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G(A)FAM. Le géant des apparences

L'expression « GAFAM » désigne les cinq entreprises états-uniennes, toutes du secteur technologique, ayant la plus grande capitalisation boursière. L'entreprise qui domine ce (…)

L'expression « GAFAM » désigne les cinq entreprises états-uniennes, toutes du secteur technologique, ayant la plus grande capitalisation boursière. L'entreprise qui domine ce palmarès est Apple.

En début d'année 2022, Apple a battu son propre record de capitalisation boursière, c'est-à-dire la valeur totale de toutes ses actions. Elle a franchi le cap symbolique de 3000 milliards, un sommet depuis la création des places boursières. Elle devance Microsoft, la seule autre entreprise dont la valeur dépasse 2000 milliards. Ces gigantesques montants ont de quoi étourdir tant il est difficile d'en apprécier la démesure. En 2020, la valeur d'Apple était, à elle seule, plus grande que la valeur combinée des quarante entreprises les plus importantes cotées à la bourse de Paris (CAC40). Ces valeurs boursières spectaculaires reflètent la foi des investisseurs en la capacité d'innovation d'Apple.

Les revenus de l'entreprise avaient atteint 365 milliards de dollars US en 2021, un sommet historique quatre fois plus élevé que dix ans plus tôt. D'où proviennent ces revenus ? Apple a longtemps été associée à son ordinateur Macintosh, dont les multiples variantes seront son produit phare jusqu'au moment où les ventes de son téléphone portable « intelligent » le détrônent. Aujourd'hui, Apple vend donc principalement des téléphones portables, ce qui représente un peu plus de la moitié de ses revenus. À l'instar de plusieurs autres GAFAM, Apple s'est lancé dans la commercialisation de divers services en ligne (diffusion de vidéos, de musique et d'information, système de paiement, publicité, stockage de données, etc.) et ceux-ci lui rapportent 20 % de ses revenus. Ses autres sources de revenus sont la vente d'ordinateurs, de tablettes électroniques et de technologies portables ou pour la maison, qui lui rapportent des parts respectives de 11 %, 8 % et 9 % de ses revenus.

Bébelles rebelles ?

Apple a longtemps cultivé une image d'« innovatrice rebelle ». Le coup d'envoi est une célèbre publicité référant au livre 1984 d'Orwell dans laquelle l'entreprise annonce la mise en marché du premier ordinateur Mac en promettant à ses client·es d'échapper à l'emprise de Big Brother. Elle réussit à associer le look « bureautique » des ordinateurs personnels d'IBM à la conformité. Près de 40 plus tard, cette image de rébellion a ironiquement transformé Apple en géant dominant du numérique.

En réalité, l'entreprise a su plusieurs fois s'inspirer de produits ou de prototypes existants pour en faire dériver un produit plus achevé, et, surtout, le mettre en marché avec une promotion agressive le présentant comme une innovation révolutionnaire… que toute personne souhaitant faire l'expérience des dernières prouesses technologiques devait absolument acheter.

Cette image de nouveauté révolutionnaire est furieusement défendue. Les employé·es des usines fabriquant les appareils du géant sont étroitement surveillé·es afin d'éviter toute fuite d'information sur les nouveaux produits. L'entreprise utilise aussi la menace de représailles légales et elle a même exigé que certaines équipes de travail portent des caméras corporelles similaires à celles portées par des corps policiers. De plus, Apple s'est souvent opposée par différents moyens au « bidouillage » de ses appareils, cela en rendant volontairement difficiles les modifications et réparations matérielles ou logicielles et utilisant même la dissuasion légale auprès de sites qui diffusent de telles informations techniques.

Fabriques de malheur

En 2010, le suicide de quatorze employé·es des usines chinoises du fabricant taïwanais Foxconn, le principal fabriquant des appareils d'Apple, a mis au jour les conditions de travail exécrables qui y régnaient. Après la tragédie, Apple s'est engagée à faire respecter une liste de normes à ses fournisseurs, que ceux-ci contournent régulièrement. Par exemple, en plus d'engager des étudiants et étudiantes « stagiaires », un rapport récent du Australian Strategic Policy Institute révélait qu'Apple profitait directement ou indirectement du travail forcé de Ouïgour·es. Les entreprises minières qui fournissent certains matériaux utilisés dans la fabrication des produits du géant embauchent souvent des enfants qui doivent travailler dans des conditions très dangereuses.

Apple réagit très lentement quand des fautes importantes à ses propres normes sont portées à son attention. Selon d'ancien·nes employé·es de l'entreprise, Apple considère que les craintes de pertes de profits et de retards de production l'empêchent de couper les liens avec les fournisseurs fautifs. Le géant rend ceux-ci responsables des conditions de travail de leurs employés, sans admettre sa propre responsabilité dans le problème. En effet, même en connaissant les conséquences d'une telle pression, Apple impose un calendrier de production ne pouvant être réalisé qu'avec une force de travail immense en période de pointe, ce qui pousse ses fournisseurs à opérer dans ces conditions de travail de misère.

Innovation fiscale

Apple est une championne de l'évitement fiscal. Elle a même été l'une des pionnières de l'industrie technologique en cette matière, en créant différentes techniques maintenant imitées par plusieurs autres entreprises états-uniennes. La plus célèbre de ces méthodes est de faire transiter ses revenus par l'Irlande, les Pays-Bas et les Caraïbes. Ces multiples manœuvres fiscales permettent à l'entreprise d'éviter de payer plusieurs dizaines de milliards d'impôts chaque année.

Il y a dix ans, ces manœuvres ont attiré l'attention d'un comité sénatorial aux États-Unis qui a en a dévoilé publiquement le détail. La pression internationale a forcé l'Irlande à modifier ses règles fiscales, mais en accordant un délai de plusieurs années aux entreprises utilisant le « stratagème irlandais ». Comme révélé dans les Paradise Papers, ce délai a permis à Apple de modifier sa stratégie en secret pour y ajouter le paradis fiscal britannique de l'île de Jersey. En 2016, une agence européenne anti-monopole a réussi à condamner l'Irlande à récupérer 13 milliards d'euros d'impôts impayés par Apple, en considérant cette somme comme une aide financière illégale de l'Irlande. Ironiquement, l'État irlandais a fait appel de cette décision, préférant se priver de cette somme plutôt que de compromettre un arrangement qui lui est très profitable. Apple et l'Irlande ont réussi à faire annuler cette condamnation importante en 2020, mais cette décision est elle-même portée en appel par les autorités européennes.

Boutique de domination

Apple fait aussi l'objet d'attention judiciaire concernant des abus de position dominante. Ayant popularisé son magasin d'applications en ligne pour son populaire téléphone intelligent, l'entreprise s'est placée dans une position unique où elle contrôle totalement les règles de ce marché qu'elle a elle-même créé. Ainsi, une procédure de l'Union européenne examine présentement comment Apple facture une commission de 15 % à 30 % aux éditeurs d'applications utilisant sa boutique en ligne, faussant ainsi la concurrence. Dans le même esprit, aux États-Unis, une juge fédérale a interdit à Apple d'imposer l'utilisation de son propre système de paiement aux éditeurs d'applications pour les achats effectués dans leurs produits.

Le concept de boutique en ligne d'applications simplifie l'installation de nouveaux logiciels sur les appareils, mais son contrôle centralisé permet aussi différentes formes d'abus. Apple est l'arbitre ultime des applications permises ou non sur sa plateforme et ceci lui donne un pouvoir de censure. L'entreprise a notamment exercé ce pouvoir pour éviter de déplaire à différents régimes répressifs, comme ceux de la Chine et de la Russie. Apple a d'ailleurs conclu une entente secrète avec la Chine en 2016, promettant des investissements importants en échange d'aide commerciale de l'État chinois.

Le contrôle du géant sur sa boutique en ligne lui permet aussi d'exercer une pression commerciale sur ses concurrents. Apple a même réussi à faire plier un autre GAFAM, Facebook, parce que son application publicisait le fait qu'Apple prélevait 30 % des ventes d'accès aux évènements en ligne. En 2013, Apple a aussi été reconnu coupable d'avoir joué un rôle central dans une entente entre plusieurs éditeurs de livres visant à limiter la compétition dans la vente de livres électroniques.

Ce niveau de contrôle ne résulte d'aucune nécessité technique, mais est plutôt le fruit d'un travail visant à créer un environnement technologique fermé dont Apple conçoit et contrôle les moindres détails.

Un dossier incomplet

Ce court texte ne fait qu'un survol des principaux reproches faits au géant des apparences. Le partage inéquitable des revenus de vente des produits d'Apple entre celles et ceux qui les fabriquent dans des conditions misérables et une entreprise qui les met en marché de manière colorée montre que Apple bat encore de nouveaux records : celui de l'absurdité d'un capitalisme mondial qui lui permet d'exploiter des travailleurs et travailleuses sans leur donner une juste part de ses immenses revenus mis à l'abri dans les paradis fiscaux.

Le Pakistan submergé

Depuis la fin du mois d'août, les Pakistanais·es composent avec des inondations historiques : un tiers du pays se trouve sous l'eau et les efforts requis pour répondre à cette (…)

Depuis la fin du mois d'août, les Pakistanais·es composent avec des inondations historiques : un tiers du pays se trouve sous l'eau et les efforts requis pour répondre à cette crise sont collossaux. Par-delà les campagnes de dons et d'aide internationale d'urgence, les appels à la justice climatique, notamment par l'annulation de la dette extérieure du Pakistan, se multiplient. « À l'heure actuelle, les ressources du Pakistan doivent être mobilisées pour répondre à la crise, pas pour payer des dettes extérieures. Les leaders mondiaux doivent être tenus responsables de fournir réparation en matière de changements climatiques » (traduction libre), demande la Commission pakistanaise de droits humains. « Quelle attention est-ce que des pays comme le Pakistan, qui ont un ratio dette/PIB des plus élevés, peuvent réellement accorder aux infrastructures sociales, d'assistance sociale et d'adaptation aux changements climatiques ? » (traduction libre), pose Maira Hayat, professeure à l'université Notre Dame, sur Twitter. « On ne peut comprendre vraiment la capacité du Pakistan à répondre à la crise sans la situer dans ce régime de dette international auquel le pays appartient. Comment peut-on penser que des pays endettés seraient en mesure d'investir dans les infrastructures sociales [requises pour l'adaptation aux changements climatiques] ? » (traduction libre).

Photo : Oxfam International (CC BY-NC-SA)

Queer : une révolution flamboyante

9 juin 2024, par Philippe de Grosbois, Eve Martin Jalbert, Claire Ross — , , , , ,
Les révolutions ne sont pas toujours télévisées ; elles n'ont pas moins lieu. C'est bien le cas de la révolution queer. Les luttes et les transformations en cours s'acharnent à (…)

Les révolutions ne sont pas toujours télévisées ; elles n'ont pas moins lieu. C'est bien le cas de la révolution queer. Les luttes et les transformations en cours s'acharnent à rendre révolus les systèmes hétérocis et patriarcal, et, à travers une multitude d'alliances, participent au renversement de bien d'autres systèmes encore. Au fond, les tribuns conservateurs n'ont pas complètement tort quand ils annoncent que « les revendications queers menacent toute la civilisation telle qu'on la connaît ». Ces luttes sont porteuses de transformations sociales aussi fondamentales que globales. Nous savons ces transformations nécessaires, généreuses et profondément joyeuses.

La révolution queer renouvelle nos manières de penser et de percevoir nos relations à nous-mêmes, à notre corps, à nos désirs, aux autres, au monde. Elle ouvre des possibilités, transgresse les normes et brouille les frontières, laisse la place aux envies d'être et d'appartenir, là où le monde straight limite les possibles, forge des normalités, érige des murs et cristallise des oppositions et des hostilités. La révolution queer refuse toutes ces divisions sociales qui ne sont que prétexte à la hiérarchisation, à l'isolement et à l'exclusion des manières d'être marginales.

Elle multiplie, bien sûr, les manières dont tou·tes et chacun·e peuvent vivre leur genre et leur sexualité, et plus largement nouer des relations entre elleux. Ce faisant, elle réinvente la langue et les représentations pour dire toutes ces réalités pas si nouvelles, mais encore choquantes pour certain·es. Elle exige aussi de revoir de fond en comble des normes et des pratiques sociales inscrites jusque dans l'État, ses lois et les droits qu'il daigne nous accorder, jusque dans la manière dont nous fixons les rôles sociaux et les bénéfices qui reviennent à chacun·e.

La révolution queer, donc, est et sera inévitablement faite de luttes. Fidèles à elles-mêmes, ces luttes queers ne sont jamais cantonnées à leurs petites affaires, mais sont marquées par les solidarités, par la sensibilité à ce qui nous rassemble ou aux manières dont nos élans peuvent s'entrecroiser. Les luttes queers débordent d'elles-mêmes pour se lier aux combats féministes, bien sûr, mais aussi décoloniaux, antiracistes, écolos, anticapitalistes. Autrement, la révolution queer ne serait ni révolutionnaire ni queer.

Le présent dossier se divise donc en deux grandes parties : la première aborde les manières dont la révolution queer fout le bordel dans les normes sexuelles et de genre ; la seconde montre comment cette révolution peut tisser des liens avec les autres.

Elle a beau se jouer en partie dans l'ombre, la révolution queer ne suscite pas moins son lot de réactions hargneuses et violentes de la part de celleux qui voudraient préserver à tout prix les certitudes et les privilèges que leur confèrent les normes sexuelles et de genre. Puissants chez nos voisin·es du sud et dans certains pays d'Europe, ces contrecoups réactionnaires sont aussi présents chez nous. Les attaques législatives contre les personnes trans et non binaires se multiplient ; la droite se porte à la « défense » des enfants contre les drag queens et autres « prédateur·trices sexuel·les » qui les menaceraient ; les puristes grincheux·ses de la langue française s'insurgent que celleux qui parlent la langue la fassent évoluer pour nommer l'innommé et répondre à nos besoins d'inclusion. Malgré tout cela, nous avons choisi dans ce dossier de ne pas nous étendre sur ce backlash. Nous avons préféré redonner la parole à celleux qui sont visé·es par cette contre-attaque pour mettre en lumière, au-delà de la version distordue qu'en donne une droite obtuse et omniprésente, les aspirations qui animent une révolution en marche.

Dossier coordonné par Philippe de Grosbois, Eve Martin Jalbert et Claire Ross

Illustré par Collages Féminicides Montréal

Avec des contributions de Jade Almeida, Élyse Bourbeau, Arianne Des Rochers, Eve Martin Jalbert, Geneviève Labelle, Laurie La Fée Perron, Pierre-Luc Landry, Judith Lefebvre, Mélodie Noël Rousseau, Alexandra Turgeon et Joshua Whitehead

Pour vous procurer une copie papier de ce numéro, rendez-vous sur le site des Libraires ou consultez la liste de nos points de vente.

Illustration : Florence et Collages Féminicides Montréal, à partir de photos d'André Querry.

Glossaire

9 juin 2024 —
Ce glossaire maison ne vise pas à figer le sens des termes qu'il définit, encore moins à fixer une norme lexicale. Il répond à un vœu plus modeste : faciliter la lecture du (…)

Ce glossaire maison ne vise pas à figer le sens des termes qu'il définit, encore moins à fixer une norme lexicale. Il répond à un vœu plus modeste : faciliter la lecture du présent dossier. Nous avons pris le parti de ne pas uniformiser certains termes. La variabilité témoigne selon nous de l'effervescence qui accompagne toute révolution, y compris dans nos manières de parler et de penser.

Queer – Insulte (« étrange », avec une connotation négative) ayant été renversée en terme affirmatif. Queer est désormais une désignation parapluie réunissant des identités, des communautés, des mouvements, des pensées, des théories qui ne correspondent pas aux normes sexuelles et de genre.

LGBTQIA2S+ — Une des multiples formes que peut prendre l'acronyme réunissant les minorités sexuelles et de genre. Lesbiennes, Gais, Bisexuel·les, Trans, Queers/en Questionnement, Intersexes, Asexuel·les/Aromantiques/Allié·es, Bispirituel·les (Two-Spirits, terme utilisé chez certains Premiers Peuples pour désigner les personnes rompant avec les normes sexuelles et/ou de genre).

Genre/sexe — Le mot « sexe » est ici réservé au plaisir qu'on a seul·e, à deux ou à plusieurs. Il ne désigne donc pas des catégories homme/femme venant avec tout un ensemble de caractéristiques jugées naturelles et éternelles. Le genre désigne la construction sociale et historique des hommes et des femmes, des attentes en matière de rôles sociaux, de comportement, d'apparence, de capacités, etc. Il est empreint de stéréotypes, de préjugés, de violences. Le genre est une réalité identitaire, une manière de sentir et d'agir, en adéquation ou non avec telle ou telle caractéristique anatomique.

Binarité/dualité de genre – Approche réduisant la diversité des genres au nombre de deux (masculin/féminin). Cette réduction implique d'accentuer les différences en les opposant et, au sein du patriarcat, en les hiérarchisant.

Personnes non binaires/non-binarité de genre/fluidité de genre/genderqueer/genderfuck — Diverses façons de sortir de la binarité de genre et de l'équation génitalité=genre. Genderqueer et genderfuck désignent la perturbation de la binarité de genre par sa manière d'être et d'agir. Non binaire est un terme parapluie qui permet à des personnes qui ne se sentent pas tout à fait ou pas du tout l'un ou l'autre des genres masculin ou féminin de nommer cette existence. La notion de fluidité implique un mouvement, ponctuel, continu ou intermittent dans le domaine des genres par certaines personnes.

Drag king/drag queenDrag queen s'applique aux personnes (généralement masculines) qui performent le genre féminin, souvent dans un cadre artistique ; drag king, aux personnes (souvent féminines) qui performent le genre masculin.

Cis/cisgenre/cisidentité — Désigne les personnes dont le genre ressenti et vécu correspond à celui qui leur a été assigné à la naissance, souvent sur la base de la génitalité. Par opposition à trans/transgenre.

Hétérocis/Cishétéro — Nom ou adjectif désignant une personne à la fois cisgenre et hétérosexuelle. On dit aussi parfois cis-het dans le langage courant.

Normes de genre/hétérocisnormativité/cishétéronormativité/hétérocispatriarcat — Règles sociales qui cherchent à figer et à rendre obligatoires l'hétérosexualité et la cisidentité des individus. Ces normes impliquent souvent la violence et l'exclusion à l'endroit de ce qui s'en écarte. Le concept d'hétérocispatriarcat souligne le fait que le patriarcat inclut généralement l'imposition de normes hétérosexuelles et cis.

Straight — Orientation et identité de genre hétérocis. Plus largement, un état d'esprit straight est conforme aux normes hétérocis et s'oppose à la subversion queer des normes sociales et de genre.

TERF — Acronyme venant de l'anglais Trans-Exclusionary Radical Feminism soit « féminisme radical trans-exclusif ». Le mot désigne la forme spécifique de transphobie observable chez certaines féministes.

Iel/ille/elleux/celleux/le·a/etc. — Série de pronoms de formation récente nécessaires ou bien à un langage inclusif (iels inclut tout le monde) ou bien à la désignation appropriée aux identités non binaires. Avec de la bonne foi et le désir de respecter la diversité des identités, l'usage est moins compliqué qu'il n'y paraît.

Intersectionnalité — Terme que l'on doit à la juriste Kimberlé Crenshaw et qui désigne l'entrecroisement de deux ou plusieurs phénomènes d'oppression chez des personnes et des groupes (par exemple les personnes queers et racisées). L'intersectionnalité des oppressions désigne non seulement le cumul des oppressions qui frappent certaines personnes, mais plus encore la spécificité de certaines oppressions qui ne se ramènent pas à la somme des parties (par exemple, une femme racisée ne se fait pas discriminer de la même façon qu'une femme blanche ni qu'un homme noir). Le sens du terme s'est rapidement élargi pour parler du croisement des luttes contre les oppressions.

Le point de départ des fiertés était une émeute

Si la naissance des Fiertés était une action radicale, difficile aujourd'hui d'en discerner l'héritage. Le point de départ historique des Fiertés est une émeute en réponse (…)

Si la naissance des Fiertés était une action radicale, difficile aujourd'hui d'en discerner l'héritage.

Le point de départ historique des Fiertés est une émeute en réponse à une descente policière au bar Stonewall Inn à New York en 1969. Toute identité sexuelle et/ou de genre qui ne correspond pas à l'hétérocisnormativité est alors pourchassée sans relâche, ce qui modèle profondément, entre autres, le rapport à l'espace public. L'homosexualité et les identités ou performances de genre dissidentes (personnes trans, drags, « travesti·es », etc.) sont traitées comme quelque chose d'anormal et, par conséquent, d'illégal. Des vies entières sont reléguées à une existence intermittente et aux chuchotements des rares espaces sécuritaires – si ce n'est au silence. Les soirées, les bars, les allées, les parcs ou encore les salons privés appartiennent à la culture du secret. Dans ce contexte, la peur d'être découvert·e et celle de représailles affecte chaque seconde du quotidien.

En ce sens, il faut réaliser l'audace que représente l'émeute de Stonewall : le refus de la honte et l'affirmation du droit à être soi de manière publique. Des individus se révoltent contre tout un système en s'opposant à la normalisation de la violence policière, à la criminalisation de leur existence et à leur exclusion sociale. Ne l'oublions jamais, ces émeutes sont menées par des personnes marginalisées, parmi lesquelles on compte des personnes trans, des travailleur·euses du sexe, des personnes en situation d'itinérance, des personnes racisées. Les premières marches sont donc un énorme doigt d'honneur aux normes. C'est revendiquer le droit à la rue, à être visible et audible sans pour autant subir le harcèlement ou la violence étatique. C'est une politisation des identités LGBTQ+ qui s'ancre dans une justice spatiale. Car le droit à occuper l'espace public n'est pas anodin quand votre existence est considérée comme une honte que vous devriez avoir la décence de maintenir cachée.

Peut-on encore être fier·es ?

La Fierté, à son point de départ, était une émeute… mais il est difficile de s'en souvenir tant sa version moderne semble incarner tout ce que les événements de Stonewall avaient rejeté en bloc. En somme, le capitalisme a fait ce qu'il sait faire de mieux : s'adapter pour se maintenir, marchandiser ce qu'il ne pouvait détruire. Désormais, la majorité des Fiertés en Occident se déroulent sous les couleurs de grandes entreprises qui investissent massivement afin de faire figurer leurs logos auprès du drapeau arc-en-ciel. Tandis que des candidat·es politiques défilent en se targuant d'être des allié·es de la cause, des chansons à la mode sont diffusées sous les applaudissements de la foule, qui se précipite pour attraper des goodies payés par les bars partenaires des fêtes. Entre deux associations de défense de droits, certaines ayant dû payer pour avoir l'autorisation de défiler, des corps de métiers sont représentés – et parmi eux : la police. Considérez ceci : la Fierté, supposé héritage d'une émeute lancée contre les violences policières, accueille désormais au sein du défilé la police en uniforme et en voiture de fonction, alors même que le taux élevé de violences policières contre les communautés trans et/ou racisées et/ou autochtones ne cesse d'être documenté et dénoncé.

Une présence qui ne passe pas inaperçue

En 2016, le défilé de Pride Toronto est arrêté par un contingent de Black Lives Matter (BLM). Assis·es au sol afin de bloquer la marche, les militant·es noir·es et queers posent une série de demandes. Iels refusent en particulier que la police puisse continuer de défiler parmi les contingents. Ces revendications sont accueillies par les huées de la foule, frustrée que les festivités soient bloquées. Certain·es vont jusqu'à leur lancer des bouteilles de plastique vides, mais les activistes tiennent bon et BLM obtient gain de cause. L'événement provoque une onde de choc dans de nombreuses Fiertés à travers le monde. Plusieurs prennent position en amont sur la présence de la police lors des célébrations, ce qui déclenche des débats dans le milieu LGBTQ+. Suffisant pour revenir aux racines radicales de l'esprit de ces marches ? Pas sûr.

Instrumentalisation des communautés autochtones

Cette année, c'est un scandale de malversations financières qui entache Pride Toronto, incluant en prime l'instrumentalisation de communautés autochtones. L'affaire, survenue en 2018 et 2019, a été investiguée et dénoncée notamment par l'historien Tom Hooper, qui a produit un rapport détaillé sur le sujet [1]. Pride Toronto est accusée d'avoir trompé des subventionnaires et menti sur l'avancement de projets dans le but de sécuriser des fonds de plusieurs centaines de milliers de dollars. Une partie de cet argent est obtenu alors que Pride Toronto prétendait avoir un contrat avec le célèbre artiste d'ascendance crie Kent Monkman – ce qui était inexact.

Monkman et son équipe avaient d'abord proposé de mettre sur pied tout un projet d'exposition itinérante qui devait présenter des œuvres d'art sur l'histoire des personnes LGBTQ2S+ avant et après Stonewall. L'exposition devait aller à la rencontre de plusieurs communautés autochtones à travers toute l'Île de la Tortue, y compris des communautés éloignées et marginalisées. Mais cette collaboration avait été rompue par l'artiste après que l'organisme ait exigé les pleins droits de propriété sur ses œuvres. Pride Toronto s'abstient d'en avertir les subventionnaires et continue d'utiliser le prétexte de l'exposition pour obtenir plus de fonds.

L'affaire, rocambolesque, ne s'arrête pas là et les accusations sont nombreuses. Pride Toronto prétend ainsi travailler en collaboration avec plusieurs communautés autochtones et groupes LGBTQ2S+ divers. L'organisme fournit des lettres de soutien en ce sens, mais leur authenticité est aujourd'hui remise en question : on soupçonne que d'anciennes lettres aient été recyclées. Pride Toronto avait aussi promis d'embaucher une cinquantaine d'enseignant·es et facilitateur·ices issu·es de communautés autochtones pour prendre part à l'exposition. Or, l'argent aurait été utilisé pour de tout autres dépenses. Actuellement, on parle d'un million de dollars dont les modalités d'obtention et/ou l'usage sont suspects. De mille manières, le rapport de Tom Hooper dénonce ainsi l'exploitation de la main-d'œuvre et le non-respect des créations des communautés autochtones.

Pour couronner le tout, en 2018, les représentant·es de Pride Toronto auraient passé un accord avec le gouvernement pour obtenir toujours plus de subventions, en échange de quoi iels s'engageraient à réintroduire la police dans le défilé. C'était deux ans seulement après la dénonciation de BLM et sans consulter les membres qui avaient voté pour l'exclusion de la police du défilé.

En somme, Pride Toronto est devenu un exemple très concret de la continuité de pratiques et systèmes coloniaux racistes au sein de l'institution qu'est devenue la Fierté.

L'histoire comme mise en garde

Et il ne s'agit pas seulement de Pride Toronto et de ses malversations financières, bien que celle-ci soit un des exemples les plus extrêmes de ce qu'est devenue la culture de la Fierté. De Paris, avec la Marche de fierté anticapitaliste et antiraciste, à Zurich, avec la Fierté de Nuit, en passant par Barcelone et La Fierté critique : dans le monde entier naissent actuellement des mouvements qui se positionnent comme des alternatives aux Fiertés officielles. La Fierté est de plus en plus rejetée comme temple du capitalisme et de la dépolitisation de nos revendications.

Finalement nous devrions prendre l'histoire de la Fierté comme un récit de mise en garde. Il nous faut apprendre de nos tentatives de révolution – et, malheureusement, de leurs échecs. Si les systèmes d'oppression se maintiennent et se renforcent, c'est parce qu'ils se modernisent et surtout parce qu'ils s'adaptent. Ils s'adaptent si rapidement, de manière si fluide et complexe qu'un effort révolutionnaire, populaire et sans précédent peut tout de même aboutir à la marchandisation de nos identités. Mais nous pouvons toujours apprendre de nos échecs.

Le point de départ des Fiertés était une émeute et dans une émeute, il n'y a pas de défilés sponsorisés, pas de public pour applaudir, pas de chars subventionnés par les banques et pas de trajet prédéfini par les pouvoirs publics. Une émeute part de la colère et du trop-plein, fait bouger les corps et fonctionne comme un tremblement de terre : elle part de fractures sociales et provoque une onde de choc qui vise à ébranler le statu quo. Une émeute peut renverser les rapports de pouvoir car, de manière fondamentale, elle s'oppose à l'idée même de la violence légitime de l'État. Quoi de plus normal, par conséquent, qu'une émeute puisse autant inquiéter les classes dirigeantes ? Notre souci dès lors devrait être le suivant : celui de raviver les braises de l'émeute pour qu'elle ne cesse d'être l'émeute.


[1] Tom Hooper, « Misdirection of Funds and Settler Colonialism : Pride Toronto Grants from the Department of Canadian Heritage ». Disponible en ligne.

Illustration : Mathilde et Collages Féminicides Montréal

Vivre au bord du précipice du monde

Deux siècles de frondes et de révoltes féministes, antiracistes, anticoloniales et queers travaillent à ébranler les fondements de l'édifice patriarcal cishétéronormatif et les (…)

Deux siècles de frondes et de révoltes féministes, antiracistes, anticoloniales et queers travaillent à ébranler les fondements de l'édifice patriarcal cishétéronormatif et les systèmes d'oppression qui en découlent. Toutefois, malgré les avancées, l'épistémè dominante semble toujours robuste et la question demeure : à quelle « révolution à venir » réfléchissons-nous ? De quelles mutations avons-nous besoin ?

Sojournor Truth a prononcé son discours Ain't I a Woman ? il y a 171 ans, 25 ans après avoir échappé à sa condition d'esclave. Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir a été imprimé il y a 73 ans. Michel Foucault a entamé la publication de son Histoire de la sexualité il y a 46 ans. 45 ans nous séparent de l'énoncé pour un féminisme noir du Combahee River Collective ; 44, de la première itération du texte The Uses of the Erotic d'Audre Lorde ainsi que de la conférence The Straight Mind de Monique Wittig. La première occurrence du mot queer dans les travaux de Gloria Anzaldúa remonte elle aussi à 44 ans, trois ans avant la publication, avec Cherríe Moraga, de l'ouvrage collectif This Bridge Called My Back. Kimberlé Crenshaw travaille la notion d'intersectionnalité depuis 40 ans déjà. Quant à elle, Gayle Rubin œuvre à repenser le sexe depuis plus de 38 ans. La parution de l'essai Gender Trouble de Judith Butler date d'il y a 32 ans. Oyèrónkẹ́ Oyěwùmí faisait paraître il y a 25 ans l'ouvrage The Invention of Women, la même année où Cathy J. Cohen interrogeait le potentiel radical des politiques queers. Il y a 14 ans, Paul B. Preciado publiait Testo Junkie.

S'il est vrai que les régimes d'historicité et les épistémès se développent et changent sur la longue durée, on pourrait penser que les révolutions annoncées par une certaine littérature théorique et par les mouvements radicaux des années 1970-1990 semblent relever chaque jour un peu plus de l'utopie naïve que d'une vérité en marche. En effet, les premières semaines de l'été 2022 laissent en bouche un goût amer quant aux « progrès incontestables » enregistrés dans la lutte pour une société plus juste.

Toutefois, en dépit de ces moments contre-révolutionnaires que je préfère ne pas énumérer, on pourrait aussi penser, avec Jack Halberstam, que « la révolution viendra sous une forme que nous ne pouvons pas encore imaginer » et que la multiplication plus ou moins récente des communs, des tiers espaces affranchis, des coopératives de solidarité et des collectifs autogérés pensés pour et par les personnes marginalisées suggère qu'une autre vie est (encore) possible, que le cours des choses peut être radicalement altéré.

Mais pour redonner à la pensée et à la praxis queers la radicalité intersectionnelle dont elles sont capables, un certain travail mémoriel et épistémologique est nécessaire. Ce travail nous permettrait de dépasser aussi bien la simple réforme des droits à l'intérieur de l'appareil étatique – même si elle est cruellement nécessaire – que l'appropriation à toutes les sauces du vocable « queer » qui en dilue malheureusement la force créatrice et le potentiel subversif. La critique queer racisée a d'ailleurs maintes fois identifié les angles morts des discours aseptisés et exclusifs incapables d'imaginer des formes de subjectivité échappant au simple élargissement des normes déjà en place, mais la mémoire collective vacille parfois dangereusement.

Multiplier les queerutopies révolutionnaires et désirantes

Il y a plus de dix ans, dans les pages de cette revue, Sam Bourcier proposait la multiplication des hétérotopies, des poches de résistance, des collectifs et des mouvements éphémères issus du dissensus et de la piraterie du genre [1]. À défaut d'une révolution, il suggérait en d'autres termes la prolifération de ce que Paul B. Preciado nomme des « micropolitiques de genre, de sexe et de sexualité » aptes à « résister et à défaire la norme ». Pour (ré)activer le potentiel antinormatif de la pensée queer, on peut envisager le sexe, le genre et le corps réifié comme des fictions médicales, politiques, culturelles et somatiques, des « agents de contrôle et de modélisation de la vie » appelés à être dissous « en une multiplicité de désirs, pratiques et esthétiques, [dans] l'invention de nouvelles sensibilités, de nouvelles formes de vie collective », soutient Preciado.

« Le futur est déjà arrivé, mais ça ne veut pas dire que nous n'avons nulle part où aller », écrit Billy-Ray Belcourt dans son recueil de poèmes Cette blessure est un territoire. C'est par l'action du désir – interrogé, reformulé, réinvesti – que cette futurité s'apparente aux « queerutopies » de Bourcier, incarnées au sein même des environnements hostiles du capitalisme colonial cishétéronormatif. En ce sens, l'érotisme est une force créatrice, pourrait-on dire à l'instar d'Audre Lorde, une puissance provocatrice dont les subalternes ont trop longtemps été dépouillé·es : « reconnaître le pouvoir de l'érotique dans nos vies peut nous donner l'énergie de chercher à introduire dans le monde un changement authentique », écrit-elle. Le désir et l'érotisme prennent donc la forme d'un (ré)apprentissage constant de nos gestes d'amour et de care, ainsi que d'une (ré)invention de soi informée par le caractère politique des choix que nous faisons d'investir certains corps plutôt que d'autres d'un potentiel orgasmique. La futurité queer est ainsi tendue vers la possibilité de répondre à cette question posée par Belcourt : « comment fait-on pour vivre au bord du précipice du monde ? »

Pour accéder à cette futurité et s'assurer que les « queerutopies » survivent à la dévastation annoncée par la crise écologique et le pourrissement du social, il semble essentiel de passer par une critique du capitalisme, dans la foulée de l'analyse proposée par Silvia Federici dans Caliban et la sorcière. La révolution queer du désir nous invite à exister, absolument et complètement, d'une manière dissidente libérée des impératifs normatifs du genre et de la productivité, pour ne nommer que ceux-là, allant au-delà de la récupération par l'État et par le capital – la pensée queer peut bien entendu se réjouir des petites victoires, tout en se gardant bien cependant d'être avalée par la machine néolibérale et bourgeoise.

Imaginer le grand chaos

Désapprendre nos modes de sociabilité et se désidentifier de manière hybride et mouvante, à l'aide de pratiques subvertissant les codes de la culture dominante, comme le suggère José Esteban Muñoz, n'est certainement pas une tâche aisée.

La précarité normalisée exhorte chacun·e à se définir rigoureusement et à dévoiler partout et en tout temps son pedigree fait de compétences, expériences, identités, rôles et postures. L'impératif de la révolution queer, s'il fallait le formuler, serait de « foutre le bordel » plutôt que de tenter désespérément d'inclure nos existences marginales au sein d'une norme alors « élargie » ; d'opposer à l'injonction morale du coming out et de la révélation une insaisissabilité joyeuse et triste tout à la fois, une fluidité construite de paradoxes et de démesure ; de refuser de se construire comme sujets parfaitement intelligibles pouvant ensuite être surveillés, saisis et contrôlés ; de contester l'assimilation dans « le système » grâce au capital accumulé. La libération et la transcendance des normes oppressives engagent plutôt la création d'espaces et de temporalités improvisées qui permettent d'exister pleinement – ces hétérotopies, ces communs évoqués plus tôt.

La pensée queer a déjà formulé maintes propositions cherchant à déconstruire les systèmes disciplinaires du genre, du sexe, de l'orientation sexuelle, du désir, de la famille, de la filiation, de la race, de la nation, de la validité, du travail, de la citoyenneté, de la propriété, de la division de l'espace entre privé et public, de la justice, de la légalité, etc. La pensée queer invite à réévaluer la valeur et le sens accordés aux orifices et aux appendices, aux chorégraphies sociales, aux scripts sexuels – la domination du pénétrant universel sur l'anus global, pour reprendre les termes de Preciado, ne peut survivre à la mise en œuvre d'une praxis intersectionnelle, anticapitaliste et libérée de l'épistémè hétérosexiste blanche héritée des Lumières.

Dans la conclusion de son Deuxième sexe, Beauvoir formulait cet avertissement : « Prenons garde que notre manque d'imagination dépeuple toujours l'avenir. » La théorie et la praxis queers déploient depuis longtemps, grâce entre autres au travail du féminisme et de l'antiracisme, des efforts d'imagination importants qui invitent à concevoir des manières d'exister et d'organiser la société afin que toute personne, autodéterminée dans le respect de ses propres multitudes, puisse s'émanciper.

La révolution queer n'est pas seulement « à venir », donc : elle s'incarne d'ores et déjà dans des œuvres d'art, des programmes culturels, des lieux dédiés et des protocoles mémoriels, mais aussi dans la revalorisation de la place centrale que devraient occuper à la fois l'imagination et les expérimentations de toutes sortes – puisqu'il est possible, avec Christian Laval, de penser les utopies « comme des passages à l'acte, comme des pratiques, comme des processus ».


[1] « Utopie = no future », À bâbord !, no 38, février-mars 2011. Disponible en ligne.

Pierre-Luc Landry, Université de Victoria

Collage : Collages Féminicides Montréal

« L’art drag, c’est un art queer »

9 juin 2024, par Philippe de Grosbois, Geneviève Labelle, Mélodie Noël Rousseau — , , , , ,
Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle sont co-directrices artistiques de la compagnie de théâtre Pleurer Dans' Douche, comédiennes et drag kings. En 2022, elles ont (…)

Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle sont co-directrices artistiques de la compagnie de théâtre Pleurer Dans' Douche, comédiennes et drag kings. En 2022, elles ont présenté la pièce Rock Bière : Le documentaire à l'Espace libre. À bâbord ! les a rencontrées pour qu'elles nous parlent de genre, du milieu drag et de leurs personnages, Rock Bière et RV Métal.

À bâbord ! : Comment Rock Bière et RV Métal sont-ils nés et pour quelles raisons ?

Geneviève Labelle : Notre compagnie fait du théâtre documentaire. Donc au départ, l'idée de faire du drag king, c'était aussi d'en faire du théâtre documentaire. On voulait dénoncer la misogynie sous- jacente, l'invisibilisation des femmes dans le milieu drag, mais on s'est fait prendre à notre propre jeu. On est tombées en amour avec cet art-là et on est devenues des figures importantes, on sent que les gens nous remercient d'avoir ouvert des portes. C'est fou d'avoir cet effet-là.

Mélodie Noël Rousseau : Maintenant les robinets sont ouverts. On a notre soirée Bière & Métal aux deux mois, avec des kings d'un soir qu'on va maquiller nous-mêmes.

G. L. : C'est le premier show au Cabaret Mado avec uniquement des kings, tant à l'animation, à la production que sur la scène. N'importe qui qui dit « Je veux explorer mon genre », on lui dit « Viens-t'en ! » et on le·la lance sur la scène.

M. N. R. : Il y a des gens qu'on maquille qui sont en exploration de leur genre dans leur quotidien. C'est toujours très touchant de les voir se regarder dans le miroir pour la première fois avec des traits qui leur plaisent davantage, de la manière dont ils voudraient se présenter dans la vie.

G. L. : L'art drag, c'est un art queer, c'est un art de la communauté LGBTQ+. Il n'y a pas beaucoup d'endroits pour que les lesbiennes et les personnes queer s'identifiant femmes puissent se rencontrer. C'est pour ça qu'on se disait « Pourquoi on ne peut même pas avoir accès à la folie du drag ? ». Il y a aussi des personnes s'identifiant femmes qui sont drag queens, mais elles ne sont pas aussi bien acceptées.

M. N. R. : C'est une expérience riche pour nous comme comédiennes, ce sont des rôles auxquels on n'a pas accès, normalement. Ça donne une force d'incarner le « sexe fort », cette séduction-là que Mélodie n'a pas dans son quotidien, mais avec laquelle j'aime jouer en faisant Rock Bière.

ÀB ! : Quand on se demande ce que l'art drag relève sur le genre, on voit que ça peut aller dans toutes sortes de directions.

M. N. R. : Oui, il y a aussi des personnes genderfuck, des drags non binaires, qui explorent avec des seins et une moustache. Il y a des drag things, des drag clowns... Le spectre est très large.

En ce qui concerne le genre masculin, disons que la mode masculine est plus drabe. Ça pose un défi d'exprimer le genre masculin qui est construit sur une apparence de neutralité, car cette neutra- lité reste une construction. Parfois, je prépare des costumes qui sont très quotidiens, parce que j'aime ça, dépeindre l'homme au quotidien. Je regarde des gens dans la rue et je me dis : « Ça, c'est un bon Rock Bière ». C'est une grande caricature que je fais après avec plein d'amour.

ÀB ! : Est-ce que vous pensez que cette exploration peut être libératrice pour les gens de façon générale, les faire sortir des carcans féminins et masculins ?

G. L. : C'est toujours à refaire. Quand on regarde des photos de Claude Cahun, une personne non binaire des années 1920 à Paris, on se dit « C'est un drag king ». C'était un·e artiste visuel·le incroyable qui explorait déjà ça. Il y avait tout un groupe de lesbiennes avant-gardistes à Paris dans les années 1920.

En ce moment, on est sur un tremplin mainstream : les drag queens sont à la télé, Barbada fait une émission pour enfants, Rita Baga fait plein d'émissions... Il y en a d'autres qui s'en viennent aussi.

ÀB ! : Quand on observe ces percées dans une culture plus mainstream, on peut se demander s'il y a quelque chose qui se perd là-dedans. Est-ce que c'est une version édulcorée ? Est-ce que certaines catégories sont plus visibles et d'autres moins ?

G. L. : C'est vraiment bien que l'art drag sorte des bars. C'est un art complet. Les gens qui font ça travaillent extrêmement fort. C'est le fun de changer l'idée que les gens en ont, que c'est juste un art qui est fait avec de la drogue et de l'alcool, la nuit, que c'est trash, que c'est sexuel...

Cela dit, les femmes n'y ont pas accès. La compétition est faite pour des drag queens, le vocabulaire est féminisé de A à Z, un drag king dans ces émissions-là serait un oiseau rare. Il y a plus d'ouverture au sein d'autres compétitions naissantes, comme la compétition canadienne Call Me Mother.

M. N. R. : Ru Paul's Drag Race est devenu une compétition de haute couture. Il faut sortir un portefeuille de 30 000 $ à 100 000 $ pour participer. Et le fait qu'on n'a pas de modèle king ne permet pas à l'art d'évoluer. Il y a à peine quelques tutoriels pour les kings, alors qu'il y a un grand nombre de vidéos pour apprendre à se maquiller en drag queen.

ÀB ! : Tout un segment de votre pièce Rock Bière : Le documentaire fait une critique assez solide du Village. Quelle est cette critique ?

G. L. : Le nerf de la guerre, c'est l'invisibilisation des femmes dans la communauté queer. Historiquement, ça s'explique par le fait qu'il y a eu deux solitudes : les hommes gais et les femmes les- biennes. Les femmes étaient plus à la maison et avaient plus ten- dance à être en famille. Les hommes gais ont développé tout un night life, tout un monde. Ce sont eux qui ont développé le quartier gai. C'est le quartier LGBTQ+ des communautés, mais en fait c'est un quartier d'hommes blancs.

M. N. R. : C'était ça, mais maintenant il y a des efforts pour rallier les communautés et être inclusif. On le voit dans la clientèle des bars, dans le type de soirées organisées, dans les artistes invi- té·es. On voit qu'une place se fait pour les voix minorisées, pour les femmes. Mais c'est vrai qu'on n'a pas de bar uniquement féminin. Ils ont tous fermé.

ÀB ! : Dans votre documentaire, il était aussi question du fait que les drag kings n'étaient pas trop pris au sérieux.

M. N. R. : On entend des énormités, comme « Si les femmes ne sont pas sur Ru Paul's Drag Race, c'est parce qu'elles sont moins bonnes. » On entend ça alors qu'on est en train de se maquiller, de se pré- parer pour un show. Si on s'arrêtait à tout ce qu'on entend, on abandonnerait.

G. L. : Si on parle des salaires par exemple, ce n'est pas encore équivalent entre drag queens et drag kings.

M. N. R. : Mais on trouve ça important d'être dans le Village, que ces gens-là nous voient et voient le succès de la soirée. Si on faisait ça dans notre petit coin, entre nous et à l'écart, ça nous ferait du bien, on serait moins confrontées. Mais on veut avoir un dialogue avec des gens plus fermés, qui sont là par hasard et qui découvrent que ça existe.

ÀB ! : Que voulez-vous que le public en général retienne de vos pièces ?

G. L. : L'importance de créer des safe spaces, des lieux où tout le monde se sent bien et invité.

M. N. R. : Apprivoiser la différence aussi. Quand je parle dans ma famille, des fois je me rends compte qu'on est vraiment dans une bulle. À Montréal, c'est un peu plus facile d'être queer. J'espère que des gens qui sont moins familiers avec ça entendent cette parole-là et voient ces réalités-là, même s'ils ne comprennent pas tout, que ça amène des réflexions chez des gens qui ne baignent pas dans ce milieu-là.

La Palestine, un test pour l’humanité

8 juin 2024, par Ligue des droits et libertés
Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2024 La Palestine, un test pour l’humanité Zahia El-Masri, réfugiée palestinienne, militante passionnée de (…)

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La Palestine, un test pour l’humanité

Zahia El-Masri, réfugiée palestinienne, militante passionnée de la justice sociale, fondatrice du collectif des femmes pour la Palestine Le tout n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Le 7 octobre s’inscrit dans le cadre d’une série d’événements tragiques pour le peuple palestinien, un continuum commençant aussi loin que 1917 quand lord Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, annonça que son gouvernement soutenait l’établissement d’un « foyer national juif » en Palestine. Cet acte de guerre contre le peuple de la Palestine selon l’historien Rachid Khalidi marquait ainsi le début d’une guerre coloniale d’un siècle en Palestine, soutenue par un ensemble de puissances extérieures, notamment la Grande-Bretagne et les États-Unis, et qui se poursuit toujours aujourd’hui1. La Nakba – ou Grande catastrophe – constitue le début du nettoyage ethnique de la Palestine2. En 1948, plus de 800 000 Palestinien-ne-s ont été violemment expulsés de leurs foyers par les milices israéliennes et déplacés de force de leur maison, leurs terres, obligés de laisser derrière eux leur vie, et suivre les chemins de l’exil forcé. La clé de leur maison en main, ils ont entamé le chemin de la douleur, sans savoir que leur sort transformerait pour toujours le visage de l’humanité. Des familles déchirées, dépourvues, des amours inachevées, des enfances volées, des rêves suffoqués, se sont retrouvés malgré eux, les porteurs de la lutte contre la forteresse de l’impérialisme et du colonialisme érigée sur la terre de la Palestine, leur terre, contre leur volonté. Actuellement, nous sommes témoins d’un génocide3, et pour la première fois de l’histoire de l’humanité, ce sont les victimes de ce génocide même qui nous rapportent les évènements en direct. Gaza s’est transformé d’une prison à ciel ouvert, à un cimetière à ciel ouvert. Pourtant, au niveau des gouvernements, l’indignation, les dénonciations et les actions pour mettre fin à cette catastrophe humanitaire n’étaient pas au rendez-vous, comme elles l’étaient pour l’Ukraine. Au lieu de ça nous avons eu droit à des mots vides, de la passivité et de la résignation. Mais heureusement, les sociétés civiles dans le monde occidental et partout ailleurs se mobilisent en solidarité. Pourtant, selon l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ».
Aujourd’hui, il faut adopter un changement drastique dans notre façon d’aborder la question de la Palestine.

Un test pour l’humanité

Chaque année des organismes de défense des droits humains, tel qu’Amnistie internationale, Oxfam, Human Rights Watch, B’Tselem, Al Dameer, ainsi que les diverses agences de l’Organisation des Nations unies (ONU) publient des données qui dénoncent le régime d’apartheid qu’exerce Israël sur la population palestinienne avec des politiques cruelles de ségrégation, de dépossession et d’exclusion. Leurs rapports décrivent les effets brutaux de l’hyper-militarisation d’Israël sur la population palestinienne. Aujourd’hui, la Palestine a démasqué l’hypocrisie. Elle nous a appris que tous les êtres humains ne sont pas égaux, elle nous démontre que la valeur d’une vie humaine est directement liée à la couleur de sa peau et à sa valeur économique. Ce qui compte en réalité pour nos gouvernements ce ne sont pas le respect des droits humains, mais les alliances stratégiques et économiques. Elle nous a appris que le colonialisme semble encore tolérable pour de nombreux États et compagnies, et qu’il est toujours au cœur des violences actuelles malgré tout le mouvement de décolonisation qui a traversé le monde dans les années 1950 à 1980. Nous vivons une crise climatique sans précédent, une crise migratoire, et un génocide en direct, et pourtant, it’s business as usual.

Occupation par Israël

L’occupation est un geste violent, la colonisation est une entreprise basée sur la violence, l’expropriation de la terre, le déplacement forcé du peuple, le déracinement, le changement toponymique, le pillage des ressources naturelles, et l’installation de colonies de peuplement en violation du droit international. C’est une tentative d’effacer un peuple, sa culture, son histoire, même son existence. Selon un rapport publié par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, l’occupation israélienne est la plus longue de l’histoire moderne4. La Quatrième Convention de Genève est claire sur le principe qu’une force occupante, comme c’est le cas d’Israël à Gaza, doit « assurer l’approvisionnement de la population en vivres et en produits médicaux ». Le recours à la famine comme méthode de guerre est interdit et constitue un crime de guerre5. Il est hypocrite de prétendre d’un côté que nous sommes signataires des conventions de droits de la personne et des droits de l’enfant, et de fournir de l’autre côté de l’armement à un pays qui pratique l’apartheid : la population non-juive de Cisjordanie est soumise au droit militaire, tandis que les colons israéliens qui occupent le territoire, sont soumis à un autre système juridique. On fournit de l’armement à un pays qui interdit l’accès à plus de 61 %6 du territoire de la Cisjordanie aux Palestinien-ne-s. Cette hypocrisie finira par faire disparaître les principes fondamentaux non seulement de toutes les conventions et de tous les traités internationaux, mais de notre humanité.

Gigantesques dépenses militaires

Aujourd’hui, Israël reçoit plus que nul autre pays dans l’histoire, du financement des États-Unis chiffré à 3.3 milliards7 de dollars juste pour 2022, cette somme étant dédiée spécifiquement à l’industrie d’armement. Elle se situe parmi les pays qui allouent le plus de ressources aux dépenses militaires en proportion du produit intérieur brut (PIB), en figurant à la cinquième place du classement mondial8. Le Canada, à son tour, a exporté plus de 21 millions de dollars de matériel militaire vers Israël en 2022, ce qui place Israël parmi les 10 principales destinations des exportations d’armes canadiennes9.
Article premier de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948. « Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, constitue un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir. » Article premier
Nous savons que le complexe militaro-industriel d’Israël s’est développé au cours des 75 dernières années, sur des pratiques israéliennes en matière de répression d’apartheid, d’occupation militaire et de colonisation contre le peuple palestinien. Or, ce savoir-faire est devenu un produit d’exportation. Ces exportations prennent la forme d’échanges de technologie de haute surveillance avec United States Agency for International Development (USAID) pour le contrôle du passage des migrant-e-s sans papiers à la frontière entre les USA et le Mexique. Elles se concrétisent aussi sous la forme d’entrainement et d’embauche des firmes privées israéliennes pour réprimer les favélas du Brésil. Comme individu et comme société, il faut qu’on soit conscient que chaque geste qu’on pose entraîne une conséquence directe sur le plan global ; nos luttes sont interreliées, et chacun-e d’entre nous forme une des mailles qui nous relient.

Plus possible d’ignorer

Dans un monde soi-disant post colonial, Israël est aujourd’hui le seul pays qui essaie d’étendre son projet colonialiste de peuplement avec des projets d’expansion. Ce projet expansionniste est réalisé par la construction des colonies de peuplement qualifiées comme illégales sous le droit international. La présence d’une panoplie de lois israéliennes racistes dont la loi du retour (1950), la loi sur la propriété des absents (1950), la loi sur l’acquisition des terres (1953) et la loi sur la Nakba (2011), chacune de ces lois constitue une discrimination contre la population palestinienne en Israël ainsi que dans les territoires palestiniens occupés. « Le fait de considérer que les colonies juives revêtent une importance nationale, comme cela est affirmé dans la Loi fondamentale susmentionnée [Loi fondamentale : Israël, État-nation du people juif, 2018], alors qu’elles sont interdites par le droit international, constitue une violation par Israël de ses obligations au titre du droit international10 ». Nous ne pouvons plus prétendre être antiraciste et en même temps soutenir un état qui a imposé au-delà de 60 lois qui discriminent les Palestinien-ne-s. Aujourd’hui, il faut adopter un changement drastique dans notre façon d’aborder la question de la Palestine. Le voile de l’ignorance s’est levé, nous ne pouvons plus plaider l’ignorance et le manque d’information. Pour contrer les tentatives de l’effacement du peuple palestinien, il faut reconnaitre son récit, il faut utiliser la terminologie qui décrit sa réalité. Il faut alors parler de la colonisation et non pas d’une guerre, il faut parler d’une famine forcée et non pas d’une famine, il faut parler du droit à la résistance et non pas de terrorisme. En parlant de Gaza, il faut parler du siège illégal, il faut parler des prisonniers et prisonnières politiques, et non pas des détenu-e-s, il faut parler des martyr-e-s abattus et non pas des personnes tuées. Il faut rappeler que la lutte du peuple palestinien s’inscrit dans un cadre légitime d’une lutte pour l’autodétermination et pour l’atteinte de sa liberté et la libération de sa terre.

Changement de paradigme

Nous devons alors décoloniser notre approche. En regardant les atrocités qui se déroulent devant nos yeux, il faut enlever le prisme orientaliste, qui justifie la subordination et ainsi la colonisation des peuples du Sud et voir au-delà des faux récits pour retrouver notre propre humanité. Ce changement de paradigme est essentiel pour comprendre et pour agir. Pour mettre fin au colonialisme, à l’apartheid, il faut une reconnaissance du récit palestinien, une reconnaissance de la Nakba et de ses origines. C’est notre devoir en tant que société de lutter et de dénoncer cette colonisation, de reconnaître l’intersectorialité de nos luttes, et que personne ne sera vraiment libre, tant que nous ne le sommes pas tous. C’est notre devoir d’empêcher un gouvernement colonialiste de continuer son projet d’expansion. C’est notre devoir de lutter contre toutes les formes d’oppression en se tenant debout pour les droits humains, la justice et l’égalité pour tou-te-s. Notre résistance en tant que peuple palestinien est animée par notre désir de justice, par l’amour de notre patrie et non pas par la haine envers l’autre. Au moment où vous lisez ces mots, des familles, des personnes comme vous, essaient de répondre à une simple question, comment? Comment avons-nous permis à ces morts annoncées de se poursuivre jour après jour?
  1. The hundred years’ war on Palestine, Rashid Khalidi,
  2. Le nettoyage ethnique de la Palestine, Ilan Pappé,
  3. En ligne : https://www.icj-org/fr/affaire/192
  4. En ligne : https://www.ohchr.org/fr/news/2023/07/special-rapporteur-says-israels-unlawful-carceral-practices-occupied-palestinian
  5. En ligne  :  https://www.hrw.org/fr/news/2023/10/18/israel-le-blocus-illegal-de-gaza-des-effets-fatals-pour-des-enfants
  6. En ligne : https://www.un.org/unispal/fr/faits-et-chiffres/#_ftn1
  7. En ligne : https://www.foreignassistance.gov/cd/israel/
  8. En ligne : https://www.chroniquepalestine.com/armes-et-droits-de-l-homme-le-cas-du-complexe-militaro-industriel-israelien/
  9. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2029344/silence-canada-exportations-armes-israel
  10. En ligne : https://www.ohchr.org/fr/2019/12/dialogue-israel-committee-elimination-racial-discrimination-urges-greater-inclusion-and

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Les services publics et les droits humains : deux faces d’une même médaille

8 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

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Les services publics et les droits humains : deux faces d’une même médaille

Alexandre Petitclerc, doctorant en philosophie et président du CA de la Ligue des droits et libertés Les derniers mois ont été marqués par des luttes importantes concernant les services publics québécois. La grève des enseignant-e-s et les luttes des travailleuses de la santé nous ont rappelé que la réalisation d’un projet de société respectueux des droits humains est intrinsèquement liée à des services publics accessibles et financés adéquatement. En ratifiant différents traités et accords en matière de droits humains au cours des 75 dernières années, le Canada et le Québec se sont engagés à mettre en œuvre ces droits. Un financement adéquat et pérenne des services publics permet de mettre en œuvre le droit à la santé, à l’éducation ou au logement, par exemple. Sans financement adéquat, les droits humains ne demeurent que des principes énoncés comme des vœux pieux. Alors, les services publics sont constamment menacés par la privatisation et par les désinvestissements, ces phénomènes mettent à mal la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité des services sociaux, par exemple. Le langage des droits humains rappelle qu’investir en éducation, en santé et dans le logement n’est pas uniquement un choix politique, mais contribue aussi à ce que les États respectent les obligations auxquelles ils se sont engagés. Le financement des services publics est une affaire collective et participe au plein exercice des droits garantis à toutes et tous et à réduire les inégalités socioéconomiques. Privatiser les services publics participe d’un désaveu envers ces droits et envers, qui plus est, celles et ceux qui fournissent les soins et services au quotidien. En ce sens, il est particulier de constater la manière dont le gouvernement provincial a instrumentalisé les luttes syndicales de l’automne dernier pour expliquer le déficit du budget 2024-2025. Le parti au pouvoir n’a pas hésité à mettre la faute sur les hausses salariales des employé-e-s de l’État pour justifier que le gouvernement se retrouve à adopter un budget peu enviable face à son électorat. Or, financer les services publics convenablement, en offrant notamment des salaires décents et des conditions de travail raisonnables, peut se faire sans opposer le personnel de l’État aux contribuables. Au contraire, les travailleuses et les travailleurs et les contribuables sont tous détentrices et détenteurs de droits dont le droit à une vie décente, le droit à la santé, le droit à l’éducation, le droit d’association, etc. De plus, si les services publics constituent un des moyens de réaliser les droits humains, l’État devrait trouver des manières de financer ces services. Une des critiques les plus fortes concernant la pleine réalisation des droits humains — notamment les droits économiques, sociaux et culturels — se base précisément sur l’argument voulant que la réalisation des droits soit dépendante des ressources disponibles au sein des États. Cet argument, celui de la rareté des ressources, stipule qu’il est difficile de mobiliser le langage des droits humains pour justifier des dépenses dans certains services publics. S’il existe une limite matérielle à la réalisation des droits, diront ces critiques, alors il est inutile d’utiliser ce langage. Or, l’argument de la rareté ne doit pas être utilisé pour justifier l’abandon du cadre de référence des droits humains pour défendre les services publics. Au contraire, les engagements de l’État en matière de droits économiques, sociaux et culturels stipulent que la réalisation de ces droits doit se faire progressivement. L’État ne peut pas reculer par rapport à ces droits : il doit toujours travailler à améliorer leur réalisation. De plus, l’argument de la rareté demeure relatif. Bien qu’il soit difficile de contester que l’État dispose de ressources finies pour parvenir à remplir ses obligations en matière de droits humains, il demeure néanmoins qu’il dispose d’une multitude de moyens pour financer les services publics de sorte à favoriser la pleine réalisation des droits humains. Son outil le plus efficace, surtout dans un contexte d’accroissement significatif de la concentration des capitaux, demeure un ensemble de mesures pour limiter et éventuellement éliminer les inégalités socioéconomiques. Or, même en laissant de côté le motif électoraliste d’une telle position, il est difficile pour le gouvernement d’augmenter les revenus provenant des impôts des classes inférieures et moyennes, en raison de l’effet matériel important sur ces classes. Néanmoins, l’enrichissement des groupes les plus possédants a été presque exponentiel depuis les dernières décennies et encore plus depuis la COVID-19. Une période de ralentissement et de difficultés économiques ne justifie aucunement que l’État délaisse ses engagements en matière de droits humains. Il doit en faire plus pour s’assurer que nous puissions éventuellement vivre comme égaux au Québec. Nous le répétons, la réalisation des droits humains doit se faire de manière progressive et l’État ne peut accepter des reculs en la matière. Les grandes mobilisations syndicales, fin 2023 et début 2024, nous rappellent que le cadre de référence des droits humains doit rester au cœur des revendications pour redire à l’État de remplir ses obligations : envers tous les titulaires de droits.

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Les organisations syndicales québécoises, canadiennes et internationales soutiennent-elles les affidés de Vladimir Poutine ?

https://www.pressegauche.org/IMG/pdf/circular_e_2024-15_-_annex_a_-_2024_ilo_gb_election_candidates_.pdf?46801/d0de97b8cd5d0ff861c3da25d4541fb9e86897a655eb15979b0062779ebd551a https://www.pressegauche.org/IMG/pdf/circular_f_2024-15_-_annex_b_-_2024_ilo_gb_election_candidates_85_.pdf?46802/9abcab8c440a01d264a251641dcda6a57ba524d5ad69c1107ad7a2f73c6328df8 juin 2024, par Martin Gallié — ,
Aussi importante que soit cette question pour connaitre l'orientation politique des directions syndicales, il est difficile d'y répondre clairement. Disons simplement que les (…)

Aussi importante que soit cette question pour connaitre l'orientation politique des directions syndicales, il est difficile d'y répondre clairement. Disons simplement que les organisations syndicales internationales ne brillent pas par leur transparence tandis que les enjeux de solidarité internationale sont secondarisés au sein des syndicats nationaux.

En juin 2024, ont lieu les élections des représentant·es des travailleurs et des travailleuses au Conseil d'administration de l'Organisation Internationale du Travail (OIT). Cette organisation tripartite (composée de représentant·es gouvernementaux, d'employeurs et de travailleur·ses) est notamment responsable de l'adoption des normes minimales en droit du travail. À titre d'exemple, la question de la légalité internationale du droit de grève est aujourd'hui l'une des questions les plus discutées en son sein. Il s'agit donc d'une organisation qui joue un rôle important pour la classe ouvrière, d'où l'importance de bien choisir ses représentant·es.

Ce sont les délégué·es des travailleurs et travailleuses de chaque pays membres à l'OIT qui votent pour les 33 membres du Conseil d'administration qui représentent les intérêts des travailleurs et des travailleuses : 14 membres permanents et 19 adjoint·es auxquels s'ajoutent 19 remplaçant·es. Aussi, pour préparer l'élection, la Confédération Syndicale Internationale (CSI), première organisation syndicale internationale au monde, a nommé un Comité de sélection mondial, composé de huit membres, à savoir les principaux dirigeants de la CSI et ceux des différentes confédérations régionales (Asie-Pacifique, Afrique, Europe, Amériques). Le comité a été chargé de dresser trois listes indicatives (pour les postes permanents, adjoints et remplaçants) des candidat·es. Ces listes sont ensuite communiquées aux délégué·es de l'OIT avant le vote pour leur indiquer le nom des candidat·es qui ont reçu l'appui de la CSI.

Lors de sa dernière réunion cependant, le Comité de sélection de la CSI n'a pas réussi à se mettre d'accord sur l'ensemble de la liste des 19 membres adjoints. Plus précisément, la proposition de laisser le 19e siège vacant « a fait l'objet d'une discussion », considérant que ce poste sera alors probablement pourvu lors du vote à l'OIT par un représentant du FNPR, la Federation of Independent Trade Unions of Russia (FNPR), la principale centrale syndicale Russe (voir document joint). Et finalement, avec 6 votes pour, un vote contre et une abstention, le Comité de sélection a choisi de laisser ce siège vacant. Seule la secrétaire générale du Conseil régional paneuropéen, Esther Lynch a voté contre, « sur la base du mandat clair de sa région de ne pas laisser de place susceptible d'être occupée par un candidat de la FNPR (Russie) ».

Rafael Freire, secrétaire général de la Confédération syndicale des Amériques (CSA) - laquelle compte parmi ses membres le Congrès canadien du travail (dont la FTQ), la CSN et la CSD - s'est quant à lui abstenu au motif « que sa région avait une proposition favorable à l'inclusion d'un représentant de l'organisation de travailleurs la plus représentative de la Fédération de Russie dans la liste de la CSI ».

Certes, il ne s'agit là que d'un vote indicatif du Comité de sélection mondial de la CSI puisque ce sont les délégué·es des travailleurs et des travailleuses à la Conférence internationale du travail de l'OIT qui au final éliront, le 9 ou 10 juin prochain, les représentant·es de leur choix au Conseil d'administration de l'OIT . Reste que cet appui à la FNPR est fortement dénoncé par celles et ceux qui sont attaché·es à la solidarité syndicale internationale .

Ce soutien est d'abord complètement aberrant puisque le Conseil d'administration de l'OIT a fermement condamné l'agression de l'Ukraine et mis fin à sa coopération avec la Russie. De surcroît, la CSI elle-même a suspendue la participation de la FNPR à ses activités depuis mai 2022 –suite à une commission d'enquête du Conseil général - en raison de son indéfectible soutien à Vladimir Poutine et à son « opération spéciale » en Ukraine.

Ainsi, aussi incohérent que cela puisse paraitre, des dirigeant·es de la CSI appuient maintenant la candidature à l'OIT d'un membre qu'ils et elles ont suspendu au motif qu'il violait ses statuts et notamment l'engagement selon lequel : « La Confédération proclame le droit de tous les peuples à l'autodétermination et à vivre libres de toute agression et de tout totalitarisme sous un gouvernement de leur choix ».

Mais ce soutien est aussi honteux quand on sait que la FNPR s'est ouvertement engagée à soutenir l'effort de guerre en Ukraine , qu'elle s'accapare les biens syndicaux ukrainiens dans les territoires occupés, que ses délégués ovationnent Vladimir Poutine venu faire le discours d'ouverture de son dernier congrès, confirmant de facto sa complète soumission et sa complicité avec le régime poutinien. Cet appui constitue une trahison non seulement à l'égard des centrales syndicales ukrainiennes qui appellent vainement à la solidarité internationale et à l'exclusion du FNPR mais également à l'égard des travailleurs et des travailleuses russes membres de la Confédération du travail russe (KTR-la seconde centrale russe) qui ont courageusement pris position contre la guerre.

Pour expliquer ce soutien, certains font valoir, plus ou moins ouvertement, des arguments de « realpolitik », il s'agirait de s'opposer à l'impérialisme « occidental », ou encore des arguments organisationnels et de représentativité : la FNPR serait l'une des plus importantes centrales syndicales, elle compterait pour 17% des membres de la CSI, sa suspension aurait d'importantes répercussions organisationnelles et financières pour la CSI, etc.

Mais quelle peut-être la contribution à la lutte contre l'impérialisme ou pour l'émancipation internationale des travailleurs et des travailleuses d'une organisation syndicale, quand bien même serait-elle la plus importante du monde, qui soutient ouvertement une guerre d'agression, nie le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, appuie des oligarques et des dirigeants racistes, sexistes, homophobes et qui répètent à qui veut l'entendre que l'Ukraine n'existe pas ?

Localement, au Québec comme au Canada, il est temps de se demander ce que votera le ou la représentant·e des travailleurs et des travailleuses canadien·nes à l'OIT [1]. Mais à ce jour, nous ne savons pas qui y participera tandis que les centrales syndicales québécoises comme le Congrès canadien du travail, contrairement à d'autres organisations, n'ont toujours rien communiqué sur le sujet.

Martin Gallié
Le 7 juin 2024.


[1] Nous ne connaissons que les représentant·es syndicaux à l'OIT de 2023 ; à noter qu'il y avait alors des représentant.es de la FTQ, de la CSN et de de la CSQ : https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcms_882714.pdf)

Les chauffeurs de bus gagnent leur lutte pour de meilleures conditions de travail

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/06/greve_01-05-2024_1200px-1024x576.png7 juin 2024, par Comité de Montreal
Depuis octobre 2023, les chauffeurs d'autobus scolaires du Québec sont de plus en plus actifs. Des centaines de travailleurs de plusieurs syndicats de la province ont déclenché (…)

Depuis octobre 2023, les chauffeurs d'autobus scolaires du Québec sont de plus en plus actifs. Des centaines de travailleurs de plusieurs syndicats de la province ont déclenché des grèves qui ont permis d'améliorer considérablement les conditions de travail et d'obtenir des augmentations de (…)

Site web nonala20

7 juin 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Un nouveau site web informatif a vu le jour le 25 mai 2024 portant sur le prolongement de l’autoroute 20. Il est le (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Un nouveau site web informatif a vu le jour le 25 mai 2024 portant sur le prolongement de l’autoroute 20. Il est le fruit du travail de bénévoles opposé.es au projet. En plus du site web, un dépliant informatif a également été conçu. Ces (…)

Luttes abolitionnistes et féminisme carcéral

7 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

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Luttes abolitionnistes et féminisme carcéral

Entrevue avec Marlihan Lopez, cofondatrice de Harambec et militante féministe Noire Propos recueillis par Delphine Gauthier-Boiteau, doctorante en droit et membre du comité de rédaction de la revue et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés

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Qu’en est-il des systèmes carcéraux et des abolitionnismes ?

7 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

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Qu’en est-il des systèmes carcéraux et des abolitionnismes?

Entrevue avec Marlihan Lopez, cofondatrice de Harambec et militante féministe Noire Propos recueillis par Delphine Gauthier-Boiteau, doctorante en droit et membre du comité de rédaction de la revue et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés

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Plus vous faites chier les gens, plus ils vous feront chier

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/06/lockout-e1717722517312-1024x606.jpeg7 juin 2024, par Comité éditorial
La semaine dernière, La Presse publiait une chronique intitulée « La CSN embauche un bum ». Patrick Lagacé y déblatère sur l'embauche « dégueulasse » d'un syndicaliste qui (…)

La semaine dernière, La Presse publiait une chronique intitulée « La CSN embauche un bum ». Patrick Lagacé y déblatère sur l'embauche « dégueulasse » d'un syndicaliste qui aurait suivi jusque chez lui un cadre, responsable d'avoir mis tous les travailleurs de son usine en arrêt de travail forcé. (…)

Faire payer Facebook : un fiasco

7 juin 2024, par Par Pierre Dubuc
The Economist reconnaît ce que le monde médiatique canadien refuse d’admettre

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Je ne savais pas que j’allais me retrouver au cœur d’une guerre

7 juin 2024, par Par Orian Dorais
Entrevue avec Zaynê Akyol, cinéaste québécoise d’origine kurde

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Un petit pas pour Sabia, un grand pas pour la privatisation

7 juin 2024, par Par Jacques Benoit et Michel Jetté
La stratégie de développement éolien d’Hydro-Québec

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Incongruités et aberrations

7 juin 2024, par Par Michel Rioux
En ces temps plutôt surprenants

En ces temps plutôt surprenants

Ensemble pour Gaza et la Palestine

6 juin 2024, par Coalition du Québec Urgence Palestine — ,
Alors que des mandats d'arrêt sont en discussion à la Cour pénale internationale. la coalition du Québec Urgence Palestine appelle à signer une nouvelle déclaration pour exiger (…)

Alors que des mandats d'arrêt sont en discussion à la Cour pénale internationale. la coalition du Québec Urgence Palestine appelle à signer une nouvelle déclaration pour exiger des sanctions contre Israël. Elle invite aussi à une nouvelle manifestation à Montréal, le samedi 8 juin, à 14 h. On peut retrouver le texte de la déclaration ici, que nous publions ci-dessous. Pour l'appuyer, il suffit d'envoyer un courriel à urgencepalestine.qc@gmail.com

Ensemble pour Gaza et la Palestine : exigeons des sanctions contre Israël !

Depuis octobre 2023, les bombardements incessants, les ordres d'évacuation répétés et le blocus impitoyable d'Israël ont réduit en ruines la bande de Gaza et plongé sa population entière dans des conditions d'errance, de famine, d'insalubrité, d'épuisement, de traumatismes et de deuils. 70 % des infrastructures civiles ont été détruites, 35 562 personnes (civiles) tuées, 10 000 ensevelies sous les décombres, 79 652 blessées. (en date du 20 mai 2024)

Le secrétaire à la Défense Lloyd J. Austin III rencontre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant à Tel Aviv, Israël, le 13 octobre 2023.
Le 6 mai, Israël a refusé un accord de trêve négocié, que le Hamas venait d'accepter. Défiant toutes les mises en garde, Israël a amorcé son offensive annoncée contre la ville de Rafah, refuge ultime de 1,5 million de Palestinien.nes. Déjà 800 000 personnes ont été forcées de fuir Rafah vers des secteurs déjà ravagés, plus difficiles à rejoindre pour l'aide humanitaire et sans infrastructure pour les accueillir.

Jusqu'où ira l'odieuse complicité du Canada ?

Pendant des mois, le Canada s'est contenté de soutenir le droit d'Israël de se défendre, droit qui n'existe pas en droit international pour une puissance occupante. D'octobre à décembre 2023, il a autorisé un montant record d'exportations militaires vers Israël. Il a prétendu qu'il ne s'agissait que d'équipements militaires « non létaux », mais n'a fourni aux médias que des documents lourdement caviardés. Puis il a annoncé qu'il n'en autoriserait plus, mais qu'il allait respecter les ententes déjà signées… alors que la Cour internationale de Justice (CIJ) a statué, le 26 janvier, qu'il était plausible qu'Israël commette des actes de génocide à Gaza !

Avec l'accumulation des horreurs commises par Israël, le Canada a exprimé des « préoccupations » et finalement demandé un cessez-le-feu. Le 12 février, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a dit qu'une invasion militaire de Rafah serait « totalement inacceptable ». Mais pendant près de trois mois, le Canada n'a rien fait pour l'empêcher. Au contraire, il a continué de soutenir Israël. Le 10 mai, l'Assemblée générale des Nations Unies votait à une écrasante majorité en faveur de l'admission de l'État de Palestine à l'ONU. Le Canada, lui, s'est abstenu. Un « changement fondamental » de politique, selon Justin Trudeau !

Des sanctions contre Israël sont urgentes

Toutes les vies humaines sont sacrées. Toutes les violations des droits humains doivent être dénoncées, et les responsables répondre de leurs actes. L'inaction du Canada est odieuse et contraire à ses obligations internationales. Nous exigeons des sanctions sévères envers Israël, à commencer par un embargo sur tout matériel militaire. Les relations bilatérales privilégiées avec Israël, dont l'accord de libre-échange, doivent aussi être remises en question : continuer, comme si de rien n'était, n'est pas une option. Poursuivre la mise en place d'un bureau du Québec à Tel-Aviv, sous prétexte que la décision avait été prise avant octobre 2023, est une honte ! Les sanctions doivent être maintenues tant qu'une solution juste et durable n'aura pas été mise en place, concrétisant le droit du peuple palestinien à l'autodétermination et l'égalité des droits en terre de Palestine. Nous appelons la population québécoise à se méfier des tentatives occidentales — États-Unis en tête et le Canada derrière ! — d'imposer une solution « à deux États », dont l'un, palestinien, n'aurait aucune viabilité.

IL N'EST PAS ANTISÉMITE DE DÉFENDRE LES DROITS DU PEUPLE PALESTINIEN !

Maintenir le cap !

6 juin 2024, par Valérie Beauchamp, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond, Claude Vaillancourt — , , , , , ,
Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord ! Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre. Détails (…)

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord !

Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre.

Détails ici !

Depuis 20 ans, la revue À bâbord ! s'est obstinée à exister et à exprimer son esprit rebelle et ses idées résolument progressistes. À travers 100 numéros, nous avons voulu donner la parole à celles et ceux qu'on n'entend pas. Ces groupes et personnes se heurtent trop souvent au mur médiatique, car leurs paroles et actions sont couramment perçues comme trop radicales ou mal formatées pour convenir aux grandes tribunes.

Pour ce dossier, nous avons parcouru tous nos numéros afin de vous présenter une synthèse et quelques textes particulièrement significatifs de quatre périodes de cinq ans. Inutile de dire à quel point l'exercice a été difficile, douloureux, voire hasardeux. Comment nous limiter à quelques écrits, alors qu'abondent dans la revue les points de vue riches, signifiants et d'une grande diversité ?

Relire 20 ans d'À bâbord ! a été pour nous un captivant voyage dans le temps qui nous a permis de replonger dans les luttes les plus marquantes, mais aussi, dans leur multiplicité. Cela nous a aussi permis de constater à quel point, et sur de nombreux sujets, notre revue a été d'une grande pertinence, à l'avant-garde de plusieurs tendances et toujours très représentative des nombreux mouvements de la gauche.

Dans ce dossier, nous avons aussi voulu remonter à l'origine même de la revue, à sa naissance dans un contexte où la gauche cherchait à se réorganiser. Nous nous partagions entre une tendance prête à jouer le jeu de la politique partisane, associée à la création de Québec solidaire, et une autre, qui sera celle finalement adoptée, assurant à la revue son entière indépendance et cherchant à donner la parole aux divers courants présents dans les mouvements sociaux, sans pour autant ignorer les urnes.

Pour rappeler cette période, nous avons donné la parole à deux des fondateurs de la revue, Claude Rioux et Amir Khadir. Ricardo Peñafiel, également membre fondateur de la revue, signe le texte d'introduction de la période 2003-2008. Nous avons aussi invité Alexis Lafleur-Paiement, d'Archives Révolutionnaires, à nous proposer un regard critique sur les années fondatrices de la revue.

L'enracinement féministe de la revue fait l'objet d'un texte spécifique dans le dossier. Nous avons finalement tenu à expliquer, par celle qui en est maintenant la coordonnatrice, Isabelle Bouchard, le fonctionnement particulier de la revue, sans rédacteur·rice en chef, sans hiérarchie. Nous sommes la preuve que ce type d'autogestion permet de livrer une revue de qualité, et ce, pendant des années.

Ce retour sur nos 20 années d'existence a été un beau parcours de l'histoire récente du Québec, mais aussi celle élargie du monde où nous vivons. En étant profondément ancrée dans les mouvements sociaux et politiques du territoire, la revue À bâbord ! documente l'histoire de mouvements sociaux et politiques qui ne connaissent pas de frontières, et d'autres luttes marginalisées, dont nous sommes fièr·es de rendre compte.

Dossier coordonné par Valérie Beauchamp, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond et Claude Vaillancourt

Avec des contributions de Jade Almeida, Normand Baillargeon, Valérie Beauchamp, Isabelle Bouchard, Philippe de Grosbois, Yannick Delbecque, Martine Delvaux, Amir Khadir, Alexis Lafleur-Paiement, Nadine Lambert, Diane Lamoureux, Jean-Pierre Larche, Barbara Legault, Frédéric Legault, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond, Claude Rioux et Claude Vaillancourt

Infographie : Anne-Laure Jean

Coup d’oeil sur la justice alternative à Kahnawà:ke

6 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

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Coup d'oeil sur la justice alternative à Kahnawà:ke

Entrevue avec Dale Dione, fondatrice et ex-coordonnatrice du programme de justice alternative Sken:nen A'Onsonton à Kahnawà:ke Propos recueillis par Nelly Marcoux, membre du comité Droits des peuples autochtones de la Ligue des droits et libertés

Comment le programme Sken:nen A’Onsonton a-t-il été créé?

Le projet est né d’un effort populaire. Les membres de notre communauté estiment que le système judiciaire n’est pas représentatif de la justice au sein de notre culture. Des recherches ont donc été menées sur les méthodes et philosophies Haudenosaunee1 pour aborder les conflits. Une vaste consultation communautaire a également eu lieu, au cours de laquelle on a demandé aux gens ce qui serait le plus utile à la communauté en matière de justice. Le programme a débuté en 2000. À l’époque, des membres de la communauté ont suivi des formations en justice réparatrice et ont endossé cette approche comme moyen de développer un programme de justice alternative à Kahnawà:ke. La justice réparatrice est une méthode autochtone de gestion des conflits, très proche de nos méthodes traditionnelles. Nous ne l’avions simplement pas utilisée pendant de nombreuses années, étant bombardés par le système judiciaire occidental.

Que signifie le nom Sken:nen A’Onsonton?

En anglais, Sken:nen A’Onsonton se traduit par to become peaceful again (redevenir paisibles). Dans notre langue2, ce terme a une signification très profonde. Supposons qu’un conflit survienne entre deux personnes qui avaient une relation proche, une amitié, ou qui étaient de simples connaissances. Le conflit brise la sken:nen (la paix). Comment pouvons-nous revenir à la situation antérieure ? Il faut que les gens se réunissent et, le mieux possible, essaient d’arranger les choses. Nous avons toujours vécu dans de petites communautés. Si un problème survenait, nous devions nous réunir et apporter des changements pour pouvoir avancer en tant que communauté ou en tant que nation. C’était une question de survie.

Comment le programme fonctionne-t-il? Quels en sont les principes fondamentaux?

La guérison collective est la pierre angulaire de la justice réparatrice. Cette approche encourage les gens à se parler, à assumer la responsabilité de leurs actes et à résoudre les problèmes ensemble. Le programme vise donc à rassembler les gens, à leur donner les moyens de prendre des décisions ensemble et à atteindre la paix et la guérison. Nous proposons des services non contradictoires, notamment la médiation et les cercles de justice. Le processus de médiation commence par une rencontre individuelle entre chacune des parties et les personnes facilitatrices. Les parties racontent leur histoire et expriment leurs attentes par rapport au processus. Les personnes facilitatrices analysent le conflit et identifient les points d’entente. Au cours de ces rencontres, vous entendrez souvent la douleur des parties. Lorsqu’elles se réunissent dans le cadre de la médiation, une grande partie de cette douleur s’est estompée. C’est une première étape très utile. Dans les cercles de justice, chaque partie est accompagnée d’une personne qui la soutient. Il peut s’agir d’un-e membre de la famille, d’un-e ami-e ou d’une personne affectée par la situation. Dans un premier temps, le processus est expliqué à chaque personne individuellement et des questions lui sont posées avant la tenue du cercle afin qu’elle puisse se préparer. Par exemple, on lui demande ce qui s’est passé, ou ce qu’elle pensait à ce moment-là. Chaque personne peut alors réfléchir à ce qu’elle veut communiquer au moment du cercle de justice. Pendant le déroulement des cercles, les personnes facilitatrices posent des questions et aident les participant-e-s à trouver une entente. Toutes les personnes présentes entendent ce qui s’est passé et ont leur mot à dire, ce qui est très important. Une personne n’aurait peut-être jamais imaginé l’impact de ses actions sur les autres, mais le fait d’entendre une autre personne exprimer à quel point elle a été profondément affectée peut aider à reconnaître cela. Tout est dit et entendu. À la fin, les participant-e-s sont invité-e-s à partager les suggestions qui, selon elles et eux, pourraient améliorer les choses. Tout le monde est inclus. Les deux parties reçoivent une copie de l’accord. En général, les parties elles-mêmes et les personnes accompagnatrices veillent à ce que l’accord soit respecté. En s’engageant dans ce processus, les gens assument la responsabilité de leurs actes, ce qui est une condition pour avoir accès au programme; à partir de là, l’emphase est sur la guérison collective. Il s’agit en outre d’un processus volontaire : toutes les parties doivent accepter d’y participer. Nous recevons des dossiers de notre propre cour et de la cour de Longueuil. Les gens peuvent également demander de l’aide pour vivre les situations. Le service est offert gratuitement par la communauté.

Pourquoi est-ce important d’avoir un programme de justice par la communauté, pour la communauté?

J’ai toujours considéré que la justice et l’éducation sont étroitement liées. Je crois qu’un système judiciaire doit refléter la culture et les valeurs d’une société. Nos valeurs ne sont pas reconnues ou soutenues dans le système occidental, un système qui crée des gagnant-e-s (généralement celles et ceux qui ont de l’argent et du pouvoir) et des perdant-e-s. Le système dont je parle est basé sur l’égalité de toutes et tous, sur le fait que chacun-e a son mot à dire et sur la recherche de solutions sur lesquelles il est possible de s’entendre.
La guérison collective est la pierre angulaire de la justice réparatrice. Cette approche encourage les gens à se parler, à assumer la responsabilité de leurs actes et à résoudre les problèmes ensemble.
Dans le système judiciaire occidental, on conseille souvent aux accusé-e-s de plaider non coupable, même si elles ou ils ont en réalité participé à l’évènement. C’est un principe qui va à l’encontre des façons d’être et des valeurs autochtones, notamment le principe de dire la vérité et d’être responsable de ses actes. Cela va à l’encontre de qui nous sommes. C’est très dommageable. Dans notre processus, c’est la victime qui est la plus importante. Dans le système occidental, si un événement violent se produit, on lui demande de porter plainte, souvent au pire moment possible, alors qu’elle peut être traumatisée. Ses déclarations écrites peuvent ensuite être utilisées pour mettre en doute sa crédibilité. Je n’ai jamais pu comprendre cela. Pour donner un autre exemple : les tribunaux traditionnels ne tiennent pas compte des possibles conséquences d’une décision sur la famille d’une personne. Un juge peut imposer une amende qui pourrait nuire à la capacité d’une famille à se nourrir et à payer son loyer. Dans notre processus, nous demandons : « Cette solution est-elle acceptable pour vous? » « Pouvez-vous faire cela? », car il ne sert à rien de donner des ordres si la personne ne peut pas les appliquer! Les parties respectent généralement leur entente parce qu’elles se sont réellement engagées. Finalement, les tribunaux extérieurs ne sont pas conscients de notre culture, de l’endroit où nous vivons, de la manière dont nous vivons. Les juges sont formés sur la base des réalités caractéristiques de populations plus nombreuses. Les Autochtones vivent dans leurs communautés, dans les réserves ; elles et ils se voient tous les jours dans la rue, dans les magasins. C’est une grande différence. Dans ce contexte, le processus accusatoire favorise la division au sein des communautés.

Quels sont les plus grands défis vécus par votre équipe dans l’accomplissement de votre travail ?

Renoncer à la punition pour aller vers la guérison et revenir aux anciennes façons de faire a été un véritable changement de paradigme. Au début, c’était très nouveau et très difficile car tout le monde est formé aux processus accusatoires, autant au sein de la police, que des Peacekeepers et des tribunaux, et même dans les écoles et les lieux de travail. Les gens avaient l’impression que ce processus était une solution facile, elles et ils étaient réticent-e-s à l’idée d’avoir à parler de leurs sentiments, ce genre de choses. Il était difficile de changer les façons de penser. Mais au fil des ans, les conséquences des problèmes multigénérationnels que nous avons vécus ont été de plus en plus reconnues. La colonisation. La perte de notre langue. La perte du territoire. La perte de notre eau, de notre rivière3. Nous avons subi tant de pertes au cours de notre histoire. Aujourd’hui, les gens se rendent compte que nous devons pouvoir parler de ces choses et que nous avons le droit de trouver des solutions entre nous. Grâce à l’éducation, les gens pensent différemment et la plupart d’entre eux sont désormais disposé-e-s à parler de ces choses. Les personnes qui participent aux processus de médiation ou aux cercles de justice sont étonnées de constater à quel point les choses ont changé pour elles. Elles voient les choses différemment. Elles laissent aller l’anxiété, la colère et tout ce

Quels sont vos espoirs pour l’avenir de la justice dans votre communauté ?

Lorsque j’ai commencé ce travail, je ne m’attendais pas à ce que les choses changent automatiquement. Je me suis dit que cela se produirait peut-être à la prochaine génération ou à la suivante, peut-être quand je ne serais plus là. Au moins, les semences de la paix seront plantées, il y a un processus qui peut être développé pour l’avenir. Il faut beaucoup de temps pour que les gens changent, surtout après des siècles d’imposition de ces systèmes accusatoires et punitifs dans nos communautés. Il faudra beaucoup de temps pour démanteler ces systèmes. J’espère que le programme Sken:nen A’Onsonton ramènera notre peuple à ses valeurs originelles, en travaillant ensemble pour éradiquer les divisions qui nous sont imposées. À l’heure actuelle, tout arrive du sommet de la pyramide. Nos valeurs originelles, elles, parlent d’un cercle où tout le monde est égal et où nous travaillons ensemble pour maintenir qui nous sommes pour les générations à venir. Mais aussi, pour retrouver tout ce que nous avons perdu — notre langue, notre territoire, notre culture. Je sais que c’est un grand souhait. Mais comme je l’ai dit, nous plantons des semences. J’ai des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants. Je me préoccupe du monde dans lequel elles et ils vivront lorsque je ne serai plus là.
  1. Le peuple Haudenosaunee, peuple des maisons longues communément appelé Iroquois ou Six Nations, forme une confédération de six Nations dont est membre la Nation Kanien’kehá:ka (communément appelée Mohawk), dont fait partie la communauté de Kahnawà:ke.
  2. Langue Kanien’kéha
  3. Pour en apprendre plus sur les impacts de la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent sur la communauté de Kahnawà:ke, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=aTRIqCgSxYQ
 

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Sommaire du numéro 100

6 juin 2024 —
Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord ! Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre. Détails (…)

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord !

Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre.

Détails ici !

Sortie des cales

Solidarités noires face aux génocides / Jade Almeida

Négociations de 2023

22 jours de grève / Marion Miller

Bilan et avenir du Front commun / Thomas Collombat

Luttes

Palestine. Haro sur la censure / Isabelle Larrivée

Queer

Une sagesse qui se perd / Judith Lefebvre

Analyse du discours

La figure québécoise dite colonisée et l'invisibilisation autochtone / Mathieu Paradis

Travail

Secteur culturel. Formes, limites et possibilités de l'organisation collective / Laurence D. Dubuc et Maxim Baru

Féminisme

Précarité genrée, violences ignorées / Sylvie St-Amand et Mathilde Lafortune

Qui a droit à la romance ? / Kharoll-Ann Souffrant

Économie

Imposition accrue du gain en capital : critique de la critique réactionnaire de l'élite économique et de ses sbires / Colin Pratte

Coup d'œil

RÉCONCILIATION™

Médias

Un réseau de médias de gauche / Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

Dossier : Maintenir le cap !

Coordonné par Valérie Beauchamp, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond et Claude Vaillancourt

2003-2008. Retour vers le futur / Ricardo Peñafiel

N°16 Automne 2006 : Des hommes contre le féminisme / Barbara Legault

N°25 Été 2008 : Andy Srougi perd son procès contre À bâbord ! / Barbara Legault et Claude Rioux

N°12 Hiver 2006 : Fétichisme et marchandisation de la culture / Ricardo Peñafiel

2008-2013. À la défense des services publics ! / Claude Vaillancourt

N°36 Automne 2010 : Vous avez dit éducation ? / Normand Baillargeon

N°46 Automne 2012 : Désobéissance et démocratie / Diane Lamoureux

N°25 Été 2008 : Facebook, un ami qui vous veut du bien / Philippe de Grosbois

2013-2018. Austérité et crise démocratique / Valérie Beauchamp

N°58 Printemps 2015 : Une réforme en santé et services sociaux. Portes ouvertes pour le secteur privé / Nadine Lambert et Jean-Pierre Larche, FSSS-CSN

N°52 Hiver 2014 : Une fille, des loups / Martine Delvaux

2018-2024. De nouveaux horizons / Samuel Raymond

N°96 Été 2023 : L'illibéralisme, le nouvel encerclement / Claude Vaillancourt

N°86 Hiver 2020 : Racisme systémique. Pirouettes et bistouri / Jade Almeida

N°80 Été 2019 : Pourquoi faire la grève climatique ? / Frédéric Legault

Rétrospective

Une revue pour transformer notre société / Alexis Lafleur-Paiement

Merci d'exister ! / Amir Khadir et Claude Rioux

Sensibilités féministes / Valérie Beauchamp

Publier une revue sans rédaction en chef ! / Isabelle Bouchard et Yannick Delbecque

International

Les cibles culturelles du mouvement antiavortement / Laurent Trépanier Capistran et Véronique Pronovost

Le soulèvement de 2006. Un héritage révolutionnaire à Oaxaca / Alexy Kalam

Culture

À tout prendre ! / Ramon Vitesse

Recensions

Couverture : Anne-Laure Jean

La prison, l’antichambre de la déportation

6 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2024

La prison, l’antichambre de la déportation

Propos recueillis par Laurence Lallier-Roussin, anthropologue et membre du comité de rédaction de la revue et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés La double peine est un concept utilisé pour désigner le fait de subir deux fois la conséquence d’un acte criminel : purger une peine à la suite à une condamnation criminelle, puis être expulsé du Canada après avoir purgé sa peine. Seules les personnes non citoyennes subissent cette double peine, puisqu’après avoir été déjà punies par le système judiciaire criminel, elles sont interdites de territoire et déportées. Comme en témoigne l’organisation Personne n’est illégal, les personnes qui sont renvoyées peuvent être des résident-e-s permanents depuis leur enfance, avoir une vie établie au Canada, un emploi et une famille et n’avoir peu ou pas de lien avec le pays vers lequel elles sont déportées1. Il s’agit en quelque sorte d’un système de justice à deux vitesses : en fonction de leur statut, les personnes vivant au Canada subissent des conséquences bien différentes pour un même acte criminel. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) stipule que les résident-e-s temporaires peuvent être interdits de territoire pour criminalité, et les résident-e-s permanents pour grande criminalité. Cela dit, Mᵉ Coline Bellefleur, avocate en immigration et criminaliste, souligne :

« La grande criminalité n’est pas toujours celle à laquelle on pourrait penser… Par exemple [...], conduire avec les facultés affaiblies par l’alcool ou le cannabis constitue de la grande criminalité, même si vous êtes juste condamné à payer une amende. Pourquoi? Parce qu’en théorie, il est possible d’être condamné à 10 ans de prison pour cela. La même règle s’applique pour toutes les infractions qui pourraient mener jusqu’à ce fameux 10 ans d’emprisonnement (ou plus), même si la personne concernée a dans les faits été poursuivie par procédure sommaire et n’a pas mis un seul orteil en prison2. »

Témoignage : dénoncer un système injuste

Le texte qui suit présente le témoignage d’Alexe, partenaire de Théo, un résident permanent qui a été déporté à cause de sa condamnation pour un acte criminel. Toutes les citations sont d’Alexe.

« Ils ont déporté le père de mes enfants. »

Alexe est en couple avec Théo depuis 14 ans et ils élèvent ensemble trois enfants quand il est accusé au criminel. S’il est reconnu coupable, sa peine sera double : la prison, puis la déportation. Théo est arrivé au Canada à 16 ans pour rejoindre son père qui avait obtenu le statut de réfugié. À la mi-trentaine, il avait toujours le statut de résident permanent. Il aurait pu demander la citoyenneté, ce qui lui aurait permis d’éviter la déportation.

« Son seul tort là-dedans, ça a été d’être procrastineux ou négligent. Si j’avais su la situation depuis day one, moi, j’aurais agi en conséquence, pour faire ses papiers pour devenir citoyen. »

Théo plaide coupable et est condamné à une sentence de deux ans moins un jour.

« Il a fait sa peine au grand complet, puis la journée de la libération, ils l’ont échangé de mains, puis il est reparti pour être détenu par l’immigration. »

Séparation de la famille et intérêt des enfants

La double détention de Théo (au provincial, puis par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) au Centre de surveillance de l’immigration à Laval) suivie de sa déportation, le séparent de sa famille et de ses enfants. Cette séparation démontre le peu d’égards du système d’immigration canadien envers les droits des enfants, alors même que l’intérêt supérieur de l’enfant est un principe inscrit dans la LIPR.

« C’est quoi le plan après ? On déporte les gens, mais ils ont des enfants.

« L’UNICEF, c’est juste pour ramasser des cennes noires à l’Halloween ? Qu’est qui est prévu pour nous ? Pour mes enfants ?

« Ça faisait 14 ans qu’on était en couple et qu’on habitait ensemble. On a deux filles ensemble et mon fils, il l’appelle papa et il le considère comme tel. On travaillait ensemble.

« Comment je fais pour prouver qu’il n’est pas juste un nom sur un certificat, que c’était une partie prenante de la famille ? C’est lui qui était à la première journée de prématernelle de mon fils. Tout le temps... on était toujours ensemble. »

Théo a d’ailleurs continué à soutenir sa famille durant sa détention en prison provinciale, en leur envoyant l’argent qu’il faisait en travaillant.

« Il a fallu qu’ils inventent une procédure à la prison, parce que lui, quand il travaillait, il faisait sortir de l’argent. Les gars, d’habitude, demandent de l’argent, en reçoivent, mais lui, il dit, : ‘’Moi, j’ai une famille, je travaille, bien j’envoie de l’argent.’’ »

Alexe était enceinte durant la détention de Théo au provincial.

« Je me souviens, c’était le jour de mon premier rendez-vous de grossesse pour notre dernière fille. Il est parti en taxi pour rentrer en prison, puis moi, je suis partie de l’autre bord à mon rendez-vous. »

Leur fille naît alors que son père est toujours détenu.

« J’ai accouché toute seule. Ils sont venus avec lui quand elle est née. Il avait les menottes aux pieds, aux mains, avec un masque dans la face. Ils ne l’ont même pas démenotté. Je lui ai mis ma fille dans les bras, mais il n’a même pas pu la toucher. Elle était juste posée. J’ai demandé si je pouvais prendre une photo. Ils m’ont dit non. Il devait avoir une sortie de plusieurs heures, mais il est resté 45 minutes. Ils l’ont fait marcher entre la maternité avec les deux agents, les menottes, les entraves. J’entendais dans le corridor : Cling, cling, cling. »

Quand Théo a pu revoir sa fille, elle avait un an. Alexe nous parle des conséquences sur ses enfants de la séparation d’avec leur père.

« C’est mes enfants qui réclament leur père ; ils ne comprennent pas pourquoi il n’est pas là... Tu sais, ma petite, elle dit : ’’Papa, il est plus loin, il est plus loin comme les dinosaures.’’ C’est lui qui était très joueur avec les enfants et il est très calme. On s’équilibrait. Toute seule, je trouve ça vraiment dur de donner du temps à trois enfants. Il n’y a personne d’autre pour les garder, je les ai tout le temps. Pendant la COVID, c’était infernal.

« Je suis pas du genre à faire des promesses, mais pendant ses détentions, je croyais tellement qu’il allait revenir, on a tellement tout essayé pour qu’il ne soit pas déporté que je leur disais qu’il allait revenir. Et là, il n’est pas là ; je me sens mal.

« Toutes les procédures, les avocats, les appels, ça a pris beaucoup de temps, je les ai presque comme négligés, tu sais... Je dormais pas la nuit pour faire les papiers, pour travailler sur ses dossiers. Ça a donné un coup à la famille en général. Puis là, bien, c’est les enfants qui me voient fatiguée, c’est moi qui est plus irritable... »

Expulsé hors du pays, Théo continue de jouer son rôle parental à distance, comme il peut. « Les enfants, ils s’ennuient. Même si on est plus down ou stressé, dès qu’il sait que les enfants sont là ou que je tourne le téléphone vers un kid, il sourit, il joue avec eux. Ils jouent à la cachette au téléphone. Moi, je tiens le téléphone, les enfants se cachent et lui il me dit : ’’droite-gauche’’. Nous, on est les quatre ensembles, puis on s’ennuie, mais lui il est tout seul depuis tellement longtemps. »

Connaître les conséquences

Lors de son procès, l’avocat criminaliste n’était pas certain des conséquences qu’aurait sa condamnation sur son statut au Canada.

« Théo, il savait pas que s’il plaidait coupable, ça allait à l’immigration. C’est pas tous les avocats qui sont sensibles à ça, puis qui sont intéressés par ça.

« On n’était pas certains si ça allait affecter son statut d’immigration. C’est quand on a passé en cour, l’avocat m’a appelée parce que le juge lui a demandé : ‘’Est-ce que votre client préfère 2 ans moins 1 jour ou 2 ans?‘’ L’avocat, il n’y avait jamais personne qui lui avait demandé ça. On a pensé qu’au provincial ce serait mieux, que ça toucherait pas à l’immigration. Mais en fait, ça change rien. Parce que, pendant sa détention, il a reçu une lettre disant qu’ils allaient devoir l’arrêter après, puis procéder aux mesures de renvoi. »

Alexe croit que les personnes non citoyennes et les avocat-e-s devraient être mieux informés des conséquences de certaines condamnations sur le statut d’immigration. C’est aussi ce qu’écrit l’avocate en immigration et criminaliste Coline Bellefleur3. Alexe souligne également l’injustice de ce double standard.

« Théo n’a eu aucun avis pendant toute sa détention en prison, ni pendant la détention par l’immigration, y compris les cinq tentatives de renvoi. Il n’a aucun truc de violence, aucun mémo, aucune note à son dossier. C’est comme, tu vois, il a fait toutes les thérapies qui étaient en son pouvoir.

« Tu sais, je comprends, t’as fait une erreur, c’est correct. Tu fais de la prison. Mais quand tu fais les thérapies, quand tu fais ton temps plein, quand t’as aucun manquement, quand t’as une famille, quand t’as une stabilité... c’est de l’acharnement.

« Les gens disent : s’ils l’ont déporté, c’est parce qu’il le méritait. Mais tu sais, les autres criminels, eux ? C’est comme si le statut surpasse la personne, ses actions, sa valeur.

« Pourquoi on te fait passer par le système carcéral si on n’a pas l’intention de toute façon de continuer ton séjour au pays ou quoi que ce soit ? »

Violations de droits en détention

Le conjoint d’Alexe est détenu par l’ASFC « mais ils n’arrivent pas à le renvoyer dans son pays d’origine, parce qu’il n’a pas de document de voyage ; l’immigration a perdu son dossier d’arrivée ». Une fois qu’il est clair que l’ASFC cherche à expulser Théo, la famille multiplie les démarches pour trouver un moyen légal de le faire rester au Canada. Ils contactent de nombreux avocat-e-s et des associations de soutien. Ils reçoivent notamment une aide précieuse de l’adjoint de circonscription de leur député fédéral, qui s’efforce de les soutenir. Durant sa détention par l’immigration, Théo collabore avec l’ASFC pour fournir son certificat de naissance et il est alors remis en liberté en attendant sa date de renvoi. À ce moment, il prend la décision désespérée de devenir sans statut afin de rester avec sa famille. Il ne se présente pas à l’aéroport pour son renvoi. Mais l’ASFC harcèle sa famille et il finit par retourner au centre de détention. « Ce n’était pas une vie, de se cacher tout le temps. » En détention, il est tellement désespéré qu’il fait une tentative de suicide.

« C’est là qu’ils m’ont appelée puis qu’ils m’ont juste dit : ‘’Votre conjoint est transporté dans un centre hospitalier, je peux pas vous dire où, je peux pas vous dire son état de santé.’’ J’ai dit : ‘’Mais il est encore en vie?’’ – ‘’Je peux pas vous le dire’’, qu’ils m’ont répondu. »

Il aura fallu cinq tentatives de renvoi avant que Théo soit finalement renvoyé dans son pays d’origine. Pendant sa détention par l’immigration, Alexe raconte comment Théo est victime de violations de droits, tant pour les soins de santé que pour l’accès à son avocat et à sa famille. Il subit notamment de la violence physique de la part des agent-e-s de l’ASFC lors de ses tentatives de renvoi, pour le forcer à collaborer.

« Mais ils auraient fini par le tuer ! Je suis convaincue qu’il y en a déjà, mais qu’on ne le sait pas parce qu’ils n’ont pas de personne comme moi qui est ici. Ce sont des gens qui viennent d’arriver ou qui n’ont pas de famille ou qui ne parlent pas la langue puis qui se font... Imagines-tu ceux qui n’ont même pas personne pour parler, ce qu’ils vivent? »

 
Cette séparation démontre le peu d’égards du système d’immigration canadien envers les droits des enfants, alors même que l’intérêt supérieur de l’enfant est un principe inscrit dans la LIPR.
 

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Prison et déficience intellectuelle, ça ne va pas !

6 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

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Prison et déficience intellectuelle, ça ne va pas!

Samuel Ragot, analyste aux politiques publiques, Société québécoise de la déficience intellectuelle et candidat au doctorat en travail social à l’Université McGill Guillaume Ouellet, professeur associé, École de travail social, UQAM et chercheur au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CREMIS) Jean-François Rancourt, analyste aux politiques publiques, Société québécoise de la déficience intellectuelle Dans les dernières décennies, les personnes ayant une déficience intellectuelle occupent de plus en plus leur place en société et y sont davantage incluses à part entière, que ce soit au travail, dans les activités de loisirs, ou dans leur rôle de citoyen. S’il est vrai que la déficience intellectuelle compte désormais ses ambassadrices et ses ambassadeurs en matière d’inclusion sociale, sur le terrain la situation est souvent moins rose. En effet, nos recherches et les échos qui nous parviennent des intervenant-e-s témoignent du fait qu’un nombre croissant de personnes ayant une déficience intellectuelle vivent dans des conditions d’extrême précarité (résidentielle, financière, relationnelle, judiciaire, etc.). Un profond fossé existe entre l’idéal projeté par les politiques sociales et les conditions objectives de vie dans lesquelles ces personnes évoluent.

Une société inclusive, vraiment?

Ce fossé est notamment lié à la tension entre, d’une part, la promotion de l’équité, de la diversité et de l’inclusion (EDI) dans toutes les sphères du monde social, et, d’autre part, les appels à être plus indépendant-e, plus productif, plus self-made, qui marquent nos imaginaires collectifs en lien avec ce qu’est la réussite dans une société capitaliste. En somme, l’aspiration à bâtir une société plus inclusive se heurte à un système de normes sociales qui demeure profondément capacitaire. Le capacitisme, comme le racisme, le sexisme ou l’âgisme, est un système d’oppression qui fait en sorte que bien des personnes en situation de handicap demeurent socialement stigmatisées et structurellement discriminées.  Conséquemment,  malgré  un apparent progrès sur le plan des droits, nous vivons encore et toujours dans une société capacitiste, pensée par et pour les personnes qui ne se trouvent pas en situation de handicap. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant qu’une part croissante de personnes ayant une déficience intellectuelle peinent à satisfaire les marqueurs de la réussite sociale. En fait, les personnes ayant une déficience intellectuelle se trouvent de plus en plus à l’intersection de systèmes d’oppression multiples qui les rendent plus susceptibles de vivre de la violence1, du sous-emploi2, de la pauvreté3 et de l’exclusion sociale4. Combinés, ces facteurs peuvent entraîner des conséquences graves pour les personnes ayant une déficience intellectuelle.
La déficience intellectuelle est un état, non une maladie, qui se manifeste avant l’âge de 18 ans. Elle se caractérise par des limitations significatives du fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif, notamment dans les habiletés conceptuelles, sociales et pratiques. Ces limitations peuvent, par exemple, se traduire par des difficultés à comprendre des concepts abstraits, à établir des interactions sociales ou à accomplir certaines activités quotidiennes. Ces difficultés varient d’une personne à l’autre en fonction du niveau de la déficience intellectuelle.
L’effet de ces systèmes est également décuplé par le désengagement de l’État dans la réalisation des droits sociaux et économiques pour tou-te-s, et l’inefficacité des programmes gouvernementaux visant à assurer une vie décente aux personnes les plus aux marges des marges, incluant les personnes ayant une déficience intellectuelle. Ces dynamiques affectent particulièrement les communautés les plus susceptibles d’être vulnérables. Rappelons que la vulnérabilité n’est pas un état permanent, mais plutôt une conjoncture qui évolue au fil du temps. Pour des raisons sociopolitiques, certaines communautés sont plus susceptibles de se retrouver en situation de vulnérabilité sans que la vulnérabilité devienne pour autant un trait qui les caractérise. Par exemple, malgré des décennies de mobilisation sur ces questions, les programmes d’assistance sociale sont encore de véritables trappes à pauvreté5 et les services sociaux sont en lambeaux. Quant à eux, les services d’adaptation et réadaptation permettant aux personnes de participer en société, de comprendre les codes sociaux, de différencier ce qui considéré acceptable de ce qui ne l’est pas ont fondu comme neige au soleil depuis les politiques d’austérité des années 2010. Signe des temps, la crise du logement frappe également de plein fouet les personnes ayant une déficience intellectuelle. Tant les ressources étatiques que privées sont insuffisantes, les listes d’attente sont infinies, les milieux de vie inadéquats, et la discrimination dans l’accès au logement bien présente. La crise frappe durement, fragilisant les personnes et leur entourage souvent vieillissant. Conjugués, ces facteurs font en sorte que certaines personnes ayant une déficience intellectuelle se trouvent dans des situations difficiles, parfois d’itinérance, parfois de dépendance. Ces situations peuvent mener à des dérèglements face à la norme sociale, à de la criminalité de subsistance, et ultimement à une judiciarisation et à la prison. Dans un tel contexte, l’emprisonnement des personnes ayant une déficience intellectuelle n’est finalement que le reflet le plus tragique et violent de l’échec des mécanismes d’inclusion sociale.
  Capacitisme : Attitude ou comportement discriminatoire fondé sur la croyance que les personnes ayant une déficience, un trouble ou un trouble mental ont moins de valeur que les autres (Office québécois de la langue française). Voir aussi le texte de Laurence Parent sur le capacitisme publié dans Droits et libertés au printemps 2021. Le capacitisme permet d’aller au‑delà de ce qui est légalement reconnu comme de la discrimination fondée sur le handicap et d’approcher le handicap d’une perspective critique pour ainsi mieux s’attaquer aux sources des injustices et des inégalités vécues par les personnes handicapées.  

La double peine

Bien entendu, la prison n’est pas la solution aux échecs sociétaux. Elle ne fait souvent qu’empirer le sort des personnes. Les personnes ayant une déficience intellectuelle se trouvent de plus en plus à l’intersection de systèmes d’oppression multiples qui les rendent plus susceptibles de vivre de la violence, du sous-emploi, de la pauvreté et de l’exclusion sociale. D’abord, dans les établissements provinciaux au Québec, les personnes n’ont pas davantage accès aux services dont elles ont besoin, tant à l’intérieur des murs de la prison qu’à l’extérieur. Non seulement le personnel n’est pas formé pour intervenir auprès des personnes ayant une déficience intellectuelle, mais le fonctionnement même de la prison exacerbe la vulnérabilité des personnes concernées. Pensons ici aux requêtes que doivent rédiger à la main les détenu-e-s pour avoir accès à des soins de santé ou encore aux nombreux codes sociaux implicites qui régissent les interactions entre les détenu-e-s. De plus, contrairement au système fédéral, où les informations d’un diagnostic sont intégrées sur le plan correctionnel, qui comprend des interventions et des programmes adaptés aux besoins du détenu, il n’existe aucun programme spécialisé pour la déficience intellectuelle au Québec. L’ensemble des normes capacitaires de la société continuent également de sévir au sein même de la prison, rendant difficile, voire impossible, la réadaptation et la réinsertion sociale.
[…] une meilleure prise en compte de la déficience intellectuelle au sein du système pénal […] ne viendrait toutefois pas remplacer la nécessité d’un filet social fort situé bien en amont de la filière pénale.
Par ailleurs, l’incarcération mène automatiquement à la perte des prestations d’assistance sociale et à la fin des services quand il y en a. Privées de tout soutien financier et psychosocial à leur sortie de prison, les personnes retombent souvent dans la criminalité de subsistance et dans des dynamiques menant à leur exclusion sociale. Le cycle se répète donc inlassablement : pauvreté, exclusion sociale, judiciarisation, prison, pauvreté, etc.

Quelles alternatives à la prison ?

Au Québec, au cours des trois dernières décennies, les dispositifs dédiés aux personnes composant avec des enjeux de santé mentale se sont multipliés. Successivement des équipes spécialisées en intervention de crise, des patrouilles composées de policières, de policiers, et d’infirmières et d’infirmiers, des tribunaux spécialisés en santé mentale sont apparus6. Ces initiatives, associées à ce qui se présente comme un tournant thérapeutique de la justice, témoignent d’une volonté d’offrir à ces personnes un traitement judiciaire plus juste et équitable. S’il est vrai qu’à travers ces nouveaux dispositifs, la justice tend à présenter un visage plus humain, peu d’indices laissent à penser que les conditions de vie dans lesquelles évoluent les personnes concernées s’en trouvent pour autant nettement améliorées. Ainsi, bien qu’une meilleure prise en compte de la déficience intellectuelle au sein du système pénal soit souhaitable et pourrait probablement rendre certains parcours moins désastreux pour les personnes ayant une déficience intellectuelle, cela ne viendrait toutefois pas remplacer la nécessité d’un filet social fort situé bien en amont de la filière pénale. Il semble clair que de simplement injecter plus d’argent dans le système pénal et carcéral n’est pas une solution pour régler les manques de services. Si les mesures d’adaptation du système de justice peuvent être utiles, elles doivent être accompagnées d’une intervention étatique cohérente et soutenue pour restaurer un vrai filet de sécurité. Ce dont bien des personnes ont besoin, ce sont des services sociaux universels et de qualité, des mesures visant à rendre réellement inclusive notre société, et des programmes d’assistance sociale qui permettent de mener une vie réellement digne. Pas de plus de répression, de judiciarisation et de prison. En somme, ce dont ces personnes ont besoin, c’est que l’on reconnaisse leur humanité et qu’on leur permette de faire partie elles aussi de la collectivité d’égal à égal. La prison n’est certainement pas la solution pour y arriver.
  1. Codina, N. Pereda, G. Guilera. Lifetime Victimization and Poly-Victimization in a Sample of Adults With Intellectual Disabilities. Journal of Interpersonal Violence 37, no 5-6, 2022. En ligne : https://doi.org/10.1177/0886260520936372.
  2. Statistique Canada, Caractéristiques de l’activité sur le marché du travail des personnes ayant une incapacité et sans incapacité en 2022 : résultats de l’Enquête sur la population active, En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230830/dq230830a-fra.htm.
  3. Eric Emerson, Poverty and People with Intellectual Disabilties, Mental Retardation and Developmental Disabilities Research Reviews 13, 2007. En ligne : https://doi.org/10.1002/mrdd.20144.
  4. Nathan J. Wilson et al., From Social Exclusion to Supported Inclusion: Adults with Intellectual Disability Discuss Their Lived Experiences of a Structured Social Group, Journal of Applied Research in Intellectual Disabilities 30, no 5, 2017. En ligne : https://doi.org/10.1111/jar.12275.
  5. En ligne : https://theconversation.com/au-quebec-comme-ailleurs-au-canada-les-programmes-dassistance-sociale-sont-des-trappes-a-pauvrete-211968
  6. G. Ouellet, E. Bernheim, D. Morin, “VU” pour vulnérable : la police thérapeutique à l’assaut des problèmes sociaux, Champ pénal, 2021. En ligne : http://dx.doi.org/https://doi. org/10.4000/champpenal.12988

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Pour la pérennité des revues indépendantes !

6 juin 2024, par Le Collectif de la revue À bâbord ! — , , ,
Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord ! Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre. Détails (…)

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord !

Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre.

Détails ici !

La revue À bâbord ! a eu 20 ans au mois d'octobre 2023. Après cent numéros, la réussite de ce projet collectif est le résultat du travail acharné de ses membres pour offrir une plateforme qui fait écho aux actions collectives ainsi que pour organiser une riposte au capitalisme et aux multiples formes d'oppression qui l'accompagnent. Dans un contexte toujours difficile pour les revues indépendantes et autogérées, nous sommes fièr·es – et un peu surpris·es nous-mêmes – de tenir le fort depuis si longtemps.

L'importance des médias critiques alternatifs pour la santé de notre démocratie n'est cependant plus à démontrer. Devant les monopoles médiatiques qui tendent à uniformiser les discours politiques dans l'espace public, il est primordial d'avoir accès collectivement à une information offrant d'autres formes d'analyses et permettant d'alimenter la critique du système actuel et des inégalités qu'il génère.

Non seulement À bâbord ! propose des contenus différents, mais aussi un mode de fonctionnement unique : sans hiérarchie, sans rédacteur ou rédactrice en chef, toutes les grandes décisions, y compris le choix des articles et des sujets d'éditorial (et sa rédaction), sont soumises au collectif de rédaction. Cette façon de fonctionner permet à la revue d'appliquer dans son quotidien les valeurs qu'elle prône.

Si les médias indépendants et progressistes ont longtemps su profiter d'internet et du numérique pour élargir leur auditoire, ils sont aujourd'hui mis à mal, surtout dans leur forme papier, par des médias sociaux régis par le seul profit maximal. Le bannissement récent par les plateformes Facebook et Instagram de l'ensemble des médias canadiens rend encore plus difficile la circulation d'idées de gauche et de regard critique. À bâbord ! n'a pu échapper à cet effacement et il ne nous est plus possible d'être actifs sur les réseaux sociaux appartenant à Meta. Cela limite significativement notre capacité à rejoindre notre lectorat et à promouvoir nos actions. D'un autre côté, cela pose la question de notre dépendance à ces espaces numériques pour faire circuler l'information. En ce sens, défendre une version papier au sein de la production médiatique permet de conserver un espace journalistique à l'extérieur de l'univers numérique.

Peu d'aide de l'État est à attendre pour défendre une information libre et critique. Il est de plus en plus difficile d'obtenir des subventions assurant le fonctionnement de la revue alors que de grosses productions médiatiques peuvent compter sur l'aide étatique. Ainsi, une subvention de Patrimoine Canada qui nous a grandement aidés ces dernières années nous a été enlevée parce que l'on considère que la revue ne satisfait plus un critère d'admissibilité basée sur le nombre de numéros vendus. À notre grand désarroi, les copies vendues en lot à des membres d'organisations comme les syndicats ne sont plus comptabilisées, alors même que ces ventes constituent un moyen de financement pour une revue politique comme la nôtre.

Due à cette coupe, À bâbord ! doit faire face à des difficultés financières et est forcée de faire une demande de subvention à un nouveau programme, avec la part d'incertitudes et de craintes que cette opération implique. La mise à pied brutale de l'équipe de la revue Relations montre aussi une tendance à vouloir faire taire les voix critiques proches des mouvements sociaux. Comment justifier le désintéressement de l'État pour le maintien d'une diversité dans l'univers médiatique québécois ?

Les temps sont difficiles, mais les vingt ans d'implication des membres de la revue d'À bâbord ! démontre que des groupes sont prêts à se battre pour maintenir un espace médiatique consacré aux mouvements sociaux et aux analyses politiques critiques ! Ainsi, bien qu'il soit difficile de fonctionner dans cet horizon, l'enthousiasme qui règne dans la revue pour ce projet est porteur d'espoir.

Si À bâbord ! a réussi à se maintenir pendant toutes ces années, c'est grâce à votre soutien. Nous vous en remercions chaleureusement. Nous espérons pouvoir compter encore davantage sur ce soutien, dans une campagne de sociofinancement que nous lancerons à la suite de la parution de ce présent numéro, dans le but de nous donner les assises financières qui nous permettront de continuer pendant des années encore.

Un portrait de la population carcérale

6 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

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Dérouler le fil des logiques carcérales

Aurélie Lanctôt, doctorante en droit, membre du comité de rédaction et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés

Établissements de détention au Québec

Au Québec, en 2021-2022, 19 976 personnes ont été prises en charge par les services correctionnels provinciaux, ce qui représentait une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. Plus de deux tiers (68 %) des personnes admises en détention avaient entre 25 et 49 ans, une tranche d’âge qui regroupe 33 % de la population1, et seules 10 % de ces personnes étaient des femmes2. Une proportion de 11 % des personnes incarcérées avaient un problème de santé physique ou mentale, et 12 % vivaient avec un trouble de santé mentale seulement; 4 % des personnes étaient en situation d’itinérance déclarée; 4,5 % étaient des personnes autochtones et 3 % étaient Inuit, ce qui constitue une surreprésentation par rapport à leur poids dans la population totale (selon les données du recensement de 2021, les personnes autochtones représentaient 2,5 % de la population québécoise et les Inuit, 0,2%). Plus du tiers (38 %) des personnes avaient des antécédents judiciaires, et plus de la moitié (53 %) purgeaient des courtes peines (en moyenne 47 jours). Les Inuit et les personnes ayant un niveau secondaire d’études présentent les taux d’incarcération les plus élevés par rapport à leur population totale respective. Les causes d’incarcération les plus fréquentes étaient les infractions commises en contexte conjugal (16 %) – une catégorie qui a connu une augmentation de 5 % depuis 2020 –, le défaut de se conformer à une ordonnance de probation ou une omission de se conformer à un engagement, représentant 19 % des causes d’incarcération. Pour l’année 2022-2023, les peines discontinues (c’est-à-dire les peines purgées par périodes plutôt que de manière continue, parfois appelées peines de fin de semaine) constituaient la réalité d’une importante proportion des personnes incarcérées au Québec. Ces peines étaient purgées par des hommes dans 89 % des cas, et 15,75 % des personnes purgeant une peine discontinue déclaraient être en situation d’itinérance.

Surreprésentation des Autochtones et Inuit

Partout au Canada, Autochtones et Inuit sont surreprésentés au sein de la population carcérale, tant dans les prisons provinciales que dans les pénitenciers fédéraux. En 2020-2021, selon les données compilées par Statistique Canada, les adultes autochtones représentaient 33 % des admissions en détention, tant dans les établissements provinciaux que fédéraux, alors qu’elles et ils représentent environ 5 % de la population canadienne. On note aussi que les mineur-e-s autochtones représentaient 50 % des placements sous garde (alors qu’elles et ils ne sont que 8 % de la population totale des jeunes)3. Les données disponibles les plus récentes sur les Autochtones des Premières Nations incarcérées dans un établissement de détention provincial au Québec remontent à 2018-20194. Cette année-là, 629 Autochtones des Premières Nations purgeaient une peine en établissement de détention (hausse de 5 % par rapport à l’année précédente), 406 purgeaient une peine dans la communauté (augmentation de 40 %) et 322 purgeaient une peine discontinue. La grande majorité (81 %) purgeaient des courtes peines, et les infractions les plus fréquentes étaient le défaut de se conformer à une ordonnance de probation ou à un engagement. Au Québec, en 2018-2019, 5,1 % des femmes incarcérées étaient Inuit et 4,5 % étaient membres d’une Première Nation5. Si cela constitue une surreprésentation par rapport à leur poids au sein de la population québécoise, c’est au sein du système correctionnel fédéral que leur surreprésentation est la plus marquée. En effet, en 2019, alors que les femmes représentaient 6 % des personnes détenues dans les établissements du Service correctionnel Canada (SCC) à travers le Canada, les femmes autochtones constituaient 42 % de la population carcérale féminine, et 27 % des femmes placées sous surveillance dans la collectivité6. En 2023, le rapport de l’Enquêteur correctionnel (Enquêteur) soulignait que la situation s’était encore aggravée, alors que les femmes autochtones constituaient désormais près de 50 % de la population pénitentiaire féminine. On remarque par ailleurs que les femmes autochtones sont largement plus susceptibles de se voir attribuer une cote de sécurité plus élevée que les autres femmes.

Surreprésentation des personnes noires

Le ministère de la Sécurité publique du Québec ne transmet pas d’information quant à l’appartenance raciale des personnes détenues, outre les personnes autochtones. Les données compilées par Statistique Canada à partir des données transmises par certaines provinces esquissent cependant une tendance au sein de la population carcérale canadienne. En 2020-2021, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique compilaient des renseignements sur les adultes appartenant à une minorité visible admis en détention. Les personnes appartenant à une minorité visible représentaient 17 % des admissions, et, de manière saillante, parmi ce groupe, 61 % étaient des personnes noires. Au total, 10 % des admissions d’adultes en détention dans ces provinces concernaient des personnes noires, alors qu’elles ne représentent que 4 % de la population adulte dans ces provinces7. À noter que la représentation des personnes racisées était beaucoup plus importante chez les hommes admis en détention (18 %) que chez les femmes (9 %). En 2013, l’Enquêteur a indiqué que le nombre de personnes noires incarcérées avait bondi de 80 % en une décennie, (et de 46 % chez les personnes autochtones). Les personnes noires représentaient alors 9,5 % des personnes détenues dans un pénitencier fédéral, alors qu’elles ne formaient que 2,9% de la population. Les personnes noires étaient également plus susceptibles d’être placées en établissement à sécurité maximale, réduisant ainsi leur accès à différents programmes durant leur détention, et plus nombreuses à être placées en isolement. En 2022, l’Enquêteur soulignait que la tendance s’était maintenue : la représentation des personnes noires en détention dans un établissement fédéral a peu varié (9,2 %), tout comme leur poids au sein de la population totale. De plus, les incidents de racisme et de discrimination subis par des personnes noires détenues signalés au Bureau de l’enquêteur correctionnel ont augmenté dans les dernières années. Quant aux femmes noires, si elles étaient, en 2022, moins nombreuses que dans la décennie précédente à purger une peine dans un établissement fédéral, l’Enquêteur rapportait néanmoins qu’elles subissaient de nombreuses discriminations en détention (par exemple, une suspicion et une surveillance accrues, ou encore un accès défaillant à des articles d’hygiène corporelle appropriés).
  1. En ligne :https://statistique.quebec.ca/fr/document/population-et-structure-par-age-et-sexe-le-quebec/tableau/estimations-de-la-population-selon-lage-et-le-sexe-quebec#tri_pop=30
  2. Données issues du Profil de la clientèle carcérale 2021-2022, ministère de la Sécurité publique, Québec.
  3. Statistique Canada, Statistiques sur les services correctionnels pour les adultes et les jeunes, 2020-2021. En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220420/dq220420c-fra.htm
  4. Profil des Autochtones des Premières Nations confiées aux services correctionnels en 2018-2019, ministère de la Sécurité publique, Québec.
  5. Profil des femmes confiées aux services correctionnels en 2018-2019, ministère de la Sécurité publique, Québec.
  6. Service correctionnel Canada, Statistiques et recherches sur les délinquantes. En ligne : https://www.canada.ca/fr/service-correctionnel/programmes/delinquants/femmes/statistiques-recherches-delinquantes.html
  7. Statistique Canada, Statistiques sur les services correctionnels pour les adultes et les jeunes 2020-2021. En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220420/dq220420c-fra.htm

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Dérouler le fil des logiques carcérales

6 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2024

Dérouler le fil des logiques carcérales

Delphine Gauthier-Boiteau et Aurélie Lanctôt, doctorantes en droit, membre du comité de rédaction et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés À l’automne 2022 se tenait le colloque De l’Office des droits des détenu-e-s (1972- 1990) à aujourd’hui : perspectives critiques sur l’incarcération au Québec, organisé par la Ligue des droits et libertés et son comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention. Cet évènement a donné lieu à des discussions autour d’enjeux passés et présents en lien avec l’incarcération et les luttes anticarcérales au Québec. L’évènement, marquant à plu- sieurs égards, embrassait une définition large des systèmes et institutions que les luttes anticarcérales prennent pour objet. Il s’agissait alors de stimuler une réflexion vaste sur les transformations sociales visant à dépasser et à défaire les logiques qui produisent et reproduisent l’enfermement au sein de notre société. Ce dossier s’inscrit dans le sillon des réflexions qui ont émergé lors de cette journée. [caption id="attachment_19978" align="alignright" width="438"] Mes droits, ma charte des libertés par RVL | Projet Société Elizabeth Fry 2024.[/caption] Ce dossier se veut une invitation. D’abord, une invitation à reconnaître les violences inhérentes à la prison et aux institutions carcérales ainsi que ce que leur existence empêche, c’est-à-dire une prise en charge des problèmes sociaux à leur racine. La proposition qui en découle est de réfléchir à partir de l’idée que la prison, tout comme le système de justice pénale, ne peuvent constituer une réponse appropriée aux problèmes sociaux parce que ces institutions sont, avant toute chose et de manière inévitable, un lieu de reproduction des systèmes qui en sont l’assise. Du point de vue des personnes victimisées, cette réponse n’est pas, non plus, appropriée, car elle individualise les torts causés, la transgression sociale ainsi que la violence, et n’a pas pour fonction d’apporter une réparation. Ensuite, ce dossier est une invitation à poser un regard critique sur les logiques carcérales à l’œuvre au sein des institutions qui assurent une prise en charge de différents problèmes sociaux par l’État et dont le champ d’intervention repose sur des cadres juridiques distincts. Il s’agira donc de se pencher, certes, sur la prison, mais aussi les institutions psychiatriques, les systèmes d’immigration, de protection de la jeunesse ou encore d’éducation. Plutôt que de penser ces institutions en vase clos, il convient de dévoiler le fil de la carcéralité qui les traverse. Cela permet d’élargir notre compréhension des phénomènes de détention, de contrôle des corps et de surveillance des individus, au-delà des murs de la prison et de sa matérialité immédiate. Autrement dit, l’enfermement n’a pas lieu uniquement dans les prisons et les pénitenciers. Les contributions mises de l’avant dans ce dossier tentent d’esquisser une compréhension transversale des systèmes qui produisent l’enfermement, la déshumanisation et la mise à l’écart sous des prétextes multiples, mais dont le sous-texte commun est l’idée que la vie de tous et toutes n’aurait pas la même valeur. Par exemple, il sera question de la manière dont le statut d’immigration que l’État accorde à une personne lui permet d’infliger une double peine, c’est-à-dire de procéder à l’expulsion territoriale de personnes auxquelles on a déjà infligé une peine en vertu du système de justice pénale. Plus généralement, il s’agira de mettre en évidence la notion, souvent occultée, de gestion différentielle des illégalismes en fonction de la place qu’occupe un individu dans l’espace social, et de dévoiler ainsi la teneur politique des infractions prévues au Code criminel. Il s’agira de rendre visible, par la négative, les effets de courtoisie organisés par l’État à l’égard de certains groupes ; ou ce que le juriste Dean Spade appelle la distribution inégale des chances de vivre1. Cette notion renvoie notamment aux tensions entre, d’une part, le défaut de mise en œuvre des droits économiques et sociaux par l’État et, d’autre part, les interventions étatiques découlant de logiques carcérales : cela alimente la détérioration des conditions de vie des personnes, intensifie la surveillance et les profilages (racial, social et politique) puis, en dernière instance, la criminalisation ainsi que l’incarcération disproportionnées de certains groupes. L’expansion des logiques carcérales doit bien sûr être mise en lien avec des décennies de gouvernance néolibérale ayant laissé les services publics et communautaires dans un état de délabrement alarmant. En revanche, le présent dossier invite à ne pas voir les
[à] reconnaître les violences inhérentes à la prison et aux institutions carcérales ainsi que ce que leur existence empêche, c’est-à-dire une prise en charge des problèmes sociaux à leur racine.
atteintes graves aux droits humains relatées comme les effets délétères d’un système brisé. Les contributions démontrent plutôt que ces atteintes font partie intégrante de ce système ; en d’autres mots que la prison est un lieu de violations de droits et que l’on peut et doit juger ce système avant tout à partir de ses effets. Plutôt que comme des exceptions, nous devons les concevoir comme le résultat du croisement des systèmes d’oppression sur lesquels les logiques carcérales s’érigent. Enfin, ce dossier se veut une invitation à imaginer ce que pourrait être un autre monde, un ailleurs politique qui dépasse l’horizon de la carcéralité. Il s’agit en quelque sorte d’un exercice de répétitions pour vivre2. Le dossier adopte deux temporalités : l’ici et maintenant — pour réagir aux violences infligées au présent par les logiques carcérales — et l’avenir souhaité — pour repenser notre rapport à la carcéralité et à tout ce qui la permet.

Dérouler le fil

Afin de refléter une pluralité de réflexions au sujet des tensions qui traversent la critique radicale du recours à l’enferme- ment et des logiques qui rendent cette pratique possible, nous mettons de l’avant les voix et les savoirs des personnes touchées directement par les phénomènes carcéraux, leurs proches et les personnes œuvrant à leurs côtés pour la défense des droits humains. Le premier volet a pour objectif de dévoiler les violences dont la prison est le nom, en mettant en lumière le caractère mortifère de cette institution ainsi que l’indifférence des autorités à l’égard des dénonciations pourtant continuelles des atteintes aux droits et des violences qui surviennent derrière les murs. Il sera question du caractère cyclique et de la nature carcérale de la prise en charge des personnes qui vivent avec des problèmes de santé mentale ou avec une condition de déficience intellectuelle, ainsi que des enjeux soulevés par le paradigme de l’isolement en milieu carcéral. Il sera aussi question des conditions d’incarcération des femmes dans les prisons provinciales, des expériences des proches de personnes incarcérées ainsi que des limites de l’action du Protecteur du citoyen pour assurer le respect des droits des personnes incarcérées et intervenir sur le plan systémique au Québec. Le second volet pose un regard critique sur d’autres réalités d’enfermement : de la détention administrative des personnes migrantes au système dit de protection de la jeunesse, en passant par les formes de détention en lien avec la psychiatrie. Celui-ci montre bien comment la position de certaines personnes dans l’espace social favorise, à leur encontre, l’exercice de formes de contrôle qui découlent de plusieurs systèmes, parfois de façon simultanée. Le troisième volet tente finalement d’articuler une critique plus fondamentale du recours à l’incarcération et à l’enfermement, en explorant notamment l’apport des théories et pratiques abolitionnistes carcérales et pénales. Il sera question, notamment, du rôle du capitalisme racial et de l’organisation patriarcale et coloniale de la société dans la production du caractère jetable (disposable) de certaines personnes. Le dossier se conclut par des contributions sur le thème de la justice transformatrice, pour penser une saisie non pénale et non carcérale des violences patriarcales. Ces contributions, s’appuyant sur des expériences collectives et individuelles, montrent comment le système pénal et carcéral fait défaut de réparer les torts vécus par les personnes victimisées et d’ébranler les racines structurelles des violences commises. Elles traduisent qu'il perpétue les logiques des systèmes mortifères sur lesquels il repose, et confine les personnes victimisées, ainsi que leurs besoins, à la marge.
C'est là tout le paradoxe et de l'État pénal : l'architecture juridique pénale et constitutionnelle confère nécessairement aux personnes victimisées un statut de considération secondaire.
Mariame Kaba, militante féministe et abolitionniste, écrit que les structures pénale et carcérale s’opposent à la responsabilisation (accountability) individuelle et collective. D’un côté, la structure de ce système décourage la reconnaissance de torts causés, puisque reconnaître sa culpabilité emporte son lot de discriminations pour les personnes accusées et leurs proches. De l’autre, l’individualisation qui prévaut contredit une compréhension systémique et une réponse commune, à portée transformatrice. Pour finir, il va sans dire que ce numéro n’a aucune prétention à l’exhaustivité. Ce dossier se veut une contribution humble, ouverte, et forcément imparfaite, aux luttes collectives pour la défense des droits des personnes incarcérées et enfermées, ainsi qu’aux luttes anticarcérales. Nous avons pensé l’ensemble de ces contributions comme une parenthèse ouverte, qui traduit une nécessité et un désir de poursuivre le travail de réflexion critique sur la carcéralité, pour mieux contribuer aux luttes collectives toujours plus nécessaires. Bonne lecture !

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Comment l’oligarchie canadienne profite du chaos en Haïti

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/06/tentcities-1024x731.jpg6 juin 2024, par Comité de Montreal
Depuis le tremblement de terre de magnitude 7,0 qui a secoué Haïti en 2010, faisant plus de 100 000 morts et des milliards de dollars de dégâts, le Canada a envoyé plus de 2 (…)

Depuis le tremblement de terre de magnitude 7,0 qui a secoué Haïti en 2010, faisant plus de 100 000 morts et des milliards de dollars de dégâts, le Canada a envoyé plus de 2 milliards de dollars d'aide au pays. Près de 15 ans plus tard, cet argent semble toutefois avoir profité aux oligarques (…)

Élections européennes : une extrême droite « proche du peuple » ?

5 juin 2024, par Édouard DeGuise
Édouard de Guise – correspondant à Paris – maj 10 juin Les résultats des élections européennes sont tombés. En France le Rassemblement national est arrivé en premier avec 32 % (…)

Édouard de Guise – correspondant à Paris – maj 10 juin Les résultats des élections européennes sont tombés. En France le Rassemblement national est arrivé en premier avec 32 % des suffrages exprimés, un résultat prévu par les sondages. Emmanuel Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale (…)
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