Revue À bâbord !
Publication indépendante paraissant quatre fois par année, la revue À bâbord ! est éditée au Québec par des militant·e·s, des journalistes indépendant·e·s, des professeur·e·s, des étudiant·e·s, des travailleurs et des travailleuses, des rebelles de toutes sortes et de toutes origines proposant une révolution dans l’organisation de notre société, dans les rapports entre les hommes et les femmes et dans nos liens avec la nature.
À bâbord ! a pour mandat d’informer, de formuler des analyses et des critiques sociales et d’offrir un espace ouvert pour débattre et favoriser le renforcement des mouvements sociaux d’origine populaire. À bâbord ! veut appuyer les efforts de ceux et celles qui traquent la bêtise, dénoncent les injustices et organisent la rébellion.

Sommaire du numéro 104
Travail
Projet de loi 89 : Ode à la grève / Élisabeth Béfort-Doucet
Politique
Fondation Walter J. Somers : Un think tank néolibéral financé par la philanthropie et les contribuables / Maxim Fortin
Jeunes et politique : La relève ignorée ! / Sara Arseneault, Lydia Bachi, Steven Flores-Pimentel, Ophélie Fortin, Émilie Gauvin
Féminisme
Abattoir : une féministe en tabarnak / Avec A., par Isabelle Bouchard
Conquérir la nuit / Kharoll-Ann SouffrantEnvironnement
Droit minier et respect des populations locales / Frédérique Bordeleau
Bien réfléchir sur l'injustice et le climat / Entrevue a
vec Amélie Chanez et Anne-Marie Le Saux, par Claude VaillancourtÉconomie
Le bon et le mauvais usage des tarifs douaniers / Claude Vaillancourt
Coup d'œil
« S'illes nous méprisent tellement, qu'illes viennent le dire dans notre face » / Louise Nachet
Culture numérique
Convergence technologique anarchiste de Montréal / Yannick Delbecque
Société
Dans les communautés juives, les antisionistes se mobilisent / Glenn Rubenstein
Politique municipale
Chefferie de Projet Montréal, un choix rassurant ? / Marie-Christine Jeanty
Analyse du discours
Ce que Mathieu Bock-Côté raconte en France / Philippe Boudreau
Médias
Ripostes : les voix du communautaire / Entrevue avec Patrizia Vinci. Propos recueillis par Samuel Raymond
Mémoire des luttes
Alerta ! Le cri de la Wawa. Une voix autonome contre le néolibéralisme / Alexis Lafleur-Paiement
Mini-dossier : Remettons les pendules à nos heures !
Les technologies trompe-l'œil du temps reproductif / Myriam Lavoie-Moore
Le temps de sommeil dans le capitalisme / Jonathan Martineau
Temps et travail / Entrevue avec Julia Posca, sociologue, par Philippe de Grosbois et Valérie Beauchamp
Dossier : Acadie, un accent sur notre monde
Coordonné par Valérie Beauchamp, Arianne Des Rochers, Isabelle LeBlanc et Charles MacDougall
Un territoire dispersé qui se cherche / Mathieu Wade
Le pouvoir acadien : Petite histoire de l'organisation sociopolitique / Michelle Landry
Souveraineté alimentaire : Les résistant·es de la Ridge / Kevin Arseneau, Rébeka Frazer-Chiasson, Geneviève L. Latour et Philippe LeVoguer
De l'insécurité à l'émancipation linguistique / Isabelle Violette
Soins d'avortement au Nouveau-Brunswick : Disponibilité ne veut pas dire accessibilité / Geneviève L. Latour
Discrimination raciale : Élargir la francophonie acadienne, éviter la fragmentation / Leyla Sall
Pour un plaidoyer queer acadien / Entrevue avec Alex Arseneau, par Arianne Des Rochers
Crise climatique et érosion des côtes : Partons (lutter) la mer est belle / Mélodie Jacquot-Paratte et Charles MacDougall
Culture
« Déstabiliser les pouvoirs ». L'humour de gauche au Québec / Entrevue avec Emna Achour, Coralie LaPerrière et Xavier Boisrond, par Philippe de Grosbois et Samuel Raymond.
La progression des femmes et des personnes racialisées en humour : De la marge à la scène humoristique / Sophie-Anne Morency
Les vilaines vedettes syndicales du folklore ouvrier québécois / Entrevue a
vec Eric Sédition, Mathieu Stakh et SanSan, par Isabelle BouchardRecensions
À tout prendre ! / Ramon vitesse
Couverture : Angèle Cormier

Lutter contre les reculs imposés par la CAQ
Depuis quelques mois, les projets de loi rétrogrades s'empilent sur les bureaux des députés de l'Assemblée nationale : les PL68, PL69, PL89, PL93, PL94, PL98, PL101 ne sont que des exemples de textes contenant une pléiade d'attaques sur des acquis de longue date en matière de conditions de travail, de droit de grève et d'association, de liberté d'expression, de protection de l'environnement et des ressources naturelles et de système de santé public.
Par exemple, dans le projet de loi 89, « visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève et de lock-out », on limite le droit de grève au nom de la protection du bien-être des enfants lors de conflits de travail. Dans le PL93, « concernant notamment le transfert de propriété d'un immeuble de la Ville de Blainville », on autorise une entreprise privée à entreposer ses déchets toxiques en faisant fi de rapports environnementaux, au nom de l'« intérêt », voire de la sécurité nationale. Ou encore, sous le prétexte d'une « gouvernance responsable des ressources énergétiques » (PL69), on envisage une production fortement accentuée d'énergie, au détriment de l'environnement, et une privatisation partielle d'Hydro-Québec.
Le gouvernement Legault, adepte de lois tout sauf progressistes, n'est pas enclin d'autre part à encourager les discussions. On le voit notamment par les difficultés vécues dans les secteurs de la culture, du communautaire et des médias alternatifs – incluant des organisations connues pour dénoncer, critiquer et résister –, tous en crise faute de financement adéquat. Ce traitement dont ils sont victimes contribue à éliminer les voix discordantes et dérangeantes qu'elles représentent.
Tout comme le manque de financement, l'adoption de cadres réglementaires liberticides sous le coup du bâillon ou par le biais de l'utilisation de clauses dérogatoires dépeint le peu de respect pour le débat, l'opposition et les institutions démocratiques du gouvernement actuel.
Le tout n'est pas sans rappeler ce qui se passe chez nos voisins du Sud, mais aussi ailleurs dans le monde, alors que la droite laisse place à l'extrême droite, à un autoritarisme de plus en plus appuyé, avec ce qui en découle : un discours rétrograde assumé, une rhétorique et des pratiques antidémocratiques, l'ostracisation de pans entiers de la population, les atteintes aux droits et libertés, les politiques favorisant les intérêts privés au détriment des programmes et enjeux collectifs ainsi que le mépris de ceux qui contestent et résistent.
Certes, la CAQ ne va pas aussi loin que ces partis extrémistes. Mais elle s'alimente de tendances inquiétantes. À défaut d'y adhérer pleinement, elle profite d'un air du temps réactionnaire. Plusieurs des éléments normatifs mis de l'avant par ce parti constituent bel et bien une offensive sur des gains durement acquis. Ne nous méprenons pas : la CAQ sent la fin de son règne et tente d'abattre le plus de travail possible pour démanteler des droits et avantages arrachés au prix de luttes laborieuses. Ne nous laissons pas submerger par la quantité abondante de la réglementation qui déferle, mais organisons-nous, dénonçons les pratiques antidémocratiques au service du secteur privé, du patronat et d'intérêts réduits. Démontrons, au sein de nos organisations, toute la solidarité dont nous sommes capables. Nous n'avons ni la place ni le temps pour l'apathie !

De Tunis à Gaza, de Montréal à Rafah : briser le siège, refuser le silence
Il est des gestes qui ne relèvent ni du secours humanitaire ni du symbole abstrait, mais bien de l'histoire. La Marche mondiale vers Gaza en fait partie. Plus qu'un simple rassemblement international, c'est un soulèvement moral et politique. Un refus collectif de l'indifférence. Une réponse populaire, transnationale, résolue et indocile à la mise à mort programmée d'un peuple.
Le 15 juin 2025, des milliers de personnes venues de plus de trente pays convergeront vers la frontière de Rafah. De Tunis à Vancouver, de Dakar à Santiago, une génération dispersée mais insoumise a choisi d'écrire une autre page de notre histoire. Elle incarnera une conviction profonde : la solidarité n'est pas une option morale, c'est un impératif politique.
Cette initiative n'est ni charitable, ni symbolique. Elle est une riposte, une dénonciation vivante de l'ordre mondial qui laisse mourir de faim un peuple entier dans un silence organisé. C'est le cri de celles et ceux qui refusent de normaliser le génocide, de réduire Gaza à une parenthèse humanitaire dans un monde saturé de cynisme.
Née dans l'urgence d'un monde anesthésié, la Marche mondiale pour Gaza est le fruit d'un refus : celui de détourner les yeux alors qu'un des pires génocides du XXIe siècle s'accomplit sur nos écrans, en toute impunité. Depuis octobre 2023, plus de 55 000 Palestinien·nes ont été martyrisé·es, soit environ 2,4 % de la population de Gaza. Et ce chiffre, déjà insoutenable, reste sous-estimé. Selon The Lancet, revue scientifique de référence, le nombre réel de martyrs pourrait avoir atteint 186.000 dès juin 2024. Imaginons ce qu'il en est aujourd'hui.
Face à cette barbarie orchestrée, la Marche est une insurrection morale. Une coordination citoyenne mondiale rassemblant plusieurs réseaux :
* la Freedom Flotilla Coalition, qui tente de briser le blocus par la mer ;
* la Marche Mondiale vers Gaza, mobilisée par voie aérienne ;
* et la Coordination de l'action commune pour la Palestine, partie de Tunisie, qui emprunte la voie terrestre.
Et c'est justement de Tunis, ma ville natale, que le convoi Al-Soumoud, la caravane terrestre de la ténacité a choisi de faire ses premiers pas. Tunis, témoin d'une solidarité enracinée avec la cause palestinienne, terre d'accueil de l'Organisation de Libération Palestinienne (OLP) après les massacres de Sabra et Chatila en 1982, terre d'exil des résistant·es jusqu'au retour à Gaza en 1994, et terre frappée par les bombes israéliennes lors de l'attaque aérienne du 1e octobre 1985 contre le quartier général de l'OLP à Hammam Chott. Ici, Gaza n'est pas une abstraction, mais une mémoire vivante. Une mémoire populaire, que ni la répression ni les renoncements gouvernementaux n'ont pu effacer. Une ville qui continue de dire non, même bâillonnée.
Je suis aussi Canadienne, de cette terre qui m'a accueillie, et c'est depuis Montréal que je m'engage au sein de la coordination nationale de la Marche mondiale pour Gaza. Cette double appartenance n'est pas une contradiction, mais une richesse : celle de pouvoir tisser des ponts entre les rives, relier les récits, faire dialoguer les mémoires, et assumer les responsabilités qui découlent de chaque côté de l'océan.
Car le Canada n'est pas neutre. Il continue d'exporter des armes, de signer des contrats militaires, de soutenir Israël diplomatiquement, et de voter contre les droits des Palestinien·nes dans les instances internationales. Marcher depuis ici, c'est refuser cette complicité active. C'est agir depuis le cœur même de l'Empire. Car ce génocide est commis avec notre argent, nos lois, nos impôts, et surtout nos silences.
La délégation canadienne, dont je fais partie, composée de militant·es, de syndicalistes, de professionnel·les de la santé, de jeunes et d'artistes engagé·es s'inscrit pleinement dans cette dynamique. Nous marchons parce que ce faux lointain, cette illusion de distance, expose crûment notre participation, passive ou structurelle, au système qui rend le massacre possible. Nous marchons pour dire que nous refusons d'être complices. Que nos passeports ne nous protègent pas de la honte. Que nous aurons des comptes à rendre à nos enfants, et aux leurs.
Depuis le 2 mars 2025, Israël impose une fermeture totale des points de passage vers Gaza, empêchant toute entrée de nourriture, médicaments et aide humanitaire. Le blocus de Rafah a provoqué famine, effondrement sanitaire, déplacements forcés à grandes échelle. Face à cette situation, la Marche mondiale pour Gaza porte trois revendications claires : la levée immédiate du blocus de Gaza, l'ouverture inconditionnelle du passage de Rafah, l'entrée de l'aide humanitaire et la fin des complicités internationales qui rendent ce génocide possible et durable.
Nous ne sommes pas naïfs. Nous savons que les États ne plient pas sous la seule pression morale. Mais nous savons aussi que l'histoire avance par accumulation : de cris, de pas, de ruptures. Sans cette marche, nous serions plus seul·es et sans doute plus honteux·euses. Elle est un acte de mémoire, mais aussi un pari sur l'avenir. Elle affirme que la Palestine vit encore : dans chaque slogan, chaque keffieh, chaque regard levé.
Nous ne marchons pas pour nous donner bonne conscience. Nous marchons pour ouvrir une brèche dans le mur de l'indifférence. Pour rappeler à nos peuples que la lutte palestinienne est aussi la nôtre : une lutte contre le colonialisme, pour la justice globale, pour le droit à la vie, à la dignité, à la terre et au rêve.
Je marcherai pour Gaza, oui. Mais aussi pour mes enfants et pour les enfants de Tunis, ceux que j'ai vus écrire encore sur les murs : « القدس لنا / À nous Jérusalem ». Je marcherai pour les jeunes de Montréal qui ne comprennent pas pourquoi les bombes reçoivent plus de soutien que les vies. Pour toutes celles et ceux qui croient encore que marcher, c'est résister ; que résister, c'est espérer ; et qu'espérer, c'est déjà se battre.
Cette marche, enfin, est une promesse. Celle de ne pas céder. Car tant qu'il y aura des peuples qui marchent, il y aura des peuples qui résistent. Et tant qu'il y aura des résistances, le projet colonial ne dormira jamais tranquille. Palestine vaincra !
Safa Chebbi est militante décoloniale et membre de la coordination nationale canadienne de la Marche mondiale pour Gaza.
Crédit photo : Yassine Gaidi.
Contrat de service – Permanence à la revue À bâbord !
La revue sociale et politique À bâbord ! est à la recherche d'une personne pour assurer la permanence de la revue. Revue autonome et indépendante, la revue À bâbord ! est réalisée par des membres bénévoles depuis 2003. Le rôle de la personne permanente est central pour assurer les publications. Cette personne devra effectuer les tâches suivantes, notamment.
Survol du poste
- • Assurer le suivi hebdomadaire des deux boîtes courriel (info + achats/pubs).
- • Relayer les propositions d'articles au secrétaire de rédaction.
- • Relayer les demandes ou les problèmes d'abonnements à la SODEP.
- • Relayer les questions spécifiques au collectif ou au comité de coordination.
- • Assurer le suivi avec l'imprimeur, et ce, toute l'année, en collaboration avec la personne secrétaire de rédaction.
- • Assurer le suivi avec la SODEP (ex. : remplir les sondages, faire les demandes pour le Printemps des revues) en collaboration avec le ou la responsable des abonnements.
- • Rassembler les nouvelles pubs (en relançant chaque syndicat qui a un contrat avec nous) pour le numéro 105 et les suivants, en collaboration avec le comité dédié aux annonces publicitaires et la personne secrétaire de rédaction.
- • Renouveler les contrats de vente d'espaces publicitaires et les achats groupés après le numéro 105 et les suivants.
- • Vendre des espaces publicitaires à l'aide d'un nouveau kit médias (à créer : 2025-2026).
- • Transférer toutes les publicités à l'infographiste et au secrétaire de rédaction avant chaque date de tombée.
- • Produire toutes les factures publicitaires.
- • Produire des factures et faire le suivi des ventes et invendus auprès des librairies indépendantes deux fois par année.
- • Coordonner l'ajout de chaque numéro aux plateformes de vente des Libraires et de la SODEP.
Compétences requises et atouts
- • Bonnes capacités de communication et de rédaction en français.
- • Familiarité avec les outils de gestion et de suivi des boites courriels.
- • Aptitude à travailler en équipe et de manière autonome.
- • Connaissance des milieux syndicaux et militants québécois (atout).
- • Expérience ou connaissance en édition (atout).
- • Expérience de mise en marché (atout).
Conditions de travail
- • Il s'agit d'un contrat de service d'une moyenne de 40 heures par numéro (quatre numéros par année), mais les heures sont réparties en fonction des besoins.
- • La rémunération est de 20,00 $ de l'heure.
- • Toutes les données d'À bâbord ! devront être versées sur le serveur Nextcloud À Bâbord ! financé par la revue, et ce, dès la conclusion du contrat de services pour la personne assurant la permanence de la revue.
- • Le contrat sera renouvelable annuellement en juin), après entente entre les parties, et ce, notamment, si la situation financière de la revue le permet.
- • Le travail se réalise au domicile de la personne.
- • L'entrée en poste est prévue pour juin 2025.
Procédure pour postuler
Les personnes intéressées sont priées d'envoyer leur CV accompagné d'une lettre de motivation avant le 12 juin à 17 h à l'adresse suivante : candidature@ababord.org.

Le capitalisme à son apogée
Aux États-Unis, les politiques du care, les programmes d'aide sociale, l'industrie des soins de santé, les organismes à but non lucratif qui luttent contre la pauvreté, les programmes de tutelle, les agences d'aide sociale, les programmes de garde d'enfants et l'aide au logement ont servi de sites de croissance économique et d'expansion du capital.
L'investissement dans l'économie du care à des fins d'accumulation financière a augmenté rapidement au cours des 30 dernières années et l'engouement pour le care comme nouvel horizon pour l'investissement et l'entrepreneuriat dans le secteur des entreprises ne cesse de grandir. La hausse des profits tirés du care indique qu'il existe un nouveau rapport entre les individus et le capital, ainsi qu'entre l'État-providence et l'accumulation de capital. Un rapport qui permet au capital de tirer profit de la pauvreté, de la maladie, de la dépendance et de la fragilité. Le point de départ de notre réflexion se base sur une analyse du capitalisme racial. En effet, les spécialistes de l'esclavage et du racisme ont démontré que le profit tiré du care s'inscrit dans la longue histoire du capitalisme et du colonialisme.
Capitalisme racial
L'exemplele plus frappant est celui de l'esclavage transatlantique. Le travail des esclaves était une composante nécessaire de l'économie industrielle naissante en Europe et aux Amériques. Outre l'exploitation de leur travail, l'achat et la vente d'esclaves constituaient également une source de profit. Par conséquent, les personnes asservies produisaient des marchandises et constituaient elles-mêmes une marchandise.
Bien que très différente de l'esclavage mobilier [1], l'économie contemporaine du care est fondée sur la rentabilité des personnes et des soins qui leur sont prodigués. Dans le cadre de l'économie néolibérale du care, les entreprises gagnent de l'argent en exploitant les besoins qu'ont les personnes, qu'il s'agisse de soins de santé, de logement, d'éducation, de garde d'enfants, de soins aux personnes âgées ou aux personnes handicapées.
En prenant en compte les voix des personnes les plus marginalisées – militant·es, travailleuses et travailleurs domestiques, bénéficiaires de l'aide sociale – nous sommes à même de comprendre l'économie du care sous l'angle du capitalisme racial. Par exemple, les personnes employées de maison perçoivent leur emploi comme une exploitation (ou du moins une obligation liée au travail) et non comme un engagement affectif, et se mobilisent ainsi dans le secteur grandissant des services du care. Pour la majorité, il s'agit de femmes noires et de couleur. De même, les récits des bénéficiaires d'aide sociale illustrent bien le fait que la réduction et la nature plus punitive des programmes qui leur sont destinés leur cause davantage de difficultés.
On voit alors se dessiner un secteur du care enraciné dans l'exploitation du travail et l'extraction du profit. Tout cela met en évidence les contradictions entre le discours sur les soins (l'idée que le care est une préoccupation publique majeure) et les politiques adoptées.
Rôle de l'État
Un besoin majeur semble être de reconsidérer le rôle de l'État-providence dans le cadre d'une économie du care extractive. L'État-providence a été vu comme un moyen d'atténuer les excès du capitalisme. Or, les programmes gouvernementaux sont souvent externalisés, administrés par des entreprises privées, et il y a peu de surveillance à l'égard de la manière dont l'argent peut être dépensé. L'État-providence est devenu une source de profit pour le secteur privé et une mangeoire pour les riches. Par exemple, Maximus, une entreprise qui offre des services de gestion de programmes pour le gouvernement américain, génère un chiffre d'affaires de 4 milliards de dollars en exploitant des ménages et en fournissant les services de Medicaid [2], de Medicare [3] et de formations professionnelles, entre autres, destinés aux personnes dans le besoin. Seul un quart des fonds publics destinés aux bénéficiaires du Temporary Assistance to Needy Families Program [programme d'assistance temporaire aux familles nécessiteuses] est consacré à l'aide monétaire accordée auxdites personnes démunies.
Le profit tiré du care augmente et devient ainsi une forme dominante d'accumulation de capital. Aux États-Unis, parmi les dix premières entreprises du classement Fortune 500 de 2024, quatre relèvent de l'économie du care : CVS Santé, United Health Group, McKesson et Cencora. À titre de comparaison, en 1980, les dix premières entreprises du palmarès comprenaient six compagnies pétrolières et gazières, trois constructeurs automobiles et une entreprise technologique. Même si l'industrie manufacturière demeure importante, la production de matières premières et l'exploitation de la main-d'œuvre ne sont plus le seul fondement du capitalisme ; désormais, pour créer du profit, les regards sont portés vers le bien-être et la survie des personnes.
Pour un care radical
Toutes les formes de care ne sont pas ancrées dans un marché et une logique capitaliste. D'autres expériences nous invitent à réfléchir à la manière de le réimaginer. Les services médicaux et les programmes de petits-déjeuners gratuits du Black Panther Party en son temps, les collectifs trans du début des années 1970, et les réseaux du care qui se sont formés dans la communauté de la justice pour les personnes handicapées en sont de bons exemples. Ce care radical et communautaire comble un besoin important, en plus de constituer la préfiguration d'une vraie politique du care – les premiers jalons d'une société différente dans laquelle le care n'est pas défini par le profit capitaliste ou les normes raciales et sexistes, mais par un engagement partagé en faveur du bien-être des autres.
[1] Système dans lequel les personnes asservies sont aussi considérées comme des biens par leurs asservisseurs.
[2] Couverture médicale pour certaines personnes avec un revenu et des ressources limités.
[3] Assurance maladie fédérale, notamment pour les personnes âgées de 65 ans.
Premilla Nadasen est professeure d'histoire à l'Université Columbia, New York.
Photo : Selena Phillips−Boyle

Des féminicides coloniaux
Si le discours public sur la mort de personnes de groupes marginalisés est toujours politique, cela devient très clair quand on a affaire aux débats d'opinion sur le génocide perpétré envers les peuples autochtones et sur les féminicides de femmes autochtones au Québec et au Canada. Chronique d'un militantisme anti-autochtones bien de chez nous.
Le 3 juin 2019, nous étions de nombreux·euses observateur·rices et chercheur·euses à sortir ébranlé·es de la cérémonie de clôture de l'Enquête nationale sur les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA [1] autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), au Musée canadien de l'histoire, à Hull. Nous étions ébranlé·es par cette communion des deuils et par la vibrante et contagieuse indignation des proches de victimes. Nous n'étions toutefois pas étonné·es par la conclusion phare de l'enquête : les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones sont des cibles du génocide colonial canadien.
Un « non » catégorique
Cependant, dès l'après-midi du 3 juin, des chroniqueurs se scandalisaient. Sur TVA, Mario Dumont déclarait « le [rapport] a commencé à circuler […] avec cette fameuse expression, un “ génocide ”… c'est pas acceptable, c'est pas vrai ». Le même jour, Yves Boisvert de La Presse titrait sa chronique « C'était pas un “ génocide ” » et y affirmait que « ce tordage de mots militants suggère au final de comparer les chambres à gaz nazies et les assassinats massifs à coups de machette au Rwanda avec la situation des femmes autochtones ».
Le 8 juin, sur les ondes de Global News, Andrew Scheer, alors chef du Parti conservateur, déclarait que l'enjeu des disparitions et des assassinats de femmes autochtones était « its own thing », « un dossier particulier » qu'on ne pouvait qualifier de génocide. Entre autres propos suintant de racisme, Normand Lester du Journal de Montréal écrivait le lendemain que « le rapport […] a habilement utilisé cette réalité en l'associant au mot honni « génocide » pour réaliser une fantastique et malhonnête opération de propagande à l'échelle internationale ». Encore tout récemment, à l'occasion de la Journée nationale des peuples autochtones de juin dernier, Jean-François Lisée usait de sa tribune dans le Devoir pour défendre la liberté d'expression des négationnistes de partout au pays et réclamer le droit de douter de l'existence de tombes anonymes d'enfants sur les sites des pensionnats fédéraux. Pour appuyer ses propos, Lisée se faisait le relais des écrits de Tom Flanagan, négationniste de renom et l'un des porte-étendards du militantisme anti-autochtones au Canada.
Un génocide colonial
Les rédactrices du rapport avaient vu venir cette levée de boucliers. On peut lire, dans le rapport, qu'il est souvent difficile, voire impossible de faire reconnaître certains événements qui correspondent en beaucoup de points à des génocides en raison de l'intensité extrême de la violence qu'on associe à l'Holocauste, à l'Holodomor ou au génocide rwandais. Ce sont des événements dont la violence a été brutale autant dans le temps que dans l'espace, alors que le génocide canadien, lui, repose sur des structures diffuses, des actions et des omissions dont les effets génocidaires (létaux et non létaux) s'étalent longuement dans le temps. Pensons à la Loi sur les Indiens, aux pensionnats, à la rafle des années 1960, aux déplacements forcés de communautés inuites dans l'Extrême Arctique, au long bras de la Protection de la jeunesse ou aux biais persistants de la police et du système judiciaire, from coast to coast to coast.
Cumulées, coordonnées et à long terme, ces structures créent une violence à la fois culturelle, économique, institutionnelle et de santé publique qui vise l'extinction de la souveraineté autochtone et l'effacement de la présence autochtone sur le territoire. Cette extinction est fondamentale pour assurer l'emprise de l'État canadien sur ce territoire et ses ressources : le génocide colonial est un mode d'opération inscrit dans l'ADN de l'État colonial de peuplement [2]. Sa souveraineté et son intégrité territoriale dépendent de l'effacement des Premiers Peuples.
Féminicides
Le féminicide est le meurtre misogyne d'une femme ou d'une personne dont l'expression de genre est féminine. On le décrit souvent comme la face la plus visible des violences de genre, qu'on peut positionner sur un continuum d'intensité. En ce qui concerne les féminicides perpétrés envers des femmes autochtones, il s'agit de l'un des nombreux rouages et effets de la violence structurelle que produit le colonialisme. C'est une violence qui se situe au confluent de la misogynie, de la colonialité et du racisme.
Au Québec, depuis 2021, on a réalisé une avancée dans le discours en délaissant plus ou moins les fâcheuses expressions « drame conjugal » ou « drame familial » pour leur préférer le terme « féminicide » [3]. Une avancée, parce que dire « féminicide » nous éloigne d'une compréhension purement criminaliste pour mieux représenter le caractère politique de la violence faite à la victime en raison de son genre. Dans un contexte où les meurtres conjugaux – ces meurtres commis par un (ex-)partenaire – sont les plus médiatisés, parler enfin de féminicide a aussi le potentiel d'élargir la couverture médiatique vers tous les types de violences commis envers les femmes, même hors de la sphère domestique, et de complexifier notre compréhension collective du féminicide.
En réalité, tous les féminicides ne sont pas des meurtres conjugaux. Parler de féminicide est particulièrement important lorsqu'il est question des femmes autochtones assassinées qui, selon l'Observatoire canadien du fémicide, sont plus susceptibles d'être tuées par un inconnu ou par une connaissance que les femmes allochtones. Sachant cela, et sachant qu'au moins une femme assassinée sur cinq au Canada est une femme autochtone, on ne saurait faire du féminicide un synonyme de meurtre conjugal : ce mot doit conserver toute sa force et refléter toutes les réalités des violences de genre, notamment coloniales [4].
La violence policière ne date pas d'hier
Au moment où l'ENFFADA est lancée, en 2015, des militant·es et des associations de femmes autochtones luttent depuis plusieurs décennies déjà pour que ces disparitions et ces assassinats soient examinés et traités avec l'urgence qu'ils méritent. Dès 2004, Amnistie internationale, en collaboration avec l'Association des femmes autochtones du Canada, publiait un rapport intitulé On a volé la vie de nos sœurs : discrimination et violence contre les femmes autochtones. Les organisations y signalaient le vif contraste entre le nombre alarmant de femmes autochtones disparues et assassinées et l'indifférence des corps de police et des élu·es devant la violence commise envers elles.
À lire les transcriptions des audiences de l'ENFFADA, on voit que celles-ci étaient l'occasion pour les proches de répondre aux discours déshumanisants et à l'indifférence des autorités. La plupart des témoignages dénoncent le traitement général que les femmes autochtones reçoivent de la société coloniale dominante, qui se traduit par cette phrase, parfois même entendue de la bouche des autorités : « c'est rien qu'une (autre) femme autochtone ». Ce qu'on y comprend, c'est un appel à économiser ses énergies pour une femme qu'on décrit comme indistincte, dispensable et de peu de valeur. De nombreux témoins à l'ENFFADA en ont montré les graves conséquences, comme le ralentissement des enquêtes, la décrédibilisation des témoignages de proches et de victimes, et l'indifférence générale de la population devant le sort réservé aux femmes autochtones disparues et assassinées.
Au Québec, nous avons été aux premières loges de ce traitement discriminatoire. En 2015, des femmes anishinabeg et cries de la région de Val-d'Or témoignent à l'émission Enquête du mépris des policiers à leur égard, mais aussi des abus et des violences commises par les forces de l'ordre à l'endroit des femmes autochtones. On apprend aussi que des agents commettent des starlight tours [5]. En dépit de la gravité des actes dénoncés et du grand nombre de témoignages entendus, plusieurs s'obstinent à remettre en doute la parole des femmes victimes.
En réplique à l'appui offert aux femmes par les communautés autochtones et les allié·es allochtones, une manifestation s'organise à Val-d'Or en soutien aux policiers. Certain·es manifestant·es diront à Radio-Canada : « Je suis tannée en maudit d'entendre parler contre nos policiers. Je ne crois pas que nos policiers soient des abuseurs » ; « Nous, comme citoyens, nous sommes tannés d'entendre parler de Val-d'Or du côté très négatif » ; « Ça été ben que trop loin. C'est pas la réalité. Non. C'est pas ça. » On verra aussi l'apparition du bracelet rouge 144, distribué et porté par des policiers du Québec pour signifier leur appui aux huit agents suspendus du poste 144 de Val-d'Or.
Le déni se poursuit encore aujourd'hui. En mai dernier, le caquiste Pierre Dufour avançait encore, au conseil municipal de Val-d'Or, que l'émission d'Enquête était « bourrée de menteries », qu'elle avait « attaqué des policiers qui étaient très honnêtes ». Dufour accusait aussi la municipalité d'avoir failli à sa tâche de protéger ses policiers après la diffusion de l'épisode d'Enquête et la publication du rapport de la commission Viens, lequel soulignait que les femmes autochtones vivent une victimisation secondaire dans leurs rapports avec les policiers.
Le dos large du crime
Dans un contexte plus qu'hostile à la dénonciation, les militant·es et les associations autochtones tiraient donc sans relâche la sonnette d'alarme depuis des dizaines d'années. Mais elles se butaient à des élu·es qui défendaient un discours selon lequel les féminicides étaient une affaire criminelle, pas un phénomène sociologique ni un enjeu politique – une attitude bien utile pour ceux et celles qui veillent à évacuer la responsabilité de l'État et de ses appendices policier et judiciaire.
Parmi les politicien·nes insistant pour faire des féminicides un problème de criminalité, on compte Stephen Harper, qui tenait ces propos en 2014 : « Comme l'a montré la GRC dans sa propre enquête, la vaste majorité [des cas de disparition et d'assassinat] sont pris en charge et résolus par les enquêtes policières, on va les laisser continuer de s'en occuper. […] Il ne faut pas voir ça comme un phénomène sociologique, il faut plutôt voir ça comme une affaire de crimes. Ce sont des crimes commis envers des personnes innocentes, il faut les traiter comme tels. » En insistant sur l'acte criminel, Harper veillait à faire des violences des événements indépendants les uns des autres, n'impliquant à chaque fois qu'une victime innocente et un agresseur troublé et dangereux. La solution, c'est donc l'arrestation, le procès et la sentence, le tout opéré et supervisé dans l'impartialité par l'appareil policier et le système judiciaire canadiens.
Depuis la mort tragique de Joyce Echaquan, François Legault prend le relais de Harper en refusant de reconnaître l'existence du racisme systémique. Le 5 octobre 2021, en point de presse, Legault faisait dans la question rhétorique et dans la parodie des recommandations d'expert·es : « Est-ce qu'il y a quelque chose qui part d'en haut et qui est communiqué partout dans le réseau de la santé en disant “soyez discriminatoires dans votre traitement des Autochtones” ? C'est évident pour moi que la réponse, c'est non. Par contre, je comprends qu'à certains endroits, il y a des employés, je dirais même dans certains cas des groupes d'employés et même des dirigeants qui ont des approches discriminatoires. » En martelant que des individus sont racistes, mais pas le système, Legault usait de la même manœuvre discursive que l'ancien premier ministre conservateur pour circonscrire la violence à des événements isolés et des actes individuels.
Les féminicides de femmes autochtones peuvent bien être perpétrés par des individus (très souvent impunis, par ailleurs), mais ils sont rendus possibles par un contexte politique qui vulnérabilise, précarise et oppresse les femmes autochtones. Canadien·nes ou Québécois·es, les négationnistes du génocide des peuples autochtones, ces chiens de garde du colonialisme, arrivent toujours à l'heure pour dégager l'État de sa responsabilité dans la mort de Joyce Echaquan et celle d'autres Autochtones. Les efforts mis à contredire, tour à tour, les conclusions de l'ENFFADA sur le génocide canadien et décrédibiliser les témoignages sur lesquels elle s'appuie sont autant d'énergies investies pour compromettre la sécurité des femmes autochtones.
[1] L'acronyme 2ELGBTQQIA rassemble les personnes deux esprits, lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queer, en questionnement, intersexes et asexuelles.
[2] Selon Patrick Wolfe (2006), un État colonial de peuplement « vise à dissoudre les sociétés autochtones » pour « ériger une nouvelle société coloniale sur les terres expropriées – les colonisateurs viennent pour rester ».
[3] À l'échelle internationale, le Québec est en retard. Cela fait maintenant plus de vingt ans que les termes « femicidio » et « feminicidio » sont employés couramment en Amérique latine pour dénoncer le nombre effrayant de meurtres misogynes qui y sont perpétrés. Le Québec est aussi légèrement à la remorque de la France, où on commence à parler plus couramment de féminicide vers 2017.
[4] Au-delà du sujet du présent texte, cela doit inclure les violences perpétrées envers les femmes et personnes à l'expression de genre féminine issu·es de divers groupes minorisés et marginalisés, qui sont les cibles de violences s'inscrivant dans d'autres systèmes de maintien du pouvoir, comme le classisme et la queerphobie.
[5] Les starlight tours, littéralement « voyages sous la lumière des étoiles », sont une pratique policière qui consiste à intercepter et embarquer des Autochtones en milieu urbain pour les déposer à plusieurs kilomètres à l'extérieur des limites de la ville, en plein hiver et en pleine nuit. Si certain·es réussissent à regagner la ville à pied, un nombre important meurent d'hypothermie. La pratique est bien documentée dans les Prairies canadiennes, mais elle est aussi utilisée au Québec – c'est ce que nous apprenaient les femmes autochtones de Val-d'Or qui ont témoigné de ces abus à l'émission Enquête en 2015.
Illustration : Marcel Saint-Pierre, Sous le chapiteau, 1999, détail. Pellicule d'acrylique sur toile, 120 x 150 cm. Collection particulière.

France. La bataille de Sainte-Soline
Une nouvelle étape a été franchie dans la répression des mouvements écologistes, alors que les mobilisations contre les réservoirs d'eau artificiels et les autres infrastructures écocidaires battent leur plein en France.
Le 25 mars dernier, plusieurs milliers de personnes manifestent dans la commune de Sainte-Soline, dans l'ouest de la France, contre le développement croissant de « mégabassines », d'immenses réservoirs d'eau artificiels puisant dans les nappes phréatiques pour l'irrigation agricole. La manifestation s'inscrit dans un contexte plus général de luttes contre l'accaparement des terres et des réserves en eau par une minorité d'entreprises privées favorisant une agriculture productiviste et mortifère pour les écosystèmes et le climat.
No bassaran !
L'important cortège (entre 25 000 et 30 000 personnes selon les organisateurs, 8 000 selon les autorités) rassemble un public composite : syndicalistes paysans et militant·es écologistes, activistes locaux, néoruraux et périurbains, jeunes diplômé·es et retraité·es, primomanifestant·es et zadistes expérimenté·es… À l'appel de plusieurs collectifs, dont les Soulèvements de la Terre, Bassines Non Merci, et la Confédération Paysanne, toutes et tous convergent pour occuper pacifiquement les terrains vagues pressentis pour accueillir le projet de mégabassines. Les manifestant·es ont conscience que cette occupation est illégale, que leur manifestation a été interdite par la préfecture et qu'ils seront accueilli·es par un large dispositif policier. Après tout, c'est précisément l'inertie chronique des autorités françaises face aux mouvements sociaux et syndicaux qui les a poussé·es à réinvestir des tactiques d'action directe jugées plus radicales telles que la désobéissance civile, le sabotage ou l'occupation. Mais peu de militant·es se seraient douté·es qu'ils et elles allaient faire face à une telle violence d'État.
En effet, les terrains vagues de Sainte-Soline et ses alentours vont être le théâtre d'un déploiement massif et disproportionné des forces de l'ordre. Plus de 3200 gendarmes et policiers à pied ou motorisés, plusieurs hélicoptères, blindés et canons à eau ; contrôles routiers et d'identités massifs ; constitution d'un fortin de véhicules encerclant le chantier. Très vite, les hostilités sont initiées par les forces de l'ordre qui sont équipées d'armes classées matériel de guerre comme le tristement célèbre lanceur de balle de défense (LBD) ou divers types de grenades lacrymogènes et assourdissantes, dont certaines projettent leurs fragments lors de la détonation. En deux heures, c'est plus de 5 000 grenades lacrymogènes, 40 dispositifs déflagrants et 81 tirs de LBD qui s'abattent de manière injustifiée et indiscriminée sur les manifestant·es. Le but est clair : l'occupation ne doit pas avoir lieu, quoi qu'il en coûte. Bilan de l'affrontement : plus de 200 blessé·es du côté des manifestant·es, dont 40 dans un état grave et 1 dans le coma. Du côté des forces de l'ordre, le bilan officiel est de 47 blessé·es, la plupart en raison d'acouphènes, et deux hospitalisations. Les journalistes révèleront par la suite que les autorités vont volontairement entraver l'arrivée des secours sur place.
Haro sur les écologistes
Cette débauche de violence n'est pas le fruit du hasard. L'activisme environnemental est devenu l'un des nombreux épouvantails du gouvernement et de la droite française en général. En effet, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a continuellement cherché à discréditer les activistes écologistes, en les assimilant à des délinquant·es, voire à des écoterroristes (une qualification qui n'existe pourtant pas dans le droit pénal français). Ce lexique a aussi été utilisé par les forces de l'ordre, ainsi qu'une partie des médias, qui ont régulièrement qualifié les actions des manifestant·es comme relevant d'un « activisme violent », de la « gauche radicale », de « l'ultra-gauche », des « black-blocs », ou encore d'un « totalitarisme vert ». Cette rhétorique de criminalisation a servi à délégitimer les idées et les actions des militant·es et des organisations civiles afin de justifier le recours à des moyens juridiques et policiers exceptionnels, que ce soit avant, pendant ou après la manifestation de Sainte-Soline.
Ainsi, de nombreux militant·es et élu·es écologistes ou de gauche affirment avoir été surveillé·es de manière illégale par les services de renseignement et de police via des écoutes administratives, des balises de géolocalisation sous leurs voitures, des logiciels informatiques ou des produits de marquage codés. Après les évènements de Sainte-Soline, le ministre Darmanin s'est également empressé d'annoncer la création d'une « cellule anti-ZAD [1] » pour que « l'autorité réclamée par les Français » soit restaurée. Cela n'est pas sans rappeler la surveillance qu'avaient déjà subie les militant·es contre les pesticides et les abattoirs industriels à travers la cellule Demeter, une cellule spéciale de la gendarmerie créée en 2019 afin d'empêcher les actes « délictueux » visant le monde agricole pour des raisons « idéologiques ».
L'assimilation des manifestant·es écologistes à des criminel·les permet aussi de s'arroger le monopole de la communication. Dans une logique par laquelle « on ne discute pas avec les terroristes », aucune place n'a été laissée pour permettre un véritable dialogue. Le gouvernement s'est senti libre d'imposer sa lecture des évènements dans les grands médias français (dont on rappellera que 90 % d'entre eux sont détenus par une dizaine de milliardaires).
Les intimidations contre le milieu associatif constituent une autre forme de la répression en cours. Le ministre Darmanin et la première ministre, Elizabeth Borne, ont ainsi menacé de couper les subventions publiques à la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), dont les membres ont documenté les évènements de Sainte-Soline. D'autres collectifs se sont vu exclure de divers processus de concertations publiques. Autant d'exemples qui montrent comment le gouvernement cherche à mettre à l'écart ses opposants du champ démocratique. Mais le coup de force qui a suscité le plus de réactions est sans aucun doute la dissolution par décret gouvernemental des Soulèvements de la Terre (SLT), la coalition de collectifs locaux, ruraux, et syndicaux à l'origine de la manifestation de Sainte-Soline.
La décision, prise le 21 juin, s'est accompagnée de deux vagues d'arrestations de militant·es écologistes, avec le soutien de la sous-direction antiterroriste. Le principal argument du ministère de l'Intérieur pour justifier la dissolution : les SLT se seraient rendus coupables de « provocation à des agissements violents », de « destruction d'infrastructures », de « sabotages », de « prises à partie » contre les forces de l'ordre, ou encore de diffuser des instructions inspirées par les groupes « black blocs » pour « ne pas être identifiés ou localisables ». Les membres des SLT sont aussi accusé·es de fonder leurs actions « sur les idées véhiculées par les théoriciens prônant l'action directe et justifiant les actions extrêmes allant jusqu'à la confrontation avec les forces de l'ordre » [2]. Si les SLT assument une partie des dommages matériels causés (qu'ils préfèrent considérer comme étant des « désarmements » contre la destruction massive du vivant), la sévérité du gouvernement demeure incompréhensible et déclenche une vague de soutien au sein des milieux de gauche et écologistes, en France et ailleurs. Le 11 août, le Conseil d'État suspend en référé la dissolution. Un jugement provisoire trouvera son issue lors d'une nouvelle audience cet automne.
Un glissement autoritaire général
La répression de Sainte-Soline s'inscrit dans une tendance plus large de délégitimation et de criminalisation des mouvements sociaux par les autorités françaises. Que ce soit lors des rassemblements écologistes, des manifestations contre la réforme des retraites, du mouvement des Gilets Jaunes ou des révoltes populaires des banlieues, une certaine routine s'est installée. Interdictions de manifester, répression policière et judiciaire, explosion du nombre de blessé·es et de mutilé·es, surenchère réactionnaire dans les grands médias… Depuis 2017, les assauts répétés contre les libertés d'expression, de participation, de réunion ou d'association inquiètent de nombreux expert·es, organisations et institutions, que ce soit en France ou à l'étranger. De la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), à Amnistie internationale en passant par les Nations Unies, le constat est le même : l'espace de la société civile et politique française se réduit comme peau de chagrin.
Les pouvoirs nécessaires pour mener une telle offensive ont été graduellement obtenus à travers à une série de réformes liberticides et sécuritaires mises en place sous les mandats de Macron et de ses prédécesseurs comme la loi « anticasseurs », la loi « sécurité globale » ou la loi « séparatisme » pour ne citer que les plus récentes. Il s'agit d'un véritable continuum répressif, dont une grande partie a été initialement dirigée contre les communautés noires et arabes, musulmanes, ou migrantes. La force de la répression actuelle ne peut être comprise sans évoquer la banalisation des discours racistes d'extrême droite. Il n'est ainsi pas anodin que la rhétorique outrancière utilisée par le gouvernement pour diaboliser les oppositions de gauche (comme « terrorisme intellectuel de l'extrême gauche », « islamo-gauchisme » ou « ensauvagement ») ait conservé une forte connotation raciste.
À l'abri au Canada ?
Les évènements politiques qui secouent la France peuvent nous sembler lointains outre-Atlantique. Pourtant, ils pourraient fournir de précieux éléments de réflexion sur le présent et l'avenir des mouvements sociaux au Québec et au Canada. Si l'on entend par répression l'ensemble des efforts visant à supprimer la contestation, l'image souvent véhiculée d'un pays paisible et consensuel s'étiole rapidement.
L'activisme environnemental est un cas d'école en la matière. Le soutien massif apporté par les pouvoirs publics au modèle extractiviste a donné naissance à un vaste dispositif de lois visant à protéger les « infrastructures critiques », à collecter des données sur les activistes et à les criminaliser. Les grands médias ont également été très efficaces pour promouvoir les agendas des entreprises d'extraction de ressources et des industries polluantes, décourageant ainsi l'opposition potentielle et marginalisant les voix alternatives. À noter que la répression au Canada ne se limite pas à des mesures préventives comme le montre la violence historique et systémique exercée par les forces de l'ordre contre les mouvements de défense des territoires autochtones. Bien qu'il ne soit pas autant visible aux yeux du grand public, le Canada et le Québec sont aussi dotés d'un puissant arsenal répressif qui n'attend que d'être mobilisé. Tout comme en France, nous ne sommes jamais à l'abri d'un affaissement prompt et brutal des libertés publiques.
Mais surtout, le cas français montre comment les discours et les lois utilisés pour stigmatiser une population particulière peuvent être vite employés contre d'autres groupes. Que ce soit aujourd'hui ou demain, les mesures sécuritaires, liberticides et réactionnaires constituent une menace pour l'ensemble des forces progressistes et des communautés marginalisées. Ce constat nous invite à faire preuve de solidarité et de vigilance dans un contexte de plus en plus marqué par les discours réactionnaires, les campagnes contre le « wokisme » et les sorties racistes et xénophobes de la classe politique.
[1] ZAD réfère à « Zone à défendre »
[2] Le ministère de l'Intérieur faisait ici référence au livre Comment saboter un pipeline, écrit par le militant suédois Andreas Malm et couramment vendu en librairie.
Photos : Sainte-Soline, 23 mars 2023. (Crédit : Mehdi Juan) ; Sainte-Soline, 23 octobre 2023. (Crédit : Choupette).

Colombie. Entre la violence et l’espoir
Plusieurs analystes ont expliqué la persistance de la violence en Colombie par des manifestations de criminalité individuelle. Il faut toutefois, même si cela est complexe, tenter de comprendre la violence autrement pour rendre compte de sa persistance dans le temps et l'espace.
De nombreuses générations ont vécu dans ces circonstances, depuis le moment de notre naissance en tant que république en 1810 par la main du libérateur Simon Bolivar et son rêve d'une Amérique unie. À cette époque, il est évident que les guerres menées par les Espagnols ont été guidées par des intérêts individuels qui s'opposaient à ce rêve.
Une clarification nécessaire
Il est important de garder à l'esprit que les différents actes de violence en Colombie ont été si nombreux et d'une telle ampleur qu'il n'est pas possible de les traiter dans leur ensemble. Les facteurs qui ont déclenché ces conflits sont multiples. Les victimes ne peuvent pas être entièrement comptabilisées.
Le sociologue colombien Orlando Fals Borda a avancé plusieurs hypothèses sur les raisons de cette violence. Certaines d'entre elles sont liées à une série de luttes régionales, d'autres à des causes structurelles telles que la pauvreté et les inégalités sociales. Une troisième hypothèse concerne les idéologies politiques en jeu. Une autre analyse s'intéresse au manque de légitimité de l'État et à l'exercice du monopole de la force [1].
Par ailleurs, de l'État colombien et son appareil militaire et paramilitaire aux groupes de paysans armés en passant par les diverses guérillas insurgées ou les groupes criminels en général, de nombreux acteurs violents ont été impliqués. Chacun d'entre eux a contribué à ces conflits.
Les origines de la violence
Le contexte actuel trouve ses racines dans les évènements connus sous le nom de « La Violencia » qui se sont produits entre 1946 et 1963. Un cap est franchi le 9 avril 1948, avec l'assassinat du dirigeant du Parti libéral Jorge Eliécer Gaitan. Cet épisode décisif pour l'histoire de la Colombie marque la naissance des groupes d'autodéfense paysans. Ces derniers vont engendrer des guérillas proches du Parti libéral qui constituaient alors la réponse armée aux groupes paramilitaires liés au Parti conservateur.
La période de violence s'est approfondie avec la barbarie vécue dans les campagnes, où la mise à mort par empalement des hommes, des femmes et des enfants est devenue chose courante. Cela a entraîné de grands déplacements des communautés paysannes qui ont été contraintes d'occuper de nouvelles terres pour leurs cultures, ce qui a déclenché diverses confrontations avec les propriétaires terriens.
Il convient de mentionner que les oligarques ont accepté de mettre fin à la guerre entre les conservateurs et les libéraux par la construction du Front national, qui était un pacte entre les deux partis pour écarter le général dictateur Gustavo Rojas Pinilla du pouvoir et « arrêter l'effusion de sang ». Cependant, le Front national a fermé les portes du pouvoir politique à certains groupes sociaux, dont les groupes paysans, les communautés autochtones et la population à gauche politiquement, en assurant l'alternance du pouvoir entre libéraux et conservateurs tous les quatre ans. Les problèmes dans les campagnes se sont poursuivis, les paysans n'ayant pas de terres à cultiver et la misère dans les villes continuant de croître. En conséquence, certaines guérillas libérales ont refusé la paix proposée par le gouvernement et ont continué d'affronter l'État.
Parallèlement à l'augmentation du déséquilibre dans la distribution des terres, la répression exercée par l'État s'est accrue. Plusieurs groupes émergent face à cette situation. En 1967, les guérillas révolutionnaires des FARC-EP [2], de l'EPL [3], et de l'ELN [4], tous d'orientation marxiste-léniniste, apparaissent. En 1970, le M-19 nait en réponse à la fraude électorale qui a profité au conservateur Misael Pastrana. D'une autre perspective, le mouvement indigène Quintín Lame nait à son tour en 1981.
De difficiles accords de paix
Bien que l'histoire de la Colombie ait été marquée par la violence, il est important de mentionner que la société civile – les communautés paysannes, les syndicats, les peuples autochtones, les femmes, les afrodescendant·es, les étudiant·es et les communautés locales – a toujours recherché la paix.
Les années 1980 ont été caractérisées par le travail de diverses communautés pour cesser les hostilités entre les différents groupes armés, y compris l'armée nationale. C'est pourquoi, en 1984, une table de négociation a été ouverte entre le gouvernement de Belisario Betancur et la guérilla des FARC-EP à Uribe-Meta. Elle avait pour but d'obtenir un cessez-le-feu bilatéral et de négocier une solution politique au conflit social et armé.
L'un des éléments les plus importants qui ont été discutés concernait la nécessité d'élargir la démocratie et de faire participer les secteurs de la société qui avaient été historiquement marginalisés par les politiques du Front national. Ainsi est né le parti La Unión Patriótica-UP. Son objectif était de consolider un accord de paix qui permettrait la participation politique de la guérilla et d'autres secteurs populaires et alternatifs.
L'UP était composée d'un grand nombre de personnes avec et sans affiliation politique. Elle comprenait des membres des FARC et du Parti communiste colombien, des syndicalistes, des organisations paysannes, communautaires et étudiantes, et même des libéraux et conservateurs ayant des positions démocratiques.
Cependant, il n'a pas fallu longtemps pour que la violence contre l'UP commence. Dès le premier instant de sa consolidation, des milliers de militant·es ont été assassiné·es, torturé·es et contraint·es de fuir le pays. Le nombre de victimes de ce génocide a été estimé à 6000 personnes. Il convient de mentionner l'assassinat de deux candidats à la présidence : Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo. L'extermination de l'Unión Patriótica signifiait la perte de son statut juridique et donc la perte de son action politique. D'ailleurs, ce n'est pas seulement l'UP qui a été victime de la répression de l'État et de son appareil paramilitaire, mais aussi d'autres coalitions comme le mouvement syndical et populaire A Luchar.
Ces massacres faisaient partie d'un plan d'extermination systématique contre le parti politique. Ils et elles ont été exécuté·es avec la participation d'agents de l'État et du secteur paramilitaire, et avec la complaisance des autorités. Dans ce contexte, les FARC-EP ont considéré qu'il n'y avait pas de conditions politiques favorables pour continuer le processus de paix et ont repris les armes.
Malgré la répression et la persécution politique, le peuple colombien n'a pas renoncé à son rêve de vivre en paix, et, en 1990, la paix a été signée avec le M-19, une partie de l'EPL, le Mouvement Quintín Lame et une faction de l'ELN. Cependant, la violence s'est fait à nouveau sentir le 8 mars de la même année lorsque le candidat présidentiel du M-19, Carlos Pizarro, a été assassiné. En 1991, la nouvelle constitution néolibérale est promulguée, laissant derrière elle de nombreux éléments démocratiques qui avaient été acquis.
Les années 1990 ont été caractérisées par une violence intense dans le pays où les oligarques ont travaillé avec les trafiquants de drogues et les paramilitaires, faisant des milliers de mort·es, de disparu·es, de torturé·es et de déplacé·es.
Malgré ce climat politique, de nombreuses organisations, partis de gauche et secteurs démocratiques ont continué à travailler pour la paix. À la fin de la décennie, une table de négociation a été créée entre le gouvernement d'Andrés Pastrana et la guérilla des FARC-EP à El Caguán. Malheureusement, elle a échoué en raison de l'aggravation du conflit et du renforcement du paramilitarisme.
Après la rupture de la table des négociations, le conflit s'est aggravé avec l'arrivée d'Álvaro Uribe et sa politique de « sécurité démocratique ». Celle-ci se concentrait prétendument sur l'élimination militaire de l'insurrection, tout en renforçant la répression contre les organisations sociales, les défenseur·euses des droits humains et les militant·es de gauche. Durant cette période sombre, 6 402 exécutions extrajudiciaires ont été dénombrées à ce jour. Le plus souvent, il s'agissait de civil·es déguisé·es en guérillero·as et tué·es par l'armée pour obtenir des prix et des promotions.
Des années plus tard, en 2012, l'UP a de nouveau été légalement autorisée à fonctionner. La même année, l'État colombien a accepté une certaine responsabilité dans le génocide. Et en novembre 2016, la guérilla des FARC et le gouvernement de Juan Manuel Santos ont signé l'Accord final pour la fin du conflit et la construction d'une paix stable et durable.
Le dénouement de ce long conflit rend manifeste la nécessité de mettre fin aux violences, de distribuer plus équitablement les terres, de mettre en place un système de justice, de vérité, de réparation et de non-répétition des erreurs passées.
Un moment historique
La Colombie a une longue histoire de violence qui a laissé des blessures profondes, dont la plupart ne sont toujours pas cicatrisées. Mais en même temps, elle a une histoire de résistance et de résilience. Ses principaux acteurs et actrices ont contribué à une politique démocratique, à la mémoire historique, à l'art et à la transformation sociale. La lutte pour la paix à partir du principe moral de justice sociale a été un but décisif pour la construction de la démocratie dans le pays.
À chaque épisode de violence, les communautés ont appris à affronter les scénarios les plus douloureux. Il n'est pas possible de parler de la violence en Colombie sans parler des actions collectives qui visent toujours à construire et transmettre la mémoire collective. Les luttes historiques pour la terre, les revendications des communautés historiquement marginalisées comme les communautés autochtones, afrodescendantes, paysannes et ouvrières, la signature de l'accord de paix et le soulèvement de millions de jeunes en 2021 ont créé les conditions sociopolitiques nécessaires pour qu'une coalition des forces alternatives et de gauche arrive au pouvoir en juin 2022. C'est une première dans l'histoire de la Colombie.
Cette coalition s'est engagée à vérifier certains des besoins des populations vulnérables. Six mois après l'arrivée au pouvoir du gouvernement de Gustavo Petro, ancien guérillero du M-19, une série de réformes ont été mises en place, comme la protection de l'Amazonie, la réforme agraire, la loi de paix totale, le rétablissement des relations avec le Venezuela et la reprise des négociations avec l'ELN [5].
Mais ni la paix ni la justice sociale ne viendront du gouvernement seul. Les mouvements sociaux et les partis de gauche en sont conscients et travaillent chaque jour pour éviter d'être victimes d'un nouveau conflit ou d'être instrumentalisés par les institutions.
Tant les mouvements que les partis travaillent à mettre un terme définitif à un système oppressif, extractiviste, raciste, criminel et patriarcal qui a fait de la Colombie sa véritable forteresse économique. C'est pourquoi notre slogan restera le suivant : « Ils peuvent couper une fleur, mais ils ne mettront pas fin au printemps. »
[1] Centro Nacional de Memoria Histórica, ¡Basta Ya ! Colombia : memorias de guerra y dignidad. Resumen, Bogotá, CNMH, 2013, page 13. ; German Guzman Campos, Orlando Fals Borda, Eduardo Umana Luna, La violencia en Colombia Tomo 1, Bogotá, Taurus, 2005, page 15.
[2] Forces armées révolutionnaires de la Colombie-Armée populaire.
[3] Armée populaire de libération.
[4] Armée populaire de libération nationale.
[5] INFOBAE, Colombia/ Estos son los 50 logros que destacó Gustavo Petro en sus primeros 100 días de gobierno, www.infobae.com/america/colombia/2022/11/15/estos-son-los-50-logros-que-destaco-gustavo-petro-en-sus-primeros-100-dias-de-gobierno/
Jessica Ramos et Ronald Arias sont militant·es de l'Unión Patriótica (parti politique colombien)
Photos : Unión Patriótica

Le Canada continue d’encourager l’impunité de ses entreprises
Le gouvernement canadien est passé maître dans l'art de faire semblant d'agir pour encadrer les activités de ses entreprises à l'étranger. La nouvelle loi sur le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement, adoptée en mai 2023, ne fait pas exception à la règle.
Depuis des décennies, des entreprises transnationales canadiennes – et des entreprises minières en particulier – sont la cible de nombreuses allégations de violations des droits humains et de dommages environnementaux à travers le monde : meurtres, torture, viols, travail forcé, détention arbitraire, intimidation, déplacements de populations, pollution des sources d'eau potable, etc. Les cas sont trop nombreux pour être recensés ici, mais on peut penser notamment à Barrick Gold en Papouasie–Nouvelle-Guinée, à Goldcorp Inc. au Guatemala et, dans le secteur du textile, à la tragédie de l'effondrement en 2013 du Rana Plaza au Bangladesh, où Loblaws (Joe Fresh) s'approvisionnait, notamment.
Encore aujourd'hui, de nombreuses entreprises canadiennes continuent de violer les droits humains des populations et de saccager l'environnement dont les communautés dépendent pour leur survie – tout cela afin de s'enrichir en toute impunité. Les communautés et les travailleur·euses qui subissent ces préjudices n'ont souvent pas accès à des voies de recours ou à des mesures de réparation, tandis que les défenseur·euses des droits humains et de l'environnement qui dénoncent les comportements des entreprises, souvent issu·es de communautés autochtones, sont fréquemment victimes de violences, d'intimidation, de criminalisation ou d'assassinats. Sous de beaux discours, le gouvernement canadien donne plus d'importance aux profits des compagnies canadiennes à l'étranger qu'au respect des droits humains, ce qui se reflète par exemple dans le rôle de promotion de l'industrie canadienne joué par les ambassades.
Que fait le Canada ?
Le gouvernement canadien est bien au courant des graves accusations qui pèsent contre certaines entreprises canadiennes qui opèrent à l'étranger. Des rapports indépendants publiés en 2005 et en 2007 soulignaient déjà qu'il existe un problème lié à l'impunité dont jouissent les multinationales canadiennes, notamment les minières. Ces rapports affirmaient que le gouvernement canadien devrait renoncer à son approche volontaire face à la responsabilité sociale des entreprises et qu'un poste d'ombudsman indépendant devrait être mis sur pied. L'ombudsman aurait pour mandat de donner des conseils, d'effectuer des enquêtes et de produire des rapports.
Presque 20 ans plus tard, nous attendons toujours que le Canada se dote de mécanismes efficaces et contraignants pour encadrer les activités des entreprises transnationales canadiennes et offrir un accès à la justice aux communautés affectées. D'une part, le Canada continue de compter sur la bonne volonté des entreprises – même si des années d'expérience démontrent clairement que cette approche ne fonctionne pas. D'autre part, il a mis sur pied au fil des années plusieurs mécanismes qui se sont avérés inefficaces, comme le poste de conseillère en responsabilité sociale des entreprises et le bureau de l'ombudsman canadien pour la responsabilité des entreprises. En fait, il leur manquait les éléments essentiels pour faire leur travail : une indépendance par rapport au gouvernement et des pouvoirs d'enquête pour obliger les entreprises à témoigner ou à produire des documents. En plus d'être inefficaces, ces mécanismes peuvent aussi s'avérer dangereux pour les communautés affectées, car les personnes qui portent plainte contre les entreprises risquent d'être prises pour cibles par la suite.
Des apparences trompeuses
En mai 2023, les parlementaires canadiens ont adopté le projet de loi S-211, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement. Avec un titre comme celui-là, il est bien difficile d'être contre, mais quand on y regarde de plus près, cette loi est sans substance.
Dans les faits, la loi obligera désormais certaines entreprises à publier un rapport annuel sur les mesures qu'elles ont prises, le cas échéant, pour prévenir et réduire le risque de travail forcé ou de travail des enfants dans leurs chaînes d'approvisionnement. Mais attention : elle n'obligera pas les entreprises à prendre des mesures pour contrer l'existence de travail forcé ou de travail des enfants. Elle les obligera seulement à produire un rapport disant si elles ont pris des mesures… ou non !
De plus, même si le travail forcé et le travail des enfants sont évidemment des enjeux importants, les activités des entreprises transnationales peuvent aussi violer de nombreux autres droits humains. L'approche préconisée ne tient pas compte du principe internationalement reconnu selon lequel les droits humains sont indivisibles et interdépendants.
La loi ne permettra pas non plus aux personnes lésées par les entreprises canadiennes, leurs filiales ou leurs fournisseurs, d'obtenir réparation pour les abus qu'elles ont subis, par exemple en portant plainte devant les tribunaux canadiens. En résumé, cette loi donne l'impression que le gouvernement prend des mesures concrètes en faveur des droits humains, alors que ce n'est pas le cas.
Un échec ailleurs
Certains pays, dont le Royaume-Uni et l'Australie, ont adopté des lois similaires au projet de loi S-211. Résultat ? Selon des études, elles n'ont donné lieu qu'à la publication de rapports superficiels par les entreprises et n'ont pas entraîné d'améliorations significatives des pratiques des entreprises en vue d'éliminer l'esclavage moderne. Bref, ces lois se sont avérées inefficaces et ont bloqué les progrès vers l'adoption de lois efficaces.
D'autres pays ont adopté ou sont en voie d'adopter des lois sur le devoir de diligence des entreprises en matière de droits humains et d'environnement qui visent véritablement à assurer la prévention des abus et la reddition de compte des entreprises. C'est le cas de la France, par exemple, qui a adopté en 2017 une Loi sur le devoir de vigilance. Même chose pour l'Allemagne, qui a adopté une loi obligeant les entreprises à effectuer des analyses de risques régulières, à mettre en place des mesures préventives ainsi qu'un mécanisme pour recevoir les plaintes. La Belgique, les Pays-Bas, l'Autriche et même le parlement européen étudient présentement la possibilité d'adopter des lois similaires.
Des solutions existent… ne manque que la volonté politique
Heureusement, le projet de loi S-211 n'a pas été adopté à l'unanimité au parlement canadien. C'est dire que plusieurs député·es comprennent qu'au-delà des apparences, cette loi ne permettra pas de véritablement lutter contre l'impunité des entreprises et qu'il faudra une autre loi pour y parvenir. La bonne nouvelle, c'est qu'un modèle existe déjà et qu'il pourrait être utilisé par le gouvernement. En effet, le Réseau canadien pour la reddition de compte des entreprises (RCRCE) a publié en 2021 un projet de loi modèle qui fournit aux législateur·rices une voie à suivre pour enchâsser dans le droit canadien l'obligation qui incombe aux entreprises de respecter les droits humains et l'environnement [1].
L'adoption d'un projet de loi sur le devoir de diligence et l'octroi de véritables pouvoirs d'enquête à l'ombudsman canadien sur la responsabilité des entreprises démontreraient un réel engagement de la part du Canada à prioriser les droits humains et l'environnement par rapport aux profits des entreprises. Les solutions existent. Elles sont connues. Ne manque maintenant que la volonté politique d'agir en faveur du bien commun.
[1] RCRCE, « Législation en matière de droits de la personne pour les entreprises ». En ligne : cnca-rcrce.ca/fr/campagnes/lois-dh-entreprises/
Denis Côté est analyste des politiques à l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI).Amélie Nguyen est coordonnatrice du Centre international de solidarité ouvrière (CISO). Aidan Gilchrist-Blackwood est coordonnateur du Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises (RCRCE).
Illustration : Ramon Vitesse

Entrevue : Cinéma sous les étoiles et Funambules Média
Cinéma sous les étoiles, organisé par Funambules Média, est un festival de documentaires sociaux qui se tient dans les parcs et quartiers de Montréal. Dans le cadre de leur 14e édition, Cinéma sous les étoiles propose près de 45 projections à 15 endroits à Montréal. Propos recueillis par Samuel-Élie Lesage.
À bâbord ! : En quelques mots, comment décrivez-vous Cinéma sous les étoiles ?
Hubert Sabino-Brunette : Cinéma sous les étoiles (CslE) vise à faire rayonner le documentaire social et politique en dehors des salles et à apporter ce type de film à de nouveaux auditoires. De plus, le parc, comme lieu de projection, permet des rencontres nouvelles et de diffuser dans un cadre ludique et agréable.
Romane Lamoureux-Brochu : Chaque projection est aussi suivie d'une discussion avec le réalisateur ou la réalisatrice du documentaire, sinon avec un·e expert·e du sujet abordé. Chaque documentaire offre une perspective unique et personnelle, celle du réalisateur ou de la réalisatrice, et nous désirons qu'il suscite la discussion et la réflexion, d'où le fait que le parc est un lieu idéal pour tenir ces projections.
H. S.-B. : Il s'agit aussi d'un lieu qui permet de diffuser de nouveaux talents et qui se démarque des plateformes existantes pour diffuser et soutenir la relève. Notamment, nous organisons à chaque année un concours de court-métrages. Ce concours permet de présenter le court-métrage comme une pratique artistique propre.
ÀB ! : Qu'est-ce qui motive la tenue de Cinéma sous les étoiles ?
H. S.-B. : Notre volonté première est de trouver des films qui ne seraient pas diffusés autrement ou qui sont difficilement accessibles au Québec. CslE s'inscrit ainsi dans un réseau avec d'autres organismes alternatifs de diffusion, comme Cinema Politica ou encore les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), qui visent à montrer ce qui se passe à l'extérieur du Québec et sous un angle nouveau. Au Québec, la diffusion du documentaire est difficile et nous cherchons à le rendre plus accessible pour différents publics.
R. L.-B. : Une autre motivation est de créer des rencontres entre les réalisateur·rices et le public, et de susciter l'intérêt pour le documentaire. Aussi, nous cherchons constamment de nouveaux partenaires pour améliorer la diffusion. Par exemple, cette année, nous avons organisé une semaine thématique portant sur l'environnement. À cela s'ajoute une collaboration avec la Biosphère pour la projection de quatre documentaires autour de la thématique de l'eau, ainsi qu'un documentaire plus familial sur la vie animalière des potagers, en collaboration avec Espace pour la vie.
ÀB ! : Hubert, tu as mentionné que la diffusion du documentaire au Québec est difficile. Pourquoi ?
H. S.-B. : Il y a de moins en moins de diffusion de documentaires dans les grandes salles de projection. Le documentaire est surtout diffusé dans quelques salles indépendantes de Montréal, mais c'est à peu près tout. La plateforme en ligne Tënk fait aussi un bon travail. Sinon, c'est très difficile pour les régions, malgré des initiatives enthousiasmantes ! CslE diffuse les documentaires québécois après leur vie en salle et s'inscrit donc en complémentarité avec les salles qui diffusent du documentaire. Si le documentaire en ligne est bien écouté, les grandes plateformes comme Netflix imposent souvent leur narratif et leur esthétique. CslE essaie donc de faire rayonner un documentaire différent, en octroyant notamment une grande place au documentaire d'auteur.
ÀB ! : Quelles orientations guident la programmation d'une édition de Cinéma sous les étoiles ?
H. S.-B. : Premièrement, nous visons à mettre de l'avant le plus possible des œuvres locales (environ 30-40% de la programmation), puis on cherche à équilibrer les sujets pour couvrir le plus d'enjeux possibles. On cherche de plus à choisir des films mettant en valeur des communautés distinctes des nôtres. Finalement, on cherche à programmer des films internationaux, bien que ce soit parfois plus complexe à cause des coûts élevés des droits de diffusion.
R. L.-B. : Aussi, les invité·es sont à considérer ! On cherche avant tout à inviter le ou la cinéaste, ou du moins une personne qui a participé à la réalisation du film, sinon (et surtout pour les films internationaux), des experts ou expertes sur le sujet. La discussion sur le film est tout aussi importante que la projection.
ÀB ! : Et comment les lieux de projection sont-ils choisis ?
R. L.-B. : Certains des lieux sont devenus des piliers, comme le parc Laurier, où CslE a commencé, ou les parcs Molson ou des Faubourgs. On cherche des lieux qui permettront une belle diffusion, où se réapproprier pour apprendre et discuter se prêtera bien. On cherche aussi à rejoindre des milieux nouveaux et différents publics. Finalement, il faut bien entendu trouver des endroits accessibles et assez grands pour accueillir parfois plus d'une centaine de personnes !
Une fois le lieu déterminé avec les arrondissements, on choisit le film qui y sera projeté. Après 13 ans, nous savons mieux quel parc va attirer quel public.
H. S.-B. : Nous cherchons constamment à construire et porter plus loin CslE. Un rêve a été réalisé cette année en diffusant dans le quartier chinois Big Fight in Chinatown, un documentaire sur la gentrification des différents chinatowns des villes occidentales. Ç'a été l'un des plus beaux moments de la présente édition.
R. L.-B. : La pandémie a ralenti ce volet, mais nous avons organisé par le passé des projections à l'extérieur de Montréal. C'est quelque chose que nous désirons reprendre.
ÀB ! : J'aimerais vous entendre un peu plus sur le parc et sa signification comme lieu de diffusion.
R. L.-B. : Le parc, c'est un lieu de rassemblement, familial, accessible et convivial, synonyme en quelque sorte de ce que CslE désire être. Nous rendons ludique et agréable la diffusion du documentaire social, nous créons des lieux de rassemblements et de discussion. C'est donc aussi un espace public qu'on se réapproprie pour apprendre et qu'on inscrit dans l'actualité. Alors imaginons : un documentaire peut avoir la réputation d'être barbant ou trop complexe. Mais si c'est projeté dans un parc ? Ça rend le film plus intéressant et plus surprenant aussi ! Autrement dit, le parc démocratise le documentaire.
H. S.-B. : L'été, le parc devient aussi l'extension de la maison. C'est un lieu de socialisation et de rencontre, et on veut amener la culture du documentaire là.
Et le parc est aussi un lieu d'évènements imprévisibles ! C'est aussi le parc qui vient au documentaire. Des gens promènent leurs chiens et des gens qui ne viennent pas à la projection se joignent… Le parc rend publique la diffusion.
ÀB ! : Comment travaillez-vous pour que Cinéma sous les étoiles poursuivent sa mission ? Comment s'assurer de rejoindre différentes personnes et différentes communautés ?
R. L.-B. : C'est une question qu'on se pose constamment pour chaque édition. Pour la suite, notre priorité est de sortir de Montréal pour la prochaine édition. Les régions ont également des enjeux spécifiques et il nous faut penser la programmation de films qui y seront bien reçus avec des organismes locaux.
H. S.-B. : Nous essayons de rejoindre différentes communautés en choisissant des films distincts et en projetant dans des lieux nouveaux. On veut porter divers messages et diverses œuvres à différents publics. C'est aussi la même logique qui anime la recherche de partenariat !
ÀB ! : Pour finir, pour cette quatorzième édition, y a-t-il une projection dont vous êtes fiers et fières ?
R. L.-B. : La semaine de l'environnement propose une programmation variée avec beaucoup d'angles différents, avec des discussions qu'on s'attend être riches et intéressantes.
H. S.-B. : Durant cette semaine, le film Paradis est projeté en première québécoise. Le film suit une communauté Iakoute en Sibérie combattant les feux de forêt de 2021 et abandonnée par l'État russe. Il y a une troublante correspondance entre ce film et les feux de forêt qui ont frappé le Québec cet été.
Le film d'ouverture de cette édition a été aussi un grand moment, où nous avons projeté Mon pays imaginaire du grand Patricio Guzman en première devant plus de 450 personnes, qui relate les récents manifestations sociales du Chili. Et finalement, la projection de Le mythe de la femme noire, d'Ayana O'Shun, a attiré près de 900 personnes ! C'est un record de participation !
QU'EST−CE QUE FUNAMBULES MÉDIAS ?
Funambules Médias est une une coopérative de travail fondée à Montréal en 2008 par des documentaristes actif·ves dans la production vidéo, la formation et la diffusion de cinéma documentaire. Elle réunit des cinéastes qui souhaitent soutenir la production et la diffusion de films. Elle vient aussi en aide aux organismes partageant les mêmes valeurs sociales de justice et d'inclusion. Elle offre enfin de la formation, notamment en éducation et en réalisation.
Illustration : Elisabeth Doyon














