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Députés et députées, voulez-vous que les enfants soient des mères ? Non au projet de loi 1904/2024 !

A la hâte et dans le but évident d'empêcher une discussion qualifiée, hier, 4 juin, un vote sur une motion d'urgence visant à accélérer le traitement du projet de loi 1904/2024 a été inscrit à l'ordre du jour de la plénière.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Ce projet de loi vise à criminaliser l'avortement légal à plus de 22 semaines de gestation et à rendre la peine pour cette procédure identique à celle encourue pour un simple homicide.
Le scénario est grave ! Il est important de rappeler que, depuis le mois de mai, la situation du taux élevé de grossesses d'enfants résultant d'un viol et les obstacles à l'accès à l'avortement légal dans le pays ont été analysés par l'ONU, dans le cadre de l'examen du pays par le Comité pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW).
Le Comité a imputé au gouvernement la responsabilité directe des 12 500 filles qui ont accouché en 2023 – des cas qui, en vertu de la législation brésilienne, auraient pu être orientés vers des services d'avortement légaux, étant donné que le code pénal brésilien considère les relations sexuelles avec des mineures de moins de 14 ans comme un viol présumé. Le taux élevé de mortalité maternelle du pays, auquel contribue directement le manque d'accès à un avortement légal et sûr, a également fait l'objet de recommandations de la part du Comité.
Ce sont les femmes et les filles pauvres et noires qui sont les plus touchées ! On sait que la recherche d'un avortement à un âge gestationnel supérieur à 22 semaines est généralement le fait de femmes et de jeunes filles en situation de vulnérabilité socio-économique : qui vivent dans des endroits où l'accès aux soins de santé est inexistant ou difficile ; qui souffrent de handicaps cognitifs ; qui sont adolescentes et jeunes ; qui ont un faible niveau d'instruction.
Des milliers de filles verront leur enfance interrompue ! En 2023, le nombre de viols de personnes vulnérables a atteint 36,9 cas pour 100 000 habitant·es (selon les données de l'annuaire de la sécurité publique brésilienne). Nombre de ces enfants, si elles tombaient enceintes, seraient contraintes de poursuivre leur grossesse, interrompant ainsi la possibilité de se construire un avenir décent.
Dans un pays où, au cours des dix dernières années, le nombre moyen de naissances chez les filles de moins de 14 ans a été supérieur à 20 000 par an, 74,2% d'entre elles étant noires, il est inacceptable que de nouveaux obstacles soient imposés à l'avortement légal.
Ce sont les femmes violées qui seront obligées de poursuivre leur grossesse ! Nous savons que, depuis 1940, l'avortement est autorisé dans les situations suivantes : I – s'il n'y a pas d'autre moyen de sauver la vie de la femme enceinte ; II – si la grossesse résulte d'un viol et que l'avortement est précédé du consentement de la femme enceinte ou, en cas d'incapacité, de son représentant légal. Depuis 2012, la Cour suprême a établi la possibilité d'interrompre une grossesse en cas d'anencéphalie.
Ce faisant, la législation n'a établi que la présence de deux conditions : (i) que la procédure soit effectuée par un médecin et (ii) le consentement de la personne enceinte. Ce projet de loi modifie donc la législation en vigueur depuis 1940 et restreint l'avortement légal, affectant ainsi les personnes les plus vulnérables ! Il empêche les femmes et les jeunes filles violées, les femmes enceintes qui risquent leur vie, d'être contraintes à la gestation et à l'accouchement, établissant un véritable scénario de torture, de traitement cruel et dégradant pour les jeunes filles, les femmes et les autres personnes qui peuvent être gestatrices au Brésil.
Nous vivons dans un pays où, selon l'annuaire de la sécurité publique brésilienne, le nombre de viols et de viols d'une personne vulnérable le plus élevé de l'histoire a été enregistré, avec 74 930 victimes en 2022. Parmi celles-ci, 6 victimes sur 10 sont des personnes vulnérables, âgées de 0 à 1 ans, victimes pour la plupart de membres de la famille et d'autres connaissances.
Dans le même ordre d'idées, l'Atlas de la violence estime qu'il y a en réalité 822 000 cas de viol par an au Brésil, dont seulement 8,5% sont signalés à la police et seulement 4,2% au système de santé. Ce sont ces femmes qui seront affectées par ce changement juridique.
Nous comptons sur votre soutien pour que ce projet de loi ne soit pas approuvé, avec la certitude que vous agirez en faveur de notre santé, en faveur de notre droit à ne pas être soumises à la torture de poursuivre des grossesses résultant d'un viol et en faveur de la vie digne de milliers de filles qui voient leur enfance et leurs projets de vie interrompus de manière répétée par le fait d'être forcées à poursuivre une grossesse.
Elles signent cette lettre :
ABONG – Associação Brasileira de Ongs
AJD – Associação Juízes para a Democracia
Anis – Instituto de Bioética
AMB – Articulação de Mulheres Brasileiras
AMNB – Articulação de Organizações de Mulheres Negras Brasileiras
Católicas pelo Direito de Decidir
CEPIA – Cidadania, Estudo, Pesquisa, Informação e Ação
Cfemea – Centro Feminista de Estudos e Assessoria
Comitê Latino-Americano e do Caribe para a Defesa dos Direitos das Mulheres
CAMTRA – Casa da Mulher Trabalhadora
Cladem/Brasil
Coletivo Feminista Sexualidade e Saúde
Coletiva MULEsta (Pernambuco)
Coletivo Leila Diniz (Rio Grande do Norte)
Coletivo Margarida Alves (Minas Gerais)
Coletivo NegreX
CFP – Conselho Federal de Psicologia
CFESS – Conselho Regional de Serviço Social
Criola
Cunhã Coletivo Feminista
CUT – Central Única das Trabalhadoras e Trabalhadores
DeFEMde – Rede Feminista de Juristas
EIG – Evangélicas pela Igualdade de Gênero
FEPLA – Frente Evangélica pela Legalização do Aborto
FFL – Frente Feminista de Londrina
FPLA – Frente Contra a Criminalização das Mulheres e pela Legalização do Aborto da Baixada Santista
Frente Nacional contra a Criminalização das Mulheres e pela Legalização do Aborto
Frente Parlamentar Feminista Antirracista com Participação Popular
Frentes Regionais pela Legalização do Aborto dos seguintes estados : CE, ES, MG, PA, PB, PE, RJ, RN, RS, SC, SP.
Grupo Curumim – Gestação e Parto
Grupo de Mulheres Lésbicas e Bissexuais Maria Quitéria (Paraíba)
Humaniza Coletivo Feminista (Amazonas)
Instituto Marielle Franco
LBL – Liga Brasileira de Lésbicas
Levante Popular da Juventude
Marcha Mundial das Mulheres
MVM – Milhas pela Vida das Mulheres
MIM – Movimento Ibapuano de Mulheres (Ceará)
Mulheres EIG – Evangélicas pela Igualdade de Gênero
Movimento Mulheres Negras Decidem
Nem Presa Nem Morta
Oitava Feminista (Rio de Janeiro)
Portal Catarinas
RASPDD – Rede De Assistentes Sociais pelo Direito de Decidir
REDEH – Rede de Desenvolvimento Humano
Rede de Mulheres Negras de Pernambuco
RFS – Rede Feminista de Saúde
RENFA – Rede Nacional de Feministas Antiproibicionistas
Rede Feminista de Ginecologistas e Obstetras
GDC/BR – Rede Médica pelo Direito de Decidir (Good Doctors for Choice)
RENAP – Rede Nacional de Advogados Populares
Secretaria Nacional de Mulheres do PT
Setorial Nacional de Mulheres do PSOL
SOF – Sempreviva Organização Feminista (São Paulo)
SOS Corpo Instituto Feminista para a Democracia (Pernambuco)
Tamo Juntas – Assessoria Multidisciplinar para Mulheres em Situação de Violência
UBM – União Brasileira de Mulheres
UNE – União nacional dos Estudantes
https://www.marchamundialdasmulheres.org.br/nota-deputados-e-deputadas-voces-querem-que-criancas-sejam-maes-nao-ao-pl-n-o-1904-2024/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Quand l’Afrique du Sud des attentes trahies, trahit aussi son héros Dimitri Tsafendas !

Pourquoi avons-nous recours à l'histoire du ”tyrannicide” greco- mozambicain Dimitri Tsafendas, pour tenter d'expliquer le résultat désastreux du parti de Mandela aux récentes élections sud-africaines ? La raison en est simple : L'histoire à la fois héroïque et tragique de Tsafendas, qui a tué en 1966, « l'architecte de l'apartheid » et premier ministre de l'Afrique du Sud « blanche » d'alors, Hendrik Verwoerd, est au cœur de la situation critique du pays et met en lumière l'incapacité du Congrès National Africain (ANC), autrefois puissant mais aujourd'hui corrompu et en crise profonde, à améliorer la vie quotidienne de ses habitants africains, 30 ans après la fin de l'apartheid.
Tiré du site du CADTM.
En effet, les raisons qui expliquent le scandale du traitement ignoble réservé par les dirigeants sud-africains au héros Tsafendas, sont essentiellement les mêmes que celles qui expliquent la frustration et la colère profondes que suscite le bilan de leurs politiques chez la grande majorité de leurs concitoyens africains.
Quand Tsafendas, au riche passé de militant anticolonialiste, communiste et révolutionnaire en Afrique, en Europe et en Amérique, [1] a poignardé et tué -le pronazi déclaré - Verwoerd, le régime d'apartheid s'est empressé de dépeindre Tsafendas comme « déséquilibré » et « apolitique », tandis que le président du tribunal qui l'a jugé persistait à le qualifier de... « créature insignifiante ». Er cela pour plusieurs raisons : d'abord pour éviter d'en faire un héros populaire qui trouverait des imitateurs parmi les victimes de l'apartheid, puisque son procès serait purement politique et attirerait l'attention internationale à un moment où les crimes de l'apartheid n'étaient qu'effleurés par la presse internationale. Et aussi pour ne pas révéler aux yeux de tous les opprimés la fragilité du prétendument tout-puissant État policier sud-africain. Cette mise en scène n'a bien sûr pas empêché ses bourreaux de torturer Tsafendas plus que tout autre et durant des longs années (!), ni de l'embastiller (à l'isolement et dans une cellule spécialement construite pour lui à côté de la salle où se déroulaient les exécutions !) jusqu'à la fin du régime d'apartheid, soit pendant 28 années !
Mais le scandale inouï, c'est que l'ANC, qui a pris les rênes du pays en 1994, a non seulement continué à qualifier le martyr Dimitri Tsafendas de « déséquilibré », mais l'a laissé croupir en prison, se contentant de le transférer dans une clinique psychiatrique/prison jusqu'à la fin de sa vie, en 1999 ! Et comme si cela ne suffisait pas, l'ANC continue à ce jour de refuser obstinément d'honorer Tsafendas, malgré le nombre croissant de voix émanant même d'anciens dirigeants de l'ANC, des personnalités du monde entier, et même des gouvernements d'autres pays africains qui demandent non seulement que ce scandale sans précédent cesse mais aussi que Dimitri Tsafendas soit officiellement reconnu comme un héros national de l'Afrique du Sud et comme un protagoniste et un martyr des luttes anti-coloniales des peuples d'Afrique ! [2]
Alors, pourquoi cette attitude ignoble, et à première vue incompréhensible, de l'ANC à l'égard du militant révolutionnaire Dimitri Tsafendas ? Mais, apparemment, pour que les anciens dirigeants et partisans de l'apartheid et leurs épigones ne soient pas contrariés et irrités par la reconnaissance officielle du « meurtrier » de leur leader historique Verwoerd comme « héros » et “martyr” de l'Afrique du Sud enfin libérée. En effet, la principale préoccupation des dirigeants de l'ANC était, et continue malheureusement d'être, d'appliquer la politique dite de « paix et d'unité », c'est-à-dire de « réconciliation nationale », dont la pierre angulaire est qu'à l'exception des discriminations raciales qui sont abolies, tout le reste ne change pratiquement pas : les quelques riches hommes d'affaires et propriétaires terriens, qui « comme par hasard » sont tous des blancs, conservent leurs privilèges et leurs fortunes, ce qui se traduit par le fait qu'ils continuent à contrôler l'économie et la plupart des terres, que leurs ancêtres ont volé aux indigènes, tandis que la multitude des pauvres des villes et des campagnes, qui « comme par hasard » sont tous des Africains et Africaines, continuent de vivre dans la pauvreté et l'insécurité, cloîtrés dans leurs tristement célèbres townships (bidonvilles) misérables.
Voila donc ce qui fait de l'Afrique du Sud le champion du monde des inégalités sociales. Et voila pourquoi sa société est minée par un terrible chômage de 33% (et de plus de 50% chez les jeunes) et une criminalité tout aussi terrible, alors qu'elle ressemble de plus en plus à un volcan sur le point d'entrer en éruption tant la corruption y est endémique, empêchant l'État clientéliste de l'ANC de répondre aux besoins les plus élémentaires de la majorité de la population, comme la fourniture d'électricité et d'eau potable ! Et bien sûr, c'est ce qui fait que de plus en plus de Sud-Africains non blancs (noirs, métis, indiens,...), qui jadis soutenaient avec enthousiasme l'ANC ou même avez lutté pour leur liberté dans ses rangs, l'abandonnent aujourd'hui en masse et se tournent contre lui aux élections.
La reconnaissance de la contribution décisive de Dimitri Tsafendas aux luttes pour le renversement du régime d'apartheid sud-africain, pour la libération du Mozambique du joug colonial portugais et même du Portugal lui-même de la dictature de Salazar (sa terrible police secrète PIDE l'avait arrêté et torturé à plusieurs reprises), n'est pas seulement un acte de justice élémentaire et ne concerne pas seulement les autorités et les sociétés de ces trois pays. C'est et doit être l'affaire de tous les progressistes, et bien sûr de son pays d'origine, la Grèce, où il arrive expulsé des États-Unis en 1947, pour combattre, les armes à la main, la réaction monarchiste et collabo dans les rangs de l'Armée Démocratique. Quand la gauche grecque rendra-t-elle enfin hommage au héros et martyr de la libération des peuples, Dimitri Tsafendas, qui reste toujours pratiquement inconnu dans le pays natal de son père crétois et anarchiste convaincu ?
Plus qu'hier et avant-hier, c'est surtout aujourd'hui que l'humanité ressent le plus grand besoin de combattants comme Dimitri Tsafendas, qui, depuis sa cellule, « expliquait » ses actes à l'aide des simples vérités comme celle-ci : « Chaque jour, vous voyez un homme que vous connaissez commettre un crime très grave pour lequel des millions de personnes souffrent. Vous ne pouvez pas le poursuivre en justice ou le dénoncer à la police, car il fait la loi dans le pays. Allez-vous rester silencieux et le laisser continuer à commettre son crime, ou allez-vous faire quelque chose pour l'arrêter » Et pour qu'il n'y ait pas de doute sur le sens de ses paroles, Tsafendas faisait appel à Nazim Hikmet, rappelant son exhortation « si je ne brûle pas, si tu ne brûles pas, si nous ne brûlons pas, comment la lumière vaincra-t-elle l'obscurité ? » Et à vrai dire, aujourd'hui, les ténèbres abondent...
Notes
[1] Voir l'excellent texte (en anglais) du professeur à l'Université de Durham, Harris Dousemetzis. M. Dousemetzis est l'auteur du très important livre The Man who Killed Apartheid : The Life of Dimitri Tsafendas et mène la campagne internationale pour la reconnaissance du combat anti-colonial de Dimitri Tsafendas.
[2] Voir « Mozambique honours Dimitri Tsafendas, while SACP vows to erect tombstone ».
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En RDC, des milliers de déplacé·es de guerre survivent et meurent dans les camps aux abords de la ville de Goma

Ils sont des milliers à fuir les groupes armés dans l'Est du Congo, entassé·es dans des camps insalubres autour de la ville de Goma, la capitale du Nord Kivu. Dans cette région gangrénée par la présence d'une centaine de milices, depuis plus de 30 ans, les souffrances imposées au civils sont devenus la norme.
Tiré d'Afrique en lutte.
Au creux des collines verdoyantes de la ville de Goma, des rangées anarchiques de cabanes aux bâches blanches déchirées s'étirent à perte de vue. Nous sommes dans le bloc 159 du camp de déplacés de Rego en périphérie de la ville. Dans une allée surpeuplée, un petit groupe s'amasse autour d'Espérance et de son mari Kihundi. Regards tournés vers le sol, le jeune couple est figé dans le silence. Derrière eux, une petite main dépasse d'un miniscule abri de fortune. Sur un simple tas de feuilles, le corps de leur fils Efreime repose dans sa dernière posture. Un homme immobile tient un carnet, les mains croisées derrière le dos et jette un regard pudique sur la tente. « Ce petit est mort de malnutrition sévère, il avait un an et demi », lâche-t-il d'une voix calme. Hahadi Mwamba est le secrétaire du camp de déplacés de Rego. Il est venu constater le décès et l'inscrire à son rapport journalier. « L'enfant sera enterré au cimetière de Makao, si les services de la ville daignent envoyer une ambulance pour le transporter », ajoute-t-il ,en griffonant quelques phrases sur un carnet. « Et s'ils ne viennent pas, ce sera la fosse commune. »
A quelques mètres de cette scène insoutenable, une dizaine d'hommes s'activent. Ils creusent un trou dans la terre, dégageant de lourdes pierres noires à mains nues, pour créer des latrines. La vie quotidienne, rythmée par la sidération et l'attente bat son plein dans le camp de Rego. En contrebas, sous un soleil de plomb, des nuées d'enfants en haillons traînent dans les artères irrespirables de monde tandis que des femmes tentent de construire un abri en assemblant de maigres brindilles de bois avec des sacs de riz vides. Plus de 54 000 personnes vivent ici. 9000 ménages répartis en 250 blocs. Tous sont des déplacé·es de guerre. Tous ont fui des groupes armés et attendent une assistance humanitaire qui ne vient pas.
Entassés comme des animaux
On a fui et abandonné nos champs et nous sommes là en train de mourir de faim
En février, des milliers de personnes sont arrivées à pied aux abords de la ville de Goma, la capitale du Nord Kivu, fuyant les affrontements entre les miliciens du M23 et l'armée congolaise dans la ville voisine de Saké. Depuis, sur le sol abimé recouvert de la lave noire issue de l'imposant volcan Nyiragongo, la population ne cesse d'affluer et de s'entasser dans des petites huttes. « On a fui et abandonné nos champs et nous sommes là en train de mourir de faim », lâche Yvette, au milieu de ce morne paysage de lave figée. « Où est l'aide internationale ? »
Comme beaucoup de ses compagnons d'infortune, la jeune agricultrice de 28 ans s'est enfuie à pied alors
qu'« une pluie de bombes » s'abattait sur la ville de Saké. Quand les miliciens du M23 ont pris sa maison, Yvette était déjà sur la route avec son fils Rodriguez, âgé de 5 ans. Son matelas ficelé sur le dos - le seul bien qu'elle ait pu transporter-, elle a parcouru dans la terreur, les 20 kilomètres à pied qui la séparaient de la ville de Goma. Yvette n'en est pas à sa première migration. David, son mari, est mort, il y a deux ans déjà. « Fusillé par des hommes en tenue militaire avec sa fille aînée », alors qu'ils dormaient paisiblement à Shasha. « Je n'ai plus rien ici », se désole-t-elle, les yeux pleins de tristesse. Le champ de haricot qu'elle cultivait au pied de la colline luxuriante de Ndumba s'est transformé en ligne de front. Son seul gagne-pain est désormais aux mains des rebelles.
Une population traumatisée par les massacres
L'Union Européenne, qui s'indigne et condamne publiquement le soutien armé apporté par le Rwanda aux rebelles, vient pourtant de signer un protocole commercial scandaleux légitimant la position du Rwanda, comme premier exportateur de minerais, alors que ce dernier n'en possède pas
Cette offensive rebelle, lancée sur la ville de Saké n'est pas la première blessure infligée au Nord Kivu, symbole tragique des attaques sanglantes qui ravagent l'Est du pays depuis plus de 30 ans. Mais depuis 2022, le chaos s'est généralisé. Les hommes armés du M23 ont étendu leur emprise sur toute la province. Perpétrant des massacres sur les civils. Ils ont installé leur propre administration dans des centaines de villages, infligeant une défaite cinglante à l'armée congolaise. Mais que veut cette milice hors de contrôle que le président Felix Thsishekedi avait promis d'éradiquer, dès le début de son premier mandat en 2019 ? Selon le dernier rapport des experts des Nations Unies, les hommes armés du M23 – pour la plupart issus du génocide des Tutsi de 1994 – ont des revendications opaques. Ils seraient soutenus militairement par le Rwanda, qui nie jusqu'à maintenant toute implication sur le territoire congolais. Frontalière au Rwanda et à l'Ouganda pauvres en minerais, l'Est du Congo, épicentre d'un pillage mondialisé, regorge de richesses tels que l'or, le cobalt et le coltan, convoités par les milices et extraits par de nombreuses multinationales occidentales. L'Union Européenne qui s'indigne et condamne publiquement le soutien armé apporté par le Rwanda aux rebelles vient pourtant de signer un protocole commercial scandaleux légitimant la position du Rwanda, comme premier exportateur de minerais, alors que ce dernier n'en possède pas.
La normalisation de la guerre
Entre les collines de Goma, à mille lieux de ces enjeux géostratégiques, les destins violentés se ressemblent. Pour Louise, accroupie devant sa petite hutte, berçant son bébé anxieusement, il n'y pas de mots pour exprimer le traumatisme. Le 6 avril dernier, deux bombes en provenance de la ligne de front ont été larguées près de son bloc, tuant 7 personnes. Depuis, son « esprit troublé » ne cesse de revoir « les enfants éventrés par des éclats d'obus ». Un drame qui n'a fait l'objet d'aucune visite officielle. « Le gouvernement n'a pas encore maîtrisé l'ennemi, nous le comprenons, j'ai foi en mon pays », insiste Kahundi. « Mais face à l'insécurité, nous demandons une assistance et un minimum de dignité. L'eau, la nourriture et des médicaments pour ne pas mourir de la malaria. »
A Rego, chaque jour est une lutte pour la survie. Ibrahim Cissé, médecin pour l'ONG française Première Urgence fait quotidiennement la navette entre les centaines de blocs pour recenser les cas de malnutrition sévères. L'homme peine à évaluer la situation : « Nous sommes dans un contexte d'épidémie de choléra dramatique comme j'en ai rarement vu. Notre ONG vient en appui à l'Etat, avec 5 infirmiers et un médecin sur le terrain, mais c'est insuffisant ». Le kit d'urgence stocké dans sa tente est minimaliste : de la pâte d'arachide et un mélange multivitaminé destinés seulement aux cas les plus urgents, souffrant de la faim.
Depuis 30 ans, la population congolaise est traumatisée par les maux interminables qui ravagent l'Est du pays. Et tandis que le Nord Kivu s'enfonce un peu plus chaque jour dans le chaos, ils seraient aujourd'hui plus de 135 000 déplacés de guerre dans ces camps de l'infamie à espérer une paix durable.
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Mali : L’impératif de paix

Sans surprise, les propositions du dialogue inter-malien vont dans le sens de la junte, sauf que les exigences de la paix surgissent, traduisant une volonté des populations d'en finir avec la guerre.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Quelques jours après la fin de la transition officielle qui devait avoir lieu le 26 mars 2024, les colonels qui ont pris le pouvoir ont organisé un dialogue inter-malien. Une façon pour eux de combler le vide institutionnel et surtout de reprendre l'initiative tandis que le pays s'enfonce dans une profonde crise.
Répression à tout-va
Ce dialogue inter-malien qui vient de rendre ses 300 propositions s'est déroulé dans un pays en butte à la répression. Plusieurs organisations de la société civile ont été interdites comme l'Association des élèves et étudiants du Mali qui, en 1992, a joué un rôle de premier plan dans la chute de la dictature de Moussa Traoré. La Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l'Imam Mahmoud Dicko est elle aussi bannie, tout comme l'Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance, une organisation de la société civile. Les activités des partis politiques sont suspendues, et certains sont interdits comme Kaoural Renouveau. Les opposantEs sont soit en exil comme Oumar Mariko, soit embastillés le dernier en date étant l'économiste Étienne Fakaba Sissoko. Pour avoir écrit un livre critique, il est condamné à deux ans de prison dont un ferme.
Les médias sont sous pression comme l'indiquait une dirigeante d'Amnesty International qui parle d'une « culture de l'autocensure qui se met en place ». Mais cette répression est loin de faire l'unanimité, y compris dans les institutions de l'État. Ainsi, les autorités de transition ont été déboutées dans leur tentative de dissoudre le parti de la gauche radicale SADI.
La guerre s'enlise
Le durcissement de la répression s'explique par les déconvenues de la junte sur le terrain sécuritaire. En dénonçant les accords de paix d'Alger (2015) qui, s'ils n'étaient pas parfaits, avaient au moins le mérite de pacifier les relations entre groupes armés touarègues et forces armées maliennes et en reprenant par la force la ville de Kidal contrôlée par les rebelles touarègues, la Junte n'a fait que radicaliser ces groupes qui désormais ont scellé une alliance de non-agression avec les groupes djihadistes liés à Al-Qaïda.
Sur le terrain la situation s'aggrave comme le note un expert de l'ONU avec une : « dégradation rapide et continue de la sécurité dans presque toutes les régions du Mali » qui « semblent échapper au contrôle des autorités maliennes ».
Une exigence de paix
Alors bien évidemment les participants au dialogue triés sur le volet ont fait des propositions qui ne pouvaient que contenter la junte. Prolonger de deux à cinq ans la période de transition. Autoriser le président de la transition Assimi Goïta à se présenter aux élections présidentielles, bien qu'aucune date ne soit fixée pour cette échéance. Restreindre fortement le nombre de partis politiques. Et cerise sur le gâteau, le passage au grade de général pour les cinq colonels putschistes. Le dialogue inter-malien a donc rempli son rôle de faire-valoir du pouvoir de la junte et de son président Assimi Goïta.
Dans le cadre pourtant bien contrôlé du dialogue inter-malien, des propositions dissonantes ont surgi, notamment autour de l'exigence d'ouverture de pourparlers de paix. Ces requêtes étaient déjà apparues en 2017 lors de la Conférence d'Entente nationale. À l'époque la France, avec Barkhane, s'y était refusée. Aujourd'hui c'est la junte qui s'y oppose. Elle préfère mener une guerre à outrance aux conséquences désastreuses. L'Unicef estime que 7,1 millions de personnes dont plus de la moitié d'enfants ont besoin d'une assistance humanitaire. Chaque semaine, des civilEs meurent pris en étau entre les groupes armés et les forces maliennes et leurs supplétifs de Wagner. La paix reste la première revendication des populations. Un défi à relever pour les partis, organisations et syndicats du Mali.
Paul Martial
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La Nouvelle-Calédonie, une lutte décoloniale

Pour ne pas déroger à sa gestion habituelle des conflits, le gouvernement semble vouloir passer en force en Nouvelle-Calédonie, ravivant un conflit dont il est difficile de prévoir l'évolution.
Tiré du blogue de l'autrice.
La Nouvelle-Calédonie est une des dernières contrées en date à nous rappeler à quel point la décolonisation est inachevée et difficile de par le globe. En effet, à la suite du vote courant mai à l'Assemblée d'un projet de loi constitutionnel défendu par Gérald Darmanin, des émeutes ont éclaté à Nouméa, entraînant à terme une situation insurrectionnelle, qui a gagné toute la ville. Des scènes de pillages et des incendies ont parsemé les rues. Les affrontements ont produit des dizaines de victimes, dont plusieurs morts. Une ségrégation de la population s'est même mise en place, les quartiers transformés en ghettos grâce à des barricades et même, dans le cas des quartiers les plus riches, de patrouilles de milices armées.
Le projet de Darmanin aborde un point ultra-sensible, puisqu'il revient sur le gel du corps électoral prévu déjà par les Accords de Nouméa en 1998 et entériné par Chirac dans une loi constitutionnelle de 2007, une des mesures les plus importantes de décolonisation.
Effectivement, la paix n'a pas été facile à obtenir en Nouvelle-Calédonie. Après avoir acquis progressivement le droit de vote dans les années 1945 à 1955, les Kanaks se sont retrouvés majoritaires sur les listes électorales, mais le boom du nickel et les migrations massives auxquelles il donne lieu changent la donne. Dans les années 1970, les électeurs kanaks deviennent minoritaires. Le gel du corps électoral s'installe de façon progressive, depuis le référendum Pons de 1987 jusqu'à sa dernière ratification, dans la loi constitutionnelle de Jacques Chirac. Trois listes électorales -nationales, provinciales et pour les consultations, les plus restrictives- coexistent ainsi depuis les accords de Nouméa. Seuls les habitants installés avant le 31 décembre 1994 sont habilités à voter pour les référendums d'autodétermination.
Le gel du corps électoral est une des mesures qui a accompagné le processus de paix en Nouvelle-Calédonie. Les années 1980 ont été marquées par la violence, mais depuis longtemps les tensions se multipliaient entre les Kanaks (autochtones) et les Caldoches (Européens). Ces derniers avaient la mainmise sur les terres et le nickel, métal dont l'extraction est au cœur de l'économie locale. Le mouvement indépendantiste naît à cette période et la violence culmine en 1988 avec le drame d'Ouvéa, une prise d'otages qui se termine en bain de sang. C'est le panorama que viennent pacifier les accords de Matignon. Ils prévoient la création de provinces et un référendum sur l'indépendance en 1998, que les accords de Nouméa remplacent finalement. Ils proposent un nouveau processus de décolonisation, en accordant un statut particulier à la Nouvelle-Calédonie et repoussant trois référendums d'autodétermination. Les indépendantistes l'acceptent en échange du contrôle d'une partie de l'industrie du nickel, dans le nord de l'archipel.
Depuis, le partage du nickel a permis un rééquilibrage, jugé toutefois insuffisant par la population. Au sud, le métal est exploité par des entreprises privées ; au nord, gouverné par les indépendantistes, l'usine de Koniambo est venue rééquilibrer les forces. Elle a permis de développer la région et de donner accès à la population à des services basiques, pour lesquels elle devait parfois se déplacer à Nouméa : santé, université… Cependant, l'exploitation du nickel a entraîné des problèmes de santé liés à la pollution, surtout dans le sud. Puis, les inégalités demeurent et deviennent même très visibles dans le sud, où les appartements de luxe se trouvent à proximité de quartiers précarisés. Tandis que les loyers de Nouméa sont proches de ceux de Paris, les logements sociaux sont habités en majorité par des Océaniens. L'économie réserve encore une large place au monopole, découle visiblement de la colonisation. Le coût des produits de base est exorbitant et l'écart dans l'accès aux études et aux professions socialement valorisées reste inchangé. Le rééquilibrage apparaît donc mitigé, les inégalités rendant fragile la paix sociale et engendrant une frustration importante chez la jeunesse kanake.
Si la paix règne durant trente-cinq ans, le contexte se dégrade peu à peu. En 2018, Emmanuel Macron se félicite publiquement de l'issue négative du premier référendum, attitude comprise par les Calédoniens comme rupture de l'impartialité attendue du gouvernement en la matière. Puis, la dégradation devient visible en 2021, avec les conflits qu'engendre le troisième référendum. Celui-ci devait avoir lieu en 2022, mais il se tient en décembre 2021 à la demande de Macron, qui souhaitait clore l'accord de Nouméa avant la fin de son premier quinquennat. Il est boycotté par les indépendantistes du FLKNS, qui entendent marquer par ce geste leur rejet de son choix, jugé partial, de ne pas respecter la période de deuil kanak.
La crise du covid-19 a fait ressortir l'héritage colonial dans le monde. Si le Brésil de Bolsonaro avait laissé les autochtones à l'abandon, la Nouvelle-Calédonie a été touchée de plein fouet par le variant Delta, sans recevoir de secours particulier. Au 10 octobre 2021, les autorités faisaient état de 9166 cas confirmés, 55 patients en réanimation et 200 décès. Moins d'un habitant sur deux présentait un schéma vaccinal complet. Le référendum est maintenu malgré le souhait du FLKNS et se déroule en décembre 2021. Il est jugé d'autant plus illégitime et bancal par les indépendantistes que l'abstention a faussé le résultat et que la crise sanitaire a surdimensionné dans les esprits le besoin de soutien de la métropole.
La tension entre l'Etat et le FLNKS empêche la reprise des discussions sur l'avenir institutionnel, alors même qu'un accord sur l'avenir de l'archipel, toujours considéré territoire non autonome par l'ONU, devait être conclu, y compris en cas de résultat négatif aux trois référendums que prévoyait Nouméa. La nomination de la présidente LR de la province Sud Sonia Backès au poste de secrétaire d'Etat chargée à la citoyenneté s'ajoute pour les Kanaks à cette succession d'atteintes au principe d'impartialité de l'Etat. Elle rend d'autant plus inexplicable qu'un dossier si fragile soit confié à Gérald Darmanin, dont le style autoritaire et brutal n'est plus à démontrer, plutôt qu'à Gabriel Attal. Un tel manque de tact dévoile sans détours le substrat colonial qui sous-tend encore les relations du gouvernement au territoire et voue d'emblée à l'échec le processus.
Bien de choses sont en jeu dans l'actuelle réforme d'élargissement du corps électoral. Elle suppose l'inclusion de 25000 nouveaux électeurs, tous arrivés après les accords de Nouméa. Les Kanaks craignent, sans doute à juste titre, un retour à la mainmise coloniale, leur influence diminuant de fait au profit des Caldoches. En effet, sur 271000 habitants, 41,2% sont Kanaks, 24,1% Européens (Caldoches), 27,2% ont d'autres origines et 7,5% se disent « calédoniens » (refusent toute étiquette ethnique). Si le décompte électoral précédent donnait la prééminence aux Kanaks, le renversement prévu par Darmanin les rend minoritaires, avec toutes les conséquences politiques à prévoir sur les choix futurs de l'archipel.
La crainte des Kanaks est d'autant plus compréhensible que le ministre de l'Intérieur a défendu sa réforme lors du vote de l'Assemblée de forme coloniale et raciste. Durant son intervention, plutôt que de prendre la mesure de la gravité des choses, il a attaqué les représentants de LFI, opposés à ces réformes. Puis, il a eu recours à des faux-raisonnements, qui éludent sans vergogne le passé colonial. Ainsi, il a établi un parallèle entre le vote des étrangers sur le sol national et celui en Nouvelle-Calédonie des personnes installées après les accords de Nouméa. Or, cela revient à nier l'abus sans nom que la colonisation a constitué pour ce territoire. S'accrochant pour défendre sa réforme à l'universalisme républicain, Darmanin n'a pas hésité à ignorer l'existence même du pillage colonial.
Rappelons que, dès 1853, les spoliations foncières, les déplacements et le travail forcé ont décimé la population autochtone. Tant et si bien, qu'en 1921 elle avait chuté de 80% par rapport à 1774, réduite à 27100 Kanaks. A la fin du XIXème et début du XXème siècles, alors que la décolonisation prospère, la France affirme sa stratégie de peuplement de la Nouvelle-Calédonie, y déportant bagnards, communards et Algériens. Le régime d'indigénat ne prend fin qu'en 1946. Dans les années 1970, avec le boom du nickel, une nouvelle vague migratoire se met en place, ouvertement assumée comme méthode de peuplement par le premier ministre Pierre Messmer. Malgré les tensions qui débouchent sur les accords de Matignon, les Kanaks accordent une place aux descendants des Blancs déportés, dont ils acceptent le vote.
Car, n'en déplaise à Gérald Darmanin, en Nouvelle-Calédonie, discuter du corps électoral revient à repenser la citoyenneté. Comment la construit-on dans un archipel qui a été colonisé ? Si depuis les années 1980 le processus de décolonisation et pacification s'était construit sur l'idée d'un « destin commun », celui-ci se trouve aujourd'hui remis en question. En effet, le problème du corps électoral est celui de la maîtrise ou non par le peuple colonisé de son propre destin. Une blessure particulièrement douloureuse quand on a subi dans sa propre chair de tels saccages, humains, culturels, spirituels et symboliques.
Ainsi, les Kanaks assimilent le dégel du corps électoral à un « retour à la colonie de peuplement ». L'impression d'atteinte et de brutalité est d'autant plus virulente que les discussions ont été très clivées dans l'hémicycle. Outre l'argumentaire raciste de Darmanin, on peut signaler que le rapporteur du texte, Nicolas Metzdorf, député Renaissance, a fait polémique. René Dosière, ancien rapporteur, estime que son rapport serait un brûlot anti-indépendantiste qui réécrit l'histoire récente. Faisant pendant à cette appréciation, l'intéressé jugeait que ses adversaires « hiérarchisaient les populations » et accusait la Nupes de soutenir les indépendantistes. Puis, si l'absentéisme avait été orchestré lors du troisième référendum, les Kanaks ne sont pas représentés non plus dans ces débats, ce qui donne l'impression que l'histoire se répète. La tenue du processus de décolonisation se résoudrait ainsi de façon assez infantilisante (et coloniale), sans le concours du peuple colonisé.
Adopté par l'Assemblée nationale, le projet de loi doit encore passer au Congrès de Versailles. Il permet aux personnes installées depuis plus de dix ans de voter aux élections provinciales. Si les indépendantistes sont outrés par la façon dont les choses se sont déroulées, les loyalistes estiment que le projet résulte de la victoire du « non » aux trois référendums. Macron a annoncé qu'un Congrès se tiendrait avant fin juin, mais que le gouvernement recevrait avant des représentants des forces politiques régionales. Une mesure bien maigre face à tant d'écarts. D'autant que l'intérêt français est loin d'être clair, la Nouvelle-Calédonie étant le quatrième producteur mondial de nickel, un métal clé pour les industries « vertes ». Puis, Paris a des intérêts liés à sa stratégie indo-pacifique face à la Chine.
Alors que les indépendantistes calédoniens souhaitent trouver un accord d'égal à égal, il ressort du débat politique en France un manque d'intérêt et d'empathie pour la région, chacun s'en emparant pour ses intérêts. Le temps est venu de décider du sort des anciennes colonies d'une manière authentiquement décoloniale, c'est-à-dire, dans le respect et sans forcer le trait. Ce d'autant plus que les civilisations qui ont été écrasées portaient bien souvent des valeurs distinctes des occidentales, mais non moins pertinentes et intéressantes.
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Claudia Sheinbaum a obtenu une très nette victoire : Victoire du « progressisme » : et maintenant ?

Claudia Sheinbaum a obtenu une très nette victoire. C'était la candidate promue par AMLO (Andrés Manuel López Obrador) et son parti « Morena ». Elle était soutenue par de nombreux autres petits partis de gauche, mouvements sociaux et le PT (de très lointaine origine maoïste, devenu plutôt social-démocrate et très opportuniste).
6 juin 2024 | tiré du site inpercor.fr | Photo : Claudia Sheinbaum, lors de l'investiture de son gouvernement, en 2018. © EneasMx — CC BY-SA 4.0
Elle a obtenue près de 60 % des voix et un nombre de voix supérieur à celui qu'avait obtenu AMLO en 2018, une forte participation (autour de 60%, ce qui est beaucoup pour le Mexique), elle gagne une légitimité et une autonomie par rapport à AMLO qui d'ailleurs devrait « se retirer de la vie politique ».
La coalition de droite, des trois grands partis qui avaient gouverné le Mexique pendant des décennies (PRI, PAN, PRD) subit un échec cuisant. Leur candidate recueille autour de 30% et, aux élections législatives et de gouverneurs, ils sont en recul très net (le PRI a obtenu 10 % !), à tel point que Morena et ses alliés devraient disposer de la majorité absolue au parlement, une majorité qualifiée qui leur permettra de faire passer des réformes constitutionnelles. Le troisième candidat aux présidentielles, venu du PRI, qui a fondé un parti de centre droit (le Mouvement Citoyen) obtient 10 % mais ne pourra pas jouer le rôle de « parti charnière » qu'il espérait obtenir au parlement.
Ce succès, six ans après celui d'AMLO, qui avait mis fin à la domination historique du PRI, est tel que les camarades se demandent si ce n'est pas le début d'une nouvelle époque, d'un nouveau régime pour le Mexique. En tout cas il marque un infléchissement très net dans la situation politique en Amérique Latine, après les victoires de Bukele et surtout de Milei, c'est à l'inverse une victoire pour les « progressismes » en Amérique Latine, dans le deuxième pays le plus important de la région.
Il faut cependant voir les limites de Claudia Sheinbaum et de Morena. Même si elle a pris des positions plus radicales qu'AMLO sur le féminisme (ce qui n'est pas difficile !) ou sur les réformes antilibérales, il n'est pas sûr du tout qu'elle utilise son nouveau pouvoir pour réaliser des réformes radicales. Parmi les élus parlementaires de sa coalition, il y a de très nombreux politiciens issus des vieux partis, et aucun issu de la gauche de Morena. Le patronat a fait des déclarations saluant sa victoire et se disant prêt à collaborer avec elle.
La campagne a été très active, une mobilisation et une politisation populaire très forte. Les thèmes de la dette, de la rupture avec le néoliberalisme ont été très discutés. Ce qui devrait favoriser les conditions d'une recomposition à gauche.
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Argentine : La nécessité d’un large Front de Résistance pour affronter le gouvernement d’ultra-droite

Au cours des quatre derniers mois, nous avons assisté à une série de marches, de rassemblements, de grèves partielles et générales, chaque fois plus suivies et plus politiques, l'une après l'autre.
22 mai 2024 | tiré du site inprecor.fr
Cinq mois après l'investiture de Javier Milei en tant que président, quels sont, selon vous, les traits généraux qui définissent la situation ?
Ce que je vois comme caractéristique principale, c'est que nous sommes confrontés à une situation sans précédent à l'échelle mondiale. D'une part, parce qu'il est le premier président anarcho-capitaliste de l'histoire et, d'autre part, en raison de l'austérité budgétaire, qui est sans précédent par sa profondeur, son étendue et sa rapidité d'exécution. J'ajouterai que le projet Milei va au-delà de la simple gestion de la crise capitaliste locale, mais a pour ambition de résoudre cette crise en termes historiques avec une reformulation complète du pays en termes économiques, sociaux et politiques, ce qui implique un changement profond des relations sociales en faveur du capital.
Le président l'a dit très clairement lors de sa rencontre avec les grands magnats argentins, ceux qui détiennent le pouvoir réel. Il leur a dit, « je vais mettre de l'ordre au niveau macro, et c'est à vous de faire le reste ». Ces magnats incarnent les marchés qui, selon la conception de Milei, sont non seulement la meilleure façon d'allouer des ressources, mais aussi la mesure de la valeur de toutes les valeurs. Le résultat sera un pays soumis au capital financier et aux grandes entreprises, en particulier celles impliquées dans l'extractivisme. Un pays plus compétitif, plus individualiste, plus soumis à la loi du profit, plus inégalitaire qu'il ne l'est déjà. C'est l'enjeu de la législation et de l'ensemble de mesures financières qui seront à l'ordre du jour du Sénat dans les prochains jours. Il faut faire le siège du Congrès pour qu'elles ne soient pas approuvées.
Tout cela a son reflet dans ce que certains appellent désormais une nouvelle ère dans les relations internationales.
Le réalignement total avec les États-Unis et Israël, considérés comme des alliés stratégiques quasi exclusifs. Les nouvelles relations charnelles ?
Oui, bien sûr, il s'agit d'un réalignement global. La visite de la générale Richardson, cheffe de l'US Southern Command, reçue quasiment comme un chef d'État, et le fait que le président Milei se soit rendu tôt le matin à Ushuaia, tout au sud du pays, pour la rencontrer, est plus que symbolique. Là, la générale n'a pas mis l'accent sur la défense de « nos » ressources naturelles comme elle l'avait fait lors de ses précédentes visites, mais a mis l'accent sur une vision géopolitique. Elle a remis en question la base chinoise installée à Neuquén qui, comme cela a été prouvé à maintes reprises et a été ratifié par le chancelier Mondino, a des objectifs scientifiques et non militaires, et a en même temps souligné l'intérêt de construire une base dans le sud qu'ils appellent « intégrée ». Cette base aurait des fonctions logistiques, d'approvisionnement et militaires. Pendant la période du kirchnerisme, notre marine envisageait de construire cette base, qui serait financée par les Chinois, mais les pressions américaines l'ont bloquée. Ce qui est en jeu, c'est le contrôle des mouvements navals dans le sud, le passage de l'Atlantique au Pacifique. Les Etats-Unis raisonnent en termes stratégiques, et planifient des routes maritimes côtières du sud du continent en cas de problèmes futurs avec le canal de Panama. Il faut également rappeler que sous la pression des Etats-Unis, plusieurs projets (la centrale nucléaire Atucha III, des barrages et autres projets mineurs) qui avaient été financés par la République populaire sont en train d'être désactivés.
Les Etats-Unis veulent écarter le « danger chinois » en l'éloignant du sud. Le refus de Milei d'adhérer aux BRICS va dans ce sens. En cas de fortes tensions géopolitiques entre les deux grandes puissances, le gouvernement Milei place le pays d'un côté de la confrontation, sans en mesurer les conséquences. On pourrait dire la même chose des relations avec Israël. Le président a soutenu et justifié toutes les atrocités commises par l'armée israélienne à Gaza.
De quoi dépend la réalisation de ce projet de réorganisation du pays ?
Cela dépend de la capacité du gouvernement à passer le cap de l'ajustement et à stabiliser l'économie. Pour cela, il a développé une politique de choc sous la forme d'un programme de dévaluation monétaire et d'austérité budgétaire. Ce programme est censé être une phase préalable au plan de stabilisation qui imposerait la levée de l'ancrage de la monnaie et l'unification des taux de change. Objectifs immédiats : réduire l'émission monétaire à zéro, atteindre un nouvel équilibre des prix relatifs de l'économie (taux de change, tarifs, prix, salaires) et améliorer le bilan de la Banque centrale.
Le gouvernement considère comme un succès la réalisation d'excédents budgétaires primaires et totaux (après paiement des intérêts), le fait que la Banque centrale ait continué à acheter des dollars, qu'elle ait dévalué ses passifs porteurs d'intérêts, que les taux de change financiers aient baissé et que l'écart entre les taux de change (le taux officiel et le taux du marché parallèle) se soit réduit. Tout cela aurait entraîné un ralentissement de l'inflation, qu'ils présentent comme une trajectoire descendante, mais les prix continuent d'augmenter pour l'instant. Moins qu'avant, mais toujours en hausse.
Mais l'économie s'enfonce
La contrepartie de cet ajustement brutal est la chute de l'activité économique. Une chute plus importante que ce qui avait été estimé au début du gouvernement. En quatre mois, les salaires ont baissé de 20/25% - le salaire moyen des travailleurs formels est passé pour la première fois sous le seuil de pauvreté - et les retraites ont baissé de 30%, les travaux publics sont quasiment à l'arrêt, les ventes ont chuté à des niveaux pandémiques, le crédit est quasi inexistant. La baisse de l'activité affecte la collecte des impôts, ce qui remet en cause l'objectif d'un déficit budgétaire nul pour la fin de l'année. On s'attendait à ce que les mois de mars et d'avril soient les plus difficiles, mais ce pressentiment s'est déplacé vers mai-juin, tandis que le manque de dollars jette un doute sur la date de levée de la réglementation (cepo), une condition imposée par le président pour relancer l'activité, qui est maintenant attendue pour le dernier trimestre de l'année. En tout état de cause, le FMI estime à 2,8 % la baisse du PIB cette année, tandis que les estimations privées la situent à plus de 3 %.
Cependant, de nombreux doutes subsistent quant à la durabilité de l'ajustement.
Cet ajustement vient d'une part de l'impact de l'inflation sur les postes budgétaires gelés (retraites, salaires publics et plans sociaux), c'est le « mixeur » expliquant un peu plus de 50 % de l'ajustement. La suspension d'une grande partie des travaux publics, la réduction des subventions aux provinces et la réduction des contrats et des subventions c'est la « tronçonneuse », le reste étant dû aux paiements qui n'ont pas été effectués.
L'effet mixeur tend à se diluer, il ne peut se maintenir dans le temps, tandis que les paiements non réalisés sont des dettes qui doivent être remboursées à un moment ou à un autre. Il n'est pas certain que le taux de change puisse être maintenu sans une nouvelle dévaluation, que la baisse de la demande n'entraîne pas également une baisse des recettes fiscales, ce qui nécessiterait un deuxième choc d'ajustement, et aussi que, bien que la banque centrale achète des dollars, il y a des dettes en cours pour des importations non payées, de sorte que la récolte nette de réserves est maigre et ne couvre pas les besoins pour lever le cepo. D'où les voyages à l'étranger du ministre Caputo pour mendier 15 milliards de dollars.
Bref, le programme comporte de nombreuses incohérences qui risquent à un moment donné de le court-circuiter, mais l'économie n'est pas une science exacte, les éléments politiques et sociaux jouent un rôle.
Quelles sont les implications de la nouvelle Loi fondamentale et de l'ensemble des mesures budgétaires qui sont actuellement discutées au Sénat, après avoir été approuvés par la Chambre des députés ?
Le gouvernement mise tout sur l'approbation de la Loi fondamentale et des mesures budgétaires, qui lui donnerait des prérogatives législatives pendant un an et lui permettrait de modifier les lois, d'avancer sur la relation capital-travail, de rétablir l'impôt sur le revenu pour les travailleurs, de changer la structure de l'État, d'accorder de grandes facilités aux capitalistes et d'initier une nouvelle vague de dénationalisations. C'est la base d'un changement profond de la matrice économique et sociale. Attendons de voir ce qui se passera au Sénat. S'il était adopté, le virage idéologique que prendrait le pays serait dramatique et difficilement réversible.
Des éléments politiques et sociaux sont en jeu. Vous me donnez l'occasion de vous demander comment vous voyez la réaction sociale et ses perspectives face à tout cela ?
La réaction initiale a été très tiède. J'ai tendance à penser qu'il y a eu un moment de perplexité face à une attaque aussi dure et rapide contre les travailleurs, mais aussi que des secteurs du péronisme ont donné du temps à l'ajustement, qui pourrait être compris comme une continuité de leurs gouvernements précédents qui ont découragé les mobilisations. Il est bien connu que lorsqu'un muscle n'est pas utilisé, il s'affaiblit. D'autre part, dès les premiers jours, le gouvernement Milei a cherché à discipliner la protestation sociale et à faire peur aux gens, à la fois par la violence orale du président lui-même et par le ministère de la Sécurité avec le protocole anti-piquet de Bullrich. Je n'exclus pas une certaine résignation : nous ne pouvons rien faire dans l'immédiat, pensons au moyen terme, aux élections, aux programmes, etc.
C'était le début. Au cours des quatre derniers mois, nous avons assisté à une série de marches, de rassemblements, de grèves partielles et générales, chaque fois plus suivies et plus politiques, l'une après l'autre. En parallèle, les conflits syndicaux se sont nombreux. Je ne fais pas tant référence au 8M [8 mars] ou au 24M [24 mars, date anniversaire du coup d'état de 1976], qui ont enregistré cette année une participation et une politisation record, mais il s'agit de dates déjà traditionnelles dans l'agenda populaire. Je me réfère en particulier à la marche du 23A [23 avril] pour la défense de l'université et de l'enseignement public, qui avait un caractère fédéral et qui a mobilisé plus d'un million de personnes dans tout le pays. Nous verrons comment le conflit se poursuivra, mais il pourrait s'agir d'un tournant dans la situation générale, d'où émergerait un nouveau sujet social. Au même moment les députés concoctaient les derniers accords pour approuver à moitié la Loi de Bases, ce qui montre à quel point les « représentants du peuple » sont éloignés de la société réelle. Il convient de noter qu'un événement politique de cette ampleur a été un signal d'alarme pour le gouvernement, qui ne s'y attendait pas, mais qui n'a pas modifié son programme. L'opposition n'a pas non plus pu en tirer parti. Pour l'instant, les attentes pour l'avenir alimentent le soutien au gouvernement, qui semble rester élevé.
Mais je voudrais souligner les événements dans lesquels la CGT, et donc des milliers de travailleurs, ont joué un rôle de premier plan. Le 24 janvier, la CGT a appelé à une grève nationale avec mobilisation. Une action sans précédent par l'ampleur de l'appel (les deux CTA, les mouvements des droits de l'homme, des femmes, de l'environnement, des minorités sexuelles et le retour des assemblées de quartier). Alors que le 1er mai, une multitude de travailleurs, estimée à plus de 300.000, s'est rassemblée avec un manifeste totalement critique à l'égard du gouvernement et entérinant la deuxième grève nationale qui a eu lieu le 9 mai avec succès. Toutes les informations disponibles indiquent qu'elle a été plus forte et plus étendue que la précédente, et pas seulement parce les transports sont en grève. Mais la chute de l'activité économique est telle que l'on craint déjà que la récession ne se transforme en dépression et, au ministère du travail, les demandes d'adhésion des employeurs aux programmes de prévention des crises se multiplient. La peur de perdre son emploi augmente également parmi les travailleurs.
La contrepartie est la forte fragmentation de la représentation politique au parlement et les luttes intestines au sein des différentes formations politiques. Inexplicablement, la gauche s'est divisée lors du rassemblement du 1er mai. Un secteur a décidé de s'isoler sur la Plaza de Mayo, tandis qu'un autre, heureusement, ou peut-être à cause de cela, celui qui a une plus grande insertion syndicale et territoriale, a participé au mouvement réel avec ses propres slogans dans un exercice clair d'unité d'action (je partage cette attitude politique).
Vous semblez placer beaucoup d'espoirs dans la CGT, jusqu'où pensez-vous qu'elle puisse avancer compte tenu de son bilan plus que discutable ?
D'abord une précision : la CGT, c'est sa direction, ce sont les syndicats qui la composent et ce sont les millions de travailleurs qui font sa force. Ces composantes ne pensent pas toujours de la même façon.
Maintenant, je pars des faits. Pour autant que nous le sachions, la majorité automatique qui dirige la centrale hésitait à appeler à des grèves et à des mobilisations, je dirais même qu'elle rejetait majoritairement ces propositions. Cependant, c'est la pression exercée par certains syndicats nationaux et régionaux de l'intérieur du pays qui les a poussés à se mobiliser alors que leur préférence va à la négociation. Cette mobilisation s'est accompagnée d'attitudes sans précédent : la manifestation du 24 janvier a été clôturé par une mère de la Plaza de Mayo ; la centrale syndicale a participé avec une importante colonne sur le 24 mars lors de la commémoration du putsch militaire de 1976 ; elle a apporté son soutien à la marche pour l'éducation publique. Ajoutons à cela la mobilisation pour le 1er mai, qui n'avait pas eu lieu depuis des années. Ce sont des signes que quelque chose est en train de se passer.
C'est dans ce quelque chose qui se passe, avec ses succès et ses contradictions, que je crois qu'il faut intervenir politiquement. Il est possible, mais pas du tout certain, que ces événements et ces mobilisations servent de plate-forme à la réorganisation du mouvement populaire (je le parierais) en un large Front de résistance au projet ultra-droitier du capital financier et des monopoles. Un front qui devrait tracer le chemin d'une sortie de crise. Un front qui devrait avoir en son centre le mouvement organisé des travailleurs, qui a montré qu'il pouvait assumer le rôle de leader de tous les exploités, opprimés et exclus. C'est un débat qui doit avoir lieu. Peut-être sommes-nous au début d'un nouveau cycle de lutte des classes, dans lequel la gauche peut jouer un rôle plus que prépondérant, à condition qu'elle donne la priorité à l'unité de la classe sur ses besoins d'autoconstruction.
Je réponds donc à votre question. Je pars d'une conviction : la centralité du travail dans la société du capital est toujours présente. Après avoir caractérisé l'état des lieux et les implications du projet stratégique de Milei, tant pour la nation que pour les classes subalternes, je crois que la portée du mouvement dépend beaucoup de nous. De notre capacité à comprendre ce processus et ses risques, à nous débarrasser des tabous et des préjugés sans renoncer à rien de stratégique, et à forger les alliances tactiques nécessaires pour changer le rapport de forces en faveur des travailleurs. C'est l'avenir qui est en jeu.
Resumen Latinoamericano, 10 mai 2024, traduit par L.M. et le CADTM.
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France : Après la dissolution de l’Assemblée Nationale, une union de la gauche aux élections législatives est-elle possible ?

La dissolution de l'Assemblée nationale met la gauche face au défi de l'union avant le premier tour prévu le 30 juin, alors que l'extrême droite a largement remporté les élections européennes et semble aux portes du pouvoir. La France insoumise a repartagé le programme de la Nupes de 2022 « pour se regrouper ».
10 juin 2024 | tiré du site Europe solidaire sans frontière | Photo : Olivier Faure, Marine Tondelier, Fabien Roussel et François Ruffin le 17 janvier 2023 - Thomas SAMSON / AFP
Un rassemblement de la gauche aux élections législatives anticipées ? Tous est possible à entendre ses potentiels artisans ce lundi 10 juin. Qui serait prêt à se prononcer ouvertement contre après la percée de l'extrême droite aux élections européennes ce dimanche, suivie d'une dissolution de l'Assemblée nationale ? Personne ne souhaite endosser une telle responsabilité.
En revanche, tout le monde veut faire l'unité à ses conditions, ce qui met le doute sur sa réalisation ou la forme qu'elle prendrait, sans qu'aucun scénario ne soit écarté pour l'heure. Les uns veulent bousculer le rapport de force issu de la Nupes, elle-même créée lors des législatives 2022, après que Jean-Luc Mélenchon a largement devancé ses concurrents de gauche à la présidentielle. Les autres souhaitent conserver les acquis de cette alliance.
Un rapport de force « qui a évolué »
Parmi les premiers, on compte surtout les socialistes, qui disposent d'un argument de poids : Raphaël Glucksmann, tête de liste PS-Place publique aux élections européennes, a terminé le scrutin à 13,83% des voix, devant LFI portée par Manon Aubry (9,89%), Les Écologistes de Marie Toussaint (5,50%) et la liste communiste de Léon Deffontaines (2,36%).
« Il y a un rapport de force qui ce soir, je crois, a évolué et qui devrait permettre à chacun de réfléchir aux meilleures conditions pour un rassemblement », a déclaré le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, ce dimanche sur France 2.
Comprendre : les roses ne veulent pas ressortir du placard la Nupes, après qu'elle a volé en éclats à la suite des attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre, qui ont été le désaccord de trop entre les insoumis et le reste de leurs collègues.
« Voyons-nous rapidemment »
Les socialistes, rejoints par les communistes et les écologistes, avaient notamment dénoncé la « méthode Mélenchon », lui reprochant un poids trop important dans l'orientation des décisions de la Nupes. Olivier Faure ne ferme pas pour autant la porte à une alliance avec les Insoumis, d'autant que certains appellent clairement à l'unité.
Raphaël Glucksmann, lui, souhaite « tendre la main à tous les électeurs de gauche, à tous les démocrates de combat. » « Mais ce sera sur une ligne sociale écologique, démocratique et proeuropéenne » et « sans outrances, ni violences », a-t-il ajouté sur France 2, après une campagne marquée par les tensions avec les insoumis.
Écologistes et communistes veulent eux aussi prendre leur part. La secrétaire nationale des écolos, Marine Tondelier, a appelé ce dimanche « tous les chefs de parti progressistes à se réunir » lundi matin, sans que l'on sache si les insoumis font partie des concernés.
« Voyons-nous rapidement, travaillons ensemble », a également plaidé Fabien Roussel - connu pour ne pas être le premier fan de la Nupes- sur France 2, prônant un « pacte pour la France ». L'union « ne se fera pas derrière Jean-Luc Mélenchon, elle se fera autour d'un programme et d'un projet », a ensuite jugé la tête de liste Léon Deffontaines sur CNews.
LFI appelle à l'union sur la base du programme de 2022
Ce dernier, justement, a un avis bien arrêté sur la question. « Sur quelle base ? Pour quoi faire ? », a fait mine de s'interroger le leader de LFI depuis Stalingrad à Paris où il avait réuni ses partisans après l'annonce des résultats. L'ancien candidat à la présidentielle a ensuite demandé « maintenant l'Union. Urgente, forte, claire », ce lundi matin sur X.
LFI a également repartagé dans la nuit son programme commun, celui de la Nupes, qui reprend surtout des propositions insoumises : comme la retraite à 60 ans ou la sortie du nucléaire, sujets sur lesquels les socialistes ou les communistes ne sont pas parfaitement alignés avec leurs collègues insoumis.
Les insoumis poussent pour que le programme partagé de 2022 serve de base à un éventuel accord pour mieux s'assurer que la ligne politique soit de gauche radicale. « Nous n'avons pas le temps de tout reprendre à partir d'une feuille blanche. Nous avons eu une stratégie, un programme qui a fonctionné. Au premier tour, nous étions devant le Rassemblement national », a souligné Manon Aubry sur BFMTV ce lundi. Jean-Luc Mélenchon, lui, a averti : « Malheur à nous si nous recommencions à dissimuler la moitié du programme pour ne pas faire peur. »
LFI conteste donc tout changement de rapport de force, du moins sur le fond, pour l'instant. Ils ne considèrent pas leur score de dimanche comme une défaite, après avoir fait évoluer leur de 6,31% aux européennes de 2019 à 9,89%. « Nous avons consolidé notre socle », considère auprès de l'AFP le député Paul Vannier, responsable des élections au sein de la machine insoumise.
Par ailleurs, les insoumis se gardent bien de porter toute responsabilité dans un éventuel échec d'union de la gauche. Ses élus rappellent à l'envie leur proposition d'une liste unie aux européennes avec à sa tête une personnalité issue des rangs écologistes.
Ils pourraient faire entendre leurs arguments à leurs partenaires de gauche ce lundi après-midi, si ces derniers acceptent la proposition de rencontre formulée par Mathilde Panot, cheffe des députés LFI et Manuel Bompard, coordinateur du mouvement.
« Front populaire »
Reste un dernier élément dans l'équation : les « frondeurs » de LFI, qui appellent clairement à l'unité face au danger de l'extrême droite. Parmi eux, François Ruffin a plaidé ce dimanche pour un « front populaire », en référence à la coalition qui avait permis à la gauche de l'emporter en 1936.
D'autres Insoumis « frondeurs » comme Clémentine Autain ou Raquel Garrido ont lancé des appels similaires. Ces personnalités insoumises sont jugées plus compatibles que la direction du mouvement par les autres partis de gauche. Que feront-elles si la direction de LFI et les autres partis de gauche ne parviennent pas à un accord ?
Baptiste Farge
P.-S.
• « Dissolution de l'Assemblée Nationale, une union de la gauche aux élections législatives est-elle possible ? ». Le 10/06/2024 à 12:38 :
https://www.bfmtv.com/politique/parlement/dissolution-de-l-assemblee-une-union-de-la-gauche-aux-legislatives-est-elle-possible_AN-202406100434.html
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France - Contre Macron et l’extrême droite, unité de toute la gauche sociale et politique

Le résultat de ces élections européennes est un coup de tonnerre. Avec l'annonce par Macron de la dissolution de l'Assemblée nationale, il est capital que toute la gauche – les partis, les syndicats, et toutes les organisations du mouvement ouvrier – se rencontre et se mobilise. Nous proposons que, dans les villes, dans les quartiers comme au niveau national, des rencontres aient lieu ces prochains jours, afin de réaliser l'unité, dans la rue pour résister, et dans les urnes.
Tiré de Inprecor 721 - juin 2024
9 juin 2024
Par NPA - L'Anticapitaliste
@ Belgian Presidency of the Council of the EU 2024 from Belgium
France
A peine plus d'un électeur/trice sur deux a voté lors de ces élections européennes, et pour autant, les résultats de ce soir sonnent comme un coup de semonce. Comme annoncé depuis des semaines, l'extrême droite remporte un très grand nombre de suffrages partout en Europe et pourra faire rentrer plusieurs dizaines d'éluEs, sans doute plus d'une centaine, au sein de l'assemblée européenne. L'extrême droite est aux portes du pouvoir dans plusieurs pays d'Europe, quand elle ne participe pas déjà à des coalitions gouvernementales.
En France, le Rassemblement national augmente son score de près de 10% par rapport aux élections précédentes, plaçant l'ensemble de l'extrême droite à près de 40% autour de listes racistes, autoritaires et homophobes. Ce n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein, au contraire, c'est le résultat de plusieurs décennies de politiques racistes et antisociales menées par différents gouvernements de droite comme de gauche. C'est aussi le résultat de la volonté du gouvernement Macron de légitimer le Rassemblement National, son “meilleur ennemi”, tout en appliquant une partie de sa politique, pour transformer chaque élection en un duel entre le camp présidentiel et le RN. Mais ce chantage, “votez pour nous ou laissez l'extrême droite gagner”, fonctionne de moins en moins car le rejet du gouvernement Macron, autoritaire, antisocial et raciste, est de plus en plus massif.
Après la défaite des législatives de 2022, le camp du président Macron subit une nouvelle fois le rejet des électeurs/trices et n'arrivent qu'à rassembler péniblement 15% des suffrages, alors que tous les moyens de l'Etat ont été mis au service de la liste macroniste et que le Président et le Premier ministre ont mené campagne.
Le « retour en grâce », médiatique, de la gauche de cogestion social-libérale et du hollandisme n'est pas un bon signe. Cette gauche néolibérale des lois travail, de la déchéance de nationalité, de la compromission avec l'impérialisme occidental nous a conduit dans le mur, démoralisant et affaiblissant davantage notre camp social et a propulsé Macron au pouvoir.
Les votes pour la liste de Manon Aubry et de Rima Hassan ont été portés par la colère populaire et du monde du travail face à l'ultralibéralisme autoritaire de Macron, mais aussi face à sa complicité dans le génocide qui a lieu en ce moment même à Gaza.,
L'enjeu pour notre camp social est de reprendre la main dans un contexte de crises économique, sociale, démocratique et écologique qui se combinent et s'amplifient. Toutes les forces de gauche qui refusent ce système destructeur socialement et écologiquement doivent se rencontrer pour résister dans les urnes et dans la rue à l'extrême droite et au macronisme qui le nourrit.
Montreuil le dimanche 9 juin 2024
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Les tambours de la guerre battent en Europe

À deux jours des élections européennes, Miguel Urban, Éric Toussaint et Paul Murphy analysent la séquence 2020-2024 en Europe en montrant comment la pandémie et l'invasion russe de l'Ukraine ont été le prétexte à une accélération des politiques néolibérales, un durcissement des politiques anti-migratoires, une remilitarisation du Vieux Continent accompagnée d'un renforcement du rôle de l'OTAN. Ainsi plaident-ils pour la construction d'un large mouvement antimilitariste transnational.
Tiré de la Revue Contretemps
7 juin 2024
Par Miguel Urban Crespo, Eric Toussaint et Paul Murphy
Miguel Urban a été eurodéputé de 2014 à 2024, il est membre de Anticapitalistas (État espagnol). Éric Toussaint est membre fondateur du réseau international CADTM. Paul Murphy est député au parlement irlandais, membre de la coalition « People Before Profit ».
***
Ces semaines-ci, nous terminons une législature européenne abrupte marquée par la pandémie la plus importante de ce siècle, par l'invasion de l'Ukraine par Poutine et par le début d'une guerre sur le sol européen qui rappelle les pires souvenirs des guerres mondiales du siècle dernier. Une époque où le système international de gouvernance libérale semble s'effondrer comme un château de cartes alors que nous assistons au génocide télévisé du peuple palestinien. Et la nouvelle législature qui s'ouvre ne semble guère s'améliorer, mais plutôt accélérer les dynamiques et les processus auxquels nous avons assisté ces dernières années : la montée de l'extrême droite, la remilitarisation, le retour de l'austérité, le néocolonialisme et un désordre mondial marqué par les conflits inter-impérialistes.
2020-2024 : derrière les illusions de changement, le statu quo néolibéral
Le début de la dernière législature ne semblait pas présager de ce contexte, en effet elle a commencé par une déclaration « historique » d'urgence climatique du Parlement européen. Il a exigé de la Commission européenne que toutes ses propositions soient alignées sur l'objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C, en réduisant les émissions de 55% d'ici 2030 afin d'atteindre la neutralité d'ici 2050.
La justification politique et démocratique du Pacte vert européen était née. Cependant, il est essentiel de ne pas perdre de vue que cette déclaration n'aurait pas été possible sans les mobilisations pour la justice climatique menées par la jeunesse dans plusieurs pays d'Europe et d'ailleurs dans les mois précédant les élections européennes de 2019.
Surtout, depuis la crise de 2008, l'absence d'un projet politique européen au-delà de la recherche du profit maximal pour les entreprises privées, la constitutionnalisation du néolibéralisme et la consécration d'un modèle d'autorité bureaucratique à l'abri de la volonté des peuples, ont progressivement érodé le soutien social à l'UE, affectant sa légitimité et même son intégrité. En ce sens, le Pacte vert européen est apparu comme une justification pour donner une nouvelle légitimité politique et sociale au projet européen néolibéral en le teintant de vert.
Pourtant le relatif hiatus post-austérité de la crise pandémique ne s'est pas accompagné d'un changement de cap dans les politiques néolibérales de l'UE. Ainsi, face à l'urgence sanitaire et aux effets de la pandémie, l'UE n'a pas été capable de construire une réponse sanitaire commune au-delà d'une centrale d'achat de vaccins ; elle n'a pas profité de la situation pour renforcer les systèmes de santé des États membres ou pour créer une entreprise pharmaceutique publique européenne pour faire face aux probables épidémies ou pandémies à venir.
Pendant ce temps, sur le plan économique, la réponse des gouvernements, de la Commission européenne et de la BCE a été d'augmenter la dette, au lieu de financer une grande partie de l'effort financier avec des recettes fiscales qui auraient dû être prélevées sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises pharmaceutiques, des GAFAM et des banques, qui ont été les véritables gagnantes de la crise. Une fois de plus, nous avons vu comment l'UE est devenue un projet de millionnaires au détriment de millions de pauvres.
Et dans ce sens, la pandémie a été le prélude à la remise en question des politiques qui devaient accompagner la déclaration d'urgence climatique adoptée par le Parlement. Elle a servi de catalyseur à un (nouveau) gigantesque transfert d'argent public vers le privé, les fonds de relance servant d'appui aux intérêts des grandes entreprises. Et tout cela en vendant l'illusion euro-réformiste qu'il est possible de mener une politique qui ne soit pas basée sur l'austérité sans remettre définitivement en cause les traités européens et les règles de base avec lesquelles l'économie européenne a fonctionné au cours des trois dernières décennies.
Une illusion d'optique d'une « autre sortie de crise » qui, pourtant, dans la pratique, n'a cessé d'approfondir la spécialisation productive de chaque pays au sein de l'UE et la solidification des rapports hiérarchiques entre pays capitalistes centraux autour de l'Allemagne, la France, le Bénélux et les pays périphériques.
L'invasion de l'Ukraine et l'émergence d'un néo-militarisme européen
Mais si la gestion de la pandémie était l'excuse, l'invasion de l'Ukraine par Poutine est devenue un prétexte idéal pour une véritable doctrine de choc. Non seulement l'UE se remilitarise pour être en mesure de parler la « langue dure du pouvoir » dans un désordre mondial où les conflits sur les ressources rares deviennent de plus en plus aigus, mais l'agenda commercial européen agressif est également accéléré sous le prétexte de la guerre.
Tout est permis lorsque nous sommes en guerre. Un bon exemple en est la rapidité et la facilité avec lesquelles le maquillage vert de l'UE a été jeté par-dessus bord lorsque la Commission européenne a décrété que le gaz et l'énergie nucléaire devaient être considérés comme de l'énergie verte sous le prétexte de briser la dépendance énergétique de la Russie.
Ainsi, des stratégies approuvées au milieu de la législature, comme la stratégie « de la ferme à la table », l'un des piliers du Pacte vert européen, qui promettait de tripler la superficie consacrée à l'agriculture biologique, de réduire de moitié les pesticides et de diminuer de 20 % les engrais chimiques dans l'UE d'ici 2030, sont devenues une nouvelle victime de la guerre en Ukraine. Tout est juste quand il y a la guerre.
De même, la Commission européenne a annoncé l'autorisation de l'utilisation des surfaces dites « d'intérêt écologique » et des jachères pour augmenter la production agricole européenne. Toujours sous le prétexte que la sécurité alimentaire doit primer sur le développement de l'agriculture biologique. Encore la guerre comme prétexte.
En l'absence de menaces militaires traditionnelles justifiant une augmentation des dépenses de défense, la politique de sécurité des frontières extérieures de l'UE est devenue au fil des ans une mine d'or pour l'industrie européenne de la défense [1]. Ce sont ces mêmes entreprises de défense et de sécurité qui tirent profit de la vente d'armes au Moyen-Orient et en Afrique, en alimentant les conflits qui sont à l'origine de la fuite de nombreuses personnes vers l'Europe en quête d'un refuge.
Ce sont ces mêmes entreprises qui fournissent ensuite l'équipement des gardes-frontières, la technologie de surveillance des frontières et l'infrastructure technologique permettant de suivre les mouvements de population. Tout un « business de la xénophobie », selon les termes de la chercheuse française Claire Rodier [2]. Un business qui, compte tenu de son opacité et de ses marges floues, compte de plus en plus sur les lignes budgétaires de l'UE déguisées en aide au développement ou en « promotion du bon voisinage ».
En fait, on pourrait dire que ce qui s'est rapproché le plus d'une armée européenne jusqu'à présent, c'est Frontex, l'agence chargée d'administrer le système européen de surveillance des frontières extérieures comme s'il s'agissait d'un front militaire.
Une dynamique qui, comme le définit Tomasz Konicz, est consubstantielle à l'impérialisme de crise du XXIe siècle, qui n'est plus seulement un phénomène de pillage des ressources, mais s'efforce également de fermer hermétiquement les centres de l'humanité superflue que le système produit dans ses affres. Ainsi, la protection des derniers îlots relatifs de bien-être est un moment central des stratégies impérialistes, renforçant les mesures de sécurité et de contrôle qui alimentent un autoritarisme croissant [3].
Le durcissement des lois migratoires de l'UE au cours des dernières décennies en est un bon exemple, qui a atteint son apogée avec l'approbation du Pacte européen sur les migrations et l'asile en avril 2024. Un autoritarisme de la pénurie qui s'accorde parfaitement avec la subjectivité du manque de moyens que des décennies de choc néolibéral ont fait naître dans de larges couches de la population. Ce sentiment de pénurie est au cœur de la xénophobie du chauvinisme de l'aide sociale qui s'associe parfaitement à la montée de l'autoritarisme néolibéral du chacun pour soi dans la guerre du dernier contre l'avant-dernier.
Aux « invasions barbares » [4] imaginaires de la forteresse Europe et de sa dérive autoritaire, s'ajoute désormais le danger du nouvel impérialisme russe. L'alibi parfait pour construire le nouveau projet néo-militariste européen qui renforce encore le néolibéralisme autoritaire de l'Europe. Rien n'est plus cohésif et légitimant qu'un bon ennemi extérieur. « L'Europe est plus unie aujourd'hui que jamais » est le nouveau mantra dans les couloirs de Bruxelles. Un mantra que l'on répète pour conjurer les fantômes des crises récentes et pour montrer au monde extérieur que l'Europe a de nouveau un projet politique commun.
Accélération néolibérale et remilitarisation de l'Europe
La remilitarisation de l'Europe est une aspiration que les élites européennes ont longtemps cachée sous des euphémismes tels que la boussole stratégique ou la recherche d'une plus grande autonomie stratégique de l'UE. Jusqu'à présent, il semblait y avoir trop de pierres d'achoppement pour qu'elle puisse être réalisée.
La présidente de la Commission européenne elle-même, Ursula von der Leyen, a demandé de manière rhétorique dans son discours sur l'état de l'Union en 2021 pourquoi aucun progrès n'avait été réalisé jusqu'à présent en matière de défense commune : « Qu'est-ce qui nous a empêchés de progresser jusqu'à présent ? Ce n'est pas un manque de ressources, mais un manque de volonté politique ».
C'est précisément cette volonté politique qui semble primer sur tout le reste depuis l'invasion de l'Ukraine, devenue le prétexte parfait pour l'accélération de l'agenda des élites néolibérales européennes qui ne voient plus la remilitarisation de l'UE seulement comme leur planche de salut, mais ouvertement comme le nouveau projet stratégique de l'intégration européenne en complément du constitutionnalisme de marché qui a prévalu jusqu'à présent. Une Europe des marchés et de la « sécurité ».
Ainsi, la polycrise mondiale – qui affaiblit encore le poids géoéconomique et géopolitique de l'UE – conduit à de nouveaux bonds en avant dans son intégration financière et, à son tour, militaire, au nom de la compétitivité et en réponse à l'invasion de l'Ukraine. Quelques semaines après l'invasion de l'Ukraine, Mme Von der Leyen a affirmé devant le Parlement européen que l'UE était plus unie que jamais et que davantage de progrès avaient été réalisés en matière de sécurité et de défense communes « en six jours qu'au cours des deux dernières décennies », en faisant référence au déblocage de 500 millions d'euros de fonds de l'UE pour l'équipement militaire de l'Ukraine.
On ne peut nier que les élites européennes utilisent la guerre en Ukraine pour accélérer l'agenda des élites néolibérales européennes qui recherchent une alliance financière et commerciale plus étroite entre elles et, à leur tour, une remilitarisation de l'UE en tant qu'instrument utile pour leur projet d'une « Europe du pouvoir ». Une intégration militaire et sécuritaire qui vise à transformer l'économie européenne pour la guerre.
Nous sommes confrontés à un véritable changement de paradigme, où l'UE, comme l'a déclaré le Haut représentant pour la politique étrangère, Josep Borrell, « doit rapidement apprendre à parler le langage de la puissance », et « ne pas compter uniquement sur le “soft power”, comme nous l'avons fait jusqu'à présent ». Dans cette optique, les États membres ont approuvé en mars 2022 la fameuse boussole stratégique, un plan d'action visant à renforcer la politique de sécurité et de défense de l'UE d'ici à 2030. Bien que cette boussole stratégique ait été élaborée en deux ans, son contenu a été rapidement adapté au nouveau contexte ouvert par l'invasion russe de l'Ukraine :
« Cet environnement de sécurité plus hostile nous oblige à faire un bond en avant décisif et exige que nous augmentions notre capacité et notre volonté d'agir, que nous renforcions notre résilience et que nous assurions la solidarité et l'assistance mutuelle ».
Défense européenne ou offensive impérialiste ?
Cette nouvelle stratégie définie dans la Boussole Stratégique construit une vision de la défense européenne qui n'est plus basée sur le maintien de la paix, mais sur la sécurité nationale-européenne et la protection des « routes commerciales clés ». En d'autres termes, il s'agit de protéger les intérêts européens en assurant l'« autonomie stratégique » de l'UE.
L'intérêt des élites européennes à parler la langue dure du pouvoir est intimement lié à la nouvelle agressivité « verte » néocoloniale et extractiviste de l'UE, qui vise à sécuriser l'approvisionnement en matières premières rares fondamentales pour l'économie européenne et sa transition soi-disant verte, dans un contexte de luttes croissantes entre les anciens et les nouveaux empires. Comme le dit Mario Draghi :
« dans un monde où nos rivaux contrôlent une grande partie des ressources dont nous avons besoin, nous devons avoir un plan pour sécuriser notre chaîne d'approvisionnement – des minéraux essentiels aux batteries et aux infrastructures de recharge ».
La remilitarisation de l'Europe n'est que l'étape nécessaire pour être capable de parler la langue dure du pouvoir qui sécurise les matières premières et les ressources dont les entreprises européennes ont besoin.
La boussole stratégique répète à plusieurs reprises que « l'agression de la Russie en Ukraine constitue un changement tectonique dans l'histoire de l'Europe » auquel l'UE doit répondre. Et quelle est la principale recommandation de cette boussole stratégique ? L'augmentation des dépenses militaires et de la coordination. Précisément dans un contexte où les budgets militaires des États membres de l'UE sont plus de quatre fois supérieurs à ceux de la Russie et où les dépenses militaires européennes ont triplé depuis 2007.
Le fait est que cette augmentation des dépenses de défense a été concrétisée lors du Conseil européen de Versailles de mars 2022, où les États membres se sont engagés à investir 2 % de leur PIB dans la défense. Il s'agit de l'investissement le plus important en matière de défense en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour cette même raison, lors de ce sommet, le président du Conseil, Charles Michel, a déclaré sans ambages que l'invasion russe de l'Ukraine et la réaction budgétaire de l'UE avaient « consacré la naissance de la défense européenne ».
À cet égard, la Commission européenne a présenté en mars 2024 la première stratégie industrielle de défense, qui vise à mettre en place un ensemble ambitieux de nouvelles actions pour soutenir la compétitivité et la préparation de l'industrie de la défense dans l'ensemble de l'Union. L'objectif principal est d'améliorer les capacités de défense de l'Union, en favorisant l'intégration des industries des États membres et en réduisant la dépendance à l'égard des achats d'armes en dehors du continent.
En bref, il s'agit de préparer l'industrie européenne à la guerre. Comme l'a déclaré Mme Von der Leyen devant le Parlement européen réuni en session plénière, si « la menace d'une guerre n'est peut-être pas imminente, elle n'est pas impossible », il est temps que « l'Europe se mette au diapason ».
La subordination maintenue de l'Europe à l'OTAN
Bien que la boussole stratégique marque les étapes vers une plus grande autonomie stratégique européenne, le document précise que l'Alliance atlantique « reste la base de la défense collective de ses membres ». Depuis la fin du Pacte de Varsovie et la chute du mur de Berlin, l'OTAN a cherché à se réinventer et à s'adapter à une nouvelle réalité géopolitique dans laquelle la transcendance du lien transatlantique semblait avoir été dépassée.
Le président français Emmanuel Macron lui-même a affirmé en 2019 que l'absence de leadership américain entraînait une « mort cérébrale » de l'Alliance atlantique et que l'Europe devait commencer à agir en tant que puissance stratégique mondiale. Aujourd'hui, alors que les soldats russes ont envahi l'Ukraine et que Moscou menace tacitement d'utiliser des armes nucléaires, l'OTAN connaît une résurgence, un retour à la raison d'être et un nouveau sens existentiel.
D'ailleurs, Emmanuel Macron lui-mêmea laissé la porte ouverte à l'envoi de troupes terrestres de l'OTAN pour combattre en Ukraine :
« Nous ferons tout ce qui est possible pour empêcher la Russie de gagner cette guerre. Nous sommes convaincus que la défaite de la Russie est nécessaire à la sécurité et à la stabilité en Europe ».
En plus de fournir à Kiev « des missiles et des bombes à longue portée », ce qui n'avait pas été fait jusqu'à présent par crainte d'une escalade du conflit. Mais ces derniers jours, Joe Biden et ses partenaires européens ont autorisé l'utilisation de leur équipement militaire contre des cibles en Russie pour tenter d'atténuer l'offensive russe sur Kharkov. Au fil des mois, toutes les lignes rouges et précautions des États-Unis et de l'Union européenne se diluent, ce qui nous rapproche inexorablement d'un conflit armé avec des soldats de l'OTAN sur le sol ukrainien, qui pourrait déboucher sur une Troisième Guerre mondiale aux scénarios totalement inconnus et dangereux.
L'invasion de l'Ukraine par Poutine n'a pas seulement permis à l'opinion publique européenne de se rassembler autour d'un fort sentiment d'insécurité face aux menaces extérieures – la ministre espagnole de la défense elle-même, Margarita Robles, a déclaré en réponse à la demande de réarmement de l'UE que la société « n'est pas consciente » de la « menace totale et absolue » de la guerre, légitimant ainsi la plus grande augmentation des dépenses militaires depuis la Seconde Guerre mondiale.
Mais en même temps, cela a permis à l'OTAN et à l'impérialisme américain de diluer tout semblant d'indépendance politique de l'UE tout en regagnant une légitimité et une unité perdues depuis longtemps, en particulier après l'échec de l'occupation de l'Afghanistan.
Soutien européen à Israël et accélération de la dérive militariste de l'UE
Alors que l'invasion de l'Ukraine par Poutine est rapidement devenue un prétexte parfait pour exploiter toutes ces insécurités et douleurs dérivées de la fragmentation sociale néolibérale, en augmentant de manière exponentielle les budgets de défense et en favorisant une intégration européenne basée sur la remilitarisation, le soutien à l'État d'Israël dans sa punition collective du peuple palestinien fonctionne maintenant comme un accélérateur de la dérive militariste et belliciste de l'UE.
Un massacre dans lequel l'UE non seulement approuve la politique de crimes de guerre de l'État sioniste contre la population civile de Gaza, revendiquant un « droit à la défense » inexistant de la part d'une puissance occupante, mais aussi réprime et tente d'interdire toute voix interne qui s'oppose à sa politique de soutien inconditionnel à l'occupation israélienne de la Palestine.
Une dérive maccarthyste, où le véritable objectif n'est pas seulement d'annuler la solidarité avec la cause palestinienne, mais de discipliner la population européenne autour des intérêts géostratégiques de ses élites, qui ne sont autres que la remilitarisation de l'Europe autour de la guerre en Ukraine et le soutien inconditionnel à Israël. Mais le seul point positif de cette levée de masques et de belles paroles est peut-être que nous pouvons enfin reléguer aux oubliettes de l'histoire toutes ces soi-disant « valeurs européennes » et « mythes fondateurs de la paix » que la machine de propagande de l'UE ne cesse de marteler.
En ce sens, la construction d'ennemis intérieurs comme boucs émissaires pour justifier et soutenir des modèles de plus en plus répressifs et des réductions des libertés générales, qui ciblent particulièrement les minorités considérées comme dangereuses, joue un rôle fondamental. Et ici, une minorité dangereuse est toute personne qui ne correspond pas au cadre identitaire de la blanchité chrétienne européenne [5].
En sachant que l'appartenance à la communauté ne dépend plus tant d'une question de naissance, mais d'un engagement idéologique en faveur des valeurs que les élites stipulent comme authentiques [6]. Ainsi, n'est pas Français ou Française celui ou celle qui naît et grandit en France, mais celui ou celle qui, en outre, s'identifie à une identité supposée française préalablement définie par le haut. Et celui ou celle qui rejette ces valeurs françaises cesse tout simplement d'être français·e, quel que soit son lieu de naissance, ce qui est inscrit sur son passeport ou sur le maillot de son équipe nationale. Car aujourd'hui, l'appartenance à une communauté nationale est liée à une supposée identité et se pense de plus en plus en termes ethnoculturels et idéologiques.
L'UE fait une place de plus en plus grande à l'extrême droite
Dans ce contexte, l'extrême droite fixe l'agenda et le soi-disant centre s'y conforme, l'exécute et le normalise. Et ce non seulement par simple conviction idéologique, mais aussi par pur intérêt stratégique : dans les sociétés capitalistes qui traversent des crises et des instabilités multiples et croissantes, le renforcement de la répression et de la sécurisation devient une assurance-vie. Explorer et exploiter les peurs et les insécurités pour construire une idéologie de la sécurité permet au projet néolibéral autoritaire de se doter d'une cohérence et d'une identité. Les sociétés sont reconstruites et les tensions sont contenues par l'exclusion et l'expulsion des secteurs les plus vulnérables ou dissidents.
L'extrême droite parvient à obtenir une part croissante du pouvoir au sein de l'UE, au point de devenir un sujet fondamental dans la détermination des majorités parlementaires lors de la prochaine législature. En effet, la bureaucratie eurocrate de Bruxelles, consciente qu'elle aura besoin du soutien d'une partie de cette famille politique pour assurer la gouvernance de l'UE, a entamé une campagne de différenciation entre la « bonne extrême droite » et la « mauvaise extrême droite », c'est-à-dire entre l'extrême droite qui adhère sans ambiguïté à la politique économique néolibérale, à la remilitarisation et à la subordination géostratégique aux élites européennes, et l'extrême droite qui les remet encore en question, même si c'est de façon de plus en plus timide.
L'eurocratie européenne s'apprête à ajouter une place de choix à l'extrême droite dans la gouvernance européenne, enterrant définitivement tous les tabous et les précautions que les démocraties occidentales ont pris à l'égard de ces forces politiques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le tout dans un contexte où les tambours de la guerre battent dans les chancelleries, nous rapprochant dangereusement du scénario d'une nouvelle confrontation militaire mondiale, sur fond d'urgence climatique et de démantèlement de la gouvernance multilatérale et du droit international qui ont régi la mondialisation néolibérale au cours des dernières décennies.
Une situation dont profitent les élites européennes pour entrer dans une nouvelle phase du projet européen, qui vise à renforcer un modèle de fédéralisme oligarchique et technocratique. Car c'est ce que l'ancien patron de Goldman Sachs en Europe, Mario Draghi, a ouvertement proposé dans son récent rapport commandé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen : accélérer la mise en place de mécanismes de décision communs aux institutions européennes afin de favoriser l'union des marchés de capitaux de l'UE et de pouvoir agir dans de meilleures conditions dans la course à une compétitivité toujours plus intense avec les autres grandes puissances, qu'elles soient en déclin ou en plein essor, après la fin de la mondialisation heureuse.
La nécessité d'un large mouvement antimilitariste transnational
Ce dangereux cocktail promet de nouveaux conflits, une recomposition des acteurs, un élargissement du champ de bataille et surtout une accélération des conflits inter-impérialistes.
Au-delà des appréciations de tactique militaire, ce qui ne fait aucun doute, c'est que les gagnants à ce jour de l'invasion russe de l'Ukraine sont : l'impérialisme russe lui-même, qui a réussi à annexer et occuper une partie des territoires qu'il convoitait ; l'OTAN, qui est passée d'un état de « mort cérébrale » au meilleur moment politique de son histoire ; le vieux désir des élites européennes d'utiliser le militarisme comme mécanisme d'intégration ; et les entreprises qui fabriquent la mort, qui n'ont jamais fait autant de profits [7]. Et les principaux perdants, comme toujours, sont les citoyens et citoyennes, en l'occurrence le peuple ukrainien qui néanmoins continue à résister à l'invasion et qui mérite notre appui comme les activistes russes qui combattent la guerre de Poutine.
Car si le Parlement européen a commencé en 2019 la législature en déclarant l'urgence climatique, elle s'est terminée en faisant résonner les tambours de guerre dans les chancelleries européennes, favorisant une remilitarisation incompatible avec tout processus de transition éco-sociale. Il semble que la prochaine législature sera marquée par le retour des recettes d'austérité, mais cette fois sous le carcan d'un budget de défense expansif qui assurera la remilitarisation de l'Europe et la reconversion de l'industrie européenne d'armement. Il est donc plus que jamais nécessaire d'œuvrer à la construction d'un large mouvement antimilitariste transnational pour remettre en cause le projet des élites d'une remilitarisation austéritaire de l'Europe co-gouvernée par l'extrême centre et la vague réactionnaire.
Pour ce faire, il est essentiel de remettre en cause le concept de sécurité basé sur les dépenses d'armement, de défense et d'infrastructures militaires. Afin de proposer, en alternative, un modèle de sécurité antimilitariste à travers la garantie de l'accès à un système de santé publique fonctionnel, l'éducation, l'emploi, le logement, l'énergie, l'amélioration de l'accès aux services sociaux qui assurent une vie digne et la réponse au changement climatique à partir d'un horizon écosocialiste. Comme l'indique le manifeste de ReCommons Europe :
« les forces de la gauche politique et sociale qui souhaitent incarner une force de changement en Europe dans le but de jeter les bases d'une société égalitaire et solidaire, doivent impérativement adopter des politiques antimilitaristes. Cela signifie qu'il faut lutter non seulement contre les guerres des forces impérialistes européennes, mais aussi contre les ventes d'armes et le soutien aux régimes répressifs et belliqueux » [8].
La condamnation de l'invasion russe et la solidarité avec le peuple ukrainien doivent intrinsèquement intégrer le rejet de l'impérialisme russe et le rejet de la remilitarisation de l'UE et du renforcement de l'Alliance atlantique. En aucun cas, notre soutien au peuple ukrainien et la lutte contre l'impérialisme russe ne peuvent apparaître subordonnés à notre propre impérialisme. Nous devons échapper au piège binaire de devoir soutenir un impérialisme contre un autre, en acceptant la logique de l'Union sacrée à l'aube de la Première Guerre mondiale avec de nouveaux crédits de guerre.
En tant qu'anticapitalistes, notre tâche devrait être précisément de briser cette dichotomie et d'adopter une position antimilitariste, active et claire en faveur des peuples ukrainien et russe, en créant notre propre champ indépendamment des impérialismes en conflit et en défendant : le droit à la désertion active et à l'objection de conscience de tous les soldats et à l'accueil comme réfugiés politiques, le non-paiement de la dette ukrainienne, la fin des mémorandums néolibéraux envers l'Ukraine ; pour une paix sans annexions ; pour le retrait inconditionnel des troupes russes d'Ukraine ; pour le droit des peuples sans exception à décider librement de leur avenir.
Nous mettons en danger le modèle de société des décennies à venir. Car dans ce monde en feu, le conflit sous-jacent est celui qui oppose le capital à la vie, les intérêts privés aux biens communs, les biens aux droits. Nous ne pourrons jamais entreprendre une transition écologiste et sociale sans combattre la maladie capitaliste du militarisme. Aujourd'hui plus que jamais, il est essentiel d'ouvrir un nouveau cycle de mobilisations capables de passer du niveau national au niveau européen.
Il faut briser l'illusion euro-réformiste de l'UE pour forcer un système démocratique, anti-néolibéral, antimilitariste, féministe, écologiste-socialiste et anticolonial qui ouvre la porte à un nouveau projet d'intégration européenne où nous seront, comme l'a défendu Rosa Luxemburg, socialement égaux, humainement différents et totalement libres.
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Illustration : Wikimedia Commons.
Notes
[1] Pour en savoir plus sur les politiques européennes de sécurité des frontières, lire notamment les travaux du Transnational Institute, voir : https://www.tni.org/es/publicacion/guerras-de-frontera
[2] Claire Rodier, Xénophobie business, Paris, Éditions La Découverte, Paris, 2012, https://www.editionsladecouverte.fr/xenophobie_business-9782707174338
[3] Thomas Konicz,.Ideologías de la crisis. Madrid, Enclave de libros, 2017.
[4] Les Romains utilisaient ce terme pour désigner les peuples qui vivaient en dehors de leurs frontières.
[5] Voir le texte de Hans Kundnani : https://legrandcontinent.eu/fr/2023/09/07/contre-le-tournant-civilisationnel-de-lunion-europeenne/
[6] Voir : Daniel Bensaïd, Fragments mécréants : sur les mythes identitaires et la république imaginaire, Lignes, Essais, 2005 ; réédition 2018.
[7] Pour donner un exemple du business lucratif de la guerre en Ukraine pour les entreprises d'armement européennes : la valeur marchande de la multinationale allemande Rheinmetall, constructrice des chars Leopard, a plus que quadruplé depuis la guerre en Ukraine, alors qu'elle connaît une forte hausse des commandes de la part des gouvernements occidentaux cherchant à reconstituer leurs stocks après avoir fourni d'importantes quantités d'armes à Kiev.
[8] ReCommonsEurope : « Manifeste pour un nouvel internationalisme des peuples en Europe », 2019, https://www.cadtm.org/ReCommonsEurope-Manifeste-pour-un-nouvel-internationalisme-des-peuples-en
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L’amnésie coloniale de l’Allemagne et la destruction de Gaza

Alors que l'Allemagne tarde à dénoncer les crimes perpétrés par Israël contre le peuple palestinien, le chercheur Henning Melber propose une analyse sur les liens existants entre la violence coloniale, le génocide des Namas et des Héréros au début du XXe siècle, la Shoah et la position actuelle de Berlin vis-à-vis de Tel-Aviv.
Tiré d'Afrique XXI.
Cet article a été initialement publié sur le site African Arguments, partenaire d'Afrique XXI. Traduit de l'anglais par Marta Perotti. L'auteur, Henning Melber, publie en juillet 2024, aux éditions Hurst, The Long Shadow of German Colonialism.

Aimé Césaire dit dans son Discours sur le colonialisme (1955) que le colonialisme décivilise le colonisateur, le brutalise, le détériore, pour « le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale et au relativisme moral » comme « régression universelle ». Comme le note Césaire, « le colonisateur, pour se donner bonne conscience, s'habitue à voir dans l'autre la bête, s'entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête ».
Presque en parallèle avec Les Origines du totalitarisme (1951) de Hannah Arendt, Césaire situe les racines du fascisme dans le colonialisme. Pour Arendt, le colonialisme en tant que « laboratoire de la modernité » a été le berceau d'une mentalité qui, quelques décennies plus tard, a culminé avec l'Holocauste. Comme le montre Pascal Grosse, « en se focalisant sur les implications du colonialisme européen sur l'Europe elle-même (1) », Arendt a saisi les régimes coloniaux comme le prototype du totalitarisme.
Ce n'est pas une coïncidence si Raphael Lemkin, l'un des juristes à l'origine de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948), s'est plusieurs fois référé à la stratégie d'extermination de l'Empire allemand dans sa colonie du Sud-Ouest africain (l'actuelle Namibie). Comme le suggère Dirk Moses dans sa préface de Empire, Colony, Genocide : Conquest, Occupation, and Subaltern Resistance in World History (Berghahn Books, 2010), en « dévoilant les racines coloniales du concept de génocide lui-même », nous pouvons « rendre opérationnelle l'idée originale, mais ignorée, de Raphael Lemkin, selon laquelle les génocides sont intrinsèquement coloniaux et précèdent largement le XXe siècle ».
De l'Omaheke à Gaza
Bien qu'il n'y ait pas de chemin direct qui relie Windhoek, la capitale namibienne, à Auschwitz, il existe bien un lien entre la pensée qui a structuré la colonisation allemande et l'extinction massive des personnes juives opérée par le régime nazi. Une mentalité qui reste aujourd'hui, dans une certaine mesure, corrosive dans la société allemande et active – bien qu'en déclin – dans une plus générale amnésie coloniale. Comme je l'explique dans The Long Shadow of German Colonialism (Hurst, à paraître en juillet 2024), la pensée et le schéma colonial ne sont pas morts avec la fin des régimes coloniaux.
Le génocide des habitants de Gaza présente des analogies avec le premier génocide du XXe siècle dans la colonie allemande du Sud-ouest africain. À cette époque, les Héréros s'étaient retirés dans la savane de l'Omaheke, qui avait été bouclée et isolée par les Allemands. Après la déclaration de l'ordre d'extermination, ceux qui cherchaient refuge ont été abattus ou repoussés vers l'Omaheke, où ils sont morts de soif et de faim.
Ces techniques de la guerre génocidaire se répètent aujourd'hui, avec la complicité de l'Allemagne qui en supporte les auteurs. C'est un vers de Fugue de la mort de Paul Celan (1920-1970) – paru en 1948 –, un des poètes juifs les plus importants de l'Allemagne post-Holocauste, qui me vient à l'esprit :
- La mort est le maître de l'Allemagne
- Son œil est bleu
La situation à Gaza a déclenché une confrontation entre les anciens colonisateurs et les anciens colonisés : la Namibie a soutenu en janvier 2024 la plainte de l'Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) alors que l'Allemagne s'est positionnée en défense d'Israël, 120 ans après le début de la guerre dans sa colonie, et cela sans prononcer aucun mot en souvenir de ce génocide. Le président de la Namibie, Hage Geingob (décédé le 4 février 2024), avait déclaré dans un communiqué :
- Le gouvernement allemand doit encore expier le génocide qu'il a commis sur le sol namibien. [...] L'Allemagne ne peut pas moralement exprimer son engagement envers la Convention des Nations unies contre le génocide, y compris l'expiation du génocide en Namibie, tout en soutenant l'équivalent de l'Holocauste et d'un génocide à Gaza.
Les autres génocides dévalués
Aujourd'hui, la rhétorique dominante du « plus jamais ça » dans le discours public allemand, un avertissement des survivants de Buchenwald, représente une instrumentalisation déformée de cette obligation. Cette obsession, qui trouve ses racines dans le traumatisme de l'Holocauste, vient ainsi justifier la destruction de Gaza et le massacre systématique de ses habitants. Cela se traduit par l'aveuglement qui pousse les Allemands à renoncer à critiquer l'État d'Israël, assimilant son gouvernement au peuple juif.
Depuis des mois, les Allemands dénigrent les Israéliens et les Juifs de la diaspora qui condamnent la politique et les crimes du gouvernement israélien en les dénonçant comme antisémites. Tout cela témoigne du fait que les discordances coloniales, y compris la violence de masse de nature génocidaire, restent dans ce discours des pratiques valides. Ainsi, en singularisant l'Holocauste, les autres expériences génocidaires sont dévaluées. Le principe de la singularité de l'Holocauste et de l'existence d'un « classement » des génocides implique l'idée que chaque tentative de comparaison serait antisémite : une approche qui trahit la logique, car une telle affirmation ne peut être faite que sur la base de comparaisons.
La notion de singularité minimise ainsi les expériences et les traumatismes des victimes des autres génocides. Les deux tiers voire les trois quart des Héréros et un tiers des Namas n'ont pas survécu à la répression allemande au début du XXe siècle : chaque génocide est une expérience unique pour les victimes et pour leurs descendants. Par conséquent, ne pas prendre en compte leurs expériences n'est pas seulement moralement méprisable, cela participe également à la perpétuation des idéaux de la suprématie blanche. Il n'existe donc pas de rhétorique européenne qui aurait le droit de négocier et par conséquent de nier toute expérience génocidaire qui a marqué l'histoire de ces peuples. « Plus jamais ça » devrait véritablement signifier « plus jamais ça ».
« Plus jamais ça pour personne »
Dans un talk-show diffusé à la télévision allemande, Deborah Feldman, s'adressant au vice-chancelier allemand Robert Habeck, souligne qu'« il n'y a qu'une seule conclusion légitime à tirer de l'Holocauste, qui est la défense absolue et inconditionnelle des droits humains pour tous », et que « si nous les appliquons de manière conditionnelle, ces valeurs perdent leur légitimité ». Par conséquent, comme le fait également remarquer l'essayiste indien Pankaj Mishra, « s'il y a une leçon à tirer de la Shoah, c'est “plus jamais ça pour personne” » (2).
C'est Michael Rothberg, professeur de littérature dans le département d'études sur l'Holocauste de UCLA (Los Angeles), qui, en commentant les débats sur les comparaisons historiques, demande à ce qu'elles soient prises plus au sérieux. Il parle ainsi de l'« éthique de la comparaison » et rappelle que s'attacher à la singularité de l'Holocauste risque de singulariser aussi le remords allemand – au détriment de toutes les victimes de la violence de masse perpétrée par les Allemands.
Pendant que l'on assiste à la famine imposée par Israël à la population gazaouie, la sélectivité du discours sur ce crime de guerre représente une des conditionnalités du suprématisme blanc dans un contexte de relations de pouvoir asymétriques depuis l'époque des colonialismes et des impérialismes. Finalement, ce qu'Aimé Césaire avait déclaré - « En finir avec le racisme ! En finir avec le colonialisme ! Ils sentent trop la barbarie » - reste aujourd'hui un défi et un devoir dans la lutte pour l'humanité.
Notes
1- Pascal Grosse, From colonialism to National Socialism to postcolonialism : Hannah Arendt's Origins of Totalitarianism, Postcolonial Studies, 2006.
2- Pankaj Mishra, « The Shoah after Gaza », London Review of Books, Vol. 46 N]° 6, 21 mars 2024.
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Faire de la Palestine un sujet européen. Un discours de Rima Hassan

Alors qu'approchent les élections européennes, nous reproduisons le discours puissant de Rima Hassan prononcé lors du meeting de la France insoumise à Evry-Courcouronnes, le 4 juin 2024.
6 juin 2024 | tiré de contemps.eu
***
Comme chacun sait, cette campagne a été rude et marquée par une actualité tragique en Palestine. J'entends ici et là qu'on se déplacerait dans les quartiers populaires pour instrumentaliser ce qu'on nomme « le vote musulman. »
J'entends aussi que ma présence sur cette liste ne serait qu'une tactique politique et qu'au fond, la légitimité même de mon engagement politique serait questionnable. Il y a ceux qui me demandent sans cesse de « rentrer chez moi » tout en travaillant à la disparition de ce même chez-moi, la Palestine. Il y a ceux qui me dénient mon identité palestinienne et qui voudraient que je rentre finalement en Syrie, sans parler de ceux qui voudraient tout simplement que les Palestiniens disparaissent.
Il faut nommer cette rhétorique raciste teintée d'une arrogance coloniale. Ce discours raciste et islamophobe est révélateur de beaucoup de choses. Et c'est en cela que la cause palestinienne est une question structurante.
La Palestine libère le monde qui prétend la libérer. Elle fait tomber les masques et dévoile l'hypocrisie de tous ceux qui pourtant se revendiquent sans cesse d'un prétendu universalisme. Tous ces discours témoignent d'abord d'une profonde méconnaissance et d'un total manque d'intérêt à l'égard des gens qui vivent dans ces quartiers populaires. Les présenter comme une « masse musulmane » qui serait dotée d'une seule pensée, c'est le début de l'essentialisation, donc de la déshumanisation. Aussi, cette stigmatisation témoigne d'une grande ingratitude pour tous ceux sans qui la France ne serait pas la France, pour tous ceux sans qui la France ne tiendrait pas aujourd'hui sur ses deux jambes.
L'exclusion est une politique en soi orchestrée par certains et subie par d'autres. Le terme « quartier populaire » édulcore ce qu'est la réalité de la banlieue, à savoir la mise au banc du lieu commun, l'exclusion de la société, la mise à l'écart de toute opportunité, en bref, un lieu marqué par le racisme environnemental.
Repeindre les cages d'escalier n'efface rien des fissures et ne répare pas les fractures des humiliations subies. Aucun karcher n'effacera les séquelles des violences policières. Ce qui est en jeu ici comme ailleurs, c'est la reconnaissance de ce que nous sommes et d'où nous venons, de ce que l'exil nous a pris et de ce que l'exil nous a donné, de cette mémoire coloniale que nous sommes des millions à partager et qui est entremêlée à l'histoire de la France.
De plus en plus de personnes songent à quitter un pays qu'ils pensaient pourtant être le leur, et ce, depuis plusieurs générations. Je veux leur dire qu'il y a dans ce pays une France silencieuse et généreuse qui a encore le souci de faire corps et société avec eux. Je veux leur dire que contrairement à ce qu'ils entendent à longueur de journée, non, ils n'ont pas trahi la devise républicaine. C'est la République elle-même qui s'est trahie en ne leur offrant ni liberté, ni égalité, ni fraternité.
C'est vous qui faites vivre cette devise tous les jours entre vous, à défaut de pouvoir en bénéficier en dehors de ces lieux d'exclusion. Le lien entre ces lieux et la Palestine leur échappe, car notre propre mémoire coloniale leur a échappé. Ils ratent au présent, avec les Palestiniens, ce qu'ils ont raté dans le passé avec vous et vos aïeux.
Car comment regarder la Palestine colonisée si on n'a pas daigné regarder sa propre histoire coloniale ? C'est ce même déni qui fait dire à certains que la Palestine ne serait pas un sujet européen. Il se mentent, il se trompent, il se fourvoient. Alors certes, l'Union européenne n'a pas de politique commune cohérente, s'agissant de la question palestinienne. Mais comme chacun sait, il y a urgence à mener cette bataille pour sauver ce qu'il reste à sauver, de paix, de justice, d'honneur pour l'humanité tout entière. Et le sujet est européen puisque les leviers que nous pouvons activer sont précisément des leviers européens.
Je vais le marteler autant de fois que nécessaire.
La Palestine est un sujet européen, et ce, pour plusieurs raisons. Israël est un bout d'Occident, en Orient. La Palestine est un sujet européen car l'Union européenne est le premier partenaire commercial d'Israël, et représente aujourd'hui 30% de ses échanges.
La Palestine est un sujet européen, car, comme vous le savez, il y a plus de 140 États à travers le monde qui ont reconnu l'État de Palestine et plus récemment même certains États européens. C'est historique. Mais les États qui restent réticents à cette mesure sont essentiellement des États occidentaux et donc des États européens.
La Palestine est un sujet européen car l'Europe se rend aujourd'hui complice du génocide qui est en cours. La Palestine est un sujet européen car on oublie très souvent qu'Israël a été pensé pour répondre à la catastrophe de l'antisémitisme européen tout en sacrifiant ces mêmes Palestiniens.
Et la Palestine, est un sujet européen, car nous sommes tous, d'une manière ou d'une autre, des Palestiniens.
En définitive, il n'y a pas d'autre voie possible que la fin de l'occupation, la fin de la colonisation, le droit absolu à l'autodétermination du peuple palestinien, un embargo sur les exportations d'armes et la fin de l'accord UE-Israël. Cette voix de justice et de paix qui est aussi, surtout, une voie décoloniale, doit être portée au Parlement européen. Le 9 juin, vous pourrez nous donner la force d'incarner ce changement qui a d'ores et déjà débuté en Europe et de faire enfin de la Palestine un sujet européen.
Je ne peux pas finir un discours sur la dimension coloniale de la question palestinienne et en quoi cette dimension nous lie vous, gens issus de l'immigration, mais qui vivent aussi dans les quartiers populaires, et nous, Palestiniens, sans citer Aimé Césaire, le grand Aimé Césaire :
« ll faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu'il y a eu au Viêtnam une tête coupée et un œil crevé et qu'en France on accepte, une fillette violée et qu'en France on accepte, un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent ».
Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1955, p. 11.
Je vous remercie.
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Pourquoi l’Allemagne est à la pointe de la répression de la solidarité avec la Palestine

Si la répression du mouvement de solidarité avec la Palestine fait rage dans la quasi-totalité des pays occidentaux, l'Allemagne est certainement championne en la matière. Cette répression accompagne un soutien inconditionnel à l'Etat d'Israël, qui marque la politique allemande depuis la naissance de la République fédérale allemande (RFA).
Dans cet entretien, Alexander Gorski, avocat basé à Berlin, membre du European Legal Support Center (un réseau international de soutien juridique au mouvement de solidarité avec la Palestine), en éclaire les raisons. Il analyse également l'impact du mouvement de solidarité avec la Palestine sur la société, la scène politique et la gauche allemandes.
5 juin 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/allemagne-repression-solidarite-palestine-gaza-israel-sionisme/
L'Allemagne criminalisait déjà la solidarité avec la Palestine avant le 7 octobre. Peux-tu nous expliquer ce qui a changé depuis quelques mois ?
Le 7 octobre marque effectivement un tournant en ce qui concerne la solidarité avec la Palestine en Allemagne. Il est tout à fait vrai qu'il y a déjà eu des mesures répressives de la part de l'Etat allemand auparavant. Ainsi les manifestations de commémoration de la Nakba ont été interdites en 2022 et en 2023, surtout à Berlin où la communauté palestinienne et arabe est fortement présente.Dans ce contexte, il y a toujours eu une assimilation des positions antisionistes et antisémites par les autorités allemandes.
Mais depuis le 7 octobre, nous assistons à un élargissement de cette répression. L'État agit désormais dans tous les domaines contre le mouvement de solidarité, par exemple par le biais du droit pénal : les activistes sont poursuivis en justice, que ce soit pour des délits liés à la manifestation ou pour des délits d'expression, parce que les gens scandent par exemple « from the river tothe sea, Palestine will be free » [de la mer au Jourdain, la Palestine sera libre »] ou parce qu'ils ont tenu peu après le 7 octobre des propos que l'État allemand qualifie d'« antisémitisme » ou d' « apologie du terrorisme ».
Cependant, les autorités de poursuite pénale ne s'intéressent aucunement au contexte précis dans lequel cela se produit. Nous avons en outre assisté depuis le 7 octobre à des entraves massives à la liberté de réunion : de nombreuses manifestations ont été interdites et les rassemblements qui ont pu avoir lieu ont été la cible de harcèlement et de toute sortes d'entraves.
Dans le domaine du droit du travail, il y a de nombreux licenciements de personnes qui s'engagent pour la Palestine. Le service de renseignement intérieur allemand, le soi-disant « Verfassungsschutz » (service de protection de la Constitution), informe lesemployeurs des activités de leurs salariés, espérant ainsi nuire activement à la solidarité avec la Palestine.
Cette répression s'exerce également par le biais du droit de migration et plus précisément contre les personnes de nationalité étrangères [hors Union européenne] – des personnes qui ont souvent des situations de séjour précaires ici. Il existe dans le droit de migration et de séjour une possibilité renforcée de punir ces personnes pour leur activité politique.
Un exemple flagrant concerne les activistes de Samidoun [réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens] que l'on tente d'envoyer en prison avec des dispositions relevant du droit de migration. Mais cela concerne aussi des activistes « normaux » qui n'apparaissent pas de façon délibérée dans l'espace public : lors du renouvellement ou de l'octroi d'un nouveau titre de séjour, ils et elles rencontrent de plus en plus de difficultés ; le statut de réfugié leur est retiré ou alors les autorités chargées de l'asile et du droit de séjour ouvrent une nouvelle fois leur dossier pour y trouver des erreurs. Et c'est ainsi que cela se passe. Nous assistons donc aujourd'hui à un niveau de répression inconnu auparavant. En ce sens, le 7 octobre constitue également un tournant dans nosdémocraties libérales.
En 2008, Angela Merkel a qualifié la défense de l'État israélien de « raison d'État allemande ». Quels sont les ressorts de ces relations germano-israéliennes ? Pourquoi l'Allemagne applique-t-elle une politique de tolérance zéro sur ce sujet précis ? S'agit-il d'un cas unique dans l'histoire ou pouvons-nous le comparer à d'autres moments ?
Il est vrai que la défense de l'État d'Israël doit être qualifiée de raison d'État allemande. Il n'en reste pas moins que l'Allemagne et l'État d'Israël ont toujours eu des liens particuliers, qui découlent d'une part de l'histoire, mais qui ont aussi toujours eu une dimension géostratégique. Les relations
israélo-allemandes forment un enchevêtrement compliqué. Ce que nous pouvons constater, c'est que, indépendamment des actions du gouvernement israélien, indépendamment des violations du droit international, indépendamment des souffrances des Palestinien.nes et indépendamment de ce qui se passe aujourd'hui à Gaza, cette solidarité inconditionnelle avec l'État israélien est présentée comme une raison d'État allemande et donc comme un concept politique. Mais elle a clairement des conséquences juridiques lorsque toute critique de cet État est assimilée à de l'antisémitisme ou à une apologie du terrorisme, comme je l'ai mentionné auparavant.
Cette politique de tolérance zéro de l'Allemagne montre en outre une ignorance vis-à-vis du Sud mondial et un mépris de l'universalité des droits humains. C'est pourquoi il s'agit d'un cas unique dans l'histoire. La société des coupables et les descendants des coupables de l'Holocauste utilise désormais cette « culture de la mémoire » sinon pour légitimer un génocide – mais beaucoup le font aussi – du moins le laisser se produire et y contribuer en livrant des armes, en supprimant le soutien à l'UNRWA et en développant le soutien diplomatique à Israël.
Peux-tu expliquer comment la répression contre la solidarité avec la Palestine est liée au racisme institutionnel à l'égard de la communauté musulmane ? Pour le dire autrement, dans quelle mesure la tolérance zéro sur la question de la Palestine a-t-elle un impact sur la population immigrée en Allemagne ?
Il est évident que la répression contre le mouvement de solidarité avec la Palestine permet aux autorités allemandes, et donc à la société allemande, d'exprimer leur racisme antimusulman. Derrière cela se cache la fable de l'antisémitisme importé : dans certaines parties de la société majoritaire allemande, l'image persiste que l'antisémitisme allemand, qui a conduit à l'Holocauste et à Auschwitz, a été surmonté grâce au travail de mémoire, aux procès d'Auschwitz, aux multiples offres de formation, autraitement de l'Holocauste dans les écoles, aux visites de mémoriaux, etc. Dans cette vision, l'antisémitisme allemand fait tout simplement partie du passé, il n'existerait plus aujourd'hui.
Or, depuis 2015 en particulier, de plus en plus de personnes originaires du monde arabe arrivent en Allemagne et véhiculeraient l'antisémitisme – c'est en tout cas ce que pense la société majoritaire allemande. Cet antisémitisme, prétendument importé, mettrait en danger la vie juive en Allemagne. En fait, il est instrumentalisé pour donner libre cours au racisme antimusulman et pour criminaliser toute activité politique de personnes issues des communautés arabes et/ou de confession musulmane.
Pour la population migrante, cela a un effet dissuasif : de nombreuses personnes ne savent plus si elles peuvent ou non descendre dans la rue, si et dans quelle mesure leur activité politique a des répercussions sur le statut de leur séjour, ou comment elles doivent se comporter face à la police. En Allemagne, il est désormais courant que les personnes migrantes soient touchéesbeaucoup plus rapidement et intensément par la violence policière. Cela conduit à une intimidation et à une stigmatisation des personnes. Et ce sont justement les jeunes arabes de certains quartiers de Berlin, en particulier de Neukölln, qui en sont victimes, et se voient accusé.es d'antisémitisme et de propager des idées réactionnaires dans la société allemande.
Il s'agit bien sûr d'une inversion totale de la réalité, car ces jeunes descendent dans la rue pour protester contre un génocide, ils s'engagent pour des droits humains et, surtout, ils s'engagent aux côtés d'alliés juifs comme Jüdische Stimme für gerechten Frieden im Nahen Osten (Voix juives pour une paix juste au Proche-Orient). Pourtant, la société allemande majoritaire affirme que cette population immigrée apporte l'antisémitisme en Allemagne. C'est absurde.
Les protestations en faveur de la Palestine ont encore approfondi les contradictions au sein du gouvernement actuel de coalition (sociaux-démocrates, Verts et Libéraux), de nouvelles marges de manœuvre et possibilités s'ouvrent. Qui en profite actuellement ? Comment les partis et organisations de gauche font-ils face à cette situation ?
Oui, la conjoncture politique est effectivement inhabituelle. D'un côté, nous avons un glissement vers la droite de la société, comme cela a rarement été le cas dans l'histoire de la République fédérale d'Allemagne (RFA). Cela se produit sous un gouvernement social-libéral, qui applique déjà aujourd'hui la politique de l'AfD [parti d'extrême-droite auquel les sondages accordent la deuxième place] : le droit migratoire est durci, l'appareil de sécurité est renforcé, des coupes sont effectuées dans les dépenses sociales et de plus en plus d'argent est consacré à la guerre et au réarmement.
Le mouvement de solidarité avec la Palestine est le premier mouvement internationaliste à avoir véritablement créé un élan en Allemagne, il rappelle fortement le mouvement contre la guerre du Vietnam en 1968. Il est étonnant de constater la persévérance et la continuité dont il fait preuve. Il se caractérise en outre par deux éléments centraux. Premièrement, il est composé de jeunes qui voient la situation à Gaza et expriment leur indignation morale en public. Leur perception du génocide, renforcée par lesimages sur Internet ou par les récits de membres de leur famille, d'amis et de connaissances, est diamétralement opposée à l'image véhiculée par le gouvernement allemand et les médias. Ce processus conduit à leur politisation et à la radicalisation de cettejeunesse.
C'est là le deuxième élément du mouvement de solidarité avec la Palestine : au sein de la gauche allemande, le fossé se creuse entre une aile anti-impérialiste et une aile soi-disant « antideutsch »1. Actuellement, l'aile anti-impérialiste se renforce, les organisations de gauche rajeunissent et accueillent des personnes issues de la migrations, qui apportent un regard anticolonial. Cela représente bien sûr un grand potentiel pour les organisations de gauche en Allemagne.
Les partis eux-mêmes ne peuvent toutefois pas se saisir de l'ensemble, pour différentes raisons. Le parti Die Linke, par exemple, est profondément divisé sur la question palestinienne et se trouve dans les étapes finales de son processus de désintégration institutionnelle. En revanche, l'Alliance Sahra Wagenknecht, qui s'est formée suite à une scission de Die Linke, défend une position progressiste sur la question de la Palestine. Mais c'est précisément en ce qui concerne le rapport avec la population immigrée qu'elle crée un fossé avec ces jeunes, car elle reprend de nombreuses positions racistes et de droite de l'AfD, comme parexemple le démantèlement des prestations sociales pour les réfugié.es et des mesures visant à l'intégration des immigré.es enAllemagne.
Il en résulte qu'aucun parti de gauche institutionnalisé ne peut pour l'instant capitaliser sur ces processus. L'espoir réside plutôt dans le fait que les positions anticoloniales et anti-impérialistes se renforcent dans l'ensemble de la société, que le récit occidental soit davantage remis en question et que celles et ceux qui descendent aujourd'hui dans la rue pour la Palestine puissent s'insérer dans des structures alternatives et ainsi agir plus tard sur d'autres thèmes politiques.
Vous faites partie d'une équipe juridique qui poursuit l'Allemagne en justice pour complicité dans le génocide à Gaza. Pourquoiavez-vous fait cette démarche et qu'espérez-vous en retirer ?
J'ai fait partie, avec d'excellents collègues, d'une équipe juridique qui a déposé une plainte pénale contre des membres du gouvernement fédéral allemand pour complicité de génocide à Gaza. Nous avons déposé cette plainte auprès du procureur général fédéral de Karlsruhe, qui est le magistrat le plus haut placé chargé de poursuivre les éventuels crimes relevant du droit international.
Nous avons fait valoir qu'un génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité étaient en cours à Gaza. De notre point de vue, c'est absolument indéniable, la Cour internationale de justice en a également identifié des signes clairs dans sa décision du 26 janvier 2024. Il était nécessaire pour nous de nommer la coresponsabilité du gouvernement allemand et de la rendre juridiquement visible. Cette complicité résulte des livraisons d'armes à Israël, de la suspension temporaire du financement à l'organisme chargé de l'aide aux réfugiés UNRWA et du soutien politique et diplomatique accordé à Israël, sans lequel il ne serait absolument pas possible de mener ces opérations militaires. Outre les États-Unis, le principal allié d'Israël reste aujourd'hui la RFA.
Juridiquement, nous n'espérons pas grand-chose, nous savons comment fonctionne la justice bourgeoise dans un Etat de classe. Toutefois, notre objectif est d'attirer l'attention, et nous y sommes parvenus au niveau international. Les médias allemands se sont plutôt désintéressés de ce coup de théâtre, ce qui est également révélateur de la situation actuelle.
Mais nous avons reçu des échos de Gaza, des Palestinien.nes de la diaspora nous ont soutenus et ont souligné qu'il s'agissait d'une nouvelle pièce d'une stratégie globale de lutte pour la libération de la Palestine. Cela nous a donné de l'espoir et c'est pourquoi nous avons fait ce pas juridique. Mais nous savons en même temps qu'il n'est guère possible de voir Olaf Scholz (chancelier fédéral socialdémocrate) ou Annalena Baerbock (ministre des Affaires étrangères des Verts) comparaître prochainement devant un tribunal. Nous estimons néanmoins qu'il est juste de montrer à la postérité que le gouvernement fédéral allemand est complice du génocide en cours à Gaza.
*
Entretien réalisé à Berlin par Maurizio Coppola, membre de la coordination nationale de Potere al Popolo (Italie) et du secrétariat Europe de l'International Peoples' Assembly.
Illustration : manifestation à Berlin le 4 novembre 2023 / Wikimedia Commons.
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Pacte européen sur la migration et l’asile : la lutte continue contre ses dispositifs mortels

Le Pacte européen sur la migration et l'asile voté le 10 avril dernier par le Parlement européen et ratifié par le Conseil le 24 mai sanctuarise la politique d'Europe forteresse mise en place depuis vingt ans et renforcée depuis la crise de l'accueil des réfugié·es syrien·nes en 2015.
1 juin 2024 | tiré du site de la gauche écosocialiste
https://gauche-ecosocialiste.org/pacte-europeen-sur-la-migration-et-lasile-la-lutte-continue-contre-ses-dispositifs-mortels/
Après trois ans de négociation très dure, malgré le travail des député·es de la Gauche et d'une large partie des écologistes, il aura été quasiment impossible d'infléchir une politique migratoire fondée sur le rejet des personnes exilées et leur enfermement aux frontières de l'espace Schengen. A l'appui de l'argumentaire sur la « pression » migratoire, Frontex estime à 380 000 les passages de personnes sans visa l'année dernière, sans préciser que beaucoup de migrant·es refoulé·es tentent plusieurs fois leur chance. Comme le soulignent les chercheur·es et les démographes, il est impossible de connaître le niveau des flux d'arrivée, mais les associations de soutien aux personnes exilées soulignent que l'Europe aurait les moyens d'accueillir bien plus de migrant·es, dans des conditions dignes et respectueuses des droits humains.
La veille du vote, 161 organisations de la société civile européenne avaient appelé le Parlement à rejeter le pacte : « Cet accord s'inscrit dans la continuité d'une décennie de politiques qui ont conduit à la prolifération des violations des droits en Europe. De plus, ce pacte aura des conséquences dévastatrices sur le droit à la protection internationale dans l'Union européenne et permettra des abus dans toute l'Europe, y compris le ”racial profiling”, la détention de facto par défaut et les refoulements. »
La similitude avec l'adoption de la loi Darmanin en France n'est pas fortuite. Au Conseil, à la Commission et au Parlement européen, conservateurs et sociaux-démocrates ont travaillé main dans la main pour concevoir les cinq règlements qui composent le pacte, sous la pression de l'extrême droite. Ainsi, le règlement sur le filtrage des entrées viole les droits fondamentaux des personnes prévus par les conventions internationales : développement des centres de rétention (« hot spot ») prétendument hors territoire de l'Union européenne où les personnes sont enfermées dans des conditions indignes, enfermement possible des enfants dès l'âge de 6 ans, raccourcissement des délais d'examen des demandes d'asile, refoulement systématique des demandeurs d'asile dont les demandes ont peu de chances d'aboutir. Tournant le dos à la Convention de Genève sur les réfugiés, l'examen ne sera plus « personnel », en fonction du risque encouru par la personne, mais fondé sur les statistiques d'octroi de l'asile selon le pays d'origine ; autrement dit, la demande de protection en raison du risque de mutilations génitales, de mariage forcé ou de l'orientation sexuelle passera en dessous des radars si la personne provient d'un pays dit « sûr ».
Malgré ce revers, la lutte continue contre les dispositifs mortels du pacte, pour en finir avec l'approche coloniale et raciste des migrations, pour obtenir des voies de migration sûres, pour garantir le droit d'asile et pour construire avec les migrant·es un autre pacte qui respecte la liberté de circulation et d'installation.
Dès le 10 juin, nos député·es de l'Union populaire-France insoumise seront en première ligne pour porter ce combat au Parlement européen.
Sylviane Gauthier
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Dites à UBS de se retirer du capital d’Elbit Systems dès à présent.

UBS vient d'augmenter de 875% ses investissements au sein d'Elbit Systems, le plus grand fabricant d'armes israélien*. En parallèle, la première banque au monde, *JPMorgan Chase, leader du secteur bancaire, vient de se désinvestir massivement d'Elbit*
Profitons de cette dynamique et exigeons qu'UBS de fasse de même.
Au cours du premier trimestre 2024, la banque *UBS a acquis de nouvelles actions d'Elbit Systems, le plus grand fabricant d'armes israélien, augmentant de 875 % ses investissements*.
Alors qu'UBS se remplit les poches, *l'armée israélienne encercle et attaque Rafah, où des centaines de milliers de Palestiniens terrifiés se réfugient*. L'armée israélienne vient de bombarder une zone humanitaire, tuant au moins 45 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants. Avant ça, l'armée avait déjà bombardé l'hôpital Kamal Adwan et attaqué le plus grand camp de réfugiés de Gaza à Jabalia, tuant ainsi des enfants.
Ce carnage doit cesser.
La pression de l'opinion publique fonctionne : *la plus grande banque du monde, JPMorgan Chase, vient de céder 70 %* de ses actifs au sein d'Elbit. UBS doit cesser dès maintenant de tirer profit de ce massacre.
Dites à UBS de se retirer du capital d'Elbit Systems dès à présent. <https://act.sumofus.org/go/697534?t...>
UBS a été fondée en Suisse, mais elle doit cesser de se cacher derrière cette neutralité de façade. L'argent d'UBS finance des armes destinées au génocide perpétué par le gouvernement israélien.
Depuis le 7 octobre 2023, au moins 35 000 Palestiniens ont été tués par l'armée israélienne. Alors que les *enfants de Gaza meurent de malnutrition*, les Nations unies viennent de suspendre la distribution de nourriture à Rafah car *l'armée israélienne et les colons bloquent l'accès de l'aide humanitaire à Gaza*.
Demandez à UBS de cesser de financer les armes d'Israël.
<https://act.sumofus.org/go/697534?t...>
La communauté Ekō a déjà contribué à réduire le financement des armes. Lorsque nous avons publié un rapport révélant les liens financiers de la compagnie d'assurance mondiale AXA, l'entreprise s'est débarrassée de ses actions chez Elbit. Après nos révélations concernant les centaines de millions investis par la Banque Scotia au sein d'Elbit, la banque canadienne a également réduit de manière drastique ses investissements dans l'entreprise d'armement.
Renouvelons l'exploit, mettons fin au génocide.
<https://act.sumofus.org/go/697534?t...>
SIGNER LA PÉTITION <https://act.sumofus.org/go/697534?t...>
Merci pour tout ce que vous faites,
Nish Humphreys et l'équipe d'Ekō
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Inde : « Modi est affaibli, mais il ne renonce pas à son plan destructeur pour un Raj de mille ans »

Les Indiens qui aiment et apprécient leur Constitution - leurs droits, leur civilisation et leur fraternité - devront se préparer à un round plus décisif qui ne saurait tarder.
Tiré d'À l'encontre. Article publié sur le site The Wire le 6 juin 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre le 7 juin 2024.
Les électeurs et électrices d'Inde ont fait pour la démocratie indienne ce que la commission électorale et le pouvoir judiciaire du pays n'ont pas réussi à faire : sanctionner et réprimander le Premier ministre Narendra Modi pour avoir cherché à monter les hindous et les musulmans les uns contre les autres, et pour ses liens privilégiés avec les grandes entreprises – dont les dons suspects ont alimenté les politiques gouvernementales qui ont accru les inégalités et la détresse.
Après dix ans au pouvoir [depuis le 26 mai 2014], Modi a perdu la majorité parlementaire dont jouissait son parti, le Bharatiya Janata Party [BJP-Parti indien du peuple, aile politique de l'organisation fascisante du Rashtriya Swayamsevak Sangh, RSS-Organisation volontaire nationale créée en 1925], et doit désormais diriger un gouvernement minoritaire avec le soutien de ses partenaires de coalition, dont certains sont notoirement inconstants. Le fait qu'il n'ait jamais dirigé de coalition réelle – et non théorique – ne va pas l'aider. Il y a trois ans, lorsque le parti indien sikh Shiromani Akali Dal l'a défié au sujet de ses lois agricoles controversées, Modi est resté impassible et ce sont les Akalis [Sikhs] qui ont dû se retirer de la coalition National Democratic Alliance (NDA). Mais des alliés – le Telugu Desam Party-TDP, présent dans l'Andhra Pradesh, 16 sièges, et le Janata Dal-United, présent dans le Bihar, 12 sièges – que les électeurs indiens lui ont maintenant donnés ne prendront pas tranquillement leur jhola (leurs bagages) et ne s'en iront pas. [En effet, ces deux partis alliés visent le poste de président de la Chambre basse ; les marchandages entre les partis de la coalition renvoient à l'époque antérieur à 2014]. Ils auront la capacité de renverser son gouvernement [1]].
Faisant bonne figure, Modi a salué le fait qu'il soit revenu au pouvoir pour la troisième fois comme un « exploit historique ». En réalité, ce résultat représente un revers personnel cuisant pour un homme tellement convaincu de son invincibilité qu'il avait commencé à revendiquer des origines divines. « Tant que ma mère était en vie », a-t-il déclaré lors d'un interview en pleine campagne électorale, « j'avais l'impression que j'étais peut-être né biologiquement. Mais après sa mort, en examinant toutes mes expériences, j'ai acquis la conviction que c'est Dieu qui m'a envoyé. L'énergie [que j'ai] ne vient pas d'un corps biologique. » L'électorat a fait redescendre sur terre ce messager de Dieu autoproclamé, avec un bruit mat.
La revendication de la divinité par Modi est d'ailleurs intervenue dans le même entretien où il a menti sur un discours électoral qu'il avait prononcé au début de la campagne. A Banswara [au sud dans le Rajasthan], il avait qualifié sans ambiguïté les musulmans de l'Inde d'« infiltrés » [ce qui implique leur exclusion] et de personnes qui ont « plus d'enfants ». Modi ne s'est pas contenté d'insulter les musulmans, il a tenté d'attiser les angoisses irrationnelles des électeurs hindous de l'Inde en leur montrant qu'il était le seul dirigeant capable d'empêcher l'opposition de saisir leurs biens et leurs avoirs et de les remettre aux musulmans.
Modi a ensuite répété cette accusation, avec des variations mineures, lors de chaque meeting. Son parti a créé de répugnantes vidéos d'animation destinées à effrayer les hindous pour qu'ils croient à cette affirmation absurde. Dans un autre entretien, il a déformé les conclusions douteuses d'une étude largement diffusée, réalisée par des chercheurs de son propre institut – publiée pour coïncider avec le discours électoral anti-musulman qu'il défendait – afin de convaincre les hindous que la population musulmane de l'Inde augmentait si rapidement que les hindous seraient bientôt submergés.
Pourquoi Modi est-il si obsédé par les musulmans ? Tout d'abord, cela fait partie de son ADN politique. Sa carrière a débuté au sein de l'organisation mère du BJP, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), et s'est construite autour de la conviction du RSS selon laquelle l'Inde est une nation hindoue qui a été asservie par les musulmans pendant 800 ans. Modi soutient que les musulmans indiens d'aujourd'hui – qui constituent statistiquement l'une des cohortes les plus pauvres du pays – sont en fait « privilégiés » et jouissent de plus de droits et d'avantages que les hindous, et que l'Inde ne pourra pas atteindre la gloire tant qu'une « conciliation » face aux musulmans se poursuivra.
Mais il y a une deuxième raison à la récente recrudescence de ses déclarations anti-musulmanes. Lorsque vous abordez une élection sans avoir grand-chose à montrer en termes de réalisations concrètes – le chômage [42,3% des diplômés indiens de moins de 25 ans étaient au chômage en 2021-22, or les personnes de moins de 35 ans constituent 66% de la population] et le désespoir rural sont généralisés et 800 millions d'Indiens subsistent grâce aux céréales gratuites que leur fournit le gouvernement –, il est utile de détourner l'attention des électeurs à grand renfort de dénigrement des musulmans. C'est ce qu'ont fait Modi et son parti.
C'est un secret de Polichinelle que de faire campagne pour obtenir des voix en faisant appel directement ou indirectement à la religion est illégal en vertu de notre loi électorale (l'histoire du pays est séculariste) et peut entraîner l'interdiction pour un politicien de se présenter à une élection pendant six ans. Cependant, Modi a bien calculé que les trois commissaires électoraux chargés de faire appliquer cette loi (et qu'il a triés sur le volet pour ce travail) ne diraient rien [2]. Lorsque des citoyens se sont adressés à la Haute Cour de Delhi pour demander à la Commission électorale de porter plainte contre Modi pour ses discours haineux, ils ont été renvoyés en leur disant qu'ils devaient faire confiance à la Commission électorale (CE). Cette dernière n'a bien sûr rien fait, et lorsqu'on a demandé au commissaire général aux élections (après la fin du scrutin) pourquoi il n'avait pas agi, il a répondu que les tribunaux avaient rejeté les requêtes qui demandaient à la CE d'agir.
Les tribunaux et la Commission électorale se sont peut-être renvoyé la balle et n'ont rien fait, mais au grand dam de Modi, un nombre suffisant d'électeurs hindous ont vu clair dans son jeu et ont décidé qu'ils n'allaient pas troquer leurs préoccupations pour le présent contre les affrontements civils que Modi, le premier ministre, cherchait manifestement à provoquer. Dans l'Uttar Pradesh et le Maharashtra, la part de voix du BJP s'est effondrée. Même Ayodhya [Uttar Pradesh], qui occupe une place particulière dans la politique chauvine de Modi [3], a décidé de le laisser tomber. Au Rajasthan et dans l'Haryana, les électeurs ruraux en colère contre les politiques anti-agriculteurs de Modi ont soutenu l'opposition. Dans toute l'Inde, pas moins de 22 ministres en exercice, soit environ un quart de son cabinet ministériel, ont perdu leur siège.
Grâce à un champ de bataille électoral biaisé par le pouvoir financier du BJP, à l'esprit partisan des grands médias et à sa propre volonté d'utiliser la coercition de l'Etat contre l'opposition, Modi est parvenu à limiter ses pertes et à franchir la ligne d'arrivée en boitillant, avec l'aide d'une coalition.
Le samedi 8 juin, Modi prêtera serment pour la troisième fois. Le fait qu'il ait été affaibli est une bonne nouvelle pour la démocratie indienne, mais dans la mesure où il ne s'est pas laissé abattre, on peut se demander quelles seront ses priorités cette fois-ci.
Ses déboires électoraux signifient-ils qu'il ne sera plus en mesure de poursuivre son programme chauviniste hindou ? Devra-t-il désormais relâcher ses efforts pour étouffer la dissidence et porter atteinte à la liberté de la presse ? Décidera-t-il qu'il est temps d'être moins complaisant envers les grandes entreprises ? Ou pourrait-il en fait redoubler d'efforts pour réaliser son programme actuel ?
Un ami turc me rappelle que les choses peuvent devenir particulièrement dangereuses lorsqu'un homme fort se sent plus faible. C'est ce qui s'est passé avec Recep Tayyip Erdogan en Turquie et il n'y a aucune raison de s'attendre à ce que Modi soit différent. Au cours de son second mandat, Modi a commencé à serrer la vis aux médias numériques indiens, qui ont jusqu'à présent réussi à fonctionner et à atteindre des millions de lecteurs et de téléspectateurs malgré les menaces et le harcèlement qui ont transformé les médias traditionnels indiens en une honte nationale. Au cours de son troisième mandat, Modi sera probablement plus agressif dans son utilisation de la loi contre les médias. De même, il tentera une fois de plus d'utiliser les agences gouvernementales chargées de faire respecter la loi pour paralyser l'opposition en s'en prenant à des dirigeants individuels.
Si Modi poursuit sur la voie qu'il a empruntée jusqu'à présent, il appartiendra à ses partenaires de coalition et au pouvoir judiciaire d'intervenir. Le fait que Modi soit « numériquement » [majorité relative] vulnérable augmente la probabilité qu'il soit confronté à une certaine résistance de la part de ces secteurs, mais rien ne garantit qu'il en sera ainsi.
Au cours de ses deux premiers mandats, Modi a utilisé le soutien et la bonne volonté des puissances étrangères, en particulier des Etats-Unis et de l'Europe, comme un amplificateur de force pour se renforcer politiquement. Cela non plus ne va pas nécessairement changer. De retour au pouvoir, il ne manquera pas de profiter des possibilités commerciales offertes aux entreprises occidentales et du fossé qui se creuse entre les Etats-Unis et la Chine pour dissiper les réticences suscitées par son islamophobie ouverte et ses tendances autoritaires.
Les Indiens respirent mieux aujourd'hui, convaincus qu'ils ont réussi à ramener la démocratie indienne qui était au bord du gouffre. Ils savent également qu'il ne faudra pas longtemps à Modi pour revenir à ses options divinement programmées. Le soutien à la politique antimusulmane du BJP a peut-être atteint son apogée dans le nord et l'ouest de l'Inde, mais Modi tient à étendre sa portée au sud et à l'est. Cet homme se targue d'avoir un plan millénaire pour l'Inde – une variante techno-corporatiste de la vision destructrice du RSS – et il ne l'abandonnera pas si facilement. Les électeurs indiens ont porté un coup fatal à cette vision, mais la vérité est que Modi est de retour. Les Indiens qui aiment et apprécient leur Constitution – leurs droits, leur civilisation et leur fraternité – devront se préparer à un round plus décisif qui ne saurait tarder. Chale chalo [Continue, allez], comme l'a écrit Faiz à propos de la recherche d'une nouvelle aube, ki voh manzil abhi nahin aayi [cette destination n'est pas encore atteinte]. Un port sûr est encore loin.
• Siddharth Varadarajan, éditeur de The Wire, a enseigné à New York University et à Berkeley.
Notes
[1] Le BJP, qui a bénéficié d'une forte majorité lors des deux mandats précédents, n'a obtenu que 240 sièges (perte de 63 sièges), loin des 272 nécessaires pour former un gouvernement à part entière. La coalition NDA a remporté 293 sièges sur les 543 que compte la chambre basse du Parlement. L'alliance INDIA-Indian National Developmental Inclusive Alliance – qui comporte 26 partis – est menée par le parti du Congrès nationale de Rahul Gandhi, 99 sièges, gain de 47 sièges. Elle a obtenu 236 sièges, plus que prévu, avec des gains majoritaires régionaux dans des Etats tels que l'Uttar Pradesh, le Maharashtra et le West Bengal. (Réd.)
[2] A la veille des élections, début mars, « le gouvernement indien a annoncé la mise en œuvre d'une loi stigmatisante à l'égard des musulmans, en leur refusant des droits accordés aux autres religions. Cette réforme dite de la citoyenneté avait été adoptée par le Parlement, en décembre 2019, mais n'avait jamais été appliquée. Elle avait alors suscité la plus grande mobilisation à travers le pays, et trois mois de manifestations qui s'étaient terminées dans le sang, avec des pogroms antimusulmans déclenchés par des fanatiques hindous dans le nord de Delhi. Cinquante-trois personnes avaient péri. » (Le Monde, 13 mars 2024) Cette loi introduit un critère religieux dans l'obtention de la nationalité. (Réd.)
[3] Ville de l'Uttar Pradesh où se trouve le temple de Ram – 7e avatar du dieu Vishnou – inauguré par Modi le 22 janvier 2024, temple qui prend la place d'une mosquée historique, dans le but selon Modi de stimuler le « nationalisme culturel hindou ». (Réd.)
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Avec les slogans « brûlez Shuafat » et « aplatissez Gaza », la Marche des drapeaux de Jérusalem illustre la banalisation d’une politique

La marche annuelle des drapeaux du « Jour de Jérusalem » est depuis longtemps connue pour sa démonstration ouverte de la suprématie juive. Chaque année, pour célébrer l'occupation par Israël de Jérusalem-Est en 1967 et le maintien de son contrôle sur la ville, des dizaines de milliers de Juifs israéliens, jeunes pour la plupart, se déchaînent dans la vieille ville, harcèlent et attaquent les résidents palestiniens et crient des slogans racistes, le tout sous la protection de la police.
Tiré d'À l'encontre.
Toutefois, si par le passé on pouvait dire que seuls certains des participants se livraient à de tels comportements, cette année, ces agissements sont devenus la norme. Encouragés par la guerre de vengeance brutale de leur gouvernement contre la bande de Gaza, presque tous les participants qui se sont rassemblés à la porte de Damas [qui mène à la vieille ville de Jérusalem] avant la marche d'hier après-midi ont participé à la provocation.
Parmi les chants les plus populaires, citons « Que votre village brûle », « Shuafat est en feu » [quartier de Jérusalem-Est à population majoritairement palestinienne], « Mahomet est mort » et la chanson génocidaire de la « vengeance », qui reprend une injonction biblique dirigée contre les Palestiniens : « Que leur nom soit effacé ». Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, sont tous deux arrivés à la porte de Damas avec leurs gardes du corps vers la fin des festivités et se sont joints avec joie aux fêtards qui chantaient et dansaient. [S'était jointe à eux la ministre des Transports, membre du parti Likoud, Miri Regev.]
Parallèlement aux chants, certains participants portaient des drapeaux du groupe suprématiste juif Lehava [1], ainsi que des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Une balle dans la tête de chaque terroriste » et « Kahane avait raison » [2]. Quelques-uns ont fait explicitement référence à l'assaut israélien en cours sur Gaza, appelant à « raser Rafah » et portant le drapeau de Gush Katif – le bloc de colonies israéliennes qui a été évacué de Gaza dans le cadre du « désengagement » de 2005 et que de nombreux membres de la droite israélienne espèrent voir se reconstruire. Certains brandissaient des pancartes représentant les otages toujours détenus par le Hamas à Gaza.
Cependant, l'objectif principal des participants n'était pas Gaza, mais plutôt le Mont du Temple/Haram al-Sharif. La journée a commencé par l'ascension de plus d'un millier de Juifs sur ce site sacré pour les juifs et les musulmans, administré conjointement par la police israélienne et le waqf islamique [fondation composé de la monarchie jordanienne, avec intégration en 2019 de responsables de l'Autorité palestinienne]. Nombre de manifestants portaient des drapeaux israéliens et certains ont violé le « statu quo » de longue date du site en se livrant à des actes de prière.
Ils étaient menés par des militants qui aspirent non seulement à permettre aux Juifs de prier sur le site, mais aussi à reconstruire un temple juif sur le site de la mosquée Al-Aqsa et du dôme du Rocher. Lors de la marche, un groupe de jeunes portait des T-shirts représentant le Dôme du Rocher en train d'être démoli.
A l'exception de l'arrestation d'une poignée de manifestants qui ont attaqué des journalistes, la police – dont le chef de la police et plusieurs hauts gradés – n'a rien fait pour empêcher ou punir les provocations. Cette absence d'intervention était particulièrement flagrante compte tenu de la répression qui a suivi le 7 octobre et qui a vu la police arrêter et inculper des centaines de citoyens palestiniens pour avoir exprimé leur opposition à la guerre à Gaza, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans le cadre de petites manifestations non violentes.
Ce double standard est ancré dans la politique du gouvernement israélien : ce qui compte, ce n'est pas le contenu du discours, mais la personne qui le prononce. Ainsi, alors que des Palestiniens sont arrêtés pour des messages sur les réseaux sociaux, des Juifs ont toute latitude pour célébrer la Journée de Jérusalem en agressant des Palestiniens et en appelant à leur mort.
Journalistes attaqués
Les violences ont commencé vers 13 heures. A ce moment-là, la police avait déjà dégagé une route à travers le quartier musulman de la vieille ville en forçant les résidents palestiniens à rentrer chez eux et les propriétaires de magasins palestiniens à fermer leur commerce.
Par conséquent, les seules cibles restantes vers lesquelles les premiers participants pouvaient diriger leur rage étaient quelques journalistes qui étaient déjà arrivés pour couvrir la marche. Le journaliste palestinien Saif Kwasmi a été agressé par la foule, tandis que le journaliste de Haaretz, Nir Hasson, a également été mis à terre et a reçu des coups de pied. Au lieu d'arrêter les manifestants, la police a arrêté et interrogé Kwasmi, accusé d'incitation à la violence.
La plupart des journalistes n'ont pas pu s'approcher aussi près des manifestants. Avant l'arrivée du gros de la foule, la police a contraint tous les journalistes à se réfugier dans un petit enclos donnant sur la porte de Damas ; selon les responsables de la police, permettre aux journalistes d'accompagner les participants à travers la vieille ville aurait été une provocation dangereuse, compte tenu de l'hostilité des manifestants à l'égard des médias.
Après plusieurs heures et de nombreux appels au bureau du chef de la police, les journalistes ont été autorisés à se déplacer parmi les manifestants, mais seulement après avoir été avertis qu'ils le faisaient à leurs risques et périls. A ce moment-là, les manifestants avaient déjà jeté de nombreuses bouteilles en plastique dans la zone de presse et insulté les journalistes.
Peu avant la fin de ces « cérémonies », Ben Gvir est arrivé à la porte de Damas. Entouré d'un important dispositif de sécurité qui a empêché les journalistes de s'approcher et de poser des questions, le ministre a profité de l'occasion pour déclarer qu'il rejetait totalement le délicat statu quo religieux sur le Mont du Temple/Haram al-Sharif, qui stipule depuis longtemps que les Juifs ont le droit de visiter le site, mais pas d'y prier.
« Je suis revenu ici pour envoyer un message au Hamas et à toutes les maisons de Gaza et du Liban : Jérusalem est à nous. La porte de Damas est à nous. Le mont du Temple est à nous », a-t-il proclamé. « Aujourd'hui, conformément à ma politique, les Juifs sont entrés librement dans la vieille ville et les Juifs ont prié librement sur le mont du Temple. Nous le disons de la manière la plus simple qui soit : ceci est à nous. »
Lors des précédentes marches de la Journée de Jérusalem, Ben-Gvir n'était qu'un participant parmi d'autres. Aujourd'hui, il est le ministre responsable de la police, chargé de sécuriser la marche et de faciliter l'ascension des Juifs vers l'enceinte d'Al-Aqsa. Bien que le Premier ministre Benyamin Netanyahou ait pris ses distances avec l'intention déclarée de Ben-Gvir de bouleverser le statu quo, c'est en fin de compte le ministre de la Sécurité nationale qui applique la politique.
Le Jour de Jérusalem était autrefois un événement exceptionnel, où le racisme et la suprématie juive qui ont toujours existé au sein de la société israélienne étaient exposés aux yeux de tous. Mais aujourd'hui, alors que la vengeance de l'armée à Gaza se poursuit avec le soutien actif de la plupart des Israéliens, que la violence des militaires et des colons s'intensifie en Cisjordanie et que des campagnes sont menées pour persécuter et réduire au silence les dissidents à l'intérieur de la ligne verte, la Marche des drapeaux n'est plus qu'un exemple de plus de la façon dont Israël a banalisé l'extrémisme. (Article publié par le site israélien +972 le 6 juin 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Oren Ziv est photojournaliste et reporter pour le site israélien en hébreu Local Call – qui est conjoint avec +972. Il est membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
Notes
[1] Il s'oppose par exemple aux mariages entre Juifs et non-Juifs, en particulier des mariages des femmes juives avec des hommes arabes, exerce sa violence contre les Palestiniens et les demandeurs d'asile africains. (Réd.)
[2] Meir Kahane a fondé l'organisation Jewish Defense League aux Etats-Unis et le parti Kach d'extrême droite en Israël, interdit en 1994, qualifié d'organisation terroriste. Le Kach soutient une colonisation massive en Cisjordanie et dans la bande de Gaza avec une dimension de sionisme religieux. Kahane fut élu en 1984 à la Knesset – suite à trois échecs – après avoir profité de la « permissivité » des structures politiques et juridiques de l'Etat d'Israël, qui ne prendra des mesures pour disqualifier le parti Kach qu'après son élection. Kahane sera assassiné aux Etats-Unis en novembre 1990. (Réd.)
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Le projet israélien de reconstruction de Gaza

Les hommes d'affaires israéliens proches du Premier ministre Benjamin Netanyahu ont élaboré un plan baptisé « Gaza 2035 » pour reconstruire le territoire israélien en un centre commercial et industriel régional qui exploiterait le gaz naturel palestinien et une main d'œuvre bon marché
Tiré de MondAfrique.
Des documents publiés en ligne présentent la vision d'après-guerre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour la bande de Gaza, connue sous le nom de « Gaza 2035 », a rapporté le Jerusalem Post du 3 mai. Ce plan implique de maintenir Gaza à long terme sous contrôle israélien, de réaliser des investissements majeurs pour reconstruire l'enclave dévastée « à partir de rien » avec l'aide des pays du Golfe, de transformer Gaza en un centre régional de commerce et d'énergie, et d'exploiter la main-d'œuvre palestinienne bon marché et le gaz naturel. Tout cela au profit des intérêts commerciaux israéliens.
Le document qualifie Gaza d'« avant-poste iranien » qui « sabote les chaînes d'approvisionnement émergentes », affirmant par euphémisme que cela « contrecarre tout espoir d'avenir pour le peuple palestinien ».
Selon le document, le plan comprend trois étapes
La première étape devrait durer 12 mois et verra Israël créer des « zones de sécurité libres du contrôle du Hamas » à Gaza, en commençant d'abord par le nord et en se déplaçant vers le sud.
Les Palestiniens de Gaza géreraient les zones de sécurité sous la supervision d'une coalition d'États arabes chargée de fournir l'aide humanitaire.
La deuxième étape durerait cinq à dix ans. L'armée israélienne conserverait le contrôle de la bande, tandis que les États arabes seraient responsables de la reconstruction sous l'égide de la nouvelle Autorité de réhabilitation de Gaza (GRA), les Palestiniens gérant les zones de sécurité.
Les efforts de reconstruction impliqueront de « reconstruire à partir de rien » et de concevoir de nouvelles villes selon une conception et une planification modernes. Cela implique que l'armée israélienne continue de détruire une grande partie, sinon la totalité, de Gaza.
La troisième étape verrait les Palestiniens « s'autogouverner » dans une bande de Gaza démilitarisée tandis qu'Israël conserverait le droit d'agir contre les « menaces à la sécurité ».
Une main d'oeuvre bon marché
La dernière étape, note le Jerusalem Post, serait que les Palestiniens « gèrent pleinement Gaza de manière indépendante » et adhèrent aux Accords d'Abraham, un accord liant plusieurs États arabes à Israël. Le Jerusalem Post affirme que le plan bénéficierait aux Palestiniens de Gaza en leur offrant des opportunités d'emploi et une éventuelle « autonomie » – sous le contrôle continu d'Israël.De nombreux responsables politiques israéliens ont appelé à l'expulsion forcée des 2,3 millions d'habitants de Gaza vers l'Égypte ou l'Europe. Mais le plan prévoit apparemment que certains restent à Gaza comme source de main d'œuvre bon marché.
Le Jerusalem Post affirme que le plan bénéficierait aux États du Golfe en leur offrant « des pactes défensifs avec les États-Unis et un accès sans entrave aux ports méditerranéens de Gaza par le biais de chemins de fer et de pipelines ».
Le plan vise à faire de Gaza un port industriel important sur la Méditerranée, facilitant l'exportation des marchandises gazaouies, du pétrole saoudien et d'autres matières premières du Golfe.

Le plan prévoit également la création d'une vaste zone de libre-échange comprenant Gaza et s'étendant de la ville israélienne de Sderot à Al-Arish, sur la côte égyptienne, ce qui bénéficierait aux intérêts commerciaux des trois pays. Israël exploiterait les gisements de gaz naturel au large de Gaza pour fournir l'énergie nécessaire à la fabrication industrielle. Israël bloque depuis des décennies le développement de gisements qui appartiennent légalement aux Palestiniens.
Le Jerusalem Post ajoute que le plan incluait une proposition visant à fabriquer des voitures électriques dans la zone de libre-échange et à compléter cette proposition par une « fabrication chinoise bon marché », suggérant en outre que la main-d'œuvre palestinienne bon marché de Gaza serait essentielle à la proposition.
L'imprimatur du New York Times
Les intérêts commerciaux israéliens en bénéficieraient probablement le plus. Le New York Times (NYT) rapportait également que le plan pour Gaza avait été élaboré en novembre par un « groupe d'hommes d'affaires, pour la plupart israéliens, dont certains sont proches de M. Netanyahu ».Le New York Times ajoutait que le plan était « à l'étude aux plus hauts niveaux du gouvernement israélien ».
Tout projet israélien pour Gaza d'après-guerre devrait également répondre aux exigences de la communauté religieuse d'extrême droite israélienne, qui exige la colonisation de Gaza et la construction de colonies juives après la guerre.
Le ministre du Logement et de la Construction, Yitzhak Goldknopf, chef du parti ultra-orthodoxe Judaïsme unifié de la Torah, a publié le 14 mai un message vidéo approuvant une marche de protestation exigeant la reprise de la colonisation israélienne dans la bande de Gaza.
« Il est très important de s'identifier à cette marche et ensuite de participer au rassemblement de masse à Sderot », dit-il.
Selon ses organisateurs, les participants viendront de tout le pays. La manifestation est soutenue notamment par la députée d'extrême droite Limor Son Har-Melech du parti Otzma Yehudit,
La journaliste Vanessa Beeley conclut que le plan « Gaza 2035 » comprend effectivement l'expulsion des Palestiniens et la construction de colonies juives. Pour elle, il a probablement été échafaudé plus tôt que l'affirme le New York Times. Elle ajoute : « Ce qui est certain, c'est que ce plan est dans les tuyaux entre les sionistes et les États-Unis depuis peut-être des décennies et qu'il n'est mis en œuvre que maintenant, avec l'exploitation par Israël des événements du 7 octobre pour sécuriser la Nakba II à Gaza, tout en accroissant la présence sioniste dans ce qui reste de la Palestine dans les territoires occupés.
*Source : The Cradle
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L’ombre de la Nakba plane sur Ghaza : Les Ghazaouis plusieurs fois déplacés

Les habitants de l'enclave palestinienne, bombardée huit mois durant, vivent au rythme des déplacements forcés, dictés par les opérations militaires des forces sionistes. Depuis huit mois, plus de deux millions de Ghazaouis ont été déplacés à plusieurs reprises à cause de la guerre barbare et sanglante que mène Israël contre eux. Poussés vers le Sud jusqu'à Rafah, beaucoup d'entre eux ont fui ces dernières semaines vers une « zone humanitaire élargie » plus au Nord, avant de voir certaines de ces zones dites « sécuritaires » bombardées à leur tour.
Tiré d'El Watan.
La journaliste Doaa Chahine, correspondante pour le site panarabe Raseef22, raconte avoir été déplacée neuf fois, allant du camp de Jabaliya, dans le nord de Ghaza, jusqu'à Rafah, avant de remonter vers le camp de Nuseirat, au centre de l'enclave. En mai, elle a survécu à des frappes israéliennes qui ont détruit l'endroit où elle s'était réfugiée.
De même, Marah Mahdi, une autre journaliste, raconte à +972 Magazine avoir été déplacée onze fois avec sa famille. Le 21 octobre, huit jours après que l'armée israélienne a demandé à plus d'un million de Ghazaouis vivant au nord du Wadi Ghaza d'évacuer vers le sud de l'enclave, Marah Mahdi et sa famille ont quitté la ville de Ghaza, fuyant avec seulement leurs vêtements, quelques papiers essentiels et de la nourriture.
Ils ont trouvé refuge dans une école de Nuseirat, rapidement devenue dangereuse à cause des frappes aériennes israéliennes. Ils se sont alors dirigés vers Deir El Balah, espérant y trouver un semblant de sécurité, puis ont continué vers le sud, à Rafah, où ils se sont installés en novembre.
Comme Marah Mahdi, plus de la moitié de la population de Ghaza s'est entassée à Rafah ces derniers mois, vivant dans des camps de tentes surpeuplés dans des conditions humanitaires désastreuses, jusqu'à l'invasion de Rafah il y a près d'un mois, qui a poussé des centaines de milliers de Palestiniens à fuir à nouveau.
Aujourd'hui, plusieurs secteurs de Rafah et de la zone humanitaire d'El Mawasi, adjacente à la grande ville du sud de Ghaza, se sont vidés de leurs habitants, ne laissant que ceux qui n'ont pas les moyens de se déplacer. La plupart des abris de l'UNRWA à Rafah ont été évacués, forçant les personnes déplacées à se diriger vers Khan Younès et Deir Al Balah.
Selon Oxfam, plus des deux tiers de la population de Ghaza se trouvent désormais entassés dans une zone de 69 km², soit moins d'un cinquième de la bande de Ghaza.
Selon l'ONU, plus d'un million de Ghazaouis - soit près de la moitié de la population totale de Ghaza - ont été déplacés au cours du mois dernier. Une grande partie d'entre eux se trouvent désormais à Khan Younès, une ville de ruines dont de nombreux quartiers sont pratiquement méconnaissables, et à Deir El Balah, toutes deux intégrées dans une « zone humanitaire élargie ».
Depuis l'invasion terrestre israélienne de Rafah, moins de 100 000 personnes, sur les quelque 1,3 million de personnes originaires de Rafah ou ayant cherché refuge dans cette région, y restent encore.
Les organisations humanitaires ont averti que les zones de Ghaza où Israël a ordonné l'évacuation des habitants de Rafah manquent d'infrastructures et de besoins essentiels de survie. Et même ces zones, décrites comme « sûres », ont été bombardées ces derniers jours, y compris une récente frappe meurtrière sur une école de l'ONU transformée en refuge dans le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de Ghaza, qui a tué au moins 33 personnes, selon les responsables médicaux de Ghaza.
Les familles, déjà déplacées plusieurs fois, sont de nouveau en mouvement en raison des opérations militaires sionistes et des ordres d'évacuation israéliens. Les conditions de vie dans la région d'El Mawasi sont catastrophiques.
Oxfam rapporte que 500 000 personnes partagent 121 latrines, soit environ 4130 personnes par toilette. Une enquête alimentaire menée en mai par le Nutrition Cluster révèle que 85% des enfants n'ont pas mangé pendant une journée entière au moins une fois dans les trois jours précédant l'enquête, avec une diversité alimentaire en déclin.
Entre le 28 mai et le 1er juin, seulement 232 camions d'aide humanitaire ont pu entrer via le passage de Karem Abu Salem, une réduction significative par rapport à la période précédant l'opération militaire à Rafah. L'UNRWA demeure la plus grande agence des Nations unies opérant via ce point de passage, la majorité de l'aide étant constituée de farine et de produits alimentaires.
Selon l'OMS, des défis persistent pour augmenter le flux d'aide. Durant la période couverte par ce rapport, 60 camions de l'OMS étaient prêts à entrer à Ghaza depuis l'Egypte, soulignant le besoin urgent d'ouvrir les passages pour toutes les fournitures humanitaires, pas seulement médicales.
L'OMS estime que plus de 10 000 personnes nécessitent un transport urgent hors de Ghaza pour traitement, mais ne peuvent le faire depuis la fermeture du passage de Rafah le 6 mai. L'OMS a averti que davantage de Ghazaouis mourront si des évacuations médicales d'urgence ne sont pas autorisées.
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Israël tue plus de 200 Palestiniens pour sauver 4 otages ; les États-Unis auraient participé à l’opération

Au moins 210 Palestiniens ont été tués et 400 autres blessés dans le centre de la bande de Gaza dimanche après que les forces israéliennes ont mené une « opération de récupération » pour libérer quatre captifs. Les informations faisant état de l'implication des États-Unis dans cette opération ont suscité de fortes condamnations.
Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : Frappes israéliennes massives sur le camp de réfugiés de Nuseirat, 8 juin 2024 © Quds News Network.
Au moins 210 Palestiniens ont été tués et des centaines d'autres blessés samedi dans le centre de la bande de Gaza, lors d'une opération militaire qu'Israël qualifie d'« héroïque » pour récupérer quatre Israéliens détenus à Gaza.
Les médias palestiniens ont fait état de bombardements intenses en début d'après-midi, heure locale, dans plusieurs zones de Nuseirat et de Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza. Des images vidéo du marché principal du camp de réfugiés de Nuseirat montrent des foules de civils palestiniens fuyant sous le bruit des tirs d'artillerie lourde.
Le journaliste d'Al Jazeera Anas al-Sharif a rapporté que les forces israéliennes ont « infiltré » le camp de réfugiés de Nuseirat dans des camions déguisés en camions d'aide humanitaire.
Le bureau des médias du gouvernement de Gaza a déclaré dans un communiqué que les forces israéliennes avaient lancé une « attaque brutale sans précédent sur le camp de réfugiés de Nuseirat », visant directement les civils, et que les ambulances et les équipes de la défense civile n'avaient pas pu atteindre la zone et évacuer les blessés en raison de l'intensité des bombardements.
Le bureau des médias a ajouté que, selon son décompte, au moins 210 Palestiniens ont été massacrés et environ 400 autres ont été blessés au cours de l'opération israélienne.
Des vidéos publiées sur les réseaux sociaux ont montré des dizaines de corps d'hommes, de femmes et d'enfants gisant dans les rues de la zone de Nuseirat, ainsi que des civils blessés et ensanglantés transportés d'urgence à l'hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa à Deir al-Balah.
Al Jazeera a cité le Dr Tanya Haj-Hassan, de Médecins sans frontières, qui a déclaré que le service des urgences de l'hôpital Al-Aqsa « est un véritable bain de sang… On dirait un abattoir ».
« Les images et les vidéos que j'ai reçues montrent des patients gisant partout dans des mares de sang… leurs membres ont été arrachés », a-t-elle déclaré à Al Jazeera, ajoutant : « C'est à cela que ressemble un massacre ».
Alors que le bilan des victimes dans le centre de la bande de Gaza ne cesse de s'alourdir, des informations israéliennes font état de quatre captifs israéliens qui auraient été récupérés lors de l'opération et transférés en Israël.
Les quatre captifs ont été identifiés comme étant Noa Argamani, 26 ans, Almog Meir Jan, 21 ans, Andrey Kozlov, 27 ans, et Shlomi Ziv, 40 ans. Ils auraient été capturés le 7 octobre au festival de musique Nova, dans le sud d'Israël, près de la frontière avec Gaza.
Selon les médias israéliens, les quatre captifs ont été trouvés en bonne santé et ont été transférés dans un hôpital en Israël où ils ont retrouvé leurs familles. Un membre des forces spéciales israéliennes a été tué au cours de l'attaque.
Le journal israélien Haaretz a cité le porte-parole de l'armée israélienne, Daniel Hagari, qui a déclaré que les captifs avaient été « secourus sous les tirs et que, pendant l'opération, les FDI avaient attaqué depuis l'air, la mer et la terre dans les zones de Nuseirat et de Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza ».
Les familles des prisonniers israéliens ont tenu une conférence de presse samedi après-midi en réaction à cette nouvelle. Les parents des quatre captifs récupérés samedi ont fait l'éloge de l'armée israélienne et du gouvernement. Certains parents des captifs encore détenus à Gaza ont demandé la fin de la guerre et un échange de prisonniers afin d'obtenir la libération de ceux qui sont encore détenus à Gaza.
Samedi soir, heure locale, le porte-parole des Brigades Qassam, Abu Obeida, a déclaré que « les premiers à être blessés par [l'armée israélienne] sont ses prisonniers », précisant que si certains captifs ont été récupérés au cours de l'opération, un certain nombre d'autres captifs israéliens auraient été tués. Le gouvernement et l'armée israéliens n'ont pas commenté les informations selon lesquelles des captifs israéliens auraient été tués au cours de l'opération.
Il y aurait 120 prisonniers toujours détenus dans la bande de Gaza, dont 43 auraient été tués depuis octobre par les forces israéliennes elles-mêmes.
Sur sa chaîne officielle Telegram, le Hamas a déclaré que la libération des quatre captifs « ne changera pas l'échec stratégique de l'armée israélienne dans la bande de Gaza » et que « la résistance détient toujours un plus grand nombre de captifs et peut l'augmenter ».
Implication des États-Unis dans le massacre de Nuseirat
Alors que les informations sur l'ampleur du massacre dans le centre de Gaza et sur les célébrations en Israël à l'occasion de la récupération des quatre captifs affluent, des rapports font état d'une implication présumée des États-Unis dans l'opération.
Axios, citant un fonctionnaire de l'administration américaine, a rapporté que « la cellule américaine des otages en Israël a soutenu l'effort de sauvetage des quatre otages ».
Le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Jake Sullivan, a déclaré à propos de l'opération : « Les États-Unis soutiennent tous les efforts visant à obtenir la libération des otages encore détenus par le Hamas, y compris des citoyens américains. Cela passe par des négociations en cours ou par d'autres moyens ».
Certains rapports affirment que des forces américaines ont participé à l'opération sur le terrain et que les camions d'aide humanitaire qui auraient été utilisés pour dissimuler l'entrée des forces spéciales à Nuseirat sont partis de l'embarcadère prétendument humanitaire construit par les États-Unis au large de la côte de Gaza.
Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont montré les hélicoptères utilisés dans l'opération d'évacuation des prisonniers israéliens décollant des environs de la jetée américaine construite au large de la côte de Gaza pour acheminer « l'aide humanitaire indispensable » à Gaza.
Cette jetée de 230 millions de dollars, achevée le mois dernier, a suscité de vives critiques de la part de groupes de défense des droits et de militants qui estiment qu'elle ne permettra pas d'acheminer l'aide de manière efficace.
L'implication présumée des États-Unis dans les attaques menées samedi au centre de Gaza et l'utilisation de la jetée dans le cadre de l'opération ont suscité de vives critiques et une vive indignation sur Internet.
En réponse à ces informations, le mouvement Hamas a déclaré qu'elles prouvaient « une fois de plus » que Washington était « complice et complètement impliqué dans les crimes de guerre perpétrés » à Gaza.
Traduction : Chronique de Palestine
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Guerre à Gaza : crépuscule des illusions autour du droit international

La guerre à Gaza n'est pas le crépuscule du droit international, mais plutôt de deux grandes illusions - non nécessairement connexes - qu'alimente le discours dominant dans l'opinion publique sur le droit international : l'idéalisme porté par le courant objectiviste du fondement du droit international ; ainsi que l'illusion de la « supériorité morale de l'Occident ».
Tiré du blogue de l'auteur.
Depuis le début de l'offensive israélienne sur la bande de Gaza en Octobre 2023, une large partie de l'opinion mondiale observe, horrifiée et impuissante, les violations massives du droit international humanitaire (jus in bello) commises par l'armée israélienne contre les civils palestiniens, et qui pourraient constituer des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, voire (plus difficilement) un crime de génocide. Dépassant très largement les principes de proportionnalité et de nécessité, la riposte israélienne à « l'opération Déluge d'al- Aqsa » par le Hamas (où de graves violations du droit international humanitaire ont été également commises) dénature profondément le droit de légitime défense (pilier du jus ad bellum).
Encore faut-il qu'une Puissance occupante puisse se prévaloir du droit de légitime défense contre un territoire qu'elle occupe (voir Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, CIJ, Avis consultatif du 9 Juillet 2004) : Israël ayant conservé un contrôle total, aérien, maritime et terrestre (frontalier) de Gaza après son retrait unilatéral en 2004, la majorité de la doctrine en droit international considère dès lors que la bande de Gaza est toujours sous occupation israélienne, d'autant plus qu'il existe, au regard du droit international, une unité territoriale « de jure » entre Gaza et la Cisjordanie et que l'occupation de la dernière ne fait l'objet d'aucun doute.
Devant l'extrême gravité de la situation, est- ce pour autant qu'il faut considérer que « le droit international est mort à Gaza », comme on l'entend souvent depuis bientôt 8 mois ? A y voir de plus près, Gaza n'est pas le crépuscule du droit international, mais plutôt de deux grandes illusions - pas nécessairement connexes - qu'alimente le discours dominant dans l'opinion publique sur le droit international : l'idéalisme porté par le courant objectiviste du fondement du droit international ; ainsi que l'illusion de la « supériorité morale de l'Occident ».
Courant volontariste et courant objectiviste
Rappelons très brièvement qu'il existe deux grands courants doctrinaux pour définir le fondement du caractère obligatoire du droit international : le courant volontariste et le courant objectiviste. Le premier considère que c'est la volonté des Etats qui constitue le fondement du droit international[1]. En effet, à l'encontre du droit interne, le droit international n'est pas constitué de « lois » à proprement dites qui sont adoptées par un « Parlement » international et s'imposant ispo facto aux sujets du droit. Ce sont principalement les Etats qui créent le droit international : l'acceptation volontaire de l'Etat - sujet primaire du droit international - d'une règle juridique (conventionnelle ou coutumière) est une condition sine qua non de l'applicabilité (opposabilité) de cette règle juridique à ce sujet du droit.
Malgré les limites de cette thèse (notamment pour expliquer le fondement du jus cogens – droit international impératif - auquel un Etat ne peut pas déroger), le courant volontariste est dominant dans la doctrine. Dans la jurisprudence, l'arrêt de la Cour permanente de justice internationale dans l'affaire du Lotus considère également que « le droit international régit les rapports entre des Etats indépendants. Les règles de droit liant les Etats procèdent donc de la volonté de ceux-ci (...) » (CPJI, 7 septembre 1927).
En revanche, pour le courant dit objectiviste qui exerce, surtout par son idéalisme, un attrait intellectuel indéniable, le droit international trouve son fondement dans des éléments extérieurs et supérieurs aux Etats. Pour les jusnaturalistes, cet élément est le droit naturel, que le néerlandais Hugo Grotius (1583-1645) assimile à une morale laïque[2]. Pour les tenants de l'objectivisme normativiste, il s'agit plutôt de la loi de normativité : selon l'autrichien Hans Kelsen (1881-1973) et l'école de Vienne, les normes juridiques sont hiérarchisées dans une « pyramide juridique » où chaque norme tire sa force obligatoire d'une norme supérieure. Quant aux tenants de l'objectivisme sociologique, le droit est fondé sur les nécessités sociales : « un impératif social traduisant une nécessité née de la solidarité naturelle », selon le français Georges Scelle (1878-1961) [3].
Justice internationale et volonté des Etats : échec du courant objectiviste
A la lumière de la situation à Gaza, il s'est avéré, une nouvelle fois, qu'aucun des trois éléments retenus par les conceptions objectivistes ne semble constituer le fondement du droit international, mais c'est plutôt la volonté des Etats : ceci se vérifie particulièrement en matière de justice internationale.
Concernant la CPI (Cour pénale internationale), sa compétence reste essentiellement soumise à la volonté des Etats, ce qui se traduit par leur adhésion au Statut de Rome. Or, Israël n'est pas partie à ce Statut. Par suite, malgré toutes les tentatives (la Palestine étant désormais partie au Statut de Rome) pour contourner ce fait essentiel, on voit mal comment la CPI pourrait efficacement juger et, surtout, « punir » des responsables israéliens pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité, si elle donne suite aux dernières demandes de mandat d'arrêt par le Procureur auprès d'elle.
D'autant plus que l'efficacité d'une juridiction, en l'occurrence internationale, ne saurait être évaluée en fonction de l'utilité politique (« justice- spectacle politique ») qu'elle pourrait fournir indirectement (appuyer certains narratifs politiques - aussi justes soient- ils - et pointer du doigt certains accusés, comme le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou), mais essentiellement en fonction de sa capacité réelle à dire le droit. D'ailleurs, il n'est pas à exclure qu'à long terme, l'effet escompté pourrait ainsi être inversé : ignorer la réalité du volontarisme étatique en droit international, c'est prendre le risque conséquent d'un échec judiciaire à punir effectivement les dirigeants israéliens, ce qui serait de nature à consolider l'impunité israélienne (« l'exception » israélienne par rapport au non- respect droit international).
Quant à la CIJ (Cour internationale de justice), beaucoup d'espoirs ont été nourris concernant la procédure engagée par l'Afrique du Sud contre l'État d'Israël (Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza). Mais il suffit d'observer le manque manifeste d'efficacité de ses mesures conservatoires - celles de Janvier dernier, ou, plus récentes, concernant Rafah - pour arrêter les violations du droit international humanitaire par Israël ; le Conseil de sécurité de l'ONU, censé accompagner la CIJ en fournissant les moyens par lesquels se concrétise l'effectivité du droit international, ne jouant pas son rôle de maintien de la paix et de la sécurité internationales, notamment pour imposer le respect des mesures conservatoires de la Cour. Les précédents agissements d'Israël ainsi que d'autres Etats, comme la Russie (ayant ignoré une ordonnance similaire de la Cour concernant sa guerre en Ukraine), laissaient présager le manque d'efficacité de telles ordonnances. Par ailleurs, notons que si la CIJ ne retenait pas, in fine, la qualification de génocide, un tel échec juridique pourrait renforcer politiquement Israël, dans un effet boomerang (l'intention spéciale ou dolus specialis, très difficile à établir, rend le crime de génocide si particulier).
« Supériorité morale » : l'Occident nu
D'autre part, le discours de la supériorité morale de l'Occident fut essentiellement bâti, après la seconde guerre mondiale, sur la volonté affichée de cet Occident de respecter le droit international. Or, après la chute de l'URSS, ce fameux « Rules-Based International Order » a été torpillé par ses principaux promoteurs : l'Occident, mené par les Etats- Unis, a multiplié (notamment campagne de l'OTAN contre la Yougoslavie en 1999 ; invasion de l'Irak en 2003) l'emploi illicite de la force armée (sans résolution du Conseil de sécurité de l'ONU : violation du jus ad bellum), parfois sur des bases factuelles fallacieuses.
La porte du chaos dans « l'Ordre international libéral » fut alors largement ouverte : ceci a créé des précédents que les adversaires de l'Occident, comme le président russe Vladimir Poutine, utiliseront, à leur tour, à leur avantage (particulièrement en Géorgie en 2008, en Ukraine à partir de 2014 et en Syrie à partir de 2015). Par ailleurs, dispensant pratiquement Israël de respecter le droit international, l'Occident a toujours traité l'Etat hébreu comme une « exception » au « Rules-Based International Order » : l'occupation prolongée (depuis 1967) de la Cisjordanie et de Gaza, ainsi que du Golan syrien, en est un exemple parmi tant d'autres. L'actuelle guerre contre Gaza, d'une violence inouïe (violations massives du droit international humanitaire), a dévoilé davantage cette réalité aux yeux du monde, notamment à beaucoup de ceux qui étaient encore réticents à l'admettre en Occident.
Par suite, aujourd'hui, ce n'est pas le droit international qui est mort, mais ce serait plutôt la « supériorité morale » dont l'Occident s'est paré, surtout après la seconde guerre mondiale, par l'instrumentalisation du droit international (notamment en transformant ce dernier en simple élément de son discours politique par rapport au reste du monde).
En somme, en faisant tomber les masques discursifs et autres illusions autour du droit international, la guerre à Gaza pourrait ainsi constituer, contre toute attente, un « nouveau départ » pour ce droit : il serait dorénavant plus judicieux de voir le droit international dans sa réalité volontariste et de composer avec cette réalité pour essayer de le faire avancer, plutôt que de s'enfermer dans une bulle idéaliste puis de déplorer - non sans exagération – une prétendue « mort du droit international » à chaque fois que la bulle est percée.
Face à ceux qui s'empressent de l'enterrer et/ou ses négateurs de tous bords, il est nécessaire de souligner que le droit international doit rester la référence régissant les relations internationales : il est le phare qui permettra de sortir du chaos qui va crescendo sur la scène internationale. A condition également, du côté politique, que le système international actuel (d'après la deuxième guerre mondiale), dépassé dans plusieurs de ses aspects, soit réformé en profondeur, en commençant éventuellement par le Conseil de sécurité de l'ONU (représentativité et mode de votation), notamment dans le but de garantir une certaine constance de la part des Etats dans le respect du droit international, ainsi que pour maintenir plus efficacement la paix et la sécurité internationales.
Notes
[1] Qu'il s'agisse de volontarisme unilatéral : théorie de l'autolimitation de Georg Jellinek (1851- 1911) et de Rudolf von Jhering (1818-1892), de volontarisme plurilatéral : théorie de la « Vereinbarung » de l'Allemand Heinrich Triepel (1868-1946), ou surtout de positivisme volontariste de l'Italien Dionisio Anzilotti (1867-1950).
[2] Grotius considère que le droit naturel « consiste dans certains principes de la droite raison qui nous font connaître qu'une action est moralement honnête ou déshonnête selon la convenance ou la disconvenance nécessaire qu'elle a avec une nature raisonnable ou sociable » (De jure belli ac pacis- Du droit de la guerre et de la paix, 1625). La laïcisation de cette morale est un apport considérable de Grotius par rapport à ses prédécesseurs, comme les Espagnols Francisco de Vitoria (1480-1546) et Francisco Suarez (1548-1617). Plus tard, les néo- jusnaturalistes, comme le français Louis Le Fur (1870-1943) et l'autrichien Alfred Verdross (1890-1980), affineront la pensée de Grotius : pour eux, le droit naturel est l'application de la justice dans les relations internationales, non pas le sentiment subjectif de la justice, mais la justice comme valeur éthique objective que l'on constate par l'expérience et grâce à ses « sens spirituels ».
[3] Scelle, qui affine la pensée de Léon Duguit (1859-1928), considère que le respect de la solidarité sociale, comme fondement du droit, est une nécessité biologique : la compromettre nuit indéniablement à la vie de la société et de celui qui la compromet. « D'où viennent les règles de droit ? Du fait social lui- même et de la conjonction de l'éthique et du pouvoir, produits de la solidarité sociale » (Georges Scelle, Manuel de droit international public, Montchrestien, Domat, 1948, p.6).
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États-Unis : après la condamnation de Trump, quelles conséquences pour l’élection ?

Pour la première fois dans l'histoire des États-Unis, un ancien président a été déclaré coupable d'un délit criminel, mais il semble que cela n'aura que peu ou pas d'impact sur les prochaines élections. Les politiciens républicains et les partisans de Trump se sont ralliés à lui.
Hebdo L'Anticapitaliste - 711 (06/06/2024)
Par Dan La Botz
Trump affirme que dans les 48 heures qui ont suivi la décision du jury, il a recueilli la somme extraordinaire de 52,8 millions de dollars, surtout auprès de petits donateurs, dont 30 % de nouveaux, tous motivés par sa fausse affirmation selon laquelle l'ensemble du processus a été orchestré par le président Biden, que le juge était corrompu et le procès truqué.
Un procès modèle
En réalité, le procès a été un modèle de justice américaine. Les procureurs de l'État de New York ont porté les accusations après trois ans d'enquête, le juge Juan M. Merchan a mené un procès équitable, et Trump a été déclaré coupable par le vote unanime de 12 jurés, des citoyens ordinaires de la ville de New York, contrôlés et sélectionnés par les deux équipes d'avocats. On ne peut qu'admirer le courage remarquable des jurés qui ont rendu un verdict de culpabilité malgré les menaces violentes des partisans de Donald Trump. L'ancien président a été reconnu coupable des 34 charges retenues contre lui pour avoir falsifié des documents commerciaux afin de dissimuler des paiements occultes à l'actrice de films pornos Stormy Daniels, avec laquelle il a eu des relations sexuelles. Le jury a été autorisé à considérer que la suppression de ces informations a interféré avec l'élection fédérale et celle de l'État.
La sentence attendue
Le 11 juillet, le juge prononcera seul la sentence à l'encontre de Trump et il dispose d'une grande latitude. Il peut laisser l'ancien président en liberté, conditionner sa libération, l'assigner à résidence ou l'envoyer en prison pour une durée de quatre à vingt ans. Beaucoup pensent qu'il est peu probable que Trump aille en prison, mais ce n'est pas exclu.
Les juges tiennent généralement compte des antécédents d'une personne. Donald Trump n'a jamais été condamné au pénal, mais le juge tiendra compte d'autres affaires civiles. Trump a déjà été condamné à payer 35 millions de dollars pour avoir menti sur sa fortune, à payer 5 millions de dollars au civil pour avoir violé E. Jean Carroll, puis à 83,3 millions de dollars pour avoir diffamé cette dernière.
Au cours de cette affaire de fraude, le juge a émis un ordre de silence, interdisant à Trump de menacer les témoins, les jurés, le juge, les membres de la famille du juge et du jury, les procureurs et les fonctionnaires du tribunal. Trump a violé cette ordonnance à dix reprises, ce qui lui a valu une amende de 9 000 dollars. Le juge peut également considérer que Trump n'a montré aucun remords dans cette affaire.
Pas d'interdiction de se présenter
Une fois que la sentence sera prononcée, Trump aura le droit de faire appel, mais cela peut prendre plusieurs mois. Étant donné qu'il s'agit d'une condamnation pour un délit commis dans l'État de New York et non d'un délit fédéral, il peut faire appel devant les juridictions supérieures de l'État, mais la loi ne lui permet pas de faire appel devant la Cour suprême des États-Unis, dont certains membres ont été nommés par lui-même.
Mike Johnson, président républicain de droite de la Chambre des représentants, a demandé à la Cour suprême fédérale d'intervenir dans le recours de Trump, ce qui constituerait une violation de la Constitution.
La Constitution américaine n'interdit pas à un criminel ou même à un prisonnier d'être candidat ou d'être élu à la présidence. Le socialiste Eugene V. Debs, emprisonné pour ses activités antiguerre, s'est présenté à l'élection présidentielle de 1920. Ironiquement, Trump pourrait ne pas être en mesure de voter pour lui-même dans son État d'origine, la Floride, car dans cet État un criminel ne peut pas voter avant d'avoir purgé la totalité de sa peine.
Trump soutenu par les républicains
Malgré sa condamnation, Donald Trump conserve une très légère avance sur Biden dans les sondages. Plus de 80 % des républicains affirment qu'ils le soutiendront, tandis que 16 % disent qu'ils réfléchissent à leur vote, mais seulement 4 % l'ont abandonné. Les groupes clés de Trump, tels que les chrétiens évangéliques, le soutiennent toujours. Biden, quant à lui, perd le soutien des électeurs arabes et musulmans et de certainEs jeunes électeurs qui l'appellent « Genocide Joe ». Et si la plupart des électeurEs noirs et latinos le soutiennent encore, son soutien parmi ces groupes diminue quelque peu.
Le mardi 5 novembre, les AméricainEs pourraient se rendre aux urnes et élire un néofasciste qui est un criminel condamné — et peut-être un détenu.
Traduction Henri Wilno
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Des lois américaines contre la CPI et des États : L’arme des sanctions pour se prémunir des poursuites

Washington a par le passé promulgué des textes pour se prémunir des enquêtes visant ses dirigeants politiques et militaires et pour protéger ses alliés.
Tiré d'Algeria Watch.
Alors qu'une loi sanctionnant les « tribunaux illégitimes », dont la Cour pénale internationale (CPI), pour avoir demandé des mandats d'arrêt contre les dirigeants israéliens, a été votée mardi dernier par le Congrès et déposée jeudi au Sénat, les législateurs américains élaborent une législation visant les Maldives, pour avoir interdit aux détenteurs de passeports israéliens d'entrer dans le pays.
C'est ce qu'a appris le média électronique américain, Axios, citant des sources proches du dossier. Les Maldives avaient décidé de fermer leurs frontières aux ressortissants israéliens, en réaction à la guerre menée contre la population de Ghaza.
« Suite à une recommandation du cabinet, le président Dr Mohamed Muizzu a décidé d'imposer une interdiction d'entrée sur le territoire aux détenteurs de passeports israéliens », a indiqué le bureau de la Présidence dans un communiqué, diffusé le 2 juin. Washington se prépare donc à sanctionner l'archipel et, selon le site Axios, c'est le représentant démocrate Josh Gottheimer – fervent défenseur d'Israël – au Congrès, qui prépare, avec ses collègues des deux camps, un projet de loi, dénommé « Loi sur la protection des voyageurs alliés ».
Ce projet de loi conditionne l'aide américaine aux Maldives à l'autorisation des Israéliens à entrer dans le pays. Dans un communiqué, Gottheimer a expliqué que « l'argent du contribuable ne devrait pas être envoyé à un Etat étranger qui a interdit à tous les citoyens israéliens de voyager dans leur pays.
Non seulement Israël est l'un de nos plus grands alliés démocratiques, mais l'interdiction de voyager sans précédent imposée aux Maldives n'est rien d'autre qu'un acte flagrant de haine envers les Juifs. Ils ne devraient pas recevoir un centime de dollars américains tant qu'ils n'auront pas changé de cap ».
Cette même volonté de protéger Israël a été exprimée par l'adoption, mardi dernier, par 247 membres du Congrès, contre 155, d'une loi qui sanctionne les responsables de la CPI, qui avaient demandé des mandats d'arrêt internationaux contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu et son ministre de la Défense, Yohav Gallant, pour des crimes de guerre à Ghaza.
Malgré le fait que le président Biden ait exprimé son opposition officielle contre de telles mesures, 42 représentants du camp démocratique se sont joints aux républicains pour entériner ce texte, de 9 pages, qui énonce dans son premier paragraphe qu'il « peut être cité sous le nom de loi contre les tribunaux illégitimes » et précise qu'il s'agit d'« imposer des sanctions à la CPI, engagée dans tout effort visant à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre toute personne protégée par les Etats-Unis et leurs alliés », avant de rappeler que les Etats-Unis et Israël ne sont pas parties au Statut de Rome ni membres de la CPI et par conséquent, « la CPI n'a aucune légitimité ni juridiction sur les Etats-Unis ou Israël ».
Mieux encore, le texte rappelle la promulgation, en 2002, d'une loi américaine sur la protection du personnel militaire et des responsables américains ainsi que ceux de certains pays alliés, contre des poursuites pénales par un tribunal pénal international dont les USA ne font pas partie, en expliquant : « En plus d'exposer les membres des forces armées des USA au risque de poursuites pénales internationales, le Statut de Rome crée le risque que le Président et d'autres hauts responsables élus et nommés du gouvernement des Etats-Unis puissent être poursuivis par la CPI. »
Selon cette loi, « les actions de la CPI contre Israël sont illégitimes et sans fondement, y compris l'examen et l'enquête préliminaires sur Israël et les demandes de mandats d'arrêt contre des responsables israéliens et créent un précédent préjudiciable qui menace les États-Unis, Israël et tous les partenaires des Etats-Unis qui ne sont pas soumis à la compétence de la CPI. »
« Approche sélective des décisions judiciaires »
Il est souligné que dans le cas où la CPI « tente d'enquêter, d'arrêter, de détenir ou de poursuivre toute personne protégée, le Président (US) imposera des sanctions contre toute personne étrangère qui s'est directement engagée dans ou a autrement aidé tout effort de la CPI (…) ».
Ces sanctions s'appliquent aussi « aux membres de la famille immédiate de chaque personne étrangère soumise à des sanctions ». Elles se résument au « blocage des biens, à l'interdiction de toutes les transactions sur tous les biens et intérêts dans la propriété de toute personne étrangère si ces biens et intérêts dans des biens se trouvent aux USA, viennent aux Etats-Unis ou sont ou entrent en possession ou sous le contrôle d'une personne américaine ». Il s'agit aussi de « l'interdiction de visas d'entrée aux USA et de l'inéligibilité à l'admission, à la libération conditionnelle aux Etats-Unis, à recevoir tout autre avantage en vertu de la loi sur l'immigration et la nationalité (…) ».
Les sanctions économiques prévues concernent « toute personne qui enfreint, tente de violer, conspire pour enfreindre ou provoque une violation ». Le texte prévoit, toutefois, une disposition relative à la « renonciation » qui permet au « Président de renoncer à l'application des sanctions imposées contre une personne étrangère » s'il y a une nécessité « vitale pour les intérêts de sécurité nationale des êtats-Unis ».
Le Président américain peut, aussi « mettre fin aux sanctions » à l'égard des personnes étrangères « s'il certifie par écrit aux commissions compétentes du Congrès que la CPI a cessé de s'engager dans tout effort visant à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre toutes les personnes protégées, a définitivement clôturé, retiré, mis fin ou autrement mis fin à tout examen préliminaire, enquête ou tout autre effort de la CPI visant à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre toutes les personnes protégées ».
Le texte a par ailleurs décrété l'annulation des fonds destinés à la CPI, précisé que le terme « alliés » des USA, concerne « un gouvernement d'un pays membre de l'Otan ou le gouvernement d'un allié majeur » non membre de cette organisation, et expliqué que la désignation d'un membre de la famille immédiate de la personne étrangère sanctionnée concerne « le conjoint, le parent, le frère ou la sœur ou l'enfant adulte de la personne ».
La même loi a souligné en outre que le terme « personne protégée » signifie « toute personne américaine (…) y compris les membres actuels ou anciens des forces armées des USA, des fonctionnaires élus ou nommés, actuels ou anciens, du gouvernement des USA, toute autre personne actuellement ou anciennement employée par ou travaillant pour le compte du gouvernement des Etats-Unis, toute personne étrangère qui est citoyen ou résident légal d'un allié des Etats-Unis qui n'a pas consenti à la CPI ou n'est pas un Etat partie de la juridiction, y compris les membres actuels ou anciens des forces armées de cet allié des Etats-Unis (…) ».
Le vote de cette loi très controversée a été précédée par une lettre d'une centaine d'ONG des droits de l'homme de l'Amérique latine, de l'Europe, de l'Asie et d'Afrique, adressée au président Biden, dans laquelle elles se sont déclarées « alarmées par les menaces brandies par des législateurs américains contre la CPI », à travers une déclaration de plusieurs sénateurs, le 24 avril dernier, appelant à des sanctions contre « les fonctionnaires et associés » du Procureur de la CPI. Pour les sénateurs signataires de la déclaration, « la capacité de la CPI à rendre justice aux victimes exige le plein respect de son indépendance ».
Fatou Bensouda sanctionnée
Une approche sélective des décisions judiciaires mine la crédibilité et, en fin de compte, « la force de la loi en tant que bouclier contre les violations et abus des droits humains… ». Une lettre restée sans suite. Il faut dire que les menaces américaines contre la CPI ne constituent pas des cas isolés.
La Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l'ONU, a été elle aussi, la cible de tirs croisés des membres du Congrès pro-israéliens démocrates et républicains, après les injonctions qu'elle a imposées à Israël, pour mettre fin à ses opérations à Rafah.
Pour le président du Congrès, Mike Johnson, « les décisions de la CIJ et de la CPI semblent coordonnées » et « ne devraient pas être tolérées », et estimé que son pays « devrait s'opposer fermement à ce pari dangereux ». Au mois de mars dernier, deux membres du camp républicains de cette chambre avaient présenté un projet de résolution condamnant l'ordonnance de la CIJ, qui a fait obligation à Israël, de prendre des mesures urgentes afin d'empêcher le génocide à Ghaza. La CIJ a été violemment prise à parti, une seconde fois.
Cette fois-ci, c'est à travers son président, Nawaf Salam, qui a été menacé de sanctions par des membres du Congrès, après la décision d'ordonner à Israël l'accès de l'aide humanitaire à Ghaza. Si aucun projet de loi sanctionnant la CIJ ne fait pas encore consensus, il n'en demeure pas moins que l'administration US, fortement noyautée par le puissant lobby pro-israélien (Aipac), ne recule pas devant ce qu'elle considère comme étant une menace de ses intérêts et de ceux de l'Etat hébreu.
La CPI en a déjà fait les frais, en 2020, lorsque son ex-procureur en chef, Fatou Bensouda, et un autre magistrat, ont fait l'objet de sanctions économiques, pour avoir ouvert l'enquête sur les crimes de guerre commis par les troupes américaines en Afghanistan.
Washington leur a appliqué la loi ASPA (Americain Service-Members Porotection Act), (votée par la majorité des membres de la Chambre, à 397 voix contre 32 et par le Sénat, par 92 voix contre 7), promulguée par le président Georges W. Bush, en début du mois d'août 2002, qui protège les membres du gouvernement américain, de l'armée et d'autres officiels et responsables de toute poursuite par la CPI. Mieux encore.
Elle assure non seulement l'immunité contre toute extradition d'Américains, mais habilite aussi le président américain à « utiliser tous les moyens nécessaires, y compris les invasions militaires, pour libérer un citoyen américain inculpé par la CPI ».
De même qu'elle conditionne la participation aux opérations onusiennes de maintien de la paix à « des garanties de non-poursuite » contre les américains et interdit toute aide militaire US aux pays qui reconnaissent la CPI. Une mesure qui ne s'applique pas, cependant, aux pays membres de l'Otan ni à ses principaux alliés, à Taïwan, ni aux Etats qui se sont engagés auprès des Etats-Unis à ne pas transférer à la CPI des citoyens américains.
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New York : une conférence de gauche qui intériorise le déclin de l’empire

Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis font face, avec la Chine entourée des pays des BRICS+, à une solide concurrence de leur position hégémonique. Dans la période d'après 1945, pour Richard D. Wolff, la domination des États-Unis sur la planète était telle que la classe politique de la plus grande puissance mondiale s'était habituée à décider de ce qu'elle ferait avec la Russie.
3 juin 2024 | tiré du journal Alter Québec
https://alter.quebec/new-york-une-conference-de-gauche-qui-interiorise-le-declin-de-lempire/
Or cette période est terminée pour Monsieur Wolff, qui affirme que le soutien des États-Unis à l'Ukraine est vain puisque la guerre est déjà perdue. La puissance de la Russie est dix fois celle de l'Ukraine. Aussi, comme le soutient M. Wolff, ni les sanctions économiques ni l'annonce de Biden de permettre de manière irresponsable d'utiliser l'armement américain pour bombarder la Russie ne fonctionnent.
Richard D. Wolff est un économiste marxiste américain « le plus en vue d'Amérique » selon le New York Times ! Il a poursuivi une carrière académique, et depuis quelques années, il a mis sur pied un mouvement d'éducation Democrcy at Work, en vue de démocratiser les entreprises. Plusieurs des sessions de formation sont disponibles sur Democracy Now.
Il était un des invité.es les plus en vue à la conférence No War, but Class War, qui a eu lieu à l'Université Long Island de Brooklyn. Nous étions une quinzaine du Québec à participer à cette conférence organisée par l'Institut pour l'imagination radicale (IRI), appuyé par le réseau Historical Materialism (HM) et rejoint par le Left Forum.
La relance des rendez-vous du printemps en personne de la gauche américaine s'est amorcée avec cette conférence qui a réuni quelques centaines de personnes des milieux surtout académiques. Une présence étudiante active dans les campements universitaires contre Israël fut remarquée, mais constituait l'essentiel des mouvements militants au-delà du monde académique. Le comité organisateur annonce un retour l'an prochain, dans l'espoir de réunir plus largement le monde académique et les mouvements sociaux, alors que par le passé, le Left Forum réunissait 2000 personnes dans une activité semblable.
Nous étions une quinzaine de personnes associées avec le Journal des Alternatives qui a bénéficié d'in soutien de Lojiq pour cinq citoyen.nes canadien.nes du Québec. Les quatre Québécois additionnels et la mobilisation de la demi-douzaine de jeunes français.es étudiant au Québec ont été rendus possibles par des appuis additionnels de l'ONG Alternatives, du Carrefour d'éducation à la solidarité internationale de Québec — CÉSIQ et du Réseau international pour l'innovation sociale et écologique, ainsi que de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN).
Nous amorçons avec le présent article la couverture de quelques ateliers sur la centaine qui se sont tenus au cours des trois jours d'activités.
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Biden limite l’asile et ferme la frontière aux migrant.es avant le débat avec Trump

Quelques semaines avant son premier débat avec son rival républicain Donald Trump, le président Biden a publié ses politiques d'immigration les plus restrictives à ce jour. Mardi, Biden a signé un décret qui est entré en vigueur à minuit et continuera à codifier le programme anti-immigration de l'extrême droite en fermant temporairement la frontière entre les États-Unis et le Mexique et en restreignant sévèrement les protections des migrant.es demandeurs d'asile. Le décret refusera l'asile à la plupart des migrant.es qui traversent en dehors des points d'entrée américains. Les nouvelles mesures limitent les demandes d'asile à la frontière sud à 2 500 par jour. La frontière serait fermée si la moyenne des demandes d'asile quotidiennes sur sept jours dépassait ce chiffre, et ne rouvrirait qu'après que le nombre soit tombé à 1 500 pendant sept jours consécutifs et qu'il le reste pendant au moins deux semaines.
5 juin 2024 | tiré de democracy now !
https://www.democracynow.org/2024/6/5/biden_closes_border
Le président Biden s'est exprimé depuis la Maison Blanche mardi, rejoint par les maires des villes frontalières.
PRÉSIDENT JOE BIDEN : Cette interdiction restera en vigueur jusqu'à ce que le nombre de personnes tentant d'entrer illégalement soit réduit à un niveau que notre système peut gérer efficacement.
AMY GOODMAN : L'American Civil Liberties Union a menacé de poursuivre Biden pour le décret. L'avocat de l'ACLU, Lee Gelernt, a déclaré, je cite : « C'était illégal quand Trump l'a fait, et ce n'est pas moins illégal maintenant.
Plusieurs législateurs démocrates ont également critiqué les nouvelles politiques. C'est le cas pour un membre du Congrès Pramila Jayapal, présidente du Congressional Progressive Caucus.
REPRÉSENTANT. PRAMILA JAYAPAL : Nous refaisons la même erreur que les démocrates commettent continuellement lorsque nous essayons de surpasser les républicains. Cela ne fonctionne pas. Cela ne fonctionne pas. Cela ne résout pas la situation à la frontière. Cela réduit considérablement la capacité des gens à demander l'asile à la frontière, ce que nos lois nationales et nos obligations en vertu des traités internationaux exigent.
AMY GOODMAN : Elle parlait sur un podium qui disait « #AsylumIsARight ». Les membres du Congrès ont été rejoints par des défenseurs des droits de l'immigration lors d'une conférence de presse à Washington mardi. Je suis Guerline Jozef, directrice exécutive de Haitian Bridge Alliance.
GUERLINE JOZEF : Cela causera la mort de gens chaque jour. Nous disons : « Pas en notre nom. » Et nous continuons à défendre les familles de ces enfants, petits garçons et petites filles, nous les voyons mendier, pleurer, demander, plaider pour la sécurité et la protection.
AMY GOODMAN : Pendant ce temps, les demandeurs d'asile forcés d'attendre à Ciudad Juárez, au Mexique, de l'autre côté de la frontière d'El Paso, au Texas, ont critiqué le décret. C'est un migrant vénézuélien.
RAMON EDUARDO : C'est injuste. C'est injuste, car comment allons-nous savoir s'ils dépassent la limite ? Ils peuvent toujours dire qu'ils ont déjà dépassé 2 500, puis tout le monde revient. C'est comme un piège.
AMY GOODMAN : Le président Biden aurait également réduit le temps dont disposent les demandeurs d'asile pour obtenir une assistance juridique avant leur « entretien sur la crainte crédible », de 24 heures à seulement quatre heures.
Pour en savoir plus, nous allons à la frontière. Nous nous rendons à Tucson, en Arizona, où nous sommes rejoints par John Washington, journaliste pour le média indépendant Arizona Luminaria et auteur du nouveau livre The Case for Open Borders, ainsi que de The Dispossessed : A Story of Asylum at the U.S.-Mexican Border and Beyond.
Nous vous souhaitons la bienvenue à Democracy Now !, John. Si vous pouvez commencer par expliquer exactement ce que dit ce décret, qui est entré en vigueur à minuit, et l'importance de cela juste avant que le président Biden n'ait son premier débat avec Donald Trump ?
JOHN WASHINGTON : Oui. Merci beaucoup de m'avoir invité, Amy.
Eh bien, il y reste beaucoup à voir pour comprendre comment ce projet de loi – ou plutôt comment cette règle – sera mis en œuvre exactement. Nous savons que cela dépendra en grande partie du Mexique. Nous avons vu hier, après que le président du Mexique ait rencontré le président Biden, les premiers signes qu'il semble prêt à coopérer. Mais la façon dont cela affectera réellement les gens reste encore à voir.
Mais ce que nous savons, c'est que nous voyons à nouveau que le président Biden a été prêt à tourner le dos à de nombreuses promesses de campagne, à beaucoup de politiques initiales qu'il a essayé de mettre en avant, et qu'il ne respecte pas le droit d'asile ou ne s'engage pas dans l'effort de son rétablissement comme il l'a promis. Et nous savons que les effets vont être atroces et probablement mortels sur les personnes qui tentent de demander l'asile et qui sont parmi les personnes les plus vulnérables au monde en ce moment.
Il y a donc un certain nombre de dispositions dans cet ordre. Vous en avez déjà mentionné quelques-unes. Cela inclut la limitation du nombre d'heures pendant lesquelles les gens ont accès à des avocats. Il augmente également considérablement le seuil d'obtention de l'asile. Donc, à l'heure actuelle, c'est déjà hors de portée pour la plupart des gens en raison d'un ordre qui a été mis en place, il y a environ un an aujourd'hui, pour remplacer le titre 42. Et cela place encore la barre plus haute pour les gens. Cela va faire en sorte que les gens seront renvoyés dans leur pays d'origine.
Cela va violer le droit international et national, comme le clip précédent l'a mentionné. Il est vraiment important de souligner qu'un « demandeur d'asile illégal » est une contradiction dans les termes. Les gens ont le droit, selon la loi américaine, de demander l'asile, indépendamment de la façon dont ils traversent la frontière, de l'endroit où ils se trouvent ou de leur statut. Et cette règle va vraiment à l'encontre de cela.
Concrètement, ce que nous voyons aussi dans ce projet c'est qu'au lieu d'obliger la patrouille frontalière à demander de manière proactive à toutes les personnes avec lesquelles elle entre en contact si elles craignent de retourner dans leur pays d'origine – il y a une série de questions qu'elles sont obligées de poser – ce sera maintenant à la personne elle-même de manifester cette crainte. C'est ce qu'on appelle le « test du cri », où ils doivent eux-mêmes indiquer clairement qu'ils ont peur de retourner dans leur pays d'origine ou d'être potentiellement expulsés vers le Mexique. C'est un problème pour un certain nombre de raisons. Les conditions dans lesquelles ces personnes sont tenues de faire cette demande sont très difficiles. Elles viennent d'être arrêtées. Elles viennent probablement de traverser des semaines, voire des mois, d'un voyage très ardu pour en arriver là. Et elles ont affaire à des gens que nous connaissons – j'ai déjà fait des reportages sur le filtrage de la patrouille frontalière, dont nous savons qu'il y a beaucoup de rapports qui disent qu'ils ne les écoutent tout simplement pas. Cela rend les choses un peu plus faciles, élimine certaines formalités administratives pour la patrouille frontalière, et les gens vont maintenant être obligés de faire ces demandes eux-mêmes.
En outre, les exemptions et exceptions sont restreintes pour les personnes qui peuvent accéder à l'asile. À l'heure actuelle, la façon dont le gouvernement essaie de pousser les gens à le faire est d'accéder à un rendez-vous via une application en ligne ou par téléphone. Cette option est limitée à seulement 1 450 personnes par jour. Et il y a quelques exceptions à cela, mais cette nouvelle règle tire en fait des leçons de ces exceptions, de sorte que moins de gens pourront y accéder. Et ce que cela va faire, c'est contraindre les gens à faire des voyages plus meurtriers dans le désert pour essayer d'éviter d'être détectés, plutôt que de se rendre, comme c'est le cas la plupart du temps maintenant.
Et aussi, cette règle ne s'applique pas aux mineurs non accompagnés, ce qui pourrait conduire à quelque chose comme des séparations familiales forcées, où les parents – et je l'ai vu de mes propres yeux – qui sont embouteillés dans le nord du Mexique et en attendant d'essayer d'entrer, entre guillemets, « de la bonne façon », se rendent compte qu'il n'y a en fait pas d'option ou qu'ils devront attendre des mois ou plus. Ils enverront donc leurs enfants seuls, puis ils essaieront eux-mêmes de faire une réclamation plus tard.
JUAN GONZÁLEZ : John, je voulais vous poser une question spécifique sur le nombre limite que le président Biden a fixé dans ce décret. Lorsque le président soutenait un projet de loi au Congrès, le nombre qu'il utilisait pour déclencher une fermeture de la frontière était de 5 000 passages par jour, et il l'a abaissé à 2 500, même si le nombre de personnes traversant a chuté de façon spectaculaire ces derniers mois. Il a essentiellement garanti que le premier jour, il fermerait la frontière, quelques semaines seulement avant son débat avec le président Trump. Je me demande ce que vous pensez de l'utilisation des chiffres ici pour déterminer une politique.
JOHN WASHINGTON : Oui, c'est vrai. Ainsi, la moyenne actuelle des rencontres de la patrouille frontalière est d'environ 4 000. Donc, oui, vous avez raison de dire que ce projet de loi – ou, pardon, cet ordre a été déclenché immédiatement. Et vous soulignez également que c'est en quelque sorte tiré d'un projet de loi bipartite du Sénat qui a été présenté à la fin de l'année dernière, puis à nouveau au début de cette année, et ce nombre était de 5 000. Ainsi, Biden a montré qu'il était prêt à être encore plus dur avec les demandeurs d'asile et plus dur à la frontière que ce projet de loi bipartisan, qui a reçu le soutien, pendant une courte période, des républicains.
Et nous n'avons pas vu les chiffres descendre en dessous de 1 500 depuis environ quatre ans. Ainsi, bien que ce projet de loi soit déclenché automatiquement il y a environ six heures, nous ne savons pas quand il sera éventuellement suspendu, lorsque ces chiffres tomberont en dessous de 1 500. Et l'une des raisons pour lesquelles nous ne le savons pas – ou nous savons que cela va prendre un certain temps avant que cela ne se produise, c'est parce que ce genre de mesures ne fonctionne pas vraiment. J'ai déjà mentionné qu'une règle avait été mise en place pour remplacer le titre 42. Et ce que nous avons vu avec ce qui était à ce moment-là, il y a un an, la politique d'asile la plus restrictive mise en place depuis un certain temps, c'est que les chiffres ont augmenté de façon spectaculaire. Il en va de même pour le titre 42, qui était en place depuis trois ans avant cela. Dès qu'il a été mis en œuvre – ou plutôt peu de temps après, nous avons vu les chiffres commencer à augmenter. Donc, je ne sais pas quand l'asile sera éventuellement rétabli à notre frontière, mais cela ne semble pas bon.
JUAN GONZÁLEZ : Et en même temps que le décret du président entre en vigueur, les reportages en provenance de l'Arizona montrent que la législature de l'Arizona adopte maintenant une nouvelle résolution appelant à un référendum sur une loi sur la sécurité des frontières. Je me demande si vous pouvez parler de ce qui se passe en Arizona et de la façon dont, en substance, l'immigration devient peut-être le problème le plus important et le plus volatil du pays en ce moment à l'approche de l'élection présidentielle.
JOHN WASHINGTON : Droite. Pas plus tard qu'hier, il y a eu une rafale de nouvelles sur l'immigration et la frontière, mais pas plus tard qu'hier, la législature de l'État de l'Arizona a décidé d'envoyer aux urnes en novembre un référendum qui ferait de la traversée de la frontière sans autorisation un crime d'État. Il permettrait également aux juges locaux d'expulser potentiellement des personnes.
Nous avons déjà essayé cela. La célèbre loi de l'Arizona S.B. 1070 a été adoptée il y a 14 ans et a été rejetée par les tribunaux. Et l'une des dispositions qui ont été rejetées, en fait, était exactement celle qui sera à nouveau sur le bulletin de vote, ce qui en fait un crime d'État, permettant aux forces de l'ordre locales de procéder à des arrestations pour violation de l'immigration. C'est, historiquement et actuellement, l'obligation du gouvernement fédéral. Ce ne sont pas des crimes d'État. Et nous voyons cela se produire au Texas également. Le Texas a essayé d'adopter cette disposition, une disposition très, très similaire.
Je pense que cela fait ressortir un élément clé ici, c'est qu'il semble que le gouvernement fédéral, dans certains de ces cas, joue en quelque sorte l'opposition et est, vous savez, contre le Texas ou potentiellement ce nouveau projet de loi de l'Arizona, mais en fait, ils se disputent l'autorité d'appliquer eux-mêmes l'immigration. Ils ne sont pas opposés sur cette question, comme nous l'avons vu hier avec ce nouveau décret, qui est la répression la plus sévère du droit d'asile que nous ayons vue depuis des années.
AMY GOODMAN : Et dans les dernières secondes que nous avons, John, qu'est-ce que cela signifiera en ce qui concerne les morts à la frontière ?
JOHN WASHINGTON : Eh bien, comme je l'ai dit, vous savez, limiter les voies légales, sûres et quelque peu ordonnées pour que les gens puissent présenter des demandes d'asile les pousse immédiatement plus profondément dans le désert. Cela les oblige à traverser la rivière à gué ou à essayer de traverser la rivière au Texas. Et nous savons ce qui se passe là-bas. Nous avons une tendance, qui remonte à des décennies maintenant, où les gens sont poussés par ces mesures draconiennes à se rendre dans les déserts et la nature sauvage, et ils y meurent. Oui.
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En Israël, la gauche anti-guerre s’ouvre un chemin - Un entretien avec Uri Weltmann de Standing Together

Omdim be'Yachad-Naqef Ma'an, ou Standing Together (Debout Ensemble), est un mouvement social israélien judéo-arabe qui lutte contre le racisme et l'occupation, pour l'égalité et la justice sociale. Dans cet entretien, Uri Weltmann, coordinateur national du mouvement, parle de la progression du mouvement pour la paix en Israël, de la manière dont les militants affrontent les extrémistes de l'extrême droite qui tentent d'empêcher l'aide humanitaire d'atteindre la bande de Gaza, et des récentes percées électorales de la gauche.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Federico Fuentes - Comment le mouvement pacifiste en Israël a-t-il évolué depuis le 7 octobre ? Peut-on dire qu'il est en train de faire évoluer l'opinion publique et qu'il sape les efforts de guerre du Premier ministre Benjamin Netanyahou ? et quel rôle joue « Debout ensemble »au sein de ce mouvement ?
Uri Weltmann - Après le 7 octobre, la police israélienne a limité le droit des gens à manifester et à exercer leurs libertés civiles. Il était presque impossible d'obtenir un permis de manifester. Ainsi, en octobre et novembre, la plupart des actions entreprises par le mouvement pour la paix - y compris « Debout ensemble » - n'étaient pas des manifestations, des piquets ou des rassemblements. Au lieu de cela, nous avons accroché dans les rues des pancartes sur lesquelles était écrit « Seule la paix apportera la sécurité » et nous avons organisé des conférences d'urgence judéo-arabes dans deux douzaines de villes à travers Israël, au cours desquelles nous avons exprimé la nécessité de suivre une autre voie que celle du gouvernement.
Ce n'est qu'en décembre que sont apparues des possibilités d'organiser des manifestations de plus grande ampleur. C'est alors que « Debout ensemble » a rassemblé des centaines de personnes lors d'un rassemblement à Haïfa le 16 décembre et un millier d'autres lors d'un rassemblement à Tel-Aviv le 28 décembre. En janvier, nous avons organisé notre première marche contre la guerre, pour laquelle une coordination de plus de 30 mouvements et organisations pacifistes a mobilisé des milliers de personnes.
Les manifestations les plus récentes et les plus importantes à ce jour ont eu lieu début mai, avec des orateurs palestiniens et juifs et des milliers de personnes qui ont défilé à Tel-Aviv sous le slogan « Arrêtez la guerre, ramenez les otages ». L'un des orateurs était Shachar Mor (Zahiru), dont le neveu est aux mains du Hamas à Gaza. Il a vivement critiqué le cynisme de Nétanyahou et de ses alliés et a appelé à la fin de la guerre pour ramener les otages. Avivit John, survivant du massacre du kibboutz Beeri, où de nombreux civils ont été assassinés le 7 octobre, a déclaré à la foule que, bien qu'il ait perdu des amis et des membres de sa famille dans l'attaque du Hamas, il ne voulait pas que nous tous, en tant que société, perdions également notre humanité. Il a appelé à la fin de la guerre, à la reconnaissance de l'humanité qui est commune aux Israéliens et aux Palestiniens, et au retour des otages.
Parallèlement aux manifestations organisées par le mouvement pacifiste, il y a eu un mouvement de protestation plus large appelant au retour des otages, qui, au fil du temps, a adopté une ligne explicitement anti-guerre. Dans les premiers mois qui ont suivi le 7 octobre, des parents et des amis des otages ont organisé des manifestations pour sensibiliser l'opinion à leur détresse, dans le but de faire pression sur le gouvernement. Il y a deux mois, cependant, ce mouvement a pris un virage à gauche en s'associant à des organisations anti-Netanyahou et en annonçant publiquement qu'ils étaient parvenus à la conclusion que Netanyahou et son gouvernement constituaient un obstacle à un accord de cessez-le-feu qui pourrait faciliter la libération des otages. Selon eux, ce qu'il faut, c'est un mouvement de masse pour forcer le gouvernement à partir et la tenue d'élections anticipées.
Il y a quelques semaines, alors que les négociations entre Israël et le Hamas semblaient sur le point d'aboutir à un accord, ce mouvement de protestation s'est ouvertement prononcé en faveur de la fin de la guerre en échange du retour des otages. Ils ont organisé l'une de leurs grandes manifestations du samedi à Tel-Aviv - à laquelle ont participé des dizaines de milliers de personnes - avec pour mot d'ordre « Otages, pas Rafah », et ont fait reprendre le chant « Kulam Tmurat Kulam » (en hébreu : « Libérez-les tous, en échange de tous »), un appel à la libération des milliers de prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes en échange de la libération des otages israéliens retenus par le Hamas.
Ce vaste mouvement de protestation a modifié le climat politique en Israël : les partis de droite et d'extrême droite qui composent la coalition de M. Netanyahu perdent du terrain parmi la population. Alors qu'ils avaient remporté 64 des 120 sièges de la Knesset (parlement israélien) lors des élections de novembre 2022, ils n'obtiendraient aujourd'hui, selon les derniers sondages, qu'entre 45 et 52 sièges. Cela constitue un problème pour M. Netanyahou, car cela signifie non seulement qu'il serait démis de ses fonctions, mais aussi que son procès pour corruption reprendrait et qu'il pourrait se retrouver en prison. Il a donc un intérêt politique et personnel à ce que la guerre contre Gaza se prolonge et s'étende, conformément aux exigences de ses partenaires de la coalition d'extrême droite. Il sait qu'un accord sur les otages a toutes les chances de signifier la fin de la guerre. Et que la fin de la guerre signifiera le renversement de son gouvernement de coalition et la convocation d'élections anticipées, avec pour conséquence une défaite politique et une possible perte de sa liberté personnelle. C'est cette analyse qui a conduit le grand mouvement de protestation en faveur du retour des otages à réaliser que Netanyahou est un obstacle à écarter et pas un simple acteur du dossier qu'il s'agirait de convaincre.
Les membres de « Debout Ensemble » sont intervenus dans ces manifestations de masse - à Tel Aviv, Haïfa, Jérusalem, Beer Sheva, Kfar Sava, Karmiel et ailleurs - en insistant sur le fait que le retour des otages sains et saufs doit s'accompagner de la fin de la guerre et de l'assassinat de civils innocents à Gaza. En outre, notre message est que la sécurité à long terme des deux peuples ne sera pas assurée par la guerre, l'occupation et le siège. Au contraire, nous exigeons la fin de l'occupation et une paix entre Israël et la Palestine qui reconnaisse le droit de tous à vivre dans la liberté, la sécurité et l'indépendance. Il y a des millions de Juifs israéliens dans notre pays et aucun d'entre eux ne partira. Il y a également des millions de Palestiniens dans notre pays et aucun d'entre eux ne partira. Tel doit être le point de départ de notre politique si nous voulons imaginer un avenir de justice, de libération et de sécurité.
« Debout ensemble » a constitué la « Garde humanitaire » pour riposter aux tentatives de l'extrême droite de bloquer les convois d'aide à destination de Gaza. Que pouvez-vous nous dire de cette initiative ?
À la mi-mai, des images et des vidéos de colons violents et extrémistes, connus sous le nom de « Jeunes de la colline », qui attaquaient des camions au point de contrôle de Tarqumia - le principal point de passage reliant le territoire palestinien occupé de Cisjordanie à Israël - transportant de la nourriture et d'autres produits d'aide humanitaire vers la bande de Gaza assiégée, ont cristallisé l'attention. Les chauffeurs de camion palestiniens ont été battus et ont dû être hospitalisés, les sacs de farine et de blé ont été éventrés et les camions incendiés. Ces agressions violentes ont attiré l'attention des médias locaux et internationaux, notamment parce qu'elles se sont déroulées sous les yeux de soldats et de policiers israéliens qui n'ont rien fait pour les empêcher.
En réaction, "Debout ensemblez a annoncé la constitution de la Garde humanitaire, une initiative destinée à rassembler des militants pour la paix de tout Israël afin de constituer une barrière physique entre les colons extrémistes et les camions, de consigner ce qui se passait et d'obliger la police à intervenir. À ce jour, plus de 900 personnes se sont portées volontaires pour y participer. Chaque jour, des dizaines de personnes viennent de Jérusalem et de Tel-Aviv pour se rendre au point de contrôle. Notre présence protectrice au point de contrôle de Tarqumia a permis le passage en toute sécurité de centaines de camions au cours des deux premières semaines, ce qui a permis de livrer des tonnes de nourriture à la population civile de la bande de Gaza où une famine grandissante et une catastrophe humanitaire sont en train de se produire.
Le premier jour où j'y étais, la police a été obligée de repousser les colons et de laisser passer les camions, dont les chauffeurs klaxonnaient en signe de soutien. Les colons semblaient visiblement dérangés par notre présence et par le fait que nous étions plus nombreux qu'eux. Ils ont quitté le poste de contrôle, mais nous avons appris par leur groupe WhatsApp qu'ils se regroupaient sur la route pour attaquer les camions avant qu'ils n'atteignent le poste de contrôle. Lorsque nous sommes arrivés au carrefour où ils se tenaient, nous les avons trouvés en train de piller un camion, de détruire des colis de nourriture et de les jeter sur le bas-côté de la route. Ce n'est qu'à notre arrivée que la police les a éloignés à contrecœur, permettant au camion saccagé de repartir. Nous avons récupéré la nourriture pour la mettre dans les camions suivants. Nous consignons également les attaques des colons et déposons des plaintes, ce qui a entraîné l'arrestation de certains d'entre eux par la police.
Nous considérons la Garde humanitaire à la fois comme un moyen d'exprimer notre solidarité avec la population de la bande de Gaza et comme un élément dans la lutte que nous menons pour la définition du caractère de notre société : nous refusons que la société israélienne soit façonnée en fonction des critères moraux des fanatiques d'extrême droite qui déshumanisent les Palestiniens et promeuvent une politique de mort. « Debout ensemble », en tant que mouvement, est enraciné dans la société israélienne, avec toutes ses complexités, et œuvre pour susciter des changements dans l'opinion publique et organiser les citoyens juifs et palestiniens d'Israël afin de construire une nouvelle majorité au sein de notre société, une majorité qui nous permettra d'avancer vers la paix, l'égalité, et la justice sociale et climatique.
L'Organisation des Nations unies (ONU) a récemment voté en faveur d'une revalorisation du statut de la Palestine au sein de l'organisation, tandis que certains gouvernements européens ont officiellement reconnu l'État palestinien. Les États-Unis ont même refusé de fournir à Israël des bombes pour attaquer Rafah. En Israël, a-t-on le sentiment de perdre une partie du soutien international et quel est l'impact de cette évolution sur le jugement de l'opinion publique à l'égard du gouvernement ?
Le vote de l'ONU pour donner plus de droits aux Palestiniens au sein de cette institution, ainsi que la décision de l'Espagne, de la Norvège et de l'Irlande de reconnaître formellement l'Etat palestinien, sont des étapes diplomatiques importantes pour renforcer la légitimité internationale de la lutte pour la libération et le droit à un Etat palestinien. Je suis convaincu - et il existe un large consensus international sur ce point - que les résolutions des Nations unies constituent la meilleure base pour permettre aux Palestiniens de gagner leur droit à l'autodétermination nationale, par le biais de la création d'un État indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale et la ligne verte (la frontière avant le 4 juin 1967) comme frontière entre les États de Palestine et d'Israël. Un tel accord de paix devrait inclure le démantèlement de toutes les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, qui sont illégales au regard du droit international ; une solution juste et consensuelle pour les réfugiés palestiniens sur la base des résolutions des Nations unies ; la démolition du « mur de séparation » construit au début des années 2000 ; et la libération des prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes, y compris les plus de 3 600 « détenus administratifs » qui restent en prison sans inculpation, procès ou condamnation, dans certains cas depuis de nombreuses années.
En Israël, les grands médias présentent cette évolution de l'opinion publique étrangère et les développements diplomatiques comme étant prétendument dirigés contre tous les Israéliens. La classe politique israélienne tente de faire l'amalgame entre le gouvernement et l'État, d'une part, et les citoyens ordinaires, d'autre part, et présente les critiques internationales dirigées contre la façon dont le gouvernement Nétanyahou agit à Rafah comme des critiques dirigées contre tous les citoyens israéliens, tandis que les accusations de crimes de guerre portées contre Nétanyahou et d'autres hauts responsables sont présentées comme des accusations dirigées contre l'ensemble des Israéliens. Cela a pour effet de pousser les gens à faire bloc autour du gouvernement de Netanyahou, de sorte que même les personnes qui critiquent ses agissements ou qui cherchent une alternative politique se rangent à ses côtés contre le tribunal de La Haye.
Cela montre à quel point il est important de créer un espace au sein de la société israélienne pour la critique des politiques de ses dirigeants. Si toutes les critiques proviennent de l'extérieur, ou si les critiques confondent le peuple et le gouvernement, l'effet sera de combler, plutôt que d'élargir, le fossé entre la majorité du peuple et les dirigeants actuels.
En pleine guerre, des élections locales ont eu lieu et, pour la première fois, « Debout Ensemble » a réussi à être représenté dans les conseils municipaux de Tel Aviv et de Haïfa. Que pouvez-vous nous dire de ces résultats et de leur importance pour la construction d'une nouvelle gauche en Israël ?
Le 27 février, des élections locales ont eu lieu en Israël. Initialement prévues en octobre, elles ont été reportées en raison de la guerre. Ces élections, qui ont lieu tous les cinq ans, déterminent la composition des conseils municipaux. Dans les mois qui ont précédé les élections, deux nouveaux groupes d'action municipale, tous deux proches des idées de « Debout ensemble », ont été créés à Tel Aviv et à Haïfa en vue de prendre part à ces élections.
À Tel-Aviv, dans le mouvement « ville violette », conduit par Itamar Avneri, membre de la direction nationale de « Debout ensemble », se retrouvent des gens divers parmi lesquels les jeunes urbains sont majoritaires, autour des questions de logement et de justice climatique. En septembre, il s'est associé à d'autres secteurs de la gauche, tels que le parti communiste, un mouvement environnemental local et quelques activistes communautaires pour former une coalition électorale appelée « La ville c'est nous tous ». Cette alliance a obtenu 14 882 voix (7,6 %) et a remporté 3 des 31 sièges du conseil municipal. Avneri, qui était troisième sur la liste , a été élu conseiller municipal.
À Haïfa, le mouvement « La majorité de la ville », conduit par Sally Abed, membre de la direction nationale de « Debout ensemble », s'est présenté aux élections et a obtenu 3 451 voix (3 %), ce qui a permis de faire élire Sally Abed comme la seule femme membre du conseil municipal. C'était la première fois qu'une femme palestinienne était à la tête d'une liste pour le conseil municipal de Haïfa. La liste comptait également parmi ses candidats Orwa Adam, un militant palestinien ouvertement homosexuel, une première dans l'histoire électorale israélienne.
Les deux listes étaient judéo-arabes, et, bien qu'indépendantes de « Debout Ensemble » sur le plan organisationnel, juridique et financier - comme l'exigent les lois électorales -, elles ont été publiquement reconnues comme étant en accord avec notre « étiquette » politique. Ces expériences réussies de mobilisation électorale organisée par en bas sont importantes pour la construction d'une nouvelle gauche populaire et viable en Israël, enracinée dans nos communautés, avec une orientation internationaliste et ancrée dans les valeurs socialistes. Dans les années à venir, c'est le principal défi auquel sont confrontés tous ceux qui espèrent voir une gauche combative en Israël, capable à la fois de défier l'hégémonie de la structure institutionnelle et des forces en place et de gagner en puissance sur la base d'un projet politique en rupture avec l'existant.
• Traduit de l'espagnol pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide e DeepL.
Une correction a été introduite le 7 juin 2024 dans cette phrase : « Il [Nétanyahou] sait qu'un accord sur les otages a toutes les chances de signifier la fin de la guerre. »
Source Nueva Sociedad. MAYO 2024.
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Ces gens qui m’expliquent la vie

Qui n'a jamais eu l'honneur de se faire expliquer la vie par un homme sur des sujets concernant les femmes ? Or, cette irritation quotidienne n'est pas seulement l'apanage masculin, puisque de nombreuses femmes blanches reproduisent ce schéma envers les femmes racisées.
Dans un billet de blogue publié en 2008 sur la plateforme TomDispatch, l'écrivaine américaine Rebecca Solnit y va d'une anecdote qui fait franchement sourire. Elle y relate sa rencontre avec un homme qui se trouve à lui expliquer avec condescendance le propos d'un livre, sans réaliser que son interlocutrice en est l'autrice. Elle écrira « chaque femme sait de quoi je parle » en référence à ce type de situation fâchante.
En effet, il arrive trop souvent que les hommes surestiment leurs capacités et leurs connaissances, parfois dans des domaines où ils n'ont pas ou peu d'expertise. À l'inverse, nombreuses sont celles qui doutent de leurs connaissances et de leur savoir-faire, même lorsqu'elles cochent toutes les cases de la compétence.
En 2014, Solnit publiera l'essai Men Explain Things to Me, qui inspirera l'expression mansplaining (que certain·es traduiront par « mecsplication »). Il s'agit d'un mot-valise composé de « homme » (man) et de « qui explique » (explaining). Selon le Conseil du statut de la femme du Gouvernement du Québec, un mecspliqueur est un « homme qui est convaincu de mieux connaître un sujet qu'une femme alors que le sujet la concerne, elle. »
Dans le même esprit, la journaliste franco-sénégalaise Rokhaya Diallo, en collaboration avec l'illustratrice Blachette, publiera en 2021 la bande dessinée M'explique pas la vie, mec !. Sur un ton humoristique, Diallo et Blachette y abordent des situations où les comportements masculins effacent les femmes. On y aborde notamment les notions de manterrupting, le fait de se faire couper la parole par un homme, et de manspreading, lorsque des hommes en transport en commun s'assoient en écartant leurs jambes de façon à occuper plus d'un siège.
J'ai souvent été victime de mansplaining au cours de ma vie, mais j'ai également reçu cette condescendance de la part de femmes blanches, mais pas que. J'ai beau être doctorante, chargée de cours à l'université et enseigner sur des enjeux touchant les violences faites aux femmes à des étudiant·es en travail social et en criminologie, il y a toujours certaines femmes qui ne sont pas prêtes à reconnaître que j'ai de l'expertise sur ce sujet, et ce, depuis belle lurette.
Plus encore, certaines vont même jusqu'à répandre des accusations mensongères et diffamatoires de « vol d'idées » ou de « plagiat » à l'encontre de femmes noires et racisées sans réaliser que ces idées font partie du « sens commun » pour toutes les personnes qui œuvrent dans le domaine des violences faites aux femmes. Par exemple, expliquer que les femmes ne font pas confiance au système de justice criminelle en matière de violences sexuelles n'a rien de révolutionnaire. C'est une notion qui est présente et qui a fait l'objet de très nombreuses études scientifiques et de livres, dans plusieurs juridictions à travers le monde depuis que ces violences sont criminalisées. De plus, expliquer que le monde a besoin de se réinventer après la pandémie de COVID-19 en matière d'environnement, de féminisme, d'antiracisme et de justice sociale n'est pas spectaculaire en soi. Cette notion fait partie de nombreuses conférences, colloques, essais et fellowships comme thématique principale, et ce, depuis les deux dernières années.
En ce sens, à moins d'être le prochain prix Nobel ou Picasso 2.0, nous sommes rarement aussi originaux ou originales qu'on prétend l'être. Ce qu'on exprime, il est fort probable que d'autres le pensent aussi ou qu'ils y aient pensé avant nous. Il y a également certaines idées et concepts qui sont dans l'air du temps.
Plus on apprend, plus on réalise que l'on sait peu de choses. Le plus souvent, les chercheur·euses universitaires ajoutent une petite brique à l'édifice de ce qui est déjà connu pour toutes les personnes qui se penchent sur le même objet d'étude avec un angle nouveau. Très rares sont ceux et celles qui feront des découvertes qui révolutionneront complètement leur champ ou leur domaine.
J'ai appris à tenir pour acquis que mon interlocuteur ou mon interlocutrice sait très probablement des choses sur l'objet de notre discussion. Je suis souvent irritée lorsque l'on m'explique mon champ d'expertise sans jamais me demander ce que je sais sur le sujet. Ainsi, l'une des choses que la recherche m'aura apprises, c'est l'humilité. Une qualité qui fait malheureusement défaut à beaucoup d'hommes, mais aussi, avouons-le, à certaines femmes en position de pouvoir.
Illustration : Elisabeth Doyon
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