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Climat : les COP peuvent-elles organiser la sortie des énergies fossiles ?

Voilà un progrès : longtemps restées dans l'ombre, les énergies fossiles sont désormais au cœur du débat public autour de la COP28 sur le climat qui se tient à Dubai. La COP28 sera même évaluée à l'aune de la formulation qui sera retenue à ce sujet. Néanmoins, même dans le cas où cette formulation serait ambitieuse, elle restera non contraignante et de portée symbolique. Explications.
Tiré du blogue de l'auteur.
"COP28 : lever le tabou sur les énergies fossiles" titrait Le Monde en ouverture de COP. Puisqu'un débat public s'organise autour de la capacité de la COP28 à nous faire avancer sur une sortie programmée et organisée des énergies fossiles, je voudrais dans ce post expliquer pourquoi c'est à la fois un progrès, mais qu'il ne faut pas trop se faire d'illusions sur le résultat, même s'il devait être positif, de la COP28 en la matière. En plus de l'inertie historique, du rôle des lobbys pétro-gaziers et du manque volonté des Etats, il existe des raisons structurelles expliquant pourquoi les COP n'ont jamais su / pu s'emparer pleinement de la question des énergies fossiles. Ainsi que des raisons économiques et financières structurantes qui rendent toute évolution en la matière extrêmement difficile.
Ce qui suit est pour partie extrait et retravaillé d'une note publiée en 2021.
Quel que soit le résultat de la COP28 sur le climat organisée à Dubai (Emirats arabes unis), cette COP a fait éclater au grand jour l'un des points aveugles des négociations sur le réchauffement climatique menées depuis trente ans : l'urgence de sortir des énergies fossiles pour conserver une chance de ne pas dépasser les 1,5°C ou 2°C de réchauffement climatique.
Pour qui a passé des années à expliquer, malgré un intérêt médiatique limitée, qu'il était totalement aberrant de parler des symptômes, les gaz à effet de serre relâchés dans l'atmosphère, sans traiter les causes, ces quantités astronomiques d'énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole) nécessaires pour alimenter la formidable machine à réchauffer la planète qu'est l'économie mondiale, il est heureux de lire des édito de grands médias et d'entendre des reportages radios-TV grand public évoquer cette question : lorsque j'ai publié « Sortons de l'âge des fossiles » en octobre 2015, avant la COP21 à Paris, combien de fois ai-je entendu des ONG (pas toutes), des journalistes (pas tous) et des négociateurs (pas tous) me rétorquer qu'il n'était pas opportun de poser les questions ainsi. Réjouissons-nous donc que le sujet soit désormais dans le débat public. Mais rien n'est réglé. Explications.
Bref historique des énergies fossiles dans les COP
Jusqu'à la COP26 de Glasgow, les énergies fossiles, responsables de plus de 80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre n'avaient jamais été mentionnées dans les décisions de COP, pas plus que dans les accords internationaux qui en sont issus (Protocole de Kyoto, Accord de Paris etc). Par exemple, dès le début des COP, au milieu des années1990, une proposition de moratoire sur de nouvelles explorations et exploitations d'énergies fossiles, avait déjà été portée par des ONG de pays du Sud confrontés à l'exploitation pétrolière (Nigéria, Equateur). Elle avait été largement ignorée, tant par les ONG du Nord que par les Etats et négociateurs, ainsi que des médias.
Plus récemment, malgré les propositions de chercheurs et d'une partie de la société civile, l'Accord de Paris ne dit rien sur les énergies fossiles : il ne les mentionne même pas, pas plus qu'il ne prévoit de programme de travail afin de s'accorder sur des restrictions, des contraintes ou des interdictions à l'exploration et l'exploitation de nouveaux gisements. Ainsi, il n'a jamais été possible de mettre sur la table des négociations ne serait-ce que l'idée d'un moratoire international sur toute nouvelle exploration et mise en exploitation d'hydrocarbures non conventionnels comme les hydrocarbures de schiste. Cela n'est malheureusement pas prêt de changer.
Pourquoi ces oeillères ? Lobbys, déni, inertie et neutralité des négociations.
Lobbys - Alors que nous apprenons que la COP28 détient désormais le nombre record de lobbyistes du pétrole, du gaz et du charbon présents au sein d'une COP, avec près de 2500 personnes, soit 4 fois plus qu'à la COP27, il est aisé et justifié d'évoquer le rôle néfaste joué par les lobbys des énergies fossiles depuis des décennies. En effet, depuis trente ans, les multinationales des énergies fossiles ont tour à tour nié 1) le réchauffement climatique alors qu'elles en connaissent l'existence et les risques depuis les années 1950-60, puis 2) son origine anthropique et/ou l'urgence à agir et enfin 3) le fait d'en être pour une grande partie les responsables.
Déni - Il est également juste et approprié de rappeler combien les Etats, et les pouvoirs publics en général, se complaisent dans l'idée qu'il serait possible de résoudre la crise climatique par des dispositifs techno-scientifiques ne nécessitant pas de transformer de fond en comble leurs mix énergétiques. De fait, en trente ans de négociations et de déni, aucun Etat n'a jamais mis sur la table de proposition concrète pour limiter, conditionner ou interdire l'exploration et/ou la mise en production de nouveaux gisements d'énergies fossiles. Pas plus hier qu'aujourd'hui : ce qui est proposé pour la COP28 se limite à faire mention des énergies fossiles dans le texte de décision finale, sans dispositifs juridiques précis.
Inertie - Il est enfin pertinent de faire remarquer qu'obtenir une limitation ou une interdiction de l'exploration et/ou la mise en production de nouveaux gisements d'énergies fossiles ne faisait pas partie du mandat de négociations que les Etats de la planète se sont collectivement donnés au Sommet de la Terre en 1992 à Rio de Janeiro en créant la Convention cadre sur le réchauffement climatique (CCNUCC). Puisque ce document est toujours celui qui encadre les négociations climatiques internationales à l'oeuvre, il paraît dès lors difficile d'obtenir d'Etats souverains qu'ils négocient et prennent des engagements sur des sujets sur lesquels ils ne se sont pas engagés à en prendre.
Neutralité - La réduction de la production d'énergies fossiles ne fait donc pas légalement partie du mandat des négociations sur le changement climatique. Celles-ci fonctionnent comme si elles étaient « neutres » du point de vue des sources d'énergie et du mix énergétique de l'économie mondiale, tout en faisant une place de choix aux avis de l'Agence internationale de l'énergie atomique et en reconnaissant la situation spécifique des pays dont « l'économie est fortement tributaire (...) des revenus de la production, de la transformation et de l'exportation des énergies fossiles » (article 4.10 de la CCNUCC).
De bonnes raisons expliquent l'absence de négociations sur les énergies fossiles
Parler d'Etats souverains conduit à toucher du doigt l'une des raisons fondamentales pour lesquelles les « énergies fossiles » ne sont pas à l'ordre du jour des négociations sur le réchauffement climatique. En effet, les mix énergétiques nationaux font partie des compétences nationales les mieux protégées par les Etats, une dimension intangible de leur souveraineté. Pour deux raisons. D'abord parce que les chefs d'Etat et de gouvernement sont redevables devant les populations des choix énergétiques qu'ils effectuent, et ces dernières doivent pouvoir avoir prise, dans un cadre démocratique, sur ces décisions.
De plus, disposer de ressources fossiles en son sol est un gage d'indépendance et de souveraineté, notamment vis-à-vis des anciens pays colonisateurs. Après la décolonisation et l'indépendance de bon nombre d'entre eux, les Etats du Sud ont cherché à ce que le principe de souveraineté permanente d'un Etat sur ses ressources naturelles soit entériné par l'Assemblée générale des Nations unies et progressivement introduit dans le droit international. Comme un moyen d'assurer la pleine souveraineté des Etats et la pleine autodétermination des peuples. Par cette reconnaissance légitime, le droit international existant est donc plutôt un frein et, en tout cas, ne donne pas d'outil pour contraindre les Etats à ne pas exploiter leurs ressources fossiles.
La « non-négociabilité » des choix énergétiques nationaux dans un cadre multilatéral est le résultat de cette histoire. Il en découle une tension inévitable entre des politiques énergétiques nationales (ou régionales) qui déterminent grandement le mix énergétique mondial, et donc l'accélération du réchauffement climatique, et l'impossibilité de débattre directement de ces politiques nationales dans un cadre multilatéral onusien. L'accord de Paris ne prévoit en effet aucune obligation à transcrire les engagements pris en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre en baisse de production d'hydrocarbures. Ainsi, aucun des grands producteurs mondiaux de pétrole et de gaz n'a inclus dans sa contribution nationale (NDC) un plan organisant précisément la décroissance de l'exploitation d'énergies fossiles sur son territoire.
Inflexions internationales à l'AIE et à la COP26
Au printemps 2021, l'Agence internationale de l'énergie a publié un rapport en forme de déflagration dans l'industrie pétro-gazière, habituée à se considérer comme un secteur aux perspectives de croissance infinie. L'AIE conclut son rapport – qui peut être critiqué par ailleurs – en indiquant que limiter le réchauffement à 1,5°C implique de ne plus développer de nouveaux champs de pétrole, de gaz ou de charbon dès 2021. Cette prise de position est venue à la fois légitimer les propos de celles et ceux qui alertent depuis des années sur la nécessité de ne plus programmer de nouveaux investissements et nouvelles infrastructures dans les énergies fossiles, et d'autre part clairement indiquer qu'il n'est plus possible d'envisager la lutte contre les dérèglements climatiques sans envisager la fin des énergies fossiles. Un progrès.
Ce rapport a notamment permis de faire évoluer les positions de nombreuses institutions internationales, à commencer par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, qui ne cesse désormais d'affirmer qu'il faut « sonner le glas du charbon et des énergies fossiles, avant qu'ils ne détruisent la planète ». Des propos qui étaient ceux de quelques chercheurs et ONG il y a vingt ans, et qui sont désormais repris, et légitimés, par le secrétaire général de l'ONU.
Néanmoins, une prise de position aussi claire ne s'est pas encore traduite précisément dans les décisions de COP. Une légère avancée a eu lieu lors de la COP26 à Glasgow mais la formulation choisie est plus dilatoire que transformatrice : « réduction progressive de l'électricité produite à partir du charbon non adossée à des dispositifs de captage ou de stockage de carbone (« unabated ») et des subventions inefficaces aux énergies fossiles ». Cette mention, certes première historique, qui n'engage finalement aucun Etat de la planète à changer ses priorités en la matière. Le seul principe que les Etats appliquent consciencieusement en 30 ans de négociations persiste : « notre mix énergétique national est non négociable ».
Qu'attendre de la COP28 à ce sujet ? Cet engagement sera-t-il contraignant ?
Evitons de nous bercer d'illusions. Le plus probable est que la décision finale de la COP28 reste assez proche des formules de la décision de la COP26. Au mieux avec une formulation plus explicite et élargie, marquant la reconnaissance de la Communauté internationale qu'il ne saurait y avoir de lutte contre le réchauffement climatique sans réduction de la consommation et de la production d'énergies fossiles. Cela constituerait une avancée diplomatique. Tant sur le plan du symbole que de nature à continuer à faire évoluer le débat dans les institutions internationales.
A l'heure de la rédaction de ce texte (mercredi 6 décembre), la première version de la décision de COP qui circule dans les négociations comporte trois options de formulation à ce sujet :
– la première, la plus volontariste, indique « une élimination progressive et planifiée des combustibles fossiles » : c'est la plus improbable ;
– la deuxième propose d' « accélérer les efforts visant à éliminer progressivement les combustibles fossiles ‘unabated' », objectif donc qui ne vaudrait que pour les énergies fossiles dont l'extraction ou le raffinage ne serait pas associé à des systèmes de captage du CO2 ;
– la troisième consisterait à ce qu'il n'y ait aucune mention de cet objectif.
Visiblement, le pays hôte et les pays producteurs de pétrole et de gaz optent pour la deuxième formulation qui soulève tout un tas de questions insolubles : opérationalité technique, intérêt climatique réel, coût monstrueux ; vitesse de déploiement ; garanties de séquestration sur le temps long, etc.
Quelle que soit la formulation retenue, il faut immédiatement en mesurer la portée. Les décisions de COP ne sont pas de la même nature qu'un traité international (Protocole de Kyoto ou Accord de Paris) et n'impliquent rien d'immédiat dans les politiques publiques des Etats. Si la COP a certainement le pouvoir d'émettre des recommandations sur les énergies fossiles, notamment parce que les objectifs de l'Accord de Paris de rester en deçà de 1,5 ou 2°C sont en danger, il ne s'ensuit pas qu'une décision de la COP impose une obligation aux États. Si la formulation finale devait être ambitieuse – ce qui est loin d'être gagné – elle n'obligera aucun Etat à réduire, limiter ou interdire l'exploration ou l'exploitation des énergies fossiles sur leur territoire national. Au contraire, tous les projets annoncés ces dernier mois, au mépris des recommandations de l'AIE, pourront perdurer.
Le plus intéressant serait que la décision de la COP28 soit composée d'une recommandation générale sur les énergies fossiles et de la constitution d'un programme de travail interne aux COP afin qu'il y ait désormais une négociation permanente entre les Etats-membres sur l'exploration et l'exploitation des énergies fossiles. C'est dans le cadre d'une négociation permanente qu'il pourrait y avoir une avancée tangible dans les années à venir. A titre de comparaison, cela a pris près de 30 ans pour la reconnaissance des pertes et dommages et la création d'un fonds pour les pays pauvres. Un tel cadre permanent de négociations sur les énergies fossiles n'est à ce stade pas prévu.
Compliquons les choses : les énergies fossiles alimentent l'économie mondiale
Si les Etats voulaient vraiment limiter à 1,5°C le réchauffement climatique mondial, il faudrait qu'ils s'engagent à organiser et planifier une baisse de la production mondiale de gaz et de pétrole de 3 % par an jusqu'en 2050 et de 7% pour le charbon, comme le recommandent les scientifiques. Les trois ont pourtant continué à augmenter rapidement depuis trente ans. Notamment parce que les énergies fossiles sont indissociablement liées au mode d'organisation de la mondialisation capitaliste, principal moteur de la croissance mondiale de ces trente dernières années : sevrer l'économie mondiale des énergies fossiles ne saurait se faire sans réorganisation complète de cette économie mondiale complètement accro aux énergies fossiles.
Ce n'est pas l'objet de ce papier de prétendre résoudre cet immense défi en quelques paragraphes, mais notons néanmoins quelques points :
– il a été montré que les grandes bourses mondiales, et plus largement le système financier international, sont totalement dépendants de l'industrie fossile (valorisations boursières, flux financiers et physiques, etc)
– de nombreuses entreprises multinationales ne peuvent pas sortir des énergies fossiles seules et le droit existant (international et national) ne dispose de quasiment aucun outil pour les y forcer ;
– le régime de croissance mondial est structurellement dépendant d'énergies fossiles disponibles en grande quantité et à prix modérés et ne saurait perdurer tel qu'il existe sans elles ;
Or, tous ces sujets ne sont pas l'objet des négociations climatiques internationales et sont même exclus du cadre de négociation par le texte fondateur de la CCNUCC (art. 3.5).
Quelles pistes pour avancer plus vite ?
Puisque le droit international et les droits nationaux sont aujourd'hui trop faiblement dotés d'outils en mesure d'organiser le sevrage de l'économique mondiale et des économies nationales accros aux énergies fossiles, il faut faire feu de tout bois :
– accueillir positivement d'éventuelles avancées au sein de la COP28 en indiquant immédiatement quelles en sont les limites ;
– tenter de faire évoluer la CCNUCC et les négociations climatiques internationales pour ouvrir des négociations sur les choix énergétiques des pays ;
– pousser pour que l'AIE, suite à son rapport, s'empare pleinement de ces enjeux et devienne prescripteur international, mandaté pour évaluer les scenarii énergétiques nationaux des pays riches et établir des recommandations / normes internationales en la matière ;
– soutenir toutes les coalitions plurilatérales ad hoc lancées à ce sujet en marge des négociations climatiques internationales (BOGA, etc-, en les arrimant le plus fortement possible à la CCNUCC (redevabilité, NDC sur les mix énergétiques, etc) ;
– proposer que la COP commande au GIEC un rapport d'analyse de la cohérence des mix énergétiques nationaux avec les engagements climatiques mondiaux ;
– soutenir à la mise en oeuvre de protocoles additionnels au titre de la CCNUCC sur des sujets touchant les énergies fossiles (fuites méthane, etc), obligeant les Etats à une forme de redevabilité ;
– appuyer la mise en œuvre d'un Traité de non-prolifération des énergies fossiles tel que le proposent des organisations de la société civile.
– exiger une refonte de l'OMC et de ses principes à l'aune des objectifs climatiques ; pareil au FMI et à la BM ;
– etc.
Quel que soit le résultat de la COP28, laisser les énergies fossiles dans le sol n'est plus perçu comme une idée farfelue, mais comme la condition sine qua non d'une possible « neutralité carbone » en 2050. Il est donc urgent d'essayer de trouver comment progresser sur ce terrain.
En refusant de substituer une politique drastique de sobriété énergétique à leur dépendance russe, les pays européens sont en train de nous faire perdre de nombreuses années de lutte contre le changement climatique en Europe, mais également à l'échelle mondiale. Nous allons payer très cher le fait de ne pas avoir profité de la pandémie de COVID puis de la guerre en Ukraine pour mettre sur pied des plans de relance puis des plans de sobriété 100% climato-compatibles en mesure de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Mais l'histoire n'est pas finie.
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Les succès électoraux de l’extrême-droite aux quatre coins du monde

Ugo Palheta, sociologue, est l'auteur de nombreux ouvrages traitant du fascisme. Il revient pour Politis sur les succès électoraux, aux quatre coins du monde, de l'extrême droite. Jusqu'où ?
07 décembre 2023 | tiré de Politis.fr | Hebdo 1787
L'extrême droite enregistre des succès dans de plus en plus de pays, jusqu'à pouvoir gouverner. Au-delà de leurs différences programmatiques, Geert Wilders, Javier Milei, Viktor Orbán, Giorgia Meloni, Marine Le Pen… ne partagent-ils pas une stratégie commune ?
Ugo Palheta : Javier Milei me semble renvoyer en partie à quelque chose de différent mais, pour tous les autres, nous faisons face à une vieille stratégie propre à l'extrême droite : prétendre constituer une troisième voie. Ce n'est plus le « ni capitalisme ni communisme » de l'entre-deux-guerres (car le capitalisme paraît impossible à vaincre et le communisme n'est plus une véritable force organisée), mais ni « mondialisme d'en haut » (finance) ni « mondialisme d'en bas » (immigration), pour parler comme Marine Le Pen ; ni droite « cosmopolite » ni gauche « immigrationniste ».
Cela permet à ces extrêmes droites de s'adresser aussi bien à des possédants (petits ou grands) qui se sentent menacés (souvent imaginairement) qu'à des dépossédés, à qui elles promettent une amélioration de leur sort aux dépens de groupes stigmatisés comme « inassimilables », « fauteurs de troubles » et/ou « antinationaux ».
Le cas de Javier Milei renvoie davantage à mon sens à Donald Trump, ou à Éric Zemmour dans le contexte français. Il s'agit de personnages sans expérience politique, issus de la droite, et dont toute la stratégie repose sur la surenchère raciste, masculiniste, autoritaire, antisociale et antigauche, afin de construire un nouvel espace politique à droite de la droite traditionnelle (Milei), de conquérir et de radicaliser la droite traditionnelle (Trump) ou de contester une extrême droite déjà installée (Zemmour).
Ces mouvements séduisent davantage les jeunes. Pour quelles raisons ?
Ugo Palheta : Leur stratégie peut parler à des franges de la jeunesse qui sont peu ou pas attirées par les mouvements antiracistes, féministes ou écologistes, qui sont politiquement et idéologiquement désaffiliées (davantage que leurs aînés, du moins),et à ce titre disponibles pour des discours prétendument « antisystème », plus ou moins complotistes, etc.
Les jeunesses attirées par ces extrêmes droites sont homogènes racialement (elles sont très majoritairement blanches ou se considèrent comme telles) mais hétérogènes socialement. Les jeunes qui militent dans ces mouvements sont plutôt issus des classes moyennes et supérieures situées du côté du pôle économique (pour parler comme Pierre Bourdieu), alors que l'électorat jeune de l'extrême droite appartient plutôt aux classes populaires blanches des petites villes ou des zones rurales et semi- rurales (notamment pour le RN).
Néanmoins, les jeunes sont, dans tous les pays, celles et ceux qui s'abstiennent le plus, donc ce n'est pas un raz-de- marée. Mais, indéniablement, le lien entre la jeunesse et la gauche n'a plus rien de naturel ou d'évident ; il est un enjeu de la bataille politique, en cours et à venir.
Les médias ont-ils une responsabilité dans la montée de l'extrême droite ?
Ugo Palheta : Le rôle des médias dominants a été énorme dans l'imprégnation du corps social par les « idées » et affects fascistes, conjointement aux partis qui ont dominé le jeu politique en France pendant longtemps (RPR-UMP-LR, PS, puis LREM et Renaissance), et c'est le fait de gens qui ne se définissent évidemment pas comme d'extrême droite : mise au premier plan de faits divers permettant d'appuyer une vision sécuritaire du monde, construction de l'immigration et de l'islam comme « problèmes publics », disqualification permanente de la gauche, éviction des mouvements d'émancipation (notamment antiracistes et féministes), banalisation de l'extrême droite, dépolitisation de la politique, etc. Le cocktail est terrible et il a contribué à nous mener là où nous en sommes, pas si loin de l'abîme.
La victoire de Marine Le Pen en 2027 est quasiment présentée comme acquise. Vraiment ?
Ugo Palheta : Non, et ces prédictions font partie du rouleau compresseur médiatique, comme lorsque les médias dominants ne cessaient de présenter le RN comme le « grand gagnant » de la mobilisation contre la réforme des retraites, alors même que le mouvement commençait à peine.
Il y a encore du chemin avant que l'extrême droite conquière le pouvoir, mais ne nous leurrons pas : si rien n'est fait très vite, si la gauche ne se ressaisit pas en se rassemblant autour d'un programme de rupture (avec le néolibéralisme, avec les politiques racistes et sécuritaires, avec le productivisme), si les mouvements sociaux ne mettent pas tout leur poids dans la balance, alors nous atteindrons un point de non-retour, avec le risque que la gauche sociale et politique soit balayée pour longtemps !
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FSM 2024 au Népal : le rendez-vous de l’espoir !

Montréal, le 11 novembre 2023 — Le prochain Forum social mondial se tiendra en 2024 du 14 au 19 février dans un petit pays de 30 millions de personnes, le Népal, coincé entre la Chine et l'Inde.
Pourquoi le Népal ?
L'exception népalaise et le FSM
Après une décennie de lutte armée et de mobilisations des mouvements populaires et sociaux, le pays s'est engagé sur la voie du socialisme démocratique dans le cadre d'une République fédérale où l'inclusion, la justice sociale et la diversité ethnique, linguistique et culturelle sont encouragées. C'est cet élan progressiste, exemplaire dans la région, qu'entend nourrir le FSM en posant ses valises à Katmandou.
Le Forum social mondial (FSM) est le rendez-vous des organisations de la société civile et des mouvements sociaux issus des quatre coins de la planète qui œuvrent à construire un monde plus juste, durable, inclusif et démocratique, dans le respect des droits des peuples. Né au Brésil, à Porto Alegre en 2001, le FSM a déjà parcouru tous les continents, à l'exception notable de l'Europe. Il a même rassemblé près de 35 000 personnes à Montréal en août 2016 pour la première et unique fois en Amérique du Nord.
Un autre monde, maintenant !
Depuis près de 25 ans, le FSM entend dynamiser les alternatives à la mondialisation néolibérale, ce projet visant à réduire la planète à un immense marché offert au capitalisme triomphant. Le produit mondial brut a été multiplié par 6 depuis les années 1980 et le nombre de milliardaires a bondi de 600 % ce dernier quart de siècle. Les inégalités ont explosé à l'intérieur et entre les pays.
L'extractivisme et le consumérisme mènent la planète au bord du gouffre. Les conflits se multiplient et poussent des millions de personnes sur le chemin de l'exil, alors que d'autres s'affairent à ériger des murs pour ne pas assumer leur devoir de solidarité humaine. Plus que jamais, l'espoir, les solutions, les propositions novatrices sont nécessaires pour faire face aux défis de notre temps, voir le beau et reconnaître le bon en nous et dans tout ce qui nous entoure.
L'espoir, c'est la jeunesse
On estime la participation à plus de 50 000 personnes provenant de différentes régions de la planète, dont une forte majorité du continent asiatique. Au Québec, plusieurs organisations de solidarité internationale se sont rassemblées pour mettre en place le collectif québécois En route pour le FSM au Népal. Appuyé par Les Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ), ce collectif est composé majoritairement de jeunes et de femmes qui ont à cœur de construire un monde différent dans un esprit de solidarité intergénérationnelle. Cette démarche se poursuivra d'ailleurs dans le projet de FSM thématique sur les intersections en juin 2025 à Montréal.
Dans un contexte international particulièrement assombri et l'inaction climatique des gouvernements face aux industries fossiles à la COP28, il est essentiel de concilier le pessimisme de l'intelligence avec l'optimisme de la volonté. La transition écologique et sociale progresse, les mentalités changent. L'ouverture sur le monde est essentielle pour penser en dehors de la boîte et s'extirper des griffes des tenants du statu quo qui nous mènent tout droit à la catastrophe en ne cherchant qu'à conserver leurs privilèges.
L'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), Katalizo, Alternatives, le Journal des Alternatives — une plateforme altermondialiste (JdA-PA) et le Réseau international pour l'innovation social et écologique composent le Collectif québécois En route vers le FSM 2024 au Népal. Le Collectif est heureux de confirmer la collaboration avec Lojiq (Les organismes jeunesse internationaux du Québec) qui ont annoncé le soutien d'une dizaine de jeunes du Québec, qui s'ajoutent à une dizaine d'autres jeunes et moins jeunes, dans une délégation intergénérationnelle pour le FSM 2024 au Népal.
Pour en savoir plus et prendre contact
Pour les réseaux intéressés à en savoir plus sur la participation au FSM au Népal : Denis Côté dcote@aqoci.qc.ca ;
Pour les médias :
Carminda MacLorin : directrice de Katalizo / Forum social mondial des intersections, Carminda.maclorin@katalizo.org
Ronald Cameron, rédaction JdA-PA, redaction@alter.quebec
Liens
Page FB : https://www.facebook.com/profile.php?id=61552824996919
Site web du FSM au Népal : https://wsf2024nepal.org/
Dossier JdA-PA : https://alter.quebec/category/altermondialismes/forums-sociaux-mondiaux/fsm-2024-nepal/
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Poutine envoie les occidentaux dans les cordes

Le Président russe s'offre l'Afrique, le monde arabo-musulman et fait un pied nez aux Occidentaux en proie au naufrage, ulcérant le conglomérat médiatique français. La cause ukrainienne s'avère trop dispendieuse. Le soutien à Kiev a baissé de 90%. Zelensky est reçu ce matin par Washington. Pendant que la Gauche française fait tomber la Loi Immigration !
De Paris, Omar HADDADOU
Le socle occidental s'effrite ! Sa politique nombriliste, son soft et hard power, ses think-tank, menacent de voler en éclat. La France vit au rythme des aménagements post-ravages coloniaux, un racisme épidémiologique florissant et une violence mondiale récurrente ! Outrée, la Gauche ainsi que d'autres partis, ont livré, ce lundi 11 décembre, une bataille au ministre de l'Intérieur à l'Assemblée nationale et obtenu, sur le fil, le vote d'une motion rejetant la Loi Immigration, chère à Darmanin. Suffocation !
Ce dernier aurait reçu un appel de Macron, le dissuadant de démissionner.
Ce coup de théâtre s'opère au moment où les aides d'urgence à l'Ukraine, 2 ans après le déclenchement de la guerre et l'Opération spéciale, renvoient Washington et l'Union européenne à l'évidence d'une déroute cuisante.
La nouvelle dynamique et ses paquets d'aide à Kiev, s'essouffle. Tant ressassée à travers les médias, la victoire vire au dégrisement. Pour se consoler de la débâcle, certains chroniqueurs et consultants (es) français, payés au cachet, continuent à prendre les citoyens pour un cheptel, orienté au gré du cri du berger. Dans ce phénomène d'aspiration coercitive, Zelensky pourrait creuser d'avantage le gouffre financier de ses alliés lassés, si Joe Biden lui concocte une nouvelle formule de financement, après les 246 milliards d'euros endigués. Gaza peut s'éteindre dans l'indifférence !
L'épisode du blocage par le Congrès américain de l'assistance budgétaire, matérielle et humaine, porté au dernier moment par le chef républicain de la Chambre des représentants Mike Johnson au motif de la politique migratoire des Etats-Unis, n'est qu'un écran de fumé, une diversion.
Puisque ce dernier rencontrera Zelensky aujourd'hui. Un tête à tête qui pourrait déboucher, dans le même temps, sur un accord d'allocation des 50 milliards d'euros (en suspens) de l'Union européenne.
Moralité ? Les stocks d'armes seront bien écoulés et le rêve de Zelensky maintenu ! Dans ce contexte géopolitique en ébullition, le président russe continue à peaufiner son Sud global.
Les Occidentaux lui prédisaient et fomentaient une fin éminente. Fort du dernier plébiscite, Poutine s'adjuge une 5ème réélection sans coup férir. Le mandat d'arrêt de la CPI jeté dans le caniveau, le chef du Kremlin se pavane en ennemi farouche de l'Impérialisme sauvage, défiant ses détracteurs, éliminant les conspirateurs d'une main de maître, déclinant des invitations, s'engageant à bras le corps dans le projet de la route de la soie, le rétablissement de la puissance russe, en dictant un nouvel Ordre mondial dans lequel le Sud Global et l'Afrique en particulier occuperaient une position centrale.
Son ministre des Affaires étrangères, Dimitri Peskov, n'hésite pas à lui tresser des lauriers : « Poutine joue un rôle extraordinaire dans le monde », lance-il aux médias. Le trauma colonial et ses corolaires de prédation, de domination jouant en sa faveur, il déloge la France du Niger, le Mali et le Burkina Faso et raffle les gros contrats. Un retour triomphal sur la scène internationale et une prospérité économique notable (hausse du PIB russe de 5%), en dépit de l'impact de la guerre.
Ses dernières pérégrinations aux pays du Golfe dont les Emirats-Unis, l'Arabie Saoudite et, par ricochet, au riverain l'Iran, renseignent sur la détermination à renforcer ses liens dans un monde polarisé. L'ancien judoka, candidat à sa succession le 17 mars, savoure l'étendue de son influence. Son appel au cessez le feu à Gaza reste toutefois inaudible !
Le journal l'Humanité fait état de 17 700 Gazaouis tués dont plus de 5 00 enfants. Pour venir à bout du Hamas, la dernière option mise sur la table, est d'inonder les tunnels. Peine perdue leur rétorqua un géologue français : « le sol à Gaza est très poreux ! ».
O.H
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La diplomatie néfaste de Kissinger en Afrique

Cet article de Peter Vale, chercheur à l'université de Pretoria, publié dans The Conversation Africa le 10 février 2023, analyse la politique du célèbre secrétaire d'État américain en Afrique méridionale, et la déclare un échec.
Tiré de Mondafrique
6 décembre 2023
Par Peter Vale
Cet article a été traduit par Mateo Gomez (Mondafrique).
Henry Kissinger, qui a sensationalisé l'art de la diplomatie entre 1969 et 1977, est mort à l'âge de 100 ans. Dans les nécrologies qui ont depuis été écrites, certains louent le rôle de Kissinger dans la construction des relations Est-Ouest lors de son mandat en tant que secrétaire d'État américain. Et ils sont plusieurs à commenter les décennies qui suivirent cette période qu'il était un homme d'État, un statesman. Des critiques radicaux ont pointé du doigt les méthodes impitoyables de Kissinger, comme son encouragement du coup d'État au Chili, le 11 septembre 1973 – et ont demandé à qu'il soit jugé pour crimes de guerre.
Traditionnellement, la diplomatie était une entreprise presque cachée pour des hommes en costume gris qui (surtout par intuition) comprennaient les graves affaires de guerre et paix. Kissinger en a fait un site de célébrités, de jet-set et d'opinions d'experts. Le monde regardait où il allait. Les accomplissements diplomatiques de Kissinger sont étonnants – la reconnaissance de la République Populaire de Chine, en 1972/1973, par les États-Unis était époustouflante. Mais la sortie du Vietnam et la détente avec l'URSS, qui a mené à des discussions sur la limitation d'armes stratégiques (comprenez nucléaires). Ces actes ont contribué à consolider la marque mondiale de Kissinger. Mais son bilan dans le Sud global, notamment en Afrique, est lamentable.
Une grande partie de la renommée de Kissinger – ou de son infamie, selon le sujet – a été poussée par la “diplomatie de la navette”, une tactique utilisée initialement dans la guerre du Kippour en 1973. Dans un effort de médiation entre l'Egypte et Israël, il faisait des aller-retours très publics entre les deux pays. Un an après, la diplomatie de la navette fut à nouveau nécessaire en Afrique méridionale lorsqu'il devint clair que Kissinger avait mal compris la place de la région dans les affaires et la politique mondiale.
Ceci était devenu évident dès 1969, lors d'une fuite d'un document politique qui expliquait l'approche américaine aux affaires régionales. Le document recommandait que les États-Unis “penchent” vers les régimes blancs et coloniaux pour protéger les intérêts stratégiques et économiques du pays. Alors que la grande narrative de la vie de Kissinger est écrite, ses interventions en Afrique du Sud doivent être jugées comme des ratés puisqu'il ne fit rien pour en finir avec le colonialisme et le règne des minorités blanches.
Le règne des minorités blanches.
La thèse de doctorat de Kissinger à Harvard porta célèbrement sur la diplomatie du congrès de Vienne (1814-1815). Il a soutenu que la « légitimité » dans les affaires internationales reposait sur l'établissement d'un équilibre entre États puissants plutôt que sur la promotion de la justice. Mais l'Europe du XIXe siècle n'était pas un guide pour gérer l'Afrique australe du XXe siècle, où la légitimité des États a été obtenue par la libération plutôt que par les subtilités de la diplomatie des grandes puissances.
En avril 1974, un coup d'État à Lisbonne marqua la fin du colonialisme portugais en Afrique. Il a révélé la vulnérabilité de la domination blanche en Rhodésie (aujourd'hui le Zimbabwe) et dans le Sud-Ouest africain contrôlé par l'Afrique du Sud (aujourd'hui la Namibie). Bien que cachés à l'époque, il est aujourd'hui clair que les événements de Lisbonne ont contribué à attiser l'incendie qui allait s'abattre sur l'Afrique du Sud. La stabilité du « Sud blanc » étant menacée, la politique américaine devait être repensée. C'est l'intervention de Cuba en Angola qui a poussé Kissinger à recadrer l'approche de Washington dans la région en termes de guerre froide. L'Afrique du Sud et les États-Unis ont soutenu le mouvement rebelle Unita pour combattre le gouvernement du Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA), allié de l'Union soviétique.
Il fallait pour cela se rapprocher du régime de l'apartheid tout en encourageant simultanément le changement au Zimbabwe et en Namibie. La navette a commencé par un discours prononcé à Lusaka, en Zambie, qui a fait pression sur la Rhodésie, dirigée par les blancs, pour qu'elle accepte l'idée d'un « gouvernement majoritaire » de noirs. Plus suavement, Kissinger a demandé à l'Afrique du Sud d'annoncer un calendrier pour atteindre « l'autodétermination » en Namibie. Kissinger s'est ensuite rendu en Tanzanie pour prononcer un discours similaire.
Une série de réunions de haut niveau ont suivi avec le premier ministre de l'apartheid, John Vorster. Celles-ci eurent lieu en Allemagne et en Suisse. Le récit de ces rencontres est une lecture intéressante. Lors du dîner du 23 juin 1976, la glace fut brisée autour d'une plaisanterie raciste qui instaura une bonhomie entre une douzaine d'hommes blancs qui délibérèrent pendant deux heures sur l'avenir d'un sous-continent de noirs. Le régime de l'apartheid s'était catapulté directement dans l'orbite étoilée de Kissinger.
Un compte rendu officiel des pourparlers suggère que la délégation sud-africaine semblait hébétée. Étaient-ils bouleversés par l'événement, ou étaient-ils sous le choc des événements de la semaine précédente à Soweto [près de Johannesbourg], lorsque la police de l'apartheid a tué des écoliers non armés qui protestaient contre l'imposition de la langue afrikaans comme langue d'enseignement ? De leur côté, les Américains semblaient désireux d'apprendre : dès le début des débats, Kissinger avait déclaré qu'il « essayait de comprendre » ; à un autre moment, il était « analytique ». Fidèle à la forme diplomatique, l'apartheid n'a pas été discuté même si une certaine attention a été accordée au Sud-Ouest africain. La discussion est restée centrée sur la Rhodésie. Finalement, une stratégie fut convenue : Vorster amènerait les Rhodésiens récalcitrants à s'entendre sur la règle de la majorité ; Kissinger obtiendrait que les Zambiens et les Tanzaniens soutiennent l'accord ; les progrès sur la question namibienne seraient plus lents.
Le point culminant de tout l'exercice fut la visite de Kissinger à Pretoria en septembre 1976. Par hasard, le Premier ministre blanc de Rhodésie, Ian Smith, devait être en ville pour assister à un match de rugby. Le New York Times a rapporté que Kissinger avait été reçu par une petite garde d'honneur – composée de soldats noirs – à la base aérienne de Waterkloof lorsque son avion avait atterri. Et Kissinger et son entourage – y compris les éléments de la presse les plus importants – se sont installés à l'hôtel Burgerspark de Pretoria. Pendant quatre jours, une Afrique du Sud de plus en plus isolée et condamnée au niveau international s'est retrouvée sous le feu des projecteurs de l'attention mondiale – ce fut sans aucun doute le point culminant de la diplomatie de l'apartheid.
Le drame du week-end portait moins sur la question de savoir si Kissinger avait rencontré des dirigeants noirs critiques de l'apartheid – le rédacteur en chef et activiste Percy Qoboza était le seul – que sur la question de savoir si Kissinger, en tant qu'envoyé des États-Unis, pouvait rencontrer directement Smith, dont le régime était pas reconnu internationalement. Les deux hommes se sont rencontrés pendant quatre heures le dimanche matin et un accord a été conclu. En larmes, Smith, alors Premier ministre, annonça que la Rhodésie accepterait le principe du gouvernement majoritaire. Mais les processus de suivi ont été flous. Le régime illégal a duré encore quatre ans.
Kissinger a effectué deux autres visites en Afrique du Sud. C'était notamment en septembre 1982, lorsqu'il prononçait le discours d'ouverture d'une conférence organisée par l'Institut Sud-africain des Affaires Internationales. La deuxième fois, c'est quand (avec d'autres) il a tenté en vain de résoudre la crise provoquée par le rejet par le chef du Parti de la Liberté Inkatha, Mangosuthu Buthelezi, de la constitution provisoire de l'Afrique du Sud en avril 1994.
L'intérêt de Kissinger pour l'Afrique australe au milieu des années 1970 reposait sur l'idée que l'équilibre reviendrait si les intérêts des plus forts étaient restaurés. Il n'a pas compris que la lutte pour la justice changeait le monde – et la diplomatie elle-même.
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Au Mali, une nouvelle donne

Si la prise de Kidal, bastion de la rébellion touarègue, est un succès pour la junte, elle risque en retour de favoriser une recomposition des mouvements armés autonomistes et islamistes.
Hebdo L'Anticapitaliste - 685 (30/11/2023)
Par Paul Martial
Crédit Photo
Wikimedia Commons
Après plus de dix ans de contrôle par les mouvements rebelles touarègues, les Forces armées maliennes (FAMA) accompagnées des mercenaires de Wagner sont entrées dans Kidal il y a maintenant deux semaines.
La prise de Kidal
Les autorités du Mali ont déployé des moyens importants pour s'emparer de la ville située au nord-ouest du pays. Les attaques aériennes de l'aviation et l'utilisation de drones Bayraktar TB2 de fabrication turque récemment acquis ont été décisives. Si le gouvernement de Bamako se félicite de cette victoire, il se garde bien de parler des dizaines de morts et de blessés civils dont des enfants victimes des bombardements. Les FAMA ont pénétré dans une ville en grande partie désertée par les populations.
Quant aux forces rebelles du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), qui regroupe une grande partie des organisations touarègues, elles ont rejoint pour la plupart le massif montagneux de l'Adrar Tigharghar.
Fin de l'accord de paix
C'est incontestablement une victoire pour la junte malienne. Cette dernière, par la voix de son président Assimi Goïta n'avait cessé d'affirmer sa volonté de défendre la souveraineté nationale en recouvrant l'ensemble du territoire.
La conséquence directe est que l'accord de paix d'Algérie de 2015 entre mouvements armés et autorité malienne a volé en éclats. Si sur le terrain cet accord n'a jamais été réellement appliqué, il avait cependant l'avantage d'être une référence pour l'ensemble des belligérants.
La prise de Kidal s'est faite au détriment de la lutte contre les djihadistes tant du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), lié à Al Qaïda, que de l'État islamique qui commence à amorcer une opération d'enracinement dans la région de Ménaka.
Une victoire à la Pyrrhus ?
Le vrai défi n'est pas de conquérir une ville ou un territoire mais d'y rester et d'être capable d'assurer la sécurité, de l'administrer et d'implémenter les services de l'État. D'autant que les forces rebelles ne manqueront pas de mener une guérilla qui risque d'envenimer les relations déjà tendues entre les FAMA, leur supplétifs russes et les populations.
La victoire de la junte peut être fragilisée si on assiste à une alliance entre le CSP-PSD et le GSIM. Bien que les agendas politiques des uns et des autres divergent, des rapprochements peuvent avoir lieu. Iyad Ag Ghali, le dirigeant du GSIM, est un combattant de la première heure de la cause touarègue et est à ce titre très respecté. De plus, les frontières des mouvements armés restent perméables. Ainsi, une option qui désormais devient plausible est d'assister à des attaques convergentes des groupes autonomistes/séparatistes et islamistes comme ce fut le cas au début de la crise malienne en 2012. Un retour en arrière de dix ans qui n'augure rien de bon.
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Argentine - Après la victoire de l’extrême droite : #MILEI NO !

Entretien avec Martin Mosquera suite à la victoire de l'extrême-droite en Argentine. Martin Mosquera chargé de cours à l'Université de Buenos Aires et rédacteur en chef de Jacobin America Latina est militant de Democracia Socialista, organisation sympathisante de la IVe Internationale en Argentine.
Tiré de Quatrième internationale
8 décembre 2023
Par Martín Mosquera
Copyright
Wikimedia Commons
Peux-tu revenir sur ce qui explique la victoire si nette de Milei ?
Je vois plusieurs raisons au vote Milei. L'Argentine traverse depuis une dizaine d'années une situation de stagnation économique, une crise qui a affecté les deux forces politiques principales – le péronisme et le macrisme – constitutives d'une sorte de bipartisme depuis la seconde moitié du XXe siècle. Ce malaise social durable a muté en une crise de représentation très forte. En termes gramsciens, une crise d'hégémonie, c'est-à-dire plus qu'une crise politique, une crise institutionnelle. À cela s'ajoute une crise spécifique du péronisme, notamment dans les secteurs ouvriers.
Chaque fois qu'émerge une extrême droite avec un poids électoral qui lui permet de disputer le pouvoir, c'est dû à la rupture entre les masses prolétaires et les outils politiques qu'elles s'étaient appropriés. Ces dernières années, le péronisme a vécu une de ces crises aiguës que l'Argentine connait cycliquement depuis 40 ans : hyperinflation des années 1990, la crise de 2001 et la crise de la fin du macrisme avec une dévaluation très forte et des reculs salariaux importants. Le péronisme les avait toujours vécues de l'extérieur, avait toujours amorti les tendances centrifuges en leur mettant une limite. C'est ce dispositif politique qui entre en crise.
Un blocage économique et une crise de représentation ne sont que des conditions de possibilités d'émergence d'une force d'extrême droite. C'est du fait de la dynamique de rupture de secteurs des classes populaires avec un péronisme qui exécute ses politiques d'austérité au nom du progressisme et de l'interventionnisme étatiques, qu'un discours antiétatique, d'ultradroite, a pu s'insérer au sein des classes populaires.
Un élément supplémentaire tient à la fragmentation progressive des classes laborieuses ; la crise du péronisme est une crise du sujet social du péronisme, c'est-à-dire des classes laborieuses. La séparation entre travailleurs formels et informels et, y compris, parmi les travailleurs informels, entre celles et ceux qui reçoivent des aides de l'État et celles et ceux qui n'en ont pas, sont des divisions sociales dans lesquelles a pu pénétrer un discours d'extrême droite.
Comment caractériserais-tu Milei ? Peut-on parler d'un danger fasciste ?
Nous parlons d'une force politique d'extrême droite, d'ultradroite, qui contient des éléments en lien avec la « famille militaire », le négationnisme de la dictature, et des éléments fascistoïdes. Je crois qu'il faut éviter deux types d'écueil : le premier est une inflation du terme « fasciste », qu'on utilise pour délégitimer tout trait de gouvernement autoritaire – je crois qu'on perd ainsi la spécificité du phénomène, et le fascisme n'est que l'une des formes de réactions autoritaires. L'autre écueil, symétrique, serait de ne pas voir les formes actuelles du fascisme, en retenant des caractéristiques si spécifiques qu'elles ne peuvent se répéter. Aujourd'hui il n'y a pas de partis de masse comme c'était le cas des partis nazi et fasciste, il n'y a pas de groupes paramilitaires, on ne voit pas un terrorisme étatique d'une telle ampleur, même s'il y a des exceptions. Donc une erreur symétrique consisterait à se dire que les leçons des années 1930 n'ont aucune utilité pour l'actualité.
Je me situe dans un entre-deux. Je crois que dire que Milei est fasciste est abusif, à court terme. Qu'est-ce qui a constitué dans les années 1930 une catégorie politique qui nous permet de réfléchir et agir ? J'en retiens principalement deux : l'une est l'usage massif de la violence politique, parler de fascisme sans violence politique n'a aucun sens ; l'autre est la question du changement de régime politique. Un gouvernement autoritaire ne passe pas nécessairement par le corporatisme de l'époque, qu'il semble très difficile de reproduire aujourd'hui, mais par un changement de régime. S'il s'accommode d'une alternance libérale démocratique conventionnelle, parler de fascisme est inapproprié.
Un troisième trait qu'il me parait important de souligner est que le fascisme a été une contre-révolution par le bas. Il a réuni un mouvement politique ultraréactionnaire et un mouvement de masses. Une particularité qui le différencie par exemple de la dictature militaire, verticaliste et installé depuis les hautes sphères, qui peut avoir ou non un soutien social passif, mais avec d'autres caractéristiques.
Comment se situent les droites actuelles et le phénomène Milei ? Je crois qu'il y a une menace anti-démocratique, mais qu'il est peu probable et peu réalisable qu'elle mène à un changement de régime politique. On peut se retrouver devant quelque chose qui tienne davantage à des attaques s'inscrivant dans le respect de la démocratie conventionnelle. Les cas les plus significatifs de ce style seraient Erdogan en Turquie, Bukele au Salvador, etc. Je pense que nous allons affronter un durcissement étatique qui accompagne une thérapie de choc néolibérale et va avoir besoin du facteur coercitif pour mener à bien ses contre-réformes. Mais à l'heure actuelle il n'est pas possible de savoir où va être le curseur du gouvernement Milei sur le spectre allant d'un gouvernement conventionnel de la démocratie bourgeoise à un régime fasciste.
Plutôt que de penser à un improbable gouvernement fasciste, il faut analyser si cette combinaison de facteurs – escalade répressive, intensification et durcissement autoritaire de l'État – peut mener à une défaite catastrophique de la classe ouvrière. Je crains que oui. Une défaite sociale avec ces caractéristiques n'a pas besoin d'un changement de régime pour se produire : pour Milei, le thatchérisme par exemple me semble être une analogie historique beaucoup plus opérante que les années 1930, en raison d'un élément du populisme plébiscitaire : la démocratie et le peuple représentés par le chef d'État contre les « minorités corporatistes » qui défendent leurs intérêts particuliers. C'est ainsi que Milei traite les mouvements sociaux, les syndicats, le mouvement piquetero.
J'ajouterais un élément : Milei a gagné parce qu'il y a dans la société argentine un processus de droitisation, même s'il est certain que la majorité de la population n'adhère pas à l'intégralité de son programme. Une partie prépondérante, plutôt que de voter « pour » lui, a voté « contre » le kirchnerisme. Cela résonne comme un nouveau « que se vayan » de 2001 tinté de la « fin de récré » qu'avait sonnée la droite en 2015. Mais au premier tour, 30 % ont voté pour Milei et 22 % ont voté pour une autre candidate très à droite, Patricia Bullrich, qui a fait ouvertement campagne sur l'autoritarisme.
Quelles sont les relations de Milei avec la droite traditionnelle ?
La droite traditionnelle a eu un rôle clé, qui a permis que Milei passe de 30 % des votes au premier tour à quasiment 56 % au second tour. Sa victoire est passée par l'acquisition d'un nouvel espace électoral : des secteurs de classe moyenne antipéronistes. Un secteur de la droite traditionnelle, que représentent l'ex-président Mauricio Macri et sa candidate Patricia Bullrich, est crucial : ces deux figures ont conduit un dispositif de mutation et d'alliance.
Une des possibilités est que ce lien se consolide par une coalition gouvernementale et parlementaire avec le secteur Macri-Bullrich. Il faudrait également qu'ils arrivent à convaincre des parlementaires, des gouverneurs locaux, etc. de les suivre. La Libertad avanza de Milei pourrait former une sorte de coalition thatchériste et atteindre un certain niveau de gouvernabilité.
Pour l'instant, c'est incertain, pour deux raisons. La première est qu'il y a plus de disputes entre le groupe de Milei et la droite dirigée par Macri et Bullrich, que ce que l'on aurait pu prévoir, alors que Milei essaye de diversifier ses soutiens en direction du péronisme provincial. La seconde, c'est que des secteurs du péronisme distants du kirchnerisme pensent que négocier avec Milei peut permettre une résorption des désaccords internes au péronisme et leur donne la possibilité de gouverner leurs provinces tranquillement. Aujourd'hui, Milei semble être en train de diversifier ses bases de soutien mais il reste difficile de savoir si cela est généralisable, car Milei ne dispose que d'une petite minorité parlementaire.
Comment se situent les secteurs significatifs de la bourgeoisie dans ce contexte ?
Au départ, la candidature de Milei a été rejetée par le centre du pouvoir économique. Le gouvernement et l'ambassade des États-Unis, comme le gros de la bourgeoisie argentine, se sont maintenus à distance. La bourgeoisie préférait la candidature de Massa. Mais depuis l'élection, l'alliance entre Macri et le groupe de Milei s'est forgée et l'option préférentielle du pouvoir économique est apparue : que Milei soit la tête du gouvernement. Il y a eu de plus en plus de soutien financier à Milei et maintenant s'ouvre un nouveau chapitre : son gouvernement. On va avoir un processus d'accommodation de la bourgeoisie en fonction des bénéfices qu'elle peut tirer d'un gouvernement Milei.
Dans des articles récents, tu insistes sur le contexte de reflux et de la démobilisation du mouvement ouvrier et populaire. Comment réorganiser une résistance efficace dans ce contexte ?
Il y avait beaucoup d'illusions dans la gauche. Par exemple, récemment lors d'une réunion un dirigeant du trotskisme argentin me disait : « Si Milei gagne, il va y avoir des mobilisations révolutionnaires des classes laborieuses ». Je ne crois pas : une grande explosion sociale, à court terme, est improbable parce qu'on peut constater un déclin de la conflictualité, de la combativité sociale et syndicale, depuis 2018. Ses racines sont nombreuses mais l'une d'elles est la crise qui érode les structures de la classe ouvrière, ses instruments pour intervenir et la confiance dans ses propres forces.
Si on envisage le début d'un nouveau cycle de luttes capable de mettre une sorte de limite à Milei, il est probable qu'à un moment on aura une lutte témoin. Il faut générer les conditions pour que de telles luttes ne soient pas mises en échec.
Actuellement, on insiste sur comment éviter une défaite catastrophique pour la classe ouvrière, qui lui coûterait une génération pour se remettre debout. Il n'y a pas de formule magique, mais il y a des choses à apprendre des expériences. Les moments de grande offensive des classes dominantes font surgir un outil issu de la tradition marxiste révolutionnaire, discuté lors des congrès de la IIIe et IVe Internationale : le front unique ouvrier. Il s'agit de générer des alliances défensives avec toutes les forces de la classe ouvrière, des secteurs populaires, contre l'ennemi principal. Ce type d'alliance, où « on marche séparément mais on frappe ensemble », doit être opposé à la collaboration de classe ou la subordination à la bourgeoisie – parce qu'il y a toujours l'autre stratégie possible, la tentation de trouver refuge auprès de la bourgeoisie démocratique. C'est la différence entre front unique et Front populaire. Cependant, la frontière entre les deux est un peu brumeuse parce que le réformisme est un pont vers la collaboration de classe. Il y a donc une bataille politique à mener dans laquelle il convient de ne pas avoir de stratégies trop propagandistes.
Dans les années 1930, Trotski s'est opposé au Front populaire, mais il n'a jamais songé appeler à voter blanc ou à s'abstenir en 1936 au moment du Front populaire espagnol. La même année, il a critiqué l'Independent Labor Party, qui n'a pas appelé à voter pour les travaillistes contre les conservateurs, même pas contre les fascistes !
Il est important de générer des cadres unitaires défensifs, qui permettent de résister avec le plus de force possible à l'offensive du gouvernement, tenter tout ce qu'on peut pour que les luttes ne soient pas fragmentées. Il y a un risque sérieux que Milei attaque la classe ouvrière segment par segment et que les luttes soient ainsi mises en échec. Et la lutte ne peut pas être seulement sociale, elle doit nécessairement être aussi politique.
Les organisations politiques dominantes des vingt dernières années sont en fin de cycle. C'est le cas pour le kirchnerisme, c'est le cas pour le Frente de Izquierda y de los Trabajadores, la frange la plus à gauche. Ça ne veut pas dire que ces acteurs disparaissent. Mais je suis de ceux qui pensent qu'il faut construire un outil politique de gauche radicale, unitaire, différent de ce qu'on a eu dans la dernière période, ayant un rôle important dans la résistance contre l'extrême droite.
Comment tu caractérises la politique des forces de gauche les plus importantes ?
J'ai écrit quelques textes en polémique avec la politique de la majorité du FIT, c'est à dire du PO, du PTS et du MST. La quatrième force du FIT, Izquierda Socialista, a eu une politique différente et ça ne me paraît pas anodin que le principal dirigeant syndical du FIT ait aussi été le leader d'une politique alternative, lui qui est au contact avec les classes travailleuses. La politique de la majorité de la coalition des partis de la gauche radicale a été d'appeler à voter blanc. Une politique de neutralité alors qu'il y avait une grande bataille à mener et que la priorité pour n'importe quel militant de gauche ou du mouvement social était d'éviter un gouvernement d'extrême droite ! Au second tour, le FIT a maintenu une équidistance, restant neutre, n'appelant pas franchement à voter blanc, mais n'appelant pas à voter contre l'extrême droite.
Il y a eu une série d'arguments avancés, selon moi tous erronés. Le premier a consisté à dire que puisque Milei n'était pas fasciste, il n'était pas nécessaire de sortir le « manuel du Front unique ». Parmi la série de variantes de politiques autoritaires que peut mener la classe dominante, il n'y a pas que l'option du fascisme. Face à toutes ces variantes, il faut opposer une politique défensive unitaire large. Le fait que ce ne soit pas du fascisme ne signifie pas que l'hypothèse d'une défaite catastrophique pour la classe ouvrière n'est pas sur la table.
Le second argument, extravagant selon moi et assez impropre à la tradition marxiste était : « les choses se résolvent dans les rues et pas dans les urnes ». Le FIT dit « votons blanc, parce que les urnes, ce n'est pas important ». C'est presque ridicule de dire que celui qui accède au gouvernement n'a pas d'impact sur la lutte de classes. Est-ce que cela ne génère pas des conditions plus ou moins favorables ?
Et le troisième argument, c'est l'idée que Milei n'aurait pas de soutien, ce fantasme selon lequel, du fait de la mobilisation ouvrière ou du rejet des classes dominantes, Milei sera un gouvernement de court terme.
Je crois que le FIT a commis une erreur stratégique grave dont il faut voir si le coût politique sera significatif. Il y a eu un grand mouvement social dans les dernières semaines de campagne, vraiment autogestionnaire, où les gens essayaient de convaincre autour d'eux, dans la rue, les abstentionnistes ou les électeurs de Milei. Le FIT est resté complètement extérieur à cette mobilisation.
Quels secteurs seront attaqués ?
Tout indique que ce seront les fonctionnaires, les travailleurs d'État, parce qu'une particularité de l'ascension de l'extrême droite par rapport à celles de Trump, Bolsonaro et consorts, c'est une situation économique extrêmement fragile et une grande crise inflationniste. En 1992, un an après l'hyperinflation en Argentine, Perry Anderson parlait d'une équivalence fonctionnelle entre la dictature militaire, qui fonctionne par la terreur, et le moyen non coercitif que constitue l'hyperinflation, qui génère une crise aiguë des liens sociaux. Une avalanche de privatisations changerait complètement le fonctionnement de l'État : par exemple la privatisation d'YPF (la première entreprise du pétrole et de l'énergie), mais aussi celle des médias encore publics.
Le second objectif possible est l'attaque contre le mouvement ouvrier organisé, les travailleurs de secteurs bénéficiant d'accords issus de la période antérieure. Il faudra voir comment répondent, non seulement la classe ouvrière, mais les bureaucraties syndicales.
L'autre facteur clé, c'est le mouvement piquetero, ces travailleurs sans emploi auto-organisés. Ils ne sont plus salariés, sont plus dans l'informels, c'est un univers sociologique hétérogène. La théorie selon laquelle, sans collectifs de travail et sans rapport entre ouvriers, on ne peut pas s'organiser, ne fonctionne pas en Argentine : il y a une auto-organisation des « pauvres en mouvement ». Je crois que ça va être une cible de Milei.
Ma sensation est qu'il ne va pas vouloir superposer les mesures drastiques du « plan de stabilisation » de la situation économique, qui vont générer très rapidement un choc avec ses bases, tout en menant conjointement l'attaque contre le mouvement piquetero. Mais après vingt ans de mobilisation piquetera, les blocages d'accès et les filtrages d'axes routiers ont fait naitre une certaine fatigue sociale. Le gouvernement va essayer de l'instrumentaliser.
Le gouvernement Milei tentera aussi d'avancer son agenda conservateur contre les droits LGBT et l'avortement.
Face à ces tâches, quelles sont les priorités de Poder popular ?
Il ne faut pas analyser la situation comme une alternance routinière. C'est une étape nouvelle, avec des risques nouveaux.
Le premier pas à franchir est d'impulser dans les luttes la construction de cadres unitaires les plus larges possibles et les doter du programme le plus radical possible, en tenant compte de la situation défensive, mais sans se limiter au programme de la bureaucratie syndicale ou des secteurs proches d'une politique de conciliation avec le gouvernement.
En même temps, il faut construire une alternative politique, qui n'existe pas à l'heure actuelle. Les luttes sociales et politiques pourraient se renforcer mutuellement au travers de cet instrument. L'usure des mouvements sociaux après une période intense de luttes, et le réveil que peut provoquer la victoire de Milei, peuvent se conjuguer pour faire de ce moment celui la lutte contre l'extrême droite, au travers d'une lutte politique, d'une organisation politique commune, en cohérence avec cet objectif.
En tenant compte du fait que les deux principales forces politiques des vingt dernières années ont été mises en échec : avec leur politique néolibérale, elles n'ont pas du tout fait barrière à l'ultradroite. Le péronisme a participé à labourer le terrain sur lequel l'extrême droite germe et pousse. Ce n'est pas un bloc contre le fascisme, il a au contraire alimenté le monstre, y compris en soutenant la campagne et la candidature Milei au départ, lorsque cette tactique lui semblait parfaite pour diviser le vote de droite.
Il en va de même pour le FIT dont la politique abstentionniste, garantissant son auto-marginalisation par rapport au mouvement social démocratique surgi lors des dernières semaines de la campagne, a montré le plafond stratégique.
Je crois qu'il y a une opportunité pour construire un mouvement politique avec d'autres caractéristiques, avec le programme le plus radical possible pour les masses dans la période actuelle.
Mais tout est très brumeux. Par exemple, comment va évoluer la crise du péronisme ? Saura-t-il intégrer les secteurs en colère contre les politiques passées ? Cela pourrait ouvrir une fenêtre pour un phénomène de radicalisation avec lequel il faudrait dialoguer. Est-ce qu'une autre force va sortir des luttes ? Est-ce qu'on va assister à une fragmentation nouvelle, ou est-ce que des secteurs, jusqu'alors inactifs ou démobilisés, vont construire des luttes et des initiatives sociales et politiques alternatives ? Peut-il y avoir un débouché positif à l'aventurisme fou du FIT au second tour ? C'est possible, les grandes erreurs, si l'on tire des bilans corrects, peuvent donner lieu à des évolutions positives. D'ailleurs, certains secteurs du FIT commencent à évoluer positivement en s'écartant de la ligne majoritaire.
À ce stade, tout reste ouvert, dans ce panorama de transition d'une fin de cycle vers le cycle politique qui s'ouvre.
Il s'agit de savoir si l'on est face aux conditions d'une défaite majeure, catastrophique pour le mouvement ouvrier, dont la classe ouvrière mettra du temps à se relever. La classe travailleuse Argentine a une tradition d'insubordination. En 2001, il y a eu alors une dynamique face aux politiques d'ajustements et de contre-réformes menées par les classes dominantes. Ce que le gouvernement Milei met en jeu, c'est ce type de choses et il faut que l'on travaille pour y faire face. n
Le 23 novembre 2023
Publié par Inprecor
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Panama, le peuple contre une transnationale d’exploitation minière

Après plus d'un mois de manifestations de masse sur tout le territoire, le peuple panaméen a réussi à obtenir de la Cour suprême de justice (CSJ) qu'elle déclare inconstitutionnelle la loi 460, du 20 octobre dernier, qui accordait de nombreux avantages à Minera Panama, une filiale de la société canadienne First Quantum Minerals, en plus de prolonger ses opérations pour 20 ans.
9 décembre 2023 | tiré du site rebelion.org
https://rebelion.org/panama-el-pueblo-contra-la-transnacional/
Il est indéniable que les citoyens de l'isthme ont été les protagonistes de l'une des plus grandes luttes pour la souveraineté ces derniers temps, face aux défis que représentent le pillage de leurs richesses minières et la dégradation de l'environnement national.
Cette histoire s'est amorcée par une réforme de la Constitution de 1972. à la fin des années 1990, ce qui a ouvert les portes à la sociétés transnationale pour l'extraction de l'or, du cuivre et d'autres métaux. First Quantum se démarque par les minéraux exploités dans un gisement de cuivre dans le nord de la province de Colón, situé près d'une zone protégée dans la forêt de La Amistad.
Les deux sites font partie du corridor biologique mésoaméricain. une étape naturelle qui s'étend sur huit pays dont les gouvernements se sont engagés à protéger et à faciliter le transit des espèces tropicales.
Déjà en 2017, la CSJ avait déclaré inconstitutionnel le premier contrat avec la société minière signé en 1997 sous le gouvernement d'Ernesto Pérez Balladares, lorsqu'il avait été constaté qu'il avait été signé sans la médiation du processus d'appel d'offres et dans des conditions désavantageuses pour l'État, y compris le paiement de redevances équivalentes à seulement 2% des bénéfices.
Le portail spécialisé dans le journalisme environnemental Mongabay a rapporté qu'au cours des quatre dernières années, la transnationale a exporté 4 900 millions de tonnes de concentré de cuivre extrait par Minera Panama vers la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l'Allemagne et l'Espagne.
Au cours des six premiers mois de 2023, selon un Le document financier de First Quantum, Minera Panamá a réalisé un chiffre d'affaires de 2,33 milliards de dollars, soit 42 % de ses revenus au niveau mondial. De plus, il est parvenu à un accord avec l'État pour annuler uniquement les compensations sans payer de redevances plus élevées.
Face à de telles anomalies, aux manifestations populaires massives contre le contrat léonin et à la déclaration d'inconstitutionnalité de la CSJ, le président Laurentino Cortizo a été contraint d'approuver la fermeture de la mine à ciel ouvert.
Le ministre du Commerce et de l'Industrie, Federico Boyd, qui était chargé de négocier le contrat minier, a démissionné le 30 novembre, mais avant cela, pour tenter d'expliquer son implication dans les négociations, il a déclaré que la décision de justice « pourrait entraîner de graves conséquences telles que des pertes d'emplois, des arbitrages internationaux, une baisse des investissements a-t-il averti.
Il est vrai que pour le Panama, il y aura des pertes d'emplois et une réduction de son produit intérieur brut (PIB), bien que les écologistes affirment que cette activité nuit gravement à l'environnement et que « le Panama est meilleur sans exploitation minière ».
D'autre part, les actions de First Quantum ont chuté de 5 % avec une perte estimée à plus de 10 milliards de dollars canadiens (0,7 milliards de dollars américains) en valeur marchande.
Comme on pouvait s'y attendre, l'entreprise canadienne s'est tournée vers les tribunaux internationaux pour régler le différend dans le cadre d'un processus d'arbitrage qui pourrait s'éterniser pendant des années et entraîner des coûts élevés pour les parties.
Les opérations de First Quantum sont évaluées à 10 milliards de dollars, produisant 0,1 % de l'offre mondiale de cuivre dans des gisements avec des réserves équivalentes à plus de 5 milliards de dollars aux prix actuels.
La transnationale pourrait exiger une compensation de 50 000 millions de dollars et, selon l'accord, l'arbitrage aura lieu à Miami, qui conspire contre le gouvernement panaméen en raison de la tradition extrêmement capitaliste de cette ville américaine.
Plusieurs entreprises canadiennes ont des activités minières en Amérique latine (Mexique, Pérou, Chili et Argentine) d'où elles extraient du zinc, du cuivre, du lithium, du plomb, de l'argent et de l'or. Des spécialistes comme Michael Reckordt, de l'ONG allemande Powershift, affirment que la somme d'argent qu'elles possèdent donne aux entreprises étrangères une grande marge de manœuvre pour la corruption ou d'autres moyens d'atteindre leurs objectifs.
Depuis quelques années, les protestations en Amérique latine contre l'extraction des matières premières et les impacts environnementaux se multiplient. L'Observatoire des conflits miniers en Amérique latine (OCMAL) recense actuellement 364 procès concernant les impacts de l'exploitation minière dans la région.
Rien qu'au premier semestre 2023, le Le Transnational Institute (TNI), basé à Amsterdam, a découvert 18 nouvelles poursuites intentées par de grandes entreprises nord-américaines et européennes contre États d'Amérique latine et des Caraïbes. Le TNI a souligné qu'il s'agit de l'une des régions du monde qui ressentent le plus l'impact du régime d'arbitrage dans les accords commerciaux internationaux.
C'est en grande partie la faute des gouvernements néolibéraux qui ont cédé les ressources naturelles de leurs peuples en échange de l'enrichissement de quelques-uns. Les masses panaméennes ont montré qu'unies, elles peuvent vaincre ces infâmes politiques de pillage.
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Grèce : 1973-2023, la révolte des étudiantEs de Polytechnique « n’ira pas au musée » !

Le 17 novembre 1973, un tank de la junte des colonels abattait la grille d'entrée de l'université Polytechnique à Athènes, écrasant les étudiantEs mobiliséEs en masse et donnant le signal d'un massacre dans et autour de la fac.
Hebdo L'Anticapitaliste - 684 (23/11/2023)
Par A. Sartzekis
Crédit Photo
DR
Un an plus tard, la junte soutenue par les États-Unis tombait et depuis, chaque année, des mobilisations massives célèbrent cette révolte. Ces dernières années, la droite à laquelle participent d'anciens suppôts de la junte, tente de salir et faire oublier cet acte historique, dont le caractère, comme le souligne dans EF Syn le journaliste antifasciste Dimitris Psarras, est « une révolte liant l'explosion spontanée de la jeunesse avec l'action organisée de groupes de la gauche contre la dictature ».
« Éducation, pain, liberté »
Aujourd'hui encore, c'est là l'une des plus grandes peurs de la droite au pouvoir, car le mot d'ordre d'alors « Éducation, pain, liberté » reste plus actuel que jamais : dans les manifs cette année, les jeunes dénonçaient les mesures de privatisation et d'exclusion dans l'éducation, la politique de misère et de chômage. Ils dénonçaient aussi une répression violente des policiers de Mitsotakis, non seulement contre les mobilisations (par exemple, avec la destruction de la place Exárcheia, symbole de résistance), mais aussi contre la jeunesse en général. Cette semaine, les policiers ont de nouveau tué un jeune Rom et tabassé plusieurs jeunes.
Tous ces faits renforcent la colère des jeunes contre ce pouvoir très mal élu (un électeur sur cinq) et qui tente de faire croire le contraire pour imposer ses sales mesures. D'où l'importance du 17 novembre cette année, préparé en ce cinquantenaire par plusieurs meetings pour débattre du lien entre 1973 et 2023. Et, le 17, ont donc eu lieu dans le pays de nombreuses manifs, avec dans les principaux mots d'ordre des slogans antifascistes et anti-répression, et comme toujours une dynamique anti-impérialiste qui, cette année, a pris la couleur d'un soutien massif au peuple palestinien, notamment sur les banderoles et par le port de centaines de drapeaux palestiniens.
Mouvement social dynamique et absence de perspective crédible à gauche
À Athènes, la manif, formée de cortèges étudiants, de la gauche radicale et révolutionnaire et du KKE (PC grec), et forte de 30 000 personnes, est allée jusque devant l'ambassade américaine, une bonne partie continuant en direction de l'ambassade d'Israël. En tête de cortège, derrière un immense drapeau palestinien, les étudiantEs de Polytechnique et parmi eux, plusieurs soldats en uniforme, pour rappeler l'importance de résister à l'embrigadement. À Salonique, à Patras, les cortèges étaient massifs et partout avec ce caractère anti-impérialiste, forcément tournés contre la politique des États-Unis en raison de l'histoire locale et du soutien américain à Nétanyahou. Manque pourtant une dénonciation de l'impérialisme russe, de sa terrible guerre d'agression contre le peuple ukrainien et de son sale rôle en particulier dans le soutien à peine déguisé à des mouvements fascistes. Cela renvoie à l'histoire de la gauche grecque, marquée par le stalinisme et le campisme, mais aussi, dans la période, par une désorientation et un sectarisme très forts, certains se réjouissant ainsi de l'éclatement de Syriza (avec un « chef » sans aucune référence de gauche et grand inquisiteur) qui vient se rajouter au paysage très dispersé de la gauche grecque. En ce sens, ce 17 novembre illustre le paradoxe d'un mouvement social très dynamique et d'une absence de perspective crédible à gauche qui rend très urgentes des initiatives de dialogue et de recomposition.
Athènes, le 18 novembre 2023
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Allemagne : Die Linke en ordre de bataille malgré la scission Wagenknecht

Le parti de gauche, qui a lancé sa campagne des européennes avec à sa tête Carola Rackete, la capitaine courage du Sea-Watch 3, entend revenir rapidement sur tous les fronts de classe, de l'immigration au social en passant par l'écologie. Lors de son congrès d'Augsbourg, le week-end dernier, le parti Die Linke semble être parvenu à rassembler ses forces pour initier « un nouveau départ » en dépit du terrible coup porté par l'annonce de la scission et de la création d'un nouveau parti par Sahra Wagenknecht.
21 novembre 2023 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article68879
À Augsbourg, le parti a entériné le lancement de sa campagne des élections européennes de juin, ratifiant un programme et une liste de candidats sous la double conduite de son coprésident Martin Schirdewan et de Carola Rackete (sans parti), militante du droit des réfugiés, qui s'est fait connaître, en 2019, comme la capitaine courage du Sea-Watch 3.
Après des semaines d'errances contraintes en pleine mer, la jeune femme avait, on s'en souvient, donné l'ordre de débarquer à Lampedusa pour qu'y soient accueillis des migrants malades et à bout de forces, en dépit des injonctions de Matteo Salvini, ministre de l'Intérieur de la Lega (extrême droite) au sein du gouvernement de l'époque.
Die Linke veut se relever du départ de Wagenknecht
Ce choix européen illustre le gouffre qui sépare désormais Die Linke de l'Alliance de Sahra Wagenknecht (BSW), l'association fédérale qui doit évoluer en nouveau parti politique d'ici début 2024. La limitation de l'immigration constitue en effet l'un des thèmes favoris de l'égérie des plateaux télé et ex-dirigeante de Die linke, dont l'objectif déclaré est de ramener dans son giron une partie de l'électorat populaire, « celui qui s'abstient ou se laisse séduire » par une AfD (extrême droite) en pleine ascension, à plus de 20 %, un niveau record dans les sondages. Die Linke entend répondre au « besoin d'un parti de classe en Allemagne », avec d'autant plus de force, relève Martin Schirdewan, qu'au même moment l'ensemble du spectre politique allemand « se laisse tirer vers la droite ».
Le défi est redoutable car Sahra Wagenknecht a entraîné derrière elle une dizaine de députés. Ce qui sonne le glas d'un groupe parlementaire Die Linke, privant la formation de moyens et de relais de communication. Le parti présente l'année 2024 comme un nouveau tremplin vers un retour sur les fronts du social, de l'écologie et des droits des femmes avec en point de mire les législatives de 2025.
Si le parti Die Linke a dû déplorer une série de départs depuis l'annonce de Sahra Wagenknecht, il enregistre, au même moment, un afflux plus important de nouveaux membres, en particulier parmi les jeunes. Mieux, des personnalités de premier plan, qui lui avaient tourné le dos à cause des dérapages populistes de Sahra Wagenknecht, annoncent aujourd'hui leur retour. Comme Ulrich Schneider, président d'une très influente confédération d'associations humanitaires.
Un sondage Kantar, réalisé pour la Fondation Rosa-Luxemburg, place à 15 % le potentiel électoral de Die Linke, trois points au-dessus de celui de l'Alliance BSW de Sahra Wagenknecht. Surtout, l'enquête montre que le transfert d'électeurs de Die Linke vers BSW ne serait pas ou peu significatif, quand 29 % des sympathisants de l'AfD (extrême droite) et 21 % de ceux du FDP (droite libérale) disent qu'ils pourraient se laisser tenter par un vote Wagenknecht. Bertolt Brecht, qui est né dans la ville d'Augsbourg, lança un jour cette formule : « Celui qui combat peut perdre. Mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » Dans la grande cité bavaroise, Die Linke a décidé de se battre.
P.-S.
• L'Humanité. Mise à jour le 21.11.23 à 18:29 :
https://www.humanite.fr/monde/allemagne/allemagne-die-linke-en-ordre-de-bataille-pour-son-congres-malgre-la-scission-de-sahra-wagenknecht
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