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Le vote historique des Nations unies en faveur de sanctions à l’encontre d’Israël changera-t-il la réalité pour les Palestiniens ?

Les Palestiniens n'ont jamais perdu espoir dans la résistance qu'ils opposent depuis des décennies au régime d'oppression impitoyable d'Israël. Tiré de France Palestine (…)

Les Palestiniens n'ont jamais perdu espoir dans la résistance qu'ils opposent depuis des décennies au régime d'oppression impitoyable d'Israël.

Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié pr The Guardian et traduit par l'organisme. Photo : Résultat du vote de l'AGNU sur une résolution relative aux politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire Palestinien Occupé © UN photo/Evan Schneider.

Le Canada s'est abstenu lorsque l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté à une écrasante majorité une résolution appelant à des sanctions contre Israël le 18 septembre 2024, objectant que la résolution « s'aligne sur le boycott, le désinvestissement et les sanctions, auxquels le Canada s'oppose fermement ». Cette formulation, toute hypocrisie mise à part, renverse la vérité. Lancé en 2005, le mouvement non violent et antiraciste BDS, inspiré par la lutte anti-apartheid sud-africaine et le mouvement des droits civiques aux États-Unis, a toujours défendu les droits des Palestiniens dans le respect du droit international.

Le mouvement BDS appelle à mettre fin à l'occupation illégale et à l'apartheid d'Israël et à défendre le droit des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux et à recevoir des réparations. C'est l'Assemblée générale des Nations unies qui commence enfin à s'aligner sur la tâche urgente d'appliquer le droit international de manière cohérente, même à l'égard d'Israël. Comme le dit Craig Mokhiber, ancien haut fonctionnaire des Nations unies chargé des droits de l'homme, l'arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) fait du BDS « non seulement un impératif moral et un droit constitutionnel et humain, mais aussi une obligation juridique internationale ».

Loin d'être un énième vote de l'ONU, ce vote est historique. C'est la première fois que l'assemblée générale dénonce le régime d'apartheid d'Israël et la première fois en 42 ans qu'elle demande des sanctions pour mettre fin à l'occupation illégale, comme l'a décidé la CIJ en juillet.

De nombreux Palestiniens et militants de la solidarité restent cependant sceptiques. Près d'un an après le début du génocide israélien contre 2,3 millions de Palestiniens dans la bande de Gaza occupée et assiégée, Israël commet quotidiennement des atrocités, faisant preuve d'un niveau sans précédent d'invincibilité apparente, ou de ce que même le docile secrétaire général de l'ONU appelle « l'impunité totale ». En partenariat avec les puissances occidentales hégémoniques, les États-Unis en tête, Israël extermine non seulement des dizaines de milliers de Palestiniens indigènes, mais bafoue également les principes mêmes du droit international.

De nombreux experts des Nations unies en matière de droits de l'homme partagent cet avis. Dans une déclaration publiée le même jour, ils affirment que « l'édifice du droit international est sur le fil du rasoir, la plupart des États ne prenant pas de mesures significatives pour se conformer à leurs obligations internationales réaffirmées dans l'arrêt [de la CIJ] ». Pour se conformer à l'arrêt, les États doivent imposer des sanctions économiques, commerciales, universitaires et autres de grande ampleur à l'occupation illégale et au « régime d'apartheid » d'Israël, écrivent-ils, précisant qu'un embargo militaire complet est la mesure la plus urgente.

Dès octobre 2023, quelques jours après l'attaque génocidaire d'Israël contre Gaza, le président colombien Gustavo Petro a mis en garde contre « la montée sans précédent du fascisme et, par conséquent, la mort de la démocratie et de la liberté... Gaza n'est que la première expérience visant à nous considérer tous comme jetables ». En d'autres termes, « plus jamais ça, c'est maintenant », comme l'ont dit les groupes juifs progressistes et antisionistes. Cela signifie que la priorité la plus urgente de l'humanité est de mettre fin au génocide israélien, tout en reconnaissant que la justice pour les Palestiniens croise et est entrelacée avec les luttes pour la justice raciale, climatique, économique, sociale et de genre.

Les décisions de la CIJ, le vote historique de l'assemblée générale et les déclarations des experts de l'ONU reflètent tous une majorité mondiale montante qui soutient non seulement la lutte pour l'émancipation des Palestiniens, mais aussi la mission fondamentale de sauver l'humanité, rien de moins, d'une ère de « la force fait le droit », sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, qui relègue les institutions de l'ONU dans les poubelles de l'histoire.

Quoi qu'il en soit, les Palestiniens ne se font aucune illusion sur le fait que la justice leur sera rendue par la CIJ ou l'ONU, cette dernière étant historiquement responsable de la Nakba de 1947-1949, du nettoyage ethnique de la plupart des Palestiniens et de l'établissement d'Israël en tant que colonie de peuplement sur la majeure partie du territoire de la Palestine historique. L'échec total du système juridique international, dominé par les puissances coloniales euro-américaines, à fournir la base nécessaire, non ambiguë et juridiquement contraignante pour arrêter le premier génocide télévisé du monde, sans parler de rendre la justice, en dit long.

Nous avons le droit international de notre côté. En tant que peuple autochtone luttant contre un système d'oppression dépravé et génocidaire, nous avons une position éthique élevée pour faire valoir nos droits. L'éthique et le droit sont nécessaires dans notre lutte de libération ou dans toute autre, mais ils ne sont jamais suffisants. Pour démanteler un système d'oppression, les opprimés ont invariablement besoin de pouvoir : le pouvoir du peuple, le pouvoir de la base, le pouvoir de la coalition intersectionnelle, le pouvoir de la solidarité et le pouvoir des médias, entre autres.

En construisant le pouvoir populaire, les Palestiniens ne demandent pas la charité au monde ; nous appelons à une solidarité significative. Mais avant tout, nous exigeons la fin de la complicité. L'obligation éthique la plus profonde dans les situations d'oppression extrême est de ne pas faire de mal et de réparer le mal fait par vous ou en votre nom.

Comme l'a montré la lutte qui a mis fin à l'apartheid en Afrique du Sud, mettre fin à la complicité des États, des entreprises et des institutions avec le système d'oppression israélien, en particulier par le biais de la tactique non violente du BDS, est la forme la plus efficace de solidarité, de construction du pouvoir populaire pour aider à démanteler les structures d'oppression.

Près d'un an après le génocide, certains se plaignent de la « fatigue du génocide ». Mais les Palestiniens, en particulier à Gaza, n'ont pas le luxe de la « fatigue du génocide », car Israël continue de massacrer, d'affamer et de déplacer de force, commettant ce que les experts de l'ONU ont identifié comme « le domicide, l'urbicide, le scolasticide, le médicide, le génocide culturel et, plus récemment, l'écocide ».

Les Palestiniens n'ont jamais perdu espoir dans la résistance qu'ils opposent depuis des décennies au régime d'oppression impitoyable d'Israël. Cet espoir illimité n'est pas fondé sur des vœux pieux ou sur la croyance naïve en une victoire inévitable qui tomberait du ciel, mais sur le sumud incessant de notre peuple, sur son insistance à exister dans sa patrie, dans la liberté, la justice, l'égalité et la dignité. Elle est également ancrée dans la croissance inspirante du mouvement de solidarité mondiale et dans son impact.

Par ailleurs, comme le dit l'écrivain britanno-pakistanais Nadeem Aslam, « le désespoir se mérite. Personnellement, je n'ai pas fait tout ce que je pouvais pour changer les choses. Je n'ai pas encore gagné le droit de désespérer ». Si vous n'avez pas gagné ce droit, vous devez continuer à organiser, à espérer, à mettre fin à la complicité dans votre sphère d'influence relative. Avec un radicalisme stratégique, nous pouvons et devons vaincre le génocide, l'apartheid et toute cette oppression indescriptible.

Traduction : AFPS

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Quand les complices d’Israël nous accoutument à un monde monstrueux et inhumain, car sans coeur !

1er octobre 2024, par Gideon Levy, Yorgos Mitralias — , , ,
Pire que les crimes d'Israël est le fait que l'ensemble du monde dit « civilisé » les suit et les commente comme s'ils n'étaient qu'un jeu vidéo. Quand évidemment il ne les (…)

Pire que les crimes d'Israël est le fait que l'ensemble du monde dit « civilisé » les suit et les commente comme s'ils n'étaient qu'un jeu vidéo. Quand évidemment il ne les célèbre pas en armant le criminel. Ou ne les approuve pas en le laissant impuni. Et ça depuis plusieurs décennies. Et aussi, en direct sur les écrans de nos télévisions. Jour après jour, heure après heure. Comme si ces massacres quotidiens étaient une série télévisée sans fin, entrecoupée par des messages de publicité, qu'on peut suivre allongés sur nos canapés, pendant qu'on mange une pizza ou on sirote une boisson…

Tiré du site du CADTM.

Il y a presque un an on écrivait qu'un des objectifs de Netanyahou et de ses acolytes était de nous accoutumer « à un monde ressemblant de plus en plus à une jungle où règne uniquement le droit du plus fort et où sont « permises » les pires atrocités contre les plus faibles ! ». Aujourd'hui, et tenant compte du bilan de douze mois d'atrocités et de crimes qui dépassent souvent l'imagination, on peut dire que l'État sioniste est en train de nous accoutumer à quelque chose de bien plus grave : à la perversité, au sadisme de masse et à la violence aveugle et sans limite contre les civils, lesquelles sont tolérées, reconnues et même acceptées dernièrement comme des comportements « normaux » par ceux d‘en haut ! Ce qui fait que sont bestialisés non seulement ceux qui commettent ces crimes innommables, mais aussi tous ceux qui les tolèrent et les encouragent feignant de ne pas les voir…

On se trouve ici devant un « phénomène qui n'a aucun précédent historique, qui est totalement nouveau. Car s'il y a eu dans le passé des crimes aussi ou peut être plus graves que ceux commis aujourd'hui par Israël, il n'y a jamais eu l'indifférence et l'apathie, et même la tolérance et la bienveillance montrées à leur égard par les gouvernants, les centres de décision, les médias et même la majorité des opinions publiques du monde entier ! Donc, aucune comparaison avec les réactions des contemporains des nazis face aux crimes perpétrés par le Troisième Reich. Même si la majorité de leurs réactions étaient motivées non pas par l'antifascisme mais par un patriotisme anti-allemand, le fait est que, quand ils étaient connus, les crimes des nazis étaient presque unanimement condamnées, comme d'ailleurs ceux perpétrés plus tard par les États-Unis au Vietnam ou la France en Algérie.

Et maintenant ? Comment réagit la soi-disant « communauté internationale » face aux crimes en série d'Israël ? Dans la majorité des cas, elle réagit par un silence assourdissant. Pas un mot. Ses médias et ses autorités préfèrent ne rien dire. Alors, on parle à dessein de tout sauf des hécatombes quotidiennes en Palestine. On commente abondamment des histoires à dormir debout, on s'exaspère du sort des otages israéliens, et on s'apitoie a longueur de journée sur une victime d'un fait divers mais on passe sous silence la mort des dizaines, des centaines et des dizaines de milliers de Palestiniens de Gaza et des Territoires Occupées. Car manifestement il y a des morts qui pèsent bien moins que d'autres... ou ne pèsent rien du tout…

Mais, il y aussi ceux qui en parlent. Sauf qu'ils le font d'une façon bien... bizarre. En réalité, ils en parlent pour ne rien dire. À l'instar de leurs collègues poutinistes qui pérorent sur la guerre... « défensive » que mène la Russie en Ukraine, ils abondent eux aussi en « analyses » truffées de très savantes considérations « géostratégiques » sur le prétendu sens profond des opérations (militaires et autres) d'Israël, mais évitent soigneusement de parler de l'essentiel : des victimes humaines et de leurs bourreaux, des civils, surtout des femmes et des enfants bombardés et massacrés par dizaines de milliers. En somme, ils brouillent les cartes, afin de semer la confusion et ne pas nommer ni le criminel et ses crimes, ni ses victimes et leurs souffrances indicibles . Faisant preuve d'un cynisme et d'un amoralisme sans pareil, ces « analystes » et autres journalistes et « experts » en mission commandée, inaugurent ainsi une ère nouvelle : celle des sociétés monstrueuses où sont mal vues sinon bannies et criminalisées la compassion, la fraternité et la solidarité entre les humains. En somme, des sociétés totalement inhumaines condamnées à disparaître tôt ou tard dans un paroxysme de violence aveugle...

Ceci étant dit, il reste de réfléchir sur le présent et l'avenir des protagonistes de cette tragédie sans fin : les Israéliens et leur État. La parole donc à l'indomptable Israélien qu'est le célèbre journaliste et écrivain Gideon Levy, dont les prises de position plus que courageuses et toujours contre le courant ne font que sauver l'honneur non seulement des Juifs mais aussi de toute l'humanité. Voici donc son dernier et si terrible texte que nous avons traduit en français, publié il y a quelques jours dans le quotidien Haaretz. Il assène des vérités premières et existentielles à ses compatriotes...


Les Israéliens doivent se demander s'ils sont prêts à vivre dans un pays qui vit dans le sang
Il faudra des générations pour que Gaza se rétablisse, si tant est qu'elle le puisse.
par Gideon Levy

Israël se transforme, à une vitesse alarmante, en un pays qui vit de sang. Les crimes quotidiens de l'occupation ont déjà perdu de leur pertinence. Au cours de l'année écoulée, une nouvelle réalité de massacres et de crimes d'une toute autre ampleur est apparue. Nous sommes dans une réalité génocidaire ; le sang de dizaines de milliers de personnes a coulé.

C'est le moment pour tous les Israéliens de se demander s'ils sont prêts à vivre dans un pays qui vit dans le sang. Ne dites pas qu'il n'y a pas de choix - bien sûr qu'il y en a un - mais nous devons d'abord nous demander si nous sommes prêts à vivre ainsi.

Sommes-nous prêts, nous les Israéliens, à vivre dans le seul pays au monde dont l'existence est fondée sur le sang ? La seule vision répandue en Israël aujourd'hui est de vivre d'une guerre à l'autre, d'une saignée à l'autre, d'un massacre à l'autre, avec des intervalles aussi espacés que possible. Les gens pleins d'espoir promettent de longs intervalles, tandis que la droite promet une réalité sanguinolente permanente : la guerre, les massacres, la violation systématique du droit international, un État paria, se répétant dans un cycle sans fin.

Les Palestiniens continueront à être massacrés et les Israéliens continueront à fermer les yeux ? Difficile à croire. Un jour viendra où davantage d'Israéliens ouvriront les yeux et reconnaîtront que leur pays vit dans le sang. Sans effusion de sang, nous dit-on, nous n'avons pas d'existence - et nous sommes en paix avec cette horrible déclaration.

Non seulement nous croyons qu'un tel pays ne peut pas exister éternellement, mais nous sommes convaincus que sans l'offrande de sang, il n'a pas d'existence. Tous les trois ans, une saignée à Gaza, tous les quatre ans, au Liban. Entre les deux, il y a la Cisjordanie et, occasionnellement, une sortie de sang vers d'autres cibles. Il n'y a pas d'autre pays comme celui-là dans le monde.

Le sang ne peut pas être le carburant du pays. De même que personne n'imaginerait conduire une voiture alimentée par du sang, aussi bon marché soit-il, il est difficile d'imaginer que 10 millions d'habitants acceptent de vivre dans un pays qui fonctionne au sang. La guerre à Gaza marque un tournant. Est-ce ainsi que nous continuerons ?

Les médias tentent de nous faire croire qu'il s'agit d'une nécessité. Grâce à des campagnes qui diabolisent et déshumanisent les Palestiniens, un chœur unifié et monstrueux de commentateurs réussit à nous vendre l'idée que nous pouvons vivre pour l'éternité dans le sang. 'Nous tondrons l'herbe' à Gaza tous les deux ans, nous exécuterons génération après génération de jeunes opposants au régime, nous emprisonnerons des dizaines de milliers de personnes dans des camps de concentration, nous expulserons, nous abattrons, nous exproprierons et, bien sûr, nous tuerons, et c'est ainsi que nous vivrons : dans le pays du sang.

Nous avons déjà tué le peuple palestinien. Nous avons commencé par le massacre de Gaza, et maintenant nous nous tournons vers la Cisjordanie. Là aussi, le sang coulera à flots, si personne n'arrête le bataillon. Le massacre est à la fois physique et émotionnel. Il ne reste plus rien de Gaza.

Les détenus, les orphelins, les traumatisés, les sans-abri ne redeviendront jamais ce qu'ils étaient. Les morts ne le seront certainement pas. Il faudra des générations pour que Gaza se remette, si tant est qu'elle le puisse. Il s'agit d'un génocide, même s'il ne répond pas à la définition légale. Un pays ne peut pas vivre sur une telle idéologie, et certainement pas s'il a l'intention de continuer à le faire.

Supposons que le monde continue de l'autoriser. La question est de savoir si nous, les Israéliens, sommes prêts à l'accepter. Combien de temps pourrons-nous vivre en sachant que notre existence dépend du sang ? Quand nous demanderons-nous s'il n'y a vraiment pas d'alternative à un pays de sang ? Après tout, il n'y a pas d'autre pays comme celui-ci.

Israël n'a jamais sérieusement essayé une autre voie. Il a été programmé et dirigé pour se comporter comme un pays qui vit du sang, et ce encore plus après le 7 octobre. Comme si ce jour terrible, après lequel tout est permis, avait scellé son destin de pays du sang.

Le fait est qu'aucune autre possibilité n'a été évoquée. Mais un pays de sang n'est pas une option, tout comme une voiture alimentée au sang n'est pas une option. Lorsque nous nous en rendrons compte, nous commencerons à chercher des alternatives, ne serait-ce que par manque d'autres options. Elles sont là et attendent d'être testées. Elles peuvent nous surprendre, mais dans la réalité actuelle, il est impossible même de les suggérer.

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Toute accusation est un aveu : Israël et le double mensonge des « boucliers humains ».

1er octobre 2024, par Craig Mokhiber — , ,
De nombreux rapports d'organismes de défense des droits de l'homme montrent que les groupes armés palestiniens n'utilisent pas de boucliers humains, mais qu'Israël le fait. Les (…)

De nombreux rapports d'organismes de défense des droits de l'homme montrent que les groupes armés palestiniens n'utilisent pas de boucliers humains, mais qu'Israël le fait. Les fausses allégations d'Israël sur les boucliers humains palestiniens ne sont que des tentatives pour justifier son propre ciblage des civil·es.

Tiré de l'Agence Média Palestine
21 septembre 2024

Par Craig Mokhiber

Un Palestinien blessé attaché à l'avant d'un véhicule militaire israélien et l'utilise comme bouclier humain, Jénine, 22 juin 2024. (Photo : Social Media)

La prétendue pratique des « boucliers humains » est l'un des arguments les plus fréquemment déployées dans l'arsenal de la hasbara israélienne.

Depuis des décennies, Israël utilise systématiquement ce ressort de propagande pour justifier ses crimes de guerre, rejeter la responsabilité de ses crimes sur d'autres, contourner le principe de distinction du droit humanitaire, déshumaniser les victimes palestiniennes et armer ses mandataires occidentaux et les médias complices de munitions pour protéger l'impunité israélienne.

Mais une série d'enquêtes internationales révèle deux conclusions claires sur ces accusations :
Premièrement, les groupes armés palestiniens n'utilisent généralement pas de boucliers humains.
Et, deuxièmement, Israël le fait.

Le droit international

L'expression « boucliers humains » désigne une violation particulière du droit international humanitaire et des droits de l'homme. Cette pratique est strictement interdite en toutes circonstances.

Comme le résume le commentaire du CICR, qui fait autorité en la matière, il s'agit du « regroupement intentionnel d'objectifs militaires et de civil·es ou de personnes hors de combat dans l'intention spécifique de tenter d'empêcher que ces objectifs militaires soient pris pour cible ». (« Les personnes hors de combat » comprennent les combattant·es qui ont déposé les armes, les prisonnier·es, les malades et les blessé·es, etc.)

Le cas classique est celui où un groupe de soldat·es force des civil·es de l'autre camp à marcher devant elles et eux dans une zone de combat ou dans une structure non sécurisée, dans l'espoir que l'ennemi ne tirera pas sur les soldat·es de peur d'atteindre les civil·es.

Mais Israël, avec son allégation systématique de « boucliers humains » chaque fois qu'il tue un grand nombre de civil·es et détruit des infrastructures civiles protégées, ne tient pas compte de cette définition. Au lieu de cela, il étend simplement la phrase à tous les décès de civil·es. Sans preuve, les politicien·nes occidentales·aux complices, leurs porte-parole officiel·les et les médias répètent consciencieusement le mantra d'Israël, encore et encore, du bouclier humain.

Pour Israël, les réfugié·es qui vaquent à leurs occupations quotidiennes dans les camps de réfugiés, les patient·es et les médecins dans les hôpitaux, les personnes qui prient dans les églises et les mosquées, et les travailleur·euses humanitaires qui distribuent de la nourriture aux affamé·es sont tous·tes des boucliers humains.

Peu importe qu'elles et ils n'aient pas été contraint·es par le Hamas et qu'elles et ils ne se soient pas porté·es volontaires pour protéger qui que ce soit ni quoi que ce soit. Et peu importe qu'il n'y ait souvent aucun objectif militaire légitime (ou proportionné) dans les situations où Israël invoque les boucliers humains.

Si ces civil·es sont tués par des bombes ou des balles israéliennes, selon le récit israélien, c'est de leur propre faute ou de celle du Hamas, parce qu'elles et ils vivent dans les mêmes endroits densément peuplés.

Mais la simple présence de forces armées ou de membres de l'ennemi dans des zones civiles peuplées ne constitue pas l'utilisation de boucliers humains. Par ailleurs, Israël devrait examiner attentivement les implications de ses propres affirmations, étant donné qu'il maintient son quartier général militaire dans un quartier animé de la ville de Tel-Aviv.

La présence de combattant·es dans un lieu civil protégé ne supprime pas non plus le statut de protection de ce lieu. On peut voir des soldat·es israélien·nes dans tous les hôpitaux israéliens. Cela fait-il de ces hôpitaux une cible militaire légitime ? Bien sûr que non. Refuser la même protection aux Palestinien·nes constitue à la fois une grave violation du droit humanitaire et (que les journalistes occidentales·aux prennent note) un acte de racisme flagrant.

Il va sans dire que ce n'est pas ainsi que fonctionne le concept de bouclier humain dans le droit international.
En prétendant que c'est le cas, Israël et ses mandataires occidentaux ignorent volontairement trois éléments gênants : La logique, les faits et le droit.

La pratique d'Israël de ciblage les civil·es

Tout d'abord, l'acceptation de ces affirmations exige que les mandataires souples d'Israël en Occident ignorent des décennies d'expérience et de nombreux éléments de preuve recueillis selon lesquels Israël ne fait souvent aucune distinction entre les civil·es et les combattant·es dans ses activités militaires et, dans de nombreux autres cas, prend directement pour cible les civil·es et les infrastructures civiles.

Israël attaque régulièrement des hôpitaux, des écoles, des abris et des camps de réfugié·es. Ses tireur·ses d'élite et ses drones traquent et exécutent les civil·es. Ses armes guidées par l'intelligence artificielle, qui portent des noms cruels tels que « Où est papa », sont conçues pour attendre que les cibles soient chez elles avec leur famille avant de les bombarder. Elles abattent même des civil·es brandissant des drapeaux blancs, y compris des enfants et des femmes. Ces pratiques criminelles sont bien connues et bien documentées par les enquêtes successives des Nations unies et des organisations internationales, israéliennes et palestiniennes de défense des droits de l'homme.

Mais la logique même des boucliers humains repose sur l'idée de dissuasion, c'est-à-dire que les soldat·es hésiteront à tirer si des civil·es sont en danger. Une telle logique n'existe pas avec une force militaire comme celle d'Israël qui ne fait pas de distinction entre les civil·es et les combattant·es et qui pratique régulièrement le ciblage direct des civil·es.

En effet,la doctrine israélienne Dahiya, sur la base de laquelle Israël procède depuis longtemps à la destruction massive et intentionnelle de zones civiles afin de terroriser les populations civiles, est la preuve qu'Israël ne peut être dissuadé par l'utilisation de boucliers humains palestiniens ou libanais. La vague actuelle de génocide perpétrée par Israël à Gaza ne laisse aucun doute sur sa volonté de tuer intentionnellement et sans hésitation des civil·es palestinien·nes. La directive Hannibal, en vertu de laquelle Israël tue ses propres citoyen·nes (soldats et civil·es) pour les empêcher d'entraver ses objectifs militaires, signifie qu'il ne sera peut-être même pas dissuadé par l'utilisation d'un bouclier humain composé de ses propres citoyens.

Étant donné que les groupes qui contestent Israël en sont parfaitement conscientes, pourquoi essaieraient-elles d'utiliser une tactique qu'elles savent inutile ? La réponse est qu'elles ne le font pas. Ainsi, l'accusation de boucliers humains ne résiste pas à l'épreuve de la logique.

Mais elle échoue également au test de la loi. Tout d'abord, les situations dans lesquelles Israël prétend que des boucliers humains sont utilisés ne peuvent pas être considérées comme des cas de boucliers humains selon la définition juridique internationale décrite ci-dessus. En clair, et comme cette définition l'indique clairement, la simple présence de combattant·es à proximité ne transforme pas magiquement les civil·es en boucliers humains.

Par conséquent, l'accusation d'Israël concernant les boucliers humains n'a généralement aucun fondement juridique.

Deuxièmement, Israël allègue l'existence de boucliers humains pour tenter de retirer la responsabilité de ses forces et de les exonérer de toute responsabilité juridique. Mais ce qui leur échappe, c'est que même si des boucliers humains étaient utilisés, cela ne réduirait pas les obligations légales des attaquant·es.

En fait, les allégations d'utilisation de boucliers humains ne justifient pas une attaque contre des civil·es sans les contraintes imposées par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme, et l'attaquant reste responsable, même si l'utilisateur des boucliers humains l'est également.

L'attaquant doit toujours respecter les principes de précaution, de distinction et de proportionnalité pour éviter de blesser des non-combattant·es. En d'autres termes, la déclaration de boucliers humains n'est pas une excuse applicable en vertu du droit international.

Par conséquent, en droit, même en présence de boucliers humains, la tentative de rejeter la faute sur le tireur et de l'exonérer de toute responsabilité échoue.

Les Palestinien·nes n'utilisent pas de « boucliers humains », mais Israël le fait

Et puis il y a l'épineux problème des faits.

Israël n'a produit, lors de ses attaques récentes et en cours contre Gaza, aucune preuve crédible de l'utilisation de boucliers humains par les palestinien·nes. Il s'appuie au contraire sur la répétition par cœur et sans esprit critique de cette accusation par ses soutiens et mandataires occidentales·aux et par les sociétés de médias favorables à Israël.

Cela ne veut pas dire qu'aucun·e combattant·e palestinien·ne n'a jamais utilisé de boucliers humains dans l'histoire. Mais l'accusation selon laquelle elles et ils le font régulièrement ou systématiquement est une accusation sans preuve, et une accusation régulièrement brandie non pas pour demander des comptes aux contrevenant·es, mais plutôt pour justifier la perpétration de crimes de guerre israéliens.

Dans le même temps, nous avons tous vu les vidéosde soldat·es israélien·nes utilisant des Palestinien·nes comme boucliers humains à Gaza (et en Cisjordanie). Nous avons vu de nos propres yeux des images de Palestinien·nes (souvent des enfants) attaché·es au capot de jeeps militaires israéliennes, forcé·es de marcher devant une colonne de soldat·es israélien·nes ou de conduire les soldat·es dans des bâtiments ou d'autres structures. Cette pratique est aussi ancienne que l'État d'Israël lui-même.

Lors de chaque attaque israélienne successive contre des communautés palestiniennes, le schéma est le même : Israël accuse les Palestinien·nes d'utiliser des boucliers humains, les organisations internationales et les groupes de défense des droits de l'homme enquêtent, et les enquêtes révèlent que la partie qui utilise systématiquement des boucliers humains n'est pas la Palestine, mais Israël.

En effet, le groupe israélien de défense des droits de l'homme B'Tselem a documentél'utilisation répétée par Israël de boucliers humains au moins depuis 1967. Les enquêtes menées par Amnesty International et Human Rights Watch sur les attaques menées par Israël dans le cadre de l'opération « Plomb durci » à Gaza ont montré qu'Israël avait utilisé des boucliers humains (y compris des enfants), mais n'ont trouvé aucune preuve que des groupes palestiniens l'avaient fait.

De même, les commissions d'enquête des Nations unies qui ont enquêté sur les attaques israéliennes massives contre Gaza en 2008-2009 et en 2014 ont examiné les affirmations d'Israël et n'ont trouvé aucune preuve de l'utilisation de boucliers humains par les Palestiniens. Le Comité des droits de l'enfant des Nations unies a constaté « l'utilisation continue (par Israël) d'enfants palestinien·nes comme boucliers humains » entre 2010 et 2013. Le rapporteur spécial des Nations unies sur le terrorisme a fait le même constat.

L'enquête d'Amnesty International sur les attaques israéliennes « Plomb durci » fait état d'une constatation typique : « Dans plusieurs cas, les soldat·es israélien·nes ont également utilisé des enfants palestinien·nes comme boucliers humains ». Cependant, contrairement aux allégations répétées des responsables israéliens concernant l'utilisation de « boucliers humains », Amnesty International n'a trouvé aucune preuve que le Hamas ou d'autres combattant·es palestinien·nes aient agi de la sorte.

Et dans le rapport sur les « meurtres sous drapeau blanc » de civils palestiniens, Human Rights Watch a confirmé qu'« Israël affirme que le Hamas a combattu à partir de zones peuplées et a utilisé des civils comme “boucliers humains” — c'est-à-dire qu'il a délibérément utilisé des civils pour dissuader les attaques contre les forces palestiniennes… Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve que les victimes civiles (dans son enquête) ont été utilisées par les combattant·es palestinien·nes comme boucliers humains ».

Mais la pratique israélienne de l'utilisation de boucliers humains est de notoriété publique en Israël et fait depuis longtemps l'objet d'un débat public. Des soldat·es israélien·nes, s'adressant à l'organisation israélienne Breaking the Silence, ont eux-mêmes avouécette pratique répandue. Les médias israéliens en ont fait état, notamment dans un article paru le mois dernier dans Haaretz. L'armée israélienne a même défendu publiquement son « droit » à utiliser des boucliers humains dans des procès israéliens successifs. Bien entendu, les cas où elle a perdu son argumentaire n'ont eu que peu d'impact sur l'armée, qui continue la pratique jusqu'à aujourd'hui.

Ainsi, les tactiques de désinformation de la hasbara israélienne ont constitué un pilier important de sa stratégie de destruction de Gaza depuis le début de la vague actuelle de génocide à Gaza, il y a près d'un an. Les fausses accusations de bouclier humain ont été la clé de ces tactiques.

Mais cette tromperie s'effondre même après un examen superficiel. Si les politicien·nes et les journalistes occidentales·aux faisaient preuve d'un minimum de diligence avant de répéter les affirmations israéliennes, si elles et ils les soumettaient aux tests du droit, des faits et de la logique, la vérité serait rapidement révélée. La partie qui utilise régulièrement des boucliers humains est Israël, pas la Palestine.

Un adage veut que dans le discours public sur la Palestine, « chaque accusation israélienne est un aveu ». Le double mensonge des boucliers humains en est un exemple.

Craig Mokhiber est un avocat international spécialisé dans les droits de l'homme et un ancien haut fonctionnaire des Nations unies. Il a quitté l'ONU en octobre 2023, après avoir rédigé une lettre ouverte mettant en garde contre un génocide à Gaza, critiquant la réaction internationale et appelant à une nouvelle approche de la Palestine et d'Israël fondée sur l'égalité, les droits de l'homme et le droit international.

Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

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Assemblée générale des Nations unies 2024 : Israël fait fi des efforts de paix alors que les alliés et les dirigeants mondiaux exigent des cessez-le-feu

La guerre d'Israël contre Gaza et l'escalade de la violence au Liban n'ont pas réussi à faire bouger les choses. Lors de la 79e Assemblée générale des Nations unies, qui se (…)

La guerre d'Israël contre Gaza et l'escalade de la violence au Liban n'ont pas réussi à faire bouger les choses. Lors de la 79e Assemblée générale des Nations unies, qui se tient au siège de l'ONU à New York, les dirigeants du monde entier ont continué à lancer des appels passionnés en faveur de l'arrêt de la guerre d'Israël contre Gaza et de l'escalade de la violence au Liban.

Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : Mahmoud Abbas, président de l'Etat de Palestine, prend la parole à la 79ème session de l'Assemblée générale des Nations unies © UN Photo/Loey Felipe.

Le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas est monté sur scène avec une annonce pleine de défi.

« Nous ne partirons pas. Nous ne partirons pas. Nous ne partirons pas. La Palestine est notre patrie. C'est la terre de nos pères, de nos grands-pères. Elle restera la nôtre et si quelqu'un devait la quitter, ce serait les usurpateurs qui l'occupent », a déclaré M. Abbas.

Le dirigeant palestinien a interpellé les personnes présentes dans la salle sur ce qu'il a appelé les « mensonges » d'Israël devant le Congrès américain quelques mois auparavant, en leur demandant qui était responsable de la mort de 15 000 enfants palestiniens, si ce n'est Israël.

Il a déploré la centaine de familles qui ont été complètement éliminées de Gaza, la propagation de la famine et des maladies, les dizaines de milliers de morts et les dommages incalculables causés à l'enclave assiégée.

« Arrêtez ce crime. Arrêtez maintenant. Arrêtez de tuer des enfants et des femmes. Arrêtez le génocide. Arrêtez d'envoyer des armes à Israël. Cette folie ne peut plus durer. Le monde entier est responsable de ce qui arrive à notre peuple à Gaza et en Cisjordanie ».

Mais les appels répétés des nations occidentales et des plus proches alliés d'Israël sont restés lettre morte.

Plus tôt dans la journée de mercredi, le président français Emmanuel Macron s'est lui aussi longuement exprimé sur Gaza. Décriant les pertes dévastatrices de plus de 41 000 Palestiniens, il les a qualifiées d'« outrage à l'humanité tout entière ».

Le président, qui avait appelé à une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU plus tard dans la journée pour faire face à l'escalade de la crise au Liban et s'assurer qu'une « voix diplomatique » soit entendue, a souligné qu'il s'agissait d'un appel urgent pour éviter une conflagration régionale.

« Israël ne peut pas, sans conséquence, étendre ses opérations au Liban. La France exige que chacun respecte ses obligations le long de la ligne bleue ».

Pousser à la paix

Des réunions entre les États-Unis et l'administration Biden ont débouché mercredi sur une initiative franco-américaine en faveur d'une trêve de 21 jours entre Israël et le Hezbollah, mais cette initiative a été catégoriquement rejetée jeudi par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.

Haaretz a rapporté jeudi que M. Netanyahou s'était d'abord engagé verbalement auprès des États-Unis, mais qu'il était revenu sur sa décision après avoir essuyé des critiques de la part de certaines factions de sa coalition gouvernementale.

L'Assemblée générale des Nations unies se tient cette semaine à la suite de frappes aériennes meurtrières menées par Israël le long de la frontière sud du Liban et dans plusieurs banlieues de Beyrouth, ainsi que du déploiement récent de brigades supplémentaires de l'armée à la frontière nord.

Les frappes aériennes israéliennes sur le Liban ont déjà tué plus de 600 personnes.

La demande de trêve a reçu le soutien de plusieurs pays, dont les États-Unis, l'Australie, le Canada, l'Union européenne et plusieurs pays du Moyen-Orient, appelant en outre au « soutien immédiat des gouvernements d'Israël et du Liban ».

Le président français Macron a averti que la poursuite de l'agression israélienne pourrait engendrer « une source dangereuse de haine et de ressentiment, mettant en péril la sécurité de tous, y compris celle d'Israël ».

« La France veillera à ce que tout puisse être fait pour que le peuple palestinien puisse enfin avoir un État. Aux côtés d'Israël », a ajouté M. Macron.

Plusieurs groupes ont organisé des manifestations devant le siège de l'ONU jeudi, bien que le discours du premier ministre israélien ait été reporté à vendredi. La presse israélienne rapporte à présent que le voyage aux États-Unis du dirigeant contesté pourrait être purement et simplement annulé.

La position de l'Europe

L'atmosphère de l'assemblée générale est restée tendue, les dirigeants soulignant le besoin critique de solidarité et de mesures unifiées comme seul moyen de rétablir la paix.

S'exprimant au nom de l'Union européenne, Charles Michel, le président du Conseil européen, a également exhorté Israël à œuvrer en faveur d'une solution pacifique à ce qui ressemble désormais à une guerre sur deux fronts, Gaza et le Liban.

« Je dis ceci au gouvernement d'Israël : il est impossible d'essayer d'obtenir la sécurité sans la paix. Sans paix, il ne peut y avoir de sécurité durable. Un monde animé par la vengeance est un monde moins sûr ».

M. Michel a déclaré que « la sécurité de tous les Juifs » serait compromise si les Palestiniens n'avaient pas leur propre État et que cela conduirait également à « l'affaiblissement du système international qui ne peut être soutenu par une politique de deux poids, deux mesures ».

Au cours des onze derniers mois, les États-Unis, Israël et l'Occident en général ont été accusés par le reste du monde de n'appliquer le droit international que lorsque cela les arrangeait.

Dans un discours qui a duré plus de 15 minutes, le président espagnol Pedro Sanchez a réaffirmé l'attachement de son pays aux valeurs internationales, aux principes du droit international et à une gestion responsable sur la scène mondiale.

M. Sanchez a souligné la foi inébranlable de l'Espagne dans l'obligation de rendre des comptes et dans la lutte sans relâche contre l'impunité, en insistant sur le rôle essentiel que jouent des institutions telles que la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI) dans l'exercice de la justice et la réparation des préjudices subis par les victimes.

La CIJ examine actuellement une affaire présentée par l'Afrique du Sud accusant Israël de génocide, et le procureur général de la CPI, Karim Khan, a demandé des mandats d'arrêt contre le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la défense Yoav Gallant.

Les deux institutions ont été critiquées et menacées par Israël et les États-Unis.

M. Sanchez a ensuite insisté sur la nécessité d'une réponse collective à l'escalade de la violence au Moyen-Orient. La position de l'Espagne sur la guerre de Gaza, a-t-il déclaré, « est restée la même depuis octobre » 2023 et s'aligne sur ses propres principes. « L'Espagne défend la paix, les droits de l'homme et un ordre international fondé sur des règles.

Plus loin dans son discours, M. Sanchez a souligné la nécessité impérieuse de s'attaquer aux causes profondes du conflit israélo-palestinien, déclarant qu'il était « largement temps » de mettre en œuvre une solution à deux États et soulignant que la paix et la sécurité ne pouvaient être obtenues que par le dialogue et le respect du droit international.

La paix et la démocratie dans le monde, comme l'a noté le président, sont soumises à de fortes pressions. « Ce même système multilatéral est celui que le monde a construit, brique par brique, sur les cendres de la barbarie », a-t-il averti.

La réaffirmation de la reconnaissance de la Palestine par l'Espagne, en mai dernier, a constitué un moment clé de son discours.

Le président a déclaré que cette décision reflétait le soutien massif du peuple espagnol. « Cette reconnaissance vise uniquement à promouvoir la paix dans la région », a-t-il affirmé.

Jeudi, le dirigeant palestinien Abbas s'est fait l'écho du statut de membre de l'ONU de la Palestine en demandant : « Que nous manque-t-il pour être assis parmi vous ? Que nous manque-t-il pour être sur un pied d'égalité avec les 194 États membres officiels de l'ONU ? »

M. Abbas a plaidé pour que la résolution récemment adoptée à une écrasante majorité sur l'occupation des territoires palestiniens par Israël ne soit pas vaine.

« Sur les 1000 résolutions prises sur le peuple palestinien depuis 1948 jusqu'à aujourd'hui, pas une seule n'a encore été mise en œuvre ».

Traduction : AFPS

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Une base de données complète sur les résolutions de l’ONU relatives aux sanctions et aux embargos

1er octobre 2024, par Agence Média Palestine — , , ,
L'ONG de défense des droits de l'homme Law for Palestine (L4P) lance ce 24 septembre une base de données qui recense l'entièreté des résolutions décisives de l'ONU de sanctions (…)

L'ONG de défense des droits de l'homme Law for Palestine (L4P) lance ce 24 septembre une base de données qui recense l'entièreté des résolutions décisives de l'ONU de sanctions et d'embargos pris contre les États qui violent les normes juridiques internationales.

L'initiative vise à fournir aux États, aux organisations de la société civile et aux chercheur·ses un vaste registre, allant de 1948 à nos jours, permettant de considérer l'éventail d'actions possibles et pouvant servir de référence pour traiter les violations d'Israël.

« Cette base de données met en lumière à la fois les pratiques internationales antérieures et la responsabilité actuelle de mettre fin à cette situation illégale, notamment par l'imposition d'embargos sur les armes et de sanctions », a déclaré Anisha Patel, membre du conseil d'administration de Law for Palestine. « En présentant les résolutions adoptées par l'Assemblée générale des Nations Unies, y compris la plus récente, le 17 septembre 2024, nous souhaitons soutenir les efforts de responsabilisation et faire pression pour que des mesures efficaces soient prises contre les violations du droit international. »

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Liban, Gaza et Jordanie : les mouvements de colons affichent leurs projets

La colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est occupée est un processus en cours depuis 57 ans. Au cours des dernières années et encore plus au cours des derniers mois, (…)

La colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est occupée est un processus en cours depuis 57 ans. Au cours des dernières années et encore plus au cours des derniers mois, le nombre de colons implantés dans ces territoires a connu une augmentation exponentielle.

Tiré de France Palestine Solidarité. Les auteurs sont de Middle east eye.

Il y a désormais 600 à 800 000 colons dans le Territoire Palestinien Occupé, dont au moins 200 000 dans les quartiers et les extérieurs de Jérusalem-Est occupée. La guerre génocidaire menée contre le peuple palestinien dans la Bande de Gaza a permis à une multitude de leaders politiques israéliens d'officialiser leurs projets de recolonisation de Gaza. Ce même contexte a vu surgir des mouvements de colons appelant à l'occupation et à la colonisation du Sud-Liban et de la Jordanie.

Bande de Gaza

A Gaza, les appels à la colonisation constituent un élément clé de la guerre génocidaire. Les troupes israéliennes mettent constamment en avant la symbolique coloniale et les références aux colonies de Gush Katif, un ensemble d'implantations coloniales israéliennes dans le sud de l'enclave gazaouie, démantelées en 2005 par le gouvernement israélien.

Ces dizaines de soldats israéliens ne sont pas esseulés. Ils bénéficient du soutien et de la mobilisation de pans entiers de la classe politique israélienne. Les soutiens à la recolonisation de Gaza s'expriment des mouvements de colons jusqu'au conseil des ministres israélien, en passant par une grande partie des partis politiques de droite et de dizaines de députés du parlement israélien. Au début de l'année 2024, le ministre de la Sécurité Intérieure a déclaré :

« Ils m'ont dit : nous retournerons à Gush Katif. et je leur ai retorqué : pas seulement à Gush Katif, nous coloniserons dans tout Gaza. »Quelques semaines plus tard, les organisations de colons et les partis de l'extrême droite ont organisé, à Jérusalem, la "Conférence pour la victoire d'Israël - La colonisation apporte la sécurité : Retour dans la bande de Gaza et le nord de la Samarie".

Ces mêmes projets politiques ont pu être exprimées au cours de la « Marche pour Gaza », organisée en mai 2024.

Au cours de cette manifestation, le Député du Likoud, Amit Halevi, a déclaré que la voie privilégiée devait être la réoccupation et la recolonisation intégrale de Gaza. « Plus seulement Gush Katif, mais plutôt 3,4,5 grandes villes comme Ashkelon qui devront être bâties sur la route jusqu'à Rafah ».

Sud du Liban

En parallèle de la guerre génocidaire menée à Gaza, les mouvements de colons se font de plus en plus pressants quant à la colonisation du Sud du LibanEn décembre 2023, un journal sioniste religieux israélien avait annoncé la création future de cinq colonies qui seraient implantées dans « les nouvelles frontières nord d'Israël » qui correspond au territoire du Sud du Liban.Quatre mois plus tard, un mouvement appelant à la colonisation du Liban est officiellement né, le « Mouvement pour la Colonisation du Sud du Liban ».

Enfin à la fin du mois de septembre 2024, le mouvement a publié un projet de carte des colonies israéliennes au sud du Liban. Ce projet montre l'étendue territoriale de cette entreprise coloniale et met en lumière sa volonté de remplacement puisque les noms des colonies sur la carte, sont simplement des versions traduites en hébreu des noms des villes et villages libanais où s'implanteraient les potentielles futures colonies.

Jordanie

Contrairement à Gaza ou au sud du Liban, les volontés d'expansion coloniales en Jordanie n'ont que très rarement été publiquement affichées par les mouvements de colons. Mais l'été 2024 a marqué un tournant. L'inexorable avancée du processus de colonisation de la Cisjordanie occupée, et plus particulièrement de la Vallée du Jourdain, a légitimé et rendu possible les velléités expansionnistes des leaders colons dans la région.Depuis le mois d'août 2024, des affiches ont été placardées dans la Vallée du Jourdain et des distributions de tracts ont eu lieu dans les colonies de la région. Dans quel but ? Appeler à coloniser la « East Bank » la vallée orientale du Jourdain, en d'autres termes la Jordanie.

Sources : Younis Tirawi / Oren Ziv / Middle East Eye / Breaking The Silence / B.M. / Quds News NetworkPhoto : Younis Tirawi

Compilation de photographies de soldats israéliens posant fièrement avec les drapeaux du Gush Katif et affichant des banderoles appelant à la recolonisation de Gaza.

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La Chine change de stratégie pour relancer sa croissance

1er octobre 2024, par Romaric Godin — , , ,
La banque centrale chinoise a annoncé une série de mesures monétaires de grande ampleur pour soutenir le crédit, le secteur immobilier et les marchés financiers. Le signe d'une (…)

La banque centrale chinoise a annoncé une série de mesures monétaires de grande ampleur pour soutenir le crédit, le secteur immobilier et les marchés financiers. Le signe d'une forme de panique de Pékin face à l'affaiblissement de la croissance et à l'épuisement de son modèle économique.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Trois ans après la faillite du plus grand promoteur immobilier chinois Evergrande, Pékin sort le « bazooka » monétaire pour tenter de stopper l'affaiblissement continu de son économie. Mardi 24 septembre 2024, la Banque populaire de Chine (BPC), la banque centrale du pays, a annoncé une série de mesures de soutien massif à l'économie dans une mise en scène particulièrement rare.

Le gouverneur de la BPC, Pan Gongsheng, a convoqué une conférence de presse inopinée pour dérouler son plan. D'abord, une baisse du taux de refinancement à sept jours des banques, l'équivalent du taux directeur chinois, de 1,7 % à 1,5 %. Cette mesure devrait conduire à un recul des taux à moyen et long terme.

En parallèle, et pour la première fois, la BPC a doublé cette baisse des taux par une baisse des réserves obligatoires des banques de 1 000 milliards de yuans (environ 128 milliards d'euros) et par une baisse du taux de crédit immobilier pour les crédits en cours. Cette dernière mesure devrait, selon Pan Gongsheng, soutenir les revenus de 150 millions de personnes à hauteur de 150 milliards de yuans (environ 19,1 milliards d'euros).

Le plan de la BPC inclut également le soutien direct aux rachats des terrains des sociétés d'immobilier en difficulté par le secteur privé, venant compléter les 300 milliards de yuans (environ 38,2 milliards d'euros) accordés en mai aux autorités locales pour racheter les logements non vendus. Les mesures prises en 2021 par le gouvernement central pour freiner la spéculation immobilière, notamment la surcharge sur les rachats de résidences secondaires, sont abolies.

Enfin, la BPC a annoncé qu'elle mettait en place un programme de liquidité de 500 milliards de yuans, soit environ 63,8 milliards d'euros, pour les acteurs des marchés financiers chinois, compagnies d'assurance, fonds de gestion, courtiers. Ces acteurs pourront venir piocher dans cette facilité en plaçant des actions en garantie.

Pan Gongsheng a d'ores et déjà promis que, si cette mesure était un succès, 500 milliards de yuans supplémentaires pourraient être débloqués. Et pour faire bonne mesure, les autorités chinoises ont annoncé discuter d'un « fonds de stabilisation » pour « soutenir le marché financier ». En tout, ce serait là encore 1 000 milliards de yuans qui seraient injectés dans le système financier chinois.

L'ampleur de la crise chinoise

Toutes ces mesures ont logiquement réjoui les opérateurs boursiers chinois et, plus largement, asiatiques. L'indice CSI de Shanghai a bondi de 4,3 %, par exemple. Mais l'ampleur de l'annonce, que ce soit en termes de fonds injectés comme en termes de diversité des mesures, semble surtout montrer qu'une forme de panique s'est emparée des autorités de Pékin.

Depuis trois ans, la crise immobilière pèse lourdement sur la croissance chinoise. Avec la fuite en avant du pays dans la spéculation immobilière, qui s'est accélérée en 2015-2016 lorsqu'il a dû prendre des mesures contre la surproduction industrielle, construction et immobilier ont représenté jusqu'à 30 % du PIB chinois.

La faillite d'Evergrande à l'automne 2021 s'est propagée aux autres grands promoteurs ayant le même modèle économique (payer les constructions en cours avec les paiements des constructions futures) a logiquement donné un coup d'arrêt aux programmes immobiliers. Beaucoup d'acheteurs se sont retrouvés sans fonds et sans logements, conduisant à une baisse des ventes, soit faute de moyens, soit par précaution. Les prix se sont alors effondrés, conduisant à de nouvelles faillites qui ont fini par peser sur le secteur de la construction.

Pendant longtemps, Pékin a pris des mesures de stabilisation minimales et les autorités se sont toujours refusées à reconnaître le sérieux de la situation. L'effet négatif sur les revenus et la confiance des ménages s'est diffusé et a commencé à peser sur la demande intérieure. La baisse des prix a alors commencé à se généraliser. En 2023, le déflateur du PIB, c'est-à-dire l'évolution des prix s'appliquant à l'ensemble de l'économie, a reculé de 0,5 %. Cette amorce de déflation a pesé sur la rentabilité du secteur privé chinois, ce qui a conduit à une demande encore plus faible.

Pour contrer le phénomène, les autorités de Pékin ont répondu en accélérant les investissements dans les technologies de pointe et en relançant le moteur des exportations. La Chine a cherché à tirer profit de ses tensions internes en exportant sa surcapacité à des coûts très bas. La stratégie a partiellement fonctionné : les exportations chinoises ont, selon le Fonds monétaire international (FMI), gagné, en 2023, 1,5 point de part de marché par rapport à la période 2017-2019.

L'ennui, c'est que ces gains de part de marché affaiblissent la demande des autres économies, par exemple l'Allemagne en Europe, sans régler les problèmes internes, puisqu'ils se font à des prix bas. En parallèle, les investissements massifs dans les technologies de pointe peinent à produire des effets macroéconomiques concrets : ce secteur ne peut pas être un moteur de l'activité globale.

L'affaiblissement de la croissance

Résultat : la croissance n'a cessé de s'affaiblir. Au deuxième trimestre 2024, le PIB chinois a progressé de 4,7 % sur un an, bien en deçà des attentes des économistes à 5,1 %. Ce niveau met en doute l'objectif gouvernemental de 5 % pour l'ensemble de l'année. La croissance est très fortement portée par les investissements publics dans les transports et les infrastructures, mais l'investissement privé, lui, est pratiquement stagnant.

La situation n'est pas tenable en l'état. La croissance repose sur la construction publique de capacités déjà excédentaires dans les infrastructures et l'industrie. L'effet d'entraînement de ces mesures est quasiment inexistant : elles permettent tout juste de maintenir une forme de statu quo qui, dans le contexte chinois, signifie une croissance de 5 %. Le chiffre du deuxième trimestre vient même prouver que cette stabilisation n'est pas acquise. Certains économistes prédisent une croissance qui n'excédera pas 4 % cette année.

Un tel décrochage est inadmissible pour le pouvoir central chinois, dont l'objectif est de rejoindre les puissances occidentales en termes de PIB par habitant. Aujourd'hui, ce ratio en parité de pouvoir d'achat représente, en Chine, 30 % de celui des États-Unis. Pékin ne peut donc espérer rattraper son retard avec une croissance de 4 %, supérieure de 1,5 point à celle des États-Unis. Autrement dit : pour sortir du « piège du revenu moyen » que Xi Jinping redoute depuis son arrivée au pouvoir, il faut maintenir un taux de croissance élevé.

L'objectif semble de moins en moins tenable. Ce même Xi Jinping a dû même implicitement reconnaître ce fait le 12 septembre dans un symposium à Lanzhou. Il n'y a pas évoqué l'objectif des 5 %, mais a indiqué que la Chine devait « aspirer à remplir les objectifs et les tâches de développement économique et social pour l'année ». Ce changement sémantique subtil a beaucoup inquiété les observateurs. Il traduisait sans doute une forme de panique.

Le risque est que la spirale déflationniste s'accélère et que l'ensemble du secteur privé chinois tombe en récession. Les remontées du terrain sont fort inquiétantes. Ainsi, le quotidien de Hong Kong South China Morning Post relate, mardi 24 septembre, la situation critique du secteur de la distribution chinoise d'automobiles. Le secteur est pris dans une logique de demande faible, de baisses agressives de prix et de surstockage. 138 milliards de yuans (environ 18 milliards d'euros) seraient déjà perdus par les entreprises.

Pour l'instant, la demande publique permet de réduire les effets sur l'emploi, mais le chômage des jeunes ne cesse d'augmenter. Malgré un changement de mode de calcul destiné à réduire le taux de chômage des 16-24 ans, celui-ci a bondi en août à 17,4 %, contre 13,2 % en juin. Plus la déflation sera forte, plus le maintien de l'emploi sera difficile. Or, ici, l'enjeu devient politique : le Parti communiste chinois s'appuie sur une promesse de prospérité et d'emploi qui semble de plus en plus difficile à tenir.

Panne de modèle économique

C'est dans ce contexte que Pékin a décidé de changer de stratégie et de reconnaître le caractère sérieux de la situation. Les mesures annoncées par la BPC visent à soutenir le secteur privé et à mettre fin aux difficultés du secteur immobilier. L'ambition principale est de créer un « choc de confiance » qui permette aux entreprises et aux consommateurs de reprendre leurs dépenses et de les financer par l'accès au crédit.

Sur le papier, ce réveil peut paraître bienvenu. Mais la réussite de la nouvelle stratégie chinoise reste très incertaine. Le problème de la Chine est plus structurel que conjoncturel, c'est un problème de modèle économique. La Chine reste plus que jamais l'atelier d'un monde en surproduction industrielle et son rythme de croissance dépend de la dépense publique, qui elle-même repose sur le succès des exportations.

Mais, pour maintenir son rythme d'accumulation du capital, les succès à l'export ne suffisent pas. La solution n'est-elle pas alors de soutenir la consommation des ménages en augmentant les salaires ? En réalité, cette option, qui a longtemps été un objectif, est difficilement réalisable pour le capitalisme chinois.

Les gains de productivité du pays sont trop faibles pour basculer vers un régime dominé par la consommation des ménages. La hausse de la consommation pourrait certes temporairement venir éponger la surcapacité industrielle, mais elle menacerait la compétitivité externe du pays, qui repose encore largement sur les coûts et conduirait à ajuster la dépense publique. En définitive, la croissance s'affaiblirait. C'est un phénomène bien connu en Occident dans les années 1970 : l'aboutissement du développement de la consommation de masse a été la désindustrialisation et l'affaiblissement du régime de croissance.

Pour sortir de cette contradiction, la Chine a déjà essayé la bulle immobilière, ce qui a encore aggravé la situation. L'idée de Xi Jinping de « développer les nouvelles forces productives », c'est-à-dire de faire de la Chine le centre des nouvelles technologies, a connu de beaux succès, mais il est illusoire de penser que ce secteur puisse se substituer aux secteurs traditionnels pour fournir des emplois et des revenus à la masse de la population. Le risque, là aussi, est de se retrouver face à une bulle.

L'annonce de Pan Gongsheng laisse presque penser que la BPC espère développer un régime de croissance fondé sur la financiarisation et le crédit. Mais là encore, faute de perspectives concrètes, la seule possibilité est celle d'une bulle financière qui, comme la bulle immobilière, viendra, in fine, rajouter une crise à la crise.

On compare souvent la situation actuelle de la Chine à celle du Japon des années 1990. La comparaison est en partie valable et conduit à douter du succès du « bazooka » monétaire. Au Japon, l'assouplissement monétaire n'a pas mis fin à la déflation, bien au contraire, précisément parce que les salaires étaient sous la pression de compétitivité externe.

Mais la crise chinoise est encore plus complexe, dans la mesure où la Chine n'a pas achevé son développement capitaliste et se retrouve face à des impasses qui sont celles des pays occidentaux avancés, comme la surcapacité industrielle, l'épuisement de la financiarisation et les limites de la croissance technologique.

La Chine avait réussi à déjouer toutes les crises depuis sa transition vers le capitalisme dans les années 1980. Elle avait évité le sort des pays de l'ex-URSS, n'avait pas été emportée par les crises de 2001 et 2008. Mais depuis une dizaine d'années, elle est rattrapée par la crise du capitalisme global, dont elle est devenue un maillon essentiel.

La vitesse de son développement a donc un revers : celui d'arriver plus rapidement, et bien trop tôt au goût de ses dirigeants, dans l'impasse où se trouvent les pays avancés. Le besoin continuel de croissance du capital s'oppose, en Chine comme ailleurs, aux conditions de sa réalisation. Il ne reste alors plus que la fuite en avant, pratiquée ici comme ailleurs.

Romaric Godin

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Northvolt annonce de nouvelles réductions, inquiétant les investisseurs

1er octobre 2024, par The Economist — , , ,
Présentation Northvolt, cette petite multinationale suédoise qui ne possède qu'une seule usine en production, cherche à devenir le fer de lance de la filière batterie de (…)

Présentation Northvolt, cette petite multinationale suédoise qui ne possède qu'une seule usine en production, cherche à devenir le fer de lance de la filière batterie de l'Union européenne tout en s'insérant en même temps dans celle nord-américaine par l'intermédiaire du Canada-Québec prêt à risquer des sommes faramineuses pour la soutenir. Le ralentissement inattendu du marché des véhicules électriques sur fond de compétition avec la Chine plus avancée technologiquement dans ce domaine, produisant à meilleur marché et dominant de loin le marché mondial met en évidence l'enflure de la stratégie de l'entreprise cherchant en même temps à construire la partie manufacturière de la filière de haut en bas (de la cathode au recyclage) et de s'implanter sur deux marchés majeurs. Il serait tout à fait logique pour l'entreprise de lâcher le morceau nord-américain si la pression des grands financiers mondiaux devenait trop forte.

Marc Bonhomme, 29/09/24.
Traduction : Marc Bonhomme

26 septembre 2024 | tiré de The Economist
Source : https://www.economist.com/business/2024/09/26/northvolt-announces-more-cuts-worrying-investors?etear=nl_business_7&utm_id=1928018

Northvolt avait tous les atouts d'un champion industriel. Les capitaux avaient afflué de titans de Wall Street tels que Goldman Sachs et BlackRock. Plusieurs gouvernements avaient béni ses projets en lui accordant de généreuses subventions et de gros clients s'étaient portés garants de sa technologie. Mais le 23 septembre, le fabricant suédois de batteries, âgé de sept ans, a annoncé qu'il suspendait les travaux dans l'une de ses nouvelles usines, qu'il ralentissait l'expansion de son unité de recherche et de développement et qu'il licenciait un cinquième de sa main-d'œuvre. Il s'agit de la deuxième série de réductions en un mois.

Peter Carlsson, le patron de Northvolt, a mis en cause "les vents contraires du marché de l'automobile et le climat industriel général". Les constructeurs automobiles, y compris Volkswagen, le plus grand investisseur de Northvolt, se sont heurtés à l'économie des véhicules électriques (VE), certains affichant des pertes dans leurs divisions électriques. La demande de véhicules électriques s'est ralentie, ce qui a entraîné une baisse de la demande de cellules qui les alimentent. Même les grands fabricants de batteries, comme le sud-coréen SKOn et LG Energy Solution, sont confrontés à des marges de plus en plus faibles. Northvolt a perdu 1,2 milliard de dollars US l'année dernière, soit quatre fois plus qu'en 2022.

Pourtant, le plus gros problème de Northvolt est auto-infligé. Alors que son financement cumulé sous forme de dette, d'actions et de subventions atteignait 15 milliards de dollars US l'année dernière, l'entreprise a multiplié les paris technologiques. Elle a développé une nouvelle batterie sodium-ion, investi dans des batteries à base de bois avec Stora Enso, une société papetière, et soutenu des batteries pour l'aviation par l'intermédiaire de Cuberg, une startup qu'elle a rachetée en 2021.

Elle a agrandi son centre de R&D et s'est lancée dans l'intelligence artificielle - en vogue auprès des investisseurs - en mettant en place une nouvelle équipe chargée des logiciels. Elle a soutenu Liminal, une startup spécialisée dans l'analyse des batteries, et s'est engagée dans des coentreprises telles qu'un centre de R&D avec Volvo Cars et une raffinerie de lithium portugaise. En raison de ces dépenses, 2023 a été son "année d'investissement la plus importante", a déclaré Northvolt, avec un investissement moyen de 200 à 300 millions de dollars par mois. L'objectif de Northvolt est de devenir rapidement un géant européen de la batterie intégré verticalement.

Avec des sites de production à forte intensité de capital au Canada, en Allemagne, en Pologne et en Suède, Northvolt espère disposer d'une capacité de production de cellules de plus de 150 gigawattheures (gwh) d'ici 2030, soit dix fois sa capacité actuelle. (Les sceptiques ont fait remarquer que si les 15 milliards de dollars de financement de Northvolt étaient allés aux fabricants de batteries en place, tels que les entreprises sud- coréennes possédant des usines en Europe, ils auraient pu presque doubler la capacité de fabrication de batteries de l'Europe, pour atteindre plus de 300 gwh).

Au lieu de cela, la jeune entreprise a été détournée de son objectif principal : produire des batteries pour les véhicules électriques dans les délais impartis. Le 20 juin, le constructeur automobile allemand BMW a annulé une commande de 2,1 milliards de dollars à Northvolt en raison des retards. Rien de tout cela ne devrait surprendre M. Carlsson : le rapport annuel de Northvolt fait état d'un risque de "dépassement du plan en raison de multiples projets d'expansion". Ces problèmes nuisent aux efforts déployés par l'Europe pour soutenir une industrie d'importance stratégique sur le continent.

Le contrôle des opérations tentaculaires de Northvolt permettra de réduire la consommation de liquidités, mais les investisseurs et les créanciers commencent à s'inquiéter. Northvolt compte des banques américaines comme JPMorgan Chase parmi les 25 prêteurs qui lui ont accordé un prêt de 5 milliards de dollars en janvier. Les créanciers devraient se réunir le 27 septembre pour décider si l'entreprise peut utiliser ce prêt. Ces derniers jours, certains prêteurs ont fait appel à des conseillers pour évaluer les options qui s'offrent à eux si la pénurie de liquidités s'aggrave. Pour éviter une grave crise de confiance, M. Carlsson devra commencer à livrer rapidement le carnet de commandes de Northvolt, qui s'élevait à 53 milliards de dollars l'année dernière. Dans le même temps, il devra réduire encore davantage la taille de l'entreprise surchargée.

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Projet de loi n°69 : le gouvernement doit faire les choses dans l’ordre, selon des groupes de la société civile

30 septembre 2024, par Front commun pour la transition énergétique — , ,
Montréal, le 26 septembre 2024 – Au lendemain de la fin des consultations particulières sur le projet de loi n°69, Loi assurant la gouvernanceresponsable des ressources (…)

Montréal, le 26 septembre 2024 – Au lendemain de la fin des consultations particulières sur le projet de loi n°69, Loi assurant la gouvernanceresponsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives, des groupes issus de la société civile réitèrent leur demande de suspendre les procédures parlementaires sur ce projet de loi
et de le réviser de fond en comble, après un véritable débat public large sur l'énergie effectué dans le cadre d'une commission indépendante et lors de laquelle l'ensemble des voix de la société québécoise auront été entendues.

Ce débat public, réclamé de toutes parts depuis près de deux ans par de nombreux groupes et spécialistes, devrait constituer le socle sur lequel plusieurs scénarios de plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE) devront être élaborés et débattus en misant sur une approche systémique plutôt qu'une approche en silo. Ces scénarios devraient notamment inclure :

l'identification des véritables besoins en énergie pour réussir la décarbonation complète du Québec ;

les différents usages possibles de l'énergie ;
les multiples impacts de la production d'énergie sur le territoire ;
les mesures garantissant l'accès aux services énergétiques et un niveau de vie décent pour toutes et tous, en conservant les tarifs d'électricité à un niveau accessible pour les ménages à faible revenu pour répondre à leurs besoins essentiels ;
les options liées à la sobriété, la réduction de la demande, à l'efficacité énergétique et aux sources d'énergies renouvelables.

Ces scénarios devraient être débattus au sein d'une institution indépendante du gouvernement. Les groupes réitèrent leur offre de collaboration à cet égard.

Les groupes sont également préoccupés parles éléments suivants :

Ils doutent que le projet de loi permette la décarbonation du Québec et la protection du territoire. Si le présent est garant de l'avenir, rien ne permet de croire que l'avalanche de nouvelle puissance bénéficierait nécessairement aux entreprises existantes qui veulent verdir leurs opérations et à qui on refuse les quelques mégawatts nécessaires, comme les Forges de Sorel. Le PL-69 favorise plutôt de nouveaux projets industriels, souvent initiés par des multinationales ayant peu ou même rien à voir avec la décarbonation.

Des impacts importants sur les tarifs. L'ajout massif de capacités électriques favorisé par le PL-69 ferait inévitablement augmenter les tarifs résidentiels et commerciaux, puisque les nouvelles infrastructures coûtent beaucoup plus cher que les capacités existantes et que le gouvernement cherche à appâter les industries avec une électricité à rabais. Les commerces et les ménages, surtout les moins nantis, assumeraient ainsi une part disproportionnée des coûts de la transition.

Un projet de privatisation. Sous le prétexte d'accélérer l'ajout de capacités énergétiques sans preuve à l'appui, le PL-69 ouvrirait des brèches béantes dans le caractère public du secteur électrique québécois, et ce, sans l'aval de la population. En 1962, nous avons collectivement rejeté la mainmise du privé sur l'électricité lors d'une élection référendaire qui a façonné le Québec d'aujourd'hui. De la même façon, nos décisions d'aujourd'hui façonnent le Québec de demain.

Un projet de loi qui ne priorise pas la sobriété énergétique, bien que cela permette de minimiser la construction de nouvelles infrastructures et ainsi contrôler les coûts de production, l'impact tarifaire et les impacts sur le territoire.

Pour toutes ces raisons, nous demandons au gouvernement de mettre le PL-69 de côté, le temps d'élaborer collectivement une politique énergétique et un PGIRE, un outil demandé depuis longtemps par les groupes, qui exprimera clairement la volonté de la population quant à son avenir. Les groupes insistent sur la nécessité que cette politique énergétique et ce PGIRE soient adoptés à la suite d'un véritable débat public. Il sera ensuite possible d'enchâsser la volonté de la population dans une loi qui serait le fruit d'un véritable processus démocratique.

Signataires :

Mélanie Busby, Front commun pour la transition énergétique

Bruno Detuncq, Regroupement vigilance énergie Québec (RVÉQ)

Émilie Laurin-Dansereau, ACEF du Nord de Montréal

Maxime Dorais, Union des consommateurs

Michel Jetté, GroupMobilisation (GMob)

Alice-Anne Simard, Nature Québec

Patricia Clermont, Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME)

Charles-Edouard Têtu, Équiterre

Jacques Lebleu, Mobilisation environnement Ahuntsic-Cartierville

Shirley Barnea, Pour le futur Montréal

Jean-Pierre Finet, Regroupement des organismes environnementaux en énergie

Pour la liste complète des signataires.

Immigration : vers une Europe forteresse ?

30 septembre 2024, par Stage Été 2024 Alternatives
Mycea Thebaudeau, stagiaire d’Alternatives en Tunisie Les dangers liés à l’externalisation du régime de contrôle des frontières européennes (Extrait d’un rapport rédigé par (…)

Mycea Thebaudeau, stagiaire d’Alternatives en Tunisie Les dangers liés à l’externalisation du régime de contrôle des frontières européennes (Extrait d’un rapport rédigé par l’autrice pour le Forum Tunsien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) qu’on peut lire en suivant le lien ici). Le (…)

L’incompréhensible impunité d’Israël

30 septembre 2024, par Blast — , , ,
tiré du site de Blast https://www.youtube.com/watch?v=xNv-8dIT-wk Présentée comme une opération contre le Hezbollah, Israël mène depuis le 17 septembre, des attaques (…)

tiré du site de Blast
https://www.youtube.com/watch?v=xNv-8dIT-wk

Présentée comme une opération contre le Hezbollah, Israël mène depuis le 17 septembre, des attaques meurtrières au Liban. Explosions de bipeurs et talkies-walkies, bombardements sur tout le Liban et menace d'invasion terrestre. À ce jour, on compte plus de 500 Libanais tués, dont 50 enfants. Dans la prolongation du génocide en cours à Gaza, Netanyahu semble résolu à tout écraser sur son passage. Depuis le début des attaques, c'est la même propagande qui a été utilisée pour raser Gaza, qui est à l'œuvre : le Hezbollah utilise les civils comme boucliers humains, les habitations cachent des armes et l'armée israélienne se toise de prévenir les civils avant de les bombarder. On va donc tenter ici de comprendre ce qu'il se joue, aux cotés de Ziad Majed, politiste et chercheur franco-libanais, spécialiste du Moyen-Orient et des relations internationales. Et Sylvain Cypel, journaliste franco-israélien à Orient XXI et à l'hebdomadaire le 1.

Journaliste : Yanis Mhamdi
Montage : Mehdi Lakhal
Son : Baptiste Veilhan
Graphisme : Morgane Sabouret
Production : Hicham Tragha
Directeur des programmes : Mathias Enthoven
Rédaction en chef : Soumaya Benaïssa
Directeur de la publication : Denis Robert

Le site : https://www.blast-info.fr/

Manifestation nationale Les Fonds Publics pour le Filet Social – 3 octobre à Québec

30 septembre 2024, par Coalition Main rouge — ,
Le 3 octobre 2024 marque le 2ème anniversaire de la ré-élection de la CAQ. Dénonçons ses choix budgétaires inégalitaires ! Alors que les Kings de Los Angeles arrivent en ville (…)

Le 3 octobre 2024 marque le 2ème anniversaire de la ré-élection de la CAQ. Dénonçons ses choix budgétaires inégalitaires ! Alors que les Kings de Los Angeles arrivent en ville pour un match de hockey financé à même les fonds publics, rejoignez des dizaines d'organisations sociales, communautaires, syndicales et féministes pour défendre les services publics, les programmes sociaux et la justice sociale.

Les décisions de la CAQ favorisent les riches et le secteur privé : privatisation croissante, centralisation des pouvoirs en santé et en éducation, financement insuffisant du logement social, baisses d'impôts qui profitent aux plus fortunés, etc… Ces choix creusent les inégalités, entrainent plus de souffrance sociale, des files d'attente aux banques alimentaires et une augmentation des personnes en situation d'itinérance. La fiscalité doit redistribuer la richesse, pas la laisser s'accumuler dans les poches d'une minorité. La CAQ détourne les fonds publics et privatise nos services. Ça suffit !

La Coalition Main Rouge, le RÉPAC-03-12, le Regroupement des groupes de femmes de la Capitale nationale et le Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches–CSN vous invitent à une grande manifestation à Québec. Faisons entendre notre voix !

Rendez-vous à Québec le 3 octobre 2024, à 12h00

Départ au Parc Cartier Brébeuf (175 Rue de l'Espinay)

MATÉRIEL DE MOBILISATION :

Événement Facebook

Vignette réseaux sociaux

Affiche

Tract

Vignettes thématiques

🚌Départs en autobus de différentes villes

📍 Formulaire d'inscription pour le transport qui partira de l'Estrie : https://forms.gle/RoxGufmsfKLcj86y7

📍Formulaire pour l'un des autobus qui partira de Montréal : https://framaforms.org/inscription-et-transport-pour-la-manifestation-les-fonds-publics-pour-le-filet-social-montreal

📍Formulaire d'inscription pour le transport qui partira de Joliette dans Lanaudière : https://forms.office.com/r/bA8kscXwVB

📍Départ de Trois-Rivières, en Mauricie à 10h00. Les personnes intéressés doivent s'inscrire par courriel à Pascal.bastarache@csn.qc.ca.

📍 Formulaire d'inscription pour le bus qui partira de Longueuil

📍Départ de la Rive-Sud de Québec : Il faut s'inscrire en écrivant à julie.boudreault@csn.qc.ca

Départ Cégep Lévis-Lauzon à 10h45 Départ du Maxi de St-Romuald à 11h15.

Chers vivants, tous les humains ne sont pas identiques

30 septembre 2024, par Marc Simard
Cet été, mon amoureuse et moi, nous eûmes la volition d’aller observer le coucher du soleil au belvédère de la Croix à Saint-Pacôme. L’âme intrépide, nous avions conclu que ce (…)

Cet été, mon amoureuse et moi, nous eûmes la volition d’aller observer le coucher du soleil au belvédère de la Croix à Saint-Pacôme. L’âme intrépide, nous avions conclu que ce serait en gravissant la montagne, par la vétuste pente de ski, que nous y parviendrions. La montée, bien que quelque peu (…)

Des nouvelles de la Coop Raquette

29 septembre 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local La Coop Raquette est une coopérative culturelle basée au Bas-Saint-Laurent fondée par 3 collaborateurices, Jowi (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local La Coop Raquette est une coopérative culturelle basée au Bas-Saint-Laurent fondée par 3 collaborateurices, Jowi Harvey, Camille Paquin et Audrey-Ann Allen. Elle se distingue par son approche solidaire et son engagement envers les artistes (…)

La connaissance, cinquième élément du hip-hop

28 septembre 2024, par Raccoon, Samuel Raymond, Audrée T. Lafontaine — , , , ,
Raccoon, âgé de 25 ans, est originaire de l'est de Montréal. Il se définit comme auteur, compositeur, interprète, écrivain, poète et animateur d'ateliers. Propos recueillis (…)

Raccoon, âgé de 25 ans, est originaire de l'est de Montréal. Il se définit comme auteur, compositeur, interprète, écrivain, poète et animateur d'ateliers.

Propos recueillis par Audrée Thériault Lafontaine et Samuel Raymond

À bâbord ! : Comment le hip-hop est-il entré dans ta vie ?

Raccoon : Il y a toujours eu de la musique chez nous, on est de très grands fans de musique dans la famille. J'ai une grande sœur qui importait tous les plus grands hits américains, surtout hip-hop. Tout ce que ma grande sœur écoutait, je l'écoutais aussi. Tous mes goûts viennent de là. J'ai aussi un grand frère qui s'intéresse au rap et qui m'a initié à la création musicale. Ce qui m'a poussé vers le rap francophone, c'est l'amour du français qui m'a été donné par mes parents. J'ai toujours eu des bibliothèques bien garnies. Je me rappelle de leurs yeux qui s'illuminaient lorsque je m'y intéressais. Ça a été un point important de ma relation avec mes parents. Ce qui lie le mieux la littérature et la musique, c'est le rap, soit Rhythm And Poetry.

ÀB ! : Tu as déjà décrit le hip-hop comme un vecteur de messages sociaux. Est-ce qu'il y a des messages en particulier que tu souhaites transmettre par ta musique ?

R. : Ce que j'essaie d'abord et avant tout de transmettre, c'est la réflexion intellectuelle, l'excellence et la connaissance. L'avenir de la poésie se retrouve dans le rap. C'est mon créneau principal. Le rap est une discipline complexe, intellectuelle, poétique et qui devrait être reconnue pour ça. Pour moi, ça devrait être autant reconnu que les orchestres symphoniques !

Il y a aussi le côté discours, la volonté de défendre quelque chose. On dit que le hip-hop a quatre éléments, le Graf, le DJing, le Rap et le Break. Mais il y a aussi un cinquième élément, la connaissance. La transmission des connaissances sert à l'émancipation. C'est né du bas, dans le Bronx, à New York. Ça vient des personnes racisées et marginalisées. Le hip-hop c'était un vecteur de conscience noire pour éduquer son quartier, sa communauté.

Un rappeur n'est pas obligé d'être dans ce créneau-là. Le rap évolue avec le temps. Aujourd'hui, c'est plus du divertissement. En fait, ça l'a toujours été, mais avant, le divertissement était un prétexte pour distribuer de la connaissance et favoriser l'empowerment. Il y a des notions ou des traditions qui se perdent avec le temps et moi je souhaite les garder.

ÀB ! : Dans une des chansons de ton nouvel album, tu « exiges qu'on rende hommage aux endommagé·es » Qui sont-iels ?

R. : Les endommagé·es, ce sont les personnes des quartiers défavorisés, celles qui subissent de l'oppression, les personnes racisées, celles pour qui la vie a mis plus d'obstacles que d'autres dans leurs pas. Les endommagé·es, ce sont aussi les personnes créateurices de cette culture-là, donc celles qui viennent du bas de la société, qui essaient avec les moyens du bord de s'en sortir, de s'en sauver, d'être créatives. Pour une fois, j'ai envie qu'on rende hommage aux personnes pour qui c'est plus difficile.

ÀB ! : Tu animes des ateliers d'écriture auprès de jeunes. Pour quelles raisons est-ce important pour toi ? Qu'est-ce qui en ressort ?

R. : Mis à part mon histoire familiale qui m'a poussé vers le rap, ce qui m'a poussé vers une carrière, ce sont les ateliers parascolaires à la Maison des jeunes juste en bas de chez nous, dans mon plan HLM. Ce sont des moments qui m'ont marqué à vie. Ils m'ont donné une raison de vivre. Aussi, quand j'étais jeune, je me questionnais sur mes capacités intellectuelles, parce que je n'étais pas très bon à l'école. Dans ces ateliers, c'était la première fois que je me trouvais des qualités. Je me dis que si je peux recréer ces moments-là pour d'autres adolescent·es qui sont dans la même position que moi – et je sais qu'il y en a – ça va permettre de recréer ces moments-là que j'adore, mais ça va aussi leur donner des mots. Les jeunes ont des choses à dire, des réalités à exprimer. Tu as accès à l'intimité des gens à travers l'art. C'est unique. J'ai la chance d'avoir accès à ces moments-là. Je suis très proche des jeunes avec qui je fais ces ateliers.

L'autre volet, c'est aussi qu'avec toute l'expansion de la culture hip-hop – c'est le style le plus écouté dans le monde – tou·tes les jeunes écoutent du rap. Il y en a beaucoup qui sont intéressé·es par le rap, mais qui n'en connaissent pas vraiment l'origine. Faire un atelier, ça me permet de rappeler les codes de base, de favoriser une tradition de la transmission, qui est l'une des valeurs fondamentales du hip-hop. C'est donc ma responsabilité, pas seulement en tant que rappeur, mais en tant que personne qui s'identifie à cette culture.

Première révélation rap de Radio-Canada et finaliste de la première saison de La fin des faibles à Télé-Québec, Raccoon a su se tailler une place dans le milieu artistique québécois. Aussi reconnu par ses pairs pour sa plume et son flow, il a collaboré avec plusieurs grands noms du hip-hop québécois, dont Loud, sur la chanson « Win Win ». Son troisième album, intitulé C00N : La prophétie, a été lancé à l'automne dernier.

Court circuit panoramique D.I.Y.

28 septembre 2024, par Ramon Vitesse — , ,
Le punk, malgré ses outrances et ses révoltes, a subi, comme à peu près tous les idiomes musicaux, la récupération commerciale et capitaliste d'une part, et, d'autre part une (…)

Le punk, malgré ses outrances et ses révoltes, a subi, comme à peu près tous les idiomes musicaux, la récupération commerciale et capitaliste d'une part, et, d'autre part une standardisation de « style » dans laquelle l'histoire de la musique (médias, hits, encyclopédies, etc.) l'a confiné. Envers et contre ce triste réductionnisme, prenons les chemins de traverses séditieux en allant à la rencontre de l'underground – au lieu d'Internet, allons pour ce faire dans les salles de seconde zone pour rencontrer cette musique enragée !

À la fin des années 1980, VALIUM ET LES DÉPRESSIFS constitue un point de départ bariolé conjuguant provocation et BD weird avec Henriette Valium (chanteur et BD underground). Ils étaient de la compil Lâchés Lousses (Tir Groupé 1990) – associée aux sources du punk québécois, qui présentait aussi LES REX, B.A.R.F. (Blasting All Rotten Fuckers) et un incontournable maudit : AMNÉSIE – la pièce « Pas des leurs » fait figure d'hymne de ce groupe qui avait une bassiste avant l'heure.

Les années 90 et 2000 sont foisonnantes… La scène anglophone bûche avec des sous-genres, dont le garage punk de DÉJÀ VOODOO quasi tribal et le punk rock de RIP'CORDZ (Paul Gott, chanteur et guitariste, a publié le journal/zine Rear Guard, un précurseur des hebdos culturels à Montréal). N'oublions pas les résistants RHYTHM ACTIVISM de Norman Nawrocki qui frappe fort en déconstruisant le punk, en y insérant du violon, mais aussi en y insufflant l'esprit de Crass, Chumbawamba et même Uz Jsme Doma pour porter des textes inimitables – « Jesus Was Gay » (G-7 Welcoming Committee) en est une pièce à conviction. L'imprimeur catholique initial avait détruit la pochette, sacrilège ! C'est d'ailleurs de RHYTHM ACTIVISM qu'émergea URBAIN DESBOIS – chanson anar avec, notamment « Ma maison travaille plus que moi ». Après quelques disques chez La Tribu, le doux cinglé redeviendra souterrain…

Côté francophone, attirons l'attention sur des oubliés incandescents : BANLIEUE ROUGE (Safwan, chanteur et guitariste, fera ensuite AKUMA) en punk rock dans la foulée de Bérurier Noir, LES MALADES MARTEAUX en minimaliste duo guitare et boîte à rythmes, et fan du dadaïsme (à la fin de l'année 2022, ils jouaient aux Foufs lors du lancement du bookzine Macadam !), GUÉRILLA au rap métal agité (voir Manifeste, un album inspiré par la mouvance politisée et la mémoire du FLQ) et un coup de foudre pour GOUVERNEMENT ZEL, un trio singulier à l'album unique Vente de feu (où on trouve « À vos dictionnaires » ou « La Gigue des mal formés »).

ANONYMUS / MONONC' SERGE pour l'amalgame métal lourd et l'irrévérence en chanson baveuse fait date dans la stratosphère punk. Un salut particulier à VOÏVOD qui a rallié la scène punk à leur brouet métalcore sans compromis. LA CAGE DE BRUITS (leur disque D.I.Y. Pouvoir fascine), cofondé par le tandem mixte Danielle Richard, chanteuse et bassiste, et Patrick Dostie à la guitare, ose à la fois la radicalité hardcore (« Pu rien à perdre ») tout en étant capable de musique actuelle (« Pour vrai »). Dans cette veine ultra marginale et fertile, ajoutons PLACEBO avec des aspects tchèques (où ils tournèrent) d'un hardcore punk ciselé phénoménal, MONSIEUR TOAD avec des accents d'horreur (« Vivre embaumé » ou « Je suis décédé, merci ») ainsi que GHOULUNATICS (Cryogénie) – qui tournèrent avec Tagada Jones, font partie des excès marécageux et monstrueux paraphrasant ce monde de somnambules qui, inlassablement, travaillent et se reposent…

L'univers baroque et populaire du punk puise aussi dans le ska, dans la foulée de la vague 2Tone (étiquette britannique née à la fin des années 1970), qui l'avait propulsé. Les compilations 2Tongue (Sapristi) ont marqué cette déferlante, souterraine pour l'essentiel, avec, notamment : 2STONE 2SKANK, FOUS ALLIÉS et L'ORBITAL SPOUTNIK. Retenons aussi LES CONARDS À L'ORANGE du génial ska-punk autodérisoire (« Tout nu dans la rue » et « Le magasin des choses utiles »). M.A.P. (Mort Aux Pourris) aura été un groupe d'exception – Repose en paix leur dernier disque produit par Paul Cargnello l'atteste et, leurs projets suivants sont des musts : CHARLIE FOXTROT, ACHIGAN, VARLOPE, etc. Leurs écrits et leur vélocité évoquent le turbo punk gauchiste de Randy ou d'International Noise Conspiracy ; rien de moins. Quelques autres qui fricotèrent avec le ska en privilégiant le punk ? ANOMALIES, dont les pièces « Dissident » et « Vent de révolte » sont torrides, BOULIMIK FOODFIGHT qui boute le feu avec ses albums Photos de famine et Grossir selon ses moyens. Leur pièce « L'anarchie pour les nuls » sur 2Tongue est même forcenée !

TOMAS JENSEN de l'époque des FAUX-MONNAYEURS et JEAN-FRANÇOIS LESSARD ont certes croisé punk politisé avec musique du monde ou la chanson afin d'accoucher de morceaux assassins envers un système broyant les perdants… Il y a peu, la mouvance du folk-sale soulignait les coups de gueule acoustiques de ROBERT FUSIL ET LES CHIENS FOUS, TINTAMARE et LES SOFILANTHROPES.

En fait, le punk grouille toujours et ressurgit en nous sautant à la figure ; là où on l'attend le moins. Après les mythiques VULGAIRES MACHINS revenant récemment, on aurait tort de ne pas citer la pertinence d'ÉRIC PANIC, qui a vécu dans leur ombre, ou encore d'ignorer LES ZÉROS qui joua « Envie de tuer », ou le groupe BRUTAL CHÉRIE – il faut pogoter sur « Debout »… Le mariage qui dure depuis trois albums entre musique trad et punk offre une conclusion aussi ouverte que tonique à ce pétaradant panorama keupon, on a nommé CAROTTÉ, dont le mantra est Punklore et Trashdition (Slam) !

Le punk, dans une compréhension large de l'idiome, n'en démord pas envers l'autorité, le pouvoir et le conformisme. Il y a là matière à musique engagée d'autant plus que, à la base, n'importe qui pourrait en faire minimalement un bordélique exutoire ou même un levier d'agit-prop…

Illustration : Ramon Vitesse

Quand chanter est politique

28 septembre 2024, par Isabelle Bouchard, Philippe de Grosbois, Mike Paul Kuekuatsheu, Audrée T. Lafontaine — , , , , , ,
L'auteur-compositeur-interprète Mike Paul Kuekuatsheu nous a livré ses réflexions sur la place du chant chez les Ilnus, ainsi que sur sa propre démarche politique, où la (…)

L'auteur-compositeur-interprète Mike Paul Kuekuatsheu nous a livré ses réflexions sur la place du chant chez les Ilnus, ainsi que sur sa propre démarche politique, où la musique rejoint la défense du territoire et des pratiques ancestrales.

Propos recueillis par Isabelle Bouchard , Philippe de Grosbois et Audrée Thériault Lafontaine

À bâbord ! : Quelle place occupe la chanson dans la communauté ilnue ? Quel rôle vient-elle jouer ?

Mike Paul Kuekuatsheu : La chanson est partie intégrante de l'identité, la culture, la langue du peuple ilnu – parce que c'est beaucoup plus large qu'une communauté. À l'origine même de notre identité, le chant, c'est un moyen de survie pour nous depuis les temps immémoriaux pour pouvoir aller chasser, communiquer avec l'esprit du caribou. Les chants se sont toujours transmis de façon orale. Il y avait des chants que les femmes utilisent pour endormir les nourrissons. Il y a des chants qui sont utilisés pour les mariages ou des cérémonies. Des chants pour célébrer les festins, parce que le caribou a offert son esprit donc on fait un makushan. C'est une communion, un festin en l'honneur du caribou qui a offert sa vie. C'est une danse qui se danse en cercle du côté du soleil levant avec le teueikan. Le teueikan est un tambour issu de notre culture traditionnelle, pour chanter, pour avoir un lien direct avec le monde animal, le monde des esprits. C'est vraiment un instrument spirituel.

C'est sûr qu'aujourd'hui, le chant ilnu a beaucoup évolué. Là, on est en train de perdre beaucoup la culture à cause de la perte du caribou, de la biodiversité, tous les changements climatiques, donc ça affecte beaucoup notre culture. Dans ma communauté, il reste une centaine de locuteur·rices. La langue est en péril. C'est ça le défi aujourd'hui. C'est pour ça que je me suis donné comme mission de chanter et de réapprendre la langue. C'est pour ça que j'ai renoué avec les pratiques de chasse cérémoniale.

AB ! : Vous avez fait des albums plus inspirés de la chanson populaire. Comment situez-vous votre musique par rapport aux chants que vous venez de décrire ?

M. P. K. : Je suis très influencé par la musique rock. Parmi mes influences, il y a Link Wray et Jimi Hendrix, qui sont des musiciens de mouvances autochtones, qui se sont inspirés des chants autochtones et qui l'ont introduit dans la musique rock. On entend beaucoup la répétition, les loops dans les chants autochtones, c'est un peu ça la base du blues et du rock [1].

C'est ce que j'écoutais dans mon adolescence. La musique traditionnelle était comme une graine en moi, qui n'était pas germée. À l'école, on avait un contact avec un aîné qui venait jouer le teueikan et qui venait nous expliquer la base de l'instrument et qui venait pour nous chanter des chants. C'était le seul contact que j'avais eu avec la musique traditionnelle ilnue. La graine a germé à partir de 18 ans : je me suis dit qu'il fallait que j'incorpore des éléments traditionnels dans ma musique.

Je trouvais ça important par souci de conserver la culture aussi, de témoigner des histoires qui m'ont été transmises par les aîné·es. On dit que notre vie est des atalukan, des récits, des enseignements. J'incorpore des chants des légendes anciennes, des chants en langue ilnue, mais aussi des instruments, des tambours à travers la musique.

Dans mes chansons, je parle de protection du territoire, des changements climatiques, de la surexploitation et de l'extractivisme, des impacts que ça a sur les populations autochtones. Le sens sacré de chaque élément pour nous, soit l'eau, la pierre. Pour nous, ce sont des entités qui sont vivantes et qui sont animées dans notre langue. Le titre de mon dernier album, Ashuapmushuan, c'est le nom d'une rivière. J'ai choisi le nom d'une rivière parce que c'est animé, c'est vivant.

AB ! : Les thèmes dont vous parlez partent de la réalité vécue, finalement.

M. P. K. : Mes paroles touchent autant le passé que le présent et le futur. Notre identité, issue d'une culture nomade, s'attache au territoire. Chaque famille est reliée à un lieu, à une rivière par laquelle elle est arrivée. Ensuite, je parle du présent, des enjeux actuels, comme l'extinction du caribou. J'ai la chanson Caribouman qui parle de la légende de l'homme caribou. Mais aussi, mes chansons parlent de l'importance de la transmission culturelle pour le futur.

Il y a aussi des chansons en faveur de l'autodétermination. Pour moi, l'autodétermination, c'est de faire un, dans le respect du cercle vivant sacré. C'est d'être libres et de continuer de pratiquer notre culture et notre identité, en harmonie avec tous les gens qui vivent sur ce territoire. Actuellement, aux yeux de la loi, nous sommes mineur·es, elle nous classe dans une sous-catégorie. On veut s'élever au même niveau et être reconnu·es comme des êtres humains qui s'autodéterminent.

Les chants ont été interdits longtemps, le Canada et la Loi sur les Indiens nous interdisaient de chanter nos chants, nous jetaient en prison. C'est juste depuis 1982 qu'on peut chanter librement nos chants sans se faire jeter en prison. Depuis ce temps-là, on sent qu'il y a une renaissance du chant.

AB ! : Donc, à cette époque-là, le simple fait de chanter ces chants, c'était politique !

M. P. K. : Si on prend l'histoire de Wounded Knee [2], ça a commencé avec les chants, la ghost dance (la danse des esprits). Le gouvernement les interdisait, il voyait ça comme un acte de menace de guerre et les ont massacrés à cause de ça.

Pendant longtemps, on a porté des traumatismes à cause des pensionnats, où c'était interdit de chanter nos chants, de parler notre langue. Mais aujourd'hui, les jeunes ilnu·es se sentent plus libéré·es, prennent plus la parole et leur place. Par l'engagement des femmes autochtones, des jeunes, on sent qu'il y a un esprit de décolonisation fort. Les jeunes autochtones sont plus conscient·es de ces réalités-là.

AB ! : Vous êtes aussi gardien des territoires. Voyez-vous des liens entre ce statut et celui d'auteur-compositeur ?

M. P. K. : Je suis un gardien des territoires, un protecteur de l'eau. Je m'implique depuis de nombreuses années sur le terrain, pour protéger les forêts et les rivières par des actions directes, en m'opposant à des projets miniers, avec d'autres Autochtones. Je suis très engagé là-dedans, pour notre autodétermination, pour décoloniser les systèmes paternalistes qui ont été mis en place. Être gardien des territoires, c'est une fierté et ça a un lien direct avec ma démarche artistique. Pour moi, la musique est un moyen d'expression et de transmission de nos connaissances, mais aussi de sensibilisation à nos réalités.


[1] NDLR : Pour plus d'informations à ce sujet, voir le documentaire de Catherine Bainbridge, Rumble. The Indians Who Rocked Our World, Rezolution Pictures, 2017.

[2] NDLR : Le massacre de Wounded Knee est une intervention militaire où des centaines de membres de la nation Lakota ont été tué·es par les États-Unis, dans le Dakota du Sud, en 1890. Pour en connaître plus sur le siège de Wounded Knee (1973), voir le texte de Mélissa Miller et Miriam Hatabi aux pages 8.

Illustration : Ramon Vitesse

Le top 3 de quelques membres du collectif de rédaction

Quelques membres du collectif de rédaction nous présentent leurs trois chansons engagées préférées.

Quelques membres du collectif de rédaction nous présentent leurs trois chansons engagées préférées.

Lobbyisme. Le pouvoir obscur

28 septembre 2024, par Wilfried Cordeau, Yannick Delbecque, Claude Vaillancourt — , , , , ,
Pour vous procurer une copie papier de ce numéro, rendez-vous sur le site des Libraires ou consultez la liste de nos points de vente. Les lobbyistes forment aujourd'hui un (…)

Pour vous procurer une copie papier de ce numéro, rendez-vous sur le site des Libraires ou consultez la liste de nos points de vente.

Les lobbyistes forment aujourd'hui un grand pouvoir de l'ombre très bien établi. L'objet et les fruits de leurs actions tentaculaires échappent pour l'essentiel au regard public, mais la vigilance citoyenne et journalistique, notamment, parviennent à en dévoiler parfois la portée de leurs actions. Pensons, par exemple, à la firme-conseil McKinsey qui obtient un nombre extraordinaire de contrats gouvernementaux malgré les nombreux scandales dans lesquels elle a été impliquée. Ou à Uber, qui a réussi à imposer aux gouvernements une réglementation idéale pour son développement, aux dépens de ses concurrents. Ou aux entreprises pétrolières et gazières qui ne ménagent aucun effort pour retarder la transition écologique, malgré la période d'urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons.

Entrer dans l'univers du lobbyisme est une surprenante aventure. S'y cachent notamment des moyens financiers considérables destinés à influencer les gouvernements. Pour atteindre leurs fins, les lobbies s'en prennent aussi à leurs adversaires des mouvements sociaux, soit en tentant de les faire passer eux aussi pour des lobbyistes, soit en se camouflant derrière de fausses organisations citoyennes, par le similitantisme (ou astroturfing), créant ainsi une malsaine confusion. Autant de tactiques destinées à brouiller le débat public, en masquant le déséquilibre des rapports de force et des objectifs poursuivis par les groupes en présence.

Selon certains, le lobbyisme puise une certaine légitimité dans un besoin des entreprises de fournir des informations utiles à la prise de décision des gouvernants. Le problème, c'est qu'il traduit essentiellement une capacité de représentation, sur le plan humain et financier, manifestement disproportionnée face à celle dont disposent les groupes citoyens. Tout cela pour faire valoir des intérêts et une conception de la société aux antipodes les uns des autres. Que valent les plaintes de contribuables exigeant de meilleurs services et filets sociaux face à l'artillerie relationniste d'entreprises en quête de contrats au chevet des décideurs ?

Ce qui ne manque pas de soulever des questions fondamentales sur la concrétude du débat public, l'exercice du pouvoir démocratique, la transparence, la redevabilité et, en fin de compte, la souveraineté populaire sur les choix de société opérés en notre nom. Le pouvoir d'influence de certains intérêts privés leur donne de tels privilèges, permettant notamment de contourner les mécanismes démocratiques, qu'il n'est pas difficile d'en conclure que les gouvernements accordent plus d'importance à la voie des capitalistes qu'à celle de la population dont ils sont censés représenter les intérêts.

Le lobbyisme est un sujet si vaste et complexe que nous n'avons pu en effleurer que quelques pans. Plusieurs lobbies aux objectifs fort discutables n'ont pas pu être abordés : celui des compagnies pharmaceutiques, faisant pression pour maintenir un coût très élevé aux médicaments ; celui des armes favorisant la multiplication des armes à feu ; celui des banques, des entreprises de produits chimiques, des compagnies minières… Sans oublier d'autres aspects laissés de côté, comme les firmes de relations publiques au service des lobbyistes ou le rôle bien imparfait des registres des lobbyistes.

Notre but a surtout été d'amorcer une réflexion sur la démocratie, stimulée par la diversité des points de vue exprimés dans ce dossier. Comment la démocratie peut-elle se maintenir si des entreprises richissimes disposent de moyens aussi puissants pour orienter, voire dicter les politiques à leur avantage, en se soustrayant impunément à la vigilance et au débat publics ? Comment discuter de bien commun si celui-ci est vu comme un obstacle devant les profits des entreprises ? Il nous semblait essentiel de démontrer que le progrès social doit s'envisager, entre autres, en limitant fortement le pouvoir et l'opacité dont profitent les lobbyistes pour tirer les ficelles de notre avenir collectif.

Un dossier coordonné par Wilfried Cordeau , Yannick Delbecque et Claude Vaillancourt

Illustré par Ramon Vitesse

Avec des contributions de Marie-Ève Bélanger-Southey, Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec, Yannick Delbecque, Flory Doucas, Thierry Pauchant, Mercédez Roberge, Louis Robert, Sophie Thiébaut, Claude Vaillancourt et Stéphanie Yates.

Pour vous procurer une copie papier de ce numéro, rendez-vous sur le site des Libraires ou consultez la liste de nos points de vente.

Washington et Bruxelles, le modèle imposé

28 septembre 2024, par Claude Vaillancourt — , , ,
Le lobbyisme a ses capitales : Washington et Bruxelles, soit celles des deux principaux lieux de pouvoir des grandes puissances occidentales, les États-Unis et l'Union (…)

Le lobbyisme a ses capitales : Washington et Bruxelles, soit celles des deux principaux lieux de pouvoir des grandes puissances occidentales, les États-Unis et l'Union européenne. Non seulement les lobbyistes y règnent en grand nombre et suivent pas à pas les projets de loi qui les concernent, mais ils imposent un modèle d'ingérence politique reproduit à plus petite échelle dans la plupart des pays, y compris le nôtre.

Dans chacune de ces villes, les lobbyistes se sont installé·es à deux pas des grandes institutions gouvernementales, dans une zone limitée, où se prennent de façon très centralisée des décisions qui affecteront des centaines de millions de personnes, si ce n'est pas la planète entière.

À Washington, les lobbyistes avaient établi leurs pénates dans la fameuse K Street, tout près de la Maison-Blanche et à peine un peu plus loin du Capitole, un lieu qu'ils ont délaissé depuis pour se disséminer dans la ville. Mais le nom de cette rue sert toujours de dénomination lorsqu'on veut dénoncer les abus du lobbyisme.

À Bruxelles, les lobbyistes gravitent autour des trois grandes institutions, le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil de l'Union européenne, toutes trois situées dans le quartier européen, légèrement en périphérie du centre historique de la ville, caractérisé pas son architecture terne, sans âme, mais fonctionnelle. L'ONG Corporate Europe Observatory (CEO) y organise son lobby tour, promenant les visiteuses et visiteurs devant les immeubles anonymes du quartier, y décrivant les manœuvres douteuses et les réseaux d'influences des lobbyistes qui s'y cachent. Un tourisme particulier, aussi instructif qu'affligeant par les histoires qu'on y découvre.

Dans chacune de ces villes, des organisations citoyennes effectuent une veille très efficace sur l'activité des lobbyistes : on compte parmi elles OpenSecrets à Washington et CEO à Bruxelles, la même qui organise les visites guidées. Mais le travail indispensable de documentation de ces organisations, malgré la lumière qu'il jette sur une pratique nébuleuse, ne règle en rien un problème dont les solutions doivent être politiques.

Washington, là où tout a commencé

L'activité des lobbyistes est bourdonnante à Washington. OpenSecrets nous dit qu'ils ont atteint un nombre record en 2007, avec 15 000 personnes exerçant ce métier, un chiffre qui s'est depuis stabilisé à près de 12 000. Leurs dépenses, quant à elles, ont été de plus de 3 milliards $ en 2021. Les entreprises investissant les sommes les plus élevées changent d'année en année. Pour l'année 2022, les champions sont, entre autres, la Chambre de commerce des États-Unis au premier rang (avec des dépenses de près de 60 millions $), un regroupement de compagnies pharmaceutiques au 3e rang (plus de 22 millions $), la Croix bleue (assurances) en 4e (20 millions $) et Amazon en 6e (16 millions $). De nombreuses entreprises familières se classent bien, comme Meta, Pfizer, Lockheed Martin, Alphabet et AT&T. Le secteur de la santé est celui qui a dépensé le plus globalement, suivi par le secteur financier.

Les statistiques d'OpenSecrets montrent bien à quel point le lobbying des grandes entreprises et la représentation citoyenne ne jouent pas dans la même ligue. En 2022, le secteur des affaires a compté pour 87 % des dépenses, alors que les autres, identifiés comme « ideological groups », « labor » ou tout simplement « others », – toutes des catégories plutôt floues qui pourraient elles aussi être financées par l'entreprise – ne sont responsables que de 13 % des sommes dépensées.

Ces chiffres nous montrent surtout comment le lobbyisme est bien implanté à Washington. Il va de pair avec le financement des partis politiques, dont on sait à quel point il prend une place importante dans les activités quotidiennes d'un·e élu·e étatsunien·ne. Recevoir tant d'argent, qu'on le veuille ou non, affecte grandement l'indépendance des élu·es et les rend particulièrement ouvert·es aux revendications des lobbyistes. Il est difficile de ne pas y voir une sorte de corruption légalisée, acceptée, normalisée, qui permet au pays de ne pas se trouver haut dans la liste des pays les plus corrompus, mais qui soumet quotidiennement sa démocratie aux entreprises les plus puissantes, de façon à bien répondre à leurs intérêts.

Bruxelles, la bonne élève

Ce modèle, qu'il aurait été sain de réfuter du tout au tout, s'est reproduit spontanément lorsque le pouvoir européen s'est retrouvé concentré dans la ville de Bruxelles, alors que l'Union européenne gagnait en puissance et en centralisation. L'élève a même dépassé le maître en nombre de lobbyistes, un chiffre estimé à 26 500, toutes catégories confondues, selon Transparency International. Mais la majorité de ces lobbyistes provient de l'entreprise privée : les lobbys d'affaires ont 60 % des lobbyistes accrédité·es au parlement européen, et selon une étude de CEO en 2014, ils dépenseraient 30 fois plus que les syndicats et les ONG combinés.

En première position des plus grands dépensiers selon LobbyFacts.eu, en ce début d'année 2023, on trouve le Conseil européen de l'industrie chimique, avec 9 millions €. Si on ajoute, au 4e rang, Bayer AG (6,8 millions €), on constate à quel point l'industrie chimique ne craint pas d'investir pour défendre ses produits, dont plusieurs sont toxiques, alors que la population européenne demeure très rébarbative devant les OGM et le glyphosate. Quatre des sept premiers dépensiers sont des firmes étatsuniennes : FTI Consulting Belgium, Apple, Google, et Meta – quoique cette dernière est enregistrée en Irlande, paradis fiscal reconnu pour avoir rendu de généreux services aux GAFAM. La somme de leur contribution s'élève à plus de 25 millions €. Ces entreprises étrangères, par cette remarquable ingérence, s'assurent d'être traitées aux petits oignons par une importante partie du personnel et des élu·es de l'UE à Bruxelles.

Bonne ou mauvaise influence

Au Québec et au Canada, peut-être pouvons-nous nous croire à l'abri de ces excès. Après tout, le financement des partis politiques est beaucoup mieux règlementé qu'aux États-Unis, et nos élu·es n'ont pas de pareils comptes à rendre à leurs généreux donateurs. Nous avons des registres des lobbyistes au niveau fédéral et provincial, ce qui nous permet de récolter des données fiables, contrairement à ce qui se passe à Bruxelles, alors que leur propre registre n'est pas obligatoire (toutes les statistiques mentionnées plus haut pourraient, en fait, sous-représenter la situation réelle).

Pourtant, il est évident que nous n'échappons pas à l'activité des lobbyistes. Le zèle déployé à Washington et Bruxelles n'est qu'une partie de ce que les grandes entreprises entreprennent, alors que leurs stratégies se déploient à l'échelle internationale. Pensons à Uber qui s'est établie un peu partout en défiant les lois, puis en envoyant leurs lobbyistes pour demander aux gouvernements que celles-ci soient réécrites à leur avantage, rendant légal ce qu'elle n'avait pas respecté. Ou à McKinsey, avec son armée de consultants convainquant les gouvernements qu'il vaut mieux s'adresser à elle plutôt qu'avoir recours à des fonctionnaires compétent·es (et cela, en dépit d'une série de scandales qui entachent depuis longtemps la réputation de cette entreprise [1]).

Constater ce qui se passe à Washington et à Bruxelles permet cependant de comprendre les stratégies multiples des lobbyistes, en concentré, mais à la plus haute échelle, avec des conséquences plus grandes qu'ailleurs. Cette observation nous permet de suivre les plus grandes préoccupations de l'empire des multinationales. En ce moment, l'assaut des firmes de la santé à Washington et celui des compagnies de produits chimiques nous montre à quel point les profits de ces géants interfèrent avec la volonté de protéger la santé des populations, à quel point ce secteur veut continuer à s'intégrer, avec le moins de réserves possible, dans le système capitaliste. Dans tous les cas, là-bas comme ici, on peut voir comment l'empire des GAFAM se maintient par un lobbying intensif et grassement financé.

Devant l'exploit colossal qui consisterait à réguler le lobbyisme à Washington et Bruxelles, un pays comme le nôtre est un peu mieux armé pour lutter contre ses excès. Il pourrait aller de l'avant en proposant une législation beaucoup plus stricte afin de ramener davantage de démocratie et limiter les pressions des firmes. Il faudra cependant beaucoup de courage politique, denrée rare en ce moment, et beaucoup de pressions citoyennes pour tenter d'y arriver.


[1] L'article de l'encyclopédie Wikipédia consacré à cette firme en cite plusieurs.

Illustration : Ramon Vitesse

La bête noire de l’économie politique

Revenir à la naissance de l'économie politique permet de réaliser que le lobbyisme ou l'influence des gens d'affaires sur les gouvernements est une pratique fort ancienne qui (…)

Revenir à la naissance de l'économie politique permet de réaliser que le lobbyisme ou l'influence des gens d'affaires sur les gouvernements est une pratique fort ancienne qui nuit au bien public et qui se doit d'être rigoureusement contrôlée. À ce sujet, et de façon surprenante, la pensée d'Adam Smith est très éclairante.

Le lobbyisme, dans son aspect technique, est une pratique moderne. Elle n'émerge qu'après l'invention de la propagande politique et d'entreprise en 1928 par Edward Bernays, premier conseiller de l'histoire en Relations publiques. Normand Baillargeon a raison d'affirmer que la propagande est antidémocratique [1] : elle déforme le dialogue raisonné en persuasion émotive, transforme le droit à l'information en désinformation et remplace la participation citoyenne par l'imposition du pouvoir d'une élite. De plus, cette pratique, quand elle promotionne une entreprise ou une industrie, biaise les décisions de l'administration publique, en renforçant le seul point de vue mercantile.

Mais l'influence des gens d'affaires sur les gouvernements a des racines bien plus anciennes. Elle fut considérée comme la bête noire de l'économie politique dès sa naissance, au 18e siècle.

La richesse des nations

Il est important de se rappeler que le père de l'économie politique, Adam Smith, a fait la promotion de la richesse des nations et non celle des nantis. Aussi, pour lui, la richesse ne se mesurait pas en or et en argent. Une nation est riche par ses champs, ses bâtiments et ses technologies, son éducation et sa justice, son éthique et ses mœurs.

Aujourd'hui il existe de nombreux auteur·es qui affirment qu'Adam Smith n'est pas le fondateur de la théorie de la main invisible du marché ou celle du laissez-faire économique. Ces théories lui ont été attribuées par la suite, par des personnes qui voulaient rendre légitime le capitalisme [2]. La pratique du lobbyisme requiert, entre autres choses, l'élaboration d'un argumentaire de vente, quitte à manipuler la vérité. Et aujourd'hui, les néolibéraux et les libertariens entretiennent ce « hold-up » intellectuel, en faisant d'Adam Smith leur fer de lance.

Très différemment, le Smith de la Révolution industrielle voyait d'un bon œil la transformation de la société féodale en une société commerciale. Les serfs et les vilains allaient, peut-être, pouvoir profiter de cette révolution. En devenant boucher·ères et boulanger·ères, salarié·es et entrepreneur·euses, les personnes pouvaient se libérer de l'emprise de leur seigneur et devenir capables de mieux gérer leur vie. Écrivant près d'un siècle ensuite, Karl Marx partagea cette vision. Il insista cependant sur le fait que les bourgeois avaient capturé à leur avantage cette révolution.

Smith anticipa le même danger. Auteur de l'une des premières théories de l'évolution des sociétés, il proposa que si les propriétaires de troupeaux avaient dominé dans les sociétés pastorales et les aristocrates dans les sociétés agricoles, les manufacturiers et les marchands risquaient de dominer les sociétés commerciales, si on les laissait faire. Et, malheureusement, on les a laissé faire.

Les intérêts de classes

Smith n'a jamais suggéré qu'une prétendue main invisible allait harmoniser les intérêts différents existant entre les marchands et le public. Très différemment, il suggère que « l'intérêt des marchands [...] diffère toujours à quelques égards de l'intérêt public ». Pour lui, cet intérêt mène à « rétrécir la concurrence des vendeurs » alors que cela est défavorable pour le public. Comme il l'explique, « Les seuls commerçants y trouvent leur compte puisqu'ils en grossissent leur bénéfice au-delà de ce qu'ils doivent naturellement attendre et qu'ils lèvent par-là à leur profit une taxe exorbitante sur leurs concitoyens ».

Cette différence d'intérêt existe aussi pour Smith entre employeurs et employé·es, les deux formant des ligues. La première tente de limiter les salaires, la seconde de les augmenter. Comme il le note, « les maîtres forment, et partout et toujours, une sorte de ligue tacite, mais constante et uniforme pour empêcher les salaires du travail de s'élever au-dessus de leur taux actuel ».

Considérant ces intérêts de classes et la supériorité des moyens financiers des marchands, Smith recommande que toute proposition de nouvelle loi avancée par cette ligue soit analysée « avec la plus grande défiance ». Il précise que « ces projets viennent d'une classe d'hommes dont l'intérêt n'est jamais dans une exacte conformité avec l'intérêt public, d'une classe d'hommes généralement intéressés à le tromper et même à l'opprimer, enfin d'une classe d'hommes qui plus d'une fois en effet l'a trompé insidieusement et cruellement opprimé ».

Aussi, Smith a insisté combien il était difficile mais nécessaire de contrôler l'influence des manufacturiers et les marchands. Il note par exemple qu'« un membre du parlement » conciliant est considéré comme un « homme versé dans la science du commerce » alors qu'un opposant est « exposé à la détraction, à l'infâme calomnie, aux insultes personnelles et quelques fois même à des dangers réels ».

La East India Company

Cette corruption de l'État par ces stratégies de propagande et de persuasion devint évidente au 18e siècle par les activités frauduleuses et criminelles des compagnies détenant un monopole. La East India Company était à l'époque la plus grande entreprise de Grande-Bretagne. Créée en 1600, elle détenait des entrepôts, des ports, une flotte de navire et une armée de 200 000 hommes, contrôlant la vie de plus de 20 millions de personnes en Inde. Elle est considérée aujourd'hui comme l'archétype des multinationales modernes [3].

Smith dénonça les abus commis par cette compagnie, incluant des extravagances, des scandales financiers et des crises monétaires. Il documenta aussi comment ses stratégies mercantiles ont généré une famine au Bengale, entrainant la mort de dizaines de milliers de personnes. Empathique au sort des Autochtones, il conclut qu'une telle compagnie est « nuisible sous tous les rapports » pour la population locale et qu'« une compagnie de marchands est incapable de se conduire en souveraine ».

Alors qu'on tente de nous convaincre aujourd'hui que le sens des affaires est essentiel pour gouverner une nation, Smith affirme que pour une compagnie de marchands, « sa principale affaire, c'est le commerce ou le soin d'acheter pour revendre. Par la plus étrange absurdité, elle ne voit dans son caractère de souverain qu'un simple accessoire à celui de marchand ».

Une société de boutiquiers

À la fin du siècle dernier, de nombreuses personnes se sont élevées contre la financiarisation abusive de nos démocraties, incluant Pierre Bourdieu, Susan George et Ignacio Ramonet. Ces critiques dénonçaient, entre autres choses, la différence fondamentale qui existe entre la science économique, prétendument neutre et objective, et l'économie politique, qui rend centrales les dimensions du pouvoir et de la démocratie. Smith, Marx et Keynes furent tous les trois d'ardents défenseurs de l'économie politique. Malgré leurs différences, ils faisaient une nette distinction entre le monde des affaires et celui de l'administration publique. Cette différence est souvent oubliée aujourd'hui.

Par exemple, le gouvernement du Canada a invité à 3 reprises des représentants de l'industrie pétrolière à tenir des événements à son pavillon durant la COP27. Un total de 636 lobbyistes furent même présents à cette conférence où les États étaient censés s'entendre pour réduire leur dépendance aux énergies fossiles. Aussi, aujourd'hui des gouvernements deviennent eux-mêmes des genres de lobbyistes qui promotionnent la marchandisation de nos sociétés. Provenant du monde des affaires, de l'économie ou de la finance, ces personnes ont tendance à surreprésenter l'idéal de « l'argent dans sa poche » et des « jobs payantes ». Si, évidemment, l'argent est nécessaire pour vivre, beaucoup d'autres idéaux nourrissent l'âme humaine.

Réexaminer l'histoire peut nous permettre de relativiser nos réflexes actuels, influencés par une propagande mercantile. Adam Smith était contre l'idée qu'une nation ne devienne qu'une « société de boutiquiers ». Le lobbyisme a été la bête noire de l'économie politique dès sa naissance. Car il n'est pas libérateur de passer de l'emprise des aristocrates dans une société agricole à l'emprise des marchands dans une société commerciale. Il est grand temps de mieux contrôler l'influence politique des gens d'affaires.


[1] Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l'opinion en démocratie (Traduction Oriselle Bonies, présentation de Normand Baillargeon), Montréal, Lux Éditeur, 2008.

[2] Thierry Pauchant, Adam Smith, l'antidote ultime au capitalisme. Sa théorie du capabilisme, Paris, Éditions Dunod, 2023

[3] Nick Robin, The Corporation that Changed the World. How the East India Company Shaped the Modern Multinational, London, Pluto Press, 2006.

Thierry Pauchant est professeur honoraire à HEC Montréal.

Illustration : Ramon Vitesse

Lobbyisme des géants d’Internet

Il n'est guère surprenant que les géants d'Internet influencent le monde politique à leur avantage, comme le font toutes les entreprises possédant énormément de capital. Le (…)

Il n'est guère surprenant que les géants d'Internet influencent le monde politique à leur avantage, comme le font toutes les entreprises possédant énormément de capital. Le lobbyisme a joué un rôle essentiel à leur développement, même si on voudrait nous faire croire que c'est la pure « innovation » qui en est la clé.

Le lobbyisme exercé par les géants d'Internet n'est pas très différent, dans ses grandes lignes, des stratégies d'influence politique des compagnies dominantes dans d'autres secteurs économiques : rencontres multiples avec des personnes ayant des charges publiques, financements de candidat·es politiques et de think tanks, campagnes de similitantisme, etc.

La leçon de Microsoft

À la fin des années 1990, Microsoft est poursuivie pour pratiques anticoncurrentielles. La compagnie avait auparavant réussi, à l'aide de contrats et de stratégies commerciales diverses, à s'assurer du contrôle du socle logiciel dont tous les autres logiciels destinés au grand public dépendraient, Windows. Craintifs de voir cette position dominante remise en question par l'arrivée du Web, les dirigeants de l'entreprise élaborent une stratégie commerciale visant à transférer la popularité de son produit phare à son nouveau produit donnant accès au Web, Internet Explorer.

La menace de voir Microsoft scindée pousse la compagnie à se lancer dans une importante campagne de lobbyisme. Auparavant, Microsoft était critiquée par certains investisseurs comme pour n'avoir que très peu d'influence à Washington, employant un seul lobbyiste. La poursuite pousse la compagnie à devenir l'un des plus importants groupes d'influence du pays et à dépenser 12 millions $ US pour employer une équipe impressionnante de plusieurs lobbyistes, comportant notamment d'anciens conseillers de chacun des présidents Bush et des anciens membres du congrès, autant démocrates que républicains. Ces jeux d'influence pouvaient affecter le dénouement par la nomination par des élu·es des personnes clés dirigeant la poursuite gouvernementale.

Tout ce jeu d'influence a finalement été bénéfique à l'entreprise qui, en appel, a réussi à faire renverser un jugement initial ordonnant de scinder Microsoft.

Influence judiciaire

Le lobbyisme de Microsoft a aussi pavé la voie à l'apparition des autres géants du secteur Internet en minant toute tentative de briser juridiquement ou politiquement un monopole dans ce secteur d'activité. L'argumentaire classique justifiant l'existence d'une réglementation antitrust est qu'un monopole est contraire à l'intérêt public quand l'absence de compétition nuit à l'innovation. Microsoft a réussi à faire valoir un renversement de cet argument auprès d'une partie de la classe politique. En effet, l'intérêt du public consisterait à ce que des outils technologiques de pointe soient développés et améliorés, ce qui exigerait des géants capables de prendre assez de parts de marché pour compétitionner à l'échelle mondiale et pour faire de la recherche. On aurait donc intérêt à laisser les compagnies reliées à Internet devenir très grandes, voire carrément des monopoles dans leur secteur d'activité, sans leur faire subir de sanctions.

Microsoft a tout de même dû refaire quelques fois face à la justice européenne pour pratiques anticoncurrentielles. Chaque fois, le lobbyisme a joué un rôle important dans la stratégie de défense de la compagnie.

Accès aux populations-ressources

Le chiffre d'affaires des grandes entreprises du secteur numérique dépend de l'adoption de leurs produits à l'échelle mondiale. Il n'est donc pas surprenant que le lobbyisme de ces géants vise aussi à leur donner accès aux marchés comme ceux de l'Inde ou de la Chine. L'importante campagne de Facebook menée en Inde est un exemple de lobbying ayant un tel objectif.

Le gouvernement indien souhaitait augmenter le taux d'accès à Internet dans le pays, particulièrement dans les régions rurales. Facebook a proposé à l'Inde un programme national visant à accroître le nombre de personnes ayant accès à Internet. Le programme proposait des téléphones cellulaires gratuits où l'univers d'Internet était essentiellement limité à… Facebook. Des efforts colossaux ont été déployés par la compagnie, impliquant même directement son fondateur. Une réaction forte d'une coalition de plusieurs acteurs du secteur technologique indien a défendu l'application du principe de neutralité d'Internet que le projet de Facebook bafouait. La coalition a réussi à influencer le département indien des télécommunications pour qu'il applique ce principe. Sur cette base, le projet de Facebook a finalement été écarté.

Contrôler la réglementation

Le lobbyisme des grandes compagnies Internet vise aussi à influencer les législations afin que les lois adoptées soient favorables à leurs activités commerciales.

On sait par exemple qu'Uber a utilisé les services de personnes connaissant bien le parti libéral du Québec, comme l'ex-chef de cabinet de la ministre Line Beauchamp, dans le but d'influencer l'élaboration d'une réglementation provinciale de ce que l'entreprise qualifie de « covoiturage urbain », alors que l'industrie du taxi réclamait que ce type de service soit illégal. En France, entre 2014 et 2016, alors que l'actuel président Macron était ministre de l'économie, celui-ci a entretenu des liens avec

Uber qui ont permis à la compagnie de s'établir dans le pays malgré une opposition importante. En plus de la réglementation sur les taxis, Uber tente d'influencer les lois du travail pour ne pas avoir à considérer comme employées les personnes offrant leur service sur ses plateformes de transport ou de livraison.

Airbnb offre un exemple de lobbyisme multinational à tous les niveaux, y compris niveau municipal. L'entreprise a fait campagne pour obtenir une réglementation favorable à ses activités au Japon, en Australie, aux États-Unis et en Europe, y compris au niveau des institutions européennes. Quand les activités de location à court terme de l'entreprise ont été considérées illégales, Airbnb a aussi utilisé le lobbyisme en appui à sa défense devant les tribunaux. Au Québec, la compagnie exerce son influence depuis 2014 et ses activités actuelles visent huit ministères, Revenu Québec et plus de 40 municipalités allant de Montréal aux Îles-de-la-Madeleine.

Quant à elle, Netflix mène des activités de lobbyisme au Québec et au Canada depuis 2010. En 2017, la compagnie a facilement pu rencontrer à plusieurs reprises Mélanie Joly, alors ministre du Patrimoine canadien, pendant une période où on se questionnait sur les taxes à appliquer aux plateformes numériques.

Stratégies classiques et nouvelles

Sur plusieurs plans, les stratégies de lobbyisme déployées par les géants d'Internet ne sont pas différentes de celles des grandes compagnies internationales des autres secteurs économiques. Un des scénarios caractérisant le mieux le secteur est l'utilisation du « fait accompli ». Ce stratagème consiste en l'introduction rapide de produits avant la mise en place de réglementation les encadrant. On vise à les faire adopter par le plus grand nombre de personnes pour ensuite exercer des pressions sur les gouvernements afin de transformer les réglementations à leur avantage. La popularité de leur produit est une forme de capital leur permettant d'exercer davantage de pression sur les gouvernements. Ainsi, toute restriction de l'usage de leurs produits les plus populaires serait perçue comme une privation par une partie de la population.

Le secteur Internet jouit d'un autre avantage stratégique propre, lié à l'incompréhension relative de plusieurs politicien·nes du fonctionnement des nouvelles technologies et à leur difficulté à anticiper leurs impacts sociaux et économiques. Cela permet d'entretenir un certain degré de confusion entre ce qui relève de la technologie et ce qui relève de la réglementation. Les entreprises du numérique peuvent alors, grâce à leur influence politique, élaborer à la fois leurs produits et la réglementation qui les encadre. De plus, elles peuvent se présenter comme un « partenaire » incontournable pouvant fournir aux gouvernements et aux services publics leur expertise et leurs « solutions technologiques. »

Pour limiter l'efficacité de la stratégie du fait accompli, il faudrait mettre en place un cadre réglementaire qui devance la commercialisation des nouvelles technologies. Par exemple, on pourrait imposer le respect de principes généraux comme la neutralité d'Internet ou l'interopérabilité. Les principes à considérer ont souvent déjà été identifiés par des mouvements militants liés à l'informatique, comme le Mouvement pour l'informatique libre.

Illustration : Ramon Vitesse

L’Université ouvrière de Montréal et le féminisme révolutionnaire

28 septembre 2024, par Rédaction

L’Université ouvrière (UO) est fondée à Montréal en 1925, sous l’impulsion du militant Albert Saint-Martin (1865-1947)[1]. Prenant ses distances avec la IIIe Internationale communiste, l’Université ouvrière se veut un lieu d’éducation populaire pour la classe ouvrière francophone montréalaise. De 1925 à 1935, son activité « alimente la critique du libéralisme et du capitalisme et participe à la propagation des idéaux anticléricaux, communistes, marxistes et, parfois même, anarchistes[2] ». Ces discours résonnent chez certaines militantes canadiennes-françaises qui, bien que toujours minoritaires au sein de ce milieu, s’y montrent particulièrement dynamiques.

Ainsi, ces femmes reprennent les critiques sociales et les idées proposées par l’Université ouvrière et élaborent leurs propres revendications afin de répondre aux défis spécifiques que leur condition leur impose au cours des années 1930. D’abord, elles participent activement aux conférences et aux activités de l’Université ouvrière. Ensuite, elles développent un discours féministe et révolutionnaire qui s’exprime notamment le 15 mars 1931 à l’occasion de la première conférence donnée à l’Université ouvrière par une militante, Mignonne Ouimet. Enfin, elles s’organisent au sein d’un groupe non mixte, la Ligue de réveil féminin (LRF) afin de faire valoir leurs revendications, qui répondent aux défis auxquels sont confrontées les familles de la classe ouvrière durant la crise économique. Cet article se penche sur ces trois aspects de la mobilisation féminine au sein du réseau de l’Université ouvrière.

L’Université ouvrière : un lieu d’éducation politique au service du peuple

L’activité de l’Université ouvrière se poursuit à Montréal durant une décennie à partir de 1925. Par le biais de conférences, de la distribution de pamphlets et de la mise sur pied d’une bibliothèque, l’UO souhaite éveiller la conscience politique de la classe ouvrière et favoriser le développement de l’esprit critique chez les travailleuses et travailleurs de la métropole.

Le projet est analogue au Montreal Labor College, fondé au printemps 1920 à l’initiative de trois militantes communistes, Annie Buller, Bella Hall Gauld et Becky Buhay[3]. Toutefois, alors que les militantes et militants du Labor College en viennent à s’associer au Parti communiste du Canada (PCC), l’Université ouvrière est plutôt liée à l’Association révolutionnaire Spartakus (ARS), mise sur pied en 1924 par Albert Saint-Martin et ses camarades[4]. Cette organisation adhère aux idéaux révolutionnaires et communistes, mais s’éloigne des conceptions organisationnelles prônées par Lénine et la IIIe Internationale, et tire plutôt son inspiration du spontanéisme de Rosa Luxembourg et des anarchistes français. Son approche préconise le développement de l’autonomie ouvrière à travers des initiatives comme les coopératives, les épiceries Spartakus, les campagnes politiques et l’éducation populaire. De plus, l’Université ouvrière s’adresse spécifiquement aux francophones tandis que les activités du Labor College sont présentées seulement en anglais. D’abord sise au 222, boulevard Saint-Laurent, l’UO prend de l’expansion en 1932 et ouvre un nouveau local au 1408, rue Montcalm qui peut accueillir près de 1 500 personnes. Ce lieu devient en quelques années « le centre à partir duquel le mouvement communiste libertaire rayonne sur les quartiers Sainte-Marie et Saint-Jacques[5] ».

L’Université ouvrière propose, chaque dimanche après-midi, des conférences de trente minutes suivies d’une séance de débat à laquelle la foule est invitée à participer[6]. Ces conférences regroupent souvent de deux à trois cents personnes. Les thèmes abordés vont de l’histoire à la littérature, de la religion aux sciences, sans oublier, bien sûr, la critique du capitalisme, la révolution et le communisme. On trouve aussi dans les locaux de l’UO une bibliothèque qui est le principal lieu de diffusion de brochures communistes, anarchistes et anticléricales en français, pour la plupart importées d’Europe[7]. Au cours de son existence, l’UO devient à la fois un lieu d’éducation politique, un espace de sociabilité où s’organisent des soirées culturelles et musicales et un pôle d’organisation politique[8].

La participation des femmes à l’Université ouvrière

Bien que peu nombreuses, certaines ménagères et ouvrières montréalaises participent activement aux activités de l’Université ouvrière. Elles assistent aux conférences, souvent avec leurs enfants, et participent avec leur conjoint aux assemblées politiques de l’organisation[9]. Les critiques virulentes que l’UO adresse au clergé et à la religion catholique, qui dominent la société canadienne-française dans le domaine de la morale et de l’éducation, suscitent l’intérêt des femmes qui sont particulièrement touchées par ces exigences religieuses[10]. Le milieu communiste autour de l’Université ouvrière fait une place aux femmes qui ont alors l’opportunité de remplir des tâches significatives : elles peuvent présider des assemblées, une fonction particulièrement importante, ou être responsables de divers comités. Elles organisent des manifestations, des activités de financement ou des événements à caractère social et apparaissent dans les rapports de police, certaines d’entre elles ayant été arrêtées dans le cadre de manifestations ou d’actions de désobéissance civile[11]. C’est d’ailleurs une femme, Carmen Gonzales, qui tient la bibliothèque de l’UO, s’occupant aussi de la vente des brochures anticléricales et anarchistes[12]. C’est cette même Carmen Gonzales qui était en charge, au début des années 1920, de la librairie de l’Educational Press Association, adjacente au Montreal Labor College. En s’impliquant au sein du réseau communiste de l’Université ouvrière, ces femmes développent un discours féministe révolutionnaire et élaborent un programme original de revendications.

Mignonne Ouimet : un discours féministe et révolutionnaire

L’élaboration d’un discours féministe au sein de l’Université ouvrière se révèle le 15 mars 1931 lors de la conférence intitulée La femme donnée par la militante Mignonne Ouimet. Âgée d’à peine 16 ans, elle est la première femme à monter sur la tribune de l’UO[13]. Sa conférence se veut une causerie « pour les femmes, et au point de vue des femmes[14] », qui vise à « contrebalancer les efforts des hommes[15] » et démontrer que les militantes aussi ont la capacité de produire des discours politiques et des critiques sociales. Mignonne Ouimet exprime des positions « féministes marxistes[16] » : elle dénonce l’exploitation du travail féminin et l’autorité illégitime exercée dans la sphère privée par le père ou le mari. Elle critique le rôle que jouent le clergé et les institutions politiques dans le maintien des femmes dans un statut inférieur. Dans le contexte social conservateur de l’époque, qui rejette les demandes visant à faire de la femme l’égale de l’homme juridiquement, les militantes de l’Université ouvrière estiment que seules une révolution et l’instauration d’une société communiste permettront aux femmes de vivre librement.

Les militants de l’UO critiquent les fondements du système capitaliste. Influencés par Marx et Proudhon, ils se positionnent contre la propriété privée des moyens de production et dénoncent l’exploitation salariale. Mignonne Ouimet reprend ces idées dans sa conférence lorsqu’elle dénonce l’exploitation du travail féminin. Elle souligne toutefois l’oppression particulière qui touche les femmes. Bien que les hommes subissent une exploitation économique qui les maintient dans la pauvreté, les femmes doivent faire face non seulement à l’exploitation économique, mais elles sont en plus soumises au pouvoir des hommes : « S’il est vrai que certains hommes sont les esclaves d’autres hommes, nous, les femmes, nous sommes les esclaves, même, de ces derniers esclaves. […] Toutes les lois à notre égard sont injustes et les mœurs sont encore pires[17] ». Lorsqu’elles ne sont pas mariées, les filles sont sous la tutelle de leurs parents ; en se mariant, elles tombent sous le joug de leur mari, car elles sont privées de droits civiques : « Ici, la position de la femme est légalement et clairement définie ; de par le code, elle est un meuble, une propriété ou un objet, pour ainsi dire, que l’homme achète ou loue à plus ou moins long terme, et suivant les stipulations d’un contrat notarié, avec approbation du maire ou d’un ministre du culte[18] ».

Si la jeune fille ne souhaite pas se marier, on dit qu’elle peut subvenir à ses propres besoins en travaillant. Pour Ouimet, cette option n’existe pas réellement en raison de la faiblesse du salaire des ouvrières : « Vous savez bien, mes camarades, que notre système économique actuel nous rend ce travail impossible et que cette dernière ressource du travail, pour gagner notre vie, est un bien beau leurre ! En effet, combien gagnent les employées des manufactures de coton, de tabac, d’allumettes, de chaussures ? Combien gagnent les employées chez Eaton, Morgan, Dupuis, etc. ? Une pitance ! » Composant 25,2 % de tous les salariés montréalais en 1931[19], les ouvrières sont cantonnées dans des emplois aux salaires très bas[20]. Ces salaires, de 5 $ à 7 $ par semaine selon Ouimet, sont bien insuffisants pour une jeune célibataire qui souhaite louer une chambre, manger à sa faim et s’habiller convenablement. La militante souligne aussi le harcèlement sexuel que subissent les travailleuses dans leur milieu de travail. Si les femmes ne peuvent subvenir à leurs besoins en raison des bas salaires qui leur sont réservés, raisonne Ouimet, elles n’ont d’autre choix que de se marier : « En un mot, puisqu’il faut appeler les choses par leur nom, la femme est forcément entraînée vers l’une des prostitutions connues. La première, c’est la prostitution générale, mais légale. C’est-à-dire, le mariage ! La deuxième c’est… l’autre.[21] » Le mariage et la prostitution sont vus comme les deux faces d’une même médaille. Privées de droits civiques et sous-payées, les femmes sont forcées de contracter des échanges économico-sexuels pour survivre. Si les femmes doivent se marier pour pouvoir vivre, leur amour n’est donc pas donné librement ; sali par des considérations financières, l’amour devient alors prostitution.

La critique du mariage et de la famille patriarcale est un thème qui est présent dans le discours des militants de l’Université ouvrière et, plus généralement, dans la tradition communiste. Selon cette dernière, loin d’être une institution d’amour, le mariage en régime capitaliste est plutôt un outil servant à assurer la transmission du patrimoine par l’héritage et le maintien de la propriété privée. De plus, le mariage « relègue la femme au rang d’objet en la plaçant sous la tutelle de son mari, lui retirant jusqu’à son propre nom de famille[22] ». Ce sont ces idées, diffusées par le biais de brochures anarchistes et dans la littérature communiste, que reprend Ouimet dans sa conférence[23]. Pour que les femmes puissent se libérer du joug des hommes et du capitalisme, l’oratrice affirme qu’elles doivent participer à la révolution. Il faut que les femmes encouragent les hommes à se révolter contre le système capitaliste qui les maintient dans la misère, car c’est lorsque ceux-ci seront libres que les femmes pourront, elles aussi, conquérir leur liberté :

Il faut leur faire comprendre qu’ils ont tort de tolérer plus longtemps un système économique permettant à quelques-uns d’entre eux de posséder des richesses, pendant que 90 % de la masse individuelle demeure dans le salariat, l’ignorance et la misère. Sachons que notre planète, la Terre, appartient à l’humanité et non à quelques individus et que celui qui se prétend propriétaire d’un pied de terrain est un voleur ! Enseignons à nos frères que toutes les religions prétendues révélées ne sont que des fables inventées par les exploiteurs pour leurrer les imbéciles, diluer, amoindrir le courage des militants et maintenir les privilèges des repus[24].

Mignonne Ouimet appelle les femmes à joindre le mouvement révolutionnaire qui veut abolir la propriété privée et le régime capitaliste en faveur de la propriété collective, donnant à tous la pleine valeur de leur travail. Ce n’est que par une transformation radicale des conditions de vie actuelles que les femmes pourront être libres. Alors seulement :

l’on ne verra plus de jeunes filles accepter de vieux maris, parce que ces derniers ont de la braise… ! […] On n’entendra plus proclamer cette doctrine de la multiplication à outrance ; au lieu de procréer une sale vermine, débile, rachitique, mais nombreuse, les hommes et les femmes chercheront à produire de la qualité plutôt que de la quantité ; et c’est alors seulement que l’on pourra dire vraiment de tous les enfants : ils sont aussi beaux que les fruits de l’amour ! […] Puissent enfin les quelques remarques que je vous ai faites graver dans vos esprits cet axiome : la femme ne sera vraiment femme que lorsqu’elle aura obtenu sa liberté économique. Et les hommes sauront alors et alors seulement, quel trésor d’amour renferme le cœur de la femme[25].

Si ces idées ne sont pas nouvelles au sein du milieu communiste canadien-français, la conférence de Ouimet exprime des considérations particulières liées au statut des femmes ouvrières dans les années 1930. Sa conférence alimente les réflexions au sujet de la condition féminine et s’inscrit dans le développement d’un militantisme révolutionnaire féminin qui prend la pleine mesure de la lutte des classes dans ces années au Québec.

La Ligue du réveil féminin : une organisation d’action

La crise économique et le chômage qu’elle entraine fournissent une nouvelle occasion pour les femmes du réseau de l’Université ouvrière de faire valoir leurs revendications politiques. En 1933, les militants autour de l’Université ouvrière fondent l’Association humanitaire (AH) qui a pour but d’aider et d’organiser les chômeurs. Les femmes y sont particulièrement actives. La même année, sous l’impulsion de la militante Éva Varrieur, elles fondent la Ligue du réveil féminin (LRF), un groupe non mixte. Son objectif est de « soutenir les familles ouvrières aux prises avec le chômage[26] », notamment en faisant pression sur le gouvernement pour qu’il prenne des mesures de soutien aux chômeurs. La Ligue met de l’avant la capacité des femmes à prendre en charge des revendications politiques, comme l’indique son Manifeste publié dans le journal l’Autorité le 14 octobre 1933 :

Dans ce chaos indescriptible, il est malheureux de constater que la femme, mère de l’humanité, a toujours joué un rôle plutôt effacé et reste stationnaire dans l’évolution, imbue de préjugés soigneusement entretenus, pour ne pas dire cultivés. Elle est demeurée un objet de cuisine et de boudoir engoncé dans sa soi-disant dignité féminine. […] C’est pourquoi le Réveil féminin s’impose […] plus de sacrifice, de dévouement pour l’intérêt de quelques femmes, mais le réveil de la femme par l’éducation logique naturelle, basée sur des faits et leurs réalisations, opposée à l’obscurantisme de toujours. Dans un siècle de science et de lumière, faut-il que nous, les femmes, restions aveugles, laissant aux hommes le soin d’essayer d’arranger les choses à leur guise et restions à notre éternel rôle de servante et de poupée ? Le Réveil féminin entreprend de réveiller les intelligences (brillantes souvent), mais somnolentes et faire évoluer la femme vers sa véritable émancipation[27].

En organisant un groupe d’action politique non mixte, la LRF travaille à l’éveil de la conscience des femmes, capables elles aussi de faire advenir le changement social qu’elles désirent sans rester dans l’ombre de leurs camarades masculins. L’émancipation des femmes, pour la Ligue, passe par une éducation scientifique, ainsi que par un rejet de la religion et des exigences que le clergé impose au sexe féminin. Le contexte de la crise économique n’est pas étranger à ce regain d’activité chez les femmes, leur débrouillardise et leur ingéniosité en tant que ménagères et mères de famille étant particulièrement sollicitées dans un contexte de chômage et de pénuries[28].

La Ligue de réveil féminin présente aussi, dans le même journal, le 16 septembre 1933, une liste de revendications. Elle exige des allocations familiales, des pensions mixtes ou individuelles pour les vieillards, ainsi que pour les veuves et les orphelins, l’assurance chômage et enfin les soins médicaux gratuits « pour la famille de l’ouvrier[29] ». Les femmes de la LRF expriment ces revendications dans une société qui est largement dépourvue de filet social[30]. Au début des années 1930, le Québec accuse un retard par rapport à la majorité des provinces canadiennes[31], notamment en ce qui concerne les allocations pour les « mères nécessiteuses », les pensions de vieillesse et les indemnisations pour les travailleurs accidentés[32]. Pour endiguer les effets de la crise, le gouvernement provincial mise sur le « secours direct » et les programmes de travaux publics, des mesures d’urgence qui apaisent la misère sans toutefois s’attaquer aux racines du problème de la pauvreté[33]. Sur le plan de l’urbanisme, la LRF exige de nouvelles constructions pour remplacer les taudis et l’aménagement de parcs dans chaque quartier. Sur le plan économique, elle réclame une distribution équitable des biens, l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes, et l’interdiction du travail des enfants. Dans tous les cas, les militantes de la LRF proposent des solutions structurelles aux causes profondes de la misère et rejettent les palliatifs superficiels proposés par les gouvernements.

Au cours de son existence, la LRF organise aussi des conférences dans les locaux de l’Université ouvrière, portant sur des sujets comme l’inexistence de Dieu ou les libertés civiles. L’une de ces conférences, donnée en 1934, attire quelque 200 femmes et leurs enfants[34]. En se dotant d’un groupe d’action non mixte, les militantes de la LRF développent leur autonomie, sans jamais perdre de vue l’idée révolutionnaire. Elles avancent aussi de nouvelles revendications au sein de leur milieu, dont celles portant sur les droits de la jeunesse.

Les préoccupations relatives à la famille, aux enfants et à la régulation des naissances occupent une place importante pour les femmes de l’Université ouvrière et de la Ligue de réveil féminin. Mignonne Ouimet, ainsi que les militantes de la Ligue, critiquent l’idée de la « multiplication à outrance[35] » portée par le clergé catholique, qui interdit aux couples d’utiliser la contraception pour contrôler la taille de leur famille[36]. Elles soulignent l’impossibilité, pour la classe ouvrière montréalaise, d’harmoniser les exigences morales catholiques de reproduction et le maintien de la qualité de vie des enfants. Ceux-ci font les frais de ces exigences, car ils sont mis au monde par des parents qui n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins en raison de leur pauvreté. Pour les militantes qui gravitent autour de l’Université ouvrière, c’est seulement en s’attaquant aux racines de la misère par un changement social radical, en faisant advenir une société basée sur la propriété collective et l’égalité entre les sexes que chaque humain aura la possibilité de s’épanouir à sa pleine capacité.

La fin de l’Université ouvrière

Entre 1933 et 1935, la répression s’intensifie contre l’Université ouvrière et les organisations qui lui sont liées[37]. L’engouement des ouvrières et des ménagères pour les idées anticléricales et communistes, leur engagement au sein des organisations révolutionnaires, inquiètent en particulier le clergé catholique. Les femmes sont, selon le bulletin catholique La Chandelle, « l’élément le plus astucieux et celui qui fera le plus pour l’avancement du mouvement communiste. C’est donc vers les femmes qu’il faudra faire converger nos efforts[38] ». Pour endiguer l’influence de ces initiatives au sein des faubourgs montréalais, le clergé crée trois contre-organisations : l’Université ouvrière catholique, l’Association humanitaire catholique et le Réveil féminin catholique[39]. Enfin, l’Église, l’extrême droite et le gouvernement provincial tentent, par divers moyens, de faire fermer les lieux d’organisation révolutionnaire. À partir de 1934, dans un contexte où le milieu communiste libertaire périclite, les militantes et militants de l’Université ouvrière, de l’Action humanitaire et de la Ligue de réveil féminin se rapprochent du Parti communiste du Canada qui cherche alors à fédérer les forces révolutionnaires canadiennes. L’Université ouvrière est remplacée en 1935 par l’Université du prolétariat, une coopérative d’enseignement mutuel, de cours et de conférences, avant de fermer définitivement ses portes un an plus tard, après avoir été violemment mise à sac par une cohorte de jeunes activistes catholiques[40].

Même si elles étaient minoritaires au sein de leur milieu, les militantes du réseau de l’Université ouvrière ont fait leur marque. Elles se sont réapproprié les idées de l’UO et, plus généralement, des traditions communistes et anarchistes, puis ont élaboré un discours et des pratiques pour répondre aux défis spécifiques auxquels étaient confrontées les ouvrières et les ménagères francophones au début du XXe siècle. Tout en participant aux conférences et en animant des comités, ces femmes ont développé une réflexion révolutionnaire sur l’exploitation du travail féminin, la domination masculine et les institutions sociales – le clergé, le mariage, le Code civil – participant à les maintenir dans un état de dépendance. Enfin, ces militantes ont pris davantage d’autonomie en s’organisant au sein d’une organisation non mixte, la Ligue de réveil féminin. Dans les journaux, dans la rue et par le biais de leurs organisations, elles ont fait valoir leurs revendications politiques. Par leur activité, ces militantes ont contribué à alimenter la réflexion au sujet de la condition féminine au sein du mouvement communiste canadien-français organisé autour de la figure d’Albert Saint-Martin.

Par Mélissa Miller, étudiante à la maîtrise en histoire, Université de Montréal, membre du collectif Archives Révolutionnaires


  1. Au sujet du parcours d’Albert St-Martin, on consultera : Claude Larivière, Albert Saint-Martin, militant d’avant-garde, 1865-1947, Laval, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1979.
  2. Alex Cadieux, « Le péril rouge : le cas de l’Université ouvrière de Montréal (1925-1935) », Strata, n° 4, 2018, p. 26.
  3. Louise Watson, She Never Was Afraid. The Biography of Annie Buller, Toronto, Progress Books, 1979, p. 11-14.
  4. Mathieu Houle-Courcelles, « “Ni Rome, ni Moscou” : l’itinéraire des militants communistes libertaires de langue française à Montréal pendant l’entre-deux-guerres », thèse de doctorat, Université Laval, 2020, p. 160.
  5. Ibid., p. 170 et 191.
  6. Marcel Fournier, « Histoire et idéologie du groupe canadien-français du parti communiste (1925-1945) », Socialisme 69, vol. 16, 1969.
  7. Mathieu Houle-Courcelles, op. cit., p. 173.
  8. Claude Larivière, op. cit., p. 138.
  9. Mathieu Houle-Courcelles, op.cit., p. 182.
  10. Marcel Fournier, op .cit, p. 63-84. L’anticléricalisme est un élément qui distingue l’Université ouvrière des autres organisations socialistes et syndicales comme la One Big Union ou le Parti communiste du Canada, et traduit l’expérience particulière de la société canadienne-française dominée par le clergé. Voir Mathieu Houle-Courcelles, op. cit., p. 176-177.
  11. Mathieu Houle-Courcelles, op. cit., p. 233.
  12. Marcel Fournier, Communisme et anticommunisme au Québec (1920-1950), Montréal, Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1979, p. 20.
  13. Mathieu Houle-Courcelles, op. cit., p. 202. Mignonne Ouimet est la fille de Charles Ouimet, qui quittera le réseau de l’Université ouvrière pour rejoindre le PCC.
  14. Mignonne Ouimet, La Femme. Conférence donnée par Mlle M. Ouimet le 15 mars 1931 à l’Université ouvrière, Montréal, L’Université ouvrière, s.d., s.p.
  15. Ibid.
  16. Claude Larivière, op. cit., p. 146.
  17. Mignonne Ouimet, op. cit.
  18. Ibid.
  19. Terry Copp, Classe ouvrière et pauvreté. Les conditions de vie des travailleurs montréalais, 1897-1929, Montréal, Boréal express, 1978, p. 45-46.
  20. « De 1901 à 1929, plus du tiers des ouvrières se retrouve dans le secteur manufacturier ; un second tiers occupe le secteur des services et notamment le service domestique ; enfin, le troisième tiers se disperse en une infinité d’emplois ayant tous un facteur en commun : des salaires de famine. » Terry Copp, op.cit., p. 46.
  21. Mignonne Ouimet, op. cit.
  22. Mathieu Houle-Courcelles, op. cit., p. 204.
  23. On compte, parmi les travaux des communistes et des anarchistes qui critiquent les institutions de la famille et du mariage en régime capitaliste : L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État de Friedrich Engels, La camaraderie amoureuse, de E. Armand, L’immoralité du mariage de René Chaughi, etc.
  24. Mignonne Ouimet, op. cit.
  25. Ibid.
  26. Mathieu Houle-Courcelles, op. cit., p. 213.
  27. « La Ligue du réveil féminin », L’Autorité, 14 octobre 1933, p. 4.
  28. « Les réactions à la crise se font surtout sur le plan individuel et à travers les réseaux de solidarité de base. […] C’est l’ère de la débrouille, et les femmes jouent à cet égard un rôle fondamental dans l’économie domestique, par exemple en adaptant l’alimentation ou en retaillant les vêtements. » Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard, Histoire du Québec contemporain. Tome II. Le Québec depuis 1930, Montréal, Boréal, 1989, p. 82. Sur le rôle actif des ménagères durant la crise économique des années 1930, voir : Denyse Baillargeon, Ménagères au temps de la crise, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 1991.
  29. « Les commandements de la Ligue du réveil féminin », L’Autorité, 16 septembre 1933, p. 4.
  30. L’aide aux indigents est encore prise en charge par les institutions religieuses qui n’ont pas toujours les moyens d’aider adéquatement les familles dans le besoin. Terry Copp, op. cit., p. 137.
  31. Terry Copp, ibid., p. 133.
  32. Sur l’adoption des politiques sociales touchant les femmes et les familles au Québec, on consultera : Denyse Baillargeon, « Les politiques familiales au Québec. Une perspective historique », Lien social et politiques, n° 36, 1996, p. 21-32.
  33. Robert Comeau et Bernard Dionne, Le droit de se taire. Histoire des communistes au Québec, de la Première Guerre mondiale à la Révolution tranquille, Montréal, VLB Éditeur, 1989, p. 55.
  34. Mathieu Houle-Courcelles, op. cit., p. 215.
  35. Mignonne Ouimet, op. cit.
  36. À propos du contrôle des naissances et des exigences du clergé catholique canadien-français au sujet de la reproduction, on consultera : Danielle Gauvreau et Peter Gossage, « “Empêcher la famille” : Fécondité et contraception au Québec, 1920–60 », The Canadian Historical Review, vol. 78, n° 3, 1997, p. 478-510, ainsi que Danielle Gauvreau et Diane Gervais, « Les chemins détournés vers une fécondité contrôlée : le cas du Québec, 1930-1970 », Annales de démographie historique, n° 2, 2003, p. 89-109.
  37. Mathieu Houle-Courcelles, op. cit., p. 221.
  38. H. B. « À l’Université ouvrière », La Chandelle, 1, 13, 24 mars 1934. Cité dans : Mathieu Houle-Courcelles, op. cit., p. 215.
  39. Ibid., p. 215.
  40. Ibid., p. 232.

 

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27 septembre 2024, par Par Anne Michèle Meggs
Pour réduire rapidement l’immigration temporaire

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Francisation : loin de la flexibilité prônée par le gouvernement caquiste

27 septembre 2024, par Par Collectif syndical
Fin des incitatifs à la francisation à temps partiel et en milieu de travail

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Renforcer la démocratie pour contrer l’extrême-droite

27 septembre 2024, par Par Luc Allaire
Sommet syndical en marge du G7

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Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

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Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

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