elles étaient certaines d'avoir le soutien. Parfois, il s'agissait d'une personne ayant également subi des violences sexuelles et apparaissant comme une garantie d'offrir un accueil adapté à la parole de la victime. Ces survivantes ont vécu une situation de domination, d'atteinte à leur dignité, les empêchant souvent de réagir, de manifester leur désaccord. Les proches doivent donc agir à l'inverse de cela en permettant à la victime d'être actrice de sa propre reconstruction. Le rôle des proches consiste à écouter, protéger, déculpabiliser et aider la victime à trouver son propre chemin vers le mieux-être.
C'est le ressenti de la victime qui compte et les proches doivent apprendre à le respecter ainsi que ses besoins. La domination opère aussi dans l'écoute que l'on pense apporter aux victimes. Or, une fausse ou une mauvaise écoute peut être dévastatrice. Mener l'enquête pour tenter de démêler le vrai du faux n'est, par exemple, pas le rôle des proches. Les conseils non sollicités sur ce qu'elle aurait dû faire ou ne pas faire sont aussi à éviter. La victime a plutôt besoin d'écoute, d'empathie, de non jugement. Sa parole sera suffisamment niée et minimisée par ailleurs, dans d'autres espaces. Et la temporalité de la victime n'étant jamais celle de l'entourage, il faut limiter les injonctions telles que « c'est du passé, il faut que tu avances ». La victime a son propre rythme et traversera de nombreuses fluctuations tout au long de sa reconstruction. La plainte peut d'ailleurs être une manière d'obtenir réparation comme elle peut générer un second traumatisme, en raison du manque de formation de nombreux policiers ou gendarmes et du faible taux de condamnation. Il faut donc respecter le choix d'une victime ne souhaitant pas entamer de procédure judiciaire.
Lorsqu'une victime semble aller bien parce qu'elle travaille, sort avec ses ami.es ou vit en couple, les proches considèrent que la violence sexuelle est derrière elle. Or la libération de la parole ne signifie pas forcément que la reconstruction est totale ! Parler, c'est même le début d'une autre bataille. C'est sur le long terme que les proches doivent apporter leur soutien et être attentif.ves aux séquelles du stress post-traumatique. La réaction des proches s'avère d'autant plus importante puisque peu de victimes ont accès à un parcours de soin adapté au psychotraumatisme.
FS : Vous dites que, pour les personnes aidantes, il y a le risque de tomber dans « l'accompagnement sacrificiel », que l'écoute de la victime peut réactiver des traumas chez elles et que « la victime peut devenir persécuteur et le sauveur victime ». Pouvez-vous expliquer ?
LS : Si les victimes vivent un #metoo depuis 2017, il faut s'imaginer que leurs proches aussi. Les parents, conjoint.es, ami-es, frères ou sœurs figurent parmi les victimes par ricochet. Et pourtant, les proches sont également, à leur niveau, oublié.es et impacté.es. Ces personnes peuvent se sentir démunies, impuissantes, en colère… ou dans l'incapacité de répondre aux besoins des victimes. Une révélation de violence sexuelle peut même faire ressurgir chez les proches un traumatisme passé. Ce n'est pas rien d'assister, voire de subir, les conséquences des violences sexuelles. Comment gérer les cauchemars, flash backs ou épisodes dépressifs de la personne que l'on aime ? Or, avec un accueil inadapté de la parole ou une absence de soutien, c'est à la fois le bien-être de la victime qui risque d'en pâtir mais aussi la relation familiale, amicale ou amoureuse que l'on entretient avec elle.
Il est essentiel que les proches soient outillé-es pour accompagner au mieux les victimes et préserver la victime ainsi que leurs relations avec cette dernière. Mais la capacité à mener cet accompagnement n'est pas innée. Pour pouvoir soutenir une victime, il est nécessaire de prendre soin de soi puisque cet accompagnement peut ressembler à un marathon, tant les séquelles des violences sexuelles s'immiscent dans toutes les sphères et tout au long de la vie. En voulant tenter de « sauver » l'autre, on risque à son tour de devenir la « victime » si l'on se réfère au « Triangle de Karpman » selon lequel le « sauveur » peut tomber dans une posture sacrificielle, au détriment de ses propres besoins. En tant que proche, il faut rester à l'écoute de ses propres émotions pour détecter d'éventuels signaux d'alerte. Il est important de déterminer ce qui relève de la responsabilité de l'entourage et ce qui ne l'est pas. Il ne faut pas hésiter à demander de l'aide à d'autres proches pouvant prendre le relais et à se faire aider par des professionnel.les si l'on sent que l'on n'arrive plus à un endosser ce rôle. Le syndrome vicariant est un traumatisme par procuration qui peut toucher les personnes écoutantes. Sans avoir directement vécu la violence sexuelle en question, il est possible que son récit génère chez les proches des séquelles. Ils et elles auront l'impression d'avoir vécu, senti, vu, entendu la scène au même titre que la victime.
FS : La réaction habituelle à la révélation des violences est l'incrédulité : « il est incapable de faire ça, c'est un si gentil voisin… ». Vous dites que les femmes victimes elles-mêmes sont souvent dans le déni, ont tendance à banaliser les violences qu'elles subissent, voire sont incapables de les identifier. Pouvez-vous commenter ?
LS : Chaque jour, nous côtoyons des femmes victimes de violences sexuelles. Avec un viol commis toutes les 7 minutes, comment ne pas banaliser ce fléau des violences sexuelles qui fait partie du quotidien d'une majorité de femmes ? Comment qualifier un acte de « violence sexuelle » quand il n'y a pas eu de « violence » telle qu'on se l'imagine ? Surtout lorsque l'auteur des violences sexuelles est, dans l'immense majorité des cas, connu de la victime. Ces agresseurs sont partout autour de nous : ce sont nos pères, nos frères, nos amis.
Le problème, c'est que la culture du viol nous a amené.es à penser que le viol, c'est cette agression commise par un sombre inconnu dans la nuit, couteau à la main. Et que tout ce qui ne correspond pas à cette « bonne » définition du viol n'en est pas un. On observe même que plus l'agression sexuelle se rapproche des représentations véhiculées par la culture du viol, plus les dépôts de plainte et les condamnations augmentent. Or, l'immense majorité des agressions sexuelles sont commises par des personnes que l'on connaît, sans violence. Cela ajoute de la difficulté à identifier les violences sexuelles.
La culture du viol contribue également à culpabiliser les victimes en véhiculant un ensemble de stéréotypes qui justifient, banalisent ou minimisent les violences sexuelles. Au lieu de se concentrer sur la violence et sur son auteur, on se focalise sur la victime et ses agissements. Portait-elle une jupe trop courte ? Etait-elle alcoolisée ? Ces questionnements sont tellement répandus dans la société qu'ils ont été intériorisés par un bon nombre de femmes. Par conséquent, la victime elle-même s'interroge sur la qualification de l'acte subi. « Si je ne me suis pas débattue, était-ce un consentement ? », « En même temps, je suis montée chez lui, donc je suis un peu responsable aussi », etc. Toutes ces représentations visent à inverser les rôles de victime et d'agresseur. Le viol est ainsi le seul crime pour lequel la victime se sent coupable et où il existe un climat de suspicion à la moindre dénonciation. Cela ne viendrait à l'idée de personne d'accuser une victime de cambriolage d'avoir menti ou de ne pas avoir crié. Si la victime ne parle pas tout de suite, on met en doute sa parole : « Pourquoi tu n'as rien dit pendant toutes ces années si c'est vraiment arrivé ? ». A l'inverse, si la victime parle tout de suite, elle est accusée de vouloir détruire la vie de son agresseur. Quoi qu'il arrive, la bonne victime et le bon agresseur n'existent pas.
FS : Les prédateurs sexuels ne reconnaissent pratiquement jamais leurs agressions, pourtant leurs dénis sont largement répercutés dans les médias : sur 1 000 affaires de viols recensées depuis 2017, seulement 2 agresseurs sont passés aux aveux. Les médias les présentent même parfois comme des victimes. Et en cas de harcèlement en particulier, ils contre-attaquent en lançant contre leur accusatrice un procès pour dénonciation calomnieuse voire diffamation, (comme PPDA l'a fait malgré les 18 témoignages de Médiapart contre lui). Pouvez-vous commenter ?
LS : C'est une totale inversion des rôles : les victimes se retrouvent à devoir se défendre, à dépenser des milliers d'Euros en frais d'avocat, sans oublier les coûts psychologiques générés par cette épreuve supplémentaire. Nier ou minimiser les faits dénoncés par une victime représente un anéantissement pour elle. Tandis que l'agresseur, lui, se positionne comme la victime et expose les prétendues conséquences néfastes qu'a pu générer l'accusation sur sa vie personnelle et professionnelle. Mais qui se préoccupe des conséquences sur la vie des victimes ? Qui s'intéresse aux dommages physiques, psychiques, relationnels des survivantes ? Les procès sont des moments d'une extrême violence pour les victimes de violences sexuelles, d'autant plus lorsqu'elles sont sur le banc des accusés. Les arguments utilisés par les avocats peuvent être d'une extrême violence pour décrédibiliser la parole des victimes, tout comme les analyses psychologiques qui ont montré leurs limites dans un certain nombre d'affaires.
En effet, certains professionnels pétris de misogynie ont pu contribuer à venir mettre en doute la parole des victimes suite à leurs analyses qui ne tenaient pas compte des particularités du psychotraumatisme. Les ripostes des agresseurs, telles que la plainte pour diffamation ou pour dénonciation calomnieuse, ne sont rien d'autre que des instruments utilisés pour bâillonner les victimes et montrer aux autres que, si elles osent parler, elles en paieront le prix.
FS : Les médias de droite accusent les féministes d'être « victimaires » quand elles dénoncent les violences masculines mais vous dites que, pour qu'elle cesse d'être une victime, la victime doit d'abord être reconnue comme victime ? Pouvez-vous expliquer ?
LS : Il serait préférable que les personnes qui luttent contre un discours perçu comme victimaire utilisent cette énergie pour lutter contre les violences sexuelles. Pour une victime, il est essentiel de remettre les choses à l'endroit en lui reconnaissant son statut de victime. La honte et la culpabilité l'auront suffisamment poussée à se sentir responsable des actes odieux commis par une autre personne. Cette reconnaissance, elle fait partie des 5 besoins des victimes tels que posés par Ruth Morris, abolitionniste pénale : obtenir des réponses à leurs questions sur les faits, voir leur préjudice reconnu, être en sécurité, obtenir réparation, donner un sens à ce qu'elles ont subi. En nommant la gravité des faits, en condamnant les actes de l'auteur, les proches contribuent à rétablir la dignité de la victime.
Récemment, une jeune femme prénommée Zéline s'est pendue trois ans après le viol pour lequel elle avait déposé plainte. Cette dernière a été classée sans suite et Zéline, se trouvant dans une grande détresse, avait demandé elle-même à être hospitalisée en unité spécialisée. Cependant, aucune place n'était disponible dans les établissements à proximité. Zéline s'est suicidée suite à une double défaillance, à la fois judiciaire et médicale. Son histoire n'est malheureusement pas isolée puisque les tentatives de suicide sont 4 fois plus élevées chez les victimes de viols que dans le reste de la population féminine. Le sentiment de solitude et l'absence de reconnaissance de la souffrance ont des conséquences graves.
Néanmoins, les besoins des survivantes évoluent. L'étiquette de « victime » ne doit pas résumer l'identité de ces personnes qui n'ont certainement pas envie d'être vues uniquement à travers le prisme des violences sexuelles subies. Il est intéressant de pouvoir aussi valoriser auprès d'elles les étapes passées, les victoires remportées pour souligner les évolutions à travers les années. Seule l'écoute permettra aux proches de percevoir les attentes des victimes.
FS : Vous parlez du « lourd silence des hommes » après #metoo est vous signalez que, d'après le HCE, 23% des hommes pensent qu'« on en fait trop sur les agressions sexuelles ». Vos commentaires ?
LS : On voit bien que #metoo n'a pas permis de modifier les représentations des hommes. Et ce, malgré les milliers de témoignages qui inondent les médias depuis 2017 et qui auraient pu susciter empathie et prise de conscience. Notre parole ne suffit donc pas. L'impunité subsiste aussi puisque la justice ne joue pas son rôle dissuasif. Or, nous avons besoin que les hommes se positionnent autrement que par le #NotAllMen et par une posture défensive. C'est d'un soutien et d'une profonde remise en question de leurs visions et comportements dont nous avons besoin, d'autant que ce sont eux qui détiennent encore le pouvoir politique, économique ou culturel. Nous devons encore passer par eux pour obtenir de véritables changements. Il a fallu attendre 7 ans pour qu'une tribune signée par 100 hommes soit enfin publiée dans le magazine Elle, ce mois-ci !
Néanmoins, parmi les proches masculins interrogés dans mon livre, tous se sont remis en question sur leurs propres représentations et comportements vis-à-vis des femmes. Découvrir les mécanismes et conséquences des violences sexuelles leur a permis de repenser leurs rapports aux autres sous le prisme du féminisme. En réalité, les violences sexuelles peuvent être vectrices d'évolutions positives au sein de l'entourage.
FS : 1% des viols aboutissent à une condamnation pénale (chiffres HCE). Vu les chiffres en baisse des condamnations pour viol et ceux en hausse du nombre des plaintes, pensez-vous que #metoo a eu des conséquences réelles dans la punition des violences sexuelles ? Les femmes parlent-elles « dans le vide et #metoo n'est-il qu'un « écran de fumée » ?
LS : A mon sens, #metoo n'a pas permis de montrer aux agresseurs que la partie était terminée. Ils continuent de sévir dans tous les milieux, tout le temps. Le nombre de condamnations n'a pas suivi la hausse du nombre de plaintes. Et les stéréotypes de genre persistent. En revanche, #metoo a permis d'accroître la libération de la parole, de développer l'empowerment des femmes ainsi que le concept de sororité. Désormais, de nombreuses victimes font bloc, se soutiennent mutuellement et peuvent sortir de leur isolement pour transformer leur vécu individuel en vécu collectif. Même si les oreilles ne sont pas suffisamment ouvertes, un mouvement est en marche et provoque peu à peu un raz-de-marée. Par ailleurs, les statistiques montrent que les jeunes dénoncent davantage et plus tôt les violences sexuelles donc l'impact de #metoo semble être remarquable sur les nouvelles générations.
Il nous reste à envahir les institutions qui, elles, n'échappent pas au patriarcat. Tant que des moyens humains et financiers, notamment pour des formations des professionnels de police, de santé et de justice, ou sur la mise en place effective de l'éducation à la vie affective et sexuelle, le changement massif n'aura pas lieu. Lorsque les féministes occuperont davantage de places de pouvoir, nous obtiendrons un réel impact de #metoo.
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Les jeunes féministes qui affrontent Milei

Cela fait six mois que le gouvernement Milei est entré en fonction en Argentine, et face à ses dangereux reculs en matière de droits, ce sont les féministes et les étudiant·es qui mènent l'un des principaux mouvements d'opposition. Voici l'histoire de trois d'entre elles.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Il fait déjà nuit lorsqu'il prend la parole. Des milliers et des milliers de personnes sont dans les rues. Nous sommes le 23 avril 2024 et la marche de l'université fédérale contre les politiques d'austérité du président argentin Javier Milei est massive. Certain·es disent même qu'il s'agit d'une des plus grandes mobilisations de l'histoire de l'Argentine.
Sur la place où la scène est installée, devant le Congrès national, il n'y a pas de place pour une épingle. Sur la scène, une poignée de recteurs/rectrices, d'enseignant·es, de non-enseignant·es, d'étudiant·es et de représentant·es de la société civile. Parmi elles et parmi eux, une jeune fille blonde de 26 ans aux cheveux longs, vêtue d'un T-shirt noir avec des lettres blanches « FUA ». Elle est escortée par deux autres jeunes filles du même âge.
Elle s'appelle Piera Fernández De Piccoli et est la présidente de la Federación Universitaria Argentina, l'association étudiante la plus importante du pays. Dans quelques minutes, cette jeune fille va devenir le centre d'attention de toute l'Argentine grâce à son discours percutant, qu'elle récite sans problème. D'une voix forte et déterminée, elle prononcera devant le micro des phrases telles que : « nous ne voulons pas qu'on nous enlève nos rêves », « notre avenir ne vous appartient pas », « nous sommes les fier·es fils et filles de l'université publique argentine », « nous sommes l'université publique libre et gratuite avec une entrée excellente dans la liberté et l'équité. Nous sommes l'université publique du grand peuple argentin ».
Piera, jeune femme féministe de 26 ans, est devenue pendant quelques heures l'une des voix les plus fortes contre le gouvernement d'extrême droite au pouvoir en Argentine depuis six mois et contre un président qui, selon sa collègue María Florencia Alcaraz, est « le président d'une expérience libérale libertarienne qui a explicitement désigné notre existence comme son ennemie ». Quelques minutes après avoir prononcé son discours devant des milliers de personnes, Piera restera sans voix.
« Qui est Piera Fernández de Piccoli, le visage et la voix de la FUA qui affronte le modèle libertarien ? », s'interrogent les portails d'information, ainsi que les animateurs de radio et de télévision. Trop d'exposition pour une jeune fille qui, quelques minutes plus tard, serait également victime d'une furieuse campagne de trolls, et qui serait traitée de « vaga » comme la plus subtile des insultes.
Mais Piera n'est pas seule. Au-dessus (et au-dessous) de la scène, elle partage la lutte avec deux autres jeunes féministes qui, comme elle, dirigent les fédérations universitaires les plus importantes du pays.
En Argentine, le mouvement féministe a une longue histoire et une imbrication de facteurs multiples qui inclut, entre autres, la lutte des Mères et Grand-mères de la Place de Mai : des femmes qui, dans la solitude, se sont battues depuis la fin des années 1970 pour retrouver leurs enfants et petits-enfants, victimes de la sanglante dictature civilo-militaire. Des femmes qui ont aujourd'hui plus de 90 ans et qui, depuis 2015, se sont jointes au cri de « Ni Una Menos », un cri collectif qui est devenu le symbole de la lutte du féminisme. L'une d'entre elles, Nora Cortinas, Madre de Plaza de Mayo, a participé à toutes les marches et a partcilièrement milité pour la campagne en faveur de l'avortement légal. Lors de la dernière marche du 3 juin, « Ni Una Menos » a également fait ses adieux à « Norita », comme tout le monde la connaît, qui était décédée trois jours auparavant.
Quelques heures avant de monter sur scène, Piera, qui ne vit pas à Buenos Aires mais à Río Cuarto, la deuxième ville de Córdoba, à 800 kilomètres de Buenos Aires, prend la tête de la colonne principale de la marche avec une banderole géante sur laquelle on peut lire « En défense de l'université publique ».
À ses côtés, une jeune femme au teint noir, aux cheveux bruns et bouclés qu'elle porte attachés, et portant un tee-shirt sur lequel est écrit « FUR ». Elle s'appelle Flor del Alba Cruz, elle a 25 ans et est présidente de la Fédération universitaire de Rosario, ville emblématique pour être le lieu de naissance de Lionel Messi, à 300 kilomètres de Buenos Aires. Lucille Levy, qui est tout aussi blonde que Piera, se trouve à mi-chemin de la liste, si tant est qu'elles aient l'air d'être sœurs ou cousines. À 28 ans, elle est à la tête de la Fédération universitaire de Buenos Aires (FUBA), qui regroupe les centres d'étudiant·es de l'Université de Buenos Aires (UBA), la plus grande du pays et l'une des plus prestigieuses d'Amérique latine.
Ce n'est pas la première fois qu'elles partagent une scène ensemble. Dans les premiers jours de novembre 2023, quelques semaines avant le scrutin au cours duquel Javier Milei a finalement été élu président, les trois animatrices ont organisé une manifestation contre les frais universitaires que le candidat libertaire prélèverait s'il devenait président. Des mois plus tard, les premières tentatives ont été confirmées et ensemble, une fois de plus, elles ont fait entendre leur voix, cette fois-ci auprès de millions de personnes dans tout le pays, dont de nombreux électeurs et d'électrices de Javier Milei.
Leurs histoires sont différentes et elles le sont aussi. Mais elles passent sans aucun doute par la même matrice. Aucune d'entre elles n'aurait été connue sans un pays dont l'emblème est l'université publique, gratuite et de qualité.
Piera a grandi à Río Cuarto, une ville agricole dotée d'une université publique. Le fait qu'il y ait une université dans cette ville n'est pas anodin. L'Argentine compte 70 universités publiques, gratuites et ouvertes. C'est l'un des rares pays au monde à disposer d'un tel système éducatif, ce qui explique qu'il soit si apprécié.
Sans être issue d'un foyer où l'on parlait de politique, elle a créé en 2013, à l'âge de 15 ans, avec ses camarades de classe, le centre des étudiant·es de son école secondaire, et s'est dès lors intéressée à la politique. À tel point que lorsqu'elle a dû choisir son cursus universitaire, elle s'est inscrite en sciences politiques. Elle s'est également impliquée dans un groupe d'étudiant·es.
En 2019, Piera a été élue présidente du Centre des étudiant·es en sciences humaines de l'Université nationale de Río Cuarto, quelques mois seulement après l'approbation de l'avortement légal en Argentine, un moment qui a mis le feu aux poudres dans tous les collectifs féministes. « Je voulais que les femmes commencent à occuper des espaces de décision, que nous commencions aussi à avoir de la visibilité dans les centres », se souvient-elle.
En 2022, elle devient la deuxième femme de l'histoire à diriger la Federación Universitaria Argentina, qui depuis sa création en 1918 n'avait eu qu'une seule femme à sa tête. « Être une femme est à la fois complexe et très agréable. Cela n'a pas été facile et cela ne l'est toujours pas. Mais je pense que ce qui est le plus merveilleux dans tout ce processus, c'est que nous nous soutenons les unes les autres, que nous nous épaulons et que nous faisons en sorte que les choses fonctionnent. La politique de l'université a également changé à la suite de ce processus. Elle est beaucoup plus fondée sur le dialogue, beaucoup plus calme, beaucoup plus collective, beaucoup plus humaine. Je le constate dans toutes les universités que je fréquente. Les anecdotes ne sont plus les mêmes qu'il y a une vingtaine d'années.
Comme Piera, Lucille Levy, 28 ans, n'a pas grandi dans un foyer politisé. Elle est née à Buenos Aires au milieu des années 1990 et a fréquenté des écoles publiques. Mais à l'université, elle n'a pas hésité à s'inscrire à la faculté d'économie, qui fait partie de l'UBA, pour devenir comptable. L'UBA est la plus grande université du pays et l'une des plus prestigieuses d'Amérique latine. Fondée en 1821, elle offre plus de 80 carrières, a formé 16 présidents argentins et 5 prix Nobel. « Lula », comme tout le monde le connaît, y est entré sans penser que cet endroit le transformerait.
Peu intéressée par la politique, mais influencée par la vague féministe qui commençait à prendre forme en Argentine, elle a commencé à participer au centre des étudiant·es de sa faculté avec l'aide d'une amie. « J'ai commencé à aimer la vocation d'aider. C'était vraiment un centre d'étudiant·es qui faisait de son mieux, qui améliorait les conditions de cours pour chacun et chacune d'entre nous », raconte Lula.
Et ce qui avait commencé comme une chose passagère est devenu la chose qui a le plus accaparé son temps et sa vocation. À tel point qu'en 2016, elle a été élue présidente du Centre des étudiant·es en économie, l'un des plus importants du pays, d'où sont sortis de nombreux ministres argentins de l'économie. Lula devient la deuxième femme de l'histoire à occuper ce poste. Cinq ans plus tard, en 2022, avant les élections des autorités de la Fédération universitaire de Buenos Aires (FUBA), l'organisation étudiante qui regroupe tous les centres d'étudiant·es de toutes les facultés de l'UBA, lui propose la présidence. « J'ai beaucoup hésité lorsqu'on m'a proposé ce poste. En plus de toutes les insécurités personnelles que l'on peut avoir pour diriger quelque chose d'aussi grand que la FUBA, j'avais logiquement peur parce que j'étais une femme. Parce lorsqu'une femme prend le pouvoir, tout le monde met un point d'interrogation sur la table. Et cela n'arrive pas aux hommes. Mais nous, les femmes, nous restons dans le doute : « Sera-t-elle capable de se défendre ? Et grâce au soutien de ses collègues, mais surtout de ses collègues femmes, elle a relevé le défi. Après la FUA, la FUBA est le poste le plus important que l'on puisse occuper dans la politique étudiante universitaire.
« La vérité est que travailler côte à côte avec Piera et Flor, ainsi qu'avec d'autres collègues femmes qui dirigent des fédérations universitaires, est un soutien très important et fondamental. Nous nous comprenons, je me sens à l'aise et je ne suis pas jugée. Je n'ai pas besoin d'élever la voix pour parler, nous nous écoutons les unes les autres. Se sentir accompagnée, ce n'est pas rien dans ce genre d'environnement. Mais d'un autre côté, je pense que cela brise aussi beaucoup de mythes. Personne ne s'attendait à ce que Piera fasse un discours comme celui qu'elle a prononcé lors de la manifestation contre les politiques d'austérité. Et pourtant, c'était impressionnant, elle a brisé toute les formes de stigmatisation et a montré que les femmes peuvent vraiment être à l'avant-garde de ces espaces. Qu'on ne vienne pas nous dire le contraire », dit Lucille.
Flor del Alba Cruz aime à se décrire comme la première femme d'origine africaine à diriger une fédération universitaire. Née en République dominicaine, elle est arrivée en Argentine très jeune, car le mari de sa mère est argentin. Elle a toujours étudié dans des écoles publiques et n'a pas hésité à s'inscrire à l'université de Rosario pour étudier la communication. En 2016, alors qu'elle était en première année, elle s'est sentie interpellée par un congrès sur la démocratie organisé par les étudiant·es, ce qui l'a amenée à devenir activiste. Elle est devenue présidente du centre étudiant de la Faculté de politique et, plus tard, présidente de la Fédération qui regroupe tous les centres étudiants de l'Université de Rosario.
« Depuis 2015, et surtout avec la lutte pour la dépénalisation de l'avortement, il y a eu une grande sensibilisation de la part des femmes universitaires qui, bien sûr, étaient dans nos espaces militants, mais ce qui est intéressant, c'est qu'en quelque sorte, au-delà de l'appartenance à un espace idéologique ou à un parti politique particulier, nous étions en quelque sorte dans un lieu d'égalité lorsqu'il s'agissait de discuter de questions liées au féminisme et de critiquer les structures de nos propres partis politiques », explique Mme Flor.
Mais il y a quelques semaines, comme Piera, au milieu des débats sur la crise universitaire, où Flor était l'une des voix les plus critiques à l'égard des politiques de Javier Milei, elle a été attaquée sur les réseaux sociaux, en grande partie parce qu'elle était d'origine africaine. Bien que la lecture de tous ces commentaires xénophobes ait été douloureuse pour elle, elle n'a pas abandonné le combat et a continué à avancer. Je pense que le mouvement étudiant a beaucoup à apprendre, mais aussi à transmettre à la politique nationale, car même si nous avons nos différences, nous n'avons aucun problème à les mettre de côté et à parier sur une construction collective lorsque des droits aussi importants que l'éducation sont en jeu », dit-elle. « Et cela passe sans doute aussi par plus de féminisme », conclut-elle.
Bien qu'elles aient moins de 30 ans, elles font partie du mouvement féministe qui, en Argentine, a débordé à partir de 2015 et toutes les trois ont activement milité en 2018 et 2020 pour que l'avortement soit légalisé. Aujourd'hui, alors que le gouvernement tente de faire taire les collectifs féministes, démantèle les politiques publiques contre les violences de genre, démantèle le ministère de la Femme et des Diversités, interdit le langage inclusif et promeut les discours de haine, un nouveau phénomène se propage avec des jeunes femmes à l'avant-garde du corps étudiant. Il y a quelques jours, le gouvernement a annoncé qu'il était parvenu à un accord avec les recteurs de toutes les universités publiques nationales pour augmenter le budget des frais de fonctionnement. Le porte-parole présidentiel Manuel Adorni a annoncé lors d'une conférence de presse que l'augmentation serait d'environ 270%. Ce n'est pas la solution complète au problème, mais c'est un petit pas en avant.
Tali Goldman
https://volcanicas.com/las-jovenes-feministas-que-enfrentan-a-milei/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Tisser des propositions émancipatrices : les femmes des Amériques dans la formation féministe

Des organisations se sont réunies au Guatemala pour préparer une nouvelle édition de l'École de facilitatrices qui aura lieu en août 2024
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/06/14/tisser-des-propositions-emancipatrices-les-femmes-des-ameriques-dans-la-formation-feministe/
photo Vanessa Ordoñez
Les transformations sociales systémiques exigées par les mouvements populaires accumulent d'innombrables expériences historiques et pratiques émancipatrices qui s'entrecroisent. L'articulation politique et l'éducation populaire sont des stratégies fondamentales pour renforcer et élargir l'organisation féministe. Elles doivent donc marcher ensemble. En alliance et avec des processus de formation, les organisations féministes et populaires approfondissent leurs perspectives et radicalisent leur agenda et leurs actions, formulant de nouveaux horizons.
Entre le 5 et le 7 mai 2024, des femmes militantes de divers mouvements qui participent et construisent le processus de l'École internationale d'organisation féministe « Berta Cáceres » (IFOS en anglais) se sont réunies à Antigua, au Guatemala, pour une autre étape d'articulation et de réflexion. « L'école est une réponse à ce besoin stratégique de formation politique pour renforcer les mouvements et construire un sujet politique pluriel et féministe », explique la coordinatrice Sandra Morán, du Guatemala.
La rencontre a été fructueuse dans la réflexion sur les pratiques et stratégies politiques communes. Les méthodologies d'éducation populaire ont facilité l'identification de spécificités et de perspectives diverses parmi les organisations impliquées, visant à construire des synthèses et des chemins communs. « Nous tissons nos articulations, nos expériences et aussi nos échecs pour apprendre et continuer à tester des alternatives qui viennent des bases et qui cherchent à résoudre les contradictions que nous avons en mouvement », déclare Cindy Wiesner, directrice de la Grassroots Global Justice Alliance (GGJ) des États-Unis.
« Cet espace construit à partir de tendresse, d'amour et de complicité nous enrichit et nous aide à nous reposer des exigences que nous imposons à nous mêmes. Nalu nous a toujours dit ça », rappelle Sandra en parlant de l'importance des liens de confiance construits dans les espaces de formation et des contributions de Nalu Faria, qui a accompagné toute la construction d'IFOS depuis le début de ce processus en 2018.
Un processus de formation en construction permanente
« Tisser nos propositions émancipatrices » était le titre de la rencontre au Guatemala, qui visait à partager les méthodologies et les agendas du féminisme populaire en préparation des prochaines activités de l'École. « Nous avons eu des conversations très honnêtes sur nos propres défis au sein des organisations et des mouvements. », évalue Cindy. Les participantes ont également partagé des analyses et cherché à trouver des réponses en commun à la conjoncture régionale et internationale des guerres, des génocides, de la criminalisation, de l'appauvrissement et de l'ensemble des attaques du capital contre la vie.
« Les féminismes populaires sont sur la même longueur d'onde, chacun avec ses spécificités. » Cony Oviedo
En août 2024, l'IFOS organisera une autre édition de son École de facilitatrices au Honduras, une étape fondamentale pour la multiplication des connaissances et des pratiques d'apprentissage dans chaque pays et territoire. En mai 2025, une nouvelle édition internationale de l'École aura lieu au Kenya.Après la concentration des activités en mode virtuel, le retour aux activités internationales en présentiel permet l'échange entre les mouvements sociaux et entre les générations de militantes, évalue la Cubaine Gina Alfonso, du Groupe de recherche Amérique Latine : philosophie sociale et axiologie (Galfisa).
« Nous sentons déjà que nous faisons partie d'une communauté qui commence à se tisser ensemble » Sandra Morán
Depuis l'édition 2023 de l'IFOS, qui s'est tenue au Honduras, le processus a impliqué des organisations qui font partie de la Journée continentale pour la démocratie et contre le néolibéralisme, une articulation latino-américaine et caribéenne qui rassemble des mouvements syndicaux, féministes, paysans, écologistes, entre autres. « L'IFOS est un instrument que nous avons construit en alliance, qui reflète la pensée politique accumulée par les organisations et qui est en train de s'enrichir. C'est, en fait, un espace vivant », définit Sandra. Le défi auquel l'École est confrontée est similaire à celui identifié lors de la Journée continentale, selon Nadia dos Santos, de la Confédération syndicale des Amériques (CSA) : que les débats ne se limitent pas à la portée régionale et soient liés à la réalité de chacune des organisations nationales et locales liées à l'articulation.
L'économie féministe comme stratégie
L'école a également été un espace riche dans les élaborations sur l'économie féministe – que, comme le déclare Cindy, « doit être populaire, plurielle, émancipatrice et diversifiée, avec une proposition de vie très claire contre tous nos ennemis qui soutiennent les systèmes d'oppression ». À l'École, le féminisme populaire n'est pas traité comme un axe uniquement, ni comme un sujet réservé aux femmes et aux personnes dissidentes de genre.
« L'économie féministe est une alternative à ce système raciste, homophobe, patriarcal et colonial. Nous proposons et collectivisons cette proposition depuis des décennies dans nos luttes et dans notre travail pour créer des alternatives. » Cindy Wiesner
La dette et la dynamique de l'appauvrissement sont des axes fondamentaux de l'imbrication du capitalisme, du racisme et du patriarcat. Confronter les agents du capital et leurs pratiques d'exploitation est nécessaire pour modifier la corrélation des forces du conflit capital-vie. Pour cela, il est nécessaire d'analyser le capitalisme d'un point de vue féministe, explique Gina.
La souveraineté alimentaire est aussi un horizon articulé à la proposition de l'économie féministe. « Le projet de souveraineté alimentaire peut non seulement sauver l'agriculture, mais aussi sauver l'humanité », déclare Wendy Cruz de l'organisation hondurienne 25 Novembre, liée à La Via Campesina et à la Marche Mondiale des Femmes. Au cours de l'École, les participantes ont créé une véritable mosaïque de luttes interconnectées, ajoutant les résistances et les alternatives proposées par leurs organisations. María de los Ángeles, du Mouvement des personnes touchées et affectées par les barrages (MAR, acronyme en espagnol), par exemple, a parlé des liens entre le féminisme et l'énergie. Quelles propositions d'économie féministe voulons-nous et comment cela se combine-t-il avec un modèle d'énergie communautaire, visant au bien-vivre ? Ses questions ont été reprises par Mercedes Gould, des Amis de la Terre Amérique latine et Caraïbes (Atalc), qui a partagé la proposition d'une transition juste et féministe.
« Rien n'est gravé dans la pierre. Dans les processus de dialogues, de rencontres et de formation, nous construisons cet autre monde possible avec lequel nous rêvons. » Cony Oviedo
« Quand nous parlons de la vie, nous ne parlons pas seulement des femmes ou des gens. Nous parlons de toutes les vies qui existent sur cette planète et de la façon dont nous les plaçons au centre. Nous pensons prendre soin de la nature, dans des relations plus solidaires et équitables où le travail de reproduction est reconnu et réorganisé », propose Cony Oviedo, du Paraguay, membre du Comité international de la Marche Mondiale des Femmes. Les dichotomies patriarcales, comme celle qui hiérarchise la vie humaine et non humaine, font partie du problème et doivent être affrontées à partir d'une proposition politique qui affirme l'interdépendance des êtres humains et notre écodépendance par rapport à la nature.
Dans ce même sens, la séparation patriarcale entre le corps et l'esprit est constamment subvertie dans les processus de formation féministe, à la fois dans les discussions et dans l'approche du corps et de la sexualité des femmes, ainsi que dans les méthodologies créatives et corporelles d'apprentissage et de débat. En tant qu'activité basée sur l'éducation populaire, il y a eu aussi de beaux moments de mystique, qui font connaître aux participantes d'autres cultures et territoires, se souvient Andrea Ross Beraldi, d'Alba Movimentos.
« Les rencontres au Honduras et au Guatemala nous donnent des tâches à accomplir, car il y a des discussions très approfondies que nous devons transférer à nos organisations et construire à partir des bases. Cela alimente nos processus nationaux et régionaux » Wendy Cruz
Rédaction par Helena Zelic à partir des interviews menées par Renata Reis, Valentina Machado et Vanessa Ordoñez
Édité par Tica Moreno
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
https://capiremov.org/fr/experiences/tisser-des-propositions-emancipatrices-les-femmes-des-ameriques-dans-la-formation-feministe/
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Ukraine : travailleuses sociales en temps de guerre

Il y a des gens qui, au moment où ils sont en danger de mort, pensent d'abord à celles et ceux qui ont besoin d'aide. Ces personnes sont nombreuses, dont les travailleuses sociales.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Ces dernières années, il y a eu de nombreux exemples de travailleuses sociales qui ont continué à distribuer de la nourriture et des médicaments à des retraités et à des personnes handicapées sous le feu de l'ennemi, et qui ont fait parvenir les pensions. Il y a également eu des personnes qui, soucieuses de la sécurité des personnes âgées, les ont accueillies chez elles. Les travailleuses sociales expliquent que, dans ces situations, elles ont été motivées non pas tant par le désir de conserver leur emploi, où elles perçoivent un salaire plutôt modeste, que par le sens des responsabilités. Dans cet article, nous vous parlerons du travail désintéressé des travailleuses sociales, nous verrons si leur travail est apprécié aujourd'hui et nous interrogerons les travailleuses sociales elles-mêmes sur les problèmes de l'aide sociale en Ukraine.
« Le seul qui a accepté de travailler »
Les travailleuses sociales sont chargées d'aider les personnes vulnérables, notamment les retraités isolés et les personnes souffrant de handicaps physiques et psychologiques qui ont besoin de soins, de services domestiques et médicaux. La situation est souvent extrême, car ces personnes sont souvent incapables de s'occuper correctement d'elles-mêmes dans la vie de tous les jours. Certains membres du personnel, conscients de cette situation, n'ont pas quitté leurs protégés, même lorsque les bombardements ont commencé à être intenses, se mettant ainsi en danger de mort. C'est le cas de Lilia Blazhko, une assistante sociale originaire du village de Pavlivka, dans la région de Soumy, à deux kilomètres de la frontière russe. Cette femme explique qu'elle est entrée dans le secteur social par hasard.
« Lorsque la guerre a éclaté, j'étudiais à l'école de Bilopillia, mais je suis retournée presque immédiatement à Pavlivka. À l'époque, le village cherchait une travailleuse sociale. Il fallait aider dix habitants. Mais personne ne voulait le faire – ils avaient peur. J'ai été la seule à accepter de travailler » raconte Liliia à Commons.
Malgré le retrait des troupes russes de la région au printemps 2022, il est toujours dangereux de vivre à Pavlivka. Le village est régulièrement bombardé, ne laissant sur place que 160 habitants sur plus de 800. Récemment, un obus a touché une cour, endommageant une maison et ses dépendances. Les propriétaires n'ont pas été blessés car ils travaillaient dans le jardin au moment de l'arrivée de l'obus. Il convient de noter que Pavlivka est un village qui ne compte pratiquement qu'une seule rue, qui s'étend sur 10 kilomètres. Pour se rendre auprès de la personne nécessitant des soins, Lilia Blazhko doit parcourir une distance considérable, et ce uniquement à pied, car elle ne peut pas faire de vélo.
Au cours de son séjour dans le village sur la ligne de front, elle a appris à identifier les « sorties » et les « arrivées ». En cas de bombardement intensif, elle descend à la cave avec les personnes qu'elle aide, ou si elle est surprise sur la route, elle cherche un abri au bord de la route. Les tâches de Lilia consistent non seulement à distribuer les pensions, de la nourriture et des médicaments aux personnes à mobilité réduite, mais aussi à participer aux tâches ménagères : lavage, cuisine, nettoyage et aide au jardin. Entre autres choses, Lilia peut également effectuer de petites réparations, comme poser du papier peint. Elle affirme que cela ne lui pose aucun problème, car elle est peintre et plâtrière de profession. Malgré les conditions de travail dangereuses, elle reçoit 6 500 UAH [149 euros] par mois pour son travail.
Il n'était pas question de laisser des gens derrière soi
Vira Temchenko, habitante de Verkhnya Syrovatka, dans la région de Soumy, aide 17 habitants depuis le début des hostilités, dont sept de sa propre initiative, car leurs proches sont partis et il n'y a personne pour s'occuper d'eux. Elle raconte que les bombardements du village ont commencé dès les premiers jours de la guerre. L'assistante sociale se souvient du moment où elle a entendu pour la première fois des obus voler au-dessus de sa tête.
« Je me souviens que j'étais à vélo pour livrer du pain à un homme handicapé et à sa mère, également handicapée. Soudain, les bombardements ont commencé. L'air vibrait au passage d'un obus. J'ai décidé de poursuivre ma route, à une vitesse que je n'avais jamais connue auparavant. La fois suivante, alors que j'allais chercher les pensions au bureau de poste pour la remettre à des gens, j'ai été retardé. Soudain, des tirs d'obus ont commencé à proximité. Il s'avère que les tirs ont eu lieu, en particulier, autour du chemin que j'étais censée emprunter auparavant » raconte Vira Temchenko.
La femme affirme que sa famille a essayé à plusieurs reprises de la persuader de quitter son emploi, mais qu'elle a refusé.
« Je ne pouvais pas laisser les gens derrière moi. Qui s'occuperait alors d'eux ? C'est parce que moi et d'autres travailleuses sociales avons continué à les aider malgré les bombardements que ces personnes ont traversé une période difficile, car elles ont compris qu'elles ne seraient pas abandonnées. Pendant toute la période des bombardements, aucune travailleuse sociale de notre communauté n'a quitté son travail. Et aujourd'hui, alors qu'il existe un risque de nouvelle invasion dans notre région, toutes les travailleuses sociales de la communauté ont déclaré qu'elles continueraient à travailler » a déclaré la femme.
Parlant des spécificités de son travail, Vira Temchenko admet tristement que sa profession n'est pas particulièrement populaire dans la société. Vira n'a commencé à être fière de sa profession qu'il y a quelques années, lorsqu'elle a commencé à travailler en tant qu'assistante sociale et qu'elle a pris conscience de la responsabilité qui lui incombait. Selon elle, les jeunes hésitent à se lancer dans le travail social, et celles qui le font abandonnent souvent parce qu'elles ne supportent pas les conditions de travail. En effet, elles doivent s'occuper de personnes souffrant de troubles mentaux ou ayant un mode de vie pas très social.
« Personne ne veut pas s'occuper de ces personnes. Il y a aussi des problèmes de déplacement. En été, je fais du vélo, qui m'a été donné spécialement à cet effet, mais en hiver, je ne peux pas vraiment faire ainsi le tour du village, je dois beaucoup marcher. Quant à la journée de travail, elle commence souvent une heure plus tôt car il faut que j'aie le temps d'acheter les produits que les retraités me demandent, car ils ont l'habitude de les acheter auprès de certains vendeurs. En ce qui concerne le salaire, nous avions l'habitude de gagner plus parce que nous avions des primes, mais aujourd'hui le salaire est plus bas et s'élève à 6 400 UAH par mois » détaille Vira Petrivna.
Elle estime que l'État doit promouvoir le travail des travailleuses sociales dans la société, tout en améliorant leurs conditions de travail et en augmentant leurs salaires. Cependant, malgré des conditions de travail difficiles et un salaire modeste, l'assistante sociale nous assure qu'elle aime son travail. Elle dit s'inquiéter chaque fois qu'elle voit un appel en absence des personnes âgées qu'elle aide, et que si elle n'arrive pas à les joindre pendant un long moment, elle se fait du souci pour leur santé. « Je pense que les personnes âgées devraient mériter plus d'attention et de respect aujourd'hui », conclut-elle.
Le travail de Natalia n'a pas diminué
Nous nous sommes entretenus avec une autre assistante sociale de Verkhnia Syrovatka, Natalia Zelenina. Depuis le début de la guerre, cette assistante sociale de dix-sept ans d'expérience a aidé onze personnes. Parmi elles, une habitante de 101 ans, Kateryna Alekseevna, que Natalia a accueillie chez elle parce qu'elle craignait pour sa vie : la vieille dame aimait s'asseoir près de la fenêtre, dont des éclats pouvaient la blesser en cas d'explosion. Comme il n'y avait pas de lit supplémentaire dans la maison de Zelenina, l'assistante sociale a installé la retraitée dans son propre lit, dormant elle-même à même le sol. Une semaine après son emménagement, un obus a frappé la cour de sa grand-mère, brisant les portes et les fenêtres.
Natalia Zelenina nous a raconté que du 24 février au 26 mars, alors que les troupes russes se trouvaient à Verkhnia Syrovatka, elle n'a pratiquement pas dormi parce qu'elle avait peur d'être la cible de tirs. En même temps, elle ne voulait pas se cacher dans la cave et laisser sa grand-mère seule dans la maison.
« Il y a eu des jours où les explosions étaient continues, mais je devais livrer de la nourriture aux gens. Je demandais alors à mon mari de me conduire en voiture. S'il n'y avait pas d'explosions, je me déplaçais à vélo. Bien sûr, j'étais consciente de tous les risques, mais comment pouvais-je laisser les gens qui comptaient sur mon aide » explique l'assistante sociale.
Depuis la fin des hostilités dans la région, le travail de Natalia Zelenina n'a pas diminué. Chaque jour, elle doit rendre visite à plusieurs personnes à qui elle livre non seulement de la nourriture, mais qu'elle aide aussi dans leurs tâches ménagères.
« Aujourd'hui, j'ai rendu visite à quatre personnes. Pendant la journée, j'ai lavé du linge, préparé des repas, acheté des médicaments à la pharmacie, fauché les herbes des chemins autour de la maison pour une vieille dame avec une faux à main et planté des concombres. Parfois, quelqu'un me demande de venir l'aider le lendemain, alors que son tour est à la fin de la semaine. Je ne peux pas refuser, car je comprends que c'est la période du jardinage et que tout le monde veut planter à temps. Comment fais-je pour tout faire ? On voit encore très bien jusqu'à huit heures du soir, c'est pourquoi je dois souvent rester deux ou trois heures de plus au travail. Mais je n'ai pas le temps de faire quoi que ce soit à la maison » explique l'assistante sociale.
De toutes les travailleuses sociales avec lesquels nous nous sommes entretenus, Natalia Zelenina est la seule à posséder un vélo électrique, offert par ses enfants. Elle dit qu'il lui permet d'économiser beaucoup d'énergie. Son mari est également d'une grande aide, puisqu'il emmène de sa propre initiative certains retraités à l'hôpital du centre régional, situé à 12 km du village.
Voyages dangereux
Natalia Adamenko, de la région de Tchernihiv, apporte son aide aux habitants de trois villages frontaliers : Pushkary, où elle vit, et les habitants des villages voisins de Kovpynka et Kremsky Bugor. Elle doit parfois parcourir de longues distances à vélo, voire à pied. Depuis le début des hostilités, Natalia n'a pas quitté son travail un seul jour, même si la région est périodiquement bombardée par des roquettes Grad.
« Effrayant ou pas, je dois y aller. Une fois, j'ai failli être la cible de tirs. Je devais me rendre à Kremsky Bugor pour rendre visite à un homme âgé, mais il m'a appelée pour me dire qu'il était en ville et que je ne devais pas venir. Quelque temps plus tard, le village a été bombardé », raconte Natalia.
Bien que la région soit relativement calme aujourd'hui, les villages où Natalia a des protégés qui sont situés à 10-15 km de la frontière et sont donc régulièrement touchés par des obus. De ce fait, même les ambulances refusent de se rendre dans les villages. L'une des particularités du travail d'une travailleuse sociale de l'Oblast de Tchernihiv réside dans les longues distances.
« Il y a huit kilomètres « aller » de ma maison à l'une de mes grands-mères à Kovpyntsi. J'y vais à vélo. S'il pleut ou s'il neige, mon mari m'y conduit. Mais maintenant, l'eau est montée près du village pour la deuxième année consécutive, et il est impossible de passer, alors je marche… Kremskyi Buhra est plus proche, mais il faut aller tout droit à travers la forêt, ce qui est dangereux parce que les chiens y courent. On y a vu des loups qui attaquaient les chiens domestiques » explique la femme.
Le travail de Natalia Adamenko est similaire à celui des autres femmes que nous avons interrogées : livraison de nourriture, de médicaments, aide aux tâches ménagères et au jardinage. Récemment encore, Natalia a dû apporter de l'eau potable à l'une des vieilles dames de la ville voisine de Kovpynka, car l'eau des puits de la retraitée et de ses voisins, qui vivent à l'extrémité du village, s'était tarie.
« Je prenais donc un bidon de 20 litres à la maison, j'allais chercher de l'eau à une pompe publique, située à un kilomètre et demi de là, et je l'apportais à la retraitée. Mais après la diffusion d'un reportage à la télévision, le problème de la colonne du puits cassée a été résolu » explique Natalia.
Cette femme travaille comme assistante sociale depuis 14 ans et n'envisage pas de quitter la profession. Elle dit aimer son travail, bien que son salaire soit très modeste – 5 500 UAH [126 euros] par mois. Le mari de Natalia ne travaille pas et la famille doit donc économiser sur tout.
Une pierre angulaire du soutien social
Afin de fournir un soutien social décent à la population, un financement substantiel est nécessaire, car les fonds ne servent pas seulement à payer les salaires des travailleuses sociales, mais devraient également être utilisés pour financer les prestations aux personnes âgées car les capacités financières de nombreuses catégories de citoyens vulnérables sont extrêmement limitées.
« En avril, je suis allée en ville avec une retraitée dont je m'occupe, et elle a acheté pour 2 700 UAH [61 euros] de médicaments : cinq injections, quelques pilules et une miche de pain. De nombreuses personnes à mobilité réduite dépensent également beaucoup d'argent pour se rendre à l'hôpital de Novhorod-Siverskyi. Le bus de notre village se rend en ville une fois par semaine, il est donc bondé de passagers, et les pauvres retraités avec leurs cannes ne peuvent tout simplement pas monter à bord. C'est pourquoi de nombreuses personnes âgées sont obligées de louer les services d'un chauffeur avec leur propre moyen de transport. Un tel voyage coûte entre 800 et 900 UAH [18-20 euros] » nous raconte l'assistante sociale.
Vira Temchenko explique que de nombreuses personnes âgées de son village sont obligées d'économiser sur tout. Même l'eau des puits, qui est gratuite pour leur usage personnel, est utilisée avec parcimonie, afin de ne pas avoir à appeler un camion pour pomper la fosse d'épuration. Beaucoup de personnes âgées aimeraient élever des animaux et des volailles pour éviter d'acheter du lait, des œufs et de la viande, mais elles ne le peuvent pas car elles ont besoin d'argent pour se nourrir. Selon Vira, de nombreux retraités se souviennent de l'aide financière que l'ONU leur a versée au cours de la première année de la guerre. Aujourd'hui, ils ne reçoivent pratiquement plus d'argent.
« En regardant comment ces personnes vivent, on se rend compte que la vieillesse ne devrait pas être ainsi. Il est nécessaire qu'une personne arrive à l'âge de la retraite en bonne santé, afin qu'elle ne reste pas seule avec elle-même et ses problèmes. C'est pourquoi, en tant que travailleuse sociale, on essaie de soutenir ces personnes » ajoute-t-elle.
Il convient de noter qu'il existe de nombreuses travailleuses sociales en Ukraine qui sont prêts à faire leur travail de manière désintéressée, même au péril de leur vie, mais pourquoi reçoivent-elles un salaire aussi maigre pour leur travail ? Natalia Lomonosova, sociologue et auteur de plusieurs études sur les services sociaux, a répondu à cette question pour Commons. Selon elle, les prestataires de services sociaux municipaux sont gérés par les gouvernements locaux, et ce sont donc ces derniers qui doivent payer les salaires des employés. Pour déterminer le salaire, il existe une grille tarifaire qui constitue le salaire officiel. Cependant, selon la sociologue, en général, les salaires de la grille sont bas et doivent être révisés.
« Un autre problème est que depuis 2017, les salaires officiels sont liés au minimum vital, et non au salaire minimum, comme c'était le cas auparavant. Cela a pour conséquence que les salaires officiels les plus bas sont inférieurs au salaire minimum, parfois de plusieurs milliers d'UAH » détaille la sociologue.
Selon Nataliia Lomonosova, si le salaire d'un employé est inférieur au salaire minimum, la loi oblige l'employeur à verser un supplément. Ainsi, aujourd'hui, certaines travailleuses sociales perçoivent un salaire au niveau du salaire minimum, sur lequel des impôts sont également retenus.
Nataliia Lomonosova ajoute que, pour leur part, les municipalités peuvent introduire des paiements supplémentaires à partir du budget local, ainsi qu'améliorer les conditions de travail, par exemple en fournissant aux travailleuses sociales des bicyclettes électriques et en achetant les véhicules nécessaires pour le centre de services sociaux. Cependant, cela dépend des priorités des autorités locales et, surtout, du budget de la communauté elle-même. Après la réforme de la décentralisation, les communes ont acquis une large autonomie, alors que leurs ressources dépendent de la présence de grandes entreprises qui sont des contribuables.
Natalia Lomonosova a également ajouté que pour un développement efficace de la politique sociale et de la fourniture de services sociaux, il est nécessaire de développer un réseau de spécialistes dans ce domaine. À l'heure actuelle, le nombre de spécialistes du travail social et de travailleuses sociales dans le pays est insuffisant, alors que le besoin de tels spécialistes ne fait que croître.
« Récemment, le nombre de personnes en situation difficile a augmenté. En outre, la situation des personnes âgées nécessitant des soins s'est aggravée, car de nombreux membres de leur famille ont déménagé à l'étranger. Et ce, alors que certaines travailleuses sociales ont également quitté leur communauté » souligne-t-elle.
Les difficultés économiques, les combats et la destruction des infrastructures aggravent encore la situation des personnes vulnérables. Et malgré tous les obstacles et les maigres salaires, les travailleuses sociales continuent d'exercer leurs fonctions avec intégrité et courage.
Toutefois, un soutien de qualité aux personnes vulnérables ne devrait pas reposer sur le dévouement de travailleuses individuelles et dépendre des ressources d'une seule communauté. Les besoins et les problèmes fondamentaux des personnes qui, en raison de leur âge et de leurs handicaps physiques, ne sont pas en mesure de s'occuper correctement d'elles-mêmes doivent être abordés et résolus au niveau systémique. Cependant, aujourd'hui, nous ne pouvons que constater que le soutien social fourni par l'État est clairement insuffisant.
Dans le même temps, les exemples de travail désintéressé des travailleuses sociales dans de nombreuses régions d'Ukraine montrent que les gens essaient de créer de meilleures conditions pour ceux qui sont dans le besoin, au moins au niveau individuel. Cela signifie qu'il y a de nombreux citoyens dans le pays qui voient clairement le besoin urgent d'améliorer la qualité de vie de la population et qui comprennent à quel point il est important d'agir dans ce sens. Il s'agit là d'un pas en avant vers un changement positif.
Alexander Kitral
4 juin 2024
Illustration : Katya Gritseva
https://commons.com.ua/en/desheva-robota-z-rizikom-dlya-zhittya-yak-socialni-robitnici-pid-obstrilami-dopomagali-lyudyam/
Traduction Patrick Le Tréhondat
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Droit d’asile : la France doit protéger les femmes persécutées en raison de leur genre

En janvier dernier, la Cour de justice de l'Union européenne a fait montre de progressisme : elle a reconnu les violences faites aux femmes comme un motif de persécution ouvrant droit au bénéfice de l'asile. Cette avancée considérable pourrait devenir réalité en France.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Ce vendredi 14 juin, la Cour nationale du droit d'asile statue en effet sur plusieurs situations de femmes victimes de violences et pourrait reprendre à son compte cette décision. La France se mettrait ainsi en conformité avec ses obligations internationales.
Par un arrêt du 16 janvier 2024, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a fait un pas de géant pour la reconnaissance de la qualité de « réfugiée » aux femmes exposées à des violences sexistes dans leur pays d'origine. Les femmes, dans leur ensemble, peuvent désormais être considérées comme appartenant à un « groupe social » selon la Convention de Genève. Cela signifie que, pour la CJUE, la violence à l'égard des femmes à raison de leur genre est reconnue comme une persécution pouvant ouvrir droit à l'asile, lorsqu'elles ne peuvent obtenir une réelle protection dans leur pays d'origine. La CJUE a confirmé sa position il y a quelques jours, en fonction des conditions prévalant dans le pays d'origine, et y compris pour les mineures.
Jusqu'à présent, les femmes devaient démontrer qu'elles appartenaient à des « groupes sociaux » créés par la jurisprudence, comme les personnes victimes de la traite des êtres humains, les fillettes et jeunes filles risquant l'excision, les personnes persécutées du fait de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, etc. Avec cette décision de la CJUE, les femmes victimes ou exposées à des violences sexistes, qu'il s'agisse de violences physiques ou psychologiques, de violences sexuelles, économiques ou conjugales, devraient pouvoir prétendre à l'octroi d'une protection conventionnelle du seul fait d'être une femme victime de violence, même en l'absence d'autres motifs de persécution.
Cette décision européenne constitue une avancée importante mais elle ne prendra sa pleine effectivité en France que si elle est reconnue et mise en oeuvre par les instances nationales en charge de l'asile (en l'occurrence, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides – Ofpra – et la Cour nationale du droit d'asile – CNDA). Rappelons qu'aujourd'hui, la CNDA rejette encore par voie d'ordonnances, sans audience, des dossiers de femmes victimes de violences.
L'opportunité de franchir le pas se présente ce vendredi 14 juin à la CNDA. Nos associations de défense des droits des femmes étrangères apportent leur soutien à quatre femmes, ressortissantes d'Afghanistan, d'Albanie, de Guinée et du Mexique.
Reconnaître aux femmes le droit d'être réfugiées quand elles sont persécutées du seul fait d'être une femme serait une occasion pour la France de respecter ses engagements internationaux, notamment la Convention d'Istanbul de lutte contre les violences à l'encontre des femmes qu'elle ratifiait, il y a déjà 10 ans. Consolider le droit d'asile permettrait ainsi à la France de rejoindre la Belgique, l'Espagne, l'Irlande, la Suisse et l'Allemagne, qui ont reconnu, il y a déjà plusieurs années, que les femmes constituaient un groupe social. Une telle décision réaffirmerait aussi le rempart que constitue la justice face aux régressions législatives et gouvernementales, particulièrement bienvenu dans un contexte où l'extrême droite menace de prendre le pouvoir.
Paris, le 14 juin 2024
Signataires :
Elena France
Fasti (Fédération des Associations de Solidarité avec Tou⋅te⋅s les Immigré⋅e⋅s)
Fédération nationale des CIDFF
FNSF (Fédération Nationale Solidarité Femmes)
Femmes de la Terre
Gisti
LDH
JRS France
Le Planning familial
Rajfire
https://www.gisti.org/spip.php?article7261
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gauche.media
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