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Opinion. « Alors qu’Israël s’apprête à frapper l’Iran, une guerre de plus en plus meurtrière s’annonce au Moyen-Orient »

Alors que le cabinet de sécurité israélien autorise des frappes aériennes sur l'Iran [1], les objectifs de guerre d'Israël s'élargissent et incluent le risque d'une guerre régionale contre l'Iran afin de remodeler radicalement le paysage politique du Moyen-Orient en faveur d'Israël.
Tiré de A l'Encontre
12 octobre 2024
Par Patrick Cockburn
Cet objectif ambitieux, voire fantaisiste, est lourd de dangers pour la région et le monde. Israël ne peut l'atteindre sans le soutien total et non dissimulé des Etats-Unis. Bien que le président Joe Biden prétende avoir vainement exhorté Benyamin Netanyahou à un cessez-le-feu, il a par la suite toujours approuvé chaque escalade israélienne. Il est raisonnable pour Israël de conclure qu'il peut attaquer l'Iran en toute impunité, puisque, en cas de problème, il aura le soutien des forces armées américaines.
Les historiens parviendront peut-être un jour à conclure « à quel point la queue israélienne fait bouger le chien américain », profitant de la faiblesse de Joe Biden [sioniste catholique qui a toujours appuyé Israël] pour entraîner les Etats-Unis dans une nouvelle aventure militaire imprudente au Moyen-Orient.
Il est trop facile d'imputer l'inefficacité de la diplomatie états-unienne au déclin cognitif de Biden au cours des trois dernières années. Mais si ce n'est pas Biden, il est difficile de savoir qui sont les véritables décideurs à la Maison Blanche et dans les hautes sphères de l'administration.
Si l'on juge la Maison Blanche sur ses actes plutôt que sur ses paroles, elle voit un avantage géopolitique à vaincre l'Iran – un allié de la Russie et de la Chine, même s'il est éloigné – et ses alliés [2].
Les vœux pieux jouent probablement un rôle. Israël a réussi à tuer les dirigeants et les commandants de niveau intermédiaire du Hezbollah avec beaucoup plus de succès que prévu. Une attaque agressive contre l'Iran et son « axe de la résistance » ne pourrait-elle donc pas produire des victoires similaires ?
C'est une perspective séduisante, bien que les interventions militaires états-uniennes – de la Somalie en 1992/93 à l'Afghanistan en 2001 et à l'Irak en 2003 – aient échoué en grande partie à cause de l'hubris et de la sous-estimation de l'ennemi.
Un danger singulier
Les antécédents d'Israël sont quelque peu similaires lorsqu'il s'agit de surestimer avec arrogance sa main en Cisjordanie après avoir vaincu l'Egypte et la Syrie en 1967, et envahi le Liban en 1982. Pourtant, des décennies plus tard, les Forces de défense israéliennes (FDI) se battent toujours dans ces deux endroits.
Ces analogies historiques sont souvent citées par les commentateurs occidentaux comme des avertissements sinistres sur ce qui peut terriblement mal tourner pour les Etats-Unis et Israël lorsqu'ils ne comptent que sur la force. Pourtant, ces comparaisons sont quelque peu trompeuses, car le paysage politique, tant au niveau de la politique intérieure israélienne que de la région dans son ensemble, s'est transformé au cours des vingt dernières années. Ce sont ces changements qui rendent la crise actuelle bien plus dangereuse que les précédentes.
Le gouvernement israélien formé par Netanyahou après avoir remporté les élections générales de novembre 2022 a été immédiatement reconnu comme étant le plus fanatiquement de droite et le plus ultranationaliste de l'histoire d'Israël.
Pour ne citer qu'un exemple, Itamar Ben-Gvir, le chef du parti Puissance juive, est devenu ministre de la sécurité nationale – un poste nouvellement créé qui le place à la tête de la police nationale. Ce colon religieux de Kiryat Arba, près de la ville d'Hébron en Cisjordanie, a été condamné dans le passé pour incitation au racisme et soutien à la terreur. Il avait menacé le Premier ministre Yitzhak Rabin en direct à la télévision et avait accroché chez lui une photographie de Baruch Goldstein, qui avait assassiné 29 Palestiniens alors qu'ils priaient dans la mosquée d'Hébron en 1994 [4].
Compte tenu de la composition idéologique du cabinet israélien, il n'est guère surprenant que les objectifs d'Israël à Gaza et en Cisjordanie semblent désormais s'étendre à la fin de toute vie normale pour les cinq millions de Palestiniens qui y vivent. Jeudi, une frappe aérienne sur une école du centre de Gaza a tué 28 personnes, dont beaucoup, selon l'Unicef, étaient des femmes et des enfants qui faisaient la queue pour recevoir un traitement contre la malnutrition [5].
Les FDI (Forces de défense israéliennes) ont justifié cette frappe en affirmant que l'école abritait un poste de commandement du Hamas. Même à supposer que cela soit vrai, dans sa tentative de se justifier, les FDI avouent que le Hamas est présent partout à Gaza un an après l'invasion israélienne.
Israël prétend que le chiffre de 42 000 morts à Gaza est exagéré par le ministère palestinien de la Santé, mais c'est exactement le même schéma de frappes aériennes menées sans tenir compte des victimes civiles qui se produit au Liban. Une frappe sur Beyrouth, le même jour que celle sur Gaza, a tué 22 personnes, dont trois enfants d'une famille de huit personnes, qui avaient fui le Sud-Liban [6].
La nouvelle élite
Ce qui rend la crise actuelle doublement dangereuse, c'est que ce n'est pas seulement le fait qu'Israël ait une direction politique ethno-nationaliste. Une évolution parallèle s'est produite au sein de l'élite de l'Etat israélien – fonction publique, police, justice et, de plus en plus, les FDI – qui est issue de l'aile fondamentaliste et messianique de la société israélienne.
Cette nouvelle élite est moins sophistiquée que ses prédécesseurs (même si ces derniers étaient aussi souvent partisans d'une ligne dure), plus encline à considérer les ennemis d'Israël comme à la fois démoniaques et menaçants, mais aussi vulnérables lorsqu'ils sont confrontés à l'usage implacable de la force.
Le déroulement de la guerre jusqu'à présent au Liban tendrait à le confirmer et il y a d'autres arguments puissants de leur côté. Les Etats-Unis donnent carte blanche à Israël comme jamais auparavant et il est peu probable qu'ils s'opposent à une stratégie israélienne agressive à l'égard de l'Iran.
Menaces imminentes
Les Etats-nations arabes autrefois hostiles à Israël, notamment la Syrie, l'Irak, la Libye et le Soudan, ont tous été gravement affaiblis par des guerres civiles au cours des dernières années. Les dirigeants arabes sont muets ou inefficaces en ce qui concerne Gaza et le Liban. L'Iran est plus isolé qu'il ne l'a été depuis la fin de la guerre Iran-Irak en 1988.
Pourtant, la vulnérabilité de l'Iran et de ses alliés peut être un peu trompeuse. La bande d'Etats dominés par les musulmans chiites qui s'étend au nord du Moyen-Orient – l'Iran, l'Irak, la Syrie et le Liban – ne va pas disparaître.
Israël et les Etats-Unis pourraient tenter d'attiser les conflits religieux et ethniques dans des pays tels que le Liban, qui a connu une guerre civile sectaire meurtrière entre 1975 et 1990. On rapporte déjà que des musulmans chiites fuyant les bombardements israéliens sont considérés avec hostilité lorsqu'ils cherchent refuge dans certaines régions non chiites.
Quant à l'Iran, il pourrait conclure qu'il ne peut dissuader Israël, qui est prêt à risquer une guerre régionale, mais qu'il ferait mieux d'élargir le conflit en attaquant le trafic du pétrole [missiles des Houtis sur les navires passant le détroit de Bab el-Mandeb], les alliés des Américains ou les bases américaines [en Irak]. Son objectif serait de forcer les Etats-Unis à freiner Israël. L'affirmation de Washington selon laquelle il n'est pas en mesure de le faire est universellement rejetée au Moyen-Orient.
Il devient de plus en plus difficile de voir comment une guerre régionale peut être évitée – et encore plus difficile de voir comment elle peut être arrêtée. (Publié par INews le 11 octobre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Selon le Washington Post du 11 octobre, « le cabinet de sécurité israélien s'est réuni jeudi sans voter l'approbation d'une action militaire contre l'Iran, jetant une incertitude supplémentaire sur la date à laquelle les frappes attendues pourraient avoir lieu. Les responsables israéliens se sont engagés à riposter à l'attaque de missiles balistiques à grande échelle lancée par l'Iran contre Israël le 1er octobre. »
Le « débat » porte sur l'ampleur et les objectifs qui vont rester non explicites. Ce qui était entendu dans la déclaration de Yoav Gallant. Jean-Phillipe Rémy dans Le Monde daté du 11 octobre rappelle que Yoav Gallant « a déclaré mercredi soir (9 octobre), devant les responsables israéliens que les frappes [contre l'Iran] allaient être “meurtrières, précises et surprenantes”. Et d'ajouter : “Ils ne vont pas comprendre ce qui leur est arrivé et comment cela leur est arrivé”. La menace […] demeure floue, mais semble orienter la nature de l'action. »
Selon Zvi Bar'el dans Haaretz du 11 octobre, « les scénarios de représailles israéliennes potentielles à l'attaque de missiles balistiques de l'Iran dominent la couverture médiatique en Iran, dans les Etats arabes et en Occident. Ces scénarios vont de l'attaque de champs pétroliers et d'installations de forage et de raffinage au bombardement d'infrastructures civiles et à l'attaque de sites nucléaires. Les avertissements et les menaces des hauts responsables iraniens, qui visent non seulement Israël mais aussi tout pays susceptible de permettre à Israël ou aux Etats-Unis d'utiliser son territoire ou son espace aérien pour attaquer l'Iran, sont tout aussi fréquents. » (Réd.)
[2] Dans la conjoncture actuelle, les différentes rencontres et déclarations de dirigeants donnent lieu à des hypothèses et spéculations sur les développements d'un conflit régional qui se profile et des alliances ou collaborations qui pourraient se concrétiser. Ainsi, le Financial Times du 12 octobre écrit : « Le président russe Vladimir Poutine a rencontré son nouvel homologue iranien Masoud Pezeshkian pour la première fois vendredi [11 octobre], alors que Téhéran devrait demander l'aide de Moscou pour moderniser son armée afin de contrer la menace d'une attaque d'Israël. Il est presque certain que l'Iran devra faire face à des représailles militaires après une attaque massive de missiles contre Israël le 1er octobre, lancée en soutien à son allié le Hezbollah. Les analystes affirment que, dans le cadre de sa dissuasion, Téhéran s'intéresse à la technologie russe, notamment aux batteries de missiles sol-air S-400, aux systèmes de guerre électronique et aux avions de chasse. La rencontre, en marge d'une réunion des dirigeants d'Asie centrale au Turkménistan, précède la signature attendue d'un accord stratégique entre la Russie et l'Iran lors d'un sommet à Kazan à la fin du mois, qui pourrait porter sur la coopération en matière de défense. » (Réd.)
[3] Charles Enderlin, dans Israël, l'agonie d'une démocratie, Le Seuil/Libelle, septembre 2023, notait de même que Netanyahou, en vue des élections de novembre 2022, a coaché Itamar Ben-Gvir pour « qu'il évoque publiquement le moins possible sont mentor, le rabbin raciste Meir Kahane. Retire de son salon le portrait de Baruch Goldstein, le terroriste juif qui, le 25 février 1994, a assassiné 29 fidèles musulmans en prière dans le tombeau des Patriarches, à Hébron. Surtout il doit exiger de ses militants [de Puissance juive] qu'ils cessent de scander “Mort aux Arabes” lors des manifestations et disent plutôt “Mort aux terroristes”. » (p.30-31) Ben-Gvir sera récompensé avec ce poste ministériel des plus importants qui, entre autres, lui donne le pouvoir de « surveiller les conditions de détention des Palestiniens » ! (Réd.)
[4] Le quotidien économique italien Il Sole 24 Ore du 12 octobre publie une note indiquant : « Israël prend délibérément comme cible les structures sanitaires, tuant et torturant le personnel médical à Gaza, ont déclaré les enquêteurs de l'ONU [Commission d'enquête indépendante internationale des Nations unies], accusant Israël de crimes contre l'humanité. » (Réd.)
[5] Le quotidien L'Orient-Le Jour du 11 octobre décrit (sous la plume de Lyana Alameddine) : « Cette pièce [d'un appartement de Basta el-Faouqa, quartier résidentiel… dans le cœur de Beyrouth], dont le mur s'est effondré, donne directement sur l'immeuble de quatre étages touché par la frappe israélienne et transformé en un champ de gravats où s'attroupe une meute de journalistes. Selon des résidents, des déplacés y avaient trouvé refuge. Ici, les bâtiments sont collés les uns aux autres. Presque aucune bâtisse n'a été épargnée par le souffle du bombardement. L'une d'entre elles a été éventrée. Dans la rue, la plupart des voitures sont calcinées. Dans ce Beyrouth considéré comme “sûr” par ses habitants, la peur s'installe. » (Réd.)
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L’isolement ou l’enfer du huis-clos - Lettre des geôles turques

« L'isolement est une obscurité profonde. Il entoure l'être humain d'innombrables filets. La conscience d'un néant infini englobe progressivement l'esprit ». Zeki Bayhan est un détenu politique incarcéré depuis 27 ans, soupçonné d'avoir perpétré des attentats en défense des droits des Kurdes. Il a été transféré depuis peu de la prison fermée de type F de Buca Kırıklar d'Izmir, à celle de Kandira, dans province de Kocaeli. Il a transmis une lettre sur l'isolement.
9 octobre 2024
Tiré de https://blogs.mediapart.fr/zeki-bayhan/blog/091024/lisolement-ou-l-enfer-du-huis-clos-lettre-des-geoles-turques
Capture d'écran de la lettre manuscrite de Zeki Bayhan
Zeki Bayhan est un détenu politique, incarcéré depuis 27 ans. Il a été transféré depuis peu de la prison fermée de type F de Buca Kırıklar d'Izmir, à celle de Kandira , dans province de Kocaeli, à 2 000 kilomètres d'Hakkari où il est né en 1976. Diplômé en économie, il fut arrêté en 1998 pour appartenance au Parti des travailleurs du Kurdistan et soupçonné d'avoir à ce titre perpétré des attentats à la bombe. Le 8 juin 2000, la Cour de sûreté le condamna à la peine capitale, commuée à la réclusion criminelle à perpétuité. Dans une lettre puissante et profondément émouvante il décrit l'impact psychologique et émotionnel profond que l'isolement cellulaire produit sur tout individu condamné à de lourdes peines, sans aucune perspective de révision. Dans cette lettre, Zeki Bayhan réfléchit sur la nature de l'isolement cellulaire, qui, selon lui, va bien au-delà de la séparation physique. Il décrit l'isolement comme une volonté systématique pour emprisonner l'esprit humain dans le corps, un processus qui pousse les individus à l'autodestruction. Il parle avec éloquence des luttes auxquelles sont confrontés les prisonniers, à la fois en isolement et/ou en détention partagée, en offrant une série de « fenêtres » sur la réalité déchirante de la vie dans ces conditions.
André Métayer, d'Amitiés kurdes de Bretagne.
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Zeki Bayhan
B-63 Koğuşu, 2 nolu F Tipi Hapishanesi,
Kandıra/Kocaeli , Türkiye
« J'ai l'impression de m'adresser à vous depuis une lointaine fenêtre »
Bonjour,
Lorsqu'on m'a demandé d'écrire quelque chose sur l'isolement, la première chose qui m'est venue à l'esprit a été de m'interroger sur quoi dire. Non pas parce qu'il n'y a rien à dire, mais plutôt parce qu'il y a tellement de choses et de conséquences dévastatrices qu'on ne sait pas comment les décrire. Et, bien sûr, on est hanté par le doute quant au degré de compréhension possible sur ce que va être dit. Si l'on y réfléchit bien, l'isolement et ses pratiques sont si inhumains que cela dépasse la perception et l'expérience d'un être humain normal. Ce n'est donc pas facile à comprendre. C'est pourquoi j'ai l'impression de m'adresser à vous depuis une lointaine fenêtre.
L'isolement, c'est en effet être sans fenêtre. Dans l'isolement, toutes les fenêtres sont tournées vers l'intérieur. A l'intérieur de l'être humain... Il s'agit d'une sorte d'autodestruction forcée. C'est une terrible torture que d'être obligé de ne voir, de n'entendre et de ne sentir plus que soi-même partout où l'on regarde. Comme si vous étiez pris dans un tourbillon, tiré de plus en plus bas, en ayant l'impression de s'écrouler et de s'effondrer sur soi-même. Oui, l'isolement n'a pas de fenêtre sur l'extérieur mais les personnes qui résistent trouvent des moyens de créer de petits trous dans les murs de l'isolement lui-même. Vous savez, lorsque vous mettez votre œil sur un petit trou et que vous regardez à l'intérieur, le trou grandit et se transforme en fenêtre. Ici, je vais essayer d'ouvrir quelques fenêtres par lesquelles vous pourrez voir à l'intérieur, à l'intérieur de l'isolement. Je sais que depuis la lumière du dehors, il est difficile de voir l'obscurité à l'intérieur, mais si vous rapprochez vos yeux des fenêtres, peut-être un peu plus... Parlons des fenêtres.
La politique de l'isolement pousse à s'autodétruire
Fenêtre 1 : L'isolement est l'action d'isoler physiquement une personne en l'incarcérant. Il est généralement analysé, critiqué, etc. dans ce cadre. Cependant, il ne s'agit que de l'aspect factuel de l'isolement. Les caractéristiques spatiales et architecturales sont liées au domaine d'application de l'isolement, et non à l'isolement lui-même. En réalité, l'isolement ne se limite pas à l'incarcération de personnes entre des murs. Le but de l'isolement est d'emprisonner l'esprit humain dans le corps. C'est ce qui est destructeur. C'est le but de l'isolement physique, des technologies de contrôle et de surveillance et de toutes les pratiques du régime carcéral. Avec l'isolement, toute l'attention, la sensibilité, l'anxiété et la peur du prisonnier sont incitées à se diriger vers soi-même, vers son propre corps. Dès que le prisonnier tombe dans ce piège, il commence à se découper et à se consumer. L'isolement est la politique qui consiste à pousser quelqu'un à s'autodétruire de ses propres mains. Il s'agit d'une destruction physique, idéologique, politique, spirituelle, mais nécessairement d'une destruction.
Briser les personnes sur le plan psychologique, émotionnel et intellectuel
Fenêtre 2 : Des formes les plus sombres d'isolement aux formes relativement grises, l'objectif est le même : briser les personnes sur le plan psychologique, émotionnel et intellectuel.
Dans l'isolement, bien sûr, le fait d'être seul ou avec une ou deux autres personnes fait une différence. Il est réconfortant d'entendre une autre voix que la sienne, mais dans les conditions d'isolement qui s'étendent dans le temps, les personnes qui restent ensemble perdent peu à peu leur spécificité et leur vitalité l'une pour l'autre. L'imbrication permanente des mêmes personnes dans un espace de quelques mètres carrés conduit à la mémorisation de tous les comportements et réflexes des uns et des autres.
Et dans la mesure où ceux qui restent ensemble perdent leur caractère distinctif les uns par rapport aux autres, ils deviennent partie intégrante du système d'isolement. L'isolement d'une personne se transforme en isolement de trois personnes. Et parfois, l'isolement de trois personnes peut devenir encore plus difficile, et c'est ce qui arrive.
Quel terrible tourment de ne pas avoir un seul moment pour soi
Fenêtre 3 : L'isolement est un système de destruction dans lequel les personnes sont punies à la fois en étant avec et sans les autres. L'isolement punit les gens en les empêchant d'être avec les autres. Vous avez envie d'entendre une autre voix. En revanche, dans un isolement à trois ou cinq personnes, on est puni parce qu'on est toujours avec les mêmes personnes. Je ne sais pas si vous pouvez comprendre quel terrible tourment c'est de ne pas avoir un seul moment pour soi, de ne pas avoir un endroit où être seul pendant des années et des années.
Je parle de situations telles que l'incapacité à s'éloigner lorsqu'on est frustré, l'incapacité à se retirer dans une pièce et à fermer la porte lorsqu'on est submergé par son entourage, ou l'incapacité à trouver un coin tranquille pour se reposer lorsqu'on souffre de maux de tête.
L'isolement c'est une répétition sans fin
Fenêtre 4 : La vie en isolement est basée sur une répétition sans fin. Chaque jour est le même que tous les autres jours. Imaginez que vous viviez le même jour pendant dix ans, vingt ans, trente ans. Vous avez l'impression d'être suspendu dans le temps ; vous avez l'impression que votre sens du temps a été effacé. Une petite expérience sociale : demandez à quelqu'un qui a servi dans l'armée ou étudié à l'université de vous raconter ses souvenirs à l'armée ou à l'université. Ils vous feront de longs récits. Demandez à quelqu'un qui a été emprisonné pendant vingt ou trente ans... Il sera plus silencieux. Parce qu'il a vécu la même journée pendant 20 ou 30 ans.
Emprisonner l'esprit humain dans les habitudes
Fenêtre 5 : Une vie d'isolement basée sur une répétition sans fin finit par se substituer, par l'habitude, à l'acte de penser. En vivant le même jour, il n'est pas nécessaire de repenser ses actions. Les habitudes naissent de ce que l'on a déjà pensé. Or, l'esprit a déjà pensé une fois et codé le quoi et le comment. Après cela, il s'agit d'une répétition sans fin. En isolement, les habitudes mécanisent la vie à un tel point que l'on fait souvent les choses sans réfléchir. Parfois, une hésitation apparaît, on se demande « si j'ai fait ça ou pas ». Quand on se retourne et qu'on vérifie, on s'aperçoit qu'on l'a fait. Sans réfléchir. Une personne en prison semble beaucoup penser. Cependant, il ne s'agit souvent pas d'une véritable réflexion analytique. Il s'agit plutôt d'un plongeon ou d'un va-et-vient entre des miettes fragmentées teintées d'un peu de mélancolie. J'ai mentionné que l'isolement emprisonne l'esprit dans le corps. Et le filet dans lequel l'esprit est emprisonné, ce sont les habitudes.
L'humiliation inutile du comptage biquotidien
Fenêtre 6 : Il est trompeur de penser à l'isolement en termes de pratiques individuelles. L'isolement est un système, un ensemble de pratiques. Les pratiques individuelles trouvent également leur sens dans ce contexte. Par conséquent, la perception de ces pratiques par le détenu n'est pas forcément la même que celle des personnes qui regardent de l'extérieur. La plupart du temps, elle n'est pas du tout la même. Par exemple, chaque jour, deux fois par jour, il y a un comptage. Les prisonniers sont comptés. Si vous demandez à l'État, il vous répondra : « Je dois les compter pour des raisons de sécurité ». Si vous demandez aux gens de l'extérieur, ils disent « C'est compréhensible, il n'y a pas de mal ». Dans la perception du prisonnier, cependant, le décompte est un rappel biquotidien que le prisonnier est un actif fixe, c'est une pratique faite pour maintenir en vie la “conscience du néant”.
Réfléchissons maintenant pour savoir si la perception de la personne extérieure à cette pratique est plus proche de l'État ou de la personne en isolement. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les quatre prisonnier·ère·s sont observé·e·s et surveillé·e·s à l'aide de toutes sortes d'outils technologiques. Alors est-il vraiment nécessaire, pour des raisons de sécurité, de procéder à un comptage physique afin de déterminer si les prisonniers sont dans leur cellule ou non ?
L'isolement détruit aussi psychologiquement les gardiens
Fenêtre 7 : L'isolement nuit également à la psychologie des gardiens. Il est inconcevable que les responsables de pratiques inhumaines restent normaux. Les gens deviennent progressivement des gardiens. Le système le sait également. C'est pourquoi les gardiens qui interagissent avec les avocats et les familles de l'extérieur sont généralement différents de ceux qui s'occupent des prisonniers à l'intérieur. La prison a un visage à la fois tourné vers l'extérieur et vers l'intérieur.
Ces fenêtres ne sont pas de celles qui portent la lumière, elles portent l'obscurité jusqu'à l'extérieur. C'est la raison pour laquelle cela peut être accablant. Je viens à peine de commencer, mais je m'arrête là.
Mais malgré tout, il est possible de résister
Je voudrais terminer en disant quelques mots sur le revers de la médaille. Oui, l'isolement est une obscurité profonde. Il entoure l'être humain d'innombrables filets. La conscience d'un néant infini englobe progressivement l'esprit, l'émotion, etc. Mais malgré tout, il est possible de résister. Même s'il est difficile de résister à l'isolement, il faut attraper la lumière dans l'obscurité et la faire grandir. Les prisonniers politiques y parviennent. La résistance est multiforme. Pour un·e prisonnier·ère politique qui a été isolé·e durant 10 ou 20 ans, écrire un article publiable sur la politique actuelle, par exemple, est une grande réussite contre l'isolement. Le contenu intellectuel de l'article est bien sûr important, mais ce qui est encore plus important et précieux, c'est que, malgré des années d'isolement, il n'a pas rompu avec l'agenda de la lutte populaire et qu'il peut articuler la politique actuelle. C'est un exemple de résistance qui montre que l'isolement peut être surmonté par la volonté humaine.
Les prisonnier·ère·s politiques sont des sujets politiques qui luttent en prison ou en isolement. Le passage de la position de sujet politique en lutte à celle de victime des conditions d'emprisonnement ou d'isolement est le point où la destruction commence pour le prisonnier politique. C'est un piège. Il a été mis en place. Malheureusement, certains d'entre nous tombent dans ce piège. Lorsque les prisonnier·ère·s politiques sont isolé·e·s de leur identité et de leur combat politiques, il ne reste qu'une personne victimisée. C'est l'objectif du régime d'isolement.
Appel aux soutiens : devenez correspondant
Le changement du régime des prisons et de l'isolement n'est possible que par le changement du système politique. Cela nécessite une longue lutte et donc du temps. Cela signifie que l'isolement ne sera pas levé immédiatement. En ce cas, de petites touches et contributions à la vie et à la résistance des prisonnier·ère·s politiques en prison peuvent être envisagées. Il ne faut pas oublier qu'une personne isolée a le plus besoin des gens et que la question n'est pas celle du soutien économique. Ceux qui vivent l'isolement le plus profond en prison sont les prisonnier·ère·s politiques condamné·e·es à une peine d'emprisonnement à perpétuité aggravée. Ils sont 9 dans ma prison et environ 20 au total dans les 3 prisons de notre campus. Si chacun des avocats patriotes, révolutionnaires et démocrates prenait la procuration d'un de ces amis et même s'ils les rencontraient pour une heure de conversation tous les trois mois, ce serait une bouffée d'air frais pour ces amis.
Encore une fois, si chacune des personnes bienveillantes qui ne sont pas avocats devenait le correspondant d'un de ces amis et pouvait lui envoyer quelques livres tous les deux mois, ce serait également une bouffée d'air frais pour ces amis. De telles touches sont-elles si difficiles ? C'est à vous de voir. Je l'ai suggéré. Nous devrions prendre l'isolement dans son endroit le plus sombre et commencer la lutte à partir de là. N'oublions pas cet endroit ! L'isolement peut être froid, mais l'esprit de résistance est chaud. Avec la chaleur de celles et ceux qui résistent, je vous salue tou·te·ss avec affection et respect...
Zeki BAYHAN
À ce jour, Zeki BAYHAN a publié quatre livres : “Paradigme démocratique, écologique et de libération des genres” (Belge Publications, 2011) ; “Socialisme démocratique” (Belge Publications, 2015) ; “Nation démocratique” (Belge Publications, 2016) ; “Atteindre le point zéro” (Aram Publications, 2018).
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Déluge d’Al-Aqsa, Occident et Shoah : un entretien avec Gilbert Achcar

S'il y a une lueur d'espoir au milieu de ce brouillard tragique qui hante notre région depuis le début de la guerre génocidaire à Gaza, elle consiste sans aucun doute dans le mouvement populaire de solidarité qui s'est développé dans les pays occidentaux – en contraste avec le tableau morose des pays arabes à cet égard – notamment aux États-Unis, où ce mouvement est surtout important en raison de la centralité du rôle des États-Unis dans le soutien à l'État sioniste, de leur complicité de fait avec lui et de leur pleine participation à la guerre génocidaire qu'il mène.
1. L'opération Déluge d'Al-Aqsa a ramené » la question de Palestine » au centre de l'attention du monde et a exposé les préjugés inhérents à la position officielle et institutionnelle de l'« Occident », qui a non seulement soutenu Israël, mais a sacrifié également des valeurs, telles que l'objectivité journalistique, la liberté d'opinion et autres, afin de protéger le récit du gouvernement israélien, même lorsque ce dernier s'effondrait. Par position « occidentale » ici, nous n'entendons pas tous les pays occidentaux, ni qu'il y ait une position sans objection interne ou diverses versions. Nous entendons plutôt une position qui s'est elle-même définie comme « occidentale » et a justifié ses limitations sous cet angle. Comment les attitudes médiatiques et culturelles à l'égard du génocide en cours peuvent-elles être évaluées et expliquées ? Y a-t-il eu des changements dans ces attitudes entre l'année dernière et aujourd'hui ?
Permettez-moi d'abord de préciser ce que l'opération Déluge d'Al-Aqsa est censée avoir accompli. Si par retour de la Palestine au « centre de l'attention mondiale », on entend la vague montante de condamnation de la guerre génocidaire menée par Israël et de solidarité avec le peuple palestinien, il serait plus exact de dire que cela s'est produit en dépit de l'opération Déluge d'Al-Aqsa plutôt que grâce à elle. En effet, le premier impact de l'opération a été que la sympathie mondiale pour la population israélienne a atteint son paroxysme, avec une exploitation médiatique intense de ce qui s'est passé le 7 octobre – non sans exagération et même fabrication de mythes. Toutefois, c'est la brutalité de l'assaut sur Gaza qui, en dépassant ce qui avait été observé dans toutes les guerres sionistes contre le peuple de Palestine, y compris la Nakba de 1948, a provoqué l'indignation d'une partie importante de l'opinion publique dans les pays occidentaux. Quant aux pays du Sud mondial, la majorité de leurs populations soutiennent la cause palestinienne, à l'exception de l'Inde, dominée par un gouvernement néofasciste et antimusulman qui partage l'état d'esprit du gouvernement néofasciste d'Israël.
Le cœur du sujet est l'exceptionnalité de la guerre génocidaire que l'État sioniste mène à Gaza. Cela a exacerbé le fossé dans les médias occidentaux entre ceux qui ruminent le mythe de l'État d'Israël comme rédemption de l'Holocauste nazi, de sorte que qui conque s'y oppose est renvoyé à une généalogie qui le place dans la même catégorie que les nazis, et ceux qui dénoncent ce qui est en train d'être fait par un État aujourd'hui gouverné par une coalition de néofascistes et de néonazis, dont le comportement envers le peuple palestinien rappelle le comportement des nazis allemands. Le mouvement de solidarité avec la Palestine est nettement plus fort en Grande-Bretagne que dans des pays comme la France ou l'Allemagne. L'une des principales raisons en est la différence évidente entre le complexe de culpabilité des Allemands et des Français, dont les ancêtres ont été impliqués dans l'extermination des Juifs, et l'absence d'un tel complexe chez les Britanniques, qui voient leurs ancêtres, bien au contraire, comme des sauveurs des Juifs.
2. La Shoah est le levier culturel et historique de cette position, en particulier dans des pays comme l'Allemagne, ce qui les amène à retirer « la question de la Palestine » de la politique étrangère et à l'insérer dans un récit psychologique et historique de culpabilité et de responsabilité. Comment ce récit historique a-t-il été construit et transformé en un levier de soutien occidental à Israël ?
Il s'agit d'une très ancienne entreprise de propagande, qui a commencé immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le mouvement sioniste a intensifié sa campagne envers les gouvernements occidentaux, les États-Unis en particulier, ainsi que le gouvernement soviétique, afin de les amener à soutenir le projet d'un État juif – d'abord, en exerçant des pressions sur le gouvernement britannique et, ensuite, à l'Organisation des Nations Unies lorsque la question lui fut soumise. La propagande s'est d'abord concentrée sur le rôle désastreux d'Amin al-Husseini [chef religieux palestinien] qui a agi en porte-parole de la propagande nazie pendant la guerre, de sorte que les Palestiniens purent être dépeints comme des disciples des nazis – contrairement à la vérité historique, comme je l'ai montré dans mon livre Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (2009).
Cette légende a continué à être tissée au fil des décennies, Gamal Abdel Nasser et Yasser Arafat étant tour à tour décrits comme des imitateurs d'Adolf Hitler. Les derniers à être nazifiés sont le Hamas et le Hezbollah. Le Déluge d'Al-Aqsa a fourni une occasion unique de porter ce récit mythique à son paroxysme. Dès le début, Netanyahou et ses collègues, mais aussi divers gouvernements occidentaux, ont décrit l'opération comme « le pire massacre de Juifs depuis la Shoah ». Cette façon de présenter les choses vise à dépeindre l'opération Déluge d'Al-Aqsa comme une continuation de la série de crimes racistes auxquels les Juifs européens ont été soumis tout au long de l'histoire, en la détachant ainsi de la séquence historique à laquelle elle appartient vraiment, qui est l'histoire des luttes populaires contre le colonialisme en général, et l'histoire de la résistance au colonialisme sioniste en Palestine en particulier.
3. Les récits changent et s'adaptent aux transformations sociales et politiques. Cela s'applique au récit de la Shoah, dont les traits ont changé ces dernières années. Alors que ce récit portait initialement sur la relation de l'Occident avec ses composantes juives, il a commencé à se transformer, sous une pression visant à le redéfinir, en un récit sur le danger de l'Islam pour les Juifs, en particulier après les événements du 11 septembre. Comment ce récit a-t-il été réorienté pour s'aligner sur le changement politique ?
La question est plus complexe que cela, il me semble. L'accent sioniste sur l'Islam a été conforme à la montée de l'islamophobie en Occident au cours des dernières décennies, en particulier après les attentats du 11 septembre à New York et Washington. Cela s'est produit dans le cadre d'une montée mondiale de l'extrême droite, dont l'État sioniste a été pionnier avec l'arrivée du parti néofasciste Likoud au pouvoir en 1977 ; puis en 2001, l'accès d'Ariel Sharon, alors figure la plus radicale du Likoud, au poste de premier ministre, quelques mois avant le 11 septembre ; et enfin et surtout, l'installation de Netanyahou à ce même poste sur le long terme à partir de 2009. Ils ont tous contribué à la fabrication de l'idéologie de l'extrême droite contemporaine, dans laquelle les Juifs ont été remplacés par les musulmans, de sorte que l'État prétendant représenter l'héritage de la lutte antinazie est devenu un rouage central de la tradition opposée, celle de l'extrême droite islamophobe contemporaine.
Cependant, la question se complique lorsque l'on tient compte de l'objectif israélien de « normalisation » avec les États arabes réactionnaires, et plus particulièrement avec le royaume saoudien. C'est pourquoi il existe un discours parallèle qui fait la distinction entre « bons » et « mauvais » musulmans, en mettant l'accent sur la caractérisation du Hamas et du Hezbollah comme antisémites, et, bien sûr, en les qualifiant de terroristes, afin d'établir une différence entre eux, ainsi que l'Iran qui les soutient, et les États de la « normalisation », c'est-à-dire l'Égypte, la Jordanie, le Maroc et les monarchies du Golfe. La même distinction était au cœur de la rhétorique de l'administration George W. Bush après le 11 septembre.
4. Le débat sur la position arabe sur l'Holocauste était un moyen de transformer ce récit, en concevant une culpabilité arabe ou un antisémitisme arabe susceptible de remplacer l'ancien ennemi. Comment évalueriez-vous ces tentatives, à la lumière de votre livre sur le sujet ?
Ces tentatives ne résistent pas à l'épreuve de la réalité et à l'examen des faits historiques. J'ai consacré à les réfuter un épais ouvrage, salué même par certains historiens éminents de la Shoah et qu'aucun historien prosioniste n'a pu contrer autrement que par les épithètes et les insultes habituelles, en particulier l'accusation voilée d'antisémitisme. Ils ont donc préféré le conjurer par une conspiration du silence, au point qu'aucun journal ou magazine américain de premier plan n'a publié une recension du livre, à la grande déception de mon éditeur américain, l'une des plus grandes maisons d'édition américaines. Quant à la traduction hébraïque, elle n'a été ni revue, ni commentée, ni même mentionnée dans un quelconque journal israélien. Publiée en 2017 après des années de pression de la part d'Israéliens antisionistes, la publication en a été contractée par l'éditeur américain, qui détient les droits de traduction, avec le Van Leer Institute, où plusieurs intellectuels israéliens juifs et palestiniens ont travaillé, le plus célèbre parmi ces derniers étant Azmi Bishara lorsqu'il était encore dans le pays. En fait, on peut remarquer que le débat historique sur ces questions s'est estompé ces dernières années pour être remplacé par des accusations générales sans prétention scientifique.
5. Le retour de « la question de Palestine » au centre de la politique a accompagné le « génocide » en cours à Gaza, qui a fait la une des journaux cette année, le gouvernement israélien étant accusé de perpétrer des crimes. Vous attendez-vous à ce que le « génocide » transforme les approches « occidentales » d'Israël et du récit centré sur la Shoah ?
Il n'y a pas de position « occidentale » unifiée sur la question. Il y a des gouvernements d'Europe occidentale, en Irlande, en Espagne et en Belgique, qui ont adopté assez tôt des positions condamnant l'agression sioniste contre Gaza et appelant à la solidarité avec le peuple palestinien en reconnaissant l'État de Palestine, une façon pour eux d'exprimer leur condamnation des actes du gouvernement Netanyahou et leur soutien à une solution pacifique au conflit en cours dans le cadre établi par le droit international. La réponse judiciaire à la guerre génocidaire sioniste, qui est gérée par la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, est naturellement basée sur le droit international, dont la violation par l'État sioniste a atteint un niveau plus élevé que jamais auparavant.
Tout cela a affecté d'autres gouvernements occidentaux, au point que l'Allemagne elle-même, qui a été le plus ardent des partisans d'Israël pour des raisons historiques évidentes, a commencé à exprimer une réserve timide et à suggérer que ses exportations militaires vers Israël avaient été gelées. Quant à la Grande-Bretagne, même son Premier ministre actuel, prosioniste par excellence, a été contraint d'annoncer la suspension de quelques exportations militaires vers Israël. Le dernier événement en date est l'appel du président français à mettre fin aux exportations d'armes vers Israël tant que le pays est engagé dans une guerre meurtrière contre Gaza et le Liban.
Plus important encore, l'opposition à la guerre génocidaire menée par l'État sioniste est parvenue jusqu'à la Chambre des représentants des États-Unis, où quelques élus ont soumis des projets de loi visant à assortir les exportations militaires vers Israël de conditions strictes quant à leur utilisation. Même Joe Biden, que Netanyahu a décrit comme un « fier sioniste irlando-américain », a dû suspendre pendant un certain temps la fourniture à Israël des bombes les plus mortelles, pesant environ une tonne chacune, que les forces sionistes ont largement utilisées pour détruire Gaza et anéantir son peuple. Tout cela met en évidence la contradiction flagrante entre le droit international, dont la plus grande partie a été rédigée à la suite de la victoire sur le nazisme et ses alliés, et le comportement de l'État sioniste. Les gouvernements occidentaux sont confrontés à un choix difficile dans leur position sur ce droit international qu'ils ont défendu avec enthousiasme contre l'invasion russe de l'Ukraine et ignoré en ce qui concerne la guerre génocidaire à Gaza, avec des difficultés qui s'aggravent toutefois avec le temps.
6. Le deuxième développement qui a accompagné le retour de « la question de Palestine » a été la vague de solidarité avec Gaza, qui a surpris beaucoup de monde, surtout après des décennies de mise à l'écart de la question palestinienne loin du centre de l'attention publique occidentale. Voyez-vous dans cette solidarité la possibilité d'un changement politique dans les manières d'aborder « la question de Palestine » en Occident ?
S'il y a une lueur d'espoir au milieu de ce brouillard tragique qui hante notre région depuis le début de la guerre génocidaire à Gaza, elle consiste sans aucun doute dans le mouvement populaire de solidarité qui s'est développé dans les pays occidentaux – en contraste avec le tableau morose des pays arabes à cet égard – notamment aux États-Unis, où ce mouvement est surtout important en raison de la centralité du rôle des États-Unis dans le soutien à l'État sioniste, de leur complicité de fait avec lui et de leur pleine participation à la guerre génocidaire qu'il mène. Nous en sommes arrivés au point où la position sur cette guerre est devenue un facteur avec lequel il faut compter lors des élections américaines. Il s'agit d'un développement important, et il faut espérer qu'il se poursuivra et atteindra le point où il pourrait changer l'équation internationale au sujet de la Palestine.
Vous pouvez librement reproduire cet entretien en en indiquant la source avec le lien correspondant, ainsi que la source de l'original arabe.
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7 octobre 2024 : c’est le premier anniversaire de quoi ? VP

Ce n'est pas le premier anniversaire d'une offensive de destruction, d'oppression et d'agression menée par l'Etat israélien contre Gaza en particulier et contre les Palestiniens en général. L'offensive actuelle commence en effet le 8 octobre 2023. Le 7 octobre se produisaient les massacres du Hamas, qui donneront le motif de l'offensive israélienne commencée le lendemain.
Tiré d'Aplutsoc.
Ce n'est pas le premier anniversaire d'une offensive historique de la lutte de libération palestinienne : le 7 octobre 2023, les forces du Hamas perçaient la prison de Gaza uniquement pour commettre des massacres qui allaient fournir le prétexte d'un recul historique de la situation déjà sombre des Palestiniens.
Le 7 octobre est l'anniversaire d'un pogrom et du calvaire des otages pris ce jour-là. « Pogrom » implique que l'offensive n'avait rien d'une offensive de libération, ce que l'on a pu croire parfois, faute d'informations, pendant les toutes premières heures. Il s'agissait uniquement du massacre des juifs se trouvant dans des kibboutz frontaliers et dans une rave party, plus de nombreux non juifs, palestiniens ou immigrés, et parmi lesquels des militants pacifistes ou défenseurs des Palestiniens comme Vivian Silver.
« Pogrom » signifie aussi que l'opération a pris la forme d'une vague de meurtres par armes blanches et par le feu, assortis de mutilations et de viols. « Pogrom » n'est pas un terme tendancieux « sioniste », il désigne ce que les juifs, d'Israël ou non, sionistes ou non, ont ressenti, et que les humains doivent savoir ressentir avec elles et eux.
« Pogrom », enfin, est un terme qui s'incorpore à l'analyse suivante : le processus déclenché le 7 puis le 8 octobre est réactionnaire sur toute la ligne, tant du côté du Hamas que de celui de Tsahal.
Comment qualifier, ensuite, ce qui a commencé le 8 octobre, lorsque les troupes israéliennes ont été ramenées de la Cisjordanie sur Gaza ?
« Génocide » est un terme fréquemment employé, mais pour deux raisons différentes.
L'une est l'indignation, devant les massacres, leur répétition, l'horreur, sa prolongation. Ainsi parle-t-on aussi parfois de génocides s'agissant des Ukrainiens, des Syriens, des Arméniens, des Tamouls …
Mais il y a une deuxième raison. « Génocide » était déjà, avant le 8 octobre, un terme obsessionnel s'agissant de Gaza. « Israël [id est : les Juifs] commet un génocide ».
Quant une série de crimes de guerre et de crimes de masse ont été commis chaque semaine depuis le 8 octobre 2023 envers la population de Gaza, l'indignation légitime et la deuxième raison, plus trouble, à l'emploi systématique de ce mot, se sont conjuguées.
S'il n'est pas toujours possible de rectifier chaque fois que passe le mot, il est néanmoins nécessaire de distinguer. Où en est-on exactement à Gaza s'agissant de la réalité d'un génocide ?
45 000 morts et probablement plus, une population de 2 millions de personnes dans des décombres victimes du trauma, de la faim et des maladies : c'est assurément là une situation qui comporte la possibilité d'un génocide. Et cette possibilité résulte des actes choisis et assumés par l'armée et par le gouvernement d'extrême-droite israéliens.
Mais faites le test : presque toujours, les publications et les forces politiques qui répètent, indépendamment de la situation concrète, « génocide, génocide », s'agissant de Gaza, n'ont vu aucun génocide ou risque de génocide en Ukraine, alors que le discours poutinien est explicite et que, jusqu'à il y a quelques semaines, le niveau de destruction et le type de « traitement » de la population à Marioupol ressemblait beaucoup à Gaza ; ils n'ont rien vu ni rien dit non plus s'agissant de la Syrie, ou du Tigré, où du Darfour encore récemment, où le nombre de victimes est très supérieur, victimes palestiniennes aussi en Syrie.
C'est donc que nous avons affaire à un biais particulier. Le reconnaître implique de comprendre que l'antisémitisme, loin d'être « résiduel » comme le veut le dogme de la « gauche » campiste de plus en plus réactionnaire, est une réalité forte du capitalisme contemporain.
La réalité du pogrom du 7 octobre et la réalité de la situation de risque génocidaire montant instaurée à Gaza depuis le 8 octobre devrait être comprise comme la plus terrible condamnation jetée à la face de l'ordre social et politique du monde capitaliste contemporain : car cette double mais unique réalité signifie que le risque génocidaire est réel à l'encontre des Juifs et qu'il est immédiat à l'encontre des Palestiniens.
En toute rigueur, et la rigueur est indispensable, il n'y a pas eu génocide à ce jour à Gaza, mais un massacre et des crimes de masse. Si cela continue, deux millions et demi de personnes sont exposées à mourir : le risque génocidaire est là. Il faut donc l'empêcher.
Scander que le génocide a lieu ou a eu lieu n'est pas la meilleure manière de l'empêcher réellement. Il faut, de même, empêcher la purification ethnique en Cisjordanie et briser le talon de fer en train de s'appesantir sur le restant du peuple palestinien.
Donner un nom rigoureux aux faits requiert une analyse qui situe les évènements dans la réalité mondiale du moment présent. Et l'on ne peut les comprendre autrement.
Depuis les 7 et 8 octobre 2023, on entend tous les jours d'éminents analystes poser à l'intelligence en nous rappelant pesamment ce que tout le monde sait déjà et qui est indéniable, à savoir que le 7 octobre se produit dans une situation conditionnée depuis des décennies par la colonisation … ce qui n'en fait pas un acte anticolonialiste ou excusable pour autant !
Ces mêmes éminents analystes « oublient » la réalité mondiale présente.
Or, c'est du point de vue de cette réalité mondiale présente qu'il était utile à certains que se produise la provocation pogromiste du 7 octobre. Sa conséquence directe a été de mettre l'Ukraine au bord de la défaite, en achevant de tarir les livraisons d'armes et en détournant l'attention. Une telle défaite aurait scellé le caractère de la période ouverte alors, comme un « minuit dans le siècle », un minuit précoce dans un siècle qui se réchauffe …
Malgré tout, les Ukrainiens ont résisté à ce jour, la montée au pouvoir de l'extrême-droite a été temporairement stoppée, bien malgré Macron, en France, et il s'avère que Trump peut être battu. Ni Netanyahou ni le Hamas ne sont pour rien dans cette résilience des combats pour les droits sociaux et pour la démocratie !
D'où l'impasse dans laquelle s'est trouvé Netanyahou, acculé à choisir, à Gaza, le génocide ou le cessez-le-feu. Il lui faut la guerre. Fort de ce que l'Iran était capable de lancer le Hamas dans une folie mais n'avait pas l'intention de l'aider vraiment, Netanyahou a entrepris la destruction des « proxis » de l'Iran, Hezbollah en tête, créant ainsi une situation, dans laquelle la guerre régionale semble à la porte, et la porte semble entrouverte car la guerre est au Liban, situation dont tant Trump que Poutine espèrent profiter.
Netanyahou joue avec le feu au bord du gouffre pour prolonger la situation et éviter tout choix à Gaza, prolongeant le risque génocidaire, tout en menant à bas bruit l'épuration ethnique en Cisjordanie.
Ainsi, tant la provocation du 7 octobre que ce qui a suivi et ce qui se passe à présent ne peut être compris et analysé que dans le cadre de la multipolarité impérialiste actuelle et non pas dans les catégories équivoques du « sionisme » éternel qui sont celles des petites doxas de la « gauche » dominante.
Et c'est à l'échelle internationale que nous sauverons les Gazaouis du risque génocidaire proche, et imposerons un cessez-le-feu, par le combat pour battre Trump aux Etats-Unis, Poutine par les armes en Ukraine et ensuite par les peuples en Russie, et, ne nous oublions pas, en battant Macron/Barnier/Le Pen et leur régime politique, la V° République, dont il faut sortir, en France.
Précisons que l'arrêt des envois d'armes n'aurait pas pour effet de « désarmer » Israël mais de faire tomber Netanyahou et d'ouvrir la voie à la seule manière efficace de combattre les chefs ultra-réactionnaires du Hamas ou du régime iranien : par la reconnaissance du droit national à l'autodétermination palestinienne et par le respect des libertés individuelles de toutes et de tous, quelles que soient leur identité.
Ces combats peuvent gagner.
Mais soyons clairs : le type de mobilisation « pour la Palestine » ayant eu lieu jusqu'à présent ne constitue en rien une mobilisation internationaliste efficace. C'est la mobilisation de Science-Po, mise sous les projecteurs, et pas celle du 93 où l'on s'est mobilisé, dans le silence médiatique, pour l'école publique. S'identifier au Palestinien souffrant en arborant ses couleurs et en chantant « le génocide » n'empêchera pas un génocide de se produire mais l'accompagnera. Ce qui l'empêchera, ce sont l'ensemble des combats contre les pouvoirs en place et, dans ce cadre, pour l'arrêt des envois d'armes à Israël. Ce qui l'empêchera, c'est la reconstruction d'un véritable internationalisme dans le feu de ces combats.
Ces combats peuvent gagner : Macron a donc déclaré qu'il faudrait arrêter d'armer Israël à l'encontre de Gaza. C'est une déclaration platonique qui n'entraine aucune conséquence contraignante pour la France et moins encore pour les Etats-Unis. Mais c'est une déclaration qui retentit car elle dit tout haut le problème posé à Washington : l'impasse sanglante vers laquelle Netanyahou, aidé au départ par le Hamas, fonce à toute allure.
Cette impasse sanglante est aussi celle de Poutine, elle concentre en elle l'impasse sanglante d'un ordre social global, que l'on combattra, et que l'on renversera, en commençant par stopper ses effets immédiats les plus extrêmes.
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Un an de génocide, un an de protestations

Dans cet article, la juriste et universitaire palestinienne Noura Erakat revient sur les différentes séquences qui ont jalonné l'offensive génocidaire de l'État colonial israélien contre les Palestinien-nes de Gaza depuis un an, ainsi que sur les mobilisations multiformes qui ont sillonné le monde et les initiatives juridiques visant à mettre fin au génocide et à sanctionner Israël.
Tiré du site de la revue Contretemps.
Le génocide est toujours en cours et Israël menace le Liban du même niveau de destruction que Gaza. Dans le même temps, la solidarité avec la Palestine n'a jamais été aussi puissante et la réalité du projet sioniste si limpide. Comme les Palestinien-nes qui résistent inlassablement depuis près d'un siècle, tou-tes celles et ceux qui sont soucieux-ses de l'égalité et de la justice dans le monde brandissent, aujourd'hui et pour toujours, la bannière éclatante de la Palestine jusqu'à sa libération.
***
Jour après jour, depuis un an, l'armée israélienne a mené une campagne d'extermination implacable contre les palestiniens à Gaza. Jour après jour, les gens de conscience tentent d'y mettre fin.
367e jour du génocide. J'ai pris l'habitude de compter les jours de cette manière, avec l'horrible certitude qu'aujourd'hui, la destruction à échelle industrielle des Palestiniens de la bande de Gaza se poursuit, et avec la détermination infaillible de la voir prendre fin, aujourd'hui.
J'ai établi cette pratique au 6e jour, lorsque l'on a appris que la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient avaient largué 6000 bombes en moins d'une semaine sur une population assiégée, majoritairement constituée de réfugiéEs.
Avant même cette révélation, nous comprenions que cette attaque était sans précédent. Nous le comprenions, même en sachant que la colonisation de peuplement de la Palestine par Israël avait déjà créé une structure d'élimination vieille de huit décennies ; même en sachant qu'Israël avait lancé de grandes offensives durant la guerre de 1948, la guerre de 1967 et l'invasion du Liban en 1982 ; même en sachant qu'il avait encerclé Gaza d'une grille militarisée depuis 1993, imposé un siège total depuis 2007, et démarré une campagne systématique d'offensives à grande échelle depuis 2008.
Nous comprenions que cette fois les choses étaient à la fois d'une ampleur et d'une nature différentes. Mu par un désir fanatique de vengeance, doublé du calcul opportuniste, dépourvu de tout scrupule, par lequel la Nakba pourrait être menée à son terme, Israël, avec le soutien d'une superpuissance globale, déchaîna une campagne impitoyable visant à punir et détruire un peuple qui refuse de disparaître.
Nous savions tout ceci dès le 6e jour, et puis, ce même jour vers minuit, l'armée israélienne ordonna à 1,1 million de palestiniens de se déplacer vers le sud, au-delà de la rivière Wadi Gaza. Dès le 7e jour, le spécialiste des études sur l'holocauste, Raz Segal, parlait à ce propos d'un « cas d'école en matière de génocide ». Le 8e jour, 800 chercheurs en droit sonnèrent la même alarme. Au 10e jour, l'hôpital Al-Ahli fut bombardé. Au 11e jour, 400 militantEs juifs et juives occupèrent le Capitole aux États-Unis, tandis qu'au 12e jour, les experts des Nations Unies mettaient en garde contre un génocide.
Le 27e jour, des militants d'Oakland, en Californie, empêchèrent l'accostage d'un bateau qui, les avait-on averti, transportait des munitions à destination d'Israël. Le 28e jour, 300 000 manifestants à Washington DC exigèrent un cessez-le-feu immédiat. 31e jour ; des militants à Tacoma, dans l'État de Washington, empêchèrent là encore l'accostage d'un bateau chargé de munitions. 33e jour ; trois organisations palestiniennes pour la défense des droits humains adressèrent une pétition à la Cour pénale internationale accusant Israël de génocide. 35e jour ; à Londres, près d'un demi-million de manifestants exigèrent un cessez-le-feu, et le 37e jour, le Centre for Constitutional Rights attaqua en justice le Président des États-Unis ainsi que son ministre des affaires étrangères [Antony Blinken] et son ministre de la défense [Lloyd J. Austin] pour mettre fin à leur complicité de génocide.
Tout ceci est arrivé avant le premier et le seul cessez-le-feu qui facilita l'échange diplomatique de captifs entre les 48e et 54e jours.
Quatre semaines plus tard, au 83e jour, la République d'Afrique du Sud soumit sa pétition accusant Israël de non-respect de la Convention sur le génocide. Cette initiative participait du soulèvement global de toutes celles et ceux qui n'avaient pas besoin d'une cour de justice pour caractériser ce dont ils et elles étaient témoins en temps réel. Les uns et les autres n'avaient besoin d'aucun précédent juridique pour condamner la destruction de 60 pour cent des immeubles d'habitations de Gaza, l'anéantissement de toutes les principales universités, la paralysie de 36 hôpitaux, le ciblage d'une mosquée vieille de 1400 ans et la troisième église la plus ancienne au monde.
Ils et elles n'eurent besoin d'aucun comité juridictionnel pour conclure que le fait de tuer 247 palestiniens par jour en moyenne, dont deux mères de famille toutes les heures, et l'amputation d'un ou de plusieurs membres de dix enfants chaque jour, n'étaient pas le résultat d'un grotesque affrontement urbain. Cependant, un bien trop grand nombre d'États membres de l'ONU, nécessitèrent, eux, que leur principal organe judiciaire les rappelle à leurs obligations et devoirs, pour les contraindre à contenir un État génocidaire et ses soutiens.
Au 111e jours, sur les 17 juges de la Cour internationale de justice, 15 estimèrent plausible qu'Israël était en train de perpétrer un génocide. Ils étaient d'accord sur le fait que la loi interdit ce que le sel de la terre condamne, à savoir, que la destruction d'un peuple, que ce soit à des fins politiques, ou d'accroissement d'une emprise territoriale, ou d'imposition unilatérale de la souveraineté de colons, ou pour toute autre raison, n'est jamais acceptable.
Mais cette décision retentissante se heurta à la réalité désespérante de l'absence de tout mécanisme de mise en application dans le système international, excepté, il est vrai, pour ce qui concerne le Conseil de sécurité de l'ONU dont les cinq membres permanents détiennent un droit de veto qui peut s'opposer – et qui d'ailleurs s'oppose – à la volonté de la terre entière.
Malgré cela, une opinion mondiale implacable poursuivit un combat acharné pour la justice la plus élémentaire. Si les institutions internationales ne pouvaient être mobilisées efficacement pour arrêter le génocide, les institutions nationales, elles, le seraient. Au 121e jour, plusieurs fonds de pension danois se sont désinvestis d'entreprises israéliennes ; au 122e jour, le gouvernement de Wallonie décida de suspendre deux licences d'exportation d'armes ; au 129e jour, une cour d'appel néerlandaise interdit le transfert de toutes les pièces détachées d'avions F-35 ; et au 246e jour, la Colombie imposait un embargo énergétique. En Angleterre et aux États-Unis, des militantEs sont passés outre leur propre gouvernement pour aller directement bloquer les usines Elbit, le plus gros fabricant d'armes privé d'Israël, installé à Tamworth, Oldham, et Cambridge.
193e jour : les étudiantEs des universités américaines, qui avaient protesté contre la complicité de leur institution dans le génocide, éveilla l'attention du pays lorsque les étudiantEs de Columbia installèrent un campement. Au 209e jour, il y avait plus de 150 campements semblables à travers le monde. Ces étudiantEs ne furent pas dissuadéEs par les sanctions brutales que leurs propres institutions leur infligèrent pour avoir osé s'opposer aux pires atrocités que des États pouvaient commettre, et pour s'être emparé du potentiel de l'action organisée pour changer le cours de l'histoire.
De manière héroïque, des étudiantEs en journalisme vinrent combler le vide béant laissé par toute la profession du secteur, et des diplômés produisirent de nouvelles connaissances sur la Nakba que les publications de juristes les plus en vues tentèrent de censurer, en vain. Au 228e jour, partout aux États-Unis, des assemblées adoptèrent 175 résolutions municipales en faveur du cessez-le-feu, et au 235e jour, 100 000 personnes encerclèrent la Maison blanche d'une ligne rouge humaine, en réponse à celle que le gouvernement Biden avait menacé d'instaurer autour de la dernière ville encore debout à Gaza, avant de s'y refuser au bout du compte.
Tout ceci ne représente qu'une fraction du travail entrepris à échelle globale pour stopper le génocide, et pour ne rien dire du front inflexible maintenu par les Palestiniens à Gaza, sans lequel la solidarité n'aurait aucun sens. Mais rien de tout ceci n'a suffit à mettre un terme au génocide.
A ce jour, le 366e, près de 42 000 palestiniens, pour celles et ceux que l'on a pu recenser, ont été tués -parmi lesquels, plus de 20 000 enfants, ensevelis, introuvables, et détenus. Les noms de ceux âgés de moins de un an remplissent quatorze des 649 pages du document qui tente de garder la mémoire de ces victimes. A ce stade, 902 familles dans leur intégralité ont disparu du registre civil. Le nombre réel de morts résultant du programme consistant à imposer la famine, les maladies et la destruction des conditions nécessaires à la survie, selon la revue médicale The Lancet, est de 186 000 et atteindra les 335 000 d'ici la fin de l'année.
Mon souhait
Est de voyager
D'arriver jusqu'à un hôpital
Et d'avoir une prothèse des bras.
Afin de pouvoir tenir un ballon dans mes mains
Afin de pouvoir jouer.
Afin de pouvoir écrire.
Afin de pouvoir manger
Et pourtant, même encore maintenant, Israël n'en a pas terminé. Au 355e jour, il a intensifié sa campagne avec une attaque terroriste au Liban qui a transformé des humains en bombes ambulantes. Israël a continué avec le bombardement aveugle de secteurs habités en ayant recours au même cliché raciste du « bouclier humain » qui aurait pourtant dû finir sous les 26 millions de tonnes de gravats et de débris auxquels ont été réduites ce que furent autrefois les infrastructures civiles de Gaza. Suite aux tirs de missiles iraniens sur Israël, au 359e jour, le risque d'une guerre régionale et potentiellement globale plane sur un horizon qui se rapproche.
Aujourd'hui, 367e jour, il est quasiment impossible de ne pas éprouver un sentiment de désespoir. « La catastrophe n'est pas à venir, la Nakba n'est pas le passé, » nous dit l'historienne Sherene Seikaly. Nous ne sommes pas au bord du précipice de l'apocalypse ; nous avons construit la vie dans ses replis. Dans son traité sur la reconstruction du monde, Octavia Butler nous rappelle que « tout ce que nous touchons, nous le transformons. Tout ce que nous transformons nous transforme ».
Nos efforts collectifs ont laissé une marque indélébile : les États-Unis et Israël sont isolés à l'échelle internationale, leur influence réduite au seul recours à la l'usage de la force nue, dépourvu du moindre argument juridique ou éthique en sa faveur. Leurs ravages sans limite n'ont d'égal que leur propre naufrage moral, qui saute aux yeux de qui consent à les ouvrir.
Nous sommes nous-même transformés à jamais : les yeux grands ouverts, prêts à nous défier des autorités médiatiques, sociales et politiques cherchant par tous les moyens à nous réduire à l'état de zombies obnubilés par les divertissements de la culture pop ; grands ouverts sur le fait que l'impérialisme façonne chaque détail de nos vies quotidiennes ; sur le fait que le sionisme est un racisme et qu'une Palestine libre a le potentiel de nous libérer toutes et tous.
Il nous faut reconnaître notre propre désespoir, le nommer, pour empêcher son abysse de ténèbres de transformer nos espaces d'interventions en lieux toxiques de blessures. Il nous faut nous rappeler que la capitulation n'est pas une option et que l'histoire s'étend au-delà du temps même d'une époque entière.
Il nous faut nous tourner vers les Palestinien-nes pour trouver notre meilleure ligne de conduite et notre inspiration, vers eux et elles qui, pendant 76 années, ont plus d'une fois subi des pluies de coups et qui chaque fois se sont redressés tel un phénix, pour se reconstituer et continuer à se forger un avenir dans le feu du sacrifice le plus difficile et l'assurance de la victoire collective. Un génocide a menacé d'effacer la Palestine, mais il conduit à ce que la Palestine vit aujourd'hui dans chacune et chacun de nous, immortelle. Rien, ni personne parmi nous, ne sera plus jamais le même.
*
Noura Erakat est avocate, engagée dans la défense des droits humains, professeure à l'Université Rutgers, New Brunswick, et coéditrice de Jadaliyya. Elle a publié Justice for Some : Law and the Question of Palestine (Stanford University Press).
Traduction par Thierry Labica.
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Poursuit de la guerre contre Ghaza et le Liban : Les États-Unis et l’Allemagne, principaux pourvoyeurs d’armes d’Israël

En dépit de la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) et des appels de plus en plus nombreux à un embargo sur les livraisons d'armes à Israël, les Etats-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni continuent d'assurer un soutien militaire, aux forces israéliennes.
Tiré d'El Watan.
Pendant que Beyrouth brûle sous les bombes israéliennes, que Ghaza subit depuis plus d'une année une guerre dévastatrice qui a fait plus de 42 000 morts, plus de 10 000 portés disparus et près de 100 000 blessés, que la Cisjordanie occupée est assiégée et fait l'objet d'offensives militaires violentes qui ont pour conséquence près de 600 morts en une année, les livraison d'armes à Israël n'ont pas fléchi, malgré la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) et les appels à l'embargo sur l'armement que de nombreux pays ont déjà mis à exécution.
Allié important d'Israël, la France, par la voix de son président Emmanuel Macron, a fini par rejoindre ces derniers, en appelant, jeudi, à l'interdiction de la vente d'armes à Tel-Aviv. Bien plus. Il a accusé « d'incohérence », les gouvernements qui appellent à un cessez-le feu à Ghaza tout en continuant à approvisionner les forces israéliennes en armes meurtrières.
Sous le fallacieux prétexte du droit à la légitime défense d'une force occupante, les Etats-Unis et de nombreux pays européens ont, dès le 7 octobre 2023, soutenu la guerre génocidaire contre Ghaza. Dérive après dérive, le comportement de l'armée sioniste a été jugé par la Cour internationale de justice (CIJ) comme « génocidaire », et par la Cour pénale internationale (CPI) comme des actes de « crimes de guerre » et de « graves violations » du droit humanitaire, suscitant, chez de nombreux pays, la crainte de se voir complices dans l'épuration ethnique qui se déroule sous les yeux du monde et à ce jour.
Alliée principale d'Israël, l'administration américaine n'a pas fléchi un moment son appui militaire et politique à Tel-Aviv, malgré son offensive militaire qui prend une tournure extrêmement dangereuse pour la paix dans la région, en l'élargissant au Liban, à l'Iran, au Yémen, à la Syrie et à l'Irak, en attendant d'autres pays ciblés par son projet expansionniste.
Dans un nouveau rapport sur « Costs of War Project » sur les dépenses américaines, publié il y a quelques jours, l'Institut américain Watson Bronwn d'études internationales a estimé à 22,76 milliards de dollars, le montant dépensé par l'administration américaine pour les opérations israéliennes et connexes dans la région, du 7 octobre 2023 au 30 septembre 2024. Le rapport affirme en outre que le montant global « inclut les 17,9 milliards de dollars que le gouvernement américain a approuvés en matière d'aide à la sécurité pour les opérations militaires israéliennes à Ghaza et ailleurs depuis le 7 octobre, soit bien plus que toute autre année depuis que les Etats-Unis ont commencé à accorder une aide militaire à Israël en 1959 ».
Le rapport précise, néanmoins, que cette enveloppe ne « représente qu'une partie » du soutien financier américain fourni pendant cette guerre et précise que c'est la marine américaine qui a « considérablement intensifié ses opérations défensives et offensives contre les militants houthis au Yémen », en soulignant que « les opérations US dans la région, y compris au Yémen, ont déjà coûté au gouvernement 4,86 milliards de dollars, inclus dans la somme de 22,76 milliards de dollars ».
La « raison d'état » de l'Allemagne et « les intérêts » géostratégiques US
Officiellement, depuis le 7 octobre 2023, l'administration américaine a livré à Israël 57 000 obus d'artillerie, 36 000 cartouches de canon, 20 000 fusils M4A1 et 13 981 missiles antichars. Au mois d'août dernier, elle a approuvé cinq contrats (qui attendent leur validation par le Congrès), de vente d'armes majeures, dont 50 avions de combat F-15, des munitions pour chars, des véhicules tactiques, des missiles air-air et 50 000 obus de mortier, entre autres équipements, pour un montant total de plus de 20 milliards de dollars.
Depuis le début de la guerre, Washington n'a pas cessé d'intensifier son aide à Israël tout en appelant à un cessez-le-feu et à éviter de cibler les civils. Pendant que Washington s'opposait à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU exigeant la fin de la guerre, le président Biden a contourné le Congrès et utilisé une disposition d'urgence pour vendre environ 14 000 obus de char – d'une valeur de 106,5 millions de dollars à l'Etat hébreu.
En juillet 2024, alors que des centaines de Palestiniens ont été tués dans les raids aériens sionistes à Rafah, malgré l'ordre de la CIJ pour évacuer la zone, le président Biden, a autorisé les livraisons de bombes de 227 kg, et au mois d'août, il a validé cinq opérations de vente d'armes pour plus de 20 milliards de dollars, actuellement au niveau du Congrès. Un autre accord est approuvé un mois après, pour un montant de 8,7 milliards de dollars. Au mois de mars 2024, pendant qu'Israël bloquait une file interminable de camions d'aide militaire en Egypte, au point de passage de Rafah, la presse américaine a fait état de la connaissance, par l'administration, de la décision d'Israël de fermer hermétiquement la frontière à l'aide humanitaire, alors que la population était confrontée à la famine, aux maladies, à la malnutrition et bien plus.
Fin septembre, Israël a assassiné le chef du Hezbollah libanais à Beyrouth, en lançant sur l'immeuble où il se trouvait plus de 80 bombes, anti-bunker de 900 kg chacune, de fabrication américaine qui ont réduit en cendres au moins trois tours d'habitations. Rien n'a changé dans la politique américaine vis-à-vis d'Israël auquel elle fournit 70% des armes, en dépit des appels à l'embargo sur les armes à destination d'Israël qui deviennent de plus en plus nombreux.
Plusieurs Etats ont pris la décision de cesser les livraisons d'armes à Israël, dès le début de la guerre génocidaire contre Ghaza. Il s'agit, entre autres, de l'Irlande, l'Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Nicaragua, le Chili, l'Afrique du Sud, la Turquie, pour ne citer que ceux-là mais d'autres comme l'Allemagne et le Royaume- Unis continuent d'aider militairement Israël à ce jour.
L'Allemagne livre à Israël 29% de l'armement dont il a besoin pour sa guerre contre Ghaza. Voici une récente étude élaborée par EuroVerify, un site européen qui analyse la réponse des pays européens aux appels à un embargo et les raisons du soutien de chacun des Etats à Israël. Ainsi la position de l'Allemagne est analysée comme faisant partie de sa « raison d'Etat », ou Staatsräson, en raison de son rôle dans l'Holocauste. Cela signifie que Berlin est de loin le plus grand fournisseur européen d'armes à l'Etat juif.
La France, qui selon le site, qui a assuré avoir cessé de transférer des armes à Israël, « a toutefois continué à lui fournir des pièces susceptibles d'être utilisées dans sa propre production nationale d'armes » écrit EuroVerify. Considérée comme le 3e fournisseur d'armes d'Israël, avec 1% des ventes, l'Italie, malgré son annonce de cessation d'exportation d'armes vers Tel-Aviv, a reconnu par son ministre de la Défense, « que des commandes signées avant le 7 octobre 2023, avaient été expédiées pendant la guerre », alors que la loi italienne interdit l'exportation d'armes létales vers des pays en guerre.
Le Royaume-Uni a annoncé avoir suspendu 30 des 350 licences d'exportation d'armes vers Israël, après avoir constaté « un risque clair que certaines exportations militaires vers l'Etat hébreu soient utilisées dans les violations du droit humanitaire international ». Selon EuroVerify, le Royaume-Uni fournit toujours à Israël des composants des avions de combat F-35 utilisés dans la guerre contre Ghaza.
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Israël : autopsie du suicide d’une Nation

Israël est toujours perçue comme en sursis, dans une existence conquise de haute lutte mais sans cesse menacée par un environnement régional hostile. Et si le vrai danger existentiel qui pèse sur Israël venait de lui-même ?
Tiré du blogue de l'auteur.
Juges 21-25, « En ce temps-là, il n'y avait pas de roi en Israël ; chacun faisait ce qui semblait juste à ses yeux »
Proverbes 29-18 : « Quand il n'y a point de vision, le peuple est sans frein »
« Israël n'a pas de politique étrangère, seulement une politique intérieure ». Malgré son absolu cynisme en matière de relations internationales, Henry Kissinger avait une capacité certaine à ramasser le réel en une formule quasi axiomatique.
À observer Israël et ce qui en est communément dit, seule la pression géopolitique expliquerait de façon univoque la politique extérieure du pays. Tout comme son incapacité à se normaliser dans son environnement régional. Mais, à suivre l'axiome « kissingerien », il est aussi possible de considérer que la politique étrangère israélienne est tout autant un sous-produit de sa situation politique intérieure.
Selon cette dynamique centrifuge éclairée par Kissinger, l'état de guerre permanent que vit Israël depuis sa création pourrait donc aussi être le signe d'un effort continu de pacification des tensions intérieures du pays par l'externalisation et l'exportation de celles-ci. Que les minorités intérieures, les territoires occupés palestiniens ou les pays voisins figurent cet extérieur. S'opèreraient alors une purgation et un transfert vers l'extérieur de la violence sociale et politique du pays.
Toujours selon l'explication de Kissinger, c'est à la seule condition d'une alerte existentielle permanente que la société israélienne n'implose pas. Autrement dit, cet état de guerre permanent est aussi la continuation par d'autres moyens et vers d'autres buts des forces dislocatrices qui traversent la société israélienne.
Or, depuis le 7 octobre, la mise en place concomitante d'un front intérieur et d'un front extérieur s'observe. Les guerres menées par le pays coexistent avec une exacerbation croissante de la conflictualité intérieure.
Tout se passe comme si la conflictualité extérieure ne suffisait plus à résoudre et évacuer la fracturation latente de l'État d'Israël et de sa société. Plus encore, ces deux dynamiques semblent se conjuguer, se répondre, s'additionner, voire se multiplier dans un large mouvement destructeur. Et c'est peut-être là que gît le plus grave danger existentiel pour Israël.
En suivant cette hypothèse, Benjamin Netanyahou joue, à l'évidence, un rôle d'accélérateur. Si ce dirigeant a toujours habilement manié la dynamique centrifuge qui purgeait son pays, il alimente désormais les tensions internes qui menacent la société israélienne. Et plus la situation intérieure lui échappe et s'emplit de positions inconciliables, plus Benjamin Netanyahou ouvrira de nouveaux fronts dans ses guerres extérieures.
Le front libanais, appelé en Israël de façon significative la « guerre du nord » qui vient s'ajouter à celle de l'ouest (Gaza) et celle de l'est (Cisjordanie), illustre ce schéma encastré non seulement dans l'éthos du Premier ministre mais aussi dans l'instabilité chronique d'Israël. Comme si le pays ne disposait toujours pas des mécanismes intérieurs nécessaires et suffisamment forts pour se pacifier.
En sociologie, l'anomie est une situation où se trouvent les individus lorsque les règles sociales qui guident leurs conduites et leurs aspirations perdent leur pouvoir, sont incompatibles entre elles. Ou lorsque, bousculées par les changements sociaux, elles sont concurrencées et doivent s'effacer devant d'autres normes.
Un pays, organisation normé s'il en est, peut aussi se trouver en situation d'anomie. L'anomie israélienne tient à plusieurs facteurs : effilochement du tissu social, poussée de l'extrême-droite religieuse, sape du sentiment de confiance envers l'État, pression de la guerre, communautés qui vivent en parallèle ou en opposition mais non ensemble… Cette anomie intérieure est renforcée par une autre anomie, internationale celle-là. Les guerres israéliennes actuelles se placent dans un vide international, entre repli électoral ou de longue durée des États-Unis et impuissance organisée de l'ONU.
Retour à « Sde Teiman » : quand l'armée vacille
Institution centrale de l'ordre social, économique et politique israélien, l'armée n'échappe pas à ces tensions. Lorsque les historiens se pencheront sur ce qui aura été le signe le plus flagrant d'une société israélienne en voie de fracturation, un chapitre entier sera consacré non pas à la guerre à Gaza mais à la prise d'assaut de la base militaire de Sde Teiman, le 29 juillet dernier.
Tout est parti de l'arrestation par la police militaire des Forces de défense israéliennes (IDF) de neuf réservistes au sein du camp de détention de la base militaire de Sde Teiman. Ces soldats devaient être interrogés après qu'un prisonnier palestinien, détenu dans l'établissement, avait été transporté d'urgence à l'hôpital. Les réservistes étaient soupçonnés d'avoir commis sur lui des sévices graves et de l'avoir sodomisé de force.
Or, après avoir tenté d'entrer dans la prison militaire de Sde Teiman pour les libérer, des manifestants d'extrême droite ont envahi la base militaire de Beit Lid, laquelle abrite aussi la police militaire et certains tribunaux de Tsahal. Selon la presse israélienne, les assaillants, dont certains semblaient armés, ont été encouragés par des membres ultranationalistes de la coalition gouvernementale, également présents sur place. Ceux-ci entendaient contester les processus internes de l'armée pour juger ses propres soldats.
Le ministre du Patrimoine Amichay Eliyahu, les députés Zvi et Nissim Vaturi ont même été filmés parmi les personnes forçant l'entrée de la base. Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir comme celui des Finances, Bezalel Smotrich, ont de leur côté mobilisé leurs partisans ou justifié cet assaut. Les journalistes présents ont noté que la police israélienne, placée sous l'autorité du ministre Ben Gvir, était restée relativement passive et n'avait arrêté aucun des manifestants.
Du côté politique, le ministre de la Défense, Yoav Gallant a alerté contre ce « grave » incident qui portait “gravement atteinte à la démocratie israélienne ». Yaïr Lapid, chef du parti d'opposition Yesh Atid, via X, a affirmé que le message envoyé par les députés qui ont pris d'assaut les bases de Tsahal est qu'“Ils en ont fini avec la démocratie, ils en ont fini avec l'État de droit”. “Ce n'est pas une émeute, c'est une tentative de coup d'État menée par une milice armée », a-t-il poursuivi.
La presse israélienne a été vivement alarmée par ce double assaut. Le très influent éditorialiste Ben Caspit y a vu une “marche vers la guerre civile” et un abandon de l'État de droit, alors même que les institutions israéliennes, estime-t-il, y compris l'armée du pays, fonctionnent conformément à la loi depuis la déclaration de l'indépendance du pays en 1948.
Pour le journaliste Barak Ravid, d'Axios, cet incident traduit “la désintégration de la chaîne de commandement de Tsahal et de l'ordre public interne de l'armée, encouragée par des politiciens ultranationalistes qui, pendant des années, ont qualifié l'armée d'institution ‘libérale' et ont affirmé qu'elle faisait partie d'un ‘État profond' qui avait besoin d'être démantelé”.
Ha'Aretz, tout aussi alarmé, cite de son côté des sources de la Défense selon lesquelles les événements dans les deux bases reflètent « la désintégration de la société israélienne » et pour lesquelles cet incident est "plus dangereux que l'Iran et le Hezbollah réunis."
Ces alarmes ont été d'autant plus vives que les militants d'extrême-droite ont obtenu gain de cause avec la libération des 9 soldats alors que la prison a été qualifiée, dans la presse internationale et du pays, de « Guantanamo à l'israélienne ». L' arrestation des soldats avait pourtant été une façon pour l'armée d'indiquer à la communauté internationale que le système judiciaire israélien a les ressources pour juger les manquements au droit israélien et au droit international commis par ses soldats.
Sde Teiman n'est pas un épiphénomène. L'incident a ébranlé quelques socles de la société israélienne dont le prestige de l'armée et l'inviolabilité de ses bases. De la même façon, il a été interprété comme une façon de sortir ou d'exempter Israël du système international et de toute responsabilité qui en découle.
Une tentation contre laquelle avait pourtant mis en garde Aharon Barak, qui fut président de la Cour Suprême israélienne, et qui avait rappelé qu' « Israël n'est pas une île enclavée, mais fait partie d'un système international ». Un système auquel il doit théoriquement rendre des comptes.
Le face-à-face de l'Armée et de la Police
À Sde Teiman, devant l'absence de réaction de la police ou sa relative passivité, l'armée israélienne a été contrainte de se déployer face à des manifestants ultranationalistes restés impunis. Dans cet instantané figurant une mise en opposition de la Police et de l'Armée, se cristallise l'une des lignes de fracture qui menacent la société israélienne.
Ces tensions sont d'abord affaires d'hommes. Yoav Gallant a des relations notoirement exécrables avec Benjamin Netanyahou et Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale. Les prises de position du ministre de la Défense, sur la question des otages, sur l'hypothèse d'une « victoire totale » sur le Hamas avancée par Netanyahu et qu'il a qualifié d'« absurde » , comme ses réticences à ouvrir un front libanais ou son objection à l'exemption des étudiants de yeshiva du service militaire, indiquent d'une crise de confiance entre l'appareil militaire et le Premier ministre, flanqué de ses alliés d'extrême-droite.
Si le Premier ministre a exclu Itamar Ben-Gvir du cabinet de guerre, il lui a toutefois concédé la sécurité intérieure. Une façon également de contenir Yoav Gallant, aussi perçu comme l'homme des Américains, en accordant de larges pouvoirs au trublion d'extrême-droite sous la responsabilité de qui la Police a été placée.
Lorsque le gouvernement a été mis en place en novembre 2022, la presse israélienne avait craint que Ben Gvir ne forme une milice pour son usage politique. La distribution massive d'armes à des civils, après le 7 octobre, a ravivé cette crainte. Après que des objections ont été soulevées contre la création d'une garde nationale qui rendrait directement compte au ministre, celui-ci a obtenu le vote d'une loi sur mesure. Une loi analysée par Ha'Aretz comme « une autre étape cruciale vers l'éclatement final de la démocratie israélienne ».
Cette loi, adoptée en décembre 2022, accorde de larges pouvoirs en matière de police au ministre de la Sécurité nationale. Son adoption était une condition essentielle posée par Ben Gvir pour rejoindre le gouvernement de Benjamin Netanyahu.
Concrètement, cette loi sur mesure permet au ministre de la Sécurité intérieure de « définir les politiques de la police et les principes généraux de son fonctionnement ». Elle autorise également au ministre de définir la politique en matière d'enquêtes, après consultation du procureur, du commissaire de police et des officiers chargés des enquêtes. Autrement dit, l'un des premiers actes du gouvernement a été d'octroyer à un ministre d'extrême-droite religieuse et ultra-nationaliste le contrôle opérationnel de la police.
La Cour suprême comme la Procureure générale ont tenté de maintenir et garantir l'indépendance de la Police et de ses enquêtes après que des groupes de la société civile ont contesté les pouvoirs étendus de Ben Gvir, s'inquiétant que les dispositions vagues de la loi créent un risque de politisation de l'institution policière. Mais le ministre a déjà laissé son empreinte sur la police, en nommant des responsables qui lui sont inféodés.
Cet été, un incident a ainsi dernièrement conforté les craintes des médias et des citoyens israéliens. Une jeune femme, qui avait jeté une poignée de sable dans la direction de Ben Gvir, a été violemment arrêtée et placée en garde à vue durant 24H. Beaucoup y ont vu la confirmation que la Police, forte de 30.000 hommes, se conforme déjà aux ordres et au programme d'un ultranationaliste extrémiste.
La crainte est d'autant plus forte dans un contexte de manifestations régulières de la société civile du pays. En 2023, la Cour suprême a explicitement interdit à Ben Gvir de donner des instructions à la police en raison de préoccupations concernant le maintien de l'ordre lors des manifestations antigouvernementales. Cependant, Itamar Ben-Gvir a notoirement protégé des officiers accusés de violences durant ces manifestations.
Depuis que Ben-Gvir a pris la direction de la police du pays, la police a été accusée de laxisme face à la violence des colons en Cisjordanie occupée, de tactiques agressives contre les manifestants antigouvernementaux et de ne pas avoir réussi à mettre un terme aux attaques d'extrême droite contre les convois humanitaires à Gaza assiégée. Dans le même temps, Ben-Gvir a cherché à modifier unilatéralement le statu quo qui régit le lieu saint le plus inflammable de Jérusalem, l'enceinte de la mosquée al-Aqsa ou Mont du Temple. « Un jour, le tyran (Benjamin Netanyahou) jettera un coup d'œil par-dessus son épaule et constatera que l'homme qu'il a nommé pour assurer sa sécurité commence à constituer sa propre armée. », avertit de son côté l'analyste Yossi Klein dans un article alarmé.
Sous Ben Gvir, Israël connaît une recrudescence des crimes violents, un nombre record de meurtres et une forte augmentation du nombre d'accidents de voiture mortels. En particulier, les crimes violents dans les villes et villages palestiniens israéliens ont atteint des niveaux records, passant de 116 meurtres en 2022 à 244 en 2023. Près de 170 Arabes israéliens ont été assassinés en 2024. Dans son éditorial du 15 septembre, Ha'Aretz notait ainsi que sept citoyens arabes ont été tués en Israël en moins de 24 heures. Mais rien de tout cela n'est une priorité pour la police de Ben-Gvir.
La conflictualité intérieure israélienne s'est accrue, que celle-ci concerne les Palestiniens de Cisjordanie, ceux de citoyenneté israélienne, les manifestants contre la politique de Netanyahou, les familles des otages ou l'armée comme lors de l'assaut de Sde Teiman. Une violence qui se diffuse et qui vient comme pointer une anomie naissante en Israël. Une anomie entendue non pas au sens de l'absence ou d'organisation ou de loi, mais au sens de disparition des valeurs communes à un groupe.
Cette anomie intérieure semble répondre, en miroir, à une autre anomie, celle constatée dans la guerre menée à Gaza et dans les territoires occupés. Dans la chaine de commandement comme dans le comportement individuels ou en groupes de certains soldats israéliens, l'anomie prend alors la forme non pas de l'absence de toute norme ni même de toute morale mais du refus de celles-ci.
Israël a toujours affirmé être tout à la fois une démocratie et un État de droit. Un État régit par la loi et s'inscrivant dans un système international. La Police comme institution encadrée par des normes rigoureuses, et non inféodée à un parti politique ou un homme, participe en théorie de ces principes. Pourtant « [p]lus Ben Gvir et Smotrich seront en charge de la sécurité nationale et de la Cisjordanie, plus il sera impossible de croire que les décisions en matière de sécurité ne sont pas biaisées par des considérations personnelles et de partis politiques », observe dans Ha'Aretz, Mordechaï Kremnitzer de l'Israel democracy institute.
La possibilité d'un schisme intérieur sur fond de colonisation accélérée
Un autre transfert de pouvoirs significatifs a été de façon discrète, porteur également d'un possible schisme. Politique et territorial celui-là.
Le 29 mai dernier, l'armée israélienne a discrètement cédé d'importants pouvoirs en Cisjordanie occupée à l'administration de Bezalel Smotrich. Bon nombre des pouvoirs exercés auparavant par la chaîne de commandement militaire, de la réglementations en matière de construction jusqu'à l'administration de l'agriculture, de la sylviculture, des parcs et des zones de baignade, sont désormais sous la responsabilité de ce ministre d'extrême-droite. Ce transfert réduit également les contrôles juridiques sur l'expansion et le développement des colonies. Autrement dit, Smotrich, qui vit lui-même dans une colonie illégale, supervisera lois et réglementations régissant la vie des 800000 colons mais également des millions de Palestiniens de Cisjordanie.
Ce transfert de pouvoir a été compris comme venant affirmer la souveraineté israélienne en Cisjordanie. Il est largement considéré comme une étape significative vers l'annexion de jure par Israël de grandes parties de la Cisjordanie. Les Accords d'Oslo, déjà moribonds, ne sont plus. La colonisation n'est plus rampante mais ouverte. 2024 aura d'ailleurs été l'année lors de laquelle la plus grande superficie de terres de Cisjordanie a été déclarée « Domaines de l'État ».
Certes, officiellement, le pouvoir a été présenté comme essentiellement administratif. Mais sur le terrain les colons surarmés, leur impunité et leur autonomisation croissante par rapport à l'État d'Israël emportent les germes d'une autonomie plus large pour eux et de cette même anomie en germe à l'échelle du pays.
Voici Bezalel Smotrich intronisé tétrarque ou satrape de ce qu'il nomme « Judée-Samarie ». Pourtant la CIJ et l'Assemblée générale de l'ONU ont estimé que la présence israélienne dans les territoires palestiniens constitue bel et bien une occupation et un crime international, requérant dès lors le retrait israélien de ces mêmes territoires. Déjà dans les documents officiels israéliens, la région figure une division administrative à part, nommée « Gouvernorat de Judée et Samarie ».
Entre la violation continue du droit international et la possibilité d'une guerre civile si ce même droit international venait à s'appliquer, Israël a choisi et choisira toujours la première hypothèse.
Mais les pouvoirs élargis qu'a obtenus Bezalel Smotrich suffisent déjà pour créer une entité politique autonome. Une entité peuplée de 800 000 colons qui pourraient décider de ne plus appliquer les lois profanes de l'État d'Israël.
Le 7 octobre a été compris par beaucoup comme la traduction humaine d'une eschatologie cachée et en voie d'accomplissement. Les colons en Cisjordanie sont en effet toujours plus gagnés par une fièvre messianiste. En témoigne le mouvement dit des « Jeunes des Collines ». Quand l'autorité de l'État israélien contreviendra de façon frontale à un mode de vie et à des normes qui se veulent comme découlant de la seule autorité de la Loi religieuse juive, que se passera-t-il alors ? Déjà le projet de conscription des Haredim ou ultra-orthodoxes en donne un aperçu en termes de refus et de désobéissance.
L'Histoire se répétera-t-elle ? Selon la Bible, après la mort du Roi Salomon, un schisme apparut qui mena à la scission de l'Israël antique en deux entités politiques rivales : le royaume d'Israël et le Royaume de Judée. Dans la volonté d'assurer une souveraineté juive sur la Cisjordanie, Benjamin Netanyahou peut aussi être l'instrument involontaire d'une répétition de cette scission antique.
Une société en lente fracturation
Dans l'histoire d'Israël, les risques de scission ont déjà existé. Le pays a traversé, entre autres, les manifestations massives qui ont suivi la guerre du Liban en 1982, l'assassinat d'un Premier ministre en 1995 et le retrait forcé de 8 600 colons qui ont quitté le bloc de Gush Katif, à Gaza en 2005.
Une autre brèche s'est ouverte depuis le 7 octobre, qui se cristallise notamment dans la question des otages. La presse israélienne a documenté les obstacles sciemment posés par Netanyahou à tout accord. Dernièrement, c'est sur le corridor de Philadelphie, sur lequel Netanyahou entendait garder le contrôle, que les pourparlers ont achoppé. Philadelphie, ou l'amour des frères…il faut prêter sens aux mots.
La certitude qui s'installe que le gouvernement israélien a préféré abandonner ses citoyens au profit de calculs politiques pour les uns ou de prophéties fumeuses pour les autres a approfondi les tensions du corps social israélien qui court depuis quelques années. La stigmatisation des familles des otages et de leur soutien participe de ce délitement, ces familles étant de plus en plus ouvertement traitées comme des ennemis intérieurs politiques.
L'abandon effectif des otages retenus par le Hamas a aussi montré que deux sociétés israéliennes, deux visions aussi, se font face et peuvent s'affronter : celle d'un Israël qui refuse la guerre perpétuelle et aspire à un cessez-le-feu contre un Israël qui voit dans ces évènements tragiques l'occasion de concrétiser le « grand Israël » messianiste. Un Israël laïque, qui se revendique d'une tradition sioniste mais qu'il considère comme aboutie et close. Face à cet Israël, dont beaucoup des otages sont issus, se tient un Israël religieux qui inscrit les évènements dans une lecture religieuse et dans une dynamique territoriale, considérée comme non aboutie.
En un sens, cette fracture poursuit et approfondit la crise institutionnelle que le pays connaissait avant le 7 octobre, en raison du désir du gouvernement israélien et de Benjamin Netanyahu de réduire l'indépendance de la Cour suprême. Celle-ci est garante du contrôle judiciaire et de la protection des libertés civiles, notamment parce que le pays ne dispose que d'une seule chambre législative. Le pays n'a pas non plus de constitution formelle, mais un ensemble de 13 lois fondamentales que la Cour suprême utilise comme constitution de facto. Autrement dit, la Cour Suprême avait développé un contrôle juridique des actes politiques, ce qui a semblé insupportable pour Netanyahou et ses alliés.
Or, la réforme que voulait impulser le premier ministre consistait notamment à annuler les décisions rendues par la haute juridiction par une simple majorité d'une voix à la Knesset. Une Knesset pourtant contrôlée par des partis extrémistes pour lesquelles la loi de l'État n'est au mieux qu'une modalité pour généraliser l'application de la loi religieuse.
Cette possible mise au pas de la plus haute instance judiciaire du pays avait suscité de sérieuses inquiétudes et provoqué de vastes manifestations contre ce qui était alors qualifié de « coup d'État judiciaire ». Lors des manifestations qui ont suivi le projet de loi, l'armée traditionnellement socle de cohésion du pays avait montré des signes de tension avec plus de 1 000 réservistes de l'armée de l'air qui avaient alors songé à boycotter leur devoir militaire si le projet de loi progressait.
La question des responsabilités qui ont mené au 7 octobre sera forcément posée et peut approfondir ces ruptures entre l'armée et le pouvoir politique. Certes Benjamin Netanyahou a indiqué que la création d'une commission d'enquête devra attendre la fin de la guerre, tout en se dédouanant par avance de toute responsabilité et ou en laissant ses proches charger l'armée israélienne des défaillances qui ont mené à cette catastrophe humaine.
Mais la tension qui monte entre lui et l'appareil militaire et sécuritaire ne s'apaisera pas quand il faudra pointer les responsabilités. Pour les observateurs israéliens, si l'armée israélienne se retrouve comme bouc émissaire du 7 octobre et de l'échec des actions militaires qui ont suivi, elle devra choisir entre accepter sa marginalisation indéfinie ou se heurter frontalement au pouvoir politique. De ce choix découlera aussi l'avenir d'Israël.
Il est ainsi symptomatique que les références à l'affaire Altalena se multiplient dans les débats médiatiques israéliens. Le 26 mai 1948, Ben Gourion publiait un ordre portant sur la formation des Forces de défense israéliennes (IDF). Or, certaines milices sionistes, dont l'Irgoun et le Léhi avaient alors refusé cette institutionnalisation afin de préserver un certain degré d'indépendance politique. Ce fut le début de cette affaire Altalena, lorsque les IDF, dominées par la Haganah, tentèrent de bloquer une cargaison d'armes à bord du cargo Altalena et destiné à l'Irgoun. L'affrontement avait entraîné la mort de nombreux membres de l'Irgoun, des arrestations massives et le bombardement du navire lui-même. Cette mini-guerre civile dans le tout jeune État israélien a abouti à un équilibre historique que le 7 octobre a peut-être bouleversé.
Dans l'anomie qui gagne la société israélienne, la guerre devient non pas une situation perturbatrice de la coexistence sociale mais un moyen d'assurer cette dernière. Et avec l'anomie, c'est aussi le sens même de l'altérité qui s'efface.
À la Nakba continuelle, un 7 octobre continu fait miroir. Chaque jour est une répétition de ce trauma. Le risque à terme est de sortir des catégories encore normées de la paix et de la guerre pour entrer dans un nihilisme. Une étanchéité entre les faits et les valeurs qui ne peut être que destructrice pour tous.
« Il n'y aura pas de guerre civile [en Israël] » répète à l'envi Benjamin Netanyahou, lors de chaque crise intérieure. Il sera pourtant peut-être celui qui livrera le pays à ses apories, contradictions renforcées paradoxalement par des choix politiques censés les prévenir.
Tel Samson arcbouté entre ses deux piliers à Gaza…
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Actions urgentes nécessaires

L'Israël génocidaire a lancé une campagne d'extermination contre 400 000 survivant.es palestinien.es dans le nord de Gaza.
11 octobre 2024
Par le Comité national palestinien BDS (BNC)
Traduction Arthur Young
En plein génocide contre 2,3 millions de Palestinien.es dans la bande de Gaza occupée, l'armée israélienne intensifie ses massacres dans le nord de la bande de Gaza pour déplacer de force la population palestinienne restante – environ 400 000 personnes. Au cours des sept derniers jours, les forces israéliennes ont avancé dans cette zone, bloquant de fait les trois seules entrées et imposant un siège qui comprend des frappes aériennes et des bombardements massifs, ciblant en particulier ce qui reste du camp de réfugié.es de Jabalia.
Alors que le bilan des mort.es s'alourdit, les corps de nombreux.euses Palestinien.es massacré.es gisent dans les rues, inaccessibles en raison du blocus en cours. Les forces génocidaires israéliennes tirent sur les Palestinien.es qui tentent de secourir les blessé.es. Israël a ordonné aux hôpitaux du nord de Gaza d'évacuer tout le personnel et les patient.es, menaçant de bombarder s'ils ne s'exécutent pas. Parallèlement, Israël intensifie son agression sanglante en Cisjordanie occupée, ses massacres au Liban, allant jusqu'à bombarder une position de casques bleus de l'ONU, et ses campagnes de bombardements en Syrie, en Irak et au Yémen.
La criminalité sans précédent d'Israël est le résultat direct de son impunité sans précédent, rendue possible par l'armement, le financement et le partenariat total de l'Occident colonial, dirigé par les États-Unis.
« Où aller ? » se demandent plus de 400 000 Palestinien.es resté.es dans le nord de Gaza. Il n'y a pas de réponse, car il n'y a pas d'endroit sécuritaire où aller. Israël utilise la politique de la « terre brûlée », réduisant les terres palestiniennes en poussière, bombardant des maisons, des infrastructures, des installations médicales et des écoles, pendant qu'il provoque une famine énorme et la propagation de maladies infectieuses afin d'exterminer autant de Palestiniens que possible et de nettoyer ethniquement les survivants.
Ceci est un appel urgent à l'action : agissez maintenant pour mettre fin au génocide israélien contre les Palestinien.ess, diffusé en direct. Seul notre pouvoir populaire peut construire la pression nécessaire pour mettre fin au carnage israélien et contribuer au démantèlement de son régime de colonialisme de peuplement et d'apartheid, vieux de 76 ans.
IL FAUT AGIR MAINTENANT :
1. FAITES PRESSION SUR VOTRE GOUVERNEMENT POUR QU'IL IMPOSE DES SANCTIONS À ISRAËL, Y COMPRIS UN EMBARGO MILITAIRE TOTAL.
Ce n'est pas un choix, c'est un devoir : les sanctions contre Israël ont été votées par une majorité global de 124 États le 18 septembre à l'Assemblée générale des Nations Unies . Les décisions historiques de la Cour internationale de justice cette année déclenchent l'obligation juridique de tous les États de mettre fin à leur complicité avec le régime d'oppression d'Israël.
2. DESCENDEZ DANS LA RUE POUR FAIRE PRESSION SUR LES GOUVERNEMENTS POUR QU'ILS METTENT FIN À LA COMPLICITÉ.
Rejoignez les millions de personnes qui manifestent et perturbent pacifiquement le cours normal des choses pour faire pression sur leurs gouvernements afin qu'ils mettent fin à leur complicité dans les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide d'Israël.
3. SOUTENEZ LE MOUVEMENT DE BOYCOTT, DÉSINVESTISSEMENT ET SANCTIONS (BDS).
Le mouvement BDS est dirigé par la plus grande coalition de la société palestinienne. Boycottez les entreprises ciblées par le mouvement BDS. Faites pression sur votre université, votre fonds de pension, votre conseil municipal, votre syndicat, votre église, votre centre culturel et d'autres institutions pour qu'ils respectent les directives du BDS, pour qu'ils désinvestissent des entreprises complices de l'occupation militaire, de l'apartheid et du génocide israéliens.
4. EXIGER LA SUSPENSION IMMÉDIATE D'ISRAËL, UN ÉTAT D'APARTHEID, DE L'ONU.
Israël a été admis en 1949 au sein de l'ONU sous le faux prétexte qu'il s'agirait d'un État épris de paix et prêt à coopérer avec l'ONU pour mettre en œuvre la résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations Unies, qui stipule le droit des réfugié.ss palestinien.es au retour et à des réparations. Aujourd'hui, alors qu'Israël poursuit son génocide à Gaza, ses massacres au Liban, ses attaques contre les Casques bleus de l'ONU et son nettoyage ethnique des Palestinien.es en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, il est grand temps d'expulser Israël de l'ONU et de toutes les instances internationales.
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Il n’y aura pas de paix juste sans sanctions contre Israël

Le 6 octobre 2023, il n'y avait ni calme, ni paix pour les Palestiniens. La violence, nous la vivons au quotidien. Elle s'invite dans notre chair, sous les bombes, aux check-points, derrière les barreaux, dans la rue, ou simplement en allant cueillir des olives.
Tiré du blogue de l'auteur.
Nous, Palestiniennes et Palestiniens — et Arabes de manière plus générale — sommes exténués. Chercher l'empathie et la reconnaissance de notre lutte auprès de l'opinion publique semble parfois vain. Comme nos parents, nos grands-parents avant nous, nous portons chaque jour le deuil de nouveaux massacres, exodes forcés, maisons arrachées, révoltes écrasées. Inlassablement, nous devons justifier notre droit le plus élémentaire de vivre libres sur notre terre, en espérant ne pas être accusés d'antisémitisme ou d'apologie du terrorisme. Un an écoulé et se pose la question de comment avancer ? La fin de l'impunité d'Israël alimentée par notre déshumanisation reste la clé.
Le génocide en cours à Gaza est sans aucun doute l'un des pires épisodes de l'histoire contemporaine du peuple Palestinien. Israël a tué plus de 40,000 palestiniens et exterminé 902 familles entières rayées du registre de la population. Il est difficile de prendre du recul lorsque nous sommes dans le tourbillon d'un moment historique et une telle déflagration, où l'urgence est à stopper le carnage, arrêter de creuser des fosses communes.
Néanmoins, pour construire un chemin politique et social fondé sur les valeurs de liberté, équité et droits humains sur toute la terre du Jourdain à la mer Méditerranée - aujourd'hui entièrement contrôlé par Israël - il faut comprendre le moment actuel dans son contexte - même le plus immédiat - à la lumière des faits et non de la désinformation et des anathèmes, car les narratifs sont intimement liés aux décisions politiques.
La violence n'a pas commencé le 7 octobre et le “conflit” ne s'est pas amorcé ce jour-là non plus. Faire de cette date le point de départ pour expliquer la situation — et en faire le point central de la couverture médiatique sur la situation — c'est déjà s'inscrire dans le problème. Prendre pour prisme les violences subies par les Israéliens plutôt que de les reconnaître comme un symptôme, c'est effacer d'un revers de main des décennies de politiques génocidaires, d'invasions de pays voisins, de bombardements de capitales étrangères, et de spoliation des terres. Cela banalise la violence, tout en exigeant de nous soumission, silence et surtout, l'interdiction de résister pour un avenir meilleur.
Demander aux Palestiniens ce qu'ils pensent de la violence ou s'ils la condamnent — une tactique d'interview usée jusqu'à la corde — c'est faire l'impasse sur le fait que cette violence, nous la vivons au quotidien. Elle s'invite dans notre chair, sous les bombes, aux check-points, derrière les barreaux, dans la rue, ou simplement en allant cueillir des olives. Aucun parent, qu'il soit chrétien, juif, musulman ou bouddhiste, ne devrait jamais avoir à enterrer son enfant.
Il y a soixante-seize ans en 1948, 750,000 Palestiniens étaient expulsés de leurs terres et forcés à l'exil - dont toute ma famille paternelle - dans une campagne de nettoyage ethnique appelée la Nakba. Depuis octobre 2023, deux millions de Palestiniens de Gaza ont de nouveau été déplacés, nombreux d'entre eux étant déjà des réfugiés de la Nakba de 1948.
Les Palestiniens ont toujours vécu la Nakba comme un processus continu de dépossession et non pas un événement limité dans le temps. Une violence palpable, tant dans des flambées extrêmes comme à Gaza aujourd'hui que dans le système complexe de colonisation imposé par l'occupation militaire et l'apartheid, qui envahissent nos vies quotidiennes, contrôlant notre temps, notre espace, et jusqu'aux décisions les plus intimes.
La dernière décennie a été marquée par la fin de l'illusion d'un "processus de paix", par des soulèvements massifs populaires comme la Grande Marche du Retour de 2018 à 2020, réprimée dans le sang, et les soulèvements populaires en 2021 pour Jérusalem, tant d'événements qui ont culminé avec l'attaque du 7 octobre.
L'extermination en cours à Gaza s'inscrit dans un continuum d'oppression systémique qui remonte aux origines du projet sioniste. Il n'est pas le résultat d'une vengeance qui aurait mal tourné ou d'une réponse “exagérée” au 7 octobre ou encore moins d'une offensive visant à “éliminer le Hamas”. Ce n'est pas non plus une guerre pour récupérer les otages israéliens, qui auraient été libérés depuis longtemps si Netanyahu n'avait pas rejeté les accords de cessez-le-feu successifs ou fait assassiner le principal négociateur du Hamas. De toute manière, le gouvernement Israélien aurait trouvé d'autres prétextes pour l'opération de destruction totale en cours.
Le 6 octobre 2023 il n'y avait ni calme, ni paix pour les Palestiniens, seulement une illusion de tranquillité pour les Israéliens barricadés derrière leurs murs et leur arsenal militaire étouffant et invisibilisant les Palestiniens. Gaza subissait depuis seize ans un blocus inhumain et transformé en "prison à ciel ouvert". En Cisjordanie, les années 2022 et 2023 avaient été les plus meurtrières depuis des décennies. La violence quotidienne contre les Palestiniens, banalisée et ignorée des médias, était reléguée au rang de simples épisodes dans un “conflit inextricable” — un anathème effaçant toute dimension coloniale et politique, exonérant ainsi Israël de ses responsabilités.
Aujourd'hui Netanyahu et sa coalition mènent une stratégie de destruction totale en commençant par Gaza et par extension la Cisjordanie et le Liban. Il embrasse la doctrine du leader sioniste Jabotinsky qui, en 1923 reconnaissant le caractère colonial du projet sioniste, et qu'« il n'existe pas de cas unique de colonisation effectuée avec le consentement de la population autochtone” prônait la mise en place d'un “mur de fer” pour écraser toute contestation.
Comment Israël a-t-il pu façonner et fabriquer un tel consentement à son entreprise de conquête coloniale et bénéficier d'une telle impunité face au piétinement continu de toute loi internationale ?
La réponse est dans la déshumanisation des Palestiniens, et le racisme qui irrigue la perception de la situation entre Israéliens et Palestiniens.
Les Palestiniens sont présumés coupables, violents et racistes jusqu'à preuve du contraire. L'accent médiatico-politique est mis sur les victimes idéales — femmes, enfants, médecins — comme si les hommes, artisans de leur quotidien, avaient moins droit à la dignité. Le génocide, filmé en temps réel, se transforme en débat sémantique, la famine est qualifiée d'"inventée", et les mensonges d'État repris pour argent comptant. Les civils ne sont plus des civils et les limites du pire toujours dépassables. Cybersurveillance, censure, incarcération, répression des mouvements de solidarité et accusations d'antisémitisme parachève l'arsenal pour criminaliser les Palestiniens et normaliser la violence d'Etat Israélienne.
D'autre part, qualifier le Hamas de "groupe terroriste", un concept politique sans définition en droit international, ou comme un mouvement antisémite visant à anéantir les juifs, dépolitise la nature de ce groupe et légitime toute forme de punition collective et d'oppression. Pourtant, l'oppression des Palestiniens, leur résistance et leurs révoltes existaient bien avant la création du Hamas en 1987, qui lui-même est né dans ce contexte d'un demi-siècle de répression.
Au contraire, la communauté internationale, en particulier les pays occidentaux, part du principe que les choix politiques et les actions d'Israël sont par essence légitimes et menés de bonne foi. Ainsi, les dirigeants israéliens ont perfectionné la politique du fait accompli : gagner du temps pour étendre son emprise coloniale, repousser les lignes rouges et rendre toute contestation future d'autant plus difficile. La nouvelle litanie des "négociations pour un cessez-le-feu" remplace le "processus de paix". Une tactique qui ne date pas d'hier. Lorsque l'armée israélienne a occupé la Cisjordanie et Gaza en 1967, le monde a demandé qu'ils se retirent immédiatement et mettent fin à l'occupation. Puis lorsque les colonies ont été construites et se sont consolidées sans aucune conséquence internationale, les négociations se sont réduites à demander le gel de nouvelles colonies. Cinquante ans plus tard, plus de 700,000 colons règnent en maître en Cisjordanie et l'assemblée générale des Nations Unies vote de nouveau pour demander à Israël de “mettre fin à l'occupation”.
Mais voilà, après un siècle de contestation de l'entreprise coloniale sioniste, les Palestiniens sont toujours là, et demandent l'intégralité de leurs droits.
Ce que demande l'avenir immédiat est d'abord la reconstruction d'un mouvement national politique Palestinien unifié qui puisse se réapproprier notre combat historique. Un pouvoir qui devra englober toutes les parties prenantes politiques, du Hamas au Fatah en passant par les non-affiliés et les réfugiés en exil, sans que notre mobilisation politique soit écrasée avant même d'être organisée.
Nous devons entre temps résister à la tentation d'embrasser les gesticulations diplomatiques hâtives et propositions de “raviver” des “solutions” et “processus de paix” voués à normaliser les faits accomplis coloniaux, masquer les responsabilités d'Israël tout en nous imposant des dirigeants fantoches choisis par leurs mécènes.
La véritable question à poser aujourd'hui n'est pas de savoir si la “solution à deux États peut être sauvée”, mais quel contrat social nous souhaitons instaurer sur l'ensemble du territoire qui inclut aujourd'hui Israël et les territoires occupés depuis 1967. Tant que les lois constitutionnelles et les institutions en place, racistes par essence, continueront de donner plus de droits aux juifs, tant que les Palestiniens ne pourront pas revenir sur leur terre, et tant que remettre en question le sionisme en tant que projet politique restera un tabou intouchable, la violence prévaudra.
Il n'y aura pas de cessez-le-feu sans sanctions contre Israël et sans prise de conscience internationale que l'impunité et la complicités doivent cesser. Il n y aura pas de paix sans démanteler le système d'Apartheid et de Nakba continue. Il n'y aura pas de paix sans justice internationale ou droits fondamentaux pour tous.
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Enquête : Le gouvernement de Netanyahou ne se contente pas d’autoriser la terreur juive en Cisjordanie, il la finance également

Les colons parlent de révolution : Plus de 60 avant-postes agricoles illégaux ont vu le jour en Cisjordanie au cours des sept dernières années, s'emparant de vastes étendues de terres palestiniennes. Grâce à la main-d'œuvre bon marché fournie par des jeunes « à risque », cette entreprise est également devenue l'un des principaux fomentateurs de la terreur juive dans les territoires - et l'État paie généreusement la facture.
Tiré de France Palestine solidarité. Article originalement paru dans Haaretz. Photo : Les colons israéliens mènent des raids à Masafer Yatta © Mohammad Hureini
La route menant à Havat Dorot Illit - la ferme d'Upper Dorot - commence en fait par une descente abrupte. Le virage serré de la route interne de la colonie de Ma'aleh Shomron mène à un sentier vierge dans une réserve naturelle, ce qui représente un défi même pour les conducteurs expérimentés. Le sentier a été tracé uniquement pour la ferme. Pendant de longues minutes, il ressemble à une route qui ne mène nulle part.
Au sommet de la colline se trouve la maison des propriétaires de la ferme : Ben Yishai Eshed, sa femme Leah et leurs deux jeunes enfants. Une famille et un troupeau de bovins, qui sont restés comme un os dans la gorge des communautés palestiniennes de longue date vivant dans la région. À quelque distance de la maison familiale, une cabane en béton domine le terrain. C'est le quartier général improvisé des soldats de l'unité de défense régionale des Forces de défense israéliennes qui gardent l'avant-poste des colons. Cependant, le cœur de la ferme palpite à l'intérieur d'une modeste structure située sur le côté : une grande tente recouverte d'une toile noire. Les matelas entassés à l'intérieur indiquent que c'est là que vivent les garçons de Dorot Illit.
Dans une vidéo promotionnelle diffusée sur le web, Eshed se vante de la présence dans la ferme de pas moins de six jeunes « volontaires qui apprennent à travailler, à apprécier et à aimer la terre ».
Lors de notre visite, nous avons rencontré deux jeunes qui ont déclaré avoir 17 et 16 ans, bien qu'ils aient l'air plus jeunes. L'un d'eux nous a expliqué qu'il avait grandi dans une ville isolée du nord d'Israël, qu'il avait quitté l'école il y a un an et qu'il s'était retrouvé à la ferme par l'intermédiaire d'une connaissance de ses parents. Depuis qu'il s'est installé dans cet avant-poste isolé, il s'est astreint à une routine exigeante qui consiste à se lever à 5 heures du matin pour emmener les vaches au pâturage. Au fil du temps, il est également devenu habile dans la récolte des olives et les travaux d'entretien. Après nous avoir raconté son histoire, il part à toute vitesse avec son ami sur un véhicule tout-terrain.
C'est alors qu'Eshed lui-même arrive de la route principale. Il est un instant déconcerté par ces invités inattendus qui sont venus faire une randonnée dans la réserve naturelle et se sont retrouvés dans sa ferme, mais il nous adresse immédiatement un regard amical. « Les enfants vous ont offert du café ? » demande-t-il, en précisant qu'il veut dire “les gars”. Qui sont les gars ? « Des jeunes de 15 ou 16 ans qui ne se sont pas retrouvés à l'école », explique-t-il.
Eshed se sépare de nous cordialement mais fermement. Nous reprenons le chemin sinueux. En chemin, nous apercevons un conteneur de stockage portant l'inscription « Uri Eretz Ahavati » (Réveille-toi, ma terre bien-aimée) - le nom de l'association à but non lucratif pour les jeunes à risque qui est à l'origine du projet éducatif expérimental de la ferme. Selon ses rapports au Registre des associations, Uri Eretz gère « un cadre éducatif pour les jeunes qui ont des difficultés à s'intégrer dans des cadres formels, ce qui implique la création de fermes agricoles qui servent de pensionnat pour les jeunes, où on leur apprend à aimer la terre et à travailler le sol ».
Dorot Illit constitue la première partie du projet. En 2023, l'association à but non lucratif qui exploite la ferme a reçu près de 400 000 shekels (environ 110 000 dollars) du ministère du développement du Néguev et de la Galilée ; Eshed reçoit également un salaire symbolique de l'organisation. En outre, le ministère de l'agriculture a approuvé une subvention de près de 100 000 shekels sur une période de deux ans. Ce n'est pas tout. Jusqu'à la fin de l'année 2023, la ferme a également bénéficié d'un soutien dans le cadre d'un programme pour les jeunes à risque lancé par le Fonds national juif.
En juillet dernier, des colons de la ferme et de ses environs sont arrivés dans un village palestinien voisin. Selon les habitants, les intrus les ont attaqués avec des tuyaux de fer, des gourdins et des pierres, et ont incendié leurs tentes ; un garçon de 3 ans qui dormait dans l'une d'elles a été blessé. Au total, cinq habitants du village ont été hospitalisés. Eshed lui-même a été documenté sur les lieux. Une plainte déposée par l'un des villageois a été rejetée par la police, qui a affirmé qu'elle n'était pas en mesure de localiser les suspects.
Les Palestiniens affirment que cette agression est la pire d'une série d'actes abusifs perpétrés par les gens de la ferme. En effet, ils considèrent leur vie avant et après l'établissement de l'avant-poste.
En définitive, Havat Dorot Illit - l'un des endroits les plus extrêmes et les plus indisciplinés de Cisjordanie, qui est devenu un foyer de frictions et de violences presque dès sa création - bénéficie d'une part importante du financement public. Et ce n'est pas le seul.
* * *
Les colons de Cisjordanie parlent de ce qui se passe depuis quelques années dans les avant-postes agricoles et pastoraux, presque tous illégaux, comme d'une véritable révolution. Son esprit incarne le « miracle » que la ministre des Missions nationales, Orit Strock, a décrit dans le contexte des événements déclenchés par le massacre du 7 octobre. En effet, dans l'ombre de la guerre qui dure depuis un an, le gouvernement a resserré son emprise sur la Cisjordanie. Le plat de résistance de ce repas est constitué de groupes relativement restreints de fermiers gloutons qui prennent le contrôle de vastes étendues de terre.
Les pionniers dans ce domaine existent depuis longtemps. Les premières communautés qu'ils ont créées, dans les années 1980 et 1990, étaient la ferme Har Sinai dans les collines du sud d'Hébron, le ranch d'Avri Ran à Givot Itamar et la ferme Skali à l'est de la colonie d'Elon Moreh. Au début de l'année 2017, 23 avant-postes de ce type étaient disséminés en Cisjordanie. Mais depuis lors, leur nombre a considérablement augmenté, avec quelque 65 nouveaux avant-postes créés en l'espace de sept ans seulement. En 2021, Amira Hass a publié un article dans Haaretz sur quatre fermes qui avaient été créées en l'espace de cinq ans et qui contrôlaient une superficie équivalente à celle de la ville de Holon.
Aujourd'hui, il existe environ 90 avant-postes de ce type qui, ensemble, couvrent approximativement 650 000 dunams (162 500 acres) de terres, soit environ 12 % du territoire de toute la Cisjordanie - une superficie équivalente à celle de Dimona, Jérusalem, Be'er Sheva, Arad et Eilat réunies.
L'entreprise florissante des avant-postes pastoraux et agricoles, qui diffèrent du type d'avant-postes typiquement associés aux jeunes des collines, a été lancée et fondée de manière bien planifiée. Il suffit d'écouter Zeev (« Zambish ») Hever, le leader de longue date des colons qui a librement accès au bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Hever, le cerveau de l'accaparement des terres dans les territoires et le chef d'Amana, la principale branche opérationnelle du mouvement pour la création d'avant-postes de colons, a fait la lumière sur le projet en juin. Dans une interview accordée au magazine Nadlan Yosh (Judea-Samaria Real Estate), M. Hever a indiqué que la mission principale d'Amana était de « sauvegarder les territoires ouverts » et a ajouté que « les principaux moyens que nous utilisons sont les fermes agricoles ». Il a également noté que « la zone occupée par ces fermes est 2,5 fois plus grande que la zone occupée par les centaines de colonies ».
Amana est assurément une organisation puissante, dont les actifs sont estimés à 600 millions de shekels (environ 158 millions de dollars actuellement). Néanmoins, elle n'aurait pas pu, à elle seule, donner vie à une entreprise aussi ambitieuse. Ces dernières années, l'État a fait des fermes d'avant-postes un projet phare et les a comblées de largesses extraordinaires. Des dizaines de millions de shekels de fonds publics sont injectés dans ces communautés directement par les ministères, les autorités locales des territoires et la division des colonies de l'Organisation sioniste mondiale. Parallèlement, le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a annoncé qu'il travaillait à la légalisation officielle des fermes.
Des dizaines de millions de shekels de fonds publics sont injectés dans ces communautés. Au moins six ministères sont impliqués dans le financement et le maintien de cette entreprise en plein essor, dont l'objectif sous-jacent est la dépossession systématique des résidents palestiniens.
Contrairement au passé, les propriétaires des nouvelles fermes ont tendance à jouer le jeu avec l'État, s'écartant ainsi de l'idéologie « classique » des jeunes des collines, qui rejetaient totalement la coopération avec ce qu'ils considéraient comme l'establishment. Le résultat est que les agriculteurs des avant-postes travaillent désormais main dans la main avec l'État, qui leur accorde des prêts pour l'établissement de leurs communautés, leur attribue des contrats pour des pâturages, les relie aux infrastructures, répond à leurs besoins en matière de sécurité, leur achète du matériel et leur offre également des « subventions pour le pâturage » et même des « subventions pour la création d'entreprises ».
L'enquête de Haaretz révèle qu'au moins six ministères sont impliqués dans le financement et le maintien de cette entreprise florissante, dont l'objectif sous-jacent est la prise de possession de terres par la force et la dépossession systématique des résidents palestiniens.
Le généreux panier de soutien n'est qu'un élément de cette initiative. Le Fonds national juif (Keren Kayemeth LeIsrael) est également devenu un soutien important de cette initiative, sa principale contribution tournant autour de projets pour les jeunes à risque dans les fermes et les ranchs.
D'une manière générale, le terme « jeunes à risque » est devenu ces dernières années la cheville ouvrière de toute une industrie de « blanchiment » des fermes, notamment en termes d'image. Le séjour des adolescents sous l'égide d'un cadre « éducatif » ou « réhabilitatif » confère aux avant-postes une légitimation précieuse, qui se traduit par des budgets conséquents. Certains programmes sont même inclus dans les paquets d'activités d'enrichissement que le ministère de l'éducation propose aux établissements d'enseignement.
Entre-temps, cependant, il est de plus en plus évident que, dans de nombreux cas, les avant-postes d'agriculteurs et de bergers sont devenus un terrain propice à la violence nationaliste extrême. Les exemples de ces dernières années sont nombreux : la ferme de Zohar Sabah, dans la vallée du Jourdain, d'où des colons, dont certains étaient mineurs, ont attaqué le directeur d'une école palestinienne dans l'enceinte de l'établissement ; la ferme de Hamachoch, près de Ramallah, dont les habitants ont réussi à chasser les résidents du village palestinien voisin, Wadi al-Siq ; Yinon Levy, de la ferme de Meitarim, dans le sud des collines d'Hébron, qui a mené des attaques et des harcèlements qui ont forcé les résidents d'un autre village à s'enfuir. Dans ces fermes, la force d'avant-garde est souvent composée d'adolescents à risque.
Depuis que la guerre a éclaté il y a un an, la passion ostensible de la vengeance parmi les colons des fermes s'est accrue, de même que leur audace. Le Shin Ben a récemment remis au gouvernement un document dans lequel il mettait en garde contre la prolifération rapide des fermes et l'augmentation des incidents violents qui en découlent. Appelons un chat un chat », déclare Hagit Ofran, qui dirige le projet “Settlement Watch” au sein de Peace Now. « La montée en flèche de la violence des colons en Cisjordanie est directement liée à l'émergence des avant-postes agricoles. Leurs habitants sont responsables d'une grande partie de cette violence ». Dans le même temps, le nombre de communautés palestiniennes situées à proximité des fermes et dont les habitants ont été chassés de force de leurs maisons a fortement augmenté.
Nous parlons de 35 expulsions [de villages] au cours des deux dernières années, la majorité d'entre elles étant des « expulsions d'octobre » », note Dror Etkes, fondateur de Kerem Navot, une ONG qui surveille les colonies en Cisjordanie.
L'arène internationale n'est pas restée indifférente à cette évolution. Au cours de l'année écoulée, les États-Unis, la Grande-Bretagne et d'autres pays ont imposé des sanctions aux propriétaires de six de ces fermes. Expliquant les raisons des mesures imposées à trois fermes en mars dernier, l'administration Biden a déclaré qu'elles s'étaient « livrées à des violences répétées et à des tentatives de violence contre des Palestiniens en Cisjordanie » et, dans certains cas, contre d'autres Israéliens également.
Mais les jeunes volontaires qui vivent dans ces communautés ne sont pas affectés par la condamnation internationale. « Depuis que la guerre a commencé, nous sommes pratiquement autorisés à tout faire, du point de vue de la sécurité et aussi en ce qui concerne les autorisations », déclare avec une honnêteté inquiétante un jeune qui vit à Havat Oppenheimer, à côté de la colonie haredi (ultra-orthodoxe) d'Immanuel, dans le nord de la Cisjordanie. « L'armée est avec nous et il nous sera plus facile de prendre possession des terres. Il en va de même pour les États-Unis, car depuis le 7 octobre, ils ont les yeux rivés sur Gaza et moins sur la Judée et la Samarie [en Cisjordanie] ». En effet, depuis que la guerre a éclaté, des réservistes ont été déployés en permanence dans les avant-postes agricoles, renforçant ainsi l'emprise sur les terres de Havat Oppenheimer, alias Havat Se'orim (Ferme de l'orge), et d'autres avant-postes similaires.
La ferme de l'orge, créée à la mi-2023 par le chef du service foncier du conseil régional de Samarie, se trouve non loin de Dorot Illit. « Il y a trois fermes le long du même axe », explique le jeune homme, qui ajoute : »C'est divisé d'une manière absolument stratégique.
Le joyau de la couronne est la « salle de guerre », une partie du bâtiment principal remplie d'écrans divisés qui reçoivent les images des caméras disséminées dans la région, ce qui permet d'observer l'ensemble du secteur 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Une salle de contrôle plantée au cœur d'une réserve naturelle verdoyante. Le propriétaire de la ferme dispose même d'un drone équipé d'un mécanisme de vision nocturne, grâce à la générosité du One Israel Fund, une organisation américaine qui fournit aux avant-postes agricoles toute une série de dispositifs technologiques liés à la sécurité.
« Depuis que la guerre a commencé, nous sommes pratiquement autorisés à tout faire », explique un jeune qui vit à Havat Oppenheimer, dans le nord de la Cisjordanie. « L'armée est avec nous et il nous sera plus facile de prendre possession des terres.
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Nili, situé à quelques kilomètres à l'est de la ligne verte, est un symbole de la colonisation séculaire et bourgeoise. Ses maisons aux toits de tuiles rouges sont entourées d'une clôture hermétique. Dans la rue qui mène à la colonie, une installation composée de chaises vides appelle silencieusement à un accord pour sauver les otages de Gaza. Depuis le point d'observation situé au sommet de la colline, deux villages palestiniens sont visibles à proximité, rappelant l'objectif fondamental de la création de ces communautés. Pourtant, aujourd'hui, la contribution des colonies de vétérans comme celle-ci à l'objectif de creuser un fossé entre les communautés arabes de Cisjordanie semble presque marginale.
Il n'est pas nécessaire d'avoir des jumelles pour observer les nouveaux développements dans la région. Au pied de Nili se trouve la ferme Magnezi, nommée d'après son fondateur, Yosef Chaim Magnezi, qui y vit avec sa femme Devora et leur tout jeune fils. « Le contraste entre Nili et Magnezi constitue l'essence de toute l'histoire ici », affirme l'activiste Etkes. Magnezi couvre environ 5 000 dunams (1 250 acres) de terres agricoles - la taille de la ville de Yehud-Monosson dans le centre d'Israël, et quatre fois la taille de Nili - même si toute sa population consiste en une seule famille vivant dans un camion transformé en résidence, avec quelques invités occasionnels.
La ferme de Magnezi a étendu ses longues tentacules sur les terres palestiniennes qui l'entourent au moyen de nouveaux chemins de terre. Les documents promotionnels rédigés à propos de la ferme indiquent que son objectif est « d'empêcher une prise de contrôle par les Arabes des territoires de notre précieuse terre ». Magnezi, pour sa part, a déclaré dans une interview : « Il y aura des Juifs dans ces collines. Il y a ceux qui comprennent plus vite et ceux [qui comprennent] plus lentement ».
L'avant-poste, avec son troupeau de 200 moutons, ses pâturages à perte de vue et ses bosquets de bananiers et de manguiers, ne pourrait exister sans un réseau efficace de bénévoles. La plupart sont des adolescents, dont certains ont abandonné leurs études dans divers cadres et d'autres n'ont pas de contact avec leur famille. Selon le site Internet de Hashomer Yosh (Gardien de la Judée-Samarie), une organisation soutenue par le gouvernement qui contribue à fournir des volontaires aux fermes - qui vient tout juste de faire l'objet de sanctions américaines - « de nombreux jeunes viennent à Magnezi... parmi eux des jeunes haredi de [la colonie de] Kiryat Sefer ».
Magnezi et sa femme délèguent de nombreuses tâches aux membres de leur jeune main-d'œuvre - dont certains sont classés comme étant à risque - y compris l'entretien des infrastructures et le travail de berger. L'enveloppement thérapeutique et rééducatif ostensiblement fourni par la ferme est basé sur le travail manuel dans un endroit où les gens « vivent simplement et se débrouillent avec peu, [et qui est] connecté à la nature », a déclaré Magnezi au site web de Channel 7 News l'année dernière. « Les jeunes, et c'est tout à leur honneur, ont cette flamme dans les yeux. Ce sont eux qui doivent faire ces choses folles. Les jeunes veulent créer une ferme et être actifs. Ils doivent être autorisés à le faire ».
L'entreprise ostensiblement éducative de Magnezi est ainsi devenue un aimant pour les jeunes à problèmes. L'un d'entre eux, Einan Tanjil, originaire de Kiryat Ekron, une ville proche de Rehovot, est arrivé adolescent dans les collines de Cisjordanie. En février dernier, il est devenu l'une des premières personnes à faire l'objet de sanctions de la part de l'administration américaine. En novembre 2021, alors qu'il avait 19 ans, Tanjil et une vingtaine de colons masqués ont attaqué des Palestiniens qui récoltaient des olives dans les bosquets de Surif, un village proche de la colonie de Bat Ayin. Il a également matraqué trois militants israéliens des droits de l'homme et a été reconnu coupable d'agression aggravée à l'aide d'une arme froide (non explosive) et de tentative d'agression.
Au cours de la procédure judiciaire, Tanjil a demandé à être placé en détention dans la ferme des Magnezi. Yosef Chaim Magnezi a comparu à l'audience et a longuement décrit comment il avait aidé des jeunes comme Tanjil. « J'ai beaucoup travaillé avec ces jeunes, je crois vraiment en eux », a-t-il déclaré. « Ce sont des personnes très fortes et je pense qu'il faut leur donner une orientation dans la vie. Devora, son épouse, a également évoqué leur rôle dans la réhabilitation de jeunes comme Tanjil. « Cela fait partie de ma mission, dit-elle, d'accepter des gens qui n'ont nulle part où aller.
Pour sa part, le service de probation n'a pas été impressionné par les propos du couple, pas plus que le juge. La représentante de l'État a rappelé au tribunal que Magnezi lui-même avait fait l'objet d'une enquête pour suspicion de menaces et d'intrusion lors d'un incident survenu dans un village palestinien voisin. Elle a ajouté que sa ferme était un foyer de « troubles et de frictions ».
Lors d'une visite de la ferme par Haaretz il y a deux semaines, l'un des volontaires, un jeune homme de 18 ans issu d'une communauté haredi, a été aperçu en train d'effectuer des travaux d'entretien. Il a raconté qu'il était arrivé à Magnezi deux ans plus tôt, après avoir abandonné une yeshiva et s'être impliqué dans des activités criminelles. « J'ai été emprisonné pour des bêtises de jeunesse », a-t-il déclaré. « Je suis la personne que je suis aujourd'hui grâce à la ferme. Et il ajoute, très simplement : « C'est une ferme de colonisation. Avant cela, les Arabes venaient ici ».
Aujourd'hui, l'endroit est en plein essor, a déclaré le jeune homme, en montrant une structure orange isolée située à environ un kilomètre à pied - une « ferme-fille » où vivent désormais d'autres volontaires comme lui. « Nous avons commencé ici et nous avançons vers là. La vie sur le « nouveau site » a été compliquée par les frictions constantes avec les Palestiniens de la région.
La volonté d'expansion n'est pas anodine : Il y a peu, la ferme a fait savoir qu'elle était en difficulté économique et a lancé une campagne de crowdfunding sous le slogan « Saving Magnezi's Farm » (Sauver la ferme de Magnezi). Le public a répondu en donnant environ un demi-million de shekels. L'organisation à but non lucratif qui a servi de canal pour les dons est l'organisation Btsalmo de l'activiste de droite Shai Glick. C'est d'ailleurs cette même organisation qui a permis de collecter des fonds pour une autre personne « dans le besoin », le Premier ministre Benjamin Netanyahou, afin de financer sa défense juridique.
Outre l'organisation Hashomer Yosh, l'organisation à but non lucratif Regavim, qui contribue également à soutenir la ferme Magnezi, reçoit chaque année de généreuses subventions du gouvernement. Le ministère de l'agriculture a accordé une modeste subvention à la ferme et d'autres aides à son fonctionnement proviennent de la JNF.
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L'activité du JNF en Cisjordanie a suscité de vifs désaccords au sein de l'organisation. Certains de ses représentants locaux sont d'orientation politique de centre-gauche et d'autres sont des Juifs d'Amérique du Nord - des groupes qui n'approuvent généralement pas l'entreprise de colonisation. Lorsque les membres des communautés juives du monde entier font des dons généreux à la JNF, ils ne se rendent peut-être pas compte que leur argent sert en fait à financer des activités qui profitent à des avant-postes de colons extrémistes, dont certains sont violents, dans toute la Cisjordanie.
Néanmoins, au cours des trois dernières années, le Fonds a transféré 5,5 millions de shekels à son programme pour la jeunesse agricole, qui aide les bénévoles des avant-postes agricoles et pastoraux et est présenté comme un programme d'aide aux jeunes à risque. Dans le cadre de ce programme, les adolescents volontaires participent à des formations professionnelles, à différents types d'ateliers et à des cours de maturité - payés par le JNF. La formation professionnelle comprend des options permettant de développer des compétences particulièrement utiles pour les avant-postes des colons, telles que la soudure, l'installation de caméras de sécurité, les travaux agricoles et la maîtrise de l'arabe. Ces activités risquent non seulement de ne pas entraîner le départ des jeunes des fermes, mais aussi de contribuer à leur maintien sur place.
Un document obtenu par Haaretz révèle la liste des avant-postes, pour la plupart illégaux, soutenus dans le cadre du programme agricole du JNF, dont certains ont été sanctionnés par Washington en raison de leur caractère violent. Certains responsables du JNF craignent que la poursuite du financement du programme ne constitue une violation de ces sanctions.
Havat Hamachoch et Havat Rimonim sont deux de ces avant-postes. Ces deux fermes, ainsi que la personne qui les dirige, Neria Ben Pazi, ont fait l'objet de sanctions américaines pour leur rôle dans l'expulsion de communautés palestiniennes locales. Une autre ferme impliquée dans le même programme du JNF et qui figure également sur la liste noire des États-Unis est celle de Zvi Bar Yosef. Il y a environ un an, Haaretz a rapporté une série d'exemples d'attaques violentes provenant de la ferme de Zvi, dont certaines ont été décrites comme des pogroms.
Au total, jusqu'à la fin de l'année 2023, plus de 200 adolescents ont participé au projet du JNF dans des dizaines de fermes de Cisjordanie. Quatre-vingts de ces jeunes figuraient parmi les bénéficiaires des 1,5 million de shekels (environ 415 000 dollars) que le JNF a transférés au Conseil régional de Binyamin, en Cisjordanie. Le FMN a transféré une somme encore plus importante, 2 millions de shekels, à Artzenu, une organisation qui a financé des programmes de formation pour 150 jeunes dans 25 autres fermes. Artzenu est en effet l'une des organisations les plus étroitement liées aux nombreux volontaires qui affluent dans ces avant-postes. La coopération avec cette organisation a été gelée par le JNF à la suite d'un rapport de Haaretz l'année dernière.
Lorsque les Juifs de la diaspora font des dons généreux à la JNF, ils ne se rendent pas toujours compte que leur argent sert en fait à financer des activités qui profitent à des avant-postes de colons extrémistes, dont certains sont violents.
Pour les militants de gauche, les projets présentés comme destinés aux jeunes à risque ont toujours été un moyen efficace de s'approprier des terres en Cisjordanie. Dès 2013, un avant-poste thérapeutique appelé Haroeh Haivri (le berger hébreu) a été établi près de Kfar Adumim, à l'est de Jérusalem, pour « réhabiliter » les jeunes des collines. La ferme a été construite sans permis, mais l'État l'a ensuite légalisée. Actuellement, elle fonctionne en coopération avec les forces armées et reçoit une généreuse subvention de 2 millions de shekels par an de la part du ministère de l'éducation.
L'académie prémilitaire de Liel, nommée en l'honneur du sergent-chef Liel Gidoni, tué lors de l'opération Bordure protectrice en 2014, et destinée aux jeunes à risque, a été créée quatre ans plus tard, après que des colons eurent repris un camp militaire abandonné dans la vallée du Jourdain. Le ministère de l'éducation lui alloue environ 170 000 shekels par an, en moyenne.
La ferme de Lechatchila, créée en 2019 dans la région de Jéricho pour les jeunes Haredi en décrochage scolaire, est un autre avant-poste agricole relativement récent. Depuis sa création, les tensions n'ont cessé de croître entre la ferme et les communautés de bergers bédouins voisines. Ce projet fait également partie du projet du JNF pour les jeunes agriculteurs et a été financé à hauteur d'environ 1,25 million de shekels au cours des deux dernières années.
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En tout état de cause, les millions que le JNF consacre aux activités des bénévoles dans les avant-postes non autorisés ne sont qu'un rouage dans un mécanisme de soutien gouvernemental multi-institutionnel et lourd de ressources. Pour trouver un autre organisme public impliqué dans la garantie de telles entreprises, il faut remonter à août 2022, lorsque Naftali Bennett était premier ministre du « gouvernement du changement ».
À cette époque, Bennett, qui détenait également le portefeuille des colonies au sein du gouvernement, a approuvé le programme de travail annuel de la division des colonies de la WZO, qui comprenait « la planification des infrastructures essentielles et des éléments de sécurité dans les jeunes colonies [c'est-à-dire les avant-postes illégaux] avec un horizon de régularisation. » Sous le couvert de ce langage alambiqué, la division a transféré 15 millions de shekels aux avant-postes agricoles en 2023. Cette année, le budget a presque triplé, passant à 39 millions de shekels (plus de 10 millions de dollars).
Yisrael Gantz, chef du conseil régional de Binyamin, a décrit le plan avec une émotion palpable lors d'une réunion l'année dernière. « Nous avons ici un EB [budget exceptionnel] d'un grand intérêt et d'une grande importance, qui est à notre disposition pour la première fois dans l'histoire », a-t-il déclaré. « Le commandement central [des FDI] a défini exactement ce qu'il fallait mettre où, la division de la colonisation a transféré les fonds et nous devons exécuter [le plan]. C'est la première fois que Young Settlement reçoit un budget gouvernemental sur la table ».
Il apparaît que les avant-postes en question dépensent les 54 millions de shekels, sur deux ans, pour acquérir des véhicules utilitaires, des drones, des caméras, des générateurs, des barrières électriques, des poteaux d'éclairage, des clôtures, des panneaux solaires et bien plus encore. La division des implantations de la WZO ne divulgue pas quels types de « composants de sécurité » ont été achetés pour quels avant-postes. Cependant, Peace Now rapporte que des dispositifs utilisés à des fins de sécurité ont récemment été installés dans au moins 30 fermes, dont cinq ont fait l'objet de sanctions internationales pour des actes violents à l'encontre de Palestiniens.
Lors d'une réunion organisée par le parti du sionisme religieux en juin, le directeur général de la division des colonies, Hosha'aya Harari, a parlé de l'important soutien public offert aux fermes de colonisation. Il a indiqué que 68 communautés de ce type avaient été financées en 2023. Il a également mentionné les 7,7 millions de shekels affectés à la « construction de nouvelles routes » dans les avant-postes en général. Ces routes en terre sont des artères cruciales pour les avant-postes, permettant aux colons de s'étendre profondément dans le territoire environnant.
En plus de s'emparer des terres, les fermiers agissent souvent comme des inspecteurs autoproclamés qui s'occupent des constructions palestiniennes illégales, à l'aide de drones, de menaces et de rapports aux autorités. Ils ont été rejoints par des départements de patrouille foncière mis en place par différents conseils, auxquels le ministère des colonies a alloué des dizaines de millions de shekels depuis 2021. Au cours des deux dernières années, les organes de patrouille ont reçu en moyenne 35 millions de shekels par an, afin de « prévenir les violations en matière de planification et de construction et la saisie de terres publiques » - même si c'est l'administration civile qui a l'autorité de superviser la construction palestinienne. Les fonds ont été utilisés pour acquérir des véhicules tout-terrain et pour installer des caméras dans les zones ouvertes, pour financer en partie les salaires et pour « construire des routes et fermer des zones ».
En plus de saisir des terres, les agriculteurs agissent souvent comme des inspecteurs autoproclamés qui s'occupent des constructions palestiniennes illégales, à l'aide de drones, de menaces et de rapports aux autorités.
Il est peut-être tout à fait naturel que l'État considère les fermes des avant-postes comme des start-ups - comme une entreprise innovante conçue pour s'emparer d'un maximum de territoire avec un minimum de main-d'œuvre - et, par conséquent, qu'il accorde aux colons des subventions au titre de la « création d'entreprise ». Treize « fermiers » ont reçu un tel financement, pour un total de 1,6 million de shekels, de 2020 à 2022. Parmi les bénéficiaires figurent l'entrepreneur Zvi Laks, de la ferme Eretz Hatzvi, à l'ouest de Ramallah, qui a reçu 140 000 shekels, et Issachar Mann, qui dirige un avant-poste dans les collines du sud d'Hébron et a reçu 120 000 shekels.
Ces deux fermes sont des exemples d'avant-postes qui sont présentés au public comme des lieux de loisirs et d'activités récréatives, mais dont la véritable raison d'être est cachée. Eretz Hatzvi est décrit sur son site web comme un « complexe d'hospitalité avec une étonnante piscine écologique », qui propose des « petits déjeuners de style campagnard ». La ferme Mann promet aux vacanciers « l'hospitalité du désert », dont le fleuron est une « tente bédouine » divisée en trois chambres. Une nuit vous coûtera 800 shekels (212 dollars) ; sa principale attraction est une paire de pataugeoires qui font face aux étendues infinies du désert de Judée.
Comme les autres communautés illégales mentionnées ici, ces deux avant-postes s'appuient également sur une main-d'œuvre composée de jeunes volontaires (le site d'Eretz Hatzvi contient une galerie de photos intitulée « Our Special Youth ») ; tous deux font également partie du programme « Farm Youth » du JNF. En juillet, les États-Unis ont sanctionné la ferme Mann en raison de la violence systématique perpétrée par ses colons.
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Meirav Barkovsky, membre du groupe Jordan Valley Activists qui aide à protéger les bergers palestiniens, rencontre quotidiennement les fermiers des avant-postes. Mais une visite à la ferme Asael, alias Havat Eretz Shemesh, est une expérience qu'elle n'est pas prête d'oublier.
« Un samedi de novembre dernier, nous avons été informés que des colons avaient volé les vaches de deux Palestiniens et les avaient emmenées à la ferme Asael », raconte-t-elle à Haaretz, ajoutant qu'elle et deux autres militants ont décidé de se rendre à l'avant-poste, fondé par Asael Kornitz. « Nous pensions y aller, leur parler et peut-être les persuader de rendre les vaches. Nous étions optimistes, peut-être naïfs - avec le recul, même stupides ».
Les trois hommes ont gravi la colline menant à la ferme sur un sentier qui se terminait par une clôture métallique. Les meuglements de l'autre côté indiquent qu'ils sont au bon endroit. « Une lumière vive nous a aveuglés », se souvient Barkovsky. « Nous sommes sortis de la voiture et nous les avons appelés, nous avons dit que nous étions venus pour les vaches. Soudain, en un instant, un groupe de jeunes masqués est arrivé de la direction de l'avant-poste et nous a attaqués ».
S'ils étaient masqués, comment avez-vous su qu'il s'agissait de jeunes ?
Barkovsky : « On le voit à leur apparence, au corps révélé par les plis de leurs chemises. »
Sasha Povolotsky, qui appartient également au groupe de la vallée du Jourdain et qui était le chauffeur lors de l'incident, ajoute : « Je dirais qu'il y avait 10 adolescents d'âges différents. On pouvait voir qu'ils étaient jeunes à leur corpulence. La plupart d'entre eux n'étaient pas grands, ils étaient minces, presque imberbes sous leurs chemises. On pouvait clairement voir qu'il s'agissait d'un corps de garçon.
Un homme costaud, plus âgé que les autres, accompagnait le groupe de jeunes. Les militants racontent que les adolescents ont bousculé les deux femmes et leur ont arraché leurs téléphones portables, tandis que l'homme plus âgé a brutalement frappé Povolotsy. « Il l'a frappé à coups de poing », raconte M. Barkovsky. « Le visage de Sasha était ensanglanté lorsqu'il s'est relevé. Ils ont continué à le frapper et il est retombé.
« Je suintais du sang », dit Povolotsky. « Il s'est avéré qu'il m'a cassé le nez et l'orbite de l'œil.
Mais l'événement n'était pas encore terminé. Povolotsky : « Alors que nous nous enfuyions sur la route sinueuse, un véhicule tout-terrain transportant des enfants était juste derrière nous. Ils ont jeté des pierres en passant à côté de notre voiture. Les vitres ont volé en éclats, j'étais à peine capable de conduire. Il n'aurait pas fallu grand-chose pour que nous tombions dans la vallée. »
« Sasha conduit, il conduit vite, mais ils se rapprochent et nous emboutissent avec le véhicule par l'arrière », poursuit Barkovsky. Ils ont appelé une ambulance et la police, qui les a rejoints en descendant de l'avant-poste. « Mais l'officier n'a pas accepté de monter avec nous pour identifier les agresseurs », raconte Polovotzky. « Nous avons porté plainte et, deux semaines plus tard, nous avons été informés que l'affaire avait été classée en raison de la difficulté à localiser les suspects. Deux des suspects n'avaient que 15 ans, et deux autres 16 et 17 ans.
Pour sa part, Kornitz a déclaré qu'il « n'avait pas connaissance d'un tel événement ».
Les résidents de la ferme Asael ont systématiquement terrifié une communauté palestinienne voisine, obligeant finalement les habitants à partir. Mais Kornitz a reçu deux bourses d'entrepreneuriat de 150 000 shekels de la part de la division des implantations de la WZO, ainsi qu'un soutien de la part de l'État. Le ministère de l'agriculture a approuvé une généreuse « subvention de pâturage » de plus d'un quart de million de shekels sur deux ans. En général, ce ministère est un canal important pour le transfert des fonds gouvernementaux vers les avant-postes agricoles. Les données du ministère montrent qu'entre 2017 et 2023, il a approuvé des subventions de plus de 3 millions de shekels pour les avant-postes, dont environ la moitié a été effectivement versée. Certains des avant-postes qui ont reçu des fonds ont ensuite fait l'objet de sanctions internationales.
Outre le soutien direct, l'État finance également les fermes des colons de manière indirecte, par l'intermédiaire d'organisations à but non lucratif qui participent à leurs activités et en veillant à ce qu'elles disposent d'une main-d'œuvre. La majorité des subventions gouvernementales sont transférées sous l'égide du programme « Volontariat pour l'agriculture », par l'intermédiaire duquel les ministères injectent 20 millions de shekels par an dans ces organisations à but non lucratif. Selon un rapport de Peace Now, environ 30 % de ces subventions sont destinées à la Cisjordanie.
L'une de ces organisations, Hashomer Yosh, sert d'agence centrale de placement pour les volontaires, et en particulier pour les adolescents, au nom des fermes des colons. Les T-shirts verts portant le logo de l'organisation sont visibles dans les avant-postes ; parmi les volontaires, on trouve des jeunes filles effectuant leur service national comme alternative au service militaire. Le 1er octobre, les États-Unis ont imposé des sanctions à Hashomer Yosh. Mais l'État a, du moins jusqu'à présent, adopté l'organisation à but non lucratif, lui allouant en moyenne 1,8 million de shekels par an, prélevés sur les fonds publics.
En septembre, le personnel de Hashomer Yosh a rencontré le ministre de la protection sociale, Yaakov Margi, dans le but de « promouvoir la jeunesse pionnière dans les fermes », selon l'organisation. Son PDG, Avichai Suissa, a refusé de s'étendre sur les sujets abordés. Le bureau de Margi a noté que la réunion avait été organisée avant que les sanctions ne soient imposées et qu'un lien actif avec le groupe n'était pas à l'ordre du jour. Le porte-parole du ministère a ajouté : « La réunion n'a porté que sur le sort des jeunes ».
Une autre organisation à but non lucratif importante dans le même domaine est Shivat Zion Lerigvei Admadata, plus connue sous le nom d'organisation Artzenu (mentionnée ci-dessus). L'année dernière, le groupe a reçu quelque 4 millions de shekels des ministères de l'éducation, de l'agriculture et du développement du Néguev et de la Galilée. L'ampleur des fonds publics investis dans l'organisation a été multipliée par cinq en seulement deux ans. La mission déclarée de l'association est de « renforcer le lien entre la jeune génération et le travail de la terre afin de préserver les territoires ouverts ». En mai 2023, Shivat Zion a ajouté à ses objectifs officiels « la gestion et l'exploitation de programmes éducatifs pour les jeunes à risque ».
Son programme de soutien aux jeunes volontaires dans les avant-postes agricoles est le projet phare de l'organisation. Une déclaration sur son site Internet indique que ces dernières années, de plus en plus d'adolescents « ont trouvé un refuge sûr dans ces fermes » et que « Artzenu met l'accent sur l'autonomisation de ces adolescents et crée une atmosphère holistique pour eux ». Le directeur d'Artzenu est Yonatan Ahiya, président de la faction « Souveraineté maintenant » du Likoud et l'un des principaux recruteurs du parti.
Les groupes à but non lucratif dont les tendances politiques semblent moins évidentes jouent également un rôle important dans le projet gouvernemental de financement des fermes isolées. C'est le cas de l'association Hiburim - Beit She'an and Valley, qui gère principalement des groupes dits garin Torani - littéralement, des noyaux de Torah ou des groupes de base de personnes qui s'installent dans des communautés largement non religieuses - à Beit She'an et à Afula. Ces dernières années, cependant, l'organisation a développé un programme appelé Hiburim - Connecting Through Agriculture (hiburim signifie « connexions » en hébreu), et environ un tiers de ses activités se déroulent désormais en Cisjordanie, par exemple dans la colonie de Hamra, dans la vallée du Jourdain.
À côté de Hamra se trouve un avant-poste agricole très connu, la ferme Emek Tirza, qui a été impliquée dans certains des incidents les plus violents de la vallée. À la suite de ces incidents, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union européenne ont récemment imposé des sanctions à l'encontre d'Emek Tirza et de son responsable, Moshe Sharvit. Des activistes chevronnés de la vallée du Jourdain se souviennent d'incidents au cours desquels les résidents de l'avant-poste ont lapidé des Palestiniens et leurs troupeaux, les ont battus et ont lâché des chiens sur eux pendant de longues périodes.
Pour la communauté internationale, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase à Emek Tirza a été le fait que, quelques semaines après le début de la guerre à Gaza, Sharvit et ses acolytes ont expulsé par la force les habitants d'Ein Shibli, une communauté palestinienne voisine. Les villageois ont été attaqués, menacés par une personne qui s'est fait passer pour un agent du service de sécurité du Shin Bet, et ils affirment que Sharvit lui-même leur a donné un délai explicite : « Vous avez cinq heures pour partir : « Vous avez cinq heures pour partir ». Une famille raconte que quelques jours avant de s'enfuir, des habitants de l'avant-poste sont arrivés, ont agressé le père de famille et ont saccagé leur propriété.
Pour la communauté internationale, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase à Emek Tirza a été le fait que quelques semaines après le début de la guerre à Gaza, Sharvit et ses acolytes ont expulsé par la force les habitants d'Ein Shibli, une communauté palestinienne voisine.
Lors d'un autre incident, qui s'est produit le 15 avril non loin d'Emek Tirza, deux Palestiniens ont été tués par balle. Une source militaire a déclaré à Haaretz que, par la suite, le Shin Bet a identifié Sharvit comme étant présent sur le site et armé, mais que son arme n'a pas été confisquée pour inspection pendant plusieurs semaines.
La ferme ne prospère pas uniquement grâce à des dons privés, mais aussi parce qu'elle reçoit l'aide de l'État et de l'organisation de la colonie d'Amana, par exemple en se voyant attribuer des pâturages ou en étant raccordée au système d'approvisionnement en eau. Il y a également des primes occasionnelles provenant directement du gouvernement lui-même. En 2023, par exemple, Sharvit a bénéficié d'une subvention du ministère de l'agriculture pour le pâturage.
Au fil des ans, Emek Tirza est devenu un avant-poste prospère, dont l'une des cartes de visite est son projet éducatif pour les jeunes. Ce ne sont pas des jeunes qui ont abandonné le cadre [formel] », insiste Sharvit dans une vidéo YouTube décrivant son activité. « Ils se trouvent dans un cadre beaucoup plus rigide et exigeant. Il y a ici des exigences auxquelles il faut répondre ».
La ferme est également connue comme un « complexe d'accueil à la campagne ». Sur leur site web, Sharvit et sa femme invitent le public à séjourner dans des tentes climatisées sur le site, à barboter dans une « piscine de soins » et à organiser des événements familiaux dans « notre khan », qui dispose d'une « grande piste de danse suffisante pour une occasion excitante ».
Cependant, lors d'une visite guidée de la ferme par Sharvit, documentée par la BBC le mois dernier, il a mentionné le but ultime pour lequel l'endroit a été créé. « Nous nous emparons ici de quelques milliers de dunams, de la taille d'une ville pas si petite... 7 000 dunams [7 km²], c'est sans fin ». Il poursuit en décrivant la stratégie de l'ensemble de l'entreprise de construction d'avant-postes agricoles. « Le plus grand regret que nous ayons eu en construisant des colonies, c'est d'être restés coincés à l'intérieur des clôtures et de ne pas nous être étendus à l'extérieur. [En fin de compte, l'espace est la chose la plus importante ici. Cette ferme est très importante, mais la chose la plus importante est la zone environnante... Nous gardons des zones ouvertes dans lesquelles personne ne pénètre, dont personne ne s'approche. »
Sharvit a de nombreux partenaires dans le projet de prise de contrôle de la vallée du Jourdain par les Juifs. En parcourant la route d'Alon, qui relie la vallée à la route transsaharienne, on peut voir un ensemble extraordinaire d'avant-postes agricoles et pastoraux. Pas moins de 30 communautés de ce type ont été établies le long de cette route au cours des dernières années, et les médias des colons se vantent déjà de la création réussie d'une « formidable continuité territoriale », depuis la zone industrielle de Sha'ar Binyamin, au nord de Jérusalem, jusqu'au nord de la vallée du Jourdain.
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Sur la même route, entre les colonies de Hemdat et Maskiot, se trouve Havat Nof Gilad (Um Zuka), un avant-poste religieux établi par Uri et Efrat Cohen en 2016. Il bénéficie lui aussi des largesses de l'État, notamment d'une subvention de 530 000 shekels du ministère de l'Agriculture.
Ici aussi, les projets de construction et autres sur le site dépendent d'une main-d'œuvre composée d'adolescents volontaires qui n'ont pas trouvé leur place dans les établissements d'enseignement conventionnels. « Chacun d'entre eux est venu ici avec sa propre situation et sa propre vie », a déclaré Efrat Cohen lors d'une émission sur les médias sociaux à propos de diverses fermes en Cisjordanie. Pour sa part, Uri les perçoit comme une force de combat essentielle dans la guerre qu'il mène. « Nous sommes là et nous triompherons. La question est de savoir combien de temps cela prendra et quel prix nous paierons », déclare-t-il dans la vidéo. « Ces jeunes de 15, 16 et 17 ans sont le fer de lance de l'État d'Israël et ce sont eux qui gagnent la bataille.
Les adolescents de Nof Gilad font tout : souder, monter la garde la nuit, emmener les animaux au pâturage. La discipline est stricte à la ferme, disent-ils. « L'emploi du temps est très chargé », explique un jeune qui vit sur l'avant-poste depuis quatre ans. « Le travail toute la journée, les responsabilités, la garde du troupeau la nuit - la vie, tout. Les Cohen, a-t-il ajouté, « sont un peu comme mes parents » ; ils l'aident lorsqu'il est dans un « mauvais état mental ».
Un autre jeune, qui n'a pas encore 17 ans, a déclaré : « J'ai l'impression que c'est [la vie sur le terrain] : « J'ai l'impression qu'elle [la vie à la ferme] me fait mûrir davantage que l'école ». Et un autre jeune homme, qui est arrivé à la ferme alors qu'il était mineur, a fait son service militaire et est revenu, a expliqué : « Un jeune de 16 ans qui vient ici, qui garde la nuit, qui dort trois heures par nuit et qui travaille toute la journée, qui fait des choses qu'il n'a pas toujours envie de faire, il devient différent. En fin de compte, ce qui forge le plus le caractère d'une personne, c'est sa capacité à faire face aux difficultés ». Au moins 15 jeunes comme lui se sont intégrés à la vie à Nof Gilad au fil des ans, a-t-il ajouté.
Comment ces jeunes se retrouvent-ils dans ce centre ? Selon M. Cohen, c'est au ministère des affaires sociales de répondre à cette question. « Vous payez des impôts », a-t-il dit à un militant qui l'a interpellé. « Les impôts vont au ministère des affaires sociales, qui les subventionne [les adolescents]. Pourquoi me posez-vous la question ?
Sous les auspices des conseils régionaux de Cisjordanie, le ministère de la protection sociale participe effectivement à l'intégration des adolescents dans les avant-postes agricoles et pastoraux, mais il maintient qu'il ne les y dirige pas. Cette pratique remonte à une décision prise par le gouvernement Bennett-Yair Lapid sous le titre « Renforcer les réponses thérapeutiques et éducatives pour les jeunes de la région de Judée et Samarie ». Le principal résultat de cette décision a été un programme appelé Mit'habrim (Connexion), dont l'un des objectifs est d'institutionnaliser le lien entre le ministère de la protection sociale et les avant-postes.
Haaretz s'est entretenu avec un certain nombre d'employés du ministère de l'aide sociale qui travaillent dans les conseils de colonies et qui connaissent bien le fonctionnement de Mit'habrim. Deux d'entre eux ont accepté de parler de la manière dont Mit'habrim est mis en œuvre, et il en ressort que les conseils n'envoient pas nécessairement les jeunes directement dans les fermes, mais qu'ils contribuent plutôt à faciliter leur séjour. Le Conseil régional de Shomron, par exemple, a mis à disposition un travailleur social ainsi que trois coordinateurs qui travaillent avec les fermiers afin de les « former à identifier les signes de détresse chez les jeunes ». Un autre élément du programme consiste à encourager les adolescents à participer à des cours, des programmes de formation et des activités d'enrichissement. « L'idée est de les voir, afin qu'ils ne deviennent pas des jeunes perdus », a déclaré la source.
Au conseil régional, on insiste sur le fait que les jeunes ne sont pas retirés à la garde légale de leurs parents et qu'ils ne répondent pas nécessairement aux critères des jeunes à risque. « Pour la plupart, ce sont des jeunes très idéologiques, qui fonctionnent, et qui ne trouvent pas leur place dans les cadres standards.
« La plupart des gars dans les fermes ne sont pas des résidents de Judée et de Samarie et ne sont pas ce que l'on appelle des jeunes des collines », ajoute quelqu'un qui est impliqué dans le programme Mit'habrim dans le Conseil régional de Binyamin. « Ils viennent d'endroits comme Jérusalem, Petah Tikva et Holon. Nous voulons nous assurer que les jeunes qui nous arrivent de l'extérieur ne rencontrent pas de situations à risque. Une fois sur place, les jeunes ont besoin d'être encadrés et accompagnés. Ils doivent être orientés vers des activités productives ».
Un jeune homme qui a vécu dans des fermes lorsqu'il était mineur explique que la plupart des adolescents qui y vivent sont « des personnes qui ont abandonné l'école en raison de difficultés d'apprentissage ou d'une incompatibilité avec le système, parfois en raison d'une incompatibilité religieuse ou d'un trouble déficitaire de l'attention ». Ils entendent parler des avant-postes par le bouche à oreille. « Si vous abandonnez l'école, vous savez que cette option existe. Il a ajouté que dans un cas, un garçon qui avait eu des démêlés avec la justice et qui était censé être envoyé dans un centre de réhabilitation, a réussi à persuader le juge de l'autoriser à résider dans une ferme à la place.
La question du type de jeunes qui doivent vivre dans ces avant-postes a été soulevée lors d'une réunion, en mars dernier, de la commission spéciale de la Knesset sur les jeunes Israéliens, présidée par la députée Naama Lazimi (travailliste). Galit Geva, directrice de l'unité du ministère des affaires sociales chargée des populations à risque, a participé à cette réunion, convoquée à la suite du pogrom perpétré par des colons dans la ville palestinienne de Hawara. Elle a indiqué à la commission que 320 jeunes - 240 garçons et 80 filles - vivant dans des fermes de Cisjordanie étaient en contact avec des travailleurs sociaux. Environ deux tiers de ces jeunes sont originaires de colonies et les autres de divers endroits du pays, dont beaucoup de Jérusalem.
Apparemment, le ministère de la protection sociale a affecté un travailleur social à quatre autorités locales dans les territoires : Samarie, Binyamin, le bloc d'Etzion et les collines d'Hébron. Cependant, de nombreux jeunes dans les fermes vivaient en fait dans la vallée du Jourdain, où il n'y avait pas de supervision de l'État. Les défenseurs des droits de l'homme de la région ont signalé à plusieurs reprises que de jeunes colons, parfois des enfants, emmenaient eux-mêmes les animaux au pâturage et qu'ils étaient exposés à divers dangers. Aucune réponse officielle n'a été apportée à cette situation.
« Nous voyons des enfants, dont certains n'ont même pas l'âge de la bar-mitzvah, qui sont très négligés et qui passent des heures dans les champs avec leurs troupeaux pour s'emparer des pâturages des Palestiniens », raconte Gali Hendin, de l'association Mistaclim - Looking the Occupation in the Eye (Regarder l'occupation dans les yeux). Yifat Mehl, une autre activiste, ajoute : « Les jeunes sont le fer de lance de la violence spontanée. Auparavant, les agriculteurs eux-mêmes allaient affronter les Palestiniens et les activistes. Aujourd'hui, ces jeunes sont en première ligne. Ils sont l'avant-garde.
Dans une lettre qu'elle a envoyée en mars dernier au ministère de la protection sociale au nom des militants de la vallée du Jourdain, le professeur Michal Shamai, de l'école de travail social de l'université de Haïfa, a comparé les jeunes vivant dans les avant-postes agricoles au phénomène des « enfants soldats » qui ont été recrutés pendant les guerres dans les pays africains. « Ce n'est pas à cela que devrait ressembler un processus de réhabilitation des jeunes à risque. De tels endroits sont un terreau fertile pour le développement de la haine. Et la haine n'est pas une réhabilitation », a déclaré Shamai à Haaretz. Cette semaine, les militants ont de nouveau contacté le ministère de la protection sociale et des affaires sociales, signalant des « suspicions d'atteinte à des mineurs ». Les activistes ont mis en garde contre « la soumission d'adolescents et de jeunes à des situations de préjudice physique et émotionnel, de négligence physique présumée et d'absence des cadres scolaires ».
Dans une lettre adressée au ministère des affaires sociales, le professeur Michal Shamai, de l'école de travail social de l'université de Haïfa, compare les jeunes vivant dans les fermes à des « enfants soldats » qui ont été recrutés pendant les guerres dans les pays africains.
En outre, les jeunes des fermes constituent une main-d'œuvre bon marché. Roni (nom fictif) vivait récemment dans une ferme de la vallée du Jourdain pendant une année de service volontaire avant de partir à l'armée. Elle a toutefois décidé de partir plus tôt que prévu, car elle estimait qu'elle et les autres jeunes étaient employés dans des conditions d'exploitation.
« Au début, tout semblait rose et enchanteur », explique Roni. « Vous avez toutes les responsabilités et vous vous sentez chez vous. Mais nous travaillions de 6 heures du matin, avec une pause d'une demi-heure pour le déjeuner, jusqu'à 7 heures du soir. Nous n'étions pas payés, bien sûr, à part 400 shekels par mois (environ 110 dollars) versés par l'organisation par laquelle nous faisions notre année de service ». Il est difficile pour les jeunes volontaires de se révolter, explique-t-elle, « parce que pour eux, le propriétaire de la ferme et sa femme sont comme un père et une mère. Ce sont des enfants de 15-16 ans qui pensent qu'ils [le couple de fermiers] leur ont sauvé la vie ».
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Un matin d'avril dernier, Binyamin Achimeir, 14 ans, qui vivait à l'avant-poste de Malachei Hashalom, le long de la route d'Allon, est parti seul à 6 heures du matin pour emmener un troupeau de moutons au pâturage. Il n'est pas revenu. Le lendemain matin, son corps a été retrouvé à proximité : il avait été sauvagement assassiné par un Palestinien du village voisin.
Achimeir, dont la famille vit à Jérusalem, n'était pas le genre d'adolescent qui abandonne l'école pour se retrouver parmi les jeunes sur les collines de Cisjordanie. Il combinait les études à la yeshiva et le bénévolat à la ferme pendant les week-ends. Sa sœur, Hanna Achimeir, journaliste à i24NEWS, pense qu'il est erroné de coller l'étiquette « à risque » à ces jeunes. « Je comprends la tentation de faire le lien, dit-elle, mais à mon avis, c'est une erreur. La plupart des jeunes religieux qui se rendent dans les fermes sont en quête de sens. Pour un jeune qui a une affinité avec la nature ou un désir de calme, il est naturel de se rendre dans ces fermes.
Achimeir, qui vit à Jaffa, ajoute que « pour les adolescents de Tel-Aviv, la recherche [de sens] peut prendre la forme de toutes sortes d'expériences branchées que la ville peut offrir ». Dans une société nationale-religieuse, les restrictions sont infinies et l'on a le sentiment qu'un autre monde, parallèle, se cache au coin de la rue. Si vous avez grandi dans une communauté bourgeoise et que vous êtes un peu curieux, vous vous retrouverez soit au Cats Square [un lieu de rencontre pour les jeunes à Jérusalem], soit vous vous dirigerez vers les fermes si vous êtes un peu hippie ».
La ferme Malachei Hashalom a été fondée par Eliav Libi, qui y vit avec sa famille. Il a récemment créé une filiale appelée Havat Harashash. Selon des militants de gauche, ses résidents ont terrorisé une communauté bédouine voisine, Ein Rashrash, jusqu'à ce que ses habitants s'enfuient il y a environ un an.
La web-série sur les fermes de Cisjordanie a consacré un épisode à Harashash, mettant en scène les adolescents qui y vivent. L'un d'entre eux, âgé de 17 ans, a expliqué qu'il travaillait bénévolement dans la ferme depuis deux ans. « Vous n'êtes pas payés, n'est-ce pas ? » a demandé l'intervieweur, qui a répondu par l'affirmative.
À la suite du meurtre, la ferme a lancé une campagne de crowdfunding via l'organisation à but non lucratif Btsalmo, sous le titre « La réponse au meurtre », qui a permis de récolter environ 433 000 shekels. Cependant, la soi-disant réponse a pris la forme d'une série d'assauts menés par des colons de toute la région contre dix villages palestiniens voisins. Résultat ? Quatre Palestiniens ont été tués et des dizaines d'autres blessés au cours de ces attaques, au cours desquelles des voitures ont été incendiées et des maisons gravement endommagées.
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D'aucuns pensent qu'au moins certains des avant-postes agricoles ont un effet réellement bénéfique sur leurs jeunes volontaires. En effet, ils semblent être les piliers de l'avant-poste de Nof Avi, près de la colonie urbaine d'Ariel. La ferme a été fondée par Israël et Sara Rappaport, qui vivent de la vente de bétail et y élèvent leurs trois filles ; un groupe de volontaires est toujours sur place. Certains jeunes portent un T-shirt portant l'inscription « Rappaport's wounded » (les blessés de Rappaport). Amos, père d'un adolescent qui a vécu à la ferme, estime que le terme « blessé » est tout à fait approprié.
« Mon fils a quitté la maison à l'âge de 14 ans et demi », raconte-t-il. « Il traînait dans la rue et s'est rapidement attiré des ennuis. Il a été arrêté pour effraction, possession d'un couteau, utilisation d'un canif. Il s'est retrouvé dans l'un des lieux de rencontre de Jérusalem et a rencontré des gars de la zone de colonisation d'Eli. C'est là que s'est fait le lien avec les fermes. Un jour, il nous a simplement informés qu'il vivait avec un jeune couple dans une ferme en Samarie ». C'était l'avant-poste des Rappaport.
« C'était une sorte de salut pour nous », dit Amos. « Après avoir passé des mois à ne pas savoir ce qui lui arrivait, nous avions enfin une adresse. Il y avait aussi d'autres gars comme lui, qui se portaient volontaires et faisaient des choses productives et positives. Son séjour là-bas n'a été que bénéfique ».
Cependant, le fils d'Amos n'a pas fini par utiliser la ferme comme un tremplin vers un mode de vie normatif ; il a été attiré par des endroits plus extrêmes. « Il est passé par deux ou trois fermes de ce type avant d'arriver à un avant-poste beaucoup plus sauvage. Il y a quatre mois, il a été emprisonné. Je ne sais pas quel genre de personne il serait devenu s'il n'avait pas connu ces fermes, mais j'ai tendance à croire que son état serait pire ».
Haaretz a demandé à Sara Rappaport de parler des « blessés », mais cette demande a été rejetée. « Il m'est difficile de faire confiance à Haaretz », a-t-elle répondu.
« Les propriétaires des fermes aident à prévenir la détérioration de ces adolescents », déclare un éducateur qui travaille avec des adolescents à risque dans toute la Cisjordanie. « Lorsqu'un jeune est en crise et qu'il est en fait une sorte de nomade, la ferme est un point d'ancrage pour lui. Où qu'ils se trouvent, ces jeunes ont besoin d'être pris en charge. Si, au lieu d'être jetés sur la place des Chats ou sur les plages du Kinneret, ils faisaient des gardes dans une ferme. Peut-être que du point de vue de Haaretz, cela ressemble à de l'exploitation, mais pour lui, ce sera une sorte de cadre sécurisé ».
Le rabbin Arik Ascherman, fondateur de l'organisation de défense des droits de l'homme Torah of Justice, qui a été attaqué à plusieurs reprises au cours de ses années d'activisme, s'interposant entre les Palestiniens et les colons abusifs, connaît bien cette approche. « Les propriétaires des fermes se considèrent comme des éducateurs », explique M. Ascherman. « Je conteste bien sûr ce point de vue. Au-delà des horreurs que ces jeunes font subir aux Palestiniens, nous devons également prendre en compte ce que le séjour dans les fermes leur fait subir. »
En réponse
Le JNF a répondu à cette question : « Le programme Noar Besikuy [jeunes à risque] du JNF existe dans les communautés de la périphérie sociale et géographique du pays. Ce programme offre aux jeunes la possibilité de s'intégrer dans divers cadres de la société israélienne, en t

Israël prétend redessiner par la guerre le Proche-Orient

Israël poursuit sans relâche ses bombardements sur le Liban, assortis de tentatives d'« incursions » terrestres, selon la formule consacrée. Ses attaques contre le Hezbollah dépassent très largement l'objectif officiellement avancé : permettre le retour des habitants du nord du pays. En décapitant la direction de l'organisation et en assassinant son secrétaire général Hassan Nasrallah, le premier ministre israélien veut affaiblir l'Iran et cherche à reconfigurer toute la région.
Tiré d'Orient XXI.
La décision israélienne d'éradiquer le leadership du Hezbollah constitue évidemment une tentative de déconnecter les fronts soutenus par le régime iranien contre Israël. Il s'agit d'affaiblir Téhéran et ses mandataires en imposant un nouveau statu quo régional favorable avant qu'une nouvelle administration américaine ne prenne le relais en janvier prochain. Cependant, cette stratégie déclenche des risques de conflit régional qui pourraient finalement dompter le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.
Le 27 septembre 2024, des avions de combat israéliens ont envoyé 85 bombes anti-bunkers sur une réunion souterraine dans la banlieue sud de Beyrouth, entraînant la mort du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Le 4 octobre, ils ont également largué 73 tonnes de bombes sur l'héritier présomptif et cousin maternel de Nasrallah, Hashem Safieldine ; rien n'indique, pour l'instant, qu'il a survécu à cet assassinat.
Cette offensive de choc et d'effroi a brièvement paralysé les capacités du Hezbollah. La percée humaine et technologique dans les rangs du régime iranien puis du Hezbollah est sans précédent. Avec l'aide de l'administration américaine, Israël a pu non seulement dominer l'espace aérien, mais aussi s'appuyer sur les développements de l'intelligence artificielle pour assassiner des dirigeants de haut niveau à Téhéran et de ses mandataires au Moyen-Orient.
La politique du Hezbollah de lier le front libanais à celui de Gaza est difficile à préserver compte tenu de la pression militaire israélienne et de la pression diplomatique américaine. L'offensive israélienne, qui a débuté le 17 septembre avec l'explosion des bipeurs et des talkies-walkies, a bouleversé la structure du Hezbollah, qui n'est plus en mesure de riposter de manière proportionnée.
L'organisation avait parié sur le fait qu'Israël n'ouvrirait pas un nouveau front. Cependant, l'absence de riposte de la part du régime iranien et du Hezbollah aux assassinats perpétrés par Tel-Aviv depuis des années a encouragé le premier ministre Nétanyahou. En effet, Téhéran a donné l'impression de ne plus être en mesure de protéger ses alliés après l'assassinat du chef du Hamas Ismail Haniyeh lors d'une visite à Téhéran le 31 juillet 2024, puis celui de Nasrallah.
La centralité du rôle de ce dernier dans l'« axe de la résistance » a cependant poussé le régime iranien à réagir. Téhéran a lancé le 1er octobre plus de 180 missiles balistiques sur Israël sans causer de dommages stratégiques significatifs significatifs tandis que les Brigades Al-Qassam, aile militaire du Hamas, ont recommencé à lancer des roquettes sur Tel-Aviv ainsi que des attaques individuelles à l'intérieur d'Israël. Le Hezbollah a réussi à tuer au moins 20 soldats israéliens qui tentaient une incursion au Liban, pendant que les groupes chiites soutenus par l'Iran en Irak et les Houthis au Yémen ont intensifié leurs propres attaques. L'idée d'une unité des fronts contre Israël est devenue une réalité, alors que le régime iranien tente de rétablir un certain équilibre dans la dynamique de dissuasion avec Israël..
L'héritage mitigé de Nasrallah
L'assassinat de Nasrallah ne doit pas être sous-estimé. Il va avoir un impact à long terme sur le Hezbollah et la dynamique régionale. L'aura du dirigeant parmi ses partisans fait écho à la doctrine du martyr dans la conscience collective chiite, de sorte que son mythe survivra à sa mort. Toutefois, sa trajectoire en tant que secrétaire général du Hezbollah pendant 32 ans a été complexe. Du milieu des années 1990 au retrait israélien du Liban en mai 2000, il est apparu comme un leader national et panarabe inspirant le récit de la résistance contre Israël. L'invasion américaine de l'Irak en 2003, qui a déclenché l'émergence de l'Iran comme puissance régionale, a porté les ambitions de Nasrallah au-delà des frontières libanaises ; cela s'est reflété par la synchronisation de ses activités avec celles de l'architecte de la puissance régionale du régime iranien, le chef de la force al-Qods, Qassem Soleimani.
Cette synchronisation s'est traduite par quatre décisions problématiques prises par Nasrallah. Premièrement, la décision de capturer des soldats israéliens en juillet 2006, conduisant à la grande confrontation avec Israël, qui s'est conclue par l'établissement de règles d'engagement qui ont globalement tenu jusqu'au 17 septembre 2024.
Ensuite, alors que le régime iranien se méfiait des États-Unis, de l'Arabie saoudite et de leurs alliés au Liban, le Hezbollah a retourné ses armes en mai 2008 contre ces dirigeants libanais rivaux — lesquels faisaient partie du gouvernement ayant pris la décision de démanteler le système de télécommunication de l'organisation. Peu après, le Hezbollah a adopté cette même oligarchie libanaise corrompue pour maintenir son contrôle sur le système politique, ce qui a contribué à l'effondrement économique et financier du Liban.
Tandis que le Hezbollah combattait les islamistes syriens pénétrant par la frontière libanaise, le régime iranien l'a impliqué dans le conflit syrien en 2013 pour consolider le régime. Cela l'a poussé à accroitre ses effectifs, les rendant plus vulnérables, l'a exposé à des brèches dans ses rangs, et l'a détourné de son principal champ de bataille, Israël.
Enfin, dix ans plus tard, le Hezbollah, initialement hésitant, s'est pleinement impliqué dans le « front de soutien » à Gaza, suite de l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.
Les calculs du régime iranien ont toutefois évolué au cours des six dernières années. L'administration Trump a rétabli les sanctions économiques américaines contre le régime en novembre 2018 et assassiné en janvier 2020 Qassem Soleimani. Le régime se retrouve désormais avec des ressources limitées et une force aérienne modeste pour affronter Israël, alors que les États-Unis ont clairement fait savoir qu'ils s'impliqueraient militairement si Téhéran entrait dans le conflit régional. Nasrallah était le chef de facto de l'« axe de la résistance » depuis l'assassinat de Soleimani. Ses commandants ont formé les combattants de l'axe iranien et c'était lui qui jouait les médiateurs entre les différentes composantes en cas de besoin.
Le charisme et le leadership de Nasrallah sont irremplaçables dans la structure du Hezbollah, mais son approche traditionnelle du champ de bataille et son manque de compétences en matière d'organisation ont été dépassés par les services de sécurité israéliens, qui s'appuient sur des technologies et des services de renseignement performants. Nasrallah a déclaré en 2006 qu'il n'avait pas anticipé la réaction israélienne lorsqu'il a ordonné la capture de soldats israéliens. Visiblement, il n'avait pas non plus anticipé l'action de Tel-Aviv ayant conduit à son assassinat en 2024.
La complicité des États-Unis
L'incontrôlable Nétanyahou a plongé Israël dans la plus longue guerre de son histoire, avec des combats sur plusieurs fronts. Au-delà de l'extase immédiate que procure l'assassinat de dirigeants du Hezbollah et du Hamas, il n'a pas de stratégie que cela soit à Gaza ou au Liban. Quant aux États-Unis, qui lui fournissent les outils de destruction, ils sont désormais perçus comme complices ou incapables d'influencer leur principal allié au Proche-Orient.
Depuis un an au moins, le régime iranien pousse Washington à exercer une pression suffisante sur Nétanyahou pour qu'il accepte un cessez-le-feu à Gaza — car c'était pour lui, la voie la plus sûre pour éviter une confrontation directe avec Israël. De son côté, l'administration Biden a envoyé un message clair à Téhéran pour qu'il n'attaque pas les cibles américaines, en partant du principe qu'elle était attachée à la sécurité d'Israël sans être impliquée dans le conflit à Gaza et au-delà. Elle souhaite que l'Iran reste passif alors qu'Israël s'en prend à ses mandataires les uns après les autres et que Nétanyahou cherche à entraîner Washington dans un conflit régional.
Le discours égocentrique et les politiques belliqueuses de Netanyahou placent le Moyen-Orient dans une compétition sécuritaire perpétuelle. Cet excès de confiance n'existerait pas sans la supériorité de sa puissance aérienne fournie par les États-Unis. Cependant, l'administration Biden n'a pas encore utilisé le levier de l'aide militaire pour contraindre le premier ministre israélien et ne semble pas déterminée à exercer des pressions sur Netanyahou pour qu'il accepte un cessez-le-feu.
Quelle suite ?
Depuis des mois, Tel-Aviv fait pression sur le Hezbollah pour qu'il retire ses forces au nord du fleuve Litani pour garantir le retour des résidents israéliens à la frontière nord avec le Liban, conformément à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies qui a mis fin à la guerre de juillet 2006. Mais les médiations franco-américaines pour atteindre ces objectifs ont échoué, le Hezbollah exigeant, en préalable, un cessez-le-feu à Gaza. Depuis le début du conflit en octobre 2023, il s'en tenait à une confrontation transfrontalière limitée. Israël a bouleversé ce statu quo.
Depuis 2006, le Hezbollah a renforcé ses capacités et dispose à présent de drones, de roquettes à plus longue portée, et de capacités maritimes. Tel-Aviv a également renforcé ses capacités en matière de renseignement et de technologie, et peut infiltrer, comme jamais, l'infrastructure et les membres de l'organisation. Israël dispose de la puissance aérienne tandis que le Hezbollah peut cibler les soldats israéliens lors d'une invasion terrestre. Mais il y aura un coût humain et économique qu'on peut déjà mesurer, car Israël étend ses frappes aériennes à tout le Liban.
Israël a pu difficilement protéger ses soldats sur le terrain à Gaza ; ce sera plus difficile à gérer au Liban. Nétanyahou ne semble pas vouloir lancer une offensive à long terme. Sa volonté serait plutôt de faire pression sur le Hezbollah et de détourner l'attention des pourparlers sur le cessez-le-feu à Gaza. Objectifs atteints. Mais le premier ministre israélien n'a aucune stratégie si le Hezbollah ne cède pas.
Or, celui-ci n'a pas cessé de lancer des roquettes sur Israël et de perturber les tentatives de l'armée israélienne de franchir la frontière libanaise. Nétanyahou ne peut donc pas continuer à affirmer, devant l'opinion publique de son pays, qu'il a atteint ses objectifs. Jusqu'à présent, il n'a pu libérer les otages capturés par le Hamas, ni assurer le retour des habitants du nord. Israël n'est pas plus en sécurité aujourd'hui qu'après un an de recours excessif à la force.
Nasrallah est mort mais pas le Hezbollah. Le groupe dispose désormais d'une direction faible et collective, et de forces opérationnelles décentralisées qui mènent les batailles sur le terrain. Le Hezbollah a subi un coup dur, dont il faudra évaluer l'impact. Il lui sera difficile de maintenir la même rhétorique et les mêmes politiques.
Ce qui se passera au Liban et à Gaza dépendra en grande partie de la manière dont Washington gèrera la rivalité entre Israël et l'Iran et si les dirigeants américains prendront ou non leurs distances par rapport à Tel-Aviv. Les erreurs de calcul constituent les plus grands risques d'extension du conflit, à moins que Washington et Téhéran n'entament des pourparlers, directement ou indirectement, pour contraindre leurs alliés respectifs, Israël et le Hezbollah.
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Le Hezbollah, entre défis et résistances

Le Hezbollah est confronté à son plus grand défi depuis sa fondation, avec l'assassinat de dirigeants militaires et politiques clés, dont son secrétaire général Hassan Nasrallah, qui a dirigé le parti pendant 32 ans.
Tiré de Inprecor
11 octobre 2024
Par Joseph Daher
Un enfant tenant une image de Hassan Nasrallah lors d'un défilé pendant son discours, en novembre 2023. © Fars Media Corporation, CC BY 4.0
L'armée d'occupation israélienne a imposé, avec le soutien des États-Unis, à partir de la mi-septembre, une escalade meurtrière contre le Liban, prenant la forme d'une guerre ouverte. Cette escalade a commencé par l'explosion d'appareils de communication utilisés par des membres du Hezbollah, civils et militaires, tuant 39 personnes et en blessant près de 3 000. Elle s'est poursuivie par des campagnes de bombardements massifs visant à assassiner les hautes personnalités militaires et politiques du Hezbollah, mais tuant également plus d'un millier de civils et à provoquer le déplacement forcé de plus d'un million de personnes. Le total de personnes tuées depuis le 7 octobre dépasse maintenant les 2000.
Culte de la personnalité
Au cours des dernières décennies, un culte de la personnalité s'est développé dans la propagande du parti autour de Hassan Nasrallah. Cela s'est notamment reflété dans les suites de la guerre d'Israël contre le Liban en 2006, lorsque leur slogan initial « Al-Nasr al-îlâhi » a été changé en « Nasr(un) min Allâh » (Une victoire de Dieu), ce qui était une instrumentalisation du nom de Hassan Nasrallah. Cela faisait partie de la culture de l'image du leader dans les campagnes médiatiques du parti.
Alors que le Hezbollah jouissait d'une popularité considérable auprès des autres confessions religieuses libanaises et même au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la popularité de Nasrallah en dehors de la base du parti a considérablement diminué après la guerre de 2006. Plusieurs raisons expliquent cette évolution, notamment l'utilisation par le Hezbollah de ses capacités militaires contre d'autres acteurs nationaux. Par exemple, en 2008, le parti a envahi certains quartiers de Beyrouth-Ouest et des affrontements militaires ont eu lieu dans d'autres régions, notamment dans le Chouf, après que le gouvernement libanais a annoncé qu'il souhaitait démanteler le réseau de communication du parti.
En plus de ce conflit intérieur, il a participé plus tard à la répression meurtrière du mouvement populaire syrien aux côtés du régime despotique syrien et cela a de nouveau attisé les tensions confessionnelles au Liban.
Enfin, le Hezbollah fait partie de tous les gouvernements depuis 2005 et est donc perçu comme l'un des responsables de la crise économique et financière de 2019, comme les autres partis dominants libanais. Hassan Nasrallah a même été très virulent à l'égard du mouvement de protestation cette année-là, l'accusant d'être financé par des ambassades étrangères et envoyant des membres du parti attaquer les manifestants. Ajoutons à cela d'autres incidents confessionels, entre des membres du Hezbollah et des individus d'autres confessions, et finalement les accusations, à l'encontre du Hezbollah principalement, d'obstructions dans l'enquête sur les explosions du port de Beyrouth. Tous ses éléments ont mené à un plus grand isolement, à la fois politique et sociale au sein de la population libanaise, hors de sa base populaire chiite, du Hezbollah. Plutôt que d'être considéré comme une figure de la résistance nationale, Nasrallah était également de plus en plus perçu comme un « Zaim » confessionnel défendant les intérêts politiques de son parti et ceux de régimes autoritaires, comme la Syrie et l'Iran.
C'est cet isolement qui a contribué à la volonté du parti d'éviter une guerre totale avec Israël après le 7 octobre. En adoptant une action calculée et modérée contre les cibles militaires israéliennes, le Hezbollah a tenté d'empêcher que le conflit ne soit exploité par des ennemis politiques internes au Liban, ce qui ferait du parti le principal acteur responsable de tous les malheurs du pays. Cependant, la guerre actuelle d'Israël contre le Liban, avec le soutien des États-Unis, a gravement compromis ce plan.
Et maintenant ?
Dans ce contexte, les responsables du Hezbollah tentent de démontrer que le parti poursuit la voie tracée par l'ancien secrétaire général du parti après son assassinat et celui d'un certain nombre de hauts cadres militaires et politiques. Le leader intérimaire Naim Qassem l'a souligné devant ses partisans et ses membres dans son discours, lorsqu'il a déclaré : « Nous poursuivons les traces de Hassan Nasrallah ».
Pour le Hezbollah, les priorités sont désormais de protéger d'abord ses structures internes et sa chaîne de commandement, notamment en comblant le vide au sommet du parti concernant les différentes responsabilités politiques et militaires, et en élisant un nouveau secrétaire général.
Ces priorités expliquent en partie l'évolution rhétorique récente du parti du Hezbollah concernant l'objectif affiché depuis le 7 octobre de 2023 de ne pas séparer les fronts de Gaza et du Liban jusqu'à un cessez-le-feu dans la bande de Gaza. En effet, le secrétaire général adjoint Naïm Kassem, et des députés du parti Hussein Hajj Hassan et Amine Cherri, ont affirmé après l'assassinat de Hassan Nasrallah que leur priorité était de mettre fin à l'agression israélienne contre le Liban et de soutenir un cessez-le-feu, indépendamment d'un arrêt des combats à Gaza. Cependant ces déclarations restent lettre morte, car l'armée d'occupation israélienne poursuit sa guerre meurtrière contre le Liban. Cette évolution est aussi liée aux défis internes sur le plan national, et l'incapacité pour son principal soutien l'Iran de faire bien plus en faveur du Hezbollah.
Cela dit, le parti reste actuellement l'acteur politique le plus important au Liban, tout en continuant à exercer une influence dépassant ses frontières nationales, notamment en Syrie, et à représenter les intérêts politiques régionaux de Téhéran.
Les capacités militaires du Hezbollah continuent de représenter un atout majeur du parti, malgré les infiltrations israéliennes, l'affaiblissement de la communication interne et l'assassinat d'un grand nombre de ses commandants militaires expérimentés. Il dispose notamment d'effectifs militaires de plusieurs dizaines de milliers de soldats (probablement environ 50.000 avec les réservistes) et d'un vaste arsenal de roquettes et de missiles. Pour la première fois depuis le 7 Octobre, le parti a utilisé différents types de missiles Fadi, qui sont des missiles puissants et de longue portée, pour frapper des sites militaires dans la périphérie des villes de Haïfa et de Tel-Aviv. De même, lors des premières tentatives d'infiltration de l'armée d'occupation israélienne dans les territoires libanais, les soldats du Hezbollah ont leurs infligés des pertes, en détruisant plusieurs tanks et causant la mort de plusieurs soldats israéliens.
Parallèlement à son mouvement armé, le parti dispose d'un vaste réseau d'institutions fournissant à sa base populaire des services clés et essentiels, même s'ils ont été partiellement mis à mal par la guerre et sont sous pression des besoins toujours croissant de la population impactée par la guerre, dont un grand nombre sont issus de sa base populaire. Dans ce contexte, cette dernière restera très probablement dans sa grande majorité fidèle, malgré des critiques plus importantes formulées à l'encontre du parti et de ses politiques, en particulier en l'absence d'une alternative politique inclusive et dans le contexte d'une crise économique profonde et continue avec un État et ses services publics aux abonnés absents.
Au niveau régional, un affaiblissement trop important du Hezbollah est problématique pour la stratégie géopolitique et le réseau d'influence régional de l'Iran. Les objectifs stratégiques de Téhéran, en particulier depuis le 7 Octobre, ont en effet été d'améliorer sa position géopolitique régionale afin d'être dans la meilleure position pour les futures négociations avec les États-Unis, en particulier sur les questions nucléaires et les sanctions, et de garantir ses intérêts politiques et sécuritaires. La dernière attaque iranienne contre Israël doit être considérée dans ce cadre, tout en essayant de réaffirmer une forme de dissuasion, bien qu'inégale par rapport à la supériorité des capacités militaires israéliennes et au soutien apporté par Washington. De plus cette attaque ne permettra à aucun moment d'arrêter la guerre israélienne contre le Liban.
Le Hezbollah se trouve dans la situation la plus dangereuse depuis sa fondation, et il est peu probable que cela s'améliore de sitôt compte tenu des attaques continues d'Israël et de l'isolement du parti au Liban.
Si les principaux atouts du mouvement ont été de construire une organisation forte et disciplinée, et non un « one-man show » – malgré le culte de la personnalité dont bénéficie Nasrallah –, la capacité du parti à élargir sa base est très limitée par sa stratégie et son orientation politiques. Le Hezbollah ne s'est pas engagé dans la construction d'un projet contre-hégémonique qui remettrait en cause le système confessionnel et néolibéral libanais. En fait, il l'a activement soutenu en devenant l'un de ses principaux défenseurs.
De plus, le parti a agi comme le principal centre d'influence et d'intérêts iraniens dans la région, en particulier après l'éruption des soulèvements en Syrie et au Moyen-Orient et en Afrique du Nord depuis 2011, qui favorisent également un ordre autoritaire néolibéral opposé à l'émancipation et à la libération des classes populaires.
En d'autres termes, le Hezbollah, comme d'autres acteurs politiques régionaux impliqués dans la résistance contre Israël, est incapable de construire un grand mouvement liant les enjeux démocratiques et sociaux, s'opposant à toutes les forces impérialistes et sous-impérialistes, tout en promouvant la transformation sociale par en bas, à travers la construction de mouvements dans lesquels les classes populaires sont les véritables acteurs de leur émancipation.
Le 5 octobre 2024
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Guerre au Liban : pourquoi Benyamin Netanyahou tient tant à chasser les Casques bleus de la Finul

Après que l'armée israélienne a blessé cinq des soldats de la Finul, le premier ministre israélien prétend, dans une cynique adresse au secrétaire général de l'ONU, que le seul moyen d'assurer leur sécurité serait leur évacuation.
Par Bruno Odent, L'Humanité, France, le 13 octobre 2024
La Force intérimaire des Nations unies au Liban ( Finul ) a été au cœur de toutes les polémiques durant le week-end. En l'espace de 48 heures, vendredi 11 et samedi 12 octobre, ses Casques bleus ont essuyé des tirs des commandos israéliens qui interviennent sur le territoire libanais pour en découdre avec les milices du Hezbollah.
Cinq soldats de l'ONU ont été blessés et l'un de leurs porte-parole, Andrea Tenenti, a accusé l'armée israélienne d'avoir tiré de « façon répétée » et « délibérée » sur les positions de la Finul, infligeant « beaucoup de dommages » au dispositif installé sur place par l'ONU. « Le conflit entre le Hezbollah et Israël n'est pas qu'un conflit qui implique deux pays. Très bientôt, ce pourrait être un conflit régional avec un impact catastrophique pour tous », a-t-il prévenu quelques instants plus tard, comme pour relever le rôle salutaire de la mission de maintien de la Finul.
Le président des États-Unis, Joe Biden, s'est ému de la situation, demandant à Israël de ne plus tirer sur les soldats de l'ONU, quand son homologue français, Emmanuel Macron, a jugé ces attaques « inacceptables ».
*Exercice devenu classique de renversement des accusations*
La Finul, qui est composée de quelque 10 000 soldats, est déployée au Liban depuis 1978 à la suite d'une décision du Conseil de sécurité de l'ONU. Il s'agissait alors de mettre fin à une première invasion israélienne condamnée par les Nations unies qui demandaient dans une résolution à Israël de retirer ses troupes du territoire libanais.
La Finul fut chargée d'opérer sur la frontière israélo-libanaise pour orchestrer le retrait des troupes israéliennes au Liban du Sud, consolider la paix et aider le gouvernement libanais à rétablir son autorité effective dans la région.
Pas de quoi impressionner le premier ministre israélien, peu enclin il est vrai à se plier aux décisions de la communauté internationale. Benyamin Netanyahou a appelé, ce dimanche 23 (sic) octobre, le secrétaire général de l'ONU pour qu'il sorte les Casques bleus de la Finul de leur poste d'observation.
« Monsieur le secrétaire général, mettez les forces de la Finul à l'abri. Il faut le faire tout de suite, immédiatement ! » a lancé en anglais un Netanyahou courroucé et passé maître dans l'art de la provocation lors d'un discours filmé au début du Conseil des ministres.
Et d'ajouter à l'adresse d'Antonio Guterres dans un exercice devenu classique de renversement des accusations sur l'origine des responsabilités : « Nous regrettons que les soldats de la Finul aient été blessés et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter que cela ne se reproduise. Mais le moyen le plus simple et le plus évident d'y parvenir est tout simplement de les faire sortir de la zone de danger. »
Quelques instants plus tard, le Liban « condamnait » cet appel martial de Netanyahou à évacuer les Casques bleus de la frontière, le premier ministre libanais, Najib Mikati, s'indignant d'un « nouveau refus (israélien) de se plier au droit international » et dénonçant « l'agression israélienne contre la Finul ».
Lecture suggérée par André Cloutier
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Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.
Souveraineté en question : le Népal face aux géants de l’Asie

Les forces israéliennes prennent à nouveau pour cible les forces de maintien de la paix de l’ONU dans le sud du Liban

La force de maintien de la paix des Nations unies au Sud-Liban confirme que son quartier général à Naqoura a été touché par des explosions pour la deuxième fois en 48 heures, un jour après que les forces israéliennes ont frappé la même position.
Tiré de France Palestine solidarité. Photo : Des soldats de la paix de la FINUL patrouillent dans les environs de Tyr, au sud du Liban © UN Photo/Pasqual Gorriz.
Deux casques bleus de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) ont été blessés après que deux explosions se soient produites à proximité d'une tour d'observation, a déclaré la mission des Nations unies dans un communiqué vendredi.
« Il s'agit d'un événement grave et la FINUL rappelle que la sécurité du personnel et des biens de l'ONU doit être garantie et que l'inviolabilité des locaux de l'ONU doit être respectée à tout moment », a ajouté le communiqué.
« Toute attaque délibérée contre des soldats de la paix constitue une grave violation du droit humanitaire international. » L'un des soldats de la paix blessés a été transporté dans un hôpital de la ville voisine de Tyr, tandis que l'autre a été soigné sur place.
L'organisation a également déclaré que « plusieurs murs en T de notre position de l'ONU 1-31, près de la ligne bleue à Labbouneh, sont tombés lorsqu'une chenille [militaire israélienne] a frappé le périmètre et que des chars [israéliens] se sont déplacés à proximité de la position de l'ONU », en référence à la ligne de démarcation entre Israël et le Liban.
« Nos forces de maintien de la paix sont restées sur place », a indiqué le communiqué, ajoutant que des forces de maintien de la paix supplémentaires avaient été envoyées pour renforcer la position.
L'armée israélienne a déclaré dans un communiqué qu'elle procédait à un examen approfondi de l'incident au cours duquel deux soldats de la paix ont été blessés « par inadvertance » dans le sud du Liban. Elle a ensuite déclaré que deux membres de la mission de maintien de la paix des Nations unies avaient été blessés lorsque les forces israéliennes avaient répondu à une menace.
Elle a indiqué qu'elle avait demandé au personnel de la FINUL de se rendre dans des zones protégées et d'y rester quelques heures avant l'incident.
Le ministère libanais des affaires étrangères avait précédemment déclaré que les attaques visaient des tours de guet et la base principale de la FINUL à Naqoura, ainsi que la base du bataillon sri-lankais.
L'agence de presse officielle libanaise National News Agency a rapporté que les tirs d'artillerie d'un char israélien Merkava avaient blessé des membres du bataillon sri-lankais, sans préciser où ils se trouvaient exactement.
S'exprimant lors d'une conférence de presse à Beyrouth, le premier ministre intérimaire libanais, Najib Mikati, a déclaré que les actions d'Israël constituaient un « crime dénoncé ». Il a ajouté qu'il avait discuté avec le secrétaire d'État américain Antony Blinken des efforts déployés pour parvenir à un cessez-le-feu au Liban.
Le Hezbollah a également condamné les attaques israéliennes. Le chef des médias du groupe, Mohammad Afif, a déclaré que les attaques visaient les soldats de la paix de l'ONU, les civils, les zones résidentielles, les hôpitaux et le personnel médical, et a dénoncé les « excuses » et les justifications utilisées par l'armée israélienne pour continuer à les frapper, notamment en affirmant qu'elles contenaient des armes et des explosifs.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a déclaré vendredi qu'il était « très clair que cet incident est intolérable et ne peut se répéter ».
Le ministère russe des affaires étrangères s'est déclaré vendredi « scandalisé » par le fait que les soldats de la paix de la FINUL aient été pris pour cible et a exigé qu'Israël s'abstienne de toute « action hostile » à leur encontre.
Human Rights Watch a demandé une enquête de l'ONU sur ces attaques et a déclaré que le fait de prendre délibérément pour cible les missions de l'ONU constituait un « crime de guerre ».
« Les forces de maintien de la paix de l'ONU au Sud-Liban jouent depuis longtemps un rôle humanitaire et de protection des civils essentiel », a déclaré Lama Fakih, directeur pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de l'organisation de défense des droits de l'homme basée à New York. « Tout ciblage des soldats de la paix de l'ONU par les forces israéliennes viole les lois de la guerre et interfère dangereusement avec la protection des civils et le travail d'aide de la FINUL.
La Chine s'est déclarée « gravement préoccupée et a fermement condamné » les attaques d'Israël contre les opérations de paix de l'ONU, tout comme l'Inde, qui a déploré la « détérioration de la situation sécuritaire le long de la Ligne bleue ».
Le ministère indien des affaires extérieures a déclaré « L'inviolabilité des locaux de l'ONU doit être respectée par tous et des mesures appropriées doivent être prises pour garantir la sécurité des soldats de la paix de l'ONU et le caractère sacré de leur mandat. »
La France a convoqué l'ambassadeur d'Israël pour lui demander des explications, a indiqué le ministère des affaires étrangères dans un communiqué.
« Ces attaques constituent des violations graves du droit international et doivent cesser immédiatement », a déclaré le ministère.
La France compte environ 700 soldats dans le cadre de la mission de la FINUL. Aucun de ses soldats n'a été blessé jusqu'à présent. Le ministère a déclaré que toutes les parties au conflit avaient l'obligation de protéger les soldats de la paix.
Assaut contre les Casques bleus
L'incident de vendredi survient un jour après que les casques bleus de l'ONU ont déclaré que l'armée israélienne avait tiré « à plusieurs reprises » sur le quartier général et les positions de la FINUL dans le sud du Liban.
Deux casques bleus indonésiens ont été blessés jeudi et sont toujours hospitalisés, a indiqué la mission.
Le personnel de la FINUL porte des casques bleus pour être clairement identifiable et sa position est connue de l'armée israélienne.Israël a reconnu que ses forces avaient ouvert le feu dans la zone, affirmant que les combattants du Hezbollah contre lesquels il fait la guerre opèrent à proximité des postes de l'ONU.
L'attaque de jeudi a suscité une condamnation mondiale.
Le ministre italien de la défense, Guido Crosetto, a dénoncé l'incident comme un possible crime de guerre, rompant ainsi avec le soutien apporté par son pays à Israël tout au long de la guerre qui l'a opposé à Gaza et au Liban.
« Il ne s'agit pas d'une erreur ni d'un accident », a déclaré M. Crosetto lors d'une conférence de presse. « Cela pourrait constituer un crime de guerre et représente une violation très grave du droit humanitaire international. »
Le porte-parole de la FINUL, Andrea Tenenti, a déclaré à Al Jazeera qu'il s'agissait d'un événement « très grave ».
Il a expliqué qu'Israël avait déjà demandé aux soldats de la paix de quitter « certaines positions » près de la frontière, mais « nous avons décidé de rester parce qu'il est important que le drapeau de l'ONU flotte dans le sud du Liban ».
« Pour l'instant, nous restons, nous essayons de faire tout ce que nous pouvons pour surveiller [et] fournir de l'aide », a ajouté M. Tenenti.
La ministre indonésienne des affaires étrangères, Retno Marsudi, a confirmé que les soldats de la paix de son pays se trouvaient à l'hôpital pour une observation plus approfondie. « L'Indonésie condamne fermement l'attaque », a-t-elle déclaré. « Attaquer le personnel et les biens de l'ONU est une violation majeure du droit humanitaire international. »
Traduction : AFPS
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Une quarantaine de sociétés de journalistes réclament de nouveau l’accès à Gaza

Un an après le 7-Octobre, de nombreuses sociétés de journalistes et rédactions, dont la SDJ de Mediapart, demandent dans une tribune collective aux instances internationales et aux dirigeants de tous les pays d'appeler à l'ouverture de ce territoire à la presse pour qu'elle y exerce son métier : informer.
Tiré du blogue de l'auteur.
Depuis un an, la bande de Gaza est soumise à d'intenses combats et aux bombardements israéliens, en représailles aux massacres et à l'enlèvement de nombreux otages par des milices terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023.
La presse, cependant, ne peut toujours pas entrer dans cette enclave. L'accès en est interdit par Israël. Il est donc impossible de voir directement ce qui s'y passe. Impossible de rendre compte par nous-mêmes des destructions massives, des dizaines de milliers de morts et de blessés palestiniens sans dépendre de la communication de chaque camp.
Les journalistes palestiniens bloqués dans Gaza ne bénéficient quant à eux d'aucune protection. Plus d'une centaine d'entre eux ont été tués, et il a été démontré que plusieurs dizaines parmi eux l'ont été dans le cadre de leur travail. Les correspondants des agences de presse, des chaînes de télévision ou de radio, les interlocuteurs des médias que nous représentons sont, comme l'immense majorité des Gazaouis et de leurs familles, déplacés, leurs vies mises en danger. Ils sont régulièrement soumis à de nombreuses coupures d'électricité et des moyens de communication, empêchant de transmettre à l'extérieur ce qu'ils voient et entendent.
Cette situation, que nous avions déjà dénoncée il y a un an, est sans précédent. Il revient aux rédactions, comme dans chaque conflit armé, de mesurer les risques d'envoyer ou non leurs journalistes sur un terrain de guerre, comme elles le font à travers le monde.
Nous le répétons, la désinformation et le mensonge sont aussi des armes de guerre des différentes parties prenantes au conflit. Empêcher les journalistes d'exercer librement leur métier ne peut que les servir. Ce droit d'informer et d'être informé est le pilier de nos démocraties. Il s'agit d'une liberté fondamentale, inscrite dans l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Nous demandons donc aux autorités israéliennes de préserver la sécurité des journalistes qui tentent actuellement de travailler à Gaza et d'ouvrir ce territoire à la presse internationale pour qu'elle y fasse son métier : informer sans entrave et témoigner de la marche de cette guerre, l'une des plus meurtrières et violentes de ce début du XXIe siècle.
Les sociétés de journalistes et de rédacteurs de : Arrêt sur images, Arte, BFM Business, BFM-TV, Blast, Challenges, France 24, France Télévisions rédaction nationale, France 3 rédaction nationale, Franceinfo TV, Franceinfo.fr, Konbini, LCI, L'Express, L'Humanité, Le Figaro, Le Monde, Le Nouvel Obs, L'Informé, La Tribune, La Vie, Le Point, Le Télégramme, Libération, Mediapart, M6, Premières Lignes TV, Radio France, RFI, RMC, RTL, « Sept à huit », Télérama, TV5 Monde, L'Usine nouvelle, ainsi que Reporters sans Frontières.
L’engagement de Michèle Sibony pour la Paix
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Le petit prince à la rescousse

Etats-Unis. La grève de 45 000 dockers… cinq semaines avant les élections présidentielles

Les travailleurs des ports de la côte est des Etats-Unis et du golfe du Mexique se sont mis en grève mardi 1er octobre à la suite de l'échec des négociations entre le syndicat qui les représente – l'International Longshoremen's Association (ILA)– et l'organisation des compagnies maritimes internationales qui les emploient.
2 octobre 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/etats-unis-la-greve-de-45-000-dockers-cinq-semaines-avant-les-elections-presidentielles.html
Environ 45'000 travailleurs ont débrayé à 0h01 ce mardi, ce qui en fait la grève la plus importante que le syndicat ait connue depuis 1977. Mardi, les travailleurs de 36 ports différents ont cessé le travail après l'expiration de leur contrat de six ans avec l'United States Maritime Alliance (USMX) – et selon la durée de la grève – cela pourrait avoir un impact considérable sur l'économie des Etats-Unis.
La grève touche certains des plus grands ports du pays, comme la Port Authority of New York and New Jersey (Autorité portuaire de New York et du New Jersey). Dans l'ensemble, les ports concernés manutentionnent environ 50% des importations et des exportations depuis et à destination des Etats-Unis. Bien qu'une partie du fret ait été détournée à titre préventif vers la côte ouest, cette solution n'est pas sans complications.
Ces derniers jours, il semblait que les négociations entre l'USMX et l'ILA allaient bon train. L'USMX demandait une prolongation du contrat actuel afin de disposer de plus de temps pour négocier. L'ILA a toutefois refusé la nouvelle proposition.
Le président de l'ILA, Harold J. Daggett [élu en 2011, réélu en 2023 pour la quatrième fois], a prévenu mardi que le syndicat était « prêt à se battre aussi longtemps que nécessaire, à rester en grève aussi longtemps qu'il le faudra, pour obtenir les salaires et les protections contre l'automatisation que méritent les membres de l'ILA ».
Qu'est-ce que l'International Longshoremen's Association ? Pourquoi ses membres font-ils grève ?
L'ILA représente environ 45'000 travailleurs qui assurent le déchargement des énormes conteneurs de grands porte-conteneurs. En fin de compte, les marchandises transportées par les navires sont acheminées vers les entrepôts, les rayons des magasins et les usines.
Les membres travaillent dans les ports de la côte Est, jusqu'au Maine, ainsi que dans les ports de la côte du Golfe du Mexique, en Louisiane et au Texas.
« La grève porte sur deux questions principales », indique Art Wheaton. Il dirige les études sur les conditions de travail et « relations industrielles » à l'université de Cornell (dans l'Etat de New York). « La première porte sur les salaires. La deuxième concerne la technologie. »
Le syndicat a exigé une augmentation de salaire significative pour les dockers au cours des six années de la durée du contrat collectif, ainsi qu'une augmentation des cotisations à leur plan de retraite et un droit de regard sur le rôle de l'automatisation dans leur secteur. Certains rapports indiquent que le syndicat a demandé jusqu'à 77 % d'augmentation de salaire (AP, 18 septembre) ; la proposition la plus récente d'USMX offrait une augmentation de 50%, sur la durée du contrat.
Selon Art Wheaton : « La principale préoccupation des dockers est qu'ils ne veulent pas que des machines automatisées soient chargées de prendre, de déposer et de décharger la cargaison automatiquement. Ils tiennent à ce qu'un opérateur soit présent pour garantir la qualité et la sécurité de leurs opérations, ainsi que la sécurité de l'emploi. »
Les négociations entre l'USMX et l'ILA en vue d'un nouveau contrat ont été interrompues en juin, apparemment à cause de l'utilisation de l'automatisation dans Port of Mobile situé dans l'Etat du Alabama [un port en eau profonde et bien connecté au réseau ferroviaire de CN]. La semaine dernière (fin septembre), l'USMX a déposé une plainte auprès du National Labor Review Board [agence fédérale chargée contrôlant les élections syndicales et les infractions aux règles commises par les syndicats ou les employeurs], affirmant que l'ILA refusait de poursuivre les négociations contractuelles. L'USMX n'a pas répondu à notre demande de commentaire.
Les compagnies maritimes qui composent l'USMX – toutes basées en dehors des Etats-Unis – ont gagné des milliards grâce à l'essor du commerce mondial et du transport maritime, affirme le syndicat, alors que les salaires ont stagné face à l'inflation.
Les dockers de la côte ouest gagnent environ 55 dollars de l'heure, (New York Times 24 septembre 2024) comparés au 39 dollars de l'heure en moyenne pour les travailleurs qualifiés de la côte est et du golfe du Mexique (CNN 1er octobre 2024). Les dockers de la côte ouest ont obtenu une augmentation de salaireimpressionnante lors leur dernier contrat [pour six ans]. Ces derniers appartiennent à un autre syndicat, l'ILWU (International Longshoremen and Warehouse Union). Il est depuis longtemps beaucoup plus radical que l'ILA en termes d'orientation, de revendications et de tactiques, selon Gabe Winant, historien du travail à l'université de Chicago. Les grands succès salariaux des travailleurs organisés dans l'ILWU ont prouvé qu'il était possible d'exiger davantage – et surtout de l'obtenir. Aujourd'hui, l'ILA espère remporter une victoire similaire.
Quelles seront les marchandises concernées ?
Plus de 50% des marchandises importées aux Etats-Unis par des porte-conteneurs entrent par les ports de la côte est et du golfe du Mexique, et près de 70% des exportations par conteneurs sortent par ces ports. Dans l'immédiat, il devrait y avoir peu de pénuries ou d'augmentations de prix sur la plupart des biens de consommation. De nombreuses firmes se sont préparées à la grève. Toutefois, en fonction de la durée de la grève, certains produits périssables pourraient être plus chers ou plus difficiles à trouver.
« Nous avons tous ces produits périssables importés [sur] la côte Est », comme les myrtilles, les bananes et le poisson d'Amérique du Sud, indique Chris Tang, professeur de gestion des filières d'approvisionnement auprès de l'UCLA (Université de Californie à Los Angeles). « Nous importons également des vêtements, des jouets et des produits électroniques via la côte Est. »
L'industrie automobile risque également d'être touchée, car de nombreuses voitures et pièces détachées sont importées d'Europe. Chris Tang souligne : « Il y a encore des stocks disponibles dans les usines automobiles et chez les concessionnaires, donc à court terme, la grève n'a pas d'impact majeur ». Mais si la grève se prolonge pendant des semaines, ces stocks s'épuiseront et les problèmes de réparation automobile pourraient s'aggraver en raison des retards de livraison des pièces détachées.
Outre la grève, d'autres facteurs affectent actuellement le transport maritime mondial, notamment les attaques des Houthis en mer Rouge, qui ont perturbé le transport depuis novembre dernier, ainsi que des conditions météorologiques extrêmes. Le canal de Panama a également été touché indépendamment des grèves ; la voie navigable souffre d'un manque d'eau, ce qui a créé un retard dans le transport maritime.
Art Wheaton ajoute : « Quiconque a essayé d'acheter du papier hygiénique pendant la pandémie de Covid peut vous le dire : notre chaîne d'approvisionnement est fragile, et lorsque vous commencez à vous attaquer aux cargos, au rail et aux semi-remorques, vous êtes fichus. Il est impossible d'acheminer quoi que ce soit. Ajoutez à cela qu'une grande partie de la côte Est vient d'être submergée par les eaux suite l'ouragan (Hélène) qui vient de passer. »
Dans l'ensemble, les consommateurs ne devraient pas trop s'inquiéter de la pénurie de marchandises. Pour l'instant, Chris Tang conseille de ne pas accumuler les produits de peur qu'ils ne disparaissent des rayons, ce qui créerait des pénuries et ferait grimper les prix, indépendamment de la grève.
Une grève à la veille des élections du 5 novembre. Une « complication » pour Biden et Kamala Harris ?
La suite de la grève dépend en grande partie de la rapidité avec laquelle l'ILA et l'USMX parviendront à un accord.
La Loi fédérale donne au Congrès et au président le pouvoir d'interrompre une grève dans certaines circonstances. Dans le cas présent, le président Joe Biden pourrait ordonner le retour des dockers dans les ports pour une durée 80 jours, le temps que l'USMX et l'ILA poursuivent les négociations contractuelles, en vertu des pouvoirs conférés par la loi Taft-Hartley, mais il ne souhaite pas le faire [1].
Chris Tang prévient que cela pourrait changer au fur et à mesure que la grève se prolonge, étant donné qu'elle pourrait se poursuivre jusqu'à l'élection présidentielle.
L'administration Biden devra faire face à « la pression des consommateurs, des détaillants, des fabricants et des compagnies maritimes » pour prendre des mesures et rouvrir les ports, a déclaré M. Tang. Certains regroupements de firmes demandent déjà à M. Biden de renvoyer les membres de l'ILA au travail. Mais Biden a également largement soutenu l'action syndicale, à l'exception de la grève des cheminots de 2022[blocage par le Congrès, sur demande de Biden, en 2022, d'accorder un congé maladie payés de 7 jours pour les travailleurs du rail] et un certain nombre de syndicats contribuent à la campagne de la vice-présidente Harris.
« Je pense qu'en ce moment, le président Biden est soumis à une forte pression », a déclaré Chris Tang. Dans l'idéal, l'administration n'aura pas à agir, l'ILA et l'USMX parvenant à un accord soit de leur propre chef, soit avec l'aide de fonctionnaires du NLR, lors des négociations [2].
« La politique officielle du gouvernement depuis plus de 100 ans est que la meilleure solution est une solution négociée », explique Art Wheaton. L'approche gouvernementale est la suivante « Le syndicat n'obtiendra pas tout ce qu'il veut, la direction de l'USMX de n'obtiendra pas tout ce qu'elle veut, mais il faut se réunir pour des négociations pour voir ce que les deux parties peuvent accepter. » (Article publié sur le site de Vox en date du 2 octobre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Ellen Ioanes travaillait, avant d'écrire pour Vox, auprès de Business Insider
Notes
[1] Selon Politico du 1er octobre 2024 « La Maison Blanche a réaffirmé mardi qu'elle ne contraindrait pas les dockers en grève à reprendre le travail. Elle a insisté sur le fait que l'impact sur les marchandises vitales de l'Amérique serait minime pour l'instant.
La formule clé est “pour l'instant” […] Jusqu'à présent, l'administration Biden s'en tient à son scénario : tenter de réunir le syndicat et l'industrie du transport maritime autour d'une table, surveiller la situation et espérer que le conflit ne s'éternise pas. Cela signifie que le président Joe Biden n'a pas l'intention d'utiliser les pouvoirs conférés par la loi Taft-Hartley de 1947 pour mettre fin à la grève [selon la loi Raft-Hartley, le gouvernement fédéral dispose du droit d'interdire ou d'arrêter une grève qui met en danger la sécurité nationale]. Des groupements d'entreprises comme la Chambre de commerce des Etats-Unis (U.S. Chamber of Commerce) demandent déjà à Biden de faire appel à cette loi, mais cela l'exaspération des syndiqués à quelques semaines des élections. » (Réd.)
[2] Sur le site de l'ILA, en date du 25 septembre, il est proclamé – ce verbe n'est pas exagéré : « L'ILA, le syndicat “I love America”, maintiendra son engagement de longue date d'assurer le fret militaire pendant la grève. Les navires de croisière ne seront non plus pas affectés par la grève du 1er octobre dans les ports de l'Atlantique et du Golfe. » De quoi rassurer l'administration. (Réd.)
Prélude d’un nouvel ordre impérial ? – T. Gordon et J.R. Webber
Archives Révolutionnaires traduit ici un texte de Todd Gordon et Jeffery R. Webber qui porte sur la configuration actuelle de l’impérialisme, marqué plus que jamais par des rivalités géopolitiques et commerciales permises par un dégonflement de l’hégémonie américaine. Les auteurs avancent l’argument que la conception d’un super-impérialisme américain, comme puissance incontestée, n’a jamais vraiment permis d’expliquer la subtilité des contradictions qui se jouent dans les relations impériales depuis la Seconde Guerre mondiale. Ils avancent aussi que la catégorie de monopole, centrale pour les conceptions marxistes classiques, possède la même tendance à effacer les rivalités et les contradictions. Selon eux, le primat de la loi de la valeur et du principe de compétition qui lui est intrinsèque est un outil privilégié pour expliquer la nature des États capitalistes. Dans une aire de soi-disant « multipolarité », Gordon et Webber proposent une théorie qui prend en compte la réalité de puissances impérialistes émergentes (Chine, Russie), tout en admettant une hégémonie du capitalisme américain. Si la domination américaine est fragilisée, on ne doit pas non plus déduire un inéluctable passage à la suprématie d’une nouvelle puissance (par exemple chinoise). Même en état de crise, les Empires peuvent durer longtemps.
Todd Gordon et Jeffery Webber sont co-auteurs du livre The Blood of Extraction : Canadian Imperialism in Latin America. Ils sont respectivement professeurs à l’Université Wilfrid Laurier (Waterloo) et à l’Université York (Toronto).
Prélude d’un nouvel ordre impérial ?
Todd Gordon et Jeffery R. Webber
Initialement publié le 26 avril 2024 sur le journal Specter
L’immédiateté de l’invasion russe de l’Ukraine, au côté de l’émergence de la Chine en tant que puissance mondiale potentielle, a modifié le débat sur l’impérialisme. Les théories fondées sur l’intégration croissante du capitalisme mondial sous la domination incontestée des États-Unis sont devenues de plus en plus insoutenables. Cette perspective, illustrée par l’ouvrage de Leo Panitch et Sam Gindin The Making of Global Capitalism, lauréat du prix Deutscher, a joui d’une estime considérable au sein de la gauche au cours des dernières décennies[1]. Entre-temps, le plus récent prestige dont jouissent les célébrations campistes de la multipolarité représente une sorte de miroir déformé des mêmes prémisses d’un impérium américain singulier. Dans ce dernier cas, la différence est que l’imperium est désormais en péril, non pas en raison d’une rivalité inter-impériale, mais plutôt en raison de l’émergence d’un bloc d’États en conflit avec les États-Unis, ces derniers devant, de ce fait, être compris comme des entités anti-impérialistes indépendamment de leur structure sociale ou de leur paysage politique. Malgré leurs analyses contrastées à propos de la force persistante de la suprématie américaine, les deux perspectives convergent progressivement sur le plan politique, comme dans leur apologie commune de l’invasion russe de l’Ukraine, que les deux courants tendent à considérer comme une simple réponse à l’excès de pouvoir des États-Unis.
S’il est plus évident que jamais que le capitalisme mondial est fragmenté par des puissances géopolitiques concurrentes, la vision de la suprématie américaine — même à l’apogée de sa puissance après la guerre froide — en tant que machine bien huilée et exempte de toute contradiction sérieuse n’a jamais vraiment rendu compte de la complexité, du dynamisme ou de l’irrégularité de l’ordre mondial et de ses configurations impérialistes. La domination des États-Unis a souvent été interprétée à tort comme une force omnipotente. Les espoirs de longévité illimitée de l’empire américain se sont naturellement développés à partir des fondements de cette vision du monde. En bref, un moment exceptionnel de prééminence a été confondu avec une nouvelle normalité, occultant le long épisode de l’impérialisme multipolaire dans l’histoire du capitalisme mondial.
Souligner que la thèse de l’unipolarité a toujours obscurci plus qu’elle n’a éclairé n’exige pas de croire en un successeur imminent de la puissance américaine, ni de revenir aux théories de l’impérialisme vieilles d’un siècle, lorsque la rivalité interimpériale était brutalement manifeste, même si nous pouvons continuer d’apprendre sur les débats qui ont émergé au cours de la Deuxième Internationale. Le défi pour les anti-impérialistes du XXIe siècle est d’identifier les forces fondamentales qui animent l’impérialisme capitaliste à travers le temps, tout en restant attentifs aux diverses formes qu’il prend dans les différentes périodes historiques. L’ordre mondial capitaliste est intrinsèquement impérialiste, même si ses hiérarchies et les modalités de la concurrence et de la coopération entre les États sont susceptibles d’évoluer. L’impérialisme ne peut être éliminé par des traités de paix ni transcendé par un marché mondial intégré. La stabilité, la paix et la justice à l’international resteront nécessairement incertaines tant que le capitalisme survivra.
Dans ce qui suit, nous proposons quelques points de départ pour une analyse de la logique impérialiste sous-jacente du capitalisme et de ses formes phénoménales au XXIe siècle.
Le marché mondial
L’histoire du capitalisme montre clairement qu’il possède une dynamique impérialiste qui diffère de la construction d’empires non capitalistes. Ellen Meiksins Wood l’a exprimé de la manière la plus éloquente dans Empire of Capital[2]. Tout comme les seigneurs féodaux dans leurs relations avec les paysans, les empires coloniaux non capitalistes du passé — tels que les empires féodaux portugais et espagnol en Amérique latine entre la fin du XVe et le début du XIXe siècle — ont dominé des territoires et des sujets par la conquête militaire et le pouvoir politique direct ; il s’agissait, en d’autres termes, d’une forme de coercition non marchande qui dépendait principalement de l’exercice du pouvoir politique. Ce que nous considérons aujourd’hui comme deux domaines institutionnellement distincts, le pouvoir économique et le pouvoir politique, étaient couramment fusionnés dans les empires européens non capitalistes. Le pouvoir politique était dévolu au souverain, à l’élite foncière et à la hiérarchie ecclésiastique. Le pouvoir direct et personnalisé qu’ils acquéraient grâce à leur statut politico-religieux était utilisé pour extraire de force les richesses des paysans à l’intérieur du pays et des colonisés à l’étranger.
Par opposition, l’impérialisme capitaliste mature est guidé par les impératifs universels et impersonnels du marché qui régissent la société capitaliste. La richesse productive — c’est-à-dire le capital — est déployée uniquement pour réaliser des profits dans les limites disciplinaires de la concurrence du marché. La survie sur le marché dépend de la capacité des capitalistes, en tant que capital, à augmenter efficacement la productivité en accumulant et en déployant les technologies les plus avancées, en extrayant toujours plus de valeur du travail et en recherchant de nouveaux marchés avec des ressources naturelles à transformer en marchandises, une main-d’œuvre moins chère à exploiter et un plus grand nombre de consommateurs pour acheter leurs marchandises. Le pouvoir d’extraire des richesses du travail et de la terre d’autrui n’est pas, à proprement parler, un acte directement politique, mais le produit de la domination sur le marché. Le fait que les capitalistes soient obligés de piller les richesses naturelles et d’exploiter la main-d’œuvre est lui-même un produit de la contrainte du marché, le fouet de la concurrence.
Malgré les affirmations des théories marxistes orthodoxes du début du XXe siècle, l’impérialisme coexiste avec le capitalisme en tant que tel et n’est pas un sous-produit temporaire d’un « stade monopolistique » particulier dans lequel l’expansion internationale est ostensiblement motivée par un excédent de capital à la recherche de débouchés. L’augmentation de la taille des entreprises concomitante au libéralisme classique de la fin du XIXe siècle ou au néolibéralisme de la fin du XXe siècle, par exemple, n’est pas synonyme de contrôle monopolistique ou de suppression de la concurrence. Les théories du capital monopolistique ont toujours eu une valeur analytique limitée. Le capitalisme recrée systématiquement concurrence et oligopole sous des formes complémentaires. À certains moments d’intenses rivalités entre firmes, des entreprises spécifiques introduisent des formes transitoires de suprématie. Or, celles-ci succombent toujours aux nouvelles batailles concurrentielles menées par les pressions à la baisse sur le taux de profit et la poursuite concurrentielle de l’amélioration de la productivité qui lui est associée.
Il s’ensuit qu’il existe une logique d’expansion géographique au cœur même de l’ordre social capitaliste, enracinée dans les impératifs du marché. « La tendance à créer le marché mondial », affirme Marx, « est directement donnée dans le concept de capital lui-même [3]». En d’autres termes, l’impulsion du capital à transcender les frontières nationales est immanente à un ordre social fondé sur la recherche concurrentielle du profit. L’obligation quotidienne de s’étendre est en outre conditionnée par la volatilité ordinaire du régime capitaliste, de même que les crises systémiques récurrentes du capitalisme entraînent souvent des poussées d’expansion obligatoires. Les contours de l’expansion sur le marché mondial dépendent des limites spatio-temporelles, logistiques et politiques rencontrées par le capital à dans un temps et un lieu donné.
L’occupation coloniale directe de territoires étrangers habités était, par exemple, une caractéristique importante des puissances capitalistes en transition qui émergeaient du féodalisme européen, face au monde non capitaliste au-delà de l’Europe. La domination coloniale directe faisait partie du répertoire de conquêtes appropriées au début du capitalisme expansionniste, étant donné la concurrence intense entre les puissances coloniales européennes naissantes et leurs efforts mutuels pour établir des marchés au-delà de leurs propres frontières nationales, sur lesquels elles pouvaient exercer un accès préférentiel. Mais le contrôle territorial et politique direct des colonies n’a jamais été une fin en soi. Le capital était au contraire poussé à transformer ces sociétés, leurs formes de travail et leurs écologies, en les subordonnant à la logique impersonnelle du marché capitaliste ; la survie des entreprises capitalistes européennes dominantes dépendait de leur capacité à se reproduire par le biais de relations de marché mondiales régies par les capacités de puissances coloniales concurrentes.
Si l’occupation territoriale était la caractéristique principale des empires féodaux, dans le cadre du capitalisme de transition, elle est devenue l’expression politique de la volonté sous-jacente d’expansion et de domination du marché — le résultat, et non la cause, de l’impérialisme capitaliste. Ainsi, la désintégration du colonialisme formel après la Seconde Guerre mondiale dans le sillage de la rébellion anticoloniale n’a pas signifié la fin de l’impérialisme capitaliste. Au contraire, elle représentait, entre autres, un changement de forme rendu possible par des relations capitalistes plus développées à l’échelle mondiale. Cela a entraîné une évolution vers des mécanismes de pouvoir impérial, de subordination et de concurrence plus fortement réfractés par les relations de marché qui englobaient désormais le monde entier. Le régime colonial, qui implique un contrôle et une domination territoriale directe, n’a pas entièrement disparu dans ce nouveau scénario, mais il s’est principalement limité à la dynamique interne des sociétés coloniales de peuplement d’États-nations nominalement souverains et indépendants.
Ainsi, même si chaque machination impérialiste est difficilement réductible à un calcul économique immédiat, les mécanismes de l’impérialisme au XXIe siècle opèrent à travers les forces impersonnelles du marché mondial. Il ne fait guère de doute que dans le monde d’aujourd’hui, la reproduction matérielle de toutes les nations, et donc leurs expressions politiques, est inséparable des forces du marché mondial. Tous les États-nations, même les plus puissants, sont subordonnés de manière différenciée à la loi de la valeur et à ses impératifs. Les régimes réglementaires qu’ils établissent et les modèles de commerce et d’investissement transfrontaliers qu’ils facilitent servent à reproduire ces impératifs. Les phases historiques successives du développement du capitalisme en tant qu’ensemble unifié sont jalonnées des conséquences de cette logique générale qui l’anime.
Appréhender le marché mondial comme un système d’interdépendance mondiale différenciée, plutôt que d’indépendance nationale, est donc un point de départ nécessaire pour comprendre les trajectoires spécifiques des différentes sociétés. À cet égard, l’ordre capitaliste mondial doit être compris comme une totalité en train de naître, au cœur de laquelle se trouve le marché mondial, dont les parties liées entre elles ne peuvent être correctement comprises indépendamment les unes des autres ou de l’ensemble plus vaste qu’elles constituent. Ainsi comprises, les actions impérialistes entreprises par les États dominants pour reproduire leur position dans la hiérarchie des États n’ont guère de sens si elles répondent à un équilibre calculé entre une logique économique du capital et une logique géopolitique de gestion de l’État. L’espace territorial du monde moderne est celui de l’argent mondial. Sa logique opère à l’intérieur de l’État lui-même plutôt que d’agir sur lui de l’extérieur. L’État et le capital, en ce sens, n’adhèrent pas à des logiques distinctes et externes qui ne se résolvent que par des collisions, mais sont au contraire intégrés de manière interne et dialectique dans un processus unique et unifié, plein d’antagonismes et de contradictions.
Ces antagonismes complexes signifient que l’impérialisme capitaliste ne se dispense jamais de recourir à la force coercitive, comme en atteste un simple coup d’œil porté aux journaux d’aujourd’hui. Tout comme la domination du marché doit être imposée localement sur les pauvres et les dépossédés, les États capitalistes et les institutions internationales exercent leur pouvoir à l’échelle mondiale dans le même but. Le pouvoir sur les autres nations et leurs populations est renforcé par la dépendance à l’égard du marché (market dependency). Les pays qui manquent — le plus souvent en tant qu’héritage de leur subordination historique par le biais de la domination coloniale — de capacités à rivaliser sur le marché mondial avec les capitaux plus avancés des pays plus riches restent coincés dans un cycle de faible productivité accompagné de niveaux élevés de pauvreté et d’endettement. C’est précisément pour cette raison que les relations du marché mondial sont intrinsèquement instables et que la force est nécessaire pour garantir les droits de propriété du capital investi à l’international. Les populations récalcitrantes, et parfois leurs gouvernements, doivent être maintenues dans le droit chemin. Parallèlement, la concurrence généralisée entre les États au sein du marché mondial pousse également les États à promouvoir les intérêts d’un groupe de capitalistes contre un autre.
Multiplicité
Souligner l’interdépendance mondiale n’implique pas l’existence présente d’un monde plat, pas plus que l’homogénéisation de la spécificité historique des trajectoires nationales et régionales de développement capitaliste. Le moment et la nature de la transition d’un territoire vers le capitalisme et son insertion dans un marché mondial en constante évolution ont des conséquences considérables. Il importe que le développement soit « précoce » ou « tardif », que l’intégration dans le marché mondial se fasse au sommet ou à la base de la hiérarchie mondiale des États. Il existe une dialectique entre l’universel (le marché mondial) et le particulier (les parties nationales et régionales), l’abstrait (la logique générale du capitalisme mondial) et le concret (les conditions locales spécifiques), qui informe le développement inégal du capitalisme et les expériences distinctes de formations sociales spécifiques.
L’accumulation inégale renforce et soutient un système pluriel d’États et fait ainsi obstacle au type d’architecture internationale du pouvoir étatique que certains libéraux et marxistes imaginaient se développer à l’apogée de la mondialisation. Les processus d’accumulation mondiale du capital se traduisent par des concentrations géographiques d’investissements, de marchés et de main-d’œuvre dans des endroits spécifiques de l’économie mondiale — regroupements de capitaux qui privilégient certaines régions au détriment d’autres et qui tendent à se renforcer au fil du temps. C’est principalement par le biais de ces particularités des sentiers de la dépendance de l’accumulation que les hiérarchies sont reproduites. Si tous les pays sont liés par les impératifs universels du marché, chacun s’y soumet d’une manière propre à sa taille et à sa puissance. Comme les marxistes l’ont affirmé de diverses manières depuis plus d’un siècle, le marché mondial se constitue et se reconstitue, en partie, par la canalisation de la richesse des pays pauvres vers les pays riches, en particulier dans les périodes de crise capitaliste profonde et durable. Conformément à l’unité dialectique de l’État et du capital décrite ci-dessus, la subordination permanente des États plus pauvres et plus faibles n’est jamais un processus strictement « économique », mais la conséquence du pouvoir impérial de l’État dans toutes ses dimensions.
Inégalité
L’inégalité mondiale est également une source essentielle de tension entre différents États impériaux, ainsi qu’entre les États impériaux et les pays en développement tardif qui aspirent à une plus grande puissance. L’impératif omniprésent de l’expansion capitaliste conduit à une intensification de la concurrence pour les marchés, souvent accompagnée d’efforts pour établir des sphères d’influence géopolitiques croissantes. Le développement tardif a une influence particulière sur les modèles de lutte des classes et leur expression dans la politique de « rattrapage » du développement, souvent illustrée par l’application par l’État du développement capitaliste par le haut au moyen d’un pouvoir autoritaire sur les travailleurs et de politiques interventionnistes visant à protéger, à promouvoir ou à contrôler des industries spécifiques. Le développement capitaliste dans une zone géographique du système mondial — y compris l’aspect politique et géopolitique du développement — est nécessairement lié, comme cause ou résultat, au développement d’autres zones.
C’est précisément la raison pour laquelle les théories du capitalisme mondial qui ne prêtent pas attention à la guerre et aux autres manifestations de rivalité — qu’il s’agisse de l’accent mis par William Robinson sur la formation transnationale des classes et des États, de Panitch et Gindin sur l’omnipotence des États-Unis, ou de Michael Hardt et Antonio Negri sur l’Empire — sont en contradiction flagrante avec les caractéristiques définitives de la conjoncture internationale actuelle.
L’inégalité, la tension et le conflit n’impliquent pas l’inévitabilité d’une guerre inter-impériale, ni la justification contemporaine simpliste des théories marxistes classiques de l’impérialisme au tournant du vingtième siècle. Les formes phénoménales du conflit ne sont jamais de simples épiphénomènes qui expriment mécaniquement la dispute féroce de la concurrence capitaliste. En fin de compte, lorsqu’on en vient aux rythmes de la compétition géopolitique dans des cas concrets, ses crescendos et ses nadirs dépendent d’une série de facteurs conjoncturels, tels que l’intensité de la concurrence, les variations de l’équilibre des forces, les enjeux d’un conflit donné et la capacité des institutions internationales à canaliser les tensions loin d’une confrontation militaire directe. Si les antagonismes géopolitiques ont pris des formes et des intensités différentes au cours de la longue histoire de la modernité capitaliste, ils sont toujours restés une caractéristique marquante du paysage et augmentent clairement les sérieuses fractures au sein du système mondial du XXIe siècle. Pour prendre en compte les propriétés émergentes des conflits qui apparaissent aujourd’hui, nous devons éviter de présupposer l’équilibre ou de surestimer les pouvoirs durables d’un ordre libéral ostensiblement intégré. Les investissements et les échanges transfrontaliers, couplés à la propriété multinationale des capitaux, se sont incontestablement approfondis et développés au cours des trois dernières décennies du vingtième siècle. Toutefois, à la suite de la crise de 2008, l’intégration globale a modestement décliné dans tous ces domaines. Il est trop tôt pour déterminer la profondeur et la vitesse de cette trajectoire, mais la direction est suffisamment claire, et elle pourrait bien s’accélérer et prendre une signification plus profonde à mesure que la rivalité entre les États-Unis, la Chine et la Russie s’intensifie.
Quelle que soit la cohérence conceptuelle de l’intégration du marché mondial et de la transnationalisation du capital et des structures étatiques au niveau de la logique capitaliste, la réalité historique est que le capitalisme mondial est né dans un monde de territoires et d’États nationaux, et que quatre siècles de capitalisme n’ont fait que multiplier leur nombre. La persistance des frontières territoriales, le développement économique inégal, la concurrence, l’instabilité et les crises ont en fait renforcé les processus de formation des États nationaux.
Les institutions internationales et régionales qui ont vu le jour dépassent rarement la somme des États nationaux qui les ont créées. Les États nationaux continuent de jouer un rôle fondamental dans la régulation de l’accumulation capitaliste nationale et internationale. Tant que l’État-nation reste un moyen central d’organiser l’accumulation capitaliste mondiale, il faut s’attendre à des conflits, des rivalités et des guerres. L’existence de l’État-nation présuppose que, même avec les investissements et le commerce internationaux, le capital maintiendra un certain enracinement dans des territoires spécifiques définis au niveau national ; le capital, et donc les capitalistes, conservera un certain degré d’identité nationale en fonction de l’endroit où ils sont apparus, de l’endroit où ils ont leur siège et de la manière dont ils sont liés aux institutions nationales.
Une chaîne
Le système mondial actuel est organisé en ce que Lénine appelait une chaîne impérialiste — un continuum de pouvoir qui s’étend de la superpuissance impérialiste aux États qui cherchent à défier la puissance dominante, en passant par les États impérialistes secondaires et les États périphériques. Chacun d’entre eux constitue un maillon d’une chaîne qui est une unité hiérarchique d’interdépendance, de coordination et de conflit économique et politique.
L’élément grossièrement coercitif de la reproduction de la domination américaine coexiste avec un élément plus intangible découlant de la stabilité et des opportunités sélectives que son leadership représente pour les membres positionnés tout au long de la chaîne impérialiste. Et pourtant, la notion d’une suprématie américaine sans friction est un fantasme ; son minimalisme élégant a pour prix de nier les complexités réelles de la concurrence, de la coopération, de l’antagonisme et de la dépendance mutuelle, lesquelles traversent le domaine hasardeux de la politique internationale. Le régime américain est marqué par de multiples symptômes de décomposition interne qui se répercutent sur la projection de son pouvoir à l’étranger. Entre-temps, les actions des États situés plus loin dans la chaîne, y compris les puissances secondaires alliées des États-Unis, n’ont jamais pu être expliquées simplement en référence aux diktats émanant de Washington. Il faut tenir compte des limites de l’action des puissances non hégémoniques et des antagonismes que cette marge de manœuvre entre les différentes puissances peut engendrer, jusqu’aux crises de la domination hégémonique.
Comme l’ont montré un certain nombre d’observateurs, une foule de pays autres que les États-Unis font preuve d’une capacité significative à projeter leur puissance politique, économique et militaire au-delà de leurs frontières. Si certains de ces pays sont alliés aux États-Unis, d’autres ne le sont pas. Dans The City : London and the Global Power of Finance, Tony Norfield développe l’un des seuls cadres sérieux permettant de mesurer systématiquement le poids et l’influence relatifs des différentes puissances capitalistes dans le monde d’aujourd’hui. Norfield propose des preuves empiriques pour remettre en question « l’hypothèse selon laquelle les autres puissances capitalistes ne sont, tout au plus, que des complices mineurs des plans américains, ignorant comment leurs propres intérêts sont également promus par leurs actions [4]». Mais, quelle que soit la manière dont on évalue les gradations de pouvoir entre les maillons de la chaîne impérialiste, les intérêts et les actions de nombreux pays ne peuvent manifestement pas être facilement réduits à la fantaisie des États-Unis. L’initiative chinoise de la « Nouvelle route de la soie », la militarisation de la mer de Chine méridionale, les dépenses de défense globales et la croissance calculée en tant que nation créancière des pays plus pauvres sont parmi les indicateurs les plus évidents des limites de la puissance américaine. De même, les interventions de la Russie en Géorgie, en Syrie, au Kazakhstan et en Ukraine représentent des efforts audacieux pour promouvoir l’intégration économique régionale et affirmer un pouvoir hors de portée de la domination américaine. Mais toutes les preuves d’intérêts et de capacité indépendants n’apparaissent pas comme un affront audacieux à la puissance américaine. Même l’imposition hostile d’un pouvoir impérial sur des États plus faibles du Sud par des alliés américains étroitement intégrés comme le Canada ou l’Australie est souvent irréductible à l’orientation stratégique des États-Unis.
Race et nation
Le nationalisme et le racisme imprègnent et renforcent les autres dimensions de l’impérialisme évoquées dans les sections précédentes. Le caractère auto-expansionniste du capital — son besoin et sa capacité à transcender les frontières nationales dans la poursuite de la rentabilité — n’implique nullement que les processus historiques concrets permettant sa mobilité soient purement économiques. Notre conception de l’unité dialectique de l’État et du capital exclut la possibilité d’une double logique, c’est-à-dire l’idée d’une expansion capitaliste isolée d’une gestion prétendument autonome des intérêts territoriaux par l’État. Le pouvoir politique et l’hégémonie bourgeoise sont nécessaires pour reproduire les relations sociales capitalistes au niveau de l’État-nation. De même, l’internationalisation du capital nécessite un pouvoir et une intervention politiques. L’intervention récurrente de l’État et la reproduction de la domination bourgeoise à ces échelles nécessitent une certaine forme de légitimation idéologique. Le recours au racisme s’est avéré être un moyen idéologique important pour justifier la domination impériale. « De nombreux moments clés décrits par les marxistes comme motivés par l’expansion capitaliste », observe Robert Knox, « étaient également imprégnés de racisme [5]».
Le nationalisme dans les États dominants du système-monde a souvent été lié au racisme. Comme le souligne Knox, une partie du problème de la plupart des travaux marxistes actuels sur l’impérialisme réside dans la séparation rigide entre la race et la valeur capitaliste, au lieu de les considérer comme des éléments co-constitutifs de l’expansion capitaliste, à la fois dans l’histoire et dans le présent. Le plus frappant est que « l’impérialisme s’est largement caractérisé par l’expansion d’États européens blancs dans des sociétés non blanches et non européennes et leur subordination » et que « la division contemporaine du travail a largement reflété ces schémas historiques ». S’inspirant de Frantz Fanon, Knox souligne la façon dont la race et la valeur sont entrelacées dans les moments historiques constitutifs de l’impérialisme capitaliste.
[…] à chaque moment du processus d’accumulation du capital, la race est centrale. La race entre d’abord en scène pour justifier la dépossession des habitants autochtones et légitimer le transfert de valeur depuis la périphérie. Les profondes transformations sociales nécessaires à l’expansion de l’accumulation capitaliste sont articulées en termes de catégorisations raciales. Enfin, ces catégories raciales jouent un rôle crucial dans la gouvernance des territoires périphériques et dans l’endiguement de la résistance aux processus d’accumulation capitaliste.[6]
La race n’est pas une caractéristique d’une période initiale de l’histoire coloniale qui est ensuite transcendée par l’accumulation capitaliste sans distinction de couleur. Au contraire, la race se manifeste continuellement à travers les principaux axes de l’impérialisme contemporain — un impérialisme largement mené sans colonies. « Le fait que le journal phare de l’empire américain moderne, Foreign Affairs, ait évolué à partir du Journal of Race Development, dont le titre est révélateur, suggère », soulignent Elizabeth Esch et David Roediger, « que peu d’architectes de l’empire américain ont fait leur travail en dehors d’un cadre racial [7]». Comme l’affirme Knox, le racisme continue de figurer dans la rhétorique de bonne gouvernance des institutions financières internationales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, dans la mesure où leur langage s’appuie sur des stéréotypes racistes des populations paresseuses et corrompues des sociétés périphériques. Lorsque l’aide conditionnelle est divisée, retenue et policée, la race fournit des outils linguistiques utiles pour construire les histoires des pauvres méritants et non méritants. Il en va de même pour le bras armé du pouvoir impérial. Les interventions militaires de l’époque contemporaine s’appuient sur des reproductions rénovées de tropes coloniaux standard concernant la sauvagerie ostensible des sociétés non européennes. Les renouvellements n’ont pas toujours besoin d’être approfondis — « barbare » est un refrain constant, par exemple, dans les apologies libérales de Michael Ignatieff de la guerre d’Irak de 2003. Un travail idéologique similaire est effectué sous la bannière de l’humanitarisme, où les codes raciaux prédominent, comme l’illustre le ciblage exclusif des pays africains par la Cour pénale internationale.
Horizons
L’organisation impérialiste du monde est dynamique, un mélange instable de coopération et de concurrence, de frictions et de contradictions. Des puissances se dressent, de nouvelles menacent d’émerger et d’autres, plus anciennes, sont confrontées à un déclin potentiel. Certains moments historiques peuvent accélérer ces processus et approfondir les lignes de fracture existantes, ouvrant la voie à des transformations majeures.
Les futurs étudiants en politique mondiale considéreront probablement la crise capitaliste mondiale de 2008 et la période de stagnation prolongée qui en a résulté comme l’un de ces moments. Toutes les périodes précédentes de crise profonde et prolongée du capitalisme ont transformé l’ordre géopolitique. La Grande Dépression des années 1870-1890 a intensifié la course aux possessions coloniales et a culminé avec la Première Guerre mondiale. La Grande Dépression des années 1930 a finalement conduit — après la défaite de l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale — à la consolidation de l’hégémonie américaine dans la période d’après-guerre, à la vague de luttes anticoloniales couronnées de succès et au déclin des puissances européennes. La crise des années 1970 a ouvert la voie à l’ère néolibérale, avec, entre autres, l’essor industriel de la Chine, l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide.
De même que la rivalité entre grandes puissances a précédé la première Grande Dépression et que les origines de la montée en puissance des États-Unis se situent avant la Seconde Guerre mondiale, les caractéristiques centrales de la conjoncture impériale actuelle — le déclin relatif de la domination américaine, l’émergence de la Chine en tant que puissance régionale et mondiale potentielle, et l’affirmation croissante de la Russie dans sa sphère d’influence — sont toutes des phénomènes qui ont commencé avant 2008. Mais la volatilité libérée par 2008 — la destruction du capital aux États-Unis, en Europe et en Russie, le quasi-effondrement des systèmes bancaires, les défauts de paiement de la dette souveraine en Grèce et ailleurs, une décennie et demie d’investissements et de croissance anémiques, et la capacité de la Chine à atténuer certains des pires impacts de la crise et de la stagnation qui s’en est suivi — ne pouvait que transformer le paysage mondial.
Les États-Unis restent l’État impérialiste dominant dans le monde, mais l’ordre mondial est en pleine reconfiguration. La compétitivité internationale du capital manufacturier américain s’affaiblit.
Le rôle du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale commence à décliner. La puissance américaine n’a pas été en mesure d’intégrer la Chine dans le système mondial selon ses propres termes. L’Irak et l’Afghanistan ont clairement montré les limites de la guerre américaine en tant que moyen de leadership. La Chine a profité de ce moment pour renforcer son influence économique, politique et militaire de manière régionale et au-delà. Elle a développé des multinationales championnes pour concurrencer ses homologues américaines et européennes. Elle s’est assuré l’accès aux matières premières des pays plus faibles pour alimenter sa croissance industrielle et de haute technologie, tout en enfermant ces pays dans de nouvelles relations d’endettement. Elle maintient sa domination globale dans l’industrie des minéraux critiques. Le budget de la défense de la Chine a augmenté rapidement et pourrait dépasser les estimations américaines habituelles. Elle est désormais capable d’affirmer sa prédominance militaire dans la mer de Chine méridionale. Si, hormis ses capacités nucléaires, la Russie n’est ni une grande puissance ni une puissance émergente, elle a elle aussi saisi l’occasion offerte par les instabilités de l’hégémonie américaine et les recettes d’exportation provenant de la dépendance de l’Union européenne à l’égard de son pétrole et de son gaz pour réaffirmer ses prétentions sur une sphère d’influence qui remonte à l’empire russe d’avant l’ère soviétique.
Si nous voulons ne serait-ce que commencer à comprendre les transformations actuelles de l’impérialisme, nous ne pouvons pas nous en tenir aux idées reçues. Nous avons besoin d’un cadre théorique ouvert et dialectique. Nous devrons être attentifs aux nouveaux développements qui suggèrent une multipolarisation. En même temps, nous ne devons pas prétendre que la montée en puissance d’une ou plusieurs puissances entraîne nécessairement le déclin sans fin d’une autre. Si la situation mondiale dynamique actuelle se transforme en un ordre international relativement stable et reconfiguré, il est très peu probable qu’il s’agisse d’une simple répétition de l’hégémonie américaine contestée de l’après-Seconde Guerre mondiale ou du début du vingtième siècle, marqué par la rivalité classique entre les puissances. Si nous espérons garder nos repères, nous pourrions faire pire que de prêter attention à l’expansion incessante du capital sur le marché mondial, aux capacités durables de l’État-nation dans toute sa multiplicité, aux contradictions de l’accumulation inégale, au renforcement et à l’affaiblissement des maillons de la chaîne impérialiste, et à la férocité du nationalisme et du racisme qui sous-tend tout cela.
Texte traduit de l’anglais par Nathan Brullemans
Notes
[1] Leo Panitch and Sam Gindin, The Making of Global Capitalism: The Political Economy of American Empire (New York: Verso, 2012).
[2] Ellen Meiksins Wood, Empire of Capital (New York: Verso, 2005).
[3] Karl Marx, Grundrisse: Foundations of the Critique of Political Economy (New York: Penguin, 1993).
[4] Tony Norfield, The City: London and the Global Power of Finance (London: Verso, 2017).
[5] Robert Knox, “Valuing Race? Stretched Marxism and the Logic of Imperialism,” London Review of International Law, 4, no. 1 (2016): 28.
[6] Knox, “Valuing Race?” 28.
[7] Elizabeth Esch and David Roediger, “‘One Symptom of Originality’: Race and the Management of Labor in US History” in David Roediger, Class, Race and Marxism, (London: Verso, 2017), 143.

#16OCT24 – Journée internationale d’action pour la souveraineté alimentaire des peuples et contre les multinationales

BAGNOLET, le 1er octobre 2024. Nous, la paysannerie mondiale, rassemblant des peuples ruraux divers, des communautés autochtones et migrantes, des femmes et des enfants du monde rural, des pêcheur·euses, des berger·ères, ainsi que tous les autres petit·es producteur·rices alimentaires, nous unissons de nouveau nos voix pour faire entendre nos luttes pour la souveraineté alimentaire de nos peuples.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/11/16oct24-journee-internationale-daction-pour-la-souverainete-alimentaire-des-peuples-et-contre-les-multinationales/
Chaque jour, le monde se réveille face à de nouvelles dégradations environnementale dans diverses régions. Pendant ce temps, un tout petit nombre d'actionnaires de multinationales continue de tirer profit des crises que ces mêmes multinationales ont générées. La vie est constamment menacée, et de nombreuses politiques publiques sont vidées de droits fondamentaux tels que la santé, le logement et l'alimentation, ainsi que des droits collectifs et paysans. Cela a conduit à la détérioration de la justice sociale et à la monopolisation des biens communs.
La paysannerie mondiale, ainsi que d'autres populations vulnérables, subissent une dépossession constante de leurs moyens de subsistance et de survie. En plus de cela, la guerre, les occupations et les opérations militaires continuent de détruire la biodiversité et la souveraineté alimentaire, tout en semant la terreur et en fauchant des vies dans plusieurs régions comme la Palestine, le Liban, le Soudan, le Yémen et Haïti. La criminalisation et l'oppression des luttes pour la terre et les territoires continuent de coûter la vie à des activistes, comme on le voit dans des pays tels que le Honduras, les Philippines, la Colombie et le Brésil, pour n'en citer que quelques-uns.
Le réchauffement climatique, principalement causé par l'agrobusiness, l'extractivisme et l'exploitation minière, aggrave ces crises et met en danger le droit à l'alimentation de nos peuples. Plus de deux milliards de personnes – soit près d'un tiers de la population mondiale – peinent à accéder régulièrement à une alimentation adéquate. La faim et l'insécurité alimentaire sévère touchent aujourd'hui 864 millions de personnes, en particulier les enfants et les femmes. La malnutrition est une réalité pour beaucoup, et de plus en plus de pays signalent une hausse de ce fléau.
Alors, que faire dans un monde en proie à une crise systémique ?
De la paysannerie mondiale et du mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire, nous croyons fermement en la nécessité d'une transformation systémique qui protège notre relation symbiotique avec Terre. Seule une telle transformation peut garantir la justice sociale, la paix, et une réforme agraire globale, afin que nous puissions vivre avec dignité, sans pauvreté ni faim.
Pour commencer, nous EXIGEONS une transition agroécologique qui préserve les systèmes alimentaires locaux et promeut un nouveau cadre commercial basé sur les principes de la souveraineté alimentaire.
Nous AVONS URGEMMENT BESOIN de politiques publiques qui soutiennent et mettent en œuvre une telle transition, en priorisant les modèles de production paysanne, les économies sociales et solidaires.
Nous EXIGEONS également la protection des paysan·nes et des défenseur·euses des droits humains de nos territoires contre la violence , la stigmatisation et la criminalisation. Ceci passe par la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies sur les droits des paysan·nes et autres personnes travaillant dans le monde rural (UNDROP) ainsi que par d'autres actions protégeant et revendiquant le rôle de ces personnes.
Les politiques agricoles dictées par les multinationales aggravent uniquement la crise climatique, et l'accent mis sur les produits agricoles importés entraîne un désespoir croissant parmi la paysannerie.
Nous EXIGEONS des mesures pour freiner le pouvoir croissant des multinationales dans les espaces politiques de nos pays et dans les forums multilatéraux.
Nous APPELONS à un traité contraignant de l'ONU pour réguler les entreprises transnationales ETN), mettre fin aux violations des droits humains, mettre fin à l'impunité des entreprises multinationales, et garantir l'accès à la justice pour les communautés affectées, en conformité avec l'UNDROP et d'autres instruments juridiques.
Il est urgent d'établir un système de réponse au changement climatique qui RECONNAISSE la paysannerie comme un acteur clé, en particulier les femmes paysannes. Cependant, dans de nombreux pays et cultures, les femmes paysannes et les diversités manquent encore de reconnaissance légale. Il est essentiel de modifier les lois et les politiques publiques pour garantir les droits de propriété, en reconnaissant leur rôle historique dans l'agriculture.
Pour toutes ces raisons, en ce 16 octobre 2024, Journée internationale d'action pour la souveraineté alimentaire des peuples et contre les entreprises transnationales, nous appelons nos organisations régionales et locales, allié·es, mouvements sociaux et collectifs à se mobiliser ensemble en défense de la vie, d'une alimentation saine et souveraine pour les peuples, et des droits de millions de paysan·nes.
Nous demandons d'autres politiques publiques pour que les populations ne soient plus dépendantes des produits agricoles importés émetteurs de carbone et d'un type d'agriculture dominé par les multinationales de l'agroalimentaire. Nous avons besoin d'une agriculture durable basée sur la souveraineté alimentaire, c'est pourquoi les réformes agraires, comme le prévoit l'UNDROP, sont essentielles.
Une délégation mondiale représentant nos organisations membres participera à diverses activités, comme les mobilisations pour défendre la biodiversité lors de la COP16 à Cali, en Colombie, les sessions marquant la Décennie de l'Agriculture Familiale à Rome, la Session Plénière du Comité de la Sécurité Alimentaire Mondiale, etc. Nous rejoindrons également et soutiendrons les préparatifs du troisième Forum Mondial Nyeleni sur la souveraineté alimentaire, la justice globale et le changement systémique prévu pour 2025. Nous vous appelons à vous joindre à ces mobilisations et activités, à nous soutenir et à amplifier nos voix.
Pour la biodiversité et la souveraineté alimentaire. Mettons fin à l'impunité des multinationales et leur emprise sur nos territoires !
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