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L’invasion des terriens
L'expression "Terra nullius", vous connaissez ? Il s'agit d'une locution latine qui signifie : "territoire de personne" ou encore : "terre inhabitée". Elle apparaît pour la première fois dans une bulle papale de 1095. Elle a par la suite légitimé l'injustifiable : la prise de possession de territoires par les puissances coloniales européennes.
En effet, cette définition, même inconstante dans le temps, a servi à justifier l'appropriation de territoires dont les habitants, jugés primitifs et négligeables parce qu'ils ne disposaient pas d'une organisation étatique, étaient vus comme quantité négligeable ; des inférieurs en quelque sorte. Ce fut le cas dans dans les Amériques, en Afrique et une partie de l'Asie et même en Europe (les territoires balkaniques, dont une partie était peuplée de chrétiens non catholiques). À cette époque, il revenait au pape de trancher sur la définition de ces "territoires sans maître".
De nos jours, on interprète cette notion de façon plus modérée. L'actuel droit internationale considère comme Terra nullius une région sur laquelle aucun État n'a exercé sa souveraineté ou qui a renoncé à celle-ci formellement. Inutile de préciser que ces zones sont rarissimes. L'acquisition d'un territoire ne peut désormais se réaliser ni sur simple déclaration de souveraineté ni par un acte symbolique.
On peut citer sommairement le continent Antarctique qui constitue par voie de traité une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science, plus quelques minuscules territoires (comme le rocher de Rockall, à l'ouest de l'Écosse).
Si on transpose la notion de Terra nullius à l'espace interplanétaire, elle convient parfaitement à première vue puisque les astres voisins du nôtre ne semblent pas abriter des formes de vie, du moins évoluées. Dans un traité de l'espace signé le 27 janvier 1967, l'article 2 interdisait toute appropriation nationale d'une planète ou d'une partie d'un astre par proclamation de souveraineté. Lors de la conquête de la lune deux ans plus tard, les États-Unis déclaraient solennellement que notre satellite appartenait à toute l'humanité et qu'ils n'avaient pas l'intention de l'annexer.
Mais on peut maintenant se demander combien de temps encore se maintiendra cette bonne volonté. Au printemps 2020, le président en poste Donald Trump annonçait que les États-Unis devraient disposer du "droit de s'engager dans l'exploration commerciale, la récupération et l'utilisation des ressources dans l'espace extra-atmosphérique conformément au droit applicable. L'espace extra-atmosphérique est un domaine de l'activité humaine sur le plan juridique et physique, et les États-Unis ne le considèrent pas comme un bien commun mondial".
Voilà le grand danger qui guette l'espace et aussi, par ricochet, l'humanité, dans la mesure où nos sociétés productivistes risquent d'y transporter leurs conflits commerciaux, économiques et même militaires.
À mesure que les ressources naturelles terrestres se raréfient vu leur exploitation effrénée, que la pollution continuera d'augmenter, la tentation sera forte (et sans doute irrésistible) d'aller piller les ressources manières éventuellement présentes sur certaines planètes voisines. D'où l'urgence d'un autre traité dans la foulée de celui de 1967 visant à renforcer la protection des autres planètes des convoitises nationales terrestres, à la fois publiques et privées.
On s'interroge beaucoup sur les OVNIS que plusieurs témoins pensent avoir observés ; mais s'il y avait des habitants intelligents sur Mars, Ganymède, Encelade ou Europe, ils verraient nos vaisseaux spatiaux foncer chez eux. Contrairement aux élusifs OVNIS chez nous, les nouveaux venus, eux, ne se cacheraient pas et ils iraient droit au but : l'établissement sans vergogne d'un régime colonial.
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Jean-François Delisle

Lancement de la 4e Édition d’En juin, je lis autochtone : « Pas de panique, mange ta bannique et lis un livre autochtone »

Wendake, le 30 mai 2024 - Afin de souligner le Mois national de l'histoire autochtone, la campagne En juin, je lis autochtone revient pour une 4e édition. Sous le thème « Pas de panique, mange ta bannique et lis un livre autochtone », plus de 75 librairies et 165 bibliothèques du Québec participeront à l'initiative.
Pour l'occasion, l'organisme Je lis autochtone invite les lecteurs et les lectrices à se rendre dans l'une des succursales participantes afin de se procurer un livre écrit par un auteur ou une autrice autochtone et découvrir toute la diversité que la littérature autochtone a à offrir.
À ce sujet, la porte-parole de l'édition 2024, Natasha Kanapé Fontaine, décrit la littérature autochtone comme suit : « Elle est héritière des traditions orales, des cultures ancestrales, mais elle est aussi pleine des réalités d'aujourd'hui et aborde une foule de sujets. Il y a de la science-fiction, des bandes dessinées, de la littérature jeunesse. Il y a tout plein de livres pour ouvrir notre esprit. »
Pour rendre l'expérience plus immersive, un mélange de bannique, un pain traditionnel autochtone, ainsi que le nouveau cahier thématique annuel de Je lis autochtone seront remis gratuitement à l'achat d'un livre des Premiers Peuples. Le cahier thématique permet de découvrir toutes les nouveautés livresques autochtones, des entrevues exclusives, une nouvelle inédite et des recommandations littéraires et musicales.
La programmation de l'événement est disponible sur le site Web de l'organisme
(jelisautochtone.ca). Plusieurs activités avec des auteurs et des autrices auront lieu tout au long du mois dans plusieurs librairies et bibliothèques de la province.
Je lis autochtone met aussi en vente des sacs réutilisables au coût de 20 $. Pour chaque sac vendu, l'organisme remettra un livre à un.e jeune d'une communauté autochtone du Québec.
Rappelons que l'initiative a d'abord été lancée, en 2021, par la Librairie Hannenorak située à Wendake. Vu l'intérêt grandissant, le projet s'est développé pour devenir un organisme à but non lucratif qui a pour mission de faire découvrir la littérature autochtone, mais aussi de rendre les livres plus accessibles dans les communautés des Premières Nations et y augmenter la littératie.
Pour tout connaître sur la campagne, visiter le jelisautochtone.ca ainsi que les pages Facebook et Instagram de l'organisme.
À propos de Natasha Kanapé Fontaine :
Natasha Kanapé Fontaine est une autrice, poète et artiste interdisciplinaire innu, de la communauté de Pessamit, sur le Nitassinan (Côte-Nord, Québec). Ses œuvres poétiques, son roman, son recueil de nouvelles et ses essais sont reconnus et salués par la critique, voyagent dans le monde, traduits en plusieurs langues et sont à l'étude à plusieurs niveaux dans les écoles du Québec et d'ailleurs.
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« La question nationale, une question sociale » de Michel Roche Un livre majeur

« L'indépendance n'est ni à gauche ni à droite, elle est en avant ». Cette phrase de Bernard Landry, on l'entend fréquemment de la bouche de péquistes souvent bien intentionnés mais un brin allergiques à toute critique de leur parti.
Germain Dallaire
Pourtant, l'histoire même du PQ démontre que cette phrase est fausse. Les deux référendums de 1980 et 1995 ont été menés par des gouvernements péquistes clairement de centre gauche. Dans les deux cas mais plus particulièrement en 1995, le ralliement des groupes populaires et syndicaux au camp du Oui ont joué un rôle majeur.
Gouvernements de centre gauche ? Démystifions un peu les choses. La révolution tranquille a été le point de départ de deux décennies de décisions gouvernementales volontaristes allant dans le sens d'une intervention accrue de l'État dans l'économie et le développement de programmes sociaux. Toutes ces réalisations s'inscrivaient dans une logique de développement du bien commun profitable à tou(te)s. C'était à proprement parler du « nation building" et c'est loin d'être un hasard si, parallèlement à ce processus, s'est développé un nationalisme toujours plus affirmé nourrissant une aspiration croissante à l'indépendance. En fait, ce à quoi les gens sont attachés c'est à un État qui a pour objectif le bien commun et favorise l'unité et la solidarité entre les membres de la société. C'est ce qu'on caractérise comme étant de centre gauche et qui est pour l'essentiel la réalisation au Québec d'un État providence plus affirmé qu'ailleurs compte tenu de notre fragilité. On peut dire qu'une des manifestations récentes de cet attachement des Québécois(es) à une telle orientation gouvernementale est son appui aux employé(e)s du secteur public lors des dernières négociations.
Dans un ouvrage au titre évocateur (la question nationale, une question sociale), le professeur Michel Roche établit un lien direct entre politiques sociales et nationalisme. Les politiques sociales créent de la solidarité entre les membres d'une nation, ce faisant elles favorisent le sentiment national. Dans un pays en devenir comme le Québec, cela signifie une montée de l'indépendantisme.
Pour étayer sa démonstration, Michel Roche a fait un patient travail d'archive puisqu'il fait l'analyse de l'action des gouvernements fédéraux et provinciaux depuis l'instauration de l'État providence dans la foulée du New deal de Roosevelt à la sortie de la deuxième guerre mondiale. Dans l'histoire des relations entre les gouvernements fédéraux et québécois de cette longue période, il est possible de distinguer trois épisodes :
1- De 1945 à 1960, les gouvernements fédéraux successifs sont les maîtres d'œuvre de l'État Providence. Le Québec sous Duplessis se caractérise par un conservatisme social important ce qui l'amène à dénoncer les ingérences du fédéral même pour des initiatives favorables à la population.
2- La révolution tranquille se caractérise par une inversion des rôles. C'est le Québec qui prend l'initiative de façon spectaculaire avec la nationalisation de la majorité des barrages hydroélectriques décidée à la suite de la seule élection référendaire de notre histoire. Cette nationalisation est un geste par excellence de solidarité sociale puisqu'elle a été explicitement réalisée pour favoriser les coûts d'électricité les plus bas possibles pour l'ensemble des Québécois(e)s. Elle a inaugurée une longue suite de réformes (création des ministères de l'éducation et de la santé, assurance-maladie, créations de sociétés d'État, etc, etc.. la liste est longue) allant toutes dans le même sens d'une prise en main collective au bénéfice de l'ensemble des Québécois(e)s. Résultat : un sentiment fort de destin commun, une solidarité croissante, un nationalisme atteignant des zéniths et la nécessité de l'indépendance qui s'impose.
3- Arrive les années 80 avec l'échec référendaire et, l'année suivante, un gouvernement Lévesque qui se retourne contre ses alliés du secteur public. La chape de plomb du néolibéralisme s'installe progressivement avec les premiers traités de libre-échange qui ouvrent à la marchandisation de toute chose. C'est le début des baisses d'impôt et du démantèlement de l'État. Le PQ se convertit au libre-échange et le gouvernement libéral de Robert Bourassa parle d'État Provigo. Même une partie de la gauche se rallie en parlant d'alter-mondialisation. Le gouvernement fédéral est à l'offensive avec le rapatriement unilatéral de la constitution et les premières privatisations sous Mulroney.
Son néolibéralisme affirmé ne lui permet cependant pas d'envahir le champ des politiques sociales. Les leaders indépendantistes se déchirent avant de reprendre la main. Les échecs de Meech et Charlottetown les galvanise et conduit au référendum volé de 1995.
La suite de l'histoire s'apparente à un effondrement. Lucien Bouchard devient premier ministre et, prenant exemple sur René Levesque, se retourne contre ses alliés en imposant des coupures drastiques. Ces coupures sont une conséquence directe des actions d'un gouvernement fédéral paniqué par les résultats référendaires. En plus d'inonder le Québec de publicité (programme des commandites), Ottawa coupe de 33% ses transferts en santé obligeant le Québec à diminuer les services. Plus catholique que le pape, le gouvernement Bouchard réduit de 6% le budget de l'État en 1996 et 1997. Au gouvernement québécois le rôle ingrat ; au fédéral, le rôle de Père Noël. Le déficit zéro, présenté aux indépendantistes par Lucien Bouchard comme la condition gagnante d'un référendum à venir, est la démonstration parfaite qu'indépendance et néolibéralisme sont tout simplement antagonistes. Appliqués avec d'autant plus de vigueur que Bouchard y avait rallié les alliés du camp du Oui, ces politiques ont conduit à une grogne populaire et à l'effondrement du leadership indépendantiste. La condition gagnante s'est avérée être une condition perdante.
En symbiose avec la politique fédérale d'envahissement des compétences provinciales, le gouvernement Charest (2003-2012) poursuit le travail de démantèlement de l'État québécois bien entamé sous Lucien Bouchard. Profitant d'un ministre des finances qui s'est époumoné à dénoncer le déséquilibre fiscal (Yves Séguin), Jean Charest se permet même de convertir en baisses d'impôt le 700 millions accordé en 2007 par Stephan Harper. Néolibéralisme, quand tu nous tiens ! En 2013, une étude de l'Institut de Recherches en Économie Contemporaine (IREC) révélait qu'en appliquant le régime fiscal de 1997, le gouvernement québécois aurait obtenu 8,4 milliards de plus en financement…
L'arrivée du gouvernement de Justin Trudeau au pouvoir en 2015 allait marquer une accélération dans l'intrusion du fédéral. On se souvient qu'à l'époque Trudeau, sur l'obsession du déficit, défendait une position plus progressiste que le NDP. C'est ce qu'il a mis en application en envahissant les champs de compétence du Québec. Récemment, il l'a fait sur la question du logement mais surtout en instituant une assurance-dentaire pour les personnes âgées, une assurance bien populaire au Québec…
Pendant ce temps au Québec, c'est « back to the future » avec un gouvernement caquiste qui fait de l'aide aux entreprises le pivot de son action. Élu sur un discours nationaliste qui a vite montré ses limites, ce gouvernement en est réduit à protester contre les empiètements du fédéral et cela, même concernant des initiatives profitables à la population. Son attitude ressemble à s'y méprendre à celle du gouvernement Duplessis. La boucle serait-elle bouclée ? Serions-nous en fin de cycle… mûrs pour une nouvelle révolution peut-être pas si tranquille qui donne toute sa place à un État québécois indépendant soucieux en priorité du bien commun. C'est tout le bien qu'on se souhaite.
Le livre de Michel Roche ne se contente pas d'analyser l'évolution du Québec des 80 dernières années ce qui serait déjà beaucoup. Il embrasse beaucoup plus large dès le début en retournant aux écrits de Karl Marx sur le nationalisme. Il montre que ce dernier était loin d'y être hostile et le voyait comme une étape non suffisante mais parfois essentielle dans la prise en mains par les peuples de leur destin. On est loin de la vision réductrice de la répétition un peu mécanique du fameux « prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Comme dirait l'autre : encore faut-il avoir un pays. Marx l'avait bien compris.
Je termine en signalant une autre contribution importante du livre de Michel Roche qui consiste à analyser les cas écossais et catalans en démontrant le lien entre nationalisme et politiques sociales. Dans ces deux derniers cas, la relation joue à l'inverse tout simplement parce que ce sont les instances « fédérales » qui exercent le pouvoir exclusif en matière de protection sociale. C'est ainsi que Michel Roche montre sur un temps long que les épisodes de montées d'aspiration à l'indépendance dans ces deux pays en devenir sont directement liées à des coupures dans la protection sociale par le gouvernement central.
En ces temps où le néolibéralisme montre de sérieux signes l'essoufflement, le livre de Michel Roche est une contribution majeure dans les débats sociaux et politiques québécois. Que tous les indépendantistes en prennent bonne note : la réalisation de l'indépendance implique le retour en force du « commun". C'est ce que les pionniers indépendantistes avaient compris.
« La question nationale, une question sociale » Essai sur la crise du mouvement indépendantiste québécois, Michel Roche, Éditions Liber
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« Nous avons besoin des Éditions sociales, les Éditions sociales ont besoin de nous ! »

TRIBUNE. Des universitaires et auteurs appellent à soutenir financièrement cette maison d'édition historique, associée à La Dispute, qui a su préserver son indépendance au milieu de grands groupes capitalistes.
Tiré du site du CADTM. Photo : Malediction_Wolf, Pixabay, CC
Comme d'autres espaces indépendants où se construit une pensée critique, les Éditions sociales (ES) traversent actuellement une période difficile. Longtemps liées au Parti communiste français, les ES ont été l'un des éditeurs politiques majeurs du XXe siècle. Elles ont aussi bien diffusé des outils de formation militante que l'œuvre de Marx et d'Engels, la première anthologie de textes de Gramsci en français, le travail de grands historiens marxistes, ou encore, avec une collection sans équivalent comme « les classiques du peuple », à faire connaître à un public large des œuvres marquantes du patrimoine littéraire et intellectuel.
Depuis 2018, les ES ont renouvelé et élargi leur équipe éditoriale et redéployé leur activité.

Une nouvelle vie a commencé pour les ES à la fin des années 1990, après de rudes batailles pour leur indépendance politique et leur autonomie économique. La pensée de Marx et d'Engels sert toujours de boussole mais elle est désormais travaillée sans exclusive théorique ou politique, et en réunissant différentes sensibilités intellectuelles. Depuis 2018, les ES ont renouvelé et élargi leur équipe éditoriale et redéployé leur activité. En lançant de nouvelles collections, comme la collection de petits livres de pédagogie « Découvrir » et en redynamisant d'ambitieux projets, tels que la GEME (Grande Édition Marx-Engels) qui vise à publier l'ensemble des textes de Marx et d'Engels dans de nouvelles traductions à partir de l'édition de référence allemande, les Éditions sociales visent à transmettre une histoire et des expériences issues du mouvement ouvrier et à ouvrir à la diversité des débats des marxismes contemporains.
Pour nous qui sommes intéressé⋅es ou impliqué⋅es dans ces débats, les ES sont un espace irremplaçable, un bien commun pour toutes celles et ceux qui veulent comprendre la marche du monde. Car il ne s'agit nullement de conserver un héritage comme des antiquités précieuses dans un musée, mais, au contraire, de forger des outils pour penser au présent le travail, les rapports de domination, l'écologie et les oppressions racistes ou sexistes, dans la perspective de leur dépassement, donc de l'émancipation.

C'est pourquoi nous appelons à soutenir les Éditions sociales, en participant à la campagne de dons et en faisant connaître le plus largement possible leur travail éditorial et leurs publications.

Signataires
Bruno Amable, Économiste
Éric Aunoble, historien
Étienne Balibar, Philosophe, Université de Paris-Nanterre
Laurent Baronian, Économiste, enseignant-chercheur au CEPN
Jean Batou, Historien, auteur
Philippe Bazin, Artiste
Marc Belissa, Maître de conférences émérite Paris Nanterre
Judith Bernard, Enseignante et metteuse en scène
Vincent Berthelier, Maître de conférence en littérature
Alain Bertho, Professeur émérite d'Anthropologie
Michel Biard, Historien
Jacques Bidet, Philosophe
Alexia Blin, Directrice de coll
Patrick Bobulesco, Libraire du Point du Jour
Stéphane Bonnéry, Professeur en sciences de l'éducation à l'Université Paris-VIII
Saliha Boussedra, Docteure en philosophie
Sebastian Budgen, Directeur éditorial Verso Books
Antony Burlaud, Directeur de collection
Juan Sebastian Carbonell Gerpisa, École Normale Supérieure Paris-Saclay, IDHES
Yves Clot, Professeur émérite en psychologie du travail au CNAM,
Annick Coupé, Syndicaliste et altermondialiste
Pierre Cours-Salies, Sociologue
Thomas Coutrot, Économiste
Alexis Cukier Philosophe, auteur
Laurence De Cock, Historienne
Pauline Delage, Sociologue
Thierry Discepolo, Éditeur Agone
Étienne Douat, Sociologue
Yohann Douet, Directeur de coll, auteur, docteur en philosophie
Laurent Douzou, Historien
Jean-Numa Ducange, Professeur des Universités, historien, membre de la GEME
Cédric Durand, Économiste
Anaïs Enjalbert Riot, Éditions
Marouane Essadek, Enseignant
Jules Falquet, Département de philosophie, Université Paris 8 St Denis
Juliette Farjat, autrice, philosophe
Caroline Fayolles, Maîtresse de conférences en histoire
Franck Fischbach, Philosophe
Quentin Fondu, Directeur de collection
Guillaume Fondu, Directeur de collection
Clément Fradin, Traducteur, germaniste
Camille François, Sociologue
Tony Fraquelli, Syndicaliste CGT cheminot
Bernard Friot, Sociologue, auteur
Lise Gaignard, Psychanalyste
Davide Gallo Lassere, Philosophe
Isabelle Garo, Autrice et directrice de collection, enseignante en philosophie
Franck Gaudichaud, Auteur, historien
Olivier Gaudin, Enseignant et chercheur à l'École de la nature et du paysage, responsable éditorial des Cahiers de l'École de Blois
Vincent Gay, Sociologue
Romaric Godin, Économiste, journaliste Mediapart
Paul Guillibert, Philosophe
Florian Gulli, Professeur agrégé de philosophie
Stéphane Haber, Philosophe
Jean-Marie Harribey, ancien maître de conférences à l'Université de Bordeaux, HDR en sciences économiques.
Samuel Hayat, Chargé de recherche CNRS, Sciences Po
Laurent Hebenstreit, Fondateur des éditions Démopolis
Vincent Heimendinger, Directeur de collection
Liem Hoang Ngoc, Économiste
Chantal Jaquet, Philosophe
Anne Jollet, Maîtresse de conférences Université de Poitiers, Coordonnatrice de la rédaction des Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique
Razmig Keucheyan, Sociologue
Pierre Khalfa, Économiste, Fondation Copernic
Aurore Koechlin, Sociologue
Stathis Kouvélakis, Philosophe, auteur
Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire
Jean Jacques Lecercle, Professeur honoraire des universités
Marion Leclair, Directrice de collection, Maîtresse de conférence en civilisation britannique
Vincent Legeay, Maître de conférences en philosophie
Simon Lemoine, Philosophe, chercheur indépendant
Frédéric Lordon, Philosophe
Michael Lowy, Sociologue, philosophe, auteur
Sandra Lucbert, Écrivaine
Christophe Magis, Sociologue des médias
Elsa Marcel, Avocate au barreau de Seine-Saint-Denis
Roger Martelli, Historien, auteur
Christiane Marty, Fondation Copernic, chercheuse
Frédéric Monferrand, Philosophe
Olivier Neveux, Professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre
Ugo Palheta, Sociologue, auteur
Stefano Palombarini, Maître de conférence en économie à l'Université Paris 8
Evelyne Payen-Variéras, Enseignante-chercheuse
Clément Petitjean, Sociologue
Dominique Plihon, Économiste, professeur émérite, Université Sorbonne Paris Nord
Allan Popelard, Enseignant et directeur de collection aux Éditions Amsterdam
Raphaël Porcherot, Docteur en sciences économiques et traducteur
Stefanie Prezioso, Professeure d'histoire politique et sociale de l'Europe au XXe siècle à la Faculté des Sciences sociales et politiques de l'Université de Lausanne
Stéfanie Prezioso, Historienne
Jean Quétier, Auteur des éditions sociales
Makan Rafatdjou, Architecte-urbaniste
Matthieu Renault, Professeur de philosophie, Université Toulouse – Jean Jaurès
Emmanuel Renault, Philosophe
Haude Rivoal, Sociologue
Gwendal Roblin, Doctorant en sociologie, GRESCO, Université de Poitiers
Daniel Rome, Enseignant retraité, militant altermondialiste
Lucie Rondeau du Noyer, Historienne
Grégory Salle, Chercheur en sciences sociales
Catherine Samary, Économiste altermondialiste
Raphaël Schneider, Fondateur de Hors-série
Guillaume Sibertin-Blanc, Philosophe
Maud Simonet, Sociologue au CNRS (IDHES)
Alexandra Sippel, Enseignante-chercheuse et traductrice
Omar Slaouti, Militant antiraciste
Daniel Tanuro Auteur écosocialiste
Jean Pierre Terrail, Sociologue, auteur
Eric Toussaint, Porte-parole CADTM international
Enzo Traverso, Historien
Mathieu Van Criekingen, Enseignant-chercheur en géographie et études urbaines, Université libre de Bruxelles
Bernard Vasseur, Philosophe
Françoise Verges, Politologue, militante décoloniale
Nicolas Vieillecazes, Éditeur aux éditions Amsterdam
Christiane Vollaire, Philosophe
Xavier Wrona, Riot Éditions
Karel Yon, Sociologue
La Fabrique éditions
Fondation Gabriel Péri
Les éditions Syllepse
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Occuper le monde : vers le plus grand mouvement international jamais connu ?

Des occupations partout. En quelque deux semaines, le mouvement étudiant lancé aux États-Unis s'est répandu dans le monde, prenant une ampleur encore inédite. Au point que la liste des universités mobilisées semble impossible à tenir : il y a eu, à l'heure où nous écrivons ces lignes, des occupations ou tentatives d'occupations dans des dizaines de pays, sur tous les continents (1). Et en Belgique, bien sûr, dorénavant dans toutes les grandes universités du pays : ULB et VUB, Gand, Anvers, Leuven, Liège, Louvain-la-Neuve.
Tiré de Gauche anticapitaliste
20 mai 204
Par David Lhotellier
Dans certains pays, les autorités tentent la méthode douce ; dans d'autres, elles répriment frontalement. Mais quelle que soit le degré de violence, les recettes sont les mêmes : faire passer les étudiant∙es pour une minorité radicalisée, et les accuser d'antisémitisme, voire de soutien au terrorisme.
La Palestine est-elle le nouveau Viêtnam ?
Le propre des mouvements de solidarité internationale, c'est qu'ils sont durs à lancer, étant donné la difficulté de s'intéresser à ce qui se passe à l'autre bout du globe (on aurait bien sûr aimé voir des mobilisations semblables pour soutenir les peuples ukrainien, iranien, syrien, yéménite, soudanais, congolais ou encore mapuches) ; mais qu'une fois démarrés, rien ne les arrête, et certainement pas les frontières. Jamais encore un mouvement ne s'était propagé aussi vite dans autant de pays : si l'on veut chercher une comparaison sensée, la seule qui vienne en tête concerne sans doute mai 1968, dont on oublie souvent qu'il a en réalité commencé le 22 mars, par une occupation en soutien à des étudiants arrêtés lors d'une manifestation contre la guerre au Viêtnam. Rares mais puissantes, ces déflagrations rappellent aux militant∙es révolutionnaires une vérité dont on pourrait, le reste du temps, douter : frapper et s'organiser ensemble, à l'échelle internationale, est tout à fait possible, et c'est certainement le seul moyen de faire vaciller une classe capitaliste qui, elle, n'a aucun mal à se jouer des frontières quand ça l'arrange.
Frapper et s'organiser ensemble, à l'échelle internationale, est tout à fait possible, et c'est certainement le seul moyen de faire vaciller une classe capitaliste qui, elle, n'a aucun mal à se jouer des frontières quand ça l'arrange.
Les étudiant∙es, généralement bien connecté∙es et souvent mobiles, ont toujours eu une longueur d'avance dans ce domaine. Mais pour créer des rapports de force plus puissants, il faut bien sûr des mobilisations plus larges : en 1968, ce sont effectivement les étudiant∙es qui ont lancé les premières étincelles, mais les victoires n'ont été arrachées que quand dix millions de travailleur∙ses se sont mis∙es en grève. Toutes proportions gardées, le mouvement aujourd'hui en cours présente des signes d'un tel effet d'entraînement : depuis octobre, les manifestations ont atteint des proportions gigantesques dans de nombreux pays, et les quartiers populaires sont fortement mobilisés contre un impérialisme qu'ils perçoivent (à raison) comme l'autre visage du racisme d'État auquel ils font face à domicile. Et dans le reste de la société, la colère qui couve comme des braises depuis sept mois se matérialise de plus en plus par des actions spontanées et inattendues, comme la grève de la VRT durant la prestation de la candidate israélienne à l'Eurovision. À quand une grève générale contre l'impérialisme ?
On en parle à l'AG
En attendant, les étudiant∙es occupent leurs universités. Et c'est déjà pas mal.
Certes, par rapport à une grève, la capacité d'une telle mobilisation à bloquer des flux financiers, et à faire pression sur telle ou telle entité en l'attaquant par le portefeuille, est assez limitée. Mais ce sont des mobilisations visibles, symboliquement fortes, et ce n'est pas rien, vu la dépendance d'Israël à son softpower et à ses soutiens diplomatiques. Et surtout, elles donnent aux occupant∙es un espace pour s'organiser – et du temps, là où le rapport de forces permet le blocage des cours et l'annulation des examens.
La question clef est alors de savoir si elles seront utilisées comme telles, si elles pourront être le point de chute d'un mouvement tourné vers l'extérieur, ou bien si elles se refermeront sur elles-mêmes, pensées comme une fin en soi et plus comme un outil de lutte. C'est ce qui a tué, entre autres, la mobilisation étudiante de 2018 en France, qui avait pris une forme comparable : alors que la moitié des universités du pays étaient bloquées, les manifestations se sont vidées et, progressivement, plus personne n'a vu d'intérêt à se joindre aux occupations en-dehors des personnes qui les habitaient de manière permanente. Et le gouvernement a finalement pu cueillir les dernier∙es d'entre elleux après avoir joué l'usure. Rester tourné∙es vers l'extérieur, ne pas voir l'occupation comme une fin en soi : voilà le mot d'ordre à garder en tête. Car il faut dire que la tentation est forte.
Il faut se figurer l'ambiance : ces lignes sont écrites dans la salle où ont lieu d'ordinaire les conseils d'administration de l'ULB, sur une immense table ovale. Le design, sobre et chic, est à des années-lumière de nos auditoires délabrés. Mais le lieu, désormais tapissé de drapeaux palestiniens et d'affiches reprenant des slogans décoloniaux, féministes ou révolutionnaires, a été converti en une salle d'étude silencieuse, où les étudiant∙es mobilisé∙es qui en ont besoin révisent leurs examens. Et, la nuit, elle sert de grand dortoir – les JAC ont installé leurs matelas au milieu, dans la découpe centrale de la table. Ailleurs dans le bâtiment, on trouve une chambre non-mixte, un garde-manger, une salle de prière pour les pratiquant∙es de diverses religions… et bien sûr l'auditoire dans lequel, tous les jours, se tiennent les assemblées générales, où se discutent aussi bien l'orientation stratégique du mouvement que l'organisation de la vie en communauté sur place.
Le double sens du mot « occupation » amène régulièrement à des situations étranges. Alors qu'il était jusque-là utilisé, dans de nombreux slogans, en référence à l'occupation des territoires palestiniens par l'État d'Israël, il est devenu en même un mot porteur d'émancipation, lorsqu'il fait référence à la forme prise par la lutte. À travers « l'occup' », les étudiant∙es se réapproprient un lieu qui a bien souvent été, pour elleux, un lieu de violence et de domination. La notion de propriété privée s'efface sans même qu'on le remarque : chacun∙e garde évidemment son téléphone, son sac de couchage et sa brosse à dents (autant de biens pour lesquels il y a une évidente notion de propriété d'usage), mais il ne viendrait à personne l'idée que le stock de pommes apporté par le voisin devrait appartenir à quelqu'un, ou que telle personne pourrait priver telle autre du droit de s'y servir, autre que la communauté des occupant∙es toute entière, réunie en assemblée générale, ou l'une de ses émanations. En nous obligeant à nous organiser nous-mêmes, l'occupation ouvre une parenthèse dans le capitalisme, et une fenêtre sur un possible après.
Il ne s'agit pas de faire croire que c'est un petit paradis. La pratique de la démocratie directe nécessite un long apprentissage, qui nous manque à tou∙tes cruellement : cela peut rendre les assemblées générales longues, les processus décisionnels peu efficaces, même si nous progressons un peu chaque jour. L'occupation constitue aussi un formidable lieu de libération de la parole, ce qui est salvateur, mais jette en même temps une lumière crue sur la souffrance et les oppressions qui traversent notre société – et qui ne s'arrêtent pas à nos murs, même si elles y sont activement combattues.
Ce mouvement a le potentiel d'obtenir une réelle victoire face à l'État d'Israël, en l'isolant grâce au boycott académique, culturel, diplomatique et économique
Pas facile tous les jours, mais indubitablement émancipatrice : l'occupation est une petite révolution. Et comme toutes les révolutions, elle se propage ou elle meurt. Ce mouvement a le potentiel d'obtenir une réelle victoire face à l'État d'Israël, en l'isolant grâce au boycott académique, culturel, diplomatique et économique ; et en même temps, de redessiner considérablement les rapports de forces et le savoir-faire militant dans tous les pays où il se déploie, en donnant un nouveau souffle aux organisations et aux perspectives révolutionnaires. De là à aboutir à une révolution mondiale, nous n'y sommes peut-être pas encore. Mais nous aurons au moins fait un petit pas de plus sur ce chemin vers un monde nouveau, où les frontières, l'impérialisme, le colonialisme, l'extrême droite et le génocide auront été renvoyés à leur place : dans les poubelles de l'Histoire.
Crédit photo : Université populaire de Bruxelles (Gauche anticapitaliste (CC BY-NC-SA 4.0)
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Notes
1. Une carte interactive des mobilisations est donnée dans cet article (en castillan) : https://www.elsaltodiario.com/palestina/universidades-salamanca-rioja-se-suman-300-acampadas-genocidio
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La fin de la croissance économique approche

Le réveil risque d'être brutal car le rêve de la croissance économique infinie s'évanouit. La chose est entendue maintenant aussi bien dans certains cercles hétérodoxes (pas tous hélas !) que dans ceux plus orthodoxes (pas beaucoup encore !). On fait le point ici sur deux séries de travaux qui rompent avec la doxa dominante qui tend à faire accroire à un capitalisme vert sous la dénomination d'une croissance verte.
Tiré d'À l'encontre.
1. Vers la postcroissance[1]
Un demi-siècle de capitalisme néolibéral a poussé à l'extrême les deux contradictions qui lui sont inhérentes : la dévalorisation de la condition du travail, pourtant seule source de la valeur, et la dégradation de la nature, les deux ensemble conditions de la richesse, selon les mots de William Petty et de Karl Marx[2]. Ces deux contradictions jumelées mènent à l'épuisement des gains de productivité du travail d'un côté et au réchauffement climatique et à l'épuisement de la biodiversité de l'autre. Les choses sont claires : poursuivre le rêve de l'accumulation infinie est une impasse. Au moins trois livres qui viennent d'être publiés remettent en question de nouvelle manière le dogme de la croissance économique éternelle.
Il faut donc prendre acte que le débat sur la post-croissance est posé. Sans tomber dans une chimère comme celle de la croissance verte ou dans une décroissance uniforme sans transition. Post-croissance a un sens s'il s'agit de sortir de la logique du capitalisme que la croissance sert : bannir le critère du taux de profit devient la priorité et non pas en finir avec l'indicateur PIB. C'est la croissance de ce dernier qui est une illusion, ce n'est pas le PIB lui-même qui donne la somme des revenus bruts annuels produits dans l'économie. Aussi, c'est le sous-titre du livre de l'économiste britannique du développement Tim Jackson, Post-croissance (Actes Sud, 2024) qui est important : Vivre après le capitalisme.
Une institution-clé doit être mise en œuvre pour amorcer ce passage : la planification écologique. Mais plusieurs conditions doivent être réunies. D'abord, l'instauration d'un débat démocratique pour décider des besoins à satisfaire prioritairement. Ensuite, dresser des comptabilités matières sur les ressources disponibles et à sauvegarder. Mais là se loge la principale difficulté : la comptabilité « en nature » ne se substitue pas à la comptabilité monétaire, comme le croient l'économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan dans Comment bifurquer, Les principes de la planification écologique (La Découverte, 2024). Dans une économie post-capitaliste, où subsistera une division du travail importante, il faudra comptabiliser l'amortissement des équipements, les consommations intermédiaires de matières premières et d'énergie et les salaires. Les prix seront donc nécessaires, même si leur mode de fixation ne découlera pas exclusivement du marché parce qu'ils seront, au moins partiellement, administrés.
Et cela n'a rien à voir avec l'illusion de ce que les économistes libéraux appellent « capital naturel » auquel il faudrait donner un prix, comme si la nature avait une valeur économique intrinsèque. Cette idée trop fréquemment colportée par les mouvements écologistes, croyant bien faire, est le leitmotiv des institutions internationales comme l'ONU, la Banque mondiale, cette dernière cherchant à se disculper d'avoir diligenté les politiques productivistes. Cette notion de capital naturel est parfois reprise par des experts tout à fait conscients de la nécessité de la planification, tels les économistes Michel Aglietta et Étienne Espagne dans Pour une écologie politique, Au-delà du Capitalocène (Odile Jacob, 2024), mais en oubliant le caractère incommensurable des écosystèmes à quoi que ce soit de produit par l'Homme, c'est-à-dire qui est inestimable[3].
2. Le changement climatique fera baisser la production
Une étude du National Bureau of Economic Research (NBER), menée par Adrien Bilal et Diego R. Känzig, respectivement de l'Université de Harvard et de l'Université Northwestern, évalue l'impact macroéconomique mondial du changement climatique[4]. Prenant à rebours les évaluations traditionnelles aboutissant à chiffrer à hauteur de seulement à 1 à 3 % la réduction de la production mondiale à cause d'une hausse de 1 °C de la température mondiale, ils aboutissent à des impacts « six fois plus importants », c'est-à-dire 12 % de produit brut mondial en moins au bout de six ans.

Notes : La figure montre l'évolution de la température moyenne mondiale, calculée à partir des données d'anomalie de la température mondiale et de la climatologie correspondante de la NOAA, dans le graphique de gauche, et l'évolution du PIB réel mondial par habitant (en 2017 USD) calculée à partir des données PWT dans le graphique de droite.
Bilal et D.R. Känzig, p. 9

Notes : La figure montre les réponses impulsionnelles du PIB réel mondial par habitant à un choc de température mondial, estimées sur la base des dates de récession retenues par la Banque mondiale (note 2 p. 12)). La ligne continue est l'estimation ponctuelle et les zones ombrées foncées et claires sont les intervalles de confiance de 68 et 90 %, respectivement.
Bilal et D.R. Känzig, p. 13.
Comment ces auteurs parviennent-ils à une évaluation bien plus pessimiste que les études antérieures, notamment celle fameuse de Nordhaus[5] ? Parce qu'ils étudient l'impact d'une hausse de la température moyenne mondiale au lieu de celui des hausses de températures locales, c'est-à-dire dans un pays ou une région donnés. Ils expliquent :
« Nous étudions l'impact de ces chocs sur la probabilité d'événements météorologiques extrêmes, tels que des températures extrêmes, des vitesses de vent extrêmes et des précipitations extrêmes. […] Les chocs thermiques locaux entraînent une augmentation du nombre de jours de chaleur extrême. Cependant, les chocs thermiques mondiaux entraînent une augmentation nettement plus importante du nombre de jours de chaleur extrême. Le contraste est encore plus marqué pour les précipitations extrêmes et la vitesse extrême du vent : les chocs de température globale prévoient une forte augmentation de leur fréquence, ce qui n'est pas le cas des chocs de température locale. Ces résultats sont cohérents avec la littérature géoscientifique : la vitesse du vent et les précipitations sont des résultats du climat mondial – par le biais du réchauffement océanique et de l'humidité atmosphérique – plutôt que des résultats de la distribution locale des températures. Étant donné que les événements climatiques extrêmes sont connus pour causer des dommages économiques, l'effet différentiel des chocs de température mondiaux par rapport aux chocs de température locaux sur les événements climatiques extrêmes peut expliquer les effets économiques beaucoup plus importants des chocs de température mondiaux. »[6]
L'étude de Bilal et Känzig a le mérite d'anticiper ce qu'il se passerait si l'élévation de la température atteignait 2 °C, voire 3 °C en 2100. Dans ce dernier cas, à cause des effets cumulatifs, le produit brut mondial baisserait de 50 % par rapport à ce qu'il aurait été sans changement du climat.

Notes : La figure montre la dynamique de transition de notre modèle estimé dans le cadre de notre scénario où le monde se réchauffe de 3°C au-dessus des niveaux préindustriels d'ici 2100. Les lignes continues bleues représentent la dynamique de transition lorsque nous estimons le modèle sur la base des chocs de température mondiaux, ainsi que les intervalles de confiance à 68 % (bleu ombré). Les lignes bleues en pointillé représentent la dynamique de transition lorsque nous n'utilisons que les dommages causés à la production par les chocs de température mondiaux. Les lignes rouges en pointillé représentent la dynamique de transition lorsque nous utilisons uniquement les chocs de productivité estimés en fonction des chocs de température locaux, ainsi que les intervalles de confiance à 68 % (en rouge ombré). Intervalles de confiance basés sur 1000 tirages bootstrap de production, de capital et de température.
Bilal et D.R. Känzig, p. 40.
Mesuré en termes de bien-être, l'impact du changement climatique est considérable, même en ne prenant en compte que la consommation qui baisserait autant que la production :
« Cette baisse substantielle de la consommation se traduit par une importante perte de bien-être. Le graphique (e) montre que l'impact du changement climatique sur le bien-être équivaut à une perte de bien-être de 31 %, en pourcentage équivalent de consommation. Cette perte de bien- être dépasse l'impact sur la consommation, car les ménages ne tiennent pas compte des baisses futures de la consommation, mais les valorisent également. Comme la température continue d'augmenter, le bien-être continue de diminuer et atteint une perte de 52 %. Nos résultats indiquent que l'impact du changement climatique est considérable. En termes de bien-être, le coût du changement climatique est 640 fois supérieur au coût des cycles économiques, ou dix fois supérieur au coût du passage des relations commerciales actuelles à une autarcie complète. Ce qui est peut-être le plus frappant, c'est qu'en termes de production, de capital, de consommation et donc de bien-être, le changement climatique est comparable, en termes d'ampleur, à l'effet d'une guerre majeure sur le plan national. Cependant, le changement climatique est permanent. Ainsi, les pertes liées à la vie dans un monde avec changement climatique par rapport à un monde sans changement climatique sont comparables au fait de mener une guerre majeure au niveau national, et ce pour toujours. »[7]
Parmi les facteurs qui expliquent la perte de production et de bien-être, il y a l'augmentation considérable du coût social du carbone qui est de l'ordre de « 1056 dollars par tonne de dioxyde de carbone (tCO2) […] six fois supérieure à la limite supérieure des estimations existantes »[8]. Si la température augmentait de 5 °C en 2100, la perte de bien-être atteindrait plus de 60 %[9].
Certes, le modèle d'impact du changement climatique à travers le monde de Bilal et Känzig est bâti sur une fonction de production Cobb-Douglas avec une productivité totale des facteurs (c'est-à-dire ici le progrès technique) dépendant du temps, fonction dont on connaît les graves limites. Ce qui, peut-être, permet au chef économiste de TotalEnergies, Thomas-Olivier Léautier, de déclarer : « Cette étude permet de réconcilier la littérature économique néoclassique avec la vision des scientifiques »[10].
Le chef économiste de TotalEnergies aurait dû lire attentivement les auteurs :
« Enfin, notre article alimente le débat de longue date sur la question de savoir si les modèles d'évaluation intégrée sont bien adaptés pour représenter le coût du changement climatique (Nordhaus, 2013 ; Stern et al., 2022). Notre article démontre que ces modèles ont historiquement produit des coûts faibles du changement climatique non pas tant parce qu'ils reposaient sur des bases incomplètes, mais plutôt parce qu'ils étaient calibrés sur des dommages économiques qui ne représentaient pas l'impact total du changement climatique. »[11]
L'étude de Bilal et Känzig vient à point nommé au moment où l'Union européenne défait le modeste Pacte vert qu'elle venait d'adopter, au moment aussi où le gouvernement français se réjouit de la diminution des émissions de gaz à effet de serre en France de 5,8 % en 2023, en oubliant de comptabiliser les émissions importées, et au moment enfin où le gouvernement fait voter à l'Assemblée nationale une loi sur l'agriculture qui envoie à la poubelle toute considération environnementale à la grande satisfaction de la FNSEA. La croyance en la possibilité d'une fuite en avant perpétuelle relève de l'aveuglement sinon du cynisme de classe. (Article publié sur le blog de Jean-Marie Harribey « L'économie par terre ou sur terre ? » le 29 mai 2024, blog d'Alternatives économiques. Nous profitons d'indiquer ici l'ouvrage de Jean-Marie Harribey qui doit paraître en août, En quête de valeur(s), Editions du Croquant)
Notes
[1] Cette première partie a été en largement publiée dans Politis, n° 1808, 2 mai 2024.
[2] K. Marx, Le Capital, Livre I, 1867, Œuvres, Paris, Gallimard, La Pléiade, tome I, 1965, p. 998-999.
[3] Recension de ces livres sur ce blog. Sur le caractère inestimable de la nature et des services écosystémiques, voir J.-M. Harribey, La richesse, la valeur et l'inestimable, Fondements d'une critique socio-écologique de l'économie capitaliste, Les Liens qui libèrent, 2013, en libre accès ; et dans En quête de valeur(s), Paris, Éd. du Croquant, 2024.
[4] A. Bilal et D.R. Känzig, « The macroeconomic impact of climate change : Global vs local temperature », WP 32450.
[5] William D. Nordhaus, « An Optimal Transition Path for Controlling Greenhouse Gases », Science, vol. 258, 20 november 1992, p. 1316-1319.
[6] A. Bilal et D.R. Känzig., p. 44-45.
[7] Ibid, p. 40-41.
8] Ibid, p. 5.
[8] Ibid, p. 5.
[10] Propos rapportés par Anne Feitz, « Le réchauffement climatique freinera la croissance nettement plus que prévu », Les Échos, 28 mai 2024.
[11] A. Bilal et D.R. Känzig, p. 7.
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L’alimentation et la crise climatique

Il est impossible de lutter contre la crise climatique sans repenser la manière dont nous produisons et consommons les aliments. Le système alimentaire, responsable de plus d'un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre, est un facteur clé du changement climatique, mais en subit également les conséquences : les populations sont confrontées à des difficultés croissantes dans la pratique de l'agriculture, de l'élevage et dans l'accès à l'alimentation.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Il faut de toute urgence transformer nos systèmes alimentaires pour nous adapter. Mais pour ce faire, il faut bien comprendre quel est le problème et quelle est la solution.
Dans cette nouvel article, GRAIN désigne les coupables et les solutions en matière d'alimentation et de crise climatique.
Alimentation et crise climatique : quel est le problème ? Quelle est la solution ?

Le système alimentaire industriel est l'un des facteurs clés du changement climatique : Le système alimentaire industriel est responsable de plus d'un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La majeure partie de cette pollution provient de l'élevage intensif de bétail pour la viande et les produits laitiers, de l'énorme gaspillage de nourriture, de notre dépendance au commerce mondial plutôt qu'aux aliments d'origine locale, de l'accaparement des terres et de la déforestation pour l'expansion de grandes plantations, et de l'utilisation massive de pesticides et d'engrais chimiques [2].

L'alimentation est un pouvoir : Ce n'est pas la faute des agricultrices et des agriculteurs. C'est celles des entreprises. Ce sont elles qui gèrent le système alimentaire industriel en fonction de leurs propres intérêts financiers. Non seulement les lois, réglementations et subventions renforcent le système alimentaire industriel, mais en outre l'influence des entreprises sur les gouvernements et les agences internationales conduit à l'inaction en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les entreprises agroalimentaires ont recours au greenwashing et à de fausses solutions telles que les « compensations » pour se créer de nouvelles sources de revenus tout en sapant les vraies solutions que sont l'agroécologie et la souveraineté alimentaire.

La géographie de l'injustice : La plupart des émissions de GES liées à l'alimentation proviennent de pays où l'agriculture est dominée par des exploitations productrices de viande et de produits laitiers et par des grandes plantations de cultures d'exportation, comme le soja, le maïs hybride et le palmier à huile. Le Brésil, les États-Unis ou la Nouvelle-Zélande en fournissent des exemples. Ces territoires produisent des excédents qui alimentent la surconsommation de viande et d'aliments transformés, souvent par le biais du commerce international, tout en détruisant les systèmes alimentaires locaux et sains par l'accaparement des terres ou le dumping. Ce système est enraciné dans le colonialisme et perpétué par les accords dits de libre-échange, à tel point que le commerce représente aujourd'hui 20% des émissions liées à notre alimentation. Les exploitations agricoles industrielles représentent plus de 70% des terres agricoles et de l'eau utilisées dans le monde, alors qu'elles ne nourrissent que 30% de la population mondiale [2].

Des répercussions plus vastes : Le système alimentaire industriel est également l'une des principales causes de l'effondrement de la biodiversité, de la diminution et de la pollution des nappes phréatiques, de la dégradation des sols, de la déforestation et de l'exploitation de la main-d'œuvre. Il est une source majeure de problèmes de santé causés par les pesticides et la consommation d'aliments ultra-transformés. Et comme ce système est structuré de manière à générer des bénéfices pour les entreprises, on peut constater que des centaines de millions de personnes souffrent de la faim, alors même qu'on enregistre d'importants excédents alimentaires par ailleurs. Jour après jour, les entreprises étendent leurs activités et leurs marchés en détruisant et en criminalisant les systèmes alimentaires locaux, en empêchant les communautés d'utiliser leurs propres terres, leur eau, leurs semences et leurs pratiques traditionnelles et en les évinçant de leurs territoires. Elles laissent les populations à la merci d'investisseurs qui, depuis leurs lointaines salles de conférence, décident de ce qui est cultivé et de qui reçoit la nourriture. Les conséquences de cette situation s'aggravent à mesure que la crise climatique exerce une pression croissante sur la production alimentaire mondiale [3] [4].

La solution réside dans la souveraineté alimentaire : Nous pouvons lutter contre le changement climatique en nous attaquant à la principale source d'émissions liées à l'alimentation, tout en veillant à ce que les populations aient un accès suffisant à des aliments nutritifs et à ce que les communautés puissent conserver leurs moyens de subsistance. En ce qui concerne la viande et les produits laitiers, nous devons mettre fin à l'élevage industriel à grande échelle et passer à des systèmes de production locaux et diversifiés qui fournissent à la population une quantité modérée de viande et de produits laitiers, en utilisant des sources d'alimentation locales. Nous pouvons réduire le gaspillage alimentaire et les kilomètres alimentaires en créant des liens plus directs entre les personnes qui produisent et celles qui consomment, en démantelant les accords de libre-échange et en veillant à ce que les réglementations et les politiques soutiennent les systèmes de production et de commercialisation agroécologiques gérés par les paysans et paysannes et qui les protègent contre le dumping des importations. Ces mesures, ainsi qu'un contrôle accru des territoires par les communautés, permettront également de freiner la déforestation. Enfin, nous pouvons éliminer progressivement les engrais chimiques grâce à une transition massive vers des pratiques agroécologiques qui renforcent la santé des sols et y maintiennent le carbone [5].

L'agroécologie paysanne dès maintenant : Des preuves scientifiques montrent que l'agroécologie est mieux à même d'assurer la sécurité alimentaire et la nutrition des communautés dans la plupart des régions du monde que les stratégies de type « révolution verte »[6]. Ceci se traduit par un ensemble d'initiatives : rotations et mélanges de cultures, production végétale et animale intégrée, agroforesterie, intrants organiques, semences adaptées aux conditions locales, connaissances traditionnelles et bonnes stratégies de gestion des sols et de l'eau. Mais l'agroécologie est bien plus qu'un ensemble de techniques. Il s'agit d'une approche du travail agricole et de l'approvisionnement alimentaire ancrée dans le territoire, les connaissances et la culture. Elle doit être dirigée par les paysans et paysannes afin que le pouvoir et la vision restent entre les mains des petites exploitations, en particulier des femmes.

Confier le contrôle aux communautés : La lutte contre le changement climatique dans et à partir de nos systèmes alimentaires doit garantir que les communautés ont le contrôle de leurs territoires et que ce sont les producteurs et productrices alimentaires, et non les entreprises, qui définissent les politiques. De nombreuses initiatives sont actuellement prises par des mouvements sociaux, parfois soutenus par les autorités publiques, pour nous faire avancer dans la bonne direction. Les actions visant à briser la domination des entreprises dans les différents maillons de la chaîne alimentaire, à renforcer les marchés locaux, à redistribuer les terres, à créer des réserves alimentaires et des systèmes de sécurité sociale alimentaire, à démanteler le régime commercial actuel, à promouvoir les systèmes de semences paysannes et à donner des moyens d'action aux personnes travaillant dans le secteur agroalimentaire sont autant d'étapes cruciales. En fin de compte, seul le contrôle communautaire des ressources, des systèmes et des connaissances nous permettra de disposer de systèmes alimentaires résilients face au changement climatique et fondés sur la justice.
Téléchargez et imprimez le nouveau poster sur l'alimentation et la crise climatique ici
[1] C. Costa et al. « Roadmap for achieving net-zero emissions in global food systems by 2050 », Scientific Reports, 12, 15064, 2022 :
https://doi.org/10.1038/s41598-022-18601-1 ;
UNEP, « Driving finance for sustainable food systems : A roadmap to implementation for financial institutions and policy makers, » avril 2023 :
https://www.unepfi.org/publications/driving-finance-for-sustainable-food-systems/
[2] ETC Group, « Small scale farmers and peasants still feed the world », janvier 2022 :
https://www.etcgroup.org/files/files/31-01-2022_small-scale_farmers_and_peasants_still_feed_the_world.pdf
[3] Groupe international d'experts sur les systèmes alimentaires durables, « De l'uniformité à la diversité : Changer de paradigme pour passer de l'agriculture industrielle à des systèmes agroécologiques diversifiés », 2016 :
https://ipes-food.org/_img/upload/files/Uniformiteala%20Diversite_IPES_FR_Full_web.pdf
[4] Forbes' Global 2000.
[5] Xiaoming Xu et al., « Global greenhouse gas emissions from animal-based foods are twice those of plant-based foods », Nature Food (2), 2021 :
https://www.nature.com/articles/s43016-021-00358-x ;
Jingyu Zhu, « Cradle-to-grave emissions from food loss and waste represent half of total greenhouse gas emissions from food systems », Nature Food (4), 2023 :
https://www.nature.com/articles/s43016-023-00710-3 ;
Mengyu Li et al., « Global food-miles account for nearly 20% of total food-systems emissions » Nature Food (3), 2022 :
https://www.nature.com/articles/s43016-022-00531-w ;
Stefano Menegat et al., « Greenhouse gas emissions from global production and use of nitrogen synthetic fertilisers in agriculture », Scientific Reports, 2022 :
https://www.nature.com/articles/s41598-022-18773-w
[6] Guy Faure et al, « What agroecology brings to food security and ecosystem services : a review of scientific evidence », Desira-Lift, février 2024,
https://agroecology-coalition.org/wp-content/uploads/2024/02/DeSIRA-LIFT-Knowledge-brief4-Scientific-Evidence-for-Agroecology.pdf
https://grain.org/fr/article/7131-nouvelle-affiche-sur-l-alimentation-et-la-crise-climatique
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Comment aider les petits États insulaires ?

Victimes de l'utilisation mondiale des énergies carbonées, les petits États insulaires en développement cherchent désespérément la manière de faire comprendre au reste de la planète que leurs économies et même leurs survies sont en jeux dans la lutte au changement climatique.
Le 20 mai, un gigantesque iceberg de 380 kilomètres carrés appelé A-83 s'est détaché de la banquise en Antarctique. C'est le troisième événement de ce type au cours des quatre dernières années dans cette région. La perte continue de glace en Antarctique est une preuve tangible que le réchauffement climatique entraîne l'élévation du niveau de la mer. Les petits États insulaires sont en première ligne de ces impacts dévastateurs. Ce vêlage mettait donc la table pour la 4e Conférence internationale sur les petits États insulaires en développement (SIDS4), qui s'est tenue à Antigua-et-Barbuda du 27 au 30 mai. Son thème était, « Tracer la voie vers une prospérité résiliente ». Plus de 4000 participants et une vingtaine de dirigeants et ministres de plus de 100 pays s'y sont ainsi réunis. Le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres a dénoncé lors de cette rencontre une situation obscène ou ces petits États insulaires en développement payaient pour la compétition entre les grandes économies et la soif de profits des industries fossiles.
En première ligne des crises mondiales
Il y a une quarantaine de petits États insulaires en développement (PEID) membres des Nations Unies. Une vingtaine d'autres sont associés à des commissions régionales [EN]. Principalement situées dans le Pacifique, l'Atlantique, les Caraïbes, la mer de Chine et l'océan Indien, ils totalisent environ 65 millions d'habitants, sur moins de 0,5 % de la surface du globe. Bien qu'ils contribuent à moins de 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ils n'en sont pas moins en première ligne des crises mondiales créées par le changement climatique qui menacerait les trois quarts de leurs récifs coralliens. Non seulement les ouragans, les inondations et les sécheresses les touchent de manière disproportionnée, mais la montée du niveau de la mer pourrait même en faire disparaître plusieurs tels les archipels Tuvalu, de Nauru, des Kiribati, les îles Marshall et les Maldives.
Réduire les émissions de carbone
Le programme d'action adopté à Antigua-et-Barbuda met en lumière que les efforts de ces États insulaires seront vains sans une action urgente pour augmenter le financement climatique et mettre en œuvre l'Accord de Paris. La présidente des Îles Marshall, Hilda Heine, a déclaré lors de la rencontre qu'il fallait un changement radical dans la volonté politique, en particulier de la part des pays les plus développés du G20, de réduire les émissions de carbone. « C'est le début d'un sprint de 10 ans et nous espérons qu'il n'y aura pas de frein sur cette voie de la résilience partagée », a mentionné la Vice-secrétaire générale, Amina J. Mohammed, qui a affirmé que les perspectives de développement se sont détériorées ces quatre dernières années pour ces États insulaires. « Sans le soutien total de la communauté internationale, les conséquences pourraient être de très vaste portée pour eux ».
Une situation catastrophique
Non seulement ces pays disparaissent lentement sous les eaux, mais le Secrétaire général des Nations Unies a affirmé lors de cette rencontre que l'architecture financière mondiale actuelle, qui n'est pas à la hauteur des attentes des pays en développement en général, l'est encore moins pour eux. Croulant sous les dettes, l'économie de plusieurs de ces petits États insulaires tournerait à vide en raison des conséquences du changement climatique. Une partie d'entre eux sont de plus exclus de l'aide internationale et des prêts préférentiels des banques de développement, car classés comme pays à revenu intermédiaire ou supérieur. La conséquence en est donc qu'ils doivent payer davantage pour le service de leur propre dette qu'ils n'investissent dans leurs soins de santé et l'éducation, nuisant ainsi à leur développement.
Mobiliser la justice internationale ?
Le Tribunal international du droit de la mer a émis le 21 mai dernier un avis consultatif sur le changement climatique et le droit international. Dans cet avis unanime, les membres de ce Tribunal ont confirmé la relation entre la mer et le climat. C'est la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (COSIS 2), qui a soumis cette demande en décembre 2022. Elle voulait clarifier les obligations des États parties à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) au sujet du changement climatique. Ce tribunal a conclu que les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l'atmosphère constituaient une pollution du milieu marin. Les États parties à la CNUDM auraient donc des obligations de diligence élevée pour prendre toutes les mesures nécessaires afin de réduire, maîtriser et prévenir la pollution marine due aux émissions de GES. Ceux-ci devraient aussi s'efforcer d'harmoniser leurs politiques à ce sujet.
La Cour européenne des droits de l'homme, avait rendu en avril un jugement contraignant contre la Suisse qui aurait manqué à son obligation de mettre en œuvre des mesures suffisantes pour lutter contre le changement climatique. Ces cours internationales, et d'autres qui sont actuellement saisies à ce sujet, pourront-elles apporter plus de justice et de protection pour ces petits pays insulaires qu'ils n'en ont eu jusqu'à maintenant ?
Michel Gourd
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Corée du Sud : quand 28 000 travailleurs de Samsung enclenchent une grève...

En Corée du Sud, 20 % de la main-d'œuvre de Samsung s'est mis en grève pour la première fois de son histoire.
Tiré de l'Humanité
Publié le 29 mai 2024
Mis à jour le 29 mai 2024 à 18:21
Lina Sankari
Photo :Un drapeau national sud-coréen et un drapeau du groupe Samsung flottent devant le bâtiment Seocho de l'entreprise à Séoul.
© Kim Jae-Hwan/ZUMA-REA
C'est un nouveau vestige de la dictature qui est ébranlé en Corée du Sud, en l'espèce la répression antisyndicale. Pour la première fois dans l'histoire du géant de l'électronique Samsung, connu pour son autoritarisme, 28 000 travailleurs, soit 20 % de la main-d'œuvre, se sont mis en grève, ce 29 mai.
Faute de dialogue, le syndicat national de l'entreprise explique : « Nous ne pouvons plus supporter les persécutions contre les syndicats. Nous déclarons une grève face à la négligence de l'entrepriseà l'égard des travailleurs. » L'instance représentative, qui a accepté l'augmentation de salaires proposée par la direction, demande en outre un jour férié supplémentaire ainsi qu'un « système transparent de mesure de la prime de performance basée sur le bénéfice des ventes ».
La grève menée sur les jours de congé pourrait toutefois déboucher sur une grève générale. En 2019, le président et le vice-président du chaebol avaient écopé de dix-huit mois de prison pour répression antisyndicale.
Aux côtés de celles et ceux qui luttent !
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Droit voisin : les représentants des journalistes et auteurs non journalistes en appellent au respect de la loi

Il y a 5 ans, la directive européenne DAMUN du 17 avril 2019 instituait un droit voisin au bénéfice des éditeurs de presse devant leur permettre d'obtenir une rémunération pour la réutilisation de leurs publications par les services de communication au public en ligne. Dans ce cadre, le législateur européen a explicitement prévu qu'une part de cette rémunération versée par les plateformes de l'internet aux éditeurs de presse, revienne aux journalistes et autres auteurs contribuant au contenu des publications de presse.
Depuis, une dizaine de contrats ont été conclus entre une partie de la presse française et des géants du numérique comme Google et Facebook. Ces accords, obtenus après de longues négociations au cours desquelles les éditeurs ont souvent critiqué le comportement et le manque de transparence des plateformes, ont permis à la presse de percevoir une nouvelle catégorie de revenus. Toutefois, les journalistes et autres auteurs qui créent le contenu des publications de presse, ne reçoivent toujours pas la part qui leur est due.
L'heure est donc plus que jamais aux négociations, loyales et de bonne foi, entre les éditeurs et les auteurs (journalistes et non journalistes) afin de déterminer la part de cette nouvelle redevance qui revient à chacun, que le législateur a voulu « appropriée et équitable » pour les auteurs.
Nombre d'éditeurs semblent très réticents à assurer un partage équitable des revenus, cherchant à imposer un forfait minimaliste, évitant de donner des éléments clairs aux négociateurs, alors même qu'ils avaient dénoncé le refus des plateformes d'accepter le partage de valeur que procure la mise en ligne d'articles de presse.
Ces négociations sont très difficiles et ont du mal à aboutir. Nombre d'éditeurs semblent très réticents à assurer un partage équitable des revenus, cherchant à imposer un forfait minimaliste, évitant de donner des éléments clairs aux négociateurs, alors même qu'ils avaient dénoncé le refus des plateformes d'accepter le partage de valeur que procure la mise en ligne d'articles de presse.
Nous avons participé à la lutte qui a permis d'obtenir ce nouveau droit au Parlement européen et salué la création de la loi qui l'instaurait. Mais six ans plus tard il est évident qu'elle ne permet pas en l'état d'atteindre son but. Les éditeurs s'étaient engagés à partager les sommes dès qu'ils les auraient touchés, ils sont trop nombreux à n'avoir pas tenu parole.
Nous saluons la proposition de loi du député Laurent Esquenet-Goxes visant à garantir l'effectivité des droits voisins de la presse. Nous encourageons aussi à ce qu'elle soit complétée par des obligations symétriques de transparence des éditeurs et agences de presse à l'égard des auteurs.
Ces raisons nous incitent à saluer la proposition de loi du député Laurent Esquenet-Goxes visant à garantir l'effectivité des droits voisins de la presse. Nous encourageons aussi à ce qu'elle soit complétée par des obligations symétriques de transparence des éditeurs et agences de presse à l'égard des auteurs. Cette transparence doit être due dès la négociation et pas seulement a posteriori, en reddition de comptes, et doit être assortie de sanctions en cas de non-respect.
A défaut d'obtenir des accords satisfaisants dans le cadre légal actuel, la loi devrait aussi être améliorée :
– en déterminant un taux de partage auteurs/éditeurs comme ceci existe par exemple en matière de licence légale radiophonique entre artistes de la musique et producteurs phonographiques, en l'occurrence 50/50
– et en prévoyant des garde-fous afin d'empêcher la diminution artificielle de l'assiette de rétrocession du droit voisin dans les accords conclus entre les éditeurs et les plateformes de l'internet.
– Pour une bonne poursuite des négociations, un encadrement législatif strict est nécessaire. Les incertitudes économiques, les dangers qui pèsent sur l'information et les nouveaux enjeux liés à l'intelligence artificielle imposent de réagir vite.
Il n'est pas concevable que les auteurs ne bénéficient pas d'une partie juste et équitable de la richesse qu'ils ont créée, c'est de la justice élémentaire !
Paris, le 27 mai 2024.
* SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes, SGJ-FO, Scam, ADAGP, UPP, Saif
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Que veut Nina ?

Le syndicat Sois comme Nina vient de publier une nouvelle déclaration qui précise, entre autres, sa stratégie syndicale et ses objectifs ainsi que ses plus récentes victoires.
Tiré de Entre les lignes et les mots
La mission de Sois comme Nina est de protéger les droits des infirmières, du personnel soignant, des médecins et de tous les professionnels de la santé qui sont confrontés à l'humiliation, au harcèlement moral et au non-paiement des salaires.
Notre objectif est de créer un syndicat médical panukrainien qui sera en mesure de le faire encore plus efficacement, en utilisant tous les pouvoirs étendus qui lui sont accordés par la loi.
La nécessité d'un nouveau syndicat est apparue parce que les structures existantes ne remplissent souvent pas leur rôle principal ou ont partie liée de l'administration de l'hôpital.
Dans le contexte de la réforme des soins de santé, où les médecins-chefs se sont vus attribuer des pouvoirs énormes, un syndicat indépendant est pratiquement la seule garantie que les soignant.es recevront leur salaire et leurs primes bien méritées en temps voulu.
Nos valeurs
Outre l'assistance professionnelle, Sois comme Nina mène également des actions humanitaires. Cette action est dictée par nos valeurs centrées sur l'être humain. Notre mouvement a aidé des personnes socialement vulnérables, soutenu des familles avec enfants, organisé des activités de loisirs pour les familles et fourni des traitements médicaux abordables.
Nous avons besoin de votre soutien pour mener à bien notre action.
Vous pouvez le faire en adhérant officiellement à notre organisation, qui a déjà été rejointe par plus de 600 personnels soignants, ou en faisant un don.
Est-ce que les membres de Sois comme Nina sont assurés de recevoir ?
Un soutien juridique, médiatique et psychologique, la solidarité de personnes partageant les mêmes idées. Un soutien financier en cas d'urgence grave.
Qu'est-ce qui a déjà été fait ?
Sois comme Nina fédère des syndicats indépendants actifs et travaille à la création d'un syndicat indépendant pour l'ensemble de l'Ukraine. Parmi les membres du mouvement figurent Oleksiy Chupryna, responsable d'un syndicat indépendant de Myrhorod, qui est également cofondateur du mouvement, et Olha Turochka, responsable d'un syndicat indépendant de Shostka, qui a réussi à diriger la branche locale syndicale malgré les pressions exercées par les autorités locales. Le mouvement a également soutenu des travailleur.euses du secteur de la santé qui luttent contre les licenciements et les salaires impayés à Nizhyn, Pryluky, Zaporizhzhia et dans de nombreuses autres villes.
Sois comme Nina coopère également avec des syndicats polonais et internationaux.
L'année dernière, grâce au soutien de la Fondation Medico International, nous avons réussi à fournir un logement à 45 familles à Lviv, Kyiv et Balta pendant un an. 444 familles déplacées ont reçu des bons alimentaires et des médicaments.
Grâce aux 50 000 euros alloués par Medico, il a pu être payé des traitements coûteux à 48 médecins, dont 12 pour des remplacements d'articulations, des chirurgies cardiaques et oculaires. Par exemple, Sois comme Nina a payé l'opération d'une infirmière qui vivait avec des douleurs constantes depuis des années. Nous avons également acheté des médicaments coûteux pour des patients atteints de cancer et de maladies graves.
Victoires juridiques
Grâce à la coopération de Sois comme Nina avec l'avocate Roksolana Lemyk et Vitaliy Dudin, avocat et militant du Mouvement social, le mouvement est en mesure de fournir une assistance juridique qualifiée à ses militant.es et de les représenter devant les tribunaux.
Roksolana Lemyk a donné cinq exemples :
Une réunion avec le directeur d'un hôpital à Sambir, dans la région de Lviv. Suite à la conversation, la décision de réduire le nombre d'infirmières a été modifiée.
Dans une maternité de Lviv (IMO 3), malgré tous les obstacles posés par l'administration de l'établissement de santé, une organisation syndicale indépendante a été créée et une convention collective a été conclue dans l'intérêt des employé.es.
Dans ce même, une lettre de réclamation a modifié la décision qui approuvait l'horaire de travail d'une infirmière ne répondant pas aux intérêts de l'employée et, sur la base de demandes dûment exécutées, a payé des prestations de santé pour un congé régulier.
Au Centre régional de diagnostic clinique de Lviv, la procédure de règlement des différends a permis de résoudre la question du paiement des arriérés de salaire aux employé.es qui avaient été transféré.es du Centre régional d'État de diagnostic clinique et de traitement endocrinologique.
Une requête a été préparée et déposée dans l'intérêt d'un employé de l'hôpital municipal multidisciplinaire de Derazhnyanska dans l'Oblast de Khmelnytskyi (la décision n'a pas encore été prise).
Ainsi, de nombreux litiges sont résolus avant d'être portés devant les tribunaux grâce à des négociations collectives, des appels auprès de l'administration de l'hôpital et des autorités locales, et une publicité sur les médias sociaux et dans les médias. Cependant, il y a aussi des victoires judiciaires.
Par exemple, la réintégration de Natalia Yurenkova, une infirmière de la région de Lviv. Elle a été licenciée au début de l'année 2020, mais elle n'avait pas le droit d'être licenciée parce qu'elle élevait seule sa fille.
Une autre victoire a été la réintégration de Lyudmyla Pukha, une infirmière de Myrhorod. Devant le tribunal, elle a réussi à prouver qu'on ne lui avait pas proposé tous les postes vacants lorsqu'elle a été licenciée et qu'elle n'avait pas été réintégrée.
Sois comme Nina a accumulé suffisamment d'expérience et de force pour pallier de fait efficacement le secteur syndicat médical existant et parfois même le service public du travail. Le mouvement est ouvert à tous les professionnels de la santé. La principale condition attendue d'eux est leur volonté de se battre pour leurs droits.
Patrick Le Tréhondat
ENSU-RESU
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70869
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#Metoo syndical : Un procès historique contre la parole de femmes syndicalistes Appel à la solidarité syndicaliste et féministe

Nous, militantes syndicalistes et féministes, en appelons à votre solidarité et à votre soutien pour notre camarade Christine, qui passe en procès pour diffamation les 30 septembre et 1er octobre 2024 à Paris.
Tiré de Entre les lignes et les mots
En 2016 et 2017, plusieurs militantes de l'Union Syndicale CGT ville de Paris sont harcelées et/ou agressées par des membres de leur organisation. Contre ces agressions physiques et sexuelles, le collectif Femmes Mixité du syndicat se réunit et mène plusieurs actions. Elles font face à une immense hostilité de certains militants. Christine est membre de ce collectif et co-secrétaire générale du syndicat CGT Petite Enfance de la Ville de Paris.
C'est elle qui fait, au congrès de l'UD CGT de Paris en 2020, le rapport des actions menées par le collectif, et c'est pour cette raison que Régis Vieceli, alors secrétaire général du syndicat CGT déchets et assainissement (FTDNEEA), porte plainte contre elle pour diffamation. (Pour en savoir plus : https://www.mediapart.fr/journal/france/270618/violences-et-agissements-sexistes-l-affaire-que-la-cgt-etouffee).
La Confédération CGT est elle aussi poursuivie en la personne de Philippe Martinez, alors secrétaire général, pour le travail d'enquête mené par la cellule de veille confédérale contre les violences sexuelles.
Ce procès en diffamation est une première dans l'histoire de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au sein d'un syndicat.
Ce procès en diffamation est une démarche patriarcale de musellement de la parole des femmes et de leurs soutiens dans nos structures syndicales. Cette procédure-bâillon vise à punir celles qui ont parlé et exercer une pression telle, que le découragement l'emporte.
Christine ne doit pas être condamnée pour diffamation. Si elle l'était, la possibilité même de dénoncer et de combattre les violences sexuelles, dans les organisations syndicales et partout ailleurs, serait remise en cause.
Si la CGT (au travers de P. Martinez) était condamnée pour le travail de la cellule de veille, ce serait un très mauvais message pour toutes les OS qui tentent de faire sanctionner les militants machistes. L'ensemble des organisations syndicales est en effet confronté aujourd'hui à leur responsabilité pour prévenir, protéger les victimes et sanctionner les violences sexuelles perpétrées en interne (Voir les articles sur CFDT, FO, Solidaires, CFTC :https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/violences-sexuelles-les-syndicats-aussi)
Quel soutien des OS à Christine ?
Christine a été forcée de quitter la CGT, où elle militait depuis vingt ans, suite à cette affaire. Elle est aujourd'hui contrainte de se lancer dans des démarches juridiques coûteuses pour se défendre, alors qu'elle a été avec le collectif Femmes Mixité de l'US CGT Ville de Paris, une lanceuse d'alerte, pour obtenir de son organisation syndicale qu'elle assure la sécurité des syndiquées.
Les faits de violences sexistes commises contre les victimes directes remontent à 2016, soit plus de 8 ans. Chaque nouvelle attaque est une résurgence violente du traumatisme vécu, pour Christine comme pour toutes les victimes. S'attaquer à notre camarade, c'est s'attaquer à toutes les femmes de la CGT, comme de tous les syndicats, qui ont été, sont victimes ou soutiens de victimes de violences sexistes et sexuelles.
Comme nous l'exigeons auprès de nos employeurs, notre camarade devrait bénéficier d'une prise en charge globale et solidaire de tous les frais afférents à cette attaque en justice. La camarade ne doit pas, comme cela s'est déjà passé à FO récemment, payer les préjudices financiers et humains de violences qui n'auraient jamais dû exister. (cf article AVFT :https://www.avft.org/2024/04/30/lettre-ouverte-a-la-confederation-force-ouvriere/).
Le procès se tiendra au Tribunal correctionnel de Paris – Parvis du tribunal, 75017 Paris – le lundi 30 septembre à 13h30 et le mardi 1er octobre à 13h30.
Pour assurer une présence solidaire, nous appelons les OS à consacrer des moyens syndicaux pour participer à ce procès historique et formateur pour nos luttes. Toutes les organisations syndicales, avec en tête la CGT dont elle était membre, doivent la soutenir.
Exprimons notre soutien syndicalo féministe à notre camarade et notre détermination à combattre les violences sexistes et sexuelles dans nos organisations, en nous retrouvant sur place. Rejoignez- nous pour en savoir plus : resyfem@riseup.net
Résyfem, un réseau de militantes de la Cgt, de la Fsu, de Solidaires, de Fo, du syndicat de la magistrature, du syndicat des avocats de France.
Paris, le 24 mai 2024
https://blogs.mediapart.fr/resyfem/blog/240524/metoo-syndical-un-proces-historique-contre-la-parole-de-femmes-syndicalistes
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Étudiant·es, soignant·es, patient·es : ensemble contre les violences sexistes et sexuelles en santé !

Le monde de la santé, loin d'être épargné par les violences sexistes et sexuelles, en est au contraire un terreau particulièrement fertile. La culture du viol et l'omerta sont nourries par les fortes hiérarchies professionnelles, le management pathogène, l'esprit de corps et la « culture carabine ».
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/05/28/etudiant%c2%b7es-soignant%c2%b7es-patient%c2%b7es-ensemble-contre-les-violences-sexistes-et-sexuelles-en-sante/
Les femmes, qu'elles soient étudiantes, professionnelles des établissements de santé ou patientes, sont les premières victimes de ces violences patriarcales, qui touchent toutefois également des hommes et des enfants.
Aujourd'hui, les langues se délient et les témoignages se font de plus en plus nombreux. Nous, organisations féministes et représentatives d'étudiant·es, de professionnel·les des établissements de santé et de patient·es, nous mobilisons ensemble pour dénoncer ces pratiques.
La peur doit changer de camp.
Etudiant·es en santé, nous sommes quatre sur dix à subir du harcèlement sexuel à l'hôpital, majoritairement de la part de nos supérieurs hiérarchiques. Nous sommes une étudiante sur cinq à être agressée sexuellement à l'université, par nos propres camarades. Dans 90% des cas, nous ne signalons pas ces agressions par peur des représailles.
Dans nos études de médecine, des agresseurs sont protégés, dont certains peuvent continuer leurs études sans être inquiétés malgré des condamnations en justice.
Souvent, les violences sexuelles ont lieu lors de weekends d'intégration et soirées étudiantes, qui sont aussi le théâtre de bizutages et d'humiliations sexistes. Dans les salles de garde des internes, des fresques pornographiques ramènent les femmes à l'état d'objets sexuels soumis à la domination des hommes. Sous couvert de « culture carabine », il s'agit de normaliser la culture du viol dans nos études.
Nous l'affirmons, aucune « tradition » ne justifie de reproduire des violences.
Professionnel·les des établissements de santé, nous exerçons dans un milieu où règnent l'omerta et l'impunité, à tous les échelons de la hiérarchie. Quand une infirmière est violée par un médecin, c'est elle qui change de service. Quand une aide-soignante fait remonter des faits d'agressions sexuelles, c'est son emploi qui est menacé. Quand un médecin dénonce à l'Ordre le comportement d'un collègue, c'est lui qui écope d'un blâme.
Le principe de confraternité ne doit pas protéger des agresseurs au détriment du personnel et des patientes. « D'abord ne pas nuire », c'est le serment d'Hippocrate sur lequel les médecins et sages-femmes ont juré. Cet engagement doit être respecté et l'intégrité des soignant·s ne doit pas être mise en doute.
Patient·es, nous subissons des abus de pouvoir et des violences sexistes et sexuelles de la part de certains professionnels de santé. Nous sommes nombreuses à avoir été confrontées à des violences obstétricales et gynécologiques (VOG) quand des examens ou des actes médicaux nous sont imposés. Notre consentement est trop souvent bafoué, nos corps et nos choix jugés, notre parole, notre douleur, nos symptômes niés.
Nos plaintes auprès de l'Ordre sont trop peu relayées, voire étouffées. Des médecins visés par des dizaines de plaintes pénales et mis en examen peuvent continuer à exercer sans être suspendus. L'impunité empêche la reconnaissance des préjudices et la réparation, elle augmente notre défiance envers le médical.
Le respect de notre consentement, la considération de notre intégrité physique et morale, la déontologie et l'éthique devraient être au cœur de la relation soignant·es-soigné·es. Il est temps de mettre fin à une médecine patriarcale, paternaliste et archaïque au profit d'un partenariat entre les patient·es et les soignant·es, une réelle démocratie sanitaire.
Ensemble, pour combattre les violences sexistes et sexuelles en santé, nous exigeons des mesures concrètes et immédiates :
– La mise en place en urgence d'un plan ambitieux de prévention et de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles, dont les VOG, dans les universités et les établissements de santé publics comme privés, avec notamment des formations obligatoires pour l'ensemble des étudiant·es en santé, des médecins et de tous les autres professionnel·les
– Le retrait effectif de toutes les fresques pornographiques encore présentes dans certains hôpitaux malgré leur interdiction
– La création d'une plateforme de signalement anonyme pour patient·es et la mise en place effective dans tous les établissements de santé du dispositif de signalement obligatoire dans la fonction publique contre les violences, les discriminations et le harcèlement
– La protection effective, notamment par la mise en place de la protection fonctionnelle dans la fonction publique, pour les étudiant·es et professionnel·les signalant des violences sexistes et sexuelles
– L'obligation d'informer les instances du personnel des établissements de santé et les conseils des universités sur les actes de violences sexistes et sexuelles
– Un véritable accompagnement psychologique, médical et juridique des étudiant·es, professionnel·les et patient·es victimes
– L'interdiction de déplacer un·e professionnel·le de santé victime en l'absence de volonté explicite et écrite de la part de cette dernière
– Par principe de précaution, la mise à l'écart immédiate et systématique (notamment par l'application de la mesure conservatoire) de tout médecin ou autre professionnel concerné par un signalement ou une plainte le temps de l'enquête disciplinaire et l'interdiction d'exercer pour les étudiant·es en médecine et médecins condamnés par la justice
– Une formation obligatoire du personnel de l'administration, des directions d'établissement de santé et des universités pour mettre en place des plans de prévention contre les violences sexistes et sexuelles, accompagner les victimes et si nécessaire dispenser des sanctions à la hauteur des faits
– Dans l'enseignement supérieur, le déclenchement systématique d'une procédure disciplinaire avec mise à l'écart conservatoire en cas de signalement contre un étudiant pour violence sexuelle
Pour faire entendre ces revendications, nous appelons à l'initiative du collectif Emma Auclert à un rassemblement devant le ministère de la Santé à Paris, qui se tiendra mercredi 29 mai à 18h, et demandons à être reçu·es par Madame Vautrin et Monsieur Valletoux.
LE SILENCE NE PROFITE QU'AUX AGRESSEURS.
Organisations signataires : Collectif Emma Auclert, Stop VOG, CNDF, Nous Toutes, Union étudiante, Sud Santé Sociaux, Union syndicale Solidaires, Osez le Féminisme, SNJMG, Anef, Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur, Les Affolées de la Frange, Action Féministe Tours, CADAC, CLASCHES, Les Fallopes, Héroïnes 95, MIOP, Association Mémoire Traumatique et Victimologie, Pour une santé engagée et solidaire, Ruptures, Ligue des Femmes Iraniennes pour la Démocratie, Stop Harcèlement de rue, Les Effronté-es, CLIT, CQFD.
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Danger : Les autorités religieuses se rapprochent des droits des femmes minoritaires

Pendant de nombreuses années, certaines d'entre nous ont fait campagne contre le développement des conseils de la charia et la création du tribunal d'arbitrage musulman, car nous reconnaissons que tous ces systèmes religieux de résolution des litiges sont, par leur nature même, liés à une politique croissante de fondamentalisme religieux qui cible les droits et les libertés des femmes.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les conseils de la charia et le tribunal d'arbitrage suivaient, bien entendu, le modèle des tribunaux juifs Beth Din, et notre principale préoccupation était la possibilité très réelle que d'autres religions minoritaires insistent pour que leurs propres ordres juridiques personnels soient également pris en compte par l'État.
Il n'a pas fallu longtemps pour que notre crainte devienne réalité. À la liste des conseils et tribunaux de la charia musulmans et des Beth Dins juifs qui existent déjà, nous pouvons désormais ajouter le « tribunal » sikh, et nous pouvons être sûres que les hindous ne seront pas loin derrière.
En tant que femmes issues de diverses minorités – ayant fait de grands progrès dans la lutte contre toutes les formes de violence à l'égard des femmes dans le cadre de notre lutte pour l'autodétermination – nous sommes alarmées par la croissance incontrôlée de ces systèmes juridiques parallèles au Royaume-Uni. L'utilisation de lois personnelles religieuses pour réglementer la vie des femmes appartenant à des minorités n'est pas seulement discriminatoire ; elle est également extrêmement préjudiciable dans un contexte où les violences domestiques et les fémicides qui en découlent pour les femmes d'Asie du Sud et d'autres minorités restent nombreuses et prennent un caractère de plus en plus audacieux.
En témoignent, par exemple, l'agression brutale d'Ambreen Fatima Sheikh à Huddersfield, laissée dans un état végétatif permanent après avoir été forcée à prendre des médicaments contre le diabète et aspergée d'une substance corrosive en 2015 ; le meurtre de Fawziyah Javed, poussée du haut d'une falaise à Édimbourg alors qu'elle était enceinte de 17 semaines en 2021 ; ou le cas de Kulsuma Aktar, poignardée à mort alors qu'elle poussait son fils dans un landau dans un centre commercial de Bradford en 2024. Toutes ces attaques se sont produites dans le contexte d'une dynamique ultra-patriarcale de coercition et de contrôle facilitée par des chefs religieux et communautaires qui, de manière flagrante, ne condamnent pas publiquement de telles atrocités.
La « Cour » sikhe a été créée en vertu de la loi de 1996 sur l'arbitrage, soi-disant pour pallier le « manque d'expertise » des tribunaux laïques qui ne sont pas en mesure de « comprendre » les sensibilités culturelles et religieuses des Sikhs lorsqu'il s'agit de résoudre des litiges familiaux et civils. Composée d'une trentaine de magistrat·es et de 15 juges – dont beaucoup sont des femmes – la « Cour » utilisera une combinaison de médiation et d'arbitrage pour présider les litiges familiaux et civils au sein de la communauté sikhe. Tout en reconnaissant que le sikhisme (comme l'hindouisme, mais contrairement à l'islam et au judaïsme) ne dispose pas d'un cadre juridico-religieux de règles codifiées pour juger les affaires, l'intention des fondateurs est claire : créer un ordre à partir de rien pour statuer sur des questions telles que le mariage et le divorce, la résidence/le contact/la garde des enfants et le règlement des biens matrimoniaux « conformément aux principes religieux sikhs » tels qu'ils les définissent.
Il est affirmé que la « Cour » a été créée à la suite de discussions avec des organisations caritatives et des avocats sikhs du monde entier, jusqu'à présent anonymes. Mais il n'y a pas eu de débat transparent et démocratique ni de consultation publique, en particulier avec les femmes sikhes, sur la nécessité d'une telle « Cour » ou sur ce qui constitue les principes sikhs. La « Cour » a simplement été proclamée par des avocats sikhs qui se sont clairement désignés comme les représentants de la communauté sikh et les gardiens de ses valeurs.
Le « tribunal » se présente comme un organe formel et professionnel, quasi légal, qui est prêt à adhérer à des règles d'engagement légales formelles. Cependant, il est clair que son véritable objectif est de monopoliser le pouvoir non étatique au sein de la communauté afin de contrôler les femmes.
Pour justifier son existence, un porte-parole de la « Cour » a souligné la prétendue incapacité des tribunaux laïques à tenir compte des valeurs « sikhes » dans une affaire concernant une femme sikhe divorcée qui, en tant que principale personne en charge de son jeune fils, avait soutenu sa décision de lui couper les cheveux, au mépris des souhaits de son père (son ex-mari). Le tribunal des affaires familiales a statué en faveur de la mère, mais il a été vivement critiqué par le porte-parole du « tribunal » sikh pour n'avoir pas tenu compte du principe sikh interdisant de couper les cheveux.
Cette interprétation de l'affaire ne fait aucune référence au contexte plus large de l'affaire : le contexte familial et l'histoire des relations, et en particulier les raisons du divorce des parents, sachant que la plupart des femmes d'Asie du Sud – y compris les femmes sikhes – n'envisagent même pas l'idée d'un divorce à moins qu'il n'y ait des allégations d'abus domestique et de contrôle coercitif. Il est significatif qu'elle ne tienne aucun compte du raisonnement qui sous-tend la décision du tribunal de la famille, ni d'ailleurs d'aucune évaluation professionnelle des souhaits, des sentiments et des besoins de l'enfant dans le cadre de l'application du principe juridique fondamental selon lequel « l'intérêt supérieur de l'enfant » doit toujours être primordial.
Cet exemple montre clairement que la priorité absolue du « tribunal » sikh est d'assurer la conformité religieuse dans l'intérêt du père plutôt que dans l'intérêt de l'enfant ou de la mère dans tout conflit familial. Dans cette mesure, sa position représente une lutte pour la préservation des droits du père qui fait écho à une bataille idéologique plus large menée par les hommes violents sur le fait que les tribunaux de la famille sont partiaux à leur égard. La demande trop familière de respect des valeurs religieuses, quelles que soient les circonstances, est un élément clé du modus operandi de tous les systèmes d'arbitrage religieux.
Nos inquiétudes ont été renforcées par l'affirmation selon laquelle le « tribunal » sikh traitera les cas de « violence domestique mineure » ainsi que les questions de « gestion de la colère, de jeu et de toxicomanie » par le biais de la médiation avant tout, et ensuite – si la médiation n'aboutit pas et que les parties sont d'accord – une affaire peut être portée devant un juge du « tribunal » sikh qui peut rendre un jugement juridiquement contraignant en vertu de la loi sur l'arbitrage de 1996. C'est l'un des aspects les plus troublants du fonctionnement de la Cour : il soulève des questions sur la manière dont le consentement est obtenu et qui définit ce qu'est une violence domestique « de bas niveau » ?
Nos années d'expérience en première ligne nous montrent que, lorsque des chefs religieux sont impliqués, les cas d'abus domestiques et sexuels et de contrôle coercitif sont presque toujours niés ou interprétés comme des problèmes « mineurs » de « gestion de la colère » qui peuvent être résolus par la médiation en vue de réconcilier les parties. Loin de procéder à une évaluation correcte des risques ou d'informer les femmes de leurs droits à la protection en vertu du droit civil ou pénal, ils ont tendance à balayer les problèmes sous le tapis, au mieux, et au pire, ils reprochent aux femmes de défier l'autorité patriarcale. Des préoccupations similaires ont été exprimées par l'Independent Inquiry into Child Sexual Abuse (enquête indépendante sur les abus sexuels commis sur des enfants) dans son rapport 2021 axé spécifiquement sur les milieux religieux, dans lequel elle critiquait les autorités religieuses – dans les religions majoritaires et minoritaires – pour leurs « manquements flagrants » en matière de protection des enfants et pour avoir couvert des cas d'abus sexuels commis sur des enfants par leurs adeptes.
L'expérience montre également que la grande majorité des femmes appartenant à des minorités qui utilisent les systèmes de médiation et d'arbitrage communautaires le font non pas par choix, mais par contrainte sociale, par crainte de la stigmatisation, de l'isolement et même de répercussions violentes. Les patriarches religieux exploitent à leur détriment leur méconnaissance des droits légaux et des systèmes de soutien alternatifs, ainsi que les retards et les obstacles à l'accès aux conseils juridiques et à la représentation. Beaucoup racontent qu'elles sont rendues impuissantes par un processus qui ignore et invalide leurs besoins et leurs souhaits. La plupart d'entre elles sont très critiques et méfiantes à l'égard du pouvoir religieux et de son utilisation pour leur accorder un statut social et juridique inférieur à celui des hommes. Loin d'inspirer la confiance, ce système oblige les femmes à exercer une forme d'action très limitée : faire des choix contre leurs intérêts et dans des contextes où l'emprise de la religion leur a déjà laissé peu de marge de manœuvre.
Les ordres juridiques non étatiques – dont le « tribunal » sikh est le dernier né – n'ont qu'un seul objectif en tête : « préserver les valeurs religieuses » et, en particulier, le « caractère sacré du mariage » dans lequel les femmes sont censées jouer un rôle central. Nous savons par expérience que si les femmes sikhes de ce pays avaient été consultées sur la nécessité de tribunaux religieux, la majorité d'entre elles auraient établi une séparation claire entre la religion en tant que croyance personnelle et source de réconfort, et la religion en tant que base d'attribution des ressources et des droits au sein de la famille.
Le « tribunal » sikh a affirmé que son rôle n'était pas de supplanter, mais de compléter et de soutenir un système judiciaire de plus en plus surchargé, manquant de ressources et confronté à de longs délais. C'est évidemment vrai. Dans le cadre de sa politique d'austérité, l'État n'a que trop voulu détourner les ressources de ce qui est considéré comme des litiges coûteux et chronophages. À cette fin, les gouvernements successifs ont expressément encouragé l'utilisation de services de médiation informels et essentiellement privés dans les affaires familiales, à la fois pour réduire les coûts et pour s'attaquer idéologiquement à ce qui est perçu à tort comme une culture litigieuse des droits au Royaume-Uni. En décimant les services d'aide juridique et de protection sociale et en promouvant des politiques multiconfessionnelles, l'État a réussi à renforcer le pouvoir religieux élitiste et patriarcal tout en limitant l'accès des femmes minoritaires au système juridique formel et laïque, un système qui, malgré ses nombreux défauts, peut au moins être remis en question sur les questions de responsabilité, de droits et de justice.
Dans ce contexte, les forces religieuses de droite ne font que profiter de l'espace laissé vacant par l'État. L'ensemble du projet de « tribunal » sikh – comme les modèles qui l'ont précédé dans l'islam et le judaïsme – montre comment la religion s'installe dans le vide laissé par l'État et déploie ses muscles politiques, simplement parce qu'elle peut le faire.
Les droits des femmes minoritaires sont en péril au Royaume-Uni. Loin d'inverser l'assaut contre nos droits, l'État a facilité la création d'ordres juridiques non étatiques antidémocratiques impliquant des systèmes d'arbitrage religieux qui bafouent la législation nationale et internationale en matière de droits de l'homme. Ce faisant, toute la philosophie de protection et de prévention qui sous-tend la loi de 2021 sur les violences domestiques, tout comme les principes de non-discrimination et d'égalité des chances inscrits dans la loi de 2010 sur l'égalité, sont sérieusement mis à mal. De même, les principaux principes de la Convention sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes – qui obligent les États à éradiquer la discrimination à l'égard des femmes dans tous les domaines, y compris en ce qui concerne le mariage et les relations familiales, afin qu'elles puissent exercer un choix éclairé – sont également violés. La Convention d'Istanbul sur la violence à l'égard des femmes, qui engage le Royaume-Uni à s'abstenir de tolérer ou d'encourager les attitudes néfastes, les préjugés, les stéréotypes sexistes et les coutumes ou traditions sexistes qui rabaissent les femmes et les traitent comme des êtres inférieurs, est ainsi compromise.
En effet, le fossé de la justice pour les femmes issues de minorités s'est creusé et est devenu encore plus dangereux. Nous n'avons pas d'autre choix que de nous battre pour empêcher que la loi de 1996 sur l'arbitrage ne soit utilisée par les autorités religieuses pour saper les principes des droits de l'homme, de l'égalité devant la loi, du devoir de diligence, de la diligence raisonnable et de l'État de droit. Nous demandons au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l'application de ces principes dans la sphère privée de la famille et à toutes les femmes dans toutes les communautés. Agir autrement reviendrait à permettre aux autorités religieuses de construire un nouvel échelon pour appuyer leurs tentatives de jeter les bases d'un régime d'apartheid sexuel dans les communautés minoritaires.
Nous remercions One Law for All et Project Resist de nous avoir autorisés à reproduire cet article.
https://feministdissent.org/blog-posts/in-peril-religious-authorities-are-closing-in-on-minority-womens-rights/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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« Une sécurité sociale de la menstruation » pour combattre les effets délétères du patriarcat et du capitalisme

Face à la précarité menstruelle entretenue par une industrie capitalisant sur les règles, la chercheuse indépendante Jeanne Guien expose différentes alternatives à ce consumérisme nocif, de l'autoproduction de produits durables à leur prise en charge par le service public.
Tiré de l'Humanité
Publié le 27 mai 2024
Que les produits menstruels ne soient pas reconnus comme essentiels « montre bien que la loi est centrée autour de la masculinité », estime la chercheuse.
Dans son livre une Histoire des produits menstruels (Divergences, 2023), la docteure en philosophie Jeanne Guien étudie ce que le consumérisme fait au corps féminin. Dénonçant une stratégie patriarcale et capitaliste dangereuse pour les personnes menstruées, la chercheuse indépendante questionne les pratiques alternatives « de militants et militantes fabriquant eux-mêmes depuis des décennies des produits menstruels durables, que ce soit des serviettes, des culottes ou des cups », et souligne que « ces produits pourraient aussi être pris en charge par le service public ».
Quels tabous persistent encore autour des produits menstruels ?
En parler, évoquer les douleurs, lesincapacités dues aux menstruations, est relativement toléré. Mais il est toujours compliqué de rendre les règles visibles. On peut éventuellement les mentionner, mais le phénomène physiologique lui-même doit demeurer soigneusement caché. Les produits menstruels continuent à servir à ça. Les marques de culottes menstruelles ont beau se présenter comme des révolutions par rapport au tampon ou à la serviette jetable, elles participent de la même « culture de la dissimulation », pour reprendre l'expression de la journaliste Karen Houppert, qui est entretenue par les différentes industries de produits menstruels.
Mode d'achat, mise au rebut, conditionnement : tout a été fait pour construire un monde dans lequel les saignements n'existent pas, ne font pas partie de l'expérience « normale », du quotidien socialement partagé. Un monde masculin, en somme. Au-delà des règles, les difficultés des femmes liées à la santé reproductive émergent rarement, comme la ménopause, les contraceptions d'urgence…
La précarité menstruelle est présentée comme nouvelle, or vous expliquez qu'elle a toujours existé, voire qu'elle a été entretenue. Comment ?
La précarité menstruelle est entretenue par le consumérisme, par le fait qu'on associe tout besoin matériel à un produit marchand. À partir du moment où vous avez une industrie menstruelle qui se construit autour du dénigrement des solutions artisanales autoproduites par les femmes pour les femmes, à partir du moment où on présente le fait d'acheter un produit et de le racheter régulièrement comme la seule solution digne pour vivre ces menstruations, on crée forcément un fossé entre les personnes qui ont accès au marché et les autres.
Il y a aussi l'argent réclamé par l'État, la partie impôt. Dans de nombreux pays, la TVA sur les produits menstruels est égale aux autres produits du quotidien et même supérieure à ceux classés comme essentiels. Des produits non nécessaires à une hygiène de base sont pourtant parfois détaxés comme certains shampoings, le Viagra aux États-Unis… En France, nous avons obtenu en 2016 la baisse de la taxation de 19,6 % à 5,5 %, mais la taxe n'a pas été annulée comme dans d'autres pays. Beaucoup de mouvements sociaux à travers le monde veulent obtenir la reconnaissance de ces produits comme essentiels. Le fait qu'ils ne le soient pas montre bien que la loi est centrée autour de la masculinité.
En quoi ce que vous nommez « l'imaginaire impérialiste » des pays du Nord a-t-il des conséquences nocives sur les pays du Sud dans ce secteur ?
L'histoire des produits menstruels industriels commence au Nord. Ces produits ont d'abord été vendus en Europe, ensuite aux États-Unis, puis progressivement exportés. Ces produits sont présentés comme des symboles de la modernité, avec l'idée que celle-ci vient forcément du Nord. Et puis, des produits menstruels qui ont été interdits au Nord vont rester distribués au Sud. Dans les années 1990, par exemple, on a démontré qu'une certaine serviette Always contenait un composant dangereux pour la santé. Ces serviettes ont été interdites à la vente en Amérique du Nord et en Europe, mais ont continué à être vendues au Kenya.
On va exporter des serviettes hygiéniques, faire des dons en Inde, en Afrique de l'Est. Des produits sont déstockés, distribués un peu à l'aveuglette sans qu'on s'inquiète de savoir si c'est viable, soutenable. Il ne suffit pas de donner des produits jetables pour créer de l'hygiène menstruelle. Cela crée des problèmes de déchets et rend une population dépendante d'un produit qui ne sera pas toujours gratuit. Par ailleurs, on continue à décrédibiliser les techniques jusqu'ici utilisées localement.
Comment construire une culture menstruelle anticonsumériste ?
Il faut trouver des manières de se passer du marché. Donc, cesser de recourir à des produits industriels jetables, en essayant de revenir ou d'inventer une nouvelle forme d'autoproduction. C'est ce que font déjà beaucoup de militants et militantes depuis des décennies en fabriquant eux-mêmes des produits menstruels durables, que ce soit des serviettes, des culottes, des cups. Cela crée aussi de la sociabilité, en apprenant à faire l'objet, en partageant des informations.
Ces produits pourraient aussi être intégralement pris en charge par le service public, et les informations autour de ces besoins menstruels rendues accessibles dans les structures de proximité. Je suis pour une « sécurité sociale de la menstruation », dans l'esprit de ce que l'on appelle la « sécurité sociale de l'alimentation ». La santé reproductive fait partie de la santé, pourquoi les produits menstruels n'ont-ils jamais été pris en compte et remboursés ?
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Kanaky. Du méfait colonial à la mondialité

La Kanaky (maintenant convulsive sous le mépris, la violence et la mort) offre à la vieille République française une occasion de se moderniser. Sa juste revendication exige une autre vision du monde. Elle demande aussi un réexamen de ce qui se « crie » tristement « Outre-mer ». Cette estampille ténébreuse camoufle ensemble un système et un syndrome.
28 mai 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
Système, parce que, depuis des décennies (déjouant les mannes européennes et les paternalistes plans de développement), tous les indicateurs mortifères attestent d'une évidence : ces situations humaines demeurent largement en dessous du niveau de bien-être humain que l'on pourrait attendre de terres dites « françaises ». Syndrome, parce que dans ces pays-là, les signes pathologiques d'assistanat, de dépendance ou de déresponsabilisation sont les mêmes et sévissent de concert. [1 – Voir « Faire-Pays ». P. Chamoiseau. Editions Le Teneur. 2023]
La mondialité
Les individus les plus accomplis (ceux qui, de par leurs divers engagements, habitent sinon des communautés mais des multitudes de « Nous ») forment aujourd'hui une matière noire du monde bien plus décisive que celle des communautés archaïques ou des vieux États-nations.
Via la Kanaky, ces pays méprisés par la France offrent à la compréhension du monde une réalité encore inaperçue. Celle-ci ne peut se percevoir par l'unique prisme du « colonial », comme le pensent encore les activistes décoloniaux. Le fait (ou mé-fait) colonial n'est qu'une donnée parmi d'autres. Il nous faut sortir de la prégnance occidentale (seule aujourd'hui à raconter le monde), et entreprendre d'inventorier, une à une, toutes les forces visibles et invisibles qui ont œuvré à l'accouchement de notre époque. En attendant, commençons par ouvrir notre focale à la mondialité.
Le poète Édouard Glissant appelait ainsi la résultante d'un tourbillon complexe. On y trouve enchevêtrées, les évolutions impénétrables du Vivant, les emmêlées des peuples, cultures et civilisations, résultant des chocs coloniaux, du broiement des empires, puis du capitalisme protéiforme. Une des résultantes cruciales de ce chaosmos : l'individuation.
Cette force a éjecté des millions d'individus des vieux corsets communautaires pour précipiter leurs combats, leurs rêves, leurs idéaux, vers des accomplissements imprévisibles dans la matière du monde. Les individus les plus accomplis (ceux qui, de par leurs divers engagements, habitent sinon des communautés mais des multitudes de « Nous ») forment aujourd'hui une matière noire du monde bien plus décisive que celle des communautés archaïques ou des vieux États-nations. Dès lors, si la mondialisation économique est un standard barbare, la mondialité est une matrice vivante ; un en-commun infra-planétaire où les « Nous » s'entremêlent et relient par des agentivités créatives tout ce qui se trouvait séparé. C'est de cette matrice encore invisible à nos yeux que va surgir, tôt ou tard, un autre monde, encore imprédictible.
La relation
Cette mondialité peut nous aider à comprendre la Kanaky, et à mesurer combien la Constitution française est maintenant obsolète. Surtout inacceptable. Elle verrouille (sous une fiction absurde de « départements », « régions », « collectivités » ou « territoires » d'Outre-mer) des complexités territoriales, historiques et humaines qui lui sont étrangères.
Ce ne sont pas des choses « ultramarines ». Ce sont des peuples-nations, encore dépourvus de structures étatiques ! Ils ont surgi d'une alchimie que les anthropologues reconnaissent maintenant comme étant une « créolisation ». Ce terme souligne ce qui se produit quand, de manière immédiate, massive et brutale, des peuples, des civilisations, des individus (mais aussi des interactions amplifiées entre les écosystèmes, biotopes et biocénoses) imposent aux existences une entité globale de référence : celle de Gaïa qu'aimait Bruno Latour, de cette Mère-patrie dont parle Edgar Morin, ou de ce chaosmos poétique que Glissant nomme Tout-monde.
Cette notion du tout-relié-à-tout dans des fluidités inter-rétro-actives constitue le principe actif de la créolisation. C'est d'elle qu'ont surgi ces peuples-nations que la Constitution française ne comprend pas.
Cet entremêlement inextricable du Vivant et des Hommes se serait inévitablement produit car notre planète est ronde et parce que le vivant est avant tout une mobilité. Prenons, la traite des Africains, l'esclavage de type américain, le système des plantations et des extractions massives. Ajoutons-y, la colonisation, le capitalisme, la prolifération urbaine et les systémies technoscientifiques, on aura alors à peine esquissé le plus visible d'un processus insondable : celui de la Relation. Cette notion du tout relié à tout dans des fluidités inter-rétro-actives constitue le principe actif de la créolisation. C'est d'elle qu'ont surgi ces peuples-nations que la Constitution française ne comprend pas. Elle les verrouille sous un effarouchement « indivisible » et fonde sa cinquième République sur un aussi fictif que monolithique « peuple français ». Elle réduit ainsi à de simples « populations » les entités humaines formidables que son bond colonial et son histoire relationnelle ont rendu solidaires de sa présence au monde.
Peuples ataviques et peuples composites
Mais le plus important, c'est ceci : dans la Relation, dessous le couvercle « Outre-mer », il y a aujourd'hui deux types de peuples : les peuples ataviques et les peuples composites.
Les peuples ataviques (mélanésiens de Kanaky ; polynésiens ; mahorais ; peuples originels de Guyane…) disposent d'une antériorité multimillénaire sur l'emprise du mé-fait colonial.
Les peuples composites (Martinique, Guadeloupe, Réunion…) sont des surgissements (des créolités) de la créolisation. Complètement nouveaux, ils sont les derniers peuples de l'aventure humaine à être apparus sur cette terre. Ils n'ont pas d'antériorité qui se perd dans la nuit des temps. Ils sont nés dans le vortex relationnel où se retrouvent les communautés fracassées et les individuations. Ils mélangent presque toutes les présences anthropiques planétaires. La conscience qu'ils ont désormais d'eux-mêmes en fait de véritables nations qui attendent d'être reconnues comme telles — ce que ne nul ne sait faire, à commencer par les politiciens français qui distinguent encore à peine les peuples ataviques et rechignent à comprendre leur revendication d'une existence au monde.
C'est surtout la beauté de Jean-Marie Tjibaou d'avoir accepté l'hybridation caldoche alors que cette dernière avait (conserve encore) de son sang sur les mains…
La Martinique, la Guadeloupe ont vécu la « désapparition » [2 – Les peuples Kalinago. Malgré leur effondrement, ils demeurent présents de mille façons dans les imaginaires. de leurs peuples ataviques.] En Kanaky, le peuple atavique des Kanaks a traversé héroïquement les exterminations. Il constitue une part déterminante du peuplement actuel qui, avec les diverses migrations et le choc colonial, est dorénavant une entité post-atavique. Car le mé-fait colonial et ses fluidités migrantes collatérales ont installé des complexités anthropologiques désormais inextricables. Elles obligent les peuples ataviques à composer avec des implantations nées de la colonisation et des mouvements relationnels du vivant. C'est la beauté de Nelson Mandela d'avoir su admettre la présence blanche dans le devenir de l'Afrique du Sud alors qu'il avait le pouvoir de la frapper. C'est la beauté de Mahmoud Darwich et des grands politiques palestiniens confrontés à l'irréversible implantation des Juifs. C'est surtout la beauté de Jean-Marie Tjibaou d'avoir accepté l'hybridation caldoche alors que cette dernière avait (conserve encore) de son sang sur les mains… L'agentivité de ces hommes ne s'est pas laissée enfermer dans un imaginaire communautaire ancien ou dans les frappes et contres-frappes coloniales : elles les ont dépassés pour deviner la mondialité et pour donner une âme fraternelle à la Relation. Ces hommes ont maintenu ainsi — pour tous, au nom de tous — une espérance.
L'éthique d'un nouveau vivre-ensemble
Dès lors, une éthique de la Relation s'impose.
Quand le peuple atavique subsiste dans une sédimentation composite, la bienséance du nouveau vivre-ensemble exige de lui remettre la prééminence sur le devenir de son pays : nul ne saurait démanteler ce qui l'unit à sa terre, laquelle est toujours faite (comme le disait Jean Guiart) du sang noble de ses morts.
Quand le composite est entièrement fondateur d'un nouveau peuple, il faut — non pas ignorer son existence (comme cela se fait actuellement en France pour la Guadeloupe ou pour la Martinique), mais considérer qu'il y a là une entité nouvelle, qui n'est réductible à aucune de ses composantes, qu'elle soit dominée, qu'elle soit dominante, et qui détient une autorité légitime sur le devenir de sa terre.
Le devenir des peuples ataviques est d'être post-atavique, et progressivement composite, dans l'énergie relationnelle du vivant. Celui des peuples d'emblée composites, est d'aller de la manière la plus haute, la plus humaine, la plus poétiquement ouverte et fraternelle, aux fastes de la Relation.
C'est cet imaginaire de la Relation qui nous donnera le goût de la diversité qui est au principe du vivant, d'en percevoir la profonde unité qui n'a rien à voir avec l'Universel occidental, et d'en goûter l'inépuisable diversité dont le trésor est cette insaisissable unité qui ne vit, ne s'accomplit, que dans son évolutive diversité.
Une Kanaky kanak
Cette éthique oblige donc que le corps électoral de Kanaky n'autorise aux votes déterminants que les Kanaks. Que s'y adjoignent ceux qui, venus d'ailleurs, ont été identifiés par les accords de Nouméa (1988,1998). C'est l'autorité à venir, à prépondérance kanake, qui seule pourra décider des évolutions de son système électoral.
Kanaka signifiait : être humain.
Kanak signifie pour nous, pour tous,
l'espérance possible
d'un nouvel humanisme.
Kanaka signifiait : être humain.
Kanak signifie pour nous, pour tous, l'espérance possible d'un nouvel humanisme.
Restituée à son imaginaire kanak, la Kanaky disposera de toutes les chances pour trouver un nouvel espace-temps, échapper à la gravité morbide du trou noir capitaliste, réenchanter notre rapport au vivant, et habiter enfin poétiquement la terre selon le vœu de ce cher Hölderlin.
Quant à la modernisation relationnelle de la Constitution française, elle est très simple : il suffit de proclamer une sixième République ; de la rendre capable d'accueillir en pleine autorité tous les peuples-nations (peuples nouveaux de la Relation) qui le voudraient ; d'inaugurer ainsi le pacte républicain ouvert qu'exige la nouvelle réalité (post-coloniale, post- capitaliste, post-occidentale) qu'annonce notre mondialité.
L'exploitation du nickel, le domaine maritime, la biodiversité, l'activité spatiale ou le souci géostratégique doivent désormais s'inscrire dans le respect des peuples concernés. Nous avons rendez-vous là où les océans se rencontrent, disait mystérieusement Glissant.
Que disparaisse dans cette rencontre l'Outre-mer de la France !
Patrick Chamoiseau, poète, romancier, essayiste, a construit une œuvre protéiforme couronnée de nombreuses distinctions (Prix Carbet de la Caraïbe, Prix Goncourt, Gallimard,1992, Prix marguerite Yourcenar en 2023…) et traduite dans le monde entier.
Son esthétique explore la créolisation et les poétiques relationnelles du monde contemporain.
Il est aujourd'hui une des présences littéraires les plus importantes de la Caraïbe.
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Afrique du Sud : L’ANC travaille à former une coalition

'ANC, au pouvoir en Afrique du Sud depuis 30 ans, qui a perdu sa majorité au Parlement cette semaine, a confirmé, hier, son intention d'entamer des discussions avec d'autres partis politiques pour former un gouvernement de coalition.
Tiré d'El Watan.
« L'ANC s'engage à former un gouvernement qui reflète la volonté du peuple, qui est stable et capable de gouverner efficacement », a déclaré Fikile Mbalula, son secrétaire général, selon des propos recueillis par l'AFP précisant que le parti mènerait des discussions en interne et avec d'autres partis « ces prochains jours ». « Les électeurs ont montré qu'ils attendaient des dirigeants de ce pays qu'ils travaillent ensemble dans l'intérêt de tous », a-t-il ajouté devant la presse, alors que la proclamation officielle des résultats est attendue en fin de journée. Après dépouillement de 99,89% des bulletins de vote déposés dans les urnes, mercredi, le Congrès national africain (ANC) du président Cyril Ramaphosa n'a obtenu que 40,2% des voix, une claque sévère par rapport aux 57,5% qu'il détient dans le Parlement sortant.
Ce résultat marque un tournant historique pour l'Afrique du Sud où l'ANC jouit d'une majorité absolue depuis 1994, lorsque le parti de Nelson Mandela a sorti le pays des griffes de l'apartheid et l'a fait entrer en démocratie. « Les résultats envoient un message clair à l'ANC », a reconnu F. Mbalula. « Nous voulons assurer au peuple sud-africain que nous avons entendu leurs préoccupations, frustrations et mécontentement », dans un pays plombé par un chômage tenace, de fortes inégalités et une criminalité record. L'ANC reste le parti le plus important au Parlement. Et c'est la nouvelle Assemblée qui sera chargée d'élire le prochain président courant juin.
L'ANC doit ainsi forger des alliances, soit pour former un gouvernement de coalition avec un ou plusieurs partis, soit pour persuader d'autres partis de soutenir la réélection de C. Ramaphosa qui constituerait un gouvernement minoritaire de l'ANC, qui devra chercher au coup par coup des alliés pour faire passer son budget et ses projets de loi. Bénéficiant d'une forte popularité, ce dernier a fait savoir qu'il prononcerait un discours lors de la cérémonie de proclamation des résultats, alors que certains partis ont fait état d'irrégularités dans le décompte des voix. L'uMkhonto weSizwe (MK) de l'ex-président Jacob Zuma, 82 ans, qui a demandé samedi soir un report de cette proclamation, dans un bref discours aux sous-entendus menaçants. « Si cela arrive, vous allez nous provoquer », a-t-il déclaré. « Les résultats ne sont pas corrects (...). Ne créez pas de problèmes là où il n'y en a pas », a-t-il prévenu, se plaignant de problèmes « graves » sans autre précision. Son incarcération en juillet 2021 pour outrage a provoqué des émeutes qui ont fait plus de 350 morts. Le MK devient le troisième groupe à l'Assemblée, avec 14,59% des suffrages, un score sidérant pour un parti fondé il y a seulement quelques mois pour servir de véhicule à J. Zuma. Pendant la campagne, ce parti très implanté dans la région zouloue a martelé qu'il allait remporter les deux tiers des voix.
Le président de la commission électorale, Mosotho Moepya, a affirmé que « tout ce qui se présente à nous » serait examiné, faisant état de 24 cas de recomptage. L'ANC peut composer une coalition sur sa droite, avec le premier parti d'opposition l'Alliance démocratique (DA, centre libéral), ou sur sa gauche radicale, avec le MK de Zuma ou l'EFF de Julius Malema, deux ex-figures de l'ANC ayant fait sécession. « Un gouvernement minoritaire serait totalement inédit en Afrique du Sud mais c'est une option parmi d'autres », a confirmé Helen Zille de la DA. Le MK a fait savoir qu'il ne discuterait pas avec l'ANC tant que Cyril Ramaphosa resterait à sa tête. Mais F. Mbalula a balayé cette exigence : « C'est une zone où nous n'irons pas. Aucun parti ne nous dictera de tels termes », a-t-il indiqué.
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Soudan : une année de guerre insensée et de violence extrême contre la population

La guerre au Soudan a éclaté le 15 avril de l'année dernière et continue jusqu'à aujourd'hui de ravager le pays. A l'occasion de ce triste « anniversaire », nous revenons sur l'année écoulée. Malgré les chocs et les horreurs auxquels la population est confrontée au quotidien, les Soudanais·es continuent de se mobiliser pour réclamer la fin des combats et le retour à une transition démocratique.
Tiré de la revue Contretemps
22 mai 2024
Par Sudfa
Retour en avril 2023 : une situation fragile
Suite au coup d'État du général Al-Burhan mené en octobre 2021 contre la composante civile du régime de transition, qui devait permettre l'instauration d'une démocratie réclamée par les Soudanais-e-s durant la révolution, la population soudanaise n'a pas cessé de manifester son refus du coup d'État, à travers des manifestations, grèves et occupations. En avril 2023, sous pression et de plus en plus isolé, le général Al-Burhan (chef de l'armée soudanaise) avait réouvert les discussions autour d'une transition civile.
L'objectif était de trouver un accord pour sortir de l'impasse. Mais ces discussions – qui portaient notamment sur la réforme de l'institution militaire et le calendrier de cette réforme – ont ravivé les tensions entre Al-Burhan et son allié Mohamed Hamadan Dagalo (appelé « Hemedti), à la tête de la milice des « Forces de Soutien Rapide » (RSF). Les révolutionnaires civils demandent la dissolution de toutes les milices et la constitution d'une seule armée unifiée, qui se tienne à l'écart du pouvoir politique. Mais les RSF, devenues aussi puissantes que l'armée elle-même – n'avaient pas d'intérêt à être dissoutes et regroupées dans l'armée.
La tension s'est brutalement accentuée entre Al-Burhan et Hemedti. En parallèle d'une visite stratégique aux Émirats Arabes Unis, qui le soutiennent, Hemedti commençait à déployer ses soldats à divers endroits stratégiques, notamment à Marawi, où se trouve l'aéroport militaire de l'armée soudanaise.
Le 15 avril, le jour où tout a basculé
Ce jour aurait dû être une célébration de l'Aïd. Mais ce matin-là, les habitant-e-s de Khartoum ont été réveillé-e-s par des tirs et des explosions. La guerre venait d'éclater entre l'armée soudanaise et les RSF. Qui a tiré la première balle ? On ne le sait toujours pas. Pour la première fois dans l'histoire du Soudan, la guerre a éclaté dans la capitale, à proximité du palais présidentiel. La sidération était totale. Pensant que les affrontements dureraient à peine quelques heures, nombreux sont ceux à avoir quitté leurs maisons en imaginant y revenir le soir même. Mais ils ne sont jamais revenus.
La sidération s'est poursuivie dans les jours suivants. L'attention de la communauté internationale (États-Unis, pays européens et pays du Golfe) a principalement porté sur l'évacuation de leurs ressortissants. Le départ des étranger-e-s issu·e·s de ces pays a été vécu par la population soudanaise comme un abandon de la communauté internationale. Les Soudanais-e-s et les étranger-e-s d'autres nationalités qui n'avaient pas été évacué-e-s (notamment africaines) sont resté-e-s livré-e-s à eux-mêmes, au milieu des combats.
Entre massacres à répétitions et tentatives de négociations : synthèse d'une année de guerre
Pendant plus de trois semaines, la capitale et plusieurs villes du Darfour (Nyala, Al Fasher) et du Kordofan (Al Obeid) ont été soumises à des combats ininterrompus entre les bombardements de l'armée et les tirs des RSF. Les habitant-e-s ont rapidement témoigné sur les réseaux sociaux de cambriolages, de vols, et de viols de la part des soldats des RSF, mais aussi des militaires. Les Soudanais·e·s ont continué à quitter massivement leurs maisons, pour aller depuis la capitale vers la province (Wad Madani, Gezira, Port Soudan) mais aussi vers l'Égypte et l'Éthiopie, le Tchad et le Sud du Soudan.
En mai 2023, des négociations ont eu lieu à Djeddah avec la médiation des États-Unis et de l'Arabie Saoudite. L'objectif était de rassembler les deux généraux autour de la table. Mais l'initiative était vouée à l'échec : les RSF débutaient – au même moment – un massacre (qualifié de génocide) à Al-Geneina, ville frontière avec le Tchad, située au Ouest Darfour [1].
Le massacre d'Al-Geneina prolonge ainsi l'histoire des génocides au Darfour qui ont eu lieu au début des années 2000, avec le soutien de l'armée et du gouvernement d'Omar El-Béshir. Musab, militant soudanais en exil, pointe ainsi du doigt la double responsabilité des RSF et de l'armée dans ces massacres :
« Les militaires sont complices de tout ça, même durant le génocide au Darfour en 2003, ils étaient témoins du massacre. Les milices permettent à l'armée soudanaise de rejeter sur elles sa responsabilité. Les militaires sont censés être le premier groupe qui évite d'entrer dans une guerre, mais au Soudan c'est le contraire. »
En décembre 2023, la ville de Wad Madani est tombée aux mains des RSF, après que l'armée ait une nouvelle fois abandonné la population locale. Les destructions, bombardements, vols, pillages, se sont poursuivis dans tout le pays, s'étendant progressivement du Darfour et de la capitale vers le centre et l'Est.

Avancée des différentes forces armée en février 2024. Source : Sudan War Monitor
En janvier 2024, le collectif « Taqqadum » – composé de plusieurs partis politiques – a signé un accord avec les RSF à Addis-Abeba, dans lequel les RSF s'engagent à garantir une transition civile et démocratique s'ils gagnent la guerre. Cet accord – qui a notamment été signé par Abdallah Hamdock (l'ancien premier ministre de la période de transition) – a été largement contesté et décrié par les Soudanais-e-s, qui considèrent qu'aucune compromission n'est possible avec les RSF.
Si cet accord survenu à un moment où les RSF prenaient l'avantage sur l'armée, il s'inscrit également dans une « normalisation diplomatique » des relations avec les RSF. De janvier à mars 2024, Hemedti a ainsi effectué une série de visites officielles dans les pays voisins, où il a été reçu comme un allié diplomatique. Mais plus récemment, l'armée soudanaise a remporté – grâce à des drones iraniens – plusieurs combats majeurs sur les RSF. A ce jour, l'issue de la guerre reste donc toujours très incertaine.
Une guerre difficile à comprendre
Les raisons profondes de cette guerre sont obscures et font l'objet de débats au sein des Soudanais·e·s, comme le constate Khansa, militante soudanaise en exil :
« Il n'y a pas une seule analyse profonde sur la situation actuelle au Soudan, et c'est ça qui nous rend confus. Il y a des gens qui soutiennent la guerre, qui veulent que les militaires écrasent les RSF quoi qu'il arrive, mais il y a aussi des gens qui considèrent les RSF comme un allié politique, ou encore d'autres qui ont des intérêts directs dans la guerre. Et il y a des gens qui disent : « Non à la guerre ! », qui pensent que c'est la pire chose qui peut arriver. Avec tous ces discours, on n'arrive pas à trouver une bonne orientation, ni de bons outils de travail pour être plus efficaces. Parce qu'il y a un manque d'analyse et on n'a pas de boussole. »
Certains estiment que c'est une guerre de pouvoir entre deux hommes, pour leurs simples intérêts personnels. Pour Khaled – militant soudanais en exil – la guerre peut être analysée d'un point de vue féministe, comme une « compétition de virilité entre deux généraux qui prennent en otage la population soudanaise ». D'autres estiment qu'il s'agit d'une « guerre entre différents groupes sociaux et culturels de la société », avec une dimension raciale qui conduit à des génocides. D'autres considèrent qu'il s'agit d'une guerre « impérialiste », car chacun des deux groupes qui s'affrontent est soutenu par différentes puissances étrangères qui convoient le Soudan pour ses ressources naturelles et pour sa localisation stratégique. Khansa considère ainsi que : « la guerre est une étape très violente qui se traduit par le fait qu'il y a des organisations armées qui essayent de monopoliser les richesses et le pouvoir du pays par les armes, par n'importe quel moyen. »
Mais pour beaucoup, il s'agit avant tout d'une guerre « contre-révolutionnaire ». En mettant le pays à feu et à sang, elle a fait s'effondrer les espoirs de la révolution civile et démocratique. Et a poussé sur les routes de l'exil de nombreux·ses militant·e·s engagé·e·s dans la révolution. En déstabilisant complètement le pays, cette guerre permet aux cadres de l'ancien régime de rester en place sans être jugés pour les crimes qu'ils ont commis durant des décennies (durant la dictature militaire puis du coup d'État).
Se mobiliser et résister
Malgré l'immense douleur et la colère, les Soudanais-e-s n'ont pas dit leur dernier mot et la flamme de la résistance est toujours présente. La mobilisation demeure active dans le pays (voir notre précédent article). Du côté de la société civile, les initiatives se sont multipliées pour réclamer la fin de la guerre. En novembre 2023, les comités de résistance (organisations autogérées par quartier de la société civile, et fer de lance du mouvement de contestation depuis 2018) ont publié une déclaration avec des pistes concrètes de propositions pour mettre fin à la guerre [2], réformer les forces armées soudanaises, mettre en place un gouvernement civil et obtenir justice pour toutes les victimes de guerre. De nombreuses initiatives locales mettent en œuvre une solidarité dans les différents quartiers, malgré une situation humanitaire catastrophique.
La résistance se poursuite également dans la diaspora soudanaise à travers le monde, même si la guerre affecte aussi fortement les Soudanais-e-s à l'étranger (voir notre précédent article). Rashida – militante soudanaise en exil – note une différence entre la période post-révolutionnaire et la situation aujourd'hui :
« Les gens sortaient en masse après le coup d'État, parce qu'il y avait de l'espoir. Mais maintenant, nous ne sommes pas nombreux aux manifestations. C'est la guerre, et il n'y a plus d'espoir, nous sommes perdus. Les manifestations sont tristes, car il n'y a personne qui n'a pas été touché directement par cette guerre. »
Pour autant elle continue à se mobiliser, en considérant que « c'est le minimum que je peux faire » pour soutenir son pays depuis la France, et « qu'il ne faut rien lâcher ».
A Paris, des militants ont manifesté place de la République contre la guerre, et d'autres ont fait entendre leur voix en perturbant la « Conférence sur la crise humanitaire au Soudan » organisée par les puissances internationales, accusée par de nombreux militants soudanais de poursuivre la normalisation des relations internationales avec les RSF et d'aller à l'encontre de la volonté de la population soudanaise. Des manifestations ont eu lieu hier dans différentes villes du monde, à Paris, Londres, Boston, New York, Oslo, Washington, Phoenix, Cardiff, dans le cadre de la « Global March for Sudan » qui vise à demander la fin immédiate de la guerre.
*
Illustration : Combats à Nyala au Darfour. Source : réseaux sociaux
Sudfa est un blog participatif franco-soudanais, créé par un groupe d'ami-e-s et militant-e-s français-e- et soudanais-e-. Il se donne pour objectif de partager ou traduire des articles écrits par des personnes soudanaises, ou co-écrits par des personnes soudanaises et françaises, sur l'actualité et l'histoire politiques, sociales et culturelles du Soudan et la communauté soudanaise en France. Il publie le bloghttps://blogs.mediapart.fr/sudfa, d'où est tiré cet article.
Notes
[1] Aujourd'hui, des journalistes soudanais·e·s et organismes d'investigation tentent de comprendre ce qui s'est passé à Al-Geneina au cours de ces derniers mois, et d'estimer le nombre de morts : certaines études évoquent entre 10 et 15 000 mort·e·s rien que dans cette ville, ce qui est autant que le nombre total de mort·e·s dans tout le pays évoqué par l'ONU.
[2] La déclaration des comités de résistance sera traduite prochainement sur Sudfa.
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Tunisie. Kaïs Saïed instrumentalise la crise migratoire pour mettre au pas la société civile

Le président tunisien accuse les organismes d'aide aux migrants de faciliter leur implantation dans le pays et de “porter atteinte à l'État”. Un nouveau prétexte pour tenter de faire taire les voix critiques, s'alarme “Nawaat”, un média tunisien lui-même menacé, après l'arrestation de plusieurs responsables associatifs.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Dessin de Z paru dans Débats Tunisie, Tunisie. Article paru à l'origine dans nawaat.org
Des militants et des employés d'organisations de la société civile arrêtés, des organismes onusiens vilipendés, des médias, dont Nawaat, ciblés. Encore une fois, la crise migratoire sert de prétexte pour encourager la chasse aux voix critiques envers [le président tunisien,] Kaïs Saïed.
Dans le sillage de cette guerre contre la migration irrégulière, des figures de la société civile ont été arrêtées. Parmi elles, la fondatrice de l'association Mnemty et militante antiraciste Saadia Mosbah [ainsi que d'autres responsables d'associations travaillant auprès des migrants subsahariens]. Les chefs d'accusation contre eux sont graves : blanchiment d'argent ou encore “association de malfaiteurs dans le but d'aider des personnes à accéder au territoire tunisien”, selon le parquet
Le chef de l'État avait convoqué une réunion du Conseil de sécurité nationale, le 6 mai, consacrée notamment à la question de la migration irrégulière et au financement étranger des associations.
Le chef de l'État parle de “mercenaires”, de “traîtres” qui “portent atteinte à l'État au nom de la liberté d'expression”. Le président de la République évoque un complot visant l'implantation des migrants subsahariens en Tunisie. Il s'agit, selon lui, d'“individus qui ont reçu de l'argent en 2018 pour installer les migrants irréguliers en Tunisie”.
Des ONG accusées d'inertie
Dans ce cadre, Saïed a entamé sa diatribe contre la société civile, notamment contre ceux qui viennent en aide aux migrants. Il les accuse ainsi de manigancer pour fragiliser l'État. Son argumentaire se base sur la publication d'un appel d'offres dans un quotidien venant d'une association d'accueil de migrants. Et sur ce qu'il appelle “les fonds venant de l'étranger en millions de dinars”.
Son discours intervient dans un contexte de crise migratoire. Depuis plusieurs jours, les habitants d'El-Amra et de Jbeniana, deux petites villes très proches, au nord de Sfax, ont exprimé leur ras-le-bol face à la présence de migrants subsahariens. Plusieurs de ces derniers ont été installés dans les oliveraies de la région.
Ce n'est pas la première fois que le chef de l'État se sert de la question migratoire pour s'attaquer à ses opposants et à la société civile en particulier. Au mois d'août 2023, la crise migratoire à Sfax a été une occasion de mener son offensive contre eux. À l'époque, il a critiqué violemment le positionnement des ONG internationales et locales dans cette crise, et ce, sans jamais les nommer. Il s'est contenté de les accuser d'inertie dans la prise en charge des migrants. “Elles prétendent protéger les migrants mais leur prétendue protection se limite [à] la publication de communiqués mensongers”, avait-il déclaré.
La nouveauté avec cette crise, c'est qu'il a désigné clairement deux de ces ONG, en l'occurrence l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Ces derniers ne font que publier des communiqués, lance Saïed. Et d'insister sur la nécessité pour les associations de traiter avec un seul interlocuteur, à savoir l'État tunisien. Paradoxalement, tout en leur reprochant “leur inertie”, il pointe du doigt leur aide aux migrants.
Deux organisations liées à l'ONU
Pointés du doigt par le chef de l'État, l'OIM et le HCR ne travaillent pas dans l'opacité. Contacté par Nawaat dans le cadre d'un reportage sur le campement des réfugiés soudanais dans le quartier du Lac 1 (gouvernorat de Tunis), le HCR nous a fourni les détails concernant son action auprès des réfugiés.
Débordé par l'afflux massif de migrants, notamment des Soudanais fuyant la guerre, l'organisme onusien avance qu'il s'“efforce” de veiller à ce que les réfugiés et les demandeurs d'asile bénéficient d'une protection conforme au droit international, englobant l'accès aux procédures d'asile et aux services de base. En l'occurrence l'aide juridique, un soutien psychosocial, des abris, l'accompagnement vers l'autonomisation, etc.
Ces aides élémentaires ne permettent pas, comme le disent les migrants eux-mêmes et d'autres associations tunisiennes, de vivre confortablement en Tunisie mais [seulement] de survivre. D'ailleurs, le HCR est couramment la cible de critiques de la part des réfugiés et des demandeurs d'asile.
Accusée de faciliter l'implantation des migrants, l'OIM dispose d'un programme d'aide au retour volontaire en faveur des migrants se trouvant en Tunisie.
Rattachés à l'ONU, l'OIM comme le HCR bénéficient de sources de financement connues et reconnues. Les autorités tunisiennes ont une visibilité sur les entrées d'argent de ces organisations comme de toute association bénéficiant d'un financement étranger. Ces ONG affirment, par ailleurs, collaborer étroitement avec les autorités tunisiennes dans la gestion de la crise migratoire.
Rétrécir le champ civique et politique
La société civile est dans le collimateur de Kaïs Saïed depuis des années. Ses appréhensions quant [au] rôle [de ces organismes] et son obsession en rapport avec leur financement étranger se sont manifestées depuis [l'époque où] il était candidat à la présidentielle en 2019. Pourtant, le financement étranger ne concerne pas uniquement la société civile mais tous les domaines, y compris les institutions de l'État.
[Après avoir été] associée au financement du terrorisme, la société civile est désormais accusée d'activités criminelles visant la composition démographique du pays. Les prétextes changent, mais le but reste le même : rétrécir l'espace civique en instaurant un climat hostile vis-à-vis d'une frange de la société civile critique envers le pouvoir en place.
En effet, depuis des mois, la menace d'un amendement du décret-loi 88 [la Tunisie dispose de l'un des cadres juridiques les plus progressistes du monde arabe en matière de liberté d'association, mais une proposition de loi risque de remettre en question les acquis de l'actuel décret-loi 88-2011 relatif aux associations] plane sur la société civile. Des projets de loi dans ce sens sont en gestation. Leur caractère liberticide limitera considérablement l'espace civique.
Mais les restrictions de l'espace civique ont d'ores et déjà commencé. Selon nos sources, certaines ONG ont vu leurs partenariats avec des acteurs publics suspendus ou gelés. De nombreux abus ont été enregistrés également contre des individus travaillant dans des organisations de la société civile, notamment au niveau du renouvellement de leur carte d'identité.
En mars dernier, la Banque centrale de Tunisie a émis une circulaire contenant de nouvelles règles relatives aux transferts financiers provenant de l'étranger au profit des associations. Ces règles apportent de nouvelles restrictions ciblant les associations.
“Une offensive méthodique et systématique”
“Avec l'arrestation de personnalités de la société civile, le danger est monté d'un cran. On est passé de simples menaces à des intimidations financières, et aujourd'hui à des arrestations policières”, s'inquiète Amine Ghali, directeur des programmes au centre Al-Kawakibi pour la transition démocratique (Kadem), dans un entretien avec Nawaat.
Même son de cloche du côté de Bassem Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH). “Il s'agit d'une offensive méthodique et systématique contre la société civile, et qui ne date pas d'aujourd'hui. Elle a juste pris une autre tournure, bien plus dangereuse, avec cette vague d'arrestations”, dénonce Trifi dans un entretien avec Nawaat.
D'après lui, la société civile “sert de bouc émissaire” lors de cette crise. Au lieu de clarifier la politique de la Tunisie dans la gestion frontalière des flux migratoires, du contenu de ses accords avec l'Union européenne ou avec les pays subsahariens, Saïed ne rate pas une occasion de s'attaquer à la société civile. Il entretient ainsi des “amalgames” entre le problème de la migration et le rôle de la société civile, dénonce le représentant de la LTDH.
Ces amalgames alimentent également la haine et le racisme d'une frange de la population envers les migrants, sur le terrain mais aussi sur les réseaux sociaux. Le chef de l'État les livre encore une fois à la vindicte populaire et à la répression policière. Plusieurs centaines d'hommes, de femmes et d'enfants ont été expulsés vers les frontières du pays.
La vague de racisme s'abat aussi sur les Tunisiens à la peau noire. La présidente de Mnemty, Saadia Mosbah, est ainsi touchée. Des compatriotes à la peau noire sont accusés de comploter contre l'État en soutenant le projet colonisateur des migrants subsahariens.
Les médias dans le viseur
Outre les associations et les militants, les sbires du régime à l'image de Riadh Jrad, chroniqueur à l'émission télé Rendez-vous 9, sur la chaîne de télévision privée Attessia, s'en prennent aux médias en les traitant de “traîtres” et de “mercenaires”. Selon lui, ces derniers essaient d'abattre le président de la République, et par ricochet l'État tunisien. Et Nawaat figure en bonne place parmi les médias cités par Jrad, supporteur inconditionnel du régime de Saïed.
Le chroniqueur accuse Nawaat d'avoir “des financements suspects”. Or les sources de financement de notre média sont clairement indiquées sur notre site en toute transparence et sont connues des autorités tunisiennes. Les contenus publiés sur notre site témoignent de notre attachement aux droits et libertés, à la dignité des personnes, notamment les plus vulnérables dont les migrants, et à la souveraineté de la Tunisie.
“Cette offensive visant Nawaat et d'autres médias s'inscrit dans le cadre de la répression de la liberté d'expression”, explique Zied Dabbar, président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), interviewé par Nawaat. En effet, des dizaines de journalistes ont fait l'objet de poursuites judiciaires depuis le coup de force de Kaïs Saïed, le 25 juillet 2021.
“Le rôle des journalistes n'est pas de relayer la version officielle de l'État, qu'elle soit politique, judiciaire ou sécuritaire, mais de chercher l'information de façon objective et déontologique”, insiste-t-il. Et de rejeter “les propos diffamatoires” visant Nawaat et les autres médias. “Nous encourageons les journalistes à continuer leur travail dans la recherche de la vérité”, plaide-t-il.
Un appel qui risque de ne pas être entendu par une partie des journalistes et des militants de la société civile. “Les gens sont fatigués. Un climat de peur et d'autocensure s'est instauré”, se désole Bassem Trifi.
Rihab Boukhayatia
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Appel à la vérité et la justice en Kanaky/Nouvelle-Calédonie

« Nous appelons les journalistes et critiques politiques qui œuvrent pour une information impartiale et véridique, à apporter une couverture médiatique plus globale et plus juste sur ce qui se passe actuellement dans l'archipel. » Une cinquantaine d'universitaires, artistes et citoyen·es de Kanaky/Nouvelle-Calédonie et de France interpellent les responsables politiques et les médias. Et alertent sur les nombreuses contrevérités en circulation dans les débats en cours.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Nous, citoyen·nes de Kanaky/Nouvelle-Calédonie et de France, engagé·es pour la justice envers le peuple kanak et les peuples colonisés, appelons le plus grand nombre à prendre conscience de la crise politique, sociale et économique qui se déroule actuellement en Kanaky/Nouvelle-Calédonie.
Malgré les dix jours de mobilisations pacifiques (les « Dix jours pour Kanaky » ) organisés par le mouvement indépendantiste sous le leadership de la Cellule de Coordination des Actions de Terrain (CCAT) et l'adoption, le 13 mai, par la majorité du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, de la résolution demandant le retrait du projet de loi sur la modification du corps électoral provincial, le passage en force du Parlement français le 14 et 15 mai dernier a attisé les tensions dans la capitale de l'archipel.
Le corps électoral gelé est un acquis fondamental pour le peuple kanak minorisé dans son propre pays. Obtenu au prix de vies kanak et françaises, il est formalisé dans l'Accord de Nouméa signé en 1998.
À l'heure où nous écrivons ces lignes, le passage en force de l'État français a causé 7 morts officiellement, des centaines de blessés, l'instauration de l'état d'urgence, l'interdiction de TikTok et le déploiement des forces de l'ordre (gendarmes, GIGN, CRS et forces armées de Nouvelle-Calédonie) de façon démesurée.
Certains représentant·es et commentateur·ices politiques profitent de l'ignorance générale quant à la nature de ces mobilisations et s'empressent de ressortir le discours qualifiant les Kanak de « voyous » et « terroristes », souvent utilisés dans les années 80 pour décrédibiliser le mouvement indépendantiste et justifier le recours à la force de l'État français.
Nous appelons les journalistes et critiques politiques qui œuvrent pour une information impartiale et véridique, à apporter une couverture médiatique plus globale et plus juste sur ce qui se passe actuellement dans l'archipel.
Cela implique de faire remonter d'égale manière les violences envers le peuple autochtone kanak et/ou militant·es indépendantistes plus largement qui sont initiées et perpétrées par des milices européennes armées et par les forces de l'ordre, dans un contexte où la population kanak semble être perçue comme « ennemi intérieur ».
Nous appelons les représentant·es politiques qui siègent à l'Assemblée Nationale et au Sénat de montrer une plus grande vigilance quant à la désinformation et aux propos biaisés qui circulent au cours de leurs débats sur les aspirations et les actions du peuple kanak colonisé et des populations qui veulent construire le pays avec lui, ainsi que sur le projet politique indépendantiste.
Nous appelons enfin tous les représentant·es politiques de Kanaky/Nouvelle-Calédonie qui n'ont pas su accepter la main tendue par le peuple autochtone kanak mais qui ont, au contraire, au cours de ces dernières années, et jours, refusé de négocier autrement que selon leurs propres termes, durci leurs positions politiques et, plus récemment, appelé à la mobilisation de milices armées et mortifères, à prendre leur pleine et entière responsabilité.
Bien que le processus d'autodétermination du territoire exigeait la neutralité de l'État français, le président Emmanuel Macron avait clairement annoncé son parti pris en déclarant en mai 2018, lors d'une visite dans l'archipel à la veille du 1er référendum, que « la France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie ».
Emmanuel Macron avait présenté lors de cette même visite sa stratégie d'axe Indo-Pacifique qui nécessite la pérennisation de l'occupation et de la colonisation française dans la région. La non-neutralité de l'État dans ce processus s'est à nouveau manifestée lors de la nomination de Mme Sonia Backès, cheffe de file des Loyalistes, comme secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté sous le Gouvernement d'Elisabeth Borne de juillet 2022 à octobre 2023, puis plus récemment celle de M. Nicolas Metzdorf, député anti-indépendantiste, comme rapporteur du projet de réforme constitutionnelle du corps électoral provincial.
Le gouvernement français a failli dans sa responsabilité face à la Kanaky/Nouvelle-Calédonie et, au lieu de continuer le processus de décolonisation sur lequel il s'était engagé depuis deux décennies, s'est borné à son agenda politique jusqu'au-boutiste en faisant passer le troisième référendum d'autodétermination par la force en 2021 et en faisant voter le dégel du corps électoral à Paris en 2024, en l'absence totale de représentant·es politiques kanak et/ou indépendantistes, par des politiques qui, pour la plupart, ignorent l'histoire et le contexte historique et politique du pays, ainsi que l'impact de leurs décisions pour la population de Kanaky/Nouvelle-Calédonie.
Plutôt que le chemin du dialogue et de l'humilité, ce gouvernement a choisi celui de la force en y mobilisant 2700 effectifs de la gendarmerie, des CRS, et du GIGN, en plus des forces armées de la Nouvelle-Calédonie. La mémoire est encore fraîche dans l'opinion publique française des violences des forces de l'ordre envers les gilets jaunes, envers le personnel soignant lors de la grève des hôpitaux, envers les pompiers lors des manifestations ou encore envers les habitants de banlieues françaises.
Nous invitons les lecteur·ices à prendre la mesure de l'ampleur que cette violence peut prendre dans un contexte colonial, à la couverture médiatique restreinte, et situé à 17 000 km de la France.
Nous appelons la population ainsi que les représentant·es politiques, médias et journalistes français·es à se conscientiser et à se mobiliser pour une plus grande justice envers le peuple kanak et les populations engagées à ses côtés en Kanaky/Nouvelle-Calédonie.
Si le contexte de la Kanaky/Nouvelle-Calédonie a souvent été brandi comme « exception » dans l'histoire de la France, en ce qu'il représente une opportunité de première décolonisation « réussie », les actes de l'État français piétinent cette opportunité aux dépens du peuple kanak et des autres communautés du pays désirant vivre ensemble paisiblement et de manière égale.
L'histoire contemporaine nous enseigne que la légalité des actions d'un gouvernement n'est pas forcément juste ni humaine. Trop d'horreurs ont été perpétrées par le passé par le colonialisme européen qui bafoue les droits humains fondamentaux des peuples du Pacifique et des Suds pour ses intérêts économiques et politiques.
En ces heures sombres, il s'agit donc de s'éduquer et de se mettre du bon côté de l'histoire en portant des valeurs de justice et d'humanité, car ce n'est pas la Nouvelle-Calédonie qui rend la France plus belle, mais la capacité du peuple français à s'engager sur la voie de la décolonisation et à véritablement incarner les valeurs promues par la France.
Les signataires
Anaïs DUONG-PEDICA, chercheuse et enseignante d'université
Angélique STASTNY, docteure en science politique et maître de conférence en études anglophones
Teva AVAE, artiste musicien
Aurélie BOULA, hydrogéologue
Louise CHAUCHAT, avocate
Mathias CHAUCHAT, professeur des universités, agrégé de droit publique, Université de Nouvelle-Calédonie
Stéphanie COULON, auto-entrepreneuse Marcus GAD, artiste musicien
Jean-Michel GUIART, essayiste
Karyl KONDREDI, enseignant
Iabe Patrick LAPACAS, inspecteur des finances publiques, acteur, membre du Mouvement des Jeunes Kanak en France (M.J.K.F)
Matthieu LE BARBIER, journaliste reporter d'images
Pierre Chanel Uduane LEPEU, militant associatif des associations JUPIRA, Cap 2026, Ceméa Pwârâ Wâro, centre Céméa Hubéé
Luen LOPUE, militant anticolonial
Diana MACHORO, gérante de société
Roselyne MAKALU, auto-entrepreneuse
Chrystèle MARIE, doctorante en anthropologie sociale, Lesc-CNRS, Université de Paris- Nanterre, calédonienne
Hamid MOKADDEM, écrivain, citoyen de Nouvelle-Calédonie Mouvement des Jeunes Kanak en France (M.J.K.F)
Doriane NONMOIRA, demandeuse d'emploi
Noëlla POEMATE, professeur de français
Cécile TAUHIRO, Adjoint technique de recherche et de formation dans l'enseignement et gérante de société
Pascal TJIBAOU, militant indépendantiste FLNKS et CCAT
Ariel TUTUGORO, président de la Confédération Nationale des Travailleurs du Pacifique
Claudia WABEALO, éducatrice
Coralie WAKAJAWA, fonctionnaire communale
Hmana WAWALAHA, juriste en droit public
Billy WETEWEA, pasteur de l'église évangélique de Kanaky/Nouvelle-Calédonie
Walter WHAAP, chauffeur engins miniers
Tristan XALITE, jeune kanak de Lifou
Jean-Pierre XOWIE, militant du FLNKS
Sadia AGSOUS BIENSTEIN, Université Libre de Bruxelles
Etienne BALIBAR, professeur honoraire, Université Paris Nanterre
Yazid BEN HOUNET, anthropologue, chargé de recherche (HDR) au CNRS, Laboratoire d'Anthropologie Sociale (Collège de France – CNRS – EHESS)
Saïd BOUAMAMA, sociologue indépendant
Vincent BRENGARTH, avocat
Lucia DIRENBERGER, sociologue, CNRS
Annie ERNAUX, écrivaine
Giulia FABBIANO, maîtresse de conférence en anthropologie, Aix-Marseille Université
Nacira GUÉNIF, sociologue et anthropologue, professeure des universités, Paris 8, LEGS (CNRS), citoyenne algéro-française
Abdellali HAJJAT, professeure de sociologie, Université Libre de Bruxelles
Sari HANAFI, professeur, Department of Sociology, Anthropology & Media Studies, Directeur du Islamic Studies program et du Center for Arab and Middle Eastern Studies, American University of Beirut, ancien président de la International Sociological Association (2018- 2023)
Léopold LAMBERT, rédacteur en chef du magazine The Funambulist
Claire MARYNOWER, maîtresse de conférences en histoire, Sciences Po Grenoble-UGA
Sylvie MONCHATRE, Centre Max Weber, Université Lumière Lyon 2
Paul B. PRECIADO, philosophe
Ulysse RABATÉ, Université Paris 8
Guillaume SIBERTIN-BLANC, professeur de philosophie, Université Paris 8
Sylvie TISSOT, sociologue, Université Paris 8, CRESPPA (CNRS)
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Nouvelle-Calédonie : après avoir tout cassé, Macron demande aux autres de réparer

Au terme d'une visite éclair dans l'archipel, le président de la République n'a rien annoncé de concret, si ce n'est qu'il donnait « quelques semaines » aux indépendantistes pour ramener le calme et reprendre le dialogue. Fuyant ses propres responsabilités, il a surtout démontré son entêtement à nier la racine coloniale du problème.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Emmanuel Macron aura donc passé 18 heures en Nouvelle-Calédonie pour finir par annoncer qu'il pourrait éventuellement défaire ce qu'il a fait et que beaucoup lui conseillaient de ne pas faire. Le tout sans jamais reconnaître sa part de responsabilité dans la crise politique que traverse l'archipel depuis bientôt deux semaines. Elle est pourtant immense, comme s'accordent à le dire la plupart des personnes qui ont eu à traiter ce dossier au cours des trois dernières décennies. Et qui en ont mesuré la complexité, tout autant que la fragilité.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, juste avant de redécoller pour la métropole, le président de la République a donné une conférence de presse dans laquelle il a dressé ses « objectifs » à court terme : le retour au calme et la reprise du dialogue entre les loyalistes et les indépendantistes. « Nous allons reprendre pas à pas chaque quartier, chaque rond-point, chaque barrage », a-t-il indiqué, évoquant les 3 000 forces de sécurité intérieure et les 130 membres du GIGN et du Raid déployés dans l'archipel pour faire face à « des émeutiers [aux] techniques quasi insurrectionnelles ».
Il s'agit là de sa « priorité », a-t-il ensuite insisté dans un entretien accordé à plusieurs médias locaux. « C'est pas le Far West, la République doit reprendre l'autorité sur tous les points. [...] En France, c'est pas chacun qui se défend, il y a un ordre républicain, ce sont les forces de sécurité qui l'assurent », a martelé le chef de l'État, en désignant explicitement les militants des quartiers populaires de Nouméa, mais sans jamais évoquer clairement les milices qui se sont constituées du côté des loyalistes. Et dont le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, avait soutenu l'existence.
Face à la presse, et après avoir abordé la question de la reconstruction, Emmanuel Macron s'est attardé sur celle du « chemin politique », reconnaissant que ce sujet était « derrière une grande partie des violences ». « Nous ne partons pas d'une page blanche », a-t-il affirmé, en se référant au préambule de l'accord de Nouméa signé en 1998. « La reconnaissance du peuple kanak, cette histoire commune, les ombres et les lumières... », a égrené le président de la République, sans jamais employer le mot « colonisation », pourtant au cœur de ce texte fondateur et des révoltes actuelles.
Le chef de l'État est resté volontairement flou sur la suite des évènements, se contentant d'expliquer qu'il ferait « un point d'étape d'ici un mois au maximum ». Mais en omettant sciemment de nommer les choses et de poser ainsi les véritables bases du problème, il a finalement donné un aperçu assez clair de ses intentions. Et exprimé entre les lignes sa volonté de poursuivre la méthode initiée fin 2021, au moment où il avait imposé le troisième référendum dans l'espoir de conclure le processus de décolonisation en l'absence du peuple colonisé.
Une méthode grossière
Interrogé sur ses échanges avec la délégation d'indépendantistes, Emmanuel Macron a d'ailleurs indiqué qu'il « ne reviendrai[t] pas sur le troisième référendum ». « C'est un point de désaccord, mais il est assumé », a-t-il dit, balayant une nouvelle fois les raisons pour lesquelles le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) avait à l'époque appelé à la non-participation. Les Kanak, premières victimes de la pandémie, étaient alors dans le temps des coutumes du deuil, qui sont intrinsèquement liées à leur identité, elle-même au cœur du contrat social calédonien.
Non content de nier le fondement même de l'accord de Nouméa, le président de la République s'est aussi employé à parler à la place des indépendantistes, avant même que ces derniers ne se soient exprimés. « Je crois qu'ils sont conscients de leurs responsabilités », a-t-il affirmé, à la façon d'un maître d'école faisant état de ses remontrances auprès de garnements. Une façon de procéder pour le moins grossière lorsqu'on connaît l'importance de la parole pour le peuple kanak. « Maintenant, je veux leur faire confiance », a ajouté le chef de l'État sur le ton de la magnanimité, comme s'il n'avait pas lui-même rompu ce contrat.
Un contrat qui reposait depuis près de quarante ans sur une exigence : l'impartialité de l'État. Plus qu'une exigence même, un principe cardinal qu'Emmanuel Macron n'a cessé de bafouer depuis 2018 et sa première visite officielle dans l'archipel. D'abord en répétant que « la France serait moins grande et moins belle sans la Nouvelle-Calédonie ». Puis en prenant fait et cause pour le camp loyaliste, jusqu'à nommer l'une de ses figures de proue au gouvernement – Sonia Backès, présidente de l'assemblée de la province Sud depuis 2019, devenue secrétaire d'État chargée de la citoyenneté entre 2022 et 2023. Enfin en tentant de mettre la pression sur les indépendantistes en imposant le dégel du corps électoral.
Emmanuel Macron considère avoir fait « le maximum d'efforts possibles » pour un retour au calme.
Les signaux d'alarme clignotaient pourtant dans tous les sens. Il y a quelques jours encore, même Édouard Philippe, dernier premier ministre à s'être occupé de ce dossier à Matignon, a publiquement affirmé que « nous [étions] sortis du cadre politique » dans lequel vivait la Nouvelle-Calédonie depuis les accords de Matignon en 1988. Ce cadre reposait « sur une forme d'impartialité de l'État, sur l'idée que toutes les évolutions devr[aient] être le produit d'un compromis, c'[était] ça la promesse », a précisé le maire du Havre (Seine-Maritime).
Ces différents coups de boutoir ont fini par faire exploser l'archipel. À présent qu'il a tout bien cassé, le chef de l'État exige des indépendantistes qu'ils réparent, selon une variante de la formule désormais consacrée de Gabriel Attal. Lui « considère avoir fait le maximum d'efforts possibles pour un retour au calme ». C'est du moins ce qu'il a expliqué lors de sa conférence de presse, lorsqu'une journaliste l'a interrogé sur la présence d'un représentant de la cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) dans la délégation des indépendantistes qu'il a rencontrée.
Une présence d'autant plus remarquée que le militant en question, Christian Tein, fait partie des nombreux membres de la CCAT actuellement assignés à résidence. « Les responsables politiques indépendantistes m'ont demandé de l'associer, a justifié Emmanuel Macron face aux médias locaux. J'ai accédé à cette demande par souci d'efficacité. C'est un geste de ma part de confiance et même de responsabilité. J'espère qu'ils seront à la hauteur de cette confiance et qu'ils tiendront leur parole [...]. S'ils ne sont pas au rendez-vous aux résultats, j'aurai eu tort. »
Une mission et toujours autant de questions
Également questionné sur la façon dont son gouvernement, et en particulier son ministre de l'intérieur et des outre-mer, avait tenté de rendre cette organisation politique infréquentable, le président de la République a balayé le sujet. « Les ministres font attention à ce qu'ils disent », a-t-il affirmé, oubliant un peu vite que Gérald Darmanin, posté juste derrière, avait parlé de « groupe mafieux » et qualifié Christian Tein de « voyou », tandis que l'ex-secrétaire d'État Sonia Backès employait le mot « terroristes ».
En signe d'« apaisement » – les guillemets sont de rigueur –, Emmanuel Macron s'est « engagé » à ce que la révision constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral « ne passe pas en force dans le contexte actuel » et que « nous nous donnions quelques semaines afin de permettre la reprise du dialogue en vue d'un accord global ». Une solution qui a sa « préférence » depuis toujours, a-t-il assuré, comme s'il n'était en rien responsable de la façon dont l'exécutif a conduit toute cette affaire, au mépris de la prudence et des alertes.
Comme toujours en pareilles circonstances, le président de la République s'est exprimé de telle façon que chacun·e puisse interpréter les sous-textes à sa manière. Ce qui n'a pas manqué, notamment dans le camp loyaliste, où le député Renaissance Nicolas Metzdorf, rapporteur du projet de loi constitutionnelle à l'Assemblée nationale, s'est réjoui du maintien du « calendrier initial », tandis que l'élu Calédonie ensemble (parti non indépendantiste), Philippe Gomès, a jugé que le chef de l'État avait dit « diplomatiquement que cette réforme “unilatérale et partielle” [était] abandonnée ».
Pour réengager le travail, le chef de l'État a choisi une mission de discussion administrative et confié à trois hauts fonctionnaires, spécialistes de la Nouvelle-Calédonie ou des sujets constitutionnels, le soin de poursuivre les échanges avec les forces politiques. Cet accord global, a-t-il précisé en conférence de presse, devra comporter la question du dégel du corps électoral, mais aussi l'organisation du pouvoir, la citoyenneté, le « nouveau contrat social » censé régler les inégalités qui se sont accrues dans l'archipel, et son avenir économique.
Il concernera également « la question du vote d'autodétermination », a conclu le président de la République, sans trop s'attarder sur ce point. Il est pourtant crucial, car il dément toutes celles et ceux qui, au sein du gouvernement et de la majorité, font mine de penser que le processus de décolonisation s'est achevé avec le troisième référendum et que la Nouvelle-Calédonie restera éternellement française. C'est renier, là encore, l'engagement que la France avait pris en signant l'accord de Nouméa : conduire l'archipel « sur la voie de la pleine souveraineté ».
Ellen Salvi
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La campagne présidentielle au Mexique

« Et la nuit, tous les chats sont gris ». Sancho Panza, dans El Ingenioso Hidalgo Don Quijote de La Mancha de Miguel de Cervantes Saavedra
28 mai 2024 | tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/laune/la-campagne-presidentielle-au-mexique.html
Carlos Alberto Ríos Gordillo
1.- Le triomphe de la gauche [avec Andrés Manuel López Obrador-AMLO, à la tête d'Ensemble nous ferons l'histoire, avec 53,19% des voix] à l'élection présidentielle mexicaine de 2018 – incroyable, tonitruant et écrasant – a peut-être été plus surprenant pour les initiés que pour les observateurs extérieurs. La coalition politique défaite [Ricardo Anaya Cortés du PAN, à la tête de Pour le Mexique en avant, avec 22,28% des suffrages et José Antonio Meade Kuribreña, ancien secrétaire des Finances sous Peña Nieto, à la tête de Tous pour le Mexique avec 16,41% des votes] a non seulement subi une débâcle électorale, mais a également été confrontée à une menace d'extinction : des milliers de ses militants allaient quitter les rangs des partis politiques où ils avaient été actifs pendant une courte période. De plus, la menace de la perte de l'enregistrement électoral des partis s'est accompagnée d'une réduction dramatique du nombre de leurs représentants dans la Chambre des députés et dans le Sénat. Alors que le centre de gravité de la politique des partis s'était déplacé vers la gauche, l'opposition s'éteignait en temps réel.
2.- Trois ans plus tard, suite aux effets de la pandémie de Covid-19, le gouvernement fédéral était pris entre le constat d'inefficacité de la politique « d'aplatissement de la courbe » (comme on disait à l'époque) des décès, et les travaux d'architecture sociale et économique : l'aéroport international Felipe Angeles (AIFA), la raffinerie « Dos Bocas » [Pemex a construit cette gigantesque raffinerie dans l'Etat de Tabasco, Etat dont est originaire AMLO], le « Train Maya » [réseau de chemin de fer qui traverse la péninsule du Yucatán et suscite des dégâts environnementaux ainsi que des effets négatifs sur les populations premières]. Projets dont la pérennité relevait d'un pronostic réservé. Or, lors des élections de mi-mandat de 2021, le gouvernement fédéral continue de remporter des victoires dans les Etats de l'intérieur du pays, bien qu'il perde sa majorité à la Chambre des députés. Il doit maintenant négocier ses réformes en cours : l'Institut national électoral (INE-composé de 12'000 membres et contrôlant les cartes d'électeur qui servent de cartes d'identité au Mexique, structure qu'AMLO veut défaire) et le Pouvoir judiciaire fédéral (PJF), et remettre le commandement de la Garde nationale [GN-renforcée par AMLO et surtout placée sous la direction de l'armée qui a acquis un pouvoir économique dans les infrastructures et de même dans le contrôle des « oeuvres de bienfaisance »] au Secrétariat à la défense nationale (SEDENA). Pour le parti au pouvoir Morena, il était temps de négocier avec une opposition qu'il avait minimisée pendant trois ans. Mais l'opposition fait de même en refusant toute réforme, en contestant toute proposition, en votant contre toute initiative. L'humiliation du vaincu a renforcé le désir de revanche et le vote contre Morena l'a enhardi : l'opposition a exercé son pouvoir pour verrouiller toutes les initiatives, tout en préparant son retour à la présidence en 2024.
La campagne électorale s'intensifie. La plupart des médias sont des ennemis du gouvernement. S'y ajoute l'activisme des conseillers électoraux de l'INE et de la présidente de la PJF [Norma Lucía Piña Hernández], ainsi qu'une série d'organisations « citoyennes », comme « Mexicains contre la corruption ». Ils ont collaboré de manière de plus en plus organisée contre le gouvernement, dont le chef AMLO, le président du Mexique, dans sa conférence matinale [las mañaneras] – véritable pouvoir politique et médiatique – tout en exerçant son « droit de réponse », leur a offert des arguments pour leur lutte politique, en particulier dans les médias et les réseaux dits sociaux.
3.- Si le président Lopez Obrador n'a pas reconnu les luttes féministes ou les luttes pour la défense des territoires et de l'autonomie – s'éloignant de plus en plus de la gauche sociale et des mouvements anticapitalistes : les dits « radicaux de gauche », qu'il assimile aux « conservateurs » – il a également créé le grand bélier contre son gouvernement. Par un étrange paradoxe, le gouvernement issu d'une victoire démocratique a créé, avec ses tentatives de réforme de l'INE, du PJF et de l'Institut national d'accès à l'information (INAI), la plateforme de lutte de ses opposants politiques acharnés : « la défense de la démocratie menacée par l'autoritarisme dictatorial ».
La parole et la figure de López Obrador ont été si efficaces et si dynamiques que c'est de lui qu'est venu l'élixir magique qui a ranimé une opposition politique moribonde. La défense de la démocratie, si chère à la gauche dans ce pays, a été expropriée par la droite et utilement utilisée pour établir un lien avec un large secteur de la population mexicaine, généralement conservateur et craignant le « communisme », censé être animé par le progressisme de López Obrador et de ses « alliés » latino-américains : Cuba et le Venezuela, en premier lieu. Sans pouvoir de rassemblement massif, toutes les marches organisées dans la capitale du pays par des groupes de « citoyens » ont eu du mal à remplir quelques avenues du centre-ville de Mexico et l'esplanade du Monument à la révolution. Néanmoins, une fois que le message selon lequel la « démocratie était menacée » par une « dictature » en marche a été habilement inséminé par les médias, les intellectuels de droite et une foule de commentateurs, d'animateurs et d'influenceurs, le paysage politique s'est métamorphosé. Dès lors, « les marches roses pour la démocratie » (Marcha Rosa por la Democracia) ont pris de l'ampleur et le zocalo (place de la Constitution) de Mexico a été investi. La défense de la démocratie a été scandée par des milliers de voix, non seulement désabusées par le gouvernement (parmi ceux qui en 2018 ont voté pour lui et ceux qui ne l'ont jamais soutenu), mais très souvent enragées contre lui : « El INE no se toca/El INE no se toca » (l'INE ne se touche pas/El INE ne se touche pas) – [la place l'INE dans le contrôle des cartes d'électeur impliquait par sa dissolution une ouverture pour des opérations électorales d'AMLO].
4.- La ruse de la droite s'est transformée en mobilisation politique (avec des citoyens réellement lassés ou directement lésés par le gouvernement), en s'appropriant une technologie de protestation sociale très chère à la gauche mexicaine : des marches dans l'espace public, cette fois-ci, colorées en rose. Mais la « marée rose » cache les vraies couleurs qui l'animent : la pigmentocratie des partis politiques d'opposition, dont l'alliance actuelle obéit au « Pacte pour le Mexique », créé au début du mandat de six ans du gouvernement PRI-Parti révolutionnaire institutionnel d'Enrique Peña Nieto (2012-2018). Craignant d'être rejetés, ces partis [qui forment une étrange coalition électorale en 2024] n'ont pas pu se montrer sous leurs propres couleurs : bleu (Partido Acción Nacional, PAN), rouge (Partido Revolucionario Institucional, PRI), jaune (Partido de la Revolución Democrática, PRD), le faisant à travers la couleur de la « société civile ».
Sur la base de la violence endémique dans le pays et de la confusion politique déclenchée par les médias (où rien n'est ce qu'il paraît être), le moment était venu de montrer qu'ils en avaient assez de la « dictature de López » et de désavouer les grands travaux d'infrastructure, considérés comme « gaspillage », « opacité », « inefficacité » et « corruption » – à l'exception des programmes sociaux, élevés au rang de droits constitutionnels par l'actuel gouvernement. Ce faisant, après avoir distillé peurs et mensonges, la droite a pénétré la psyché d'un large secteur de la population prêt à descendre dans la rue et, comme cela s'est avéré, sur les places publiques des principales villes du pays.
Débordant, l'optimisme de la foule a injecté des illusions dans un droit parasitaire qui s'est nourri de son hôte. Après un parcours erratique des anciens partis, il existait enfin une base sociale capable de soutenir une candidature qui, d'une part, correspondait au profil de ces foules et, d'autre part, pouvait rivaliser avec le parti au pouvoir et sa figure de proue dans la compétition à venir : la gouverneure de Mexico [de décembre 2018 à juin 2023], Claudia Sheinbaum [voir l'article publié sur ce site le 27 mai]. Les attaques à outrance – bien qu'en retard – et une candidate [de l'opposition] capable de rivaliser sur le plan de l'égalité des sexes sont concrétisées dans le programme de travail du groupe rival du président, de son parti, de Claudia Sheinbaum et de la coalition « Continuons à écrire l'histoire » (Parti vert, Parti travailliste, Morena). La campagne consistait à aller contre, ou à s'opposer à, sans concéder ni reconnaître, sans accepter ni valoriser. Tout nier, sans rien proposer de nouveau, est devenu le dogme des partis évincés du pouvoir, habilement dissimulé sous le masque de la société civile, et le fil conducteur de la campagne présidentielle.
5.- L'opposition, celle du « Pacto por México », a annoncé son processus interne. Plus de trente candidats se sont inscrites, mais seuls deux avaient de réelles chances : Beatriz Paredes (PRI – diplomate, première gouverneure femme de Tlaxcala) et Xóchitl Gálvez (liée au PAN, qui se présente comme candidate citoyenne – d'origine otomi, ethnie indigène, sénatrice de 2018 à 2023). Dès le départ, cette dernière semblaient la plus avantagée. En effet, l'opposition, aussi peu scrupuleuse que besogneuse, a mordu à l'hameçon de son alter ego : López Obrador, qui, habile à créer ou ressusciter des ennemis, pensait que la candidate présidentielle serait Xóchitl Gálvez, qui avait en principe des aspirations politiques plus modestes : gouverner la ville de Mexico. Mais comme elle était considérée comme l'ennemie à battre lors des élections de 2024, les prévisions de sa victoire se sont rapidement accrues. En manque de leaders féminins capables de se connecter à la population et de susciter un mouvement de masse, l'opposition a soudain découvert en Xóchitl Gálvez l'aimant capable d'attirer un secteur découragé, en colère et mobilisé contre le président, qu'elle qualifiait de « narco-président ».
Gonflée par les médias dès le début (elle a été assimilée à la « vierge de Guadalupe » – « patronne du Mexique », depuis 1895), Xóchitl Gálvez a remporté le processus interne pour être la candidate présidentielle des partis qui composent la coalition « Fuerza y Corazón por México », sans qu'il y ait eu une élection. La défense de la démocratie avait commencé sans cette dernière ! L'important était l'investiture accordée par les plus hautes sphères des partis politiques, qui avaient misé sur une candidate qui se présentait comme un cocktail idéologique : d'origine indigène, dit avoir appartenu à un courant trotskiste dans sa jeunesse, critique radicale du PRI, femme d'affaires prospère, gouverneure modèle dans une circonscription de Mexico, vendeuse de gelées dans son enfance et femme mûre qui a toujours du cran, et ainsi de suite. Sourire crispé, formes arrondies et petite taille, généralement vêtue de huipiles indigènes [vêtement mexicain brodé], la candidate « citoyenne » de la pigmentocratie [rouge, bleu, jaune] a parcouru le pays avec un discours neuf, spirituel, jovial et simple, ce qui n'empêche pas qu'il soit futile, éhonté, raciste, sexiste et classiste.
Son ignorance n'a d'égale que sa propension au mensonge et à la calomnie. Son langage, à la mesure de son monde, a été l'objet d'une attention constante. Ces derniers jours, faisant étalage de sa « prodigieuse mémoire » d'enfant, elle avouait avoir appris « les continents des capitales du monde » ! Le prodige de la mémoire serait dépassé par un exploit : « En plus, j'ai appris la capitale du monde », dit-elle fièrement. C'est peut-être pour cela que, lors d'un simulacre d'élection dans les universités mexicaines, elle n'a pas obtenu la première place souhaitée, mais la troisième, derrière Jorge Álvarez Máynez, du parti Movimiento Ciudadano (MC), avec lequel les dirigeants des autres partis avaient, dans un premier temps, demandé de s'allier. Par la suite, ils y ont renoncé en faveur de Xóchitl Gálvez. Désireux de valoriser son parti, Jorge Álvarez Máynez poursuit sa stratégie de positionnement au centre, nécessaire pour obtenir des majorités aux législatives.
6.- Orchestrée pour désorienter l'opinion publique, la campagne électorale et sa candidate est marquée du sceau d'un véritable charabia. Le désordre régnant s'est retourné contre ses orchestrateurs et menace les listes de sénateurs plurinominaux (les leaders des trois partis politiques en premier lieu), le nombre de gouvernorats, le nombre de députés et l'enregistrement des partis. Cela accroît le désespoir de Xóchitl Gálvez et la virulence de la campagne. Et ce, à tel point que la confusion a fini par engluer ses créateurs, ainsi que la candidate à la triste mémoire.
Quant à elle, sa prétendue origine indigène et son militantisme de gauche se sont révélés être une imposture politique, tout comme son caractère a révélé ses traits ordinaires et vulgaires. Ni son bain de gauche, ni ses origines populaires n'ont suffi à la rapprocher de la population et à impulser un mouvement de masse à elle seule. En coulisses, elle sème la zizanie et crée des conflits. Quant à la campagne, sa logique est simple : déformer, tromper, confondre, mentir, nier. Ce visage de la droite apparaît ici dans toute sa clarté.
Incapable d'utiliser la répression pour soumettre et submerger, la droite a eu recours à la confusion politique. La force de la base sociale de Morena explique la stratégie de la droite : ressembler à la gauche, cacher les programmes de lutte de la gauche et ses conquêtes sociales, et mettre en œuvre une confusion dont elle peut tirer des dividendes. Ainsi, lors de la dernière marche de la « marée rose » (19 mai), « citoyenne » seulement en tant qu'hypothèse, la nature partisane qui s'est toujours cachée derrière la « société civile » est apparue au grand jour. Elle y a été contrainte par la perspective proche de l'élection du 2 juin : la couleur rose n'apparaît pas sur les bulletins de vote, mais les partis politiques qui se cachaient sous elle, eux, apparaissent (PRI, PAN, PRD). Et ils ont été « invités », avec tous leurs candidats « citoyens », au rassemblement de la « société civile » sur le Zócalo de Mexico, que Gálvez a magistralement utilisé pour clôturer sa campagne. Seule la proximité de l'élection a contraint à supprimer le camouflage politique.
7.- Un tour de passe-passe politique s'est déroulé sur le zócalo : l'alchimie entre les partis politiques qui ont besoin d'une base sociale pour les citoyens et la « société civile » qui prétend être fatiguée des partis. Beau travail de métamorphose, le discours de Xóchitl Gálvez est l'emblème de l'appropriation et de l'expropriation du discours de la gauche et de ses programmes de lutte ; un symbole de la défense non plus de la démocratie (de l'INE), mais désormais de la République (au Mexique). « Avant le parti, nous avons la Patrie. Avant le parti, nous avons la République. Avant le parti, nous avons la démocratie et avant le parti, nous avons le Mexique. Le Mexique d'abord. » Ainsi a commencé l'oratrice en disant qu'elle avait été invitée par les « citoyens », dont la présence justifiait l'alliance nécessaire entre les vieux partis et la « société civile ». Si la fin justifie les moyens, la visibilité légitime ce carnaval politique et le délire de la foule : « Une lutte pour l'âme du Mexique ». Cette « large coalition » était nécessaire pour « défendre trois valeurs : la vie, la vérité et la liberté », par opposition à « la mort, le mensonge et la peur », l'héritage de ce gouvernement !
Paragraphe après paragraphe, le discours a tout englouti sur son passage : les causes et même les sujets sociaux de la gauche (les mères à la recherche des disparus, par exemple), qui sont à la fois non résolus dans l'action du gouvernement de López Obrador, et les étendards de la lutte de la gauche sociale, cachés par la droite. En montrant sa capacité à se métamorphoser en son contraire, le discours était aussi faux dans sa forme que vrai dans son contenu : la démocratie et la justice ont été deux grandes valeurs de la gauche au Mexique, mais le paradoxe est que la droite s'est opposée autant à l'une qu'à l'autre. « Des temps de santé, d'amour et d'espoir », a prédit Xóchitl Gálvez à une foule qui scandait des slogans, tout en brandissant les drapeaux des trois partis, les roses, celles de la candidate et même le drapeau mexicain. C'est dans l'espoir que s'enracine la force de la foule, qui défend la démocratie et l'âme du Mexique, face à la « dictature de López » et à son « héritière » : la « narco-candidate » Claudia Sheinbaum !
8.- Malgré cela, la coalition « Continuons à faire l'histoire » [et la candidate Claudia Sheinbaum] gagnera l'élection présidentielle et, avec elle, continuera à recycler des politiciens peu présentables qui ont adhéré à Morena avant même l'exode de la défaite électorale de 2018, et qui gouvernent aujourd'hui dans une bonne partie des Etats du pays. Cette gauche qui ressemble tant à la droite gagnera à nouveau. Ce qui est curieux, c'est que, dans une sorte de solidarité entre les contraires, les extrêmes se touchent : la droite, parce qu'elle se prétend de gauche, et la gauche, parce qu'elle se prétend différente de la droite.
Dans la confusion ambiante, tous les chats sont gris. (Article publié par Sin Permiso le 22 mai 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Carlos Alberto Ríos Gordillo est professeur du département de sociologie de la Universidad Autónoma Metropolitana, Unidad Azcapotzalco.
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Dans un Mexique qui suffoque, des élections sans écologie

Les enjeux environnementaux passent au second plan dans l'élection présidentielle du Mexique, le 2 juin. Le pays fait pourtant face à de fortes sécheresses et à une hausse des projets destructeurs.
Tiré de Reporterre. Légende de la phot : Sous la chaleur de Mexico, des affiches de Claudia Sheinbaum, candidate de la majorité au pouvoir, appellent à voter à l'élection présidentielle du 2 juin 2024. AFP/Yuri Cortez.
Les derniers sondages le confirment : le Mexique élira sa première « presidenta » (« présidente ») le dimanche 2 juin. « En tant que femme, ça va au-delà de toutes nos attentes », s'émeut Elisa, 26 ans, durant la clôture de campagne de l'ultrafavorite Claudia Sheinbaum. Dans son dernier discours, l'ancienne maire de la capitale (2018-2023) a énuméré les principaux points de son programme. Si les questions d'égalité de genre arrivent dans les premiers, les enjeux environnementaux ne sont évoqués qu'en quinzième position.
Face à elle, Xóchitl Gálvez, la candidate de la coalition de droite, joue souvent du bilan environnemental du président sortant, Andrés Manuel López Obrador (dit « AMLO »), très critiqué. « Xóchitl Gálvez se concentre sur la question climatique et sur une transition vers les énergies propres, analyse Leticia Merino, professeure à l'Université nationale autonome du Mexique et coordinatrice de l'Agenda socio-environnemental 2024. Mais comme d'autres, elle a tendance à réduire les enjeux environnementaux à la seule question climatique. »
Claudia Sheinbaum représente l'alliance de gauche, mais elle est surtout vue comme la dauphine du très populaire président López Obrador. Physicienne de formation et ancienne membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), c'est pourtant elle qui semble avoir le plus d'expérience sur les questions environnementales.
L'eau, première préoccupation
Avec des températures en constante hausse (jusqu'à 52 °C), une vague de chaleur ayant déjà fait quarante-huit morts et une sécheresse qui touche 70 % du territoire, le Mexique suffoque. À l'image du Cutzamala, le système de barrages alimentant Mexico en eau, qui fonctionne à moins de 30 % de ses capacités, les ressources en eau s'amenuisent. La perspective de stress hydrique est l'une des principales sources d'inquiétudes des Mexicains et Mexicaines.
Claudia Sheinbaum propose de changer la loi sur la gestion de l'eau, qui assure à l'État fédéral un contrôle total sur la ressource en dépit d'une gérance locale qui favoriserait les inégalités de distribution. Une proposition insuffisante, selon Leticia Merino, puisqu'il est impossible de savoir dans quel sens ces changements seraient opérés.
« Les programmes de Xóchitl Gálvez et Jorge Máynez [candidat du Mouvement citoyen, parti aux intentions de vote très faibles] sont assez pauvres, ils ne parlent presque pas d'environnement, explique la spécialiste. Et pourtant Claudia Sheinbaum n'en dit pas beaucoup plus, il n'y a rien sur la biodiversité ni sur les océans. » La perte de biodiversité et notamment des mangroves augmente pourtant la vulnérabilité face aux événements climatiques, comme avec Otis, ouragan de force 5/5, qui a littéralement détruit Acapulco en octobre 2023.
Mégaprojets
Le bilan de l'administration actuelle joue un rôle considérable dans la campagne. Et le mandat d'AMLO est notamment marqué par de grands projets, dont l'utilité divise : « Leur grande mesure a été de réduire les budgets alloués à la santé, à l'éducation, à l'écologie pour les transférer aux mégaprojets du président, déplore Leticia Merino. Alors que ceux-là violent souvent leurs propres lois sur l'environnement. »
Parmi les projets qui créent la controverse, le Train Maya et ses 1 500 kilomètres de voies ferrées reliant le sud-est mexicain, ayant engendré une importante déforestation et contamination de l'eau, ou le « corridor interocéanique », système de connexion entre les océans Atlantique et Pacifique pour concurrencer le canal de Panama.
Au Mexique, encore près de la moitié de l'électricité produite provient des énergies fossiles et notamment du charbon. Pour amorcer la transition énergétique, Claudia Sheinbaum prévoit de suivre une politique extractiviste et d'exploiter d'importantes réserves de lithium.
Au-delà de l'élection présidentielle, les législatives, locales (9 des 32 États changeront de gouvernement) et municipales rebattront aussi certaines cartes en matière de politiques environnementales.
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Lorsque le Nicaragua a poursuivi l’Allemagne en justice, certains médias ont mis le Nicaragua au banc des accusés*

Lorsque le Nicaragua a accusé l'Allemagne d'avoir aidé et encouragé le génocide israélien à Gaza devant la Cour internationale de Justice (CIJ) le mois dernier, les lecteurs des grands médias auraient pu sérieusement se demander si l'affaire du Nicaragua avait une quelconque légitimité.
Par John Perry, Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR-USA), New York, 30 mai 2024
John Perry a écrit pour The Nation, London Review of Books, Guardian, Council on Hemispheric Affairs, CounterPunch, Grayzone et d'autres médias. Il est basé à Masaya, au Nicaragua.
https://fair.org/home/when-nicaragua-took-germany-to-court-media-put-nicaragua-in-the-dock/ <https://fair.org/home/when-nicaragu...>
Traduction : Google+
L'affaire visait l'Allemagne comme étant le deuxième plus grand fournisseur d'armes d'Israël, parce que les États-Unis, le plus grand fournisseur d'Israël, n'acceptent pas la compétence de la Cour sur cette question. L'objectif ( comme l'a expliqué l'avocat du Nicaragua ) était de créer un précédent d'application plus large : les pays devraient assumer la responsabilité des conséquences de leurs ventes d'armes pour éviter qu'elles ne soient utilisées en violation du droit international.
De nombreux médias institutionnels ont adopté un point de vue plus clivant. Le Financial Times (08/04/24) a déclaré à ses lecteurs : « Le gouvernement autoritaire du Nicaragua a accusé l'Allemagne de « faciliter le génocide » à Gaza à l'ouverture d'une affaire politiquement chargée. Le deuxième paragraphe d'un article du New York Times (8/4/24) citait des « experts » qui y voyaient « une démarche cynique d'un gouvernement totalitaire visant à renforcer son image et à détourner l'attention de son propre bilan de répression qui ne cesse de s'aggraver ». Le Guardian (09/04/24) a nuancé son commentaire en faisant remarquer que « le Nicaragua n'est guère un exemple en matière de respect des droits de l'homme ».
Les doubles standards sont ici évidents. Si le gouvernement américain devait faire ce qu'il n'a pas fait jusqu'à présent, et condamner la violence génocidaire d'Israël, les grands médias occidentaux ne rappelleraient pas à leurs lecteurs les crimes contre l'humanité américains, tels que les tortures d'Abou Ghraib, les extraordinaires « renditions » ou les centaines d'emprisonnements sans procès à Guantanamo. Il est difficile d'imaginer que Washington soit accusé d'« hypocrisie » ( Guardian, 9/04/24 ) pour avoir dénoncé les crimes d'Israël. Toute condamnation d'Israël par les États-Unis ou l'un de leurs alliés occidentaux serait prise au pied de la lettre – en contraste flagrant avec le traitement médiatique d'une telle action par un pays ennemi officiel comme le Nicaragua.
*L'Allemagne « à son meilleur »*
Titre du journal El Pais : « La pire version du Nicaragua contre la meilleure version de l'Allemagne » Pour El País (11/04/24), faciliter le massacre de masse à Gaza est « l'Allemagne… à son meilleur », car elle est « motivée » par son « sens des responsabilités issu d'une histoire tragique ».
Parmi les médias de l'establishment, le journal espagnol El País (11/04/24) était peut-être le plus vitriolique dans sa description du Nicaragua. Son article sur le procès était intitulé « La pire version du Nicaragua contre la meilleure version de l'Allemagne ».
« La troisième affaire judiciaire internationale sur la guerre à Gaza oppose un régime accusé de crimes contre l'humanité à une démocratie forte et légitime », explique l'article. « C'est peut-être une noble cause, mais son défenseur ne pourrait pas être pire. »
L'article, qui ne reprenait aucune des preuves présentées par les deux parties, commentait assez curieusement que l'Allemagne était « à son meilleur » pour défendre sa cause, que sa « défense contre les accusations du Nicaragua est solide et que sa légitimité en tant qu'État démocratique est inattaquable ». Un commentaire vraisemblablement destiné à opposer sa légitimité à celle de « la dictature nicaraguayenne ».
En plus de son article cité ci-dessus, le New York Times (08/04/24) a publié un rapport plus centré sur l'affaire elle-même. Cependant, ce sont CNN (09/04/24) et Al Jazeera (08/04/24) qui se sont démarqués en couvrant l'affaire sur ses propres mérites plutôt que de se laisser distraire par une animosité envers le Nicaragua.
La présentation négative dans la plupart des médias a été répétée lorsque, plus tard en avril, ils ont titré que la demande du Nicaragua avait été « rejetée » par la CIJ (par exemple, AP, 30/04/24 ; NPR, 30/04/24), avec le New York Times (30/04/24) n'oubliant pas encore une fois d'insérer un commentaire désobligeant sur le caractère « hypocrite » de l'action du Nicaragua. Ces rapports de suivi ont largement négligé l'impact de cette affaire sur la capacité de l'Allemagne à armer davantage Israël lors de son attaque continue contre Gaza.
Le New York Times (02/03/23) a publié un titre assimilant les sandinistes nicaraguayens au parti nazi allemand, en affirmant que « la militarisation du système judiciaire contre les opposants politiques, comme cela se fait au Nicaragua, est exactement ce qu'a fait le régime nazi ».
Les grands médias ont proféré leurs critiques du Nicaragua grâce à un rapport publié fin février par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Un « groupe d'experts des droits de l'homme sur le Nicaragua » (le « GHREN ») avait produit son deuxième rapport sur le pays. Son premier, l'année précédente, avait accusé le gouvernement du Nicaragua de crimes contre l'humanité, ce qui a donné lieu à ce titre délirant du New York Times (02/03/23) : « Les « nazis » du Nicaragua : des enquêteurs stupéfaits citent l'Allemagne d'Hitler. »
Le leader du GHREN, l'avocat allemand Jan-Michael Simon, avait en effet comparé l'actuel gouvernement sandiniste aux nazis. La journaliste du Times Frances Robles a cité Simon :
« La militarisation du système judiciaire contre les opposants politiques, comme cela se fait au Nicaragua, est exactement ce qu'a fait le régime nazi », a déclaré Jan-Michael Simon, qui dirigeait l'équipe d'experts en justice pénale nommés par l'ONU, dans une interview.
« Des gens massivement déchus de leur nationalité et expulsés du pays : c'est exactement ce que les nazis ont fait aussi », a-t-il ajouté.
C'est toute une accusation, étant donné que les nazis ont créé plus de 44 000 camps d'incarcération de différents types et tué quelque 17 millions de personnes. Robles a donné peu de chiffres sur les crimes dont le Nicaragua est accusé, mais a mentionné 40 exécutions extrajudiciaires en 2018 attribuées à des membres de l'État et ses alliés, et a noté que le gouvernement Ortega avait en 2023 « retiré la citoyenneté à 300 Nicaraguayens qu'un juge a qualifiés de « traîtres à leur pays natal ».
Robles a également cité Juan Sebastián Chamorro, membre d'une famille de l'oligarchie nicaraguayenne qui compte parmi les plus farouches opposants au gouvernement sandiniste ; Chamorro a affirmé qu'il y avait des preuves de « plus de 350 personnes assassinées ». Même si c'était vrai, cela semble être très éloigné de « exactement ce que les nazis ont fait ».
Comme la plupart des journalistes occidentaux, Robles – qui a également écrit un récent article de la CIJ pour le Times – n'a prêté aucune attention aux critiques du travail du GHREN formulées par des spécialistes des droits de l'homme, qui ont affirmé que le GHREN n'avait pas examiné toutes les preuves mises à sa disposition et interviewé uniquement des sources d'opposition. Par exemple, l'ancien expert indépendant de l'ONU, Alfred de Zayas, a fustigé leur premier rapport dans son livre « The Human Rights Industry », le qualifiant de « pamphlet politique » destiné à déstabiliser le gouvernement du Nicaragua.
Même si l'on prend le récit du GHREN au pied de la lettre, le génocide de Gaza est au moins 100 fois pire en termes de nombre de morts, sans compter d'autres éléments horribles, tels que la famine délibérée, les bombardements aveugles, la destruction d'hôpitaux et bien plus encore par l'armée israéliennes. On ne sait pas pourquoi les accusations contre le Nicaragua devraient délégitimer les accusations contre l'Allemagne.
Histoire de La Haye.Le New York Times a titré le 28 juin 1986 : « La cour mondiale soutient le Nicaragua après que les États-Unis rejettent le rôle des juges »
En 1986, le New York Times (28/06/86) rapportait que la CIJ avait déclaré les États-Unis coupables de « formation, armement, équipement, financement et approvisionnement des groupes de Contras » et d'« attaques directes contre les installations pétrolières et les ports du Nicaragua ».
De nombreux médias ont mentionné le long historique de soutien du Nicaragua à la Palestine – ce qui met à mal l'accusation de cynisme qui sous-tend cette affaire – mais rares sont ceux qui ont souligné l'histoire des succès de ce pays d'Amérique latine à La Haye. Comme l'a souligné Carlos Argüello, l'ambassadeur du Nicaragua aux Pays-Bas qui a dirigé la CIJ, le Nicaragua a plus d'expérience à la Haye que la plupart des pays, y compris l'Allemagne. Cela a commencé avec son procès pionnier contre les États-Unis en 1984, lorsqu'ils ont obtenu une compensation de 17 milliards de livres sterling (qui n'a jamais été payée) pour les dommages causés au Nicaragua par la guerre des Contras financée par les États-Unis et le minage de ses ports.
Une exception notable à cette falsification historique est venue de Robles au Times (4/8/24), qui a fait référence au cas de 1984. Mais il ne s'agissait clairement pas de rappeler aux lecteurs les crimes américains, ni de démontrer que le Nicaragua est un acteur à prendre au sérieux dans le domaine du droit international. Les deux universitaires qu'elle a cités ont tous deux servi à décrire le cas actuel comme simplement « cynique ».
Le premier, Mateo Jarquín, cité par Robles, aurait déclaré que le gouvernement sandiniste avait « une longue expérience… d'utilisation d'organismes mondiaux comme la CIJ pour se tailler une place au niveau international – pour renforcer sa légitimité et résister à l'isolement diplomatique ». Robles n'a pas divulgué le surnom de Jarquín : Chamorro. Comme sa source dans l'article précédent, il fait partie d'une famille qui compte plusieurs opposants au gouvernement.
Robles a également cité Manuel Orozco, un ancien Nicaraguayen travaillant au Dialogue interaméricain basé à Washington, dont les principaux bailleurs de fonds sont l'Agence américaine pour le développement international et l'Institut républicain international, connus pour leur rôle dans la promotion des changements de régime, notamment au Nicaragua. Orozco a déclaré à Robles que « le Nicaragua n'a pas l'autorité morale et politique pour parler ou défendre les droits de l'homme, et encore moins sur les questions de génocide ».
*« Ils se sont effectivement rangés du côté de l'Allemagne »*
Associated Press : « Le plus haut tribunal de l'ONU rejette la demande du Nicaragua demandant à l'Allemagne de suspendre son aide à Israël. »
L'Associated Press (30/04/24) n'a pas saisi l'importance de la décision de la CIJ selon laquelle, « à l'heure actuelle, les circonstances ne sont pas telles qu'elles nécessitent » une ordonnance interdisant à l'Allemagne d'expédier des armes à Israël – à savoir, que l'Allemagne a soutenu qu'elle avait déjà interrompu ses expéditions de telles armes (Verfassungblog, 5/2/24).
Le 30 avril, la CIJ a refusé d'accorder au Nicaragua les mesures provisoires demandées contre l'Allemagne, exigeant notamment l'arrêt des livraisons d'armes à Israël. En tête d'affiche de ce résultat, l'Associated Press (30/04/24) a déclaré que le tribunal « se rangeait effectivement du côté de l'Allemagne ». Le média a cependant poursuivi en expliquant que le tribunal avait « refusé de rejeter complètement l'affaire, comme l'Allemagne l'avait demandé », et qu'il entendrait les arguments des deux parties, avec une résolution qui n'arriverait probablement pas avant des années.
C'était mieux que le rapport de NPR (30/04/24), qui mentionnait seulement que le tribunal poursuivait l'affaire dans son dernier paragraphe.
Mais l'avocat et professeur allemand Stefan Talmon (Verfassungblog, 02/05/24) a précisé que la décision du tribunal « limite sérieusement la capacité de l'Allemagne de transférer des armes à Israël ».
« L'ordonnance du tribunal a été largement interprétée comme une victoire pour l'Allemagne », a commenté Talmon. "Un examen plus approfondi de l'ordonnance montre cependant le contraire." Il a conclu que même si la CIJ n'interdisait pas de manière générale la fourniture d'armes à Israël, elle lui imposait des restrictions significatives en soulignant l'obligation de l'Allemagne « d'éviter le risque que de telles armes puissent être utilisées pour violer les Conventions sur les génocide et de Genève ».
Et Talmon a souligné que le tribunal semblait avoir pris sa décision selon laquelle un ordre d'arrêt des expéditions d'armes de guerre n'était pas nécessaire, sur la base de l'affirmation de l'Allemagne selon laquelle elle avait déjà cessé de le faire.
« En soulignant expressément qu'« à l'heure actuelle », les circonstances n'exigeaient pas l'indication de mesures conservatoires, la Cour a clairement indiqué qu'elle pourrait indiquer de telles mesures à l'avenir », a écrit Talmon.
Les médias de l'establishment, apparemment distraits par « l'hypocrisie » du Nicaragua qui défie un pays dont la « légitimité en tant qu'État démocratique est inattaquable », n'ont pour la plupart pas remarqué que ses efforts juridiques ont donc été au moins partiellement couronnés de succès : ils ont forcé l'Allemagne à renoncer à ses efforts inlassables de soutien au génocide israélien à Gaza et a alerté les politiciens allemands sur le fait qu'ils risquent d'être tenus pour responsables en vertu du droit international s'ils transfèrent d'autres armes de guerre.
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Dans une Europe à la croisée des chemins, la légitimité d’une voix anticapitaliste

La campagne électorale des Européennes porte la marque d'un contexte anxiogène et du désenchantement pour de larges couches de la population. Dans cette tribune plus de 125 personnalités belges, françaises et internationales dont Ken Loach, Aurore Koechlin, Miguel Urban, Andreas Malm, Olivier Besancenot ou encore Roseline Vachetta appellent à rassembler toutes les forces de la rupture sociale et écologique après les élections et à préparer le rapport de forces, en défense d'un programme de transformation sociale et écologique à la hauteur des enjeux.
Tiré de Gauche anticapitaliste
24m mai 2024
Par Gauche anticapitaliste
Cette campagne électorale porte la marque d'un contexte anxiogène et du désenchantement pour de larges couches de la population. Le « monde d'après » une pandémie meurtrière est marqué par un dérèglement climatique accéléré, des inégalités sans précédent, la Méditerranée transformée en cimetière, les invasions de l'Ukraine et de Gaza…
Ajoutons la montée du militarisme, de la répression policière et de l'extrême droite en Europe et ailleurs : les Orban, Meloni, Van Grieken, Le Pen ou Poutine, qui s'attaquent aux droits des femmes et personnes LGBTI+ à disposer de leur corps sans subir de violences, alors que le définancement des services publics fait porter aux femmes la surcharge de travail du soin.
En Belgique, la décision de regrouper les différentes élections régionales, fédérales et européennes ne peut effacer l'enjeu de ces dernières. Comment répondre à ces crises capitalistes sans passer aussi par l'échelle européenne et internationale ? La vaccination anti-Covid, les sanctions à prendre vis-à-vis des régimes russe ou israélien, la crise agricole, etc., ont montré l'importance du niveau européen.
Ces crises ont remis à l'ordre du jour la possibilité de prendre des mesures fortes : fermetures et réquisitions d'entreprises, sanctions internationales, contrôle des prix, taxation exceptionnelle…Pour autant qu'il y ait la volonté politique et le rapport de forces.
Les traités au fondement de l'UE consacrent sa construction par et pour les grandes entreprises privées du continent, dominée par des pouvoirs échappant au contrôle démocratique : Conseil, Commission et Banque centrale européenne. Elle est gangrenée par les lobbies patronaux et ceux de régimes despotiques, de la Russie au Qatar. La social-démocratie et les Verts refusent de la remettre en cause. Ces courants ont mené, en loyauté vis-à-vis du patronat, des décennies de privatisations, de libéralisations, et de casse des droits sociaux des travailleur.se.s, qui accentuent le désastre écologique.
Face à eux, des blocs réactionnaires et d'extrême droite se nourrissent des impacts antisociaux du capitalisme vert et prétendent fournir une alternative qui aggrave le racisme et le déni climatique.
Ces dernières années, l'Union européenne a conclu des « Pactes », nocifs pour ce qu'ils prétendent soigner. Le « Green Deal » ne permet pas de répondre au danger existentiel du réchauffement climatique et de l'effondrement de la biodiversité, parce qu'il s'inscrit dans la continuité capitaliste, productiviste et néolibérale des politiques de l'UE depuis quarante ans. Il consacre ainsi le gaz et le nucléaire comme « énergies de transition ». Le « Pacte migratoire » accentue la politique meurtrière de l'UE à ses frontières : il renforce l'agence Frontex connue pour ses violations des droits humains et le financement de pays tiers pour qu'ils chassent et emprisonnent les réfugié.e.s par tous les moyens possibles, jusqu'à les refouler dans le désert, comme en Tunisie.
Enfin, le « Pacte budgétaire » consacre le retour de l'austérité et des paquets de « réformes » néolibérales ralentis par la pandémie et la crise sociale liée aux prix de l'énergie. Pour la Belgique et ses régions, l'après-élections annonce des coupes budgétaires d'ampleur : Franck Vandenbroucke (Vooruit) évoque le « Plan global » d'austérité de 1993, les libéraux et la N-VA proposent d'aller tailler dans les services publics, la Sécurité sociale et la santé pour près de 30 milliards dans la législature à venir.
La gauche de gauche souffre encore à l'échelle européenne d'une absence d'un projet de société alternatif et d'une stratégie d'affrontement assumé avec le capital et ses institutions, le pire exemple étant l'évolution de Syriza en Grèce. En Belgique, le PTB incarne une des rares forces de gauche ascendantes en termes électoraux mais il n'embrasse pas la diversité des courants de la gauche radicale et ne peut constituer à lui seul une réponse suffisante aux questions stratégiques majeures à l'ordre du jour.
Nous connaissons la Gauche anticapitaliste et l'engagement de ses militant.e.s dans de multiples combats : aux côtés des Delhaizien.ne.s et des travailleur.se.s de la santé, dans les initiatives antifascistes et en défense des sans-papiers, dans les actions de désobéissance civile de Code Rouge contre TotalEnergies et Ali Baba, dans les luttes féministes, LGBTI+ et la solidarité avec les Palestinien.ne.s et les Ukrainien.ne.s ; pour un syndicalisme de combat et démocratique et une alternative politique large, plurielle et unitaire.
La Gauche anticapitaliste fait partie des courants marxistes révolutionnaires ouverts et vivants et met en avant un programme de transformation radicale vers un écosocialisme démocratique. Elle défend la nécessité d'abolir Frontex et de refonder une Europe solidaire, de socialiser le secteur financier et l'énergie, de répudier les dettes publiques, d'une décroissance juste et planifiée, et défend un front uni des mouvements sociaux, syndicaux et de gauche contre les blocs de droite et d'extrême droite.
Sans nécessairement partager la totalité de son programme, les signataires de cet appel soulignent la légitimité de la liste qu'elle présente aux élections européennes : la liste Anticapitalistes, sur laquelle figure Philippe Poutou, porte-parole du NPA et ancien candidat aux présidentielles en France.
Enfin, nous appelons à rassembler toutes les forces de la rupture sociale et écologique après les élections et à préparer le rapport de forces, en défense d'un programme de transformation sociale et écologique à la hauteur des enjeux. Un monde nouveau est nécessaire, et même urgent ; nous sommes de celles et ceux qui pensent qu'il est possible.
Premiers signataires :
Ken Loach, réalisateur
Aurore Koechlin, autrice féministe
Miguel Urban, député de l'Etat espagnol au Parlement européen
Andreas Malm, auteur et professeur associé en écologie humaine, Université de Lund en Suède)
Olivier Besancenot, ancien candidat à la présidentielle française
Roseline Vachetta, ancienne députée européenne
Christine Poupin, porte-parole du NPA-L'Anticapitaliste, militante écosocialiste
Omar Slaouti, militant antiraciste et conseiller municipal Argenteuil
Ugo Palheta, sociologue, maître de conférences à l'université de Lille
Daria Saburova, chercheuse et membre du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine
Hanna Perekhoda, chercheuse en histoire
Ilya Budraitskis, politiste, journaliste et militant socialiste russe,
Paul Murphy, député (TD) People Before Profit en Irlande
En Belgique :
Joëlle Sambi, militante et artiste
Rosetta Scibilia, syndicaliste et ancienne déléguée chez Delhaize
Arnaud Levêque, Centrale Générale FGTB
Bintou Touré, porte-parole du Comité des femmes sans-papiers Belgique
Irène Zeilinger, féministe
Céline Caudron, militante féministe
Eleonore Merza Bronstein, militante féministe et juive décoloniale
Eitan Bronstein, De-Colonizer
Bruno Beauraind, chercheur au GRESEA
Jalil Bourhidane, permanent CNE
Mathieu Verhaegen, Président CGSP-ACOD ALR-LRB Bru
Youri Vertongen, docteur en sciences politiques, UCLouvain
Jacinthe Mazzochetti, professeure à l'UCLouvain et autrice
Binta Liebmann Diallo, infirmière sociale
Oli Vermeulen, membre de Fabriek Paysanne
Eric Toussaint, docteur en sciences politiques, membre du CADTM international
Sébastien Kennes, militant Luttes paysannes/Occupons le terrain
Esmeralda Wirtz, militante pour la justice climatique
La liste complète des signataires :
Abufom Pablo,Coordinateur politique du Movimiento Solidaridad (Chili)
Aissat Kamel, universitaire et militants écologiste (Algérie)
Antoine Sébastien, Docteur en Sciences Politiques et Sociales (UCLouvain), Marie Skłodowska-Curie Global Postdoctoral Fellow
Arets France, enseignante retraitée, militante syndicale CGSP active dans le soutien aux sans-papiers
Beauraind Bruno, Chercheur au GRESEA
Berquin Manu, médecin
Besancenot Olivier, ancien candidat du NPA à l'élection présidentielle française
Bigorne Alexia, Doctorante en santé publique et militante féministe et LGBTI+
Bilous Taras, co-éditeur de la revue Commons, membre du Mouvement Social (Ukraine)
Bouchez Freddy, militant de la Marche des Migrant.es région du Centre
Boulard Coralie, Doctorante à la KULeuven
Bourhidane Jalil, permanent CNE
Bouvy Jérôme, Philosophe hospitalier au Grand Hôpital de Charleroi
Brice Léonard, Chercheur en informatique, ULB
Bronstein Eitan, De-Colonizer
Bucci Mario, militant antifasciste
Budraitskis Ilya, Politiste, journaliste et militant socialiste russe
Calderón Alí, Poète, professeur à la Benemérita Universidad Autónoma de Puebla (Mexique)
Cardinal Valérie, Groupe montois de soutien aux sans-papiers
Carvalho Nadja, co-responsable des relations internationales du PSOL (Brésil)
Caudron Céline, militante féministe
Chaumont Laura, travailleuse dans un service de prévention des violences faites aux femmes
Chritiaens Hans, permanent syndical SETCa-FGTB
Coelho Allan, Philosophe et professeur à l'université de San Francisco
Como Eliana, militante féministe et syndicaliste CGIL, Confédération générale italienne du travail
Daher Joseph, Chercheur à l'université de Lausanne et militant internationaliste
De Mond Nadia, militante féministe et internationaliste belgo-italienne
De Wit Bruno, Délégué BBTK-SETCa Social Profit à Malines
Devriese Cédric, animateur en éducation permanente
Di Campo Thérèse, photojournaliste et militante des droits humains
Di Martinelli Muriel, Secrétaire fédérale CGSP-ACOD ALR-LRB BRU
Djermoune Nadir, enseignant chercheur, architecte urbaniste (Algérie)
Duggan Penelope, membre du Bureau de la Quatrième Internationale
Elophe Cyril, auteur de bande dessinée et représentant de la fédération ABDIL
Fekete de Vari François, chercheur et assistant à l'ULB/UCLouvain.
Fichefet Charlotte, Chercheuse et militante solidaire de l'Ukraine
Filoni Chiara, Militante féministe
Fonsny Pauline, militante solidaire de la lutte des sans papiers
Fossion Jamie Lee, ULB, coordinatrice en maison médicale
García Hernández Franck, sociologue, historien cubain et membre de Comunistas (Cuba)
Grun Laurence, réalisatrice
Guérard Martin, JOC
Gueye (dit Ziza Youssouf) Abdelazize, chanteur et danseur
Haberkorn Amir, Syndicaliste, militant anti-capitaliste
Hirach Faiza, militante syndicale
Houart Claire, psychologue clinicienne, psychothérapeute
Houart François, comédien
El Manouzi Ismail, directeur du journal « Al mounadil-a » (Maroc)
Izzo Alba, Comédienne et animatrice
Jiang Wanjing, Doctorante à la KULeuven
Karaoglan Ufuk, militant antiraciste
Kassar Hassène, universitaire, Tunis
Kennes Sébastien, militant Luttes Paysannes / Occupons le Terrain
Koechlin Aurore, Autrice féministe
Kyselov Oleksandr, Assistant de recherche à l'université d'Uppsala, membre du Mouvement Social (Ukraine)
Larrache Antoine, éditeur de la revue Inprecor
Laublin Régis, Militant syndical
Leidinger Romane, enseignante et militante syndicale
Leterme Cédric, Docteur en sciences politiques et sociales, chercheur-militant
Levèque Arnaud, Centrale Générale FGTB
Liasheva Aliona, co-éditrice de la revue Commons, membre du Mouvement Social (Ukraine)
Liebmann Diallo Binta, Infirmière sociale
Loach Ken, réalisateur
Lowy Michael, sociologue écosocialiste
Lucia Bayer Mats, Chercheur à l'université de Delft
Maes Renaud, Professeur à l'Umons et l'UCLouvain
Malafatti Fernanda, Docteure en éducation et enseignante à Sao Paulo
Malm Andreas, Auteur et professeur associé en écologie humaine, Université de Lund (Suède)
Mann Kay, Membre de Solidarity (USA)
Manuel Meneses Ramirez José, Docteur en philosophie et professeur au Colegio de Morelos (Mexique)
Martinez Andrade Luis, Docteur en sociologie de l'EHESS, chercheur à l'UCLouvain
Mathieu Freddy, ancien Secrétaire Régional de la FGTB Mons-Borinage
Mazzochetti Jacinthe, Professeure à l'UCLouvain et autrice
Medvedev Kirill, Musicien, poète et activiste de gauche russe
Merza Bronstein Eleonore, Militante féministe et juive décoloniale
Moonens Alessandra, médecin et avorteuse
Mora Youri, doctorant en psychologie sociale (ULB)
Mosquera Martin, éditeur principal de Jacobin Amérique latine
Moustakbal Jawad, Membre du secrétariat d'ATTAC/CADTM Maroc
Murphy Paul, Député (TD) de People Before Profit (Irlande)
Ndiaye Modou, Porte parole de la Voix des Sans Papiers Belgique
Palheta Ugo, sociologue, maître de conférences à l'université de Lille
Paquet Fanny, militante féministe
Parzenczewski Ester, chroniqueuse littéraire à « Points critiques »
Pasetti Quentin, Enseignant dans l'enseignement supérieur
Peltier Benjamin, militant des droits humains
Perekhoda Hanna, Chercheuse en histoire
Pilash Denys, co-éditeur de la revue Commons, membre du Mouvement Social (Ukraine)
Piron Daniel, ex-Secrétaire régional interprofessionnel de la FGTB Charleroi
Pommier Nicolas, ingénieur du son
Poupin Christine, porte-parole du NPA-L'Anticapitaliste, militante écosocialiste
Puissant Hamel, Délégué SETCA non-marchand
Renoir Milady, voisine solidaire de la lutte des sans papiers
Rivera Rodrigo, Senior Communications Officer at European Transport Workers' Federation
Rodriguez Bonfanti Dominique, militante progressiste
Saburova Daria, Chercheuse, membre du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine
Sambi Joelle, militante et artiste
Schievers Sean, travailleur social
Scibilla Rosetta, syndicaliste et ancienne déléguée chez Delhaize
Sepulchre Douglas, Assistant et doctorant à l'ULB
Skyba Oleksandr, Syndicat indépendant des cheminots et membre du Mouvement Social (Ukraine)
Slaouti Omar, militant antiraciste et conseiller municipal Argenteuil
Tidva Artem, militant syndical et membre du Mouvement Social (Ukraine)
Tlili Jalel, Sociologue, Tunis
Tondeur Julien, Historien
Tondeur Bruno, réalisateur/animateur
Touré Bintou, Porte parole du Comité des Femmes Sans Papiers Belgique
Toussaint Eric, docteur en sciences politiques, membre du CADTM international
Trémouilhe Julie, Auteure
Urban Miguel, député de l'Etat espagnol au Parlement Européen
Uyttebroek Julien, Travailleur syndical
Vachetta Roseline, ancienne députée européenne
Van Hasselt Thierry, artiste
Vander Elst Martin, Anthropologue et activiste
Vanneste Pierre, photographe et réalisateur
Veltmans Peter, Délégué syndical ACOD-CGSP Finances
Verhaegen Mathieu, Président CGSP-ACOD ALR-LRB BRU
Vermaut Tatiana, Enseignante
Vermeulen Oli, membre de Fabriek Paysanne
Vertongen Youri, Docteur en sciences politiques, UCLouvain
Warocquiez Dominique, activiste internationaliste
Weyts Thomas, SAP-Antikapitalisten, actif dans le réseau européen de solidarité avec l'Ukraine
Wirtz Esmeralda, Militante pour la justice climatique
Zabotin Lucas, Doctorant en anthropologie, université de Cambridge
Zeilinger Irène, féministe
Photo : Ken Loach (licence Creative Commons)
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Belgique - Le PTB entre rupture et participation

La Gauche anticapitaliste présente une liste aux élections européennes, pour une alternative anticapitaliste digne de ce nom. Aux niveaux fédéral et régional, nous appelons à voter PTB, en particulier pour les candidat⸱es issu⸱es des luttes sociales. Au-delà de nos désaccords, l'essentiel est en effet que « ici et maintenant, seul le PTB est en mesure d'infliger la gifle la plus monumentale possible à la droite et à l'extrême droite, tout en sanctionnant cette prétendue gauche (PS et Ecolo) qui leur déroule le tapis rouge. » (1)
Tiré de Gauche anticapitaliste
28 mai 2024
Par Freddy Mathieu et Daniel Tanuro
On voit bien aujourd'hui à quel point cette « gifle monumentale » effraie les possédants. C'est pourquoi la classe politique et les médias dominants assiègent le PTB pour lui faire dire qu'il est prêt à participer au pouvoir. En même temps, beaucoup dans les syndicats et les associations souhaitent que PS, ECOLO et PTB s'accordent pour faire barrage à la droite. Situation complexe. Pris entre deux feux, le PTB riposte en formulant ses « points de rupture » pour aller au pouvoir. Problème : les points avancés sont très insuffisants pour concrétiser une vraie rupture. Pourquoi le PTB adopte-t-il un profil aussi bas ? En quoi est-ce lié à l'histoire de cette organisation et à ses limites ? Et comment aller plus loin, comment, dans le contexte réactionnaire d'aujourd'hui, faire émerger sur le plan politique une alternative anticapitaliste à la hauteur des défis ? Voilà les trois questions débattues dans cette contribution au débat par des militants de la Gauche anticapitaliste.
Le PTB a le vent en poupe. Quoique les sondages soient à prendre avec prudence, sa percée est vraiment impressionnante. Elle déstabilise très sérieusement la politique traditionnelle, en particulier la social-démocratie et les Verts. Le bilan de ces partis étant jalonné de renoncements et de trahisons, il est réjouissant de les voir mis en difficulté : c'est comme une revanche. Elle traduit l'aspiration à une alternative. Le PTB prétend incarner à la fois la revanche et une alternative. Sociale, écologique, éthique, démocratique, crédible et radicale. Tournant le dos à « l'extrémisme », il se profile comme « la gauche authentique ». Une gauche qui ne renie pas ses valeurs, qui refuse les compromissions, qui met ses actes en conformité avec ses paroles et qui propose des changements concrets. C'est une raison majeure de son succès.
Mais cet énorme succès a un point faible : plus il se renforce électoralement, moins le PTB peut se soustraire à la question de la participation au pouvoir. Le PS et Ecolo l'attendent au tournant. Ils espèrent prendre à leur tour une revanche sur ce parti qui les démasque et leur prend des voix. Le calcul est simple : les gens comprendront qu'il ne sert à rien de voter pour un parti de « couillons » (Magnette) qui refusent de « prendre leurs responsabilités ». La pression monte aussi au sein des syndicats. La FGTB le dit ouvertement : du côté francophone, elle espère une gauche unie pour mieux relayer ses revendications au sein des gouvernements.
Un point d'inflexion
Alors, participer au pouvoir ? Jusqu'à présent, les porte-parole du PTB bottaient en touche. Aux journalistes, ils répondaient en substance : « On verra plus tard », « Nous ne sommes pas encore assez forts », « Il faut y aller d'abord au niveau communal », « Voyez Zelzate, c'est la preuve que nous sommes prêts, s'il y a une vraie rupture »… Or, cette ligne est devenue intenable. Quand vous êtes devenu un grand parti qui plaide pour l'urgence d'une alternative de gauche face à la menace grandissante de l'extrême-droite, vous ne pouvez pas esquiver ainsi la question du pouvoir. Le pouvoir est par définition le but de toute politique. Au stade actuel de son développement électoral, un PTB qui esquiverait la question du pouvoir amorcerait probablement son déclin. Voilà pourquoi Hedebouw et ses camarades, aujourd'hui, mettent dans le débat public les conditions de leur participation éventuelle. C'est un point d'inflexion.
Il prend une double forme.
D'une part, le PTB soumet à une série de personnalités de gauche un texte intitulé « Voter PTB : pour une vraie alternative de gauche » (2). Ce texte fustige « un capitalisme prédateur et exploiteur qui dicte sa loi et accumule des profits sans limites ». Les signataires constatent que « le tableau est sombre ». Ils ne veulent plus « se contenter des politiques de compromis qui finissent toujours par s'enliser. Le ‘sans nous ce serait pire' n'est plus de mise, disent-ils : l'heure est à la rupture, à l'affirmation de politiques réellement alternatives, à la construction de nouveaux rapports de forces ». Ils et elles remarquent que « les élus du PTB ont fait la démonstration de leur capacité à agir au sein d'institutions parallèlement à leur combat dans les luttes sur le terrain ». En conséquence, ils et elles « partagent l'espoir et la volonté du président de la FGTB, Thierry Bodson, qu'au lendemain des élections des négociations soient menées sérieusement entre le PS, Ecolo et le PTB qui arithmétiquement pourront être majoritaires en Wallonie et à Bruxelles. En dépit du double langage du PS et du refus d'Ecolo de se situer clairement sur un axe gauche-droite, concluent-ils, il nous importe en tout cas que le PTB, sans se renier, aille au bout du possible de ces négociations. »
D'autre part, comme en écho à cet appel, le PTB distingue des « points de rupture » à tous les niveaux de pouvoir (fédéral, wallon et bruxellois). Dans son programme, cette démarche est justifiée comme suit : « Nous faisons le choix de la rupture avec les politiques néolibérales de ces trente dernières années. Ce choix est nécessaire pour répondre aux urgences sociales en matière de pouvoir d'achat, de justice fiscale, de fin des privilèges politiques et de climat ».
On a donc d'une part une intention générale – rompre avec le néolibéralisme d'« un capitalisme prédateur et exploiteur » ; d'autre part une série de « points de rupture » concrets que le PTB pose comme conditions nécessaires de sa participation éventuelle.
Un exercice périlleux
En soi, pour des anticapitalistes, cette démarche est justifiée. On ne peut pas, dans le genre de situation que nous connaissons, se contenter de plaider pour la révolution, la destruction de l'État bourgeois et le pouvoir des soviets. On ne peut pas davantage se contenter de la convergence des luttes à la base, en esquivant la question de leur débouché politique. Celui-ci est indispensable. Une politique de rupture doit donc comporter plus qu'un programme de revendications et des formes de lutte : pour être crédible, elle doit tracer la perspective d'un gouvernement de rupture, et tracer le chemin pour l'imposer à la classe dominante.
Ce n'est pas un exercice facile. C'est même un exercice extrêmement périlleux, parce que le PTB doit dire s'il est prêt à gouverner avec le PS et Ecolo. C'est là qu'est le piège. Car une chose est claire comme de l'eau de roche : aucune rupture digne de ce nom n'est possible avec le PS et Ecolo. Aucune. Avec ces partis-là, il est même vain d'espérer le début d'une rupture. Les leçons de l'histoire et celles de l'actualité plus récente le montrent. En particulier pour la social-démocratie. Elle a fait le choix du capitalisme il y a plus d'un siècle. Elle est structurellement incapable de revenir en arrière. Les dernières illusions se sont envolées depuis le tournant « social-libéral » des PS, dans les années quatre-vingt. Depuis, celles et ceux qui ont envisagé de faire avec la social-démocratie (et avec les Verts) un bout de chemin qui serait « anti-néolibéral » sans être « anticapitaliste » se sont cassés les dents. Pourquoi ? Parce que le néolibéralisme est le seul régime compatible avec les exigences du capital au stade actuel de son développement. Il n'y en a tout simplement pas d'autre.
Dès lors, pour les anticapitalistes, le seul moyen d'éviter le piège des négociations gouvernementales consiste à poser des « points de rupture » répondant à la fois à trois critères : correspondre à des revendications clés des couches exploitées et opprimées ; former un ensemble limité mais cohérent de mesures, incompatible avec la politique néolibérale de cogestion du système ; s'inscrire clairement dans une dynamique d'émancipation anticapitaliste.
Au ras des pâquerettes
Examinons les « points de rupture » du PTB à partir de cette approche.
Premier constat : ils se limitent à quatre domaines – « pouvoir d'achat, justice fiscale, fin des privilèges politiques et climat ». Il n'y a pas de « point de rupture » face au racisme, à l'islamophobie, aux violences contre les femmes, à la LGBT-phobie, à la pollution chimique, au pillage néocolonial des ressources, à la remilitarisation. La suppression des centres fermés pour étrangers ne figurant pas au programme du PTB, il n'est pas étonnant (mais plus que déplorable !) qu'elle ne constitue pas un « point de rupture »… Mais pourquoi des demandes qui sont au programme, telles que l'aide au développement à 0,7% du PIB, ou l'annulation des dettes illégitimes, ne constituent-elles pas des « lignes rouges » ?
Deuxième constat : les « points de rupture » du PTB dans les quatre domaines ci-dessus ne permettent pas de « rompre avec les politiques néolibérales des trente dernières années ». Voyons cela de plus près :
. « Justice fiscale ». La « taxe des millionnaires » de 2% sur les fortunes de plus de 5 millions d'euros et 3% sur les fortunes de plus de 10 millions est « une ligne rouge » pour le PTB. Un impôt sur les patrimoines est certainement une revendication très importante mais 1°) le seuil d'imposition (5 millions !) est nettement trop élevé ; 2°) « prendre l'argent où il est » requiert aussi d'augmenter le taux de l'impôt des sociétés (ISOC). Il était de 33% environ jusqu'à ce que le gouvernement décide, en 2019, de l'abaisser à 25%. Demander le retour aux 33% n'est pas plus « extrémiste » que d'exiger le retour de la pension à 65 ans. Le programme du PTB ne le fait pas. Il demande l'application effective des 25% aux grandes entreprises et la suppression des niches fiscales, au nom de l'égalité entre PME et grandes entreprises, mais ce n'est pas un « point de rupture ».
. Pour « protéger le pouvoir d'achat » (3), le PTB a deux « points de rupture » : 1°) « réviser » la loi sur la compétitivité ; 2°) « refuser l'austérité européenne », ces « règles européennes qui voudraient qu'on fasse des économies sur les pensions, la santé et les services publics ». C'est vraiment trop limité. Pourquoi seulement « réviser » la loi sur la compétitivité ? Elle doit être abolie ! Et pourquoi s'engager seulement à empêcher de nouvelles mesures européennes d'austérité ? Européennes ou pas, il faut commencer à abolir les mesures qui ont déjà plongé 15% des Wallon⸱nes et 28% des Bruxellois⸱es sous le seuil de pauvreté, en particulier des femmes. Par exemple revenir à l'individualisation des droits en sécurité sociale (imposée, sans diktat européen, par le « socialiste » Dewulf en 1981). Elle est au programme du PTB, mais il n'en fait pas un point de rupture.
. « Climat ». Le programme du PTB dit beaucoup de choses : « contrôle public et démocratique du secteur de l'énergie », « gestion publique des réseaux d'hydrogène », « planification écologique », « sortie du marché du carbone », « plan d'investissement public ambitieux dans les énergies renouvelables, la rénovation des logements et les transports publics », etc. Raoul Hedebouw et ses camarades ne sont pas anti-productivistes, ça, on le sait. Ils ne revendiquent pas la suppression des productions inutiles ou nuisibles. Mais, tout de même : alors que la planète brûle, peut-on se contenter de la gratuité du TEC et de la STIB comme unique « point de rupture » ? Pourquoi pas le refus de l'expansion du trafic aérien ou de la construction de nouvelles autoroutes, par exemple ? Ou la dénonciation de l'accord néocolonial (concocté par la ministre Groen Tinne Van der Straeten) qui permet à la Belgique d'accaparer le potentiel renouvelable d'Oman, afin de produire dans ce pays – sans payer d'impôt et avec la complicité du despote local – l'hydrogène vert nécessaire à la pétrochimie anversoise ?
. « Privilèges politiques ». Sur ce point, on ne peut pas reprocher au PTB de faire le grand écart entre son programme et ses « points de rupture » : la revendication-phare de son programme – diviser par deux les salaires des politiciens – constitue pour lui un point de rupture majeur. Cette revendication se justifie pleinement du point de vue anticapitaliste. Le problème, c'est la place tout à fait centrale que le PTB lui donne dans sa propagande de masse, les accents de celle-ci et le danger de confusion avec le « tous pourris » de l'extrême-droite. Ce danger serait contré si le PTB exigeait une hausse de l'impôt des sociétés et un plafond à la rémunération des patrons. Malheureusement, ces revendications sont absentes de son programme électoral.
Troisième constat : là où le PTB n'a aucune chance de participer au pouvoir (au fédéral), ses « points de rupture », bien que très insuffisants, sont cependant précis. Le PTB n'entrera pas au gouvernement fédéral s'il n'obtient pas : « la fin du blocage salarial », « une vraie taxe des millionnaires », « le retour de la pension à 65 ans », « le refus de l'austérité européenne » et « la fin des privilèges en politique – en particulier la division par deux des salaires des politiciens ». Aux autres niveaux de pouvoir, c'est plus flou. Pour la Wallonie, outre la gratuité du TEC, le PTB avance « entre autres » « la mise sur pied d'un service public wallon des déchets sans taxe déchets ou sacs poubelles payants ». Pour Bruxelles, outre la gratuité de la STIB, il avance « entre autres » un refinancement fédéral de la Région, la fin de la soumission aux grands promoteurs immobiliers et la construction de logements 100% publics. Que recouvre la formule « entre autres » ? Le texte ne le dit pas…
En conclusion, les « points de rupture » du PTB sont : 1°) trop au ras des pâquerettes sur le plan socio-économique ; 2°) muets sur les revendications féministes, antiracistes, antimilitaristes, anticoloniales et anti-exclusion ; 3°) nettement au-dessous de ce qui serait nécessaire pour commencer à faire face sérieusement à l'urgence écologique en général, climatique en particulier.
Gradualisme et populisme de gauche
Il y a deux interprétations possibles à cette conclusion. Elles ne sont pas nécessairement contradictoires.
La première est que le PTB ne veut pas aller au pouvoir mais opte pour un profil très bas parce qu'il craint par-dessus tout d'apparaître comme celui qui a empêché la formation de gouvernements plus à gauche, ce qui risquerait de lui nuire aux communales. Il est probable qu'il craint surtout de décevoir les syndicats, la FGTB en particulier. C'est pourquoi ses points de rupture privilégient la fin du blocage salarial, la justice fiscale et le retour à la pension à 65 ans.
La seconde est que le PTB est prêt à « prendre ses responsabilités » si les résultats le permettent et que l'opportunité se présente. Le flou des points de rupture aux niveaux wallon et bruxellois semble être une indication dans ce sens : ne pas se lier les mains, on ne sait jamais ?…
On y verra plus clair dans quelques semaines, inutile d'anticiper. Quoiqu'il en soit, cette campagne rapproche le PTB d'un seuil qualitatif dans la longue évolution qu'il a entamée en 2007-2008. À l'époque, il décidait de se débarrasser de son image de parti stalinien, « extrémiste », pro-chinois (antisyndical et anti-Cuba à l'origine !), justifiant les crimes des Khmers rouges, l'écrasement de Tien An Men, la tyrannie en Corée du Nord (on en passe…) Le succès a été au rendez-vous, c'est le moins qu'on puisse dire – il est même spectaculaire ! Pourtant, en dépit de sa nouvelle image et de changements réels, le PTB conserve quelque chose de son passé : le dogme du « rôle dirigeant du Parti » (« le Parti dirige le front ») et, plus largement, le bilan du stalinisme (« globalement positif », comme disait Georges Marchais).
Paradoxalement, c'est ce reste qui s'exprime aujourd'hui à travers les « points de rupture ». Le passage du maximalisme au minimalisme est un grand classique des partis de la mouvance stalinienne. Comme son ex-rival le PC pro-Moscou avant lui, et pour les mêmes raisons, le parti de Raoul Hedebouw et de Peter Mertens s'engage dans une logique gradualiste de « petits pas ». Comme le PC avant lui, il l'accompagne d'une stratégie de « soft power » par la construction de ses propres associations (Intal, etc.) et par la prise de contrôle de fractions des appareils syndicaux, tels qu'ils sont.
Cette logique des petits pas porte un nom : le réformisme. Ce que le PTB fait aujourd'hui y ressemble de plus en plus. Nous ne nous en réjouissons pas, car ce n'est pas une bonne nouvelle pour la gauche ! Mais la vérité a ses droits. Au vu de la campagne actuelle, il est légitime de se demander ce qui distingue encore le PTB de la social-démocratie classique – la social-démocratie telle qu'elle était avant de se rallier au tournant néolibéral.
Bien sûr, le PTB ne s'est pas sali les mains au pouvoir, il est dans la plupart des luttes. Bien sûr, la social-démocratie est pro-OTAN, tandis que le PTB penche pour les BRICS (mais il ne revendique plus que la Belgique sorte de l'Alliance atlantique…) Les différences sont donc évidentes. Reste que le programme du PTB dans ces élections n'est pas substantiellement différent de celui de la social-démocratie. Exemple typique : la nationalisation des banques. Le PTB s'en faisait le champion. Dans sa campagne électorale, elle est remplacée par la demande d'un « contrôle public significatif sur le secteur financier » avec « création de banques publiques » et « séparation des banques d'affaires et des banques de dépôts ». C'est un programme de régulation anti-néolibérale à la Joseph Stiglitz, pas une programme anticapitaliste à la Karl Marx. Les signataires de l'appel de vote pour le PTB ont donc tout à fait raison : « des convergences programmatiques existent » avec le PS et Ecolo. Selon le Bureau du Plan, la proposition du PS sur la taxation des patrimoines est plus radicale à certains égards que celle du PTB.
Serait-ce pour masquer ces convergences que le PTB appuie à fond sur ce qui le distingue le plus nettement aux yeux des électeurs lambda – « la lutte contre les privilèges en politique » ? Ou serait-ce pour attirer des électeurs des classes les plus populaires, à qui ses autres « points de rupture » paraîtraient peu accrocheurs ? Les deux à la fois, sans doute… Le « populisme de gauche » du PTB le distingue en effet carrément du PS (et d'Ecolo !) Ceci dit, cependant, il y a aussi des similitudes PTB/PS sur le plan de la stratégie. En particulier sur la conception des rapports entre parti et mouvements sociaux.
« La politique, c'est le monopole du Parti » : telle est la marque de la social-démocratie. Elle se pose en prolongement politique des mouvements sociaux. Les syndicats, notamment, doivent donc se subordonner aux objectifs électoraux du Parti, accepter les limites de sa stratégie gradualiste. À la fin des années cinquante, quand la FGTB, au nom du monde du travail, a voulu imposer au PS son Programme de réformes de structure (un programme qui a contribué grandement à la montée vers la grève de 60-61), celui-ci s'y est opposé de toutes ses forces. « L'émancipation des travailleurs et des travailleuses sera l'œuvre des travailleurs et des travailleuses elleux-mêmes » n'est pas un mot d'ordre de la social-démocratie. Or, ce n'est pas davantage un mot d'ordre du PTB. On le voit bien aujourd'hui dans la manière dont il détermine ses « points de rupture » : en fonction de ses propres calculs politiques dans une « séquence » donnée de sa propre construction.
Pour le PTB, aujourd'hui, la « séquence » est dominée par la bataille peu visible mais très réelle qu'il mène pour l'influence au sein de l'appareil de la FGTB. D'où l'accent très socio-économique (au sens étroit) des « points de rupture ». Mais la démarche du PTB ne consiste pas vraiment à relayer politiquement l'alternative syndicale, comme la gauche socialiste le faisait au temps des Réformes de structure. L'exemple du volet fiscal est significatif : la FGTB est évidemment pour la taxation des patrimoines, mais elle articule cette demande sur d'autres. Le PTB, pour sa part, focalise ses « points de rupture » sur la seule « taxe des millionnaires ». En parallèle, son programme inclut « des propositions pour soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) » (pas seulement les petits indépendants : les PME). « Le Parti dirige le front ». Dans la « séquence » actuelle, le Parti estime que le front qu'il dirige doit s'élargir aux PME.
Quelle alternative ?
La critique est aisée, dira-t-on, quelle est votre alternative, vous qui ne représentez rien – ou si peu ?
C'est vrai : notre courant politique est plus que modeste. Il a été en concurrence pendant de longues années avec celui du PC, puis avec celui du PTB. Et le PTB a gagné. C'est devenu un parti puissant. Son hégémonie sur la gauche est indiscutable, et il rayonne en Europe. Il faut pouvoir acter ce fait, sans aigreur ni ressentiment. Mais on peut être petit et lancer une mise en garde correcte. C'est ce que nous faisons à travers cet article. Le but n'est d'ailleurs pas d'étaler nos désaccords avec le PTB. Nous n'avons donc pas fait la critique du positionnement « campiste » du PTB en appui aux BRICS, bien que ce positionnement soit, selon nous, en contradiction avec « la tendresse des peuples » (comme disait Che Guevara), c'est-à-dire avec l'internationalisme. À l'heure où le vote PTB concentre les espérances de beaucoup, nous avons voulu pointer le danger qu'un glissement vers le gradualisme peut faire courir à toute la gauche dans notre pays, y compris au PTB lui-même.
Il va de soi que notre critique requiert une alternative. Il se fait que la gauche syndicale, dans une période pas si lointaine, s'est posée cette question : comment sortir de la subordination à la social-démocratie et à son gradualisme ? Comment faire émerger une alternative politique anticapitaliste sans mettre en danger l'indépendance syndicale ? La réponse apportée tenait en quelques idées audacieuses. Elle émanait de la direction de la FGTB de Charleroi qui, à l'époque, en avait fait une brochure (4) : faire vivre « un syndicalisme plus combatif et démocratique » ; « élaborer le programme anticapitaliste que nous, en tant que syndicalistes, voulons voir relayé sur le terrain politique » ; jouer sur cette base le rôle moteur dans « le regroupement de toutes celles et ceux qui aspirent à une alternative anticapitaliste ».
Le principe de base était simple, il consistait à renverser le rapport entre mouvement social et politique : « Nous élaborerons notre programme et nous mènerons nos luttes en fonction d'une seule préoccupation : les besoins des travailleurs et travailleuses. Nous les encouragerons à s'impliquer activement et démocratiquement, afin que ce programme et ces luttes soient les leurs. Alors, nous renverserons la situation. Alors, nous regagnerons de la force. Alors, au lieu que les partis nous dictent leur politique, c'est nous qui exigerons des partis qu'ils s'engagent à lutter avec nous pour ce programme ».
« La force à regagner »
Ce texte évoquait la « force à regagner ». Ce point est décisif. Non seulement pour les syndicats mais aussi pour les autres mouvements sociaux. Depuis dix ans, on voit bien que la percée électorale d'un nouveau parti, même « de gauche authentique », ne permet pas, en soi, d'enrayer la dégradation des rapports de forces à la base, dans les entreprises, les écoles, les quartiers. « Il n'est pas de sauveur suprême, dit la chanson, ni dieu, ni César, ni tribun ». Ajoutons : « ni parti ». La dégradation, en fait, ne peut être enrayée que si les forces qui luttent sur le terrain convergent, pensent, créent, résistent et donnent le ton d'une reconquête de la politique par en-bas, dans une perspective clairement anticapitaliste et démocratique.
On a vécu un embryon de cela en 2012-2014, en particulier lorsque la CNE s'est jointe à l'appel de la FGTB de Charleroi. L'assemblée qui a réuni 500 syndicalistes de tous bords, de nombreux activistes des associations et toute la gauche radicale (Géode de Charleroi, 2014) était une première concrétisation de l'intention exprimée dans la brochure « Huit questions » : « Nous ne voulons pas figer les choses. Au contraire : il s'agit d'ouvrir un espace et d'enclencher une dynamique. Le processus de regroupement politique doit s'élargir aux membres de gauche du PS et d'Ecolo, aux intellectuels de gauche, aux militants associatifs. (…) Dans une certaine mesure, nous nous inspirons de l'action des militants ouvriers du 19e siècle qui ont œuvré à la création du POB (l'ancêtre du PS) parce qu'ils avaient compris la nécessité d'un outil politique pour renforcer leur combat. Mais il faut évidemment tirer les leçons de la manière dont cet outil politique a fini par leur échapper ».
Notre courant politique s'est engagé avec enthousiasme dans ce bouillonnement porteur d'espérance et d'émancipation. Le PTB s'y est impliqué également. Mais, pour lui, ce n'était qu'une « séquence » de sa propre construction. Dès le soir des élections de 2014, ayant réussi sa première percée au Parlement grâce aux listes PTB-Gauche d'Ouverture, le Parti sifflait la fin de la récréation. Pas besoin de regroupement, il y a le PTB. Pas besoin d'inverser les rapports entre mouvements sociaux et politique, le PTB fait la synthèse. Pas besoin d'ouvrir un espace pour créer une dynamique, devenez membre du PTB. Le petit embryon d'outil politique dont les gauches syndicales et associatives avaient commencé à se doter en forçant les organisations politiques de gauche à y participer loyalement, s'est « figé ». « L'outil politique leur a échappé ».
Dix ans après, on mesure l'ambiguïté du résultat. D'une part, le PTB vole vers un triomphe électoral. Tant mieux pour toute la gauche ! D'autre part, les « points de rupture » qu'il a déterminés tout seul sont très au-dessous du programme syndical, encore plus au-dessous du programme que la FGTB de Charleroi adoptait en 2012 dans son autre brochure, (5) et ignorent d'autres fronts de lutte…
Notre alternative, demandiez-vous ? Reprendre ensemble le fil de ce qui avait été tenté en 2012-2014, en tirant toutes les leçons de l'expérience. Appliquer la même méthode en tenant compte du nouveau contexte (géostratégique, idéologique, écologique, politique et social). Il n'y a pas d'autre voie. Nous entendons en tout cas construire notre propre courant politique pour porter cette perspective avec plus de force, avec toutes celles et tous ceux qui en comprendront l'importance. Entre rupture et participation, la responsabilité du PTB sera à la mesure de son succès électoral.
Freddy Mathieu et Daniel Tanuro
Photo reprise de la page facebook du PTB.
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Notes
↑1. Lire « Et si on réinventait l'espoir ? Déclaration de la Gauche anticapitaliste en vue des élections de 2024 »
↑2.https://pour-une-vraie-alternative-de-gauche.net/
↑3. La gauche devrait bannir cette expression néolibérale, car, en réalité, la dépendance des travailleurs/euses aux achats sur le marché exprime leur dépossession de tout pouvoir de décision sur l'économie. Marx a montré cela très clairement.
↑4. « Politique et indépendance syndicale. Huit questions en relation avec l'appel du premier mai 2012 de la FGTB Charleroi-Sud Hainaut »
↑5. « 10 objectifs d'un programme anticapitaliste d'urgence élaboré par la FGTB Charleroi-Sud Hainaut »
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Ne rien lâcher contre l’antisémitisme

Nous étions invités le mardi 21 mai à une table ronde organisée par la présidence de l'Université de Lille en présence de Régis Bordet, président de l'Université de Lille et animée par Pierre Savary, di-recteur de l'ESJ, sur le thème Israël-Palestine : Comment une communauté universitaire s'engage avec la présidente de l'association Academic Solidarity With Palestine et deux militants de l'Association Libre Palestine.
Nous y allions pour dénoncer la restriction des libertés publiques et la répression du mouvement étudiant en soutien au peuple palestinien avec l'interdiction de conférences et les interventions policières dans les universités. Nous y allions également pour alerter sur l'antisémitisme dont sont victimes les étudiants juifs depuis le 7 octobre et la nécessité pour les organisations syndicales étudiantes, pour le mouvement de solidarité avec la Palestine et pour l'administration universitaire d'entendre leur souffrance. Et de garantir aux étudiants juifs des conditions d'études sereines en combattant l'antisémitisme.
Malheureusement nous n'avons pas pu faire entendre notre voix car nous sommes tombés dans une véritable embuscade. Avant même le début de la table ronde, les deux militants de Libre Palestine ont refusé de nous adresser la parole ce qui n'augure rien de bon dans le cadre d'une discussion. Après une présentation rapide du débat par Pierre Savary, une militante de Libre Palestine a lu un communiqué collectif, préparé à l'avance avec l'ensemble de ses camarades nous a t-elle précisé.
Dans ce communiqué, il était peu question de solidarité avec le peuple palestinien. Il s'agissait surtout d'une diatribe haineuse contre le collectif Golem que nous avons dû écouter pendant que plusieurs étudiants nous filmaient avec leur portable, à l'affut du moment où, face aux calomnies, nous finirions par perdre notre sang froid. Après avoir appelé à la décolonisation de toute la Palestine historique, l'étudiante nous a accusés d'être des partisans de Netanyahu, de soutenir un génocide à Gaza, d'être des colons, d'être un collectif raciste et antisémite.
Elle n'a pas hésité à expliquer que la lutte contre l'antisémitisme était une cause noble mais pas dans le cadre du mouvement de solidarité avec la Palestine. Nous ne sommes pas antisémites a-t-elle dit, la preuve, nous aurions aimé que l'UJFP et Tsedek puissent venir à la place de Golem. Et puis de toute façon, l'antisémitisme c'est la faute d'Israël a-t-elle affirmé en citant Rony Brauman.
À la fin de ces accusations antisémites que personne n'a essayé de stopper, son camarade s'est levé et est venu nous lire, les yeux dans les yeux en nous pointant du doigt, un poème de Mahmoud Darwish : Parmi les paroles passagères : Vous fournissez l'épée, nous fournissons le sang. Vous fournissez l'acier et le feu, nous fournissons la chair […] prenez votre lot de notre sang et partez , nous accusant ouvertement d'avoir du sang sur les mains, d'être responsables et même partie prenante des massacres à Gaza. Le public s est ensuite levé brandissant des drapeaux palestiniens et en nous hurlant des slogans Sionistes, fascistes, c'est vous les terroristes, On ne discute pas avec des sionistes Vous n'avez pas votre place ici, Vous êtes des colons, Nous n'avons pas pu parler et nous avons dû subir sans broncher les calomnies antisémites dont on nous a abreuvé. Seuls quelques étudiants sont restés jusqu'à la fin pour enfin nous écouter et nous les en remercions.
Nous avons plusieurs messages à adresser aux militants de Libre Palestine qui ont écrit ce communiqué ainsi qu'aux étudiants présents dans le public qui nous ont traité de fascistes et de colons.
Avec ce communiqué, pendant cette table ronde, vous avez sombré dans l'antisémitisme.
Vous faites l'amalgame entre Juifs, israéliens, sionistes, colons et criminels de guerre que vous utilisez de manière interchangeable. En nous accusant d'être complices d'un génocide quand bien même nous avons toujours dénoncé les massacres à Gaza et appelé à un Cessez-le feu, vous nous mettez une cible dans le dos et vous encouragez la violence à notre égard. Vous vous réfugiez derrière Tsedek, l'UJFP et Rony Brauman pour mieux essentialiser tous les Juifs qui n'ont pas grâce à vos yeux et les accuser des crimes de l'armée israélienne dont ils ne sont en rien responsables.
Vous perdez l'occasion de soutenir le peuple palestinien et vous préférez vous attaquer à des étudiants juifs dont le seul tort est de parler d'antisémitisme. S'en prendre aux Juifs, qu'ils soient sionistes ou pas, n'aide en rien le peuple palestinien.
La haine antisémite que vous avez étalée au grand jour pendant cette table ronde est un désastre pour votre collectif dont vous avez dévoilé l'imposture, un désastre pour les étudiants juifs qui ne se sentent plus en sécurité pour étudier, et surtout un désastre pour le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien dont la perméabilité avec l'antisémitisme est un des principaux freins.
À la présidence de l'Université de Lille, nous voulons dire qu'il n'est pas normal qu'il n'y ait pas eu de réaction de votre part face à l'agression antisémite dont nous avons été victimes sous vos yeux, qu'il n'est pas normal que nous ayons dû supporter les invectives seuls sur l'estrade pendant 20 minutes pendant que vous discutiez avec les étudiants, qu'il n'est pas normal que nous nous soyons sentis en danger et humiliés dans le cadre d'un événement organisé par la présidence de l'Université de Lille.
Pour revenir au thème de cette table ronde, la communauté universitaire doit s'engager de deux façons : en garantissant la liberté de réunion, de débat et de manifester aux étudiants d'une part et d'autre part en garantissant la sécurité des étudiants face à l'explosion des actes antisémites depuis le 7 octobre. Force est de constater qu'aujourd'hui, la communauté universitaire échoue aussi bien dans un cas que dans l'autre.
22/05/2024 – Collectif GOLEM
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Impunité d’Israël, complicités de la France

Trop peu, trop tard. On ne peut qualifier autrement la pudibonderie des mots d'Emmanuel Macron face à la guerre génocidaire qui se poursuit dans la bande de Gaza. Il ânonne d'abord un vœu pieux, qui sonne bien trop faux : « Il faut que les opérations israéliennes cessent à Rafah. » Mais contrairement à ce que le président français affirme laconiquement, ce n'est pas aujourd'hui mais depuis plusieurs mois qu'il n'y a plus de zone sûre pour les Palestiniens.
30 mai 2024 | tiré d'Orient XXI | Photo : Jérusalem, 24 octobre 2023. Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (à droite) et le président français Emmanuel Macron (à gauche) après leur conférence de presse commune. Christophe Ena / POOL / AFP
https://orientxxi.info/magazine/impunite-d-israel-complicites-de-la-france,7377
Qui se souvient que le président Emmanuel Macron avait déclaré que Rafah constituait « une ligne rouge » ?
Ce dernier a fait mine, depuis l'Allemagne, de tenir ses positions, sur lesquels pourtant il n'a cessé de reculer à chaque nouvelle violation de la part d'Israël. Droit dans ses bottes, il a rappelé « le droit d'Israël à se défendre » — comme si le droit international pouvait concevoir que l'on puisse se défendre contre ceux qu'on occupe — ; mais, surtout, il désigne un seul coupable : « Le Hamas est responsable de cette situation ». La chutzpah israélienne s'exporte aussi en Hexagone.
Des éléments de langage vides de sens
Soyons clairs : la France officielle est complice de ce qui se passe à Gaza. En justifiant ainsi le génocide en cours, elle a accordé, avec les membres de la majorité et souvent ceux de l'opposition de droite et d'extrême droite — mais parfois aussi de gauche —, tous les arguments qui servent à blanchir le gouvernement de Benyamin Nétanyahou.
La France d'Emmanuel Macron n'a pris aucune mesure concrète pour stopper cette offensive. Les sanctions économiques, les mesures symboliques d'invisibilisation du drapeau, le boycott sportif à la veille des Jeux olympiques, la question des armes, tout cela n'est bon que contre la Russie. Face à Tel-Aviv, l'imagination fait défaut.
À ce jour, la diplomatie française n'a pas cru bon de réagir à l'ordre de la CIJ. Il a fallu quatre jours et quelques massacres — encore — pour que le chef de l'État — et seulement lui — évoque, sans le commenter, l'ordre de la plus haute instance judiciaire internationale, dont les décisions sont contraignantes pour les pays de l'ONU. Pour tous sauf Israël, qui fait fi du droit international comme humanitaire. Pour tous sauf ses alliés, comme les États-Unis mais aussi la France, dont la complicité dans le génocide en cours est accablante.
À l'image de l'Élysée, ou plutôt à ses ordres, le Quai d'Orsay n'est plus celui qui, il y a 20 ans, par la voix de son ministre, faisait l'honneur de la France en s'opposant dans le siège de l'ONU à l'invasion américaine de l'Irak ; ni celui qui, en 1980, entraînait l'Europe à reconnaitre le droit à l'autodétermination des Palestiniens et à négocier avec l'Organisation de libération de la Palestine, dénoncée alors par Israël et les États-Unis comme « organisation terroriste ». Le voilà aujourd'hui qui s'enferme à travers son dernier communiqué dans des éléments de langage vides de sens : « gravité de la situation », « indignation ». À croire que la France n'est plus un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, dont Paris contribue à torpiller la crédibilité des agences, comme elle l'a fait avec l'UNRWA, suivant le discours israélien.
Il faudra plus que quelques appels tardifs, purement déclamatoires, au cessez-le-feu. Il faudra plus que quelques votes aux Nations unies sur l'admission de la Palestine, qui se sont accompagnés d'un refus de reconnaître l'État palestinien ; l'Espagne, l'Irlande et la Norvège n'ont pas eu ces pudeurs. Il faudra plus que le communiqué verbeux du Quai d'Orsay sur la proposition du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) de lancer des mandats contre des dirigeants israéliens et palestiniens, accompagné de circonvolutions laissant entendre qu'Israël pourrait poursuivre les crimes commis par son armée, rendant inutiles de tels mandats, alors même que jamais des militaires de haut rang n'ont été sanctionnés par la justice israélienne depuis des décennies. Et on attend les protestations de Paris face à la campagne menée depuis une décennie pour discréditer la cour, menacer ses dirigeants, que vient de révéler le journal israélien +972 Yuval Abraham et Meron Rapoport, « Surveillance and interference : Israel's covert war on the ICC exposed », +972, 28 mai 2024. [1].
Le 22 mai, le ministre des affaires étrangères français Stéphane Séjourné a reçu à Paris Israël Katz, son homologue israélien. Celui-ci est un des rares dirigeants nommés par la CIJ comme ayant tenu des propos qui relèvent de l'appel au génocide. Le 13 octobre 2023, Israël Katz avait en effet déclaré sur X : « Nous allons combattre l'organisation terroriste Hamas et la détruire. Toute la population civile de Gaza a reçu l'ordre de partir immédiatement. Nous vaincrons. Ils ne recevront pas une goutte d'eau ni une seule pile jusqu'à ce qu'ils quittent le monde. » Katz a remercié son homologue français pour son opposition à la reconnaissance d'un État palestinien et pour son refus de mettre sur le même plan le Hamas et Israël, comme l'a fait le procureur de la CPI. Cette réception chaleureuse se passait au moment même où Israël intensifiait ses massacres à Gaza, et spécialement à Rafah.
Un partenaire sécuritaire de choix
Que peut faire la France pour faire pression sur Israël afin qu'il arrête ses opérations dans la bande de Gaza ? Alors que 35 % des exportations israéliennes sont destinées à l'Europe, ce levier économique n'est même pas agité ; pas plus que l'arrêt des livraisons d'armes, de composantes de fabrication (dont les chiffres d'exportation par la France restent flous) ou de munitions ; pas la moindre velléité non plus de faire respecter le droit international, en sanctionnant les entreprises françaises qui, comme Carrefour ou Alstom, sont présentes dans les territoires occupés. Tel-Aviv demeure également un partenaire sécuritaire de Paris, que ce soit pour les caméras de surveillance munies de logiciels de reconnaissance faciale qui seront utilisées pour les JO, ou pour la fabrication des drones de surveillance, notamment utilisées dans le contrôle de la frontière sud de l'Europe.
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Au niveau de l'Union européenne, Paris s'oppose à ceux qui veulent suspendre les accords d'association avec Israël, alors que chez les voisins de Wallonie, on interdit désormais aux avions transportant des armes pour Israël de transiter par l'aéroport de Liège. Et quand les étudiant·e·s de Sciences Po, de l'École normale supérieure (ENS) ou de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) occupent pacifiquement les locaux de leurs institutions pour demander la suspension d'accords de coopération avec les universités israéliennes, souvent liées à l'industrie de défense et d'armement, ils et elles sont viré·e·s manu militari, accusé·e·s, à tort, d'antisémitisme et de mettre leur établissement « à feu et à sang ». Or, seules des mesures concrètes qui feraient payer à Israël le prix de son aventure sont capables d'infléchir la stratégie de massacre de son armée. Désormais la France est à l'arrière-garde des pays européens dans le soutien au droit international et aux droits des Palestiniens.
La Convention pour la prévention et la répression du [crime de génocide] fait obligation à tous les États signataires de prendre des mesures pour « prévenir un génocide en cours », même quand celui-ci ne se déroule pas sur leur territoire. En s'y refusant, la France, pays signataire, s'expose à être poursuivie pour ses manquements. Or, elle y oppose un axiome qui tente lâchement d'instrumentaliser le sentiment de culpabilité historique face à la Shoah : « Accuser l'État juif de génocide, c'est franchir un seuil moral. »
Des cris de colère à Paris et ailleurs
Il faut mesurer ce qu'est devenue l'image de la France dans les pays du Sud ; il faut voir l'ambassade française caillassée à Beyrouth, entendre les cris de colère des manifestants devant l'Institut français de Tunis, réaliser la déception des Palestiniens, jadis si prompts à rendre hommage au pays de de Gaulle et de Jacques Chirac. Sur le plan intérieur, le gouffre se creuse chaque jour davantage entre le discours officiel et une partie de la population qui, horrifiée par ce chèque en blanc donné à Israël, se précipite dans la rue pour crier son désespoir et son désarroi. Depuis lundi soir à Paris, ils sont plusieurs milliers à descendre dans des manifestations quasiment spontanées, transformées en marches de révolte dans plusieurs quartiers de la ville. Des drapeaux français se mêlent à ceux de la Palestine, de l'Afrique du Sud et de la Kanaky, portés par des citoyens qui refusent que leur gouvernement et leur président légitiment en leur nom près de huit mois de génocide.
À l'heure où les extrêmes droites, à l'assaut du Parlement européen, nourrissent par tous les moyens les relents identitaires d'électeurs nostalgiques de la grandeur d'antan, il n'existe qu'une seule manière d'être du bon côté de l'Histoire : prendre effectivement partie pour arrêter le premier génocide du XXIe siècle.
Alain Gresh : Spécialiste du Proche-Orient, il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont De quoi la Palestine est-elle le nom ? (Les Liens qui… (suite)
Sarra Grira : Journaliste, rédactrice en chef d'Orient XXI.
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[1] Yuval Abraham et Meron Rapoport, « Surveillance and interference : Israel's covert war on the ICC exposed », +972, 28 mai 2024.

La résistible ascension des extrêmes droite en Europe

En France, les extrêmes droites constitueront sans doute la première force politique lors des élections européennes de juin 2024 et sans doute la deuxième (ou la troisième) force à l'échelle de l'Union européenne.
Un nombre relativement important de partis d'extrême droite et de droite extrême figurent désormais dans le camp des vainqueurs aux élections nationales et, même, participent aux exécutifs nationaux.
Avril 2024 | Revue L'Anticapitaliste n° 155 (avril 2024)
https://npa-lanticapitaliste.org/actualite/international/la-resistible-ascension-des-extremes-droite-en-europe
Tour d'horizon européen
En Italie, les extrêmes droites, avec le parti Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni et la Lega1, dirigent ensemble le gouvernement depuis les législatives du 25 septembre 2022, en plus du parti de droite affairiste Forza Italia de feu Silvio Berlusconi.
En Suède, deux semaines auparavant, le parti des Démocrates de Suède2 (SD) figurait parmi les vainqueurs des législatives suédoises du 11 septembre 2022. Avec 20,5 %, les SD sont devenus la deuxième force politique du pays en termes d'électorat, derrière le Parti social-démocrate (30,3 %) désormais dans l'opposition. À la suite, le parti des Modérés (droite classique, 19,1 %), réussit à former une coalition avec les chrétiens-démocrates, les libéraux et les SD. Si ce dernier parti n'occupe aucun ministère, la majorité parlementaire du gouvernement dépend de lui, et il siège à la « coordination » des partis de la coalition. L'accord de gouvernement porte largement sa signature en matière d'immigration et de sécurité.
En Finlande, suite aux législatives du 2 avril 2023, le parti des Vrais Finlandais est devenu la deuxième force politique avec 20,1 % des voix, derrière la droite classique, talonnant le « Parti de la coalition nationale » (20,8 %). Ici, l'extrême droite est entrée au gouvernement du conservateur Petteri Orpo en occupant des ministères, aux côtés du principal parti du droite ainsi que des chrétiens-démocrates et du parti de la minorité suédoise. Les Vrais Finlandais occupent notamment les ministères de l'Économie, des Finances, l'Intérieur, la Justice ainsi que le ministère des Affaires sociales. Chose remarquable : depuis l'été 2023, la Finlande est traversée par une succession de mouvements de grève ainsi que de mouvements de protestation universitaires contre des « réformes » antisociales mises en œuvre par ce gouvernement, dont, en dernier lieu, une grève qualifiée de politique (alors qu'un projet de Loi doit justement interdire les grèves dites politiques…) de quinze jours à compter du 11 mars 2024, dirigée contre une sorte de super-« Loi Travail » à la finlandaise.
Dans d'autres pays européens, l'extrême droite est en position de force. Aux Pays-Bas, Geert Wilders, fondateur en 2008 (et juridiquement le seul membre jusqu'à aujourd'hui) du Parti pour la liberté (PVV) est sorti dirigeant de la première force électorale des dernières législatives du 22 novembre 2023, avec 23,49 % des voix, après avoir obtenu 10,79 % en 2021. Or, s'il n'a pas réussi, à la suite, à former un gouvernement dont il serait le Premier ministre par manque de soutien du parlement, les Pays-Bas semblent néanmoins se diriger vers un gouvernement de coalition dont le PVV serait la première force. Une future coalition devrait réunir, outre le PVV, un parti paysan qui proteste contre les normes environnementales (le BBB), un parti de droite libérale (le VVD), ainsi qu'une scission du parti chrétien-démocrate.
En Autriche, le fragile gouvernement fédéral réunit depuis janvier 2020 la droite conservatrice (ÖVP) et les Verts. Mais le parti d'extrême droite FPÖ3 devrait être le vainqueur des législatives à venir à l'automne 2024, pour lesquels environ 30% des voix lui sont pronostiqués. En attendant, le FPÖ participe actuellement au gouvernement dans trois régions sur huit.
En Europe de l'Est, si le parti national-conservateur PIS a perdu les législatives en Pologne du 15 octobre 2023, le parti hongrois Fidesz du Premier ministre Viktor Orban, au pouvoir depuis 2010, gouverne toujours à Budapest. Les deux partis couvrent une gamme qui, en France, engloberait à la fois la droite et une partie de l'extrême droite. En Hongrie, il existe à ses côtés un parti d'extrême droite non intégré au gouvernement, le Jobbik (« Le meilleur ») ; ce parti a tenté de se recentrer sur la période la plus récente, mais sous peine de la scission d'un courant plus dur et plus extrémiste qui a donné naissance, en 2018, au mouvement Mi Hazank (« Chez nous »). Les sondages pronostiquent actuellement une chute de Jobbik à moins de 3 % des voix, contre 6,34 % en 2019 et surtout 14,67 % en 2014 ; mais la nouvelle formation Mi Hazank percerait avec plus de 8 %.
Deux groupes au parlement européen
Les extrêmes droites siègent principalement dans deux groupes séparés. D'un côté le groupe Identité et démocratie (ID), créé en 2019, qui regroupe entre autres le RN français, la Ligue italienne, le PVV néerlandais, le FPÖ autrichien et le parti allemand AfD4. De l'autre côté, le groupe des Conservateurs et réformateurs européens (ECR), dont la colonne vertébrale était initialement constituée par les Conservateurs britanniques jusqu'à leur départ du Parlement européen suite au Brexit, regroupe notamment les Fratelli d'Italia, les Démocrates de Suède, les Vrais Finlandais ou encore le parti espagnol VOX. Le PIS polonais en constitue désormais la première force.
Cependant, Fidesz, a quitté en mars 2021 le groupe du parti populaire européen (PPE qui regroupe les droites bourgeoises classiques) et négocie son rattachement à d'autres groupes, dont l'ECR et l'ID. Le parti hongrois pourrait jouer un rôle de pivot, permettant un rapprochement entre ces deux derniers. Bien que des clivages notamment en matière économique soient perceptibles entre l'ID et l'ECR, la majorité des membres des ECR s'affichent peu ou prou libéraux en matière économique, même si une partie du groupe ID met en avant la démagogie sociale populiste à l'instar du RN français… en tout cas : tant que ces partis siègent dans l'opposition dans leurs pays respectifs.
Enfin, le parti français Reconquête, qui présente également une liste aux européennes du 9 juin 24 mais qui n'est pas assuré de franchir la barre des 5 % des voix requises pour entrer au parlement, siège actuellement au groupe des ECR avec son seul eurodéputé sortant, Nicolas Bay, élu en 2019 sur la liste du RN. Or, outre l'appartenance à des regroupements parlementaires différents, de profonds clivages – apparents ou réels – traversent la « famille » des extrêmes droites.
Clivage sur la Russie
La majorité de ces partis dans l'Union européenne, surtout dans la partie occidentale ainsi qu'en Allemagne, étaient historiquement très favorables, voire explicitement liés au régime russe des années d'après 2000. Mais ce positionnement est devenu nettement plus difficile à assumer publiquement depuis début de la guerre contre l'Ukraine.
Parmi les plus critiques, officiellement, de l'invasion russe en Ukraine se trouve actuellement le RN français. La raison en est simple : le principal parti de l'extrême droite hexagonal pense s'être tellement rapproché de l'arrivée au pouvoir à l'échelle nationale qu'il ne pourra pas se permettre un positionnement qui le mettrait en porte-à-faux avec l'opinion majoritaire. Comme lors de la campagne électorale présidentielle de 2022, où, après l'annonce du début de la guerre en Ukraine, le RN se trouve contraint de mettre au pilon 1,2 million d'exemplaires d'un huit-pages, parce que ce tract était illustré avec une photo montrant Marine Le Pen avec Vladimir Poutine pour montrer ses qualités de « femme d'État ». Dans les jours suivants, Marine Le Pen affirmera que l'Ukraine était l'illustration positive d'une « lutte de libération nationale », pour prétendre que son parti se situait dans la même logique.
D'autres partis, structurellement alliés au RN français, ne se positionnent pas de la même manière. C'est le cas du FPÖ, qui était lui aussi formellement lié, depuis 2016, par un accord officiel de coopération avec le parti de Poutine Russie Unie. Certains de ses représentants prétendent aujourd'hui que l'accord n'aurait été « que formel ». Cependant, la ministre des Affaires étrangères nommée fin 2017 sur proposition du FPÖ (sans qu'elle possède la carte du parti), Karin Kneissl, avait invité Vladimir Poutine à son mariage en août 2018. En septembre 2023, Karin Kneissl annonça son déménagement à Saint-Pétersbourg. Par ailleurs, depuis l'arrestation, le 29 mars 2024, d'un ex-agent de la Direction nationale de la sûreté et du renseignement autrichien pour espionnage au profit de la Russie, l'appareil d'État autrichien est secoué par les révélations sur des activités pro-russes…
Le RN français n'a à aucun moment mis en cause son alliance avec le FPÖ, qui constitue un pilier de sa politique d'alliances européennes. Pire pour le positionnement officiel du RN actuel, leur groupe au parlement (ID), a élargi ses rangs à la fin février 2024 au parti bulgare Vazradjane (« Renaissance ») ainsi qu'au Parti national slovaque (SNS). Or, les deux sont de proches alliés du régime de Vladimir Poutine au sein de l'Union européenne. En ce qui concerne le parti bulgare, trois de ses députés participèrent, le 16 février 2024 à Moscou, à une réunion de Russie Unie. Quant au SNS, il participe à Bratislava à une coalition gouvernementale qui mène, avec Fidesz en Hongrie, la politique extérieure la plus pro-russe parmi tous les pays membres de l'Union européenne.
Pseudo-clivage sur la « remigration »
Un autre clivage, largement factice, est apparu au mois de février 2024. Depuis la mi-janvier 2024, des manifestations massives, culminant à plus d'un million de participantEs dans différentes villes allemandes, s'étaient déclenchées contre le parti allemand AfD. Le motif résidait dans la publication, le 10 janvier 2024, d'un reportage tourné en caméra cachée sur une réunion tenue à huis clos des cadres du parti AfD, des membres de la mouvance identitaire, des représentants de l'aile la plus droitière de la CDU (Union chrétienne-démocrate, droite classiques) et d'une fraction du patronat. Lors de celle-ci, l'activiste autrichien identitaire Martin Sellner – interdit, depuis, de séjour sur le territoire allemand – s'était répandu sur le thème de la « remigration »5. Sellner avait notamment fantasmé sur l'expulsion de deux millions de personnes, dont des personnes ayant la nationalité allemande mais « mal intégrées » ou « complices de l'immigration de masse », dans un État-modèle (non identifié) en Afrique du Nord qui se destinerait à les accueillir.
Marine Le Pen avait alors pris ses distances avec le parti allemand, s'interrogeant publiquement sur l'opportunité de continuer de travailler avec lui au Parlement européen. La co-présidente du parti AfD, Alice Weidel, lui écrivit une lettre publique, prétextant des erreurs de traduction, et prétendant que son parti ne demandait que la reconduite à la frontière des délinquants étrangers condamnés, « en application de la loi ».
Toujours est-il que ce clivage est largement imaginaire, la prise de position publique de Marine Le Pen n'étant due qu'à la volonté de faire bonne figure vis-à-vis de l'opinion publique, souhaitant éviter toute apparence « extrémiste ». Or, l'un des piliers du groupe ID au Parlement européen, le FPÖ, et notamment son président Herbert Kickl – qui était ministre de l'Intérieur autrichien de 2017 à 2019 –, utilise depuis des années le terme de « remigration » de manière éhontée, sans que Marine Le Pen n'ait trouvé à y redire, jusqu'ici.
Une autre Europe, débarrassée du fascisme
Les vrais clivages ne se situent ainsi pas à l'intérieur de l'extrême droite, dont les prises de position peuvent être largement élastiques, mais entre l'extrême droite et ses adversaires. Les dirigeants européens ont besoin de relancer et réorienter leur économie nationale (coupes budgétaires ; augmentation de l'exploitation ; chômage « structurel »), dans un contexte de course à la guerre. Devant le mécontentement des populations, la démagogie réactionnaire patriarcale et xénophobe, alliée à la répression des mobilisations laissent un espace important aux extrêmes droites, qui apparaissent bien souvent comme le seul véritable parti d'opposition. En ce sens, la politique, nécessairement libérale, de l'Union européenne est un marchepied pour le fascisme européen.
À nous de mener un combat sur les positions de fond, refusant leurs idées qui restent inacceptables sous toutes les formes. Nous revendiquons l'ouverture des frontières, ainsi qu'une redistribution des richesses à l'échelle européenne. De manière immédiate, nous sommes pour un salaire minimum européen et des droits sociaux égaux pour tou·tes. Cela suppose de sortir des carcans imposés par l'Union et nécessitera de grandes mobilisations victorieuses sur tout le continent.
Notes
1. La Ligue est le nouveau nom, depuis 2018, de l'ancienne « Ligue du Nord ».
2. Fondé en 1988, Démocrates de Suède était à l'époque un parti ouvertement néonazi, qui s'est « normalisé ».
3. Le FPÖ, le Parti de la Liberté d'Autriche, parti créé en 1955 des décombres du nazisme par la transformation de la « Ligue des indépendants » elle-même créée en 1949. La vie politique autrichienne était contrôlée par les Alliés de la Seconde guerre mondiale jusqu'en 1955, année de conclusion du Traité de neutralité, qui restitua sa pleine souveraineté à la République autrichienne. Jusqu'en 1955, la reconstitution d'un parti trop proche du nazisme historique s'avérait ainsi impossible. Dès l'obstacle levé, le FPÖ se mit en place, son premier président Anton Reinthaller (décédé en 1958) ayant été secrétaire d'Etat à l'Agriculture sous Adolf Hitler.
4. Fondé en 2013, l'AfD « Alternative pour l'Allemagne » est un parti d'extrême droite présent au Bundetag depuis sa création. Il devrait récolter autour de 18% aux prochaines élections européennes.
5. La remigration est un concept inventé par Renaud Camus, un écrivain français d'extrême droite.
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Ukraine : et maintenant ?

Les débats sont parfois difficiles entre militant·es révolutionnaires. Ceux sur la question nationale le sont particulièrement, car ils touchent à la fois à des vies humaines en danger et à des analyses complexes, pleines de contradictions. Nous recevons régulièrement des messages critiquant tel ou tel article concernant la Palestine, le Hamas ou l'Ukraine. Notre rôle en tant que presse de l'Internationale est à la fois de reproduire les positions majoritaires et de permettre que s'expriment les désaccords, dans le débat respectueux qui s'impose entre camarades. L'article de Manul Garí reproduit ci-dessous fait partie des textes avec lesquels des camarades exprimeront des désaccords importants mais il nous semble nécessaire que ce point de vue soit partagé.
13 mai 2024 | Inprecor.org numéro 720
https://inprecor.fr/index.php/node/4042
« La barbarie réapparaît, mais cette fois elle est engendrée au sein de la civilisation elle-même et en fait partie intégrante. C'est une barbarie lépreuse, une barbarie comme la lèpre de la civilisation. »
Karl Marx, L'idéologie allemande
Après les discours prononcés à l'occasion du deuxième anniversaire de l'invasion de l'Ukraine par Poutine, la réalité nous crache au visage. La mort de dizaines de milliers de soldats ukrainiens et russes, celle de milliers de civils ukrainiens, l'émigration forcée de millions d'entre eux, la destruction d'infrastructures critiques, d'habitations et de bâtiments publics, la dévastation de champs agricoles fertiles, l'augmentation de la dette publique de Kiev et l'impact international sur les prix alimentaires devraient nous faire réfléchir sur le bilan humain et matériel de la guerre. Et en ce moment, la situation sur le front est dans une impasse tragique.
Après l'invasion de l'Ukraine par Poutine, il n'y avait aucun doute : le peuple ukrainien a tout à fait le droit de se défendre par les armes. Le type d'action militaire le plus approprié dans les conditions spécifiques est une autre question. Et les conditions imposées par chacun des pays qui apportent leur soutien et les dynamiques politiques qui s'ouvrent sont également une autre question. Les États-Unis, en particulier, déterminent politiquement le cours des événements et, par l'intermédiaire de leurs soldats, mènent une bataille contre une autre puissance impérialiste, la Russie de Poutine.
Il y a aussi un résultat politique de la guerre dont nous devons tenir compte : tant en Ukraine qu'en Russie, l'idéologie nationaliste d'exclusion préexistante et le poids des partis et courants d'extrême droite se sont renforcés, les politiques économiques oligarchiques néolibérales et la corruption à grande échelle se sont consolidées, ainsi que les politiques liberticides contre les droits démocratiques, syndicaux et sociaux. Et prenons-en note : les mercenaires et les soldats de fortune ont proliféré et, sur le champ de bataille, combattent non seulement des soldats ou des volontaires, mais aussi des sociétés de guerre. Ni en Russie ni en Ukraine, la démocratie et les libertés n'ont été renforcées. Bien au contraire, au vu des faits.
Tant dans la société martyre ukrainienne que dans la société russe en souffrance, les messages des ethno-nationalismes commencent à s'infiltrer, atteignant le niveau atroce du ridicule consistant à effacer des étagères et des sites web les chefs-d'œuvre de la littérature de l'autre pays et même du sien lorsqu'ils expriment une hétérodoxie. Le bataillon fasciste Azov peut être heureux de son intégration complète dans les rangs de l'armée ukrainienne. Les tsars de la mère Russie peuvent se réjouir dans leurs tombes des excès de leurs héritiers au Kremlin. On cache aux deux peuples ce qu'ils ont en commun en exacerbant les différences : la culture est elle aussi un champ de destruction pour l'ennemi. À ce sujet, Milan Kundera – qui en savait quelque chose – écrivait que « pour liquider les peuples, on commence par leur enlever leur mémoire. On détruit leurs livres, leur culture, leur histoire. Et quelqu'un d'autre leur écrit d'autres livres, leur donne une autre culture et leur invente une autre Histoire. Ensuite le peuple commence lentement à oublier ce qu'il est et ce qu'il était. »
Mais il existe également un équilibre politique international que les stratèges du Pentagone et leurs partenaires mineurs à Bruxelles n'avaient pas prévu : les sanctions économiques occidentales contre la Russie n'ont pas entamé son PIB, bien au contraire. Celui-ci n'a cessé d'augmenter pour deux raisons : le gaz russe continue de couler à travers les terres ukrainiennes vers les pays de l'Union européenne (paradoxes de la position occidentale) et Poutine a eu un autre facteur en sa faveur, c'est que le monde a considérablement et rapidement changé. La mondialisation néolibérale compte plusieurs puissances émergentes qui aspirent ouvertement à défier l'hégémonie des États-Unis d'Amérique, ce qui a profité aux arsenaux et aux finances russes. Le monde perd des ressources et de la nourriture, mais les oligarques de l'Est et de l'Ouest s'enrichissent.
Par où commencer ?
Les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Il convient de rappeler la récente déclaration de Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne : « Ne rien faire n'est pas une option ». La question est de savoir quoi faire, quelle option adopter à partir d'une position de gauche socialiste radicalement démocratique et internationaliste. Et, bien sûr, ce n'est pas le « plus de bois » des Marx Brothers, qui, en termes communautaires pour Borrell, se traduit par la fabrication de plus d'armes, la vente de plus d'armes, l'augmentation des budgets militaires au détriment des dépenses sociales (les dépenses publiques, même si les impôts augmentaient, évoluent selon la règle d'airain de la somme nulle). Cette voie a déjà été expérimentée et Biden, Ursula von der Leyen et la haute représentante de l'UE pour la politique étrangère et la sécurité le savent bien.
Après les importantes livraisons d'armes et d'argent au gouvernement de Volodymyr Zelensky par les États-Unis et l'UE, la situation militaire – pour des raisons qui ne font pas l'objet de la réflexion d'aujourd'hui – stagne et est favorable au gouvernement du satrape Poutine. Le jeudi 2 mars dernier, l'Union européenne a approuvé 50 milliards d'euros supplémentaires pour soutenir l'appareil militaire ukrainien1 . Depuis le début de l'invasion, l'UE a contribué à hauteur de 84,3 milliards d'euros, dont 21 pour l'Allemagne, 71,4 pour les États-Unis et 13,3 pour le Royaume-Uni. Un argent accompagné d'un fort soutien diplomatique et médiatique occidental et, c'est très important, d'un soutien direct sur le terrain de la sécurité et du renseignement, avec un déploiement technologique et le plus grand réseau d'espionnage au monde. Est-il vraiment logique de parier sur la victoire totale ? C'est l'option de Poutine, de Biden et Borrell. Mais attention, peuple ukrainien, sois prudent, les vents d'ouest peuvent changer de direction et tu pourrais te retrouver dévasté et abandonné dans l'effort de guerre s'il ne réussit pas à court terme.
Il faudra chercher d'autres voies. Là n'est pas le chemin. Tout d'abord, la gauche politique occidentale, les syndicats et les mouvements sociaux doivent se faire entendre indépendamment des gouvernements. Comme dans les meilleures traditions du mouvement ouvrier internationaliste face aux guerres impérialistes. Pour cette raison, la subordination aux diktats de l'impérialisme lui-même ne peut pas se reproduire, comme le 1er mars 2022, après l'invasion de Poutine, lors d'un vote au Parlement européen en faveur de l'élargissement de la présence de l'OTAN dans les pays voisins de la Russie. Si je ne me trompe pas, le procès-verbal du Parlement européen reflété dans le B9-0123/202, Podemos et ERC ont voté pour ; Bildu, BNG et IU se sont abstenus ; Miguel Urbán d'Anticapitalistas était l'un des 13 député·es européen·es qui ont voté contre et, évidemment, le PP, le PSOE, VOX et Ciudadanos ont voté pour.
Pour mieux faire valoir sa propre position, il faut essayer – au-delà de la propagande de guerre et belliciste – de comprendre la nature du conflit en cours puisque les simplifications sont l'arme du démon de la guerre et du campisme. Et dans la guerre en Ukraine, plusieurs strates et conflits convergent : il y a une guerre défensive de libération nationale de l'Ukraine contre une guerre d'occupation russe, un conflit au sein de la communauté ukrainienne installé dans le Donbass concernant les relations avec l'empire voisin et où s'expriment des identités nationales différentes, et une guerre inter-impérialiste par procuration des États-Unis – et de l'OTAN – contre la puissance russe. Si tous ces éléments ne sont pas pris en compte, il n'y a pas de solution démocratique et populaire possible.
La guerre qui annonce des guerres
La tension entre les impérialismes, dont plusieurs pays possèdent des armes nucléaires, a fait monter la température et les décibels. Il est naïf de penser qu'elles ne seront jamais utilisées, comme l'a dénoncé à plusieurs reprises Ernest Mandel – avec qui je partage les analyses des fléaux du capitalisme tardif. Je suis également entièrement d'accord avec Ken Coates – président de l'organisation Bertrand Russell, coordinateur de la campagne pour le désarmement nucléaire européen (END) et membre éminent du parti travailliste britannique – lorsqu'il a déclaré de manière visionnaire il y a des décennies que « la dissuasion est un modèle conçu pour un monde bipolarisé, mais la bipolarité du monde est en train de disparaître. Si toutes les nations doivent devenir des puissances nucléaires pour être indépendants, le monde ne durera pas longtemps… ».
La situation actuelle est volatile et dangereuse, basée sur un modèle figé, sur une doctrine d'équilibre de la terreur vieille de 40 ans. Nous pouvons en conclure, au vu des précédentes conflagrations mondiales et de la dynamique actuelle de prolifération des conflits, ce que le sous-commandant insurgé Marcos, depuis le Chiapas, a qualifié de « quatrième guerre mondiale ». Sur la scène internationale, n'importe quel petit élément déclencheur peut mettre le feu à la plaine, comme cela s'est produit deux fois au 19e siècle.
L'opération militaire spéciale de Poutine est une manifestation sanglante de la logique expansionniste de l'impérialisme russe. Pour y parvenir, le président russe a dû d'une part falsifier l'histoire pour étayer son discours, et d'autre part restreindre les quelques libertés et droits des personnes et des peuples qui constituent cette grande prison des peuples qu'est la Russie d'aujourd'hui, réprimant toute manifestation politique et syndicale indépendante. Dans le même temps, et il faut en tenir compte, Poutine exprime son inquiétude face à trois faits à ne pas sous-estimer : l'extension constante de l'OTAN vers l'est, l'enracinement de la guerre dans le Donbass depuis 2014 dans laquelle une partie des Ukrainiens se déclarent pro-russes, et les propositions occidentales visant à inclure l'Ukraine dans l'OTAN et récemment dans l'UE.
Le résultat de son action est contradictoire : d'une part, elle a renforcé le sentiment national ukrainien y compris celui de secteurs russophones hors du Donbass qui ont rejoint la défense armée de l'Ukraine et, d'autre part, elle a provoqué une résurgence et une (re)légitimation hypocrite de l'OTAN, qui depuis le fiasco afghan était sans mission et sans fonction comme un poulet sans tête. En fait, il a donné des arguments à ceux qui, au Sommet de Madrid de l'Alliance atlantique, ont identifié la Russie comme l'ennemi principal et ont commencé à débattre de la mer de Chine pour susciter la crainte d'avancées du concurrent asiatique. Chez les impérialismes, personne n'agit sans raison.
Le résultat de l'évolution de l'oligarchie poutinienne est un renforcement de l'idéologie ethnonationaliste panrusse exclusive et, par conséquent, un virage vers l'autoritarisme typique de l'évolution des principales puissances néolibérales. Le capitalisme russe veut renforcer sa position mondiale pour participer à la nouvelle répartition des influences, au pillage extractif du Sud global et améliorer sa balance commerciale. La poursuite de la guerre favorise Poutine, et il ne faut pas croire – selon les données dont nous disposons actuellement – qu'une victoire totale sur l'armée russe est possible et ébranlerait Poutine. Ce n'est que si une forte opposition démocratique et socialiste arrive à se reconstruire en Russie que la dérive actuelle du Kremlin pourra être stoppée et que le cours de l'histoire pourra être modifié en renversant l'oligarque.
Dans le cas des États-Unis et de l'OTAN, une bataille est livrée indirectement. C'est le peuple ukrainien qui compte ses morts, tout en essayant de restreindre le pouvoir des puissances impérialistes concurrentes. Cette guerre par procuration évite pour l'instant de rapatrier des corps aux USA sous la bannière étoilée. Toute interprétation de l'attitude de l'impérialisme nord-américain et européen comme défenseurs des libertés et de la démocratie, ou du droit légitime à l'autodéfense du peuple ukrainien, revient à se boucher les yeux et les oreilles face aux nombreuses actions – passées et présentes – de l'impérialisme occidental pour défendre les intérêts du grand capital de leurs pays ou multinationales respectifs. À commencer par la renaissance de l'industrie militaire européenne et nord-américaine qui, tout en fournissant de nouvelles machines de mort, commence également à établir des plans pour la future reconstruction du pays. La bonne affaire.
Une fois de plus, le vieux Marx avait raison lorsqu'il disait que les capitalistes et leurs États formaient une « bande de frères en guerre ».
Il existe des alternatives, luttons pour elles
Comme on peut le constater, cette guerre comporte de multiples niveaux et pièges cachés derrière les discours guerriers. Nous devons aborder cette réalité avec détermination et prudence pour éviter de pleurer. Les tendances guerrières doivent être combattues avec des propositions qui soient utiles à la fois au peuple A et au peuple Z, en l'occurrence le peuple ukrainien et le peuple russe. Le principe à partir duquel doit partir une position internationaliste indépendante est la guerre contre la guerre impérialiste, en construisant une réponse solidaire en faveur d'une paix juste et durable. La seule solution durable à cette guerre est de mettre fin à l'invasion et à l'offensive russes, aux bombardements des populations civiles et des infrastructures énergétiques.
Les points qui permettraient un large front pour faire pression sur les gouvernements russe et nord-américain, ainsi que sur les gouvernements de chaque pays impliqué, peuvent être résumés comme suit :
Il faut exiger un cessez-le-feu pour arrêter la saignée, la destruction des ressources et l'exil, ainsi que la démilitarisation et la dénucléarisation des frontières de l'Ukraine et la fin des livraisons d'armes par les pays impérialistes occidentaux, tout comme les embargos et les mesures économiques qui, en fin de compte, pèsent non pas sur l'oligarchie mais sur le peuple russe. Le corolaire de ce qui précède est le retrait immédiat des troupes russes et la promotion de la neutralité et du non-alignement de l'Ukraine auprès de tous les impérialismes participant au conflit.
Il est très important de mettre fin au secret diplomatique et à la raison d'État qui nous privent de la vérité. Par conséquent, toutes les négociations possibles de cessez-le-feu ou de paix doivent être publiques devant les peuples ukrainien et russe, ainsi que devant le monde entier. La logique internationaliste implique la solidarité avec le peuple ukrainien et en particulier avec les secteurs minoritaires de gauche et syndicaux qui s'opposent aux mesures antisociales de Zelensky et qui existent, même si elles sont trop faibles pour jouer un rôle important et indépendant dans le conflit. Solidarité entre les peuples avec le peuple ukrainien au-delà de ses dirigeants néolibéraux, solidarité étendue aux secteurs du peuple russe qui résistent au dictateur.
Cela signifie qu'on doit commencer par reconnaître et défendre le droit du peuple ukrainien à résister à l'invasion de Poutine, à décider de son propre avenir dans son propre intérêt tout en respectant les droits de toutes les minorités ; son droit à déterminer cet avenir indépendamment des intérêts de l'oligarchie ou du régime capitaliste néolibéral actuel, des pressions du FMI ou de l'UE – et nous revendiquons ainsi l'annulation totale de leur sa dette – et le droit de tou·tes les réfugié·es et personnes déplacées de rentrer en toute sécurité et en possession de tous leurs droits.
Pour construire un avenir pacifique en Ukraine, il est nécessaire d'assurer l'exercice du droit à l'autodétermination du Donbass sous la supervision de pays non alignés dans le conflit et l'annulation de la dette extérieure qui pèse comme une épée de Damoclès sur toute la société ukrainienne.
Pour payer les coûts matériels de la guerre, il faut briser le secret bancaire et en finir avec les paradis fiscaux afin de confisquer les avoirs des oligarques russes et de leurs complices internationaux pour les utiliser à la reconstruction de l'Ukraine et des familles russes touchées par la guerre.
Et enfin, il ne faut faire aucune concession à l'existence de blocs militaires (OTAN, CSTO et AUKUS2 ), qui loin d'être une garantie de paix et de défense, sont des instruments d'agression et de guerre contre les peuples. Nous ne devons pas non plus accepter l'utilisation cynique de la guerre en Ukraine pour augmenter les budgets militaires et l'industrie de guerre. Et, ce n'est pas le moins important, nous devons exiger un désarmement mondial, notamment en ce qui concerne les armes nucléaires et chimiques, œuvrer pour une paix mondiale dans laquelle aucun État n'impose, n'envahit ou n'opprime l'autre ; c'est-à-dire une paix sans colonisateurs ni cimetières de peuples colonisés.
Avec cela, nous pouvons peut-être démentir les écrivains russes actuellement vilipendés, comme Maxime Gorki, qui, lors des funérailles d'Anton Tchekhov, a déclaré que le message qu'il nous avait laissé était « Mesdames et Messieurs, nous n'avons pas appris à vivre en paix ».
Le 29 février 2024
Manuel Garí est économiste. Il est membre d'Anticapitalistas, section espagnole de la IVe Internationale et membre du comité de rédaction du magazine Viento Sur.
Cet article a été publié le 2 mars 2024 par Viento Sur.
Notes
1. « Los líderes de la UE acuerdan por unanimidad la ayuda de 50.000 millones para Kiev », 1er février 2024, Público
2. L'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) est une organisation intergouvernementale à vocation politico-militaire fondée le 7 octobre 2002, dominée par la Russie, qui regroupe la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan. AUKUS (acronyme de l'anglais Australia, United Kingdom et United States) est un accord de coopération militaire tripartite – mais pas formellement une alliance militaire – formé par l'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni. Rendu public le 15 septembre 2021, il prétend contrer l'expansionnisme chinois dans l'Indo-Pacifique.
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