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Lettre ouverte - La démocratie en santé et services sociaux, une grande force menacée

La réforme du réseau de la santé et des services sociaux aura été un moment marquant de la session parlementaire qui prend fin cette semaine. Plus d'un an après le dépôt du projet de loi créant l'agence Santé Québec, nous demeurons très inquiets, non seulement en raison de la place que le gouvernement fait au privé et de l'extrême centralisation, mais également face aux reculs démocratiques dans le réseau de la santé et des services sociaux.
Tout le processus ayant conduit à l'adoption de ce projet de loi en dit long sur l'état de notre démocratie. Au lieu d'écouter l'intelligence collective des Québécois et des Québécoises et de s'y fier, le gouvernement a plutôt conçu cette réforme en vase clos et sans véritables consultations. Sans surprise, celle-ci va à l'encontre de plusieurs solutions qui font largement consensus de la part des intervenants et intervenantes sur le terrain et du milieu de la recherche.
La population ne souhaitait pas une énième réforme de structures, mais des solutions concrètes pour un meilleur accès à un médecin de famille, de meilleurs soins et un panier de services élargi (ex. soins à domicile, santé mentale, etc.).
L'adoption du projet de loi sous bâillon constitue une autre illustration des dérives démocratiques. On observe ce même phénomène ailleurs, que ce soit l'ouverture majeure consentie au privé en télémédecine par simple règlement ou encore dans la remise en question de l'universalité et de la gratuité de soins par la commissaire à la santé et au bien-être, sur la base d'un sondage en ligne et de l'opinion de quelques personnes ciblées.
Quant à Santé Québec, nous craignons que cette structure gigantesque éloigne encore plus les citoyens et les citoyennes de leur réseau. Cette agence ne doit pas devenir une grosse boîte noire, inaccessible et opaque. Son conseil d'administration ne peut fonctionner comme celui de n'importe quelle entreprise privée. Les services publics remplissent des missions et assument des responsabilités bien particulières, qui n'ont rien à voir avec une entreprise et ses actionnaires.
Des mesures doivent être envisagées pour renforcer la participation démocratique de la population et des groupes qui ont à coeur le réseau de santé et de services sociaux. Cela pourrait commencer par accorder des places au conseil d'administration et aux conseils d'établissement pour une représentation de la société civile et des travailleurs et travailleuses et, également, par instituer des espaces locaux de participation citoyenne dotés de réels pouvoirs.
Depuis 30 ans, le système de santé s'est transformé à coups de réformes à courte vue, lesquelles ont été instaurées du haut vers le bas. Celles-ci ont imposé toujours plus de contrôle sur les équipes de travail, qui finissent par ne plus se reconnaître dans ce grand ensemble impersonnel. Plutôt que de confier l'avenir du système de santé et de services sociaux à des gestionnaires du privé, on doit faire autrement en favorisant une reprise de possession collective.
Il est urgent de rétablir et de renforcer plusieurs leviers : l'accès à l'information, le débat public, la prise de décision partagée. Pour assurer le respect des droits fondamentaux, les structures de gouvernance doivent tenir compte des diverses réalités et expertises et doivent mettre en place des mécanismes permettant à la société civile d'être informée, de surveiller et d'influencer les grandes orientations et les travaux qui transforment notre système public de santé et de services sociaux.
La démocratie doit cesser d'être perçue comme une embûche ou un mal nécessaire et être reconnue pour ce qu'elle est : une grande force.
Cette lettre a été publiée dans Le Devoir le 10 juin 2024.
Robert Comeau, Éric Gingras, Caroline Senneville, Magali Picard et Julie Bouchard
Les auteurs sont respectivement président de l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) ; président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Ils cosignent cette lettre avec six autres organisations : Fanny Demontigny, présidente du Conseil provincial des affaires sociales du Syndicat canadien de la fonction publique (CPAS-SCFP-FTQ) ; Isabelle Dumaine, présidente de la Fédération de la santé du Québec (FSQ-CSQ) ; Réjean Leclerc, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) ; Jessica Goldschleger, présidente de la Fédération des professionnèles (FP-CSN) ; Sylvie Nelson, présidente du Syndicat des employés et employées de services (SQEES-298) ; Guillaume Bouvrette, président du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ).
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Manifestations contre le privé en santé à Laval et en Gaspésie

Nos syndicats de la santé ont organisé des actions dans le cadre de la Semaine nationale d'actions régionales de la Coalition Solidarité Santé. Au son de l'iconique Danger Zone, ils ont rappelé que les vrais « Top Gun » en santé, ce sont les membres du personnel !
Tiré de Ma CSQ cette semaine.
Une centaine de membres du Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes et infirmières auxiliaires de Laval (SIIIAL-CSQ), profitant de leur assemblée générale de déléguées et délégués, se sont invités devant le Laboratoire Biron express de Laval pour dénoncer la privatisation en santé.
Des « Top Gun » à la rescousse !
Arborant la symbolique du film Top Gun (lunettes de soleil proéminentes et avions miniatures en prime !), les membres sont venus dénoncer le mirage que représentent le secteur privé et l'arrivée de gestionnaires-héros qui vont tout régler.
« Santé Québec contrôlera tout à partir de Québec. Que restera-t-il comme autonomie pour les régions ? Avec la création de Santé Québec, on dévalorise encore le travail du personnel du réseau public et on favorise le développement de l'entreprise privée à but lucratif. Pour nous, la santé de la population ne devrait jamais être liée à la recherche de profits de quelques privilégiés », affirme Lise Goulet, présidente de la Coalition Solidarité Santé.
Quand le public subventionne le privé !
Le gouvernement choisit d'orchestrer un système où l'État subventionne les compagnies privées pour qu'elles dispensent des soins de santé. On rassure la population en lui disant qu'elle n'aura rien à payer, car ce sera couvert par la carte d'assurance maladie, mais finalement ce sont les Québécoises et les Québécois qui, collectivement, par le biais de leurs impôts, assumeront des coûts beaucoup plus élevés en santé afin de couvrir la portion importante de profits inhérente à la médecine privée.
« En centralisant aux niveaux régional et national avec les réformes Barrette et Dubé, on rend de plus en plus inefficace le réseau de la santé. Nous croyons que ces échecs sont planifiés par ceux qui initient et appuient ces réformes. On affaiblit le réseau pour en faire un mauvais compétiteur et ainsi mieux le privatiser et augmenter les profits des entrepreneurs privés. Quant aux problèmes des citoyennes et citoyens lavallois, ils se trouvent totalement ignorés », souligne Déreck Cyr, président du SIIIAL-CSQ.
« Le privé n'a simplement pas sa place dans les soins à la population, ajoute Isabelle Dumaine, présidente de la Fédération de la Santé du Québec (FSQ-CSQ). Notre message à nous, c'est qu'on veut donner des soins plus humains à la population. Ça ne passe pas par la privatisation de pans entiers de notre système, ça passe par des conditions de travail plus humaines pour nos membres et une gestion axée sur l'humain et non sur les tableaux Excel ! »
« Le ministre dit aux Québécoises et aux Québécois que l'ouverture au privé est la solution aux problèmes d'accessibilité au réseau public alors qu'on sait très bien que c'est plutôt l'origine des difficultés ! Chaque clinique ou hôpital privé qui ouvre vient drainer les ressources du public et, ainsi, aggrave les problèmes d'accès. Les médecins et le personnel de la santé et des services sociaux ne poussent pas dans les arbres, chaque travailleuse et chaque travailleur qui va vers le privé est une travailleuse ou un travailleur de moins dans le public », conclut Pier-Luc Bujold, président du SIIIEQ-CSQ.
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Un pas de plus vers la création d’une assurance-médicaments universelle pour les Canadiens

Le Canada n'a jamais été aussi près d'obtenir un régime public universel d'assurance-médicaments. La Loi sur l'assurance médicaments, présentée au Parlement en février 2024, a été adoptée hier soir. Ce cadre fournira une couverture immédiate pour les médicaments contre le diabète et les contraceptifs, ouvrant la voie à l'élargissement de la couverture de tous les médicaments essentiels pour tous les habitants du Canada.
« Ce fut possible grâce aux alliés et militants syndicaux qui œuvrent inlassablement depuis des décennies pour la création d'une assurance-médicaments, déclare Siobhan Vipond, vice-présidente exécutive du Congrès du travail du Canada. Cette législation permettra aux travailleuses et travailleurs et aux employeurs d'économiser de l'argent, réduisant ainsi le fardeau financier causé par un système d'assurance morcelé. C'est un pas vers l'obtention de meilleurs soins de santé, en réduisant la pression exercée sur notre système de santé en évitant les visites coûteuses à l'hôpital et aux médecins », ajoute madame Vipond.
Chaque année, un million de Canadiens et de Canadiennes doivent choisir entre acheter les nécessités de base ou leurs médicaments. Par exemple, les médicaments pour le diabète de type 2 peuvent coûter jusqu'à 10 000 $ par année, et les contraceptifs oraux coûtent 240 $ par année.
Le projet de loi C-64, Loi concernant l'assurance médicaments, établit un cadre pour un régime universel d'assurance-médicaments à payeur unique. Cette réalisation, qui résulte de l'influence du NPD dans un parlement minoritaire et de la collaboration avec le ministre de la Santé Mark Holland, est l'amélioration la plus importante apportée aux soins de santé au Canada depuis l'instauration de l'assurance-maladie publique.
Pour le moment, le chef conservateur Pierre Poilievre n'a toujours pas pris d'engagement quant à savoir si un gouvernement conservateur démantèlerait des programmes comme les soins dentaires et l'assurance-médicaments.
« Les conservateurs s'opposent systématiquement aux investissements dans les services de garde d'enfants, les soins de santé publics et l'assurance-médicaments, se rangeant souvent du côté des intérêts des PDG de Bay Street et des lobbyistes patronaux. Et ils continueront de soutenir les grandes sociétés pharmaceutiques au lieu des besoins des familles canadiennes », ajoute Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada. « L'assurance-médicaments offrira de meilleurs soins de santé à des millions de Canadiens, allègera leur situation financière et leur donnera les moyens de mieux contrôler leur santé sexuelle et reproductive », affirme-t-elle.
Si l'on veut assurer la réussite de l'assurance-médicaments, l'appui des provinces est primordial. Avec le régime actuel d'assurance-médicaments hybride du Québec, qui combine une couverture publique et privée, les coûts des médicaments sont encore inabordables pour de nombreuses personnes. Cette approche morcelée profite aux compagnies d'assurance et aux grandes sociétés pharmaceutiques en maintenant les marges bénéficiaires élevées. Un régime d'assurance-médicaments exhaustif qui privilégie les besoins des individus plutôt que les profits est la voie à suivre.
Les travailleuses et les travailleurs de partout au pays nous disent constamment que l'assurance-médicaments est d'une importance capitale pour eux et leurs familles. Le message est sans équivoque : les décisions en matière de soins de santé doivent être prises entre vous et votre médecin, et non dictées par votre situation financière.
Les syndicats du Canada demandent au Sénat d'adopter rapidement le projet de loi C-64, qui permettra d'améliorer les soins de santé pour des millions de personnes, d'alléger le fardeau financier des familles et de veiller à ce que les Canadiens et Canadiennes aient le contrôle sur leur santé sexuelle et reproductive.
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Passer à l’action contre l’extrême-droite

Les 13 (Montréal) et 16 mai (Québec) La FTQ organisait des journées de formation sur la montée de l'extrême-droite dans le monde et au Québec. Cette journée se voulait une "journée de réflexion visant à comprendre et contrer la montée des nouvelles droites au Québec, un phénomène qui façonne de manière préoccupante notre paysage sociopolitique.(...) Cette journée a été "l'occasion d'identifier les menaces que ces nouvelles droites font peser sur la vie syndicale et démocratique, et de réfléchir ensemble aux pistes d'action et de résistance.
Presse-toi à gauche ! publie le chapitre 5 sur l'organisation de la riposte syndicale à cette montée de l'extrême-droite. Il rend disponible également, l'ensemble du document qui a servi de base à cette importante journée de formation.
Pour lire l'ensemble de cahier de formation, cliquez sur l'icône :
CHAPITRE 5 Passer à l'action
Comment faire face à la montée des nouvelles droites ? On peut se pincer le nez et espérer que ça passe. Le danger est de se retrouver dans la même situation qu'aux États-Unis où, selon certains, les syndicats sont mal outillés pour constituer un contrepoids à la progression de l'extrême droite et du fascisme. Il faut donc agir plus tôt que tard.
Il faut donc agir plus tôt que tard. En 2021, la Confédération européenne des syndicats (CES) a par exemple adopté une feuille de route comprenant 15 actions à mettre en œuvre. Il n'existe pas de solution unique et les organisations syndicales devront choisir les mieux adaptées à leur contexte. Quelques bonnes pratiques plus généralisables méritent cependant d'être présentées pour inspirer les différents acteurs préoccupés par le phénomène.
Sur le plan des idées : s'engager dans la « guerre culturelle » Réaffirmer nos valeurs syndicales
En tant que centrale, la FTQ a la responsabilité de se porter à la défense de la démocratie à tous les niveaux de la société et de combattre les nouvelles droites qui cherchent à affaiblir le pouvoir des travailleurs et des travailleuses. Elle doit accompagner et soutenir ses syndicats affiliés ainsi que ses conseils régionaux dans cette lutte. Cela implique d'avoir des positions claires, de les faire connaître auprès des membres et du public et de dénoncer lorsqu'elles sont attaquées, comme le fait la CFDT avec la démocratie.
Aussi, il apparaît essentiel de souligner (et de répéter) que les valeurs de la FTQ sont aux antipodes de celles des nouvelles droites. Ses Statuts, en particulier à son article 4, reflètent cette opposition en détaillant les fins et les moyens de la centrale. Certains sont plus pertinents pour notre propos. Les voici :
b) défendre les principes du syndicalisme libre ;
d) combattre toute forme de discrimination pour des raisons de race, de couleur, de sexe, de grossesse, d'orientation sexuelle, de l'identité ou de l'expression de genre, d'état civil, d'âge sauf dans les mesures prévues par la loi, de religion, de convictions politiques, de langue, d'origine ethnique ou nationale, de condition sociale, ou de handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap ;
f) travailler à instaurer au Québec un régime de justice sociale, de dignité de l'individu et de liberté démocratique ;
i) défendre la liberté de l'information et encourager la presse syndicale de même que tout autre moyen d'assurer l'information des travailleurs et travailleuses ;
Défendre le syndicalisme, combattre les discriminations, promouvoir la démocratie et assurer la liberté d'information : voilà des principes inscrits au cœur des statuts de la FTQ depuis des décennies, et même depuis sa création. La lutte aux idées toxiques ne constitue donc pas une activité périphérique, mais fait partie de son core business. Malheureusement, les statuts de la centrale, ses valeurs et sa raison d'être sont souvent peu connus des membres. Il y aurait lieu de mieux les communiquer. C'est la première étape pour positionner la FTQ, sans équivoque, contre le projet politique des nouvelles droites.
Un retour dans le passé montre également que la FTQ se préoccupait de certains courants politiques. Dans les premiers statuts de la centrale, de ses débuts en 1957 jusqu'à l'imposante réforme statutaire de 1965, on pouvait y lire qu'elle se donnait comme fins et buts de :
…protéger le mouvement syndical contre toute influence corruptrice et toute tentative de saper son action de la part d'organisations communistes, fascistes ou autres organisations totalitaires dont la philosophie et les moyens d'action sont contraires à l'exercice de la démocratie et du syndicalisme libre.
– FTQ, Modifications aux statuts, 10e Congrès, 1967, p.1 (article 2, section 1, paragraphe 9).
Pourquoi cette section des statuts a-t-elle été retirée ? Il faudrait fouiller dans les archives pour en avoir le cœur net, mais on peut penser qu'elle était tombée en désuétude considérant l'affaiblissement des forces fascistes après la Deuxième Guerre mondiale et d'un anticommunisme moins virulent dans les années 1960 avec la fin du maccarthysme et du duplessisme. Dans le contexte actuel, serait-il pertinent de réintégrer de telles dispositions (avec les adaptations qui s'imposent) pour lutter contre la montée des nouvelles droites ? La question mérite d'être soulevée.
Être présents sur toutes les tribunes
Les leaders syndicaux doivent exprimer clairement leur opposition face à la montée des nouvelles droites et participer activement à la lutte contre l'extrême droite. Cet engagement envoie un signal d'appui fort pour les militants et les militantes. Le mouvement syndical a toujours été à la pointe du combat. C'est une question de survie ! À la CFDT, l'ancien secrétaire général, Laurent Berger a répété inlassablement que son organisation allait toujours se battre contre l'extrême droite. Il en est de même de la CGT et de son ex-dirigeant, Philippe Martinez. Sans compromis, sans ambiguïté ! Au Canada, plus récemment, la présidente du Congrès du travail du Canada (CTC), Bea Bruske, a démenti les propos du chef conservateur Pierre Poilievre qui se dit l'allié des travailleurs et travailleuses. En début d'année, la présidente de la FTQ, Magali Picard, s'est aussi positionnée en affirmant que les valeurs de ce dernier étaient loin de celles de la centrale
Décrypter les nouvelles droites
Les nouvelles droites se présentent souvent comme les grands défenseurs des travailleurs et travailleuses et du « monde ordinaire ». La montée de l'insécurité et de la précarité est en soi une opportunité pour les groupes et les partis politiques qui s'inscrivent dans ce courant. Ils peuvent facilement pointer du doigt l'échec des institutions et de l'establishment à protéger les plus vulnérables. Certains partis vont même proposer des mesures pour charmer la classe ouvrière et donner un vernis social à leur programme. Une tromperie, un écran de fumée, pour usurper le rôle et les fonctions des syndicats. D'où l'importance de démasquer les messages manipulatoires de cette mouvance politique. La FTQ et ses affiliés doivent être alertes pour débusquer les discours radicaux qui sont aujourd'hui très lissés. Il est rare de lire ou d'entendre un parti politique revendiquer ouvertement l'abolition des organisations syndicales ou le renvoi des personnes immigrantes « chez elles ». Il est important d'analyser l'argumentaire, fouiller les propositions, et surtout surveiller leurs actions. Les tenants des nouvelles droites qui cherchent à obtenir du pouvoir et de l'influence adoptent des stratégies truffées de subtilités pour gagner le vote populaire. Par exemple, le parti d'extrême droite belge Vlaams Belang promet des « mesures sociales » qui peuvent séduire en apparence, mais qui se traduisent par des pertes pour les travailleurs et travailleuses, en particulier les plus vulnérables.
Il faut ainsi décoder le message des droites radicales et extrêmes lorsqu'elles parlent d'enjeux sociaux et du travail. Quand discutent-elles du déséquilibre de pouvoir entre les employeurs et les travailleurs et travailleuses ? De la nécessité de taxer les ultrariches, d'investir dans les services publics ? Poser la question, c'est y répondre.
L'extrême droite a une profonde aversion envers les syndicats et les représentant·es des travailleur·euses et propose des amendements pour augmenter le nombre de salarié·es à partir duquel des obligations (représentation du personnel, informations…) sont imposées à l'employeur. Il ne manquerait plus que la main-d'œuvre bon marché puisse être représentée et se défendre. Ainsi les députés RN ont proposé un amendement visant à interdire la présence d'étrangers au sein des Instances Représentative du Personnel (IRP) et pour limiter le droit de vote des travailleurs précaires aux élections professionnelles. Leur modèle reste le corporatisme historique et ils ne manquent pas une occasion pour critiquer les mouvements de grève et cognent régulièrement sur notre organisation syndicale.
– Extrait du document de la CGT : 10 points sur lesquels l'extrême droite relève de l'imposture sociale
S'engager dans la bataille des idées
Les syndicats sont parfois perçus comme de grosses machines intégrées au système et déconnectés des préoccupations des gens ordinaires même si leurs revendications ont le potentiel d'améliorer concrètement les conditions de vie et de travail de ces derniers. Force est de constater que le mouvement syndical a du retard à rattraper face aux nouvelles droites qui ont repris l'offensive sur le mode de la révolte ou de la rébellion . Pour les combattre, la FTQ doit gagner la bataille des idées. Il ne s'agit donc pas de diaboliser le discours de l'opposant ou de moraliser sans rien proposer. Cela serait contre-productif. Il faut promouvoir une vision qui parle aux gens, qui propose des solutions aux situations qu'ils vivent.
Les syndicats doivent donc reprendre le contrôle du débat selon leurs propres termes. Nous n'avons rien à gagner à emprunter les thèmes des nouvelles droites ou à tenter de les accommoder. Au contraire, il apparaît nécessaire de soutenir et défendre des mesures progressistes et inclusives qui combattent les inégalités et la précarité. Le projet de société de la FTQ doit faire rêver davantage et susciter la mobilisation. Les syndicats doivent ainsi proposer des alternatives et les pousser sans relâche dans l'arène politique. Par exemple, l'universalité est un principe plus capital que jamais qui peut renverser les injustices grandissantes et l'insécurité économique, tout comme l'importance d'assurer à chaque personne un emploi décent. Même si des revendications syndicales datent de plusieurs décennies, elles sont plus que jamais pertinentes.
Cela dit, nous ne pouvons gagner cette bataille des idées sans une brillante stratégie de communication, un domaine où les nouvelles droites excellent. Il faut donc développer des messages qui rassemblent et mobilisent, et repositionner les revendications syndicales pour intéresser davantage tous les travailleurs et les travailleuses. Il faut être particulièrement actif en période électorale pour influencer l'opinion publique en plaçant les thèmes syndicaux et nos solutions aux problèmes économiques au cœur des débats.
Dans les milieux de travail : réduire l'influence des droites
D'après nos entretiens avec plusieurs syndicalistes, on peut affirmer que les nouvelles droites ne constituent pas une menace sérieuse à l'action syndicale présentement. Il s'agit là d'une bonne nouvelle, mais attention ! Cela ne signifie pas l'absence de problèmes ou que ceux-ci ne puissent pas éventuellement prendre de l'ampleur. Tout en parlant de phénomènes marginaux, ponctuels, on note de plus en plus de commentaires d'intolérance ou de « blagues » sur des thèmes comme l'identité de genre, la religion, la nationalité et les travailleuses et les travailleurs étrangers temporaires. Une stratégie en deux volets peut constituer un bon point de départ. D'abord, il faut écouter, dialoguer, mais sans moraliser. Ensuite, il peut être nécessaire de mettre des limites si certains propos ou gestes risquent de briser la solidarité.
Faire preuve d'ouverture
On peut retrouver dans les syndicats des personnes qui s'associent aux nouvelles droites pour signifier leur mécontentement ou pour protester contre les partis dominants et les institutions. Elles sont souvent animées par des considérations économiques et un sentiment d'insécurité. Syndicalement, nous avons un devoir d'aller à la rencontre de ces membres, de les écouter et d'ouvrir un dialogue.
Écouter et dialoguer sans moraliser
Selon des experts et des expertes, si des personnes sont attirées par les nouvelles droites c'est qu'elles ont été délaissées et ne se sentent pas écoutées par la gauche. En Allemagne, le syndicat IG Metall explique la montée de ZA (Zentrum Automobil, un groupe implanté dans les conseils du travail avec une orientation de droite radicale) par une absence de présence quotidienne de ses représentants et représentantes dans les milieux de travail, une déconnexion avec la base, des relations sous-développées, et une trop grande proximité avec l'employeur . Autrement dit, le bon vieux syndicalisme de terrain s'impose plus que jamais.
L'adhésion à des idées des nouvelles droites peut ainsi témoigner d'une déconnexion ou d'un désenchantement à l'égard des syndicats et des valeurs qu'ils défendent. Maintenir un bon contact avec les membres est une condition essentielle pour ne pas avoir l'air distant ou trop institutionnalisé. Écouter et questionner permet aussi de mieux comprendre les positions prises par les travailleurs et travailleuses.
Pourquoi aller à la rencontre de l'autre ?
[…] aller à la rencontre des gens dans une posture d'écoute permet de dépasser les a priori et d'obtenir une vision plus subtile de leur vie quotidienne. Une telle approche offre l'occasion de se mettre à leur place, ne serait-ce qu'un instant, et de considérer leurs problèmes, mais aussi leurs espoirs, avec leurs propres yeux.
– Johannes HILJE, Les oubliés. Entretiens sur les terres où prospère le vote extrême, Das Progressive Zentrum, 2022
Faire la morale en diabolisant les nouvelles droites, chercher à dicter le vote ou condamner des individus pour leurs croyances sont des stratégies vouées à l'échec et une invitation à fuir l'organisation syndicale. Dialoguer avec respect est de loin préférable. Et surtout, il faut faire confiance à l'intelligence des travailleurs et travailleuses. Ouvrir la discussion, c'est aussi une occasion pour rappeler les positions et les valeurs du syndicat comme l'équité, la lutte à la discrimination et la solidarité. Convaincre est toujours plus payant que d'ignorer, rejeter ou penser que l'autre a tout faux. Cela dit, on peut rester ferme sur les principes fondamentaux. Comme nous rappelle une personne experte sur la question : « Il faut donc maintenir le lien, mais sans trop concéder sinon on abdique devant le discours de l'autre ».
Ainsi, en présence d'une personne qui partage des idées associées à la droite radicale sans qu'elle soit une adepte de tels mouvements, il est recommandé d'aller à sa rencontre pour lui poser des questions, lui demander de motiver ses convictions et expliquer celles du syndicat. On peut par ailleurs l'enjoindre à ne pas imposer ses opinions à ses collègues et à rester respectueuse des autres travailleurs et travailleuses.
Former pour mieux échanger
L'éducation syndicale est évidemment incontournable pour combattre les nouvelles droites. Elle fournit un lieu pour écouter les membres, dialoguer et partager des idées. La création d'espaces de discussion animés par les pairs, principale approche pédagogique du service de l'éducation de la FTQ, est à privilégier selon plusieurs. Quand cela vient du groupe, l'impact est toujours plus fort.

Le contenu des formations doit permettre d'ouvrir le dialogue sur des enjeux politiques, sociaux et citoyens qui impactent le quotidien des travailleurs et travailleuses (logement, racisme, identité de genre…). Des trousses préparées par la FTQ, comme celle sur le racisme, peuvent être utiles à cette fin. Son service d'éducation offre aussi une formation sur l'action politique qui vise à outiller les militants et les militantes pour agir comme agents multiplicateurs dans leur milieu en mettant en valeur le projet de société de la FTQ.
À la CGT (France), l'éducation interne a été priorisée pour sensibiliser les travailleurs et travailleuses sur la montée des nouvelles droites. Des journées de formation ont été déployées dans toutes les régions pour outiller les militants et militantes sur des sujets comme l'antiracisme et l'antagonisme avec les valeurs et les programmes du Rassemblement national. Des fiches pratiques ont aussi été produites sur ces thématiques. Le groupe Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (VISA) qui rassemble des syndicats français dans la lutte contre l'extrême droite propose également plusieurs formations pour contrer la diffusion de telles idées.
Soutenir par l'exercice d'un leadership collectif
Dans la lutte contre les nouvelles droites, il faut aussi penser au soutien à apporter aux personnes déléguées, conseillères ou élues. Il faut les outiller par la formation, mais aussi les accompagner dans leur rôle de paratonnerre et de gardiens et gardiennes des valeurs syndicales. Une approche à encourager est l'autorégulation et l'exercice d'un leadership collectif. Autrement dit, lorsqu'un membre tient des propos ou pose des gestes blessants ou méprisants envers un autre, il est recadré par le groupe. On évite ainsi de faire porter à quelques individus toute la charge de préserver l'harmonie et le respect au sein du syndicat.
Mettre des limites claires pour protéger les membres et le syndicat
Comme mentionné antérieurement, la majorité des membres qui adhèrent à certaines propositions des nouvelles droites le font en raison de préoccupations légitimes sur l'économie ou l'emploi, par exemple. Mais une faible minorité d'entre eux soutient ces groupes par idéologie et par conviction profonde. Engager un dialogue apparaît alors non seulement impossible, mais contre-productif. Certains intervenants nous ont même rapporté des cas de conversions radicales où un délégué ayant un bon potentiel de militance s'est rallié aux idées de droite radicale, notamment contre les mondialistes et l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Les syndicats doivent donc se préparer à de telles situations afin de protéger leurs membres et leur organisation.
Se démarquer des nouvelles droites
Une stratégie employée par la grande majorité des syndicats consiste à se démarquer des idées et des pratiques des nouvelles droites. Il ne faut pas hésiter à rappeler et mettre les limites qui s'imposent en s'appuyant sur les valeurs, les statuts et règlements du syndicat. Les organisations syndicales ont un devoir, celui de combattre un mouvement politique qui menace son projet de société et son existence. Il importe de faire preuve de courage, être franc et transparent pour indiquer clairement que les discours et les revendications des droites radicales et extrêmes ne seront jamais les bienvenus. Il faut par ailleurs accepter que l'on ne puisse faire adhérer tout le monde aux valeurs syndicales.
Un chercheur à qui nous avons parlé a observé que des directions syndicales, dans certains milieux de travail, ont tendance à se taire et reculer lorsque confrontées à des attaques de personnes adhérant à des mouvements de droite radicale. Elles craignent la réaction des membres, l'isolement ou la critique. En réalité, plusieurs responsables syndicaux peuvent se sentir désemparés, et pour cause. Pour la cohorte de syndicalistes des 20-30 dernières années, le phénomène est relativement récent. Ces personnes ont été formées pour défendre les travailleurs et travailleuses face aux employeurs et non pour gérer les charges, parfois internes, provenant des nouvelles droites. Mais le contexte a changé et de nouveaux réflexes doivent être développés.
L'adoption d'un positionnement sans équivoque par des syndicalistes, autant élus que conseillers, a un impact positif. On nous a rapporté que les membres ayant des idées très à droite ne se sentaient pas à l'aise de partager leurs convictions aux responsables syndicaux qui affirmaient haut et fort les valeurs du syndicat. Dans nos entretiens avec des organisations hors Québec, on mentionne également qu'une telle posture rend le syndicat beaucoup moins attrayant et hospitalier pour les personnes qui soutiennent idéologiquement les nouvelles droites. Elles sont donc moins susceptibles d'occuper des fonctions officielles au sein de l'organisation. Ainsi, mettre des balises claires fait partie des stratégies pouvant être adoptées afin de protéger les milieux de travail, les syndicats et la solidarité.
Limiter la propagation des idées toxiques
Les idées des nouvelles droites doivent être perçues comme des contaminants qui constituent un risque à la santé et la sécurité des travailleurs et des travailleuses ainsi que des personnes élues et conseillères des organisations syndicales. Pour le moment, les idées toxiques des nouvelles droites ne semblent pas constituer un risque majeur, bien que leurs impacts puissent être très négatifs. Il faut rappeler que certains groupes sont plus vulnérables, car directement visés par les discours de ces droites, par exemple, les personnes racisées, issues de l'immigration ou appartenant à des minorités sexuelles. Et comme il faut éliminer les risques à la source, les syndicats doivent jouer un rôle actif pour limiter la propagation des nouvelles droites dans les milieux de travail. Tout en maintenant la stratégie d'ouverture décrite plus haut, il faut aussi intervenir rapidement en présence de comportements ou de propos inappropriés. En gestion de conflit, l'évitement peut permettre de gagner du temps, mais il ne règle pas le différend et contribue à détériorer les relations.
De manière générale, les membres adhérant à des idéologies extrêmes participent peu aux activités syndicales car ceux-ci ne font pas confiance aux institutions, incluant les syndicats. Ils sont donc plutôt en retrait. Face à ces individus très antisyndicaux et radicalisés, des responsables syndicaux nous ont mentionné qu'ils gardaient leurs distances tout en continuant de tendre la main. Cependant, certaines personnes radicalisées peuvent exercer une influence sur le reste de l'unité. Dans ce dernier cas, il importe d'intervenir pour corriger des propos erronés ou discriminatoires envers d'autres membres. Plusieurs actions sont alors possibles en fonction de la gravité des gestes et de leur fréquence : rappeler les valeurs de l'organisation, clarifier le rôle du syndicat, demander que de tels propos cessent, exercer un leadership collectif comme décrit plus haut ou déposer un grief à l'employeur (voir ci-bas).
Les syndicats peuvent aussi assurer un rôle de vigie en surveillant les communications verbales ou écrites qui circulent sur les lieux de travail. Si elles outrepassent la liberté d'expression et qu'elles renvoient à des idées racistes, sexistes ou autres qui heurtent les valeurs du syndicat, ils peuvent faire cesser leur diffusion. Les syndicats peuvent également s'appuyer sur les politiques des employeurs concernant l'affichage et la distribution de contenus. C'est toutefois principalement sur les réseaux sociaux que se manifestent les idées toxiques des nouvelles droites. Dans certains syndicats, des conseillers et des conseillères modèrent les commentaires sur leurs pages (Facebook, Instagram, etc.). Dans certains cas, on participe activement sur les pages du syndicat pour éliminer tout propos problématique et on évite d'engager des discussions stériles avec des individus irrespectueux. Autrement dit, ne nourrissez pas les trolls ! Dans d'autres, on laisse libre cours aux débats et on agit lorsque des affirmations inadmissibles sont publiées en avisant la personne en message privé qu'elle peut commenter, mais dans un langage acceptable. Si cela se poursuit, elle est bannie de l'espace virtuel. « Il faut montrer que l'on n'est pas intimidé », nous a-t-on expliqué. Certains syndicats vont aussi cibler les membres qui tiennent des propos inacceptables pour intervenir directement auprès d'eux ou d'elles afin de faire cesser de tels comportements.
Faire pression sur l'employeur
Plusieurs syndicats nous ont confié avoir forcé l'employeur à prendre ses responsabilités pour assurer un milieu de travail sain et exempt de harcèlement en vertu de la Loi sur les normes du travail. Comme organisation syndicale, on peut veiller à ce qu'il adopte et mette en œuvre les meilleures politiques et pratiques en la matière. Si un gestionnaire ou un travailleur ou une travailleuse harcèle un membre de l'unité d'accréditation en tenant des propos racistes, sexistes ou autre, il faut agir. Certains représentants syndicaux vont en discuter avec l'employeur et en cas d'inaction de sa part, un grief est déposé contre ce dernier pour faire cesser ces comportements. Il est du rôle du syndicat d'intervenir rapidement dans de telles situations même si cela implique parfois de gérer des conflits entre deux personnes salariées.
Mise en situation
Vous êtes président, présidente, de votre section locale. Un de vos membres vient de recevoir une sanction disciplinaire de l'employeur en conformité avec la convention collective. On lui reproche d'avoir tenu des propos transphobes auprès d'un client. Il y a des témoins crédibles de l'événement, des personnes salariées de votre unité. Que faites-vous ? Faites-vous un grief pour représenter cette personne parce que vous croyez que c'est votre rôle comme syndicat, même si vous pensez, voire espérez, le perdre ? Ou, vous jugez que ces comportements ne peuvent être défendus d'aucune manière car ils vont à l'encontre des politiques de harcèlement et des valeurs de votre syndicat ?
En dernier recours : l'expulsion peut être envisagée
Les syndicats disposent de leurs propres règles et façons de faire pour gérer les propos ou gestes désobligeants ou de nature discriminatoire. Mais quoi faire lorsque des personnes élues, conseillères ou déléguées militent activement pour des partis politiques de droite radicale ou d'extrême droite ? Comment réagir quand un membre s'engage dans une lutte qui va à l'encontre des valeurs même de l'organisation ? Ces questions touchent des cordes sensibles et les pratiques en la matière sont loin d'être uniformes d'un syndicat à l'autre.
Pour limiter l'influence des nouvelles droites, quelques organisations syndicales à travers le monde vont jusqu'à expulser des membres qui se livrent à de l'agitation politique en faveur des partis de droite radicale ou d'extrême droite. En Belgique, un syndicat effectue un dépistage à partir des listes de candidats et candidates du parti d'extrême droite (Vlaams Belang). Les membres qui y militent sont confrontés à un choix : se distancer du parti ou être expulsés du syndicat. À la CGT (France), il existe une procédure d'expulsion pour les syndicalistes qui se portent candidats pour des partis d'extrême droite ou agissent comme activistes de ce mouvement notamment en distribuant de la propagande. On estime à environ 40 le nombre de personnes qui ont été exclues dans les 6-7 dernières années . Lors de nos entretiens au Québec, un représentant syndical nous a confié avoir déjà écarté des membres de fonctions officielles en raison de leurs positions incompatibles avec les valeurs et statuts de l'organisation. Nous ignorons toutefois quelle est l'ampleur de ce phénomène parmi les syndicats québécois.
Évidemment, le modèle québécois de relations de travail diffère grandement de ceux présents en Europe, particulièrement lorsque l'adhésion à un syndicat est volontaire. Il y a quelques années, la CFDT a exclu un membre qui était aussi candidat pour le Front national. L'expulsion a été validée par les tribunaux étant donné que l'adhésion syndicale implique aussi une adhésion aux valeurs de l'organisation. Au Québec, la situation est quelque peu différente alors que tous et toutes doivent payer une cotisation si une majorité de personnes salariées choisit de se syndiquer. Expulser un membre de la base sous prétexte qu'il se présente pour un parti politique de droite radicale ou d'extrême droite pourrait soulever des enjeux en matière de liberté d'expression. Toutefois, la question se pose plus sérieusement pour les personnes, élues ou conseillères, qui sont censées souscrire aux valeurs de l'organisation. Est-il logique pour un ou une syndicaliste de militer pour une formation politique qui souhaite la destruction des syndicats ou l'affaiblissement de la solidarité entre les travailleurs et les travailleuses ?
Pense-bête !
Que disent les statuts et règlements de votre syndicat ? Permettent-ils de suspendre ou d'expulser un membre ou de le relever de ses fonctions pour avoir tenu des propos non conformes aux valeurs de votre organisation ? Votre syndicat fournit-il des balises claires pour interdire l'expression de discours racistes, sexistes, tratransphobes ou autres ? Utilise-t-il des critères de sélection pour l'octroi de postes de responsabilité ?
Dans la société : miser sur l'action politique Isoler les partis politiques extrémistes
Certains partis politiques soutiennent des idéologies et des programmes qui mettent en péril la démocratie, le vivre-ensemble et l'existence même du mouvement syndical. Dans plusieurs pays d'Europe, nombreuses organisations (politiques, sociales, syndicales) ont établi un « cordon sanitaire » autour des partis d'extrême droite afin de limiter la propagation d'idées toxiques dans la société. À titre illustratif, la Confédération européenne des syndicats (CES) a adopté une règle qui interdit les contacts avec les membres d'extrême droite du Parlement européen ou d'autres pays, à moins d'une demande expresse d'un syndicat affilié. D'autres syndicats ont également adopté des lignes de conduite similaires. Après tout, comme le mentionne la CFDT, « On ne débat pas avec l'extrême droite : on la combat ! »
Des partis politiques refusent également de collaborer ou de former des gouvernements de coalition avec des forces réactionnaires et antidémocratiques. Les médias, comme en Belgique, réduisent la visibilité de ces idées dangereuses en limitant leur présence dans les journaux, à la télé ou à la radio. La société civile et les groupes progressistes peuvent également perturber les rencontres et les événements des nouvelles droites et ainsi les empêcher de fonctionner correctement. Cependant, avec la normalisation des idées de droite radicale et d'extrême droite, le cordon sanitaire s'est fragilisé dans plusieurs pays.
L'approche du cordon sanitaire semble plus que pertinente, mais elle n'est pas sans soulever d'importantes questions. Les débats sur l'action politique dans la centrale ont surtout porté sur son autonomie vis-à-vis les partis ainsi que sur les critères d'un éventuel appui lors d'une élection . Et même lorsque les valeurs de certaines formations politiques étaient éloignées de celles de la FTQ, la centrale a toujours maintenu un dialogue. Elle a généralement privilégié la pratique de la concertation à celle de la chaise vide. Mais que faire lorsque des partis politiques basent leur programme sur la haine et le mépris de la démocratie ? Si ceux-ci menacent l'existence même des syndicats ? Est-ce que la FTQ devrait couper les ponts avec de telles organisations ? Il pourrait s'agir d'une avenue à emprunter. Préserver le dialogue avec des formations politiques radicales ou extrêmes pourrait générer des tensions à l'intérieur du mouvement syndical. Ce fut le cas aux États-Unis lorsque le président d'un grand syndicat a rencontré Donald Trump, et ce, malgré les comportements antidémocratiques et anti-travailleurs de l'ex-président. Si un parti issu des nouvelles droites est élu, est-ce que la FTQ maintiendra sa participation dans les organismes créés par l'État ? Il y a lieu de se préparer à de telles éventualités.
Question
Est-ce que la FTQ et ses syndicats affiliés devraient maintenir le dialogue avec toutes les formations politiques ? Par exemple, il est connu que le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, a des positions farouchement antisyndicales. Faut-il développer et garder des contacts avec ce parti ? Quels sont les risques de le faire ou de ne pas le faire ?
En France, la CFDT a un slogan : ni neutre, ni partisan ! Ce qui signifie qu'elle participe au débat politique, sans faire de partisanerie. Les statuts de la CFDT indiquent aussi qu'une personne ne peut cumuler à la fois des responsabilités syndicales et politiques. Elle a également choisi de ne pas communiquer avec les partis d'extrême droite ni de leur transmettre son programme ou demandes de crainte qu'ils les détournent à leur propre fin.
Confronter l'extrême droite sur le terrain
Pour combattre les nouvelles droites, la FTQ doit se montrer, manifester et agir ! Ces groupes sont de plus en plus présents sur le terrain, comme en témoignent les nombreuses démonstrations contre les droits des personnes trans, les drag queens ou l'avortement. Les syndicats peuvent afficher leur désapprobation en participant à des contre-manifestations. Dans plusieurs pays où les organisations d'extrême droite sont mieux structurées qu'au Québec, il n'est pas rare qu'elles aient pignon sur rue. C'est pourquoi la société civile et les syndicats se mobilisent pour fermer de tels locaux qui répandent la haine.
Des actions sont également entreprises pour contrecarrer la tenue de rassemblements ou d'événements associés à l'extrême droite, par exemple en contactant les propriétaires de salles ou de bars. Dans d'autres cas, des manifestantes et des manifestants réussissent à faire annuler des spectacles. Parfois, ce sont les travailleurs et les travailleuses du secteur de l'hôtellerie et de la restauration qui sonnent l'alarme empêchant ainsi les extrémistes de se réunir.
Les entretiens avec d'autres syndicats à l'international soulignent également l'importance pour les organisations syndicales de s'impliquer dans des associations et groupes à l'échelle locale pour limiter l'influence des droites radicales et extrêmes. En effet, lorsque celles-ci sont bien implantées, ses représentants et représentantes s'engagent dans les villes et les villages pour être en contact direct avec les citoyens et les citoyennes. Les forces progressistes doivent donc prendre leur place partout sur le territoire pour éviter de laisser le champ libre aux nouvelles droites.
Nouer des alliances
Chez les nouvelles droites du monde entier, les idées circulent et les pratiques sont partagées dans le but de faire avancer un agenda commun. Pour combattre cette internationale réactionnaire, la FTQ et ses affiliés devront faire de même et nouer des alliances avec les autres organisations syndicales et groupes progressistes.
Dans chaque pays, il existe des mouvements antifascistes qui confrontent les forces d'extrême droite. Plusieurs de leurs membres font partie des syndicats et y militent, ce qui semble être également le cas au Québec. En France, le groupe Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (VISA) a été mis sur pied en 1996 par plusieurs organisations syndicales. Ce regroupement produit des analyses et des argumentaires, planifie des manifestations, offre des formations, entre autres. Au Québec, on ne trouve pas un tel équivalent. Cependant, plusieurs collectifs antifascistes autonomes existent à plusieurs endroits, par exemple à Montréal et à Québec. Ainsi, les syndicats locaux et les conseils régionaux pourraient envisager de tisser des liens de solidarité avec des groupes qui luttent également contre le programme politique des nouvelles droites.
À l'échelle internationale, les syndicats européens ont élaboré des stratégies communes au sein de la Confédération européenne des syndicats. Le Réseau international des syndicats antifascistes a également été mis sur pied au début de 2023. Celui-ci a publié un manifeste qui dénonce sans ambiguïté les mouvements néo-fascistes et d'extrême droite. Pour défendre ses membres des prochaines menaces, la FTQ pourrait maintenir les contacts avec les autres organisations syndicales afin de partager les meilleures pratiques et mieux comprendre les approches des nouvelles droites.
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Enfouissement de déchets toxiques sur les berges du Lac des Deux Montagnes – les militant.es de Kanesatake et des allié.es réagissent

Kanesatake et Montréal, 10 juin 2024 – les militant.es de Kanesatake et leurs allié.es <http://xn--alli-epa.es> expriment leur frustration suite à la publication d'une enquête du Rover démontrant que des douzaines de camions déposent quotidiennement des tonnes de sols contaminés directement sur les berges du Lac des Deux Montagnes.
Les militant.es de Kanesatake, qui doivent cacher leur identité par peur de représailles, ont communiqué leurs inquiétudes à la ministre Hajdu dans une lettre publiée la semaine dernière <http://peopleoftheflint.org/fr.html> , sans obtenir de réponse.
« C'est simple, » explique la militante Pink, « Tant que l'état de non droit s'éternise à Kanesatake, il sera impossible d'arrêter l'enfouissement de déchets toxiques. »
« Les habitants de Kanesatake, les Okois, la société civile, tout le monde appelle au rétablissement de l'ordre. Donc qu'attendent Patty Hajdu et Ian Lafrenière ? » ajoute une seconde militante, Optimum.
L'asphalte concassé déposé sur les berges du lac contient des hydrocarbures aromatiques polycycliques, une substance cancérigène. Leur accumulation au bord de la source d'eau potable de la Ville de Montréal représente donc un risque croissant pour la santé publique.
« Une telle situation serait inimaginable à Trois-Rivières ou à Québec. Nous assistons véritablement à du racisme environnemental. C'est tout à fait inacceptable d'un point de vue social, environnemental et même économique » de mentionner Karel Ménard, directeur du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.
« Le lac des Deux Montagnes alimente en eau potable près d'un million de personnes à proximité et en aval du lac. Il serait complètement irresponsable de nos dirigeants de permettre la continuation des activités de déversements de sols sur les berges du lac ou toute autre forme de déversements non-conformes près des cours d'eau dans la région » selon Rébecca Pétrin, directrice générale d'Eau Secours.
« Traverser le territoire autochtone et voir se multiplier le déversement de terres contaminées et l'aménagement des bandes riveraines du lac des Deux-Montagnes est extrêmement inquiétant lorsqu'on connait leur rôle essentiel au niveau de la santé d'un plan d'eau. Et pourtant ça continue à tous les jours ! Qu'attendent les différents paliers politiques pour réagir fermement ? »Sylvie Clermont, Écocitoyenne engagée.
Les révélations de The Rover font suite à l'annonce du gouvernement fédéral que les travaux de décontamination d'un autre dépotoir situé à 10 kilomètres, G&R Recycling, commenceront au printemps. Un article paru le 10 juin dans La Presse confirme ces constats.
communications@eausecours.org
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« Transformer les terres de Rabaska en projet de démonstration d’économie circulaire intégrée au cycle du carbone serait une bonne idée » dit VRIc

Québec, le 7 juin 2024. VRIc demande au ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, André Lamontagne, de transformer les terres de Rabaska en projet de démonstration d'économie circulaire intégrée au cycle du carbone.
Ce projet pourrait, éventuellement, s'inspirer à la fois de celui des terres des Sœurs de la Charité, l'Agro-parc et des principes de cette économie en émergence.
L'urgence climatique requiert des acteurs économiques et environnementaux qu'ils
s'assurent que des projets comme Rabaska et l'Agro-parc puissent poursuivre leur
vocation de puits carbone, c'est-à-dire, de capter le carbone de l'atmosphère par les
arbres et les champs afin de contribuer à refroidir le climat tout en participant à ce que le Québec réduise son empreinte carbone.
Par ailleurs, VRIc regrette que le gouvernement n'ait pas accepté la demande du Groupe d'initiative et de recherche appliquée au milieu (GIRAM) de laisser le Commission de la protection du territoire agricole du Québec d'émettre son avis sur les orientations concernant les activités économiques sur ce territoire.
Cependant, la proposition des agriculteurs et de leurs alliés à l'effet de mettre les terres de Rabaska en fiducie est excellente. Ainsi les risques que des activités d'économie linéaire se développent sur ce territoire comme c'est le cas sur les terres de Northvolt, sont moins grands.
VRIc est un OBNL qui fait la promotion de l'économie circulaire en mettant en valeur ses composantes que sont les personnes et les collectivités impliquées dans les entreprises privées et publiques, les parcs industriels, les villes, les régions, dans les domaines de l'éducation, de la R&D, des transferts technologiques. L'implantation de l'économie circulaire est porteuse de la deuxième industrialisation et urbanisation des villes et des régions du Québec.
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Réactions à la publication du PL-69

Le projet de loi PL-69 intitulé « Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives » a été présenté ce matin par le ministre Pierre Fitzgibbon. Les attentes étaient grandes, mais le résultat est décevant à plusieurs niveaux.
Une nécessité de décarboner la société québécoise doit être la priorité, mais il semble encore une fois que le développement de l'industrie soit le moteur de la réforme proposée. Une décarbonation ne doit pas être articulée uniquement sur une production supplémentaire d'énergie, il est essentiel que des programmes d'efficacité et de sobriété énergétique soient mis de l'avant. Dans le projet de loi présenté il est question d'efficacité énergétique et de gestion de la demande, mais cela semble référer à des mesures ponctuelles et rien en termes de vision d'ensemble. Quant au mot « sobriété » il n'apparaît nulle part. Une vision globale n'est donc pas la priorité du gouvernement pour prendre des décisions. Dans ce domaine, comme dans bien d'autres, les décisions hâtives peuvent très souvent entraîner des problèmes pour le futur.
Autre considération, aller vite c'est aussi consulter qu'en surface et surtout ne pas permettre à la population plus large de prendre part au débat, c'est un déni de démocratie. Au gouvernement nous décidons, ils payeront, c'est l'idée générale. La transition énergétique est une chose trop sérieuse pour la laisser entre les mains d'un seul ministre, c'est une transformation profonde qui demande l'assentiment de la majorité de la population pour que le mouvement soit compris et accepté par la majorité. Une pédagogie doit se faire, mais le gouvernement ne veut pas convaincre, il veut imposer, c'est plus rapide. Maître mot dans la bouche du ministre.
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Pas si vite !

Le 1er mai dernier, soit deux jours après l'annonce du départ d'Émilise Lessard-Therrien, Gabriel Nadeau-Dubois affirmait lors d'une sortie médiatique que Québec solidaire devait devenir un parti de gouvernement, faisant ainsi d'une pierre deux coup. Il fermait le débat concernant les causes de la démission d'Émilise en annonçant une perspective qui impliquait à mots couverts un recentrage des politiques du parti : « Afin de prendre le pouvoir, la formation devra toutefois changer des choses et faire des choix. Je pense que Québec solidaire est dû pour une refonte complète de son programme. Notre structure doit être plus efficace, moins lourde et plus simple ».
Mais ce n'est pas ce que les membres ont adopté comme position au Conseil national du 25 et 26 mai dernier. Le texte initial proposé se lisait comme suit : « Qu'en prévision de la campagne électorale de 2026, le parti s'engage dans un processus de modernisation de son programme, qui sera suivi par l'adoption de la plateforme électorale. Que la Commission politique, le Comité de coordination national et les commissions thématiques soient responsables de coordonner le processus d'élaboration d'un nouveau programme, pour adoption lors d'un Congrès spécial en 2025. »
Le texte amendé stipule maintenant : « Qu'en prévision de la campagne électorale de 2026, le parti s'engage dans un processus d'actualisation de son programme… Que la Commission politique, le Comité de coordination national et les commissions thématiques soient responsables de coordonner le processus d'actualisation du programme… »
Il faut ajouter que la proposition adoptée contenait également cette partie : « Que le programme soit exempt d'engagements politiques trop spécifiques ». Donc on a donné un mandat à la Commission politique, au Comité de coordination national et aux commissions thématiques d'actualiser le programme et non de le moderniser. On leur a retiré le mandat d'élaboration d'un nouveau programme, mais on a inclus qu'il soit exempt d'engagements politiques trop spécifiques.
On peut dire que cette dernière partie (politiques trop spécifiques) est disposée par la décision d'actualiser et de retirer le mandat d'élaborer un nouveau programme. Il est difficile de retirer les engagements trop spécifiques sans réécrire le programme. Il y a fort à parier que la direction de QS n'en tiendra pas compte.
Cette ambiguïté dans le vote indique que nous n'avons pas discuté du fond de la question, des raisons qui motivent réellement la stratégie de réécriture du programme, raisons qui auraient certainement éclairé le choix des personnes déléguées.
On sentait une pression comme si nous étions à la veille de prendre le pouvoir, qu'il fallait balayer tout ce qui pouvait nous empêcher de gagner un nouvel électorat. Au pas camarades, mais sans analyse politique ni plan stratégique. La déclaration de Saguenay représentait l'autre front de ce même objectif, modifier les positions historiques de QS. Ce rapport de la tournée des régions s'est ainsi transformé en déclaration politique. Le tout dans une ambiance où la pression était palpable.
Le dernier sondage Leger accorde une légère remontée à QS. A deux ans des élections on peut difficilement s'imaginer aux portes du pouvoir. Il souligne également une perte significative d'adhésion des jeunes à QS, alors que cela a toujours été notre force.
Ce recentrage que GND nous propose, qu'il qualifie de « souci d'efficacité » ou encore de « pragmatisme », exige des explications et une mise en situation. Quelle est la stratégie qui, dans ce contexte, nous amènera au gouvernement dans deux ans ? Jusqu'à maintenant nous n'avons eu droit à aucune analyse qui pourrait appuyer cette perspective.
Les débats soumis au Conseil National avaient, dans ce contexte de non-dit, un air surréel. On recentre sans l'avouer, pour être un parti de pouvoir, sans plan précis ni stratégie, ni analyse sérieuse de la situation politique, quels sont nos alliés, sur quelle base s'appuiera-t-on ? Tenant compte que l'appui des jeunes régresse.
La montée du PQ dans les sondages et même sa possible élection fait certainement partie de l'équation. Mais est-ce une raison d'édulcorer notre programme afin de plaire à cet électorat ? Auquel cas le réflexe est toujours d'adopter l'original et non la copie, sans parler des progressistes, des jeunes et des femmes qui ne s'y reconnaîtront plus. GND et la direction de QS le savent certainement.
Ce débat concerne en fait un plan stratégique et non des questions sémantiques d'écriture de texte. Une question essentielle se pose avec urgence, quel est le vrai plan ?
Le 1er mai 2009, Québec solidaire publiait un manifeste, « Pour sortir de la crise : dépasser le capitalisme ? ». Ce texte est un exemple de la façon dont on doit poser un débat. Une mise en contexte qui pose les origines et les effets de la crise sociale et économique, en fait une analyse et propose des issues. Cela a aussi l'avantage d'alimenter la réflexion politique, essentielle dans un parti de gauche qui revendique la justice sociale.
GND affirme que le Québec a changé et que Québec solidaire est dû pour une refonte complète de son programme. Ce manifeste publié il y a 15 ans, qui a inspiré plusieurs éléments de notre programme, faisait état de la crise. « La crise comme prétexte, c'est la crise, donc passons à l'exploration gazière dans le magnifique fleuve St-Laurent. C'est la crise ! Alors on ne peut pas combattre la pauvreté : l'État n'a plus d'argent ! Mais on en trouvera toujours pour renflouer des banques déjà milliardaires ; pour engraisser des papetières qui vont toujours plus loin raser nos forêts ; pour subventionner des minières qui pillent l'or et les métaux qui nous appartiennent ! »
Qu'est ce qui a changé ? Est-ce que la crise s'est estompée ? Non elle est pire, 100 fois pire.
S'il y a une chose essentielle ce n'est pas d'aseptiser mais d'actualiser notre programme et nos perspectives à cette réalité en osant poser les bonnes questions. Voici quelques exemples de questions que le manifeste soulevait :
« La crise actuelle est-elle causée simplement par les excès du système financier, par des fraudeurs et des financiers qui ont agi en bandits de grand chemin ? Cette crise reflète-t-elle des problèmes inhérents au système économique lui-même ? Ne devons-nous pas nous demander si ce système contient des éléments qui aggravent les inégalités sociales et la dégradation de l'environnement ? »
Une crise mondiale
Grande absente de cette discussion de « prise du pouvoir », la crise internationale économique, sociale et environnementale atteint maintenant des sommets inégalés.
Au moment où la situation politique se complexifie et que les pressions de la droite s'intensifient, nos réponses doivent être plus élaborées, nos débats et réflexions politiques plus profonds. La lutte que nous menons au Québec doit s'inscrire dans une perspective de solidarité internationale. Le pouvoir de changer la société c'est reprendre le contrôle de notre vie, de notre environnement et de notre économie. C'est reprendre le contrôle de notre territoire usurpé par les multinationales et les consortiums financiers.
Depuis le début du printemps, le Sud global est secoué par des événements climatiques extrêmes accentués par le phénomène météo El Niño. En Asie, ces catastrophes ont des conséquences sociales délétères, qui touchent en premier lieu les enfants et les femmes. Mardi 28 mai dernier, New Delhi, capitale de l'Inde, enregistrait une température record de 49,9 °C.
« Ce qui est vertigineux, c'est qu'on a désormais fréquemment en Asie des températures qui frôlent les 50 °C. En France, un pic de chaleur à 40 °C est devenu habituel, alors que c'était exceptionnel il y a une quarantaine d'années. Nous nous accoutumons à un climat qui est déjà à + 1,2 °C de réchauffement par rapport à l'ère préindustrielle, alors qu'on s'attend déjà à dépasser les + 1,5 °C dans dix ans, commente pour Mediapart Magali Reghezza-Zitt, géographe et maîtresse de conférences à l'École normale supérieure. [1]
Contre le cul de sac du pragmatisme, pour des perspectives de lutte
Quels que soient les cas de figure de l'orientation « pragmatique » proposée par la direction de QS, ils nous amènent inévitablement vers un cul de sac. Si les motifs du recentrage visent à séduire la base péquiste c'est une erreur magistrale, ils et elles n'ont pas besoin d'un 2e PQ. Au final, dans cet exercice de recentrage accéléré, sans débat de fond, nous perdrons en plus les outils fondamentaux qui font notre force et nous rassemblent, la politisation par le débat et le respect de la démocratie.
Rien n'est encore joué, les différents réseautages militants ont joué un rôle majeur au Conseil National et ont réussi à imposer un réel débat sur les enjeux. L'avenir de QS comme parti des urnes et de la rue réside dans ce militantisme en marche qui saura imposer un réel débat politique concernant les perspectives de luttes et de rassemblement contre cette société corrompue. C'est ce à quoi nous devons travailler maintenant !
Contre le pragmatisme qui nous mène à l'échec ! Pour des débats éclairants et pour la démocratie !
Épilogue
Dans son livre « Voyage au bout de la mine » Pierre Céré citait le commentaire suivant « François Legault est revenu dans la dernière semaine de campagne pour faire de cette élection une question référendaire sur la Fonderie Horne : si vous votez pour Émilise, vous votez pour fermer la Fonderie Horne. » [2]
Il concluait ce chapitre ainsi : « Est-ce que Québec solidaire s'est fait piéger par cette stratégie de la CAQ alliée aux élites économiques de Rouyn-Noranda ? Pouvait-il en être autrement ? Si nous portons un héritage, il ne faudrait pas oublier qu'il est aussi celui d'un combat qui s'inscrit dans le temps, et celui-ci se transmet. » [3]
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Alors que la crise climatique s’aggrave, le Canada continue de s’incliner devant les grandes compagnies pétrolières

Les climatologues ont été clairs : le seul véritable espoir d'éviter une catastrophe climatique réside dans l'accélération spectaculaire de la transition vers l'énergie propre en construisant de nouveaux parcs éoliens et solaires à une vitesse vertigineuse. Mais ce n'est pas le cas.
24 mai 2024 | tiré de Rabble.ca | Photo : Le pipeline Trans Mountain qui longe la route Yellowhead et transporte du pétrole d'Edmonton, en Alberta, à Burnaby, en Colombie-Britannique, au Canada. Sur la photo, un panneau d'avertissement faisant référence au pétrole à haute pression qui traverse la conduite. Crédit : David Stanely / Flickr Crédit : David Stanely / Flickr
L'ouverture de l'expansion de l'oléoduc Trans Mountain ce mois-ci – largement célébrée dans les médias – nous rappelle que le Canada est toujours sous l'emprise des grandes compagnies pétrolières.
Cette expansion de 34 milliards de dollars a été financée par Ottawa et équivaut à une subvention publique massive pour l'industrie pétrolière – à un moment où nous devrions de toute urgence financer les énergies renouvelables, et non les combustibles fossiles.
Le célèbre climatologue américain James Hansen a déclaré que les sables bitumineux étaient un pétrole si « sale et à forte intensité de carbone » que s'ils devaient être pleinement exploités, ce serait la « fin de la partie » pour la planète.
Pourtant, nous applaudissons le triplement de la capacité de l'oléoduc à transporter le pétrole des sables bitumineux, même si cela nous rapproche de la fin de la partie.
Un rapport publié la semaine dernière a révélé que les meilleurs climatologues du monde pensent que le monde se dirige dans une direction effrayante – vers plus de 2,5 degrés Celsius de réchauffement, dépassant l'objectif international de 1,5 °C, au-delà duquel les incendies, les inondations et les vagues de chaleur deviennent gravement imprévisibles.
Aujourd'hui, nous ne sommes qu'à 1,2 °C de réchauffement et regardez le gâchis dans lequel nous sommes. Déjà cette saison, les feux de forêt sont hors de contrôle en Colombie-Britannique et en Alberta.
Les climatologues ont été clairs : le seul véritable espoir d'éviter une catastrophe climatique réside dans l'accélération spectaculaire de la transition vers l'énergie propre en construisant de nouveaux parcs éoliens et solaires à une vitesse vertigineuse.
Mais ce n'est pas le cas, même si le prix de l'énergie éolienne et solaire est devenu très compétitif. C'était censé être le point de déclenchement à partir duquel le marché commencerait à jouer en notre faveur, avec des énergies renouvelables moins chères que les combustibles fossiles, facilitant la transition vers une énergie propre.
Les énergies renouvelables ne cessent de devenir moins chères. Le prix de l'énergie solaire a chuté de 90 %, mais Big Oil reste dominant.
En effet, avec son monopole établi de longue date et son soutien gouvernemental étendu, Big Oil est beaucoup plus rentable – et donc plus attrayant – pour les grands investisseurs financiers que les entreprises compétitives en difficulté qui composent le secteur émergeant des énergies renouvelables, note Brett Christophers, économiste politique à l'Université d'Uppsala en Suède.
De toute évidence, compte tenu de l'urgence climatique, nous ne pouvons pas laisser la tâche vitale de la transition vers les énergies renouvelables aux caprices des investisseurs financiers, dont le seul intérêt est de maximiser leurs rendements.
Les gouvernements doivent s'impliquer beaucoup plus et ils doivent passer des grandes compagnies pétrolières aux énergies renouvelables.
L'administration Biden a pris cette direction, avec des mesures radicales visant à doubler la capacité renouvelable aux États-Unis au cours de la prochaine décennie. Pendant ce temps, le gouvernement Trudeau est déterminé à servir l'immensément puissante industrie pétrolière.
Au cours des quatre dernières années, Ottawa a fourni 65 milliards de dollars en soutien financier pour le pétrole et le gaz, mais seulement une fraction pour les énergies renouvelables. Son principal programme de subvention des énergies renouvelables fournit moins d'un milliard de dollars par an, explique Julia Levin, directrice associée d'Environmental Defence.
L'étendue de la volonté d'Ottawa d'accommoder les grandes compagnies pétrolières est devenue évidente en 2018 lorsqu'elle a pris en charge l'expansion de l'oléoduc Trans Mountain, plutôt que de laisser le projet s'effondrer après que ses bailleurs de fonds initiaux aient menacé de se retirer en raison d'une vive opposition environnementale.
Ottawa prévoit maintenant dépenser 10 milliards de dollars, peut-être beaucoup plus, pour subventionner les efforts futiles mais coûteux des grandes compagnies pétrolières afin de réduire leurs émissions de carbone par le biais du « captage et du stockage du carbone » – malgré de nombreuses preuves que la technologie est très inefficace pour réduire ces émissions.
Cela permet aux grandes compagnies pétrolières de prétendre qu'elles sont sérieuses au sujet de la réduction des émissions, en faisant croire aux Canadien-nes que nous faisons des progrès en matière de climat, alors que nous ne faisons que tourner en rond et gaspiller beaucoup d'argent public dans le processus.
Pendant des années, il y a eu la pensée réconfortante que, lorsque les horreurs du changement climatique deviendraient vraiment claires, les humains seraient assez intelligents pour trouver une solution. Cela s'est avéré vrai. C'est juste que nous n'avons pas trouvé comment remplacer les puissants pour pouvoir mettre en œuvre la solution.
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Sans arrêt, des attaques fusent contre le programme fédéral d’assurance des médicaments sans que les liens avec les grandes pharmaceutiques ne soient mentionnés

Dans des douzaines de lettres publiques, des auteurs.es s'opposent au programme fédéral sur les médicaments sans que leurs conflits d'intérêt ne soient dévoilés. Pendant que le gouvernement libéral et les néo-démocrates mettent au point les détails du programme national d'assurance médicaments qui devrait améliorer grandement leur accès à des millions de Canadiens.nes, les critiques et les oppositions s'expriment dans les grands médias du pays.
Nikolas Barry-Shaw et Donya Ziaee
The Breach, 10 mai 2024
Traduction, Alexandra Cyr
Le National Post dans une annonce prévient les Canadiens.nes : « Ce programme est une bombe qui va faire exploser votre prime ». Dans The Hill Times, on peut lire : « qu'il n'y a rien de plus effrayant » que la volonté du gouvernement de faire baisser le prix (des médicaments). On y compare le programme à « une guerre de guérilla » contre l'industrie pharmaceutique.
Les auteurs.es de ces propos, comme ceux d'une douzaine d'autres, ont été identifés.es comme des experts.es en politique, indépendants.es, travaillant dans des instituts de recherche.
Mais, une enquête du Conseil des Canadiens révèle que tous et toutes ont des liens avec les pharmaceutiques et les compagnies d'assurance. Ce sont les industries qui ont le plus à perdre avec l'introduction de ce programme. Plusieurs sont, soit leurs employés.es, leurs lobbyistes ou consultants.es. Tous et toutes travaillent pour des groupes de réflexion fondés par des manufacturiers de médicaments comme Pfizer, Johnson & Johnson et des groupes de lobbying comme Innovative Medicines Canada. Ou encore pour des compagnies où les membres des conseils d'administration sont issus.es des pharmaceutiques, des lobbys à leur service ou des compagnies d'assurance.
Depuis l'introduction de ce projet de loi, à la fin de l'année dernière, les interventions venant de ce secteur se sont multipliées pour faire dérailler et reporter toute tentative d'aller vers un système à payeur unique.
Depuis mars 2022, 49 articles attaquant le programme ont été publiés. 25 interventions du même genre ont été repérées dans les réseaux sociaux et les journaux.
Les liens avec l'industrie ne sont pas rendus publics
Les grandes pharmaceutiques et les compagnies d'assurance ont exercé un lobbying vigoureux contre ce programme universel qui devrait limiter leur pouvoir de fixation des prix pour ce qui est des pharmaceutiques et l'étendue de leurs marchés pour ce qui est des assureurs.
Avec l'entente entre le gouvernement libéral et le NPD sur le fait que l'approvisionnement un élément fondamental de la loi, les interventions d'opposition se sont déchainées dans les médias. Ce fut pire encore quand la loi a été introduite au parlement en février dernier.
Les conflits d'intérêt de tous ces commentateurs et commentatrices qui s'exprimaient couramment sur le sujet n'ont absolument pas dérangé les médias canadiens.
Par exemple, Brett Skinner, du Canadian Health Policy Institute, a passé des années à attaquer ce genre de programme en publiant des articles avec des titres comme « Électeurs.trices prenez garde : le programme national sur les médicaments est inutile, mauvais pour les Canadiens.nes déjà assurés.es et cher pour les contribuables ». Et « Des coûts plus élevés et moins de couverture. Pourquoi les Canadiens.nes voudraient de ce programme ».
Plusieurs de ces articles ont été écrits alors qu'il travaillait pour Innovative Medicines Canada le plus grand groupe de lobbying de la pharmacie au Canada. En plus il y était directeur des politiques en santé et en économie. Aucun des médias qui a publié ses articles, n'ont mentionné ce fait.
D'autres lettres ouvertes et articles écrits par des personnes liées à l'industrie ont été diffusés sur les sites de nouvelles consultés par des employés.es du gouvernement et des législateurs.trices ; par exemple, The Hill Times et National Newswatch, les services en lignes de The Canadian Press et des médias nationaux comme la CB, The Globe and Mail, Global News et The Toronto Star. L'enquête s'est limitée aux médias en ligne et écrits, ce qui a exclu les télévisions, les radios et les entrevues en balado-diffusion.
Un réseau de groupes de réflexion proches de l'industrie pharmaceutique
Les opposants.es au projet de loi C-64 ont compris depuis longtemps que pour protéger leurs profits, il leur fallait contrôler le discours public (à ce sujet). Mais ils et elles sont très conscients.es que les Canadiens.nes ne leur font pas confiance pour obtenir des avis fiables sur le système de soins. C'est pour cela que ces industries ont soutenu pendant des décennies des groupes de réflexion qui se chargeaient de publiciser leur message aux législateurs.trices et au grand public.
Les grandes pharmaceutiques ont financé les groupes de réflexion de droite grâce à des dons et des parrainages. Par exemple, Pfizer, Merck, Roche, Johnson & Johnson et AstraZeneca ont donné à The Macdonald-Laurier Institute et aux deux plus grands groupes de lobbying dans le domaine des médicaments et de la pharmacie, au Canada et aux États-Unis.
Le Canadian Health Policy Institute assure que, son mandat lui permet de publier des résultats de recherches qui concernent le système de santé grâce à « des politiques basées sur des preuves ». Mais ces recherches sont payées de gré à gré par des compagnies pharmaceutiques et portent sur les sujets qui les intéressent y compris le programme fédéral d'assurance médicaments.
Le Conference Board of Canada, un groupe de réflexion qui se dit « non partisan », est couramment cité dans les médias à propos de ses analyses sur une variété de sujets. Il a reçu des fonds du plus important lobby de l'industrie pharmaceutique du Canada, Innovative Medicines Canda pour des rapports où la nécessité du programme est minimisée.
Sa plus récente production financée ainsi, avance que 97% des Canadiens.nes détiennent déjà une assurance médicament. Ce résultat a été largement citée dans les médias alors que les plus éminents.es experts.es le dénonce comme le plus pernicieux des mensonges jamais émis par les compagnies opposantes au projet de loi. Les données pour ce travail avaient été fournies par Canadian Life and Health Insurance Association, le groupe dominant du lobby des assurances.
Il arrive aussi que les liens entre les pharmaceutiques et les compagnies d'assurance dépassent les simples financements. Dans beaucoup de cas, les dircteurs.trices ou les lobbyistes siègent sur les conseils d'administration. Cela leur donne la possibilité de diriger les recherches et de surveiller les positions que ces organisations prennent à propos du programme. Par exemple, à l'Institut économique de Montréal, Mme Hélène Desmarais préside le conseil d'administration. Elle est l'héritière de la famille Desmarais qui est propriétaire de Canada Life, le plus grand assureur du pays.
L'institut C.D. Howe se vante que ses recherches sont « non partisanes, basées sur des preuves et soumise à la révision d'experts.es ». Mais quand il s'agit du projet de loi C-64, ce sont souvent les grandes pharmaceutiques et des représentants.es des compagnies d'assurance qui assurent ce service. Les cadres et les lobbyistes de l'industrie occupent un tiers des sièges de l'Institute's Health Policy Council.
Trop souvent, les experts.es qui supposément fournissent des analyses « indépendantes et non biaisés » sur le programme fédéral sur les médicaments ont des liens directs avec les compagnies pharmaceutiques et d'assurance. Malgré leurs titres quasi universitaires, plusieurs en sont d'anciens.nes employés.es, des lobbyistes ou des consultants.es. Par exemple, Nigel Rawson a publié des douzaines d'articles où il attaque le projet de loi . Il se présente comme « Senior Fellow » du Macdonald-Laurier Institute et « universitaire affilié » du Canadian Health Policy Institute. Mais en fait il est consultant pour l'industrie pharmaceutique et un ancien employé d'un manufacturier de médicaments. Marcel Saulnier, un des « Senior Fellow » du C.D. Howe Institute, est un lobbyiste d'une compagnie ayant des relations avec le gouvernement et qui représente les compagnies pharmaceutiques. Il exerce ses fonctions auprès du gouvernement au nom de Johnson & Johnson relativement au programme fédéral. Il était une tête d'affiche d'un récent événement chez C.D.Howe à propos de ce programme commandité par Johnson & Johnson.
Introduire du brouillage pour masquer les faits
Selon une enquête du New York Times, pendant des décennies, les grands de la pharmacie ont dépensé des millions pour monter ce que leurs documents internes désignent comme des « lieux de résonnance intellectuelles, d'organisations de même sensibilité ».
Selon l'historien Edward Nik-Khah, ces relations financières de longue date signifient que les grandes pharmaceutiques « peuvent un moment donné, faire appel à un groupe d'économistes qui pourront leur fournir un message finement conçu pour atteindre un but politique ». La lutte actuelle autour du projet de loi C-64 est un de ces moments.
Le premier objectif de ces « lieux de résonnance intellectuelles » d'opposition au programme fédéral a été d'anticiper les règles pour biaiser le discours public à leurs propos. Plutôt que de s'opposer directement à l'idée d'une assurance universelle des médicaments sous ordonnances, idée qui est soutenue par la vaste majorité de la population, les grandes compagnies pharmaceutiques et leurs alliés.es ont tenté de semer le doute et la confusion.
Tout ce beau monde a minimisé l'efficacité de la portée de la couverture du programme. L'idée que le prix des médicaments au Canada, le deuxième le plus élevé dans le monde après les États-Unis, soit excessif, a été ridiculisé. De vieux arguments démentis à propos du programme ont été ressortis après avoir servi de multiples fois dans le passé.
Les groupes de réflexion de cette industrie sont des brouilleurs d'idées qui cherchent à masquer les faits dans les discussions sur la politique mais rejoignent parfois les plus hautes sphères des législateurs.trices. Depuis des années, ils ont visé les caucus, les membres du cabinet (fédéral) et leur ont servi de la désinformation pour ralentir les progrès vers la loi sur l'assurance médicaments.
Le Dr. Doug Eyolfson, ancien député libéral était membre du Comité sur la santé de 2016 à 2019. Il décrit comment les groupes financés par les pharmaceutiques ont affaibli la volonté du gouvernement Trudeau dans le projet de loiC-64 : « Les plus importantes hésitations vis-à-vis ce programme (y compris chez le gouvernement libéral dont j'étais membre), venait de l'immense désinformation venant de divers secteurs, chacun avec leur propre programme. Le lobbying était agressif, des articles de divers groupes réussissaient à convaincre beaucoup de gens que le programme couterait bien trop cher, qu'il n'était pas nécessaire et qu'il pourrait retarder l'émergence de nouveaux médicaments ».
Il faut un mur pare-feu entre les grandes pharmaceutiques et les décideurs.euses
La première phase de ce programme universel, à payeur unique qui couvre la contraception et les médicaments pour le diabète ne va affecter les profits des manufacturiers de médicaments et les assureurs qu'à la marge.
Mais la loi est quand même venue les hanter parce qu'elle mettra en place un programme bien plus important. Mais les délais d'introduction vont grandement leur bénéficier. Un gouvernement conservateur avec P. Poilievre pourrait facilement défaire un programme qui n'existe pour ainsi dire que sur papier. Déjà il répète ce qui lui vient des groupes de réflexion financés par l'industrie, comme nous en avons fait état dans le passé.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que les industriels.les réussissent à renverser des politiques gouvernementales. L'an dernier, une de nos enquêtes a révélé que le ministre fédéral de la santé était de mèche avec les grandes pharmaceutiques pour ralentir des réformes qui auraient épargné des milliards de dollars aux Canadiens.nes en coût de médicament.
Un ex-membre du conseil d'administration du comité de fixation des prix des médicaments, Matthew Herder, a récemment mis en garde contre l'influence excessive de l'industrie au moment de l'adoption de la loi sur l'assurance médicament. Il avait démissionné de son poste pour protester contre cela : « Je l'ai observé de première main. J'ai vu comment le processus a été influencé et contrôlé par l'industrie et ses multiples organisations sœurs. Avec ce programme, nous ne devons pas fermer les yeux sur les effets insidieux des conflits d'intérêts ».
Au moment de l'adoption de la loi, un comité de cinq experts.es sera mis en place pour superviser l'implantation du programme universel et public. M. Herder insiste sur l'obligation de n'y admettre aucun.e membre ayant des liens financiers avec l'industrie : « Le gouvernement doit ériger un mur pare-feu entre ces intérêts et les membres du comité (d'implantation). Si non, la loi C-64 peut devenir un autre échec dans la lutte pour que les Canadiens.nes aient accès à des médicaments essentiels et abordables pour tous et toutes ».
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Mobilisation massive au Panama contre la minière canadienne First Quantum

Mining Watch Canada lance une pétition
Entrevue avec Vivuana Herrera, Mining Watch Canada
Des manifestations massives au Panama se sont produites à l'automne dernier contre un nouvel accord que le gouvernement a annoncé avec l'entreprise canadienne First Quantum pour permettre la poursuite des activités de son immense mine de cuivre. Située dans la zone écologiquement protégée de la forêt tropicale panaméenne Donoso, la concession a été déclarée inconstitutionnelle en 2017 par la Cour suprême de Panama.
4 juin 2024 | tiré du Journal des alternatives | Photo : Panama - manifestations populaires de l'automne dernier contre la minière canadienne Credit : Olmedo Carrasquilla Aguila (CNW Group/MiningWatch Canada)
https://alter.quebec/mobilisation-massive-au-panama-contre-la-miniere-canadienne-first-quantum/
Des coalitions d'organisations de conservation et de protection de l'environnement, ainsi que des mouvements citoyens du monde agricole, du travail, de la santé, de l'éducation, de la jeunesse et de communautés indigènes — ont manifesté pendant près de deux mois pour dénoncer la manière et les dommages environnementaux et sociaux par les opérations minières. Toute la mobilisaiton a amené la fermeture de la mine depuis ce temps, en conformité avec la décision de la Cour insitutionnelle..
Aujour'hui, le groupe MiningWatch Canada (MWC), de concert avec des réseaux citoyens de Panama, ont lancé une pétition pour que la ministre canadienne du Commerce retire son soutien à First Quantum. La campagne de MWC demande que le gouvernement canadien respecte la décision de la Cour suprême panaméenne sur l'inconstitutionnalité du contrat et la volonté de la population panaméenne qui dit que « le Panama vaut plus sans l'exploitation minière ».
Viviana Herrera @Mining Watch Canada

Nous avons rencontré Viviana Herrera, responsable de campagne à MiningWatch Canada pour qu'elle nous explique les tenants et aboutissants de la mobilisation.
JdA : D'abord merci Viviana pour cette entrevue. Pouvez-vous nous résumer les dommages que cause l'exploitation du cuivre à Panama ?
Viviana : La réponse courte serait l'impact sur la biodiversité et sur la qualité et la quantité de l'eau en raison de l'emplacement et de la contamination de la mine de cuivre. Le Panama est un pays où la biodiversité est énorme et où les précipitations sont élevées. Toute activité minière aura des conséquences majeures et graves pour le pays et la région.
Les forêts tropicales du Panama jouent un rôle essentiel dans la santé du corridor biologique méso-américain, un ensemble d'aires protégées et de points chauds de la biodiversité qui s'étendent du sud du Mexique au Panama. C'est justement sur le site de l'énorme mine de cuivre à ciel ouvert Cobre Panama de la société canadienne First Quantum Minerals, la seule mine industrielle en activité du pays.
La mine de cuivre est donc un point chaud pour la population en raison de la déforestation et de la pollution qu'elle a causées. Les communautés touchées par ce projet et les groupes environnementaux, tels que Panamá Vale más sin minería (Panama vaut plus sans mines), ont dénoncé les dommages environnementaux et sociaux, notamment les rejets d'eaux usées, la déforestation et les dommages causés aux animaux endémiques et aux récoltes.
Les organisations environnementales telles que le Centro de Incidencia Ambiental (CIAM) (Centre de défense de l'environnement) ont systématiquement documenté et dénoncé les graves manquements aux engagements environnementaux du projet et à la législation environnementale en vigueur dans le pays. Selon le CIAM, l'entreprise a enregistré plus de 200 violations des engagements environnementaux et des rapports de contamination de l'eau et du sol.
Maintenant que la mine a été fermée à la suite des manifestations historiques de décembre 2023, les communautés et les organisations s'inquiètent du plan de fermeture de la mine. Elles exigent un plan de fermeture de la mine solide et sécuritaire qui évite d'autres impacts environnementaux et sociaux dans la région.
JdA : Quel est le soutien que le gouvernement Trudeau accorde à minière canadienne devant la décision de la Cour de Panama ?
Malgré l'opposition pacifique du peuple panaméen et la violence à laquelle il a été confronté pour avoir exercé son droit constitutionnel de contestation, le gouvernement canadien a continué à soutenir la First Quantum Minerals. La ministre de la Promotion des exportations, du Commerce international et du Développement économique, Mary Ng, a été très claire à ce sujet. Elle a déclaré à plusieurs reprises dans les médias que son travail consistait à défendre les entreprises canadiennes. Lors d'une entrevue accordée à CTW5, Madame Ng a déclaré à propos de la situation de First Quantum :
« Mon travail en tant que ministre du commerce est de m'assurer … de toujours continuer à défendre une sociéte minière canadienne, qu'elle opère au Panama ou n'importe où dans le monde ».
De même, l'ambassade du Canada au Panama a largement promu le contrat minier avec First Quantum, ella a également défendu la société minière dans le cadre du discours sur l'exploitation minière durable. Le Canada est un pays qui prétend respecter les droits humains, les droits des peuples autochtones, des femmes et la démocratie. La Cour suprême panaméenne a déclaré inconstitutionnels deux contrats miniers avec l'entreprise canadienne. Il est clair que le Canada doit retirer son soutien à cette société minière.
C'est pour cette raison que nous avons lancé, avec nos alliés étasunien, Earthworks, et panaméens, une pétition demandant de soutenir la lettre ouverte à la ministre canadienne exigeant le retrait de son soutien à la minière canadienne.
JdA : La pétition se poursuit jusqu'en septembre prochain. Pourquoi un délai aussi long. Quel est le calendrier de la campagne et que se passera-t-il à ce moment ?
Oui, nous collectons d'un côté, des signatures pour la pétition auprès des résidents et des citoyens canadiens/canadiennes, et de l'autre côté, un soutien institutionnel de la part d'établissements universitaires, d'artistes et d'activistes environnementaux. L'été est à porté de main et nous savons que de nombreuses organisations partent en vacances.
Nous souhaitons également recueillir un grand nombre de signatures, ce qui nécessitera beaucoup de diffusion et de temps. L'idée est de lancer et de remettre la lettre ouverte au ministre en septembre, au début de la nouvelle session parlementaire.
JdA : Merci viviana
Viviana : Merci beaucoup pour l'espace et l'entrevue.
Pour en savoir plus : Dossier de Mining Watch Canada en français
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Karl Marx et l’écologie

Il est indéniable que Marx s'est intéressé aux problèmes de l'environnement à son époque, et a critiqué les dégâts provoqués par le mode capitaliste de production. Mais il faut reconnaitre que les thèmes écologiques ne prennent pas une place centrale dans le dispositif théorique marxien et que les écrits de Marx sur le rapport entre les sociétés humaines et la nature sont loin d'être univoques et peuvent donc être l'objet d'interprétations différentes.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Beaucoup d'écologistes font des critiques à Marx, et somment les marxistes d'abandonner le paradigme rouge pour adopter le vert. Quelles sont leurs principaux arguments ?
Selon les écologistes, Marx, suivant en cela l'économiste anglais David Ricardo, attribuerait l'origine de toute valeur et de toute richesse au travail humain, négligeant l'apport de la nature. Cette critique résulte d'un malentendu : Marx utilise la théorie de la valeur-travail pour expliquer l'origine de la valeur d'échange dans le cadre du système capitaliste. En revanche, la nature participe à la formation des vraies richesses, qui ne sont pas les valeurs d'échange, mais les valeurs d'usage. Cette thèse est très explicitement avancée par Marx dans la Critique du programme de Gotha (1875), texte dirigé contre les idées du socialiste allemand Ferdinand Lassalle et de ses disciples :
« Le travail n'est pas la source de toute richesse. La nature est tout autant la source des valeurs d'usage (qui sont bien, tout de même, la richesse réelle !) que le travail, qui n'est lui-même que l'expression d'une force naturelle, la force de travail de l'homme [1]. »
Les écologistes accusent Marx et Engels de productivisme. Cette accusation est-elle justifiée ?
Non, dans la mesure où personne n'a autant dénoncé que Marx la logique capitaliste de production pour la production, l'accumulation du capital, des richesses et des marchandises comme un but en soi. L'idée même de socialisme – au contraire de ses misérables contrefaçons bureaucratiques – est celle d'une production de valeurs d'usage, de biens nécessaires à la satisfaction des nécessités humaines. L'objectif suprême du progrès technique selon Karl Marx n'est pas l'accroissement infini de biens (l'« avoir »), mais la réduction de la journée de travail, et l'accroissement du temps libre [2] (l'« être »).
Cependant, il est vrai que l'on trouve souvent chez Marx ou chez Engels (et encore plus dans le marxisme ultérieur) une posture peu critique envers le système de production industrielle créé par le capital, et une tendance à faire du « développement des forces productives » le principal vecteur du progrès. De ce point de vue, le texte « canonique » est la célèbre préface à la Contribution à la critique de l'économie politique (1859), un des écrits de Marx les plus marqués par un certain évolutionnisme, par la philosophie du progrès, par le scientisme (le modèle des sciences de la nature) et par une vision nullement problématisée des forces productives :
« À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants […]. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. […] Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir [3]. »
Dans ce passage célèbre, les forces productives existantes ne sont pas mises en question, et la révolution n'a pour tâche que d'abolir les rapports de production qui sont devenus une « entrave » à un développement illimité de celles-ci.
Le passage suivant des Grundrisse (« Principes », 1857-59, esquisse du Capital) est un bon exemple de l'admiration trop peu critique de Marx pour l'œuvre « civilisatrice » de la production capitaliste, et pour son instrumentalisation brutale de la nature : « Ainsi donc, la production fondée sur le capital crée […] un système d'exploitation générale des propriétés de la nature et de l'homme. […] Le capital commence donc à créer la société bourgeoise et l'appropriation universelle de la nature et établit un réseau englobant tous les membres de la société : telle est la grande action civilisatrice du capital. Il s'élève à un niveau social tel que toutes les sociétés antérieures apparaissent comme des développements purement locaux de l'humanité et comme une idolâtrie de la nature. En effet la nature devient un pur objet pour l'homme, une chose utile. On ne la reconnaît plus comme une puissance. L'intelligence théorique des lois naturelles a tous les aspects de la ruse qui cherche à soumettre la nature aux besoins humains, soit comme objet de consommation, soit comme moyen de production [4]. »
Cette vision encore peu critique du rapport du capitalisme à la nature sera dépassée dans les années suivantes. En réalité, il faut considérer les écrits de Marx (ou Engels) sur la nature non comme un bloc uniforme, mais comme une pensée en mouvement. C'est la contribution qu'apporte un ouvrage récent d'un jeune chercheur japonais Kohei Saito, Karl Marx's Ecosocialism. Capitalism, Nature, and the Unfinished Critique of Political Economy (2017) : il montre l'évolution des réflexions de Marx sur l'environnement naturel, dans un processus d'apprentissage, rectification et reformulation de sa pensée.
Certes, sur certaines questions il y a une grande continuité dans ses écrits. C'est le cas notamment du refus de la « séparation » capitaliste entre les êtres humains et la terre, c'est-à-dire la nature. Marx était persuadé que dans les sociétés primitives il existait une sorte d'unité entre les producteurs et la terre, et il voyait comme un des tâches importantes du socialisme de re-établir cette unité, détruite par la société bourgeoise, mais dans un niveau supérieur (négation de la négation). Cela explique l'intérêt de Marx pour les communautés prémodernes, aussi bien dans sa réflexion écologique – par exemple à partir de Carl Fraas – que dans sa recherche anthropologique – Franz Maurer, deux auteurs qu'il considérait comme des « socialistes inconscients ».
Mais sur la plupart des questions au sujet de l'environnement, Saito met en évidence des changements notables. Avant Le Capital (1867) on trouve dans les écrits de Marx une vision plutôt acritique du « progrès » capitaliste. Cela est évident dans le Manifeste Communiste, qui célèbre l'« assujettissement des forces de la nature » et le « défrichement de continents entiers » par la bourgeoisie.
Les changements commencent à partir de 1865-66, quand Marx découvre, en lisant les écrits du chimiste agricole Justus von Liebig, les problèmes de l'épuisement des sols, et la rupture métabolique entre les sociétés humaines et la nature. Cela le conduira, dans le volume 1 du Capital (1867) mais aussi dans les deux autres volumes, inachevés, a une vision beaucoup plus critique des dégâts du « progrès » capitaliste.
On verra ainsi, dans plusieurs passages du Capital qui concernent l'agriculture, s'esquisser une vraie problématique écologique et une critique radicale des catastrophes résultant du productivisme capitaliste : Marx avance une sorte de théorie de la rupture du métabolisme entre les sociétés humaines et la nature, qui résulterait du productivisme capitaliste. L'expression « Riß des Stoffwechsels », littéralement « rupture » ou « déchirure » « du métabolisme » ou « des échanges matériels », apparaît notamment dans un passage du chapitre 47, « Genèse de la rente foncière capitaliste », au livre III du Capital :
« D'une part, la grande propriété foncière réduit la population agricole à un minimum en déclin constant, d'autre part, elle lui oppose une population industrielle toujours en croissance, entassée dans les grandes villes : elle crée par conséquent des conditions qui provoquent une rupture irréparable (unheilbaren Riß) dans la connexion du métabolisme (Stoffwechsel) social, un métabolisme prescrit par les lois naturelles de la vie [5]. »
Comme dans la plupart des exemples que nous verrons par la suite, l'attention de Marx se concentre sur l'agriculture et le problème de la dévastation des sols, mais il rattache cette question à un principe plus général : la rupture dans le système des échanges matériels (Stoffwechsel) entre les sociétés humaines et l'environnement, en contradiction avec les « lois naturelles » de la vie.
Le thème de la rupture du métabolisme se trouve aussi dans un passage du livre I du Capital. C'est un des textes de Marx où il est le plus explicitement question des ravages provoqués par le capital sur l'environnement naturel ; s'y fait jour une vision dialectique des contradictions du « progrès » induit par les forces productives :
« La production capitaliste […] détruit non seulement la santé physique des ouvriers urbains et la vie spirituelle des travailleurs ruraux, mais trouble encore la circulation matérielle (Stoffwechsel) entre l'homme et la terre, et la condition naturelle éternelle de la fertilité durable (dauernder) du sol. […] En outre, chaque progrès de l'agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l'art d'exploiter le travailleur, mais encore dans l'art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l'art d'accroître sa fertilité pour un temps, est un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les États-Unis du Nord de l'Amérique par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce processus de destruction s'accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en sapant (untergräbt) en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur [6]. »
Plusieurs aspects sont notables dans ce texte : tout d'abord, l'idée que le progrès peut être destructif, un « progrès » dans la dégradation et la détérioration de l'environnement naturel donc. L'exploitation et l'abaissement des travailleurs et de la nature sont mis ici en parallèle, comme résultat de la même logique prédatrice, celle qui prévaut dans le développement de la grande industrie et de l'agriculture capitalistes.
Cette association directe faite par Marx entre l'exploitation du prolétariat et celle de la terre, initie bien une réflexion sur l'articulation entre lutte de classes et lutte en défense de l'environnement, dans un combat commun contre la domination du capital.
Après l'épuisement du sol, l'autre exemple de catastrophe écologique évoqué par fréquemment par Marx et Engels est celui de la destruction des forêts. Il apparaît à plusieurs reprises dans Le Capital :
« Le développement de la civilisation et de l'industrie en général […] s'est toujours montré tellement actif dans la dévastation des forêts que tout ce qui a pu être entrepris pour leur conservation et leur production est complètement insignifiant en comparaison [7]. »
Les deux phénomènes – la dégradation des forêts et celle du sol – sont d'ailleurs étroitement liés dans leurs analyses.
Comment Marx et Engels définissent-ils le programme socialiste par rapport à l'environnement naturel ? Quelles transformations le système productif doit-il connaître pour devenir compatible avec la sauvegarde de la nature ?
Les deux penseurs semblent souvent concevoir la production socialiste comme l'appropriation collective des forces et moyens de production développés par le capitalisme : une fois abolie l'« entrave » que représentent les rapports de production et en particulier les rapports de propriété, ces forces pourront se développer sans entraves. Il y aurait donc une sorte de continuité substantielle entre l'appareil productif capitaliste et le socialiste, l'enjeu socialiste étant avant tout la gestion planifiée et rationnelle de cette civilisation matérielle créée par le capital.
Par exemple, dans la célèbre conclusion du chapitre sur l'accumulation primitive du capital, Marx écrit : « Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe vole en éclats. L'heure de la propriété capitaliste a sonné. […] La production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature [8]. »
Indépendamment du déterminisme fataliste et positiviste qui le caractérise, ce passage semble laisser intact, dans la perspective socialiste, l'ensemble du mode de production créé « sous les auspices » du capital, ne mettant en question que l'« enveloppe » de la propriété privée, devenue une « entrave » pour les ressorts matériels de la production.
Cependant, on trouve aussi d'autres écrits qui prennent en considération la dimension écologique du programme socialiste et ouvrent quelques pistes intéressantes. Plusieurs passages de Marx semblent tenir la conservation de l'environnement naturel comme une tâche fondamentale du socialisme. Par exemple, le volume III du Capital oppose à la logique capitaliste de la grande production agricole, fondée sur l'exploitation et le gaspillage des forces du sol, une autre logique, de nature socialiste : le « traitement consciemment rationnel de la terre comme éternelle propriété communautaire, et comme condition inaliénable (unveräußerlichen) de l'existence et de la reproduction de la chaîne des générations humaines successives ». Un raisonnement analogue se trouve quelques pages plut haut :
« Même une société tout entière, une nation, enfin toutes les sociétés contemporaines prises ensemble, ne sont pas des propriétaires de la terre. Ils n'en sont que les occupants, les usufruitiers (Nutznießer), et ils doivent, comme des boni patres familias, la laisser en état amélioré aux futures générations [9]. »
Il ne serait pas difficile de trouver d'autres exemples d'une réelle sensibilité à la question de l'environnement naturel de l'activité humaine. Il n'en reste pas moins qu'il manque à Marx et à Engels une perspective écologique d'ensemble.
S'il est vrai que l'écologie n'occupe pas une place centrale dans le dispositif théorique et politique de Marx et Engels – parce que la crise écologique n'était pas encore, comme aujourd'hui, une question vitale pour l'humanité – il n'est pas moins vrai qu'il est impossible de penser une écologie critique à la hauteur des défis contemporains, sans prendre en compte la critique marxienne de l'économie politique et son analyse de la rupture du métabolisme entre les sociétés humaines et la nature. Une écologie qui ignore ou méprise le marxisme et sa critique du fétichisme de la marchandise est condamnée à n'être qu'un correctif des « excès » du productivisme capitaliste.
À partir des écrits de Marx et Engels, s'est développéz aux États-Unis une réflexion marxiste écologique dont le pionnier est John Bellamy Foster, avec la participation de Paul Burkett, Brett Clark, Fred Magdoff et plusieurs autres – et le soutien de la Monthly Review, une des plus importantes publications de la gauche nord-américaine – qui se définit comme l'école de la rupture métabolique. Ces auteurs on fait une notable contribution à la redécouverte de la dimension écologique dans l'œuvre des fondateurs du communisme moderne, même si l'on peut critiquer leur tendance à exagérer cette dimension.
On ne peut pas penser une alternative écosocialiste au processus actuel de destruction des fondements naturels de la vie sur la planète, sans prendre en compte la critique de Marx et Engels au capitalisme, à la logique aveugle de la valeur, à la soumission brutale des êtres humains et de la nature aux impératifs de l'accumulation du capital. Et l'on ne peut pas penser à un avenir communiste sans se référer à leurs propositions : collectivisation des moyens de production, production de valeurs d'usage et non de valeurs marchandes, planification démocratique de la production et de la consommation. Mais il faut en même temps intégrer à la réflexion marxiste les défis écologiques du 21e siècle : la lutte contre le changement climatique, la suppression des énergies fossiles, la réduction massive des productions inutiles, le développement des énergies renouvelables, l'agriculture organique à la place de l'industrie agricole fondé sur les pesticides, la reconnaissance de la dette écologique envers les pays du Sud, etc. Les marxistes de notre époque doivent suivre l'exemple de Karl Marx : réagir, en utilisant la méthode dialectique, aux nouveaux problèmes posés par le changement historique.
Michael Löwy
Notes
[1] Karl Marx, Critique des programmes de Gotha et d'Erfurt, Paris, Éditions sociales, 1950, p. 18. Voir aussi Le Capital, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, I, p. 47 : « Le travail n'est donc pas l'unique source des valeurs d'usage qu'il produit, de la richesse matérielle. Il en est le père, et la terre, la mère, comme dit William Petty. »
[2] Sur l'opposition entre « avoir » et « être », voir Manuscrits de 1844, op. cit., p. 103 : « Moins tu es, moins tu manifestes ta vie, plus tu possèdes, plus ta vie aliénée grandit, plus tu accumules de ton être aliéné. » Sur le temps libre comme principale base du socialisme, voir Das Kapital, III, op. cit., p. 828.
[3] Karl Marx, Préface à la Contribution à la critique de l'économie politique, Paris, Éditions sociales, 1977, p. 3
[4] Karl Marx, Fondements de la critique de l'économie politique, Paris, Anthropos, 1967, pp. 366-367.
[5] e reprends ce terme, et l'analyse qui s'en suit, à l'important ouvrage de John Foster Bellamy, Marx's Ecology. Materialism and Nature, N. York, Monthly Review Press, 2001, pp. 155-167.
[6] Karl Marx, Le Capital I, op. cit., p. 363, revue et corrigé d'après l'original allemand, Das Kapital I, op . cit, pp. 528-530.
[7] Das Kapital, II, op. cit., p. 247.
[8] Karl Marx, Le Capital, I, op. cit., pp. 566-567.
[9] Karl Marx, Das Kapital, III, op. cit. p. 784, 820. Le mot « socialisme » n'apparaît pas dans ces passages, mais il est implicite.
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Maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence : Derrière la porte, des intervenantes dévouées

Les sorties de la ministre de l'Habitation, France-Élaine Duranceau, ont ramené à l'avant-plan le grave manque de places en maisons d'hébergement. Le Point syndical s'est entretenu avec Rachel Lafleur, intervenante à la maison d'hébergement L'Ombre-Elle.
Tiré du Point syndical printemps-été 2024. Photo : Image tirée de la campagne Merci à vous, menée par la CSN en 2014. La réalité vécue par les femmes victimes de violence – et par les intervenantes qui les accompagnent – est malheureusement toujours d'actualité en 2024.
Si la pandémie a révélé une hausse inégalée des féminicides, la hausse des actes de violence envers les femmes était pourtant déjà bien claire : depuis 2005, une augmentation de 31 % a été constatée au Québec.
Pour les femmes victimes de violence, les risques sont actuellement grandement amplifiés, nous disent celles qui leur viennent en aide. L'inflation frappe fort et amplifie la dépendance économique de nombreuses femmes. Trouver un logement pour se sauver de l'enfer et y mettre les enfants en sécurité relève souvent de l'impossible. Dans certaines régions, le néant locatif vous attend de pied ferme.
« Chaque fois qu'une crise sociale survient, les femmes sont toujours plus impactées », glisse Rachel Lafleur, intervenante dans une maison d'hébergement de L'Ombre-Elle, à Sainte-Agathe-des-Monts.
« En ce moment, on sent que les femmes sont plus réticentes à quitter leur milieu violent parce que les défis économiques sont beaucoup plus grands. Elles doivent se trouver un logement, déménager… Alors oui, des femmes doivent rester dans leur milieu violent. Elles se disent qu'elles vont attendre d'avoir plus d'argent pour tenter de s'en sortir », déplore celle qui préside également son syndicat CSN.
Elle rappelle à quel point les aspects de contrôle et de coercition sont au cœur des problèmes de violence conjugale. À quel point les chiffres confirment la dépendance financière de nombreuses femmes !
« Un conjoint peut t'empêcher de travailler, de faire de l'argent. Il peut t'empêcher d'aller à l'école, de chercher de l'aide financière. Certains vont même te voler ou contracter des dettes en ton nom… », énumère t-elle.
« C'est une emprise psychologique totale. Après un certain temps, la personne n'a même plus besoin d'exercer de la violence. C'est la peur qui s'installe », décrit Rachel.
« Alors quand, en plus, t'es prise à la gorge financièrement… »
Lente reconstruction
À L'Ombre-Elle, environ 25 intervenantes se relaient jour et nuit pour accompagner le long processus de reconstruction pour les femmes et leurs enfants. Un véritable milieu de vie où de nombreuses familles brisées se côtoient. À une certaine période l'an dernier, jusqu'à quinze enfants s'y fréquentaient.
« Les impacts sur les enfants sont nombreux. Certains vont eux-mêmes développer des comportements violents, ce qui nous oblige à intervenir tôt. D'autres vont vivre de l'anxiété, vont chercher à s'isoler. Les plus jeunes peuvent vivre des violences nocturnes ou même régresser dans leur développement. »
Dans son travail auprès des femmes victimes de violence, Rachel nous explique à quel point il est important pour elles d'aborder différents enjeux reliés à la socialisation. À quel point elle travaille sur la notion de contrôle, sur la nécessité de savoir mettre ses limites : « J'accompagne les femmes du début jusqu'à la fin de leur séjour. Tellement de choses sont à déconstruire… », soupire t-elle.
« On voit dans quel état sont les femmes au début, et où elles en sont à la fin de leur séjour. C'est un virage à 180 degrés. » Pénurie de places : Bien sûr, le manque de places constitue une source de frustration constante pour les intervenantes. Tous les efforts sont néanmoins déployés pour faire en sorte qu'aucune personne ne soit laissée à elle-même.
Car L'Ombre-Elle ne sert pas que de refuge en cas d'urgence. Rachel et ses collègues sont également responsables d'une ligne téléphonique d'urgence pour la région, ainsi que d'une gamme de services externes pour prévenir la violence conjugale ou identifier les signes précurseurs.
Mais quand les risques à l'endroit d'une femme et ses enfants deviennent trop grands, L'Ombre-Elle leur sert de lieu protecteur. « En ce moment, on reçoit beaucoup de femmes provenant de Montréal, parce que les refuges sont pleins là-bas. Ce n'est pas évident pour une femme de se réinstaller si loin de son travail ou de l'école de ses enfants. Malheureusement, devant la distance, certaines femmes ne veulent pas faire le trajet jusqu'à notre maison… »
Sous la pression des organismes leur venant en aide, le gouvernement acceptait en 2022 de financer la construction de nouvelles maisons d'hébergement en utilisant les budgets du ministère du Logement. En mars dernier, constatant que les coûts de la construction de ces maisons dépassaient ceux des projets de construction en logement social, la ministre France-Élaine Duranceau interrompait plusieurs chantiers, exigeant des modifications.
L'absurdité de la comparaison ne fait pas rire Rachel.
« C'est une vision très immobilière de cet enjeu, s'insurge t-elle. Une maison d'hébergement, ce n'est pas du logement social. C'est un milieu de vie qui sert d'accueil à des femmes brisées. Pour travailler à leur réintégration, ça prend des espaces de travail, ça prend des bureaux pour nos rencontres, ça prend des espaces de vie pour les ados… »
« Ça paraît que la ministre n'est pas familière avec le milieu communautaire. Ça illustre tout à fait l'approche top-down du gouvernement de la CAQ. »
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Action de visibilité : 15 féminicides en 2024

Québec, 6 juin 2024 - Le Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale (RGF-CN) a organisé une action de visibilité suite à l'annonce du 15e féminicide depuis le début de l'année. Irina Draghicescu a été tuée le 29 mai à Laval. L'action, qui a réuni plusieurs militantes à l'Assemblée nationale sur l'heure du midi, visait à briser le silence, exprimer notre colère, visibiliser les féminicides et exiger du gouvernement de faire de la lutte aux violences faites aux femmes et aux enfants une priorité.
Les féminicides : des violences banalisées et normalisées
Ces violences sont le fruit d'un rapport de domination des hommes sur les femmes que la société tolère et banalise. Irina Draghicescu s'est fait poignardée alors qu'elle se promenait dans le boisé près de chez elle comme à son habitude. « Cette violence atteint le sentiment de sécurité de toutes les femmes. Chaque fois qu'une femme est agressée dans un lieu public, c'est le sentiment de toutes les femmes qui diminue. Après la tombée de la nuit, le sentiment de sécurité des femmes diminue à tel point que plusieurs modifient leur trajet ou s'empêche de sortir » soutient Catherine Gauthier co-coordonnatrice au RGF-CN.
Les femmes aux intersections de plusieurs systèmes d'oppression tels les femmes immigrantes, les femmes autochtones, celles en situation de handicap, les jeunes femmes, les femmes des communautés LGBTQIA, les femmes âgées, en situation d'itinérance, en situation de dépendance économique, et les femmes que la société racise sont parmi les plus à risque de subir une ou plusieurs formes de violences, elles sont surreprésentées dans les victimes de féminicides.
Pas une de plus
Il faut refuser de baisser les bras et d'accepter que d'autres femmes et enfants soient agressées, violentées, tuées. Des solutions pour mettre fin à la violence envers les femmes, il en existe ! Ça passe notamment par l'augmentation du financement en prévention, en accompagnement et en hébergement des femmes victimes de violences conjugales, sexuelles et genrées, par des formations obligatoires et continues sur la violence conjugale pour tous les acteurs et les actrices qui interviennent auprès des femmes et des enfants, par des changements en profondeur de la culture de notre système de justice où les agresseurs peuvent récidiver en attente de leur procès, par une éducation à la sexualité axée sur des modèles de relations positifs basés sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Les solutions sont multiples et doivent dénoncer le caractère inacceptable et criminel de la violence envers les femmes et renforcer la confiance des victimes et du public dans l'administration de la justice.
Le RGF-CN regroupe des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale et travaille la défense des droits et des intérêts de toutes les femmes, l'égalité des femmes entre elles, l'amélioration des conditions de vie.
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« Rendez-vous avec Pol Pot » de Rithy Panh

Comment perpétuer la mémoire du génocide commis au Cambodge par les ‘Khmers rouges' contre tout un peuple au milieu des années 70, transmettre cette tragédie du XXe siècle souvent niée à l'époque, longtemps ‘passée sous les radars' des médias occidentaux, entre autres aveuglements persistants ?
Par Samra Bonvoisin, Le Café pédagogique, Paris, 5 juin 2024
Et quelle représentation, apte à concilier l'histoire intime de deux millions de victimes et l'Histoire collective de ce pays d'Asie du sud-est et de son peuple anéanti par le totalitarisme, l'art cinématographique le permet-il ? Avec « Rendez-vous avec Pol Pot », le grand cinéaste franco-cambodgien Rithy Panh, rescapé enfant du génocide, poursuit depuis 1989 [ « Site 2. Aux abords des frontières » ] l'œuvre de sa vie de création vouée à rendre dignité et justice aux disparus et à lever le voile sur des pans encore enfouis d'un passé traumatique et ce, par le documentaire ou la fiction. Ici, il adapte avec le scénariste Pierre Erwan Guillaume, le récit de la journaliste américaine, et correspondante de guerre, Elisabeth Becker [ ‘Les Larmes du Cambodge'. L'histoire d'un auto-génocide', 1986 ].Partant de la transposition de l'expérience vécue par l'écrivaine et ses deux compagnons, Rithy Panh figure, par le recours complexe à différents registres d'images, l'histoire de trois Français ( une journaliste connaissant bien le pays, un photographe et un intellectuel, ancien camarade d'études parisiennes du dirigeant et sympathisant ‘révolutionnaire' ) débarquant au Kampuchéa démocratique en 1978 invités exceptionnels de Frère n°1 ( Pol Pot ), autrement dit le chef suprême, pour une interview exclusive… Un séjour de cauchemar vers une ‘vérité' du totalitarisme effroyable. Une œuvre essentielle et difficile.
Bande annonce : www.youtube.com/watch?v=LzJCnxiMEFQ <http://www.youtube.com/watch?v=LzJC...>
*Rendez-vous avec Pol Pot de Rithy Panh, au cinéma après sa sélection au Festival de Cannes 2024 - Sortiraparis.com*
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*Trois Français sous haute surveillance dans Phnom Penh, silence et absence*
Nous sommes en 1978. Le Cambodge baptisé Kampoutchéa démocratique vit sous la férule féroce des Khmers rouges depuis trois ans et leur offensive entraînant la prise de la capitale ( et bientôt la démission du chef de l'État Sihanouk puis sa fuite ). Les habitants des villes évacués vers les campagnes, une gigantesque opération de ‘purification' s'étend à tout le pays, visant au premier chef les citadins ( et les individus à lunettes, "punaises à écraser" ). Le tristement célèbre camp de torture et de mort ( 20 000 assassinés, 7 rescapés ) connu sous le nom de S. 21 ouvre à Phnomh Penh [ « S. 21 La machine de mort », Rithy Panh, 2003, « Douch, le maître des forges de l'enfer » du même, 2011].
De toute cette horreur, nos trois invités n'ont pas idée tant dépasse l'entendement ce que chacun va voir, accepter de voir ou refuser de voir, suivant sa personnalité, son parcours, son sens de l'observation ou son aveuglement obstiné.
Pour l'heure, après l'atterrissage de l'avion dans une zone désertique et l'attente prolongé et sous le soleil écrasant et les sable soulevevés par le vent d'un convoi militaire venu les récupérer, les ‘hôtes' du régime – Lise ( Irène Jacob ), Raoul ( Cyril Gueï ) et Alain ( Grégoire Colin ), se retrouvent dans leur ‘chambre' respective, au sein d'un immeuble sans autre résident, sous bonne garde, à peine polie, dans une capitale totalement désertée et plongée dans un silence plombant.
*De jour comme de nuit, plongée progressive et cauchemardesque jusqu'à l'effroi*
A l'exception du photographe Raoul, animé d'une curiosité légitime, immédiate, et qui prend le risque nocturne de s'enfoncer sans autorisation des ‘geôliers' mal déguisés en guides, une initiative aux conséquences irrémédiables, Lise tente d'exercer son métier avec sérieux sans vraiment y parvenir.
De visites de lieux d'activités modèles en rencontres ‘langue de bois' avec des paysans épanouis, de la disparition prolongée de Raoul sans explication des gardes interrogés, des régions anormalement vides jusqu'à l'ultime rendez-vous en son palais du maître tant attendu, entre déploiement d'apparat somptueux et soliloque délirant d'un père ‘Ubu' massacreur au nom de la pureté d'un prétendu idéal révolutionnaire… Il faudrait être aveugle, comme Alain tellement rétif à tout dessillement face au vieux camarade étudiant devenu bourreau professionnel, tortionnaire et génocidaire pour le bien du peuple, aveugle donc au point d'ignorer la botte militaire partout, l'endoctrinement constant, l'anéantissement d'une population de façon systématique et la ruine totale de l'économie.
La fin de la fiction, à la fois empreinte de tragique et d'interrogation sans réponse, n'indique pas que nous sommes à quelques jours de la grande offensive vietnamienne, laquelle ne mettra pas fin au martyr du peuple cambodgien ; guérillas de Khmers rouges repliés aux frontières de la Thaïlande et affrontements avec les troupes vietnamiennes. Ni le retrait du corps expéditionnaire vietnamien, ni les accords internationaux de Paris en 1991, suivies de l'organisation d'élections par l'ONU ne referment cette page sanglante de l'Histoire.
Procès, mort de Pol Pot en 1998 et condamnations ( la perpétuité pour Douch, le tortionnaire de S.21, mort en 2020 ) signent la désagrégation du mouvement des khmers rouges.
Pourtant la société cambodgienne continue à être profondément déchirée par ce passé génocidaire : du sang et des larmes, des blessures ouvertes, des disparus innombrables.
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*Rithy Panh sans cesse sur le métier*
Sans doute, ce passé qui hante le présent explique-t-il la tentative d'en restituer les traces dans « Rendez-vous avec Pol Pot » par un entremêlement d'images de nature et de sources différentes : du noir et blanc d'archives ( rares actualités de propagande, fragments terrifiants d'images de victimes à l'agonie filmées à l'insu des tortionnaires ? ) aux plans fixes et colorés de figurines d'argile, étranges portraits de groupe où cohabitent anonymes et héros du récit en cours ? jusqu'aux séquences de la fiction en couleurs. Un choix de montage ( RP et son monteur Mathieu Laclau ) discutable, parfois difficile à comprendre, comme si le cinéaste avait bouleversé les temporalités, introduit des béances dans le présent de la narration pour approcher les meurtrissures indépassables déposées par le génocide dans le cœur et l'esprit de tous ceux qui l'ont traversé.
Ainsi s'explique sûrement l'obstination artistique de Rithy Panh, à travers « Rendez-vous avec Pol Pot » comme avec ses précédents documentaires ou fictions ( la 3èmeà ce jour ), une détermination obsessionnelle à la mesure de la tâche qu'il se fixe : « sans cette guerre jamais je ne serais devenu cinéaste. Je témoigne pour rendre aux morts ce que les khmers rouges leur ont volé. Je suis un passeur de mémoire en dette vis-à-vis de ceux qui ont disparu ».
Samra Bonvoisin, Le Café pédagogique, 2024-06-05
« Rendez-vous avec Pol Pot » de Rithy Panh, en salle le 5 juin 2024 (France)
Sélection officielle, Cannes Première, Cannes
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Nous avons besoin des éditions La Dispute, les éditions La Dispute ont besoin de vous !

Les éditions La Dispute traversent actuellement une période difficile sur le plan financier qui met en péril son modèle économique et ses projets. À l'heure de l'attaque tous azimuts des puissances économiques et politiques contre la pensée critique, les sciences sociales et les savoirs des travailleur⸱ses et des classes populaires, il est urgent de continuer à éditer des ouvrages qui donnent des clefs de compréhension du monde au service de l'émancipation de toutes et tous.
Tiré du blogue de l'auteur.
Comme d'autres espaces indépendants où se construit une pensée critique, les éditions La Dispute traversent actuellement une période difficile sur le plan financier qui met en péril son modèle économique et ses projets de développement.
Cette maison d'édition, fondée en 1997 par des salarié⸱es et ami⸱es des Éditions sociales ainsi qu'une équipe de chercheur⸱ses en sciences sociales et philosophie (parmi lesquel⸱les notamment Lucien Sève, Danièle Kergoat, Bernard Friot, Jean-Pierre Terrail) a publié à ce jour plus de 300 livres dans les domaines de la sociologie, l'économie, la philosophie, l'histoire, la science politique. Qu'il s'agisse d'enquêtes, de monographies, d'essais critiques, d'entretiens, ou de livres d'intervention, ces ouvrages ont toujours la même ambition intellectuelle et politique : mettre l'exigence de rigueur de la recherche scientifique, professionnelle, militante, au service des luttes pour la justice, l'égalité et toutes les émancipations.
Avec une histoire de plus de 25 ans, les éditions La Dispute ont aujourd'hui acquis une place singulière et incontournable au sein de l'édition en sciences humaines et sociales. C'est le cas de ses trois piliers éditoriaux que sont « Le genre du monde », collection de référence du féminisme matérialiste en France, fondée par Danièle Kergoat et aujourd'hui co-dirigée avec Pauline Delage et Aurore Koechlin ; « L'enjeu scolaire », collection pionnière de la pensée critique de l'école et de la démocratisation des savoirs, fondée par Jean-Pierre Terrail et aujourd'hui co-dirigée par Jérôme Deauvieau et Étienne Douat ; ainsi que « Travail et salariat », collection incontournable sur les institutions, les expériences et les luttes des travailleur⸱ses, fondée par Bernard Friot et aujourd'hui co-dirigée par Alexis Cukier, Amélie Jeammet et Hélène Stevens.

C'est également l'ambition de la nouvelle collection « Entretiens » qui donne la parole à des chercheur⸱ses et militant⸱es pour repenser la politique à partir de leurs expériences, et d'ouvrages d'intervention tel que Prenons le pouvoir sur nos retraites de Bernard Friot, ou encore de livres mêlant témoignages, recherche en sciences sociales et points de vue militants tel que le tout récent Avoir 20 ans à Sainte-Soline par le collectif du Loriot... La Dispute, ce sont aussi des classiques des sciences humaines et sociales – comme le psychologue matérialiste Vygotski (dont La Dispute est l'éditeur de référence) ou le sociologue Erving Goffman (dont La Dispute a publié L'arrangement des sexes) –, la quasi-totalité des ouvrages du philosophe marxiste Lucien Sève, des autrices féministes et queer traduites pour la première fois en français comme Teresa de Lauretis dont Théorie queer et cultures populaires vient d'être réédité...
Pour nous, qui sommes des chercheur⸱ses et militant⸱es au sein des sciences sociales et au sein des luttes pour l'émancipation, La Dispute est un espace et un instrument précieux, permettant d'allier rigueur scientifique, qualité du travail éditorial et radicalité politique. À l'heure de l'attaque tous azimuts des puissances économiques et politiques contre la pensée critique, les sciences sociales et les savoirs des travailleur⸱ses et des classes populaires, il nous semble plus que jamais urgent de continuer à éditer des ouvrages qui donnent des clefs de compréhension du monde et des outils intellectuels au service de l'émancipation de toutes et tous.
C'est pourquoi nous appelons à soutenir les éditions La Dispute, en participant à la campagne de dons et en faisant connaître le plus largement possible leur travail éditorial et leurs publications.
Signataires
Bruno Amable, économiste
Eric Aunoble, historien
Christelle Avril, sociologue, EHESS
Françoise Bagnaud, militante et autrice de La Dispute
Etienne Balibar, philosophe ou Professeur honoraire, Université de Paris-Nanterre
Laurent Baronian, économiste, enseignant-chercheur au CEPN
Jean Batou, historien
Christian Baudelot, sociologue
Denis Bayon, journal La Décroissance
Philippe Bazin, artiste
Judith Bernard, enseignante et metteuse en scène.
Vincent Berthelier, maître de conférences en littérature
Alain Bertho, professeur émérite d'Anthropologie
Jacques Bidet, philosophe
Patrick Bobulesco, libraire du Point du Jour
Isabel Boni-Le Goff, maîtresse de conférences en sociologie - université Paris 8
Stéphane Bonnéry, professeur en sciences de l'éducation à l'Université Paris-VIII
Florence Bouillon, maîtresse de conférences en sociologie, université Paris 8
Saliha Boussedra, docteure en philosophie
Sebastian Budgen, directeur éditorial de Verso Books
Philippe Büttgen, professeur de philosophie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Marie Cabadi, Doctorante en histoire à l'université d'Angers
Juan Sebastian Carbonell, Gerpisa, École Normale Supérieure Paris-Saclay, IDHES
Yves Clot, professeur émérite en psychologie du travail au CNAM,
Annick Coupé, syndicaliste et altermondialiste
Pierre Cours-Salies, sociologue
Thomas Coutrot, économiste
Alexis Cukier, codirecteur de collection à La Dispute, philosophe
Pablo Cussac Garcia, ATER au Département de sciences sociales de l'ENS
Jérôme Deauvieau, codirecteur de la collection ""L'enjeu scolaire"", directeur du département de sciences sociales de l'ENS et chercheur au Centre Maurice Halbwachs (CNRS/EHESS/ENS)
Laurence de Cock, historienne
Teresa de Lauretis, professeur émérite à l'Université de Californie, Santa Cruz
Pauline Delage, codirectrice de la collection "Le genre du monde", sociologue
Margot Delon, chargée de recherche en sociologie au CNRS (Cens - Nantes Université)
Thierry Discepolo, éditeur Agone
Etienne Douat, codirecteur de la collection « L'enjeu scolaire », sociologue
Laurent Douzou, historien
Jean-Numa Ducange, professeur des Universités, historien, membre de la GEME
Amandine Dupuis, géographe
Camille Dupuy, sociologue
Cédric Durand, économiste
Ilana Eloit, professeure en études genre, Université de Genève
Anaïs Enjalbert, Riot Editions
Marouane Essadek, enseignant en philosophie
Jules Falquet, département de philosophie, Université Paris 8 St Denis
Juliette Farjat, philosophe
Caroline Fayolles, maîtresse de conférences en histoire
Franck Fischbach, philosophe
Camille François, sociologue
Tony Fraquelli , syndicaliste CGT cheminot
Bernard Friot, cofondateur de la collection « Travail et salariat »
Leila Frouillou, maîtresse de conférences en sociologie, Université Paris Nanterre
Lise Gaignard, psychanalyste
Davide Gallo Lassere, philosophe
Sandrine Garcia, professeure à l'IEP de Lyon
Isabelle Garo, philosophe
Franck Gaudichaud, historien
Olivier Gaudin, enseignant et chercheur à l'École de la nature et du paysage, responsable éditorial des Cahiers de l'École de Blois
Vincent Gay, sociologue
Pierre Gilbert, maître de conférences – université Paris 8
Denis Giordano, enseignant-chercheur en sociologie (OCE emlyon)
Romaric Godin, économiste, journaliste Mediapart
Séverine Gojard, autrice et directrice de recherche à l'INRAE
Sibylle Gollac, chargée de recherche au CNRS
Florian Gulli, professeur agrégé de philosophie
Stéphane Haber, philosophe
Jean-Marie Harribey, ancien maître de conférences à l'Université de Bordeaux, HDR en sciences économiques.
Samuel Hayat, chargé de recherche CNRS, Sciences Po
Helena Hirata, chercheuse CNRS
Liem Hoang Ngoc, économiste
Amélie Jeammet, codirectrice de la collection « Travail et salariat », enseignante de SES
Chantal Jaquet, philosophe
Anne Jollet, maîtresse de conférences Université de Poitiers, coordonnatrice de la rédaction des Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique
Razmig Keucheyan, sociologue
Pierre Khalfa, économiste Fondation Copernic
Danièle Kergoat, Fondatrice et codirectrice de la collection « Le genre du monde », sociologue
Aurore Koechlin, codirectrice de la collection « Le genre du monde », sociologue
Michel Kokoreff, sociologue
Olivier Le Cour Grandmaison, politologue
Jean Jacques Lecercle, professeur honoraire des universités
Simon Lemoine, philosophe, chercheur indépendant
Frédéric Lordon, philosophe
Alexis Louvion, sociologue, chercheur associé au Centre d'études de l'emploi et du travail (CEET)
Michael Löwy , sociologue, philosophe
Corine Maitte , professeure d'histoire moderne, directrice du laboratoire Analyse Comparée des Pouvoirs, université Gustave Eiffel
Elsa Marcel, avocate au barreau de Saint-Denis
Roger Martelli, historien, auteur
Jacqueline Martinez, correctrice
Christiane Marty, Fondation Copernic, chercheuse
Frédéric Monferrand, philosophe
Gilles Moreau, professeur émérite de sociologie, université de Poitiers
Olivier Neveux, professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre
Claire Pagès MCF, Université de Tours
Stefano Palombarini, maître de conférences en économie à l'Université Paris 8
Etienne Penissat, chargé de recherche au CNRS
Clément Petitjean, sociologue
Dominique Plihon, économiste, professeur émérite, Université Sorbonne Paris Nord
Allan Popelard, enseignant, militant
Stefanie Prezioso, professeure d'histoire politique et sociale de l'Europe au XXe siècle à la Faculté des Sciences sociales et politiques de l'Université de Lausanne (professeure d'histoire université de Lausanne)
Maxime Quijoux, sociologue, chargé de recherche au CNRS
Makan Rafatdjou, architecte-urbaniste
Fanny Renard, sociologue au GRESCO (université de Poitiers), co-autrice avec Sophie Orange, Des femmes qui tiennent la campagne, La dispute, 2022
Haude Rivoal, sociologue
Gwendal Roblin, doctorant en sociologie ou Sociologue, GRESCO, Université de Poitiers
Daniel Rome, enseignant retraité, militant altermondialiste
Lucie Rondeau du Noyer, historienne
Catherine Samary, économiste altermondialiste
Livia Scheller, maîtresse de conférences en psychologie du travail et clinicienne de l'activité au Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris
Raphaël Schneider, fondateur de Hors-série
Yasmine Siblot, professeure de sociologie à Paris 8
Maud Simonet, sociologue au CNRS (IDHES)
Omar Slaouti, militant antiraciste
Hélène Stevens, codirectrice de la collection « Travail et salariat », sociologue
Daniel Tanuro, auteur écosocialiste
Jean Pierre Terrail, fondateur de la collection « L'enjeu scolaire », sociologue, auteur
Didier Terrier, professeur émérite d'histoire économique et sociale
Annie Thebaud Mony, sociologue, présidente de l'Association Henri Pézerat - Santé, Travail, Environnement, auteure
Olivier Thuillas, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-Nanterre
Christian Topalov, sociologue, directeur d'études à l'EHESS
Eric Toussaint, porte-parole CADTM international
Mathieu Van Criekingen, enseignant-chercheur en géographie et études urbaines, Université libre de Bruxelles
Bernard Vasseur, philosophe
Françoise Vergès, militante, politologue, autrice
Daniel Veron, sociologue
Nicolas Vieillecazes, éditeur aux éditions Amsterdam
Christiane Vollaire, philosophe
Xavier Wrona, Riot Editions
Karel Yon, sociologue
La fabrique éditions
Fondation gabriel péri
Les éditions Syllepse
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Inprecor : 50 ans d’analyses et d’informations internationales

L'éditorial de ce numéro ne pouvait être rédigé que par Jan Malewski, qui a assuré l'édition d'Inprecor pendant 25 ans, jusqu'à ces derniers mois donc, traduisant depuis toutes les langues, vers un français irréprochable (1) , une prouesse d'autant plus impressionnante que sa langue maternelle était le polonais !
Tiré de Inprecor 721 - juin 2024
5 juin 2024
Par Jan Malewski
En ce cinquantième anniversaire d'Inprecor vous prenez en main sa 788e parution (2) ! Il a d'abord paru tous les 15 jours, en quatre langues (3) , puis mensuellement depuis février 1993. Il devait « combler un vide dans la presse du mouvement trotskyste » et « contribuer à construire l'Internationale révolutionnaire, pour replacer [l'] action dans son contexte mondial, pour renforcer les liens politiques entre les militants des divers pays. » (4) Quinze ans plus tard, Ernest Mandel expliquait : « Nous avons fondé Inprecor – et sa version anglaise International Viewpoint – dans l'idée qu'il fallait un instrument d'analyse politique pour influencer des couches plus larges d'avant-garde et pour construire notre propre organisation » (5).
Revue militante, résolument engagée aux côtés de tous les exploité·es et opprimé·es du monde, Inprecor se donnait pour but d'aider à le comprendre dans sa complexité, sa diversité, ses spécificités nationales, régionales, historique, etc.
C'est pourquoi depuis ses débuts il a eu la volonté d'apporter à ses lectrices et lecteurs avant tout des faits, des informations de première main et des éléments d'analyse, plutôt que des réponses idéologiques toutes faites. Pour ce faire, nous n'avons jamais hésité à ouvrir les colonnes de notre revue à d'autres organisations et à des militant·es engagé·es dans les luttes, même lorsque leurs opinions divergent des nôtres. Bref, ne pas nous limiter à faire connaître les actions et les positions des organisations de la IVe Internationale, mais faire vivre l'analyse critique en dépassant les frontières linguistiques et organisationnelles. Toujours dans le but d'unifier les organisations internationalistes révolutionnaires indépendantes créées par la « génération 68 » qui fusionnait avec les noyaux marxistes-révolutionnaires ayant réussi à tenir dans une période d'hégémonie stalinienne et social-démocrate, puis à se redévelopper en soutenant les luttes anticoloniales dès les années 1950 et au cours de la montée révolutionnaire des années 1960.
Le lancement d'Inprecor a eu lieu alors que « la IVe Internationale et l'ensemble du mouvement marxiste révolutionnaire étaient encore dans la foulée des progrès importants réalisés après Mai 68 » (6). La revue tentait de poursuivre l'unification des « trois secteurs de la révolution mondiale » symbolisée par l'année 1968 : tournant dans la guerre du Vietnam avec l'offensive du nouvel an lunaire du FLN, les mobilisations étudiantes en Pologne en mars 1968 et le Printemps de Prague en Tchécoslovaquie, le mouvement anti-guerre aux États-Unis et finalement la grève générale de Mai 68 en France, suivie de mobilisations massives en Italie et dans toute l'Europe… Bien que ces mobilisations n'aient pas réussi à résoudre « la question du pouvoir », elles ont ouvert pour près d'une décennie une période de luttes de masses et ont affaibli le partage du monde établi à Yalta en 1945 entre les impérialismes victorieux dans la Seconde Guerre mondiale.
Avec le retournement de la situation mondiale et l'affaiblissement du mouvement ouvrier à la suite de la banqueroute historique du stalinisme et de la social-démocratie, la diffusion d'Inprecor a cessé de croitre, puis a diminué. Pourtant, la revue a réussi à continuer, même si en 1993 elle a dû devenir mensuelle et a vu son équipe de rédaction être réduite. Nous avons été capables de parler des questions que d'autres publications internationales ignoraient (7), de publier des analyses marxistes novatrices (8), de faire connaître en langue française des analyses rédigées dans une autre langue. Le tout toujours dans le but de « renforcer les liens politiques entre les militants des divers pays ».
Alors, pour continuer, on ne peut que reprendre la conclusion de l'éditorial du n° 0 : « Inprecor, vu son mode de diffusion internationale, ne pourra vivre durablement que si un nombre suffisant d'abonnements sont souscrits. Que les lectrices et lecteurs qui ne l'ont déjà fait s'abonnent donc vite » !
* Jan Malewski a été rédacteur d'Inprecor d'avril 1998 à novembre 2023.
Notes
1. Avec l'aide, bien sûr, de nos correcteurs, en particulier Isabelle Guichard, l'actuelle correctrice, que nous ne remercierons jamais assez.
2. Sa première série, éditée en Belgique, comptait 67 numéros. Puis une nouvelle série, éditée en France, a démarré avec le n°2 (68) le 17 mars 1977. Depuis la numérotation n'a pas changé.
3. En français, anglais, castillan et allemand. Inprecor en anglais fusionnera en 1978 avec Intercontinental Press, publié aux États-Unis par le Socialist Workers Party (SWP), puis reparaîtra en mars 1982 sous le titre International Viewpoint, car les divergences entre la majorité de l'Internationale et le SWP – ne saisissant pas l'importance de la révolution polonaise de 1980-81 et dont l'anti-impérialisme devenait de plus en plus campiste et le fonctionnement interne de moins en moins démocratique – ne permettaient plus de rédiger une revue commune. Inprekorr en allemand paraissait depuis 1971, et en 2017 il a fusionné avec la revue Die Internationale publié·e par la section allemande. Inprecor en castillan a été dans un second temps pris en charge par la section de l'État espagnol, puis Inprecor para América latina a vu le jour de 1989 à 1995. De 1981 à 1991 il y avait aussi une revue en polonais, Inprekor, acheminée clandestinement jusqu'en 1990, puis imprimé·e en Pologne (deux numéros, avant que les camarades polonais ne lancent leur propre publication indépendante).
4. Éditorial du n° 0, repris dans le n° 1.
5. Inprecor n° 300 du 12 au 25 janvier 1990.
6. Ibid.
7. Le régime lance une campagne anti-ukrainienne », n° 192 du 18 mars 1985.
8. Par exemple le numéro spécial « Le capitalisme contre le climat », n° 525, février-mars 2007.
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La Fabrique est orpheline

Nous avons appris le décès hier matin d'Eric Hazan, son fondateur en 1998 et celui qui depuis vingt-cinq ans a construit de ses mains larges et accueillantes son catalogue, livre après livre.
Né à Neuilly-sur-Seine en 1936 dans une famille juive, d'une lignée d'éditeurs et d'imprimeurs, Eric se tourna vers la médecine et une carrière de chirurgien à Paris durant laquelle il révolutionna la discipline en réalisant le premier pontage coronarien en Europe et en charpentant son versant pédiatrique. En 1983, il reprit les éditions d'art Hazan fondées par son père auxquelles il donna un second souffle. La fabrique fut la dernière aventure de sa vie professionnelle, sa maison, où il a accueilli tant d'ami•es et dont il a parfait les fondations pour résister aux tempêtes. Une maison qu'il a su au fil des ans imposer dans le paysage, sans rien céder de son indépendance ni de son audace, avant, délicatement, de laisser la main.
Israël-Palestine, l'égalité ou rien (Edward Said), L'édition sans éditeurs (André Schiffrin), Aux bords du politique (Jacques Rancière), Pour en finir avec la prison (Alain Brossat), Pour le bonheur et pour la liberté (Robespierre) : ces titres parmi les premiers qu'il a publiés, il faut bien les lire car ils disent au fond l'essentiel de ses engagements, de son style, de son optimisme aussi qui le gardait d'accorder trop d'importance à l'ennemi.
Il souhaitait publier des livres qui soient des armes, des livres qui fassent bouger les lignes, et il fut toujours aux côtés des luttes : celles des filles voilées, du peuple palestinien, des camarades traqués par l'antiterrorisme ou matraquées par la police, de ses auteurs et autrices calomniées par la morale réactionnaire. S'il s'étendait rarement sur ses propres activités militantes qui le menèrent dans sa jeunesse en Algérie puis au Liban auprès du FLN et des luttes anticoloniales, s'il en avait trop vu pour afficher une préférence partisane, son camp était celui d'un communisme singulier, sans chef ni parti. Un communisme de l'amitié, intransigeant et généreux, qui rassemblait sous sa bannière mille compagnons, de Walter Benjamin à Robespierre et aux insurgés anonymes de juin 1848.
Toutes celles et ceux qui ont travaillé à ses côtés savent à quel point il soignait les livres, depuis l'ébauche jusqu'aux tables des librairies, où il était un flâneur assidu. Sa fermeté comme sa bienveillance, sa sagesse et son toupet ont fait de La fabrique ce qu'elle est, une inspiration pour une séditieuse génération d'éditeurs et d'éditrices qu'il a vue éclore avec joie. Lui qui savait tant de choses était si humble devant le savoir des autres.
Il faut dire enfin combien il a pris soin de transmettre. Que ce soit dans ses écrits où, au détour d'une rue parisienne, il partageait la mémoire des combats de la Révolution française ou de la Commune de 1871, celle d'une histoire juive révolutionnaire à jamais irrécupérable par un État génocidaire ; que ce soit dans ses échanges avec les apprentis éditeurs et éditrices auxquel•les il confiait les ficelles du métier et le chemin pour aboutir à un livre ; que ce soit avec nous qui l'avons accompagné et à qui il a tout enseigné, tout donné, même la maison d'édition.
Nous sommes orphelin•es mais son héritage nous protège en ces temps obscurcis où les monstres qu'il a toujours combattus se dressent sous les formes les plus obscènes.
« Si une petite maison d'édition comme La fabrique a un rôle, c'est celui de travailler au démontage de ces bobards. Tous nos livres, qu'ils traitent de la démocratie, de l'immigration, de la Palestine ou de l'insurrection qui vient, ont le même but : montrer où passe la véritable ligne de front. »
Stella Magliani-Belkacem et Jean Morisot
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Améliorer le réemploi au Québec
Le réemploi est un aspect de la protection de l'environnement qui mérite une place de choix dans nos vies modernes. Elle prévient la sur-fabrication d'objets neufs et réduit les déchets produit inutilement puis offre la possibilité d'acheter des biens à faible coût.
Le réemploi est bien connu par les gens qui ont l'habitude de donner leurs surplus à des organismes d'entraide et d'économie sociale. Aussi, les activités telles la vente d'objets seconde main sur Marketplace ou Kijiji ; dans les marchés aux puces, ventes de garage ; annonces classées, ou offrir des dons à un proche sont autant de façons de réaliser le réemploi.
Il y a toutefois des faiblesses à corriger, notamment l'abondance d'objets donnés aux organismes d'entraide et qui ne se revendent pas faute d'acheteurs. Pour accroître l'intérêt des consommateurs pour le seconde main, il faut en vanter les avantages, comme leur faible coût et les bénéfices importants qu'a le réemploi pour l'environnement. De plus, lorsqu'on a besoin d'un objet, il faudrait développer le réflexe de voir d'abord à se le procurer dans le matériel d'occasion. Aussi l'appréciation pour « les vieilles choses » serait certes à promouvoir, car elles sont souvent plus solides, durables et facilement réparables. De plus, n'est-il pas temps d'adresser la croyance populaire qu'est celle que les magasins communautaires sont là « pour les pauvres » ? Bien sûr, les commerces de seconde main ont aussi un effort à faire en améliorant la propreté et la présentation du matériel qu'ils offrent à vendre pour le rendre plus attrayant. Finalement, toutes les précautions doivent être prises lors des dons, de l'inspection, du nettoyage et de la mise en vente pour préserver ce qui est fragile, ou comporte des pièces facilement dispersées.
Les villes, tant qu'à elles, pourraient aider les organismes en allouant des compensations financières correspondantes aux coûts des matières résiduelles déviées de l'enfouissement ou de l'incinération par la réutilisation. Elles pourraient, de même que les gouvernements supérieurs, aider en fournissant à bon compte des locaux et divers matériaux excédentaires tels que camions, meubles, ordinateurs, matériel de bureau, etc. Un grand progrès serait de donner des exemptions de taxes (TPS et TVQ) sur la vente d'objets seconde main.
Le réemploi permet de grands espoirs pour l'avenir même s'il est actuellement fragile car peu aidé et exploité de façon très inégale. Des progrès, non négligeable sont tout de même à signaler, comme la popularisation de la notion d'économie circulaire, les actions de l'Association des Ressourceries du Québec et du Conseil Régional de l'Environnement de Québec qui ont débuté des initiatives pour regrouper et optimiser les efforts des différents acteurs impliqués dans le réemploi. Ceux-ci pourraient poursuivre leurs actions par l'offre d'une guidance aux ressourceries et friperies en démarrage et par de la formation aux gestionnaires, valoristes et bénévoles du réemploi. Soulignons de plus que la ville de Québec offre aussi des aides financières directes qui ne peuvent qu'être appréciées.
Ces efforts portent fruit. À preuve, l'organisme « Nos choses ont une deuxième vie » à Québec, qui a réalisé une initiative innovante remarquable en mettant sur pied la vente de matériel seconde main à grande échelle et par internet afin d'en faciliter l'accès et la démocratisation.
Pascal Grenier et Elizabeth Kack membres du CA de « Nos choses ont une deuxième vie »
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Le consensus militaire : camoufler les divisions internes
On a célébré en grande pompe la semaine dernière le quatre-vingtième anniversaire du débarquement de Normandie. On a fait parler certains des derniers survivants de cette opération militaire mémorable ; ils ont raconté le souvenir qu'ils en gardaient.
Toutefois, un autre événement majeur a précédé la Seconde guerre mondiale : la grande dépression économique amorcée brutalement en 1929. Il faut rappeler que le krach boursier de la fin octobre 1929 a déstabilisé les politiques économiques allemandes, facilitant l'arrivée au pouvoir à Berlin d'Adolphe Hitler de de son Parti nazi à cause du retrait brusque de capitaux américains d'Allemagne. Vu l'importance des États-Unis dans le monde déjà à cette époque et de leurs réseaux commerciaux tentaculaires, la crise a secoué l'ensemble des pays occidentaux, sauf l'URSS de Staline qui pratiquait une politique protectionniste, entretenant peu de liens commerciaux avec l'Ouest et n'ayant pas connu la prospérité des années 1920.
On a parfois qualifié cette mauvaise passe de "grande crise du capitalisme", laquelle a provoqué une montée massive du chômage et de la misère partout dans les pays occidentaux, en premier lieu aux États-Unis mêmes. Le "rêve américain" de la mobilité sociale paraissait brisé.
Cette crise était due à divers déséquilibres, en particulier dans la répartition des richesses et des ressources. Les inégalités sociales étaient tranchées aux États-Unis, même durant la "prospère" décennie 1920. La cause immédiate de la crise fut la spéculation boursière effrénée ; la sphère financière, toujours plus attirée par les profits immédiats, se détachait toujours davantage de l'économie réelle au profit de l'achat de titres en Bourse, ce qui a entraîné les cours à la baisse.
"Les investisseurs qui ont spéculé en empruntant ne peuvent plus rembourser et causent des pertes sèches, ce qui conduit les banques à restreindre leur crédit. Les grandes entreprises connaissent alors des difficultés de trésorerie croissantes. Les plus faibles font faillite, ce qui accroit la fragilité des banques". (Wikipédia)
L'économiste Jacques Brasseul soutient que "le cours des titres augmente plus que les profits des entreprises, qui eux-mêmes augmentent plus que la production, la productivité, et enfin plus que les salaires, bons derniers dans cette course". (Wikipédia)
Les épargnants paniquent alors et se précipitent auprès de leur banque pour récupérer leur argent. Pour résumer commodément, on assiste à un tarissement du crédit, les banques les plus faibles font faillite à leur tour. La production continue de chuter, les chômage s'étend et la misère se répand, les divisions sociales se creusent toujours davantage. En dépit du "New Deal" du président Roosevelt, le chômage ne se résorbera véritablement qu'à partir de l'entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941. La production industrielle repart à la hausse, tirée par l'industrie de guerre et sa gestion.
La catastrophe sociale et économique des années 1930 a durement et durablement marqué toute une génération. On préfère la passer sous silence, ce qui se comprend fort bien. Les crises économiques majeures et prolongées sont facteurs de division et de contestation du régime économique et social en place, elles sont "diviseuses" alors que les grandes victoires militaires, elles, sont rassembleuses et consensuelles.
Si on souligne à présent le quatre-vingtième anniversaire du débarquement de Normandie, pourrait-on faire de même en 2029 pour le centenaire du krach boursier, point de départ de la grande dépression ? Ce ne serait que justice pour les multiples victimes de celle-ci, les travailleurs en chômage qui devaient fréquenter les soupes populaires pour survivre. À leur manière ils ont fait preuve d'un grand courage, d'une ténacité qui force le respect et d'une débrouillardise remarquable.
On le doit à la mémoire des millions de déclassés de cette époque, et de toutes les époques.
Jean-François Delisle
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Etats-Unis. « Réduire le risque d’un conflit nucléaire : annuler le programme de missile intercontinental Sentinel »

Les armes nucléaires sont de nouveau à la mode dans le Washington officiel. Le Pentagone est au cœur d'un effort de 2000 milliards de dollars, étalé sur trois décennies, pour construire une nouvelle génération de bombardiers, de missiles et de sous-marins à armement nucléaire. Le lobby de l'armement et ses alliés au Congrès font pression pour que l'on dépense encore plus.
Tiré de A l'Encontre
5 juin 2024
Par William D. Hartung
Heureusement, un nouveau rapport du groupe non partisan de surveillance du budget fédéral – Taxpayers for Common Sense (TCS) – offre un contrepoint stimulant à cette ruée vers une nouvelle course aux armements nucléaires, en expliquant de manière convaincante pourquoi la pièce maîtresse du nouveau programme du Pentagone, le Sentinel ICBM [1], est dangereuse, inabordable et inutile. Le regretté Daniel Ellsberg [décédé en juin 2023 et auteur des Pentagone Papers] et Norman Solomon [militant du mouvement pour le désarmement nucléaire, auteur de multiples analyses critiques, entre autres sur l'intervention en Irak] ont fait valoir ce point avec force dans un article paru en octobre 2021 dans The Nation, notant que l'élimination des ICBM était le moyen le plus simple et le plus rapide de réduire « le danger global d'une guerre nucléaire ».
En bon groupe de défense des contribuables qu'il est, le TCS commence par souligner l'immense coût du programme Sentinel, qui est maintenant estimé à au moins 315 milliards de dollars sur la durée de vie du système, y compris avec une augmentation stupéfiante de 37% des coûts d'acquisition prévus au cours seulement des deux dernières années. Le dépassement des prévisions de coûts est si important qu'il a déclenché une réévaluation du programme en vertu de la loi Nunn-McCurdy [loi introduite en 1983 en vue de réduire les surcoûts dans les programmes d'acquisition d'armes], qui sert en quelque sorte de système d'alerte précoce en cas d'emballement des coûts de l'armement. Un rapport du Pentagone sur cette question est attendu au début du mois prochain. C'est le moment idéal pour réfléchir à l'opportunité de construire un nouveau missile balistique intercontinental (ICBM), voire à la nécessité de disposer d'ICBM. C'est précisément ce que fait le rapport du TCS.
La conclusion de cette nouvelle analyse est que les ogives nucléaires déployées sur les bombardiers et les missiles balistiques sous-marins sont plus que suffisantes pour dissuader tout pays d'attaquer les Etats-Unis. Steve Ellis, président du TCS, a souligné ce point lors de la publication du nouveau rapport du TCS : « Nous avons plus de 1300 ogives nucléaires déployées sur des sous-marins, des bombardiers et des chasseurs de missiles balistiques, dont beaucoup sont plus puissantes que les ogives qu'il est prévu de déployer sur le Sentinel. Avec un coût prévu de 315 milliards de dollars sur l'ensemble de son cycle de vie, le Sentinel est une redondance dont nous n'avons pas besoin, à un prix que nous ne pouvons pas nous permettre. »
Non seulement les missiles terrestres sont redondants, mais, comme l'a fait remarquer l'ancien secrétaire à la Défense William Perry [de février 1994 à février 1997 sous Bill Clinton], ils comptent parmi les armes les plus dangereuses dont nous disposons, car un président n'aurait que quelques minutes pour décider de les lancer en cas d'alerte d'attaque, ce qui augmenterait considérablement le risque d'un conflit nucléaire accidentel fondé sur une fausse alerte.
L'élimination des ICBM est une bonne chose pour la sécurité future de la planète, mais elle se heurte à un environnement politique difficile à Washington. Comme je l'ai écrit ailleurs (Arms Control Association, mai 2021 – « Inside the ICBM Lobby »), le lobby des ICBM – dirigé par des entreprises comme Northrop Grumman travaillant avec des sénateurs d'Etats comme le Dakota du Nord, le Montana, l'Utah et le Wyoming qui possèdent des bases importantes d'ICBM ou encore sont le lieu de travaux substantiels liés au programme Sentinel – a été une force considérable pendant des décennies pour protéger les missiles basés à terre contre des réductions de leur nombre ou de leur financement. Compte tenu des graves problèmes de sécurité auxquels les Etats-Unis seront confrontés dans les décennies à venir, dont beaucoup n'ont pas de solutions militaires, il est temps de briser la mainmise des intérêts particuliers sur notre politique en matière d'armes nucléaires. L'annulation du programme Sentinel serait un excellent point de départ.
Certains défenseurs du contrôle des armements, tout en reconnaissant les coûts et les risques associés au maintien d'une force de missiles balistiques intercontinentaux, ont limité leurs demandes, pour le moment, à un appel à l'annulation du programme Sentinel, tout en prolongeant la durée de vie des missiles balistiques intercontinentaux existants. Cette solution permettrait certes d'économiser plusieurs milliards de dollars, mais elle ne s'attaquerait pas aux effets déstabilisateurs des ICBM eux-mêmes. Toutefois, si le nouveau projet ICBM est annulé mais que les anciens restent en place, le risque d'un lancement accidentel subsisterait et tout calendrier possible pour des réductions substantielles de l'arsenal états-unien – dans le but ultime d'éliminer complètement les armes nucléaires conformément aux normes mondiales établies par le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (2017) – s'éloignerait très, très loin dans l'avenir.
La question est de savoir s'il est possible de créer une contre-force politique suffisamment puissante pour vaincre le lobby des ICBM et surmonter la mythologie qui veut qu'une « triade nucléaire » composée d'armes nucléaires basées à terre, en mer et dans les airs constitue un pilier essentiel des défenses des Etats-Unis. Bien que de nombreux habitants des Etats qui accueillent des bases d'ICBM, comme le Dakota du Nord, le Montana et le Wyoming, se réjouissent des avantages économiques qu'elles procurent, l'opposition aux ICBM remonte à la campagne des années 1980 contre le missile MX-pour missile expérimental, code LGM-118A (officiellement et ironiquement baptisé « The Peacekeeper »), soutenue par tous, des éleveurs conservateurs à l'Eglise mormone. Le MX a finalement été déployé pendant près de deux décennies avant d'être désactivé sous l'administration de George W. Bush [2001-2009], mais l'opposition à ce missile s'inscrivait dans le cadre d'un mouvement plus large en faveur de la réduction des armes nucléaires qui a conduit à une forte diminution de l'arsenal américain de la guerre froide. L'augmentation considérable des coûts du nouvel ICBM, évoquée plus haut, a suscité un examen plus approfondi au Congrès et dynamisé les efforts d'un large éventail d'organisations locales et nationales de contrôle des armements et de désarmement pour faire annuler le système et réexaminer l'opportunité de maintenir les ICBM.
A l'heure où le pays et le Congrès sont profondément divisés sur tous les sujets, de l'avenir de la démocratie à l'approche appropriée des guerres actuelles en Ukraine et au Moyen-Orient, en passant par un éventuel conflit avec la Chine, parvenir à un consensus sur un changement majeur de la politique et des dépenses nucléaires des Etats-Unis ne sera pas une mince affaire. Mais l'alternative – une course aux armements nucléaires en pilotage automatique, avec un risque croissant de confrontation nucléaire – est trop dangereuse pour être ignorée.
Les changements intervenus par le passé dans la politique nucléaire des Etats-Unis, depuis la fin des essais nucléaires atmosphériques [en 1963] jusqu'aux fortes réductions de la taille de l'arsenal américain depuis la fin de la guerre froide, trouvent leur origine dans l'activisme citoyen, depuis le mouvement d'interdiction des bombes dans les années 1950 jusqu'à la campagne pour le gel nucléaire dans les années 1980. Nous sommes loin du niveau d'inquiétude des années 1980 concernant les armes nucléaires, mais le débat sur la question s'est développé parallèlement à des événements tels que le succès [en 2023] du biopic Oppenheimer, l'intensification des activitésvisant à indemniser les victimes des radiations dues aux essais nucléaires passés et les efforts continus pour tirer la sonnette d'alarme sur le danger nucléaire par le biais d'instruments tels que l'horloge de l'apocalypse du Bulletin of the Atomic Scientists, qui indique aujourd'hui 90 secondes avant minuit, ce qui est effrayant. La déclaration la plus récente du Bulletin sur les risques auxquels nous sommes confrontés ne pourrait être plus claire :
« Des tendances inquiétantes continuent d'orienter le monde vers une catastrophe mondiale. La guerre en Ukraine et le recours croissant aux armes nucléaires augmentent le risque d'escalade nucléaire. La Chine, la Russie et les Etats-Unis dépensent tous des sommes considérables pour développer ou moderniser leurs arsenaux nucléaires, ce qui accroît le danger toujours présent d'une guerre nucléaire provoquée par une erreur ou un mauvais calcul. »
Une action audacieuse s'impose si nous voulons éviter le scénario catastrophe décrit dans le Bulletin. L'annulation du programme Sentinel constituerait un grand pas dans la bonne direction – une preuve de bon sens énergique au milieu d'un débat sur la politique nucléaire à Washington qui a été beaucoup trop orienté vers la promotion d'une accumulation d'armes nucléaires à la manière de la guerre froide au lieu de mettre en œuvre des mesures visant à réduire le risque d'un conflit nucléaire. Pour changer de cap, nous devrons aller bien au-delà de ce qui se fait habituellement à Washington, mais compte tenu des risques le jeu en vaut la chandelle et le temps presse. (Article publié dans The Nation le 4 juin 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Le LGM-35 Sentinel, également connu sous le nom de Ground Based Strategic Deterrent (GBSD), est un futur système américain de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) basé à terre. (Réd.)
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L’Union européenne accélère sa militarisation

[Avertissement : Cette note est un rappel des enjeux soulevés par la trajectoire militaro-sécuritaire suivie par l'UE depuis plusieurs années[1].]
Tiré de A l'Encontre
4 juin 2024
Par Claude Serfati
Ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l'UE, en Suède, en mars 2023.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie et également sous un angle sous lequel je conclurai cet article, la guerre d'Israël contre la Palestine ont donné un coup d'accélérateur à la militarisation de l'UE. Celle-ci n'est néanmoins pas nouvelle. Pendant des décennies, les règles communautaires ont laissé aux Etats-membres la charge du fardeau de la protection de l'ordre mondial existant et donc de leurs intérêts, soit sous une forme individuelle – comme ce fut longtemps le cas de la France en Afrique – soit collectivement dans le cadre de l'OTAN. Les traités communautaires ont toujours affirmé que l'OTAN constitue le fondement de la sécurité des Etats-membres et ont, de ce fait, toujours relégué la construction d'une défense européenne à un horizon indéterminé. La militarisation de l'UE est donc longtemps principalement passée par ses grands Etats-membres et elle s'est accélérée depuis une dizaine d'années. Depuis 2014, les dépenses cumulées des pays de l'UE ont augmenté en dollars constants de 31%. L'augmentation est spectaculaire, en particulier pour les pays Baltes ainsi que pour les pays d'Europe centrale et orientale (Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Pologne, etc.).
Avant l'invasion russe de février 2022, l'Agence de défense européenne (European Defence Agency, EDA) se félicitait déjà que « les dépenses de défense ont globalement résisté aux conséquences économiques du COVID-19 »[2].
La militarisation de l'UE est toutefois également passée par le financement de programmes communautaires. Depuis les années 1990, la Commission est progressivement entrée dans un domaine qui lui était interdit en empruntant des voies de traverse. Elle annonça d'abord que les dites “technologies duales” (à finalité militaire et civile) entraient dans son champ de compétences, puisqu'un volet majeur de la politique industrielle de l'UE passe par le soutien aux programmes technologiques. Puis à partir des années 2000, elle mena une longue bataille pour que les “marchés” de l'armement cessent d'être autant protégés par les Etats-membres au profit de leurs groupes industriels. Cette montée en puissance de la Commission continua pendant les années 2000 et elle a trouvé une nouvelle vigueur à la suite de la guerre menée par la Russie au Donbass qu'elle annexa en 2014.
En 2019, Ursula von der Leyen déclara que la nouvelle Commission nommée à la suite des élections européennes était la « première Commission géopolitique ». On en mesura immédiatement les effets. Une série de programmes de financement communautaire furent lancés dès 2019. Ce fut d'abord l'European Defence Industrial Development Programme (EDIDP), doté de 500 millions d'euros, qui vise à promouvoir la coopération et la compétitivité de l'industrie de défense. L'European Defence Fund (EDF), validé en 2022 par le Conseil (les chefs d'Etat et de gouvernement), possède un budget géré par la Commission de plus de 8 milliards d'euros sur la période 2021-2027, un montant qui marque une rupture par rapport aux programmes communautaires de la défense qui l'ont précédé.
Puis vint l'invasion russe qui révèle qu'aucun pays de l'UE n'a les moyens de protéger militairement l'Ukraine.
Le soutien européen à l'Ukraine
Le soutien militaire de l'UE et de ses Etats-membres dans sa guerre contre la Russie est pourtant massif. Jusqu'en février 2024, le financement de l'Europe (y compris le Royaume-Uni) atteignait 41,5 milliards d'euros contre 43 milliards d'euros pour les Etats-Unis. Cependant, l'Institute for the World Economy, basé à Kiehl et qui suit depuis le début de la guerre le montant de l'aide à l'Ukraine, signale que dans le cas de l'Europe une partie bien supérieure à celle des Etats-Unis des sommes annoncées correspondent à des engagements, non à des livraisons.
Le tableau 1 donne la liste des principaux donateurs européens. Ici, il s'agit bien de livraisons. La répartition donne une indication des choix géopolitiques et des capacités financières des pays. L'Allemagne représente près d'un quart du total des livraisons européennes, le Royaume-Uni près de 13%. Les cinq premiers représentent plus de deux tiers de l'ensemble de l'aide européenne.

Tableau 1 : montant de l'aide militaire à l'Ukraine par les pays européens (à février 2024)
Source : Auteur, données Institute for the World Economy.
Ce graphique montre les allocations d'aide militaire bilatérale à l'Ukraine par les principaux donateurs, en milliards d'euros, entre le 24 janvier 2022 et le 29 février 2024. Les allocations sont définies comme l'aide qui a été fournie ou spécifiée pour être livrée. Les allocations militaires comprennent l'aide financière liée à des fins militaires.
La France occupe une modeste septième place, ce qui contraste avec sa place de première puissance militaire du continent et les déclarations répétées d'Emmanuel Macron qu'il n'excluait pas de « mettre les bottes sur le sol » ukrainien. En fait, l'Allemagne et les principaux pays donateurs ont puisé dans leurs stocks de matériels, généralement d'origine étatsunienne afin d'alimenter les livraisons qu'ils ont faites à l'armée ukrainienne. C'est l'attitude exactement opposée que le Président de la République et l'Etat-major ont adoptée. Ainsi, le chef d'état-major de l'armée de Terre lors de son audition à l'Assemblée nationale le 20 juillet 2022 affirmait : « si [des matériels] sont envoyés en Ukraine, c'est une capacité militaire qui est amputée ».
La France a fait le choix d'une « armée échantillonnaire » selon l'expression d'un responsable de la Commission de défense au Sénat. Les augmentations considérables du budget de défense votées par le Parlement dans le cadre des lois de programmation militaire ne changent pas ce comportement. Ils font fi des transformations stratégiques produites par les guerres en cours car ils visent plutôt à “figer” les intérêts des industriels de l'armement et de l'Etat-major sans toucher aux programmes d'armement en cours afin de ne pas modifier la clé de répartition des flux budgétaires et contenter ainsi toutes les composantes du système militaro-industriel. Dans cette « armée échantillonnaire », tout prélèvement creuse donc un énorme trou. Un exemple : la France a livré 30 canons Caesar à l'Ukraine sur un total de 76 utilisés par l'armée.
Sous l'impulsion de la Commission, et tout particulièrement de Thierry Breton (Commissaire européen au Marché intérieur), les Etats-membres ont lancé des programmes destinés à produire un volume d'armes destiné à l'Ukraine. Le plus emblématique est l'Act in Support of Ammunition Production (ASAP) lancé au début de 2023 et dont l'objectif était de faire produire 1 million de munitions par les entreprises européennes. Or, un an après, c'est à peine la moitié qui a été effectivement produite. D'autre part, ces programmes sont labellisés « communautaires » parce que l'argent vient de Bruxelles. Cependant, ASAP abonde le plan de charge des entreprises qui demeurent principalement nationales (ou bi- et tri-national dans le cas rare du missilier MBDA – BAE Systems, Airbus, Leonardo) et veille à une distribution nationale qui respecte les intérêts des groupes en place et les rapports de force entre Etats-membres.
Le programme ASAP est aujourd'hui entré dans sa troisième phase et ce sont toujours les piliers des systèmes militaro-industriels nationaux qui en sont les principaux bénéficiaires. Dans les programmes de production de poudre, on trouve aux premiers rangs les groupes Rheinmetall (Allemagne), Nammo (Norvège), et les groupes français Nexter et Eurenco (ex-société nationale des poudres et explosifs, contrôlée à 100% par l'Agence de participations de l'Etat).
D'autres initiatives plus ambitieuses ont été accélérées par la guerre en Ukraine. La plus médiatique concerne la constitution d'une force de déploiement rapide composée de 5000 hommes et susceptible de soutenir une intervention pendant un an, soit pour une mission d'évacuation, soit pour une phase « initiale de stabilisation dans un environnement non-permissif » selon la formule du document européen La boussole stratégique (Strategic Compass). Une telle force armée est un vieil objectif déjà adopté par le Sommet d'Helsinki en 1999. En dépit des échecs répétés pour constituer formellement une telle force, cet objectif est fréquemment salué en France comme la constitution d'une “armée européenne”. Or, même la guerre en Ukraine ne suffit pas pour passer dès maintenant aux actes. Les divergences sont profondes. Elles portent une fois de plus sur la relation à l'OTAN qui possède elle aussi une « force de réponse » (NATO Response Force, NRF) et dont les missions sont assez semblables à celles du projet de la capacité européenne. D'autre part, l'idée que la capacité européenne pourrait être déployée en Ukraine, Moldavie ou Arménie est repoussée par la plupart des pays de l'est de l'Europe. Elle est de toute façon irréaliste puisqu'elle mettrait cette capacité européenne en contact direct avec la Russie, puissance nucléaire.
Les priorités nationales demeurent donc très fortes. L'avenir de cette force de réaction européenne semble se situer dans le bassin méditerranéen et être associé aux conflits armés en Afrique ainsi qu'à la militarisation des flux migratoires par l'UE qui fait l'objet d'un large accord parmi les Etats-membres.
Que pèsent en effet ces 5000 hommes face à la Force de réaction rapide de l'OTAN que le “nouveau concept stratégique” adopté en 2022 a décidé de renforcer et d'élever de 42 000 militaires (actuellement prêts au combat avec plus de 40 navires de guerres et des centaines d'avions de combat) à plus de 300 000 militaires – et les moyens aériens, cyberspatiaux, navals, terrestres nécessaires – mobilisables à brève échéance ?

La militarisation de l'UE entre Etats-membres et OTAN
La militarisation de l'UE a accéléré depuis une dizaine d'années, mais elle ne se traduit que par des avancées limitées en matière de défense européenne proprement dite et ses dimensions sécuritaires en demeurent une composante majeure. Les fonctions militaires, celles qui sont dirigées vers la gestion des conflits armés, demeurent pour l'essentiel assurées par l'OTAN. Contredisant la pensée puissante et prémonitoire du Président de la République, la guerre en Ukraine confirme que l'OTAN n'« est pas en état de mort cérébrale ». En réalité, elle constitue depuis des décennies le pilier militaire du “bloc transatlantique”. J'appelle ainsi cet espace géoéconomique et militaire dominé par les Etats-Unis, dont la zone euro-atlantique constitue le cœur, mais qui inclut certains pays d'Asie-Pacifique, tels qu'Israël, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce bloc repose sur un solide trépied : une intégration économique croissante des capitaux financiers et industriels, une alliance militaire (l'OTAN et des alliances entre les Etats-Unis et Israël et les pays d'Asie-Pacifique, avec une présence marginale de la France dans certains accords dans cette région) et une « communauté de valeurs » auto-proclamée qui associe l'économie de marché, la démocratie et la paix[3].
Le contraste est donc saisissant entre l'ampleur des dépenses militaires de l'ensemble des Etats-membres et la modestie des pas en avant communautaires. Attention néanmoins aux impressions car ces dépenses militaires sont ultra-concentrées. En 2022, les dépenses militaires de six pays (Allemagne, France, Italie, Espagne, Pays-Bas et Suède) ont représenté les trois quarts des dépenses de toute l'UE, les 21 autres pays ne représentant qu'un quart du total. Plus précisément, l'Allemagne avec 22% et la France avec 21,7% des dépenses militaires de l'UE se distinguent par le poids qu'elles représentent. L'Italie, avec 13,1% des dépenses militaires, vient loin derrière. Ces trois pays comptent également pour plus de la moitié de toutes les dépenses d'équipement[4] qui servent soit à produire des systèmes d'armes dans le pays, soit à les importer. Ce sont d'ailleurs ces quatre grands pays militarisés, Allemagne, France, Italie et Suède qui ont rédigé une lettre commune adressée à la Commission lui enjoignant de ne pas empiéter sur leurs prérogatives et celles des autres Etats-membres[5].
Tous les pays européens, y compris et de plus en plus la France, inscrivent leur stratégie militaire dans le cadre de l'OTAN.
Les gouvernements français ont longtemps prôné “une défense européenne autonome” avant de reconnaître leur échec. Ils ont alors repris le terme au moins aussi flou d'“autonomie stratégique”, et qui a donc l'avantage d'inscrire les enjeux de défense dans un ensemble plus vaste, l'autonomie stratégique portant également sur les produits vitaux de santé, l'alimentation et tout ce qu'on décide de qualifier ainsi. Emmanuel Macron en avait fait son slogan lors du discours de la Sorbonne de septembre 2017. Sans grande originalité en dépit du battage médiatique, puisqu'en réalité, “l'autonomie stratégique” figurait comme point central de la « Stratégie globale de l'UE » adoptée en 2016. Macron attise également le spectre d'une réélection de Trump pour aiguillonner les dirigeants européens.
Aucun pays du continent européen ne se prononce contre l'autonomie stratégique puisque chacun lui donne son propre contenu, ce qui nourrit l'activité des think tanks dominants de la sécurité bruxelloise. Les Etats-Unis – avec des variantes selon les administrations et même en leur sein – ne sont pas contre l'autonomie stratégique des Européens. Le “multilatéraliste” Obama qui a dirigé la coalition de l'OTAN en Lybie en 2011 a ouvertement critiqué les alliés européens pour leur comportement de “passagers clandestins” (free riders) avant que Trump ne le fasse sur un ton agressif sans pour autant être en mesure de passer aux actes car de profondes forces au sein de l'appareil politique (exécutif et législatif) mais également militaires l'en ont empêché. Dans ses discours provocateurs préparatoires à la campagne présidentielle, Trump ne menace pas d'un retrait des Etats-Unis de l'OTAN, moins encore de la protection nucléaire américaine[6], mais il s'engage ne pas défendre – contre une invasion russe – les pays qui ne consacreraient pas 2% de leur PIB aux dépenses militaires… C'est exactement l'objectif adopté par l'OTAN !
Si le retrait total des Etats-Unis de l'OTAN est improbable, leurs dirigeants ont toujours fait en sorte que pour les pays européens l'organisation atlantique demeure le pilier de la défense européenne. Ceci est explicitement reconnu dans la « Boussole stratégique », un document adopté par le Conseil européen (les chefs de gouvernement) qui affirme que « l'OTAN demeure la fondation de la défense collective de ses membres. Les relations transatlantiques et la coopération UE-Etats-Unis [….] sont déterminantes pour notre sécurité globale »[7]. Et le clou fut enfoncé quelques mois après. En janvier 2023, une déclaration commune de l'OTAN, du Président du Conseil européen et de la Présidente de la Commission rappelle « la valeur d'une défense européenne plus forte et plus capable qui contribue positivement à la sécurité globale et transatlantique, et qui soit complémentaire à et interopérable avec l'OTAN » (souligné par moi)[8]. La contrepartie industrielle de cette dépendance à l'OTAN, c'est qu'au cours de la dernière année trois quarts des achats d'armes réalisés par les Etats-membres sont d'origine américaine.
Les lenteurs des décisions prises aujourd'hui pour renforcer l'intégration communautaire de défense et les divergences qu'elles révèlent s'inscrivent dans ce contexte de subordination à l'OTAN. Ce ne sont pas seulement les craintes exprimées par les pays de l'ex-zone soviétisée de duplication des capacités européennes avec celles de l'OTAN en Europe, et corollairement les craintes que la priorité de l'UE soit tournée vers l'Afrique. Des divergences plus substantielles existent comme l'indique le cas de la Pologne, qui fait partie désormais des cinq grandes puissances militaires de l'UE et qui est un rouage central dans le déploiement des forces de l'OTAN en Europe. Il est envisagé qu'une base nucléaire de l'OTAN soit installée en Pologne et la livraison d'avions de chasse F-35 à emport de missiles nucléaire est prévue. Or, ce pays possède des frontières communes avec l'exclave russe de Kaliningrad – fortement nucléarisée – et avec la Belarus, qui le devient progressivement. La Pologne est leader dans toutes les initiatives destinées à augmenter la présence américaine en Europe et à freiner les avancées communautaires qu'elle considérerait comme contraire à cette perspective. Or, elle est solidement installés au centre de la défense européenne grâce à sa présence dans le “Triangle de Weimar” auquel elle participe sur un pied d'égalité avec l'Allemagne et la France.
La Pologne est loin d'être un cas isolé d'autant plus que les intérêts industriels de défense sont par nature indissociables des objectifs stratégiques. La volonté d'une “préférence communautaire” défendue par Thierry Breton dans les politiques de financement de la production et d'achats d'armes – qui est évidemment la position de Macron et des groupes français de l'armement – est violemment combattue par une majorité de pays influents. Les groupes suédois Saab et italien Leonardo participent à un programme d'avion de combat du futur dirigé par le groupe britannique BAE System qui est concurrent du projet franco-allemand-espagnol et la “préférence communautaire” est perçue comme une agression. Car on a oublié que l'Europe, ce n'est pas que l'UE et moins encore dans les questions de défense. Le Royaume-Uni, complètement soumis aux objectifs de Washington, est un pilier européen de l'OTAN et dispose de relais politiques et industriels importants dans les pays du nord, de l'est et du centre de l'Europe.
L'Allemagne a une position plus nuancée que ce bloc “pro-otanien inconditionnel”, mais il n'est pas question pour ses dirigeants de froisser les Américains[9]. Les difficultés d'avancement du programme d'avion de combat mené avec la France et l'Espagne – et qui sont d'ailleurs enflammées par le comportement du groupe Dassault – indiquent que l'Allemagne n'a plus besoin de faire à la France des concessions, qu'elle avait l'habitude de lui accorder, dans les questions de défense. Le gouvernement allemand mène sa propre stratégie sans se préoccuper des réactions de la France. En octobre 2022, il a ainsi annoncé un projet de bouclier de défense antimissile dans le cadre de l'OTAN. Il est soutenu par une vingtaine de pays européens et sera fondé sur des systèmes allemands, américains et israéliens, mais pas français.
Décidément, compte tenu des dynamiques au sein de l'UE, moins encore que dans les autres domaines, le prétendu “couple” franco-allemand – qui n'est appelé ainsi qu'en France – n'est en mesure d'imposer ses volontés.
Le jeu contraint de la France
Le surdimensionnement militaire de la France par rapport à ses capacités économiques et la réalité de son statut international produit des effets délétères sur l'économie française compte tenu des ressources financières considérables et prioritaires qu'il exige et des effets d'affaiblissement inexorables des industries civiles (à l'exception du segment civil dans l'aéronautique)[10].
Sur le plan militaire, l'enlisement puis la débandade au Sahel sont des avertisseurs bruyants de ce surdimensionnement dont tous les Etats-membres sont évidemment les témoins. La France ne peut plus à la fois proclamer son attachement à une défense européenne autonome et agir comme elle l'entend – c'est-à-dire de façon unilatérale – ailleurs. C'est cette équation dont il a en parti hérité qui est au cœur des errements de Macron. Il lui faut en même temps trouver une fonction à l'armée française dans le monde et accepter la réalité de la réintégration dans l'OTAN dont l'Etat-major français est un des partisans actifs. Toutefois, les difficultés persistent puisque le nombre de militaires français dans l'Organisation ne la place qu'au cinquième rang, derrière les Etats-Unis, mais aussi l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni[11].
Il incombe également à Macron de se faire le porte-voix du système militaro-industriel dont l'importance industrielle va croissant et en même temps multiplier vis-à-vis des partenaires européens des engagements communautaires en matière de production d'armes.
Il faut enfin que Macron concilie le maintien de l'objectif méditerranéen de l'UE –qui est historiquement celui de la France – et le renforcement de la présence militaire de l'armée française à l'est de l'Europe, condition pour que la France demeure un pôle majeur de la défense européenne. L'objectif est donc de “tenir prêt” 6000 soldats (l'équivalent d'une brigade) et si possible de 17 000 à 24 000 soldats d'ici 2025 (équivalent d'une division) [12].
Et surplombant le tout, réapparaît la question de la dissuasion nucléaire. Le partage de la décision avec l'OTAN ou des pays européens ébranlerait totalement les principes de souveraineté qui fondent la construction de la chaîne de décisions de la France. Une réflexion sur des solutions intermédiaires est donc en cours, telles que l'entrée de la France dans le Groupe des plans nucléaires (NPG) de l'OTAN. Selon le Directeur de l'IFRI, l'influent think tank de géopolitique, ce pourrait être le prix à payer pour maintenir les ambitions de leadership européen de la France[13]. De toute façon, l'objectif prioritaire du gouvernement français et de l'Etat-major est que la France renforce sa spécialisation internationale dans la défense (au plan géopolitique et industriel). Tout doit être sacrifié à cet objectif. Ce seront donc moins les “principes” que les opportunités qui rythmeront les décisions de la France.
Conclusion
En tant que pilier du bloc transatlantique, les pays européens ont dans leur immense majorité pris la défense d'Israël dans sa guerre en Palestine[14]. A l'intérieur même des pays occidentaux, les mouvements d'extrême-droite vont y trouver un nouveau point d'appui pour promouvoir les idéologies racistes dans la population et au sein des gouvernements. De nouvelles alliances se noueront entre les variantes d'extrême-droite, y compris Giorgia Meloni en Italie et Eric Zemmour en France et les partis institutionnels qui dirigent l'UE depuis des décennies. L'Union européenne avait déjà fait évoluer son agenda qui affirmait associer migrations et développement vers une politique sécuritaire qui cible directement les migrants. La prochaine étape prend déjà place au sein même de l'UE. Assimiler les critiques de la politique israélienne à de l'antisémitisme, dont Albert Einstein et Hanna Arendt auraient donc été accusés[15], ou affirmer que la défense du peuple palestinien équivaut à soutenir les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, prélude à des mesures discriminatoires qui mutileront un peu plus les libertés publiques au cœur de l'Europe. Un nouveau cycle d'atteintes aux droits d'association, de manifestation est enclenché en Europe, dont les dirigeants s'auto-proclament les gardiens des “règles de droit”. Ainsi, sans surprise les politiques français confirment la dérive sécuritaire dont la loi « Asile et immigration » est à cette date le dernier exemple[16]. (Contribution envoyée par l'auteur et publiée dans Les Possibles, Attac, 2024)
Notes
[1] Pour des développements, voir Serfati Claude, « Les ambitions dominatrices de l'UE » (chapitre 3) dans Un monde en guerres, Textuel, Paris, avril 2024.
[2] European Defence Agency (EDA) “Defence data 2020-2021. Key findings and analysis”, 2022, Bruxelles, p.4.
[3] Pour des développements, voir Serfati Claude, Un monde en guerres, Textuel, avril 2024.
[4] L'autre partie du budget militaire consiste en dépenses de fonctionnement, principalement les rémunérations des militaires.
[5] Jacopo Barigazzi et Laura Kayali « EU heavyweights warn against Commission defense power grab » (Les poids lourds de l'UE mettent en garde la Commission contre sa soif de pouvoir dans les questions de défense), Politico, 28 novembre 2023.
[6] Horovitz Liviu et Suh Elisabeth, « Trump II and US Nuclear Assurances to NATO”, SWP Comment, 17 avril 2024, https://www.swp-berlin.org/publications/products/comments/2024C17_TrumpII_NATO.pdf
[7] 2022. A Strategic Compass for Security and Defence. https://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/documents/strategic_compass_en3_web.pdf.
[8] « Joint Declaration on EU-NATO Cooperation.” Accessed August 5, 2023. https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2023/01/10/eu-nato-joint-declaration-10-january-2023/.
[9] Sylvia Pfeifer eet Henry Foy, “Saab chief warns against EU defence protectionism”, Financial Times, 21 avril 2024.
[10] Sur ces questions, voir Serfati Claude, chapitre 4 « catastrophe industrielle et production d'armes » dans L'Etat radicalisé. La France à l'ère de la mondialisation armée, La fabrique, Paris, 2022.
[11] Cour des Comptes, « La participation de la France à l'Otan : une contribution croissante », juillet 2023.
[12] Hélène Vincent, « L'amée française tente d'organiser sa bascule sur le front est de l'Europe », Le Monde, 19 octobre 2023.
[13] Philippe Ricard et Hélène Vincent, « Comment Macron fait évoluer la dissuasion pour la défense de l'Europe », Le Monde, 5 mai 2024.
[14] Voir « Post-scriptum : Natanyahou, défenseur des valeurs occidentales », Introduction à Un monde en guerres, op. cité.
[15] Dans une lettre datée du 4 décembre 1948, ils accusent Menahem Begin, fondateur du Likoud, aujourd'hui dirigé par B. Natanyahou, de prôner une « doctrine de l'État fasciste »,https://archive.org/details/AlbertEinsteinLetterToTheNewYorkTimes.December41948/page/n1/mode/2up
[16] Voir son analyse sur le site de la Cimade, https://www.lacimade.org/analyse/projet-de-loi-asile-et-immigration-2023/
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Pour un « écosyndicalisme de combat »

Ingénieur agronome belge, Daniel Tanuro intervient régulièrement au sein des syndicats du Plat Pays, de France ou de Suisse. L'auteur de L'impossible capitalisme vert (2010) a sorti fin mars un livre d'entretiens avec les Editions La Dispute, Ecologie, luttes sociales et révolution.
A l'invitation d'Agissons !, de Contre-attaque & autonomie ainsi que d'Unipoly, il sera à Lausanne jeudi. Le lendemain, il sera en discussion avec la chercheuse en économie écologique Julia Steinberger à Genève. Le Courrier s'est entretenu avec lui avant son arrivée.
30 avril 2024 | tiré d'Europe solidaires sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70946
Le Courrier : Avec le sociologue Michael Löwy, vous parlez de luttes écosociales. Qu'entendez-vous par là ?
Daniel Tanuro : Ce sont des luttes menées par des actrices et acteurs qui sont confrontés à la fois à des menaces écologiques et des régressions sociales ou des politiques d'austérité. Et qui cherchent à mettre en avant des formes d'organisation ou des revendications qui permettent de relever simultanément ces deux défis sans privilégier l'un par rapport à l'autre. Le problème des écologistes parfois est qu'ils mènent leurs combats au détriment du social et donc accompagnent le capitalisme vert. On le voit partout en Europe, cette politique à la sauce néolibérale crée une révolte contre ce type de mesures environnementales et fait le lit de la récupération de l'extrême droite.
L'un de ces acteurs est le mouvement ouvrier. Mais vous mettez en garde contre l'un de ses vices sur le plan écologique.
Le vice du syndicalisme est de penser qu'il est possible de satisfaire les intérêts des salarié·es sans mettre en danger les profits et la dynamique d'accumulation du capitalisme. Sur le papier, cela fait sens puisque les travailleuses et travailleurs dépendent de leur salaire pour vivre et ne souhaitent pas la faillite de leur entreprise. Mais se cantonner à la revendication de plans de relance dans l'espoir qu'ils créent ou maintiennent l'emploi implique de rester à l'intérieur des règles du système : le profit maximum.
Or, d'une part, comme les taux de profit ont tendance à diminuer, les capitalistes sont davantage tentés par l'exploitation des ressources naturelles qui sont gratuites, puisqu'elles ne sont pas le produit du travail qu'il faut rémunérer. D'autre part, « relancer l'économie », c'est relancer la machine qui accélère les dégradations environnementales dont les travailleurs, surtout au Sud, sont les premiers à souffrir. Cette approche, c'est scier la branche sur laquelle le monde du travail est assis.
Vous écrivez que « le capitalisme mutile la nature parce qu'il mutile le travail » et appelez à un « écosyndicalisme de combat ». Quels sont ses leviers ?
Le défi est de penser conjointement les crises sociales et écologiques, et de trouver des leviers à partir des luttes des salarié·es. Par exemple autour de la défense de la santé au travail avec le réchauffement climatique, mais aussi de la santé de la population en général, qui se dégrade avec l'empoisonnement de la biosphère qu'implique le productivisme capitaliste. Au niveau global, quels sont les secteurs à l'avant-garde des luttes écosociales ? Ce sont les peuples indigènes attaqués, les petit·es paysan·nes pratiquant l'agroécologie et réuni·es au sein de la Via Campesina et la jeunesse. Au sein de celle-ci, les femmes sont particulièrement représentées. Or, dans ces trois secteurs les syndicats sont en retrait.
« La décroissance ne doit pas être un slogan, c'est une contrainte » Daniel Tanuro
Dans le monde du travail, les secteurs susceptibles d'embrayer sur une conscience écosociale sont les services tels qu'enseignement ou soins, eux aussi fortement féminisés. Ce sont des secteurs beaucoup moins dépendants du capital fossile, comparé aux travailleurs de la pétrochimie par exemple. Ces secteurs, moins antiécologiques, sont également moins à la merci de la menace patronale de délocalisation. Leur rôle est aussi plus directement de répondre à des besoins sociaux qui sont en contradiction avec la soif de profit du capitalisme : ils visent à « prendre soin ».
Vous présentez cela comme une perspective stratégique de coalition.
C'est en fait le fil rouge – et vert – qui unit les secteurs en première ligne de la lutte contre la destruction capitaliste de l'environnement et veulent « prendre soin » de celui-ci. C'est aussi une notion qui peut être étendue à tous les autres secteurs, comme la construction ou l'industrie : prendre soin du qualitatif, de ce que l'on produit alors que le capitalisme ne s'intéresse que peu aux aspects qualitatifs, et seulement comme support de la quantité, c'est-à-dire du profit quelles qu'en soient les conséquences.
En fait, la lutte de tous les travailleurs et travailleuses devrait pouvoir se coaliser autour de cette notion car d'un point de vue anthropologique, qu'est-ce que le travail si ce n'est prendre soin de la vie ? Nous sommes une espèce animale qui a cette particularité de (re)produire son existence par une activité spécifique qui est une médiation entre nous et le reste de la nature. Ce travail est indissociable de l'idée que l'on se fait de la qualité de notre existence. Et le capitalisme détruit cet aspect-là dans nos conditions de travail et écologiques.
Quelle peut être la revendication commune des travailleuses et travailleurs dans cette stratégie ?
La revendication fondatrice de mouvement ouvrier, qui est à l'origine de la journée du 1er mai : la réduction du temps de travail. Ce mouvement est né de la lutte contre la surexploitation du travail et cela peut s'étendre à celle de la planète. Si on pense que le capitalisme est allé trop loin dans son accumulation et ses dégradations, par conséquent il faut revenir en arrière. Ce qui est la fonction d'une décroissance – au sens littéral du terme – et pour cela il faut travailler moins ainsi que partager le travail, ce qui lutte contre le chômage.
Le mouvement ouvrier doit donc revendiquer la décroissance ?
La décroissance ne doit pas être un slogan, c'est une contrainte car la lutte doit dorénavant se faire dans un cadre physiquement contraint par les limites planétaires. C'est donc une contrainte objective dont les demandes des syndicats doivent tenir compte, pas une revendication. Prenons les salaires : la lutte pour leur augmentation n'est pas en soi antiécologique. Au contraire, puisque les plus riches au niveau mondial, le 1% de capitalistes, émet plus de gaz à effet de serre que les 50% les plus pauvres. Si on arrache et transforme la richesse des capitalistes en salaires, on réduit les émissions – d'autant plus que ce que font les travailleurs de leur salaire est bien moins polluant que ce que font les capitalistes de leurs profits.
Et cette richesse rendue aux travailleurs peut aussi être transformée non en capacité individuelle de consommer plus, mais en capacité collective de répondre à des besoins sociaux, et la reconversion écologique de l'économie. C'est-à-dire une planification démocratique, sous contrôle des travailleuses et des travailleurs, de l'investissement car la concurrence capitaliste est en soi une source de gaspillage et la raison des crises récurrentes de surproduction. On ne peut pas gagner la lutte contre le productivisme sans la lutte des salarié·es, qui sont la majorité sociale au niveau mondial. Mais leur rôle est aussi stratégiquement décisif pour un impact maximal du point de vue de la lutte contre la destruction de la planète.
ACHILLE KARANGWA
P.-S.
• « Pour un écosyndicalisme ». Le Courrier. MARDI 30 AVRIL 2024 :
https://lecourrier.ch/2024/04/30/pour-un-ecosyndicalisme/
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La Terre se réchauffe « plus rapidement que jamais »

Selon une étude publiée le 5 juin, mettant à jour les données du Giec, la Terre s'est réchauffée de 0,26 °C en dix ans. Un record. Et le seuil des +1,5 °C se rapproche dangereusement.
Tiré de Reporterrre
https://reporterre.net/La-Terre-se-rechauffe-plus-rapidement-que-jamais
Le Mexique, le Pakistan etl'Inde subissent des vagues de chaleur mortelles ; les forêts californiennes sont dévastées par les incendies ; le nord de l'Europe vient de vivre de multiples inondations... Ces instantanés nous rappellent, si besoin est, que le changement climatique n'offre aucun répit. Même, il s'amplifie à un rythme sans précédent.
C'est ce que révèle le deuxième rapport sur les indicateurs du changement climatique mondial (IGCC), publié le 5 juin dans le journal Earth System Science Data (ESSD). « Le seuil le plus ambitieux de l'Accord de Paris, à savoir limiter le réchauffement des températures globales à 1,5 °C, se rapproche dangereusement », prévient Aurélien Ribes, chercheur au Centre national de la recherche météorologique (CNRM), dans un communiqué.
Les températures se réchauffent « plus rapidement que jamais »
Piloté par l'Université de Leeds, avec le soutien de plus de cinquante scientifiques de renom, ce rapport met à jour les principaux résultats du rapport du groupe de travail 1 du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) paru en 2021, dédié aux bases physiques du changement climatique.
Les résultats qu'il contient sont cinglants : le réchauffement des températures au niveau mondial, provoqué par les activités humaines, a progressé de 0,26 °C sur la décennie 2014-2023. Soit le taux le plus élevé constaté depuis le début des relevés. Depuis la période préindustrielle, les températures moyennes ont augmenté de 1,19 °C. Un chiffre revu à la hausse par rapport aux 1,14 °C observés entre 2013 et 2022 — qui ne comptait donc pas l'année 2023, exceptionnellement chaude.
« Les températures mondiales continuent d'évoluer dans la mauvaise direction, et ce plus rapidement que jamais », résume Piers Forster, coordinateur du rapport et directeur du Priestley Centre for Climate Futures de l'université de Leeds. Selon l'IGCC, en 2023, soit en une seule année, la hausse des températures a atteint 1,43 °C en moyenne [1], par rapport à la période préindustrielle. Il s'agissait de l'année la plus chaude jamais enregistrée, marquée par le retour du phénomène météorologique super-réchauffant El Niño. Même en écartant la variabilité naturelle liée à El Niño, les chercheurs estiment que le réchauffement lié aux activités humaines était de 1,3 °C cette année-là.
Cette accélération est liée à des émissions de gaz à effet de serre toujours aussi élevées, sous l'effet des activités humaines, notamment la déforestation et l'exploitation des combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz. Elles sont équivalentes à 53 milliards de tonnes de CO2 par an.
L'accélération du réchauffement est liée aux émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines, notamment l'exploitation des combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz. Pxhere
Les concentrations des principaux gaz à effet de serre dans l'atmosphère, qui font s'emballer le système climatique, atteignent donc des sommets. 419,3 parties par million (ppm) pour le dioxyde de carbone (CO2) – contre 410,1 ppm dans le rapport du Giec de 2021 (soit le nombre de molécules de CO2 présentes pour un million de molécules de tous les constituants présents dans l'air). Une valeur inédite depuis plus de 2 millions d'années. 1 922,5 parties par milliard (ppb) pour le méthane et 336,9 ppb pour le protoxyde d'azote. Le système climatique s'emballe sous l'effet de ce surplus d'énergie.
Autre donnée, a priori paradoxale. Les aérosols, créés par les activités polluantes, permettent néanmoins de réfléchir une partie des rayons du soleil vers l'espace. Et donc de refroidir la planète. Or, grâce aux efforts mondiaux pour améliorer la qualité de l'air, il y en a moins. La baisse de ces particules en suspension dans l'atmosphère, comme le soufre émis par le transport maritime, a donc pu jouer un rôle dans le réchauffement du climat, indiquent les chercheurs.
Quelle marge de manœuvre reste-t-il ?
La question qui se pose désormais est la suivante : quelle marge de manœuvre reste-t-il pour contenir l'augmentation des températures globales sous les 1,5 °C, seuil fixé par l'Accord de Paris pour éviter des conséquences incommensurables ? L'IGCC estime que notre budget carbone résiduel, c'est-à-dire les émissions à ne pas dépasser pour conserver 1 chance sur 2 de rester sous les 1,5 °C, est d'environ 200 milliards de tonnes de CO2, soit l'équivalent d'environ cinq années d'émissions au rythme actuel. Il était d'environ 500 milliards dans l'évaluation du Giec en 2021.
Comme l'indiquait le dernier rapport du Giec, le réchauffement va se poursuivre quoi qu'il arrive à court terme, jusqu'en 2040, et la limite de 1,5 °C pourrait être franchie au début des années 2030. Ce sont nos actions actuelles qui vont déterminer l'ampleur du changement climatique à plus long terme. Or, aujourd'hui, le compte n'y est pas. Selon le rapport de l'ONU sur l'écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, les engagements des pays mènent la planète vers un réchauffement de 2,5 à 2,9 °C d'ici la fin du siècle.
« Les voyants du tableau de bord clignotent en rouge »
« Cette deuxième mise à jour du rapport du Giec met en évidence l'intensification rapide de l'influence des activités humaines sur le climat,observe Valérie Masson-Delmotte, chargée de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). La gravité des conséquences observées ces derniers mois, la chaleur intense sur terre et en mer, les précipitations extrêmes, la sécheresse, les incendies, et leurs effets sur les écosystèmes, les infrastructures et l'économie, nous rappelle pourquoi la moindre augmentation du réchauffement est désastreuse. »
« Les voyants du tableau de bord clignotent en rouge. Sans mesures significatives, les choses vont continuer d'empirer, de plus en plus vite », réagit Peter Thorne, directeur du centre de recherche climatique Icarus. Cette mise en garde intervient alors que les représentants de près de 200 pays sont actuellement réunis à Bonn (Allemagne), jusqu'au 13 juin, pour préparer la prochaine conférence mondiale sur le climat (COP29), qui se tiendra en novembre à Bakou, en Azerbaïdjan.
Ce nouveau rapport s'accompagne aussi d'une plateforme de données et de sciences ouvertes : le Climate Change Tracker, qui permet d'accéder facilement à des informations actualisées sur les principaux indicateurs climatiques.
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Le Vénézuela, premier pays du monde à perdre la totalité de ses glaciers

Selon les scientifiques, la limitation du réchauffement des températures terrestres à 1,5°C en 2100 entraînerait la fonte de 49% des glaciers du monde. À 4°C, 83% d'entre eux disparaîtront.
Tiré de NPA 29 et La Relève et la Peste
https://lareleveetlapeste.fr/boutique/
Le glacier de la Corona n'est plus. Ce dernier survivant de glace, désormais visible sous la forme d'une fiche couche de neige et de glace et niché dans la cordillère des Andes vénézuéliennes, est condamné à disparaître définitivement, dans les années à venir, malgré toutes les tentatives des scientifiques pour le sauver. Ainsi, le Vénézuela devient le premier pays au monde à avoir perdu la totalité de ses glaciers, victimes du réchauffement climatique.
Seulement 2 hectares de superficie
Il était ce que l'on appelle un glacier tropical. Situé à 4 940 mètres d'altitude sur le pic Humboldt, près de l'Équateur, il n'est aujourd'hui plus qu'une fine couche de neige et de glace de 2 hectares à peine, quand il en atteignait autrefois 450.
À ce titre, cet ancien géant blanc ne peut même plus prétendre à faire partie de la famille des glaciers. En effet, ces derniers doivent nécessairement mesurer au moins 10 hectares pour être considérés comme tel selon les normes scientifiques internationales.
Alors, pour tenter de sauver ce qu'il en reste et limiter l'impact du soleil, le gouvernement vénézuélien a bien essayé de recouvrir la surface restante à l'aide… de bâches en plastique. Une solution de façade, puisqu'elle n'empêchera pas, à terme, la disparition du glacier, et pourrait même devenir néfaste pour l'environnement avec un éventuel dépôt de micro-particules.
Une ressource menacée
Et la disparition définitive de ce dernier glacier du Vénézuela dans les prochaines années n'augure rien de bon pour la suite des événements et des conséquences tangibles du réchauffement climatique. En effet, les glaciers tropicaux, comme beaucoup d'autres piliers de nos écosystèmes, permettent de prendre le pouls de la santé du climat. Aujourd'hui, tous sont en train de s'éteindre doucement.
Pour rappel, selon les scientifiques, la limitation du réchauffement des températures terrestres à 1,5°C en 2100 entraînerait la fonte de 49% des glaciers du monde.À 4°C, 83% d'entre eux disparaîtront.
Et le crépuscule de ces glaciers risque évidemment d'engendrer des difficultés d'approvisionnement en eau potable des populations qui en sont dépendantes, mais pas seulement. Ils alimentent les fleuves, abritent une biodiversité, permettent l'irrigation pour l'agriculture mais aussi l'apport en eau pour de nombreuses énergies.
L'exemple du Vénézuela ne restera malheureusement pas inédit si la courbe d'accélération du réchauffement climatique, à défaut d'être inversée, n'est pas stabilisée d'urgence.
Sources : « Le Venezuela perd son dernier glacier, un « symbole » des conséquences du réchauffement climatique », France 24, 04/06/2024 / « Réchauffement climatique : le Venezuela devient le premier pays au monde à perdre tous ses glaciers », France Info, 05/06/2024
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Changements climatiques : de l’anxiété à l’action

Les plus éminents climatologues du monde s'attendent maintenant presque tous à ce que le réchauffement climatique dépasse l'objectif mondial de 1,5 °C, dont il a souvent été fait mention dans ces pages, et une bonne majorité d'entre eux que les températures mondiales augmentent d'au moins 2,5 °C, ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour l'humanité et la planète.
(Ce texte a d'abord été publié dans l'édition de juin du journal Ski-se-Dit.)
C'est ce que révélait le 8 mai dernier le quotidien britannique The Guardian, qui a eu l'heureuse idée – si l'on puis dire – de mener sa propre enquête auprès de 380 auteurs et collaborateurs du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) qui ont contribué aux derniers rapports produits par le groupe.
Le GIEC a été mis sur pied en 1988 par le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) et l'Organisation météorologique mondiale (OMM). Il est chargé d'évaluer de façon objective la recherche scientifique sur les changements climatiques. Il compile et synthétise les connaissances scientifiques les plus récentes sur le climat et ses rapports, qui font autorité, constituent l'assise scientifique des négociations climatiques mondiales.
Les résultats obtenus par le quotidien auprès de ces spécialistes du climat indiquent que 77 % d'entre eux croient que le réchauffement dépassera au cours du siècle les 2,5 °C d'augmentation par rapport aux températures de l'ère préindustrielle . À peine 6 % d'entre eux jugent qu'est encore atteignable l'objectif de ne pas dépasser le seuil de 1,5 °C, tel qu'il a été fixé lors de l'Accord de Paris conclu en 2015 par 174 États et l'Union européenne.
Des scientifiques consultés, les plus jeunes, ceux de moins de 50 ans, sont plus pessimistes que leurs aînés ; 52 % d'entre eux entrevoient en effet un réchauffement planétaire de plus de 3 °C…
Or, un réchauffement de 2,5 °C ou de 3 °C des températures du globe rendrait le monde tout simplement méconnaissable selon le GIEC. Pour citer celui-ci, l'humanité ferait face à « un recul de l'espérance de vie et de la qualité de vie » dans plusieurs régions de la planète, « l'état de santé et de bien-être » de la population en serait aussi « substantiellement réduit », état qui « continuerait de se dégrader au cours des décennies suivantes ».
De nombreux scientifiques envisagent, dans de tels scénarios, un avenir marqué par des famines, des conflits et des migrations massives, provoqués par des vagues de chaleur, des incendies de forêt, des inondations et des tempêtes d'une intensité et d'une fréquence bien supérieures à celles qui ont déjà frappé.
Écoanxiété
S'il est important d'obtenir ainsi l'heure juste sur le réchauffement climatique et les prévisions des experts, il l'est également de considérer l'anxiété qu'elle peut générer au sein de la population et plus particulièrement chez les plus jeunes.
L'écoanxiété, comme on l'appelle, peut conduire à l'impuissance et à la perte d'espoir en l'avenir. À l'instar de toute autre émotion, elle peut aussi devenir un important moteur d'action.
Passer à l'action
Plus nous tardons à adopter les mesures nécessaires pour ralentir le réchauffement de la planète, plus ce sera difficile de le faire. Ces mesures impliquent, il faut avoir le courage de l'admettre, de grands changements au niveau industriel et dans nos modes de vie. Au Canada, par exemple, il faut mettre un terme le plus rapidement possible, sinon tout de suite, à l'extraction des combustibles fossiles et adapter nos vies en conséquence. Ce sera difficile en raison des lobbies de l'industrie, des grandes banques et du gouvernement même, et parce que nous sommes habitués à un grand confort, mais nous devons nous y mettre, si ce n'est déjà fait, en grand nombre.
Tout ce que nous pouvons faire en ce sens compte. S'intéresser à la question d'abord, s'informer, puis en parler, échanger avec d'autres, en personne, sur les réseaux sociaux. Avec le temps, et assez vite, on finira par s'impliquer davantage, à faire plus et mieux, en manifestant, en se regroupant, en agissant de toutes sortes de façons.
Me reviens en ces moments à l'esprit cette si belle citation tirée d'un roman de Michel Host : « Ma conviction est que chaque individu, là où il est, peut et doit opposer une résistance, si infime soit-elle. Cette résistance sans poids apparent, sans effet visible, est le gage qui préserve la petite flamme vive des regards du tyran. La multiplication de ces gestes isolés aboutit à des courants puissants. Ils heurtent l'obstacle sans arrêt, et l'obstacle à la fin doit sauter. »
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Relations brèves ou relations durables : dans quel type de relations hétérosexuelles les femmes courent le plus de risques et sont le plus exploitées ?

Il est certain que les « coups d'un soir » sont risqués pour les femmes, beaucoup plus que pour les hommes : agressions, grossesse, MSTs. Mais ces risques sont infiniment moindres que dans les relations « stables » : il faut toujours garder ce chiffre présent à l'esprit – environ 90% des agressions sexuelles sont commises par des homme proches, dont près de la moitié par des conjoints.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Pourtant, le message porté par le discours dominant, en direction des femmes en particulier, c'est que le danger d'agression sexuelle est maximal avec les hommes inconnus : parfait exemple d'inversion patriarcale.
Non seulement c'est le contraire qui est vrai mais ce cliché est même un des mythes constitutifs de la culture du viol : aux yeux de la société et de la justice, un vrai viol, c'est un viol par inconnu dans un parking la nuit.
La conséquence de cette représentation fausse est que les rares viols punis par la justice sont ceux qui correspondent à ce mythe du « vrai viol » commis par un inconnu, tandis que les viols commis par partenaire ou proche restent complètement impunis.
Il y a au moins un avantage évident des relations brèves, c'est que, si les partenaires auxquels on a affaire ne sont pas toujours (et même rarement) compétents, au moins elles procèdent généralement d'un vrai désir chez les femmes qui s'y engagent.
Ce qui n'est pas et ne peut pas être le cas avec des partenaires à long terme, parce que vivre sur la durée avec un homme, avec toutes les trivialités, les dégoûts, la routine, les rancunes (pour non-partage des tâches domestiques entre autres) que la cohabitation implique, ça tue rapidement le désir chez la majorité des femmes. Je ne crois pas–sauf en cas d'expérience sexuelle hyper-limitée ou de déni – à la possibilité de persistance du désir sexuel sur la durée, et ceci probablement encore plus pour les femmes que pour les hommes.
Les relations durables, pour les femmes, c'est synonyme de devoir conjugal, de « il faut consentir au moins à X rapports par semaine, sinon il va bouder, piquer une colère, me frapper–ou aller voir ailleurs » et d'intériorisation de la notion qu'on « doit du sexe » au partenaire même si on ne le désire pas.
Du point de vue féministe, je trouve le semi-viol conjugal beaucoup plus problématique que des rapports désirés avec un homme rencontré en boite ou en vacances.
En bref : en tant que féministe, on ne peut évidemment pas recommander de multiplier les coups d'un soir mais encore moins recommander la mise en couple : exploitation de notre travail domestique et émotionnel non-rémunéré, charge mentale, risques de violences et de féminicide plus élevés, devoir conjugal subi.
Et on constate pourtant que des féministes – certes bien intentionnées et sans s'en rendre compte – recyclent, au nom de la critique féministe de la sexualité patriarcale PIV – de vieux mythes et doubles standards patriarcaux.
Comme celui du « pas de sexe sans amour » – qui ne concerne évidemment que les femmes, le sexe sans amour étant au contraire constitutif de l'identité virile. Le sexe avec amour est en fait plus dangereux pour les femmes que le sexe sans amour. Cette notion du « pas de sexe sans amour » n'étant qu'un recyclage « progressiste » de la norme patriarcale selon laquelle les femmes qui ont des relations sexuelles purement pour le plaisir sont de p..tes.
Ou celui selon lequel les femmes ont peu ou pas de désir sexuel – ce dont les hommes ont essayé de convaincre les femmes, pour des raisons évidentes, depuis le 18ème siècle et qui perdure encore à l'heure actuelle (avant le 18ème siècle, le discours dominant prétendait au contraire que celles-ci étaient hypersexuées).
Prenons garde de recycler au nom du féminisme des mythes et des doubles standards patriarcaux donc antiféministes sur la sexualité.
Francine Sporenda
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Survivre à EACOP. Les femmes résistent face à l’exploitation pétrolière en Ouganda

TotalEnergies cherche à justifier ses projets pétroliers en Ouganda en prétendant qu'ils aident la cause des femmes. Nous avons été poser la question aux premières concernées, qui témoignent d'une réalité bien différente.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les projets de TotalEnergies avec le gouvernement ougandais et la compagnie chinoise CNOOC sont depuis plusieurs années sous le feu des critiques pour leur impact climatique mais aussi pour les atteintes aux droits des populations déplacées pour faire place à l'exploitation pétrolière.
Le nouveau rapport de l'Observatoire des multinationales, intitulé Survivre à EACOP. Les femmes résistent à l'exploitation pétrolière en Ouganda, explore un aspect encore négligé de l'impact des projets pétroliers ougandais et en particulier de l'oléoduc EACOP porté par TotalEnergies : les conséquences concrètes pour les femmes du processus de compensation et de relocalisation mené par le groupe français et ses partenaires.
Le rapport est basé sur une enquête de terrain menée à l'été 2023 en partenariat avec l'ONG ougandaise Tasha, et donne abondamment la parole aux premières concernées.
Il montre comment, très loin des prétentions affichées par TotalEnergies de lutter contre les discriminations, voire de contribuer à l'émancipation des femmes, les projets pétroliers ont eu pour conséquence concrète d'empirer leur situation de nombreuses manières :
Les femmes n'ont pas eu accès à la compensation qui leur était due parce que TotalEnergies s'est contenté de mesures formelles et superficielles, sur la base d'une vision réductrice de la place des femmes, et sans faire en sorte de les associer effectivement aux décisions.
Suite aux relocalisations, les femmes ont eu beaucoup plus de mal à assurer leurs rôles traditionnels comme l'alimentation de la famille, la collecte de l'eau et du petit bois et l'éducation des enfants, qui n'ont vraiment pas été pris en compte dans les politiques de compensation.
L'arrivée de grandes quantités de nouveaux travailleurs masculins et d'une force de maintien de l'ordre a créé un environnement plus dangereux pour les femmes, exposées à des violences et des abus sexuels.
Les femmes sont en première ligne pour contester les conditions de relocalisation, mais leurs plaintes et revendications sont ignorées.
TotalEnergies prétend avoir intégré les questions de genre dans leurs politiques RSE en Ouganda et affirme même que ses activités en Ouganda contribuent à réduire les inégalités de genre dans les communautés affectées. Le rapport Survivre à EACOP confronte ces prétentions paternalistes avec les expériences vécues des femmes affectées par ces développements. Dès lors que TotalEnergies refuse de voir les conséquences concrètes des projets pétroliers eux-mêmes sur la vie des femmes, les mesures mises en place par l'entreprise ne peuvent rester que superficielles, voire contre-productives.
https://multinationales.org/fr/enquetes/survivre-a-eacop/
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« Assistance sexuelle » : le cheval de Troie de la prostitution entre au ministère des solidarités et de la santé

Au vu des débats actuels sur le consentement et la définition du viol, retour sur la conférence du 6 février 2023 sur la création d'un régime juridique à l'« accompagnement sexuel », où la question du consentement, pourtant au cœur d'un tel sujet, a été évincée.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/06/07/assistance-sexuelle-le-cheval-de-troie-de-la-prostitution-entre-au-ministere-des-solidarites-et-de-la-sante/
L'AVFT était invitée par le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), lundi 6 février 2023, à un débat public sur le thème « Quelle vie intime, sexuelle et affective pour les personnes handicapées ? » pendant lequel les intervenant.es de diverses associations spécialistes du handicap [1] se sont acharné.es à faire du recours à la prostitution un accès aux soins, proposant la mise en place d'une « assistance sexuelle ».
Un pseudo débat
Le Ministère des Solidarités et de la Santé a donc abrité un débat sur la prostitution, sans que ne soit présente parmi les intervenant.es la moindre association féministe et/ou association représentant des personnes concernées par la prostitution, ne laissant la parole qu'aux associations défendant le droit d'y recourir.
Dans la salle, l'ambiance est bon enfant. On fait quelques blagues, on rit. Céline Poulet, secrétaire générale du Comité Interministériel du Handicap, anime la conférence tel un jeu télévisé. D'une voix enjouée, elle demande aux personnes présentes en visio « allez les jeunes on lève les bras ! », les invitant à manifester leur présence – d'une façon festive. Quand on parle d'asservissement sexuel des femmes, le cœur est à la ola.
Entretenir le flou
Présenté comme un débat public, il s'agit plutôt d'une conférence, pendant laquelle les différent.es intervenant.es exposent leurs constats sur la vie affective, intime et sexuelle des personnes handicapées puis font des propositions sur la façon de mettre en place un projet « d'assistance sexuelle ».
Pendant environ trois heures, les sujets abordés sont très larges : accès à un logement digne, formation des professionnel.les de santé aux différents handicaps, facilitation de l'accès aux soins médicaux, notamment gynécologiques et urologiques, accès à la mammographie, à de l'information médicale, à l'éducation sexuelle…
L' « assistance sexuelle » se retrouve noyée dans la diversité de ces sujets, une stratégie permettant de créer une confusion. De quoi parle-t-on lorsqu'on parle d'« assistance sexuelle » ? De prostitution, d'éducation sexuelle, d'accès aux soins ?
Les intervenant.es refusent d'ailleurs d'utiliser le terme « prostitution ». Le médecin de l'UNESCO estime même, sans étayer son propos, et pour cause, qu'« on ne peut pas rapprocher ces services (sic) de la prostitution ». Pourtant, Ingrid Geray, avocate membre du comité exécutif de la chaire UNESCO santé sexuelle & droits humains, explique au contraire qu'il faut trouver « un coin du droit dans lequel on articule le droit au respect de la dignité des personnes handicapées et celui des victimes de la prostitution ».
Ce flou entretenu volontairement a pour but de faire de la prostitution un soin, de l'accès au corps d'autrui un droit, et ainsi d'empêcher une opposition.
La malhonnêteté est à son comble quand, à la fin de l'évènement, Jerôme Boroy, président du CNCPH, demande à ce qu'un sondage soit fait dans la salle. La question est « êtes-vous d'accord avec les propositions qui vous ont été faites aujourd'hui ? ». Une personne dans l'audience demande « toutes les propositions ? Ou juste celle sur l'assistance sexuelle ? » et Jerôme Boroy de répondre « l'ensemble des propositions, sans distinction ». Ainsi est-il demandé à l'audience de se prononcer à la fois sur l'accès à un logement digne, aux soins médicaux, à l'éducation sexuelle, et au projet « d'assistance sexuelle », dans une grossière tentative d'égalisation des problématiques.
Instrumentaliser les revendications des personnes handicapées
La façon dont les propos des personnes handicapées sont récupérés constitue l'escroquerie majeure de ce pseudo débat. Un mini-reportage nous présente Alexandre, un homme handicapé, qui raconte : « on a honte de ressentir du désir, on a l'impression d'être monstrueux, la sphère politique doit s'en préoccuper, ça touche à la dignité humaine ». Ce témoignage met en lumière le discrédit jeté sur les personnes handicapées qui légitime leur exclusion, les multiples discriminations dont iels font l'objet, et la privation de leurs droits et libertés.
Ce témoignage démontre à lui seul que le projet d'assistance sexuelle ne répond pas à la déshumanisation dénoncée depuis trop longtemps par les personnes handicapées, dont les revendications sociales et politiques se retrouvent finalement instrumentalisées pour défendre le système proxénète [2]
Comme l'explique dans son manifeste l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA) qui lutte pour les droits des femmes handicapées et en particulier contre les violences sexuelles commises à leur encontre, la possibilité pour les personnes handicapées d'avoir une sexualité est surtout entravée par le manque d'accès à l'ensemble de leurs droits.
FDFA revendique notamment une éducation affective et sexuelle hors des schémas pornographiques dès le plus jeune âge, la déconstruction des idées reçues sur le handicap, par une sensibilisation dans les établissements scolaires et une mixité entre enfants handicapé.es et valides dans le même espace social, l'accès universel aux lieux de loisirs, de sports, de travail et de vie sociale et le développement d'aides techniques pour favoriser la vie quotidienne.
Ces revendications traduisent, comme la parole d'Alexandre, un refus de naturaliser le handicap et la nécessité de lutter contre l'entreprise de déshumanisation qui en découle. C'est le contre-pied absolu des échanges du jour qui, par leur approche médicale plus que politique et situationnelle du handicap, véhiculent une vision dominante et aliénante de celui-ci.
Ainsi, y répondre par la possibilité d'acheter un acte sexuel est un aveu d'abandon de l'ensemble des revendications des personnes handicapées.
Dans ce contexte où les problématiques et les revendications exprimées par les personnes handicapées sont ignorées voire manipulées, il n'est pas étonnant que le fait que les femmes handicapées soient très exposées aux violences sexuelles soit traité à la légère par les intervenant.e.s.
Ils et elles ne se soucient non seulement pas d'étayer ce sujet, mais démontrent en plus leur incompétence en recourant à des chiffres bien en dessous de la réalité, heureusement corrigés par l'association FDFA, représentée dans l'audience, qui a dû rappeler que 80% des femmes handicapées étaient victimes de violences sexuelles masculines. Par ailleurs, ce chiffre monte à 88,4% chez les femmes autistes. [3]
Leur solution pour lutter contre les violences sexuelles subies par ces femmes ? Avoir recours à l'« assistance sexuelle ». Les intervenant.es semblent défendre l'idée selon laquelle « encadrer » (entendre également, « normer »…) la sexualité des femmes handicapées par le biais de l'« assistance sexuelle » les protégerait des violences sexuelles.
Cette proposition revient, d'une part, à confondre la sexualité et les violences sexuelles et, d'autre part, à estimer que les violences sexuelles subies par les femmes handicapées pourraient être évitées par un changement de comportement de leur part, notamment en s'insérant dans un rapport marchand.
Il est en outre bien difficile de ne pas y voir un contrôle exercé sur le corps et la sexualité des femmes handicapées en plus de les savoir confrontées à de nouvelles violences de la part de leur « assistant sexuel », qui bénéficierait d'une carte d'impunité supplémentaire pour agresser dans les établissements spécialisés, là où les femmes handicapées sont les plus exposées, et alors même qu'aucune solution concrète n'est proposée pour lutter contre ces violences. En prétendant chercher à empêcher la commission de violences sexuelles sur les femmes en situation de handicap, « l'assistance sexuelle » les y exposerait en réalité bien davantage, et ce dans un cadre où les violences seraient encore plus difficiles à dénoncer. Les « assistants sexuels » mis en cause n'auraient qu'à emprunter les « arguments » des soignants accusés de violences sexuelles, qui se défendent en arguant de la confusion, par les patientes, de gestes de soin avec des violences sexuelles. [4]
On ne peut d'ailleurs faire silence sur le fait que le handicap féminin constitue une « niche » pornographique à part entière.
Vers un Etat proxénète ?
A l'ouverture de l'événement, Karine Lefeuvre, vice-présidente du Comité Consultatif National d'Ethique (CCNE) qui avait été saisie en 2020 par Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, explique : « le CCNE estime qu'il n'y a pas d'obstacle éthique à répondre à la demande des personnes qui sont empêchées physiquement d'accéder à la vie affective et sexuelle mais que cela requiert une évolution du cadre légal pour prévoir une exception tout à fait spécifique » et parle de « droit d'accès effectif à la vie sexuelle ». Cette évolution du cadre légal, c'est une casse de l'ensemble des lois visant à protéger les femmes des violences sexuelles.
Il s'agit là d'un revirement de doctrine du CCNE, qui affirmait en 2012 : « Il ne peut être considéré comme éthique qu'une société instaure volontairement des situations de sujétion même pour compenser des souffrances réelles. Le CCNE considère qu'il n'est pas possible de faire de l'aide sexuelle une situation professionnelle comme les autres en raison du principe de non utilisation marchande du corps humain. »[5]
Les bien nommés droits de l'homme
Après avoir exposé des recommandations permettant d'améliorer les conditions de vie des personnes handicapées, une liste de propositions est établie sur la mise en place de ce fameux projet d'« assistance sexuelle ». Avant tout, il faut définir le terme. Il est question « d'accompagnement des gestes du corps », de « découverte de son propre corps et du corps de l'autre », d'« expériences sexuelles agréables », d'« aide physique pour permettre la masturbation ».
En d'autres termes, l'« assistance sexuelle » est une forme de prostitution, peu importe les jolis mots qui la déguisent. C'est d'ailleurs parfaitement assumé par l'association APPAS (Association Pour la Promotion de l'Accompagnement Sexuel), mentionnée plusieurs fois pendant la conférence, qui explique sur son site qu'il s'agit d'une « prostitution spécialisée ». Elle décrit notamment dans la restitution de ses dernières études, que la première attente exprimée lors d'une « demande d'accompagnement sexuel » est « l'acte sexuel ». Il n'y a donc aucun doute à avoir quant à la signification de l'« assistance sexuelle ».
L'avocate Ingrid Geray fait valoir la légitimité de ce projet en mobilisant la Convention Européenne des Droits de l'Homme : « le droit d'entretenir des relations sexuelles est reconnu comme un droit fondamental consacré par la notion d'autonomie personnelle ». Or, ce concept juridique peut concerner la possibilité d'entretenir des relations sexuelles, mais certainement pas de pouvoir obtenir un acte sexuel par la contrainte économique d'autrui, peu importe comment l'avocate le présente.
« 95% des demandes d'assistance sexuelle sont formulées pour des hommes » rappelle FDFA, pendant la minute qui lui est cédée. Ce chiffre, contesté par Julia Tabath, administratrice AFM Téléthon, est pourtant le même que celui des études menées… par l'APPAS sur sa propre activité, publiées sur son site ! Sans surprise, ce chiffre rejoint ceux obtenus des diverses études sur la prostitution…
Avec tout le pragmatisme propre aux défenseurs du système proxénète, vient se poser la question des conditions de l'organisation de l'assistance sexuelle.
On assiste alors à des échanges cyniques :
Une personne dans l'audience demande comment trouver des « assistant.es sexuel.les ». On parle alors de « recrutement ». Sebastien Claeys, responsable de la communication et du débat public de l'Espace éthique Île-de-France, répond particulièrement enjoué « ah ! Ça, c'est une vraie bonne question ! ». Après avoir réitéré son enthousiasme, la question reste sans réponse. Pourtant, elle vaut son pesant d'or. Comment ces différentes organisations comptent-elles participer à la mise en prostitution des femmes ?
Financer la prostitution et la promouvoir
Ingrid Geray explique vouloir « autoriser une assistance sexuelle à titre dérogatoire, pour que les bénéficiaires du service jouissent de la protection de l'article 122-4 du code pénal », c'est à dire que ne soient pas considérées comme pénalement responsables les personnes handicapées ayant recours à la prostitution d'autrui. Mais par quel tour de passe-passe ce qui n'est pas considéré comme socialement acceptable, car interdit par la loi, le deviendrait-il dès lors que les « clients » sont des personnes en situation de handicap ? Le handicap constituerait-il une dispense à l'éthique ? Comment est-ce possible que, tout à coup, dans une société aussi validiste et déshumanisante à l'encontre des personnes handicapées, le handicap permette de déroger à des textes fondamentaux ? Quels intérêts cela sert ?
Les idées continuent à fuser : un projet de formations régulières du secteur médico-social à la thématique de l'assistance sexuelle est proposé.
De telles formations mettraient en danger les victimes de la prostitution, et plus généralement, les victimes de violences sexistes et sexuelles.
Le discours d'un.e soignant.e ou d'un.e travailleur.euse social.e qui a été formé.e à penser la prostitution comme un travail, le sexe comme un dû et le refus d'un rapport sexuel comme la privation d'un soin serait extrêmement préjudiciable aux victimes de la traite, de la prostitution, ou de toutes autres violences sexuelles qui viendraient le/la solliciter pour de l'aide. Ainsi, le sens même du travail des professionnel.les du médico-social serait altéré, distordu par l'idéologie sous-jacente d'un tel projet, à contre-sens de la nature même de ces métiers, qui pourraient pourtant être déterminants dans l'accompagnement des victimes de violences sexuelles.
L'idée de financer le projet d'« assistance sexuelle » par le biais de l'assurance maladie et la formation par le fonds social de formation est présentée par Sebastien Claeys. Il a également été question d'un financement par la prestation compensatoire du handicap (PCH). La marchandisation du corps des femmes, une compensation ? Sans commentaire.
Une prostitution financée par les contribuables ne manque pas de nous questionner quant à la responsabilité de l'Etat, qui deviendrait alors promoteur du délit de proxénétisme.
Les intervenant.es ont laissé entendre que ces propositions pourraient être débattues dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale en 2024.
Inspiré par l'ouverture du champ des possibles de ces propositions, Pascal Simon Cauchin, prenant la parole « au titre de la CGT », évoque son soutien au projet, allant donc à l'encontre de la position abolitionniste du syndicat, comme rappelé par une représentante de la CGT, et demande si les « mineurs à partir de 15 ans » pourraient en être « bénéficiaires ». La minorité, un pas que les promoteurs.trices de « l'assistance sexuelle » se garderaient bien de franchir, ne serait-ce que pour optimiser l'acceptabilité de ce projet ? Mais pas du tout ! L'avocate Ingrid Geray lui répond que le projet ne concerne que les personnes majeures…« pour l'instant ». Une réponse qui n'est pas sans rappeler les derniers tweets du STRASS, organisation qui soutient que la prostitution serait un travail, qui partageait en décembre 2022 : « Pour rappel, la majorité sexuelle est à 15 ans pour tout le monde. SAUF pour les TDS puisque notre consentement est jugé inopérant quel que soit notre âge », après la publication d'un article du Parisien sur la prostitution des mineur.es, ayant pour titre lunaire : « Hausse de la prostitution des mineures : « celles qui sont forcées représentent une minorité » »
…Quand il s'agit de prostitution, l'adage « les femmes et les enfants d'abord » prend tout son sens.
Violences sexuelles au travail et contrainte économique : l'avocate de l'UNESCO ne voit pas le rapport
L'« assistance sexuelle » est un projet misogyne et validiste fondé sur l'idée que les hommes auraient des besoins sexuels irrépressibles, que les personnes handicapées ne seraient pas désirables, qu'un acte sexuel subi du fait de la contrainte économique pourrait être librement consenti. Toutes les femmes en font les frais.
Vous avez dit « sexualité » ?
Le consentement, abordé lors des diverses réflexions menées autour du projet d'« assistance sexuelle » est réduit par Fabrice Zurita, directeur du centre ressource IntimAgir Normandie, à une simple « autorisation », une réponse à une question. Cette définition en dit long sur sa perception des violences sexuelles, de la sexualité, et des relations humaines… Les intervenant.es réutilisent régulièrement le terme « consentement » tout au long de la conférence, sans jamais soulever ce qui permet et ne permet pas de le garantir (comme… la contrainte économique !).
En plus d'une absence totale de réflexion et d'inclusion des personnes LGBTI dans les constats et propositions qui concernent l'éducation sexuelle et l'accès aux soins, la perception de la sexualité des différent.es adhérent.es au projet semble sortir tout droit d'un livre de 1950. Ainsi, le médecin de l'UNESCO répond à la question posée par un homme handicapé « comment on fait les bébés ? » par « en ayant des rapports sexuels » puis « si vous avez du plaisir, vous saurez avoir une sexualité procréative ». Est-il nécessaire de commenter ?
Un impact sur toutes les victimes de violences sexuelles
La question de la contrainte – économique, sociale, médicale, administrative – est au cœur de l'activité de l'AVFT, puisque c'est précisément ces différentes formes de contraintes qui favorisent la commission de violences sexuelles et qui réduisent les marges de manœuvre des victimes.
En 2014, nous avions été alertées par des syndicalistes CGT de ce qu'une cadre de santé d'un EHPAD souhaitait mettre en place un projet de projection de films pornographiques auprès d'un résident, par l'entremise des auxiliaires de vie, quasi-exclusivement des femmes, qui devaient choisir le film, installer le résident nu dans son lit puis revenir pour la toilette après le visionnage. L'AVFT avait alors exprimé sa consternation par le biais d'une lettre [6] adressée au directeur de cet EHPAD, expliquant qu'il pouvait voir sa responsabilité engagée en ce qu'un tel projet exposerait son personnel à des agissements qui pourraient être qualifiés de harcèlement sexuel.
En 2021, nous analysions en quoi le fait de considérer la prostitution comme un travail constituait « un puissant frein à la lutte contre les violences sexuelles au travail »[7] : abaissement des standards de sécurité psychique et physique au travail, difficulté voire impossibilité de faire reconnaître que la « contrainte, élément constitutif du délit d'agression sexuelle et du crime de viol, puisse être de nature économique ».
Nous l'illustrions par deux décisions, une ordonnance de non-lieu du TGI de Grenoble du 12 décembre 2018, et un arrêt de la chambre sociale de la Cour d'appel de Toulouse du 10 mai 2019 [8]. La première rejetait la qualification de viol au motif que « si la notion de viol « sous contrainte économique » était effectivement retenue par le droit pénal français, cela reviendrait, notamment, à poursuivre et punir l'ensemble des personnes ayant recours aux services de prostituées, dans la mesure où le consentement de celles-ci aux actes sexuels pratiqués n'aurait, nécessairement, pas été obtenus de manière totalement libre et éclairées, mais parce que ces dernières y sont, le plus souvent, contraintes économiquement. […] De plus, Mme X. a affirmé que M. Z avait tenu ses engagements à son égard en lui confiant le poste de comptable qu'elle convoitait et en lui faisant bénéficier d'augmentations de salaire […] de sorte que cela signifie clairement qu'il y avait eu un « arrangement » entre eux quant à la contrepartie à donner aux actes sexuels obtenus ». Pour cette juge d'instruction, le viol sous contrainte économique est donc un « arrangement ».
L'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, lui, déboutait une auxiliaire de vie qui demandait la condamnation pour harcèlement sexuel de son employeur, un homme handicapé, qui lui avait demandé de le masturber. Elle avait été licenciée après lui avoir opposé un refus.
Estimant qu'il s'agissait d'une demande entrant « dans le cadre de ses fonctions d'auxiliaire de vie », la Cour d'appel de Toulouse avait considéré qu'un acte de nature sexuelle pouvait faire partie de la fiche de poste de la salariée.
En prétendant que des actes sexuels peuvent être contractualisés, le projet d'« assistance sexuelle » viendrait officialiser, banaliser, généraliser, ce type de décisions scandaleuses qui privent les femmes de l'exercice de leurs droits et les découragent à obtenir justice.
C'est ce que tentait d'expliquer lors de ce « débat » Tiffany Coisnard, juriste à l'AVFT, estimant que tout le contentieux des violences sexuelles commises du fait de la contrainte économique serait marqué par un tel projet. Elle rappelle que notre association est régulièrement saisie par des femmes du secteur médico-social victime de violences sexuelles, ce secteur cumulant des facteurs de risques importants, et que le projet d'assistance sexuelle les y exposerait encore plus. Elle donne pour exemple « un employeur handicapé qui demande un acte de nature sexuel à son aide à domicile, c'est du harcèlement sexuel. Que se passe-t-il pour elle ? On estime qu'il s'agit d'une extension de son poste ? », faisant référence à la décision précitée. L'avocate Ingrid Geray répond « mais non pas du tout… Ça n'a pas de rapport ».
La carte joker du « cadre »
Malgré les haussements de sourcils méprisants, les grimaces et les interruptions qui lui sont opposées par les intervenant.es, Tiffany Coisnard insiste : « qu'est-ce qui se passe pour une auxiliaire de vie qui travaille dans un établissement, qui doit accueillir la demande d'assistance sexuelle, qui doit ensuite nettoyer le résident après l'acte sexuel ? » puis conclut « tout ce qui constitue votre projet contrevient aux lois sur le harcèlement sexuel au travail ».
Elle se voit juste répondre « c'est pour ça qu'il faut un cadre ». Cette idée de « cadre », revenue plusieurs fois sur la table, n'a jamais été détaillée. Elle n'a été qu'une carte joker agitée à tout va en réponse à chaque question portant sur les enjeux éthiques et juridiques de l'assistance sexuelle.
Fabrice Zurita répond quant à lui que l'auxiliaire de vie de cet exemple serait justement protégée par la mise en place d'une « assistance sexuelle », puisqu'elle ne serait plus que l'intermédiaire entre « l'assistante sexuelle » et « son bénéficiaire ».
D'abord, il est inconcevable que ce qui constituerait une violence sexuelle à l'encontre d'une auxiliaire de vie deviendrait soudainement un travail lorsque subi par une autre femme. Cette division des femmes est bien connue : elle repose sur le postulat que des femmes aient pour fonction même d'être violentées, et sur la déshumanisation des femmes prostituées, à l'encontre de qui il serait socialement acceptable de commettre toute violence.
Ensuite, Fabrice Zurita refuse de comprendre le problème à faire d'une auxiliaire de vie la complice de la mise en prostitution d'autrui, les conséquences que cela pourrait avoir sur son propre travail, et le fait que cela constituerait en soit du harcèlement sexuel, puisqu'elle serait exposée à des propos et comportements à connotation sexuelle, dirigés ou non à son encontre, portant atteinte à sa dignité.
Cette négation n'est pas particulièrement étonnante de la part d'un homme qui, un peu plus tôt, avait considéré que « l'assistance sexuelle » se situait dans « dans un flou juridique » – alors même que la loi est parfaitement claire quant à l'interdiction d'achat d'actes sexuels, peu importe la situation de la personne qui y a recours – et qui déplorait le fait qu'une personne handicapée exprimant « un besoin sexuel » ne trouve pas de réponse : « les aides à domicile, les auxiliaires de vie, les infirmières, elles répondent toutes « c'est pas mon métier » ». Mince alors ! Elles pourraient faire un effort…
Interrogée sur la notion de contrainte du fait du lien de subordination entre « l'assistante sexuelle » et le « bénéficiaire » par une représentante de la MIPROF, qui a précisé son engagement abolitionniste et le refus de ce projet, Ingrid Geray explique que l'« assistante sexuelle » devra avoir une activité principale afin d'éviter que la majeure partie de ses revenus ne provienne de cette deuxième activité. Celle-ci ne serait « qu'accessoire », ce qui préviendrait qu'elle ne soit contrainte.
Autrement dit, Ingrid Geray réussit l'exploit de faire croire qu'avoir un emploi si précaire qu'il nécessite de se prostituer pour arrondir ses fins de mois permet de garantir le libre consentement.
Quelques autres organisations ont pris la parole pour s'opposer au projet, notamment, Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), la Fondation Scelles et une représentante de la CGT, qui a rappelé que « pour la CGT, ce n'est pas un travail ».
Ce sont donc sept minutes trente (une minute trente par personne) sur un événement de 4h qui ont été consacrées au sort des femmes, pourtant premières concernées. Elles sont restées le non-sujet de l'événement.
L'équipe de l'AVFT.
Notes
[1] Noms des organisations et intervenant.es présent.es : Jérôme Boroy, président du Comité National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH). Céline Poulet, secrétaire général du Comité Interministériel du Handicap (CIH). Karine Lefeuvre, vice-présidente du Comité Consultatif National d'Ethique (CCNE). Agnès Bourdon-Busin, membre du Comité Parentalité des Personnes en situation de Handicap. Marylène Fournier, directrice d'une maison d'accueil spécialisée (MAS). Julia Tabath, administratrice AFM Téléthon et secrétaire du Collectif Handicap et Sexualité Ose (CH(s)OSE). Fabrice Zurita, directeur du Centre Ressource IntimAgir Normandie. Sébastien Claeys, responsable de la communication et du débat public de l'Espace éthique Ile-de-France. Isabel Da Costa, vice-présidente APF France Handicap. Ingrid Geray, avocate et membre du Comité exécutif de la Chaire UNESCO Santé sexuelle & Droits humains.
[2] Terme utilisé dans le sens que Marie-Victoire Louis, cofondatrice de l'AVFT, lui a donné, comme englobant toutes les personnes tirant un bénéfice de la prostitution d'autrui, ceux que l'on nomme les « clients » y compris. Voir Abolir la prostitution ? Non, abolir le proxénétisme, Marie-Victoire Louis, 2005.
[3] 39 femmes autistes sur 10 victimes de violences sexuelles : l'étude de 2018 enfin publiée ! – AFFA Association Francophone de Femmes Autistes (femmesautistesfrancophones.com)
[4] Violences sexuelles : un neurochirurgien (finalement) poursuivi par ses pairs – Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (avft.org)
[5] sources, avis 118 CCNE PROJET DE TEXTE V8 relue BW relue FB relu XL relu AMD le 14 mai (ccne-ethique.fr)
[6] https://www.avft.org/2015/01/26/lettre-au-directeur-dun-ehpad-au-sujet-de-lutilisation-de-la-pornographie-comme-methode-therapeutique
[7] Violences sexuelles au travail : de notables avancées contrariées par des freins idéologiques, M. Baldeck, in Violences sexuelles, en finir avec l'impunité, sous la direction d'Ernestine Ronai et Edouard Durand, éditions Dunod, mars 2021.
[8] CA Toulouse, 10 mai 2019, RG :17/02966

Députés et députées, voulez-vous que les enfants soient des mères ? Non au projet de loi 1904/2024 !

A la hâte et dans le but évident d'empêcher une discussion qualifiée, hier, 4 juin, un vote sur une motion d'urgence visant à accélérer le traitement du projet de loi 1904/2024 a été inscrit à l'ordre du jour de la plénière.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Ce projet de loi vise à criminaliser l'avortement légal à plus de 22 semaines de gestation et à rendre la peine pour cette procédure identique à celle encourue pour un simple homicide.
Le scénario est grave ! Il est important de rappeler que, depuis le mois de mai, la situation du taux élevé de grossesses d'enfants résultant d'un viol et les obstacles à l'accès à l'avortement légal dans le pays ont été analysés par l'ONU, dans le cadre de l'examen du pays par le Comité pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW).
Le Comité a imputé au gouvernement la responsabilité directe des 12 500 filles qui ont accouché en 2023 – des cas qui, en vertu de la législation brésilienne, auraient pu être orientés vers des services d'avortement légaux, étant donné que le code pénal brésilien considère les relations sexuelles avec des mineures de moins de 14 ans comme un viol présumé. Le taux élevé de mortalité maternelle du pays, auquel contribue directement le manque d'accès à un avortement légal et sûr, a également fait l'objet de recommandations de la part du Comité.
Ce sont les femmes et les filles pauvres et noires qui sont les plus touchées ! On sait que la recherche d'un avortement à un âge gestationnel supérieur à 22 semaines est généralement le fait de femmes et de jeunes filles en situation de vulnérabilité socio-économique : qui vivent dans des endroits où l'accès aux soins de santé est inexistant ou difficile ; qui souffrent de handicaps cognitifs ; qui sont adolescentes et jeunes ; qui ont un faible niveau d'instruction.
Des milliers de filles verront leur enfance interrompue ! En 2023, le nombre de viols de personnes vulnérables a atteint 36,9 cas pour 100 000 habitant·es (selon les données de l'annuaire de la sécurité publique brésilienne). Nombre de ces enfants, si elles tombaient enceintes, seraient contraintes de poursuivre leur grossesse, interrompant ainsi la possibilité de se construire un avenir décent.
Dans un pays où, au cours des dix dernières années, le nombre moyen de naissances chez les filles de moins de 14 ans a été supérieur à 20 000 par an, 74,2% d'entre elles étant noires, il est inacceptable que de nouveaux obstacles soient imposés à l'avortement légal.
Ce sont les femmes violées qui seront obligées de poursuivre leur grossesse ! Nous savons que, depuis 1940, l'avortement est autorisé dans les situations suivantes : I – s'il n'y a pas d'autre moyen de sauver la vie de la femme enceinte ; II – si la grossesse résulte d'un viol et que l'avortement est précédé du consentement de la femme enceinte ou, en cas d'incapacité, de son représentant légal. Depuis 2012, la Cour suprême a établi la possibilité d'interrompre une grossesse en cas d'anencéphalie.
Ce faisant, la législation n'a établi que la présence de deux conditions : (i) que la procédure soit effectuée par un médecin et (ii) le consentement de la personne enceinte. Ce projet de loi modifie donc la législation en vigueur depuis 1940 et restreint l'avortement légal, affectant ainsi les personnes les plus vulnérables ! Il empêche les femmes et les jeunes filles violées, les femmes enceintes qui risquent leur vie, d'être contraintes à la gestation et à l'accouchement, établissant un véritable scénario de torture, de traitement cruel et dégradant pour les jeunes filles, les femmes et les autres personnes qui peuvent être gestatrices au Brésil.
Nous vivons dans un pays où, selon l'annuaire de la sécurité publique brésilienne, le nombre de viols et de viols d'une personne vulnérable le plus élevé de l'histoire a été enregistré, avec 74 930 victimes en 2022. Parmi celles-ci, 6 victimes sur 10 sont des personnes vulnérables, âgées de 0 à 1 ans, victimes pour la plupart de membres de la famille et d'autres connaissances.
Dans le même ordre d'idées, l'Atlas de la violence estime qu'il y a en réalité 822 000 cas de viol par an au Brésil, dont seulement 8,5% sont signalés à la police et seulement 4,2% au système de santé. Ce sont ces femmes qui seront affectées par ce changement juridique.
Nous comptons sur votre soutien pour que ce projet de loi ne soit pas approuvé, avec la certitude que vous agirez en faveur de notre santé, en faveur de notre droit à ne pas être soumises à la torture de poursuivre des grossesses résultant d'un viol et en faveur de la vie digne de milliers de filles qui voient leur enfance et leurs projets de vie interrompus de manière répétée par le fait d'être forcées à poursuivre une grossesse.
Elles signent cette lettre :
ABONG – Associação Brasileira de Ongs
AJD – Associação Juízes para a Democracia
Anis – Instituto de Bioética
AMB – Articulação de Mulheres Brasileiras
AMNB – Articulação de Organizações de Mulheres Negras Brasileiras
Católicas pelo Direito de Decidir
CEPIA – Cidadania, Estudo, Pesquisa, Informação e Ação
Cfemea – Centro Feminista de Estudos e Assessoria
Comitê Latino-Americano e do Caribe para a Defesa dos Direitos das Mulheres
CAMTRA – Casa da Mulher Trabalhadora
Cladem/Brasil
Coletivo Feminista Sexualidade e Saúde
Coletiva MULEsta (Pernambuco)
Coletivo Leila Diniz (Rio Grande do Norte)
Coletivo Margarida Alves (Minas Gerais)
Coletivo NegreX
CFP – Conselho Federal de Psicologia
CFESS – Conselho Regional de Serviço Social
Criola
Cunhã Coletivo Feminista
CUT – Central Única das Trabalhadoras e Trabalhadores
DeFEMde – Rede Feminista de Juristas
EIG – Evangélicas pela Igualdade de Gênero
FEPLA – Frente Evangélica pela Legalização do Aborto
FFL – Frente Feminista de Londrina
FPLA – Frente Contra a Criminalização das Mulheres e pela Legalização do Aborto da Baixada Santista
Frente Nacional contra a Criminalização das Mulheres e pela Legalização do Aborto
Frente Parlamentar Feminista Antirracista com Participação Popular
Frentes Regionais pela Legalização do Aborto dos seguintes estados : CE, ES, MG, PA, PB, PE, RJ, RN, RS, SC, SP.
Grupo Curumim – Gestação e Parto
Grupo de Mulheres Lésbicas e Bissexuais Maria Quitéria (Paraíba)
Humaniza Coletivo Feminista (Amazonas)
Instituto Marielle Franco
LBL – Liga Brasileira de Lésbicas
Levante Popular da Juventude
Marcha Mundial das Mulheres
MVM – Milhas pela Vida das Mulheres
MIM – Movimento Ibapuano de Mulheres (Ceará)
Mulheres EIG – Evangélicas pela Igualdade de Gênero
Movimento Mulheres Negras Decidem
Nem Presa Nem Morta
Oitava Feminista (Rio de Janeiro)
Portal Catarinas
RASPDD – Rede De Assistentes Sociais pelo Direito de Decidir
REDEH – Rede de Desenvolvimento Humano
Rede de Mulheres Negras de Pernambuco
RFS – Rede Feminista de Saúde
RENFA – Rede Nacional de Feministas Antiproibicionistas
Rede Feminista de Ginecologistas e Obstetras
GDC/BR – Rede Médica pelo Direito de Decidir (Good Doctors for Choice)
RENAP – Rede Nacional de Advogados Populares
Secretaria Nacional de Mulheres do PT
Setorial Nacional de Mulheres do PSOL
SOF – Sempreviva Organização Feminista (São Paulo)
SOS Corpo Instituto Feminista para a Democracia (Pernambuco)
Tamo Juntas – Assessoria Multidisciplinar para Mulheres em Situação de Violência
UBM – União Brasileira de Mulheres
UNE – União nacional dos Estudantes
https://www.marchamundialdasmulheres.org.br/nota-deputados-e-deputadas-voces-querem-que-criancas-sejam-maes-nao-ao-pl-n-o-1904-2024/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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