Presse-toi à gauche !

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...

Pornographie, prostitution et violence à l’égard des femmes et des filles

15 octobre 2024, par nordicmodelnow.org — ,
Lors d'une interview accordée cette semaine, la ministre de l'intérieur, Yvette Cooper, a déclaré aux journalistes que la pornographie violente « modifiait fondamentalement » (…)

Lors d'une interview accordée cette semaine, la ministre de l'intérieur, Yvette Cooper, a déclaré aux journalistes que la pornographie violente « modifiait fondamentalement » l'opinion des garçons sur la sexualité.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Dans près d'un tiers des viols signalés à la police au cours de l'année se terminant en mars 2024, les victimes étaient des filles âgées de 18 ans ou moins, et les forces de police ont reçu plus de signalements de viols de la part de filles de 14 ans que de tout autre groupe d'âge.

S'il est excellent que le ministre de l'intérieur reconnaisse publiquement la nature catastrophique de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, nous ne devrions pas être surpris. Comme l'a expliqué notre conseillère politique, Esther, lors de notre webinaire « Repenser le consentement » en février, la détérioration des attitudes des jeunes à l'égard du sexe et de la violence sexuelle est évidente depuis des années et a été confirmée par des enquêtes sur les attitudes à l'égard du viol et de l'agression sexuelle en 2018 et six ans plus tard, en 2024.

Dans l'enquête de 2018, les jeunes répondants avaient des opinions plus proches de la loi que les répondants plus âgés qui avaient grandi à une époque où la violence et les abus domestiques n'étaient pas pris au sérieux et où le viol conjugal n'était pas considéré comme un crime. Six ans plus tard, la situation s'est inversée.

L'enquête 2024 a révélé que les opinions des 18-24 ans s'étaient considérablement détériorées et correspondaient désormais moins à la loi que celles des personnes plus âgées. Cela suggère que le porno et les idées fausses diffusées dans les espaces numériques ont plus d'influence que ce que les jeunes apprennent à l'école, et que cela est probablement aussi vrai pour les moins de 18 ans.

Mais ce n'est pas tout. Des données policières récentes montrent que les enfants sont aujourd'hui les principaux auteurs d'abus sexuels (signalés) à l'encontre d'enfants et la police affirme que l'implication de délinquants mineurs est exacerbée par l'accessibilité de la pornographie violente. Les médias s'entendent pour déformer la loi en disant, par exemple, « un homme a été condamné pour avoir eu des relations sexuelles avec un enfant de 12 ans », alors qu'il s'agit, aux yeux de la loi en Angleterre et au Pays de Galles, du viol d'un enfant.

D'autres idées fausses proviennent de l'environnement social et culturel qui autorise et même valorise l'industrie de la prostitution et ses dérivés et portails en ligne en constante expansion (tels que OnlyFans, et les sites de webcamming et de publicité pour la prostitution) qui présentent aux hommes et aux garçons un catalogue sans fin de jeunes femmes apparemment sexuellement disponibles et désireuses, voire désespérées, de satisfaire leurs moindres caprices, tout en définissant simultanément cela comme un excellent travail pour les femmes, grâce à l'utilisation et à l'acceptation de la terminologie « travail du sexe ».

C'est très trompeur, tout comme lorsque les grands sites pornographiques font la promotion de pratiques dangereuses et violentes pour obtenir plus de clics, suggérant ainsi aux enfants et aux jeunes que la violence sexuelle est ce qu'est le sexe. Ce que les hommes achètent dans la prostitution – et dans le webcamming et les contenus « intimes » sur OnlyFans, etc – n'est pas une intimité sexuelle saine et mutuellement satisfaisante, mais plutôt le contrôle de l'activité sexuelle. Il s'agit d'une sexualité aux conditions de l'homme, avec peu ou pas de considération pour les souhaits, les sentiments ou le plaisir de la femme – alors qu'elle est obligée de prétendre que c'est agréable et que c'est un étalon – sous peine de ne pas être payée ou de subir des représailles de la part du bordel, du site web, de l'agence ou de son petit ami/proxénète, si ce n'est du client lui-même.

On ne saurait trop insister sur la confusion qui en résulte pour tout le monde, et en particulier pour les garçons et les jeunes hommes. Les commentaires que les acheteurs de sexe publient sur les forums de parieurs et ailleurs à propos de leurs rencontres avec des femmes prostituées illustrent cette confusion et montrent clairement que les hommes poursuivent régulièrement l'activité sexuelle même s'il est évident pour le lecteur que les femmes qu'ils ont payées n'étaient pas consentantes, faisaient l'objet de menaces ou de coercition, étaient en état d'ébriété ou manquaient d'autonomie pour d'autres raisons. En d'autres termes, de nombreux hommes n'ont aucune honte à savoir que ce à quoi ils se livrent et qu'ils décrivent publiquement est en fait une agression sexuelle au regard de la loi britannique.

Au NMN, nous sommes convaincus que l'épidémie de violence masculine à l'encontre des femmes et des jeunes filles ne changera guère tant que notre société ne sera pas plus honnête sur ce qui se passe réellement et ne tolérera pas plus longtemps cet abus commercialisé et sanctionné par l'État à l'encontre des femmes et des jeunes filles.

Le droit misogyne n'apparaît pas soudainement dans le vide. Il est entretenu et cultivé par une culture profondément misogyne. Ce phénomène persistera tant que les jeunes verront les hommes plus âgés qui paient pour des rapports sexuels (et les tiers qui en profitent) échapper à toute sanction. Les hommes qui paient pour avoir des relations sexuelles sont plus susceptibles d'être violents envers d'autres femmes et le cycle de la violence à l'égard des femmes se poursuivra.

Si le ministre de l'intérieur veut vraiment prévenir et réduire la violence à l'égard des femmes et des jeunes filles, il doit d'urgence prendre des mesures pour réduire la demande de prostitution en sanctionnant les acheteurs et les proxénètes, en apportant un soutien aux femmes qui veulent sortir de la prostitution et en introduisant des programmes pour éduquer les jeunes. Elle doit introduire le modèle nordique, ainsi qu'une vérification rigoureuse de l'âge pour tout le porno en ligne et la fermeture des grands sites de publicité pour la prostitution.

En savoir plus sur l'influence du porno sur les attitudes et les comportements.

En mars 2024, nous avons répondu à l'appel à contribution du ministère de la science, de l'innovation et de la technologie concernant la réglementation, la législation et l'application de la loi en matière de pornographie, dans le cadre de l'examen indépendant de la pornographie mis en place par le gouvernement conservateur.

Pour une version abrégée de nos réponses et pour télécharger une copie PDF de nos réponses complètes, voir Preuves de l'impact néfaste de la pornographie en ligne sur les spectateurs et la société.

https://nordicmodelnow.org/2024/09/22/pornography-prostitution-and-violence-against-women-and-girls/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Féminicides : refuser le prisme xénophobe

Tous les deux jours en France, une femme est tuée. Toutes les 2 min 30 une femme est violée ou subit une tentative de viol. La plupart du temps, ces crimes sont accueillis par (…)

Tous les deux jours en France, une femme est tuée. Toutes les 2 min 30 une femme est violée ou subit une tentative de viol. La plupart du temps, ces crimes sont accueillis par un silence assourdissant de la classe politique.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/12/feminicides-refuser-le-prisme-xenophobe/

La mort d'une jeune femme dont le meurtrier présumé était sous le coup d'une OQTF a suscité, elle, de nombreuses réactions.

Les un·es ont pensé pouvoir tirer profit de ce drame pour appeler à un énième renforcement de l'arsenal législatif contre les personnes étrangères. Les autres, le considérant suffisant, ont appelé à identifier le dysfonctionnement de la chaîne administrative ou pénale qui a permis la remise en liberté de cet étranger avant son expulsion vers le Maroc.

Qui pour faire remarquer que la polémique autour de cette expulsion ne sert qu'à détourner l'attention de la question cruciale, qui se pose universellement, des violences faites aux femmes ?

Qui pour affirmer que la nationalité de l'auteur ou de la victime de tels actes n'ajoute ni ne retranche rien à l'horreur qu'ils suscitent légitimement ?

À vouloir imposer une grille de lecture xénophobe des causes de cet assassinat, où la nationalité de son auteur écrase toute autre considération et obère toute capacité à penser l'enchaînement des facteurs qui y a conduit, certain·es alimentent délibérément les racismes, la peur et la haine sur lesquelles ils et elles construisent leur projet politique.

À vouloir rechercher des failles dans un dispositif d'expulsion érigé en rempart contre toutes les menaces, alors qu'il fonctionne déjà en surrégime, d'autres finissent par oublier que la liberté recouvrée par l'auteur d'un viol à l'issue de sa peine n'est pas la cause de sa récidive. Brouiller ainsi la frontière entre les causes et les circonstances d'un crime, et oublier le caractère structurel des violences contre les femmes, ne font qu'alimenter ces mêmes analyses xénophobes.

La lutte contre les féminicides ne saurait relever de la rhétorique sécuritaire absurde qui prétend éradiquer le crime en stigmatisant quelques criminels. Elle n'a que faire des frontières, qui n'en protègent pas plus les victimes qu'elles n'en dissimulent les auteurs.

Un féminicide est un crime où qu'il soit commis et quel qu'en soit l'auteur. Le Gisti refusera toujours de se prêter aux raccourcis et aux amalgames sur lesquels prospère la logique délétère de l'étranger bouc émissaire.

Paris, le 9 octobre 2024
https://www.gisti.org/spip.php?article7359

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Turquie. Les femmes dans la rue contre les féminicides toujours plus nombreux

15 octobre 2024, par Kurdistan au féminin — , ,
TURQUIE / KURDISTAN – En Turquie, y compris dans les régions kurdes du pays, six femmes ont été assassinées par des hommes en 4 jours (entre le 4 octobre et le 8 octobre). (…)

TURQUIE / KURDISTAN – En Turquie, y compris dans les régions kurdes du pays, six femmes ont été assassinées par des hommes en 4 jours (entre le 4 octobre et le 8 octobre).

Tiré de Entre les lignes et les mots

Par ailleurs, la petite Sila de 2 ans qui a été violée et frappée par plusieurs individus est décédée hier, après 30 jours passés aux soins intensifs. Les femmes sont de nouveau descendues dans les rues à travers le pays, exhortant le gouvernement à protéger la vie des femmes, en appliquant notamment la Convention d'Istanbul.

« Les féminicides sont politiques »

Les femmes tiennent le gouvernement responsable de ce qu'elles appellent la politique d'impunité et exigent une mise en œuvre effective de la loi sur les violence faites aux femmes.

Le meurtre de deux jeunes femmes de 19 ans par un homme du même âge le 4 octobre a déclenché des manifestations dans toute la Turquie. L'agresseur, identifié comme Semih Çelik, a tué İkbal Uzuner, qu'il traquait depuis des années, et Ayşenur Çelik, ses camarades de classe.

Selon les informations, Çelik aurait assassiné Ayşenur chez lui en lui tranchant la gorge, puis aurait tué İkbal près des remparts historiques de la ville, dans le quartier d'Edirnekapı, dans le district de Fatih, où il l'aurait décapitée. Il s'est suicidé après les meurtres. Les funérailles des deux femmes ont eu lieu le 5 octobre.

Les manifestations ont également mis en lumière un autre incident qui a provoqué l'indignation, où deux hommes ont ouvertement harcelé une femme dans le quartier de Beyoğlu, un quartier touristique connu pour sa vie nocturne animée, selon des images qui ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux le 4 octobre.

Bien que les hommes aient été initialement libérés après avoir été arrêtés par la police, à la suite de réactions sur les réseaux sociaux, ils ont été de nouveau détenus puis arrêtés par un tribunal.

Ce week-end, des groupes de défense des droits des femmes ont organisé des manifestations dans tout le pays, dénonçant la « politique d'impunité » du gouvernement comme étant à l'origine des violences masculines. Les manifestants demandent à la Turquie de rejoindre la Convention d'Istanbul, un traité du Conseil de l'Europe visant à prévenir les violences faites aux femmes, dont le pays s'est retiré en 2021.

En outre, ils exigent l'application effective de la loi 6284, qui s'appuie sur la convention mais qui a fait l'objet de critiques pour sa mauvaise mise en œuvre, notamment après le retrait.

« L'impunité encourage les auteurs de crimes »

À Istanbul, des centaines de femmes se sont rassemblées sur la place Tünel, sur l'avenue Istiklal, un lieu central de Beyoğlu. La foule comprenait les députées du Parti pour l'égalité des peuples et la démocratie (DEM), Özgül Saki et Kezban Konukçu.

Les femmes ont scandé des slogans tels que « Arrêtez les meurtriers, pas les femmes », « Les féminicides sont politiques (Kadın cinayetleri politiktir) », « L'État protège, les hommes tuent », « La justice, c'est nous, nous ne nous tairons pas » et « Où est l'État, les femmes sont là ».

La police a d'abord empêché le groupe de défiler sur l'avenue. Cependant, après des tentatives répétées, elle les a autorisés à avancer jusqu'à la place Şişhane, où les femmes ont lu une déclaration publique.

Dans leur déclaration, les femmes ont condamné l'incapacité de l'État à protéger les femmes et critiqué la clémence dont il fait preuve à l'égard des harceleurs et des meurtriers. Les militants ont souligné que les femmes en Turquie se tournent souvent vers les réseaux sociaux pour obtenir justice, car les autorités sont perçues comme encourageant la violence avec leurs politiques d'impunité.

« Les hommes qui ont agressé et harcelé une femme à Beyoğlu ont été libérés malgré leur casier judiciaire, mais ont été à nouveau arrêtés après l'indignation du public. L'État, par le biais de son système judiciaire et de ses forces de l'ordre, ne prend pas en compte les témoignages des femmes mais plutôt les réactions sur les réseaux sociaux. Les femmes victimes de violences sont obligées de chercher refuge sur les réseaux sociaux, et non dans les commissariats de police », peut-on lire dans le communiqué.

Dans leur déclaration, les manifestants ont condamné l'incapacité de l'État à protéger les femmes et critiqué la clémence dont il fait preuve à l'égard des harceleurs et des meurtriers. Les militants ont souligné que les femmes en Turquie se tournent souvent vers les réseaux sociaux pour obtenir justice, car les autorités sont perçues comme encourageant la violence avec leurs politiques d'impunité.

« Nous savons que vous essayez de rendre les rues dangereuses pour les femmes. Avec des remarques telles que « Que faisait-elle dehors à cette heure-là ? » et des politiques promouvant une « cellule familiale forte », vous essayez de nous confiner chez nous. Votre langage sexiste, qui dicte combien d'enfants les femmes devraient avoir ou à quelle heure elles devraient être dans la rue, encourage la violence masculine. Vous voulez transformer les femmes en membres dociles d'un système familial oppressif et exploiteur. Nous rejetons cela », poursuit le communiqué.

Les manifestantes ont également dénoncé les tentatives visant à minimiser la violence masculine en invoquant l'alcoolisme ou la toxicomanie, soulignant que la cause profonde est le patriarcat et que les auteurs sont des hommes. Elles ont averti que tenter de détourner l'attention en se concentrant sur la race ou le statut de réfugié des agresseurs ne résoudrait pas le problème de la violence contre les femmes, car des hommes de tous horizons commettent de tels actes.

« Nous sommes confrontés à un gouvernement qui encourage les auteurs de violences en se retirant de la Convention d'Istanbul, en affaiblissant les acquis durement acquis en matière de droits des femmes et en libérant les hommes violents des commissariats de police et des palais de justice », conclut le communiqué.

« Partout des scènes de crime »

Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs provinces au cours du week-end. Dans la ville kurde de Diyarbakır, des groupes de femmes et des politiciens se sont rassemblés, notamment l'éminente femme politique kurde Gültan Kışanak et la co-maire de Van Neslihan Şedal.

« Nous continuerons à nous battre pour chaque femme arrachée à la vie par la violence », a déclaré Şedal.

Suzan İşbilen, présidente de l'Association des femmes Rosa, a souligné que les féminicides ont augmenté sous le régime du Parti de la justice et du développement (AKP) et du Parti du mouvement nationaliste (MHP). Elle a qualifié les meurtres récents non seulement d'actes individuels mais de crimes politiques enracinés dans des normes patriarcales qui cherchent à contrôler les femmes.

À Şırnak, une autre ville peuplée de Kurdes, un groupe de femmes, dont la députée du parti DEM, Newroz Uysal-Asla, s'est rassemblé, brandissant une banderole sur laquelle on pouvait lire « Partout des scènes de crime ».

« Nous savons que nous pouvons créer une vie égale, libre, non violente et sans exploitation, où nous ne serons pas assassinés dans la rue, maltraités dans les dortoirs, exploités sur les lieux de travail et dans les familles. Nous allons intensifier notre lutte jusqu'à ce que nous construisions une vie libre pour chacun d'entre nous », a déclaré le groupe dans un communiqué.

« Nous mettrons fin à l'impunité »

À Eskişehir, des femmes se sont rassemblées devant le monument d'Ulus, scandant des slogans contre l'impunité et portant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « Nous mettrons fin à l'impunité. Nous mettrons fin au harcèlement et aux meurtres. »

Dans un communiqué, les manifestants ont condamné l'inaction des autorités malgré le fait que la victime, İkbal Uzuner, ait déposé à plusieurs reprises des plaintes contre le tueur, Semih Çelik, avant d'être assassinée.

« Les femmes ne veulent plus voir vos condoléances. Elles veulent voir des actes tant qu'elles sont encore en vie », ont déclaré les manifestants, appelant à l'application effective de la loi 6284 et au retour de la Turquie à la Convention d'Istanbul.

« Nous voulons une vraie justice, pas une justice masculine »

À Izmir, des femmes se sont rassemblées sur la place de la démocratie Aliağa, scandant : « Les féminicides sont politiques », « Nous voulons une vraie justice, pas une justice masculine » et« Nous ne nous tairons pas, nous n'obéirons pas ». Deniz Gültekin, lisant une déclaration au nom du groupe, a exprimé son indignation face à la violence croissante contre les femmes et au manque d'application de la loi. « Nous ne sommes pas en deuil, nous sommes en révolte », a-t-elle déclaré, critiquant le gouvernement qui a libéré des meurtriers et des pédophiles dans la société grâce à des lois d'amnistie.

À Bolu, la Plateforme des femmes a organisé une manifestation sur la place Kardelen, avec Pınar Altun Akkuş du Syndicat des travailleurs de l'éducation et des sciences (Eğitim-Sen) soulignant le chagrin et la colère collectifs que ressentent les femmes, alors qu'elles vivent dans la peur constante de devenir la prochaine victime.

Elle a critiqué le gouvernement pour avoir rejeté des propositions au parlement qui auraient pu contribuer à prévenir de nouvelles violences, promettant que les femmes continueraient à se battre pour leur droit de vivre librement et en sécurité. (Bianet)

https://kurdistan-au-feminin.fr/2024/10/08/turquie-les-femmes-dans-la-rue-contre-les-feminicides-toujours-plus-nombreux/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Comment le système mondial de la dette étouffe les pays africains

15 octobre 2024, par Jaume Portell Caño, Lydia Namubiru — , ,
Selon le FMI, le ratio d'endettement moyen en Afrique subsaharienne a presque doublé en dix ans : il est passé de 30 % du PIB à la fin de 2013 à un peu moins de 60 % du PIB à (…)

Selon le FMI, le ratio d'endettement moyen en Afrique subsaharienne a presque doublé en dix ans : il est passé de 30 % du PIB à la fin de 2013 à un peu moins de 60 % du PIB à la fin de 2022. À partir du cas de l'or sénégalais, “The Continent” décrit des mécanismes d'endettement qui poussent les pays africains à emprunter aux sociétés internationales qui s'enrichissent en exploitant les matières premières du continent.

Tiré de Courrier international. Publié en anglais dans The Continent. Légende de la phot : Mine d'or traditionnelle à Ngari, dans la région de Kédgougou (Sénégal) en octobre 2023. Photo Frédéric Koller/Le temps.

La vie est paradoxale à Kédougou, au Sénégal, car la pauvreté côtoie la richesse aurifère. Des 17 tonnes d'or exportées par le Sénégal en 2023, plus de la moitié (9,13 tonnes) venait de la mine de Sabodala, à Kédougou. Pourtant, c'est tout juste si la population accède aux services de base.

“L'exploitation de l'or laisse aux populations de la pollution, mais quasiment aucun avantage”, affirme Ahmad Dame Seck, directeur du lycée de Dindéfélo, à Kédougou. Il explique que lorsque ses élèves terminent leur scolarité (ou y renoncent), ils se retrouvent au chômage, restent dans la précarité du secteur informel ou émigrent en Europe, alors même qu'ils sont voisins d'une machine à fabriquer de l'argent.

Emprunter à son exploiteur

L'entreprise britannique qui a racheté la mine de Sabodala en 2021, Endeavour Mining, en a tiré au moins 598 millions de dollars [543 millions d'euros] depuis. Dans ses derniers rapports financiers, Endeavour Mining valorise la mine sénégalaise à plus de 2,5 milliards de dollars [2,27 milliards d'euros]. L'entreprise possède aussi des mines en Côte d'Ivoire, au Burkina Faso et au Mali, valorisées à près de 3 milliards de dollars [2,73 milliards d'euros]. Endeavour Mining conserve 90 % des bénéfices de ses activités sénégalaises, qui sont bien sûr partagés avec ses actionnaires. L'État sénégalais conserve les 10 % restants.

C'est notamment à cause de contrats inéquitables dans l'industrie extractive que le Sénégal peine à engranger suffisamment de recettes pour administrer le pays. Quand ses coffres sont vides, le gouvernement doit emprunter sur les marchés internationaux de capitaux. Il se tourne souvent, et c'est un cruel paradoxe, vers des sociétés qui précisément soutirent l'essentiel des revenus de l'extraction des gisements aurifères sénégalais.

Dans une nouvelle analyse exclusive, The Continent montre que 40 % des parts d'Endeavour Mining appartiennent à 17 sociétés d'investissement qui détiennent aussi des obligations souveraines sénégalaises. L'État sénégalais leur doit plus de 271 millions de dollars [246 millions d'euros].

Lorsque le Sénégal verse les intérêts annuels de ces obligations – jusqu'à 7,75 % selon les titres –, ces sociétés qui engrangent déjà la majorité de l'argent issu de l'or sénégalais profitent aussi du fait que le pays manque d'argent.

Une mécanique de la dette qui étouffe l'Afrique

Cette dynamique – se remplir les poches pour ensuite consentir des emprunts – existe dans de nombreux pays. Les États d'Afrique ont émis des dizaines d'obligations internationales, soit l'emprunt d'au moins 84 milliards de dollars [76 milliards d'euros] auprès de sociétés étrangères d'investissement telles que BlackRock, Fidelity, HSBC, Schwab, etc. Elles possèdent souvent des parts valant des millions dans les multinationales qui exploitent les ressources locales.

Les prêts de créanciers privés, dont les obligations ne sont qu'un exemple, sont généralement la forme la plus intraitable de dette souveraine – les taux d'intérêt sont élevés, il n'y a pas de report possible et les prêteurs n'écoutent que les marchés. Quand les États ne s'acquittent pas des intérêts, le chaos économique s'ensuit.

La Zambie, le Ghana et l'Éthiopie n'ont pas remboursé leurs intérêts obligataires après que la pandémie de Covid et d'autres chocs économiques ont sapé la croissance qui devait découler de leurs emprunts. Ces défauts de paiement ont poussé leurs dirigeants à se tourner vers des renflouements du Fonds monétaire international, qui requièrent notamment de grandes réformes des politiques économiques, comme une monnaie nationale flottante et des augmentations d'impôts.

Les difficultés que créent ces réformes poussent les citoyens à descendre dans la rue, lors de manifestations parfois meurtrières et toujours coûteuses pour les économies locales. Pourtant, des gouvernements africains continuent de s'enferrer dans cette forme de dette.

Selon les données de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, les gouvernements africains étaient endettés de plus de 777 milliards de dollars [706 milliards d'euros] auprès de créanciers privés à la fin de 2023. Ces derniers détiennent aujourd'hui environ 44 % de la dette extérieure des pays d'Afrique, contre 30 % en 2010. Ça ne permet pas de répartir uniformément le risque.

Les pays à revenu intermédiaire ne peuvent souvent pas prétendre aux prêts à taux faible d'institutions comme la Banque mondiale et se tournent plus fréquemment vers des créanciers privés. Mais cette voie risquée ne suscite pas partout le même enthousiasme. En Afrique du Sud et en Angola, les emprunts privés représentent 88 % et 78 % de la dette souveraine. En Algérie et au Botswana, ce pourcentage est négligeable, même si la santé économique de ces pays est comparable.

Du capitalisme mondial à l'exploitation locale

Issaga Diallo ne connaît pas les rouages du capitalisme mondial et son extraction circulaire, mais il sait qu'il ne fera pas fortune grâce à la mine moderne de Sabodala où les capitaux internationaux coulent à flots.

Il travaille dans une mine informelle à Bantakokouta, près de Kédougou, où un gramme d'or peut aller chercher 50 dollars [45 euros], soit 20 de moins que le cours international. Le village de Bantakokouta n'est qu'à deux kilomètres environ du terril voisin des mines d'or. C'est là que travaillent les ouvriers de la mine informelle.

Issaga Diallo vit ici depuis près de huit ans, depuis qu'il a arrêté l'école en 2016. Chaque jour, il achète du carburant pour le générateur qui fait tourner son équipement, mais il travaille parfois des mois sans trouver d'or. Dans ces cas-là, il accumule les prêts et promet de rembourser ses créanciers le jour où il trouvera le précieux minerai – tout comme les chefs d'État lorsqu'ils émettent des obligations sur les marchés internationaux de capitaux.

Si, sur la durée, Issaga Diallo se révèle plus souvent chanceux que l'inverse, il espère gagner assez d'argent pour créer une entreprise à Kédougou, dans un cadre plus urbain. Il aime regarder sur son téléphone des vidéos de mineurs qui ont trouvé plus de 100 grammes, ce qui entretient son espoir.

À long terme, si l'État sénégalais a plus de chance que la Zambie, le Ghana et l'Éthiopie, il gagnera assez pour rembourser en temps et en heure ses intérêts obligataires jusqu'à ce que son secteur des ressources naturelles puisse remplir les coffres nationaux. À court terme, en revanche, ce ne sont pas les citoyens sénégalais ordinaires qui tirent profit de ce secteur et du remboursement des intérêts.

Jaume Portell Caño et Lydia Namubiru

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Au Soudan, la révolution populaire contre la contre-révolution des élites

15 octobre 2024, par Abdelraouf Omer — , ,
Inspirés par le besoin d'analyses plus fondées et non élitistes de la situation actuelle au Soudan, nous avons interviewé quatre personnes dont l'organisation contre les (…)

Inspirés par le besoin d'analyses plus fondées et non élitistes de la situation actuelle au Soudan, nous avons interviewé quatre personnes dont l'organisation contre les politiques oppressives de l'État soudanais s'étend sur des années, voire des décennies dans certains cas. Chacun d'entre eux établit un lien entre la révolution et la guerre actuelle et met en avant les processus d'organisation et de vision collective qui ont fait et pourraient encore nous faire avancer vers un avenir démocratique populaire dans un Soudan d'après-guerre. Nous leur sommes extrêmement reconnaissants de nous avoir parlé malgré les circonstances auxquelles ils sont confrontés, notamment les coupures de télécommunications et d'électricité dans une grande partie du pays. Dans ce premier volet, vous lirez notre introduction et une interview avec Abdelraouf Omer, un agriculteur de Gezira et organisateur syndical.

Tiré d'Afrique en lutte.

Cela fait maintenant 15 mois que la guerre au Soudan oppose les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR). Pourtant, l'attention médiatique dont bénéficie le Soudan ne reflète pas la crise monumentale à laquelle il est confronté et qui menace l'ensemble de la région. Lorsque les médias grand public couvrent le Soudan, ils ont tendance à se concentrer exclusivement sur la catastrophe humanitaire qu'a produite le conflit, qui a débuté le 15 avril 2023, après le coup d'État conjoint des FSR et des FAS en octobre 2021. En revanche, les militants de base au Soudan ont tendance à mettre en évidence les processus de marginalisation, d'extraction et de militarisation qui rendent une telle crise productive pour ceux qui sont au pouvoir.

La réalité humanitaire est si dévastatrice que les Nations Unies ont qualifié les souffrances d'« épiques », déclarant que le Soudan était « un cauchemar pour les civils ». La diplomatie internationale et l'extraction de ressources par les entreprises ont rendu ce cauchemar possible en légitimant et en maintenant au pouvoir les dirigeants du coup d'État soudanais, ouvrant ainsi la voie à cette guerre. La réticence de l'ONU et de l'Union africaine, ainsi que d'entités puissantes comme les gouvernements des États-Unis et de l'Union européenne, à utiliser efficacement leur pouvoir pour arrêter le flux d'armes et obtenir un cessez-le-feu est le dernier exemple en date de la raison pour laquelle nous ne pouvons pas nous attendre à une quelconque intervention positive de la part du système étatique et des institutions multinationales. Sans cessez-le-feu, il s'est avéré difficile d'établir des passages sûrs et des couloirs humanitaires, tout comme il a été impossible de mettre fin aux attaques contre les civils, les premiers intervenants, les journalistes, les habitations et les infrastructures sanitaires et autres infrastructures essentielles dans un cercle toujours plus large de bombardements, d'incendies, de violences sexuelles et de pillages. Les souffrances sont épiques parce que l'échec éthique et matériel du monde à fournir une aide aux personnes se trouvant au Soudan et fuyant au-delà de ses frontières a également été épique.

Chaque mois, la catastrophe atteint de nouvelles profondeurs. La nécessité d'une attention urgente et d'une réponse immédiate demeure. Pourtant, penser uniquement à l'humanitaire occulte les causes profondes de la violence, qui sont façonnées par le colonialisme et le capitalisme racial. Le désir d'affronter enfin ces forces historiques a donné naissance à la révolution de décembre 2018 au Soudan, propulsant le pays dans l'un des mouvements d'émancipation les plus puissants du XXIe siècle. L'exclusion de la révolution de décembre et de ses revendications, résumées dans son slogan « Liberté, paix et justice », des discussions politiques n'est pas seulement un échec théorique : elle a eu un effet sur le terrain, sapant la capacité des gens à exercer leur pouvoir d'action pour s'aider eux-mêmes.

De la catastrophe humanitaire à la guerre par procuration

La catastrophe humanitaire au Soudan a produit des chiffres catastrophiques. Plus de 10 millions de personnes ont été déplacées au cours de l'année écoulée (y compris la plupart de nos familles), et trois millions de personnes ont traversé la frontière dans des tentatives de plus en plus désespérées de trouver refuge. Malgré les avertissements persistants selon lesquels la famine est déjà en cours, menaçant plus de 25 millions de personnes , moins de 20 pour cent de l'aide demandée par l'ONU a été reçue. Les pillages, les coupures d'électricité et les attaques ciblées des RSF contre les agriculteurs ont perturbé la saison des semis. Les RSF ont poursuivi leurs campagnes de nettoyage ethnique visant les Massalit et d'autres groupes non arabes au Darfour. Au Darfour, à Khartoum et dans d'autres zones de combats actifs, les violences sexuelles contre les femmes et les filles sont généralisées et non traitées. Dans tout le pays, 19 millions d'enfants ont perdu l'accès à l'éducation, les institutions de l'État s'effondrant et les écoles désaffectées se transformant en abris. Au moment où nous écrivons ces lignes, El Fasher, capitale du Darfour-Nord et l'une des plus grandes villes du pays, est assiégée par les bombardements et la famine, un peu comme à Gaza. La réponse lamentable de la soi-disant communauté internationale est honteuse et est façonnée par le racisme anti-Noir.

Pour être clair, la guerre n'est pas une lutte de pouvoir interne ni une simple guerre par procuration entre puissances régionales ou « super » mais une guerre contre-révolutionnaire à plusieurs échelles soutenue par des acteurs internes et externes liés par le capital et le désir de préserver l'État soudanais postcolonial, ethno-nationaliste, violent et extractif. Les puissances occidentales invitent des acteurs civils d'élite, comme Taqaddum , à des réunions à huis clos où ils sont invités à représenter les civils soudanais, et où l'accent est mis sur la manière de parvenir à un autre accord avec l'armée et les milices et de restaurer la gouvernance. Les révolutionnaires avec lesquels nous sommes en contact voient l'objectif principal de cette guerre comme éclipsant les visions et les processus menés par le peuple qui ont été développés pendant la révolution.

La révolution de décembre

Pour comprendre la guerre sous l'angle de la contre-révolution, il est important de la replacer dans l'histoire politique récente du Soudan, à partir de 1989. Cette année-là, le Front national islamique, une organisation politique aux racines lointaines dans les Frères musulmans, a pris le pouvoir par un coup d'État militaire, établissant le régime dirigé par Omar el-Béchir et connu au Soudan sous le nom d'Inqaz, ou régime du salut. Ce régime a perduré pendant près de trois décennies, une période qui a vu une intensification de la violence d'État contre les communautés non arabes au Soudan du Sud, dans les monts Nouba, dans la région du Nil Bleu et, à partir de 2003, au Darfour, la région la plus occidentale du Soudan. Au moment même où un accord de paix était en cours de négociation pour mettre fin à la guerre dans le sud, ouvrant la voie à l'indépendance du Soudan du Sud, une guerre génocidaire a commencé au Darfour. Sous prétexte de réprimer la rébellion, le régime a lancé les milices Janjaweed, issues des groupes d'éleveurs arabes de la région, dans une campagne génocidaire contre les communautés non arabes. Le résultat fut l'incendie de milliers de villages, le déplacement de millions de personnes et la mort de centaines de milliers de personnes.

Trois décennies de règne du Salut ont fait passer l'économie de sa base coloniale de cultures commerciales comme le coton cultivé dans de grands systèmes d'irrigation gérés de manière centralisée à la production et à l'exportation de pétrole brut. Abdelraouf Omer montre ci-dessous l'effet dévastateur des politiques de l'État sur les moyens de subsistance des populations rurales, notamment dans son État, la Gezira, une région du soi-disant cœur arabe du Soudan, à deux pas de Khartoum. Les rentes pétrolières et autres sources se sont de plus en plus concentrées entre les mains du régime et de ses clients extérieurs, principalement mais pas exclusivement les États arabes du Golfe. Les institutions de l'État ont été purgées de toute opposition et peuplées de fidèles du régime dans le cadre d'une politique que le régime a appelée « Empowerment » (« Tamkeen »).

Après l'indépendance, deux grands soulèvements populaires ont eu lieu avant 2018, en 1964 et 1985. Chacun d'entre eux a renversé un régime militaire, avant que l'armée ne lance un coup d'État qui l'a ramené au pouvoir quelques années plus tard. La guerre, les campagnes génocidaires, le racisme structurel, la répression des femmes et des dissidents ont alimenté les griefs à grande échelle, tout comme le chômage de masse facilité par les politiques néolibérales de privatisation, la dépossession des terres et l'effondrement économique. La résistance au régime du salut a pris de nombreuses formes, armées ou non, après 1989. De petits soulèvements populaires en 2013 et 2016, déclenchés par des mesures d'austérité et des hausses de prix après que le Soudan a perdu l'accès au pétrole du Soudan du Sud après son indépendance, ont été réprimés efficacement et brutalement. Mais un outil d'organisation clé, les comités de résistance , a émergé de ces soulèvements dits ratés.

En décembre 2018, les manifestations contre le prix exorbitant du pain se sont étendues à toute une série de revendications sociales et ont attiré de larges pans de la population. Ce qui est devenu la révolution de décembre s'est transformé en une revendication unifiée pour la chute non seulement d'el-Béchir et de son parti au pouvoir, mais de l'État militaire dans son ensemble. La revendication principale du mouvement révolutionnaire est devenue la madaniya : un régime civil complet, l'armée étant écartée de la politique et de l'économie.

En avril 2019, la pression populaire a forcé la chute d'el-Béchir et de son parti au pouvoir, le Congrès national. Dans le but de stabiliser et de maintenir l'État militaire, de hauts responsables militaires ont formé un conseil militaire de transition qui comprenait également les RSF, une milice qu'el-Béchir avait formée à partir des restes des milices Janjawid. Les négociations avec les groupes politiques civils ont abouti à un accord de partage du pouvoir entre les technocrates et les politiciens de l'opposition et l'armée. L'idée était que l'armée se retirerait finalement du pouvoir et que des élections seraient organisées pour un gouvernement entièrement civil.

Cette « transition » a commencé en août 2019 et s'est achevée avec le coup d'État d'octobre 2021 des FAS et des RSF, qui étaient toujours alliées. Les membres civils de l'élite du gouvernement de transition avaient adopté des réformes néolibérales plutôt que de répondre aux revendications de la rue. Un exemple en est la normalisation des relations avec Israël appelée « accords d'Abraham », que le gouvernement de transition a signé en janvier 2021 en échange de son retrait de la liste américaine des États soutenant le terrorisme et de la promesse d'un prêt d'un milliard de dollars pour effacer sa dette envers la Banque mondiale, malgré l'opposition des comités de résistance et de l'opinion publique. Les mois qui ont suivi le coup d'État ont été marqués par des tentatives frénétiques des FAS pour consolider le pouvoir, contrées par une résistance continue à l'armée. Dans le même temps, le projet révolutionnaire s'est accéléré, ce qui a donné lieu à un travail intense au niveau local et national pour construire des structures capables de développer une vision populaire du pouvoir. En 2022, les comités de résistance ont signé la Charte révolutionnaire pour l'établissement du pouvoir populaire, un document politique élaboré à travers un processus de vision collective qui trace un avenir démocratique populaire de la base vers le haut.

Après le coup d'État, les tensions entre les FAS et les RSF se sont intensifiées, notamment au sujet du contrôle de l'or soudanais. Après la perte des revenus pétroliers suite à l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, l'or a remplacé le pétrole comme principale source de revenus du régime. Le Soudan est rapidement devenu l'un des plus gros exportateurs d'or d'Afrique ; jusqu'à 90 % de cet or est exporté en contrebande hors du pays. La plupart des mines d'or et des réseaux de distribution appartiennent aux RSF ou à l'armée et à d'autres vestiges du régime du Salut. La principale destination de l'or pillé est les Émirats arabes unis ; de là, il entre sur les marchés mondiaux. La Russie et d'autres pays ont accumulé des stocks d'or soudanais. En échange de cet or, les Émirats arabes unis ont fourni aux RSF des armes qui sont introduites en contrebande au Soudan via le Tchad et la Libye.

Dans une guerre qui est avant tout le produit de la contre-révolution, la question n'est pas de savoir quand la paix viendra, mais de quelle sorte de paix il s'agira. S'agira-t-il d'une paix fondée sur le partage du pouvoir entre les élites militaires et civiles, qui ne mettra que temporairement un terme à la violence, ou d'une véritable paix fondée sur la justice et un nouveau modèle de gouvernance partant de la base, qui rompt avec le passé et démantèle les systèmes existants de pouvoir des élites et d'appropriation systématique ? Malgré cette guerre brutale, des millions de Soudanais persistent à dire, selon un slogan populaire, que « la révolution est la révolution du peuple. L'autorité est l'autorité du peuple. L'armée appartient aux casernes et les Janjawids doivent être dissous ».

La justice foncière et la révolution de décembre

Abdelraouf Omer est un agriculteur et un syndicaliste basé dans la ville de Hassaheissa, dans la région agricole de Gezira, au centre du Soudan. Il est représentant pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de La Via Campesina , un mouvement paysan international qui se consacre à la défense de la souveraineté alimentaire et des droits des agriculteurs. Il est également un chercheur qui se concentre sur l'impact des politiques de privatisation du régime du Salut sur les moyens de subsistance ruraux et sur l'histoire de l'organisation des paysans et des ouvriers agricoles. Ses dernières recherches portent sur le gaspillage de l'eau dans le secteur agricole du Soudan et sur le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne. Il s'est organisé, au sein de la Coalition des agriculteurs de Gezira et de Managil, contre la privatisation du système de Gezira par le régime d'el-Béchir. Jusqu'au début des années 2000, le système était l'un des plus grands projets d'irrigation gérés par l'État au monde, s'appuyant sur le travail des petits exploitants agricoles et des ouvriers agricoles. Il y discute de la révolution de décembre et de la guerre actuelle, mettant en avant l'expropriation des terres parrainée par l'État comme élément clé pour comprendre la violence contre-révolutionnaire qui engloutit le pays.

Je suis né dans le village de Faris Al Kitab, dans une famille de cultivateurs de blé et de coton, au cœur du système d'irrigation de la Gezira. J'ai acquis mes compétences agricoles très jeune. Faris Al Kitab est connu pour son histoire d'organisation socialiste contre les régimes coloniaux et postcoloniaux depuis les années 1940. La maison de mon père était un lieu de rassemblement pour les agriculteurs qui discutaient de leurs préoccupations vis-à-vis des administrateurs étatiques du système, car il y occupait un rôle, représentant leurs préoccupations. J'ai donc grandi entouré d'activistes et de personnes qui exprimaient leurs griefs contre leurs employeurs et l'État. J'ai quitté Faris Al Kitab dans les années 1980 pour devenir enseignant, d'abord à Wadi Shaeer, puis à Hassaheissa, où j'ai rejoint le Parti communiste et contribué à créer un syndicat d'enseignants qui a travaillé avec d'autres formations syndicales pour reprendre le pouvoir à l'Union socialiste soudanaise dirigée par l'État, qui servait les intérêts du régime de Nimeiri [1969-1985].

La révolution de décembre a été lancée en réponse aux effets cumulés de trente années de politiques du régime du Salut et sans doute des décennies de politiques extractives capitalistes qui l'ont précédée. Certaines de ces politiques, impulsées et recommandées par le FMI, la Banque mondiale et l'OMC, visaient à libéraliser l'économie et à privatiser le secteur public. En conséquence, le chômage des travailleurs, des professionnels et des jeunes diplômés s'est généralisé. La population a souffert d'une pauvreté et d'une faim endémiques. Une grande partie des richesses du Soudan était concentrée entre les mains d'une petite partie de la population, dont une grande partie appartenait au parti islamiste au pouvoir. Grâce à une corruption massive, ces élites ont réussi à mettre la main sur tous les projets économiques et sites de production du Soudan, dont elles ont vidé le personnel qualifié. Les postes dans le secteur public en déclin et dans le secteur privé en expansion ont été occupés par des employés non qualifiés appartenant au parti au pouvoir. C'est ainsi qu'ils ont pris le contrôle de la majeure partie de l'économie : entreprises, banques, usines, associations, etc. Dans la Gezira et d'autres régions agricoles, l'ancien régime a ciblé les projets agricoles et de subsistance par le biais de politiques de privatisation et a restructuré la main-d'œuvre – comme il l'a fait dans les secteurs industriel et des services – de telle manière qu'il a perdu d'importants centres d'organisation.

Pour gérer et réprimer le mécontentement suscité par ces politiques, le régime a renforcé et étendu l'appareil sécuritaire de l'État, en créant des forces de sécurité spéciales et en ouvrant des maisons de torture et des prisons, autant de moyens utilisés pour criminaliser et réprimer la dissidence sous couvert idéologique d'islam politique. À mesure que l'État sécuritaire s'est étendu au centre du Soudan, la violence étatique s'est intensifiée dans les régions marginalisées du Darfour, de la région du Nil Bleu et des monts Nouba. L'État a armé des milices pour réprimer différentes formes de résistance populaire et armée. Au Darfour, cela a conduit à ce que l'on appelle aujourd'hui un génocide contre les communautés non arabes. L'État a déplacé des millions de fermiers darfouriens non arabes afin d'exploiter l'or et l'uranium de la région. La communauté internationale est intervenue principalement pour fournir un abri et une aide aux Darfouriens déplacés, ce qui a finalement coûté moins cher que les richesses minières extraites par les entreprises travaillant avec les dirigeants du régime. La guerre actuelle reproduit un processus similaire d'extraction violente et l'étend à d'autres parties du pays.

C'est dans ce contexte qu'a émergé la révolution de décembre. Une crise économique de plus en plus grave s'est accompagnée d'une intensification de la violence étatique dans les régions marginalisées du Soudan. Cette convergence a donné naissance à de nouvelles formes de résistance organisée et de désobéissance civile qui ont attiré les masses. S'appuyant sur leur héritage historique de résistance aux élites étatiques, de la révolution mahdiste de 1885 à la révolution d'octobre de 1964 et à l'Intifada de 1985, les Soudanais ont commencé à s'engager dans diverses formes de protestation dans les années 2010, qui ont finalement atteint la capitale en 2013. De nouvelles stratégies et de nouveaux outils de résistance ont émergé, ouvrant la voie à la révolution. Il s'agissait non seulement de manifestations et de marches, mais aussi de la création d'organisations démocratiques publiques visant à reconquérir le pouvoir que les élites avaient pris au peuple. C'est à cette époque que les comités de résistance ont été formés, accélérant un mouvement qui avait commencé dans les zones rurales et s'était étendu aux villes du Soudan, culminant avec un sit-in massif dans la capitale, Khartoum. Le 11 avril 2019, le 113e jour de la révolution, ce mouvement a renversé Omar el-Béchir après 30 ans au pouvoir. Au-delà de ce moment, la révolution a représenté le réveil du peuple soudanais, des camps de déplacés internes du Darfour à l'ouest à Al-Damazin et Khashm El Girba à l'est et les villes de Gezira et Khartoum au centre, qui n'avaient jamais vu de manifestations par millions ni d'élargissement des tactiques politiques pour inclure des sit-in, des cortèges, des barricades, des grèves publiques et des boycotts.

L'objectif de la révolution était de démanteler l'ancien régime politiquement, économiquement et juridiquement. La guerre du 15 avril vise à y mettre un terme. Elle sert les intérêts d'une élite capitaliste parasitaire liée et soutenue par les processus régionaux et internationaux de l'impérialisme qui ont détruit tous les moyens de production. Depuis le début de cette guerre, le pays a perdu une myriade d'usines d'industrie légère et d'ateliers de forge et de menuiserie dans l'État de Khartoum et au-delà. Des dizaines d'autobus, de stations-service, ainsi que 14 marchés centraux et 22 000 magasins ont été pillés ou détruits. Cela a eu des répercussions sur plus d'un million de travailleurs, en plus des centaines de milliers employés dans le secteur informel de l'économie.

La guerre actuelle est une lutte politique et de classe contre-révolutionnaire pour l'autorité et les ressources, motivée par les intérêts du capital mondial. Ces forces n'hésitent pas à remplacer un système totalitaire, déjà rejeté par le peuple, par un faux gouvernement civil et démocratique adoptant un système néolibéral contrôlé par les élites, qui continueront à piller et à exploiter les ressources humaines et naturelles du Soudan. La terre est au centre de cette lutte. Par terre, j'entends le sol, mais aussi l'eau, le bétail, les forêts, les minéraux, le pétrole et d'autres ressources que les élites locales, régionales et internationales cherchent à contrôler et à exploiter depuis l'Antiquité. Bien sûr, pendant la période coloniale turco-égyptienne, les ressources soudanaises servaient la classe dirigeante égyptienne. Lors de l'indépendance du régime anglo-égyptien en 1956, nous avons essentiellement échangé un système colonial extractif contre un système capitaliste mondial extractif.

La loi de 2005 sur le projet d'irrigation de la Gezira a marqué un tournant important pour nous, membres de la Coalition des agriculteurs de la Gezira et de Managil. Après son arrivée au pouvoir en 1989, le régime d'Inqaz avait libéralisé l'économie par la privatisation. Il avait dissous les syndicats et les coopératives agricoles, attaqué les organisations de la société civile et créé des lois restreignant les libertés des citoyens. La loi de 2005 a accéléré ce processus, en particulier la prise de contrôle du projet d'irrigation de la Gezira. Elle a facilité la privatisation et la vente de tous les intrants productifs du projet : ses bureaux, ses usines d'égrenage, ses entreprises telles que la Société soudanaise du coton, ses machines agricoles, ses installations de stockage, ses entrepôts, ses logements pour les ouvriers, etc., ont été vendus principalement à des investisseurs privés nationaux. Cela a permis aux élites de l'État de commencer à acheter les terres des petits agriculteurs, qui s'étaient endettés en raison du retrait des services de vulgarisation de l'État et de la privatisation du projet.

En tant que coalition, nous nous sommes organisés contre cette loi sous le slogan « Non à la privatisation et non à la vente des terres du projet de Gezira ». Nous avons présenté une alternative à la loi de 2005 qui comprenait la création et le renforcement des coopératives de petits agriculteurs. Nous avons présenté des candidats aux élections locales de 2005 qui ont gagné malgré des fraudes mais dont la victoire, bien que protégée par une décision de justice, a été ultérieurement rejetée par le Registre des organisations syndicales. Nous avons intenté une action en justice contre la vente de nos terres et contre la distribution de semences périmées par la société soudanaise de coton, qui avait été reprise par le parti au pouvoir. Grâce à un processus collectif développé au cours de sept réunions, nous avons élaboré une Charte pour la justice foncière. La charte propose des alternatives non seulement à la loi de 2005 mais aussi aux lois foncières du projet de Gezira de 1927 et 1984 qui l'ont précédée. Elle s'oppose également à une loi de 2011 qui a remplacé les syndicats existants par des associations qui ont été reprises par de riches agriculteurs et capitalistes. Cette prise de contrôle a entraîné la destruction des ateliers chargés de l'entretien et de la gestion du périmètre, notamment de ses réseaux d'irrigation, et le transfert de ces responsabilités à des entreprises privées, qui ont commencé à vendre des tracteurs, des camions et du matériel d'excavation. Beaucoup sont aujourd'hui utilisés dans l'exploitation aurifère dans d'autres régions du pays.

Au fur et à mesure que la coalition grandissait, nous avons également développé une branche d'éducation politique. Nous avons produit des brochures sur (1) l'histoire du mouvement des agriculteurs depuis la grève de 1946 jusqu'à nos jours ; (2) les dommages environnementaux causés par les pesticides et les engrais, qui ont conduit à des taux de cancer et de maladies rénales parmi les plus élevés du pays ; et (3) les dangers des lois et des politiques agricoles mises en œuvre sous le régime d'Inqaz. Pendant la révolution, nous avons continué à nous organiser autour de ces questions et avons participé aux tentatives de récupération des terres et des intrants productifs volés par l'ancien régime. Nous avons rencontré des représentants du gouvernement de transition, notamment le Premier ministre Hamdok et le gouverneur de l'État de Gezira, pour partager nos préoccupations et présenter les alternatives que nous avons proposées dans notre charte. Ils ne nous ont pas pris au sérieux et les tentatives des responsables locaux de mettre en œuvre nos idées ont été accueillies avec des tactiques dilatoires. En conséquence, la dépossession des terres a continué pendant la période de transition et les terres cultivées par les petits agriculteurs ont diminué.

Récemment, les petits agriculteurs de la Gezira se sont réunis pour préparer la saison des semis, tout en affirmant qu'il ne peut y avoir de semis sans sécurité. Nous ne pouvons pas cultiver si cela signifie que nous risquons d'être tués, pillés et violés par les RSF. La coalition estime qu'environ 70 % des agriculteurs ont été déplacés par cette guerre, et leur nombre augmente chaque jour. La Gezira, et le secteur agricole plus largement, sont à nos yeux la clé du développement au Soudan. Nous ne pouvons pas nous permettre de les céder aux capitalistes qui mènent cette guerre et en tirent profit.

Source : https://hammerandhope.org/

Traduction automatique de l'anglais

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

De Serval à Barkhane : le bilan confisqué de dix ans d’interventions militaires au Sahel

15 octobre 2024, par Grégory Daho, Marc-Antoine Pérouse de Montclos — , , , , ,
La France a annoncé en juin 2024 l'allègement du dispositif de pré-positionnement de ses armées en Afrique subsaharienne : les effectifs seront réduits à environ 300 hommes au (…)

La France a annoncé en juin 2024 l'allègement du dispositif de pré-positionnement de ses armées en Afrique subsaharienne : les effectifs seront réduits à environ 300 hommes au Tchad et une centaine dans chacune des bases existant au Gabon, au Sénégal et en Côte d'Ivoire. À sa manière, cette décision entérine l'échec de dix ans d'interventions militaires au Sahel.

Tiré d'Afrique en lutte.

Le bilan complet et officiel des opérations Serval et Barkhane reste néanmoins à dresser. Cette question a nourri les débats d'un colloque qui a été organisé en avril par l'Institut Pour la Paix à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Le déni de l'échec

L'échec de l'opération Barkhane est incontestable si l'on en juge par l'activité des groupes djihadistes au Sahel et l'arrivée au pouvoir de putschistes au Niger, au Mali et au Burkina Faso.

En France, les autorités gouvernementales, militaires et parlementaires refusent cependant de le reconnaître. Dans une interview accordée au Point le 23 août 2023, Emmanuel Macron proclamait ainsi le « succès » des interventions militaires françaises au Sahel :

  • « Si l'on prend de la hauteur, la France a eu raison de s'engager au côté d'États africains pour lutter contre le terrorisme… Si nous ne nous étions pas engagés, avec les opérations Serval puis Barkhane, il n'y aurait, sans doute, plus de Mali, plus de Burkina Faso, je ne suis même pas sûr qu'il y aurait encore le Niger ».

Quelques jours plus tôt, le 7 août 2023, le ministre des Armées Sébastien Lecornu réfutait également l'idée d'un échec de Barkhane, estimant que « c'est une faute de dire cela ».

Du fait de leur devoir de réserve, les militaires français ont été moins prolixes à ce sujet. La plupart de ceux qui se sont exprimés en public n'en ont pas moins conclu à un « bilan globalement positif ».

« Les opérations Serval puis Barkhane, soutenait par exemple l'un d'entre eux, ont rempli la mission qui leur était fixée ». Au Mali, en 2013, les soldats français auraient évité que les djihadistes du nord s'emparent de la capitale Bamako, et ils auraient ensuite permis aux casques bleus des Nations unies de se déployer à l'intérieur du pays, même si les troupes de Serval n'étaient en fait pas présentes dans les régions du centre qui allaient devenir un haut lieu de l'activité des groupes insurrectionnels.

Même ceux qui s'essayent à l'auto-critique ne dépassent pas les enseignements déjà soulignés à propos de l'usage de la force en Afghanistan (excès d'optimisme et défaut d'anticipation de l'après-crise, méconnaissance des réalités locales et défaut de coordination avec les secteurs diplomatiques et humanitaires, etc.)

L'absence de critiques du Parlement

Depuis Paris, les parlementaires, quant à eux, ont été fort peu critiques.

Bien qu'il s'agisse de la plus grosse intervention outre-mer de l'armée française depuis la guerre d'Algérie, les opérations Serval puis Barkhane n'ont fait l'objet que de deux rapports lénifiants, publiés en 2013 et en 2021, qui visaient surtout à accorder un quitus à l'Élysée.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd'hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Le principe d'un engagement militaire dans la lutte contre le terrorisme au Sahel n'a jamais été remis en cause, contrairement aux conclusions de la commission présidée par l'historien Vincent Duclert, qui a pointé la « faillite de l'analyse » et « l'aveuglement » des décideurs à l'origine de l'opération Turquoise pendant le génocide rwandais de 1994.

Il a finalement fallu attendre jusqu'en 2023 pour qu'un rapport admette timidement « l'échec de la lutte contre le terrorisme au Sahel ». Encore ce constat était-il aussitôt tempéré par l'affirmation que les responsabilités étaient aussi celles « des dirigeants africains eux-mêmes ». Le contraste n'en est que plus saisissant avec les parlementaires britanniques qui ne se sont pas privés d'épingler les gouvernements de Tony Blair puis David Cameron pour avoir entraîné leur pays dans des guerres inutiles et dispendieuses en Irak en 2003 puis en Libye en 2011 sur la base de « postulats erronés » et d'une « compréhension incomplète de la situation ».

Ainsi, malgré la réforme de 2008, qui leur permet de se prononcer sur une intervention militaire lorsqu'elle se prolonge au-delà de quatre mois, les députés n'ont jamais mis fin à une opération.

Le 22 avril 2013, lorsqu'ils ont dû se prononcer sur l'autorisation de prolongation de l'intervention française au Mali, sur les 342 suffrages exprimés, aucun vote « contre » n'a été enregistré. Aucun groupe parlementaire n'a exprimé d'opposition de fond. Les arguments sécuritaires (il faut, ou plutôt il fallait, intervenir pour soutenir un « État failli », et faire face à une situation d'instabilité politique engendrant un risque de propagation) font autant consensus que les arguments idéologiques (responsabilité, morale ou historique, de la France ; crédibilité sur la scène internationale ; maintien du rang). Les réticences, sur la forme, du Groupe de la gauche démocratique et républicaine (GDR), se sont traduites par l'abstention lors du scrutin.

Faut-il encore une fois le rappeler ? Aucun des groupes que l'armée française a combattus au Sahel n'a jamais commis d'attentats outre-mer. Du point de vue de l'intérêt national et de la lutte contre le terrorisme, les opérations Serval et Barkhane relevaient donc d'une guerre préventive, quitte à exacerber le ressentiment des insurgés et leur envie de se venger par des attaques sur le sol métropolitain. En 2013, le caractère global de la menace djihadiste avait été très manifestement exagéré. Plus de dix ans après, il convient en conséquence de remettre en perspective les déclarations triomphales de l'Élysée selon lesquelles les troupes de Serval puis de Barkhane auraient « empêché la création de califats à quelques milliers de kilomètres de nos frontières », fait « reculer les groupes terroristes au Sahel », sauvé « des milliers de vies sur place » et protégé les Français « des menaces d'attentats sur [leur] sol ».

Les raisons d'un déni de réalité

Peu de chefs d'État reconnaissent publiquement leurs erreurs stratégiques. La France ne fait pas exception. D'autres raisons expliquent cependant le déni de réalité de l'exécutif et de son entourage.

En effet, le continent africain demeure la dernière terre d'élection et d'exaltation de ce qu'il reste d'une puissance moyenne. La grandeur et les obligations historiques de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies sont donc invoquées pour contrer les analyses par trop défaitistes d'intellectuels parfois soupçonnés de sympathies « islamo-gauchistes », voire d'indulgence pour les terroristes. L'argument fatal est qu'après tout, les autres ont fait pire. Ainsi, ces opérations ont été beaucoup moins onéreuses et mortifères pour les civils que les interventions militaires des États-Unis en Afghanistan. Le retrait des troupes françaises du Sahel a beau avoir été humiliant, il n'a en rien été comparable à la débâcle de l'armée américaine à Kaboul lorsque les talibans ont repris le pouvoir en 2021.

Moins frontaux dans leur déni, les officiers supérieurs continuent quant à eux d'insister sur le bilan positif des premiers mois de l'opération Serval, véritable vitrine d'un art français de faire la guerre. Elle a notamment témoigné des mérites d'une chaîne décisionnelle courte, des avantages d'un pré-positionnement des troupes en Afrique et d'une grande agilité logistique pour surprendre et devancer l'ennemi dans des temps très courts grâce à la mise en place d'un pont aérien articulé à des moyens aéroterrestres. Selon la formule consacrée par les chefs de Serval et Barkhane, l'armée française aurait ainsi remporté de francs « succès tactiques » et elle ne serait pas responsable de l'absence de vision politico-stratégique à long terme.

Traduction brutale : à défaut de vaincre les organisations djihadistes au Sahel, les armées auraient au moins réussi à exécuter leurs principaux dirigeants. Les contradictions du recours aux assassinats ciblés sont pourtant pointées par la doctrine française de la contre-insurrection édictée en 2013, qui souligne que les stratégies d'attrition sont contreproductives car « la base populaire dont disposent les insurgés leur fournit un réservoir de ressources humaines quasi inépuisable ».

De plus, on peut se demander pourquoi l'état-major a décidé d'engager tant de forces terrestres alors que 80 % des pertes infligées aux djihadistes ont été le résultat d'attaques menées par avion, par hélicoptère ou par drone. En réalité, il s'agissait d'un combat sans fin et d'une guerre ingagnable face à un ennemi insaisissable et invisible. Pour reprendre une expression souvent utilisée par les Américains en Afghanistan, les militaires français n'ont fait que « tondre la pelouse » en attendant que la « chienlit » repousse, toujours plus fournie.

Sur le plan stratégique, l'armée tricolore aurait pourtant pu se retirer dignement de la zone au moment de l'élection du président malien Ibrahim Boubacar Keïta en 2013, ou bien encore après l'élimination des chefs djihadistes Abdelmalek Droukdel en 2020 puis Adnan Abou Walid al-Saharaoui en 2021. Au lieu de cela, l'Élysée s'est entêté jusqu'au bout et a dû se résoudre à des départs précipités, sous la contrainte et à la demande expresse de putschistes de plus en plus hostiles aux interférences de l'ancienne puissance coloniale.

La faute des autres

Il est plus facile de mettre la perte d'influence de la France au Sahel sur le compte de la propagande russe ou salafiste. Les autorités ne manquent pas non plus de souligner les défaillances des partenaires européens, qui n'ont pas voulu accompagner les opérations Serval puis Barkhane à la hauteur des moyens demandés. Enfin et surtout, elles insistent à présent sur l'incurie des gouvernements de la zone, un argument qui, rétrospectivement, semble d'autant plus curieux que la faiblesse des États sahéliens avait justement été invoquée pour justifier le déclenchement de l'opération Serval.

Reste à savoir dans quelle mesure l'échec de Barkhane va constituer une rupture, quoi qu'il en soit par ailleurs des récits de l'Élysée sur le « succès » de ses engagements dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Le gouvernement dit maintenant vouloir alléger son dispositif militaire au sud du Sahara. Mais la réduction des effectifs de l'armée française sur le continent est une tendance lourde. Au moment des indépendances, déjà, ils étaient passés de 60 000 hommes en 1960 à moins de 7 000 en 1965, certes en grande partie du fait que les personnels africains avaient été intégrés dans les jeunes armées nationales. Plus de soixante après, les militaires français sont toujours présents en Afrique et ne semblent pas prêts à renoncer au principe de bases permanentes qui doivent leur permettre de continuer à s'entraîner et de rester aguerris après leur départ de l'Afghanistan puis du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

Ajoutons à cela que le fiasco de l'opération Turquoise au moment du génocide rwandais de 1994 n'a nullement empêché le montage de l'opération Barkhane vingt ans plus tard. Aujourd'hui, rien ne démontre que l'Élysée ait réellement tiré les leçons de ses échecs si l'on en juge par la poursuite des coopérations militaires avec le Gabon, le Bénin, la Côte d'Ivoire et le Sénégal, tous d'anciennes colonies. Le mot de la fin, à cet égard, revient certainement à ce général qui, récemment encore, vantait les mérites des formations proposées par l'armée française, « comme nous l'avons fait à Barkhane ».

Grégory Daho, Maître de Conférences en science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Contre la normalisation avec Israël et une multitude de problèmes sociaux : Au Maroc, ça gronde fort !

15 octobre 2024, par Madjid Makedhi — , , , ,
Des personnalités publiques, dont la star de l'équipe nationale marocaine de football Hakim Ziyech, ont soutenu ces mouvements de protestation et ont exprimé leur (…)

Des personnalités publiques, dont la star de l'équipe nationale marocaine de football Hakim Ziyech, ont soutenu ces mouvements de protestation et ont exprimé leur désapprobation envers la politique du gouvernement.

Tiré d'El Watan.

La rue marocaine est, depuis plusieurs mois, en ébullition. Des manifestations quasi hebdomadaires drainant des milliers de personnes font vibrer les principales villes et les régions du royaume. Coordonnés, ces actions expriment le rejet massif des politiques, internes et étrangères, du gouvernement du pays qui ne répond toujours pas.

Et les autorités marocaines, à leur tête le roi Mohammed VI, semblent faire le dos rond face à cette grogne sociale qui va crescendo, selon des médias locaux et occidentaux. En effet, les mouvements de protestation se sont accentués depuis le début de l'agression israélienne à Ghaza. La dernière en date est celle organisée, dimanche et lundi derniers, à Rabat et dans différentes villes du pays contre le maintien de la normalisation avec Tel-Aviv.

La première action, appelée « Marche unitaire » regroupant différentes organisations marocaines, a eu lieu avec la participation d'une foule nombreuse, selon les médias locaux et internationaux. Exprimant leur solidarité avec le peuple palestinien meurtri, des milliers de manifestants ont exigé la fin de la normalisation actée en 2020 avec Israël. Brandissant des drapeaux palestiniens, des pancartes et des banderoles, les protestataires ont lancé également des slogans soutenant la résistance des Palestiniens : « La résistance ne meurt pas » et « Le peuple veut la fin de la normalisation ».

Sur des pancartes, comme on pouvait voir sur les nombreuses vidéos partagées sur les réseaux sociaux, les manifestants ont aussi insisté sur le rejet des relations contre-nature avec l'occupant israélien : « Nous ne reconnaissons pas Israël » et « La Palestine est une cause nationale ». Les étudiants marocains ont pris, lundi, le train de la contestation.

Par une action coordonnée, le milieu estudiantin se mobilise. Représentant une quarantaine d'universités et d'écoles supérieures, dont celle où étudie le prince héritier Moulay El Hassan, à Rabat, des milliers d'étudiants appellent, eux aussi, à la fin de la normalisation. Les protestations ont également ciblé le gouvernement marocain, accusé de soutenir tacitement l'Etat hébreu malgré les violations du droit international. Des personnalités publiques, dont la star de l'équipe nationale marocaine de football, Hakim Ziyech, ont soutenu ces mouvements de protestation et ont exprimé leur désapprobation envers la politique du gouvernement.

Ces manifestations démontrent l'évolution de l'opinion publique marocaine qui ne veut plus de relations avec Israël. Selon un sondage réalisé entre décembre 2023 et janvier 2024 par le réseau de recherche Arab Barometer, « seuls 13% des Marocains interrogés se disaient encore favorables à ce réchauffement des relations, contre 31% en 2022 et 41 % en 2021 ».

Près de 12 000 manifestations en 2023

Outre le soutien au peuple palestinien, la population marocaine et différentes catégories professionnelles du pays protestent aussi contre la cherté de la vie, la pauvreté et le chômage endémique. Selon le Conseil national des droits humains marocain, le pays avait connu plus de 12 000 manifestations, dont notamment celles en faveur de la Palestine, des protestations d'enseignants et d'autres contre la hausse des prix.

« Le Conseil a surveillé 600 manifestations publiques sur un total de 11 086 manifestations et rassemblements dans la rue principale pour protester contre la hausse des prix et la guerre en Palestine entre autres », a fait savoir Amina Bou Ayach, présidente du Conseil, lors de sa présentation du rapport annuel du Conseil pour l'année 2023. Elle avait recommandé la nécessité d'établir, de manière effective, « un système national de protection des droits économiques et sociaux, surtout ceux liés aux normes minimales de Sécurité sociale telles que les allocations de chômage et d'invalidité et les indemnités d'accident du travail ».

Trafic de drogue aux Pays-Bas : Une organisation marocaine criminelle démantelée à Paris

Un membre jugé important d'une organisation criminelle d'origine marocaine, très active dans la distribution de cocaïne aux Pays-Bas, a été arrêté mardi à Paris à la sortie d'un restaurant, a annoncé la gendarmerie française. L'homme, de nationalité marocaine, âgé d'une trentaine d'années, selon une source proche du dossier, était sous le coup d'un mandat d'arrêt européen délivré par les Pays-Bas. Il a été interpellé par le GIGN, l'unité d'élite des gendarmes, qui était en appui des enquêteurs de la section de recherches de Paris, a ajouté la gendarmerie.

Il était 15h00 quand il a été arrêté à la sortie d'un restaurant dans le nord de la capitale française, sans incident, a-t-on précisé de même source. Considéré par les enquêteurs comme un membre important de la Mocro Maffia, organisation criminelle marocaine très active dans la distribution de cocaïne aux Pays-Bas, il est recherché notamment pour trafic de stupéfiants et production de drogues de synthèse, selon la même source. Il va être présenté à un magistrat qui devrait lui notifier, selon une source proche du dossier, son extradition vers les Pays-Bas.

En février, le baron de la drogue le plus redouté des Pays-Bas, Ridouan Taghi, né au Maroc et ayant grandi aux Pays-Bas, considéré comme le cerveau de la Mocro Maffia, a été condamné à la prison à perpétuité pour une série de meurtres commis par son gang qui ont choqué le pays. Mocro Maffia est l'appellation donnée aux organisations mafieuses marocaines « spécialisées dans le trafic de cocaïne de drogue de synthèse basées aux Pays-Bas et en Belgique ».

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

« Féministe, radicale, pour « une révolution pacifique »... : Qui est Clara Brugada, la nouvelle maire de Mexico ?*

Claire Brugada est la nouvelle maire de Mexico. Féministe et « radicale ». Dans son premier discours en tant que cheffe du gouvernement de la capitale, elle a appelé à (…)

Claire Brugada est la nouvelle maire de Mexico. Féministe et « radicale ». Dans son premier discours en tant que cheffe du gouvernement de la capitale, elle a appelé à poursuivre la « révolution pacifique » visant à transformer la société pour « libérer les femmes » et les extraire de « l'esclavage moderne » qui les opprime encore trop souvent.

Par Luis Reygada,
Tiré de L'Humanité, France, 7 octobre 2024

Elle est encore plus « radicale » et féministe que la nouvelle présidente de son pays - Claudia Sheinbaum <https://www.humanite.fr/monde/claud...> – et elle dirige, depuis samedi 5 octobre, une des plus grandes villes au monde. Clara Brugada, issue de l'aile gauche du parti au pouvoir (Mouvement de la régénération nationale), est la nouvelle maire de la vibrante, dynamique, cosmopolite et chaotique Mexico, et de ses 9 millions d'administrés (au cœur d'une mégalopole qui en compte plus du double).

Dans son premier discours en tant que cheffe du gouvernement de la capitale, elle a appelé à poursuivre la « révolution pacifique » visant à transformer la société pour « libérer les femmes » et les extraire de « l'esclavage moderne » qui les opprime encore trop souvent.

Que ce soit en matière de mobilité urbaine, de lutte contre la gentrification, de rénovation des écoles publiques, de système de soin ou encore d'accès à l'eau, les projets sont nombreux pour celle qui a annoncé qu'elle gouvernera « pour toutes et tous, et tout particulièrement pour celles et ceux qui ont le moins ».

*Programmes sociaux, lutte contre les inégalités et pour les services publics*

Clara Brugada a aussi souligné son engagement en faveur de la continuité des programmes sociaux mis en place par l'administration précédente ( sous la direction de Sheinbaum, 2018-2023 <https://www.humanite.fr/monde/elect...> ), notamment en matière de combat contre les inégalités, ainsi que de renforcement des services publics et de lutte contre insécurité ( l'un des résultats les plus notables de sa prédécesseure ).

Pour cela, l'ex-maire d'Iztapalapa, le district le plus peuplé de la capitale mexicaine ( 1,8 million d'habitants, pour une superficie équivalente à celle de la ville de Toulouse ), compte bien reproduire à l'échelle de Mexico le modèle des Utopies, ces centres communautaires de développement social et culturel qui avaient fait le succès de son mandat ( 2018-2023 ) dans cette banlieue autrefois connue pour son taux élevé de criminalité. Brugada en avait érigé 16 à Iztapalapa, elle compte désormais en créer 100 à Mexico.

https://www.humanite.fr/monde/claudia-sheinbaum/mexique-le-maire-de-la-capitale-du-guerrero-decapite

Clara Brugada a annoncé qu'elle gouvernera « pour toutes et tous, et tout particulièrement pour celles et ceux qui ont le moins , le 5 octobre 2025, lors de son premier discours à Mexico

*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, arr. Ville-Marie, district Sainte-Marie, 08 octobre 2024.
*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Trumpisme, fascisme et réalités politiques aux Etats-Unis

15 octobre 2024, par Paul LeBlanc — , ,
Donald Trump représente le type de politique qui a profondément transformé les réalités politiques aux États-Unis, le type de politique étiqueté par certains comme « trumpisme (…)

Donald Trump représente le type de politique qui a profondément transformé les réalités politiques aux États-Unis, le type de politique étiqueté par certains comme « trumpisme ». C'est une étiquette utile qui nous aide à le comprendre, quel que soit ce qui va arriver à Donald Trump, qu'il aille finalement en prison ou bien qu'il reprenne à nouveau les commandes de la Présidence des États-Unis, qu'il vive une nouvelle décennie ou qu'il meure demain, le trumpisme va nous accompagner dans la durée. Avant d'examiner le « trumpisme », arrêtons-nous un moment pour examiner la personnalité avec le nom de laquelle on identifie cet « isme ».

Tiré de Inprecor 725 - octobre 2024
7 octobre 2024

Par Paul Leblanc

Une approche possible de cette tâche implique de se frayer un chemin à travers l'alphabet. En commençant par la lettre « a » – et en écartant les jurons grossiers et insultants – on arrive vite au mot « arrogant » qui convient très certainement à Trump, même si malheureusement il n'est pas le seul dans ce cas.

Les qualités de Donald Trump incluent des dynamiques qui reflètent la bigoterie, l'intimidation et la vantardise (bigot, bully, and braggart). Sa bigoterie est en résonance avec des courants profonds de la culture, des attitudes et de la construction psychologique de millions de gens aux États-Unis. Il a déjà montré que, lorsque cela l'arrange, il peut adopter une position et un ton d'intimidation forçant beaucoup à se soumettre, en intimidant certains et en ravissant d'autres. La vantardise prend diverses formes : l'aspect « fonceur » qui souligne compulsivement ce qu'il a réalisé, mais qui prétend aussi avoir été plus loin et obtenu plus que ce n'est le cas ; le fait pour un homme ignorant de se vanter de son ignorance (« je ne lis pas de livres ») tout en proclamant en savoir beaucoup plus qu'il n'en sait réellement ; le fait d'exagérer l'estime que les gens ont pour lui et de s'attribuer le mérite de réalisations qui ne sont pas les siennes.

On peut aussi ajouter un quatrième mot – milliardaire (billionaire) – ajoutant ainsi du lustre, des ressources et de l'autorité à tout ce qui est déjà inclus dans l'auto-construction narcissique de la personne qu'est Donald Trump.

Concernant la lettre suivante de l'alphabet, on peut noter que par quintessence et avec fierté Trump est un capitaliste… et il y a trente-quatre condamnations criminelles qui conduisent beaucoup à le considérer comme un escroc (crook) !

Trump et le trumpisme

Si l'on saute à une autre lettre de l'alphabet, il y a beaucoup de gens qui insistent sur le fait que Trump est un fasciste. D'autres se demandent s'il est suffisamment consistant et cohérent pour jouer le rôle d'un Mussolini ou d'un Hitler et insistent sur le fait que ce terme n'est pas utile pour définir Trump. Certains ajoutent que le terme « fasciste » est largement devenu un épithète sans signification – une insulte librement utilisée et appliquée aux idées, aux pratiques et aux gens que nous trouvons oppressifs. Trump lui-même utilise ce terme (en le mélangeant à des mots tels « Marxistes », « communistes », « terroristes » et « très mauvaises personnes ») pour désigner ses ennemis tapis dans les cours de justice, au sein des grands médias d'information, du gouvernement ou du Parti démocrate.

Quelle discipline et quelle détermination sont celles de Donal Trump en tant que dirigeant politique ? On peut difficilement le comparer favorablement à un Churchill ou à un Reagan, encore moins à un Mussolini ou à un Hitler. Selon Maggie Haberman, la chroniqueuse du New York Times, « au printemps 2020, il est devenu clair pour ses principaux conseillers que l'impulsion de Trump pour saper les systèmes existants et pour plier les institutions afin de les adapter à ses propres objectifs allaient de pair avec une conduite erratique et des niveaux de colère qui obligeaient les autres à essayer de le maintenir sur la bonne voie quasiment à chaque heure de la journée. » (1)

C'est intéressant de prendre en compte l'expérience de Steve Bannon, l'un des idéologues les plus focalisés à l'extrême droite qui a servi de conseiller principal lors de la première phase de l'administration Trump, telle qu'elle est rapportée par Michael Wolff :

« Une partie de l'autorité de Bannon au sein de la nouvelle Maison Blanche reposait sur le fait qu'il était le gardien des promesses, méticuleusement rappelées sur le tableau dans son bureau. Trump s'est rappelé avec enthousiasme de la réalisation de certaines de ces promesses ; il avait peu de souvenirs de certaines autres, mais était heureux de convenir qu'il avait bien dit cela. Bannon a agi en disciple et a promu Trump en tant que gourou ou en tant que Dieu impénétrable. » (2)

Au fil du temps, Bannon a été gagné par l'exaspération et la désillusion en se rendant compte que les détails de l'agenda « populiste » qu'il avait envisagé étaient entièrement dépendants de l'inattention de Trump et de ses violentes sautes d'humeur ». Ainsi que Bannon l'avait appris depuis longtemps, Trump « se fout complètement de l'agenda ; il ne sait pas ce que c'est que l'agenda ». (3)

On est frappé par les compte-rendu de la soi-disant conférence de presse de Trump, le 31 mai 2024, après ses condamnations pour crimes. Loin d'un appel au clairon provocateur d'extrême droite ou fasciste, « la chose était une sorte de pensum » selon A.O. Scott du New York Times. Scott ajoutait : « Trump n'a jamais été un orateur ordonné ou quelqu'un qui bâtit méthodiquement ses arguments ; il passe d'une idée à l'autre et improvise, se livre à des associations d'idées et se répète, s'éloignant du scenario qu'il a sous la main ». Scott rapporte que « ces manières étaient sobres et curieusement plates : un ressassement du procès, avec peu d'aperçus vers des enjeux politiques plus larges ». Rex Huppke de USA Today était beaucoup moins charitable, le décrivant comme « désordonné, décousu et incohérent », Trump proclamant que les témoins du procès avaient été « littéralement crucifiés », que le Président Joe Biden voulait « vous empêcher d'avoir des voitures » et que le juge qui allait rendre son verdict à son encontre le 11 juin était « réellement un démon ». Hafiz Rashid de la New Republic a eu ce commentaire : « A certains moments, ses paroles étaient difficiles à suivre comme si le premier Président condamné pour crime prenait la tangente avec des phrases sans aucune fin claire. » (4)

Mais ce que l'on peut appeler « trumpisme » transcende les limites personnelles et les disfonctionnements de cet individu vieillissant. Trois éléments essentiels cimentent cette vaste entité à laquelle nous donnons l'étiquette de « trumpisme ».

L'un de ces élément est armé et dangereux : les forces qui se sont rassemblées le 6 janvier 2021 pour envahir le Capitole, parmi lesquelles les Proud Boys, les Gardiens du Serment, certains venus des composantes les plus militantes du Tea Party, les partisans des derniers jours de la vieille Confédération des Etats du Sud, ainsi que différents groupes Nazis ou suprématistes blancs. Le Général des Etats-Unis Mark Milley, qui était alors Président des chefs d'état-major interarmées, a fait la liste de ces groupes dans une note de janvier 2021, avec ce commentaire : « Grande menace : le terrorisme intérieur ». Selon Bob Woodward et Robert Costa du Washington Post « Milley concluait que certains de ces groupes étaient les nouvelles Chemises brunes, une version étatsunienne de l'aile paramilitaire du Parti nazi qui a soutenu Hitler. C'était une révolution planifiée. La vision de Steve Bannon prenait vie. Faîtes tout tomber, faîtes tout exploser, faîtes tout bruler et émergez avec puissance ! ». Ces éléments autrefois marginalisés sont revenus au sein du courant politique dominant, et se sont développés substantiellement avec les encouragements actifs de Donald Trump et de ceux qui sont autour de lui. Et cet individu rusé, avare et profondément limité ainsi que ces acolytes ont été à peine capables de contrôler ces groupes. (5)

On peut trouver un second élément essentiel à la fabrication du trumpisme dans un groupe assez différent d'entités conservatrices et d'individus rassemblés dans le Projet 2025 de la Fondation du Patrimoine. Fondée dans les années 70, la Fondation du Patrimoine a servi de centre de regroupement à des universitaires, des intellectuels et des décideurs politiques conservateurs depuis la Présidence de Ronald Reagan. Sa contribution la plus récente est un ouvrage de 900 pages titré « Mandat pour les dirigeants : la promesse conservatrice » qui est conçue comme un guide d'élaboration des politiques pour une deuxième administration Trump. « Cet ouvrage est le produit de plus de 400 universitaires et experts politiques venus de l'ensemble du mouvement conservateur et de tout le pays. Parmi les contributeurs, on trouve d'anciens élus, des économistes de renommée mondiale, issus de quatre administrations présidentielles. C'est un agenda préparé par et pour des conservateurs afin d'être prêts dès le premier jour de la nouvelle administration à sauver notre pays au bord du désastre ». Cela vaut le coup de noter que Donald Trump n'est en aucune manière la pièce maîtresse de ce document qui fait plutôt référence au « prochain Président conservateur ». Trump est mentionné de façon fréquente et respectueuse, mais la Fondation du Patrimoine, ses collaborateurs et son programme sont conçus comme transcendant ce personnage. (6)

(Il est également intéressant de noter qu'il y a quelques rides étranges dans cette « Promesse conservatrice » dont une apparente surestimation de « la Gauche » combinée avec un emprunt apparent à des idées de gauche, ce qui sera discuté dans la dernière partie de cette analyse).

Dans le trumpisme, le troisième élément essentiel est aujourd'hui le Parti Républicain. Des figures dirigeantes et des responsables – comme c'était le cas pour le courant conservateur dominant dans son ensemble – n'ont pas commencé en tant que supporter de Trump. Un agent républicain compétent, Tim Miller, décrit ainsi ce qui s'est passé : « quand les troubles de Trump ont commencé, il n'y en avait pas un dans nos rangs qui aurait dit qu'ils étaient de son côté. En tant que personne, nous l'avons trouvé gauche, répulsif et en deçà de la dignité que requièrent les responsabilités publiques et nous lui avons adressé un regard arrogant. Nous ne l'avons pas pris au sérieux. Et vous ne nous auriez pas vus avec ces casquettes de baseball d'un rouge criard ».

Mais d'abord progressivement et ensuite brusquement, nous avons pratiquement tous décidé d'y aller. Les mêmes gens qui, en privé, incendiaient Donald Trump comme une menace d'incompétence, soutenaient ses conneries rances en public lorsqu'il le fallait. Et ils ont continué à le faire même après que la foule qu'il a convoquée ait souillé le parti, nos idéaux et les salles du Capitole avec leur merde7 .

Miller nous offre une vue de l'intérieur du terrible cynisme qui a imprégné la direction du Parti républicain et qui a contribué au triomphe de Trump en son sein. Considérant l'arène politique comme un « grand jeu » à travers lequel – en gagnant – elle « s'octroyait elle-même le statut de service public, la classe dirigeante républicaine a abandonné à leur sort ceux qu'elle manipulait et elle s'est sentie de plus en plus à l'aise avec l'utilisation de tactiques qui les enflammaient et les retournaient contre leurs semblables ».

Miller et d'autres agents « avançaient des arguments auxquels personne parmi nous ne croyait » et « faisaient que des gens se sentaient lésés à propos de questions que nous n'avions ni l'intention ni la capacité de résoudre ». Il reconnaît qu'un racisme tranquille et non reconnu a été souvent utilisé. Et « ces tactiques ne sont pas seulement devenues incontrôlées : elles ont été suralimentées par l'écosystème médiatique de droite avec lequel nous couchions et qui avait ses propres pulsions néfastes, avalant des clicks et des images avec rage, bousculant tout sans aucune intention de fournir quelque chose qui pourrait apporter de la valeur dans la vie des gens ordinaires ».

Miller conclut : « en quoi est-ce une surprise qu'un charlatan qui a passé plusieurs décennies à duper les masses afin qu'elles rejoignent ses systèmes pyramidaux et qu'elles achètent ses produits merdiques puisse exceller dans un environnement pareil ? Quelqu'un qui possède en propre une plateforme de médias et un instinct reptilien pour la manipulation ? Quelqu'un qui n'hésite pas à dire tout fort ce qui devrait rester discret ? ». (8)

« Donald Trump ne peut pas réussir seul » analyse Liz Cheney « il dépend de ses facilitateurs et de ses collaborateurs ». Cheney qui a été toute sa vie une Républicaine conservatrice et une ancienne représentante du Wyoming au Congrès qui a résisté – avec plus d'obstination que la plupart – aux efforts de Trump pour intimider le Parti Républicain et le forcer à le soutenir, finit par déplorer que « la plupart des Républicains du Congrès feront globalement ce que Donald Trump leur demandera, quel que soit ce qu'il leur demandera… Je suis très triste de constater que l'Amérique ne peut plus compter sur un corps d'élus républicains pour protéger notre République ». (9)

Tim Miller en identifie les raisons psychologiques en discutant avec un de ses amis . Il conclut : « Caroline a été aspirée par la secte. Elle est aspirée par la secte. Elle est obsédée par Trump, elle l'adore, aussi étrange que cela paraisse. » Il y voit une dimension très sombre : « c'est une adepte masochiste qui ressent le besoin d'être testé, abusé et forcé de prouver encore, encore et toujours qu'elle mérite l'amour du leader ». (10)

Adam Kinzinger, un ancien représentant de l'Illinois au Congrès, reflète la psychologie de certains de ces collègues dans ce commentaire : « bien plus que la mort, ils craignent d'être expulsés de la tribu et ils craignent de perdre leur identité ». La tribu, c'est le Parti républicain et c'est pareil pour l'identité « vous allez perde votre identité comme membre du Congrès ». (11) Selon Liz Cheney, « l'amour du pouvoir est tellement fort que des hommes et des femmes qui paraissaient autrefois raisonnables et responsables sont soudainement devenus désireux de violer leur serment sur la Constitution par opportunisme politique et loyauté envers Donald Trump ». (12)

Bien sûr, le Parti Républicain possède une histoire longue et complexe. Comme dans le cas d'autres éléments du trumpisme, elle n'a pas commencé avec Trump et ne finira pas avec lui. On le créditera d'avoir joué un rôle important en aidant à rassembler tous ces éléments mais, indépendamment de ce qui va arriver à Trump, le phénomène plus large qu'est le « trumpisme » sera avec nous encore pour quelque temps à venir.

Fascisme du passé… et fascisme en devenir

Une chose de plus. Nous traitons d'un phénomène global noté par de nombreux observateurs différents – incluant des mouvements puissants et, parfois, des gouvernements dans un large éventail de pays (Argentine, Brésil, France, Grèce, Hongrie, Inde, Italie, Russie, Turquie, Etats-Unis et d'autres encore). Une combinaison de termes décrit ce qui se passe - populisme de droite, ultranationalisme autoritaire et xénophobe, etc. – en indiquant son contenu complexe. Le mot « fascisme » est parfois utilisé, mais le terme quasi-fascisme semble plus approprié. Le préfixe « quasi » signifie que « cela y ressemble » ou que « cela en a certains traits, mais pas tous ». Dans les circonstances actuelles, le terme quasi-fascisme peut être compris comme « fascisme en devenir ».

Le fascisme a beaucoup été analysé et débattu – parmi les universitaires aussi bien que parmi les théoriciens et les militants de gauche. Nous allons ici nous restreindre à aborder les premières explorations faîtes en 1923 par Clara Zetkin (une camarade proche de Rosa Luxemburg et une pionnière du communisme allemand), suivies des commentaires écrits en 1940 par Léon Trotski.

On peut juger de la qualité globale de ses développements par la phrase d'introduction de l'analyse de Clara Zetkin en 1923 : « le fascisme est l'expression concentrée de l'offensive qu'a entreprise la bourgeoisie mondiale contre le prolétariat ». (13) On devrait rappeler que « expression concentrée » particulière n'a pas été adoptée par l'entièreté de la classe capitaliste – de larges secteurs de la bourgeoisie britannique ont, par exemple, préféré soutenir Neville Chamberlin ou Winston Churchill plutôt que Oswald Mosley et aux Etats-Unis certains éléments de la classe capitaliste ont aidé à fabriquer le programme du New Deal présenté par Franklin D. Roosevelt. Mais on ne peut pas comprendre les réalités de cette époque ou de la nôtre sans prendre en compte la dimension globale mise en lumière par Zetkin.

Cette dimension globale est indispensable d'un autre aspect de la réalité que Zetkin identifie comme la racine primaire du développement du fascisme : « la désintégration et la pourriture de l'économie capitaliste et le symptôme de la dissolution de l'État bourgeois ». Elle ajoute que « l'on pouvait observer les symptômes de cette pourriture du capitalisme avant même la Première Guerre Mondiale ». Mais cette guerre catastrophique « a ébranlé les fondations de l'économie capitaliste ». Ce qui en a résulté n'est « pas seulement l'appauvrissement colossal du prolétariat mais aussi… la misère profonde de la petite bourgeoisie, des petits paysans et des intellectuels ». Comme le note Zetkin « on leur avait promis à tous que la guerre apporterait une amélioration de leurs conditions matérielles. Mais c'est exactement le contraire qui s'est produit » avec non seulement les dévastations de la guerre, mais aussi une prolétarisation soudaine et massive combinée au chômage de masse au sein des « anciennes couches moyennes ». Elle souligne : « c'est parmi ces éléments que le fascisme a recruté un contingent considérable ». (14)

Selon Zetkin, « la seconde racine du fascisme est le retard de la révolution mondiale à cause de la trahison des dirigeants réformistes ». Elle fait ici référence aux partis de masse sociaux-démocrates et aux syndicats. Cela vaut la peine de regarder en profondeur ce qu'elle décrit : « des larges secteurs de la petite bourgeoisie et même des couches moyennes ont abandonné leur psychologie de guerre pour une certaine sympathie envers le socialisme réformiste, espérant que ce dernier apporterait une réforme de la société selon des principes démocratiques. Leurs espoirs ont été déçus. Ils ont pu alors voir que les dirigeants réformistes avaient un accord bienveillant avec la bourgeoisie, et le pire est que les masses en ont perdu la foi non seulement envers les dirigeants réformistes mais aussi envers le socialisme dans son ensemble. Ces masses de sympathisants socialistes déçus sont rejointes par de larges couches du prolétariat, de travailleurs qui n'ont pas seulement perdu la foi dans le socialisme mais aussi dans leur propre classe. Le fascisme est devenu une sorte de refuge pour sans abri politiques. » (15)

Ceci fournit le cadre analytique de la compréhension du fascisme qui est celle de Clara Zetkin. Elle met un point d'honneur à distinguer le fascisme de la violence autoritaire de droite telle que celle qui est employée par les forces autour du dirigeant militaire réactionnaire Miklós Horthy qui ont sauvagement réprimé les travailleurs socialistes et communistes hongrois en 1919 et remplacé un gouvernement ouvrier avorté par une dictature de droite.

Zetkin insistait sur le fait que ce n'était pas le fascisme : « bien que les deux aient des méthodes similaires, ils sont différents dans leur essence ». Elle expliquait : « La terreur de Horthy a été mise en place après que la victoire du prolétariat, certes de courte durée, ait été annihilée. C'était l'expression de la vengeance de la bourgeoisie. Les meneurs de la Terreur Blanche était une clique relativement peu nombreuse d'anciens officiers ». Par contraste, « le fascisme n'est pas la revanche de la bourgeoise en représailles à une agression du prolétariat contre la bourgeoisie, mais c'est une punition infligée au prolétariat pour avoir échoué à poursuivre la révolution (socialiste) commencée en Russie. Les dirigeants fascistes ne constituent pas une caste limitée et exclusive, ils incluent de larges éléments de la population. » (16)

Zetkin offre une compréhension complexe et étendue de la signification du fascisme : « la bourgeoisie veut reconstruire l'économie capitaliste. Sous les circonstances présentes, la reconstruction de la domination de classe de la bourgeoisie ne peut être menée à bien qu'au prix d'une exploitation accrue du prolétariat par la bourgeoisie. La bourgeoisie est tout à fait consciente que les socialistes réformistes qui parlent doucement sont en train de perdre rapidement leur emprise sur le prolétariat et qu'il n'y aura pas d'autre issue pour la bourgeoisie que de recourir à la violence contre le prolétariat. Mais, pour les Etats bourgeois, les moyens de la violence commencent à manquer. Ils ont donc besoin d'une nouvelle organisation de la violence et cela leur est offert par le conglomérat du fatras fascistes. Pour cette raison, la bourgeoisie met toutes les forces à sa disposition au service du fascisme. Le fascisme a des caractéristiques différentes dans les différents pays. Néanmoins il a deux caractéristiques distinctives dans tous les pays, à savoir le prétexte d'un programme révolutionnaire intelligemment adaptés aux intérêts et aux revendications des larges masses, et d'autre part l'application de la violence la plus brutale. » (17)

L'analyse de Clara Zetkin est devenue influente au sein de l'Internationale Communiste, même si cette dernière a été progressivement frelatée, dogmatisée et diluée au cours des années qui s'étendent de 1923 jusqu'à la dissolution du Komintern en 1943. Mais c'est clairement évident dans les efforts de Léon Trotski à la fin de sa vie pour résumer l'essentiel de sa discussion de 1940 sur les perspectives politiques aux Etats-Unis. L'essentiel pour les révolutionnaires – c'est le titre de l'un des chapitres du document – tient en huit mots : « le fascisme n'adviendra que si nous échouons ». Mais, bien sûr, Trotski avait d'autres choses à dire. Deux citations suffiront donc. Voici la première : « dans tous les pays où le fascisme a été victorieux, avant la montée du fascisme et sa victoire, nous avons eu une vague de radicalisation des masses ; des travailleurs, des paysans pauvres et des fermiers, et de la classe petite-bourgeoise. En Italie après la guerre et avant 1922, nous avions une vague révolutionnaire aux dimensions formidables ; l'État était paralysé, la police n'existait pas, les syndicats pouvaient faire ce qu'ils voulaient. Mais il n'y avait pas de parti capable de prendre le pouvoir : le fascisme est venu en réaction ». (18)

Et voici la seconde citation : « nous ne devons pas identifié la dictature militaire – la dictature de la machine militaire, de l'état-major, du capital financier – avec la dictature fasciste. Pour cette dernière, il est nécessaire qu'il y ait un sentiment de désespérance de larges masses du peuple. Quand les partis révolutionnaires les trahissent, quand l'avant-garde des travailleurs montre son incapacité à mener le peuple à la victoire, alors les fermiers, les petits entrepreneurs, les chômeurs, les soldats deviennent capables d'apporter leur soutien à un mouvement fasciste, mais seulement dans ces circonstances ». (19)

Aux États-Unis, le fascisme décrit par Zetkin et Trotski ne s'est pas cristallisé, mais l'on peut argumenter de façon plausible que les éléments convergents du trumpisme représentent un fascisme en devenir.

Le Pouvoir, l'échec et l'avenir de la Gauche aux Etats-Unis

Il y a des énigmes à résoudre. L'une concerne précisément de savoir comment les perspectives indiquées par Zetkin et Trotski s'appliquent aux réalités des Etats-Unis. L'autre concerne les « quelques rides étranges » du document « Promesse conservatrice » pour 2025 de la Fondation du Patrimoine. En résolvant ses énigmes, avec un peu de chance, nous aurons une meilleure idée des réalités politiques des États-Unis, ainsi que de la puissance, des échecs et de l'avenir possible de la gauche américaine.

Nous avons déjà noté les dimensions globales de la question que nous traitons, ce qui n'est pas moins le cas aujourd'hui que ce n'était vrai à l'époque de Zetkin et Trotski. Plus que cela, nous voyons également, pour notre époque comme pour la leur, une crise du capitalisme qui dure depuis plusieurs décennies et a engendré des politiques capitalistes préjudiciables au niveau de vie et à la qualité de vie de millions de travailleurs dans de nombreux pays, dont le nôtre, en fait une restructuration de longue durée de l'économie associée à la mondialisation. Sont également mis en évidence les impacts catastrophiques de la dégradation globale de l'environnement aussi bien que la violence impérialiste sur de nombreux fronts.

D'un autre côté, au moins superficiellement, la gauche organisée (qu'elle soit dirigée par des partis socialistes ou communistes, des syndicats militants, ou d'autres) est très loin de présenter une menace révolutionnaire ou même d'assure une présence crédible, au moins dans la patrie de Donald Trump, les États-Unis d'Amérique. Cela fait que le document « la Promesse conservatrice » de la Fondation du Patrimoine semble être un exercice absurde, alarmiste et calomnieux lorsque (dans le même souffle que ses reproches au Parti Démocrate) il fait tout un raffut sur « la Gauche » et « les Marxistes ».

La promesse apparente de Trotski était que nous aurions une chance de faire une révolution avant que la menace du fascisme ne devienne sérieuse. C'est ainsi que beaucoup d'entre nous avaient compris l'assertion brute : « le fascisme n'adviendra que si nous échouons ». La possibilité que le trumpisme se métamorphose en fascisme serait ainsi exclue. Mais cela implique un grave malentendu à propos de notre histoire qui correspond d'une manière univoque aux développements décrits par Zetkin et Trotski. Dans un sens tout à fait important, les conservateurs alarmistes de la Fondation du Patrimoine ont raison.

Au cours du siècle passé, la gauche organisée a eu un puissant impact et a influencé les politiques, les législations, la conscience et la culture au sein des États-Unis. Le mouvement ouvrier, les vagues féministes, le mouvement antiraciste et pour les droits civiques, les combats contre la guerre du Vietnam, les différents mouvements étudiants et d'autres encore – déterminant pour apporter des changements profonds sur la scène américaine pendant plusieurs décennies – n'auraient pas été aussi efficaces (et n'auraient peut-être pas vus le jour) sans les efforts essentiels d'organisation des militants de gauche.

Cependant, cela s'est accompagné d'un autre développement. Bien qu'un élément significatif pour les militants de gauche soit l'insistance mise sur l'indépendance vis-à-vis des partis politiques pro-capitalistes, cela a été largement soumis à l'emprise d'une tendance profonde à l'adaptation. Lors de la Décennie Rouge des années 30, la convergence entre des forces d'état d'esprit socialiste et un libéralisme social quelque peu expansif s'est accélérée, lorsque le Parti Démocrate sous la direction de Franklin D. Roosevelt (FDR) a « volé » de nombreux éléments de réformes du programme socialiste. Cela s'est fait, comme FDR le soulignait avec insistance, pour sauver le capitalisme durant les années de colère de la Dépression mais aussi afin d'assurer la popularité constante de FDR et son élection. Au-delà de cela, le cœur de la gauche organisée a été absorbée au sein de la coalition du New Deal. (20)

En un demi-siècle, six épisodes-charnière ont rendu l'absorption de la Gauche organisée dans le Parti démocrate presque complète.

Épisode n° 1 : le mouvement syndical des années 30 – en particulier le nouveau Congress of Industrial Organizations (CIO) dont la dynamique penchait à gauche – a constitué une alliance solide avec les Démocrates du New Deal de FDR.

Épisode n° 2 : la décision de 1935 de l'Internationale Communiste dirigée par Joseph Staline de constituer des alliances de « Front populaire » avec des libéraux capitalistes comme FDR a conduit les dynamiques communistes des Etats-Unis à rejoindre la coalition du Parti Démocrate.

Épisode n° 3 : au début de la Guerre Froide, le cœur du mouvement ouvrier organisé (de concert avec la plupart des socialistes modérés) a adhéré à l'agenda anti-communiste et capitaliste libéral du Parti Démocrate, ce qui a conduit à un large « pacte social » et à un consensus libéral capitaliste, depuis la fin des années 40 et au cours des années 50.

Épisode n° 4 : la coalition pour les droits civiques du début des années 60 a été profondément imbriquée avec le parti de John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson.

Épisode n° 5 : au cours des années 70 et 80, la plupart des partisans de la « nouvelle gauche » des années 60 se sont engagés dans l'aile réformiste du Parti Démocrate.

Épisode n° 6 : à l'orée du vingt-et-unième siècle, de nouvelles vagues de jeunes militants ont rejoint des couches plus âgées - dans le cadre de promesses radicales et d'espoirs grandissants – pour porter Barak Obama à la Maison Blanche.

Depuis le début du vingtième siècle, la gauche organisée avait été une force dynamique d'une importance considérable aux États-Unis. Au sein des travailleurs et des opprimés, elle a mobilisé dans de réels combats et remporté d'authentiques victoires. Elle a inspiré l'espoir pour de nouveaux combats qui feraient avancer les droits humains, améliorerait la vie de la majorité de la classe ouvrière et donnerait naissance à un monde meilleur. Et bien sûr elle a inspiré la peur et la rage des riches et des puissants.

À la fin du siècle, à travers le processus que nous avons retracé, la Gauche organisée s'est largement évaporée. On peut retrouver dans le Parti démocrate quelques-uns des discours de la Gauche, beaucoup de ses valeurs et une grande partie de son programme de réformes (souvent sous une forme édulcorée). Mais un engagement sincère et pratique à remplacer la dictature économique du capitalisme par la démocratie économique du socialisme n'était plus à l'ordre du jour. Néanmoins, parmi les riches et les puissants, il y en avait toujours qui ressentaient de la peur et de la rage ainsi qu'une détermination profonde à rattraper le terrain perdu. (21)

Les analyses de Zetkin et Trotski doivent être adaptées à un contexte assez différent. « Les socialistes réformistes qui parlent doucement vont perdre rapidement leur emprise sur le prolétariat » selon Zetkin dans les années 20, en particulier parce que « les dirigeants réformistes ont un accord bienveillant avec la bourgeoisie ». Un siècle plus tard, aux États-Unis, une « avant-garde de la classe ouvrière » hautement compromise au sein des syndicats (AFL-CIO) et l'aile « progressiste » du Parti Démocrate a sans doute montré « son incapacité à mener le peuple à la victoire ». Les partenaires capitalistes des réformistes – si généreux au début – se sont sentis obligés de restructurer l'économie au détriment de la classe ouvrière et les réformistes se sont sentis capables de faire un peu plus que de s'adapter. Lorsque les entreprises « trop grandes pour faire faillite » ont provoqué l'effondrement de l'économie en 2008-2009, le réformiste radical nouvellement élu, Barak Obama, s'est dépêché de renflouer l'élite des entreprises au détriment de la majorité de la classe ouvrière. Dans une telle situation – alors que la sécurité, la stabilité et la qualité de vie laissaient la place à la catastrophe économique et sociale – des masses de gens qui avaient été désillusionnés par cette variante de la soi-disant Gauche étaient inévitablement enclines à chercher des solutions parmi les démagogues de droite.

Les démagogues peuvent être grossiers comme Trump, mais ils peuvent être policés comme la Fondation du Patrimoine. Cela nous conduit à une autre ride bizarre du document « La Promesse conservatrice ». Nous avons vu la logique de sa « surestimation » de la Gauche. Mais plus d'une fois, ce document ressemble à une note apparemment de gauche, comme dans cette description radicalement lumineuse de la Révolution américaine :

« La République américaine a été fondée sur des principes qui donnaient la priorité et maximisaient les droits des individus à vivre leur meilleure vie possible et à profiter de ce que les Pères fondateurs appelaient « les Bénédictions de la Liberté ». C'est cette égalité radicale – la liberté pour tous – pas seulement l'égalité des droits mais l'égalité de l'autorité – que les riches et les puissants haïssent dans la démocratie en Amérique depuis 1776. Ils n'aiment pas l'audace des Américains dans leur insistance à dire que nous n'avons pas besoin d'eux pour nous dire comment vivre. C'est ce droit inaliénable à l'autonomie – l'opportunité pour chaque personne de se comporter lui-même ou elle-même, pour sa communauté, pour le bien – que dédaigne la classe dominante ». (22)

Cette note apparemment de gauche résonne encore et encore : « les élites dirigeantes ont sabré et déchiré les contraintes et la responsabilité qui leur sont imposées » nous dit-on « ils concentrent le pouvoir en haut et loin du peuple américain ». La Promesse conservatrice adopte le ton qui est celui de nombreux agitateurs de gauche : « les élites de l'Amérique de la politique et des affaires ne croient pas aux idéaux sur lesquels notre nation a été fondée, l'autogouvernement, le règne de la loi, la liberté dans l'ordre. À coup sûr, ils ne font pas confiance au peuple américain et dédaigne les restrictions mises par la Constitution à leurs ambitions. » Profitant du fait que beaucoup parmi la soi-disant Gauche s'étaient regroupés avec le libéralisme pro-capitaliste de l'élite du Parti Démocrate, le document proclame que « les socialistes… sont presque toujours des gens aisés » en insistant sur le fait que « le Gauche ne croit pas que tous les hommes ont été créés égaux – ils pensent qu'eux sont spéciaux » et en ajoutant « à chaque moment où la Gauche dirige des politiques fédérales et des institutions d'élite, notre souveraineté, notre Constitution, nos familles et notre liberté sont sur le point de disparaître. 23)

En dépit de la floraison radicale-démocratique de La Promesse Conservatrice, le résultat net est cependant la défense d'un capitalisme effrénée. Le premier objectif du Président des Etats-Unis, on nous le dit, devrait être de libérer « le génie dynamique de la libre entreprise » parce que dans les pays où existe « un haut degré de liberté économique, les élites ne sont pas aux responsabilités parce que tout le monde est aux responsabilités ». Selon La Promesse Conservatrice, l'élitisme, la corruption, l'avidité et le mépris envers les gens ordinaires qui prévalent dans la sphère politique seraient miraculeusement absents de la sphère économique. La « libre entreprise » capitaliste est naturellement merveilleuse : « les gens travaillent, construisent, investissent, épargnent et créent en fonction de leurs intérêts et au service du bien commun de leurs concitoyens ». (24)

A partir de certaines choses que La Promesse Conservatrice dit et à partir de ce qu'elle ne dit pas, on peut supposer que les auteurs de ce document accueilleraient avec bienveillance tout soutien à la réalisation de cette vision lumineuse qui pourrait lui être apporté par les forces qui le 6 janvier 2021 se sont mobilisées pour maintenir Donald Trump au pouvoir : les Proud Boys, les Gardiens du Serment, les milices de droite, les contingents du nationalisme blanc, etc.

Il est définitivement certain que la situation actuelle recèle un potentiel, dont certains éléments se cristallisent sous nos yeux. Que cette cristallisation soit ou non achevée, il semble clair que la Gauche a besoin d'emprunter un chemin différent que celui qui consiste à être piégée dans l'accommodation avec le capitalisme, particulièrement dans une époque de longue durée de crise capitaliste et de catastrophe. Les révolutionnaires feront ce qu'ils peuvent pour reconstruire et refonder une orientation, un ensemble de combats, un mouvement et une organisation cohérents avec les apports de Clara Zetkin et de Rosa Luxemburg, de Léon Trotski et de Vladimir Lénine, et de beaucoup d'autres qui ont reconnu que nous sommes confrontés au choix fatidique entre le socialisme authentique et l'horrible barbarie.

Des crises sous-jacentes, des oppressions profondes et des explosions de rage réprimées ont périodiquement conduit à d'étonnantes explosions militantes, comme le mouvement Occupy Wall Street ou le soulèvement Black Lives Matters faisant basculer qualitativement les réalités politiques vers la gauche. Cela a donné de l'énergie et accru le nombre de ceux qui se situent dans la Gauche militante. Bien entendu, ces développements ont également et inévitablement approfondi la peur et accru la détermination de ceux qui se situent à droite ; rien ne peut arrêter cela. Les partisans du trumpisme utiliseront toujours de tels évènements pour leurs propres objectifs.

Le problème est que les énergies et la rage de masse orientées à gauche – qui ne peuvent pas être maintenues indéfiniment – n'ont nulle part où aller une fois que la poussière retombe sinon dans deux directions : ou bien la quiétude apathique ou bien les voies réformistes. Ces voies sont compromises par le libéralisme des grandes entreprises et ont prouvé leur incapacité à transcender le système économique qui engendre les crises, les oppressions et la rage. Ce qui est à l'ordre du jour est la création de quelque chose de meilleur et de plus efficace que cela. (25)

Publié par ESSF le Samedi 8 juin 2024
Traduit par François Coustal.

Notes

1. Penguin Books, 2022), p. 429.
2. Michael Wolff, Fire and Fury ; Inside the Trump White House (New York ; Henry Holt and Co., 2018), pp. 115-116.
3. Michael Wolff, Siege ; Trump Under Fire (New York ; Henry Holt and Co., 2019), p. 29.
4.
5. Bob Woodward and Robert Costa, Peril (New York ; Simon and Schuster, 2021), pp. 273-274 ; Matt Prince, “What is President Trump's Relationship with Far-Right and White Supremacist Groups ?,” Los Angeles Times, Sept. 30, 2020. Aram Roston, “The Proud Boys Are Back ; How the Far-Right is Rebuilding to Rally Behind Trump,” Reuters, June 3, 2024.
6. Spencer Chretien, “Project 2025,” The Heritage Foundation, Jan. 31, 2023. Project 2025 - The Presidential Transition Project ; Policy Agenda, qui comprend un texte Paul Dans and Steven Groves, ed., Mandate for Leadership ; The Conservative Promise. Pour des évaluations critiques, lire E. Fletcher McClellan, “A Primer on the Chilling Far-Right Project 2025 Plan for 2nd Trump Presidency,” Lancasteronline, June 3, 2024. Global Project Against Hate and Extremism, “Project 2025 ; The Far-Right Playbook for American Extremism”. La citation décrivant qui a composé le document du Projet 2025 se trouve dans Mandate for Leadership ; The Conservative Promise, pp. 2-3.
7. Tim Miller, Why We Did It ; A Travelogue from the Republican Road to Hell (New York ; Harper, 2022), p. xii.
8. Miller, p. xx.
9. Liz Cheney, Oath and Honor ; A Memoir and a Warning (New York ; Little Brown and Co., 2023), pp. 2, 366.
10. Miller, p. 245.
11. “Former Rep. Kinzinger Reflects on GOP and Future of Democracy in ‘Renegade,'” (interview avec Geoff Bennett), PBS News Hour, Nov. 1, 2023.
12. Cheney, p. 2.
13. Clara Zetkin, “Fascism (August 1923),” Marxist Internet Archive.
14. Zetkin, “Fascism”.
15. Zetkin, “Fascism”.
16. Zetkin, “Fascism”.
17. Zetkin, “Fascism”.
18. Léon Trotski, “American Problems” (August 7, 1940), Writings of Leon Trotsky, 1939-1940 (New York ; Pathfinder Press, 1973), p. 337.
19. Trotski, “American Problems”, p. 338.
20. On peut trouver des détails et des références sur la Décennie Rouge dans Paul Le Blanc, Marx, Lenin, and the Revolutionary Experience ; Studies of Communism and Radicalism in the Age of Globalization (New York ; Routledge, 2006), pp. 153-198, avec des aspects sur les années suivantes qui sont abordés pages 221 à 258.
21. Ceci est retracé dans Kim Phillips-Fein, Invisible Hands ; The Making of the Conservative Movement from the New Deal to Reagan (New York ; W.W. Norton 2009), résumé dans Paul Le Blanc, “The Triumphant Arc of US Conservatism”, Left Americana ; The Radical Heart of US History (Chicago ; Haymarket Books, 2017), pp. 179-186.
22. Mandate for Leadership ; The Conservative Promise, p. 14.
23. Mandate for Leadership ; The Conservative Promise, pp. 8, 10, 15, 16.
24. Mandate for Leadership ; The Conservative Promise, pp. 14, 15.
25. International Journal of Socialist Renewal, August 13, 2019 ; Paul Le Blanc, “The Rise, Fall, and Aftermath of the Sander Challenge,” Irish Marxist Review, Volume 9, Number 27, 2020 ; Paul Le Blanc, Lenin ; Responding to Catastrophe, Forging Revolution (London ; Pluto Press, 2023), pp. 177-186.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

USA : l’élection de tous les dangers

15 octobre 2024, par Dan La Botz — , ,
Le peuple américain se rendra aux urnes le 5 novembre pour élire le président des États-Unis – certains dans quelques États auront déjà pu voter plus tôt – et choisir entre (…)

Le peuple américain se rendra aux urnes le 5 novembre pour élire le président des États-Unis – certains dans quelques États auront déjà pu voter plus tôt – et choisir entre l'ancien président Donald Trump, le leader autoritaire de ce qui est devenu un parti républicain d'extrême droite et la vice-présidente Kamala Harris, une démocrate quelque peu progressiste, qui s'est maintenant déplacée vers la droite, est devenue une modérée, et qui continue de soutenir Israël inconditionnellement, malgré sa guerre génocidaire contre la Palestine. L'élection présente plusieurs dangers connexes, d'une victoire de Trump qui pourrait mettre fin à la démocratie américaine à une élection serrée qui pourrait entraîner des manifestations violentes et peut-être une autre tentative de coup d'État et puis aussi le danger que si Harris gagne elle soit incapable de maintenir les États-Unis en dehors d'une guerre au Moyen-Orient qui s'élargit. Nous y reviendrons plus loin.

Tiré de Entreleslignesentre les mots
8 octobre 2024

Par Dan La Botz

Les deux candidats sont statistiquement à égalité dans les sondages en ce qui concerne le nombre total de voix, mais pour gagner l'élection, un candidat doit remporter non pas la majorité du vote populaire, mais la majorité du vote du collège électoral. Dans cette compétition, l'essentiel est de gagner les « swing states », c'est-à-dire les États qui ne sont pas déterminés par un parti ou un autre et qui pourraient voter soit pour les républicains, soit pour les démocrates. Il y a trois millions d'électeurs indécis dans ces États, mais l'élection sera décidée par quelques centaines de milliers ou même seulement quelques dizaines de milliers d'électeurs ambivalents ou jusqu'à présent indécis dans ces États. Toute l'attention, l'argent et les plans de voyage des candidats sont concentrés sur l'obtention de ces votes.

La campagne électorale se déroule dans un climat de violence. Il y a eu deux tentatives d'assassinat de Trump et des coups de feu ont été tirés dans un bureau de campagne de Harris à Tempe, en Arizona. Quarante pour cent des fonctionnaires électoraux, ceux qui gèrent les bureaux de vote ou comptent les voix, ont été menacés ou harcelés.

Trump fait campagne en grande partie sur l'économie, qui comprend le coût élevé de la vie, les impôts et le commerce extérieur et il promet d'arrêter l'inflation croissante, de réduire les impôts et d'améliorer le commerce extérieur grâce à d'énormes droits de douane – 10, 20, 50% – sur les produits importés. Mais lors de ses rassemblements et de ses interviews, il n'explique guère comment sa politique économique fonctionnera et les économistes de tous bords affirment que les droits de douane pourraient détruire l'économie américaine et peut-être même l'économie mondiale.

Plus récemment, Trump, lors d'un rassemblement, a promis une « renaissance manufacturière », en attirant les investissements étrangers, en créant des zones manufacturières, en réduisant les impôts et en éliminant les réglementations environnementales. Et donc en « volant » des millions d'emplois dans d'autres pays.

La plupart du temps, cependant, Trump, dans ses rassemblements de milliers de personnes, s'insurge contre ce qu'il appelle une invasion d'immigrants qui, selon lui, sont des « animaux », de la « vermine » et « empoisonnent le sang de notre pays ». Il prétend que les immigrants sont des criminels issus des prisons et des asiles d'aliénés du monde entier, qu'ils ont envahi et pris le contrôle de certaines villes et qu'ils « détruisent le tissu de notre pays ». C'est pourquoi il dit que la criminalité est en baisse dans d'autres pays mais en hausse dans le nôtre bien qu'en fait la criminalité soit en baisse aux États-Unis. Ses affirmations selon lesquelles les immigrants sont des criminels et des malades mentaux et selon lesquelles les taux de criminalité sont en hausse aux États-Unis sont toutes les deux fausses. Plus récemment, il a affirmé que les Haïtiens avaient pris le contrôle de la ville de Springfield, dans l'Ohio, et qu'ils mangeaient les chats, les chiens, les animaux domestiques et les oies de cette ville, affirmations pour lesquelles des responsables, du maire au gouverneur de l'État, ont déclaré qu'elles n'étaient absolument pas fondées. Le fils de Trump, Donald Jr, a déclaré que les Haïtiens avaient un QI inférieur à celui des autres personnes. Trump a promis que les services de l'immigration et la Garde nationale seraient utilisés – en violation de la loi actuelle – pour rassembler des millions d'immigrés, les placer dans des camps de concentration et les expulser vers leur pays d'origine. Et, dit-il, il commencera par Springfield.

Une nation divisée de fond en comble

Qui soutient ce démagogue réactionnaire et raciste ? La base de Trump, Make America Great Again (MAGA), est composée en grande majorité de Blancs employés par des petites et moyennes entreprises – avocats, agents immobiliers, propriétaires de magasins, vendeurs, cadres moyens d'entreprise, etc. – et vivant dans les banlieues ou les zones rurales (Chris Dite, Jacobin, 16 avril 2024). Un pourcentage élevé de travailleurs blancs généralement définis par les sondages comme ceux qui n'ont pas fait d'études supérieures soutiennent également Trump, bien qu'il ait perdu le soutien de certains d'entre eux récemment. Il a également gagné le soutien de certains hommes noirs et latinos. De nombreux trumpistes sont des chrétiens évangéliques qui, quel que soit son comportement personnel, voient en Trump un défenseur de leur foi, un fervent opposant à l'avortement, un antigay et un anti-trans. Dieu se sert de lui, disent-ils. Plus de la moitié des pasteurs protestants disent qu'ils voteront pour Trump, un quart est pour Harris, et près d'un quart est indécis (Aaron Earls, Christianity Today, 17 septembre 2024). Certains partisans de Trump sont des adeptes de Q-Ânon et croient qu'une cabale de pédophiles dirige le pays et se livre au trafic sexuel d'enfants. Les fabricants d'armes soutiennent Trump, tout comme la National Rifle Association qui l'a soutenu en raison de ses promesses de lutter contre le contrôle des armes à feu.

Qu'en est-il des grandes entreprises ? Soutiennent-elles Trump ?

La classe capitaliste américaine, historiquement divisée entre les deux partis, les soutient souvent tous les deux à des degrés différents, et les capitalistes passent fréquemment d'un camp à l'autre, ce qui modifie l'équilibre. Après la « révolution » conservatrice du président Ronald Reagan, le Parti républicain s'est mis à la disposition des entreprises. Trump, malgré ses discours populistes contre les élites, a également servi les grandes entreprises et les riches, en réduisant leurs impôts, en supprimant les réglementations et en entravant les syndicats. Et il promet d'accentuer cette ligne lors de son prochain mandat. Lors d'une réunion avec des cadres pétroliers en mai de cette année, par exemple, il leur a dit que s'ils lui donnaient un milliard de dollars pour revenir à la Maison Blanche, il se débarrasserait des réglementations environnementales de Biden.

Les grandes entreprises et les très riches sont comme toujours divisés, certaines soutenant Trump et d'autres Harris, bien qu'elle ait fait mieux que lui. Selon leurs déclarations officielles faites au gouvernement, au 21 septembre, la campagne de Harris et le Comité national démocrate abordent les deux derniers mois de l'élection de 2024 avec 286 millions de dollars en banque, contre 214 millions pour la campagne de Trump et le comité national républicain. Les analystes politiques ont toujours regardé de près quels secteurs – la finance, l'industrie, le commerce, etc. – forment le soutien bourgeois aux différents candidats politiques américains à la présidence. Par exemple, ils ont constaté que Franklin D. Roosevelt, le président qui a créé l'État-providence américain moderne, était soutenu par les industries de consommation (automobiles, pétrole, électricité, grands magasins), tandis que ses adversaires républicains étaient soutenus par la haute finance et l'industrie lourde, comme la banque Morgan et US Steel.

On ne sait pas exactement quel secteur constitue la base du soutien financier de Trump. Ses plus grands soutiens sont l'industriel high-tech Elon Musk, susceptible de devenir bientôt le premier trillionaire au monde, Timothy Mellon, héritier d'une fortune pétrolière, Miriam et feu Sheldon Adelson, exploitants de casinos Linda et Vince McMahon de World Wrestling Entertainment [1], Diane Hendricks d'ABC, fournisseur de matériaux de construction, Kelsey Warren, constructeur de pipelines ; Timothy Dunn, pétrolier texan, Richard et Liz Uhlein, propriétaires d'une société de matériaux d'emballage, Jeff Sprecher et sa femme Kelly Loeffler d'International Exchange qui possède la Bourse de New York, et une variété d'autres grandes entreprises et de riches particuliers issus de différents secteurs financiers et industriels. Le colistier de Trump, J. D. Vance, est soutenu par le milliardaire de la technologie Peter Theil.

En tant qu'ancienne sénatrice de Californie et démocrate, il n'est pas surprenant que les plus grands donateurs de Harris soient les sociétés high-tech de la Silicon Valley et de Hollywood, qui sont de toute façon des donateurs financiers démocrates traditionnels. Parmi eux, Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, le site web social, Dustin Moskovitz, cofondateur de Facebook, Melinda French Gates de Microsoft, Laurene Powell Jobs, l'ancienne épouse de Steve Jobs d'Apple, Jeffrey Katzenberg, ancien président de Walt Disney Studios, James Murdoch, ancien PDG de 21st Century Fox, Jeff Bewkes de Time Warner, Barry Diller, ancien PDG de Paramount. En outre, George Soros, l'homme d'affaires et investisseur milliardaire, et son fils Alex Soros soutiennent Harris. Les stars de Hollywood qui soutiennent Harris sont plus nombreuses que celles qui soutiennent Trump, la plus célèbre d'entre elles étant Taylor Swift. Bien sûr, certains magnats de Hollywood et géants de la technologie soutiennent également Trump, mais Harris semble plus forte dans ces secteurs les plus avancés de l'économie américaine.

Que fera le gouvernement américain en cas d'élection serrée ?

Il n'y aurait pas de réponse unifiée. Les États-Unis ont aujourd'hui un gouvernement divisé. Joe Biden est le président, et Harris, la vice-présidente, tous deux démocrates. Au Sénat, les démocrates disposent d'une faible majorité de 51 voix (provenant de 47 démocrates et de quatre indépendants) tandis que les républicains en ont 49. Les Républicains ont également une très faible majorité à la Chambre des représentants, 220 contre 211 pour les démocrates. La Cour suprême est effectivement devenue républicaine. Trump a nommé trois juges ce qui donne aux conservateurs une majorité de six contre trois. Elle est bien plus conservatrice que la plupart des autres cours modernes. Cela lui a permis d'abolir l'arrêt Roe v. Wade retirant aux femmes le droit à l'avortement protégé par le gouvernement fédéral et conduisant à l'interdiction de l'avortement dans quatorze États et à des limitations strictes dans treize autres. La Cour a également adopté un certain nombre d'autres mesures conservatrices et a notamment voté par six voix contre trois l'immunité présumée d'un président pour la plupart de ses actes officiels. Comme l'a écrit l'ACLU :

Au fond, la majorité de six contre trois de la Cour permet aux présidents d'utiliser leurs pouvoirs officiels pour commettre des actes criminels sans avoir à rendre compte de leurs actes.

Le programme de Kamala Harris

Le point fort de Harris qui lui a valu un très large avantage parmi les électrices est sa promesse de rétablir la protection fédérale de l'avortement et des autres droits reproductifs. Harris bénéficie de la coalition habituelle des candidats du Parti démocrate : syndicats, organisations noires, groupes latinos et asiatiques, mais surtout du soutien des organisations féminines.

En ce qui concerne plus généralement la politique intérieure, Kamala Harris, remplaçant Joe Biden en tant que candidate et entrant dans l'élection assez tardivement, n'avait pas élaboré de programme à part entière. Ayant été la vice-présidente de Biden, elle se présente en grande partie sur la base de ses réalisations législatives. Depuis les années 1980, sous l'égide de républicains comme Ronald Reagan et de démocrates comme Bill Clinton ou Barack Obama, les États-Unis et leurs alliés ont créé une économie mondiale néolibérale basée sur la déréglementation, la privatisation, la réduction des dépenses sociales et la diminution du pouvoir des syndicats. La Grande Récession 2008 a été la crise de cet ordre néolibéral mondial et a conduit à la fois au mouvement conservateur du Tea Party et à Occupy Wall Street. Les campagnes de francs-tireurs du démocrate Bernie Sanders et du républicain Donald Trump en 2016 étaient des réactions à cette crise et des réponses de ces mouvements.

La crise du néolibéralisme qui a débuté lors de la Grande Récession de 2008, puis qui s'est compliquée avec la pandémie de COVID et la récession économique consécutive, a conduit Joe Biden à adopter les programmes économiques et sociaux les plus progressistes depuis l'ère du démocrate Lyndon B. Johnson (1963-1969). Les programmes économiques et sociaux les plus importants de Joe Biden ont été la loi sur le plan de sauvetage américain (1 900 milliards de dollars) pour soutenir les entreprises et les travailleurs pendant le COVID, la loi sur l'investissement dans les infrastructures et l'emploi (1 200 milliards de dollars) et la loi sur la réduction de l'inflation (369 milliards de dollars) pour faire face aux problèmes climatiques. Ces mesures ont restauré l'économie américaine qui a connu une croissance de 5,7% au cours de sa première année de mandat générant le taux de croissance le plus élevé depuis 40 ans et ont fait baisser le taux de chômage à 3,9 %, le pays ayant enregistré le nombre de nouvelles demandes d'allocations-chômage le plus bas depuis cinquante ans. Biden a ensuite été confronté au problème de l'inflation élevée, qui est passée de 1,4% en janvier 2021 à un pic de 9,1% en juin 2022, un problème très grave, bien que l'inflation soit aujourd'hui négligeable. Harris qui en tant que vice-présidente n'avait pas de programme économique propre peut revendiquer les succès et accepter les échecs de l'administration Biden. Le problème, c'est que de nombreux Américains jugent l'économie non pas en termes de rapports d'activité, mais tout à fait personnellement. Le coût de l'essence, le prix des denrées alimentaires et le coût du logement ont augmenté. Pourtant, bien que le prix de l'essence soit inférieur à 3 dollars le gallon dans la majeure partie du pays, que les taux d'intérêt aient baissé de plus d'un point de pourcentage et que les prix des produits alimentaires aient chuté, la moitié des Américains pensent que l'économie va mal et pour la plupart d'entre eux, c'est la question la plus importante de l'élection. Aujourd'hui, Mme Harris qualifie son programme économique d'« économie d'opportunité » qui réduira les coûts pour les familles.

En bref, c'est un plan pour stimuler le capitalisme américain et elle ne prend aucune mesure qui changerait fondamentalement les structures économiques actuelles. Elle demande une réduction d'impôts pour les familles de la classe moyenne et de la classe ouvrière ; elle s'engage à construire trois millions de maisons et d'immeubles ; elle promet de soutenir davantage les petites entreprises en leur offrant des déductions fiscales ; elle affirme qu'elle renforcera et étendra la loi sur les soins abordables et qu'elle protégera Medicare et la Sécurité sociale ; elle veut apporter aux familles des services de garde d'enfants abordables et améliorer également les soins aux personnes âgées ; enfin, elle veut « réduire les coûts de l'énergie et s'attaquer à la crise du climat ». Autrefois très progressiste sur les questions d'énergie et du climat, elle a modéré ses positions et, par exemple, accepte désormais la fracturation [2]. Contrairement à Trump, elle comprend que les combustibles fossiles contribuent à la crise climatique mais son point de vue reste modérément progressiste.

Joe Biden a bénéficié d'un soutien important des syndicats, surtout en raison de son soutien à la grève des travailleurs de l'automobile l'année dernière en devenant le premier président venir sur un piquet de grève aux côtés des travailleurs. Ce soutien s'est reporté sur Kamala Harris. Aujourd'hui, ce sont les dockers de l'International Longshoremen's Association qui sont en grève. Leur syndicat représente 45 000 dockers dans 36 ports de la côte Est et du golfe du Mexique, du Maine au Texas. Ils traitent environ la moitié du fret maritime du pays. La grève porte sur l'automatisation et les salaires. Joe Biden s'est rangé du côté du syndicat. Ces entreprises, a déclaré Joe Biden, « ont réalisé des bénéfices incroyables, plus de 800% depuis la pandémie, et les propriétaires gagnent des dizaines de millions de dollars grâce à cela ». « Il est temps, a-t-il ajouté, qu'elles s'assoient à la table des négociations et de faire cesser la grève. » Le gouvernement fédéral a le pouvoir d'intervenir et, si la grève se poursuit, des pressions s'exerceront sur Biden pour qu'il impose un accord. Et s'ils ne sont pas contents de l'accord, les syndicats pourraient se retourner contre lui ce qui ne serait pas une bonne chose pour la candidate démocrate.

Harris a complètement soutenu la politique étrangère de Biden, appuyant Israël et sa guerre contre Gaza, soutenant la guerre de l'Ukraine contre l'invasion russe et s'opposant aux ambitions impériales rivales de la Chine. Le gros problème de Harris, en particulier avec les libéraux, les progressistes et la gauche ainsi qu'avec les Arabes et les musulmans américains, est son soutien total à Israël. La réputation de Harris d'être plus progressiste que Biden sur la question de la guerre d'Israël contre Gaza est basée sur des déclarations comme celle qu'elle a faite après sa rencontre avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou : « Ce qui s'est passé à Gaza au cours des neuf derniers mois est dévastateur. […] Les images d'enfants morts et de personnes désespérées et affamées fuyant pour se mettre à l'abri, parfois déplacées pour la deuxième, troisième ou quatrième fois – nous ne pouvons pas détourner le regard face à ces tragédies », a-t-elle déclaré, ajoutant : « Je ne resterai pas silencieuse. » Les propos qu'elle a tenus dans son discours de remerciement étaient plus faibles :

L'ampleur de la souffrance est déchirante. Le président Biden et moi-même travaillons à mettre fin à cette guerre de telle sorte qu'Israël soit en sécurité, que les otages soient libérés, que la souffrance à Gaza prenne fin et que le peuple palestinien puisse réaliser son droit à la dignité, à la sécurité, à la liberté et à l'autodétermination.

Contrairement à Trump et à Netanyahou, elle soutient une solution à deux États.
Aujourd'hui, la situation est bien entendu encore plus compliquée par la guerre entre Israël et le Hezbollah, l'invasion israélienne du Liban, de l'attaque de l'Iran contre Israël et de la guerre larvée entre les deux pays.

Les belles paroles de Harris n'ont toutefois été accompagnées d'aucune proposition ou action de sa part. Et cela pourrait lui coûter les élections. Le Michigan compte entre 200 000 et 300 000 électeurs arabo-américains, et lors des primaires, plus de 100 000 d'entre eux ont refusé de voter pour Harris et ont préféré voter sans s'engager. Un sondage du Council on American-Islamic Relations (Conseil des relations américano-islamiques) publié en septembre a montré que dans le Michigan, 40% des électeurs musulmans soutenaient la candidate du Parti vert, Jill Stein ; 38 % soutenaient Trump ; et seulement 18 % voteraient pour Harris.

La campagne de Trump et le Projet 2025

Lors des rassemblements de campagne de Trump – et il en a organisé des dizaines au cours des quatre dernières années – il affirme que les États-Unis sont une nation défaillante parce qu'elle n'a pas été capable de défendre ses frontières contre ce qu'il appelle l'invasion des immigrés. Il affirme qu'à la fin de sa première présidence, il a laissé le pays en pleine forme sur le plan économique mais que les immigrants ont apporté la criminalité et ont pris les emplois des travailleurs américains, en particulier des Latinos et des Noirs. Trump promet qu'en tant que président, il lancera un effort national pour rassembler des millions d'immigrés illégaux et les expulser, ce qui améliorerait l'économie. Son plan économique central consiste à réduire les impôts des riches et à augmenter les droits de douane sur les biens importés. Il nie le changement climatique et l'un de ses mantras est « Drill, baby, drill [3] », exprimant sa volonté de reconstruire l'économie sur le charbon, le pétrole et le moteur à combustion interne – bien que depuis qu'il est devenu ami avec Musk il ne soit plus aussi critique à l'égard des véhicules électriques. S'il touche à la politique étrangère, c'est pour dire qu'il réduirait le soutien à l'Ukraine, mais d'un autre côté, il promet : « J'apporterai à Israël le soutien dont il a besoin pour gagner, mais je veux qu'il gagne vite. »

Bien que Trump n'ait pas de plan précis pour son administration – il n'est pas très doué pour la planification –, un certain nombre de ses conseillers, travaillant pour la fondation conservatrice Heritage Foundation, ont produit un plan de 900 pages pour sa prochaine administration, appelé Projet 2025. Trump prétend ne rien savoir à ce sujet, mais neuf de ses anciens secrétaires de cabinet ont aidé à le rédiger et 140 autres anciens fonctionnaires et bureaucrates de l'administration Trump y ont participé. L'Union américaine pour les libertés civiles, qui défend depuis longtemps nos droits, l'a qualifié de « feuille de route sur la façon de remplacer l'État de droit par des idéaux de droite ».

La démocratie américaine n'est pas parfaite, loin de là, mais, même s'il y a des abus, nous avons toujours des droits démocratiques fondamentaux et des libertés civiles. Comme l'explique l'American Civil Liberties Union (ACLU) [4], le projet 2025 propose de réorganiser le pouvoir exécutif et de l'utiliser pour limiter davantage l'avortement, de cibler « les communautés d'immigrants par des déportations massives et des raids en mettant fin à la citoyenneté de naissance, en séparant les familles et en démantelant le système d'asile de notre nation », d'accroître le pouvoir de la police et de réprimer les protestations sociales, de limiter l'accès au vote, de censurer les discussions sur la race, le genre et l'oppression systématique dans les écoles et les universités et de faire reculer les droits des transgenres, entre autres choses. Le projet 2025 éliminerait également des dizaines de milliers de travailleurs de la fonction publique fédérale et les remplacerait par des personnes nommées pour des raisons politiques et fidèles au président. Il représente la première étape du démantèlement de la démocratie américaine et de la création d'un gouvernement autoritaire. Cela commencera par l'élection de Trump ou sa prise de pouvoir par un coup d'État.

Les deux dangers

Il existe deux dangers imminents. Le premier est que si Trump remporte une victoire décisive, il établira un régime autoritaire et pourrait abolir les institutions démocratiques et les droits civiques et instaurer un ordre véritablement fasciste. Le sénateur démocrate Richard Blumenthal du Connecticut a récemment déclaré :

Il existe un éventail d'horreurs qui pourraient résulter de l'utilisation sans restriction de la loi sur l'insurrection par Donald Trump. Un président aux motivations malignes pourrait l'utiliser dans une vaste gamme de moyens dictatoriaux, à moins qu'à un moment donné, les militaires eux-mêmes ne résistent à ce qu'ils considèrent comme un ordre illégal. Mais cela fait peser un très lourd fardeau sur les militaires (NBC News, 14 janvier 2024).

Souvenons-nous que lorsque Trump était président, il a menacé de déployer l'armée pour réprimer les énormes manifestations nationales Black Lives Matter de 2020, mais les responsables civils et militaires lui ont résisté et l'ont mis en échec. Ils risquent de ne pas pouvoir le faire la prochaine fois. William Cohen, ancien sénateur républicain du Maine et ancien secrétaire à la défense, a récemment averti, en parlant de Trump :

Nous sommes à environ 30 secondes de l'horloge de l'Armageddon en ce qui concerne la démocratie (NBC News, 14 janvier 2024).

L'autre danger est que si l'élection est serrée, Trump et le Parti républicain utilisent toute une série de tactiques, légales et illégales, pour réaliser un coup d'État et s'emparer du pouvoir. Ils sont déjà prêts à contester juridiquement chaque aspect du processus de vote, qu'il s'agisse de contester des électeurs individuels, de contester le décompte des voix dans chaque État ou de soulever des objections à la certification du Congrès américain. Ces contestations juridiques seront probablement accompagnées de protestations militantes et de violences dans les bureaux de vote, dans les bureaux autorisés à compter les votes et dans les assemblées législatives des États. Trump mobilisera les grands États républicains dotés de gouverneurs réactionnaires, tels que le Texas et la Floride, pour soutenir ses contestations et ralentir ou arrêter le processus post-électoral. Ces États pourraient mobiliser les forces de leur garde nationale pour soutenir Trump. Il existe également des organisations militantes armées d'extrême droite – quelque 1 400 ont été identifiées – dont on peut s'attendre à ce qu'elles mènent des actions violentes dans les capitales des États et au Capitole national à Washington. Déjà pendant la pandémie de COVID, des groupes armés opposés au port du masque ont pris le contrôle de certaines capitales d'État, par exemple dans le Michigan. D'autres milices se sont rendues à la frontière au Texas et ont arrêté illégalement des immigrants sans papiers. L'objectif de tout cela sera d'empêcher Harris d'entrer en fonction et d'installer Trump à la présidence à sa place. Une telle action entraînerait une crise politique du gouvernement fédéral et pourrait effectivement conduire à des violences de masse dans certaines régions.

Donald Trump, les républicains de droite et les milices ont tenté un coup d'État le 6 janvier 2021 après que Trump ait ameuté un rassemblement de milliers de personnes qui ont ensuite marché jusqu'au Capitole où des centaines ont envahi le bâtiment, cherchant la chef du Parti démocrate Nancy Pelosi et menaçant de pendre le vice-président républicain Mike Pence pour son incapacité à soutenir l'affirmation de Trump selon laquelle il avait gagné l'élection. Cette violente insurrection a réussi à retarder le décompte des votes du collège électoral et la certification du nouveau Président, a coûté la vie à six personnes, a blessé plusieurs policiers et a fait des millions de dollars de dégâts matériels. Par la suite, 11 424 personnes ont été inculpées et des centaines ont été condamnées et emprisonnées. Cette tentative de coup d'État a échoué, mais un autre coup d'État est-il possible ?

De nombreux élus, officiers supérieurs et commentateurs des médias pensent que oui. En décembre 2021, dans une tribune parue dans le Washington Post, trois généraux – Paul D. Eaton, Antonio M. Taguba et Steven M. Anderson – ont écrit qu'en cas de résultats contestés des élections, où l'on ne sait pas exactement qui est devenu président, « le risque d'une rupture totale de la chaîne de commandement selon des lignes partisanes – du sommet de la chaîne au niveau de l'escouade – est important si une autre insurrection se produisait. L'idée que des unités rebelles s'organisent entre elles pour soutenir le commandant en chef « légitime » ne peut être écartée. […] Dans un tel scénario, il n'est pas exagéré de dire qu'un effondrement militaire pourrait conduire à une guerre civile ».

L'acceptation par le public d'un coup d'État a également progressé. Un sondage publié dans le Washington Post le 6 janvier 2022 a révélé que « la part des Américains prêts à tolérer un coup d'État est passée de 28% en 2017 à 40% en 2021. C'est une augmentation de 43%, et le taux le plus élevé que nous ayons observé aux États-Unis depuis que nous avons commencé à poser la question il y a plus de dix ans. »

Si Trump perd lors d'une élection serrée, il est possible que nous assistions à une nouvelle tentative de coup d'État, celle-ci impliquant l'armée et pouvant avoir une portée nationale, avec la possibilité d'inciter à une guerre civile. Certains officiers pourraient tenter de prendre la tête d'un soulèvement en faveur de Trump. Mais les obstacles à un coup d'État militaire seraient le secrétaire à la défense de Biden-Harris, Lloyd Austn, et leurs chefs d'état-major interarmées, les commandants de l'armée. Il est difficile de concevoir qu'ils soutiennent une tentative de Trump de s'emparer du pouvoir. Malgré tout, nous serions téméraires d'ignorer les dangers d'un nouveau coup d'État.

Qu'en est-il de la gauche ?

La gauche américaine (social-démocrate, socialiste, anarchiste) est assez petite, peut-être 1% de la population, et elle est divisée en une myriade de groupes et de nombreux militants individuels sans affiliation. Le Democratic Socialist of America (DSA), le Parti communiste et certains anciens maoïstes soutiendront la candidate du Parti démocrate Kamala Harris, même si, comme le DSA, ils ne l'ont pas approuvée. L'extrême gauche – les anarchistes, les trotskistes, les néostaliniens et les campistes – ne participera pas à l'élection. Certaines petites sectes font semblant de participer à la politique électorale, comme Socialist Action, qui, en 2020, a présenté son leader Jeff Mackler à la présidence. Il n'est pas apparu sur le bulletin de vote d'un seul État. Cette année, le Parti du socialisme et de la libération présente Claudia De La Cruz et Karina Garcia à la présidence et à la vice-présidence. Elles ne figurent que sur le bulletin de vote de la Floride. Il ne s'agit pas vraiment de campagnes politiques mais de campagnes de propagande destinées uniquement à promouvoir le parti et à recruter.

Les deux candidats de gauche les plus importants de cette élection sont Jill Stein du Parti vert et Cornel West. Le Green Party, fondé en 1984, est un parti très réel et sérieux avec un programme quasi-socialiste assez progressiste et un engagement sérieux pour prévenir le réchauffement climatique. Il se définit lui-même comme « écosocialiste ». Sa seule grave faiblesse politique est son manque de soutien à la guerre défensive de l'Ukraine contre la Russie de Poutine et, en fait, Stein semble souvent suivre les arguments de Poutine. Il semble que le parti Vert ait recueilli suffisamment de signatures pour pouvoir figurer sur les bulletins de vote de 34 des 50 États et il espère apparaître dans dix autres États. Les démocrates ont partout œuvré pour bloquer les Verts et les républicains ont essayé de les aider à figurer sur les bulletins de vote. Comme a dit Trump, « Jill Stein, je l'aime beaucoup. Tu sais pourquoi ? Elle prend 100% des voix [démocrates]. » Par le passé, Stein a remporté environ 1% des voix à la présidentielle et zéro voix au collège électoral, pourtant. Mais, comme nous l'avons déjà mentionné, cette année, Jill Stein pourrait gagner les votes des Arabes et des musulmans, prenant peut-être suffisamment de voix à Harris pour lui faire perdre l'État du Michigan et garantir l'élection à Donald Trump.

L'autre candidat de gauche est le théologien noir Cornel West. À l'origine, il avait prévu de se présenter sur un ticket du People's Party en crise, puis il est passé au Green Party, a ensuite décidé de se présenter de façon indépendante et a finalement créé son propre Justice for all Party, jusqu'à présent sans convention fondatrice avec peut-être une demi-douzaine d'affiliés dans les États et un très maigre nombre d'adhérents. Il fait peu campagne et reçoit peu de publicité. À l'heure actuelle, il semble qu'il figurera sur le bulletin de vote dans quatorze États. Sa campagne est un geste futile et plutôt pathétique. Malgré tout, la campagne de West comme celle de Stein pourrait prendre des voix à Harris et offrir l'élection à Trump.

De nombreux Américains, en particulier les jeunes, les Arabes et les musulmans, mais aussi les militants juifs et bien d'autres, ont été consternés par le soutien de l'administration Biden-Harris à la guerre génocidaire d'Israël contre la population de Gaza et les autres Palestiniens. La guerre d'Israël contre le Hezbollah ne fera qu'exacerber le sentiment d'aliénation de ces électeurs. Mais cela ne sera peut-être pas décisif pour Harris, car la jeunesse politisée ne représente qu'une petite partie de la population, beaucoup de jeunes ne votent pas de toute façon, et ceux qui votent peuvent encore très bien voter pour Harris pour vaincre Trump.

D'autre part, de nombreux libéraux, progressistes et militants de gauche non sectaires estiment qu'il faut un front uni dans cette élection contre Trump et le fascisme. Même s'ils critiquent vivement le soutien de Biden et de Harris à la guerre génocidaire d'Israël, ils considèrent Trump comme une menace existentielle pour la démocratie américaine. Comme eux, je voterai pour Harris, tout en soutenant l'appel à un cessez-le-feu à Gaza et à la fin de la guerre d'Israël contre le Hezbollah.

[1] Entreprise de spectacle de catch.
[2] Fracturation hydraulique des sols pour l'extraction du gaz de schiste.
[3] « Drill, baby, drill » : « Perce, baby, perce », encouragement à l'extractivisme.
[4] Union américaine pour les libertés civiles,www.aclu.org

Dan La Boz a été syndicaliste, cofondateur de Teamsters for a Democratic Union et journaliste. Membre du comité de rédaction de la revue new-yorkaise New Politics, il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Le nouveau populisme américain : résistances et alternatives à Trump (Syllepse, 2018).

Texte paru dans Adresses n°5 :Adresses n°5

The Dangerous American Election
https://newpol.org/the-dangerous-american-election/

Usa, i pericoli delle presidenziali
https://andream94.wordpress.com/2024/10/08/usa-i-pericoli-delle-presidenziali/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Membres