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L’Égypte tergiverse, sans toucher à sa relation avec Israël

Depuis le 7 octobre, l'Égypte brille par son silence sur la situation à Gaza. En plus d'une faible mobilisation de la rue et des médias, le Caire semble accepter le diktat (…)

Depuis le 7 octobre, l'Égypte brille par son silence sur la situation à Gaza. En plus d'une faible mobilisation de la rue et des médias, le Caire semble accepter le diktat israélien sur la limitation des entrées et des sorties des aides et des personnes par Rafah. Bien qu'une opération militaire terrestre semble se dessiner dans le sud de la bande, il y a peu de chance que le régime du président Abdel Fattah Al-Sissi monte au créneau.

Tiré d'Orient XXI.

Bien que la guerre lancée par Israël contre la bande de Gaza soit la plus violente depuis son retrait en 2005, l'Égypte - seul pays ayant des frontières avec l'enclave palestinienne - n'a pas haussé le ton dans ses déclarations, sauf lorsqu'il a été question du déplacement des Palestiniens vers le Sinaï. Ce changement a été perçu dans les milieux non officiels à l'approche du lancement d'une opération terrestre contre Rafah et de l'occupation de l'axe de Salah Al-Din – ou route de Philadelphie (1).

Depuis le début des bombardements israéliens sur la bande de Gaza, l'Égypte a maintenu la même position qu'au cours de la décennie du régime du président Abdel Fattah Al-Sissi (voir l'encadré à la fin de l'article). Ainsi, les points de passage côté égyptien ont été fermés aux personnes et aux aides. C'est ce qu'a révélé le président américain Joe Biden, affirmant que son échange avec Sissi a conduit à l'ouverture de ces points de passage, chose que le président égyptien s'est empressé de démentir. En réalité, l'aide autorisée par Israël demeure extrêmement limitée. Elle ne suffit pas pour mettre fin à la famine dans la bande de Gaza, ni pour assurer les services sanitaires de base pour les malades et venir en aide aux déplacés.

Un « médiateur neutre »

De nombreux témoignages palestiniens ont fait état de sommes mirobolantes demandées par une société considérée comme une façade de l'appareil de sécurité égyptien, afin de permettre aux Palestiniens de passer la frontière et d'échapper à l'enfer des bombardements. Le montant demandé aux Gazaouis s'élèverait aux alentours de 9 000 dollars. Ces accusations ont été rejetées par Dia' Rachwan, le chef du Service d'information de l'État, qui représente l'organe de communication officiel et des relations publiques de l'État.

Durant les années du président Hosni Moubarak, nous étions quelques milliers de personnes à préparer l'aide lors de chaque attaque israélienne contre la bande de Gaza, et à nous organiser pour accueillir les blessés dans les hôpitaux du Caire ou d'ailleurs, et permettre au public de leur rendre visite sans restriction. Malgré les critiques qui ont ciblé Moubarak concernant la relation de son régime avec les Palestiniens, la décision d'ouvrir le passage de Rafah a alors été une décision égyptienne, indépendante d'Israël.

Le général Nasr Salem, ancien chef du service de reconnaissance du renseignement militaire, explique ce changement de positions par le fait que « les États-Unis fournissent une couverture politique internationale à Israël, ce qui empêche tout pays de l'attaquer », illustrant son propos par les attaques américaines en Irak et au Yémen. Il estime ainsi que :

  • L'Égypte joue un rôle de médiateur neutre car si elle prend position, Israël empêchera l'aide d'entrer à Gaza, ou rejettera la médiation égyptienne. La perte sera donc plus importante pour les Palestiniens que pour l'Égypte. C'est pourquoi le Caire accepte de ne pas pouvoir en faire davantage, car l'alternative est la guerre, autrement dit combattre les États-Unis et l'OTAN.

Pour lui, le régime égyptien ressemble à « celui qui tient l'eau dans sa main : s'il ferme le poing, il perd tout ».

Le poids des accords de Camp David

L'Égypte a clairement annoncé par l'intermédiaire du porte-parole de son ministère des affaires étrangères que les relations avec Israël étaient tendues en raison des dizaines de milliers de Palestiniens tués et blessés depuis le début de l'offensive israélienne, en plus de l'intention de Tel-Aviv d'attaquer Rafah, où s'entassent près d'un million et demi de déplacés. Ceux-ci pourraient se retrouver coincés entre l'armée israélienne et le Sinaï, ce qui les obligerait à franchir le mur séparant la bande de Gaza de l'Égypte.

L'autre aspect du différend égypto-israélien concerne la menace brandie par Israël d'une réoccupation de la route de Philadelphie, qui s'étend sur une largeur de 13,5 km de Kerem Abou Salem à la mer Méditerranée. Conformément aux accords de Camp David (1979), il ne peut y avoir qu'un armement léger dans cette zone. Une opération militaire d'envergure constituerait donc une violation des accords de paix, ce qui devrait impliquer une réponse égyptienne.

C'est le ministre des affaires étrangères Sameh Choukri qui a été le premier à réagir officiellement à ce sujet, lors d'une conférence de presse avec son homologue slovène Tanja Fajon, le 12 février 2024. Interrogé sur une éventuelle suspension par l'Égypte des accords de paix avec Israël - comme cela a été récemment évoqué dans certains médias -, il a indiqué :

  • L'Égypte a maintenu les accords de paix avec Israël au cours des quarante dernières années. C'est en vertu de ces accords que les relations entre les deux pays ont été établies. Notre pays tiendra toujours ses engagements, aussi longtemps qu'ils resteront mutuels entre les deux parties. Aussi, je me garde de tout commentaire sur ce sujet.

Il a toutefois ajouté :

  • Les politiques menées par Israël sur le terrain poussent vers le scénario du déplacement. Nous maintenons notre rejet total de toutes les manœuvres visant à déplacer les Palestiniens de leur territoire. Toute tentative de mise en œuvre d'un déplacement forcé et de liquider la cause palestinienne est illégale et ne sera pas acceptée.

Le général Ahmed Al-Awdi, président de la Commission de défense et de la sécurité nationale du Parlement égyptien a, pour sa part, déclaré que l'attaque contre Rafah conduirait simplement à la suspension du traité de paix entre l'Égypte et Israël, sans aucune autre réaction du côté du Caire, précisant que le Parlement ratifierait sa suspension si la question lui était soumise.

Israël « exporte ses problèmes »

Concernant cette éventualité, un ancien responsable du ministère des affaires étrangères a commenté : « Le droit international ne prévoit pas ce qu'on appelle la suspension des accords. Un accord est soit valide, soit il est annulé. Mais Israël peut accepter de geler temporairement le traité, avant de le "dégeler". »

Sur le plan juridique, l'ancien ministre adjoint des affaires étrangères chargé des questions juridiques internationales et des traités, l'ambassadeur Massoum Marzouk, confirme que :

  • L'intervention militaire israélienne sur la route de Philadelphie porte atteinte au traité de paix entre l'Égypte et Israël. Dans la zone D ainsi que dans toutes les zones divisées, les obligations sont partagées. Si l'équilibre est rompu à la suite du manquement d'une partie à ses obligations, cela donne à l'autre partie le droit de se dégager complètement de ses engagements.

Le général Nasr Salem a pour sa part minimisé l'importance de la présence israélienne sur la route de Philadelphie, dès lors que cette zone ne se situe pas à l'intérieur des frontières égyptiennes. Néanmoins, il estime que pousser les Palestiniens vers l'Égypte serait considéré comme une « ligne rouge », et l'attaque contre Rafah conduirait à un « massacre ». Il affirme en outre que l'Égypte fournira de l'aide, mais que :

  • la responsabilité première incombe à Israël car c'est un État occupant. Nous ne resterons pas silencieux si Israël exporte vers nous ses problèmes. D'autant plus que si elle déplace les Palestiniens, ils ne retourneront plus sur leur territoire. L'Égypte empêchera ce déplacement en renforçant le mur de séparation et en déployant plus de forces à cet endroit.

De son côté, Dia' Rachwan a affirmé lors d'un passage télévisé que l'Égypte « a les moyens de se défendre ». Il assure que le pays « ne se contentera pas de rappeler son ambassadeur s'il existe une menace sur la sécurité nationale ou un plan d'éradication de la question palestinienne ».

Des positions contradictoires

Ce qui ressort des déclarations officielles et officieuses, c'est qu'il existe deux positions différentes : l'une ferme, l'autre diplomatique. C'est ce qu'explique une source gouvernementale de haut rang, préférant garder l'anonymat :

La diffusion de messages aussi différents peut être intentionnelle, tout comme il peut y avoir une vraie divergence dans les points de vue, comme cela existe partout dans le monde. Au début de la guerre, Emmanuel Macron a appelé à la formation d'une coalition internationale pour combattre le Hamas, et aujourd'hui il réclame un cessez-le-feu. Itamar Ben Gvir a aussi fait des déclarations qui contredisent celles de Benyamin Nétanyahou.

S'il est vrai que ces divergences de discours existent dans de nombreux pays, ce n'est généralement pas le cas dans les régimes répressifs. Cela voudrait dire qu'il s'agit ici de changements de position dus à des évaluations différentes de la part des instances étatiques. À moins que ce ne soit des ballons d'essai pour voir les réactions que cela peut susciter.

On remarque cependant qu'il y a un dénominateur commun minimum dans les différentes déclarations : le refus de déplacer les Palestiniens. La divergence porte donc sur la réaction du Caire dans le cas où ce déplacement aurait lieu. Mais la source gouvernementale l'assure : « L'Égypte a des plans pour répondre à toutes les éventualités et ne les annoncera pas maintenant ».

Le poids de l'économie

Quelques doutes subsistent toutefois. Pour un ancien responsable des affaires étrangères :

  • L'Égypte a des accords gaziers ainsi que des accords économiques comme le QIZ avec Israël, qui permettent à nos exportations d'entrer sur le marché américain. (2). Étant donné que certains hommes d'affaires ont des liens avec Israël, la décision ne sera pas facile. Une position ferme doit cependant être adoptée, incluant notamment des manœuvres militaires préventives pour sécuriser les couloirs et l'espace aérien. L'Égypte pourra les justifier par les déclarations belliqueuses des dirigeants israéliens exigeant la réoccupation du Sinaï.

En outre, des informations israéliennes ont affirmé que l'Égypte participait au pont terrestre censé réduire la pression sur les Israéliens, suite aux opérations militaires des Houthistes qui empêchent le passage de navires à destination d'Israël dans la mer Rouge. La société israélienne Trucknet a en effet annoncé avoir signé un accord avec la société égyptienne WWCS, appartenant à l'homme d'affaires égyptien Hicham Helmi, afin de prolonger le tracé du pont terrestre (qui va de Dubaï jusqu'à Haïfa) à travers le territoire égyptien.

D'autres éléments corroborant le manque de sérieux des pressions égyptiennes sont soulignés par Samir Alich, l'un des fondateurs du Mouvement civil démocratique (3) :

  • Le régime égyptien a des liens avec Israël, comme en témoignent l'absence de réaction lors du déplacement de la capitale israélienne à Jérusalem, ainsi que le soutien affiché par Abdel Fattah Al-Sissi à « l'accord du siècle ». Il faut donc le soumettre à la pression populaire afin qu'il réagisse.

Or, les demandes d'autorisation de manifestation présentées par le Mouvement civil ont été ignorées par le régime. Outre ses relations avec Israël, « la position de l'Égypte s'explique aussi par l'appartenance du Hamas à l'organisation des Frères musulmans ».

L'ombre des Frères musulmans

Parallèlement à toutes ces déclarations, l'Égypte a commencé le lundi 12 février au matin, à construire une zone tampon confinée au nord entre le village d'Al-Massoura et un point sur la frontière internationale au sud du passage de Rafah, et au sud entre le village de Jouz Abou Raad et un point sur la frontière internationale au sud du passage de Kerem Abou Salem. Comme le rapporte la Fondation Sinaï pour les droits humains, les travaux ont démarré en présence d'officiers des services de renseignement militaire, mais aussi des membres de tribus armés affiliés à la milice Foursan Al-Haytham (4) transportés à bord de véhicules tout terrain près de la zone Goz Abou Raad, au sud de la ville de Rafah. La fondation mentionne qu'un grand nombre d'entrepreneurs locaux étaient aussi présents, ainsi que de nombreux équipements et bulldozers.

Un spécialiste du Sinaï explique que ces travaux visent à « préparer le lieu avant le début des constructions dans la zone vidée par l'armée sur 5 km à partir de la frontière avec la bande de Gaza en 2014, puis sur 10 km lors de l'opération globale Sinaï 2018. Mais ceux qui travaillent là-bas ne savent rien de tout cela ; ils nivellent les terres sans savoir pourquoi ils le font. »

Citant des sources sécuritaires égyptiennes, le Wall Street Journal a révélé que « la zone peut accueillir plus de 100 000 personnes. Elle est entourée de murs en béton, et se trouve loin de toute zone d'habitation » (5). Citant des responsables égyptiens, le journal poursuit : « Dans le cas d'un exode massif de Palestiniens de Gaza, l'Égypte cherchera à limiter le nombre de réfugiés à un niveau très inférieur à la capacité de la zone, soit idéalement entre 50 000 et 60 000 personnes. »

Ce chiffre renvoie à la proposition de « l'accord du siècle », qui stipulait que :

  • Tout réfugié palestinien qui ne jouit de droits de citoyenneté dans aucun pays a trois options : soit retourner dans le nouvel État palestinien, selon les capacités disponibles, soit obtenir le droit de s'installer dans le pays où il réside sous réserve de l'approbation du pays en question, soit demander à être inclus dans le programme de répartition des réfugiés palestiniens sur les États membres de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), entendu que chaque pays accepte d'accueillir cinq mille réfugiés chaque année sur une période de dix ans.

L'Égypte sera encouragée à accueillir un tel nombre via des aides financières qui s'élèveraient jusqu'à 9,1 milliards de dollars.

Malgré le déni officiel égyptien, le régime Sissi penchera sans doute vers l'acceptation des demandes israéliennes. Aucun président égyptien n'a interagi avec un tel degré de complicité avec les Israéliens et d'hostilité à l'égard des factions palestiniennes, comme cela a été le cas au cours de la dernière décennie. La position égyptienne face aux restrictions israéliennes sur la sortie des blessés et l'entrée de l'aide suffit à clarifier le parti pris du régime de Sissi, considéré par Benny Gantz comme un partenaire dans les discussions préalables à l'opération militaire prévue à Rafah, visant à transférer les Palestiniens « vers des lieux protégés ».

  • Après le coup d'État de Sissi à l'été 2013, sa proximité avec les Israéliens est apparue très tôt, lorsqu'un drone israélien a lancé un raid dans le nord du Sinaï le 9 août 2013, tuant cinq personnes, présentées comme des djihadistes. En septembre 2013, l'ancien ministre égyptien des affaires étrangères, Nabil Fahmi, a menacé d'une éventuelle intervention militaire dans la bande de Gaza « si nous estimons que certains membres du Hamas ou d'autres parties tentent de nuire à la sécurité nationale égyptienne ». Aucune déclaration d'une telle force n'a cependant été émise face aux violations israéliennes. Le président Mohamed Morsi a par ailleurs été accusé de collaboration avec le Hamas. Les activités de ce mouvement ont été interdites en Égypte le 4 mars 2014, et il a été listé comme « organisation terroriste » en janvier 2015. La qualification de terrorisme a ensuite été retirée par décision judiciaire, mais la citoyenneté égyptienne d'un des leaders du mouvement, Mahmoud Al-Zahar, et de onze membres de sa famille a été révoquée. En avril 2017, Sissi s'est présenté aux côtés de Trump pour annoncer son plein soutien à ce qu'il a lui-même appelé « l'accord du siècle », inventant ainsi le terme. Moins de trois ans plus tard, le projet final de ces accords a émergé, incluant la création d'un État palestinien démilitarisé, ainsi que l'annexion de plus d'un tiers de la Cisjordanie et de Jérusalem par Israël. Le ministère égyptien des affaires étrangères a aussitôt appelé les parties israélienne et palestinienne à étudier les termes de cet accord. Le site indépendant Mada Masr a alors révélé, citant des responsables égyptiens, que la présidence égyptienne avait supprimé de la déclaration du ministère des affaires étrangères la phrase « l'État palestinien sur les territoires occupés de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale ».

Notes

1- NDLR. Zone tampon entre la bande de Gaza et l'Égypte, en vertu des dispositions des accords de paix entre le Caire et Tel-Aviv.

2- NDLR. Abréviation de Qualified Industrial Zones (zones industrielles qualifiées). Il s'agit d'un accord commercial signé au Caire le 14 décembre 2004 entre l'Égypte, Israël et les États-Unis, permettant la création de zones industrielles qualifiées pour exporter des produits vers les États-Unis sans taxes douanières, à condition que chaque partie fournisse des composants locaux.

3- NDLR. Alliance politique établie en 2017 entre plusieurs partis.

4- Milice affiliée à l'union tribale du Sinaï et dirigée par l'homme d'affaires Ibrahim Al-Arjani

5- « Egypt Builds Walled Enclosure on Border as Israeli Offensive Looms », Summer Said et Jared Malsin, 15 février 2014.

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Guerre à Gaza. Israël de plus en plus isolé sur la scène internationale

L'aggravation de la crise humanitaire à Gaza soulève une vague de condamnations de l'opération militaire israélienne, tant à l'ONU que devant la Cour de justice internationale. (…)

L'aggravation de la crise humanitaire à Gaza soulève une vague de condamnations de l'opération militaire israélienne, tant à l'ONU que devant la Cour de justice internationale. Et fragilise jusqu'au soutien du plus indéfectible allié d'Israël que sont les États-Unis, analyse le “New York Times”.

Tiré de Courrier international. Article paru à l'origine en anglais dans le New York Times.

Quand, en 1955, David Ben Gourion, l'un des pères fondateurs d'Israël, a été prévenu qu'il s'exposerait à des représailles des Nations unies s'il mettait à exécution son projet de prendre la bande de Gaza à l'Égypte, il a affiché son mépris de l'ONU en la désignant par son acronyme hébreu, “Um-Shmum” [“le machin inutile”]. L'expression est restée pour illustrer ce penchant d'Israël à défier les instances internationales, dès lors qu'il estime ses intérêts menacés.

Près de soixante-dix ans plus tard, Israël essuie une nouvelle vague de condamnations à l'ONU, à la Cour internationale de justice (CIJ) et dans des dizaines de pays pour son opération militaire à Gaza, qui aurait fait 29 000 victimes palestiniennes, dont un grand nombre de femmes et d'enfants, et qui a réduit une grande partie du territoire à l'état de ruines.

La protection des États-Unis

Cette pression mondiale croissante a plongé le gouvernement israélien et son Premier ministre, Benjamin Nétanyahou, dans un profond isolement, bien qu'il n'ait pas encore plié, en grande partie parce qu'il bénéficie toujours du soutien de son allié le plus fidèle, les États-Unis.

Mais cette fois, l'État hébreu pourrait bien être lâché par Washington. L'administration Biden est en train de faire circuler un projet de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies qui mettrait en garde l'armée israélienne contre une offensive terrestre à Rafah, à la frontière égyptienne, où plus d'un million de réfugiés palestiniens ont trouvé abri. “C'est un sérieux problème pour le gouvernement israélien, qui pouvait jusqu'à présent se retrancher derrière la protection des États-Unis”, souligne Martin S. Indyk, ancien ambassadeur des États-Unis en Israël.

“La réprobation de l'opinion publique internationale, d'une ampleur et d'une intensité sans précédent, s'est étendue aux États-Unis, ajoute-t-il. Les progressistes, les jeunes et les Arabes Américains du Parti démocrate sont tous furieux et reprochent vertement à M. Biden son soutien à Israël.”

Le veto américain, jusqu'à quand ?

Jusqu'à présent, le président Biden n'a pas cédé à la pression internationale ou intérieure. Le 20 février, comme à leur habitude, les États-Unis se sont à nouveau dérobés en exerçant leur droit de veto au Conseil de sécurité pour bloquer une résolution, parrainée par l'Algérie, appelant à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza. C'est la troisième fois depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas que les États-Unis mettent leur veto à une résolution visant à forcer la main à Israël.

Depuis la création des Nations unies en 1945, trois ans avant la fondation de l'État hébreu, les États-Unis ont exercé plus de quarante fois leur droit de veto pour appuyer Israël face au Conseil de sécurité.

À l'Assemblée générale des Nations unies, où les Américains ne représentent qu'une voix parmi d'autres, les résolutions à l'endroit d'Israël sont monnaie courante. En décembre dernier, l'Assemblée a voté par 153 voix contre 10, avec 23 abstentions, en faveur d'un cessez-le-feu immédiat.

“Du point de vue des Israéliens, ces organisations sont liguées contre nous”, explique Michael B. Oren, ancien ambassadeur d'Israël aux États-Unis, en référence à l'ONU, à la CIJ et à d'autres institutions internationales. “Leur action n'a pour nous aucun impact stratégique, tactique ou opérationnel”, tient-il à préciser.

M. Oren a toutefois reconnu qu'une rupture avec les États-Unis, principal fournisseur d'armes à Israël, puissant allié politique et principal soutien international, serait une “tout autre paire de manches”.

Le tollé enfle à l'international

Alors que l'État hébreu subit de fortes pressions depuis le début de son offensive à Gaza, ces derniers temps, le tollé enfle dans les capitales étrangères.

L'illustration la plus frappante de l'isolement d'Israël vient peut-être de la Cour internationale de justice de La Haye, où les représentants de 52 pays se sont succédé à la barre, la semaine dernière, pour présenter leurs arguments dans le débat sur la légalité de “l'occupation, la colonisation et l'annexion” israéliennes des territoires palestiniens, y compris la Cisjordanie et Jérusalem-Est.

La plupart s'en sont vivement pris à Israël, l'Afrique du Sud comparant le traitement des Palestiniens par Israël à “une forme extrême d'apartheid”. [En décembre dernier], Pretoria avait déposé une première requête auprès de la haute juridiction de La Haye, accusant Israël de génocide à Gaza.

Devant la CIJ, Washington a une fois de plus volé au secours d'Israël, adjurant la Cour de ne pas ordonner le retrait inconditionnel de l'État hébreu de ces territoires. Un avocat du département d'État américain, Richard C. Visek, a fait valoir qu'une telle décision rendrait encore plus difficile un accord de paix entre Israël et les Palestiniens, car elle ne tiendrait pas compte des intérêts sécuritaires d'Israël.

Devant la CIJ, l'Amérique a élevé une voix bien solitaire. Seule la Grande-Bretagne a présenté un argument similaire.

“La vérité est tout autre”, a de son côté martelé Philippe Sands, avocat spécialiste des droits de l'homme, s'exprimant au nom des Palestiniens. “Le rôle de cette Cour est de dire le droit : d'énoncer les droits et les obligations juridiques qui permettront une solution juste à l'avenir”, a-t-il proclamé, après avoir rappelé que la Cour avait déjà confirmé le droit des Palestiniens à l'autodétermination.

Une ordonnance de la CIJ n'aurait qu'une valeur consultative, et Israël a refusé de participer à ces débats.

Israël contraint de prêter l'oreille

Mais en dépit de sa défiance à l'égard des organismes internationaux, Israël ne les ignore pas complètement : dans un premier temps, le gouvernement israélien a rejeté la plainte de l'Afrique du Sud pour génocide en la qualifiant de “méprisable et méprisante”.

Selon certaines sources, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, avait envisagé d'envoyer Alan M. Dershowitz, l'avocat qui a défendu Donald J. Trump [lors du procès en destitution de 2020] et le financier et délinquant sexuel Jeffrey Epstein, pour plaider la cause d'Israël − un choix qui aurait transformé l'audience en cirque. Israël s'est finalement fait représenter par une équipe de juristes de haut niveau, dirigée par un éminent avocat australo-israélien, Tal Becker, qui a accusé l'Afrique du Sud d'avoir présenté une “vaste description contrefactuelle du conflit”.

Dans son verdict provisoire rendu début février, la CIJ a ordonné à Israël de prendre des mesures pour empêcher et punir toute déclaration publique incitant à commettre un génocide et pour assurer l'acheminement de l'aide humanitaire à Gaza. Elle n'a cependant pas accédé à une demande essentielle de l'Afrique du Sud : la suspension de la campagne militaire d'Israël.

Mais même vis-à-vis des Nations unies, la tentation israélienne de brocarder “Um-Shmum” a ses limites. Israël manœuvre souvent en sous-main pour torpiller ou tempérer les résolutions du Conseil de sécurité, car il sait qu'elles pourraient déboucher sur des sanctions.

En décembre 2016, de hauts responsables israéliens avaient fait pression sur Donald Trump, tout juste élu à la Maison-Blanche, pour qu'il pousse le président sortant, Barack Obama, à mettre son veto à une résolution du Conseil de sécurité condamnant la colonisation juive en Cisjordanie (les États-Unis se sont abstenus, et la résolution a été adoptée). “Ils comprennent que l'opposition mondiale doit rester purement rhétorique, commente Daniel Levy, ancien négociateur de paix israélien, et qu'il ne faut surtout pas qu'elle puisse avoir une quelconque voix au chapitre sur les coûts et les conséquences.”

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Le logement n’est pas une marchandise

L'an dernier, dans son éditorial de juin 2021, le collectif d'À bâbord ! s'insurgeait contre la déplorable situation du logement. Notre éditorial décriait le manque de volonté (…)

L'an dernier, dans son éditorial de juin 2021, le collectif d'À bâbord ! s'insurgeait contre la déplorable situation du logement. Notre éditorial décriait le manque de volonté politique pour s'attaquer de front à cette crise majeure dont les impacts sont considérables. Un an plus tard, force est de constater que la situation s'est lourdement détériorée et qu'il faut de nouveau s'indigner devant la réalité du logement au Québec et l'attentisme du gouvernement.

En une année, l'insalubrité a gagné du terrain, le prix des loyers s'est accru de manière abusive et la pénurie de logements accessibles ne s'est pas résorbée. Toutes les régions du Québec sont perturbées par cette crise et affichent parfois un taux de vacance voisin de 0 %.

De plus, le manque criant de logements sociaux force les personnes et les familles les plus vulnérables à demeurer dans le marché privé. Après des années à sous-financer Accèslogis, principal programme de développement public de logements sociaux, le gouvernement actuel de la CAQ a fait le choix de se concentrer sur le logement dit abordable, allant jusqu'à ouvrir la porte au financement de développeurs privés. Après des décennies de partenariat public-privé, il aurait dû savoir que laisser un droit fondamental dans les mains du marché privé ne fait jamais bon ménage avec les conditions de vie des collectivités. Or, ces logements dits abordables seront loin de répondre aux besoins criants des ménages locataires les plus vulnérables, pour qui un logement, serait-il légèrement en dessous de la valeur marchande, est carrément inaccessible. Transférer les maigres fonds qui servaient à bâtir du logement social aux promoteurs immobiliers qui ont provoqué cette crise et en ont profité serait proprement scandaleux.

Tout cela se passe dans un contexte d'inflation économique dans lequel les hausses de loyers se superposent à l'augmentation des coûts de l'alimentation et du transport. De plus en plus de ménages locataires doivent allouer la moitié de leurs revenus au seul logement. Cela génère des fins de mois plutôt maigres et nombreuses sont les conséquences : d'un point de vue individuel, le quotidien devient ardu ; d'un point de vue social, les communautés s'étiolent, entraînant un délitement du tissu social. Avoir un toit sur sa tête et la capacité de le payer garantit à chacun·e l'accès aux services, par exemple à l'eau ou à la scolarisation, mais assure aussi un accès aux ressources communautaires et un ancrage dans la collectivité. Un logement stable conditionne en effet notre attachement à notre territoire, ce qui pousse en retour à s'y impliquer au sens large : porter les sacs d'une voisine que nous connaissons depuis 15 ans, faire du bénévolat dans l'organisme du coin, lutter pour une cause touchant directement notre milieu de vie. Sans une stabilité sur le plan du logement, l'engagement dans nos collectivités est grandement affaibli, voire inexistant. Cette crise du logement menace donc directement la vitalité et la solidarité dans les quartiers et les communautés.

Il est temps de considérer le logement comme un droit et non comme une marchandise. Il est urgent de briser la primauté du droit du propriétaire sur le droit fondamental à pouvoir vivre dignement. Il fallait déjà lutter énergiquement pour assurer un semblant d'équité dans nos sociétés lorsque la situation économique était stable et la planète toujours viable. Dans le contexte de crise économique et écologique qui nous attend, une stabilité en matière de logement compte parmi les meilleures stratégies pour parer aux chocs. À quand un réel engagement pour socialiser la majorité du parc immobilier au Québec ? En attendant, un contrôle immédiat des loyers est requis pour faire face aux offensives des propriétaires immobiliers privés ainsi qu'aux chamboulements qui nous attendent dans les prochaines années.

Pierre Beaudet. Un rebelle visionnaire

Pierre Beaudet a été la principale force motrice derrière le mouvement de solidarité internationale au Québec et, plus tard, l'un des acteurs clés du mouvement au niveau (…)

Pierre Beaudet a été la principale force motrice derrière le mouvement de solidarité internationale au Québec et, plus tard, l'un des acteurs clés du mouvement au niveau mondial.

À preuve, le rôle qu'il a joué dans la lutte anti-apartheid. À mes débuts à ses côtés, en 1984, il poursuivait un objectif clair et ambitieux : développer le mouvement contre l'apartheid sud-africain au Québec, joindre nos forces à celles du Canada anglais et enfin, amener le gouvernement fédéral à modifier sa politique vis-à-vis l'Afrique du Sud et les pays voisins. Ce qui fut fait, avant que Mandela ne soit libéré en 1990.

Comme le dit notre camarade sud-africain Dan O'Meara, Pierre était le plus grand analyste et stratège du mouvement anti-apartheid au Canada. Il savait expliquer clairement les conflits les plus complexes, les mécanismes néocoloniaux d'exploitation et de domination, mais aussi les possibilités réelles de s'en libérer.

Il était également doué pour convaincre et mobiliser un large éventail d'acteur·trices autour de revendications et d'actions communes. Ainsi, nous sommes plusieurs à avoir appris de lui à militer dans un esprit de concertation, sans sectarisme ni centralisme, avec les syndicats, les communautés noires, le mouvement étudiant, les groupes de femmes, les organisations religieuses, les centres de solidarité, les organismes de coopération, les député·es, etc. Ainsi fut transformée, pas à pas, la politique étrangère et commerciale du Canada, sous un gouvernement conservateur !

Pierre était le visionnaire d'un autre monde, mais aussi un être extraordinairement inventif pour tracer le chemin afin de s'y rendre. Des défis financiers et des tensions énormes surgissaient entre les composantes du mouvement. Contre vents et marées, il continuait à avancer, tout en pestant après les timoré·es. Doté d'une capacité de travail hors du commun, il n'était pas toujours facile à côtoyer au quotidien, mais pour les internationalistes, la côte était raide, alors que les grands joueurs du business de « l'aide au développement » avaient, eux, le vent en poupe !

Rebelle créatif, il sortait donc de sa manche un nouveau projet après l'autre, tel un magicien. Toujours dans l'esprit de tisser des liens entre les réseaux visant la transformation sociale, il choisissait les interlocuteur·trices avec soin : syndicats indépendants, féministes africaines, leaders étudiants, chefs religieux, mouvements communautaire et coopératif, etc.

Cela n'était pas toujours vu d'un bon œil par nombre d'organisations canadiennes qui auraient bien voulu qu'on se contente de relayer la ligne officielle des mouvements de libération. Or, Pierre savait déjà ce que d'autres n'admettraient que trop tard : sans la vigilance et la pression des mouvements sociaux, toute organisation politique peut être corrompue ou cooptée une fois au pouvoir. Audacieux et indépendant, mais toujours fin stratège, il organisait donc aussi des rencontres avec les leaders politiques. C'est par ce savant dosage tactique que des changements peuvent survenir, a-t-il démontré.

Pierre était un être brillant, créatif et très persévérant. Il avait certes ses moments de découragement, mais il n'abandonnait jamais. Il disait : « Quand vous vous battez, vous n'êtes pas certain de gagner. Mais si vous ne le faites pas, vous êtes sûr de perdre. »

Photo : montreal1970 (Wikimedia Commons)

Dix ans à se battre contre les radios-poubelles

La coalition Sortons les radios-poubelles souffle ses dix bougies ! Apparu dans le contexte de la grève étudiante, notre groupe clandestin n'a jamais cessé de mener la vie dure (…)

La coalition Sortons les radios-poubelles souffle ses dix bougies ! Apparu dans le contexte de la grève étudiante, notre groupe clandestin n'a jamais cessé de mener la vie dure aux populistes de la radio à Québec. Ce faisant, nous avons appris beaucoup.

Depuis le début, la coalition montre, à l'aide d'exemples précis, de citations et d'extraits audio, l'influence de la radio-poubelle sur les enjeux sociaux locaux et invite la population à porter plainte auprès de diverses instances.

Risques importants

En publiant nos premiers articles en 2012, on a très vite senti la chaleur. En 2013, deux individus sont poursuivis par RNC Media, propriétaire de Radio X, pour avoir osé critiquer publiquement cette station sur Facebook. L'un d'eux, Jean-François Jacob, perd son emploi chez Desjardins Assurances après un simple coup de fil de Patrice Demers, patron de CHOI. Il sera traîné dans la boue par les animateurs, et des fanatiques de Radio X iront lancer des projectiles dans la fenêtre de son domicile. Il quittera Québec le lendemain pour ne jamais revenir. La poursuite se réglera à l'amiable et Radio X ne sera jamais blâmée pour quoi que ce soit.

Cet épisode va cimenter notre détermination à protéger notre anonymat.

En 2019, Jean-François Fillion annonce en ondes et sur les réseaux sociaux qu'il offre 1000 $ de prime pour avoir des infos sur nous, et en juin 2021, RNC média fait une gentille injonction « juste pour avoir notre identité de rien du tout et pas du tout pour nous intimider ».

C'est important de rappeler tout ça, parce qu'il y a encore des gens, dont des journalistes, qui banalisent les risques que courent les personnes qui critiquent la radio-poubelle.

Vie et mort des radios-poubelles

Des stations peuvent commencer à faire de la radio-poubelle ou cesser d'en faire. Quand Sortons les radio-poubelles a commencé son travail, il y avait deux radios-à-problèmes à Québec : Radio X (Jeff Fillion, Dominic Maurais, etc.) et le FM٩٣ (Sylvain Bouchard, Stephan Dupont, etc.).

Puis, lorsque de brillants esprits montréalais chez Bell ont eu l'idée, en 2014, de sortir Jeff Fillion de sa webradio de sous-sol pour lui confier le micro de NRJ (!) et sa propre émission de télé (!), le marché s'emballe et on se retrouve avec quatre radios-poubelles sur les bras : Radio X, FM93, BLVD et NRJ, toutes inspirées par la trash radio étatsunienne. Du jamais vu en 20 ans.

Dire que plusieurs croyaient la radio-poubelle morte.

C'est à ce moment que l'ex-ministre Nathalie Normandeau, personne la plus citée dans le rapport de la Commission Charbonneau, commence sa carrière à la radio en coanimant une émission avec Éric Duhaime au FM93. Duhaime venait de mettre fin à un flop éphémère de Radio X à Montréal. En 2016, Normandeau ira chez BLVD. André Arthur, le « roi des ondes », fera un bref retour au micro de 2016 à 2018, d'abord à Radio X, puis chez BLVD. Congédié par Bell en 2016, Jeff Fillion se retrouvera chez Radio X peu après.

Finalement, le marché (merci la main invisible !) reprend ses droits. André Arthur est congédié de BLVD en 2018, Normandeau quitte son poste d'animatrice à cette même station en 2019, tandis que le FM93 s'assainit avec le départ d'Éric Duhaime et de Pierre Mailloux et un changement de ton chez Sylvain Bouchard.

Remarquez le système de porte tournante qui envoie des animateur·trices rejoindre d'autres stations. Malgré des changements apparents, on entend toujours les mêmes voix.

Tout ça pour dire qu'aujourd'hui, il ne reste plus qu'une seule radio, toujours la même, sous notre veille : Radio X.

Initiatives citoyennes

Deux mouvements anti-radio-poubelle sont dignes de mention :

Pour des ondes radiophoniques saines

En 2015, 85 organismes de la région de Québec signent la déclaration Pour des ondes radiophoniques saines. La lettre condamne le « discours haineux et discriminatoire » à la radio. Toute une opération, considérant les intérêts divergents des signataires.

Entre un organisme de défense des droits du centre-ville et une Maison des jeunes de Stoneham, en banlieue boisée, l'intérêt commun a néanmoins fait son chemin.

Sylvain Bouchard réplique aussitôt par une attaque en règle contre Centraide, qui finance plusieurs des groupes signataires. L'expérience n'ira pas plus loin. Qui veut être tenu responsable d'avoir mis en péril le financement, et donc l'existence même, de son organisme ?

Liberté d'oppression

En 2021, un groupe de personnalités publiques lance Liberté d'oppression, une initiative pour s'opposer à la haine propagée sur les médias traditionnels (radios ou journaux). En une semaine, le groupe récolte 10 000 signatures.

Une initiative bottom-up et une autre top-down. On ne pourra pas dire que tout n'a pas été essayé pour arrêter la radio-poubelle.

Reconnaissance

En 2015, l'ex-journaliste, professeure à l'Université Laval et ex-candidate péquiste Dominique Payette publie un rapport sur le climat de peur entretenu par la radio-poubelle. C'est l'occasion d'une belle libération de la parole, qu'elle paiera chèrement. Elle sera piétinée sans ménagement par des membres sa propre famille politique, Agnès Maltais et le chef du Parti Québécois de l'époque lui-même, Pierre-Karl Péladeau. Courageuse et déterminée, Mme Payette répliquera avec un livre sur la radio intitulé Les brutes et la punaise qui est dédicacé à la Coalition. Une formidable reconnaissance.

En 2022, l'ex-directeur de l'info à Radio-Canada Alain Saulnier cosigne une lettre d'appui à la Coalition. La lettre déplore l'intimidation de RNC Media ayant conduit à la fermeture de la page Facebook de la Coalition. Notre travail est aussi cité dans l'essai La collision des récits de Philippe de Grosbois.

Ces appuis sont à la fois fort inattendus et précieux.

En dix ans, il y a une sorte de crescendo de la reconnaissance et des appuis. Au début de notre présence sur Twitter, on prêchait vraiment dans le désert. Puis, petit à petit, beaucoup d'allié·es nous ont rejoints au point qu'aujourd'hui, plusieurs personnes critiquent ouvertement la radio-poubelle de la même façon. Ça, c'est super.

Dans les médias

Nombre de médias, de journalistes, et d'expert·es nous suivent avec discrétion. Plusieurs journalistes nous observent un peu de loin, comme une bête curieuse. Certains utilisent les extraits audio que nous avons récupérés, sans nous citer. Pourtant, ils sont bien contents de retrouver, par exemple, cette fameuse citation d'Éric Duhaime à propos de la tête de porc ensanglantée jetée devant une mosquée, quelques semaines avant l'attentat. « Une bonne blague », selon lui.

Eh, on ne va pas se plaindre : le but, c'est que ces archives circulent !

Il y a aussi des journalistes qui préfèrent se taire. Beaucoup trop de journalistes locaux font comme si la radio-poubelle n'existait pas.

À l'inverse, Karine Gagnon a tout notre respect, elle qui non seulement se tape le harcèlement de Jeff Fillion, mais qui s'est aussi mérité une poursuite après avoir traité Éric Duhaime de conspirationniste. Une vraie tough. Chapeau.

Il ne suffit pas de dénoncer

Au début, on croyait qu'il suffisait de dénoncer et de faire circuler les propos inacceptables pour que le château de cartes s'écroule. Ce qu'on a vite réalisé, c'est que les gens s'accommodent très bien de ce flot de haine.

Lorsqu'en 2014, l'animateur Carl Monette parle d'abattre d'« une balle dans le front » ou de gazer certaines catégories de criminels, il ne suscite pas la moindre réaction d'indignation chez des gens ayant pourtant comme profession d'être perpétuellement outrés.

Est-ce que la radio est trop violente ou est-ce que c'est nous qui sommes trop sensibles ?

Prenez Bernard Drainville. Il dégage une aura de bon père de famille rassurant. Mais quand on prend le temps de l'écouter, on se rend bien compte qu'il tient des propos frôlant l'extrémisme. La violence est tamisée.

Les propos de Duhaime sur la tête de porc ensanglantée n'ont suscité aucune réaction au moment où ils ont été prononcés. C'est seulement après l'attentat contre la mosquée de Québec que ça s'est mis à tourner. Ça a pris 6 morts et 19 blessés.

Si Radio X est toujours là après 25 ans, c'est qu'elle sait très bien où se situe la limite de la fenêtre d'Overton, ce qui passe et ce qui ne passe pas, politiquement. Elle s'y cantonne et engrange les profits. Les animateurs, et surtout les propriétaires, ne sont pas des idiots.

Mais les temps changent. Avant la pandémie, aucun·e politicien·ne n'osait critiquer la radio-poubelle. Aujourd'hui, il y a Catherine Dorion, Jackie Smith, Claude Villeneuve. Il y a une volonté de briser l'omerta.

Et qui l'aurait cru, nous avons eu un beau cadeau pour notre dixième anniversaire : Jeff Fillion annonce quitter Radio X pour retourner se planquer dans sa webradio de sous-sol ! Merci, merci, c'est trop !

Illustration : Ramon Vitesse

La fine frontière entre investigation et complotisme

Quand quitte-t-on le questionnement légitime sur les rouages du pouvoir pour verser dans la recherche disjonctée d'un ordre occulte gouvernant secrètement nos existences ? (…)

Quand quitte-t-on le questionnement légitime sur les rouages du pouvoir pour verser dans la recherche disjonctée d'un ordre occulte gouvernant secrètement nos existences ?

La distinction est plus complexe à opérer qu'il n'y paraît, parce que la logique investigatrice et la logique complotiste ont de nombreux points en commun. Les conspirationnistes ne sont pas les seul·es à « faire leurs recherches » : les journalistes et les scientifiques le font aussi. Dans tous ces cas, on travaille à partir d'informations ou de données parfois intrigantes, voire déroutantes, auxquelles on cherche à donner un sens.

Les apparentes similitudes entre science, journalisme et complotisme sont d'autant plus troublantes lorsque ces regards se penchent sur le pouvoir ainsi que les lieux et procédés à travers lesquels il s'exerce. Cette investigation est généralement motivée par le désir de mettre en lumière des mécanismes et processus déterminants, mais qui échappent aux regards peu attentifs. Toutes ces démarches sont animées par un idéal : celui de dépasser les évidences trompeuses, de faire avancer la connaissance et d'informer la population, dans l'espoir que celle-ci prenne de meilleures décisions.

Malgré ces ressemblances frappantes, il est possible d'établir des distinctions entre une investigation rationnelle et une quête fabulatrice. Le discours dominant à l'heure actuelle insiste beaucoup sur l'importance de certaines qualités individuelles pour ce faire (comme le dit la populaire formation sur les médias, il faut prendre « ٣٠ secondes avant d'y croire » : vérifier la source d'une information, évaluer sa crédibilité, ou autrement dit... faire ses recherches !). Il est vrai qu'un esprit investigateur posé sait non seulement douter des évidences apparentes, mais dispose aussi de la capacité d'accepter des faits venant contredire ses intuitions et valeurs. Tout cela suppose humilité et capacité d'adaptation.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la recherche d'information et de connaissances est aussi une démarche collective. Même les personnes dotées de la plus grande ouverture et des capacités analytiques les plus poussées ont leurs angles morts ; c'est pourquoi des balises institutionnelles sont également essentielles. En d'autres termes, ce qui amène des individus à déraper vers le complotisme, ce n'est pas forcément le manque d'éducation, la paresse ou de faibles facultés cognitives, mais souvent le manque de garde-fous collectifs venant jeter un éclairage critique sur les réflexions individuelles, comme la rétroaction des pair·es, par exemple.

Ce retour critique ne doit pas être confondu avec le fan club que des intervenant·es peuvent développer, et qui peut au contraire les mener dans une voie aux conclusions de plus en plus fantasmagoriques. À cet égard, il est frappant de constater que plusieurs leaders complotistes contemporain·es sont issu·es d'une certaine culture du vedettariat. On y trouve notamment des artistes dont la carrière semble sur le déclin, mais aussi des influenceur·euses qui sont d'abord intervenu·es dans d'autres domaines (la croissance personnelle, la comptabilité, etc.). On peut donc supposer que la recherche d'attention, de validation et de revenus par la performance prend le dessus sur la quête plus posée de la vérité, d'autant plus que l'expérience médiatique a permis de développer des habiletés supplémentaires pour sortir du lot.

Médias sociaux et médias traditionnels

Le renforcement par les fans est présent tant dans les médias dits traditionnels que sociaux, mais ces derniers instaurent une dynamique passablement inédite, notamment parce qu'elle donne à un nombre inédit de personnes l'opportunité de cultiver un public de fidèles. Dans un écosystème médiatique où la distinction entre émetteurs et récepteurs s'embrouille, il devient même plus difficile de départager qui propage et qui ingère la thèse complotiste. Un exemple particulièrement fort – et tragique – de ce phénomène est celui de Bernard Lachance. Chanteur ayant brièvement percé aux États-Unis, Lachance a adhéré à des thèses conspirationnistes sur les pharmaceutiques après avoir attrapé le VIH. Encouragé à refuser sa médication par des « thérapeutes » charlatans, il a développé un auditoire important sur YouTube avant de décéder de la maladie en mai 2021 (son compte YouTube a depuis été supprimé).

Le cas de Lachance, à la fois manipulé et manipulateur, illustre bien le concept de propaganda feedback loop, ou boucle de rétroaction propagandiste, développé par Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts (référence en encadré). Selon ces chercheurs, une communauté médiatique et politique glisse dans une réalité alternative par la contribution de plusieurs acteur·trices : politicien·nes de droite dure, médias démagogues et auditoire/électorat ont tou·tes un rôle actif. Ils et elles entretiennent la boucle et se renforcent mutuellement dans leurs convictions délirantes.

Au-delà des médias sociaux, il est clair que les balises institutionnelles que se sont données les milieux scientifique et journalistique limitent grandement ces risques de dérapage. Cependant, ces digues ne sont pas à toute épreuve. Des effets de conformisme de groupe peuvent se développer si de nombreux membres du milieu partagent les mêmes biais en raison de leurs origines sociales et économiques, par exemple. Aussi, et plus spécifiquement dans le cas du journalisme, puisque les médias d'information sont davantage intégrés à une logique capitaliste d'accaparement de l'attention, cela peut inciter à assouplir les normes et à accélérer les procédures de contre-vérification au profit d'une logique sensationnaliste. C'est ainsi que Christian Rioux et Mathieu Bock-Côté peuvent sans problème développer leurs thèses complotistes sur le péril islamiste ou le grand remplacement sans être sérieusement embêtés, puisqu'ils génèrent des clics (et donc, des revenus) pour les médias qui les emploient.

Autrement dit, il serait trop simple et trop confortable de distinguer l'investigation du complotisme en se disant : si on est journaliste, scientifique ou universitaire, on est dans l'investigation ; et si on est youtubeur ou militante, on est à risque de complotisme.

Le complotisme centriste, ce grand oublié

De la même manière, il n'est pas satisfaisant de se représenter le complotisme comme un phénomène qui germe uniquement aux extrêmes (de gauche ou de droite). Selon le lieu commun actuellement en vogue, notre époque est caractérisée par la polarisation. Ce mot-valise extrêmement vague sous-entend que le centre politique serait le gardien de la modération, du pragmatisme et de la rationalité, et que le conspirationnisme serait le problème de marges radicalisées, promues de manière disproportionnée par les algorithmes des médias sociaux.

Le concept de polarisation tend à suggérer que le centre ne pourrait jamais être radicalisé ou déraper vers le complotisme. Pourtant, plusieurs exemples nous montrent que les choses ne sont pas si simples. Il y a à l'heure actuelle plusieurs complotismes socialement acceptables, mis de l'avant tant par des médias dits respectables que par des acteur·trices politiques majeur·es. Suite à l'élection de Donald Trump en 2016, plusieurs médias ont entretenu l'idée non seulement que la Russie était intervenue dans la campagne présidentielle (ce qui est avéré, bien que les sommes investies sur les médias sociaux semblent plutôt minimes), mais aussi que Vladimir Poutine contrôlait Trump comme une marionnette. En effet, des médias d'envergure laissaient entendre que Poutine avait en sa possession un pee tape : en 2013, Trump alors en visite à Moscou, aurait demandé à deux femmes d'uriner sur le lit d'une chambre d'hôtel où les Obama avaient déjà dormi. Tout cela aurait été filmé par les services secrets russes, permettant à Poutine de contrôler Trump. L'animatrice vedette de MSNBC Rachel Maddow y a consacré un segment de 12 minutes, sans jamais offrir de preuve tangible (référence en encadré).

Plus près de nous, la longue saison de la chasse au « wokisme » me semble un autre cas exemplaire. Une large part du discours ambiant sur cette question peut se résumer ainsi : nos institutions (particulièrement l'université et les médias), qui tentent d'offrir des débats rationnels et ouverts sur tous les sujets, sont menacées par des militant·es nourri·es par des thèses liberticides états-uniennes et non occidentales et qui ont réussi à berner, voire intimider des gestionnaires complaisant·es. Des cas anecdotiques ou exagérés (une manifestation devient une tentative d'annulation, par exemple) issus de revendications de personnes racisées sont transformés en menace à la bonne marche de l'idéal civilisationnel occidental. La fameuse thèse complotiste selon laquelle « on ne peut plus rien dire » suggère que plusieurs sphères de la société sont sous l'emprise d'une gauche dévoyée et autoritaire, ce qui menace notre identité et nos valeurs. En France, on ne mâche pas ses mots et on parle ouvertement d'islamogauchisme, terrible écho à la paranoïa contre le judéobolchévisme dans les années 1930. Pourtant, cette lecture fantasmée de la réalité n'est appuyée sur à peu près aucune étude sérieuse.

La croisade anti-woke a d'ailleurs plusieurs similitudes frappantes avec la « crise des accommodements raisonnables » que le Québec a connue en 2006 et 2007. Dans les deux cas, on a présumé que des personnes de pouvoir (dans ce cas-ci, le système de justice) avaient contribué à pervertir nos institutions en se laissant manipuler par les arguments sournois de cette minorité présumée étrangère. Toutes les cases du classique complotisme réactionnaire peuvent être cochées, mais non seulement cette thèse est rarement fact-checkée de façon sérieuse, elle n'est à peu près jamais nommée comme conspirationniste. Elle fait partie du débat public raisonnable et raisonné.

Conspirationnisme ou critique du système ?

On peut aussi déconstruire cette idée selon laquelle un complotisme malsain émerge nécessairement des extrêmes en observant les tractations que les forces de gauche tentent pour leur part d'exposer. Si des délires conspirationnistes d'extrême gauche sont certes possibles (et présents dans les mouvances contemporaines, quoique de manière très minoritaire), les principaux complots que la gauche contemporaine cherche à éclairer ne sont pas farfelus, mais documentés par un travail considérable d'investigation. Pensons par exemple à la place des grandes entreprises dans les négociations opaques d'accords de libre-échange ou aux brevets concédés aux pharmaceutiques qui empêchent la majorité de la planète d'être pleinement vaccinée contre la COVID-19. En toute rigueur, il s'agit ici davantage de logiques structurelles que de complots tissés par des individus malveillants, mais la gauche, même « extrême » ou radicale, mène bel et bien un travail d'investigation de décisions que les élites politiques et économiques prennent à l'abri des regards, décisions qui nuisent indéniablement au bien-être de la majorité.

On voit bien en quoi l'obsession centriste pour la polarisation est néfaste pour la critique de gauche : la critique structurelle de l'exploitation et de la domination y apparait équivalente aux thèses loufoques cachant mal leur intolérance ou leur haine. Par exemple, les railleries à l'égard du Deep State, cet État profond qui gouvernerait les États-Unis selon les adeptes de QAnon, écartent du même coup les critiques de la surveillance étatique de citoyen·nes par la National Security Agency et ses alliés. Pourtant, ces analyses et revendications reposent notamment sur la solide documentation fournie par le lanceur d'alerte Edward Snowden.

Par conséquent, si on souhaite départager l'investigation légitime du conspirationnisme parano, il importe de faire preuve de beaucoup plus de minutie et de nuances que ce qui prédomine dans les débats publics contemporains. Ces distinctions dépendent aussi de rapports de classe et de logiques de pouvoir. Rapports de classe, parce que les thèses complotistes qui font l'objet d'enquêtes sont rarement celles propagées par les personnes disposant d'un fort capital culturel et symbolique. Et logiques de pouvoir, parce que le discrédit ou l'indifférence à l'endroit d'une thèse complotiste permet aussi d'écarter l'idée que les puissants n'ont pas notre intérêt à cœur et de laisser entendre que le système fonctionne bien tel qu'il est.

* * *

Pour aller plus loin

Sur le travail « d'investigation » des platistes : Daniel J. Clark, Behind the Curve, Delta-v Productions, 2018, 95 minutes.

Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts, Network Propaganda. Manipulation, Disinformation and Radicalization in American Politics, New York, Oxford University Press, 2018.

Brigitte Noël et Emmanuel Marchand, « Derniers jours de Bernard Lachance : de l'eau salée pour soigner l'ex-chanteur », Radio-Canada.ca, 2 juin 2021. Disponible en ligne.

MSNBC, « Prostitutes, Hidden Hotel Camera's : Familiar Putin Tools », YouTube, 18 janvier 2017.
Maryse Potvin, Crise des accommodements raisonnables. Une fiction médiatique ?, Outremont, Athéna éditions, 2008.

Valentin Denis, « L'agitation de la chimère “wokisme” ou l'empêchement du débat », AOC media, 27 novembre 2021. Disponible en ligne.

Illustration : Elisabeth Doyon

Projet de loi 2 : les corps trans contre l’État

La reconnaissance identitaire est un des points centraux des militances trans et non binaires contemporaines. Rien de surprenant quand on sait le temps que nous mettons chaque (…)

La reconnaissance identitaire est un des points centraux des militances trans et non binaires contemporaines. Rien de surprenant quand on sait le temps que nous mettons chaque jour à négocier nos identités avec les institutions et les personnes cis [1]. Mais la récente lutte contre le projet de loi n°2 nous enseigne les limites d'une approche minoritaire et nous invite à remettre le corps au centre de notre projet politique.

Le 28 janvier 2021, le juge Gregory Moore de la Cour supérieure du Québec invalidait l'article 71 du Code civil du Québec – qui détermine les conditions du changement de mention de sexe à l'état civil – et certaines dispositions s'y rapportant. Des mois plus tard, en réponse à ce jugement, Simon Jolin-Barrette présentait son projet de loi no 2, soulevant l'ire des militant·es trans, non-binaires et intersexes.

Le juge Moore s'en prenait notamment aux restrictions imposées aux personnes mineures ou non citoyennes et à l'impossibilité pour les personnes non binaires d'être identifiées autrement que comme « masculin » ou « féminin » au registre de l'état civil, ou comme « père » et « mère » sur l'acte de naissance de leur enfant. Estimant qu'il était peu à propos de rayer complètement l'article de loi, il a laissé le soin au législateur de corriger ces aspects discriminatoires. Il a accordé le reste de l'année civile au gouvernement pour présenter son projet de loi.

Si le gouvernement a rapidement annoncé faire appel de la portion du jugement concernant les mineur·es, il a tardé à présenter une pièce législative pour répondre aux discriminations reprochées. Ce n'est que le 21 octobre dernier que Simon Jolin-Barette a présenté son projet de loi de plus de 110 pages. Il contenait la réponse du gouvernement au jugement Moore, intégrée à une ambitieuse réforme du droit de la famille.

Malgré les prétentions du ministre de la Justice, il est difficile de voir un lien direct entre ce texte et celui du jugement de la Cour supérieure. Ce qui en théorie ne devait être qu'une formalité s'est transformé en attaque frontale contre la communauté trans et les personnes intersex(ué)es [2]. Avec appréhension, les communautés trans, non binaire et intersexe ont constaté un retour brutal à la politique génitaliste de l'État, abandonnée depuis la mise à jour du Code civil en 2015. En effet, un des points majeurs du projet de loi 2 est de restaurer de façon intégrale le texte de l'article 71 tel qu'il a existé entre 2004 et 2015 en exigeant « des traitements médicaux et des interventions chirurgicales impliquant une modification structurale [des] organes sexuels et destinés à changer [les] caractères sexuels apparents de façon permanente » pour autoriser un changement de la mention de sexe.

La construction juridique d'une minorité

Le régime de changement de la mention de sexe à l'état civil hérite de la Loi sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil, en vigueur de 1978 à 1994, et qui a par la suite été intégrée au Code civil à travers l'article 71. Cet article est demeuré presque inchangé jusqu'en 2015 (hormis le retrait de l'exclusion des personnes mariées avec la légalisation du mariage entre conjoint·es de même sexe en 2004). Sous ce régime, l'existence des personnes trans est conditionnelle à la légitimité de leur condition médicale, attestée par des spécialistes et résolue par « l'opération », qui leur permet de réintégrer la binarité sexuelle prévue dans la loi. Évidemment, nombre de personnes trans ne pouvaient se prévaloir des dispositions prévues à l'article 71, comme les travailleuses du sexe, les personnes non binaires ou ne désirant simplement pas transitionner médicalement [3].

Depuis 2015, c'est plutôt ce que Florence Ashley nomme le « modèle minoritaire » qui prévaut. Lae bioéthicien·ne et juriste indique avec justesse que ce régime vient marquer les personnes trans comme minorité et leur accorde des protections basées sur leur identité. Ainsi, dans le Code civil, c'est l'auto-identification qui forme le critère central de la légitimité d'une demande de changement de mention de sexe. De façon analogue, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne a été amendée en 2016 pour inclure l'identité et la présentation de genre comme motifs interdits de discrimination. Il va sans dire que cette protection n'a pas été adoptée pour protéger les femmes cis de la discrimination à l'embauche, puisqu'elles étaient déjà protégées par le motif du sexe. Cet écart de traitement fait apparaître les personnes trans et non binaires dans la loi comme minorité définie par son identité de genre. Les personnes cis, elles, ne sont pas spécifiées et existent toujours à travers la notion de sexe. Elles sont apparemment dénuées de genre.

Le projet de loi 2, dans sa mouture initiale, poussait cette logique encore plus loin. Pour justifier le retour de l'exigence de chirurgie pour le changement de la mention de sexe, le gouvernement prévoyait la création d'une mention de genre distincte. Ainsi, un·e enfant se serait fait attribuer un sexe à la naissance, mais aurait pu substituer cette mention par une mention de genre plus tard dans sa vie selon l'évolution de son identité.

Ensuite, l'État reconnaissait aussi légalement l'existence des personnes intersex(ué)es en assignant aux enfants dont la configuration génitale ne se conforme pas au modèle sexuel binaire la mention « indéterminé ». Dans le projet de loi 2, l'identité de genre était utilisée comme levier pour renforcer un modèle sexuel binaire, auquel les corps intersexués apparaissent comme une gênante exception. En attribuant la mention « indéterminé », l'État se gardait de remettre en cause la binarité sexuelle et donnait à ces personnes (ou plus souvent à leurs parents) la charge de déterminer si elles possédaient un « sexe » ou un « genre » en recourant respectivement à une chirurgie ou à l'attribution d'une mention de genre [4]. Sous ce régime, toutes les personnes intersex(ué)es devenaient de facto trans.

Si ces dispositions ont été abandonnées par le gouvernement à travers des amendements substantiels au projet de loi 2, la distinction entre sexe et identité de genre demeure. Le Code civil spécifiera désormais que la mention de sexe ne représente toujours que le sexe assigné à la naissance ou l'identité de genre. Concrètement, cela signifie que les documents de l'état civil indiqueront toujours « sexe », mais si le document a été modifié après la naissance, cette mention désignera plutôt l'identité de genre de la personne.

Le corps d'abord

Quelques semaines seulement après le dépôt du projet de loi, le ministre Jolin-Barrette avait promis de présenter des amendements au texte lors de l'étude détaillée. À bien des égards, le projet de loi était devenu gênant pour le gouvernement face à la réponse d'opposition unanime du mouvement LGBTQIA2S+, confirmée lors des audiences publiques tenues du 30 novembre au 3 décembre dernier.

Après plusieurs décennies à défendre une stratégie politique principalement identitaire qui supportait le modèle juridique minoritaire, les militant·es se sont trouvé·es devant un choix tactique surprenant. Devant la Commission des institutions, les intervenant·es du milieu se sont succédé·es pour défendre la mention de sexe telle qu'elle existe actuellement. Plutôt qu'un changement de cap, cette stratégie témoigne d'un consensus croissant à l'effet que la distinction entre un genre social et un sexe biologique est sans fondement scientifique et qu'elle est potentiellement nuisible pour les membres de la communauté.

Pour les personnes intersexuées en particulier, la violence sexiste s'inscrit dans le corps et c'est de cette posture qu'émerge l'identité intersexe. Pour reprendre les termes utilisés par Janick Bastien-Charlebois lors de ces consultations, « intersexe ne renvoie pas à l'identité de genre, mais à une expérience d'invalidation du corps sexué de naissance ». Cette perspective est cruciale pour comprendre comment nos pratiques militantes ne peuvent se limiter à des revendications identitaires sans porter préjudice à notre sécurité et à notre intégrité corporelle.

La reconnaissance et la valorisation des identités est évidemment importante pour les minorités sexuelles et de genre, mais elle ne peut prendre toute la place. L'expérience trans aussi renvoie à l'invalidation du corps sexué. Pour les personnes intersex(ué)es, ce corps est nié sur la base de ce qu'il est / est devenu, pour les personnes trans sur ce qu'il est / a été. Par exemple, quand les personnes intersexes militent contre les mutilations génitales, les spécialistes leur opposent le taux de satisfaction élevé aux interventions médicales non consenties. Quand ce sont les personnes trans qui militent pour l'accès à des soins transaffirmatifs, les médecins évoquent le potentiel regret des interventions désirées, malgré des taux de satisfaction élevés. Ces réalités ne doivent pas être réduites l'une à l'autre, mais elles engagent de puissants mécanismes médicaux et légaux analogues.

Pour un mouvement transféministe

Replacer le corps au centre des préoccupations du mouvement trans permet non seulement de tisser des solidarités avec le mouvement intersexe, mais également avec les mouvements antiraciste, féministe, anticapacitiste et décolonial. En fait, ces préoccupations prises dans leur ensemble doivent être centrales si l'on veut tenir compte de la complexité et de la diversité de nos communautés. Après tout, ce n'est peut-être pas un hasard si le premier manifeste transféministe a été écrit par une travailleuse du sexe racisée, intersexe et handicapée.

Il y a lieu de se demander ce que le jugement Moore aura apporté aux personnes trans, non binaires et intersexes après sept ans de procédures judiciaires. Il est encore difficile d'en évaluer les impacts, mais il est certain qu'il aura offert une opportunité sans précédent à un gouvernement populiste et conservateur de se faire du capital politique à notre dépend.

Avoir une approche transféministe aujourd'hui demande d'être résolument intersectionnel·le. Cela demande de lutter pour la sécurité et l'intégrité des personnes trans dans tous les aspects de nos vies. Nos considérations doivent s'étendre de la décriminalisation du travail du sexe à l'abolition de la police, en passant par la restitution des territoires autochtones et la construction de logements sociaux, parce que nous sommes de tous ces horizons et que de ces luttes émergent de meilleures perspectives pour toutes les personnes trans et non binaires. La lutte contre le projet de loi 2 nous démontre que nous ne pouvons plus attendre l'avancée inexorable du progrès et que nous devons prendre le contrôle de notre agenda politique.

Notre statut de minorité protège nos identités. Mais nos corps, eux, sont toujours menacés.

Pour aller plus loin

Florence Ashley, « L'in/visibilité constitutive du sujet trans : l'exemple québécois », Canadian Journal of Law and Society / Revue Canadienne Droit et Société, 2020, vol. 35, n°2 p. 317-340
Janik Bastien-Charlebois, « Femmes intersexes : sujet politique extrême du féminisme », Recherches féministes, 2014, vol 27, n°1, p. 237-255
Emi Koyama, The Transfeminist Manifesto, 2001. Disponible en ligne.


[1] Forme inclusive de cisgenre/cissexuel. Analogue à trans, personne non trans.

[2] J'emprunte cet usage à Janick Bastien-Charlebois, professeure de sociologie à l'UQAM, afin d'inclure les personnes intersexuées (possédant des caractéristiques sexuelles non réductibles aux normes binaires) et les personnes intersexes, ces dernières adoptant une posture identitaire affirmative.

[3] Dr. Pierre Assalian, psychiatre et chef de l'unité des dysfonctions sexuelles de l'Hôpital général de Montréal, affirmait en juillet 1998, dans une entrevue pour La Presse, qu'il refusait de traiter « les homosexuels efféminés, les travestis, les hermaphrodites, les psychotiques convaincus qu'ils sont dans un corps différent, les prostitués, etc. » Le cas de Micheline Montreuil est aussi particulièrement parlant. En 2002, cette dernière n'a obtenu de la Cour d'appel que l'ajout de son prénom choisi entre ses deux prénoms masculins donnés à la naissance, après plus de trois ans de procédure judiciaire. Le changement de mention de sexe lui a été refusé parce qu'elle ne désirait pas de chirurgie génitale. Elle est systématiquement mégenrée tout au long de la procédure judiciaire.

[4] Il est important de mentionner que la binarité sexuelle est déjà imposée sur les personnes intersexes par la médecine à travers des chirurgies assimilables à de la mutilation génitale. Selon des informations obtenues par Manon Massé sous la loi sur l'accès à l'information, la RAMQ a remboursé, entre le 1er janvier 2015 et le 31 janvier 2020, 1385 chirurgies génitales effectuées sur des mineur·es de moins de 14 ans, soit avant l'âge de consentement médical.

Judith Lefebvre est libraire et militante transféministe.

Photo : Ted Eytan (CC BY-SA 2.0)

Avortement. Un droit encore à défendre

Pour répondre aux difficultés d'accès aux services en santé sexuelle, particulièrement pour l'avortement, le programme les Passeuses mise sur l'éducation pour développer (…)

Pour répondre aux difficultés d'accès aux services en santé sexuelle, particulièrement pour l'avortement, le programme les Passeuses mise sur l'éducation pour développer l'autonomie corporelle des femmes. Propos recueillis par Mat Michaud.

À bâbord ! : Qu'est-ce qui a mené à la création des Passeuses ?

Marie-Eve Blanchard : C'est un besoin d'agir ! À la suite d'expériences personnelles et professionnelles, ma collègue Mélina Castonguay, qui est sage-femme, et moi-même avions l'impression que les soins en avortement avaient été laissés dans l'oubli, comme si à force de nous battre collectivement pour le droit à l'avortement, nous avions perdu de vue l'expérience des personnes qui se trouvent au cœur de ce processus médical. Nous nous sommes demandé : les personnes qui ont recours à l'avortement, les entendons-nous ? Les espaces de prise de parole étant rares, il nous fallait aller vers elleux.

Lorsqu'on s'intéresse aux femmes et aux personnes qui ont interrompu une grossesse et qu'on leur pose des questions concernant les soins reçus, une extrême solitude se dégage de leurs récits. Comment se fait-il que nous avortions encore seul·es aujourd'hui ? Comment se fait-il que le tabou et la honte se fraient un chemin jusqu'à l'intérieur des murs où ont lieu les avortements ? Sans surprise, il y a des lacunes structurelles, organisationnelles, systémiques, culturelles, etc. Ça peut donner le vertige ! Pour le dire simplement, des notions qui gagnent de plus en plus de terrain dans le domaine de l'accouchement mériteraient d'être davantage intégrées en avortement. On peut penser au droit d'être accompagné·e dans la salle d'intervention par un·e proche, ou encore au principe de choix éclairé, le fait de prendre une décision en ayant reçu des explications complètes relatives aux interventions ou aux actes médicaux proposés.

ÀB ! : Quelles sont vos activités en lien avec l'accès à l'interruption de grossesse ?

M.-E. B. : Notre mission est de déconstruire les préjugés et de démocratiser les informations qui concernent autant le droit à l'avortement que les méthodes et leur déroulement. Nous nous y prenons en formant des professionnel·les de divers horizons en vue de l'accompagnement à l'interruption de grossesse (IG). Nous dirigeons ensuite les femmes et les personnes enceintes qui font appel à ce service d'accompagnement vers les doulas (ou accompagnant·es) que nous avons certifié·es.

ÀB ! : Qu'est-ce qui distingue les régions éloignées des centres urbains lorsqu'il est question d'accès à l'IG ?

M.-E. B. : Lorsqu'on consulte la carte interactive des quelque 50 points de services en avortement au Québec sur le site internet de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), on s'aperçoit qu'ils sont concentrés en très grande majorité dans le sud de la province. Au Québec, on se félicite du nombre de points

d'accès qui existent : à elle seule, la province offre la moitié de tous les services d'avortement du pays. Mais ces services, sont-ils accessibles à tous·tes ? Non. Des régions entières ne sont pas desservies !

Et parmi les services disponibles, plusieurs offrent l'avortement une ou deux journées par semaine seulement. Un processus d'avortement demande habituellement de deux à cinq rendez-vous et le délai d'attente pour obtenir le premier varie d'une à trois semaines, selon les périodes de l'année et les cliniques. Le processus d'obtention d'un service d'avortement m'apparaît plus compliqué en région qu'à Montréal, Québec ou Sherbrooke. Rappelons qu'environ 40 % des personnes qui demandent un service d'avortement ont déjà au moins un enfant. Celles-ci pourraient avoir à réorganiser le retour à l'école de leur enfant, avoir à préparer en plus des collations ou repas, etc. Ça complexifie significativement l'accès.

Un autre écueil observé – soulevé dans un rapport de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) –, c'est le manque de formation des professionnel·les de la santé et des services sociaux qui travaillent dans d'autres secteurs que celui de l'interruption de grossesse, mais qui doivent par exemple diriger des personnes enceintes vers des ressources spécialisées ou donner des informations concernant les services d'avortement de leur région. À cause d'un manque de connaissances, il arrive que des informations fausses ou erronées soient transmises. Cela peut entraîner de graves conséquences, par exemple en prolongeant inutilement le délai pour obtenir une interruption de grossesse ou, pire, en dirigeant sans le savoir la personne vers une ressource anti-choix.

Au Canada, l'avortement est un droit du premier au troisième trimestre de grossesse. Au Québec, nous nous sommes organisé·es pour garantir ces soins durant toute la grossesse. Avec les Passeuses, nous avons formé des infirmières qui étaient étonnées d'apprendre qu'il n'y avait aucune limite quant au nombre de semaines de grossesse pour avorter. Elles ne l'avaient jamais appris ! Les informations sont connues par celleux qui travaillent en avortement et en défense du droit à l'avortement ou par les universitaires qui s'intéressent au sujet.

ÀB ! : Quelles seraient les solutions pour améliorer l'accès à l'avortement ?

M.-E. B. : Il faudrait que le Québec déploie à la grandeur de son territoire l'accès au soin d'avortement médicamenteux, aussi connu sous le nom de « pilule abortive », mais le déploiement de cette méthode, autorisée par Santé Canada, est freiné par le Collège des médecins du Québec qui impose ses règles.

Au Canada, pendant la pandémie, des consultations médicales se sont faites par télémédecine plutôt qu'en cabinet. L'avortement n'a pas échappé à cette réorganisation, fort heureusement ! Or, une étude réalisée par des chercheuses de l'Université de la Colombie-Britannique a révélé qu'au cours des deux dernières années, l'accès à l'avortement a augmenté partout au Canada, sauf au Québec. L'étude pointe du doigt le Collège des médecins, qui n'a pas daigné revoir ses règles pendant la pandémie, ce qui aurait été nécessaire pour permettre l'avortement médicamenteux prescrit par télémédecine.

Des données probantes nombreuses et récentes attestent de la sécurité et de l'efficacité de la pilule abortive lorsqu'elle est offerte par télémédecine. Des provinces canadiennes le font, ainsi que d'autres pays comme la France, l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Ce qui ressort d'études portant sur la pilule abortive, c'est que cette méthode accroît l'accès à l'avortement et réduit le délai d'attente pour obtenir le service. Les grossesses sont interrompues plus précocement. Alors que le Québec se targue d'être la province championne en matière d'accessibilité, là, on est en train de manquer un gros bateau.

Les règles qui freinent ce déploiement et qui sont maintenues en place par le Collège des médecins ne s'appuient sur aucune donnée probante. Plusieurs expert·es dénoncent ça. Ces règles seraient-elles idéologiques ? J'en ai bien peur.

L'écart d'accès à l'avortement entre les diverses régions du Québec creuse les inégalités entre les personnes enceintes elles-mêmes. Le Collège des médecins a un fort rôle à jouer. En maintenant son statu quo, il prive un grand nombre de personnes d'une option qui pourrait venir diminuer les embûches dans leur parcours d'interruption de grossesse. C'est du paternalisme médical !

Marie-Eve Blanchard est cofondatrice des Passeuses.

Photo : Haru__q (CC BY-SA 2.0)

13 syndicats québécois demandent à Trudeau d’annuler la suspension du financement à l’UNRWA

24 février 2024, par Communications CISO
Lettre ouverte de 13 syndicats membres du Centre international de solidarité ouvrière Le très honorable Justin Trudeau Premier ministre du Canada justin.trudeau@parl.gc.ca (…)

Lettre ouverte de 13 syndicats membres du Centre international de solidarité ouvrière Le très honorable Justin Trudeau Premier ministre du Canada justin.trudeau@parl.gc.ca Objet : Annulation de la suspension du financement à l’UNRWA Monsieur le Premier Ministre, Au nom du Centre international (...)

Entente adoptée et bilan incertain pour le Front commun

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/02/409062380_1073857707367086_8742915920655994196_n-1-e1708730398114-1024x577.png23 février 2024, par Comité de Montreal
Alors que les assemblées de vote sur l'entente de principe obtenue par le Front commun sont maintenant terminées, l'heure est au bilan. L'entente intersectorielle qui prévoit (…)

Alors que les assemblées de vote sur l'entente de principe obtenue par le Front commun sont maintenant terminées, l'heure est au bilan. L'entente intersectorielle qui prévoit une augmentation d'au moins 17,4% sur 5 ans a été entérinée par les membres de la FTQ, CSN, CSQ et APTS à la hauteur de (...)

Le contrat racial

23 février 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Le mois de février est marqué par l’édition 2024 du Mois de l’Histoire des Noirs (MHN) dans Rimouski-Neigette. Le (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Le mois de février est marqué par l’édition 2024 du Mois de l’Histoire des Noirs (MHN) dans Rimouski-Neigette. Le thème de cette année est « plusieurs nuances, une histoire ». En effet, Accueil et Intégration BSL propose sa nouvelle (...)

Le numéro 27 de la publication "Soutien à l’Ukraine résistante" est disponible pour un téléchargement gratuit

23 février 2024, par Editions Syllepse — , ,
Les éditions Syllepse ont publié le numéro 27 des cahiers de "Soutien à l'Ukraine résistante" en téléchargement gratuit. Suivez le lien pour vous procurer votre exemplaire. (…)

Les éditions Syllepse ont publié le numéro 27 des cahiers de "Soutien à l'Ukraine résistante" en téléchargement gratuit. Suivez le lien pour vous procurer votre exemplaire.

Vous y retrouverai notamment les textes suivants :

Déclaration du RESU : Un triste anniversaire

Un appel de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine

Un texte du comité français du RESU : Soutenir plus que jamais la résistance populaire armée et non armée en Ukraine

Un texte commun de la plupart des centrales syndicales de France : Pour une paix juste et durable : solidarité avec la résistance des travailleuses et des travailleurs ukrainiens

Un texte d'Hanna Perekhoda : Ukraine an III

Et plusieurs autres.

Pour télécharger le cahiers 27 des Brigades éditoriales de solidarité

Gaza : le syndicat des professeur.es de l’UQAM (SPUQ) interpelle sa direction et la CSN

23 février 2024, par Camille Popinot — , ,
Il est exceptionnel que des organisations syndicales de « base » se prononcent sur des questions de politique étrangère et plus encore sur des conflits armés. C'est parfois (…)

Il est exceptionnel que des organisations syndicales de « base » se prononcent sur des questions de politique étrangère et plus encore sur des conflits armés.

C'est parfois le cas relève un spécialiste du syndicalisme étatsunien, Dan La Botz, quand ces questions deviennent un enjeu localement, « quand elles ont un impact direct sur l'emploi » ou sur le financement des services publics.

C'est avec ces éléments historiques en tête qu'il convient de mentionner deux résolutions provenant de la « base » syndicale au Québec. La première est une résolution de l'exécutif du Syndicat des travailleuses(eurs) des centres de la petite enfance de Montréal (STCPEML-CSN) adoptée le 28 novembre 2023 qui demande un cessez-le-feu immédiat et appuie des activités d'éducation populaire sur l'occupation et la colonisation de la Palestine , notamment.

La seconde résolution a été adoptée à l'unanimité le 16 février 2024 par le Conseil syndical du Syndicat des professeurs et des professeures de l'Université du Québec à Montréal (SPUQ-UQAM). Les délégué.es des 1 200 membres affirment notamment leur solidarité avec les syndicats et les organisations de la société civile tant en Palestine qu'en Israël qui sont en faveur d'un cessez-le feu immédiat et dénoncent la prolifération de propos et gestes racistes, antisémites, antipalestiniens, islamophobes.

Au-delà de ces déclarations, le Conseil syndical interpelle directement le Conseil d'administration, la Fondation et les responsables des fonds de pension (des retraites) de l'UQAM et leur demande de procéder à « un examen de leurs engagements et placements financiers pour s'assurer qu'ils ne contribuent pas au soutien d'entreprises et d'activités économiques directement liées à la poursuite des hostilités à Gaza ».

Le Conseil syndical demande également à la CSN, la Centrale syndicale qui représente plus de 320 000 travailleurs et travailleuses, « de solliciter et de coordonner des dons de la part de ses organisations membres en vue d'une contribution commune au fonds d'urgence de l'Organisation internationale du travail pour les personnes travailleuses à Gaza ».

Enfin, le Conseil syndical dénonce les autorisations de ventes d'armes à Israël par le Gouvernement canadien et demande « à la CSN de s'impliquer énergiquement dans le mouvement de dénonciation de ces autorisations ».

Cette dernière résolution syndicale a été adoptée le jour même où la Cour internationale de justice notait « que les évènements intervenus tout récemment dans la bande de Gaza, et en particulier à Rafah, “entraineraient une aggravation exponentielle de ce qui est d'ores et déjà̀ un cauchemar humanitaire aux conséquences régionales insondables” ». La CIJ estimait également que la situation exigeait « la mise en œuvre immédiate et effective des mesures conservatoires indiquées par la Cour dans son ordonnance du 26 janvier 2024 » et rappelait que « l'État d'Israël demeure pleinement tenu de s'acquitter des obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide ».

D'autres syndicats "de base" ont peut être adopté des résolutions sur le sujet. Nous n'en savons rien. On ne sait pas non plus le suivi qui sera fait de ces résolutions. Mais, compte tenu du silence quasi-absolu du patronat, des gestionnaires de fonds de pension et des centrales syndicales depuis le 7 octobre 2024, ces deux résolutions de la « base syndicale » nous semblaient mériter d'être rappelées.

Camille Popinot

Illustration : CISO, https://www.ciso.qc.ca

Les fils (des batteries) se touchent !!!

Rien ne sert de se précipiter dans le vide de l'ignorance et de faire comme si de rien n'était. Même un enfant sait tout ça depuis qu'il a lu Les habits neufs de l'empereur ; (…)

Rien ne sert de se précipiter dans le vide de l'ignorance et de faire comme si de rien n'était. Même un enfant sait tout ça depuis qu'il a lu Les habits neufs de l'empereur ; celui qui parade flambant nu comme s'il était vêtu des atours les plus fins. Legault, Guilbeault et combien d'autres persistent et signent tandis que des filous tels Northvolt leur ont affirmé que seuls les gens intelligents avaient la capacité de percevoir une telle étoffe miracle !

Le mirage de la batterie électrique (je me rappelle encore les Cent tours de Cent tours où le sorcier en guenilles, en actionnant le commutateur, croyait faire apparaitre la lumière !) constitue une somptueuse arnaque pour faire avaler l'auto solo (elle se répand comme une trainée de poudre à grandeur de notre pauvre planète d'individualistes acharnés) qui, à elle seule nous mène, « librement » droit dans le mur. Ça suffit de tergiverser et de nous jouer des mécanismes qui évoquent le trombone à coulisse ou le nez de Pinocchio. Un chat est bel et bien un chat et Northvolt une crosse monumentale… Plus ça coûte cher plus on devrait comprendre qu'on nous prend pour des imbéciles et envoyer les filous – politiciens et valets du capital – dans l'espace sidéral plutôt que de les suivre encore dans des histoires emberlificotées, aveuglé par des autoroutes stupidement élargies ou les énièmes liens du troisième type.

C'est trop clair : Northvolt ne crée que de l'esbroufe et nous dénude avec emphase en commençant pas un bon coup de déforestation pour le « progrès ». Il faut cesser de jouer à l'expert en se réappropriant les simples additions et soustractions pour que la lumière réapparaisse, de jouer à cache-cache avec le BAPE qui, trop souvent, sert à cautionner l'inacceptable en faisant promettre d'acheter du carbone ou de planter des chicots en contrepartie. Non, il faut cesser de mentir – on ne peut pas tout acheter. Écœurer de se faire asservir – tirons sur la plogue et, redémarrons massivement un transport en commun autre que des tartes à la crème (euh… REM) !

Ramon Vitesse, Biblio vélo

Image : Pixabay

Toujours dénoncé par les groupes communautaires, syndicats et comités logement

21 février 2024, par Comité de Montreal
Le projet de loi 31 a été annoncé l'été dernier par la ministre de l'habitation du Québec France-Élaine Duranceau. Malgré les nombreuses manifestations et critiques de la part (…)

Le projet de loi 31 a été annoncé l'été dernier par la ministre de l'habitation du Québec France-Élaine Duranceau. Malgré les nombreuses manifestations et critiques de la part de syndicats et d'organisations de locataires, le projet de loi permettant notamment aux propriétaires de refuser les (...)

Des immigrants et des papillons

21 février 2024, par PTAG — , ,
« Des immigrants et des papillons, est un documentaire de 52 minutes abordant en toute liberté, une question brûlante d'actualité : celle de l'immigration au Québec, mais au (…)

« Des immigrants et des papillons, est un documentaire de 52 minutes abordant en toute liberté, une question brûlante d'actualité : celle de l'immigration au Québec, mais au fil d'une passionnante conversation, menée à multiples voix entre gens d'ici et nouveaux arrivants, et touchant aux difficiles défis d'un vivre ensemble qui serait co-construit autant par les uns que par les autres.
Le projet, fruit d'une collaboration étroite entre le réalisateur et producteur audio-visuel Rodrigo Rodriguez, et le sociologue et essayiste, Pierre Mouterde — tous deux immigrants, mais l'un arrivé au Québec en 2011 et l'autre en 1973— a pris forme en décembre 2021 et a pu être finalisé en novembre 2023. »
(Site de Rodrigo Rodriguez)

Entrevue avec Pierre Mouterde et Rodrigo Rodriguez sur leur film

Le film fait parler dans un premier temps, les personnes immigrantes sur les politiques des gouvernements canadien et québécois et sur leur vécu dans la société québécoise. Dans un deuxième temps, des personnes représentant la société d'accueil nous livrent leurs réflexions sur la société québécoise comme société d'accueil : ouverture, fermeture, xénophobie… Le film vise à permettre une prise de parole citoyenne sur la réalité de l'immigration dans la société québécoise.

Comment être véritablement allié ?

21 février 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Le Mois de l’Histoire des Noirs de l’édition 2024 a déjà commencé dans Rimouski-Neigette, avec la belle programmation (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Le Mois de l’Histoire des Noirs de l’édition 2024 a déjà commencé dans Rimouski-Neigette, avec la belle programmation d’Accueil et Intégration BSL sur le thème de « plusieurs nuances, une histoire ». Pour contribuer à l’émergence d’un (...)

Déclaration bilan de clôture du FSM 2024 par le comité d’organisation népalais

20 février 2024, par Collectif québécois En route pour le FSM 2024 au Népal
Alors que la foule se déplaçait dans le centre de Katmandou jeudi, la taille du rassemblement était massive, mais c’est la diversité des participant.es qui s’est distinguée (…)

Alors que la foule se déplaçait dans le centre de Katmandou jeudi, la taille du rassemblement était massive, mais c’est la diversité des participant.es qui s’est distinguée lors de la marche de solidarité de la 16e édition du Forum social mondial (FSM) 2024. Des vagues et des vagues de personnes (…)

Ce qui se joue à travers le voile des Iraniennes

20 février 2024, par Revue Droits et libertés

Ce qui se joue à travers le voile des Iraniennes

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024

Yalda Machouf Khadir, Avocate et militante iranienne Le 6 octobre dernier Nargess Mohammadi, militante féministe iranienne, se voyait octroyer le prix Nobel de la paix pour son combat en faveur des droits humains et contre l’oppression des femmes en Iran. Puis ce fut le tour de Jîna (Mahsa) Amini et le mouvement Femme, Vie, Liberté de recevoir le Prix Sakharov, soulignant leur contribution à la lutte pour la défense des droits de la personne et des libertés fondamentales. Si cette double distinction est l’expression d’un soutien important de la part de la communauté internationale, cette dernière peine toujours à sortir du symbolisme et à offrir une aide concrète à la population iranienne. Le voile des Iraniennes et leur revendi­cation au droit à l’autodétermination de leur corps ont été le point focal de cette révolution inachevée : le voile imposé a embrasé la poudrière iranienne, et femmes et filles sont devenues les porte­ étendards du mouvement de contestation. Mais lorsque les femmes prennent les rues et brûlent leur voile, symbole de la ségrégation de genre et pilier de la théocratie iranienne, c’est l’ensemble du système politique en place qu’elles défient. Les revendications du mouvement porté par le slogan Jîn Jian Azadi (Femme, Vie, Liberté) dépassent ainsi largement cette question. Il s’agit d’un mouvement d’émancipation qui s’inscrit dans un cycle de soulèvements que connaît l’Iran depuis 2009 et qui porte en lui des revendications multiples, dont la liberté politique, la justice sociale et environnementale, la laïcisation et la démocratisation de l’État, ainsi que la pleine reconnaissance des minorités ethniques et de genres.

Brutalité de la violence étatique

Le mouvement Femme, Vie, Liberté a donné lieu à une unité historique au sein de la société civile iranienne, notamment entre les courants féministes, ouvriers et les groupes de défense des droits des minorités ethniques. Une coalition de vingt organisations féministes, syndicales et de la société civile iranienne publiait ainsi, dès février 2023, une déclaration commune visant à jeter les bases d’un nouveau contrat social fondé sur douze principes minimaux, commençant par la libération inconditionnelle immédiate de tou­-te­-s les prisonnier­-ière­-s politiques et l’imputabilité des responsables de la répression étatique actuelle et passée1. C’est ainsi qu’en l’espace de quatre mois, 165 villes des quatre coins du pays ont été le théâtre de mobilisations massives, réunissant des manifestant­-e­-s de tous âges et de toutes conditions sociales. La réponse du gouvernement iranien face à l’embrasement du pays a été des plus brutales. Selon le Human Rights Activists News Agency, organe de presse d’une orga­nisation indépendante de défense des droits de la personne opérant depuis l’Iran, cette répression féroce a fait en quatre mois plus de 530 morts et conduit à 19 763 arrestations, dont celle de 181 enfants2. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de la personne en Iran, Javaid Rehman, décrivait dans son rapport rendu public en février 2023 une situation très alarmante faisant notamment  état de torture et de mauvais traitements, y compris des violences sexuelles, à l’endroit des manifestant­-e­-s, d’emploi illégal de la force létale et d’exécutions d’enfants3. Face à la brutalité de la violence étatique, le mouvement de contestation qui défiait ouvertement le pouvoir dans la rue, a battu en retraite. Reste à voir si ce repli tactique lui permettra de trouver de nouvelles façons de se déployer. Car si dans les faits aucun changement structurel ne s’est encore opéré en   Iran, la dynamique sociale a irrémédiablement changé et paraît nettement favorable aux Iraniennes qui s’octroient plus de libertés en dépit de toutes les tentatives du pouvoir reli­gieux d’imposer des restrictions par de nombreuses mesures de   rétorsion et de répression.

Crise persistante

Mais plus important encore, la crise sociale et économique qui a instigué ce mouvement est loin d’être résolue et atteint des sommets inégalés. Un taux d’inflation vertigineux frisant les 50 %4, couplé à un taux de chômage de 11 % en 2022 — le taux de chômage chez les femmes étant supérieur de 7 points de pourcentage à celui des hommes5, accentuant ainsi la fracture sexuelle systémique — rend le quotidien des Iranien­-ne­-s insoutenable. Tout cela s’ins­crit sur fond de corruption endémique et de dévastation environnementale qui sévit d’autant plus fort que le pouvoir est dopé par la rente des ressources premières. La théocratie iranienne qui a longtemps bénéficié d’un appui populaire reposant sur la ferveur religieuse doit, face au déclin de sa base historique, compenser par un clientélisme politique de plus en plus marqué. La vision extractiviste des ressources environnementales du pays, couplée à la nécessité de l’État de financer un appareil de répression coûteux, accen­tue la crise environnementale à laquelle l’Iran fait face. De plus, la construction intensive de barrages et le détournement des ressour­ces hydrauliques du pays pour alimenter ses industries agricoles et pétrolières dévastent champs et campagnes, en plus de causer des pénuries d’eau importantes au pays. L’assèchement des lacs, rivières et marais perturbe l’ensemble de l’écosystème et représente aujourd’hui une dimension particulièrement aiguë de cette crise environnementale. La pollution urbaine est également une préoccupation importante, alors que l’Iran affiche parmi les pires indices de qualité de l’air au monde6. Nulle surprise de voir l’environnement comme terrain de mobilisation de la contestation du pouvoir. L’horizon n’est guère plus positif sur le plan social. De nouvelles dispositions législatives visant à contraindre le port du voile sont à l’étude. Elles prévoient de nouvelles formes de surveillance dans l’espace virtuel, un durcissement des sanctions en cas de non-­respect du port du voile, un élargissement des mesures pénales aux entreprises, en plus d’encourager la délation au sein de la population7. La répression se fait aussi sentir au sein de l’appareil judiciaire. Le 17 octobre dernier, l’avocat de la famille de Jîna Amini, Saleh Nibakht, se voyait infliger un an de détention pour propagande contre l’État8. Moins d’une semaine plus tard, le 23 octobre, Niloofar Hamedi et Elahe Mohammadi, les deux journalistes ayant couvert la mort en détention de Jîna Amini recevaient des peines respectives de 13 et 12 ans de détention au terme de procès iniques où on leur reprochait d’avoir « collaboré avec un état ennemi, à savoir les États-­Unis », de « rassemblement et collusion contre la sécurité nationale » et d’avoir fait de la « propagande contre l’État »9.

Intensification de la peine de mort

On observe également depuis le début du mouvement une intensification du recours à la peine de mort par le systè­me judiciaire. Les contestataires, inculpés pour des infractions vagues et imprécises comme moharabe (inimitié avec Dieu) et efsad-e fil-arz (corruption sur Terre), en sont une cible évidente10. Les plus grandes victimes de cette pratique pros­crite par le droit international restent cependant les personnes condamnées pour des infractions liées au trafic de stupéfiants, des personnes provenant majoritairement de minorités ethniques cibles de discriminations systémiques et de communautés défavorisées sur le plan socioéconomique. Selon le plus récent recensement d’Amnistie internationale, au moins 282 personnes ont été exécutées en Iran en 2023, tous crimes confondus11. Au lendemain du décès de la jeune Armita Garavand, cette adolescente de 17 ans décédée le 29 octobre dans des circonstances qui rappellent doulou­reusement celui de Jîna Mahsa Amini, force est de constater que la marche vers la révolution politique et sociale initiée par les Iranien­-ne­-s sera plus longue qu’anticipé. Malgré les contrecoups et le fort prix payé par les opposant­-e-­s du régime, la population iranienne est déterminée à la mener à terme. Il peut sembler périlleux d’articuler son soutien à la lutte des Iranien­-ne-­s dans un contexte politique marqué par une montée du nationalisme identitaire et de l’islamophobie. C’est sans doute ce qui explique le manque d’enthousiasme des courants féministes québécois face à ce mouvement qui l’est pourtant résolument, tant par ses revendications que par sa forme. Pour sortir de cette impasse et tisser des liens de solidarité, il faut comprendre la multiplicité des revendications du mouvement Femme, Vie, Liberté et se rappeler que le voile n’est que le symbole de la structure politique que l’on cherche à renverser. Quelques pistes d’actions ont été dégagées par les initiatives de luttes qui ont pris origine dans la diaspora iranienne en appui au mouvement, dont le Collectif Femme Vie Liberté de Montréal :
  • Isoler le gouvernement iranien et le priver de ses liquidités : depuis octobre 2022, le gouvernement canadien s’est mis à la tâche en amendant les dispositions réglementaires régissant les sanctions économiques imposées au pays, pour élargir son champ d’application à des entités et personnes ayant participé à des violations graves et systémiques des droits de la personne en Iran12.
  • Empêcher l’établissement au Canada et ailleurs des membres de l’appareil d’État iranien, de même que des oligarques iraniens et de toutes les personnes responsables de violations de droits de la personne en
  • Contribuer à traduire en justice les auteurs de ces violations en appliquant le principe de compétence universelle13.
  • Aider les Iranien­-ne­-s fuyant la persécution politique à trouver un refuge durable, notamment par la mise en place de programmes spéciaux de parrainage.

  1. Le Club Mediapart, Femme, Vie, Liberté ! Les organisations indépendantes syndicales et civiles, 20 février 2023. En ligne : https://blogs.mediapart.fr/patricio-paris/blog/200223/iran-femme-vie-liberte-les-organisations-independantes-syndicales-et-civiles
  2. Human Rights Activists News Agency, Iran Nationwide Protests after 157 Days: a Preliminary Summary of the Mass Releases, 21 février 2023. En ligne : https://www.en-hrana.org/iran-nationwide-protests-after-157-days-a-preliminary-summary-of-the-mass-releases/
  3. Javaid Rehman, Situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran – Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, 7 février 2023. En ligne : https://www.ohchr.org/fr/documents/country-reports/ahrc5267-situation-human-rights-islamic-republic-iran-report-special
  4. International Monetary Fund, Country Data – Islamic Republic of Iran, octobre 2023. En ligne : https://www.imf.org/en/Countries/IRN#
  5. Groupe Banque mondiale, Data – Chômage, femmes (% de la population active féminine) (estimation modélisée OIT) - Iran, Islamic et Chômage, hommes (% de la population active masculine) (estimation modélisée OIT) - Iran, Islamic Rep. En ligne : https://donnees.banquemondiale.org/pays/iran-republique-islamique-d
  6. IQAir, 2022 World Air Quality Report - Region & City 5 Ranking, 47 pages.
  7. Al Jazeera Media Network, Iran’s parliament approves ‘hijab bill’; harsh punishments for violations, 20 septembre 2023. En ligne: https://www.aljazeera.com/news/2023/9/20/irans-parliament-approves-hijab-bill-harsh-punishments-for-violations
  8. Center for Human Rights in Iran, Blind Human Rights Lawyer Disappears in Iran, 19 octobre 2023. En ligne : https://iranhumanrights.org/2023/10/blind-human-rights-lawyer-disappears-in-iran/
  9. Human Rights Activists News Agency, Journalists Niloofar Hamedi and Elahe Mohammadi Sentenced to a Combined 25 Years in Prison, 23 octobre 2023. En ligne : https://www.en-hrana.org/journalists-niloofar-hamedi-and-elahe-mohammadi-sentenced-to-a-combined-25-years-in-prison/
  10. Javaid Rehman, op.é cit., p.15.
  11. Amnesty International, Frénésie d’exécutions dans les prisons pour des infractions liées aux stupéfiants : les chiffres ont quasiment triplé cette année, 2 juin 2023. En ligne : https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/06/iran-prisons-turned-into-killing-fields-as-drug-related-executions-almost-triple-this-year/
  12. Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran, DORS/2010-165, art. 2, par a.1).
  13. En ligne : https://www.amnesty.fr/focus/competence-universelle
 

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Quel respect des droits humains avec l’identité numérique ?

20 février 2024, par Revue Droits et libertés

Quel respect des droits humains avec l’identité numérique?

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024

Anne Pineau, Membre du comité Surveillance des populations, intelligence artificielle et droits humains Selon une enquête réalisée par l’Académie de la transformation numérique (Université Laval) « moins de la moitié des inter­nautes québécois connaissent les concepts d’identité numérique (44 %) et de portefeuille numérique gouvernemental (45 %)1 ». Et seulement 40 % des adultes internautes affichent de l’intérêt « pour installer une carte d’identité numérique sur leur téléphone intelligent ». Malgré ce désintérêt ou cette méconnaissance, le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, avance à marche forcée dans son projet d’identité numérique (IN).

Manque de transparence

Il y a un an, le 24 octobre 2022, les commissaires à la protection de la vie privée de tout le Canada publiaient une résolution concernant les systèmes d’identité numérique2. Elle énonce les exigences que devraient respecter les gouvernements en la matière3. Au Québec, la Commission d’accès à l’information, signataire de la résolution commune, précisait dans un communi­qué que « le gouvernement doit faire preuve de transparence à toutes les étapes de la réalisation du projet d’identité numérique en sollicitant la participation citoyenne par des consultations élargies, comme l’ont fait certaines provinces »4. Or, force est de constater que le projet de Service québécois d’identifiant numérique (SQIN) se développe actuellement sans débat, et qu’à plusieurs égards, il ne respecte pas les exigences de la résolution : éventuelle utilisation de la biométrie, manque de consultation, absence d’enca­drement légal précis.

Service québécois d’identité numérique (SQIN)

Un mémoire déposé au Conseil des ministres sur le SQIN en décembre 20215 apporte certaines informations : la « solution d’affaires » vise l’élaboration d’un document d’identité numérique gouvernemental faisant autorité auprès des tiers (public ou privé). Cette identité serait supportée par un portefeuille numérique (application mobile) permet­ tant de conserver des cartes, permis et attestations d’identité diverses. Une vérification d’identité « bonifiée » par l’utilisation potentielle de la biométrie, par exemple la reconnaissance faciale, est prévue. Le système aurait un registre doté d’un processus de vérification d’identité de toutes les personnes résidant au Québec.

En trois volets

Le Service d’authentification gouverne­ mentale (SAG), l’étape 1 du projet SQIN, est une « solution d’authentification » qui permettra aux individus d’accéder en ligne à des services gouvernementaux et de consulter à distance leurs dossiers personnels (santé, SAAQ, Revenu Québec etc.). Comme le mentionne le mémoire au Conseil des ministres, le SAG « met en place les fondements d’une identité numérique » pour les fins gouvernementales. Ce ser­vice a été inauguré dans le cadre de la transformation numérique de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), avec les résultats discutables que l’on sait. L’étape 2 du SQIN vise l’authentification des entreprises faisant affaire avec le gouvernement. L’étape 3 concerne l’ajout d’un portefeuille numérique, c’est­-à­-dire un « document d’identité numérique gouvernementale, sur un support numérique, faisant autorité et sur lequel peuvent se fier les tiers dans le cadre de programmes, de services ou d’autres activités ». Le mémoire précise que « les consommateurs de l’identité numérique disposeront d’un moyen simple, fiable et légalement reconnu de valider l’identité d’un résident du Québec avec lequel ils souhaitent faire affaire […] ». Pour mettre au point ce volet « des entreprises couvrant plusieurs domaines d’affaires (finances, télécommunications, assurances) ont été consultées » dans le but « de recueillir ou valider les besoins qui font partie intégrante de la solution proposée ». Le portefeuille s’articule donc autour des besoins des entreprises. Cette dernière phase du projet SQIN est prévue pour 2025. Le projet SQIN, dans son ensemble, soulève de nombreuses questions.

Respect des droits humains et encadrement légal

L’élaboration d’un identifiant numérique fiable et sécuritaire doit d’abord respecter le droit à la vie privée et les autres droits humains.
Le système ne devrait pas permettre la surveillance et aucun détournement de finalités ne doit être possible, ce qui implique l’adoption d’un cadre légal robuste et précis, allant bien au­-delà des lois générales de protection des renseignements personnels. Or, aucune loi particulière n’encadre le SQIN. Les commissaires à la vie privée indiquent pourtant que les nombreuses conditions qu’ils posent à l’établissement d’un tel système d’IN devraient « être intégrées à un cadre législatif applicable à la création et à la gestion des identités numériques », et assorti d’interdictions, de sanctions et de recours. Le SQIN devrait aussi faire l’objet d’une évaluation et d’une surveillance par un organisme indépendant.

Sécurité et conception des systèmes : une forte dépendance au privé

Les questions de sécurité et de confiden­tialité des données sont cruciales. En cas de panne, de piratage ou d’attaques par rançongiciels du système d’identifiants, on peut craindre une paralysie des services gouvernementaux. Et qu’en sera-­t­-il en cas de vol d’identité ? Les appréhensions sont d’autant plus importantes que le gouvernement peine à recruter des experts en cybersécurité, ce qui l’amène à dépendre fortement du secteur privé. La proportion de sous­ traitants en informatique au sein du gouvernement atteignait 34,3 % en 20226, en forte hausse. L’utilisation de ressources externes augmente les coûts de même que les risques sur le plan de la confidentialité (plus de joueurs extérieurs). Le recours aux géants américains du Web, tels que Google, Amazon et Microsoft, pour l’hébergement des données ajoute aux inquiétudes, le Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act (Cloud Act) permettant aux autorités américaines d’accéder aux données hébergées (en infonuagique) par un fournisseur américain, peu importe où elles sont stockées7.

Biométrie

Selon ce que le ministre Caire a maintes fois indiqué aux médias, l’identifiant pourrait être activé par reconnaissance faciale mais au choix de l’utilisatrice ou de l’utilisateur8. Il a aussi laissé entendre que les photos du permis de conduire ou de la carte d’assurance maladie pourraient éventuel­lement être utilisées9. Plus récemment, dans le cadre de l’étude des crédits budgétaires de son ministère, le ministre déclarait qu’une consultation aurait lieu sur cette question : « Mais, pour la reconnaissance faciale, dans le SQIN, ce que je vous avais dit et ce que je vous redis, c’est qu’il y aura consultation publique. Mais, si on veut amener notre service d’identité à ce qu’on appelle un niveau trois, donc c’est un niveau supérieur au niveau de la sécurité, c’est le genre d’élément (…) qu’on devra déployer, donc, l’iden­tification par la biométrie. Et, si on ne souhaite pas ça, évidemment, si les citoyen-­ne­-s ne souhaitent pas aller là, bien, on n’ira pas10 ». Fonder un système d’identifiant gouver­nemental sur l’utilisation de la biométrie mènerait à une banalisation insidieuse de cette technologie très invasive. Et ce même si son usage demeurait facultatif. Le critère retenu par les commissaires à la vie privée dans leur résolution n’est pas celui de la volonté mais de la nécessité11. Quant à l’argument de la sécurité, les commissaires à la vie privée notent dans un autre document : « Il ne suffit pas de s’appuyer sur des objectifs généraux de sécurité publique pour justifier l’utilisation d’une technologie aussi intrusive que la reconnaissance faciale12 ». L’usage de la biométrie semble se répandre au sein du gouvernement québécois. En 2020, la Sûreté du Québec concluait un contrat avec la société Idemia pour une « solution d’empreintes digitales et de reconnaissance faciale en mode infonuagique privé ». En 2022, la SAAQ annonçait adopter elle aussi cette technologie, apparemment pour « faire le ménage » de sa banque de photos13. Si le chaos généré par la transition numérique de l’organisme a mené la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, à sus­pendre ce projet, tout indique qu’il ne s’agit que d’une pause14. L’extension pro­jetée de cette technologie à l’identifiant numérique démontre l’insouciance du gouvernement quant aux risques que fait planer cette technologie sur la vie privée et la démocratie. Comme le signalent encore les commissaires à la vie privée : « Si elle est utilisée de manière inappropriée, la technologie de recon­naissance faciale peut donc avoir des effets durables et sérieux sur la vie privée et sur d’autres droits fon­damentaux. Cela inclut des préjudices subis par certaines personnes dont les renseignements personnels peuvent être recueillis, utilisés ou communiqués, mais aussi des préjudices pour les groupes et les communautés et des préjudices sociétaux plus généraux qui découlent de la plus grande capacité des autorités à surveiller les espaces physiques et numériques dans lesquels les citoyen­-ne-­s interagissent. Il peut être difficile de limiter cette plus grande capacité de surveillance une fois qu’elle est enclenchée15 ».

Fracture numérique

Comment, enfin, garantir que l’identifiant numérique n’accentuera pas la fracture numérique d’une partie de la population ? Que le passage au gouvernement en ligne ne sera pas l’occasion de coupes sévères dans les services téléphoniques ou en personne ? Que les exclu-­e­-s du numérique ne seront pas laissés pour compte dans l’accès aux services gouvernementaux. Cet écart est déjà très préoccupant comme le signale le Protecteur du citoyen dans son dernier rapport : « (…) il existe un véritable fossé entre, d’une part, les services mis en ligne et, d’autre part, les personnes qui éprouvent des problèmes d’accès à ces modes de communication16 ».

Ailleurs dans le monde

La course à l’identifiant numérique dépasse les frontières québécoises. Le ministre Caire collabore depuis quelques années avec le fédéral et les provinces de l’Ontario et de la Colombie-­Britannique pour assurer l’interopérabilité (compatibilité) des services d’IN de chaque gouvernement17. En France, une application gouverne­mentale (France Identité Numérique) a été lancée en septembre 2023. Le gou­vernement vise une généralisation de l’IN (80 % d’utilisateurs) en 2027. L’IN n’est toutefois pas obligatoire et, fait important, l’État, devant la grogne et des avis défavorables de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, l’équivalent de la CAI pour le Québec, a dû renoncer à l’utilisation de la reconnaissance faciale18. Une IN européenne est aussi en cours d’élaboration. En février 2017, la Banque Mondiale, et d’autres entités, publiaient les Principes généraux sur l’identification pour un développement durable : vers l’ère numérique19. L’objectif officiel : offrir une forme légale d’identification permet­ tant l’accès aux services publics, aux programmes sociaux et au marché en ligne. À cela s’ajoute une initiative de la Banque mondiale (ID4D) pour fournir une gamme complète de  soutiens financiers et techniques aux niveaux national et régional en Afrique. Mais l’IN ne crée, en soi, aucun droit et l’accès à des programmes sociaux peut demeurer bien théorique, même avec un tel outil. Dans ce contexte, l’IN s’avère surtout un catalyseur de l’économie numérique, une identité « transactionnelle » comme la décrit le Center for Human Rights & Global Justice dans un texte de juin 2022. L’organisme reproche aussi à la Banque Mondiale de soutenir des projets d’IN fondés sur la biométrie. « La Banque prend soin de préciser que les données biométriques ne sont pas exigées. Mais en insistant autant sur leurs avantages dans toute sa documentation, l’initiative ID4D a contribué à normaliser l’utilisation extensive de la biométrie dans les systèmes d’identification nu­mérique20 ». [Traduction libre] Coïncidence ? Secure Identity Alliance (SIA), qui compte parmi ses membres les principales entreprises de biométrie, en­dosse les Principes généraux sur l’identification établis par la Banque Mondiale.

Conclusion

L’identité numérique soulève nombre d’enjeux de droits humains : vie privée, protection des données, anonymat, surveil­lance, cybersécurité, inégalités, démocratie, relation des citoyen­-ne­-s avec l’État, accès aux programmes sociaux, etc. Autant de défis qui justifient amplement la tenue d’un débat public, démocratique et éclairé sur l’ensemble du projet d’iden­tifiant numérique, comme le réclament de nombreux experts et organisations, dont la Ligue des droits et libertés.
  1. Académie de la transformation numérique. Les services gouvernementaux en ligne et l’identité numérique (2021). 27 avril 2022. En ligne :  https://transformation-numerique.ulaval.ca/enquetes-et-mesures/netendances/les-services-gouvernementaux-en-ligne-et-lidentite-numerique-2021
  2. Assurer le droit à la vie privée et la transparence dans l’écosystème d’identité numérique au CanadaRésolution des commissaires à la protection de la vie privée fédéral, provinciaux et territoriaux et des ombudsmans qui assument une fonction de surveillance dans le domaine. En ligne : https://www.priv.gc.ca/fr/a-propos-du-commissariat/ce-que-nous-faisons/collaboration-avec-les-provinces-et-les-territoires/resolutions-conjointes-avec-les-provinces-et-territoires/res_220921_02
  3. Notamment : participation volontaire des individus; contrôle des personnes sur leurs renseignements; ne pas utiliser de données biométriques sauf nécessité; le système ne devrait pas permettre le traçage ni créer de bases de données centralisées; transparence et encadrement légal du système d’IN incluant des droits de recours pour les citoyen-ne-s.
  4. En ligne : https://www.cai.gouv.qc.ca/identite-numerique-canada-organismes-de-surveillance-demandent-aux-gouvernements-dassurer-le-droit-a-la-vie-privee-et-la-transparence-dans-leurs-projets-et-systemes
  5. En ligne : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/gouvernement/MCE/dossiers-soumis-conseil-ministres/2021-0227_memoire.pdf
  6. Nicolas Lachance, Une transformation numérique sans expertise et sans effectifs pour Éric Caire, Journal de Montréal, 25 avril 2023. En ligne : https://www.journaldemontreal.com/2023/04/25/une-transformation-numerique-sans-expertise-et-sans-effectifs-pour-eric-caire
  7. Rousseau, La souveraineté numérique en agroalimentaire au Canada et au Québec, CIRANO, 16 février 2021. En ligne : https://cirano.qc.ca/files/publications/2021PE-03.pdf
  8. Nicolas Lachance, Identité numérique des Québécois: la reconnaissance faciale ne sera pas obligatoire, Journal de Québec, 25 février 2022. En ligne : https://www.journaldequebec.com/2022/02/25/identite-numerique-des-quebecois-la-reconnaissance-faciale-ne-sera-pas-obligatoire
  9. Stéphane Rolland, La Presse canadienne, Des documents financiers seront-ils associés à nos futures identités numériques au Québec?, Le Devoir, 7 janvier 2022. En ligne : https://www.ledevoir.com/politique/quebec/658875/des-documents-financiers-seront-ils-associes-a-nos-futures-identites-numeriques-au-quebec?
  10. Journal des débats de la Commission des finances publiques, Vol. 47 N° 21, Étude des crédits budgétaires du ministère de la Cybersécurité et du Numérique, 26 avril 2023. En ligne : https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cfp-43-1/journal-debats/CFP-230426.html
  11. « La collecte ou l’utilisation de renseignements particulièrement intimes, sensibles et permanents, comme les données biométriques, ne devraient être envisagées que s’il est démontré que d’autres moyens moins intrusifs ne permettent pas d’atteindre l’objectif poursuivi; »
  12. Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Document d’orientation sur la protection de la vie privée à l’intention des services de police relativement au recours à la reconnaissance faciale, mai 2022, 62.
  13. Nicolas Lachance, Après ses ratés informatiques, la SAAQ se lance dans la reconnaissance faciale, Journal de Québec, 4 avril 2023. En ligne : https://www.journaldequebec.com/2023/04/04/la-saaq-utilisera-la-reconnaissance-faciale-pour-prevenir-les-fraudes
  14. Nicolas Lachance, Reconnaissance faciale à la SAAQ: Guilbault demande la suspension du projet, Journal de Québec, 4 avril 2023. En ligne : https://www.journaldequebec.com/2023/04/04/reconnaissance-faciale-a-la-saaq-guilbault-demande-la-suspension-du-projet
  15. Document d’orientation sur la protection de la vie privée à l’intention des services de police relativement au recours à la reconnaissance faciale. Précité. par. 14
  16. Rapport annuel 2022-2023, page 13. En ligne : https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/2023-09/rapport_annuel-2022-2023-protecteur-citoyen.pdf
  17. En ligne : https://www.newswire.ca/fr/news-releases/avancees-importantes-en-matiere-d-identite-numerique-pour-le-quebec-rencontre-des-ministres-federal-provinciaux-et-territoriaux-sur-la-confiance-numerique-et-la-cybersecurite-869739478.html
  18. Louis Adam, France Identité numérique veut faire oublier ZDNET, 2 mai 2022.En ligne : https://www.zdnet.fr/actualites/france-identite-numerique-veut-faire-oublier-alicem-39941353.htm
  19. En ligne : https://thedocs.worldbank.org/en/doc/423151517850357901-0190022018/original/webFrenchID4DIdentificationPrinciples.pdf
  20. Center for Human Rights and Global Justice, NYU School of Law, Paving a Digital Road to Hell? A Primer on the Role of the World Bank and Global Networks in Promoting Digital ID, juin 2022. En ligne : https://chrgj.org/wp-content/uploads/2022/06/Report_Paving-a-Digital-Road-to-Hell.pdf
 

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Grand rassemblement pour soutenir les professionnelles en soin

20 février 2024, par Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) —
Le 16 mars prochain, nous nous retrouverons à Québec pour le plus grand rassemblement de professionnelles en soins de la FIQ en soutien à la négociation nationale. Venez (…)

Le 16 mars prochain, nous nous retrouverons à Québec pour le plus grand rassemblement de professionnelles en soins de la FIQ en soutien à la négociation nationale.

Venez manifester parce qu'il faut que ça bouge à la table de négo. Rappelons au gouvernement du Québec que nous sommes toujours en négociation et que les professionnelles en soins ont droit à une convention collective négociée qui répond à leurs attentes.

La manifestation sera suivie d'une prestation musicale.

Pour permettre à toutes de participer à l'activité, les familles de nos membres sont les bienvenues.

Quoi : « Faut que ça bouge » – Grand rassemblement FIQ

Quand : 16 mars 2024 à 12 h (midi)

Lieu de rencontre pour la manifestation : Musée national des beaux-arts du Québec (Plaines)

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Négociation dans les secteurs public et parapublic : La conférence de presse du 18 février 2024 du premier ministre François Legault

20 février 2024, par Yvan Perrier — ,
Que retenir de cette conférence de presse du premier ministre François Legault tenue le 18 février 2024 concernant le dénouement des négociations avec le Front commun (…)

Que retenir de cette conférence de presse du premier ministre François Legault tenue le 18 février 2024 concernant le dénouement des négociations avec le Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS et avec la FSE-CSQ et la FAE en éducation (niveaux élémentaire et secondaire) ?

Peu et vraiment peu sinon que pour lui il y a une chose qui prime à ses yeux : les chiffres (4000 postes d'aide à la classe et la création de 5000 postes d'enseignant.es) et l'argent (un salaire de départ de 65 000$ pouvant aller, avec l'ancienneté, jusqu'à 109,000$ ; des augmentations salariales de 18% à 27%). Le chef de la CAQ revient encore une fois à la charge avec sa vision comptable de la négociation. Le coût des ententes en éducation (FSE-CSQ et FAE) et avec le Front commun (CSN, CSQ, FTQ et APTS), sera semble-t-il élevé et c'est dans le budget des prochaines années que cela sera constaté. Par conséquent, le retour à l'équilibre budgétaire devra même être reporté de quelques années.

Nous verrons donc, en mars prochain, à combien s'élève la facture totale de ce qui a été conclu et entériné jusqu'à maintenant par les salarié.es syndiqué.es du Front commun intersyndical et de la FAE. Lors du dévoilement du grand chiffre, il y a une chose qu'il faudra avoir en tête, c'est quand même le gouvernement caquiste qui a décidé de se priver de 7 milliards de revenus par année en baissant les impôts de certains contribuables.

Les personnes qui oeuvrent dans les secteurs public et parapublic savent que ce ne sont pas les 650 000 salarié.es syndiqué.es (dont environ 75% sont des femmes) qui ont toutes et tous un revenu décent en lien avec leur travail. Plusieurs salarié.es syndiqué.es de ces deux secteurs déterminants pour notre qualité de vie en société vivotent avec une fraction de salaire et occupent un poste à temps partiel souvent non permanent.

La plus récente ronde de négociation a pu régler certains problèmes en éducation au niveau de l'aide à la classe, il y aura également l'ouverture de postes menant à la permanence, mais l'acceptation des ententes de principes négociées à la FAE et à la FSE-CSQ s'élève entre 50 et 60% selon les fédérations syndicales. À ce moment-ci, de tels résultats n'augurent rien de bon pour la suite des choses.

Il se peut que la ronde de négociation 2022-2023 (qui n'est toujours pas terminée avec le SFPQ, le SPGQ et la FIQ) apparaisse dans l'histoire comme la ronde d'un règlement négocié qui aura généré, en éducation élémentaire et secondaire, le nombre le plus élevé d'insatisfactions. C'est d'une tristesse affligeante quand on connaît l'importance de ce secteur pour l'avenir des jeunes et de la société.

À suivre…

Yvan Perrier
18 février 2024
19h45
yvan_perrier@hotmail.com

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Deux porte parole ou un chef à QS ?

20 février 2024, par Ginette Lewis — ,
QS révise ses statuts en ce moment. Un vaste sondage auprès des membres a été lancé. Évidemment la question du chef ou de deux porte parole est revenu à l'avant scène des (…)

QS révise ses statuts en ce moment. Un vaste sondage auprès des membres a été lancé. Évidemment la question du chef ou de deux porte parole est revenu à l'avant scène des discussion. Le Devoir en rapportant la nouvelle a aussi fait citation des propos de monsieur Thibodeau qui résume bien un courant de pensée dans Qs.

Membre de Québec solidaire, Jimmy Thibodeau voit d'un bon oeil l'idée de faire d'un des porte-parole solidaires un « chef ». « Ça ne nous empêche pas de considérer les porte-parole comme des porte-parole. Même si on donne le chapeau de chef à un des deux, ça ne va pas nécessairement affecter ses fonctions », a-t-il affirmé en entrevue avec Le Devoir, lundi. M. Thibodeau, qui est membre du collectif Option nationale de QS, évoque les « bénéfices financiers » d'une telle décision. « Si on veut être plus proches du pouvoir que ça, à un moment donné, à Québec solidaire, il va falloir être plus pragmatiques à ce niveau-là », a-t-il indiqué, tout en convenant qu'il « y a un discours ambiant chez Québec solidaire [où] on a toujours peur de mettre de l'avant un porte-parole plus que l'autre ». Québec solidaire pourrait tenir « des courses à la chefferie » ( Le Devoir François Carabin à Québec Correspondant parlementaire 13 février 2024 Québec) https://www.ledevoir.com/politique/quebec/807094/politique-quebecoise-qs-pourrait-tenir-courses-chefferie

Gabriel Nadeau Dubois a lui même mentionné que depuis la création de QS, le parti s'est transformé, la conjoncture a changé et la structure doit aussi être révisée.

Mais qu'en est-il du vrai débat ?

Un chef ou deux porte -parole

D'abord mentionnons que la création de deux porte parole : un homme et une femme a été permis une transformation de l'image public d'un parti politique et permis par extension de transformer l'image public de bien des groupes communautaires qui ont adopté eux aussi la création de deux porte parole.

Pourquoi transformer l'image publique ? Parce qu'il fallait le faire. Les femmes représente 50% de l'humanité mais sont encore peu visibles en politique malgré les progrès en parité et en partage de pouvoir. C'était vrai en 2006 à la création de Qs et c'est toujours vrai en 2024. Ce ne sont donc pas des questions financières, des préoccupations électorales qui ont amené les membres de Qs a élire deux porte parole : un homme et une femme. C'est une question féministe de représentation égale des femmes. Qs se définit comme un parti féministe : cela faisait partie de ses valeurs fondamentales et pour l'illustrer le porte parolat en était le moyen le plus efficace.

Ce qu'illustre la citation de monsieur Thibodeau c'est que la question féministe ne traverse pas l'ensemble des membres du parti. Il reste beaucoup de formation à faire pour convaincre les membres des effets combinés du patriarcat et du capitalisme sur les femmes.

Pourquoi un chef ?

Revenir avec la conception du chef c'est revenir à se fondre dans le moule de la politique traditionnelle. C'est vouloir une seule représentation du pouvoir à travers une personne qui domine la scène politique. Le meilleur exemple à l'heure actuel du chef c'est monsieur Legault. Est-ce cela que les membres de Qs veulent comme image public.

Un chef, et je dit bien un chef parce que nous sommes encore dans une société patriarcale qui a de la misère à accepter l'égalité de représentation politique des femmes, c'est déléguer le pouvoir en une seule personne qui dirige, qui domine. C'est le père du patriarcat.

Alors que ce débat revienne à Qs pose la place du féminisme dans l'image publique de Qs mais pose surtout le pouvoir dans Qs. Et comme dirait monsieur Lisée « Qui est le chef à QS » poser la question c'est y répondre.

Un chef à Qs symboliserait une réelle défaite du féministe à l'intérieur des rangs et aussi une régression dans la scème politique québécoise.

Même si Qs a grandi, que la conjoncture a changé et que la question financière est importante, la question du féministe n'a pas été réglée dans la société québécoise. Au delà d'une vision patriarcale, électoraliste et financière, l'égalité des femmes en politique demeure un combat essentiel à mener.

En espérant que les militantes féministes de Qs vont être capable de s'opposer à cette vague de recentrage de QS et qu'elles vont avoir l'appui nécessaire des groupes féministes parce que cela a un impact sur l'ensemble des luttes des femmes.

Il reste du chemin à faire

ginette lewis

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