Derniers articles

*Notre cerveau à tous les niveaux - Du Big Bang à la conscience sociale*

17 septembre 2024, par Bruno Dubuc, Éditions Écosociété — ,
Des connaissances scientifiques aux préoccupations sociopolitiques, une odyssée fascinante dans l'objet le plus complexe de l'univers, notre cerveau.* Le livre *Notre cerveau (…)

Des connaissances scientifiques aux préoccupations sociopolitiques, une odyssée fascinante dans l'objet le plus complexe de l'univers, notre cerveau.*

Le livre *Notre cerveau à tous les niveaux - Du Big Bang à la conscience
sociale*, du vulgarisateur Bruno Dubuc, va paraître *en librairie le 1er
octobre prochain.*

*En bref* : Mettant en scène un dialogue entre un vulgarisateur
scientifique et un cinéaste militant, ce livre hors norme nous plonge dans
l'objet le plus complexe de l'univers : le cerveau. Des connaissances
scientifiques aux préoccupations sociopolitiques, une odyssée fascinante à
la portée de toute personne curieuse de remonter aux origines d'Homo
sapiens pour mieux envisager son avenir.

*À propos du livre*

D'où viennent nos connaissances ? Qu'est-ce qui motive nos actions ? Ces
questions sont le point de départ d'une grande aventure visant à cerner
l'objet le plus complexe de l'univers : notre cerveau. Ouvrage de référence
pour appréhender notre corps-cerveau en constante interaction avec son
environnement, *Notre cerveau à tous les niveaux* emprunte à la « Big
History » pour raconter l'histoire des origines de la pensée humaine, du
Big Bang à la conscience de soi... et des autres.

À l'instar de Galilée qui, dans son célèbre *Dialogo sopra i due massimi
sistemi del mondo*, a fait dialoguer trois personnages pour démontrer que
la Terre tourne autour du soleil, l'auteur Bruno Dubuc a choisi de
présenter ce récit transdisciplinaire sous la forme d'une discussion entre
un vulgarisateur scientifique, c'est-à-dire lui-même, et un cinéaste
militant, son alter ego. Au fil de leurs rencontres, les deux complices
abordent autant la grammaire de base du système nerveux que les émotions et
le langage, l'auto-organisation du vivant et l'autogestion des communautés
humaines, le cerveau prédictif et les bouleversements climatiques. Avec
eux, nous comprenons peu à peu la nécessité de bâtir des ponts entre
savoirs scientifiques et préoccupations sociopolitiques.

Fruit de 20 ans de travail, cette somme exceptionnelle de connaissances
scientifiques nous convie ni plus ni moins à explorer ce que signifie,
aujourd'hui, « être humain ». Faisant le pari que la compréhension de notre
cerveau est un premier pas pour opérer un changement social, cette odyssée
fascinante est à la portée de toute personne curieuse de remonter aux
origines d'Homo sapiens pour mieux envisager son avenir.

« *Un exercice très ludique et détaillé qui met parfaitement en lumière les
conceptions actuelles de l'esprit humain en relation avec leurs différents
substrats physiologiques. Un bel équilibre.
* »

Dr. Mathieu Landry, chercheur en neuroscience cognitive, membre du
Baillet Lab [ neuroSPEED ]

« *J'ai longtemps cru pouvoir faire des sciences sociales sans m'intéresser
au cerveau humain. Non seulement le chef-d'œuvre de Bruno Dubuc m'a
convaincu que j'avais tort, mais il fournit aussi tout ce qu'il faut pour
commencer à corriger cette erreur.
* »

Yves-Marie Abraham, sociologue et auteur de *Guérir du mal de l'infini *

*À propos de l'auteur*

Détenteur d'une maîtrise en neurobiologie de l'Université de Montréal, *Bruno
Dubuc* est vulgarisateur scientifique. Après avoir œuvré une dizaine
d'années à titre de journaliste et recherchiste scientifique, tant pour
l'écrit que pour la télé, il a lancé en 2002 le site web de référence Le
cerveau à tous les niveaux (lecerveau.mcgill.ca), reconnu dans le milieu
scientifique. Depuis 2014, il fait partie du collectif derrière l'Upop
Montréal, dont les activités s'inscrivent dans le sillage des universités
populaires. Il est possible de retrouver les références du livre et du
contenu supplémentaire sur son autre site https://livre.blog-lecerveau.org/.

Habitué des manifestations et actions contre les différentes formes
d'aliénation générées par le système capitaliste, *Yvon D. Range*r est
journaliste et cinéaste. Il a coordonné de 2002 à 2014 le mensuel
indépendant satirique Le Couac tout en réalisant de manière tout aussi
indépendante une vingtaine de courts métrages, cinq longs métrages et une
série web, tous à saveur politique.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La vie romanesque des textes. Traité de sociocritique

17 septembre 2024, par Editions M — , ,
M éditeur et le Centre de recherche interuniversitaire en sociocritique des textes (CRIST) vous convient au lancement de La vie romanesque des textes. Traité de sociocritique, (…)

M éditeur et le Centre de recherche interuniversitaire en sociocritique des textes (CRIST) vous convient au lancement de La vie romanesque des textes. Traité de sociocritique, de Pierre Popovic. L'évènement aura lieu le mardi 17 septembre à 18h à la Librairie du Square, au 1061 Av. Bernard, Outremont. Vins et boissons seront offerts.

Au plaisir d'échanger avec vous !

« La sociocritique telle que la pratique Pierre Popovic est un appel à l'action, à la non-résignation. C'est une critique en acte, résolument accrochée à la parole vive qui résonne dans toute écriture digne de ce nom, nourrie par l'inventivité de la culture orale qui se mêle à la chose écrite, sensible aux imprévus de la syntaxe, aux interactions des points de vue, aux nuances des voix, à tout ce qui rend la langue présente au monde, profondément incarnée et plurielle. » (Michel Biron)

L'AUTEUR

Pierre Popovic est professeur émérite de l'Université de Montréal et auteur d'essais comme La contradiction du poème (1992), Imaginaire social et folie littéraire, Le second empire de Paulin Gagne (2008) et La mélancolie des Misérables. Spécialiste internationalement reconnu de la sociocritique, il a fondé en 2008 le Centre de recherche interuniversitaire en sociocritique des textes (CRIST), lequel est aujourd'hui codirigé par Geneviève Boucher (uOttawa) et Bernabé Wesley.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

C’est injuste ! | Livre à paraître le 8 octobre 2024

17 septembre 2024, par Amélie Chanez, Anne-Marie Le Saux, Éditions Écosociété — ,
Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez été témoin d'une injustice ? Deux sociologues remontent aux sources des inégalités de la crise climatique. « Je ne peux (…)

Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez été témoin d'une
injustice ? Deux sociologues remontent aux sources des inégalités de la
crise climatique.

« Je ne peux pas respirer » ont été les derniers mots prononcés par George
Floyd en 2020 [...] Cette phrase peut exprimer non seulement la violence
produite par les institutions policières, les politiques et les décisions
de l'État, mais aussi la disproportion de l'exposition aux pollutions des
populations racisées.

Le livre *C'est injuste, *7e livre de la collection Radar, par Amélie
Chanez et Anne-Marie Le Saux, paraîtra le *8 octobre 2024 * !

*En bref : *Deux sociologues passionnées par leur discipline décident de
l'utiliser pour explorer le cas des injustices climatiques. Permettant de
contourner le piège de la désinformation, de confronter une vision biaisée
par notre position de privilège et d'agir concrètement à travers le partage
d'initiatives et d'informations sur ces injustices, l'approche
sociologique, celle de Caroline Dawson, de Jean-Philippe Pleau, pour ne
nommer qu'eux, semble tout indiquée pour ouvrir des yeux sur un problème
mondial.

*À propos du livre*

C'est par le voyage que Amélie Chanez et Anne-Marie Le Saux ont pris
conscience de nombreuses inégalités, dont les injustices environnementales.
Leurs constats : plusieurs de nos privilèges sont des contraintes pour
d'autres humains. De plus, devant la crise climatique, les populations
pauvres ou racisées, sont davantage affectées.

Si l'indignation leur fait dire que « C'est injuste ! », les autrices se
tournent vers leur pagaie de choix : la sociologie, qu'elles enseignent au
Cégep de Maisonneuve. Dans cet essai, elles font sortir la science humaine
de la salle de classe et appliquent un regard critique et mobilisateur sur
un monde inégal, en crise.

À l'aide d'exemples poignants et d'entrevues avec des citoyen·nes engagé·es
dans leur communauté, les autrices nous invitent à décoloniser les discours
sur la crise climatique, à envisager une autre façon d'habiter le monde et
de consommer. Les jeunes ne sont pas seul·es à s'en préoccuper, des gens
réclament déjà des changements sur la place publique. *C'est injuste ! * fait
la démonstration qu'il n'est pas trop tard pour renverser la vapeur, mais
qu'il faudra le faire ensemble. Il est urgent de discuter des enjeux
environnementaux et de justice sociale !

*À propos des autrices *

Ancienne travailleuse sociale et animatrice jeunesse, *Amélie Chanez* est
professeure de sociologie au Collège de Maisonneuve. Elle s'intéresse aux
théories de l'engagement social, des mouvements sociaux, aux féminismes et
à la décolonisation.

*Anne-Marie Le Saux* enseigne la sociologie au Collège de Maisonneuve. Elle
a collaboré à la revue sociale et politique À *bâbord ! et *à quelques
ouvrages collectifs dont *L'essor de nos vies : parti pris pour la société
et la justice* (2000) et *Les femmes changent la lutte (2013)*.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Un plaidoyer pour le droit des femmes

17 septembre 2024, par Paul Martial — ,
Tiré de Entre les lignes et les mots https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/11/un-plaidoyer-pour-le-droit-des-femmes/ Réédition en poche de « La force des (…)

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/11/un-plaidoyer-pour-le-droit-des-femmes/

Réédition en poche de « La force des femmes » de Denis Mukwege

La présentation du gynécologue congolais Denis Mukwege comme « l'homme qui répare les femmes » est des plus réductrices. Denis Mukwege est d'abord et avant tout un militant féministe, une cause à laquelle il consacre sa vie.

A travers son ouvrage salutaire et émouvant on partage son cheminement, de la prise en charge médicale des femmes à la critique radicale des sociétés patriarcales, qu'elles soient africaines ou occidentales.

La force de revivre

Les débuts de sa carrière médicale sont consacrés aux soins des femmes notamment lors des accouchements difficiles, puis avec la venue des conflits armés dans le pays, l'essentiel de son travail consistera à soigner les victimes des viols et violences sexuelles.

Ce n'est pas la moindre des qualités de cet ouvrage d'expliquer simplement, en quelques phrases les raisons des conflits qui secouent la République Démocratique du Congo (RDC) depuis plus de trente ans.

Avec l'auteur, à travers des portraits attachants de femmes victimes de ces violences, on comprend que les actes de soins doivent être accompagnés aussi d'un soutien psychologique, moral mais aussi d'une aide sociale et économique permettant aux victimes de pouvoir vivre décemment.

Il relate la manière dont les victimes sont soignées, comment elles sont prises en charge par les femmes de l'équipe : les « mamans chéries (…) Elles sont à la fois des infirmières, des assistantes sociales et des psychologues » et « délivrent autant de câlins et de musique que de médicaments » qui à force d'écoute, de tendresse et d'amour permettent à ces survivantes parfois des adolescentes, de reprendre vie en se débarrassant du sentiment de honte et de culpabilité.

On apprend le rôle majeur des anciennes victimes dans la réalisation du projet d'accompagnement social et économique. Pour construire la « Cité de la Joie » l'entreprise de bâtiment a eu l'obligation d'embaucher des femmes, cassant ainsi la division genrée du travail.

Un lourd tabou

L'auteur considère que le viol est rendu possible par des siècles d'oppression patriarcale. En décrivant la vie quotidienne des congolaises dans les zones rurales, on prend la mesure du degré d'oppression et d'exploitation subi.

Mukwege raconte cette anecdote terrifiante. Ayant en face de lui un combattant d'une des milices qui sévit en RDC, il lui demande pourquoi ces viols sont accompagnés en plus de sévices atroces. Sa réponse, de l'aveu de l'auteur, lui glace le sang : « Quand on tranche la gorge d'une chèvre ou d'un poulet on ne se pose pas de question. Une femme, c'est pareil. On fait ce qu'on veut avec. »

Un des mérites de ce livre est l'analyse pluridimensionnelle du viol. Dans les situations de conflit il est considéré comme une arme de guerre dont le but est d'annihiler les liens sociaux du camp ennemi ou de mener des campagnes de purification ethnique. Il permet aussi aux groupes armés comme Daech de recruter et garder leurs membres en promesse de femmes. Des témoignages de miliciens font état d'une sorte d'addiction dans ces actes de violence. En RDC les viols massifs sont aussi un moyen pour pousser des populations à partir afin de s'attribuer l'exploitation des mines.

Mais il existe un point commun à ces crimes, leur invisibilisation. Mukwege nous interroge sur l'appréhension de notre propre passé historique. Parle-t-on, lors des différentes commémorations de guerre, des victimes de viol ? Ne préfère-t-on pas passer sous silence les violences sexuelles des alliés lors de la seconde guerre mondiale ? Qui évoque les viols lors du génocide des juifs par les nazis ?

Mukwege note avec une grande satisfaction que les mouvements féministes comme #MeeToo ont permis de briser le silence sur ces crimes signifiant le début d'une remise en cause de l'impunité pour les agresseurs. Si les lois nationales et internationales ont évolué dans le bon sens, leur application reste dans la plupart des cas problématique et seules les mobilisations permettent l'effectivité de ces dispositions juridiques. Denis Mukwege nous invite à les renforcer en « transformant nos émotions en action ».

La force des femmes de Denis Mukwege
Traduction Marie Chuvin et Laetitia Devaux
Edition Gallimard
Collection Folio Actuel N° 195. 400p.
Prix 9,40€

Paul Martial
https://www.afriquesenlutte.org/communiques-luttes-et-debats/livres-etudes-debats/article/un-plaidoyer-pour-le-droit-des-femmes

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Genre et sexualités : l’offensive réactionnaire de l’extrême droite

17 septembre 2024, par Cassandre Begous, Fanny Gallot — ,
Tiré de la revue Contretemps 13 septembre 2024 Par Cassandre Begous et Fanny Gallot Les éditions Amsterdam viennent de publier le premier livre de l'institut la Boétie, (…)

Tiré de la revue Contretemps
13 septembre 2024

Par Cassandre Begous et Fanny Gallot

Les éditions Amsterdam viennent de publier le premier livre de l'institut la Boétie, intitulé Extrême droite : la résistible ascension. Coordonné par Ugo Palheta, accompagné d'une préface de l'historien Johann Chapoutot et une postface de Clément Guetté, cet ouvrage a pour ambition de fournir des armes intellectuelles, enracinées dans la recherche contemporaine sur l'extrême droite, pour comprendre et combattre la progression du FN/RN (voir le sommaire ici).

Une grande partie du succès des extrêmes droites continue de reposer sur le racisme, en particulier la xénophobie anti-immigrés et l'islamophobie, mais il est important d'analyser les nouveaux terrains qu'investissent ces forces politiques pour élargir le périmètre de leur influence. Nous publions ainsi un extrait du chapitre écrit par Cassandre Begous et Fanny Gallot, qui montre comment l'extrême droite a cherché au cours des dix dernières années à politiser les questions de genre et de sexualité, façonnant « de nouvelles logiques d'exclusion et d'altérisation » et permettant de redéployer et légitimer « un discours essentialiste et transphobe ».

Les fantômes de La Manif pour tous

Le 19 mars 2024, la sénatrice Les Républicains (LR) Jacqueline Eustache-Brinio annonce la publication d'un rapport sur la « transidentification des mineurs », ainsi qu'une proposition de loi visant à interdire à ces derniers les transitions de genre. Très vite, le Rassemblement national dit déposer une proposition de loi similaire à l'Assemblée nationale.

Cette actualité s'inscrit dans la continuité d'une offensive réactionnaire bien documentée et dans laquelle les questions de genre occupent une place importante, sinon centrale. Si l'on retrace la généalogie de cette offensive, on retrouve la même sénatrice parmi les opposant·es à la loi de 2022 qui visait à interdire les thérapies de conversion : considérant que les personnes trans ne devaient pas être couvertes par cette loi, elle mettait en garde ses collègues contre « l'idéologie du genre » et « tout ce qui nous vient des États-Unis », que voudrait imposer, à l'en croire, une « minorité agissante ».

Cette petite musique n'est pas nouvelle pour quiconque a vécu les débats autour du mariage pour tous en 2012. Soucieuse de ne pas paraître trop homophobe (malgré les débordements bien documentés de ses participants), La Manif pour tous préférait agiter le chiffon rouge du mariage homosexuel. Le mariage pour tous n'était pas une simple affaire d'égalité des droits, mais le vecteur d'une décadence de notre société, et même, selon la députée Annie Genevard (LR), « une atteinte irréversible à l'intégrité de l'espèce humaine [1] ». Il signait la fin de l'« altérité sexuelle » ontologiquement – si ce n'est théologiquement – constitutive de l'humanité et de la civilisation. En 1998, les adversaires du Pacs dénonçaient une menace pour la « différence des sexes ».

De même, en 2011, quand les stéréotypes de sexe et l'orientation sexuelle ont été mentionnés dans les nouveaux programmes de sciences de la vie et de la terre (SVT) : Christine Boutin, alors en campagne pour la présidentielle, a immédiatement dégainé une affiche montrant un bébé et portant le slogan « Tu seras une femme, mon fils » [2]. La même rhétorique a été réactivée en 2014 à propos des « ABCD de l'égalité », programme d'enseignement de l'égalité filles-garçons où ses détracteurs voyaient l'introduction de la « théorie du genre » à l'école, qui amènerait, entre autres choses, à enseigner la masturbation aux enfants.

Les questions de genre et de sexualité façonnent de nouvelles logiques d'exclusion et d'altérisation et sont également un instrument de redéploiement d'un discours essentialiste et transphobe. Sans conteste, l'extrême droite s'en sert pour construire une « panique morale », c'est-à-dire susciter une réaction politique et médiatique disproportionnée face à un fait social marginal ou minoritaire afin de l'ériger en une menace existentielle pour le corps social tout entier. Elle cherche ainsi à faire face à la lame de fond féministe qui embrase notamment la jeunesse, dans le cadre d'une nouvelle dynamique féministe mondiale à l'œuvre depuis le milieu des années 2010 [3].

Ces discours profondément réactionnaires se diffusent via les réseaux sociaux et les médias traditionnels, en particulier ceux appartenant à l'empire Bolloré, qui offrent une tribune importante à des paroles anti-trans. On a encore eu un exemple récemment, avec la promotion spectaculaire de Transmania, ouvrage anti-trans pourtant publié par une maison d'édition confidentielle d'extrême droite [4]. Ces discours infusent d'autant plus qu'ils ne sont pas fermement condamnés par la Macronie mais confortés par les politiques publiques.

En effet, si l'Église catholique et les mouvements anti-mariage pour tous ont préparé le terrain à une hostilité vis-à-vis des approches en termes de genre, l'offensive transphobe actuelle s'est dotée de nouveaux réseaux, dont fait partie la sénatrice LR mentionnée plus haut. Si elle ne comptait pas parmi les hérauts de La Manif pour tous, l'ancienne maire de Saint-Gratien s'est plutôt distinguée par une politique agressive contre la vie des quartiers populaires, par exemple en faisant détruire le stade de foot dans lequel devait se produire la « Coupe d'Afrique des nations des quartiers [5] » et en qualifiant de « racailles » les jeunes venus manifester contre sa destruction [6].

Cette répression est justifiée au nom d'une idée simple : l'étranger est un homme dangereux pour les femmes – sous-entendu, françaises et blanches en particulier. Cette contribution voudrait dessiner les contours de ces offensives réactionnaires pour mieux les affronter.

L'offensive anti-trans

En août 2022, le Planning familial fait l'objet d'attaques violentes sur les réseaux sociaux pour sa campagne présentant une personne trans. Les groupes et personnalités que l'on vient d'évoquer demandent la levée des subventions, déjà réduites à peau de chagrin, dont bénéficie cette structure qui défend historiquement les droits des femmes et le droit à l'avortement. Or, paradoxalement, les responsables de ces attaques prétendent agir au nom de la protection des femmes, ou plutôt, sous la plume de Marguerite Stern et Dora Moutot [7], au nom d'une « réalité biologique et scientifique [8] » censée protéger les femmes. En clair, inclure les femmes transgenres dans la catégorie des femmes risquerait d'effacer la condition de possibilité d'une identité féminine commune [9]. Pire, les personnes trans constitueraient un danger général envers les femmes.

La femme trans est présentée comme perverse, sexuelle et dangereuse ; elle subit une essentialisation d'une prétendue masculinité persistante, mise en avant pour justifier leur exclusion de tous les espaces de la vie sociale. Cette conception va à l'encontre de décennies de pensée féministe radicale, qui ont défini l'émancipation comme un affranchissement de la destinée biologique. Cela est vrai chez Simone de Beauvoir, pour qui « si la situation biologique de la femme constitue pour elle un handicap, c'est à cause de la perspective dans laquelle elle est saisie [10] », comme chez Christine Delphy, sociologue féministe matérialiste, qui explique que « le genre précède le sexe [11] ».

L'enchaînement de la condition féminine à la biologie est davantage l'apanage du discours de la droite. Andrea Dworkin a montré que ce camp politique circonscrit les femmes à la maternité, les considère comme vulnérables et faibles, mais aussi comme naturellement habitées par un instinct qui les pousse à nourrir et à protéger les enfants. Dès lors, elles seraient « naturellement » conservatrices [12].

Ce cadrage permet à la droite de transformer les aspirations féministes à l'émancipation en demandes de protection et, ainsi, de maintenir les femmes dépendantes de la domination masculine. Les femmes qui adhèrent à cette vision du monde entrent dans une défense perpétuelle de leur respectabilité et de leur place dans la sphère domestique, notamment contre les homosexuels. Selon Dworkin, « l'homosexualité […] rend les femmes inutiles », particulièrement l'homosexualité masculine « car elle suggère un monde entièrement sans les femmes[13] ».

Ainsi l'engagement homophobe des femmes de droite comme Anita Bryant ou Phyllis Schlafly constitue pour elles une bataille existentielle au sens strict. Défendre la respectabilité de la femme hétérosexuelle maîtresse de son foyer revient alors à défendre l'humanité et la civilisation tout entière.

La rhétorique transphobe des nouvelles femmes de droite

Les nouvelles femmes de droite [14] engagées dans le militantisme anti-trans répandent une semblable rhétorique du remplacement. Dès 1979, dans le brûlot transphobe The Transsexual Empire, Janice Raymond explique que les femmes trans sont le cheval de Troie d'un « empire » médical qui cherche à créer des femmes synthétiques et qui frappe les « vraies femmes » d'obsolescence [15]. On retrouve ce discours dans l'actuel backlash [16] anti-trans, par exemple lorsque sur le plateau de Quotidien, en 2021, Elisabeth Roudinesco s'alarme d'une « épidémie de transgenres », ou lorsque Le Figaro titre que les personnes trans « veulent l'effacement de la femme [17] ».

La transphobie est donc une actualisation du discours antiféministe de la droite à destination des femmes. Mais, en réactivant la peur du remplacement des femmes, la transphobie radicalise ce discours et constitue également un vecteur majeur de diffusion de la pensée d'extrême droite, de sa politique sexuelle normative et hiérarchique comme de sa politique xénophobe et eugéniste.

L'idée d'un remplacement des femmes par les trans (hommes comme femmes [18]) fait écho au discours raciste du « grand remplacement ». Comme l'étranger venu accaparer « nos » femmes (blanches) et supplanter « notre » civilisation, la femme trans joue le rôle d'un autre monstrueux et sexuellement dangereux contre lequel la droite promet d'ériger un cordon sanitaire. Le discours anti-trans possède souvent un fond conspirationniste et présente par exemple l'augmentation du nombre de transitions de genre comme le résultat d'un lobbying international et organisé. La vidéaste Lily Alexandre a montré que la transphobie alimentait le phénomène d'extrême-droitisation : c'est ainsi que la figure de Martine Rothblatt, femme d'affaires millionnaire, transgenre et juive, est devenue pour nombre de militant·es anti-trans une « preuve » de l'existence du lobby et de sa puissance fantasmée [19].

Les discours anti-trans comportent également une dimension eugéniste. Ils décrivent en effet les femmes trans comme des hommes aux perversions pathologiques, cherchant à transitionner par fétichisme sexuel ou dans le but de violer des femmes dans les toilettes [20]. Les hommes trans sont, eux, considérés comme des petites filles autistes, complexées ou influençables par leurs amis, victimes d'un lobby qui les pousse à l'automutilation. Bref, quel que soit leur genre, les personnes trans sont systématiquement ramenées à une forme de déséquilibre mental qui les rend soit dangereuses, soit moralement mineures.

Cette vision de la transidentité comme maladie justifie en retour une politique autoritaire visant à « corriger » le trouble, notamment au travers des thérapies de conversion ou de l'interdiction pure et simple de la transition de genre, légale ou médicale [21]. L'eugénisme s'exerce également dans le contrôle social des corps que la panique anti-trans encourage. Afin de « démasquer » des femmes qui seraient secrètement trans, nombre de forums internet s'affairent à décortiquer tous les attributs trop « masculins » qui pourraient trahir la véritable identité d'une femme trans. Cela débouche sur le harcèlement de femmes transgenres ou cisgenres considérées comme ayant des attributs hors des normes de la féminité [22]. Dans son expression la plus extrême, cette volonté de contrôle des corps s'est traduite par l'appel de la militante anti-trans Posie Parker aux hommes portant des armes à feu à utiliser les toilettes des femmes pour les « protéger », c'est-à-dire à venir y agresser des femmes considérées comme trans [23].

*

Illustration : Wikimedia Commons.

NOTES

[1] Yves Delahaie, Mariage pour tous vs Manif pour tous, ou La Bataille de l'égalité, Paris, Golias, 2015, p.308.

[2] Marie Donzel, « Pour ne pas faire du projet de loi-cadre sur l'égalité hommes/femmes la troisième mi-temps du débat sur le mariage pour tous », Ladies & Gentlemen (blog), 16 juillet 2013.

[3] P. Delage et F. Gallot (dir.), Féminismes dans le monde. 23 récits d'une révolution planétaire, Paris, Textuel, 2020.

[4] Voir Lumi et Usul, « Transphobie : la nouvelle panique des médias et de l'extrême droite », Blast, 5 mai 2024.

[5] La « Coupe d'Afrique des nations des quartiers » est une compétition de football amateur très suivie, organisée dans les quartiers populaires : s'y affrontent des équipes représentant différents pays d'Afrique.

[6] Voir Lina Rhrissi, « La sénatrice Jacqueline Eustache Brinio en croisade contre les musulmans et les quartiers populaires », StreetPress, 6 juillet 2020.

[7] Militantes anti-trans de premier plan, qui se sont distinguées en proposant à la presse (notamment à Marianne) les premières tribunes françaises visant à « dénoncer » la présence de femmes trans et d'alliées au sein d'organisations et collectifs féministes, comme les « collages contre les féminicides » ou Nous Toutes. Ce sont également les autrices de Transmania.

[8] Marguerite Stern et Dora Moutot, « Mme Élisabeth Borne, féministes, nous nous inquiétons de ce que devient le Planning familial », Marianne, 22 août 2022.

[9] « Mais nous avons un point commun : notre sexe longtemps désigné comme faible, le sexe féminin. Nous refusons que le mot qui nous relie soit effacé au profit d'étiquettes qui nous divisent » (ibid.).

[10] Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 1949, chap. 2.

[11] Christine Delphy, « Le patriarcat, le féminisme et leurs intellectuelles », Nouvelles Questions féministes, no 2,‎ 1981, p. 65.

[12] Andrea Dworkin, Right-Wing Women : The Politics of Domesticated Females, New York, Women's Press, 1983, p. 13.

[13] Ibid., p. 144.

[14] Ces “nouvelles femmes de droite” […] tentent de redéfinir le contenu de la cause des femmes. Femmes de droite parce qu'elles se positionnent contre les féminismes […]. Nouvelles parce qu'elles se distinguent de leurs prédécesseuses par leur rapport à l'égalité, leur sociologie et leur mode d'action. » (Magali Della Sudda, Les Nouvelles Femmes de droite, Marseille, Hors d'atteinte, 2022, p. 31).

[15] Caroll Riddell, « Divided Sisterhood : A Critical Review of Janice Raymond's The Transsexual Empire », in S. Stryker et S. Whittle (dir.), The Transgender Studies Reader, Londres Routledge, 2006, p. 146.

[16] En français, « retour de bâton » ou « contrecoup », il s'agit d'une campagne politique et médiatique réactionnaire visant à contrecarrer la progression du militantisme progressiste (notamment féministe). L'autrice féministe états-unienne Susan Faludi a décrit ce phénomène dans un ouvrage portant ce titre.

[17] Vincent Jolly, « Quand des transsexuels veulent l'effacement de la femme », Le Figaro, 28 octobre 2022. Notons que l'URL parle de « mort des femmes », signe qu'un titre encore plus outrancier a été corrigé depuis… Voir : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/wokisme-quand-des-transsexuels-veulent-la-mort-des-femmes-20221028

[18] Les femmes trans « remplacent » les femmes cis en devenant des femmes ; les hommes trans, eux, « remplacent » les femmes en cessant d'en être.

[19] Lily Alexandre, « The Feminist to Far-Right Pipeline », YouTube, 26 mars 2024.

[20] Julia Serrano, « Autogynephilia : A Scientific Review, Feminist Analysis, and Alternative “Embodiment Fantasies” Model », The Sociological Review, vol. 68, n° 4, 2020, p. 763-778.

[21] Voir Devin Dwyer, « Supreme Court Allows Idaho to Enforce Ban on Gender-Affirming Care for Minors », ABC News, 16 avril 2024.

[22]German Lopez, « Women Are Getting Harassed in Bathrooms Because of Anti-Transgender Hysteria », Vox, 19 mai 2016.

[23] Josh Milton, « “Gender-Critical Feminist” Posie Parker Wants Men with Guns to Start Using Women's Toilets », Pink News, 30 janvier 2021.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les émissions de méthane augmentent plus vite que jamais

17 septembre 2024, par Global Carbon Project — ,
Les concentrations atmosphériques de méthane n'ont jamais été aussi élevées depuis au moins 800'000 ans. Tiré de A l'Encontre 12 septembre 2024 Par Global Carbon Project (…)

Les concentrations atmosphériques de méthane n'ont jamais été aussi élevées depuis au moins 800'000 ans.

Tiré de A l'Encontre
12 septembre 2024

Par Global Carbon Project

Le budget mondial du méthane pour 2024 montre une augmentation de 20% des émissions de méthane dues aux activités humaines au cours des deux dernières décennies.

Le méthane est l'un des trois principaux gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique. Il ne reste dans l'atmosphère que quelques décennies, moins longtemps que le dioxyde de carbone et l'oxyde nitreux (N2O), mais son potentiel de réchauffement global à court terme est le plus élevé, car il retient davantage de chaleur dans l'atmosphère.

Le budget, établi par le Global Carbon Project, couvre 17 sources naturelles et anthropiques (induites par l'homme). Il montre que le méthane a augmenté de 61 millions de tonnes métriques par an.

« Nous avons observé des taux de croissance plus élevés pour le méthane au cours des trois dernières années, de 2020 à 2022, avec un record en 2021 », explique Pep Canadell, directeur du Global Carbon Project. « Cette augmentation signifie que les concentrations de méthane dans l'atmosphère sont 2,6 fois plus élevées que les niveaux préindustriels (1750). » Les activités humaines sont responsables d'au moins deux tiers des émissions mondiales de méthane, ajoutant environ 0,5°C au réchauffement climatique qui s'est produit jusqu'à présent. »

Le rapport conclut que l'agriculture est à l'origine de 40% des émissions mondiales de méthane d'origine anthropique. Le secteur des combustibles fossiles en produit 34%, les déchets solides et les eaux usées 19%, et la combustion de la biomasse et des biocarburants 7%.

Les cinq principaux pays émetteurs en 2020 étaient la Chine (16%), l'Inde (9%), les Etats-Unis (7%), le Brésil (6%) et la Russie (5%).

L'Union européenne (UE) et l'Australasie [Australie et Nouvelle-Zélande, intégrées à une partie de l'Océanie] ont réduit leurs émissions anthropiques de méthane au cours des deux dernières décennies. Toutefois, les tendances mondiales mettent clairement en péril les engagements internationaux visant à réduire les émissions de méthane de 30% d'ici à 2030.

Pour des trajectoires d'émissions nettes nulles compatibles avec l'objectif de l'Accord de Paris [décembre 2015, COP 21] d'une augmentation maximale de la température de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, les émissions anthropiques de méthane doivent diminuer de 45% d'ici à 2050, par rapport aux niveaux de 2019. (Article publié sur le site Climate&Capitalism le 10 septembre 2024 ; traduction par la rédaction A l'Encontre)

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les bombes nucléaires ne sont pas à l’abri de la crise climatique

17 septembre 2024, par Émilie Massemin — ,
Les liens entre les armes nucléaires et le changement climatique sont « largement ignorés », dénoncent des chercheurs. Mégafeux près de sites nucléaires, montée des eaux… Les (…)

Les liens entre les armes nucléaires et le changement climatique sont « largement ignorés », dénoncent des chercheurs. Mégafeux près de sites nucléaires, montée des eaux… Les menaces sont pourtant bien présentes.

Article tiré de NPA 9

La crise environnementale risque-t-elle de provoquer une apocalypse nucléaire ? On peut le soupçonner. Rien n'est certain, tant le déni est massif et la recherche inexistante. « Les liens entre les arsenaux nucléaires et les transformations environnementales en cours sont largement ignorés » aussi bien par la recherche que par les États, alertent Benoît Pelopidas, Thomas Fraise et Sterre van Buuren dans un article publié dans la revue Raison présente en juin dernier.

Les chercheurs au Ceri à Sciences Po dans le programme d'étude Nuclear Knowledges dénoncent ce « postulat d'indépendance réciproque ». Ils appellent à explorer ces relations d'urgence, alors que la menace climatique semble de plus en plus tangible — des mégafeux de forêt ont ainsi récemment menacé des sites nucléaires américain et russe.

Pour en arriver à ce constat, le trio a épluché toutes les études et les documents de planification militaire des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Russie — qui détiennent 93 % des arsenaux nucléaires mondiaux — parus entre 1990 et 2022. « On était persuadés que la question du risque environnemental était tellement importante que quelqu'un l'aurait posée et qu'il suffisait de faire une bonne revue de littérature pour y trouver une réponse satisfaisante », se souvient Benoît Pelopidas.

La récolte fut maigre : aucun article scientifique en trente-deux ans, et seulement une évocation des armes nucléaires dans le rapport Defence and Climate Change de la Chambre des communes britannique. « Les documents stratégiques étudiés ne mentionnent que rarement les transformations environnementales. Quand ils le font, c'est de manière périphérique et sans faire le lien avec les armes nucléaires », concluent les chercheurs dans leur article.

Pourtant, le secteur militaire est de plus en plus attentif au risque environnemental. « Depuis 2020, on constate une tendance à penser le lien entre le climat et la défense en général, note Sterre van Buuren. Les États-Unis, notamment, ont publié plusieurs documents assez détaillés sur le sujet. » En France, l'ex-ministre des Armées Florence Parly a de même approuvé en 2022 le projet de stratégie ministérielle Climat & Défense pour « préparer les forces armées au défi climatique » — mais le mot « nucléaire » n'y apparaît pas une seule fois. À l'inverse, en 2023, des députés du Rassemblement national ont présenté une proposition de loi visant à inscrire la possession d'armes nucléaires dans la Constitution, pour la protéger de « l'idéologie écologiste ».

Mégafeux, montée des eaux…

Pourtant, la menace se précise. En février, les activités de l'usine d'assemblage et de démontage d'armes nucléaires Pantex, au Texas,ont dû être interrompues suite à des feux de forêt autour des installations. Un tel événement s'était déjà produit en Russie à l'été 2020, durant lequel un canal de plusieurs kilomètres avait été creusé pour protéger le site de recherche sur les armes nucléaires de Sarov.

Outre les feux de forêt, d'autres phénomènes climatiques et environnementaux extrêmes, comme l'érosion des côtes, pourraient affecter les installations nucléaires militaires, estiment les chercheurs. Ils appellent ainsi à des recherches approfondies sur les risques encourus par la base navale de Fastlane, près de Glasgow en Écosse. « Dès 2001, William Barclay Walker et Malcolm Chalmers montraient dans leur livre “Uncharted Waters” que cette base était le seul endroit où le Royaume-Uni pouvait baser des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Si elle devenait inopérante, le Royaume-Uni deviendrait le seul État à devoir baser son arsenal nucléaire à l'étranger », rappelle Benoît Pelopidas.

Pour l'heure, le déni est massif, selon Sterre van Buuren : « Nous avons trouvé une évaluation de cette base. Le seul risque identifié, c'est un accroissement de la population de mouettes avec un impact sur le moral des personnels à cause du bruit », rapporte la chercheuse, incrédule. Aux États-Unis, la Fondation Carnegie pour la paix internationale s'est bien penchée sur le problème de la montée des eaux. Mais l'a minimisé et présenté comme un problème « que l'on peut résoudre en apportant beaucoup d'argent et de technologie aux structures existantes », regrette Benoît Pelopidas.

Il est d'autant plus important d'étudier la relation entre arsenal nucléaire et crise climatique que cette dernière est à double sens. « La production, le stockage et le démantèlement de systèmes d'armes nucléaires, y compris les vecteurs, ainsi que l'installation des infrastructures nécessaires, constituent des activités génératrices de gaz à effet de serre et de déchets hautement toxiques », rappellent les auteurs. Qui soulignent que cette filière représente aussi un coût important et risque de priver les États de ressources financières pour mener à bien leur transition énergétique.

Pour le trio, ce travail de recherche est crucial alors que la course à l'armement se poursuit. Les neuf États dotés de l'arme atomique dans le monde se partagent environ 12 500 têtes nucléaires. Depuis 2010, tous les États qui en sont dotés sont dans une dynamique de prolongation, voire d'augmentation de taille de leurs arsenaux. Fin août, The Guardian a révélé que les États-Unis se préparaient désormais à des attaques conjointes de la Chine — qui augmente actuellement la taille de son arsenal —, de la Russie et de la Corée du Nord. « C'est évidemment une mauvaise nouvelle, cela produit une justification pour une accélération du réarmement américain », observe Benoît Pelopidas.

En 2023, les États-Unis ont ainsi dépensé 51,5 milliards de dollars (environ 46 milliards d'euros) rien que pour l'acquisition de nouvelles armes. Malgré la crise climatique, « l'orgie nucléariste » qu'observe le chercheur de Sciences Po est loin d'être terminée.

Émilie Massemin 10 septembre 2024

https://reporterre.net

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Paul Watson répond à Reporterre : « La prison est devenue mon navire »

17 septembre 2024, par Hortense Chauvin — ,
Depuis la prison de Nuuk, au Groenland, le défenseur des baleines Paul Watson raconte à Reporterre sa détention, les enjeux du procès qui l'attend le 2 octobre ainsi que les (…)

Depuis la prison de Nuuk, au Groenland, le défenseur des baleines Paul Watson raconte à Reporterre sa détention, les enjeux du procès qui l'attend le 2 octobre ainsi que les racines de son engagement pour les océans.

12 septembre 2024 | tiré du site de reporterre.net | Photo : Paul Watson, alors qu'il était libre mais déjà poursuivi par le Japon, à Paris, en 2015. - © Loic Venance / AFP
https://reporterre.net/Paul-Watson-repond-a-Reporterre-La-prison-est-devenue-mon-navire?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_hebdomadaire

Nos questions sur l'avenir de l'océan, les tactiques militantes et la meilleure manière d'obtenir des victoires écologistes, nous aurions préféré les poser à Paul Watson « en vrai ». Sûrement à Paris, sur la péniche en bois où il vivait encore il y a quelques mois.

Seulement voilà. Mercredi 4 septembre, la justice danoise a annoncé prolonger de 28 jours la détention du défenseur des baleines. Le fondateur de Sea Shepherd, qui patiente depuis près d'un mois et demi dans les geôles groenlandaises, y restera jusqu'à son procès, le 2 octobre. La Cour devra alors trancher sur son extradition — ou non — au Japon. L'activiste de 73 ans y encourt 15 ans de prison, selon sa défense.

Le pays asiatique, qui fait partie des trois derniers États à pratiquer la chasse à la baleine, poursuit le capitaine pour « conspiration d'abordage ». L'affaire remonte à une quinzaine d'années. En février 2010, l'écologiste Pete Bethune, venu prêter main forte à l'équipage de Paul Watson lors d'une mission en Antarctique, était monté sur un baleinier japonais, le Shonan Maru 2. Selon la défense de Paul Watson, Pete Bethune aurait fait cela afin de lui présenter la facture de son navire, l'Ady Gil, coulé un mois plus tôt par ledit baleinier.

D'après le Japon, un pêcheur aurait été blessé par des boules puantes lors de cet abordage. Ce à quoi les soutiens de Paul Watson rétorquent que le pêcheur en question ne se trouvait pas sur le pont au moment de l'action. Le produit utilisé aurait par ailleurs été de l'acide butyrique, un produit inoffensif utilisé pour donner une mauvaise odeur à la viande de baleine, selon la défense de Paul Watson.

Avant que la justice danoise rende son jugement, nous avons souhaité sonder le capitaine sur ses conditions d'incarcération et son ressenti. Lamya Essemlali, la présidente de Sea Shepherd France qui lui rend visite quasi-quotidiennement, a accepté de lui poser nos questions. Téléphones et ordinateurs portables étant interdits au centre de détention, elle a retranscrit ses réponses sur une feuille de papier, avant de nous les transmettre. Les voici, en exclusivité.

Reporterre —Comment se passe votre détention ? Comment allez-vous ?

Paul Watson — Je suis bien traité en prison, hormis quand ils m'ont menotté dans le dos très serré pour m'emmener au tribunal le 15 août dernier. Ils ne m'ont pas mis de ceinture de sécurité et j'étais ballotté à l'arrière, ça a blessé mon poignet et depuis j'ai beaucoup de mal à écrire.

Comme on ne m'autorise pas l'accès à la salle informatique de la prison — à laquelle d'autres prisonniers ont pourtant accès — et qu'ils ont refusé que mes amis m'amènent une machine à écrire, je suis obligé d'écrire à la main et c'est très douloureux. J'essaye de répondre aux gens qui m'écrivent mais je n'arrive pas à faire plus de trois cartes avant d'avoir trop mal. C'est frustrant…

À part ça, les conditions ici sont correctes, pour une prison. J'ai une cellule juste pour moi et les prisonniers ont accès à une cuisine collective donc je peux cuisiner mes propres repas. Depuis ma cellule j'ai vue sur le fjord et parfois il m'arrive de voir passer des baleines… J'imagine que je suis sur la passerelle d'un bateau… les baleines au milieu des icebergs… et les yeux du monde braqués sur la chasse baleinière, précisément parce que je suis ici. La prison de Nuuk est devenue mon navire.

Le 4 septembre, la justice danoise a annoncé que vous resteriez 28 jours de plus en détention. Quelle est votre réaction à cette décision ?

Je suis sidéré par la partialité de ce juge. Comment peut-il accepter de prendre en considération les preuves de l'accusation mais refuser de considérer les nôtres ?

Tout ceci est une parodie de justice, visant à satisfaire l'esprit vindicatif d'un gouvernement japonais qui s'est senti humilié par mes actions. Ils ne me pardonnent pas d'avoir exposé à la face du monde leur chasse illégale aux baleines dans l'océan Antarctique à travers la série télé « Whale Wars » [« Justiciers des mers »]. Depuis 2012, ils tentent de me le faire payer à travers un mandat d'arrêt politique. Il semble qu'ils n'aient jamais été aussi près d'y parvenir.

La Cour a une fois de plus refusé de regarder les vidéos qui prouvent, selon vous, votre innocence. Pourquoi ?

Le juge groenlandais refuse d'analyser nos preuves car elles le forceraient de facto à ordonner ma libération. Or il a bien conscience que mon affaire est politique et suivie de près par le gouvernement japonais qui pèse de tout son poids pour me mettre la main dessus. Il ne veut pas être celui qui prive le Japon de sa vengeance. Et donc, il faillit à sa mission de justice, tout comme Interpol a failli au respect de son propre règlement en publiant une notice rouge à mon encontre reposant sur un motif politique.

Vous vous trouvez désormais en prison depuis près d'un mois et demi. Vous avez trois enfants, dont deux ont moins de dix ans. Comment vivez-vous cette situation ?

Être éloigné de mes enfants est ce qu'il y a de plus dur. Savoir qu'ils s'inquiètent pour moi m'attriste, plus que d'être injustement enfermé. Mon fils de 7 ans espérait que je serais rentré pour son huitième anniversaire le 29 septembre prochain et ça ne sera sans doute pas le cas. Il a vu les images de moi menotté et ça l'a mis très en colère. J'aimerais pouvoir le consoler et le rassurer. Mais il sait pourquoi je suis emprisonné, et il est fier de moi.

Avez-vous peur d'être extradé au Japon ?

J'ai du mal à imaginer qu'un pays comme le Danemark dont le système judiciaire est respectueux des réglementations européennes et des droits de l'Homme pourrait concéder mon extradition vers un pays condamné pour violation des droits de l'Homme dans ses prisons, particulièrement à l'égard des activistes étrangers.

Lire aussi : Pour libérer Paul Watson, une campagne de soutien sans précédent

Nous avons une relation conflictuelle avec le Danemark, depuis de nombreuses années, en raison des massacres de dauphins aux îles Féroé. C'est peut-être pour cela que le Japon a émis un mandat d'arrêt contre moi ciblant spécifiquement le Danemark au mois de mars dernier. Mais j'ai toujours pensé que défendre cette planète est une cause qui vaut de risquer sa vie. Tout ce que je sais, c'est que si je suis envoyé au Japon, je n'en reviendrai pas.

Si c'est le cas, auriez-vous des regrets ? La défense des baleines en valait-elle le coup ?

Je dois ma vie à une baleine. Une baleine qui a choisi de m'épargner alors qu'elle aurait pu me tuer. C'était un cachalot qui venait de se faire harponner par un baleinier russe. Ce cachalot est venu près de nous alors que nous étions dans un petit bateau pneumatique en train d'essayer de stopper les baleiniers [en 1975], et elle était sur le point de nous écraser.

« Je n'ai aucun regret »

Mais pendant un instant, nous avons eu une connexion. J'ai regardé dans l'œil de cette baleine et j'ai su qu'elle comprenait ce qu'on essayait de faire. Et j'ai vu l'effort qu'elle a fait pour retourner dans l'océan et épargner nos vies.

Ça m'a changé pour toujours. Je serai à jamais redevable de ce cachalot et de la nation des baleines. Donc non, je n'ai aucun regret. J'ai suivi mon cœur toute ma vie.

Le Japon vous poursuit pour une histoire qui date d'il y a presque quinze ans. Comment analysez-vous l'acharnement du pays contre vous ?

Le Japon savait que je comptais les empêcher de tuer des baleines dans le Pacifique nord. En mai dernier ils ont lancé le plus grand baleinier de l'histoire, le Kangei Maru. Nous avons un lourd passif avec les missions que j'ai menées contre eux en Antarctique pendant plus de 10 ans. J'ai pu, avec toutes mes équipes, sauver plus de 5 000 baleines et j'ai exposé à des millions de gens leurs actions illégales. Ils ne me pardonnent pas cette humiliation.

Lire aussi :Le capitaine Paul Watson, une vie entre les filets de la justice

Comment expliquez-vous que le Japon consacre autant d'énergie à la défense de la chasse à la baleine, alors que la consommation de baleines n'y fait que diminuer ?

Cette chasse n'a aucun sens. Moins de 2 % des Japonais mangent de la viande de baleine et le gouvernement japonais essaye désespérément, à grand renfort de campagnes marketing, de stimuler l'appétit des Japonais pour les baleines. Ils ont même sorti le hamburger de baleine pour séduire les jeunes mais ça ne prend pas…

Lire aussi : Ce que dit l'affaire Paul Watson de notre fascination pour les baleines

Ce qu'il se passe, c'est qu'une poignée de nantis, anciens membres du gouvernement, issus de la droite ultranationaliste, bénéficient de postes extrêmement bien rémunérés avec de nombreux privilèges au sein de cette industrie qui existe sous perfusion d'argent public. Ces gens s'accrochent à cela et parce qu'ils sont influents, ils pèsent de tout leur poids pour maintenir coûte que coûte cette chasse.

Les yakuzas [la mafia japonaise] détiennent également les ports de chasse et les syndicats au sein desquels sont recrutés les marins qui embarquent sur les bateaux de chasse. Tout ceci est une affaire d'argent au profit de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre. À commencer bien sûr par les baleines.

Voyez-vous votre arrestation comme un signe de l'intensification de la répression à l'égard des écologistes ?

Les gouvernements ont le monopole de la violence légitime. Et quand ils sont des puissances économiques, ils peuvent peser de tout leur poids et traquer les activistes et les lanceurs d'alerte. Ce qui se passe avec la notice rouge d'Interpol est un bon exemple. Cet outil qui doit servir à traquer les criminels et les assassins est de plus en plus détourné de son objectif initial pour traquer les gens qui s'opposent à des gouvernements pour des raisons parfois très légitimes.

« Il n'y a pas de plus belle cause que celle de la défense du vivant »

Plus nos écosystèmes vont se dégrader du fait de nos actions cupides et stupides, plus la résistance va s'intensifier et plus la répression sera dure. L'avenir pour nos enfants va être difficile mais il n'y a pas de plus belle cause que celle de la défense du vivant. Nous allons au-devant de grands défis et il est du devoir de chacun d'y contribuer, à sa façon et selon ses moyens.

L'annonce de votre arrestation a touché énormément de monde en France et dans le reste du monde. Qu'espérez-vous voir émerger de cette vague de soutien ?

Je suis très touché par les nombreuses lettres que je reçois en prison. Énormément de dessins et de mots d'enfants qui me touchent particulièrement. D'ailleurs sur les quelque 1 200 courriers que j'ai reçus, 760 viennent de France. Le reste vient d'une vingtaine de pays différents donc quatre, très touchants, du Japon. J'ai donné toutes ces lettres à Lamya pour qu'elle les ramène en France, je souhaite en faire un livre.

J'espère que mon emprisonnement permettra de braquer les projecteurs sur ce que le Japon fait subir aux baleines. Ces milliers de baleines qu'il tue en toute impunité, en violation du moratoire sur la chasse commerciale, en violation du sanctuaire baleinier antarctique, de la Commission baleinière internationale. Le Japon a été condamné par la plus haute juridiction mondiale à la Haye en 2014 et par la Cour fédérale australienne en 2014 pour la chasse des baleines. Mais le Japon s'estime au-dessus des lois et aujourd'hui ça n'est pas lui qui rend des comptes, c'est moi qui suis emprisonné… Donc j'espère que cette situation permettra aux gens de comprendre.

Lire aussi : Soutien de Macron à Paul Watson : « C'est du greenwashing »

Comment espérez-vous voir le mouvement de défense des océans évoluer dans les prochaines années ? Comment peut-il espérer obtenir des résultats ?

C'est la diversité du mouvement qui fera sa force. Ce que je fais est un exemple et correspond à certaines personnes, mais il y a mille et une façons de s'engager. J'encourage toujours ceux qui me demandent que faire à sonder leur cœur. Ce sont eux qui ont la réponse, pas moi. Il s'agit de faire ce qu'on aime et d'utiliser son talent et sa passion pour contribuer à la défense de la planète.

Que vous soyez, artiste, avocat, enseignant, marin, photographe, écrivain, mécanicien, scientifique, cuisinier… Tout le monde peut contribuer et le fera d'autant mieux que ça sera à travers ce qu'il sait et aime faire. Si l'océan meurt, nous mourons.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Des recettes réactionnaires à la crise écologique

17 septembre 2024, par Joana Bregolat — ,
Face aux contradictions mises en évidence par la crise écosystémique, le capital intensifie conflits, répression et exploitation. L'extrême-droite formule des propositions qui (…)

Face aux contradictions mises en évidence par la crise écosystémique, le capital intensifie conflits, répression et exploitation. L'extrême-droite formule des propositions qui approfondissent cette dynamique.

Photo et article tirés de NPA 29

Quel est l'intérêt de dire la vérité sur le fascisme – qui est condamné – si rien n'est dit contre le capitalisme qui l'engendre ?

Bertolt Brecht

Le changement climatique est déjà une réalité qui impacte nos vies au quotidien. Il avance de pair avec les phénomènes météo­rologiques extrêmes qui nous accablent et se normalise par la répétition successive, inégale et combinée de ses effets.

Il n'est plus exceptionnel d'entendre parler de graves périodes de sécheresse dans la région méditerranéenne, de la raréfaction des ressources fossiles et des matières premières stratégiques dans le nord de la planète, de la perte de sols fertiles pour la production agroalimentaire ou de l'augmentation des incendies de sixième génération dans le monde entier. L'apparition quotidienne de ces éléments ne se fait pas dans l'abstrait ou de manière isolée, mais se combine et se nourrit d'autres phénomènes tels que les pénuries, l'inflation ou la spirale guerrière. Elle s'inscrit dans un contexte de crise et d'instabilité qui a son fondements dans le mode de production capitaliste.

Ce scénario nous expose à un long cycle de turbulences, de catastrophes et de changements auxquels le capital est loin d'être préparé par sa politique économique à court terme, mais qui, à son tour, ouvre sur un moment de transition par rapport à l'ordre actuel des choses. Ceci a des implications politiques claires que nous, écosocialistes, devons être en mesure d'aborder.
Nos « Années folles »

Les contradictions mises en évidence par la crise écosystémique constituent un défi pour le processus d'expansion constante de l'accumulation du capital. Confronté à un impératif de croissance et à un besoin infini de profit, celui-ci se heurte aux limites biophysiques de la planète. Dans cette contradiction, le fragile équilibre qui sous-tend les fondements du régime d'accumulation du capital est mis à nu et il devient plus clair que sa limite réside dans les sources de sa richesse. Comment en effet aspirer à une croissance infinie sur un temps, des ressources, des vies et des territoires finis ? Face à ce constat, le capital propose une restructuration de ses circuits d'extraction de la valeur.

Des exemples de ce processus de restructuration peuvent être trouvés dans l'intensification du taux d'exploitation du travail, de la nature et des forces de reproduction ; dans le renforcement des pratiques rentières, de la spoliation et de la dépossession dans les espaces clés de la reproduction sociale comme le logement, l'alimentation, les produits de base, etc. ; ou encore dans l'intensification des conflits géopolitiques et impérialistes – qui ne se produisent pas seulement avec l'arrivée des sociétés transnationales, mais aussi dans les territoires où, après les occupations, les pratiques génocidaires et la répression, les ressources sont spoliées.

Ces différents éléments qui agissent comme des mécanismes pour assurer la reproduction du capital modifient les bases sur lesquelles notre réalité sociale est construite. Cela transforme les relations de genre, les configurations raciales, les régimes sexuels et les structures qui les soutiennent et affaiblissant les pratiques démocratiques, les droits et les libertés. Ainsi, la restructuration du capital en ces temps de transition s'accompagne d'une reconfiguration des relations sociales dans le cadre d'une plus grande contestation et de contrôle à caractère réactionnaire, conservateur et libéralisateur.

Les changements que nous observons dans cette période de transition ne sont pas synchronisés, ni immédiats et ne s'expriment pas de la même manière partout, mais ils montrent une tendance croissante dans les propositions de résolution de la crise écologique. Elles avancent des recettes qui impliquent un creusement des inégalités, une intensification de la violence marchande et une montée de l'autoritarisme dans l'approche de la question écologique.
La terre et la nation

Max Ajl dans A People's Green New Deal (2021) a recensé les réponses réactionnaires face à la crise écologique. À travers une analyse critique des fondements idéologiques de diverses propositions, il souligne que, dans l'archipel de l'extrême-droite, des réponses sous forme de nationalisme vert et de racisme fossile existent. Ajl a ainsi mis en évidence un changement de comportement de l'extrême droite qui, loin de se concentrer uniquement sur la négation de la crise écologique et des impacts du changement climatique, ose formuler des propositions qui approfondissent les dynamiques impérialistes et incitent à l'ouverture de nouvelles frontières de l'accumulation.

Dans cette lignée, parmi les recettes réactionnaires, on trouve des projets et des propositions face à la crise écologique qui se focalisent sur la question de la sécurité nationale. Il s'agit de réponses qui considèrent la dégradation écologique comme une menace pour l'identité nationale, les convictions et les conditions de vie, et qui proposent donc une accélération des processus de sécurisation, de contrôle et de fermeture des frontières. Il s'agit de propositions qui reproduisent l'idée qu'il y a des corps qui comptent et d'autres qui ne comptent pas, des mort·es qui méritent d'être pleuré·es et d'autres non, des territoires qui peuvent être exploités, violés et détruits et d'autres qui doivent être sanctifiés.

Une politique écologiqueraciste, xénophobe et anti-immigration est déployée sous la maxime « si vous voulez protéger la nation, vous devez protéger la terre, l'environnement ». Le RN en France, le FPÖ en Autriche ou Aliança Catalana en Catalogne reprennent cette position dans leurs programmes et campagnes électorales, prônant la défense de la nature à partir d'un patriotisme vert.

Ce pari réactionnaire va de pair avec la promotion de propositions qui proposent la résolution de la crise écologique par l'ouverture de nouvelles frontières d'accumulation. On retrouve ici toutes les propositions qui font de l'adaptation, de l'atténuation ou de la transition de nouveaux marchés verts transnationaux dans lesquels investir, ainsi que les différents mécanismes de marché, les bulles spéculatives et les processus de financiarisation de la nature, de la biodiversité et du climat sous la forme de marchés à terme et de marchés du carbone, d'obligations vertes, de politiques compensatoires pour les services écosystémiques ou d'échanges dette-nature.

Des propositions qui reproduisent le comportement à court terme du capital et favorisent l'intensification des conflits, l'intensification des taux d'exploitation et des pratiques de recherche de rente, sans remettre en cause le fait qu'elles sont aussi à l'origine de l'aggravation de la crise écologique. Des recettes néolibérales configurées par un écologisme réductionniste qui dit que ce qui est détruit peut toujours être substitué et contenu, et agit selon la maxime que tout est commercialisable.

Le cadre qui engendre ces prescriptions face à la crise écologique dépasse les limitesde l'extrême-droite et imprègne les discours, les programmes et les propositions des forces de droite conservatrices, libérales et sociales-démocrates. Il pénètre dans les mouvements écologistes et paysans et pose un défi interne à nos collectifs : que les discours racistes, xénophobes et anti-immigration sont aussi produits dans les rangs écologistes et que les rêves hyper-individualistes et marchands du capitalisme vert sont aussi partagés dans les rangs écologistes.

Ainsi, la force des recettes réactionnaires ne dépend pas seulement de la montée de l'extrême-droite dans nos territoires – qui se développe et s'étend chaque jour – mais aussi de sa capacité à ébranler la machine infernale en période de transition et à faire croire que ce n'est qu'à l'intérieur des marges du capital que l'on pourra surmonter ce que la crise écologique nous réserve aujourd'hui.
Dans le conflit, une note d'espoir

Si l'intensification et l'avancée de la crise écologiqueconstituent un défi pour les propositions écosocialistes et de classe, la montée de l'extrême-droite mondiale et l'expansion de ses recettes réactionnaires impliquent un degré supplémentaire de complexité. La normalisation de plus en plus avérée de la barbarie dans les guerres, les génocides, les pillages et aux frontières augmente le niveau d'urgence et la nécessité de briser l'hégémonie d'un capitalisme sauvage qui vit en tournant le dos à sa propre survie. Il est donc essentiel de reconnaître que dans tout processus de reconfiguration des relations sociales médiées par le capital, ce ne sont pas seulement des réponses réactionnaires qui émergent : dans leurs ruptures, des propositions alternatives de formation de la vie émergent également.

Face à un capital qui, depuis des années, construit divers instruments politiques pour assurer à tout prix la continuité de ses objectifs, il existe unevaste généalogie de luttespour la défense de la terre, de la santé et de la vie qui font école. Le fait est que la restructuration du capital n'a jamais été exempte de conflits et que nous avons appris d'eux.

Nous savons qu'il n'y a pas de recette magique pour la crise écologique ou de moyens faciles pour retirer les griffes du système capitalistede nos corps-territoires. Mais nous savons que, dans chaque confrontation, dans chaque expérience de lutte, nous nous reconnaissons les un·es les autres et nous semons la voie de l'auto-­organisation de classe comme un outil-clé de la contestation. Nous apprenons l'attention, l'affection et le soutien mutuel entre nous, et nous synthétisons de nouvelles propositions capables de briser les chaînes qui nous lient. Et nous tissons des ponts transfrontaliers en détectant un ennemi commun, ce qui nous renforce dans la certitude qu'il n'y a pas de frein d'urgence s'il n'est pas pour nous tou·tes.

C'est peut-être dans ce tou·tes que se trouve la question centrale d'une proposition qui se situe en dehors des recettes réactionnaires. La force et la radicalité d'une proposition écosocialiste et de classe sont condensées dans une politique irrévérencieuse, un engagement révolutionnaire construit sur la solidarité, l'internationalisme et l'anti-impérialisme, et qui fait de la diversité, de la pluralité et de la démocratie ouvrière un terrain fertile pour la dispute politique.

Article paru en castillan dans la revue Lab Sindikazua. Traduction : Juan Tortosa pour SolidaritéS.

8 septembre 2024 Joana Bregolat

https://inprecor.fr/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Travail des femmes : comment la guerre a changé le marché du travail en Ukraine

17 septembre 2024, par Alyona Tkalich — , ,
En raison de la migration massive et de la mobilisation en raison de l'invasion russe, de nombreuses entreprises ukrainiennes connaissent un manque de personnel. Une des (…)

En raison de la migration massive et de la mobilisation en raison de l'invasion russe, de nombreuses entreprises ukrainiennes connaissent un manque de personnel. Une des réponses à cette situation est l'implication des femmes dans des métiers auparavant considérés comme « masculins ».

Tiré de Entre les lignes et les mots

Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux pays se sont livrés à des pratiques similaires. Par exemple, en Pologne, les femmes ont participé activement à la production industrielle. À partir du milieu des années 1950, elles ont été remplacées par des hommes, mais selon certaines sources, les femmes ont résisté à cette évolution parce que les emplois dans l'industrie étaient mieux payés et plus prestigieux.

En Ukraine, où l'embauche de femmes dans certaines professions a longtemps été strictement interdite, la majorité d'entre elles travaillent dans les domaines traditionnellement peu rémunérés de l'éducation, de la santé, des services et du commerce. C'est la principale raison pour laquelle les femmes gagnent en moyenne moins que les hommes, même si parmi elles le pourcentage de personnes ayant fait des études supérieures est plus élevé. Il est également intéressant de noter que parmi les 2 millions d'entrepreneur·es individuel·les, où les femmes et les hommes sont à peu près égaux en nombre, les domaines d'activité se reproduisent de la même manière : les femmes sont principalement dans le commerce et les services, et les hommes dans les travaux de réparation.

Cette situation est typique de la plupart des pays du monde. Cependant, l'Ukraine, qui connaît des bouleversements dus à l'agression russe et s'efforce également d'éliminer les normes discriminatoires, dispose d'une fenêtre d'opportunité pour certains changements.

Olena Tkalich a interrogé Yuliya Dmytruk sur comment la législation ukrainienne concernant l'emploi des femmes a changé ces dernières années et si l'on peut s'attendre à une participation significative des femmes dans les professions dites « masculines ».

Yuliya Dmytruk, avocate de l'organisation La Strada, s'occupe de la protection des droits des femmes. La Strada a également plaidé pour l'adoption de la Convention d'Istanbul et s'est opposée aux restrictions des droits des femmes dans certaines professions.

Comment les normes juridiques concernant le travail des femmes ont-elles changé en Ukraine ?

Jusqu'en 2017, l'Ukraine disposait de l'arrêté n°256 du ministère de la Santé, adopté en 1992, qui contenait une liste de 45 professions interdites aux femmes. Cette disposition violait les droits des femmes, car elle les plaçait dans une position inégale par rapport aux hommes. L'État estimait que le rôle principal des femmes est reproductif. Elles n'avaient donc pas besoin d'un salaire décent. Mais nous savons que toutes les femmes ne vivent pas dans des familles « complètes ». Il y a celles qui élèvent seules leurs enfants et subviennent seules aux besoins de leur famille (il y avait environ un million de familles monoparentales en Ukraine en 2021. En raison des faibles salaires des femmes et du soutien social limité, elles courent un risque élevé de chute en dessous du seuil de pauvreté). Et les emplois figurant sur la liste des professions interdites garantissaient pour la plupart un niveau de rémunération décent. Bien sûr, certaines d'entre elles impliquent un travail physique intense. On estimait que ces emplois avaient un effet néfaste sur la vie d'une femme. Bien que personne n'ait pensé au fait que cela affecte négativement la vie et la santé des hommes. L'abrogation de cette ordonnance a donc permis l'amélioration des conditions de travail pour tous et toutes.

En 2022, la Verkhovna Rada [parlement] a introduit des amendements à la loi ukrainienne « Sur l'organisation des relations de travail dans le cadre de la loi martiale ». Selon l'article 9, paragraphe 1, les femmes sont autorisées à travailler même dans les travaux souterrains (bien qu'en réalité, dans les régions industrielles, où le travail souterrain était la seule possibilité de gagner un salaire décent, les restrictions ont été contournées et s'est créée une « une zone grise »). Il existe actuellement une grave pénurie de personnel dans de nombreux domaines. Par conséquent, un travail à grande échelle est en cours pour recycler les spécialistes et des opportunités s'ouvrent aux femmes pour un emploi dans des types de travaux tels ceux qui demandent un travail « physique ». D'un autre côté, les employeurs améliorent les conditions de travail, en utilisant des mécanismes robotisés qui permettent aux femmes d'effectuer des travaux plus exigeants sur le plan physique.

L'impact de ces changements peut-il être évalué ? Combien de femmes maîtrisent des métiers dits « masculins » ?

Le Service national de l'emploi confirme la tendance de l'évolution des métiers chez les femmes. En 2023, 158 000 femmes ont trouvé un nouvel emploi et ont choisi, entre autres, les spécialités suivantes : grutière, opératrice de machine, opératrice d'installation souterraine, chargeuse, conductrice, serrurière. En outre, l'année dernière, avec l'aide du Service national de l'emploi, 1 200 femmes ont trouvé du travail dans le secteur de la construction – elles représentent désormais 38% de tous les employés du secteur. En 021, il y avait 20% de femmes dans la construction.

Actuellement, le ministère de l'Économie soulève la question de la nécessité de reconvertir les femmes pour qu'elles maîtrisent ces métiers, car la demande pour de telles travailleuses existe et augmente de plus en plus. On sait que dans de nombreux domaines différents, les femmes travaillent déjà dans des spécialités pour lesquelles les hommes étaient auparavant recherchés, par exemple :

* Dans les stations-service UPG, les femmes occupent des postes de conductrice, de pompiste, de chargeuse et d'agente de sécurité.

* Dans le commerce de détail, les femmes sont invitées à travailler comme agentes de sécurité et conductrices. Par exemple, ATB emploie plus de 900 femmes comme agentes de sécurité. Celles qui le souhaitent peuvent également suivre une formation de conductrices de chariot élévateur. Chez Fozzy Group, les femmes sont employées comme conductrices de camion.

* Chez ArcelorMittal Kryvyi Rih, de plus en plus de femmes travaillent comme concasseuses, conductrice d'excavateur à godets, mécaniciennes et opératrices de machines.

* (D'autres exemples bien connus comme l'exploitation agricole Kernel, qui a commencé pour la première fois à embaucher des femmes pour des postes d'opératrices de chaufferies et de production. Le ministère du Développement communautaire, des Territoires et des Infrastructures de l'Ukraine forme des femmes à conduire des camions. Le métro de Kyiv a également annoncé l'embauche de femmes pour des métiers dits « masculins » – ndlr). Nous étions très heureuses que la première conductrice de train soit enfin apparue dans le métro de Kyiv. Nous avons également entendu parler d'éventuelles attitudes biaisées de la part de certains managers. (L'une des candidates au poste a déclaré que le manager lors de l'entretien avait ridiculisé l'initiative d'embauche de femmes – ndlr). Mais aucun appel ni aucune plainte n'ont été déposés auprès de La Strada concernant une telle discrimination.

Comment les femmes doivent-elles réagir en cas de discrimination ?

Si une femme est confrontée à des situations similaires, elle peut, sur la base de la législation, déposer une plainte, premièrement, auprès de la direction de l'entreprise ou de l'institution concernée, et deuxièmement auprès du Service national du travail. Troisièmement, contactez le commissaire aux droits de l'homme de la Verkhovna Rada d'Ukraine. En outre, la loi ukrainienne « sur la publicité » interdit la publication d'offres d'emploi indiquant le sexe, l'âge et d'autres informations similaires. Mais on peut encore tomber sur des publicités disant « Seules les femmes de moins de 30 ans sont acceptées ». Dans ce cas, les plaintes doivent être soumises au Service national du travail avec une déclaration écrite et un lien vers la ressource sur laquelle elles ont trouvé une telle annonce.

Alyona Tkalich, 9 septembre 2024
Publié par Socportal
Traduction Patrick Le Tréhondat

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Tribune « La récolte ou la vie » – il est urgent de rétablir le repos hebdomadaire des saisonniers

17 septembre 2024, par Collectif — , ,
La mort tragique de six vendangeurs et vendangeuses en 2023 (2 dans le Rhône et 4 dans la Marne), survenue dans un contexte de travail par fortes chaleurs et de dérogation au (…)

La mort tragique de six vendangeurs et vendangeuses en 2023 (2 dans le Rhône et 4 dans la Marne), survenue dans un contexte de travail par fortes chaleurs et de dérogation au jour de repos hebdomadaire, n'a malheureusement pas pesé lourd face à la pression exercée par certains syndicats agricoles au début de l'année 2024.

Ces derniers, en rejetant non seulement les normes environnementales mais aussi, de manière implicite, les normes sociales, ont ciblé les droits des ouvrier·es agricoles. Un décret contre le droit du travail et la santé des travailleur·euses agricoles Le 9 juillet 2024, seulement deux jours après la défaite de l'ex-majorité, paraît au journal officiel le dernier décret « Attal ».

Sur reprise d'une idée du Rassemblement National et des Républicains, ce texte autorise la suppression du repos hebdomadaire obligatoire des travailleur·euses agricoles « une fois au plus sur une période de trente jours », dans le cadre des récoltes manuelles relevant d'une Appellation d'Origine Contrôlée (AOC) ou d'une Indication Géographique Protégée (IGP).

Ce coup porté à un droit fondamental inscrit dans la loi française depuis 1906, et reconnu par la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union Européenne ainsi que par la Convention Internationale du Travail n°106, constitue une grave mise en péril de la santé des travailleur·euses.

Déroger devient la norme ? Jusqu'à présent, la suppression du repos hebdomadaire nécessitait une dérogation spécifique accordée par l'inspection du travail. Désormais, cette décision repose uniquement sur la volonté de l'employeur•se, sans obligation de justification. Le caractère périssable des récoltes constitue un motif suffisant aux yeux des promoteurs de cette mesure.

Les risques pour la santé des travailleur·euses, eux, sont ignorés, tout comme les alternatives possibles, telles que le chevauchement d'équipes qui permettrait le repos des personnes tout en maintenant l'activité le dimanche. Jusqu'à la mort de salarié·es ?

Dans un contexte où la durée hebdomadaire de travail peut déjà atteindre 72 heures par dérogation (1), notamment en viticulture, les exploitant·es agricoles peuvent désormais légalement imposer 120 heures de travail (voire 144 dans certains secteurs) en 14 jours, au SMIC, avec seulement 20 minutes de pause par jour, sans même reconnaître le droit à une prime de précarité (bien méritée) et sans aucune mesure visant à protéger la santé des travailleur·euses. Cette situation met directement en danger la vie des saisonnier·es. L'indifférence face à la souffrance des travailleur·euses agricoles doit cesser.

Un contexte climatique aggravant la précarité

Le changement climatique exacerbe les risques pour les saisonnier•es, déjà précarisé·es par des conditions de travail et de vie difficiles. L'absence de jour de repos, qui plus est dans un contexte de températures extrêmes, rend chaque journée de travail potentiellement dangereuse. Le gouvernement persiste néanmoins à sacrifier le repos hebdomadaire sur l'autel de la rentabilité.

Nombre de saisonnier•es « professionnel•les », enchaînent les mois de contrats et les récoltes été comme hiver, sous des températures très élevées ou de fortes intempéries, augmentant les risques pour la santé. Bien trop souvent leurs conditions de vie sont déjà délétères, soient-il•les français·es ou étranger·es.

Pour ces dernier·es, nombreux·ses dans les champs et les vignes, ce sont encore plus d'obstacles pour accéder aux soins et connaître les droits sociaux basiques en France ; la barrière de la langue, la fracture numérique, l'isolement, le racisme… Se cumulent, accroissent les dangers de ce manque de repos essentiel, et empêchent la revendication de leur droit à l'intégrité.

D'autres saisonnier·es « occasionnel·les » aux profils multiples (jeunes, étudiant•es, 1 Article L.713-13 du code rural et de la pêche maritime retraité•es…), astreint·es à l'intensité et à la productivité du rendement, ne sont pour la plupart pas coutumier·es de ces conditions de travail. Ils seront donc, par manque d'habitude, plus vulnérables, surtout dans leurs 12 premiers jours de cueillette.

Blanc-seing aux employeur•ses, sur la vie des travailleur·euses ?

Par ailleurs, il n'est pas non plus possible de faire confiance au « bon sens » de nombre d'employeur•ses indifférent•es au bien-être et aux conditions de vie (voire de survie) de la main d'œuvre saisonnière, comme l'illustre parfois le défaut d'accès à l'eau potable ou sa non provision dans certaines exploitations, l'inexistence de logement digne et décent… Ou régulièrement, la réticence à aménager les horaires de travail pour éviter les fortes chaleurs. Les abus d'application de ce décret sont prévisibles, tandis que la mort au travail est en augmentation.

In fine, quelles obligations et responsabilités incomberont aux employeurs•ses et aux organismes en charge de la sécurité des travailleur•euses (Inspections du travail, MSA), si l'on considère que pourraient être commises des atteintes involontaires à la vie (art. 221-6 du CP), des atteintes à l'intégrité physique (art. 222-19 du CP) et la mise en danger des personnes en raison des risques causés à autrui (art. 223-1 du CP) ? Et quel précédent ce décret crée-t-il ?

Un appel à l'action

Il est impératif de garantir des conditions de travail sûres et dignes pour tou·tes (2) en agriculture. Le repos hebdomadaire est un droit fondamental qui ne doit pas être sacrifié au nom de la productivité. Il est possible de concilier protection des travailleur·ses et exigences économiques comme le montrent les initiatives mises en place pour les ouvrier·es du BTP lors des canicules. Il est urgent d'étendre ces mesures aux domaines agricole et viticole.

Face à cette mise en péril grave et imminente des ouvrier•es agricoles, nous, associations et organisations signataires, appelons à l'abrogation de ce décret et à l'application de mesures en faveur de la sécurité et santé au travail des travailleur·ses agricoles.

Ensemble, nous devons nous mobiliser pour la justice et la dignité de celles et ceux qui nous nourrissent !

(1) Article L.713-13 du code rural et de la pêche maritime.

(2) https://manifestemontrealsst.net/wp-content/uploads/2024/06/1Manifeste-de-Montreal-2023-FR_def-1-2.pdf

Liste de signataires : El Eco Saisonnier collectif de travailleur·euses agricoles, avec Marie-Lys Bibeyran défenseuse des droits des travailleur·euses des vignes et auteure, Fabienne Goutille chercheuse intervenante en santé au travail, Tifenn Hermelin documentariste, Béatrice Mésini chercheuse.

Les organisations signataires : Association A4 accueil en agriculture et artisanat, Codetras collectif de défense des travailleur·euses saisonnier·es étranger·es, Colectivo de Saisonnières del 66 collectif de travailleur·euses des Pyrénées-Orientales, Confédération paysanne syndicat, Confédération paysanne Alpes-de-Haute-Provence, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Isère, Confédération paysanne PACA, Derechos sin fronteras permanence d'accès aux droits à Beaucaire, France Libertés Fondation Danielle Mitterrand, Forum civique européen, Halem, LDH Istres-Ouest-Provence, Médecins du monde délégation Aquitaine, RLGDV, Sud Travail Affaires Sociales syndicat, SUD Agri Tarn syndicat, Syndicat du Travail de la Terre et de l'Environnement 42 syndicat, Union départementale CGT Côtes-d'Armor syndicat, Union syndicale Solidaires…

Cette tribune a été signée par une multitude d'organisations, d'ouvrier·es agricoles, paysan·nes et employeur·ses, professionnel·les de santé, élu·es, enseignant·es et chercheur·es (CNRS, Inrae, AgroParisTech, Cirad, Inserm, IRIS, etc.).

La liste complète :
https://docs.google.com/document/d/1p7mA9oMs4C7cE5GH9w1RuTpZPqyqeBKRXSKTL5SJlpU/edit

Liste des productions concernées en plus des vendanges :
Fruits AOC
Noix de Grenoble (1938)
Chasselas de Moissac (1977)
Pomme du Limousin (1994)
Muscat du Ventoux (1997)
Noix du Périgord (2002)
Châtaigne d'Ardèche (2006)
Figue de Solliès (2006)
Abricots rouges du Roussillon (2022)
Fruits IGP
Normandie Poireau de Créances
Pays de Loire Melon du Haut Poitou
Nouvelle Aquitaine Fraise du Périgord
Nouvelle Aquitaine Asperges des sables des Landes
Nouvelle Aquitaine Melon du Quercy
Nouvelle Aquitaine Kiwi de l'Adour
Nouvelle Aquitaine Ail blanc de Lomagne
Nouvelle Aquitaine Haricot tarbais
Nouvelle Aquitaine Ail rose de Lautrec
Nouvelle Aquitaine Haricot de Castelnaudary
Hauts-de-France Lingot du Nord
Grand-Est Mirabelles de Lorraine
Auvergne-Rhône-Alpes Pommes et poires de Savoie
Auvergne-Rhône-Alpes Pommes de Alpes de Haute Durance
Provence-Alpes-Côte d'Azur Cerise des côteaux du Ventoux
Provence-Alpes-Côte d'Azur Citron de Menton
Occitanie Ail de la Drôme
Occitanie Fraises de Nîmes
Occitanie Artichaut du Roussillon
Corse Clémentine de Corse
Corse Kiwi de Corse
Corse Noisette de Cervionne
Corse Pomelo de Corse
Guadeloupe Melon de Guadeloupe
AOP
Centre-Val de Loire Pomme du Limousin
Nouvelle Aquitaine Noix du Périgord
Nouvelle Aquitaine Chasselas de Moissac
Nouvelle Aquitaine Ail violet de Cadours
Auvergne-Rhône-Alpes Noix de Grenoble
Provence-Alpes-Côte d'Azur Châtaigne d'Ardèche
Provence-Alpes-Côte d'Azur Muscat du Ventoux
Provence-Alpes-Côte d'Azur Figue de Sollies
Occitanie Oignon doux des Cévennes
Occitanie Châtaignes des Cévennes
Occitanie Abricots rouges du Roussillon

https://solidaires.org/sinformer-et-agir/actualites-et-mobilisations/communiques/tribune-la-recolte-ou-la-vie-il-est-urgent-de-retablir-le-repos-hebdomadaire-des-saisonniers/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

RDC : le sort des femmes et des enfants exploité.es dans les mines

17 septembre 2024, par Yousra Charifa Dandjouma — , ,
Notre soif de technologie, même censée aider à démarrer une transition énergétique de plus en plus décriée, se fait au détriment de nombreuses populations du Sud global, en (…)

Notre soif de technologie, même censée aider à démarrer une transition énergétique de plus en plus décriée, se fait au détriment de nombreuses populations du Sud global, en premier lieu celles de la République démocratique du Congo (RDC), qui détient des ressources naturelles convoitées par la planète entière.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/08/28/rdc-le-sort-des-femmes-et-des-enfants-exploite-es-dans-les-mines/

Yousra Charifa Dandjouma, stagiaire d'Alternatives pour une ONG de la République démocratique du Congo

Cet extractivisme au service de la croissance économique et d'une planète toujours plus connectée et technocentrée est synonyme d'une violente exploitation de travailleurs et travailleuses en RDC, incluant des enfants.

La RDC est l'un des pays les plus riches en ressources naturelles au monde, abritant des gisements importants de minéraux. Par exemple, la RDC produit « 60% du cobalt dans le monde (qui a été qualifié de « diamant de sang »), et elle extrait plus d'un million de tonnes de cuivre chaque année ». Néanmoins, cette richesse n'a pas été synonyme de prospérité pour les Congolais․es, et en particulier pour les femmes qui travaillent dans les mines artisanales. L'exploitation, les conditions de travail dangereuses et une vulnérabilité extrême les maintiennent souvent dans une situation difficile.

Dans un articlepublié en septembre 2023, Amnesty International « reconnaît l'importance cruciale des batteries rechargeables dans la transition énergétique pour mettre fin à la dépendance aux énergies fossiles ». Et, dans la section Transition énergétique de son site internet, elle insiste sur le fait que « la justice climatique exige une transition juste. Décarboner l'économie mondiale ne doit pas engendrer de nouvelles violations des droits humains ».

Dans le rapport de septembre 2023, on peut aussi lire que « La population de la RDC a subi une exploitation considérable et de graves atteintes aux droits humains pendant la période coloniale et postcoloniale et ses droits continuent d'être sacrifiés alors que les richesses qui l'entourent lui sont confisquées ».

Conditions de travail pénibles et inhumaines

En mars 2018, la RDC a modifié laloi minière de 2002afin de garantir une répartition équitable des revenus miniers, d'accroitre la contribution du secteur minier à l'économie nationale et de lutter contre la pauvreté dans les régions minières. Dans ces sites miniers de la République démocratique du Congo, les droits civils et sociaux sont absents. Cependant, comme le rapportait Sophie Langlois pour Radio-Canadaen 2019, environ 40 à 50% de la main-d'œuvre sont des femmes (parfois enceintes) et « 40 000, ce sont des enfants, qui travaillent dans les mines artisanales de la RDC dans des conditions extrêmement difficiles ».

Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) a récemment exprimé sa profonde préoccupation face à l'exploitation de plus de « 300 000 enfants dans les mines artisanales des provinces du Lualaba et du Haut-Katanga en République démocratique du Congo ». L'annonce a été faite lors de la 19e Semaine minière de la RDC qui s'est déroulée à Lubumbashi.

Ces travailleuses et travailleurs sont majoritairement employé.es dans le secteur « informel », sans contrat ni protection sociale et travaillent souvent durant de très longues heures, souvent sous un soleil de plomb ou dans des galeries souterraines étouffantes. Leurs tâches incluent le tri des minerais, le transport de lourdes charges, et parfois même l'extraction directe. Ces travaux pénibles, qui mettent leur santé en péril, sont pourtant rémunérés à un taux dérisoire, ne dépassant pas 1 à 2 dollars (É.-U.) par jour.

En plus des risques physiques, ces personnes doivent faire face à des dangers environnementaux. En effet, l'absence d'équipements de protection adéquats les expose à des niveaux élevés de poussières toxiques et de produits chimiques dangereux. Les accidents sont fréquents, et l'accès aux soins médicaux est limité, aggravant encore leur situation.

En 2014, la banque mondiale et la Harvard Humanitarian Initiave ont mené une étude pour permettre aux femmes de s'exprimer sur les opportunités et les difficultés liées au travail dans les mines artisanales. Cette étude révèle que « 17% des femmes et 20% des hommes pensent que les femmes ont le droit de travailler dans les mines » et « une femme sur sept » déclare avoir été contrainte de « donner des faveurs sexuelles », tandis que « 30% des femmes affirment avoir été victimes de harcèlement » dans les mines. De plus « 1 femme sur 14 » mentionne avoir abordé le sujet du harcèlement et des discriminations avec d'autres. Enfin, 30% des répondantes dans l'étude estiment que les « associations féminines » pourraient aider à résoudre ces problèmes.

Exploitation économique et abus

Les femmes sont également victimes d'exploitation économique. Elles sont souvent payées bien en dessous du salaire minimum légal, quand elles ne sont pas payées du tout. Dans de nombreux cas, elles sont rémunérées en fonction de la quantité de minerai qu'elles parviennent à extraire ou à trier, une tâche rendue encore plus ardue par la concurrence féroce et la pression des intermédiaires et des négociants.

En outre, les abus sexuels et les violences de genre sont monnaie courante. Les femmes sont fréquemment soumises à des harcèlements et à des violences sexuelles de la part de leurs collègues masculins et même des superviseurs. Les structures de pouvoir au sein des sites miniers étant souvent dominées par les hommes, les femmes ont peu de recours pour se protéger ou dénoncer ces abus.

Selon l'Institut d'études de sécurité, environ 40 000 enfants s'épuisent dans les mines congolaises. Ils sont privés d'éducation et exposés à des dangers pour extraire du coltan, un minerai précieux utilisé dans nos appareils électroniques, surtout dans nos téléphones intelligents et nos tablettes. Issus de villages reculés du Kivu, ces enfants n'ont d'autres choix que de contribuer à la survie de leur famille dès leur plus jeune âge.

Loin des regards, l'exploitation minière clandestine fait des enfants des proies faciles, les soumettant à des conditions de travail déplorables. Privés de leur enfance, ces jeunes sont exposés à de nombreux dangers, tels que les effondrements, les intoxications et les maladies professionnelles. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les enfants employés dans les mines artisanales sont souvent issus des communautés les plus pauvres et les plus marginalisées.

Initiatives et Solutions

Malgré ces défis, plusieurs initiatives visent à améliorer la situation des femmes dans les mines de la RDC. Des organisations non gouvernementales (ONG) locales et internationales travaillent afin de sensibiliser les communautés et promouvoir les droits des femmes. Elles offrent des formations sur les droits du travail, l'autonomisation économique, et la santé reproductive.

La Banque mondiale et le gouvernement de la RDC soutiennent des initiatives visant à réduire le fossé entre les sexes dans le secteur minier. Leprojet Promines, par exemple, vise à renforcer la gestion du secteur minier, à améliorer les conditions d'investissement et à augmenter les retombées socioéconomiques des mines « artisanales ».

En novembre 2020, le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF), en collaboration avec la Global Battery Alliance (GBA), s'est fixé pour objectif de « mobiliser 21 millions de dollars américains auprès des partenaires publics et privés sur les trois prochaines années. Ces fonds financeront une série d'initiatives visant à s'attaquer aux causes profondes du travail des enfants dans les communautés minières en République Démocratique du Congo (RDC) ». Le gouvernement congolais, sous la pression internationale, commence également à prendre des mesures pour réguler le secteur minier artisanal. Des efforts sont faits pour formaliser les activités minières et « intégrer les femmes dans des coopératives » qui peuvent leur offrir une meilleure protection et des conditions de travail plus équitables.

Le sort des femmes et des enfants travaillant dans les mines en RDC reste un sujet de préoccupation majeure. Bien que des efforts soient faits pour améliorer leur situation, il reste encore beaucoup à faire pour garantir des conditions de travail sûres, équitables et respectueuses de leurs droits. La communauté internationale, les gouvernements, et les entreprises doivent collaborer pour mettre fin à l'exploitation et aux abus, afin que les richesses naturelles de la RDC bénéficient enfin à tous ses habitants, y compris les femmes qui travaillent dur pour les extraire.

https://alter.quebec/rdc-le-sort-des-femmes-et-des-enfants-exploite-es-dans-les-mines/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Inde : au nom des droits des femmes

17 septembre 2024, par Aurélie Leroy, Centre tricontinental (CETRI) — , ,
Depuis 2014, Modi promet l'égalité et la protection des femmes. Les violences continuent toutefois de croître, la participation des femmes au marché du travail est faible et (…)

Depuis 2014, Modi promet l'égalité et la protection des femmes. Les violences continuent toutefois de croître, la participation des femmes au marché du travail est faible et les initiatives du BJP, comme les quotas parlementaires, servent davantage des objectifs politiques qu'émanciper les femmes. Au final, les inégalités et la violence de genre persistent et la culture de l'impunité règne.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Vient de paraître : Dissidences dans la « nouvelle » Inde, le dernier volume d'Alternatives Sud.

Une analyse d'Aurélie Leroy [1], chercheuse au CETRI – Centre tricontinental.

En ce printemps 2024, un huitième de la population mondiale s'est rendu aux urnes, faisant de ce scrutin, le plus grand exercice électoral de la planète. Un scrutin aux allures titanesques, qui ne fait toutefois pas de l'Inde « la plus grande démocratie du monde ». Plusieurs organisations internationales tels que V-dem (2023), Freedom House (2023) et Economist Intelligence Unit (2023) soulignent l'érosion démocratique et les dérives autoritaires. L'hindouisation du pays à marche forcée, qui cherche à établir une suprématie de la communauté majoritaire hindoue au détriment du sécularisme et des minorités, en est la première manifestation. La tendance à l'illibéralisme due à la neutralisation des institutions indépendantes et démocratiques, à la mise au pas des principaux contre-pouvoirs et à la répression des oppositions, en constitue la seconde.

Bilan du gouvernement Modi en matière de droits des femmes
Le Bharatiya Janata Party (BJP) dirigé par Narendra Modi s'est toujours dit mobilisé en faveur des femmes, déclarant que celles-ci étaient au centre de ses préoccupations. En 2014 déjà, le programme du parti [2] promettait d'œuvrer à l'« empowerment des femmes ». Il insistait sur leur sécurité et leur protection, considérées comme des conditions préalables à leur autonomisation. Le manifeste énumérait des actions à entreprendre pour lutter contre les violences commises à leur égard ainsi que des engagements en matière d'éducation, d'emplois et de participation économique et politique.

Violences de genre et impunité
Au cours de la dernière décennie cependant, les crimes contre les femmes n'ont cessé d'augmenter, alors que les taux atteignaient déjà des niveaux jugés « inacceptables » par le BJP lorsqu'il est monté au gouvernement en 2014. Selon le rapport annuel du National Crime Records Bureau, environ 4,45 millions de crimes contre les femmes ont été enregistrés en 2022 (Frontline, 2023). Une majorité d'entre eux étaient des actes de cruauté commis par des maris ou des proches (31%), des enlèvements de femmes (19%), des agressions et des attentats à la pudeur (19%) et des viols (7%).

La violence sexuelle est traitée avec complaisance en Inde et une culture de l'impunité l'entoure, en dépit des sursauts causés notamment par des mobilisations massives à la suite du viol collectif de Jyoti Singh, en 2012 (Leroy, 2013) et de la vague Me too indienne. Les statistiques officielles sont en outre peu fiables en raison de la sous-déclaration des agressions, mais aussi du fait de pratiques d'enregistrement inadaptées et d'une collusion institutionnelle. Les corps des femmes, en particulier ceux appartenant à des communautés marginalisées, sont la cible d'un continuum de violence, du ventre à la tombe, qui contribue à la perpétuation de la domination masculine et au maintien de hiérarchies fondées sur la caste, la religion, la classe sociale, la parenté, etc. (Alternatives Sud, 2021).

Aujourd'hui avec le « parti du peuple » au pouvoir, comme hier avec d'autres partis, les violences ne reçoivent pas une attention suffisante de la part des autorités. Les forces de police et de sécurité peuvent mêmes être les premières à laisser faire les bourreaux ou à brutaliser les femmes dans la rue ou dans les manifestations pacifiques. L'impunité est encore plus forte dans des régions militarisées telles que le Cachemire, le Manipur ou les États du Nord-Est. Dans ces zones de conflit, l'isolement et le manque de transparence permettent aux agressions sexuelles et aux abus de proliférer.

Les institutions façonnées par l'État concourent à la (re)production d'un ordre symbolique et social. On pourrait s'attendre à ce qu'elles participent de la solution mais elles perpétuent souvent, au contraire, des formes de violence contre les femmes. Les forces de l'ordre, tout comme la justice ne sont pas des organes « neutres », au-dessus des rapports de dominations. Elles y participent. Le système judiciaire indien échoue ainsi à rendre justice aux femmes et témoigne trop souvent d'une forme de complicité des autorités (depuis les chefs de village jusqu'au sommet de l'État) avec les auteurs de violences sexistes [3].

Participation économique des femmes
Le taux de participation des femmes à la population active, déjà bas en 2014, a quant à lui, encore baissé au cours des deux mandats de Modi. Il est l'un des plus bas de la planète (The Wire, 2023), soulignant la marginalisation croissante de la main-d'œuvre féminine dans l'économie indienne. Depuis la libéralisation des années 1990, ce taux est en chute libre, passant de près de 30%, il y a trois décennies, à environ 17% en 2018.

Depuis 4-5 ans, la tendance est à la hausse, mais cette évolution ne constitue pas de facto une bonne nouvelle. Elle est due au travail que de plus en plus de jeunes femmes réalisent à leur compte dans des zones rurales. Leur inscription sur le marché de travail est cyclique. Elle s'intensifie en période de crise pour compenser les pertes de revenus. Les femmes y acceptent alors des boulots mal payés aux conditions pénibles, qu'elles quittent aussitôt que la situation des ménages s'améliore et que l'économie rebondit.

Ces entrées et sorties soulignent le rôle d'amortisseur joué par les femmes dans les ménages pauvres durant les périodes de détresse économique (Bhandare, 2024). La contribution croissante des femmes au marché du travail incarne donc « un mode de vie difficile et un stress sur les moyens de subsistance, plutôt qu'une situation de progrès et d'abondance. Cette tendance reflète aussi le phénomène de ruralisation, à savoir la diminution de la proportion d'emplois dans les secteurs urbains de l'industrie et des services, qui se traduit par une dépendance croissante à l'égard des secteurs ruraux » (Sinha, 2023).

Les femmes sont en outre confrontées au « piège patrilocal » (« Patrilocal Trap ») (Evans, 2023) qui empêche les femmes célibataires de travailler à l'extérieur du foyer, en raison de « contacts non supervisés avec des hommes qui pourraient entacher leur réputation » (Taub, 2023). Sans moyen de gagner leur vie, faute de disponibilité d'« un travail convenable », de nombreuses femmes finissent par se marier, sous la contrainte sociale, se retrouvant du même coup attachée à une belle famille et sous l'emprise d'un mari parfois violent.

Représentation politique des femmes
Les nationalistes hindous du BJP ont aussi répété à l'envi qu'ils se différenciaient des autres partis en matière de représentation politique des femmes. Ils en voulaient pour preuves notamment, l'élection de Droupadi Murmu, première femme présidente [4] issue d'une communauté adivasi, la représentation féminine plus élevée que de coutume dans les 16e et 17e Lok Sabhas (la chambre basse du parlement) à majorité BJP, et l'adoption d'un amendement constitutionnel réservant 33% des sièges parlementaires au femmes, en septembre 2023.

Les ultranationalistes ont déployé des efforts pour pousser les femmes à intégrer le parti ou le cercle des organisations nationalistes hindoues proches du pouvoir, notamment le comité national des femmes volontaires. Des initiatives ont aussi été prises pour qu'elles soient davantage considérées comme une base électorale cruciale. La popularité de Modi et le succès de son parti ont ainsi grandi auprès des Indiennes au fil des années, au point que, lors des élections générales de 2019, le BJP est devenu le parti avec le plus grand nombre de voix féminines. Lors des élections régionales de 2022, qui se sont déroulées dans cinq états, les femmes ont voté davantage que les hommes pour le BJP (Barooah Pisharoty, 2022).

L'intérêt que le BJP porte aux femmes est indéniable, mais celui-ci ne signifie pas pour autant que ce parti œuvre à leur « libération » ou entende concrétiser l'égalité entre les sexes. Les droits des femmes ont été instrumentalisés et les questions sexuelles accaparées par les dirigeants indiens afin de légitimer leur discours, asseoir leur autorité et servir leur agenda politique.

Instrumentalisation politique des droits des femmes

Des quotas pour les femmes au parlement
L'adoption du projet de loi réservant des quotas aux femmes dans les assemblées parlementaires est un exemple édifiant des usages paradoxaux qui peuvent être fait de « la cause des femmes ». Introduit pour la première fois en 1996, le projet de loi a fait, au cours de ces trois dernières décennies, l'objet de débats acharnés sans que jamais une majorité n'en permette son adoption. En dépit de cette trajectoire longue et mouvementée, il a finalement été adopté à la quasi-unanimité, en septembre 2023, à peine deux jours après son introduction.

Ce résultat n'est pas le fait d'une subite convergence de vues sur le texte. Il relève d'un « coup » politique orchestré par le gouvernement Modi au plus grand bénéfice de ce dernier. Aucun échange ou consultation n'a pu avoir lieu anticipativement autour de cette loi en raison du manque de transparence sur l'ordre du jour des discussions à la Lok Sabha. Le dossier ne figurait pas sur le « Business bulletin », le matin même de son introduction. Cette loi est donc passée, comme beaucoup d'autres, « au bulldozer », parce que le gouvernement Modi en avait décidé ainsi, révélant l'affaiblissement du parlement et la mainmise de l'exécutif sur le législatif.

Si l'adoption de cette loi a, a priori, de quoi réjouir, elle pose plusieurs questions. Tout d'abord celle de la représentativité des femmes dans un Parlement affaibli aux marges de manœuvre réduites. Quels changements politiques espérer en faveur de l'égalité dans un contexte peu favorable au respect des droits humains et démocratiques où la direction du pays est passée maître dans l'art du parler démocratique et de l'agir autocratique. Ensuite, celle de la mise en œuvre de la loi qui n'est pas sans poser problème. L'établissement de quotas est en effet lié à l'exercice d'un recensement général dont la date n'est pas fixée et qui fait débat entre partis majoritaire et de l'opposition. Enfin, dernière question : pourquoi un tel empressement à faire adopter cette loi ?

Les raisons qui ont poussé le Premier ministre à agir de la sorte sont avant tout opportunistes et électoralistes. Des quotas en faveur des femmes sont une promesse électorale ancienne du BJP et l'adoptien du texte est survenu à la veille du scrutin de 2024. Le calendrier était donc parfait. Modi tenait également à proposer une mesure phare et rassembleuse à l'occasion de l'inauguration du nouveau bâtiment du parlement pour les 75 ans de l'indépendance. Quoi de mieux que le Women's Reservation Bill ? Cette loi est en outre emblématique de son agenda politique et de son programme « civilisationnel ». Elle alimente le récit d'une « nouvelle Inde » à l'« avenir glorieux » dans lequel les femmes ont une place. Mais quelle est-elle, cette place ? Quelles sont les représentations que le BJP a des femmes et quelle est son approche en matière d'égalité des sexes ?

Discours normatifs et ordre moral
L'homme fort du pays – qui bénéficie d'un très large soutien populaire – postule l'existence d'un modèle sexuel indien qui renvoie les femmes et les hommes à des spécificités traditionnelles et culturelles. Le nationalisme hindou défend un programme « civilisationnel » qui politise les questions sexuelles et s'appuie sur des normes de genre régressives et sur un modèle traditionnel patriarcal. Il met en avant une identité féminine hindoue « respectable », censée incarner la moralité et la pureté de la famille et de la nation.

Les femmes du groupe majoritaire ont ainsi reçu comme injonction de se conformer aux codes traditionnels et de jouer un rôle de gardiennes face à la dépravation des mœurs. Afin de préserver une identité prétendument menacée, de nombreux hommes mais aussi femmes militantes ont estimé qu'il était du « devoir divin des femmes hindoues non seulement de donner naissance à des enfants, qui serviront le Rashtra (État) hindou, mais aussi de leur donner le « samskar », ou les « valeurs sociales », qui contribueront au processus d'édification de la nation hindoue » (Dhingra, 2023).

La dépravation des mœurs et la bataille des valeurs sont des thèmes porteurs, mobilisés par le régime autoritaire indien, afin de gagner en statut et en légitimité. Elles permettent à Modi non seulement de se dresser en rempart de l'identité indienne face à la propagation de valeurs occidentales jugées « décadentes » et « néocoloniales », mais aussi de se lever contre la prétendue « menace » que représenterait l'islam pour les droits des femmes. Dans ses discours, les femmes musulmanes sont ainsi systématiquement stigmatisées comme des victimes sans défense, maltraitées par des hommes musulmans, présentés comme des êtres misogynes aux comportements prédateurs.

Prenons deux exemples d'usages détournés des droits des femmes. Tout d'abord, la loi absurde du « triple talaq » qui a criminalisé une forme de divorce chez les musulmans (Leroy, 2018). Ce texte n'a jamais eu pour but de protéger les femmes musulmanes, vu que ce procédé avait déjà été déclaré invalide et rendu juridiquement nul ! Cette initiative, soutenue par Modi, visait davantage à dénigrer la tradition islamique présentée comme opprimante et sexiste, au contraire d'une culture hindoue décrite comme vertueuse et garantissant le respect de « ses » femmes.

Ensuite, des opérations ont été menées par des groupes vigilantistes hindous d'extrême droite contre le « love jihad ». Elles reposent sur l'idée que les hommes musulmans sont des êtres perfides et hostiles qui ont l'intention de séduire des femmes hindoues pour les convertir et islamiser la société indienne. Dans cette croisade islamophobe, des hommes musulmans ont été lynchés et tués en public sans que les auteurs de ces crimes de haine ne soient jamais poursuivis.

Conclusion
Les discours dans lesquels Modi s'auto-désigne comme « sauveur des femmes » s'inscrivent dans un agenda nationaliste excluant. Les droits des femmes ne sont pas sa priorité, mais sont pris en compte tant qu'ils servent les intérêts de son parti et de son gouvernement. Agir au nom des femmes s'est ainsi souvent révélé pour le BJP, « un discours légitimateur particulièrement efficace » (Idem). Toutefois, lorsque des mouvements de femmes (de toutes religions, castes ou classes) ont contesté l'agenda politique du parti au pouvoir, les élans « protecteurs » du gouvernement se sont, sans surprise, mus en une répression féroce. Cela s'est vu à Shaheen Bagh, lorsque des femmes musulmanes ont refusé d'endosser le rôle de la « bonne victime » en luttant contre la modification de la loi sur la citoyenneté, ou lorsque des femmes du groupe majoritaire ont rejeté les normes sociales et de genre qu'on voulait leur imposer.

La réélection de Modi à un troisième mandat soulève des questions cruciales pour les droits des femmes. Alors que l'homme fort du pays va continuer à prôner le suprémacisme hindou et l'exclusion des minorités, les mouvements de femmes devront redoubler d'efforts pour faire entendre leurs voix, créer des solidarités et des dynamiques unificatrices afin de défendre leurs droits et résister aux politiques discriminatoires.

Bibliographie
Alternatives Sud (2021), « Violences de genre et résistances »
https://cetri.be/Violences-de-genre-et-resistances.
Barooah Pisharoty S. (2022), « Interview : It's Time BJP Walks the Talk on the Women's Reservation Bill », The Wire, avril
https://thewire.in/women/interview-its-time-bjp-walks-the-talk-on-the-womens-reservation-bill.
Bhandare (2024), « Women in the workforce part I and II », IDR
https://idronline.org/.
Dhingra (2023), « India's Militant Hindu Nationalist Women Leaders », New Lines Magazine, 17 avril
https://newlinesmag.com/reportage/indias-militant-hindu-nationalist-women-leaders/.
EIU (2023), « Democracy Index 2023 ».
Evans A. (2023), « The Patrilocal Trap »
https://www.ggd.world/p/the-patrilocal-trap.
Freedom House (2024), « Freedom in the World 2024 – India country report »
www.freedomhouse.org.
Frontline (2023), « Over 4.45 lakh crimes against women in 2022, one every 51 minutes : NCRB »
https://frontline.thehindu.com/.
Leroy A. (2013), « Des violences sexuelles comme stratégies de domination »
https://cetri.be/Des-violences-sexuelles-comme
Leroy A. (2018), « De l'usage du genre », Alternatives Sud, n°25/2, juin.
Leroy A. (2024), « La politique antimusulmane de la “nouvelle Inde” »,
https://www.cetri.be/La-politique-antimusulmane-de-la
The Wire (2023), « Big Talk, Small Action : Modi Govt's Work on Women's Empowerment in the Last 9 Years »
https://thewire.in/women/big-talk-small-action-modi-govts-work-on-womens-empowerment-in-the-last-9-years.
Sinha D. (2023), « Rising Female Work Participation Signals Stressed Livelihoods, Not Progress », The Wire
https://thewire.in/labour/rising-female-work-participation-signals-stressed-livelihoods-not-progress.
Taub A. (2023), « A Major Economic Challenge », NY Times
https://www.nytimes.com/2023/11/20/briefing/india-economy-gender-inequality.html
V-Dem Institute (2023), Democracy Report 2023. Defiance in the face of autocratization, University of Gothenburg.

[1] Chargée d'étude au Cetri, coordinatrice de « Dissidences dans la ‘nouvelle Inde' », Alternatives Sud, 2024, 2, Cetri-Syllepse.
[2] https://www.bjp.org/images/pdf_2014/full_manifesto_english_07.04.2014.pdf.
[3] Parmi de trop nombreux exemples, la libération des violeurs de Bilkis Bani, victime d'un viol collectif lors du pogrom musulman au Gujarat en 2002, le silence de Modi par rapport aux agressions sexuelles au Manipur, l'intimidation dont ont été la cible les lutteuses indiennes qui dénonçaient le harcèlement du président de la fédération indienne de lutte, par ailleurs aussi député du BJP, etc.
[4] Le pouvoir de la présidence est honorifique car son/sa titulaire est tenu·e de suivre les avis du Premier ministre, responsable devant le parlement et détenteur du pouvoir exécutif avec le gouvernement.

CETRI – Centre tricontinental
Le Centre tricontinental est un centre d'étude, de publication et de formation sur le développement, les rapports Nord-Sud, les enjeux de la mondialisation et les mouvements sociaux en Afrique, Asie et Amérique latine

https://blogs.mediapart.fr/cetri-centre-tricontinental/blog/180624/inde-au-nom-des-droits-des-femmes

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La lutte pour le nom de famille des femmes mariées en Turquie

17 septembre 2024, par Nezahat Demiray — , ,
Découvrez l'histoire et le contexte actuel de la lutte pour le droit de choisir son propre nom de famille Tiré de Entre les lignes et les mots (…)

Découvrez l'histoire et le contexte actuel de la lutte pour le droit de choisir son propre nom de famille

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/06/la-lutte-pour-le-nom-de-famille-des-femmes-mariees-en-turquie/

En Turquie, la pratique consistant à changer le nom de famille d'une femme après le mariage et l'obligation d'adopter le nom de famille de son mari est une question urgente pour les féministes. Les femmes du pays ont obtenu les droits civiques, le droit de vote et le droit de se présenter et d'être élues au cours de plus de cent ans de lutte, en disant : « nous sommes égales ». Le droit des femmes mariées à choisir leur propre nom de famille a été obtenu dans le pays après 30 ans de batailles juridiques. Cependant, les femmes ne sont pas encore en mesure d'exercer pleinement ce droit. Le gouvernement insiste sur le fait qu'il ne permet pas ce choix. Le combat continue. À cet égard, il est essentiel de reconnaître la résilience, la résistance et la conscience unifiée du mouvement des femmes en Turquie.

Bien que cela puisse sembler un problème mineur pour ceux qui ne considèrent pas l'aspect des droits, il s'agit en fait d'une question ayant de fortes implications politiques dans toutes les dimensions. Le nom de famille d'une femme mariée sert d'espace symbolique entouré de barbelés, conçu pour protéger le pouvoir enraciné du patriarcat. Surmonter ces barbelés par des moyens légaux pendant plus de trente ans a été une réalisation pertinente pour les femmes dans l'effort de démanteler le « mythe de la Sainte Famille ».

Le nom de famille, en tant que composante de l'espace individuel et autonome dans lequel une femme se perçoit, relève du droit à la vie privée en vertu de la législation sur les droits humains. En d'autres termes, la femme est une personne autonome avec sa propre identité et ne peut être réduite à une simple extension de l'homme, ni confinée dans les limites de la « Sainte Famille » à travers le mariage. L'imposition patriarcale à la femme mariée d'adopter le nom de famille de son mari est un outil qui vise à subordonner les femmes. Exiger des femmes qu'elles renoncent à leur identité et à leur autonomie lorsqu'elles fondent une famille, c'est se soumettre au pouvoir excessif du patriarcat. Résister à cette exigence, c'est affronter le patriarcat et contribuer à la diminution de son pouvoir – une contestation que le patriarcat n'est pas disposé à accepter.

Les institutions patriarcales ont résisté aux efforts du mouvement des femmes pour faire progresser les acquis et les droits garantis par le Code civil turc, c'est pourquoi elles refusent de reconnaître et d'appliquer la décision de la Cour constitutionnelle. Le Patriarcat perçoit toute demande d'égalité comme un « excès » qui confronte son pouvoir, en particulier en ce qui concerne la « Sainte Famille » et le « principe d'unité dans le nom de famille ».

La lutte au fil des ans

Lorsque nous examinons la trajectoire historique des mouvements luttant pour les droits humains, il est évident que les avancées ne se produisent pas de manière linéaire ou continue, et que les mouvements progressistes sont souvent confrontés à la brutalité de la répression. Le mouvement en faveur des droits humains des femmes a également progressé à travers d'intenses luttes, malgré la répression. Il y a donc des moments décisifs où les progrès deviennent irréversibles. Nous sommes actuellement à ce stade pour le mouvement des droits des femmes en Turquie. Malgré des années de répression gouvernementale et d'interventions systémiques et structurelles, la lutte qui a débuté il y a 30 ans pour modifier le Code civil en ce qui concerne le nom de famille des femmes mariées a atteint un point critique.

La Cour constitutionnelle turque a rejeté deux demandes d'annulation de l'article 187 du Code civil turc, qui oblige les femmes à adopter le nom de famille de leur mari après le mariage. La première a été déposée en 1998 au motif que la loi était inconstitutionnelle. Cependant, la Cour constitutionnelle n'a pas considéré que l'obligation violait le principe d'égalité consacré par la Constitution et a donc rejeté la demande d'annulation. Imperturbables, les femmes ont continué dans la lutte. Après un délai d'attente de dix ans requis par la Constitution, elles ont déposé une nouvelle requête auprès de la Cour constitutionnelle. En 2011, le tribunal a statué, pour la deuxième fois, que le maintien d'un nom de famille commun était obligatoire pour protéger l'intégrité de la famille et la paternité des enfants, déclarant qu'il est nécessaire d'adopter le nom de famille de l'homme, et que cette exigence ne serait pas contraire au principe d'égalité de la Constitution. Ainsi, la Cour constitutionnelle a maintenu la position constante sur cette « patate chaude » qu'elle reçoit du patriarcat à intervalles réguliers.

Encore une fois, le mouvement des femmes n'a pas abandonné. Après une autre période d'attente de dix ans, une nouvelle demande a été présentée au tribunal pour la troisième fois. En 2023, la Cour constitutionnelle a finalement annulé des décisions antérieures, car il n'était plus possible d'ignorer le caractère contraignant des conventions relatives aux droits humains dont la Turquie est signataire, telles que la Convention européenne des droits de l'Homme et la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. En outre, la lutte du mouvement des femmes, parallèlement aux avancées juridiques dans la promotion de l'égalité des sexes, a contribué à la décision du tribunal turc, aux améliorations mises en œuvre dans la Constitution, à la mise en place du droit depétition individuelle en appel, au niveau national, pour prévenir les violations des droits, et des décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme sur les violations en ce qui concerne le nom de famille adopté par les femmes mariées. La Cour constitutionnelle a éliminé le problème qui persistait depuis 30 ans, à savoir le problème du nom de famille des femmes mariées. Juridiquement, cette question n'existe plus en Turquie, puisque la loi pertinente sur cet aspect a été annulée.

En conséquence, selon la décision du 24 avril 2023, les femmes mariées devraient avoir trois options : adopter uniquement le nom de famille du mari ; adopter le nom de famille du mari avec le nom de jeune fille ; ou n'adopter que le nom de famille qu'elles avaient déjà avant le mariage.

L'inscription de cette dernière option dans la décision de la Cour constitutionnelle est une réalisation juridique d'une grande pertinence.

Le contexte actuel

L'obligation pour les femmes mariées d'adopter le nom de famille de leur mari a été légalement abolie le 28 janvier 2024, lorsque la décision de la Cour constitutionnelle turque est entrée en vigueur. Cependant, une intense dispute politique a commencé à la Grande Assemblée nationale de Turquie, qui était censée être en vacances pendant la période de chaleur estivale extrême, et devrait reprendre ses activités à l'automne dans le pays. La bataille actuelle découle du refus du gouvernement de reconnaître la décision de la Cour constitutionnelle, malgré son caractère définitif, après 30 ans d'articulation des femmes. La question a dégénéré en un différend qui remet en question le maintien de l'obligation d'adoption du nom de famille du mari par la femme après le mariage, malgré la décision contraignante d'annuler la règle par la Cour constitutionnelle.

Aujourd'hui, les organes exécutifs et législatifs se sont chargés de protéger la forteresse du patriarcat en ce qui concerne le nom de famille des femmes mariées. La lutte des femmes et la victoire juridique reconnue par la Cour constitutionnelle sont ignorées. Le gouvernement a inclus le nom de famille des femmes mariées dans le 9e « paquet » judiciaire, qui est un vaste projet de loi, comme si un changement de législation était nécessaire. Selon le projet de loi, les femmes mariées ne pourront pas adopter uniquement le nom de famille qu'elles avaient déjà avant le mariage. Le texte du PL cherche à rétablir le dispositif déclaré inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle. La discussion sur le projet de loi, qui a débuté le 11 juillet 2024, a duré 20,5 heures et s'est terminée le 12 juillet. Un débat ininterrompu a eu lieu à la Grande Assemblée nationale de Turquie, qui a été contrainte de reporter les vacances d'été et de reprendre ses activités. Ankara a connu l'été le plus chaud et le plus cruel en termes de droits des femmes. Malgré la discussion intense dans la Commission, la plupart n'étaient pas convaincus. Le projet n'a pas été présenté à la plénière pour le traitement final et a été reporté à la fin de la pause estivale.

Bien qu'il y ait des rapports selon lesquels le projet de loi pourrait être retiré grâce aux efforts de communication et aux luttes du mouvement des femmes, dirigé par l'Articulation des femmes pour l'égalité (Women's Platform for Equality – EŞIK), certains dirigeants du parti au pouvoir et du ministère de la Famille et des Services sociaux, cette information n'a pas encore été officiellement confirmée. Dans la nouvelle législature, qui commence en octobre après la fin des vacances d'été, il reste la possibilité que le gouvernement demande l'approbation de la loi en plénière de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Il est clair qu'il y aura une bataille difficile, prolongée et persistante au Parlement. Les organisations de défense des droits de la femme et les associations d'avocats en Turquie suivent la situation de près. Ce combat est un effort unifié : protéger l'État de droit appliquant les décisions judiciaires, résister à un législatif contrôlé par les puissances dominantes qui veut saper les victoires dans le domaine juridique et affronter le patriarcat en défendant l'existence et l'identité des femmes.

Nezahat Demiray
Nezahat Doğan Demiray est titulaire d'un doctorat en droit constitutionnel et travaille sur les droits humains des femmes, la pauvreté et l'inégalité entre les sexes. Elle est membre de la Marche Mondiale des Femmes en Turquie.

Édition par Bianca Pessoa et Helena Zelic
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : anglais
https://capiremov.org/fr/analyse/la-lutte-pour-le-nom-de-famille-des-femmes-mariees-en-turquie/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Conférence internationale sur la prostitution au Liban avec DoubleX

17 septembre 2024, par Mouvementdunid.org — , ,
En juillet, DoubleX, association féministe libanaise tout juste créée, a organisé à Beyrouth une grande conférence sur la lutte contre le système prostitutionnel, premier (…)

En juillet, DoubleX, association féministe libanaise tout juste créée, a organisé à Beyrouth une grande conférence sur la lutte contre le système prostitutionnel, premier événement de ce type dans le monde arabe. Alexine, survivante française, y est intervenue.

Tiré de Entre les ligne et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/14/conference-internationale-sur-la-prostitution-au-liban-avec-doublex/

« Notre objectif ? Mettre fin à l'exploitation sexuelle », peut-on lire en arrivant sur le site de la toute nouvelle association féministe abolitionniste libanaise, DoubleX. Fondée par Ghada Jabbour, qui luttait contre laprostitution au sein de Kafa, association membre de CAP international, cette association est la première à centrer son action sur la lutte contre le système prostitutionnel, dans une optique féministe et abolitionniste.

En juillet, elle a organisé conjointement avec Kafa une grande conférence de deux jours, pour faire savoir en quoi la prostitution, y compris filmée est une violence contre les femmes et un obstacle à l'égalité, et comment le modèle abolitionniste est le mieux à même de le combattre.

Dans son introduction, Ghada Jabbour a rappelé que les droits des femmes devaient être reconnus comme indissociables des droits humains, et a fait part des constats de terrain sur le système prostitutionnel :

« Nous voyons bien comment la prostitution est une conséquence des violences et des discriminations mais aussi comment le système de la prostitution recouvre de nombreuses violences, en particulier les violences sexuelles. Nous sommes toutes concernées par la prostitution, directement ou indirectement, parce qu'elle déshumanise les femmes et en font des objets de plaisir pour les hommes ».

DoubleX invite survivantes, expertes, activistes

Pour en parler, DoubleX a fait venir du monde entier des intervenantes prestigieuses, et en premier lieu des survivantes. Parmi elles, Alexine Solis, survivante française et une des autrices du podcast La vie en rouge, a expliqué en quoi la prostitution était « la forme la plus flagrante de violence masculine contre les femmes », et était contraire à l'égalité, et par essence une atteinte aux droits humains.

« C'est précisément parce que vous ne voulez pas de cet acte sexuel que les prostitueurs veulent vous payer pour passer outre à votre consentement », a-t-elle expliqué. Cherie Jimenez, présidente de CAP international et elle même survivante, et Mia D Foite, survivante irlandaise, étaient également présentes.

Par ailleurs, des expertes étaient invitées, en particulier Reem Alsalem, rapporteuse spéciale du Conseil des droits de l'homme de l'Onu, qui a publié au printemps un rapport majeur sur la prostitution qui reconnaît l'analyse abolitionniste comme la seule pertinente pour s'attaquer à cette violence patriarcale qu'est la prostitution.

Melissa Farley, psychologue et chercheuse états-unienne qui a fait de multiples études sur les « clients » prostitueurs et récemment une étude majeure sur les liens pornographie-prostitution, est venue parler de prostitution filmée, tout comme Alyssa Ahrabare pour Osez le féminisme ! Le Réseau européen des femmes migrantes était également présent, pour parler de la façon dont le système prostitueur cible toujours les plus vulnérables.

Une très belle conférence de lancement pour DoubleX, à qui l'on souhaite longue vie. L'association est déjà présente sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, sous le nom doubleXleb), et a un site Internet : https://doublex.org

A lire également :
« Ghada Jabbour, Au Liban, la prostitution doit être reconnue comme une violence faite aux femmes »

Ghada Jabbour est une des fondatrices de Kafa (enough) Violence and Exploitation, une ONG leader de la lutte contre les violences faites aux femmes au Liban, Elle a dirigé « EXIT », une précieuse recherche de terrain menée en 2019 et la commente pour nous, au regard de la situation du système prostitueur au Liban.
Kafa (enough) Violence and Exploitation est une ONG leader de la lutte contre les violences faites aux femmes au Liban, membre de la coalition abolitionniste dont le Mouvement du Nid est membre fondateur.

Sandrine Goldschmidt
Sandrine Goldschmidt est chargée de communication au Mouvement du Nid et militante féministe. Journaliste pendant 25 ans, elle a tenu un blog consacré aux questions féministes (A dire d'elles – sandrine70.wordpress.com) et organise depuis quinze ans le festival féministe de documentaires “Femmes en résistance”. Aujourd'hui elle écrit régulièrement dans Prostitution et Société.

https://mouvementdunid.org/prostitution-societe/actus/liban-doublex/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Socialiser le travail du care, transformer l’économie

Lisez le résumé du séminaire « Socialiser le travail du care : expériences et luttes féministes » Après des décennies d'organisation, de mobilisation et de lutte, ayant (…)

Lisez le résumé du séminaire « Socialiser le travail du care : expériences et luttes féministes »

Après des décennies d'organisation, de mobilisation et de lutte, ayant récemment traversé la pandémie de covid-19, il est aujourd'hui possible d'affirmer que le travail du care est entré dans l'agenda public dans différentes parties du monde. Les horizons et perspectives mobilisé.e.s autour de ce même agenda sont divers – et même antagonistes. Les expériences de mouvement-pensée féministe nous aident à comprendre les différends autour des soins.

Ce texte est une synthèse du séminaire « Socialiser le travail du care : expériences et luttes féministes », qui s'est tenu virtuellement le 4 juin 2024, avec la participation d'Amanda Verrone, du Syndicat LAB du Pays Basque, Cecília Kitombe, d'Ondjango Feminista d'Angola, Dory Capera, de la Confédération Syndicale des Amériques, Magdalena León, du Réseau latinoaméricain des femmes pour la transformation de l'économie (Remte), d'Équateur, et Yessica Restrepo, de la Confluencia de Mujeres, de Colombie.

Points de départ

La perspective qui nous guide considère le travail du care comme un vrai travail, une pratique et des relations qui façonnent la durabilité de la vie. C'est une compréhension qui ne se limite pas aux soins directs d'une personne, mais qui implique l'ensemble des conditions de possibilité de vie, c'est-à-dire les personnes, la nourriture, les semences et les biens communs, ainsi que les différentes formes de relation économique qui vont au-delà de ce qui est acheté et vendu sur le marché. Nous situons les soins dans des relations interdépendantes, affirmant l'autonomie et l'autodétermination comme principes. Nous considérons également les soins comme faisant partie de l'écodépendance, allant au-delà de la vie humaine.

Comme partagé par le Réseau lationoaméricain des femmes pour la transformation de l'économie (Remte), le travail du care est une expérience économique et intégrale des femmes. C'est un travail féminisé et racialisé qui se déroule dans différents contextes, espaces et circonstances et qui est imprégné de contradictions. Bien qu'elle puisse mobiliser et créer des principes éthiques pour vivre ensemble (tels que la solidarité et la réciprocité), la responsabilité des soins est immergée dans des relations oppressives de genre, de race et de classe. Un défi de départ est de récupérer cette expérience comme catalyseur de transformations structurelles dans les manières de (re)produire la vie en commun.

Ce qu'on appelle maintenant le travail du care a ses racines dans ce que le féminisme socialiste a élaboré pendant des décennies en termes de reproduction et que l'économie féministe a systématisé dans le pari sur la durabilité de la vie. Cette perspective est également liée à l'élargissement de la notion de conflit capital-travail à la notion de conflit capital-vie, expliquant que la logique de l'accumulation du capital est incompatible avec la logique du soin et du maintien de la vie.

Le soin à l'ordre du jour de la construction du mouvement

Il existe plusieurs stratégies et outils pour placer le travail du care au centre de l'agenda politique. En Angola, par exemple, Ondjango Feminista a organisé une enquête auprès des femmes pour introduire ce thème dans la société. Sur les places, sur les marchés et dans les écoles, le groupe a parlé aux femmes de la façon dont elles utilisent leur temps. Avec un taux de fécondité supérieur à la moyenne mondiale (5,3 en Angola ; 2,2 dans la moyenne mondiale), les femmes ont déclaré que s'occuper de leurs enfants fait partie des responsabilités qui les accablent le plus dans leur vie quotidienne. Elles ont conclu que même sans politique de soins, il existe effectivement un système de soins soutenu par le travail non rémunéré des femmes.

En Amérique latine, le travail du care a été au centre des réponses des femmes aux offensives néolibérales visant à privatiser l'éducation publique et les services de santé, par exemple. La mémoire et l'actualité de ces luttes sont la référence pour se méfier des propositions d'organisations telles que le Fonds monétaire international (FMI) autour des soins. Les prélèvements du FMI sur les politiques économiques des pays endettés augmentent le coût de la vie et réduisent les investissements de l'État dans les services publics, ce qui implique davantage de travail non rémunéré pour les femmes. Le FMI considère que la responsabilité accrue des femmes en matière de soins constitue un obstacle à leur participation au marché du travail. Sans changer ses conditions, il encourage de fausses solutions basées sur le secteur privé et la précarité. Il s'agit d'une perspective d'inclusion des femmes dans ce système, sans transformer les structures d'oppression. Il ne convient donc pas à la majorité des femmes de la classe ouvrière.

Les luttes territorialisées pour le droit à la garderie et aux espaces collectifs pour la nourriture sont à la base des élaborations autour du droit aux soins – qui implique à la fois les droits de ceux qui sont soignés et de ceux qui soignent. Dans cette perspective, il existe un mouvement simultané de reconnaissance, de redistribution et de valorisation sociale et économique du travail du care, comme le rapportent les camarades de la Confédération Syndicale des Amériques. À ce titre, nous comprenons que le travail n'est pas seulement un travail rémunéré – ce qui a été fondamental dans les luttes des personnes qui s'occupent des autres à domicile.

La division sexuelle du travail, toujours articulée avec la division raciale du travail, constitue la base matérielle de l'oppression des femmes. En plus de séparer le travail des hommes et des femmes, la production et la reproduction, cette division hiérarchise encore ces sphères. Qu'ils soient non rémunérés ou mal rémunérés, le travail domestique et de soins et les personnes qui le font – femmes, noires, immigrées – sont dévalorisées. Lorsqu'ils sont payés, ces travaux sont effectuées en conditions de précarité et sans protection sociale.

Les camarades du Syndicat LAB ont partagé le chemin de la mobilisation d'une grève générale pour la socialisation du travail du care au Pays Basque en novembre 2023. Menée par le mouvement féministe, il s'agissait d'une construction qui impliquait différents secteurs du syndicalisme, y compris les travailleurs de l'industrie et des télécommunications. La grève a des antécédents dans un processus de recomposition de la classe ouvrière dans le syndicat. Les soins ont ainsi été mis à l'ordre du jour des luttes contre la privatisation.

Les syndicalistes féministes ont placé la lutte pour les conditions de vie et de travail des travailleuses domestiques et des soignantes au centre de leurs revendications, ainsi que la perspective de lutter pour le temps de soins pour l'ensemble de la classe ouvrière. Ces axes sont liés à la lutte pour un système de soins public-communautaire. Cela s'est fait par l'auto-organisation des femmes dans un secrétariat féministe, la consolidation d'une perspective antiraciste, la construction d'alliances et une combinaison d'outils de mobilisation et de formation.

En organisant une grève générale avec de telles revendications, il est devenu clair que toutes les travailleuses n'ont pas le droit de grève, car il y a des emplois qui ne peuvent tout simplement pas être laissés de côté, comme c'est le cas avec le travail du care. Ce processus a été historique pour le mouvement syndical et a reformulé, dans la pratique, le concept classique de grève, car il élargit la notion de travail.

Il est nécessaire d'avancer dans l'élaboration de la réalité concrète du travail du care. Une grande partie de ce qui est compris sur le travail du care est comme un miroir du travail salarié. Il y a eu des progrès dans les discussions sur la redistribution, les temps et les droits, mais on discute peu de la logique de ce travail. Cela ne peut être débattu qu'en considérant les expériences des femmes, leurs réseaux, leurs relations et aussi les technologies. Cela s'articule nécessairement avec les conditions de travail et les possibilités de socialisation, articulant les dimensions publique et communautaire. Un indice partagé était de retrouver les principes, les relations et la dynamique des soins qui sont au cœur de la durabilité de la vie – et donc de l'économie – pour la transformer.

Des politiques publiques pour réorganiser les soins et mettre la vie au centre
Différentes expériences de construction de politiques nationales de travail du care sont en cours, notamment en Amérique latine, comme c'est le cas du Brésil. Certaines d'entre elles prennent la forme de systèmes nationaux de soins. Ces constructions sont plus susceptibles de contribuer à transformer les fondements de l'inégalité lorsqu'elles sont en phase avec les politiques redistributives des gouvernements en question.

Les camarades de la Confluence des femmes de Colombie ont partagé leur expérience actuelle. Dans le pays, l'État a soutenu la création d'un système de soins qui combine des politiques pour les femmes et des expériences de politiques territorialisées. L'exemple principal est les Manzanas de Cuidado, des espaces publics de soins qui favorisent également l'autonomie des femmes. Ils créent les possibilités de collectiviser le travail et d'effectuer des tâches qui seraient réalisées dans les foyers, comme laver les vêtements. Cela contribue à ce que les femmes aient le temps de se reposer, de socialiser et d'avoir plus d'autonomie. Dans un territoire affecté par de nombreuses années de conflits armés et de forces paramilitaires et par l'avancée des sociétés minières transnationales, les femmes partagent cet engagement car elles comprennent que, à la campagne et en ville, les soins communautaires sont un travail et une pratique de leadership féminin, ce qui implique des besoins en temps et en organisation.

Effectivement, il y a les systèmes de soins idéaux et les systèmes de soins de facto, où il y a simultanément surcharge et protagonisme des femmes. Prendre soin implique du temps de travail, l'organisation de réseaux de soins et la mobilisation de diverses ressources autour du soin de la vie en commun.

Face à la limite de survie de l'humanité et de la planète, il est nécessaire de construire les conditions pour rompre avec la logique d'accumulation, transformer la reproduction mais aussi changer la production (qu'est-ce qui est produit, comment, pour quoi et pour qui ?) de la logique du soin et de la durabilité de la vie. C'est là que réside le pouvoir de transformer toute l'économie de la logique et des temps de soins.

Le webinaire a été organisé par l'organisation féministe SOF Sempreviva, la Marche mondiale des femmes du Brésil et Capire, avec le soutien du Ministère des femmes du Gouvernement fédéral du Brésil par le financement public n°954083/2023.

Écrit par Tica Moreno
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves

https://capiremov.org/fr/analyse/socialiser-le-travail-du-care-transformer-leconomie/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Géopolitique du commerce des armes

17 septembre 2024, par Frédéric Thomas — ,
La récente décision britannique de suspendre une partie de ses ventes d'armes à Israël intervient à quelques jours du dixième anniversaire de la signature du Traité des Nations (…)

La récente décision britannique de suspendre une partie de ses ventes d'armes à Israël intervient à quelques jours du dixième anniversaire de la signature du Traité des Nations unies sur le commerce des armes. L'occasion de faire le point sur la géopolitique du trafic d'armes et la législation à cet égard. Ainsi que sur la responsabilité des États.

Tiré du blogue de l'auteur.

La décision du gouvernement britannique de faire une « pause » dans la livraison d'armes à Israël, pour symbolique qu'elle soit – elle ne concerne qu'une partie des armes livrées et les exportations britanniques ne représentent qu'un pourcent des importations israéliennes –, remet au-devant de la scène la responsabilité des États ; leur incohérence et leur cynisme. Le 20 juin dernier, les experts et expertes de l'ONU réitéraient ainsi leur demande que les États et les entreprises cessent immédiatement leur transfert d'armes vers l'État israélien [1]. Cela revenait simplement à exiger que les règles et les lois soient respectées.

Le 2 avril 2013, 155 États ont adopté le Traité des Nations unies sur le commerce des armes. À l'heure actuelle, à l'exception de la Russie, les plus grands exportateurs d'armes au monde en sont signataires. Mais les États-Unis ne l'ont pas ratifié. Or les articles 6 et 7 du traité obligent à interdire la fourniture d'armes à des pays qui pourraient les utiliser pour commettre un génocide, des crimes contre l'humanité ou d'autres crimes de guerre, ou qui pourraient s'en servir pour commettre ou faciliter des violations graves des droits humains ou du droit humanitaire international [2].

Tout transfert vers l'État israélien – qui, à l'instar des États-Unis, a signé mais non ratifié ce Traité – est donc interdit. Une interdiction violée par ceux-là même qui ont fixé les règles. Malheureusement, au cours de la dernière décennie, les articles 6 et 7 du Traité (de même que la quinzaine d'embargos de l'ONU sur les armes vers certains pays) ont été enfreints à maintes reprises et en toute impunité [3]. La force prime et foule au pied le droit. Et la double logique du profit et de la militarisation hypothèque toute solution.

Géopolitique de l'armement

Le niveau de l'armement mondial peut être mesuré sous trois angles : dépenses militaires, import-export, part du budget militaire dans les économies nationales. Ces dix dernières années, et tout particulièrement avec les conflits armés en Ukraine et à Gaza, les dépenses militaires mondiales n'ont cessé d'augmenter. Les États-Unis en absorbent 37% et la Chine 12%, soit à eux deux quasiment la moitié du total. Dix États représentent les trois-quarts de ces dépenses au niveau du monde. La Russie, l'Inde et l'Arabie saoudite sont dans le top 5, tandis que la Grande-Bretagne est, en Europe, le pays le plus dépensier en la matière.

En 2023, par rapport à l'année précédente, les dépenses militaires d'Israël et de l'Ukraine – tous les deux engagés dans une guerre dévastatrice – ont augmenté respectivement de 24% et de 51%. Mais, la hausse la plus spectaculaire s'est produite en République démocratique du Congo qui, confrontée au conflit armé dans l'Est du pays et aux tensions grandissantes avec le Rwanda, a plus que doublé ses dépenses militaires. La Belgique, quant à elle, est classée 34ème et ses dépenses militaires représentent 0,3% du total mondial [4].

Le commerce des armes est encore plus concentré que les dépenses militaires : pour la période 2019-2023, les États-Unis ont assuré 42% des exportations mondiales d'armes [5]. Loin derrière, la France et la Russie occupent respectivement les deuxième et troisième places, avec chacune 11% des parts du marché. Avec la Chine et l'Allemagne, ces pays constituent les principaux exportateurs d'armes et concentrent ensemble plus des trois-quarts des exportations. À l'autre bout de la chaîne, du côté des importateurs, l'Inde occupe la première place, représentant près de 10% des importations mondiales de l'armement. Les tensions avec ses voisins, le Pakistan et la Chine, ainsi que des choix stratégiques, expliquent en grande partie cette position. L'Arabie saoudite, le Qatar, l'Ukraine et le Pakistan figurent parmi les cinq plus grands importateurs. Ils totalisent ensemble 35% des importations.

Plusieurs États, dont certains sont parties prenantes de conflits armés, dépendent très largement d'une ou deux sources pour leur approvisionnement en armes. Par exemple, Israël, quinzième importateur mondial d'armement, s'appuie presque exclusivement sur les États-Unis (69%) et l'Allemagne (30%) pour ses importations d'armes. De même, 75% des armes importées d'Arabie saoudite proviennent des États-Unis ; 77% de l'armement russe importé est chinois.

Une autre manière d'appréhender le poids des armes dans l'économie est de mesurer la part des dépenses militaires dans le produit intérieur brut (PIB) d'un État. Sous cet angle-là, ce ne sont pas les États-Unis qui sont en tête – avec des dépenses militaires qui représentent 3,4% du PIB, le pays est classé 9ème –, mais bien l'Ukraine, où plus d'un tiers du PIB est consacré à l'armement. Les dépenses militaires de l'Algérie, de l'Arabie saoudite, de la Russie, d'Oman et d'Israël dépassent les 5% du PIB.

Militarisation et « sécuritisation »

Au lendemain de l'invasion russe en Ukraine, puis, à nouveau, après l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023, les actions en bourse des grandes entreprises de la défense américaine ont connu une soudaine hausse. Les guerres profitent à quelques-uns… L'industrie de l'armement alimente les conflits armés qui génèrent en retour d'importants profits pour ce secteur, étroitement imbriquée aux intérêts et stratégies des États. Il est d'autant plus difficile de briser ce cercle vicieux que les États-Unis poussent à une militarisation, par le biais notamment de l'OTAN. Cette alliance internationale – qui regroupe trente-deux membres, principalement européens – s'est ainsi fixé pour objectif que chaque État partie consacre au moins 2% de son PIB aux dépenses militaires (ce qui est déjà le cas de la Grande-Bretagne, de la France, de la Pologne, de la Grèce et de la Finlande). En revanche, des pays comme La Belgique où « seulement » 1,2% du PIB est consacré aux dépenses militaires (1,5% en Allemagne, en Espagne et aux Pays-Bas) devraient ainsi consacrer beaucoup plus d'argent à ce poste, au détriment de services sociaux tels que l'éducation et la santé, secteurs autrement plus stratégiques.

De manière plus organique, la militarisation est catalysée par un narratif et une logique, qu'elle alimente. Le terme de « sécuritisation » a été introduit pour rendre compte du « processus par lequel un problème politique est identifié et traité comme une question de sécurité », donnant une signification particulière, socialement construite, à la menace et à l'(in)sécurité [6]. Ce phénomène est particulièrement évident dans la politique européenne face à la migration, à travers notamment la militarisation des frontières.

La célèbre formule de Clausewitz, « la guerre n'est que la continuation de la politique par d'autres moyens », doit dès lors être corrigée et complexifiée en ce sens que la guerre change la signification de la politique, en la réduisant à un jeu stratégique. Et ces « autres moyens » – dont l'armement – participent de cette reconfiguration des conflits en termes (uniquement) sécuritaires, tendant à hypothéquer de la sorte toute solution politique et, à terme, la perspective d'une paix juste et digne.

Notes

[1] UN, « States and companies must end arms transfers to Israel immediately or risk responsibility for human rights violations : UN experts », 20 juin 2024, https://www.ohchr.org/en/press-releases/2024/06/states-and-companies-must-end-arms-transfers-israel-immediately-or-risk.

[2] Le texte intégral du Traité est accessible ici : https://front.un-arm.org/wp-content/uploads/2013/06/Fran%C3%A7ais1.pdf. Voir également NTI, Arms Trade Treaty (ATT), https://www.nti.org/education-center/treaties-and-regimes/arms-trade-treaty-att/.

[3] Amnesty International, « Le terrible bilan humain du total mépris des règles du Traité sur le commerce des armes de la part des États », 19 août 2024, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2024/08/global-governments-brazen-flouting-of-arms-trade-treaty-rules-leading-to-devastating-loss-of-life/. Lire aussi The companies arming Israel and their financiers, juin 2024, https://www.cncd.be/IMG/pdf/report_-_the_companies_arming_israel_and_their_financiers_-_june_2024-2.pdf.

[4] Sipri, Spiri fact sheet. Trends in world military expenditure, 2023, avril 2024, https://www.sipri.org/sites/default/files/2024-04/2404_fs_milex_2023.pdf. Sauf mentions contraires, tous les chiffres proviennent de cette étude.

[5] Sipri, Spiri fact sheet. Trends in international arms transfers, 2023, mars 2024, https://www.sipri.org/publications/2024/sipri-fact-sheets/trends-international-arms-transfers-2023. Sauf mentions contraires, tous les chiffres proviennent de cette étude.

[6] ENAAT, Rosa Luxembourg Stiftoung, Une Union militarisée. Comprendre et affronter la militarisation de l'Union européenne, 2021, https://rosalux.eu/en/2021/import-1981/.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Parole politique et bloc social

17 septembre 2024, par André Prone — ,
Dans cette tribune, André Prone, environnementaliste, poète et essayiste, analyse la dynamique de fascisation des droites néolibérales et sociales-libérales à l'échelle (…)

Dans cette tribune, André Prone, environnementaliste, poète et essayiste, analyse la dynamique de fascisation des droites néolibérales et sociales-libérales à l'échelle nationale et internationale.

Tiré de L'Humanité
5 septembre 2024

Des personnalités comme Le Pen, Meloni, Trump et d'autres, ainsi que leurs mouvements, ne sont que la partie émergée de l'iceberg de ce « nouveau bloc bourgeois ».

La situation politique actuelle est marquée par la montée de mouvements et de figures politiques que l'on peut qualifier de fascisantes, telles que Marine Le Pen en France, Giorgia Meloni en Italie ou Donald Trump aux États-Unis, parmi d'autres. Mais, pour comprendre ce phénomène, il importe d'analyser la dynamique de fascisation des droites néolibérales et sociales-libérales à l'échelle nationale et internationale, ainsi que ce
que cela implique pour les forces de gauche, les mouvements sociaux et
les problématiques écologiques.

Il serait naïf ou contre-productif de se concentrer uniquement sur les figures de l'extrême droite sans examiner le phénomène plus large de fascisation qui touche toutes les droites néolibérales et sociales-libérales, dont la Macronie et ses équivalents occidentaux sont parmi les principaux protagonistes.

Ce processus, théorisé par von Hayek et Milton Friedman au cours de la grande dépression des années 1930, et que l'on peut qualifier de néolibéralisme factieux, n'a d'autre but que de renflouer le capitalisme.

Des personnalités comme Le Pen, Meloni, Trump et d'autres, ainsi que leurs mouvements, ne sont que la partie émergée de l'iceberg de ce « nouveau bloc bourgeois » qui œuvre à sortir le capital décadent de sa crise systémique et environnementale.

En effet, derrière ces figures fascisantes se cache, notamment depuis la prétendue crise pétrolière des années 1970, ce bloc bourgeois incarné par les droites classiques et les courants sociaux-libéraux qui cherchent à protéger le capitalisme à tout prix, tout en faisant mine de combattre certains mouvements ouvertement fascistes. Ce soutien implicite entre l'extrême droite, la droite classique et certaines branches du social-libéralisme se manifeste principalement dans la défense du « soldat
Capital ».

Leurs objectifs communs, parfois dissimulés, sont d'autant plus importants qu'ils sont soutenus par des institutions supranationales telles que le FMI, l'OMC, l'Union européenne et l'Otan, dont le rôle crucial dans le maintien de l'ordre néolibéral factieux mondial est à souligner.

Par conséquent, attaquer les figures politiques de l'extrême droite et leurs mouvements, sans analyser l'ensemble des objectifs capitalistes qui les sous-tendent, peut conduire à une compréhension superficielle des enjeux idéologiques et géopolitiques en cours. Pour construire une riposte politique et écologique efficace, il importe de distinguer entre le bloc
électoral et le bloc social. Bien que l'importance du premier ne doive pas être négligée, la priorité doit être donnée à la construction d'un bloc social capable de mener des luttes sociales et écologiques de grande envergure, tout en travaillant à construire des solidarités de classe et des pratiques relevant de ce que nous pourrions qualifier de « quotidienneté
écomuniste ». C'est particulièrement pertinent face à une social-démocratie qui, tout en se réclamant de la gauche, est loin d'être une force de transformation et agit avant tout comme un accompagnateur du néolibéralisme.

La question centrale consiste donc à savoir comment contenir et renverser ce « nouveau bloc bourgeois fascisant », notamment avec la faiblesse des forces qui prétendent incarner un bloc électoral de rupture.

La construction d'un bloc social solide et organisé est indispensable pour contrer efficacement les dynamiques fascisantes. Cela nécessite une mobilisation intense, une éducation politique approfondie et la formation d'alliances stratégiques au sein des mouvements de gauche et progressistes, des forces syndicales, associatives, écologiques et citoyennes, sur de véritables positions de classe. Voilà pourquoi l'analyse
politique de la situation actuelle doit se situer au-delà des figures individuelles et examiner les dynamiques systémiques et idéologiques qui sous-tendent la montée des droites fascisantes.

Quant à la riposte, elle nécessite une claire distinction entre le bloc électoral et le bloc social, capable de porter une véritable transformation politique, sociale, culturelle et écologique. Le rôle du Nord global dans ce processus doit également être pris en compte, car les pays qui le composent jouent un rôle de premier plan dans la perpétuation des
politiques néolibérales factieuses du nouveau front bourgeois à l'échelle
nationale et internationale.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Un changement de période historique : crise structurelle et montée de l’extrême droite

17 septembre 2024, par Gustave Massiah — ,
Nous vivons une période marquée par la montée des guerres et des violences. Les contradictions sociales, écologiques, politiques, idéologiques, toujours très présentes, (…)

Nous vivons une période marquée par la montée des guerres et des violences. Les contradictions sociales, écologiques, politiques, idéologiques, toujours très présentes, s'approfondissent dans chaque pays et à l'échelle mondiale. L'extrême droite progresse, sous différentes formes, dans un grand nombre de régions du monde.

25 août 2024 | Source : https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71911
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/12/un-changement-de-periode-historique/#more-85532

Les mouvements sociaux et citoyens sont toujours présents et actifs, mais ils sont à la recherche de la définition de nouvelles perspectives et de nouvelles stratégies. L'hypothèse est que nous sommes dans une crise structurelle qui nous rappelle, par certains côtés, celle des années 1930. Elle marque un changement de période au niveau de l'organisation du monde. Même si les situations ne se reproduisent jamais pareillement, la référence permet de réfléchir à certaines caractéristiques de la situation actuelle avec l'approfondissement d'une crise économique et sociale, des guerres, des alliances entre les droites et les extrêmes droites, des changements géopolitiques et idéologiques[3]. L'interrogation porte sur la définition de la situation et de la période que nous vivons. Elle rappelle une des dernières anecdotes soviétiques ; celle d'un homme hagard qui, en 1989, sur la place Rouge, interpelle les passants en demandant à chacun : quelle heure est-il ? Traduisons sa question : qu'est-ce qui se passe ? dans quelle période sommes-nous ?

Les grandes contradictions à l'œuvre sont toujours celles qui caractérisent le capitalisme contemporain même si leur caractérisation change suivant les périodes. Les changements concernent toutes les dimensions. Trois grands types de contradictions sont à l'œuvre. La première est la question sociale, les rapports entre les classes sociales, avec l'importance considérable des inégalités et des discriminations. La deuxième est un élément nouveau et déterminant, la rupture écologique, et la manière de penser le climat, la biodiversité, la Nature. La prise de conscience de cette contradiction est plus récente, la question est toujours controversée. La phase sécuritaire du néolibéralisme est accentuée par la rupture écologique qui introduit une très grande discontinuité, déjà sensible, avec la crise climatique et ses conséquences sur la biodiversité. La troisième concerne les guerres et la démocratie, locale, nationale et internationale. La démocratie interroge les rapports entre le politique et l'idéologique. La démocratie locale intègre les territoires et les différentes formes de régionalisme et de municipalisme. La démocratie nationale interroge les rapports entre les peuples, les nations et les États. La démocratie mondiale passe par la démocratie internationale qui, dans sa forme existante, se réfère à un système international qui doit être radicalement réformé et réinventé.

L'hypothèse est que la période actuelle correspond à une nouvelle crise structurelle du capitalisme. Ces crises préparent et définissent une nouvelle phase du mode de production capitaliste. Elles soulèvent aussi la question du dépassement du capitalisme. De nouveaux réaménagements des rapports de production se définissent et s'imposent. Les structures sociales se transforment et les contradictions sociales s'aiguisent et changent de nature. Dans chacune de ces périodes, les classes sociales se redéfinissent ainsi que les rapports entre elles. Nous analyserons la période actuelle à partir de la crise de 2007- 2008. Nous commencerons par rappeler deux périodes de crises antérieures, celle de la crise financière de 1873, qui va en fait de 1860 à 1880, et la crise financière de 1929, qui va de 1914 à 1945. Nous aborderons ensuite la crise des années 1970 et la domination du néolibéralisme. Ces périodes ont commencé par des périodes de montée des conservatismes et des droites extrêmes ; mais, ensuite, les contradictions sociales et politiques se sont accrues et ont conduit à des redéfinitions majeures. Ainsi, en France, la période de crise de 1873 a vu la guerre franco-allemande et Thiers, mais aussi la 1ère Internationale et la Commune. Et pour la crise de 1929, il y a eu, en France, les manifestations massives de l'extrême droite, en1934 ; mais aussi, le Front Populaire, en 1936. Ce sont des périodes de fortes luttes sociales et de guerres. C'est ce qui devrait marquer la période à venir.

Retour sur quelques leçons de deux des crises structurelles précédentes

De 1860 à 1880, la crise de la deuxième révolution industrielle et la première internationale

La période 1860 à 1880 est une période de crise structurelle du capitalisme[4]. On y retrouve des mutations structurelles du mode de production capitaliste, des guerres, des luttes sociales radicales et révolutionnaires, des bouleversements politiques, un débat idéologique et théorique intense. La période est marquée par l'arrivée au pouvoir en Europe de partis qui se rattachent au conservatisme radical et à la droite extrême, mais les contradictions sociales et politiques se traduisent aussi par des actions et une pensée révolutionnaire renouvelée qui dépasseront la période.

La période de 1860 à 1880 est celle de la deuxième révolution industrielle, celle du capitalisme industriel et du capitalisme marchand, celle des doctrines libérales. C'est une période des grandes usines et de l'urbanisation. L'innovation technologique est intense dans les nouvelles machines et les processus de production. Les secteurs en expansion sont l'électricité, le pétrole, le moteur à combustion, l'acier, les moyens de communication avec le téléphone et le télégraphe et les câbles intercontinentaux. La production de masse s'appuie sur les nouvelles chaînes de montage. Elle prépare le taylorisme à partir des années 1880. C'est aussi, avec l'urbanisation, la nouvelle classe ouvrière, le syndicalisme, les classes moyennes et l'accès à la consommation.

La période est marquée par le krach boursier de 1873, la fermeture de banques, la dépression économique et le chômage. La spéculation sur les chemins de fer accompagne la baisse des prix, les faillites d'entreprise et le chômage. Plusieurs guerres marquent cette époque. La guerre de sécession en 1861-1865 et la crise économique mondiale qui l'accompagne. L'unification de l'Italie, de 1859 à 1871, redessine les frontières de l'Europe. La guerre franco-prussienne, 1870-1871, entraîne la chute de Napoléon III et la proclamation de l'empire allemand à Versailles. L'influence ottomane baisse en Europe. La colonisation européenne s'étend en Afrique et en Asie ; elle est formalisée par la Conférence de Berlin en 1884.

En réponse à cette situation, les mouvements sociaux connaissent un essor remarquable. La Première internationale, l'AIT, Association internationale des travailleurs est créée en 1864, à Londres. Elle sera active de 1864 à 1876 et regroupera des syndicalistes et des intellectuels, dont Marx, Engels, Proudhon, Bakounine, Louise Michel. En 1871, La Commune de Paris va bouleverser la pensée révolutionnaire avec son pouvoir autogéré et ses principes démocratiques et sociaux, jusqu'à la Semaine sanglante de mai 1871. A la lumière de cette extraordinaire insurrection, Marx redéfinira sa conception de l'Etat.

Les conservateurs radicaux et la droite extrême dominent toute la période. Au début de la période, ils se partagent, et s'affrontent entre bonapartistes et royalistes légitimistes. Après la Commune, ce sera la République de Thiers et de Mac Mahon. Entre droite et extrême droite, il y a des contradictions mais un accord contre l'ennemi socialiste. À la fin de la période, se forment des petites organisations qui préfigurent les organisations de l'extrême droite du XXème siècle, comme, par exemple, l'Action française et, déjà, Charles Maurras. Malgré une hégémonie apparente des droites réactionnaires, les luttes révolutionnaires ont culminé avec la Commune ; les luttes sociales ont continué avec les Bourses du Travail qui ont préparé le syndicalisme moderne. Et la 1e internationale a jeté les bases de l'affirmation et de l'organisation de la classe ouvrière.

De 1913 à 1945, la crise du capitalisme fordiste ; le keynésianisme, le soviétisme et la décolonisation

La crise de 1929 est marquée par un krach boursier, la chute de la production, la baisse de l'investissement, la déflation et l'accroissement du chômage. Le krach boursier de 1929 bouleverse les marchés financiers à l'échelle mondiale. Il se traduit par la tendance à la surproduction et par la baisse des taux de profit. La crise financière de 1929 est la première crise du capitalisme fordiste. Le capitalisme fordiste s'est construit et s'est développé à partir du secteur de l'automobile. Il combine le travail à la chaîne, la standardisation des produits et la consommation de masse. Ford lance la première chaîne de montage en 1913 et double les salaires en 1914 pour permettre aux salariés d'acheter ses produits et stimuler la demande intérieure. Le fordisme nécessite un marché de l'emploi stable et des salaires relativement élevés. La crise fordiste accélère l'effondrement de la demande, la surproduction, des faillites d'entreprises et une crise de l'emploi. La consommation de masse repose sur le recours au crédit. L'endettement des ménages se traduit par une consommation insuffisante, le non-remboursement des dettes et des déséquilibres économiques. La crise fordiste est aggravée par les politiques monétaires et fiscales, les déséquilibres commerciaux internationaux et les spéculations financières.

Le keynésianisme, le capitalisme keynésien, est une réponse à la crise fordiste. La période du capitalisme keynésien est dominante depuis les années 1930 jusqu'aux années 1970. Le keynésianisme complète le capitalisme fordiste après la crise des années 1930. Keynes propose l'intervention de l'État pour gérer la demande et stabiliser l'économie à partir des dépenses publiques. Roosevelt fait adopter en 1934, sous le nom de New-Deal, un nouveau modèle de développement, fordiste et keynésien. Ce modèle sera surtout appliqué en 1945, après la guerre mondiale. Il implique des concessions sociales importantes, formalise le rôle de l'État et la protection sociale. Du début du 20ème jusqu'aux années 1970, le fordisme va associer la production de masse, l'amélioration des salaires, la consommation de masse et l'intervention de l'État. Le keynésianisme, à partir des années 1930, le complétera par la régulation assurée par l'État, le soutien de l'emploi et des salaires, les dépenses publiques et les investissements dans les infrastructures. La régulation passe par les accords collectifs et les négociations avec les syndicats. Plusieurs caractéristiques de cette période restent encore actuelles aujourd'hui dans la période du capitalisme mondialisé qui commence en 1970.

Le capitalisme fordiste, puis fordiste et keynésien, développe plusieurs branches industrielles ; l'automobile, l'électroménager, la sidérurgie et la métallurgie, la chimie et la pétrochimie, le textile, l'agroalimentaire, la construction. Les grandes entreprises sont les acteurs économiques et politiques dominants. La classe dominante allie les dirigeants des entreprises, surtout des grandes entreprises privées, et une bourgeoisie d'État, acquise à la préservation du capitalisme, qui gère l'État et les entreprises publiques et les transforme dans le sens des intérêts du capitalisme privé. L'État développe un secteur public composé des administrations et des entreprises publiques qui sont transformées suivant la logique des entreprises privées. Les deux classes principales du capitalisme fordiste et keynésien opposent la classe ouvrière et la classe capitaliste, avec ses deux composantes, les actionnaires et les chefs d'entreprise d'un côté, et les cadres de la bourgeoisie d'état de l'autre. Une catégorie de cadres, ingénieurs et techniciens, de plus en plus nombreuse assure la gestion du système. Une petite bourgeoisie traditionnelle prolonge les catégories sociales précapitalistes, Les paysans se partagent entre les capitalistes agricoles et les paysans travailleurs, prolétarisés. Et, déterminant, il y a toujours le travail des femmes invisibilisées et prolétarisées.

La crise financière de 1929 est significative de la crise structurelle du capitalisme. La réponse keynésienne se caractérise par une intervention de l'Etat et la régulation des marchés financiers. La période est marquée par les guerres qui caractérisent toute période de crise structurelle. Celle-ci l'a été particulièrement. La période, de 1913 à 1945, est marquée par les deux guerres mondiales[5]. La première guerre mondiale de 1914 à 1918 ; et la deuxième guerre mondiale de 1939 à 1945. Il y a eu beaucoup d'autres guerres qui marquent la scène politique mondiale. Certaines étaient liées à des révolutions. Rappelons, parmi d'autres, la guerre civile russe de 1917 à 1923, la guerre gréco-turque de 1919 à 1922, la guerre civile finlandaise en 1918, la guerre civile irlandaise en 1922, la guerre civile espagnole de 1936 à 1939, la guerre sino-japonaise de 1937 à 1945, la guerre civile chinoise de 1927 à 1945, la révolution mexicaine de 1910 à 1920.

La révolution soviétique en Russie, en 1917, et la révolution chinoise de 1927 à 1949, vont complètement bouleverser l'état du monde. Le rôle de l'Union soviétique pendant la guerre de 1939 à 1945 va lui donner une place centrale dans l'ordre mondial ; on entre dans un monde à deux blocs qui va caractériser l'état de la planète jusqu'en 1989. Cette situation va déterminer les débats politiques et idéologiques qui seront intenses. Le capitalisme fordiste et keynésien ne manque pas de penseurs très actifs dans les universités et les centres de recherches occidentaux. En contrepartie, de nombreux penseurs défendent une pensée socialiste très diverse ; comme par exemple Lénine, Mao, Trotski, Gramsci et bien d'autres. Il y a des tentatives de relier le marxisme et le keynésianisme, notamment, celles de Joan Robinson et Michal Kalecki.

La période est marquée par la montée en puissance de la décolonisation. Les luttes de résistance à la colonisation n'ont jamais cessé ; les peuples ont toujours résisté et ont été très violemment réprimés. Parmi les grands mouvements qui ont marqué l'Histoire, rappelons la révolution anticolonialiste, antiesclavagiste et anti ségrégationniste à Haiti, en 1804 et la révolution paysanne mexicaine avec Zapata en 1905. En 1920, à Bakou, au Congrès des Peuples d'Orient, une alliance stratégique est passée entre les mouvements de libération nationale et les mouvements communistes de 1917. Cette alliance va permettre l'encerclement des impérialismes et l'essor des libérations nationales. En 1927, se tient à Bruxelles le premier Congrès contre le colonialisme et l'impérialisme présidé par Albert Einstein et Madame Sun Yat-Sen, autour du mot d'ordre « Liberté nationale, égalité sociale ». À partir de 1945 commence le mouvement des indépendances nationales. L'Indonésie et le Vietnam proclament leur indépendance. La Jordanie, les Philippines, la Syrie le font en 1946. En 1955, à Bandung, le président d'Indonésie, Soekarno, invite les chefs d'Etat des dix-sept premiers pays indépendants d'Afrique et d'Asie[6] et notamment Tito, Nasser, Nehru et Chou en Lai. Chou en Lai résume la situation en ces termes : « les États veulent leur indépendance, les nations veulent leur libération, les peuples veulent la révolution ». Les participants définissent une orientation, celle du non-alignement. La révolution cubaine, amorcée en 1953, est victorieuse en 1956. La conférence Tricontinentale, en 1966, à La Havane, amorce l'émergence d'un Sud par rapport aux deux blocs de l'Ouest et de l'Est.

Le mouvement des non-alignés va tenter de définir un modèle de développement[7] qui prenne à la fois en compte le modèle keynésien, sur les formes étatiques de régulation, et le modèle soviétique, notamment sur l'industrie lourde et l'agro-industrie. Il met en avant le rôle prédominant de l'Etat dans la conduite de l'économie. Ce modèle trouvera en partie son expression dans la déclaration sur le droit au développement qui sera adopté en 1986 par l'Assemblée des Nations Unies[8]. Mais depuis la fin des années 1970, une autre notion du développement s'est imposée, celle du néolibéralisme.

La droite et l'extrême droite ont joué un rôle déterminant de 1913 à 1945. Pour l'extrême droite, les fascistes en Italie, les nazis en Allemagne, les franquistes en Espagne sont suivis par des mouvements nationalistes radicaux dans toute l'Europe et sur d'autres continents. L'idéologie d'extrême droite se caractérise par un nationalisme radical, la xénophobie, l'opposition à la démocratie libérale, le soutien à l'autoritarisme et au fascisme, les références au racisme, à l'antisémitisme et au militarisme. Les partis de droite comprennent les conservateurs, les monarchistes et les libéraux économiques. Ils défendent l'ordre, l'autorité, le conservatisme social et le libre marché économique. Il est intéressant de rappeler la période de 1934 à 1936 en France, celle des affrontements violents entre extrême droite et Front populaire. Les Ligues d'extrême droite organisent les manifestations du 6 février 1934. En réponse, les partis de gauche forment le Front Populaire, une alliance électorale, qui gagne les élections en 1936.

De la crise des années 1970 au néolibéralisme

Le capitalisme a fortement évolué après 1945. De 1945 jusqu'aux années 1970, on est dans un prolongement du capitalisme fordiste et keynésien, dans un contexte géopolitique d'un monde bipolaire partagé entre l'Occident (Amérique du nord, Europe, Japon) et l'Union soviétique et ses alliés. Dans les années 1970, le capitalisme mondialisé a pris le relais du capitalisme keynésien en tant que forme dominante du capitalisme et a mis en place le capitalisme néolibéral.[9]

Les relations du capitalisme fordiste et keynésien au marché national et à la mondialisation sont complexes. Pour le capitalisme keynésien, la production de masse est orientée vers le marché domestique, ce qui justifie les augmentations de salaires et qui légitime la régulation et le protectionnisme. La mondialisation est limitée, les exportations sont sélectives et la priorité est donnée au marché national. Les investissements directs étrangers sont contrôlés. Le post-fordisme va accélérer la transition vers une mondialisation accélérée. La crise des années 1970 est marquée par les chocs pétroliers et une stagflation. La mondialisation accrue se traduit par la priorité donnée à la réduction des coûts et à la flexibilité pour s'adapter à l'environnement économique mondial, à la délocalisation vers les faibles coûts de main d'œuvre, à l'explosion du commerce mondial, à la domination des chaînes d'approvisionnement mondiales, à l'imposition de la flexibilité pour répondre à la priorité de la demande mondiale.

Un affrontement Nord-Sud, postcolonial, avait commencé, en 1953, avec la nationalisation en Iran du pétrole par Mossadegh. Il a été renversé. L'affrontement aura lieu en 1973 avec le quadruplement du prix du pétrole et en 1979, à la suite de la révolution islamique en Iran, avec un nouveau doublement du prix du pétrole. Mais les États pétroliers ne préservent pas l'unité des pays du Sud et laissent les pays occidentaux retourner la situation en leur faveur. En 1975 est créé le G5, qui deviendra le G7, qui regroupe les pays dirigeants occidentaux. Ils lancent, en organisant l'endettement des pays du Sud, une contre-offensive qui réussit et qui rallie certains pays pétroliers à l'offensive occidentale. Les institutions de Breton-Woods, FMI et Banque Mondiale, vont imposer, à partir d'une gestion inique de la dette, les Programmes d'Ajustement Structurel, les PAS. C'est une entreprise de recolonisation des pays du Sud. De nombreux mouvements contre la dette vont se développer dans les pays du sud, avec des mouvements de soutien dans des pays du nord, mais sans réussir à sortir de ce piège qui va fonctionner de 1979 jusqu'à aujourd'hui. Le capitalisme réussit une nouvelle mutation avec la mise en place du capitalisme financier et sa stratégie : marchandisation, privatisation, financiarisation.

La poussée de la droite et de l'extrême droite a commencé, pendant quarante ans, par une bataille pour l'hégémonie culturelle autour de cinq offensives. La première offensive, idéologique, a porté d'abord sur trois questions : contre les droits et particulièrement contre l'égalité, les inégalités seraient justifiées parce que « naturelles » ; contre la solidarité, le racisme et la xénophobie s'imposent ; contre l'insécurité, l'idéologie sécuritaire serait la seule réponse possible. La deuxième offensive est militaire et policière ; elle a pris la forme de la déstabilisation des territoires rétifs, de la multiplication des guerres, de l'instrumentalisation du terrorisme. La troisième offensive a porté sur le travail, avec la remise en cause de la sécurité de l'emploi et la précarisation généralisée, par la subordination de la science et de la technologie, notamment du numérique, à la logique de la financiarisation. La quatrième offensive a été menée contre l'Etat social par la financiarisation, la marchandisation et la privatisation ; elle a conduit à la corruption systématique des classes politiques. La cinquième offensive, dans le prolongement de la chute du mur de Berlin en 1989, a porté sur la disqualification des projets progressistes, socialistes ou communistes.

A partir de 1977, commence une nouvelle phase du capitalisme en réponse aux difficultés du capitalisme keynésien et au danger géopolitique de montée en puissance d'un Sud postcolonial. La réponse est à la fois économique et géopolitique. Sur le plan économique, le keynésianisme n'étant pas applicable à l'ensemble de la planète, on proposera de promouvoir une nouvelle forme d'organisation capitaliste et impérialiste, le néolibéralisme. Sur le plan géopolitique, on s'attachera à marginaliser les Nations Unies et à promouvoir les institutions de Breton-Woods (FMI, Banque Mondiale et OMC). Pour imposer cette nouvelle orientation, la stratégie est claire : l'endettement des pays du Sud.

Le capitalisme néolibéral

Le capitalisme néolibéral est précisé et expérimenté au Chili, à partir du coup d'État fomenté par Pinochet en 1973 qui a permis de mettre en place une politique, appliquée par un régime fasciste, définie à l'Université de Chicago par Milton Friedman. Le président français Giscard d'Estaing crée en 1975, le G5, qui deviendra G7, pour répondre au choc pétrolier. La stratégie est claire : endetter les pays du Tiers-monde ! Et, pour assurer le remboursement de la dette, imposer des PAS, des programmes d'ajustement structurel, organisés en fonction d'une doxa néolibérale et gérés par le FMI et la Banque Mondiale. Encore une fois, l'extrême droite est présente et active dans une période de crise du capitalisme. Le néolibéralisme est expérimenté et imposé par un régime fasciste celui de Pinochet au Chili. A partir de la nouvelle théorie des Chicago-boys ! Elle sera reprise, perfectionnée et imposée par Mme Thatcher en Grande Bretagne, Ronald Reagan aux États Unis et Giscard d'Estaing en France.

Le modèle s'impose du fait des difficultés et des échecs des politiques liées aux modèles d'indépendance nationale. La construction de l'État, au départ moyen du développement, est devenue une fin en soi. La fonctionnarisation accélérée et l'urbanisation galopante ont provoqué un déséquilibre structurel des fondamentaux économiques (budget, balance commerciale, balance des paiements). La bureaucratie et la corruption ont gangrené les sociétés. Le déni des droits fondamentaux et l'absence de libertés ont achevé de réduire fortement la crédibilité de ces régimes. La crise de la décolonisation, de sa première phase, celle de l'indépendance des États, est ouverte.

Un mouvement altermondialiste émerge en réponse à cette stratégie du capitalisme et de la financiarisation. En réponse à l'affirmation de Madame Thatcher, « il n'y a pas d'alternative », il affirme « un autre monde est possible ». La première phase de ce mouvement commence, dès 1979, avec les mouvements contre la dette et contre les programmes d'ajustement structurel. Le mouvement ATTAC, pour la taxation des transactions financières et le CADTM, Comité pour l'annulation des Dettes du Tiers-Monde, relayent et élargissent, dans le monde, les mouvements des pays du Sud contre la dette. A partir de1989, la situation évolue avec la chute du mur de Berlin, l'effondrement du bloc soviétique et le passage à un monde unipolaire sous la direction des États Unis et du G7. Le G7 va chercher à construire un nouveau système international, conforme à son projet, en complétant les institutions de Breton-Woods, le FMI et a Banque Mondiale, par l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce. Des grandes manifestations internationales de 1989 à 1999, ont lieu contre ces institutions et le G7, à Paris, Madrid, Washington, Gênes et partout dans le monde autour du mot d'ordre, « le droit international ne doit pas être subordonné au droit des affaires ». La réunion de l'OMC à Seattle en 1999 qui devait confirmer l'ordre mondial se heurte à l'opposition des mouvements et aux contradictions internes entre les différents pays.

Les Forums Sociaux Mondiaux se succèdent, après Seattle, et laissent la parole aux mouvements sociaux et citoyens. Le Forum de Belém en 2009 regroupe 4500 associations, plus de cent mille personnes. Par rapport à la crise financière ouverte en 2008, il avance des propositions immédiates : le contrôle de la finance, la suppression des paradis fiscaux et judiciaires, la taxe sur les transactions financières, l'urgence climatique, la redistribution… A Belém, un ensemble de mouvements, les femmes, les paysans, les écologistes et les peuples indigènes, surtout amazoniens, ont pris la parole pour affirmer : il s'agit d'une remise en cause des rapports entre l'espèce humaine et la Nature, il ne s'agit pas d'une simple crise du néolibéralisme, ni même du capitalisme ; il s'agit d'une crise de civilisation, celle qui dès 1492 a préparé une nouvelle géopolitique et certains fondements de la science contemporaine dans l'exploitation illimitée de la Nature et de la planète. C'est depuis les forums sociaux mondiaux que date la définition d'un projet alternatif, celui de la transition sociale, écologique et démocratique. Cette transition s'appuie sur de nouvelles notions et de nouveaux concepts : les biens communs, la propriété sociale, le buen vivir, la démocratisation radicale de la démocratie.

Le mouvement de solidarité international se recompose. Il organise des manifestations contre la guerre. En 1989, à Paris, deux grandes manifestations en réponse au G7 qui se réunit à Versailles : « dette, colonies, apartheid, ça suffat comme çi » et le Sommet des sept peuples parmi les plus pauvres. Se succéderont alors, en 1994, l'affirmation des zapatistes au Mexique ; en 1995, à Madrid, le sommet contre le FMI et la Banque Mondiale, 50 ans ça suffit ; la création d'ATTAC en 1998 ; en 2001 les manifestations de Gènes. Et, à partir de 2001 la succession des Forums Sociaux Mondiaux

La crise financière de 2008 est une nouvelle crise profonde du capitalisme. La crise financière démontre la fragilité du système. Le néolibéralisme est réaménagé en adoptant une stratégie austéritaire qui combine l'austérité et le sécuritaire. Les luttes sociales se durcissent en réponse à cet austéritarisme. L'extrême droite se renforce dans de nombreux pays et revendique, dans cette situation, le nationalisme, l'identité, la sécurité et la lutte contre les migrants. La situation s'aggrave avec la pandémie de Covid. Ce n'est pas la première fois dans l'Histoire que la pandémie et le climat s'invitent pour rappeler la fragilité de la situation.[10] Cette pandémie rend plus sensible la crise climatique et l'actualité des contradictions sociales, écologiques et démocratiques.

Nous sommes dans un changement de période qui se caractérise par le durcissement des contradictions. La montée des alliances entre les droites et les extrêmes droites sont générales ; elles instrumentalisent la question des migrations et la question des identités nationales. Les mouvements sociaux, féministes, antiracistes, écologistes, des peuples premiers, sont porteurs de nouvelles radicalités mais n'ont pas encore de projet commun. Le mouvement social, ouvrier et paysan, est fortement combattu. L'autoritarisme se présente comme une solution par rapport à la méfiance sur les formes contestées de démocratie[11]. Les Forums sociaux mondiaux continuent à exister mais ils doivent être renouvelés. De nouveaux mouvements explorent de nouvelles perspectives, comme les zapatistes, les femmes du Rojava, les jeunes iraniennes. Ces mouvements mettent en avant le féminisme, l'écologie, la démocratie locale. Ils explorent les voies d'avenir.

Le coup de tonnerre de 1989, avec l'autodissolution de l'empire soviétique semble accélérer l'hégémonie du capitalisme mondialisé. Plus rien ne paraît s'y opposer. On voit fleurir les odes au capitalisme éternel ; ce serait la fin de l'Histoire ! La crise financière de 2007-2008 va interrompre l'euphorie. Il n'est pas sûr que ce soit la crise centrale de la période, comme l'a été celle de 1929 ; une autre crise centrale viendra probablement ponctuer le processus. Deux éléments nouveaux sont venus compléter les crises sociales et démocratiques ; la pandémie et la crise du covid ont bouleversé la scène mondiale, la crise climatique rappelle l'actualité et l'urgence de la crise écologique.

À partir de 2007 - 2008, une nouvelle crise structurelle du capitalisme

En fonction de l'analyse des crises précédentes, et en faisant l'hypothèse que nous sommes dans une crise structurelle du capitalisme, nous analyserons l'évolution et la crise du mode de production capitaliste, les luttes sociales, les guerres, la décolonisation, les débats idéologiques et politiques, la droite et l'extrême droite.

La crise actuelle du mode de production capitaliste

De nombreux changements se traduisent par des fortes évolutions dans les rapports de production. Retenons-en deux : la progression exponentielle du numérique, les interrogations sur l'extractivisme.

Reprenons quelques données pour apprécier l'explosion du numérique. La croissance financière des entreprises du numérique est considérable, elle se compte en milliards de dollars[12]. C'est le cas des géants technologiques : Apple, Google, Amazon, Facebook. Apple a atteint 2000 milliards de dollars en 2020. Leurs revenus ont explosé, Amazon est passé de 19 milliards de dollars en 2008 à 469 milliards de dollars en 2021. Les investissements de Recherche-développement se sont multipliés, Google est passé de 2,8 milliards de dollars en 2008 à 31,6 milliards de dollars en 2021. Les innovations technologiques se sont imposées avec l'IA, l'intelligence artificielle, le blockchain, le cloud computing. Elles ont été facilitées par la progression des start-ups. Les utilisateurs d'internet sont passés de 1,5 milliards de personnes en 2008 à plus de 5 milliards en 2023 ; les smartphones sont passés de 200 millions de personnes en 2008 à plus de 3,8 milliards en 2021 ; la fréquentation des réseaux sociaux de 1 milliard en 2008 à 4,5 milliards en 2021 ; le commerce électronique de 1 milliard d'utilisateurs en 2008 à 4,5 milliards en 2021. La part du commerce électronique dans le commerce de détail est passé de 3,6% en 2008 à 19,6% en 2021. La numérisation des services transforme les secteurs traditionnels du commerce, des finances, de la santé, des médias. L'éducation en ligne a explosé. L'impact culturel est visible dans la communication, les messageries, les cultures numériques, la multiplication des influenceurs et des créateurs de contenus.

Les industries extractives et pétrolières doivent s'adapter à un environnement en mutation rapide marqué par la transition énergétique et la volatilité des marchés. La récession économique qui a suivi la crise financière de 2008 s'est traduite par une récession économique, la chute de la demande des minéraux et du pétrole et une baisse brutale des prix des matières premières. Le prix du pétrole a chuté à 30$ en 2009, contre 150$ en 2008 ; la surproduction a provoqué une nouvelle baisse en 2014 et la pandémie du COVID, en 2020, a provoqué une chute historique des prix. Avec le pétrole de schiste, les États-Unis sont devenus un des principaux producteurs de pétrole. Les crises géopolitiques au Moyen-Orient, en Russie et en Afrique ont eu des répercussions sur les prix et les approvisionnements en pétrole. La demande mondiale en énergie et en matières premières devrait être affectée par les interrogations sur une nécessaire transition énergétique mondiale cherchant à privilégier des sources d'énergie durables, la diversification économique des pays producteurs, les enjeux environnementaux pour la réduction des émissions carbone et les investissements dans les énergies renouvelables. Cette évolution, qui correspond à des enjeux majeurs, aura des conséquences considérables.

Le capitalisme des plateformes utilise les technologies numériques pour maîtriser les transactions en connectant les utilisateurs. Les plateformes redéfinissent les relations, les modèles d'affaires et les marchés. Elles modifient les formes de régulation et de concentration des pouvoirs. Elles concentrent le pouvoir économique. Elles exacerbent les inégalités et mettent en danger la sécurité de l'emploi. Elles stimulent l'innovation et aggravent la compétition, multipliant les emplois d'indépendants et de temporaires. Les premières plateformes datent des années 1990 à 2000 avec internet. Elles sont boostées par les smartphones et les applications mobiles. L'épidémie du covid a renforcé les plateformes numériques, et leurs compléments avec les services de livraison, le commerce électronique et le télétravail. Le capitalisme de plateformes crée un nouveau modèle économique ou les plateformes numériques servent d'intermédiaires pour faciliter les interactions entre les groupes d'utilisateurs à l'exemple de Amazon, Airbnb, Facebook.

La crise du COVID a aussi accéléré l'adoption du télétravail et transformé profondément le rapport au travail pour les travailleurs et pour les entreprises. Les entreprises modifient leur organisation du travail pour s'adapter aux nouvelles formes du travail en profitant du travail à domicile et de l'individualisation des travailleurs. Le télétravail renforce la flexibilité du travail et réduit les formes d'organisation collective des travailleurs. La productivité à l'échelle mondiale est affectée par le ralentissement du temps de travail, l'impact de la crise du Covid et le ralentissement démographique dans les pays développés. Après 2008, la baisse de la croissance de la productivité a affecté l'économie mondiale et a pesé sur la croissance économique, les inégalités, la compétitivité des entreprises et les niveaux de vie. Elle s'est traduite par une croissance des salaires ralentie et une productivité réduite qui a conduit à une stagnation et à une baisse du niveau de vie pour une partie de la population. Les tensions sociales ont accompagné la stagnation des revenus et les inégalités croissantes. L'instrumentalisation de la crise a permis de renforcer les politiques de réduction des salaires et des droits collectifs

La crise de la pandémie et du climat renforce cette tendance de reprise en main par des États autoritaires. Elle bouleverse les situations et les équilibres ; elle interroge la solidarité internationale, l'internationalisme et l'altermondialisme. A une crise par définition mondiale, les réponses sont surtout nationales et étatiques. Les institutions internationales sont peu écoutées et marginalisées. Les mouvements répondent par des actions de solidarité locale et par la résistance à leurs États. Les contradictions s'accentuent. Les affrontements opposent dans beaucoup de pays des alliances sécuritaires et de droite populiste, aux mouvements qui revendiquent les libertés démocratiques, la défense des droits sociaux, l'urgence écologique. L'austéritarisme s'est imposé. Le néolibéralisme ne cherche pas à convaincre ; il revendique la conjonction de l'austérité et de l'autoritarisme. Près de vingt ans après la chute du mur de Berlin, le néolibéralisme abandonne ses références aux libertés. Il ne cherche plus à convaincre, il ne cherche plus qu'à imposer. L'austéritarisme marque les limites du néolibéralisme en tant que système stable.

Il est probable que nous vivrons le passage à une nouvelle phase du mode de production capitaliste, comme entre 1914 et 1945, la rupture avec le passage au capitalisme fordiste et keynésien, formalisé à partir de 1929, avec le New Deal. L'hypothèse du passage à une nouvelle phase du mode de production capitaliste est très probable ; elle est amorcée avec les nouvelles formes de production, notamment le numérique. Elle est aussi interpellée par les changements dans les classes principales. Nous en avons quelques éléments. Dans la classe dominante, par la contradiction entre la financiarisation de la bourgeoisie et la culture des nouveaux dirigeants, cadres et managers du numérique. Dans la classe ouvrière, par les contradictions dans l'évolution des formes du salariat et avec le précariat.

L'hypothèse n'est peut-être pas seulement celle d'un changement de phase du capitalisme. Immanuel Wallerstein avance l'hypothèse qu'il s'agit d'une crise structurelle qui met en cause les fondements du mode de production capitaliste[13]. Il considère que le mode de production capitaliste est épuisé et que dans les trente prochaines années, il ne devrait plus être dominant. Mais, cette crise du capitalisme ne déboucherait pas sur le socialisme. Un autre mode de production, inégalitaire mais différent, lui succéderait. Il estimait qu'un nouveau mode de production allait succéder au capitalisme dans les trente ou quarante prochaines années. Mais, il soulignait que, si la fin du capitalisme est historiquement certaine, cela n'entraînait pas automatiquement l'avènement d'un monde idéal. Il pensait qu'un nouveau mode de production « post-capitaliste » pourrait être inégalitaire. Il voyait la possibilité de plusieurs bifurcations : « celle débouchant sur un système non capitaliste conservant du capitalisme ses pires caractéristiques (hiérarchie, exploitation et polarisation), et celle posant les bases d'un système fondé sur une démocratisation relative et un égalitarisme relatif, c'est-à-dire un système d'un type qui n'a jamais encore existé.

Dans cette hypothèse, le capitalisme ne disparaîtrait pas, mais il ne serait plus le mode de production dominant dans les formations sociales, un peu comme l'aristocratie n'a pas disparu en laissant la première place à la bourgeoisie. De nouvelles classes sociales principales seraient en gestation dans nos sociétés. Le nouveau prolétariat viendrait du précariat et associerait les précaires et certaines formes de salariat. Les nouvelles classes dirigeantes pourraient être issues des techniciens et des cadres comme on peut le voir à travers les mutations sociales entrainées par le numérique. Les bourgeoisies, parasitaires et rentières, ne seraient plus dominantes et pourraient laisser la place à de nouvelles classes dirigeantes. Le néolibéralisme pourrait être toujours présent, mais ne serait plus dominant. Il a déjà perdu une large part de sa légitimité et il a besoin de durcir ses moyens de répression pour maintenir son pouvoir.

Quelle que soit l'hypothèse, celle du passage à une nouvelle phase du mode de production capitaliste ou celle du passage à un nouveau mode de production, les changements seront considérables et se traduiront par des années de transition marquées par des bouleversements sociaux et idéologiques. Les conséquences seront considérables au niveau de l'écologie et du changement climatique, au niveau social pour les inégalités et les discriminations, au niveau des guerres et de la nature des régimes politiques, au niveau de la définition même des démocraties.

Les luttes sociales, les guerres et la deuxième phase de la décolonisation

Les luttes sociales

Les luttes sociales, sous des formes diverses, sont toujours présentes et déterminantes. Elles sont très présentes au niveau local et elles sont plus visibles au niveau national quand elles interpellent l'État. Elles sont moins visibles au niveau international du fait des remises en cause du champ géopolitique. Elles concernent surtout les inégalités sociales de plus en plus grandes et partout présentes. Les luttes pour la démocratie sont aussi très présentes mais sont plus spécifiques en fonction des situations locales ; elles convergent très rarement au niveau des grandes régions ou au niveau mondial. Les luttes sur les questions écologiques sont très pertinentes mais se heurtent à une contre-offensive très déterminée pour éviter la jonction avec la critique radicale du néolibéralisme qui exacerbe les inégalités.

Les inégalités sociales sont considérables[14]. En France, avec un taux de pauvreté de 15%, le Smic, salaire minimum, est de 17000 euros par an et la rémunération moyenne d'un PDG du CAC 40 est de 5,5 millions d'euros par an, soit 331 fois le smic. Cette situation est accentuée par la réduction des impôts sur les revenus du capital. Au niveau mondial, les 1% les plus riches possèdent 45% de la richesse mondiale en termes de patrimoine net. Oxfam a calculé que les 1% les plus riches possèdent, en patrimoine net, plus de deux fois la richesse de 6,9 milliards de personnes les moins dotées (sur 7,8 milliards de la population mondiale). Il y a une claire conscience de l'ampleur des profits des grandes entreprises et des grands actionnaires et de l'injustice du système ; mais cette prise de conscience ne se traduit pourtant pas par une remise en cause globale du capitalisme.

Les grandes luttes sociales ont été très fortes depuis 2008. Rappelons, en France

Les luttes contre la réforme des retraites en 2010, 2019 et 2023 ; celles contre la loi travail en 2016 ; l'émergence des Gilets jaunes en 2018 ; les luttes pour le climat depuis 2018 ; contre les violences policières et le racisme en 2020. Dans le monde, après 2008, il y a eu des mouvements d'ampleur dans plus de 59 pays. Parmi eux, rappelons les Printemps arabes en 2010 et 2011 ; les Indignés en Espagne en 2011, Occupy Wall Street en 2011 ; Black lives matter, contre la violence policière et le racisme, depuis 2013 ; les mobilisations à Hong Kong, pour les libertés démocratiques en 2019 ; les grèves mondiales pour le climat, depuis 2018 ; les mouvements au Chili, en Colombie, en Bolivie, en 2019 – 2020…

Les luttes sociales dépendent de l'évolution des rapports entre les classes sociales. La classe ouvrière demeure centrale mais elle a évolué et cette évolution s'accélère. La généralisation du salariat rend moins visible les rapports sociaux capitalistes. Ce qui est accentué par la numérisation et, depuis la pandémie du COVID, par la progression du télétravail. Il faut aussi noter l'importance des classes moyennes, malgré l'affaiblissement de leur situation, et le rapprochement des conditions de vie liées à l'urbanisation. Le précariat, les travailleurs précaires, les secteurs informels, l'ubérisation, le micro-entrepreneuriat représentent de nouvelles formes d'organisation du travail ; il s'est développé dans le Sud et aussi en Europe. La scolarisation modifie aussi les rapports entre les classes[15]. Le taux de scolarisation était, en 2020, de 95% en France et de 76% dans le monde. Il y avait 2,7 millions d'étudiants dans le supérieur en 2021. Dans le monde, le taux de scolarisation dans le secondaire était, en 2020, de 70% en Chine et Corée du Sud, de 50% en Amérique Latine, au Moyen Orient et en Afrique du Nord, de 9 à 10% en Afrique. Pour se rendre compte de l'évolution et des conséquences pour une société, il y avait trois bacheliers en République démocratique du Congo, au moment de l'indépendance, en 1960, dont 2 à Bruxelles ; il y en avait 235000 en 2008 et plus de 700000 en 2023. Ce n'est plus la même société !

Les luttes sociales ont toujours été très fortes et n'ont jamais cessé. Les crises structurelles sont toujours des moments de réaménagements géopolitiques majeurs. Elles s'accompagnent des guerres et des aménagements du système international.

La géopolitique, les guerres et le système international

Les crises structurelles sont toujours des moments de réaménagements géopolitiques majeurs. Et ces réaménagements géopolitiques passent par les guerres, par des affrontements, par les nouvelles frontières et les aménagements du système international qui concrétisent les règlements des conflits.

Après 1945, il y a de nombreuses guerres pour la décolonisation qui se prolongent dans des guerres de recomposition régionale au Moyen-Orient, en Asie et par des guerres d'intervention des États-Unis et de l'Union Soviétique. Parmi les principales guerres et les confrontations, citons : la guerre d'Indochine, de 1946 à 1954 et du Vietnam de 1955 à 1975 ; la crise de Suez en 1956 ; la guerre d'Algérie, de 1954 à 1962 ; les guerres entre Israël et les pays arabes en 1967 et 1973 ; la guerre civile du Liban en 1975 jusqu'en 1990 ; la guerre du Cambodge en 1970 ; l'invasion soviétique en Afghanistan en 1979 ; les Malouines en 1982 ; la guerre du Golfe en 1990 ; le génocide rwandais en 1994 ; la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988 ; la guerre de Yougoslavie de 1991 à 2001 ; la guerre d'Afghanistan de 2001 à 2021 ; les guerres en Irak de 2003 à 2011, la guerre de Lybie en 2011 et depuis 2014 ; les guerres en République démocratique du Congo depuis 1994 …

Après 2008, il y a de nombreuses guerres qui prolongent les guerres de la période récente ou qui annoncent le passage à une nouvelle période. On compte ainsi, la guerre entre la Géorgie et la Russie en 2008 ; la guerre civile syrienne depuis 2011 ; l'intervention militaire au Yémen depuis 2015 ; la guerre contre l'État islamique en 2014 ; la guerre en Ukraine depuis 2014 ; la guerre civile en Lybie depuis 2014 ; le conflit au Mali depuis 2012 ; le conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie en 2020 ; la guerre civile au Soudan du Sud de 2013 à 2018 ; le conflit en République Centre Africaine depuis 2012 ; la guerre au Tigré depuis 2020.

Les régions en guerre se multiplient. Mais deux guerres occupent une place centrale dans la période et sont porteuses de graves conséquences à l'échelle mondiale ; la guerre entre la Russie et l'Ukraine et la guerre entre Israël et la Palestine. Le conflit au Donbass, depuis 2014 et l'annexion de la Crimée, a pris une nouvelle dimension avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022. Dans un premier temps, l'Ukraine a réagi de manière assez efficace et a contenu l'invasion russe. Le front s'est stabilisé dans le Donbass ; l'armée russe impose une très forte pression malgré l'armement considérable, mais insuffisant, apporté par les États-Unis et l'Europe à l'Ukraine. Cette guerre interpelle l'ordre international sur plusieurs aspects : d'abord, la nécessaire réaffirmation de l'interdiction des invasions armées comme forme d'intervention dans un conflit politique. Ensuite la question du nucléaire, du point de vue de la sécurité des installations et aussi des possibilités de dérive et d'utilisation des armes nucléaires. La troisième question est celle du rôle de l'OTAN dans la recomposition géostratégique et dans la redéfinition des alliances et du système international.

La guerre israélo-palestinienne est le conflit majeur de la période. Il résume et exacerbe, d'une certaine façon, l'affrontement entre le Sud et l'Occident ; en mettant aussi en évidence la différence de positionnement entre les gouvernements des pays du Sud et les opinions publiques de ces pays. Il est marqué par la place dirigeante de l'extrême droite israélienne dans la gestion du conflit et sa capacité à imposer son point de vue aux États-Unis et à l'Europe. L'intervention du Hamas, marquée par certaines actions terroristes, a modifié le paysage. Une des questions clés va être celle de la définition d'une stratégie commune par l'ensemble des organisations palestiniennes. La reconnaissance d'un État palestinien pose une question immédiate, celle de la remise en cause de la présence des colons en Cisjordanie qui risque de conduire, comme le soulignent plusieurs Israéliens, à une guerre civile en Israël. Dans un temps futur, des solutions peuvent émerger dans la construction d'une grande région impliquant de nouvelles relations entre le Liban, la Jordanie, la Syrie, la Palestine et un Israël qui ne serait plus colonial.

La géopolitique est aujourd'hui organisée autour des États-nations. L'évolution récente a renforcé cette organisation. La montée des extrêmes droites dans le monde renforce cette imposition d'un monde organisé par les seuls États-nations. Il y a toutefois une tendance à l'émergence d'un autre aménagement géopolitique avec l'organisation de grandes régions qui ne remplaceraient pas les États mais qui les intégreraient dans des ensembles plus larges. Il y a une quinzaine de grandes régions qui pourraient émerger avec la Chine, l'Inde et l'Asie du Sud, l'Asie du Sud-Est y compris le Japon et la Corée, l'Amérique du Nord, l'Amérique centrale avec le Mexique, l'Amérique du Sud avec le Brésil et l'Argentine, les Caraïbes, l'Afrique du Nord, le Moyen Orient, l'Afrique du Sud, l'Afrique de l'Ouest et centrale, l'Afrique de l'Est, l'Europe, la Russie, l'Océanie.

Le système international est organisé aujourd'hui autour des Nations unies. Il comprend l'ONU et les institutions internationales qui lui sont rattachées et qui jouent un rôle considérable dans le fonctionnement du système international. L'ONU devra être réorganisée[16] ; une sortie de crise structurelle géopolitique rend nécessaire cette réorganisation. L'ouverture d'un débat sur la reconfiguration d'un système international peut faciliter la mise en avant de propositions pour un système démocratique mondial plus avancé.

La deuxième phase de la décolonisation

Avec l'évolution démographique, la décroissance démographique sur plusieurs continents et la croissance démographique en Afrique, on va vers un nouvel équilibre démographique mondial en 2050. La période peut être aussi caractérisée comme celle à la fois d'un renforcement et d'une crise des impérialismes. Elle est celle de la décolonisation qui a commencé dans les années 1920 et qui s'est traduite par les indépendances nationales, à partir de 1944. Nous avons déjà rappelé la conférence de Bandung, en 1955, et la formule sur l'indépendance des États, la libération des nations et la révolution pour les peuples. Aujourd'hui, l'évolution des nouveaux États indépendants et la domination de la scène mondiale par les États occidentaux rappelle que la décolonisation est inachevée. Les réorganisations géopolitiques sont à l'œuvre dans le monde. Elles accompagnent une revendication des peuples à une désoccidentalisation du monde.

À l'identification des peuples à l'État-nation, la période qui vient approfondira et enrichira les rapports entre les peuples, les États et les nations. On voit bien les difficultés quand on pense aux Nations Unies. La Charte, des nations, commence par « Nous les peuples », et en réalité, il s'agit d'une union d'États. Au niveau de la Ligue internationale pour les droits des peuples, nous donnons la priorité aux peuples et nous mettons en avant la définition, donnée par le juriste Charles Chaumont, « un peuple se définit par l'histoire de ses luttes ». Le rapport entre peuple et territoire ne peut pas être réduit au rapport entre nation et territoire. Elle confirme aussi que la langue et la culture caractérisent le peuple. Et que l'internationalisme relève des peuples et non des nations.

Nous entrons dans la deuxième phase de la décolonisation. La première phase est celle de l'indépendance des États colonisés. Elle a été largement entamée avec l'indépendance des colonies et la création des nouveaux États. Mais, il reste encore un certain nombre de situations coloniales, comme vient le rappeler, notamment, la Kanaky. La question de la Palestine est déterminante pour clore cette première étape des indépendances. La deuxième phase de la décolonisation concerne la possibilité pour chaque pays de définir et de maîtriser son développement et pour chaque peuple de construire des institutions lui assurant les libertés et des formes démocratiques. Elle concerne aussi la possibilité pour chaque pays de participer à l'organisation et la gestion de leur grande région et des institutions internationales.

Cette perspective est confirmée par les bouleversements géopolitiques qui sont en cours. Ils concernent directement les guerres qui accompagnent les bouleversements de l'ordre mondial et notamment la nature des régimes politiques et la démocratie. Les États-Unis sont toujours dominants économiquement et militairement, mais leur hégémonie est de plus en plus contestée. La confrontation principale se déplace vers l'Asie et oppose les États-Unis et la Chine. L'Europe est marginalisée et la guerre accroît ses divisions. Les États-Unis explorent une alliance avec l'Australie et le Japon qui inclurait la Grande-Bretagne. La Chine renforce les BRICS avec le Brésil, l'Inde, la Russie et l'Afrique du Sud et entame son élargissement avec, notamment, les pays du Golfe, l'Argentine, l'Égypte, l'Éthiopie et l'Iran. De nouvelles puissances renforcent leurs positions régionales. L'Inde en Asie du Sud, la Thaïlande et l'Indonésie en Asie du Sud-Est, l'Australie dans le Pacifique, la Turquie et l'Arabie Saoudite au Moyen-Orient, l'Afrique du Sud, le Nigéria et le Kenya en Afrique, le Brésil, le Mexique et le Canada en Amérique. Dans cette première phase des indépendances, nous pouvons distinguer trois sous-périodes : de 1944 à 1965, les luttes de libération nationale ; de 1966 à 1973, les « mai 1968 » dans le monde ; de 1973 à 1977, l'offensive pétrolière de pays du Sud.

La souveraineté est une valeur de référence de plus en plus prisée. Elle renforce les identitarismes et le poids des intégrismes dans les religions. Elle se traduit par la montée des autoritarismes[17] de différentes natures. Les libertés et la démocratie restent des valeurs de référence, mais en tant que valeurs abstraites. La méfiance par rapport aux régimes politiques est devenue générale. Elle se traduit par une grande défiance par rapport aux institutions internationales.

La situation est caractérisée par la montée en puissance de nouveaux blocs émergents. Ce sont des situations qui se traduisent historiquement par des périodes de tensions, de conflits et aussi de guerres. D'autant que cette évolution est très rapide à l'échelle historique, en quelques dizaines d'années et non en quelques siècles[18], comme dans les transitions précédentes. Le Sud global se présente à la fois comme un bloc émergent et comme une diversité des États-nations du Sud et de leurs intérêts nationaux. Depuis 2013, la Chine, l'Inde et le Brésil sont collectivement en train de dépasser les pays occidentaux en termes de commerce et de production mondiale.[19] L'affirmation politique d'un Sud global et la volonté du multilatéralisme coexistent avec le renforcement des grandes régions géoculturelles dans l'ordre mondial. Il y a un besoin urgent de réformes pour faire face à un monde en évolution rapide, pour arriver à une architecture globale. Il faut répondre aux défis principaux : le maintien de la paix ; la réduction des inégalités et des discriminations ; le défi écologique ; la redéfinition de la démocratie. L'ONU, si elle est réformée, pourrait jouer un rôle essentiel dans la promotion de ces réformes nécessaires.

Les débats idéologiques et politiques et la montée de l'extrême droite

L'idéologie renvoie à un système d'idées, elle propose un idéalisme opposé au réalisme politique. Marx introduit le terme quand il rédige, avec Engels, « L'idéologie allemande », en1846 (la publication attendra 1932). Il critique une vision de classe à dépasser par la science ; de là découle une vision négative des idéologies. Cette vision est renforcée par la liaison entre les idéologies et les utopies. Cette conception part de la Révolution française qui va marquer le débat d'idées depuis le XIXème siècle ; elle intègre la science newtonienne de la Nature du XVIIème et l'idée d'un progrès historique du XVIIIème siècle.

Immanuel Wallerstein propose de définir le débat idéologique à partir de trois idéologies politiques, toujours présentes, qui suivent la Révolution française : le conservatisme, le libéralisme et le socialisme[20]. Aucune n'a trouvé de configuration définitive ; elles s'opposent et s'influencent et se recomposent avec la prééminence actuelle du libéralisme. Le conservatisme est une réaction au rejet de l'ancien par la modernité qui met en avant, depuis la révolution industrielle, le culte du changement et du progrès qu'il cherche à refuser ou à limiter. Pour cela, il s'agit de garder ou de reconquérir le pouvoir dans l'État. C'est l'objectif depuis la Restauration qui remet en cause la Révolution. Le libéralisme est certain de la vérité de la modernité ; il est universaliste et propose de moderniser les institutions, de supprimer l'irrationnel du passé et les idéologies conservatrices. Son programme politique est d'imposer le progrès. Le socialisme se veut l'héritier de la Révolution ; il se différencie des conservateurs par sa volonté d'accélérer le processus historique pour faire avancer le progrès. Il se différencie des libéraux en prônant la révolution plus que la réforme pour affronter la résistance au progrès.

L'idéologie libérale propose un sujet, un acteur politique principal ; elle soulève la question de la souveraineté. La souveraineté du peuple succède à la souveraineté du monarque. Qui est le peuple ? Pour les libéraux, le peuple est l'ensemble des individus qui sont dépositaires de tous les droits politiques, économiques et culturels. L'individu est le sujet historique de la modernité, tous les individus sont égaux. Comment prendre des décisions collectives et réconcilier les positions ? C'est la question de la démocratie politique. Le néolibéralisme introduit une rupture avec le libéralisme en se détournant des préoccupations de souveraineté et de démocratie.

La question de l'individu et de la souveraineté est moins explicite chez les conservateurs et les socialistes. Pour les conservateurs, les individus passent, le bien public, le « commonwealth », restent identiques. Le sujet politique se retrouve dans la famille, les corporations, les Églises, les ordres. Pour les socialistes, le sujet principal, c'est le peuple ; la question reste : comment reconnaître la volonté générale du peuple ? Quel sujet incarne la souveraineté du peuple ? Pour les libéraux, ce sont les individus dit libres, pour les conservateurs, ce sont les groupes traditionnels, pour les socialistes, c'est le groupe entier formant société.

Le sujet, le peuple, a une représentation privilégiée, c'est l'État. C'est par l'État que le peuple exerce sa souveraineté, qu'il est souverain. Le peuple forme une société ; quel est le rapport entre État et société ? C'est la question de la modernité. En fait, Les trois idéologies prennent le parti de la Société contre l'État mais de manière différente. Pour les libéraux, il s'agit de dissocier État et vie économique. Et, pour la plupart des libéraux, de réduire l'État au minimum ; l'État est le veilleur de nuit. Pour les conservateurs, le sujet, le peuple, a un soutien privilégié, l'État. Il s'agit de concilier individualisme et étatisme en soutenant et appuyant les groupes intermédiaires traditionnels : famille, Eglise, corporations. Pour les socialistes, la bourgeoisie s'est emparée de la souveraineté politique en s'assurant le contrôle exclusif de l'État. La position par rapport à l'évolution de l'État en grand État bureaucratique et moderne se différencie. Pour les conservateurs, l'État doit protéger les droits traditionnels ; pour les libéraux, l'État doit permettre aux droits traditionnels de s'épanouir ; pour les socialistes l'État doit réaliser la volonté générale.

Les rapports entre les trois idéologies ont évolué. De la Révolution française à 1848, les libéraux s'opposent aux conservateurs. Ils considèrent que le Progrès est inévitable et souhaitable alors que pour les conservateurs, le progrès est néfaste. Les socialistes sont, au début, alliés des libéraux. L'alliance entre socialistes et libéraux soutient la pensée libérale et égalitariste du XVIIIe contre la monarchie absolue. Les deux courants défendent la productivité, base de la politique sociale de l'État moderne. Ils défendent aussi l'utilitarisme. À partir de 1830, et plus nettement après 1848, il y a une séparation entre libéraux et socialistes. Le marxisme ne se limite pas à la pauvreté, il condamne la déshumanisation par le capitalisme. Il y a un rapprochement entre conservateurs et libéraux, il s'agit de protéger la propriété et de combattre la révolution. Un libéralisme modéré divise, chez les socialistes les modérés, qu'on appellera sociaux-démocrates, qui défendent une action politique et des réformes et les radicaux qui appellent à l'insurrection. De 1848 à 1914, ou 1917, le libéralisme domine et l'idéologie socialiste se réfère au marxisme. Le libéralisme s'impose, avec une variante libérale socialiste qui affiche sa foi dans le progrès et la productivité et une variante libérale conservatrice. On peut considérer que les totalitarismes du XXème siècle ont tenté une approche entre conservateurs et socialistes en alliant socialisation et populisme. À partir de 1917 jusqu'à 1968, ou 1989, c'est la domination du libéralisme à l'échelle mondiale, avec un moment de débat particulier avec le léninisme et avec les tentatives récurrentes de plusieurs appels à dépasser les idéologies.

Peut-on dépasser l'idéologie libérale dominante ? C'est la question posée depuis les années 1968. A partir de 1989, la version socialiste est impactée par la chute du marxisme soviétique. Les conservateurs se soumettent à la direction néolibérale. La liaison entre libéralisme et modernité est remise en cause pour la première fois ; elle s'effondr

Une gauche qui ne prend pas la tête de la lutte contre la catastrophe climatique n’a pas de raison d’exister !

17 septembre 2024, par Yorgos Mitralias — , ,
Ce qui suit ne s'adresse pas à la droite et à ses soutiens (économiques, sociaux et autres) qui – malheureusement – font très bien leur travail. Ce qui suit s'adresse avant (…)

Ce qui suit ne s'adresse pas à la droite et à ses soutiens (économiques, sociaux et autres) qui – malheureusement – font très bien leur travail. Ce qui suit s'adresse avant tout à la gauche qui – malheureusement – ne fait pas du tout bien le sien…

6 septembre 2024 | tiré du site entre les ligens entre les mots | Dessin de Sonia Mitralia
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/09/une-gauche-qui-ne-prend-pas-la-tete-de-la-lutte-contre-la-catastrophe-climatique-na-pas-de-raison-dexister/

Voici donc ce que nous écrivions l'an dernier à la même époque, juste après les terribles inondations de Thessalie, dans un texte resté inachevé et jamais publié :

« Le choc des deux « ouragans méditerranéens » successifs Daniel et Elias a été assez fort pour provoquer les premières fortes secousses dans les croyances climato-sceptiques des Grecs. Bien sûr, ce ne sont que les premières fissures qui ne s'élargiront que s'il y a le suivi que les circonstances exigent de la seule force politique qui peut, potentiellement, non seulement expliquer scientifiquement la catastrophe climatique mais aussi agir massivement et concrètement pour y faire face ».

Bien sûr, cette « seule force politique qui peut, potentiellement, non seulement expliquer scientifiquement la catastrophe climatique mais aussi agir massivement et concrètement pour y faire face » doit être la gauche. Pourtant, un an plus tard, alors que le spectre de la pénurie d'eau plane plus que jamais sur Athènes et ses quatre millions d'habitants, alors que de nouvelles sécheresses extrêmes, de nouveaux méga-incendies dévastateurs, de nouveaux records historiques successifs de température et de nouvelles canicules encore pires sont intervenus, cette gauche est toujours invisible, toujours absente du front de la catastrophe climatique galopante. Et le pire, c'est qu'elle continue en grand partie à dénoncer la droite néolibérale au gouvernement non pas pour son refus d'agir à temps contre ce désastre climatique, mais pour son insistance à l'invoquer pour couvrir ses péchés !

Voici donc comment que nous avons poursuivi notre texte de l'année dernière, en essayant – en vain – de convaincre qu'il est urgent de mobiliser ceux « d'en bas » car notre pays est littéralement dans l'œil du cyclone de la catastrophe climatique :

« Parlons donc de la catastrophe climatique et de notre pays, puisque l'intensité et le volume des précipitations des deux « ouragans méditerranéens » (medicanes) qui l'ont frappé consécutivement en l'espace de trois semaines (!), confirment les conclusions scientifiques, que la Méditerranée et en particulier son bassin oriental et … la Grèce constituent un hot point, c'est-à-dire un point de grande intensité et de dangerosité de crise climatique. Plus précisément, les 889 mm de pluie – au moins – reçus par Zagora et les 886 mm reçus par Portaria sur le Mont Pélion le 5 septembre, non seulement dépassent de loin tout précédent dans notre pays, mais sont 3 et 4 fois plus importants que ceux qui sont tombés en Libye le jour des inondations meurtrières quelques semaines plus tard. De même, les 1235 mm de précipitations reçus par Makrinitsa en septembre dernier constituent un record européen de précipitations mensuelles, alors que l'intensité terrifiante de l'averse du « medicane » Elias qui a ensuite frappé le nord de l'Eubée était ensemble avec les incendies gigantesques de plus en plus fréquents, les canicules et la désertification galopante, une autre indication que notre pays constitue bien un hot point de la catastrophe climatique planétaire « pour les décennies à venir ». »

Et nous concluions avec ces mots :

« Qu'est-ce que cela signifie ? Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et plusieurs autres organisations scientifiques, cela signifie que « l'augmentation de température observée en Méditerranée est supérieure à la moyenne mondiale ». En d'autres termes, « la planète se réchauffe et la Méditerranée le fait un peu plus vite » ! Les conséquences ne sont pas seulement prévisibles, elles sont déjà établies de manière empirique : parmi beaucoup d'autres choses, comme l'élévation du niveau de la mer, nous avons des canicules de plus en plus fréquentes, de plus en plus longues et de plus en plus intenses, des incendies de forêt de plus en plus fréquents et de plus en plus monstrueusement destructeurs, des précipitations et des inondations sans précédent, mais aussi une réduction drastique des précipitations, avec pour conséquence des pénuries d'eau croissantes, des sécheresses, la désertification galopante de zones de plus en plus étendues, une réduction de la productivité agricole, etc. En d'autres termes, nous sommes confrontés à la menace la plus grave pour la qualité de vie et l'existence même que les habitants de ce que nous appelons aujourd'hui le territoire grec aient jamais eu à affronter. Et comme il est évident, tous les autres problèmes de la population grecque mais aussi mondiale sont directement affectés et subordonnés à ce qui est leur plus grand problème existentiel… »

Et la gauche grecque ? Où sont ses manifestations, ses grèves et ses occupations contre les politiques climatiques des gouvernements grecs, de l'Union européenne et des capitalistes Où sont ses réflexions et sa production d'idées, d'analyses et de propositions programmatiques et de mesures à prendre urgemment ? Où est sa participation aux grandes mobilisations internationales de la jeunesse et autres luttes contre la catastrophe climatique et ceux qui la causent, qui passent en permanence inaperçues dans notre pays ? Où est sa lutte contre les théories obscurantistes et conspirationnistes sur la crise climatique qui font un tabac dans la population grecque ? Où est sa conception du changement radical de nos sociétés et de nos vies que nécessite la lutte effective contre la catastrophe climatique (voir Pour une décroissance écosocialiste). Et surtout, où est sa mobilisation contre la racine du mal, les multinationales du pétrole et du gaz, les constructeurs automobiles et tous ceux qui sont impliqués dans les énergies fossiles, qui sont responsables de l'écrasante majorité des émissions de gaz à effet de serre ?

Au lieu de tout cela, la gauche grecque préfère accuser Mitsotakis et son gouvernement « de simples délits comparés au véritable crime qu'il commet lorsque non seulement il ne fait rien contre la crise climatique, mais qu'il ne cesse de l'aggraver par ses politiques ». Et de temps en temps, elle préfère s'adonner à des combats chimériques contre les impérialistes qui convoitent « nos » (d'ailleurs inexistants)… gisements de pétrole, qui deviendraient comme par miracle… des combustibles fossiles propres parce que… « grecs ». Ou de se moquer et de calomnier la jeune Greta Thunberg qui inspire le mouvement international de jeunesse le plus massif et le plus radical contre la crise climatique. Ou, pire encore, d'accueillir dans ses rangs des « gens de gauche » qui continuent sans relâche à qualifier le changement climatique de … « plus grande fraude impérialiste » !

La conclusion est tragique : lorsque le très grand capital international, et par conséquent le système capitaliste, responsables de la catastrophe climatique, ont de tels ennemis de gauche, ils n'ont pas besoin d'amis ! Ils peuvent dormir sur leurs deux oreilles quand ces gens de gauche – en Grèce et dans le monde – dénoncent tout et n'importe quoi sauf les vrais criminels, et avec eux leurs patrons, leurs filiales locales, leurs porte-voix, leurs représentants politiques, c'est-à-dire leur système capitaliste. Comme par exemple « Les vingt plus grandes entreprises qui ont contribué ensemble à l'émission de 480 milliards de tonnes d'équivalent de dioxyde de carbone et de méthane, provenant principalement de la combustion de leurs produits, ce qui équivaut à 35% de toutes les émissions de combustibles fossiles et de ciment dans le monde depuis 1965 » (voir le tableau ci-dessous) :

2024-09-06_02_pinakas-01

Conclusion : la grande tragédie de la crise climatique, c'est que huit milliards d'êtres humains sont contraints de payer cher – au prix de leur santé, de leur vie, de la santé et de la vie de leurs descendants, de la destruction de la nature et d'une planète de plus en plus dégradée – la cupidité de quelques dizaines de multinationales polluantes qui continuent à faire des profits monstrueux.

Pire encore, au moins une partie de notre gauche répète et diffuse, souvent mot pour mot (!), la propagande « climatonégationiste » produite par la véritable fabrique de propagande de ces multinationales polluantes géantes. Et, signe de l'importance que ces multinationales attachent à saper et à dénigrer les thèses scientifiques sur la crise climatique, seulement cinq d'entre elles ont dépensé au cours de la dernière décennie au moins 200 millions de dollars par an pour promouvoir leur propagande et leur désinformation en faveur des combustibles fossiles (voir le tableau correspondant pour l'année 2018).

2024-09-06_03_pinakas-spend-on-climate-lobbying-2018

Un cas typique de ce genre de propagande est l'article intitulé « Crise climatique : croyance religieuse ou vérité scientifique ? « de ancien ministre islamophobe Andreas Andrianopoulos, qui a quitté le parti de la Nouvelle Démocratie parce qu'il ne la trouvait pas assez… néolibérale. Le fait que M. Andrianopoulos ait été « conseiller » de M. Poutine et du président (à vie) de l'Azerbaïdjan, M. Aliyev, n'a évidemment rien à voir avec le contenu délirant de ses articles « climatonégationistes ». Rien à voir non plus avec les déclarations et les articles d'autres « conseillers » célèbres de M. Poutine, comme l'ancien chancelier allemand Schröder ou l'ancien Premier ministre français Fillon… mais aussi des gens de gauche moins célèbres – grecs et étrangers – connus pour leur soutien au locataire du Kremlin.

Bien entendu, ici on n'a pas affaire à des simples « coïncidences ». M. Poutine et ses amis de par le monde Trump, Orban, Bolsonaro, Milei, etc. sont tous des « climato-sceptiques » fanatiques, comme le sont d'ailleurs leurs partisans d'extrême droite et néofascistes de par le monde. Et bien sûr, ce n'est pas un hasard si tous ces braves gens, aidés par le grand capital international, qui a tout intérêt à perpétuer l'économie dépendante des énergies fossiles, financent généreusement les armées de climato-négationnistes de tout genre, qui n'ont qu'un seul objectif : empêcher l'adoption et surtout la mise en œuvre de mesures pour faire face à la catastrophe climatique….

Par conséquent, puisque la crise climatique, qui – malheureusement – s'intensifiera et atteindra bientôt des points de bascule, prend désormais des dimensions existentielles pour l'humanité, et puisqu'il n'y a personne d'autre que nous pour la combattre, le conflit avec ceux et leurs intérêts qui l'ont créée et l'alimentent, en refusant obstinément de l'empêcher, ne peut être qu'un conflit de vie et de mort. Plus que jamais, c'est donc maintenant que la gauche peut justifier son existence en faisant de la lutte contre la catastrophe climatique sa priorité absolue et sa première tâche militante…

Yorgos Mitralias

Ecosocialismo e sinistra
https://andream94.wordpress.com/2024/09/09/ecosocialismo-e-sinistra/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le peuple algérien réitère son rejet du régime militaire

17 septembre 2024, par Gilbert Achcar — , ,
Malgré la confusion qui a accompagné l'annonce des résultats des récentes élections présidentielles en Algérie, une chose est claire et certaine : le peuple algérien rejette (…)

Malgré la confusion qui a accompagné l'annonce des résultats des récentes élections présidentielles en Algérie, une chose est claire et certaine : le peuple algérien rejette massivement le régime militaire...

11 septembre 2024
Gilbert Achcar
Professeur, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart

Malgré la confusion qui a accompagné l'annonce des résultats des récentes élections présidentielles en Algérie, une chose est claire et certaine : le peuple algérien rejette massivement le régime militaire, après avoir consacré son Hirak il y a cinq ans à exiger la fin de ce régime et son remplacement par un pouvoir civil démocratique. En effet, la confusion elle-même est une conséquence directe de ce fait, qui a émergé à travers le véritable enjeu de ces élections, personne n'ayant le moindre doute quant à la victoire du candidat de l'institution militaire, Abdelmadjid Tebboune. Ce qui était vraiment en jeu, c'était l'ampleur de la participation du peuple algérien à ces élections, par rapport aux précédentes organisées fin 2019, que l'institution militaire avait imposées face au rejet et au boycott du Hirak. Le résultat ne fut pas alors celui escompté par les militaires, puisque le taux de participation fut inférieur à 40% (39,51% pour être exact, avec 9 755 340 personnes ayant voté, selon les chiffres officiels, sur 24 474 161 inscrites). Ce faible taux de participation s'est produit alors que les autorités avaient permis une plus grande diversité des candidats, avec cinq candidats en lice en 2019.

Quant aux élections de samedi dernier, le taux de participation y a été inférieur à celui de 2019, qui était lui-même inférieur aux chiffres officiels des élections précédentes. Selon le décompte officiel, le nombre total de votes exprimés samedi dernier pour les trois candidats en lice n'a été que de 5 630 196, une baisse importante par rapport au total des votes exprimés il y a cinq ans, tandis que le nombre des inscrits était presque inchangé (24 351 551), de sorte que le taux de participation est tombé à 23,12% seulement ! La tentative du chef de l'Autorité nationale « indépendante » des élections, Mohamed Charfi, de camoufler la défaite du gouvernement en affirmant que le taux de participation « moyen » était de 48 %, chiffre obtenu en divisant le taux de participation par le nombre de circonscriptions électorales (comme dire que le taux de participation moyen entre 10 % dans une ville de 100 000 électeurs et 90 % dans une ville de moins de 1000 électeurs est de 50 %) a échoué au point que la propre campagne de Tebboune a dû protester contre la confusion ainsi causée.

Face à cette défaite politique désastreuse, les 94,65% des voix obtenues par Abdelmadjid Tebboune, selon les chiffres officiels, semblent bien maigres, sans parler du fait que les deux autres candidats n'ont pas tardé à accuser les autorités d'avoir falsifié les résultats. Selon le décompte officiel, Tebboune a reçu 5 329 253 voix, contre 4 947 523 en 2019, soit une légère augmentation. Mais contrairement à certains commentaires qui ont vu dans le pourcentage obtenu par Tebboune une imitation de la tradition bien connue des dictatures régionales, qui exige d'accorder au président plus de 90% des voix, le pourcentage de 94,65% aux dernières élections algériennes n'a pas été combiné avec un taux de participation élevé comme c'est généralement le cas dans les dictatures, que ce soit en falsifiant les chiffres ou en imposant la participation à la population, ou les deux.

Au contraire, la faible participation a confirmé que le Hirak de 2019 – même si le régime militaire et les services de sécurité ont pu l'écraser par la répression et les arrestations arbitraires, saisissant initialement l'opportunité offerte par la pandémie de Covid en 2020 et poursuivant la même approche jusqu'à ce jour – le Hirak est toujours vivant comme un feu sous les cendres, attendant une occasion de s'enflammer à nouveau. Il ne fait aucun doute que l'establishment militaro-sécuritaire au pouvoir considérera le résultat des élections comme une source d'inquiétude, surtout qu'il s'est produit bien que le gouvernement ait augmenté les dépenses sociales avec lesquelles il tente d'acheter l'assentiment du peuple, en profitant de la hausse des prix des hydrocarbures et de l'augmentation de ses revenus qui s'en est suivie, avec le besoin européen croissant de gaz algérien pour compenser le gaz russe. Les hydrocarbures représentent en effet plus de 90% de la valeur des exportations algériennes, un pourcentage bien plus important que tous les pourcentages électoraux, car il indique l'échec lamentable des militaires à industrialiser le pays et à développer son agriculture, un objectif qu'ils ont déclaré prioritaire depuis qu'ils ont pris le pouvoir en 1965 sous la houlette de Houari Boumediene, notamment après la nationalisation du secteur des hydrocarbures en 1971.

Il est à craindre que la réaction de l'institution au pouvoir à son échec politique évident ne se traduise par une nouvelle restriction des libertés et ne conduise le pays sur la voie traditionnelle des dictatures régionales, avec davantage de fraude électorale, au lieu de répondre au désir clair du peuple algérien de voir les militaires retourner dans leurs casernes et faire place à un gouvernement civil démocratique issu d'élections libres et équitables. Au contraire, des faits indiquent que le pays suit le modèle égyptien en élargissant le champ d'intervention de l'institution militaire dans la société civile, comme en témoigne la décision prise par la présidence au début de l'été de permettre aux officiers de l'armée d'occuper des postes dans l'administration civile sous prétexte de bénéficier de leurs qualifications.

En fin de compte, des deux vagues de soulèvements qu'a connues la région arabophone en 2011 et 2019, les régimes en place n'ont tiré que des leçons répressives en resserrant leur emprise sur les sociétés. Ce faisant, ils ne font qu'ouvrir la voie à des explosions encore plus grandes et plus dangereuses que ce que la région a connu jusqu'à présent, alors que la crise économique et sociale structurelle qui a constitué la base des deux vagues révolutionnaires précédentes continue de s'aggraver et s'aggravera inévitablement tant que les régimes de tyrannie et de corruption resteront en place.

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 10 septembre en ligne et dans le numéro imprimé du 11 septembre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Série Soudan (4/4), Arabie Saoudite et Émirats, ces alliés devenus adversaires

17 septembre 2024, par Mateo Gomez — , ,
Généralement partenaires et même alliés, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis font preuve en réalité d'une rivalité très vive au Soudan, où la guerre civile fait rage. (…)

Généralement partenaires et même alliés, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis font preuve en réalité d'une rivalité très vive au Soudan, où la guerre civile fait rage. Les deux royaumes soutiennent des camps opposés.

Tiré de Mondeafrique
26 août 2024

Par la rédaction de Mondafrique

Un article de Mateo Gomez

Le chef d'État du Soudan, Abdel Fattah al-Burhan, qui a dégagé le dictateur Omar al-Bashir en 2019, fait face à son ancien second surnommé Hemeti, qui dirige le groupe paramilitaire Forces de Soutien Rapide (FSR). Mais ce conflit n'est pas qu'une embrouille domestique. Le Soudan, lien entre le monde arabe et l'Afrique subsaharienne, est riche en ressources naturelles. Du coup, ce pays attire les convoitises régionales.

Ainsi, l'Arabie Saoudite comme les Émirats Arabes Unis (EAU) voient tous deux la guerre comme une opportunité pour étendre leur influence dans la région. Les Saoudiens soutiennent le gouvernement internationalement reconnu d'Abdel Fattah, alors que les Émiratis penchent pour le chef des rebelles et ex numéro deux du régime.

Ces derniers n'espèrent pas une victoire complète des FSR, de toute façon hautement improbable au vu de la force et la légitimité de Fattah. Mais un cas probable serait une situation similaire à celle de la Libye, où divers groupes se battent pour des zones d'influences sur le territoire. Un tel cas de figure permettrait aux Émirats d'être une perpétuelle épine dans le pied Saoudien, et d'en extraire ainsi des concessions.

Généralement partenaires et même alliés, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis font preuve en réalité d'une rivalité très vive au Soudan, où la guerre civile fait rage. Les deux royaumes soutiennent des camps opposés.

Le groupe Wagner (1) dans la boucle

Ces monarchies du golfe ont joué un rôle significatif au Soudan depuis la chute de la dictature d'al-Bashir en 2019, envoyant des milliards de dollars à la junte d'Abdel Fattah en aide et investissements. Leurs intérêts étaient à l'époque alignés. Mais le rapprochement du Soudan avec le Qatar, rival des EAU, fut vu d'un mauvais œil par Abu Dhabi. Et lorsque les FSR, qui avaient déjà soutenu les intérêts émiratis au Yémen et en Libye, s'affirmèrent comme la première force d'opposition à Fattah en 2023, le patron des Émirats, MBZ, sauta sur l'occasion.

Sans manifester une hostilité trop évidente à l'égard des saoudiens, les émiratis ont collaboré avec la Russie pour soutenir le groupe Wagner, qui a offert ses services aux FSR. Les paramilitaires soudanais protègent les intérêts miniers des paramilitaires russes, qui envoient des ressources à la Russie… en passant par les Émirats. En juin 2023 la trésorerie américaine à sanctionné Al Junaid et Tradive, deux entreprises minières associées à Hemeti et basées au Soudan et aux Émirats.

Les Saoudiens, de leur côté, travaillent sans relâche pour se présenter comme un médiateur de paix crédible et comme un soutien humanitaire conséquent pour les soudanais. Mais la perspective de la paix est encore lointaine. Si elle venait à se réaliser, les saoudiens pourraient renforcer leur image de leader du monde arabe et musulman. Mais si une situation similaire à celle en Libye s'installe, les Emirats pourraient durablement fragiliser l'influence saoudienne dans la région – une victoire pour le petit royaume.

Les Américains convoités

Cette compétition entre les deux royaumes n'est pas nouvelle. Les Émirats n'hésitent pas à nouer des liens diplomatiques avec tout le monde, y compris l'Iran, l'ennemi juré des saoudiens. Au Yémen, les tensions sont palpables. Riyad soutient le gouvernement reconnu internationalement d'Abed Rabbo Mansour ; Abu Dhabi en revanche soutient le groupe rebelle du Conseil de Transition du Sud (2), qui lui offre un accès privilégié aux ports du pays mais qui bloque le développement d'infrastructures pétrolières saoudiennes.

Dernièrement, la compétition entre les deux pays pour mettre les États-Unis de leur coté a été intense. Depuis la scandale de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi par les saoudiens, les relations entre le royaume et les États-Unis se sont refroidies considérablement, ouvrant la porte aux Émiratis qui voudraient devenir le partenaire privilégié de la superpuissance dans la région à coup d'achats d'armes.

Cerise sur le gâteau, la signature des accords d'Abrahams avec les Israéliens a renforcé encore la crédibilité de MBZ, le chef tout puissant des Émiratis, auprès des Américains, alliés constants de Tel Aviv.

(1) Malgré sa rébellion ratée, le groupe Wagner est toujours présent en Ukraine, en Biélorussie et en Afrique. Il a été intégré à l'armée régulière russe et doit répondre aux ordres d'Andreï Trochev, qui a été directement nommé par Vladimir Poutine.

(2) Les autorités séparatistes du Sud accusent le gouvernement d'Abd Rabbo Hadi – appuyé par une coalition militaire conduite par l'Arabie saoudite – de ne pas avoir rempli ses obligations et d'avoir même « conspiré » contre leur cause. En principe, tous sont alliés au sein du camp « loyaliste » contre la rébellion houthi au nord. Dans la réalité, l'accord qu'ils ont signé – contraints et forcés – début novembre à Riyad ne s'est jamais traduit dans les faits.

***Source : Mohammad, Talal. “How Sudan Became a Saudi-UAE Proxy War”, Foreign Policy, Fall 2023, pp. 24-26

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

L’impuissance africaine face à l’immigration clandestine

17 septembre 2024, par Bati Abouè — ,
Deux semaines après la tournée africaine du premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, qui s'est rendu au Sénégal pour tenter de décourager l'émigration vers l'Europe, une (…)

Deux semaines après la tournée africaine du premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, qui s'est rendu au Sénégal pour tenter de décourager l'émigration vers l'Europe, une pirogue transportant 150 personnes en route pour les îles canaries a chaviré le dimanche 8 septembre à Mbour à 100 km au sud du Sénégal, créant un nouveau drame humain devant lequel les autorités du pays en particulier et les dirigeants africains en général restent encore impuissants.

Tiré de MondAfrique.

Au moins 150 personnes étaient dans cette pirogue qui a quitté la plage de Mbour, au sud du Sénégal, le dimanche 8 septembre dernier. L'embarcation a chaviré 3 kilomètres plus tard jetant à la mer tous ses passagers. Ce nouveau drame de l'émigration clandestine intervient seulement deux semaines après le passage du premier ministre espagnol Pedro Sanchez dans la capitale sénégalaise.

Le dirigeant espagnol s'était rendu à Dakar dans le cadre d'une tournée africaine destinée à décourager le flot d'émigrés qui envahissent les îles Canaries à partir des côtes mauritanienne et sénégalaise. Mais le mal est bien trop profond et devant le manque de perspective dans leur pays, rien n'arrive à entamer la détermination des jeunes africains qui tentent quotidiennement, au prix de leur vie, leur chance de vivre et travailler en Europe.

Pour retrouver les naufragés, le Sénégal a déployé des marins qui poursuivent leurs recherches à l'aide de zodiac de sauvetage. Les pêcheurs traditionnels ont été les premiers à venir à la rescousse des passagers de l'embarcation naufragé. Mais jusqu'au lendemain 9 septembre, seulement 24 personnes – dont 3 sont encore en observation à l'hôpital- ont pu être sauvées, tandis que 5 corps sont venus s'ajouter aux quatre personnes noyées retrouvées dès dimanche par les pêcheurs.

Alors avec les heures qui passent, l'espoir s'amenuise forcément. D'autant que le bilan risque de s'alourdir car, pour l'heure, il n'y a aucune certitude sur le nombre exact des passagers – 150 ou plus ? – qui étaient à bord de cette pirogue. On sait en revanche que la pirogue a quitté l'une des plages de Mbour le samedi 8 septembre en milieu d'après-midi, en direction des îles Canaries. « C'est désastreux ce qu'il se passe à Mbour. Les pertes sont énormes. On ne peut pas imaginer des jeunes, même pas 30 ans, qui sont morts », a expliqué au correspondant de RFI Cheick, un Sénégalais qui affirme connaître une vingtaine de personnes ayant pris place dans la pirogue.

Deux autres pirogues interceptées

À la morgue, le désespoir se lisait sur les visages des parents et amis venus s'informer pour certains ou débuter la procédure de retrait des corps pour d'autres. Souvent à ce chagrin se mêlait la colère de voir ces drames se répéter. L'impuissance des autorités à créer des emplois pour donner des raisons aux jeunes de rester dans leur pays est régulièrement pointée par les parents des victimes. Mais pour Mohamed Baro, conseiller municipal à Mbour, ce drame a également été alimenté par la limitation drastique des visas dans les consulats occidentaux. « C'est une catastrophe qui malheureusement va se reproduire car ces jeunes sont déterminés à partir. Il y a quelque temps, ces jeunes partaient de Gambie ou ailleurs, mais ce qui s'est passé hier, c'est qu'ils sont partis de la plage même de Mbour. En Afrique et au Sénégal particulièrement, nous avons toujours des difficultés pour obtenir des visas. Et ce ne sont pas d'habitude des badauds qui entreprennent le voyage, ce sont des enfants qui se débrouillent, qui ont un métier, qui devraient normalement voyager sans avoir besoin de vivre certaines péripéties », estime-t-il.

Signe de cette détermination, la marine sénégalaise a arraisonné deux pirogues transportant 421 passagers, dont 20 enfants alors que les recherches des corps de naufragés se poursuivait.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le capitalisme au village. Pétrole, État et luttes environnementales en Amazonie

17 septembre 2024, par Doris Buu-Sao — , ,
Avec son ouvrage intitulé Le capitalisme au village. Pétrole, État et luttes environnementales en Amazonie (CNRS éditions), la sociologue Doris Buu-Sao invite à rompre tant (…)

Avec son ouvrage intitulé Le capitalisme au village. Pétrole, État et luttes environnementales en Amazonie (CNRS éditions), la sociologue Doris Buu-Sao invite à rompre tant avec les lectures unilatérales célébrant l'héroïsme de la résistance indienne au Pérou qu'avec le regard désabusé de celles et ceux qui déplorent l'incapacité d'un peuple à reprendre en main son destin.

Pour restituer cette complexité, elle met en lumière le déploiement de l'État et du capitalisme « par le bas ». Sa longue enquête de terrain, dans le nord du Pérou, révèle la variété des interactions entre les villages autochtones et l'industrie pétrolière, et permet d'éclairer la manière dont l'ordre politique et économique est produit, mais aussi contesté au quotidien. Nous publions ici la conclusion de son livre.

10 septembre 2024 | tiré du site contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/capitalisme-village-petrole-etat-luttes-environnementales-amazonie/

Des Quechuas employés comme ouvriers dans des installations pétrolières ; des leaders indigènes en mouvement entre des réseaux militants transnationaux et leur village d'origine ; des évangélistes prêchant la parole de Dieu lors de rassemblements face à la pollution industrielle ; des salarié·es d'ONG qui joignent leurs efforts pour changer les politiques publiques ; des réservistes, travailleur·ses et habitant·es de communautés natives qui revendiquent leurs droits en tant qu'indigènes de la frontière péruvienne… Autant de portraits qui ont dessiné, au fil des pages, un tableau nuancé de la rencontre des sociétés amazoniennes avec l'industrie extractive. Au terme de ce parcours, le « capitalisme au village » se matérialise dans une variété de situations, de l'extraordinaire des moments de protestation à l'ordinaire du voisinage avec le monde industriel. Bien qu'ambivalentes, ces interactions n'en sont pas moins porteuses de profondes transformations dont la portée dépasse largement l'enceinte du site pétrolier.

Au microscope des villages du Pastaza, la pénétration du capitalisme en Amazonie apparaît finalement comme un processus complexe dans lequel les habitant·es et leurs porte-parole jouent un rôle actif. Face aux compagnies pétrolières qui viennent développer leur activité, ils et elles font preuve d'une capacité à se mobiliser mais aussi à s'approprier des principes d'organisation économique promus par les salarié·es des relations communautaires. L'implantation des entreprises communales dans les villages selon des logiques hybrides, entre la conformation à l'ordre industriel et la subversion, nourrit des identités collectives singulières qui peuvent à leur tour constituer un support de mobilisation. Face aux pouvoirs publics, les leaders indigènes et leurs bases ont appris à revendiquer des droits, questionnant ouvertement la légitimité de (hauts) représentants de l'État péruvien. Ils et elles identifient les autorités péruviennes comme les principales responsables du développement de l'économie extractive en Amazonie, faisant preuve d'inventivité et de sens critique pour obtenir des réponses à leurs revendications. Dans le cours d'interactions répétées, dirigeant·es, assesseur·es et habitant·es sont peu à peu socialisé·es à des manières de faire et des catégories conceptuelles issues de l'idée d'État et de sa bureaucratie. En se mobilisant, ils et elles contribuent à leur manière à la production d'un ordre national dans lequel s'entremêlent le développement de l'industrie extractive et la formation de l'État péruvien.

L'extractivisme tel qu'il a été appréhendé dans ce livre est donc indissociablement économique et politique : il désigne autant des activités productives qu'un ensemble de politiques publiques qui les soutiennent, qu'elles portent sur l'industrie, la fiscalité, l'aménagement du territoire, etc. Le capitalisme est profondément politique, au sens où il alimente la structuration d'un ordre social inégalitaire et asymétrique, et où son existence dépend de l'État, garant des droits de propriété comme des moyens de l'échange[1]. Tout en souscrivant à ce postulat au cœur de l'économie politique, la perspective développée ici accorde une place centrale au social dans lequel s'encastrent toujours l'économique et le politique, en dépit de la séparation – socialement construite – de ces domaines en des entités ontologiquement distinctes[2].

L'entrelacement du politique et de l'économie autour de l'extraction des ressources naturelles se fait certes à l'échelle de l'industrie dans son ensemble et des politiques publiques qui la soutiennent[3]. Mais l'articulation apparaît sous un autre jour quand le regard se porte sur les territoires au sein desquels l'extractivisme se matérialise. Vues depuis les villages amazoniens, l'extraction pétrolière et les frictions qu'elle suscite apparaissent comme des moteurs de la formation de l'État par l'intermédiaire de leurs habitant·es – depuis l'appropriation active de l'entreprise communale jusqu'à la mobilisation.

L'attention accordée à la territorialité de l'extractivisme et, en particulier, à la capacité d'action des populations locales, enrichit ainsi la compréhension de la portée profondément politique des industries extractives. Si Timothy Mitchell a bien montré comment l'économie du charbon puis celle du pétrole ont façonné nos démocraties contemporaines, conditionnant l'exercice du pouvoir comme sa contestation[4], le regard ethnographique souligne le rôle joué par les habitant·es des espaces extractifs, nuançant de la sorte une analyse qui peut, par moment, tendre vers un déterminisme excessif. C'est ce qu'expriment bien les femmes et hommes du Pastaza qui affirment avoir réussi à faire s'« asseoir l'État ». À l'issue de la mobilisation de 2012, ils et elles ont en effet obtenu la venue d'une délégation composée de ministres qui se sont « assis·es » pour écouter leurs revendications concernant la pollution industrielle ainsi que la situation d'abandon étatique dans laquelle ils se sentent. Mais par leur action protestataire et de négociation, et par les catégories étatiques qu'ils et elles s'approprient pour formuler leurs demandes, les habitant·es contribuent aussi à asseoir l'emprise de l'État et, dès lors, la légitimité des politiques extractives.

Au plus près des activités extractives, sur les sites industriels et à leurs abords, se joue ainsi une micropolitique de la nature qui touche à l'organisation de la société, aux manières de subvenir à ses besoins, d'en définir les principes, les valeurs et les modalités d'appartenance. L'industrie pétrolière se nourrit de logiques d'expropriation de la nature, d'exploitation du travail mais aussi de socialisation à l'ordre économique capitaliste, au croisement de l'espace industriel, villageois et domestique[5]. Dans le même temps, cette micropolitique de la nature éclaire la contribution de dynamiques locales (en termes de sociabilités ordinaires, d'organisation du travail ou d'action collective) à la production de l'ordre politique et économique ainsi qu'à sa contestation. Elle souligne de la sorte l'indétermination d'un ordre extractif dont la continuité dépend des espaces sociaux et biophysiques dans lesquels il se déploie.

*

À l'heure où paraît ce livre, voilà plus de trois ans que la production de pétrole dans le lot 1-AB, renommé « lot 192 » par l'administration péruvienne, est paralysée. La pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement ont fait s'effondrer les cours du pétrole et la rentabilité de l'extraction, pourtant déclarée comme de « première nécessité » par le gouvernement péruvien au début de la crise sanitaire. À l'interruption conjoncturelle de l'activité à Andoas, en mars 2020, s'ajoutent des obstacles plus structurels à la reprise de la production. Le lot 192 a changé trois fois de mains depuis 2015, date à laquelle le contrat de Pluspetrol est parvenu à son terme. Depuis février 2023, c'est désormais Petroperú, entreprise pétrolière d'État restée à l'écart de l'exploitation pétrolière pendant des décennies, qui annonce une reprise de la production sans encore y être parvenue[6].

Chaque changement de titulaire du permis pétrolier a ravivé les mobilisations. À quatre reprises, des centaines d'habitant·es d'Andoas, de Capahuari et de Los Jardines ont occupé les installations pétrolières et bloqué la production pendant plusieurs semaines. Ils et elles ont exigé jusqu'à un million de soles (250 000 euros) de droits de servitude pour l'utilisation des territoires communaux, ainsi que le respect des engagements pris par l'administration péruvienne et la mise en place d'une consultation préalable à chaque nouveau contrat d'exploitation. Andrés, toujours à la tête de la Fédération quechua, exige aujourd'hui le respect de l'accord de consultation préalable signé en août 2021 avec l'agence péruvienne du pétrole, Perúpetro. L'accord inclut notamment un vaste plan de restauration des sites pollués et un programme sanitaire pour réparer les dommages infligés à la population. Ces mesures n'ont toujours pas été mises en œuvre. Tandis que l'électricité ou les emplois offerts par les compagnies pétrolières se sont taris avec l'arrêt de la production, les substances toxiques continuent de s'accumuler autour des infrastructures pétrolières.

Jusqu'à présent, aucune des entreprises privées qui ont exploité le gisement ne s'est acquittée des mesures de restauration exigées par les agences péruviennes de régulation environnementale. Pluspetrol a engagé la liquidation de ses actifs au Pérou afin de s'y soustraire, en décembre 2020, et la Cour d'arbitrage international saisie par l'administration péruvienne a récemment statué en faveur de l'entreprise pétrolière. Le coût de la restauration des sites pollués, estimé à plusieurs centaines de millions de dollars[7], sera probablement porté par l'État péruvien. Pendant ce temps, malgré l'interruption de la production, les déversements accidentels de pétrole continuent de se multiplier. Après un demi-siècle d'utilisation, les infrastructures oxydées et mal entretenues du site pétrolier cèdent de plus en plus souvent à la corrosion.

En février 2022, les organisations indigènes comptabilisaient 35 déversements survenus en seulement un an, alors que Perúpetro, l'agence responsable de la gestion des permis pétroliers, avait provisoirement la charge de la maintenance du site à l'arrêt – soit plus du tiers des 95 déversements recensés par l'État péruvien, entre 2000 et 2015, sous la responsabilité de Pluspetrol. En avril 2023, deux semaines après le premier déversement survenu sous sa responsabilité, Petroperú, désormais titulaire du permis d'exploitation, justifiait son inaction par l'insuffisance de son budget face à l'ampleur de l'accident. Le pétrole s'était répandu sur 400 km2 de forêt et le long de 17 km de rivière. Des installations à l'abandon, des sites intoxiqués, des habitant·es sans emploi, des organisations indigènes mobilisées, des promesses de reprise d'une activité à la rentabilité douteuse par une entreprise publique, des milliards de soles de dépenses de restauration dont l'État péruvien devra se charger : voilà donc ce qui reste aujourd'hui d'un demi-siècle d'extraction pétrolière.

L'ethnographie de l'abandon du site pétrolier par les entreprises privées passées, des promesses paradoxales de restauration écologique et de relance de la production, et des perspectives de démantèlement à plus ou moins long terme reste à faire[8]. À distance, on entrevoit néanmoins la capacité durable de mobilisation voire de blocage des habitant·es de l'espace pétrolier. Les dynamiques factionnelles continuent de favoriser l'émergence d'organisations rivales qui se disputent la représentation des villages de l'amont du fleuve Pastaza avec la Fédération quechua. L'une de ces structures dissidentes, critique de la plateforme PUINAMUDT à laquelle appartient la Fédération quechua, est présidée par un des gérants d'entreprise communale rencontré au fil des chapitres de ce livre. Les défections et les disputes qui se rejouent localement entre familles, leaders et villages n'empêchent toutefois pas l'appropriation des revendications portées dans les mobilisations menées par Andrés Cahuaza – en particulier les exigences en termes de compensation économique, de restauration écologique, de programmes sanitaires et éducatifs et de consultation préalable.

Depuis plus d'un an, les leaders de la Fédération quechua et les autorités communales qui leur sont restées fidèles expriment leur opposition à la reprise de l'extraction pétrolière si leurs revendications ne sont pas satisfaites. « D'abord la vie, ensuite le pétrole » : ainsi se conclut la déclaration, adressée en février 2022 aux autorités péruviennes, dans laquelle il est annoncé qu'« aucune entreprise pétrolière ne pourra venir sur notre territoire exploiter le lot 192 » si l'État ne respecte pas les engagements pris dans le cadre de la consultation préalable qui a abouti six mois plus tôt[9]. Face aux promesses de création d'emplois et de programmes sociaux pour les populations locales en cas de relance de la production pétrolière, il n'est toutefois pas certain que cet ultimatum se traduise par un véritable blocage de la reprise extractive. Ce qui semble inéluctable est le démantèlement progressif de l'extraction pétrolière dans ce site dont la capacité de production diminue de manière inversement proportionnelle à la corrosion et à l'obsolescence des infrastructures. La question qui se pose est alors ce qui restera de ces territoires dans lesquels le capitalisme extractif a durablement transformé l'environnement biophysique, les modes de vie et les aspirations.

La question de l'après-pétrole, posée depuis des décennies par la perspective de franchissement du pic pétrolier, ravivée par l'impératif de transition énergétique, prend une autre tournure quand elle est abordée depuis l'Amazonie péruvienne. Les autorités gouvernementales continuent d'y promouvoir le développement de l'industrie pétrolière dès lors qu'elle pourrait « contribuer à la sécurité énergétique du pays[10] ». Les efforts pour sauver à tout prix cette industrie extractive se heurtent toutefois à la perte de rentabilité d'opérations qui, pour des gisements anciens comme celui d'Andoas, sont confrontées au vieillissement d'infrastructures très coûteuses à entretenir et à l'épuisement des réserves – en 2020, 8 000 barils étaient extraits quotidiennement, contre plus de 100 000 dans les années 1980. Si la décarbonation de l'économie ne semble donc pas la priorité du gouvernement péruvien, les limites biophysiques posées à la production de pétrole annoncent à terme l'abandon des anciens sites d'extraction.

Sur les rives du Pastaza, avec l'interruption brutale de la production pétrolière, depuis mars 2020, et les incertitudes qui entourent la suite des opérations, les populations en première ligne de l'extractivisme sont aussi les premières à souffrir de ses transformations. Alors qu'elles ont été progressivement intégrées à l'économie de marché, socialisées au salariat et se sont approprié la rationalité capitaliste à travers les entreprises communales, elles sont aujourd'hui privées d'électricité et de revenus monétaires. L'environnement biophysique, qui continue d'être intoxiqué par les déversements de pétrole, peut difficilement couvrir les besoins alimentaires des habitant·es du Haut Pastaza. Comme dans d'autres régions du monde qui, pour leurs mines de charbon, leurs sites métallurgiques ou leurs usines automobiles, ont constitué des berceaux du capitalisme fossile, l'arrêt de l'extraction ne met pas fin à la dévalorisation écologique et sociale des espaces concernés.

Le démantèlement global du capitalisme fossile paraît certes encore bien loin. Le pétrole reste le principal moteur d'un modèle économique qui repose toujours sur la consommation massive d'hydrocarbures et de charbon[11]. Pour autant, les énergies renouvelables attirent une part croissante des investissements mondiaux. Dans un rapport de 2023, l'Agence internationale de l'énergie annonce ainsi que, pour la première fois, les capitaux investis dans des énergies labellisées comme « propres » dépasseront les montants placés dans les énergies fossiles[12]. Or, au-delà des discours sur la dématérialisation et la décarbonation de la croissance mondiale, il faut des métaux pour produire des ordinateurs, des éoliennes ou des batteries de voiture électrique, et de l'énergie pour activer les machines qui extraient et transforment les matières premières. De l'altiplano bolivien au désert chilien, de la Copperbelt qui s'étend entre la Zambie et le Congo à la ceinture pyriteuse qui traverse le Portugal et l'Andalouie, nombreux sont les espaces où se (re)déploient des activités minières à la faveur des promesses technologiques d'une transition énergétique gourmande en une multitude de métaux, du cuivre au lithium. La production d'énergie renouvelable par des installations photovoltaïques ou des éoliennes dépend par ailleurs d'infrastructures qui, pour une même quantité d'énergie produite, s'étendent sur des territoires de plus en plus vastes.

Y compris à l'heure de la « transition écologique », le capitalisme global dépend donc toujours du déploiement de projets industriels dans des territoires ciblés pour les ressources qu'ils renferment, qu'il s'agisse de minerais, de vent, de soleil ou d'espaces offerts aux infrastructures de la transition. Ces investissements constituent un terrain propice pour interroger les reconfigurations d'un modèle économique qui, au nom de la « croissance verte », promet d'étendre la frontière extractive toujours plus loin – dans les profondeurs sous-terraines, sous-marines et même dans l'espace. L'analyse des appropriations, subversions et contestations du capitalisme extractif en Amazonie péruvienne enrichira la compréhension de ces redéploiements industriels. Elle contribuera à éclairer, en temps de crise économique, sociale et écologique, les transformations du capitalisme et des politiques qui s'y articulent, mais aussi leurs fragilités.

Notes

[1] B. Jessop, The Future of the Capitalist State, Cambridge, Malden, Blackwell Pub, 2002 ; C. Hay, A. Smith, « Introduction. Le rapport capitalisme-politique », dans Dictionnaire d'économie politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.

[2] K. Polanyi, La Grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 2009. Bien qu'elle soit une fiction sociale, cette séparation n'en a pas moins de puissants effets en termes de légitimation de l'ordre social. Voir notamment : T. Mitchell, « Society, economy, and the state effect », art. cité.

[3] A. Bebbington et al., Governing Extractive Industries. Politics, Histories, Ideas, Oxford, Oxford University Press, 2018.

[4] T. Mitchell, Carbon democracy. Le pouvoir politique à l'ère du pétrole, Paris, La Découverte, 2013.

[5] L'articulation des processus d'expropriation de la nature et d'exploitation du travail humain, tant productif que reproductif, a été mise en lumière par les écoféministes matérialistes et, plus récemment, par les théories écomarxistes. Voir notamment M. Mies, Patriarchy and Accumulation on a World Scale. Women in the International Division of Labour, Londres, Zed Books, 2014 et B. Clark, J. B. Foster, Le Pillage de la nature, Paris, Éditions critiques, 2022.

[6] Au départ de Pluspetrol, une compagnie canadienne (Pacific Stratus Energy, devenue Frontera Energy) obtient les droits d'exploitation. Le contrat initial de deux ans est prolongé jusqu'en février 2021. À son départ, Perúpetro, l'agence péruvienne en charge de la gestion des contrats pétroliers, reprend la maintenance du site inactif d'Andoas. En février 2023, elle accorde la licence d'exploitation à Petroperú, qui devra cependant s'associer à un partenaire privé pour produire – l'entreprise d'État, qui s'est chargée ces dernières décennies du raffinage, du transport et de la distribution de pétrole, est considérée par Perúpetro comme insolvable et insuffisamment équipée pour assumer des activités d'extraction.

[7] PNUD, Estudio técnico independiente del ex lote 1AB : lineamientos estratégicos para la remediación de los impactos de las operaciones petroleras en el ex lote 1AB, Loreto, Perú, 2018.

[8] Le dernier séjour d'enquête a eu lieu en 2014, dans le cadre de la recherche doctorale dont les résultats sont publiés ici. Depuis, quelques échanges à distance et le suivi de la presse en ligne ont permis d'actualiser la connaissance de la situation.

[9] Déclaration des communautés achuares et quechuas réunies le 24 février 2022 à Andoas. https://observatoriopetrolero.org/comunidades-indigenas-del-lote-192-se-declaran-en-protesta-y-anuncian-acciones-legales-por-incumplimiento-de-acuerdos-de-consulta-previa/

[10] Proposition de loi de la Commission de l'énergie et des mines du Congrès de la République, intitulée « Loi qui déclare d'intérêt national la souscription de contrats d'hydrocarbures pour le développement et la consolidation de l'industrie pétrolière afin de contribuer à la sécurité énergétique du pays », présentée en mai 2023.

[11] En 2020, la production de pétrole satisfaisait 29 % de l'énergie consommée sur la planète, devant le charbon (27 %) et du gaz naturel (24 %) – l'énergie d'origine hydraulique, solaire ou éolienne ne représente, elle, que 6 % du mix énergétique mondial. Agence internationale de l'énergie, https://www.iea.org.

[12] L'AIE annonce que 1 700 milliards de dollars seront investis dans les énergies renouvelables, les véhicules électriques mais aussi le nucléaire, tandis que 1 000 milliards de dollars seront destinés à l'extraction de charbon et d'hydrocarbures. Agence internationale de l'énergie, World Energy Investment 2023 : https://www.iea.org/reports/world-energy-investment-2023

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Venezuela. Un régime « civilo-militaire-policier »

17 septembre 2024, par Emiliano Tran Montovani, Raúl Zibechi — , ,
Emiliano Terán Mantovani est l'une des voix critiques les plus influentes et les plus indépendantes au Venezuela, aujourd'hui. Sociologue à l'Université centrale du Venezuela, (…)

Emiliano Terán Mantovani est l'une des voix critiques les plus influentes et les plus indépendantes au Venezuela, aujourd'hui. Sociologue à l'Université centrale du Venezuela, Emiliano Terán Mantovani a collaboré à des initiatives telles que l'Atlas de la justice environnementale et le Groupe scientifique pour l'Amazonie. Il n'a pas été facile d'organiser cet entretien, car il doit agir avec une extrême prudence face à la militarisation écrasante que connaît le pays.

5 septembre 2024 | tiré du site alencontre.org | Photo : Nicolas Maduro et Maria Corina Machado
http://alencontre.org/laune/venezuela-un-regime-civilo-militaire-policier.html

Raúl Zibechi : Comment caractériseriez-vous le gouvernement de Maduro ?

Emiliano Terán Mantovani : Depuis le 28 juillet 2024, une fraude électorale a été réalisée au Venezuela dont on parlera beaucoup quand on se souviendra des plus grandes fraudes électorales de l'histoire contemporaine de l'Amérique latine, comme la « chute du système » au Mexique [1] celle d'Alberto Fujimori [en 2000] au Pérou, ou quelques cas insolites en Amérique centrale. Aujourd'hui, une reconfiguration du régime politique est proposée afin de pouvoir gouverner dans des conditions d'illégitimité sociale, politique et internationale complète. Il s'agit d'une reconfiguration dangereuse car elle vise à pousser la répression et le contrôle social à des niveaux inusités.

Permettez-moi tout d'abord de dire d'où nous venons, afin de voir où nous pourrions aller. Le gouvernement de Maduro a évolué au cours des 11 dernières années d'une manière qui tend de plus en plus vers la décadence, dans tous les sens du terme. Il a pulvérisé le cadre des droits sociaux, cherchant à étouffer toute dissidence politique et sociale, avec une répression brutale de l'ensemble du camp populaire, même si vous êtes un chaviste critique. Le Venezuela a été gouverné en vertu d'un état d'urgence permanent : un état d'urgence légal, par décret, qui a duré plus de cinq ans, de 2016 à 2021, quelque chose de totalement anti-constitutionnel, mais qui, paradoxalement, a été normalisé.

En outre, l'architecture du pouvoir a été façonnée par une restructuration progressive de l'Etat. Le point de départ réside dans l'Etat corporatiste et militariste façonné sous le gouvernement d'Hugo Chávez, ses manières autoritaires et verticales de faire de la politique, qui posent comme principe fondamental la plus grande loyauté envers le dirigeant avant toute chose. Les structures et les réseaux de corruption de l'Etat constituent également un facteur antérieur important. Ces éléments ont trouvé une continuité dans le gouvernement de Maduro, mais désormais sans le charisme et la légitimité politique de Chávez, sans les énormes revenus pétroliers qui étaient autrefois disponibles, et dans le contexte de l'effondrement structurel du Venezuela. Tout a commencé à être imposé principalement par la contrainte et la violence.

L'Assemblée nationale, largement remportée par l'opposition en 2015, a été ignorée et une Assemblée nationale parallèle a été créée en 2017 ; des entreprises aux mains des militaires ont été créées en vue de l'appropriation et de la gestion directes et privées de la richesse. La grande pauvreté engendrée par la crise a été utilisée politiquement, en mettant en place des canaux institutionnels pour l'attribution sélective de la richesse aux fonctionnaires de l'Etat et aux partisans du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). L'accès à l'information a été supprimé

De nombreuses forces de sécurité étatiques et para-étatiques ont été installées, une structure de corruption et de pouvoir incontesté, et cela dans un environnement d'impunité et de militarisation maximales. Ce qui a abouti, également, à consolider la dérive mafieuse de l'Etat. Tout cela était justifié au nom de la « défense de la révolution et du socialisme » et de la « lutte contre la droite ». Nous avons donc assisté à un changement de régime de l'intérieur et à la consolidation d'une dictature d'un nouveau type, un régime de type patrimonial et oligarchique, qui favorise à son tour l'appropriation directe des richesses régionales afin de maintenir les loyautés provinciales [le Venezuela compte 23 structures administratives provinciales]. Le Venezuela est dès lors gouverné comme une hacienda, une image qui rappelle les régimes politiques du dernier quart du XIXe siècle et du premier quart du XXe siècle en Amérique du Sud.

R.Z. Toutefois, certains considèrent ce régime comme étant de gauche.

Rien ne permet d'affirmer qu'il s'agit d'un gouvernement progressiste, et encore moins d'un gouvernement de gauche. Il y a une importante libéralisation de l'économie, avec parmi d'autres facteurs : la promotion et la protection des capitaux transnationaux, de larges exemptions fiscales, des privatisations discrètes, la promotion de zones économiques spéciales, la création d'un Venezuela VIP (tourisme, restaurants, bars, voyages, camionnettes de luxe) réservé aux étrangers, aux hommes d'affaires et aux hauts fonctionnaires de l'Etat ; la dégradation programmée des salaires, en les maintenant en bolivars alors que l'économie est totalement dollarisée ; l'abandon du secteur public. Fedecámaras [Federación de Cámaras y Asociaciones de Comercio y Producción de Venezuela], la principale structure entrepreneuriale du pays – qui a toujours été considérée comme le grand ennemi de Chávez – est maintenant une amie du régime de Maduro. En analysant les diverses mesures économiques, nous pouvons affirmer que nous sommes confrontés à l'une des restructurations néolibérales les plus agressives de la région, bien qu'il ne s'agisse en aucun cas d'un néolibéralisme traditionnel. L'évolution d'un système autoritaire et la néolibéralisation de l'économie sont deux facteurs d'un même processus de changement de régime au Venezuela. L'un est fonction de l'autre.

En plus des hommes d'affaires, il faut ajouter : la nouvelle alliance du régime de Maduro est avec les églises évangéliques, comme Jair Bolsonaro l'a fait au Brésil ; le chavisme a critiqué Álvaro Uribe, l'ancien président colombien [d'août 2002 à août 2010], mais Maduro a déployé un réseau de groupes de choc paramilitaires similaires. En effet, Maduro a récemment annoncé que son pouvoir reposait sur une alliance « civile-militaire-policière ». En ces jours marqués par les protestations populairse, les camps de travail forcé pour les « terroristes » et les « auteurs de coup d'Etat » sont mis en avant, rappelant le Nayib Bukele du Salvador [président depuis le 1er juin 2019]. Les deux gouvernements qui ont le plus favorisé la destruction des droits en Amériquedu Sud aujourd'hui sont précisément ceux de Javier Milei [en Argentine, il est en fonction depuis décembre 2023] et de Nicolás Maduro.

Je crois que certains activistes de gauche qui continuent à le soutenir n'ont même pas réussi à comprendre le niveau de décadence et de conservatisme, et la dérive mafieuse de ce régime. Et ils finissent par être entraînés par cette décadence, en soutenant ce désastre et en sapant leur propre crédibilité. C'est le symptôme d'une erreur d'orientation historique qui doit nous ramener à la question de savoir ce qu'est la gauche dans cette crise, qui est une crise mondiale. Quel est le sens historique de la gauche aujourd'hui, ce qu'elle représente, qui elle incarne et défend, comment elle comprend la relation entre l'éthique et la politique, comment elle répond à ce monde changeant et violent.

La deuxième conclusion est que ce régime de corruption, d'abus, de précarisation de la vie et de violence répressive [2]est compris et ressenti par la grande majorité des Vénézuéliens comme un cauchemar. Un cauchemar dont ils veulent voir la fin. C'était l'un des facteurs préalables cette élection du 28 juillet : une lassitude populaire maximale à l'égard du gouvernement de Maduro, une insatisfaction jamais vue au cours des 25 années du processus bolivarien ont créé cette masse critique de mécontentement généralisé incontestable et qui s'est traduite de manière flagrante dans les élections. Dans tous les secteurs sociaux des Vénézuéliens on a voté massivement contre Maduro, qu'ils soient d'origine rurale ou urbaine, jeunes ou âgé·e·s, les plus précaires, ou membres des classes moyennes ; que ce soit à Caracas, dans les Andes, dans les Llanos [région centrale du Venezuela, comprenant, entre autres, les Etats de Guárico, Cojedes et Apure], en Amazonie ; qu'ils proviennent de différents secteurs de la gauche, du centre, de la droite, de milieux religieux ou athés, tous, avec une force sans précédent dans l'histoire électorale vénézuélienne.

Cela ne semble pas être compris par une partie de la gauche, qui a tristement criminalisé les manifestations populaires dans les quartiers les plus pauvres du pays, les qualifiant d'« ultra-droite », ce qui renforce les mécanismes de répression et de persécution en cours. Et, dans d'autres cas, ces fractions dites de gauche infantilisent et mésestiment la population, affirmant qu'il s'agit de personnes confuses, manipulées et dépourvues de jugement, qui livrent le pays aux Etats-Unis. Elles ne disposent d'aucune approche autocritique ni d'un minimum de compréhension de la faillite de ce projet politique chaviste pour que les gens fuient en passant les frontières. Aucune autocritique qui conduirait à une réflexion profonde sur les erreurs commises par les gouvernements bolivariens. Au contraire, je constate que cette partie de la gauche s'obstine sans cesse à faire peser sur les épaules du peuple vénézuélien le poids de ces échecs et de le soupçonner car il proteste contre le manque d'eau, contre son salaire de misère ou parce qu'il veut que son vote soit respecté. Et ces fractions lui disent qu'il « fait le jeu de la droite », en répétant sans cesse ce type de chantage. Pour ces membres de cette gauche, le peuple n'a pas le droit de se rebeller, il doit se taire et soutenir le gouvernement… jusqu'à la fin des temps.

R.Z. Où va le régime ?

Ce à quoi nous assistons probablement est une nouvelle réorganisation politique, plus radicale, plus extrémiste, pour le contrôle de la population. Les garanties constitutionnelles sont de facto suspendues. Les porte-parole du gouvernement eux-mêmes ont fait état de plus de 2 200 arrestations en quelques jours, en dehors de toute procédure légale, touchant l'ensemble du spectre social et politique du pays. Les forces de sécurité arrêtent les passants pour vérifier si leur téléphone ne contient pas de contenu anti-gouvernemental afin de les arrêter. Des mécanismes de délation sociale ont été mis en place pour dénoncer les opposant·e·s. Une application a même été créée pour afficher leurs noms, adresses et photos. Les maisons de ceux qui protestent ou s'opposent au gouvernement ont été marquées.

Par ailleurs, sur la base des discours officiels et des déclarations des agences de sécurité, des contenus sont diffusés pour effrayer la population, annonçant qu'« elles vont venir vous chercher » ; et des prisonniers en tenue d'incarcéré sont filmés – imitant de la sorte les opérations du salvadorien Bukele – au moment où ils crient des slogans pro-gouvernementaux. Les réseaux sociaux font l'objet d'une surveillance stricte et un Conseil national de cybersécurité a été créé pour officialiser cette surveillance. Une loi a été adoptée pour contrôler les ONG.

Comme on peut l'imaginer, la population vénézuélienne est terrifiée et en état de choc. Voilà le contenu de ce que le gouvernement Maduro a appelé une nouvelle alliance « civile-militaire-policière ». Nous vivons dans une société totalement policée, quasi orwellienne. Le régime cherche à contrôler toutes les sphères et toutes les expressions de la société. Dans quelle mesure cette situation est-elle viable à long terme ? Il est difficile de le savoir, mais ce qui est clair, c'est que dans ce scénario, le conflit se situe au plus profond de la subjectivité, de l'intégrité subjective. C'est de la biopolitique à l'état pur. Le corps-sujet est un otage dans son propre pays.

R.Z. Comment caractérisez-vous l'opposition menée par María Corina Machado ?

María Corina Machado a un programme politico-économique néolibéral orthodoxe de privatisations massives et d'alliances avec le capital international, ainsi qu'une proximité géopolitique avec les Etats-Unis et ce que ces secteurs appellent le « monde libre ». C'est une femme issue des classes économiques supérieures, d'une famille d'importants hommes d'affaires. Sa position sur le processus bolivarien a toujours été classiste, rupturiste et conflictuelle, même s'il est certain que, pour se rendre plus acceptable et élargir le spectre de ces alliances, elle s'est récemment déplacée vers des positions plus modérées. Dans tous les cas, il convient de souligner que le récent affrontement électoral et politique pour les Vénézuéliens s'est déroulé entre deux forces néolibérales. Cela nous montre le type de croisée face à laquelle le peuple vénézuélien s'est trouvé et continuera de se trouver pour le moment. S'affirme le profond besoin de construire progressivement une alternative politique à cela, une voie de revendication populaire et souveraine qui cherche également à changer le modèle de société, qui commence sérieusement à penser au-delà du pétrole et de l'extractivisme.

Mais il y a des nuances sur l'opposition qui doivent être mentionnées, afin d'opérer une interprétation actualisée. Nous ne sommes pas en 2017. Bien que la grande majorité de la population rejette le gouvernement, nous ne sommes pas face à deux blocs politiques forts qui s'affrontent sur un certain pied d'égalité. Le gouvernement de Maduro actuellement contrôle tout : les forces armées et les forces de sécurité, le pouvoir judiciaire, le pouvoir électoral, le pouvoir législatif, la grande majorité des gouvernements régionaux [Etats] et municipaux, les médias nationaux, l'industrie pétrolière, tout. Tout. La vérité est que la situation de 2017 ou même de 2019 ne peut être comparée à la présente.

Le secteur de l'opposition que María Corina Machado dirige aujourd'hui n'est pas homogène. Machado n'en a pas le contrôle total et a fait face à de nombreux adversaires politiques internes. Pour les élections, elle a réussi à faire l'unité avec les autres acteurs de la coalition, mais il est difficile de savoir si cette unité tiendra, compte tenu de leurs antécédents conflictuels. A ce jour, il n'y a pas de consensus sur son programme économique « orthodoxe », puisque, par exemple, tout le monde n'est pas d'accord sur la privatisation de PDVSA [Petróleos de Venezuela, SA]. Si l'opposition actuelle prenait le pouvoir présidentiel, le chavisme contrôlerait toujours la Cour suprême, l'Assemblée nationale, le Conseil électoral et les autres branches du gouvernement. Même si María Corina Machado était au pouvoir, elle devrait probablement faire face au chavisme comme opposition. Et elle serait même face à une population vénézuélienne qui n'a pas été historiquement encline aux idées néolibérales, mais plutôt à une culture politique anti-oligarchique. Se poserait également la question du niveau de soutien militaire à María Corina Machado, compte tenu de l'antipathie réciproque de longue date. Le contexte vénézuélien est très instable et fragmenté. C'est probablement ce qu'une partie de la gauche et divers mouvements sociaux ont évalué lorsqu'ils ont décidé qu'ils préféraient affronter un gouvernement de Machado plutôt que de Maduro.

R.Z. Comment voyez-vous l'avenir ? Une guerre civile est-elle possible ?

Un premier scénario se résume à ce que Maduro reste au pouvoir, grâce à trois facteurs : 1° un régime de répression brutale qui empêche l'émergence d'une force dissidente significative ou d'une alternative politique forte ; 2° un régime qui sait déjà gérer le pays avec un coût politique très faible, c'est-à-dire qu'il sait gouverner dans un contexte d'effondrement et de chaos, et ne se soucie pas beaucoup des mises en question et de l'isolement international. La population vénézuélienne en est la grande perdante ; 3° un régime qui parvient à consolider certains circuits commerciaux internationaux pour ses ressources naturelles, en tenant compte de certaines licences pétrolières et gazières qui pourraient être maintenues compte tenu des besoins énergétiques mondiaux, du soutien de la Chine, de l'Iran, de la Turquie, de la Russie, entre autres, ainsi que de la commercialisation d'autres matières premières, et qui attend que les eaux se calment pour inviter plus ouvertement de nouveaux investisseurs internationaux. Ce n'est pas la première fois que la cruauté de l'extractivisme soutient et légitime des dictatures.

Le gouvernement de Maduro a tenté de reconquérir certains de ses anciens électeurs par le biais de divers mécanismes clientélaires ou de discours démagogiques. Et, plus avant, se profilera ce à quoi nous avons assisté : une érosion durable de son soutien, une débâcle totale. Il n'est pas improbable qu'un scénario de rupture se dessine tôt ou tard, même si, je le répète, nous ne savons ni quand ni quelle forme prendra cette rupture.

Une autre question concerne les déplacements au sein du bloc gouvernemental, qui a également été lent et qui, ces derniers jours, s'est traduit dans des manifestations publiques de mécontentement, comme celle de Francisco Arias Cárdenas [ambassadeur au Mexique] ou du ministre de la culture, Ernesto Villegas. Il est évident qu'au cœur des questions qui se posent, il y a celles des dissensions internes, y compris dans le secteur militaire, qui auront une influence déterminante sur la crise. Les dénouements de cette situation ne seront pas le fruit de la seule inertie. Ce sont les capacités de mobilisation qui leur donneront forme et dynamisme. Il reste à voir comment évolueront les résistances sociales, comment le mécontentement, la peur et la terreur que les gens éprouvent seront canalisés, que ce soit sous l'emprise de tendances à la paralysie et à l'accoutumance, ou au travers d'autres expressions du malaise, de la rage, du sentiment de ne pas avoir d'avenir et d'une nouvelle forme de ras-le-bol qui mobilisera sans doute des formes beaucoup plus intenses et inconnues. La créativité sociale et la persévérance seront cruciales pour la recomposition populaire en ces temps de dictature de fer. La réaction internationale sera importante, bien que diversifiée, et sera probablement déclenchée en fonction de l'évolution des alternatives de changement dans le pays.

Enfin, la situation économique intérieure sera cruciale. La soi-disant reprise économique repose sur des bases très fragiles. La répartition des richesses reste extrêmement inégale et nous ne pouvons pas oublier que nous sortons d'une longue crise économique, déterminée par l'épuisement du modèle fondé sur la rente pétrolière.

R.Z. Peut-on s'attendre à des affrontements plus violents ?

C'est un scénario possible si toutes les voies pour une solution pacifique sont définitivement fermées, bien qu'une guerre civile nécessite deux camps armés, et au Venezuela ce monopole est essentiellement détenu par le gouvernement maduriste. (Article publié par l'hebdomadaire uruguayen Brecha le 30 août 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)


Notes

[1] En 1988, le Secrétariat du gouvernement mexicain invoqua une « panne » du système électronique, les résultats « obtenus » avec une semaine de retard donnèrent le candidat du PRI, Carlos Salinas de Gortari, vainqueur, contre Cuauhtémoc Cárdenas du Front démocratique national. (Réd.)

[2] L'organisation non-gouvernementale Foro Penal recensé plus 1580 « prisonniers politiques », dont 114 mineurs. Les procureurs, selon des instances gouvernementales, ont inculpé des centaines – plus de 2200 officiellement – de personnes pour « incitation à la haine », « résistance à l'autorité » et « terrorisme ».Le nombre de morts, lors des manifestations réprimées, s'élève à plus de 25. (Réd.)

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

France - Macron méprise le vote populaire… et se met dans la main du RN

17 septembre 2024, par Léon Crémieux — , ,
« Le peuple a, par sa faute, perdu la confiance du gouvernement…Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en d'élire un autre ? » (…)

« Le peuple a, par sa faute, perdu la confiance du gouvernement…Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en d'élire un autre ? » Bertolt Brecht, La Solution, 1953

Tiré de Inprecor
16 septembre 2024

Par Léon Crémieux

Les vers ironiques de Brecht viennent d'être mis réellement en pratique par Macron. Son parti, est passé de 2017 à 2024 de 314 à 99 député·es à l'Assemblée nationale. Il a encore été battu lors des européennes et des législatives de juin/juillet 2024. Lors de ces mêmes élections législatives, un front électoral contre le Rassemblement national a été réalisé au second tour par tous les partis sauf le petit parti de droite des Républicains. Le barrage a fonctionné, déjouant tous les pronostics, le RN ne réussissant même pas à obtenir une majorité relative. La formation arrivée en tête après ce second tour a été clairement le Nouveau Front populaire, suivi du « bloc du centre » et du RN.

Malgré ces résultats, on arrive, début septembre, à la formation d'un gouvernement dirigé par un vieux politicien des Républicains, Michel Barnier, qui va recycler bon nombre de responsables de la « majorité présidentielle », pour continuer la même politique et qui ne pourra survivre que par l'engagement du Rassemblement national de ne pas le faire tomber par une motion de censure.

Comment arrive-t-on à un tel résultat ?

Au total, sont présents, au lendemain des élections législatives, trois blocs à l'Assemblée : Le Nouveau Front populaire avec 193 sièges, les Macronistes avec 166 sièges et le RN et alliés avec 142 sièges, suit ensuite la petite alliance autour du parti historique de la droite, Les Républicains, 47 sièges.

Macron a d'abord fait obstruction et maintenu, durant plus de deux mois, son Premier ministre sortant, Gabriel Attal et son gouvernement « démissionnaire », se réfugiant derrière « la trêve des Jeux olympiques de Paris ». Ensuite, contrairement à l'usage qui est de désigner un Premier ministre issu de la formation sortie en tête des élections législatives, il a tout de suite écarté la nomination de la candidate choisie par le Nouveau front populaire. Et finalement, pour assurer, malgré le vote, qu'il n'y ait aucune remise en cause de sa politique et qu'il puisse continuer à diriger l'exécutif, il vient de nommer Michel Barnier, un vieux politicien venant issu des Républicains.

En juin 2024, Macron a usé de son droit présidentiel pour dissoudre l'Assemblée nationale. Il l'a fait après des élections européennes qui ont vu l'échec magistral de son alliance présidentielle avec 14,6% des voix face au Rassemblement national (31,37% des voix) et à la gauche éclatée en 4 listes (31,58% des voix).

L'idée manœuvrière de Macron était d'essayer d'élargir sa majorité parlementaire en rebattant les cartes. Ne disposant, avec tous ses alliés, que de 251 sièges sur 577, il se savait à la merci du vote d'une motion de censure obligeant son gouvernement à démissionner.

Les manœuvres fumeuses de Macron

Au soir des élections européennes, l'extrême droite apparaissait grande victorieuse, et la gauche était divisée (entre EELV, le PCF, le PS et LFI) et sans cohérence depuis l'éclatement de la NUPES, un an auparavant. De plus, la liste européenne arrivée en tête à gauche était celle du PS menée par Raphaël Glucksmann qui apparaissait proche du social-libéralisme et en rupture avec la France insoumise. Devant ce qui apparaissait comme un champ de ruine, Macron se pensait maître des cartes et pensait possible de recomposer autour de lui et face à la menace d'une majorité RN, une partie des socialistes, des écologistes et des gaullistes de LR. Au pire, il se voyait cohabiter avec un gouvernement Bardella en se donnant une stature de président résistant aux dérives de l'extrême droite.

Quel qu'aient été ses projets fumeux, ils se dissipèrent en 48h face à la volonté du mouvement syndical et du mouvement social d'imposer une unité à gauche, un nouveau front populaire, pour faire échec à la menace néofasciste, avec une candidature unique dans chaque circonscription et un programme commun « de rupture sociale et écologique ».

Macron, refusant son échec essaye donc maintenant de se maintenir comme chef de l'exécutif avec un gouvernement à sa botte pour persévérer dans sa politique.

Et surtout, il est hors de question pour lui d'accepter la formation d'un gouvernement de gauche. L'argument avancé pour ce refus fut d'abord « la présence de ministres LFI », calomniés et stigmatisés depuis des mois comme « complices du Hamas », « antisémites ». Présence intolérable qui déclencherait immédiatement la censure, proclamèrent en cœur Gabriel Attal d'Ensemble, les Républicains… et Jordan Bardella du RN. Pour eux tous, un gouvernement avec la présence de LFI déclencherait automatiquement une motion de censure majoritaire.

Mais rapidement, la vraie raison du rejet viscéral d'un gouvernement NFP est apparue : pour écarter le prétexte de leur présence pour rejeter Lucie Castets, LFI interpela fin août les macronistes sur leur position vis-à-vis d'un gouvernement qui ne comporterait pas de ministres LFI.

La réponse à cela ne tarda pas, dans la bouche des macronistes et de la droite LR : pas question non plus d'un gouvernement sans LFI qui reviendrait sur la réforme des retraites et appliquerait le programme de rupture avec le libéralisme du NFP… Le président du MEDEF, Patrick Martin, insista également qu'il n'était pas question de revenir sur les axes politiques mis en œuvre depuis 2017. De même, le RN affirma clairement qu'il censurerait tout gouvernement de gauche. En un mot une unanimité de classe contre tout gouvernement qui s'engagerait à rompre avec les politiques néolibérales !

Par cette vigoureuse campagne contre le NFP, on est passé en quelques semaines d'un mouvement profond dans la société pour contrer Le Pen à un front commun de Macron à Le Pen pour bloquer la mise en œuvre d'une politique au service des classes populaires et mettre à l'écart un gouvernement de gauche.

Macron se serait sans problème adapté à un gouvernement du RN, même sans majorité absolue. Il avait d'ailleurs déclaré plusieurs fois qu'il serait obligé de respecter le suffrage universel… Par contre l'absence de majorité absolue pour le NFP empêchait « pour des raisons de stabilité » la nomination de Julie Castets. Ce qui est vrai pour le RN ne l'est évidemment pas en ce qui concerne le NFP.

Un gouvernement compatible avec le RN

La situation concrète de ce nouveau gouvernement Barnier est qu'il est le faux-nez d'un gouvernement de Macron mais avec une nouvelle situation. L'alliance de fait avec les Républicains et un soutien extérieur du Rassemblement national qui vient de déclarer « mettre le gouvernement sous surveillance ». Donc un nouvel affaiblissement de Macron, un glissement vers la droite avec une pression du RN qui va soutenir ce gouvernement comme la corde soutient le pendu. Il est à redouter la mise en œuvre de ce qu'a annoncé Barnier lors de sa prise de fonction : une insistance encore plus lourde sur les questions sécuritaires, une politique discriminatoire contre les étrangers et de nouvelles politiques contre les migrants. Donc une politique compatible avec le RN correspondant d'ailleurs largement au profil politique du nouveau Premier ministre. Connu pour une série de votes très à droite au Parlement européen, notamment pour des mesures discriminatoires anti LGBT, pour « retrouver en France la souveraineté juridique concernant les politiques migratoires ». De même, présent lors des primaires visant à désigner le candidat LR en 2021, Barnier chercha systématiquement à se démarquer à droite, pour l'interdiction du voile dans l'espace public, pour porter à 65 ans l'âge de départ à la retraite, l'organisation d'un referendum visant à la suppression de l'AME (Aide médicale d'Etat pour les étrangers sans papiers), etc…

Après une campagne des législatives durant lesquelles la gauche s'imposa médiatiquement pour dénoncer les racines fascistes du RN, pour affirmer une insistance unitaire sur le programme social du NFP, les dernières semaines voient resurgir les éléments de langage visant à la démoralisation de la gauche et à un retour à une image respectable de l'extrême droite. Macron par exemple, méprise d'un revers de main les 9,5 millions de votes recueillis par la gauche aux législatives, mais rappelle qu'il faut « respecter les 10,6 millions » recueillis par le RN et son allié Ciotti.

Le but est éminemment politique. Contre toute attente, le NFP a réussi à bâtir un front politique unitaire sur un programme de rupture, impulsé et consolidé par le mouvement syndical, démocratique et social, créant une dynamique enthousiaste autour de la possibilité d'un gouvernement de gauche. Cette dynamique politique et sociale qui n'avait pas réussi à se construire lors du mouvement contre la réforme des retraites s'est soudain créé en quelques jours.

Il est donc vital pour les responsables réactionnaires et les médias à leur service de déconstruire cette unité inattendue. D'abord en disant que la gauche ne veut pas vraiment gouverner, qu'elle ne veut pas du pouvoir et qu'elle serait même responsable de ne pas avoir obtenu le poste de premier ministre. Ensuite visant évidemment à décrédibiliser un programme « de gaspillage et de dette ». Enfin, surtout, dire que le NFP est un assemblage éphémère et que les forces centrifuges reprendront vite le dessus, notamment entre les socialistes « raisonnables » et les « ultragauchistes islamistes » de LFI. Il s'agit surtout maintenant de démoraliser celles et ceux qui ont pesé pendant des semaines pour construire la campagne du NFP, celles et ceux qui y ont cru pensant que l'on pourrait enfin construire quelque chose d'unitaire à gauche.

Les perspectives pour la gauche

Là réside d'ailleurs l'enjeu des prochains mois. Le risque est de voir se renouveler les dynamiques centrifuges qui ont fait exploser la NUPES. Dès ces dernières semaines, a réapparu un éclatement des initiatives, pourtant avec un objectif commun. La première journée de manifestation le 7 septembre, face au « putsch » de Macron avec la nomination de Barnier, et pour la mise en place d'un gouvernement NFP et la mise en œuvre de son programme a été impulsé essentiellement par des mouvements politiques de gauche PCF, les Écologistes, LFI, NPA-L'Anticapitaliste (mais aussi côté mouvement social par ATTAC, le Planning familial, #NousToutes, la Jeune Garde et souvent localement la LDH). Mais côté syndical, si l'initiative a été saluée comme utile, elle a été considérée comme institutionnelle et donc du ressort des organisations politiques, même si localement des syndicats CGT, Solidaires ou FSU en ont été partie prenante. Le résultat n'a pas été négligeable 150 manifestations et même la police a dû reconnaitre plus de 100.000 manifestants (300.000 selon les calculs des organisateurs) mais il aurait évidemment été possible de prendre une initiative commune de toutes les forces ayant soutenu le NFP en juin.

Parallèlement, le 1er octobre se prépare une grande journée de grèves et de mobilisation intersyndicale, CGT, Solidaires, FSU, et organisations de jeunesse là aussi « pour qu'enfin les urgences sociales exprimées dans les mobilisations sociales et dans la rue soient entendues », reprenant des exigences sociales communes avec les partis du NFP. Enfin, le 21 septembre, sur les mêmes axes que le 7 est organisée une nouvelle journée de mobilisations autour des organisations de jeunesse avec en plus Greenpeace, Le Collectif national pour les droits des femmes, Action justice climat.

Par ailleurs, de la droite du PS apparaissent déjà des prises de positions visant à l'éclatement du front unitaire en tirant vers la droite, comme celle de François Hollande, pourtant élu dans le cadre du NFP.

Cette Assemblée nationale et son gouvernement sont évidemment des éléments instables et dès juin 2025, soit le RN par sa participation au vote d'une motion de censure, soit Macron pourront amener à une crise gouvernementale et une nouvelle dissolution de l'Assemblée.

Dans tous les cas, l'urgence est à créer un rapport de force politique et social pour commencer dans la durée une mobilisation autour des exigences sociales portées par le NFP, le mouvement social et syndical quelles que soient les échéances électorales. La convergence réalisée au début de l'été doit se maintenir et agir collectivement en créant des cadres unitaires permettant aux forces militantes de se coordonner. Seule la construction de cette unité pourra empêcher les dynamiques centrifuges d'où qu'elles viennent et éviter la démoralisation.

Le NFP représente une particularité dans le champ politique européen avec une alliance construite sur un programme explicitement de rupture antilibérale ayant pu faire converger largement des forces politiques, syndicales et sociales, marginalisant les courants sociaux-libéraux. C'est donc une initiative précieuse.

Si elle arrive à se maintenir et s'enraciner sur l'ensemble du territoire en devenant un outil quotidien pour les dizaines de milliers de militantEs qui agissent dans les quartiers, les zones urbaines et rurales développant les exigences de son programme, en développant les thèmes de justice sociale, climatique, démocratique, de combat contre les discriminations, elle peut remettre en cause le poids politique pris par le RN qui utilise le racisme et l'islamophobie pour détourner contre les classes populaires racisées le sentiment de déclassement, d'abandon et d'injustice sociale. Cette fausse conscience vise évidemment à détourner de la remise en cause des politiques de classes aux origines des attaques subies par les exploitéEs et les opprimEes.

Dans tous les cas, les grèves et manifestations du 1er octobre pourront être un tremplin pour redonner de la dynamique à gauche face aux manœuvres de Macron.

Le 16 septembre 2024, écrit pour Viento Sur

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les 83 violeurs : la banalité du mâle

17 septembre 2024, par Anna Toumazoff — , ,
L'autrice et militante féministe Anna Toumazoff critique le fait de dépeindre en monstres les hommes accusés dans le procès de Mazan, empêchant ainsi de comprendre la banalité (…)

L'autrice et militante féministe Anna Toumazoff critique le fait de dépeindre en monstres les hommes accusés dans le procès de Mazan, empêchant ainsi de comprendre la banalité des violences patriarcales.

11 septembre 2024 | articlu paru dans l'hebdo Politis N° 1827

Injuste jusque dans son nom, cette affaire souffre d'une mauvaise désignation. Ce n'est pas « l'affaire des viols de Mazan », et ça n'est pas même seulement « l'affaire Dominique Pélicot ». C'est l'affaire des 83 violeur. 83 hommes, dont la liste des noms, métiers et âges semble un échantillon d'institut de sondages parfaitement à même de représenter la France. 83 individus ayant pour seul trait commun d'être des hommes du même périmètre géographique. 83 hommes normaux, dont la banalité choque les hommes seulement. Les femmes savaient déjà qu'il y a une réalité derrière les yeux fermés.

Vieil ami de la famille, professeur trop zélé, collègue gluant, inconnu familier, frère affectueux, ex inquiétant : ce n'est pas avec plaisir que les femmes trouveront une ressemblance avec un fantôme du passé dans la mosaïque des visages de Mazan, pendant que les hommes s'en distancieront en les classifiant dans les monstres avant d'en découvrir soudain des sosies au bureau, au café d'à côté, dans la fratrie et – stupeur ! – jusque dans le reflet du miroir. Lutter contre ces crimes implique d'accepter qu'il existe des violeurs de tout profil.

Sur cela, que l'on appelle « culture du viol », et qui désigne tout ce qui favorise sa commission dans une société donnée, les féministes alertent depuis toujours. Si l'égalité des femmes avec les hommes avait été pleinement atteinte jusque dans les mentalités, il n'y aurait pas autant d'hommes dans ce procès pour oser plaider non coupable, justifiant ne pas comprendre que l'on puisse les accuser de viol sur une femme dont le mari était pourtant consentant.

C'est le produit d'une société qui échoue à protéger les femmes et leur statut d'être humain à part entière : tristement prévisible. Ce n'est jamais de gaîté de cœur que l'on dit « je vous l'avais bien dit », mais dans un monde où le combat pour les droits des femmes aurait été remporté, Gisèle Pélicot aurait été épargnée.

L'homme qui viole est un homme sans histoire. Un monsieur tout-le-monde à l'instar du père qui bat ses enfants.

Les féministes ne devraient pas avoir à réparer le mal commis par d'autres, mais à coups de milliers d'ouvrages, de conférences, de posts, de manifestations – qui leur valent opprobre et violences quotidiennes –, elles répètent que l'homme qui viole est un homme sans histoire. Un monsieur tout-le-monde à l'instar du père qui bat ses enfants. Pourtant, personne ne semble y croire – et, surtout, personne ne semble vouloir en tirer de conséquences.

Si les violences sexuelles font partie du quotidien des femmes, cela implique qu'elles concernent une bonne partie des hommes. Comment comprendre alors une société qui martèle que ces violences n'incluent « pas tous les hommes », tout en enjoignant les filles et les femmes de tout mettre en œuvre pour se protéger d'eux – et que si elles échouent, elles l'auront bien cherché ? « Pas tous les hommes », mais assez pour que les libertés des femmes soient constamment entravées par la crainte. « Pas tous les hommes », mais à quand des actions concrètes, au-delà des mots, des adeptes de cette formule ? Le constat n'est pas agréable et peu confortable pour les hommes qui se sentent soudain accusés dans leur ensemble. Il l'est encore moins pour celles qui survivent dans la crainte omniprésente de cette épée de Damoclès que sont les violences sexuelles.

Tous les hommes ne sont pas concernés, entend-on en permanence, mais il y en a tout de même assez pour que toutes les femmes aient peur et adaptent à ce danger comportement, tenues, itinéraires, budget de déplacement, mots, réactions. Pourquoi ceux qui ne sont pas concernés ne prennent-ils pas l'initiative de s'insurger contre les pommes pourries du panier qui font honte à l'ensemble des hommes ? Pourquoi ne font-ils pas leur part du travail pour changer la société ? Pourquoi est-ce toujours aux victimes directes de ces comportements de tâcher de les dénoncer et de les empêcher ? Pourquoi a-t-il fallu dix ans et la dénonciation des agressions sexuelles commises par Dominique Pélicot dans un magasin pour découvrir, par la fouille de son ordinateur, l'iceberg entier de ses plus de 80 sinistres partenaires de crime ? Pourquoi aucun autre homme, en dix ans, n'a-t-il brisé la chaîne de la violence ?

La solidarité féminine, c'est se défendre contre les violences ; la solidarité masculine, c'est de les couvrir.

La solidarité féminine, c'est se défendre contre les violences ; la solidarité masculine, c'est de les couvrir. Dans un monde où les hommes seraient vigilants à l'égard du comportement des autres hommes, comme les femmes doivent déjà l'être 24 heures sur 24, Gisèle Pélicot aurait été épargnée.

Gisèle Pélicot est la victime idéale, celle à qui aucun sinistre commentateur ne peut reprocher ni sa tenue ni ses mœurs, pas même de ne pas s'être assez bien débattue, puisque comment l'aurait-elle pu ? Comment expliquer alors qu'absolument personne n'ait pris la rue tremblant d'indignation, sinon parce que l'on se refuse à considérer que ce problème nous concerne tous au quotidien – victimes comme auteurs – de la même façon que, parce que l'on ne veut pas les entendre, on exclut des groupes sociaux, des familles, des entreprises, des groupes d'amis, des milieux artistiques celles qui parlent et bien plus rarement ceux qui commettent les violences.

Un violeur sur 100 seulement va en prison. Dans cette affaire publique, ce sera assurément plus, pour marquer l'exemple, pour traiter ce cas comme s'il était une exception. Traiter le violeur comme un monstre, c'est lui ôter soudain sa condition d'homme normal, de collègue serviable, de père gentil, de voisin vigilant. Ignorer le danger n'en prémunit pas. On fait comme si chez les violeurs, comme les frappeurs d'enfants, il n'y avait pas d'hommes normaux : que des monstres. Cela rassure, et protège l'ordre établi. Malheureusement, cela permet surtout au problème de perdurer. Les violences sexuelles sont commises à 96 % par des hommes. De tout profil. Les femmes le savent, les hommes doivent l'accepter et les pouvoir publics mieux légiférer, éduquer, voir, encadrer.

Il n'y a pas de vilains monstres sur les lits. Juste des hommes normaux.

Il n'y a pas de vilains monstres sur les lits. Juste des hommes normaux et hors de tout soupçon que la société a trop longtemps laissés impunis.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Procès des violeurs de Mazan : « Ils m’ont traitée comme un sac poubelle »

17 septembre 2024, par Claudine Legardinier — , ,
« Un procès hors normes » a titré la presse. Est-elle vraiment si « hors normes » cette affaire Pélicot ? Une cinquantaine d'hommes comparaissent pendant 4 semaines pour viols (…)

« Un procès hors normes » a titré la presse. Est-elle vraiment si « hors normes » cette affaire Pélicot ? Une cinquantaine d'hommes comparaissent pendant 4 semaines pour viols aggravés infligés pendant 10 ans à une femme droguée par son mari et livrée à ces hommes inconsciente.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/13/proces-des-violeurs-de-mazan-ils-mont-traitee-comme-un-sac-poubelle/

Des monstres ? Non, des hommes tout ce qu'il y a d'ordinaires qui ont profité de « l'offre » d'un mari pornographe ; des hommes prêts à tout pour s'affranchir du consentement d'une femme… et s'ils n'ont pas payé le mari en argent, on peut ici parler « d'échange », puisque les uns ont eu à leur disposition une femme sans avoir besoin dudit consentement, l'autre a obtenu des « acteurs » gratuits pour son fantasme : les vidéos pornos qu'il tournait. Et par lesquelles, heureusement, il a été découvert.

Après le cataclysme de la découverte des faits, on peine à imaginer la force qu'il faut à Gisèle Pélicot (71 ans) pour faire face à son ex-mari et à 50 de « ses » violeurs ; pour voir déballée sa vie intime et épluchés les dizaines et dizaines de viols qu'elle a subis comme « une poupée de chiffon » ; et pour survivre au gouffre qui s'ouvre quand on croit avoir partagé avec un mari attentionné cinquante ans de vie commune…

Ce 2 septembre 2024, et jusqu'au 20 décembre, s'est ouvert à Avignon le procès de l'homme dont elle a divorcé et de ses complices. Gisèle Pélicot a découvert les faits le 2 novembre 2020. Convoquée au commissariat de Carpentras, elle pense être interrogée parce que son mari a été interpellé après avoir filmé sous les jupes des femmes dans un supermarché.

En réalité, c'est le début du cauchemar qui va l'amener à visionner des kilomètres de photos et vidéos pornographiques toutes « plus atroces les unes que les autres », la montrant, dans un état d'inconscience proche du coma, livrée aux violeurs, parfois plusieurs à la fois.

Il apparaît que « Monsieur Pélicot » la droguait au Temesta, un puissant anxiolytique dont il lui administrait jusqu'à dix comprimés, une dose qui aurait pu la tuer. Puis il lançait des « invitations » sur Internet via le site coco.gg [fermé en juin 2024 suite à des affaires de pédocriminalité, viols et prostitution], invitant les volontaires à venir la violer. Assurant n'avoir jamais touché d'argent, il filmait alors méthodiquement les viols.

Les policiers ont évalué leur nombre à 92 entre 2011 et 2020. Certains auraient duré jusqu'à 6 heures. Au moins 70 hommes auraient pris part à ces « invitations » dont une vingtaine sont restés non identifiés. Tous savaient qu'elle était droguée. La majorité des accusés sont venus une fois mais certains jusqu'à six fois (dont un homme séropositif) afin de profiter pleinement de « l'aubaine ». Seuls 14 d'entre eux ont reconnu les faits. Trois seulement ont présenté des excuses.

Gisèle Pélicot, ignorante des faits, a vécu des années d'errance médicale, ne s'expliquant pas les coups de fatigue, les trous de mémoire, les douleurs gynécologiques. Souffrant de troubles cognitifs et neurologiques, elle a même pensé être atteinte de la maladie d'Alzheimer.

Une terrifiante solidarité masculine à Mazan

Les 51 mis en examen sont des « Monsieur Tout-le-Monde » ne présentant aucune pathologie particulière. Ils sont jeunes, vieux, de tous milieux, sont chauffeur routier, ouvrier, infirmier, militaire, plombier… des hommes « bien sous tous rapports » selon leur entourage.

« Gisèle détient un savoir terrible et monumental, écrit Lola Lafon ; elle porte la fin d'une illusion à laquelle on continue à s'accrocher. Elle vient confirmer la fin d'un mythe qui a tous les atours d'un déni collectif : le mythe du monstre ». L'écrivaine relève, loin du fait divers hors normes, « le miroir grossissant de tout viol conjugal ».

Certains ont invoqué l'accord du mari pour se dédouaner tant ils sont sûrs de leur droit de cuissage : la femme est la propriété de son seigneur et maître ; d'autres ont dit avoir cru qu'elle faisait semblant de dormir. De leur côté, les avocats de la défense ont tenté le coup du possible « jeu de couple », éternel argument du « consentement » des victimes.

Un des avocats de la défense a invoqué l'absence d'intentionnalité car certains l'auraient cru consentante. Faut-il ici leur rappeler qu'une femme qui est inconsciente ne peut être consentante ? Et qu'ils ont répondu à une annonce passée dans une rubrique intitulée « à son insu » ?

Jamais aucun de ces hommes n'a prévenu la police. Tous se sont serré les coudes pour garder le secret dans un entre-soi masculin qui n'est pas sans évoquer des comportements connus : ensemble, on normalise, on se déculpabilise, on s'encourage. On consomme de la prostitution filmée ou on se rend en bande « aux putes ».

Comment ne pas penser à tous ces « clients » prostitueurs qui violent sans peur et sans remords au prétexte qu'ils ont payé ? Eux non plus ne se préoccupent jamais de savoir si la femmes qu'ils violent est victime de traite, si elle est mineure, si elle a « choisi » d'être là ou pas.

Toutes solidaires avec Gisèle

Le consentement des intéressées ? Hors sujet. « Ce n'est pas seulement vous, Gisèle, qu'ils ont traitée comme une chose. Ils nous disent, à toutes, notre insignifiance » écrit Hélène Devynck, une des plaignantes de l'affaire PPDA, et autrice d'Impunité.

Au bout de 4 ans de parcours judiciaire, Gisèle Pélicot a refusé le huis clos pour que se tienne un vrai procès de société, pour que soit connue la soumission chimique et pour que la honte change de camp. Grâce à son courage, cette affaire a un retentissement international. Les prévenus encourent 20 ans de réclusion.

Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l'Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l'enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.

https://mouvementdunid.org/prostitution-societe/actus/proces-des-violeurs-de-mazan-ils-mont-traitee-comme-un-sac-poubelle/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Etat espagnol : Le danger fasciste – Le virus fasciste et le risque de pandémie

17 septembre 2024, par Marti Caussa — , ,
« Le capitalisme néolibéral pousse à ce que les régimes politiques prennent la forme de démocraties illibérales ou d'autoritarismes réactionnaires. Dans ce texte, je propose (…)

« Le capitalisme néolibéral pousse à ce que les régimes politiques prennent la forme de démocraties illibérales ou d'autoritarismes réactionnaires. Dans ce texte, je propose une réflexion sur la question de savoir si, dans cette dynamique, certains éléments caractéristiques du fascisme classique sont modifiés et recombinés avec de nouveaux éléments, comme cela se produit avec les souches modifiées d'un virus antérieur, et s'ils affectent progressivement diverses parties des institutions et du corps social. J'étudie en particulier le cas espagnol. »

14 septembre 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/12/etat-espagnol-le-danger-fasciste-le-virus-fasciste-et-le-risque-de-pandemie/#more-85596

Le capitalisme néolibéral pousse à ce que les régimes politiques prennent la forme de démocraties illibérales ou d'autoritarismes réactionnaires, comme l'expliquent Miguel Urban et Jaime Pastor :

« Les décennies de gouvernance néolibérale et les crises qui en ont découlé ont favorisé l'émergence d'une culture politique profondément antidémocratique. C'est là le reflet de l'obsession incessante du néolibéralisme qui le pousse à limiter les domaines d'intervention et les fonctions sociales des États, à aligner l'action publique sur les intérêts des acteurs économiques privés, à remplacer la réglementation et la distribution par la liberté d'entreprise et à placer les droits de propriété au-dessus de tout autre droit fondamental (…) C'est cette anti-politique (…) qui est au principe de l'autoritarisme qui a pénétré l'ensemble de la sphère politique. »

Dans ce texte, je propose une réflexion sur la question de savoir si, dans cette dynamique, certains éléments caractéristiques du fascisme classique sont modifiés et recombinés avec de nouveaux éléments, comme cela se produit avec les souches modifiées d'un virus antérieur, et s'ils affectent progressivement diverses parties des institutions et du corps social. Le danger est que la contagion s'accélère de telle manière (comme une pandémie) qu'elle entraîne des changements substantiels et aboutisse finalement à une dictature brutale qui présente suffisamment de similitudes avec le fascisme pour être considérée comme son héritière.

Dans une dynamique fasciste, il peut y avoir des phases de contagion continue, mais lente et relativement silencieuse, d'autres d'évolution accélérée, et enfin un moment de rupture majeure est nécessaire pour qu'un parti fasciste conquière le pouvoir et se consolide.

Il est évident que nous ne sommes pas dans la situation des années 1930, et aucun phénomène ne se répétera de la même manière cent ans plus tard. Le fascisme non plus. Ce que je me propose de discuter, c'est si ces phénomènes de contagion d'un nouveau fascisme existent en Espagne, dans quelle mesure ils se sont développés et comment on peut y faire face.

Naturellement, il est nécessaire de commencer par clarifier ce que je considère comme les traits caractéristiques du fascisme qui ont le plus grand potentiel pour se développer et devenir opérationnels dans la situation actuelle.

Le fascisme et les conditions de son développement

1- Par fascisme, il faut entendre une dictature dans laquelle l'appareil répressif – armée, police, système judiciaire… – est renforcé par un mouvement de masse réactionnaire qui le complète par le bas, avec l'objectif d'éliminer les organisations populaires existantes et de les remplacer par d'autres qui encadrent et contrôlent au service des intérêts de l'État fasciste. Pour bien définir les termes : le fascisme est qualitativement différent d'une démocratie amoindrie, c'est une dictature ; mais toutes les dictatures ne sont pas fascistes, pour être fascistes, elles doivent s'appuyer sur un mouvement de masse réactionnaire :

« Une dictature militaire ou un État purement policier (…) ne dispose pas de moyens suffisants pour atomiser, décourager et démoraliser, durant une longue période, une classe sociale consciente, riche de plusieurs millions d'individus et pour prévenir ainsi toute poussée de la lutte des classes la plus élémentaire (…) Pour cela, il faut un mouvement de masse qui mobilise un grand nombre d'individus. Seul un tel mouvement peut décimer et démoraliser la frange la plus consciente du prolétariat par une terreur de masse systématique (…) et, après la prise du pouvoir, laisser le prolétariat non seulement atomisé, à la suite de la destruction totale de ses organisations de masse, mais aussi découragé et résigné » Du fascisme », Ernest Mandel, 1969).

Cependant, cette caractérisation du fascisme a connu de nombreuses variantes en fonction du comportement des différents acteurs impliqués et du moment où ils sont intervenus – en particulier l'armée et le mouvement de masse fasciste –, de la manière dont le parti fasciste accède au pouvoir et de la résistance qu'il rencontre pour s'y établir définitivement. Le nazisme et le franquisme sont deux modèles extrêmes.

Dans le cas espagnol, le fascisme a pris la forme du franquisme, le rôle de l'acteur principal y fut joué par l'armée, le mode d'accession au pouvoir fut un coup d'État militaire, le parti fasciste (la Phalange) était marginal avant le coup d'État et s'est développé et remodelé au fur et à mesure que l'armée franquiste l'emportait dans la guerre.

2- Une étape nécessaire et très importante dans le processus de contagion du fascisme est de réussir à amener une partie de la population à développer un sentiment de rejet, d'hostilité et même de haine envers d'autres, au point de les considérer comme dignes d'être privés de leurs droits fondamentaux et écrasés. Et qu'une partie importante de la société soit passive et acquiesce à ces attaques. L'exemple typique est celui du nazisme à l'égard de la population juive.

Lorsque ce sentiment de haine envers un segment de la société a été installé, il est très facile de l'étendre à d'autres : dans le cas du nazisme, après les Juifs, il y a eu les Tziganes, les homosexuel.les, les slaves, etc. Et cela a fini par inclure ceux qui n'étaient pas nazis : les communistes, les socialistes, les démocrates…

« Il est faux de dire que les projets d'extermination nazis étaient réservés exclusivement à la population juive. La population tsigane a connu un taux d'extermination comparable à celui de la population juive. A terme, les nazis voulaient exterminer une centaine de millions de personnes en Europe centrale et orientale, principalement des Slaves » (« Prémisses matérielles, sociales et idéologiques du génocide nazi », Ernest Mandel, 1988).

Dans le cas espagnol, l'ennemi des années 1930 était en théorie la conspiration juive, maçonnique et bolchevique, mais il a rapidement pris la forme des organisations de la classe ouvrière, des libéraux et des nationalistes périphériques. Paul Preston a analysé ces origines de la haine dans son livre « L'holocauste espagnol » (2013) :

« L'idée de cette puissante conspiration internationale – ou « contubernio », l'un des mots préférés de Franco – justifiait le recours à tous les moyens nécessaires pour ce qui était considéré comme la survie de la nation (…).
L'idée que les gens de gauche et les libéraux n'étaient pas de vrais Espagnols et qu'il fallait donc les détruire s'est rapidement imposée dans les rangs de la droite (…)
Jose Antonio Primo de Rivera, sans être antisémite, pensait lui aussi que la gauche était à associer aux Maures (…) il interprétait toute l'histoire espagnole comme une lutte éternelle entre les Goths et les Berbères (…) l'incarnation de ces derniers était le prolétariat rural. »

3- Afin de pouvoir affronter de manière violente son ennemi social, le fascisme doit construire une identité alternative qui chevauche et contrecarre les divisions existantes dans la société et au sein de sa propre base.

Historiquement, cette identité a été fondée sur un nationalisme ethnique ou raciste. Dans le cas de l'Espagne, elle était combinée à l'intégrisme catholique.

Le nationalisme raciste a également été un pilier fondamental pour justifier la conquête de l'Abyssinie par Mussolini ou l'invasion nazie de plusieurs pays européens et de l'URSS.

4- La préparation des conditions d'une dictature fasciste est lente et laborieuse, car il faut créer les conditions d'un mouvement de masse déterminé à agir violemment contre une très grande partie de la population et à détruire ses cadres et ses organisations. Il faut avoir créé un climat social favorable aux projets fascistes, les faire pénétrer dans l'appareil d'État, faire en sorte que les partis traditionnels les normalisent et les appliquent même partiellement, faire en sorte que les actions contre les secteurs populaires soient acceptées, même si ce n'est que passivement… Ugo Palheta et Omar Slaouti ont appelé cette phase de préparation idéologique, politique et matérielle, que j'appelle contagion, la fascisation :

« Le fascisme n'arrive pas du jour au lendemain (…) il ne peut émerger sans toute une étape historique d'imprégnation, à la fois idéologique et matérielle, une série de transformations qui modifient l'équilibre interne de l'État » (« Islamophobie, fascisation, racialisation », Viento sur 193, juin 2024).

L'arrivée au pouvoir de partis fascistes, que ce soit par un coup d'État ou par des procédures parlementaires ou pseudo-parlementaires, constitue un saut qualitatif et une forte accélération de toutes les attaques contre les libertés démocratiques et les organisations populaires, mais elle ne se consolide que si ces dernières ne réagissent pas rapidement et énergiquement. L'exemple le plus spectaculaire de réaction populaire contre un coup d'Etat militaro-fasciste a été l'insurrection populaire du 19 juillet 1936, qui a initialement réussi à le défaire dans la plus grande partie de l'Etat espagnol.

5- La définition de l'ennemi à affronter, l'obtention d'un certain degré de consensus social dans les attaques contre lui et l'affirmation de l'identité fasciste sont les conditions préalables à la violence de masse (nécessaire pour qualifier un régime de fasciste). Cela aussi doit commencer progressivement, par tâtonnements. Si l'idéologie fasciste a pénétré de manière importante le système judiciaire, la police et l'armée, la violence peut d'abord être déléguée à ces appareils d'État, en faisant pression sur eux par des manifestations ou des campagnes de rue. Lorsque la conjoncture exige un degré de violence plus élevé, l'émergence de bandes fascistes violentes à caractère de masse peut être très rapide.

6- Dans tous les cas, pour que le fascisme triomphe et se maintienne au pouvoir, il a besoin du soutien de la majorité du grand capital. Mais pour que ce soutien lui soit accordé, il faut qu'il voie son pouvoir sérieusement menacé, car il a l'expérience historique du fait que la dictature fasciste peut acquérir une telle autonomie qu'elle finit par l'exproprier politiquement et la conduire au désastre, comme ce fut le cas en Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale.

Pour le grand capital, la menace ne sera plus le danger communiste comme dans les années 1930 (bien que les groupes néofascistes et d'extrême droite d'aujourd'hui qualifient tous les gens de gauche de communistes). Mais il peut se faire que l'émergence de mobilisations massives et continues qui, même si elles ne visent pas la prise du pouvoir politique, suffise à déstabiliser gravement le système de domination et d'accumulation du capital.

La contagion fasciste est une réalité dans l'Etat espagnol et pourrait s'accélérer.

7- La définition des ennemis à combattre radicalement est clairement établie par Vox et le PP (en particulier par le secteur radical représenté par Ayuso) : les migrants, en particulier les musulmans ; les nationalistes, indépendantistes et souverainistes ; les féministes et les LGTBI ; les écologistes qui luttent contre le changement climatique ; les militant.es autour de la mémoire historique, ainsi que le large éventail de celles et ceux qui sont considéré.es comme lié.es au communisme ou à l'indépendantisme : Podemos, les anarchistes et, depuis la loi d'amnistie, les partisans de Pedro Sanchez :

[L'accord de gouvernement avec ERC et Junts] est en train de radicaliser davantage le bloc de droite (…) Leurs descriptions des « concessions » faites par le PSOE comme un « coup d'Etat » similaire à celui du 23 février 1981, « dictature », « abolition de l'Etat de droit » ou « conspiration destituante » (dixit la « Fondation pour l'analyse et les études sociales » d'Aznar), ajoutées au déjà classique « l'Espagne est brisée » et au « gouvernement illégitime » (et maintenant « illégal » dans la bouche de Vox), ne correspondent pas au contenu réel de ces accords, mais favorisent un climat politique dans lequel les groupes les plus extrémistes et ouvertement néo-nazis, soutenus par Vox et une partie du PP, acquièrent une importance qu'ils n'avaient pas atteinte jusqu'à présent (« La cuestión catalana y la creciente radicalización del bloque de derechas », Pastor, Jaime, 11/11/2023).

8- Les composantes de base de l'identité fasciste sont bien définies : anti-immigration, espagnolisme fondamentaliste, blanchiment du franquisme, défense du patriarcat, négationnisme climatique, néolibéralisme économique, fondamentalisme catholique, etc.

9- Le climat de haine contre les secteurs à combattre s'est répandu, notamment grâce à d'importants médias, réseaux sociaux, sites web, etc. qui non seulement diffusent des idées, mais recourent systématiquement à la diffusion de fausses nouvelles pour justifier les attaques contre des migrant.es, les personnes LGTBI, contre les cliniques qui pratiquent des avortements ou le soutien à l'action policière contre le référendum [catalán ndt] du 1er octobre 2017 (« A por ellos ! »)…..

Le glissement vers des positions réactionnaires d'un large secteur social a été favorisé par la dérive anti-démocratique des gouvernements successifs. Principalement par ceux du PP, mais aussi par ceux que le PSOE a dirigés. Ce dernier a normalisé des politiques xénophobes et racistes (qui ont culminé avec le massacre de Melilla en juin 2022), des coupes sombres dans la démocratie (non abrogation de la « loi baillon »), le refus d'appliquer les règles de justice universellement reconnues aux crimes du franquisme et, jusqu'à récemment, la répression contre l'indépendantisme (en mettant en œuvre l'application de l'article 155 qui a supprimé l'autonomie de la Catalogne). Il a ainsi contribué à ce que les politiques de la droite réactionnaire et du néofascisme conquièrent les esprits avant de gagner dans les urnes.

Le climat de haine n'aurait pu s'étendre aussi loin sans la collaboration d'une partie du pouvoir judiciaire qui n'a pas hésité à qualifier la désobéissance civile pacifique et massive du 1er octobre [2019 en Catalogne ndt] de rébellion militaire, accusant de terrorisme les organisateurs des manifestations pacifiques du tsunami démocratique, défiant la souveraineté du parlement espagnol en refusant d'appliquer la loi d'amnistie aux dirigeant.e.s, tout en en faisant généreusement bénéficier la police (51 des 105 personnes amnistiées à ce jour), et en recourant à la « justice » contre ces ennemis politiques : Puigdemont, Arnaldo Otegi, Mònica Oltra, Pablo Iglesias, Irene Montero… Ces campagnes ont même été jusqu'à s'en prendre au chef du gouvernement qui s'est vu obligé de de dénoncer la « machine à projeter de la boue », mais sans prendre aucune mesure énergique pour y mettre fin et démocratiser la justice.

10- La présence maintenue de l'idéologie fasciste au sein de l'armée et de la police s'explique par le fait que la transition de la dictature à la démocratie s'est faite sans purger l'appareil d'État et en protégeant par la loi d'amnistie les responsables de crimes et délits graves commis sous le régime franquiste.

Pour ce qui concerne l'armée, cette présence maintenue se révèle régulièrement à l'occasion de crises ou de conflits politiques : des manifestes de militaires de réserve (les seuls à pouvoir les signer) ont été publiés pour faire l'éloge de Franco à l'occasion de son exhumation de la Vallée des morts, ou pour demander la destitution de Pedro Sánchez au motif qu'il a accordé la grâce aux condamné.es du procès [des dirigeants indépendantistes ndt]. Pour ce qui est de la police et de la garde civile, on sait que des tortionnaires connus sous le régime franquiste sont restés à leur poste, ont été promus, décorés et n'ont pas été poursuivis pour crimes contre l'humanité, tant en Espagne que dans le cadre du dossier argentin. C'est de ce contexte que découlent les réalités actuelles : entre 2015 et 2016, la police patriotique, sur ordre du gouvernement PP, a espionné 69 député.es de Podemos en utilisant des bases de données du ministère de l'Intérieur ; plus récemment, le syndicat Jusapol a adressé des critiques acerbes au gouvernement à la suite de la réforme (et non de l'abrogation) de la « loi bâillon » et du transfert de prisonniers de l'ETA au Pays basque ; et le syndicat de policiers SUP a signé un contrat avec l'entreprise de sécurité marquée à l'extrême-droite Desokupa pour la formation de 30 000 agents de police [aux techniques de « défense personnelle », sans autorisation du ministère de l'intérieur ndt].

11- Jusqu'à présent, la violence directe a été de faible intensité (elle s'est concentrée sur les migrants, les personnes LGTBI, les expulsions de squatteurs par la société Desokupa,…), en partie parce que le système judiciaire et la police ont fait l'essentiel du travail sous le couvert de lois antidémocratiques (telles que la « loi bâillon »), tant sous des gouvernements PP que PSOE (avec un rôle de premier plan pour le ministre Marlaska dans ce dernier cas).

12- En Espagne, le parti néo-fasciste Vox a connu une croissance significative ces dernières années : 12,4% des voix aux dernières élections générales et 9,6% aux élections européennes de 2024. Il n'est pas aussi puissant que ses homologues en Italie, aux Pays-Bas ou en France, en situation de gouverner ou ayant de bonnes chances de le faire, mais la phase pendant laquelle il servait uniquement de chien de garde de la droite est maintenant derrière lui, il teste les questions susceptibles d'obtenir un soutien populaire et commence à les inscrire à l'ordre du jour politique de façon à ce qu'elles soient reprises ensuite par le PP. Après les élections municipales et régionales de 2023, il a réussi à intégrer les gouvernements de coalition dans cinq communautés autonomes (Estrémadure, Aragon, Communauté de Valence, Castille et Léon et Murcie) et à conditionner sa participation au gouvernement des îles à un pacte législatif. Le 11 juillet, Vox a rompu les pactes de gouvernement avec le PP pour protester contre la décision de ce dernier d'accueillir un quota réduit de migrants mineurs non accompagnés, mais ces pactes pourraient être réactivés.

Si la campagne de harcèlement juridique contre Pedro Sánchez devait réussir et que le PSOE perdait la possibilité de former un gouvernement de coalition, l'alternative presque certaine serait un gouvernement PP et de Vox (ou avec son soutien). Dans ce cas, les mesures de régression augmenteraient de manière significative, car cela consoliderait un bloc espagniste réactionnaire, conservateur, néolibéral et nationaliste, et légitimerait un parti néofasciste en tant que parti de gouvernement. À partir de là, il serait beaucoup plus facile de passer à un gouvernement néo-fasciste majoritaire, soit en raison de la croissance propre de Vox, soit parce que la composante fasciste qui couve encore au sein du PP prendrait le contrôle du parti ou le quitterait pour en créer un nouveau.

13- La domination d'un parti fasciste sur le gouvernement central devrait avoir le soutien d'une partie décisive du grand capital. Ce n'est pas le cas pour le moment, car la démocratie réduite actuelle lui suffit et lui permet d'évoluer plus en phase avec les pays les plus importants de l'Union européenne. Mais ils évoluent eux-aussi dans une direction inquiétante, comme l'expliquent Miguel Urbán et Jaime Pastor :

« Un autoritarisme post-démocratique se répand dans l'UE et ses Etats membres, avec des frontières de plus en plus perméables entre régimes libéraux et illibéraux (…). »

Nous devons donc pas être surpris par le fait que l'extrême droite opte pour la voie réformiste au sein de l'UE (« Vers un despotisme oligarchique, technocratique et militariste », Viento sur 193, août 2024).

Mutations autoritaires et crise climatique
En réalité, la démocratie espagnole et européenne sont en pleine mutation, tout comme le capitalisme néolibéral. Et si la tendance vers des régimes plus autoritaires semble claire, ni le point d'arrivée ni les rythmes ne peuvent en être prédits. Mais la question est de savoir si un fascisme du 21e siècle, tel que nous l'avons présenté au début, peut trouver son compte dans cette mutation. Je pense que oui, et que le déclencheur le plus probable en será la crise climatique. Pour reprendre les termes de Phil Hearse :

« La catastrophe climatique produira un type de désorganisation et de bouleversement social qui ne pourra être contrôlé, du point de vue de la classe capitaliste, que par des dictatures autoritaires reposant à leur tour sur des appareils militaro-policiers et sur la tendance à mobiliser les masses sur la base du nationalisme, de l'identité ethnique ou du racisme. C'est ce que nous entendons par fascisme moderne » (« L'effondrement climatique menace d'apporter le fascisme et la guerre », 13/07/2023).

Il va de soi que cette issue n'est pas certaine, tout comme il est impossible de savoir, dans les premiers stades de la propagation d'un virus modifié, s'il conduira à une pandémie, même si les effets néfastes sont vérifiables, et commencer à le combattre est la seule façon d'empêcher que les gens nen subissent les effets et que cela ne dégénère en pandémie.

14- La mobilisation sociale contre la contagion fasciste doit commencer dès maintenant. Il est indispensable de lutter contre les agressions que subissent la classe ouvrière et les secteurs populaires, en particulier celles qui sont dirigées contre les personnes que la droite radicale et le néofascisme ont désignées comme ennemis. Il nous faut unifier les luttes de celles et ceux d'en bas, qui constituent la grande majorité de la population, contre la petite minorité qui bénéficie des politiques d'exclusion sociale, d'austérité, de dégradation démocratique et de complicité avec les agressions impérialistes.

Face à la dynamique de l'exclusion, nous devons exiger le respect scrupuleux de toutes les législations internationales protégeant les droits de l'homme, en particulier aux frontières, et lutter pour obtenir les droits de citoyenneté, sans exclusives, à toutes les personnes résidant sur le territoire de l'État espagnol.

Face à la montée de l'autoritarisme, il est nécessaire de lutter pour une véritable démocratie, dans son sens originel de pouvoir du peuple à décider de toutes les questions de la manière la plus directe et participative possible à tout moment, sans autres limites que les droits des individus et des minorités. Le droit de décider des droits des femmes et des personnes LGTBI contre le fondamentalisme religieux et la morale réactionnaire ; de décider des mesures nécessaires pour faire face à l'urgence climatique contre les intérêts des multinationales ; le droit de décider des relations que les peuples et les nations de l'État espagnol veulent maintenir contre le dogme de l'unité indissoluble de l'Espagne ; le droit de décider des mesures nécessaires à l'établissement de la vérité, pour la justice et la réparation des crimes du franquisme en refusant une loi qui pose un point final, telle que ce fut le cas avec la loi d'amnistie…

Face à l'accumulation de richesses par les multinationales et à la pauvreté de plus en plus répandue et cachée de larges secteurs sociaux, il est nécessaire d'exiger la défense et l'extension des biens communs, sans craindre les incursions dans la propriété privée des puissants. Il n'est pas vrai qu'il n'y aurait pas assez de ressources pour tout le monde, en réalité elles sont détournées par une minorité qui, de plus, les utilise pour maintenir un mode de production qui nous conduit à une catastrophe climatique. Nous avons besoin d'un autre modèle de production, basé sur des critères écologiques, qui réduise l'utilisation d'énergie et de matériaux et qui soit orienté vers la satisfaction des besoins humains fondamentaux, loin du consumérisme.

Face à la concurrence entre les blocs impérialistes et à la prolifération des conflits et des guerres au nom du nationalisme identitaire ou de la civilisation occidentale, nous devons pratiquer la solidarité avec les peuples qui luttent contre toute forme d'impérialisme et pour une véritable coopération dans la lutte contre le changement climatique et pour le maintien de la vie sur une planète habitable. Nous devons nous opposer à l'augmentation des dépenses militaires, au soutien de l'État espagnol ou de l'UE aux interventions militaires et aux guerres contre d'autres peuples, et en particulier au génocide du peuple palestinien par un État raciste et colonial, dont le gouvernement et des pans importants de la société sont infectés par le néo-fascisme.

Marti Caussa, 23/08/2024
Paru dans Viento sur, 24/Ago/2024 :
https://vientosur.info/el-virus-fascista-y-el-riesgo-de-pandemia/
Traduit de l'espagnol pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepL.
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71863

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Allemagne : Une nouvelle polarisation est nécessaire

17 septembre 2024, par Manuel Kellner — , ,
Les résultats des élections régionales dans les États allemands de Saxe et de Thuringe le 1er septembre 2024 indiquent une augmentation du soutien à l'extrême droite aussi (…)

Les résultats des élections régionales dans les États allemands de Saxe et de Thuringe le 1er septembre 2024 indiquent une augmentation du soutien à l'extrême droite aussi écrasante que dans de nombreux autres pays. Quel sentiment terrible que d'avoir à espérer que dans les deux Länder, l'Union chrétienne-démocrate (CDU) puisse rassembler un gouvernement pour faire face à l'Alternative für Deutschland (AfD), parti d'extrême-droite !

12 septembre 2024 | tiré du site inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4274

Le soir des élections, les dirigeants de l'AfD ont pu affirmer avec un sourire moqueur que le gouvernement de coalition et les partis CDU/CSU avaient adopté leurs positions, en particulier sur la politique des réfugiés (mais qu'ils n'étaient pas en mesure de les mettre en œuvre). Ils continueront donc à « faire pression » sur les partis établis. En effet, le débat public est entièrement dominé par l'extrême droite. Plus les partis établis reprennent leurs idées, plus il est certain que davantage de personnes voteront pour l'extrême droite originelle à la prochaine occasion.

Les résultats électoraux à un chiffre des partis de la coalition gouvernementale sont une gifle retentissante pour eux et pour le chancelier Scholz (pour le parti social-démocrate, les Verts et, de manière particulièrement spectaculaire, pour les démocrates libres de Lindner). Peut-on s'en réjouir et demander de nouvelles élections au niveau fédéral ? La CDU sort de ces élections régionales avec les pertes les plus faibles, en première ou deuxième position. Selon les sondages, il est presque certain que les partis de l'Union seront la première force du gouvernement qui remplacera la Coalition. Mais cela signifie que nous tombons de Charybde en Scylla.

Une crise de gouvernement

Le nouveau parti Bündnis Sahra Wagenknech (BSW) a réussi à prendre des voix à tous les autres partis, mais avant tout à Die Linke - et enfin à l'AfD. Son existence est l'expression de la crise de la gauche. Sa position est plutôt ambiguë, et ce n'est pas seulement sur la question des réfugiés et son conservatisme en matière de politique culturelle qu'elle recoupe celle de l'AfD. Il est difficile de savoir dans quelle mesure ses positions plutôt à gauche sur la politique sociale et la distribution peuvent jouer un rôle positif.

Dans la mesure où il s'agit d'un modèle de fonctionnement vertical dépendant d'une personnalité charismatique, son avenir est incertain. De plus, la configuration des forces dans les deux nouveaux parlements régionaux l'obligera à faire des choix de « realpolitik ». En ces temps de grande instabilité politique, il pourrait facilement arriver que la BSW perde rapidement sa crédibilité et soit comptée dans la conscience collective des partis établis.

La crise de la coalition gouvernementale ne pourrait être accueillie favorablement que si la gauche - et donc Die Linke en termes électoraux - s'en trouvait renforcée. Comme chacun le sait, c'est le contraire qui se produit. Le parti de Bodo Ramelow, autrefois si fier de diriger la Thuringe, se retrouve aujourd'hui comme un poulet plumé. Il n'a pas été utile à Ramelow de capitaliser sur son aura personnelle et d'omettre le nom de son parti sur les affiches électorales. En Saxe, Die Linke est même passé sous la barre des 5 % et n'est revenu au Landtag que grâce à deux mandats directs. Dans les sondages, de nombreuses personnes ont justifié leur choix de voter pour la BSW (ou même l'AfD) par leur déception à l'égard de Die Linke. Bien sûr, il y a à nouveau des gens qui disent que Die Linke doit maintenant être définitivement rayé de la carte.

Mais attendez un peu...

Les échecs électoraux ne rendent pas Die Linke plus à droite, plus intégré au système ou plus bourgeois. Ce que j'ai déjà eu l'occasion de dire est plus vrai que jamais : toute personne qui est encore membre aujourd'hui, ou qui le deviendra à l'avenir, et toute personne qui continue à voter pour Die Linke, agit par conviction. Celle-ci a une grande valeur et ne doit pas être compromise à la légère. Bien entendu, la gauche dans son ensemble, dont Die Linke reste la force la plus puissante relativement, doit réfléchir à la manière dont elle peut sortir de sa crise et redevenir plus forte.
Die Linke a tout à gagner à combattre les fausses polarisations dans le débat public en leur opposant l'antagonisme de classe entre le travail et le capital. Aucune autre force politique audible en Allemagne n'exige systématiquement et à chaque occasion une rupture avec toutes les politiques menées par les partis établis et l'AfD dans l'intérêt du capital et contre les intérêts des travailleurs, des exploités et des défavorisés. L'absence d'une telle force pèse comme un cauchemar sur de nombreuses personnes qui, dans leur désespoir, se tournent vers les rabatteurs bruns peints en bleu.

Il n'y a pas de raccourci. Sans un enracinement profond dans les lieux de travail et les quartiers, la gauche ne retrouvera jamais sa force. La solidarité avec la Palestine plutôt que la raison d'État, l'internationalisme et l'antimilitarisme plutôt que le bellicisme et le pacifisme - il y a là « beaucoup de planches épaisses à percer ». Mais nous avons aussi besoin d'initiatives politiques audacieuses. Entre autres, prendre la mesure de la combativité qui subsiste dans les syndicats pour les impliquer dans une grande consultation sur la manière dont nous pouvons faire face au danger que représente l'extrême droite par des actions de masse qui débouchent sur une solidarité concrète.

Le 12 septembre 2024, publié par International Viewpoint.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

7433 résultat(s).
Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

gauche.media

Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

En savoir plus

Membres