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Pop-culture, politique et militantisme en ligne. Entretien avec Benjamin Patinaud

16 janvier 2024, par Anthony Galluzzo, Benjamin Patinaud —
Benjamin Patinaud est connu pour la chaîne YouTube Bolchegeek qui, à travers des vidéos comme Le film qui voulait nous sauver et La haine des riches, propose une analyse (…)

Benjamin Patinaud est connu pour la chaîne YouTube Bolchegeek qui, à travers des vidéos comme Le film qui voulait nous sauver et La haine des riches, propose une analyse politique des productions de l'industrie culturelle. Par son activité de vidéaste, il fait partie de ceux qui ont contribué à la diffusion des idées de gauche radicale sur une plateforme où les personnalités d'extrême droite ont longtemps été les seules à proposer du contenu. Depuis un an, il produit également des vidéos pour le journal L'Humanité.

Tiré du site de la revue Contretemps
8 janvier 2024

Par Benjamin Patinaud et Anthony Galluzzo

Anthony Galluzzo s'est entretenu avec lui suite à la parution de son premier ouvrage, Le syndrome Magneto (Le diable Vauvert, 2023). Dans cet entretien, ils reviennent sur certaines des thèses de son livre, sur son parcours et sur l'évolution politique du YouTube francophone.

Anthony Galluzzo – Avant d'aborder ton ouvrage, j'aimerais qu'on revienne un peu sur ton parcours, à travers ton pseudonyme de vidéaste, « Bolchegeek ». Comment en es-tu venu à t'intéresser à ce que l'on appelle la culture « geek » ?

Benjamin Patinaud – Le pseudo « Bolchegeek » est mon pseudo de gamer à la base, c'était une blague avec des potes. Le terme « geek » veut un peu tout et rien dire, mais quand il s'est popularisé en France, il m'a parlé, je me suis senti concerné. Je lisais des comic books, j'aimais la science-fiction, je jouais aux jeux vidéo et je faisais du jeu de rôle. Une culture très partagée par mes amis dès le collège et par mon grand frère aussi, qui m'a initié aux comic books. Par ailleurs, je m'intéressais à la politique, je militais à la LCR en arrivant à la fac. La culture geek n'était pas très présente dans les milieux de gauche à l'époque. Le terme s'est un peu perdu depuis : la culture geek, comme la culture punk avant elle, s'est diluée dans le mainstream. La culture super héros par exemple occupe le haut du box-office mondial. Se passionner pour Star Wars aujourd'hui n'est plus quelque chose de marginal. Ce n'est plus vraiment une sous-culture. Rajoute à cela le fait que cela veut tout et rien dire : est-ce que le fan de Kaamelott qui fait des GN [jeu de rôle grandeur nature], c'est la même sociologie et la même sous-culture que le mec de banlieue qui est fan de One Piece ? Je n'ai pas l'impression que ce soit exactement le même groupe. Les geeks eux-mêmes se sont détournés de ce terme, et ce mouvement a aussi commencé à développer un discours critique sur lui-même. Avec les essais vidéo notamment, cela a commencé à s'hybrider avec l'analyse culturelle, avec la sociologie. Me dire « geek » aujourd'hui, cela ne m'arrive plus vraiment. Ça n'a plus trop de sens.

Anthony Galluzzo – Dans quel contexte as-tu commencé à produire des vidéos ?

Benjamin Patinaud – Quand j'ai commencé à faire des vidéos, vers 2015, je venais de déménager pour suivre ma compagne. J'étais loin de la bande de potes avec laquelle on faisait des fanzines, des courts métrages. Youtube, c'était un peu la voie évidente, le cliché du mec qui peut faire ça tout seul dans sa chambre. A ce moment-là, le contenu de type vulgarisation scientifique commençait à décoller sur la plateforme, avec notamment le lancement de la chaine Nota Bene. A cette époque, je suis resté sous les radars car je ne correspondais pas trop aux standards, je n'avais pas de ligne éditoriale. Je ne faisais ni de la vulgarisation, ni de la critique. Les années sont passées et on a commencé à davantage « formater » nos vidéos, à faire les choses plus sérieusement. On s'est rapprochés progressivement d'un format dont on ignorait l'existence à l'époque, l'essai vidéo, qui est venu peu à peu supplanter sur Youtube un format plus ancien, la critique, qui était davantage basée sur l'opinion. L'essai vidéo permet de développer du contenu analytique sur plein de phénomènes, pas seulement la pop culture. J'ai beaucoup regardé les video essayists anglosaxons comme F.D Signifier, ContraPoints, Shaun, Lindsay Ellis, Philosophy Tube… Ça nous a beaucoup nourri.

Anthony Galluzzo -Tu parlais de ton passage à la LCR. C'est à partir de là que tu t'es formé au marxisme ?

Benjamin Patinaud – En fait, je suis un peu cancre. Je n'ai jamais été trop dans la marxologie, le côté très érudit, très nerd (dans la culture populaire, le nerd incarne une personne solitaire, passionnée par des sujets intellectuels, surtout scientifiques), que tu retrouves beaucoup dans les organisations trotskystes. J'aime qu'on m'explique les choses. Donc je suis beaucoup plus redevable de la formation que des lectures. Je me suis nourri de plein de discussions avec les vieux militants de la LCR, qui diffusaient leurs connaissances. J'étais à la fac à l'époque, pendant le mouvement contre le CPE. Ça alimentait l'action. J'ai une licence de linguistique, mais j'ai arrêté les études quand il a fallu faire un mémoire, justement parce que je n'ai jamais eu la discipline universitaire. J'aime écouter les spécialistes pour redigérer ce qu'ils disent sous la forme d'essais vidéo. J'avais le même rapport aux grands textes marxistes, trop ardus pour moi. Je les ai reçus à travers de multiples discussions avec des érudits dans les orgas, et ensuite j'ai cherché à remobiliser tout ce qu'ils m'ont transmis. Il y a tout un tas de grandes références théoriques que je n'ai jamais lues, comme Gramsci, par exemple, dont on parle sans arrêt. Je préfère lire des choses plus appliquées et concrètes, des études de cas. Être matérialiste, ça s'apprend, et c'est clairement à la Ligue que j'ai intégré cette grille de lecture. Il y a certaines façons de parler d'art, purement esthétiques, qui ont leur intérêt aussi, mais qui ne sont pas les miennes. Ce qui m'intéresse, ça va davantage être de restituer le contexte d'une œuvre, sa réception, son économie… Un angle d'analyse que je dois clairement à mes fréquentations militantes.

Anthony Galluzzo – Dans ton travail de vidéaste, comment est-ce que tu passes de l'idéation à la réalisation ? Comment est-ce que tu documentes et travailles tes intuitions ?

Benjamin Patinaud – J'ai des enveloppes, avec des notes qui dorment là et que je complète depuis des années. Avec Kath, dite la Petite Voix, qui produit les vidéos, et avec les gens avec qui je travaille, ça correspond pas mal à du « sparring ». Quand j'ai une idée, je l'explique à Kath, qui fait un retour, qui la critique, qui la teste. Je vais te donner un exemple pour illustrer un peu le procédé : la vidéo « John Wick et le contrat social ». En regardant les films, j'ai été intrigué par l'univers, par la société que met en scène le film : les personnages parlent souvent de dette, de contrat, d'économie. Et dans ces films, tu as même un mec qui a tout un discours sur le contrat social. Automatiquement, tu te mets à penser à Rousseau, à Hobbes, à tout un tas de souvenirs de lycéen. J'ai la chance d'être entouré par pas mal d'intellos. Dans ces cas-là, je vais les voir, et je leur parle de ce que j'ai vu. Et ces amis m'indiquent des lectures. Pour la vidéo sur John Wick, ils m'ont amené à lire Dette : 5000 ans d'histoire de David Graeber. J'ai aussi mis ça en lien avec le travail de Lordon sur Imperium. Au fil des lectures et des conversations, cette vidéo, que je m'étais imaginée attachée à Rousseau et à Hobbes, m'a finalement amené vers les réflexions sur les institutions de Graeber et de Lordon. Procéder comme ça, ça te pousse à illustrer tout un ensemble de concepts à travers un film dont le propos, à la base, n'est pas du tout de discuter de ces concepts. C'est aussi un kiff formel : on va parler de dette, de contrat, de monnaie et de capitalisme à travers un mashup (composition qui emprunte des images ou des sons à un ou plusieurs films ou chansons) des images du film. Je réalise beaucoup moins de travail documentaire en amont que des camarades comme Cinéma et politique ou Videodrome, qui sont beaucoup plus exigeantes et plus universitaires. Je limite mes lectures et j'affine mon angle pour éviter de me retrouver noyé sous la documentation.

Anthony Galluzzo – Dans ton ouvrage tu présentes ce que tu appelles « le syndrome Magneto », que tu décomposes ensuite en un ensemble de « symptômes », qui sont des caractéristiques communes à beaucoup d'œuvres issues de l'industrie culturelle américaine. Je te propose de revenir sur certaines de ces thèses. Tout d'abord, peux-tu nous résumer ce que tu désignes par « Syndrome Magneto » ?

Benjamin Patinaud – Exprimé de la façon la plus simple et ramassée, le syndrome Magneto, c'est quand un méchant a partiellement raison, mais reste le méchant. Qu'est ce qui le justifie ? C'est paradoxal. S'il a raison, pourquoi n'est-il pas le héros de l'histoire ?

Anthony Galluzzo -Tu évoques dans ton livre l'opposition habituelle entre un héros conservateur et un méchant révolutionnaire : le méchant agit, le héros réagit…

Benjamin Patinaud – C'est un trope connu, que tu peux retrouver sur certains sites les référençant, comme Tvtropes par exemple. C'est une opposition qui revient souvent dans des œuvres super héroïques manichéennes opposant des « gentils » et des « méchants ». C'est davantage une habitude narrative qu'un élément foncièrement idéologique : l'élément perturbateur va souvent être amené par le méchant et le héros va être là pour contrer son projet souvent hyper alambiqué. Fatalement, le héros va essayer de rétablir un statu quo ante, un état antérieur, contre un mec qui est venu tout perturber. Le héros est donc souvent un conservateur, voire un réactionnaire au sens où il réagit à ce que fait le méchant. Le ressort est d'abord narratif, mais il a une conséquence idéologique et politique : le personnage qui se rebelle contre un ordre établi et essaye d'amener un nouveau modèle de société est en général présenté comme le méchant. La position révolutionnaire est très rarement portée par le héros. Les auteurs vont donc attribuer à l'antagoniste tout un ensemble d'idées radicales. Les scénarios intègrent souvent les enjeux politiques actuels et vont faire porter la critique au méchant. Cela a un impact sur la façon dont l'œuvre va traiter la légitimité des actions des personnages. Les seules fois où le héros s'oppose de façon radicale à l'ordre existant, c'est dans un cadre dystopique. Dans ce cadre-là, le statu quo est présenté comme injuste, et le héros peut alors s'y opposer de façon violente. En revanche, si l'univers de la fiction nous est présenté comme normal, dans la continuité du nôtre, les oppositions violentes sont discréditées. Elles sont l'apanage du méchant. Le héros va reconnaitre le problème tout en s'opposant aux destructions de son adversaire. C'est la conséquence politique de la structure narrative habituelle de récits manichéens qu'on retrouve beaucoup chez les super héros. Et comme le dit Alan Moore, il ne faut pas oublier que ce sont des schémas narratifs qui ont été mis en place pour plaire à des petits garçons dans les années 1930. Ce qui est intéressant, c'est ceux qui comme Alan Moore transgressent ce schéma naïf, de justice immanente. Mais ça reste tout de même un schéma inévitable qui contraint la narration.

Anthony Galluzzo – Sur la base de ce manichéisme, tu parles de la disqualification systématique du projet révolutionnaire, sans cesse interprété comme un paravent à des intérêts personnels et égoïstes…

Benjamin Patinaud – Là aussi c'est quelque chose de courant, même s'il y a de nombreuses exceptions. Ce sont des tendances. Ce qui est souvent donné à voir, c'est un projet révolutionnaire séduisant en apparence, qui combat une injustice réelle, mais qui reste dangereux, car il cache un projet dystopique. C'est cet héritage de la pensée antitotalitaire du 20e siècle : les grands projets révolutionnaires auraient tous sombré dans la dystopie, et il faudrait donc s'en méfier systématiquement. On va bien sûr trouver des variantes. Certains révolutionnaires sont présentés comme sincères, et ils vont devenir des despotes malgré eux. D'autres personnages sont plutôt des manipulateurs : leur projet est malfaisant dès le départ. C'est le cas du Bane [du Batman] de Nolan. Il est vraiment présenté comme un révolutionnaire au sens fort, avec une inspiration « Occupy Wall Street ». On découvre dans le film que c'est un prétexte pour détruire la ville. Scar dans le Roi Lion rentre aussi dans ce schéma. D'où une suspicion permanente contre les projets révolutionnaires, qui soit sont des pentes glissantes, soit cachent quelque chose. C'est un trope très répandu : le monde d'après est systématiquement présenté comme pire que le monde d'avant. Ce qui est une façon de reconnaitre la critique, tout en disqualifiant le critique, en faisant de lui quelqu'un de pervers.

Anthony Galluzzo – Un des meilleurs exemples que tu analyses aussi en vidéo, c'est Thanos dans la franchise Avengers.

Benjamin Patinaud – Le film nous le présente comme quelqu'un qui a tort dans ses méthodes : c'est quand même quelqu'un qui veut perpétrer un génocide, c'est donc assez facile de le disqualifier. Mais jamais il nous est dit qu'il se trompe dans son diagnostic, que son analyse de la situation ne tient pas. S'il avait raison de pointer certains problèmes, que fait-on pour les solutionner ? Le film ne traite pas la question. Je pense que c'est inhérent au fonctionnement de l'industrie culturelle. Je ne pense pas que les créateurs de ces fictions cherchent forcément à invalider la critique. Ce sont des œuvres industrielles, sans véritable auteur, avec des chaînes de décision compliquées et des enjeux économiques qui brouillent tout. Ce sont des films plutôt inconséquents, qui cherchent à intégrer des enjeux contemporains et qui finalement s'en débarrassent. Thanos permet de parler d'écologie sans rien dire d'écologique. Ils n'ont finalement pas grand-chose à dire sur le sujet.

Anthony Galluzzo – Ce sont des objets effectivement difficiles à analyser idéologiquement. On est dans un flux, on n'est pas censés prendre garde à ce qui se passe. Dans un film comme Spider-Man : Across The Spider-Verse, par exemple, on voit Spiderman et Spider-Woman se déplacer en discutant, tout en arrêtant et en ficelant des voleurs à la tire. Ce qui est induit dans cette scène, c'est que le petit voleur est un « méchant », qu'on peut arrêter sans y penser dans un effet comique…

Benjamin Patinaud – Oui, parce que c'est l'activité emblématique, traditionnelle du super héros : arrêter des voleurs de sac à main, des braqueurs de banque… C'est très peu interrogé. Cela repose sur une équivalence basique : un acte de délinquance, c'est quelque chose d'intrinsèquement mauvais. Tu as quelques exceptions. Dans Spiderman III de Sam Raimi, on nous expose les raisons pour lesquelles le méchant, l'Homme-sable, commet des crimes. Il a une trajectoire sociale et l'histoire te permet de comprendre pourquoi il en est arrivé là. Mais ça nécessite de déployer tout un arc narratif. Les auteurs qui cherchent à casser cette équivalence doivent en faire toute une histoire. Un super héros qui s'en prend à un délinquant anonyme, cela ne nécessite aucune mise en contexte : c'est une violence acceptée comme légitime et normale par le spectateur. Dans Batman notamment, on réduit souvent la délinquance à de la folie dangereuse.

Anthony Galluzzo – Si on prend l'entièreté de la culture comics depuis près d'une centaine d'années, il y a des choses très variées, y compris des œuvres très subversives. Mais prenons la culture comics telle qu'elle a été redigérée par Hollywood à travers les blockbusters Marvel et DC depuis une vingtaine d'années. Est-ce que tu considères que même là, il y a suffisamment d'ambiguïté, de polysémie, pour que se développent des interprétations politiques variées ?

Benjamin Patinaud – Il y a de la polysémie du simple fait qu'il y a beaucoup de gens impliqués dans l'écriture, et qu'ils ne cherchent pas à faire directement de la propagande. Tu vas trouver des choses parfois très contradictoires au sein d'un même film. Ryan Coogler dans Black Panther et Wakanda Forever a injecté tout un ensemble de références afro-militantes : des références positives et explicites à Lumumba et à Toussaint Louverture, dans un film qui est pourtant une soupe un peu bizarre, avec un méchant qui a un syndrome Magneto. Les auteurs de comic books sont plutôt des gens issus de la gauche démocrate américaine. Et pourtant, les schémas mobilisés sont aussi très conservateurs. C'est pour ça à mon sens qu'on ne peut pas se contenter du jeu des boîtes. Si tu prends la culture comics d'un bloc, surtout à partir des productions cinématographiques Marvel, c'est la culture dominante, mainstream. Dans Spider-Man : Across The Spider-Verse, le héros n'est plus Peter Parker mais Miles Morales. C'est un prolo racisé : il est mi-portoricain, mi-afro-américain. En même temps, son père afro-américain est un gentil flic, dans un univers où le racisme ne semble pas exister, et n'est pas interrogé. Sur son sac, on peut voir un écusson Black Lives Matter. Le film n'a rien de radical pour autant. BLM y est une espèce de marque vidée de sa substance. Le film se situe en fait simplement dans l'air du temps. On peut y voir un Spiderman indien faire une vanne sur le pillage colonial britannique. Tu te rends compte que ce genre de blagues est devenu mainstream. C'est quelque chose que les commentateurs réactionnaires ont du mal à comprendre : pour eux, ces films sont le produit d'une gauche radicale qui pousse un agenda politique. En fait c'est tout le contraire. Ces films témoignent de l'évolution de la société, et montrent que ces idées sont devenues courantes… La réception des œuvres et leur réappropriation par le public, ça me semble très important. Un film comme Black Panther, qui vu de chez nous peut paraitre inoffensif, parle beaucoup à un certain public afro-américain. Le film a constitué un véritable événement culturel. En comprenant leur réception du film, tu comprends pourquoi la suite, Wakanda Forever, est beaucoup plus explicite. Marvel a certainement compris que les références radicales voire anticoloniales du film alimentent son succès. La question que je ne saurais pas dénouer, c'est est-ce que ça sert à quelque chose… Mais on peut au moins dire que c'est un bon témoin de ce qui se passe culturellement et politiquement.

Anthony Galluzzo – J'ai l'impression que ton livre est très personnel : il correspond à ton historique de visionnage. Tu ne procèdes pas de manière systématique, en constituant un corpus par exemple. Et en même temps, il y a une portée générale. Tu organises les thématiques en syndromes, il y a une architecture globale. Ça me pose la question de la construction de ton objet. J'ai l'impression que tu utilises comme synonymes des concepts comme culture populaire, culture de masse et pop culture, pour évoquer la production de l'industrie culturelle américaine. Comment tu as choisi de mobiliser cette terminologie ?

Benjamin Patinaud – Pop culture, culture populaire, de masse, mainstream… Ce ne sont pas des termes interchangeables du tout pour moi, mais c'est un flou qui m'arrange parfois aussi. La catégorisation peut être difficile. Sur la chaine, on essaye d'aller au-delà de la pop culture et traiter de la culture populaire. On avait par exemple fait une vidéo sur Noël. Une kermesse, c'est de la culture populaire. Quand on parle de pop culture, on désigne souvent la culture populaire post-seconde guerre mondiale qui est industrialisée et très dominée par les Etats-Unis. Il y a des croisements. Les fanzines de super héros appartiennent aux deux catégories. Le terme « populaire » lui-même pose question : est-ce que ça renvoie à ce que consomme la plupart des gens, est-ce que cela désigne une culture des classes populaires ? On parle aussi parfois de culture dominante, ce qui semble contradictoire, car elle n'est pas censée être celle des classes populaires. Il y a plein d'ambiguïtés dans les emplois de ces termes que je ne résous pas, mais que j'aimerais retravailler plus tard. Cela dit, dans le texte, je n'emploie pas ces termes de façon interchangeable.

Anthony Galluzzo – Et concernant le corpus, pourquoi avoir puisé davantage dans la culture américaine, et moins dans les cultures japonaises et sud-coréennes, qui sont pourtant elles aussi fortement consommées à un niveau mondial ?

Benjamin Patinaud – Comme tu le disais, c'est mon historique de visionnage. Avec une petite altération : quand je discute d'une thématique, des fans de Naruto par exemple peuvent me renvoyer à certains épisodes de cette série que je ne regarde pas du tout. C'est l'avantage de l'échange avec une communauté sur internet : la vidéo sert de support à des échanges. Les gens discutent entre eux, m'envoient des messages pour m'indiquer des angles d'analyse et d'autres exemples qui viennent de leur corpus à eux. Je me dis que je n'ai pas trop mal fait mon boulot si, avec mon corpus, je dégage des idées qui peuvent faire réfléchir les gens à partir de leurs références propres.

Anthony Galluzzo – Revenons un peu à ton travail de vidéaste. J'aimerais discuter avec toi de l'évolution du Youtube politique francophone. Avec Usul, tu fais partie des premiers vidéastes à avoir produit et diffusé des analyses de gauche radicale à propos de différents phénomènes. Vous avez participé à une forme de lutte idéologique. Comment tu perçois l'évolution de cette lutte ?

Benjamin Patinaud – On pourrait s'imaginer qu'il y a sur Youtube, et plus largement sur les réseaux sociaux, du contenu dans tous les sens : des essais vidéo d'extrême droite, d'extrême gauche, de centristes, et cetera. En fait, pas vraiment. Je ne connais pas trop d'essais vidéo d'extrême droite. Ça existe peut-être, mais c'est une sphère qui me semble largement dominée par la gauche. L'extrême droite va davantage faire du clash, mais aussi du lifestyle, en mettant en avant un mode de vie, une façon de se comporter. Tu ne trouves pas de lifestyle d'extrême gauche, à part depuis quelques temps des gens comme Dany & Raz qui parlent à partir de leur mode de vie, de leur expérience personnelle, de leurs goûts. Tout le monde ne travaille pas les mêmes formats. Il y a aussi des facteurs sociologiques à considérer, et ça devrait faire l'objet de recherches bien précises. Qui était sur Internet au début ? Est-ce que le public n'était pas en grande partie composé de jeunes mecs blancs des classes moyennes, un peu isolés, attirés de fait par certains types de discours. J'ai l'impression que les gens qui ont ce profil là aujourd'hui ne vont plus systématiquement vers l'extrême droite. Autre phénomène nouveau : il y a aujourd'hui énormément de contenu féministe, notamment radical. Je croise des jeunes de quinze ans avec plein de profils qui se forment politiquement très rapidement avec internet, en se positionnant très précisément dans leurs courants. L'écosystème est beaucoup plus riche et diversifié aujourd'hui. Il y a désormais des gens qui se forment politiquement en lisant des threads Twitter, comme nous à l'époque on aurait vu une conférence. Et je dis vraiment ça sans mépris. Il y a aussi un côté actif dans cette militance-là. Mais je suis aussi un peu perdu. Il y a sans doute plein de choses qui m'échappent complètement dans les évolutions récentes.

Anthony Galluzzo – J'ai l'impression qu'il y a eu un tournant il y a quelques années. Jusque récemment, l'extrême droite semblait assez largement hégémonique sur Youtube. Elle mettait les rieurs de son coté, multipliait les hommes de paille sur les « woke ». Depuis quelques temps, cela ne semble plus fonctionner aussi bien et ce sont de plus en plus eux qui sont moqués.

Benjamin Patinaud – ContraPoints a un point de vue intéressant par rapport à la fin de la domination de l'alt-right dans la sphère anglosaxonne. Elle a bien relevé que des vidéastes comme hbomberguy, qui vient plutôt du jeu vidéo, ont commencé à se moquer des masculinistes. Cela a changé leur Youtube à eux. L'arrivée des streamers aussi est très intéressante. L'un des plus célèbres streamers au monde, Hasan Piker, est très politique. Et il est bien accepté, il fait des conventions Twitch à côté de streamers plutôt gaming et lifestyle, et il est de gauche radicale. Le gros de son travail, c'est de commenter l'actualité huit heures par jour. Il représente bien ce que les américains appellent la « dirtbag left » : il parle mal, il rigole, il trolle un peu. Il a une formation politique solide et une culture internet. Ce sont des évolutions qu'on peut généralement voir se dessiner aux États-Unis avant qu'elles arrivent en France. La dirtbag left est à mon sens le dernier grand tournant. La gauche sur internet, jusque récemment, c'était la plupart du temps de la vulga, plutôt polie, plutôt correcte. On lui reprochait d'ailleurs souvent d'être « politiquement correcte ». La dirtbag left prend le contrepied, avec un style plus provocateur, un peu mauvais esprit. Ce qui semble se passer c'est tout simplement que le public grandit. Inonder internet de contenus culturels bas de gamme, faciles à produire, qui tournent en boucle sur les mêmes obsessions sur les wokes ou autres hommes de paille, c'est très adapté à ces plateformes mais c'est toujours la même chose. Au bout d'un moment des gens vont chercher autre chose et notamment des choses qui vont un peu plus loin, qui sont un peu plus stimulantes que juste flatter des bas instincts. D'où la montée des essayistes vidéo sur le web anglosaxon après un moment de domination des contenus alt-right centrés sur l'anti-progressisme, quasi identiques et souvent purement opportunistes.

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Photo d'illustration : Maxime Noyon

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Beata Umubyeyi Mairesse : « Je cherche à construire une histoire collective} »

16 janvier 2024, par Beata Umubyeyi Mairesse, Muriel Steinmetz — ,
Née au Rwanda, le 18 juin 1994, elle a échappé au génocide avec sa mère, grâce à l'action d'humanitaires suisses. Après un premier roman, en 2019, « Tous tes enfants dispersés (…)

Née au Rwanda, le 18 juin 1994, elle a échappé au génocide avec sa mère, grâce à l'action d'humanitaires suisses. Après un premier roman, en 2019, « Tous tes enfants dispersés », dans lequel l'horreur était vue de biais, puis un deuxième, « Consolée » en 2022, elle publie « le Convoi », fruit d'une enquête qui a duré deux ans, au cours de laquelle elle a rencontré maints témoins de son histoire mêlée à celle d'autres survivants.

Article signé par Muriel Steinmetz, paru dans L'Humanité (France). Mise à jour le 12 janvier 2024 à 14h37

Beata Umubyeyi Mairesse publie ces jours-ci « le Convoi ». Il lui a fallu quinze ans de temps, une enquête de très longue haleine et des photographies retrouvées, pour s'autoriser à écrire son histoire, inscrite dans celle du peuple tutsi. Elle naît en 1979 à Butare ( renommé Huye depuis 2006 ), principale ville de la province du sud du Rwanda.

Son père, polonais, est décédé. Sa mère, tutsie, est une survivante. Avec elle, Beata peut fuir le pays à feu et à sang, plus de deux mois après le début du génocide des Tutsis par les Hutus, en 1994 <https://www.humanite.fr/medias/docu...> . Elle a 15 ans lors des premiers massacres, le 7 avril.

Le 18 juin, elle parvient à quitter le pays dans un convoi humanitaire suisse de Terre des hommes. Beata est métisse. Elle étudie à l'école internationale des « enfants blancs ou des métis de pères occidentaux » . Le Convoi n'est pas un roman, comme Tous tes enfants dispersés (2019, Éditions Autrement). L'ouvrage est le résultat d'une enquête acharnée entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l'Italie, l'Afrique du Sud.

*Vous aviez déjà évoqué cette période terrible de l'histoire et de votre histoire, entre autres, dans un roman, « Tous tes enfants dispersés », paru en 2019…*

Il y a une dizaine d'années, je faisais le choix de la fiction. Je ne souhaitais pas alors publier mon témoignage. Je pense pourtant que les témoignages de survivants du génocide <https://www.humanite.fr/en-debat/ge...> revêtent une grande importance. Plusieurs s'y sont livrés, seuls ou avec l'aide de journalistes occidentaux. J'avais choisi la fiction, parce que je n'étais pas prête à confier mon expérience intime à des inconnus.

Il y avait aussi que j'avais compris que cette histoire n'était pas tant indicible qu'inentendable. Malgré la gentillesse et l'hospitalité qu'on m'offrait en France, très peu de personnes voulaient entendre notre histoire, certaines souhaitant se protéger. D'autres, par délicatesse, pensaient me protéger. Ma famille d'accueil, qui m'avait écoutée, m'a très vite envoyée voir une psychanalyste.

Quand j'ai décidé d'écrire, vingt ans après, j'ai cherché une façon d'être enfin entendue. La fiction permettait une mise à distance rassurante, pour le lecteur et moi-même, mais aussi de toucher à une expérience universelle. C'est ce que j'ai fait dans mes nouvelles puis dans mon premier roman.

J'ai entrepris l'enquête sur « le Convoi » sans d'abord un projet d'écriture. C'est lorsque l'humanitaire qui nous a sauvé la vie est mort brutalement que j'ai décidé d'écrire. Ça ne pouvait qu'être un récit, et à partir du moment où je racontais l'histoire des autres enfants, je me devais aussi de raconter un peu la mienne.

*Vos recherches vous ont conduite à rentrer en contact avec des gens de plusieurs pays…*

J'ai d'abord contacté les journalistes de la BBC à Londres. Le reporter principal souffrait de syndrome post-traumatique, notamment à cause de son expérience au Rwanda. J'ai compris pourquoi il restait parfois si longtemps sans répondre à mes messages. C'était troublant d'entendre un journaliste dire à une victime que c'était elle qui pouvait lui apporter de l'espoir.

***« Je n'étais pas à la place habituelle de la victime africaine, qui livre une souffrance à laquelle les Occidentaux vont apporter une aide. »*

J'ai ensuite échangé avec son collègue sud-africain, Hamilton Wende. C'est celui qui a le mieux compris le sens de ma quête. D'autres m'ont moins soutenue, plus préoccupés par leur image que par mon projet.

Je n'étais pas à la place habituelle de la victime africaine, qui livre une souffrance à laquelle les Occidentaux vont apporter une aide, ou sur laquelle ils vont mettre leurs mots. J'appartiens aux deux mondes et j'ai acquis leurs codes. Après avoir été une victime, je suis devenue une humanitaire puis une écrivaine. Une sorte d'anomalie, finalement.

*Avez-vous rencontré des réticences à revenir sur ce passé maudit déjà lointain ?*

Mon enquête a progressé en spirale, de façon non linéaire. J'ai d'abord cherché les journalistes et j'ai obtenu quelques images, dont j'ai pensé dans un premier temps ne rien pouvoir faire. La rencontre avec un survivant sauvé par la même ONG m'a amenée à vouloir retrouver les autres enfants, ce qui m'a ensuite poussé à contacter les humanitaires.

De là se sont ensuivies d'autres rencontres, avec un photographe italien, notamment, puis de nouveau des survivants tutsis et, enfin, un historien français, auteur d'un travail remarquable sur la question des images produites sur le génocide.

Les anciens enfants sauvés par les convois ont été très ouverts et m'ont encouragée à écrire ce récit. Ils ont une conscience aiguë de l'importance de trouver et de laisser des traces de notre histoire. Aucun n'a craint de revenir sur ce passé douloureux.

*L'abandon de la fiction – au cours de laquelle vous ne vous sentiez pas tenue « de raconter l'histoire exacte », selon vos propres termes d'alors – vous permet-il enfin d'exorciser la terreur inoubliable avec l'aide d'autrui ?*

L'écriture, chez moi, n'est pas un acte cathartique. J'ai toujours préservé un espace de thérapie pour démêler l'écheveau de mes chagrins intimes. Il me semble qu'il faut aller plutôt bien pour pouvoir sortir de son récit personnel et chercher à construire une histoire collective comme je le fais ici, au-delà du pathos et du ressentiment.

J'ai presque écrit ce livre dans une démarche pédagogique. Au-delà de la volonté de faire connaître cette histoire d'immense sauvetage oublié, au-delà de la nécessité de faire entendre nos voix de survivants, il s'agissait aussi d'amener les lecteurs à s'interroger sur des questions très politiques. Qui raconte l'histoire, à qui ? Comment se fait-il que les faits historiques du continent africain ont constitué si longtemps un narratif avant tout destiné aux Occidentaux ?

*L'apport de tous ces témoignages vous a-t-il permis une mise à distance salutaire ?*

Il y avait en effet la « bonne distance » à trouver, afin de faire de ce récit quelque chose de collectif ; façon pour moi de m'éloigner de ce que l'écrivaine nigériane Ngozi Adichie a très justement nommé « le danger d'une histoire unique ». Il fallait donner la parole aux différents protagonistes de cette scène initiale, sur la photo de couverture, au moment où nous traversons la frontière pour fuir le Rwanda. Il s'agissait aussi de signifier ce que le temps fait à la mémoire. C'est pourquoi j'ai voulu que ce livre soit un texte littéraire, car le temps est bien avant tout une matière littéraire.

Pensez-vous que « le Convoi », qui par ailleurs met en lumière certaines complicités de la France avec les génocidaires, puisse au moins un peu atténuer la souffrance, la vôtre et celle du peuple tutsi ?

Pour vous répondre, j'ai envie d'emprunter ici les mots de Neige Sinno, dans son récit Triste Tigre. Elle dit que la littérature ne l'a pas sauvée. J'aime aussi pourtant croire ce qu'a dit Lydie Salvayre. À la question « que vaut un livre devant une vie qu'on brise ? », elle répondait que nous avons, tous et toutes, un féroce besoin d'envol auquel, quelquefois, la littérature répond.

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Programme complet des futures parutions des Éditions Écosociété (janvier à juin 2024)

16 janvier 2024, par Les Éditions Écosociété — ,
Voici le programme complet des futures parutions des Éditions Écosociété (janvier à juin 2024). Dans la rue - Une histoire du FRAPRU et des luttes pour le logement au (…)

Voici le programme complet des futures parutions des Éditions Écosociété (janvier à juin 2024).

Dans la rue - Une histoire du FRAPRU et des luttes pour le logement au Québec / 30 janvier

François Saillant / Régulière

– Une plongée dans l'histoire du FRAPRU, un mouvement combatif, créatif et déterminant pour le droit au logement au Québec. Un livre qui permet également de mesurer l'impact des décisions politiques passées sur la crise actuelle du logement.

De la cour au jardin - Transformer son terrain en aménagement écologique et comestible / 5 mars

Christelle Guibert / Illustrations d'Orcéine / Collection Savoir-faire

– Transformer sa cour arrière ou son jardin en un écosystème productif et nourricier, voilà l'objectif de ce guide incontournable !

Texter, publier, scroller / 5 mars

Emmanuelle Parent / Collection Radar (15 ans et plus)

– Connaître les codes des réseaux sociaux, rester soi-même et mieux communiquer avec les autres. Dans un portrait réaliste des bons et mauvais côtés des réseaux sociaux, Emmanuelle Parent outille les ados pour favoriser leur bien-être numérique... et leur bien-être tout court.

Santé inc. - Cinq mythes et faillites du système de santé / 19 mars

Anne Plourde / Collection Polémos

– Le privé fait moins avec plus, ce qui est l'exact contraire de l'efficacité. Une démonstration implacable de l'échec du privé en santé, un appel à s'en débarrasser.

Écosabotage - De la théorie à l'action / 2 avril

Anaël Châtaignier / Hors-série

– Les activistes du climat gagneraient-ils à inclure l'écosabotage dans leur arsenal tactique ? Une réflexion essentielle sur l'activisme, suivie d'un petit manuel d'écosabotage.

Jardiner dans les ruines - Quels potagers dans un monde toxique ? / 17 avril

Bertille Darragon / Illustrations de Pauline Stive / Hors-série

– Il faut se rendre à l'évidence : à travers l'eau, l'air et le sol, nos potagers sont contaminés par nos modes de vie. Voici le livre de référence pour réduire l'impact des assauts toxiques du monde industriel sur nos jardins.

AfroQueer – 25 voix engagées / 7 mai

Fabrice Nguena / Préface de Frieda Ekotto et Marthe Djilo Kamga / Illustrations de Dimani Mathieu Cassendo

/ Collection Parcours

– 25 portraits bouleversants de personnalités inspirantes pour sortir les personnes queer et afrodescendantes de l'invisibilité.

La conquête de la Palestine – Une guerre de cent ans / 14 mai

Rachad Antonius / Collection Régulière

– La guerre de Gaza déclenchée en octobre 2023 ne peut se comprendre si on ne s'en tient qu'aux événements immédiats qui l'ont déclenchée.

Parler sexe / 14 mai

Maude Painchaud-Major / Collection Radar (15 ans et plus)

– Longueur du pénis, zones érogènes, consentement, masturbation, hétéronormativité... Avec une parole franche, directe et décomplexée, Maude Painchaud-Major veut aider les ados à se libérer des diktats autour de la sexualité, loin des carcans et des pressions de performance, pour inventer la sexualité qui leur convient.

Défendre le logement – Une politique de la crise / 4 juin

Peter Marcuse et David Madden / Préface de Marcos Ancelovici / Traduction de Julien Besse / Collection Régulière

– Et si la « crise du logement » était l'état normal du marché immobilier ? Un ouvrage majeur sur le processus de marchandisation du logement.

L’abbé Pierre – combattant pour les sans-abris

16 janvier 2024, par Pierre Jasmin — ,
Sélection officielle du festival de Cannes 2023, réalisé par Frédéric Tellier, le long métrage L'Abbé Pierre une vie de combats, auquel prêtent vie Bernard Lavernhe et (…)

Sélection officielle du festival de Cannes 2023, réalisé par Frédéric Tellier, le long métrage L'Abbé Pierre une vie de combats, auquel prêtent vie Bernard Lavernhe et Emmanuelle Bercot (jouant l'assistante dévouée Lucie Coutas), n'a pas trop de ses 138 minutes pour raconter la biographie passionnante d'un grand héros contemporain.

Par Pierre Jasmin, artiste pour la Paix

D'abord actif dans la résistance de la Seconde guerre mondiale qui lui donne son surnom d'abbé Pierre (son vrai nom était Henri Grouès), on le voit accompagner, au péril de sa vie menacée par une mitrailleuse allemande, un groupe de juifs fuyant la France vers la Suisse à travers les montagnes enneigées. C'est une époque qu'on oublie où les curés collabos, en France comme en Ukraine, sermonnent en chaires leurs ouailles pour les inciter à l'obéissance totale envers les nouveaux maîtres nazis de Vichy et de Galicie, en qui ils voient avec enthousiasme des ennemis des Juifs et des communistes.

Élu à la Libération député de la Meurthe-et-Moselle de 1946 à 1951, membre de groupes républicains indépendants de gauche, Grouès n'hésite pas à insulter le gouvernement pour son manque de soutien des pauvres, en particulier les sans-abris, auprès de qui il finira par s'engager corps et âme, pour toute la vie, en fondant le mouvement laïc Emmaüs.

Le film raconte une vie militante édifiante, puisqu'aux nombreux moments de découragement narrés sans ménagements par le scénario fondé sur des faits, c'est sa fidèle assistante qui le « ramasse » par ses solutions de compromis ; ou alors ce sont ces hommes violents qu'il a secourus sans discrimination qui lui suggèrent la solution de chercher leur financement, non plus uniquement par des dons de charité, mais par leurs fouilles dans des décharges publiques comme chiffonniers.

Grouès connaît des moments bouleversants, comme l'hiver 54 aux records de froid, qui le motivent à squatter un poste de radio pour un discours vigoureux qui va essaimer, interpeller la France entière et le rendre célèbre. Célébrité compromise par son action charitable, ouverte aux damnés de la terre, y compris les musulmans d'Algérie et de Tunisie pourchassés par la police dans les tristement célèbres « ratonnades racistes » de 1961, qui provoquèrent une centaine de morts noyés dans la Seine le 17 octobre.

C'est dans un taudis montréalais que je l'ai connu, se partageant à quatre, à la lueur de bougies, un poulet livré dans un logis appartenant aux Chantiers catholiques, auquel l'électricité était coupée pour non-paiement. Rappelons l'intérêt de l'abbé Pierre pour les organismes d'inspiration scoute (son totem était castor méditatif). Mon action auprès des Artistes pour la Paix y a sans doute trouvé son origine, car faisant escale à Montréal depuis l'Amérique du Sud, il m'avait raconté y être intervenu en vain auprès de propriétaires alimentés en eau par des canalisations qui traversaient un bidonville, dont les enfants mouraient de dysenterie faute d'avoir accès à cette eau : il avait quémandé à ces riches de ne changer l'eau de leur piscine qu'une fois par mois au lieu d'une fois par semaine, et d'installer deux robinets pour les miséreux du bidonville, essuyant, malgré sa réputation internationale de saint homme entretenue par les pages couvertures du Paris Match, un refus. Il m'avait dit alors sa tentation de bénir le père d'une victime pour qu'il prenne un fusil et monte là-haut régler le compte d'un de ces salopards, ce que sa foi lui interdisait absolument.

Mais sa célébrité utilisée à faire construire d'innombrables logements sociaux lui pèse, car elle suscite d'intenses jalousies et même des trahisons au sein de son propre conseil d'administration : quoi de neuf, depuis le Christ abandonné au Jardin des oliviers ? De plus, son travail incessant dans des conditions d'inconfort extrême fragilise sa vieillesse narrée sans ménagements, mais n'est-ce pas par ce don total de soi qu'on reconnaît un saint ?
Il est plutôt étonnant de voir le milieu du cinéma français plutôt conservateur créer deux films sociaux remarquables, tel l'incomparable Simone Veil – le voyage du siècle l'an dernieri et exactement un an plus tard, l'Abbé Pierre pour marquer encore une fin d'année d'un sursaut d'idéal humanitaire bienvenu.

Notes
1. https://lautjournal.info/20230106/lengagement-feministe-historique-de-simone-veil

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Lune de miel entre macronie, droite et extrême droite ?

16 janvier 2024, par Omar Haddadou — , ,
Vent debout contre la Loi Immigration, jugée inique et xénophobe, des rassemblements à l'appel des 400 Collectifs, sur tout le territoire de l'Hexagone, ont eu lieu ce dimanche (…)

Vent debout contre la Loi Immigration, jugée inique et xénophobe, des rassemblements à l'appel des 400 Collectifs, sur tout le territoire de l'Hexagone, ont eu lieu ce dimanche 14 janvier pour interpeller le Conseil constitutionnel, appelé à statuer sur le texte le 25 janvier 2024.

De Paris, Omar HADDADOU

Un coup violent pour la Gauche sociale !
La France d'Emmanuel Macron telle qu'il se la figure, rayonnante, influente et conquérante, les tares et la misère sociale sous le tapis, se nourrit de ses propres paradoxes. Décidément, le prestige est au chef de l'Etat, ce que le phantasme débridé et la luxure au Roi Soleil. A ces Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, dont l'enveloppe est évaluée à 8,2 milliards d'euros, le Président voue une sacralité impériale.
Il y tient comme à la prunelle de ses yeux, au moment où l'Hôpital public Georges-Pompidou lance un appel aux dons pour l'achat d'un scanner.
L'enjeu du panache et de la puissance sont tels que son Excellence s'éreinte à décréter une trêve planétaire de tous les conflits, dépêchant ses émissaires chez ses ennemis de la veille. Bonne Année à l'Humanité ! La France est plus que jamais la Terre d'Accueil par excellence. L'extrême Droite savoure sa nuit nuptiale de la Méditerranée à la Scandinavie. Le chantier civilisationnel européen achevé, on balance ces va-nus- pieds d'immigrés dans les charters en mal de navigation, en fredonnant « Allons enfants de la Patrie » !

Mais, Monsieur le Ministre ! qui ramassera les sapins de Noël, les poubelles. Qui assurera la viabilité du vital sociétal ? La Loi Asile et Immigration témoigne du braqué opéré par la France, captive du discours infâme de la Droite et l'extrême droite.
Approuvé par le Parlement français le 19 décembre 2023 avec 349 voix pour et 186 contre, le projet accueilli avec euphorie par Gérard Darmanin, suscite de vives indignations et une fracture au sein de la majorité. Le racisme et la chasse à l'étranger ne sont plus à démontrer. Le Conseil constitutionnel se prononcera le 25 janvier, le temps de digérer la suffocation. D'où l'appel des 400 collectifs, associations, syndicats et partis politiques pour le retrait de cette Loi.
Ce dimanche, à l'appel du Collectif des Sans Papiers, Place de la République à Paris, le froid polaire n'a pas eu raison de la mobilisation qui a réuni 25.000 manifestants. Le cortège scandait, entre autres, « Démission Darmanin ! Nous sommes tous des étrangers (es) ! », brandissant des slogans contre une « Loi qui s'attaque aux libertés publiques et bafoue les droits fondamentaux » dans une France où les valeurs d'égalité entre toutes et tous sont censées être respectées.
Des élus (es) avec lesquels on a pu échanger (voir photo) dont Mathilde Panot et ses collègues de la France Insoumise, se disent scandalisés par cette alliance tripartite, Macronie, Droite et extrême Droite anti immigrés, qu'ils envisagent de combattre dans les prochains jours.

Les piliers de la République semblent désormais se lézarder. La notion de la préférence nationale relayée par les médias racistes, gagne du terrain. Le repli du pays sur lui-même risque de signer l'acte de décès de la Démocratie française.

Dans ce bouillonnement politique, le Conseil constitutionnel aura fort à faire dans l'arbitrage dudit texte, porté avec orgueil par le Ministre de l'Intérieur. Il dégage une telle odeur d'Humanisme, à cosigner sur du Papier japonais : Restreindre le versement des prestations sociales pour les étrangers, instauration des quotas migratoires, durcissement du regroupement familial et l'accès à certaines allocations, éloignement facilité dans certains cas, nouvelles mesures sur l'intégration…

Le décor Darmanin planté, les syndicats et les élus appellent à une nouvelle journée d'action le 21 janvier 2024.
Tout sauf les Jeux Olympiques, « Um Gottes willen ! »*
O.H
* Pour l'Amour de Dieu !

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Féminisme populaire et intégration régionale : Publication virtuelle de la Marche Mondiale des Femmes des Amériques

16 janvier 2024, par capiremov.org — ,
Lire la brochure réalisée par Capire et la Marche Mondiale des Femmes des Amériques Tiré de Entre lesl ignes et lesm ots https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/

Lire la brochure réalisée par Capire et la Marche Mondiale des Femmes des Amériques

Tiré de Entre lesl ignes et lesm ots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/27/feminisme-populaire-et-integration-regionale-publication-virtuelle-de-la-marche-mondiale-des-femmes-des-ameriques/

Cette publication virtuelle rassemble des élaborations féministes sur la construction de l'internationalisme et sur la participation fondamentale des femmes combattantes aux processus d'intégration des peuples.

Dans les interviews inédites, Alejandra Laprea et Norma Cacho parlent de l'organisation de la Marche Mondiale des Femmes dans les Amériques et des défis internationaux du mouvement ; les textes d'Alejandra Angriman, Elpidia Moreno et Karin Nansen sont des éditions de leurs discours lors du webinaire « Féminisme et intégration régionale », tenu en novembre 2023 ; ceux d'Ana Priscila Alves et Irene León apportent leurs contributions à la 3e conférence Dilemmes de l'humanité dans ses étapes régionale et internationale, en septembre et octobre 2023. Le texte de notre chère compagne Nalu Faria, initialement publié en 2021, a été choisi pour ouvrir notre publication, ravivant sa mémoire, son héritage et sa vision précise sur les stratégies de construction du féminisme populaire.

Lire ici

En particulier en Amérique latine et dans les Caraïbes, nous sommes confrontées à une histoire d'offensives impérialistes qui, depuis plus de cinq siècles, ont imposé la violence sur nos territoires et nos modes de vie. À l'époque actuelle, ces offensives proviennent de campagnes et de forces conservatrices, néolibérales et fascistes, alignées sur des projets de subordination, d'exploitation, d'extractivisme – des projets à la demande des États du Nord global et des sociétés transnationales, qui accumulent un plus grand pouvoir que de nombreux États.

En même temps, nous voyons une profusion de luttes à travers le continent, avec une marque commune : les femmes en première ligne, articulant, dénonçant, soutenant la vie, la communauté et le mouvement. Dans les résistances quotidiennes, elles perçoivent les liens entre patriarcat, racisme et capitalisme néolibéral. Contre ce modèle autoritaire, elles proposent un féminisme populaire, antiraciste, diversifié, profondément enraciné dans les territoires, mais aussi attentif aux expériences des lieux voisins, pratiquant, dans l'internationalisme, le principe d'unité dans la diversité, rejetant la concurrence entre frontières nationales historiquement violentes et coloniales.

Les mouvements populaires latino-américains et caribéens sont des bâtisseurs de possibilités collectives, même face à des contextes de répression, d'autoritarisme et d'austérité. Ils le font avec créativité, pariant sur la construction de vastes processus politiques, sur des transformations anti-systémiques, sur l'approfondissement de la démocratie et d'une souveraineté populaire qui englobe plusieurs dimensions. En ce sens, nous défendons l'intégration régionale en tant que projet qui implique tous les domaines de la vie, tels que la communication, la culture et l'économie, guidés par la souveraineté alimentaire, énergétique et technologique. L'intégration régionale avance avec des gouvernements progressistes, qui sont le fruit de luttes et de mobilisations populaires dans chaque pays, mais se renforce principalement par l'action des peuples.

Pour la Marche Mondiale des Femmes dans les Amériques, l'intégration régionale rappelle des moments clés de la lutte continentale, qui résonnent encore aujourd'hui, comme la victoire populaire contre la ZLEA. Elle indique également les voies futures de renforcement des alliances, d'approfondissement de notre vision stratégique de l'économie féministe et de la durabilité de la vie, et de construction d'un champ féministe international combatif, diversifié et en constante évolution.

Avec cette publication, nous espérons contribuer à la réflexion des compagnes de nos coordinations nationales et organisations alliées. Et, en même temps, nous cherchons à contribuer aux actions fondamentales du calendrier des luttes qui s'ouvre : la Journée latino-américaine et caribéenne d'intégration des peuples, qui aura lieu à Foz do Iguaçu du 22 au 24 février 2024 ; et la 6ème Action internationale de la MMF, qui aura lieu tout au long de 2025, sous la devise « Nous continuerons la marche contre les guerres et le capital, pour la souveraineté populaire et le bien-vivre », qui nous guide en tant que mouvement dans le présent, vers l'avenir.

https://capiremov.org/fr/analyse/feminisme-populaire-et-integration-regionale-publication-virtuelle-de-la-marche-mondiale-des-femmes-des-ameriques/

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Affaire Depardieu : « En France, il existe une immunité spécifique liée au culte du monstre sacré »

16 janvier 2024, par Bérénice Hamidi — ,
La culture du viol n'est pas qu'une culture du déni, c'est aussi une culture de la normalisation de formes de violence des hommes à l'égard des femmes qui vont de formes (…)

La culture du viol n'est pas qu'une culture du déni, c'est aussi une culture de la normalisation de formes de violence des hommes à l'égard des femmes qui vont de formes d'humour humiliantes jusqu'aux féminicides. Toutes les personnes qui travaillent sur les violences de genre utilisent la notion indispensable de continuum sexiste, qui va des faits les plus spectaculaires que sont les féminicides et les viols, jusqu'aux stéréotypes sexistes.

photo et article tirés de NPA 20

Est-ce un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma ?

Bérénice Hamidi : Ce n'est pas du tout un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma. La notoriété et l'accès aux médias des personnes qui ont dit publiquement avoir été victime ont beaucoup participé à la visibilité du hashtag #MeToo. Si les milieux artistiques, et celui du cinéma en particulier, sont surexposés aux violences sexistes et sexuelles, c'est d'abord parce qu'une grande précarité touche les acteurs et actrices qui sont de facto, lorsqu'ils et elles cherchent à être retenus pour un film, dans un rapport de dominé/dominant avec les producteurs et réalisateurs.
.
On observe aussi dans ces milieux une forte confusion entre les procédures de sélection et des dynamiques de séduction, et de plus, les connexions physiques et psychiques sont au cœur des processus de travail. Autre facteur de risque, ces milieux se voient peu comme des mondes du travail, et donc les usages habituels du droit de travail peinent à s'appliquer aussi bien du côté des victimes que des personnes qui commettent ces agressions. Tous ces facteurs, qui se cumulent et font système, expliquent que le cinéma, et plus largement les secteurs professionnels artistiques, sont fortement exposés aux violences sexuelles et qu'elles y sont plus impunies qu'ailleurs.

Comment réagissez-vous au statut de « monstre sacré » ? Est-ce qu'en France il y a des personnes intouchables ?

B.H. : Il faut rappeler qu'avant tout, ces « monstres sacrés » sont des hommes de pouvoir qui cumulent un fort capital économique, symbolique, social, culturel et médiatique. Parmi les personnes qui disent ne pas avoir vu leurs actes, qui les minimisent voire qui les défendent, un certain nombre le fait aussi par peur d'être à leur tour blacklistées, exclues, comme les victimes le sont.

.Les artistes auteurs de violence bénéficient également de l'« himpathy », cette empathie pour les hommes qui agressent, que la philosophe australienne Kate Manne a bien analysée. Dans nos sociétés encore largement sexistes, car structurées par des valeurs patriarcales, on autorise les hommes, ou plutôt les hommes qui honorent le « mandat masculin » consistant à conquérir et dominer socialement, à exercer des formes de violence à l'égard des personnes et groupes en position dominée, en particulier les femmes. Cette autorisation sociale, le plus souvent inconsciente, passe par un refus collectif de croire qu'ils puissent commettre des violences et, quand ce n'est plus possible, par une tendance à euphémiser leurs actes et à les excuser au motif qu'ils seraient victimes de leur propre violence. Ces hommes captent donc l'empathie sociale dont les victimes sont pour leur part privées.

Mais, si le cinéma est particulièrement touché par ce phénomène, c'est aussi parce que les acteurs bénéficient d'une empathie spécifique, qui vient renforcer cette culture de l'excuse. Elle tient au fait que règne encore l'idée que la création artistique serait le fruit d'une connexion aux forces obscures de l'âme humaine, que les artistes auraient besoin de souffrance et de violence pour créer, ce qui vient redoubler une croyance encore prédominante dans notre société encore imbibée par la culture du viol, qui voudrait que l'amour fasse mal et que le sexe et le désir aient forcément partie liée avec la violence et la mort. Exemple frappant, les ventes du parfum Sauvage ont augmenté depuis les accusations de violences conjugales à l'encontre de son égérie, Johnny Depp. Les images du poète maudit, du bad boy, sont encore trop souvent glamourisées et représentées comme des figures d'hommes désirables.

En France, il existe enfin une immunité spécifique liée au culte de ces figures de l'artiste maudit et du monstre sacré. L'idée est la même : il faut transgresser pour créer, mais s'ajoute la croyance que les lois ordinaires qui valent pour le commun des mortels ne sauraient s'appliquer aux Grands Hommes, ces hommes extraordinaires. Cette idée s'est exprimée dans l'affaire Depardieu à travers certains témoignages, avec la formule rapportée dans l'article de Médiapart « ça va, c'est Gérard » ou dans le discours du Président de la République : « Depardieu c'est Cyrano […] c'est la fierté française ». L'échelle de valeurs est claire : la vie des femmes ne vaut rien face au talent d'un génie. Mais il y a autre chose, aussi, dans ce discours, presque une forme de transfiguration de ces personnes réelles en personnages hors de la réalité, et selon cette logique, ces êtres de fiction ne sauraient être soumis au système judiciaire qui vaut pour les personnes réelles.

Est-ce que cette reconnaissance des violences sexistes et sexuelles est une question de génération ?

B.H. : Je suis assez nuancée sur cette question. D'abord, parce qu'il y a parmi les dénonciateurs de violences des femmes de plus de cinquante ans, qui payent un lourd tribut, qu'il s'agisse d'anonymes, de victimes ou d'actrices connues.

Ensuite, parmi les personnes qui soutiennent les agresseurs de façon systématique, on retrouve toutes les catégories d'âges. Le dernier rapport sur l'état du sexisme en France en 2023 invite d'ailleurs à un certain pessimisme puisque les hommes qui ont aujourd'hui entre 18 et 25 ans sont plus nombreux que leurs aînés à penser que quand une femme dit « non », elle pense « oui ». Il ne faut donc pas tout attendre des nouvelles générations car le cœur du problème c'est la culture du viol, et tant qu'elle reste la culture hégémonique dans laquelle nous vivons toutes et tous, elle continuera à se transmettre génération après génération.

Justement, comment peut-on définir cette notion de culture du viol ?

Cette notion, élaborée par des chercheuses nord-américaines dès les années 1970 (Noreen Connell et Cassandra Wilson, Rape : the first sourcebook for women, New American Library, 1974), est aujourd'hui mobilisée par des acteurs publics dans différents pays ainsi que par des organisations internationales comme la commission « condition de la femme » de l'ONU.

Elle se caractérise avant tout par un refus de voir le caractère massif et systémique des violences sexuelles, structurellement subies par les femmes et les enfants et structurellement commises par les hommes. Cette phrase choque et parait difficile à croire. Pourtant, quelques chiffres suffisent à la prouver de manière difficilement discutable :

— en 2017, 219 000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année.
« En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d'une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol est estimé à 94 000 femmes. De la même manière que pour les chiffres des violences au sein du couple présentés ci-dessus, il s'agit d'une estimation minimale. Dans 91 % des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 47 % des cas, c'est le conjoint ou l'ex-conjoint qui est l'auteur des faits. »
— S'agissant des enfants, « 60 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d'hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l'impunité des agresseurs et l'absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d'euros chaque année en dépenses publiques.>>
— Du point de vue des auteurs des actes, il s'agit dans l'immense majorité des cas d'hommes : 91 % des personnes mises en cause pour des actes sexistes (allant de l'outrage sexiste jusqu'au viol) sont des hommes.

Il y a donc un décrochage énorme entre nos représentations et la réalité statistique. L'image la plus répandue du viol est celle d'un acte sauvage commis par un individu sanguinaire au fond d'un parking. Cette image est à la fois repoussante et rassurante, parce qu'elle exotise le viol comme un fait extraordinaire qui ne nous regarde pas (on ne connaît ni la victime ni l'agresseur) et qui ne nous concerne pas (on n'a rien fait – de mal – et on ne peut rien faire – donc on n'a pas à se reprocher notre inaction).

La réalité statistique est bien différente : le viol est le plus souvent le fait d'un proche issu du cercle familial, affectif ou social, ce qui fait que nous connaissons tous des victimes mais aussi des agresseurs, autrement dit, nous sommes directement impliqués dans la scène des violences et cela devrait nous impliquer directement dans la lutte contre ces violences.

La culture du viol n'est pas qu'une culture du déni, c'est aussi une culture de la normalisation de formes de violence des hommes à l'égard des femmes qui vont de formes d'humour humiliantes jusqu'aux féminicides. Toutes les personnes qui travaillent sur les violences de genre utilisent la notion indispensable de continuum sexiste, qui va des faits les plus spectaculaires que sont les féminicides et les viols, jusqu'aux stéréotypes sexistes. La culture du viol est une culture de l'euphémisation et de la déformation des faits de violences sexuelles (dire « main baladeuse » pour parler de ce qui est qualifiable par le droit comme une agression sexuelle ou parler de « drague lourde » au lieu d'outrage sexiste, un autre délit).

Le caractère systémique des violences, prouvé par les statistiques, s'explique en grande partie par ces représentations mentales que l'on peut synthétiser via l'expression culture du viol. Or, ces représentations mentales sont largement conditionnées par nos représentations culturelles, et particulièrement par la valorisation de l'asymétrie et des rapports de pouvoir, qui restent au cœur des scénarios de séduction et de relation amoureuses diffusés dans les œuvres, qu'il s'agisse de la pop culture ou du patrimoine classique, littéraire, pictural, cinématographique.

Même les comédies romantiques perpétuent la culture du viol avec le schéma de l'homme qui conquiert et de la femme qui cède du terrain, la résolution de l'intrigue étant qu'elle finit par dire oui après avoir longtemps dit non. Changer nos représentations est donc essentiel, à la fois pour comprendre les défauts de prise en charge institutionnelle des violences sexistes et sexuelles, tant sur le plan juridique que judiciaire, thérapeutique et social, mais aussi pour espérer les améliorer. C'est cette articulation que la juriste Gaëlle Marti et moi avons mise au cœur du programme de recherche-création interdisciplinaire REPAIR « violences sexuelles : changer les représentations, repenser les prises en charge », qui se déploie aussi sous la forme d'un procès fictif sur la culture du viol.

Le théâtre est-il aussi perméable que le cinéma face aux violences sexistes et sexuelles ?

B.H. : Le secteur du théâtre public est tout autant surexposé que celui du cinéma, et il n'existe aucune plus-value éthique ou déontologique au fait qu'il relèved'une économie largement subventionnéeet dont on pourrait attendre que la législation soit d'autant plus rigoureuse puisqu'il s'agit d'argent public, qui n'est pas censé servir des pratiques discriminatoires. On y retrouve exactement les mêmes mécanismes évoqués concernant la surreprésentation des violences sexistes et sexuelles et cette même réticence à leur reconnaissance.

Quelles sont les réponses des institutions culturelles aujourd'hui en France ? Sont-elles suffisantes ?

Les choses sont quand même en train de changer dans les milieux artistiques depuis quelques années, du fait d'un certain volontarisme étatique et de certaines organisations professionnelles, qui aboutit à la mise en place de chartes, de cellules d'écoute, ou encore à la création du métier de coordinateur d'intimité, encore très timide en France, mais qui s'est beaucoup développé aux États-Unis.

Il existe donc désormais toute une série d'outils. Mais ils ne suffisent pas en soi : il faut en utiliser plusieurs à la fois et surtout, il manque encore souvent une volonté sincère de les utiliser. Si je prends l'exemple des chartes et des cellules d'écoute, elles sont mises en place par les directeurs de lieux de production/diffusion ou d'écoles d'art parce qu'elles leur sont imposées, et ils n'y voient comme seul intérêt que la protection juridique de leur institution, parce qu'un élève ou un employé victime d'une agression pourrait se retourner non seulement contre son agresseur mais aussi contre l'institution qui aurait manqué à son devoir de protection.

Les cellules d'écoute servent trop souvent à externaliser le problème. Quant aux chartes, il y a parfois un discours d'invalidation par les instances qui les ont mises en place. Ce paradoxe vient du fait que les personnes qui aujourd'hui dirigent les institutions culturelles et sont donc en position de mettre en place ces outils et de changer les choses ont construit leur carrière dans un contexte où ces violences étaient à la fois normalisées et invisibilisées. Il est donc logique qu'elles aient du mal à accepter ces nouvelles politiques. Ce malaise aboutit d'ailleurs parfois à des formes de violences pédagogiques au sein des écoles.

Le droit du travail offre aussi toute une panoplie d'outils pour lutter contre les violences que les directeurs et directrices d'institutions ignorent souvent avant de suivre des formations spécifiques. On réduit trop souvent le droit au droit pénal, en brandissant le respect de la présomption d'innocence et la nécessité de laisser la justice faire son travail. Mais, pour toutes les accusations liées à des faits qui auraient été commis sur les plateaux, un des leviers de la lutte contre les violences sexuelles est l'obligation de l'employeur d'offrir un cadre de travail sécurisé à ses employés.

De plus, le droit du travail n'obéit pas au même régime de la preuve : le faisceau d'indices concordants suffit, et parmi ces indices, il y a par exemple la multiplicité des accusations et des témoignages, qui peuvent suffire à éloigner une personne des tournages en raison d'un principe de prévention. Certaines expérimentations sont en cours, qui montrent qu'il est possible de combiner l'impératif de sécuriser le cadre de travail et le souci de finaliser un projet artistique déjà entamé sans (trop) pénaliser l'ensemble d'une équipe pour le comportement d'un seul individu.

Où en est le mouvement #MeToo ?

B.H. : Si on considère que #MeToo est une révolution, alors je dirais qu'on est comme au XIXe siècle, dans un moment de conflit entre deux paradigmes qui s'affrontent : le paradigme de l'Ancien Régime qui continue à défendre le droit de cuissage et à légitimer la violence des puissants et un nouveau paradigme qui tente de mettre en place un ordre des choses démocratique et républicain, respectueux de notre devise « liberté, égalité, fraternité ».
8 janvier 2024

Professeure en esthétique et politique des arts vivants, Bérénice Hamidi est enseignante-chercheuse à l'Université Lumière Lyon 2. Elle nous livre aujourd'hui son analyse sur les freins à la reconnaissance des violences sexistes et sexuelles dans le milieu artistique français.

https://theconversation.com/

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Appel de la Confédération des syndicats libres d’Ukraine

16 janvier 2024, par Mykhailo Volynets — , ,
Alors que la nouvelle année 2024 en Ukraine a commencé avec d'horribles attaques massives de missiles russes, nous publions l'Appel de la Confédération des syndicats libres (…)

Alors que la nouvelle année 2024 en Ukraine a commencé avec d'horribles attaques massives de missiles russes, nous publions l'Appel de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine aux syndicats, aux parlements et aux gouvernements des pays démocratiques, aux partenaires internationaux et aux organisations internationales concernant l'attaque massive de la Russie contre l'Ukraine.

3 janvier 2024 | tiré de l'Hebdo L'Anticapitaliste - 689

Appel de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine aux syndicats, parlements et gouvernements des pays démocratiques, aux partenaires internationaux et aux organisations internationales
La nouvelle année 2024 en Ukraine a commencé avec d'horribles attaques massives de missiles russes contre les villes paisibles et endormies d'Ukraine. Au total, uniquement pendant les vacances du 29 décembre 2023 au 2 janvier 2024, les forces russes ont tué 90 civilEs lors d'attaques de missiles. En seulement cinq jours, la Russie a lancé 500 missiles et drones sur des zones résidentielles, des entreprises, des hôpitaux, des établissements d'enseignement et des sites du patrimoine culturel en Ukraine. Chaque jour, des habitants de nos villes paisibles meurent de la main de la Russie, et des centaines de personnes sont blessées et deviennent handicapées. Nous sommes obligéEs de vivre et de travailler dans un état de stress et d'anxiété permanents. Aujourd'hui, les UkrainienNEs paient le prix fort pour la liberté et la paix en Europe.

La Confédération des syndicats libres d'Ukraine, en tant que porte-parole des travailleurs ukrainienNEs – mineurEs, métallurgistes, travailleurEs du secteur de l'énergie, enseignantEs, médecins, entrepreneurEs et autres – attire l'attention sur la nécessité de prendre des mesures décisives pour protéger l'Ukraine et dissuader les intentions du pays agresseur, la Russie, de réécrire le droit international et de redessiner la carte de l'Europe moderne.

Nous appelons les gouvernements des pays et la communauté internationale à accélérer la fourniture d'une aide militaire à notre pays, y compris la fourniture de systèmes de défense aérienne supplémentaires, de missiles à longue portée, de drones, etc. Les partenaires internationaux, en fournissant des armes, sauvent des milliers de personnes et de vies lors d'attaques de missiles par les troupes russes.

Nous faisons également appel à des partenaires internationaux :

– continuer à fournir une aide économique et humanitaire à l'Ukraine ;

– renforcer les sanctions contre le régime terroriste russe, car cela pourrait limiter considérablement les ressources financières et les exportations de technologies nécessaires à la poursuite de la guerre sanglante ;

– garantir la possibilité d'utiliser les avoirs russes gelés pour les diriger vers l'aide à l'Ukraine ;

– isoler et retirer du travail dans les organisations internationales les personnalités politiques, publiques et syndicales russes, en tant que représentants d'un pays qui mène des activités terroristes contre l'Ukraine souveraine et indépendante et ses citoyens ;

Nous appelons les représentants de la communauté syndicale internationale et européenne à appeler les gouvernements de vos pays à continuer de fournir une aide humanitaire et une aide militaire à l'Ukraine.

Nous tenons à remercier tous ceux qui soutiennent et apportent leur aide à l'Ukraine dans cette période difficile pour le peuple ukrainien.

Nous pensons que les efforts conjoints contribueront à mettre fin à l'agression russe, qui non seulement détruit l'Ukraine, mais compromet également la stabilité économique, énergétique, écologique et alimentaire en Europe et dans le monde.

Mykhaïlo Volynets,
président de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine, le 3 janvier 2024, à Kyiv.

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Avec la Palestine et l’Ukraine contre la Russie, l’OTAN et Israël, Greta montre la voie !

16 janvier 2024, par Yorgos Mitralias — ,
Et pourtant, malgré l'actualité lugubre, malgré la barbarie galopante, malgré la déprime qui envahit tout, il y a encore de la lumière et de l'espoir ! Et cette lumière et cet (…)

Et pourtant, malgré l'actualité lugubre, malgré la barbarie galopante, malgré la déprime qui envahit tout, il y a encore de la lumière et de l'espoir ! Et cette lumière et cet espoir, ce sont les jeunes qui se battent en même temps sur tous les grands fronts où l'humanité se mesure à la mort dans sa lutte finale pour exister : sur les fronts de la catastrophe climatique et de l'injustice, de la Palestine et de l'Ukraine, sur les fronts de la lutte des pauvres, des opprimés et des humiliés de par le monde.

6 janvier 2024 | tiré du site du CADTM
https://www.cadtm.org/Avec-la-Palestine-et-l-Ukraine-contre-la-Russie-l-OTAN-et-Israel-Greta-montre

Et la représentante la plus emblématique de cette nouvelle génération qui résiste et contre-attaque est bien sûr la jeune suédoise citoyenne du monde, Greta Thunberg, qui dénonce et combat à la fois les génocidaires israéliens des Palestiniens et les envahisseurs russes de l'Ukraine, la Russie obscurantiste et impérialiste de Poutine, et l'OTAN militariste et tout aussi impérialiste. Et bien sûr, et surtout, les capitalistes et leurs gouvernements qui détruisent méthodiquement le climat de notre planète, préparant ainsi l'avenir le plus cauchemardesque pour le genre humain. Et tout cela contre le courant dominant, malgré la campagne de dénigrement et d'intimidation contre elle, luttant contre tous les impérialismes sans choisir un impérialisme contre un autre, un bourreau et sa victime plus qu'une autre. Et, surtout, en mettant systématiquement ses paroles en pratique, même si elles la conduisent souvent au commissariat ou en prison, menottes aux mains...

Et pour parler concret, voici ce qu'écrivait Greta il y a quelques semaines, sur les crimes israéliens commis contre le peuple palestinien, provoquant les anathèmes et les menaces ouvertes - même contre sa vie(!) - des génocidaires qui gouvernent Israël, et de leurs complices internationaux :

Plus de 15 000 personnes (au 8 janvier, on dénombre au moins 22 722 palestinien·nes tué·es par les attaques israëliennes, ndlr) dont au moins 6 000 enfants. C'est le nombre de personnes qu'Israël aurait tuées dans la bande de Gaza en quelques semaines – et ces chiffres continuent d'augmenter. Israël a bombardé des infrastructures sociales de base et des cibles civiles telles que des hôpitaux, des écoles, des abris et des camps de réfugiés. Israël a imposé un siège, empêchant aux 2,3 millions de Palestiniens et Palestiniennes piégé.e.s dans la bande de Gaza occupée, l'accès à la nourriture, aux médicaments, à l'eau et au carburant, une situation qui a conduit Oxfam à accuser Israël d'utiliser « la famine comme arme de guerre ».

Des dizaines d'experts des Nations unies ont décrit la situation comme « un génocide en devenir », des centaines d'universitaires internationaux ont mis en garde contre un génocide en cours et l'éminent expert israélien du génocide, Raz Segal, l'a qualifiée de « cas d'école de génocide ». Mais la plupart des pays du monde, en particulier ceux que l'on appelle « le Nord », en détournent le regard.

Malgré l'évidence de ces horreurs, il y en a qui ont choisi de concentrer le débat public sur les tentatives visant à délégitimer les déclarations sur Gaza faites par les jeunes du mouvement pour la justice climatique. Contrairement à ce que beaucoup ont affirmé, Fridays for Future n'a pas été « radicalisé » et n'est point « devenu politique ». Nous avons toujours été politiques parce que nous avons toujours été un mouvement pour la justice. Notre solidarité avec le peuple palestinien et avec tous les civils concernés n'a jamais été en question.

Plaider en faveur de la justice climatique vient fondamentalement du souci des personnes et de leurs droits humains. Cela implique de s'exprimer lorsque des personnes souffrent, sont contraintes de fuir leur foyer ou sont tuées – quelle qu'en soit la cause. Cela procède de la même raison qui nous a amenés à organiser des grèves en solidarité avec des groupes marginalisés – ceux du Sápmi , du Kurdistan , d'Ukraine et de nombreux autres endroits – et avec leurs luttes pour la justice contre l'impérialisme et l'oppression. Notre solidarité avec la Palestine est du même ordre, et nous refusons de laisser l'attention du public se détourner des horribles souffrances humaines auxquelles le peuple palestinien est actuellement confronté.

En raison de l'attention qui ne cesse de se river sur nous, comme du nombre de mauvaises interprétations proposées de notre position , nous souhaitons une fois de plus la clarifier. Tous les groupes Fridays for Future sont autonomes et cet article ne représente le point de vue que de la FFF Suède.

Les horribles meurtres de civils israéliens par le Hamas ne peuvent en aucun cas légitimer les crimes de guerre commis par Israël. Le génocide n'est pas une légitime défense et ne saurait en aucun cas représenter une réponse proportionnée. L'on ne peut en outre ignorer que cela s'inscrit dans un contexte plus large – la population palestinienne vit sous une oppression suffocante depuis des décennies, soumise à ce qu'Amnesty International a défini comme un régime d'apartheid. Tout cela constituerait à lui seul une raison suffisante pour commenter la situation mais, en tant que mouvement suédois, nous nous devons également de nous exprimer en raison de la coopération militaire suédoise avec les sociétés d'armement israéliennes, ce qui rend la Suède complice de l'occupation et des massacres israéliens.

Nous assistons aujourd'hui à une forte augmentation des déclarations, actions et crimes haineux, antisémites et islamophobes, en Suède et dans le monde. Le chef du plus grand parti de la coalition gouvernementale suédoise parle de démolir les mosquées et le drapeau israélien a été brûlé devant une synagogue à Malmö. C'est inacceptable. Nous condamnons sans réserve toutes les formes de discrimination, y compris l'antisémitisme et l'islamophobie. Toutes celles et tous ceux qui s'expriment sur cette crise ont la responsabilité d'opérer une distinction entre le Hamas, les musulmans et le peuple palestinien d'un côté ; et entre l'État d'Israël, le peuple juif et les Israélien.ne.s de l'autre.

Nous déplorons les vies perdues au cours des dernières semaines et nous désolons de voir ces chiffres continuer d'augmenter. Le taux de mortalité dans la bande de Gaza atteint un niveau historique, avec des milliers d'enfants tués en quelques semaines seulement. Une telle souffrance est incompréhensible et ne peut continuer. Lorsque les experts de l'ONU appellent le monde à agir pour prévenir un génocide, en tant qu'êtres humains, nous avons la responsabilité de nous exprimer.

Exiger la fin de cette violence inexcusable est une question d'humanité fondamentale, et nous appelons toutes celles et tous ceux qui le peuvent à le faire. Le silence est complicité. Nul ne peut rester neutre face à un génocide en cours. [1]

Bien sûr, Greta ne dit pas tout ça en privée, mais elle les crie haut et fort, non seulement en participant mais aussi en organisant des manifestations de solidarité avec les Palestiniens partout où elle se trouve. Comme d'ailleurs, elle manifeste partout et à chaque occasion sa solidarité avec le peuple ukrainien qui résiste à l'impérialisme grand-russe de Poutine. C'est ainsi que s'adressant au peuple ukrainien l'année dernière, elle avait déclaré que « tout ce que je peux dire, c'est que nous vous soutenons. Le monde entier a les yeux rivés sur l'Ukraine et sur la Russie en ce moment. Nous n'allons pas rester spectateurs, nous n'allons pas rester silencieux. Restez forts, nous sommes solidaires avec vous ».

Cependant, ce soutien aux Ukrainiens n'a pas empêché, ces jours-ci, la presse russe, entièrement contrôlée par le Kremlin, de faire de Greta... une alliée de la Russie contre l'OTAN. La raison de ce canular propagandiste est que Greta avait approuvée en public une photo de ses jeunes camarades tenant des pancartes avec le mot d'ordre « Non à la Russie - Non à l'OTAN - Non à la guerre ». En isolant le « Non à l'OTAN » des deux autres mots d'ordre contre la Russie de leur patron, les médias russes n'ont fait que ce que font tout le temps leurs collègues occidentaux, et aussi quelques gens de gauche pour le moins malhonnêtes : ils découpent les paroles et les actions de Greta en morceaux, soulignant ce qui convient à leurs intérêts et passant sous silence le reste qui est dirigé contre eux. Ainsi, les Occidentaux ont, par exemple, fait beaucoup de tapage autour de l'échange d'amabilités de Greta avec Poutine en 2019, lorsque celui-ci, réagissant au discours de Greta à l'ONU, a fait preuve d'un paternalisme pitoyable en la traitant de « gentille fillette » mal informée qui ne comprend pas à quel point le monde d'aujourd'hui est complexe !

Cependant, c'est avec le même ton paternaliste de procureur de pacotille, que le célèbre magazine allemand, Der Spiegel, a récemment attaqué Greta, la qualifiant de « naïve ou peut-être antisémite » lorsqu'elle a osé manifester dans les rues d'Amsterdam en solidarité avec les Palestiniens. Apparemment parce que, selon le bon magazine allemand, seules les personnes « naïves » et « antisémites » peuvent se sentir solidaires des civils palestiniens massacrés par l'armée israélienne. Encore plus grave, elle a subi des attaques hystériques, allant jusqu'à l'identifier à... la jeunesse hitlérienne ( !), lorsque Greta a osé scander, avec d'autres manifestants, le mot d'ordre Krossa Sionismen (écrasez le sionisme) devant l'ambassade d'Israël à Stockholm. [2]

Et tout cela sans oublier que des « libéraux » occidentaux sont allés jusqu'à la menacer... d'une « balle entre les yeux » [3] lorsque Greta les a dénoncés avec les mêmes mots que ceux qu'elle utilise contre Poutine et ses acolytes, car tant les uns que les autres s'obstinent à émettre toujours plus de gaz à effet de serre, commettant ainsi le plus grand des crimes contre la planète et ses habitants. D'ailleurs, lorsque Greta déclare que « pour sauver la planète, le monde doit se débarrasser du capitalisme », cette affirmation catégorique ressemble à une déclaration de guerre contre les uns et les autres, sans aucune exception…

Greta est donc emblématique de notre époque aussi pour une autre raison : parce qu'elle rallie contre elle la coalition la plus hétéroclite et sans précédent historique de tyrans sanguinaires, de capitalistes milliardaires, de grands bourgeois cossus et autres dictateurs frustes et démocrates assassins aux bonnes manières, lesquels se battent entre eux mais sont unis par leur commune passion du pouvoir et leur commune avidité pour des profits toujours plus grands. Mais en provoquant cette unanimité sans précédent et en ralliant contre elle tous ces destructeurs de l'humanité, Greta révèle aux yeux de tous l'essence des choses, les auteurs et les responsables de la crise historique généralisée d'aujourd'hui. D'ailleurs, comme elle est entièrement d'accord avec le grand prisonnier palestinien Marwan Barghouti (22 ans dans les prisons israéliennes !) qui se déclare « pacifique mais pas pacifiste », Greta apparaît comme l'ennemie jurée numéro un de « ceux d'en haut », et la principale source d'inspiration militante pour la multitude de « ceux en bas » et leurs avant-gardes révoltées. Quant à la gauche désorientée et confuse d'aujourd'hui, l'esprit clair de Greta pourrait lui être utile pour clarifier une fois pour toutes ses idées, ses priorités et ses orientations…

Notes
[1] Agence Medias Palestine : https://agencemediapalestine.fr/blog/2023/12/06/nous-ne-cesserons-de-denoncer-les-souffrances-a-gaza-il-ny-a-pas-de-justice-climatique-sans-droits-humains/

[2] Voir aussi Pour que les horreurs du carnage de Gaza soient les derniers, Purger l'État d'Israël de ses fondements sionistes !

[3] Voir aussi La haine contre Greta : voici ceux, avec nom et adresse, qui la financent !

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Grande-Bretagne. La campagne syndicale et de grève chez Amazon s’étend

Les travailleurs et travailleuses d'un centre de distribution d'Amazon à Sutton Coldfield (Birmingham) se mettront en grève le 25 janvier, après que les membres du syndicat GMB (…)

Les travailleurs et travailleuses d'un centre de distribution d'Amazon à Sutton Coldfield (Birmingham) se mettront en grève le 25 janvier, après que les membres du syndicat GMB [syndicat généraliste regroupant quelque 600'000 membres] présents sur le lieu de travail ont voté en faveur d'une mobilisation concernant les salaires et les conditions de travail.

10 janvier 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/societe/syndicats/grande-bretagne-la-campagne-syndicale-et-de-greve-chez-amazon-setend.html

Le centre de distribution d'Amazon, dans lequel le GMB annonce que « jusqu'à 100 » travailleurs feront grève, est le dernier site d'Amazon sur lequel le syndicat a mené campagne. La date du 25 janvier marque le premier anniversaire de la campagne de grève menée par le GMB sur les divers sites d'Amazon, campagne essentiellement centrée sur le site BHX4 de Coventry [employant quelque 1400 salarié·e·s dont beaucoup de migrant·e·s], où les travailleurs et travailleuses ont fait grève à 28 reprises jusqu'à présent. Des grèves ont également eu lieu dans un entrepôt à Rugeley, dans le Staffordshire, où les travailleurs ont récemment renouvelé, lors d'un vote, leur décision d'engager un mouvement de grève.

Bien que les membres du GMB sur le site de Sutton Coldfield ne représentent qu'une minorité de la main-d'œuvre [elle compte au total quelque 2000 salarié·e·s], ce qui signifie que la grève aura peu d'impact économique direct sur les bénéfices d'Amazon, l'extension des grèves au-delà de BHX4 possède une signification symbolique. Les activistes syndicaux affirment depuis longtemps que l'extension des grèves et les décisions propres des travailleurs dans d'autres sites d'Amazon sont essentielles pour obliger l'entreprise à faire des concessions significatives.

Depuis le début des grèves, Amazon a procédé à un certain nombre d'augmentations progressives de ses salaires de base, qui doivent passer à 12,30 livres [14,3 euros] de l'heure, en avril 2024. Le GMB réclame un salaire minimum de 15 livres sterling [17,44 euros]. Il a également mené des campagnes d'organisation dans les entrepôts d'Amazon à Swansea [Pays de Galles], Doncaster [Yorkshire du Sud] et ailleurs. Il est essentiel de créer des bases syndicales solides dans les grands sites, à l'instar des plus de 1000 membres que compte actuellement le syndicat à BHX4. Toutefois, le GMB a raison d'attribuer à de petits regroupements de membres les moyens de passer à l'action avant même qu'une majorité de la main-d'œuvre n'ait adhéré au syndicat. (Article publié dans Workers' Liberty le 10 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

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