Revue À bâbord !

Publication indépendante paraissant quatre fois par année, la revue À bâbord ! est éditée au Québec par des militant·e·s, des journalistes indépendant·e·s, des professeur·e·s, des étudiant·e·s, des travailleurs et des travailleuses, des rebelles de toutes sortes et de toutes origines proposant une révolution dans l’organisation de notre société, dans les rapports entre les hommes et les femmes et dans nos liens avec la nature.
À bâbord ! a pour mandat d’informer, de formuler des analyses et des critiques sociales et d’offrir un espace ouvert pour débattre et favoriser le renforcement des mouvements sociaux d’origine populaire. À bâbord ! veut appuyer les efforts de ceux et celles qui traquent la bêtise, dénoncent les injustices et organisent la rébellion.

Glossaire

9 juin 2024 —
Ce glossaire maison ne vise pas à figer le sens des termes qu'il définit, encore moins à fixer une norme lexicale. Il répond à un vœu plus modeste : faciliter la lecture du (…)

Ce glossaire maison ne vise pas à figer le sens des termes qu'il définit, encore moins à fixer une norme lexicale. Il répond à un vœu plus modeste : faciliter la lecture du présent dossier. Nous avons pris le parti de ne pas uniformiser certains termes. La variabilité témoigne selon nous de l'effervescence qui accompagne toute révolution, y compris dans nos manières de parler et de penser.

Queer – Insulte (« étrange », avec une connotation négative) ayant été renversée en terme affirmatif. Queer est désormais une désignation parapluie réunissant des identités, des communautés, des mouvements, des pensées, des théories qui ne correspondent pas aux normes sexuelles et de genre.

LGBTQIA2S+ — Une des multiples formes que peut prendre l'acronyme réunissant les minorités sexuelles et de genre. Lesbiennes, Gais, Bisexuel·les, Trans, Queers/en Questionnement, Intersexes, Asexuel·les/Aromantiques/Allié·es, Bispirituel·les (Two-Spirits, terme utilisé chez certains Premiers Peuples pour désigner les personnes rompant avec les normes sexuelles et/ou de genre).

Genre/sexe — Le mot « sexe » est ici réservé au plaisir qu'on a seul·e, à deux ou à plusieurs. Il ne désigne donc pas des catégories homme/femme venant avec tout un ensemble de caractéristiques jugées naturelles et éternelles. Le genre désigne la construction sociale et historique des hommes et des femmes, des attentes en matière de rôles sociaux, de comportement, d'apparence, de capacités, etc. Il est empreint de stéréotypes, de préjugés, de violences. Le genre est une réalité identitaire, une manière de sentir et d'agir, en adéquation ou non avec telle ou telle caractéristique anatomique.

Binarité/dualité de genre – Approche réduisant la diversité des genres au nombre de deux (masculin/féminin). Cette réduction implique d'accentuer les différences en les opposant et, au sein du patriarcat, en les hiérarchisant.

Personnes non binaires/non-binarité de genre/fluidité de genre/genderqueer/genderfuck — Diverses façons de sortir de la binarité de genre et de l'équation génitalité=genre. Genderqueer et genderfuck désignent la perturbation de la binarité de genre par sa manière d'être et d'agir. Non binaire est un terme parapluie qui permet à des personnes qui ne se sentent pas tout à fait ou pas du tout l'un ou l'autre des genres masculin ou féminin de nommer cette existence. La notion de fluidité implique un mouvement, ponctuel, continu ou intermittent dans le domaine des genres par certaines personnes.

Drag king/drag queenDrag queen s'applique aux personnes (généralement masculines) qui performent le genre féminin, souvent dans un cadre artistique ; drag king, aux personnes (souvent féminines) qui performent le genre masculin.

Cis/cisgenre/cisidentité — Désigne les personnes dont le genre ressenti et vécu correspond à celui qui leur a été assigné à la naissance, souvent sur la base de la génitalité. Par opposition à trans/transgenre.

Hétérocis/Cishétéro — Nom ou adjectif désignant une personne à la fois cisgenre et hétérosexuelle. On dit aussi parfois cis-het dans le langage courant.

Normes de genre/hétérocisnormativité/cishétéronormativité/hétérocispatriarcat — Règles sociales qui cherchent à figer et à rendre obligatoires l'hétérosexualité et la cisidentité des individus. Ces normes impliquent souvent la violence et l'exclusion à l'endroit de ce qui s'en écarte. Le concept d'hétérocispatriarcat souligne le fait que le patriarcat inclut généralement l'imposition de normes hétérosexuelles et cis.

Straight — Orientation et identité de genre hétérocis. Plus largement, un état d'esprit straight est conforme aux normes hétérocis et s'oppose à la subversion queer des normes sociales et de genre.

TERF — Acronyme venant de l'anglais Trans-Exclusionary Radical Feminism soit « féminisme radical trans-exclusif ». Le mot désigne la forme spécifique de transphobie observable chez certaines féministes.

Iel/ille/elleux/celleux/le·a/etc. — Série de pronoms de formation récente nécessaires ou bien à un langage inclusif (iels inclut tout le monde) ou bien à la désignation appropriée aux identités non binaires. Avec de la bonne foi et le désir de respecter la diversité des identités, l'usage est moins compliqué qu'il n'y paraît.

Intersectionnalité — Terme que l'on doit à la juriste Kimberlé Crenshaw et qui désigne l'entrecroisement de deux ou plusieurs phénomènes d'oppression chez des personnes et des groupes (par exemple les personnes queers et racisées). L'intersectionnalité des oppressions désigne non seulement le cumul des oppressions qui frappent certaines personnes, mais plus encore la spécificité de certaines oppressions qui ne se ramènent pas à la somme des parties (par exemple, une femme racisée ne se fait pas discriminer de la même façon qu'une femme blanche ni qu'un homme noir). Le sens du terme s'est rapidement élargi pour parler du croisement des luttes contre les oppressions.

Le point de départ des fiertés était une émeute

Si la naissance des Fiertés était une action radicale, difficile aujourd'hui d'en discerner l'héritage. Le point de départ historique des Fiertés est une émeute en réponse (…)

Si la naissance des Fiertés était une action radicale, difficile aujourd'hui d'en discerner l'héritage.

Le point de départ historique des Fiertés est une émeute en réponse à une descente policière au bar Stonewall Inn à New York en 1969. Toute identité sexuelle et/ou de genre qui ne correspond pas à l'hétérocisnormativité est alors pourchassée sans relâche, ce qui modèle profondément, entre autres, le rapport à l'espace public. L'homosexualité et les identités ou performances de genre dissidentes (personnes trans, drags, « travesti·es », etc.) sont traitées comme quelque chose d'anormal et, par conséquent, d'illégal. Des vies entières sont reléguées à une existence intermittente et aux chuchotements des rares espaces sécuritaires – si ce n'est au silence. Les soirées, les bars, les allées, les parcs ou encore les salons privés appartiennent à la culture du secret. Dans ce contexte, la peur d'être découvert·e et celle de représailles affecte chaque seconde du quotidien.

En ce sens, il faut réaliser l'audace que représente l'émeute de Stonewall : le refus de la honte et l'affirmation du droit à être soi de manière publique. Des individus se révoltent contre tout un système en s'opposant à la normalisation de la violence policière, à la criminalisation de leur existence et à leur exclusion sociale. Ne l'oublions jamais, ces émeutes sont menées par des personnes marginalisées, parmi lesquelles on compte des personnes trans, des travailleur·euses du sexe, des personnes en situation d'itinérance, des personnes racisées. Les premières marches sont donc un énorme doigt d'honneur aux normes. C'est revendiquer le droit à la rue, à être visible et audible sans pour autant subir le harcèlement ou la violence étatique. C'est une politisation des identités LGBTQ+ qui s'ancre dans une justice spatiale. Car le droit à occuper l'espace public n'est pas anodin quand votre existence est considérée comme une honte que vous devriez avoir la décence de maintenir cachée.

Peut-on encore être fier·es ?

La Fierté, à son point de départ, était une émeute… mais il est difficile de s'en souvenir tant sa version moderne semble incarner tout ce que les événements de Stonewall avaient rejeté en bloc. En somme, le capitalisme a fait ce qu'il sait faire de mieux : s'adapter pour se maintenir, marchandiser ce qu'il ne pouvait détruire. Désormais, la majorité des Fiertés en Occident se déroulent sous les couleurs de grandes entreprises qui investissent massivement afin de faire figurer leurs logos auprès du drapeau arc-en-ciel. Tandis que des candidat·es politiques défilent en se targuant d'être des allié·es de la cause, des chansons à la mode sont diffusées sous les applaudissements de la foule, qui se précipite pour attraper des goodies payés par les bars partenaires des fêtes. Entre deux associations de défense de droits, certaines ayant dû payer pour avoir l'autorisation de défiler, des corps de métiers sont représentés – et parmi eux : la police. Considérez ceci : la Fierté, supposé héritage d'une émeute lancée contre les violences policières, accueille désormais au sein du défilé la police en uniforme et en voiture de fonction, alors même que le taux élevé de violences policières contre les communautés trans et/ou racisées et/ou autochtones ne cesse d'être documenté et dénoncé.

Une présence qui ne passe pas inaperçue

En 2016, le défilé de Pride Toronto est arrêté par un contingent de Black Lives Matter (BLM). Assis·es au sol afin de bloquer la marche, les militant·es noir·es et queers posent une série de demandes. Iels refusent en particulier que la police puisse continuer de défiler parmi les contingents. Ces revendications sont accueillies par les huées de la foule, frustrée que les festivités soient bloquées. Certain·es vont jusqu'à leur lancer des bouteilles de plastique vides, mais les activistes tiennent bon et BLM obtient gain de cause. L'événement provoque une onde de choc dans de nombreuses Fiertés à travers le monde. Plusieurs prennent position en amont sur la présence de la police lors des célébrations, ce qui déclenche des débats dans le milieu LGBTQ+. Suffisant pour revenir aux racines radicales de l'esprit de ces marches ? Pas sûr.

Instrumentalisation des communautés autochtones

Cette année, c'est un scandale de malversations financières qui entache Pride Toronto, incluant en prime l'instrumentalisation de communautés autochtones. L'affaire, survenue en 2018 et 2019, a été investiguée et dénoncée notamment par l'historien Tom Hooper, qui a produit un rapport détaillé sur le sujet [1]. Pride Toronto est accusée d'avoir trompé des subventionnaires et menti sur l'avancement de projets dans le but de sécuriser des fonds de plusieurs centaines de milliers de dollars. Une partie de cet argent est obtenu alors que Pride Toronto prétendait avoir un contrat avec le célèbre artiste d'ascendance crie Kent Monkman – ce qui était inexact.

Monkman et son équipe avaient d'abord proposé de mettre sur pied tout un projet d'exposition itinérante qui devait présenter des œuvres d'art sur l'histoire des personnes LGBTQ2S+ avant et après Stonewall. L'exposition devait aller à la rencontre de plusieurs communautés autochtones à travers toute l'Île de la Tortue, y compris des communautés éloignées et marginalisées. Mais cette collaboration avait été rompue par l'artiste après que l'organisme ait exigé les pleins droits de propriété sur ses œuvres. Pride Toronto s'abstient d'en avertir les subventionnaires et continue d'utiliser le prétexte de l'exposition pour obtenir plus de fonds.

L'affaire, rocambolesque, ne s'arrête pas là et les accusations sont nombreuses. Pride Toronto prétend ainsi travailler en collaboration avec plusieurs communautés autochtones et groupes LGBTQ2S+ divers. L'organisme fournit des lettres de soutien en ce sens, mais leur authenticité est aujourd'hui remise en question : on soupçonne que d'anciennes lettres aient été recyclées. Pride Toronto avait aussi promis d'embaucher une cinquantaine d'enseignant·es et facilitateur·ices issu·es de communautés autochtones pour prendre part à l'exposition. Or, l'argent aurait été utilisé pour de tout autres dépenses. Actuellement, on parle d'un million de dollars dont les modalités d'obtention et/ou l'usage sont suspects. De mille manières, le rapport de Tom Hooper dénonce ainsi l'exploitation de la main-d'œuvre et le non-respect des créations des communautés autochtones.

Pour couronner le tout, en 2018, les représentant·es de Pride Toronto auraient passé un accord avec le gouvernement pour obtenir toujours plus de subventions, en échange de quoi iels s'engageraient à réintroduire la police dans le défilé. C'était deux ans seulement après la dénonciation de BLM et sans consulter les membres qui avaient voté pour l'exclusion de la police du défilé.

En somme, Pride Toronto est devenu un exemple très concret de la continuité de pratiques et systèmes coloniaux racistes au sein de l'institution qu'est devenue la Fierté.

L'histoire comme mise en garde

Et il ne s'agit pas seulement de Pride Toronto et de ses malversations financières, bien que celle-ci soit un des exemples les plus extrêmes de ce qu'est devenue la culture de la Fierté. De Paris, avec la Marche de fierté anticapitaliste et antiraciste, à Zurich, avec la Fierté de Nuit, en passant par Barcelone et La Fierté critique : dans le monde entier naissent actuellement des mouvements qui se positionnent comme des alternatives aux Fiertés officielles. La Fierté est de plus en plus rejetée comme temple du capitalisme et de la dépolitisation de nos revendications.

Finalement nous devrions prendre l'histoire de la Fierté comme un récit de mise en garde. Il nous faut apprendre de nos tentatives de révolution – et, malheureusement, de leurs échecs. Si les systèmes d'oppression se maintiennent et se renforcent, c'est parce qu'ils se modernisent et surtout parce qu'ils s'adaptent. Ils s'adaptent si rapidement, de manière si fluide et complexe qu'un effort révolutionnaire, populaire et sans précédent peut tout de même aboutir à la marchandisation de nos identités. Mais nous pouvons toujours apprendre de nos échecs.

Le point de départ des Fiertés était une émeute et dans une émeute, il n'y a pas de défilés sponsorisés, pas de public pour applaudir, pas de chars subventionnés par les banques et pas de trajet prédéfini par les pouvoirs publics. Une émeute part de la colère et du trop-plein, fait bouger les corps et fonctionne comme un tremblement de terre : elle part de fractures sociales et provoque une onde de choc qui vise à ébranler le statu quo. Une émeute peut renverser les rapports de pouvoir car, de manière fondamentale, elle s'oppose à l'idée même de la violence légitime de l'État. Quoi de plus normal, par conséquent, qu'une émeute puisse autant inquiéter les classes dirigeantes ? Notre souci dès lors devrait être le suivant : celui de raviver les braises de l'émeute pour qu'elle ne cesse d'être l'émeute.


[1] Tom Hooper, « Misdirection of Funds and Settler Colonialism : Pride Toronto Grants from the Department of Canadian Heritage ». Disponible en ligne.

Illustration : Mathilde et Collages Féminicides Montréal

Vivre au bord du précipice du monde

Deux siècles de frondes et de révoltes féministes, antiracistes, anticoloniales et queers travaillent à ébranler les fondements de l'édifice patriarcal cishétéronormatif et les (…)

Deux siècles de frondes et de révoltes féministes, antiracistes, anticoloniales et queers travaillent à ébranler les fondements de l'édifice patriarcal cishétéronormatif et les systèmes d'oppression qui en découlent. Toutefois, malgré les avancées, l'épistémè dominante semble toujours robuste et la question demeure : à quelle « révolution à venir » réfléchissons-nous ? De quelles mutations avons-nous besoin ?

Sojournor Truth a prononcé son discours Ain't I a Woman ? il y a 171 ans, 25 ans après avoir échappé à sa condition d'esclave. Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir a été imprimé il y a 73 ans. Michel Foucault a entamé la publication de son Histoire de la sexualité il y a 46 ans. 45 ans nous séparent de l'énoncé pour un féminisme noir du Combahee River Collective ; 44, de la première itération du texte The Uses of the Erotic d'Audre Lorde ainsi que de la conférence The Straight Mind de Monique Wittig. La première occurrence du mot queer dans les travaux de Gloria Anzaldúa remonte elle aussi à 44 ans, trois ans avant la publication, avec Cherríe Moraga, de l'ouvrage collectif This Bridge Called My Back. Kimberlé Crenshaw travaille la notion d'intersectionnalité depuis 40 ans déjà. Quant à elle, Gayle Rubin œuvre à repenser le sexe depuis plus de 38 ans. La parution de l'essai Gender Trouble de Judith Butler date d'il y a 32 ans. Oyèrónkẹ́ Oyěwùmí faisait paraître il y a 25 ans l'ouvrage The Invention of Women, la même année où Cathy J. Cohen interrogeait le potentiel radical des politiques queers. Il y a 14 ans, Paul B. Preciado publiait Testo Junkie.

S'il est vrai que les régimes d'historicité et les épistémès se développent et changent sur la longue durée, on pourrait penser que les révolutions annoncées par une certaine littérature théorique et par les mouvements radicaux des années 1970-1990 semblent relever chaque jour un peu plus de l'utopie naïve que d'une vérité en marche. En effet, les premières semaines de l'été 2022 laissent en bouche un goût amer quant aux « progrès incontestables » enregistrés dans la lutte pour une société plus juste.

Toutefois, en dépit de ces moments contre-révolutionnaires que je préfère ne pas énumérer, on pourrait aussi penser, avec Jack Halberstam, que « la révolution viendra sous une forme que nous ne pouvons pas encore imaginer » et que la multiplication plus ou moins récente des communs, des tiers espaces affranchis, des coopératives de solidarité et des collectifs autogérés pensés pour et par les personnes marginalisées suggère qu'une autre vie est (encore) possible, que le cours des choses peut être radicalement altéré.

Mais pour redonner à la pensée et à la praxis queers la radicalité intersectionnelle dont elles sont capables, un certain travail mémoriel et épistémologique est nécessaire. Ce travail nous permettrait de dépasser aussi bien la simple réforme des droits à l'intérieur de l'appareil étatique – même si elle est cruellement nécessaire – que l'appropriation à toutes les sauces du vocable « queer » qui en dilue malheureusement la force créatrice et le potentiel subversif. La critique queer racisée a d'ailleurs maintes fois identifié les angles morts des discours aseptisés et exclusifs incapables d'imaginer des formes de subjectivité échappant au simple élargissement des normes déjà en place, mais la mémoire collective vacille parfois dangereusement.

Multiplier les queerutopies révolutionnaires et désirantes

Il y a plus de dix ans, dans les pages de cette revue, Sam Bourcier proposait la multiplication des hétérotopies, des poches de résistance, des collectifs et des mouvements éphémères issus du dissensus et de la piraterie du genre [1]. À défaut d'une révolution, il suggérait en d'autres termes la prolifération de ce que Paul B. Preciado nomme des « micropolitiques de genre, de sexe et de sexualité » aptes à « résister et à défaire la norme ». Pour (ré)activer le potentiel antinormatif de la pensée queer, on peut envisager le sexe, le genre et le corps réifié comme des fictions médicales, politiques, culturelles et somatiques, des « agents de contrôle et de modélisation de la vie » appelés à être dissous « en une multiplicité de désirs, pratiques et esthétiques, [dans] l'invention de nouvelles sensibilités, de nouvelles formes de vie collective », soutient Preciado.

« Le futur est déjà arrivé, mais ça ne veut pas dire que nous n'avons nulle part où aller », écrit Billy-Ray Belcourt dans son recueil de poèmes Cette blessure est un territoire. C'est par l'action du désir – interrogé, reformulé, réinvesti – que cette futurité s'apparente aux « queerutopies » de Bourcier, incarnées au sein même des environnements hostiles du capitalisme colonial cishétéronormatif. En ce sens, l'érotisme est une force créatrice, pourrait-on dire à l'instar d'Audre Lorde, une puissance provocatrice dont les subalternes ont trop longtemps été dépouillé·es : « reconnaître le pouvoir de l'érotique dans nos vies peut nous donner l'énergie de chercher à introduire dans le monde un changement authentique », écrit-elle. Le désir et l'érotisme prennent donc la forme d'un (ré)apprentissage constant de nos gestes d'amour et de care, ainsi que d'une (ré)invention de soi informée par le caractère politique des choix que nous faisons d'investir certains corps plutôt que d'autres d'un potentiel orgasmique. La futurité queer est ainsi tendue vers la possibilité de répondre à cette question posée par Belcourt : « comment fait-on pour vivre au bord du précipice du monde ? »

Pour accéder à cette futurité et s'assurer que les « queerutopies » survivent à la dévastation annoncée par la crise écologique et le pourrissement du social, il semble essentiel de passer par une critique du capitalisme, dans la foulée de l'analyse proposée par Silvia Federici dans Caliban et la sorcière. La révolution queer du désir nous invite à exister, absolument et complètement, d'une manière dissidente libérée des impératifs normatifs du genre et de la productivité, pour ne nommer que ceux-là, allant au-delà de la récupération par l'État et par le capital – la pensée queer peut bien entendu se réjouir des petites victoires, tout en se gardant bien cependant d'être avalée par la machine néolibérale et bourgeoise.

Imaginer le grand chaos

Désapprendre nos modes de sociabilité et se désidentifier de manière hybride et mouvante, à l'aide de pratiques subvertissant les codes de la culture dominante, comme le suggère José Esteban Muñoz, n'est certainement pas une tâche aisée.

La précarité normalisée exhorte chacun·e à se définir rigoureusement et à dévoiler partout et en tout temps son pedigree fait de compétences, expériences, identités, rôles et postures. L'impératif de la révolution queer, s'il fallait le formuler, serait de « foutre le bordel » plutôt que de tenter désespérément d'inclure nos existences marginales au sein d'une norme alors « élargie » ; d'opposer à l'injonction morale du coming out et de la révélation une insaisissabilité joyeuse et triste tout à la fois, une fluidité construite de paradoxes et de démesure ; de refuser de se construire comme sujets parfaitement intelligibles pouvant ensuite être surveillés, saisis et contrôlés ; de contester l'assimilation dans « le système » grâce au capital accumulé. La libération et la transcendance des normes oppressives engagent plutôt la création d'espaces et de temporalités improvisées qui permettent d'exister pleinement – ces hétérotopies, ces communs évoqués plus tôt.

La pensée queer a déjà formulé maintes propositions cherchant à déconstruire les systèmes disciplinaires du genre, du sexe, de l'orientation sexuelle, du désir, de la famille, de la filiation, de la race, de la nation, de la validité, du travail, de la citoyenneté, de la propriété, de la division de l'espace entre privé et public, de la justice, de la légalité, etc. La pensée queer invite à réévaluer la valeur et le sens accordés aux orifices et aux appendices, aux chorégraphies sociales, aux scripts sexuels – la domination du pénétrant universel sur l'anus global, pour reprendre les termes de Preciado, ne peut survivre à la mise en œuvre d'une praxis intersectionnelle, anticapitaliste et libérée de l'épistémè hétérosexiste blanche héritée des Lumières.

Dans la conclusion de son Deuxième sexe, Beauvoir formulait cet avertissement : « Prenons garde que notre manque d'imagination dépeuple toujours l'avenir. » La théorie et la praxis queers déploient depuis longtemps, grâce entre autres au travail du féminisme et de l'antiracisme, des efforts d'imagination importants qui invitent à concevoir des manières d'exister et d'organiser la société afin que toute personne, autodéterminée dans le respect de ses propres multitudes, puisse s'émanciper.

La révolution queer n'est pas seulement « à venir », donc : elle s'incarne d'ores et déjà dans des œuvres d'art, des programmes culturels, des lieux dédiés et des protocoles mémoriels, mais aussi dans la revalorisation de la place centrale que devraient occuper à la fois l'imagination et les expérimentations de toutes sortes – puisqu'il est possible, avec Christian Laval, de penser les utopies « comme des passages à l'acte, comme des pratiques, comme des processus ».


[1] « Utopie = no future », À bâbord !, no 38, février-mars 2011. Disponible en ligne.

Pierre-Luc Landry, Université de Victoria

Collage : Collages Féminicides Montréal

« L’art drag, c’est un art queer »

9 juin 2024, par Philippe de Grosbois, Geneviève Labelle, Mélodie Noël Rousseau — , , , , ,
Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle sont co-directrices artistiques de la compagnie de théâtre Pleurer Dans' Douche, comédiennes et drag kings. En 2022, elles ont (…)

Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle sont co-directrices artistiques de la compagnie de théâtre Pleurer Dans' Douche, comédiennes et drag kings. En 2022, elles ont présenté la pièce Rock Bière : Le documentaire à l'Espace libre. À bâbord ! les a rencontrées pour qu'elles nous parlent de genre, du milieu drag et de leurs personnages, Rock Bière et RV Métal.

À bâbord ! : Comment Rock Bière et RV Métal sont-ils nés et pour quelles raisons ?

Geneviève Labelle : Notre compagnie fait du théâtre documentaire. Donc au départ, l'idée de faire du drag king, c'était aussi d'en faire du théâtre documentaire. On voulait dénoncer la misogynie sous- jacente, l'invisibilisation des femmes dans le milieu drag, mais on s'est fait prendre à notre propre jeu. On est tombées en amour avec cet art-là et on est devenues des figures importantes, on sent que les gens nous remercient d'avoir ouvert des portes. C'est fou d'avoir cet effet-là.

Mélodie Noël Rousseau : Maintenant les robinets sont ouverts. On a notre soirée Bière & Métal aux deux mois, avec des kings d'un soir qu'on va maquiller nous-mêmes.

G. L. : C'est le premier show au Cabaret Mado avec uniquement des kings, tant à l'animation, à la production que sur la scène. N'importe qui qui dit « Je veux explorer mon genre », on lui dit « Viens-t'en ! » et on le·la lance sur la scène.

M. N. R. : Il y a des gens qu'on maquille qui sont en exploration de leur genre dans leur quotidien. C'est toujours très touchant de les voir se regarder dans le miroir pour la première fois avec des traits qui leur plaisent davantage, de la manière dont ils voudraient se présenter dans la vie.

G. L. : L'art drag, c'est un art queer, c'est un art de la communauté LGBTQ+. Il n'y a pas beaucoup d'endroits pour que les lesbiennes et les personnes queer s'identifiant femmes puissent se rencontrer. C'est pour ça qu'on se disait « Pourquoi on ne peut même pas avoir accès à la folie du drag ? ». Il y a aussi des personnes s'identifiant femmes qui sont drag queens, mais elles ne sont pas aussi bien acceptées.

M. N. R. : C'est une expérience riche pour nous comme comédiennes, ce sont des rôles auxquels on n'a pas accès, normalement. Ça donne une force d'incarner le « sexe fort », cette séduction-là que Mélodie n'a pas dans son quotidien, mais avec laquelle j'aime jouer en faisant Rock Bière.

ÀB ! : Quand on se demande ce que l'art drag relève sur le genre, on voit que ça peut aller dans toutes sortes de directions.

M. N. R. : Oui, il y a aussi des personnes genderfuck, des drags non binaires, qui explorent avec des seins et une moustache. Il y a des drag things, des drag clowns... Le spectre est très large.

En ce qui concerne le genre masculin, disons que la mode masculine est plus drabe. Ça pose un défi d'exprimer le genre masculin qui est construit sur une apparence de neutralité, car cette neutra- lité reste une construction. Parfois, je prépare des costumes qui sont très quotidiens, parce que j'aime ça, dépeindre l'homme au quotidien. Je regarde des gens dans la rue et je me dis : « Ça, c'est un bon Rock Bière ». C'est une grande caricature que je fais après avec plein d'amour.

ÀB ! : Est-ce que vous pensez que cette exploration peut être libératrice pour les gens de façon générale, les faire sortir des carcans féminins et masculins ?

G. L. : C'est toujours à refaire. Quand on regarde des photos de Claude Cahun, une personne non binaire des années 1920 à Paris, on se dit « C'est un drag king ». C'était un·e artiste visuel·le incroyable qui explorait déjà ça. Il y avait tout un groupe de lesbiennes avant-gardistes à Paris dans les années 1920.

En ce moment, on est sur un tremplin mainstream : les drag queens sont à la télé, Barbada fait une émission pour enfants, Rita Baga fait plein d'émissions... Il y en a d'autres qui s'en viennent aussi.

ÀB ! : Quand on observe ces percées dans une culture plus mainstream, on peut se demander s'il y a quelque chose qui se perd là-dedans. Est-ce que c'est une version édulcorée ? Est-ce que certaines catégories sont plus visibles et d'autres moins ?

G. L. : C'est vraiment bien que l'art drag sorte des bars. C'est un art complet. Les gens qui font ça travaillent extrêmement fort. C'est le fun de changer l'idée que les gens en ont, que c'est juste un art qui est fait avec de la drogue et de l'alcool, la nuit, que c'est trash, que c'est sexuel...

Cela dit, les femmes n'y ont pas accès. La compétition est faite pour des drag queens, le vocabulaire est féminisé de A à Z, un drag king dans ces émissions-là serait un oiseau rare. Il y a plus d'ouverture au sein d'autres compétitions naissantes, comme la compétition canadienne Call Me Mother.

M. N. R. : Ru Paul's Drag Race est devenu une compétition de haute couture. Il faut sortir un portefeuille de 30 000 $ à 100 000 $ pour participer. Et le fait qu'on n'a pas de modèle king ne permet pas à l'art d'évoluer. Il y a à peine quelques tutoriels pour les kings, alors qu'il y a un grand nombre de vidéos pour apprendre à se maquiller en drag queen.

ÀB ! : Tout un segment de votre pièce Rock Bière : Le documentaire fait une critique assez solide du Village. Quelle est cette critique ?

G. L. : Le nerf de la guerre, c'est l'invisibilisation des femmes dans la communauté queer. Historiquement, ça s'explique par le fait qu'il y a eu deux solitudes : les hommes gais et les femmes les- biennes. Les femmes étaient plus à la maison et avaient plus ten- dance à être en famille. Les hommes gais ont développé tout un night life, tout un monde. Ce sont eux qui ont développé le quartier gai. C'est le quartier LGBTQ+ des communautés, mais en fait c'est un quartier d'hommes blancs.

M. N. R. : C'était ça, mais maintenant il y a des efforts pour rallier les communautés et être inclusif. On le voit dans la clientèle des bars, dans le type de soirées organisées, dans les artistes invi- té·es. On voit qu'une place se fait pour les voix minorisées, pour les femmes. Mais c'est vrai qu'on n'a pas de bar uniquement féminin. Ils ont tous fermé.

ÀB ! : Dans votre documentaire, il était aussi question du fait que les drag kings n'étaient pas trop pris au sérieux.

M. N. R. : On entend des énormités, comme « Si les femmes ne sont pas sur Ru Paul's Drag Race, c'est parce qu'elles sont moins bonnes. » On entend ça alors qu'on est en train de se maquiller, de se pré- parer pour un show. Si on s'arrêtait à tout ce qu'on entend, on abandonnerait.

G. L. : Si on parle des salaires par exemple, ce n'est pas encore équivalent entre drag queens et drag kings.

M. N. R. : Mais on trouve ça important d'être dans le Village, que ces gens-là nous voient et voient le succès de la soirée. Si on faisait ça dans notre petit coin, entre nous et à l'écart, ça nous ferait du bien, on serait moins confrontées. Mais on veut avoir un dialogue avec des gens plus fermés, qui sont là par hasard et qui découvrent que ça existe.

ÀB ! : Que voulez-vous que le public en général retienne de vos pièces ?

G. L. : L'importance de créer des safe spaces, des lieux où tout le monde se sent bien et invité.

M. N. R. : Apprivoiser la différence aussi. Quand je parle dans ma famille, des fois je me rends compte qu'on est vraiment dans une bulle. À Montréal, c'est un peu plus facile d'être queer. J'espère que des gens qui sont moins familiers avec ça entendent cette parole-là et voient ces réalités-là, même s'ils ne comprennent pas tout, que ça amène des réflexions chez des gens qui ne baignent pas dans ce milieu-là.

Maintenir le cap !

6 juin 2024, par Valérie Beauchamp, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond, Claude Vaillancourt — , , , , , ,
Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord ! Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre. Détails (…)

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord !

Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre.

Détails ici !

Depuis 20 ans, la revue À bâbord ! s'est obstinée à exister et à exprimer son esprit rebelle et ses idées résolument progressistes. À travers 100 numéros, nous avons voulu donner la parole à celles et ceux qu'on n'entend pas. Ces groupes et personnes se heurtent trop souvent au mur médiatique, car leurs paroles et actions sont couramment perçues comme trop radicales ou mal formatées pour convenir aux grandes tribunes.

Pour ce dossier, nous avons parcouru tous nos numéros afin de vous présenter une synthèse et quelques textes particulièrement significatifs de quatre périodes de cinq ans. Inutile de dire à quel point l'exercice a été difficile, douloureux, voire hasardeux. Comment nous limiter à quelques écrits, alors qu'abondent dans la revue les points de vue riches, signifiants et d'une grande diversité ?

Relire 20 ans d'À bâbord ! a été pour nous un captivant voyage dans le temps qui nous a permis de replonger dans les luttes les plus marquantes, mais aussi, dans leur multiplicité. Cela nous a aussi permis de constater à quel point, et sur de nombreux sujets, notre revue a été d'une grande pertinence, à l'avant-garde de plusieurs tendances et toujours très représentative des nombreux mouvements de la gauche.

Dans ce dossier, nous avons aussi voulu remonter à l'origine même de la revue, à sa naissance dans un contexte où la gauche cherchait à se réorganiser. Nous nous partagions entre une tendance prête à jouer le jeu de la politique partisane, associée à la création de Québec solidaire, et une autre, qui sera celle finalement adoptée, assurant à la revue son entière indépendance et cherchant à donner la parole aux divers courants présents dans les mouvements sociaux, sans pour autant ignorer les urnes.

Pour rappeler cette période, nous avons donné la parole à deux des fondateurs de la revue, Claude Rioux et Amir Khadir. Ricardo Peñafiel, également membre fondateur de la revue, signe le texte d'introduction de la période 2003-2008. Nous avons aussi invité Alexis Lafleur-Paiement, d'Archives Révolutionnaires, à nous proposer un regard critique sur les années fondatrices de la revue.

L'enracinement féministe de la revue fait l'objet d'un texte spécifique dans le dossier. Nous avons finalement tenu à expliquer, par celle qui en est maintenant la coordonnatrice, Isabelle Bouchard, le fonctionnement particulier de la revue, sans rédacteur·rice en chef, sans hiérarchie. Nous sommes la preuve que ce type d'autogestion permet de livrer une revue de qualité, et ce, pendant des années.

Ce retour sur nos 20 années d'existence a été un beau parcours de l'histoire récente du Québec, mais aussi celle élargie du monde où nous vivons. En étant profondément ancrée dans les mouvements sociaux et politiques du territoire, la revue À bâbord ! documente l'histoire de mouvements sociaux et politiques qui ne connaissent pas de frontières, et d'autres luttes marginalisées, dont nous sommes fièr·es de rendre compte.

Dossier coordonné par Valérie Beauchamp, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond et Claude Vaillancourt

Avec des contributions de Jade Almeida, Normand Baillargeon, Valérie Beauchamp, Isabelle Bouchard, Philippe de Grosbois, Yannick Delbecque, Martine Delvaux, Amir Khadir, Alexis Lafleur-Paiement, Nadine Lambert, Diane Lamoureux, Jean-Pierre Larche, Barbara Legault, Frédéric Legault, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond, Claude Rioux et Claude Vaillancourt

Infographie : Anne-Laure Jean

Sommaire du numéro 100

6 juin 2024 —
Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord ! Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre. Détails (…)

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord !

Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre.

Détails ici !

Sortie des cales

Solidarités noires face aux génocides / Jade Almeida

Négociations de 2023

22 jours de grève / Marion Miller

Bilan et avenir du Front commun / Thomas Collombat

Luttes

Palestine. Haro sur la censure / Isabelle Larrivée

Queer

Une sagesse qui se perd / Judith Lefebvre

Analyse du discours

La figure québécoise dite colonisée et l'invisibilisation autochtone / Mathieu Paradis

Travail

Secteur culturel. Formes, limites et possibilités de l'organisation collective / Laurence D. Dubuc et Maxim Baru

Féminisme

Précarité genrée, violences ignorées / Sylvie St-Amand et Mathilde Lafortune

Qui a droit à la romance ? / Kharoll-Ann Souffrant

Économie

Imposition accrue du gain en capital : critique de la critique réactionnaire de l'élite économique et de ses sbires / Colin Pratte

Coup d'œil

RÉCONCILIATION™

Médias

Un réseau de médias de gauche / Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

Dossier : Maintenir le cap !

Coordonné par Valérie Beauchamp, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond et Claude Vaillancourt

2003-2008. Retour vers le futur / Ricardo Peñafiel

N°16 Automne 2006 : Des hommes contre le féminisme / Barbara Legault

N°25 Été 2008 : Andy Srougi perd son procès contre À bâbord ! / Barbara Legault et Claude Rioux

N°12 Hiver 2006 : Fétichisme et marchandisation de la culture / Ricardo Peñafiel

2008-2013. À la défense des services publics ! / Claude Vaillancourt

N°36 Automne 2010 : Vous avez dit éducation ? / Normand Baillargeon

N°46 Automne 2012 : Désobéissance et démocratie / Diane Lamoureux

N°25 Été 2008 : Facebook, un ami qui vous veut du bien / Philippe de Grosbois

2013-2018. Austérité et crise démocratique / Valérie Beauchamp

N°58 Printemps 2015 : Une réforme en santé et services sociaux. Portes ouvertes pour le secteur privé / Nadine Lambert et Jean-Pierre Larche, FSSS-CSN

N°52 Hiver 2014 : Une fille, des loups / Martine Delvaux

2018-2024. De nouveaux horizons / Samuel Raymond

N°96 Été 2023 : L'illibéralisme, le nouvel encerclement / Claude Vaillancourt

N°86 Hiver 2020 : Racisme systémique. Pirouettes et bistouri / Jade Almeida

N°80 Été 2019 : Pourquoi faire la grève climatique ? / Frédéric Legault

Rétrospective

Une revue pour transformer notre société / Alexis Lafleur-Paiement

Merci d'exister ! / Amir Khadir et Claude Rioux

Sensibilités féministes / Valérie Beauchamp

Publier une revue sans rédaction en chef ! / Isabelle Bouchard et Yannick Delbecque

International

Les cibles culturelles du mouvement antiavortement / Laurent Trépanier Capistran et Véronique Pronovost

Le soulèvement de 2006. Un héritage révolutionnaire à Oaxaca / Alexy Kalam

Culture

À tout prendre ! / Ramon Vitesse

Recensions

Couverture : Anne-Laure Jean

Pour la pérennité des revues indépendantes !

6 juin 2024, par Le Collectif de la revue À bâbord ! — , , ,
Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord ! Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre. Détails (…)

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord !

Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre.

Détails ici !

La revue À bâbord ! a eu 20 ans au mois d'octobre 2023. Après cent numéros, la réussite de ce projet collectif est le résultat du travail acharné de ses membres pour offrir une plateforme qui fait écho aux actions collectives ainsi que pour organiser une riposte au capitalisme et aux multiples formes d'oppression qui l'accompagnent. Dans un contexte toujours difficile pour les revues indépendantes et autogérées, nous sommes fièr·es – et un peu surpris·es nous-mêmes – de tenir le fort depuis si longtemps.

L'importance des médias critiques alternatifs pour la santé de notre démocratie n'est cependant plus à démontrer. Devant les monopoles médiatiques qui tendent à uniformiser les discours politiques dans l'espace public, il est primordial d'avoir accès collectivement à une information offrant d'autres formes d'analyses et permettant d'alimenter la critique du système actuel et des inégalités qu'il génère.

Non seulement À bâbord ! propose des contenus différents, mais aussi un mode de fonctionnement unique : sans hiérarchie, sans rédacteur ou rédactrice en chef, toutes les grandes décisions, y compris le choix des articles et des sujets d'éditorial (et sa rédaction), sont soumises au collectif de rédaction. Cette façon de fonctionner permet à la revue d'appliquer dans son quotidien les valeurs qu'elle prône.

Si les médias indépendants et progressistes ont longtemps su profiter d'internet et du numérique pour élargir leur auditoire, ils sont aujourd'hui mis à mal, surtout dans leur forme papier, par des médias sociaux régis par le seul profit maximal. Le bannissement récent par les plateformes Facebook et Instagram de l'ensemble des médias canadiens rend encore plus difficile la circulation d'idées de gauche et de regard critique. À bâbord ! n'a pu échapper à cet effacement et il ne nous est plus possible d'être actifs sur les réseaux sociaux appartenant à Meta. Cela limite significativement notre capacité à rejoindre notre lectorat et à promouvoir nos actions. D'un autre côté, cela pose la question de notre dépendance à ces espaces numériques pour faire circuler l'information. En ce sens, défendre une version papier au sein de la production médiatique permet de conserver un espace journalistique à l'extérieur de l'univers numérique.

Peu d'aide de l'État est à attendre pour défendre une information libre et critique. Il est de plus en plus difficile d'obtenir des subventions assurant le fonctionnement de la revue alors que de grosses productions médiatiques peuvent compter sur l'aide étatique. Ainsi, une subvention de Patrimoine Canada qui nous a grandement aidés ces dernières années nous a été enlevée parce que l'on considère que la revue ne satisfait plus un critère d'admissibilité basée sur le nombre de numéros vendus. À notre grand désarroi, les copies vendues en lot à des membres d'organisations comme les syndicats ne sont plus comptabilisées, alors même que ces ventes constituent un moyen de financement pour une revue politique comme la nôtre.

Due à cette coupe, À bâbord ! doit faire face à des difficultés financières et est forcée de faire une demande de subvention à un nouveau programme, avec la part d'incertitudes et de craintes que cette opération implique. La mise à pied brutale de l'équipe de la revue Relations montre aussi une tendance à vouloir faire taire les voix critiques proches des mouvements sociaux. Comment justifier le désintéressement de l'État pour le maintien d'une diversité dans l'univers médiatique québécois ?

Les temps sont difficiles, mais les vingt ans d'implication des membres de la revue d'À bâbord ! démontre que des groupes sont prêts à se battre pour maintenir un espace médiatique consacré aux mouvements sociaux et aux analyses politiques critiques ! Ainsi, bien qu'il soit difficile de fonctionner dans cet horizon, l'enthousiasme qui règne dans la revue pour ce projet est porteur d'espoir.

Si À bâbord ! a réussi à se maintenir pendant toutes ces années, c'est grâce à votre soutien. Nous vous en remercions chaleureusement. Nous espérons pouvoir compter encore davantage sur ce soutien, dans une campagne de sociofinancement que nous lancerons à la suite de la parution de ce présent numéro, dans le but de nous donner les assises financières qui nous permettront de continuer pendant des années encore.

Les têtes brûlées

Catherine Dorion, Les têtes brûlées. Carnets d'espoir punk, Montréal. Lux éditeur, 2023. « Nous sommes un parti décentralisé dans notre façon de fonctionner ; nous n'avons (…)

Catherine Dorion, Les têtes brûlées. Carnets d'espoir punk, Montréal. Lux éditeur, 2023.

« Nous sommes un parti décentralisé dans notre façon de fonctionner ; nous n'avons pas une façon unique de parler, de prendre la parole. Personne ne nous dit : voici comment nous allons livrer le message. (…) si je dois m'exprimer, par exemple, sur la crise des médias, personne ne me dira comment procéder. » Ce sont ici les paroles de Catherine Dorion publiées dans le numéro 82 d'À bâbord ! en janvier 2020, c'est-à-dire les mots d'une nouvelle députée de Québec Solidaire (QS) pour qui tout semblait possible, y compris mener une stratégie populiste de gauche. Quatre ans plus tard, le moins que l'on puisse affirmer, une fois terminée la lecture des Têtes brûlées, c'est que, d'une part, le fonctionnement de QS semble avoir changé au fil des dernières années et que, depuis, Dorion a déchanté non seulement sur la vie parlementaire, mais à l'égard de QS lui-même, notamment dans sa manière d'envisager ses relations avec les mouvements sociaux.

En fait, outre le livre de Lise Payette écrit il y a quelques décennies (Le pouvoir ? Connais pas !), rarissimes sont les témoignages de la qualité de ces « carnets d'espoir punk » relatant les coulisses du pouvoir (avec un petit « p »). Carnets qui font réfléchir et que je vous invite à lire sans aucune hésitation, et ce, pour deux grandes raisons.

Primo, l'autrice décrit très bien le malaise ressenti par nombre de sympathisant·es de QS qui, à force de vouloir se montrer respectable, devient aussi beige que n'importe quel autre parti. On dira que c'est ici moins l'affaire de personnalités que de contraintes structurelles-organisationnelles auxquelles doit s'astreindre un parti politique dont les récents succès électoraux ont aiguisé l'appétit du pouvoir. Pourtant, ces carnets nous rappellent que cela n'est pas une fatalité, mais relève bel et bien d'un choix politique, fort discutable au demeurant. Aussi, l'ex-députée de Taschereau ne manque pas d'identifier de nombreuses occasions ratées de la gauche (que ce soit en Grèce ou au Québec) et suggère de réfléchir à la pertinence d'un populisme de gauche qui tenterait de déjouer les attentes de la sphère politico-médiatique obsédée par le ronron des actualités évanescentes ou par le conformisme (vestimentaires, entre autres) des femmes en politique.

Deuxio, Dorion a l'intelligence de lier le singulier au collectif d'une admirable façon. Dans une mise en abyme quasi parfaite, elle démontre le caractère anxiogène, épuisant et dépressif de notre culture en alliant raison et émotion, et ce, dans une langue accessible qui rejette les codes classistes de la politique institutionnelle. On y trouve donc une belle critique du capitalisme dans ses effets atomisants et pathologiques. De là découle sa conception (romantique diront certain·es) de la politique comme médiation créatrice de liens sociaux.

Au cours de l'entretien cité ci-dessus, Dorion avançait que son parti ne devait pas devenir un parti de politicien·nes et parlait déjà de son « passage » en politique comme une opportunité de « briser quelques murs ». Force est de constater que ces derniers étaient plus solides qu'elle le croyait.

Soirée 20e anniversaire / 100 numéros

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100e numéro de la revue À bâbord ! Entrée gratuite. L'événement se déroule à La Cabane, fabrique familiale. Il s'agit d'un espace (…)

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100e numéro de la revue À bâbord !

Entrée gratuite.

L'événement se déroule à La Cabane, fabrique familiale. Il s'agit d'un espace ludique et sympathique situé à 5 minutes du métro Fabre.

Au menu : Prises de paroles de membres du collectif ainsi que de contributeurs-rices, présentation du numéro 100, kiosques de vente de numéros provenant de différents médias, prestation humoristique avec Charlie Morin et ... party !

Grignotines ainsi que breuvages alcoolisés et non-alcoolisés en vente sur place.

L'espace est accessible (entrée et toilette).

L'événement Mobilizon est ici. L'événement Facebook est ici.

Soutenez la revue À bâbord !

14 mai 2024
À bâbord ! a perdu son accès à une subvention de Patrimoine Canada pour les magazines, un montant important qui nous donnait une bonne assise financière. L'exclusion de (…)

À bâbord ! a perdu son accès à une subvention de Patrimoine Canada pour les magazines, un montant important qui nous donnait une bonne assise financière. L'exclusion de certains exemplaires dans le total des ventes ne nous permet plus d'atteindre le minimum exigé par le subventionnaire, selon un calcul nettement à l'avantage des revues les plus commerciales. En espérant obtenir une autre subvention « pour appuyer le journalisme », nous trouvons dans une situation financière encore plus incertaine que la précarité usuelle d'une petite organisation comme la nôtre.

Voilà pourquoi nous lançons cette campagne de sociofinancement. La place d'À bâbord ! est unique au Québec, seule revue autogérée donnant la parole aux personnes issues des mouvements sociaux dans leur diversité. Il s'agit aujourd'hui d'assurer la pérennité de la revue À bâbord ! Nous souhaitons avoir une réserve financière nous permettant d'assurer la production et la livraison d'un numéro. Nous comptons sur votre générosité et sur votre attachement pour lui permettre de vivre bien au-delà de son vingtième anniversaire et de son centième numéro que nous fêtons maintenant.

Membres