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Désespérances d’idéaux déchus

La Mère Courage du film étreignant son fils cadet, croyant lui épargner le sort de ses aînés Meryam Joobeur nous offre un long métrage de 118 minutes d'une très grande intensité dramatique dont on se remettra à grand peine, surtout dans cette ère trumpienne de génocide palestinien.
Par Pierre Jasmin, artiste pour la paix
Nos idéaux battus en brèche par le capitalisme décadent triomphant dans les laideurs télévisuelles de héros violeurs nous font revivre une chute abrupte d'idéaux tellement forte qu'elle me ramène à un monde théâtral auquel j'avais collaboré à Vienne, un mois avant mon année à Moscou en 1978 : je contribuai alors à la pièce Grandeur et décadence de Mahagonny de Kurt Weil et Bertold Brecht, qui préfigurait à sa première en 1930 l'arrivée obscène du nazisme.
Grâce à l'art exigeant et poétique de la fabuleuse réalisatrice tunisienne établie à Montréal, Là d'où l'on vient raconte un retour d'idéal déchu, qu'on devine être le Djihad islamique entrepris par deux frères, dont le désespoir si noir ne saurait être accablé davantage par quelque jugement que ce soit : se dégage, en un enchaînement de dérapages, le rachat entrevu de leurs âmes pourtant alourdies de meurtres, cette fois à la manière de Robert Bresson.
Les images magnifiquement cadrées avec d'innombrables gros plans, dans des paysages de prairies et de bords de mer tunisiens hantés par des comédiens dévorés par leurs personnages, nous plongent dans le sujet éternel de la dévastation guerrière, rarement aussi magistralement exploitée, y compris par une musique lancinante, mais pas par des violences de champs de bataille. Madame Joobeur porte son regard aiguisé sur les hommes intérieurement déchirés.
La grande majorité de nos politiciens jugent les immigrants avec arrogance, morgue et insensibilité, les envisageant au mieux comme des contributeurs à la petite économie commerciale. Quant à leur passé, on préfère ignorer leurs parcours parsemés d'embûches, que le film Io, Capitano avait choisi d'illustrer d'une façon épique avec deux acteurs flamboyants. Tout le contraire dans ce film humble où les acteurs quoiqu'éteints réussissent inexplicablement à faire vivre ce nouvel exemple magique de l'art cinématographique féminin : on pense à Mariloup Wolfe dans Jouliks, à Barbeau-Lavalette dans Chien blanc, à Maryse Legagneur dans Le dernier repas ou au tandem Danielle Trottier-Fabienne Larouche dans Cœur battant pour leurs explorations implosives de l'intimité, ici le huis-clos implacable de réfugiés dans leur propre pays, prostrés dans la désillusion de retour d'un exil qu'on devine entrepris par l'illusion d'une croisade religieuse genre Daesh.
Mais la réalisatrice ne porte jamais de jugement, elle se contente de témoigner des douloureux ravages d'un milieu d'extrême-pauvreté rurale avec des bergers bien différents de celui volontaire sympathique du film de Deraspe. Ceux de Joobeur sont acculés à la dure, très dure tâche de survie élémentaire. Nous contemplons, proies médusées, les tensions intrafamiliales insoutenables qu'une femme que j'ai appelée Mère Courage dans un élan brechtien, tente de calmer, en cherchant fermement à réconcilier un mari aux rigides principes traditionnels avec ses trois fils encore en vie, le plus jeune encore dans les jupes de sa mère aimante.
Mais l'un d'entre eux a ramené de Syrie une femme non musulmane pourtant vêtue d'une burka pour échapper aux regards inquisiteurs qui veulent pour la plupart la juger, une trop infime minorité cherchant à comprendre et à aimer l'étrangère impie. On s'achemine alors, inexorablement, vers un dénouement qu'on pressent sacrificiel. Ainsi, l'œuvre de Meryam Joobeur fait office de miroir embarrassant et inversé pour notre société hypnotisée par le faux glamour américain.
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Le grand basculement
Le présent épisode de l'interminable conflit israélo-palestinien met en lumière un phénomène inédit ou du moins sa relative généralisation : une coupure croissante entre les opinions publiques occidentales sympathisantes envers les Palestiniens d'une part, et d'autre part les classes politiques d'autre part, celles-ci toujours fondamentalement sionistes. Malgré cela, elles se sentent désormais obligées de prendre une certaine distance vis-à-vis de leur protégé israélien, comme en témoigne la volonté que plusieurs (dont Ottawa) affichent d'appliquer le mandat d'arrêt lancé contre deux hauts responsables israéliens : Benyamin Netanyahou, premier ministre et l'ancien ministre de la défense, Yoav Gallant. En principe, ces derniers ne peuvent remettre les pieds dans ces pays sans être appréhendés et déférés devant la Cour pénale internationale. Le gouvernement américain, indéfectible allié de l'État hébreu est un des rares à s'y opposer.
À long terme, ce retournement actif d'une ampleur inédite d'une bonne partie des populations occidentales en faveur d'une paix juste et honorable entre les deux parties en conflit peut éroder l'appui que leurs gouvernements apportent à Israël. En effet, les populations occidentales s'impatientent sérieusement devant l'ampleur et la durée de la contre-offensive du cabinet Netanyahou à l'endroit du Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban-Sud.
Même si la majorité des classes politiques occidentales conservent encore une bonne marge de manoeuvre dans leurs relations avec Israël, elles ne pourront pas ignorer indéfiniment le sentiment de leurs administrés. Seul le gouvernement américain maintient un soutien sans failles à son allié du Proche-Orient. Avec l'installation de Donald Trump à la Maison-Blanche le 20 janvier prochain, ce soutien ne s'effritera sans doute pas, malgré sa volonté déclarée de mettre fin aux conflits qui déchirent le Proche-Orient. Il reste à connaître son plan pour régler le noyau dur de ces conflits, c'est-à-dire l'affrontement continuel entre Israël et la Palestine. Il présentera sans doute un plan tordu, mais que le réalisme le plus élémentaire obligerait le nouveau président à modifier quelque peu en faveur des Palestiniens. Au pire, la situation continuera à se dégrader et peut-être à aboutir à une embrasement régional. Au mieux, les Palestiniens y gagneront éventuellement un début de véritable autonomie sur la majeure partie de la Cisjordanie et sur Jérusalem-Est. La partie s'annonce rude.
Même les politiciens américains commencent à être divisés là-dessus. Par exemple le sénateur indépendant du Vermont Bernie Sanders a présenté des résolutions pour restreindre la vente d'armes à Israël et contre une aide de 21 milliards de dollars à l'État hébreu. Lors du dernier débat là-dessus au Sénat le 19 novembre dernier, entre 17 et 19 membres du Parti démocrate l'ont suivi (sur 51 membres) Même si une majorité a voté pour la vente de ces armes, une minorité non négligeable menée par un tête d'affiche de la gauche s'y est donc opposée. Il est notoire que l'aile progressiste du Parti démocrate est mal à l'aise devant le conflit depuis au moins janvier. Ce n'est peut-être que le début d'un mouvement susceptible d'aller croissant, qui sait ?
Par ailleurs, rien ne permet de penser que la population américaine dans son ensemble se distingue des autres populations occidentales sur ce problème. Après tout, il s'est produit des manifestations d'envergure sur plusieurs campus au printemps dernier en soutien à la cause palestinienne. Elles reprendront peut-être si la guerre là-bas s'éternise et que continueront de s'accumuler les victimes palestiniennes et libanaises.
En tout état de cause, celle de la Palestine a beaucoup gagné en légitimité auprès des Occidentaux. Les organisateurs du Hamas à Gaza ont donc gagné leur pari improbable de remettre au premier plan sur la scène internationale la cause de leur peuple. À l'opposé, le cabinet Netanyahou a commis une grave erreur politique en lançant une contre-offensive vengeresse démesurée. Il s'est aliéné certains de ses soutiens internationaux qu'il croyait acquis. Le coût humain de sa guerre contre Gaza et son obstination à la poursuivre l'ont discrédité auprès d'une bonne partie des opinions publiques occidentales et par ricochet, de leurs gouvernements, du moins jusqu'à un certain point.
Ce n'est certes pas la première fois que des opérations militaires israéliennes font beaucoup de victimes parmi les Palestiniens, mais cette fois la coupe déborde. Il s'agit peut-être de l'erreur de trop commise par le gouvernement de ce pays... la suite des événements nous le dira.
Jean-François Delisle
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« Alliances terrestres », le film qui retrace la lutte contre l’A69

Dans son documentaire, Isabelle Haelvoët raconte l'histoire de la lutte contre l'autoroute A69, qui doit relier Toulouse à Castres. Militants, paysans et scientifiques parlent de leur combat pour sauver les terres menacées par l'autoroute.
Tiré de Reporterre
Photo : Alexandra, la dernière habitante sur le tracé de l'autoroute A69, a quitté son domicile de Verfeil le 16 septembre 2024, après de longues négociations. - © Antoine Berlioz / Hans Lucas / Reporterre
Des militants perchés dans les arbres, des recours juridiques, des zad, une commission d'enquête, des projets alternatifs… Depuis presque deux ans et le début des travaux de l'A69 , qui doit relier Toulouse à Castres, la lutte contre cette infrastructure bat son plein dans le Tarn et en Haute-Garonne.
Largement médiatisée à l'échelle nationale, notamment grâce aux trois grands rassemblements organisés près de Castres à l'appel des Soulèvements de la Terre, la lutte contre l'A69 revêt plusieurs formes, plusieurs modes d'action et rassemble de multiples collectifs ou associations. C'est justement cela qu'Isabelle Haelvoët, réalisatrice du documentaire Alliances terrestres, a voulu raconter dans ce film de 89 minutes.
Le titre du documentaire reflète une réalité essentielle : la création d'alliances entre des acteurs variés — militants, paysans, scientifiques et citoyens — unis par une même volonté de protéger ce territoire et ses ressources. La réalisatrice illustre avec sensibilité la solidarité qui se construit dans la résistance, malgré les tensions et les pressions exercées par les préfectures et les forces de l'État.
Le film célèbre ainsi l'intelligence collective et l'ingéniosité déployée pour faire face à des moyens disproportionnés mis en œuvre par l'État. Des militants plus radicaux dans les zad luttent ainsi aux côtés de citoyens, des grimpeurs et grimpeuses s'allient à des scientifiques… Le documentaire est une ode à la complémentarité des modes d'action.
Force de la lutte
Au cœur du documentaire, bien entendu, l'autoroute A69. Un projet qui symbolise l'affrontement entre deux visions du monde. D'un côté, celle d'un développement économique basé sur la bétonisation, la croissance et l'expansion routière ; de l'autre, une conception plus collective, respectueuse des écosystèmes et des modes de vie locaux.
Le documentaire met en avant les conséquences directes de ce projet : destruction de terres agricoles, fragmentation des habitats naturels et impacts écologiques durables. Les images des paysages menacés, entrecoupées de témoignages poignants, soulignent l'absurdité de ce projet au regard des défis climatiques actuels. Isabelle Haelvoët s'appuie sur ses propres images, mais également sur des archives ou des vidéos tournées par des militants.
Le documentaire ne se limite pas à la simple dénonciation d'un projet d'infrastructure controversé, mais propose une réflexion approfondie sur les enjeux environnementaux, sociaux et humains qui en découlent. À travers un récit poétique et documenté, il donne une voix à celles et ceux qui s'élèvent contre ce projet et, plus largement, contre une logique productiviste menaçant nos écosystèmes.
Alternant entre des plans larges des paysages menacés et des scènes plus intimes de rassemblements, la réalisation joue sur une dualité entre la fragilité de la nature et la force de la lutte. Aux scènes d'arbres abattus et de zones terrassées par d'énormes machines viennent s'opposer celles de liesse collective entre militants. Le film est ponctué par des lectures poétiques, presque méditatives, tirées du livre de l'économisteGeneviève Azam Lettre à la Terre — Et la Terre répond.
Hymne à la résistance
Ce documentaire dépasse également le cadre d'un simple combat local, pour s'inscrire dans une réflexion globale. On retrouve ainsi tout au long du film la sociologue Geneviève Pruvost, qui évoque la nécessité de « repolitiser notre quotidien » et revient sur les notions de subsistance et de liberté avec un éclairage écoféministe. Des ponts sont également établis avec d'autres luttes pour la préservation du vivant, notamment le mouvement Chipko, né en Inde dans les années 1970 et porté par l'écoféministe Vandana Shiva, ou plus récemment la défense de la forêt de Hambach, en Allemagne.
Le tournage du documentaire s'est poursuivi jusqu'à fin mars dernier, et la victoire provisoire des militants sur le site de la Crem'Arbre qui ont obtenu une trêve pour l'abattage des arbres. Quelques mois plus tard, la zone fut rasée, mais d'autres occupations se multipliaient partout le long des 53 km de tracé, entraînant une répression toujours plus intense à l'encontre des militants.
Le film d'Isabelle Haelvoët est finalement un hymne à la résistance, où se relaient des citoyens, scientifiques, militants aguerris, sociologues ou agriculteurs. La lutte est un moyen, comme ils le confient, de s'émanciper, de passer du désespoir à l'action collective, de se rassembler et d'espérer construire un monde plus respectueux des êtres humains et de la nature.
Le documentaire est régulièrement projeté partout en France, souvent accompagné d'une discussion à l'issue de la projection. Les projections sont à retrouver ici.
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Note aux PEUPLES Haitiens.
Ce dimanche 01 décembre 2024
La FEDOFEDH invite la population à se mobiliser pour leurs droits et la sécurité.
FEDOFEDH rappelle à chaque Haïtienne et Haïtien que le 10 décembre, Journée internationale des droits humains, est bien plus qu'un simple symbole. C'est un appel à l'action, un rappel que la paix, la justice et la sécurité ne peuvent exister sans notre mobilisation collective.
L'insécurité croissante menace nos familles, nos rêves, et notre avenir. Nos enfants ne peuvent apprendre dans la peur, nos pères de famille désespèrent de nourrir leurs proches, et nos femmes subissent des violences sans recours. Mais cette réalité peut changer si nous décidons d'agir.
Le bien-être de nos familles dépend de notre engagement. Organisons-nous pour exiger des solutions concrètes des autorités, travaillons ensemble pour créer des communautés solidaires où chacun est protégé. Chaque action compte : élevez votre voix, rejoignez des initiatives locales, et refusez de céder à la peur.
Au cours de cette semaine, en pleine campagne des 16 jours d'activismes, une femme nourrice a reçu une projectile au sein chez elle, au moins 5 femmes enceintes sont morts a cause des problèmes de médecins, des centaines de PVVIH dans les régions n'ont pas accès à leurs médicaments à cause de l'insécurité, des enfants ne peuvent plus se rendre à l'école car leurs écoles servent d'abri pour les déplacés. Fort de tout cela, nos dirigeants se battent pour plus de pouvoirs, ils renforcent leur sécurité et celle de leur famille avec le peu de policier qui nous reste. Les soldats étrangers, sont pour la plupart affectés à des VIP.
Le 10 décembre, ne soyons pas spectateurs. Soyons les acteurs d'un changement durable, pour nous et pour les générations à venir. La sécurité et la dignité sont des droits, mais elles ne deviendront réalité que si nous nous battons ensemble.
Personne ne viendra nous sauver, nos dirigeants et nous sommes deux lignes droites qui ne se rencontreront jamais si on ne les force pas se tourner vers nous.
Avril à Décembre 2024 : quel bilan pour un CPT de 9 conseillers presidents ?
Depuis 2016, presque 10 ans sans élection ? Dans quel pays dans le monde avons-nous déjà entendu ces bêtises ?L'impunité et la justice n'ont jamais été invitée à une même fête.
FEDOFEDH – Ensemble, bâtissons une Haïti sûre et prospère.
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« Rabia » de Mareike Engelhardt

Que s'est-il passé dans la tête de Jessica et de Laïla, deux amies parties tout soudain de France pour gagner Raqqa en quittant sans prévenir leur travail et leur famille ? Rabia, premier long métrage, très documenté au réalisme halluciné, nous plonge dans le quotidien d'une ‘madafa', une maison regroupant exclusivement les femmes étrangères, célibataires ou veuves, destinées au mariage.
Tiré du site Le café pédagogique
27 novembre 2024
Lecture suggérée par André Cloutier
En choisissant de représenter au cinéma la ‘madafa' de sinistre mémoire (jamais photographiée ni filmée à l'époque), suggérant le huis clos d'un lieu d'enfermement, d'oppression et de conditionnement à la soumission des femmes, un espace étouffant dirigé d'une main de fer par une femme fanatique, la réalisatrice Mareike Engelhardt, tente de répondre à la question initiale et en soulève bien d'autres, intimes et universelles. Elle en formule la portée en ces termes : « Ce n'est pas un film sur l'islam, sur le djiadisme mais sur l'embrigadement de masse, les mécanismes de déshumanisation… ». D'où vient, en effet, que Jessica puisse choisir la voie des bourreaux ?
Aux origines de la fiction, contexte historique, témoignages, expertises
C'est à la suite de la prise de la ville de Raqqa en 2014 que l'Etat islamique impose la charia à tous les habitants et lance un appel à venir de toutes parts soutenir la création d'un ‘Califat'. Alors que Daech (autre appellation de l'organisation terroriste islamiste) conforte son emprise sur Raqqa dans la Syrie en guerre, des milliers de jeunes radicalisés (en quelques mois pour certains) venus du monde entier, issus de milieux divers, rejoignent ce ‘pays' idyllique dans l'illusion d'un engagement total et la promesse d'une nouvelle vie.
Des filles, parfois très jeunes, en perte de sens, partent en cachette de leurs parents vers une terre inconnue, aveuglées par l'absolutisme de leur croyance. Un imaginaire romanesque (allant jusqu'à désirer pour époux un combattant du Djiad) et un embrigadement idéologique tels que certaines n'en sont jamais sorties, même celles qui sont revenues dans leur pays d'origine.
Le caractère totalitaire de cette folle entreprise criminelle, et l'implication singulière des femmes en son sein, conduisent la cinéaste à une investigation approfondie devant ce qu'elle nomme ‘l'incompréhensible'. Rencontres avec des femmes ayant séjourné un certain temps à Raqqa auprès de l'Etat islamique et demeurant, après leur retour, remplies de haine de l'autre et d'esprit de vengeance, présence aux audiences des procès de e certaines filles au Tribunal de Paris, recoupements des informations concernant le statut et le mode de vie des femmes dans les ‘madafas', enquête sur la personnalité de la tristement célèbre Fathia Mejjaati (dite Oum Adam), dominatrice rigoriste et sadique, toujours en fuite aujourd'hui, laquelle a inspiré le personnage de Madame (magistralement interprétée par la grande Lubna Azabal), recours à l'expertise de deux spécialistes du djihadisme féminin, Céline Martelet et Edith Bouvier, lesquelles ont enrichi par leurs connaissances le travail des comédiennes durant la préparation. Sans oublier les confrontations encadrées avec d'anciennes ‘pensionnaires' de ces lieux d'enfermement et d'endoctrinement.
Du soleil radieux aux ténèbres, esthétique de la lumière, partis-pris
Dans l'avion qui les emporte vers Raqqa, Jessica (Megan Northam, comédienne impressionnante par sa présence et la puissance de son jeu) et Laïla (émouvante incarnation de Natacha Krief) contemplent au dessus des nuages blancs le soleil éclatant, avec des sourires radieux et des rires de petites filles, elles font des allusions au paradis qui les attend. Les nuages se fondent ensemble en une masse crémeuse envahissant tout notre champ de vision.
Puis, avant l'atterrissage, les nuages changent de couleur. Et nous entrons avec elles dans une maison en forme de forteresse et décelons vite les premiers signes d'un cadre d'asservissement, des signes que nos deux copines enthousiastes ne voient pas.
Ainsi suivons-nous les rituels imposés à l'intérieur de cet étrange gynécée : les femmes entre elles, sur ordre, sont peu à peu dépouillées de leur ancienne identité (et de leurs vêtements d'origine) pour être préparées à la fois psychologiquement à la soumission aux préceptes et aux interdits religieux édictés par l'état islamique ; et physiquement (changement de sous-vêtements pour une semi-nudité aguicheuse et maquillage, bientôt masqués sous un voile recouvrant corps et chevelure) pour devenir des objets sexuels à la merci des pulsions des guerriers et futurs époux ; des maris qu'on leur choisit pour une rencontre de quelques heures lors d'un retour du front.
Un premier contact qui peut se transformer, après quelques préliminaires (enlève ton voile ! Veux-tu des enfants ? Aimes-tu les abricots ?), en tentative de viol comme Jessica en fait la précoce expérience.
Une épreuve marquante qui la conduit à repousser brutalement l'agresseur et à s'échapper. Prélude cependant à un retournement majeur. Au lieu de sortir de son aveuglement, progressivement elle passe dans le camp de la dominatrice, adepte des châtiments corporels, des diktats humiliants et autres injonctions au respect de la supériorité masculine, violences conjugales comprises ; une maîtresse fanatique et manipulatrice qui la forme pour que celle-ci devienne à son tour une arme de dressage des nouvelles arrivantes.
Au fil du temps, dans une atmosphère de guerre dont le champ de bataille (et les morts) reste hors champ comme les violences physiques faites aux femmes à l'intérieur sont exclues du cadre même si nous en entendons les coups et les cris étouffés, le blanc du ciel au dessus de la forteresse et la blancheur ocre du lointain sans hommes en armes visibles disparaissent de plus en plus.
Dominent alors les lumières indirectes et voilées descendant des fenêtres et les lueurs tamisées des espaces intérieurs de la madafa jusqu'aux appartements de Madame un temps plus lumineux et spacieux. Avant que de clairs-obscurs en lumières biaisées au cœur de ce lieu dont il est interdit de sortir sous la clarté des étoiles, la forêt de voiles noirs, ceux des femmes opprimées, se fondent dans le noir des bombardements annonciateurs de la chute de Raqqa, jusqu'à l'entrée dans les ténèbres.
Espace mental de Rabia et questionnement universel
Avec Agnès Godard, la directrice de la photographie, et Daniel Bevan pour le décor, la cinéaste crée ainsi un espace mental favorable à la figuration de la ‘révolution' intime qui se produit chez Jessica, devenue Rabia à la faveur de ce basculement dans le camp des bourreaux. La réalisatrice tente par cette recherche formelle de nous donner accès, sans complaisance, à la trajectoire de Rabia et d'autres femmes qui lui ressemblent dans le rapport maîtres.ses/esclaves, dans la relation ambigüe à la domination.
Mareike Engelhardt revendique son origine allemande et son appartenance à ‘la dernière génération qui a connu ceux qui ont participé à l'un des pires crimes de l'humanité'.
Tout en refusant clairement les raccourcis entre le terrorisme islamiste et le nazisme, à partir d'une histoire imaginée avec le scénariste Samuel Doux, la fiction tranchante qui glace le sang nous contraint à une réflexion profondément dérangeante à laquelle la cinéaste nous incite ainsi : ‘Qu'est-ce qui fait qu'au cours d'une vie on bascule du mauvais côté ? Comment est-ce possible de se faire absorber par un système qui nous enlève notre humanité ? Et surtout, pourquoi les gens y restent-ils ?'.
La dernière scène du film voit Jessica/Rabia, un enfant dans les bras, se réduire à une silhouette lointaine et minuscule, sur le point de se confondre avec le sol aride d'une terre sans vie.
Samra Bonvoisin
« Rabia », film de Mareike Engelhardt-sortie le 27 novembre 2024
Festivals et Prix 2024 : FFA, Angoulême (Compétition), Deauville (Prix d'Ornano-Valenti), Valenciennes (Prix du Jury), War on screen (Prix du Public), Arte Mare (Prix du Public et Mention Spéciale Jury jeune), Effervescence de Mâcon (Prix du Public).
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Jour sombre pour le système public de santé et des services sociaux au Québec

Saint-Lin-Laurentides, le 1ᵉʳ décembre 2024 - La Coalition des Tables Régionales d'Organismes Communautaires (CTROC) partage ses vives inquiétudes face à l'entrée en fonction officielle de la nouvelle société d'État, Santé Québec.
À compter du 1ᵉʳ décembre, cette instance devient responsable de gérer les activités du réseau public de la santé et des services sociaux sous l'égide de Mme Geneviève Biron alors que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) en déterminera le orientations.
Rappelons que l'entrée en poste de Mme Biron en mai dernier a été vivement critiquée, notamment en raison de ses liens étroits avec l'industrie privée de la santé, de sa méconnaissance du réseau public et les enjeux qui en découlent, ainsi que de son manque d'expérience en matière de gestion d'une telle mégastructure.
La mise en place de Santé Québec entraîne la fusion d'une trentaine d'établissements du réseau public, qui devient ainsi le plus gros employeur du Canada avec ses 350 000 personnes salariées. Cette nouvelle structure engendrera inévitablement un changement de culture organisationnelle dont il est difficile à ce moment-ci d'en évaluer les impacts. Cependant, il va de soi que plus les structures sont imposantes et centralisées, plus l gestion est hiérarchisée et entraîne un risque de déshumanisation éloignée de la réalité du terrain.
De surcroît, la réforme Dubé ouvre grand la porte à la privatisation et à la marchandisation de la santé et des services sociaux. Le ministre de la Santé affirme que l'ouverture au privé est la solution aux problèmes d'accessibilité alors que l'on sait qu'il est en bonne partie à l'origine de ces difficultés. Le gouvernement Legault choisit consciemment d'orchestrer un système où l'État subventionne des compagnies privées pour qu'elles dispensent des soins alors que celles-ci coûtent plus cher, privent le réseau public de main-d'œuvre, contribuent à l'effritement des services publics et entravent l'accès gratuit et universel aux soins.
Dans le cadre de cette réforme, les organismes communautaires autonomes sont aussi vus comme une partie prenante du réseau de la santé et des services sociaux alors qu'ils sont des entités autonomes. Leur sous-financement chronique et l'accroissement notoire des demandes d'aide auxquelles ils font face fragilisent déjà le mouvement communautaire depuis plusieurs années. Dans le contexte d'une société d'État, l'instrumentalisation des organismes communautaires risque de s'accroître et de se cristalliser, les rendant ainsi plus vulnérables aux velléités du gouvernement.
Alors que le salaire des gestionnaires de Santé Québec a récemment été augmenté de 10% dans un contexte d'équilibre budgétaire imposé, où le déficit à résorber en santé pourrait atteindre 1,5 milliard de dollars, la CTROC appréhende l'impact sur les services publics, les programmes sociaux et les organismes communautaires.
Rappelons que les besoins exprimés par plus de 3 000 organismes communautaires
intervenant en santé et services sociaux s'élèvent à 830 M$ en financement à la mission globale en 2024-2025.
Quels sont les engagements que l'État est prêt à prendre afin de préserver l'autonomie et les pratiques du mouvement communautaire autonome en santé et services sociaux ?
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La France dans la tourmente d’une crise institutionnelle et étrangère

La Gauche précipite la chute du Gouvernement en déposant avec le RN une motion de censure. Macron s'acquitte à merveille de la perche réclamée par Netanyahou, damant le pion à la bonne cause de Gaza pour mieux marcher sur le statut de Rome.
De Paris, Omar HADDADOU
Dans une sainte alliance avec les Puissants, Macron, protée patentée dont le pays traverse actuellement une crise institutionnelle gravissime et un effet récessif majeur sur le plan économique, a déclaré hier, à partir de l'Arabie Saoudite, que « La stabilité est entre les mains de l'Assemblée nationale ». Lui qui est à l'origine de sa dissolution, le 9 juin 2024. Cette manœuvre à la hussarde plongea le pays dans l'incertitude. La Gauche, victime d'un hold - up aux Législatives, savait que l'arbitraire ne ferait pas long feu et qu'elle reviendrait aux affaires.
Nommé Premier ministre, le 5 septembre 2024, Michel Barnier tombe dans le piège de la déshérence, tant la situation est explosive. La République sort de son axe orbital. C'est la Chienlit !
« Qui est à l'origine du chaos politique ? C'est bien le Président de la République en procédant à la dissolution de l'Assemblée nationale » s'insurge le Rapporteur Général du Budget, Charles de Courson.
Le bruit qui court ici, est que les Français ne sont jamais contents(es). Réponse des plus éclairés : « Il y a eu main basse sur le vote du Peuple ! »
L'actuelle faillite politico économique a acculé, ce 2 décembre, le locataire de l'Hôtel Matignon à activer le 49.3 pour faire adopter le budget de la Sécurité sociale. La France Insoumise ( LFI) et le Rassemblement national (RN) ont déposé chacun une motion de censure. Avec ce vote sous 24 heures (mercredi), la chute du Gouvernement deviendrait effective !
Conscient de l'issue ubuesque de sa sortie dans une « France décousue », livrée à tous les errements, Michel Barnier déclare : « Nous sommes dans un moment de vérité. Chacun doit prendre ses responsabilités et je prendrais la mienne ».
Aussitôt, le Parti socialiste a appelé à nommer un Premier ministre de la Gauche. Dans sa chaumière, le Peuple observe à quelle sauce il sera mariné, tendant l'oreille avec incrédulité. Le politique serait-il- le parfait bonimenteur à passer par les armes ? Le Nouveau Front populaire (NFP) a une revanche à tenir « Il faut que le Président démissionne ! » somme Jean-Luc Mélenchon. Et Mathilde Panot de tempêter « Il aura à la fois le déshonneur et la censure ! ». Partie prenante de la stratégie de la « mise à mort » du Gouvernement, Marine le Pen menace : « Nous déposerons et nous voterons une motion de censure »
Ce cataclysme politique n'a pas empêché Emmanuel Macron de surfer sur l'imbroglio juridique de l'article 98-1 du Statut de Rome pour valider une injustice, aux fins de sauver sa peau, celle de Nétanyahou et les zones d'influence de la France !
Pleutre ! Au crépuscule de son quinquennat, le Président français avilit les fondements de la République et ceux de la Gauche française par ses ondoiements versatiles à estomaquer l'Histoire.
Pis, il tourne le dos aux flammes qui lèchent la maison France et joue au Messie providentiel de Netanyahou.
Du coup, la géopolitique ne sait plus où donner de la tête. La Cour Pénale Internationale (CPI) se heurte aux injonctions des puissances occidentales dont l'Amérique et ses sommations à la planète de danser le Charleston sur des cadavres palestiniens et Africains !
Les Occidentaux peuvent se vanter d'avoir réduit en cendres, à coups de milliards de dollars, le Moyen-Orient et sa Civilisation qui les a sortis des limbes.
Alors que le bilan des victimes des attaques israéliennes s'élève à 44 000 personnes, la France de Macron a annoncé, mercredi 27 novembre, qu'elle ferait valoir un principe « Immunité diplomatique » pour ne pas appliquer le mandat d'arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI) à l'encontre du Premier ministre Netanyahou pour crime de guerre, crime contre l'Humanité.
Des chefs d'accusation notifiés aussi à son ministre de la Défense et un responsable du Hamas.
Fort de son hégémonie, Donald Trump promet de châtier ipso facto le Hamas : « Le prix à payer sera terrible si les otages ne sont pas libérés (es) ! »
La CPI joue sa survie, comme Bibi !
O.H
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La lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les syndicats face aux procédures-baillons

La manifestation de novembre contre les violences faites aux femmes sera cette année suivie de peu par l'ouverture du procès pour atteinte à la vie privée intenté par Benjamin Amar à l'AVFT et à la CGT.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les 30 septembre et 1er octobre dernier, Christine, ex-membre du collectif Femmes Mixité de l'Union Syndicale CGT ville de Paris, devait, elle aussi, être jugée pour diffamation pour avoir rendu compte dans un congrès de l'Union Départementale CGT 75, des actions menées par ce collectif contre des faits de harcèlement et/ou d'agressions imputés à des membres de leur organisation. Régis Vieceli, alors secrétaire général du syndicat CGT déchets et assainissement a porté plainte contre elle et contre Philippe Martinez (secrétaire général confédéral au moment des faits).
Dans un contexte de multiplication de procédures visant des militantes et collectifs de lutte contre les violences de genre et dans la dynamique des mobilisations annuelles du 25 novembre contre les violences faites aux femmes et aux minorisés de genre, Contretemps a rencontré Resyfem, un collectif organisant des militantes syndicalistes et féministes qui militent pour un #MeToo syndical, et qui appellent à la solidarité le 27 novembre 2024 devant le Palais de justice de Paris ainsi que le 16 octobre prochain (date de report de l'audience de Christine).
Contretemps – Pouvez-vous présenter rapidement le collectif ?
Resyfem – Le collectif naît à l'hiver 2020-2021 de la rencontre de plusieurs militantes cégétistes de la ville de Paris avec d'autres femmes syndicalistes ayant subi une répression en interne du fait de leur engagement contre les violences sexistes et sexuelles (VSS).
De cette rencontre est né le constat assez frappant des similitudes entre les situations vécues par ces militantes, de mécanismes analogues aussi bien dans la manière dont les agresseurs procèdent et se défendent que dans la manière dont les organisations syndicales (OS) ne parvenaient pas à prendre en charge ces violences. Si les syndicats peuvent mettre en avant des sujets féministes quand il s'agit de pointer du doigt les violences commises sur le lieu de travail par exemple, c'était beaucoup plus compliqué lorsqu'un syndicaliste était l'agresseur. Et pire encore, lorsque des militantes prenaient sur elles de lutter contre l'impunité des agresseurs syndicalistes en interne, les obstacles et les backlashs s'avéraient très violents.
Parce que pour nous le syndicat est un outil de lutte essentiel contre le capitalisme, et parce que les VSS en chassent trop de militantes ou dégoûtent par avance des femmes qui auraient pu vouloir s'y engager mais qui perçoivent les syndicats comme des organisations machistes, on a estimé qu'un espace d'organisation spécifique était nécessaire.
Et puis parce que nos organisations ne peuvent pas prétendre être des moteurs de changement social sur ces questions sans balayer devant leur porte, sans être exemplaires en interne.
Nous avons fait le choix de s'auto organiser en « intersyndicale » (on est des militantes de la CGT, de FO, de SUD, de la FSU, du syndicat de la magistrature et du syndicat des avocats de France) ce qui présente différents avantages : toutes les OS étant concernées par ce problème, le fait de travailler en inter-organisations, en plus d'avoir du sens dans la pratique, permet de montrer qu'on s'attaque à un problème transversal, systémique et non à une organisation ou une autre dans le cadre d'un « conflit de chapelles ». Cela permet de dépasser les accusations faites de manière récurrente aux militantes féministes de miner le syndicat et de le mettre en danger (comme si c'était la lutte contre les VSS qui menaçaient nos organisations et non les VSS elles-mêmes). Cela permet aussi d'avoir des appuis extérieurs face aux pressions internes et de surmonter une partie des difficultés que l'on peut rencontrer à s'affronter à des camarades parfois proches.
À ce stade, le collectif constitue pour nous (et toutes celles qui voudraient le rejoindre) un espace de réflexion collective (sur ce qui manque à nos OS, sur les stratégies des agresseurs, etc.) ; il est aussi un espace d'organisation face à des situations de violence dont on entend parler, en mettant comme on peut la pression sur les OS concernées pour qu'elle assument les responsabilités qu'elles ont envers leurs adhérentes et militantes ; et puis il représente un espace de soutien des femmes isolées souvent dans leur organisation face à la machine agresseur ; parce que l'agresseur lui, n'est jamais seul, il a des soutiens, il a en général une position hiérarchique, il se présente comme essentiel au bon fonctionnement du syndicat, il représente parfois une opposition politique ce qui lui permet, si on en vient à le mettre en cause pour les violences commises, de crier au complot politique, etc.
Depuis qu'on existe, on a suivi le procès de FO à Brest intenté par des copines victimes d'un secrétaire général de FO puis l'affaire Amar – qui connaitra prochainement un nouveau rebondissement avec l'ouverture, ce 27 novembre, du procès intenté pour atteinte à l'intimité de la vie privée à l'AVFT et à la CGT.
Dernièrement, il nous a paru nécessaire de soutenir Christine dans le procès initialement prévu le 30 septembre.
Contretemps – Pourriez-vous revenir rapidement sur les enjeux de ce procès ?
Resyfem – Lors d'un congrès de l'UD 75 début 2020, Christine a lu le bilan d'activité du collectif femmes-mixité des trois années de lutte contre les VSS en interne de la CGT Ville de Paris. Elle est poursuivie par l'ancien secrétaire général de la CGT déchets et assainissement (FTDNEEA) – Régis Vieceli – pour diffamation publique alors même qu'elle n'a pas cité de noms et qu'il s'agissait d'un congrès réunissant uniquement des cégétistes. Et c'est là l'un des enjeux de ce procès : si les propos tenus en interne d'une organisation par des camarades sont poursuivis pour diffamation, ça empêchera les débats et les avancées sur ces questions.
A FO Brest par exemple, si les camarades n'avaient pas gagné au pénal, les militantes auraient également pu être poursuivies en diffamation.
Plusieurs militantes ont en effet dénoncé des violences sexuelles, un tract signé du syndicat a été rédigé, aucun nom n'était cité mais l'agresseur a écrit à la secrétaire du syndicat pour dire qu'il y avait des propos diffamatoires à son encontre : c'était de l'intimidation.
Si ce procès est gagné par Régis Vieceli, ça constituera un précédent catastrophique, pour l'ensemble des militantes féministes et syndicalistes qui essayent quotidiennement de faire cesser l'impunité qui subsiste.
D'autant qu'on rappelle qu'aux côtés de Christine, l'action de la cellule de veille confédérale de la CGT est également visée : non seulement on cherche à intimider toutes les victimes et leurs soutiens, à décourager toutes les prises de parole futures, mais en plus on s'attaque aux instances internes que les militantes féministes ont conquis de haute lutte dans les OS. Une condamnation enverrait le pire des messages aux organisations qui commencent à faire des pas dans le bon sens.
Contretemps – Ça irait à l'encontre de la dynamique actuelle où la parole des victimes est davantage entendue ?
Resyfem – Oui, certaines d'entre nous avions assisté au procès pour diffamation intenté par Denis Baupin et c'est vrai que ça a été un moment important, ça a constitué une forme de reconnaissance pour les femmes victimes de violences sexuelles dans le cercle militant. Une inter-organisations nationale existe maintenant et permet de travailler sur l'itinérance des agresseurs entre des syndicats et des partis politiques.
Mais, des progrès restent à faire, notamment sur « l'itinérance des victimes » : bien que Christine soit confrontée à tout cela du fait de son action en tant que militante de la CGT, ses frais d'avocat ne sont pas financés par cette dernière, ni la réparation de l'ensemble des préjudices subis, tout comme ses camarades du Collectif femmes mixité.
En effet, la plupart des militantes, dont Christine, qui se sont battues en interne ont dû quitter le syndicat, avec un véritable préjudice moral. Par ailleurs, cette lutte a impacté la santé de la majorité des camarades avec des frais qui restent aussi à leur charge. La double peine existe encore dans nos syndicats.
Il nous semble donc qu'une revendication importante serait le remboursement de tous les frais et préjudices (moraux, de santé, juridiques…) pour les victimes, que ce soit lorsqu'elles portent elles-mêmes plaintes contre un agresseur, luttent contre lui ou lorsqu'elles font l'objet d'une procédure-bâillon.
Plus largement, si des protocoles (parfois assez bons) commencent à exister dans la plupart des OS, beaucoup de choses allant dans le sens d'une meilleure connaissance des VSS restent non contraignantes et donc soumises dans leur application à la bonne volonté des militant·es. Le rapport de force féministe en interne est donc décisif, aussi bien pour rendre effectives les mesures de prévention, de protection et de sanctions, que pour obtenir des mesures plus solides dans les statuts des OS. Il faut aussi revoir nos fonctionnements collectifs car un agresseur dans un syndicat tout comme au travail s'appuie sur des organisations du travail qui dysfonctionnent. C'est bien un enjeu collectif au-delà de la sanction individuelle (suspension, gradation des sanctions) qu'il faut porter.
Ce type de procès est une étape pour nous dans la dynamique en cours pour débattre et avancer sur des moyens de combattre les violences en interne. La CGT souhaite se saisir de ce procès avec un rassemblement et une conférence de presse pour réaffirmer l'importance du travail de la cellule de veille et le défendre contre cette attaque sans précédent. Elle était rejointe par d'autres syndicats nationaux comme la FSU, Solidaires… pour montrer une détermination unitaire dans le soutien aux victimes et dans leur action de lutte contre les violences.
Nous savons que d'autres procédures judiciaires sont en cours, notamment intentées par Benjamin Amar contre la CGT, sa cellule de veille et des militant·es. L'enjeu est donc important que le procès contre Christine et P. Martinez se solde par une relaxe générale !
De notre côté, nous appelions à un rassemblement le 30 septembre devant le Palais de justice pour soutenir Christine, pour défendre le droit des victimes et de leurs soutiens à parler et à se défendre, et interpeller nos OS sur ces sujets. Mais le procès est malheureusement reporté. Nous devons rester solidaires. Nous serons à ses côtés les 16 et 17 octobre 2025 pour relancer une présence collective féministe et syndicale les deux jours d'audience.
D'ici là, d'autres procédures judiciaires sont en cours et chacune est susceptible d'envoyer un signal qui pèsera dans la résolution des suivantes. Nous pensons notamment aux plaintes intentées par Benjamin Amar contre la CGT et sa cellule de veille, envers des militantes mais aussi envers des médias et collectifs divers. Ce 27 novembre se tiendra le procès pour atteinte à l'intimité de la vie privée contre l'AVFT notamment. Régis Vieceli et Benjamin Amar participent ainsi à un même mouvement de backlash généralisé qui rend ce moment particulièrement charnière pour nos luttes. Il est décisif de ne céder aucun terrain à ces entreprises de musellement. Dans le cas des procédures bâillon initiées par Amar comme de celles intentées par Vieceli, nous devons faire bloc pour éviter l'enclenchement d'un effet domino jurisprudentiel catastrophique pour le futur de la lutte contre les VSS dans les syndicats et les organisations politiques plus largement. Nous appelons nos OS à prendre la mesure de ce qui se joue avec ces audiences. Et nous appelons à la solidarité à l'occasion de celles-ci (ce 27 novembre et les 16 et 17 octobre 2025) pour soutenir les camarades attaquée.es, pour défendre le droit des victimes et de leurs soutiens à parler et à se défendre, et pour interpeller nos OS sur ces sujets.
Resyfem
Blog Résyfem : https://blogs.mediapart.fr/resyfem/blog
Contact : resyfem@riseup.net
https://www.contretemps.eu/lutte-vss-syndicats-procedures-baillons/
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« L’affaire Assange crée un dangereux précédent pour tous les journalistes » : Kristinn Hrafnsson et Stella Assange témoignent

Stella Assange, l'épouse de Julian Assange, et Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de WikiLeaks, témoignent du combat mené durant quatorze années par le journaliste australien, Julian Assange, pour sa libération. Conscient du climat d'autocensure que sa condamnation instaure au sein de la profession, le lanceur d'alerte entend continuer la lutte.
Tiré de l'Humanité
Publié le 22 novembre 2024
Vadim Kamenka
Lecture suggérée par André Cloutier
Photo :
« Je suis libre aujourd'hui parce que j'ai plaidé coupable de journalisme », a déclaré Julian Assange, à Strasbourg, devant le Conseil de l'Europe, le 1er octobre.
©️ JOHANNES SIMON / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP
Depuis sa libération le 26 juin, Julian Assange a tenu à réaliser sa première visite hors d'Australie en France, à Strasbourg. « C'est bon d'être de retour », a même souligné le cofondateur de WikiLeaks. Le journaliste de 52 ans a voulu surtout témoigner devant le Conseil de l'Europe et tenir son premier discours public depuis 2019. Julian Assange a soutenu la résolution adoptée qui en fait un prisonnier politique et alerte sur le dangereux précédent que son affaire crée à l'encontre de la presse.
L'extraterritorialité des lois, notamment états-uniennes, permet désormais à n'importe quel éditeur, journaliste, d'être poursuivi. Une situation insupportable pour le Conseil de l'Europe et Julian Assange, qui a rappelé : « Je ne suis pas libre aujourd'hui parce que le système a fonctionné. Je suis libre aujourd'hui parce que, après des années d'incarcération, j'ai plaidé coupable de journalisme. »
L'Australien en effet a pu retrouver la liberté en plaidant coupable afin d'éviterl'extradition aux États-Uniset une procédure lancée en 2019 qui lui faisait encourir 175 ans de prison, pour 18 chefs d'inculpation en vertu des lois anti-espionnage, après une détention arbitraire entamée le 7 décembre 2010 et 1 901 jours de prison à Belmarsh. Le rédacteur en chef de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, et sa femme, Stella Assange, témoignent de son quotidien et d'un combat qui doit se poursuivre.
Après quatorze années de détention au Royaume-Uni, dont 1 901 jours dans une prison de haute sécurité à Belmarsh, dans quel état de santé se trouve Julian Assange ?
Stella Assange
Son état de santé s'améliore, mais il a manifestement besoin de beaucoup plus de temps pour récupérer. Je pense que tous ceux qui ont écouté Julian, à Strasbourg devant le Conseil de l'Europe, ont pu constater que son intelligence était intacte. Son témoignage durant plus d'une heure a confirmé que sa passion pour la vérité et les droits de l'homme n'a pas faibli. Mais il est évident que les années d'emprisonnement ont eu un impact considérable sur lui et qu'il a besoin de retrouver ses forces, et il n'en est qu'au début de ce processus.
Il a donc pris le temps d'interrompre sa convalescence en Australie et pris le risque d'un long périple de quarante-huit heures en raison de l'importance capitale du rapport rédigé par la commission des Questions juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée du Conseil de l'Europe sur son cas et les conséquences pour d'autres. La résolution votée est complète.
Elle reconnaît le statut de prisonnier politique, son traitement disproportionné, les persécutions vicieuses et dégradantes et les implications plus vastes enmatière de liberté de la presse. Après le plaider-coupable, Julian ne peut demander réparation à aucune instance judiciaire, mais il peut répondre à des initiatives politiques, notamment à une Assemblée parlementaire qui représente 46 nations. Cela permet d'informer les élus et de les sensibiliser à ces graves précédents.
Depuis sa libération en juin dernier, à quoi ressemble le quotidien de Julian Assange ?
Stella Assange : II peut enfin profiter de la vie d'un homme libre en Australie après quatorze années de détention. Il se rend à l'océan presque chaque jour pour nager et surfer. Julian apprend aussi à être un père de famille et à vivre avec les siens, notamment ses deux enfants. Il lit et s'informe sur tout ce qu'il a pu rater avec l'évolution prise par l'intelligence artificielle. Il prend le temps de se ressourcer et de redécouvrir le plaisir de manger.
Quel message a voulu défendre Julian Assange en prenant pour la première fois la parole en public, en France ?
Kristinn Hrafnsson
Ce rapport et le fait que Julian Assange ait été reconnu comme prisonnier politique par l'Assemblée plénière s'avèrent primordiaux. C'est une étape fondamentale pour la protection des journalistes. La résolution a pu dévoiler les persécutions subies sur la base de motifs politiques par Julian Assange au Royaume-Uni. Il a été poursuivi pour son travail journalistique et ses révélations sur les crimes de guerre commis par les armées américaine et britannique en Irak ou en Afghanistan.
Son cas et le plaider-coupable nécessaire à sa libérationcréent un précédent très dangereux pour les rédacteurs, reporters, journalistes d'investigation, éditeurs dans le monde entier. Face à ce danger, le signal envoyé par le Conseil de l'Europe s'avère très important pour tous les États. Car il s'agit d'une institution qui incarne une forme de conscience et de vigie face aux dérives antidémocratiques des nations et aux attaques contre les droits de l'homme. Il s'agit de défendre le droit à la liberté d'expression, sans ingérence. C'est pour cette raison que Julian Assange a souhaité entreprendre ce voyage éprouvant vers l'Europe.
Depuis cette résolution adoptée le 2 octobre, les autorités britanniques ont-elles réagi ?
Stella Assange : Le gouvernement n'a rien fait. Il entend étouffer l'affaire, comme seul un coupable le ferait en faisant obstruction au rapport indépendant du Conseil de l'Europe. Son Assemblée parlementaire, dont le Royaume-Uni est membre, a réclamé que les autorités britanniques procèdent à un examen « en vue d'établir s'il (Assange) a été exposé à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, conformément à leurs obligations internationales ».
Aucune enquête n'a été lancée et aucune réaction n'a été exprimée. D'ailleurs, nous savons que le Crown Prosecution Service, qui est chargé des poursuites judiciaires, a fait disparaître des documents clés relatifs à l'emprisonnement de Julian, et a refusé de fournir des informations au tribunal, qui pourraient faire la lumière sur l'aspect politique de la persécution de Julian au Royaume-Uni.
Malgré le plaider-coupable qui a clos l'affaire judiciaire avec les États-Unis, Julian Assange est-il prêt à poursuivre la lutte pour éviter que d'autres affaires, d'autres cas se répètent afin de contraindre la liberté de la presse ?
Kristinn Hrafnsson : Oui, comme il l'a mentionné lui-même, Julian va continuer ce combat pour que cela ne se reproduise plus jamais. Le Conseil de l'Europe a été clair sur l'impact de cette procédure, qui « crée un effet dissuasif dangereux et un climat d'autocensure affectant tous les journalistes, éditeurs et autres personnes qui signalent des questions essentielles au fonctionnement d'une société démocratique ».
Aujourd'hui, nous devons encourager les législateurs et les organisations à s'unir et à faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais, par le biais de leurs processus législatifs, d'accords internationaux, etc. Nous savons tous qu'un précédent a été créé : Julian est le premier journaliste à être condamné sur la base de l'Espionage Act (loi sur l'espionnage). Il ne sera certainement pas le dernier, à moins qu'il n'y ait une forte réaction et une influence politique exercée sur les États-Unis pour dissocier l'Espionage Act de toute possibilité d'abus contre les journalistes.
Mais il faut également mettre en place des garanties dans les pays européens, car il y va de l'intérêt des journalistes du monde entier. Vous ne voulez pas que les journalistes européens risquent d'être extradés ou même appréhendés n'importe où dans le monde parce qu'ils ont enfreint une loi aux États-Unis pour avoir fait leur métier. Il faut neutraliser cette possibilité.
Le manque de protection de la presse vis-à-vis des États-Unis et de leur extraterritorialité est-il un danger suffisamment pris en compte par l'Europe ?
Stella Assange : Je pense qu'il est très important que la commission des Questions juridiques et des droits de l'homme ait produit ce rapport, parce qu'il crée non seulement une enquête indépendante sur ce qui s'est passé, mais aussi un consensus politique sur l'urgence avec laquelle les législateurs doivent examiner le danger que pose ce précédent. En fait, comme Julian l'a dit dans sa déclaration, s'il est libre, ce n'est pas parce que le système a fonctionné, mais parce qu'il n'a pas voulu sacrifier d'autres années de sa vie pour un système qui ne fonctionnait pas et qui n'allait pas lui permettre de retrouver la liberté.
C'est à cela qu'il faut s'attaquer : à la fois l'absence de garanties efficaces en cas de répression transnationale lorsqu'un État étranger abuse du système juridique pour harceler un journaliste en représailles de ce qu'il a publié, ainsi que le fait que l'espace européen n'est pas équipé pour protéger les journalistes victimes d'une répression transnationale. Et le cas de Julian, je pense, est le cas emblématique de la répression transnationale, parce que vous avez non seulement des outils juridiques, mais aussi une criminalité extralégale et étatique utilisée contre lui et documentée.
Et si nous en savons autant sur cette affaire, c'est grâce aux lanceurs d'alerte, parce qu'elle a été très médiatisée. Il y a donc beaucoup à en apprendre, mais il y a aussi d'autres cas, moins sous les feux des projecteurs, où des individus sont tout aussi vulnérables. Les ONG européennes, les hommes politiques, etc., doivent donc se réveiller et s'attaquer à ce problème. Le système européen prétend offrir un lieu sûr pour la publication, l'exposition de la vérité, etc. En réalité, son incapacité à mettre en œuvre les garanties qui étaient sur le papier a conduit à l'incarcération de Julian.
Est-ce que Julian Assange pourrait reprendre ses fonctions au sein de WiliLeaks ?
Kristinn Hrafnsson : Aujourd'hui, l'accent est mis sur son rétablissement, qui n'a commencé qu'il y a quelques semaines, et Julian a besoin de plus de temps. Il lui faut rassembler des informations sur le monde d'aujourd'hui. Cela fait quatorze ans qu'il est privé de liberté. Cela fait cinq ans qu'il n'est pas au courant de l'évolution du monde. Il pourra prendre position sur la direction à prendre après cela.
Bien sûr, cela prendra un peu de temps, mais je suppose que cela se fera sur la base des mêmes principes et des valeurs qui ont toujours motivé Julian, la justice et la rigueur journalistique. Oui, je pense que Julian a émergé dans un monde très différent et qu'il entame seulement son rétablissement, mais il y a beaucoup de travail à accomplir.
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À propos d’"escalade guerrière" : quand le mouvement ouvrier international livrait des armes... en Russie

Cela fait maintenant plus de deux ans, plus de 1 000 jours que le mouvement ouvrier ukrainien, les syndicats, les militant·es socialistes, anarchistes, féministes etc., tout en luttant contre les atteintes constantes au droit du travail et aux services publics par le Gouvernement néolibéral de Zelensky, ne cessent de réclamer de leurs camarades hors Ukraine un soutien armé pour se défendre contre l'agression Russe déclenchée le 24 février 2022.
Jusqu'à présent, à de rares exceptions près, les directions des partis ouvriers ou syndicales hors Ukraine, s'opposent à cette revendication ou l'ignorent et dans tous les cas refusent de simplement la relayer. Elles s'accordent en revanche pour lancer des appels à la paix, à des négociations, à un soutien humanitaire et à la fin de "l'escalade guerrière" en Ukraine.
Ce n'est bien évidemment pas la première fois que des travailleurs et travailleuses en lutte sollicitent un soutien armé, que cette demande suscite d'importantes controverses et une farouche opposition des pacifistes (convaincu·es ou campistes).
Il est même difficile ici de ne pas faire un rapprochement entre la posture pacifiste et charitable des directions ouvrières actuelles face à l'agression russe de février 2022 et la pusillanimité des dirigeants ouvriers britanniques qui pendant toute la guerre civile espagnole, de 1936 à 1938, vont obstinément s'opposer à un quelconque soutien armé aux républicains de peur de froisser les fascistes et... de l'escalade guerrière.
Ainsi, pendant que les dirigeants ouvriers britanniques vont organiser des collectes de dons pour fournir du lait aux enfants espagnols affamés, la classe ouvrière internationale va de son côté s'organiser pour apporter des armes, des munitions et des brigades de volontaires internationaux pour combattre les fascistes. Depuis, le mouvement ouvrier a oublié le Milk for Spain' programme et le nom des dirigeants britanniques charitables. En revanche, le soutien armé aux républicains espagnols et les volontaires internationaux du POUM, de la colonne Durruti ou des brigades internationales sont devenus des symboles de l'internationalisme, des mythes de la solidarité ouvrière internationale et de la lutte contre le fascisme.
Il est vrai que ce soutien humain et armé aux Républicains espagnols est un évènement exceptionnel dans l'histoire de l'internationalisme. Les cas où la classe ouvrière internationale s'est organisée pour soutenir et financer des livraisons d'armes ou envoyer des volontaires armés semblent relativement peu nombreux. Et jusqu'à la guerre civile espagnole, la solidarité armée internationale s'était davantage exprimée à travers des campagnes de boycotts ou des blocages de livraisons d'armes (comme par exemple la campagne de boycott des livraisons d'armes à la Hongrie d'Horty ou à la Pologne blanche en 1919, au Japon suite à l'invasion de la Mandchourie en 1932 ou à l'Italie lors de l'invasion de l'Éthiopie en 1935).
La guerre civile espagnole n'est toutefois pas le seul ni le premier exemple où le mouvement ouvrier international s'est organisé pour favoriser des livraisons d'armes à des camarades en lutte.
En ce sens on peut notamment rappeler que le 18 février 1905, alors que la Révolution Russe vient de débuter et qu'elle est déjà violemment réprimée, le Bureau socialiste international (BSI), le tout nouvel organe de coordination de la Seconde Internationale, lance un appel européen à l'ouverture de souscriptions en soutien des révolutionnaires Russes et Polonais. Le BSI centralise alors dans un « fonds Russe » les importantes sommes reçues d'un peu partout dans le monde mais surtout du puissant mouvement ouvrier allemand. Nicolas Delalande, qui a documenté cette action, souligne que c'est d'ailleurs « l'un des rares exemples de constitution d'un fonds de souscription par l'instance centrale du socialisme international ». C'est aussi l'un des tout premier exemples d'action coordonnée du mouvement ouvrier international, afin d'apporter un soutien armé à des camarades en luttes.
En effet, suite à cette souscription, le BSI reçoit « de nombreux appels » d'organisations membres appelant à favoriser l'armement des révolutionnaires russes. On sait ainsi que dès le mois d'avril 1905, des Arméniens ouvrent une souscription qui précise que l'argent collecté doit favoriser l'armement des révolutionnaires Russes. Le SPD allemand aurait également favorisé l'achat d'armes à destination de la Russie. En novembre 1905, une résolution de militants Russes exilés à San Francisco – signée par Jack London également – appelle à son tour le mouvement ouvrier à s'organiser pour fournir et favoriser les livraisons d'armes :
« [l]e prolétariat russe ne doit pas attendre un jour de plus les livres et les armes que les socialistes du monde entier peuvent lui donner. Nous sommes aux côtés du peuple russe dans sa lutte pour la liberté. La cause des travailleurs russes est aussi la nôtre ».
Ainsi, avec cette souscription la mission du BSI évolue. Jusqu'à présent l'action des instances internationales du socialisme, que ce soit la Première internationale et son Conseil général ou la Seconde internationale et son BSI, était principalement centrée sur la documentation, le réseautage et le soutien financier ponctuel en cas de grève. Désormais, « sans le reconnaître ouvertement », le BSI et son secrétaire Camille Huysmans en particulier, participent directement au soutien armé :
« La violence de la répression tsariste entraîne une diversification de l'aide et des secours. Il ne s'agit plus seulement de venir en aide pour apporter des subsistances et de quoi tenir pendant une grève, mais bien d'armer les partis politiques et les révolutionnaires, dans ce qui s'apparente à une véritable guerre civile », note ainsi N. Delalande.
Et ce soutien armé du BSI aux révolutionnaires Russes s'inscrit dans la durée alors qu'à la même époque, Camille Huysman développe une collaboration « franche et cordiale » avec le représentant Bolchevik du POSDR , Vladimir Illitch Lénine et d'autres bolcheviks. Ainsi, entre 1906 et 1907, Camille Huysmans aide également Maxime Litvinov, futur commissaire du peuple aux Affaires étrangères de Staline, « dans ses achats d'armes pour la révolution russe, ainsi que pour le transfert des sommes nécessaires aux organisations révolutionnaires en Russie » .
Le secrétaire du BSI aurait notamment récupéré les sommes obtenues suites aux très controversées « expropriations », c'est-à-dire suite aux braquages pratiqués par les bolcheviks au Caucase pour financer la révolution . M. Litvinov aurait notamment remis à C. Huysmans les sommes obtenues suite au braquage meurtrier de la banque de Tiflis du 13 juin 1907, auquel aurait participé, selon certaines sources, Staline (alors Koba). On soulignera que cette pratique de brigandage pour financer l'armement des révolutionnaires russes fut vivement critiquée et dénoncée. Ce braquage, très médiatisé à l'époque, a de fait lieu quelques jours à peine après que la très grande majorité des membres du Congrès des socialistes russes réunis à Londres, ait adopté une résolution dénonçant le recours aux pratiques de hold up et terroristes pour financer la révolution. Le braquage est ainsi réalisé contre l'avis de la majorité des socialistes et apparait rapidement comme étant contreproductif. Trotsky jugera ainsi que ce braquage « comporte une bonne part d'aventurisme », que « le butin de Tiflis n'apporte rien de bon » et que cette action a surtout contribué à diviser et à discréditer le mouvement ouvrier russe.
Quoiqu'il en soit, conclut Nicolas Delalande, la solidarité ouvrière et syndicale internationale prend en 1905, « une coloration paramilitaire ». Le mouvement ouvrier international se saisit alors de la question des armes, lance des souscriptions et centralise des fonds pour les financer, au nom de la lutte contre l'exploitation, contre le tsarisme et contre les Cents-Noirs antisémites. Et force est de constater qu'une telle orientation tranche avec la posture pacifiste de la grande majorité des directions actuelles du mouvement ouvrier.
De fait, à la fin du mois de novembre 2024, alors que les missiles et les drones russes pleuvent continuellement sur l'Ukraine, que la Russie fait désormais appel aux soldats Nords Coréens pour poursuivre son projet colonial, que V. Poutine menace la planète d'une guerre nucléaire si l'Ukraine n'accepte pas de céder son territoire, la plupart des parlementaires européens du Groupe The Left (La France Insoumise, Mouvement cinq étoiles, Die Linke, Parti du travail de Belgique etc.) et les dirigeants syndicaux internationaux refusent toujours de simplement relayer les appels à la solidarité armée des travailleurs et travailleuses ukrainien·nes, considérant que ce soutien à la résistance ukrainienne contribue à... l'escalade guerrière.
Bref, ceux et celles qui tentent de se défendre contre les néofascistes sont accusé·es de contribuer à la militarisation de la planète. Georges Orwell, qui lutta dans les rangs du POUM avant d'écrire 1984, aurait surement pu prendre cet exemple de novlangue.
Martin Gallié
Illustration : Peinture de Valentin Serov, "Soldats, héros, où est passée votre gloire ?", 1905

À propos d’escalades guerrières : quand le mouvement ouvrier international livrait des armes... en Russie

Cela fait maintenant plus de deux ans, plus de 1 000 jours que le mouvement ouvrier ukrainien, les syndicats, les militant·es socialistes, anarchistes, féministes etc., tout en luttant contre les atteintes constantes au droit du travail et aux services publics par le Gouvernement néolibéral de Zelensky, ne cessent de réclamer à leurs camarades hors Ukraine un soutien armé pour se défendre contre l'agression Russe déclenchée le 24 février 2022.
Jusqu'à présent, à de rares exceptions près, les directions des partis ouvriers ou syndicales hors Ukraine, s'opposent à cette revendication ou l'ignorent et dans tous les cas refusent de simplement la relayer. Elles s'accordent en revanche pour lancer des appels à la paix, à des négociations, à un soutien humanitaire et à la fin de "l'escalade guerrière" en Ukraine.
Ce n'est bien évidemment pas la première fois que des travailleurs et travailleuses en lutte sollicitent un soutien armé, que cette demande suscite d'importantes controverses et une farouche opposition des pacifistes (convaincu·es ou campistes).
Il est même difficile ici de ne pas faire un rapprochement entre la posture pacifiste et charitable des directions ouvrières actuelles face à l'agression russe de février 2022 et la pusillanimité des dirigeants ouvriers britanniques qui pendant toute la guerre civile espagnole, de 1936 à 1938, vont obstinément s'opposer à un quelconque soutien armé aux républicains de peur de froisser les fascistes et... de l'escalade guerrière.
Ainsi, pendant que les dirigeants ouvriers britanniques vont organiser des collectes de dons pour fournir du lait aux enfants espagnols affamés, la classe ouvrière internationale va de son côté s'organiser pour apporter des armes, des munitions et des brigades de volontaires internationaux pour combattre les fascistes. Depuis, le mouvement ouvrier a oublié le Milk for Spain' programme et le nom des dirigeants britanniques charitables. En revanche, le soutien armé aux républicains espagnols et les volontaires internationaux du POUM, de la colonne Durruti ou des brigades internationales sont devenus des symboles de l'internationalisme, des mythes de la solidarité ouvrière internationale et de la lutte contre le fascisme.
Il est vrai que ce soutien humain et armé aux Républicains espagnols est un évènement exceptionnel dans l'histoire de l'internationalisme. Les cas où la classe ouvrière internationale s'est organisée pour soutenir et financer des livraisons d'armes ou envoyer des volontaires armés semblent relativement peu nombreux. Et jusqu'à la guerre civile espagnole, la solidarité armée internationale s'était davantage exprimée à travers des campagnes de boycotts ou des blocages de livraisons d'armes (comme par exemple la campagne de boycott des livraisons d'armes à la Hongrie d'Horty ou à la Pologne blanche en 1919, au Japon suite à l'invasion de la Mandchourie en 1932 ou à l'Italie lors de l'invasion de l'Éthiopie en 1935).
La guerre civile espagnole n'est toutefois pas le seul ni le premier exemple où le mouvement ouvrier international s'est organisé pour favoriser des livraisons d'armes à des camarades en lutte.
En ce sens on peut notamment rappeler que le 18 février 1905, alors que la Révolution Russe vient de débuter et qu'elle est déjà violemment réprimée, le Bureau socialiste international (BSI), le tout nouvel organe de coordination de la Seconde Internationale, lance un appel européen à l'ouverture de souscriptions en soutien des révolutionnaires Russes et Polonais. Le BSI centralise alors dans un « fonds Russe » les importantes sommes reçues d'un peu partout dans le monde mais surtout du puissant mouvement ouvrier allemand. Nicolas Delalande, qui a documenté cette action, souligne que c'est d'ailleurs « l'un des rares exemples de constitution d'un fonds de souscription par l'instance centrale du socialisme international ». C'est aussi l'un des tout premier exemples d'action coordonnée du mouvement ouvrier international, afin d'apporter un soutien armé à des camarades en luttes.
En effet, suite à cette souscription, le BSI reçoit « de nombreux appels » d'organisations membres appelant à favoriser l'armement des révolutionnaires russes. On sait ainsi que dès le mois d'avril 1905, des Arméniens ouvrent une souscription qui précise que l'argent collecté doit favoriser l'armement des révolutionnaires Russes. Le SPD allemand aurait également favorisé l'achat d'armes à destination de la Russie. En novembre 1905, une résolution de militants Russes exilés à San Francisco – signée par Jack London également – appelle à son tour le mouvement ouvrier à s'organiser pour fournir et favoriser les livraisons d'armes :
« [l]e prolétariat russe ne doit pas attendre un jour de plus les livres et les armes que les socialistes du monde entier peuvent lui donner. Nous sommes aux côtés du peuple russe dans sa lutte pour la liberté. La cause des travailleurs russes est aussi la nôtre ».
Ainsi, avec cette souscription la mission du BSI évolue. Jusqu'à présent l'action des instances internationales du socialisme, que ce soit la Première internationale et son Conseil général ou la Seconde internationale et son BSI, était principalement centrée sur la documentation, le réseautage et le soutien financier ponctuel en cas de grève. Désormais, « sans le reconnaître ouvertement », le BSI et son secrétaire Camille Huysmans en particulier, participent directement au soutien armé :
« La violence de la répression tsariste entraîne une diversification de l'aide et des secours. Il ne s'agit plus seulement de venir en aide pour apporter des subsistances et de quoi tenir pendant une grève, mais bien d'armer les partis politiques et les révolutionnaires, dans ce qui s'apparente à une véritable guerre civile », note ainsi N. Delalande.
Et ce soutien armé du BSI aux révolutionnaires Russes s'inscrit dans la durée alors qu'à la même époque, Camille Huysman développe une collaboration « franche et cordiale » avec le représentant Bolchevik du POSDR , Vladimir Illitch Lénine et d'autres bolcheviks. Ainsi, entre 1906 et 1907, Camille Huysmans aide également Maxime Litvinov, futur commissaire du peuple aux Affaires étrangères de Staline, « dans ses achats d'armes pour la révolution russe, ainsi que pour le transfert des sommes nécessaires aux organisations révolutionnaires en Russie » .
Le secrétaire du BSI aurait notamment récupéré les sommes obtenues suites aux très controversées « expropriations », c'est-à-dire suite aux braquages pratiqués par les bolcheviks au Caucase pour financer la révolution . M. Litvinov aurait notamment remis à C. Huysmans les sommes obtenues suite au braquage meurtrier de la banque de Tiflis du 13 juin 1907, auquel aurait participé, selon certaines sources, Staline (alors Koba). On soulignera que cette pratique de brigandage pour financer l'armement des révolutionnaires russes fut vivement critiquée et dénoncée. Ce braquage, très médiatisé à l'époque, a de fait lieu quelques jours à peine après que la très grande majorité des membres du Congrès des socialistes russes réunis à Londres, ait adopté une résolution dénonçant le recours aux pratiques de hold up et terroristes pour financer la révolution. Le braquage est ainsi réalisé contre l'avis de la majorité des socialistes et apparait rapidement comme étant contreproductif. Trotsky jugera ainsi que ce braquage « comporte une bonne part d'aventurisme », que « le butin de Tiflis n'apporte rien de bon » et que cette action a surtout contribué à diviser et à discréditer le mouvement ouvrier russe.
Quoiqu'il en soit, conclut Nicolas Delalande, la solidarité ouvrière et syndicale internationale prend en 1905, « une coloration paramilitaire ». Le mouvement ouvrier international se saisit alors de la question des armes, lance des souscriptions et centralise des fonds pour les financer, au nom de la lutte contre l'exploitation, contre le tsarisme et contre les Cents-Noirs antisémites. Et force est de constater qu'une telle orientation tranche avec la posture pacifiste de la grande majorité des directions actuelles du mouvement ouvrier.
De fait, à la fin du mois de novembre 2024, alors que les missiles et les drones russes pleuvent continuellement sur l'Ukraine, que la Russie fait désormais appel aux soldats Nords Coréens pour poursuivre son projet colonial, que V. Poutine menace la planète d'une guerre nucléaire si l'Ukraine n'accepte pas de céder son territoire, la plupart des parlementaires européens du Groupe The Left (La France Insoumise, Mouvement cinq étoiles, Die Linke, Parti du travail de Belgique etc.) et les dirigeants syndicaux internationaux refusent toujours de simplement relayer les appels à la solidarité armée des travailleurs et travailleuses ukrainien·nes, considérant que ce soutien à la résistance ukrainienne contribue à... l'escalade guerrière.
Bref, aujourd'hui, ceux et celles qui tentent de se défendre contre une invasion coloniale et de lutter contre des néofascistes sont accusé·es de contribuer à la militarisation de la planète et de participer de l'escalade guerrière. Georges Orwell, qui prit les armes au côté des militant·es du POUM avant d'écrire 1984, aurait surement pu prendre cet exemple de novlangue.
Martin Gallié
Illustration : Peinture de Valentin Serov, "Soldats, héros, où est passée votre gloire ?", 1905
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« Trump et Musk nous mènent vers un monde glacial, dominé par l’IA »

Donald Trump et Elon Musk prônent un antihumanisme décomplexé, géré par l'intelligence artificielle et « vidé de ses corps », explique le philosophe Éric Sadin. Une idéologie déjà à l'œuvre en France.
Tiré de Reporterre
28 novembre 2024
Par Scandola Graziani
Éric Sadin est philosophe spécialiste de la critique du numérique et son monde. Ses nombreux ouvrages, dont La Siliconisation du monde (2016), L'Ère de l'individu Tyran (2020) ou La Vie spectrale (2023), abordent les conséquences de l'avènement des nouvelles technologies, notamment de l'intelligence artificielle (IA), sur l'organisation de nos sociétés.
Reporterre — Le milliardaire Elon Musk a été nommé par Donald Trump au ministère de « l'efficacité gouvernementale ». Que cela révèle-t-il ?
Éric Sadin — Elon Musk incarne le mythe de l'entrepreneur visionnaire qui a tout saisi de la vérité de l'époque. Sa figure fait penser à celle de John Galt, le héros de La Grève, le fameux roman d'Ayn Rand publié en 1957, devenu depuis la référence majeure du courant libertarien. John Galt est un ingénieur, caractérisé par sa puissance inventive, qui décide d'organiser une fronde de grands entrepreneurs contre l'inertie de l'État. Ensemble, ils brandissent la menace de cesser leur activité, affirmant que le pays finira alors exsangue. C'est exactement ce à quoi nous avons affaire avec Elon Musk : l'image d'un génie semblant dorénavant indispensable à la bonne santé économique de la nation. Donald Trump a récemment déclaré à son propos : « C'est un super génie, il faut qu'on les protège, nous n'en avons pas tant que ça. »
Quelle est l'idéologie derrière cette figure de « l'entrepreneur visionnaire » ?
Cette idéologie, à l'œuvre depuis une trentaine d'années dans la Silicon Valley, est fondée sur le postulat que Dieu n'a pas parachevé la création. Le monde est truffé de défauts et l'humain étant fondamentalement imparfait, il en est le premier vecteur. Toutefois, un miracle a lieu désormais : les technologies dites de « l'exponentiel », qui sont vouées à racheter toutes nos insuffisances. C'est là que l'intelligence artificielle donne corps à ce projet, en réalisant de façon infiniment plus rapide, prétendument plus fiable et à moindre coût, un nombre sans cesse extensif de tâches.
L'humain étant alors appelé à être évacué des affaires qui le regardent, pour n'être plus réduit qu'à une cible continuellement marchande, assaillie par des offres automatisées et hyperpersonnalisées. Voit-on l'antihumanisme radical à l'œuvre ? Celui cherchant à instaurer une société hygiéniste, délivrée de tout défaut, et une marchandisation intégrale de la vie.
Comment cette idéologie prônée par Elon Musk et la Silicon Valley trouve-t-elle un écho auprès de Donald Trump ?
Trump et Musk se rejoignent dans une sorte d'iconoclasme radical et décomplexé. Leur point commun est le refus des intermédiaires, des instances centrales, supposés être des facteurs d'inertie. C'est pour cela que Musk a vite été un adepte des cryptomonnaies, ambitionnant de se débarrasser de tous les maillons de régulation de la valeur. Du côté de Trump, les intermédiaires, ce sont l'État fédéral, Washington, les institutions, le prétendu « État profond », et les élites qu'il entend renverser, au profit d'un lien plus direct avec les Américains. C'est aussi le fantasme d'une parfaite transparence.
« Un monde glacial, vidé de ses corps »
On parle de possibles conflits d'intérêts, des contrats publics d'Elon Musk, de sa cotation en bourse qui a grimpé depuis l'élection de Trump… Ce n'est pas le plus important. Ce qui compte, c'est qu'ils trouvent dans cette alliance la certitude que leur vision du monde va s'appliquer sans aucune limite.
Concrètement, que compte faire Elon Musk à ce poste de « l'efficacité gouvernementale » ?
Je donnerais un autre nom à ce poste : celui de « l'automatisation des affaires publiques ». Il existe aujourd'hui des systèmes d'intelligence artificielle capables de gérer quantité de dossiers administratifs et publics, à un point que l'on n'aurait plus besoin d'autant d'humains dans ces domaines. Elon Musk risque d'y aller à la hache. Et celle-ci va s'appuyer sur un levier principal : l'automatisation par l'IA. Des systèmes se substitueront à l'humain.
Le paradoxe, c'est qu'en voulant éradiquer la bureaucratie, on en arrive à des effets d'hyper bureaucratie, semblables aux récits kafkaïens, où personne ne sait où se trouvent les interlocuteurs. On s'imagine que l'IA va fluidifier les choses, en réalité c'est l'opposé ! Ce sera le règne de la « technocratie algorithmique ». Un monde glacial, vidé de ses corps.
Dans un entretien accordé au Mondeen 2020, vous déclariez : « Il est probable qu'un fascisme d'un nouveau genre émerge dans les années post-coronavirus. » Sommes-nous arrivés à cela ?
Les dictateurs entendent asseoir leur pouvoir en muselant et en contrôlant les populations. Ici, il ne s'agit pas de cela. Ce n'est pas « big brother » ou le « crédit social » chinois. En revanche, ce qui vient, c'est le bannissement de l'humain des affaires qui le regardent. C'est ce que j'avais appelé dans La Silicolonisation du monde le « soft-totalitarisme numérique », à savoir que les algorithmes prévalent sur l'humain dans l'organisation de la société. C'est la fin du politique.
D'ailleurs, en encourageant l'automatisation des affaires humaines, le monde politique scie la branche sur laquelle il est assis ! Les États-Unis sont avant-coureurs d'une situation appelée, à terme, à devenir globale.
Où en est-on en France ?
Cette automatisation est en vigueur depuis une dizaine d'années en France. Le fait que le ministre de la Fonction publique Guillaume Kasbarian ait salué la nomination d'Elon Musk n'est pas anodin. Le projet porté par Emmanuel Macron est exactement le même que celui de Musk et Trump, mais à la française, c'est-à-dire un cran en dessous. Il a twitté pour se réjouir de l'installation d'un bureau à Paris du géant de l'IA générative, OpenAI.
Macron est un adepte du technopositivisme, qui a pour ennemi l'inertie, et doit conduire vers un monde conçu comme une horloge parfaitement réglée. Lui aussi honnit les corps intermédiaires, qui empêchent supposément la rapidité et l'efficacité de l'action…
« Il suffit d'ouvrir le capot de ses Tesla pour voir que c'est de l'esbroufe totale »
Cette idéologie est déjà à l'œuvre dans la plupart des démocraties libérales, avec le distinguo qu'elle n'est pas encore radicale. Avec Trump et Musk, ce projet prendra forme de façon totalement décomplexée.
Quels effets cela aura-t-il sur l'environnement ?
Les technologies numériques, plus encore l'intelligence artificielle et les IA génératives, entraînent de gigantesques conséquences énergétiques. Le besoin en électricité est tel qu'Amazon et autres Big Tech entendent alimenter leurs serveurs avec de petits réacteurs nucléaires. Il y a une forme de dissonance cognitive troublante d'un côté, avec la question écologique de plus en plus présente et, de l'autre, l'usage sans cesse extensif par des milliards d'individus de systèmes numériques.
Elon Musk est-il aussi dans cette dissonance cognitive ?
Oui, comme tous les gourous du numérique. Prenez sa voiture électrique prétendument vertueuse pour le climat. Il suffit d'ouvrir le capot de ses Tesla pour voir que c'est de l'esbroufe totale ! En réalité, ses véhicules sont aux antipodes de l'écologie. Ils vont encourager les transports, et le recyclage des batteries n'est pas encore possible. Un pragmatisme écologique consisterait tout simplement à ne concevoir ni voiture ni fusée, mais d'œuvrer à d'autres formes d'organisation — réellement vertueuses et écologiques — en commun.
« Allons interroger les salariés dans les entrepôts d'Amazon »
Il y a quelques années, les grands patrons de la Silicon Valley se disaient préoccupés par la question climatique, et soutenaient plutôt le camp démocrate…
Nous sommes naïfs. Nous accordons beaucoup trop d'attention à ce que disent ces personnes. Regardez la place qu'ils ont dans la presse, ces entrepreneurs et ingénieurs du numérique : elle est outrageusement importante ! Ce ne sont pas leurs discours qu'il faut écouter, il faut observer les conséquences de leurs systèmes. Ce n'est pas eux qu'on devrait interroger dans les médias : mais ceux qui subissent les conséquences de ce qu'ils font.
Allons interroger les salariés dans les entrepôts d'Amazon, là où des systèmes d'IA instaurent des modes managériaux indignes, réduisant des humains à des robots de chair et de sang. Allons interroger les professeurs dans les écoles publiques qui subissent de plein fouet les effets de la numérisation à marche forcée. Allons voir dans l'hôpital public l'implantation des systèmes d'IA qui coûtent une fortune et ne servent à rien, alors qu'on s'est rendu compte pendant le Covid que ce n'était pas d'IA dont on avait besoin, mais de personnel et de matériel élémentaire, de respirateurs, etc. En faisant cela, nous aurions une tout autre compréhension des phénomènes, et la société serait davantage transparente à elle-même.
Aujourd'hui, le discours d'Elon Musk flirte avec le climatoscepticisme. Comment expliquer ce revirement ?
Selon lui, ceux qui travaillent sur les questions environnementales se perdent dans des négociations sans fin, pour déboucher sur des projets d'accord, tels ceux de la COP, qui ne feraient rien avancer. Tout ceci peut donner l'impression d'être laborieux et surtout élitiste. Pour Musk, c'est une manne ! Ça lui permet de dire : « Nous, on va faire de la véritable écologie. Des systèmes vont résoudre la crise climatique. » Autrement dit, la solution viendra de la technologie : fini les discussions, la contradiction, la pluralité de points de vue, tout cela n'étant que de la perte de temps et des dépenses inutiles.
Quelles alternatives à la vision d'Elon Musk pouvons-nous proposer ?
La solution, c'est d'être partie prenante des affaires qui nous regardent. C'est un projet de société : que tout le monde ait la chance de pouvoir vivre d'autres modalités d'existence plus vertueuses, s'il le souhaite. Avec des relations entre les êtres plus équitables, et l'usage de matériaux qui ne bafouent pas la biosphère.
Nous devrions pouvoir expérimenter des modes d'organisation — via la mise en place de collectifs — dans le soin, l'éducation, l'artisanat, l'architecture… Pour l'instant, ces expériences sont marginales, presque héroïques. Il faudrait que la puissance publique soutienne ces projets, qu'ils puissent essaimer ! C'est ce que j'appelle le « printemps des collectifs ».
Je ne vois pas d'autre solution que de défendre le vivant. Celui des éléments, mais aussi celui qui est en nous et qui ne demande qu'à s'épanouir. Appelons cela un puissant et joyeux désir de vie ; contre la pulsion de mort qui, aujourd'hui, semble être devenue notre monnaie bien trop courante.
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Brésil : le MST sur le harcèlement dans les mouvements #25Nov24

Dans ce court texte, je voudrais apporter quelques notes sur le harcèlement, en particulier dans les lieux de militantisme politique.
J'écris en étant consciente de ceux qui liront ces lignes : les femmes activistes dans un mouvement social consolidé. Je n'ai pas l'intention d'épuiser le débat ici, ne serait-ce qu'en raison de l'espace limité qui m'est imparti. Je comprends la sensibilité du sujet, ainsi que son potentiel de controverse. Alors, allons-y ! Sans prétention…
Les données les plus diverses montrent que le harcèlement, sous toutes ses formes, est un phénomène basé sur des relations de pouvoir et qui réaffirme les inégalités de genre dans les divers domaines sociaux. Dans une relation où il y a harcèlement, le fondement est la croyance que l'autre personne se trouve dans une situation hiérarchiquement inférieure à celle de l'agresseur.
Ainsi, la conduite définit des types de harcèlement : si c'est sexuel, il s'agit du délit (Code pénal, art. 216-A), « humilier quelqu'un dans le but d'obtenir un avantage ou une faveur sexuelle » ; si c'est moral, il s'agit d'une conduite abusive et intentionnelle visant à nuire à la dignité, à l'intégrité physique ou psychologique d'une personne. Le harcèlement sexuel est un comportement qui porte atteinte à la liberté et à la dignité sexuelle des individus ; c'est-à-dire des baisers volés, des attouchements, des caresses, des léchages, toucher des parties intimes, éjaculer et/ou se masturber devant des personnes sans consentement – cela peut entraîner une peine de prison allant de un à cinq ans.
Le harcèlement se produit le plus souvent contre les femmes, car il est une action résultant de l'incidence sociale des relations patriarcales. Ou pour citer une intellectuelle bien connue de beaucoup d'entre nous, Heleieth Saffioti : là où l'accès au corps d'une femme fait partie du « contrat sexuel » qui configure les relations de genre inégales (Gender Patriarchy Violence – Saffioti, 2015). Il existe des rôles sociaux qui ont été construits pour les femmes dans le contrat social sous-jacent aux sociétés capitalistes modernes. Et dans ces rôles, les femmes sont des corps « disponibles » pour les hommes pour le travail domestique, les soins et la soumission sexuelle.
C'est dans ce contexte plus sociologique et politique que le harcèlement se « justifie » dans le monde du travail, un lieu construit pour les masculinités, pour les hommes occupant des positions de pouvoir. Cependant, pas seulement. Que dire du harcèlement dans les organisations politiques et les mouvements sociaux ? Ou même lorsqu'il s'agit de femmes occupant des postes de direction, à l'égal des autres hommes ?
Les femmes militantes doivent surmonter des obstacles dans leurs organisations politiques, tout comme dans tout autre domaine social. Mais, qui parmi nous n'a jamais dû quitter une réunion plus tôt parce que notre enfant avait besoin de soins ? Les conversations informelles, en dehors des forums « officiels », courantes en politique, tiennent-elles compte de ce qui est sécuritaire pour les femmes ? Combien de jeunes femmes ont été interrogées sur leurs activités politiques ou leurs relations affectives ? Si nous abordons des sujets sociaux, n'est-il pas à prévoir que des cas de harcèlement se produisent également dans nos espaces politiques ? Malheureusement, oui.
Cependant, il existe un sentiment de légitimation du harcèlement comme une situation banale. Les femmes militantes se voient souvent obligées de « s'en sortir », de ne pas soulever la question pour ne pas se rendre vulnérables aux conflits politiques, ou même pour ne pas exposer l'organisation politique et les organes de gouvernance dont elles font partie. Il y a une forme de honte à partager l'inconfort et même un certain retard dans la compréhension de la frontière – qui n'est pas mince – entre la « blague » et la situation de harcèlement.
Il est difficile de concevoir que les corps des femmes ne puissent pas être respectés dans des espaces où la confiance politique est placée. Et la manière voilée et individualisée dont cela se manifeste contribue à cette « légitimation » d'une situation « superflue », sans importance. Cependant, lorsque nous nous connectons à la réflexion sur les inégalités de genre, il devient évident que le harcèlement est une forme de violence qui, étant si courante, devrait recevoir davantage d'attention.
Lorsque nous analysons les espaces de militantisme politique, nous prenons en compte la préservation de la camaraderie. C'est dans cet espace que l'observation devient la plus difficile, car ne pas reconnaître le harcèlement comme une pratique violente conduit à un manque de prise en compte. Ce manque d'enregistrement complique la compréhension. L'absence de connaissance rend plus difficile la mise en place de mesures de lutte adéquates. Et même s'il existe une relation professionnelle, on ne s'attend pas à ce que les espaces qui cultivent des valeurs visant l'émancipation humaine causent la moindre forme de violence envers quiconque.
Le harcèlement interfère directement avec le pouvoir militant des femmes, en restreignant leur performance corporelle et psychologique. La notion de solidarité mutuelle qui nous pousse à avancer et à lutter pour une cause quelconque se brise lorsque le corps et l'identité féminine ne sont pas respectés dans leurs spécificités. Allons-y étape par étape, mais jamais entièrement.
Dans le cas des femmes noires, cela est encore plus sensible, car la race se croise, c'est-à-dire qu'elle interagit et se superpose à d'autres facteurs sociaux. La définition du rôle de la femme noire se situe encore plus bas dans l'échelle de valorisation de ce qui est considéré comme digne dans la société. Je prends l'exemple des femmes noires victimes de violences, parfois par des femmes blanches, en raison des rôles encore plus subordonnés qui leur ont été historiquement attribués. Ou même le corps sexualisé dans les réflexions issues de la culture esclavagiste et des souvenirs de corps violés auparavant par les maîtres et les propriétaires terriens.
Ce qui nous intéresse ici, c'est la déconstruction nécessaire et permanente de l'accès au corps des femmes comme étant quelque chose de public. Cela parle aussi de changements culturels dans la compréhension de ce que signifie être une femme dans la société, sous les dimensions du genre, de la race et même de la sexualité. Évidemment, le harcèlement n'est pas un viol. Mais la violence, aussi « douce » soit-elle, reste de la violence. Et si l'objectif est de surmonter les relations de domination, cela s'applique également aux espaces où nous exerçons la politique.
Les relations de camaraderie au sein d'une organisation politique doivent normaliser des attitudes, des actes et des comportements qui reflètent ce que l'on cherche à obtenir à travers un projet politique. Un projet politique émancipateur nécessite, à son tour, des hommes et des femmes solidaires, dans des relations de pleine égalité. Maintenir des relations et des organisations politiques en taisant la violence, y compris le harcèlement, c'est maintenir des structures ancrées dans la durabilité de cette même violence. Mais « laisser faire » a des conséquences : cela se traduit par la disparition de la militance féminine, le changement de direction, de perspectives politiques, et le affaiblissement de tout projet politique émancipateur.
Lutter contre le harcèlement, chers amis, est une tâche qui demande de la résistance et une posture militante. C'est une tâche politique collective. Une organisation politique qui cherche réellement à émanciper les sujets ne peut être un espace pour la répétition de la violence, quelle qu'elle soit. Car la violence, lorsqu'elle est normalisée, a le pouvoir de détruire les rêves, les passions, ce qui pousse les gens à s'engager.
La recherche d'espaces de confiance entre femmes permet ce qui est souvent perçu comme un élan. D'autre part, il est essentiel de sensibiliser au sein de l'organisation politique à une éducation militante dans laquelle l'égalité des genres est une construction constante ; où hommes et femmes comprennent et apprennent des attitudes, des actes et des comportements qui doivent être reflétés pour être perçus et rejetés simplement parce qu'ils sont des violences.
Quels sont les mécanismes d'action pour lutter contre le harcèlement ? Il me semble que la première tâche est de reconnaître que c'est de la violence. Accueillir avec attention et sérieux. Comprendre les effets des harcèlements les plus variés sur l'action politique des femmes à partir du recueil des témoignages. Après tout, il faut savoir trouver des solutions et ne pas permettre que d'autres femmes perdent la lutte parce que nous n'avons pas réussi à établir des espaces sûrs pour agir en toute confiance.
Peut-être qu'il n'est même pas nécessaire de réinventer la roue : mais plutôt de promouvoir le débat collectif et public au quotidien. Enlever le harcèlement de ce voile qui le couvre et qui manifeste des conditions insalubres qui ne contribuent pas à la lutte politique. En fait, cela nous freine simplement en tant qu'êtres humains.
Notes
[1] Je remercie les commentaires bienveillants de Liu Durães (BA), Laryssa Sampaio (CE) et Lucineia Freitas (MT) pour la formulation de ce texte.
[2] L'utilisation répétée du mot « violence » est intentionnelle.
Mayrá Lima
Depuis la page du MST
Mayrá Lima est politologue / Secteur de communication du MST / Brigade Adão Pretto
Édité par Fernanda Alcántara
Cette publication est également disponible en Español.
https://viacampesina.org/fr/bresil-le-mst-sur-le-harcelement-dans-les-mouvements-25nov24/
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Les travailleurs et travailleuses d’Amazon vont se mobiliser le jour du Black Friday, dans 20 pays

Des milliers de travailleurs et travailleuses d'Amazon devraient manifester ou faire grève dans plus de 20 pays à l'occasion du « Black Friday », ce vendredi 29 novembre, afin d'inciter la firme états-unienne à mieux respecter leurs droits et à prendre des mesures en faveur du climat.
25 novembre 2024 A\ tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/les-travailleurs-et-travailleuses-damazon-vont-se-mobiliser-le-jour-du-black-friday-dans-20-pays.html
Des salarié·e·s et des représentants de syndicats et de groupes de travailleurs ont l'intention de se joindre aux manifestations contre les pratiques de l'entreprise basée à Seattle entre le Black Friday et le Ciber Monday (2 décembre – journée créée par les entreprises pour encourager les achats en ligne), l'un des plus grands week-ends d'achats de l'année.
Au cours de cette période annuelle de rabais, Amazon et de nombreux autres enseignent proposent des offres aux acheteurs, et le personnel des entrepôts est occupé à exécuter les commandes.
Des actions sont prévues dans les grandes villes des Etats-Unis, d'Allemagne, du Royaume-Uni, de Turquie, du Canada, d'Inde, du Japon, du Brésil et d'autres pays. Elles sont coordonnées par la campagne « Make Amazon Pay », qui demande à Amazon, fondée par Jeff Bezos – un des hommes les plus riches du monde avec une fortune de quelque 214 milliards de dollars –, de rémunérer équitablement ses salarié·e·s et de respecter leur droit de se syndiquer, de payer sa juste part d'impôts et de s'engager en faveur d'un environnement durable.
Sous l'égide de l'UNI Global Union pour les industries de services, basée en Suisse [siège à Nyon, canton de Vaud], et du groupe militant Progressive International, la campagne « Make Amazon Pay » regroupe plus de 80 syndicats, d'associations de lutte contre la pauvreté et de défense des droits des travailleurs et travailleuses du secteur de l'habillement, etc.
Des manifestations sont prévues devant le siège d'Amazon au Royaume-Uni, à Bishopsgate, rue de Londres, le jour du Black Friday. Des militant·e·s britanniques pour la justice fiscale et d'autres groupes remettront à l'entreprise une pétition portant plus de 110 000 signatures, suivie d'une marche jusqu'au 11 Downing Street [résidence de la chancelière de l'Echiquier Rachel Reeves]. Les pétitionnaires demandent à la chancelière de mettre fin aux avantages fiscaux accordés à Amazon UK et à d'autres grandes entreprises.
L'année dernière, la principale division britannique d'Amazon a payé l'impôt sur les sociétés pour la première fois depuis 2020, après la fin d'une « super-déduction » introduite par l'ancien premier ministre conservateur Rishi Sunak.
Le syndicat britannique GMB [qui réunit 560'000 membres présents dans tous les secteurs, entre autres dans la vente de détail] prévoit d'organiser un rassemblement en ligne des travailleurs d'Amazon à l'occasion du « Black Friday ». L'année dernière, des centaines de grévistes devant l'entrepôt d'Amazon à Coventry ont été rejoints le jour du Black Friday par des syndicalistes d'Allemagne, d'Italie et de Californie dans le cadre d'une campagne internationale réclamant de meilleures conditions de travail et la reconnaissance des syndicats.
Amanda Gearing, responsable de l'organisation chez GMB, a déclaré : « Ici, au Royaume-Uni, Amazon représente tout ce qui est cassé dans notre économie. Travail précaire, salaires de misère et conditions de travail souvent dangereuses : le GMB ne laissera pas ces pratiques façonner le monde du travail pour la prochaine décennie. »
En Allemagne, des milliers de membres du syndicat Ver.di feront grève dans les entrepôts de Dortmund, Leipzig, Coblence, Graben, Werne, Bad Hersfeld et Rheinberg.
En France, l'Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne (ATTAC), qui promeut la justice fiscale, organisera des manifestations dans plusieurs villes. C'est la cinquième année des manifestations « Make Amazon Pay ».
« La recherche acharnée du profit par Amazon se fait au détriment des travailleurs et travailleuses, de l'environnement et de la démocratie », a déclaré Christy Hoffman, secrétaire générale d'UNI Global Union.
« La firme de Bezos a dépensé d'innombrables millions pour empêcher les travailleurs et travailleuses de s'organiser, mais les grèves et les manifestations qui se déroulent dans le monde entier montrent que leur désir de justice – pour une représentation syndicale – ne peut pas être arrêté. Nous sommes unis pour exiger qu'Amazon traite ses travailleurs et travailleuses équitablement, respecte les droits fondamentaux et cesse de saper les systèmes censés nous protéger tous. »
Un porte-parole d'Amazon a déclaré : « Ces groupes représentent des intérêts divers et, bien que nous soyons toujours à l'écoute et que nous cherchions des moyens de nous améliorer, nous restons fiers des salaires compétitifs, des prestations sociales étendus et de l'expérience de travail stimulante et sûre que nous offrons à nos équipes. »
Amazon affirme être le plus grand acheteur d'énergie renouvelable au monde et que, l'année dernière, toute son électricité a été produite à partir de sources d'énergie renouvelables. L'entreprise affirme que son salaire de départ au Royaume-Uni est d'au moins 28 000 livres sterling [33'544 euros] par an pour des postes de quatre jours par semaine.
Le groupe de campagne « Amazon Employees for Climate Justice » affirme que l'entreprise n'a pas d'objectifs intermédiaires pour atteindre son objectif d'émissions nettes nulles d'ici 2040, et que ses émissions annuelles de carbone ont augmenté de 34,5% depuis 2019.
Dans l'entrepôt d'Amazon à Coventry, les travailleurs ont voté de justesse contre la reconnaissance syndicale en juillet, mais le Trade Union Congress (TUC) a insisté sur le fait que la bataille pour la reconnaissance syndicale se poursuivrait. (Article publié par The Guardian du 25 novembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
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« Intégrer l’ethnicité à la démocratie politique »

La notion d'ethnie, au croisement de filiations culturelles, de pouvoir et de sang, devrait être davantage intégrée dans une analyse marxiste, notamment pour ce que les liens ethniques impliquent comme choix spontanés pour les populations et comme nécessités démocratiques.
Lorsque l'on parle de l'Afrique, on évoque souvent la notion d'ethnie, tant dans les journaux généralistes que parmi les chercheurs/ses en sciences sociales. Comment peut-on définir ce concept ?
26 novembre 2024 par Michel Cahen
Une peinture ancienne de la première migration des Fengu, l'un des peuples affectés par le Mfecane, au 18e siècle. Domaine public.
Lorsque l'on parle de l'Afrique, on évoque souvent la notion d'ethnie, tant dans les journaux généralistes que parmi les chercheurs/ses en sciences sociales. Comment peut-on définir ce concept ?
En France dans les années 1930, on a commencé à employer le mot ethnie comme un cache-sexe du mot race. Mais ce mot lui-même n'avait pas tout à fait le même sens que celui auquel il est réduit aujourd'hui. Par exemple, Ernest Renan, le grand théoricien de la nation française du 19e siècle, qui a écrit Qu'est-ce qu'une nation ?, parle très couramment de « race française ». Cela signifie communauté, ou nation, mais avec l'idée que la culture est dans le sang. C'est une espèce d'essentialisme. L'Internationale communiste parlait de « nègre », ce qu'on ne fait plus aujourd'hui.
Dans les années 1930, on a commencé à utiliser le mot ethnie de façon aussi essentialiste. En France, dans les sciences sociales, les deux moments fondateurs de la discussion plus moderne du mot et du concept d'ethnie sont, d'abord, le livre de Jean-Loup Amselle et d'Elikia M'Bokolo Au cœur de l'ethnie, publié pour la première fois en 1985, et puis quelques années plus tard le livre de Jean-Pierre Chrétien et Gérard Prunier Les ethnies ont une histoire, publié en 1989. La thèse est que l'ethnie n'est pas simplement une manipulation des colonisateurs, que les Africain·es n'ont pas attendu les Européens pour ressentir des identités – qu'on peut appeler ethnie ou nation – qui sont des constructions sociales et par conséquent fluctuantes. Il y a des identités pluriséculaires en Afrique, je pense par exemple à la nation Kongo, initialement fruit d'une construction politique. Le royaume Kongo existait depuis deux siècles avant l'arrivée des Portugais dans la région en 1482 et l'identité Kongo existe toujours, bien que les frontières coloniales l'aient divisée en cinq morceaux : l'ouest du Congo Brazzaville, l'ouest du Congo « démocratique », l'extrême-sud du Gabon, l'enclave de Cabinda qui appartient à l'Angola et les deux provinces nord de ce pays qui s'appellent d'ailleurs Congo et Zaíre. C'est une entité qui continue d'exister, qui a sa propre langue, ses propres rites, son roi comme dignitaire culturel – même s'il possède un rôle mineur – et dont la capitale est Mbanza-Kongo en Angola.
En tant que marxiste, ce qui m'a toujours frappé, c'est la difficulté à appréhender le phénomène ethnique. Il y avait eu un peu le même débat en Europe sur la question nationale. On se rappelle qu'Engels était en faveur de l'indépendance de l'Irlande et de la Pologne alors que Rosa Luxembourg était contre l'indépendance de cette dernière parce qu'elle considérait que cela allait diviser le prolétariat qui était unifié par la force au sein de l'Empire allemand. Engels expliquait qu'un prolétaire, pour entrer dans la lutte, devait d'abord savoir sur quel territoire il marchait, ce qui relevait de lui : pour qu'un prolétaire irlandais puisse s'allier au prolétaire anglais, il fallait que la question nationale soit résolue. Engels accordait de l'importance à l'Irlande et à la Pologne parce qu'elles étaient colonisées respectivement par l'Angleterre et l'Allemagne, deux grands pays industriels. Il avait une sympathie que je qualifierais d'un peu instrumentale. Et le même Engels eut des phrases épouvantables sur les États des Balkans, petits, avec des peuples « sans histoire ». Comme il ne s'agissait pas de pays industriels, il les considérait comme retardataires. Or, d'un point de vue matérialiste, l'ethnicité est une formation sociale subjective qui exprime des sociétés selon des trajectoires identitaires qui sont les leurs et doivent intégrer notre réflexion.
Peux-tu préciser la notion d'ethnicité ?
Quand je parle d'ethnicité je ne parle pas simplement d'ethnie mais aussi de nation, que contrairement à la tradition jacobine je ne confonds pas avec la République et avec l'État. Par exemple la nation française ne peut pas être définie autrement que de la manière suivante : la nation est l'ensemble des gens qui se sentent Français, point final. De ce point de vue il n'y a strictement aucune raison de faire une différence de nature entre nation et ethnie, si ce n'est un degré d'ethnicité. La nation serait le degré le plus élevé en termes d'intensité de la cristallisation identitaire et de sa durée.
Je ne vois pas pourquoi on utiliserait le terme « nation » pour l'identité française – je suis persuadé que la nation française existe car il y a des gens qui se reconnaissent comme tels – et le terme ethnie pour l'identité Kongo, alors qu'à l'arrivée des Portugais, il y avait déjà un peuple Kongo avec son identité et sa langue. Serait-ce parce qu'on est en Afrique ? Je suis extrêmement méfiant par rapport à la hiérarchisation sémantique que l'on établit entre nations et ethnies. Toutes les nations sont des ethnies mais toutes les ethnies ne sont pas des nations, si on l'accepte mon idée de degrés d'ethnicité, c'est-à-dire que l'ethnie serait un degré moindre, plus fluide, moins cristallisé, peut-être moins durable d'identité. Il y a des ethnies qui ont disparu et d'autres qui sont apparues en raison du colonialisme. Cela ne veut pas dire que ce sont les colonisateurs qui ont créé les ethnies, dans la fameuse idée du diviser pour régner. Les colonisateurs ont classifié les gens, les missionnaires ont traduit la Bible dans les langues les plus efficaces pour eux – et cela a eu des effets très importants – mais ils se sont servis de ce qui existait déjà. On ne peut pas manipuler quelque chose qui n'existe pas.
Pourtant dans le livre Au cœur de l'ethnie, sous la direction de Jean-Loup Amselle et Elikia M'Bokolo, auquel tu faisais référence, un chapitre écrit par Jean-Pierre Dozon est intitulé : « Les Bete : une création coloniale ».
Je ne suis pas du tout spécialiste de cette région. Il a peut-être raison, s'il prouve qu'un administrateur colonial a défini des gens et les a regroupés dans une circonscription qu'il a organisée, et que petit à petit ces gens se sont habitués à cette structuration coloniale qui serait devenue ethnique. Il est possible que ça ait marché mais on ne peut en déduire une loi générale selon laquelle les ethnies auraient été inventées par le colonisateur. Cela signifierait que les Africain·e·s auraient dû attendre l'arrivée des colonisateurs pour ressentir des identités communautaires qui n'étaient pas simplement lignage et clan.
Prenons le cas de deux pays très différents, les îles du Cap-Vert et le Mozambique. Le Mozambique est un pays du cône sud de l'Afrique, riverain de l'océan Indien, et dont la population fait partie de la grande famille des Bantous. Le Cap-Vert est un archipel créole situé dans l'océan Atlantique, 500 km à l'ouest de Dakar, qui n'était pas peuplé quand les Portugais sont arrivés. Il a été peuplé intégralement d'esclaves venus de différents endroits d'Afrique, qui n'avaient pas les mêmes identités, les mêmes religions, qui ne parlaient pas la même langue, et c'est pourquoi ils ont dû forger la langue créole. Une nouvelle identité est donc apparue, l'identité créole, circonscrite territorialement par l'archipel. On peut dire qu'historiquement il y a eu la formation d'une nation tout à fait comparable à nos nations en Europe. Il n'y a pas de problème majeur d'identification entre le Capverdien le plus pauvre et l'État capverdien.
Pour le Mozambique, c'est différent, car on est dans l'Afrique continentale. Le pays a été également colonisé par les Portugais au tout début du 17e siècle, même si la majeure partie du territoire n'a été occupée qu'à la fin du 19e. C'est l'Afrique bantoue avec ses lignages, ses chefferies traditionnelles, ses nations africaines précoloniales, de grands États qui ont été vaincus militairement par les Portugais. Il y avait des identités africaines, mais ce n'était pas forcément des États-nations : le nkosi (roi/chef) de l'une des principales formations politiques au sud du Mozambique, l'empire de Gaza, était un immigrant zoulou lié au Mfecane (grands mouvements des migrations des Zoulous à partir de la fin du 18e siècle). C'était un État tout à esclavagiste et violent qui a partiellement « zouloufié » ces populations. Même ainsi, sa population était loin d'être homogène, ce n'était pas un État-nation précolonial. Mais d'autres entités politiques relevaient de populations bien plus homogènes. Pourquoi ne pas les appeler nations ?
Dans le centre du pays on avait un phénomène très différent, les prazos. Il s'agissait d'anciennes féodalités portugaises qui s'étaient largement africanisées sans se « retraditionnaliser ». Des chefs noirs ou goanais possédaient des terres au nom du roi du Portugal. Ces structures politiques se surimposèrent à des identités existant préalablement. Ces entités étaient des clans ou des lignages, parfois des identités très marquées, dans le nord du pays, notamment chez les Makonde et les Makua. Les Portugais occupant la totalité du territoire à la fin du 19e siècle n'ont pas transformé la population en « Portugais noirs », les gens naturellement ont continué d'être africains. Le Front de libération du Mozambique (Frelimo), prenant le pouvoir en 1975 après dix ans de lutte armée, a refusé de tenir compte de l'existence de nations africaines précoloniales, considérées en bloc comme « tribalisme », n'a pas promu leur culture et leur langue. Mais il n'a pas non plus réussi à être un État social pour les 80% de la population qui était rurale, qui aurait pu mener tous ces groupes à s'identifier au « Mozambique », ce nouvel espace territorial qui fait officiellement nation. À l'inverse, « Pour que la nation vive, la tribu doit mourir », telle fut la politique du Frelimo. L'emploi du mot tribu était fortement contestable et cette politique anti-ethnique eut des conséquences pratiques, comme des campagnes d'alphabétisation menées exclusivement en portugais – avec un taux d'échec gigantesque –, avec l'interdiction des chefs traditionnels, des rituels de la pluie, etc. Cela a été, selon moi, une espèce de tentative de « portugalisation » ou de « lusophonisation » du pays avec l'idée de l'Homme Nouveau, empruntant un jargon un peu maoïsant.
En France, il s'est passé un peu la même chose, avec une très forte répression ethnique ; Napoléon, puis Napoléon III, et surtout la Troisième République ont francisé la France : tout le monde se rappelle des écriteaux « il est interdit de cracher et de parler basque ou breton à la récréation ». Mais cet État français qui réprimait les ethnicités créait en même temps l'école publique obligatoire, des hôpitaux, des routes, des ponts, il apportait le progrès et il y eut ainsi une identification politique à l'État social français, et petit à petit cela devint une identification nationale. Cet échange entre progrès social et répression ethnique – je ne dis pas que ce fut bien – put fonctionner.
L'État capitaliste de la périphérie ou de l'ultra périphérie, comme le sont les États africains, n'est pas, sauf à de rares exceptions, un État social, c'est un État néocolonial, kleptocrate 1 qui opprime socialement, économiquement mais aussi ethniquement bien qu'il ait des pratiques ethno-clientéliste. Des ministres construisent la route qui va à leur village en détournant le budget de leur ministère, mais ce n'est pas du tout une politique de conjugaison des identités africaines pour construire une nation de nations.
Si l'on prend le cas de la Grande-Bretagne, elle n'est pas la fédération de l'Angleterre, du Pays de Galles, de l'Écosse et de l'Irlande du Nord. Ce n'est pas un État fédéral, il y a une supra-identité britannique. C'est une identité au singulier d'identités au pluriel. Un Écossais peut admettre qu'il est un Britannique, mais il ne lui plaira pas d'être confondu avec un Anglais. Les États africains n'ont pas suivi ce modèle de l'emboîtement des identités et ils ont opposé des nations africaines précoloniales à la nouvelle nation qui devait être une rupture au lieu d'être cette conjugaison coagulée par un État social.
Le système en Éthiopie tient compte, du moins officiellement, des différentes ethnies.
C'est presque une exception, et qui n'a pas fonctionné du tout. Dans ce pays, on a le fédéralisme identitaire. En principe, chaque nation constitutive dispose d'un territoire avec une province autonome, mais le pays est régi par une dictature et les autonomies n'ont jamais été respectées. Ce qu'il y avait de bien dans la Constitution n'a ainsi pas été matérialisé.
Je ne dis pas qu'il faut le fédéralisme partout au sein de chaque pays en Afrique. Le fédéralisme interne aux pays africains risque de mener à la définition de provinces mono-ethniques. Or en Afrique les provinces mono-ethniques sont très rares. Dans la région Makua, il y a aussi des Makonde, des Yao, un peuple majoritaire et des peuples minoritaires. La question n'est pas de faire du fédéralisme, il faudrait plutôt regarder du côté de la Bolivie d'Evo Morales qui en 2009 a proclamé la Constitution de l'État unitaire plurinational de Bolivie.
Le fait ethnique en Afrique n'est pas un ennemi pour nous, marxistes. C'est tout simplement quelque chose qui existe dans la société, qu'il faut se garder d'essentialiser. Ce sont des identités qui peuvent devenir ou non des nations mais parfois le mécontentement social va s'exprimer selon des alignements ethniques. En général, il n'y a jamais de guerre civile dont la caractéristique serait uniquement inter-ethnique. Par exemple dans le cas du Rwanda, les Hutu et les Tutsi ne sont pas deux ethnies. S'il faut leur donner un nom, ce sont plutôt des castes, deux regroupements ayant la même langue, les mêmes mythes d'origine, le même royaume, mais certains étaient considérés professionnellement comme des agriculteurs et d'autres comme des éleveurs. Tout le monde sera d'accord pour dire que la manipulation coloniale a porté ses fruits, mais ce ne fut pas une guerre ethnique.
Quand il y a un conflit ethnique, c'est souvent qu'il y a des problèmes sociaux. En ce moment, dans le nord du Mozambique, il y a une guérilla djihadiste. Un groupe qui existait préalablement comme secte religieuse s'est militarisé puis s'est affilié à l'État Islamique. Il recrute parmi le groupe côtier Mwani, et parmi les Makua – un grand groupe qui a été assez maltraité par les colonisateurs portugais puis par le Frelimo. Enfin, il y a à la frontière de la Tanzanie le groupe makonde. C'est là qu'a commencé la guerre de libération en 1964. Le groupe makonde, quoique minoritaire dans la région, a été extrêmement important dans la guerre de libération anticoloniale 2. Comme ses membres ont été des acteurs majeurs dans la guerre de libération, ils ont accaparé des rôles de direction importants. De généraux dans la guérilla, ils sont devenus ministres. Bien que très nettement minoritaires à l'échelle du pays (2 % de la population, et à peu près 10 % à l'échelle de la province-nord Cabo Delgado), ils ont accaparé la plupart des postes qui permettent de devenir riche. Aujourd'hui, il y a une expression ethnique du mécontentement social contre les Makonde de la part des Mwani ou des Makua, mais c'est en raison de l'inégalité provoquée par un pouvoir d'État accaparé par une ethnicité particulière en raison des circonstances historiques.
La difficulté en Afrique est qu'on est à la périphérie du capitalisme. Les États ne sont pas des États sociaux mais des États prébendiers, des États compradores, des États qui manipulent les clientélismes ethniques, qui souvent promeuvent une seule ethnicité. Au Sénégal, en ce moment, il y a une « ouolofisation » accentuée et les autres langues africaines sont en déclin et pourraient disparaître à l'avenir. Cela a provoqué une guérilla endémique en Casamance 3 et petit à petit il y pourra y avoir d'autres révoltes (pas forcément sous la même forme), surtout si le développement reste très inégal selon les régions du pays. Derrière tout cela, il y a toujours des conditions matérielles et sociales, ce n'est pas de l'économisme de dire cela : l'identité ne vient jamais seule, elle est l'expression de positionnements face à des changements ressentis comme agressifs ou inquiétants.
Je l'ai bien vu au Mozambique : à l'époque coloniale – donc jusqu'en 1975 – les anthropologues pouvaient repérer une grande zone dans le nord du Mozambique où les gens parlaient une famille de langue appelée makhuwa-lómwè. Après l'arrivée au pouvoir du Frelimo, la politique menée a profité principalement aux sudistes, à la capitale et aux grandes villes. Les gens se sentirent agressés par cet État de modernisation autoritaire, et la rébellion soutenue par l'Afrique du Sud allait prendre beaucoup de poids dans ces zones-là. Les gens ont alors commencé à se dire Makua en réaction. Ils le ressentaient vraiment, et cela n'avance en rien de dire qu'il s'agissait d'une « fausse conscience ».
Comment traiter à la fois les problèmes d'ethnicité et les problèmes sociaux quand les questions d'ethnicité sont totalement manipulées et recouvrent l'ensemble des sujets sociaux ? Certains groupes trotskistes nigérians sous-estiment la question de l'ethnicité, me semble-t-il.
Il y a des entrepreneurs politiques qui manipulent ouvertement l'identité, et pas forcément des identités ethniques. Ils peuvent manipuler des identités noires dans un pays où il y a des métis. On peut manipuler n'importe quoi si cette chose existe. En revanche, il est clair que les problèmes sociaux ont des effets ethniques. Je donnais ainsi tout à l'heure l'exemple du nord du Mozambique, où la guérilla djihadiste n'a pas de mal à recruter de jeunes garçons contre le pouvoir du Frelimo. Même si cela ne concerne naturellement pas toute la population makonde, celle-ci, bien que minoritaire dans la province, a un meilleur accès à la rente de l'État. Cette question d'inégalité socio-économique s'exprime alors de manière ethnique : les Mwani disent « nous, on n'a rien, les Makone mangent tout ». Ce n'est pas une manipulation ethnique, c'est l'expression ethnique d'une inégalité sociale.
Cela me rappelle le fameux débat que Trotsky eut avec ses rares partisans, déjà exclus du Parti communiste, en Afrique du Sud. Le PC et la IIIe Internationale déjà stalinisés défendaient le slogan de République noire et les jeunes trotskistes d'Afrique du Sud étaient pour une république sans couleur, si ce n'est rouge. Il s'agissait de leur part d'un universalisme bien abstrait parce que la règle de la majorité signifiait une république noire. Cela ne voulait pas dire que les Blancs devaient partir, mais qu'ils devaient perdre leurs privilèges de Blancs et Trotsky avait défendu le slogan de République noire.
Nous marxistes, devons comprendre ce que signifie l'expression fameuse « L'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de la lutte des classes ». Elle ne signifie pas qu'il n'y a que la lutte des classes, que la conscience de classe. Une personne peut être blanche, noire ou métisse, elle peut être homme ou femme, elle peut être de gauche ou de droite, elle peut aimer le cidre ou la bière, elle peut préférer le rugby au football, elle peut avoir des tas d'identités, et le seul endroit où toutes les identités se mélangent c'est en elle-même, dans l'individu, le seul endroit indivisible sous peine de mourir. À un moment donné ce n'est pas nécessairement la question de classe qui va être la plus importante pour la mise en mouvement de cette personne : cela peut être le fait d'être musulmane, parce que la mosquée a été incendiée par des racistes, qui la met en mouvement, non pas en tant que prolétaire de religion musulmane mais en tant que personne musulmane tout court.
Ces camarades nigérian·es font des efforts pour dépasser les divisions mais c'est d'autant plus abstrait que précisément, dans l'histoire du Nigeria, la limite entre la zone musulmane et la zone animiste – plus christianisée parce que les missions chrétiennes n'ont réussi qu'en terre non musulmane –, correspond à l'ancien émirat de Sokoto, le grand État précolonial africain. Ces divisions n'ont pas été inventées par le colonisateur, elles sont historiquement produites. Le Nigeria est une construction artificielle comme beaucoup d'États postcoloniaux mais cela ne veut pas dire qu'il ne peut pas fonctionner : si c'était un État social et hautement respectueux des différentes identités ethniques historiquement produites sur le territoire du Nigeria actuel. Le Nigeria justement est un État fédéral mais cela ne signifie pas en soi un meilleur respect social, économique et culturel pour les populations, du fait de l'existence de l'État capitaliste de la périphérie et de la catastrophe pétrolière.
La « révolution » de 1959 au Rwanda, où le pouvoir absolu de l'élite tutsi a été mis à bas, au lieu de prendre une trajectoire sociale, a au contraire pris une trajectoire ethniciste avec les conséquences dramatiques que l'on connaît.
Une mobilisation sociale peut s'exprimer selon une polarisation ethnique (plutôt castiste à mon avis dans ce cas) parce que ce sont les lignes d'entendement les plus disponibles pour les gens. Ce sentiment ethnique/castiste prend ensuite son autonomie : même si le problème social d'où il vient est résolu, la question ethnique ne pas disparait pas comme par enchantement. Si une identité est massivement ressentie, le problème social qui l'a nourrie peut disparaître, cela peut éviter des massacres, mais cela n'évitera pas la perpétuation de cette identité sur plusieurs générations et la démocratie politique devrait en tenir compte.
Le cas de la Somalie est intéressant car c'est un État-nation ethniquement homogène, mais dont deux régions demandent leur indépendance, le Somaliland et Puntland.
En effet, il n'y a pas que la question ethnique, il existe en Somalie ce qui est appelé « clans » qui correspondent à ce que l'on appellerait des tribus dans le monde arabe, par exemple. Ce sont des structures politiques, en général pas des identités ethniques. Mais il ne faut pas avoir de l'ethnicité une vision statique. Des gens pouvaient se sentir somaliens auparavant et ne plus se sentir somaliens demain. Le Somaliland réclame son indépendance, et de fait l'a obtenue. C'est un État qui n'est reconnu par personne mais c'est la partie de la Somalie qui fonctionne le mieux ! Il y a même eu des élections qui ont été surveillées par des observateurs internationaux. La domination coloniale a eu aussi des effets identitaires. Je reprends mon exemple du nord du Mozambique avec les Makonde, ce groupe qui a été si important dans la lutte anticoloniale et qui a accaparé les postes de pouvoir. Il y a des Makonde des deux côtés de la frontière : au nord du fleuve Rovuma, on est en Tanzanie et au sud au Mozambique. 120 ans de colonisation, anglaise d'un côté, et portugaise de l'autre, ont eu des effets identitaires. Aujourd'hui, même s'ils reconnaissent que ce sont des cousins, les Makonde du sud savent très bien qu'ils ne sont plus tout à fait identiques aux Makonde du nord.
En Somalie, les ethnologues ont beau parler d'un seul pays, cela n'empêchera pas des contradictions internes qui font que certaines régions vont demander leur indépendance. Mais cette recherche d'indépendance n'est pas nécessairement ethno-nationale, elle peut être motivée par l'absence de fonctionnement de l'État, qui n'est pas démocratique, qui n'apporte pas de progrès social ou qui a été accaparé par un clan alors qu'il y en a une bonne quinzaine, etc.
La Somalie montre deux choses. Premièrement, ce n'est pas parce qu'on a une identité, une homogénéité ethnique, que tout se passera bien, parce qu'il y a d'autres problèmes. Deuxièmement, l'identité change selon des trajectoires qui peuvent provoquer des disparités au sein de la population. L'identité n'est qu'une communauté de gens qui ressentent telle chose à un moment de la trajectoire identitaire.
Et concernant les tribus et les clans ?
On peut parfaitement employer le mot tribu sans paternalisme colonial. Une tribu est l'organisation politique d'une fraction de la population, avec une chefferie, des chefs délégués dans différentes régions. Il y en a dans le monde arabo-berbère, en Somalie (sous le nom de clans).
Au Mozambique par exemple, il y a de nombreuses ethnicités mais il n'y a pas de tribus parce qu'elles ont été brisées par le colonisateur portugais. Contrairement aux Anglais, les Portugais ont pratiqué l'administration directe, ils n'ont pas remis en selle les chefs traditionnels puissants mais vaincus, désormais dociles et gestionnaires locaux de l'État impérial européen.
Le clan est une organisation imaginaire (en tout cas dans les territoires que je connais). Une certaine catégorie de la population, sur la base de mythes animaliers, dit qu'elle descend de la tortue, ou du singe. Il ne faut pas oublier que le mot « Bantou », avant de désigner une famille de civilisations africaines, voulait simplement « être humain » (opposé au règne animal). Ces origines animales mythiques impliquent des tabous alimentaires, par exemple ne pas manger de tortue si on descend de la tortue.
Les lignages sont l'organisation de la parenté – patrilinéaire si la descendance se fait par le père, et matrilinéaire par la mère. Dans ce dernier cas, cela ne désigne pas un pouvoir matriarcal mais une organisation sociale dans laquelle ce n'est pas le mari de la femme qui a le pouvoir mais le frère de la femme. Le lignage est défini par la mère, un peu comme dans le judaïsme classique.
Peut-être un mot de conclusion ?
Pour nous marxistes, il est grand temps de réfléchir pour intégrer l'ethnicité à la démocratie politique. Certes, il n'y a pas que les luttes pour la démocratie, il y a aussi des luttes sociales, les luttes de classes bien sûr, mais ces dernières ont besoin de démocratie et la démocratie politique a besoin qu'on y intègre l'ethnicité plutôt que de la combattre. Il ne s'agit pas de défendre la tradition, telle n'est pas la question. Si des choses sont bien dans la tradition, on les défend, et si des choses y sont mauvaises on les combat. Mais attention de ne pas désigner de faux coupables : par exemple l'excision féminine ne vient pas de l'islam, cela existait bien avant. Et on ne peut lutter contre cette « tradition » qu'avec les gens, pas contre eux.
Derrière le droit à l'identité, il y a le droit à l'égalité. J'ai le droit d'être Yoruba, d'être Makua ou autre, j'ai le droit qu'à l'école mes enfants soient alphabétisés dans cette langue, que le territoire de ma province soit dessiné selon les endroits où les gens qui parlent comme moi sont majoritaires, j'ai le droit que l'État soit localement bilingue. L'État peut être de langue anglaise, swahili ou portugaise mais il doit y avoir un bilinguisme officiel. Les fonctionnaires nommé·es ne doivent pas forcément être de l'ethnicité du lieu mais doivent savoir en parler la langue pour un service public respectueux des gens.
Pour les marxistes, je pense que c'est un enjeu très important en raison de l'évolution socio-économique de l'Afrique. Cette dernière connaît actuellement une urbanisation galopante sans prolétarisation. Les gens qui n'arrivent plus à vivre à la campagne viennent en ville mais n'arrivent généralement pas à entrer dans le mode de production capitaliste. Ils n'arrivent pas à devenir ouvrier·e·, salarié·es. Pour devenir fonctionnaires, il faut des accointances ethno-clientélistes… Ces personnes ont alors besoin, pour leur survie sociale, de sauvegarder des liens de solidarité horizontale comme l'ethnicité. Ce n'est que plus tard peut-être, qu'ils ressentiront les liens de solidarité verticale, c'est-à-dire classe contre classe, prolétariat contre bourgeoisie. Mais l'immense majorité des pauvres en Afrique ne relèvent pas du prolétariat.
En effet, le prolétariat est loin d'y être majoritaire (ni n'est nécessairement le milieu social le plus misérable), face à la plèbe urbaine. La plèbe n'est pas une classe, c'est une formation sociale instable de gens parfaitement inutiles pour le capitalisme puisqu'ils représentent à peine un marché 4. Ils peuvent mourir du sida, du Covid ou dans une guerre civile, ce n'est pas un problème pour le capitalisme. Mais ce sont des gens que les marxistes doivent défendre. Souvent, la question principale en Afrique n'est pas prolétarienne mais plébéienne et il n'est pas facile de définir des revendications transitoires pour ce genre de population. Nous n'avons pas de réelle tradition politique pour défendre ces gens mais il faudra qu'on l'invente. Les actuelles évolutions politiques en Afrique occidentale, par exemple (le raz-de-marée électoral du PASTEF aux élections sénégalaises de 2024, les coups d'État « anti-français » au Mali, au Burkina, au Niger avec, au début, un indéniable appui populaire, etc.) sont l'expression indirecte de la plébéiennisation de la population, de surcroît extrêmement jeune. n
Le 18 août 2024
Notes
1. Une kleptocratie est un terme désignant un système politique au sein duquel une ou plusieurs personnes, à la tête d'un pays, pratiquent à une très grande échelle la corruption, souvent avec des proches et membres de leur famille.
2. Je ne l'appelle pas personnellement nationale mais anticoloniale, puisqu'il n'y avait pas à proprement parler de nation pré-existant à la guerre de libération.
3. La Casamance, parfois appelée casa-di-mansa (« la terre des rois »), est une région historique et naturelle du Sénégal, située au sud du pays et bordant le fleuve Casamance.
4. Je ne confonds pas la plèbe et lce qu'on appelle « secteur informel ». Le secteur informel est une classification qui recouvre une large partie de la population dont l'activité économique n'est pas « légalisée » dans un cadre juridico-légal. Ce secteur informel recouvre diverses classes et formations sociales (prolétariat de petites entreprises elles-mêmes informelles, plèbe, milieux artisanaux, petits et moyens commerçants…). Je désigne par plèbe la population principalement urbaine qui ne fait plus partie du mode de production domestique de la campagne mais ne peut s'intégrer au mode de production capitaliste du fait du caractère périphérique du capitalisme dans ces pays.
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Unifier une classe ouvrière divisée

Plus de vingt ans après la signature de l'accord du Vendredi saint, la « question nationale » en Irlande occupe à nouveau le devant de la scène. Cela est dû à plusieurs facteurs se combinant : les évolutions démographiques dans le Nord, le Brexit, ainsi que la montée du Sinn Féin dans le Sud.
24 novembre 2024 | tiré d'inprecor.org | Photo : Des habitants cherchent des objets de valeur dans les décombres de Dublin, en Irlande, après l'insurrection de Pâques irlandaise, du 24 au 30 avril 1916. Domaine public.
https://inprecor.fr/node/4445
La question nationale pose d'innombrables questions aux socialistes qui luttent pour unir la classe ouvrière, au Nord comme au Sud, et mettre fin au système capitaliste. Nous sommes aujourd'hui confrontés aux effets, 100 ans après, du « carnival of reaction » 1 pressenti par James Connolly à la suite de la partition de l'Irlande par l'impérialisme britannique.
Depuis le lancement de RISE, nous avons débattu de la position que le mouvement socialiste devrait défendre et de la manière dont nous devrions proposer une réponse socialiste à la question nationale en Irlande. Cet article contient certaines des conclusions de cette discussion, en particulier en ce qui concerne la manière dont les socialistes devraient répondre au sondage sur les frontières*.
Une brève histoire de l'oppression nationale
La question nationale est le terme employé par les marxistes pour aborder un problème d'oppression nationale non résolu. Par exemple, il existe de multiples questions nationales dans l'État espagnol, notamment l'oppression des peuples basque et catalan. Reconnaître l'existence d'une question nationale n'est cependant pas la même chose qu'identifier précisément quel est le problème. Chaque question nationale possède ses propres caractéristiques.
La plupart des théories marxistes sur l'impérialisme traitaient principalement des empires coloniaux qui étaient à leur apogée au 19e et au début du 20e siècle. D'autres écrits sur la question nationale traitaient principalement des pays européens qui avaient été incorporés dans des États plus vastes à travers diverses structures politiques dynastiques féodales. La question nationale irlandaise, telle qu'elle s'est développée au fil des siècles, présentait des caractéristiques de ces deux types 2.
La première incursion « britannique » (bien qu'en réalité antérieure au concept de Grande-Bretagne) fut l'invasion anglo-normande de 1169, destinée à empêcher que l'Irlande ne serve de base pour fomenter une rébellion contre la monarchie féodale. Au cours des siècles suivants, bien que le contrôle territorial ait été maintenu sur le « Pale » (la région comprenant Dublin et ses environs), les Normands se sont largement assimilés à la culture gaélique dans le reste de l'île. Vint ensuite la conquête des Tudor et des Stuart, qui parvint à rétablir le contrôle direct de toute l'Irlande au début du 17e siècle. Dans le cadre de cette conquête, une politique brutale de « défrichement et de plantation » a été mise en place : les terres ont été confisquées aux chefs irlandais et vendues aux enchères à des propriétaires terriens anglais. La Plantation de l'Ulster a été la plus importante et la plus achevée, elle visait à établir une population fiable et loyale parmi des colons protestants principalement écossais.
Lorsque la monarchie et l'Église catholique, qui était au cœur de la réaction féodale, ont été vaincues lors de la révolution anglaise 3, l'Angleterre est devenue une économie essentiellement capitaliste. Oliver Cromwell a fondé et dirigé la New Model Army, qui a joué un rôle décisif dans la défaite des royalistes. En 1649, il entreprend une nouvelle conquête brutale de l'Irlande, largement contrôlée par la Fédération catholique irlandaise, qui s'était alliée aux royalistes. La classe des propriétaires terriens catholiques fut dépossédée et la population catholique fit l'objet d'une discrimination systématique. En 1775, alors que les catholiques représentaient les deux tiers de la population, ils n'avaient plus que 5 % des terres. Christopher Hill a décrit la conquête cromwellienne comme « le premier grand triomphe de l'impérialisme anglais et la première grande défaite de la démocratie anglaise »4
L'Irlande s'est alors développée comme une colonie spécifique d'une Grande-Bretagne capitaliste, fonctionnant comme une partie arriérée du Royaume-Uni, devenant le « grenier de la Grande-Bretagne », avec d'importantes exportations de céréales. Celles-ci se sont poursuivies même pendant la Grande Famine de 1845 à 1849, qui a fait plus d'un million de victimes. Comme l'a dit James Connolly, « toutes ces personnes ont été sacrifiées sur l'autel de la pensée capitaliste » 5. Le nord-est de l'Irlande, qui a connu un véritable développement industriel, en particulier autour de Belfast, constitue une exception notable à ce sous-développement.
Inspiré·es par les révolutions américaine et française, et avec l'aide matérielle de cette dernière, les Irlandais·es se sont soulevé·es à plusieurs reprises pour tenter de mettre fin à la domination coloniale (et à leur oppression). La rébellion de 1798 des United Irishmen, qui a réussi à unir catholiques et protestants sous la direction de Wolfe Tone, a été la plus proche de la réussite.
Confrontée à ce qui aurait pu être une défaite, la stratégie britannique s'est orientée vers l'unification des anglicans et des presbytériens au sein d'un bloc protestant commun, puis vers la création consciente de divisions entre protestants et catholiques afin d'empêcher la réapparition d'un tel mouvement uni. L'Acte d'Union de 1801, qui continuait d'interdire aux catholiques l'accès aux fonctions publiques et excluait l'« émancipation des catholiques », en est l'illustration. Cela n'a pas empêché des tentatives répétées de soulèvement tout au long du 19e siècle, puis lors de l'insurrection de Pâques en 1916. Alors que les demandes de « Home Rule » (une forme de dévolution du pouvoir) se multipliaient, les conservateurs en particulier décidèrent que « la carte Orange serait celle à jouer », selon les termes de Lord Randolph Churchill 6.
Au lendemain de la révolution russe, l'impérialisme britannique est confronté à un mouvement révolutionnaire irlandais qui ne se contente pas de mettre sur la table la possibilité d'une libération nationale, mais qui met également à l'ordre du jour les rapports de classe. Le développement du militantisme ouvrier, les occupations de lieux de travail et de terres ainsi que des événements tels que la grève générale contre la conscription en 1918 et le soviet de Limerick en 1919 ont semé l'effroi au sein du gouvernement britannique. L'incapacité du mouvement ouvrier à contester l'hégémonie des nationalistes issus de la classe moyenne du Sinn Féin, et l'idée largement partagée que « le travail doit attendre » ont malheureusement conduit à ce que le potentiel de cette période n'ait pas été atteint.
En réponse à cette menace, l'impérialisme britannique, tout en tentant de vaincre militairement et de réprimer les mouvements auxquels il était confronté, a poursuivi la stratégie du « diviser pour mieux régner » de manière toujours plus cynique. Il a entrepris de diviser l'Irlande en 1920 et a insisté sur cette partition dans le traité anglo-irlandais de 1921. Cette période de révolution irlandaise s'est achevée en 1922 par une contre-révolution qui a vu la création de l'« État libre », une société réactionnaire dominée par l'Église catholique, où les républicains et les socialistes opposés au traité ont été exécutés sans procès, où la littérature subversive a été interdite et où les femmes ont été exclues de toute participation à la vie publique. Au nord de la frontière, la discrimination ouverte et l'oppression de la minorité catholique étaient la norme, avec une Royal Ulster Constabulary (RUC, Police royale de l'Ulster) sectaire, ainsi que des groupes paramilitaires loyalistes, et le gerrymandering, un découpage des circonscriptions électorales visant à minimiser la représentation catholique.
Dans le Sud, une classe capitaliste faible et ses représentants politiques ont continué à s'appuyer sur l'autorité de l'Église catholique, tout en agissant pour faciliter l'exploitation des populations et des ressources par des capitaux étrangers, d'abord britanniques, puis américains et européens. Dans le Nord, la discrimination systématique s'est poursuivie, le logement s'avérant l'élément clé qui a déclenché le mouvement des droits civiques dans les années 1960.
Toute possibilité d'un mouvement de classe uni pour les droits civils et économiques a été rejetée par les dirigeants nationalistes conservateurs, qui ont fait le choix de l'« unité anti-Unioniste » (c'est-à-dire l'unité catholique) plutôt que celui de l'unité de classe. Lorsque les manifestations pour les droits civiques ont été violemment attaquées par des gangs loyalistes, protégés par la RUC, et que des manifestant·es pacifiques ont été abattu·es par des parachutistes britanniques lors du Bloody Sunday, une partie importante de la jeunesse catholique, lassée de l'oppression et sans mouvement socialiste de classe conséquent à sa disposition, s'est tournée vers la lutte armée et vers l'IRA Provisoire. Il était compréhensible que les jeunes catholiques veuillent riposter à la situation à laquelle ils étaient confrontés. Cependant, la campagne de l'IRA a toujours été une impasse. Bien qu'elle soit fondamentalement différente des campagnes ouvertement sectaires des paramilitaires loyalistes, elle n'a pas pu vaincre militairement l'État britannique et a eu pour effet d'aggraver les divisions sectaires.
L'accord du Vendredi saint (accord de Belfast de 1998, NDLR), qui a mis fin aux Troubles, n'a pas résolu la question nationale ni mis fin à la profonde division de la société du Nord. L'accord de partage du pouvoir n'a fait que masquer le fossé historique entre les communautés, tout en institutionnalisant le sectarisme au sommet.
Les principaux partis politiques des deux côtés du fossé se sont unis pour mettre en œuvre des politiques néolibérales de réduction des dépenses et de privatisation, tout en se présentant comme les meilleurs représentants des intérêts de « leur » communauté pour se faire réélire.
Quelle est la nature de la question nationale aujourd'hui ?
Sans les actions de l'impérialisme britannique durant des siècles, il n'y aurait pas de question nationale en Irlande. En particulier, la partition de l'Irlande est responsable de la forme spécifique que prend la question nationale aujourd'hui. Cependant, l'une des conséquences des actions de l'impérialisme britannique est aujourd'hui l'existence de deux communautés distinctes dans le Nord avec des aspirations nationales conflictuelles.
Les catholiques ont été historiquement constamment discriminés au sein de l'État du Nord par les politiciens unionistes de droite et par un État britannique heureux de pouvoir compter sur le soutien d'une majorité protestante. Bien que la discrimination économique active appartienne désormais en grande partie au passé, des résidus subsistent. Même si les vestiges des discriminations en matière d'emploi ou de logement disparaissaient, les catholiques resteraient certainement opprimés au niveau national, car leur souhait d'être dans un pays qui correspond à leur identité nationale est entravé et ils sont emprisonnés dans un État du Nord auquel ils ne s'identifient pas.
En raison de l'exclusion des catholiques d'une grande partie de l'industrie, ce sont les protestants qui, historiquement, ont occupé la grande majorité des emplois qualifiés et syndiqués. Cet accès préférentiel aux emplois qualifiés et, dans le domaine de la reproduction sociale, au logement, a constitué une partie de la base historique du bloc politique unioniste. Cependant, les théories qui traitent les protestants comme une « aristocratie ouvrière » super-privilégiée ou, pire encore, comme des « colons » équivalents aux Sud-Africains blancs, ne reposent sur aucun fait concret. La classe ouvrière protestante, même si les catholiques subissaient une discrimination directe en termes de logement et d'emploi, souffrait également de taux de pauvreté et de privation parmi les plus élevés du Royaume-Uni, comme en témoigne à Belfast la misère régnant autant dans Shankill Road que dans Falls Road 7.
Ce n'est pas l'avantage économique seul qui a permis de lier une partie des travailleurs à l'État britannique, c'est l'idéologie unioniste. Cependant, la stratégie du « diviser pour mieux régner » du capitalisme et de l'État britannique s'est effondrée à des moments cruciaux, lorsque de puissantes luttes conjointes de travailleur·ses catholiques et protestants ont surmonté la division, comme lors de la grève des ingénieurs de Belfast en 1919 et lors du mouvement de lutte contre le chômage dans les années 1930. Il existe de nombreux exemples contemporains, même s'ils sont plus modestes, d'une telle lutte commune, comme la puissante grève du secteur public en 2015. Ils démontrent le pouvoir de la lutte unie de la classe ouvrière et la possibilité de la redévelopper, en dépassant les divisions sectaires dont dépendent la classe dirigeante et les partis de l'establishment.
Cependant, en dépit de ces luttes, la persistance des divisions et leur capacité à être exploitées par une classe capitaliste cynique et impitoyable sont évidentes. La grève de 1919, qui comportait des éléments importants d'une grève générale, a été suivie d'une période de pogroms anticatholiques en 1920, sciemment attisés par des employeurs désireux d'éviter une répétition de la grève de 1919. Jusqu'à 7 000 catholiques et 3 000 rotten Prods (socialistes et syndicalistes protestants) ont été expulsés des lieux de travail.
Approches socialistes de la question nationale
Pour déterminer comment aborder cette division, il convient d'étudier les contributions des marxistes sur la manière de répondre à la question nationale. Bien que Marx et Engels aient énoncé un principe internationaliste clair avec leur message vibrant selon lequel « les travailleurs n'ont pas de patrie » 8et qu'ils aient même anticipé les innovations programmatiques ultérieures de Lénine en soutenant l'indépendance de l'Irlande et de la Pologne, ils n'ont pas réussi à définir une approche globale. Engels, en particulier, a introduit un concept confus et non matérialiste de « nations sans histoire ».
Il n'est donc pas surprenant que cette question complexe ait fait l'objet de débats animés au sein du mouvement socialiste après leur mort. Au sein de la Deuxième Internationale, la droite prônait une forme de « colonialisme socialiste », avec une argumentation horriblement raciste illustrée par l'argument d'Eduard Bernstein au congrès de Stuttgart de 1907, selon lequel « les socialistes devraient eux aussi reconnaître la nécessité pour les peuples civilisés d'agir en quelque sorte comme les gardiens des non-civilisés » 9.
Bien que la motion de la droite ait été rejetée au congrès de Stuttgart par un bloc du centre et de la gauche, le fait qu'elle n'ait été rejetée que de justesse, par 127 voix contre 108, illustre à la fois l'opportunisme déjà présent au sein de la social-démocratie et le manque de clarté quant à la manière d'aborder cette question. Même parmi ceux qui s'opposaient clairement au colonialisme, il y avait souvent une approche aveugle à l'oppression. Eugene Debs l'a bien illustré en parlant de l'oppression raciale, quand il écrivit : « Nous n'avons rien de spécial à offrir aux Nègres et nous ne pouvons pas lancer d'appel pour toutes les races. Le parti socialiste est le parti de la classe ouvrière, quelle que soit sa couleur – l'ensemble de la classe ouvrière du monde entier ». 10
En revanche, Lénine a insisté sur le fait que le mouvement marxiste devait avoir quelque chose de « spécial » à offrir aux Noirs des États-Unis et aux nationalités opprimées du monde entier. Ce quelque chose de « spécial » n'est rien d'autre qu'un engagement ferme à mettre fin à leur oppression spécifique (sous toutes ses formes, indépendamment des classes sociales), qui est au-delà de l'exploitation et de l'oppression, inhérentes au capitalisme, de tous les membres de la classe ouvrière.
Il reconnaissait que l'unité de la classe ouvrière ne pouvait être construite en ignorant ou en minimisant les formes d'oppression qui affectent des groupes spécifiques plutôt que l'ensemble des travailleur·ses. Ignorer l'oppression ne la fait pas disparaître, ni la division qu'elle provoque, mais permet au contraire à l'oppression d'exister et de se reproduire au sein du mouvement ouvrier. Au contraire, il a défendu l'idée d'une unité basée sur une opposition explicite à l'oppression et sur l'engagement à y mettre fin.
C'est à partir de cette analyse que la défense du droit à l'autodétermination s'est imposée. Il s'agissait d'un outil permettant à la classe ouvrière de la nation oppressive de démontrer qu'elle n'avait aucun intérêt à ce que l'oppression se poursuive et de contribuer à la construction d'une lutte unie de la classe ouvrière. Elle a également permis aux révolutionnaires d'une nation opprimée d'engager la lutte contre l'impérialisme, tout en cherchant à établir un lien entre la lutte contre l'oppression et la nécessité d'un changement socialiste.
Les bolcheviks ont clairement indiqué que les peuples de Géorgie, de Pologne, d'Ukraine, de Finlande et de toutes les autres nations historiquement opprimées par la Russie tsariste avaient le droit de déterminer leur propre avenir, y compris jusqu'au droit à l'indépendance. Dans le contexte d'un empire tsariste composé de multiples nationalités, avec une majorité de non-Russes, cet aspect était crucial dans la lutte pour gagner le soutien des masses. Comme le dit Trotsky dans son Histoire de la Révolution Russe, « c'est seulement par cette voie que le prolétariat russe put graduellement conquérir la confiance des nationalités opprimées » 11.
Appliquer la méthode de Lénine à l'Irlande
Il s'agit d'une véritable innovation dans la manière dont les socialistes doivent appréhender les oppressions nationales (et les autres oppressions) et cela éclaire l'approche que nous cherchons à adopter aujourd'hui. Toutefois, le slogan du « droit à l'autodétermination » ne peut pas être simplement appliqué à n'importe quelle situation et constituer une réponse générique. Dans le contexte irlandais, qui a précisément droit à l'autodétermination ? Le peuple irlandais dans son ensemble ? Les catholiques du Nord, les protestants ou les deux ? Comment cette autodétermination peut-elle être exercée ?
En tentant d'aborder la question nationale en Irlande par ce biais, la gauche s'est engagée dans une impasse analytique due à une pensée schématique basée sur comment déterminer quel groupe de personnes répond à la définition d'une « nation ». Ils auraient pu commencer par une liste de critères comme celle, tristement célèbre, établie par Staline – un homme qui allait déporter des nationalités opprimées entières – dans Le marxisme et la question nationale : « une communauté stable, historiquement constituée, de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique [quoi que cela signifie !], qui se traduit dans la communauté de culture ». 12En utilisant cette liste, les marxistes auraient pu alors décider si un groupe spécifique de personnes peut être ou non qualifié de nation…
Dans le contexte irlandais, qui a précisément droit à l'autodétermination ?
Cette approche mécanique ne nous aide pas vraiment à comprendre l'oppression nationale telle qu'elle existe dans le monde auquel nous sommes réellement confrontés, plutôt que dans des conditions imaginaires de laboratoire. Par exemple, le peuple Kurde ne serait pas considéré comme une nation selon la définition de Staline, car il n'a pas de « vie économique commune ». Pourtant, pour la plupart des marxistes, il semble évident que les Kurdes constituent une nation ayant le droit à l'autodétermination.
Au lieu de répéter ces erreurs, nous devrions utiliser la méthode fondamentale qui sous-tend le concept de « droit à l'autodétermination », plutôt que la formule elle-même. En d'autres termes, il s'agit de trouver un moyen d'unir la classe ouvrière, malgré ses divisions réelles, et de lui indiquer une voie à suivre pour prendre le pouvoir, afin qu'elle puisse résoudre la question nationale. Cela signifie analyser les réalités politiques existantes et s'y référer, plutôt que de s'engager dans une argumentation historique sur la question de savoir qui constitue une nation ou non. Comme l'a dit Trotsky à propos de l'oppression des Noirs aux États-Unis, « Un critère abstrait ne tranche pas cette question, mais beaucoup plus décisifs sont la conscience historique d'un groupe, ses sentiments et ses volontés » 13.
Les nations ne sont pas des catégories anhistoriques immuables, mais des groupes qui se composent, se décomposent et se recomposent en permanence. La composition même de ce qui est généralement considéré comme la nation irlandaise en est la preuve, avec les vagues de colons s'intégrant au fil du temps dans ce qui est devenu la nation irlandaise.
La grande majorité des protestant·es du Nord ne s'identifient pas comme faisant partie de la nation irlandaise ; seuls une infime minorité d'entre eux s'identifient comme Irlandais selon diverses enquêtes. Bien qu'ils ne constituent pas une nation à part entière, ils forment une communauté distincte, avec des aspirations nationales différentes de celles des habitant·es du Sud et des catholiques du Nord. Les catholiques du Nord ne constituent pas une nation autonome, mais font partie de la nation irlandaise, incluant la grande majorité des habitant·es du Sud.
Une autre réalité politique est que, compte tenu des données géographiques et démographiques du Nord, l'exercice du droit à l'autodétermination des protestants ou des catholiques signifierait le refus de l'autodétermination à l'autre. Les deux communautés sont interpénétrées dans le nord-est de l'Irlande de telle sorte qu'il n'y a pas de redécoupage possible qui n'emprisonnerait pas d'importantes minorités dans un État auquel elles ne s'identifient pas.
Le capitalisme peut-il résoudre la question nationale en Irlande ?
C'est précisément parce que la question nationale en Irlande implique l'existence de deux communautés distinctes dans le Nord qu'elle est insoluble. S'il s'agissait simplement de la présence de l'armée britannique dans le Nord, elle pourrait être résolue relativement facilement par son retrait. Mais ce n'est pas le cas. Le résultat d'un siècle de partition et de division dans l'intérêt du capital signifie que ces communautés et identités distinctes ont une existence réelle qui ne peut être activée ou désactivée selon les besoins de l'impérialisme britannique.
Cependant, il ne s'ensuit pas, comme certains le prétendent, que la forme sous laquelle la question nationale est posée ne peut être modifiée au sein du capitalisme. En effet, la forme des différentes questions nationales dans le monde a changé à plusieurs reprises. Nous vivons dans une époque de changements considérables, mais avec une classe ouvrière affaiblie en termes de conscience de classe, d'organisation de masse et de direction, et donc souvent incapable d'imprimer sa marque sur les événements de manière décisive.
De nombreux résultats sont possibles dans le cadre du capitalisme. Nous ne devons pas sous-estimer le potentiel d'une réaction violente d'une partie de la population protestante contre la réunification de l'Irlande, la reprise d'un conflit sectaire important et même la possibilité de déboucher sur une guerre civile. Ce n'est pas la seule variante, cependant, et des alternatives où la pression de la classe ouvrière ainsi que les intérêts des États capitalistes impliqués sont suffisants pour éviter une telle guerre civile, sans être suffisants pour poser la question d'une révolution ouvrière, sont également possibles.
Dans ces situations, une Irlande unie sur une base capitaliste peut devenir une possibilité. Des solutions intermédiaires, telles que l'autorité conjointe des gouvernements irlandais et britannique pour une période déterminée, peuvent également exister. Au lieu d'être normatifs sur ce qui peut théoriquement se produire dans le cadre du capitalisme, nous devrions être ouverts à diverses possibilités.
Cependant, aucune de ces « solutions » dans le cadre du capitalisme ne fera disparaître la question nationale. Il y aurait probablement de la discrimination ou au moins une dynamique de concurrence des communautés sur l'allocation de ressources rares (logement et services publics par exemple) au niveau du conseil local ou de l'assemblée décentralisée. En tout état de cause, même sans discrimination directe, l'identité communautaire ne s'efface pas ou ne s'oublie pas rapidement. Les protestant·es constitueraient une communauté nettement minoritaire dans un État auquel ils ne s'identifient pas.
La classe ouvrière pourrait résoudre la question nationale
Ce n'est pas un vœu pieux de considérer que, si la classe ouvrière était aux commandes, les choses seraient différentes. En contrôlant fermement les ressources, avec la participation démocratique des travailleur·ses de toutes les communautés, une société socialiste poserait les bases d'un recul des conflits nationaux au fil du temps, grâce à deux facteurs cruciaux.
Premièrement, en garantissant à chacun l'accès à un niveau de vie décent, avec des emplois, des logements et des services publics de qualité, elle éliminerait en grande partie les conflits, entre les différentes couches de la classe ouvrière, liés à l'insuffisance des ressources. Ces conflits, et la volonté de la classe capitaliste au pouvoir de les exploiter, sont un facteur crucial dans l'exacerbation des conflits nationaux.
Deuxièmement, en partant de la reconnaissance des droits des minorités nationales, y compris le droit à l'autodétermination, et en luttant pour l'unité de la classe ouvrière, la classe ouvrière au pouvoir serait en mesure de satisfaire des droits et des aspirations actuellement contradictoires. La Yougoslavie, bien qu'illustrant les possibilités de génocide lorsque les questions nationales explosent, donne également un exemple de la façon dont un État ouvrier (même déformé par le stalinisme) peut réduire les conflits nationaux. Sous Tito, grâce à la croissance économique et à l'autonomie des nations qui composaient la Yougoslavie, la question nationale a été atténuée. Bien entendu, la réapparition de la question nationale en Yougoslavie, avec l'éclatement sanglant de cet État, prouve que ces questions n'ont pas été « résolues » sous le stalinisme, elles ont simplement été limitées pendant un certain temps.
Il existe de nombreuses voies que la classe ouvrière au pouvoir pourrait mettre en œuvre pour atténuer et finalement résoudre la question nationale en Irlande. La plus simple et la plus facile de ces solutions est la constitution d'un État socialiste en Irlande, lié au développement d'un mouvement socialiste à travers l'Europe. La minorité protestante aurait joué un rôle dans le combat pour cet État, pour sa construction, elle ne souffrirait donc d'aucune discrimination et jouirait de tous les droits démocratiques en son sein.
Avec le temps, les protestant·es du Nord pourraient se considérer comme faisant partie intégrante de la nation irlandaise, à l'instar des protestant·es du Sud. D'autres solutions, y compris l'autonomie de la communauté protestante du Nord au sein d'une Irlande socialiste, ou l'autonomie pour la région du nord-est de l'Irlande, sont également possibles et il appartiendra à la future classe ouvrière, en construisant une lutte unie contre le capitalisme, et une fois au pouvoir, de décider démocratiquement de la manière de résoudre cette question.
La question clé pour nous est de savoir comment unifier la classe ouvrière, aujourd'hui, contre la classe capitaliste, de manière à poser la possibilité pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir et d'avoir l'opportunité de résoudre la question nationale. Notre analyse et notre stratégie pour l'avenir doivent donc reconnaître et s'opposer à l'oppression nationale existante des catholiques du Nord, tout en rassurant les protestants du Nord sur le fait que non seulement ils n'ont rien à craindre dans un futur État socialiste, mais qu'ils ont aussi beaucoup à y gagner.
Sondage sur la frontière
L'évolution démographique en Irlande du Nord est le principal facteur de changement dans la manière dont la question nationale est posée et perçue. Le fait que, d'ici quelques années, les personnes d'origine catholique représenteront probablement un pourcentage plus élevé de la population du Nord que celles d'origine protestante est d'une importance capitale. En 2016 déjà, il y avait plus de personnes en âge de travailler d'origine catholique (44 %) que d'origine protestante (40 %). Parmi les élèves, l'écart est encore plus important avec 51 % de personnes d'origine catholique contre 37 % d'origine protestante.
Depuis sa fondation, l'État du Nord est un État à majorité protestante (et présumée unioniste) et à minorité catholique. La disparition de cette majorité protestante et la tendance démographique claire vers une majorité catholique ébranlent la base de l'État du Nord.
De plus, ce fait démographique a une signification légale dans l'accord du Vendredi saint. Il contient une clause chargeant le secrétaire d'État pour l'Irlande du Nord d'ordonner la tenue d'un scrutin « si, à un moment, il lui apparaît probable qu'une majorité des votants exprimerait le souhait que l'Irlande du Nord cesse de faire partie du Royaume-Uni et fasse partie d'une Irlande unie ». Simultanément, un scrutin équivalent serait organisé dans le sud de l'Irlande.
Si le recensement de 2021 indique un pourcentage plus élevé de catholiques que de protestants, la pression en faveur de l'organisation d'un scrutin sur la frontière augmentera considérablement. Il semble très probable que d'ici dix ans, les sondages d'opinion indiqueront la nécessité de déclencher un scrutin sur cette question de la frontière.
Toutefois, avant l'organisation d'un tel scrutin, cette question (et la question nationale en général) sera placée sur le devant de la scène politique. Outre le compte à rebours de l'horloge démographique, la montée en puissance du Sinn Féin dans le Sud donne un élan à ce processus. Lorsqu'ils étaient dans l'opposition, ils ont systématiquement essayé d'utiliser le Brexit comme une opportunité de mettre en avant l'unification irlandaise. S'ils entrent dans un gouvernement de droite avec le Fianna Fáil ou le Fine Gael, ils profiteront sans aucun doute de l'occasion pour réclamer un scrutin sur la frontière, à la fois parce qu'il s'agit d'un élément central de leur existence politique et pour détourner l'attention de leur rôle probable dans la gestion du capitalisme et la mise en œuvre de l'austérité. C'est précisément ce qu'ils ont déjà fait dans le Nord.
Le Brexit et un nouveau référendum écossais pour l'indépendance sont des facteurs supplémentaires qui influencent le débat et la trajectoire de la question nationale en Irlande. L'État britannique en général est sur la voie de la désintégration. La sortie de la Grande-Bretagne de l'UE a souligné le déclin relatif de la position de l'impérialisme britannique, tout en posant avec acuité la question du positionnement d'une frontière renforcée – soit entre le Sud et le Nord de l'Irlande, soit entre l'Irlande dans son ensemble et la Grande-Bretagne.
D'une part, ces éléments peuvent renforcer le sentiment des communautés ouvrières protestantes d'être assiégées par une population catholique de plus en plus confiante. D'autre part, si les catholiques ont le sentiment que leurs aspirations à faire partie d'une Irlande unie seraient bloquées par l'État britannique ou d'autres, même dans des circonstances où ils seraient majoritaires, en dépit du fait que l'accord du Vendredi saint est clair sur ce qui devrait se passer, le résultat pourrait être explosif.
La configuration politique de cette île est incroyablement complexe. Néanmoins, pour tracer une voie vers l'avenir, il faut aborder la situation politique telle qu'elle est, et non pas telle que nous voudrions qu'elle soit. Partant du point de départ compliqué d'aujourd'hui, les socialistes doivent formuler une approche pour s'opposer à l'oppression et unifier la classe ouvrière dans une lutte contre l'exploitation capitaliste et pour un changement socialiste.
Que devraient dire les socialistes à propos d'un référendum sur la frontière ?
Ce référendum est, à bien des égards, la manière la plus tranchante dont la question nationale nous est posée aujourd'hui. Un référendum des deux côtés de la frontière avec une réponse Oui/Non (ou la possibilité de s'abstenir) ne permet pas d'esquives ou de réponses interminables. Il n'est pas possible d'y répondre simplement en se référant à la solution socialiste que nous privilégions. Il exige une réponse concrète. Dans le cadre de l'élaboration d'un programme visant à unir la classe ouvrière et à lutter pour renverser le capitalisme, la manière dont nous répondons à un référendum sur la frontière est cruciale.
Un référendum frontalier dans le cadre de l'accord du Vendredi saint n'est pas notre réponse à la question nationale, tout comme l'accord du Vendredi saint n'était pas notre réponse au conflit sectaire dans le Nord. Il s'agit d'une « solution » créée par les partis politiques et les États capitalistes, qui comporte de nombreux dangers du point de vue de la lutte pour l'unification de la classe ouvrière et la défaite de l'impérialisme et du capitalisme.
Cependant, elle existe légalement et – en conséquence – politiquement, en tant que point de référence pour les personnes issues de communautés catholiques qui cherchent à mettre fin à leur oppression nationale. Les socialistes devraient reconnaître qu'il est tout à fait raisonnable que les catholiques du Nord, qui ont été forcés d'entrer dans un État qui les opprime au motif qu'ils sont une minorité, s'attendent à ce que leur oppression prenne fin lorsqu'ils deviendront une majorité. Le référendum est déjà perçu comme le moyen le plus évident d'y parvenir, et le sera probablement de plus en plus.
D'autre part, les protestants de la classe ouvrière considèrent avec inquiétude un sondage frontalier. Cela s'explique à la fois par l'augmentation des tensions sectaires qui pourrait en résulter et par les conséquences d'un vote en faveur du oui, qui signifierait qu'ils sont forcés d'entrer dans un État dont ils ne veulent pas faire partie.
La possibilité que cela devienne un tournant vers une escalade de la violence et des affrontements sectaires est réelle. Cependant, pour les socialistes, qui sont une petite minorité à ce stade, répondre qu'ils « s'opposent » à un référendum sur la frontière équivaudrait à souffler sur un ouragan pour essayer de le faire disparaître. Cette situation va se produire, que nous le voulions ou non, et les socialistes doivent s'y engager.
S'opposer à l'idée d'un référendum frontalier, ou prôner l'abstention ou le boycott d'un scrutin s'il est organisé, n'est pas une stratégie susceptible d'unir une partie importante de la classe ouvrière et de lui indiquer la voie à suivre pour accéder au pouvoir. Pire encore, cela reviendrait à commenter depuis la ligne de touche. Cela laisserait le champ libre aux nationalistes des deux camps pour prendre la direction du débat et des résultats.
Les socialistes devraient donc reconnaître la réalité politique qu'est l'imminence d'un référendum frontalier. Au lieu de créer une barrière entre eux et la majorité de la classe ouvrière de l'île en s'y « opposant », ils devraient chercher à intervenir pour façonner les termes du débat et le résultat.
Campagne indépendante de la classe ouvrière
Le référendum sur la frontière ne résoudra pas la question nationale et nous ne devrions pas le prétendre. En fait, comme nous l'avons souligné, il pourrait exacerber le sectarisme et les tensions entre les communautés. Cependant, nous ne pouvons pas dire aux catholiques, qui d'une position minoritaire sont sur le point de devenir une majorité, qu'ils devraient accepter ce statu quo jusqu'à ce que la lutte pour le socialisme soit prête à résoudre la question nationale.
Au contraire, nous devrions soutenir la tenue d'un référendum frontalier, à la fois comme un droit démocratique et comme un mécanisme permettant aux catholiques de mettre fin à leur oppression nationale. Nous devrions prendre parti sur la question concrète du référendum frontalier – conformément aux souhaits de la grande majorité des travailleur·ses irlandais·es, avec un contenu progressiste pour la plupart – en faveur de la réunification de l'île. Ce faisant, nous nous mettrions dans une bien meilleure position pour présenter nos arguments plus généraux en faveur de la nécessité d'un changement socialiste, notamment en mettant l'accent sur les droits de la minorité protestante.
Tout en soutenant un tel référendum et en appelant à voter oui, les socialistes doivent mettre en garde contre les dangers qu'il comporte. Il contient un risque significatif d'augmentation des tensions et même de conflit ouvert, dans la période entourant un tel scrutin. S'il avait lieu et que l'unification de l'île était majoritaire, il pourrait simplement changer la dynamique de l'oppression, les protestant·es se sentant contraint·es d'adhérer à un État auquel ils ne s'identifient pas, dans des circonstances de tensions communautaires accrues.
Pour éviter ces conséquences, il faut mettre en place une campagne anti-sectaire basée sur les communautés catholiques et protestantes de la classe ouvrière, indépendante des forces nationalistes, y compris le Sinn Féin qui plaidera en faveur d'un référendum frontalier et d'un vote en faveur du Oui. Dans le Sud, les socialistes ont le devoir particulier de sensibiliser à la crainte des protestant·es de devenir une minorité opprimée au sein d'un État unifié, en expliquant leurs préoccupations de perdre non seulement leur identité, mais aussi des services publics supérieurs à ceux du Sud. Nous devons insister sur la nécessité de protéger les droits de la minorité protestante, ainsi que d'autres minorités, au sein de cet État.
Il faudra argumenter que l'on ne veut pas l'unification de deux États capitalistes et sectaires, mais la création d'une Irlande laïque et socialiste, au sein de laquelle les droits des protestant·es, y compris le droit permanent à la double citoyenneté, seraient protégés. Au lieu de l'harmonisation à la baisse de l'impôt sur les sociétés envisagée par le Sinn Féin et de la création d'un paradis fiscal dans toute l'Irlande, nous devrions préconiser la propriété publique démocratique des principales sources de richesse de l'île, en les utilisant pour garantir un service national de santé de qualité dans toute l'île, des investissements dans des logements publics décents et des services pour tous, ainsi que des améliorations spectaculaires du niveau de vie de la population.
Ce changement socialiste ne peut être soutenu sur l'île d'Irlande seule. Il doit s'inscrire dans un mouvement international visant à mettre fin à la domination par la classe capitaliste et à remettre le pouvoir entre les mains de la classe ouvrière. La construction d'une Europe socialiste démocratique, qui inclurait une coopération et des relations étroites avec les travailleur·ses de tout le continent, est un élément crucial de ce mouvement.
Le 27 janvier 2021
* Les termes « protestant » et « catholique » seront utilisés tout au long de cet article pour désigner les personnes issues des communautés protestantes et catholiques. Bien que ce choix linguistique pose des problèmes, notamment parce qu'il implique qu'il s'agit d'une manière ou d'une autre d'un conflit « religieux », l'alternative consistant à décrire les personnes comme nationalistes et unionistes applique des étiquettes politiques à des personnes uniquement en fonction de leurs origines et ne parvient pas à saisir la nature communautaire de la division sectaire.
Notes
1. James Connolly, Labour and Partition, 1914.
2. La brève histoire décrite ici est principalement tirée de T.A. Jackson, Ireland Her Own, 1946, et de D. R. O'Connor Lysaght, « British Imperialism in Ireland », contenu dans Ireland : Divided Nation, Divided Class, 1987.
3. Pour en savoir plus, Christopher Hill, The English Revolution 1640, 1940.
4. Idem.
5. James Connolly, Labour in Irish History, 1910.
6. Lettre à Lord Justice Fitzgibbon, 16 février 1886. L'ordre Orange est une société protestante, fondée en Irlande, dont le but est de favoriser les objectifs du protestantisme. En 1911, un certain nombre d'orangistes commencent à s'armer et à suivre un entraînement militaire. Le Conseil unioniste d'Ulster décide de mettre sous contrôle ces groupes armés, en créant une milice protestante, l'Ulster Volonteer Force, déterminée à s'opposer au Home Rule. L'appartenance aux loges orangistes et à l'UVF se recouvraient partiellement.
7. Falls Road est la route principale traversant l'ouest de Belfast. Son nom évoque la communauté républicaine catholique de la ville, tandis que la Shankill Road voisine est majoritairement loyaliste et protestante, séparée de Falls Road par les Murs de la paix.
8. Marx et Engels, Manifeste du Parti communiste, 1848.
9. John Riddell, Lenin's Struggle for a Revolutionary International, 2002, p. 40.
10. Eugene V. Debs, The Negro In the Class Struggle, 1903.
11. Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, 1930.
12. Joseph Staline, Le marxisme et la question nationale, 1913.
13. « La question noire aux États-Unis », 28 février 1933.
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Marxisme et question nationale, de Marx à Eric Hobsbawm

L'articulation entre internationalisme et question nationale, entre revendications démocratiques et révolution, est l'enjeu d'un débat entre marxistes depuis le milieu du 19e siècle, débat dont Michael Löwy raconte l'évolution.
23 novembre 2024 | tire du site d'Inprecor, numéro 726, novembre 2024 | Photo : Rosa Luxemburg au Congrès socialiste international d'Amsterdam.
Marx et Engels n'ont proposé ni une théorie systématique de la question nationale, ni une définition précise du concept de « nation », ni une stratégie politique générale pour les socialistes dans ce domaine. Leurs articles sur le sujet étaient, pour la plupart, des déclarations politiques concrètes relatives à des cas spécifiques. En ce qui concerne les textes théoriques proprement dits, les plus connus et les plus influents sont sans doute les passages assez sibyllins du Manifeste concernant les communistes et la nation. Ces passages ont la valeur historique de proclamer de manière audacieuse et intransigeante la nature internationaliste du mouvement prolétarien, mais ils ne sont pas toujours exempts d'un certain économisme et d'un surprenant optimisme libre-échangiste. Cela se voit notamment dans la suggestion que le prolétariat victorieux poursuivra simplement la tâche d'abolir les antagonismes nationaux qui a été commencée avec « le développement de la bourgeoisie, le libre-échange, le marché mondial », etc. Cette idée est cependant contredite dans d'autres textes de la même époque, dans lesquels Marx souligne que « tandis que la bourgeoisie de chaque nation conserve encore des intérêts nationaux particuliers, la grande industrie créa une classe dont les intérêts sont les mêmes dans toutes les nations et pour laquelle la nationalité est déjà abolie » 1.
Dans ses écrits ultérieurs (notamment sur la question de l'Irlande), Marx a montré que non seulement la bourgeoisie tend à entretenir les antagonismes nationaux, mais qu'elle tend même à les accroître, car : 1. la lutte pour le contrôle des marchés crée des conflits entre les puissances capitalistes ; 2. l'exploitation d'une nation par une autre produit l'hostilité nationale ; 3. le chauvinisme est un des outils idéologiques qui permettent à la bourgeoisie de maintenir sa domination sur le prolétariat.
Marx et Engels ont souligné avec force l'internationalisation de l'économie par le mode de production capitaliste : l'émergence du marché mondial qui « a enlevé à l'industrie sa base nationale » en créant « une interdépendance généralisée des nations ». Cependant, il y a une tendance à l'économisme dans son idée que « l'uniformité de la production industrielle et les conditions d'existence qu'ils entraînent » aide à dissoudre les barrières nationales (Absonderungen) et les antagonismes, comme si les différences nationales pouvaient être assimilées à de simples différences dans le processus de production2.
Des principes généraux
Si le Manifeste communiste a jeté les bases de l'internationalisme prolétarien, il n'a guère donné d'indications sur une stratégie politique concrète par rapport à la question nationale. Une telle stratégie n'a été développée que plus tard, notamment dans les écrits de Marx sur la Pologne et l'Irlande (ainsi que dans la lutte qu'il a menée au sein de l'Internationale contre le nationalisme libéral-démocrate de Mazzini et le nihilisme national des Proudhoniens). Marx et Engels ont soutenu la Pologne non seulement au nom du principe démocratique général de l'autodétermination des nations, mais surtout en raison de la lutte des Polonais·es contre la Russie tsariste, le principal bastion de la réaction en Europe et la bête noire des pères fondateurs du socialisme scientifique.
Les écrits sur l'Irlande, en revanche, ont une application beaucoup plus large et énoncent, implicitement, certains principes généraux sur la question des nations opprimées. Dans une première phase, Marx était favorable à l'autonomie de l'Irlande au sein d'une union avec la Grande-Bretagne et pensait que la solution à l'oppression des Irlandais (par les grands propriétaires terriens anglais) passerait par une victoire de la classe ouvrière (chartiste) en Angleterre. Dans les années 1860, en revanche, il considère la libération de l'Irlande comme la condition de la libération du prolétariat anglais. Ses écrits sur l'Irlande à cette époque développent trois thèmes qui seront importants pour le développement futur de la théorie marxiste de l'autodétermination nationale, dans sa relation dialectique avec l'internationalisme prolétarien :
1. Seule la libération nationale de la nation opprimée permet de surmonter les divisions et les antagonismes nationaux et permet à la classe ouvrière des deux nations de s'unir contre leur ennemi commun, les capitalistes ;
2. La libération de la nation opprimée est une condition préalable à la libération du prolétariat anglais. L'oppression d'une autre nation contribue à renforcer l'hégémonie idéologique de la bourgeoisie sur les travailleurs de la nation opprimée : toute nation qui en opprime une autre forge ses propres chaînes ;
3. L'émancipation de la nation opprimée affaiblit les bases économiques, politiques, militaires et idéologiques des classes dominantes de la nation opprimée, ce qui contribue à la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière de cette nation.
Les positions de Friedrich Engels sur la Pologne et l'Irlande étaient largement similaires à celles de Marx. Toutefois, on trouve dans ses écrits un curieux concept théorique, la doctrine des « nations non historiques » – une catégorie dans laquelle il inclut, pêle-mêle, les Slaves du Sud (Tchèques, Slovaques, Croates, Serbes, etc.), les Bretons, les Écossais et les Basques. Selon Engels, « ces survivances d'une nation impitoyablement piétinée par la marche de l'histoire, comme le dit Hegel, ces “déchets de peuples” deviennent chaque fois les soutiens fanatiques de la contre-révolution, et ils le restent jusqu'à leur extermination et leur dénationalisation définitive ; leur existence même n'est-elle pas déjà une protestation contre une grande révolution historique ? » 3.
Engels a développé cet argument métaphysique pseudo-historique dans un article de 1855, qui affirmait que « le panslavisme est un mouvement qui s'efforce d'effacer ce qu'ont créé mille ans d'histoire, et qui ne peut se réaliser sans rayer de la carte la Turquie, la Hongrie et la moitié de l'Allemagne » 4.
Paradoxalement, le même Engels, dans un article de la même époque (1853), avait souligné que l'Empire turc était destiné à se désintégrer à la suite de la libération des nations balkaniques, ce qui ne l'étonnait nullement car, en bon dialecticien, il admirait dans l'histoire « les changements éternels de la destinée humaine [...] où rien n'est stable que l'instabilité, rien n'est immobile, que le mouvement » 5.
Pour la défense d'Engels, on pourrait avancer qu'il s'agissait d'articles de journaux, dépourvus du caractère rigoureux d'un travail scientifique, et qu'ils avaient donc un statut différent de celui de ses écrits théoriques proprement dits.
Le débat marxiste classique au sein de la IIe Internationale : la question nationale au tournant du siècle
C'est à la fin du 19e siècle et au début du 20e que se déroule la discussion la plus importante sur la question nationale parmi les marxistes de la Deuxième Internationale. Des contributions intéressantes traitent de questions spécifiques : la question juive – du bundiste Vladimir Medem au sioniste Ber Borochov – ou la question irlandaise, avec James Connolly. Mais les réflexions théoriques les plus générales sont celles des marxistes des Empires austro-hongrois et russe (tsariste) multinationaux : Otto Bauer, Rosa Luxemburg, Staline, Lénine, Trotsky.
La gauche radicale contre le séparatisme national : Rosa Luxemburg, Léon Trotsky
Le courant de la « gauche radicale » (Linksradikale) représenté par Luxemburg, Pannekoek, Trotsky (avant 1917) et Strasser se caractérisait, à des degrés divers et sous des formes parfois très différentes, par son opposition au séparatisme national, au nom du principe de l'internationalisme prolétarien. Si les marxistes occidentaux Pannekoek et Strasser ont eu peu d'influence, il n'en va pas de même pour la marxiste polonaise Rosa Luxemburg.
En 1893, Rosa Luxemburg fonde le Parti social-démocrate du Royaume de Pologne (PSDK), avec un programme marxiste et internationaliste, pour contrer le Parti socialiste polonais (PPS), dont l'objectif est de lutter pour l'indépendance de la Pologne. Dénonçant le PPS (avec une certaine justesse) comme un parti social-patriotique, Rosa et ses camarades du SDKP étaient résolument opposés au slogan de l'indépendance de la Pologne et soulignaient, au contraire, le lien étroit entre les prolétariats russe et polonais et leur destin commun.
En 1896, Luxemburg représenta le SDKP au congrès de la Deuxième Internationale. Les positions qu'elle défendit dans son intervention furent exposées dans un article ultérieur : « la libération de la Pologne est aussi utopique que la libération de la Tchécoslovaquie, de l'Irlande ou de l'Alsace-Lorraine […]. La lutte politique unificatrice du prolétariat ne doit pas être supplantée par une “série de luttes nationales stériles” ». 6.
Les bases théoriques de cette position seront fournies par les recherches qu'elle a effectuées pour sa thèse de doctorat, Le développement industriel de la Pologne (1898). Le thème central de ce travail était que, du point de vue économique, la Pologne était déjà intégrée à la Russie. Seules la petite bourgeoisie et les couches précapitalistes nourrissaient encore le rêve utopique d'une Pologne unie et indépendante.
Sa déclaration la plus controversée sur la question nationale (que Lénine, en particulier, a attaquée) est la série d'articles publiés en 1908 sous le titre « La question nationale et l'autonomie » dans le journal du Parti social-démocrate polonais (devenu le SDKPiL, après l'adhésion d'un groupe marxiste lituanien). Les principales idées avancées dans ces articles sont les suivantes : 1. le droit à l'autodétermination est un droit abstrait et métaphysique, comme le soi-disant « droit au travail » prôné par les utopistes du 19e siècle ; 2. Le soutien au droit de sécession de chaque nation implique en réalité le soutien au nationalisme bourgeois : la nation en tant qu'entité uniforme et homogène n'existe pas – chaque classe de la nation a des intérêts et des « droits » conflictuels ; 3. l'indépendance des petites nations en général, et de la Pologne en particulier, est utopique du point de vue économique et condamnée par les lois de l'histoire. Pour Luxemburg, il n'y a qu'une seule exception à cette règle : les nations balkaniques de l'Empire turc (Grecs, Serbes, Bulgares, Arméniens). Ces nations avaient atteint un degré de développement économique, social et culturel supérieur à celui de la Turquie, empire décadent dont le poids mort les opprimait.
Pour étayer son point de vue sur le manque d'avenir des petites nations, Luxemburg utilise les articles d'Engels sur les « nations non historiques » (bien qu'elle les attribue à Marx : leur véritable paternité n'a en fait été établie qu'en 1913, avec la découverte de lettres inédites de Marx/Engels) (6).
Des approches concrètes
Comme on le sait, en 1914 Luxemburg fut l'une des rares dirigeant·es de la IIe Internationale à ne pas succomber à la grande vague de social-patriotisme qui submergea l'Europe avec l'avènement de la guerre. Emprisonnée par les autorités allemandes pour sa propagande internationaliste et antimilitariste, elle rédigea en 1915 et fit sortir clandestinement de prison son célèbre Brochure de Junius. Dans ce texte, Luxemburg adopte dans une certaine mesure le principe de l'autodétermination : « le socialisme reconnait à chaque peuple le droit à l'indépendance et à la liberté, à la libre disposition de son propre destin ». Cependant, pour elle, cette autodétermination ne pouvait être exercée au sein des États capitalistes existants, en particulier les États colonialistes. À l'ère de l'impérialisme, la lutte pour « l'intérêt national » est une mystification, non seulement par rapport aux grandes puissances coloniales, mais aussi pour les petites nations qui ne sont « que des pions sur l'échiquier impérialiste des grandes puissances ». 7
Toutefois, dans un article, Luxemburg expose le problème dans des termes très proches de ceux de Lénine : l'introduction de 1905 au recueil La question polonaise et le mouvement socialiste. Dans cet essai, Luxemburg distingue soigneusement le droit indéniable de chaque nation à l'indépendance (« qui découle des principes élémentaires du socialisme »), qu'elle reconnaît, et l'opportunité de cette indépendance pour la Pologne, qu'elle nie. C'est aussi l'un des rares textes où elle reconnaît l'importance, la profondeur et même la justification des sentiments nationaux (tout en les traitant comme un simple phénomène « culturel »), et où elle souligne que l'oppression nationale est « l'oppression la plus intolérable dans sa barbarie » et ne peut que susciter « hostilité et rébellion »…8
Les écrits de Léon Trotsky sur la question nationale avant 1917 peuvent être qualifiés d'« éclectiques » (terme utilisé par Lénine pour les critiquer), occupant une position à mi-chemin entre Luxemburg et Lénine. C'est surtout après 1914 que Trotsky s'est intéressé à la question nationale. Il l'aborde dans sa brochure La guerre et l'Internationale 9 ouvrage polémique dirigé contre le social-patriotisme, sous deux angles différents, voire contradictoires :
1. Une approche historique et économique. La guerre mondiale est le produit de la contradiction entre les forces productives, qui tendent vers une économie mondiale, et le cadre contraignant de l'État-nation. Trotsky annonçait donc « la destruction de l'État-nation en tant qu'entité économique indépendante », ce qui, d'un point de vue strictement économique, était une proposition justifiable. Mais il en déduit l'« effondrement » et la « destruction » de l'État-nation dans son ensemble ; l'État-nation en tant que tel, le concept même de nation, ne pourra plus exister à l'avenir que comme « fait culturel, idéologique et psychologique ».
2. Une approche politique concrète. Contrairement à Luxemburg, Trotsky proclame explicitement le droit des nations à l'autodétermination comme l'une des conditions de la « paix entre les nations », qu'il oppose à la « paix des diplomates ». En outre, il soutient la perspective d'une Pologne indépendante et unie (c'est-à-dire libérée de la domination tsariste, autrichienne et allemande) ainsi que l'indépendance de la Hongrie, de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Serbie, de la Bohême, etc. C'est dans la libération de ces nations et leur association dans une fédération balkanique qu'il voyait la meilleure barrière contre le tsarisme en Europe. En outre, Trotsky défendait une relation dialectique entre l'internationalisme prolétarien et les droits nationaux : la destruction de l'Internationale par les social-patriotes était un crime non seulement contre le socialisme, mais aussi contre « l'intérêt national, dans son sens le plus large et le plus correct », puisqu'elle dissolvait la seule force capable de reconstruire l'Europe sur la base des principes démocratiques et du droit des nations à l'autodétermination.
Après 1917, Trotsky adopte la conception léniniste de la question nationale, qu'il défend à Brest-Litovsk (1918) en tant que commissaire du peuple aux affaires étrangères.
Les austro-marxistes et l'autonomie culturelle
L'idée principale des austro-marxistes – Karl Renner et Otto Bauer – par rapport à la question nationale, notamment dans le contexte de l'Empire austro-hongrois, est l'autonomie culturelle dans le cadre d'un État plurinational, par le biais de l'organisation des nationalités en corporations juridiques publiques, dotées de toute une série de pouvoirs culturels, administratifs et juridiques. Ils souhaitaient à la fois reconnaître les droits des minorités nationales et maintenir l'unité de l'État austro-hongrois.
Le grand ouvrage d'Otto Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie (1907), partageait le postulat fondamental de Karl Renner et des autres austro-marxistes : la préservation de l'État plurinational, en accordant une autonomie nationale culturelle aux différentes communautés ethniques…
La particularité de l'analyse de Bauer réside dans la dimension psycho-culturelle de sa théorie sur la question nationale, construite sur la base du concept de « caractère national », défini en termes psychologiques : « la diversité des objectifs, le fait qu'un même stimulus peut provoquer des mouvements différents et qu'une même situation extérieure peut conduire à des décisions différentes ». Ce concept d'origine néo-kantienne a été sévèrement critiqué par les adversaires marxistes de Bauer (Kautsky, Pannekoek, Strasser, etc.) 10
L'œuvre de Bauer a une valeur théorique indéniable, notamment en ce qui concerne le caractère historiciste de sa méthode. En définissant la nation comme le produit d'un destin historique commun, comme « l'aboutissement jamais achevé d'un processus constant », comme une cristallisation d'événements passés, un « morceau d'histoire figé », Bauer se place résolument sur le terrain du matérialisme historique et en opposition frontale avec les mythes réactionnaires de la « nation éternelle » et de l'idéologie raciste. Cette approche historique confère au livre de Bauer une réelle supériorité méthodologique sur la plupart des auteurs marxistes de l'époque, dont les écrits sur la question nationale avaient souvent un caractère abstrait et rigide. Dans la mesure où la méthode de Bauer impliquait non seulement une explication historique des structures nationales existantes, mais aussi une conception de la nation comme un processus, un mouvement en perpétuelle transformation, il a pu éviter l'erreur d'Engels en 1848-49 : le fait qu'une nation (comme les Tchèques) « n'ait pas eu d'histoire » ne signifie pas nécessairement qu'elle n'aura pas d'avenir. Le développement du capitalisme en Europe centrale et dans les Balkans ne conduit pas à l'assimilation mais à l'éveil de nations « non historiques » 11.
Il convient d'ajouter que le programme d'autonomie culturelle de Bauer avait une valeur significative en tant que complément – et non alternative – à une politique fondée sur la reconnaissance du droit à l'autodétermination. En effet, la première Constitution de l'Union soviétique intégrait en quelque sorte le principe de l'autonomie culturelle des minorités nationales.
Lénine, Staline et le droit à l'autodétermination
Staline a été le premier dirigeant bolchevique à écrire sur la question nationale. C'est Lénine qui l'a envoyé à Vienne pour étudier la question et, dans une lettre adressée à Gorki en février 1913, il a parlé du « merveilleux Géorgien qui s'est fait connaître dans le monde entier » 12. Mais une fois l'article de Staline « Le marxisme et la question nationale » 13 terminé, il ne semble pas que Lénine ait été particulièrement enthousiaste à son sujet, car il ne le mentionne dans aucun de ses nombreux écrits sur la question nationale, à l'exception d'une brève référence entre parenthèses dans un article daté du 28 décembre 1913. Il est évident que les idées principales de l'œuvre de Staline sont celles du parti bolchevique et de Lénine. Cela dit, la suggestion de Trotsky selon laquelle l'article a été inspiré, supervisé et corrigé « ligne par ligne » par Lénine semble discutable 14.
Au contraire, sur un certain nombre de points assez importants, l'ouvrage de Staline diffère implicitement et explicitement des écrits de Lénine, voire les contredit.
1. Le concept de « caractère national », de « constitution psychologique commune » ou de « particularité psychologique » des nations n'est pas du tout léniniste. Cette problématique est un héritage de Bauer, que Lénine a explicitement critiqué pour sa « théorie psychologique ». 15 En affirmant sans ambages que « ce n'est que lorsque toutes ces caractéristiques [langue commune, territoire, vie économique et formation psychique] sont réunies que nous avons une nation », Staline a donné à sa théorie un caractère dogmatique, restrictif et rigide que l'on ne retrouve jamais chez Lénine. La conception stalinienne de la nation était un véritable lit de Procuste 16 idéologique. Selon Staline, la Géorgie d'avant la seconde moitié du 19e siècle n'était pas une nation car elle n'avait pas de « vie économique commune », étant divisée en principautés économiquement indépendantes. Selon ce critère, l'Allemagne, avant l'Union douanière, n'aurait pas été une nation non plus… On ne trouve nulle part dans les écrits de Lénine une « définition » aussi rigide et arbitraire de la nation.
2. Staline a explicitement refusé d'admettre la possibilité d'une unité ou d'une association de groupes nationaux dispersés au sein d'un État multinational : la question se pose de savoir s'il est possible d'unir en une seule union nationale des groupes qui sont devenus si distincts. Est-il concevable, par exemple, que les Allemands des provinces baltes et les Allemands de Transcaucasie puissent être « réunis en une seule nation » ? La réponse donnée, bien sûr, était que tout cela n'était « pas concevable », « pas possible » et « utopique » 17.
Lénine, en revanche, défendait vigoureusement la « liberté d'association, y compris l'association de toutes les communautés, quelle que soit leur nationalité, dans un État donné », citant précisément en exemple les Allemands du Caucase, de la Baltique et de la région de Petrograd. Il ajoutait que la liberté d'association de toute nature entre les membres de la nation, dispersés dans différentes parties du pays ou même du globe, était « indiscutable et ne pouvait être contestée que du point de vue bureaucratique et borné » 18.
3. Staline ne faisait aucune distinction entre le nationalisme oppressif tsariste grand-russe et le nationalisme des nations opprimées. Dans un paragraphe très révélateur de son article, il rejette d'un même souffle « la vague de nationalisme belliqueux, partie d'en haut, tout une suite de répressions de la part des “détenteurs du pouvoir” » et la « vague de nationalisme montant d'en bas, qui se transformait parfois en un grossier chauvinisme » des Polonais, des juifs, des Tatars, des Géorgiens, des Ukrainiens, etc. Non seulement il ne fait aucune distinction entre les nationalismes « d'en haut » et « d'en bas », mais il adresse ses critiques les plus sévères aux sociaux-démocrates des pays opprimés qui n'ont pas « tenu bon » face au mouvement nationaliste.
Lénine, la question nationale et la stratégie
Le point de départ de Lénine pour élaborer une stratégie sur la question nationale était le même que pour Luxemburg et Trotsky : l'internationalisme prolétarien. Cependant, contrairement à ses camarades de la gauche révolutionnaire, il insiste sur la relation dialectique entre l'internationalisme et le droit à l'autodétermination nationale. Il estime, premièrement, que seule la liberté de faire sécession rend possible l'union libre et volontaire, l'association, la coopération et, à long terme, la fusion entre les nations. Deuxièmement, seule la reconnaissance par le mouvement ouvrier de la nation oppressive du droit de la nation opprimée à l'autodétermination peut contribuer à éliminer l'hostilité et la suspicion des opprimé·es et à unir le prolétariat des deux nations dans la lutte internationale contre la bourgeoisie.
D'un point de vue méthodologique, Lénine se distingue de la plupart de ses contemporains par sa tentative de « mettre la politique aux commandes », c'est-à-dire par sa tendance obstinée et inébranlable à saisir et à mettre en évidence l'aspect politique de chaque problème et de chaque contradiction. En ce qui concerne la question nationale, alors que la plupart des autres auteurs marxistes voyaient principalement la dimension économique, culturelle ou « psychologique » du problème, Lénine estimait que la question de l'autodétermination « appartient entièrement et exclusivement [au domaine de la démocratie politique] »19, c'est-à-dire au domaine du droit à la sécession politique et à l'établissement d'un État-nation indépendant.
Il va sans dire que l'aspect politique de la question nationale pour Lénine n'est pas du tout celui dont se préoccupent les gouvernements, les diplomates et les armées. Que telle ou telle nation ait un État indépendant ou que les frontières soient entre deux États lui est totalement indifférent. Son objectif est la démocratie et l'unité internationaliste du prolétariat, qui passent toutes deux, selon lui, par la reconnaissance du droit des nations à disposer d'elles-mêmes. De plus, précisément parce qu'elle se concentre sur l'aspect politique, sa théorie de l'autodétermination ne fait aucune concession au nationalisme. Elle se situe uniquement dans la sphère de la lutte démocratique et de la révolution prolétarienne.
Le principal défaut de la conception léniniste de la question nationale est que l'accent exclusif mis sur le choix entre l'unification et la sécession laisse peu de place à des alternatives telles que l'autonomie nationale et culturelle. Mais dans la pratique, Lénine et les bolcheviks y auront recours, par exemple en ce qui concerne les communautés nationales telles que les juifs en URSS.
Réflexions contemporaines, Benedict Anderson, Eric Hobsbawm
Dans les décennies qui ont suivi la Révolution russe d'octobre 1917, la plupart des discussions sur la question nationale ont porté sur des problèmes nationaux spécifiques. En 1922, Lénine et Staline se sont affrontés sur la question de l'autonomie de la Géorgie soviétique – un conflit décrit par l'historien Moshe Lewin comme Le dernier combat de Lénine. Dans les années 1930, Léon Trotsky écrit sur le droit à l'autodétermination de l'Ukraine soviétique. La question juive continue de susciter des controverses, avec, entre autres, la contribution d'un jeune disciple de Trotsky, Abraham Leon. Plusieurs marxistes noirs publient d'importantes analyses sur la minorité afro-américaine aux États-Unis (W.E.B. Du Bois, CLR James). En 1935, le marxiste catalan Andreu Nin a publié un livre sur les mouvements d'émancipation nationale, mais il s'agit essentiellement d'un résumé du débat classique, de Marx et Engels aux révolutionnaires russes. Bien entendu, il existe une vaste littérature marxiste sur les mouvements coloniaux de libération nationale.
Ce n'est qu'à la fin du 20e siècle que de nouvelles réflexions théoriques marxistes générales sur la question nationale ont vu le jour. Deux d'entre eux sont les plus influents : Benedict Anderson et Eric Hobsbawm.
Dans son livre novateur de 1983, Imagined Communities Reflections on the Origin and Spread of Nationalism (L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme), Benedict Anderson définit la nation comme « une communauté politique imaginée ». Il explique qu'une nation « est imaginée parce que les membres de la plus petite nation ne connaîtront jamais la plupart de leurs confrères, ne les rencontreront jamais, ni même n'entendront parler d'eux, mais dans l'esprit de chacun d'eux vit l'image de leur communion ». Les membres de la communauté ne connaîtront probablement jamais chacun des autres membres face à face ; cependant, ils peuvent avoir des intérêts similaires ou s'identifier comme faisant partie de la même nation.
Enfin, une nation est une communauté parce que, « indépendamment de l'inégalité et de l'exploitation réelles qui peuvent prévaloir dans chacune d'elles, la nation est toujours conçue comme une camaraderie profonde et horizontale. En fin de compte, c'est cette fraternité qui a permis, au cours des deux derniers siècles, à tant de millions de personnes, non pas tant de tuer, mais de mourir volontairement pour des objectifs aussi limités ».
Selon Anderson, la langue joue un rôle important dans la consolidation des « communautés imaginées » nationales. Commençant avec une petite élite cultivée, la langue devient de plus en plus importante avec la généralisation de l'imprimé après le 18e siècle et, après le 19e siècle, avec la diffusion de la langue à travers l'éducation publique et l'administration. – On peut considérer que l'accent mis par Anderson sur l'imaginaire est trop unilatéral, mais son livre est sans aucun doute l'une des contributions les plus novatrices à la réflexion marxiste sur la question nationale.
Le livre d'Eric Hobsbawm en 1991, Nations and Nationalism since 1780 (Nations et nationalismes depuis 1780 : programmes, mythe et réalité) est peut-être l'étude la plus importante de la question après les grands classiques de la Deuxième Internationale. En examinant les différents critères proposés pour définir une nation, tels que la langue, l'ethnicité, le territoire, etc., il conclut que ces définitions « objectives » ont échoué, car il y a toujours des exceptions évidentes. En outre, les critères adoptés à cette fin sont eux-mêmes changeants et ambigus. Il propose donc une attitude d'« agnosticisme » et refuse toute définition a priori de ce qui constitue une nation. La seule définition qu'il accepte comme hypothèse de travail initiale pour son livre est que « tout ensemble suffisamment important de personnes dont les membres se considèrent comme membres d'une “nation” sera traité comme tel ». Bien sûr, il reste la question du « seuil » : qu'est-ce qu'un « groupe suffisamment important » ? Au 19e siècle, comme le montre Hobsbawm, seules les grandes nations étaient considérées comme lebensfähig (viables) : non seulement les libéraux, mais même Marx et Engels considéraient les petits peuples comme des survivances du passé et des obstacles au progrès historique…
Pour Hobsbawm, les nations sont des formations modernes, c'est-à-dire relativement récentes, produites par l'idéologie nationaliste et par « l'invention de la tradition » – un concept qui n'est pas sans similitude avec les « communautés imaginées » de Benedict Anderson. Hobsbawm est d'accord avec le spécialiste (non marxiste) du nationalisme Ernest Gellner pour dire que les nations comportent un élément d'artefact, d'invention et d'ingénierie sociale, et il cite le commentaire ironique suivant de cet anthropologue britannique : « Les nations en tant que moyen naturel, donné par Dieu, de classer les hommes, en tant que destin politique inhérent, sont un mythe ; le nationalisme, qui parfois prend des cultures préexistantes et les transforme en nations, parfois les invente… : c'est une réalité ». Mais il n'est pas d'accord avec Gellner sur l'accent unilatéral qu'il met sur la modernisation nationale par le haut, en ignorant les développements populaires « par le bas » 20
Internationaliste impénitent, Eric Hobsbawm est sceptique quant au principe wilsonien d'autodétermination nationale : la tentative (après le traité de Versailles) de faire coïncider les frontières de l'État avec les frontières de la nationalité et de la langue. Il estime que cette politique, visant à créer des États ethniquement homogènes, a conduit, inévitablement, à l'expulsion massive ou à l'extermination des minorités : « Telle était et telle est la réduction meurtrière à l'absurde du nationalisme dans sa version territoriale, bien que cela n'ait pas été pleinement démontré avant les années 1940 » 21.
L'analyse historique de Hobsbawm est remarquable, mais sa conclusion selon laquelle, à la fin du 20e siècle, la nation et le nationalisme sont de moins en moins importants est douteuse. Si l'on peut admettre avec lui que l'État-nation a perdu une grande partie de son importance économique, il est beaucoup moins évident que, comme il l'affirme, « le nationalisme n'est plus un vecteur majeur du développement historique » et qu'il a une « signification historique déclinante ». Les exemples qu'il donne pour illustrer son argumentation, au moment où il écrit son livre (1988-89), ont été démentis par le cours des événements dans les années qui ont suivi. Ainsi, il souligne que les tensions nationales en Yougoslavie « n'ont pas encore fait un seul mort » et, à propos de la montée des groupes nationalistes xénophobes tels que le Front national en France, il insiste sur leur « instabilité et leur impermanence » 22.
Si l'internationalisme est la seule perspective cohérente, d'un point de vue marxiste, pour considérer la question nationale, cela ne doit pas conduire, comme cela a souvent été le cas, à sous-estimer la force, l'influence et la capacité de nuisance des nations et du nationalisme.
Le 21 mai 2024
Bibliographie
B. Anderson, L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, La Découverte, 1996, 212 pages ; réédition poche 2006.
O. Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie, Paris, EDI, 1987, vol. 1 ; La question des nationalités, éditions Syllepse, 660 pages, 2017
F. Engels, « The Magyar Struggle » (1848), in Marx, Engels, The Revolutions of 1848, Londres, Penguin 1973.
F. Engels, « What is to Become of Turkey in Europe ? » New York Daily Tribune, 1853, et « Deutschland und der Panslawismus », Neue Oder Zeitung, 1855, dans Marx, Engels Werke, Berlin, Dietz Verlag, 1968, vol. XI.
E. Hobsbawm, Nations et nationalismes depuis 1780 : programmes, mythe et réalité, Gallimard, 1992, édition poche 2001.
V.I. Lénine, « The National Program of the RSDLP », Collected Works, Moskow, Progress, 1958, Vol. 19 ; V.I. Lénine, « The Right of Nations to Self-Determination », et « Critical Remarks on the National Question » in Collected Works, Vol. 20 ; V.I. Lénine, « The Socialist Revolution and the Right of Nations to Self-Determination », Collected Works, Vol. 22 ; V.I. Lénine, Collected Works, Vol. 35. En ligne sur marxists.org : « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes ».
M. Löwy, « Marxists and the National Question », New Left Review, Londres, avril 1976.
R. Luxemburg, « Thèses sur les tâches de la social-démocratie internationale » (1915), « La Brochure de Junius, La guerre et l'Internationale », Œuvres complètes, Tome IV, Agone, 256 pages.
R. Luxemburg, « Die Polnische Frage auf dem Internationalen Kongress in London », (1896), « Vorwort zu dem Sammelband “Die polnische Frage und die sozialistische Bewegung” » (1905), « Nationalität und Autonomie » (1908), in Internationalismus und Klassenkampf, Berlin, Luchterhand, 1971 (Rosa Luxemburg, la Question nationale et l'autonomie, Le temps des cerises, 2001 - épuisé).
K. Marx, F. Engels, L'idéologie allemande, 1845.
R. Rosdolsky, Friedrich Engels et les peuples « sans histoire », 384 pages, Syllepse, 2018.
J. Staline, Le marxisme et la question nationale.
L. Trotsky, Les Bolcheviks et la paix mondiale.
L. Trotsky, Staline, Syllepse, 2021, 1008 pages.
Notes
1. Marx, F. Engels, L'idéologie allemande, 1845, .
2. K.Marx, F. Engels, Manifeste du Parti communiste, 1848.
3. F. Engels, La Nouvelle Gazette Rhénane, 13 janvier 1849.
4. F. Engels, “Deutschland und der Panslawismus”, Neue Oder Zeitung, 1855, cité par R. Rosdolsky, Friedrich Engels et les peuples « sans histoire », Syllepse, 2018.
5. F. Engels , “What is to Become of Turkey in Europe ?”, New York Daily Tribune, 1853, cité par R. Rosdolsky, op.cit. p. 174.
6. R. Luxemburg, “Die polnische Frage auf dem Internationalen Kongress in London”, 1896, Internationalismus und Klassenkampf, Berlin, Luchterhand, 1971, pp. 142-143 et pp. 236, 239.
7. R. Luxemburg, La Brochure de Junius, La guerre et l'Internationale, Œuvres complètes, Tome IV, Agone.
8. R. Luxemburg, voir note 6, pp. 192, 217-218).
9. Trotsky, Der Krieg und die Internationale (1914) Zürich, Verlag der Grütlibuchhandlung, 1918, pp. 21, 230-231.
10. O. Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie, Paris, EDI, 1987, vol. 1, p. 139, réédité par Syllepse en 2017.
11. Otto Bauer, 1987, vol. 1, p. 149, voir note 10.
12. Lénine, édition 1958, vol.35:84.
13. Staline, 1913.
14. Trotsky, Staline, édition 1969:233.
15. Lénine, édition 1958, vol. 20:31.
16. ans la mythologie grecque, Procuste (littéralement « celui qui martèle pour allonger ») est le surnom d'un brigand de l'Attique connu pour ne vouloir héberger chez lui que des personnes d'une taille donnée : il contraignait les voyageurs à s'allonger sur un lit ; il leur coupait les membres trop grands et qui dépassaient le lit, et étirait les pieds de ceux qui étaient trop petits. On parlait couramment de « lit de Procuste » pour désigner les tentatives de contraindre les choses à un seul modèle, une seule façon de penser ou d'agir, en référence aux pratiques de ce personnage.
17. Staline, Le marxisme et la question nationale, édition 1953 : 306-7, 309, 305, 339.
18. Lénine, 1958, 19 : 543 et Lénine, 1958, 20 : 39, 50.
19. Lénine, « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes », édition 1958, 22:145.
20. Hobsbawm, édition 1991 : 8-11.
21. Hobsbawm, édition 1991 : 133.
22. Hobsbawm, édition 1991 : 163, 170, 173,
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Le méga-courant de l’Atlantique pourrait s’effondrer plus tôt que prévu

L'affaiblissement des courants dans l'Atlantique aura des effets « dévastateurs et irréversibles » sur de nombreux pays. La fonte rapide des glaciers arctiques pourrait précipiter leur effondrement.
Tiré de Reporterre
25 novembre 2024
Par Vincent Lucchese
On le compare parfois à un titanesque tapis roulant. Un ensemble complexe de courants océaniques qui traversent l'Atlantique — dont le fameux Gulf Stream — et qui charrient environ18 millions de m³ d'eau par seconde, soit plus de dix fois le débit cumulé de tous les fleuves du monde. Appelé « circulation méridienne de retournement de l'Atlantique », ou Amoc selon son acronyme anglophone, ce système joue un rôle crucial pour réguler le climat.
Une inquiétude grandit cependant depuis quelques années dans la littérature scientifique : nous aurions sous-estimé son affaiblissement, voire son effondrement à venir. La dernière étude en date, publiée le 18 novembre dans la revue Nature Geoscience par des chercheurs de l'université australienne de Nouvelle-Galles du Sud, conclut que l'Amoc pourrait perdre 30 % de sa puissance dès 2040, soit vingt ans plus tôt que les précédentes estimations.
« Cela pourrait entraîner de gros changements pour le climat et les écosystèmes, dont un réchauffement accéléré dans l'hémisphère sud, des hivers plus rigoureux en Europe et un affaiblissement des moussons tropicales dans l'hémisphère nord », préviennent les auteurs.
La fonte des glaciers perturbe l'océan
En 2023, une étude publiée dans Nature Communicationsestimait quant à elle que l'Amoc avait carrément une probabilité de 95 % de s'effondrer d'ici 2095. Et le 21 octobre dernier, une quarantaine de chercheurs issus de nombreux pays signaient une lettre ouvertealertant les pays du Conseil nordique du risque que nous ayons « grandement sous-estimé » la possibilité d'un affaiblissement, voire d'un effondrement de l'Amoc, lequel aurait des impacts « dévastateurs et irréversibles » pour de nombreux pays.
Dans son sixième rapport d'évaluation, publié en 2021 et résumant l'état de la science en la matière, le Giec [1] notait pourtant, avec un degré de confiance « moyen », que l'Amoc ne s'effondrerait pas d'ici 2100. Mais une « confiance moyenne » laisse planer un risque inquiétant, soulignent les scientifiques dans leur lettre ouverte. Et les recherches récentes publiées depuis tendent à faire remonter ce risque à la hausse, écrivent-ils.
À l'heure actuelle, la communauté scientifique peine à faire émerger une analyse consensuelle de la situation. Il est généralement admis que lechangement climatiquedevrait affaiblir l'Amoc. Mais à quelle échéance et avec quelle intensité ? Les incertitudes et divergences de vues sur cette question sont à la mesure de l'extrême complexité du phénomène étudié.
Revenons, pour le comprendre, sur le fonctionnement schématique de l'Amoc. L'un de ses moteurs est la plongée vers les abysses des eaux de surface, dans les hautes latitudes. Lorsque les courants chauds venus des tropiques rencontrent les masses d'air froides dans le nord, une partie de l'eau de mer gèle, laissant son sel derrière elle. L'eau restante voit ainsi sa concentration en sel augmenter. L'eau plus froide et plus salée étant plus dense, elle coule, entraînant le « tapis roulant » de l'Amoc. Cette eau profonde retourne ensuite boucler la boucle vers le sud, où elle remonte et chauffe de nouveau à la surface.

On voit, sur ce schéma de l'Amoc, en rouge les courants de surface, chauds, et en bleu les courants froids circulant en profondeur. © NOAA
Ce système joue un rôle crucial pour redistribuer la chaleur sur le globe, via les échanges entre l'océan et l'atmosphère, et contribue également à la santé des écosystèmes, en transférant des nutriments, du carbone et de l'oxygène à travers l'Atlantique. Le changement climatique perturbe tout cela, notamment en entraînant la fonte massive des glaciers arctiques, au Groenland et au Canada. En se déversant dans l'océan, ce surcroît d'eau douce réduit la salinité, donc la densité et enraye ce moteur de l'Amoc qu'est la plongée des eaux froides en profondeur.
Or, les modèles climatiques actuels ne prennent pas en compte cette fonte additionnelle provoquée par les activités humaines et peinent à reproduire le comportement observé de l'Amoc. C'est en intégrant cette fonte à leur modèle que les chercheurs australiens prétendent aujourd'hui obtenir de meilleures estimations.
D'inquiétantes incertitudes
Plusieurs chercheurs interrogés par Reporterre sont toutefois sceptiques quant aux conclusions péremptoires de cette étude, dont la méthodologie pourrait manquer de rigueur, notamment dans l'estimation du volume d'eau douce issu de la fonte à venir des glaciers. Les travaux de 2023 étaient de même loin de faire l'unanimité.
« Il est très probable que le changement climatique ralentisse l'Amoc au cours du siècle, mais cet affaiblissement est estimé de -10 à -70 % selon les modèles, l'incertitude est énorme », rappelle Didier Swingedouw, directeur de recherche au CNRS, qui étudie de près ces courants atlantiques.
Les simulations numériques modélisant le futur de l'Amoc sont d'autant plus délicates que l'on n'arrive toujours pas à bien représenter le comportement « normal » du phénomène, sans prendre en compte le changement climatique. « L'Amoc résulte d'un équilibre très subtil entre de nombreuses influences. Les zones de mélange entre les eaux chaudes et froides sont en soi difficiles à modéliser. Il faut aussi réussir à représenter les vents qui vont influer sur cette convection, les précipitations et les niveaux d'évaporation qui jouent aussi un rôle sur les caractéristiques de ces eaux », nous liste Didier Swingedouw.
Les facteurs évoluant, il existe une « cascade d'incertitudes ». Pexels/CC/Laura Otte
Pour anticiper le futur, il faut ajouter au défi de la modélisation l'évolution de ces facteurs : comment les tropiques de plus en plus chauds vont augmenter l'évaporation et donc la salinité des eaux chaudes, comment les précipitations vont évoluer aux hautes latitudes et faire à leur tour varier la salinité… « Une cascade d'incertitudes », soupire le chercheur.
Le simple fait de savoir si l'Amoc a d'ores et déjà commencé à ralentir n'est pas établi. D'après la modélisation de l'étude australienne, l'affaiblissement serait de 20 % depuis 1950. Mais ces résultats sont le fruit de reconstitutions numériques : les observations in situ ne sont possibles que depuis 2004, et aucune tendance claire ne s'en dégage. « À partir des observations directes de l'Amoc, ce que nous mesurons est uniquement une forte variabilité saisonnière, interannuelle et interdécennale », mais aucun signal clair lié au climat n'est identifié souligne Sabrina Speich, océanographe au Laboratoire de météorologie dynamique.
Menaces sur l'Afrique et l'Europe
Reste que la tendance semble aller vers des estimations de plus en plus pessimistes. « Avant, on était sur une “confiance forte” que l'Amoc ne s'effondrerait brutalement pas d'ici 2100. Le dernier rapport du Giec est passé à une “confiance moyenne”. Et puis s'arrêter à 2100 est arbitraire. L'Amoc pourrait s'effondrer en 2150. C'est un système lent, son temps d'effondrement est probablement de l'ordre du siècle », souligne Didier Swingedouw, signataire de la lettre ouverte publiée en octobre.
L'enjeu est donc moins aujourd'hui de comprendre si l'Amoc s'affaiblira drastiquement, mais quand il le fera exactement. Dans tous les cas, cela pourrait considérablement refroidir le nord de l'Europe, encerclé par des régions, elles, toujours plus chaudes, conduisant à des « climats extrêmes sans précédent », interpelle la lettre des scientifiques. Cela pourrait « potentiellement menacer la viabilité de l'agriculture du nord-ouest de l'Europe ».
« Les pays de l'Afrique de l'Ouest seraient surtout en première ligne, s'inquiète Didier Swingedouw. Le Sahel pourrait devenir un désert, avec jusqu'à 30 % de baisse de précipitations, et la zone aujourd'hui plus verte au sud du Sahel deviendraient sahéliennes. »
Il y a doublement urgence : à limiter autant que possible l'ampleur du changement climatique, mais aussi à s'y adapter. Pour l'instant, les catastrophes liées à l'Amoc et ses conséquences sur nos sociétés ne sont aujourd'hui ni anticipées ni même sérieusement évaluées, déplorent les auteurs de la lettre ouverte.
La prise de conscience montera peut-être à mesure que les projections climatiques s'affineront à propos de ces phénomènes. Les chercheurs plaident unanimement pour l'accumulation de données et travaux supplémentaires. Les principaux systèmes de mesure in situ de l'Amoc impliquent massivement des instituts de recherches étasuniens, dont l'avenir est suspendu à l'investiture de Donald Trump. Le président étasunien élu envisage de démanteler les agences environnementales, dont la NOAA, l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique.
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Naomi Klein : « Nous avons besoin d’un populisme écologique »

Naomi Klein, activiste et intellectuelle canadienne, explique la victoire de Trump par l'incapacité de la gauche et des écologistes à parler des problèmes concrets des gens. Elle plaide pour un « écopopulisme ».
Tiré de Reporterre
15 novembre 2024
Naomi Klein : « Nous avons besoin d'un populisme écologique »
La journaliste et essayiste canadienne Naomi Klein, connue pour avoir publié No Logo et La Stratégie du choc (Actes Sud, 2001 et 2008) vient de sortir un nouveau livre : Le Double — Voyage dans le monde miroir, toujours chez Actes Sud. Dans cet entretien, elle fait le procès de la gauche étasunienne : « Nous devons nous concentrer sur des politiques écologiques qui soient aussi des politiques de redistribution économique. »
Reporterre — Comment analysez-vous la victoire de Donald Trump ?
Naomi Klein — La droite se rapproche des classes populaires avec plus de facilité que la gauche ou les libéraux. Cela devrait être un véritable signal d'alarme et nous faire réfléchir à la façon dont le discours progressiste est perçu : élitiste, déconnecté et sans plan pour aider les gens. J'ai toujours cru qu'il était possible de concevoir une stratégie politique qui s'attaque à la crise écologique et à l'aggravation des inégalités. Mais ce n'est pas comme cela que la gauche a façonné sa politique climatique. Nous assistons à un ras-le-bol des travailleurs qui ont l'impression que ces questions sont un luxe dont ils ne peuvent pas se préoccuper.
La gauche sociale-démocrate n'accepte pas de s'engager dans cette voie et de parler aux gens ?
C'est un échec de la gauche dans sa globalité. Pas seulement du Parti démocrate qui n'est pas la gauche, mais représente l'establishment. L'aile du Parti démocrate affiliée à Bernie Sanders a été totalement marginalisée. Bernie essaie toujours de trouver un terrain d'entente. C'est sa stratégie politique : « Qu'est-ce qui peut unir la coalition la plus large possible ? » À cause de son absence, la gauche s'est divisée en petites factions très agressives qui s'attaquent les unes les autres. Elle n'a pas créé un mouvement bienveillant capable d'attirer les travailleurs, ce qu'a réussi la campagne de Trump : elle a attiré beaucoup de gens de gauche, qui travaillent et ont besoin d'un espoir économique.
« La gauche est devenue très académique et élitiste. Son discours n'est pas en phase avec le peuple. » © Cha Gonzalez / Reporterre
C'est un paradoxe parce que le monde de Trump est celui des hyper riches, d'Elon Musk et de nombreux milliardaires.
Le Parti démocrate est perçu comme plus élitiste que le Parti républicain, qui est un mélange de riches volontiers grossiers et d'autres plus accessibles, en contact avec les classes populaires. Elon Musk échange avec les utilisateurs de Twitter, alors que les riches démocrates ne parlent à personne en dehors de leurs cercles. En 2016, j'ai écrit que le Parti démocrate ressemble à une fête à laquelle vous n'avez pas été invité. C'est une super élite qui a mis en scène un spectacle et pensait que les travailleurs s'y joindraient. Mais les gens se sentaient insultés et exclus. C'est ainsi qu'ils ont élu Trump.
« Le Parti démocrate est une super élite »
Bien sûr, le Parti républicain est au service de l'argent. Il n'a pas été pour autant condescendant envers les travailleurs comme a pu l'être le Parti démocrate. En outre, les expulsions massives promises par Trump ne sont pas seulement une politique raciste, mais aussi une politique économique dans le sens où il promet une redistribution des richesses à la classe ouvrière, de la même manière que les fascistes ont présenté l'antisémitisme comme une redistribution des richesses. C'est ce que dit Trump aux électeurs noirs et latinos : « Ces immigrés prennent votre travail, nous allons les éliminer pour que vous ayez plus d'emplois. » C'est horrible, mais il est important de comprendre qu'il y a une logique économique derrière ce vote.
Quelle doit être la stratégie de la gauche et des écologistes ?
Il faut commencer par examiner honnêtement la façon dont nous sommes perçus. Nous devons nous concentrer sur des politiques écologiques qui soient aussi des politiques de redistribution économique, qui montrent très concrètement qu'il n'est pas nécessaire de choisir entre l'environnement, sa famille et son portefeuille. Nous devrions nous battre pour la gratuité des transports en commun municipaux et pour des pompes à chaleur pour tous qui réduisent la consommation d'énergie et permettent de chauffer et rafraîchir les maisons. Nous pouvons avoir des politiques vertes qui soient des politiques qui rendent la vie beaucoup plus abordable. Nous avons besoin d'un populisme écologique, d'un écopopulisme.
Le problème, c'est qu'il faut une redistribution, mais qu'elle semble absolument bloquée. Les gens savent qu'il y a de grandes inégalités mais ne pensent pas qu'il soit possible de la changer. Le fatalisme domine.
La meilleure façon de lutter contre le fatalisme est d'être stratégique. Choisissez 2 ou 3 projets sur lesquels vous pouvez gagner et gagnez-les ! Alors les gens reprendront espoir. On ne peut pas convaincre un fataliste avec seulement des arguments. Il faut lui démontrer que c'est possible.
Comment ?
Aux États-Unis, Trump est en charge de tout au niveau fédéral, mais les Démocrates sont aux commandes dans des États comme la Californie et dans des grandes villes comme New-York. Il y a beaucoup de critiques à adresser à Joe Biden sur le climat, mais il a réussi à faire passer le texte législatif de l'Inflation Reduction Act (IRA) [un plan d'investissement de 370 milliards de dollars sur dix ans pour engager la transition énergétique]. J'espère donc que la révolution des énergies renouvelables est suffisamment avancée pour qu'elle se poursuive sans politique fédérale. Joe Biden doit débloquer cet argent avant la fin de son mandat pour que les projets soient mis en œuvre sur le terrain. Certains gouverneurs républicains affirment déjà ne pas vouloir se débarrasser de l'IRA parce qu'il leur procurera des financements dont ils ont besoin.
Une autre difficulté est que Trump et l'extrême droite assument totalement de mentir, les faits ne sont plus des éléments sur la base desquels on peut discuter.
Personne n'est complètement attaché à la vérité. Nous choisissons tous nos fantasmes. Le poids de la réalité écologique, économique et militaire rend l'époque très difficile à supporter. Donc nous vivons tous dans nos bulles et nous projetons sur nos adversaires tout ce que nous ne supportons pas chez nous.
« La droite a détruit l'écosystème de l'information »
Mais c'est vrai qu'il y a une approche de plus en plus créative des faits par le Parti républicain. Nous subissons les effets d'une stratégie menée depuis cinquante ans par la droite, qui a détruit l'écosystème de l'information. C'est la raison pour laquelle je parle de choses comme le transport en commun, le prix du chauffage, celui des produits alimentaires... Moins nous sommes dans des débats abstraits sur les causes du changement climatique, mieux c'est.
Quand on parle de populisme écologique, qui est un mot très fort, est-ce que ça veut dire qu'il faut prendre les armes de l'adversaire, sa rhétorique, voire être plus brutal ?
Pour moi, le populisme n'est pas un gros mot.
En France, le populisme est un stigmate utilisé pour vous décrédibiliser.
Nous parlons d'une politique de redistribution et de la volonté de rencontrer les gens là où ils en sont. La gauche est devenue très académique et élitiste. Son discours n'est pas en phase avec le peuple. Quand vous parlez de commerce du carbone, les gens ne comprennent pas de quoi vous parlez. Il est très facile pour vos adversaires de déformer vos concepts. Ce que la droite fait souvent est de prendre un terme académique, comme la théorie du genre, et d'en faire sa propre interprétation. Ils en sont capables parce que les gens ne savent pas ce qu'est la théorie du genre. Alors que dire « j'aime les transports en commun gratuits », c'est facile.
Comment définiriez-vous le populisme ?
Le populisme doit être redistributif, en réponse directe aux besoins économiques des gens. Bernie Sanders est un populiste économique parce qu'il parle de redistribuer les richesses, en se concentrant sur l'augmentation des salaires, sur les soins de santé universels, sur des services qui vont répondre directement aux besoins des gens. Cela est tourné en dérision par le centre comme étant populiste. Je pense que nous devrions au contraire embrasser ces concepts. C'est bien d'être populiste !
Au début des années 2000 il y a eu des Forums mondiaux, comme à Porto Alegre au Brésil. Est-il imaginable d'essayer de faire une remise à zéro de la situation, en partant de l'écologie ? Comment faire renaître un grand mouvement populaire ? Est-ce un rêve ?
Ce n'est pas un rêve si lointain. Il peut y avoir une autre vague qui capture et dirige cette énergie. Les gens sont en colère. Ils comprennent que leurs conditions de vie sont de plus en plus difficiles et stressantes. Ils ont le sentiment que le système est truqué. Un populisme de droite prend cette colère et la dirige vers les personnes les plus vulnérables, en pointant les immigrés comme bouc émissaire. Le populisme de gauche tente de diriger l'énergie populaire contre les entreprises et les élites. Mais cette énergie a été cooptée par les Steve Bannon [ancien bras droit de Donald Trump], Giorgia Meloni [présidente du Conseil italien, d'extrême droite], Marine Le Pen...
La menace militaire semble monter partout dans le monde. Comment y faire face ?
Trump va la nourrir. Il veut davantage de dépenses européennes dans l'armement. C'est aussi une invitation à la gauche pour que nous investissions dans la santé et le logement au lieu du militarisme. C'est un choix difficile. Allons-nous construire des bombes ou des hôpitaux ?
« Nous pouvons investir dans une économie qui donne un espoir de paix avec la Terre et entre nous. » © Cha Gonzalez / Reporterre
Quelle serait la réponse de la gauche à cette question ? Devrions-nous augmenter nos dépenses militaires ?
Non, mais nous pouvons investir dans une économie qui donne un espoir de paix avec la Terre et entre nous. Trump fait miroiter un monde où nous investissons dans les armes offensives et dans un dôme de fer mondial. Nos frontières seraient ainsi protégées contre les effets de nos politiques et de l'immigration de masse... Il pourrait y avoir une autre vision pour la gauche populiste, axée sur la guerre climatique et l'injustice économique.
L'intelligence artificielle est devenue le moteur du capitalisme. Comment va-t-elle changer le paysage politique et quelle devrait être la réponse de la gauche et des écologistes ?
Nous devons identifier les failles dans la coalition bricolée par la droite, qui a beaucoup de vulnérabilités. L'une d'entre elles est que Trump parle déjà d'investir dans l'intelligence artificielle, mais c'est en contradiction avec ce que dit Bannon et des figures de la nouvelle droite qui parlent d'un effondrement spirituel. La gauche n'a pas été douée pour parler de ce sentiment que le monde se déshumanise. Il s'agit d'une question de climat, de droits du travail, mais aussi d'une question spirituelle dont nous devons parler davantage.
. Le Double — Voyage dans le Monde miroir, de Naomi Klein, aux éditions Actes Sud, octobre 2024, 496 p., 24,80 euros.
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Traité mondial sur le plastique : « Il faut baisser la production de 75 % »

Les Nations unies se réunissent jusqu'au 1ᵉʳ décembre à Busan, en Corée du Sud, pour tenter d'aboutir à un traité sur la pollution plastique. Henri Bourgeois-Costa, de la Fondation Tara Océan, plaide pour un texte ambitieux.
Mise à jour : "Après une semaine de négociations ardues, les 170 pays réunis à Pusan en Corée du Sud n'ont pas réussi à s'entendre sur un premier traité mondial contre la pollution plastique. Les discussions vont reprendre à une date ultérieure. Des délégués accusent un petit groupe d'États producteurs de pétrole d'avoir fait dérailler le sommet par leur obstruction. "(R-C /01-12-2024)
25 novembre 2024 | tiré de reporterre.net
175 pays, plus de 2 000 négociateurs et observateurs, 7 jours de discussions… Après Bakou et la COP29, toute l'attention se tourne cette semaine vers Busan, en Corée du Sud. S'y déroule un autre sommet crucial pour l'avenir de notre planète, celui devant aboutir à un Traité international sur la pollution plastique.
Cette cinquième session du Comité intergouvernemental de négociation (INC-5) devrait en théorie être la dernière. Au cours des deux dernières années, les pays des Nations unies se sont déjà retrouvés à Nairobi, Paris puis Ottawa.
Si rien n'est fait, la production de plastique triplera d'ici à 2060, selon l'OCDE. La Fondation Tara Océan, qui travaille depuis des années à sensibiliser grand public et décideurs sur l'ampleur du fléau que représente la pollution plastique, sera présente à Busan. Henri Bourgeois-Costa, son directeur des affaires publiques, a répondu à nos questions avant son départ pour la Corée du Sud.
Reporterre — Pouvez-vous nous rappeler les enjeux principaux de cette semaine de négociations qui s'ouvre à Busan ?
Henri Bourgeois-Costa — Pour le moment, on a un brouillon de texte — un « draft » — issu de la précédente session de négociations à Ottawa. Ce document énorme comprend un peu toutes les options possibles puisque l'essentiel du texte ne fait pas l'objet d'un accord, et présente donc des visions assez radicalement opposées entre, d'un côté, les pays de la coalition de Haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique [1] et, de l'autre, les « Like minded countries » (« les pays qui pensent pareil »), représentant les intérêts pétroliers. On est donc face à un texte qui dit un peu tout et son contraire.
Le président du comité, Luis Vayas Valdivieso, a tenté de proposer une nouvelle voie avec ce qu'il a appelé un « non-paper », c'est-à-dire un document dans lequel il a essayé de synthétiser les choses et de poser les fondamentaux de ce que pourrait être un texte. Mais il l'a fait sans mandat particulier. Ainsi à Busan, les discussions se feront soit sur le texte officiel, soit à partir de ce « non-paper ». Mais certains États pourraient très bien demander à ce que ce dernier soit jeté à la poubelle, puisque officieux.
Que pensez-vous de ce « non-paper » sur le fond ?
Nous sommes beaucoup d'ONG, mais pas uniquement, à souligner son manque d'ambition. L'idée du président, c'est évidemment de rassembler largement. Sauf qu'à vouloir rassembler trop largement, il n'y a plus beaucoup de contenu. Ce texte traite essentiellement des aspects déchets, recyclage, prévention et mécanismes financiers. Mais il n'aborde pas du tout ce qui crispe, à savoir les enjeux de réduction de la production, la question des toxiques et encore moins celle du carbone qui reste un tabou absolu. Même notre ministre a estimé que ce texte méritait d'être largement enrichi.
Un consensus semble impossible en l'état des positions.
Par nature, il ne peut pas y en avoir. Mais je ne pense pas qu'il faille en tirer une conclusion négative. Quand il y a consensus, soit on se retrouve avec des textes ambitieux, mais pas forcément déclinables sur le terrain parce que l'application est laissée au bon vouloir de chacun, soit on aboutit à un texte contraignant, mais dont l'ambition est extrêmement faible. On imagine difficilement que des États dont l'économie est 100 % basée sur le pétrole ou quasiment — je pense aux pays du Golfe en particulier — signeraient un texte ambitieux.
Pour nous, embarquer l'ensemble des pays n'est pas forcément une finalité en soi. L'enjeu, c'est d'embarquer les pays qui sont pertinents, structurants sur la question des pollutions plastiques, à savoir les pays occidentaux qui entraînent cette consommation. Et puis aussi la Chine. Même si elle ne fait pas partie des pays moteurs, l'espoir est encore permis car c'est un pays qui transforme le plastique, pas un pays qui en produit. L'enjeu est moins crucial pour elle que pour un État pétrolier.
Quant aux États-Unis, ils nous ont apporté une énorme bouffée d'espoir juste avant les élections, avec un vrai changement d'attitude de l'administration et des négociateurs, et des prises de parole très encourageantes. Désormais, la proximité du futur président avec les intérêts de la pétrochimie risque clairement de nous compliquer les choses.
Quels sont les sujets qui achoppent aujourd'hui ?
La réduction de la production. Une étude du laboratoire de Berkeley publiée récemment modélise les résultats des différentes options de réduction qui pourraient être prises à Busan. Elle montre bien qu'une politique qui serait axée uniquement autour du recyclage et de l'amélioration de la collecte n'apporterait pas du tout de résultats suffisants. Pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat [limiter la hausse des températures bien en dessous de 2 °C], elle évalue qu'il faudrait baisser la production de 75 %.
Plusieurs hypothèses économiques montrent que 50 % de réduction de la production serait déjà tout à fait possible à atteindre, ne serait-ce parce que notre production a complètement explosé. Le Pérou et le Rwanda se sont fixés un objectif de réduction de 40 % à l'horizon 2040. Ce sont les seuls qui ont posé un élément chiffré pour bousculer un peu la discussion, à Ottawa. 40 % de réduction d'ici 2040, c'est revenir à la production de l'année... 2015. Nous appuyons cette proposition, non pas qu'elle soit satisfaisante en elle-même, mais elle nous semble un point de départ intéressant de discussion.
Que craignez-vous si aucun accord n'était trouvé ?
Notre grande crainte, c'est plutôt qu'on se laisse piéger par la tentation d'un texte à tout prix. Le secrétariat des Nations unies nous donne des signes un peu inquiétants d'une volonté allant dans ce sens. Or, un traité arraché à Busan risque d'être un peu pauvre, de ne pas traiter la problématique tout au long de la chaîne, de l'extraction pétrolière jusqu'au consommateur.
Aujourd'hui, toutes les hypothèses sont encore sur la table : de l'échec complet et de la fin des négociations à une poursuite des discussions, avec, par exemple, le lancement d'une sixième session. Autre hypothèse intéressante : avoir une négociation multilatérale en dehors du cadre onusien, avec des pays qui concentreraient leurs efforts à convaincre la Chine sur un texte plus ambitieux, plutôt que de perdre du temps avec des pays qui, de toute façon, ne voudront rien entendre sur les sujets principaux.
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Ni double ni triple ni quadruple peine pour les femmes étrangères !

Dans le cadre de la campagne pour la loi intégrale, le réseau des associations de femmes des quartiers populaires propose plusieurs recommandations liées spécifiquement aux besoins des femmes étrangères et immigrées face aux violences répétées qu'elles subissent tout au long de leur parcours.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Pour une Loi intégrale sur les violences sexistes et sexuelles
Appel du réseau associations de femmes des quartiers populaires d'Ile de France femmes étrangères,
Nous, associations de femmes des quartiers populaires, demandons qu'enfin une loi intégrale incluant les besoins de TOUTES les femmes vivant sur le sol français, soit votée au plus vite et soutenue ensuite par des mécanismes de mise en œuvre efficaces.
Nous rappelons que les violences sexistes et sexuelles qui saccagent les vies de millions de femmes, loin d'être éliminées, sont redoublées sur les plus vulnérables par les institutions ayant autorité. Nous rappelons que le rôle d'un Etat démocratique est de protéger et défendre les personnes qui vivent sur son sol, et non pas d'ajouter une violence institutionnelle aux violences sexistes et sexuelles déjà subies.
Pourquoi une quadruple peine ?
1. L'agression, le viol, les coups, les mutilations, la soumission, l'humiliation, la réduction au statut d'objet : voici un échantillon de ce que vivent les femmes victimes de violences
2. Les séquelles physiques et le traumatisme à vie résultant de l'effraction psychique (opérée) commise par l'agresseur
3. La plainte traitée avec négligence, mépris, soupçon, disqualifiée ou refusée par l'entourage et/ou les institutions supposées la recevoir (refuges, commissariats, services sociaux, …)
4. L'augmentation de la vulnérabilité, déjà immense du fait des peines précédentes, par les blocages et les silences administratifs les livrant au dénuement total et à l'insécurité, pour les femmes étrangères
Soit : prévoir des rendez-vous spécifiques, accélérer les procédures d'obtention du titre de séjour, le renouveler systématiquement en cas de violences, ne pas exiger l'ordonnance de protection pour le renouvellement dès lors qu'une plainte est déposée, faciliter les régularisations,
Evincer systématiquement le conjoint violent du domicile conjugal en veillant à mettre le bail au nom de la victime si elle n'y figure pas
Ne pas ordonner d'OQTF aux femmes victimes de violences après qu'elles aient porté plainte
L'Etat français, en signant la Convention sur l'élimination des discriminations à l'égard des femmes des Nations Unies et la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, a pris la responsabilité de la protection de TOUTES les femmes vivant sur son sol : nous demandons donc qu'il l'assume enfin. Rejoignez-nous !
Nous recommandons donc d'accorder aux femmes étrangères les mêmes droits et la même dignité qu'aux femmes françaises, en prenant en compte leur statut spécifique. Ce qui signifie en accompagnement de la loi cadre intégrale, veiller à :
Créer un programme d'aide juridique pour les femmes étrangères victimes de violences.
Ne pas conditionner les ordonnances de protection à la présence du mari
Garantir l'indépendance économique des femmes étrangères en leur permettant de travailler sans ordonnance de protection
Séparer les dossiers des femmes de leurs maris (et donc ne pas retirer le récépissé de demande de titres de séjour aux femmes dont le mari est violent)
Imposer aux commissariats de recevoir les plaintes sans que le titre de séjour soit un critère
Prendre en compte les demandes de renouvellement des titres de séjour dans le parcours de sortie de violences.
Associations signataires :
Africa-93
Citoyenneté Possible
Djamma Djigui
Excision parlons-en !
Femmes Entraide Autonomie
Femmes de Franc Moisin
Rêv ‘elle toi
Rougemont solidarité
Sunshine
Maison des femmes de Paris
Maison des femmes Thérèse Leclerc
Voix de femmes
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Les violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité ou de pouvoir : Agir contre ce fléau trop longtemps ignoré

Rapport remis au gouvernement le 18 novembre 2024
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/29/les-violences-sexistes-et-sexuelles-sous-relation-dautorite-ou-de-pouvoir-agir-contre-ce-fleau-trop-longtemps-ignore/?jetpack_skip_subscription_popup
Depuis 2017, de nombreuses réformes législatives visant à mieux lutter contre les violences sexistes, sexuelles, conjugales, intrafamiliales, ont abouti : allongement des délais de prescription, présomption de non-consentement, ordonnances de protection, création de nouveaux délits…
Le Grenelle des violences conjugales a permis des avancées majeures dans la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales.
Sept ans après #MeToo, force est de constater la persistance des faits de violences sexistes et sexuelles sous relation d'autorité ou de pouvoir malgré les efforts déjà mis en œuvre pour les prévenir.
Plus de 1,4 million de femmes a déclaré avoir subi des violences sexistes et sexuelles hors cadre familial en 2021. Parmi elles, seules 2% des victimes ont porté plainte auprès des forces de l'ordre. Le sexisme et l'emprise se nichent de façon insidieuse dans certaines relations de pouvoir, d'autorité, de subordination, bien au-delà des relations de travail. A titre d'exemple : militants d'un parti politique, élus ou bénévoles au sein d'associations…
Les mécanismes de domination sont les mêmes dans le monde de l'entreprise, du sport, de la santé, des institutions politiques, de la fonction publique ou de la culture et se retrouvent dans l'ensemble des situations où existe un rapport d'autorité.
Au terme de près de 70 auditions, nous pouvons affirmer que les violences sexistes et sexuelles sous relation d'autorité ou de pouvoir sont encore malheureusement un fléau qui s'étend bien au-delà des lieux de travail.
Téléchargements
Télécharger le PDF | Synthèse du rapport PDF – 443.76 Ko
Télécharger le PDF | Tome 1 Rapport PDF – 3.27 Mo
Télécharger le PDF | Tome 2 Rapport : les contributions des personnes auditionnées PDF – 41.21 Mo
Télécharger le PDF | Lettre de mission interministérielle du 22 mars 2024 PDF – 194.15 Ko
Télécharger le PDF | Les 41 recommandations, dont 3 recommandations prioritaires dans le domaine de la santé, du sport et des institutions politiques et 1 recommandation prioritaire dans le domaine de la culture. PDF – 222.38 Ko
Les 15 recommandations prioritaires :
Prévenir :
– Étendre la conditionnalité des aides publiques (Etat-collectivités publiques) dans tous les secteurs, y compris les partis politiques, à la mise en œuvre effective de mesures de prévention des violences sexistes et sexuelles (formation, communication…).
– Créer un label Agir contre les violences sexistes et sexuelles pour distinguer les structures qui mettent en œuvre des outils de formation et de prévention adaptés.
– Confier à un organisme indépendant la certification et le contrôle des organismes de formation sur les violences sexistes et sexuelles et de ceux réalisant les enquêtes internes.
– Expliquer les différentes formes de violences sexistes et sexuelles, éduquer sur ce qu'est un rapport de pouvoir, les risques de l'emprise, notamment lors de formations diplômantes, à l'entrée dans l'emploi ou dans le cadre du service national universel.
– Rendre la formation aux violences sexistes et sexuelles obligatoire pour toute personne en position d'autorité ou de responsabilité et tous les professionnels intervenant dans la prise en charge des cas de violences sexistes et sexuelles.
– Pérenniser et spécialiser les enquêtes de victimation en lien avec les violences sexistes et sexuelles sou rapport d'autorité ou de pouvoir.
– Evaluer la loi Rixain du 24 décembre 2021 relative aux grandes entreprises et la loi du 19 juillet 2023 relative à la fonction publique pour atteindre l'objectif d'égalité fixé dans les instances dirigeantes et exécutives et dans les instances disciplinaires.
Repérer :
– Généraliser les structures d'écoute et de signalement dont la compétence et l'indépendance sont requises pour briser l'entre soi et susciter la confiance.
Sanctionner :
– Permettre aux victimes de violences sexistes et sexuelles hors cadre conjugal de solliciter une ordonnance de protection.
– Inciter et mieux accompagner les organisations dans la réalisation d'enquêtes internes avec sanctions administratives ou disciplinaires, équitables, rapides et dissuasives, sans attendre l'issue des procédures judiciaires, avec publication annuelle d'un rapport quant aux mesures prises.
– Expérimenter dans les juridictions la création de pôles spécialisés sur les violences sexistes et sexuelles dans le cadre de relations de travail, qui confèrent au juge des compétences tant pénales que prud'homales.
Accompagner et réparer :
– Permettre l'octroi de l'aide juridictionnelle dès le dépôt de plainte.
– Améliorer la formation des experts judiciaires psychologues ou psychiatres et augmenter le nombre d'experts spécialisés dans l'évaluation des conséquences physiques et psychologiques des violences sexistes et sexuelles.
– Augmenter les conditions de prise en charge par les assurances ou les mutuelles des frais liés à une action judiciaire et aux soins des victimes de violences sexistes ou sexuelles.
– Enfin, afin de continuer à lutter contre les violences sexistes et sexuelles, certains dispositifs seront mis en place : le lancement d'un Grenelle des violences sexistes et sexuelles, une campagne de communication grand public et la création d'une commission de suivi des recommandations.
Les membres de la Mission interministérielle sur les violences sexistes et sexuelles sous relation d'autorité et de pouvoir :
Christine ABROSSIMOV, administratrice de l'Etat
Christine CALDEIRA, secrétaire générale de l'ANDRH
Angélique CAUCHY, sportive de haut niveau, présidente de l'association Rebond
Bariza KHIARI, ancienne sénatrice de Paris et vice-présidente du Sénat
Marie-France OLIERIC, gynécologue obstétricienne, chef de pôle Femme mère enfant du CHR de Metz-Thionville et présidente de l'association Donner des ELLES à la santé
Rachel-Flore PARDO, avocate au Barreau de Paris et activiste féministe
Contact :
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Violences : dépasser l’indignation

La lutte contre les violences faites aux femmes est multiple. Les dénonciations des actes sexistes ici et ailleurs fleurissent. Ce sont des bonnes nouvelles. En même temps, la montée en puissance d'un masculinisme politique explose.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Comment expliquer ce vase communiquant ? Comment le combattre ? Identifier et nommer les différents types de violences, les croiser avec l'ensemble des systèmes de domination, devient impératif pour ne pas fondre sous l'ignorance délibérée produite par les dominants.
L'actualité internationale nous le montre tous les jours. Les violences faites aux femmes sont réelles [1], matérielles, physiques ou psychologiques et pas uniquement symboliques [2]. Leur liste, non exhaustive, est elle-même violente, obscène et archaïque : féminicides, violences sexuelles dont incestes, violences conjugales, harcèlement, trafic/prostitution, violences médicales (accouchement, endométriose, règles, douleur…), violences juridiques…
Ces violences sont concomitantes et imbriquées avec des violences produites par le racisme, le classisme, le validisme, l'âgisme. De nos jours, il vaut mieux être un homme quadra blanc riche hétérosexuel et bien portant qu'une jeune femme racisée lesbienne et malade ou handicapée… personne que nous désignerons ici avec le terme « invisible ».
Ces violences s'accompagnent de violences verbales, de langage, de vocabulaire, d'imaginaire, d'interprétation, de représentations et descriptions de savoirs et connaissances dominantes (clichés, poncifs, stéréotypes, mythes), ensemble qui est appelé les violences épistémiques [3].
Arrêtons-nous sur ces violences épistémiques. Il en existe plusieurs types. Par exemple, il est courant d'exclure ou de rire des invisibles. On ne les prend pas au sérieux, on ne les croit pas, on les décrédibilise ou on ridiculise ce qui n'est pas dans la norme, un peu partout, à la maison, dans les émissions de tv, sur les réseaux sociaux, dans les assemblées, dans les commissariats, dans les tribunaux, dans les hôpitaux…
Il est également courant de rendre ces invisibles coupables de leur sort, qu'elles soient malades, opprimées, agressées : elles ne prennent pas bien soin d'elles, sont influençables, n'ont pas de volonté, ne se mettent pas en avant, s'habillent mal, ou au contraire aguichent, provoquent, cherchent à nuire…
Il est encore courant de les inviter à se corriger individuellement : positiver, prendre soin de soi, augmenter son estime de soi, faire le deuil d'une rupture, d'une agression, d'une maladie, investir son développement personnel…
Il est toujours courant de les inviter à mériter un meilleur sort : si on veut on peut. C'est la méritocratie : si chacune ne se bat pas dans son coin pour sortir de l'impasse, elle restera seule responsable des violences qu'elle subit.
Il est aussi courant de transformer les invisibles en objets (de violence) versus sujets (de lutte). Les femmes, et en particulier les femmes racisées pauvres, seraient des victimes « par essence » [4], par nature moins fortes et moins endurantes que les hommes, moins volontaires, avec des humeurs changeantes, parfois hystériques, se plaignant pour rien…
Il est enfin courant d'entendre que les hommes eux aussi des victimes car visés par des injonctions constantes à la masculinité ou au virilisme. Pourtant, la comparaison avec l'oppression des femmes est aberrante, disproportionnée.
Toutes ces violences épistémiques servent à mieux oblitérer les vrais coupables : bien évidemment les hommes violents et leurs complices mais aussi, par leur intermédiaire mais pas seulement, le patriarcat, le libéralisme, les politiques sécuritaires, culturelles, sportives, éducatives, de santé…
Ces violences épistémiques sont le résultat d'une hiérarchie des savoirs : entre femmes et hommes, entre riches et pauvres, entre racisé·es et « Blancs », entre jeunes et aînés, entre bien portants et malades. Elles sont héritées de différents systèmes de domination dont la mondialisation, l'occidentalisation, le capitalisme et antérieurement l'impérialisme, le colonialisme, ce que désigne la colonialité du pouvoir [5]. Ces systèmes ont besoin de produire de l'aliénation, de la ségrégation, de l'oppression, des hiérarchie sociales, de l'ignorance, pour se maintenir. Hannah Arendt avait prévenu : « Pour s'implanter, le totalitarisme a besoin d'individus isolés et déculturés, déracinés des rapports sociaux organiques, atomisés socialement et poussés à un égoïsme extrême. » [6]
Les offensives masculinistes
Nous comprenons mieux pourquoi, dans ce contexte, les discours populistes, masculinistes et traditionalistes se durcissent. Ils sont extrêmement présents dans la sphère politique au point de construire un masculinisme politique [7], pour ne pas dire un masculinisme d'État. En France, le hashtag #ReversDeLaMédaille, créé en 2021 par les « mascus », comme ils se nomment eux-mêmes, de l'« Armée des Médailles », a pour but d'alimenter « le combat » entre féministes et masculinistes [8]. Leur tactique de cyberharcèlement consiste à créer de faux hashtags incitant des féministes à les alimenter, puis à révéler qu'ils sont en réalité des hommes pour mieux les humilier. Partout dans le monde, des hommes politiques, au plus haut niveau de l'échelle du pouvoir, tels Donald Trump [9], Javier Milei [10] ou encore Viktor Orbán [11], et en leurs temps Jair Bolsonaro [12] ou Jacob Zuma [13], diffusent de fausses informations sur leurs adversaires, appellent au surarmement et au maintien au pouvoir par la force, dans le but d'assoir leur électorat et de consolider leur rhétorique xénophobe, anti-avortement, misogyne, antiféministe, homophobe hypermasculiniste, populiste autoritaire. Ces intrusions délibérées sont l'expression d'un désarroi politique à l'échelle internationale, désarroi lié au sentiment accru de perte de légitimité tant institutionnelle locale qu'internationale. La quête de légitimité s'opère de fait sur le terrain de l'affirmation d'une forte identité sexuelle masculine (y compris chez les femmes en position de pouvoir), en tant que seule force possible, seule expression de puissance possible.
Les contrepoints féministes
Quels sont alors les contrepoints possibles aux systèmes de domination ? Nous en connaissons déjà beaucoup. Sur internet, depuis quelques années, des hashtags, des médias ou des podcasts féministes ont largement fait surface dans le but de dénoncer les violences. Pour ne citer que quelques exemples, prenons #metoo, #BalanceTonPorc, simonemedia, madmoizelle, Un podcast à soi, Les couilles sur la table. Leurs contenus s'articulent autour de récits intimes, de paroles d'expert·es, de textes littéraires et de réflexions personnelles sur l'inceste, le harcèlement sexuel, le travail domestique, la prostitution, les violences obstétricales, la religion, les masculinités… Les hashtags en particulier permettent, par l'ampleur de la mobilisation qu'ils produisent, d'engager des procès, d'aggraver des charges pour agressions sexuelles, d'ouvrir des enquêtes, de prendre la parole. Les exemples là aussi sont nombreux : procès pour viol du producteur de cinéma Harvey Weinstein, dénonciation des violences dans les arts et la culture, dans les grandes écoles en France et ailleurs. Plus militants, les hashtags #decolonisonslefeminisme ou #feminismedecolonial permettent de dénoncer l'intersectionnalité des agressions sexuelles et d'articuler le racisme avec l'augmentation des interventions policières et carcérales de l'État.
Toutes ces actions expriment des luttes qui naissent du quotidien, là où le vécu inspire des femmes, là où l'imagination, stimulée par l'urgence, reprend le pouvoir. Nous assistons à une forme de confrontation, par laquelle ces militantes de la dénonciation sortent de l'isolement. Elles mettent en exergue le silence ou les mensonges des coupables et la complicité sociale dont ils bénéficient. Elles créent du collectif et excluent l'individuel, l'égocentrisme, l'entre-soi ou encore le ponctuel isolé. D'autres manifestent leur fragilité liée aux agressions multiples (de classe, de race, de genre, validiste, homophobe…) [14], s'insurgent contre la « racialisation » dans le travail ou les arts, contre la « culture de l'effacement » (de l'esclavage, de la colonisation, des violences sexuelles…).
L'indignation, nécessaire, est-elle suffisante ?
Parmi les personnes qui prennent la parole, certaines prolongent la dénonciation dans la rue, sur les murs, au parlement, dans les médias traditionnels, dans les palais de justice. Elles interpellent les pouvoirs publics, continuent leur travail de repérage, organisent des formations ou stimulent des pistes de recherche, se mobilisent pour le matrimoine, boycottent des interventions à forte prévalence sexiste et publient des livres, des photos ou illustrations, produisent des reportages ou documentaires sonores ou filmés.
Cette production de connaissances me semble impérative, sans quoi le risque de proroger le mépris consacré aux invisibles demeure effectif.
Plus encore, au-delà de la victimisation, de la demande de protection ou d'écoute, des doléances ou des revendications, voire même de la critique, il me semble essentiel que des personnes se mettent en action mais aussi qu'elles diffusent leurs connaissances et cela en invalidant le féminisme washing, lui aussi très courant et contreproductif. Le plus important me semble de tisser des liens entre les violences faites aux femmes et les violences multiples produites dans le monde par le capitalisme fondé sur le patriarcat : guerres, génocides, mouvements anti-écologie, populismes.
L'objectif est de transformer les langages, les expressions, les représentations, le vocabulaire du quotidien, de rompre avec les évidences. Quand nous nous engageons sur cette route, nous entrons en résistance contre les dominants car nous politisons le contexte où les savoirs non dominants sont produits. Nous redonnons de la signification au politique. Nous posons, à très grande échelle, la question de la lutte contre la production délibérée d'ignorance et celle de la maîtrise des connaissances, qui demandent à être produites par, et non simplement fournies pour, les femmes, pauvres, racisées…
Par effet retour, les invisibles deviennent conscientes de leur pouvoir effectif, de leur potentiel [15]. Elles écartent les notions d'inégalités (entre les sexes, les races, les classes, les âges, les validités), partie émergée des différentes dominations, pour mieux identifier ce qui les structurent : hiérarchie, hégémonie, oppression, coercition, aliénation [16].
Aussi Écrivons ! Dessinons ! Filmons ! Enregistrons ! Diffusons ! Transmettons ! Mais surtout croisons les dominations en tissant des liens entre violences faites aux femmes et racisme, classisme, validisme, âgisme, militarisation, destruction de la planète, masculinisme, fascisme ! Veillons à créer un langage critique radical de l'oppression ! Rompons ainsi avec l'impunité des vrais coupables et avec la banalité du mâle ! Nous pourrons alors parler de radicalité qui sert une transgression active.
Joelle Palmieri, 25 novembre 2024
https://joellepalmieri.org/2024/11/25/violences-depasser-lindignation/
[1] Nicole Claude-Mathieu évoque le terme oppression pour définir les violences exercées par les hommes sur les femmes et insiste sur l'idée de « violence exercée, d'excès, d'étouffement ». N. Claude-Mathieu, « Des déterminants matériels et psychiques de la conscience dominée des femmes et de quelques-unes de leurs interprétations en ethnologie », L'anatomie politique, catégorisations et idéologies du sexe, Éditions Côté-femmes, 1991
[2] Pierre Bourdieu considère que la domination masculine place les femmes « dans un état permanent d'insécurité corporelle ou, mieux, de dépendance symbolique ». P. Bourdieu, La Domination masculine, Paris, Éditions du Seuil, 1998.
[3] Gayatri C. Spivak, In Other Worlds : Essays in Cultural Politics, New York, Routledge, 1988, 336 p.
[4] F. Collin, « Le philosophe travesti ou le féminin sans les femmes », communication présentée dans le cadre du Colloque : Les formes de l'anti féminisme contemporain, qui s'est tenu au Centre Georges-Pompidou à Paris en décembre 1991.
[5] A. Quijano, « Colonialité du pouvoir et démocratie en Amérique latine », Multitudes « Amérique latine démocratie et exclusion, Quelles transitions à la démocratie ? », juin 1994.
[6] H. Arendt, The Origins of Totalitarianism, 3 volumes, New York : Harcourt Brace & Co., 1951.
[7] J. Palmieri, « Afrique du Sud : le traditionalisme et le masculinisme au secours du pouvoir politique », Revue Africana Studia, n°30, Edição do centro de estudos africanos da universidade do Porto, 2019, p.169-191
[8] A. Gayte, « #ReversDeLaMedaille : dans les coulisses d'une opération de cyberharcèlement masculiniste », numerama, 3 mars 2021,
https://www.numerama.com/politique/692328-reversdelamedaille-dans-les-coulisses-dune-operation-de-cyberharcelement-masculiniste.html, consulté le 18 octobre 2022.
[9] P. A. Dignam & D. A. Rohlinger, “Misogynistic Men Online : How the Red Pill Helped Elect Trump”, Journal of Women in Culture and Society, n° 44 (3), 2019, p. 589-612 ; A. Smith & M. Higgins, “Tough guys and little rocket men : @Realdonaldtrump's Twitter feed and the normalization of banal masculinity”, Social Semiotics, n°30 (4), 2020, p. 547-562.
[10] S. Cartabia et P. Lenguita, « Le programme de Milei est une offensive contre les femmes et les personnes LGBTQI+ », Contretemps, 30 avril 2024,
https://www.contretemps.eu/milei-offensive-femmes-lgbtqi/, consulté le 25 novembre 2024.
[11] Z. Szebeni & V. Salojärvi, “Authentically” Maintaining Populism in Hungary – Visual Analysis of Prime Minister Viktor Orbán's Instagram”, Mass Communication and Society, 2022.
[12] R. F. Mendonça & R. Duarte Caetano, “Populism as Parody : The Visual Self-Presentation of Jair Bolsonaro on Instagram”, The International Journal of Press/Politics, n°26 (1), 2021, p. 210-235.
[13] C. Van Der Westhuizen, “100% Zulu Boy” : Jacob Zuma And The Use Of Gender In The Run-up To South Africa's 2009 Election, Women's Net, 2009,
https://za.boell.org/2014/02/03/100-zulu-boy-jacob-zuma-and-use-gender-run-south-africas-2009-election-publications, consulté le 25 novembre 2024.
[14] Le courant victimaire des « snowflakes » (flocons de neige) désigne des étudiant·es hyper-sensibles qui se sentent agressé·es à tout propos et qui surenchérissent les interdictions. Par exemple, iels exhortent les campus à ne pas applaudir des professeur·es pour ne pas heurter les malentendant·es. S. Perez, « Ici Londres, les étudiants parlent aux étudiants », L'Incorrect, n° 26, décembre 2019, p. 26.
[15] Selon Hannah Arendt, la domination « de l'homme sur l'homme » est une version falsifiée et falsifiante du pouvoir. La philosophe dissocie la domination – rapport de commandement basé sur la violence – et le pouvoir, qui renvoie à l'expérience de la liberté. Ainsi le pouvoir présente-t-il, à l'inverse de la relation de domination, plus un potentiel commun à un groupe qu'un caractère hiérarchique. H. Arendt, « Sur la violence », Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, traduction française, Paris, Calman-Lévy, 1972, p. 105-208.
[16] I. Théry, « Hiérarchie/inégalité, autorité/pouvoir, domination », Annuel de l'APF, n°2017 (1), 2017, p. 111-130.
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La prison est une courroie de transmission des systèmes d’oppression

L'avocate et militante féministe parle de la lutte anticarcérale dans le monde et des violations subies par les femmes emprisonnées
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/24/la-prison-est-une-courroie-de-transmission-des-systemes-doppression/?jetpack_skip_subscription_popup
« D'abord, le féminisme m'a conduit dans les prisons, les prisons, à l'abolitionnisme, et de là à unir le féminisme et la lutte anticarcérale », résume l'avocate et militante espagnole Alicia Alonso Merino. Elle avait déjà participé depuis sa jeunesse à des collectifs féministes dans sa ville, Valladolid, lorsqu'à l'âge de 35 ans elle a commencé à animer des ateliers de médiation sur la violence à l'égard des femmes dans les prisons féminines. « Aller en prison m'a fait voir tout l'abandon des femmes par le système, la discrimination, le fait qu'elles n'étaient pas prises en compte. J'ai donc commencé à dénoncer ces discriminations, en travaillant avec différentes organisations », raconte-t-elle.
Alicia a également vécu en Argentine et au Chili, et vit actuellement en Italie. Partout où elle va, elle s'engage avec des organisations de défense des droits humains et collabore pour que les personnes emprisonnées connaissent leurs droits. Selon elle, l'inutilité de la prison pour répondre aux conflits sociaux est commune à tous les pays : « la prison produit beaucoup plus de dommages sociaux, personnels et individuels, et ne résout aucun des problèmes pour lesquels les gens y sont enfermés », conclut-elle.
L'interview ci-dessous a été accordée au Capire et au journal Brasil de Fato quand Alicia était à São Paulo pour promouvoir l'édition brésilienne de son livre Féminisme anticarcéral : le corps comme résistance
Quelle est la relation entre les luttes féministes et anticarcérales ? Pourquoi considérez-vous que le corps est au cœur de la résistance ?
La prison t'enlève ton autonomie. En prison, tout est réglementé. Elle t'infantilise. Tu ne peux rien décider, ni l'heure à laquelle tu te lèves, ni l'heure à laquelle tu peux parler au téléphone, ni l'heure à laquelle tu peux te doucher, ni l'heure à laquelle tu manges. Tu dois demander la permission pour tout. Lorsque nous n'avons aucune autonomie pour quoi que ce soit, le peu qui nous reste est notre propre corps. Et c'est avec le corps que beaucoup de femmes expriment leur douleur. Se blessant, par exemple. Souvent pour apaiser une douleur plus grande, comme être loin de ce qu'elles comprennent comme leurs devoirs de soins, loin des enfants, elles ont besoin de ressentir une douleur physique pour faire taire la douleur de l'âme.
Souvent, le seul instrument de lutte politique pour attirer l'attention est la grève de la faim. Le corps devient un lieu de résistance. Donc, l'une des critiques que nous faisons au système carcéral est que, en tant que féministes, nous voulons l'autonomie sur nos vies et nos corps.
Cela se fait activement à travers ce qu'on appelle des programmes de rééducation, qui reproduisent souvent les rôles de genre, avec des cours de coiffure, de nettoyage et d'hôtellerie, de sorte que lorsque nous partons, nous continuons avec nos mêmes rôles. Et cela se fait aussi au moyen de sanctions, lorsque les prisonnières désobéissent. La recherche que j'ai faite a trait à la politique de sanctions. Les femmes en prison sont proportionnellement plus punies que les hommes, même si les profils criminologiques sont totalement différents. Les femmes emprisonnées commettent généralement des crimes de pauvreté. Il y a rarement de la violence, il y a principalement du micro-trafic et des vols. Cela est lié à la situation économique. On pourrait penser qu'elles sont beaucoup plus dangereuses parce qu'elles sont plus sanctionnées, mais ce qui se passe, c'est que le système est aussi patriarcal, donc il tolère moins leur désobéissance que celle des hommes.
Je vois le système carcéral comme une courroie de transmission pour les systèmes d'oppression. Il y a une surreprésentation des femmes racialisées, diversifiées et autochtones. Cela a à voir avec la sélectivité criminelle, avec le populisme punitif.
Quelles sont les similitudes et les différences du système carcéral dans le Nord et le Sud du monde ?
Je vois que c'est pareil. On peut dire que les différences sont esthétiques. Elles sont importantes, car ce sont les conditions matérielles qui provoquent plus de surpopulation, plus de violence, plus d'arrestations préventives. Mais dans toutes les régions du monde, la pauvreté est incarcérée et il y a une surreprésentation des populations majoritaires qui sont traitées comme des minorités. Ceci est pareil dans le monde entier. Dans l'État espagnol, par exemple, la plupart des femmes arrêtées sont des immigrées et des Roms, qui sont des femmes racialisées. Au Brésil, il y a une majorité de femmes noires.
Il est également courant presque partout dans le monde que la plupart soient emprisonnées pour deux délits : le micro-trafic et les crimes contre les biens. Il s'agit d'une surprotection générale du droit de propriété, qui est en rapport avec les origines des codes pénaux en France à partir de 1800 et qui ont rapidement été copiés dans le reste du monde. C'était une époque où la propriété devait être protégée de manière forte et ceux qui ont créé ces lois étaient ceux qui avaient le pouvoir de les appliquer aux autres, jamais à eux-mêmes. D'une certaine manière, cela n'a pas changé.
La prison est la prison partout : elle génère de la douleur, sépare les familles et ne résout pas les conflits sociaux. Au contraire, elle reproduit les inégalités et les oppressions.
Vous êtes Espagnole, vous avez été au Chili, en Argentine, en Italie. Quels mouvements anticarcéraux vous trouvez intéressants dans ces lieux ?
Ce qui m'intéresse le plus et ce que j'admire, ce sont les mouvements féministes anti-prisons en Amérique latine, qui sont des groupes différents dans différents pays. Ils sont maintenant en réseau et ont récemment tenu une réunion en Équateur. Il y a des femmes du Chili, d'Argentine, de Colombie, d'Équateur, du Mexique. Ce sont des femmes qui ont commencé à travailler dans les prisons en faisant des ateliers féministes. Ce qu'elles font, c'est diluer les murs qui séparent l'intérieur et l'extérieur. Les camarades qui partent finissent par s'intégrer dans ces organisations, donc ce ne sont pas celles de l'extérieur qui travaillent avec celles de l'intérieur, mais plutôt l'union de réalités différentes qui finissent par dériver dans la lutte anticarcérale. Je pense que c'est l'une des choses les plus intéressantes et que j'admire beaucoup.
Il existe de petits réseaux en Italie, comme le mouvement « Pas de prison ». Dans l'État espagnol, nous essayons maintenant de construire un réseau anti-punitif et il existe des groupes anticarcéraux qui travaillent pour dénoncer les conditions des personnes emprisonnées. Il est très difficile d'articuler un réseau entre ces groupes.
Et le fait est que le féminisme anticarcéral est composé de deux mots très inconfortables pour le mouvement féministe plus institutionnalisé et aussi pour le mouvement anticarcéral, où parfois le mot « féminisme » fait du bruit. C'est donc compliqué, ces deux mots ensemble génèrent une certaine résistance, mais ils sont aussi une provocation.
Vous soutenez que pour lutter contre le système pénal et la culture de la punition, il ne suffit pas d'abolir les prisons, mais de penser à des formes de justice préventives ou transformatrices. Pouvez-vous commenter des exemples d'expériences que vous trouvez intéressantes ?
D'une part, il s'agit de travailler à réduire autant que possible la prison, avec des propositions émanant du réseau de désinscription, abordant les quatre piliers qui soutiennent le système pénitentiaire : culturel, juridique, politique et économique. Je crois que le pilier culturel est le plus compliqué, car il est enraciné dans la culture de la punition que nous avons si intériorisée et qui nous amène à nous tourner vers la police face à tout problème. C'est aussi dans ce sens de vengeance et de punition que nous avons profondément inculqué.
Il y a, de plus, les propositions de justice transformatrice, qui sont liées à la construction communautaire. Dans des sociétés très individualistes, il est nécessaire de construire des communautés fortes qui sont responsables des conflits. Ne vivons pas le conflit comme quelque chose d'individuel, mais comme la responsabilité de chacun pour les dommages générés et la réponse nécessaire. Que la sécurité soit également créée pour que la personne qui a subi une blessure se sente en sécurité et avec des garanties de non-répétition.
Dans la justice communautaire des peuples autochtones – sans idéaliser, mais plutôt à la recherche d'éléments qui peuvent être sauvés, en particulier en Amérique latine – il y a des expériences très intéressantes d'auto-organisation et de réponse communautaire. D'autre part, il y a la justice transformatrice, qui a des expériences en particulier aux États-Unis, où les communautés fortement criminalisées et réprimées ne peuvent pas recourir à la police, car la police les criminalise. Ces communautés ont donc dû trouver des moyens de résoudre leurs conflits et les dommages sociaux.
Comment voyez-vous le mouvement de privatisation des prisons ces derniers temps ? Quelle est la relation entre la prison et le néolibéralisme ?
Il y a ceux qui sont experts dans l'analyse du complexe industriel-militaire-carcéral aux États-Unis et comment ils en ont fait une entreprise qui les a amenés à être le pays avec le plus grand nombre de personnes emprisonnées. Garder les gens incarcérés est un business, ce qui est une aberration.
Mais la relation entre capitalisme et prison remonte au tout début de l'histoire des prisons. Il y a deux auteurs italiens, Melossi et Pavarini, qui ont un livre intitulé Prison et usine [The prison and the factory], dans lequel ils racontent comment les prisons sont nées pour discipliner les masses de vagabonds, des gens qui ne faisaient rien et qui, par la solitude et le travail, pouvaient être « réformés » pour devenir de « bons citoyens ». Dans le cas des femmes, cette origine est également marquée par la religion, la gestion des prisons pour femmes étant assurée par des ordres religieux.
Cette docilisation visait à enseigner les métiers domestiques afin que les femmes puissent être fidèles et bonnes servantes de la bourgeoisie et des élites locales par la prière et le travail. Dès le début, il y a une relation étroite avec le capitalisme, comme moyen de discipliner les masses laborieuses, et aujourd'hui c'est devenu un business, avec de nombreuses personnes qui gagnent de l'argent grâce aux prisons – non seulement celles qui y travaillent directement, mais aussi les juges, avocats et entreprises qui profitent du travail semi-esclave effectué dans les prisons.
Quelle banque gère le pécule ? Le pécule est l'argent des prisonniers, qui n'utilisent pas d'argent liquide, mais ont une sorte de compte, avec une banque gérant tout cela. Quelle est cette banque ? En Espagne, c'est la banque Santander. Il existe également un monopole sur les appels téléphoniques et la vente de marchandises à l'intérieur de la prison. Il y a des entreprises qui profitent de tout cela. Cela ne suit pas le modèle du complexe militaro-industriel des États-Unis, mais c'est aussi une entreprise pour de nombreuses personnes.
Il n'y a actuellement aucun moyen de parler des prisons sans parler des attaques brutales de la Palestine et d'Israël et de ses diverses formes d'arrestations, de persécutions et de violations des droits humains. Nous aimerions que vous nous fassiez part de vos commentaires à ce sujet.
Avant le 7 octobre de l'année dernière, la situation était déjà terrible à tous les niveaux. Premièrement, parce que les Palestiniens n'ont pas les garanties judiciaires du reste des citoyens en Israël. Ils sont persécutés, détenus et jugés par l'armée, traités par des tribunaux militaires, même s'ils sont des civils.
Le Groupe de détention arbitraire de l'ONU stipule que les civils ne peuvent pas être jugés par l'armée. Ces détentions, outre administratives, fondées sur les lois de l'époque de la colonie britannique, sont également arbitraires. Il y a des milliers de personnes en détention arbitraire en Palestine, et qui, en plus, sont expulsées de leurs lieux d'origine et emmenées dans des prisons dans ce qu'on appelle maintenant l'État d'Israël. Cela viole toutes les normes internationales qui stipulent que vous ne pouvez pas transférer des personnes de votre territoire. Cela viole la quatrième convention de Genève. Ainsi, Israël viole de façon permanente les droits humains des personnes qu'il détient en Palestine.
Depuis le 7 octobre dernier, tout a empiré. Il est évident qu'un peuple entier est exterminé sans qu'il y ait de la pression internationale. Israël n'autorise pas non plus la presse internationale à entrer. D'après le peu qui en sort, on voit qu'il y a des camps de concentration. On parle de milliers de personnes « kidnappées » par Israël, on ne sait pas dans quelles conditions. Certaines photos montrent une sorte de « Guantánamos », comme on les appelle.
Les conditions de détention des prisonniers à Gaza et en Cisjordanie se sont aggravées. Ils incarcèrent sans discernement. Si auparavant il y avait une politique de faute professionnelle médicale, maintenant elle s'est intensifiée. Des gens meurent par manque de soins. Certains sont blessés et, incarcérés, on les laisse mourir, ce qui reste impuni. À cela s'ajoutent les mauvais traitements, les agressions sexuelles, la surpopulation et l'absence de conditions de vie minimales. Avant c'était déjà grave, c'était déjà dénonçable. Mais maintenant, la situation s'est aggravée de manière alarmante. Nous devons continuer à parler de la Palestine parce qu'ils veulent rayer la Palestine de la carte.
Quelles réponses devons-nous apporter à cette situation, à partir du féminisme et de la lutte anticarcérale ?
Nous sommes conscients que pour abolir les prisons, le droit pénal et la culture de la punition, nous devons abolir le monde tel que nous le connaissons. Construire un autre monde. Il n'y a pas d'autre remède pour avancer que de s'impliquer dans cette dénonciation. C'est tellement aberrant, tellement impuni ce qui se passe, que nous ne pouvons pas rester silencieuses. En tant que féministes anticarcérales, anticolonialistes, antiracistes, nous devons être également impliquées dans cette lutte contre la colonisation et le sionisme.
Interview réalisée par Gabriela Moncau et Helena Zelic
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
https://capiremov.org/fr/entrevue/alicia-alonso-merino-la-prison-est-une-courroie-de-transmission-des-systemes-doppression/
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« Pour un accompagnement feministe et abolitionniste des personnes victimes de la prostitution »

Interview de Genevieve Duche et Marie-Helene Franjou par Francine Sporenda
Tiré de Entre les lignes et les mots
Geneviève Duché et Marie-Hélène Franjou (anciennes présidentes et actuellement membres du CA) viennent de publier « Pour un accompagnement féministe et abolitionniste des personnes victimes de la prostitution, une violence sexuelle et sexiste » (publication Amicale du Nid, octobre 2024). Le livre est préfacé par Ernestine Ronai (membre du CA et responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine Saint Denis). En lecture gratuite sur le site de l'Amicale du Nid [1].
FS : Pourquoi n'est-il pas possible d'accompagner efficacement les femmes qui veulent sortir de la prostitution hors d'un cadre d'intervention féministe ?
GD et MHF : Evidemment il faut ajouter « abolitionniste » à « féministe » comme dans notre titre puisque certains groupes se disent féministes et non abolitionistes.
La très mauvaise estime d'elles-mêmes des femmes en situation de prostitution, résultat des violences subies souvent avant et par la prostitution, ne doit pas rencontrer de propos culpabilisants ou infantilisants ou renforçant l'idée que c'est un moyen de gagner de l'argent comme un autre. Accompagner une personne prostituée c'est lui proposer d'analyser avec elle les épisodes de sa vie ayant conduit à la situation de prostitution, le comment elle s'est retrouvée dans cette situation, c'est permettre l'abandon de la culpabilité pour retrouver la confiance en soi nécessaire au franchissement de nombreux obstacles à la sortie de la prostitution. C'est aussi permettre la prise de conscience d'être victime d'un système prostitutionnel lui-même produit par le système patriarcal. Nous développons dans le livre l'importance du statut de victime de violences sexuelles et sexistes qui n'est pas passivité mais au contraire moyen de se battre et de faire valoir ses droits fondamentaux. Nous voyons bien aujourd'hui avec le mouvement #Me Too combien il faut de ténacité, de force, de courage aux victimes qui dénoncent les violences sexuelles subies et les hommes qui les ont perpétrées contre elles. L'intervention féministe, c'est aussi faire se rencontrer les personnes ayant vécu les mêmes humiliations et dominations pour avoir le support des paires. C'est une solidarité mise en œuvre, une égalité, et non un accueil surplombant entre quelqu'une qui est en position de demande d'aide et quelqu'une qui est en position de savoir aider. L'intervention féministe rend possible le questionnement sur les violences qui font souvent peur aux intervenantes sociales trop peu encore formées dans ce domaine et les implique dans leur propre cheminement et lutte contre l'oppression masculine. Ce sont des féministes qui ont mis à jour, dénoncé l'omniprésence des violences sexuelles et sexistes dans les sociétés patriarcales, qui ont analysé leurs mécanismes (domination, emprise, égotisme masculin etc.) et leurs effets sur la santé physique, psychique (stress post traumatique etc.) et sexuelle des victimes, qui ont dit les violences subies, qui ont écouté et entendu leurs sœurs.
MH F : « Parole de médecine… les atteintes à la santé sont majeures dans la prostitution, nous avons développé cet aspect dans notre livre. Le droit à la santé, selon l'OMS est le droit de jouir « du meilleur état de santé physique et mental qu'il soit possible d'atteindre ». Ce droit concerne l'accès aux services de santé mais aussi à l'attention à porter à tous les facteurs qui ont un impact sur la santé. Les femmes en situation de prostitution subissent quotidiennement des violences sexistes et sexuelles qui ont toutes sortes de conséquences négatives sur leur santé psychique, physique et sexuelle et sont de graves atteintes à leurs droits fondamentaux ».
GD : » L'accompagnement féministe d'une personne prostituée n'est pas un enrôlement, c'est lui permettre, en apportant des clés de compréhension et en rompant sa solitude par de la solidarité, de se mettre sur son propre chemin pour la reprise en main de sa vie. Le risque d'un accompagnement non féministe et non abolitionniste est de réduire cet accompagnement à quelques droits – évidemment essentiels aussi – mais sans donner les moyens réels aux victimes de prostitution de sortir de cette situation. Certains accueils ou accompagnements de personnes prostituées qui ne considèrent pas la prostitution comme une violence mais comme une activité, les maintiennent dans leurs souffrances. Une violence ne s'aménage pas mais se combat. Par ailleurs comme pour le mouvement #Me Too ce qui est important c'est le dire, un dire des violences subies entendu, partagé et cru. Et « le dire c'est agir » écrit Chloé Delaume dans « Mes bien chères sœurs » ».
FS : Vous dites que la passe est « un moment de domination pure » : il ne s'agit pas pour les clients de sexualité mais d'appropriation virilisante du corps des femmes. Pouvez-vous commenter ?
GD et MHF : Oui payer avec de l'argent ou autre chose pour utiliser un corps à sa guise et pour sa propre jouissance, c'est un acte de domination, ce ne peut être une relation. C'est la négation de l'humanité de la personne prostituée, c'est l'anéantissement de l'autre en tant que sujet. C'est bien un effet de l'appropriation du corps des femmes par les hommes, appropriation privée et collective.
Mais il semble que beaucoup d'hommes construisent leur sexualité ou leur recherche de jouissance et nourrissent leurs fantasmes sur la passivité des femmes (corps drogués, sédatés de femmes violées. Cf. procès Pelicot), sur leur avilissement (insultes, coups, tortures). Dans le système de domination masculine persistant les hommes sont construits sur ce qu'on appelle « un égocentrisme légitime comme principal ressort de la masculinité ».
Nous reprenons à notre compte les paroles et les analyses d'Andrea Dworkin : « Ce que les hommes demandent aux femmes c'est de consentir à leur propre humiliation, à leur propre anéantissement en tant que personnes ; non seulement d'y consentir mais de la demander et même d'y prendre plaisir, pour être « une vraie femme » ». Pour elle comme pour nous, la prostitution ressemble plus à un viol collectif qu'à quoi que soit d'autre ; la prostitution est un viol tarifé.
FS : Vous parlez des assassinats de prostituées, assez fréquents (voir les statistiques allemandes à ce sujet) et vous dites que l'assassin se perçoit, et est socialement perçu, comme un nettoyeur, un purificateur. Pouvez-vous expliquer ?
GD et MHS : Les personnes prostituées sont souvent perçues comme des tentatrices dangereuses et sans dignité, à l'écart de la société. Aller les voir, c'est franchir un interdit, les hommes peuvent s'en glorifier auprès de leurs pairs mais ils ne s'en vantent pas à la maison. Ils se persuadent qu'ils sont en droit d'aller les voir car « ils ont des besoins sexuels impérieux » et qu'ils paient « la prestation » et que ce sont elles qui « se prostituent » et qui offrent « leurs services ». Quand elles disparaissent après un assassinat, peu de monde sinon personne se soucie d'elles car elles ne le méritent pas, leur vie était indigne et sale. Pourtant il s'agit de féminicides qu'il faut inclure dans les statistiques de ces crimes contre les femmes.
Cette stigmatisation des personnes prostituées est d'autant plus forte que la société est puritaine. Elles incarnent le péché et la tentation. Du côté des chrétiens catholiques, la prostitution a très tôt été considérée comme un réseau d'égout et l'éjaculation comme une vidange organique. Il est alors préférable d'organiser la vidange et la satisfaction des besoins masculins dans des bordels éloignés des familles où les rapports sexuels ne devaient avoir qu'une fonction, la reproduction. Comparer une personne (la femme prostituée) à un égout et l'assigner à une fonction d'assainissement urbain sont des atteintes profondes à sa dignité et provoque la stigmatisation. Est-il dit autre chose aujourd'hui par les réglementaristes qui affirment que la prostitution est « un mal nécessaire » à organiser ?
FS : La prostitution est inséparable de la pédocriminalité. Pouvez-vous nous parler de la prostitution des mineur/es, de l'âge d'entrée en prostitution, de comment les jeunes y sont recruté/es, des préférences pédophiles des clients ?
GD et MHF : La question des mineur·es en situation de prostitution et la législation actuelle font l'objet d'un chapitre dans notre livre.
Les diagnostics de la prostitution effectués par l'Amicale du Nid dans plusieurs départements retrouvent toujours des mineur·es, d'âge divers, le plus souvent autour de 14-17 ans mais des enfants de 11 ans peuvent être capté·es par le système prostitutionnel. Il existe une écrasante majorité de filles, souvent françaises, ayant été vulnérabilisées par des violences antérieures, pas toujours de milieux défavorisés. Parmi elleux, il y a aussi les mineur·es non accompagné·es – MNA – dont le trajet depuis le pays d'origine et en France a été et est très difficile….
Les mineur·es ne s'identifient pas vraiment en situation de prostitution et vont parler « d'escorting » ou de « michetonnage ». L'effet Zahia a sans doute été renforcé par la sortie du film « une fille facile » en 2019. Elles ont pu être entrainées par une copine ou abordées par un « loverboy » qui les a peu à peu mises sous emprise affective, être attirées par l'argent et par la possibilité d'acheter un téléphone, un sac ou un vêtement. Elles s'imaginent adultes et autonomes et disent qu'elles « gèrent » mais vont s'apercevoir assez vite que le « lover boy » ou celui qui est le « patron » du réseau veut de plus en plus d'argent et lui en donne de moins en moins, violences à l'appui si nécessaire à l'encontre de toute rébellion (viols, coups, chantage aux « nudes » …)
N'en pouvant plus des agressions sexuelles qu'elle subit, la très jeune femme de 15 ans du film « Noémie dit oui » l'exprime clairement, « son fantasme à elle, c'est de tuer un homme pendant qu'il la baise ». Le « client-prostitueur » trouve ce propos très excitant, ne veut pas voir qu'elle n'est qu'une enfant, ne lui demande pas pourquoi elle est là et ne manifeste aucun intérêt à rechercher ce qu'elle vit.
Les « pédocriminels » qui achètent des actes sexuels à des mineur·es ne sont pas seulement des agresseurs et des violeurs d'enfants, ils soutiennent avec leur argent le proxénétisme et le trafic d'êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle. La loi doit s'appliquer pleinement.
Les « clients » de la prostitution sont à 99% des hommes, de tous âges, le plus souvent mariés ou en couple et ils ont des enfants. Lorsqu'ils s'expriment sur leur comportement, ils disent considérer comme normal de pouvoir satisfaire leurs besoins sexuels sans encourir de problèmes conjugaux. Ils ne reconnaissent ni la souffrance des personnes qu'ils prostituent, ni le fait, le cas échéant, qu'ils savaient leur minorité. Pourtant c'est ce qu'ils cherchent.
Une expérience en « live » a été faite à Montpellier par une salariée de l'Amicale du Nid : lancement d'un faux avis de jeune fille disponible sur les réseaux. En quelques instants, des hommes répondent, nombreux…
Pédocriminels certes, mais aussi tous les autres, attirés par la plus grande vulnérabilité des mineur·es et qui deviennent pédocriminels par opportunité… Ils diront après si on les interroge qu'ils ne savaient pas qu'iels étaient mineur·es.
Les proxénètes des mineur·es sont de jeunes majeur·es, le plus souvent des hommes, qui peuvent agir seuls ou comme « petite main » d'un patron. Des filles peuvent aussi être proxénètes après avoir été victimes, une façon de sortir de la prostitution dans un milieu qui les enferme…
Les mineur·es sont contacté·es dans la rue, aux abords des gares, des établissements scolaires ou de la protection de l'enfance mais aussi et de plus en plus via les sites d'annonces et les réseaux sociaux. Les lieux de prostitution sont divers, appartements BNB, caves, squats, forêt, bois ou autres extérieurs…
Les procédés d'emprise sont les mêmes que ceux, bien observés dans les violences faites aux femmes, notamment conjugales : la victime, qu'elle soit majeure ou mineure est isolée, dévalorisée, humiliée. On lui fait croire qu'elle a choisi sa situation et qu'elle en est responsable, ce qui inverse la culpabilité. Le ou la mineur·e souhaite un nouveau smartphone, on lui offre mais iel en a accepté la contrepartie. L'acheteur d'acte sexuel ne s'intéresse pas à la personne qu'il soumet à son désir, aux raisons qui expliquent sa situation, à ce qu'elle peut vivre ou ressentir. C'est pour elle le règne de la honte et de la peur. A-t-elle un proxénète, elle doit faire un nombre défini de passes dans sa journée, impératif à respecter sous peine de représailles violentes. Mais le client est lui aussi violent, en atteste les « mesures de protection » mises en place par le proxénète et qui ne sont pas toujours efficaces. Pour verrouiller le secret, une menace peut être faite de mettre sur les réseaux sociaux des photos de « nudes ».
A noter, la plus grande fragilité des mineur·es face à la dureté et à la violence de la prostitution, leur captation plus facile par les drogues, et les mêmes atteintes, graves et multiples, à leur santé et à leur vie. On pense aux infections sexuellement transmissibles et au Sida, mais il ne faut pas oublier les multiples humiliations, les coups, les grossesses imposées, les interruptions de grossesse ordonnées, les dépressions, le stress post-traumatique. Et aussi la très grande difficulté à établir des relations affectives stables et confiantes…
En France, le nombre des adultes en prostitution est estimé à 40 000, celui des mineur·es à 10 000-15 000. Sur le terrain, sans chiffre précis, on perçoit une augmentation continue des situations de prostitution chez les mineur·es. Il est urgent d'agir pour les protéger et les sortir de cette situation qui la plupart du temps se prolonge à l'âge adulte.
Depuis 2010, l'Amicale du Nid attire l'attention sur la prostitution des mineur·es (et jeunes adultes notamment en université), fait de la prévention en milieu scolaire, soutient les professionnel·les pour leur prise en charge. Plus récemment, ce sont des diagnostics spécifiques faits dans plusieurs départements, une adaptation du service de formation et l'ouverture progressive de services mineur·es dans 9 départements grâce au premier plan national de lutte contre la prostitution des mineur·es établi en novembre 2021.
FS : Vous citez les chiffres de la CIIVISE (une personne sur 10 en France victime d'inceste, dans 9 cas sur 10 par un homme, 160 000 mineur/es par an victimes de violences sexuelles). Vos commentaires ?
MHF médecine de PMI : « Je me souviens d'un petit garçon accueilli dans un foyer de l'enfance par décision de justice après la révélation de ce qu'il vivait à la maison. Il avait questionné sa psychologue pour savoir si elle aussi faisait l'amour avec son papa et sa maman…
Je me souviens encore de cette femme d'une cinquantaine d'années qui, il y a bien longtemps, osait pour la première fois parler du désastre produit sur sa vie par les viols vécus pendant son enfance. Elle s'était levée, très digne, très droite malgré l'émotion visible, au milieu de ces centaines de femmes réunies dans un amphi pour parler des violences faites aux femmes ».
Les chiffres de la CIIVISE – Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants – sont terribles et d'autant plus terribles qu'ils sont plus ou moins les mêmes que ceux entendus lors d'une réunion internationale sur la protection de l'enfance à Montréal en 1982. Les interventions sur les violences sexuelles faites aux enfants y étaient nombreuses… De retour en France, des responsables de services du ministère des Affaires Sociales de l'époque ont voulu savoir ce qui se passait en France et ont questionné tous les départements. Evidemment les violences sexuelles à enfants, et en grand nombre, existaient aussi en France… et depuis pas grand-chose n'a été fait !
Les conséquences sont dramatiques : des vies de souffrance, des vies détruites et parfois des défenses mises en place en s'identifiant aux agresseurs (les hommes), des vulnérabilités entrainant des mises en danger répétées (les femmes). Les violences sexuelles dont l'inceste peuvent faciliter la survenue future d'autres violences sexuelles dont la prostitution…
Il s'agit bien là de la plus terrible composante de la domination masculine.
GD : « Même si elle craque ici ou là, grâce à la parole et au courage des victimes devenues adultes, la résistance des institutions religieuses et politiques à voir et à prendre en compte ces violences sexuelles contre les enfants est un scandale. Le comportement des pouvoirs publics français face aux travaux et au rapport de la CIIVISE et les tentatives d'amoindrissement des faits, de contournement ou d'oubli de la parole des victimes sont insupportables. Il y a bien une omerta tenue par les hommes de pouvoir, assistés de quelques femmes, pour conserver ce « terrain » de violence et de prédation, ce pouvoir de soumission d'êtres fragiles et agir à l'ombre de l'irresponsabilité de tous les hommes ou presque qui ne disent rien ».
Contre toutes ces violences la loi doit être appliquée mais aussi la prévention doit être présente partout et faire l'objet d'une réelle politique d'Etat. Nous y reviendrons dans la question sur la loi de 2016.
FS : Vous dites que, vu le nombre croissant de femmes qui élèvent seules leurs enfants (mamans solos), la prostitution redevient, comme au 19ème siècle, le seul moyen pour des femmes pauvres de nourrir leurs enfants. Pouvez-vous nous en parler ?
GD et MHF : Dans tous les départements où travaille l'Amicale du Nid, il en est de même ailleurs, des femmes sortent de maternité avec leur enfant dans les bras et se retrouvent à la rue !!! Pas assez de places dans les centres maternels et pas de places ailleurs non plus. Ces femmes sont souvent étrangères… Que peut faire une femme, particulièrement vulnérabilisée, dans cette situation ?
Demain, les mineur·es françaises en situation de prostitution auront des enfants nés de viols tarifés… Que feront-elles ? Comment sortir de la prostitution sans formation ? Où trouver le courage de se battre pour en sortir en ayant une si mauvaise image de soi, en ayant de si nombreux problèmes de santé ?
Et puis il y a les autres femmes pauvres, celles sans emploi ou en emploi peu rémunérateur que le compagnon abandonne bien qu'il soit le père des enfants. Oui, comme au 19ème siècle et avant, les femmes qui avaient des métiers très peu payés, les lavandières par exemple, étaient amenées à accepter leur mise en exploitation par les prostitueurs (proxénète compagnon ou pas, et clients) pour avoir un peu plus d'argent pour survivre. Nous ne faisons pas mieux et la situation s'aggrave du côté des emplois de service mal rémunérés et des mères qui élèvent seules leurs enfants.
Les mécanismes et logiques combinés du système économique et des rapports sociaux de sexe créent des inégalités et des vulnérabilités qui renforcent le système prostitutionnel.
FS : Les personnes prostituées qui sont invitées sur les plateaux télé n'en disent invariablement que du bien. Le livre d'Emma Becker, « La maison », qui en donnait (à première vue) une image favorable a bénéficié d'une importante couverture médiatique. Pourquoi n'entend-on jamais un autre son de cloche dans les médias ?
GD et MHF : La réponse pourrait être lapidaire : parce que la société et donc les acteurs et actrices des médias qui en sont issu·es considèrent la prostitution comme une activité légitime pour répondre à des besoins masculins, quasiment une activité du « care » qui permet aux femmes d'exercer leur « agentivité » en gagnant leur vie ainsi. Le côté un peu sulfureux peut faire de l'audience.
La violence, l'exploitation qu'est la prostitution sont encore largement ignorées ou cachées. Et le monde de la Culture, on le constate, est particulièrement transmetteur de ce déni et producteur de violences sexistes et sexuelles.
Les femmes en situation de prostitution ont du mal à témoigner de la violence et de la coercition subies parce qu'elles sont sous emprise, parce qu'elles risquent des représailles, parce qu'elles sont étrangères, très souvent soumises à la traite et ne maîtrisent pas très bien la langue française. Certaines arrivent à témoigner et dire la réalité de leur situation publiquement mais souvent dans l'anonymat.
Pourtant il y a un mouvement international des survivantes de la prostitution et les femmes qui en font partie témoignent, disent et écrivent. Nous avons à diffuser leur parole. Parmi elles certaines sont parfois obligées d'arrêter leur pratique du témoignage parce que les effets du trauma subi ressurgissent avec les souffrances du stress post traumatique.
Une femme en situation de prostitution répondant à la question du témoignage public disait : quand on est en situation d'être obligée de faire de l'argent avec des passes, on ne peut pas dire du mal des clients, alors on dit que tout va bien !
A propos du système prostitutionnel, nous interrogeons dans notre livre les deux notions de consentement et de liberté.
Mais le problème n'est pas que les personnes prostituées disent ceci ou cela dans les media c'est qu'en face on attende du glamour et de la justification d'un monde où les femmes sont réifiées et soumises aux désirs masculins.
La question suivante apportera un complément de réponse.
FS : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi des femmes prostituées (en début de « carrière ») se sentent vengées et « renarcissisées » (« putes et fières de l'être ») par le fait de faire payer les hommes pour l'accès sexuel à leur corps ?
GD et MHF : Nous ne dirions pas « carrière », même si certaines peuvent le dire… Ce n'est pas un métier et il n'y a pas de « carrière », c'est un esclavage et un déni d'humanité, une atteinte profonde à la dignité humaine.
Quand une femme a vécu des violences sexuelles pendant son enfance et son adolescence, que ce soit au sein de sa famille ou par des proches, elle en garde de profondes blessures et les humiliations ressenties ont détruit son estime de soi. Lorsqu'elle se trouve en situation (par un proxénète ou seule), à « faire payer » pour d'autres violences, elle se sent moins passive, ressent peut-être même de la fierté à réclamer de l'argent à celui qui veut accéder à son corps, à faire payer ce qui lui a été volé avant. On retrouve cela dans les témoignages de femmes qui disent avoir choisi de se prostituer après avoir subi des viols (incestueux ou pas).
Un groupe de survivantes écrit : « quand notre estime de soi a vraiment été fracassée au point qu'on ne s'accorde aucune valeur, le fait que des gens soient prêts à payer, à nous accorder une valeur monétaire pour accéder à nos corps, peut faire illusion de réparation narcissique ».
Qui accepte au fond d'être traitée comme une chose, qui ne va pas chercher une justification à sa situation, qui ne va pas chercher à combattre la honte qui ronge, qui ne va pas chercher à transformer un tant soit peu cette situation en rôle positif, en service de plaisir pour les hommes, en capacité de se débrouiller seules … le fameux empowerment (notion et impératif de comportement que nous critiquons dans le livre) ?
Des personnes qui se nomment travailleuses du sexe parlent de fierté : « oui nous sommes des putes et fières de l'être ». C'est un retournement de l'injure assez classique quand on commence à se redresser. Il s'agit de vider l'insulte de sa charge d'humiliation… et le public dont les journalistes (la plupart) font tout pour ne pas le voir ou le comprendre !
FS : Pouvez-vous nous parler de l'application de la loi de 2016. Pouvez-vous nous donner quelques chiffres à ce sujet, nous dire ce qui est positif et ce qui ne marche pas, fait obstacle à l'application de cette loi ?
GD et MHF : Cette loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées est abolitionniste et non prohibitionniste, elle dépénalise les personnes prostituées et les considère comme des victimes auxquelles il faut proposer un accompagnement vers la sortie de la prostitution quand elles le souhaitent ; interdit l'achat d'acte sexuel ; accroit la lutte contre le proxénétisme ; renforce le rôle de la prévention.
Rappelons que la prostitution des mineurs est interdite depuis la loi n°2002-305 du 4 mars 2002 renforcée par la loi n°2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineur·es des crimes et délits sexuels et de l'inceste. Les peines sont lourdes (prison et lourdes amendes) mais jusqu'à présent la loi de 2002 reprise dans la loi de 2016 est, hélas, peu appliquée.
Un premier bilan de la loi du 13 avril 2016 a été fait par l'Amicale du Nid et d'autres associations de terrain en novembre 2021, rapport FACT-S (Fédération des acteurs et actrices de terrain et des survivantes). On pourra le lire en ligne.
Dans ce rapport FACT-S nous faisions cinq recommandations :
– Une alternative à la prostitution pour toutes les personnes prostituées (quand elles le souhaitent, il faut donc pouvoir le proposer à toutes)
– Une grande campagne nationale pour un changement de regard de la société (comme celles que l'on a pu voir sur les violences conjugales, trop peu nombreuses encore)
– Pas d'impunité pour les prostitueurs, clients et proxénètes
– Généraliser la prévention pour assurer un avenir sans marchandisation du corps pour les jeunes,
– Un effort financier à la hauteur de 2,4 milliards d'euros pour 10 ans.
Cette loi a des effets positifs lorsqu'elle est pleinement appliquée. Le problème réside dans la volonté politique de l'appliquer et des moyens attribués aux différents services d'Etat (police et justice notamment mais aussi ministère de solidarités et de l'égalité femmes/hommes) et aux associations spécialisées pour y parvenir. L'instabilité politique et la courte durée des ministres de l'égalité F/H n'arrangent pas les choses.
Les parcours de sortie de la prostitution : ils sont encore insuffisants en nombre, les préfet·ètes jouent un rôle important dans l'organisation des réunions permettant l'étude des dossiers de demande de PSP et les résultats selon leurs attitudes vis-à-vis de l'immigration.
Il ne faut pas oublier que l'accompagnement à la sortie de la prostitution ne date pas de la loi de 2016 mais de la politique sociale d'Etat de lutte contre la prostitution des années 1960. En plus des PSP, l'Amicale du Nid a accompagné en 2022, 1 304 autres personnes en accompagnement social global intégrant toutes les dimensions du processus d'émancipation du système prostitutionnel. Par ailleurs 4 798 personnes ont été accueillies dont 23% d'enfants accompagnant leur mère… Et bien d'autres actions qu'on peut retrouver sur le site.
Les PSP exigent un engagement de la personne à sortir de la prostitution, donnent droit à une allocation d'insertion sociale de 449,23 euros (que nous jugeons insuffisante) et à la possibilité d'obtenir une autorisation provisoire de séjour notamment pour pouvoir travailler, ce qui concerne beaucoup de personnes accompagnées étrangères et souvent soumises à la traite des êtres humains.
A l'Amicale du Nid, on observe une nette amélioration des taux d'accord pour l'obtention des Parcours de Sortie de Prostitution (PSP) depuis 2017 mais qui cache :
Une sélection des dossiers par les salarié·es face au faible nombre de demandes de nouveaux parcours pouvant être présentées dans certaines commissions, ou le nombre insuffisant de réunions de commissions.
Une insuffisance des financements dédiés aux accompagnements des parcours, malgré le fait qu'il s'agisse d'accompagnements socio-éducatifs et d'insertion très soutenus. »
Au total depuis 2017, 1 747 personnes ont bénéficié ou bénéficient toujours d'un PSP qui peut durer 24 mois. C'est trop peu mais tellement important pour les personnes qui ont pu y accéder.
A noter que l'Amicale du Nid accompagnait en 2023, 275 personnes en PSP vs 209 en 2022 (25% en plus). En France, en 2023 une personne sur trois accompagnée en PSP l'était par l'Amicale du Nid.
Au 31 décembre 2023, les départements qui totalisent le plus de PSP en cours sont le Rhône, la Seine Saint-Denis, les Bouches du Rhône, l'Isère et Paris. L'Amicale du Nid est agréée dans ces cinq départements et est la seule à l'être en Seine Saint-Denis. A la même date, 35 départements n'avaient aucun PSP en cours et 65 en avaient moins de 5…
La lutte contre la traite et le proxénétisme se renforce selon l'OCRTEH, structure policière spécialisée. En 2023, l'OCRTEH a démantelé 53 réseaux soit 1 000 mis en cause et 1 051 victimes identifiées. Les infractions constatées avec condamnations pour TEH sont moins nombreuses que celles pour proxénétisme, plus faciles à détecter mais produisant des sanctions plus légères. En 2023, 254 victimes mineur·es ont été identifiées dans le proxénétisme de proximité (rappel de 10 000 à 15 000 mineur·es en situation de prostitution). Par ailleurs les réseaux latino-américains sont en train de se développer rapidement et de supplanter les réseaux d'Europe de l'Est et africains.
Le nombre de clients sanctionnés, les clients sont ceux qui engendrent la prostitution, qui créent le marché : depuis 2016 moins de 500 par an sont condamnés (dans le cas de prostitution de majeur·es) au paiement d'une amende prévue pour les contraventions de 5ème classe (au maximum 1 500 euros et 3 750 euros en cas de récidive). C'est largement insuffisant, et le niveau de la sanction nous parait trop faible. La police n'est pas vraiment engagée dans la recherche des clients même lorsqu'il s'agit de prostitueurs-clients de mineur·es. Volonté, formation et moyens en effectif manquent. Mais quand on voit comment sont traités les viols par la justice française : 94% des affaires de viol ont été classées sans suite en 2021, une statistique effarante qui souligne l'échec des dispositifs actuels à répondre à ce problème social massif, on ne peut s'étonner de la résistance à trouver et à sanctionner les prostitueurs-clients. Cela ne réduit pas la colère !
La prévention (à savoir l'éducation dès les premiers âges) est indispensable pour faire bouger les mentalités et les attitudes. Mais elle est largement insuffisante puisqu'elle s'appuie sur l'obligation pour l'l'Education nationale d'une éducation à la sexualité qui n'est pas respectée. De plus participent à cette prévention souvent sous-traitée par les établissements, des associations pro-prostitution ou non abolitionnistes.
Comment dans un bain de culture du viol peut-on arriver à réduire, à faire disparaître les violences sexuelles et sexistes ?
GD : « une anecdote parlante et alarmante : j'ai été invitée à présenter mon livre : « Non au système prostitutionnel » dans un institut de formation de travail social. Dans ma salle il y avait quelques personnes (6 ou 7) ; à côté une salle était pleine d'étudiant·es pour une conférence sur l'assistanat sexuel … »
Il est très positif que plus de 40 associations et organisations se réunissent en ce moment en France pour rédiger et exiger une grande loi cadre de lutte contre toutes les formes de violences sexuelles sexistes et que la prostitution et la pornographie soient incluses dans ces violences. Enfin !
FS : « Une violence ne s'aménage pas » dites-vous. Pourquoi la notion de prostitution réglementée et éthique n'a-t-elle pas plus de sens que celle d'« esclavage éthique » ?
GD et MHF : La personne humaine est son corps. Le corps à protéger n'est pas un objet patrimonial. L'appropriation du corps de l'autre pour en user comme un objet et le marchandiser est une atteinte profonde à la dignité humaine qui occupe la première place dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, par exemple. Comment alors rendre éthiques la prostitution et la pornographie, ces actes de violence sexuelle ? Par des horaires garantis, des draps de soie, un salaire minimum, un gel lubrifiant de qualité, des sourires ? Non ! comme pour l'esclavage et la GPA, une violence qui transforme le corps de femmes vulnérables en machine reproductive, la prostitution n'a rien à voir avec une éthique quelconque, elle est le produit de la domination masculine et par l'argent.
Aucune égalité réelle entre les femmes et les hommes ne peut exister si la société considère que le corps des femmes est un corps disponible à approprier et sans égalité il n'y a ni justice, ni démocratie réelle.
[1] Les chapitres :
– Les personnes prostituées et les prostitueurs, proxénètes, trafiquants et clients
– D'où nait la prostitution ? l'imbrication des systèmes et des violences à l'origine du système prostitutionnel, sa définition
– Les régimes de la prostitution et l'abolitionnisme français, une politique publique de lutte contre la prostitution, l'application de la loi Olivier-Coutelle de 2016
– Prévenir la prostitution des mineur·es, repérer les mineur·es en situation de prostitution et les accompagner pour en sortir
– L'accompagnement féministe dans une association féministe centrée sur les violences sexuelles et sexistes, éléments de réflexion
https://revolutionfeministe.wordpress.com/2024/11/17/pour-un-accompagnement-feministe-et-abolitionniste-des-personnes-victimes-de-la-prostitution/
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Une mobilisation importante, une justice partiale. La lutte des ouvrières de Kairouan continue

Soutien aux ouvrières de Kairouan et à Jamel Cherif : défendre les droits syndicaux et la dignité humaine
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/25/une-mobilisation-importante-une-justice-partiale-la-lutte-des-ouvrieres-de-kairouan-continue/
Le Comité pour le respect des libertés et des droits de l'homme en Tunisie (CRLDHT) salue la mobilisation massive qui a permis d'obtenir la libération de Jamel Cherif, secrétaire général de l'Union locale du travail de Sbikha (UGTT), ainsi que de trois ouvriers de l'usine de chaussures Ritun, condamnés avec des peines de prison avec sursis. Le 21 novembre 2024, le tribunal de Kairouan a rendu son verdict, marquant une étape importante dans une lutte qui a été rendue possible grâce à la détermination des ouvrières, premières en ligne dans ce combat pour des conditions de travail dignes et la défense des droits syndicaux.
Depuis le début de cette affaire, les ouvrières de l'usine Ritun ont été au centre des mobilisations, bravant la répression pour défendre leurs droits face à des conditions de travail injustes et précaires. Parmi les 27 licenciés, nombreuses sont les femmes qui ont payé le prix fort pour avoir tenté de créer un syndicat, un droit pourtant garanti par la loi. Malgré les pressions, elles n'ont jamais cessé de revendiquer la justice et la dignité pour elles-mêmes et pour tous les travailleurs.
Le CRLDHT tient à rendre hommage au courage de Jamel Cherif, un syndicaliste exemplaire qui a fait face à une situation syndicale extrêmement difficile. Son engagement, dans un contexte de répression croissante, a été une source d'inspiration pour tous les travailleurs et travailleuses de Kairouan. Grâce à son leadership, la mobilisation a pris de l'ampleur, rassemblant les syndicats, les enseignants et de nombreux citoyens solidaires.
La condamnation de Jamel Cherif et des trois ouvriers avec des peines de prison avec sursis, après des accusations fallacieuses de perturbation de la production, est une tentative claire de criminaliser l'action syndicale. Ce verdict, bien que moins sévère qu'attendu grâce à la pression populaire, reste inacceptable. Il démontre la fragilité des droits syndicaux en Tunisie et l'urgence de les défendre face aux tentatives de répression.
Le CRLDHT souligne le rôle indispensable des syndicats, particulièrement celui de l'UGTT, dans cette lutte. Grâce à la solidarité exprimée par le Syndicat de l'enseignement secondaire de Kairouan, qui a appelé à une journée de grève, la pression sur les autorités a permis d'obtenir des concessions. Les syndicats jouent un rôle clé pour garantir la justice sociale et la dignité des travailleurs, en particulier des ouvrières, souvent en première ligne de la lutte contre la précarité et les abus.
Le CRLDHT réaffirme que la lutte n'est pas terminée. Nos exigences restent claires :
* L'annulation totale des condamnations de Jamel Cherif et des trois ouvriers. La justice ne doit pas être un outil de répression.
* La réintégration immédiate des 27 ouvrières et ouvriers licenciés, avec des garanties contre toute forme de représailles.
* Le respect intégral des droits syndicaux, incluant la liberté de se syndiquer, de manifester et de négocier, conformément à la Constitution tunisienne et aux conventions internationales ratifiées par la Tunisie.
* Des conditions de travail dignes pour toutes et tous, en mettant l'accent sur les droits des femmes ouvrières, qui sont les premières touchées par la précarité et la discrimination.
* Une enquête indépendante et impartiale sur les pratiques de l'usine Ritun, pour faire la lumière sur les violations des droits des travailleuses et travailleurs.
* Un dialogue social sincère entre les syndicats, les employeurs et les autorités, pour éviter que de telles situations ne se reproduisent.
Le CRLDHT appelle la communauté internationale, les organisations de défense des droits humains et les syndicats du monde entier à poursuivre leur soutien aux ouvrières et ouvriers de Kairouan. Cette lutte pour la justice sociale et les droits syndicaux ne s'arrête pas aux frontières tunisiennes. La solidarité internationale reste cruciale pour faire en sorte que les droits des travailleurs soient respectés et pour faire reculer les tentatives de répression. Nous appelons à des actions concrètes : campagnes de sensibilisation, soutien financier et moral et pressions diplomatiques pour défendre la liberté syndicale en Tunisie.
Le CRLDHT continuera à suivre de près l'évolution de ce conflit social et à soutenir toutes les initiatives en faveur des droits des ouvrières et des ouvriers. Nous restons aux côtés des syndicats, des militants et des citoyens engagés pour construire une Tunisie où la dignité humaine, la justice sociale et les droits syndicaux prévalent sur la répression et l'injustice. La mobilisation reste notre meilleure arme face aux abus. Nous continuerons à nous battre pour une société plus juste pour toutes et tous.
CRLDHT
21ter rue voltaire
75011 Paris
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Victoire de la gauche au Botswana

La victoire électorale de la gauche suscite des espoirs d'une rupture avec la politique inégalitaire qui prévaut depuis l'indépendance du pays.
Tiré de Afrique en Lutte
25 novembre 2024
Par Paul Martial
Les élections au Botswana, pays d'Afrique australe de 2,6 millions d'habitantEs situé au-dessus de l'Afrique du Sud, ont eu lieu le 30 octobre. Fait inattendu, la victoire écrasante de l'opposition classée à gauche imposant une alternance inédite depuis l'indépendance du pays en 1966.
Diamants pour quelques-uns
Plus qu'une défaite, c'est une déroute. L'Umbrella for Democratic Change (Coalition pour un changement démocratique) remporte 36 sièges et obtient la majorité absolue, et par là même son leader Duma Boko devient président de la République. Quant au Botswana Democratic Party, l'ancien parti au pouvoir, il ne compte plus que quatre députés. Le Botswana n'a pas failli à sa réputation de pays démocratique, Mokgweetsi Masisi, le président sortant, a reconnu sa défaite et a engagé une passation de pouvoir loyale. Pour le pays, il s'agit bien d'un évènement historique qui ne s'explique pas seulement par l'usure du pouvoir.
La relative prospérité du Botswana tient à ses mines de diamants. Il est le second exportateur mondial de diamants qui représentent 90 % des exportations de son économie. Masisi s'est contenté de gérer cette manne sans jamais amorcer une diversification économique, alors que la concurrence se fait rude avec la production de diamants de synthèse utilisés notamment dans l'industrie. Cette crise ne fait que renforcer un taux de chômage élevé, notamment parmi la jeunesse. À ce tableau peu reluisant s'ajoute la dérive autoritaire du pouvoir avec une élite dirigeante profondément divisée.
Misère pour les autres
Le sondage réalisé par Afrobarometer mettait en relief qu'une large majorité des habitantEs considère l'entourage de la présidence comme corrompu et critique Masisi pour son népotisme et son mépris du parlement.
Le système électoral de scrutin majoritaire à un tour imposait à l'opposition traditionnellement divisée de s'unir. À partir de 2012 s'est créé l'UDC dont l'épine dorsale est le Botswana National Front, un parti se réclamant de la social-démocratie dont est issue Duma Boko, les gains électoraux réguliers consacrent la pérennité de cette unité. Les autres éléments décisifs sont les thèmes sociaux de la campagne de l'UDC se déclinant autour de l'emploi des jeunes et comme l'indique le média The Voice Botswana : « un régime national d'assurance maladie qui garantira à chacun l'accès à des soins de santé de qualité, pris en charge par le gouvernement et leur garantissant une vie et des moyens de subsistance décents ». Dans un pays où la prospérité bénéficie à une minorité une telle proposition fait mouche. Le Botswana compte près de 2500 millionnaires et est considéré comme un des pays le plus inégalitaire au monde. Le financement de cette mesure nécessitera un nouveau partage des richesses au détriment de l'élite fortunée du pays. L'UDC sera-t-il prêt à le faire ? Les mobilisations populaires seront un élément décisif pour imposer cette nouvelle politique sociale.
Paul Martial
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En Namibie, un vent de contestation inédit plane sur les élections

L'opposition a annoncé qu'elle ne reconnaîtrait pas les résultats du scrutin qui s'est déroulé fin novembre et qui s'annonce comme le plus disputé depuis l'indépendance du pays. Le vote a été marqué par de multiples problèmes logistiques dus à la forte affluence ainsi que par des irrégularités.
Tiré de Courrier international.
“Libres ? Peut-être. Équitables ? C'est douteux. Crédibles ? Clairement pas !” Dans un éditorial au vitriol, le quotidien The Namibian dresse un réquisitoire accablant contre la commission électorale namibienne. Un vent de contestation inédit plane sur les élections législatives et présidentielle qui se sont achevées samedi 30 novembre après quatre jours de vote en Namibie. L'opposition a déjà annoncé qu'elle ne reconnaîtrait pas les résultats du scrutin, marqué par des problèmes logistiques et une forte affluence dans les bureaux de vote.

Samedi, le candidat des Patriotes indépendants pour le changement (IPC), le principal parti d'opposition, Panduleni Itula, a dénoncé des irrégularités “flagrantes, indéniables et inacceptables”, rapporte le quotidien namibien New Era. La commission électorale elle-même a reconnu l'existence d'“une série de problèmes, résume le site sud-africain News24, notamment une pénurie de bulletins de vote en raison d'un taux de participation plus élevé que prévu et la surchauffe des tablettes utilisées pour vérifier [l'identité des] électeurs”.
Certains bureaux de vote ont également fermé alors que des électeurs attendaient encore de voter. Dépassée par cette multitude de problèmes, la commission électorale a prolongé du 29 au 30 novembre le scrutin dans certains bureaux de vote, semant un peu plus le chaos.
“Chaos généralisé dans les bureaux de vote”
Cette élection, qui s'annonce la plus serrée depuis l'indépendance de la Namibie vis-à-vis du régime d'apartheid sud-africain, en 1990, menace la domination jusque-là incontestée de la Swapo, le parti historique au pouvoir depuis trente-quatre ans.
“Les autorités électorales ont aggravé la situation en rouvrant quelques bureaux, en supprimant la publication des résultats dans les bureaux de vote et en refusant avec arrogance d'impliquer l'ensemble des principales parties prenantes dans leurs décisions”, juge The Namibian.
“Que les résultats annoncent une victoire, un second tour ou une défaite, nous chercherons à annuler cette élection devant les tribunaux”, a annoncé sur le réseau social X Panduleni Itula, cité par le compte X du Windhoek Times. Il a rapidement été rejoint par d'autres partis d'opposition. “L'IPC a lancé la procédure de contentieux et nous le suivrons”, a notamment déclaré le secrétaire général du Mouvement démocratique populaire, Manuel Ngaringombe, repris par The Namibian.
Les élections n'ont été “ni libres ni équitables”, estiment également plusieurs experts interrogés par l'hebdomadaire namibien Windhoek Observer. “Compte tenu du chaos généralisé dans les bureaux de vote, on ne peut que déduire qu'il s'agissait soit d'un chaos chorégraphié, soit d'une incompétence flagrante, ou d'une combinaison des deux”, juge l'analyste politique Rui Tyitende, toujours dans les pages du Windhoek Observer.
“La Swapo a perdu sa domination incontestée”
Ignorant ces critiques, la commission électorale a commencé à annoncer les résultats alors que les bulletins avaient été dépouillés dans un peu plus de la moitié des circonscriptions électorales. Le 2 décembre au matin, la Swapo rassemblait officiellement 59,5 % des voix, contre 25,5 % pour son principal concurrent, l'IPC.
Analysant les résultats provisoires, le politologue Henning Melber note que la Swapo, si elle semble en voie de remporter officiellement les élections, a “perdu sa domination incontestée”. Alors que le parti règne encore sur le nord du pays, dans les centres urbains, “les électeurs ont tourné le dos à l'ancien mouvement de libération”, explique le professeur dans les colonnes du Windhoek Observer.
Un phénomène qui traverse toute une partie de l'Afrique australe, comme le suggère le Daily Maverick : au cours des derniers mois, plusieurs partis issus des mouvements de libération de la région ont vu s'éteindre leur suprématie sur le paysage politique alors qu'arrive une nouvelle génération d'électeurs plus sensibles aux problèmes économiques qu'à l'héritage des luttes d'indépendance.
En dépit des résultats officiels, qui lui sont pour le moment favorables, la Swapo “aurait intérêt à garantir sa légitimité et sa confiance sur la base d'élections véritablement libres et équitables”, souligne Henning Melber.
“[L'organisation de nouvelles élections serait] la voie de sortie la plus évidente afin de regagner l'image d'une société démocratique.”
“En l'absence d'équité et de crédibilité, nous ne pouvons imaginer d'autres options que la tenue de nouvelles élections”, pense également The Namibian, qui met en garde : “Quelque chose de radical doit être fait pour empêcher la Namibie de s'engager sur la pente glissante de l'illégitimité comme nous l'avons vu au Zimbabwe et dans d'autres pays.”
Courrier international
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Tunisie : non à la criminalisation de la solidarité avec les migrants

En solidarité avec Abdallah Said - dont l'arrestation semble principalement liées à son engagement humanitaire en faveur des enfants réfugiés et abandonnés - un ensemble d'associations demande sa libération immédiate ainsi que celle de tous les détenus poursuivis pour leur engagement humanitaire et la fin des persécutions contre les organisations solidaires envers les migrants.
Tiré du blogue de l'auteur.
Le 12 novembre 2024, Abdallah Said, activiste et président de l'Association Enfants de la Lune de Médenine, a été placé en garde à vue par la cellule d'enquête financière tunisienne. Après un long interrogatoire, les charges retenues contre lui restent floues, mais semblent principalement liées à son engagement humanitaire en faveur des enfants réfugiés, migrants et abandonnés dans la région de Médenine.
Cet événement s'inscrit dans un contexte préoccupant de criminalisation de la solidarité en Tunisie, qui s'est intensifié depuis mai 2024. À cette époque, la répression avait déjà ciblé plusieurs figures de proue et organisations humanitaires soutenant les migrants, notamment avec l'arrestation de Saadia Mosbah, présidente de l'association Mnemty, et de Sherifa Riahi, ancienne directrice de Tunisie Terre d'Asile, ainsi que des membres du Conseil Tunisien pour les Réfugiés et d'autres militants et militantes en lien avec la solidarité avec les migrants *. Ces arrestations illustrent une dérive autoritaire visant à réduire au silence toute critique des politiques gouvernementales ou de l'aide humanitaire en lien avec les migrants subsahariens.
Cette répression a coïncidé avec des campagnes de haine et des discours racistes, alimentés par des déclarations officielles, au plus haut niveau de l'Etat. Tunisien, décrivant les migrants subsahariens comme une "menace" pour l'identité nationale tunisienne. Cette rhétorique a eu des conséquences dévastatrices : expulsions forcées, déportations collectives vers le désert libyen et la répression ciblée contre ceux et celles qui s'opposent à ces pratiques racistes et inhumaines.
Abdallah Said : un nouvel exemple de la criminalisation de la solidarité
Abdallah Said, citoyen tunisien d'origine tchadienne, milite depuis des années pour la défense des droits humains et la protection des enfants migrants et réfugiés. Dans le cadre de son association les enfants de la lune, il s'est toujours occupé des enfants tunisiens handicapés et des migrants. Son seul “crime” est son engagement en faveur des plus vulnérables, dans le strict respect des lois tunisiennes, avec une reconnaissance locale et internationale.
Son arrestation est encore un exemple d'une stratégie répressive visant celles et ceux qui défendent les droits humains et soutiennent les migrants.
Cette politique, amorcée en Tunisie sous prétexte d'une "urgence migratoire" fabriquée, s'est traduite par des arrestations arbitraires*, des campagnes de haine sur les réseaux sociaux et une criminalisation croissante du travail des organisations humanitaires.
Nous soulignons le caractère politique de l'arrestation de Abdallah Saïd, en contradiction avec les engagements internationaux de la Tunisie. Nous demandons :
– La libération immédiate d'Abdallah Said et de tous les détenus poursuivis pour leur engagement humanitaire. *
– La fin des persécutions contre les organisations et individus solidaires envers les migrants.
– Le respect des droits humains, de la dignité et des normes juridiques internationales, notamment envers les réfugiés, demandeurs d'asile et migrants.
Nous appelons toutes les organisations maghrébines, françaises, européennes et internationales partageant les valeurs de solidarité et de droits humains à dénoncer cette dérive répressive et à soutenir activement ceux qui, comme Abdallah Said, sont persécutés pour leur engagement solidaire avec les migrants.
Dignité pour les réfugiés, les migrants.
*Sherifa Riahi, Ancienne directrice de "Terre d'asile Tunisie" (2016-2021/2022), placée en garde à vue le 8 mai 2024 pour des soupçons de blanchiment d'argent. Dans la foulée, deux autres personnes ont été arrêtées dans le cadre de la même affaire : Iyadh Bousselmi, directeur actuel de "Terre d'asile Tunisie", et Mohamed Jouou, responsable financier.
*Saadia Mosbah , Militante antiraciste et présidente de Mnemty, arrêtée début mai 2024 et poursuivie pour blanchiment d'argent, dans un contexte de répression des associations critiques.
*Mustafa Jamali, président du Conseil tunisien pour les réfugiés, et Abdelrazek Krimi, chef de projet au sein du même conseil, ont été arrêtés en mai 2023, accusés d'héberger illégalement des étrangers et de recevoir des financements étrangers.
*Abdallah Saïd, fondateur de "Les Enfants de la Lune", a été arrêté le 12 novembre 2024 et transféré au pôle antiterroriste, accusé de recevoir des fonds étrangers pour aider des migrants. (2 responsables de l'association ont également été arrêtés dans la foulée).
Premiers signataires
Organisations Internationales
Migreurop
Euromed Rights
Fédération Internationale des droits de l'Homme
Réseau Euromed France (REF)
Coordination maghrébine des organisations de droit de l'Homme (CMODH)
Syndicats
Confédération générale du Travail (CGT)
Confédération française démocratique du travail (CFDT)
Fédération syndicale unitaire (FSU)
Union nationale des syndicats autonomes (UNSA)
Union syndicale solidaires (SUD)
Organisations maghrébines, françaises européennes et internationales
Action Jeunesse – Maroc
Association des citoyens originaires de Turquie (ACORT)
Association de défense des droits de l'Homme au Maroc (ASDHOM)
Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH)
Association des Marocains en France (AMF)
Association N'aoura – Bruxelles
Association des refoulés d'Afrique-centrale au Mali (ARACEM) - Mali
Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF)
Association des médecins français pourla prévention de la guerre nucléaire (AMFPGN) (membre de l'IPPNW, prix Nobel de la paix)
Associazione Ricreativa Culturale Italiana - Association italienne de loisirs et de culture (ARCI) - Italie
Aswat Media Network – Libya – Aswat réseau de médias - Libye
Attac France
Cédetim / IPAM
The Centre for Peace Studies – Zagreb - Le Centre d'études pour la paix – Zagreb
Centre Lixus pour les jeunes chercheurs – Maroc
Coalition internationale des sans-papiers et migrants (CISPM)
Collectif des communautés subsahariennes au Maroc (CCSM)
Collectif Sans papiers 75 (CSP-75)
Collectif associatif pour l'observation des élections (CAOE) - Maroc
Collectif régional pour la Coopération Nord-Sud – Hauts de France (CORENS)
Comité de soutien à la Ligue algérienne de defense des droits de l'homme
(CS-LADDH) - Algérie
Centre national de coopération et développement belge (CNCD-11.11.11)
Droit aux Logements (DAL)
Droit ici et là-bas (DIEL)
Egyptian Front for Human Rights (EFHR) - Front égyptien pour les droits de l'homme (EFHR) - Egypt
E-joussour portail de la société civile maghrébine/Machrek - Maroc
Ensemble Vivre Travailler et Coopérer de Saint Denis (EVTC)
Femmes plurielles
Fondation Copernic
Fondation Frantz Fanon (FFF)
Forum des alternatives Maroc (FMAS) - Maroc
Forum France Algérie (FFA)
France Fraternité (FF)
Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI)
HuMENA for Human Rights and Civic Engagement to the statement in the MENA -HuMENA pour les droits de l'homme et l'engagement civique au Moyen Orient
Iridia-center for the defense of human rights - Barcelona – Espana
Ligue des droits de l'Homme (LDH)
Migration, Asylum, Racism Discrimination and Trffiking (KISA-Cyprus) - Chypre
Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP)
New Woman Foundation - Egypt
Observatoire Marocain des libertés publiques (OMLP) - Maroc
Observatoire Marocain de la protection sociale - Maroc
Organisation pour les libertés d'information et d'expression (OLIE) Hatim - Maroc
People in Need, Czech Republic - Personnes dans le besoin, République Tchèque
Pour une Alternative Démocratique en Algérie (PADA)
Réseau Féministes « Ruptures »
Riposte Internationale (RI)
Statewatch – Londres - UK
SOS migrants – Belgique
SOS Racisme
We at Libya Crimes Watch (LCW) – Libye
Partis
– Europe écologie les verts (EELV)
– Ensemble
– Pour une Ecologie Sociale et Populaire (PEPS)
– NPA -l'Anticapitaliste
Personnes
– Pierre Khalfa, économiste,
– Michelle Guerci, journaliste, militante féministe antiraciste.
À l' initiative de :
– Association Démocratique des Tunisiens en France (ADTF)
– Union des travailleurs immigrés tunisiens (UTIT)
– Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR)
– Le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l'Homme en Tunisie (CRLDHT)
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À New Delhi, les enfants respirent un air mortel

La « capitale la plus polluée au monde » fait face à un terrible épisode de pollution aux particules fines. La santé des enfants, notamment des plus pauvres, est fortement affectée alors que cet « airpocalypse » devient la norme.
Tiré de Reporterre
New Delhi (Inde), correspondance
Aparna Agarwal revient tout juste de l'Himalaya où elle a fui avec sa fille de 6 ans et son fils de 3 ans. « Depuis l'arrivée du smog sur New Delhi, ils toussent comme jamais. Ma fille est victime de maux de tête constants. Il leur est impossible de se concentrer ou même de s'amuser. Alors, nous sommes partis dans les montagnes pour éviter d'aggraver ces problèmes respiratoires », raconte cette mère de 35 ans qui vit à Noida, une banlieue à l'est de New Delhi.
Après quelques jours au contact de l'air pur, les symptômes de ses enfants ont diminué, mais pour combien de temps ? « Les habitants de New Delhi se réjouissent dès que la pollution a un peu baissé, mais les niveaux restent extrêmement élevés ! », s'inquiète Aparna Agarwal. Il y a une semaine, la pollution aux particules fines2,5 (inférieures à 2,5 microns) était 60 fois supérieure aux seuils fixés par l'Organisation mondiale de la santé à New Delhi. Elles sont aujourd'hui « seulement » 30 fois au-dessus des normes…
Maladies chroniques mortelles
L'air est vicié toute l'année à New Delhi, mais cette pollution explose en novembre. Le froid hivernal, les fêtes hindoues célébrées avec des pétards polluants, l'agriculture sur brûlis des régions alentour, les usines et chantiers de la capitale : tout concourt pour créer un cocktail mortel. Les mesures gouvernementales timides, telles que la fermeture des écoles ou les solutions fantasques comme les tours antipollution, sont impuissantes face à la catastrophe.
La revueLancet a attribué à la mauvaise qualité de l'air la mort de 1,67 million d'Indiens en 2019. À Delhi, les experts s'inquiètent des conséquences pour les plus jeunes. « Les enfants continuellement exposés alors que leurs poumons se développent sont extrêmement vulnérables », explique le docteur Nikhil Modi, pneumologue. « En quinze ans, j'ai vu les cas d'asthme et d'allergies exploser. Cet hiver, les consultations ont été multipliées par trois. » Seule l'élite a les moyens, comme Aparna Agarwal, d'éloigner temporairement ses enfants de l'air empoisonné.
Ces maladies chroniques sont une bombe en puissance. « L'espérance en vie des enfants diminue alors qu'on les voit développer des maladies mortelles de fumeurs : cancer des poumons, attaques cardiaques, AVC », alerte ce spécialiste en pédiatrie pour qui cette année est une des pires jamais vues à New Delhi. « Cela affecte aussi les familles, avec des heures de travail perdues pour les parents, qui viennent ajouter à la précarité économique de beaucoup de familles. »
Les plus pauvres sans solutions
Bhavreen Khandari, à la tête de Warriors Moms, une association de mères militants contre la pollution, ne décolère pas. « De qui se moque-t-on en faisant croire que fermer les écoles est une solution ? Il n'y a que 3 % de la population qui dispose de grands appartements et purificateurs d'air. Les enfants vont s'entasser dans une pièce polluée où l'on se chauffe parfois au charbon ! » Aparna Agarwal, elle, « empêche ses enfants de gambader dehors et leur fait suivre des cours en ligne », mais se lamente pour ceux « à qui on donne le choix entre la faim ou la toux, car le repas de midi à l'école est fondamental pour les plus pauvres ».
« Les industriels devraient être jetés en prison »
Les associations de défense des enfants ont déposé de nombreuses plaintes auprès d'institutions comme la Cour suprême. Cette dernière appelle régulièrement à des mesures ponctuelles, comme, récemment, le contrôle des véhicules polluants. Des mesures rarement suivies d'effets sur le terrain. « La seule solution, c'est de combattre pour de vrai la pollution de l'air, juge Bhavreen Khandar. On perd espoir car, chaque année, on nous fait des promesses vides. Les industriels et responsables devraient être jetés en prison car ils tuent nos enfants ! »
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gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.