Revue À bâbord !

Publication indépendante paraissant quatre fois par année, la revue À bâbord ! est éditée au Québec par des militant·e·s, des journalistes indépendant·e·s, des professeur·e·s, des étudiant·e·s, des travailleurs et des travailleuses, des rebelles de toutes sortes et de toutes origines proposant une révolution dans l’organisation de notre société, dans les rapports entre les hommes et les femmes et dans nos liens avec la nature.
À bâbord ! a pour mandat d’informer, de formuler des analyses et des critiques sociales et d’offrir un espace ouvert pour débattre et favoriser le renforcement des mouvements sociaux d’origine populaire. À bâbord ! veut appuyer les efforts de ceux et celles qui traquent la bêtise, dénoncent les injustices et organisent la rébellion.

Multiplication des postes vacants : où est le problème ?

Tout indique que le thème de la pénurie de main-d'œuvre occupera encore la conversation publique en 2022. Le phénomène, qui a gagné en importance dans les dernières années, (…)

Tout indique que le thème de la pénurie de main-d'œuvre occupera encore la conversation publique en 2022. Le phénomène, qui a gagné en importance dans les dernières années, justifierait qu'on lui accorde notre attention et que les gouvernements agissent pour y remédier. Mais remédier à quoi exactement ?

Au Québec, le taux de postes vacants, soit la proportion de postes que les employeurs cherchent à pourvoir par rapport aux nombres d'emplois occupés et vacants, est en constante progression depuis 2015 – comme c'est le cas d'ailleurs dans le reste du Canada. Ce taux était de 1,8 % lorsque l'Enquête sur les salaires et les postes vacants de Statistique Canada a débuté il y a 7 ans. Au troisième trimestre de 2021, il était plus de 3 fois plus haut et s'élevait à 6,1 % dans la province, pour un total de 238 050 postes vacants [1].

Des causes mécomprises

Les raisons expliquant cette progression sont multiples. La vigueur de l'économie est bien entendu en cause. Le taux de chômage avait atteint 4,5 % en février 2020, un niveau historiquement bas qui a été retrouvé en novembre 2021. Le vieillissement de la population entre aussi en ligne de compte. En 2020, toujours selon Statistique Canada, 63 500 personnes ont indiqué avoir quitté leur emploi parce qu'elles ont pris leur retraite, soit 25 % des personnes ayant quitté leur emploi cette année-là. Ce chiffre ne s'élevait qu'à 31 100 en 2000 (14 % ). Enfin, le nombre d'immigrant·es reçu·es, une population en moyenne plus jeune que celle née au pays, a eu tendance à stagner dans la dernière décennie selon les données du ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration.

Il faut aussi se pencher sur la nature des emplois à combler pour comprendre la situation. Les deux postes les plus en demande sont ceux de serveur ou serveuse au comptoir (18 795 postes vacants) et de vendeur ou vendeuse dans le commerce de détail (10 070 postes vacants). Les services de restauration représentent d'ailleurs l'industrie qui affichait le taux de postes vacants le plus élevé, soit 14,2 % . Le salaire affiché pour les postes vacants de cette industrie s'élève à 14,55 $/h en moyenne. Le salaire des 10 professions les plus en demande, qui représentent près du tiers (31,9 % ) des postes vacants, était de 17,58 $ l'heure, contre 21,70 $ en moyenne pour l'ensemble des postes vacants et 28,73 $/h en moyenne au Québec, d'après Statistique Canada.

La majorité des postes vacants demandent peu de qualifications, peu d'expérience et offrent un salaire peu attrayant. Ainsi, parmi les postes vacants au Québec au cours du troisième trimestre de 2021, 38,5 % d'entre eux n'exigeaient aucune scolarité minimale, 20,1 % requéraient un diplôme d'études secondaires et 28,4 % demandaient un certificat ou un diplôme non universitaire. Pour 58,3 % des postes, moins d'un an d'expérience est requis. Certaines professions pour lesquelles de nombreux postes sont à pourvoir offrent de meilleurs salaires, mais la plupart d'entre elles viennent avec des horaires atypiques ou des conditions de travail difficiles, comme c'est le cas de la profession d'infirmière et d'infirmière auxiliaire (10 485 postes vacants) ou de conducteur·rice de camions (5 235 postes vacants).

Il serait en somme plus juste de dire que l'économie québécoise est affectée non pas par une pénurie de main-d'œuvre, mais bien par des difficultés de recrutement qui touchent principalement (quoique pas exclusivement) les industries et les professions offrant de moins bonnes conditions de travail. Le Québec n'est d'ailleurs pas le seul endroit à faire face à un tel problème. Aux États-Unis, on parle de « grande démission » pour qualifier un mouvement qui touche les bas salarié·es des secteurs de l'alimentation et du commerce.

Des solutions aux effets ambigus

De nombreuses solutions sont mises de l'avant pour surmonter ce problème. Certaines mesures visent à influencer la main-d'œuvre : faire la promotion de domaines d'études donnant accès à des industries ou à des professions où le recrutement est élevé, inciter les retraité·es à revenir sur le marché du travail ou encore favoriser l'embauche de personnes exclues du marché du travail. D'autres visent plutôt les emplois : modifier l'organisation du travail pour attirer la main-d'œuvre ou réduire les besoins en personnel. Deux mesures méritent particulièrement notre attention.

L'implantation de technologies dans les entreprises est présentée par plusieurs, dont le gouvernement du Québec, comme un moyen d'accroître leur productivité et de compenser le manque de main-d'œuvre. Or, si elle permet dans certains cas de remplacer des êtres humains, l'automatisation permet surtout d'accomplir certaines tâches à l'aide de machines en tout genre. La main-d'œuvre est plus souvent qu'autrement appelée à travailler avec les robots, ce qui signifie dans bien des cas de se plier à leur rythme et de s'adapter à leurs exigences, avec la part de souffrance psychologique et physique que cela implique.

Le cas des entrepôts de la multinationale Amazon, où le recours à des ordinateurs pour communiquer les tâches au personnel rend le rythme de travail particulièrement pénible, est à cet égard emblématique, tout comme celui d'Uber, une entreprise qui comme d'autres oblige les personnes offrant un service par son entremise à se plier aux commandes qu'envoie la plateforme. Dans la majorité des cas, l'automatisation apparaît comme une fausse solution qui ne fait qu'augmenter la cadence du travail, la surveillance des employé·es et l'aliénation des travailleurs et des travailleuses.

Qu'en est-il de l'immigration ? Le milieu des affaires et les représentants patronaux y voient une solution à leurs difficultés de recrutement. C'est potentiellement que les personnes immigrantes sont, aux yeux des employeurs, une main-d'œuvre prête à accepter de mauvaises conditions de travail faute d'avoir l'expérience ou le rapport de force nécessaire pour en exiger de meilleures.

Il importe cependant de rappeler que l'immigration est un phénomène complexe qui existe indépendamment de la réalité du marché du travail. Réduire notre capacité d'accueil ne réglera pas les abus et la discrimination que vivent les personnes immigrantes. En revanche, arrimer la politique migratoire aux besoins des entreprises pourrait être le meilleur moyen de garantir que les personnes immigrantes soient traitées comme des salarié·es de seconde zone. Par exemple, le gouvernement caquiste, qui adhère aux discours sur les problèmes d'intégration qu'une immigration trop abondante poserait, mise sur l'immigration temporaire pour répondre aux besoins du secteur privé. Depuis le 10 janvier, les entreprises de certains secteurs désignés peuvent embaucher jusqu'à 20 % de main-d'œuvre étrangère temporaire (plutôt que 10 % ). De par leur statut précaire, ces travailleurs et ces travailleuses sont plus susceptibles d'être victimes d'abus.

Ainsi, la politique migratoire ne doit pas être soumise en priorité aux impératifs des entreprises. Il n'en demeure pas moins que les personnes qui choisissent le Québec ont besoin de travailler et que lorsque l'économie se porte bien, elles s'intègrent plus aisément au marché du travail, comme en témoigne la diminution constante de leur taux de chômage depuis 2009 (de 13,9 %, il est passé à 7,0 % en 2019, et même de 22,7 % à 11,8 % pour les immigrant·es récent·es, selon les données de Statistique Canada).

Au-delà des emplois vacants

Un constat s'impose alors : la meilleure manière de pourvoir bon nombre de postes vacants est d'offrir des conditions salariales et de travail dignes et donnant accès à un revenu viable, c'est-à-dire un revenu suffisant pour vivre en dehors de la pauvreté et pour faire des choix. L'IRIS a calculé que pour une personne seule vivant à Montréal en 2021, un salaire de 18 $/h était requis pour atteindre un tel niveau de vie. Bien que la situation actuelle obligera sans doute des employeurs à emprunter cette voie, il ne faut pas s'attendre à des hausses substantielles, d'autant plus que le gouvernement refuse à ce jour de hausser significativement le salaire minimum (il passera à 14,25 $/h le 1er mai) et qu'il s'est contenté d'offrir des primes pour attirer du personnel dans le secteur public.

La mal nommée pénurie de main-d'œuvre nous donne l'occasion de nous questionner sur la qualité des emplois que produit l'économie québécoise et sur la pertinence de soutenir certaines industries. Pourvoir les postes actuellement vacants serait sans doute bénéfique pour les entreprises qui cherchent à embaucher, mais rien n'indique que ce soit dans l'intérêt du plus grand nombre de toujours le faire. À l'heure actuelle, surtout si on tient compte de la proportion décroissante de la population en mesure de travailler, la solution à ce problème est peut-être de décider collectivement du type d'emplois les plus utiles pour répondre aux besoins des citoyen·nes et pour opérer une réelle transition écologique.


[1] Selon les plus récentes données trimestrielles disponibles au moment d'écrire cet article (janvier 2022).

Julia Posca est chercheuse à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS).

Photo : David Steward (CC BY 2.0)

Soudan : la révolution est le choix du peuple

La situation politique au Soudan pourrait bien être l'événement majeur du 21e siècle, et pourtant, peu de médias s'y intéressent. Lorsque Fatma, militante et fille (…)

La situation politique au Soudan pourrait bien être l'événement majeur du 21e siècle, et pourtant, peu de médias s'y intéressent.

Lorsque Fatma, militante et fille d'ancien·nes réfugié·es politiques soudanais·es, m'a contactée sur les réseaux sociaux en me proposant de parler de l'actualité soudanaise, je n'étais plus au courant de ce qui se déroulait là-bas. J'avais suivi la Révolution soudanaise de 2018 et compris les enjeux et dynamiques grâce à une entrevue qu'elle avait eu la gentillesse de réaliser. Mais depuis, le Soudan était sorti de mon radar.

Lorsque Fatma me relance, c'est avec ces propos qui vont droit au but : « Ce qui se passe là-bas est un événement majeur du 21e siècle, on parle d'un pays dont la population a mis fin à 30 ans d'un même régime ». C'est un pays qui se bat aujourd'hui pour que la révolution ne lui soit pas volée par l'armée et qui fait l'expérience d'un régime de démocratie directe, « et personne n'en parle » !

Une destitution historique

Revenons quelques années en arrière. Fin 2018, d'importants mouvements populaires naissent dans le nord du Soudan, à Atbara. L'augmentation du prix des produits de première nécessité – comme le pain, dont le coût est multiplié par trois – met le feu aux poudres. Très vite, les manifestations se répandent dans tout le pays, réclamant le départ du président Omar el-Bechir.

Ce dernier est à la tête du gouvernement depuis le coup d'État militaire de 1989. Son régime est alors marqué par une seconde guerre civile, la guerre du Darfour, une économie nationale plombée par une inflation majeure, des médias censurés, et l'interdiction de syndicalisation. Historiquement, l'opposition, incarnée notamment par le Parti communiste soudanais (PCS), doit agir dans la clandestinité et beaucoup se déroule depuis l'étranger, notamment depuis l'Égypte ou le Royaume-Uni.

En 2019, le mouvement populaire est reçu avec une répression militaire sanglante. Néanmoins, malgré l'instauration d'un état d'urgence qui interdit toute manifestation et en dépit de l'arrestation de plusieurs leaders de l'opposition, la pression populaire se maintient. Le président est finalement destitué en 2019.

Madaniyya ! (Le pouvoir aux civils !)

Dès l'arrestation d'el-Bechir, l'armée annonce la mise en place d'un gouvernement provisoire aux mains des forces militaires qui s'engage à organiser une transition vers un gouvernement démocratique dans les deux ans. Si la destitution du président est saluée, le mouvement populaire, lui, ne fait que commencer. Le maintien de ce gouvernement militaire est dénoncé aussi bien à l'échelle locale que continentale : la population organise des sit-ins et installe des tentes en face du quartier général des militaires ; l'Union africaine, pour sa part, lance un ultimatum aux militaires pour organiser une passation du pouvoir vers une autorité civile.

S'ensuivent plusieurs semaines de tensions entre la junte militaire et les représentant·es civil·es, marquées par des grèves générales et des affrontements parfois mortels entre les forces armées et la population. L'escalade cumule en ce qui restera tristement connu comme le massacre de Khartoum. En juin 2019, l'armée reçoit l'ordre de disperser les manifestant·es dont les tentes sont toujours plantées devant le quartier général. Elle tire sur la foule à balles réelles. On compte près d'une centaine de morts et plus de 600 blessé·es. Des corps par dizaines sont repêchés du Nil tandis que des militant·es sur le terrain dénoncent des viols commis par les soldats sur des manifestant·es. Malgré ces effroyables évènements, ou peut-être en raison du traitement subi, les Soudanais·es continuent de s'opposer au régime militaire. Des marches ont lieu dans tout le pays et des chants font entendre le refus de laisser l'armée voler la révolution soudanaise.

Il faut noter la participation importante des femmes dans le soulèvement populaire. Elles sont à la tête des mobilisations, majoritaires dans nombre de cortèges. Depuis les années 1990, elles jouent un rôle clé dans l'organisation de groupes de résistance et de pression. La force de mobilisation de ces groupes s'inscrit dans un héritage de mobilisation populaire mis en place notamment par le PCS. Parmi les modes d'organisation privilégiés, on trouve celui des comités. Déjà en 2012 était créée l'Association des professionnels soudanais, qui regroupe de multiples secteurs d'emploi et associent des Soudanais·es de classe moyenne ; en 2013, des comités de quartiers sont aussi créés et deviennent la pierre angulaire du mouvement sur le terrain. Ces multiples éléments combinés sont au-devant de la destitution du président el-Bechir.

Une alliance impossible

À l'été 2019, Forces of Freedom & Change (FFC), coalition composée d'un vaste ensemble d'associations, notamment de l'Association des professionnels soudanais, accepte une collaboration avec le pouvoir militaire. Celle-ci doit mener à l'organisation d'élections générales au bout de 39 mois. L'armée est menée par le général Abdel Fattah al-Burhan, responsable du coup d'État et accusé, entre autres crimes, d'être impliqué dans les massacres perpétrés envers les manifestant·es. En face se trouve entre autres Abdalla Hamdok au poste de premier ministre du gouvernement de transition. Il est choisi et soutenu notamment pour sa proximité avec les États-Unis.

Cette collaboration est très ouvertement critiquée par le milieu populaire qui y voit une trahison de la part de certains leaders de la révolution. Pour les partis restés révolutionnaires, le gouvernement de transition aurait dû émaner du pouvoir populaire et donc rejeter la présence de l'armée. D'autant que le 25 octobre 2021, l'armée réalise un nouveau coup d'État. À quatre semaines de l'échéance de son mandat à la tête du Conseil souverain, Abdel Fattah al-Burhan dissout les institutions, place le premier ministre ainsi que cinq autres hauts responsables en état d'arrestation et décrète l'état d'urgence. Dans une allocution nationale, il justifie son action par le fait que les dissensions entre les deux parties étaient devenues trop importantes pour ne pas mettre en danger le pays. Il s'engage à maintenir l'ordre et la paix en attendant des élections qui seraient organisées en 2023.

Bien sûr, son putsch est massivement dénoncé dans la rue et à l'international. Les représentant·es de l'opposition s'entendent sur le fait que ce coup d'État est surtout motivé par la date d'échéance du mandat d'al-Burhan à la tête du Conseil souverain. Ce dernier était censé laisser son fauteuil au représentant civil en novembre 2021. Une telle passation du pouvoir aurait permis aux forces de l'opposition d'exiger son passage devant une cour de justice pour répondre des accusations de crime de guerre et de son implication dans les violences perpétrées envers les manifestant·es.

Depuis, les mouvements populaires ont repris dans tout le pays avec des répressions régulières par les forces armées. Internet est fréquemment coupé, les médias censurés et les aéroports fermés. La population craint la continuité d'un régime militaire et islamiste tel qu'instauré sous el-Bechir et n'entend pas relâcher la pression.

Un mode de gouvernement populaire

Janvier 2022, alors que j'écris ces lignes, l'ONU propose d'organiser des pourparlers entre la junte militaire et le pouvoir civil. Une telle annonce est reçue avec critiques par les forces populaires, et avec raison. Les termes proposés par l'organisation internationale semblent légitimer le régime en place en traitant les deux forces comme étant simplement en recherche de dialogue. Il n'est pas étonnant que les putschistes saluent la proposition, tandis que les opposant·es ne veulent rien négocier, mis à part le départ définitif de l'armée. Les décisions prises jusque-là au plus haut niveau politique relevaient d'ailleurs surtout d'accords de façade. Pendant ce temps, sur le terrain, les comités de quartiers font avancer la cause.

C'est d'ailleurs à ce sujet que l'actualité soudanaise est hors du commun. En absence d'un gouvernement autre que de transition, tout se passe sous forme de démocratie directe. Les coordinations de comités de quartiers, qui rallient tout le pays, organisent des réunions quotidiennes, font passer les mots d'ordre et les appels à la grève, rédigent des communiqués, mettent en place des forums, créent des bibliothèques… En somme, le Soudan pose et vit concrètement la question du pouvoir direct aux civil·es, ce qui se voit également dans les débats autour du choix pour un avenir réformiste ou révolutionnaire. Le Soudan pourrait adopter un régime de démocratie directe, mis en place par le peuple après une révolution mettant fin à 30 ans de dictature.

Ce n'est qu'une petite chronique dans une revue québécoise, mais Fatma a raison. Il nous fallait en parler : حرية سلام و عادلة و الثورة خيار الشعب, liberté, paix et justice/la révolution est le choix du peuple.

Photo : Affichage du collectif de réfugié·es soudanais·es Asuad à Paris en 2019 contre le régime d'Omar el-Bechir (Jeanne Menjoulet, CC BY 2.0)

Syndicalisme : comment faire mieux ?

7 octobre 2023, par Isabelle Bouchard, Wilfried Cordeau, Yannick Delbecque, Michel Lacroix, Claude Vaillancourt — , , , , , ,
Le numéro 91 sera lancé dans le cadre des journées de réflexion sur le syndicalisme québécois « Reconstruire des ponts, remporter des victoires », qui se tiendront les 29 et 30 (…)

Le numéro 91 sera lancé dans le cadre des journées de réflexion sur le syndicalisme québécois « Reconstruire des ponts, remporter des victoires », qui se tiendront les 29 et 30 avril 2022 à l'UQAM. Détails à suivre !

Le syndicalisme se porte plutôt bien au Québec. Nous avons le plus haut taux de syndicalisation en Amérique de Nord, un des plus élevés de l'OCDE, si on exclut les pays scandinaves. L'effectif n'a pas connu les chutes qu'on a observées dans certains pays et la relève est toujours présente. La formule Rand permet une grande solidarité syndicale au sein des entreprises et des services publics puisqu'avec elle, tous les employé·es d'un employeur font partie d'un seul et même syndicat et profitent des mêmes avancées. La situation financière des organisations demeure très bonne et ces dernières restent les mieux nanties dans le mouvement social.

Pourtant, tout n'est pas encore parfait dans ce milieu. Au sein même du mouvement syndical et parmi la population en général, on se questionne sur la portée de l'action syndicale. Les organisations sont-elles devenues trop bureaucratiques, trop technocrates, trop légalistes ? Ont-elles perdu de ce qui faisait aussi leur force : leur combativité, leur force de mobilisation, les rapports de proximité avec leurs membres ? Reste-t-on attaché à des formes désuètes ou rituelles de communication et de manifestation ? Les syndicats doivent-ils lutter pour des changements sociaux ou doivent-ils surtout offrir des services à leurs membres ? En réponse à cette dernière question, il est clair pour nous que le mouvement syndical doit être présent sur la place publique, ne serait-ce que pour obtenir un meilleur rapport de force pour ses revendications. Il doit aussi contribuer à incarner une vision d'avenir, un projet social fondé sur les valeurs de démocratie et de justice sociale, et ancré dans un mode de vie socialement et écologiquement soutenable.

Dans ce dossier, nous défendons un syndicalisme militant, ouvert et ne craignant pas de se remettre en cause. Nous avons cherché à savoir comment il pourrait s'améliorer, mieux répondre aux nouveaux défis posés par les changements en cours (bouleversements climatiques, désordre causé par la pandémie, pénurie de main-d'œuvre, racisme systémique, etc.). Nous nous demandons comment il pourrait devenir plus combatif, dans une société où l'on cherche beaucoup à ne pas perdre des acquis plutôt que de prendre le risque d'avancer – posture défensive que des décennies de néolibéralisme, puis d'austérité ont pu transformer ici et là en « seconde nature ». Nous offrons des points de vue variés d'autrices et d'auteurs de différents milieux (syndical et académique, principalement), dont les réflexions permettront, nous l'espérons, de brasser la cage, en douceur ou avec un peu plus d'énergie, ceci dans l'espoir formulé jadis par Pierre Vadeboncoeur, que le syndicalisme devienne le « véhicule des forces politiques de la démocratie militante ».

Ce dossier a été conçu à quelques mois des journées de réflexion sur le syndicalisme québécois intitulées « Reconstruire des ponts, remporter des victoires », qui auront lieu les 29 et 30 avril 2022, une initiative conjointe d'À bâbord !, du collectif Lutte commune et du Syndicat des professeures et professeurs de l'Université du Québec à Montréal (SPUQ). Il s'inscrit également dans une volonté largement partagée de mettre en œuvre un processus d'états généraux du syndicalisme. Tant ces journées que le présent dossier ont le même objectif de stimuler une réflexion sur le mouvement syndical aujourd'hui.

Un dossier coordonné par Isabelle Bouchard, Wilfried Cordeau, Yannick Delbecque, Michel Lacroix et Claude Vaillancourt

Avec des contributions de Dominique Bernier, Julie Bouchard, Hugo Charette, Thomas Collombat, Michel Côté, Alain Croteau, Yannick Delbecque, Stéphane Dufour, Ramatoulaye Diallo, Jean-Philippe Grenier, Philippe Hurteau, Michel Lacroix, Mélanie Laroche, Karine L'Ecuyer, le collectif Lutte commune et Alain Savard.

*

Mot de l'illustratrice

Pour moi, repenser le syndicalisme implique aussi de repenser ses représentations. Poings levés, mains serrées et autres clichés sont bien usés. Comment revoir ces lieux communs ?

J'avais envie de partir de la forêt, source de toute création pour moi. Notre survie dans la forêt dépend peut-être de solidarités encore inconnues ? Mais dans cet écosystème, comment illustrer un changement de paradigme dans nos rapports de pouvoir ?

Je travaille aussi à me réapproprier des mythes pour les ranimer dans une dimension écoféministe et queer. J'ai alors choisi de revisiter un conte bien connu qui parle de rapports de pouvoir, de domination, de fourberies, de naïveté. Je me suis dit : si le Chaperon n'avait pas été seule dans la forêt, si elles avaient été nombreuses et solidaires, le rapport de force avec le loup aurait été tout autre.

Marielle Jennifer Couture

Illustration : Marielle Jennifer Couture

Hé oh les médias ! On est en code rouge

2 octobre 2023, par Carole Dupuis — , ,
L'urgence climatique est telle qu'en août dernier, le secrétaire général des Nations Unies a qualifié le sixième rapport du GIEC de « code rouge pour l'humanité ». Bien sûr, (…)

L'urgence climatique est telle qu'en août dernier, le secrétaire général des Nations Unies a qualifié le sixième rapport du GIEC de « code rouge pour l'humanité ». Bien sûr, les médias ne peuvent pas être tenus responsables de la dérive civilisationnelle qui a mené à ce point de bascule existentiel. N'empêche : ils pourraient contribuer beaucoup plus efficacement à le repousser.

Le sujet est ardu, assurément, et de multiples embûches entravent le travail des journalistes les mieux intentionné·es. D'abord, il y a l'autocensure. Comme le rappelait Noam Chomsky, interrogé sur le rôle des médias dans la crise climatique, une personne « bien éduquée » adhère à « l'hégémonie du sens commun » : elle comprend d'instinct qu'il n'est pas de bon ton d'aborder certains sujets. « Les gens qui les soulèvent passent pour des fous », dit-il.

Dans le film Don't look up, le professeur et la doctorante ne respectent pas ce tabou et on voit où cela les mène ! Exagération ? Pour en juger, il faut visionner la scène bien réelle où, sur ARTE, d'éminents journalistes abreuvent leur jeune collègue Salomé Saqué de sarcasmes alors qu'elle s'efforce de sonner l'alarme sur l'apocalypse annoncée.

Relativiser l'objectivité

Une conception étroite de l'objectivité empêche aussi de bien couvrir la crise climatique. Guy Parent, chargé de cours à l'École des médias UQAM et vétéran des services d'information de Radio-Canada, ouvre de belles pistes de réflexion en ce sens. Dans son passionnant mémoire de maîtrise, il rappelle qu'au lendemain de la victoire de Donald Trump en 2016, plusieurs ont fait le lien entre ce dénouement inouï et la préséance donnée à la neutralité journalistique pendant les primaires et la campagne présidentielle américaine. Il cite le reporter d'enquête Glenn Greenwald selon qui « Les règles des grands médias – vénérant la fausse objectivité plutôt que la vérité et toute autre valeur civique – interdisent de sonner l'alarme. Dans ce cadre, dénoncer Trump, ou même sonner l'alarme sur les forces obscures qu'il exploite et déchaîne […] serait considéré comme une violation du journalisme. »

La même dynamique plombe la couverture de la crise climatique. Wolfgang Blau, cofondateur du Oxford Climate Journalism Network à l'Université Oxford, a interrogé des journalistes du monde entier afin de comprendre pourquoi. Son constat : l'absence perçue ou réelle de critères clairs pour tracer la frontière entre le militantisme et le journalisme est un obstacle important pour les membres de la presse, surtout les plus âgé·es. Ces tiraillements déontologiques semblent toutefois épargner les moins de 35 ans. Plusieurs se sentent d'ailleurs incompris·es par leur direction ou accusé·es de militantisme, alors qu'ils et elles estiment faire simplement leur travail.

Résister à l'angélisme

Un autre piège est de sous-estimer le rôle des industries qui ont intérêt à retarder la sortie des énergies fossiles et à promouvoir les pseudo-solutions miracles comme l'hydrogène, le gaz naturel renouvelable ou la captation du carbone. Leurs campagnes obligent les journalistes climat à perdre leur temps à défendre des constats scientifiques largement consensuels ou à décortiquer des argumentaires spécieux en faveur de projets indéfendables. Le harcèlement que ces campagnes génèrent empoisonne la vie des journalistes et mine leur crédibilité, parfois même auprès de leurs chefs, selon Wolfgang Blau.

Embaucher des jeunes

Pour donner le coup de barre qui s'impose, les médias devront affecter les ressources nécessaires à la couverture de la crise climatique. Même les meilleurs d'entre eux demeurent loin du compte ! Le Devoir, pourtant réputé pour la qualité de ses dossiers environnementaux, emploie sept journalistes en culture, sept en économie et un seul en environnement.

Il faut donc embaucher, mais qui ? Pour Wolfgang Blau, un·e journaliste climat qualifié·e n'est pas nécessairement un·e scientifique, mais plutôt une personne qui a une compréhension approfondie du changement systémique, des politiques publiques et de sujets spécialisés tels que le voyage, le sport ou la mode. Au risque de se faire taxer d'âgisme, on pourrait ajouter que cette personne est probablement jeune. Les jeunes comprennent la crise climatique dans leurs os. On peut compter sur eux pour trouver des façons brillantes de transformer ce dossier aride en reportages brûlants d'actualité et d'humanité.

Le journalisme de solutions

Le média québécois Unpointcinq, comme plusieurs autres dans le monde, mise sur le journalisme de solutions pour encourager l'action climatique. En d'autres termes, il veut inspirer en présentant « des projets d'ici, portés par de vrais gens ». Bien qu'attrayante, cette approche ne fait pas l'unanimité dans les médias. Lors de son enquête, Wolfgang Blau a été étonné de la réponse typique de ses collègues : « Ce n'est pas le travail du journaliste. Notre travail consiste à couvrir le monde tel qu'il est et c'est parfois un endroit plutôt merdique. » Paradoxalement, la vaste majorité d'entre eux ont indiqué qu'à leur avis, leur audience est très intéressée à savoir ce qui peut être fait pour ralentir le réchauffement climatique !

Relier les points

Pour Noam Chomsky, les médias communiquent mal l'urgence climatique car ils « ne relient pas les points ». Par exemple, le même numéro du New York Times pourrait présenter un excellent reportage sur la fonte des calottes polaires et une manchette annonçant avec fanfare que la production américaine de combustibles fossiles est en voie de surpasser celle de l'Arabie saoudite. Plus près de nous, le magazine L'Actualité diffuse maintenant les excellentes chroniques de l'environnementaliste Caroline Brouillette, mais maintient son palmarès annuel des leaders de la croissance sans égard à l'empreinte carbone des entreprises lauréates, à la pertinence de leurs activités dans un contexte de transition socio-écologique, ni au lien entre le modèle de la croissance infinie et la crise climatique. De même, bien que Radio-Canada propose fréquemment de magnifiques reportages scientifiques sur la crise climatique, on peut suivre ses bulletins de nouvelles pendant des semaines entières sans en entendre parler de façon significative.

L'analyse de Chomsky prend un sens lourd de conséquences pour un élu municipal comme François Croteau, maire de l'arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie à Montréal de 2009 à 2021. Comme Chomsky, il observe que la science est bien représentée dans les médias quand il est question de la crise climatique en général. Par contre, « quand vient le temps de couvrir des mesures spécifiques qui ont un impact sur la vie des gens, comme le REV par exemple, oups, la science prend le bord rapidement ».

Pour briser ces silos, Wolfgang Blau préconise la création, dans chaque média, d'un carrefour du climat où les journalistes spécialisés de tous les secteurs se réunissent, habituellement sous la direction du bureau des sciences, pour préparer des reportages intégrant d'emblée les enjeux climatiques.

Quels que soient les moyens adoptés, il est vraiment temps que les médias couvrent la crise climatique avec toute l'ardeur, toute l'intelligence et tout le sens critique que dictent l'urgence et la complexité de la situation.

À lire, visionner, écouter, découvrir

Le combat d'idées entre les journalistes André Noël et Luc Chartrand

André Noël, « Réchauffement du climat : les médias continuent de semer le doute », Le Trente, automne 2019.

Luc Chartrand, « Garder la tête froide face au réchauffement », Infolettre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), 13 février 2020.

André Noël, « Climat et médias : poursuivons le débat », Infolettre de la FPJQ, 13 février 2020.

L'entrevue de Noam Chomsky sur les médias et la crise climatique : « In a couple of generations, organized human society may not survive », National Observer, 12 février 2019.

Le mémoire de maîtrise de Guy Parent : L'objectivité journalistique : de la neutralité à la recherche de la vérité, UQAM, 2021.

Le moment de télévision où Salomé Saqué devient « la bizutée-zinzin du plateau » : À l'émission 28 minutes, sur ARTE, le 30 octobre 2021.

L'entrevue avec Wolfgang Blau et Meera Selva de l'Université Oxford : « How journalists can better cover the climate crisis », balado Future of journalism, 28 septembre 2021.

Le programme du Reuters Institute for the Study of Journalism destiné aux journalistes, rédacteur·trices en chef et cadres de médias aux prises avec les enjeux opérationnels, culturels et éthiques liés à la couverture de la crise climatique.

Carole Dupuis tiendra la nouvelle chronique Climat. Elle milite à temps plein depuis 2014 pour une sortie rapide des énergies fossiles et pour une transition juste vers une société post-carbone. Elle est membre du comité de coordination du Front commun pour la transition énergétique depuis sa création en 2015 et porte-parole du Mouvement écocitoyen UNEplanète. Elle a été la première directrice générale de Projet Montréal. Auparavant, elle a fait carrière comme consultante et cadre supérieure en planification stratégique et en communication.

Démocratie syndicale : une exigeante nécessité

Les débats sur la démocratie syndicale sont aussi vieux que le syndicalisme lui-même. Nous proposons ici un rapide tour d'horizon pour aborder la démocratie tant dans ses (…)

Les débats sur la démocratie syndicale sont aussi vieux que le syndicalisme lui-même. Nous proposons ici un rapide tour d'horizon pour aborder la démocratie tant dans ses dimensions délégatrices que délibératives, et proposer quelques pistes de réflexion pour poursuivre, mais certainement pas clore la discussion.

L'idée démocratique est au cœur même de l'action syndicale moderne. Dans les sociétés capitalistes, l'entreprise est en effet l'un des seuls endroits où les principes de la démocratie libérale (avec toutes les limites que l'on doit lui reconnaitre) ne sont pas formellement appliqués. Le lien hiérarchique entre patron·ne et salarié·e n'est certes pas absolu, mais les lois et autres règlements ne font pas pour autant des milieux de travail des espaces participatifs et égalitaires. Au-delà de la nécessaire amélioration des conditions de vie de leurs membres, les syndicats sont donc aussi le seul moyen grâce auquel les travailleuses et travailleurs peuvent insérer des processus démocratiques dans l'entreprise, voire grignoter sur l'arbitraire patronal en réussissant à négocier des mécanismes déterminés collectivement et touchant à l'organisation du travail.

Impératif démocratique

La démocratie est à la fois une fin et un moyen pour le syndicalisme, car elle permet non seulement de défendre, mais aussi de définir les intérêts collectifs d'un groupe fondamentalement hétérogène : les travailleuses et travailleurs. Ces intérêts collectifs se construisent et se reconstruisent de façon permanente dans l'action syndicale, et notamment dans la délibération collective permise par la vie démocratique de l'organisation.

La démocratie syndicale implique donc bien plus que des élections. C'est dans sa procédure même, et notamment dans les débats et discussions qu'elle implique, qu'elle devient un outil de construction d'une identité collective. Ces débats ne sont d'ailleurs pas pensés pour être figés, mais bien pour faire avancer les un·es et les autres vers une position commune et si possible consensuelle. L'anarcho-syndicalisme, qui occupait une place importante au sein des premiers mouvements ouvriers, avait d'ailleurs tendance à éviter les votes et leur préférait la discussion et l'échange, devant ultimement permettre l'émergence d'un positionnement unanime. La démocratie est donc intrinsèque au syndicalisme, tant dans ses finalités que dans ses modalités.

Tendances oligarchiques et professionnalisation

La plupart des débats sur la démocratie syndicale ne portent pas tant sur sa dimension délibérative que sur sa fonction délégatrice, c'est-à-dire sur les mécanismes de désignation des dirigeant·es du syndicat et sur l'exercice du pouvoir qui leur est conféré par les membres. Les risques d'accaparement des ressources (politiques comme matérielles) du syndicat par une minorité ont été soulignés de longue date. Après tout, la fameuse « loi d'airain de l'oligarchie » développée par le sociologue Robert Michels au début du 20e siècle était basée sur ses observations d'organisations issues du mouvement ouvrier. Concrètement, ces tendances se manifestent par un faible roulement au sein des exécutifs syndicaux, au point où certain·es parlent de « bureaucratisation » ou de « professionnalisation », les fonctions syndicales s'inscrivant alors dans des carrières militantes plutôt que de se présenter comme des mandats finis dans le temps et soumis à l'alternance. Afin d'éviter ces situations, des organisations optent, à l'image de certains États dans leur constitution, pour une limitation du nombre de mandats que peuvent servir les élu·es. De façon plus fondamentale, c'est l'encadrement du pouvoir de l'exécutif, notamment par la mise en place d'un réseau de délégué·es syndicaux·cales ou d'instances intermédiaires comme les conseils syndicaux, qui est souvent mis de l'avant afin de mieux répartir les responsabilités et ainsi diminuer les risques de monopolisation des ressources aux mains d'une minorité.

Une autre évolution plus récente peut également conduire à un certain affaiblissement de la démocratie syndicale : la technicisation croissante des relations du travail. Le rôle des avocats et des services juridiques, de même que d'autres expertises techniques, a pris beaucoup d'ampleur au sein des organisations syndicales. Ces ressources sont précieuses dans l'établissement d'un rapport de force, mais elles peuvent également laisser entendre que celui-ci s'établit avant tout grâce à elles plutôt que par la mobilisation du nombre et l'expression collective des membres, qui sont à la fois la raison d'être et l'atout le plus important du mouvement syndical. (À ce sujet, voir le texte de Mélanie Laroche dans ce dossier.)

Démocratie et participation

La question de la participation est donc indissociable de celle de la démocratie. Dans le cas particulier des syndicats, on leur reproche souvent la rigidité des procédures et des instances. Si le code Morin et le Robert's Rules of Order ont été pensés pour garantir un débat organisé, leur dimension technique et procédurale peut au contraire en rebuter certain·es, voire donner un avantage indu aux militant·es les plus aguerri·es, et ainsi nuire à l'expression d'une diversité d'opinions. Si certains ajustements peuvent certes les rendre plus fluides ou équitables (comme l'alternance de genre au micro, adoptée par plusieurs organisations), il semble surtout urgent de penser à d'autres espaces de participation plus informels, voire radicalement différents, au sein desquels les préoccupations, aspirations et positions des travailleuses et travailleurs pourront s'exprimer plus librement, dégagés des contraintes procédurales.

La participation implique toutefois une ressource cruciale : le temps. Alors que les enjeux de conciliation travail-famille-études ont été de plus en plus présents dans le débat public des dernières années, la question du temps de militance reste peu débattue. Au contraire, il semble de plus en plus difficile de convaincre des assemblées générales de placer en tête de leurs priorités les demandes liées aux libérations syndicales, qui garantissent pourtant la bonne marche des organisations et permettent que les responsabilités puissent être réellement partagées entre les membres. À la place, les personnes libérées pour responsabilités syndicales sont caricaturées comme des privilégiées (y compris à l'occasion par l'État-employeur) ou ne doivent compter que sur un nombre d'heures extrêmement limité, notamment dans le secteur privé. Le recours croissant aux rencontres virtuelles et aux sondages en ligne répond à certaines contraintes posées naguère par les assemblées en personne, mais si ces outils favorisent la présence, ils n'encouragent pas nécessairement une authentique participation et un esprit délibératif. D'autres propositions existent, comme l'idée de « journée fériée de délibération » évoquée dans les travaux de Christian Nadeau, mais elles impliquent l'établissement d'un rapport de force suffisant pour les obtenir.

C'est sur cette question du rapport de force et de la nécessaire solidarité qu'il implique que nous proposons de conclure cette réflexion. La question de la démocratie syndicale est indissociable de celle de la solidarité. Le syndicalisme a la tâche éminemment complexe d'offrir à la fois une espace d'identification et d'ouverture à la diversité. On se rassemble « entre nous », parce qu'on se ressemble, mais aussi « avec d'autres », car au-delà de nos différences, nos intérêts de classe se rejoignent.

Deux espaces où se joue cette double expression de la solidarité, qui sert de socle à l'exercice de la démocratie syndicale, méritent d'être revalorisés. Le premier sont les structures interprofessionnelles (centrales syndicales, conseils centraux ou régionaux) qui donnent l'occasion de prendre acte des différences et de reconnaître les luttes communes, mais qui occupent rarement une place prépondérante dans la vie des syndicats locaux. Le deuxième sont les conflits de travail. Les lignes de piquetage restent des moments et des endroits privilégiés de dialogue, de création de solidarité et de prise de conscience. Elles sont la cause et la conséquence de la démocratie syndicale, et l'avenir de l'une peut difficilement se penser sans prendre en compte le destin des autres. Toute réflexion sur la démocratie syndicale implique donc de penser également les conflits de travail, leur raréfaction et les questionnements que cela porte sur le sens de l'action syndicale.

Thomas Collombat, Université du Québec en Outaouais

Illustration : Marielle Jennifer Couture

POUR ALLER PLUS LOIN

Philippe Crevier, Hubert Forcier et Samuel Trépanier (dir.), Renouveler le syndicalisme. Pour changer le Québec, Montréal, Écosociété, 2015.

Mona-Josée Gagnon, « Syndicalisme et classe ouvrière. Histoire et évolution d'un malentendu », Lien social et Politiques, no 49, 2003, p. 15-33.

Christian Nadeau, Agir ensemble. Penser la démocratie syndicale, Montréal, Somme toute, 2017

Les positions syndicales implicites, un frein au changement ?

Les différentes visions du syndicalisme ne sont pas suffisamment expliquées et débattues. Elles déterminent pourtant les orientations, les moyens d'action et même le (…)

Les différentes visions du syndicalisme ne sont pas suffisamment expliquées et débattues. Elles déterminent pourtant les orientations, les moyens d'action et même le fonctionnement des syndicats.

Les structures démocratiques des organisations syndicales québécoises sont généralement assez semblables. Le rôle et le fonctionnement de ces structures sont cependant interprétés de manière variable selon deux visions qui s'opposent, nommément, une conception verticale centralisatrice et une autre, horizontale et participative. Il faut se demander qui détermine les stratégies et les positions d'un syndicat : une « direction syndicale » élue, ou les membres, à travers les assemblées générales ?

Par exemple, dans une conception verticale du syndicalisme, les comités exécutifs ayant la responsabilité de coordonner l'organisation syndicale nationale ou locale sont conçus comme des conseils d'administration, ayant un grand pouvoir décisionnel entre les assemblées générales et pouvant même aller à l'encontre des décisions prises pendant ces rassemblements. Dans une conception horizontale, les comités exécutifs consultent leurs assemblées générales avant toute décision allant au-delà des mandats qui leur ont été donnés. Une limitation de la durée et du nombre des mandats des membres du comité exécutif est privilégiée dans une conception participative du syndicalisme. Souvent, selon cette approche, les membres de l'exécutif sont assis parmi les membres dans les assemblées plutôt que face à ceux-ci.

Les conseils syndicaux – des assemblées réunissant un petit nombre de membres, tenues régulièrement entre les assemblées générales – peuvent être vus verticalement, comme une façon de consulter les membres sans passer par une assemblée générale ou horizontalement, comme un moyen pour les membres d'encadrer le travail du comité exécutif.

La présence des délégations représentant les assemblées générales locales aux différents regroupements de syndicats (fédérations, centrales, etc.) est un élément clé de la démocratie syndicale, permettant la création de positions collectives à grande échelle. Certains syndicats y participent rarement, alors que d'autres se font un devoir d'y être toujours représentés. La considération accordée à cette participation peut être modulée selon les sujets traités. Dans une conception horizontale, une délégation doit avoir consulté sa propre assemblée générale locale avant de prendre position en son nom. Dans une conception verticale, ce rapport est inversé : ce sont les délégations qui doivent défendre les positions communes auprès des membres locaux.

Éducation et information

L'éducation et l'information sont essentielles à la démocratie syndicale, celle-ci ne se limitant pas à l'acte de voter lors d'assemblées. Dans une conception verticale, l'information est transmise des exécutifs vers les membres, alors que dans une conception horizontale, elle trouve son origine chez les membres elles- et eux-mêmes. Le rôle accordé aux journaux syndicaux permet d'illustrer ces différentes visions. Certains leur reprochent de servir à propager la vision de l'exécutif en place plutôt que d'être des lieux de débat. Encourage-t-on tous les membres à publier des articles dans ces journaux, même des textes avec des positions contraires à celles des exécutifs ou des assemblées générales ? Ou limite-t-on leur rôle à la diffusion des positions des membres de l'exécutif ?

La place donnée à l'information et à l'éducation syndicale dépend aussi de celle accordée au syndicalisme dans la société. Par exemple, Marcel Pépin croyait nécessaire la formation politique générale des membres pour faire « concurrence au monopole idéologique de la classe dominante », plutôt que de limiter la formation aux questions directement liées aux activités de base des syndicats.

Autonomie

Concernant l'autonomie des travailleuses et travailleurs, certain·es considèrent que le syndicalisme doit limiter le plus possible le pouvoir patronal et le « devoir de loyauté », voire viser l'autogestion des entreprises ou des organisations. D'autres acceptent plutôt la relation de pouvoir entre patrons et employé·es et limitent les revendications autonomistes. Dans certains cas, le syndicat est même conçu comme une forme de comité d'employé·es servant à donner des avis aux patrons : les questions traitées sont alors principalement reliées aux demandes patronales. Mais dans d'autres cas, les militant·es se méfient des consultations initiées par l'employeur, qui sont parfois perçues comme de l'ingérence et comme un moyen de créer une adhésion aux idées patronales. La tolérance ou non au passage de rôle de représentant syndical à celui de patron est une autre conséquence de la position sur l'autonomie des travailleuses et travailleurs : ces « transfuges » sont symptômes d'une faible indépendance entre syndicat et patrons.

Capital et État

Il existe différentes positions syndicales sur le capitalisme. La position dominante est d'accepter le capitalisme, soit parce qu'on le croit « désirable », soit parce qu'on le considère comme indésirable, mais inévitable. Dans le premier cas, on pense qu'il est juste que propriétaires et patrons s'enrichissent. Si on accepte que le capitalisme soit une réalité contre laquelle il est impossible de lutter, il faut alors en diminuer les effets négatifs.

Pour ce faire, il est possible de privilégier des actions au sein même des institutions de l'État, à travers les tribunaux, les élections ou l'implication dans un parti politique travailliste ou prosyndical, ou en tentant d'influencer le gouvernement en place par la participation à des consultations gouvernementales et des rencontres avec des personnes élues. On peut plutôt privilégier les moyens de contestation politique hors des structures de l'État, comme les manifestations, l'amélioration de l'autonomie des travailleuses et travailleurs, les grèves et la désobéissance civile.

Enfin, on peut aussi penser qu'il faut remplacer le capitalisme par un système plus juste. Dans ce cas, il y a aussi deux visions : agir au sein de l'État ou hors de celui-ci.

Ces différentes conceptions mènent aussi à des positions différentes au sujet de l'encadrement juridique des syndicats. S'ils acceptent cet encadrement comme légitime, les syndicats doivent limiter leurs actions à ce qui est légal. Certain·es considèrent au contraire que le droit est un instrument au service de la classe dominante, limitant injustement l'action syndicale. L'utilisation de la grève comme moyen de pression marque bien la différence entre ces deux positions : son exercice doit-il être limité aux périodes prévues par la loi ou la grève peut-elle être utilisée en tout temps ?

Syndicalisme de combat et deuxième front

Le regretté sociologue Jean-Marc Piotte distingue trois positions syndicales : le syndicalisme de boutique, qui considère l'autorité patronale comme légitime et tend à la défendre en s'opposant à toute forme de conflit, notamment à la grève ; le syndicalisme d'affaire, qui reconnaît aussi la légitimité de l'autorité patronale, mais considère que patrons et salarié·es sont égaux et doivent se partager les profits ; et le syndicalisme de combat (ou de lutte), qui considère que l'action syndicale doit s'attaquer au capitalisme pour limiter l'exploitation des travailleuses et travailleurs à l'aide de conventions négociées et s'attaquer aux droits de gérance. Dans ce dernier cas, la lutte doit être constante et ne pas se limiter aux périodes de négociations.

Le syndicalisme au Québec est dominé par une forme de syndicalisme d'affaire qui conserve un certain nombre de revendications sociales visant à améliorer les conditions de vie des travailleur·euses, au-delà des conditions de travail. Ces revendications sont regroupées à la CSN sous le nom de « deuxième front » pour les distinguer de celles du « premier front » limité aux conditions de travail. La lutte sur le « deuxième front », telle qu'elle a été initialement décrite par Marcel Pépin en 1968, faisait davantage partie du syndicalisme de combat, visant le remplacement d'un système où travailleuses et travailleurs sont exploité·es. Selon une étude d'il y a quelques années [1], le syndicalisme au Québec et au Canada accepte en général le capitalisme et cherche à le rendre plus équitable par la social-démocratie. Notons enfin que dans le discours syndical, la lutte contre le capitalisme a été largement remplacée par la lutte contre les effets de l'idéologie néolibérale, une forme particulière du capitalisme.

Le syndicalisme gagnerait-il à clarifier les diverses orientations sous-jacentes aux prises de décisions ? Cela pourrait-il aider les militant·es qui souhaitent infléchir le type de syndicalisme de leurs organisations ? Il est en tout cas difficile de se mobiliser pour transformer les positions du statu quo syndical si elles ne sont pas nommées.


[1] Renaud Paquet, Jean-François Tremblay et Éric Gosselin, « Des théories du syndicalisme : synthèse analytique et considérations contemporaines », Relations industrielles, vol. 59, no 2, 2004. En ligne : https://id.erudit.org/iderudit/009543ar

Illustration : Marielle Jennifer Couture

Judiciarisation des relations de travail : un levier pour les syndicats ?

Le modèle traditionnel du syndicalisme a bien changé. Aujourd'hui, une grande part de l'activité syndicale passe par la justice : on parle de convention collective, de griefs, (…)

Le modèle traditionnel du syndicalisme a bien changé. Aujourd'hui, une grande part de l'activité syndicale passe par la justice : on parle de convention collective, de griefs, de juste représentation des salarié·es. Cette activité complexe est-elle une avancée ou une complication encombrante ?

Plusieurs syndicats ont maintenant tendance à miser sur un recours accru au registre judiciaire lorsqu'il s'agit de bâtir des stratégies misant sur le renforcement de liens de solidarité forts et durables entre les différents types de travailleur·euses. Dans le contexte français, Jérôme Pelisse [1] observe qu'un processus de formalisation et d'extension de la logique juridique s'opère et transforme la manière dont les acteur·trices interagissent. En raison de cette juridicisation, leurs relations sont beaucoup plus encadrées par le registre juridique, ce qui ne laisse que peu de place aux usages, aux coutumes et au dialogue, ou à la négociation de solutions créatives pour résoudre les problèmes vécus sur les lieux du travail.

Pelisse observe également une autre tendance : celle de la judiciarisation, laquelle réfère davantage à la saisie plus fréquente des tribunaux spécialisés. Cette tendance à la judiciarisation des relations du travail est observée depuis longtemps au Québec et ailleurs dans le monde. Cette tendance peut entraîner des délais importants dans le règlement des problèmes en relations de travail, en plus de rendre le travail syndical invisible aux yeux d'un bon nombre de membres. Elle s'expliquerait par de multiples facteurs, dont l'évolution du cadre législatif, mais aussi, plus fondamentalement, par l'évolution des dynamiques relationnelles des parties prenantes.

Une stratégie patronale ?

Différents facteurs ont été mis en évidence dans les travaux antérieurs pour expliquer cette tendance, notamment l'institutionnalisation des relations professionnelles ou l'acquisition et la diffusion de compétences juridiques au sein des organisations syndicales. Il ne faut pas oublier non plus la propension accrue des employeurs à saisir la justice, par exemple, lors de mouvements de grève, pour contester les modalités des actions et des stratégies syndicales. Pour les employeurs, la judiciarisation peut aussi être une stratégie leur permettant d'allonger les délais pour le règlement de certains dossiers, et par le fait même décourager les travailleur·euses d'exercer leurs recours. Mais elle pourrait aussi contribuer à réduire la pertinence et l'efficacité des organisations syndicales et les affaiblir au plan financier.

Si la judiciarisation des relations de travail et du travail syndical a été critiquée par certains universitaires et spécialistes du droit du travail, elle est aussi considérée comme un levier stratégique efficace dans certaines circonstances, notamment lorsque le contexte rend l'action collective ou les moyens d'action traditionnels, comme la grève, peu efficaces. Cécile Guillaume souligne par exemple qu'en Angleterre, où le taux de syndicalisation a significativement diminué et où la négociation collective est décentralisée, ce recours aux tribunaux peut effectivement offrir un levier stratégique aux organisations syndicales pour faire avancer les droits des salarié·es [2].

Complexification des relations de travail

Dans le livre La convention collective au Québec, paru en 2017, il est établi que l'évolution du droit du travail a nettement contribué à complexifier les enjeux et les recours en relations de travail. D'une part, le législateur favorise une certaine déréglementation des relations du travail et l'allègement des contraintes légales de la négociation (par exemple par le déplafonnement de la durée des conventions collectives, les modifications apportées à l'article 45 portant sur l'accréditation syndicale, l'abolition de plusieurs décrets de convention collective ou la privation de certain·es travailleur·euses de leur droit de se syndiquer). D'autre part, l'État intervient de plus en plus directement dans la détermination des conditions de travail en adoptant différentes lois, généralement d'ordre public, qui ont établi de nouvelles protections pour les salarié·es et qui ne peuvent ni être ignorées ni modifiées par la négociation collective (par exemple, la Loi sur les normes du travail, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec). Le principe d'autonomie des parties à la négociation collective est nécessairement limité par ces nombreuses lois qui contraignent le champ du négociable.

À cela, il faut ajouter l'élargissement de la nature des plaintes qu'un·e salarié·e peut déposer contre le syndicat accrédité qui aurait violé son devoir de représentation (article 47.2 du Code du travail). La personne salariée peut désormais contester la qualité de la représentation syndicale relative à toute question relevant de la convention collective. Comme l'ont montré nos travaux, la relation avec les mandant·es est devenue plus complexe et les syndicats pourraient avoir développé le réflexe de judiciariser certains dossiers pour éviter que des plaintes soient déposées contre eux et pour pouvoir démontrer qu'ils ont utilisé tous les recours possibles dans la défense des droits de leurs membres.

De plus, les conventions collectives sont devenues si imposantes et si complexes que seul·es des expert·es chevronné·es peuvent s'aventurer dans l'interprétation des textes et leur renégociation. Ces conventions sont aussi beaucoup plus difficiles à appliquer, ce qui contribue nécessairement à l'augmentation des litiges qui seront l'occasion de lourds débats entre expert·es juridiques. Cela est sans compter que le système de justice créé pour résoudre les difficultés et les mésententes liées à l'application de ces accords est aussi complexe et caractérisé par un juridisme excessif.

Enfin, ces conventions collectives ont aussi atteint, dans une forte proportion, une certaine maturité au fil des renouvellements, ce qui peut devenir une cause d'inertie et servir de prétexte pour modérer les revendications syndicales en faveur de nouveaux droits. Bien plus, nos travaux montrent que les conventions collectives ayant atteint leur maturité sont aussi celles qui contiennent le plus de disparités de traitement, ce qui montre à quel point elles sont la cible des employeurs pour obtenir des concessions [3]. Elles contribuent également à placer les organisations syndicales sur la défensive, priorisant ainsi la protection des acquis des salarié·es en place. La maturité des conventions collectives ne favoriserait donc pas le développement d'une culture de mobilisation au sein des unités de négociation visant une amélioration continue des conditions de travail.

Vers une stratégie mixte

Que faut-il retenir de ces observations ? Si le contexte institutionnel peut alimenter en partie cette tendance à la judiciarisation des relations de travail, elle n'est pas que néfaste pour l'action syndicale. Elle peut en effet constituer un élargissement du champ d'activité des syndicats, sans pour autant se substituer à la mobilisation et la participation active des membres à l'élaboration de solutions aux enjeux et aux problématiques qui les touchent.

À ce propos, David Peetz souligne qu'il peut être rassurant, pour certain·es dirigeant·es syndicaux·ales, de s'en remettre au discours sur l'individualisme croissant des travailleur·euses pour se replier sur une forme de syndicalisme où la relation avec leurs mandant·es est considérée comme purement transactionnelle et où des services sont offerts pour répondre à des besoins individualisés. Ce n'est toutefois pas la voie privilégiée dans la littérature spécialisée sur la revitalisation des stratégies et des pratiques syndicales.

Melanie Simms a d'ailleurs reconnu que pour maximiser les chances de pérenniser les adhésions et favoriser le militantisme des membres, les organisations syndicales doivent miser sur deux ingrédients essentiels : une force de négociation collective qui permet d'influencer les décisions au quotidien et un engagement fort et représentatif du milieu de travail pour influencer les décisions [4].

Plutôt que de remettre le contrôle et l'issue des luttes entre les mains des expert·es juridiques, les organisations syndicales ont donc tout intérêt à recourir davantage à des stratégies mixtes : le recours aux tribunaux, la négociation collective et d'autres pratiques comme des campagnes publiques ou une variété de moyens de pression, tout cela s'articulant de manière à maximiser le rapport de force du côté syndical.


[1] « Judiciarisation ou juridicisation ? Usages et réappropriations du droit dans les conflits du travail », Politix, vol. 2, no 86, 2009, p. 73-96.

[2] « Les syndicats britanniques et le recours au contentieux juridique », La nouvelle revue du travail, no 7. En ligne : https://journals.openedition.org/nrt/2354

[3] Frédéric Lauzon Duguay, Mélanie Laroche et Patrice Jalette, « Les disparités de traitement dans les conventions collectives », Policy OPTIONS politiques, 7 mars 2017. En ligne : policyoptions.irpp.org/magazines/march-2017/pourquoi-les-disparites-de-traitement-dans-les-conventions-collectives/ https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/mars-2017/pourquoi-les-disparites-de-traitement-dans-les-conventions-collectives/

[4] « Accounting for greenfield union organizing outcomes », British Journal of Industrial Relations, vol. 53, no 3, p. 397-422.

Mélanie Laroche est professeure titulaire à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal.

Illustration : Marielle Jennifer Couture

Lancement du numéro 97

À Bâbord ! vous invite au lancement de son 97e numéro et son dossier « La mort. Territoire politique et enjeu de pouvoir » ! Rendez-vous le jeudi 19 octobre à partir de 18h30 (…)

À Bâbord ! vous invite au lancement de son 97e numéro et son dossier « La mort. Territoire politique et enjeu de pouvoir » !

Rendez-vous le jeudi 19 octobre à partir de 18h30 au Bistro L'Enchanteur (7331 avenue Henri Julien, Montréal).

Entrée libre, bienvenue à toutes et à tous !

Un dossier coordonné par Isabelle Larrivée, Samuel‑Élie Lesage et Catherine Mavrikakis. Pour lire la présentation du dossier, c'est ici.

Pour le sommaire complet du numéro, c'est ici.

Pour l'événement Facebook, c'est ici.

À bâbord ! toujours mordante et intraitable !

Le lancement du numéro 97 et de son dossier sur la mort se tiendra le 19 octobre 2023 à 18h30 au Bistro L'Enchanteur (7331 avenue Henri Julien, Montréal). Le collectif a hâte (…)

Le lancement du numéro 97 et de son dossier sur la mort se tiendra le 19 octobre 2023 à 18h30 au Bistro L'Enchanteur (7331 avenue Henri Julien, Montréal). Le collectif a hâte de vous rencontrer ! Tous les détails ici.

Cette année, À bâbord ! fête ses vingt ans ! Toute une réussite pour un média indépendant produit par des militant·es engagé·es de façon bénévole. Un vrai pied de nez à la façon de faire dans notre monde capitaliste : nous avons montré une fois de plus qu'un collectif autogéré de façon horizontale, pratiquant le travail libre et volontaire, sans patron·ne, fonctionne ! Avec très peu de moyens, mais aussi avec la volonté ferme des membres du collectif de la revue de poursuivre une expérience unique dans l'ensemble des revues québécoises, la publication ininterrompue de nos numéros a été une forme de petit miracle permanent.

Notre souci a toujours été d'accompagner les mouvements sociaux et de faire connaître les mobilisations en étant ancré·es sur les réalités terrain. Pendant toutes ces années, nous avons réussi un important travail de documentation sur les organisations militantes, sur les personnes qui les soutiennent, et sur les idées qu'elles défendent. Nous avons écrit sur des mobilisations peu abordées dans les grands médias, et nous avons couvert nos sujets selon des angles inédits. C'est donc une tout autre vision de l'histoire politique du Québec que nous avons présentée. Nos dossiers régionaux, produits par les personnes habitant les différents territoires du Québec, nous ont permis en outre de décentrer notre regard de la grande région montréalaise pour aller à la rencontre de militant·es à travers le Québec.

Notre collectif a su se renouveler en recrutant constamment des personnes d'horizons variés (bien que nous reconnaissons humblement qu'ils et elles pourraient l'être encore davantage), ce qui nous a assuré notre pérennité. Nous sommes ainsi resté·es en lien avec les grands courants politiques de la gauche, qui ont trouvé dans nos pages une tribune ouverte. Notre richesse est aussi la diversité de nos auteur·es qui ont contribué à la qualité de notre contenu et que nous remercions infiniment.

Notre site internet donne accès à vingt ans d'archives sur les différentes luttes ayant traversé le Québec. Un bref survol des différents numéros permet de suivre des enjeux politiques et culturels qui se sont transformés avec les années. Dans les premiers temps, une grande place a été accordée à la défense des services publics, à une critique de la mondialisation néolibérale, au féminisme. À ces préoccupations toujours vivantes aujourd'hui se sont ajoutés des thèmes proches des courants intersectionnels et un intérêt marqué pour la justice climatique. À bâbord ! ne se situe pas à l'extérieur des mouvements sociaux, se posant comme observateur objectif. Nous nous voyons plutôt comme faisant partie du paysage militant québécois, évoluant en phase avec les luttes les plus marquantes.

Notre réussite, nous la devons aussi au soutien très précieux de notre lectorat. C'est votre contribution à notre revue et à nos événements qui nous permet de continuer notre travail et de poursuivre cette expérience si particulière d'une revue fortement ancrée à gauche et autogérée. À travers les années, nous avons fait d'importants efforts pour aller à votre rencontre et « sortir de la revue ». Par les lancements de nos numéros d'abord, toujours populaires et conviviaux. Et par des colloques : sur le système de santé, sur les médias, sur le syndicalisme. Les dossiers régionaux sont aussi une façon pour nous d'aller vers les personnes qui nous soutiennent aux quatre coins du Québec.

Dans tous les cas, nous vous remercions chaleureusement de nous lire et de nous encourager à diffuser une information indépendante, militante et engagée !

Les festivités reliées à notre 20e anniversaire ne font que commencer. Soyez avec nous pour un événement festif soulignant notre 100e numéro, dont le dossier principal sera consacré à notre histoire, et qui sortira au mois de juin 2024. Ce sera l'occasion de dresser un bilan de nos nombreuses années d'existence et, encore une fois, de nous joindre à vous pour célébrer. Restez à l'affût pour les détails de cette célébration !

Sommaire du numéro 97

25 septembre 2023 —
Le lancement du numéro 97 et de son dossier sur la mort se tiendra le 19 octobre 2023 à 18h30 au Bistro L'Enchanteur (7331 avenue Henri Julien, Montréal). Le collectif a hâte (…)

Le lancement du numéro 97 et de son dossier sur la mort se tiendra le 19 octobre 2023 à 18h30 au Bistro L'Enchanteur (7331 avenue Henri Julien, Montréal). Le collectif a hâte de vous rencontrer ! Tous les détails ici.

Médias

L'après-Facebook des médias d'info / Philippe de Grosbois

Luttes

Droit au logement : « Nous sommes au début d'une très longue lutte » / Entrevue avec le Comité d'action de Parc-Extension

Mobiliser pour un quartier chinois inclusif / Entretien avec May Chiu et Parker Mah

Saguenay - Nitassinan : Les anarchistes repensent le communautaire / Collectif Emma Goldman

Queer

Entrevue : Être queer, c'est révolutionnaire et ça doit le rester / Entrevue avec Mathilde et Lou du festival queer Brûlances

Mémoire des luttes

Lutter pour la dignité : Le combat des chauffeurs de taxi haïtiens dans les années 1980 / Alexis Lafleur-Paiement

Culture numérique

GAFAM : Conclusions / Yannick Delbecque

Environnement

Caribous et vieilles forêts, même combat ! / Jean-Pierre Rogel

Les COP sont-elles bonnes ou mauvaises ? / Claude Vaillancourt

Regards féministes

Violences obstétricales et gynécologiques : Se faire voler sa fertilité / Kharoll-Ann Souffrant

Travail

Travailleurs temporaires, éternels étrangers : Ce que la migration temporaire de main-d'œuvre
dit de nous / François de Montigny

Dossier : La mort. Territoire politique et enjeu de pouvoir

Coordonné par Isabelle Larrivée, Samuel‑Élie Lesage et Catherine Mavrikakis.

Illustré avec des œuvres de Marcel Saint‑Pierre

Le travail est‑il mortel ? / Philippe Lapointe

Grève au cimetière Notre‑Dame‑des‑Neiges : « Ceux que la mort fait travailler » / Entretien avec Patrick Chartrand

Hommage à Barbara Ehrenreich : Une lecture féministe de l'histoire médicale / Stéphanie Barahona

Quand la mort est une affaire de classe / Jean‑Yves Joannette

Les désillusions d'une thanatologue. Rencontre avec Maude Jarry.

L'affaire du cimetière de St‑Apollinaire : La sépulture, impensé de la situation d'immigration / Isabelle Larrivée

Apartheid israélien et nécropolitique : Jusqu'où compter les morts ? / Anne Latendresse

Les fusillades de masse aux États‑Unis : Antigone et la fondation nationale par le deuil / Catherine Mavrikakis

Des féminicides coloniaux / Miriam Hatabi

International

France : La bataille de Sainte-Soline / Louise Nachet

Colombie : Entre la violence et l'espoir / Jessica Ramos et Ronald Arias

Le Canada continue d'encourager l'impunité de ses entreprises / Denis Côté, Amélie Nguyen et Aidan Gilchrist-Blackwood

Culture

Entrevue : Cinéma sous les étoiles et Funambules média

Entretien avec Hubert Sabino-Brunette et Romane Lamoureux-Brochu

Recensions

À tout prendre ! / Ramon Vitesse

Couverture : Marcel Saint‐Pierre. Frontières no 3, série Frontières, détail. Pellicule d'acrylique sur toile, 153 x 127 cm. Collection Carol Aubut et Michèle Ménard.

Membres