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Soudan. Neuf mois de guerre et si peu d’espoir

Depuis avril 2023, l'affrontement entre l'armée régulière d'Abdel Fattah Al-Burhan et les paramilitaires de la Force de soutien rapide (FSR) de Mohamed Hamdan Dagalo alias Hemeti a mis le Soudan à feu et à sang et forcé plusieurs millions de Soudanais à fuir leur foyer, voire à se réfugier à l'étranger. La situation se détériore, dans l'indifférence de la communauté internationale.
Tiré d'Orient XXI.
Appelons-les Nassim et Ibrahim, prénoms d'emprunt pour les protéger. Avant la guerre, Nassim habitait un quartier populaire de Khartoum. Étudiant célibataire, il vivait chez ses parents, des fonctionnaires de la classe moyenne qui luttaient pour maintenir un niveau de vie à peu près correct malgré l'inflation vertigineuse. Étudiant en master, Nassim appartenait au noyau dur du comité de résistance de son quartier, organisation de base de la révolution populaire de 2018 – 2019. Mais après l'euphorie du soulèvement, il s'était un peu éloigné de la politique, déçu par le retour en force des vieux partis englués dans leurs querelles mutuelles et leurs batailles d'égos.
Âgé de quelques années de plus, Ibrahim est divorcé. Avant la guerre, il collaborait avec des organisations internationales, les agences onusiennes et les grandes ONG, auxquelles il ouvrait en quelque sorte les portes de son pays dont il connait les moindres recoins. Lui aussi a participé à la révolution et à cet élan intellectuel qui promettait de reconstruire le Soudan, d'en faire un État pour tous ses citoyens. Lui aussi bataillait contre une crise économique dévastatrice qui laissait exsangue le peuple tout entier, à l'exception de l'élite prédatrice de l'ancien régime, les Kaizan.
Fuir Khartoum
Nassim et Ibrahim ont tenu bon devant les vicissitudes de la période postrévolutionnaire. Avec des millions d'autres, ils ont risqué leur vie pour ne pas céder aux militaires et aux miliciens. Ils n'ont pas reculé face au coup d'État d'octobre 2021, durant lequel l'armée régulière (les Forces armées soudanaises ou FAS) et les paramilitaires (la Force de soutien rapide ou FSR) étaient unis pour mettre fin à l'expérience démocratique.
Pourtant ces alliés d'hier se font aujourd'hui la guerre. Depuis le 15 avril dernier, Abdel Fattah Al-Burhan, commandant en chef de l'armée, chef de facto du pays, est soutenu par les islamistes de l'ancien régime contre Mohamed Hamdan Dagalo, alias Hemeti, à la tête de la FSR, des paramilitaires si puissants qu'ils sont devenus une armée bis.
Comme des millions de leurs concitoyens, le 15 avril 2023 a bouleversé les destins de Nassim et Ibrahim. Ibrahim a fait de multiples aller-retours dans sa voiture déglinguée pour évacuer sa famille d'abord, puis des amis chers, puis des connaissances. Tous ont fui les combats à Khartoum, vers la frontière égyptienne pour certains, vers l'est du pays pour d'autres. La population de la capitale a subi les pillages, les viols et les meurtres des FSR du général Hemeti, fidèles à leur ascendance : les terrifiants janjawid de la guerre au Darfour dans les années 2000, supplétifs du régime d'Omar Al-Bachir. En même temps, les habitants de Khartoum ont subi les bombardements par l'artillerie lourde et l'aviation de l'armée régulière. Ibrahim a donc fini par partir, lui aussi, en direction de Wad Madani, la capitale de l'État d'Al-Jazirah, une vaste province agricole située à 185 km au sud-est de Khartoum.
Nassim et sa famille sont restés à leur domicile pendant plusieurs semaines. Et quand leur quartier est tombé aux mains des FSR, ils se sont déplacés chez une proche, en banlieue de Khartoum. Les paramilitaires ont fini par arriver jusque-là ; Nassim est alors parti vers le sud-est. Il a traversé des barrages militaires avant de s'arrêter à Kosti, une ville de l'État d'Al-Nil Al-Abyad ("le Nil blanc"). Là-bas, il a pu trouver une maison à louer à bas prix. Un sort beaucoup plus confortable que celui des milliers de déplacés entassés dans des écoles ou sous des abris précaires.
Sept millions et demi de personnes sont déplacées à l'intérieur et à l'extérieur du pays, selon le chiffre du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) du 14 janvier 2024, sans oublier les 12 000 morts, un bilan certainement sous-estimé. Tous traversent les mêmes affres : trouver de quoi se loger, récupérer son argent après le pillage et l'effondrement des établissements bancaires, pallier l'absence d'écoles fermées depuis avril, suppléer à la quasi-destruction des infrastructures médicales… Bref, survivre dans un pays déjà appauvri et mal doté avant la guerre.
Les « villas fantômes »
En décembre 2023, le tableau est assez clair : le Soudan est coupé en deux dans le sens est-ouest. La milice de Hemeti contrôle une grande partie de la capitale, l'armée régulière étant cantonnée dans quelques bases et quelques quartiers d'Omdourman. Les hommes de Hemeti tiennent aussi l'ouest, le Darfour, ainsi qu'une partie du Kordofan. Ce n'est guère une surprise : recrutés pour l'essentiel parmi les tribus arabes de la grande province occidentale, les FSR connaissent parfaitement le terrain et se sont emparés sans grandes difficultés des principales villes.
Des comités de paix formés de dignitaires religieux et séculiers ont bien tenté de maintenir des cessez-le-feu, mais ils ont volé en éclat les uns après les autres. La tâche des FSR a été facilitée par le peu d'appétence de l'armée régulière à les combattre. Celle-ci a préféré se retirer dans ses cantonnements.
Partout dans les zones tenues par les FSR, de très graves violations des droits humains sont rapportées, commises soit directement par les hommes de Hemeti, soit par des milices arabes locales liées aux FSR par la famille ou la tribu.
Commandée par le général Al-Burhan, l'armée régulière largement adossée aux islamistes du régime d'Omar Al-Bachir a déménagé à Port-Soudan. Ces hommes tiennent l'est et le nord du pays — la vallée du Nil d'où sont originaires les classes économiques, militaires et politiques des gouvernements successifs depuis l'indépendance du pays. Comme sous l'ancien régime, ils mènent une politique répressive contre tout opposant. Dans ce contexte, la sinistre mémoire des « villas fantômes », lieux secrets de détention, est réactivée.
« Jusqu'à mi-décembre, on semblait se diriger vers un scénario à la libyenne avec un pays scindé et dirigé par deux entités ennemies, chacune soutenue par des parrains étrangers : les FSR par les Émirats arabes unis et les FAS par l'Égypte. Mais ce scénario est caduc », affirme Kholood Khair, analyste soudanaise aujourd'hui en exil.
Le retrait suspect de l'armée régulière
Le 15 décembre à l'aube, les hommes de Hemeti attaquent les faubourgs de Wad Madani, capitale de l'État d'Al-Jazirah vers laquelle ont afflué, comme Ibrahim, des centaines de milliers d'habitants de Khartoum. Abri pour les déplacés, la ville est aussi devenue un centre de stockage d'aide alimentaire et de médicaments.
Les forces régulières se retirent sans presque combattre. Le 18 décembre, Wad Madani est aux mains des FSR. Pillages, viols, menaces, les exactions sont du même type qu'au Darfour. « Au sein des FAS, les officiers de rang moyen sont furieux, car ils ont reçu l'ordre de quitter la ville sans combattre », assure Kholood Khair.
- Les hauts gradés sont tous islamistes, car ils ont été recrutés et formés sous Omar Al-Bachir. Ils ne discutent donc pas le bien-fondé des décisions de l'état-major. Mais leurs subordonnés s'interrogent : pourquoi tous ces ordres qui semblent favoriser FSR ? Il y a des soupçons d'achat de certains officiers par Hemeti.
La chute de Wad Madani est un choc et, indéniablement, un tournant. Le verrou vers Port-Soudan à l'est ainsi que vers Sennar et Kosti au sud a sauté. Selon l'ONU, 300 000 personnes ont fui Wad Madani dans les premières heures de l'offensive des FSR, et 200 000 supplémentaires les jours suivants.
Ibrahim a été de ceux-là. Il est parti vers Sennar, plus au sud :
- Nous n'avions pas d'autre destination possible devant l'avancée des FSR, les autres routes étaient coupées. C'était complètement chaotique. Les gens étaient paniqués, tout le monde sait les atrocités commises par les FSR à Khartoum et au Darfour. Nous avons mis plus de deux jours pour atteindre Sennar, qui est à 90 km !
Ibrahim a attendu de voir si les troupes de Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemeti allaient poursuivre leur marche vers l'est et le sud. Celles-ci ont effectivement essayé, mais cette fois, elles ont été bombardées par l'aviation. Pour l'instant, elles restent donc sur leurs dernières positions. Ibrahim rejoint Gedaref puis Port Soudan, à la recherche d'un travail. Il n'envisage toujours pas de quitter le pays.
Supprimer toute résistance civile
Nassim, lui, a jeté l'éponge. La prise de Wad Madani a été celle de trop. En charge de ses parents âgés et traumatisés, ainsi que d'une partie de ses frères et sœurs, il a fini par se résoudre à l'exil. La famille a d'abord fait le voyage de Kosti au sud vers Dongola au nord de Khartoum :
- Nous avions trop peur que les FSR bloquent la route et que nous soyons pris au piège, pour rester à Kosti. Des milliers de personnes ont fait comme nous : remonter vers le nord tant qu'il en était encore temps.
À Dongola, il a payé des passeurs. Direction l'Égypte. La voie légale est onéreuse, plus encore que la clandestine, et aussi difficile depuis que Le Caire a décidé de restreindre considérablement le passage. « Il suffit de payer les soldats égyptiens », lui ont assuré les passeurs. Aujourd'hui, Nassim est en Égypte.
Certains restent malgré tout. Dans les zones contrôlées par les FSR comme dans celles tenues par les FAS, les organisations révolutionnaires, comités de résistance, comités de quartier, organisations de femmes, syndicats, s'efforcent de pallier l'État désormais failli. Mais partout ces organisations sont en butte à une répression féroce. C'est là le point commun entre les généraux Hemeti et Al-Burhan. Même ennemis, ils se retrouvent dans leur volonté d'en finir avec la révolution. Comme l'analyse Kholood Khair :
- Les deux sont persuadés de leur victoire. Chacun d'entre eux veut donc supprimer toute résistance civile avant de conquérir le pays. Sinon, ils savent bien que ce pouvoir qu'ils espèrent tant sera trop fragile. Alors l'un comme l'autre utilise le paravent de la guerre pour tuer ce qui reste de la révolution. Des médecins, des journalistes, des activistes sont assassinés, arrêtés, emprisonnés, torturés. Par les deux camps.
Une velléité d'accord vite balayée
Dans ce chaos, une image a surpris : celle de Hemeti serrant la main d'Abdallah Hamdok, ancien Premier ministre durant la courte parenthèse démocratique, de septembre 2019 à octobre 2021. Aujourd'hui, l'ancien chef de gouvernement est à la tête de la coalition des forces démocratiques, appelée également Taqaddom (« avancée »). Créée à Addis-Abeba en octobre 2023, cette plateforme rassemble des partis politiques, des syndicats et des organisations de la société civile qui ont été parties prenantes dans la révolution. Elle veut peser sur les acteurs du conflit pour obtenir une cessation des hostilités et, surtout, des garanties pour l'après-conflit.
Le 2 janvier, Taqaddom a donc signé un accord avec l'un des deux belligérants. Sur X (anciennement Twitter), Abdallah Hamdok s'est réjoui d'avoir obtenu la « pleine disponibilité des FSR à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, à des mesures visant à protéger les civils, à la facilitation du retour des citoyens dans leurs foyers, à l'acheminement de l'aide humanitaire et à la coopération avec la commission d'enquête. »
L'encre n'avait pas encore séché que Taqaddom se prenait une volée de bois vert de la part de certains partis, comme le Parti communiste, une faction du Baas, des personnalités du Parti unioniste ou du parti Oumma, des activistes de la révolution ou encore des comités de résistance… À l'autre bout du spectre politique, des islamistes de l'ancien régime, furieux, ont poussé le général Al-Burhan à refuser toute rencontre, avec Taqaddom comme avec Hemeti. Pour Kholood Khair, cela montre à quel point les civils sont divisés :
- Taqaddom perd sa crédibilité en signant un accord avec Hemeti malgré toutes les atrocités commises par les FSR. Non seulement elles ne sont pas mentionnées, mais elles ont même été niées par leur porte-parole ! Certains, au sein de la plateforme, pensent pouvoir contrôler Hemeti une fois qu'il aura pris le pouvoir. C'est extraordinairement naïf ! Et cela veut dire que ces hommes politiques n'ont rien appris de ces dernières années.
En attendant, aucune promesse contenue dans la déclaration d'Addis-Abeba tant vantée par Abdallah Hamdok n'a connu l'amorce d'une concrétisation. Des témoignages affirment même que la reprise de la « vie normale » vantée par les FSR à Wad Madani se fait à la pointe du fusil. Les médecins sont contraints de reprendre leur poste sous la menace et les commerçants sont rackettés.
Mais les poignées de main ont permis au général Hemeti de gagner encore un peu plus en honorabilité. Il a ainsi été reçu en interlocuteur digne de foi et d'intérêt dans plusieurs capitales africaines, lors d'une tournée qui l'a mené de Pretoria à Djibouti en passant par Nairobi, Kampala et Kigali, où il s'est recueilli au mémorial du génocide…
« Même s'il réussit à progresser vers l'est et le nord, à prendre Port-Soudan et à contrôler tout le pays, il n'aura pas gagné la guerre, prophétise Kholood Khair. Il aura à affronter des groupes armés dans toutes ces régions. » Les FAS distribuent des armes à la population de la vallée du Nil qui tient à défendre ses villes et ses villages. Et qui refusera de voir un homme du Darfour gouverner le Soudan.
Le vieux clivage entre le centre, la vallée du Nil, ancien royaume de Kouch mythifié par les élites soudanaises qui gouvernent depuis l'indépendance, et les périphéries, en particulier le Darfour, n'est pas mort dans le fracas des armes. Au contraire, il est revivifié. Et au Soudan, il n'y a pas de cuillères assez grandes pour dîner avec les trop nombreux diables.
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Maroc. Manifestations populaires et silence royal

Tiraillés entre une population majoritairement acquise à la cause palestinienne qui risque de basculer dans un islamisme aux aguets, et l'accord de normalisation signé en 2020 dont ils ne sont pas près de s'affranchir, les dirigeants marocains se réfugient dans un silence de plus en plus pesant.
Tiré de Orientxxi
23 janvier 2024
Par Omar Brouksy
Manifestation en solidarité avec Gaza, le 24 décembre 2023 à Rabat/AFP
AFP
Plus de quatre mois après le déclenchement de la guerre contre Gaza, la mobilisation anti-Israël n'a pas faibli au Maroc. Des milliers de personnes manifestent quasiment chaque week-end dans les grandes villes du pays, notamment à Rabat et Casablanca. Deux revendications dominent les slogans : la fin des massacres de la population gazaouie par l'armée israélienne et, surtout, la fin de la normalisation des relations diplomatiques entre le royaume chérifien et « l'État sioniste », comme le scandent les manifestants.
Commencé en décembre 2020, le processus de normalisation entre les deux États prend la forme d'une transaction tripartie : en contrepartie de la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental par l'ancien président américain Donald Trump, le royaume « normalisera » ses relations avec Israël. Une manœuvre habile puisqu'il s'agit de monnayer une « cause sacrée » pour la majorité des Marocains (l'affaire du Sahara occidental, considéré par le Maroc comme ses « provinces du sud ») par une autre « cause sacrée » (la question palestinienne).
Depuis, la coopération, notamment militaire, entre les deux pays est devenue officielle après avoir été longtemps officieuse, même si l'État hébreu tient à la cantonner aux armes défensives et légères. L'attaque d'envergure du Hamas au cœur d'Israël, le 7 octobre 2023, ne représente pas une rupture, mais un point de basculement qui affectera profondément la lune de miel israélo-marocaine, louangée tant par les Etats-Unis que par l'Union européenne.
Manoeuvre politique
Au cœur de ce processus, le Palais royal avait eu recours à un stratagème habile et machiavélique visant à porter le coup de grâce au Parti de la justice et du développement (PJD), le parti islamiste au gouvernement à l'époque, et dont la légitimité religieuse concurrençait celle du roi, le Commandeur des croyants. Ce dernier fait alors signer l'accord de normalisation non pas par le ministre des Affaires étrangères mais par le chef du gouvernement, l'islamiste Saad Dine Elotmani (2017-2021), en même temps secrétaire général du PJD. Les conséquences sur l'identité politique et l'image du parti sont désastreuses car la lutte contre la normalisation avec « l'entité sioniste » fait partie de l'ADN des partis islamistes. Laminé électoralement un an plus tard lors des législatives de 2021 où il obtient 12 sièges au Parlement du Maroc qui en compte 395, le PJD est aujourd'hui l'ombre de lui-même, une coquille vide.
Lors des rassemblements propalestiniens qui se déploient depuis le 7 octobre dans les artères principales des grandes villes, ni les dirigeants du PJD ni ses militants n'osent se montrer ou se mêler aux foules en colère. Et pour tenter de réparer ce que l'ancien secrétaire général avait détruit en signant le traité de normalisation, le nouveau dirigeant du PJD, Abdelilah Benkirane, un populiste lui aussi ancien chef du gouvernement (2011- 2016), multiplie désespérément les sorties médiatiques. « Oui, le PJD s'est trompé en signant la normalisation, nous l'admettons. Mais le parti n'a jamais été pour cette normalisation », déclare-t-il en sanglots, le 19 novembre 2023 devant un parterre de militants. Il va même jusqu'à offrir au leader du Hamas Khaled Mechaal, en visite au Maroc, une tribune dans laquelle le responsable palestinien, devant les militants, invite les Marocains « à s'adresser aux dirigeants du pays (…) pour rompre les relations, arrêter la normalisation et chasser l'ambassadeur » – ce qui suscite une colère noire de l'entourage royal qui y voit une « ingérence intolérable et un appel à peine déguisé au soulèvement. »
Pour réhabiliter son parti, Abdelilah Benkirane ira même jusqu'à tenir des propos ouvertement antisémites : « Ils avaient des savants comme Einstein, mais ils ne voient pas loin. C'est pour cela que Dieu les a favorisés au début et maudit il y a 2 000 ans. Parce qu'en réalité, ils sont idiots. Leur idiotie leur fait croire que c'est la force qui résout le problème ». Mais ces tentatives n'ont pas d'effets marquants sur l'image de sa formation ni de ses dirigeants qui restent parmi les moins considérés sur la scène politique marocaine.
Organisation à la romaine
Toutefois, l'absence du PJD va être vite comblée par l'autre composante de l'islamisme marocain : l'association Justice et bienfaisance (Al-Adl wa Al-Ihsan). Interdit mais toléré, ce mouvement, qui ne reconnaît pas le statut religieux du roi et conteste ses larges pouvoirs politiques, est très présent dans les manifestations propalestiniennes à travers la mobilisation, à Rabat et Casablanca notamment, de l'essentiel de ses sympathisants. Connu pour son organisation à la romaine, la discipline de ses membres et les moyens utilisés pour s'assurer un maximum de visibilité dans l'espace public, Justice et bienfaisance ne pouvait pas rater l'occasion du 7 octobre pour s'affirmer comme "l'unique choix islamiste possible", après le fiasco électoral et politique du PJD.
Très présents sur les réseaux sociaux, dès lors que les médias officiels leur sont fermés, les militants n'hésitent pas à utiliser la question palestinienne et celle de la normalisation comme des vecteurs de redéploiement pour rallier ne serait-ce que les déçus du PJD, mais aussi comme des leviers pour contester le régime monarchique et sa légitimité religieuse – le roi Mohammed VI étant à la fois Commandeur des croyants et président du Comité Al-Qods pour la Palestine.
Silence de cathédrale
En ce qui concerne les autres partis politiques, le contraste reste très marqué avec la population qu'ils sont supposés, selon la Constitution, représenter et encadrer. Pour ces partis parfaitement domestiqués par la monarchie, la question palestinienne est devenue, depuis la signature de l'accord de normalisation, une ligne rouge à ne pas franchir, à l'exception du Parti socialiste unifié (PSU) et de la Voie démocratique travailliste (Al-Nahj Al-Dimokrati Al-Amili), deux organisations de gauche ultra-minoritaires.
Si certains osent, en y mettant beaucoup de gants, contester les attaques israéliennes contre Gaza et le nombre effrayant des victimes, ils évitent soigneusement de demander la fin de la normalisation. Cela se traduit sur le terrain par l'absence des partis politiques dans les manifestations propalestiniennes. S'agit-il d'une prudence stratégique et d'une volonté de leurs dirigeants de ne pas susciter l'ire du roi et de son entourage ? Aucune réponse. Un silence de cathédrale. Y compris, le 12 janvier 2024, au moment même où l'Afrique du Sud défend sa plainte pour génocide contre Israël devant la plus haute Cour de l'ONU, la Cour internationale de justice dont l'un des membres, le juriste Mohamed Bennouna, est Marocain. Au même moment, le Bureau de liaison, une délégation marocaine à Tel-Aviv, annonce la reprise de tous les services consulaires à partir du 22 janvier, après leur suspension, le 19 octobre 2023, lorsque le ministère des Affaires étrangères israélien avait décidé d'évacuer son bureau de liaison à Rabat en réponse à la forte mobilisation des Marocains.
Même silence du côté du Palais royal, à l'exception d'un communiqué laconique datant du 17 octobre, au lendemain du bombardement par l'armée israélienne de l'hôpital Al-Maamdani faisant plusieurs centaines de morts et de blessés palestiniens à Gaza : « Le Royaume du Maroc réitère son appel à ce que les civils soient protégés par toutes les parties et qu'ils ne soient pas pris pour cibles. Sa Majesté le roi Mohammed VI, que Dieu L'assiste, président du Comité Al-Qods, souligne l'urgence de fédérer les efforts de la communauté internationale pour mettre fin, au plus vite, aux hostilités, respecter le droit international humanitaire et œuvrer pour éviter que la région ne sombre dans une nouvelle escalade et de nouvelles tensions. »
Un silence qui sera doublé d'une absence physique du roi dès le 4 décembre. Le président du comité Al-Qods entame alors un long périple mi-officiel mi-privé qui le conduit d'abord aux Émirats arabes unis, où il est reçu en grande pompes par le Cheikh Mohammed ben Zayed fraichement investi, avant de s'envoler le 17 décembre vers les Seychelles, l'archipel africain aux 115 îles paradisiaques dans l'océan Indien. Le roi part ensuite pour Singapour, où il fête le Nouvel An, avant de finalement rentrer à Rabat le 11 janvier, jour de la signature du manifeste pour l'indépendance, célébré au Maroc.
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Guerre d’influence entre l’Occident et les Brics en Afrique

La présidente de l'Alliance internationale des Brics Larisa Zlenstova et son vice-président chargé des projets stratégiques, Ahoua Don Mello accompagnés des vice-présidents Brics chinois et indien ont parrainé, le jeudi 18 janvier dernier, la signature d'un accord-cadre sur le financement de plusieurs projets stratégiques au profit du gouvernement centrafricain, au moment où le Secrétaire d'Etat américain, Anthony Blinken préparait sa mini tournée dans l'ouest-africain.
Tiré de MondAfrique.
La guerre d'influence que se livrent de plus en plus ouvertement le bloc occidental et l'Alliance internationale des Brics a pris, ces derniers jours, l'allure d'un chassé-croisé diplomatique sur le sol africain où séjourne, depuis lundi, Anthony Blinken. Le Secrétaire d'Etat américain qui doit se rendre dans les prochains jours à Luanda, en Angola, a débuté sa mini tournée diplomatique au Cap vert avant de rejoindre Abidjan le même jour. Partout, il a promis à ses « amis » africains un soutien institutionnel et financier de son pays de nature à aider au renforcement de la démocratie.
La Côte d'Ivoire qui doit organiser une élection présidentielle en 2025, soit dans un peu plus d'un an, partage ses deux frontières nord avec le Burkina Faso et le Mali qui ont tous les deux, plus le Niger, établi des accords de coopération militaire avec Moscou.
La montée du djihadisme
Abidjan s'inquiète également des possibles infiltrations de groupes djihadistes sur son territoire et compte sur ses partenaires occidentaux compte de la guerre larvée qui l'oppose à ses voisins du Sahel. En revanche, les Brics ont le vent en poupe en Afrique où ils doivent maintenant consolider leur influence en réalisant les infrastructures d'interconnexion capables d'aider au développement de leurs partenaires du continent. C'est pourquoi au moment de signer l'accord cadre entre le patron de l'entreprise émirati, Engineering solution (ENGSOL), et le ministre des transports et de l'aviation civile Herbert Djono-Ahaba, tout l'état-major des Brics comprenant la présidente Larisa Zelenstova, le vice-président chargé des projets stratégiques et les vice-présidents chinois et indien des Brics se sont retrouvés au grand complet à Bangui, dans la capitale centrafricaine.
Tous ont donc assisté à la conclusion de l'accord de concession destiné à la construction du futur aéroport international du pays qui, pour l'heure, est le seul à avoir bénéficié d'un contrat de réalisation. A ce titre, ENGSOL finance la conception, l'ingénierie et le financement du nouvel aéroport, ainsi que la création d'une zone franche de fret régional et la mise en place de l'exploitation d'un système de gestion intégrée à l'ensemble des activités du transport aérien dans le pays.
Cette cérémonie de signature a été présidée par le président centrafricain, Faustin Touadéra, président de la République de la Centrafrique qui avait à ses côtés Mme Zlenstova et Ahoua Don Mello en tant que responsable des projets stratégiques dans l'Alliance. Reste désormais à régler les problèmes fonciers et toutes les questions liées aux sujétions coutumières avant le démarrage des travaux.
Baptisés 5G, ces projets majeurs stratégiques comprennent également la construction d'une ville nouvelle et moderne, l'ouverture d'un réseau de chemins de fer destiné à relier les côtes, tout comme divers autres projets intéressant les secteurs des mines, des télécoms et de l'énergie.
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Le Niger, le Burkina Faso et le Mali quittent la CEDEAO

Les trois pays du Sahel central organisés en Alliance des Etats du Sahel (AES) au sein de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest viennent d'annoncer dimanche leur sortie de l'organisation ouest-africaine. La télévision publique nigérienne a publié officiellement la nouvelle.
Tiré de MondAfrique.
Les trois pays ont fondé l'AES après le coup d'Etat qui a renversé Mohamed Bazoum le 26 juillet dernier, pour se défendre contre les pressions très fortes exercées par la France et la CEDEAO, dont les deux leaders, les Présidents ivoirien Alassane Ouattara et nigérian Bola Tinubu, étaient en visite officielle à Paris ces dernières heures.
A la suite du renversement du Président Bazoum, le Niger a exigé le départ du contingent français et de l'ambassadeur Sylvain Itte, dans le cadre d'un bras de fer très dur avec Paris et de sanctions d'une gravité inédite ordonnées par la CEDEAO contre ce pays enclavé.
La CEDEAO prévoit la libre circulation des personnes et des biens pour les ressortissants de ses 15 membres en Afrique de l'Ouest : les 8 Etats réunis au sein de l'UEMOA (Union économique et monétaire d'Afrique de l'Ouest) et fonctionnant avec le franc CFA ainsi que les anglophones et les lusophones, parmi lesquels le géant nigérian.
Les intérèts occidentaux déstabilisés
La crise provoquée par les coups d'Etat militaires dans les trois pays du Sahel a déstabilisé les intérêts occidentaux dans la région. Le Premier ministre du Niger Lamine Zeine est revenu il y a quelques jours d'une tournée en Russie et en Iran.
« Après 49 ans d'existence (de la CEDEAO), les vaillants peuples du Burkina, du Mali et du Niger constatent avec beaucoup de regret, d'amertume et une grande déception que leur organisation s'est éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme », écrivent les trois présidents, le capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso, le colonel Assimi Goïta au Mali, et le général Abdourahmane Tiani au Niger dans le communiqué conjoint rendu public dimanche. « En outre, la CEDEAO, sous l'influence des puissances étrangères trahissant ses principes fondateurs est devenue une menace pour ses Etats membres et ses populations dont elle est sensée assurer le bonheur. En effet, l'organisation n'a pas porté assistance à nos Etats dans le care de notre lutte existentielle contre le terrorisme et l'insécurité ; pire lorsque ces Etats ont décidé de prendre leurs destins en main elle a adopté une posture irrationnelle et inacceptable en imposant des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violation de ses propres textes. »
« Toutes choses qui ont davantage fragilisé les populations déjà meurtries par des années de violence imposées par des hordes terroristes instrumentalisées et téléguidées. Face à cette situation qui perdure, (les trois Présidents) prenant toutes leurs responsabilités devant l'histoire et répondant aux attentes, préoccupations et aspirations de leurs populations, décident en toute souveraineté du retrait sans délai du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté économique des Etats de l'Ouest », conclut le communiqué.
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Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères : « Israël poursuit des objectifs similaires à ceux de la Russie » !

Ceux qui doutent encore de l'existence de « similitudes » entre les guerres menées par MM. Poutine et Netanyahou contre l'Ukraine et les Palestiniens, respectivement, peuvent désormais se rassurer en voyant leurs doutes enfin et irrévocablement dissipés : Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères et bras-droit de M Poutine, affirme catégoriquement à l'agence de presse officielle russe RIA Novosti, qui dépend du gouvernement de la Fédération de Russie, qu'« Israël a des objectifs similaires à ceux de la Russie » !
22 janvier 2024 | tiré du site Entre les lignes entres les mots | Dessin de Sonia Mitralia
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/01/24/serguei-lavrov-ministre-russe-des-affaires-etrangeres-israel-poursuit-des-objectifs-similaires-a-ceux-de-la-russie/
Et M. Lavrov s'empresse même de préciser que les objectifs d'Israël dans sa présente campagne de nettoyage ethnique et d'extermination du peuple palestinien, à savoir « la destruction complète du mouvement Hamas » et « l'élimination de tout extrémisme à Gaza » sont similaires à la « démilitarisation » et la « dénazification » que Moscou poursuit en Ukraine depuis le début de l'offensive en février 2022 ! [1] Et pour qu'il n'y ait aucun doute sur ce qu'il a dit, M. Lavrov conclut, dans le texte intégral de RIA Novosti que nous publions ci-dessous, par ce qui ressemble fort à un éloge de M Netanyahou, puisqu'il souligne que, contrairement à son prédécesseur, l'actuel premier ministre israélien « a évité de faire des déclarations contre la Russie, malgré les critiques internationales et le fait qu'il se trouve dans une « situation difficile » », et, surtout, « a refusé d'envoyer de l'aide militaire à l'Ukraine » !
Mais à qui s'adresse M. Lavrov avec ces déclarations tonitruantes ? Et quel est l'objectif de ces déclarations particulièrement cyniques du ministre russe des affaires étrangères, qui ne plairont certainement ni aux partisans plus ou moins fervents de la guerre de M. Poutine contre l'Ukraine, ni à ceux qui soutiennent sans réserve la guerre de M. Netanyahou contre les Palestiniens ? La réponse renvoie, d'une part, à l'indifférence traditionnelle du Kremlin à l'égard des « petits » dont il se moque éperdument, qu'ils soutiennent ou non la Russie. Et d'autre part, à la préoccupation permanente du Kremlin, et donc de la diplomatie russe, qui n'est autre que le rapprochement avec les « grands », et surtout avec les États-Unis, en faisant apparaître la Russie de Poutine comme le défenseur le plus conséquent de ce qu'il appelle la « civilisation occidentale », c'est-à-dire des intérêts géostratégiques et autres du capitalisme.
En d'autres termes, M Lavrov s'adresse d'abord à l'establishment américain, et accessoirement européen, c'est-à-dire là où il sait qu'il y a de plus en plus d'« oreilles bienveillantes » disposées au moins à considérer favorablement les arguments russes. Et il le fait en expliquant que la Russie ne fait rien de plus en Ukraine qu'Israël à Gaza, avec le soutien de la quasi-totalité de l'Occident. La différence, cependant, c'est que cet Occident, et surtout les États-Unis, poursuivent une politique « absurde » de deux poids et deux mesures, refusant de faire dans le cas ukrainien ce qu'ils font dans le cas palestinien, ce qui est, après tout, contraire à leurs intérêts à long terme. Bref, M. Lavrov sermonne l'Occident, comme d'ailleurs la fait d'habitude M. Poutine, en essayant de lui faire comprendre que la Russie n'est pas un adversaire mais plutôt un ami, les deux ayant des intérêts communs. Et c'est évidemment pour cette raison que cette interview importante n'a pas reçu l'attention qu'elle méritait, que la presse française l'a passé sous un silence très éloquent (pas un mot !) et qu'elle reste donc totalement inconnue. Quant aux divers « naïfs » qui prennent les vessies coloniales grande-russes pour des lanternes anti-impérialistes, ils ne valent qu'en tant qu'« idiots utiles », et jetables, de la propagande russe…
Conclusion : En affirmant catégoriquement que la Russie de Poutine et l'Israël de Netanyahou ont les mêmes objectifs en Ukraine et à Gaza, M. Lavrov a fait quelque chose qu'il n'a pas l'habitude de faire : il a dit la vérité !
*-*
Israël poursuit des objectifs similaires à ceux de la Russie – Lavrov
La lutte contre le nazisme est ce qui unit historiquement la Russie et le pays du Moyen-Orient, a déclaré le ministre des affaires étrangères.
Les objectifs déclarés d'Israël dans son opération en cours contre les militants du Hamas à Gaza semblent presque identiques à ceux de Moscou dans sa campagne contre le gouvernement ukrainien, a déclaré le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, dans une interview accordée à RIA Novosti jeudi.
Les forces de défense israéliennes (FDI) mènent depuis deux mois une campagne de bombardements incessante dans l'enclave palestinienne de Gaza, à la suite d'une attaque surprise du Hamas contre les territoires israéliens le 7 octobre. L'attaque des militants palestiniens a fait quelque 1 200 morts et plus de 200 otages ont été enlevés. La réponse d'Israël, quant à elle, aurait coûté la vie à plus de 21 000 personnes, selon les autorités sanitaires de Gaza.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré que l'objectif final de Tsahal était la destruction complète du mouvement Hamas sous toutes ses formes, ainsi que l'élimination de tout extrémisme à Gaza.
M. Lavrov a toutefois fait remarquer que ces objectifs semblent similaires à la « démilitarisation » et à la « dénazification », que Moscou poursuit en Ukraine depuis le lancement de son offensive en février 2022.
Le diplomate a relevé l'hypocrisie dont a fait preuve l'ancien gouvernement israélien du Premier ministre Yair Lapid, qui a condamné l'opération militaire russe et accusé Moscou d'attaquer la population civile et d'annexer des parties de l'Ukraine. « C'était injuste », a déclaré M. Lavrov.
Dans le même temps, le ministre a souligné que l'actuel Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu – qui a pris ses fonctions pour un sixième mandat en décembre 2022 – a évité de faire des déclarations contre la Russie, malgré les critiques internationales et le fait qu'il se trouve dans une « situation difficile ».
M. Lavrov a également rappelé que M. Netanyahu avait eu deux conversations téléphoniques avec le président russe Vladimir Poutine et que les Israéliens avaient aidé Moscou à évacuer les citoyens russes de Gaza.
« C'est pourquoi nous devons être très attentifs à notre histoire commune avec Israël et, surtout, à l'histoire de la lutte contre le nazisme. C'est la principale chose qui nous unit historiquement », a déclaré M. Lavrov.
La Russie a appelé à plusieurs reprises Israël et le Hamas à cesser les hostilités à Gaza. M. Poutine a déclaré que le seul moyen de résoudre la crise du Moyen-Orient était de parvenir à une formule « à deux États » approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies.
M. Netanyahou, quant à lui, a refusé d'envoyer une aide militaire à l'Ukraine et s'est proposé comme médiateur potentiel pour des pourparlers de paix entre Moscou et Kiev.
jeudi 28 décembre 2023, par RT News
[1] Dans son résumé, RIA Novosti ne fait référence qu'à la partie de l'interview de Lavrov dans laquelle le ministre russe des affaires étrangères parle d'Israël et de la guerre qu'il mène contre les Palestiniens. L'interview complète (du 28/12/2023) de Lavrov est plus éloquente que son résumé, et peut être consultée, traduite en anglais, sur le site web du ministère russe des affaires étrangère :
https://mid.ru/en/foreign_policy/news/1923676/
Yorgos Mitralias
Russia, per Lavrov Israele persegue obiettivi simili a quelli della Russia
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La Confédération paysanne appelle à se mobiliser pour des paysannes et paysans nombreux et rémunérés !

Le Comité National de la Confédération paysanne réuni aujourd'hui affirme sa pleine solidarité avec les mouvements d'agricultrices et d'agriculteurs en France. Le constat est partagé : la colère exprimée est légitime, tant le problème de la rémunération du travail paysan est profond. Il y a 25 ans, la Confédération paysanne dénonçait déjà les conséquences du libéralisme, du Larzac à Seattle.
24 janvier 2024, | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69508
Par contre, sur les solutions proposées, l'agriculture française tourne en rond depuis des décennies derrière la sacro-sainte « compétitivité » chère à l'agrobusiness et aux marchés mondialisés. Résultat : un plan de licenciement massif dramatique qui tue nos campagne.
La Confédération paysanne nationale a aujourd'hui pris la décision d'appeler l'ensemble des structures départementales à exprimer leur solidarité au mouvement, à se mobiliser et à porter des solutions durables de sortie de crise et de système.
Nos mobilisations prendront diverses formes, en fonction du contexte local. Le mot d'ordre commun de la Confédération paysanne est clair : « Un revenu digne pour tous les paysans et paysannes » et « Rompre avec le libre-échange ».
Alors que plusieurs Confédération paysanne départementales étaient déjà mobilisées sur le terrain, la décision de notre Comité National va amplifier cette mobilisation. Plusieurs dizaines de départements ont déjà prévu de se mobiliser pour obtenir des solutions concrètes pour tous les paysans et paysannes. Demain, les Confédération paysanne du Rhône, de Loire-Atlantique et du Var manifesteront, vendredi dans les Pyrénées orientales, ce week-end en Bretagne et dans le Calvados...
Nous souhaitons collectivement apporter de véritables solutions de fond au malaise agricole. Nous demandons donc d'urgence une loi interdisant tout prix agricole en-dessous de nos prix de revient et la fin immédiate des négociations d'accords de libre-échange.
Les gouvernements successifs et la FNSEA ont mené conjointement l'agriculture dans l'impasse actuelle d'un système économique ultralibéral, inéquitable et destructeur. Nous alerterons nos collègues sur le mirage de la « suppression des normes » et celui du « complément de revenu » par la production d'énergies.
Certes, une simplification administrative est nécessaire car beaucoup de procédures administratives et de normes sanitaires sont inadaptées à la réalité de nos fermes. Mais ne nous trompons pas de cible. La demande de la majorité des agriculteurs et agricultrices qui manifestent est bien celle de vivre dignement de leur métier, pas de nier les enjeux de santé et de climat ou de rogner encore davantage sur nos maigres droits sociaux.
Ce n'est pas, comme le font les dirigeants de la FNSEA, en demandant à pouvoir détruire des haies, en instrumentalisant le sujet des jachères, en éludant la question du partage équitable des terres et de l'eau, en négociant des avantages pour la production d'agrocarburants, que nous résoudrons en profondeur les problématiques de notre métier de paysan, producteur d'alimentation pour nos concitoyen·nes.
Nous lutterons sur le terrain contre toute forme de récupération de nos colères pour attiser le chaos, encourager le repli sur soi et in fine poursuivre la fuite en avant d'un système qui nous met en concurrence les uns contre les autres. Nous appelons également à des mobilisations pacifiques respectueuses des personnes, des biens publics et exemptes de racisme, de sexisme ou de toute autre forme de discrimination.
Ce dont nous avons besoin, c'est de s'attaquer aux racines du problème en offrant plus de protection sociale et économique aux agricultrices et agriculteurs.
Instauration de prix garantis pour nos produits agricoles, mise en place de prix minimum d'entrée sur le territoire national, accompagnement économique à la transition agroécologique à la hauteur des enjeux, priorité à l'installation face à l'agrandissement, arrêt de l'artificialisation des terres agricoles : rassemblons-nous sur des solutions d'avenir pour transformer positivement cette colère et sortir du marasme dans lequel est plongé le monde agricole depuis trop longtemps.
Bagnolet, le 24 janvier 2024
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Pourquoi nous sommes tous des paysans en colère

Depuis plusieurs mois, le monde paysan est en ébullition : au début cantonné à plusieurs journées d'action organisées par les puissants syndicats patronaux FNSEA et Jeunes Agriculteurs, il s'est transformé en mouvement de colère un peu plus spontané qui met en œuvre des actions choc de blocage des flux de circulation, en particulier dans le Sud-Ouest du pays. Dans le reste de la population, on pointe – à juste titre – l'attitude des autorités locales et nationales qui auraient été bien plus répressives si ce genre d'action avaient été le fait de syndicalistes, d'écologistes et de gilets jaunes. D'autres, à gauche, s'inquiètent des contradictions du mouvement : les revendications pour un niveau de vie décent se mêlent à un discours antiécologique, la concurrence internationale est critiquée mais les représentants officiels du monde paysan – comme le président de la FNSEA Arnaud Rousseau – sont proches des grands groupes qui en bénéficient… Et pourtant, en montrant aux agriculteurs que nous sommes avec eux, nous pouvons contrer le mal que les gouvernements et les industriels nous font à nous tous.
25 janvier 2024 | tiré du site Frustrations
https://www.frustrationmagazine.fr/agriculteurs-colere/
par Nicolas Framont | 25 Jan 2024 | Édito
1 – Les racines de la colère
Tout le monde sait que la vie d'une agricultrice ou d'un agriculteur français est difficile. Il s'agit pour commencer d'un métier pénible sur le plan physique, qui expose à de nombreux accidents du travail et maladies professionnelles. Dans certains secteurs, comme l'élevage, les amplitudes horaires sont très importantes et il est très difficile, en particulier pour les petits exploitants, de prendre des congés. Cette réalité est de mieux en mieux connue du reste de la population mais de façon souvent superficielle : les épisodes de “l'Amour est dans le pré” ne permettent que peu de comprendre la situation réelle des paysans participants à l'émission tandis que le film à succès “Au nom de la terre”, où Guillaume Canet incarne un agriculteur débordé qui finit par se suicider, ne permet quasiment pas de comprendre les racines du problème. Quant au traitement médiatique des difficultés du monde paysan, il laisse souvent à désirer, comme nous l'expliquions dans cet article. Tout semble fait pour ne pas aborder les sujets qui fâchent, et qui risquent d'exposer les industriels de l'alimentation, les gouvernements successifs et l'entièreté du modèle agricole français et européen qui déconne à plein tube. La preuve infaillible du caractère malsain du système est le taux de suicide des agriculteurs, nettement supérieur au reste de la population (Le risque de mortalité par suicide est supérieur de 43,2% à celui des autres travailleurs, selon la Mutualité Sociale Agricole). Cela signifie que l'organisation de tout un secteur conduit les producteurs à mettre fin à leurs jours tellement ils se sentent pris à la gorge et sans perspective d'avenir. Le taux de pauvreté chez les agriculteurs est de 18% (14,5% dans la population générale) et leurs revenus ont chuté en moyenne de 40% en trente ans, selon le ministère de l'agriculture.
Dans le mouvement social actuel, plusieurs grands problèmes sont mis en avant à travers les revendications, sur les réseaux sociaux et sur les pancartes des paysans mobilisés partout dans le pays
- La complexité administrative et la charge mentale qui l'accompagne. C'est une des revendications les plus entendues car elle est activement relayée par les gros syndicats comme la FNSEA et les JA (on verra plus loin pourquoi). La plupart des agriculteurs sont des indépendants ou des petits patrons et ils font face à de nombreuses institutions extérieures qui leur demandent des comptes : le ministère de l'agriculture, qui contrôle par exemple le bon usage des produits chimiques, les chambres d'agricultures, qui régulent l'installation, la transmission et les formalités liées à la vie d'une entreprise agricole, l'attribution des terres etc. les banques qui attribuent les crédits aux paysans ou encore la Mutualité Sociale Agricole (MSA) à qui les agriculteurs doivent déclarer leur chiffre d'affaires, qui fixe ensuite le montant des cotisations et qui assure l'ensemble des prestations qui, pour le reste de la population, est confié à la Sécurité Sociale. C'est peu dire que les procédures administratives sont lourdes, nécessitent beaucoup de temps et exposent forcément à plus d'erreurs que lorsque l'on est salarié et que l'on a à faire à moins d'institutions (son employeur, les impôts et la Sécurité sociale, pour faire vite). Les faibles revenus des agriculteurs expliquent aussi qu'il leur soit difficile voire impossible, comme des chefs d'entreprise classiques, d'externaliser ou de confier les tâches administratives à un salarié expert du sujet. Or, “C'est la charge mentale au niveau administratif qui tue petit à petit” expliquait à BFM TV Camille Beaurain, autrice d'un livre-témoignage où elle raconte ce qui a mené au suicide de son mari agriculteur. C'est un constat partagé par Solidarité Paysan, une association qui lutte contre la détresse des paysans en apportant soutien moral et administratif aux paysans en difficulté, et pour laquelle j'ai eu la chance d'être bénévole : les agriculteurs qui contactent l'association sont souvent submergés par des impayés, des relances et une accumulation de difficultés administratives face auxquelles ils n'arrivent plus à faire face. Cette anxiété administrative plombe le moral et finit par alimenter l'idée qu'on ne va plus jamais s'en sortir.
les agriculteurs qui contactent Solidarité Paysan sont souvent submergés par des impayés, des relances et une accumulation de difficultés administratives face auxquelles ils n'arrivent plus à faire face. Cette anxiété administrative plombe le moral et finit par alimenter l'idée qu'on ne va plus jamais s'en sortir.
- La concurrence internationale déloyale : depuis les années 1960, le secteur agricole français est ouvert à la concurrence internationale, d'abord au niveau européen puis à l'échelle de l'ensemble du globe. Ces dernières décennies, ce processus de “mondialisation” des échanges a été choisi par des gouvernements qui ont conclu des traités de libre-échange. En novembre dernier, le Parlement européen a ratifié un accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Nouvelle Zélande : concrètement, cet accord met fin aux droits de douane que pratiquaient les deux zones l'une envers l'autre et va permettre d'intensifier les échanges commerciaux. Sauf que les produits exportés de la Nouvelle Zélande vers l'UE sont principalement de nature agricole : “L'exportation de viande rouge et de produits laitiers, sur lesquels les négociations ont été rudes, devraient générer plus de 500 millions d'euros' supplémentaires pour la Nouvelle-Zélande dans les sept ans à venir” indique ainsile journal New Zealand Herald. Vous avez bien lu : la viande rouge et les produits laitiers, c'est-à-dire ce que produisent actuellement les éleveurs français, lesquels sont déjà la catégorie d'agriculteurs la plus pauvre (25% de taux de pauvreté). Le gouvernement français, qui a soutenu l'accord avec la Nouvelle-Zélande, a donc choisi de sacrifier les producteurs de viande et de produits laitiers au profit d'un autre secteur qui bénéficie, lui, des exportations, notamment le vin. Dans tout processus d'ouverture internationale il y a des gagnants et des perdants : dans le cas de l'agriculture française, des producteurs de vin réputés (comme le Bourgogne) ou de Cognac (les agriculteurs les plus riches dans l'ex-région Poitou-Charente) ont tout à gagner de la concurrence internationale, puisqu'ils disposent d'un terroir unique. En revanche, les éleveurs, eux, ont tout à perdre. Enfin, les accords de libre échange sont toujours injustes, puisque les normes de production ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre et que c'est le pays le moins favorable socialement et environnementalement qui sera le plus compétitif… sans compter l'aberration écologique que constitue l'importation de viandes et de produits laitiers depuis l'autre bout du globe quand on peut produire la même chose localement.
En novembre dernier, le Parlement européen a ratifié un accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Nouvelle Zélande : concrètement, cet accord met fin aux droits de douane que pratiquaient les deux zones l'une envers l'autre et va permettre d'intensifier les échanges commerciaux. Sauf que les produits exportés de la Nouvelle Zélande vers l'UE sont principalement de nature agricole

- Les prix trop bas : c'est une revendication qui apparaît sur tous les blocages à travers le pays. Les agricultrices et agriculteurs français ont globalement le sentiment de ne pas être suffisamment rémunérés pour leur travail. Effectivement, ils sont pour la plupart pris dans un système où ils ne sont pas maîtres du prix de vente de leurs produits et sont contraints de vendre à prix cassés leurs productions à des industriels bien plus forts qu'eux. Début janvier, le géant de l'agro industrie Lactalis a annoncé unilatéralement une baisse du prix du lait qu'elle achète aux producteurs. Ces derniers ne peuvent pas, individuellement, protester. Lactalis est pourtant une très grande entreprise française. Son PDG, Emmanuel Besnier, est l'un des hommes les plus riches du pays, avec une fortune estimée à plus de 25 milliards de dollars par le magazine Forbes. Pourtant, les producteurs de lait français gagnent en moyenne 25 100 euros par an… C'est dire si le gâteau est mal réparti ! Les agriculteurs mobilisés en Haute-Saône ne s'y sont pas trompés : le 23 janvier, ils sont allés déverser une grande quantité de déchets devant les bâtiments de Lactalis. Depuis les années 90, les prix de vente des productions agricoles ont considérablement baissé, car la production agricole s'est intensifiée, a augmenté et s'est internationalisée. Parallèlement à cela, le secteur agroalimentaire s'est densifié, de grandes entreprises puissantes comme Lactalis et des groupes comme Unilever, Danone, Nestlé se sont structurés. A l'autre bout de la chaîne, la grande distribution a révolutionné la consommation alimentaire en proposant des prix bas et en offrant à ses actionnaires un parfait contrôle de la chaîne de production. Des grandes fortunes se sont constituées sur cette fortification de l'agro alimentaire et de la grande distribution : les Leclerc, Mulliez (Auchan), Besnier (Lactalis) se sont engraissés… pendant que toute une partie du monde agricole, lui, restait composé de petits exploitants qui ne font plus le poids face à de tels géants. Selon l'Observatoire français des prix et des marges, seul 10%, en moyenne, du prix de vente d'un produit agricole revient aux producteurs.
Le PDG de Lactalis, Emmanuel Besnier, est l'un des hommes les plus riches du pays, avec une fortune estimée à plus de 25 milliards de dollars par le magazine Forbes. Pourtant, les producteurs de lait français gagnent en moyenne 25 100 euros par an…
- Des charges trop élevées : Parallèlement à ça, certaines charges ont augmenté, et de façon particulièrement forte ces deux dernières années avec l'inflation : En 2022, le prix des intrants utilisés par les exploitants pour leur activité agricole a augmenté de 25,9 %, selon le ministère de l'agriculture. Par “intrants” on désigne les engrais et amendements (dont les prix ont augmenté en 2022 de … 74,8 % !), l'énergie et des lubrifiants (+ 41,6 %), et les aliments pour animaux (+ 24,9 %). Comment ne pas comprendre que les agriculteurs se sentent étranglés ? Forcément, lorsque le ministre des finances Bruno Le Maire a annoncé la fin de l'avantage fiscal des agriculteurs sur le gazole non routier (GNR), la colère a franchi un cap. Comme au début du mouvement des gilets jaunes, les agriculteurs se mobilisent contre une taxation qui a des motifs écologiques (désinciter l'utilisation des énergies fossiles) mais qui va d'abord peser sur des gens qui sont déjà au bord du gouffre.

- Vivre des aides ou vivre de son travail ? La lourdeur des procédures administratives qui pèsent sur les agriculteurs français tient notamment au fait qu'une partie très significative de leur revenu est étroitement liée à l'obtention d'aides, à commencer par la fameuse PAC, pour “Politique Agricole Commune”. Les aides PAC ont originellement été établies dans l'après-guerre pour relancer le secteur agricole et pousser à sa modernisation. Mais depuis les années 90, les aides PAC servent en réalité à compenser la faiblesse des prix et les effets de la concurrence internationale. Il s'agit de maintenir une agriculture et de la pousser, timidement, à se réformer, notamment pour s'adapter aux évolutions environnementales. Il faut imaginer la complexité des dossiers : si une partie des aides PAC sont associées à des paramètres assez clairs comme le nombre d'hectares, d'autres critères sont liés à l'utilisation des pesticides, au mode de production etc. On imagine bien que pour un exploitant isolé, remplir chaque année des dossiers de subvention qui assurent toute une partie de ses revenus est particulièrement stressant… La dépendance aux aides PAC mine le moral des agriculteurs qui ont l'impression de ne pas réellement vivre de leur travail et de dépendre de l'évolution de la réglementation en la matière, qui est changeante. De plus, la faiblesse de leurs revenus rend 10% d'entre eux dépendants des prestations sociales que sont le RSA et la prime d'activité…. quand ils y ont recours, puisque, selon nos confrères de Reporterre, ils seraient 50 à 60% à ne pas demander les aides auxquelles ils ont droit. La nécessité des aides PAC et des prestations sociales mine le moral du monde paysan et nourrit la complexité administrative dont ils se sentent victimes.
2 – L'hypocrisie du gouvernement et des médias face à la colère des paysans
A l'heure actuelle, la mobilisation des agricultrices et agriculteurs est soutenue par l'intégralité des partis politiques et par une bonne partie des médias, y compris les plus à droite. Il semble bien que la radicalité des actions – blocages des autoroutes, dégradation des bâtiments publics, voire même l'explosion d'un bâtiment de la Direction générale de l'environnement de l'Aude, à Carcassonne, n'empêchent donc pas les bons bourgeois qui nous gouvernent de continuer de soutenir la mobilisation. Même les préfets, habitués à réprimer violemment les manifestations de tout type et de toute fraction de la population (gilets jaunes, cheminots, infirmières, pompiers, écologistes…) sont très complaisants envers le mouvement et leur assure une protection. Ainsi, le mardi 23 janvier, la police a organisé une escorte des tracteurs et autres véhicules venus larguer du fumier et des déchets devant des banques et des bâtiments publics, une séquence qui a suscité la surprise sur les réseaux sociaux.
Comment expliquer une telle complaisance des autorités politiques et médiatiques et que faire de ça ? Tout d'abord, il faut bien comprendre qu'elles n'ont pas vraiment le choix : d'abord, le mouvement est extrêmement populaire auprès de la population française. Selon l'institut Elabe, qui a fait un sondage le 24 janvier, le mouvement est approuvé par 87% de la population. C'est encore davantage que le mouvement des gilets jaunes dans ses débuts (approuvés par 73% des sondés). On y apprend que la population a une excellente image des agriculteurs et une forte empathie pour ses difficultés. Mais ça ne suffit pas à expliquer l'attitude du gouvernement : s'en prendre violemment à la mobilisation contre la réforme des retraites, pourtant ultra populaire, ne lui avait posé aucun problème.


Par contre, les préfets et le gouvernement savent que l'équipement des agriculteurs et leur détermination ne pourront pas être combattu aussi efficacement que des manifestants non motorisés et moins organisés. Car le rapport de force en faveur de la mobilisation est très très important, ne serait-ce que parce que le mouvement s'étend à l'Europe entière. Peu de professions arrivent à faire cela, et les paysans européens l'ont fait. Le mouvement de blocage a débuté en Allemagne, où des milliers de paysans se sont mobilisés au début du mois de janvier, simultanément à une exceptionnelle grève des cheminots. Le mouvement s'étend désormais à la Roumanie, à la Pologne, aux Pays-Bas… et
il débute en Belgique la semaine prochaine, qui va favoriser l'exportation vers l'Europe de produits agricoles, ou avec le Maroc, qui va favoriser la concurrence sur les fruits et légumes. Là encore, le gouvernement choisit de sacrifier les agriculteurs français au profit d'autres secteurs : l'accord avec le MERCOSUR vise explicitement à favoriser l'exportation d'automobiles européennes vers l'Amérique du sud. Le gouvernement n'a eu aucune politique volontariste pour réformer ou réorienter les aides PAC, qui continuent de favoriser les plus grosses exploitations agricoles (parce qu'elles sont basées notamment sur la surface exploitée) et donc à creuser les inégalités.
Le gouvernement est lié à l'industrie agroalimentaire, comme il l'est avec toutes les grandes entreprises : le ministre de l'agriculture, Marc Fesneau, a nommé une lobbyste de l'ANIA (Association nationale des industries alimentaires, premier lobby de l'agroalimentaire) au poste de conseillère communication. La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) a simplement exigé qu'elle n'entre pas en contact avec son ancien employeur… avec qui le ministère traite régulièrement.
3 – Des représentants officiels du monde paysan qui jouent un double jeu
Dès le début de la mobilisation, Gabriel Attal, le premier ministre, s'est empressé de recevoir Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles est le premier syndicat des agriculteurs exploitants (plus de 50% des voix lors des élections de représentants dans les Chambres d'agriculture), il est donc, pour le moment, l'acteur clef de la mobilisation. Mais face aux revendications de plus en plus claires des agriculteurs mobilisés, notamment sur la question centrale du revenu et le rejet de la concurrence internationale, il est de plus en plus clair que la FNSEA pousse son propre agenda.
Par exemple, concernant le libre-échange et l'accord avec la Nouvelle Zélande, le syndicat demeure très poli : “Nous serons vigilants à ce que les secteurs de production sensibles que sont la viande bovine, la viande ovine et les produits laitiers ne soient pas victimes d'importations qui dérèglent les marchés, écrit la FNSEA au sujet du traité de libre-échange. La Nouvelle Zélande continue à utiliser des produits tels que l'atrazine interdits en Europe. Il est indispensable que l'UE applique la réciprocité des normes, et que par des contrôles robustes aux frontières, le chapitre de l'accord dédié au développement durable ne soit pas qu'un miroir aux alouettes !” Il y a une belle ambiguïté dans ce communiqué : la FNSEA ne rejette pas en bloc une concurrence internationale dont ses adhérents pâtissent et elle demande “la réciprocité des normes”, sans préciser qui doit s'aligner sur qui… De telle sorte que le modèle ultra productiviste de l'agriculture néo-zélandaise pourrait être, pour la FNSEA, à imiter… On comprend bien que pour l'agro industrie qui profite des coûts de production agricole les plus faibles possibles, la réduction des normes environnementales soit un potentiel effet positif du libre-échange… Mais en quoi cela serait-il favorables aux agriculteurs français qui, comme beaucoup le disent sur les blocages, comme le relèvent nos confrères de Reporterre à qui des paysans bloqueurs de l'autoroute A64 ont déclaré : “on voudrait mettre en place des normes écologiques sur nos exploitations, c'est juste qu'il n'y a aucun accompagnement ou trop peu de financements pour cela”.
La FNSEA ne rejette pas en bloc une concurrence internationale dont ses adhérents pâtissent et elle demande “la réciprocité des normes”, sans préciser qui doit s'aligner sur qui… De telle sorte que le modèle ultra productiviste de l'agriculture néo-zélandaise pourrait être, pour la FNSEA, à imiter
La FNSEA et une partie de la classe politique profitent de la mobilisation pour stigmatiser le discours écologiste qui aurait nuit fortement à la condition des agriculteurs français. “La France était la première puissance agricole et on a sacrifié notre agriculture sur l'autel de la bobo-écologie parisienne” a ainsi déclaré le député LR Olivier Marleix. Depuis plusieurs années, à travers le concept d'”agribashing”, la FNSEA a fait de l'opposition aux mesures écologiques son cheval de bataille, et entend amener cette question comme revendication principale de la mobilisation actuelle. Pourtant, on ne peut pas dire que ce soit une politique écologiste qui se soit appliquée en France ces dix dernières années : l'interdiction du glyphosate, ce pesticide cancérigène, a été repoussée de 10 ans avec le soutien du gouvernement Macron, tandis que la gendarmerie nationale a créé, en coopération avec la FNSEA, une cellule chargée de lutter contre l'activisme écologique et antispéciste. Le gouvernement a aussi créé un nouveau label, Haute Valeur Environnemental (HVE) qui permet aux exploitations agricoles de toucher des aides réservées auparavant à l'agriculture biologique mais sans devoir respecter autant de contraintes en termes d'arrêt d'utilisation de substances chimiques. Bref, l'écologie agricole n'est pas au pouvoir, loin de là, et affirmer donc que les paysans seraient d'abord victimes des normes environnementales est un pur mensonge.

Mais pourquoi la FNSEA l'agite-t-elle, ce mensonge, alors qu'elle est au service des agriculteurs ? Alors qu'il est censé représenter tous les agriculteurs, dans leur diversité, la FNSEA est dirigée par des industriels. Son actuel président, Arnaud Rousseau, dirige aussi le conseil d'administration du groupe Avril, un groupe agro industriel international d'origine française spécialisé dans l'alimentation humaine, l'alimentation animale, l'énergie et la chimie renouvelable. Il possède des filiales comme Puget (huile d'olives), Lesieur ou Matines (les œufs). Le conflit d'intérêt est clair : cet homme est chargé de défendre des paysans que son propre groupe a plutôt intérêt à ne pas trop rémunérer, à diriger et à maintenir sous sa coupe. Dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant à ce que la FNSEA dirige la colère des paysans pour obtenir une réduction des normes environnementales et un alignement sur une concurrence internationale plus productiviste.
4 – Nous sommes tous des paysans : ce qu'ils subissent, nous le vivons aussi
L'omniprésence médiatique de la FNSEA suffit parfois à créer de la défiance envers la mobilisation actuelle. Mais après tout, n'est-ce pas notre lot à tous, toute profession confondue, d'être représentée syndicalement pas des gens qui ont intérêt à nous voir échouer dans nos revendications principales ? Après tout, le premier syndicat des salariés du privé est la CFDT, dont les secrétaires généraux successifs finissent quasi tous par bosser pour le gouvernement et la classe dirigeante ! Notre époque est celle des organisations syndicales et politiques faibles, peu fiables et facilement détournées par ceux qui nous oppriment. Les paysans ne font pas exception.
La surcharge administrative, nous la connaissons tous. Que cela soit au travail ou dans notre vie privée, le niveau de paperasse a atteint des sommets, et c'est une angoisse que nous vivons tous plus ou moins. Or, cela n'a rien à voir avec les restes de socialisme ou à des “normes environnementales”, comme les bourgeois aiment nous le faire croire. Au contraire, le niveau croissant de bureaucratie à tous les niveaux est lié à l'augmentation du capitalisme dans nos vies. Car celui-ci est tellement confus, incohérent et injuste qu'il doit sans cesse être corrigé pour que les choses continuent, malgré tout, de tourner.
Le niveau croissant de bureaucratie à tous les niveaux est lié à l'augmentation du capitalisme dans nos vies. Car celui-ci est tellement confus, incohérent et injuste qu'il doit sans cesse être corrigé pour que les choses continuent, malgré tout, de tourner.
Un exemple : autrefois, les salaires étaient indexés sur l'inflation. En France, c'est fini depuis Mitterrand. Depuis, l'inflation et la faiblesse croissante du rapport de force au travail ont réduit nos rémunérations. A tel point que désormais, toute une partie de la population, salariée et indépendante, ne peut plus vivre de son travail. Comme les paysans, nous sommes de plus en plus nombreux à être contraints à recourir à la prime d'activité, dispositif créé sous François Hollande pour que le contribuable compense les faibles salaires des salariés et les faibles prix des agriculteurs. Vous voulez une mesure de simplification ? Augmentez considérablement le SMIC, réinstaurez l'indexation sur l'inflation, instaurez un contrôle des prix des produits agricoles : nous serons payés par ceux pour qui nous travaillons, et pas par l'Etat. Une mesure de simplification administrative que ni la FNSEA ni le gouvernement ne soutiendront, et pourtant !

Toute la filière agricole pourra fonctionner plus simplement si elle n'était pas soumise à la pression financière et politique de la grande distribution et de l'industrie agroalimentaire. Si l'on veut sauver l'agriculture française, on peut répartir la valeur créée tout le long de cette chaîne, en encadrant les marges de tous les acteurs présents. C'est ce qu'a proposé au Parlement le groupe France Insoumise en novembre, cette proposition a été rejetée par la droite et la majorité. On peut aussi revenir en arrière sur l'ouverture à la concurrence internationale. La “mondialisation” n'est pas une nécessité historique mais un choix politique. Si, en tant que société, nous décidons de sauvegarder un secteur économique parce que nous y sommes attachés et que nous considérons, notamment pour des raisons écologiques, qu'il est absurde d'importer ce que nous mangeons, alors nous pouvons rétablir des barrières douanières au niveau national. Enfin, la complexité des “normes environnementales” tient au fait que nous sommes actuellement dans la demi-mesure : nous vivons dans un système absurde où, actuellement, pour passer en bio, c'est-à-dire produire de façon plus respectueuse de l'environnement, il faut payer des labels et des organismes certificateurs qui vont effectuer des contrôles… Il existe désormais des labels concurrents, entre le AB (agriculture biologique) ou le HVE (Haute valeur environnementale) et ce n'est lisible ni pour le producteur, ni pour le consommateur… parce que le législateur a voulu ménager la chèvre et le choux. Mettre fin à la logique des multiples labels, en proposer un seul, véritablement bio, certifié gratuitement par des organismes publics et avec d'importantes compensations financières, serait à la fois une politique écologique ambitieuse ET une immense mesure de simplification administrative.
Mettre fin à la logique des multiples labels, en proposer un seul, véritablement bio, certifié gratuitement par des organismes publics et avec d'importantes compensations financières, serait à la fois une politique écologique ambitieuse ET une immense mesure de simplification administrative.
Ce qui peut heurter le reste de la population, c'est la revendication, mise en avant par la FNSEA, de “la fin des normes environnementales”. Car oui, l'agriculture intensive pose des problèmes environnementaux et de santé publique, tout le monde le sait. Dans un département agricole comme la Charente-Maritime, l'eau potable est menacée par les pesticides : plusieurs captages ont dû être fermés et il va falloir des millions d'euros pour réussir, à terme, à filtrer l'eau. Le recul de la biodiversité et la disparition de nombreux oiseaux ne convient à personne, pas même aux agriculteurs. Il n'est donc pas très porteur que, face aux caméras, des agriculteurs mobilisés dans le Lot-et-Garonne tiennent des propos hostiles voire insultants envers “les écolos”. En faisant cela, ils s'attirent certes la sympathie des pouvoirs publics et des industriels qui, comme nous l'expliquions dans un précédent article, seraient trop heureux d'utiliser la colère des agriculteurs pour obtenir la possibilité de s'en foutre complètement de l'écologie (ce qu'ils font globalement déjà), mais ils risquent de se couper du reste de la population qui est très majoritairement favorable à une meilleure prise en compte de ce sujet.
Plus nous serons nombreux à rejoindre les agriculteurs et à les soutenir, en partageant des revendications communes – bien vivre de son travail est la première, arrêter de subir la mondialisation forcée en est une autre – plus nous pourrons les amener vers ce qui nous lie tous. En orientant la mobilisation sur la question écologique, forcément clivante parce qu'elle oppose le désir des paysans de produire plus et celle des citoyens de vivre dans un environnement plus sain et plus durable, la FNSEA, la droite, le RN et ses satellites veulent tuer ce qui pourrait conduire à la grande révolte sociale de l'année 2024. Comme au moment des Gilets Jaunes, c'est à la gauche et aux syndicats, ainsi qu'à l'ensemble des autres catégories professionnelles qui subissent le macronisme et le capitalisme de profiter de cette fenêtre de tir et de s'engouffrer dans le combat, aux côtés des agricultrices et agriculteurs. La CGT semble l'avoir compris : le jeudi 25 janvier, elle a appelé ses adhérents à rejoindre la mobilisation !
C'est un grand cap qui peut être franchi par rapport aux mouvements sociaux antérieurs. Car si cette grande révolte sociale advient, nous aurons bien plus qu'un chariot-élévateur à nos côtés.
Nicolas Framont
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Grande-Bretagne. Les femmes et la grève des mineurs de 1984-1985

En Grande-Bretagne, la grève des mineurs de 1984-1985 [sous le gouvernement de Margaret Thatcher initié en mai 1979] est un moment riche d'enseignements et d'histoires à la fois tragiques et stimulantes. L'un de ces aspects réside dans le formidable parcours des femmes du bassin minier.
Tiré de A l'Encontre
24 janvier 2024
Par Kelly Rogers
Le mouvement de soutien des femmes du bassin minier s'est mis en branle quelques semaines seulement après le début de la grève, le 6 mars 1984. Des groupes d'appui ont été créés dans chaque bassin minier par des femmes de la région, principalement des épouses, des sœurs et des filles de mineurs. Elles soutiendront la grève pendant 12 longs mois.
La classe
Dans Never the Same Again, publié en 1987 (The Women's Press Ltd), Jean Stead [journaliste ayant joué un rôle important dans la configuration de The Guardian depuis les années 1960, disparue en 2016] évoque les valeurs traditionnelles des communautés minières. Bien qu'il ne soit pas inhabituel que les femmes travaillent, le nombre de femmes ayant un emploi salarié est plus faible dans les régions minières qu'ailleurs. Il est généralement attendu des femmes qu'elles s'occupent des enfants et des tâches ménagères. Jean Stead écrit : « Au plus profond d'elles-mêmes, elles ont toujours su qu'elles étaient exploitées, mais elles savaient qu'au moins leur exploitation était parallèle à celle des hommes avec lesquels elles partageaient leur vie. C'est pourquoi les femmes de mineurs ne déversent pas, dans l'ensemble, leur amertume du passé sur les mineurs. Elles se plaignent des préjugés de leurs maris, mais elles s'efforcent de les changer, tout en s'occupant des enfants et en préparant les repas pour la fin du service. » Ce qu'elle veut dire, c'est que ce nouveau mouvement n'était pas « féministe » au sens habituel du terme. Certes, les hommes font partie du problème, mais leur situation est aussi le produit de l'exploitation de leur classe.
Il était important pour les femmes du bassin minier de prouver qu'elles étaient derrière leurs hommes. La plupart d'entre elles ne cherchaient pas à bouleverser l'ordre des sexes et étaient heureuses de coordonner le soutien dans les coulisses, en fournissant de la nourriture aux grévistes et à leurs familles. Au fil du temps, de nombreuses femmes se sont de plus en plus impliquées dans les dimensions plus politiques de la grève : organisation de rassemblements, entretiens avec la presse et piquets de grève. Mais là encore, une politique normative de genre se met en place : les femmes se présentent aux piquets de grève avec des banderoles et des pancartes pour soutenir les « vrais hommes » en grève et condamner les briseurs de grève (« scabs » – les « jaunes ») qui, selon elles, ont renoncé à leur masculinité en franchissant les piquets de grève. Quel triste état de fait, disaient-elles, que ces hommes aient besoin de femmes pour les remettre à leur place.
Le soutien à la grève n'était pas unanime. De nombreuses femmes s'inquiètent du prix à payer pour leur famille suite à la grève. La grève fait suite à plusieurs mois d'interdiction des heures supplémentaires décidée par le NUM (National Union of Mineworkers), et de nombreux ménages ont déjà du mal à joindre les deux bouts. L'antipathie à l'égard d'Arthur Scargill [dirigeant du NUM depuis 1982, jusqu'en 2002] était donc très répandue parmi les femmes de mineurs. Mais une forte culture solidaire prévalait dans les communautés minières et, quelle que soit l'opinion de chacun et chacune sur la grève, il était inconcevable pour la plupart des gens de rompre un piquet de grève. De nombreuses femmes du bassin minier étaient issues de familles de mineurs et leur loyauté envers le syndicat était profonde.
Les femmes politiques
Dans leur nouveau livre Women and the Miners' Strike 1984-1985 (Oxford University Press, octobre 2023) Florence Sutcliffe-Braithwaite et Natalie Thomlinson notent que des femmes ayant une expérience politique ont dirigé les groupes de soutien des femmes dans de nombreux endroits. Dans certaines régions, comme à Chesterfield dans le Derbyshire, les regroupements de solidarité sont nés des réseaux politiques existants. Betty Heathfield, membre du Parti communiste de Grande-Bretagne (CPGB) et épouse de Peter Heathfield, secrétaire général du NUM, y a créé un groupe qui a soutenu Tony Benn [personnalité représentant la gauche du Labour et fortement anti-impélialiste] lors de l'élection partielle de Chesterfield en février 1984 [il sera réélu régulièrement dans cette circonscription jusqu'en 2001]. Quelques semaines plus tard, il était tout à fait naturel que le même collectif se réunisse pour soutenir la grève des mineurs. Les femmes actives dans la campagne pour le désarmement nucléaire ou les syndicalistes ont également pris l'initiative.

Les femmes de Barnsley, la ville natale d'Arthur Scargill, ont été parmi les premières à s'organiser. En mai, elles ont organisé une marche nationale des femmes à travers la ville, qui s'est terminée par un rassemblement au Barnsley Civic Hall. Contre toute attente, plus de 10 000 femmes s'y sont rendues. Jean Miller, militante politique au sein du groupe de soutien de Barnsley, a décrit cette journée : « Ce fut vraiment l'expérience la plus passionnante de ma vie. L'atmosphère était formidable. Il y avait tellement de femmes qu'on avait l'impression que le sol allait s'effondrer. » Maureen Douglas, du Doncaster Miners' Support Committee, a pris la parole depuis la tribune : « Le rôle traditionnel des femmes a été sérieusement ébranlé au cours des huit dernières semaines… C'est une nouvelle expérience – nous avons dû repartir de zéro et créer nos propres organisations. C'est intimidant, mais cela a été fait. »
Cette journée a marqué un tournant dans le mouvement. A partir de ce jour, les groupes de femmes construisent un réseau national et s'organisent ensemble. C'est le rassemblement de Barnsley qui a inspiré la création de l'association National Women Against Pit Closures [contre la fermeture des puits], officiellement inaugurée trois mois plus tard, en août 1984.
Nourriture et fonds
Les femmes ont dû surmonter d'importants obstacles pour mettre sur pied leurs collectifs de soutien. A South Kirby, dans le Yorkshire, elles ont utilisé une tente sans eau courante pour préparer 570 repas par jour. Malgré ces difficultés, elles ont réussi à coordonner des cuisines et des colis alimentaires à une échelle colossale. Le groupe de soutien de Swansea, Neath et Dulais Valleys au Pays de Galles confectionnait environ 400 colis alimentaires par semaine en mai 1984, 900 par semaine en juillet et plus de 1000 à la fin du mois de décembre. A Hatfield, dans le Yorkshire, le groupe de soutien servait 300 dîners par jour au centre d'aide sociale des mineurs en juin ; en novembre, il préparait 500 repas par jour et envoyait 700 colis alimentaires chaque semaine.
Les groupes de soutien collectaient également des fonds, à la fois pour financer leurs activités et pour alimenter le fonds de lutte du syndicat. De nombreuses femmes ont dû quitter leur village pour voyager à travers le pays et à l'étranger afin de prendre la parole lors de réunions et de rassemblements.
Entre juillet 1984 et septembre 1985, le National Women Against Pit Closures a collecté plus de 710 000 livres sterling (près de 3 millions de livres sterling en monnaie actuelle – soit 3,5 millions d'euros). A Londres, environ 40 000 livres par mois ont été collectées par l'intermédiaire du comité de soutien officiel du NUM de Londres. Ce chiffre ne tient pas compte des innombrables efforts de collecte de fonds au niveau local. Des fonds ont également été collectés par le biais d'un programme de jumelage, dans le cadre duquel des groupes de soutien extérieurs aux communautés minières, des sections syndicales ou des groupes politiques « adoptaient une mine ». Women's Fightback a lancé un appel aux groupes Fightback locaux et aux sections féminines du Parti travailliste pour qu'ils agissent de la sorte.
Les prises de parole
Lorsque les groupes de soutien de femmes ont commencé à attirer l'attention de la presse, ils ont souvent été décrits comme traditionnels et ordinaires. En fait, il s'agissait d'un récit convaincant : une femme au foyer opprimée devenue militante. Cela a pu agacer certaines des femmes du bassin minier, qui étaient, dans l'ensemble, éduquées, éloquentes et très capables.
Cela dit, un très grand nombre de témoignages montrent à quel point la grève a été un facteur de transformation au plan personnel, en particulier lorsqu'il s'agissait de prendre la parole en public. Les femmes se sont lancées dans des exercices collectifs, discutant de politique et débattant des questions syndicales. Elles y sont parvenues avec une telle efficacité que nombre de leurs maris ont été surpris lorsqu'elles sont montées à la tribune. Doreen Hamber, de Blidworth dans le Nottinghamshire, a parlé de son expérience : « Je me suis vraiment lancée et je me suis laissée emporter. Ils n'arrêtaient pas de pousser des notes devant moi qui disaient ‘tais-toi maintenant', ‘tais-toi maintenant', mais je n'ai même pas regardé les notes ; j'étais juste emportée. Lorsque j'ai terminé et que je suis descendue de scène, mon mari s'est approché de moi et m'a embrassée. Il m'a dit : “Ce discours était fantastique.” Il était stupéfait que je puisse me tenir debout et parler de politique. Toutes ces choses que j'ai apprises, il a fallu qu'il assiste à une réunion pour m'écouter parler et se rendre compte que j'avais progressé en huit mois. »
Les piquets de grève
Certains grévistes étaient réticents à l'idée d'un piquet de grève tenu par des femmes. Outre qu'ils craignaient pour leur sécurité, certains pensaient que les femmes aggraveraient les tensions entre les grévistes et la police. Mais de nombreuses femmes étaient déterminées à manifester leur soutien de la manière la plus directe possible, en se tenant aux côtés de leurs hommes sur le piquet de grève.
Dans certains cas, les femmes ont commencé à participer au piquet de grève presque par accident. Dans une interview réalisée pour Women's Fightback, Sheila Jow, de Thurnscoe dans le Yorkshire, a décrit une de ces occasions en avril 1984. Un groupe de femmes s'était rendu à Ollerton, dans le Nottinghamshire, pour parler aux épouses des mineurs qui brisaient la grève. Elles voulaient convaincre les femmes, qui, pensaient-elles, pourraient ensuite persuader les hommes, que la grève n'était pas aussi difficile qu'il n'y paraissait à première vue. Sur place, elles rencontrent également les épouses des mineurs en grève, qui mettent en place une cuisine et demandent de l'aide. Ils retournent donc à Thurnscoe, rassemblent quelques bras supplémentaires et, quelques jours plus tard, reprennent le chemin d'Ollerton. Lorsqu'elles ont atteint la périphérie du Nottinghamshire, elles ont été arrêtées par la police, qui a bloqué leur bus et menacé de les arrêter. Sheila Jow raconte : « Nous avons décidé que si la police allait nous traiter comme des piquets de grève volants, nous pourrions tout aussi bien être des piquets de grève volants… Nous avons donc marché jusqu'à la mine de Harworth, à trois miles de là. » Le piquet de grève ne comptait que quelques grévistes, qui ont été ravis d'être rejoints par plus de 35 femmes de Thurnscoe, escortées par un cordon de plus d'une centaine de policiers.
Les groupes de soutien de femmes organisent également des piquets de grève réservés aux femmes. Dans la soirée du 11 octobre, 150 femmes ont dressé un piquet de grève devant la mine de Florence, dans les West Midlands. L'action a rassemblé des femmes de toute la région, qui avaient décidé de choisir cette mine en raison du nombre plus élevé que d'habitude de briseurs de grève. Jill Mountford, qui écrivait à l'époque pour Women's Fightback, a déclaré : « Il a été décidé que toute la soirée serait placée sous le signe de la fête… La joie a commencé dès que les femmes sont arrivées aux portes. Leurs chants, leurs danses et leurs moqueries incessants ont généré de l'énergie, de la confiance et de la solidarité. » Ce soir-là, elles ont réussi à refouler trois briseurs de grève.
Les piquets de grève féminins ont été traités de manière extrêmement violente par la police. Elles ont été traînées, bousculées et frappées. Elles ont été arrêtées et harcelées pendant leur détention. Aggie Currie a été arrêtée après avoir tenu un piquet de grève dans le Nottinghamshire : « Ils vous frappent, ils s'en foutent que vous soyez un homme ou une femme. » La photo désormais célèbre de Lesley Boulton, membre de Women Against Pit Closures (WAPC) de Sheffield, attaquée par un policier à cheval armé d'une matraque lors de la bataille d'Orgreave en juin 1984, en est peut-être la meilleure illustration.
National Women Against Pit Closures
La conférence inaugurale de la NWAPC (National Women Against Pit Closures) s'est tenue en juillet 1984 à Barnsley. Une cinquantaine de femmes issues des différents collectifs de soutien y assistent. Un « cercle restreint » s'est réuni avec Arthur Scargill et Peter Heathfield avant la conférence pour discuter de l'orientation de l'organisation. Les dirigeants du NUM tenaient à s'assurer que les « anti-Scargill » de la faction eurocommuniste du CPGB (Scargill était proche de l'aile stalinienne du parti) ne seraient pas en mesure d'occuper des postes d'influence. Cette division durera toute la durée de la grève, Scargill tenant l'organisation en laisse.
Les « scargillistes » tenaient à limiter l'adhésion des femmes de mineurs afin de minimiser l'influence politique extérieure. D'autres souhaitent construire un mouvement qui s'appuie sur la force des syndicalistes, des socialistes et des féministes qui s'engagent à aider. Lors de la conférence de novembre à Chesterfield, seules trois déléguées n'étaient pas des femmes de mineurs. Deux d'entre elles, Ella Egan et Ida Hackett, toutes deux eurocommunistes, plaident en faveur de « liens avec le mouvement pacifiste et les organisations féminines progressistes ». Elles espéraient que la construction d'un « front populaire » suivant ces orientations soutiendrait la grève, tout en remodelant la politique de la classe ouvrière pour qu'elle soit plus inclusive des mouvements féministes et autres mouvements sociaux. Betty Heathfield s'y opposa, défendant la ligne de Scargill : la seule priorité du NWAPC était de soutenir les stratégies du NUM. Heathfield et les autres partisans de Scargill remportent le débat, mais les tensions se poursuivent dans de nombreux groupes locaux. Dans certains cas, comme à Barnsley, les collectifs de soutien se divisent sur des questions comme celles-ci.
Greenham Common
Le féminisme était parfois un sujet controversé dans les villages de mineurs. Une femme, interviewée juste après la grève par Betty Heathfield, associe le féminisme à l'anti-famille : « Nous avons rencontré beaucoup de féministes et nous avons été insultées par beaucoup de féministes. Non pas qu'ils aient voulu nous insulter, mais nous voulons toujours être des femmes mariées. Nous voulons toujours aimer nos maris. Aimer nos enfants. »
Néanmoins, des liens importants ont été établis avec le mouvement des femmes au sens large. Au cours de l'été 1984, des cars ont été loués pour emmener les femmes du camp de Greenham Common [1] aux piquets de grève du Pays de Galles et du Nottinghamshire. Jean Stead décrit ces visites : « Elles arrivaient aux centres de soutien de manière inattendue et impulsive, comme elles le faisaient pour la plupart des choses. Un groupe apparaissait soudainement dans un collectif d'entraide de mineurs… sentant la fumée de bois. Elles commençaient alors à parler. Soucieuses de ne pas s'immiscer dans le monde extrêmement privé des communautés minières, elles étaient néanmoins déterminées à apporter leur aide si elles le pouvaient. » Les femmes de Greenham ont créé leur propre badge – « A Greenham ou sur le piquet de grève » – et ont passé le reste de l'été à tenir des piquets de grève aux côtés des mineurs et de leurs familles. Les femmes des communautés minières visitent Greenham Common en retour, et des liens de solidarité et d'amitié se tissent entre les deux « camps ».
Mais il existe de profonds désaccords politiques. Greenham était un camp pacifiste et les femmes ont discuté avec les mineurs, appelant à la non-violence sur les piquets de grève – une position qui a été accueillie avec incompréhension. Les mineurs étaient confrontés à des batailles quotidiennes avec la police. La non-violence n'était pas une option. Dans quelques cas, les femmes de Greenham ont convaincu les mineurs d'organiser des sit-in de protestation, mais ces expériences se sont révélées désastreuses. Lynn Clegg décrit une tentative de sit-in à Hatfield, dans le Yorkshire, en août 1984 : « Les gars ont été battus à mort… [Ils] n'ont même pas eu l'occasion de comprendre ou de se lever. Les policiers sont intervenus avec des matraques, frappant tout le monde et un garçon a été placé en soins intensifs. C'est le pire jour que nous ayons connu à Hatfield. »
Briseurs de grève
Dans le Nottinghamshire, plus de 27 000 mineurs brisent la grève. Ce fut la bataille décisive du conflit : mineurs contre mineurs. Pendant toute la durée de la grève, des mineurs venus d'ailleurs se déplaçaient pour tenir le piquet de grève dans les mines du Nottinghamshire. Des milliers de policiers hautement entraînés et semi-militarisés ont été envoyés pour terroriser ces « piquets volants » et les grévistes locaux.
Ceux qui ont fait grève, et les femmes qui les ont soutenus, ont eu du mal à s'en sortir. Les femmes du Nottinghamshire sont obligées d'occuper des centres d'aide sociale afin de remettre leurs cuisines en état de marche. A la mine de charbon de Clipstone, un groupe de femmes a pris possession d'un centre de jeunesse appartenant au National Coal Board [société gérant l'industrie charbonnière, créée en 1946]. Elsie Lowe, l'une des responsables de l'occupation, décrit la situation de l'époque : « Les gens commençaient à avoir faim. Nous savions qu'un millier de personnes n'avaient littéralement rien à manger… Nous savions que nous devions faire quelque chose. » Après six nuits d'occupation, les administrateurs ont accepté de leur donner un peu d'espace et ils se sont installés dans le St John's Ambulance centre, où il n'y avait qu'un vieux four sale. « La première chose que nous avons faite a été de nettoyer cette cuisine ! »
Dans certains anciens villages miniers, les divisions se font encore cruellement sentir. Dans le Nottinghamshire, les grévistes ont dû faire face à une violence extraordinaire de la part de la police, qui avait placé les villages en état de siège. Les voitures de police sillonnent les rues jour et nuit, les agents frappent les piquets de grève au hasard et pénètrent de force dans les maisons des mineurs grévistes pour les arrêter. John Lowe, le mari d'Elsie Lowe, a été arrêté alors qu'il était assis sur l'herbe devant sa mine : « Six policiers se sont jetés sur moi en même temps, mais j'ai été accusé d'avoir frappé deux policiers et d'avoir causé des lésions corporelles. »
Un groupe de femmes du Nottinghamshire s'est rendu à la marche des femmes à Barnsley en mai 1984. Elles racontent s'être senties coupables au début : « Les gens semblaient penser que nous étions toutes des briseurs de grève, ils ne se rendaient pas compte du nombre de grévistes dans le comté. » Mais très vite, elles ont été acclamées comme des héros et placées en bonne place au milieu du cortège. Elles ont fièrement traversé Barnsley en chantant “Notts are here ! Les Notts sont là !” » C'était une récompense bienvenue pour les sacrifices et les épreuves qu'elles avaient endurés.
Le NUM
En juin 1984, Jean McCrindle, du WAPC de Sheffield, écrivit au Sunday Times pour demander que les femmes des groupes de soutien puissent adhérer au NUM en tant que membres associés. Le NUM du Yorkshire et le syndicat dans son ensemble étaient majoritairement opposés à cette idée, mais le débat s'avéra important. Même lorsqu'il s'agit de gérer les cuisines, les femmes sont souvent empêchées par le syndicat. A Hetton, dans le comté de Durham, les femmes ont insisté pour qu'une réunion soit organisée afin de convenir des activités du collectif. C'était une expérience humiliante : « Les femmes devaient s'asseoir dans les escaliers, attendant que les hommes décident de leur donner la permission de les servir dans les soupes populaires. » A Woolley Edge, près de Barnsley, Betty Crook a vécu une expérience similaire. Dans l'interview qu'elle a accordée pour Women and the Miners' Strike (Les femmes et la grève des mineurs), elle se souvient qu'elle a dû recourir à la force pour obtenir ce qu'elle voulait : « J'ai été convoquée à une réunion pour l'aide sociale aux mineurs avec des syndicalistes, et il a tout d'abord été dit que nous n'étions pas capables d'assurer la soupe populaire. J'ai répondu : “Bien sûr que si”. On nous a répondu : “Vous ne savez pas comment la faire”. J'ai répondu : “Nous le pouvons”. On m'a dit : “Vous n'avez pas de couverts ni de vaisselle”. J'ai répondu : “Nous avons tout ce qu'il faut”. On me répond : “Vous ne pouvez pas assurer une soupe populaire”. J'ai répondu : “ça va se faire“. »
On peut se demander pourquoi les sections locales du NUM agissent de la sorte. Dans certains cas, il s'agissait de sexisme pur et simple : les membres de ces sections estimaient que les femmes devaient rester à la maison et ne pas se mêler des affaires syndicales. Mais les femmes ont également ébranlé le syndicat. Jean Stead écrit : « Les femmes ont remarqué qu'elles étaient elles-mêmes plus rapides à démarrer des projets, à les mener à bien, à avoir des idées et à les mettre en pratique… Les hommes étaient plus lents et plus conservateurs, moins inspirés. C'est pourquoi ils ont eu peur de laisser les femmes s'approcher du syndicat. »
Certaines femmes membres du NUM travaillaient dans des cantines de puits de mine, comme femmes de ménage ou comme employées de bureau. Pour ces femmes, s'impliquer dans le syndicat était souvent difficile. Jean Stead raconte l'histoire d'Alfreda Williamson, une employée de cantine, âgée de 18 ans, en grève. Chaque matin, à 4 heures, elle préparait le thé dans la salle de repos avant de rejoindre le piquet de grève aux portes de la mine de Murton, à Durham. Plus tard, elle retournait à la cantine pour préparer le thé, avant de faire la vaisselle. « Nous travaillions beaucoup plus dur que les hommes, et je l'ai dit à certains d'entre eux lorsqu'ils venaient se plaindre », raconte-t-elle. Elle a demandé à rejoindre les autres grévistes dans le bus NUM pour se rendre au piquet de grève et à être autorisée à faire le thé, mais le syndicat n'a pas accepté. Malgré cela, elle s'est battue pour convaincre les autres employées des cantines du NUM de soutenir la grève, une bataille qu'elle a souvent perdue : « Dans leur propre esprit, celles qui ont repris le travail l'ont fait parce que le syndicat ne s'est jamais soucié d'elles. »
Fin de la grève
La conférence qui décide de mettre fin à la grève a lieu le 3 mars 1985. Un vote serré – 98 délégués contre 91 – renvoie les mineurs au travail après des heures de débats tendus. Les retombées sont amères. 10 000 mineurs ont été arrêtés pendant la grève et des centaines ont été emprisonnés. Plus d'un millier d'entre eux ont été licenciés. Plusieurs cars de mineurs écossais licenciés rencontrent les délégués lorsqu'ils quittent le Congress House. L'un d'eux s'est écrié, alors que Scargill confirmait les résultats : « Nous vous avons donné nos cœurs, nous vous avons donné notre sang, nous vous avons tout donné et vous nous vendez… Vous êtes goudronnés et plumés avec le reste des bâtards galeux. » Il se met alors à pleurer.
Les femmes étaient tout aussi dévastées. Au début de la grève, Sheila Jow s'était adressée à Women's Fightback et avait déclaré : « Nous mangerons de l'herbe avant de repartir. Il faut se battre jusqu'au bout. » Ce propos a été répété des milliers de fois lors de réunions et de rassemblements dans tout le pays. Dans sa rétrospective de 1987, Jean Stead écrit : « Presque toutes les femmes étaient opposées à ce que les mineurs reprennent le travail. Elles n'avaient pas subi toute une année de privations et de difficultés pour céder à ce moment-là… Mais, en fin de compte, elles n'avaient pas le droit de vote et n'avaient pas vraiment voix au chapitre. »
Les mineurs reprennent le travail sous les bannières des syndicats. Dans de nombreux endroits, les groupes de soutien de femmes ont pris leur place au front.
Une semaine après le vote fatal, Ian McGregor, président du National Coal Board, déclare : « Les gens découvrent maintenant le prix de l'insubordination et de l'insurrection. Et nous allons faire en sorte qu'ils s'en souviennent ! » Des milliers d'emplois ont été perdus au cours des premiers mois qui ont suivi la fin de la grève. En 1991, il ne restait plus que 15 mines sur 174 000 et 160 000 emplois avaient été perdus.
La situation des familles de mineurs est désastreuse : les dettes se sont accumulées pendant la durée de la grève et il faut maintenant payer les factures, les loyers et les hypothèques qui avaient été gelés. Les collectifs de femmes ont continué à fonctionner dans certains endroits pendant encore deux ans pour les aider.
Se souvenir de la grève
En 1985, l'association North Yorkshire WAPC a publié une brochure intitulée Strike 84-5. Dans l'avant-propos, on peut lire : « Dans les bassins miniers, il y a une nouvelle génération de femmes qui n'ont que l'âge de la grève et qui ont gagné l'admiration des gens dans le monde entier. Elles se sont battues non pas derrière leurs hommes, mais côte à côte avec eux. Lorsque l'on écrira l'histoire de la grève, tout le monde sera d'accord pour dire que les femmes sont magnifiques. »
Cela reproduit un récit habituel et assez condescendant : avant la grève, les femmes de mineurs étaient arriérées et simples, mais elles ont été transformées par la grève. Ce récit passe sous silence les innombrables activistes des communautés minières qui ont construit le mouvement de soutien à partir de la base, ainsi que les syndicalistes, les socialistes et les féministes qui ont partagé leurs connaissances et ont passé un an à construire l'effort de solidarité peut-être le plus impressionnant que le pays ait jamais connu.
Mais il est vrai que les femmes ne se sont pas contentées de « soutenir leurs hommes ». Elles sont devenues les leaders de la grève. De nombreux membres du NUM voulaient s'assurer que les femmes restent des auxiliaires du syndicat, fournissant de la nourriture et des fonds mais restant à l'écart de la politique. En fin de compte, nombre d'entre elles sont devenues les décideurs dans leur foyer, veillant à ce que leurs hommes respectent la ligne de conduite. Elles ont parcouru le pays et voyagé à l'étranger pour prendre la parole lors de réunions et de rassemblements. Elles ont mené leurs propres batailles politiques pour décider des stratégies de leur mouvement. Sans leurs efforts, les mineurs n'auraient jamais pu faire grève aussi longtemps.
Les lignes de la guerre des classes ont été mises à nu par la grève des mineurs. Le gouvernement de Thatcher a entrepris de détruire l'une des industries les mieux organisées du pays et, en réussissant, a ouvert la voie à la société déréglementée, caractérisée par une inégalité galopante, dans laquelle nous vivons aujourd'hui. Quarante ans plus tard, il est plus important que jamais de regarder en arrière et de tirer les leçons de cette année décisive. Mais nous pouvons aussi nous inspirer des histoires de courage, de solidarité et de fierté qui jalonnent la grève.
Lorsque la grève a été annulée, Marlene Thompson, femme de mineur et militante, a écrit un poème pour marquer ce jour : « La tête haute, nous continuerons à lutter – Mais un briseur de grève reste un briseur de grève jusqu'à ce qu'il meure. » (Article publié sur le site Worker's Liberty, le 17 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Le Camp de femmes pour la paix à Greenham Common était un campement de protestation pacifiste contre l'installation de missiles nucléaires sur la base Royal Air Force de Greenham Common, dans le Berkshire, l'un des plus anciens comtés d'Angleterre où se trouve le château de Windsor. (Réd.)
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Un mois de gouvernement Milei en Argentine : libéralisme radical et attaques antidémocratiques

Après seulement un mois de gouvernement, le président Milei range dans un tiroir sa principale promesse de campagne : faire payer la crise économique par la caste politique. Ce sont bel et bien les travailleurEs, à commencer par les plus pauvres, qui payent le prix de l'austérité.
18 janvier 2024 | tiré de Hebdo L'Anticapitaliste - 691
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/un-mois-de-gouvernement-milei-en-argentine-liberalisme-radical-et-attaques
La principale mesure prise a été de dévaluer fortement la monnaie et de libérer les prix. Le résultat est une inflation de 25 % au mois de décembre, sans qu'on puisse entrevoir une diminution de celle-ci dans les prochains mois. Un seul exemple permet de l'illustrer : l'augmentation du prix des carburants fin décembre enclenchera une nouvelle spirale inflationniste et risque d'obliger à une nouvelle dévaluation, pour enclencher un troisième tour d'augmentations des prix. Pourtant son gouvernement aurait pu négocier avec la petite poignée d'entreprises pétrolières pour au moins échelonner l'augmentation. Mais son dogmatisme libéral le pousse à éviter toute intervention de l'État, même si ceci implique de modérer l'impact de ses mesures et de mettre en péril le succès de son plan économique. Son plan perd une dose de cohérence interne, tout en gardant son côté injuste.
Le projet de Milei : changer le pays à jamais
Cependant Milei ne se contente pas des mesures de court terme. Dans la foulée, il essaye de changer le pays à jamais : privatisation de toutes les entreprises publiques, dérogations aux lois de protection de la nature, dérégulation de tous les secteurs économiques, pour ne nommer que les points saillants. En tout, des centaines de modifications légales avec un méga-projet de loi et un décret présidentiel.
Ceux-ci doivent passer maintenant par l'Assemblée. Ce n'est toujours pas clair ce que feront le Parti radical (aujourd'hui de centre-droite) et les péronistes non alignés avec le kirchnérisme. Concernant le décret, au début ils se disaient contre, mais aujourd'hui leur opposition est de plus en plus tiède. Néanmoins, certains volets, notamment celui de la réforme du droit du travail, ont été suspendus provisoirement par la justice, constituant un premier revers pour le gouvernement. La Cour suprême de Justice doit se prononcer sur la constitutionnalité du décret.
Le projet de loi est débattu depuis le 9 janvier. Au début, le gouvernement ne voulait rien négocier, mais pour en faire approuver au moins une partie significative, ils ont été obligés de proposer des modifications. La dérégulation de la pêche a été modifiée face aux pressions du secteur, l'article obligeant une autorisation à toute réunion publique de plus de trois personnes va être retirée. Même la réforme électorale concernant les législatives va être modifiée, voire arrêtée. Cette dernière était très critiquée car, d'une élection à la proportionnelle directe par région, elle passait à une élection uninominale par circonscription. Un autre point, source de grandes critiques, est celui de la déclaration de l'urgence économique, qui donne les pleins pouvoirs au président pendant deux ans minimum, c'est-à-dire plus de pouvoirs et pendant plus de temps que lors de la pandémie de coronavirus.
Grève nationale le 24 janvier et solidarité internationale
Le résultat législatif et judiciaire est incertain. C'est la rue qui va changer la donne. Les casserolades, même si elles sont modestes, ont émergé depuis l'annonce du décret, et dans quelques quartiers de la capitale des assemblées populaires (comme celles de 2001) commencent à voir le jour. Mais le plus important est la grève nationale du 24 janvier. La bureaucratie syndicale (beaucoup plus puissante que la française) semble se réveiller d'un sommeil de quatre ans et appelle à une grève générale d'un jour tout en interpellant le péronisme (notamment l'ancienne présidente Cristina Kirchner et le candidat perdant de la dernière présidentielle Sergio Massa) pour agir. Cette journée de grève et de mobilisation peut être le début d'une opposition sociale solide aux politiques libérales de Milei.
Ici, en France, à l'appel de l'ACAF (Assemblée des citoyens argentins en France), de FAL (France Amérique latine) et de syndicats français (CFDT, CGT, FO, FSU, UNSA et Solidaires) un rassemblement est prévu le 24 janvier à 18 heures devant l'ambassade argentine à Paris (angle de la rue Cimarosa et de l'avenue Kléber, 75016 Paris — Métro 6 : Boissière).
Pour que vive la solidarité internationale face aux attaques des capitalistes !
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Argentine : la grève fait trembler l’ultra-droite de Milei

Le 24 janvier dernier, en Argentine, a eu lieu la première grève générale contre le gouvernement ultra-libéral et réactionnaire de Javier Milei. Organisée à peine un mois après son entrée en fonction, cette journée de grève et de mobilisations exprime une ferme opposition du mouvement ouvrier aux premières contre-réformes en matière de Droit du travail et droits démocratiques jusque-là garantis par la Constitution du pays.
Tiré de Inprecor 716 - janvier 2024
25 janvier 2024
Par Nicolas Menna
Les premières mesures de Milei comprennent : une dévaluation de plus de 100 % de la monnaie, une augmentation des impôts et la libéralisation de nombreux marchés (notamment immobilier) qui ont entraîné dès à présent une hausse des prix de plus de 40 % ainsi qu'une inflation qui ne descend pas en dessous de 25 % chaque mois ; des mesures qui ont déjà durement frappé les travailleurs/euses (dont 40 % travaillent dans le secteur informel) et les classes moyennes.
Privatisations et écrasement des classes populaires
En effet, avec un Décret de nécessité et d'urgence (DNU, qu'on pourrait qualifier de 49.3 argentin) et une loi « omnibus » (paquet de lois), le gouvernement veut déroger à des centaines de lois qui, jusqu'à présent, régulaient les relations de travail, le droit de grève, d'expression et de manifestation ainsi que la concentration de la propriété des médias, des entreprises et de la terre.
Le gouvernement cherche également à amplifier et étendre ses pouvoirs, d'une façon presque dictatoriale, afin d'appliquer son programme d'austérité qui implique des conséquences dramatiques sur les conditions de vie et de travail des classes populaires. Celui-ci prévoit la privatisation des entreprises sous contrôle de l'État, y compris l'entreprise nationale d'hydrocarbures YPF, les centrales atomiques (au nombre de trois dans le pays) et plus de 40 entreprises dans des secteurs stratégiques du pays (aviation, recherche, énergies, transports, communication …).
Une mobilisation qui pourrait déstabiliser le projet de Milei
Le mouvement de grève, initié par les organisations syndicales et sociales – piqueteros, organisations des quartiers populaires, des droits humains, gauche politique, parti-front péroniste « Union por la Patria » (Union pour la Patrie) - constituent une forme de pression pour que le Congrès National (Assemblée Nationale) refuse d'adopter le décret et le paquet des lois.
À ce stade, il n'est pas possible de connaître le taux de participation à la grève mais on sait qu'elle a eu un impact considérable sur les transports, le secteurs des hôpitaux, des services publics et du trafic aérien. Si elle a été fortement suivie par de nombreux syndicats, la grève n'a cependant pas été écrasante. Les manifestations, en revanche, ont donné le rythme à ce mouvement avec des centaines de milliers de personnes dans tout le pays, la plus grande quantité s'est concentré à la capitale où le slogan « l'Argentine ne se vend pas » a résonné devant le palais du Congrès. Ces mots-d'ordre ont été largement repris dans les discours et les chants des manifestants qui intiment aux élus de voter contre « la ley motosierra » (la loi tronçonneuse, en proposant un renversement du symbole utilisé par le candidat ultra-libéral pendant la campagne).
La présence des « Madres de Plaza de Mayo » (les mères des personnes disparues pendant la dictature militaire), symbole de la résistance, a contribué à fournir une forte charge symbolique à la manifestation.
Continuer à construire le rapport de forces
Après cette démonstration cruciale de la force du nombre, plusieurs juges ont déclaré l'inconstitutionnalité de certains articles de la loi, notamment ceux qui s'attaquent directement aux droits du travail. Ils ont également annulé la proposition d'augmentation des tarifs de transport ce qui a entraîné également un report de la loi d'une semaine afin de permettre au gouvernement de s'assurer une majorité désormais incertaine. Dans le même temps, les oppositions « molles » (y compris une partie des députés péronistes) se préparent à voter une loi qui est rejetée par l'immense majorité de la population.
Le rapport de forces est établi, mais il est nécessaire de continuer à pousser pour faire pencher la balance de manière décisive en faveur de la classe travailleuse.
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