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Ukraine : faisons le point
Cet article, rédigé pour le journal Démocratie et Socialisme des camarades de la GDS, à leur demande, date de samedi dernier. La situation évoluant rapidement en Ukraine ces jours, nous le publions car il permet, comme son titre l'indique, de faire le point avant les nouveaux développements.
5 septembre 2024 | tiré du site Arguments pour la lutte sociale | Photo illustrant cet article : Source ISW, carte du front du Donbass au 2 septembre 2024. L'avancée sur Pokrovsk est au centre de la carte, entourée par le principal cercle.
Les derniers développements de la guerre en Ukraine suscitent beaucoup de questions. Comprendre ce qui se passe nécessite une vision d'ensemble. Depuis le 24/02/22, la guerre a connu 6 phases.
D'abord, l'échec de la Blitzkrieg russe, non prévu par Poutine, mais aussi par Biden : la levée en masse de la nation, l'auto-organisation des millions de « petites mains » (1), ont bloqué l'invasion qui devait liquider l'Ukraine : fait révolutionnaire qui marque la période mondiale présente. Mais d'autre part, la vague de manifs antiguerre en Russie est étouffée.
Le 25/03/24, Poutine recentre ses troupes sur le Donbass en une guerre de progression lente et d'écrasement, marquée par la destruction de Marioupol – que nos amis ukrainiens compareront bientôt à Gaza.
Mais à partir du 06/09/22, la guerre de manœuvres ressurgit, avec la percée ukrainienne à l'Est de Kharkiv, liée à un vague de paniques et de désertions côté russe, la mobilisation partielle mais massive russe, puis la reconquête de Kherson.
Après fin novembre 2022, le front se stabilise avec une seconde poussée russe dans le Donbass, qui se cristallise sur Bakhmut, lentement prise (et détruite) par les Wagner. Mais l'espoir d'une contre-offensive analogue à celle de fin 22 habite les Ukrainiens.
Celle-ci semble commencer le 06/06/23, en même temps que l'écocide russe contre le barrage de Nova Kakhovka. Peu après se produit le putsch Prigojine en Russie, spectaculaire bien qu'échouant. En fait la contre-offensive s'enlise totalement, en même temps que les livraisons d'armes occidentales se tarissent. Il y a crise dans le commandement ukrainien (Zaluzhnyi remplacé par Sirsky).
Cette situation va s'aggraver et pourrir de plus en plus à partir de l'éclatement de la guerre de Gaza le 07/10/23. Les politiques néolibérales du gouvernement Zelenski sont contre-productives pour la défense nationale, la question de la mobilisation de nouvelles classes d'âge (en dessous de 27 ans) pose problème. Même si le déblocage du vote des aides militaires au Congrès US, le 21 avril (du au constat de la consolidation de l'alliance sino-russe et du risque de percée russe du front), ramène un espoir, celui-ci reste tout relatif.
Il est, en outre, suspendu au risque de réélection de Trump, le meilleur allié de Poutine. La victoire travailliste à Londres le 4 juillet, l'échec de l'accession du RN au pouvoir en France le 7, et le tournant de la campagne US avec le remplacement de Biden par Harris le 21, sont des données qui ont un poids politique et même militaire direct pour les Ukrainiens. L'incursion ukrainienne en territoire russe à partir du 6 août ouvre-t-elle une nouvelle phase ?
Les groupes militaires russes alliés à l'Ukraine (démocrates-libéraux de Liberté de la Russie, fascistes du Corps des Volontaires, groupes nationaux de Sibir), qui mènent de petites escapades en Russie depuis des mois, ne sont pas cette fois à la manœuvre. C'est bien l'armée ukrainienne qui a constitué un glacis, à ce jour de la taille du département du Val d'Oise, et progresse sans doute encore un peu vers l'Ouest comme vers l'Est, où il pourrait faire tenaille envers les troupes russes qui ont envahi la zone frontière au Nord de Kharkiv ce printemps (2).
Bien qu'ayant des effets positifs sur le moral des soldats, cette opération n'a pas empêché la poursuite de la progression russe en direction de Pokrovsk qui, certes, n'est pas encerclée comme on le lit parfois, mais très menacée par une pointe vers l'Ouest des troupes russes. Version optimiste : cette pointe pourrait être cisaillée. Version pessimiste : la perte de Pokrovsk serait une lourde défaite aux conséquences stratégiques. En Ukraine, la crainte d'un délaissement du Donbass dans des négociations éventuelles est évidente.
D'autre part, l'incursion en Russie est un choc politique et psychologique pour le régime poutinien, qui annule en partie son ressaisissement post-putsch Prigojine. Poutine n'a toujours pas officiellement qualifié de « guerre » la situation et manifeste un dédain remarquable pour le sort des Russes eux-mêmes. Ceux-ci sont inquiets, près de 200 000 personnes ont fui la région, sans aucune résistance civile aux troupes ukrainiennes, qui ont pour consigne de ne pas commettre d'exactions « à la russe ».
Enfin, il est bon de citer ces propos de Zelenski : « … si les partenaires de l'Ukraine levaient les restrictions sur l'utilisation d'armes à longue portée sur le territoire russe, l'Ukraine n'aurait pas besoin de pénétrer physiquement » en Russie. Hé non, ce n'est pas l'OTAN qui a pris cette initiative !
La situation est sur le fil et le résultat des élections US sera un enjeu américain, mondial, et ukrainien. « L'Occident » est terrorisé quand des coups réels sont portés à Poutine par l'Ukraine. La perspective positive pour les peuples passe, elle, par sa défaite et son renversement. C'est cela, l'incontournable pour tout partisan de la démocratie et du socialisme.
Vincent Présumey, le 31/08/24.
(1) Voir Daria Saburova, Travailleuses de la résistance. Les classes populaires ukrainiennes face à la guerre., éditions du Croquant, avril 2024.
(2) Précision : la centrale nucléaire de Koursk, à Kourtchatov, est tout à fait hors de cette zone.
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La terreur russe s’attaque aux travailleurs et aux travailleuses, à l’énergie et à la liberté : L’Ukraine à nouveau victime d’une attaque massive
Chers frères et sœurs,
La Confédération des syndicats libres d'Ukraine (KVPU) vous lance un nouvel appel car aujourd'hui, 26 août, l'Ukraine est à nouveau la cible d'une attaque massive de la part de la Russie. Les forces russes ont utilisé au moins 127 missiles et 109 drones pour frapper des installations énergétiques, de transport et d'infrastructure dans 15 régions de l'Ukraine.
3 septembre 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/03/la-terreur-russe-sattaque-aux-travailleurs-et-aux-travailleuses-a-lenergie-et-a-la-liberte-lukraine-a-nouveau-victime-dune-attaque-massive/
Les troupes russes ont lancé une attaque terroriste sur les villes et villages ukrainiens à l'aide de drones pendant la nuit. Dans la matinée, l'assaut a été intensifié avec différents types de missiles, notamment des missiles de croisière et des Daggers. Les cibles de l'agresseur comprenaient des travailleurs et des travailleuses, des membres du KVPU et des habitant·es de 15 régions d'Ukraine.
L'attaque russe sur la région de Kiev a notamment fait trois blessé·es, dont un enfant de cinq mois. Dans la région de Sumy, l'ennemi a frappé un site d'infrastructure ferroviaire, endommageant le réseau de contact et les bâtiments, et blessant l'assistant d'un conducteur de train. Dans la région de Lviv, les forces russes ont pris pour cible plusieurs installations énergétiques, provoquant des coupures de courant dans la région. Dans la région de Zaporizhzhia, les forces russes ont attaqué des infrastructures énergétiques, entraînant la mort d'un homme à son domicile après qu'une roquette a frappé près d'une zone résidentielle. Une autre personne a perdu la vie suite à l'impact direct d'un drone sur un immeuble de grande hauteur dans la ville de Lutsk.
Le service d'urgence de l'Ukraine a indiqué qu'au moins sept personnes ont été tuées et 47 autres blessées (dont quatre enfants nés en 2014, 2017 et 2024) à la suite des attaques russes.
Dans la soirée du 26 août, un tir de missile sur un hôtel de Kryvyi Rih, dans la région de Dnipropetrovsk, a fait au moins deux morts et cinq blessés. Selon le gouverneur Serhii Lysak, plusieurs bâtiments résidentiels, magasins et véhicules ont été endommagés. Le 27 août au matin, les opérations de recherche se poursuivent et deux personnes pourraient être piégées sous les décombres.
Le 26 août, des terroristes russes ont à nouveau attaqué l'infrastructure énergétique ukrainienne, ce qui a entraîné des coupures de courant dans tout le pays.
Nous attirons votre attention sur le fait que les troupes russes ont tenté de détruire la centrale hydroélectrique de Kiev avec différents types de missiles et de drones. Les tirs d'obus ont causé des dégâts et des dommages. Il convient de rappeler que le 6 juin 2023, les troupes russes ont détruit le barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, ce qui constitue un crime de guerre et un acte d'écocide.
En outre, nous vous informons qu'en raison de l'offensive accrue des troupes russes, la vie et la santé des habitant·es des villes minières de la région de Donetsk sont encore plus menacées. Les troupes russes attaquent les mines ukrainiennes, les entreprises d'extraction de charbon et les infrastructures énergétiques. En outre, nous soulignons que les travailleurs et travailleuses ukrainien·nes sont confrontés·e à un danger permanent, qu'elles et ils se trouvent sur le chemin du travail ou du retour, à la maison ou même dans un supermarché.
Par exemple, le 6 août 2024, lors d'une attaque de missiles sur la mine Kapitalna de l'entreprise d'État Myrnogradvugilya, où opère la principale organisation syndicale du NPGU, plusieurs travailleurs ont été blessés à des degrés divers de gravité, dont un réparateur et un électricien de service et réparateur d'équipement, machiniste d'installation souterraine. Le 10 août 2024, l'opérateur du bouclier thermique central de l'atelier chaudière-turbine a été tué à Kramatorskteploenergo LLC à la suite d'une attaque de missiles par les troupes russes.
Le système énergétique ukrainien manque cruellement de production nationale d'électricité en raison des bombardements russes, et les importations, déjà à leur maximum, sont insuffisantes pour résoudre ce problème.
L'attaque sans précédent d'aujourd'hui est une nouvelle preuve que la Russie ne recule devant rien pour tenter de détruire le secteur énergétique et l'économie de l'Ukraine, et pour briser la détermination du peuple ukrainien, qui défend sa liberté et sa démocratie.
Aujourd'hui, les travailleurs et travailleuses ukrainienness, membres de syndicats, continuent de travailler malgré le danger et combattent également les occupants russes en première ligne.
Nous appelons la communauté syndicale internationale à continuer d'apporter un soutien global aux Ukrainien·nes qui résistent au régime criminel russe et luttent pour la paix et la démocratie. Aidez l'Ukraine à résister, à gagner et à libérer tous les territoires occupés où règne la terreur et où les droits des êtres humains sont bafoués.
L'appel de la KVPU reste inchangé :
Continuer à fournir une aide économique et humanitaire à l'Ukraine ;
Soutenir la fourniture d'une aide militaire à l'Ukraine afin de protéger la population, les infrastructures énergétiques, les lieux de travail et le pays ;
Renforcer les sanctions contre le régime terroriste russe et ceux qui le soutiennent et le financent, car cela peut limiter considérablement les ressources financières et l'exportation des technologies nécessaires à la poursuite de la guerre sanglante ;
Garantir la possibilité d'utiliser les avoirs russes gelés pour les affecter à l'aide à l'Ukraine ;
Isoler et écarter des organisations internationales les personnalités politiques, publiques et syndicales russes, en tant que représentants d'un pays qui mène des activités terroristes contre l'Ukraine souveraine et indépendante et contre ses citoyen·nes.
https://ukrainesolidaritycampaign.org/2024/08/29/russian-terror-targets-workers-energy-and-freedom-ukraine-under-massive-attack-again/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Delhi : grève dans le taxi contre Uber et Ola
Le 22 et 23 août dernier, près de 400 000 syndiqué.es du taxi se sont rassemblé.es et mobilisé.es afin d'organiser une grève à grande échelle contre des services comme Uber et Ola à Delhi. Les 15 syndicats qui les représentent condamnent les pratiques d'exploitation de ces entreprises et demandent des conditions de travail plus saines, justes et équitables.
Tiré du Journal des alternatives. L'autrice est stagiaire d'Alternatives en Inde.
Les revendications de cette manifestation
Plusieurs motifs expliquent l'instigation de cette grève. Tout d'abord, le taux de commissions des services Uber et Ola est beaucoup trop élevé, soit environ 40 % par trajet. Lorsque les applications comme Uber et Ola sont arrivées en Inde, leur taux de commission était d'environ 10 %. Or, ce pourcentage a énormément augmenté en quelques années, ce qui a diminué le revenu des employé.es.
Également, il y a une concurrence déloyale entre les taxis, les automobiles et les tuk-tuks conventionnels (ou également appelés rickshaws motorisés), ainsi qu.avec l'introduction des tuk-tuks électriques et des motos-taxis. En effet, l'entretien et l'usage de moyens de transport plus grands consommant plus en essence fait en sorte que les tarifs fixés sont plus élevés dans la première catégorie pour pallier aux coûts supplémentaires, que dans la deuxième. De plus, le secteur traditionnel du taxi est désavantagé face aux services des applications comme Uber et Ola, qui offrent des tarifs plus bas. La clientèle choisissant davantage l'option la moins chère, les véhicules traditionnels sont moins sollicités, ce qui diminue les opportunités et les bénéfices de ces salarié.es.
Enfin, les syndicats alertent sur l'utilisation de véhicules privés sous les applications de taxi dans le trafic de contrebandes, de drogue et d'alcool, contribuant à une économie illégale.
Des données choquantes
Un rapport de 2024 élaboré par People's Association in Grassroots Action and Movement (PAIGAM) et financé par l'Université de Pennsylvanie dévoile des faits troublants sur les conditions de vie et de travail des salarié.es sur les plateformes en Inde. En effet, cette recherche intitulée « Prisonniers sur roues ? » [Trad. Libre] révèle que 83 % du personnel de taxi des plateformes travaillent plus de 10 heures par jour, 60 % plus de 12 heures et 31 % plus de 14 heures.
Ces longues périodes assises immobiles sur un siège ont pour conséquences des problèmes de santé, comme des douleurs musculaires aux pieds, aux jambes, aux genoux et au dos, des maux de tête, du stress, de la dépression, et bien d'autres symptômes causés par les conditions de ce travail. Cela fait aussi en sorte que les employé.es ont moins d'heures de sommeil et les mettent en danger..
Malgré ces longues journées de travail, 43 % de ces personnes gagnent moins de 500 roupies par jour, ce qui équivaut à un peu moins de 8 $ CAN. En tout, 70 % des salarié.es reçoivent un revenu en dessous de 1 000 roupies par jour, donc un peu plus de 16 $ CAN, après les déductions.
Comme les salaires ne sont pas élevés, les applications prennent en plus une importante portion des revenus sur chaque trajet. En effet, 35 % d'entre du personnel déclarent que ces entreprises prennent une commission de 31 % à 40 % par trajet. Approximativement 23 % disent que c'est plutôt entre 41 % et 50 %.
En plus de ne recevoir qu'une fraction de ce qu'ils gagnent, 68 % des personnes répondantes rapportent avoir subi des déductions inexpliquées et arbitraires à travers l'algorithme des applications. Cela comprend des changements dans les taux de commission ou des paiements en ligne. Également, 83 % des réponses rapportent des blocages ou à des désactivations des applications les empêchent de travailler.
Des demandes qui ne sont pas nouvelles
Ce n'est pas la première fois que le monde du travail du taxi et des tuk-tuk manifestent pour leurs droits. Aussi, cette grève générale s'inscrit dans un mouvement plus large pour améliorer les conditions de travail des employé.es fonctionnant avec les applications bien avant le Covid. On peut mentionner d'autres manifestations en 2018 organisées entre autres dans les villes de Pune, Delhi et Mumbai par des salarié.es d'Uber, d'Ola, de Swiggy et de Zomato (ces deux dernières sont des plateformes de livraison). Elles dénonçaient les mauvaises pratiques de ces entreprises envers le personnel et leur demandaient de meilleures conditions de travail. Certaines grèves, notamment dans la ville de Guwahati en 2023, ont davantage impacté les déplacements de la population.
Bref, les manifestations sont récurrentes contre ces applications dans ce secteur d'activité, démontrant que les conditions de travail dans le secteur du taxi sont encore à améliorer. Malgré les tentatives des syndicats pour sensibiliser les autorités et le gouvernement concernant les problématiques avec Ola, Uber et les plateformes similaires, les directions politiques ne réagissent pas beaucoup et n'appliquent pas d'actions assez efficaces pour réduire les désagréments qu'ont le personnel du secteur des taxis dans leur emploi. Cette situation est empirée par le silence criant des entreprises numériques, qui se taisent face aux problèmes qu'ils apportent à l'industrie.
Ainsi, les 15 syndicats demandent que le gouvernement soutienne davantage le monde traditionnel du travail dans le taxi pour qu'il soit moins pénalisé par les iniquités créées par Ola et Uber. Aussi, ils exigent que les autorités légifèrent plus afin que ces compagnies respectent les droits des travailleuses et des travailleurs et qu'il y ait une plus grande transparence de leurs pratiques. Certains secteurs salariés veulent même que ces applications soient bannies du marché, alors que d'autres proposent le développement d'une application gouvernementale du secteur du taxi. L'objectif est d'apporter, d'améliorer et de sécuriser des conditions de travail saines et généralisées.
La mobilisation du monde du travail dans le taxi en Inde demande d'améliorer les conditions de travail, ainsi que les ressources d'aide. La sensibilisation et la participation de la population en appui à ce mouvement sont essentielles et résonnent avec les manques aux droits du monde du travail en Inde.
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Confronté à une contestation sans précédent, l’appareil israélien fait front commun
En Israël, les manifestations antigouvernementales, de plus en plus violemment réprimées, ne cessent d'enfler, mais se heurtent à un système militaire et politique qui a tout à craindre d'une commission d'enquête indépendante.
Tiré de Courrier international.
Samedi 7 septembre, “onze mois jour pour jour après le samedi noir” [les massacres commis en Israël le 7 octobre 2023 par le Hamas palestinien], “près de 400 000 manifestants se sont rassemblés devant la porte Begin [du nom de Menahem Begin, premier Premier ministre issu du Likoud]”, face à la Kirya, un quartier situé au cœur de Tel-Aviv et considéré comme l'équivalent israélien du Pentagone américain, rapporte Ilana Curiel dans Yediot Aharonot.
Durant la manifestation, “la plus imposante de l'histoire d'Israël”, Einav Zangauker, mère d'un otage israélien, criait : “Tant que Benyamin Nétanyahou restera au pouvoir, nos proches continueront à revenir dans des sacs mortuaires.”
Dans une marée de drapeaux israéliens et de rubans jaunes, les manifestants scandaient “Maintenant ! Maintenant !” pour exiger que le gouvernement parvienne à un cessez-le-feu avec le Hamas afin de libérer les derniers otages. “On les veut vivants !” lisait-on encore sur des pancartes brandies par des manifestants.
La répression se durcit
Les manifestations quasi quotidiennes, démarrées au lendemain de la découverte, le 1er septembre, dans un tunnel de la bande de Gaza, des corps de six otages israéliens tués “à bout portant”, selon Israël, n'ont cessé d'enfler depuis.
Mais elles sont de plus en plus durement réprimées par la police israélienne, “désormais sous la coupe du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir [extrême droite suprémaciste]”, s'inquiète Bar Peleg dans Ha'Aretz. “Plusieurs manifestants ont été placés en garde à vue et ont reçu des pressions pour qu'ils ‘avouent' avoir été payés pour manifester contre le gouvernement israélien”, poursuit le journaliste.
Ces événements interviennent alors que, malgré l'état d'urgence imposé par la guerre, Yariv Levin, le ministre de la Justice israélien [qui appartient au Likoud, le parti du Premier ministre], “œuvre encore et toujours pour placer la Cour suprême d'Israël sous la coupe du gouvernement et de la Knesset [Parlement israélien]”. Même si l'actuelle Cour suprême parvient pour l'instant à protéger son indépendance
Un “putsch” toujours d'actualité
L'on pourrait croire que cet “activisme anticonstitutionnel” est déconnecté de la réalité née du 7 octobre 2023. Mais il n'en est rien, selon Yossi Verter, toujours dans Ha'Aretz.
“Placer la Cour suprême sous les fourches caudines de l'exécutif et de la Knesset permettrait à Nétanyahou d'échapper à une Commission d'État nommée par la Cour suprême et chargée d'instruire les manquements du gouvernement et de l'état-major de Tsahal ayant conduit au désastre du 7 octobre 2023.”
Les instances dirigeantes israéliennes, militaires comme politiques, “ont tout à craindre d'une immixtion de la Cour suprême”, abonde Avi Ashkenazi dans Maariv.
“Au mépris de l'opinion publique israélienne et surtout des familles des victimes et otages du 7 octobre 2023, des sources militaires, anonymes mais présentes au sommet de l'état-major, confirment que Tsahal [l'armée israélienne] se démène pour empêcher à tout prix la mise sur pied d'une commission d'enquête indépendante” et protéger non seulement le Premier ministre, mais aussi Herzl Halevi, le chef d'état-major, “considéré jusqu'à il y a peu comme innocent”.
Les manifestations continueront-elles de prendre de l'ampleur et suffiront-elles à provoquer un dénouement positif pour les dizaines d'otages encore retenus par le Hamas ? Pour l'instant, rien ne semble moins sûr, selon Yossi Verter, pour qui “les appareils politique et militaire se protégeront mutuellement”.
Pascal Fenaux
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Les négociations pour un cessez-le-feu comme arme de guerre
Nos espoirs d'un cessez-le-feu sont instrumentalisés contre nous. À chaque fois, les politiciens font des déclarations, les médiateurs font la navette entre les capitales, les gros titres promettent une percée, puis tout s'écroule. Et à chaque fois, mes espoirs se brisent.
Tiré de France-Palestine
31 août 2024
Mondoweiss par Malak Hijazi
Photo : Au moins 22 Palestiniens confirmés morts dans le massacre d'Israël ciblant un camp de tentes abritant des familles déplacées à Rafah 28 mai 2024 © Quds News Network
Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis accroché à l'espoir d'un cessez-le-feu, pour le voir ensuite réduit en poussière. La guerre à Gaza se poursuit alors que l'été 2024 touche à sa fin, et la promesse de mettre fin à toutes nos souffrances apparaît de plus en plus comme une cruelle illusion.
Chaque fois que les médias mentionnent de nouvelles négociations, je ressens une lueur d'espoir – une petite flamme fragile s'allume en moi : peut-être, juste peut-être, cette fois-ci sera différente. Mais mon cœur, au fond de moi, connaît trop bien le schéma.
Depuis que le temps s'est arrêté en octobre et que l'incertitude règne, ma vie s'est trouvée comme suspendue. J'ai fait la liste de ce que j'allais faire dès que la guerre prendrait fin : rétablir le contact avec mes proches qui sont dans le sud de Gaza et que je ne peux pas voir maintenant, prendre une grande bouffée de liberté, imaginer ce qui nous attend et faire le deuil de ceux qui ont perdu la vie.
À Gaza, pour le moment, nous n'avons pas le loisir de faire correctement notre deuil. Nos journées sont rythmées par une routine impitoyable : courir d'un endroit à l'autre pour échapper aux bombes, écouter les nouvelles, chercher de l'eau et de la nourriture, et ramasser du bois pour faire du feu.
Encore et encore, le schéma familier se reproduit : les négociations échouent, les différents camps s'accusent mutuellement, et l'espoir glisse entre mes doigts comme du sable.
Chaque mois, on assiste au même scénario : les politiciens font des déclarations, les médiateurs font la navette entre les capitales et les gros titres annoncent une percée. Il y a quelques progrès, puis un pas en avant significatif, mais Israël refuse de faire la moindre concession, et tout s'écroule.
Un peu d'espoir, puis des massacres
Les habitants de Gaza sont victimes d'incessants massacres. Mais ils sont aussi les victimes du fait que leur espoir même est utilisé comme une arme contre eux. A l'ombre des négociations, Israël déclenche ses massacres les plus brutaux.
Au cours de ces dix mois de génocide, il y a eu d'innombrables moments où ma famille et moi-même nous sommes accrochés à l'espoir, avant qu'il ne soit brisé par un nouveau massacre. Encore et encore, nos espoirs ont été trahis, les miens et ceux de tous ceux que je connais.
Après le premier cessez-le-feu de novembre, il a été question de le prolonger et de mettre fin à la guerre. J'ai ressenti un bref réconfort, mais il a vite été anéanti.
Une semaine seulement après la rupture du cessez-le-feu, j'ai vécu le pire jour de ma vie. L'armée israélienne a envahi ma maison, nous obligeant, ma famille et moi, à partir en pleine nuit, sans téléphone ni lumière. J'étais terrifié, surtout lorsqu'un soldat israélien a menacé de nous tuer. J'étais terrorisé, les larmes coulaient sur mon visage pendant que nous avancions.
Nous avons finalement trouvé refuge dans un hôpital, où j'ai dormi sur un sol dégoûtant, avant de nous rendre chez un parent. Un mois plus tard, nous sommes revenus dans un quartier méconnaissable. Notre maison avait été partiellement détruite, et de nombreuses familles avaient entièrement perdu la leur.
En mars, ma tante nous a appelés, convaincue que la guerre prendrait fin avant le ramadan, d'après les nouvelles qu'elle avait eues. Elle était heureuse et pleine d'espoir, et nous parlait de ses projets pour après la guerre et des plats qu'elle allait cuisiner.
Mais peu de temps après, l'armée israélienne a envahi pour la deuxième fois l'hôpital al-Shifa et le quartier environnant, où vivait ma tante. Elle est restée enfermée chez elle pendant trois jours, en plein Ramadan, sans eau ni nourriture, terrifiée par le bruit des chars qui bombardaient aveuglément tout ce qui se trouvait autour d'eux.
Lorsque nous l'avons appelée, elle pleurait, sentant que la mort était proche. L'armée israélienne a fini par envahir sa maison, la forçant, elle, ses enfants et les voisins, à se déplacer à pied vers le sud, l'estomac vide, en marchant sur les corps des morts.
En mai 2024, le Hamas a fait savoir qu'il était prêt à accepter un cessez-le-feu proposé par le président américain Joe Biden. Pendant un bref instant, les gens ont cru que les horreurs de la guerre allaient enfin prendre fin.
Je me souviens parfaitement de ce jour. Les familles déplacées, réfugiées dans une école voisine, criaient de joie et faisaient la fête, toute heureuses à l'idée que la fin de leurs épouvantables souffrances approchait. Les voisins pleuraient de joie et mes petites nièces sautaient de joie.
Mais cette joie a été de courte durée. Dès le lendemain, Israël a lancé une invasion de Rafah, réduisant à néant le bref espoir qu'avait suscité la perspective de la fin des hostilités.
Chaque cycle de négociations est accompagné de ce que l'on appelle une « pression militaire » accrue sur le Hamas, ce qui se traduit souvent par l'assassinat de nouveaux Palestiniens. Israël emploie une stratégie qui consiste à commettre des crimes de guerre et des massacres pour faire échouer les négociations, comme brûler les tentes des personnes déplacées, tuer plus de 200 Palestiniens pour libérer quatre captifs israéliens, ou tuer 100 Palestiniens pendant les prières de l'aube.
Israël prétend que ces crimes sont nécessaires pour imposer ses conditions à un cessez-le-feu. Mais quelles sont ces conditions ? Israël ne souhaite pas vraiment la fin de la guerre.
Il ne cherche qu'une brève pause pour se réorganiser avant de revenir tuer d'autres Palestiniens.
Israël veut contrôler les corridors de Philadelphie et de Netzarim pour dominer indéfiniment la vie des Palestiniens, en bloquant l'accès à la nourriture et aux médicaments, en augmentant les restrictions de voyage et en rendant une fois de plus la vie à Gaza invivable. Et le régime d'occupation empêche toujours les Palestiniens de retourner dans leurs maisons au nord de Gaza.
Quand notre espoir est instrumentalisé contre nous
Après chaque échec des négociations pour un cessez-le-feu, je m'interroge sur l'objectif de la guerre en cours : Que veut vraiment Israël ? Une guerre régionale ? L'éradication complète des Palestiniens de Gaza ? Le déplacement forcé des Palestiniens vers l'Égypte ? Quels sont les plans qu'il élabore en secret ? Je me surprends à suranalyser chaque déclaration des dirigeants israéliens et des candidats à la présidence américaine.
Nos vies semblent contrôlées par des psychopathes criminels.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a affirmé qu'il n'y aurait pas de retrait des forces militaires israéliennes de Gaza. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie-t-il qu'ils peuvent envahir notre ville quand ils veulent, en tuant tout le monde sur leur passage et en détruisant toutes les maisons restantes ? Et pour combien de temps ? Deux, trois ou même dix ans ?
Serons-nous constamment menacés, devrons-nous vivre dans la crainte d'être tués ou blessés tout le reste de notre vie, si nous avons la chance de survivre ?
La décision des Démocrates d'allouer 3,5 milliards de dollars supplémentaires à Israël après que Kamala Harris a appelé à la fin de la guerre est d'une remarquable hypocrisie. Ce double-jeu met en lumière toute la fourberie étasunienne. Combien d'enfants vont encore mourir ? Combien de maisons vont encore être détruites ? Combien de rêves vont encore être anéantis ?
Lorsque Donald Trump soutient l'élargissement des territoires d'Israël, qu'est-ce que cela implique ? Quelles sont les terres qui seront saisies ? Allons-nous être relocalisés de force dans le désert du Sinaï ?
Les États-Unis et Israël veulent tous deux une victoire militaire et un gain politique, le tout à nos dépens. Mais personne ne semble s'inquiéter de reconstruire Gaza.
Nos enfants doivent pourtant retourner à l'école et nous avons besoin d'universités et d'hôpitaux. Pendant que nous luttons pour reprendre en main nos vies et restaurer nos infrastructures, l'accent reste mis sur les objectifs politiques et militaires, sans tenir compte de nos besoins essentiels et nos perspectives d'avenir.
À l'approche du premier anniversaire de cette guerre, je me suis rendu compte que ces négociations de cessez-le-feu ne sont qu'une arme de plus dans cette guerre.
Elles nous font miroiter la promesse de mettre fin à cet holocauste, pour ensuite la réduire à néant lorsque nous tendons la main. J'entends le monde parler de la nécessité d'un cessez-le-feu, j'entends les discours et je vois les gros titres, mais ici, sur le terrain, rien ne change.
Les massacres se succèdent de plus en plus horribles, et les innocents qui rêvaient de la fin de la guerre meurent.
Je me demande quel était l'espoir de ceux qui ont été tués. Comme moi, ils faisaient des projets pour la fin de la guerre. Mais que faire d'autre ? Même celui qui se noie s'accroche à l'espoir d'une bouée de sauvetage.
Ce qui me permet de supporter le poids de la vie, c'est l'espoir, et ce qui me brise à chaque fois, c'est aussi l'espoir.
Traduction :Chronique de Palestine
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Les otages israélien.ne.s et les Palestinien.ne.s méritent tout autant d’être pleuré.e.s
Nous pleurons la mort des six otages israélien.ne.s retrouvé.e.s tué.e.s ce week-end, tout comme nous pleurons les 47 Palestinien.ne.s tué.e.s le même jour par Israël, et les plus de 40 000 personnes tuées depuis le 7 octobre 2023.
3 septembre 2024 IJV Canada
Ces morts auraient pu être évitées. Au moins 3 des Israélien.ne.s tué.e.s figuraient sur une liste afin d'être libéré.e.s en juillet, si Israël avait décidé d'accepter un accord déjà accepté par le Hamas. Mais non. Le gouvernement israëlien a décidé de tuer le négociateur en chef du Hamas et a donné la priorité à la poursuite de sa campagne militaire plutôt qu'à la sécurité des otages capturé.e.s.
En fait, toutes les vies perdues depuis le 7 octobre auraient pu être évitées si Israël et ses bailleurs de fonds occidentaux, dont le Canada, avaient cherché à remédier à la situation insupportable qui a conduit aux événements du 7 octobre. Au lieu de cela, nous avons armé Israël et lui avons donné carte blanche pour agir en clamant la « légitime défense » contre un peuple illégalement occupé et emprisonné.
Les Israélien.ne.s tué.e.s le 7 octobre auraient également pu être épargné.e.s si les Palestinien.ne.s de Gaza n'avaient pas été poussé.e.s au désespoir, si leurs vies n'avaient pas été abandonnées et dévalorisées par le régime d'apartheid génocidaire d'Israël. On oublie parfois que les Israélien.ne.s ont tué 23 000 Gazaoui.e.s dans diverses attaques au cours de la décennie précédant le 7 octobre 2023.
Malheureusement, nous ne pouvons pas revenir en arrière. Mais nous pouvons avancer dans une direction différente. Une direction dans laquelle les vies des Palestinien.ne.s ont autant de valeur que celles des Israélien.ne.s. Pas moins, pas plus.
Malheureusement, la réaction disproportionnée aux morts des 6 otages israélien.ne.s sert à perpétuer le statu quo dans lequel la vie des Israélien.ne.s a infiniment plus de valeur que celle des Palestienien.ne.s. Les six Israélien.ne.s tué.e.s sont désormais des noms et des visages connus. Les dizaines de milliers de Palestinien.ne.s tué.e.s, en revanche, sont mort.e.s sans que l'on connaisse leurs noms, leurs visages, leurs histoires. Leurs vies méritent tout autant d'être connues et leurs pertes d'être pleurées. Nous nous opposons à cette division raciste de l'humanité par notre gouvernement, par les médias canadiens, par nos compatriotes juif.ve.s canadien.ne.s et par la société israélienne.
Notre Talmud nous enseigne qu'une personne qui détruit une seule vie détruit un monde entier, et que chaque personne qui sauve une vie sauve un monde entier. Cet enseignement est partagé par le Coran, qui indique que celui qui détruit une seule vie détruit l'humanité toute entière, et qu'une personne qui sauve une seule vie, sauve l'humanité toute entière. Nous pleurons chaque vie détruite, chaque monde possible éteint, comme une perte immense.
Pendant ce temps, un nouveau mouvement de protestation s'est déclenché au cours du week-end en Israël, où nous avons vu quelque 700 000 Israélien.ne.s descendre dans la rue pour réclamer un accord sur les otages. Si ces manifestations nous permettent d'espérer qu'un cessez-le-feu négocié est en vue, elles montrent aussi tristement où en est la société israélienne après près d'un an de génocide israélien à Gaza.
À l'instar du précédent mouvement de manifestations en Israël contre les réformes judiciaires, les nouvelles manifestations concernent résolument et sans équivoque la vie des Israélien.ne.s, en omettant complètement les Palestinien.ne.s. Iels se sont rassemblé.e.s parce que les Israélien.ne.s se sont rendu.e.s compte que le génocide mettait également en danger la vie des Israélien.ne.s, et non parce qu'iels ont soudainement réalisé qu'Israël était allé trop loin dans sa campagne génocidaire.
On entend des cris à Rama-
Des lamentations, des larmes amères-
Rachel pleure ses enfants.
Elle refuse d'être consolée
Sur ses enfants, car ils ne sont plus.
– Jérémie 31:15
Nous sommes en deuil avec les innombrables parents qui pleurent amèrement leurs enfants disparus. Nous refusons de nous laisser réconforter par les promesses creuses de nos politicien.ne.s, alors que chaque jour apporte son lot de morts et qu'iels continuent à ne rien faire face à ce génocide. Le monde entier réclame un cessez-le-feu et la justice pour la Palestine.
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Caractérisation du génocide en cours à Gaza : chronologie d’un tabou
Depuis 75 d'occupation et de régime d'apartheid imposés par Israël au peuple palestinien, et au cours des nombreux épisodes sanglants qui ont ponctué cette longue période, les termes reviennent : crimes génocidaires, nettoyage ethnique, génocide. Si elles ont toujours été vivement niées par Israël et ses soutiens, ces accusations n'en sont pas moins sérieuses. Depuis le 7 octobre, de nombreux·ses ONG, défenseur·ses des droits humains et historien·nes qualifient les massacres perpétrés par Israël à l'encontre des civils palestiniens de génocide, faisant de plus en plus consensus. Retour sur bientôt 11 mois de débats sur la caractérisation d'un génocide encore en cours.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Définition
Le terme « génocide » est codifié par les Nations unies dans la Convention sur le génocide de 1948 et défini comme « des actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».
Entre le 7 octobre et le 28 août, date de rédaction de cet article, au moins 40 435 Palestinien·es ont été assassiné·es par Israël. En prenant en compte les morts liées aux suites des blessures, aux épidémies et à la famine causées pas les exactions de l'armée israélienne à Gaza, ce chiffre pourrait être multiplié par 4, selon une étude du Lancet.
Mais un nombre élevé de morts ne constitue pas à lui seul une preuve de génocide. Les experts juridiques précisent que l'intention est un élément clé. Là aussi, les éléments ne manquent pas, à commencer par les déclarations du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu immédiatement après le massacre du 7 octobre, dans lesquelles il a qualifié Gaza de « ville du Mal ». : « Nous réduirons en ruines tous les endroits où le Hamas se déploie et se cache. Je déclare aux habitants de Gaza : sortez de là maintenant. Nous agirons partout et avec toute notre puissance ».
Pour Anisha Patel, chercheuse juridique au sein de l'association Law for Palestine, « Les intentions que nous avons observées sont nombreuses et proviennent de tous les secteurs de l'État israélien ». Son association, qui fournit des analyses juridiques sur le droit international en rapport avec les Palestiniens, affirmait en décembre 2023 avoir identifié plus de 400 cas « à tous les niveaux de l'élite israélienne » exprimant ce que l'organisation considère comme une preuve d'intention génocidaire.
Alors que la violence de l'armée israélienne continue de s'abattre sur les Palestinien·nes et que les déclarations déshumanisantes se suivent dans les discours des dirigeant·es israélien·nes, de plus en plus d'expert·es affirment qu'il s'agit bien d'un cas de génocide.
Chronologie non-exhaustive
Pour certain·es, il n'a pas fallu onze mois de bombardements et de blocage de l'aide humanitaire pour trouver le mot. Car comme le démontre Anisha Patel, l'intention était clairement formulée dès le début du mois d'octobre.
Dès le 13 octobre, peu après la déclaration du blocus total de Gaza par Yoav Galland « Pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », et alors que le premier ordre israélien d'évacuation du nord de Gaza contraint plus d'un million de civils, dont la moitié sont des enfants, à se lancer dans une fuite frénétique au milieu de bombardements, le professeur agrégé d'études sur l'Holocauste et les génocides Raz Segal titre son analyse de la situation dans le média Jewish Current : « Un cas d'école de génocide ».
« Human Rights Watch a confirmé que les armes utilisées incluent des bombes au phosphore, qui mettent feu aux corps et aux immeubles, créant des flammes qui ne peuvent être éteintes au contact de l'eau. Cela illustre clairement ce que Gallant signifie par « agir en conséquence » : non pas cibler individuellement les militants du Hamas, comme le clame Israël, mais déchainer une violence meurtrière contre les Palestinien.ne.s de Gaza « en tant que tels », pour reprendre le langage de la Convention sur le génocide de l'ONU. », explique Raz Segal. « Je dis ça en tant qu'expert du génocide, qui a passé de nombreuses années à écrire à propos de la violence de masse d'Israël contre les Palestinien.ne.s. J'ai écrit sur le colonialisme de peuplement et la suprématie juive en Israël, la déformation de l'Holocauste pour renforcer l'industrie militaire israélienne, l'instrumentalisation d'accusations d'antisémitisme comme arme pour justifier la violence israélienne contre les Palestinien.ne.s, et le régime raciste d'apartheid Israélien. »
Le même jour, plusieurs organisations palestiniennes de défense de droits humains signent une tribune exhortant les États tiers à intervenir de toute urgence pour protéger le peuple palestinien contre le génocide : « Il est indiscutable qu'Israël impose délibérément au peuple palestinien des conditions de vie susceptibles d'entraîner sa destruction physique totale ou partielle. Il incombe désormais à la communauté internationale d'intervenir pour empêcher un génocide imminent. »
Fin octobre, le directeur du bureau des droits de l'homme à l'ONU signe sa lettre de démission, dans laquelle il affirme : « En tant que juriste spécialisé dans les droits de l'homme, avec plus de trente ans d'expérience dans ce domaine, je sais bien que le concept de génocide a souvent fait l'objet d'abus politiques. Mais le massacre actuel du peuple palestinien, ancré dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, dans le prolongement de décennies de persécution et de purge systématiques, entièrement fondées sur leur statut d'Arabes, et associé à des déclarations d'intention explicites de la part des dirigeants du gouvernement et de l'armée israéliens, ne laisse aucune place au doute ou au débat. »
Au fil des mois et alors que l'horreur se perpétue, les déclarations se poursuivent, dont nous proposons ici une chronologie non-exhaustive. Accompagnées d'exhortations à la communauté internationale, aux gouvernements, aux populations, de ne pas rester impuissant·es face au génocide.
Chronologie-genocide : téléchargez ici.
Le 29 décembre 2023, l'Afrique du Sud dépose auprès de la Cour Internationale de Justice une requête affirmant que les actes et omissions d'Israël à l'égard des Palestiniens de Gaza depuis le 7 octobre 2023 revêtent un caractère génocidaire et qu'Israël viole ses obligations aux termes de la Convention de 1948 des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. Les 11 et 12 janvier 2024, les audiences consacrées à la demande de l'Afrique du Sud se déroulent à La Haye. Le dossier de 84 pages accuse Israël d'actes et d'omissions à caractère génocidaire, car commis avec l'intention spécifique requise de détruire les Palestiniens à Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique palestinien au sens large.
Le verdict de la CIJ est rendu le 26 janvier 2024 : le tribunal conclut que la plainte de l'Afrique du Sud contre Israël pour violation de la convention sur le génocide est « plausible ». La Cour ordonne à Israël de prévenir et punir tous les actes qui relèvent de la convention sur le génocide.
De nombreuses organisations de défense des droits de l'homme et milant·es s'appuient sur cette décision pour légitimer leur propre usage du terme et exhorter la communauté internationale, les gouvernements, la société civile à réagir. Le 16 avril, un sondage révèle qu'un français sur trois estime qu'Israël commet un génocide à l'encontre des Palestiniens de Gaza.
Dans un court essai publié par le Guardian le 13 août 2024, Omer Bartov, historien de l'holocauste et spécialiste du génocide, raconte son récent séjour en Israël et la difficulté d'y exprimer sa conviction que l'armée israélienne perpétue un génocide. Dans son texte, puis dans une interview donnée au journaliste Owen Jones, il explique comment il en est venu à caractériser le génocide et les réticences auxquelles il a été confronté.
« Le 10 novembre 2023, j'ai écrit dans le New York Times : « En tant qu'historien du génocide, je pense qu'il n'y a aucune preuve qu'un génocide a lieu actuellement à Gaza. […] L'histoire nous apprend qu'il est crucial d'alerter sur les risques de génocide avant qu'ils ne se produisent, plutôt que de les condamner tardivement une fois qu'ils ont eu lieu. Je pense que nous avons encore le temps de le faire ». Je ne le crois plus. […] Au moins depuis l'attaque des FDI à Rafah le 6 mai 2024, il n'est plus possible de nier qu'Israël est engagé dans des crimes de guerre systématiques, des crimes contre l'humanité et des actions génocidaires. »
Après avoir détaillé les raisons sémantiques de cet usage du terme, il ajoute : « Je n'ai pu discuter de ces questions qu'avec une très petite poignée de militants, d'universitaires, d'experts en droit international et, ce qui n'est pas surprenant, de citoyens palestiniens d'Israël. Au-delà de ce cercle restreint, de telles déclarations sur l'illégalité des actions israéliennes à Gaza sont anathèmes en Israël. Même la grande majorité des manifestants contre le gouvernement, ceux qui appellent à un cessez-le-feu et à la libération des otages, ne les admettront pas. »
Car si le terme semble de plus en plus communément admis dans certains cercles, il n'en reste pas moins l'objet de vives critiques et attaques, et peu de dirigeant·es l'utilisent. Comment expliquer un tel fossé entre les expert·es en génocide, les organismes de défenses des droits humains et les militant·es d'une part, et les gouvernements occidentaux, qui peinent à reconnaitre qu'un génocide est en cours ?
Censure des voix palestiniennes, répression des militant·es
Le 21 novembre dernier, l'Agence Média Palestine publiait une traduction d'un article de Rabea Eghbariah, avocat spécialisé dans les droits humains terminant ses études doctorales à la Harvard Law School, qui avait été censuré par la Harvard Law Review au cours d'une procédure inédite pour la revue. Il s'agissait du premier article écrit par un universitaire palestinien pour cette revue juridique, et le terme génocide, largement argumenté et documenté, y était employé pour définir les crimes d'Israël à Gaza.
« La discussion n'a pas porté sur les aspects techniques ou le fond de votre article », a écrit Tascha Shahriari-Parsa, éditrice, à Eghbariah. « La discussion a plutôt porté sur des préoccupations concernant les rédacteurs qui pourraient s'opposer à l'article ou être offensés par celui-ci, ainsi que sur la crainte que l'article ne provoque une réaction de la part de membres du public qui pourraient à leur tour harceler, dénoncer ou tenter d'intimider nos rédacteurs, notre personnel et la direction de HLR ».
Ces formes de censures, souvent appliquées dans des procédures exceptionnelles rocambolesques, ont été fréquemment observées depuis le 7 octobre 2023, alors que le blackout imposé par Israël à Gaza, ainsi que le ciblage de journalistes en exercice de leur fonction, rend déjà très difficile le relais de l'information.
Double standard des médias occidentaux
Si la société civile autant que la communauté internationale peine à prendre la mesure de ce qu'il se passe à Gaza, c'est aussi car les médias occidentaux participent à déshumaniser les Palestinien·nes et à invisibiliser leurs souffrances, affirmait Yara Hawari, codirectrice d'Al-Shabaka, lors du 2024 Annual Palestine Forum, organisé par l'Institute for Palestine Studies et l'Arab Center for Research and Policy Studies à Doha, au Qatar, en février 2024.
Outre la légèreté avec laquelle le groupe TF1 invitait le 30 mai dernier le premier ministre israélien à prendre la parole à une heure de grande écoute, on observe d'une manière générale dans les médias occidentaux que les sources israéliennes sont généralement acceptées comme « fiables », y compris lorsqu'elles ne fournissent aucune preuve. À l'inverse, les sources palestiniennes sont souvent citées au conditionnel ou traitées avec beaucoup de précaution.
L'emploi des mots est aussi vivement critiqué par les militant·es. Par exemple, les bombardements israéliens à Gaza seront rapportés comme des « explosions » dont personne n'est responsable, jusqu'à ce que l'armée israélienne en accepte ou en nie la responsabilité. », résumait le journaliste Daniel Boguslaw en janvier dernier. Depuis octobre, de nombreux activistes dénoncent par exemple qu'on parle de « mort·es » plutôt que de « tué·es » ou « assassiné·es », de « mineurs » plutôt que d' « enfants », de « guerre » plutôt que de « génocide ».« Des milliers de personnes meurent et sont mutilées, submergées par un flot de violence qu'on ne pas peut qualifier de guerre, sauf par paresse », déclarait le journaliste Raffaele Oriani dans une lettre adressée à la direction de son journal, annonçant sa démission afin de dénoncer le traitement médiatique de la situation à Gaza.
Dans un texte publié sur le média Mondoweiss, le collectif Writers Against the War in Gaza (WAWG) dénonce ce double standard dans une analyse linguistique comparative des termes utilisés par le journal The New-York Times pour qualifier les affrontements en Ukraine et à Gaza. L'emploi des mots est un enjeu majeur ici, car il participe à la réception des informations que nous recevons, et à la désensibilisation devant des massacres qui se perpétuent en direct et au regard de tous·tes.
Pas qu'un mot
La bataille est plus que sémantique : si le mot est important, c'est aussi parce que l'article premier de la Convention de 1948 dispose que les États signataires ont l'obligation de tout mettre en œuvre pour prévenir les génocides.
Certain·es militant·es et universitaires ont critiqué le débat que soulevait ce terme, ou même les actions menées par l'Afrique du Sud pour faire reconnaitre le génocide à Gaza. Prouver la qualification de génocide prend du temps, et n'empêche pas les personnes d'être tuées. L'émotion que suscite le terme, et la vigueur des débats qu'il entraîne, détournerait l'attention des mesures urgentes à prendre.
Pour répondre à ces arguments, Raz Segal rappelle que le gouvernement américain a refusé de qualifier de génocide les crimes commis contre les Tutsis au Rwanda, car cela signifiait qu'il aurait dû envoyer du personnel pour intervenir. Les mots sont des idées, nous en avons besoin pour comprendre une situation et pour y réagir. « Si nous ne nous en tenons pas à la vérité, nous ne pourrons jamais faire un bilan honnête de la façon dont nous sommes arrivés au 7 octobre et de la façon dont nous allons aller de l'avant », déclare Segal. « Nous devons nommer les choses pour ce qu'elles sont. »
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Attaques en Cisjordanie : Pour les dirigeants occidentaux, il n’y a pas de ligne rouge pour les massacres perpétrés par Israël
Enhardi par les États-Unis et d'autres puissances occidentales, Israël estime qu'il peut s'en tirer en déchaînant l'enfer sur tous les Palestiniens.
Tiré de France-Palestine
3 septembre 2024
Par Middle East Eye par Lubna Masarwa
Photo : L'armée israélienne détruit des routes au bulldozer dans le camp de réfugiés de Jénine © Quds News Network
L'assaut de l'armée israélienne contre quatre camps de réfugiés et presque toutes les villes du nord de la Cisjordanie occupée, à l'aide d'armes de combat, d'atterrissages d'hélicoptères de type commando, de drones et de bulldozers, ne peut être considéré comme une réponse à la guerre contre Gaza.
Il s'agit d'une opération bien plus importante qu'une opération de "contre-terrorisme" revendiquée par Israël.
La guerre en Cisjordanie était prévue avant l'attaque du Hamas le 7 octobre de l'année dernière, m'a dit un membre haut placé du Fatah ayant des liens étroits avec les cercles de sécurité.
Elle a été reportée par la guerre de Gaza, mais aussi affinée et peaufinée par elle.
Lorsqu'Israël a vu combien de sang palestinien les États-Unis et l'Europe étaient prêts à tolérer à Gaza - combien de destructions, combien de millions de personnes seraient continuellement déplacées, et pour combien de temps - Israël s'est senti enhardi à faire subir le même enfer à sa véritable cible : la Cisjordanie occupée.
Écrasez la Cisjordanie et le peuple palestinien pourra dire adieu à son État pour toujours.
Tel est le message que Bezalel Smotrich, ministre d'extrême droite et colon qui s'efforce de faire passer la gouvernance de la Cisjordanie occupée d'un contrôle militaire à un contrôle civil, n'a cessé de diffuser publiquement.
À l'instar de la guerre à Gaza, l'opération "Camps d'été" ne vise pas principalement les groupes de résistance locaux ou leurs dirigeants, bien que plusieurs d'entre eux aient déjà été pris pour cible et tués.
Les attaques terrestres et aériennes contre Jénine, Tulkarem et Tubas, ainsi que la mise en place d'un siège, le bouclage des hôpitaux et la détention du personnel médical, sont toutes dirigées contre la population, tout comme à Gaza.
Les bulldozers entrent en action, non pas pour dégager un chemin pour les chars, mais pour creuser les conduites d'eau et les égouts indispensables à la vie, sachant que dans six mois, la Cisjordanie occupée connaîtra des flambées de maladies graves et des épidémies, comme c'est le cas à Gaza aujourd'hui.
N'allons pas croire qu'il s'agit simplement d'un plan de Smotrich visant à annexer furtivement la majeure partie de la Cisjordanie et à forcer d'importants transferts de population vers la zone A - la zone encore théoriquement sous le contrôle de l'Autorité palestinienne (AP) - ou mieux encore, du point de vue d'Israël, vers la Jordanie.
Il s'agit d'un plan gouvernemental. Peu après le début de l'offensive de l'armée, le ministre israélien des affaires étrangères, Israël Katz, a appelé à des transferts de population, sous le couvert d'une "évacuation temporaire".
"C'est une guerre pour tout et nous devons la gagner", a déclaré M. Katz.
Objectif clinique
Smotrich lui-même a révélé, lors d'un discours aux colons enregistré par un militant de Peace Now, que son plan bénéficiait du soutien total du Premier ministre. Benjamin Netanyahou est "tout à fait d'accord avec nous", a déclaré M. Smotrich.
Il a qualifié de "méga-dramatique" son projet de modifier de manière irréversible la manière dont la Cisjordanie occupée est gouvernée, ajoutant que "de tels changements modifient l'ADN d'un système".
Pour le citoyen israélien juif moyen, l'opération en Cisjordanie, c'est de la viande et de la boisson.
Si la communauté internationale nous a autorisés à transférer plus de deux millions de Palestiniens à Gaza, se disent-ils et se répètent-ils, nous pouvons faire de même en Cisjordanie, libres des obligations légales d'Israël en tant que puissance occupante, libres de toute frontière ou ligne rouge.
Et le pire, c'est qu'ils ont raison de tirer cette conclusion.
Gaza a donné un coup d'accélérateur au plan Smotrich d'annexion de la Cisjordanie occupée.
Depuis le 7 octobre, la frontière entre les colonies et l'armée, qui était floue avant la guerre, a été complètement effacée, comme le souligne Haaretz dans un éditorial.
Les colons qui, avant le 7 octobre, incendiaient les maisons et les cultures des Palestiniens, sont réapparus en uniforme avec les armes et l'autorité de l'armée israélienne.
Dix jours seulement après l'attaque du Hamas, 62 Palestiniens ont été tués et des dizaines d'autres blessés dans des attaques de colons, tandis que des barrages routiers ont été érigés - et tout cela dans un but bien précis : chasser les Palestiniens de leurs maisons et de leurs fermes.
B'Tselem, l'observatoire israélien des droits humains, a documenté huit communautés entières, abritant 87 familles comptant 472 personnes, dont 136 mineurs, chassées de leurs maisons en une semaine.
Ne vous laissez pas abuser par les rares voix de la raison, de plus en plus solitaires, émanant de l'élite sécuritaire israélienne. Le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a averti que la violence de plus en plus manifeste des colons causait des "dommages indescriptibles" à Israël et le transformait au point de le rendre méconnaissable.
L'attaque des camps de réfugiés de Balata, Nur Shams, Jénine et Far'a a un objectif clinique.
Les camps représentent la densité de la population palestinienne de tous horizons. L'objectif d'Israël est de procéder à un nettoyage ethnique des camps afin d'effacer les derniers vestiges de la revendication fondamentale du peuple palestinien d'un droit au retour.
L'Autorité palestinienne est paralysée. Elle n'a pas de réponse à cette attaque en règle contre sa patrie.
"Il n'y a pas de plan sérieux, car l'aspect le plus important pour résister à l'action israélienne est d'avoir une direction palestinienne unique et une vision palestinienne unique, ce qui signifierait mettre fin à la division entre le Fatah et le Hamas. Et pourtant, l'Autorité palestinienne ne prend pas cela au sérieux", m'a confié un membre du Fatah bien informé.
Pas de lignes rouges
Privée de leaders, la réaction palestinienne est inconnue. Mais souvenez-vous d'une chose : aucun des événements majeurs qui ont changé le cours de ce conflit n'a été prédit.
Personne n'avait prédit la première Intifada. Personne n'avait prévu l'opération "Déluge d'al-Aqsa".
"Les réactions du peuple palestinien sont toujours créatives et distinctes, et ne se rendent pas", a déclaré l'initié du Fatah.
Mais une chose est sûre : le génocide, dont le monde a juré qu'il ne se reproduirait plus jamais après l'Holocauste, est en train d'être normalisé. Et cela n'affectera pas seulement notre avenir en tant que Palestiniens, mais l'avenir du monde entier.
Chaque jour, depuis 11 mois, je reçois des photos de cadavres, de têtes fracassées et de parties de corps rassemblées dans des sacs mortuaires.
En tant que chef de bureau de Middle East Eye dans la région, il m'incombe de passer ces images au crible et de les examiner. Aucune de ces images de barbarie n'apparaît dans les médias israéliens ou dans le monde occidental, mais un public arabe et musulman les reçoit tous les jours.
Ce que font les soldats israéliens peut être fait dans d'autres pays également. Il semble que nous soyons entrés dans une nouvelle ère de barbarie.
Et pendant que ce massacre quotidien a lieu, une nouvelle candidate démocrate à la présidence, Kamala Harris, a été couronnée, alors que les organisateurs de la convention du parti ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour exclure un orateur palestinien de leur plate-forme principale.
Ils ont déclaré au Washington Post qu'ils avaient agi de la sorte au nom de l'"unité" de la conférence.
L'inhumanité de cette époque me fait peur, en tant que journaliste et en tant que personne.
Chaque Palestinien sait qu'Israël jouit d'une impunité totale, d'une liberté totale de faire ce qu'il veut de nous.
Peut-être qu'à long terme, la Cour internationale de justice ou la Cour pénale internationale l'emporteront sur les tentatives des États-Unis et d'autres pays de les museler. Mais rien de tout cela ne protège aujourd'hui Jénine, Tukarm ou Tubas. Rien de tout cela n'empêche Israël de larguer des bombes de 1 000 livres sur des tentes.
En tant que Palestinien, où que vous viviez - à Gaza, en Cisjordanie occupée, en tant que résident de Jérusalem ou en tant que citoyen d'Israël - l'État israélien peut vous faire tout ce qu'il veut. Vous, votre maison et votre famille pouvez disparaître du jour au lendemain, sans qu'aucune question ne soit posée.
Gaza et maintenant la Cisjordanie occupée nous ont montré à tous qu'il n'y a pas de lignes rouges. Combien d'enfants doivent être tués avant que le monde ne demande l'arrêt de ce massacre ?
La réponse est qu'il n'y a pas de limite.
Traduction : AFPS
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Une militante américaine d’origine turque abattue par l’armée israélienne dans le nord de la Cisjordanie occupée
Une activiste turco-américaine a été abattue par les forces israéliennes vendredi lors d'une manifestation contre les colonies israéliennes illégales dans la ville de Beita, dans le district de Naplouse, en Cisjordanie occupée, rapporte l'agence Anadolu.
Tiré de France palestine Solidarité. Article publié à l'origine par le Middle East Monitor.
Fouad Nafaa, directeur de l'hôpital Rafidia, a déclaré à Anadolu qu'Aysenur Ezgi Eygi, qui possédait la double nationalité turque et américaine, était arrivé à l'hôpital avec une blessure par balle à la tête.
Eygi, qui est née dans la ville turque d'Antalya en 1998, a succombé à ses blessures malgré les tentatives de réanimation des équipes médicales, selon Nafaa.
Des témoins oculaires ont rapporté que des soldats israéliens ont ouvert le feu sur un groupe de Palestiniens qui participaient à une manifestation condamnant les colonies illégales sur le Mont Sbeih à Beita, au sud de Naplouse.
L'agence de presse officielle palestinienne, Wafa, a confirmé que la victime était une citoyenne américaine et une bénévole de la campagne Fazaa, une initiative visant à soutenir et à protéger les agriculteurs palestiniens des violations constantes commises par les colons et l'armée israéliens illégaux.
Les habitants de Beita organisent des manifestations hebdomadaires après les prières du vendredi pour s'opposer à la colonie israélienne illégale d'Avitar, établie sur le sommet du mont Sbeih. La communauté exige le retrait de la colonie illégale, qu'elle considère comme une violation de ses droits fonciers.
Les tensions sont montées d'un cran dans toute la Cisjordanie occupée alors qu'Israël poursuit son assaut sur la bande de Gaza, qui a tué près de 40 900 Palestiniens, principalement des femmes et des enfants, depuis le 7 octobre de l'année dernière.
Selon le ministère de la santé, au moins 691 personnes ont été tuées et plus de 5 700 blessées par des tirs israéliens en Cisjordanie depuis cette date.
Photo : Une militante de la solidarité internationale, une Américaine d'origine turque, a succombé aux blessures qu'elle avait reçues plus tôt dans la journée après avoir été touchée à la tête par une balle tirée directement par des soldats de l'occupation israélienne dans la ville de Beita, au nord de la Cisjordanie occupée, le 6 septembre 2024 © Eye On Palestine
Traduction : AFPS
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Gaza : Le vaccin contre la polio est efficace, mais son administration requiert un cessez-le-feu
Alors que les Palestinien·nes de Gaza craignent une épidémie de polio, les professionnel·les de la santé avertissent que l'offensive militaire israélienne en cours entravera gravement les efforts déployés pour la contrer.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
27 août 2024
Par AMER Ruwaida Kamal
Des Palestiniens marchent à côté de bâtiments détruits et de mares d'eau stagnante à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 juillet 2024. (Abed Rahim Khatib/Flash90)
Pendant 25 ans, la bande de Gaza a été préservée de la polio. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Au début du mois, le ministère de la santé a signalé qu'un bébé de 10 mois avait contracté la maladie ; une semaine plus tard, il était paralysé. Cette annonce a été faite après la détection du poliovirus dans des échantillons d'eaux usées provenant de six localités des villes de Deir Al-Balah et de Khan Younis.
Avec les eaux usées brutes qui coulent dans les rues de Gaza, à proximité des tentes des personnes déplacées et des quelques sources d'eau douce restantes, une épidémie potentiellement catastrophique pourrait bientôt se préparer. Une campagne de vaccination de masse est essentielle, mais tant que l'offensive militaire israélienne se poursuit, une telle campagne semble impossible, même si des vaccins ont commencé à être acheminés. Dans toute la bande de Gaza, les Palestinien·nes craignent les conséquences de la propagation de la maladie, en particulier pour les enfants, qui représentent la moitié de la population de l'enclave.
« Lorsque mes enfants sortent jouer, nous courons après eux en leur criant de ne pas s'approcher des eaux usées », explique à +972 Reem Al-Masry, 35 ans, mère de trois enfants déplacés de Beit Hanoun à Deir al-Balah. « Mais ils et elles sont piqué·es en permanence par les moustiques et les mouches qui vivent sur les tas d'ordures et d'eaux usées et qui nous transmettent des maladies. Chaque jour, mes enfants se plaignent de douleurs à l'estomac, de fièvre, d'éruptions cutanées et d'autres problèmes de santé. »
Pour Saeed Samour, 40 ans, qui a été déplacé de la ville de Gaza à Khan Younis, « la présence d'eaux usées autour de nous – et à proximité des rares sources d'eau disponibles – est une chose effrayante ». Ces dernières semaines, Zaid, le fils de Samour âgé de 3 ans, a montré des signes d'infection cutanée, probablement due à la pollution de l'air causée par les restes de la guerre. « Ces enfants ont besoin d'un bain quotidien », explique-t-il. « Mais les produits de nettoyage sont très rares et très chers. Un pain de savon, qui ne coûtait qu'un dollar, se vend aujourd'hui 4 dollars. »
Aujourd'hui, Samour craint que Zaid ne tombe malade après avoir été exposé aux agents pathogènes présents dans les eaux usées. « Il n'y a pas un seul quartier de la ville où il n'y a pas de mares d'eaux usées, et personne ne peut se promener à cause de ces mares », explique-t-il. « Notre nourriture et notre eau doivent être stérilisées et cuites plusieurs fois pour pouvoir être bues et mangées, et le manque de gaz de cuisine est un obstacle majeur. »
Alors que les frappes aériennes, les incursions terrestres et les ordres d'évacuation d'Israël continuent de terroriser les Palestiniens dans toute la bande de Gaza, la soi-disant « zone humanitaire » le long de la côte est devenue l'une des zones les plus densément peuplées au monde. Adnan Abu Hasna, porte-parole de l'Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), a déclaré à +972 que 1,8 million de Palestinien·nes sont entassé·es dans la zone qui s'étend du nord de Rafah au camp de réfugiés de Nuseirat, en passant par Deir al-Balah. « Il y a 60 000 personnes par kilomètre carré et le processus de déplacement se poursuit », ajoute-t-il.
Combinée à l'effondrement des infrastructures d'approvisionnement en eau et d'évacuation des eaux usées, cette grave surpopulation a inévitablement conduit à l'apparition et à la transmission de maladies. Et ce n'est pas seulement la polio qui inquiète les autorités sanitaires.
« Avant le 7 octobre, Gaza comptait 85 cas d'hépatite », explique Abu Hasna. « Aujourd'hui, nous parlons d'un millier de cas par semaine et le nombre augmente : il y a environ un mois, nous avons enregistré 40 000 cas. Compte tenu de ce taux de transmission rapide, Abu Hasna a averti que « la découverte du poliovirus est une évolution dangereuse qui aura des conséquences désastreuses ».
« Si nos enfants ne sont pas tués par des missiles, ils ou elles mourront de maladies ».
Quelques heures avant que le premier cas de polio ne soit signalé à Gaza, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé à un cessez-le-feu immédiat d'une semaine – une « pause polio » – afin de permettre le déploiement d'une campagne de vaccination. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré qu'elle était prête à distribuer 1,6 million de doses, les équipes médicales de l'UNRWA se préparant à les administrer à plus de 640 000 enfants palestiniens de moins de 10 ans.
Israël a rapidement commencé à vacciner ses propres soldats contre la maladie, mais a attendu plusieurs semaines avant d'autoriser l'entrée des vaccins pour les habitants de Gaza. Pourtant, alors que les équipes médicales cherchent à vacciner la population, aucun cessez-le-feu ne semble se dessiner.
« Le vaccin oral contre la polio est efficace », a déclaré Sameer Sah, directeur britannique des programmes de Medical Aid for Palestinians (MAP), à +972. « Le défi consiste à distribuer le vaccin dans une région où les gens sont déplacés presque quotidiennement, où les moyens de transport sont difficiles à trouver, où les routes sont endommagées et où les services de santé sont attaqués.
« Une telle campagne serait très utile, mais l'extension de la zone rouge à Gaza [les zones dont Israël a ordonné l'évacuation] fait qu'il est difficile d'atteindre chaque enfant », poursuit Sah. « Un cessez-le-feu complet est nécessaire pour fournir des soins de santé adéquats, y compris la vaccination non seulement contre la polio, mais aussi contre d'autres maladies évitables. »
Ces derniers jours, les patient·es et les infirmier·es ont été contraint·es de fuir l'hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa à Deir Al-Balah alors que les forces israéliennes se rapprochaient. Le Dr Khalil Al-Daqran, directeur du département des soins infirmiers de l'hôpital, a déclaré à +972 avant l'évacuation que l'hôpital avait accueilli environ un million de personnes déplacées dans la région centrale de Gaza ; les couloirs et les étages étaient remplis de patient·es en raison du manque de chambres et de lits disponibles.
Face à ces conditions désastreuses, M. Al-Daqran se montre pessimiste quant aux perspectives de lutte contre la propagation de la polio, y compris dans les hôpitaux qui restent fonctionnels malgré les bombardements israéliens. « Nous n'avons même pas l'équipement nécessaire pour effectuer des tests de dépistage de l'épidémie », a-t-il déclaré.
Dans ces circonstances, et alors que d'autres maladies sévissent à Gaza, les parents sont terrifiés pour leurs enfants. « En tant que mères, ces maladies nous font peur », a déclaré Al-Masry, mère de trois enfants. « Si nos enfants ne sont pas tué·es par les missiles, ils et elles mourront de ces maladies étranges qui apparaissent à cause de la pollution et du manque d'assainissement. »
Israël utilise l'eau comme une arme
Fin juillet, une vidéo a largement circulé sur les réseaux sociaux, montrant des ingénieur·es de combat de l'armée israélienne en train de faire sauter un réservoir d'eau dans le quartier de Tel al-Sultan à Rafah. Le soldat ayant téléchargé la vidéo dédiait la démolition « en l'honneur du shabbat », suscitant une condamnation internationale, et l'armée affirme maintenant enquêter sur l'incident.
Pour Ayman Labad, chercheur à l'unité des droits économiques et sociaux du Centre palestinien pour les droits de l'homme, la destruction du réservoir n'est pas une surprise étant donné que les forces israéliennes ont détruit environ 67 % des installations d'eau et d'assainissement de la bande de Gaza au cours des dix derniers mois. La seule surprise, a-t-il ajouté, est qu'elles se soient filmées en train de le faire.
À la mi-juin, les installations détruites pendant la guerre comprenaient 194 puits de production d'eau, 40 réservoirs d'eau à grande échelle, 55 stations de pompage des eaux usées, 76 usines de dessalement municipales, quatre usines de traitement des eaux usées, neuf entrepôts de pièces détachées et deux laboratoires d'analyse de la qualité de l'eau. « La signification de tout cela est claire : Israël utilise l'eau comme une arme dans son génocide contre la population de la bande de Gaza », déclare Labad.
Avec la fermeture forcée de ces installations, les sources d'eau de Gaza ont été contaminées, ce qui a entraîné une propagation rapide des maladies. « Les habitant·es de la bande de Gaza vivent actuellement avec seulement un cinquième de la quantité d'eau disponible avant le 7 octobre », a déclaré M. Labad. « Environ 66 % des habitants de Gaza souffrent de maladies d'origine hydrique telles que le choléra, la diarrhée chronique, la gastro-entérite et l'hépatite. »
Les sources d'eau potable s'étant raréfiées, les habitant·es de Gaza sont contraint·es de faire la queue pendant des heures pour obtenir le peu d'eau disponible et de sacrifier l'hygiène de base, qui est un élément essentiel pour éviter les maladies. « Chaque personne a besoin de dizaines de litres d'eau, mais nous faisons maintenant la queue et attendons environ sept heures pour obtenir deux gallons », a déclaré Saeed Al-Jabri, un habitant de Rafah âgé de 38 ans, à +972. « Est-il acceptable pour une personne d'endurer de telles conditions ? »
Comme de nombreux Palestinien·nes déplacés, Al-Jabri a pris l'habitude de se baigner dans la mer. « L'eau de mer est salée et lorsqu'elle s'assèche, les sels se déposent sur la peau et peuvent provoquer des inflammations », raconte-t-il.
M. Al-Jabri a vu les vidéos des soldats israéliens ciblant les sources d'eau et ne peut retenir sa colère. « Il n'y a pas d'objectif militaire derrière tout cela », note-t-il. « Il s'agit simplement d'une vengeance, où les civils sont punis. »
Ruwaida Kamal Amer, le 27 août 2024
P.-S.
• Agence Média Palestine. 28 août 2024 :
https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/08/28/le-vaccin-contre-la-polio-est-efficace-mais-son-administration-requiert-un-cessez-le-feu/
• Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine.
Source :+972 Mag
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Dépasser le capitalisme algorithmique par les communs ? Vers un communisme décroissant et technosobre

À la suite de la crise financière de 2007-2008, le monde a basculé vers un nouveau stade du capitalisme basé sur l’extraction massive de données personnelles, l’hégémonie des plateformes et le développement accéléré de l’intelligence artificielle (IA)[1]. Ce « capitalisme algorithmique », aussi nommé « capitalisme de plateforme[2] » ou « capitalisme de surveillance[3] », contribue à l’amplification des inégalités sociales en termes de classe, de sexe et de race, à la consolidation du pouvoir des géants du numérique, à l’émergence de nouvelles formes de contrôle social et à l’exacerbation de la crise climatique[4]. La dynamique d’accumulation s’effectue toujours plus par la mainmise du capital sur les données et la production de machines algorithmiques, celles-ci augmentant la productivité au sein des entreprises, mais contribuant aussi à la transformation des modèles de subjectivité et des institutions. La « rationalité néolibérale », qui était jadis omniprésente au sein de la vie sociale et politique, est maintenant intégrée et dépassée par une « logique algorithmique » qui s’étend dans tous les secteurs de la société.
Face à cette reconfiguration inédite du capitalisme dans le premier quart du XXIe siècle, comment penser les voies de sortie et les stratégies de dépassement de ce système mortifère ? Trop souvent, la gauche se trouve démunie face aux enjeux numériques, et encore plus avec l’arrivée de l’IA qui semble échapper aux grilles d’analyse du marxisme classique ou aux analyses d’inspiration sociale-démocrate. L’encadrement de ces technologies par des lois, les stratégies de nationalisation et d’autres réformes étatiques semblent impuissantes, ou du moins insuffisantes, pour proposer une alternative globale et cohérente sur le plan sociotechnologique. Il existe des rapports d’organismes comme le Conseil d’innovation du Québec qui proposent d’encadrer l’industrie technologique par des règlements peu contraignants, qui font la promotion de la rhétorique de l’IA responsable et d’un programme « IA pour le Québec » lequel vise à positionner l’État québécois en « leader et modèle » dans le domaine[5]. Cette vision du « capitalisme algorithmique régulé par l’État » est présentement hégémonique au Québec et ailleurs dans le monde. Pendant ce temps, un parti de gauche comme Québec solidaire, au printemps 2024, n’avait presque aucun élément dans son programme concernant le numérique, les plateformes et l’IA.
Malgré ces insuffisances de la gauche sur le plan programmatique, de nombreuses luttes populaires et alternatives socioéconomiques esquissent déjà la voie vers la construction d’une société postcapitaliste sur le plan technologique. On n’a qu’à penser à l’existence de logiciels libres, à l’encyclopédie Wikipédia ou encore à certaines plateformes coopératives comme Eva qui font concurrence à Uber en matière de service de transport urbain[6]. Toutefois, la plupart des initiatives collectives visant à bâtir un autre monde numérique et à orienter différemment le progrès technologique restent dispersées et isolées. Elles demeurent de belles « utopies réelles[7] » sans grande portée face aux grandes entreprises privées et aux jeunes pousses qui récoltent les millions de dollars de financement de l’État, à l’instar de la compagnie montréalaise Element AI, « fleuron québécois » dans le secteur de l’IA, qui fut vendue au géant américain ServiceNow[8]. Bref, il nous manque un projet de société plus vaste et radical prenant au sérieux la question de l’infrastructure technologique et du rôle central du capital algorithmique.
Le retour des communs
Nous faisons l’hypothèse que le point de départ pour bâtir une société postcapitaliste repose sur la protection et la multiplication des « communs ». Les communs sont un modèle de gestion collective de ressources partagées, permettant de (re)produire, d’utiliser et de cogérer des biens au-delà de la propriété privée et de la gestion étatique centralisée. Nous pouvons penser par exemple à des forêts de proximité gérées par les habitants, des bâtiments industriels récupérés par la communauté, des monnaies locales complémentaires, etc. Comme le soulignent Pierre Dardot et Christian Laval : « La revendication du commun a d’abord été portée à l’existence par les luttes sociales et culturelles contre l’ordre capitaliste et l’État entrepreneurial. Terme central de l’alternative au néolibéralisme, le “commun” est devenu le principe effectif des combats et des mouvements qui, depuis deux décennies, ont résisté à la dynamique du capital et ont donné lieu à des formes d’action et de discours originales[9] ».
Les communs ont l’avantage de lier ces diverses formes de résistances, d’innovations sociales et de projets collectifs ancrés dans l’économie sociale et solidaire, le milieu associatif et communautaire, les luttes territoriales axées sur les « zones à défendre », de même que des expérimentations dans le monde numérique. L’idée centrale consiste à combattre l’« idéologie propriétaire[10] » en créant progressivement « une société des communs » qui serait plus libre, juste et écologique.
Or, la littérature universitaire sur les communs dans la sphère technologique se concentre habituellement sur les « communs numériques » comme les logiciels libres, Wikipédia ou les licences Creative Commons[11], laissant de côté plusieurs autres pans de l’infrastructure technologique qui restent largement sous l’emprise du capital algorithmique. Que faire des données, des algorithmes et de l’IA qui sont principalement stockés, analysés, produits et monétisés par les GAFAM ? Il est impératif de répondre à cette lacune en montrant comment les communs pourraient « communaliser » différentes sphères de l’infrastructure technologique. Cela constitue le cœur de notre argument, qui consiste à montrer que le principe des communs, aussi nommé « logique communaliste », peut servir de boussole pour créer une infrastructure technologique postcapitaliste, viable et démocratique.
L’impact écologique des algorithmes
Néanmoins, même une communalisation complète de l’infrastructure technologique nous laisse encore face au problème majeur de l’impact environnemental des machines algorithmiques, qui peuvent se multiplier et croitre à l’infini. En effet, l’IA ne représente pas seulement un ensemble d’outils, d’algorithmes et de larges modèles de langage (LLM), mais une « industrie extractive » prenant la forme d’une infrastructure à l’échelle planétaire. Comme le souligne Kate Crawford, l’IA « est à la fois incarnée et matérielle, faite de ressources naturelles, de carburant, de main-d’œuvre humaine, d’infrastructures, de logistique, d’histoires et de classifications[12] ».
Il faut ainsi tenir compte de l’appétit vorace de l’infrastructure algorithmique pour des ressources de toutes sortes, notamment les centres de données à forte intensité de calcul qui ont un coût énergétique élevé, une empreinte carbone massive et un besoin énorme de quantité d’eau à des fins de refroidissement. « Pour alimenter leurs centres, de nombreuses entreprises technologiques puisent dans les réserves d’eau publiques et les aquifères, ce qui ajoute au stress hydrique régional – tout en étant construits dans certaines des régions du monde les plus sujettes à la sécheresse[13] ». À cela s’ajoute l’extraction grandissante de minéraux pour produire les appareils informatiques, laquelle alimente les dynamiques d’accumulation par dépossession du capitalisme racial dans les pays du Sud global[14]. Bien que plusieurs entreprises prétendent vouloir contribuer à la transition écologique par une IA alimentée aux énergies renouvelables ou par diverses solutions technologiques pour résoudre la crise climatique, il s’avère que l’impact exponentiel de cette industrie dépasse largement les gains d’efficacité relatifs à des innovations particulières.
Pour résoudre cette contradiction, nous soutiendrons la thèse selon laquelle une « société des communs » écologiquement soutenable doit nécessairement s’accompagner d’une perspective de « descente énergétique », de « technosobriété » et de « décroissance »[15]. Une telle synthèse se trouve esquissée notamment chez le philosophe japonais Kohei Saito, qui propose de bâtir un « communisme décroissant » appuyé sur la multiplication des communs, les technologies ouvertes, l’autonomie locale et la décélération de l’économie[16]. Nous critiquerons enfin les approches techno-optimistes comme l’« écomodernisme[17] », l’« accélérationnisme[18] » et le « communisme pleinement automatisé[19] », montrant que celles-ci sont irréalistes sur le plan écologique et non souhaitables d’un point de vue démocratique. Ainsi, notre objectif consiste à articuler l’approche des communs et de la décroissance afin de jeter les bases d’un postcapitalisme technosobre, dans la lignée d’un scénario de transition socioécologique frugal[20].
Vers une infrastructure technologique communalisée
Comment développer une infrastructure technologique complètement libérée du joug du capitalisme ? Rappelons d’abord que le monde numérique n’est pas une sphère purement immatérielle (parfois nommée « cyberespace »), mais un système technique complexe composé de plusieurs strates ou couches superposées. Il y a ainsi « à la base, une couche physique, qui comprend des câbles de cuivre ou de fibre optique, des ondes circulant grâce à des satellites et des tours de communication, mais aussi des ordinateurs qui peuvent jouer le rôle de serveurs (qui hébergent du contenu) ou de « clients » (qui accèdent aux serveurs). Sur cette infrastructure matérielle, on trouve ensuite une couche logicielle : du code informatique, soutenu par des protocoles standardisés et ouverts, assure le traitement et la circulation de l’information. Finalement, au sommet ou en surface, on trouve les contenus de toutes sortes qui circulent grâce à ces applications : messages, courriels, pages contenant textes, sons et images[21] ».
À ces différentes couches, il faut ajouter trois autres dimensions liées plus spécifiquement à la dynamique du capital algorithmique : 1) l’extraction et le stockage de données liées aux contenus produits par les utilisatrices et utilisateurs et leurs comportements en ligne ; 2) les algorithmes d’apprentissage automatique et d’apprentissage profond permettant d’analyser les données et d’assurer le fonctionnement global de l’IA, que celle-ci prenne la forme d’applications comme ChatGPT, Google Maps, DeepL, les fils d’actualité sur les médias sociaux, etc. ; 3) les plateformes comme Meta, Amazon, Uber ou Airbnb qui sont des interfaces « entreprise-marché » où s’opèrent la collecte et la monétisation des données, l’exploitation du travail digital (digital labour), ainsi que la vente de services auprès d’individus ou d’organisations de toutes sortes[22].
En résumé, pour construire une « infrastructure technique complètement communalisée », il faut explorer la manière dont les communs peuvent se déployer à différentes échelles : a) infrastructure matérielle (incluant les réseaux de télécommunications, les centres de données) ; b) couche logicielle (codes, systèmes d’exploitation, applications) ; c) données (cadre juridique et gouvernance) ; d) algorithmes (production et contrôle de l’IA) ; e) plateformes (modèle d’affaires des entreprises technologiques). Regardons brièvement comment le paradigme des communs peut déjà s’appliquer à ces différentes strates de l’infrastructure.
A – Des réseaux de télécommunications en « partenariat public-commun »
Lorsque vient le temps de parler des réseaux de télécommunications, le principal réflexe de la gauche consiste à penser en termes de nationalisation des infrastructures numériques. Cette vision étatiste de la socialisation des moyens de production se trouve notamment dans le programme de Québec solidaire, qui proposait dans sa plateforme électorale de 2022 d’explorer la création de « Réseau-Québec, une société d’État responsable d’offrir une infrastructure publique pour Internet[23] ». Cela représente une piste intéressante, mais un nombre croissant de recherches suggèrent que la gestion démocratique des services publics serait mieux assurée par la (re)municipalisation de ceux-ci ou par leur communalisation (par des coopératives de transport collectif par exemple) ou encore par une combinaison des deux.
Par exemple, le Transnational Institute a publié un rapport montrant qu’entre 2000 et 2019, plus de 2400 villes dans 58 pays dans le monde ont repris le contrôle des services publics dans une foule de secteurs : eau, énergie, gestion des déchets, logement, transport, santé, télécommunications, etc.[24] Aux États-Unis, plus de 141 nouveaux services de communication ont été établis par les municipalités, que ce soit par des entreprises municipales (entreprises publiques locales) ou encore par des partenariats avec des organismes à but non lucratif ou avec des coopératives. Au Québec, la Coopérative de télécommunications Antoine-Labelle (CTAL) assure des services d’Internet haute vitesse, de télévision et de téléphonie, en collaboration avec la Municipalité régionale de comté Antoine-Labelle qui possède l’infrastructure de fibre optique.
Cet exemple de « partenariats public-commun », lesquels constituent une alternative économique aux partenariats public-privé qui se sont généralisés sous le capitalisme néolibéral, met en évidence comment un bien public peut être cogéré avec une organisation collective chargée de répondre aux besoins de la communauté. Ainsi, il serait possible de « créer des instances régionales de gouvernance des infrastructures de télécommunication (datacenters, antennes 5G, fibre, câbles, sous-marins, etc.). […] Ces instances seraient composées des gestionnaires privés, des collectivités territoriales, des représentants de l’État, des usagers et des associations environnementales. Ces deux derniers collèges auraient un droit de véto pour garantir la gestion démocratique et écologique des infrastructures du numérique à l’échelle locale[25] ».
B – Généraliser les logiciels libres et les communs numériques
Bien qu’une partie croissante d’Internet soit maintenant contrôlée par des intérêts privés et quelques oligopoles, il faut aussi noter que plus de 90 % des serveurs Web, des applications mobiles et des superordinateurs fonctionnent à partir de communs numériques comme les logiciels libres ou open source. Rappelons ici que l’émergence des logiciels libres remonte aux années 1980 pour contrer la généralisation des logiciels propriétaires, selon un modèle popularisé par la création de la Free Software Foundation en 1985 qui établit les quatre principes de l’informatique libre : 1) liberté d’exécuter le programme pour tous les usages ; 2) liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ; 3) liberté de redistribuer des copies du programme ; 4) liberté d’améliorer le programme et de distribuer ces améliorations au public, pour en faire profiter toute la communauté. Linux, Libre-Office, Firefox, WordPress, VLC media player sont différents exemples de logiciels libres, lesquels sont promus par des organismes comme Framasoft en France ou encore FACIL au Québec. Nous pouvons ajouter à cela la présence de licences libres comme le Copyleft ou les Creative Commons qui représentent des solutions alternatives à la propriété intellectuelle et aux droits d’auteur (copyright) qui freinent l’innovation ouverte.
Les logiciels libres font face à une limite principale : l’hégémonie des logiciels propriétaires dans les entreprises, l’administration publique et les ménages. Il faut aussi ajouter le manque de ressources consacrées à ces voies non capitalistes. Ainsi, les logiciels libres sont souvent oubliés, négligés ou écartés lorsque vient le temps d’utiliser ou de construire des outils numériques, notamment de la part des pouvoirs publics. C’est pourquoi des organismes comme La société des communs en France propose une série de réformes institutionnelles visant à déployer ces communs numériques : structuration d’un écosystème européen du logiciel libre, l’innovation ouverte et l’interopérabilité; création d’une fondation consacrée aux communs numériques; inciter, voire obliger, les administrations publiques à recourir aux logiciels libres lorsque cette option existe[26]. Un exemple de cette transition numérique basée sur les communs est la ville de Barcelone qui a mis en place un plan de migration vers des logiciels libres en 2018, en consacrant 70 % du budget logiciel à ces communs numériques et en embauchant 65 développeurs, hommes et femmes, pour assurer cette transition ainsi que la formation au sein de la fonction publique[27]. Barcelone a également créé la plateforme numérique de participation citoyenne Decidim (logiciel libre) et a rejoint la campagne européenne Public Money, Public Code (Argent public ? Code public) organisée par la Free Software Foundation Europe.
C – Les communs de données
Alors que la vaste majorité des données produites en ligne et sur les plateformes sont accaparées, possédées, monétisées et échangées par des entreprises privées, il importe de concevoir un modèle alternatif pour assurer leur contrôle et leur gestion. Face au pouvoir oligopolistique des GAFAM, certains auteurs préconisent de miser sur la propriété privée des données personnelles que l’individu pourrait librement consentir à vendre ou à partager (via des data trusts privés ou fiducies de données privées); mais cette solution néolibérale ne fait qu’étendre la logique de privatisation et la marchandisation en la confiant à des individus-entrepreneurs de soi. Une autre alternative se trouve du côté de la propriété publique des données, mais celle-ci reproduit les problèmes liés à la gestion étatique et centralisée de l’information, souvent synonyme de concentration du pouvoir et de surveillance des individus par l’État.
Heureusement, il existe une troisième voie, soit les communs de données qui « impliquent des données partagées à titre de ressource commune et dont la gestion est assurée par une communauté d’utilisateurs[28] ». Les communs de données peuvent prendre diverses formes juridiques. Par exemple, les coopératives de données permettent une propriété collective et une gestion démocratique des données, à l’instar de MIDATA (en Suisse), Driver’s Seat (coopérative de mobilité aux États-Unis) ou Salus Coop (coopérative de santé à Barcelone). Au Québec, des chercheurs proposent d’utiliser le véhicule juridique des fiducies d’utilité sociale (FUS), utilisé notamment pour la protection du patrimoine bâti ou pour des espaces naturels face aux dynamiques de marchandisation. La particularité de la FUS est qu’elle vise à dépasser la logique propriétaire en confiant la gestion d’un bien d’intérêt général à un collectif chargé d’assurer sa pérennité. « La fiducie offre ainsi une alternative à la propriété. Elle concilie d’une part le besoin de partager et de mutualiser des données et d’autre part le besoin de contrôler l’utilisation et l’accès à ces données selon une finalité déterminée[29] ».
D – Des modèles algorithmiques à code ouvert
Les enjeux touchant les logiciels libres et le code source ouvert (open source) renvoient également à la fabrication des algorithmes qui sont au cœur des technologies d’intelligence artificielle. Cela représente un enjeu stratégique de premier plan, considérant le fait que les plus grands joueurs dans la course à l’IA sont présentement les GAFAM et leurs compagnies associées. Pour donner un exemple : la firme OpenAI qui a développé ChatGPT a été créée comme une entreprise à but non lucratif en 2015, avant de développer un volet commercial à but lucratif et de former un partenariat stratégique de plusieurs milliards de dollars avec Microsoft à partir de 2019. ChatGPT et son modèle algorithmique GPT-4 sont développés de façon complètement opaque, dans le plus grand secret industriel, et s’appuient sur l’exploitation du travail du clic et sur une course à la montre pour développer le modèle le plus puissant en minimisant les enjeux de sécurité[30].
Les principaux concurrents d’OpenAI sont présentement Google, Amazon et Meta, cette dernière entreprise ayant lancé le modèle algorithmique baptisé LLaMA qui est développé en mode open source. Cela signifie que cette IA peut être utilisée, modifiée et adaptée selon les besoins des femmes et des hommes utilisateurs et développeurs. Cela représente-t-il une petite révolution au sein de l’industrie de l’IA ou bien d’une ruse du capital algorithmique ?
En fait, plusieurs entreprises technologiques capitalistes contribuent depuis un moment au développement de codes sources ouverts et de logiciels libres, à l’instar d’IBM, car cela s’avère rentable en raison des moindres coûts associés à l’usage de ces codes qui n’ont pas besoin d’être achetés, et de l’expertise gratuite de contributeurs et contributrices qui peuvent corriger et améliorer ces programmes et applications[31]. Plusieurs ont d’ailleurs remarqué cette instrumentalisation des communs dans le monde numérique[32], mais il n’en demeure pas moins que cela démontre la viabilité économique du modèle open source et libre qui peut aussi être utilisé dans une perspective non capitaliste.
Il s’avère même que les modèles algorithmiques open source présentent un niveau de performance presque équivalent aux modèles développés par le secteur privé, et pourraient même dépasser les algorithmes des grandes entreprises en utilisant moins de ressources[33]. Des chercheurs soutiennent d’ailleurs l’importance de construire l’IA selon les principes de l’open-source afin de favoriser l’accessibilité, la collaboration, la responsabilité et l’interopérabilité[34]. L’interopérabilité désigne ici la capacité d’un système à pouvoir fonctionner avec d’autres systèmes sans restriction d’accès ou de mise en œuvre, sans les contraintes de « jardins clos » qu’on retrouve dans la logique propriétaire. Tout cela ne permet pas de démontrer la supériorité de l’IA open source sur l’IA propriétaire ou capitaliste, mais cela montre la possibilité de bâtir des modèles algorithmiques selon une logique contributive, ouverte et postcapitaliste.
E – Les plateformes coopératives
Enfin, l’exploitation des données et le développement de l’IA se font principalement à travers le modèle d’affaires des « plateformes », lesquelles sont des interfaces multifaces capables d’extraire, d’analyser et de monétiser les données en entrainant des modèles algorithmiques toujours plus puissants[35]. Avec l’émergence de « l’économie collaborative » (aussi nommée sharing economy), des plateformes comme Uber, Airbnb, TaskRabbit, Doordash, Tinder, Spotify ou Netflix ont montré leur capacité à restructurer plusieurs secteurs de l’économie liés aux transports, à l’hébergement, aux petits boulots, aux rencontres amoureuses, à la musique et au cinéma. La puissance des plateformes capitalistes réside avant tout dans l’attractivité de leur design et leur facilité d’utilisation, dans l’effet de réseau lié à la participation de millions d’utilisateurs et d’utilisatrices à travers le monde, ainsi que dans la vitesse à laquelle elles se sont diffusées dans la société, avec un marketing agressif et des campagnes de lobbying visant à court-circuiter ou à remodeler diverses législations. Le terme « ubérisation » s’est d’ailleurs répandu pour décrire ce processus de marchandisation accéléré par le biais des plateformes capitalistes et algorithmes[36].
Cela dit, rien n’empêche les plateformes d’adopter une structure non capitaliste, de fonctionner selon le modèle des coopératives ou des entreprises privées à but non lucratif. Par exemple, la compagnie Eva créée au Québec est une coopérative qui fait concurrence à Uber, FairAirbnb, née à Amsterdam, vise à contrecarrer Airbnb par une plateforme numérique d’hébergement favorisant la redistribution de ses profits aux municipalités pour financer le logement social, Resonate cherche à mieux rémunérer les artistes que Spotify, et ainsi de suite. Le terme coopérativisme de plateforme (platform cooperativism) fut utilisé pour la première fois par Trebor Scholz pour désigner un modèle postcapitaliste concurrent au capitalisme de plateforme qui sévit dans différents secteurs de l’économie[37]. Ce mouvement cherche ainsi à élargir le spectre du mouvement coopératif dans l’univers numérique, mais il peut aussi s’élargir à toute forme d’entreprise issue de l’économie sociale et solidaire visant à proposer une alternative postcapitaliste sur le plan technologique en matière d’applications, de réseaux sociaux, de plateformes d’échanges et de services, etc. La plateforme En commun développée par Projet collectif au Québec, lancée en 2023 pour accélérer la transition socioécologique et la coconstruction de connaissances par diverses pratiques collaboratives et communautés de pratiques, représente un exemple parmi d’autres de ce mouvement.
Tous ces exemples démontrent qu’une infrastructure technologique postcapitaliste est possible à partir d’une approche basée sur les communs. L’enjeu principal d’une telle proposition demeure l’articulation de ces différents niveaux et initiatives, de manière à former un projet sociotechnique global qui soit viable sur le plan économique et politique. Certains auteurs soutiennent notamment que le municipalisme pourrait servir de levier pour construire une « souveraineté technologique » basée sur les communs[38]. Sans se limiter à l’échelle locale, il s’agit de recréer un mouvement ascendant (bottom-up) formé par l’alliance d’initiatives postcapitalistes, de mouvements sociaux et de « mairies rebelles » afin de créer un nouveau système socioéconomique « par le bas[39] ».
Les limites de la croissance technologique et l’impératif de sobriété
Cela dit, un enjeu crucial reste l’empreinte écologique majeure de l’infrastructure technologique nécessaire au déploiement des outils numériques et algorithmiques, y compris dans une perspective postcapitaliste. Même en admettant que ces technologies soient développées selon une logique ouverte (open source), contributive, horizontale et débarrassée de l’impératif de profit, il n’en demeure pas moins que le développement continu et exponentiel de la numérisation et de l’IA continuera de peser sur les écosystèmes et d’augmenter la production de gaz à effet de serre (GES) qui amplifient la crise climatique.
C’est pourquoi nous voulons ici présenter une critique rapide de certains courants contemporains se réclamant du marxisme et qui proposent de poursuivre le développement technologique tous azimuts pour construire une économie postcapitaliste. Nous pouvons penser à l’écomodernisme de Matt Huber hostile à la décroissance[40], l’« accélérationnisme de gauche » qui considère que la propulsion du développement technique et l’exacerbation des contradictions du capitalisme contribueront au dépassement de ce système[41], ou encore au « communisme pleinement automatisé » (Fully automated luxury communism) qui représente l’utopie ultime d’une société libérée du travail par l’entremise des robots, le revenu de base, l’extraction de minéraux sur les astéroïdes et la planification algorithmique de l’économie[42]. Toutes ces variantes du marxisme productiviste estiment que le développement technologique est somme toute positif, seule la propriété privée des moyens de production ou le contrôle capitaliste pose problème. Comme l’affirma jadis Lénine en boutade : « Le communisme, c’est le gouvernement des Soviets plus l’électrification de tout le pays ».
Or, il s’avère que cette vision basée sur une vision linéaire, évolutionniste, eurocentrique et prométhéenne du progrès a été remise en question par Marx lui-même à la fin de sa vie[43]. Contrairement à la vision très répandue du marxisme orthodoxe selon laquelle les sociétés devraient passer par les mêmes stades de développement pour parvenir au socialisme puis au communisme, il s’avère que Marx aurait remis en question ce schéma simpliste de l’histoire au profit d’une vision où des institutions comme les communs et les communes rurales (le mir en Russie, par exemple) permettraient le passage vers le communisme sans passer par l’étape intermédiaire du capitalisme industriel[44].
Qui plus est, l’argument le plus fort à l’endroit d’une telle conception productiviste de l’écosocialisme réside dans les limites planétaires objectives liées à une croissance continue, que celle-ci soit déployée selon une logique capitaliste ou socialiste, car le développement massif de nouvelles technologies implique forcément une consommation immense de ressources naturelles et énergétiques[45]. Face à ce constat, il s’avère essentiel de proposer un modèle postcapitaliste alternatif, axé sur la « descente énergétique[46] » et la « technosobriété », c’est-à-dire l’idée d’une modération dans la production et l’usage des technologies numériques et algorithmiques au sein de la vie sociale et économique[47].
Vers un communisme décroissant
À quoi ressemblerait une telle société postcapitaliste, débarrassée de l’impératif de croissance et où les nouvelles technologies joueraient un rôle restreint dans la vie sociale ? Selon Kohei Saito, il s’agit de construire un « communisme décroissant » appuyé sur la multiplication des communs, les technologies ouvertes, l’autonomie locale et la décélération de l’économie[48]. Le terme « communisme » pourrait être traduit par le terme « commonisme », car il ne s’agit pas d’imiter le socialisme d’État des anciens régimes soviétiques, mais de construire une société axée sur les communs, l’entraide et la coopération, hors de la logique étatique bureaucratique et centralisée[49].
S’appuyant sur les écrits du philosophe français André Gorz, Saito considère qu’il est essentiel d’opérer une distinction entre les « technologies ouvertes » et les « technologies verrouillées » pour échapper aux problèmes du productivisme. « Les technologies ouvertes sont celles qui impliquent un échange avec d’autres, qui sont liées à la communication et à l’industrie coopérative. En revanche, les technologies verrouillées sont celles qui divisent les gens, qui transforment les utilisateurs en esclaves et qui monopolisent la fourniture de produits et de services[50] ». Dans cette perspective, il s’agit de développer des infrastructures de télécommunications, des centres de données, des logiciels, des modèles de gestion de données, des modèles algorithmiques et des plateformes basés sur des « technologiques ouvertes » comme les communs.
Ainsi que nous l’avons montré précédemment, cela s’avère chose possible, bien qu’il soit nécessaire d’articuler ces diverses strates technologiques au sein d’un projet social global et cohérent. Le problème réside plutôt dans la place que doit prendre l’infrastructure numérique et le rôle de l’IA au sein de la vie sociale et économique. Doit-on miser sur une planification globale de l’économie par les algorithmes, proscrire leur usage, ou bien opter pour un « juste milieu » où ces technologies pourraient servir à optimiser certaines prises de décision tout en laissant une large place à des échanges en dehors de cet appareillage technologique ?
C’est ici que la « vraie réflexion » concernant la planification démocratique de l’économie s’amorce : de quoi avons-nous réellement besoin[51] ? Nous aboutissons ainsi sur le besoin de délimiter collectivement les limites d’une économie technosobre, c’est-à-dire d’une société dans laquelle les technologies numériques et algorithmiques ne jouent pas un rôle excessif dans la production, la distribution et la consommation de biens et services essentiels à l’épanouissement humain. Il importe donc d’éviter l’approche techno-utopique et non soutenable des courants accélérationnistes et productivistes, mais également les postures anti-technologiques que nous retrouvons parfois dans certains courants anti-industriels, certaines versions de la décroissance ou encore l’anarchoprimitivisme.
Que signifient les termes « excessif », « nécessaire », « utile » ou « superflu » dans un hypothétique modèle économique technosobre ? Selon nous, il n’existe pas de définition purement objective ou impartiale de ces termes, car la détermination des besoins et des moyens de les satisfaire doit inévitablement passer par un débat démocratique. Comme le notait déjà Nancy Fraser, il existe une « lutte pour l’interprétation des besoins » qui se déroule nécessairement dans l’arène politique[52]. L’important ici est de bâtir des institutions dans lesquelles ce genre de débat pourra avoir lieu afin de déterminer ce qui mérite d’être produit en priorité pour répondre aux besoins sociaux urgents, ce qui doit être laissé à l’initiative individuelle ou encore à des modalités de production locale de façon flexible[53].
Quatre scénarios de transition
En guise de conclusion, nous suggérons de comparer quatre scénarios stratégiques élaborés par l’Agence de la transition écologique de la France : S1 Génération frugale, S2 Coopérations territoriales, S3 Technologies vertes et S4 Pari réparateur[54] (figure 1).
Alors que les scénarios S3 Technologies vertes et S4 Pari réparateur correspondent à la trajectoire actuelle du capitalisme vert et de la transition énergétique technocentrée, les scénarios S1 Génération frugale et S2 Coopérations territoriales se rapprochent davantage du communisme décroissant, ou d’un écosocialisme municipal démocratisé. Nous ne pouvons pas ici décrire en détail chaque scénario, mais il nous semble essentiel de viser les scénarios S1 et S2 en misant sur une valorisation des technologies réparables, ouvertes et émancipatrices (low-tech), un mode de vie moins énergivore et un nouveau mode de production postcapitaliste débarrassé de l’impératif de croissance.
Figure 1 – Quatre scénarios de transition

Source : ADEME, « Les scénarios », Agence de la transition écologique de France, 2021.
Dans ces deux scénarios, les communs joueraient un rôle essentiel dans la démocratisation des infrastructures et des outils technologiques, que ce soit en matière de systèmes de télécommunications, de logiciels, de données, d’algorithmes et de plateformes. Le communisme décroissant technosobre nous invite ainsi à penser la communalisation des moyens de production technologiques, sans nous enfermer dans une vision idéaliste où le seul changement de propriété de ces technologies suffirait à nous émanciper.
Au bout du compte, la question la plus complexe à répondre est : quelle place occuperont le monde numérique et l’IA dans une société future postcapitaliste, cette société devant être à la fois juste, démocratique et écologiquement soutenable ? Ainsi, l’infrastructure technologique du postcapitalisme ne reposera pas sur une demande infinie de ressources et d’énergie, mais sur la délibération démocratique et sur le travail humain ancré au sein de communautés locales, avec l’aide d’outils algorithmiques au besoin. Une fois que nous aurons déterminé le profil souhaité pour la société future à construire, il nous restera encore à établir les meilleurs moyens et stratégies pour y parvenir, et en se préparant aux luttes sociales et politiques que cela implique. Autrement dit, si nous parvenons à rassembler plusieurs groupes anticapitalistes autour du projet de communisme décroissant technosobre, il faudra encore se poser la question stratégique suivante : que faire ?
Par Jonathan Durand Folco, professeur à l’École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère de l’Université Saint-Paul
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Les temporalités sociales et l’expérience du temps à l’ère du capitalisme algorithmique

Cet article explore les répercussions des nouvelles technologies algorithmiques à la base de l’intelligence artificielle (IA) sur les temporalités sociales et les rapports individuels et collectifs au temps autour de trois idées principales. Premièrement, le déploiement des technologies algorithmiques brouille la distinction traditionnelle entre temps de travail et temps de loisir. Deuxièmement, et de façon reliée, les technologies algorithmiques accélèrent le temps, en particulier les rythmes de vie. Troisièmement, les algorithmes participent aujourd’hui à la construction sociale des rapports individuels et collectifs au passé, au présent et au futur, et cette base technologique des temporalités sociales sous-tend un régime d’historicité présentiste.[1]
Algorithmes et brouillage des catégories de temps traditionnelles
Depuis la Grèce antique, une distinction s’opère entre deux catégories d’emploi du temps, le temps de la production des nécessités de la vie ou le temps de travail d’un côté, et le temps de loisir de l’autre. Cette distinction traditionnelle des catégories de temps prend plusieurs formes historiques, mais perdure somme toute dans l’histoire. Or, les technologies algorithmiques ont aujourd’hui un impact important sur le temps de travail et le temps de loisir, allant même jusqu’à brouiller cette distinction.
Il faut d’abord examiner les effets des technologies algorithmiques sur les temps de loisir, en débutant avec deux aspects fondamentaux sur le plan historique. D’une part, ce sont largement des temps dits « discrétionnaires », c’est-à-dire des temps qui demeurent sous le contrôle de l’individu, organisés et meublés de pratiques à sa discrétion. D’autre part, et malgré des variations et différences selon les contextes sociohistoriques, on peut néanmoins y voir d’importantes continuités sur la longue durée, notamment le fait que le temps de loisir a été conçu et pratiqué comme une forme de temps « extraéconomique ». En effet, les temps de loisir ne participent généralement pas de la fonction économique de la vie, c’est-à-dire de la production des nécessités, des biens et services qui reproduisent matériellement les corps. Ils se conçoivent et se pratiquent donc à l’écart des pratiques productives, du travail et du marché. Le capitalisme industriel reproduit cette distinction temporelle entre temps des nécessités de la reproduction économique et temps de loisir et la radicalise à plusieurs égards, notamment en la spatialisant. Le travail et son temps sont, dans l’idéal type de la société industrielle, confinés à un espace-temps bien défini : le quart de travail salarié. Le temps de loisir, de son côté, se passe à l’extérieur du lieu de travail, que ce soit à la maison ou dans des lieux où se pratiquent des activités de loisir. Dans ce régime temporel, temps de travail et temps de loisir sont bien distingués et délimités, et le temps de loisir ne produit pas de valeur d’échange. En ce sens, nous avons hérité d’une distinction historique entre temps de travail et temps de loisir où le premier est productif de valeur économique et le deuxième est exempt de tâches productives – souvent d’ailleurs au prix d’une exploitation du travail d’autrui, notamment du travail domestique effectué par les femmes – et peut être consacré à des pratiques de vie bonne et de réalisation de soi, à l’écart de la production et du marché. Nous constatons aujourd’hui, en revanche, une colonisation massive des temps de loisir par le marché, jusqu’à poser la question de la caducité de cette distinction.
L’arrimage du temps de loisir au marché par l’entremise de la consommation est un phénomène qui précède la période contemporaine du capitalisme algorithmique[2]. Autrement dit, les temps de loisir se meublent de pratiques de consommation bien avant les années 2000 et 2010. Ces processus prennent toutefois de l’ampleur aujourd’hui, notamment en raison de la place grandissante et de l’efficacité redoutable des mécanismes de la publicité ciblée que développent les nouvelles technologies algorithmiques dont l’utilisation occupe également les périodes de loisir. Cependant l’arrimage du temps de loisir au marché atteint désormais un nouveau stade à l’ère du capital algorithmique : le temps de loisir, un temps non travaillé et non rémunéré, devient lui-même productif : il produit des données qui, une fois valorisées, participent de l’accumulation du capital. Ce développement est si spectaculaire qu’il oblige à repenser les catégories mêmes de temps – et de valeur – puisqu’il complique grandement la distinction entre temps de travail « productif » et temps de loisir « non productif ».
Pour bien saisir les causes de ces bouleversements, il faut regarder du côté de l’infrastructure technologique du capital algorithmique : la prolifération des écrans d’ordinateur, des tablettes, des téléphones intelligents, des technologies portables, des senseurs, des caméras, des capteurs qui participent non seulement d’une réorganisation du temps de travail, mais plus encore qui exacerbent de façon importante la tendance qu’ont les temps de loisir de se réduire à des « temps d’attention » passés devant l’écran, à des « temps d’écran ». Le temps en ligne et le temps d’écran ont augmenté de façon spectaculaire dans les dernières années, et couvrent maintenant une bonne partie des heures éveillées, travaillées ou non. Par exemple, des données récentes montrent que les Américaines et Américains passent en moyenne jusqu’à 11 heures par jour en interaction avec un média quelconque. Les médias sociaux et les applications de messagerie occupent en moyenne 2 heures et 31 minutes de la journée. Une étude britannique fait état d’une moyenne de 25,1 heures par semaine passées en ligne, deux fois plus qu’il y a dix ans. Le groupe d’âge des 16-24 ans est particulièrement « connecté » à l’Internet via les écrans, passant en moyenne 34 heures par semaine en ligne. Dans ce groupe d’âge, 4 heures par jour en moyenne sont passées à regarder l’écran du téléphone (la moyenne pour tous les adultes est de 2 h 39 min). Certaines des applications les plus populaires captent jusqu’à près d’une heure de temps d’attention par jour en moyenne (58 minutes pour Facebook, 53 minutes pour Instagram)[3]. De plus, ce temps d’attention est effectivement monnayable dans les marchés publicitaires et produit des données qui, une fois traitées, forment un matériau, un actif valorisé par les compagnies comme Google et Meta qui en font la collecte. Par ailleurs, cette extraction dépasse le « temps d’écran » proprement dit, et se poursuit dans nos interactions avec des objets connectés (autos, électroménagers, outils), des applications de toutes sortes (diète, sport, exercices) et notre présence dans des environnements connectés[4].
Il nous reste toujours le temps de sommeil, non ? Là aussi s’insère le capital algorithmique. Comme l’a montré Crary, le temps de sommeil n’est plus le rempart ultime contre l’exploitation/extraction du capital, les technologies numériques selon lui parvenant à déranger le temps de sommeil et à dégager des moments « productifs », par exemple le cellulaire au lit dans des périodes d’éveil nocturne. Des « innovations » se présentent également sur le marché, comme l’appareil « Halo » de la jeune entreprise (startup) américaine PropheticAI qui utilise l’apprentissage machine afin d’induire des états de rêve lucide lorsque l’utilisatrice ou l’utilisateur est en sommeil profond, de façon à « augmenter la productivité nocturne », en permettant par exemple de coder la nuit[5].
Au bout du compte, le temps de travail, le temps de loisir, voire même le temps de sommeil, sont happés par l’appareillage technologique du capital algorithmique[6]. À notre époque, le temps d’attention captif devient la principale catégorie de l’expérience vécue du temps, et l’extraction de données se poursuit dans toutes nos interactions connectées. Le résultat net de ces processus est un arrimage croissant des temps vécus, rémunérés ou non, au marché capitaliste et à l’accumulation du capital algorithmique.
L’accélération algorithmique
Rappelons un paradoxe important dans les études du temps social qui concerne l’accélération des rythmes de vie, un sentiment partagé par une proportion toujours croissante d’individus[7]. Alors que l’expérience qualitative de manquer de temps est largement partagée dans la population, les données quantitatives d’usage du temps font plutôt état d’un rythme de vie assez stable, où indépendamment des qualifications relatives aux différences socioéconomiques, les gens disposent en moyenne d’autant de temps de loisir qu’auparavant, dorment et travaillent en moyenne le même nombre d’heures. Pouvons-nous trouver dans les développements de l’appareillage de captation du temps d’attention du capital algorithmique un facteur explicatif du sentiment d’accélération des rythmes de vie ? Comme nous l’avons vu, cette nouvelle catégorie sociale de temps d’attention passé devant l’écran brouille substantiellement la distinction entre temps de travail et temps de loisir. Ultimement, c’est en occupant une part de plus en plus grande du temps de loisir que le temps d’attention captif de l’écran le dégrade en réduisant le « loisir pur[8] », en multipliant les interruptions, les sollicitations, et en le désorganisant. C’est ainsi que le sentiment d’accélération du rythme de vie se trouve renforcé par cette diminution de la qualité discrétionnaire du temps de loisir par son arrimage aux impératifs et aux pressions du marché.
Rappelons aussi l’argument similaire de Judy Wajcman à propos du temps de travail : les technologies informationnelles le pressurisent également afin de le rendre plus productif, plus intensif, ce qui peut sous-tendre un sentiment d’accélération[9]. Désormais, les technologies algorithmiques et l’IA contribuent à intensifier le temps de travail rémunéré, voire à l’accélérer. Des travaux récents montrent que l’IA n’automatise pas le travail en général, mais automatise et réorganise certaines tâches, en créant par ailleurs pour les humains une série de nouvelles tâches d’entretien et de supervision des algorithmes plus fragmentées, aliénantes, et parfois même non rémunérées[10]. Les technologies algorithmiques au travail ont des répercussions complexes et différenciées sur le travail selon les secteurs et selon les types d’algorithmes et d’IA, mais, de façon générale, elles visent à augmenter la production de survaleur relative et intensifient ainsi le travail[11]. Le temps de travail comme expérience vécue est donc accéléré même si la quantité d’heures travaillées demeure stable, puisque ces heures sont accrues en intensité.
Le temps d’attention est une forme de temps qui peut facilement s’arrimer au temps du marché par la médiation de l’écran et de l’univers des interfaces, plateformes, applications et réseaux sociaux; il peut, sous la logique de pratiques de publicité ciblée, de marketing, de création d’addictions et d’extraction de données, subir la pression des impératifs de productivité, de rapidité, d’efficacité et d’accélération de cette forme de temps du marché. L’arrimage grandissant des temps de loisir au marché et la capture du temps d’attention par l’appareillage addictif du capitalisme algorithmique accélèrent notre temps et l’orientent vers une logique de réalisation de soi fortement liée aux pratiques en ligne de consommation et de socialisation. De plus, les temps de loisir ainsi arrimés au marché sont sujets à diverses formes de désorganisation temporelle, ce qui entraine une perte du contrôle discrétionnaire sur le déroulement des pratiques de loisir. Autrement dit, en s’arrimant au marché et en devenant ainsi un temps économique, le temps de loisir échappe davantage au contrôle de l’individu. Davantage de pressions émanant du marché, comme les incitations à performer, à entretenir son soi numérique, à produire des données, à consommer, à répondre aux messages, à vérifier les notifications entrecoupent le loisir pur et dégradent sa qualité discrétionnaire.
En somme, le capital algorithmique, surtout dans le déploiement de son infrastructure technologique extractive, transforme les catégories sociales de temps et l’expérience vécue du temps, ce qui exacerbe l’accélération sociale et l’aliénation temporelle qui en découle. Les pratiques de vie bonne qui requièrent de longs moments de réflexion, des interactions sociales en personne, le développement d’une technique exigeant beaucoup de temps d’apprentissage, un espace-temps libre des soucis économiques, une adéquation entre les moyens et les fins d’une pratique deviennent en conséquence de plus en plus difficiles à atteindre dans un régime temporel contemporain si peu propice à ce type d’usage du temps et où le loisir pur s’effrite. La qualité temporelle que nécessitent certaines des « pratiques focales » dont parle Albert Borgmann[12], par exemple cuisiner et partager un repas, courir, faire une promenade en forêt, apprendre une langue pour le plaisir est plus difficile d’accès. Meubler nos horaires de pratiques de vie bonne et de temps véritablement libre constitue un défi herculéen à l’ère du capitalisme algorithmique, de la dépendance aux écrans et des sollicitations qui diminuent les vertus discrétionnaires du temps.
Au bout du compte, nous pouvons postuler que les technologies algorithmiques risquent d’alimenter encore plus la dynamique globale d’accélération sociale qui a accompagné la modernité capitaliste depuis ses débuts[13]. En ce sens, il n’y a pas de rupture radicale avec l’avènement de l’intelligence artificielle, des médias sociaux et des technologies numériques; ils ne font que prolonger et intensifier un processus d’accélération qui était déjà en cours depuis des siècles. Ainsi, l’arrivée des machines algorithmiques dans les différents recoins du monde social contribuera encore davantage à l’accélération du rythme de vie. Cela invalide l’hypothèse selon laquelle l’intelligence artificielle pourrait enfin rendre possible l’utopie de la « société des loisirs », comme certaines spéculations qui affirment avec naïveté que ChatGPT va enfin libérer l’humanité du travail. Au lieu de nous libérer du temps, le capitalisme algorithmique va au contraire amplifier l’expérience vécue de « pénurie temporelle », le sentiment que tout va toujours trop vite, que nous sommes constamment sollicités, que nous sommes perpétuellement dépassés par les événements et la marche frénétique du progrès technologique qui semble hors de notre contrôle. Le manque de temps, la multiplication des cas d’épuisement professionnel, mais aussi la cyberdépendance, l’anxiété et autres troubles psychiques associés à la surconsommation numérique constituent diverses formes de pathologies sociales liées au développement du capitalisme contemporain. Le temps éclaté annonce aujourd’hui une nouvelle phase de l’accélération sociale : l’accélération algorithmique.
La construction algorithmique des trois dimensions du rapport au temps
La technique est — et a toujours été — le grand médiateur du rapport au temps sur le plan collectif et individuel. L’organisation sociale du temps s’opère à l’aide d’objets, d’outils, d’appareils et éventuellement de technologies et d’institutions sociales de temps. Le gnomon[14], les calendriers, l’astrolabe, la clepsydre[15], les horloges et montres mécaniques, le temps universel coordonné appuyé sur des horloges atomiques : différentes technologies organisent et institutionnalisent le temps en société, toujours en rapport avec des formes de pouvoir social[16]. Le substrat technologique des relations sociales de temps joue également un rôle déterminant dans l’expérience et la conscience du temps, et l’élaboration de ce que François Hartog appelle les « régimes d’historicité[17] » est toujours en rapport complexe avec ce substrat technologique.
De plus, il est également possible de concevoir la technique elle-même comme une structure mémorielle. Chaque objet technique, et le monde technique en général, est dépositaire d’un savoir-faire, d’une tekhnê[18] humaine, et le monde objectif qui nous entoure est constitué d’une accumulation de mémoire, de rétentions ainsi déposées dans des objets techniques. De même l’écriture, l’art, l’architecture, l’ingénierie, etc. On peut donc voir la technique, ou aujourd’hui la vaste infrastructure technologique qui supporte la vie sociale et individuelle, comme une « structure rétentionnelle » où se loge un savoir, une mémoire collective et un savoir-faire collectif. Le monde technique est en ce sens le passé présent parmi nous, à partir duquel nous construisons le futur[19].
De ce point de vue, la prolifération des technologies algorithmiques aux échelles individuelles et sociales occasionne également une certaine reconfiguration des rapports au temps. Tant sur le plan individuel que collectif, les algorithmes organisent et médiatisent le rapport au passé, au présent et au futur.
Premièrement, l’accès au passé collectif, à la mémoire collective désormais constituée d’une immense structure rétentionnelle informatisée et industrialisée (base de données, serveurs, Internet, etc.) est largement médiatisé par des algorithmes. La vaste numérisation des documents et des supports informationnels qui ont colligé la mémoire collective d’une part importante de l’histoire humaine, couplée à la mise en place de moyens de classement, d’archivage et de recherche d’information algorithmique (moteurs de recherche, mots-clés, base de données numérisées, etc.) font en sorte que des technologies algorithmiques, souvent développées et contrôlées par des entreprises privées dont les opérations sont toujours sujettes à l’attraction gravitationnelle de l’impératif de profit, médiatisent l’accès au passé, à l’information stockée dans ces structures rétentionnelles numérisées, à la mémoire collective. Sur le plan individuel, nous faisons par exemple souvent confiance à Google pour notre accès à l’information, Sur le plan collectif, notre mémoire est désormais accessible selon des programmes informatisés, souvent des technologies algorithmiques, sur lesquelles le public, la démocratie ou encore l’agentivité humaine n’ont que peu de prise réelle.
Deuxièmement, le présent est lui aussi désormais largement construit par les technologies algorithmiques, et ce, sous deux aspects : l’extraction et la « curation[20] ». D’une part, le présent devient un moment extractiviste, c’est-à-dire que la vaste infrastructure d’extraction algorithmique déployée dans toutes les sphères de la vie sociale prélève de chaque instant une immense quantité de données qui forment ensuite un matériau brut qui reproduit l’accumulation du capital algorithmique. De ce point de vue, le présent est réduit à un matériau, à une « ressource première » enregistrée comme données. Le présent algorithmique est ce qui est effectivement extrait, numérisé, enregistré et ensuite stocké dans les structures rétentionnelles informatisées. Ce qui ne l’est pas, « l’événement » dont les points de données ne sont pas extraits/enregistrés par l’infrastructure d’extraction technologique, ne participera pas à la construction de l’expérience d’un présent collectif désormais vécue et médiatisée par les interfaces technologiques[21]. Cette occurrence, cet événement non enregistré tombe dans l’oubli de la temporalité algorithmique.
Cela mène au second aspect de la construction du présent par les technologies algorithmiques : la curation. L’expérience vécue, qu’elle soit individuelle ou collective, est de plus en plus médiatisée par des technologies algorithmiques. Ainsi, cette expérience nous est « présentée » par des interfaces qui organisent le présent « actuel » selon un processus de curation. Prenons par exemple les médias sociaux et les « fils d’actualité » qu’on y retrouve. Ces fils sont une suite d’éléments structurée par un algorithme avec l’impératif de générer du temps d’attention. Ils organisent ce fil d’actualité, ce qui « se passe », tel un présent qui défile sous nos yeux. Ce qui fait partie ou non de ce présent, de cette actualité, est tributaire d’un enregistrement/extraction préalable par des technologies extractives. Ainsi l’expérience individuelle est une interaction avec une actualité, un présent, produit d’un processus d’extraction et de curation algorithmique.
Troisièmement, et sans doute de façon encore plus inquiétante, les technologies algorithmiques construisent un futur… qui est lui-même une répétition du passé. Cette temporalité algorithmique est tributaire de la condition technique même des algorithmes : ce sont des machines à prédire le futur à partir du passé. Plus précisément, les algorithmes sont entrainés à partir de « données massives » extraites des moments présents individuels et collectifs et stockées dans des serveurs. Ces données, traitées par divers processus de travail digital, entrainent les algorithmes à prédire des événements ou des comportements futurs sur la base du contenu des données d’entrainement. Par exemple, la police prédictive entraine des algorithmes de prédiction de crime à partir des données de l’histoire criminelle d’une certaine société[22]. Si cette histoire est marquée par des pratiques policières racistes, la criminalisation de la pauvreté ou encore un système juridico-carcéral discriminatoire, l’algorithme entrainé par ces données « prédira » un risque de récidive plus élevé chez un prévenu racisé et pauvre, ou encore une zone à risque de crime dans des quartiers où vivent des communautés racisées et défavorisées. La surveillance accrue de ces communautés augmente en retour les chances d’y intercepter des activités criminalisées. La prédiction du crime est ici davantage une production de crime, une forme de prophétie autoréalisatrice[23]. La même temporalité de répétition sous-tend la publicité ciblée. L’extraction de données comportementales qui vous identifie comme un consommateur de musique de jazz « prédit » une forte probabilité que vous achetiez des billets pour le prochain spectacle local d’Esperanza Spalding, prédiction dont on peut favoriser l’avènement par des publicités ciblées combinées à des techniques de nudge[24] subtiles et efficaces[25].
Dans cet éternel retour du même, l’algorithme ne fait que refléter l’état probabiliste des choses révélé par ses données d’entrainement. En somme, les algorithmes codifient le passé, et c’est là leur prédiction du futur. En ce sens, le futur algorithmique est une automatisation de la répétition du passé qui exclut la nouveauté, la naissance, l’imprévisible, la « différance » au sens derridien du terme. La temporalité algorithmique constitue ainsi une fermeture tragique de l’horizon temporel humain, une négation de notre agentivité individuelle sur le cours de notre vie et une négation de notre capacité collective à faire l’histoire. C’est une automatisation machinique non pas de la mesure du temps, mais du temps lui-même. En outre, la construction de la temporalité par les algorithmes nous enferme dans la reproduction éternelle de l’accumulation et du pouvoir du capital. Les luttes pour la libération des temps et des espaces de l’emprise du capital algorithmique deviennent dès lors des luttes pour une réappropriation de notre temps.
Nous pouvons donc qualifier la temporalité algorithmique de présentiste[26]. Non pas qu’elle éradique le passé et le futur : elle les construit activement au contraire. L’horizon temporel et les subjectivités temporelles individuelles et collectives sont toutefois absorbés dans ce processus de reconduction, de reproduction d’états de fait passés, codifiés, automatisés et reproduits. Le passé et le futur se fondent ainsi dans un présent hypertrophié qui code le passé et reproduit le présent ad vitam aeternam, où derrière une culture de la vitesse et une soi-disant innovation tous azimuts, c’est l’éternel retour du même qui s’accélère.
Conclusion
La temporalité algorithmique est une construction complexe et multidimensionnelle. Premièrement, elle participe d’une économie politique extractive en arrimant nos temps vécus (travail, loisir, voire sommeil) aux mécanismes d’extraction de données qui alimentent l’accumulation du capital. Deuxièmement, les algorithmes sont des accélérateurs du temps social, surtout au niveau technique de l’optimisation des processus mécaniques, et sur le plan de l’accélération des rythmes de vie en déqualifiant les temps de loisir et en soumettant de plus en plus les temps vécus, sous la forme de temps d’attention captif, aux pressions et impératifs du marché capitaliste. Troisièmement, les technologies algorithmiques construisent un rapport au passé, au présent et au futur qui nie de façon fondamentale l’agentivité individuelle et collective et le contrôle que nous pouvons exercer sur notre vie et sur nos futurs collectifs.
L’idéologie des élites technologiques de la Silicon Valley s’approprie le futur en déployant de grands récits autour des intelligences artificielles générales, des risques existentiels, de techno-utopies cosmistes, extropianistes, longtermistes et transhumanistes, où tous les problèmes sociaux se solutionnent à terme par l’IA, où la technologie sauve le monde et nous promet des lendemains chantants, prospères, heureux, voire intergalactiques[27]. Cet imaginaire futuriste cache en fait une temporalité profondément présentiste et récurrente, où le futur est la reproduction du pouvoir actuel d’une élite technocapitaliste, de l’actuel développement technologique effréné et aveugle, et de la fermeture d’horizons temporels alternatifs, technosobres, low-tech, conviviaux, décroissancistes et postcapitalistes. Devant ce constat, il s’agit de lutter afin de libérer des temps et des espaces individuels et collectifs de l’horizon du capital algorithmique, bloquer les mécanismes d’accumulation du capital algorithmique, fonder et alimenter des modes d’organisation alternatifs technosobres et non capitalistes et ainsi se réapproprier nos temps.
Par Jonathan Martineau, professeur adjoint au Liberal Arts College de l’Université Concordia
- Cet article reproduit, condense et développe plus avant des idées et des passages des publications suivantes : Jonathan Martineau, « Du rapport au temps contemporain : l’accélération de l’histoire et le présentisme, entre historicité et temporalité », Philosophiques, vol. 50, no 1, 2023, p. 175‑89 ; Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco, Le capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle, Montréal, Écosociété, 2023 ; Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco, « Paradoxe de l’accélération des rythmes de vie et capitalisme contemporain : les catégories sociales de temps à l’ère des technologies algorithmiques », Politique et Sociétés, vol. 42, no 3, 2023. Je remercie Écosociété pour la permission de reproduire ici des passages, de les résumer ou les développer davantage. Je réfère les lecteurs et lectrices à ces travaux pour approfondir les thèses présentées ici et pour consulter des listes de références détaillées. ↑
- Martineau et Durand Folco, Le capital algorithmique, 2023, op. cit. ↑
- Charles Hymas, « A decade of smartphones : we now spend an entire day every week online », The Telegraph, 2 août 2018 ; Charles Hymas, « A fifth of 16-24 year olds spend more than seven hours a day online every day of the week, exclusive Ofcom figures reveal », The Telegraph, 11 août 2018 ; BroadbandSearch, Average time spent daily on social media (latest 2020 data), 7 février 2023 ; Dave Chaffey, Global social media statistics research summary 2023, 7 juin 2023 ; Ashley Rodriguez, « Americans are now spending 11 hours each day consuming media », Quartz, 31 juillet 2018 ; Ofcom, Adults’ Media Use & Attitudes. Report 2020 , 24 juin 2020. ↑
- Shoshana Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance, Paris, Zulma, 2022. ↑
- Jonathan Crary, 24/7. Late Capitalism and the Ends of Sleep, Londres, Verso, 2014 ; Marcus Dupont-Besnard, « Cet appareil neural est sorti de Black Mirror. Objectif : travailler en dormant », Numerama, 5 décembre 2023. ↑
- Pour un examen de la colonisation du temps de la reproduction sociale par le capital algorithmique, voir la thèse 6 de Martineau et Durand Folco, Le capital algorithmique, 2023, op. cit. ; voir aussi Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco, « The AI fix ? Algorithmic capitalism and social reproduction », Spectre, no 8, automne 2023. ↑
- John P. Robinson et Geoffrey Godbey, Time for Life, University Park, Pennsylvania State University Press, 2008 ; Hartmut Rosa, Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive, Paris, La Découverte, 2012. ↑
- Le « loisir pur » désigne un temps sous la discrétion et le contrôle du sujet, continu, meublé d’une pratique de vie bonne telle que définie et voulue par le sujet. ↑
- Judy Wajcman, Pressed for Time. The Acceleration of Life in Digital Capitalism, Chicago, The University of Chicago Press, 2014. ↑
- Antonio A. Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Paris, Seuil, 2019 ; Mary L. Gray et Siddharth Suri, Ghost Work. How to Stop Silicon Valley from Building a New Global Underclass, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 2019. ↑
- Aaron Benanav, Automation and the Future of Work, Londres/New York, Verso, 2020; Wajcman, op. cit.. ↑
- Albert Borgmann, « Focal things and practices », dans Craig Hanks (dir.), Technology and Values. Essential Readings, Hoboken, Wiley-Blackwell, 2010. ↑
- Rosa, Aliénation et accélération, 2012, op. cit. ↑
- Cadran solaire rudimentaire composé d’une tige verticale dont l’ombre se projette sur une surface horizontale. ↑
- Horloge à eau utilisée dans l’Antiquité. ↑
- Jonathan Martineau, L’ère du temps. Modernité capitaliste et aliénation temporelle, Montréal, Lux, 2017. ↑
- François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2015. ↑
- NDLR. Mot grec signifiant art, artisanat, métier. ↑
- Bernard Stiegler, La technique et le temps, Paris, Fayard, 2018. ↑
- NDLR. Curation : sélection et mise en valeur de données, de contenus. ↑
- Stiegler, op. cit. ↑
- Andrew G. Ferguson, The Rise of Big Data Policing. Surveillance, Race, and the Future of Law Enforcement, New York, New York University Press, 2017. ↑
- Ruha Benjamin, Race After Technology, Medford (MA), Polity Press, 2019. ↑
- Cet anglicisme désigne un outil conçu pour modifier nos comportements au quotidien, sous la forme d’une incitation discrète. Il se traduit littéralement en français par « coup de coude » ou « coup de pouce ». ↑
- Karen Yeung et Martin Lodge (dir.), Algorithmic Regulation, New York, Oxford University Press, 2019. ↑
- Hartog, Régimes d’historicité, 2015, op. cit.; Christophe Bouton, L’accélération de l’histoire. Des Lumières à l’Anthropocène, Paris, Seuil, 2022 ; Martineau, « Du rapport au temps contemporain…», 2023, op. cit. ↑
- Voir Émile P. Torres, « TESCREALism : The Acronym Behind Our Wildest AI Dreams and Nightmares », Truthdig, 15 juin 2023. ↑
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