Derniers articles

Le peuple algérien réitère son rejet du régime militaire

17 septembre 2024, par Gilbert Achcar — , ,
Malgré la confusion qui a accompagné l'annonce des résultats des récentes élections présidentielles en Algérie, une chose est claire et certaine : le peuple algérien rejette (…)

Malgré la confusion qui a accompagné l'annonce des résultats des récentes élections présidentielles en Algérie, une chose est claire et certaine : le peuple algérien rejette massivement le régime militaire...

11 septembre 2024
Gilbert Achcar
Professeur, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart

Malgré la confusion qui a accompagné l'annonce des résultats des récentes élections présidentielles en Algérie, une chose est claire et certaine : le peuple algérien rejette massivement le régime militaire, après avoir consacré son Hirak il y a cinq ans à exiger la fin de ce régime et son remplacement par un pouvoir civil démocratique. En effet, la confusion elle-même est une conséquence directe de ce fait, qui a émergé à travers le véritable enjeu de ces élections, personne n'ayant le moindre doute quant à la victoire du candidat de l'institution militaire, Abdelmadjid Tebboune. Ce qui était vraiment en jeu, c'était l'ampleur de la participation du peuple algérien à ces élections, par rapport aux précédentes organisées fin 2019, que l'institution militaire avait imposées face au rejet et au boycott du Hirak. Le résultat ne fut pas alors celui escompté par les militaires, puisque le taux de participation fut inférieur à 40% (39,51% pour être exact, avec 9 755 340 personnes ayant voté, selon les chiffres officiels, sur 24 474 161 inscrites). Ce faible taux de participation s'est produit alors que les autorités avaient permis une plus grande diversité des candidats, avec cinq candidats en lice en 2019.

Quant aux élections de samedi dernier, le taux de participation y a été inférieur à celui de 2019, qui était lui-même inférieur aux chiffres officiels des élections précédentes. Selon le décompte officiel, le nombre total de votes exprimés samedi dernier pour les trois candidats en lice n'a été que de 5 630 196, une baisse importante par rapport au total des votes exprimés il y a cinq ans, tandis que le nombre des inscrits était presque inchangé (24 351 551), de sorte que le taux de participation est tombé à 23,12% seulement ! La tentative du chef de l'Autorité nationale « indépendante » des élections, Mohamed Charfi, de camoufler la défaite du gouvernement en affirmant que le taux de participation « moyen » était de 48 %, chiffre obtenu en divisant le taux de participation par le nombre de circonscriptions électorales (comme dire que le taux de participation moyen entre 10 % dans une ville de 100 000 électeurs et 90 % dans une ville de moins de 1000 électeurs est de 50 %) a échoué au point que la propre campagne de Tebboune a dû protester contre la confusion ainsi causée.

Face à cette défaite politique désastreuse, les 94,65% des voix obtenues par Abdelmadjid Tebboune, selon les chiffres officiels, semblent bien maigres, sans parler du fait que les deux autres candidats n'ont pas tardé à accuser les autorités d'avoir falsifié les résultats. Selon le décompte officiel, Tebboune a reçu 5 329 253 voix, contre 4 947 523 en 2019, soit une légère augmentation. Mais contrairement à certains commentaires qui ont vu dans le pourcentage obtenu par Tebboune une imitation de la tradition bien connue des dictatures régionales, qui exige d'accorder au président plus de 90% des voix, le pourcentage de 94,65% aux dernières élections algériennes n'a pas été combiné avec un taux de participation élevé comme c'est généralement le cas dans les dictatures, que ce soit en falsifiant les chiffres ou en imposant la participation à la population, ou les deux.

Au contraire, la faible participation a confirmé que le Hirak de 2019 – même si le régime militaire et les services de sécurité ont pu l'écraser par la répression et les arrestations arbitraires, saisissant initialement l'opportunité offerte par la pandémie de Covid en 2020 et poursuivant la même approche jusqu'à ce jour – le Hirak est toujours vivant comme un feu sous les cendres, attendant une occasion de s'enflammer à nouveau. Il ne fait aucun doute que l'establishment militaro-sécuritaire au pouvoir considérera le résultat des élections comme une source d'inquiétude, surtout qu'il s'est produit bien que le gouvernement ait augmenté les dépenses sociales avec lesquelles il tente d'acheter l'assentiment du peuple, en profitant de la hausse des prix des hydrocarbures et de l'augmentation de ses revenus qui s'en est suivie, avec le besoin européen croissant de gaz algérien pour compenser le gaz russe. Les hydrocarbures représentent en effet plus de 90% de la valeur des exportations algériennes, un pourcentage bien plus important que tous les pourcentages électoraux, car il indique l'échec lamentable des militaires à industrialiser le pays et à développer son agriculture, un objectif qu'ils ont déclaré prioritaire depuis qu'ils ont pris le pouvoir en 1965 sous la houlette de Houari Boumediene, notamment après la nationalisation du secteur des hydrocarbures en 1971.

Il est à craindre que la réaction de l'institution au pouvoir à son échec politique évident ne se traduise par une nouvelle restriction des libertés et ne conduise le pays sur la voie traditionnelle des dictatures régionales, avec davantage de fraude électorale, au lieu de répondre au désir clair du peuple algérien de voir les militaires retourner dans leurs casernes et faire place à un gouvernement civil démocratique issu d'élections libres et équitables. Au contraire, des faits indiquent que le pays suit le modèle égyptien en élargissant le champ d'intervention de l'institution militaire dans la société civile, comme en témoigne la décision prise par la présidence au début de l'été de permettre aux officiers de l'armée d'occuper des postes dans l'administration civile sous prétexte de bénéficier de leurs qualifications.

En fin de compte, des deux vagues de soulèvements qu'a connues la région arabophone en 2011 et 2019, les régimes en place n'ont tiré que des leçons répressives en resserrant leur emprise sur les sociétés. Ce faisant, ils ne font qu'ouvrir la voie à des explosions encore plus grandes et plus dangereuses que ce que la région a connu jusqu'à présent, alors que la crise économique et sociale structurelle qui a constitué la base des deux vagues révolutionnaires précédentes continue de s'aggraver et s'aggravera inévitablement tant que les régimes de tyrannie et de corruption resteront en place.

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 10 septembre en ligne et dans le numéro imprimé du 11 septembre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Série Soudan (4/4), Arabie Saoudite et Émirats, ces alliés devenus adversaires

17 septembre 2024, par Mateo Gomez — , ,
Généralement partenaires et même alliés, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis font preuve en réalité d'une rivalité très vive au Soudan, où la guerre civile fait rage. (…)

Généralement partenaires et même alliés, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis font preuve en réalité d'une rivalité très vive au Soudan, où la guerre civile fait rage. Les deux royaumes soutiennent des camps opposés.

Tiré de Mondeafrique
26 août 2024

Par la rédaction de Mondafrique

Un article de Mateo Gomez

Le chef d'État du Soudan, Abdel Fattah al-Burhan, qui a dégagé le dictateur Omar al-Bashir en 2019, fait face à son ancien second surnommé Hemeti, qui dirige le groupe paramilitaire Forces de Soutien Rapide (FSR). Mais ce conflit n'est pas qu'une embrouille domestique. Le Soudan, lien entre le monde arabe et l'Afrique subsaharienne, est riche en ressources naturelles. Du coup, ce pays attire les convoitises régionales.

Ainsi, l'Arabie Saoudite comme les Émirats Arabes Unis (EAU) voient tous deux la guerre comme une opportunité pour étendre leur influence dans la région. Les Saoudiens soutiennent le gouvernement internationalement reconnu d'Abdel Fattah, alors que les Émiratis penchent pour le chef des rebelles et ex numéro deux du régime.

Ces derniers n'espèrent pas une victoire complète des FSR, de toute façon hautement improbable au vu de la force et la légitimité de Fattah. Mais un cas probable serait une situation similaire à celle de la Libye, où divers groupes se battent pour des zones d'influences sur le territoire. Un tel cas de figure permettrait aux Émirats d'être une perpétuelle épine dans le pied Saoudien, et d'en extraire ainsi des concessions.

Généralement partenaires et même alliés, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis font preuve en réalité d'une rivalité très vive au Soudan, où la guerre civile fait rage. Les deux royaumes soutiennent des camps opposés.

Le groupe Wagner (1) dans la boucle

Ces monarchies du golfe ont joué un rôle significatif au Soudan depuis la chute de la dictature d'al-Bashir en 2019, envoyant des milliards de dollars à la junte d'Abdel Fattah en aide et investissements. Leurs intérêts étaient à l'époque alignés. Mais le rapprochement du Soudan avec le Qatar, rival des EAU, fut vu d'un mauvais œil par Abu Dhabi. Et lorsque les FSR, qui avaient déjà soutenu les intérêts émiratis au Yémen et en Libye, s'affirmèrent comme la première force d'opposition à Fattah en 2023, le patron des Émirats, MBZ, sauta sur l'occasion.

Sans manifester une hostilité trop évidente à l'égard des saoudiens, les émiratis ont collaboré avec la Russie pour soutenir le groupe Wagner, qui a offert ses services aux FSR. Les paramilitaires soudanais protègent les intérêts miniers des paramilitaires russes, qui envoient des ressources à la Russie… en passant par les Émirats. En juin 2023 la trésorerie américaine à sanctionné Al Junaid et Tradive, deux entreprises minières associées à Hemeti et basées au Soudan et aux Émirats.

Les Saoudiens, de leur côté, travaillent sans relâche pour se présenter comme un médiateur de paix crédible et comme un soutien humanitaire conséquent pour les soudanais. Mais la perspective de la paix est encore lointaine. Si elle venait à se réaliser, les saoudiens pourraient renforcer leur image de leader du monde arabe et musulman. Mais si une situation similaire à celle en Libye s'installe, les Emirats pourraient durablement fragiliser l'influence saoudienne dans la région – une victoire pour le petit royaume.

Les Américains convoités

Cette compétition entre les deux royaumes n'est pas nouvelle. Les Émirats n'hésitent pas à nouer des liens diplomatiques avec tout le monde, y compris l'Iran, l'ennemi juré des saoudiens. Au Yémen, les tensions sont palpables. Riyad soutient le gouvernement reconnu internationalement d'Abed Rabbo Mansour ; Abu Dhabi en revanche soutient le groupe rebelle du Conseil de Transition du Sud (2), qui lui offre un accès privilégié aux ports du pays mais qui bloque le développement d'infrastructures pétrolières saoudiennes.

Dernièrement, la compétition entre les deux pays pour mettre les États-Unis de leur coté a été intense. Depuis la scandale de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi par les saoudiens, les relations entre le royaume et les États-Unis se sont refroidies considérablement, ouvrant la porte aux Émiratis qui voudraient devenir le partenaire privilégié de la superpuissance dans la région à coup d'achats d'armes.

Cerise sur le gâteau, la signature des accords d'Abrahams avec les Israéliens a renforcé encore la crédibilité de MBZ, le chef tout puissant des Émiratis, auprès des Américains, alliés constants de Tel Aviv.

(1) Malgré sa rébellion ratée, le groupe Wagner est toujours présent en Ukraine, en Biélorussie et en Afrique. Il a été intégré à l'armée régulière russe et doit répondre aux ordres d'Andreï Trochev, qui a été directement nommé par Vladimir Poutine.

(2) Les autorités séparatistes du Sud accusent le gouvernement d'Abd Rabbo Hadi – appuyé par une coalition militaire conduite par l'Arabie saoudite – de ne pas avoir rempli ses obligations et d'avoir même « conspiré » contre leur cause. En principe, tous sont alliés au sein du camp « loyaliste » contre la rébellion houthi au nord. Dans la réalité, l'accord qu'ils ont signé – contraints et forcés – début novembre à Riyad ne s'est jamais traduit dans les faits.

***Source : Mohammad, Talal. “How Sudan Became a Saudi-UAE Proxy War”, Foreign Policy, Fall 2023, pp. 24-26

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

L’impuissance africaine face à l’immigration clandestine

17 septembre 2024, par Bati Abouè — ,
Deux semaines après la tournée africaine du premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, qui s'est rendu au Sénégal pour tenter de décourager l'émigration vers l'Europe, une (…)

Deux semaines après la tournée africaine du premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, qui s'est rendu au Sénégal pour tenter de décourager l'émigration vers l'Europe, une pirogue transportant 150 personnes en route pour les îles canaries a chaviré le dimanche 8 septembre à Mbour à 100 km au sud du Sénégal, créant un nouveau drame humain devant lequel les autorités du pays en particulier et les dirigeants africains en général restent encore impuissants.

Tiré de MondAfrique.

Au moins 150 personnes étaient dans cette pirogue qui a quitté la plage de Mbour, au sud du Sénégal, le dimanche 8 septembre dernier. L'embarcation a chaviré 3 kilomètres plus tard jetant à la mer tous ses passagers. Ce nouveau drame de l'émigration clandestine intervient seulement deux semaines après le passage du premier ministre espagnol Pedro Sanchez dans la capitale sénégalaise.

Le dirigeant espagnol s'était rendu à Dakar dans le cadre d'une tournée africaine destinée à décourager le flot d'émigrés qui envahissent les îles Canaries à partir des côtes mauritanienne et sénégalaise. Mais le mal est bien trop profond et devant le manque de perspective dans leur pays, rien n'arrive à entamer la détermination des jeunes africains qui tentent quotidiennement, au prix de leur vie, leur chance de vivre et travailler en Europe.

Pour retrouver les naufragés, le Sénégal a déployé des marins qui poursuivent leurs recherches à l'aide de zodiac de sauvetage. Les pêcheurs traditionnels ont été les premiers à venir à la rescousse des passagers de l'embarcation naufragé. Mais jusqu'au lendemain 9 septembre, seulement 24 personnes – dont 3 sont encore en observation à l'hôpital- ont pu être sauvées, tandis que 5 corps sont venus s'ajouter aux quatre personnes noyées retrouvées dès dimanche par les pêcheurs.

Alors avec les heures qui passent, l'espoir s'amenuise forcément. D'autant que le bilan risque de s'alourdir car, pour l'heure, il n'y a aucune certitude sur le nombre exact des passagers – 150 ou plus ? – qui étaient à bord de cette pirogue. On sait en revanche que la pirogue a quitté l'une des plages de Mbour le samedi 8 septembre en milieu d'après-midi, en direction des îles Canaries. « C'est désastreux ce qu'il se passe à Mbour. Les pertes sont énormes. On ne peut pas imaginer des jeunes, même pas 30 ans, qui sont morts », a expliqué au correspondant de RFI Cheick, un Sénégalais qui affirme connaître une vingtaine de personnes ayant pris place dans la pirogue.

Deux autres pirogues interceptées

À la morgue, le désespoir se lisait sur les visages des parents et amis venus s'informer pour certains ou débuter la procédure de retrait des corps pour d'autres. Souvent à ce chagrin se mêlait la colère de voir ces drames se répéter. L'impuissance des autorités à créer des emplois pour donner des raisons aux jeunes de rester dans leur pays est régulièrement pointée par les parents des victimes. Mais pour Mohamed Baro, conseiller municipal à Mbour, ce drame a également été alimenté par la limitation drastique des visas dans les consulats occidentaux. « C'est une catastrophe qui malheureusement va se reproduire car ces jeunes sont déterminés à partir. Il y a quelque temps, ces jeunes partaient de Gambie ou ailleurs, mais ce qui s'est passé hier, c'est qu'ils sont partis de la plage même de Mbour. En Afrique et au Sénégal particulièrement, nous avons toujours des difficultés pour obtenir des visas. Et ce ne sont pas d'habitude des badauds qui entreprennent le voyage, ce sont des enfants qui se débrouillent, qui ont un métier, qui devraient normalement voyager sans avoir besoin de vivre certaines péripéties », estime-t-il.

Signe de cette détermination, la marine sénégalaise a arraisonné deux pirogues transportant 421 passagers, dont 20 enfants alors que les recherches des corps de naufragés se poursuivait.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le capitalisme au village. Pétrole, État et luttes environnementales en Amazonie

17 septembre 2024, par Doris Buu-Sao — , ,
Avec son ouvrage intitulé Le capitalisme au village. Pétrole, État et luttes environnementales en Amazonie (CNRS éditions), la sociologue Doris Buu-Sao invite à rompre tant (…)

Avec son ouvrage intitulé Le capitalisme au village. Pétrole, État et luttes environnementales en Amazonie (CNRS éditions), la sociologue Doris Buu-Sao invite à rompre tant avec les lectures unilatérales célébrant l'héroïsme de la résistance indienne au Pérou qu'avec le regard désabusé de celles et ceux qui déplorent l'incapacité d'un peuple à reprendre en main son destin.

Pour restituer cette complexité, elle met en lumière le déploiement de l'État et du capitalisme « par le bas ». Sa longue enquête de terrain, dans le nord du Pérou, révèle la variété des interactions entre les villages autochtones et l'industrie pétrolière, et permet d'éclairer la manière dont l'ordre politique et économique est produit, mais aussi contesté au quotidien. Nous publions ici la conclusion de son livre.

10 septembre 2024 | tiré du site contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/capitalisme-village-petrole-etat-luttes-environnementales-amazonie/

Des Quechuas employés comme ouvriers dans des installations pétrolières ; des leaders indigènes en mouvement entre des réseaux militants transnationaux et leur village d'origine ; des évangélistes prêchant la parole de Dieu lors de rassemblements face à la pollution industrielle ; des salarié·es d'ONG qui joignent leurs efforts pour changer les politiques publiques ; des réservistes, travailleur·ses et habitant·es de communautés natives qui revendiquent leurs droits en tant qu'indigènes de la frontière péruvienne… Autant de portraits qui ont dessiné, au fil des pages, un tableau nuancé de la rencontre des sociétés amazoniennes avec l'industrie extractive. Au terme de ce parcours, le « capitalisme au village » se matérialise dans une variété de situations, de l'extraordinaire des moments de protestation à l'ordinaire du voisinage avec le monde industriel. Bien qu'ambivalentes, ces interactions n'en sont pas moins porteuses de profondes transformations dont la portée dépasse largement l'enceinte du site pétrolier.

Au microscope des villages du Pastaza, la pénétration du capitalisme en Amazonie apparaît finalement comme un processus complexe dans lequel les habitant·es et leurs porte-parole jouent un rôle actif. Face aux compagnies pétrolières qui viennent développer leur activité, ils et elles font preuve d'une capacité à se mobiliser mais aussi à s'approprier des principes d'organisation économique promus par les salarié·es des relations communautaires. L'implantation des entreprises communales dans les villages selon des logiques hybrides, entre la conformation à l'ordre industriel et la subversion, nourrit des identités collectives singulières qui peuvent à leur tour constituer un support de mobilisation. Face aux pouvoirs publics, les leaders indigènes et leurs bases ont appris à revendiquer des droits, questionnant ouvertement la légitimité de (hauts) représentants de l'État péruvien. Ils et elles identifient les autorités péruviennes comme les principales responsables du développement de l'économie extractive en Amazonie, faisant preuve d'inventivité et de sens critique pour obtenir des réponses à leurs revendications. Dans le cours d'interactions répétées, dirigeant·es, assesseur·es et habitant·es sont peu à peu socialisé·es à des manières de faire et des catégories conceptuelles issues de l'idée d'État et de sa bureaucratie. En se mobilisant, ils et elles contribuent à leur manière à la production d'un ordre national dans lequel s'entremêlent le développement de l'industrie extractive et la formation de l'État péruvien.

L'extractivisme tel qu'il a été appréhendé dans ce livre est donc indissociablement économique et politique : il désigne autant des activités productives qu'un ensemble de politiques publiques qui les soutiennent, qu'elles portent sur l'industrie, la fiscalité, l'aménagement du territoire, etc. Le capitalisme est profondément politique, au sens où il alimente la structuration d'un ordre social inégalitaire et asymétrique, et où son existence dépend de l'État, garant des droits de propriété comme des moyens de l'échange[1]. Tout en souscrivant à ce postulat au cœur de l'économie politique, la perspective développée ici accorde une place centrale au social dans lequel s'encastrent toujours l'économique et le politique, en dépit de la séparation – socialement construite – de ces domaines en des entités ontologiquement distinctes[2].

L'entrelacement du politique et de l'économie autour de l'extraction des ressources naturelles se fait certes à l'échelle de l'industrie dans son ensemble et des politiques publiques qui la soutiennent[3]. Mais l'articulation apparaît sous un autre jour quand le regard se porte sur les territoires au sein desquels l'extractivisme se matérialise. Vues depuis les villages amazoniens, l'extraction pétrolière et les frictions qu'elle suscite apparaissent comme des moteurs de la formation de l'État par l'intermédiaire de leurs habitant·es – depuis l'appropriation active de l'entreprise communale jusqu'à la mobilisation.

L'attention accordée à la territorialité de l'extractivisme et, en particulier, à la capacité d'action des populations locales, enrichit ainsi la compréhension de la portée profondément politique des industries extractives. Si Timothy Mitchell a bien montré comment l'économie du charbon puis celle du pétrole ont façonné nos démocraties contemporaines, conditionnant l'exercice du pouvoir comme sa contestation[4], le regard ethnographique souligne le rôle joué par les habitant·es des espaces extractifs, nuançant de la sorte une analyse qui peut, par moment, tendre vers un déterminisme excessif. C'est ce qu'expriment bien les femmes et hommes du Pastaza qui affirment avoir réussi à faire s'« asseoir l'État ». À l'issue de la mobilisation de 2012, ils et elles ont en effet obtenu la venue d'une délégation composée de ministres qui se sont « assis·es » pour écouter leurs revendications concernant la pollution industrielle ainsi que la situation d'abandon étatique dans laquelle ils se sentent. Mais par leur action protestataire et de négociation, et par les catégories étatiques qu'ils et elles s'approprient pour formuler leurs demandes, les habitant·es contribuent aussi à asseoir l'emprise de l'État et, dès lors, la légitimité des politiques extractives.

Au plus près des activités extractives, sur les sites industriels et à leurs abords, se joue ainsi une micropolitique de la nature qui touche à l'organisation de la société, aux manières de subvenir à ses besoins, d'en définir les principes, les valeurs et les modalités d'appartenance. L'industrie pétrolière se nourrit de logiques d'expropriation de la nature, d'exploitation du travail mais aussi de socialisation à l'ordre économique capitaliste, au croisement de l'espace industriel, villageois et domestique[5]. Dans le même temps, cette micropolitique de la nature éclaire la contribution de dynamiques locales (en termes de sociabilités ordinaires, d'organisation du travail ou d'action collective) à la production de l'ordre politique et économique ainsi qu'à sa contestation. Elle souligne de la sorte l'indétermination d'un ordre extractif dont la continuité dépend des espaces sociaux et biophysiques dans lesquels il se déploie.

*

À l'heure où paraît ce livre, voilà plus de trois ans que la production de pétrole dans le lot 1-AB, renommé « lot 192 » par l'administration péruvienne, est paralysée. La pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement ont fait s'effondrer les cours du pétrole et la rentabilité de l'extraction, pourtant déclarée comme de « première nécessité » par le gouvernement péruvien au début de la crise sanitaire. À l'interruption conjoncturelle de l'activité à Andoas, en mars 2020, s'ajoutent des obstacles plus structurels à la reprise de la production. Le lot 192 a changé trois fois de mains depuis 2015, date à laquelle le contrat de Pluspetrol est parvenu à son terme. Depuis février 2023, c'est désormais Petroperú, entreprise pétrolière d'État restée à l'écart de l'exploitation pétrolière pendant des décennies, qui annonce une reprise de la production sans encore y être parvenue[6].

Chaque changement de titulaire du permis pétrolier a ravivé les mobilisations. À quatre reprises, des centaines d'habitant·es d'Andoas, de Capahuari et de Los Jardines ont occupé les installations pétrolières et bloqué la production pendant plusieurs semaines. Ils et elles ont exigé jusqu'à un million de soles (250 000 euros) de droits de servitude pour l'utilisation des territoires communaux, ainsi que le respect des engagements pris par l'administration péruvienne et la mise en place d'une consultation préalable à chaque nouveau contrat d'exploitation. Andrés, toujours à la tête de la Fédération quechua, exige aujourd'hui le respect de l'accord de consultation préalable signé en août 2021 avec l'agence péruvienne du pétrole, Perúpetro. L'accord inclut notamment un vaste plan de restauration des sites pollués et un programme sanitaire pour réparer les dommages infligés à la population. Ces mesures n'ont toujours pas été mises en œuvre. Tandis que l'électricité ou les emplois offerts par les compagnies pétrolières se sont taris avec l'arrêt de la production, les substances toxiques continuent de s'accumuler autour des infrastructures pétrolières.

Jusqu'à présent, aucune des entreprises privées qui ont exploité le gisement ne s'est acquittée des mesures de restauration exigées par les agences péruviennes de régulation environnementale. Pluspetrol a engagé la liquidation de ses actifs au Pérou afin de s'y soustraire, en décembre 2020, et la Cour d'arbitrage international saisie par l'administration péruvienne a récemment statué en faveur de l'entreprise pétrolière. Le coût de la restauration des sites pollués, estimé à plusieurs centaines de millions de dollars[7], sera probablement porté par l'État péruvien. Pendant ce temps, malgré l'interruption de la production, les déversements accidentels de pétrole continuent de se multiplier. Après un demi-siècle d'utilisation, les infrastructures oxydées et mal entretenues du site pétrolier cèdent de plus en plus souvent à la corrosion.

En février 2022, les organisations indigènes comptabilisaient 35 déversements survenus en seulement un an, alors que Perúpetro, l'agence responsable de la gestion des permis pétroliers, avait provisoirement la charge de la maintenance du site à l'arrêt – soit plus du tiers des 95 déversements recensés par l'État péruvien, entre 2000 et 2015, sous la responsabilité de Pluspetrol. En avril 2023, deux semaines après le premier déversement survenu sous sa responsabilité, Petroperú, désormais titulaire du permis d'exploitation, justifiait son inaction par l'insuffisance de son budget face à l'ampleur de l'accident. Le pétrole s'était répandu sur 400 km2 de forêt et le long de 17 km de rivière. Des installations à l'abandon, des sites intoxiqués, des habitant·es sans emploi, des organisations indigènes mobilisées, des promesses de reprise d'une activité à la rentabilité douteuse par une entreprise publique, des milliards de soles de dépenses de restauration dont l'État péruvien devra se charger : voilà donc ce qui reste aujourd'hui d'un demi-siècle d'extraction pétrolière.

L'ethnographie de l'abandon du site pétrolier par les entreprises privées passées, des promesses paradoxales de restauration écologique et de relance de la production, et des perspectives de démantèlement à plus ou moins long terme reste à faire[8]. À distance, on entrevoit néanmoins la capacité durable de mobilisation voire de blocage des habitant·es de l'espace pétrolier. Les dynamiques factionnelles continuent de favoriser l'émergence d'organisations rivales qui se disputent la représentation des villages de l'amont du fleuve Pastaza avec la Fédération quechua. L'une de ces structures dissidentes, critique de la plateforme PUINAMUDT à laquelle appartient la Fédération quechua, est présidée par un des gérants d'entreprise communale rencontré au fil des chapitres de ce livre. Les défections et les disputes qui se rejouent localement entre familles, leaders et villages n'empêchent toutefois pas l'appropriation des revendications portées dans les mobilisations menées par Andrés Cahuaza – en particulier les exigences en termes de compensation économique, de restauration écologique, de programmes sanitaires et éducatifs et de consultation préalable.

Depuis plus d'un an, les leaders de la Fédération quechua et les autorités communales qui leur sont restées fidèles expriment leur opposition à la reprise de l'extraction pétrolière si leurs revendications ne sont pas satisfaites. « D'abord la vie, ensuite le pétrole » : ainsi se conclut la déclaration, adressée en février 2022 aux autorités péruviennes, dans laquelle il est annoncé qu'« aucune entreprise pétrolière ne pourra venir sur notre territoire exploiter le lot 192 » si l'État ne respecte pas les engagements pris dans le cadre de la consultation préalable qui a abouti six mois plus tôt[9]. Face aux promesses de création d'emplois et de programmes sociaux pour les populations locales en cas de relance de la production pétrolière, il n'est toutefois pas certain que cet ultimatum se traduise par un véritable blocage de la reprise extractive. Ce qui semble inéluctable est le démantèlement progressif de l'extraction pétrolière dans ce site dont la capacité de production diminue de manière inversement proportionnelle à la corrosion et à l'obsolescence des infrastructures. La question qui se pose est alors ce qui restera de ces territoires dans lesquels le capitalisme extractif a durablement transformé l'environnement biophysique, les modes de vie et les aspirations.

La question de l'après-pétrole, posée depuis des décennies par la perspective de franchissement du pic pétrolier, ravivée par l'impératif de transition énergétique, prend une autre tournure quand elle est abordée depuis l'Amazonie péruvienne. Les autorités gouvernementales continuent d'y promouvoir le développement de l'industrie pétrolière dès lors qu'elle pourrait « contribuer à la sécurité énergétique du pays[10] ». Les efforts pour sauver à tout prix cette industrie extractive se heurtent toutefois à la perte de rentabilité d'opérations qui, pour des gisements anciens comme celui d'Andoas, sont confrontées au vieillissement d'infrastructures très coûteuses à entretenir et à l'épuisement des réserves – en 2020, 8 000 barils étaient extraits quotidiennement, contre plus de 100 000 dans les années 1980. Si la décarbonation de l'économie ne semble donc pas la priorité du gouvernement péruvien, les limites biophysiques posées à la production de pétrole annoncent à terme l'abandon des anciens sites d'extraction.

Sur les rives du Pastaza, avec l'interruption brutale de la production pétrolière, depuis mars 2020, et les incertitudes qui entourent la suite des opérations, les populations en première ligne de l'extractivisme sont aussi les premières à souffrir de ses transformations. Alors qu'elles ont été progressivement intégrées à l'économie de marché, socialisées au salariat et se sont approprié la rationalité capitaliste à travers les entreprises communales, elles sont aujourd'hui privées d'électricité et de revenus monétaires. L'environnement biophysique, qui continue d'être intoxiqué par les déversements de pétrole, peut difficilement couvrir les besoins alimentaires des habitant·es du Haut Pastaza. Comme dans d'autres régions du monde qui, pour leurs mines de charbon, leurs sites métallurgiques ou leurs usines automobiles, ont constitué des berceaux du capitalisme fossile, l'arrêt de l'extraction ne met pas fin à la dévalorisation écologique et sociale des espaces concernés.

Le démantèlement global du capitalisme fossile paraît certes encore bien loin. Le pétrole reste le principal moteur d'un modèle économique qui repose toujours sur la consommation massive d'hydrocarbures et de charbon[11]. Pour autant, les énergies renouvelables attirent une part croissante des investissements mondiaux. Dans un rapport de 2023, l'Agence internationale de l'énergie annonce ainsi que, pour la première fois, les capitaux investis dans des énergies labellisées comme « propres » dépasseront les montants placés dans les énergies fossiles[12]. Or, au-delà des discours sur la dématérialisation et la décarbonation de la croissance mondiale, il faut des métaux pour produire des ordinateurs, des éoliennes ou des batteries de voiture électrique, et de l'énergie pour activer les machines qui extraient et transforment les matières premières. De l'altiplano bolivien au désert chilien, de la Copperbelt qui s'étend entre la Zambie et le Congo à la ceinture pyriteuse qui traverse le Portugal et l'Andalouie, nombreux sont les espaces où se (re)déploient des activités minières à la faveur des promesses technologiques d'une transition énergétique gourmande en une multitude de métaux, du cuivre au lithium. La production d'énergie renouvelable par des installations photovoltaïques ou des éoliennes dépend par ailleurs d'infrastructures qui, pour une même quantité d'énergie produite, s'étendent sur des territoires de plus en plus vastes.

Y compris à l'heure de la « transition écologique », le capitalisme global dépend donc toujours du déploiement de projets industriels dans des territoires ciblés pour les ressources qu'ils renferment, qu'il s'agisse de minerais, de vent, de soleil ou d'espaces offerts aux infrastructures de la transition. Ces investissements constituent un terrain propice pour interroger les reconfigurations d'un modèle économique qui, au nom de la « croissance verte », promet d'étendre la frontière extractive toujours plus loin – dans les profondeurs sous-terraines, sous-marines et même dans l'espace. L'analyse des appropriations, subversions et contestations du capitalisme extractif en Amazonie péruvienne enrichira la compréhension de ces redéploiements industriels. Elle contribuera à éclairer, en temps de crise économique, sociale et écologique, les transformations du capitalisme et des politiques qui s'y articulent, mais aussi leurs fragilités.

Notes

[1] B. Jessop, The Future of the Capitalist State, Cambridge, Malden, Blackwell Pub, 2002 ; C. Hay, A. Smith, « Introduction. Le rapport capitalisme-politique », dans Dictionnaire d'économie politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.

[2] K. Polanyi, La Grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 2009. Bien qu'elle soit une fiction sociale, cette séparation n'en a pas moins de puissants effets en termes de légitimation de l'ordre social. Voir notamment : T. Mitchell, « Society, economy, and the state effect », art. cité.

[3] A. Bebbington et al., Governing Extractive Industries. Politics, Histories, Ideas, Oxford, Oxford University Press, 2018.

[4] T. Mitchell, Carbon democracy. Le pouvoir politique à l'ère du pétrole, Paris, La Découverte, 2013.

[5] L'articulation des processus d'expropriation de la nature et d'exploitation du travail humain, tant productif que reproductif, a été mise en lumière par les écoféministes matérialistes et, plus récemment, par les théories écomarxistes. Voir notamment M. Mies, Patriarchy and Accumulation on a World Scale. Women in the International Division of Labour, Londres, Zed Books, 2014 et B. Clark, J. B. Foster, Le Pillage de la nature, Paris, Éditions critiques, 2022.

[6] Au départ de Pluspetrol, une compagnie canadienne (Pacific Stratus Energy, devenue Frontera Energy) obtient les droits d'exploitation. Le contrat initial de deux ans est prolongé jusqu'en février 2021. À son départ, Perúpetro, l'agence péruvienne en charge de la gestion des contrats pétroliers, reprend la maintenance du site inactif d'Andoas. En février 2023, elle accorde la licence d'exploitation à Petroperú, qui devra cependant s'associer à un partenaire privé pour produire – l'entreprise d'État, qui s'est chargée ces dernières décennies du raffinage, du transport et de la distribution de pétrole, est considérée par Perúpetro comme insolvable et insuffisamment équipée pour assumer des activités d'extraction.

[7] PNUD, Estudio técnico independiente del ex lote 1AB : lineamientos estratégicos para la remediación de los impactos de las operaciones petroleras en el ex lote 1AB, Loreto, Perú, 2018.

[8] Le dernier séjour d'enquête a eu lieu en 2014, dans le cadre de la recherche doctorale dont les résultats sont publiés ici. Depuis, quelques échanges à distance et le suivi de la presse en ligne ont permis d'actualiser la connaissance de la situation.

[9] Déclaration des communautés achuares et quechuas réunies le 24 février 2022 à Andoas. https://observatoriopetrolero.org/comunidades-indigenas-del-lote-192-se-declaran-en-protesta-y-anuncian-acciones-legales-por-incumplimiento-de-acuerdos-de-consulta-previa/

[10] Proposition de loi de la Commission de l'énergie et des mines du Congrès de la République, intitulée « Loi qui déclare d'intérêt national la souscription de contrats d'hydrocarbures pour le développement et la consolidation de l'industrie pétrolière afin de contribuer à la sécurité énergétique du pays », présentée en mai 2023.

[11] En 2020, la production de pétrole satisfaisait 29 % de l'énergie consommée sur la planète, devant le charbon (27 %) et du gaz naturel (24 %) – l'énergie d'origine hydraulique, solaire ou éolienne ne représente, elle, que 6 % du mix énergétique mondial. Agence internationale de l'énergie, https://www.iea.org.

[12] L'AIE annonce que 1 700 milliards de dollars seront investis dans les énergies renouvelables, les véhicules électriques mais aussi le nucléaire, tandis que 1 000 milliards de dollars seront destinés à l'extraction de charbon et d'hydrocarbures. Agence internationale de l'énergie, World Energy Investment 2023 : https://www.iea.org/reports/world-energy-investment-2023

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Venezuela. Un régime « civilo-militaire-policier »

17 septembre 2024, par Emiliano Tran Montovani, Raúl Zibechi — , ,
Emiliano Terán Mantovani est l'une des voix critiques les plus influentes et les plus indépendantes au Venezuela, aujourd'hui. Sociologue à l'Université centrale du Venezuela, (…)

Emiliano Terán Mantovani est l'une des voix critiques les plus influentes et les plus indépendantes au Venezuela, aujourd'hui. Sociologue à l'Université centrale du Venezuela, Emiliano Terán Mantovani a collaboré à des initiatives telles que l'Atlas de la justice environnementale et le Groupe scientifique pour l'Amazonie. Il n'a pas été facile d'organiser cet entretien, car il doit agir avec une extrême prudence face à la militarisation écrasante que connaît le pays.

5 septembre 2024 | tiré du site alencontre.org | Photo : Nicolas Maduro et Maria Corina Machado
http://alencontre.org/laune/venezuela-un-regime-civilo-militaire-policier.html

Raúl Zibechi : Comment caractériseriez-vous le gouvernement de Maduro ?

Emiliano Terán Mantovani : Depuis le 28 juillet 2024, une fraude électorale a été réalisée au Venezuela dont on parlera beaucoup quand on se souviendra des plus grandes fraudes électorales de l'histoire contemporaine de l'Amérique latine, comme la « chute du système » au Mexique [1] celle d'Alberto Fujimori [en 2000] au Pérou, ou quelques cas insolites en Amérique centrale. Aujourd'hui, une reconfiguration du régime politique est proposée afin de pouvoir gouverner dans des conditions d'illégitimité sociale, politique et internationale complète. Il s'agit d'une reconfiguration dangereuse car elle vise à pousser la répression et le contrôle social à des niveaux inusités.

Permettez-moi tout d'abord de dire d'où nous venons, afin de voir où nous pourrions aller. Le gouvernement de Maduro a évolué au cours des 11 dernières années d'une manière qui tend de plus en plus vers la décadence, dans tous les sens du terme. Il a pulvérisé le cadre des droits sociaux, cherchant à étouffer toute dissidence politique et sociale, avec une répression brutale de l'ensemble du camp populaire, même si vous êtes un chaviste critique. Le Venezuela a été gouverné en vertu d'un état d'urgence permanent : un état d'urgence légal, par décret, qui a duré plus de cinq ans, de 2016 à 2021, quelque chose de totalement anti-constitutionnel, mais qui, paradoxalement, a été normalisé.

En outre, l'architecture du pouvoir a été façonnée par une restructuration progressive de l'Etat. Le point de départ réside dans l'Etat corporatiste et militariste façonné sous le gouvernement d'Hugo Chávez, ses manières autoritaires et verticales de faire de la politique, qui posent comme principe fondamental la plus grande loyauté envers le dirigeant avant toute chose. Les structures et les réseaux de corruption de l'Etat constituent également un facteur antérieur important. Ces éléments ont trouvé une continuité dans le gouvernement de Maduro, mais désormais sans le charisme et la légitimité politique de Chávez, sans les énormes revenus pétroliers qui étaient autrefois disponibles, et dans le contexte de l'effondrement structurel du Venezuela. Tout a commencé à être imposé principalement par la contrainte et la violence.

L'Assemblée nationale, largement remportée par l'opposition en 2015, a été ignorée et une Assemblée nationale parallèle a été créée en 2017 ; des entreprises aux mains des militaires ont été créées en vue de l'appropriation et de la gestion directes et privées de la richesse. La grande pauvreté engendrée par la crise a été utilisée politiquement, en mettant en place des canaux institutionnels pour l'attribution sélective de la richesse aux fonctionnaires de l'Etat et aux partisans du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). L'accès à l'information a été supprimé

De nombreuses forces de sécurité étatiques et para-étatiques ont été installées, une structure de corruption et de pouvoir incontesté, et cela dans un environnement d'impunité et de militarisation maximales. Ce qui a abouti, également, à consolider la dérive mafieuse de l'Etat. Tout cela était justifié au nom de la « défense de la révolution et du socialisme » et de la « lutte contre la droite ». Nous avons donc assisté à un changement de régime de l'intérieur et à la consolidation d'une dictature d'un nouveau type, un régime de type patrimonial et oligarchique, qui favorise à son tour l'appropriation directe des richesses régionales afin de maintenir les loyautés provinciales [le Venezuela compte 23 structures administratives provinciales]. Le Venezuela est dès lors gouverné comme une hacienda, une image qui rappelle les régimes politiques du dernier quart du XIXe siècle et du premier quart du XXe siècle en Amérique du Sud.

R.Z. Toutefois, certains considèrent ce régime comme étant de gauche.

Rien ne permet d'affirmer qu'il s'agit d'un gouvernement progressiste, et encore moins d'un gouvernement de gauche. Il y a une importante libéralisation de l'économie, avec parmi d'autres facteurs : la promotion et la protection des capitaux transnationaux, de larges exemptions fiscales, des privatisations discrètes, la promotion de zones économiques spéciales, la création d'un Venezuela VIP (tourisme, restaurants, bars, voyages, camionnettes de luxe) réservé aux étrangers, aux hommes d'affaires et aux hauts fonctionnaires de l'Etat ; la dégradation programmée des salaires, en les maintenant en bolivars alors que l'économie est totalement dollarisée ; l'abandon du secteur public. Fedecámaras [Federación de Cámaras y Asociaciones de Comercio y Producción de Venezuela], la principale structure entrepreneuriale du pays – qui a toujours été considérée comme le grand ennemi de Chávez – est maintenant une amie du régime de Maduro. En analysant les diverses mesures économiques, nous pouvons affirmer que nous sommes confrontés à l'une des restructurations néolibérales les plus agressives de la région, bien qu'il ne s'agisse en aucun cas d'un néolibéralisme traditionnel. L'évolution d'un système autoritaire et la néolibéralisation de l'économie sont deux facteurs d'un même processus de changement de régime au Venezuela. L'un est fonction de l'autre.

En plus des hommes d'affaires, il faut ajouter : la nouvelle alliance du régime de Maduro est avec les églises évangéliques, comme Jair Bolsonaro l'a fait au Brésil ; le chavisme a critiqué Álvaro Uribe, l'ancien président colombien [d'août 2002 à août 2010], mais Maduro a déployé un réseau de groupes de choc paramilitaires similaires. En effet, Maduro a récemment annoncé que son pouvoir reposait sur une alliance « civile-militaire-policière ». En ces jours marqués par les protestations populairse, les camps de travail forcé pour les « terroristes » et les « auteurs de coup d'Etat » sont mis en avant, rappelant le Nayib Bukele du Salvador [président depuis le 1er juin 2019]. Les deux gouvernements qui ont le plus favorisé la destruction des droits en Amériquedu Sud aujourd'hui sont précisément ceux de Javier Milei [en Argentine, il est en fonction depuis décembre 2023] et de Nicolás Maduro.

Je crois que certains activistes de gauche qui continuent à le soutenir n'ont même pas réussi à comprendre le niveau de décadence et de conservatisme, et la dérive mafieuse de ce régime. Et ils finissent par être entraînés par cette décadence, en soutenant ce désastre et en sapant leur propre crédibilité. C'est le symptôme d'une erreur d'orientation historique qui doit nous ramener à la question de savoir ce qu'est la gauche dans cette crise, qui est une crise mondiale. Quel est le sens historique de la gauche aujourd'hui, ce qu'elle représente, qui elle incarne et défend, comment elle comprend la relation entre l'éthique et la politique, comment elle répond à ce monde changeant et violent.

La deuxième conclusion est que ce régime de corruption, d'abus, de précarisation de la vie et de violence répressive [2]est compris et ressenti par la grande majorité des Vénézuéliens comme un cauchemar. Un cauchemar dont ils veulent voir la fin. C'était l'un des facteurs préalables cette élection du 28 juillet : une lassitude populaire maximale à l'égard du gouvernement de Maduro, une insatisfaction jamais vue au cours des 25 années du processus bolivarien ont créé cette masse critique de mécontentement généralisé incontestable et qui s'est traduite de manière flagrante dans les élections. Dans tous les secteurs sociaux des Vénézuéliens on a voté massivement contre Maduro, qu'ils soient d'origine rurale ou urbaine, jeunes ou âgé·e·s, les plus précaires, ou membres des classes moyennes ; que ce soit à Caracas, dans les Andes, dans les Llanos [région centrale du Venezuela, comprenant, entre autres, les Etats de Guárico, Cojedes et Apure], en Amazonie ; qu'ils proviennent de différents secteurs de la gauche, du centre, de la droite, de milieux religieux ou athés, tous, avec une force sans précédent dans l'histoire électorale vénézuélienne.

Cela ne semble pas être compris par une partie de la gauche, qui a tristement criminalisé les manifestations populaires dans les quartiers les plus pauvres du pays, les qualifiant d'« ultra-droite », ce qui renforce les mécanismes de répression et de persécution en cours. Et, dans d'autres cas, ces fractions dites de gauche infantilisent et mésestiment la population, affirmant qu'il s'agit de personnes confuses, manipulées et dépourvues de jugement, qui livrent le pays aux Etats-Unis. Elles ne disposent d'aucune approche autocritique ni d'un minimum de compréhension de la faillite de ce projet politique chaviste pour que les gens fuient en passant les frontières. Aucune autocritique qui conduirait à une réflexion profonde sur les erreurs commises par les gouvernements bolivariens. Au contraire, je constate que cette partie de la gauche s'obstine sans cesse à faire peser sur les épaules du peuple vénézuélien le poids de ces échecs et de le soupçonner car il proteste contre le manque d'eau, contre son salaire de misère ou parce qu'il veut que son vote soit respecté. Et ces fractions lui disent qu'il « fait le jeu de la droite », en répétant sans cesse ce type de chantage. Pour ces membres de cette gauche, le peuple n'a pas le droit de se rebeller, il doit se taire et soutenir le gouvernement… jusqu'à la fin des temps.

R.Z. Où va le régime ?

Ce à quoi nous assistons probablement est une nouvelle réorganisation politique, plus radicale, plus extrémiste, pour le contrôle de la population. Les garanties constitutionnelles sont de facto suspendues. Les porte-parole du gouvernement eux-mêmes ont fait état de plus de 2 200 arrestations en quelques jours, en dehors de toute procédure légale, touchant l'ensemble du spectre social et politique du pays. Les forces de sécurité arrêtent les passants pour vérifier si leur téléphone ne contient pas de contenu anti-gouvernemental afin de les arrêter. Des mécanismes de délation sociale ont été mis en place pour dénoncer les opposant·e·s. Une application a même été créée pour afficher leurs noms, adresses et photos. Les maisons de ceux qui protestent ou s'opposent au gouvernement ont été marquées.

Par ailleurs, sur la base des discours officiels et des déclarations des agences de sécurité, des contenus sont diffusés pour effrayer la population, annonçant qu'« elles vont venir vous chercher » ; et des prisonniers en tenue d'incarcéré sont filmés – imitant de la sorte les opérations du salvadorien Bukele – au moment où ils crient des slogans pro-gouvernementaux. Les réseaux sociaux font l'objet d'une surveillance stricte et un Conseil national de cybersécurité a été créé pour officialiser cette surveillance. Une loi a été adoptée pour contrôler les ONG.

Comme on peut l'imaginer, la population vénézuélienne est terrifiée et en état de choc. Voilà le contenu de ce que le gouvernement Maduro a appelé une nouvelle alliance « civile-militaire-policière ». Nous vivons dans une société totalement policée, quasi orwellienne. Le régime cherche à contrôler toutes les sphères et toutes les expressions de la société. Dans quelle mesure cette situation est-elle viable à long terme ? Il est difficile de le savoir, mais ce qui est clair, c'est que dans ce scénario, le conflit se situe au plus profond de la subjectivité, de l'intégrité subjective. C'est de la biopolitique à l'état pur. Le corps-sujet est un otage dans son propre pays.

R.Z. Comment caractérisez-vous l'opposition menée par María Corina Machado ?

María Corina Machado a un programme politico-économique néolibéral orthodoxe de privatisations massives et d'alliances avec le capital international, ainsi qu'une proximité géopolitique avec les Etats-Unis et ce que ces secteurs appellent le « monde libre ». C'est une femme issue des classes économiques supérieures, d'une famille d'importants hommes d'affaires. Sa position sur le processus bolivarien a toujours été classiste, rupturiste et conflictuelle, même s'il est certain que, pour se rendre plus acceptable et élargir le spectre de ces alliances, elle s'est récemment déplacée vers des positions plus modérées. Dans tous les cas, il convient de souligner que le récent affrontement électoral et politique pour les Vénézuéliens s'est déroulé entre deux forces néolibérales. Cela nous montre le type de croisée face à laquelle le peuple vénézuélien s'est trouvé et continuera de se trouver pour le moment. S'affirme le profond besoin de construire progressivement une alternative politique à cela, une voie de revendication populaire et souveraine qui cherche également à changer le modèle de société, qui commence sérieusement à penser au-delà du pétrole et de l'extractivisme.

Mais il y a des nuances sur l'opposition qui doivent être mentionnées, afin d'opérer une interprétation actualisée. Nous ne sommes pas en 2017. Bien que la grande majorité de la population rejette le gouvernement, nous ne sommes pas face à deux blocs politiques forts qui s'affrontent sur un certain pied d'égalité. Le gouvernement de Maduro actuellement contrôle tout : les forces armées et les forces de sécurité, le pouvoir judiciaire, le pouvoir électoral, le pouvoir législatif, la grande majorité des gouvernements régionaux [Etats] et municipaux, les médias nationaux, l'industrie pétrolière, tout. Tout. La vérité est que la situation de 2017 ou même de 2019 ne peut être comparée à la présente.

Le secteur de l'opposition que María Corina Machado dirige aujourd'hui n'est pas homogène. Machado n'en a pas le contrôle total et a fait face à de nombreux adversaires politiques internes. Pour les élections, elle a réussi à faire l'unité avec les autres acteurs de la coalition, mais il est difficile de savoir si cette unité tiendra, compte tenu de leurs antécédents conflictuels. A ce jour, il n'y a pas de consensus sur son programme économique « orthodoxe », puisque, par exemple, tout le monde n'est pas d'accord sur la privatisation de PDVSA [Petróleos de Venezuela, SA]. Si l'opposition actuelle prenait le pouvoir présidentiel, le chavisme contrôlerait toujours la Cour suprême, l'Assemblée nationale, le Conseil électoral et les autres branches du gouvernement. Même si María Corina Machado était au pouvoir, elle devrait probablement faire face au chavisme comme opposition. Et elle serait même face à une population vénézuélienne qui n'a pas été historiquement encline aux idées néolibérales, mais plutôt à une culture politique anti-oligarchique. Se poserait également la question du niveau de soutien militaire à María Corina Machado, compte tenu de l'antipathie réciproque de longue date. Le contexte vénézuélien est très instable et fragmenté. C'est probablement ce qu'une partie de la gauche et divers mouvements sociaux ont évalué lorsqu'ils ont décidé qu'ils préféraient affronter un gouvernement de Machado plutôt que de Maduro.

R.Z. Comment voyez-vous l'avenir ? Une guerre civile est-elle possible ?

Un premier scénario se résume à ce que Maduro reste au pouvoir, grâce à trois facteurs : 1° un régime de répression brutale qui empêche l'émergence d'une force dissidente significative ou d'une alternative politique forte ; 2° un régime qui sait déjà gérer le pays avec un coût politique très faible, c'est-à-dire qu'il sait gouverner dans un contexte d'effondrement et de chaos, et ne se soucie pas beaucoup des mises en question et de l'isolement international. La population vénézuélienne en est la grande perdante ; 3° un régime qui parvient à consolider certains circuits commerciaux internationaux pour ses ressources naturelles, en tenant compte de certaines licences pétrolières et gazières qui pourraient être maintenues compte tenu des besoins énergétiques mondiaux, du soutien de la Chine, de l'Iran, de la Turquie, de la Russie, entre autres, ainsi que de la commercialisation d'autres matières premières, et qui attend que les eaux se calment pour inviter plus ouvertement de nouveaux investisseurs internationaux. Ce n'est pas la première fois que la cruauté de l'extractivisme soutient et légitime des dictatures.

Le gouvernement de Maduro a tenté de reconquérir certains de ses anciens électeurs par le biais de divers mécanismes clientélaires ou de discours démagogiques. Et, plus avant, se profilera ce à quoi nous avons assisté : une érosion durable de son soutien, une débâcle totale. Il n'est pas improbable qu'un scénario de rupture se dessine tôt ou tard, même si, je le répète, nous ne savons ni quand ni quelle forme prendra cette rupture.

Une autre question concerne les déplacements au sein du bloc gouvernemental, qui a également été lent et qui, ces derniers jours, s'est traduit dans des manifestations publiques de mécontentement, comme celle de Francisco Arias Cárdenas [ambassadeur au Mexique] ou du ministre de la culture, Ernesto Villegas. Il est évident qu'au cœur des questions qui se posent, il y a celles des dissensions internes, y compris dans le secteur militaire, qui auront une influence déterminante sur la crise. Les dénouements de cette situation ne seront pas le fruit de la seule inertie. Ce sont les capacités de mobilisation qui leur donneront forme et dynamisme. Il reste à voir comment évolueront les résistances sociales, comment le mécontentement, la peur et la terreur que les gens éprouvent seront canalisés, que ce soit sous l'emprise de tendances à la paralysie et à l'accoutumance, ou au travers d'autres expressions du malaise, de la rage, du sentiment de ne pas avoir d'avenir et d'une nouvelle forme de ras-le-bol qui mobilisera sans doute des formes beaucoup plus intenses et inconnues. La créativité sociale et la persévérance seront cruciales pour la recomposition populaire en ces temps de dictature de fer. La réaction internationale sera importante, bien que diversifiée, et sera probablement déclenchée en fonction de l'évolution des alternatives de changement dans le pays.

Enfin, la situation économique intérieure sera cruciale. La soi-disant reprise économique repose sur des bases très fragiles. La répartition des richesses reste extrêmement inégale et nous ne pouvons pas oublier que nous sortons d'une longue crise économique, déterminée par l'épuisement du modèle fondé sur la rente pétrolière.

R.Z. Peut-on s'attendre à des affrontements plus violents ?

C'est un scénario possible si toutes les voies pour une solution pacifique sont définitivement fermées, bien qu'une guerre civile nécessite deux camps armés, et au Venezuela ce monopole est essentiellement détenu par le gouvernement maduriste. (Article publié par l'hebdomadaire uruguayen Brecha le 30 août 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)


Notes

[1] En 1988, le Secrétariat du gouvernement mexicain invoqua une « panne » du système électronique, les résultats « obtenus » avec une semaine de retard donnèrent le candidat du PRI, Carlos Salinas de Gortari, vainqueur, contre Cuauhtémoc Cárdenas du Front démocratique national. (Réd.)

[2] L'organisation non-gouvernementale Foro Penal recensé plus 1580 « prisonniers politiques », dont 114 mineurs. Les procureurs, selon des instances gouvernementales, ont inculpé des centaines – plus de 2200 officiellement – de personnes pour « incitation à la haine », « résistance à l'autorité » et « terrorisme ».Le nombre de morts, lors des manifestations réprimées, s'élève à plus de 25. (Réd.)

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

France - Macron méprise le vote populaire… et se met dans la main du RN

17 septembre 2024, par Léon Crémieux — , ,
« Le peuple a, par sa faute, perdu la confiance du gouvernement…Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en d'élire un autre ? » (…)

« Le peuple a, par sa faute, perdu la confiance du gouvernement…Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en d'élire un autre ? » Bertolt Brecht, La Solution, 1953

Tiré de Inprecor
16 septembre 2024

Par Léon Crémieux

Les vers ironiques de Brecht viennent d'être mis réellement en pratique par Macron. Son parti, est passé de 2017 à 2024 de 314 à 99 député·es à l'Assemblée nationale. Il a encore été battu lors des européennes et des législatives de juin/juillet 2024. Lors de ces mêmes élections législatives, un front électoral contre le Rassemblement national a été réalisé au second tour par tous les partis sauf le petit parti de droite des Républicains. Le barrage a fonctionné, déjouant tous les pronostics, le RN ne réussissant même pas à obtenir une majorité relative. La formation arrivée en tête après ce second tour a été clairement le Nouveau Front populaire, suivi du « bloc du centre » et du RN.

Malgré ces résultats, on arrive, début septembre, à la formation d'un gouvernement dirigé par un vieux politicien des Républicains, Michel Barnier, qui va recycler bon nombre de responsables de la « majorité présidentielle », pour continuer la même politique et qui ne pourra survivre que par l'engagement du Rassemblement national de ne pas le faire tomber par une motion de censure.

Comment arrive-t-on à un tel résultat ?

Au total, sont présents, au lendemain des élections législatives, trois blocs à l'Assemblée : Le Nouveau Front populaire avec 193 sièges, les Macronistes avec 166 sièges et le RN et alliés avec 142 sièges, suit ensuite la petite alliance autour du parti historique de la droite, Les Républicains, 47 sièges.

Macron a d'abord fait obstruction et maintenu, durant plus de deux mois, son Premier ministre sortant, Gabriel Attal et son gouvernement « démissionnaire », se réfugiant derrière « la trêve des Jeux olympiques de Paris ». Ensuite, contrairement à l'usage qui est de désigner un Premier ministre issu de la formation sortie en tête des élections législatives, il a tout de suite écarté la nomination de la candidate choisie par le Nouveau front populaire. Et finalement, pour assurer, malgré le vote, qu'il n'y ait aucune remise en cause de sa politique et qu'il puisse continuer à diriger l'exécutif, il vient de nommer Michel Barnier, un vieux politicien venant issu des Républicains.

En juin 2024, Macron a usé de son droit présidentiel pour dissoudre l'Assemblée nationale. Il l'a fait après des élections européennes qui ont vu l'échec magistral de son alliance présidentielle avec 14,6% des voix face au Rassemblement national (31,37% des voix) et à la gauche éclatée en 4 listes (31,58% des voix).

L'idée manœuvrière de Macron était d'essayer d'élargir sa majorité parlementaire en rebattant les cartes. Ne disposant, avec tous ses alliés, que de 251 sièges sur 577, il se savait à la merci du vote d'une motion de censure obligeant son gouvernement à démissionner.

Les manœuvres fumeuses de Macron

Au soir des élections européennes, l'extrême droite apparaissait grande victorieuse, et la gauche était divisée (entre EELV, le PCF, le PS et LFI) et sans cohérence depuis l'éclatement de la NUPES, un an auparavant. De plus, la liste européenne arrivée en tête à gauche était celle du PS menée par Raphaël Glucksmann qui apparaissait proche du social-libéralisme et en rupture avec la France insoumise. Devant ce qui apparaissait comme un champ de ruine, Macron se pensait maître des cartes et pensait possible de recomposer autour de lui et face à la menace d'une majorité RN, une partie des socialistes, des écologistes et des gaullistes de LR. Au pire, il se voyait cohabiter avec un gouvernement Bardella en se donnant une stature de président résistant aux dérives de l'extrême droite.

Quel qu'aient été ses projets fumeux, ils se dissipèrent en 48h face à la volonté du mouvement syndical et du mouvement social d'imposer une unité à gauche, un nouveau front populaire, pour faire échec à la menace néofasciste, avec une candidature unique dans chaque circonscription et un programme commun « de rupture sociale et écologique ».

Macron, refusant son échec essaye donc maintenant de se maintenir comme chef de l'exécutif avec un gouvernement à sa botte pour persévérer dans sa politique.

Et surtout, il est hors de question pour lui d'accepter la formation d'un gouvernement de gauche. L'argument avancé pour ce refus fut d'abord « la présence de ministres LFI », calomniés et stigmatisés depuis des mois comme « complices du Hamas », « antisémites ». Présence intolérable qui déclencherait immédiatement la censure, proclamèrent en cœur Gabriel Attal d'Ensemble, les Républicains… et Jordan Bardella du RN. Pour eux tous, un gouvernement avec la présence de LFI déclencherait automatiquement une motion de censure majoritaire.

Mais rapidement, la vraie raison du rejet viscéral d'un gouvernement NFP est apparue : pour écarter le prétexte de leur présence pour rejeter Lucie Castets, LFI interpela fin août les macronistes sur leur position vis-à-vis d'un gouvernement qui ne comporterait pas de ministres LFI.

La réponse à cela ne tarda pas, dans la bouche des macronistes et de la droite LR : pas question non plus d'un gouvernement sans LFI qui reviendrait sur la réforme des retraites et appliquerait le programme de rupture avec le libéralisme du NFP… Le président du MEDEF, Patrick Martin, insista également qu'il n'était pas question de revenir sur les axes politiques mis en œuvre depuis 2017. De même, le RN affirma clairement qu'il censurerait tout gouvernement de gauche. En un mot une unanimité de classe contre tout gouvernement qui s'engagerait à rompre avec les politiques néolibérales !

Par cette vigoureuse campagne contre le NFP, on est passé en quelques semaines d'un mouvement profond dans la société pour contrer Le Pen à un front commun de Macron à Le Pen pour bloquer la mise en œuvre d'une politique au service des classes populaires et mettre à l'écart un gouvernement de gauche.

Macron se serait sans problème adapté à un gouvernement du RN, même sans majorité absolue. Il avait d'ailleurs déclaré plusieurs fois qu'il serait obligé de respecter le suffrage universel… Par contre l'absence de majorité absolue pour le NFP empêchait « pour des raisons de stabilité » la nomination de Julie Castets. Ce qui est vrai pour le RN ne l'est évidemment pas en ce qui concerne le NFP.

Un gouvernement compatible avec le RN

La situation concrète de ce nouveau gouvernement Barnier est qu'il est le faux-nez d'un gouvernement de Macron mais avec une nouvelle situation. L'alliance de fait avec les Républicains et un soutien extérieur du Rassemblement national qui vient de déclarer « mettre le gouvernement sous surveillance ». Donc un nouvel affaiblissement de Macron, un glissement vers la droite avec une pression du RN qui va soutenir ce gouvernement comme la corde soutient le pendu. Il est à redouter la mise en œuvre de ce qu'a annoncé Barnier lors de sa prise de fonction : une insistance encore plus lourde sur les questions sécuritaires, une politique discriminatoire contre les étrangers et de nouvelles politiques contre les migrants. Donc une politique compatible avec le RN correspondant d'ailleurs largement au profil politique du nouveau Premier ministre. Connu pour une série de votes très à droite au Parlement européen, notamment pour des mesures discriminatoires anti LGBT, pour « retrouver en France la souveraineté juridique concernant les politiques migratoires ». De même, présent lors des primaires visant à désigner le candidat LR en 2021, Barnier chercha systématiquement à se démarquer à droite, pour l'interdiction du voile dans l'espace public, pour porter à 65 ans l'âge de départ à la retraite, l'organisation d'un referendum visant à la suppression de l'AME (Aide médicale d'Etat pour les étrangers sans papiers), etc…

Après une campagne des législatives durant lesquelles la gauche s'imposa médiatiquement pour dénoncer les racines fascistes du RN, pour affirmer une insistance unitaire sur le programme social du NFP, les dernières semaines voient resurgir les éléments de langage visant à la démoralisation de la gauche et à un retour à une image respectable de l'extrême droite. Macron par exemple, méprise d'un revers de main les 9,5 millions de votes recueillis par la gauche aux législatives, mais rappelle qu'il faut « respecter les 10,6 millions » recueillis par le RN et son allié Ciotti.

Le but est éminemment politique. Contre toute attente, le NFP a réussi à bâtir un front politique unitaire sur un programme de rupture, impulsé et consolidé par le mouvement syndical, démocratique et social, créant une dynamique enthousiaste autour de la possibilité d'un gouvernement de gauche. Cette dynamique politique et sociale qui n'avait pas réussi à se construire lors du mouvement contre la réforme des retraites s'est soudain créé en quelques jours.

Il est donc vital pour les responsables réactionnaires et les médias à leur service de déconstruire cette unité inattendue. D'abord en disant que la gauche ne veut pas vraiment gouverner, qu'elle ne veut pas du pouvoir et qu'elle serait même responsable de ne pas avoir obtenu le poste de premier ministre. Ensuite visant évidemment à décrédibiliser un programme « de gaspillage et de dette ». Enfin, surtout, dire que le NFP est un assemblage éphémère et que les forces centrifuges reprendront vite le dessus, notamment entre les socialistes « raisonnables » et les « ultragauchistes islamistes » de LFI. Il s'agit surtout maintenant de démoraliser celles et ceux qui ont pesé pendant des semaines pour construire la campagne du NFP, celles et ceux qui y ont cru pensant que l'on pourrait enfin construire quelque chose d'unitaire à gauche.

Les perspectives pour la gauche

Là réside d'ailleurs l'enjeu des prochains mois. Le risque est de voir se renouveler les dynamiques centrifuges qui ont fait exploser la NUPES. Dès ces dernières semaines, a réapparu un éclatement des initiatives, pourtant avec un objectif commun. La première journée de manifestation le 7 septembre, face au « putsch » de Macron avec la nomination de Barnier, et pour la mise en place d'un gouvernement NFP et la mise en œuvre de son programme a été impulsé essentiellement par des mouvements politiques de gauche PCF, les Écologistes, LFI, NPA-L'Anticapitaliste (mais aussi côté mouvement social par ATTAC, le Planning familial, #NousToutes, la Jeune Garde et souvent localement la LDH). Mais côté syndical, si l'initiative a été saluée comme utile, elle a été considérée comme institutionnelle et donc du ressort des organisations politiques, même si localement des syndicats CGT, Solidaires ou FSU en ont été partie prenante. Le résultat n'a pas été négligeable 150 manifestations et même la police a dû reconnaitre plus de 100.000 manifestants (300.000 selon les calculs des organisateurs) mais il aurait évidemment été possible de prendre une initiative commune de toutes les forces ayant soutenu le NFP en juin.

Parallèlement, le 1er octobre se prépare une grande journée de grèves et de mobilisation intersyndicale, CGT, Solidaires, FSU, et organisations de jeunesse là aussi « pour qu'enfin les urgences sociales exprimées dans les mobilisations sociales et dans la rue soient entendues », reprenant des exigences sociales communes avec les partis du NFP. Enfin, le 21 septembre, sur les mêmes axes que le 7 est organisée une nouvelle journée de mobilisations autour des organisations de jeunesse avec en plus Greenpeace, Le Collectif national pour les droits des femmes, Action justice climat.

Par ailleurs, de la droite du PS apparaissent déjà des prises de positions visant à l'éclatement du front unitaire en tirant vers la droite, comme celle de François Hollande, pourtant élu dans le cadre du NFP.

Cette Assemblée nationale et son gouvernement sont évidemment des éléments instables et dès juin 2025, soit le RN par sa participation au vote d'une motion de censure, soit Macron pourront amener à une crise gouvernementale et une nouvelle dissolution de l'Assemblée.

Dans tous les cas, l'urgence est à créer un rapport de force politique et social pour commencer dans la durée une mobilisation autour des exigences sociales portées par le NFP, le mouvement social et syndical quelles que soient les échéances électorales. La convergence réalisée au début de l'été doit se maintenir et agir collectivement en créant des cadres unitaires permettant aux forces militantes de se coordonner. Seule la construction de cette unité pourra empêcher les dynamiques centrifuges d'où qu'elles viennent et éviter la démoralisation.

Le NFP représente une particularité dans le champ politique européen avec une alliance construite sur un programme explicitement de rupture antilibérale ayant pu faire converger largement des forces politiques, syndicales et sociales, marginalisant les courants sociaux-libéraux. C'est donc une initiative précieuse.

Si elle arrive à se maintenir et s'enraciner sur l'ensemble du territoire en devenant un outil quotidien pour les dizaines de milliers de militantEs qui agissent dans les quartiers, les zones urbaines et rurales développant les exigences de son programme, en développant les thèmes de justice sociale, climatique, démocratique, de combat contre les discriminations, elle peut remettre en cause le poids politique pris par le RN qui utilise le racisme et l'islamophobie pour détourner contre les classes populaires racisées le sentiment de déclassement, d'abandon et d'injustice sociale. Cette fausse conscience vise évidemment à détourner de la remise en cause des politiques de classes aux origines des attaques subies par les exploitéEs et les opprimEes.

Dans tous les cas, les grèves et manifestations du 1er octobre pourront être un tremplin pour redonner de la dynamique à gauche face aux manœuvres de Macron.

Le 16 septembre 2024, écrit pour Viento Sur

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les 83 violeurs : la banalité du mâle

17 septembre 2024, par Anna Toumazoff — , ,
L'autrice et militante féministe Anna Toumazoff critique le fait de dépeindre en monstres les hommes accusés dans le procès de Mazan, empêchant ainsi de comprendre la banalité (…)

L'autrice et militante féministe Anna Toumazoff critique le fait de dépeindre en monstres les hommes accusés dans le procès de Mazan, empêchant ainsi de comprendre la banalité des violences patriarcales.

11 septembre 2024 | articlu paru dans l'hebdo Politis N° 1827

Injuste jusque dans son nom, cette affaire souffre d'une mauvaise désignation. Ce n'est pas « l'affaire des viols de Mazan », et ça n'est pas même seulement « l'affaire Dominique Pélicot ». C'est l'affaire des 83 violeur. 83 hommes, dont la liste des noms, métiers et âges semble un échantillon d'institut de sondages parfaitement à même de représenter la France. 83 individus ayant pour seul trait commun d'être des hommes du même périmètre géographique. 83 hommes normaux, dont la banalité choque les hommes seulement. Les femmes savaient déjà qu'il y a une réalité derrière les yeux fermés.

Vieil ami de la famille, professeur trop zélé, collègue gluant, inconnu familier, frère affectueux, ex inquiétant : ce n'est pas avec plaisir que les femmes trouveront une ressemblance avec un fantôme du passé dans la mosaïque des visages de Mazan, pendant que les hommes s'en distancieront en les classifiant dans les monstres avant d'en découvrir soudain des sosies au bureau, au café d'à côté, dans la fratrie et – stupeur ! – jusque dans le reflet du miroir. Lutter contre ces crimes implique d'accepter qu'il existe des violeurs de tout profil.

Sur cela, que l'on appelle « culture du viol », et qui désigne tout ce qui favorise sa commission dans une société donnée, les féministes alertent depuis toujours. Si l'égalité des femmes avec les hommes avait été pleinement atteinte jusque dans les mentalités, il n'y aurait pas autant d'hommes dans ce procès pour oser plaider non coupable, justifiant ne pas comprendre que l'on puisse les accuser de viol sur une femme dont le mari était pourtant consentant.

C'est le produit d'une société qui échoue à protéger les femmes et leur statut d'être humain à part entière : tristement prévisible. Ce n'est jamais de gaîté de cœur que l'on dit « je vous l'avais bien dit », mais dans un monde où le combat pour les droits des femmes aurait été remporté, Gisèle Pélicot aurait été épargnée.

L'homme qui viole est un homme sans histoire. Un monsieur tout-le-monde à l'instar du père qui bat ses enfants.

Les féministes ne devraient pas avoir à réparer le mal commis par d'autres, mais à coups de milliers d'ouvrages, de conférences, de posts, de manifestations – qui leur valent opprobre et violences quotidiennes –, elles répètent que l'homme qui viole est un homme sans histoire. Un monsieur tout-le-monde à l'instar du père qui bat ses enfants. Pourtant, personne ne semble y croire – et, surtout, personne ne semble vouloir en tirer de conséquences.

Si les violences sexuelles font partie du quotidien des femmes, cela implique qu'elles concernent une bonne partie des hommes. Comment comprendre alors une société qui martèle que ces violences n'incluent « pas tous les hommes », tout en enjoignant les filles et les femmes de tout mettre en œuvre pour se protéger d'eux – et que si elles échouent, elles l'auront bien cherché ? « Pas tous les hommes », mais assez pour que les libertés des femmes soient constamment entravées par la crainte. « Pas tous les hommes », mais à quand des actions concrètes, au-delà des mots, des adeptes de cette formule ? Le constat n'est pas agréable et peu confortable pour les hommes qui se sentent soudain accusés dans leur ensemble. Il l'est encore moins pour celles qui survivent dans la crainte omniprésente de cette épée de Damoclès que sont les violences sexuelles.

Tous les hommes ne sont pas concernés, entend-on en permanence, mais il y en a tout de même assez pour que toutes les femmes aient peur et adaptent à ce danger comportement, tenues, itinéraires, budget de déplacement, mots, réactions. Pourquoi ceux qui ne sont pas concernés ne prennent-ils pas l'initiative de s'insurger contre les pommes pourries du panier qui font honte à l'ensemble des hommes ? Pourquoi ne font-ils pas leur part du travail pour changer la société ? Pourquoi est-ce toujours aux victimes directes de ces comportements de tâcher de les dénoncer et de les empêcher ? Pourquoi a-t-il fallu dix ans et la dénonciation des agressions sexuelles commises par Dominique Pélicot dans un magasin pour découvrir, par la fouille de son ordinateur, l'iceberg entier de ses plus de 80 sinistres partenaires de crime ? Pourquoi aucun autre homme, en dix ans, n'a-t-il brisé la chaîne de la violence ?

La solidarité féminine, c'est se défendre contre les violences ; la solidarité masculine, c'est de les couvrir.

La solidarité féminine, c'est se défendre contre les violences ; la solidarité masculine, c'est de les couvrir. Dans un monde où les hommes seraient vigilants à l'égard du comportement des autres hommes, comme les femmes doivent déjà l'être 24 heures sur 24, Gisèle Pélicot aurait été épargnée.

Gisèle Pélicot est la victime idéale, celle à qui aucun sinistre commentateur ne peut reprocher ni sa tenue ni ses mœurs, pas même de ne pas s'être assez bien débattue, puisque comment l'aurait-elle pu ? Comment expliquer alors qu'absolument personne n'ait pris la rue tremblant d'indignation, sinon parce que l'on se refuse à considérer que ce problème nous concerne tous au quotidien – victimes comme auteurs – de la même façon que, parce que l'on ne veut pas les entendre, on exclut des groupes sociaux, des familles, des entreprises, des groupes d'amis, des milieux artistiques celles qui parlent et bien plus rarement ceux qui commettent les violences.

Un violeur sur 100 seulement va en prison. Dans cette affaire publique, ce sera assurément plus, pour marquer l'exemple, pour traiter ce cas comme s'il était une exception. Traiter le violeur comme un monstre, c'est lui ôter soudain sa condition d'homme normal, de collègue serviable, de père gentil, de voisin vigilant. Ignorer le danger n'en prémunit pas. On fait comme si chez les violeurs, comme les frappeurs d'enfants, il n'y avait pas d'hommes normaux : que des monstres. Cela rassure, et protège l'ordre établi. Malheureusement, cela permet surtout au problème de perdurer. Les violences sexuelles sont commises à 96 % par des hommes. De tout profil. Les femmes le savent, les hommes doivent l'accepter et les pouvoir publics mieux légiférer, éduquer, voir, encadrer.

Il n'y a pas de vilains monstres sur les lits. Juste des hommes normaux.

Il n'y a pas de vilains monstres sur les lits. Juste des hommes normaux et hors de tout soupçon que la société a trop longtemps laissés impunis.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Procès des violeurs de Mazan : « Ils m’ont traitée comme un sac poubelle »

17 septembre 2024, par Claudine Legardinier — , ,
« Un procès hors normes » a titré la presse. Est-elle vraiment si « hors normes » cette affaire Pélicot ? Une cinquantaine d'hommes comparaissent pendant 4 semaines pour viols (…)

« Un procès hors normes » a titré la presse. Est-elle vraiment si « hors normes » cette affaire Pélicot ? Une cinquantaine d'hommes comparaissent pendant 4 semaines pour viols aggravés infligés pendant 10 ans à une femme droguée par son mari et livrée à ces hommes inconsciente.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/13/proces-des-violeurs-de-mazan-ils-mont-traitee-comme-un-sac-poubelle/

Des monstres ? Non, des hommes tout ce qu'il y a d'ordinaires qui ont profité de « l'offre » d'un mari pornographe ; des hommes prêts à tout pour s'affranchir du consentement d'une femme… et s'ils n'ont pas payé le mari en argent, on peut ici parler « d'échange », puisque les uns ont eu à leur disposition une femme sans avoir besoin dudit consentement, l'autre a obtenu des « acteurs » gratuits pour son fantasme : les vidéos pornos qu'il tournait. Et par lesquelles, heureusement, il a été découvert.

Après le cataclysme de la découverte des faits, on peine à imaginer la force qu'il faut à Gisèle Pélicot (71 ans) pour faire face à son ex-mari et à 50 de « ses » violeurs ; pour voir déballée sa vie intime et épluchés les dizaines et dizaines de viols qu'elle a subis comme « une poupée de chiffon » ; et pour survivre au gouffre qui s'ouvre quand on croit avoir partagé avec un mari attentionné cinquante ans de vie commune…

Ce 2 septembre 2024, et jusqu'au 20 décembre, s'est ouvert à Avignon le procès de l'homme dont elle a divorcé et de ses complices. Gisèle Pélicot a découvert les faits le 2 novembre 2020. Convoquée au commissariat de Carpentras, elle pense être interrogée parce que son mari a été interpellé après avoir filmé sous les jupes des femmes dans un supermarché.

En réalité, c'est le début du cauchemar qui va l'amener à visionner des kilomètres de photos et vidéos pornographiques toutes « plus atroces les unes que les autres », la montrant, dans un état d'inconscience proche du coma, livrée aux violeurs, parfois plusieurs à la fois.

Il apparaît que « Monsieur Pélicot » la droguait au Temesta, un puissant anxiolytique dont il lui administrait jusqu'à dix comprimés, une dose qui aurait pu la tuer. Puis il lançait des « invitations » sur Internet via le site coco.gg [fermé en juin 2024 suite à des affaires de pédocriminalité, viols et prostitution], invitant les volontaires à venir la violer. Assurant n'avoir jamais touché d'argent, il filmait alors méthodiquement les viols.

Les policiers ont évalué leur nombre à 92 entre 2011 et 2020. Certains auraient duré jusqu'à 6 heures. Au moins 70 hommes auraient pris part à ces « invitations » dont une vingtaine sont restés non identifiés. Tous savaient qu'elle était droguée. La majorité des accusés sont venus une fois mais certains jusqu'à six fois (dont un homme séropositif) afin de profiter pleinement de « l'aubaine ». Seuls 14 d'entre eux ont reconnu les faits. Trois seulement ont présenté des excuses.

Gisèle Pélicot, ignorante des faits, a vécu des années d'errance médicale, ne s'expliquant pas les coups de fatigue, les trous de mémoire, les douleurs gynécologiques. Souffrant de troubles cognitifs et neurologiques, elle a même pensé être atteinte de la maladie d'Alzheimer.

Une terrifiante solidarité masculine à Mazan

Les 51 mis en examen sont des « Monsieur Tout-le-Monde » ne présentant aucune pathologie particulière. Ils sont jeunes, vieux, de tous milieux, sont chauffeur routier, ouvrier, infirmier, militaire, plombier… des hommes « bien sous tous rapports » selon leur entourage.

« Gisèle détient un savoir terrible et monumental, écrit Lola Lafon ; elle porte la fin d'une illusion à laquelle on continue à s'accrocher. Elle vient confirmer la fin d'un mythe qui a tous les atours d'un déni collectif : le mythe du monstre ». L'écrivaine relève, loin du fait divers hors normes, « le miroir grossissant de tout viol conjugal ».

Certains ont invoqué l'accord du mari pour se dédouaner tant ils sont sûrs de leur droit de cuissage : la femme est la propriété de son seigneur et maître ; d'autres ont dit avoir cru qu'elle faisait semblant de dormir. De leur côté, les avocats de la défense ont tenté le coup du possible « jeu de couple », éternel argument du « consentement » des victimes.

Un des avocats de la défense a invoqué l'absence d'intentionnalité car certains l'auraient cru consentante. Faut-il ici leur rappeler qu'une femme qui est inconsciente ne peut être consentante ? Et qu'ils ont répondu à une annonce passée dans une rubrique intitulée « à son insu » ?

Jamais aucun de ces hommes n'a prévenu la police. Tous se sont serré les coudes pour garder le secret dans un entre-soi masculin qui n'est pas sans évoquer des comportements connus : ensemble, on normalise, on se déculpabilise, on s'encourage. On consomme de la prostitution filmée ou on se rend en bande « aux putes ».

Comment ne pas penser à tous ces « clients » prostitueurs qui violent sans peur et sans remords au prétexte qu'ils ont payé ? Eux non plus ne se préoccupent jamais de savoir si la femmes qu'ils violent est victime de traite, si elle est mineure, si elle a « choisi » d'être là ou pas.

Toutes solidaires avec Gisèle

Le consentement des intéressées ? Hors sujet. « Ce n'est pas seulement vous, Gisèle, qu'ils ont traitée comme une chose. Ils nous disent, à toutes, notre insignifiance » écrit Hélène Devynck, une des plaignantes de l'affaire PPDA, et autrice d'Impunité.

Au bout de 4 ans de parcours judiciaire, Gisèle Pélicot a refusé le huis clos pour que se tienne un vrai procès de société, pour que soit connue la soumission chimique et pour que la honte change de camp. Grâce à son courage, cette affaire a un retentissement international. Les prévenus encourent 20 ans de réclusion.

Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l'Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l'enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.

https://mouvementdunid.org/prostitution-societe/actus/proces-des-violeurs-de-mazan-ils-mont-traitee-comme-un-sac-poubelle/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Etat espagnol : Le danger fasciste – Le virus fasciste et le risque de pandémie

17 septembre 2024, par Marti Caussa — , ,
« Le capitalisme néolibéral pousse à ce que les régimes politiques prennent la forme de démocraties illibérales ou d'autoritarismes réactionnaires. Dans ce texte, je propose (…)

« Le capitalisme néolibéral pousse à ce que les régimes politiques prennent la forme de démocraties illibérales ou d'autoritarismes réactionnaires. Dans ce texte, je propose une réflexion sur la question de savoir si, dans cette dynamique, certains éléments caractéristiques du fascisme classique sont modifiés et recombinés avec de nouveaux éléments, comme cela se produit avec les souches modifiées d'un virus antérieur, et s'ils affectent progressivement diverses parties des institutions et du corps social. J'étudie en particulier le cas espagnol. »

14 septembre 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/12/etat-espagnol-le-danger-fasciste-le-virus-fasciste-et-le-risque-de-pandemie/#more-85596

Le capitalisme néolibéral pousse à ce que les régimes politiques prennent la forme de démocraties illibérales ou d'autoritarismes réactionnaires, comme l'expliquent Miguel Urban et Jaime Pastor :

« Les décennies de gouvernance néolibérale et les crises qui en ont découlé ont favorisé l'émergence d'une culture politique profondément antidémocratique. C'est là le reflet de l'obsession incessante du néolibéralisme qui le pousse à limiter les domaines d'intervention et les fonctions sociales des États, à aligner l'action publique sur les intérêts des acteurs économiques privés, à remplacer la réglementation et la distribution par la liberté d'entreprise et à placer les droits de propriété au-dessus de tout autre droit fondamental (…) C'est cette anti-politique (…) qui est au principe de l'autoritarisme qui a pénétré l'ensemble de la sphère politique. »

Dans ce texte, je propose une réflexion sur la question de savoir si, dans cette dynamique, certains éléments caractéristiques du fascisme classique sont modifiés et recombinés avec de nouveaux éléments, comme cela se produit avec les souches modifiées d'un virus antérieur, et s'ils affectent progressivement diverses parties des institutions et du corps social. Le danger est que la contagion s'accélère de telle manière (comme une pandémie) qu'elle entraîne des changements substantiels et aboutisse finalement à une dictature brutale qui présente suffisamment de similitudes avec le fascisme pour être considérée comme son héritière.

Dans une dynamique fasciste, il peut y avoir des phases de contagion continue, mais lente et relativement silencieuse, d'autres d'évolution accélérée, et enfin un moment de rupture majeure est nécessaire pour qu'un parti fasciste conquière le pouvoir et se consolide.

Il est évident que nous ne sommes pas dans la situation des années 1930, et aucun phénomène ne se répétera de la même manière cent ans plus tard. Le fascisme non plus. Ce que je me propose de discuter, c'est si ces phénomènes de contagion d'un nouveau fascisme existent en Espagne, dans quelle mesure ils se sont développés et comment on peut y faire face.

Naturellement, il est nécessaire de commencer par clarifier ce que je considère comme les traits caractéristiques du fascisme qui ont le plus grand potentiel pour se développer et devenir opérationnels dans la situation actuelle.

Le fascisme et les conditions de son développement

1- Par fascisme, il faut entendre une dictature dans laquelle l'appareil répressif – armée, police, système judiciaire… – est renforcé par un mouvement de masse réactionnaire qui le complète par le bas, avec l'objectif d'éliminer les organisations populaires existantes et de les remplacer par d'autres qui encadrent et contrôlent au service des intérêts de l'État fasciste. Pour bien définir les termes : le fascisme est qualitativement différent d'une démocratie amoindrie, c'est une dictature ; mais toutes les dictatures ne sont pas fascistes, pour être fascistes, elles doivent s'appuyer sur un mouvement de masse réactionnaire :

« Une dictature militaire ou un État purement policier (…) ne dispose pas de moyens suffisants pour atomiser, décourager et démoraliser, durant une longue période, une classe sociale consciente, riche de plusieurs millions d'individus et pour prévenir ainsi toute poussée de la lutte des classes la plus élémentaire (…) Pour cela, il faut un mouvement de masse qui mobilise un grand nombre d'individus. Seul un tel mouvement peut décimer et démoraliser la frange la plus consciente du prolétariat par une terreur de masse systématique (…) et, après la prise du pouvoir, laisser le prolétariat non seulement atomisé, à la suite de la destruction totale de ses organisations de masse, mais aussi découragé et résigné » Du fascisme », Ernest Mandel, 1969).

Cependant, cette caractérisation du fascisme a connu de nombreuses variantes en fonction du comportement des différents acteurs impliqués et du moment où ils sont intervenus – en particulier l'armée et le mouvement de masse fasciste –, de la manière dont le parti fasciste accède au pouvoir et de la résistance qu'il rencontre pour s'y établir définitivement. Le nazisme et le franquisme sont deux modèles extrêmes.

Dans le cas espagnol, le fascisme a pris la forme du franquisme, le rôle de l'acteur principal y fut joué par l'armée, le mode d'accession au pouvoir fut un coup d'État militaire, le parti fasciste (la Phalange) était marginal avant le coup d'État et s'est développé et remodelé au fur et à mesure que l'armée franquiste l'emportait dans la guerre.

2- Une étape nécessaire et très importante dans le processus de contagion du fascisme est de réussir à amener une partie de la population à développer un sentiment de rejet, d'hostilité et même de haine envers d'autres, au point de les considérer comme dignes d'être privés de leurs droits fondamentaux et écrasés. Et qu'une partie importante de la société soit passive et acquiesce à ces attaques. L'exemple typique est celui du nazisme à l'égard de la population juive.

Lorsque ce sentiment de haine envers un segment de la société a été installé, il est très facile de l'étendre à d'autres : dans le cas du nazisme, après les Juifs, il y a eu les Tziganes, les homosexuel.les, les slaves, etc. Et cela a fini par inclure ceux qui n'étaient pas nazis : les communistes, les socialistes, les démocrates…

« Il est faux de dire que les projets d'extermination nazis étaient réservés exclusivement à la population juive. La population tsigane a connu un taux d'extermination comparable à celui de la population juive. A terme, les nazis voulaient exterminer une centaine de millions de personnes en Europe centrale et orientale, principalement des Slaves » (« Prémisses matérielles, sociales et idéologiques du génocide nazi », Ernest Mandel, 1988).

Dans le cas espagnol, l'ennemi des années 1930 était en théorie la conspiration juive, maçonnique et bolchevique, mais il a rapidement pris la forme des organisations de la classe ouvrière, des libéraux et des nationalistes périphériques. Paul Preston a analysé ces origines de la haine dans son livre « L'holocauste espagnol » (2013) :

« L'idée de cette puissante conspiration internationale – ou « contubernio », l'un des mots préférés de Franco – justifiait le recours à tous les moyens nécessaires pour ce qui était considéré comme la survie de la nation (…).
L'idée que les gens de gauche et les libéraux n'étaient pas de vrais Espagnols et qu'il fallait donc les détruire s'est rapidement imposée dans les rangs de la droite (…)
Jose Antonio Primo de Rivera, sans être antisémite, pensait lui aussi que la gauche était à associer aux Maures (…) il interprétait toute l'histoire espagnole comme une lutte éternelle entre les Goths et les Berbères (…) l'incarnation de ces derniers était le prolétariat rural. »

3- Afin de pouvoir affronter de manière violente son ennemi social, le fascisme doit construire une identité alternative qui chevauche et contrecarre les divisions existantes dans la société et au sein de sa propre base.

Historiquement, cette identité a été fondée sur un nationalisme ethnique ou raciste. Dans le cas de l'Espagne, elle était combinée à l'intégrisme catholique.

Le nationalisme raciste a également été un pilier fondamental pour justifier la conquête de l'Abyssinie par Mussolini ou l'invasion nazie de plusieurs pays européens et de l'URSS.

4- La préparation des conditions d'une dictature fasciste est lente et laborieuse, car il faut créer les conditions d'un mouvement de masse déterminé à agir violemment contre une très grande partie de la population et à détruire ses cadres et ses organisations. Il faut avoir créé un climat social favorable aux projets fascistes, les faire pénétrer dans l'appareil d'État, faire en sorte que les partis traditionnels les normalisent et les appliquent même partiellement, faire en sorte que les actions contre les secteurs populaires soient acceptées, même si ce n'est que passivement… Ugo Palheta et Omar Slaouti ont appelé cette phase de préparation idéologique, politique et matérielle, que j'appelle contagion, la fascisation :

« Le fascisme n'arrive pas du jour au lendemain (…) il ne peut émerger sans toute une étape historique d'imprégnation, à la fois idéologique et matérielle, une série de transformations qui modifient l'équilibre interne de l'État » (« Islamophobie, fascisation, racialisation », Viento sur 193, juin 2024).

L'arrivée au pouvoir de partis fascistes, que ce soit par un coup d'État ou par des procédures parlementaires ou pseudo-parlementaires, constitue un saut qualitatif et une forte accélération de toutes les attaques contre les libertés démocratiques et les organisations populaires, mais elle ne se consolide que si ces dernières ne réagissent pas rapidement et énergiquement. L'exemple le plus spectaculaire de réaction populaire contre un coup d'Etat militaro-fasciste a été l'insurrection populaire du 19 juillet 1936, qui a initialement réussi à le défaire dans la plus grande partie de l'Etat espagnol.

5- La définition de l'ennemi à affronter, l'obtention d'un certain degré de consensus social dans les attaques contre lui et l'affirmation de l'identité fasciste sont les conditions préalables à la violence de masse (nécessaire pour qualifier un régime de fasciste). Cela aussi doit commencer progressivement, par tâtonnements. Si l'idéologie fasciste a pénétré de manière importante le système judiciaire, la police et l'armée, la violence peut d'abord être déléguée à ces appareils d'État, en faisant pression sur eux par des manifestations ou des campagnes de rue. Lorsque la conjoncture exige un degré de violence plus élevé, l'émergence de bandes fascistes violentes à caractère de masse peut être très rapide.

6- Dans tous les cas, pour que le fascisme triomphe et se maintienne au pouvoir, il a besoin du soutien de la majorité du grand capital. Mais pour que ce soutien lui soit accordé, il faut qu'il voie son pouvoir sérieusement menacé, car il a l'expérience historique du fait que la dictature fasciste peut acquérir une telle autonomie qu'elle finit par l'exproprier politiquement et la conduire au désastre, comme ce fut le cas en Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale.

Pour le grand capital, la menace ne sera plus le danger communiste comme dans les années 1930 (bien que les groupes néofascistes et d'extrême droite d'aujourd'hui qualifient tous les gens de gauche de communistes). Mais il peut se faire que l'émergence de mobilisations massives et continues qui, même si elles ne visent pas la prise du pouvoir politique, suffise à déstabiliser gravement le système de domination et d'accumulation du capital.

La contagion fasciste est une réalité dans l'Etat espagnol et pourrait s'accélérer.

7- La définition des ennemis à combattre radicalement est clairement établie par Vox et le PP (en particulier par le secteur radical représenté par Ayuso) : les migrants, en particulier les musulmans ; les nationalistes, indépendantistes et souverainistes ; les féministes et les LGTBI ; les écologistes qui luttent contre le changement climatique ; les militant.es autour de la mémoire historique, ainsi que le large éventail de celles et ceux qui sont considéré.es comme lié.es au communisme ou à l'indépendantisme : Podemos, les anarchistes et, depuis la loi d'amnistie, les partisans de Pedro Sanchez :

[L'accord de gouvernement avec ERC et Junts] est en train de radicaliser davantage le bloc de droite (…) Leurs descriptions des « concessions » faites par le PSOE comme un « coup d'Etat » similaire à celui du 23 février 1981, « dictature », « abolition de l'Etat de droit » ou « conspiration destituante » (dixit la « Fondation pour l'analyse et les études sociales » d'Aznar), ajoutées au déjà classique « l'Espagne est brisée » et au « gouvernement illégitime » (et maintenant « illégal » dans la bouche de Vox), ne correspondent pas au contenu réel de ces accords, mais favorisent un climat politique dans lequel les groupes les plus extrémistes et ouvertement néo-nazis, soutenus par Vox et une partie du PP, acquièrent une importance qu'ils n'avaient pas atteinte jusqu'à présent (« La cuestión catalana y la creciente radicalización del bloque de derechas », Pastor, Jaime, 11/11/2023).

8- Les composantes de base de l'identité fasciste sont bien définies : anti-immigration, espagnolisme fondamentaliste, blanchiment du franquisme, défense du patriarcat, négationnisme climatique, néolibéralisme économique, fondamentalisme catholique, etc.

9- Le climat de haine contre les secteurs à combattre s'est répandu, notamment grâce à d'importants médias, réseaux sociaux, sites web, etc. qui non seulement diffusent des idées, mais recourent systématiquement à la diffusion de fausses nouvelles pour justifier les attaques contre des migrant.es, les personnes LGTBI, contre les cliniques qui pratiquent des avortements ou le soutien à l'action policière contre le référendum [catalán ndt] du 1er octobre 2017 (« A por ellos ! »)…..

Le glissement vers des positions réactionnaires d'un large secteur social a été favorisé par la dérive anti-démocratique des gouvernements successifs. Principalement par ceux du PP, mais aussi par ceux que le PSOE a dirigés. Ce dernier a normalisé des politiques xénophobes et racistes (qui ont culminé avec le massacre de Melilla en juin 2022), des coupes sombres dans la démocratie (non abrogation de la « loi baillon »), le refus d'appliquer les règles de justice universellement reconnues aux crimes du franquisme et, jusqu'à récemment, la répression contre l'indépendantisme (en mettant en œuvre l'application de l'article 155 qui a supprimé l'autonomie de la Catalogne). Il a ainsi contribué à ce que les politiques de la droite réactionnaire et du néofascisme conquièrent les esprits avant de gagner dans les urnes.

Le climat de haine n'aurait pu s'étendre aussi loin sans la collaboration d'une partie du pouvoir judiciaire qui n'a pas hésité à qualifier la désobéissance civile pacifique et massive du 1er octobre [2019 en Catalogne ndt] de rébellion militaire, accusant de terrorisme les organisateurs des manifestations pacifiques du tsunami démocratique, défiant la souveraineté du parlement espagnol en refusant d'appliquer la loi d'amnistie aux dirigeant.e.s, tout en en faisant généreusement bénéficier la police (51 des 105 personnes amnistiées à ce jour), et en recourant à la « justice » contre ces ennemis politiques : Puigdemont, Arnaldo Otegi, Mònica Oltra, Pablo Iglesias, Irene Montero… Ces campagnes ont même été jusqu'à s'en prendre au chef du gouvernement qui s'est vu obligé de de dénoncer la « machine à projeter de la boue », mais sans prendre aucune mesure énergique pour y mettre fin et démocratiser la justice.

10- La présence maintenue de l'idéologie fasciste au sein de l'armée et de la police s'explique par le fait que la transition de la dictature à la démocratie s'est faite sans purger l'appareil d'État et en protégeant par la loi d'amnistie les responsables de crimes et délits graves commis sous le régime franquiste.

Pour ce qui concerne l'armée, cette présence maintenue se révèle régulièrement à l'occasion de crises ou de conflits politiques : des manifestes de militaires de réserve (les seuls à pouvoir les signer) ont été publiés pour faire l'éloge de Franco à l'occasion de son exhumation de la Vallée des morts, ou pour demander la destitution de Pedro Sánchez au motif qu'il a accordé la grâce aux condamné.es du procès [des dirigeants indépendantistes ndt]. Pour ce qui est de la police et de la garde civile, on sait que des tortionnaires connus sous le régime franquiste sont restés à leur poste, ont été promus, décorés et n'ont pas été poursuivis pour crimes contre l'humanité, tant en Espagne que dans le cadre du dossier argentin. C'est de ce contexte que découlent les réalités actuelles : entre 2015 et 2016, la police patriotique, sur ordre du gouvernement PP, a espionné 69 député.es de Podemos en utilisant des bases de données du ministère de l'Intérieur ; plus récemment, le syndicat Jusapol a adressé des critiques acerbes au gouvernement à la suite de la réforme (et non de l'abrogation) de la « loi bâillon » et du transfert de prisonniers de l'ETA au Pays basque ; et le syndicat de policiers SUP a signé un contrat avec l'entreprise de sécurité marquée à l'extrême-droite Desokupa pour la formation de 30 000 agents de police [aux techniques de « défense personnelle », sans autorisation du ministère de l'intérieur ndt].

11- Jusqu'à présent, la violence directe a été de faible intensité (elle s'est concentrée sur les migrants, les personnes LGTBI, les expulsions de squatteurs par la société Desokupa,…), en partie parce que le système judiciaire et la police ont fait l'essentiel du travail sous le couvert de lois antidémocratiques (telles que la « loi bâillon »), tant sous des gouvernements PP que PSOE (avec un rôle de premier plan pour le ministre Marlaska dans ce dernier cas).

12- En Espagne, le parti néo-fasciste Vox a connu une croissance significative ces dernières années : 12,4% des voix aux dernières élections générales et 9,6% aux élections européennes de 2024. Il n'est pas aussi puissant que ses homologues en Italie, aux Pays-Bas ou en France, en situation de gouverner ou ayant de bonnes chances de le faire, mais la phase pendant laquelle il servait uniquement de chien de garde de la droite est maintenant derrière lui, il teste les questions susceptibles d'obtenir un soutien populaire et commence à les inscrire à l'ordre du jour politique de façon à ce qu'elles soient reprises ensuite par le PP. Après les élections municipales et régionales de 2023, il a réussi à intégrer les gouvernements de coalition dans cinq communautés autonomes (Estrémadure, Aragon, Communauté de Valence, Castille et Léon et Murcie) et à conditionner sa participation au gouvernement des îles à un pacte législatif. Le 11 juillet, Vox a rompu les pactes de gouvernement avec le PP pour protester contre la décision de ce dernier d'accueillir un quota réduit de migrants mineurs non accompagnés, mais ces pactes pourraient être réactivés.

Si la campagne de harcèlement juridique contre Pedro Sánchez devait réussir et que le PSOE perdait la possibilité de former un gouvernement de coalition, l'alternative presque certaine serait un gouvernement PP et de Vox (ou avec son soutien). Dans ce cas, les mesures de régression augmenteraient de manière significative, car cela consoliderait un bloc espagniste réactionnaire, conservateur, néolibéral et nationaliste, et légitimerait un parti néofasciste en tant que parti de gouvernement. À partir de là, il serait beaucoup plus facile de passer à un gouvernement néo-fasciste majoritaire, soit en raison de la croissance propre de Vox, soit parce que la composante fasciste qui couve encore au sein du PP prendrait le contrôle du parti ou le quitterait pour en créer un nouveau.

13- La domination d'un parti fasciste sur le gouvernement central devrait avoir le soutien d'une partie décisive du grand capital. Ce n'est pas le cas pour le moment, car la démocratie réduite actuelle lui suffit et lui permet d'évoluer plus en phase avec les pays les plus importants de l'Union européenne. Mais ils évoluent eux-aussi dans une direction inquiétante, comme l'expliquent Miguel Urbán et Jaime Pastor :

« Un autoritarisme post-démocratique se répand dans l'UE et ses Etats membres, avec des frontières de plus en plus perméables entre régimes libéraux et illibéraux (…). »

Nous devons donc pas être surpris par le fait que l'extrême droite opte pour la voie réformiste au sein de l'UE (« Vers un despotisme oligarchique, technocratique et militariste », Viento sur 193, août 2024).

Mutations autoritaires et crise climatique
En réalité, la démocratie espagnole et européenne sont en pleine mutation, tout comme le capitalisme néolibéral. Et si la tendance vers des régimes plus autoritaires semble claire, ni le point d'arrivée ni les rythmes ne peuvent en être prédits. Mais la question est de savoir si un fascisme du 21e siècle, tel que nous l'avons présenté au début, peut trouver son compte dans cette mutation. Je pense que oui, et que le déclencheur le plus probable en será la crise climatique. Pour reprendre les termes de Phil Hearse :

« La catastrophe climatique produira un type de désorganisation et de bouleversement social qui ne pourra être contrôlé, du point de vue de la classe capitaliste, que par des dictatures autoritaires reposant à leur tour sur des appareils militaro-policiers et sur la tendance à mobiliser les masses sur la base du nationalisme, de l'identité ethnique ou du racisme. C'est ce que nous entendons par fascisme moderne » (« L'effondrement climatique menace d'apporter le fascisme et la guerre », 13/07/2023).

Il va de soi que cette issue n'est pas certaine, tout comme il est impossible de savoir, dans les premiers stades de la propagation d'un virus modifié, s'il conduira à une pandémie, même si les effets néfastes sont vérifiables, et commencer à le combattre est la seule façon d'empêcher que les gens nen subissent les effets et que cela ne dégénère en pandémie.

14- La mobilisation sociale contre la contagion fasciste doit commencer dès maintenant. Il est indispensable de lutter contre les agressions que subissent la classe ouvrière et les secteurs populaires, en particulier celles qui sont dirigées contre les personnes que la droite radicale et le néofascisme ont désignées comme ennemis. Il nous faut unifier les luttes de celles et ceux d'en bas, qui constituent la grande majorité de la population, contre la petite minorité qui bénéficie des politiques d'exclusion sociale, d'austérité, de dégradation démocratique et de complicité avec les agressions impérialistes.

Face à la dynamique de l'exclusion, nous devons exiger le respect scrupuleux de toutes les législations internationales protégeant les droits de l'homme, en particulier aux frontières, et lutter pour obtenir les droits de citoyenneté, sans exclusives, à toutes les personnes résidant sur le territoire de l'État espagnol.

Face à la montée de l'autoritarisme, il est nécessaire de lutter pour une véritable démocratie, dans son sens originel de pouvoir du peuple à décider de toutes les questions de la manière la plus directe et participative possible à tout moment, sans autres limites que les droits des individus et des minorités. Le droit de décider des droits des femmes et des personnes LGTBI contre le fondamentalisme religieux et la morale réactionnaire ; de décider des mesures nécessaires pour faire face à l'urgence climatique contre les intérêts des multinationales ; le droit de décider des relations que les peuples et les nations de l'État espagnol veulent maintenir contre le dogme de l'unité indissoluble de l'Espagne ; le droit de décider des mesures nécessaires à l'établissement de la vérité, pour la justice et la réparation des crimes du franquisme en refusant une loi qui pose un point final, telle que ce fut le cas avec la loi d'amnistie…

Face à l'accumulation de richesses par les multinationales et à la pauvreté de plus en plus répandue et cachée de larges secteurs sociaux, il est nécessaire d'exiger la défense et l'extension des biens communs, sans craindre les incursions dans la propriété privée des puissants. Il n'est pas vrai qu'il n'y aurait pas assez de ressources pour tout le monde, en réalité elles sont détournées par une minorité qui, de plus, les utilise pour maintenir un mode de production qui nous conduit à une catastrophe climatique. Nous avons besoin d'un autre modèle de production, basé sur des critères écologiques, qui réduise l'utilisation d'énergie et de matériaux et qui soit orienté vers la satisfaction des besoins humains fondamentaux, loin du consumérisme.

Face à la concurrence entre les blocs impérialistes et à la prolifération des conflits et des guerres au nom du nationalisme identitaire ou de la civilisation occidentale, nous devons pratiquer la solidarité avec les peuples qui luttent contre toute forme d'impérialisme et pour une véritable coopération dans la lutte contre le changement climatique et pour le maintien de la vie sur une planète habitable. Nous devons nous opposer à l'augmentation des dépenses militaires, au soutien de l'État espagnol ou de l'UE aux interventions militaires et aux guerres contre d'autres peuples, et en particulier au génocide du peuple palestinien par un État raciste et colonial, dont le gouvernement et des pans importants de la société sont infectés par le néo-fascisme.

Marti Caussa, 23/08/2024
Paru dans Viento sur, 24/Ago/2024 :
https://vientosur.info/el-virus-fascista-y-el-riesgo-de-pandemia/
Traduit de l'espagnol pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepL.
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71863

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Allemagne : Une nouvelle polarisation est nécessaire

17 septembre 2024, par Manuel Kellner — , ,
Les résultats des élections régionales dans les États allemands de Saxe et de Thuringe le 1er septembre 2024 indiquent une augmentation du soutien à l'extrême droite aussi (…)

Les résultats des élections régionales dans les États allemands de Saxe et de Thuringe le 1er septembre 2024 indiquent une augmentation du soutien à l'extrême droite aussi écrasante que dans de nombreux autres pays. Quel sentiment terrible que d'avoir à espérer que dans les deux Länder, l'Union chrétienne-démocrate (CDU) puisse rassembler un gouvernement pour faire face à l'Alternative für Deutschland (AfD), parti d'extrême-droite !

12 septembre 2024 | tiré du site inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4274

Le soir des élections, les dirigeants de l'AfD ont pu affirmer avec un sourire moqueur que le gouvernement de coalition et les partis CDU/CSU avaient adopté leurs positions, en particulier sur la politique des réfugiés (mais qu'ils n'étaient pas en mesure de les mettre en œuvre). Ils continueront donc à « faire pression » sur les partis établis. En effet, le débat public est entièrement dominé par l'extrême droite. Plus les partis établis reprennent leurs idées, plus il est certain que davantage de personnes voteront pour l'extrême droite originelle à la prochaine occasion.

Les résultats électoraux à un chiffre des partis de la coalition gouvernementale sont une gifle retentissante pour eux et pour le chancelier Scholz (pour le parti social-démocrate, les Verts et, de manière particulièrement spectaculaire, pour les démocrates libres de Lindner). Peut-on s'en réjouir et demander de nouvelles élections au niveau fédéral ? La CDU sort de ces élections régionales avec les pertes les plus faibles, en première ou deuxième position. Selon les sondages, il est presque certain que les partis de l'Union seront la première force du gouvernement qui remplacera la Coalition. Mais cela signifie que nous tombons de Charybde en Scylla.

Une crise de gouvernement

Le nouveau parti Bündnis Sahra Wagenknech (BSW) a réussi à prendre des voix à tous les autres partis, mais avant tout à Die Linke - et enfin à l'AfD. Son existence est l'expression de la crise de la gauche. Sa position est plutôt ambiguë, et ce n'est pas seulement sur la question des réfugiés et son conservatisme en matière de politique culturelle qu'elle recoupe celle de l'AfD. Il est difficile de savoir dans quelle mesure ses positions plutôt à gauche sur la politique sociale et la distribution peuvent jouer un rôle positif.

Dans la mesure où il s'agit d'un modèle de fonctionnement vertical dépendant d'une personnalité charismatique, son avenir est incertain. De plus, la configuration des forces dans les deux nouveaux parlements régionaux l'obligera à faire des choix de « realpolitik ». En ces temps de grande instabilité politique, il pourrait facilement arriver que la BSW perde rapidement sa crédibilité et soit comptée dans la conscience collective des partis établis.

La crise de la coalition gouvernementale ne pourrait être accueillie favorablement que si la gauche - et donc Die Linke en termes électoraux - s'en trouvait renforcée. Comme chacun le sait, c'est le contraire qui se produit. Le parti de Bodo Ramelow, autrefois si fier de diriger la Thuringe, se retrouve aujourd'hui comme un poulet plumé. Il n'a pas été utile à Ramelow de capitaliser sur son aura personnelle et d'omettre le nom de son parti sur les affiches électorales. En Saxe, Die Linke est même passé sous la barre des 5 % et n'est revenu au Landtag que grâce à deux mandats directs. Dans les sondages, de nombreuses personnes ont justifié leur choix de voter pour la BSW (ou même l'AfD) par leur déception à l'égard de Die Linke. Bien sûr, il y a à nouveau des gens qui disent que Die Linke doit maintenant être définitivement rayé de la carte.

Mais attendez un peu...

Les échecs électoraux ne rendent pas Die Linke plus à droite, plus intégré au système ou plus bourgeois. Ce que j'ai déjà eu l'occasion de dire est plus vrai que jamais : toute personne qui est encore membre aujourd'hui, ou qui le deviendra à l'avenir, et toute personne qui continue à voter pour Die Linke, agit par conviction. Celle-ci a une grande valeur et ne doit pas être compromise à la légère. Bien entendu, la gauche dans son ensemble, dont Die Linke reste la force la plus puissante relativement, doit réfléchir à la manière dont elle peut sortir de sa crise et redevenir plus forte.
Die Linke a tout à gagner à combattre les fausses polarisations dans le débat public en leur opposant l'antagonisme de classe entre le travail et le capital. Aucune autre force politique audible en Allemagne n'exige systématiquement et à chaque occasion une rupture avec toutes les politiques menées par les partis établis et l'AfD dans l'intérêt du capital et contre les intérêts des travailleurs, des exploités et des défavorisés. L'absence d'une telle force pèse comme un cauchemar sur de nombreuses personnes qui, dans leur désespoir, se tournent vers les rabatteurs bruns peints en bleu.

Il n'y a pas de raccourci. Sans un enracinement profond dans les lieux de travail et les quartiers, la gauche ne retrouvera jamais sa force. La solidarité avec la Palestine plutôt que la raison d'État, l'internationalisme et l'antimilitarisme plutôt que le bellicisme et le pacifisme - il y a là « beaucoup de planches épaisses à percer ». Mais nous avons aussi besoin d'initiatives politiques audacieuses. Entre autres, prendre la mesure de la combativité qui subsiste dans les syndicats pour les impliquer dans une grande consultation sur la manière dont nous pouvons faire face au danger que représente l'extrême droite par des actions de masse qui débouchent sur une solidarité concrète.

Le 12 septembre 2024, publié par International Viewpoint.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les soldats russes en Ukraine sont des « types ordinaires » qui commettent d’horribles crimes de guerre

Après deux ans et demi d'agression brutale et de preuves croissantes de crimes de guerre commis par les soldats russes, certaines personnes à l'étranger s'accrochent encore à (…)

Après deux ans et demi d'agression brutale et de preuves croissantes de crimes de guerre commis par les soldats russes, certaines personnes à l'étranger s'accrochent encore à l'espoir que la réalité de ce qui se passe en Ukraine n'est pas aussi sinistre qu'il n'y paraît : une nation de près de 150 millions d'habitant·es ne peut pas soutenir l'invasion de son voisin et les soldats russes n'ont pas d'autre choix que d'obéir aux ordres – c'est la guerre de Vladimir Poutine.

12 septembre 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/12/les-soldats-russes-en-ukraine-sont-des-types-ordinaires-qui-commettent-dhorribles-crimes-de-guerre/#more-85554

Mais la réalité est sombre. Les gens doivent accepter le fait qu'un homme apparemment ordinaire, avec une famille, des espoirs et des rêves, puisse également participer à l'invasion d'un pays où il commet des actes de torture, des viols et des meurtres. C'est cette capacité de cruauté – sa capacité à supprimer son humanité, si tant est qu'elle ait jamais existé – qui le rend si terrifiant.

Hannah Arendt a exploré cette vérité troublante dans son livre de 1963, « Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal ». Avec pour toile de fond le procès d'Adolf Eichmann, un haut fonctionnaire nazi qui a contribué à orchestrer la logistique de l'Holocauste, Arendt a écrit sur la façon dont le mal se manifeste non pas dans des aberrations monstrueuses qui appartiennent au domaine des contes de fées, mais dans des individus qui choisissent de suivre des ordres horribles sans trop d'hésitation ou d'introspection.

L'incapacité du monde à comprendre pleinement la menace que représente la Russie a permis aux apologistes du génocide de trouver une tribune au sein de certaines des institutions culturelles les plus estimées du monde. Un documentaire qui tente « à travers le brouillard de la guerre » d'« humaniser » les soldats russes qui mènent une guerre d'agression contre l'Ukraine a non seulement été projeté récemment au festival du film de Venise et le sera bientôt au festival du film de Toronto, mais il aurait également reçu un financement du gouvernement canadien.

La réalisatrice de « Russians at War », la cinéaste canado-russe Anastasia Trofimova, affirme qu'elle s'est « secrètement » intégrée aux troupes russes engagées dans la guerre d'agression contre l'Ukraine sans avoir obtenu l'autorisation du ministère russe de la défense. (Peut-être que ses contacts avec la chaîne publique russe RT, qui a produit plusieurs de ses précédents documentaires, ont été interrompus). Dans la couverture médiatique du film, elle a expliqué qu'elle ne voulait pas « juger » les soldats russes et qu'elle avait découvert qu'il s'agissait de « types tout à fait ordinaires, dotés d'un sens de l'humour ». Les interviewers écoutent et hochent la tête.

Il est troublant d'entendre de telles déclarations, surtout après avoir vu les photos de Yaroslav Bazylevych aux funérailles de sa femme et de ses trois filles, tuées lors de l'attaque russe du 4 septembre sur Lviv, une ville de l'ouest de l'Ukraine. C'est surréaliste après avoir parlé avec les amis de Nika Kozhushko, une artiste talentueuse de 18 ans tuée lors de l'attaque russe du 30 août sur Kharkiv, une ville de l'est de l'Ukraine. C'est carrément exaspérant pendant qu'une sirène d'alerte aérienne retentit en arrière-plan. Nous devons certainement vivre dans deux mondes différents.

Bien que je n'aie pas encore visionné le documentaire dans son intégralité, les commentaires de ceux qui ont assisté à sa projection à la Mostra de Venise, combinés aux images disponibles dans la bande-annonce en ligne, ont commencé à brosser un tableau assez clair de la situation. Rien de ce que j'ai entendu ou vu ne suggère qu'il s'agit d'un « film anti-guerre ». Dans la bande-annonce, par exemple, un soldat affirme que l'Ukraine et la Russie sont « inséparables » et que cette « union fraternelle » lui manque. Cette affirmation oublie commodément la réalité : dans l'Empire russe comme dans l'Union soviétique, la langue et la culture russes ont dominé. À différentes périodes de l'histoire, cette domination a été renforcée par l'assujettissement violent des Ukrainien·nes et d'autres groupes. Ce que ce soldat exprime en réalité, c'est la nostalgie d'une époque où l'État-nation ukrainien s'est vu refuser le droit d'exister.

Rien de ce que j'ai entendu ou vu ne suggère
qu'il s'agit d'un « film anti-guerre ».

Et comment les Russes essaient-ils de prouver aux Ukrainien·nes qu'ils sont des « nations fraternelles » ? En lançant des missiles balistiques et des drones qui tuent des civil·es, en réduisant des villes en ruines, en les occupant, en emmenant celles et ceux qui résistent à l'occupation pour les « rééduquer » dans des sous-sols, en violant des femmes et des enfants, en exécutant des soldats ukrainiens faits prisonniers, en envoyant des enfants ukrainiens enlevés aux confins de la Russie… L'ampleur des crimes de guerre russes commis en Ukraine est stupéfiante, le bureau du procureur général ayant recensé 141 739 cas à ce jour. Tant que la guerre à grande échelle se poursuivra, ce nombre ne cessera d'augmenter.

Mme Trofimova, la réalisatrice de « Russians at War », a déclaré publiquement qu'elle n'avait pas été témoin de crimes de guerre pendant son séjour sur la ligne de front. Mais que suggère-t-elle ? Que les survivant·es de ces atrocités se trompent ? Leurs témoignages ont-ils moins de valeur que le sien ? En faisant de telles affirmations, elle s'engage dans une narration dangereuse, semant le doute dans ce qui devrait être une vérité claire et indéniable : La Russie mène un génocide contre l'Ukraine, et ceux qui s'en rendent coupables doivent être tenus pour responsables.

Vouloir « percer le brouillard de la guerre » et « humaniser » ces soldats russes ne vise qu'à les présenter sous un jour sympathique. Sommes-nous censés dire : « Bien sûr, Misha a violé une Ukrainienne devant ses jeunes enfants, mais il a ses propres enfants dans son pays, il ne peut donc pas être si mauvais que ça, n'est-ce pas ? »

Dans la guerre contre l'Ukraine, les soldats russes ont choisi consciemment de participer, tout comme eux et leurs concitoyen·nes ont choisi de permettre au président russe Vladimir Poutine de rester au pouvoir et de superviser la montée en puissance d'un régime de plus en plus autoritaire. Si certaines familles russes se disent « indifférentes » à la politique, d'autres sont profondément ancrées dans la propagande d'État qui inonde leurs écrans de télévision, à tel point qu'elles sont prêtes à dénoncer leurs propres fils pour avoir tenté de fuir le pays et de se soustraire au service militaire. La grande majorité des Russes portent la responsabilité de cette guerre. Ce n'est pas seulement la guerre de Poutine, c'est aussi la leur.

Décrire les soldats russes comme de simples « outils dans un jeu politique plus large », comme le suggère Mme Trofimova, revient dangereusement à faire écho aux points de discussion propagés par le gouvernement russe – des affirmations telles que le droit supposé de la Russie à envahir le pays pour mettre fin à l'empiètement de l'OTAN sur sa « sphère d'influence ».

Ce ne sont pas toujours les voix grandiloquentes de la télévision contrôlée par l'État qui annoncent la prise de Kiev en trois jours qui représentent la plus grande menace. Les voix apparemment neutres, celles qui prétendent « ne faire que poser des questions », sans autre allégeance que celle de la vérité, sont plus néfastes. Ces sceptiques discrets, qui entretiennent l'incertitude dans un récit par ailleurs très clair, peuvent en fin de compte infliger le plus grand mal. C'est à partir du moment où nous commençons à brouiller la vérité que les mensonges risquent d'être acceptés comme la réalité.

Il est de notre responsabilité de rejeter catégoriquement toute tentative d'excuser ou de réhabiliter les crimes de guerre russes commis en Ukraine, et de veiller à ce que les souffrances des victimes de la Russie ne soient ni oubliées ni minimisées – c'est le moins que nous puissions faire pour les dizaines de milliers d'Ukrainien·nes dont ils ont volé et détruit la vie.

Kate Tsurkan
Kate Tsurkan est journaliste au Kyiv Independent et écrit principalement sur des sujets liés à la culture. Ses écrits et traductions ont été publiés dans The New Yorker, Vanity Fair, Harpers, The Washington Post, The New York Times et ailleurs. Elle est cofondatrice du magazine Apofenie.

Les opinions exprimées dans la section d'opinion sont celles des auteurs et ne prétendent pas refléter les opinions du Kyiv Independent.
https://kyivindependent.com/opinion-russian-soldiers-in-ukraine-are-ordinary-guys-who-commit-horrific-war-crimes/

Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Sotsialnyi Rukh : Sur les changements gouvernementaux

17 septembre 2024, par Sotsialnyi Rukh — , ,
Les récents changements de personnel au sein du cabinet ministériel ukrainien sous le slogan « Reset » montrent que le système néolibéral traverse une crise profonde et n'est (…)

Les récents changements de personnel au sein du cabinet ministériel ukrainien sous le slogan « Reset » montrent que le système néolibéral traverse une crise profonde et n'est pas en mesure de corriger ses erreurs. Le renouvellement d'environ 50% des visages (principalement des figures mineures) n'a pas été accompagné de discussions sur la nécessité de réviser le cours actuel politique et social. Et sans plus d'explications, c'est clair : la privatisation à grande échelle de l'économie se poursuivra, les oligarques conserveront leur influence sur les industries stratégiques (y compris l'énergie), les fonctions sociales de l'État seront diluées, et les gens ordinaires porteront le fardeau de la guerre.

11 septembre 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/11/sotsialnyi-rukh-sur-les-changements-gouvernementaux/

De tels remaniements ne renforceront pas la légitimité du gouvernement et ne masqueront pas l'écart de représentation entre ceux qui travaillent pour le pays et ceux qui siègent dans les bureaux du gouvernement. La nomination de nouveaux ministres et le renvoi de leurs prédécesseurs ne donnent pas au peuple une réelle possibilité d'influencer la prise de décision, car toutes les personnes nouvellement nommées font, d'une manière ou d'une autre, partie du système politique qui fonctionne sous l'influence des oligarques depuis de nombreuses années.

Le changement de ministres n'est pas un renouveau, mais seulement des changements cosmétiques qui ne résolvent pas les problèmes de fond. Chaque nouvelle vague de remaniements démontre qu'il n'y a pas de véritable rotation au sein du gouvernement. Le gouvernement reste fermé aux travailleurs – infirmiers et mineurs, cheminots et enseignants – qui pourraient, quels que soient les propriétaires des entreprises, s'opposer à l'égoïsme capitaliste qui a conduit l'Ukraine dans une impasse. Ils ressentent en masse l'injustice et les horreurs de la guerre, c'est pourquoi ils sont déterminés à opérer des changements dans l'intérêt de la majorité de la société : abandonner les dettes extérieures et taxer le luxe, saisir les richesses illégalement appropriées et exportées et prendre d'autres mesures pour alimenter les fonds salariaux, développer les infrastructures sociales et rendre le pays plus sûr. Seule l'auto-organisation des travailleurs dans le cadre d'une désoligarchisation et d'une socialisation radicales peut donner l'impulsion nécessaire à un véritable changement. Seules les personnes issues de la classe ouvrière peuvent apporter la libération au pays et apporter une nouvelle qualité à la politique.

Le Mouvement social déclare que seuls les syndicats de travailleurs endurcis par les conflits de classe nous permettront de construire un État juste dans lequel tout le monde aura une voix politique, et pas seulement les représentants des élites parasitaires.

6 septembre 2024
Sotsialnyi Rukh (Mouvement social)
Traduction PLT

Ucraina, l'autoaggiustamento cosmetico del governo
Dichiarazione del Sotsialnyi Rukh (Movimento Sociale) sugli avvicendamenti dei ministri
https://andream94.wordpress.com/2024/09/07/ucraina-lautoaggiustamento-cosmetico-del-governo/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le spectre d’une guerre sans fin au Sud Liban

Les voyants passent à nouveau au rouge au sud du Liban, sur fond d'intensification des opérations militaires israéliennes et de menaces de Tel Aviv de déclencher une guerre (…)

Les voyants passent à nouveau au rouge au sud du Liban, sur fond d'intensification des opérations militaires israéliennes et de menaces de Tel Aviv de déclencher une guerre contre le Liban.Le ministre libanais des Affaires étrangères sortant, Abdallah Bou Habib, s'est dit inquiet de voir Israël continuer ses opérations militaires dans le sud du Liban, même si un cessez-le-feu est obtenu à Gaza, constaie le site libanais « Ici Beyrouth ».

Tiré de MondAfrique.

Lors d'une interview avec Al Jazeera English, le ministre libanais a fondé ses déclarations sur les propos de responsables israéliens et les messages reçus du gouvernement américain, de la France et d'autres pays. Ces messages ont souligné qu'Israël n'avait fait aucune promesse quant à l'application d'un cessez-le-feu à Gaza au sud du Liban, recherchant plutôt une solution durable permettant le retour et la stabilité des habitants de ses colonies du nord.

Dans ce contexte, Israël a envoyé une lettre au Conseil de sécurité de l'ONU, demandant au Liban de mettre en œuvre la résolution 1701. Laquelle prévoit spécifiquement qu'aucune force paramilitaire ne doit se trouver au sud du Litani, et que seules peuvent y patrouiller l'armée libanaise et la FINUL (la Force intérimaire des Nations Unies au Liban, qui n'a d'intérimaire que le nom, car créée en 1978).

Les rapports indiquent que le Liban redoute que la guerre dans le Sud ne se prolonge indéfiniment, ou du moins aussi longtemps que le conflit à Gaza persiste. Cette situation impose un poids considérable au peuple libanais, aggravant la souffrance des habitants du Sud et affaiblissant davantage l'État, notamment si l'élection présidentielle reste dans l'impasse. En conséquence, le Liban chercherait à négocier un accord équitable avec Israël pour mettre fin aux opérations militaires dans le sud du pays, indépendamment de la situation à Gaza. Cependant, les détails d'un tel accord restent incertains, aucune des deux parties, ni le Hezbollah ni Israël, n'ayant publiquement montré de volonté de le concrétiser.

L'offensive américaine

Bien que les deux camps semblent ouverts à de telles négociations, le Hezbollah se trouve face à un dilemme : accepter un tel accord pourrait être perçu comme un retrait de son prétendu « front de soutien », ce qui pourrait être interprété comme une défaite. De son côté, Israël hésite à aller de l'avant sans garanties solides de la réussite de l'accord.

Malgré les défis, les Américains demeurent résolus à obtenir une avancée. L'émissaire américain, Amos Hochstein, est prêt à intervenir dès qu'un cessez-le-feu à Gaza sera annoncé. Son objectif est de parvenir à une résolution pour le sud du Liban qui pourrait aller au-delà de la résolution 1701, notamment si elle implique de nouveaux arrangements des deux côtés de la frontière. Cela pourrait nécessiter l'adoption d'une nouvelle résolution par le Conseil de sécurité de l'ONU.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Anniversaire du soulèvement en Iran : l’opposition lance la campagne « Non aux exécutions »

17 septembre 2024, par Afchine Alavi — , ,
Deux ans après la mort de Jina Mahsa Amini à Téhéran, des milliers de personnes dans le monde ont manifesté mi-septembre. Ce vendredi, sur la place de la Bastille à Paris ce (…)

Deux ans après la mort de Jina Mahsa Amini à Téhéran, des milliers de personnes dans le monde ont manifesté mi-septembre. Ce vendredi, sur la place de la Bastille à Paris ce vendredi, des centaines de personnes s'étaient rassemblées à l'appel des associations soutenant la Résistance iranienne.

Tiré du blogue de l'auteur.

Des milliers de personnes ont manifesté ce weekend dans le monde dont des centaines de personnes vendredi, 13 septembre, à Paris, Place de la Bastille, à l'appel des associations soutenant la Résistance iranienne deux ans après la mort de Jina Mahsa Amini à Téhéran.

A Paris des associations franco-iraniennes, dont le Comité de Soutien aux Droits de l'Homme en Iran (CSDHI), l'Association des Femmes iraniennes en France (AFIF) ou Iran Liberté et bien d'autres ont manifesté pour marquer ce deuxième anniversaire du soulèvement et passer le message que la Résistance contre les mollahs se poursuit en Iran jusqu'à l'établissement d'une république démocratique et laïque.

En effet, deux ans après la mort Mahsa Amini, persécutions et esprit de révolte perdurent en Iran et tous les observateurs sont unanimes qu'il y a eu peu de changements dans le pays malgré le remplacement du président des mollahs après la mort de Ebrahim Raïssi dans un accident d'hélicoptère.

Un rapport récent de l'ONU souligne les exécutions à grande échelle, et l' impunité pour les auteurs des persécution durant les massacres qui ont jalonné l'histoire de la dictature religieuse en place. Le bilan de la répression ces deux dernières années, après une révolte populaire est tout aussi atroce. Le nombre des exécutions ne cesse d'augmenter depuis l'arrivée du nouveau président Massoud Pezshkian, que le régime avait vendu comme un « réformiste ».

Mais malgré cette répression à l'intérieur de l'Iran, les activités des unités de résistance vont grandissante et les gardiens de la révolution sont de plus en plus incapable de maitriser la colère populaire qui se manifeste à travers les activités et d'opération anti-répression prenant pour cible le centres de la milice Bassidj et des autres centres de répression.

Ces unités de résistance ont été le fer de lance du soulèvement en 2022, et continuent de semer l'espoir à travers le pays en diffusant les messages de la Résistance pour une révolution démocratique.

Dans les prisons, dans les quartiers ou en exil, les militants anti-régime maintiennent l'espoir que le mouvement de contestation qui a aujourd'hui quatre décennies d'histoire va enfin venir à bout des mollahs obscurantiste.

En cette anniversaire du soulèvement de 2022 dans une quarantaine de villes, les exilés iraniens partisans du Conseil national de la Résistance ont manifesté pour raviver cet espoir et soutenir le courage des unités de résistance en Iran.

Ces manifestations soutiennent une campagne intitulée "Non aux exécutions en Iran".

Par exemple à Londres :

A Cologne :

A Amsterdam :

A Stockholm :

A Paris, place de la Bastille vendredi, une solidarité très forte entre Iraniens et Français a réuni des centaines de personnes :

Les manifestants ont déposé des gerbes devant les photos des victimes de la répression en Iran.

Dans la résolution finale de ces manifestations, on peut lire :

« Nous, participants à la série de manifestations mondiales organisées à l'occasion de l'anniversaire du soulèvement de 2022, rendons hommage aux 120 000 martyrs de la nouvelle révolution du peuple iranien et renouvelons notre engagement envers les 750 fiers martyrs de ce glorieux soulèvement pour le renversement de ce régime criminel, et soulignons ce qui suit :

Malgré la répression brutale, le soulèvement de 2022 est toujours vivant dans la colère et l'indignation du peuple iranien, et il ne fait aucun doute que ce soulèvement s'enflammera à une échelle plus large et plus profonde et qu'il renversera le régime des mollahs.

Nous déclarons notre soutien total aux unités héroïques de la Résistance qui ont courageusement maintenu la flamme du soulèvement et de la résistance. C'est un devoir patriotique, humaniste et moral pour tout Iranien honorable et épris de liberté.

Plus de 160 prisonniers ont été exécutés depuis le début du mois d'août, date à laquelle le nouveau président du régime iranien a pris ses fonctions. Khamenei tente en vain d'empêcher l'explosion de la colère du peuple face à ces effusions de sang.

Nous soutenons la campagne "Non aux exécutions" lancée par Mme Maryam Radjavi, présidente élue du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI). Cette campagne est en cours dans les prisons iraniennes et nous appelons la communauté internationale et tous les défenseurs des droits de l'homme à la soutenir ».

Maryam Radjavi a envoyé un message aux manifestants et réclamant aux gouvernements de « Cessez la politique vétuste de complaisance avec la tête du serpent à Téhéran, à savoir la dictature religieuse ! Et conditionnez leurs relations avec ce régime à l'arrêt des exécutions ».

Cette campagne « Non aux Exécutions » à été annoncée lors de cette manifestation à Paris. Des centaines de personnes ont déjà signé l'appel. Ci-joint le texte de l'appel soutenu par les associations organisatrices de la manifestation et les premiers signataires.

La campagne Non aux exécutions en Iran (format pdf)

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Cour internationale de justice. L’impératif du retrait israélien des territoires occupés

17 septembre 2024, par Rafaëlle Maison — , , ,
Dans un été 2024 marqué par la poursuite de l'offensive génocidaire à Gaza, ainsi que par la révélation d'actes de barbarie commis sur des détenus palestiniens, l'avis de la (…)

Dans un été 2024 marqué par la poursuite de l'offensive génocidaire à Gaza, ainsi que par la révélation d'actes de barbarie commis sur des détenus palestiniens, l'avis de la Cour internationale de justice (CIJ) sur l'illégalité de l'occupation israélienne est tout de même un nouveau succès majeur pour la Palestine. En plus des conséquences qu'il implique pour tous les États, il marque une rupture avec le discours politique dominant en Occident sur la nécessité d'une négociation avec Israël.

Tiré d'Orient XXI.

Alors que la rapporteuse spéciale de l'ONU Francesca Albanese alerte désormais sur l'extension de la violence génocidaire à la Cisjordanie, la Cour internationale de justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies a, dans son avis consultatif du 19 juillet 2024, précisé l'état du droit international s'agissant du Territoire palestinien occupé (TPO).

Ce long avis vient confirmer la logique de celui rendu, en 2004, sur l'édification du mur par Israël en territoire palestinien. Mais, saisie par l'Assemblée générale en 2022 de faits bien plus conséquents, la Cour a été plus loin cette fois-ci en affirmant non seulement l'illégalité des pratiques israéliennes d'occupation depuis 1967, mais aussi celle de l'occupation elle-même. La conséquence logique est la nécessité pour Israël de mettre fin à cette occupation « dans les plus brefs délais ».

Par ailleurs, la Cour a considéré, et ceci est également nouveau, que certaines pratiques d'occupation caractérisaient une violation de l'article 3 de la Convention sur l'élimination de la discrimination raciale, par lequel les États parties « condamnent spécialement la ségrégation raciale et l'apartheid ». Il convient donc de présenter cet avis qui rompt avec la représentation occidentale de la situation, et d'examiner les conséquences que la Cour estime devoir être tirées de ces violations graves, par Israël, du droit international. Car, même si elles ne sont pas respectées par leurs destinataires, les positions ou ordonnances de la Cour ont un impact considérable, raison pour laquelle une partie de la doctrine occidentale tente d'en minimiser le sens.

Quel droit applicable, à quelle situation ?

Comme elle le fit en 2004, la CIJ confronte les pratiques israéliennes d'occupation au droit de l'occupation militaire (IVe Convention de Genève de 1949, Règlement de La Haye de 1907), au droit international des droits humains (Pacte sur les droits civils et politiques, Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966, Convention sur l'élimination de la discrimination raciale de 1965), au droit du recours à la force (Charte des Nations unies, comprenant l'interdiction d'annexer des territoires), au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce dernier droit présente évidemment une importance toute particulière.

Certains lecteurs pourront s'étonner du fait que la Convention sur le génocide n'est pas employée par la Cour alors qu'elle est invoquée devant elle par l'Afrique du Sud contre Israël et par le Nicaragua contre l'Allemagne, dans deux affaires contentieuses relatives à l'actuelle situation à Gaza. Ceci s'explique par le fait que la Cour, interprétant la question qui lui a été posée par l'Assemblée générale en 2022 (Résolution 77/237 du 30 décembre 2022), a estimé qu'elle n'inclut pas « le comportement adopté par Israël dans la bande de Gaza en réaction à l'attaque menée contre lui par le Hamas et d'autres groupes armés le 7 octobre 2023 » (Avis, § 81).

Cela ne signifie pas pour autant que la bande de Gaza est exclue de l'analyse et des conclusions de la Cour pour les politiques antérieures d'Israël à Gaza, qui se prolongent partiellement. D'ailleurs, la CIJ précise à cet égard que le droit de l'occupation militaire devait continuer à s'appliquer à la bande de Gaza, en dépit du retrait israélien de 2005, dans la mesure où ce territoire est resté sous le contrôle d'Israël (Avis, §§ 93-94) (1). Mais il est vrai que l'avis n'examine pas très précisément, et c'est sans doute dommage, les politiques et pratiques israéliennes à Gaza avant octobre 2023, notamment les offensives récurrentes, et le blocus, qui avait pourtant fait l'objet de rapports de l'ONU. Si les conclusions de la Cour valent donc pour l'ensemble du TPO, incluant Gaza, l'essentiel de l'examen porte sur la Cisjordanie et Jérusalem-Est.

Colonisation, ségrégation raciale et apartheid

Est d'abord envisagée la politique de colonisation : transfert de population civile, confiscation ou réquisition de terres, exploitation des ressources naturelles, extension de la législation israélienne, déplacement forcé de la population palestinienne, violence contre les Palestiniens. La Cour conclut ici que « les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et le régime qui leur est associé, ont été établis et sont maintenus en violation du droit international » (Avis, § 155). La conséquence de cette illégalité est qu'Israël « est dans l'obligation de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation, et d'évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé » (point 5 du dispositif).

Il est important de relever que cette conclusion de la Cour a été adoptée à la quasi-unanimité (14 juges favorables). Seule la juge Julia Sebutinde (Ouganda), qui s'était déjà illustrée par des opinions séparées ou dissidentes dans les affaires portées contre Israël sur la base de la Convention génocide, s'y est opposée.

C'est à propos de cette politique de colonisation que sont présentées les lois et politiques discriminatoires d'Israël, la Cour examinant essentiellement les différences de traitement entre Palestiniens et colons dans les TPO : permis de résidence à Jérusalem-Est, restriction à la liberté de circulation, démolitions de biens punitives ou pour défaut de permis de construire. Ces politiques sont considérées comme illicites. De plus, la Cour estime que, dès lors qu'elles « imposent et permettent de maintenir en Cisjordanie et à Jérusalem-Est une séparation quasi complète entre les communautés de colons et les communautés palestiniennes » (Avis, § 229), elles emportent violation de l'article 3 de la Convention sur l'élimination de la discrimination raciale qui, on l'a dit, condamne spécialement la ségrégation raciale et l'apartheid.

Certains juges, tels le juge brésilien Leonardo Brant et le juge sud-africain Dire Tladi, dans leurs opinions individuelles jointes à l'avis, ont regretté que la Cour n'ait pas été plus explicite sur la question de l'apartheid : il aurait été, pour l'un, utile d'en donner une définition, et pour l'autre, important de conclure plus précisément à l'existence d'un régime d'apartheid. Ainsi, pour le juge sud-africain : « Si l'on compare les politiques du régime d'apartheid sud-africain avec les pratiques d'Israël dans le TPO, il est impossible de ne pas arriver à la conclusion qu'elles sont similaires. » (Déclaration du juge Tladi, § 37). De même, pour le président de la Cour, le juge libanais Nawaf Salam : « La commission par Israël d'actes inhumains envers les Palestiniens dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination, ainsi que l'intention de maintenir ce régime, sont indéniablement l'expression d'une politique d'apartheid » (Déclaration du juge Salam, § 29). Mais le sujet semble sensible puisque d'autres juges non dissidents, tels le juge allemand Georg Nolte ou le juge japonais Yuji Iwasawa, ont affirmé être sceptiques sur l'application de cette notion aux politiques d'Israël. Aussi, on peut penser que l'avis est resté sommaire sur ce point afin de recueillir une large majorité de voix.

Plus qu'une occupation, une annexion

L'avis examine aussi la question de l'annexion de portions du territoire occupé. Se référant, notamment, à la loi fondamentale israélienne de 2018 (Avis, §§ 163 et 166), la Cour estime que :

  • Les politiques et pratiques d'Israël, notamment le maintien et l'extension des colonies, la construction d'infrastructures connexes, y compris le mur, l'exploitation des ressources naturelles, la proclamation de Jérusalem en tant que capitale d'Israël, ainsi que l'application intégrale du droit interne israélien à Jérusalem-Est et son application étendue en Cisjordanie, renforcent le contrôle d'Israël sur le territoire palestinien occupé [et] équivalent à une annexion de vastes parties [de celui-ci] (2).

Ces actes assimilables à une annexion contreviennent au droit du recours à la force, c'est-à-dire à l'interdiction de l'emploi de la force dans les relations internationales et à son corollaire, le principe de non-acquisition de territoire par la force (Avis, § 179).

Enfin, dans cette première partie de l'avis, il est aussi question du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, « principe essentiel du droit international contemporain » (Avis, § 232). La Cour ajoute d'ailleurs qu'« en cas d'occupation étrangère comme celle dont il est question en la présente espèce, le droit à l'autodétermination constitue une norme impérative de droit international » (Avis, § 233) (3). Par-delà les entraves portées au développement économique et social du peuple palestinien liées aux violations des droits à la liberté, à la sécurité, à la liberté de circulation dans l'ensemble du territoire occupé, la dépendance de ce territoire à l'égard d'Israël pour la fourniture de biens et services, particulièrement s'agissant de la bande de Gaza (Avis, § 241) fait aussi obstacle à l'autodétermination. La Cour note finalement l'aggravation de la violation de ce droit « impératif » (Avis, § 233), liée à la durée, depuis des décennies, de l'occupation.

Mais c'est dans la partie suivante de l'avis que la CIJ formule des conclusions encore plus marquantes. Elle le fait à une large majorité (11 voix contre 4), même si trois juges européens — les juges français, slovaque et roumain — ainsi que la juge ougandaise, ne s'y associent pas. Ayant constaté l'annexion d'une grande partie des TPO et la violation aggravée du droit du peuple palestinien à disposer de lui-même, la Cour en déduit logiquement que l'occupation en violation de ces normes coutumières particulièrement importantes est devenue illicite. Cette illicéité « s'applique à l'intégralité du territoire palestinien occupé par Israël en 1967 », « dont l'intégrité doit être respectée » (Avis, § 262). Ce qui signifie que les conséquences qu'en tire la Cour concernent également la bande de Gaza. Pour la Cour, et c'est là le centre de l'avis :

  • L'utilisation abusive persistante de sa position en tant que puissance occupante à laquelle Israël se livre en annexant le Territoire palestinien occupé et en imposant un contrôle permanent sur celui-ci, ainsi qu'en privant de manière continue le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination, viole des principes fondamentaux du droit international et rend illicite la présence d'Israël dans le Territoire palestinien occupé. (Avis, § 261).

En conséquence Israël a « l'obligation de mettre fin à sa présence dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais » (Avis, § 267).

L'autodétermination plutôt que les accords d'Oslo

Pourquoi cette conclusion est-elle centrale ? Parce qu'elle rejette les arguments avancés par certains États puissants, quoique minoritaires, qui affirment que seule une solution négociée pouvait aboutir à un éventuel retrait. Le président de la Cour Nawaf Salam, dans sa déclaration, est explicite sur ce point (Déclaration, § 57). Aussi, comme le plaidait Monique Chemillier-Gendreau pour l'Organisation de la coopération islamique (OCI), le droit à l'autodétermination n'est « pas négociable ». On voit ici que la Cour a dépassé la représentation d'une occupation maintenue pour des « raisons de sécurité » et a fait logiquement primer le droit des peuples. Elle s'est par là émancipée de l'idée selon laquelle le retrait des territoires occupés serait lié à des traités de paix avec les États arabes, idée qui dominait lors de l'adoption de la résolution 242 en 1967 (4). Il est vrai qu'en 1967, la grille de lecture des Nations unies négligeait encore le droit des Palestiniens à l'autodétermination. La Cour, sans le dire expressément, actualise donc légitimement la teneur du droit applicable.

Enfin, et c'est bien ce qui gêne les trois juges dissidents minoritaires, en exigeant la mise en œuvre « dans les plus brefs délais » du retrait par Israël du territoire occupé, la Cour ne s'appuie pas sur les accords d'Oslo (voir le § 102 de l'avis) et ne se réfère pas au cadre de négociation promu par le Conseil de sécurité (5). Là est d'ailleurs toute l'importance de la référence au caractère « impératif » du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Car une norme de droit impératif (ou de jus cogens, même si la Cour n'emploie pas ici le terme (6)) ne peut être altérée par un traité : si celui-ci y contrevient, il pourrait être considéré comme nul d'après la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. Le juge Tladi développe d'ailleurs ce point dans sa déclaration, à propos des accords d'Oslo : « Même si les accords d'Oslo justifiaient la présence actuelle d'Israël dans le territoire palestinien occupé, ils seraient invalides s'ils étaient contraires à la norme impérative de l'autodétermination. » (§ 35). Selon l'avis, auquel le juge renvoie, « l'existence du droit du peuple palestinien à l'autodétermination ne saurait être soumise à conditions par la puissance occupante, étant donné qu'il s'agit d'un droit inaliénable ». (Avis, § 257).

Le retrait « dans les plus brefs délais » exigé d'Israël implique également des conséquences pour l'ONU : les « modalités précises » devraient en être examinées par le Conseil de sécurité mais aussi par l'Assemblée générale, qui est ici mentionnée en premier lieu comme ayant sollicité l'avis (Avis, § 281). On peut ajouter, mais la Cour ne le fait pas ici, que l'Assemblée générale joue un rôle tout particulier dans le contexte du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Sans écarter le Conseil de sécurité, la CIJ insiste sur le rôle éminent que peut tenir l'organe plénier de l'ONU, à savoir l'Assemblée générale, qui n'est pas limitée par les droits de veto existant au Conseil de sécurité. Celle-ci devrait d'ailleurs évoquer l'avis de la CIJ lors de sa réunion du 17 septembre 2024. Les conclusions de l'avis de la CIJ pour l'ONU se trouvent explicitées à certains égards dans les déclarations du juge Tladi et du président Salam, lequel n'exclut d'ailleurs pas des négociations entre les parties portant sur les modalités du retrait (Déclaration, §§ 57- 58).

Obligation de réparations

D'autres conséquences, également marquantes, doivent finalement être relevées. Tout d'abord, l'obligation pour Israël de réparer « intégralement » les dommages causés par ses actes illicites, par la voie de la restitution ou, si celle-ci est impossible, de l'indemnisation (Avis, §§ 269-271). On mesure l'ampleur de la réparation exigée. Le juge Tladi estime à cet égard que les Nations unies pourraient envisager d'établir un mécanisme international dédié (Déclaration, § 60).

Enfin, certaines obligations violées par Israël ont un caractère erga omnes, ce qui signifie que le comportement d'Israël intéresse tous les États — qu'ils soient ou non membres de l'ONU — et a des conséquences pour eux. Parmi ces obligations erga omnes figurent le respect du droit à l'autodétermination, de l'interdiction de l'acquisition de territoires par la force et de certaines obligations du droit humanitaire et du droit international relatif aux droits de l'homme (§ 274).

S'inspirant de son avis sur la Namibie de 1971 concernant l'Afrique du Sud, une référence contestée par les juges minoritaires, la Cour affirme, s'agissant des obligations des États membres de l'ONU qu'ils « sont tenus de ne reconnaître aucune modification du caractère physique ou de la composition démographique, de la structure institutionnelle ou du statut du territoire occupé par Israël le 5 juiné 1967, autres que celles convenues par les Parties par voie de négociations, et de faire une distinction, dans leurs échanges avec Israël, entre le territoire de l'État d'Israël et les territoires occupés depuis 1967 » (Avis, § 278). Précisant le contenu de cette obligation de distinction, la Cour affirme, et il est nécessaire de citer l'avis, qu'elle « englobe notamment l'obligation de ne pas entretenir de relations conventionnelles avec Israël dans tous les cas où celui-ci prétendrait agir au nom du Territoire palestinien occupé ou d'une partie de ce dernier sur des questions concernant ledit territoire ». Elle exige aussi « de ne pas entretenir, en ce qui concerne le Territoire palestinien occupé ou des parties de celui-ci, de relations économiques ou commerciales avec Israël qui seraient de nature à renforcer la présence illicite de ce dernier dans ce territoire », ce qui peut évidemment s'appliquer aux ventes d'armes. Les États doivent encore « s'abstenir, dans l'établissement et le maintien de missions diplomatiques en Israël, de reconnaître sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé ». Enfin, les États sont tenus de « prendre des mesures pour empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le Territoire palestinien occupé », ce qui emporte donc des obligations - larges - des États vis-à-vis des entreprises commerciales et financières.

Finalement, en dépit d'opinions minoritaires qui prolongent l'appréhension classique de la situation et de la prudence de certains juges occidentaux, l'avis rendu par la Cour est redoutable pour Israël. Tout près de reconnaître un comportement caractéristique de la commission de crimes d'État, l'avis, même s'il n'est pas respecté par Israël, aura des conséquences. Tous les États sont invités à le prendre en compte dans leurs rapports avec Israël, tandis que les Nations unies, notamment l'Assemblée générale, devront s'engager rapidement dans la détermination des modalités du retrait exigé ou, à défaut, s'en justifier. Comme l'indique le président Salam, « en disant le droit, la Cour fournit aux différents acteurs une base fiable de règlement pour une paix juste, globale et durable » (Déclaration, § 65).

Notes

1- « La Cour considère qu'Israël avait conservé la faculté d'exercer, et continuait d'exercer, certaines prérogatives essentielles sur la bande de Gaza, notamment le contrôle des frontières terrestres, maritimes et aériennes, l'imposition de restrictions à la circulation des personnes et des marchandises, la perception des taxes à l'importation et à l'exportation, et le contrôle militaire sur la zone tampon, et ce, en dépit du fait que cet État a mis fin à sa présence militaire en 2005. Cela est encore plus vrai depuis le 7 octobre 2023. » Avis, § 93.

2- Avis, § 173

3- Le droit à l'autodétermination recouvre le droit à l'intégrité territoriale, miné par la politique de colonisation ; le droit à l'intégrité du peuple, également affecté par la modification de la composition démographique du territoire, le départ forcé des populations palestiniennes et leur séparation en différents espaces ; la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, mise en péril par l'exploitation de celles-ci au profit d'Israël et de ses colonies ; et le droit de déterminer librement son statut politique et d'assurer librement son développement économique et social.

4- C'est en tout cas l'analyse de l'historien Rashid Khalidi, pour qui la résolution, lors de son adoption « synthétisait les points de vue des États-Unis et d'Israël et reflétait la position affaiblie des États arabes et de leur protecteur soviétique après une défaite écrasante. Bien que le CS 242 ait souligné "l'inadmissibilité de l'acquisition de territoires par la guerre", il a lié tout retrait israélien à des traités de paix avec les États arabes et à l'établissement de frontières sûres. », The Hundred years' war on Palestine, Profile Books, 2020, p. 105. Pour une interprétation différente de la résolution, voir la déclaration du juge Tladi, §§ 49-53.

5- Pour ces juges, une interprétation correcte des accords d'Oslo et des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité révèle le « paquet indissociable » du droit à l'autodétermination et du droit à la sécurité (opinion commune, § 42). Le juge Salam estime plutôt dans sa déclaration que « le Conseil de sécurité pourrait juger utile d'actualiser la feuille de route du Quatuor approuvée par la résolution 1515 (2003) ».

6- Voir sur ce point les déclarations du juge mexicain Gomez Robledo (§§ 18-28) et Sud-africain Tladi (§§ 14 et s.)

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Aysenur Ezgi Eygi abattue par les FDI comme une « incitatrice »

Aysenur Ezgi Eygi défendait la justice pour la Palestine. Pour Israël elle a été abattue « par les tirs non ciblés et non intentionnels des FDI qui visaient un incitateur clé » (…)

Aysenur Ezgi Eygi défendait la justice pour la Palestine. Pour Israël elle a été abattue « par les tirs non ciblés et non intentionnels des FDI qui visaient un incitateur clé » ! « Mort aux incitateurs » : Daniel Hagari, porte-parole des FDI. « un meurtre de sang froid » ? Une incitatrice ? Mais alors les manifestant.es à Tel-Aviv : des incitateurs et incitatrices ?... Gideon Levy, Haaretz.

Tiré du blogue d'Yves Romain.

Quand les FDI disent « Mort aux incitateurs », c'est ainsi qu'une manifestante américaine est tuée
(When the IDF Says 'Death to Inciters,' That's How an American Protester Gets Killed)

Gideon Levy, Haaretz, 11 septembre (Traduction DeepL)

Les FDI sont redevenue l'armée la plus morale du monde. Quatre jours seulement se sont écoulés depuis que ses soldats ont tué la militante américaine des droits de l'homme Aysenur Ezgi Eygi, avant que l'enquête approfondie lancée par l'armée ne s'achève, aboutissant à la conclusion purificatrice que « le civil a été touché par les tirs non ciblés et non intentionnels d'une force des FDI qui visait un incitateur clé ». Des tirs non ciblés et non intentionnels qui visaient... Vous avez compris ? J'en doute.

Pendant que le porte-parole des FDI descendait le long d'une corde dans une vidéo montrant le tunnel dans lequel six otages avaient été exécutés, afin de montrer au monde les terribles conditions dans lesquelles ils avaient été détenus (quand nous emmèneront-ils à la base militaire de Sde Teiman pour nous montrer les conditions choquantes de détention des Palestiniens menottés et kidnappés qui s'y trouvent ?) les soldats de sa propre unité étaient en train de reconstituer l'explication alambiquée du meurtre criminel d'une femme innocente.

Il est inutile de rappeler que cette enquête approfondie n'avait pour but que d'apaiser les Américains, dont le président s'était dit « troublé » par l'assassinat d'un citoyen de son pays. Ne vous inquiétez pas, l'annonce contournée de l'armée suffit à apaiser les inquiétudes présidentielles. La dernière chose qui dérange la Maison Blanche, c'est l'assassinat d'une militante qui s'identifie aux Palestiniens. Ceux qui auraient dû être troublés par cette explication sont ceux qui ne s'intéressaient pas à toute l'histoire au départ : les Israéliens.

Le porte-parole des FDI a déclaré : mort aux incitateurs. Des soldats ont tiré sur un incitateur pour l'exécuter, touchant par erreur un autre incitateur. Ce sont des choses qui arrivent. En d'autres termes : un changement radical des règles d'engagement, maintenant officiellement déclaré.

Si, par le passé, il était nécessaire de prouver la présence d'un danger, il suffit aujourd'hui de discerner l'incitation. Et qui est au juste un incitateur ? Quelqu'un qui appelle à la libération du peuple palestinien lors d'une manifestation ? Quelqu'un qui demande le démantèlement de l'avant-poste imprudent d'Evyatar ? Quelqu'un qui manifeste pour ses droits sur sa terre ? En d'autres termes : Lorsque les soldats de Tsahal discernent une incitation, ils tirent désormais pour tuer l'instigateur, sur ordre.

Comment l'avons-nous dit ? L'armée la plus morale du monde. Il est fort douteux que le porte-parole de l'armée russe ose admettre que son armée a tiré pour tuer des incitateurs.

Pour les soldats de l'armée de propagande du porte-parole Daniel Hagari, « l'incitation », quelle qu'elle soit, est une raison d'exécuter quelqu'un. Tout ce qui reste à prouver, c'est la mauvaise maîtrise du tir des soldats, qui visaient un incitateur (le « principal ») mais en ont touché un autre. Rien n'est plus facile que de qualifier la militante américaine d'incitatrice : Elle était en faveur de la justice pour les Palestiniens. Les procédures seront affinées et les soldats seront envoyés au stand de tir pour s'entraîner davantage. Veuillez vérifier les passeports avant la prochaine exécution. Il vaut mieux ne pas frapper les Américains. Personne n'enquêtera sur l'assassinat d'une jeune Palestinienne de 13 ans le même jour, dans un village voisin. Personne n'est troublé par cette affaire. Peut-être qu'elle aussi incitait à la violence alors qu'elle se tenait à sa fenêtre ?

Un soldat tire pendant une manifestation et un manifestant est tué. Quoi de plus normal ? Mais notre collègue Jonathan Pollak, qui se trouvait dans le village lors de la fusillade, affirme que les soldats ont abattu l'activiste 20 minutes après la fin des affrontements. Si c'est le cas, il s'agit d'un meurtre de sang-froid. C'était la première et dernière manifestation d'Aysenur Aysenur's first.

Mais ce qui devrait vraiment nous préoccuper, c'est le sous-texte de l'annonce du porte-parole des FDI : L'incitation est une cause d'exécution. Mais l'incitation a plusieurs visages. Si un appel à la liberté des Palestiniens est une incitation passible de la peine de mort, on s'engage sur une pente glissante. Pourquoi la police n'est-elle pas autorisée à tuer les incitateurs des manifestations de la rue Kaplan ? Et que dire des plus grands incitateurs au sein du gouvernement et des médias, qui appellent à « raser » Gaza ou à « tondre la pelouse », estimant que les habitants de cette région méritent tous de mourir. Tireurs d'élite, ouvrez le feu. Vous avez été autorisés à le faire par Hagari.

Gideon Levy, Haaretz, 11 septembre (Traduction DeepL) https://www.haaretz.com/opinion/2024-09-12/ty-article-opinion/.premium/when-the-idf-says-death-to-inciters-thats-how-an-american-protester-gets-killed/00000191-e21d-d119-a1db-e2dd45c60000

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Israël recrute des demandeurs d’asile africains pour ses opérations à Gaza, selon “Ha’Aretz”

17 septembre 2024, par Courrier international — , , ,
Selon une information du journal israélien de gauche “Ha'Aretz”, l'État hébreu aurait mis en place un système de recrutement de demandeurs d'asile afin qu'ils s'engagent dans (…)

Selon une information du journal israélien de gauche “Ha'Aretz”, l'État hébreu aurait mis en place un système de recrutement de demandeurs d'asile afin qu'ils s'engagent dans le conflit à Gaza en échange de l'obtention d'un statut de résident permanent.

Tiré de Courrier international.

“Les institutions de la défense en Israël proposent à des demandeurs d'asile africains qui contribuent à l'effort de guerre à Gaza une aide à l'obtention de la résidence permanente en Israël”, révèle Ha'Aretz. Le quotidien israélien de gauche s'appuie sur des documents internes et des sources citées sous le couvert de l'anonymat.

Près de 30 000 demandeurs d'asile originaires d'Afrique vivraient actuellement en Israël – dont 3 500 Soudanais, dont le pays est en proie à un violent conflit interne. Trois demandeurs d'asile sont mortslors des attaques du 7 octobre menées par le Hamas, rappelle le journal.

“Des responsables de la défense ont compris qu'ils pouvaient avoir besoin de l'aide des demandeurs d'asile et les inciter en exploitant leur souhait d'obtenir la résidence permanente en Israël. […] Les dimensions éthiques n'ont pas été envisagées”, continue Ha'Aretz.

Aucun document délivré

Pour illustrer la procédure de recrutement, le journal retrace l'expérience d'un homme désigné par la lettre “A.”. Durant “l'un des premiers mois de la guerre”, celui qui dispose d'un statut de réfugié temporaire reçoit un appel d'un homme se présentant comme un policier lui demandant, sans explications, de se rendre sur un site des forces de sécurité. Sur place, il rencontre ce qu'il définit comme des “hommes liés à la sécurité”. A. raconte à Ha'Aretz :

  • “Ils m'ont dit qu'ils cherchaient des personnes particulières pour s'engager dans l'armée. Ils m'ont dit que cette guerre était une question de vie ou de mort pour Israël.”

D'autres prises de contact s'ensuivront, dont une où on lui aurait proposé 1 000 shekels (environ 240 euros) en liquide pour couvrir les jours de travail qu'il a perdus à cause de ces entretiens. Finalement, A. déclinera l'offre d'engagement.

Contrairement à A., d'autres demandeurs d'asile se sont engagés avec Tsahal et ont participé à des opérations militaires dans la bande de Gaza, dont la nature précise n'est pas détaillée par Ha'Aretz. Et le quotidien de préciser que, “à ce jour, aucun demandeur d'asile ayant contribué à l'effort de guerre n'a obtenu de papiers”.

Le journal a également appris que le ministère de l'Intérieur avait aussi étudié la possibilité d'enrôler dans l'armée les enfants de demandeurs d'asile scolarisés dans des écoles israéliennes. “Il est déjà arrivé que le gouvernement autorise les enfants de travailleurs étrangers à s'engager dans l'armée d'Israël en échange de papiers pour les membres de leur famille immédiate.”

Courrier international

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Sacrifier ou libérer les otages ? Les manifestantEs israéliens ont choisi leur camp

Pour Benyamin Netanyahou, les manifestations de masse qui ont éclaté dans tout le pays visaient à le renverser, lui et son gouvernement. Cet objectif a été explicitement énoncé (…)

Pour Benyamin Netanyahou, les manifestations de masse qui ont éclaté dans tout le pays visaient à le renverser, lui et son gouvernement. Cet objectif a été explicitement énoncé par presque toutEs les orateurEs montés sur scène lors de la principale manifestation à Tel Aviv, où plus de 300 000 IsraélienNEs ont envahi les rues après que l'armée a récupéré les corps de six otages de Gaza. […]

Hebdo L'Anticapitaliste - 720 (12/09/2024)

Par Meron Rapoport

Crédit Photo
Itai Ron/Flash90

La libération des otages avant tout

Dans l'ensemble, l'opposition à la poursuite de la guerre n'est pas motivée par des préoccupations morales : les actions génocidaires d'Israël à Gaza n'ont pas été mentionnées, et aucun appel à la réconciliation ou à la paix avec les PalestinienNEs n'a été lancé. Les manifestantEs se préoccupent avant tout de leurs concitoyenNEs détenuEs à Gaza et réclament un « Deal Now » qui aboutirait à leur libération. Néanmoins, ces appels ont une portée considérable.

Même dans l'éventualité d'un cessez-le-feu temporaire qui faciliterait un premier échange d'otages et de prisonnierEs, tel que celui envisagé par l'accord actuellement sur la table, il semble que Netanyahou craigne la difficulté à renouveler l'effort de guerre, une fois l'armée retirée des corridors de Philadelphie et de Netzarim, et après que des centaines de milliers de PalestinienNEs auront été autorisés à retourner dans le nord de la bande de Gaza. […]

Les manifestantEs ne croient pas que l'arrêt de la guerre, du moins à ce stade, constitue une menace pour leur existence, contrairement à ce que prétendent Netanyahou et ses porte-parole depuis les premiers jours des combats. Bien au contraire, ils et elles perçoivent la poursuite de la guerre comme une menace directe pour la vie des otages et, dans une certaine mesure, pour la leur. C'est le sens subversif de l'appel au « Deal Now », même si toutes celles et ceux qui l'ont lancé n'en ont pas compris l'implication.

Un choix entre « Deal Now » et « Sacrifice Now »

La droite israélienne continue d'affirmer que ce n'est pas le corridor Philadelphie qui fait obstacle à un accord, mais plutôt le chef du Hamas Yahya Sinwar et ses conditions impossibles. La plupart des analystes israélienNEs de haut niveau en matière de sécurité rejettent désormais cet argument, insistant plutôt sur le fait que ce sont les conditions fixées par Netanyahou, sous la pression de Bezalel Smotrich et d'autres membres de l'extrême droite de son gouvernement, qui sabotent l'accord — même après que le Hamas a surpris Israël en acceptant une proposition qu'Israël avait lui-même soumise. […]

Le choix est maintenant, quoique tardivement, clair pour tous et toutes : poursuivre la guerre indéfiniment en mettant en danger la vie des otages ou mettre fin à la guerre pour les libérer. La droite israélienne choisit la première solution, tandis que les centaines de milliers de personnes qui descendent dans la rue estiment qu'aucun objectif de guerre ne vaut le sang des otages. […]

Il est difficile de prévoir si cette large mobilisation débouchera sur un changement politique ; cela dépendra de nombreux éléments sans rapport avec le mouvement de protestation, y compris la pression américaine. Le défi est énorme : non seulement renverser un gouvernement et contrecarrer son projet législatif, mais aussi arrêter la guerre la plus longue et la plus sanglante de l'histoire du conflit israélo-palestinien. Mais un refus massif d'accepter le récit qui vient d'en haut est un premier pas important — et c'est exactement ce à quoi nous assistons aujourd'hui.

Meron Rapoport, le 4 septembre 2024, traduction JB pour l'Agence Media Palestine

À lire en intégralité : « Sacrifier ou libérer les otages ? Les manifestantEs israéliens ont choisi leur camp » https://agencemediapales…

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La gouvernance du Hamas plus unie qu’on ne veut le croire

Les médias ont mal compris le fonctionnement du Hamas, opposant de façon simpliste le “modéré” Haniyeh au “radical” Sinwar. En réalité, le processus décisionnel du Hamas est (…)

Les médias ont mal compris le fonctionnement du Hamas, opposant de façon simpliste le “modéré” Haniyeh au “radical” Sinwar. En réalité, le processus décisionnel du Hamas est infiniment plus structuré. Sur l'image ci dessus Yahya Sinwar (à droite) et Ismail Haniyeh (à gauche) en mars 2017, lors des funérailles d'un responsable du Hamas.

Tiré de MondAfrique.

Après l'assassinat d'Ismail Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, à Téhéran, l'organe consultatif suprême du mouvement, le Conseil de la Choura, a rapidement et unanimement choisi Yahya Sinwar pour lui succéder. Au moment de son assassinat, Haniyeh avait pris les rênes du Hamas dans les négociations de cessez-le-feu avec les médiateurs, et de nombreux analystes ont affirmé que l'ascension de Sinwar marquait une rupture totale avec les politiques de Haniyeh et d'autres membres du bureau politique de haut rang.

Une grande partie de cette analyse repose sur des informations erronées.

Elle trahit une compréhension superficielle non seulement des dirigeants du Mouvement de résistance islamique (Hamas), mais aussi de la résistance dans son ensemble. L'hypothèse selon laquelle le leadership de Sinwar constitue une rupture avec le passé suit une tendance de l'analyse occidentale à considérer les dirigeants palestiniens selon des schémas vagues et simplistes tels que “faucon contre colombe” ou “modéré contre partisan de la ligne dure”. Ces étiquettes cachent plus qu'elles ne révèlent.

La fixation sensationnaliste sur la psychologie de Yahya Sinwar ne fait qu'aggraver ce vice d'analyse. Cette approche réduit la complexité de la politique à des personnalités et suppose que la prise de décision du Hamas est largement dictée par les individus plutôt que le produit de débats internes et d'élections sérieuses, de délibérations et de consultations complexes, et d'une responsabilité institutionnelle.

Malgré ces insuffisances dans le débat général, il convient néanmoins d'examiner dans quelle mesure le mandat de Sinwar sera différent de celui de Haniyeh en tant que chef du bureau politique. S'agit-il là d'un signe de rupture ?

Défier l'isolement

Pour évaluer la question de la rupture, il convient d'examiner certains parallèles dans les trajectoires de Haniyeh et de Sinwar. Au niveau le plus évident, chacun d'entre eux a fini par devenir chef du gouvernement de Gaza, puis chef du bureau politique du Hamas. Nés dans les camps de la bande de Gaza au début des années 1960, Haniyeh et Sinwar sont venus au monde en tant que réfugiés, une existence fondée sur l'exclusion, la dépossession et la marginalisation. En dépit de ces réalités, les deux dirigeants ont rejoint le mouvement islamique à Gaza et se sont retrouvés encore plus isolés et marginalisés : Haniyeh s'est exilé dans la ville libanaise de Marj al-Zouhour en 1992, et Sinwar a été emprisonné en 1988 et condamné l'année suivante à une quadruple peine de prison à perpétuité. Ces difficultés n'ont pas empêché ces deux dirigeants de développer non seulement leurs propres compétences politiques, mais aussi de jouer un rôle dans le développement du Hamas lui-même.

Dans les conditions difficiles de son exil à Marj al-Zouhour, Haniyeh a acquis de l'expérience dans la coordination des actions avec les Palestiniens en dehors du Hamas, dans le renforcement des liens avec le Hezbollah et la coopération avec les États arabes et la communauté internationale, notamment par l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies appelant au retour des Palestiniens, ce qu'ils ont réussi à faire un an plus tard. Cette expérience de la diplomatie et de la négociation avec les groupes palestiniens suivra Haniyeh plus tard dans sa carrière. En 2006, Haniyeh est devenu le tout premier Premier ministre palestinien démocratiquement élu. Bien que la mise en échec de ce gouvernement d'unité palestinienne ait conduit à des combats intenses entre factions, et au début du blocus israélien de Gaza, il a passé des années à œuvrer en faveur de la réconciliation et de l'unité nationales, en plus de ses actions au niveau diplomatique.

Depuis sa prison, Sinwar a continué à développer les capacités de contre-espionnage du Mouvement, un processus lancé avec la création de l'“Organisation de sécurité et de sensibilisation” connue sous le nom de “Majd” en 1985, dans le but de fournir une formation en matière de sécurité et de contre-espionnage, et d'identifier les collaborateurs présumés. Lorsque Sinwar est arrêté en 1988, un mois seulement après le début de la première Intifada, il a été accusé d'avoir exécuté douze collaborateurs ayant renseigné l'occupant. En tant que prisonnier, Sinwar a poursuivi sa mission de renforcement du contre-espionnage du mouvement et de développement des compétences des prisonniers palestiniens. Il parle couramment l'hébreu et est un lecteur passionné. Cette expertise a eu un impact sur le développement du mouvement au fil du temps, et a contribué à consolider la place de Sinwar en tant qu'autorité du mouvement en prison.

Un chapitre important et mieux connu de l'expérience politique de Sinwar est son rôle clé dans les négociations qui ont permis la libération de plus de 1 000 prisonniers palestiniens en 2011, dont Sinwar lui-même, en échange de Gilad Shalit, un soldat israélien capturé par des combattants des Brigades Qassam en 2006. Un aspect moins connu du temps passé par Sinwar en prison est le soin avec lequel il s'est engagé et a rallié les Palestiniens au-delà des lignes de faction dans le cadre des grèves et des protestations dans les prisons. Immédiatement après sa libération, il a été en mesure d'utiliser ces compétences pour créer un effet de levier auprès d'Israël, et trouver des points d'unité avec les Palestiniens d'autres factions.

Les négociations après la prison

Peu après son retour à Gaza, Sinwar a été élu au bureau politique du Hamas en 2012. Cinq ans plus tard, il est élu à la tête de la direction du Hamas à Gaza, succédant à Ismail Haniyeh en 2017. Les premières années de Sinwar à Gaza sont souvent évoquées comme une période au cours de laquelle le Hamas a resserré les rangs en interne, et s'est engagé dans des campagnes publiques contre la collaboration avec Israël, bien que sous une forme assez différente des premiers jours de Majd.

Moins médiatique et moins sujet à la dramatisation, Sinwar s'est également engagé dans plusieurs négociations complexes qui ont influencé la trajectoire du mouvement en tant que chef de la direction basée à Gaza.

Dix ans après le début du blocus israélien sur Gaza, les difficultés quotidiennes de deux millions de Palestiniens commençaient à empirer en 2017, lorsqu'une série de décisions de Mahmoud Abbas a accentué l'impact économique de l'isolement de Gaza. En mars 2017, l'Autorité palestinienne (AP) basée à Ramallah a réduit les salaires des employés de l'AP à Gaza jusqu'à 30 %, et en juin, les salaires des prisonniers palestiniens “déportés” à Gaza en 2011 ont été complètement supprimés. Ensuite, dans un geste controversé considéré comme une mesure de punition collective, Abbas a effectivement coupé l'approvisionnement en carburant de Gaza en annulant une exonération fiscale, provoquant une crise énergétique qui a réduit l'approvisionnement en électricité disponible pour les Palestiniens de Gaza d'environ huit à quatre heures par jour. Par la suite, la seule centrale électrique de Gaza a été contrainte de fermer.

Dans un geste qui a pris de nombreux observateurs de court, Sinwar a conclu un accord avec l'ancien chef des forces de sécurité préventive de l'Autorité palestinienne, Muhammad Dahlan, afin de résoudre les crises provoquées par les changements de politique opérés à Ramallah. Dahlan, né comme Sinwar dans le camp de réfugiés de Khan Younis, est devenu un dirigeant clé du Fatah jusqu'à ce qu'il se brouille avec la direction du parti en 2011, et s'est ensuite installé aux Émirats arabes unis. L'idée d'un accord entre le Hamas et celui qui a mis en œuvre les souhaits de l'administration Bush de perturber le gouvernement d'unité palestinienne dirigé par le Premier ministre récemment élu, M. Haniyeh, était inconcevable au début de la scission entre Gaza et la Cisjordanie, il y a dix ans. Les questions intérieures et régionales exigeaient cependant que les dirigeants du Mouvement s'adaptent, et Sinwar était prêt à discuter.

L'accord Hamas-Dahlan a connu un succès limité, mais il a mis en évidence deux aspects essentiels du mandat de Sinwar à la tête de la bande de Gaza : aplanir les divergences avec d'autres secteurs politiques et sociaux palestiniens, et équilibrer les relations extérieures dans un nouveau paysage régional. Plus précisément, grâce à ses liens étroits avec les gouvernements des Émirats arabes unis et de l'Égypte, Dahlan a obtenu l'entrée de carburant par le point de passage de Rafah. Ce point est important, car les relations entre l'Égypte et le Hamas étaient les plus tendues au début du premier mandat de Sinwar à la tête de la bande de Gaza.

Au fil du temps, Sinwar a pu continuer à apaiser les tensions avec l'Égypte dans les mois et les années qui ont suivi. En s'appuyant sur les mobilisations populaires palestiniennes indépendantes connues sous le nom de Grande Marche du retour (2018-19) et sur une tentative ratée du Mossad d'infiltrer et de placer des équipements de surveillance à Gaza en novembre 2018, la direction du Hamas a obtenu un certain nombre de concessions qui ont atténué l'impact du blocus israélien sur Gaza, notamment un assouplissement des restrictions sur les déplacements au point de passage de Rafah avec l'Égypte, un plus grand nombre de camions transportant des marchandises et de l'aide entrant quotidiennement à Gaza, et de l'argent liquide pour payer les salaires des fonctionnaires.

Il est largement reconnu que M. Sinwar a joué un rôle majeur dans l'amélioration des relations du Hamas avec les autres membres de l'“Axe de la résistance” après que la direction du Hamas a quitté Damas en 2012 au milieu du soulèvement et de la guerre civile en Syrie. Le rôle de Sinwar dans l'amélioration et la renégociation des relations du Hamas avec d'autres acteurs régionaux en dehors de ses alliances étroites n'est pas aussi largement reconnu. L'accent mis sur ses liens avec l'“Axe” limite la discussion sur le leadership de Sinwar dans les limites d'un certain courant idéologique, mais sa volonté de négocier signale une approche plus élaborée de l'équilibre des puissances régionales que ne le permettent ces étiquettes arbitraires.

Sinwar et ses prédécesseurs

Deux concepts stratégiques du lexique politique du Hamas – le cumul et la concertation – sont essentiels pour comprendre le fonctionnement du mouvement et de ses dirigeants. Toute compréhension du mouvement en général, ou du mandat de Sinwar sur Gaza en particulier, doit prendre en compte ces composantes indispensables du dynamisme institutionnel et du pouvoir en constante évolution du Hamas.

La notion de cumul est couramment utilisée pour décrire les avancées militaires au fil du temps. Il est également utile de considérer ce phénomène en termes de compétences et d'expérience politiques que les dirigeants du Hamas apportent à la table des négociations pour résoudre les questions difficiles de la gouvernance sous blocus, pour répondre aux besoins humanitaires en situation de siège, aux phases d'isolement régional, aux étapes de la construction et de l'étalonnage d'alliances régionales et à la réconciliation nationale avec les autres factions palestiniennes. Poser les bases des succès politiques et des avancées militaires se prête plus souvent à la continuité qu'à la rupture.

La concertation définit les pratiques et les structures les plus efficaces au sein du Hamas. Le mouvement dispose d'organes consultatifs à différents niveaux qui fonctionnent comme des structures de responsabilité et de conseil pour la direction politique. Les membres sont élus et représentent les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza, de la diaspora et des prisons. L'organe consultatif de haut niveau, le Conseil général de la Shura, nomme les membres d'un organe indépendant qui coordonne et supervise les élections du Bureau politique afin de garantir la transparence. Bien que peu d'informations sur ces structures soient rendues publiques, un scénario d'urgence comme pour l'assassinat d'Ismail Haniyeh a révélé que le Conseil général de la Choura nomme un successeur dans des circonstances exceptionnelles (Sinwar a été élu à l'unanimité).

La pratique et la structure de la consultation ne se limitent pas à l'aile politique du Hamas. L'aile militaire du mouvement, les Brigades Qassam, dispose également de procédures de consultation – en fait, Sinwar a joué le rôle de coordinateur entre l'aile militaire et l'aile politique après avoir rejoint le Bureau politique. Zaher Jabareen, qui a créé les Brigades Qassam dans le nord de la Cisjordanie, a expliqué que les récits sur la centralisation de l'appareil Majd sont inexacts, car les décisions ne sont pas entre les mains d'une seule personne – elles font l'objet de procédures en plusieurs étapes, ainsi que d'enquêtes supplémentaires menées par un “dispositif professionnel” distinct. M. Jabareen a fait remarquer qu'il existe de sérieuses clauses de responsabilité en cas de mauvaise gestion par les services de sécurité.

Suivant cette même dynamique, lorsqu'un dirigeant comme Sinwar ou Haniyeh prend une décision majeure, non seulement il y parvient après avoir consulté des personnalités compétentes, mais il est également responsable devant les groupes d'intérêt au sein du mouvement ou de la société en général qui font pression sur lui pour qu'il prenne une décision. En tant que chefs de la direction et du bureau politique de Gaza, Sinwar et Haniyeh ont travaillé ensemble, et ont souvent participé à des réunions publiques avec divers groupes d'intérêt afin de les rallier à la réconciliation nationale. Pour eux, la réconciliation nationale ne consistait pas seulement à faire amende honorable auprès du Fatah et à unir le corps politique palestinien, mais aussi à combler d'autres formes de fossés politiques, ainsi que les problèmes sociaux et socio-économiques à Gaza. Tout cela pour se préparer à la bataille à venir, acquérir la force militaire, le soutien populaire et l'unité politique nécessaires. Il semble que les consultations se fassent à la fois du haut vers le bas et du bas vers le haut.

Les déclarations de Sinwar et de deux de ses prédécesseurs montrent comment le cumul des pouvoirs et des réalisations a favorisé la continuité entre chaque nouvelle ère. Khaled Meshaal a défini les priorités de son dernier mandat lors d'une interview en mai 2013 :

la résistance

le recentrage de Jérusalem comme cœur de la cause palestinienne

la libération des prisonniers

la lutte pour le droit au retour et le rôle de la diaspora dans la lutte

la réconciliation nationale entre les factions palestiniennes qui unit et rassemble le corps politique palestinien autour de la résistance

l'engagement de la nation arabe et islamique

l'engagement de la communauté internationale aux niveaux populaire et officiel, et

le renforcement des institutions internes du Hamas, l'extension de son pouvoir et l'ouverture du Mouvement vers d'autres formations palestiniennes, et vers d'autres Arabes et Musulmans en général.

La remarque de M. Meshaal concernant les prisonniers mérite d'être soulignée. Il les a décrits comme la “fierté de notre peuple”. Lorsqu'on lui a demandé des détails sur le plan visant à garantir leur liberté et s'il impliquait la capture d'autres soldats israéliens, Meshaal a refusé de s'étendre sur le sujet. Deux mois plus tard, le renversement du gouvernement Morsi en Égypte allait complètement bouleverser le mode de fonctionnement du Hamas, ce qui a probablement entraîné un rééquilibrage de la direction du bureau politique. Malgré les défis que cela représentait pour le Hamas, juste un an plus tard, lors de la guerre israélienne de 51 jours contre Gaza en 2014, des combattants Qassam ont pénétré en Israël, visant ses bases militaires à au moins cinq reprises, et ont capturé deux soldats lors des combats. Aujourd'hui, cette logique de cumul et de continuité se retrouve dans les déclarations des dirigeants du Hamas qui expliquent que l'objectif de l'opération du 7 octobre consistait à capturer des soldats israéliens en vue d'un échange de prisonniers.

Au début du dernier mandat de Meshaal, lui et Haniyeh ont publiquement rejeté les rumeurs de tensions entre eux. Ces rumeurs ont persisté au fil des ans, sans que l'on accorde suffisamment d'attention aux messages cohérents de chaque dirigeant, témoignant de priorités communes.

La vision, les messages et les priorités partagés se sont poursuivis avec Haniyeh à la tête du Bureau politique. Après la guerre israélienne de 2021 contre Gaza, surnommée “La bataille du glaive de Jérusalem” par les Palestiniens – coïncidant avec un soulèvement palestinien connu sous le nom d'“Intifada de l'unité” qui s'est propagée de Jérusalem à la Cisjordanie, aux citoyens palestiniens d'Israël et aux communautés de réfugiés palestiniens au Liban et en Jordanie – Ismail Haniyeh a prononcé un discours de victoire qui souligne le rôle central de la continuité et du cumul au sein du Mouvement.

M. Haniyeh a qualifié la bataille de “victoire stratégique” et a déclaré que la suite “ne ressemblera pas à ce qui a précédé”, ajoutant qu'il s'agit d'une “victoire divine, stratégique et complexe” sur le plan de la scène nationale palestinienne, de la nation arabe et islamique, des masses mondiales et de la communauté internationale. Le discours a mis l'accent sur le cumul des atouts et l'engagement des priorités et des efforts des époques précédentes du mouvement, qui ont permis d'aboutir à cette victoire. Il préfigurait également les changements majeurs à venir.

Dans la période précédant le 7 octobre, Sinwar a prononcé un discours dans lequel il déclarait :

“Dans une période de quelques mois, que j'estime ne pas dépasser un an, nous forcerons l'occupant à faire face à deux options : soit nous la forçons à appliquer le droit international, à respecter les résolutions internationales, à se retirer de la Cisjordanie et de Jérusalem, à démanteler les colonies, à libérer les prisonniers et à assurer le retour des réfugiés, pour parvenir à la création d'un État palestinien sur les terres occupées en 1967, y compris Jérusalem. Soit nous plaçons cette occupation dans un état de contradiction et de conflit avec les règles de l'ordre international, nous l'isolons de manière extrême et puissante, et nous mettons fin à son intégration dans la région et dans le monde entier, en nous attaquant à l'effondrement constaté à tous les niveaux de la résistance au cours de ces dernières années. «

Dans ce contexte, il faut se demander si Sinwar est vraiment aussi imprévisible que le prétendent les experts. Ces déclarations viennent également contredire la présentation de l'ascension de Sinwar comme étant en rupture totale avec le passé du mouvement.

Le Hamas en tant que médiateur

La personnalité de Yahya Sinwar a fait l'objet d'un sensationnalisme dans les médias occidentaux (et même arabes). D'une manière générale, les débats sur le Hamas reposent souvent sur des rumeurs, des insinuations et des affirmations non fondées qui tendent à accentuer les désaccords entre les différents membres de la direction du mouvement, en opposant les dirigeants aux “modérés favorable à la diplomatie et les négociations” aux “faucons militants”. En examinant certains aspects des carrières de Sinwar et de Haniyeh, on comprend mieux que si les personnalités et les spécificités du parcours de chacun des dirigeants ont un impact sur leur prise de décision, ce n'est qu'une part de la façon dont ces dirigeants, et le mouvement dans son ensemble, prennent des décisions.

Au fil des ans, le Hamas a démontré sa capacité à tirer parti de la diversité du parcours de ses dirigeants pour renforcer ses capacités sur les fronts militaire, politique, diplomatique et populaire. Enraciné dans les principes de consultation et de cumul, le Hamas est à la fois un mouvement horizontal, et un mouvement composé d'institutions. Des institutions efficaces telles que le Conseil de la Choura ont aidé le mouvement à traverser des moments d'incertitude, comme l'assassinat d'Ismail Haniyeh.

C'est le dernier exemple en date du dynamisme et de la flexibilité institutionnels du Hamas, sans commune mesure avec l'histoire de la construction institutionnelle des factions palestiniennes.

Dans ce contexte, ce qui peut apparaître comme des différences significatives entre dirigeants peut devenir une véritable force pour le mouvement, lui permettant d'équilibrer les exigences parfois contradictoires de divers groupes, en particulier dans son processus de prise de décision à des niveaux élevés de surveillance, sous la menace constante de l'assassinat et de l'emprisonnement de ses dirigeants, et dans les attaques permanentes contre ses structures et ses institutions.

Il ne s'agit pas de nier qu'il existe parfois des désaccords entre les dirigeants du mouvement, qui ont existé depuis la création de l'organisation en 1987. Cependant, le Hamas est aussi un mouvement doté d'institutions, de procédures et de mécanismes de responsabilité. La règle générale a été la consultation, le cumul et l'équilibre entre les besoins des différents groupes d'intérêt. La preuve en a été donnée publiquement et de manière cohérente dans les messages des dirigeants de l'organisation, non seulement tout au long de la guerre génocidaire en cours, mais tout au long de ses 37 ans d'histoire.

À la suite de l'opération “Al-Aqsa Flood” du 7 octobre 2023 et du génocide qui s'en est suivi à Gaza, de nouvelles questions se posent sur le Hamas en général, et sur la personnalité de Yahya Sinwar en particulier. Nombreux sont ceux qui considèrent encore Sinwar comme le cerveau imprévisible des opérations, soutenant un récit dans lequel Sinwar aurait eu à lui seul le pouvoir de mener une opération sans précédent contre Israël, avec toutes les implications locales, régionales et internationales complexes qui en résultent. Il ne s'agit pas de privilégier le Hamas, ni de rejeter la faute sur une “pomme pourrie” pour permettre le retour d'un Hamas “démilitarisé” à la tête de l'État. Pour certains experts autoproclamés, le recours à cette explication découle d'une compréhension superficielle du mouvement. Pour d'autres, il s'agit de couvrir Israël pour ses échecs militaires au cas où il capturerait Sinwar et de substituer cela à la “victoire totale”. Si Sinwar est le Hamas et si le Hamas est Sinwar, l'élimination de l'un mettrait fin à l'autre.

En réalité, ce que nous pensons savoir de la planification et de l'exécution de l'offensive du 7 octobre – et des opérations ultérieures du Hamas face à la guerre génocidaire d'Israël – n'est probablement qu'une goutte d'eau dans l'océan. Mais les données publiques disponibles nous montrent que Yahya Sinwar n'est pas si imprévisible que cela. À l'instar de ses prédécesseurs, il s'est montré très ouvert et lucide sur la direction que prenait l'organisation. Les signes étaient visibles partout depuis au moins deux ans, tant au niveau officiel qu'au niveau de la base. Les grandes puissances ont été choquées parce qu'elles ont sous-estimé et ignoré le mouvement, et non parce qu'elles auraient été dupées. Le récit autour de Sinwar fournit également un prétexte aux “experts” pour expliquer leur connaissance superficielle du mouvement, au mieux, ou leur analyse fallacieuse, au pire.

Ce que les analystes auraient dû savoir, c'est que le Hamas est un mouvement doté d'institutions et que, comme n'importe quel autre mouvement de masse, il rassemble différents courants et orientations politiques pouvant être en désaccord sur la tactique, mais pas sur la stratégie. La règle de cette organisation a été celle de la continuité malgré la fragmentation géographique et les différentes écoles de pensée sur la façon d'aller de l'avant. Il y a eu des moments de débats acharnés et de désaccords publics, mais ils n'ont rien de secret et se déroulent parfois dans des lieux publics. Cela correspond à la dynamique d'une organisation dont les élections internes sont rigoureuses et participatives.

Les informations attribuées à des “sources anonymes proches du Hamas” sur les désaccords internes au sein du Hamas ou sur la restructuration du mouvement par Sinwar sont très peu étayées. Il est possible que les activités du mouvement changent au cours de la guerre et que ses institutions évoluent en conséquence. Toutefois, tant que des preuves tangibles ne seront pas disponibles, les analystes seraient bien avisés de fonder leurs réflexions sur les nombreux écrits, discours et interviews mettant en lumière les aspects injustement mystifiés du Hamas et de ses dirigeants. Il n'existe aucune preuve crédible suggérant que Sinwar a totalement remanié la structure du mouvement et centralisé le pouvoir autour de sa personne. Cependant, de nombreux éléments montrent que Sinwar n'est pas seulement un produit du mouvement, mais quelqu'un qui a passé des décennies à le construire et qu'il est peu probable qu'il ait négligé ceux avec qui il a grandi politiquement et les processus qu'il a contribué à mettre en place.

Un jour, après la fin de cette guerre génocidaire, de nouvelles informations apparaîtront peut-être, qui modifieront la compréhension du Hamas et contrediront les hypothèses qui circulent aujourd'hui. Lorsque cela se produira, il serait judicieux de replacer ces nouvelles preuves dans leur contexte historique et d'exiger des “experts” qui ont manqué de professionnalisme qu'ils respectent des normes plus rigoureuses.

Hanna Alshaikh est doctorante en histoire et en études du Moyen-Orient à l'université de Harvard.

*Source : Spirit of Free Speech

Version originale : Mondoweiss

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Un embargo sur les armes à destination d’Israël n’est pas une idée radicale : c’est la loi

17 septembre 2024, par Yoana Tchoukleva — , , ,
L'arrêt de l'aide militaire à Israël est le strict minimum que les États-Unis peuvent faire pour mettre fin au génocide de Gaza. Un embargo sur les armes n'est pas seulement (…)

L'arrêt de l'aide militaire à Israël est le strict minimum que les États-Unis peuvent faire pour mettre fin au génocide de Gaza. Un embargo sur les armes n'est pas seulement soutenu par 80 % des électeurs du Parti démocrate, il est exigé par le droit international et américain.

Tiré de Agence médias Palestine.

Alors qu'Israël lance son plus grand assaut militaire en Cisjordanie depuis vingt ans, je ne peux m'empêcher de penser aux personnes que j'ai rencontrées dans le territoire occupé. Je pense à cette mère de Jénine qui était au téléphone avec ses deux fils quelques secondes avant que leur maison ne soit incendiée lors d'un raid israélien. Je pense à cette femme au mari détenu dans une prison israélienne sans inculpation ni jugement qui m'a demandé : « Y a-t-il quelque chose que vous puissiez faire ? Mon mari est en train de mourir. » Je pense à l'agriculteur qui m'a offert un melon alors qu'il pouvait à peine mettre de la nourriture sur sa propre table et que je n'étais là que pour une courte période, voyageant et faisant du bénévolat avec Faz3a, une organisation internationale de présence protectrice.

Alors que tous les regards sont tournés vers Gaza, les Palestinien·nes de Cisjordanie subissent ce que beaucoup appellent un « génocide lent ». Chaque jour, des colons israéliens attaquent des familles palestiniennes pour les expulser de leurs terres privées. Ils détruisent les puits d'eau, brûlent les maisons et agressent les familles. Les Palestinien·nes qui restent sur leurs terres risquent d'être arrêtés. Au cours des dix derniers mois, 9 000 Palestinien·nes de Cisjordanie ont été arrêté·es et détenu·es sans inculpation ni jugement, et nombre d'entre elles et eux ont été torturé·es.

En juillet, la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction mondiale, a jugé illégale l'occupation par Israël de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza. La Cour a estimé que le régime de ségrégation dans lequel vit le peuple palestinien – avec des routes séparées, un accès rationné à l'eau et un système juridique distinct fondé sur le droit militaire – s'apparente à de l'apartheid. La Cour a ordonné à Israël de retirer ses colons du territoire palestinien occupé, de payer des réparations et de respecter le droit des Palestinien·nes à l'autodétermination.

Un jour plus tard, des ami·es américain·es ont été violemment attaqué·es par des colons en Cisjordanie. Ils et elles accompagnaient des agriculteur·ices palestinien·nes dans leurs oliveraies lorsque des colons de la colonie voisine d'Esh Kodesh sont descendus et les ont frappés à l'aide de tuyaux métalliques. Ce mois-ci, un autre volontaire américain non armé de l'organisation internationale de présence protectrice Faz3a a été blessé par balle à la jambe par l'armée israélienne. Le département d'État américain est resté largement silencieux.

Alors que le parti démocrate se bat pour gagner des voix, nombreux·ses sont celles et ceux qui ont demandé aux États-Unis d'imposer un embargo sur les armes à Israël afin de signifier au Premier ministre Netanyahou qu'il ne peut continuer à violer le droit international en toute impunité. Ce que peu de gens savent, c'est qu'un embargo sur les armes n'est pas seulement souhaité par 60 % des Américain·es et près de 80 % des électeurs démocrates, mais qu'il est en fait déjà exigé par la loi.

La loi fédérale américaine est claire : les pays qui reçoivent des fonds militaires américains doivent respecter les normes en matière de droits de l'homme sous peine de perdre leur financement.

La loi sur l'aide à l'étranger stipule qu'aucune aide ne peut être fournie à un pays « qui se livre à des violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme internationalement reconnus ». La loi Leahy interdit la fourniture d'armes « à toute unité […] d'un pays étranger si le secrétaire d'État dispose d'informations crédibles selon lesquelles cette unité a commis une violation flagrante des droits de l'homme ».

Les violations flagrantes comprennent « la torture, les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la détention prolongée sans inculpation ni jugement, […] et tout autre déni flagrant du droit à la vie ou à la liberté », autant d'actes dont Israël est reconnu coupable par la CIJ, les Nations unies et même les experts et les tribunaux israéliens en matière de droits de l'homme.

Nos lois américaines exigent donc que nous suspendions le financement militaire d'Israël jusqu'à ce qu'il remédie à son bilan en matière de droits de l'homme en acceptant un cessez-le-feu permanent à Gaza et en se conformant à la décision de la CIJ de mettre fin à l'occupation des territoires palestiniens.

Une telle pause – ou un « embargo sur les armes » – n'est pas sans précédent. En 2021, les États-Unis ont retenu 225 millions de dollars de financement de l'Égypte et ont suspendu la vente d'armes offensives à l'Arabie saoudite en raison des violations des droits de l'homme commises par ces pays. Alors pourquoi les États-Unis appliquent-ils leurs lois de manière sélective ?

Le 8 février, le président Biden a signé le mémorandum 20 sur la sécurité nationale qui, au moins, faisait un clin d'œil à nos lois fédérales. Ce mémorandum exige du secrétaire d'État qu'il obtienne des « assurances écrites crédibles et fiables » de la part des bénéficiaires étrangers de l'aide militaire qu'ils utilisent les armes américaines dans le respect du droit international. Ceux qui ne fournissent pas ces assurances ou qui font des déclarations non étayées par des preuves devraient voir leur aide interrompue.

En mars, le département d'État a admis qu'il existait « des rapports crédibles faisant état de violations présumées des droits de l'homme par les forces de sécurité israéliennes, notamment des exécutions arbitraires ou illégales, des disparitions forcées, des actes de torture et de graves abus dans le cadre de conflits ». Pourtant, le Département a approuvé sans discussion les « assurances » du gouvernement israélien et la Maison Blanche a continué à approuver des milliards de dollars de transferts d'armes en dépit des violations reconnues du droit international.

Selon un récent rapport du ministère israélien de la défense, les États-Unis ont envoyé plus de 50 000 tonnes d'armes et d'équipements militaires à Israël depuis le 7 octobre, soit une moyenne de deux livraisons d'armes par jour.

Tout cela m'écraserait s'il n'y avait pas mes ami·es palestinien·nes qui m'ont appris à quoi ressemblent une foi et un engagement inébranlables dans la vie.

Je vous pose donc la question, Madame la vice-président Harris : si vous êtes élue présidente, veillerez-vous à ce que les lois des États-Unis soient fidèlement exécutées, comme l'exige notre Constitution ? Respecterez-vous systématiquement les lois fédérales qui interdisent le financement des gouvernements étrangers qui commettent des violations des droits de l'homme, quelle que soit la puissance de ces gouvernements ou de leurs lobbies ? Respecterez-vous l'engagement que vous avez pris lors de la convention nationale du parti démocrate « de mettre fin à cette guerre de manière à ce qu'Israël soit en sécurité, que les otages soient libérés, que les souffrances à Gaza cessent et que le peuple palestinien puisse exercer son droit à la sécurité, à la dignité, à la liberté et à l'autodétermination » ?

Pour ce faire, nous devons joindre le geste à la parole, et non nous contenter de parler. Cela exige que nous changions de politique et que nous ne nous contentions pas d'exprimer nos préoccupations. La suspension du financement militaire d'Israël est le strict minimum nécessaire pour mettre fin aux bombardements d'innocent·es et pour nous rappeler que nous sommes, après tout, une nation fondée sur des lois.

Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les attaques de Trump contre Harris : racisme, sexisme, vulgarité et mensonges

17 septembre 2024, par Dan La Botz — , ,
Trump se présente sur une posture, celle d'attaques répétées contre Kamala Harris, la dénigrant en raison de son sexe et de sa race. Hebdo L'Anticapitaliste - 720 (…)

Trump se présente sur une posture, celle d'attaques répétées contre Kamala Harris, la dénigrant en raison de son sexe et de sa race.

Hebdo L'Anticapitaliste - 720 (12/09/2024)

Par Dan La Botz

Crédit Photo
Wikimedia commons

Le programme de campagne de l'ancien président Donald Trump comprend une taxe de 10 % sur toutes les importations et de 60 % pour les produits chinois, il veut réduire les impôts sur la fortune, et envisagera des coupes dans Medicare et la sécurité sociale, supprimera le département de l'éducation, et dans son précédent mandat, il avait coupé dans les crédits de la santé et du logement.

Mais en tant que candidat à la présidence pour la troisième fois, Trump ne se présence pas tant sur un programme politique que sur une posture, une attaque vicieuse contre Kamala Harris, la rabaissant en raison de son sexe et de sa race. Il laisse en effet entendre que sa race et son sexe font d'elle une personne intellectuellement inférieure et socialement et culturellement étrangère. Il la qualifie également de « marxiste et communiste », des termes qui font d'elle une « non-américaine ».

Des propos visant à faire de Kamala Harris une « non-américaine »

Selon Trump, Kamala Harris n'est pas l'une des nôtres. En 2020, Donald Trump avait laissé entendre qu'Harris, alors candidate à la vice-présidence, n'était pas une citoyenne américaine et qu'elle n'avait donc pas le droit de se présenter aux élections parce qu'aucun de ses parents n'était citoyen américain au moment de sa naissance. C'est faux, car la Constitution américaine prévoit le droit à la citoyenneté à la naissance. Ainsi, quelle que soit la citoyenneté de ses parents, lorsque sa mère a accouché à Oakland, en Californie, en 1964, elle était une citoyenne née aux États-Unis. Trump s'est engagé à mettre fin à la citoyenneté de naissance.

Il a également laissé entendre que l'identité de Kamala Harris était en question. S'exprimant lors d'une conférence de journalistes noirs, Trump a déclaré : « Elle a toujours été d'origine indienne, et elle ne faisait que promouvoir l'héritage indien ». « Je ne savais pas qu'elle était noire jusqu'à il y a quelques années, lorsqu'elle est devenue noire, et maintenant elle veut être reconnue comme noire. Je ne sais donc pas si elle est Indienne ou Noire ». Bien que Kamala Harris soit diplômée d'une université historiquement noire et qu'elle appartienne à une sororité noire. Cependant, Trump signalait à sa base qu'elle était autre, étrangère. Étant donné que 10 % des AméricainEs sont métis, on ne sait pas très bien comment cette tactique va fonctionner.

Sexisme et diabolisation

Trump s'en est également pris à son intelligence, la qualifiant de « stupide » et de « folle ». D'autres républicains ont qualifié Harris d'« embauche DEI », c'est-à-dire une personne embauchée dans le cadre des politiques de diversification et d'inclusivité de l'emploi, mais qui n'est pas vraiment compétente pour occuper le poste.

Selon Trump, Harris est « diabolique ». Un mot qui en dit long à ses partisans chrétiens évangéliques, qui croient effectivement que Kamala Harris et d'autres démocrates sont « diaboliques ». Et cela résonne avec les adeptes de Q-Anon qui soutiennent que les dirigeants du Parti démocrate sont des pédophiles adorateurs de Satan qui ne peuvent être arrêtés que par Trump. En fait, K. Harris est connue pour ses efforts visant à mettre fin au trafic d'enfants par le biais d'actions en justice et de lois.

Les attaques de Trump sont devenues très vulgaires. Il a retweeté sur son site Truth Social une photo de Kamala Harris et d'Hillary Clinton avec la légende suivante : « C'est drôle comme les pipes ont eu un impact différent sur leurs carrières... », faisant allusion à la liaison de Bill Clinton avec Monica Lewinsky et à la relation amoureuse de K. Harris avec Willie Brown, le chef du parti démocrate californien. D'autres ont laissé entendre que K. Harris avait couché pour arriver au sommet. Dans un discours récent, J.D. Vance, le candidat à la vice-présidence de Trump, a déclaré : « Kamala Harris peut aller en enfer ».

Des mensonges qui laissent Trump en tête dans les sondages

Et puis, Trump ment tout simplement au sujet de Kamala Harris. Il a déclaré : « Harris est totalement contre le peuple juif ». Une affirmation étrange étant donné que son mari, l'avocat Doug Emhoff, est juif.

En critiquant la position de Harris sur les droits reproductifs, Trump a affirmé de manière grotesque : « Elle veut des avortements au cours des huitième et neuvième mois de grossesse, cela lui convient, jusqu'à la naissance, et même après la naissance – l'exécution d'un bébé ». Il a également affirmé de manière bizarre et infondée que « Kamala veut même faire passer des lois pour interdire la viande rouge afin de stopper le changement climatique ».

Cela fonctionne-t-il ? Trump est à 48 ou 47 % au niveau national et est en tête dans les swing states (les États en balance entre républicains et démocrates), bien que les différences se situent dans la marge d'erreur — une égalité statistique.

Dan La Botz, traduction Henri Wilno

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

États-Unis – Gaza. Avec Kamala Harris, un changement de façade

Le soutien de l'administration de Joe Biden à Israël a été tel depuis le début de la guerre génocidaire à Gaza, que le changement de casting côté démocrate a suscité chez une (…)

Le soutien de l'administration de Joe Biden à Israël a été tel depuis le début de la guerre génocidaire à Gaza, que le changement de casting côté démocrate a suscité chez une partie des électeurs l'espoir d'une inflexion dans la politique étrangère américaine. Une attente rapidement balayée lors de la convention du parti puis lors du débat Kamala Harris-Donald Trump.

Tiré de Orient XXI
12 septembre 2024

Par Sylvain Cypel

Chicago, 22 août 2024. La vice-présidente et candidate pour l'élection présidentielle états-unienne Kamala Harris sur la scène de la convention démocrate.
Lorie Shaull / Flickr

Alors que les parents de Hersh Goldberg-Polin, otage israélo-américain capturé par le Hamas le 7 octobre 2023 et mort entre les mains de l'organisation palestinienne peu avant la convention démocrate, à la mi-août, ont été invités à s'y exprimer, la demande de nombreux cercles démocrates pour qu'un Palestinien puisse faire de même, après des semaines de négociations, a été refusée par ses organisateurs. Une initiative, intitulée le « Uncommitted movement » (le « mouvement des non-engagés », sous-entendant qu'ils ne sont pas sûrs de voter pour Harris (1), avait réuni des centaines de milliers de signatures pour réclamer que la voix de la Palestine soit entendue à la convention. La secrétaire du parti au Michigan, Lavora Barnes, les représentants à la Chambre Ro Khanna (Californie) et Ruwa Romman (Géorgie) et bien d'autres aussi. Brandon Johnson, maire de Chicago, où avait lieu la convention, le demanda également. Il nota que le comté de Cork, où elle se déroulait, est celui qui dispose de la plus forte population américaine d'origine palestinienne aux États-Unis.

Rien n'y fit : la réponse de l'appareil démocrate est restée négative. La représentante à la Chambre basse Cori Bush, devant une assemblée du groupement des « non-engagés » à l'ouverture de la convention, appela la gauche du parti à ne pas abandonner le combat : « Nous sommes et restons démocrates. Nous disons juste : ‘écoutez-nous, parce que ça compte' ». Chacun a compris la référence à Black Lives matter. Comme celle des Noirs, la vie des Palestiniens compte.

Chicago, 22 août 2024. Les déléguées du « mouvement des non-engagés », Meryem Maameri (à gauche) et Asma Mohammed (à droite), se serrent les bras à l'entrée de la Convention nationale du Parti démocrate.
Lorie Shaull / Flickr

« Restez silencieux »

Mais Kamala Harris, en déplacement au Michigan quelque temps avant et confrontée à des protestataires contre la politique de l'actuelle Maison-Blanche envers la Palestine, leur avait répondu : « Restez silencieux si vous ne voulez pas faire élire Trump » (2). L'épisode n'est guère rassurant quant à l'attitude que pourrait avoir, si elle est élue, la prochaine présidente des États-Unis vis-à-vis du Proche-Orient.

Pourtant, certains analystes veulent croire qu'un accès de Kamala Harris au pouvoir marquerait « la fin d'une ère où les présidents américains avaient un attachement personnel à Israël » (3), comme l'a été en particulier Joe Biden. Mais jusqu'ici, ce n'est pas ce qu'elle a montré. La Plateforme démocrate pour l'élection, rédigée sous Biden, n'a pas été modifiée d'un iota après qu'il s'est retiré de la course. Certes, Harris a un peu desserré le carcan de soutien inconditionnel américain dans lequel Biden et Antony Blinken, son secrétaire d'État, avaient enserré la guerre contre Gaza, laissant libre cours à Benyamin Nétanyahou pour empêcher tout cessez-le-feu. À la convention, Harris est apparue plus ouverte à la cause palestinienne, déclarant qu'elle ne resterait pas « silencieuse » si perdurait une tragédie des Gazaouis qui « brise le cœur ».

Elle a aussi implicitement accusé le premier ministre israélien d'être le principal obstacle à une sortie de crise. Peu après, dans un entretien à CNN le 29 août, elle a proclamé que les Palestiniens devaient « accéder à leur droit à la dignité, la sécurité, la liberté et l'autodétermination ». Des propos qui ne pouvaient pas plaire à Nétanyahou ni à la quasi-totalité de la classe politique israélienne. Mais ceux-ci s'en accommoderont si demain une administration Harris ne se comporte pas différemment de celle de Biden, c'est-à-dire, qu'elle leur laisse de facto les mains libres. Or, dans la même interview, Kamala Harris a confirmé que l'accord de livraisons annuelle d'armes à Israël pour 3,8 milliards de dollars (3,4 milliards d'euros) (4) restera, si elle est élue, un pivot de la politique américaine au Proche-Orient.

Un logiciel devenu caduc

Mais que craignent donc les dirigeants démocrates pour refuser de tenir compte de l'opinion de leurs propres électeurs ? De nombreux commentateurs aux États-Unis ont considéré que la direction du parti fait fi de l'évolution profonde que connait son propre camp. Les sondages Gallup montrent que 44 % de l'électorat démocrate se prononce désormais pour un abandon de la fourniture systématique d'armes américaines à Israël, quand seuls 25 % la soutiennent encore. La jeunesse universitaire n'est pas seule à s'insurger : d'importants syndicats, ceux de l'automobile, le United Auto Workers (UAW), de la poste, de l'éducation publique et d'autres, longtemps fervents supporteurs de l'État israélien, ont eux aussi appelé Biden à « mettre fin à l'aide militaire à Israël ». À un degré moindre, cette tendance s'affirme aussi au sein des électeurs « indépendants ». Dès lors, s'interroge le journal en ligne Slate, comment expliquer que la convention démocrate n'ait offert qu'une litanie de déclarations d'appui à Israël ? (5)

L'appareil du parti semble s'accrocher à un logiciel devenu caduc. Selon le site Middle East Eye (6). Kamala Harris, peu au fait des problèmes du Proche-Orient, formerait une équipe issue des milieux ayant agi sous les présidences de Barack Obama et qui serait dirigée au département d'État par Phil Gordon. Ce choix serait l'incarnation même d'une pérennité annoncée du statu quo en ce qui concerne la Palestine et Israël. L'homme ayant occupé des postes de plus en plus éminents dans toutes les administrations démocrates depuis les années Clinton, il ne cesse de marteler sur le sujet les propos de tous ses prédécesseurs aux affaires étrangères, comme si rien n'était advenu en trente ans. Le 24 juin 2024, Gordon participait à la conférence d'Herzliya, un forum annuel qui réunit la crème des milieux diplomatiques et sécuritaires israéliens, et accueille de nombreux invités étrangers. Gordon y a fortement plaidé pour un accord rapide sur un cessez-le-feu à Gaza et les bénéfices qu'Israël en tirerait. En mots choisis, il a critiqué le rejet israélien de facto du plan Biden pour un cessez-le-feu. Gordon a également insisté sur l'isolement international croissant d'Israël, y compris aux États-Unis, où « des segments bruyants de l'opinion publique s'opposent à cette guerre ». Et il a conclu avec quelques mises en garde :

La réalité est qu'il n'y aura pas de défaite du Hamas sans un gouvernement et une sécurité alternatifs à Gaza – et nous avons appris quelques leçons à nos dépens de nos expériences irakiennes et afghanes.

Il n'y a que deux options, a clôturé Phil Gordon : soit la reconstruction d'une bande de Gaza palestinienne sans direction du Hamas, soit :

un conflit sans fin […], avec des tensions et de la violence croissante en Cisjordanie et l'absence de tout horizon politique pour les Palestiniens, ce qui ne bénéficie qu'au Hamas et aux autres groupes terroristes palestiniens, et enfin la menace imminente d'une escalade régionale importante et une isolation aggravée d'Israël sur la scène internationale. […] Si Israël prend le chemin de l'espoir, les États-Unis seront avec lui à chaque pas. […] Là est son intérêt. Mais là est aussi l'intérêt de l'Amérique. (7)

Il n'a pas spécifié ce que Washington ferait si Israël ne se soumettait pas à ses suggestions. C'était il y a deux mois et demi. Depuis, rien n'a évolué : Benyamin Nétanyahou a montré le peu de cas qu'il fait de Biden, de Gordon et des plans de l'administration démocrate.

Un soutien militaire américain sans limites

Devant l'absence avérée d'impact des « pressions verbales » américaines sur la poursuite des bombardements israéliens et des massacres dans la population gazaouie, le refus d'une cessation des livraisons d'armes devient un symbole de l'impuissance de la politique menée par la Maison-Blanche. Harris répète que les ventes d'armes restent un intouchable de la diplomatie américaine, la clé de sa « relation spéciale » avec Israël. Mais aux États-Unis, cette question devient le carburant de la mobilisation pour mettre fin aux exactions israéliennes.

La candidate démocrate pourrait-elle l'entendre ? Et si oui, quand ? Récemment, Peter Beinart, le directeur du magazine juif progressiste Currents, publiait dans le New York Times une contribution où il expliquait que l'obstacle à une cessation des livraisons d'armes à Israël n'avait rien à voir avec une potentielle opposition du Congrès. Si une administration Harris le décide, il lui suffira juste… « d'appliquer la loi » américaine, plaide-t-il (8). Car le Congrès a voté en 1997 une loi de « limitation du soutien aux forces de sécurité » qu'il a renforcée en 2008, appelée Loi Leahy (du nom de son auteur, Patrick Leahy, sénateur du Vermont de 1975 à 2023). Cette loi interdit aux secrétariats d'État américains des affaires étrangères et à celui de la défense de soutenir d'une quelconque manière toute force armée étrangère qui commettrait des « violations flagrantes » du droit humanitaire. Beinart rappelle que cette loi a été utilisée depuis « des centaines de fois » par Washington, y compris contre des pays amis des États-Unis — le Mexique, par exemple. Mais cette loi peut ne pas s'appliquer aux armées étrangères dans leur totalité, seulement à des unités spécifiques, celles ayant commis des actes illégaux notoires.

Or, il existe un pays qui, depuis l'adoption de cette loi il y a 27 ans, a mené de nombreuses guerres avant celles en cours à Gaza, dans lesquelles son armée a, par exemple, largué massivement des bombes à fragmentation et d'autres types de matériaux interdits par le droit de la guerre ; qui plus est, il l'a fait contre des populations civiles (à Gaza et au Liban, en particulier). Beinart note que cette loi ne lui a « jamais été appliquée » : il s'agit évidemment d'Israël, l'État étranger qui, de très loin, perçoit le soutien militaire annuel américain le plus important depuis cinq décennies. Patrick Leahy n'a-t-il pas déclaré que l'absence absolue et répétée d'imposition de sa loi à Israël la « tourne en dérision » ?

Lors de son débat avec Donald Trump, le 10 septembre, Kamala Harris a continué de plaider son mantra : « Israël a le droit de se défendre », mais « trop de Palestiniens innocents sont morts » . Cependant, si elle entend sincèrement s'impliquer dans une résolution de la question palestinienne, elle devra se soumettre à ce qu'un nombre incalculable d'experts américains, diplomates et militaires savent depuis longtemps sans jamais l'évoquer publiquement, à savoir que pour résoudre le problème, à commencer par la fin de l'occupation par Israël des Territoires palestiniens occupés, il faudra que Washington change de paradigme, et impose à Israël des sanctions tangibles et efficaces s'il n'obtempère pas. Kamala Harris le comprend-elle ? Le veut-elle ? La question de l'indéfectible « relation spéciale » qui lie les États-Unis à Israël a fait l'objet d'innombrables analyses. Certains évoquent une alliance naturelle des messianismes juif et évangélique. D'autres le poids du lobby pro-israélien. On se contentera, ici, de constater que plus les États-Unis fournissent gratuitement des armes aux Israéliens qui en font de plus en plus usage, et plus le contribuable et le trésor favorisent l'enrichissement du complexe militaro-industrieldes États-Unis. Cet argument pèse lourd dans les décisions des dirigeants américains.

Mais le seul motif du soutien indéfectible de Washington n'est pas uniquement dû aux intérêts des sociétés d'armement. Les craintes de l'impact qu'un affaiblissement de la place politique et sécuritaire d'Israël au Proche-Orient ferait peser sur le poids des États-Unis dans la région est, sans doute, un frein plus important encore à l'abandon de cette « relation spéciale ». Une relation dont les Palestiniens sont la victime récurrente. Il n'est pas un président américain qui ne l'ait pas compris.

NOTES

1. Le « mouvement des non-engagés » se définit comme « luttant pour un Parti démocrate qui représente la majorité anti-guerre et pro-palestinienne ».

2. Joey Cappelletti : « Pro-Palestinian democrats say their request for a speaker at DNC rejected after weeks of négociations », Associated Press, 22 août 2024.

3. Ron Kampeas : « Biden withdrawal marks the end of an era of democrat presidents with personal Israel attachment », The Forward, 22 juillet 2024.

4. Après les accords de paix entre Israël et l'Égypte en 1978, la Maison-Blanche s'engagea à livrer annuellement et gracieusement des armes aux deux pays. En 2024, les montants se situent à 3,8 milliards de dollars pour Israël et 1,3 milliard (1,1 milliard d'euros) pour l'Égypte.

5. Alexander Sammon, « I went to a Zionist democrats party at the DNC, what I saw made me think there‘s a policy shift coming », Slate, 21 août 2024.

6. Sean Mathews, « What a Kamala Harris Middle East policy team could look like », Middle East Eye, 2 septembre 2024.

7. The White House, « Remarks by National Security advisor to the vice-president Dr. Phil Gordon at the Herzliya Conference », 24 juin 2024.

8. Peter Beinart, « Harris can change Biden's policy on Israel just by upholding the law », The New York Times, 18 août 2024.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Italie – Giorgia Meloni et l’érosion démocratique

17 septembre 2024, par Édouard DeGuise
L’opposition au gouvernement Meloni en Italie s’est récemment massivement mobilisée en réaction aux projets de réforme constitutionnelle. Les oppositions se sont tenues debout (…)

L’opposition au gouvernement Meloni en Italie s’est récemment massivement mobilisée en réaction aux projets de réforme constitutionnelle. Les oppositions se sont tenues debout face à ce qu’elles considèrent comme une menace pour la démocratie italienne. Malgré tout, Giorgia Meloni tient le fort. (…)

France. « La crise des finances publiques est d’abord l’échec de la politique de l’offre menée depuis sept ans » par Bruno Le Maire

17 septembre 2024, par Romaric Godin — , ,
Bruno Le Maire [ministre démissionnaire des Finances] entrera dans l'histoire, c'est une certitude. D'abord parce qu'il aura été le plus long titulaire du ministère des (…)

Bruno Le Maire [ministre démissionnaire des Finances] entrera dans l'histoire, c'est une certitude. D'abord parce qu'il aura été le plus long titulaire du ministère des Finances depuis plus de deux siècles. Mais, en politique, record ne signifie pas succès et entrer dans l'histoire ne signifie pas y laisser une marque positive. Avec ces sept ans et quelques mois à Bercy [site du ministère de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique], notre recordman ne peut pas échapper aux conséquences de ses actes.

10 septembre 2024 | tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/europe/france-la-crise-des-finances-publiques-est-dabord-lechec-de-la-politique-de-loffre-menee-depuis-sept-ans-par-bruno-le-maire.html

Se revendiquant écrivain de talent, Bruno Le Maire [auteur, entre autres, de La Fugue américaine, de L'Ange et la bête…] a tenté de forger un récit qui a longtemps tourné dans la sphère médiatique : celui du « bon bilan économique ». Ce récit est bancal dès le départ et n'a jamais convaincu qu'une sphère restreinte et non la masse des Français et Françaises qui, à plusieurs reprises, ont sanctionné le gouvernement pour son bilan économique. La réindustrialisation est une chimère, l'attractivité un miroir aux alouettes et la croissance économique s'est affaiblie.

Mais, depuis quelques mois, notre conteur est rattrapé par la réalité. La dégradation des comptes publics n'est, en effet, pas l'effet d'une orgie de dépenses du système social ou d'un prétendu financement de la paresse des travailleurs français comme le discours austéritaire le prétend déjà. Sa source est d'abord et avant tout l'échec monumental et complet de la politique même de Bruno Le Maire.

Le ministre est, reconnaissons-lui ce caractère, un homme de conviction. Rien ne le fera dévier de ses certitudes : l'impôt sur les plus riches est un mal absolu, la fiscalité sur les entreprises doit être abaissée et le capital, toujours et partout, doit être aidé. La seule « politique raisonnable » pour lui est la politique de l'offre [1].

Il en a, au reste, reçu l'hommage appuyé et émouvant du Mouvement des entreprises de France (Medef) lors de leur dernière université d'été, fin août 2024. Patrick Martin, le patron des patrons, l'a félicité, tutoiement à la clé, comme on félicite un employé zélé : « Tu as été un artisan déterminant et déterminé de la politique pro-entreprise. » Et c'est d'ailleurs la seule explication plausible de sa longévité à Bercy, car il est, sur ce point, en accord parfait avec Emmanuel Macron, qui a bien fait comprendre à chacun cet été que la démocratie ne pouvait remettre en cause cette orientation.

Une politique qui ne profite qu'aux détenteurs de capital

L'ennui, c'est que ce sont ces convictions mêmes qui ont conduit à la dégradation du déficit public. Les chiffres sont sans appel : ce ne sont pas les dépenses qui sont responsables de l'état des finances, ce sont bel et bien les recettes. Ces dernières sont, depuis deux ans, en chute libre par rapport aux prévisions, ou plutôt devrait-on dire, aux promesses du gouvernement. Or ce fait est un désaveu de toute la politique de l'offre, c'est-à-dire de la politique dite du « ruissellement ».

Rappelons brièvement la logique de cette politique. Elle repose sur l'idée que la croissance est entravée par des « blocages » qui empêchent les entreprises d'investir. Ces blocages, pour aller vite, c'est tout ce qui réduit la rentabilité des entreprises. On y trouve donc les salaires, et c'est l'objet des réformes du marché du travail, mais aussi la fiscalité.

En baissant les impôts sur le capital au sens large, c'est-à-dire tant sur les entreprises que sur les propriétaires des entreprises, on permettrait une augmentation du potentiel de croissance. Et comme la croissance augmente, les recettes doivent suivre et, en conséquence, venir réduire le déficit public. Telle est la promesse des politiques menées par Bruno Le Maire.

Or cette belle mécanique ne fonctionne pas. Le soutien au taux de profit ne se traduit pas par une accélération de la croissance parce que, précisément, la rentabilité ne progresse que grâce au soutien public et à la modération salariale. L'affaiblissement des gains de productivité et la tertiarisation de l'économie rendent de plus en plus difficile de dégager de la plus-value. Il est donc peu attrayant d'investir, alors même que les structures productives demandent de plus en plus de moyens (on le voit notamment avec les dépenses d'informatique qui ont absorbé l'essentiel de l'investissement comptable ces dernières années).

En parallèle, la financiarisation de l'économie permet de placer ces profits accumulés de façon attrayante, d'autant que la réforme de 2018 en France a abaissé l'impôt sur les revenus du capital. En d'autres termes : cette politique ne profite qu'aux détenteurs de capital qui, pour maintenir leur rythme d'accumulation, doivent toujours faire pression sur les salarié·e·s, les consommateurs et l'Etat. Il n'y en a jamais assez puisque la croissance n'est pas suffisante pour maintenir « naturellement » l'accumulation. Il faut donc toujours réduire les impôts en voyant toujours les déficits se creuser.

Persévérer dans l'erreur

L'histoire du passage à Bercy de Bruno Le Maire [en fonction depuis mai 2017] pourrait ainsi se résumer à une suite de propositions de nouvelles baisses d'impôts à laquelle s'est ajoutée une suite de subventions toujours croissante au secteur privé. Le tout pour une croissance déclinante. En résumé, le capital coûte de plus en plus cher et rapporte de moins en moins à l'Etat. Qui peut alors s'étonner que le déficit reste abyssal ?

Les chiffres pour prouver ce piège où la politique de l'offre a plongé les finances publiques ne manquent pas. On en citera un. En termes nominaux, le PIB français a augmenté de 101 milliards d'euros environ entre 2018 et 2023. Les dépenses de l'Etat ont progressé de 100 milliards d'euros, soit une évolution proche de celui du PIB. Mais les recettes de l'Etat, elles, ont progressé de seulement 10,8 milliards d'euros, soit dix fois moins. C'est que tout est absorbé par les compensations d'exonérations, donc par le financement des baisses de cotisations et d'impôts.

C'est la preuve que le capital coûte plus cher que ce que son aide ne rapporte. Et c'est ainsi que l'on se retrouve avec ce que beaucoup estiment être un « paradoxe » mais qui n'en est un qu'en apparence : la France affiche à la fois un déficit considérable et des services publics qui se dégradent. C'est simplement parce que le déficit n'est pas lié aux dépenses liées au service public, mais à un Moloch, la politique de l'offre, qui engloutit les milliards et appauvrit tout le monde, sauf les plus fortunés.

Face à ce désastre, Bruno Le Maire n'a pas bougé d'un iota ses convictions. Tout écrivain qu'il est, le ministre est enkysté dans ce qu'il faut bien appeler une idéologie, c'est-à-dire une conviction qui ne saurait être modifiée par le réel. Aussi, lorsque l'échec de sa politique est devenu impossible à dissimuler, il a décidé de lancer un nouveau récit, fort classique au demeurant, celui de l'austérité et de la destruction de l'Etat social. On a ainsi vu le bourreau des finances publiques se mettre à son chevet et réclamer qu'on prenne au plus tôt des mesures de « redressement » fondées inévitablement sur des économies massives.

Notre ministre-écrivain s'est alors livré à une véritable bouffonnerie. Dès février, il a annoncé en grande pompe un coup de rabot de 10 milliards d'euros sur le budget qu'il avait entièrement conçu et fait passer par le levier de l'article 49-3. Depuis, Bruno Le Maire passe son temps à en réclamer plus et à se draper dans les habits neufs de combattant du déficit.

Mensonge, irresponsabilité, incompétence, déni ? Ces hypothèses ne peuvent être écartées, bien sûr. Bruno Le Maire, malgré le record de longévité dont il est si fier, s'efforce depuis des mois de reporter la faute de la situation actuelle sur les autres, des syndicats à l'administration en passant par les oppositions. Mais il faut aussi rappeler que ces deux discours, politique de l'offre et austérité, quoique, en apparence, contradictoires, se complètent parfaitement.

Vers l'austérité

L'austérité sert à la fois à ne pas remettre en cause le problème de la politique de l'offre en concentrant le blâme du déficit sur les dépenses, et à détruire l'Etat social, ce qui, directement et indirectement, contribue à faire avancer la marchandisation de la société et ouvre de nouveaux marchés pour le capital. En réalité, l'austérité est aussi une politique de l'offre qui vise à ramener la demande au niveau de l'offre en maintenant le soutien au capital.

Notre ministre démissionnaire n'a donc aucune raison de prendre aucune responsabilité ni de devoir faire face à ses contradictions. Il est, à sa façon, logique. Pour lui, la société est au service du capital et elle doit payer le prix de cette subordination. Si le capital financier réclame des gages et que le capital industriel veut conserver son flux d'argent public, ce sera au pays de s'ajuster.

Il y a donc moins de l'aveuglement qu'une constance remarquable dans une politique de classe dont Bruno Le Maire n'a jamais dévié et que le nouveau premier ministre ne semble pas vouloir remettre en cause. Michel Barnier, « l'Européen » [désigné à la fonction de Premier ministre par Emmanuel Macron, le 5 septembre 2024], ne reviendra sans doute pas sur les nouvelles règles budgétaires européennes, aussi absurdes fussent-elles.

Ce week-end [7-8 septembre], en visite à l'hôpital Necker de Paris, le nouveau premier ministre a repris la vieille chanson selon laquelle les maux du système de santé tenaient moins aux moyens qu'à son organisation. Un discours qui a toujours accompagné la réduction des moyens pour l'assurance-maladie. Quant à ses promesses de « justice fiscale », avancées vendredi 6 septembre dans sa première intervention télévisée en tant que chef du gouvernement, elles sont d'autant plus douteuses qu'Emmanuel Macron a refusé tous les candidats à Matignon qui entendaient aller dans ce sens.

La France se dirige donc vers une cure d'austérité qui s'annonce particulièrement douloureuse. Le dernier point de conjoncture de l'Insee souligne ainsi que la demande intérieure est au plus faible et que les ménages, inquiets, renforcent leur épargne. Désormais, les entreprises signalant des problèmes de demande sont plus nombreuses que celles signalant des problèmes d'offres.

Se lancer dans ces conditions dans une politique de contraction de la dépense publique, un des derniers piliers de la croissance française, pour maintenir une politique d'offre inefficace, ne peut que provoquer un choc négatif sur l'économie nationale, alors même que la situation politique et sociale est tendue.

Mais le « bloc central » et ses soutiens médiatiques semblent avancer vers l'abîme en chantant, assurant qu'il n'y a pas d'autres options que la réduction des dépenses. On se croirait revenu en 2009, au moment des discours sur « l'austérité expansive ». Bruno Le Maire, qui mène la procession, voulait rester dans « les mémoires » comme un Chateaubriand moderne, mais son nom pourrait ne venir s'ajouter qu'à la liste déjà longue des idéologues inconscients dont les folies conduisent au désastre. (Article publié par Mediapart le 9 septembre 2024)


[1] Le 2 mai 2021, Romaric Godin, à l'occasion d'un entretien avec l'économiste Gilles Raveaud, économiste à l'Université Paris VII et auteur de Economie : on n'a pas tout essayé ! (Ed. du Seuil 2018), présentait ainsi les lignes de force de la politique de l'offre : « Depuis des décennies, le néolibéralisme s'est emparé des « politiques de l'offre » pour projeter sa propre vision de la production. S'appuyant sur l'idée que l'offre devait être guidée par les demandes du marché, ces politiques ont eu pour ambition première de favoriser l'adaptation des entreprises au marché et d'attirer les investissements par la perspective de rendements plus élevés. D'où les « réformes structurelles », la demande de « flexibilité », les partenariats public-privé et la baisse continue des impôts pour les entreprises et les plus riches. » (Réd.)

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les « Mavkas en colère », ces femmes en première ligne de la résistance ukrainienne

17 septembre 2024, par Andrea Braschayko — , ,
Diffuser de la littérature pro-ukrainienne, taguer des graffitis, vandaliser des symboles russes ou signaler les mouvements des troupes de Moscou à l'armée ukrainienne : telles (…)

Diffuser de la littérature pro-ukrainienne, taguer des graffitis, vandaliser des symboles russes ou signaler les mouvements des troupes de Moscou à l'armée ukrainienne : telles sont les actions que mène le mouvement de résistance féminin ZlaMavka dans les zones occupées de l'Ukraine.

Tiré de Entre les lignes et les mots

En mars 2023, trois femmes, fondatrices du collectif « ZlaMavka » [« Mavkas en colère », ndlr.], se sont mobilisées pour faire comprendre aux soldats russes qu'ils n'étaient pas les bienvenus dans la ville, même un an après leur arrivée. En réponse à une campagne de propagande de l'armée russe – une distribution de fleurs aux retraités locaux – l'une d'entre elles, peintre de profession, a dessiné une affiche devenue depuis populaire dans toute la ville. « Je ne veux pas de vos fleurs, je veux mon Ukraine », pouvait-on lire sur celle-ci.

Depuis – d'après uneinterview anonyme donnée par l'une des trois militantes au média allemand Deutsche Welle (DW)– des centaines de femmes se sont identifiées au mouvement des mavkas et résistent quotidiennement. Comme beaucoup d'autres groupes partisans ukrainiens, ZlaMavkaa commencé à agir sur les réseaux sociaux et la plateforme de messagerieTelegram. Les affiches de l'artiste peuvent d'ailleurs être téléchargées au format PDF, ce qui les rend d'autant plus faciles à diffuser.

La mavka, un emblème de la culture ukrainienne

En Ukraine, la mavka est une figure folklorique, une variante locale de la « Rusalka », un personnage de la mythologie slave. C'est une femme évoquant l'amazone et associée aux cours d'eau. Dans certaines croyances populaires ukrainiennes, les mavkas sont des femmes mortes noyées ; dans d'autres, ce sont celles qui n'ont jamais été baptisées. Elles sont mentionnées pour la première fois dans l'Eneïda, une parodie de l'œuvre de Virgile imaginée par Ivan Kotliarevsky, un des pères de la littérature moderne ukrainienne à la fin du XVIIIe siècle.

Sous sa plume, les sirènes virgiliennes deviennent des mavkas des Carpates. La variation linguistique adoptée par le poète dans son œuvre – empruntée au dialecte ukrainien parlé dans la ville de Poltava – a permis de poser certaines règles grammaticales de la langue ukrainienne.

C'est à l'autrice et poétesse ukrainienne Lessia Oukraïnka que l'on doit l'importance de la mavka dans la littérature ukrainienne. Cette militante féministe et progressiste – une des figures de proue du mouvement pour l'indépendance de l'Ukraine pendant la période tsariste dite de la « prison des peuples » – a également participé à la fondation du Parti social-démocrate ukrainien. Quelques mois avant sa mort en 1911, elle consacrait à ces figures mythologiques aux cheveux verts un poème dramatique en trois actes.

Au printemps 2023 sortait d'ailleurs un film d'animation ukrainien inspiré de l'œuvre de Lessia Oukraïnka. Dans Le Royaume de Naya, le personnage principal est une jeune femme aux cheveux verts, semblable aux descriptions des mavkas présentes dans la littérature ukrainienne et dans les légendes populaires. Curieusement, son image s'est même répandue auprès des cinéphiles occidentaux au moment même où les trois résistantes de Melitopol ont commencé à l'utiliser comme symbole contre l'occupation russe.

Résister, une vie semée d'embûches

Dans le sud de l'Ukraine, l'armée russe et ses services administratifs tentent de légitimer leur présence, ou du moins de pousser la population locale à l'accepter sans résistance. L'espoir illusoire que ses soldats caressaient aux premiers jours de l'invasion, imaginant que les Ukrainiens accueilleraient l'armée de Poutine avec des fleurs et des larmes de joie, semble avoir disparu depuis longtemps.

Seule une minorité d'habitants vit encore dans la région, par choix ou par contrainte. De petites villes comme Vouhledar comptentparfois moins d'un trentième de leur population en 2021. Pour les journalistes occidentaux et locaux, ces irréductibles restent une énigme. Difficile de comprendre leurs opinions et leur mode de vie tout en évitant la propagande du Kremlin (qui est omniprésente, mais pas absolue), notamment parce que tout journaliste qui n'est pas accrédité auprès des autorités russes se voit refuser l'accès à la région.

Dans les territoires occupés par Moscou depuis le 24 février 2022, la majorité des survivants sont des personnes âgées. Elles ne sont pas en mesure de se réfugier ailleurs ou ne veulent simplement pas quitter leur maison, même si celle-ci a été endommagée lors des combats. L'intransigeance de ces habitants a beau être d'une humanité désarmante, ça n'empêche pas les Russes d'essayer de transformer leur épuisement et leur indifférence en loyauté.

Marianna Soronevitch, une militante italo-ukrainienne, raconteque de nombreux habitants de Melitopol ne rechignent pas à encaisser l'allocation retraite offerte par Moscou (tout en continuant de recevoir celle distribuée par le gouvernement ukrainien) ou à profiter des aides humanitaires russes. Tant que la Russie peut distribuer ces aides, cela suffit à apaiser une partie de la population qui ne cherche qu'à survivre. Ce genre de manœuvres peut en partie expliquer pourquoi il n'y a pas encore eu de grande rébellion dans les zones de l'Ukraine illégalement occupées par la Russie.

Néanmoins, rien de tout ça n'a empêché la naissance d'un mouvement de résistance clandestin au sein de la population plus jeune et plus motivée qui a décidé de rester à Berdiansk, Marioupol, Melitopol et Volnovakha.

Même en Crimée – d'où la plupart des Ukrainiens et des Tatars opposés à Moscou ont été contraints de fuir en 2014 – un groupe d'environ sept mille partisans tatars, ukrainiens et russes ethniques continue ses actions. Connu sous le nom d'Atech, il agit depuis un an dans d'autres zones occupées et même sur le territoire russe. Au début du mois de mai, Atech a revendiqué une tentative d'assasinat de l'écrivain nationaliste Zakhar Prilepine. Depuis 2014, ce dernier – partisan du leadeur national-bolchévique Edouard Limonov – amplifie ses attaques vis-à-vis de l'Ukraine, s'en prenant même aux artistes russes opposés à l'invasion, comme Oleg Kulik.

Prix à payer

Certains mouvements de résistance sont connectés les uns aux autres, notamment grâce à des groupes Telegram. L'un des plus importants est probablement le mouvement de résistance civile « Yellow Ribbon » (« Ruban jaune », ndlr.), créé à Kherson pendant l'occupation de la ville en mars 2022, et devenu entre-temps de plus en plus actif dans d'autres régions, y compris en Crimée et dans le Donbass.

Moscou est persuadée de pouvoir maîtriser les pires révoltes grâce à ses méthodes habituelles : la peur et la répression. Mais dans un contexte où même des enfantssont tués pour des tentatives de sabotage (comme cela a été le cas pour Tigran Ohannisyan et Nikita Khanganov à Berdiansk), et où une publication sur Facebook peut vous envoyer sept ans en prison, chaque geste, aussi petit soit-il – comme celui des mavkas – prend une importance extraordinaire.

Oleksandra Matviïtchouk, fondatrice du Centre pour les libertés civiles – une ONG ukrainienne lauréate du prix Nobel de la paix 2022, aux côtés de l'activiste biélorusse Alès Bialiatski et de l'ONG russe Memorial – soutient les mavkas. « Les Ukrainiennes sont en première ligne contre l'occupant et apportent une énorme contribution, aussi bien au front dans les territoires occupés qu'à l'arrière. Ne mettez pas les Ukrainiennes en colère ! Le courage n'a pas de genre »souligne-t-elle dans un appel.

Refuser un passeport ou une allocation russe, taguer un mur en jaune et bleu, peindre un trident ukrainien sur une clôture, ou simplement refuser de coopérer avec les occupants peuvent paraître des actes de protestation bien anodinscomparés à la violence extrême observée partout ailleurs pendant cette guerre. À Melitopol – à l'époque où le mouvement des mavkasémergeait – un groupe inconnu avait par exemple fait exploser la voiture dans laquelle se trouvait le maire placé par les Russes.

Mais ce serait oublier les risques liés aux gestes publics d'opposition au régime russe et l'importance de ces actions coordonnées et réfléchies.

Dans une interview, le fondateur de Yellow Ribbon souligneque de nombreux citoyens des zones occupées se méfient des formes de protestation, même symboliques, et craignent que les services secrets ou les autorités russes surveillent et poursuivent les Ukrainiens « politiquement dangereux ».

Les risques sont d'autant plus grands pour les femmes, notamment celles qui vivent seules ou dans des endroits isolés des zones occupées. Sur les chaînes prorusses qui tournent dans les foyers de Melitopol, une véritable « chasse aux femmes » est mise en œuvre, et les mavkas y sont dénoncées comme des saboteuses.

Les soldats russes sont connus pour leur brutalité ; à l'égard des femmes, elle prend la forme de violences sexuelles. De nombreux témoignages émergent des zones nouvellement libérées par les forces ukrainiennes, suivis par de nombreuses enquêtes et investigations.

Dans un tel climat, toute forme de résistance a de la valeur. Les Ukrainiens habitant dans les zones occupées ont adopté une stratégie de survie passive. Cependant, des mouvements comme celui des mavkas suivent une autre approche : celle de ne pas renoncer, même si le prochain acte de résistance pourrait, malheureusement, être le dernier.

Source : Andrea BRASCHAYKO in Valigia Blu, traduit par Gabriella GRUSZKA
https://solidarity-ukraine-belgium.com/les-mavkas-en-colere-ces-femmes-en-premiere-ligne-de-la-resistance-ukrainienne/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Journée internationale de la démocratie - Mouvement Démocratie Nouvelle

16 septembre 2024, par Mouvement démocratie nouvelle — ,
15 septembre 2024 | lettre Bonjour Bernard, En cette Journée internationale de la démocratie, qui a lieu le 15 septembre de chaque année, permettez-nous de souligner (…)

15 septembre 2024 | lettre

Bonjour Bernard,

En cette Journée internationale de la démocratie, qui a lieu le 15 septembre de chaque année, permettez-nous de souligner l'historique du Mouvement Démocratie Nouvelle, de faire état de la situation de la démocratie représentative, en particulier au Québec, et de présenter les objectifs du mouvement pour les prochaines années.

Le Mouvement Démocratie Nouvelle a été fondé en 1999, suite à la distorsion qui avait permis au Parti Québécois de Lucien Bouchard, l'année précédente, de former le gouvernement avec moins de votes que le Parti libéral ; la même distorsion s'était produite en 1966 quand les libéraux avaient perdu le pouvoir aux mains de l'Union nationale, alors qu'ils avaient récolté 150,000 voix de plus que l'UN ; Ce genre de distorsion s'est produit cinq fois depuis 1792.

Le MDN s'est donné pour objectif de faire la promotion du mode de scrutin à finalité proportionnelle, afin de mieux refléter la volonté populaire, viser une représentation égale des femmes et des hommes, incarner la diversité québécoise, permettre le pluralisme politique, et enfin assurer l'importance des régions dans la réalité québécoise.

Ce mode de scrutin proportionnel mixte, s'il était mis en place comme le proposaient le projet de loi 39 déposé par la CAQ et le projet de loi 499 de Québec Solidaire, réduirait les distorsions qui se sont produites lors de l'élection générale d'octobre 2022, au cours de laquelle la CAQ a formé le gouvernement avec un peu moins de 40% du vote et 90 députés sur 125, alors que le PQ, le PLQ et QS ont chacun recueilli à peu près 14% des voix ; mais à cause de la concentration de leur vote à Montréal, le PLQ a fait élire 21 députés, QS 11 députés, tandis que le PQ, dont le vote était réparti sur l'ensemble du territoire québécois, n'a récolté que 3 députés. Le Parti conservateur, de son côté, s'est vu attribuer environ 13% du vote, mais aucun député.

Le MDN fait donc la promotion du mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire, où la moitié des députés seraient élus avec le système actuel, tandis que l'autre moitié serait élue en fonction de l'appui accordé par les électeurs aux partis politiques. Le terme « compensatoire » signifie que l'appui des électeurs aux partis politiques compense les distorsions dont nous avons parlé plus haut. Cette méthode existe en Allemagne, en Écosse et en Nouvelle-Zélande et y est généralement très appréciée ; les partis y sont obligés de former des coalitions durables ce qui fait qu'il n'y a pas là-bas davantage d'élections que nous n'en connaissons au Québec et que les gouvernements y sont stables. Dans un tel système, les citoyens ont véritablement l'impression que leur voix compte et que leur point de vue est pris en considération.

Contrairement à ce que les opposants à la proportionnelle mettent de l'avant, il n'y aurait pas deux classes de députés (locaux et régionaux). En Écosse, par exemple, les députés locaux et régionaux ont la même obligation de défendre les citoyens et leurs intérêts ; avec ce mode de scrutin, la représentation régionale serait plus forte, plurielle et arc-en-ciel.

Au Québec, notre système électoral n'a jamais réellement conduit à une démocratie vraiment représentative, à cause de ses constantes distorsions. Quand Robert Bourassa, en 1973, avait recueilli environ 50% du vote exprimé, le résultat avait été l'élection de 102 députés libéraux sur 110. L'objectif démocratique poursuivi par le MDN serait, en regard de cette distorsion, que, lorsqu'un parti politique reçoit 50% du vote, il fasse élire, plus ou moins, 50% des députés.

Le MDN : souhaite que les politiciens (CAQ, PQ, QS, Parti vert) respectent leur parole donnée solennellement en 2018 (le PLQ n'avait pas voulu signer). Que tous les partis, même le PLQ, confiné depuis 2022 dans le West Island, se rendent compte que seule la proportionnelle mixte compensatoire peut leur permettre une représentation dans toutes les régions du Québec.

Mouvement pour la Suite du Monde

Nous désirons de plus vous rappeler que le Mouvement pour la Suite du Monde, auquel s'est joint le MDN, organisera de grandes marches à Montréal, Québec et dans d'autres villes, marches pour lesquelles nous sollicitons votre participation, le 27 septembre prochain. Voici à ce sujet le communiqué de presse du mouvement, publié le 29 août dernier. Vous trouverez également sur Facebook les détails sur ces différentes marches et manifestations. Au plaisir de vous y voir !

Le Mouvement pour la Suite du Monde revendique que cesse la prise de nombreuses décisions en déni de toute démocratie et qu'un véritable engagement soit pris par nos gouvernements pour faire face à la transition sociale et environnementale. Le site web est https://pourlasuitedumonde.ca/


Appuyez le Mouvement Démocratie Nouvelle !

Devenez membre du MDN et/ou contribuez en vue d'une plus juste démocratie !

La presse algérienne dénonce le score « soviétique » du Président Tebboune

15 septembre 2024, par MondAfrique — , ,
Le miracle s'est produit en ce jour de pluie et d'inondations sur la terre d'Algérie. Le président algérien sortant, Abdelmadjid Tebboune, a été réélu pour un deuxième mandat (…)

Le miracle s'est produit en ce jour de pluie et d'inondations sur la terre d'Algérie. Le président algérien sortant, Abdelmadjid Tebboune, a été réélu pour un deuxième mandat avec près de 95% des voix, a annoncé dimanche le président de l'Autorité nationale indépendante des élections (Anie). Sur un total de 5.630 millions de « votes enregistrés, 5.320 millions ont voté pour le candidat indépendant » Tebboune, « soit 94,65% des voix », a déclaré Mohamed Charfi. Le président de l'Anie n'a pas fourni de nouveaux chiffres sur le taux de participation, après avoir annoncé dans la nuit « un taux moyen de 48% à la fermeture des bureaux », samedi à 20h00 (19h00 GMT).

Tiré de MondAfrique.

Le score du Président sortant est contesté par de nombreux observateurs. Abdelmadjid Tebboune aurait été gratifié d'une « réélection » avec un taux à la soviétique, d'après un éditorial de Yacine K. dans Le Matin d'Algérie

N'en jetez pas plus. Tebboune (79 ans) voulait être réélu avec un score qui ferait pâlir Kim Jong-un, le voilà bien servi ! Donc, l'Algérie est repartie pour 5 ans avec un chef d'Etat jamais avare de grandes déclarations… sans lendemains.

En revanche, ses faiseurs de roi n'ont eu aucune pitié pour ses deux lièvres,Youcef Aouchiche (2,16%) et Abdelaali Hassani Cherif (3,17 %). Ils les ont pourvus de taux particulièrement ridicules. Ils auraient pu leur renvoyer l'ascenseur pour services rendus. Même pas… Comme quoi, il n'y a absolument rien à attendre de ce régime.

Tout indiquait que cette élection n'en serait jamais une. Avec un ministre de l'Intérieur, comme directeur de campagne du chef de l'Etat, fallait-il attendre autre chose ? Le régime a tout balisé depuis des mois. Répression tous azimuts, musellement des voix dissidentes, association des médias lourds et journaux dans une entreprise de manipulation à grande échelle pour faire avaler les potions les plus imbuvables que pouvaient imaginer les crânes d'oeuf de Tebboune.

Ensuite, il y a eu l'épisode des annonces des taux de participation hier par Mohamed Charfi. Le taux de participation a commencé modestement le matin avant de bondir dans l'après midi. Puis à 17h, les chiffres s'affolent dans la bouche de l'auguste président de l'ANIE. Ils passent sans coup férir de 26,45% à 48,03%. Et 19,57% pour la communauté nationale établie à l'étranger. Ces taux restent provisoires ce soir.

Et comme les réjouissances ne sont pas finies, demain, le taux de participation au niveau national franchira allègrement les 50%. Voilà qui confortera l'oncle Tebboune qui s'estimait mal élu en décembre 2019. Ainsi, il pourra poursuivra, sans retenue, son oeuvre d'immobilisme mortifère du pays.

Quant à ses deux lièvres, finis les plateaux télé, les sorties publiques… ils se feront oubliés dès demain pour leur formidable participation à cette parodie.

*Source : Le Matin d'Algérie

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Diviser pour mieux régner

Avez-vous remarqué que la CAQ a sans cesse recouru à un discours clivant pour gagner des votes durant la dernière élection ? Plusieurs fois pendant la campagne, nous avons (…)

Avez-vous remarqué que la CAQ a sans cesse recouru à un discours clivant pour gagner des votes durant la dernière élection ? Plusieurs fois pendant la campagne, nous avons entendu François Legault prétendre que Montréal, son apparente hantise, méprisait les résident·es de la ville de Québec et des régions en général. « Les gens de Montréal », comme il les appelle, en donnant l'impression qu'il s'agit d'étranger·es. Au lendemain des élections, la carte électorale semblait néanmoins rendre compte de cette segmentation politique selon le lieu d'habitation.

Il serait alors tentant de croire que cette opposition entre Montréal et le reste du Québec se reflète réellement dans les valeurs politiques des électeurs et électrices. Plusieurs grands médias ont également relayé ce constat au lendemain des élections. Plus on le dit, plus ça existe. Ce type de discours est une stratégie qui impose une vision qui ne reflète pas la réalité et alimente les clivages, la marginalisation de certaines pensées et les préjugés.

Pendant la campagne, ce discours s'est aussi fait entendre lors de nombreuses prises de parole de la part de plusieurs partis au sujet de l'immigration. La venue de nouveaux et nouvelles arrivant·es sur le territoire a souvent été présentée comme une menace à la cohésion sociale et à la survie de la nation. Même le ministre sortant responsable de l'immigration a tenu des propos révoltants sur les personnes immigrantes, en suggérant qu'elles ne souhaitent ni s'intégrer ni travailler ou parler français. Il y a longtemps qu'une campagne électorale québécoise avait donné dans les attaques aussi gratuites et violentes à l'endroit de personnes qui ont d'abord et avant tout besoin de notre accueil et de notre soutien.

Aucune région du Québec n'est un bloc monolithique. À Montréal, le Parti conservateur du Québec est arrivé deuxième ou troisième dans dix circonscriptions. Ailleurs au Québec, Québec solidaire a fait des gains importants en termes de pourcentage de votes dans plusieurs régions, obtenant le deuxième ou troisième rang dans plusieurs circonscriptions. L'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS) a d'ailleurs démontré que les questions identitaires comme l'immigration, la langue ou la laïcité orientent peu le choix électoral des électeur·rices. Associer des courants politiques à des régions du Québec en se basant uniquement sur le résultat du vote est une forme de raccourci intellectuel. Les forces progressistes sont actives partout au Québec, bien que le résultat des élections tende à le masquer.

Ne nous laissons pas piéger par une interprétation du vote de la dernière élection qui simplifie les enjeux. Il sera essentiel de nous concentrer sur les attaques contre le filet social qui nous attendent avec le gouvernement caquiste. Sans oublier les projets néfastes dont il faudra se défendre, son capitalisme vert entre autres. Peu importe où on habite au Québec, de l'Abitibi à la Gaspésie en passant par les grandes villes, il faudra compter sur la force des mouvements sociaux, sur leurs capacités à s'organiser et résister, pour former une véritable opposition au gouvernement hors des partis politiques.

Comme média indépendant de gauche, À bâbord ! en appelle à ne pas se laisser contaminer par une politique partisane qui cherche à diviser pour mieux régner. Ne perdons pas de vue que ce qui nous unit est plus important que ce qui semble parfois nous séparer. Une grande force progressiste existe toujours au Québec et œuvre quotidiennement, dans ses mouvements sociaux, dans ses syndicats, dans ses organismes communautaires, à protéger les acquis et à améliorer les conditions de vie de tou·tes dans une visée de réelle justice sociale et environnementale.

Sommaire du numéro 94

15 septembre 2024
Pour vous procurer une copie papier de ce numéro, rendez-vous sur le site des Libraires ou consultez la liste de nos points de vente. Sortie des cales On en est rendu à (…)

Pour vous procurer une copie papier de ce numéro, rendez-vous sur le site des Libraires ou consultez la liste de nos points de vente.

Sortie des cales

On en est rendu à argumenter sur La Petite Sirène… / Jade Almeida

Mémoire des luttes

Direct Action : Une expérience radicale / Alexis Lafleur-Paiement et Mélissa Miller

Élections provinciales

Oser prendre toute la place à gauche / Benoit Renaud

Une hégémonie de longue durée ? / Philippe Boudreau

Regards féministes

Pour une relance féministe, verte et juste / Kharoll-Ann Souffrant

Analyse du discours

Comment rendre l'extrême droite présentable / Claude Vaillancourt

Économie

Tous égaux face à l'inflation ? / Julia Posca

Environnement

Résister et fleurir dans Hochelaga / Estelle Grandbois-Bernard

Société

Aider, mais pas n'importe comment ! / Jérémie Lamarche

Éducation

CAQ : Cette priorité prioritaire qui se cherchait une crise à résoudre / Wilfried Cordeau

Culture numérique

Facebook : la tyrannie de la popularité / Yannick Delbecque

Environnement

Le pétrole au secours de l'écologie / David Beauchamp

Mini-Dossier : Nommer pour mieux exister

Coordonné par Isabelle Bouchard, Elisabeth Doyon et Miriam Hatabi

Apprendre à nous écrire / Entrevue avec Magali Guilbault Fitzbay / Propos recueillis par Isabelle Bouchard

Toponymie autochtone - la racine des cultures / Adam Archambault

Bilinguisme officiel, traduction et langues autochtones / René Lemieux

Les food trucks, de Galarneau aux bobos / Pascal Brissette et Julien Vallières

La langue is never about la langue / Arianne Des Rochers

Dossier : Financiarisationdu logement. Champ libre au privé

Coordonné par Francis Dolan et Claude Vaillancourt

Photos par Rémi Leroux

Que signifie la financiarisation du logement ? / Louis Gaudreau

Prolifération des condos, densification et exclusion / Marc-André Houle

Les gouvernements ont affaibli le filet social / Véronique Laflamme

Locataires, on se mobilise ! / Martin Blanchard

Au cœur d'une crise excentrée / Cédric Dussault

Pas de plan Marshall en vue, les locataires prennent la rue ! / Comité d'action de Parc-Extension

Un travail invisible et essentiel / Marie-Ève Desroches

Mainmise sur les terrains publics : Sevrer la bête / Karine Triollet, Margot Silvestro et Francis Dolan

La campagne pour le Right to Counsel à New York / Marcos Ancelovici

Culture

Recensions

À tout prendre ! / Ramon Vitesse

Couverture : Rémi Leroux

On est rendu à argumenter sur La petite sirène...

15 septembre 2024, par Jade Almeida — , , ,
En juillet 2020, on annonce que le rôle iconique de la petite sirène sera interprété par la chanteuse afro-américaine Halle Bailey : c'est le scandale sur les réseaux sociaux. (…)

En juillet 2020, on annonce que le rôle iconique de la petite sirène sera interprété par la chanteuse afro-américaine Halle Bailey : c'est le scandale sur les réseaux sociaux. Une analyse du débat en ligne à travers le concept de « racebending » s'avère nécessaire.

Ariel est une princesse qui vit sous l'océan, fascinée par le monde des humains, elle rêve de « partir là-bas » un jour. Elle nage souvent jusqu'à la surface et finit même par tomber amoureuse d'un humain. Lorsque son secret est découvert, et face à la colère de son père, elle passe un pacte avec une femme mi-octopus, Ursula, pour échanger sa queue de poisson contre des jambes. Tout ici fait donc appel à l'imagination. Après tout, son meilleur ami, jaune et bleu, s'appelle Polochon, et un goéland lui vient en aide pour que le prince Éric l'aime en retour.

Pour autant, dès l'annonce du casting de Halle en juillet 2020, internet explose. Dans les heures qui suivent, le mot-clic #NotMyAriel (#PasMonAriel) est en trending mondial sur Twitter, tandis que des adultes d'âge mûr se filment en train de mettre à la poubelle ou de mettre le feu à leur DVD de La Petite Sirène. Iels affirment qu'Ariel ne peut pas être incarnée par une jeune femme noire (parce que, bien évidemment, c'est de cela qu'il s'agit) et voilà que les détracteur·trices s'accaparent des termes comme « appropriation culturelle », « effacement de l'héritage », certain·es allant plaider une attaque envers la culture européenne.

Internet ayant la mémoire courte, le débat s'apaise. Mais voilà, en septembre 2022, un premier extrait de la bande-annonce est rendu public et le hashtag #notmyariel repart de plus belle. Des semaines plus tard et nous en sommes encore à argumenter pour défendre le casting d'une princesse mi-poisson qui chante « sous l'océan ». Et par nous, j'entends la communauté noire, mais aussi pas mal d'autres communautés racisées, malheureusement habituées à subir les flammes de la suprématie blanche.

Ces cris d'orfraie, qui sonnent aussi faux qu'Eurêka sous la pleine lune, témoignent en réalité d'une incompréhension fondamentale de la différence entre « whitewashing » et « racebending » et, de manière plus générale, d'une incompréhension de ce qu'est l'appropriation culturelle ainsi que d'un total refus de comprendre le racisme systémique.

Whitewashing, racebending

Le « whitewashing » ou blanchiment est le fait d'utiliser des acteur·rices blanc·hes pour jouer le rôle de personnages racisés. L'histoire cinématographique états-unienne en est jonchée d'exemples : pensez, John Wayne pour Genghis Khan, Rooney Mara pour la « princesse indienne » de Peter Pan, Tilda Swinton pour Yao alias l'Ancien de Dr. Strange, quasiment tout le casting d'Avatar : le dernier maître de l'air, le film Gods of Egypt, et j'en passe des plus ridicules… Certains de ces rôles étaient d'ailleurs joués de sorte à se moquer de la communauté dépeinte (c'est le cas avec Mickey Rooney qui caricature un personnage supposé être japonais dans Petit déjeuner chez Tiffany), mais elle est d'autant plus dommageable lorsqu'on prend en compte le faible nombre de personnages racisées offerts dans les médias. Ainsi, les opportunités de casting pour les acteur·rices racisé·es sont risibles comparativement à leurs collègues blanc·hes, et si des changements s'opèrent très récemment, on reste extrêmement loin de l'historique d'opportunités et de représentations offertes au public blanc depuis l'invention du cinéma.

De l'autre côté, nous avons le « racebending », qui consiste à changer l'appartenance raciale d'un personnage. Alors que « whitewashing » consiste à choisir une personne blanche pour incarner une personne racisée, le « racebending » consiste à changer l'appartenance raciale d'un personnage, lorsque cette appartenance n'a pas de lien avec l'histoire, et choisir un·e acteur·rice racisé·e pour l'incarner. Les occasions de « racebending » sont donc bien spécifiques. Par exemple, il est impossible de le faire avec Mulan. En dépit de toutes les libertés que le studio Disney a pris avec la Ballade de Mulan, livre sur lequel est basée le dessin animé, le fait que Mulan soit chinoise reste au cœur de ses motivations. Toute l'histoire est modelée par le fait qu'elle se déroule en Chine et par son appartenance à ce territoire. Mulan prend les armes pour défendre la Chine contre une invasion extérieure, après tout. Black Panther est supposé être un roi d'un territoire en Afrique, isolé du reste du monde. Dans ce contexte, il ne peut être joué que par une personne noire pour que l'histoire ait du sens. Ainsi, l'appartenance raciale et ethnique de ces personnages est profondément liée à leur raison d'être.

Racebending et culture populaire

Au contraire, Spiderman n'a pas une appartenance raciale particulière par rapport à son histoire, il offre donc une possibilité de « racebending », ce que bon nombre de fans ont déjà souligné. Après tout, c'est l'histoire d'un jeune homme qui vit avec ses grands-parents dans un quartier défavorisé, dont un membre de sa famille est tué par arme à feu en pleine rue, un meurtre que la police échoue à élucider. En faire un personnage noir, dans ce contexte, offre une dimension de critique sociale, voire une profondeur supplémentaire à la trajectoire du héros. Autre exemple : récemment, un·e utilisateur·rice d'un forum en ligne argumentait que Wolverine pourrait être interprété par une personne autochtone. Il s'agit d'un personnage qui a subi la torture du gouvernement canadien, à qui on a délibérément effacé les souvenirs et qui a été maintenu captif, instrumentalisé puis qu'on a tenté de détruire. Au regard de l'histoire coloniale du pays, le fait d'avoir un personnage dont on a effacé la mémoire pour le contrôler pourrait symboliser les tentatives de génocide. C'est le genre de pratique qui rentre dans la définition du « racebending ».

En ce qui concerne Ariel, plusieurs détracteurs ont déclaré que le conte originel était danois et que, par conséquent, il s'agissait d'appropriation culturelle. Bien essayé, mais non. Tout d'abord, le conte originel de La Petite Sirène est certes un texte danois, mais il s'agit d'un récit bien différent de la version Disney. Résumé rapidement, la princesse se suicide à la fin et son âme se voit condamnée à 100 ans de servitude. On est très loin du concert sous la mer et du mariage sur le bateau. Il est donc tout à fait hypocrite de vouloir défendre la version originale quand personne n'a levé un sourcil en 1989 et qu'aucune critique n'était faite dans l'annonce de la version live avant le casting de Halle.

De plus, certes le conte est danois, mais Ariel n'a absolument rien à voir avec la culture danoise, elle n'est pas codée comme telle, ni dans la version originale et encore moins dans celle de Disney. À l'inverse, regarder Mulan sans comprendre qu'elle est chinoise est impossible. Et, bien évidemment, des personnes danoises noires, cela existe, mais si on commence à vouloir faire dans la finesse, on va en perdre beaucoup. Enfin, le « racebending » est aussi une critique du traitement de la blanchité comme associée à la neutralité dans les médias. Il est intéressant de remarquer qu'on a souvent fait le choix d'un·e acteur·rice blanc·he pour incarner un personnage racisé, mais qu'on refuse qu'une personne racisée puisse incarner la blanchité. Bien qu'on n'essaie pas de faire passer Ariel pour une femme blanche dans le cas qui nous occupe, ces dynamiques sont tout de même à considérer.

Potentiels symboliques

Bien qu'il s'agisse d'un film Disney, et donc les attentes sont à modérer, le spin d'en faire une princesse noire offre une dimension intéressante à l'histoire. Comme je l'ai vu passer à plusieurs reprises sur Twitter, vu le nombre d'Africain·es jeté·es à l'eau durant le commerce esclavagiste, l'idée qu'un peuple noir se serait développé sous l'océan est presque touchant à imaginer. Et j'ai bien conscience que ma chronique a pris un tournant drastique très vite, mais n'oublions pas que ma chronique s'intitule « Sortie des cales », les cales du navire négrier, ces funestes bateaux dont les « pertes » se trouvent au fond de l'océan. Si Ariel doit être une princesse de ce royaume, qu'elle soit noire.

Illustration : Ak Rockefeller (CC BY 2.0)

6603 résultat(s).
Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

gauche.media

Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

En savoir plus

Membres