Revue À bâbord !

Publication indépendante paraissant quatre fois par année, la revue À bâbord ! est éditée au Québec par des militant·e·s, des journalistes indépendant·e·s, des professeur·e·s, des étudiant·e·s, des travailleurs et des travailleuses, des rebelles de toutes sortes et de toutes origines proposant une révolution dans l’organisation de notre société, dans les rapports entre les hommes et les femmes et dans nos liens avec la nature.
À bâbord ! a pour mandat d’informer, de formuler des analyses et des critiques sociales et d’offrir un espace ouvert pour débattre et favoriser le renforcement des mouvements sociaux d’origine populaire. À bâbord ! veut appuyer les efforts de ceux et celles qui traquent la bêtise, dénoncent les injustices et organisent la rébellion.

Transformations dans l’écriture

25 octobre 2024, par Isabelle Bouchard, Alexandra Dupuy — , , , ,
Comment décrire l'état actuel de l'écriture inclusive dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans la sphère publique et dans l'univers académique ? À bâbord ! s'est (…)

Comment décrire l'état actuel de l'écriture inclusive dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans la sphère publique et dans l'univers académique ? À bâbord ! s'est entretenu sur ce sujet avec Alexandra Dupuy, doctorante en linguistique à l'Université de Montréal. Propos recueillis par Isabelle Bouchard.

À bâbord ! : S'interroger sur les liens entre la langue et le genre, est-ce si nouveau ?

Alexandra Dupuy : Non ! Pensons simplement à la question de la féminisation qui a beaucoup fait parler et ce, sur une période très étendue. D'ailleurs, ce n'est que très récemment que la France a finalement accepté la féminisation des noms de métiers et c'est le résultat d'un long travail. Le Québec a influencé ce mouvement. Dans les années 1970, en réaction au travail militant de femmes, l'Office québécois de la langue française (OQLF) avait déjà recommandé l'usage des formes des noms de métiers au féminin. Ces militantes avaient dénoncé, dans une publication du Conseil du statut de la femme, que les femmes n'étaient pas nommées dans des documents destinés à des personnes qui allaient sur le marché du travail. Les pratiques étaient très variées en la matière et les femmes ne se sentaient pas incluses. Elles ne sentaient pas que les documents s'adressaient à elles.

Même au Moyen-Âge, il y a des histoires de nonnes qui ont écrit des poèmes religieux avec des noms féminins qui étaient refusés comme « autrix ».

ÀB ! : En septembre dernier, vous étiez invitée à une table ronde portant sur la façon d'aborder la diversité en sociolinguistique. Quelles ont été vos observations et vos contributions ?

A. D. : J'ai insisté sur l'inclusion, mais pas uniquement en termes de genre, puisque ma définition de l'inclusion est beaucoup plus large. J'ai parlé de « qui parle de qui ? ». Est-ce qu'on réalise des efforts et est-ce qu'on prend des actions concrètes pour s'assurer d'avoir une diversité de personnes qui se retrouvent dans le milieu de la recherche ?

Quand on fait de la sociolinguistique, c'est particulier de constater qu'une partie limitée de la société se prononce pour la société au grand complet. Il faut aussi se questionner sur comment on parle de cette société. S'assure-t-on, lors de collectes de données, d'avoir une diversité de profils ? Il me semble que c'est problématique particulièrement d'une perspective scientifique, d'établir un portrait de la langue parlée sur la base exclusive de personnes universitaires blanches. Il faut, entre autres, prendre en compte les personnes dyslexiques, malentendantes et aveugles et leur moyen d'entrer en relation avec la langue. Notre travail de linguiste est de faire état de toutes ces situations.

ÀB ! : Que penser de l'entrée du pronom « iel » dans le dictionnaire Le Robert ?

A. D. : À savoir si c'était un coup de marketing, peut-être, mais c'est un très bon coup. On n'a jamais autant parlé de ce pronom qui, initialement, était surtout connu dans les milieux militants. Maintenant, de plus en plus de personnes utilisent ce nouveau signe linguistique pour nommer une réalité. En revanche, il y a aussi des poches de résistance, même dans la communauté des linguistes. Fait intéressant, cette résistance à l'égard de ces néo pronoms ne semble pas être corrélée à l'âge.

ÀB ! : Comment qualifier l'état de l'écriture inclusive dans les médias québécois ?

A. D. : Je me souviens avoir lu une entrevue dans Le Devoir avec une personne non-binaire. La personne journaliste a écrit « iel » entre guillemets. Je me suis dit « tiens, c'est intéressant, parce que jamais on aurait placé les pronoms « elle » ou « il » entre guillemets. Puis, plus tard, dans le même journal et pour une autre entrevue, les guillemets ont disparu ! Je constate qu'il y a encore des réticences, mais qu'il y a aussi de l'ouverture. Dans notre société, il y a des personnes non-binaires. Iels donnent et donneront des entrevues dans les journaux et les médias et iels devront être nommé·es.

Une occurrence s'est observée à Radio-Canada. Xavier Gould, une personne artiste, queer et non-binaire originaire du Nouveau-Brunswick a contribué à un reportage sur la non-binarité. Or, dans l'article, on faisait référence à Xavier en utilisant le mauvais pronom. Avec raison, l'artiste s'est indigné·e publiquement et Radio-Canada a dû se doter d'une politique pour ne pas mégenrer les personnes.

ÀB ! : Quelles sont vos observations sur la langue en ligne et les rapports aux genres ?

A. D. : C'est comme si la langue en ligne se situait entre la langue orale et la langue écrite. Certains patrons de la langue parlée vont possiblement se refléter dans la langue écrite. Si, dans la langue orale, les personnes ont tendance à utiliser des formes comme « toustes » ou « celleux », c'est probable que dans la langue écrite en ligne, ces formes vont être aussi employées, étant donné le contexte moins formel. Il y a une liberté sur les réseaux sociaux qui favorisent l'invention de nouveaux codes. Par exemple, il y a des communautés linguistiques et des codes linguistiques sur les réseaux sociaux qui sont différents de ceux utilisés dans la vie professionnelle. Une personne peut se créer une communauté propre aux intérêts des personnes queer non-binaires et alors adopter des codes linguistiques propres à cette communauté. Ces codes seront en premier utilisés dans la communauté, puis leur emploi pourrait être élargi. Notre rapport à la langue a été transformé par notre utilisation des ordinateurs et de nos échanges rapides avec une diversité de personnes sur Internet. Il faut le souligner.

ÀB ! : Quelles sont les normes rédactionnelles les plus supportées en recherche ? En d'autres mots, quelles sont les bonnes pratiques à privilégier en recherche ? Quels sont les prochains défis pour rendre visibles et lisibles toutes les identités dans notre langage ?

A. D. : Les normes rédactionnelles en recherche sont très variables. On observe toutefois que des personnes vont rédiger leur mémoire et leur thèse avec des formes inclusives. J'ai moi-même utilisé des formes inclusives lors de la rédaction de mon mémoire. En effet, j'ai utilisé le néologisme « locutaire » (une personne qui parle une langue) plutôt que « locuteur » ou « locutrice ». Pour l'instant, l'emploi des formes inclusives dans les écrits universitaires n'est pas généralisé, même si on observe des personnes qui désirent qu'il le soit.

En 2022, le réseau de l'Université du Québec a publié un guide dans lequel on retrouve les grandes lignes rédactionnelles de l'écriture inclusive. Cela est manifestement une ouverture, mais ce ne sont pas tous les plans de cours qui sont rédigés de manière inclusive. Notons aussi que certaines chaires de recherches s'intéressent de près à ces questions et que les étudiant·es qui s'identifient au mouvement queer sont davantage visibles et souhaitent être aussi nommé·es et exister dans la langue.

De mon point de vue de sociolinguiste, l'une des bonnes pratiques que je souhaite mettre en lumière, c'est l'écoute. C'est important d'écouter quand on étudie la société, parce qu'elle évolue au même titre que la science et que la langue. Faire preuve de réticence, ce n'est pas utile, car la langue va tout de même évoluer et notre discours ne sera plus cohérent.

ÀB ! : Quels sont vos souhaits pour l'avenir du langage inclusif ?

A. D. : Un de mes souhaits, ce serait que l'OQLF s'intéresse à l'établissement de normes nationales en réalisant une étude auprès des personnes et groupes concerné·es pour éventuellement créer un guide. Je suis consciente que s'il y avait une norme nationale, elle ne serait pas nécessairement respectée, mais elle serait une référence et j'espère que cela pourrait en quelque sorte démocratiser les démarches.

J'ai aussi le souhait que l'on cesse la condescendance et l'âgisme liés à l'écriture inclusive. Les jeunes sont une part importante de notre société et on doit reconnaître toute la légitimité qu'a cette population de se préoccuper de leur langue, de notre langue. Si on souhaite que les jeunes s'approprient la langue, il faut au moins qu'illes puissent y être nommé·es sans être mégenré·es.

Un autre de mes souhaits, c'est qu'on s'intéresse davantage aux personnes de notre société qui éprouvent de la difficulté avec la langue écrite et la lecture – et elles sont nombreuses – dans la recherche de formes inclusives plus universelles. Rendre plus accessibles la lecture et l'écriture en prenant en considération le plus grand nombre de personnes est un défi de taille. Cela exigera du temps, et c'est normal !

Illustration : Elisabeth Doyon

Lumière sur les allumetières

L'ouvrage de l'historienne Kathleen Durocher est d'une importance capitale pour mieux comprendre le sort qui a été réservé aux ouvrières de la manufacture d'allumettes. (…)

L'ouvrage de l'historienne Kathleen Durocher est d'une importance capitale pour mieux comprendre le sort qui a été réservé aux ouvrières de la manufacture d'allumettes.

Kathleen Durocher est candidate au doctorat en histoire et en études féministes à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Titulaire d'une maîtrise en histoire de l'Université d'Ottawa, elle a récemment publié aux Presses de l'Université d'Ottawa, Pour sortir les allumetières de l'ombre – Les ouvrières de la manufacture d'allumettes E. B. Eddy de Hull (1854-1928), un essai pionnier qui émane de ses travaux de recherche. Elle y explique le destin de celles qu'on appelle les « allumetières », les femmes ayant œuvré au sein de l'allumière de la E.B. Eddy à Hull, la principale productrice d'allumettes au pays entre les années 1870 et 1928. C'est d'ailleurs en leur honneur que l'ancien boulevard de l'Outaouais, à Gatineau, a pris le nom du boulevard des Allumetières. À cette époque, l'électricité n'était pas ce qu'elle était aujourd'hui, d'où l'importance de l'industrie de production des allumettes, essentiellement dominé par des hommes.

Dans un article publié dans la revue Ouvrage en octobre 2020, Durocher relate que « [d]urant des décennies, des centaines d'employé·e·s, principalement des adolescentes et des jeunes femmes, s'affair[aient] à l'emballage des bouts de bois inflammables. Travaillant dans des conditions difficiles, entre 50 et 60 heures par semaine, et ce, toute l'année, elle ne gagn[aient] qu'un maigre salaire octroyé à la pièce. » En outre, leur exposition à la nécrose maxillaire causée par le phosphore blanc provoque la perte des dents en plus de la décomposition des os et de la mâchoire. Cette terrible maladie n'a que pour seul « remède » l'ablation de la mâchoire.

Faute de moyens financiers, nombreuses sont celles qui furent obligées de subir cette opération à domicile plutôt qu'en milieu hospitalier. Le phosphore blanc fut d'ailleurs interdit en Europe à la fin du ١٩e siècle et est aujourd'hui considérée comme une arme incendiaire par les Nations Unies. On comprend donc que le dur labeur de ces allumetières met leur santé et sécurité en péril, notamment en raison de la toxicité des matériaux qu'elles manipulent et du risque incessant d'incendie qui accompagne leur travail, telle une épée de Damoclès.

De fil en aiguille, et devant ce système d'exploitation, les travailleuses décident, à partir de 1928, de se mobiliser, et ce, sous la bannière d'un syndicat catholique et exclusivement féminin. Celles qui avaient longtemps été éclipsées des tentatives de syndicalisation de leurs collègues masculins connaissent une réussite qui rayonnera à travers le Canada, en plus de marquer la région de Hull. Ce syndicat aura eu à sa tête une dénommée Donalda Charron, la première femme présidente d'un syndicat au Québec.

Le syndicat des allumetières a aussi connu de nombreuses peines. Au cours de leur courte histoire, les allumetières syndiquées subirent deux conflits de travail dont le second tuera leur mouvement contrairement au premier, où elles purent obtenir plusieurs gains au niveau de leurs conditions de travail et de leur capacité de négociation. Le litige au cœur du premier conflit concerne « la question des doubles équipes de travail requises par l'employeur pour faire face à la demande accrue du marché. Malgré le lock-out imposé par la compagnie, les allumettières obtiennent gain de cause et se voient accorder des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail ».

Les réjouissances pour les Allumetières seront toutefois brèves, car en 1924, la compagnie Eddy menace à nouveau de réduire les salaires qu'elles avaient obtenus lors du premier conflit de travail : « les ouvrières abandonneront alors leur travail sans consulter le syndicat, réaction à laquelle la compagnie rispostera par une contre-grève de neuf semaines. Le syndicat obtiendra gain de cause mais, cette fois-ci, la conjoncture économique remettra en cause la fabrication d'allumettes chez E.B. Eddy. Elle fermera définitivement cette section en 1928 pour ne conserver que la seule production du papier. » [1]

Malgré ce qui apparaît, en surface, être un échec, l'expérience des Allumetières a permis de mettre en lumière le problème social du harcèlement sexuel en contexte de travail et a également marqué l'imaginaire collectif.

L'Histoire a la fâcheuse tendance de faire silence sur les réalisations et les accomplissements des femmes, et ce, au profit des hommes. C'est notamment pour lutter contre cet effacement et cette invisibilisation que l'ouvrage de Durocher fait sens. Première étude historique portant sur ces syndicalistes, il y a fort à parier que grâce au travail intellectuel de Kathleen Durocher qui pave la voie à d'autres études du même genre, les allumetières ne figureront plus jamais dans l'ombre.


[1] Citations tirées de Bilan du siècle, site encyclopédique de l'histoire du Québec depuis 1900 de l'Université de Sherbrooke. En ligne : https://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/20909.htm

Illustration : Elisabeth Doyon

Photo : Les allumettières. Archives de la confédération des syndicats nationaux

Le rôle du gouvernement canadien an Ayiti

25 octobre 2024, par Chantal Ismé — , ,
Ayiti s'embourbe dans un cycle de crises à répétition. Les services publics sont détruits, l'économie criminelle s'impose et bloque tout développement de l'économie nationale, (…)

Ayiti s'embourbe dans un cycle de crises à répétition. Les services publics sont détruits, l'économie criminelle s'impose et bloque tout développement de l'économie nationale, la pauvreté extrême s'approfondit, les élites sont incapables de résoudre les problèmes globaux par leurs propres moyens. Le Canada, sous le couvert de l'aide internationale, joue un rôle dans le maintien de l'occupation d'Ayiti.

Ces crises s'inscrivent aussi dans un contexte mondial caractérisé par l'internationalisation accentuée du capital et l'aggravation alarmante de la crise environnementale. La communauté internationale a une volonté plus ou moins affichée de renforcer l'occupation d'Ayiti pour consolider ses positions géopolitiques. Ces crises s'inscrivent aussi dans un contexte mondial caractérisé par l'internationalisation accentuée du capital et l'aggravation alarmante de la crise environnementale.

Le Canada, pour des raisons historiques, se voit lui-même et est vu par les membres du Core Groupe – un groupe consultatif regroupant les ambassadeurs de l'Allemagne, le Brésil, le Canada, l'Espagne, les États-Unis, la France et de l'Union européenne – comme l'entité idéale pour asseoir le dispositif adéquat.

Engagés à fond dans leur effort de guerre au Moyen-Orient et en Afrique, les États-Unis d'Amérique du Nord et l'Union européenne se sont relativement désengagés dans les Caraïbes, modifiant ainsi le rôle géostratégique de cette région. C'est précisément le vide laissé aujourd'hui dans la région par ces deux grands acteurs mondiaux que le Canada, membre à la fois du Commonwealth et de la Francophonie, essaie de combler, en jouant la carte de la coopération avec Ayiti, dont les liens sont particulièrement étroits du fait notamment de la présence massive d'Ayitien·nes au Québec.

L'aide canadienne est principalement orientée vers les ONG et parallèlement remet en question les capacités de l'État ayitien à en assurer la gestion. Pour bien comprendre cette dynamique, il importe de brosser un portrait historique des relations entre Ayiti et le Canada et faire un survol rapide de la situation actuelle.

Survol historique des relations canado-ayitiennes

Les premières relations diplomatiques entre Ayiti et le Canada datent de 1937 et vont s'officialiser en 1954. Elles se renforcent au fil des ans, notamment avec la présence significative de la diaspora ayitienne au Canada, en particulier au Québec.

Dès les années 30, le Canada devient une destination d'étude pour de nombreux étudiant·es ayitien·nes. L'immigration ayitienne au Canada se poursuit par vagues successives à partir des années 1960. Les premières cohortes sont constituées de militant·es politiques, d'intellectuel·les, d'artistes et professionnel·les poussé·es à l'exil par la dictature féroce de Duvalier. Dans les années 1970, ce sont des travailleur·euses et des ouvrier·ères qui fuient Ayiti pour venir s'installer au Canada à cause des politiques intenses d'ajustement structurel qui déstructurent l'économie ayitienne. Depuis, l'afflux de migrant·es ayitien·nes (avec ou sans papier) et de réfugié·es n'a cessé de croître ce, en dépit des difficultés auxquelles ils et elles sont confronté·es et des épreuves qu'ils et elles subissent.

Les relations entre Ayiti et le Canada se développent également à travers les organisations canadiennes qui œuvrent directement en Ayiti. La pénétration économique du Canada en Haïti s'accentue avec la présence d'hommes d'affaires et de compagnies canadiennes (Icart, 2007). Les intérêts d'entreprises canadiennes pour l'exploitation de gisements d'or et de cuivre sont connus. D'ailleurs, en 1997, deux conventions minières ont été signées (sanctionnées en 2005, un moratoire a été imposé en 2013 par le Sénat Ayitien) entre le gouvernement ayitien et deux sociétés minières, filiales de sociétés canadiennes basées à Montréal. Mais, les relations commerciales bilatérales entre Ayiti et le Canada sont peu significatives.

Rôle du Canada en Ayiti

Depuis 2004, le Canada joue un rôle actif et significatif dans la mise sous tutelle d'Ayiti et sa perte de souveraineté. Différentes missions dites de stabilisation et de maintien de la paix sont déployées en Ayiti depuis plus de 20 ans. Les Forces armées canadiennes et des forces policières civiles ont fait partie des Casques bleus des différentes missions de l'ONU en Ayiti. Le Canada préside le Groupe consultatif ad hoc du Conseil économique et social des Nations Unies sur Ayiti (ECOSOC-AHAG), sans oublier le rôle qu'il joue aussi auprès des instances internationales comme OEA et OIF. Créé en 1999, l'ECOSOC-AHAG a pour mission de faire des recommandations en vue d'une meilleure adéquation, cohérence, coordination et efficacité de l'assistance (aide) internationale à Ayiti. Cette structure est réactivée en novembre 2004 et depuis, le Canada en assure la présidence.

Ce groupe consultatif ad hoc sur Ayiti demande en juillet 2022 au Conseil de sécurité des Nations Unies l'extension du mandat du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) [1] , qui a pour mandat « appui à bonne gouvernance, stabilité, professionnalisation de la police, réduction de la violence communautaire et de la violence des gangs ». Ce mandat a été actualisé et sera en vigueur jusqu'en juillet 2023.

En outre, les fonds de développement canadiens sont principalement orientés vers la sécurité, ce qui se traduit par le renforcement de la police et d'autres organismes de justice pénale, faisant ainsi de la réforme de la police un objectif majeur de la politique étrangère du Canada. Pourtant, la réforme de la police a un côté sombre qui peut étendre la violence, la corruption et l'impact néfaste que les pratiques surannées de justice pénale peuvent avoir sur la cohésion communautaire.

À ce propos, Davis [2] explique comment le côté obscur qui accompagne l'imposition de transitions démocratiques préemballées se traduit souvent par la violence et la détérioration de l'État de droit. Il est notable que l'aide fournie par le Canada et les Nations Unies en Ayiti était basée sur la formation et la distribution de technologies aux membres de groupes paramilitaires qui ont comblé un vide de pouvoir après la destitution d'Aristide et qui sont devenus membres de la Police nationale d'Ayiti.

Ce nouveau rôle hégémonique du Canada se manifeste à travers sa participation et sa contribution à la constitution du Core Groupe. Le Canada, aujourd'hui, prend la direction des opérations sous la houlette de l'Oncle Sam.

Interventions directes dans les affaires internes

Aujourd'hui, Ayiti fait face à une « guerre de basse intensité », une guerre larvée liée à la manière dont les richesses vont être distribuées. Il ne s'agit pas d'une guerre conventionnelle, même si on est exposé à des formes d'agressions qui s'approchent et s'apparentent à une situation de guerre.

Le gouvernement canadien est de plus en plus à l'avant-scène et prend des initiatives claires de contrôle et de domination d'Ayiti. Il a soutenu différents gouvernements fantoches, décriés, illégitimes, illégaux ou inconstitutionnels, qui depuis 2010 renforcent la formation ou le renforcement de gangs criminalisés. Très peu a été dit sur les massacres, des centaines de kidnappings sur la population ruinant la classe moyenne, paupérisant davantage les classes populaires, semant le deuil et le désespoir dans les familles ; rien n'a été dit sur les répressions systématiques et sauvages de la police nationale formée aux bons soins des forces canadiennes sur les manifestant·es.

En résumé, les interventions canadiennes à ce jour ne visent qu'à encourager un ordre social d'apartheid dans lequel les classes populaires sont mises hors de la sphère de la prise des décisions politiques, économiques et sociales du pays en ignorant les solutions alternatives endogènes et en priorisant le statu quo.


[1] Le mandat a été établi par la résolution 2476 du Conseil de sécurité du 25 juin 2019 et déployé sous le Chapitre VI de la Charte des Nations Unies.

[2] D. Davis, « Undermining the Rule of Law : Democratization and the Dark Side of Police Reform in Mexico » Latin American Politics and Society, 48, no 1 (2006)

Chantal Ismé militante féministe et politique, membre de la Coalition Haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti (CHCDDH).

Illustration : Elisabeth Doyon

Droit à l’assurance-chômage : le combat de tous et toutes

En septembre 2022 paraissait aux éditions Écosociété le livre Trouve-toi une job ! Petite histoire des luttes pour le droit à l'assurance-chômage. À bâbord ! s'est entretenu (…)

En septembre 2022 paraissait aux éditions Écosociété le livre Trouve-toi une job ! Petite histoire des luttes pour le droit à l'assurance-chômage. À bâbord ! s'est entretenu avec Jérémie Dhavernas, avocat du Mouvement Action-Chômage (MAC) et auteur de l'ouvrage. Propos recueillis par Viviana Melisa Isaza Lescano.

À bâbord ! : Qu'est-ce que le Mouvement Action-Chômage ?

Jérémie Dhavernas : Le MAC est un organisme communautaire issu de groupes populaires créés dans les années 70 qui défend les droits des sans-emploi. Le MAC offre des services de formation, d'accompagnement et de représentation juridique afin d'aider les sans-emploi à avoir accès à leur droit de prestations.

ÀB ! : Quelles sont les raisons qui ont convaincu le MAC de Montréal de faire la lumière sur l'histoire récente du chômage et sur la fragilité de cette maille du filet social ?

J. D. : Le MAC revendique l'amélioration et la sauvegarde du programme d'assurance-chômage qui est constamment menacé par les stéréotypes et les préjugés véhiculés par les gouvernements. Pour son 50e anniversaire, nous avons décidé de souligner son histoire et ses luttes contre les réformes du programme d'assurance-chômage et la propagande des gouvernements fédéraux dénigrant les chômeur·euses. En bref, ce discours dit : « un chômeur est un mauvais pauvre, un paresseux et un fraudeur ».

Depuis les années 70, le MAC défend des travailleur·euses qu'on tente d'exclure du régime à l'aide de la loi et de l'application de directives restreignantes, voire agressives, par les fonctionnaires. Il ne faut pas oublier que ces chômeur·euses ont déjà été à l'emploi et ont contribué à la caisse d'assurance-chômage destinée à les aider en cas de perte d'emploi. Ils n'ont pas à avoir honte.

ÀB ! : Comment ces préjugés et ces stéréotypes subsistent encore aujourd'hui ?

J. D. : La source première de cette dynamique est le programme d'assurance-chômage en lui-même. D'abord, le programme exclut dans une très grande majorité les travailleur·euses qui ont dû quitter leur emploi pour diverses raisons et ceux et celles qui ont été congédié·es pour une inconduite, sans égard au nombre d'années durant lesquelles ils et elles ont contribué à l'assurance-chômage.

La deuxième problématique est le traitement inquisitoire et culpabilisant réservé aux sans-emploi. Bien que les chômeur·euses remplissent les critères d'admissibilité, soit avoir un emploi assurable, avoir un arrêt de rémunération et avoir travaillé les heures demandées par le programme, on présumera de leur mauvaise foi, on remettra en doute leur volonté de se trouver un nouvel emploi et on croira davantage la version du patron lorsque la fin d'emploi est litigieuse. Tout ceci s'exprime par une pression sur les sans-emploi qui se traduit par : TROUVE-TOI UNE JOB !

ÀB ! : Le MAC réclame un programme social pour l'assurance-chômage avec « un minimum syndical ». Quel est ce minimum syndical ?

J. D. : Nous avons cinq revendications qui visent à améliorer la couverture des travailleur·euses par le programme d'assurance-chômage.

La première revendication concerne le nombre d'heures de travail nécessaires pour se qualifier au programme d'assurance-chômage. Ce nombre varie d'une région à l'autre, allant de 420 à 700 heures en fonction du taux de chômage de la région de résidence des travailleur·euses sans emploi. Par exemple, si deux travailleur·euses sont mises à pied du même poste, mais demeurent dans deux régions différentes, l'une pourrait toucher l'assurance-chômage alors que l'autre, non, simplement en raison de taux de chômage différents dans leur région respective. Le MAC réclame donc l'uniformisation du nombre d'heures de travail nécessaire pour avoir droit aux prestations et de le fixer à 350 heures dans la période de référence (la dernière année).

La deuxième revendication vise à bonifier la durée des prestations. Présentement, la durée des prestations est de 14 à 45 semaines, dépendamment du taux de chômage régional et des heures travaillées. Le MAC demande pour que les prestations universelles soient versées pendant 50 semaines.

La troisième revendication vise à assurer un taux de prestation à 70 % du salaire avec un plancher de 500 $ par semaine. Nous avons vu avec la pandémie que cette bonification est non seulement faisable, mais nécessaire. Selon Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada de 2013 à 2020, la Prestation canadienne d'urgence (PCU) à 500 $ par semaine a sauvé le Canada de la faillite, puisque notre programme d'assurance-chômage était extrêmement précaire.

La quatrième revendication est la fin des exclusions totales pour départ volontaire ou inconduite, afin de rétablir l'accès au programme pour les travailleur·euses dans ces situations.

La dernière revendication est de permettre l'accès aux prestations régulières en cas de situation de chômage sans égard aux prestations parentales reçues. La majorité du temps, ce problème survient lorsque les femmes perdent leur emploi durant ou immédiatement après leur congé de maternité. Au Québec, cette situation survient lorsque le parent touche près d'un an de prestations du Régime québécois d'assurance parentale (RQAP). Encore aujourd'hui, ce parent est presque toujours la mère. Ce sont donc les femmes qui se retrouvent sans protection contre le chômage lorsqu'elles ont le malheur de perdre leur emploi après être devenues parents. Le MAC a représenté six travailleuses dans cette situation devant le Tribunal de la sécurité sociale et a eu gain de cause en janvier 2022. La Commission de l'assurance-emploi du Canada a décidé de porter en appel cette décision, ratant une belle occasion de rendre le programme équitable et juste…

ÀB ! : Comment le programme d'assurance-chômage a-t-il désavantagé les femmes ?

J. D. : Le programme d'assurance-chômage a toujours été et demeure paternaliste. Par exemple, jusqu'en 1957, les épouses devaient respecter des critères supplémentaires pour toucher des prestations dans les deux ans suivant leur mariage, car on jugeait leur demande suspecte. Entre 1940 et 1957, des milliers de femmes ont ainsi perdu leur droit à une protection en cas de chômage.

En 1971, Pierre Elliott Trudeau modifie la Loi sur l'assurance-chômage et crée les prestations de maternité, améliorant la protection des travailleuses. Il imposera toutefois aux femmes enceintes désirant avoir accès au chômage-maternité de cumuler ٢٠ semaines de travail dans la dernière année, dont dix durant leur grossesse, alors que pour les travailleur·euses qui ne sont pas enceintes, on exige huit semaines pour se qualifier. En 1984, la Loi sur l'assurance-chômage est corrigée pour mettre fin à cette discrimination. Cependant, la Loi demeure discriminatoire pour les femmes qui perdent leur emploi pendant ou suite à leur congé de maternité.

Le programme désavantage également les femmes sur d'autres plans. Selon les statistiques de 2016, 53 % des hommes ont accès à l'assurance-chômage contre seulement 35 % des femmes. Pourquoi ? Notamment parce que les règles sévères d'admissibilité laissent de côté les salariées précaires et à temps partiel, qui sont encore en grande majorité des femmes. C'est sans compter les femmes qui seront exclues du programme car elles quittent leur emploi pour s'occuper de leur famille ou de leur entourage, sans que ce départ volontaire soit considéré comme justifié…

ÀB ! : À travers l'histoire du MAC, on en apprend plus sur les crises internes qu'a connues le mouvement, notamment sur la confrontation de deux visions concernant son organisation. La première vision favorise la centralisation et l'action collective, tandis que la seconde est plus favorable à la décentralisation et vise à mieux répondre aux besoins des travailleur·euses sans emploi. Quelle est la vision que priorise le MAC pour revendiquer une meilleure accessibilité au droit à l'assurance-chômage ?

J. D. : Depuis 1990, nous avons une position beaucoup plus équilibrée entre les deux visions, puisque le service individuel nourrit l'action collective. À travers l'éducation populaire, le MAC s'attèle à défaire le stéréotype du mauvais pauvre et à permettre aux chômeur·euses de mieux connaître leurs droits. Nos séances d'information outillent les travailleur·euses, les syndicats et les organismes pour qu'ils puissent mieux naviguer ce programme complexe et parfois déroutant.

Tout ce travail d'éducation et de service individuel permet de mobiliser les gens dans la défense des droits des chômeur·euses, qui font partie des droits des travailleur·euses. Dès sa création, le MAC a d'ailleurs forgé des alliances avec les centrales syndicales pour dénoncer les réformes du programme d'assurance-chômage brimant les droits des sans-emploi. Un exemple récent est celui de la réforme de Harper en 2012, qui modifiait la notion de l'emploi convenable et créait ainsi un système punitif qui sanctionnait les chômeur·euses dit·es « fréquent·es », en les obligeant à chercher un emploi sous-payé. Dans cette même réforme, le gouvernement Harper mettait sur pied le Tribunal de la sécurité sociale, complexifiant indûment le processus d'appel afin de décourager les chômeur·euses de défendre leurs droits. Grâce à la mobilisation, cette réforme a depuis été abolie, ce qui démontre la force de l'action collective.

Il faut également souligner que le MAC fait partie du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE) qui lutte depuis plus de vingt ans pour la mise en place d'un régime d'assurance-chômage juste et universel. Le MASSE rassemble 17 groupes membres dans dix régions du Québec et du Nouveau-Brunswick. Le MASSE et ses groupes membres font de l'action politique en se mobilisant avec des syndicats et organisations alliés contre des politiques affectant l'accessibilité au programme d'assurance-chômage. À titre d'exemple, on peut penser aux groupes de l'Est-du-Québec qui revendiquent une meilleure couverture pour les travailleur·euses de l'industrie saisonnière et qui se sont rendus cet automne à Ottawa pour rencontrer les différents partis fédéraux.

ÀB ! : Qu'est-ce que la pandémie et le déploiement de la prestation canadienne d'urgence (PCU) ont démontré quant au programme d'assurance-chômage ?

J. D. : La pandémie a démontré que le programme d'assurance-emploi est extrêmement fragile, à un point tel que le premier ministre Trudeau a dû créer la PCU afin de ne pas accentuer la crise économique. Ce constat d'échec a pavé la voie à une promesse de réforme de l'assurance-chômage.

Plus concrètement, la PCU et les mesures temporaires à l'assurance-chômage qui ont suivi jusqu'en 2022 ont été un laboratoire permettant de tester certaines revendications portées par le MAC. Par exemple, le montant de la PCU était de 500 $, ce qui correspond à la revendication du MAC sur un taux plancher de prestations. Lors du déploiement des mesures transitoires qui ont suivi à l'assurance-chômage, on a pu constater que l'abolition du délai de carence, le prolongement de la durée des prestations à 50 semaines et la diminution du nombre d'heures travaillées requis pour se qualifier étaient des mesures tout à fait applicables et bénéfiques.

ÀB ! : Quelles sont d'autres contributions importantes du MAC ?

J. D. : Il y a eu la victoire juridique pour les chômeur·euses âgé·es de 65 ans qui étaient exclu·es du programme d'assurance-chômage en raison de leur âge. En 1989, la Cour d'appel fédérale déclarait que la disposition qui prévoyait leur exclusion était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et constituait de la discrimination basée sur l'âge. Suite à cette décision, le MAC, avec l'appui des centrales syndicales, a publiquement demandé au gouvernement Mulroney de ne pas porter la cause en appel, ce qu'il refusa. Finalement, la Cour suprême confirmera en 1991 que la disposition est discriminatoire, une grande victoire pour les travailleur·euses de plus de 65 ans !

Comme mentionné précédemment, le MAC représente en ce moment six travailleuses qui ont été privées de leur droit à l'assurance-chômage en raison de leur congé de maternité. Le Tribunal de la sécurité sociale du Canada a donné raison au MAC en jugeant que la Loi sur l'assurance-emploi était discriminatoire. Cette décision a été portée en appel et l'audience aura lieu à la fin mars. Un dossier à suivre avec beaucoup d'intérêt !

Illustration : Elisabeth Doyon

Hub de mobilisation pour la justice climatique

Le paysage militant du Québec peut dorénavant compter sur l'appui et les formations d'un Hub de mobilisation pour la justice climatique. Cet organisme, qui s'adresse aux (…)

Le paysage militant du Québec peut dorénavant compter sur l'appui et les formations d'un Hub de mobilisation pour la justice climatique. Cet organisme, qui s'adresse aux militant·es, opère virtuellement et rejoint plus de 30 villes et régions à travers le pays. Quelles sont ses visées ?

Propos recueillis par Isabelle Bouchard et Samuel Raymond

ÀB ! : Qu'est-ce que votre Hub ?

Jacqueline Lee-Tam : « Hub », c'est une expression qui désigne le cœur des activités. Notre Hub est donc un espace que des personnes militantes peuvent rejoindre pour apprendre différentes théories, modèles et compétences afin de surmonter leurs défis. Notre mission est de les écouter, de comprendre leurs défis et de les soutenir. Nous mettons l'accent sur le développement des capacités et l'éducation.

Notre aventure a débuté en 2020, dans un contexte où le militantisme était peu supporté par les fondations canadiennes. Notre organisation est principalement financée par les fondations familiales du Canada telles que Trottier, McConnell et Catherine Donnelly. Trois personnes salariées composent notre petite équipe, et elles s'entourent de personnes contractuelles. Nous offrons un large éventail d'activités de développement des capacités pour les organisateur·rices dans le milieu de la justice climatique. Depuis 2020, nous avons réalisé plus de 600 événements bilingues partout sur le territoire que l'on appelle Canada, pour plus de 3000 personnes.

ÀB ! : Votre organisation semble avoir un parti pris pour la décentralisation de type « organisation distribuée ». Qu'est-ce et pourquoi ?

Isabelle Grondin Hernandez : La décentralisation permet d'avoir des groupes qui sont outillés, autonomes, capables de s'organiser rapidement et d'absorber de l'énergie militante. Néanmoins, pour nous, ce n'est pas un absolu. La décentralisation est un spectre qui passe par le partage d'outils au plus grand nombre pour favoriser l'autonomie. Il est ainsi possible de favoriser le fait que des groupes soient autonomes sur certains aspects, mais coordonnés entre eux sur d'autres enjeux. Ce modèle s'appelle « l'organisation distribuée ». Il prend parti pour une union souple de groupes autonomes. Ainsi, nous n'allons jamais parler de mouvement totalement décentralisé, parce que ce n'est pas ce qui permet d'avancer lorsqu'une situation requiert une coordination.

Dans un contexte d'organisation distribuée, si des personnes viennent te voir et te communiquent leur intention de s'impliquer dans un groupe, il y a la possibilité pour ces dernières de créer une équipe de travail sans avoir l'accord d'une instance centrale. Cette façon de faire donne un plus grand pouvoir d'action à ces personnes. Surtout si on leur fournit du soutien. C'est ce que je veux dire quand je parle de l'absorption de l'énergie militante.

J. L.-T. : En 2020, les militant·es que nous avons consulté·es à propos des défis d'organisation nous ont confié que même si les mouvements aux structures verticales pouvaient sembler familiers, au Québec en particulier, iels avaient une préférence pour la formation de mouvements plus horizontaux. Disons aussi qu'il y a une résistance dans les mouvements plus alternatifs à l'organisation de style « structure verticale ».

ÀB ! : Quelles organisations ou quels individus participent à vos formations ? Quelles sont leurs principales préoccupations ?

J. L.-T. : Dans notre communauté, nous avons beaucoup d'étudiant·es, mais aussi une diversité de gens qui cherchent à développer leurs connaissances et compétences. Dit simplement, notre public est formé de personnes organisatrices qui militent tant sur la scène locale, nationale qu'internationale, et qui sont issues du milieu de la justice climatique et sociale. Elles veulent du support pour surmonter leurs plus grands défis quand vient le temps d'être en action.

Les préoccupations que nous avons entendues rassemblent des éléments communs et d'autres, plus précis. Au-delà des défis de s'organiser virtuellement, nous avons constaté que les gens cherchent de l'information et du soutien pour apprendre à s'organiser stratégiquement et structurellement dans une perspective horizontale, mais qu'ielles mènent aussi une réflexion sur les façons de favoriser l'autonomie des individus et groupes. Les gens ont aussi des difficultés à être sur la même longueur d'onde en ce qui concerne l'anti-oppression. Puis, les gens posent beaucoup de questions à propos des moyens pour gérer les conflits dans le contexte organisationnel.

En réponse à ces éléments les plus demandés, nous avons développé des ateliers sur les stratégies, la structuration, l'anti-oppression, la gestion des conflits et aussi un nouveau sur comment prendre soin (dans le sens de care) de sa communauté. Tous ces ateliers sont donnés sur une base régulière. Nous souhaitons que ces sujets soient aussi accessibles que possible.

À propos des demandes plus précises, nous avons par exemple eu plusieurs questions à propos de la sécurité numérique, des connaissances légales sur les droits, sur l'accessibilité universelle, sur les moyens de retenir les nouveaux et nouvelles membres, à propos de la transmission des connaissances en contexte cyclique en milieu étudiant. D'autres questions portaient sur comment s'adapter à la pandémie, comment intégrer les questions queer à la justice climatique, comment favoriser la rétention des apprentissages après des événements d'ampleur historique.

Chaque semaine, nous recevons des demandes précises et nous réalisons le suivi à travers l'organisation d'événements, l'offre de coaching, de mentorat ou la tenue d'ateliers et la rédaction d'articles wiki. D'ailleurs, nos activités sont entièrement gratuites.

G. H. : Nous invitons les personnes organisatrices à ne pas hésiter à nous contacter pour recevoir du soutien.

ÀB ! : Quelles sont vos attentes vis-à-vis des médias de gauche ?

G. H. : Souvent, les groupes militants savent que les médias peuvent leur donner une plus grande force de mobilisation en leur offrant de la visibilité, mais ils ne savent pas nécessairement quelles sont les pratiques pour qu'un média s'intéresse à eux ou comment les contacter. Juste le fait d'avoir des médias alliés rend le contact plus facile. Rendre visibles les ressources qu'un média peut offrir à des groupes engagés permet de faciliter la communication.

J. L.-T. : J'apprécie la façon dont vous interagissez avec nous. C'est toujours important que nos histoires soient bien comprises. Je me sens entendue et comprise. C'est une très bonne étape pour bâtir de bonnes relations. Pensez à ce que vous pouvez offrir aux mouvements et à la dimension réciproque de cette relation.

ÀB ! : Quels sont vos souhaits pour l'avenir de la justice climatique ?

I. G. H. : Mon souhait serait de faciliter la transmission des savoirs militants qui sont présents et qui évoluent chaque jour afin d'être à la fois plus intersectionnel·les, c'est-à-dire de lier les luttes pour la justice, et plus réfléchi·es, penser de façon à centrer notre but pour ce qui est d'accomplir la justice climatique.

J. L.-T. : Je proposerais deux choses qui sont interconnectées. La première, pour le Hub, c'est de faire émerger la convergence des luttes. Je pense à une plus grande et plus profonde liaison des groupes de façon à faire comprendre les liens entre justice climatique et sociale. Je nous souhaite de reconnaître que le mouvement traditionnel climatique est l'un des plus privilégiés, souvent blanc, de classe moyenne ou haute classe moyenne. Si on peut utiliser les privilèges de ce mouvement comme levier au service et en solidarité pour les mouvements pour la justice sociale, nous verrons une magnifique convergence de pouvoirs et cela pourra accroître le nombre de personnes participantes. C'est de cette façon que l'on pourra s'unir malgré les différences et les divisions imposées dans le but de transformer le système hégémonique qui rassemble la convergence de l'élite.

Je nous souhaite aussi que les mouvements soient bien soutenus, que les personnes militantes se sentent bien, solidaires et inspirées par leur travail incroyable de changement de la société pour le meilleur.

Jacqueline Lee-Tam est directrice du Hub de mobilisation pour la justice climatique. Isabelle Grondin Hernandez est bibliothécaire francophone pour le Hub.

Quelle démocratie scolaire ?

La loi 40 sur l'organisation et la gouvernance scolaires, adoptée sous bâillon en février 2020, modifie substantiellement les rôles et les responsabilités des instances de (…)

La loi 40 sur l'organisation et la gouvernance scolaires, adoptée sous bâillon en février 2020, modifie substantiellement les rôles et les responsabilités des instances de gestion scolaire au Québec. Malgré la prétention du ministre de l'Éducation Jean-François Roberge de vouloir ainsi rapprocher la prise de décision de l'élève, l'adoption et la mise en œuvre de cette loi traduisent plutôt la négation des principes démocratiques et l'instauration d'une gouvernance scolaire au service du ministre de l'Éducation.

D'emblée, adopter une loi sous bâillon est une procédure antidémocratique. Il s'agit d'une mesure utilisée par un gouvernement pour limiter le temps parlementaire consacré au débat sur une motion ou sur un projet de loi, afin d'en accélérer l'adoption. Jadis, le terme « guillotine » était employé et il traduit bien la finalité de la procédure : trancher un débat en faveur du gouvernement. À peine 72 heures avant son adoption, le ministre de l'Éducation a déposé 82 amendements au projet de loi 40 ; les parlementaires et les autres acteurs scolaires n'ont pas eu le temps de les analyser en profondeur.

Sur le plan du contenu, ce projet de loi vise à revoir l'organisation et la gouvernance des commissions scolaires, qui deviennent des centres de services scolaires (CSS) administrés par un conseil d'administration composé de cinq parents, de cinq personnes représentantes de la communauté et de cinq membres du personnel scolaire. Malgré un déficit de légitimité attribuable à l'anémique taux de participation aux élections scolaires, les élu·es pouvaient auparavant discuter d'un enjeu en réunion ou en comité, prendre une décision et intervenir dans l'espace public en fonction des valeurs qui les animaient. Seule la direction générale du CSS peut maintenant s'exprimer dans l'espace public sur les enjeux scolaires de son organisation, ce qu'elle ne fait pas de manière critique à cause de son devoir de loyauté à l'endroit du ministre de l'Éducation.

Du côté des membres du CA, un même devoir de loyauté à l'endroit de l'organisation – le centre de services scolaire – plutôt qu'à l'endroit de l'institution – l'École – est inscrit à un règlement ministériel en vigueur depuis mars 2022. Il est couplé à un devoir de confidentialité, car les obligations des personnes administratrices des CA sont définies en vertu du Code civil du Québec : le CSS est une personne morale de droit public. Ainsi, toute critique d'une action du CSS par une personne membre de son CA peut être interprétée comme contrevenant au devoir de loyauté et associée à une « nuisance à la réputation » du CSS. Ce devoir de loyauté n'est pas véritablement assorti de droits, ce qui est implicite dans la formation offerte aux membres des CA.

En effet, la loi impose aux membres des conseils d'administration et des conseils d'établissement l'obligation de suivre une formation « élaborée par le ministre », mais plutôt sous-traitée à l'École nationale d'administration publique (ÉNAP). Telle que pensée et dispensée, cette formation s'apparente à un exercice de soumission à l'évangile de la Nouvelle gestion publique (NGP). Il s'agit là d'un mode de gestion publique calqué sur le mode de gestion privée et prescrit aux ministères et aux autres organisations publiques par la Loi sur l'administration publique adoptée en 2000, et prescrit dans le réseau scolaire plus spécifiquement grâce à des modifications successives à la Loi sur l'instruction publique. La gestion axée sur les résultats est une des dimensions de la NGP.

Ajoutons que la loi 40 permet au ministre d'imposer des regroupements de services et de déterminer des cibles dans un ou des CSS, et de communiquer directement avec les employé·es des CSS et les parents. Obligation est faite aussi pour un CSS d'obtenir l'autorisation du ministre pour acquérir un immeuble et pour les municipalités de céder gratuitement des terrains aux CSS. Le pouvoir d'intervention directe du ministre de l'Éducation est ainsi augmenté par rapport à la situation d'avant la loi 40, caractérisée par une démocratie représentative certes imparfaite, mais néanmoins institutionnalisée.

Une gouvernance scolaire au service du ministre

Dans les sociétés dites démocratiques, les discours politiques associés aux changements sont ponctués d'intentions vertueuses : renforcer la démocratie, encourager la participation citoyenne, rapprocher la prise de décision du terrain. La modification aux normes et aux structures de gestion scolaire au Québec ne fait pas exception à la règle. L'intention gouvernementale déclarée était de renforcer la démocratie scolaire et la participation des acteurs scolaires à la prise de décision, et de rapprocher celle-ci de l'élève. C'est toutefois dans la mise en œuvre des lois, règlements et politiques que surgissent les manquements aux principes démocratiques. C'est le cas ici puisque la nouvelle gouvernance scolaire se traduit concrètement par un renforcement du pouvoir d'initiative et d'action du ministre de l'Éducation, au détriment des pôles locaux de gestion et de gouvernance scolaires.

Cela explique l'implosion de certains CA à cause de la démission massive de leurs membres parents, comme au CSS des Chic-Chocs en Gaspésie et au CSS des Chênes au Centre-du-Québec. Les membres parents des CA ne sont pas des technocrates à la recherche de la virgule de trop dans des documents techniques. Ce sont plutôt des personnes socialement engagées et inspirées par des valeurs fortes ; elles participent bénévolement à la gestion scolaire afin de promouvoir leurs valeurs. Des conflits de valeurs ne tardent donc pas à se profiler, à cause d'une différence d'interprétation des rôles et des fonctions des CA (CSS des Chic-Chocs) ou à cause de l'atteinte à la liberté d'expression induite par une définition stricte du devoir de loyauté (CSS des Chênes).

Les formes de démocratie sont légion, mais dans tous les cas se dégage un principe axial : est démocratique un système à l'intérieur duquel une personne peut exprimer librement son accord ou son désaccord avec une idée ou avec un projet sans pour autant craindre que cela ne lui cause préjudice. Il est possible de se questionner à savoir si les cinq membres du CA employé·es du CSS sont à l'aise pour exprimer un point de vue dissident devant la direction générale, leur supérieur et employeur, qui leur propose en réunion des recommandations fondées sur l'expertise de son équipe de direction.

En ce qui concerne les délibérations du CA, il est aussi pratique courante que les sujets délicats soient discutés en plénière lors d'une rencontre précédant une réunion officielle et publique afin d'aplanir les tensions et prétendre ensuite sur la place publique à un consensus. Enfin, rappelons que la loi accorde au CA le pouvoir de déléguer certaines de ses fonctions à la direction générale d'un CSS. Il est préoccupant que dans plusieurs CSS, les règlements relatifs à la délégation des pouvoirs aient été adoptés à la hâte lors des toutes premières réunions des nouveaux CA alors que les membres étaient peu expérimentés et pas en mesure de saisir toutes les conséquences de cet acte délégatif.

Bref, nous ne pouvons pas compter seulement sur le gouvernement de la Coalition Avenir Québec pour instaurer la démocratie scolaire. Le nouveau ministre de l'Éducation Bernard Drainville ne perçoit pas « l'école à trois vitesses » comme un problème. Son objectif n'est pas non plus de rendre le système scolaire plus démocratique ; il veut plutôt le rendre plus efficient grâce à une gestion axée sur les résultats aveugles des finalités éducatives. En outre, il devra être attentif aux initiatives qui s'inscrivent dans la perspective de la démocratie scolaire participative. Notamment, les forums citoyens « Parlons éducation » se déploient au printemps 2023 dans 18 villes du Québec. Ils permettront de dégager les enjeux de l'éducation au Québec à partir des préoccupations des principales personnes concernées [1].


[1] Les idées proposées dans cet article sont développées dans cet ouvrage : Olivier Lemieux et Jean Bernatchez (2022). La gouvernance scolaire au Québec. Histoire et tendances, enjeux et défis. Presses de l'Université du Québec.

Jean Bernatchez est professeur en administration et politiques scolaires à l'Université du Québec à Rimouski.

Photo : Rosa Pollack (CC BY-NC-SA)

Les élites responsables du déficit d’empathie

Dans une lettre d'opinion publié sur Pivot, l'historienne Catherine Larochelle [1] m'a ouvert une nouvelle voie qui permet d'intégrer plus clairement la responsabilité des (…)

Dans une lettre d'opinion publié sur Pivot, l'historienne Catherine Larochelle [1] m'a ouvert une nouvelle voie qui permet d'intégrer plus clairement la responsabilité des élites politiques et médiatiques à ma réflexion sur l'empathie et sur son déclin dénoncé à grands cris par tant de nos contemporain·es.

Deux mots m'ont fortement interpellé dans cette lettre d'opinion en réponse au texte de Gérard Bouchard publié dans l'édition du Devoir du 28 novembre 2022 [2]. À la fin de son texte, elle écrit « […] nous avons tout à gagner, individuellement comme collectivement, à voir dans le passé plusieurs histoires, complexes et même contradictoires. Cela nous portera à embrasser le présent avec un regard plus compréhensif. Pas honteux ou coupable, mais compréhensif. » En mettant ainsi en relation l'un avec l'autre « histoires » et « compréhensif », il m'a fait replonger dans mes propres réflexions quant aux liens qui unissent récits et empathie.

Un phénomène émotionnel et cognitif

Contrairement à une croyance répandue, l'empathie ne signifie pas « ressentir l'émotion d'autrui ». Cette fausse perception a amené plusieurs à la considérer comme un apitoiement lacrymal impuissant et manipulateur. C'est ce que prétendent plusieurs auteur·rices, dont Anne-Cécile Robert et Megan Boler. Dans son livre La stratégie de l'émotion, Robert qualifie ce qu'elle appelle la « mécanique de l'empathie » de « soubresauts émotionnels ou des prurits lacrymaux qui envahissent l'espace public » et qui « impose[nt] des solidarités aux spectateurs ou aux lecteurs… » [3]. Avec le même désintérêt pour la nature et le fonctionnement de l'empathie, Boler s'emploie à la dévaloriser avec cette affirmation emblématique : « la différence entre l'empathie et la sympathie est simple : on ne peut avoir de l'empathie que pour la souffrance qu'on a déjà ressentie soi-même. » [4] Ces deux exemples montrent à quel point, en évitant de véritablement plonger dans la « mécanique de l'empathie », on peut utiliser sa dévalorisation pour soutenir un tout autre propos.

À l'opposé de ces dévalorisations de l'empathie se trouvent plusieurs chercheur·euses issu·es d'une approche interdisciplinaire de l'empathie, soit celle de la convergence de la psychologie sociale, de la neuroscience et de l'anthropologie. Daniel Batson, figure de proue de ces recherches interdisciplinaires, précise huit formes répertoriées de l'empathie dans la littérature. L'une d'elles est particulièrement intéressante et entre en contraste avec la vision énoncée précédemment. Elle peut être formulée ainsi : l'empathie, c'est la faculté par laquelle nous arrivons à nous imaginer ce que pense et ressent autrui comme si nous étions cette personne [5].

Cette définition, qui a pris le relais de celle proposée par Karl Rogers à la fin des années 1970, se distingue des précédentes en mettant une certaine emphase sur la dimension cognitive de l'empathie. Imaginer l'état d'esprit d'autrui, c'est s'en faire une représentation mentale. Pour y arriver, au-delà de la reconnaissance de l'émotion elle-même, il est nécessaire d'accueillir son histoire et de la laisser prendre place en nous. Comment faire autrement ? Imaginer, n'est-ce pas littéralement se « construire une image » de ce que ressent et pense autrui ? Il ne s'agit donc pas principalement de ressentir ses émotions, mais bien de comprendre ce qui l'anime, constituer un composé complexe de son parcours sur le long terme tout autant que des événements récents qui lui sont arrivés. N'est-ce d'ailleurs pas ce qu'on fait naturellement lorsqu'on trouve une personne en pleurs et qu'on lui demande « qu'est-ce qu'il t'arrive ? » Il n'est d'empathie que dans l'admission du récit d'autrui.

La confrontation des récits

Or, en paraphrasant le titre de l'ouvrage de Philippe de Grosbois, de nos jours, certains récits entrent en collision et deviennent en quelque sorte incompatibles. L'histoire des pensionnats autochtones au Québec s'inscrit mal dans le récit national du Québécois asservi et bienveillant. Celle des migrant·es traversant le fameux chemin Roxham confronte celle de la survie du peuple valeureux assailli de toutes parts. Les témoignages répétés de profilage racial contredisent la certitude d'être la société « la plus accueillante et la plus tolérante au monde ». Parmi ces perceptions, il n'y a pas celles vraies et celles fausses, elles sont, selon les termes de Larochelle, le produit de faits historiques valorisés, choisis, pour construire une mémoire collective, un récit commun.

Cette confrontation entre des récits nouveaux à nos oreilles et celui que raconte la mémoire collective a un effet délétère documenté sur l'empathie. Sur le plan culturel, elle pose le défi d'intégrer ces mémoires réfractaires l'une à l'autre pour arriver à une nouvelle narration qui sera nécessairement plus complexe et probablement moins célébrante. Sur celui psychologique, elle force une distanciation intérieure plus inconfortable avec sa propre identité pour laisser place à un « corps étranger » qu'on doit finir par accepter sans se dénaturer.

Les recherches en neurosciences ont démontré combien les croyances, ces produits essentiellement culturels, jouent sur l'aiguillage neuronal qui traite les informations, incluant les récits d'autrui. Les histoires conformes à nos opinions sont traitées normalement par le cortex cérébral, domaine de la pensée rationnelle. À l'opposé, celles qui confrontent nos croyances sont dirigées directement vers le systèmee limbique, site des émotions. Ainsi, le cerveau humain traite les informations contraires à nos certitudes comme il fait avec un virus : il cherche à les éliminer. Ainsi, en court-circuitant la pensée rationnelle, ces histoires discordantes se trouvent simplement écartées, soustraites au traitement cognitif. En d'autres mots, pour celui qui les reçoit, elles n'existent simplement pas. Rien de surprenant à ce que certains sujets provoquent autant et si systématiquement des réactions épidermiques chez plusieurs.

La mémoire, un levier de pouvoir

C'est ici qu'intervient à nouveau le texte de Larochelle. Elle nous rappelle que nous ne sommes pas tous·tes aussi influent·es dans la construction de la mémoire commune : les élites politiques, médiatiques et communautaires y jouent un rôle non négligeable. Par leur prise de parole, ces personnes font le lit de la conscience collective qui favorise l'accueil ou le rejet des récits d'autrui. Quand, depuis leur chaire politique ou par des textes récurrents dans un journal, plusieurs qualifient d'anecdotique l'expérience des un·es et associent le sort des autres à un risque pour la survie nationale, quand ces personnes transforment l'accueil de réfugié·es ou les demandes territoriales et culturelles des Autochtones en menaces, la possibilité pour chaque membre de la communauté d'accueillir les récits étrangers se réduit comme peau de chagrin. Et que dire de ces trop nombreuses situations où l'expérience, les aspirations et l'identité même de ces multiples « autres » se trouvent réduites à un quolibet, une étiquette. « Féministe radicale, communautariste, islamogauchiste, woke » et leur kyrielle d'équivalents n'ont comme mission que de dévaloriser, voire de déshumaniser autrui.

Tant de voix fortes se plaignent du manque de civilité, de respect, voire d'empathie dans l'espace public, qu'il soit numérique, politique ou communautaire, alors même qu'elles sont largement responsables de cette situation. Chaque personne détenant le rare privilège de se faire entendre par les différentes communautés, « majorité historique » ou minorités toutes autant historiques, doit prendre conscience de son rôle et de son devoir éthique. Il s'agit non seulement d'écrire cette nouvelle mémoire collective, mais de la définir pour qu'elle soit un terreau favorable à l'empathie et à la bienveillance.

Si les mythes président à la collaboration au niveau des grands ensembles humains, l'empathie agit à l'échelle des individus. Revalidée, elle peut reprendre le rôle historique qu'elle a joué dans l'histoire humaine. « Je te comprends, tu me comprends, dès lors nous pouvons agir ensemble pour notre bien. » Encore faut-il que la construction d'une telle société, que le discours ambiant qui la décrit comme tolérante et accueillante, soit leur véritable objectif.


[1] Catherine Larochelle, « La mémoire québécoise, au-delà de la misère canadienne-française : réponse à Gérard Bouchard — Lettre d'opinion », Pivot, 7 décembre 2022, pivot.quebec/2022/12/07/la-memoire-quebecoise-au-dela-de-la-misere-canadienne-francaise-reponse-a-gerard-bouchard

[2] Gérard Bouchard, « À la défense des Québécois », Le Devoir, 28 novembre 2022

[3] Anne-Cécile Robert, La stratégie de l'émotion, Montréal, Lux Éditeur, 2018, p. 64.

[4] Traduction de la rédaction. « Empathy is distinct from sympathy on the common sense that I can empathize only if I too have experienced what you are suffering. » Megan Boler, Feeling Power, New York, Routledge, 1999, p. 157.

[5] Daniel Batson, « These Things Called Empathy : Eight Related but Distinct Phenomena », The Social Neuroscience of Empathy, Boston, MIT Press, 2009, p.9

André Bilodeau, M.D. est professeur agrégé au département de médecine familiale à l'Université McGill.

Illustration : Elisabeth Doyon

La musique engagée

6 octobre 2024, par Isabelle Bouchard, Philippe de Grosbois — , , ,
Souvent ignorée ou regardée de haut, y compris à gauche, la musique populaire a pourtant un atout considérable : elle est populaire. Elle contribue à rassembler, à fédérer. (…)

Souvent ignorée ou regardée de haut, y compris à gauche, la musique populaire a pourtant un atout considérable : elle est populaire. Elle contribue à rassembler, à fédérer.

Comme l'écrit le sociologue et philosophe Hartmut Rosa, si la musique « nous touche autant, c'est bien parce qu'elle entre en résonance (…) avec nos propres relations au monde ». La musique peut traduire des réalités partagées avec pour seuls outils des sonorités, un rythme et des paroles. Cette richesse et cette puissance de la musique populaire, on en prend la pleine mesure lorsque de l'effervescence d'un soulèvement de grande envergure émerge un hymne, un chant, un slam. La musique engagée est alors à la fois un produit du mouvement et l'un de ses catalyseurs. Le succès d'une pièce ne dépend pas seulement de la personne qui l'a produite, mais de son appropriation collective.

Au Québec, lorsqu'on pense à la musique engagée, on a tendance à évoquer Paul Piché, Richard Séguin, ou si on est (un peu) plus jeune, les Cowboys Fringants. Pourtant, la musique engagée n'est pas propre à un style : elle émane de la volonté d'interpeller ses semblables, de transmettre une réalité, d'apostropher le pouvoir par le biais d'une démarche artistique singulière. Ce mini-dossier en donne un aperçu, à travers l'hymne de la révolte iranienne contemporaine, le hip-hop montréalais, l'histoire du punk québécois, et la chanson ilnue. Vous trouverez également le top 3 de quelques membres du collectif de rédaction.

Bonne lecture !

Un mini-dossier cordonné par Isabelle Bouchard et Philippe de Grosbois

Illustrations : Ramon Vitesse

Ce que je dois à Bruno Latour

Bruno Latour, sociologue, anthropologue, théologien et philosophe des sciences français, est décédé le 9 octobre dernier. Né en 1947, il était parmi les chercheur·euses les (…)

Bruno Latour, sociologue, anthropologue, théologien et philosophe des sciences français, est décédé le 9 octobre dernier. Né en 1947, il était parmi les chercheur·euses les plus cité·es dans la grande famille des sciences humaines.

Vous ne lirez pas un texte de spécialiste de Bruno Latour. En outre, je ne me consacrerai pas à une critique de son œuvre. Les prises pourraient être nombreuses (politiques, médiatiques ou intellectuelles). Mais, suivant la coutume lors d'un décès, je vais m'en tenir à ce qui mérite reconnaissance. J'ai la conviction que, comme beaucoup d'autres, j'ai une dette importante à son endroit.

J'ai été amené à découvrir Latour assez récemment. Sa lecture s'est imposée dans un moment de doute professionnel assez radical. Il y a quelques années, je donnais un cours sur les problèmes sociaux et les mouvements sociaux. Quelque chose clochait avec la série de cours sur l'écologisme. Il allait de soi que la crise climatique et l'effondrement de la biodiversité devaient y occuper une place centrale.

Mais les cours sur l'enjeu écologique se présentaient comme un appendice étrange dans une session faite de sociologie par ailleurs plutôt classique : pendant une douzaine de semaines, il était question de classes sociales, d'institutions sociales, de syndicats, d'États, de monnaie, d'organisation du travail ou des soins, de domination masculine, de stigmatisation – en définitive, que des relations interhumaines. Je parlais, semble-t-il, d'un monde (et dans un monde) dépourvu de vaches, d'écureuils, d'érables ou de champignons.

Puis, soudainement, le monde se repeuplait d'une pluralité d'êtres lorsqu'on abordait les questions écologiques et climatiques – des bélugas et des baleines noires, des épinettes, des glaciers, des tourbières, du pétrole… tout un monde de codépendances fragiles et menacées se dessinait. Évidemment, ce ne sont pas les deux ou trois semaines sur la question écologique qui posaient problème… Ce sont plutôt toutes ces semaines de sociologie « normale » qui m'apparaissaient alors comme peu adaptées aux nouvelles coordonnées sociales et politiques de l'époque.

En finir avec la séparation nature-culture

L'une des lignes de force de l'œuvre tardive de Latour me semble tenir dans une attention aux manières de dire. Il s'agit en définitive de ne pas se piéger dans des problèmes mal formulés [1]. Ainsi en est-il selon lui (et d'autres, comme Philippe Descola) de la distinction entre nature et culture. Cette séparation ne recouvre rien d'observable ou d'expérimentable. Il n'y a nulle part un pôle « humain » vivace, changeant, subjectif, imaginatif, « libre » qui ferait face à un pôle « nature » a-subjectif, déterminé, fixe, répétitif et objectif.

Si cette séparation est au cœur des représentations à la base du projet de modernisation occidentale, elle ne recouvre en fait aucune réalité. Ce qui existe, nous dit Latour, c'est un enchevêtrement complexe de relations terrestres liant des vivants humains et non humains, les produits de leur action (terre arable, atmosphère, compost, etc.) et des infrastructures. Tout ça sur un même plan d'immanence, ici-bas. Il s'agit en somme de reprendre de l'intérieur, en terrestre, la tâche de description du monde. Le travail intellectuel du Latour écologiste est de donner à voir un monde dans lequel on a multiplié les puissances d'agir (des microbes aux loups, des érables au phytoplancton) contre l'extraordinaire appauvrissement moderniste qui réduit tout à l'humain. Avec Latour, ce que la pensée moderne occidentale situait comme un décor inerte et extérieur, un environnement, s'anime soudain, entre en relation, agit et réagit.

Sur cette base, Latour propose une sorte de matérialisme assez radical. Non seulement il n'y a qu'une seule terre, mais, plus précisément, il n'y a, pour nous terrestres, que la zone critique de cette terre, cette petite couche habitable de quelques kilomètres où prolifèrent, s'entrecroisent, se composent et se décomposent des formes multiples de vie. Il va même pousser cette description matérialiste dans une veine presque marxiste [2] dans Face à Gaïa. Au cœur de cette fine zone critique, nous dit-il, ce sont les vivants eux-mêmes qui produisent, par leur action et dans leurs relations, les conditions permettant la vie (de l'oxygène qu'on respire à la terre sous nos pieds). Un étrange marxisme cependant où l'on peut imaginer un camarade caribou ou un compañero champignon.

Politique : atterrir sans être réac [3]

À la fin de sa vie, Latour tentera de formuler une pensée politique en cohérence avec cet ancrage terrestre. C'est en particulier le projet Où atterrir ?. Comme toute personne sensible aux questions écologistes, il est clair pour lui que la poursuite de la modernisation (qui passe par la croissance infinie et le productivisme, entre autres) constitue un projet hors-sol auquel aucun monde concret ne correspond. Il nous faudrait, semble-t-il, 4,7 planètes pour généraliser le mode de vie canadien à l'échelle mondiale. C'est évident, il nous faudra donc revenir sur terre.

Cet atterrissage, cependant, se fera sans le secours des « élites modernisatrices ». Il semble acquis pour Latour que cette « classe dominante » prendra coûte que coûte une direction autodestructrice (et ce, en toute connaissance des ravages et de l'inanité d'un tel projet). Les exemples abondent, que ce soit François Legault – « l'environnement, mais pas aux dépens de l'emploi » – ou, plus récemment, le président français Emmanuel Macron – « qui aurait pu prédire la crise climatique ? », se demandait-il dans ses vœux de fin d'année 2022. Et, bien entendu, on pense à Donald Trump, Jair Bolsonaro, Pierre Poilièvre, Danielle Smith ou à Exxon, Total et Enbridge.

Mais il nous faut en outre signifier autrement le sol ou l'ancrage territorial où il convient d'atterrir. Il y a une idéologie nostalgique et réactionnaire, souvent raciste et patriarcale, du retour au sol (toujours national) à désactiver. « La terre ne ment pas ! » disait le maréchal Pétain, « blood and soil ! », scandaient les fascistes à Charlottesville. Plus près de nous, pensons au mythe ultraconservateur de la vocation agricole (et catholique) canadienne-française. Notre tâche politique, au contraire, est de penser une vie habitable et prospère, hospitalière et, pourquoi pas, joyeuse, mais ancrée au cœur de relations assumées de codépendances situées. Et tout ça en élargissant radicalement le cercle des êtres à inclure.

On le voit, pour Latour, il ne suffit pas d'ajouter le préfixe « éco » à un projet (socialiste ou syndicaliste, par exemple) qui resterait inchangé dans ses fondements. Il s'agit de tout repenser et de tout refaire avec l'écologisme pour boussole. Il nous incombe d'abord, pense-t-il, de redessiner un projet où il ne s'agit pas tant de s'autonomiser ou de s'émanciper que de tracer les contours d'une communauté qui assume ses codépendances. Enfin, la tâche politique écologiste consiste aussi à retisser les réseaux de solidarité et d'alliances nécessaires à la construction d'une « classe écologiste » porteuse dudit projet. Y'a du boulot…

Une constellation

Découvrir Latour, c'est enfin s'ouvrir à une constellation de pensées proches qui, chacune à leur manière, dessinent ce retour sur terre. Il y a l'extraordinaire Champignon de la fin du monde d'Anna Tsing. À partir d'un champignon qui prolifère dans les coupes à blanc du Nord-Ouest américain, le mitsutake, Tsing reconstruit une histoire concrète et relationnelle du capitalisme contemporain tout en ouvrant un questionnement éthique vertigineux : comment apprendre à habiter dans les ruines du monde ? On peut aussi penser au fabuleux L'Arbre-monde de Richard Powers. Dans ce roman, Powers nous donne à voir et à sentir de façon magistrale les rapports singuliers et multiples qui se tissent en contexte nord-américain entre des arbres et des humains.

Mentionnons aussi Timothy Mitchells qui, dans Carbon Democracy, prend au sérieux les propriétés matérielles du charbon et du pétrole. Le charbon, lourd et concentré, nécessitant une force de travail colossale, offrait tactiquement la possibilité au mouvement ouvrier de bloquer assez aisément mines et chemins de fer. En comparaison, les propriétés matérielles du pétrole n'offrent rien de tel. J'aurais dû parler du vieux chien de Donna Haraway, des oiseaux de Vinciane Despret, des loups de Baptiste Morizot, de l'histoire environnementale des idées de Pierre Charbonnier, du monde des Gwich'in ou de la rencontre avec un ours de Nastassja Martin, des forêts pensantes d'Eduardo Kohn…

Une constellation qui nous donne à voir ce monde enchevêtré et « relationniste » que décrivait Latour et qu'il nous échoit d'habiter et de défendre.


[1] C'est une idée que développe de belle façon Philippe Pignarre dans une conférence sur Latour à la Société Louise-Michel (la conférence peut être retrouvée sur ce site : www.societelouisemichel.org)

[2] C'est d'autant plus étrange quand on connait l'animosité qui a longtemps marqué les relations de Latour avec les marxistes et les bourdieusiens.

[3] On parle ici du Latour écologiste de la fin. S'il a longtemps été plutôt centriste, voire libéral, Latour se radicalise progressivement dans les années 2000.

Benoit Tellier est professeur de sociologie au collégial et militant à Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique.

Photo : Bruno Latour (Wikicommons)

Barâyé, la nouvelle révolution iranienne

Dans les heures suivant sa publication le 28 septembre 2022, la chanson « Barâyé » de Shervin Hajipour a embrasé Internet avant d'être reprise par les manifestant·es (…)

Dans les heures suivant sa publication le 28 septembre 2022, la chanson « Barâyé » de Shervin Hajipour a embrasé Internet avant d'être reprise par les manifestant·es iranien·nes à travers le pays et autour du globe. En peu de temps, la chanson, dont le titre signifie « pour » ou « à cause de » en persan, est devenu l'hymne de la révolte iranienne.

Ce mouvement, mené d'abord par les femmes et les jeunes du pays, fut enclenché deux semaines plus tôt en réaction à la mort en détention de Mahsa Jina Amini, jeune femme kurde de 22 ans, arrêtée par la police de la moralité pour cause de voile mal porté. Funeste dénouement d'une intervention autrement trop familière tout autant que dérangeante pour les 40 millions de femmes iraniennes – dont plus de 50 % sont nées après la révolution de 1979. Cette mort entraînera dans la rue la multitude des mécontent·es, mais aussi des pans de la population habituellement attachés au statu quo. Jina Amini aura donc été la victime de trop dans une société où les tensions économiques, politiques et sociales étaient déjà à leur comble et qui chaque jour semblaient tâter les limites de la résilience d'un peuple. Le mouvement en cours s'inscrit dans une histoire de 44 ans de contestation de la dictature religieuse, depuis son imposition après qu'une autre révolution, celle de 1979, eut renversé la dictature précédente, celle du Shah.

Dans sa chanson, Shervin Hajipour reprend toutes les raisons barâyé (c'est-à-dire « pour ») lesquelles son peuple en vient à prendre la rue. Ses paroles sont l'assemblage d'une multitude de tweets publiés dans les premiers jours des manifestations, de gens ordinaires exprimant leur souffrance quotidienne et qui, avec une formulation commune, énoncent les raisons qui les poussent à manifester. Shervin leur prête sa voix dans une vidéo filmée dans sa chambre, image sur laquelle se superposent les tweets qui constituent la base de ce texte participatif. Son contenu est vaste et couvre, du personnel au politique, des raisons si variées qu'on ne les compte plus. Certaines sont propres au contexte théocratique et dictatorial : interdictions religieuses, inégalités de droit, endoctrinement et répression brutale, dans un Iran frappé par des sanctions économiques qui s'éternisent et leur gestion destructrice par les autorités du pays. D'autres font écho aux maux dont l'affliction est universelle : pauvreté et inégalités sociales croissantes, corruption, destruction de l'environnement, iniquités de genre, discriminations ethniques. Malgré la douleur qui se transmet au-delà du langage, la chanson est poignante par l'espoir qu'elle cherche à transmettre et qui culmine dans le slogan de la révolution en cours « Femme, Vie, Liberté », slogan que l'on doit à la culture politique kurde, résolument tournée vers l'anti-autoritarisme et l'égalité des sexes.

Vue des millions de fois avant le retrait imposé du clip, la chanson a valu à l'auteur une détention et des accusations de propagande contre le régime. Suivant sa remise en liberté sous conditions, Shervin Hajipour publie une vidéo d'aveux, que tout porte à croire qu'ils sont forcés. Or, la chanson, qui était déjà devenue un symbole au-delà de son auteur et était restée largement disponible en ligne à travers les comptes de divers usager·ères, a pris un essor suivant l'arrestation de Shervin. Elle a été chantée d'innombrables fois dans les manifestations autour du globe, arrachant à chaque coup quelques larmes, et traduite en plusieurs langues, dont le français, l'anglais et l'espagnol. Elle est maintenant en lice pour un nouveau prix aux Grammy Awards soulignant la « meilleure chanson pour le changement social », soumise par le public près de 100 000 fois.

Daria Khadir, d'origine iranienne, est étudiante en génie de la construction et a participé à la traduction de Barâyé en français ainsi qu'à la production de la version québécoise.

Voir l'adaptation française de Barâyé par des artistes québécois : youtu.be/4mMqDzofYZk

Illustration : Ramon Vitesse

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