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Conseil de sécurité de l’ONU : les véritables raisons de la résolution états-unienne pour un cessez-le-feu à Gaza

Pour la première fois, Washington parle de cessez-le-feu immédiat dans un projet de résolution, qui doit être examiné vendredi 22 mars par le Conseil de sécurité de l'ONU. Joe (…)

Pour la première fois, Washington parle de cessez-le-feu immédiat dans un projet de résolution, qui doit être examiné vendredi 22 mars par le Conseil de sécurité de l'ONU. Joe Biden, en difficulté en cette année électorale, espère faire illusion.

Tiré de l'Humanité

Pierre Barbancey <https://www.humanite.fr/auteurs/pie...> , L'Humanité, France. Mise à jour le vendredi 22 mars 2024 à 11h57

www.humanite.fr/monde/guerre-israel-hamas/conseil-de-securite-de-lonu-les-veritables-raisons-de-la-resolution-etats-unienne-pour-un-cessez-le-feu-a-gaza <http://www.humanite.fr/monde/guerre...>

Pour son sixième déplacement au Proche-Orient depuis le 7 octobre, Antony Blinken, le secrétaire d'État américain (1), n'est pas venu les mains vides et sa façon de procéder montre quelles sont les préoccupations de Washington. Mercredi soir, en marge d'une visite en Arabie saoudite consacrée à la guerre menée par Israël contre la bande de Gaza, il a accordé un entretien au média saoudien Al Hadath dans lequel il annonce : « Nous avons en fait soumis une résolution qui est, à présent, devant le Conseil de sécurité (de l'ONU – NDLR), qui appelle à un cessez-le-feu immédiat lié à la libération des otages, et nous espérons vivement que les pays la soutiendront. » Il a ajouté espérer que cette initiative envoie un « signal fort ». Il est vrai que, jusqu'à présent, Washington a toujours refusé le mot « immédiat ».

*Un soutien trop inconditionnel ?*

Selon la chaîne qatarienne Al Jazeera, qui a obtenu une copie, ce projet de résolution, qui doit être examiné ce vendredi 22 mars, est ainsi rédigé : « Le Conseil de sécurité détermine l'impératif d'un cessez-le-feu immédiat et soutenu pour protéger les civils de toutes les parties, permettre la fourniture d'une aide humanitaire essentielle, et atténuer les souffrances humanitaires (2) et, à cette fin, appuie sans équivoque les efforts diplomatiques internationaux en cours pour obtenir un tel cessez-le-feu dans le cadre de la libération de tous les otages restants. »

À l'évidence, il s'agit d'un changement d'attitude de la part des États-Unis. Antony Blinken continue à marteler « nous nous tenons aux côtés d'Israël et son droit à se défendre », mais précise : « Il est impératif pour les civils, qui sont en danger et qui souffrent si terriblement, que nous nous focalisions sur eux, que nous faisions d'eux une priorité, en les protégeant et en leur procurant une aide humanitaire. »

Un changement de ton perceptible qui ne doit rien au hasard. Comme le relève le Washington Post, ce soutien inconditionnel à Israël (le porte-parole de la Maison-Blanche, John Kirby, avait même expliqué qu'il n'y avait pas de « lignes rouges », c'est-à-dire pas de limites) devient un boulet pour Joe Biden. « Ses alliés reconnaissent en privé que cela lui a causé des dommages importants aux niveaux national et mondial et pourrait facilement devenir son plus grand cataclysme en matière de politique étrangère. »

La stratégie de Biden reposait en fait sur un postulat central : un soutien inconditionnel permettrait d'influencer l'attitude israélienne et donc le cours de la guerre. Las, c'est exactement l'inverse qui s'est produit (3). Biden a dit son inquiétude face à une offensive israélienne sur Rafah (4) si aucun plan ne permettait de protéger les civils. Dimanche, Netanyahou a rétorqué que les « pressions internationales exercées par ceux qui veulent la fin de la guerre sans que les buts ne soient atteints » n'aboutiront pas, que ses troupes entreront dans Rafah et que la guerre se poursuivra « jusqu'à la victoire totale ».

*Des ambitions électorales compromises*

Ce qui revient à défier la puissance américaine au vu et au su du monde entier avec des conséquences géopolitiques certaines, mais également internes, alors que Joe Biden postule pour un nouveau mandat présidentiel en novembre. Dans l'État du Michigan, lors de la primaire démocrate, il a ainsi dû faire face à une fronde de plus d'une centaine de milliers de sympathisants qui se sont abstenus ou ont voté blanc pour protester contre le soutien de la Maison-Blanche à Israël (5).

Par ailleurs, plus du tiers des membres démocrates du Sénat américain ont demandé « à l'administration Biden de rapidement mettre en place et rendre public un plan solide détaillant les mesures nécessaires » à la création d'un État palestinien en Cisjordanie. Cette initiative intervient quelques jours après le discours surprise du chef des sénateurs démocrates au Sénat, Chuck Schumer, appelant à de nouvelles élections en Israël et critiquant ouvertement le gouvernement de Benyamin Netanyahou.

Si Netanyahou s'en prend à Rafah de manière inconséquente, a déclaré le sénateur démocrate Van Hollen, les États-Unis auront l'air « imbécile », rapporte le Washington Post. Le sénateur du Maryland a ajouté : « C'est bien d'entendre des commentaires plus durs de la part du président. Mais la question sera de savoir s'il utilise les leviers dont il dispose pour exiger des comptes et faire respecter ses demandes. »

La proposition de résolution se situe en réalité à mi-chemin. Elle permet à Joe Biden de prétendre agir (6) (y compris vis-à-vis de ses alliés arabes, notamment l'Arabie saoudite indispensable dans le montage régional de normalisation avec Tel- Aviv), tout en laissant les mains libres à Israël, qui bombarde sans discontinuer la bande de Gaza.

Le texte, jugé insuffisant par certains pays notamment parce qu'il n'utilise pas les mots « appelle » ou « demande » à propos du cessez-le-feu, fait l'objet de critiques notamment de la Russie qui pourrait utiliser son véto. Si tel était le cas, la France pourrait déposer sa propre résolution, selon France Info. Une réunion en Égypte serait d'ores et déjà « pré-organisée » pour s'assurer d'obtenir des soutiens.

(...)

(1) www.humanite.fr/monde/anthony-blinken/gaza-blinken-a-tel-aviv-une-treve-est-elle-enfin-possible <http://www.humanite.fr/monde/anthon...>

(2) www.humanite.fr/monde/aide-humanitaire/a-gaza-nous-atteignons-un-niveau-dinsecurite-alimentaire-inedit-alerte-jean-pierre-delomier-de-handicap-international <http://www.humanite.fr/monde/aide-h...>

(3) www.humanite.fr/monde/aide-humanitaire/gaza-lonu-denonce-les-entraves-israeliennes-a-laide-humanitaire <http://www.humanite.fr/monde/aide-h...>

(4) www.humanite.fr/politique/bande-de-gaza/emmanuel-macron-a-mes-yeux-rafah-est-un-point-de-rupture <http://www.humanite.fr/politique/ba...>

(5) www.humanite.fr/monde/etats-unis/les-enseignants-americains-pour-un-cessez-le-feu-a-gaza <http://www.humanite.fr/monde/etats-...>

(6) www.humanite.fr/monde/guerre-israel-hamas/gaza-joe-biden-critique-netanyahou-mais-maintient-son-soutien-a-israel <http://www.humanite.fr/monde/guerre...>

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Risques de normalisation du fascisme à la Trump et les dangers du bannissement de TikTok

26 mars 2024, par Amy Goodman, Mehdi Hasan, Nermeen Shaikh — , ,
D'accord j'ai un problème avec la propriété chinoise de TikTok. Bien sûr que j'aime n'importe qui d'autre. Je ne suis pas fan de la Chine. Mais l'idée que les autres réseaux (…)

D'accord j'ai un problème avec la propriété chinoise de TikTok. Bien sûr que j'aime n'importe qui d'autre. Je ne suis pas fan de la Chine. Mais l'idée que les autres réseaux sociaux sont transparents ou encore, qu'ils font un meilleur travail que lui quant à la modération, allons donc ! Il y a tout juste une semaine, Elon Musk, a annulé le nouveau programme de Don Lemon de sa plateforme, sur Twitter-X parce qu'il lui avait posé quelques questions difficiles.

Mehdi Hasan, Democracy Now, 14 mars 2024,
Traduction, Alexandra Cyr

Amy Goodman : Nous allons commencer notre émission (…) avec le très reconnu et acclamé journaliste de la télévision, Mehdi Hasan. En janvier, il a annoncé sa démission de MSNBC après le retrait de son émission de la programmation. Il était une des voix musulmanes les plus marquantes de la télévision américaine. En octobre, Semafor rapportait que MSNBC avait réduit le rôle de M. Hasan et de deux autres musulmans, Ayman Mohyeldin et Ali Velshi après l'attaque du 7 octobre contre Israël. En novembre le diffuseur annonçait la fin de l'émission de Hasan peu après qu'il ait interviewé Mark Regev, un conseiller du Premier ministre israélien B. Nétanyahou.

Introduction : Le journaliste Mehdi Hasan prévient : la couverture des élections américaine de 2024 ne sera pas capable de rendre compte objectivement du danger que pose Donald Trump et la version moderne du Parti républicain, à la démocratie : « nous devons parler très clairement de cette menace fasciste ». Et il prévient qu'il ne croit pas que l'industrie médiatique soit capable d'empêcher la « normalisation de son extrémisme, son racisme et son fanatisme », parce que, en soi, le droit à une presse libre pourrait être en danger s'il regagne le pouvoir : « un de nos deux grands partis a été complètement radicalisé et fait maintenant le lit des suprémacistes de droite…soyons précis à ce propos ».

Nermeen Shaikh : Mehdi, passons à un autre enjeu qui s'impose cette année soit, les élections américaines. Vous avez déclaré que les médias sont particulièrement incapables de rendre compte correctement (de la campagne) de D. Trump et que c'est un problème majeur. Bien sûr, il est maintenant le candidat désigné. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire exactement par cela et quels sont les effets que cela aura cette année ?

Mehdi Hasan : Ouais ! Bon, voilà une bonne question Nermeen. Je dirais rapidement trois choses. 1- Comme je l'ai dit au point de départ, une des raisons pour lesquelles j'ai créé Zeteo c'est parce que je crois que les États-Unis font face à une menace fasciste. Elle émane du Parti républicain qui avec ses soutiens habituels a maintenant désigné D. Trump son candidat officiel. Nous devons absolument parler très clairement de cette menace fasciste. Nous devons en dire le nom, ne pas tourner autour du pot. Ne pas prétendre qu'il est un candidat « normal », ne pas normaliser son extrémisme, son racisme, son fanatisme et son autoritarisme. Nermeen, ce dont nous sommes témoins en ce moment, après 2020, quand nous avions pu observer une certaine amélioration dans la couverture de D. Trump, j'ai l'impression d'un recul vers 2016 de bien des façons : nous traitions D. Trump donnant un spectacle, bénéficiant des améliorations des cotes supplémentaires (d'audience et de lectorat) qu'il pouvait apporter à l'industrie et en le ménageant dans les entrevues. Récemment il a donné une entrevue ( de ce genre) à CNBC. C'était désagréable à voir. C'est un énorme problème. Donc, c'était le no. 1.

2- Il y a maintenant un enjeu d'accès au journalisme. Beaucoup de journalistes doivent encore avoir des invités.es des deux Partis en onde. L'obligation d'avoir les deux côtés politiques est devenu très frustrant. Les médias doivent vraiment réfléchir avec le plus grand sérieux à la manière de pratiquer le journalisme. Les vielles conventions et normes ne sont plus applicables. Il n'y a pas deux côtés à chaque sujet. Il n'y a pas deux côtés à la négation de l'Holocauste, des changements climatiques et des élections. Il n'y a pas deux aspects à la victoire ou non de J. Biden. Il faut que nous ouvrions les yeux sur ce à quoi nous faisons face et, encore une fois, que nous respections les téléspectateurs.trices et le lectorat et leur dire ce qui se passe ; leur dire que l'un de nos grands Partis est complètement radicalisé, fait le lit des suprémacistes blancs et répands certaines des pires théories conspirationnistes de QAnon. Soyons clairs.es à ce propos.

3- Les dangers, nous sommes déjà dedans selon moi. L'idée que les médias devraient être impartiaux (ne tient pas). Nous devons avoir un parti-pris en faveur de la vérité. Nous devons avoir un parti-pris en faveur de la presse libre parce que la survie des médias est en jeu chez-nous. Si D. Trump gagne les élections, que pensez-vous qui va arriver à la presse libre ? Il ne s'en cache pas ; il a parlé ouvertement de s'en prendre à NBC et MSNBC les accusant de trahison. Ses alliés., comme Kash Patel, ont parlé de poursuivre les médias pour devant les tribunaux criminels et civils. Un autre, Mike Davis, dit que si D. Trump le nomme Attorney General, il va m'enfermer à Guantanamo Bay. C'est ce genre de propos autoritaires que nous sert le Parti républicain. Les médias ne peuvent prétendre que c'est normal ou que ça ne menace pas nos libertés.

Amy Goodman : Pour finir, je voulais vous demander (ce que vous pensez) du projet de loi qui bannirait TikTok ? Adopté à la Chambre, il doit maintenant être voté au Sénat. Mais je voulais vous interroger sur un de ses aspects particuliers. Les militants.es en faveur des droits des Palestiniens.nes disent que la guerre d'Israël contre Gaza a enflammé les sentiments des conservateurs.trices et des élus.es centristes contre TikTok. Dans un enregistrement audio, dévoilé par une fuite après le 7 octobre, on peut entendre Jonathan Greenblatt qui dirige la Anti-Defamation League, dire : « Nous avons un problème avec TikTok ». Il fait référence à la baisse du soutien à Israël par la jeune population. Le groupe progressiste RootsAction a aussi noté que l'American Israel Public Afffairs Commitee (AIPAC) est le principal donateur du membre de la Chambre, Mike Gallagher, qui a parrainé le projet de loi pour le bannissement de TikTok. Et cela survient après que D. Trump se soit démentit. Il a changé de position la semaine dernière en s'opposant au projet de loi après avoir rencontré récemment le multimillionnaire très grand donateur au Parti républicain, Jeff Yass. Sa compagnie détient 15% des actions de ByteDance (la maison mère de TikTok. N.d.t.). Il est aussi intéressant de mentionner qu'il est un donateur important à des groupes de réflexion israéliens. Mehdi, que pensez-vous de tout cela ?

M.H. : Premièrement, Donald Trump ne croit à rien d'autre qu'à lui-même. Donc, il devrait vraiment soutenir ce projet de loi. Il va dans le sens de ses positions contre la Chine. Mais il ne le fait pas parce qu'il se peut qu'il fasse de l'argent de cette manière. Donc, ce n'est qu'un rappel de ce que D. Trump ne croit qu'en lui seul.

Quant à TikTok, c'est un vrai problème. D'une part, nous l'avons dit, il y a les reportages édulcorés des grands médias (sur la guerre à Gaza) mais en même temps il y TikTok qui montre à la jeunesse exactement ce qui se passe, la barbarie, la brutalité, les tueries de masse, la faim, les crimes de guerre et bien sûr, c'est un réel problème pour la machine de relations publiques israélienne et pour les factions pro israéliennes aux États-Unis.

Et c'est assez ironique d'entendre dire : « Oh ! Ça n'a rien à voir avec Israël, ça a à voir avec la Chine. Ça concerne nos connaissances à propos de cette compagnie ». Voyons ! D'accord j'ai un problème avec la propriété chinoise de TikTok. Bien sûr que j'aime n'importe qui d'autre. Je ne suis pas fan de la Chine. Mais l'idée que les autres réseaux sociaux sont transparents ou encore, qu'ils font un meilleur travail que lui quant à la modération, allons donc ! Il y a tout juste une semaine, Elon Musk, a annulé le nouveau programme de Don Lemon de sa plateforme, sur Twitter-X parce qu'il lui avait posé quelques questions difficiles. (…) C'est le genre de pouvoir qu'exercent les grandes entreprises de technologie américaines et leurs multimillionnaires qui sont capables de contrôler le discours public. C'est mentir complètement que de dire qu'avoir à faire avec TikTok va nous aider à mettre à mal la désinformation ou l'extrémisme.

A.G : Mehdi Hasan, merci d'avoir été avec nous.

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La Chine et l’Occident : vers une confrontation dure

26 mars 2024, par Pierre-Antoine Donnet — , ,
Les deux assemblées parlementaires chinoises ont conclu leurs travaux le 11 mars à Pékin sur une note martiale, qui semble bien confirmer le fait que la Chine et l'Occident se (…)

Les deux assemblées parlementaires chinoises ont conclu leurs travaux le 11 mars à Pékin sur une note martiale, qui semble bien confirmer le fait que la Chine et l'Occident se dirigent à grands pas vers une confrontation idéologique dure. Son principal danger : qu'elle dégénère en conflit militaire, comme l'estiment nombre d'analystes.

Tiré de Asialyst
17 mars 2024

Pierre-Antoine Donnet

Le président chinois Xi Jinping et son homologue américain Joe Biden, lors d'une rencontre en marge du G20 à Bali, le 14 novembre 2022. (Source : Euronews)

Les motifs de querelles entre le régime communiste chinois et ses partenaires occidentaux n'ont cessé de s'amplifier et de se multiplier ces deux dernières années. Les griefs nourris à Pékin prennent l'allure de menaces de moins en moins voilées. Dans le contexte de l'agression russe contre l'Ukraine, Pékin prend aujourd'hui sans se cacher le parti de Moscou.

Les autorités chinoises avaient un temps préféré afficher une neutralité active dans le conflit en Ukraine. Elles n'avaient certes jamais condamné les « opérations spéciales » entamées par le dictateur russe Vladimir Poutine mais elles avaient pris soin de certifier que Pékin ne livrerait jamais d'armes létales à l'armée russe. Aujourd'hui, cette prudence n'est plus de mise. Si aucune preuve irréfutable n'existe pour identifier des livraisons d'armes chinoises à la Russie en guerre contre l'Ukraine depuis le 24 février 2022, plus personne ne doute que de grandes quantités d'armes sont livrées à l'armée russe par la Corée du Nord et l'Iran, deux proches alliés de Pékin.

Clairement, la Chine de Xi Jinping a donc choisi son camp : celui de la Russie. Elle espère qu'au bout du compte, Moscou gagnera cette guerre d'usure sanglante et brutale contre l'Ukraine car elle est aussi livrée contre l'Occident tout entier. Nombreux sont les signes de préparatifs menés au sein de l'Armée populaire de libération en vue d'une guerre dont le maître de la Chine avertit qu'elle est peut-être déjà inéluctable. « Le Parti communiste chinois accélère les préparatifs pour la grande confrontation à venir avec l'Amérique », écrit le 13 mars Luc de Barochez, éditorialiste au magazine Le Point. Or une confrontation avec l'Amérique ne manquerait pas de concerner, à des degrés divers certes, l'ensemble de l'Occident, y compris bien sûr le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et l'Inde.

L'ère de l'ouverture de la Chine sur le monde initiée en 1978 par Deng Xiaoping est désormais reléguée aux oubliettes et, avec elle, les réformes économiques. Car la priorité des priorités est la stabilité politique, l'obsession de Xi Jinping. Conséquence, le régime se durcit et ferme progressivement le pays aux influences étrangères. Alors que la Chine traverse une crise économique inédite depuis quarante ans, l'appareil communiste sait pertinemment que les investisseurs étrangers fuient le pays et ne sont pas prêts de revenir, douchés qu'ils sont par l'espionnite généralisée introduite sous la férule de Xi Jinping. Il sait aussi combien sont élevés les risques de troubles sociaux, conséquence là aussi d'un fort ralentissement de la croissance économique, elle-même due à la gestion catastrophique de la pandémie de Covid-19 et de la priorité donnée aujourd'hui à la politique et à l'idéologie.

Preuve s'il en est de ce durcissement : cette année, pour la première fois depuis des décennies, le Premier ministre, en l'occurrence Li Qiang, a été privé du droit de donner la traditionnelle conférence de presse à la fin de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire, le simulacre de parlement aux ordres du pouvoir. Or ce rendez-vous était depuis plus de trente ans la seule occasion pour un dirigeant chinois premier plan de se prêter au jeu des questions-réponses avec les journalistes sur la situation de l'économie. Certes, celle-ci est en si piètre état que les questions de la presse étrangères auraient forcément été gênantes. Mais les réponses auraient peut-être permis de rassurer tant bien que mal les marchés étrangers.

La vraie raison est à trouver dans le règne monarchique exercé par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en 2012. Non seulement il s'est arrogé tous les pouvoirs, mais il ne tolère plus aucune critique au sein d'un régime ultra-autoritaire qui, de ce fait, est devenu depuis des années une dictature. Il prend désormais l'allure d'un régime sur la pente glissante du fascisme.

« Xi Jinping est un homme profondément affaibli. »

Rappelons-le : l'état de l'économie chinoise est catastrophique sinon même chaotique avec une croissance en berne qui, selon les projections officielles, ne dépassera pas les 5 % en 2024, un plancher lui-même inédit que les experts estiment largement surestimé. Les investissements directs étrangers sont en chute libre : -80 % en 2023, une dégringolade sans précédent depuis 1978. La démographie, elle aussi, dévisse de façon vertigineuse. La Chine n'est plus depuis avril 2023 le pays le plus peuplé du monde, coiffée au poteau par l'Inde. La crise immobilière, quant à elle, n'en finit pas de se creuser, laissant derrière elle une ardoise colossale qui n'est que la partie émergée de l'iceberg puisque l'endettement de l'État et des provinces atteint des sommets sans précédents dans l'histoire de la Chine contemporaine. Ajoutons à ce tableau déjà bien sombre un appareil politico-administratif sclérosé où bien rares sont ceux qui osent encore prendre des initiatives, de peur d'un retour de bâton d'une hiérarchie plus que jamais tatillonne et arc-boutée sur les directives du Parti.

La situation générale fait penser à celle de la fin de la Révolution culturelle, à la mort de Mao Zedong en 1976 : celle d'une Chine isolée du monde extérieur dont la population a perdu ses repères et surtout sa confiance dans le régime, et se met donc à douter de son avenir. « Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation de grandes tensions géopolitiques, remarquait un ancien ambassadeur en Chine, à l'occasion d'une réunion récente de journalistes français spécialisés sur la Chine. Nous sommes à un moment difficile, délicat car Xi Jinping ne représente pas toute la Chine. »

« Le dialogue est nécessaire puisque la Chine n'a visiblement aucun intérêt à ce que les conflits [en Ukraine et entre Israël et le Hamas à Gaza] cessent », souligne de son côté Emmanuel Lincot, historien et expert de la Chine contemporaine. En raison des défis auxquels le pays est confronté, le risque est donc la surenchère et la fuite en avant. L'ambition de Xi Jinping demeure la même depuis longtemps : faire en sorte que la Chine devienne le leader dans le monde pour remplacer les États-Unis. « Ceci passe implacablement par l'annihilation de la pax americana », ajoute l'ancien ambassadeur. Or cet objectif a pour contexte « qu'en Chine même, il y a un tas de gens qui ne sont pas d'accord avec la vision [de Xi Jinping] uniquement tournée vers une domination suprême », explique encore ce sinologue averti. « Xi Jinping est un homme profondément affaibli » comme en témoigne les purges à répétition au sein de l'appareil du Parti ainsi que dans les rangs de l'armée, insiste encore Emmanuel Lincot, l'ancien ambassadeur comparant Xi Jinping « au grand empereur Qianlong » (1735-1796) de la dynastie Qing, dans la mesure où comme lui, le président chinois n'a cure de ce que pensent ou veulent de la Chine les Occidentaux.

L'obsession du régime communiste chinois est, depuis son arrivée au pouvoir en 1949 et même depuis sa fondation en 1921, la survie du Parti coûte que coûte. C'est une des raisons pour lesquelles Xi Jinping a trouvé en Vladimir Poutine un allié précieux. Lors d'une visite à Pékin en avril 2022, à quelques semaines de l'entrée en guerre de la Russie en Ukraine, le dictateur russe et son homologue chinois avaient déclaré que la coopération entre leurs deux pays était désormais « sans limites ». « Ce que veux la Chine c'est un nouveau Yalta ainsi qu'un nouveau système de sécurité européen », relève l'ancien ambassadeur pour qui la Russie est dès lors devenue d'autant plus nécessaire à la propre survie du régime chinois.

Vidéos devant Zhongnanhai

Plusieurs « incidents », évidemment passés sous silence dans la presse officielle et rapidement censurés sur les réseaux sociaux chinois étroitement surveillés, témoignent de la grogne sinon même de la colère qui semble grimper au sein de la population chinoise. Ainsi, une vidéo a montré une voiture de couleur noire qui a enfoncé la porte principale de Zhongnanhai, le cœur du pouvoir à Pékin. Ce qui a provoqué une explosion et un début d'incendie rapidement maîtrisé aux premières heures du 10 mars, à quelques centaines de mètres seulement du Palais du peuple où se déroulaient les travaux des deux assemblées parlementaires, l'Assemblée Nationale Populaire (ANP) et la Conférence consultative politique du Peuple chinois (CCPPC). Son conducteur a ensuite été extrait sans ménagement de la voiture par de nombreux agents de sécurité et emmené loin de la scène. Les images de cette vidéo ont été diffusées par l'Agence centrale de presse taïwanaise (CNA). La vidéo montre ce véhicule roulant à vive allure dans la nuit vers l'Ouest sur l'immense avenue Changan qui traverse Pékin d'Est en Ouest, passant devant la place Tiananmen pendant la nuit, avant de percuter violemment la porte de Zhongnanhai. Selon CNA, la voiture portait une plaque d'immatriculation de Pékin.

De nombreuses questions se posent. Comment ce véhicule a-t-il pu emprunter la rue puis le trottoir de l'avenue Changan, qui était alors barricadée du fait des travaux parlementaires en cours, et se diriger directement vers la porte Xinhua ? De plus, pendant les « deux Assemblées », Pékin est placé sous très haute sécurité, tout particulièrement autour de Zhongnanhai. Zhongnanhai est sans doute le site le plus surveillé et protégé de Chine, avec d'importantes forces de sécurité présentes à l'intérieur et à l'extérieur de cet ensemble de bâtiments en bordure de l'immense place Tiananmen. En effet, il abrite les bureaux du Comité central du Parti et du Conseil d'État qui chapeaute le gouvernement, ainsi que les résidences de dirigeants de haut rang.

Selon l'Agence de presse taïwanaise, le même jour, dans la province du Jiangsu, le bâtiment du gouvernement de la ville de Zhangjiagang a été le théâtre d'une explosion le matin. L'entrée a été sérieusement endommagée. Dans l'après-midi du même jour, une autre vidéo a montré des images du dernier étage du bâtiment du Bureau de la sécurité publique de la province du Jiangsu à Nankin qui a pris feu et dégagé beaucoup de fumée noire.

On se souvient peut-être de « l'incident de Sitongqiao » à la veille du XXème Congrès du Parti communiste chinois en octobre 2022, à Pékin. Le 13 octobre 2022, un manifestant avait calmement déroulé deux immenses bannières sur le pont Sitong dans le district très fréquenté de Haidian à Pékin pour protester contre « la dictature de Xi Jinping ». Ces deux bannières, vues par des dizaines de milliers de passants, protestaient contre le culte de la personnalité extravagant dont s'entoure Xi, les violations répétées des droits humains en Chine, la censure et les contraintes insupportables imposées par la politique du « zéro-Covid ». Ce manifestant, Peng Lifa (彭立发), avait rapidement été arrêté. Il a depuis disparu et n'a plus jamais donné signe de vie. Selon des médias d'opposition chinois à l'étranger, les manifestations contre le régime communiste sont nombreuses, surtout depuis le début des années 2000. Pas moins de 180 000 manifestations auraient eu lieu pendant la seule année 2019, selon le professeur de sociologue de l'université Qinghua, Sun Liping.

Xi Jinping en train de « tuer » le capitalisme à la chinoise

Dans son ouvrage The Crisis of Democratic Capitalism (Penguin Press), Martin Wolf dresse un état des lieux particulièrement alarmant de la Chine de Xi Jinping. Selon lui, elle est en train de basculer vers l'inconnu. Vétéran du journalisme et pendant plusieurs décennies commentateur au Financial Times, Martin Wolf expliquait mardi 12 mars dans les colonnes du quotidien britannique que Xi Jinping était en train de « tuer » le capitalisme à la mode chinoise que Deng Xiaoping avait instauré et qui avait remis la Chine sur les rails d'un développement accéléré.

« La tendance qui est celle de Xi de centraliser la prise de décision n'a évidemment pas arrangé les choses. Elle risque de susciter la paralysie et des réactions extrêmes, écrit-il. En effet, « gérer une économie menée par la politique au buts multiples est simplement plus difficile que celle d'une économie dont le seul objectif est la croissance. Les politiques de Xi ont également [eu pour résultat] de compliquer davantage les relations avec les dirigeants politiques occidentaux. Prendre le chemin inverse d'un système indépendant et légal qui était le garant des droits à la propriété et d'un système politique plus démocratique était beaucoup trop risqué. Dans un pays de la taille de la Chine […] cela aurait mené au chaos. L'alternative conservatrice de Xi est donc de chercher la sécurité, quand bien même cela pourrait tuer la poule aux œufs d'or économique. »
« La question plus importante est [de savoir] si, en centralisant, le règne de prudence et de conservatisme de Xi, le changement de Deng [Xiaoping] de la stagnation à une croissance explosive n'est pas condamné à un retour à la stagnation », souligne encore Martin Wolf. Si les gens en arrivent à croire que la dynamique de l'histoire récente est perdue pour de bon, le risque sera alors d'une spirale vers le bas et d'espoirs déçus. Mais la seule force d'1,4 milliard de personnes qui veulent une vie meilleure est extrêmement puissante. Sera-t-il possible de stopper cela ? La réponse, je pense, est non. »

Dans ce monde géopolitique de dangers croissants, la zone de fracture principale est Taïwan. Sur ce sujet, Alec Russell décrit « la voie périlleuse dans un monde distrait » de l'ancienne Formose dans un article publié le 11 mars par le même Financial Times. « Le scénario longtemps redouté est une invasion par l'armée chinoise à travers ce détroit large de 180 kilomètres qui sépare la Chine de Taïwan », souligne-t-il. Une menace qui s'accroit puisque Xi Jinping a demandé à ses forces armées de se tenir prêtes pour attaquer d'ici 2027.

Mais cette échéance risque fort de ne plus être la bonne car les mesures d'intimidation militaire ne cessent de se multiplier, Pékin se livrant à des activités dans une « zone grise » qui sont désormais toutes proches d'une agression en bonne et due forme. « Pékin paraît certainement plus belliqueux. Il a récemment aiguisé sa rhétorique en parlant de son devoir de « combattre » l'indépendance de Taïwan, plus que de s'y « opposer », formule qu'il préférait employer jusqu'à présent, analyse Alec Russel. Les experts les plus pessimistes spéculent sur le fait que la Chine pourrait mettre l'île à genoux en quelques jours en imposant un blocus, y compris en coupant les câbles électriques sous-marins. »

À cela s'ajoute Donald Trump qui, s'il est réélu en novembre prochain, a déjà clairement annoncé que Taïwan ne pourrait plus compter sur l'Amérique. « Il était depuis longtemps tentant de considérer Taïwan comme un modèle de société si le PCC devait s'effondrer. Mais comme l'Ukraine le sait, dans un voisinage encombrant, un voisin surpuissant qui nourrit des revendications territoriales anciennes peut supprimer les libertés en une nuit, remarque Alec Russel. Une différence entre l'Ukraine et Taïwan est celle de la dissuasion stratégique. L'Amérique avait clairement fait savoir qu'elle n'interviendrait pas si la Russie envahissait son voisin. Une autre guerre serait celle de Taïwan qui serait une catastrophe pour tout le monde. Voilà pourquoi certains s'interrogent sur le fait de savoir si la Chine n'est pas en train de miser sur le fait que l'île va finir par tomber dans son orbite. »

« En politique en Chine, ce qui n'est pas dit mène souvent à une vérité crue. »

Katsuji Nakazawa, éditorialiste chevronné et ancien correspondant en Chine pour le Nikkei Asia, explique pour sa part le fait que dans le narratif de la Chine communiste, ce qui n'est pas dit a souvent plus d'importance que ce qui est dit. « En politique en Chine, ce qui n'est pas dit mène souvent à une vérité crue, écrit-il le 14 mars dans les colonnes du média japonais. Cela a été plus que clair pendant la session de l'Assemblée nationale populaire […] qui a laissé quantité de questions sans réponse. Tout en haut des tabous que les dirigeants au sommet du pouvoir n'ont pas osé aborder […] sont les mystères qui ont entouré le limogeage soudain de l'ancien ministre des Affaires étrangères Qin Gang l'an dernier et les changements de personnels diplomatiques qui ont suivi. »

« Le scandale est d'autant plus grand que Qin était considéré comme un proche de Xi Jinping », souligne le journaliste pour qui cette affaire témoigne de la lutte pour le pouvoir qui se poursuit au sein des élites politiques chinoises. Mais surtout, ajoute Katsuji Nakazawa, le fait même que personne, y compris le ministre en exercice des Affaires étrangères Wang Yi, n'ait abordé cette question pendant les travaux de l'ANP, « l'affaire illustre le fait que Xi Jinping entend éliminer un à un tous ses rivaux déclarés ou potentiels » afin de rester seul maître à bord. Les membres de la Commission des affaires politiques de la CCPPC ont abondé dans des formules rhétoriques sur le fait que la Chine se dirigeait vers « un avenir brillant » sous la direction du Parti.

Une formule en résonance avec l'atmosphère politique actuelle en Chine dans laquelle les Chinois sont invités à ne dire que de bonnes choses sur le pays, sans jamais parler des problèmes graves qui secouent la Chine telles que le chômage des jeunes dont beaucoup fuient vers les États-Unis, l'Europe ou le Japon pour y trouver un avenir meilleur, explique l'auteur. Or la réalité est toute autre. En témoigne la chute impressionnante du nombre d'étudiants étrangers venant en Chine. Ainsi, souligne-t-il encore, le nombre d'étudiants américains en Chine est tombé autour de 350 en 2023 contre environ 15 000 il y a dix ans, selon des statistiques officielles. Cette situation, rendue plus grave encore avec les nouvelles directives et lois sur l'espionnage dont les cibles sont notamment les milieux universitaires, est pire que celle issue du massacre de la place Tiananmen en 1989, qui avait entrainé des départs en masse d'étudiants étrangers.

Conséquence du durcissement du régime chinois et de l'atmosphère délétère qui préside aux relations entre les deux géants économiques de la planète, les États-Unis envisagent l'interdiction totale de TikTok sur le sol américain. Un projet de loi dans ce sens a été adopté par la Chambre des représentants le 13 mars. Le texte de loi qui doit encore être voté par le Sénat, donne 165 jours à ByteDance, la société mère de TikTok, pour rompre ses liens avec le réseau social et, plus largement, avec la Chine. Certaines propositions vont jusqu'à envisager une interdiction totale de l'application sur le sol américain.

Le président Joe Biden a déjà exprimé son soutien, affirmant qu'il signerait la loi si elle était adoptée. Des parlementaires américains s'inquiètent des liens entre TikTok et les autorités chinoises. Ces courtes vidéos sont suspectées d'espionner et de manipuler les 170 millions d'utilisateurs aux États-Unis et d'envoyer leurs données personnelles vers la Chine.

« Les États-Unis n'ont jamais trouvé de preuves que TikTok menace leur sécurité nationale », a déclaré un porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin, interrogé sur le sujet. Interdire TikTok « sapera la confiance des investisseurs internationaux […] ce qui reviendrait pour les États-Unis à se tirer une balle dans le pied. »

Par Pierre-Antoine Donnet

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Inde : la future troisième économie mondiale bientôt aux urnes

26 mars 2024, par Olivier Guillard — , ,
À l'approche des élections générales, le Premier ministre Narendra s'avance en favori pour obtenir un troisième mandat consécutif. Il peut se prévaloir des chiffres insolents (…)

À l'approche des élections générales, le Premier ministre Narendra s'avance en favori pour obtenir un troisième mandat consécutif. Il peut se prévaloir des chiffres insolents de l'économie indienne, souligne Olivier Guillard dans cette tribune.

Tiré de The asialyst.

Voilà deux mois que le troisième millénaire est entré dans sa 25ème année. Un millésime 2024 particulier à maints égards à cause de ses graves crises, conflits et zones de tension, mais aussi en ce qu'il marquera du sceau de la démocratie et des scrutins délicats rien de moins que sept des 10 pays les plus peuplés du globe. 2024 – « l'année électorale ultime » selon Time Magazine, « la mère de toutes les années électorales » selon l'expression du Council on Foreign Relations. Au total, quatre milliards d'individus ventilés sur une soixantaine d'États convieront leurs électeurs à déposer leur bulletin dans l'urne. L'Asie-Pacifique a entamé tambour battant cette longue procession électorale en organisant depuis janvier quatre scrutins au Bangladesh, à Taïwan, au Pakistan et en Indonésie. D'ici deux mois, un autre acteur asiatique et non des moindres mobilisera à son tour logistique, esprit civique et appétences démocratiques pour renouveler son parlement national : l'Inde.

En avril–mai, la « plus grande démocratie du monde » attirera la lumière sur un scrutin aux ordres de grandeur comptables par définition sans pareil avec 980 millions d'individus inscrits sur les listes électorales. Peu importent leur sensibilité politique ou partisane, la plupart des observateurs de ce grand rendez-vous électoral quinquennal – les 18e élections à l'Assemblée nationale ou Lok Sabha – anticipent un très probable nouveau succès de la coalition chevillée autour du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de l'actuel Premier ministre Narendra Modi au pouvoir depuis 2014. Cette victoire historique plus que plausible confierait à l'énergique ancien ministre-en-chef du Gujarat un troisième mandat consécutif. Une performance politique dont seul avant lui Jawaharlal Nehru (1) pourrait se prévaloir.

Fort d'une légitimité politique et d'une autorité que bien peu de monde lui dispute dans son pays, le dernier invité d'honneur des cérémonies du 14 juillet à Paris se présente devant l'électorat indien en s'appuyant sur un argument de poids : en 2024, la cinquième économie mondiale – et troisième économie d'Asie – se porte bien. Elle traverse au mieux une conjoncture internationale agitée par des ondes de choc géopolitiques allant des marges orientales de l'Europe au détroit de Taïwan, en passant par un Moyen-Orient en ébullition.

Les médias asiatiques se sont penché sur ce contexte économique opportun, jalousé par nombre d'acteurs étatiques (2) infiniment moins bien lotis en matière de croissance économique. Les chiffres et les prévisions de croissance pour 2023 et 2024 sont parfois insolents, au regard par exemple de l'atonie générale inquiétante de la zone euro (+0,2 % de croissance du PIB en Allemagne). « Les perspectives de l'économie indienne semblent prometteuses, avec une croissance du PIB de 7 % pour l'exercice 2025, annonce fièrement The Indian Express, en s'appuyant sur les données détaillées du dernier rapport du ministère indien des Finances. Pour l'exercice en cours, l'économie indienne devrait connaître une croissance de + 7,3 %. Ce serait la troisième année consécutive que la croissance du PIB dépasserait les +7 %. » Et pour expliquer ce dynamisme économique indien, l'auteur de l'article met en avant les bénéfices d'une « bonne récolte agricole, la rentabilité soutenue de l'industrie manufacturière, la bonne résistance des services ainsi que l'amélioration attendue de la consommation des ménages et du cycle d'investissement privé ».

Cette incontestable montée en régime du géant d'Asie méridionale n'a pas uniquement profité aux comptes publics ou aux grands trusts industriels du pays. Les 1,4 milliard d'Indiens en ont également perçu des dividendes concrets dans leur vie quotidienne : l'extrême pauvreté a significativement reculé en l'espace de quelques années (3), consécutivement aux transferts sociaux vers la population la plus exposée. La santé publique et l'hygiène sont davantage pris en compte par les autorités (projet « Clean India » ou mission « Swachh Bharat Abhiyan » : campagne nationale pour la construction de toilettes publiques lancée en 2014), faisant notamment reculer la mortalité infantile.

La construction annuelle depuis 2018 de plus de 10 000 km de routes supplémentaires offre certes à l'économie des gains de productivité importants mais également à la population des possibilités de déplacement nouvelles (trajets plus nombreux, moins heurtés et plus courts). La part du budget dévolue au financement des grands projets d'infrastructures est passée de 0,4 % du PIB en 2014 à 1,7 % aujourd'hui.

La croissance la plus rapide parmi les plus grandes économies du monde

Cet enthousiasme « comptable » ne se limite pas uniquement aux frontières du pays. Quelque 6 000 km vers l'Est et quatre fuseaux horaires plus loin, dans la capitale de la désormais quatrième économie mondiale, le Japon, l'analyse panoramique des récentes performances économiques et financières indiennes est pareillement allègre. « Cette fois, la croissance économique rapide de l'Inde « a des jambes ». Les facteurs qui avaient précédemment freiné l'élan ont enfin été pris en compte », décrit le Nikkei Asia. Un constat flatteur sans appel : « La qualité des performances récentes de l'économie indienne est incontestable. Le pays a été l'économie majeure à la croissance la plus rapide en 2022 et 2023 et devrait l'être à nouveau en 2024. »

Notons que les titans industriels et autres tout puissants conglomérats indiens se portent pour certains d'entre eux à merveille. C'est notamment le cas de l'incontournable Tata Group (4) dont le magazine India Today nous apprend que la capitalisation boursière atteint désormais les 365 milliards de dollars – soit 24 milliards de dollars de plus que la totalité du PIB pakistanais (341 milliards de dollars selon le FMI) (5).

Du reste, le regard européen sur l'insolente bonne santé de l'économie (6) du pays de Nehru et Gandhi lors de la décennie écoulée, sous le management énergique et pro-business de Narendra Modi, est à l'aune des lectures indienne et nipponne esquissées plus haut. Depuis Davos et son incontournable World Economic Forum (WEF) (7), les éloges et satisfécits pleuvent également sur les artisans de la réussite indienne. Pour son président Borge Brende, le PIB indien atteindra d'ici 5 ans le seuil symbolique des 10 000 milliards de dollars, garantissant ainsi à l'Inde le troisième rang mondial derrière les États-Unis et la Chine. « L'économie indienne est celle qui connaît la croissance la plus rapide parmi toutes les grandes économies du monde. Nous avons vu à Davos cette année que l'Inde suscitait un grand intérêt et je pense que cela va continuer […]. Quand on vient en Inde, on ressent un certain optimisme, ce qui n'est pas le cas partout dans le monde », s'enthousiasme l'ancien ministre norvégien des Affaires étrangères (8), confiant au passage : « Le Premier ministre indien Narendra Modi est toujours le bienvenu à Davos ». Un témoignage nécessairement apprécié du côté du Panchavati, la résidence officielle du chef de gouvernement indien.
Que de chemin parcouru depuis 2014. Qui se souvient aujourd'hui qu'une douzaine d'années plus tôt – en 2013 précisément, un an avant l'arrivée aux affaires de Narendra Modi -, la très respectée banque américaine Morgan Stanley intégrait l'Inde dans le cercle peu flatteur des économies de marché émergentes vulnérables, surnommées les « cinq fragiles » du fait notamment de leur dépendance aux capitaux étrangers pour alimenter leur économie ou de l'importance du déficit de leur balance courante. Un club comprenant à cette époque le Brésil, la Turquie, l'Afrique du Sud, l'Indonésie, et donc l'Inde.

En août dernier, depuis l'emblématique Fort Rouge de New Delhi où l'on célébrait le Jour de l'Indépendance, le Premier ministre Narendra Modi promettait à ses concitoyens que leur économie intégrerait le club huppé des économies développées d'ici 2047, année qui honorerait le centenaire de l'indépendance nationale, obtenue à l'été 1947. 23 ans avant cette échéance historique autant que symbolique, les augures semblent favorables à pareille prophétie.

Propos recueillis par Olivier Guillard

Notes

1- Après des victoires électorales obtenues en 1951, 1957 et 1962

2- En 2022, seulement 3 % de croissance du PIB chinois, +2,6 % En Corée du Sud et en Thaïlande et +2,4 % à Taïwan, selon la Banque asiatique de Développement

3- Laquelle concernait environ un Indien sur six en 2015 contre désormais moins d'un sur huit

4- Compagnies aériennes, aérospatiale, conseil, production d'électricité, énergie électrique, finance, hôtellerie, technologies de l'information, commerce de détail, commerce électronique, immobilier, télécommunications, etc. Plus d'un million de salariés

5- En comparaison, pour l'exercice fiscal 2022-2023, l'économie pakistanaise

6- Pourtant, on reproche à ce dynamisme économique indiscutable de ne pas créer suffisamment d'emplois pour accueillir chaque année les millions de jeunes gens arrivant sur le marché du travail.

7- L'édition 2024 (54ème du nom) de cette grand-messe mondiale s'est tenue du 15 au 19 janvier 2024

8- Borge Brende préside le WEF depuis 2017

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La triple illégalité de l’occupation israélienne du territoire palestinien

26 mars 2024, par Monique Chemillier-Gendreau — , , , ,
La plaidoirie magistrale de la Professeure Monique Chemillier-Gendreau au nom de l'Organisation de la coopération islamique devant la Cour Internationale de Justice concernant (…)

La plaidoirie magistrale de la Professeure Monique Chemillier-Gendreau au nom de l'Organisation de la coopération islamique devant la Cour Internationale de Justice concernant les « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est »

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Texte intégral de la plaidoirie de Madame Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite de droit public et de sciences politiques à l'Université Paris Diderot, donnée le lundi 26 février 2024 devant la Cour Internationale de Justice au nom de l'Organisation de la coopération islamique concernant les « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est » (source Compte rendu de la CIJ).

Mme CHEMILLIER-GENDREAU : Merci, Monsieur le président.

1. C'est au nom de l'Organisation de la coopération islamique que j'ai l'honneur de me présenter devant vous ce matin. Et je reviendrai ici sur trois éléments de la situation sur laquelle vous aurez à rendre votre avis.

LES NÉGOCIATIONS EN COURS COMME OBSTACLE SUPPOSÉ À LA COMPÉTENCE DE LA COUR

2. Quelques-uns des États participant à la présente procédure ont demandé à votre juridiction de décliner sa compétence. Ils estiment que l'avis demandé perturberait des négociations prétendument en cours entre les protagonistes, alors que ces négociations seraient le seul chemin vers la paix 1.

3. Mais il faut préalablement établir les faits. Les établir dans toute leur vérité est une condition indispensable à l'établissement de la justice. Y a-t-il des négociations en cours entre Israël et la Palestine ? La vérité sur cette question, c'est qu'il n'y en a plus. Il s'agit d'un mythe qui a été entretenu artificiellement longtemps, mais qui, à la lumière des événements, s'est effondré de l'aveu même des intéressés.

4. La Cour est-elle en mesure d'établir la vérité sur ce point ? Certains participants à cette procédure ont soutenu que vous devriez décliner votre compétence en raison d'une supposée difficulté à accéder aux faits. Mais le dossier qui vous a été fourni par les services des Nations Unies eux-mêmes comporte tous les éléments sur lesquels vous pouvez fonder l'avis qui vous est demandé.

5. Il est ainsi avéré que les accords d'Oslo remontent à 1993 et 1995, que leurs objectifs devaient être atteints au plus tard en 1999, que cette échéance n'a pas été tenue, que par la suite des réunions ont eu lieu à Charm el-Cheikh en 1999, à Camp David en 2000, et sont restées infructueuses. À partir de là, ni le redéploiement d'Israël ni le renforcement de l'autonomie de l'Autorité palestinienne ne se sont concrétisés.

6. L'horizon des accords d'Oslo était lié au respect des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité qui y sont explicitement mentionnées. Ce respect impliquait le retrait par Israël du Territoire palestinien occupé en 1967. L'article 18 de la convention de Vienne sur le droit des traités dispose que les États parties à un accord doivent s'abstenir d'actes qui priveraient ce traité de son objet et de son but. Or Israël, en implantant à marche forcée des colonies juives sur le territoire palestinien, a privé les accords d'Oslo de leur objet et de leur but.

7. Et les responsables politiques d'Israël ont confirmé la mort des négociations en dénonçant les accords d'Oslo dès les années 2000, c'est-à-dire il y a plus de vingt ans. Ariel Sharon avait alors déclaré au journal Haaretz : « On ne continue pas Oslo. Il n'y aura plus d'Oslo. Oslo, c'est fini. » 2

Plus récemment, le 12 décembre 2023, le premier ministre Benjamin Nétanyahou affirmait : « Je ne permettrai pas à Israël de répéter l'erreur des accords d'Oslo. » 3

8. Votre Cour reconnaîtra que nous sommes ici devant un cas particulièrement remarquable de manquement à la bonne foi. Israël, membre des Nations Unies, est lié par les résolutions de cette Organisation ainsi que par les engagements particuliers qu'il a pris. Au mépris de tout ce corpus, cet État s'approprie le territoire de la Palestine, expulse son peuple et lui refuse par tous les moyens le droit à l'autodétermination. Vous avez eu l'occasion de rappeler dans votre arrêt de 2018 que, dès lors que des États s'engagent dans une négociation, « [i]ls sont alors tenus … de les mener de bonne foi » 4. Or il apparaît que, dès son engagement dans les négociations d'Oslo, Israël a manqué à la bonne foi.

9. Aussi n'y a-t-il aucun horizon de négociation qu'il faudrait protéger, mais seulement une guerre en cours et le refus des autorités israéliennes d'ouvrir toute perspective politique fondée sur le droit international. Voilà pourquoi l'argument selon lequel votre compétence pour rendre l'avis demandé ferait obstacle à une paix négociée est un argument sans fondement.

DES VIOLATIONS MASSIVES DU DROIT INTERNATIONAL NE PEUVENT PAS ÊTRE UN OBJET DE NÉGOCIATIONS

10. Je voudrais maintenant, et ce sera mon second point, rester encore un moment sur la question des négociations pour faire à ce propos une remarque de fond. Les Palestiniens ne recouvreront pas leurs droits légitimes à travers une négociation bilatérale directe avec Israël. Il y a à cela deux écueils. Le premier tient à l'inégalité écrasante entre les deux parties. La Palestine est sous la domination militaire d'Israël et ses représentants sont dans une position de faiblesse structurelle. Dès lors, toute négociation est biaisée et le traité qui en résultera sera nécessairement un traité inégal.

11. Le second écueil tient au fait que, dans les négociations qui ont eu lieu jusqu'ici, Israël a tenté de faire admettre par les Palestiniens des entailles aux droits fondamentaux qu'ils détiennent du droit international. La violation principale, source elle-même des autres violations, consiste dans le refus persistant qu'oppose Israël au droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. À aucun moment depuis la fin du mandat britannique en 1947, les dirigeants d'Israël n'ont sincèrement admis qu'un État palestinien pouvait coexister auprès d'eux sur la terre de Palestine. Le premier ministre d'Israël a confirmé le 20 janvier dernier son opposition à une souveraineté palestinienne 5

12. Lorsque Israël a feint de négocier le droit des Palestiniens à devenir un État, c'était pour n'en concéder qu'une caricature : un pouvoir démilitarisé, enclavé, éclaté sur un territoire morcelé, avec un accès réduit à ses ressources naturelles. Et pourtant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a la valeur d'une norme de jus cogens. Il n'est pas un droit constitutif qui ne pourrait naître que de sa reconnaissance par Israël. Il est un droit déclaratif inhérent à la situation de peuple colonisé des Palestiniens. Il existe dès le moment où ce peuple a décidé de le revendiquer. De ce fait, et dans toute sa plénitude, ce n'est pas un droit négociable.

13. Israël a occupé à partir de 1967 le territoire palestinien suite à une action militaire qui a été menée en violation de la règle centrale d'interdiction du recours à la force. Il occupe donc un territoire sur lequel il n'a aucun droit. Il doit s'en retirer. Cela non plus n'est pas négociable.

14. En colonisant ce territoire, Israël viole l'interdiction du transfert de la population de la puissance occupante dans le territoire occupé 6. Et le projet israélien est officiellement de persister dans cette illégalité. De 700 000 qu'ils sont actuellement en Cisjordanie et à Jérusalem, les colons doivent dépasser le million aussi rapidement que possible, annonçait le ministre Smotrich le 12 juillet 2023 7. Israël a officialisé cette violation en inscrivant dans sa loi fondamentale de 2018 le développement des colonies juives comme une valeur de base de la société israélienne. Pourtant, le droit international exige le démantèlement de toutes ces colonies. Nous sommes là encore devant une obligation qui n'est pas négociable.

15. La sécurité des Palestiniens est gravement menacée. C'est par milliers qu'ils meurent sous les bombes israéliennes à Gaza depuis le 7 octobre. Et en Cisjordanie, selon les sources israéliennes, 367 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre, dont 94 enfants. Et 2 960 Palestiniens ont été arrêtés. Les sources palestiniennes estiment que ces chiffres sont fortement sous-évalués 8.

16. Les colons implantés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est exercent librement leur violence contre les Palestiniens. Ils y sont encouragés et des armes leur sont distribuées par l'État d'Israël lui-même 9. La dépossession de leurs terres et la répression dont sont l'objet les Palestiniens se sont ainsi intensifiées depuis quelques mois. Et se développe une politique de discrimination constitutive d'apartheid. Toutes ces violations de droits fondamentaux doivent cesser. Une fois de plus, cela n'est pas négociable.

17. Pour rendre l'avis attendu, votre Cour aura à se pencher sur la question de Jérusalem. Cette ville n'a pas été incluse dans le territoire destiné à Israël par la résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations Unies proposant un plan de partage de la Palestine. Lors de son admission aux Nations Unies en 1949, Israël a solennellement accepté les principes de la Charte des Nations Unies et des résolutions votées par ses organes. Il y avait donc là reconnaissance du fait que Jérusalem ne lui était pas attribuée.

18. Cependant, s'emparant de la ville par la force en 1948 pour la partie ouest et en 1967 pour la partie est, Israël en a fait sa capitale réunifiée en 1980. Depuis, Jérusalem-Est est soumise à une israélisation forcée par une intense colonisation. Celle-ci est considérée comme irréversible par les responsables israéliens.

19. Toutefois, Jérusalem-Est n'a pas d'autre statut que celui d'être un territoire occupé militairement par une puissance étrangère, comme l'ensemble du Territoire palestinien occupé depuis 1967. Israël doit s'en retirer au profit du peuple palestinien comme l'ont exigé constamment les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale 10. Et les Lieux saints doivent être préservés et ouverts à la liberté de tous ceux qui souhaitent s'y rendre. Cela non plus n'est pas négociable.

20. Ignorant ces impératifs du droit commun, Israël voudrait légaliser les actions illicites que je viens de mentionner en les inscrivant dans un accord. Or ce qui apparaît de l'analyse juridique de la situation, c'est que, sur la Palestine, Israël n'a aucun droit. Il n'a que des devoirs. Et de leur respect dépend la préservation de l'ordre public international fondé sur des normes communes et non dérogeables. La responsabilité de leur respect incombe aux Nations Unies, en charge du maintien de la paix. Elles ont été investies du dossier de la décolonisation de la Palestine par l'échec du mandat confié au Royaume-Uni. Elles sont la seule autorité à même de résoudre sur des bases conformes au droit la situation créée par cet échec depuis des décennies. Et s'il faudra bien que la paix découle d'un accord entre les parties, celui-ci devra être conclu sous les auspices des Nations Unies, garantes du respect du droit, et non sous le parrainage arbitraire d'États tiers manquant d'objectivité.

21. Ainsi la manière dont les choses seront menées à partir des conclusions de votre avis devra permettre que l'accord par lequel les Palestiniens seront rétablis dans l'intégralité de leurs droits respecte les normes fondamentales jusqu'ici objet de tentatives de contournement. Et si ce n'était pas le cas, le futur traité de paix tomberait sous le coup de la convention de Vienne sur le droit des traités qui dispose : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. » 11.

LA QUESTION DU STATUT DE L'OCCUPATION PAR ISRAËL DU TERRITOIRE PALESTINIEN

22. J'en viens maintenant, et c'est mon dernier point, à la seconde question qui est posée à votre Cour par l'Assemblée générale des Nations Unies. Vous êtes interrogés sur le statut juridique de l'occupation et sur les conséquences juridiques qui en découlent. Vous aurez ainsi à examiner l'occupation par Israël du territoire palestinien à la lumière de tous les champs du droit international.

23. Il s'agit d'abord du jus ad bellum, ce droit qui régit l'usage de la force par les États. Il comporte la norme majeure d'interdiction de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État 12.

24. Or c'est bien par l'usage de la force qu'Israël a occupé la Palestine en 1967, comme l'ont rappelé sans relâche le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale. Cet emploi de la force est dirigé contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de la Palestine, aujourd'hui reconnue dans sa qualité d'État par les Nations Unies. L'occupation est donc illégale à sa source même.

25. Cette illégalité se manifeste aussi depuis 1967 par la manière dont a été conduite cette occupation. Elle enfreint en effet toutes les conditions posées par le droit de La Haye et de Genève à l'occupation militaire d'un territoire étranger. Ces conditions sont recensées par le Manuel du Comité international de la Croix-Rouge :

⎯ La puissance occupante ne peut pas modifier la structure et les caractéristiques intrinsèques du territoire occupé sur lequel elle n'acquiert aucune souveraineté. Israël n'a cessé de modifier à son profit ces caractéristiques.

⎯ L'occupation est et doit rester une situation temporaire. Israël occupe la Palestine depuis 66 ans et ses dirigeants affichent ouvertement leur intention de poursuivre indéfiniment cette occupation.

⎯ Israël doit administrer le territoire dans l'intérêt de la population locale et en tenant compte de ses besoins. Les besoins des Palestiniens sont cruellement méconnus.

⎯ Israël ne doit pas exercer son autorité pour servir ses propres intérêts et ceux de sa propre population. Toutes les politiques et pratiques d'Israël sont orientées au service des colons israéliens et au mépris des droits et intérêts des Palestiniens.

26. Ainsi les conditions dans lesquelles Israël a développé l'occupation du territoire palestinien, conditions dont toutes les preuves se trouvent dans les rapports des Nations Unies, vous amèneront à conclure que cette occupation, par sa durée et les pratiques déployées par l'occupant, est un prétexte à un projet d'annexion. Celui-ci, officialisé pour ce qui est de Jérusalem, est mis en œuvre de facto pour la Cisjordanie. Quant à Gaza, la guerre totale qui y est menée et les projets annoncés par le Gouvernement d'Israël confirment la volonté de cet État de garder la maîtrise de ce territoire.

27. Il résulte de ces constats, comme votre Cour ne manquera pas de le confirmer, que l'occupation par Israël du territoire palestinien est frappée d'une triple illégalité. Elle est illégale à sa source pour être en infraction à l'interdiction de l'emploi de la force. Elle est illégale par les moyens déployés, lesquels sont constitutifs de violations systématiques du droit humanitaire et des droits de l'homme. Elle est illégale enfin par son objectif, celui-ci étant de procéder à l'annexion des territoires palestiniens, privant ainsi le peuple de Palestine de son droit fondamental à disposer de lui-même.

CONCLUSION

28. Je donnerai quelques réflexions pour finir cette plaidoirie. La violence infondée et impunie qu'Israël exerce sur les Palestiniens entraîne en réponse une autre violence dans un cycle infernal, celui de la vengeance, qui est toujours à l'avantage du plus fort. C'est l'enchaînement meurtrier qui se déroule tragiquement sous nos yeux. Pour le rompre, il faut un tiers impartial affirmant avec autorité ce que doit être l'application de la norme commune. Il revient à votre Cour, à l'occasion de l'avis que vous allez rendre, de ramener l'ensemble de ce conflit sous la lumière du droit.

29. Ce droit permet de dire quelles règles doivent être appliquées à une situation critique, mais aussi quelles mesures peuvent être prises lorsque ces règles sont violées avec persistance. Je rappellerai ici que les conclusions de l'Organisation de la coopération islamique demeurent inchangées par rapport à celles de nos observations écrites et je me permets d'y renvoyer. Je rappellerai seulement que l'organisation que je représente demande à la Cour d'enjoindre à Israël de cesser toutes les violations qui ont été relevées ici et d'exiger des Nations Unies et de leurs États Membres qu'ils utilisent toute la gamme des mesures permettant de faire cesser la situation, ce y compris des sanctions contre l'État responsable.

30. Et pour finir, je voudrais, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, vous citer les propos du contre-amiral israélien Ami Ayalon, qui a dirigé pendant plusieurs années le service du renseignement intérieur israélien. Son chemin personnel l'a amené à s'interroger sur la notion d'ennemi et à mesurer l'impasse où se trouve Israël en ayant choisi la répression violente pour accompagner son refus de la solution politique. Et il conclut une interview donnée il y a quelques semaines à un quotidien français en disant : « La communauté internationale devrait jouer un rôle bénéfique. Nous avons besoin que quelqu'un de l'extérieur nous éclaire sur nos erreurs. » 13.

Sauver les Israéliens contre eux-mêmes, voilà à quoi la communauté internationale contribuera à travers l'avis consultatif que vous allez rendre. Je vous remercie de votre attention.

Note

1.Voir les observations écrites des Fidji, p. 3-5 ; de la Hongrie, par. 2, 11-30, 39, 41 ; d'Israël, p. 3-5 ; du Togo, par. 7-9 ; de la Zambie, p. 2
2. Haaretz, 18 octobre 2000.
3. Le Monde diplomatique, janvier 2024.
4.Obligation de négocier un accès à l'océan Pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 538, par. 86
5. Le Monde, 24 janvier 2024.
6. Quatrième convention de Genève du 12 août 1949, art. 49, dernier alinéa.
7. Magazine, 12 juillet 2023 (accessible à l'adresse suivante : https://tinyurl.com/26b24uz6).
8. « Cisjordanie : l'autre guerre menée par Israël », Le Monde, 31 janvier 2023.
9.« Ben-Gvir annonce la distribution prochaine de 10 000 armes aux volontaires israéliens dans les villes frontalières », Nouvelle Aube, https://www.yenisafak.com/fr/international/ben-gvir-annonce-la-distribution-prochaine-de-10-000-armes-aux-volontaires-israeliens-dans-les-villes-frontalieres-14005.
10. Voir celles qui sont citées dans les observations écrites de l'Organisation de la coopération islamique, par. 357-404.
11. Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, art. 53.
12. Charte, art. 2, par. 4.
13. Le Monde, 25 janvier 2024.

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Israël effectue la plus importante saisie de terres en Cisjordanie depuis trente ans

Le ministre israélien d'extrême droite Bezalel Smotrich a annoncé l'appropriation par l'État de 800 hectares de terres dans la vallée du Jourdain. Il s'agit de la plus (…)

Le ministre israélien d'extrême droite Bezalel Smotrich a annoncé l'appropriation par l'État de 800 hectares de terres dans la vallée du Jourdain. Il s'agit de la plus importante confiscation foncière depuis les accords d'Oslo, et d'un pied de nez à Washington.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : La colonie israélienne d'Efrat, près de Bethléem, en Cisjordanie occupée, le 6 mars 2024. Photo Hazem Bader/AFP.

“Au moment où certains en Israël et dans le monde cherchent à saper notre droit à la Judée-Samarie [la Cisjordanie], nous promouvons l'installation d'implantations par un travail acharné et de manière stratégique dans tout le pays.”

C'est avec ces mots que le ministre des Finances israélien, Bezalel Smotrich, considéré comme l'une des figures de proue du mouvement de colonisation de la Cisjordanie, a présenté vendredi 22 mars la décision de déclarer environ 800 hectares – soit 8 kilomètres carrés – de terres autour de la colonie de Yafit, dans l'est de la Cisjordanie, à 30 kilomètres au nord de la mer Morte, dans la vallée du Jourdain, comme terres domaniales au profit d'Israël.

Cela “va permettre la construction de centaines de logements” sur ce terrain, qui pourra également servir pour des “projets de développement” industriels ou commerciaux, explique le Times of Israel.

Le projet de Smotrich

Selon l'organisation israélienne anticolonisation La Paix maintenant, il s'agit de la plus importante saisie de terres en territoire palestinien depuis les accords de paix d'Oslo, signés en 1993.

Au regard du droit international, la colonisation israélienne en Cisjordanie est illégale. Pourtant, écrit The Washington Post, “Israël a utilisé des ordonnances foncières comme celle émise vendredi [22 mars] pour prendre le contrôle de 16 % des terres sous contrôle palestinien en Cisjordanie”.

À ce titre, 2024 constitue déjà une année record pour les déclarations de terres domaniales, selon l'ONG La Paix maintenant.

Trois semaines plus tôt, rappelle le Times of Israel, le ministère de la Défense israélien avait autorisé la construction de plusieurs centaines de nouveaux logements dans les colonies de Ma'ale Adumim et de Kedar, tout près de Jérusalem, ainsi que celle d'Efrat, plus au sud.

Un défi à Washington

Plus largement, souligne le site Middle East Eye, l'ONG et les Nations unies “ont indiqué qu'Israël étendait ses implantations illégales à un niveau record”, notamment depuis le 7 octobre.

C'est notamment une victoire pour Bezalel Smotrich, leader du Parti sioniste religieux, “qui a continuellement cherché à étendre les colonies illégales et à faire avancer un projet d'annexion israélienne de la Cisjordanie occupée”, écrit le site The Cradle.

Comme le rappelle le site, Smotrich a obtenu, au moment de la formation du gouvernement fin 2022, le transfert d'une grande partie du pouvoir en Cisjordanie occupée du ministère de la Défense à celui des Finances.

L'annonce du vendredi 22 mars a été faite au moment même où le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, arrivait en Israël, alors que les relations entre les deux pays se sont refroidies sur fond de guerre à Gaza.

Un pied de nez de Smotrich, explique l'analyste israélienne Dahlia Scheindlin au Washington Post :

  • “Il est entré au gouvernement avec un objectif primordial : annexer toutes les terres conquises en 1967 et étendre partout la souveraineté juive, peu importe comment et quand cela doit se produire. […] Le timing et la provocation avant la visite de Blinken sont un bonus.”

Ces dernières semaines, les États-Unis ont annoncé plusieurs trains de sanctions contre des colons israéliens.

Courrier international

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Les complexes médicaux de Ghaza assiégés : Israël s’acharne de nouveau contre les hôpitaux

Ces derniers jours, les forces d'occupation sionistes mènent une nouvelle série d'assauts contre les principaux hôpitaux de la bande de Ghaza au motif d'y traquer les (…)

Ces derniers jours, les forces d'occupation sionistes mènent une nouvelle série d'assauts contre les principaux hôpitaux de la bande de Ghaza au motif d'y traquer les combattants palestiniens. L'armée israélienne poursuit pour le septième jour consécutif son siège du complexe médical Al Shifa, au quartier Al Rimal, à l'ouest de la ville de Ghaza.

Tiré d'El Watan.

« L'armée d'occupation continue de prendre d'assaut l'hôpital Al Shifa, qui abrite environ 7000 personnes, entre déplacés et patients, et mène une campagne massive d'arrestations et d'assassinats et bombarde les maisons entourant l'hôpital », relève l'agence Wafa. « Les patients et les personnes déplacées réfugiées à l'hôpital Al Shifa souffrent de l'absence de soins et du manque de nourriture et d'eau en raison du siège imposé à l'hôpital », poursuit la même source.

Cinq blessés hospitalisés dans ce même établissement « sont décédés samedi faute de nourriture et de prise en charge médicale et en raison aussi d'une panne de courant dans les salles de soins intensifs ».

En outre, trois blessés ont été évacués à l'hôpital baptiste « après avoir été exposés à des tirs de snipers embusqués à proximité du complexe médical Al Shifa », affirme l'agence de presse palestinienne. Cette opération d'envergure contre l'hôpital Al Shifa a été lancée le 18 mars.

L'armée israélienne a déclaré que « 170 combattants palestiniens y avaient déjà été tués et 480 autres arrêtés ». Le ministère de la Santé dans la bande de Ghaza a précisé de son côté que trois bâtiments du même complexe hospitalier abritant des centaines de déplacés, de malades et de blessés, ont été bombardés et incendiés hier.

Deux autres hôpitaux sont de nouveaux assiégés et attaqués par l'armée israélienne, cette fois au sud de la bande de Ghaza : il s'agit des établissements Al Amal et Al Nasser à Khan Younès. « Les forces d'occupation ont pris d'assaut l'hôpital Al Amal et l'hôpital Nasser au milieu de violents bombardements et de tirs nourris », a alerté hier la Société du Croissant-Rouge palestinien dans un communiqué.

La même source a averti que plusieurs véhicules militaires de tous types « entourent actuellement l'hôpital Al Amal et mènent de vastes opérations de rasage au bulldozer dans ses environs ».

364 travailleurs médicaux tués depuis octobre

Le Croissant-Rouge palestinien qui, faut-il le signaler, s'occupe de la gestion de l'hôpital Al Amal, a annoncé par ailleurs qu'un de ses cadres, Amir Sobhi Abou Aisha, est tombé en martyr hier à l'aube sous les balles de soldats israéliens alors qu'il était de service dans ce même hôpital.

Le chahid Amir Abou Aisha était « membre du personnel de la salle des opérations d'urgence du Croissant-Rouge », précise Wafa. Le Croissant-Rouge palestinien estime, à juste titre, que ses équipes sont en grave danger et dénonce le fait qu'elles ont été empêchées d'enterrer Amir dans la cour de l'hôpital Al Amal en raison du climat d'insécurité qui y règne et de la répression infernale subie par le personnel médical.

« 364 travailleurs médicaux, dont des médecins, des infirmières et des ambulanciers, sont tombés en martyrs depuis le début de l'agression contre la bande de Ghaza », souligne le Croissant-Rouge palestinien.

La même source a fait savoir dans un autre communiqué diffusé hier que les forces d'occupation ont condamné l'accès à l'hôpital Al Amal et obligé le personnel médical, les patients et les déplacés à quitter les lieux en tirant des grenades fumigènes. Le même organisme soutient qu'un drone demandait aux personnes se trouvant à l'intérieur des blocs hospitaliers de « sortir nus », comprendre en sous-vêtements.

La situation est extrêmement tendue également à l'hôpital Nasser. « Des témoins oculaires ont affirmé que les bombardements aériens étaient concentrés au sud et à l'est du complexe Nasser et du secteur de Batn al Sameen, en plus des tirs d'artillerie continus ciblant les mêmes zones ainsi que des frappes d'hélicoptères et de drones qui ont entraîné la mort d'un certain nombre de personnes et en ont blessé d'autres », rapporte l'agence Wafa.

Il convient de rappeler qu'en février dernier, le même hôpital avait été assiégé durant plusieurs jours. Le 15 février, l'armée a donné l'assaut sur le complexe médical Nasser, faisant plusieurs morts et causant d'importantes destructions à la structure sanitaire.

A Rafah, plusieurs morts ainsi que des blessés ont été évacués à l'hôpital koweïtien suite au bombardement hier d'une habitation appartenant à la famille Al Satari, dans le quartier Al Barahima, à l'ouest de la ville frontalière avec l'Egypte, informe l'agence Wafa. D'un autre côté, deux citoyens ont trouvé la mort dans un bombardement qui a ciblé une maison derrière l'école Rabéa, à Rafah.

En outre, 5 personnes ont été blessées, parmi lesquelles des enfants, suite à un raid sur une maison de la famille Barakat à Haï Essalam, toujours dans la même agglomération.

L'on apprend par ailleurs que des équipes de secours ont « récupéré les corps de huit martyrs sous les décombres d'une maison bombardée par l'occupation israélienne, à l'est de la ville de Rafah », écrit Wafa. Les victimes étaient des membres de la famille Farwana, résidant au quartier d'Al Jeneina.

L'occupant sioniste a commis pas moins de huit massacres en vingt-quatre heures, qui ont fait 84 morts et 106 blessés dans la nuit de samedi à dimanche, a indiqué hier le ministère de la Santé du gouvernement Hamas à Ghaza. Ces nouvelles victimes portent à 32 226 morts et 74 518 blessés le bilan total provisoire des tueries israéliennes dans la bande de Ghaza depuis octobre.

Nouveau carnage à un point de distribution d'aide

Samedi, un nouveau carnage a été perpétré à un point de distribution de l'aide humanitaire. Cela s'est passé au rond-point dit Koweït, aux abords de la ville de Ghaza. Selon le ministère de la Santé de Ghaza, 21 personnes ont été tuées au cours de cette attaque.

Les victimes ont été ciblées par des « tirs de chars et d'obus de l'armée d'occupation sioniste », accuse la même autorité. Belal Hazilah, un Ghazaoui qui a perdu son neveu dans cette tuerie, témoigne à l'AFP : « Il voulait emporter de la farine et de la nourriture. Il a un fils de deux mois et onze personnes dépendent de lui. Ils n'ont rien à manger (...)

Il a perdu la vie pour rien. » Décidément, les raids aux points de distribution de l'aide humanitaire tendent à se multiplier à Ghaza. Le 29 février, une attaque exécutée dans des conditions similaires à la rue Al Rashid, dans la ville de Ghaza, a fait 117 morts et 800 blessés.

Le 14 mars, la population civile qui attendait les convois d'aide au rond-point Koweït a été visée par des tirs sauvages qui ont fait 20 morts et 155 blessés. Les Brigades Azzeddine Al Qassam ont prévenu que le déluge de feu qui s'abat sur Ghaza couplé au blocus infernal qui empêche l'entrée de l'aide humanitaire et qui a provoqué une famine à grande échelle, ont été responsables de la mort de plusieurs des otages qu'elles détiennent.

Dans un nouvel enregistrement diffusé ce samedi, Abou Obeida, le porte-parole militaire des Brigades Al Qassam, a ainsi fait savoir qu'un otage israélien de 34 ans est mort faute de médicaments et d'alimentation. « Nous avions averti précédemment que les otages de l'ennemi souffraient des mêmes conditions que notre peuple, à savoir la faim, les privations et le manque de nourriture », a-t-il fustigé.

Abou Obeida avait affirmé dans une déclaration antérieure que « le nombre d'otages tués à la suite des opérations militaires de l'armée ennemie dans la bande de Ghaza pourrait dépasser 70 personnes ». Sur le terrain des négociations, les chefs de la CIA et du Mossad ont quitté Doha samedi, en fin de journée, après un nouveau round de discussions.

Les pourparlers « se sont concentrés sur les détails et un ratio pour l'échange d'otages et de prisonniers », a assuré une source à l'AFP en précisant que « les équipes techniques restaient à Doha ».

Les négociations semblent toujours buter sur de profonds désaccords. Un responsable du Hamas a fait état avant-hier de « profondes divergences » selon l'AFP. « Israël refuse d'accepter un cessez-le feu complet, il refuse un retrait total de ses forces de Ghaza et veut garder la gestion du secours et de l'aide humanitaire sous son contrôle », ce que le Hamas conteste.

Guterres appelle Israël à « lever les derniers obstacles à l'aide » pour Ghaza

Le patron de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé hier au Caire « Israël à lever les derniers obstacles à l'aide » pour la bande de Ghaza, menacée de famine, exhortant une nouvelle fois Israël et le Hamas palestinien à un « cessez-le-feu immédiat ».

« Quand on regarde Ghaza, on dirait presque que les quatre cavaliers de l'Apocalypse galopent au-dessus, semant la guerre, la famine, la conquête et la mort », a dit M. Guterres lors d'une conférence de presse conjointe avec le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri.

« Le monde entier pense qu'il est plus que temps de faire taire les armes et de mettre en place un cessez-le-feu immédiat », a-t-il ajouté. Plus tôt hier, il a rencontré le président égyptien, Abdel Fattah Al Sissi, accompagné du patron de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), Philippe Lazzarini. Cinq mois et demi d'une guerre dévastatrice ont plongé la bande de Ghaza dans une situation humanitaire catastrophique.

M. Guterres avait déjà dénoncé, samedi en Egypte, la « douleur » des Ghazaouis, prisonniers d'« un cauchemar sans fin », à l'occasion d'un déplacement au point de passage avec la ville de Rafah, située dans le sud du territoire palestinien. Israël impose un siège complet à Ghaza depuis le 9 octobre et contrôle strictement l'aide qui arrive principalement depuis l'Egypte via Rafah. Ces contrôles réduisent, selon l'ONU, le nombre de camions entrant dans le territoire palestinien.

« D'un côté de la frontière, on voit des camions humanitaires à perte de vue, de l'autre une catastrophe humanitaire qui empire chaque jour », a constaté M. Guterres. Il a également souligné le « rôle politique et humanitaire vital de l'Egypte avec l'aéroport d'Al Arich et le point de passage de Rafah, artères essentielles pour l'entrée de l'aide vitale à Ghaza ».

Premier Etat arabe à avoir reconnu Israël, l'Egypte est un médiateur traditionnel entre Israéliens et Palestiniens. Avec le Qatar, elle a contribué à l'instauration d'une trêve ayant permis fin novembre la libération d'otages et de prisonniers palestiniens.

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Gaza : nous sommes sur le point d’assister à la famine la plus grave [intense] depuis la seconde guerre mondiale

La crise sanitaire de Gaza a son propre rythme effrayant. Même si les tirs cessent aujourd'hui et que les camions d'aide commencent à circuler, les morts se poursuivront (…)

La crise sanitaire de Gaza a son propre rythme effrayant. Même si les tirs cessent aujourd'hui et que les camions d'aide commencent à circuler, les morts se poursuivront pendant un certain temps.

Tiré d'Agence médias Palestine. Source : The Guardian. Traduction ED pour l'Agence Média Palestine. Photo : Reuters Mohammed Salem.

Gaza est déjà la famine la plus importante de ces dernières décennies. Le nombre de victimes de la faim et de la maladie pourrait bientôt dépasser celui des victimes des bombes et des balles.

Le comité d'examen de la famine a signalé cette semaine que Gaza était confrontée à une « famine imminente ».

Le système de classification intégrée des phases de la famine (IPC), mis en place il y a 20 ans, fournit les évaluations les plus fiables des crises humanitaires. Les chiffres concernant Gaza sont les pires jamais enregistrés, quel que soit le critère utilisé. Il estime que 677 000 personnes, soit 32 % de l'ensemble des habitants de Gaza, se trouvent aujourd'hui dans des conditions « catastrophiques » et que 41 % d'entre eux se trouvent dans des conditions « d'urgence ». Elle s'attend à ce que la moitié des habitants de Gaza, soit plus d'un million de personnes, soient en situation de « catastrophe » ou de « famine » d'ici quelques semaines.

Un autre rapport du réseau du système d'alerte contre la famine de l'Agence américaine pour le développement international tire la même sonnette d'alarme. Il s'agit de l'avertissement le plus clair que le réseau ait jamais donné au cours de ses 40 années d'existence.

En règle générale, on entend par « catastrophe » ou « famine » un taux de mortalité quotidien dû à la faim ou à la maladie de deux personnes sur 10 000. Environ la moitié sont des enfants de moins de cinq ans. L'arithmétique est simple. Pour une population d'un million d'habitants, cela représente 200 décès par jour, soit 6 000 par mois.

À titre de comparaison, la pire famine répertoriée par le CIP a frappé la Somalie en 2011, sous l'effet conjugué de la guerre, de la sécheresse et de l'arrêt de l'aide. À son point le plus bas, 490 000 personnes se trouvaient dans une situation de « catastrophe » et un plus grand nombre dans une situation d' »urgence ». On estime que 258 000 personnes ont péri en 18 mois.

La seule autre occasion où les données de l'IPC ont fait état d'une famine a été le Soudan du Sud en 2017. La guerre civile a plongé la moitié des 10 millions d'habitants du pays dans une situation d'urgence alimentaire, 90 000 d'entre eux souffrant de famine. Environ 1 500 personnes sont mortes de faim dans les deux districts dévastés par la famine, mais quatre années d'urgence alimentaire plus large ont coûté la vie à environ 190 000 personnes.

Le seuil de « famine » est arbitraire. Au stade suivant, celui de l' »urgence », les enfants meurent déjà de faim. Lorsque les experts ont élaboré un prototype d' »échelle de la famine », ils ont placé la barre plus bas pour déclarer la famine, ce qui correspond à peu près à l' »urgence » du CIP, et ont inclus des catégories de famine « grave » et « extrême » qui correspondent aux conditions de « famine » du CIP. Ils ont également pris en compte l'ampleur – le nombre total de personnes touchées et décédées – et, plus tard, ont commencé à prendre en compte la durée. Certaines situations d'urgence alimentaire durent des années, le nombre de morts s'accumulant lentement, sans jamais franchir le seuil de la « famine » fixé par le CIP.

« Même lorsque le nombre de personnes mourant inutilement diminuera, les cicatrices de la famine »

La famine n'a jamais été déclarée au Yémen. Mais l'urgence alimentaire qui a touché des millions de personnes pendant des années de guerre a causé jusqu'à 250 000 décès dus à la famine. Dans la région du Tigré, en Éthiopie, la situation est similaire.

Nous sommes sur le point d'assister à la famine la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. Bien que ça ne sera pas la plus massive en termes de nombre de personnes, car la famine se limite aux 2,2 millions d'habitants de la bande de Gaza.

L'image que nous nous faisons de la famine est celle d'un enfant maigre qui dépérit, dont les yeux semblent gonflés alors que sa peau se rétrécit jusqu'à ses os. Certains enfants souffrent de kwashiorkor, une malnutrition aiguë caractérisée par un ventre gonflé.

Au fur et à mesure que le corps meurt de faim, le système immunitaire commence à s'affaiblir. Les personnes souffrant de malnutrition sont la proie d'infections d'origine hydrique et souffrent de diarrhées, qui provoquent une déshydratation dévastatrice. D'autres maladies transmissibles – qui aujourd'hui pourraient inclure le Covid – ravagent également les communautés. La cause la plus fréquente de décès lors d'une famine est la maladie, et non la famine en tant que telle.

Le droit pénal international définit la « famine » comme le fait de priver des personnes de ressources indispensables à leur survie. Cela comprend non seulement la nourriture, mais aussi les médicaments, l'eau potable, l'accès à des sanitaires, le logement, le nécessaire de cuisson des aliments et les soins maternels pour les enfants.

Des enfants palestiniens attendent de la nourriture le 16 février à Rafah, Gaza. Photo : Fatima Shbair/AP : Fatima Shbair/AP

Lorsque les gens sont chassés de chez eux pour se retrouver dans des camps surpeuplés, où l'eau y est rare ou insalubre, que les toilettes sont inexistantes ou insalubres, que les blessures ne sont pas soignées, les épidémies deviennent plus fréquentes et plus mortelles.

Sans abri et exposés au froid et à la pluie en hiver, à la chaleur et à la poussière en été, les gens succombent plus rapidement à la faim et à la maladie. Sans électricité ni combustible de cuisson, les mères ne peuvent pas préparer des repas que les jeunes enfants peuvent facilement digérer.

Des épidémiologistes de Londres et de Baltimore ont établi des prédictions concernant le nombre probable de décès à Gaza, toutes causes confondues, au cours des mois précédant le mois d'août. Si l'on tient compte des épidémies, leur scénario si la situations reste « telle quelle » prévoit une fourchette de 48 210 à 193 180 décès, tandis que dans le scénario « avec escalade », ces chiffres sont encore plus élevés.

La crise sanitaire de Gaza s'inscrit dans une dynamique effroyable. Même si les tirs cessent aujourd'hui et que les camions d'aide commencent à circuler, les décès se poursuivront pendant un certain temps.

Et même lorsque le nombre de personnes mourant inutilement diminuera, les cicatrices de la famine perdureront.

Les enfants en bas-âge qui survivent à la famine en subissent les conséquences tout au long de leur vie. Ils ont tendance à être plus petits que leurs camarades et à souffrir d'une réduction de leurs capacités intellectuelles. L'Organisation mondiale de la santé met en garde contre un « cycle intergénérationnel de la malnutrition » dans lequel les nourrissons ayant un faible poids à la naissance ou les filles sous-alimentées deviennent des mères plus petites et en moins bonne santé. Les dégâts causés par l'hiver hollandais de 1944 sont encore visibles de génération en génération.

La famine est également un traumatisme social. Elle déchire les communautés et détruit les moyens de subsistance. Les gens sont contraints aux pires indignités, brisant les tabous sur ce qu'ils peuvent manger et sur la manière dont ils peuvent se procurer les nécessités de la vie. Les mères doivent rationner la nourriture qu'elles donnent à leurs enfants. Elles refusent d'accueillir des voisins affamés à leur porte. Les familles vendent leurs objets de famille les plus précieux pour une bouchée de pain afin d'acheter un repas.

« Israël a été largement prévenu de ce qui arriverait s'il poursuivait sa campagne de destruction de toute ressource fondamentale à la vie »

Quel réconfort y a-t-il à dire aux parents qui ont enterré leur enfant que ce n'était pas de leur faute ? L'angoisse des survivants dure toute la vie.

Le sentiment de honte qui persiste est tel que les gens ne peuvent pas parler ouvertement de la famine, parfois pendant des générations. Il a fallu attendre près de 150 ans pour que l'Irlande commence à commémorer publiquement la grande famine des années 1840.

Tout cela est connu. Et à Gaza, il n'y a aucune marge de doute.

Dans la plupart des famines, il existe une marge d'incertitude dans les prévisions, car les gens peuvent trouver des sources inattendues de nourriture ou d'argent. Dans certaines régions rurales d'Afrique, les grands-mères peuvent reconnaître des racines et des baies sauvages comestibles, ou les travailleurs migrants peuvent trouver des moyens créatifs d'envoyer de l'argent à leurs familles. À Gaza, Israël comptabilise toutes les calories disponibles. En 2008, le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires a calculé chaque aspect de la production et de la consommation alimentaires de Gaza, dans les moindres détails, et en a extrait les « lignes rouges » nécessaires pour maintenir les Palestiniens dans ce qu'il a appelé un « régime », frôlant la famine.

Jusqu'au 7 octobre 2023, Israël était, selon sa propre analyse, juste du bon côté des lois internationales interdisant la famine. Environ 500 camions de produits de première nécessité entraient chaque jour pour pourvoir aux besoins des fermes, des zones de pêche et du bétail local. Ces derniers mois, moins d'un tiers de ce nombre a été autorisé à entrer, alors que la production alimentaire locale a été réduite à presque rien.

Israël a été largement prévenu de ce qui arriverait s'il poursuivait sa campagne de destruction de tout ce qui est nécessaire à la vie. Le rapport du comité d'examen de la famine du CIP du 21 décembre a mis en garde contre la famine si Israël ne cessait pas ses destructions et n'autorisait pas l'entrée de l'aide humanitaire à grande échelle. Le juge israélien désigné pour siéger à la Cour internationale de justice, Aharon Barak, a voté avec la majorité de la Cour en faveur de « mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire dont le besoin se fait sentir d'urgence ».

Israël n'a pas changé de cap. Les fournitures qui entrent dans la bande de Gaza sont très inférieures aux calories minimales qu'Israël avait spécifiées avant la guerre. Les largages aériens de fournitures par les Américains et l'ouverture d'un port d'urgence ne sont qu'un piteux simulacre de solution de remplacement.

La famine sévit aujourd'hui à Gaza. Nous ne devrions pas avoir à attendre de compter les tombes d'enfants pour prononcer son nom.

Alex de Waal, le 21 mars 2024

• Alex de Waal est un écrivain spécialisé dans les questions humanitaires, les conflits et la paix, et un expert de la Corne de l'Afrique. Il est directeur exécutif de la World Peace Foundation et professeur de recherche à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l'université Tufts, dans le Massachusetts.

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L’Occident fournit des armes à Israël tout en discutant de l’acheminement de l’aide à Gaza

L'Occident risque-t-il d'être accusé de complicité en fournissant des armes à Israël, compte tenu de son génocide plausible à Gaza ? Alors que les législateurs d'une grande (…)

L'Occident risque-t-il d'être accusé de complicité en fournissant des armes à Israël, compte tenu de son génocide plausible à Gaza ? Alors que les législateurs d'une grande partie de l'Occident débattent de la mesure dans laquelle Israël pourrait entraver le passage de l'aide vitale à Gaza, les exportations d'armes qui sous-tendent en grande partie la guerre d'Israël contre l'enclave assiégée continuent d'affluer.

Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié à l'origine par Al Jazeera. Photo : Les opérations se poursuivent à Gaza @ Armée israélienne.

Depuis le début de la guerre, le volume d'armes entrant en Israël a augmenté, car d'énormes quantités de munitions sont utilisées pour raser des zones de Gaza, tuer, mutiler et déplacer la population civile.

"D'un côté, nous avons ce besoin humanitaire urgent, de l'autre, nous avons cette fourniture continue d'armes au pays d'Israël, [qui] crée ce besoin", a déclaré Akshaya Kumar, directeur de la défense des droits en cas de crise à Human Rights Watch (HRW).

Le droit international

Lorsqu'il s'agit d'armer un autre pays, le droit international prévoit des règles et des conventions pour contrôler qui arme qui et à quoi servent les armes.

En vertu de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide - dont la Cour internationale de justice (CIJ) a jugé en janvier qu'elle pourrait être en cours à Gaza - les États sont légalement tenus de prévenir les génocides, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.

Les États-Unis ont refusé de signer la convention jusqu'en 1988.

En vertu du traité international sur le commerce des armes, dont les États-Unis ne sont pas signataires, il est interdit à un pays d'exporter des armes vers un État qu'il soupçonne de les utiliser à des fins "de génocide, de crimes contre l'humanité ou d'attaques dirigées contre des biens civils ou des personnes civiles protégées en tant que telles. "

Selon le ministère palestinien de la santé à Gaza, plus de 31 000 Palestiniens, principalement des femmes et des enfants, sont morts à ce jour à cause de la guerre d'Israël contre Gaza, et quelque 73 000 ont été blessés. Les établissements de santé, également attaqués et assiégés, ne sont plus en mesure de prendre en charge les blessés et les mourants depuis des mois.

L'enclave est au bord de la catastrophe humanitaire. Le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, a déclaré mercredi au Conseil de sécurité des Nations unies qu'Israël utilisait la faim comme arme de guerre et provoquait une catastrophe en empêchant l'aide d'entrer.

Israël a également tiré sur les personnes qui se rassemblaient pour obtenir le peu d'aide autorisée.

Alors que "les États occidentaux se sont récemment donné beaucoup de mal pour qu'Israël reconnaisse son rôle dans la création des souffrances que nous voyons à Gaza", a déclaré M. Kumar de HRW, "nous ne constatons pas de réduction correspondante du flux d'armes en provenance d'États tels que les États-Unis, l'Allemagne et d'autres pays".

Les principaux fournisseurs d'armes d'Israël se sont concentrés sur l'acheminement de l'aide dans la bande de Gaza, afin d'atteindre les Palestiniens attaqués avec un grand nombre des armes qu'ils ont vendues à Israël.

Le président américain Joe Biden a profité de son discours sur l'état de l'Union cette année pour annoncer la création d'un corridor maritime qui, selon lui, permettrait de contourner Israël et d'acheminer de l'aide à Gaza.

La réalité sur le terrain

Si certains pays ont suspendu leurs exportations d'armes vers Israël à la suite de la guerre contre Gaza, d'importants fournisseurs subsistent.

La contribution annuelle des États-Unis au budget militaire israélien, qui s'élève à environ 3,8 milliards de dollars, s'est poursuivie. En outre, les États-Unis ont approuvé en février une enveloppe supplémentaire de 14 milliards de dollars pour Israël, dans le but, semble-t-il, de préparer Israël à une "guerre sur plusieurs fronts", ce que beaucoup interprètent comme l'ouverture d'un autre front contre le groupe armé du Hezbollah au Liban.

Selon l'Institut de Stockholm pour la paix, les États-Unis fournissent 69 % des importations d'armes d'Israël, mais de récentes informations confidentielles au Congrès américain, rapportées par le Washington Post, suggèrent que ce n'est pas tout à fait le cas.

Un vide juridique dans la loi américaine sur le contrôle des exportations d'armes - qui régit l'exportation et l'utilisation finale des armes expédiées des États-Unis - signifie que seuls les paquets d'une certaine valeur doivent être contrôlés par le Congrès, ce qui signifie que des "paquets groupés" d'une valeur inférieure à ce seuil passent régulièrement inaperçus.

Jusqu'à présent, une centaine de livraisons d'armes ont été effectuées sans aucun rapport public, ce qui a provoqué un tollé parmi les groupes de la société civile. "Avec les ventes et les transferts d'armes inférieurs aux seuils, nous n'avons que peu d'informations sur les munitions expédiées - c'est un trou noir", a déclaré Ari Tolany, directeur du Security Assistance Monitor au Center for International Policy, basé aux États-Unis."

De même, alors que le gouvernement israélien prétend pouvoir assurer à M. Biden que ces armes sont utilisées dans le respect du droit international humanitaire, les preuves recueillies à Gaza montrent que ce n'est pas le cas.

Les États-Unis maintiennent qu'ils agissent dans le respect des dispositions de la loi.

Les exportations d'armes de l'Allemagne vers Israël ont également augmenté : Berlin a expédié pour 350 millions de dollars d'armements, soit dix fois plus qu'en 2022, la plupart de ces exportations ayant été approuvées après l'attaque du Hamas contre Israël.

D'autres pays, tels que l'Australie, le Canada, la France et le Royaume-Uni, ont tous été cités dans un rapport des Nations unies publié en février comme pays maintenant leurs approvisionnements.

En réponse à une question d'Al Jazeera sur la responsabilité liée à l'armement d'Israël alors qu'il dévaste Gaza, un porte-parole du département d'État américain a écrit qu'il "n'y a pas eu de détermination qu'Israël a commis un génocide, y compris devant la CIJ".

Ces dernières semaines, le Royaume-Uni et d'autres pays ont adopté une position similaire face à la crise humanitaire de plus en plus grave qui sévit à Gaza et qui a fait l'objet d'un grand nombre de reportages. Ils ont maintenu leurs activités habituelles tout en exprimant leur crainte que les armes qu'ils continuent de fournir ne soient utilisées lors d'un assaut imminent sur Rafah, où 1,4 million de civils se réfugient.

Opposition

Cependant, alors que de nombreux pays occidentaux continuent de fournir des armes à Israël, d'autres anciens exportateurs semblent conscients des risques juridiques liés à l'octroi d'une licence d'armement à un État dont la CIJ a estimé qu'il était plausible qu'il commette un génocide.

Outre la condamnation de la police d'Anvers par le parti travailliste belge pour sa décision d'importer des armes antiémeutes d'Israël, il existe des interdictions plus larges et plus anciennes sur les ventes d'armes à Israël.

Peu après le début de l'assaut sur Gaza en octobre, l'Italie et l'Espagne ont interrompu leurs livraisons d'armes à Israël, bien que ce dernier continue de fournir des munitions pour "l'affichage". Le gouvernement régional wallon de Belgique, ainsi que la société japonaise Itochu Corporation, ont également annoncé qu'ils mettaient fin à leurs exportations d'armes.

En février, un juge néerlandais a confirmé une décision bloquant l'exportation de pièces de F-35 vers Israël, en déclarant : "Il est indéniable qu'il existe un risque évident que les pièces de F-35 exportées soient utilisées pour commettre de graves violations du droit humanitaire international".

Les Nations unies ont déjà mis en garde contre les risques juridiques liés à l'exportation d'armes vers Israël dans leur rapport d'experts, dont le titre est sans équivoque : "Les exportations d'armes vers Israël doivent cesser immédiatement".

Le Royaume-Uni est soumis à des pressions juridiques pour qu'il revienne sur sa position concernant les exportations d'armes vers Israël, tandis qu'aux États-Unis, l'ONG Center for Constitutional Rights (CCR) fait appel de son action contre le président, le secrétaire d'État et le secrétaire à la défense pour la poursuite des exportations d'armes vers un État potentiellement engagé dans un génocide.

Le tribunal initial (à Oakland, en Californie) a statué que la fourniture d'armes à Israël était en fin de compte une "question politique"", a déclaré à Al Jazeera Astha Sharma Pokharel, une avocate du CCR.

Toutefois, bien que le juge ait admis que la région ne relevait pas de sa compétence, il a demandé à l'exécutif de reconsidérer son "soutien indéfectible" aux attaques d'Israël contre les Palestiniens, ce qui est tout à fait inhabituel.

Abus documentés

Le fait qu'Israël ait pu utiliser des armes fournies par l'Occident pour tuer et mutiler plus de 100 000 personnes, ainsi que pour contribuer à la détresse d'un nombre incalculable d'autres personnes, est une conclusion de plus en plus fréquente dans les rapports des observateurs, des organisations d'aide et des analystes.

Au cours des premières semaines de janvier, les locaux de l'International Rescue Committee et de l'ONG Medical Aid for Palestine, situés dans l'une des "zones de sécurité" désignées par l'armée israélienne à Gaza, ont été frappés par un avion israélien.

Des enquêtes ultérieures ont révélé qu'il s'agissait d'une "bombe intelligente" tirée par un chasseur F-16, tous deux fabriqués aux États-Unis et dont les pièces détachées provenaient du Royaume-Uni.

Dans une déclaration faite cette semaine, les deux organisations ont indiqué que leurs tentatives pour comprendre ce qui s'est passé en janvier ont donné lieu à six versions différentes des événements de la part de l'armée israélienne et à aucun engagement de la part des États-Unis et du Royaume-Uni de demander des comptes à Israël pour l'utilisation de leurs armes en violation du traité sur le commerce des armes, ratifié par le Royaume-Uni en 2014.

Les rapports précédents ont documenté l'abus par Israël du langage de la protection humanitaire pour entasser les gens dans des zones de plus en plus petites censées être "sûres" et ensuite lancer des attaques sur ces mêmes personnes.

La guerre contre Gaza ne montre aucun signe d'apaisement.

Actuellement, Israël parle de créer des "îles humanitaires" au centre de Gaza avant de lancer un assaut terrestre sur Rafah, qu'il menace depuis des semaines.

Pendant ce temps, des millions de personnes attendent, réfugiées dans la ville et dans toute la bande de Gaza.

Traduction : AFPS

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Guerre à Gaza : Netanyahou « suggère que le nouveau port construit par les États-Unis pourrait aider à expulser les Palestiniens »

Cette suggestion a provoqué la colère des Palestiniens, qui suggèrent depuis longtemps que le but ultime des opérations israéliennes à Gaza est leur expulsion de la région. (…)

Cette suggestion a provoqué la colère des Palestiniens, qui suggèrent depuis longtemps que le but ultime des opérations israéliennes à Gaza est leur expulsion de la région.

Tiré de France Palestine Solidarité. Paru dans Middle East Eye. Photo : 10 janvier 2024, des Palestiniens marchent au milieu des destructions dans les zones d'Al Matahin et d'Al Qarara dans le nord de Khan Younis © UNRWA/Ashraf Amra

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou aurait suggéré que le nouveau port temporaire construit par les États-Unis au large de Gaza, installé pour faciliter l'acheminement de l'aide jusqu'à l'enclave assiégée, pourrait être utilisé pour expulser les Palestiniens.

Washington a annoncé plus tôt ce mois-ci son intention de construire un quai flottant « temporaire » sur la côte de Gaza en vue de faciliter l'acheminement de l'aide.

« Une jetée temporaire augmentera considérablement la quantité d'aide humanitaire qui arrive chaque jour à Gaza », a déclaré le président américain Joe Biden.

Cependant, lors d'une réunion privée de la commission des Affaires étrangères et de la Sécurité de la Knesset, Netanyahou a suggéré que le port pourrait également faciliter l'expulsion des Palestiniens de Gaza.

Netanyahou a affirmé qu'il n'y avait « aucun obstacle » à ce que les Palestiniens quittent la bande de Gaza, hormis le refus d'autres pays de les accepter, selon un journaliste de Kan News.

Cette suggestion a provoqué la colère des Palestiniens, qui suggèrent depuis longtemps que le but ultime des opérations israéliennes à Gaza est leur expulsion de la région.

« Il n'a jamais abandonné son rêve d'un nettoyage ethnique complet des Palestiniens à Gaza », a réagi sur X (anciennement Twitter) Mustafa Barghouti, leader de l'Initiative nationale palestinienne.

Alors que Gaza est totalement assiégée depuis près de six mois, le ministère palestinien de la Santé a déclaré qu'environ un enfant sur trois souffrait désormais de malnutrition aiguë et que 2 sur 10 000 mouraient de faim.

Plus de la moitié de la population est désormais au bord de la famine, la majeure partie dans les gouvernorats du nord, où l'accès humanitaire est extrêmement limité.

L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture a indiqué lundi que le nord de Gaza souffrirait de la famine d'ici mai.

Israël a nié avoir restreint l'entrée de l'aide à Gaza, affirmant que l'ONU était responsable du blocage des livraisons d'aide.

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