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Ralph Nader et Joseph Stiglitz se prononcent sur les plans économiques de Kamala Harris et l’opposition au pouvoir de la grande entreprise

Democray now https://www.democracynow.org/2024
Part II : Ralph Nader & Joseph Stiglitz on Kamala Harris's Economic Plans &
Confronting Corporate Power
Traduction Johan Wallengren
Le 11 septembre 2024
Invités
• Joseph Stiglitz
Économiste lauréat du prix Nobel, professeur à l'université Columbia, président du Council of Economic Advisers (CEA, littéralement « Conseil des conseillers économiques ») sous l'administration Clinton, il est actuellement économiste en chef de l'Institut Roosevelt.
• Ralph Nader
Défenseur des consommateurs et critique de la grande entreprise, il a été quatre fois candidat à l'élection présidentielle.
AMY GOODMAN : Bienvenue à Democracy Now !, democracynow.org, volet « Guerre, paix et présidence ». Mon nom est Amy Goodman.
À huit semaines seulement de l'élection présidentielle, nous continuons d'examiner la course présidentielle et le débat de mardi soir sur ABC News entre la vice-présidente Kamala Harris et Donald Trump. Ce débat était animé par Linsey Davis et David Muir d'ABC. Voici le président Trump.
DONALD TRUMP : J'ai construit l'une des plus grandes économies de l'histoire du monde et je vais le faire à nouveau. Elle sera plus grande, meilleure et plus forte. Mais ils sont en train de détruire notre économie. Ils n'ont aucune idée de ce qu'est une bonne économie. Leurs politiques pétrolières, chacune de leurs politiques… et souvenez-vous de ceci : elle est Biden. Vous savez, elle essaie de se dissocier de Biden. « Je ne connais pas ce monsieur », dit-elle. Elle est Biden. La pire inflation que nous ayons jamais eue, une économie horrible parce que l'inflation l'a rendue si mauvaise, elle ne peut pas juste s'en laver les mains.
DAVID MUIR : Monsieur le Président, merci. Votre temps est écoulé. Linsey ?
KAMALA HARRIS : Je voudrais répondre à ça, par contre. Je voudrais juste répondre brièvement.
Il est clair que je ne suis pas Joe Biden et que je ne suis certainement pas Donald Trump. Et ce que je présente, c'est une nouvelle génération de dirigeants pour notre pays, des gens qui croient aux réalisations dont nous sommes capables, qui amènent un vent d'optimisme par rapport à ce que nous pouvons faire, au lieu de toujours dénigrer le peuple américain.
AMY GOODMAN : Toujours avec nous, nous avons l'économiste Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel, professeur à l'université de Columbia, ancien président du Conseil des conseillers économiques. Le professeur Stiglitz est également l'économiste en chef de l'Institut Roosevelt et l'un des 16 économistes lauréats du prix Nobel qui ont lancé une mise en garde à l'égard des politiques de Trump. Dans cette deuxième partie de notre discussion sur l'économie et le débat présidentiel, nous avons aussi à nos côtés Ralph Nader, défenseur des consommateurs de longue date, critique de la grande entreprise et ancien candidat à l'élection présidentielle. Son dernier livre s'intitule Let's Start the Revolution : Tools for Displacing the Corporate State and Building a Country That Works for the People (traduction non officielle : Commençons la révolution : des outils pour extirper les grandes entreprises de l'appareil d'état et construire un pays qui répond aux aspirations du peuple). Il est également le fondateur du mensuel Capitol Hill Citizen (citoyen de Capitol Hill).
Merci à vous deux d'être restés avec nous. Professeur Stiglitz, pouvez-vous élargir la discussion – en réagissant déjà à ce qui est dit dans le clip – et dire si vous pensez que soit Harris, soit Trump présente une approche économique qui aidera réellement l'Américains moyen ?
JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, tout d'abord, l'une des choses que Trump prétend est qu'il a construit l'économie et que Biden l'a détruite. Chaque président est confronté à des événements qui échappent à son contrôle, et il hérite d'une économie qui… dont les fondations sont ce qui été laissé par son prédécesseur.
Dans le cas de Trump, il a hérité d'une économie qui se remettait d'une récession très profonde causée par la mauvaise gestion du secteur financier par Bush lorsqu'il était président. Lorsque Trump est arrivé dans le paysage, nous étions finalement en train de nous remettre de cette récession. Il a ensuite fait passer une loi fiscale qui était censée donner un coup de fouet à l'économie. Ce qu'elle a fait, c'est donner un coup de fouet aux rachats d'actions. Il s'agissait d'une réduction d'impôts pour les milliardaires et les grandes entreprises. Elle a exacerbé l'un des principaux problèmes de l'Amérique : l'inégalité. Vous vous souvenez certainement de sa formule : « abroger et remplacer » ; il promettait d'abroger l'Obamacare et de le remplacer par autre chose. Il n'y est pas parvenu. Il n'a pas réussi à le faire, parce qu'il n'avait aucune solution de remplacement. Et à sa grande surprise, les Américains ont apprécié l'Obamacare. Ce n'était pas parfait, mais c'était tellement mieux que ce qu'il y avait avant.
Lorsque M. Biden a pris ses fonctions, il a hérité d'un véritable gâchis, parce que – sans chercher à blâmer Trump pour la pandémie, nous pouvons cependant blâmer Trump pour la façon dont il a géré la pandémie. Et le résultat de sa mauvaise gestion à cet égard a été la mort de plus d'un million d'Américains. Biden a donc dû construire à partir du gâchis dont il a hérité. À cause de la mauvaise gestion préalable, il y a eu d'énormes interruptions de l'offre, la demande s'est déplacée, et c'est ce qui a provoqué l'inflation. Ce n'était pas le fait de Biden. Ce que Biden a fait, c'est mettre en place un certain nombre de politiques pour remédier à la situation. Et s'il avait bénéficié de la coopération – d'une plus grande coopération du Congrès -, il aurait pu faire beaucoup plus. Par exemple, l'un des problèmes au départ était la pénurie de main-d'œuvre. Lorsqu'on est confronté à une pénurie de main-d'œuvre, que fait-on ? On cherche à augmenter la population active. Comment s'y prend-on ? Eh bien, l'une des caractéristiques les plus frappantes de l'Amérique est la faible participation de la main-d'œuvre au marché du travail. Ce qu'il voulait faire, c'était créer des congés familiaux, des services de garde d'enfants. Ces mesures auraient augmenté l'offre de main-d'œuvre et auraient modéré les hausses de salaires. Cela aurait permis de réduire, de tempérer l'inflation. Or, du fait d'avoir gardé le bon cap en se concentrant sur le bon diagnostic, l'inflation a bel et bien chuté.
Il y a eu un autre élément qui a fait flamber l'inflation – encore une fois, on ne peut pas blâmer Biden pour ça – et c'est l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Celle-ci a entraîné une flambée des prix des denrées alimentaires, du pétrole et de l'énergie. Là encore, une main ferme, des sanctions, une forte expansion de l'énergie, ont eu pour résultat que les prix élevés du pétrole n'ont pas duré.
Ce qui est frappant à propos de Madame Harris jusqu'à présent, c'est qu'elle a gardé le bon cap sans perdre de vue les problèmes sous-jacents. Permettez-moi d'en évoquer quelques-uns. Les gens s'inquiètent toujours au sujet de l'inflation. Oui, les prix ne sont pas redescendus à leur niveau antérieur, et ils ne retomberont pas à ce point. Mais le taux d'inflation a fortement baissé, à la surprise générale. Les coûts des soins de santé constituent une part importante de l'inflation. La loi de réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act ou IRA) a fait baisser ces coûts. Nous sommes enfin en mesure de négocier avec les laboratoires pharmaceutiques pour faire baisser les prix des médicaments.
Elle a parlé du logement. L'un des problèmes en la matière est que nous devons construire plus de maisons. Une partie du problème du logement est que nous n'avons pas eu droit au type d'innovation dont nous aurions besoin. Toutes nos ressources en matière d'innovation ont été canalisées vers la construction d'un meilleur système publicitaire. C'est ce à quoi s'emploie la majeure partie de la Silicon Valley : construire un meilleur système publicitaire permettant de cibler les gens de manière personnalisée. Nous avons besoin de plus d'innovation pour réduire le coût de la construction, et ça fait partie de ce qu'elle a proposé.
Je pourrais creuser le sujet, mais un autre problème important est celui du pouvoir sur le marché. C'est un très gros problème et l'administration Biden-Harris a mis en place un programme concerté pour briser, limiter l'exercice du pouvoir sur le marché. Une initiative très, très importante. Si nous brisons la mécanique du pouvoir sur le marché, alors il y aura plus de concurrence et, encore une fois, les prix diminueront. Donc, si vous regardez l'ensemble des mesures prévues, ce que je vois dans le programme de Harris, c'est un diagnostic des problèmes, ainsi que des propositions concrètes pour résoudre ces problèmes aujourd'hui et construire les fondations qui prépareront une meilleure économie à l'avenir.
AMY GOODMAN : Ralph Nader, voyez-vous avec autant d'optimisme le potentiel d'une administration Harris, d'une présidence Harris, pour ce qui est de prendre soin de l'économie ?
RALPH NADER : Pour ma part, non. Je veux dire qu'elle diagnostique certains des problèmes, mais elle ne diagnostique pas les obstacles, comme la mainmise de la grande entreprise sur le Congrès, qui a fait que la machine s'est grippée, a cessé de tourner rond, de telle sorte qu'un très grand nombre de propositions que les gens de ce pays appelaient de leurs vœux, qu'il s'agisse d'assurances ou de salaire minimum vital ou de budgets de lutte contre la criminalité des entreprises ou encore de l'audit du budget militaire et de l'élimination de l'énorme gaspillage dans ce secteur et de la réattribution des fonds, ont été bloquées. C'est donc toujours ça le problème. Vous savez, ils disent qu'ils vont faire ceci et qu'ils ont un plan pour cela, mais ils ne parlent pas des obstacles que cela implique. C'est donc sur ça que je me concentre.
Et il ne s'agit pas seulement des obstacles liés au pouvoir des entreprises et à leurs agissements criminels, au financement des campagnes électorales par celles-ci et à leur influence sur les médias. Il s'agit aussi du fait que les entreprises accélèrent leur hégémonie et leur suprématie dans tous les secteurs de notre pays. Ce sont elles qui élèvent nos enfants, vous savez, dans le goulag de la Silicon Valley, cinq à sept heures par jour, en s'interposant avec l'autorité parentale. Alors c'est dire à quel point elles ont le bras long, sans parler de leur contrôle stratégique du système fiscal. Une grande partie des budgets de dépenses sont faussés. Tout travail efficace sur le dérèglement climatique est bloqué par les compagnies pétrolières et gazières. Elles pillent les terres publiques. Elles portent atteinte aux pensions privées. Elles bloquent le salaire minimum.
On ne peut donc pas se contenter de dire « j'ai un plan ». Il faut parler d'un transfert de pouvoir. Il faut donner aux électeurs, aux petits contribuables, aux consommateurs, aux travailleurs le pouvoir de s'organiser, de s'exprimer, d'avoir accès aux tribunaux et aux législateurs de leur État et de leur pays. Il y a une grande tendance au verrouillage à Washington, au Congrès et dans les organismes exécutifs. Ils ne prennent même plus la peine de répondre aux lettres et aux pétitions. Il s'agit donc d'une crise démocratique de premier ordre.
AMY GOODMAN : Pouvez-vous nous donner votre avis, Professeur Stiglitz ?
JOSEPH STIGLITZ : Oui, je suis d'accord avec beaucoup de choses que Ralph a dites. Je pense que les contributions aux campagnes électorales doivent faire l'objet d'une réforme de premier ordre. Je pense que les problèmes liés à la Cour suprême et à sa structure nécessitent aussi un remaniement de premier ordre. Et s'ils ne peuvent pas faire adopter un amendement constitutionnel, ce qui est certes très difficile dans le cadre de la Constitution actuelle, ils peuvent ajouter des juges. Et je pense qu'il sera absolument nécessaire, en l'absence d'un amendement constitutionnel limitant la durée des mandats et les abus de la Cour suprême, d'augmenter le nombre de juges pour rétablir l'équilibre et faire en sorte que la Cour suprême reflète les opinions du peuple américain.
Mais bon nombre des problèmes qu'il a soulevés sont déjà traités au sein de l'administration Biden. Et je pense que Harris poursuivra le travail : briser le pouvoir des entreprises en rendant les marchés plus compétitifs, augmenter les impôts sur les sociétés – au lieu de les réduire comme le voudrait Trump – afin qu'elles n'aient plus autant d'argent pour faire avancer leurs priorités à elles. Les républicains comme les démocrates sont très favorables à une mesure équivalente à ce que l'Europe appelle la Loi sur les services numériques (Digital Services Act), afin de mettre un terme aux abus dans l'espace numérique, tels que ceux émanant de Facebook, Twitter et autres – X, comme on l'appelle maintenant. Je pense que ce type de structure réglementaire est à l'ordre du jour, car les abus ont été tellement, tellement grands ! Vous savez, une des constatations qu'on peut faire au sujet de l'Amérique de la grande entreprise (« corporate America ») est qu'elle a été si avide que même les Américains modérés ont dit : « savez-vous, attendez voir, il faut faire quelque chose à ce sujet ».
AMY GOODMAN : Ralph Nader, pouvez-vous répondre à cela et développer ce que vous avez dit dans la première partie de notre discussion sur la question de l'augmentation du salaire minimum ?
RALPH NADER : Oui. Vous savez, Joe, j'ai essayé de faire en sorte que les syndicats fassent du salaire minimum le thème principal de la fête du travail. Ce projet a été très bien accueilli par Liz Shuler, la fédération syndicale AFL-CIO et d'autres grands dirigeants syndicaux. Ils ont fait passer la proposition devant le Comité national démocrate (National Democratic Committee), qui l'a rejetée. Ils ne voulaient pas d'un grand nombre d'événements partout au pays qu'ils ne pourraient pas contrôler, avec un pacte pour les travailleurs américains – pas seulement le salaire minimum, mais aussi la sécurité des travailleurs et l'abrogation de la Loi Taft-Hartley, etc., toutes ces choses qui vous sont familières.
Mais le problème, c'est qu'ils ne vont pas jusqu'au bout. Elle aurait dû insister davantage sur la suppression de votants par les républicains et Trump, car c'est l'une des raisons pour lesquelles ils perdent ces courses serrées au Congrès. Et si vous ne contrôlez pas le Congrès, vous ne pouvez rien faire de toutes ces choses. Le Congrès est le principal rempart quand il s'agit de s'opposer et la voie royale quand il s'agit de légiférer. Et ils peinent à maintenir leurs positions au Congrès face à un parti républicain pourtant plus en retrait que jamais. Il faut donc parler du Congrès sans relâche. Ce qui signifie qu'il faut parler de l'argent des campagnes électorales.
Mais plus important encore, il faut parler de la nécessité d'inciter à voter ceux qui ne seraient pas portés à le faire. Il y aura environ 100 millions de non-votants en novembre. Il faut écouter des gens comme le révérend William Barber, qui vient d'écrire un livre qui a été totalement ignoré, Joe, intitulé White Poverty, (traduction non officielle : La pauvreté des Blancs) et qui essaie de dire que la question primordiale est celle des classes sociales. Ce n'est pas juste une question de race. C'en est aussi une de classes sociales. Et les problèmes de classes sociales alimentent la discrimination raciale. Donc, si vous ne parlez pas du Congrès lorsque vous évoquez l'avenir de notre pays, vous laissez de côté la principale source d'obstruction liée au pouvoir des entreprises dans notre pays.
AMY GOODMAN : Professeur Stiglitz...
RALPH NADER : Elles rôdent dans les couloirs du Congrès.
AMY GOODMAN : Votre réaction, Professeur Stiglitz ?
JOSEPH STIGLITZ : Non, je suis d'accord avec vous. L'appareil politique – la réforme de nos institutions politiques – est une question centrale. En fait, l'un des aspects qui me préoccupe le plus est le remaniement des circonscriptions électorales. Et nous avons une Cour suprême qui dit : « Oh, laissons les États décider ». Mais, bien sûr, le charcutage se passe dans les États – et ce serait à ceux-ci de résoudre le problème du charcutage ? C'est absurde. Et c'est un autre exemple de l'absurdité de notre Cour suprême. C'est pourquoi nous devons commencer par nous attaquer aux problèmes qui touchent la Cour suprême, qui a permis à l'argent de s'immiscer dans la politique de manière si corruptrice.
AMY GOODMAN : Je voulais poser une question sur Lina Khan (c'est une question qui a déjà été soulevée), qui est à la tête de la Commission fédérale du commerce, la FTC, et sur les milliardaires qui font pression pour que Kamala Harris nomme quelqu'un d'autre à sa place. Ralph Nader, pouvez-vous nous parler de l'importance de cette question, de ce qui est en jeu, des enjeux des deux côtés de la barrière ?
RALPH NADER : Eh bien, c'est le signe de l'activation de la Commission fédérale du commerce, après des années de calme plat, dans le domaine de l'antitrust (du côté de la protection des consommateurs, ça a malheureusement moins bougé). Mais elle a lancé de nombreuses poursuites contre le « trust » de la Silicon Valley, si on peut appeler ça comme ça, et en a fait de même pour des sociétés d'autres secteurs. Je pense que son mandat est assuré si Kamala Harris devient présidente. Elle bénéficie d'un très large soutien. Même J.D. Vance s'est prononcé en sa faveur par le passé.
AMY GOODMAN : Pouvez-vous également nous expliquer, Professeur Stiglitz, les pressions exercées par les partisans de Kamala Harris, comme par exemple Reid Hoffman, le fondateur de LinkedIn, pour ce qui est de se débarrasser de Lina Khan ?
JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, Lina Khan a adopté une position très ferme contre le pouvoir sur le marché, contre les monopoles, contre les abus de position dominante. Et il n'est pas surprenant que, compte tenu de ces positions fermes, les gens qui ont gagné leur argent en exerçant un pouvoir sur le marché et en abusant de leur position dominante, en lésant les consommateurs, ne l'aiment pas. Ce n'est donc pas surprenant que de nombreux contributeurs aux deux partis soient considérés comme suspects.
Mais les économistes ont de façon générale choisi leur camp. Si nous voulons avoir une économie dynamique, nous avons besoin de concurrence. Elle est la plus fervente avocate de la concurrence. De fantastiques décisions de justice sont venues appuyer ses démarches : Google a été déclaré en situation de monopole sur le marché des moteurs de recherche, des procès sont en cours pour s'attaquer au monopole de Google dans la sphère de la publicité et de nombreux autres procès contre les situations de pouvoir sur le marché sont dirigés contre toutes ces entreprises puissantes.
Permettez-moi juste de prendre… une position qui diffère de celle de Ralph. Parmi les questions importantes en ce qui a trait à la protection des consommateurs, il y a les questions de protection de la vie privée. Et elle s'est également attaquée à ces questions de protection de la vie privée, de manière très importante. Je pense donc qu'il y a à la fois… c'est en fait étonnant de voir l'audace avec laquelle la Commission fédérale du commerce et le ministère de la Justice se sont attaqués à ces questions.
Et permettez-moi de rappeler à ceux qui pensent qu'il s'agit de questions très abstraites que la concurrence est vraiment importante pour notre économie, car elle conditionne son dynamisme, sa capacité d'innovation, et que la concurrence… le manque de concurrence a produit davantage d'inflation, sachant que les entreprises ont le pouvoir d'augmenter les prix, et elles ont exercé ce pouvoir durant l'ère post-pandémique. Et quand la concurrence est insuffisante, leur pouvoir sur le marché donne aux grandes entreprises la capacité de nous exploiter de toutes sortes de façons, ce qui se vérifie sans arrêt. Il suffit de regarder les abus des banques et des cartes de crédit, des sociétés pharmaceutiques ; cela se produit dans toutes les sphères, comme l'internet, toutes les sphères où nous nous sentons qu'on ne nous laisse pas le choix. Pourquoi ce manque de choix ? Parce qu'il n'y a pas de concurrence efficace.
AMY GOODMAN : Ralph Nader ?
RALPH NADER : Mais il y a, Joe… il y a une autre forme d'abus qui transcende la concurrence. Il s'agit de la fraude massive sur les factures. L'expert de Harvard, Malcolm Sparrow, spécialiste en mathématique appliquée, qui a étudié cette question, estime qu'au bas mot, rien que dans le secteur des soins de santé, 350 milliards de dollars par an, soit 10 % des dépenses, sont drainés par la fraude et la tricherie en matière de facturation. Et la Commission fédérale du commerce… j'espère pouvoir m'entretenir avec certains commissaires de la Commission fédérale du commerce à ce sujet – ils m'ont invité – n'a rien fait pour lutter contre la fraude sur les factures.
Un autre phénomène qui sape la concurrence, aussi réduite soit-elle, est que toutes les entreprises ont les mêmes clauses de contrat en petits caractères qui désavantagent les consommateurs de toutes sortes de façons. Le cas des compagnies aériennes est particulièrement flagrant : elles ont toutes les mêmes clauses unilatérales en petits caractères qui privent les consommateurs de la possibilité d'intenter des poursuites ; elles peuvent modifier les contrats à volonté, ce qu'on appelle la modification unilatérale, d'où l'arbitrage obligatoire. Tout ça a des conséquences économiques et engendre des exclusions juridiques et des injustices. Mais, vous savez, ce qui a été révélateur dans le cas des démocrates, c'est qu'ils ont abandonné le salaire minimum. Je sais que...
AMY GOODMAN : Avant de parler du salaire minimum, Ralph -
RALPH NADER : … vous avez réussi à convaincre Paul Krugman d'écrire sur le sujet, finalement.
AMY GOODMAN : Ralph, avant de parler du salaire minimum, pouvez-vous réagir à ce qui vient d'être dit ?
JOSEPH STIGLITZ : Oui, oui. Vous avez tout à fait raison. Et il y a d'autres dispositions, comme les ententes de non-divulgation, qui ont joué un rôle très important dans beaucoup d'autres cas, notamment ceux de discrimination. Mais il y a une autre chose que je tenais à souligner : les économistes ont enfin commencé à parler du pouvoir de monopsone, le pouvoir sur le marché du travail. De même que les situations de monopole permettent de hausser les prix, rendant les travailleurs, les citoyens ordinaires, plus pauvres, le pouvoir de monopsone exerce une pression à la baisse sur les salaires.
AMY GOODMAN : Pouvez-vous épeler « monopsone » ?
JOSEPH STIGLITZ : M-O-N-O-P-S-O-N-E. C'est le pouvoir sur les travailleurs, sur les fournisseurs. Ce mot désigne le pouvoir des grandes entreprises d'exploiter les petits fournisseurs, ou celui des grandes sociétés d'exploiter les travailleurs ordinaires. L'effet de ce...
RALPH NADER : Et les petits agriculteurs.
JOSEPH STIGLITZ : Ce pouvoir sur le marché qui s'exerce sur les fournisseurs a, selon les estimations, pour effet de réduire les salaires de 30, 35, 40 %, voire davantage. Là où nous voulons en venir, c'est que le ministère de la Justice et la Commission fédérale du commerce s'attaquent enfin au pouvoir de monopsone et à certaines des dispositions dont parlait Ralph, à savoir l'insertion dans les contrats de clauses qui renforcent le pouvoir de monopsone. Prenons un exemple : les clauses de non-concurrence. Si vous travaillez pour McDonald's ou Burger King et faites des hamburgers, votre contrat contient une clause propre à un territoire vous interdisant de travailler pour une autre entreprise – ce qui, bien sûr, affaiblit la concurrence sur le marché. L'affaiblissement de la concurrence fait baisser les salaires et augmente les profits des entreprises, accroît les inégalités et rend le marché moins efficace.
AMY GOODMAN : Ralph, vous alliez aborder la question du salaire minimum…
RALPH NADER : Oui. Eh bien, juste pour Joe, Joe, vous devriez cibler davantage les budgets d'application dérisoires de la loi de la Commission fédérale du commerce et du ministère de la Justice. Un grand cabinet d'avocats compte plus d'avocats que ceux qui travaillent sur ces questions au sein du ministère de la Justice et de la Commission fédérale du commerce, un seul cabinet d'avocats géant. Et sans budgets, il n'est pas possible de mettre en œuvre les politiques que vous préconisez.
Et la deuxième chose à laquelle il faut prêter attention, ce sont les délais. De la manière dont les tribunaux sont aujourd'hui structurés, quoi que fasse Lina Khan avec le ministère de la justice, les tribunaux peuvent laisser traîner les choses pendant des années. Tout le monde le sait. Ils peuvent les laisser traîner jusqu'à ce qu'il y ait une nouvelle administration ou une nouvelle Commission fédérale du commerce.
C'est pourquoi le Congrès doit être au centre des préoccupations. Le Congrès doit s'attacher à modifier la nature du pouvoir judiciaire, à déterminer quels juges sont confirmés ou rejetés. Et le Congrès doit être à la pointe de l'opposition aux cabinets d'avocats d'affaires qui bloquent les budgets d'application adéquats. C'est comme s'il fallait se contenter d'une centaine de policiers dans tout New York. Vous n'avez pas idée à quel point ces budgets sont faibles. Ils ne cessent de nous le dire… et nous, nous les questionnons : « pourquoi ne lancez-vous pas de poursuites suite à cette infraction à la loi antitrust ? Pourquoi ne vous attaquez-vous pas à ce monopole ? Pourquoi ne tombez-vous pas sur le dos des entreprises agroalimentaires qui écrasent les agriculteurs sur les marchés ? » Ils répondent : « Nous n'avons pas le personnel. Nous n'avons pas les avocats. Nous n'avons pas les procureurs. » Nous devons donc être attentifs à ces questions.
AMY GOODMAN : Joe Stiglitz...
RALPH NADER : En ce qui concerne le salaire minimum, je sais que Joe est un grand défenseur du salaire minimum vital. Mais Joe, n'êtes-vous pas étonné que cette campagne présidentielle ne mette pas – que les démocrates ne mettent pas – cette question à l'avant-plan ? Elle devrait être centrale, mais on la marginalise. Ils n'écoutent pas la parole des travailleurs quand ceux-ci expliquent ce que cela signifie d'obtenir plus d'argent par heure. Ils ne font pas vraiment d'efforts en la matière au Congrès. Elle n'en parle pas ; elle n'en parle quasiment jamais, Kamala Harris.
JOSEPH STIGLITZ : Je suis d'accord. Ils devraient parler du salaire minimum. Vous savez, les recherches menées ces dernières années par les économistes ont totalement changé notre vision de ce que signifierait un salaire minimum de 15 dollars de l'heure, voire un peu plus. On disait autrefois que le fait d'augmenter le salaire minimum créerait plus de chômage. Nous savons aujourd'hui que ce n'est pas vrai. Une augmentation du salaire minimum par rapport au niveau extraordinairement bas où il a stagné serait en fait bénéfique pour l'emploi. Cela mettrait plus d'argent dans les mains de gens qui sont prêts à le dépenser, ce qui augmenterait la demande globale, en particulier dans certaines des communautés parmi les plus pauvres. On le voit, les villes de notre pays, comme Seattle, qui ont déjà augmenté leur salaire minimum s'en sortent en fait très bien.
AMY GOODMAN : Je voulais juste citer un article paru dans le Times il y a à peu près une semaine, qui dit que les donateurs de la campagne de la vice-présidente Harris la poussent à reconsidérer son soutien à un projet d'impôt applicable aux Américains les plus riches, dans un contexte où certains dirigeants de Wall Street et de la Silicon Valley tentent de remodeler le programme de gouvernement de la candidate démocrate. On peut aussi y lire que l'équipe de campagne de Madame Harris (...) a déclaré qu'elle soutenait les augmentations d'impôts prévues dans (...) la plus récente proposition de budget de la Maison-Blanche de Biden. L'une des mesures envisagées consisterait à obliger les Américains disposant d'un patrimoine d'au moins 100 millions de dollars à payer des impôts sur les plus-values d'investissement, même s'ils n'ont pas vendu les actions, les obligations ou d'autres actifs qui se sont appréciés. Cette catégorie de contribuables payerait un impôt de 25 % sur une combinaison de leurs revenus réguliers, comme les salaires, et de ce que l'on appelle les plus-values non réalisées. L'impôt sur le revenu minimum pour les milliardaires pourrait entraîner une lourde facture fiscale pour les personnes fortunées qui tirent une grande partie de leur richesse des actions et autres actifs qu'elles possèdent ». J'aimerais avoir vos commentaires sur cette question dans cette dernière partie de notre conversation. Ralph Nader ?
RALPH NADER : Eh bien, je vais laisser la parole à Joe. Ma principale proposition est de rétablir les taux d'imposition qui s'appliquaient aux riches et aux entreprises dans les années de prospérité de la décennie 1960, avant que nous ne les réduisions de façon spectaculaire au cours des années qui suivirent ; nous avons alors écarté toute possibilité de réforme fiscale, c'est-à-dire exclu toute réforme fiscale de la base vers le sommet et avons toléré d'énormes déficits ou des budgets de services publics de plus en plus restreints parce que les entreprises et les super-riches étaient notoirement sous-imposés.
AMY GOODMAN : Vos derniers commentaires, Joe Stiglitz ?
JOSEPH STIGLITZ : Oui.
RALPH NADER : Joe, vous pouvez répondre à cette autre partie de la question mieux que moi.
JOSEPH STIGLITZ : Il est clair que nous sommes allés trop loin, puisque nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation où les ultrariches paient en fait une plus petite fraction de leurs revenus en impôts que les gens qui disposent de peu de moyens. Warren Buffett n'a pas mâché ses mots quand il a constaté que quelque chose ne va pas quand il s'en tire avec un taux d'imposition inférieur à celui de sa secrétaire.
La proposition particulière que vous avez mise sur la table s'appelle la réalisation constructive des plus-values, une solution que je préconise depuis très longtemps. Elle présente de nombreux autres avantages économiques. Ce sont des détails techniques, mais cela réduit le problème de l'immobilisation des fonds, une situation qui se produit lorsque le contribuable ne veut pas vendre un actif parce que s'il le fait, il payera un impôt prélevé lors de la réalisation du gain. Il s'agit donc d'une réforme qui rendrait l'économie plus efficace, tout en rendant le système fiscal plus équitable. Je suis donc très favorable à la question de la réalisation constructive. Ce que vous faites, c'est que vous payez la valeur estimée, puis, à la fin, lorsque vous vendez, vous pouvez faire toutes sortes de redressements, de sorte que vous ne payez jamais, jamais, trop d'impôts, dans les faits. Il s'agit simplement de vous les faire payer à l'avance, plutôt que de reporter et reporter.
Cette mesure doit être accompagnée d'une autre disposition qui est vraiment très mauvaise. Il s'agit de l'augmentation de la base d'imposition des plus-values. Il s'agit d'une disposition qui s'applique lorsque vous léguez un bien à vos enfants ou à quelqu'un d'autre. Lorsque les héritiers héritent, la valeur de référence est celle de la date de l'héritage. Cela signifie que toutes les plus-values, depuis le moment où le bien ne valait peut-être rien jusqu'au moment où vous le donnez, échappent totalement à l'impôt. Et c'est un ingrédient essentiel pour créer en Amérique cette ploutocratie d'héritiers qui sape tellement les valeurs fondamentales de notre pays.
AMY GOODMAN : Eh bien, je tiens à vous remercier tous les deux...
RALPH NADER : C'est pourquoi j'y reviens encore et encore, Amy, au Congrès, au Congrès, au Congrès. De la manière dont notre système est construit, le Congrès peut être le grand facilitateur ou le grand obstructeur. C'est pourquoi nous avons créé ce mensuel, Capitol Hill Citizen, pour lequel j'espère que vous écrirez, Joe. Les gens peuvent obtenir la version imprimée de notre bulletin en allant sur CapitolHillCitizen.com. Si vous faites un don de cinq dollars ou plus, vous recevrez sans délai un document de 40 pages par courrier prioritaire. CapitolHillCitizen.com.
AMY GOODMAN : Ralph Nader, je veux vous remercier d'avoir été avec nous. Vous êtes un défenseur des consommateurs de longue date, un critique de la grande entreprise, un ancien candidat à la présidence – quatre fois, je crois – auteur de nombreux livres, dont le plus récent est Let's Start the Revolution : Tools for Displacing the Corporate State and Building a Country That Works for the People (traduction non officielle : Commençons la révolution : des outils pour extirper les grandes entreprises de l'appareil d'état et construire un pays qui répond aux aspirations du peuple). Ralph est le fondateur du mensuel Capitol Hill Citizen. Professeur Stiglitz, économiste lauréat du prix Nobel, professeur à l'université Columbia, ancien président du Conseil des conseillers économiques, est actuellement économiste en chef à l'Institut Roosevelt. Son nouveau livre s'intitule The Road to Freedom : Economics and the Good Society (traduction non officielle : Le chemin vers la liberté : l'économie et la bonne société). Pour voir la première partie de notre discussion, rendez-vous sur democracynow.org. Mon nom est Amy Goodman. Merci beaucoup de nous avoir suivis.
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Comment remettre à plus tard l’urgence climatique

Les entreprises pétrolières et gazières demeurent parmi les plus grandes responsables de la lenteur inacceptable avec laquelle se mettent en place des mesures pour combattre le réchauffement climatique. Elles investissent à cette fin de très grandes ressources en lobbying. Ainsi est-il essentiel de comprendre leur stratégie.
L'assiduité des entreprises gazières et pétrolières auprès des gouvernements n'est plus à démontrer. Leur présence aux COP sur le climat a été dénoncée à plusieurs reprises : on comptait environ 500 de leurs lobbyistes à la COP26 à Glasgow en 2021, la plus importante délégation toutes catégories confondues, et 636 à la COP27 à Charm el-Cheikh, une hausse de 25 %. Avec une prochaine COP aux Émirats arabes unis présidée par le PDG d'une compagnie pétrolière, rien ne va pour le mieux.
Une étude du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) a calculé la fréquence des rencontres entre les lobbyistes des compagnies pétrolières et gazières avec le gouvernement canadien en compulsant le registre des lobbyistes. Résultats : du 4 janvier 2011 au 30 janvier 2018, on recense pas moins de 11 452 contacts, une moyenne de six par jour ouvrable [1]. Si le registre des lobbyistes ne nous permet pas d'avoir accès au contenu de ces rencontres, une observation de la situation actuelle permet d'en voir les conséquences : subventions gigantesques à ces compagnies, soutien ferme au développement d'oléoducs, absence de politiques efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Tout indique que les provinces subissent une charge équivalente de la part des lobbyistes, ce qui montre à quel point nos gouvernements sont l'objet d'une pression constante pour répondre favorablement à des intérêts économiques colossaux.
Intervenir à tous les niveaux
Ces liens directs avec les élu·es et les fonctionnaires ne sont pas suffisants pour assurer un bel avenir aux compagnies pétrolières et gazières. Influencer l'opinion publique est au cœur de leur stratégie, nécessitant de leur part une bonne capacité d'adaptation. Le réchauffement climatique – dont elles reconnaissaient maintenant l'existence –, et la réduction de la consommation d'énergie fossile qui devrait en découler sont considérés à juste titre comme des menaces directes à leurs profits.
Leur première réaction a été de financer massivement le climatoscepticisme. ExxonMobil et les frères Koch, plus particulièrement, ont donné généreusement à des think tanks (des laboratoires d'idées), des scientifiques et des médias pour diffuser à grande échelle un doute sans fondement scientifique quant à la réalité du réchauffement climatique et la responsabilité de l'être humain devant ce phénomène [2].
Il est important pour ces firmes de s'en prendre aussi à la crédibilité des mouvements environnementaux, considérés comme de dangereux adversaires. Le fait de les présenter eux aussi comme « lobbyistes » est une arme efficace : selon les lobbyistes des entreprises, chaque parti défend ses idées et ses intérêts, de valeur équivalente, le public pouvant juger après avoir entendu la plaidoirie de l'un et de l'autre. Avec les moyens qui sont les leurs, les lobbyistes peuvent entreprendre des campagnes de dénigrement de leurs adversaires. En 2014, une fuite d'un document d'une centaine de pages a permis de mieux comprendre tout ce que la firme TransCanada devait accomplir pour faire accepter un projet d'oléoduc largement désapprouvé par une bonne partie de la population. Il s'agissait ni plus ni moins de déterminer le profil de leurs opposants afin de cerner leurs faiblesses, de colliger des informations financières et judiciaires pouvant leur nuire, de contrer leur influence en sollicitant l'appui de personnalités appréciées favorables à leur projet, de payer des scientifiques pour en fournir une défense crédible.
Nouvelle image, nouvelles stratégies
Mais devant les rapports du GIEC qui s'accumulent, avec des preuves toujours plus fortes et plus élaborées du réchauffement climatique, nier cette troublante réalité n'est tout simplement plus envisageable. Et s'en prendre à des adversaires appréciés devient plus périlleux.
Les lobbyistes de ces entreprises ont donc accompli un virage important. Il ne s'agit plus à leurs yeux de se montrer des adversaires de la transition énergétique, mais d'en devenir partie prenante. Depuis quelques années, nous pouvons bel et bien compter sur les grandes entreprises extractivistes pour combattre les changements climatiques, nous répète-t-on.
Leur plan consiste, entre autres, à défendre le gaz naturel comme énergie de transition. J'ai eu l'occasion, à la COP21 à Paris, d'entendre l'actuel ministre de l'Environnement au Canada Steven Guilbeault et l'ancien premier ministre Philippe Couillard faire l'éloge de cette source d'énergie lors d'une soirée organisée par le gouvernement du Québec, celui de l'Ontario… et GazMetro (devenu Énergir aujourd'hui). Si le gaz naturel produit en effet moins de GES que le pétrole et le charbon, il en émet pourtant d'importantes quantités qui contribuent nettement au réchauffement climatique. On cherche ainsi à nous vendre un nouveau mirage.
Les entreprises pétrolières et gazières nous promettent aussi un avenir assuré par des découvertes scientifiques : les miracles technologiques leur permettraient de continuer à extraire le pétrole sans trop de dangers pour la planète. Mais l'efficacité de la séquestration de dioxyde de carbone, leur principal atout, demeure hautement hypothétique : l'idée de concentrer le carbone, de le transporter, puis de l'enfouir quelque part sous terre demande des prouesses techniques que nous sommes loin d'être en mesure de réaliser un jour. De plus, cette technologie pourrait causer des fuites très dommageables. De là à ce que tout cela se mette en place – si cela arrive –, d'énormes quantités de GES auront été lancées dans l'atmosphère.
Enfin, les pétrolières et les gazières cherchent à se donner une bonne image en se lançant dans des projets « zéro émission nette » bien en évidence sur leurs sites Web : toutes prétendent arriver à la carboneutralité en 2050. Elles le feront en compensant leurs émissions par des projets très variés, souvent axés sur les énergies renouvelables… et sur le stockage du carbone. L'écoblanchiment demeure en fait au centre des stratégies de relation publique des gazières et pétrolières pendant que derrière des portes fermées, leurs lobbyistes rencontrent des élu·es et des fonctionnaires pour s'assurer que de nouvelles politiques environnementales ne viendront pas gruger leurs profits.
Le poids de l'argent
À constater la lenteur et l'inefficacité avec laquelle la transition énergétique se met en place, avec les terribles conséquences qui s'ensuivent déjà, il semble clair que la stratégie des compagnies extractivistes porte fruit. Ces entreprises puisent dans des fonds considérables pour faire valoir leurs idées, jouent avec une proximité développée depuis longtemps avec des élu·es et des fonctionnaires et se renforcent en soutenant des organisations conçues pour propager leurs idées.
Une nébuleuse de think tanks s'active ainsi dans l'ombre, au service de l'idéologie libertarienne, couvrant ainsi de larges champs, avec comme dénominateur commun un soutien sans réserve au libre marché, ce qui implique un appui à l'exploitation sans contraintes des ressources naturelles. Les frères Koch aux États-Unis ont été les champions de ce financement, et si celui-ci semble moins évident depuis le décès de David H. Koch en 2019, plusieurs des think tanks qui ont profité de cette manne continuent à prospérer.
C'est le cas par exemple du réseau Atlas, l'un des plus actifs, et qui a la particularité de chapeauter et d'offrir ses services et son expertise à près de 500 think tanks dans différents pays, dont le CATO Institute, le Manhattan Institute, et au Canada, le très propétrole Canada Strong and Free (fondé par Preston Manning), la Fédération canadienne des contribuables (une organisation de similitantisme combattant les taxes et les impôts), et le MacDonald Laurier Institute, qui fait pression sur le gouvernement canadien afin « qu'il limite la capacité des communautés autochtones à s'opposer au développement énergétique sur leurs propres terres [3] ».
On pourrait croire qu'il s'agit là d'apporter des éléments nécessaires au débat démocratique. Mais la quantité disproportionnée d'argent dont profitent ces organisations, leur fonctionnement occulte et leurs liens privilégiés avec les gens au pouvoir nous éloignent clairement de cet objectif. D'autant plus que les enjeux reliés au réchauffement climatique, concernant ni plus ni moins que la survie sur notre planète, ne sont pas particulièrement propices à laisser libre cours à la désinformation et à orienter les décisions politiques en fonction des intérêts économiques à court terme d'une minorité.
[1] Nicolas Graham, William K. Carroll et David Chen, Big Oil's Political Reach. Mapping Fossil Fuel Lobbying From Harper To Trudeau, Canadian Center for Policy Alternatives, novembre 2019
[2] J'ai écrit à ce sujet : « Le climatoscepticisme sous l'aile de la droite radicale », Nouveaux cahiers du socialisme, numéro 23, hiver 2020.
[3] Selon un article publié par Floodlight, The Narwhal et The Guardian, « How a conservative US network undermined Indigenous energy rights in Canada » le 18 juillet 2022.
Illustration : Ramon Vitesse

La nicotine qui veut renaître de ses cendres

La réduction du tabagisme résulte d'un travail de longue haleine et de grands efforts concertés. On y arrive par un seul moyen : les lois et règlements. Ceux qui ont été adoptés ces dernières années peuvent être vus comme une belle victoire contre les lobbyistes. Mais les compagnies de cigarettes n'ont pas dit leur dernier mot.
Les campagnes de sensibilisation ont commencé il y a plus de cinquante ans, à la suite de la publication d'ouvrages confirmant les liens entre le cancer et le tabagisme. Mais ces actions avaient des impacts plutôt modestes dans la mesure où l'industrie du tabac pouvait continuer à normaliser le fait de fumer et à déployer des tactiques pour minimiser la perception des risques. En fait, non seulement niait-elle les faits reconnus par la science, mais elle finançait des tiers pour déformer les conclusions scientifiques, semer le doute et contrer les avertissements des autorités de santé.
Faire contrepoids au lobbying de l'industrie
Au Québec, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac a vu le jour en 1996 en réaction à de tels stratagèmes pernicieux. Plus précisément, l'élément déclencheur a été la réduction radicale des taxes fédérale et provinciale sur le tabac. Les intervenant·es de la santé ont constaté que cette décision découlait de l'échec de leur communauté à contrer les commerçants, cigarettiers et autres alliés qui ont orchestré une véritable « crise de la contrebande » à cette fin. Rappelons qu'à cette époque, le marché de la contrebande prenait de l'ampleur, car il était presque exclusivement composé des marques de cigarettes canadiennes qui étaient exportées et dédouanées (duty free) mais qui revenaient sur le marché noir canadien.
Ce n'est que treize ans plus tard que l'industrie du tabac plaidera coupable aux chefs d'accusation en lien avec la contrebande, exposant son rôle dans la campagne pernicieuse qui a généré tellement de pression sur les gouvernements qu'ils ont baissé les taxes sur les cigarettes, alors que cette mesure était la plus efficace pour réduire le tabagisme ! Mais le tort était fait. En baissant les taxes, on a effacé en quelques années les progrès accomplis dans la réduction du taux de tabagisme des dix années précédentes.
Une opposition systématique aux mesures efficaces
Toutes les mesures mises de l'avant par le Québec font l'objet de la Convention-cadre de l'OMS sur la lutte antitabac, un traité international signé par le Canada et 181 autres parties. La Convention-cadre identifie clairement l'industrie du tabac comme vecteur de l'épidémie du tabagisme. Le traité somme les gouvernements d'empêcher l'ingérence et l'influence de l'industrie du tabac dans le développement des politiques de santé publique.
Qu'il s'agisse du palier national, provincial ou municipal, le traité spécifie que « tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) chargés d'élaborer et de mettre en œuvre les politiques de lutte antitabac et de protéger ces politiques des intérêts de l'industrie du tabac doivent être rendus responsables » et que « les Parties devraient veiller à rendre des comptes en cas d'interaction avec l'industrie du tabac sur les questions liées à la lutte antitabac ou à la santé publique et garantir la transparence de ces interactions ».
On est vraiment loin de cette réalité au Québec. En consultant le registre des lobbyistes, on sait que l'industrie communique régulièrement avec les titulaires de charges publiques, mais la transparence s'arrête là.
Quelles sont les autres entités québécoises influencées par les cigarettiers et leur lobby ? Cette question revêt une grande importance lorsqu'on constate que les compagnies de tabac sont les plus gros joueurs de l'industrie du vapotage et que le Québec n'a toujours pas réglementé l'aromatisation des cigarettes électroniques. Et, ce, alors que le ministre Dubé indiquait en 2020 qu'agir pour protéger les jeunes contre le vapotage nicotinique était prioritaire, et que le Québec détient la taxe-tabac de loin la plus basse au pays malgré un taux stable de contrebande depuis 2011. La dernière hausse remonte à 2014.
Nouvelles stratégies de lobbying
Le lobbying de l'industrie du tabac a toujours été pernicieux et souvent porté par d'autres regroupements, chercheurs, think tanks et associations d'intérêts économiques qui reçoivent son financement. Il y a une dizaine d'années, on voyait les associations de dépanneurs brandir l'argument de la contrebande pour s'opposer à toute nouvelle réglementation.
Maintenant, les mouvements forts et organisés qui s'élèvent contre la réglementation des produits de vapotage ont presque tous des liens étroits avec l'industrie du tabac. Pour leur part, elles brandissent l'argument selon lequel le vapotage serait moins nocif que la cigarette pour les fumeurs. Mais la popularité de ces produits est beaucoup plus importante chez les jeunes dont la majorité n'a jamais fumé ! Rappelons qu'au fond, l'industrie du tabac a toujours été l'industrie de la nicotine.
Plus ça change, plus c'est pareil
S'il y a une leçon à tirer dans tout ça, c'est que les gouvernements ont réussi à réduire le tabagisme en s'attardant à l'encadrement des pratiques commerciales de l'industrie et non pas uniquement avec des interventions qui ciblent les consommateur·rices.
Il est crucial de connaître, de comprendre et d'exposer ce que l'industrie dit et rapporte à ses actionnaires. Actuellement, l'industrie mise beaucoup sur le polyusage, c'est-à-dire l'usage de différentes catégories de produits nicotinique (cigarettes, vapotage, tabac chauffé, pochette de nicotine, etc.) par un·e même consommateur·rice pour tenter de récupérer des moments où les gens ne fument pas. Bien que les cigarettiers se vantent de vouloir, à terme, cesser de fabriquer des cigarettes, ils prônent des hausses modestes et prévisibles de la taxe-tabac, soit précisément le type de hausse que l'industrie peut facilement contrer en manipulant leurs propres prix de gros.
Ces manipulations leur permettent de minimiser le choc d'une hausse de prix qui inciterait de nombreux·euses fumeur·euses à cesser de fumer ou à ne pas faire de rechutes. Le travail des lobbyistes s'inscrit dans ces visions et visées, bien que ces véritables objectifs ne soient pas inscrits dans le registre des lobbyistes du Québec.
Comme le rappelle l'OMS dans la Convention-cadre de la lutte antitabac, la société civile demeure un maillon important pour faire contrepoids à l'industrie du tabac et pour exposer ses tactiques. Pour favoriser l'intérêt public, l'adoption des politiques publiques qui s'imposent et réduire le fardeau, l'injustice et les répercussions catastrophiques sur notre système de santé causés par le tabagisme, l'implantation et le respect de ce traité sont primordiaux.
L'autrice est codirectrice et porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.
Illustration : Ramon Vitesse

Astroturfing : de lobbyisme indirect à « similitantisme »

Les groupes pro-pipelines qui manifestent devant le parlement sont-ils constitués de personnes réellement partisanes de l'exploitation pétrolière et gazière ? Des patient·es qui se prononcent pour la gratuité d'un nouveau médicament le font-ils vraiment de leur propre chef ? En somme, est-il possible que des intérêts corporatifs tirent les ficelles de ce qui est présenté comme des mouvements citoyens ?
La réponse est oui. Ces cas de figure correspondent à de l'astroturfing.
L'astroturfing (ou similitantisme) consiste en « une stratégie de communication dont la source réelle est occultée et qui prétend à tort être d'origine citoyenne » [1]. On parlera aussi de contrefaçon de mouvements d'opinion ou encore de désinformation populaire planifiée.
Le terme nous vient des États-Unis. C'est le sénateur américain Lloyd Bentsen qui l'aurait utilisé pour la première fois alors qu'il recevait un nombre inhabituel de lettres de la part de citoyen·es qui se disaient préoccupé·es par une nouvelle réglementation visant le commerce des spiritueux. Il s'agissait en fait d'une campagne de lobbyisme indirect conduite par l'industrie elle-même. C'est ce qui aurait fait dire à Bentsen qu'il était capable de faire la différence entre le grassroots et l'astroturf. L'astroturf, c'est ce gazon synthétique qu'on retrouve sur certains terrains sportifs. Par analogie, cette pelouse artificielle s'opposerait donc aux mouvements grassroot, qui viennent des racines de la société (roots), et donc des citoyen·es.
L'astroturfing constitue une tactique d'influence redoutable lorsqu'elle est déployée dans le cadre d'une campagne de lobbyisme indirect. Celui-ci, rappelons-le, vise à faire pression sur les titulaires de charges publiques (ministres, membres du personnel politique, fonctionnaires) en mobilisant l'opinion publique. En ayant recours à des démarches indirectes, les lobbyistes multiplient leurs chances d'être écoutés et entendus par les décideurs et décideuses, qui sont en effet sensibles à l'opinion. De façon très prosaïque, voire cynique, on pourrait dire qu'ils et elles ont intérêt à prendre des décisions qui sont en phase avec l'opinion publique s'ils et elles souhaitent être apprécié·es, et éventuellement réélu·es. Plus fondamentalement, la prise en compte des doléances et revendications des différent·es représentant·es d'intérêts qui composent la société fait partie du mandat démocratique confié aux élu·es.
Ce qui est problématique, c'est lorsque que de telles campagnes de lobbyisme indirect sont faites dans la tromperie. C'est le cas lorsque les lobbyistes cachent l'organisation instigatrice de leurs démarches, comme on le fait dans les cas d'astroturfing.
Les « avantages » de l'astroturfing
Le fait de dissimuler les intérêts privés derrière un mouvement citoyen contribue à donner un vernis de crédibilité à une campagne de lobbyisme indirect. En étant présentées comme émanant des citoyen·nes, les revendications peuvent ainsi être plus spontanément associées à l'intérêt collectif que si elles avaient été présentées par des acteurs économiques − entreprises ou associations industrielles – ou politiques. Par exemple, une entreprise pétrolière qui souhaite développer un projet de pipeline sera vue comme voulant faire valoir ses intérêts corporatistes, alors que les citoyen·nes qui se prononcent en appui à cette demande feront valoir les emplois créés ou encore l'importance de la sécurité énergétique du pays. Le fait que l'entreprise « se cache » derrière ce discours citoyen renforce encore davantage la crédibilité de celui-ci, qui se présente comme libre de toute influence corporatiste.
C'est aussi dans cet esprit que l'astroturfing a investi la sphère commerciale, les marques y ayant recours pour construire ou hausser leur crédibilité. Pour ce faire, elles font appel à la simulation d'actions de consommateur·trices : pensons aux faux commentaires ou aux commentaires rémunérés sur des sites qui recommandent des produits ou des services.
Bien que l'astroturfing se retrouve dans de nombreux contextes, le développement des technologies facilite la création de fausses personnalités en ligne (aussi appelée sock puppets), le recours à des « fermes de clics », à l'achat de clics ou encore à des supporter·trices ou sympathisant·es rémunéré·es. Les technologies concourent d'ailleurs à banaliser les pratiques d'astroturfing : tout le monde peut créer de faux profils, commenter en ligne sous pseudonyme ou relayer des contenus astroturf.
Est-ce grave, docteur ?
L'astroturfing est une pratique dont on devrait se préoccuper, le phénomène ayant des effets concrets sur le débat public. Il contribue à la désinformation autour des causes ou des enjeux défendus par les organisations qui en sont les instigatrices. Ces dernières ne se contentent pas toujours de promouvoir des points de vue fondés sur des informations véridiques. Dans certains cas, elles n'hésitent pas à recourir à de fausses informations, à de la propagande ou à des arguments fallacieux, qui circulent ainsi dans l'espace public. De fait, le caractère caché de leur identité véritable les épargne de tout processus de reddition de comptes.
L'astroturfing peut avoir des effets pervers sur les campagnes de véritables groupes citoyens qui, elles, tirent leur origine d'un mouvement grassroot véritable. La mise au jour de cas d'astroturfing nourrit en effet un sentiment de méfiance qui affecte ces mouvements dans leur ensemble.
C'est en ce sens que même les campagnes qui seraient déployées au profit « d'une bonne cause » sont difficilement justifiables d'un point de vue éthique. En contexte québécois, on se rappellera le cas de Bixi, vivement dénoncé. Afin de faire mousser l'idée d'adopter un système de vélos libre-service à Montréal, trois citoyen·es étaient intervenu·es très activement sur différentes plateformes sociales consacrées au transport actif. Or, on s'était rendu compte, après coup, que ces trois personnes étaient fictives : elles avaient été créées de toutes pièces par des consultants en communication. Cette tactique, certes efficace, est néanmoins condamnable en raison de la tromperie qu'elle impliquait.
Alors, que faire pour se prémunir contre ces stratégies manipulatoires ?
L'importance de la vigilance
L'astroturfing peut prendre de multiples visages, de la construction de faux profils en ligne à la création d'organisations présentées comme indépendantes, de l'envoi massif de lettres à la rémunération de faux et fausses manifestant·es. Comme le laisse entendre la définition présentée plus haut, deux conditions doivent être réunies pour qu'une pratique relève de l'astroturfing : la prétention d'un mouvement citoyen et la dissimulation de l'organisation instigatrice de la campagne. Ces deux conditions peuvent néanmoins être présentes à des degrés plus ou moins marqués, la réalité étant souvent très nuancée !
L'organisation instigatrice d'une campagne d'astroturfing peut être plus ou moins bien dissimulée : ainsi, il est parfois possible, en fouillant le site Web d'un groupe prétendument citoyen, de retrouver son instigateur·trice, ou encore les entreprises qui financent une telle initiative. Dans d'autres cas, de véritables citoyen·nes peuvent se joindre à un mouvement sans savoir que celui-ci a été initié par des intérêts privés.
Au Canada, la Loi sur le lobbying contraint les lobbyistes à dévoiler quelles sont les organisations bénéficiaires des activités mises de l'avant et directement intéressées par les résultats de celles-ci. Cela voudrait dire qu'un faux groupe citoyen dont les actions servent directement une entreprise aurait à le déclarer. Une telle disposition n'existe pas en contexte québécois. Le Code de déontologie des lobbyistes québécois interdit néanmoins « de faire des représentations fausses ou trompeuses auprès d'un titulaire d'une charge publique, ou d'induire volontairement qui que ce soit en erreur ». Bref, ce n'est pas tout à fait le Far West, mais les shérifs sont passablement mal équipés pour déceler les tactiques de lobbyisme qui seraient mensongères.
Quant aux organisations professionnelles en communication (comme la Société canadienne de relations publiques), elles condamnent le phénomène – bien qu'assez timidement – mais peinent à agir concrètement pour le contrer. Il faut dire que la profession de communicateur·rice, tout comme celle de lobbyiste, n'est pas régie par un ordre professionnel. Les dérives mises au jour sont ainsi le plus souvent réprimandées, mais rarement formellement condamnées.
Devant ce contexte relativement peu réglementé, le ou la citoyen·ne a tout intérêt à faire preuve de vigilance et à questionner les intérêts qui peuvent se profiler derrière une mobilisation présentée comme étant d'origine citoyenne. Il ne s'agit pas de se méfier de tout un chacun, mais bien de cultiver un scepticisme sain se traduisant par le réflexe de vérifier qui aurait intérêt à orchestrer un tel mouvement.
Bref, on a tout intérêt à tenter de déceler si une mobilisation ne dissimule pas des intérêts qui gagnent à être occultés.
[1] Boulay, Sophie, Usurpation de l'identité citoyenne dans l'espace public. Astroturfing, communication et démocratie. Québec : Presses de l'Université du Québec, 2015.
Stéphanie Yates est professeure à l'Université du Québec à Montréal.
Avec la collaboration de Camille Alloing, Olivier Turbide, Alexandre Coutant et Vincent Fournier, professeurs au département de communication sociale et publique à l'UQAM. Avec l'autrice, ces chercheur·euses étudient l'astroturfing dans le cadre du projet ASTRO : Analyses, Stratégies, Techniques, Régulations et Observations. Ce projet a obtenu un financement du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
Illustration : Ramon Vitesse

Engagement, militance et lobbyisme scientifique

L'activité scientifique et celle du lobby ne relèvent certes pas des mêmes visées ni de la même éthique. Or, l'impératif de la rigueur condamne-t-il à la distance et à l'immobilisme face aux dysfonctions du monde actuel ? Comment interpréter l'engagement des scientifiques dans le jeu des influences politiques ?
L'expression « lobbyisme scientifique » est généralement associée à une pression sur les instances de décision, exercée par des protagonistes qui utilisent un argumentaire « scientifique » (ou qui se réclame de la science), à partir d'une appropriation de résultats de recherche ou de la contribution directe ou indirecte des chercheur·es, pour promouvoir un procédé, une technologie, un produit ou un service. Il s'agit d'obtenir un avantage corporatif ou économique. Il conviendrait ici de parler plutôt de « lobbyisme par la science ».
Afin de se donner une plus grande légitimité, de tels lobbyistes présentent généralement leur cause ou leur projet comme une contribution à des intérêts collectifs. On peut penser ici à l'alibi du captage du carbone par les pétrolières ou à la technologie du contrôle chimique de la pluviométrie pour sécuriser la production agro-industrielle. Cela rend d'autant plus importantes la clairvoyance et l'autonomie des membres des comités d'évaluation de telles initiatives.
Quand des scientifiques deviennent lobbyistes
Dans un contexte de politisation de la science, le « lobbyisme scientifique » peut correspondre également à une pratique exercée par des acteur·rices du monde scientifique eux- et elles-mêmes. Dans ce registre, il faudrait certes aborder la question du corporatisme scientifique qui contribue à exercer une influence sur les politiques et les programmes de recherche, incluant les critères d'octroi de fonds.
Mais de façon plus ponctuelle, dans le vaste « marché de la science », des chercheur·es peuvent aussi solliciter ou accepter un financement de la part d'entreprises désireuses de faire valoir une telle contribution pour améliorer leur image publique et, par le fait même, leur influence. Nous touchons ici un aspect névralgique de l'activité scientifique, celui du pouvoir de l'argent sur l'autonomie des chercheur·es, ce qui pourrait remettre en question l'indépendance des résultats et la crédibilité des scientifiques qui sont associé·es à ce type de financement.
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que si « l'activité scientifique » au sens propre a pour but la production de savoirs valides − répondant à des critères de rigueur, de transparence, de cohérence logique et de réfutabilité −, l'objet et l'orientation des projets de recherche relèvent plutôt du choix des personnes qui se reconnaissent ou qui sont reconnues comme « scientifiques ». Or, celles-ci s'inscrivent dans un contexte sociétal et académique qui influence leur pratique scientifique.
Engagement, militance ou lobbyisme ?
C'est ainsi que des chercheur·es, alerté·es par des problématiques écologiques ou de santé des populations par exemple, choisissent ouvertement d'associer leurs travaux à une démarche engagée, voire à une action militante, visant à jouer un rôle d'aide à la décision auprès d'acteur·rices clés ou de responsables politiques. Dans la mesure où de telles activités se passent au grand jour − plutôt que dans les espaces enclos des « lobbies » − et puisqu'elles concernent des enjeux collectifs et que les scientifiques n'y recherchent pas de bénéfices personnels, nous considérons qu'il ne s'agit pas de « lobbyisme scientifique ». Il importe en effet de clarifier ici la distinction entre engagement, militance et lobbyisme sur le plan de l'éthique scientifique.
Reconnaissons d'abord que toute recherche n'est pas tenue de s'inscrire d'emblée dans une visée de développement social. Ceci dit, il nous apparaît important toutefois de revendiquer la légitimité de la posture militante de ceux et celles qui choisissent de s'engager dans cette voie et nous reconnaissons la pertinence sociale − voire la nécessité conjoncturelle − d'une éthique de l'engagement scientifique.
Il n'est pas facile d'évoquer l'idée d'engagement social en science et encore moins celle de militance. En effet, certain·s détracteur·rices n'hésitent pas à les dénigrer sous d'angle même de leur scientificité et à les associer à une forme de lobbyisme opportuniste. Alors, qu'en est-il de l'engagement et de la militance qui caractérisent une organisation comme notre Collectif scientifique, qui s'est mise en place dans la tourmente de l'annonce de l'invasion de l'industrie gazière dans la vallée du Saint-Laurent au début des années 2010 ?
Rencontre entre science et mouvements citoyens
D'abord, il s'agissait de répondre à l'appel du mouvement citoyen qui s'était courageusement levé à partir d'observations, de questionnements et d'inquiétudes, qui se sont avérés fort justifiés. Le Collectif est né d'un désir d'engagement à nourrir le débat public par des synthèses de productions scientifiques − publiées alors surtout dans des revues de recherche internationales et bien souvent confinées à des circuits de diffusion académiques. Il s'agissait de repérer et d'analyser ces travaux, de les commenter, de les synthétiser, de les expliciter, de les croiser en interdisciplinarité, de transposer ce savoir en contexte québécois, de le compléter par de nouvelles recherches in situ et de rendre cette science accessible.
Un tel apport a pu contribuer à l'émergence d'une « intelligence citoyenne » de la question, reconnaissant également à cet effet la valeur incontournable des « savoirs de terrain » portés par les groupes mobilisés sur les territoires concernés. Ce travail d'examen approfondi du champ de la recherche, d'écoute attentive des expériences citoyennes (voire de participation à certaines de celles-ci), de discussions critiques entre collègues et de débats entre protagonistes nous a mené·es au constat qu'il importait de prendre une position ferme à l'encontre d'un tel projet de « développement » énergétique, et de porter ce positionnement dans l'espace public, passant ainsi de l'engagement scientifique à la militance.
Militantisme des scientifiques
Le militantisme en recherche est ainsi défini par André Robert et Jean-François Marcel : « Une volonté d'intervention sur l'existant, d'implication orientée dans une pratique sociale, sur la base de conviction, mais avec la possibilité maintenue d'un regard critique et évolutif sur le réel ». C'est en effet l'exigence d'une constante distanciation critique qui permet de légitimer une telle posture. À ce critère, il convient d'ajouter celui de l'explicitation de l'intention − liée à la clarification des valeurs sous-jacentes.
Le militantisme scientifique, plus justement appelé le militantisme des scientifiques, peut prendre des formes diverses. On peut penser au soutien aux mouvements citoyens et aux initiatives de « science citoyenne » (par l'apport de protocoles de recherche entre autres et de pistes d'analyse), à la revendication de l'accès à l'information auprès des instances publiques et à la présence active dans les médias. On peut aussi penser à l'organisation d'événements publics autour des enjeux scientifiques, à la mise en place ou à la participation à un groupe d'intérêt public (comme Science for the People ou Union for Concerned Scientists), à l'action directe sur les terrains, voire à la participation à certaines formes de désobéissance civile − soit une opposition active non violente (comme au sein du mouvement Scientist Rebellion). On rejoint ici l'idée d'activisme, souvent connoté négativement, mais qui peut pourtant correspondre à une courageuse mobilisation en faveur du bien commun.
Un contrepoids nécessaire
L'ampleur du bouleversement climatique et l'érosion accélérée de la biodiversité – qui résultent de l'ensemble des dysfonctions de notre rapport au monde vivant − appellent plus que jamais les scientifiques à ne pas se confiner à l'étude distante des réalités socioécologiques. Certes, il faut mentionner ici le risque de nuire à sa carrière − soit en raison de l'investissement considérable de temps que cela exige et de la réprobation implicite ou explicite de l'institution d'attache. Mais au-delà du risque, il y a l'impératif de la responsabilité sociale, dont celle de faire contrepoids au lobby « privé » et à contrer l'inertie des décideurs.
Dans un contexte marqué par la désinformation, où la « science » (ou ce qui en tient lieu) est reconnue comme un pivot d'argumentation majeur pour justifier les choix de gouvernance, il devient essentiel de revendiquer la contre-expertise et le débat, et d'y participer avec engagement. Face à la déconstruction du monde vivant, le silence des scientifiques, comme celui des autres voix citoyennes, peut relever d'un consentement inacceptable, et l'engagement – jusqu'à la militance – apparaît comme une posture de dignité.
Membres du collectif : Lucie Sauvé, Marc Brullemans, Bonnie Campbell, Christophe Reutenauer, Bernard Saulnier, Jean-Philippe Waaub et Sebastian Weissenberger
Illustration : Ramon Vitesse

Des municipalités vulnérables

L'efficacité du lobbyisme repose sur une ressource clé qui se paie cher : l'accès aux décideur·euses. Aux niveaux provincial et fédéral ainsi que dans les plus grandes villes du Québec, cet accès restreint. Mais est-ce aussi vrai dans le cas des petites municipalités, qui constituent la vaste majorité des 1130 municipalités locales du Québec ?
Dans les quelque 1 001 municipalités qui comptent moins de 10 000 habitant·es, les personnes élues sont plus proches du citoyen lambda et l'échelle humaine de la politique redresse le rapport de force entre la volonté populaire et celui des intérêts privés au portefeuille épais. N'importe quel·le élu·e de village vous confirmera qu'un groupe de citoyen·nes mécontent·es lui génère bien plus d'insomnie qu'un promoteur insistant.
Pourtant, pas une semaine ne passe sans que des citoyen·nes ne se mobilisent pour lutter contre un nouveau projet de développement immobilier ou industriel non désiré, dont les impacts sociaux ou écologiques inquiètent. Malgré les efforts citoyens, ces projets vont tout de même couramment de l'avant. Comment expliquer ce rapport de force favorable aux intérêts privés au détriment de l'expression démocratique, même à l'échelle des petites municipalités ?
Personnes élues mal outillées
Notons d'abord que les personnes élues sur les conseils municipaux des petites municipalités occupent souvent cette fonction à temps partiel, contre une maigre rémunération. Elles arrivent dans leurs fonctions à partir de milieux très divers, allant de l'agriculture à la littérature, en passant par le travail d'antiquaire. Dans la majorité des cas, elles ne sont pas familières avec la gestion de grands projets immobiliers, touristiques et industriels.
Facile d'être impressionné·es par la présentation d'un promoteur qui en met plein la vue, avec de beaux rendus 3D et des promesses de retombées alléchantes. Sans être outillé·es pour identifier des données douteuses ou les angles morts dans les informations rapportées, les membres du conseil se fieront à l'administration de leur municipalité pour valider la compatibilité d'un projet avec le règlement et, en l'absence de risques apparents, se baseront sur les informations fournies par le promoteur (et à leur bon jugement) pour autoriser le projet.
L'accès à des formations extensives, des ressources et des spécialistes serait crucial pour épauler les personnes élues, aiguiser leur sens critique et amoindrir l'influence du marketing efficace. Souvent, ces ressources existent au sein d'instances régionales comme les MRC, mais elles ne sont pas diffusées activement auprès de tous les conseils.
Manque d'indépendance
L'administration joue un rôle central dans les petites municipalités : elle est entièrement responsable de l'exécution des projets, en plus de fournir les informations et les recommandations qui serviront de base pour les décisions du conseil. Le niveau de dépendance du conseil à l'administration est énorme.
Le hic : les administrations fonctionnent avec des ressources humaines très limitées et sont facilement surchargées. Il n'en tient souvent qu'à l'initiative personnelle d'un membre de l'équipe et à sa charge de travail à un moment donné de déterminer si un projet avancé par un promoteur sera scruté avec plus ou moins de minutie. La décision de recommander au conseil de faire des vérifications supplémentaires ou de produire des études externes sera ainsi sujette à une grande part de subjectivité. Dans ce contexte, les développeurs profitent de ce que des enjeux importants (impacts sociaux, sur les milieux naturels, sur l'eau, sur la mobilité, par exemple) passent sous le radar au moment d'adopter une modification au règlement de zonage ou une dérogation pour autoriser leur projet.
Capacité de proposition restreinte
Les capacités financières et de gestion de projet des petites municipalités sont trop limitées pour leur permettre de se lancer dans la réalisation des projets ambitieux et innovants dont la communauté pourrait rêver (la construction d'un quartier d'habitations écologiques alternatives, une nouvelle école, la conservation d'espaces naturels, etc.). Elles peuvent difficilement prendre en charge des projets d'envergure complexes, dont certains exigent de naviguer dans les contraintes du cadre législatif provincial. C'est beaucoup, quand on pense que la seule réfection annuelle de la patinoire peut déjà faire déborder la marmite ! Les municipalités dépendent alors des capacités et des capitaux venant de l'extérieur : autrement dit, on compte sur le privé.
Les projets proposés par le privé, on le sait, visent avant tout la profitabilité de l'investissement, bien avant les besoins et demandes de la population. La municipalité se retrouve souvent à devoir faire des compromis sur sa vision : si les critères posés dans ses règlements ne permettent pas aux promoteurs de tirer une marge de profit suffisamment intéressante, les projets ne trouvent pas porteur. De ce fait, les projets qui répondent aux besoins communautaires, sociaux et écologiques, plutôt qu'aux impératifs capitalistes, sont très difficiles à réaliser, malgré la volonté d'une communauté et de son conseil municipal.
Processus démocratiques déficients
Le pont entre les personnes citoyennes et leur démocratie locale est très souvent entravé par la grande opacité de ses instances et de ses communications. L'espace qui devrait en principe constituer le cœur de la démocratie locale, soit les séances du conseil municipal, est vidé de son sens par une pratique courante : toutes les délibérations se tiennent en amont, derrière des portes closes, lors des caucus du conseil.
La séance publique ne devient alors qu'une simple formalité. Les interventions citoyennes n'y ont aucun poids ; l'issue du vote est déjà fixée. C'est ainsi qu'on place la population devant le fait accompli avec des projets impactant négativement son milieu de vie.
Pour réussir à intervenir dans le processus décisionnel des municipalités, il faut se lever tôt : seuls des citoyens et citoyennes particulièrement assidu·es peuvent assurer une forme de vigie et décortiquer ce qui se cache derrière les codes de règlements et les numéros de lots peu évocateurs dans les communications des villes.
Il faut être à l'affût et interpeller les personnes élues en marge des séances, car c'est là que se prennent les décisions : en coulisse, loin des yeux et des oreilles. On pourrait difficilement imaginer une manière de faire qui puisse rendre plus vulnérables les municipalités à l'influence des intérêts privés.
Heureusement, de plus en plus de municipalités sont animées par la volonté d'agir contre ces failles démocratiques et de mettre en place des processus de participation citoyenne. Mais tout reste à faire ! Un grand chantier doit être mené pour réfléchir aux bonnes pratiques, instaurer des processus consultatifs et des instances participatives efficaces. Mais surtout, il faut s'attaquer à la cause systémique qui constitue le nœud du problème : le manque de capacité et de ressources des municipalités, essentielles à l'autonomie des communautés, à la concrétisation de la volonté démocratique locale et à la résistance face au pouvoir d'influence des grands capitaux et des intérêts privés.
L'autrice est citoyenne engagée et co-fondatrice de la Vague écologiste au municipal.
Illustration : Ramon Vitesse

Lobbying immobilier à Montréal

J'ai été conseillère municipale dans l'arrondissement du Sud-Ouest de Montréal de 2009 à 2021. Traversée par le canal de Lachine, avec ses vestiges de secteur ouvrier, cette partie de la métropole a été transformée par de nouveaux immeubles. Ces transformations ne se sont cependant pas faites dans des circonstances idéales.
Elles ont marqué notamment des quartiers comme Saint-Henri, Pointe-Saint-Charles ou Griffintown. Le prochain à suivre la tendance sera certainement le secteur Bridge-Bonaventure, près du pont Victoria, où l'on projette de construire des milliers d'unités résidentielles.
Le développement immobilier y est un enjeu décisif : il s'agit d'une source de revenus majeure pour la ville qui contribue à la gentrification et au déplacement de populations, et les relations entre les promoteurs et les décideurs municipaux sont discutables.
Depuis vingt ans, un boom immobilier est en cours dans cet arrondissement. La population est passée de 69 860 personnes en 2006 à 84 553 en 2021. Il s'agit donc de 15 000 résident·es de plus en quinze ans, soit une hausse de 21 %, ce qui peut être qualifié de remarquable. Les derniers recensements témoignent d'une importante transformation : plus de propriétaires, de personnes diplômées, de revenus importants ; moins de familles monoparentales ou de ménages à faibles revenus. La tendance urbanistique est à la densité, privilégiant les copropriétés et les hauteurs. Les logements sont peu abordables et de taille souvent insuffisante pour des familles. Et le développement se fait sans l'ajout de services publics.
Les méfaits de la taxe foncière
Pendant ces douze années d'expérience, j'ai vu passer des centaines de projets immobiliers demandant à démolir ou à modifier la réglementation d'urbanisme (comme changer le zonage d'industriel à résidentiel). Or, il n'y a aucune obligation pour des décideurs municipaux de modifier la réglementation ou d'accepter une démolition. Par ailleurs, il se trouve que la principale source de financement des villes est la taxe foncière. Pour Montréal, elle représente 70 % et plus de l'ensemble des revenus. L'arrondissement bénéficie, pour sa part, des revenus de permis de construction, d'occupation du domaine public pendant les travaux, en plus de l'élargissement de son assiette fiscale. Ainsi, la dépendance des villes à la taxe foncière peut malheureusement influencer des choix dans le développement, dans le but de hausser la valeur foncière et les retombées fiscales.
Une ex-collègue conseillère m'a déjà dit considérer les promoteurs immobiliers comme des citoyens… corporatifs. Elle voulait représenter tout le monde. Or, d'après moi, ce ne sont pas tant des citoyens que des partenaires d'affaires. Ainsi, il m'est arrivé durant mon expérience municipale d'être mal à l'aise en ce qui concerne des relations directes entre des promoteurs et des décideur·euses.
Par exemple, j'ai entendu une personne insister sur des demandes de promoteurs qu'elle déclarait non réglées alors qu'au contraire, la majorité du conseil avait déjà été claire sur leur manque d'appui aux propositions de projets déposées. La personne se plaignait de recevoir des appels téléphoniques des requérants. Aussi, j'étais mal à l'aise de constater que des promoteurs peuvent être nommés par leur prénom ou que certains sont sollicités pour acheter des billets de cocktail pour une levée de fonds de parti politique. Cela me semble des marques de proximité inquiétantes.
Se défendre des promoteurs
J'ai alors voulu me renseigner auprès du conseiller à l'éthique de la ville, un avocat mis à disposition pour conseiller les élu·es sur toutes questions reliées aux responsabilités en matière d'éthique et de déontologie. Il m'a déclaré qu'actuellement, cette proximité n'est pas remise en question. Il ne s'agit, pour le promoteur, que d'être inscrit au registre du lobbying pour pouvoir communiquer avec un politicien.
Pourtant, la jeune formation politique que je représentais avait établi un cadre de gouvernance en 2011. Il s'agissait de « refuser tout cadeau et toute faveur susceptible d'appeler une contrepartie ou de créer une dette morale envers une personne intéressée ». Ce document n'a plus été utilisé après quelques années. Tout dernièrement, j'ai vu qu'on le faisait de nouveau circuler parmi les membres, dans une volonté annoncée de le mettre à jour, ce dont je me réjouis.
En effet, je souhaiterais plus de distance entre les décideur·euses municipaux·ales et les promoteurs immobiliers. Il serait possible de réduire l'utilisation du lobbyisme en augmentant la responsabilité de la ville de promouvoir sa propre vision du développement. Les projets immobiliers s'y inscriraient alors sans utiliser le dispositif de négociation que représentent les modifications réglementaires
L'autrice est membre du CA d'ATTAC Québec et ex-conseillère municipale dans l'arrondissement du Sud-Ouest de Montréal de 2009 à 2021.
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Un large débat citoyen s’impose !

Le projet de Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives (projet de loi 69) a été présenté sans débat public préalable véritable en juin dernier. Il a commencé à être discuté en commission parlementaire à partir du mardi 10 septembre. Le ministre Pierre Fitzgibbon, qui avait préparé ce projet de loi a démissionné avant l'ouverture de la commission parlementaire et a été remplacé par Christine Fréchette qui passe du ministère de l'Immigration au ministère de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie. Legault a demandé au ministre Fitzgibbon de démissionner avant l'ouverture de ce débat. Il craignait que sa franchise mal placée (sur la nécessaire réduction du parc automobile, sur la probable hausse des tarifs d'électricité, sur le retour possible du nucléaire… ) n'eût pas sa place dans une période de débats qui s'annoncent difficiles alors que son incapacité d'améliorer les services publics pèse de plus en plus sur la popularité de son gouvernement.
A. Principales mesures du projet de loi 69
Rappelons en quelques mots les principales mesures du projet de loi 69. Il s'agit :
• De centraliser les pouvoirs dans les mains du responsable ministère de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie (MÉIE).
• D'augmenter considérablement la production énergétique en doublant dans les 25 prochaines années les capacités de production d'électricité du Québec.
• D'inviter Hydro-Québec à investir des dizaines de milliards de dollars pour ce faire. [1]
• De prévoir l'élaboration d'un projet de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE) qui établirait les orientations, les objectifs et les cibles à atteindre en matière d'énergie et d'efficacité énergétique sur un horizon de 25 ans.
• De privatiser une partie de la production et de la distribution de l'énergie renouvelable en favorisant l'autoproduction des entreprises privées.
• D'autoriser Hydro-Québec à se départir de davantage de ses centrales hydroélectriques au profit de petits intervenants comme les municipalités ou les communautés autochtones en rehaussant à 100 mégawatts la limite des projets de petites centrales hydroélectriques.
• De revoir le processus de tarification, particulièrement à partir de 2026, et d'ouvrir la possibilité de fixer un ou plusieurs tarifs pour les clients résidentiels d'Hydro-Québec afin d'amener les consommateurs à consommer moins. [2]
B. Les réactions au projet de loi 69 en commission parlementaire
Les interventions faites dans le cadre de la commission parlementaire méritent d'être examinées, car elles permettent de voir le caractère de classe de ce projet de loi qui apparaît comme un coup de force antidémocratique sous le couvert de la décarbonation et qui risque de se concrétiser par une régression démocratique de la société québécoise tout en évitant la discussion sur les politiques qui permettraient d'atteindre les objectifs de réduction de GES et d'engager une véritable lutte aux changements climatiques et à la perte de la biodiversité.
Les interventions des organisations patronales.
La communauté d'affaires s'est réjouie des mesures destinées à renforcer la production d'électricité et à accélérer la privatisation de la production et de la distribution d'énergie.
À l'intérieur de cette communauté, Energir a salué le dépôt du projet de loi 69 et la volonté du gouvernement du Québec d'inclure Énergir dans les travaux d'élaboration du plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE). Le projet de loi selon Énergir permettra de faire avancer la filière GSR afin que le Québec maintienne son rôle de leader en Amérique du Nord.
Les Manufacturiers et Exportateurs du Québec, le Conseil du patronat, la Fédération canadienne des entreprises indépendantes et la Fédération des chambres de commerce du Québec [3], malgré diverses préoccupations et des propositions d'amendements différentes, accueillent ce projet de loi favorablement car il répond à plusieurs de leurs intérêts et objectifs :
• avoir accès à plus d'énergie en quantité suffisante pour répondre aux besoins actuels et à leur projet de croissance et d'augmentation de leurs profits ;
• assurer d'avoir des tarifs compétitifs. Si les organisations patronales représentant les PME comme la FCEI dénoncent l'interfinancement, soit le fait que la majorité des PME paient pour les plus grandes entreprises qui ont des tarifs préférentiels (tarif L) et les résidents, elles espèrent que le gouvernement se rendra à leurs demandes et leur offrira des mesures fiscales et des subventions leur permettant de faire face à d'éventuelles augmentations de tarifs.
• L'ensemble du patronat salue le projet de loi qui permettra d'accélérer et de faciliter l'autoproduction d'énergie. Il appelle à l'octroi des crédits d'impôt pour faciliter cette autoproduction. Les Manufacturiers et Exportateurs du Québec invitent même le gouvernement à permettre des projets comportant plus d'une entreprise et à ne pas limiter la possibilité de vente aux entreprises situées sur des terrains adjacents.
• Les organisations patronales insistent pour que le PGIR s'assure du soutien de l'ensemble des filières énergétiques et que tous les secteurs (secteurs gazier et pétrolier y compris) puissent être impliqués dans sa mise au point.
Unanimement, les représentants du patronat se font les défenseurs de l'augmentation considérable de la production, de la privatisation, de la production d'énergie par l'autoproduction et de leur implication dans la distribution. Ils ne semblent nullement préoccupés par le fait que le projet de loi ne fasse aucune place à un plan de décarbonation et de lutte aux changements climatiques. La croissance verte comme occasion d'affaires et d'enrichissement balaie toutes les réflexions sur les limites de la planète pour ne pas parler de réelles politiques de décroissance. Les organisations patronales ne semblent nullement préoccupées par le fait que la démarche du gouvernement n'a pas fait place à un large débat citoyen. Le premier ministre est complètement en phase avec les aspirations des propriétaires des entreprises, et particulièrement, avec les plus grandes d'entre elles.
Réactions des organisations syndicales, populaires et écologistes.
Des groupes de la société civile ont demandé la suspension des travaux parlementaires entourant le projet de loi 69. [4]
La FTQ réitère dans son mémoire [5] sa « position ferme contre l'adoption du projet de loi no. 69 dans sa forme actuelle. Elle y dénonce la centralisation des pouvoirs dans les mains du ministre, le fait qu'il facilite la proposition de la privatisation et s'attaque ainsi au contrôle d'Hydro-Québec sur la production de l'énergie. Elle écrit :
La FTQ appelle à la suspension immédiate des travaux parlementaires sur le projet de loi et demande la mise en place d'un Plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE) avant toute reprise des discussions. Ce plan doit inclure une évaluation exhaustive des impacts environnementaux et économiques, garantir que les décisions énergétiques du Québec soient alignées avec les engagements internationaux en matière de biodiversité et de lutte contre les changements climatiques et assurer un processus décisionnel inclusif qui mettra de l'avant l'expertise des travailleuses et travailleurs ainsi que des nombreux acteurs de la société civile. »
La FTQ recommande de maintenir une gestion exclusivement publique des infrastructures énergétiques afin de préserver leur statut de bien commun, crucial pour la collectivité et propose même que le mandat d'Hydro-Québec soit étendu à l'ensemble de la production, du transport, et de la distribution électrique quelle qu'en soit la source et que les sources renouvelables soient nationalisées.
Ces dimensions sont effectivement absentes du projet de loi.]
La CSN dénonce le fait que le projet de loi 69 ouvre la porte à plus de production d'électricité privée par son article 38 qui permet à une entreprise de produire de l'électricité et de la distribuer à un client situé sur un terrain adjacent. La hausse à 100 mégawatts (MW) maximum, plutôt que les 50 MW actuels de la production hydroélectrique privée, va également dans le même sens. C'est une – autre voie par laquelle de nouveaux producteurs privés pourraient apparaître. Pour la CSN, Hydro-Québec doit être le seul maître d'œuvre pour le développement du secteur éolien au Québec. [6]
L'Union des Producteurs Agricoles (rappelle pour sa part) que la nationalisation de l'électricité a permis « l'industrialisation des campagnes et d'améliorer les méthodes de production et aussi de garantir un accès équitable et abordable à l'électricité pour tous les Québécois ». Elle dit craindre que le projet de loi 69 débouche sur un retour en arrière. Le mémoire souligne que les terres agricoles ne constituent que 2% du territoire du Québec et que la gestion gouvernementale actuelle face au développement des énergies renouvelables ne contribue pas à protéger la production agricole du Québec. [7]
Le mémoire de l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador [Mémoire de l'Assemblée des Premières Nations [https://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_202029&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz]] demande une série d'engagements au gouvernement qui démontrent leur volonté que « les Premières Nations, leurs gouvernements, leurs savoirs et leurs expertises doivent être placés au premier plan de la transition énergétique et du développement économiques, c'est pourquoi, l'APNQL demande une série d'engagements : assurer une représentation des Premières Nations au sein de l'effectif d'Hydro-Québec, prévoir un financement dédié aux Premières Nations, contribuer à la réconciliation économique avec les ¨Premières Nations en précisant des exonérations fiscales, partager les décombres et compenser les domaines du passé et actuel, verser des dividendes d'Hydro-Québec aux Premières Nations, réaménager et restaurer à la fin de l'exploitation, alléger le processus de conclusion entre Hydro-Québec et les Premières Nations, interdire la production d'énergie nucléaire et cibler des entreprises des Premières Nations. Les engagements demandés sont mis en contexte et s'expriment dans des recommandations précises sur lesquelles il faudra revenir.
Réactions groupes écologistes. Les groupes écologistes déplorent que la sobriété énergétique ne soit pas une priorité. Les entreprises vampiriseront les mégawatts qui ne seront pas disponibles pour se libérer des hydrocarbures. Ils dénoncent également le fait le secteur privé joue un rôle plus significatif en matière d'énergie .
Le titre du mémoire du Front commun pour la transition énergétique est percutant : PL69 sur l'énergie devrait être reportée. [8] Cette proposition s'appuie sur une critique sans compromis.
Compte tenu de la nature des propositions du projet de loi, qui touchent 15 lois et 7 règlements, ainsi que de leurs profonds impacts sur la société et l'environnement, nous sommes d'avis que cette réforme législative, dans sa forme actuelle, serait mal avisée. C'est pourquoi nous demandons de suspendre les procédures menant à son adoption et de retourner à la planche à dessin à la suite d'un réel débat public sur l'avenir énergétique du Québec.
- Le PL-69 ne mène pas à la décarbonation puisqu'il ne contient aucune disposition assurant l'abandon des énergies fossiles
- Le PL-69 favorise un développement industriel énergivore effréné
- Le PL-69 reporte injustement le coût de ce développement industriel sur les tarifs d'électricité
- Ce qui est une injustice sociale
- Et une injustice environnementale
- Le PL-69 aide le secteur privé à s'approprier notre patrimoine énergétique en ouvrant de nouvelles portes vers la privatisation d'Hydro-Québec ou d'une grande partie de ses actifs
- Le PL-69 aurait des impacts catastrophiques sur le territoire
- Le PL-69 ignore les mesures pourtant incontournables à prendre pour favoriser la sobriété collective :
- Nécessaire pour une transition énergétique moins coûteuse.
- Nécessaire pour respecter les limites des territoires.
- Nécessaire pour éviter le nucléaire.
- Le PL-69 repose sur des orientations qui n'ont jamais été présentées à la population et n'ont jamais été débattues ;
Nous croyons que l'ensemble de ces considérations justifie de lancer rapidement le débat de société qui devrait servir de socle au plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE) que le gouvernement s'est engagé à élaborer, et de déposer un projet de loi sur l'énergie fondamentalement remanié, une fois cet exercice complété.
C. Ouvrir un large débat citoyen pour élaborer une réponse solidaire pour la lutte aux changements climatiques
Le gouvernement Legault, malgré la volonté de verdir son discours, manifeste un manque de volonté politique pour rompre avec une croissance basée sur un modèle extractiviste incompatible avec la réduction nécessaire de la consommation énergétique. Si l'ensemble des organisations patronales appuient d'emblée ce projet, ce n'est nullement le cas, pour les organisations syndicales, écologiques, populaires et pour les Premières Nations.
Pour notre part, nous pensons que les axes de ce débat doivent aborder les questions suivantes ;
- Quels sont les fondements d'une politique solidaire de l'énergie et de la lutte aux changements climatiques ?
- Quelle est la place des nationalisations des entreprises produisant des énergies renouvelables ?
- Quelles politiques industrielles sera-t-il nécessaire de mettre en place pour décarboner l'économie et planifier des investissements qui répondent aux besoins de la population ?
- Comment assurer une véritable implication citoyenne dans la détermination des choix stratégiques dans la lutte aux changements climatiques ? [9]
Un vaste débat citoyen doit s'ouvrir. Le gouvernement Legault rejette maintenant cette perspective. Il est important que les organisations écologistes, syndicales et populaire entreprennent ce vaste débat en organisant des États généraux de la société civile pour impliquer le plus largement possible les citoyennes et les citoyens du Québec dans ces débats qui sont importants pour assurer la reprise en main de leur destin dans cette situation d'urgence climatique.
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[1] Québec se donne les coudées franches pour produire davantage d'énergie - https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2078587/reforme-energetique-quebec-depot-projet-loi-fitzgibbon
[2] Réforme énergétique : une hausse limitée pour les citoyens au détriment des PME ?, Journal de Montréal, 9 septembre 2024 - https://www.journaldemontreal.com/2024/09/09/reforme-energetique--une-hausse-limitee-pour-les-citoyens-au-detriment-des-pme
[3] Voir ces différents mémoires - https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CAPERN/mandats/Mandat-51809/memoires-deposes.html
[4] Démission du ministre Fitzgibbon : Des groupes de la société civile demandent la suspension des travaux parlementaires entourant le projet de loi 69 - https://www.pressegauche.org/Demission-du-ministre-Fitzgibbon-Des-groupes-de-la-societe-civile-demandent-la
[5] Mémire de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec - https://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_201961&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz
[6] CSN, 6 juin 2024 -
https://www.csn.qc.ca/actualites/il-faut-rester-completement-maitres-chez-nous/
[7] Mémoire de l'Union des Producteurs Agricoles -https://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_201981&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz
[8] Mémoire du Front commun pour la transition énergétique - https://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_202247&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz
[9] Pour quelques pistes, voir Les défis posés par la politique de l'énergie du gouvernement Legault et la nécessité d'élaborer une réponse solidaire
Le nombre de personnes qui désertent augmente en Russie
Quand la surveillance devient une arme contre les accidentés de la route
Le brise-glace doit être construit au Québec
Hydro-Québec : Rabais de 20% sur le tarif L
Le discours biaisé de nos médias sur la Palestine
La CAQ laisse les écoles et CÉGEPs s’effondrer
Mobilisation citoyenne contre le projet de mine de pouzzolane à Baie-des-Hérons : une opposition grandissante

La Grande transition -

Avec la collaboration d'Alternatives et Historical Materialism
Tiohtià:ke/Montréal, Québec, Canada – 29 mai au 1er juin 2025
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Le Collectif La Grande transition appelle toutes les personnes souhaitant construire un avenir plus juste à proposer des activités pour la cinquième édition de sa conférence internationale. Celle-ci vise à réfléchir ensemble aux manières de renforcer les gauches, les mouvements sociaux et les groupes militants, tant dans leurs pratiques que dans leurs analyses théoriques. Cette année, La Grande transition s'inscrit dans le cadre du premier Forum social mondial des intersections, qui invite au décloisonnement des luttes, aux rencontres, aux alliances, aux fronts communs élargis.
Le monde brûle. Les feux de forêt, les sécheresses et les inondations se multiplient à travers le monde. L'État israélien massacre la population palestinienne avec la complicité des puissances occidentales, mettant à risque la région. Les inégalités augmentent un peu partout sur la planète. Des gens sont évincés de leur logement et d'autres peinent à payer leur loyer tandis que les propriétaires s'enrichissent. L'épicerie coûte de plus en plus cher alors que les grands commerces d'alimentation réalisent des profits records. Des migrant·e·s se noient en traversant le Rio Grande et la Méditerranée pendant que leurs confrères et leurs consœurs sont exploité·e·s et sous-payé·e·s dans les champs, les entrepôts et les hôpitaux du Nord global.
Il est de plus en plus urgent de mettre en œuvre des solutions de gauche radicale : socialiser les moyens de production ; créer des coopératives de travail et de consommation ; verdir et désasphalter nos milieux de vie ; développer des logements hors marché ; décentraliser le pouvoir ; partager collectivement le travail de soins ; démilitariser nos sociétés. Ces mesures apparaissent comme le minimum nécessaire pour créer les conditions d'une vie décente pour toutes et tous. Il semble évident que le capitalisme, le patriarcat et le colonialisme doivent être démantelés.
Pourtant, la droite autoritaire et l'extrême droite montent en puissance. Elles ont pris le pouvoir dans plusieurs pays ; elles sont aux portes du pouvoir dans plusieurs autres. Comme elles l'ont toujours fait, elles détournent l'attention des vrais problèmes en s'attaquant à des boucs émissaires comme les personnes racisées ou les personnes LGBTQ+. Même si elles poursuivent des politiques favorables au grand capital, elles se donnent parfois une image « sociale » ou se drapent dans un discours soi-disant anti-élite. Force est d'admettre qu'elles réussissent à convaincre une partie des classes populaires.
La gauche a connu récemment certains succès électoraux et certaines mobilisations importantes, mais ses propositions les plus fortes peinent à s'imposer. Souvent, les mouvements politiques de gauche se cantonnent à la protection des acquis sociaux. Comment reprendre l'offensive ? Comment contrer à la fois le discours néolibéral et celui de l'extrême-droite ? Comment changer le rapport de forces pour que les idées et les pratiques de gauche s'implantent durablement ?
La pandémie a brisé une vague de contestation qui semblait prendre de l'ampleur ; du Chili à Hong Kong, en passant par le Liban et le Soudan, des soulèvements populaires ébranlaient le pouvoir, et les manifestations climatiques rassemblaient de plus en plus de gens. Pour cette cinquième édition de la Grande transition, nous souhaitons retrouver cet élan et renouer avec l'énergie créatrice des mobilisations d'envergure.
Nous voulons aussi trouver des manières pour la gauche de rejoindre nos voisin·e·s, nos collègues et nos concitoyen·ne·s, de s'ancrer dans nos milieux de vie, de développer des liens de confiance avec ceux et celles qui nous entourent, de créer des communautés. Ces alliances seront nécessaires pour lutter contre l'exploitation et l'expropriation de masse, protéger nos espaces naturels et construire ensemble des quartiers et des villages vivants et habitables.
Raviver les solidarités post-capitalistes, c'est aussi reconnaître la richesse des expériences qui préfigurent le monde à bâtir. Il s'agit de s'inspirer par exemple des pratiques autochtones de protection du territoire, des communautés qui ont su mettre en œuvre une réelle autogestion ou encore des services publics démocratiques qui accroissent notre liberté et notre autonomie.
L'heure est venue de dépasser la critique pour s'organiser et aller de l'avant. Nous vous invitons à proposer pour la Grande transition 2025 des ateliers et des communications sur les tactiques, les stratégies, les bilans d'expériences passées et récentes et les modèles alternatifs qui nous aident à avancer vers un monde post-capitaliste.
Pour soumettre une activité : edito.lagrandetransition.net/fr-ca
La date limite est le 13 octobre 2024 à 23h59. Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à l'adresse info@lagrandetransition.net.
Comment contribuer ?
Nous encourageons les activités qui sortent du format « panel » classique : ateliers pratiques, partages d'expériences, discussions stratégiques, débats, mémoires de luttes, remue-méninges, performances artistiques et culturelles, actions militantes, etc. Les activités donnant la parole à plusieurs participant·e·s seront favorisées, mais les propositions individuelles seront aussi considérées. Nous accueillons avec un enthousiasme accru les soumissions provenant de personnes marginalisées et issues de la diversité. Il est possible que les propositions qui ne tiennent pas compte de cet idéal de diversité soient refusées. Notez aussi que nous encourageons les activités qui visent à initier le public à un thème dans une perspective d'éducation populaire. L'évènement sera principalement en français et en anglais. Nous avons hâte de lire vos idées les plus audacieuses !
Qu'est-ce que le Forum social mondial des intersections (FSMI) ?
Cette édition thématique du Forum social mondial promeut une conception de l'intersection en tant que démarche concrète pour favoriser des changements systémiques. Dans un contexte où l'intersectionnalité met en lumière les croisements entre oppressions et privilèges, il s'agit plutôt de créer des opportunités de co-apprentissage qui mènent à l'action, en décloisonnant les différents milieux tels que l'urbain et le rural, l'action environnementale et sociale, les féminismes et l'action climatique, l'académie et l'activisme, etc. Ce concept préconise une approche intergénérationnelle et relie les échelles locales et globales pour la multiplication de transformations profondes et inclusives.
Comme La Grande transition 2025 sera tenue dans le cadre du FSMI, nous vous invitons à soumettre des propositions qui s'inspirent de cette volonté de croiser des expériences et des expertises dans l'espoir de créer des solidarités post-capitalistes sans frontières.
Exemples de thèmes
- Transformation du capitalisme à l'ère des changements climatiques
- Décroissance, transition juste et création de nouveaux communs
- Mouvements de solidarité internationale (Boycott, désinvestissement, sanctions contre l'État d'Israël (BDS) ; Black Lives Matter ; mouvements anti-paradis fiscaux, Marche mondiale des femmes, etc.)
- Luttes syndicales et luttes pour le droit à la mobilité et à la dignité de travailleurs et travailleuses temporaires, de migrants et migrantes, de sans papiers
- Mouvements pour le droit au logement et pour le droit à la ville, résistance contre des mégaprojets urbains
- Initiatives locales et internationales d'émancipation, d'éducation populaire et de démocratisation
- Luttes contre la hausse du coût de la vie, réponses collectives contre la pauvreté et l'exclusion
- Coopératives d'habitation, squats, occupations et autres solutions contre la crise du logement
- Bilans des campements de solidarité avec la Palestine
- Mouvements pour la démilitarisation et contre la guerre
- Blocages et résistance contre des projets écocidaires et extractivistes
- Relations entre différents mouvements sociaux : créer des alliances, des convergences, élaborer des stratégies communes, mener ensemble des campagnes d'action
- Définancement de la police et opposition à la répression
- Réflexions sur le rapport de la gauche à l'État
- Alternatives féministes, queers, décoloniales, antiracistes et anticapitalistes au système actuel
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.