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Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes : 𝐄𝐧 𝐦𝐚𝐫𝐜𝐡𝐞 𝐯𝐞𝐫𝐬 𝟐𝟎𝟐𝟓 !!

23 avril 2024, par Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF) — , ,
Oyé oyé ! Les membres se sont réunies hier pour définir certains aspects de l'organisation de la prochaine marche mondiale des femmes au Québec dont le LIEU du prochain grand (…)

Oyé oyé ! Les membres se sont réunies hier pour définir certains aspects de l'organisation de la prochaine marche mondiale des femmes au Québec dont le LIEU du prochain grand rassemblement !! Roulement de tambour !

Ce sera la région de la Capitale-Nationale qui aura l'honneur d'accueillir la 6e grande action mondiale ! Merci au Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale pour la candidature 🤩

À chaque 5 ans le mouvement de la Marche mondiale des femmes (MMF) se mobilise partout dans le monde, tenez-vous prêt·e·s pour un énorme rassemblement le 17 octobre 2025 !

Pour en savoir un peu plus sur l'histoire de la MMF 👇

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À propos des droits politiques dans l’armée ukrainienne - Vétérans français et soldat·es ukrainien·nes LGBTQIA+ solidaires

23 avril 2024, par Camille Popinot — ,
En avril 2024, d'anciens appelés du contingent de l'armée française ont signé une lettre en Soutien aux combattan·es ukrainien·es de la démocratie. Les signataires constatent (…)

En avril 2024, d'anciens appelés du contingent de l'armée française ont signé une lettre en Soutien aux combattan·es ukrainien·es de la démocratie.

Les signataires constatent que les militaires ukrainien·enes « ne sont pas privés du droit de parole » et qu'il existe plusieurs collectifs militants au sein même de l'armée ukrainienne (syndicalistes, féministes, LGBTQIA+). Il s'agit d'une liberté dont ils étaient largement privés quand ils étaient sous les drapeaux français et ils tiennent à saluer "l'esprit démocratique qui anime ces militaires".

La lettre a été communiquée à Військові ЛГБТ, le Syndicat des LGBTQIA+ ukrainiens en uniforme. Son président, Viktor Pylypenko, un militaire engagé dans les forces armées ukrainiennes s'est récemment vu retirer une médaille militaire après que les autorités religieuses ukrainiennes ont découvert son homosexualité. Le combat est donc loin d'être gagné, y compris dans l'armée ukrainienne.

Mais Viktor Pylypenko a pris le temps de répondre aux "vétérans français".

Nous publions ci-dessous la lettre de soutien et la réponse du président du syndicat ukrainien.

Soutien aux combattant·es ukrainien·nes de la démocratie

Hasard du calendrier, cette déclaration paraît presque jour pour jour pour le 50e anniversaire d'un appel paru en France à l'occasion de l'élection présidentielle de 1974 et signé par cent appelés du contingent qui exigeait, entre autres choses, le respect des libertés démocratiques au sein de l'armée française. La déclaration que nous publions aujourd'hui, alors que le peuple ukrainien et son armée résistent à l'invasion russe, est une occasion de montrer qu'il n'y a aucune incompatibilité entre l'exercice des libertés fondamentales et la conduite de la guerre. Tout dépend, évidemment, des objectifs de la guerre et de l'organisation des forces armées.

PATRICK LE TRÉHONDAT ET PATRICK SILBERSTEIN

Nous soussignés, anciens appelés du contingent dans l'armée, apportons notre soutien au peuple ukrainien en lutte contre l'agression impérialiste de la Fédération de Russie et particulièrement à celles et ceux qui résistent les armes à la main aux troupes russes. Dans des conditions très difficiles ils et elles luttent pour le droit à l'existence et à la souveraineté de leur pays et la sauvegarde de la démocratie.

En France, nous avons autrefois lutté pour que les militaires ne soient pas exclus de l'exercice des droits démocratiques car nous estimions qu'une armée qui ne cultive pas en son sein les droits humains fondamentaux ne peut prétendre défendre un pays démocratique.

Dans la guerre que mène l'Ukraine pour résister à l'impérialisme russe, nous constatons que les militaires ukrainien·nes participent librement aux débats démocratiques qui traversent la société et qu'il·elles ne sont pas privé·es de parole.
Nous constatons qu'il existe au sein des forces années ukrainiennes une association de femmes militaires, Veteranka, qui se fixe pour but « la défense et la protection des droits des femmes vétérans et du personnel militaire [féminin] actif ».

Nous constatons qu'il existe Військові ЛГБТ, le syndicat des LGBTQIA+ en uniforme qui se fixe pour objectif « de faire respecter leurs droits, [et] l'édification d'une société inclusive et égalitaire, incluant les minorités ».

Nous constatons que certains soldats ukrainiens portent sur leurs uniformes les insignes de leur organisation syndicale.

Nous constatons que les organisations de la société civile, notamment les syndicats, apportent un moral, politique et matériel à leurs membres sous les drapeaux.

Anciens appelés du contingent attachés à la démocratie et aux droits démocratiques d'expression et d'association aux armées, nous saluons l'esprit démocratique qui anime l'ensemble de ces militaires, hommes et femmes.

Les signataires
Aberdam, Serge, Base aérienne 117 (Balard)
Baron, Alain, 1er groupe de chasseurs (Reims)
Bourbon, Patrick, 16e régiment de chasseurs mécanisés (Saarburg, Forces françaises en Allemagne)
Brinon, Jean-Paul, 3e régiment d'infanterie (Radolfzell, Forces françaises en Allemagne)
Brody, Patrick, 51e régiment d'artillerie (Bitburg, Forces françaises en Allemagne)
Cochet, Jean-Pierre, 159e régiment d'infanterie alpine (Briançon)
Delmonte, Yves, Compagnie de montagne (La Valbonne)
Duffaud, Didier, 7e régiment de génie (Avignon)
Epsztajn, Didier, 730e compagnie de munitions (Forces françaises en Allemagne)
Fontaine, Didier, 32e régiment d'artillerie, Oberhoffen-sur-Moder
Galin, Bernard, 46e régiment d'infanterie (Berlin)
Gérardin, Dominique, 403e régiment d'artillerie anti-aérienne (Chaumont)
Godet, Jean-Luc, 8e régiment de hussards (Altkirch)
Gueniffey, Gérard, 3e régiment parachutiste d'infanterie de marine (Carcassonne)
Guerrier, Daniel, Centre d'instruction navale (Brest)
Hardy, Jean-Pierre, 4ee régiment de hussards (Besançon)
Himel, Arnold, 1er régiment du train (Paris-Mortier)
Hollinger, Yves, 24e GCM (Tubingen, Forces françaises en Allemagne)
Inizan, Christophe, Base navale (Brest)
Jean, Rémy, 3e régiment d'Infanterie (Radolfzell, Forces françaises en Allemagne)
Jeanne, Pierre, 3e régiment d'artillerie de marine (Vernon)
Laurenceau, Patrick, 1er régiment d'artillerie de marine (Melun)
Le Moal, Patrick, 8e régiment de hussards (Altkirch)
Le Pichon, Olivier, 6e régiment de cuirassiers (Olivet)
Le Tréhondat, Patrick, Base navale (Brest)
Lebrun, Philippe, 9e régiment d'artillerie de marine (Saarburg, Forces françaises en Allemagne)
Lecoin, Laurent, 1er régiment de spahis (Spire, Forces françaises en Allemagne)
Lerichomme, Jacques, Régiment du matériel (Rastatt, Forces françaises en Allemagne)
Lévy, Paul, 57e régiment d'infanterie (Souge)
Mahieux, Christian, Objecteur de conscience insoumis au service national
Malamoud, Antoine, Base aérienne 272 (Saint-Cyr-l'École)
Marx, Denis, 1er régiment du génie (Strasbourg-Neuhof)
Matheron, Yves, 405e régiment d'artillerie (Hyères)
Maurice, Charles, 159e régiment d'infanterie alpine (Briançon)
Morel, Philippe, École d'application du train (Tours)
Nauroy, Marc, 6e bataillon de chasseurs alpins (Grenoble)
Negroni, Bruno, 5e régiment de génie (Versailles)
Pasquet, Jacques, Caserne Foch (Rennes)
Percebois, Bruno, Base aérienne 112 (Reims)
Perret, Patrice, 81e régiment de soutien (Trèves, Forces françaises en Allemagne)
Petiteau, Jean-Jacques, 43e régiment d'infanterie de marine (Offenburg, Forces françaises en Allemagne)
Pigaillem, Jacques, 57e régiment de transmissions (Mulhouse)
Quintal, Yves, 9e régiment de hussards (Provins)
Rangot, Jean-Pierre, 43e régiment d'infanterie de marine (Offenburg)
Richard, François, 76e régiment d'infanterie (Vincennes)
Rosevègue, André, 51e régiment d'infanterie (Amiens)
Roussel, Michel, Camp de Canjuers (Var)
Sandelion, Jean-Paul, 3e régiment du génie (Charleville-Mézières)
Silberstein, Patrick, 2e régiment de hussards (Orléans), École d'application du train (Tours)
Valette, Jean-Paul, 53e régiment du train (Karlsruhe, Forces françaises en Allemagne)
Verrières, Jacques, 1er régiment d'artillerie de marine (Melun)
Vey, Daniel, Quartier général Frère (Lyon)

Courriel reçu le 17 avril 2024

Un message de Військові ЛГБТ : le syndicat des LGBTQIA+ ukrainiens en uniforme suite à la publication de la déclaration des anciens soldats français

Cher Patrick !

C'est un grand honneur d'accepter une telle lettre avec autant de signatures de dignes guerriers de France !

Nous avons déjà transmis cette lettre à tous nos hommes et femmes (400 personnes) - nous communiquons dans les chats de notre Confrérie d'Achille et de notre Fraternité, afin que tous ceux qui sont dans leurs unités et en première ligne puissent lire ces messages.

Nous aimerions également vous demander si nous pouvons publier votre lettre avec des signatures sur nos pages de réseaux sociaux ouvertes ?
Merci encore une fois pour votre soutien dans cette heure si terrible,

Sincèrement,

Viktor Pylypenko / Віктор Пилипенко
Chef de l'ONG Militaire ukrainienne LGBT+ pour l'égalité des droits

Turquie – Procès Pinar Selek – Le 28 juin, nous serons de nouveau à Istanbul

23 avril 2024, par Marche mondiale des femmes — , ,
Le 28 juin 2024, se tiendra à Istanbul une énième audience de l'inique procès entamé il y a 26 ans contre Pınar Selek, écrivaine et sociologue franco-turque, accusée (…)

Le 28 juin 2024, se tiendra à Istanbul une énième audience de l'inique procès entamé il y a 26 ans contre Pınar Selek, écrivaine et sociologue franco-turque, accusée fallacieusement de terrorisme et acquittée déjà 4 fois.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Car toutes les fois qu'une Cour de justice a examiné le fond du dossier, elle a conclu qu'il était vide de preuves. Pourtant, début 2023, Pınar Selek est de nouveau mise en accusation sans qu'aucune nouvelle pièce n'ait été versée à son dossier. Deux auditions -l e 31 mars et le 29 septembre- n'ont abouti à rien, sinon au renvoi à une nouvelle audience à laquelle Pinar Selek est à nouveau priée de se rendre en personne. Chose impossible et impensable, puisqu'un mandat d'arrêt, avec emprisonnement immédiat, est lancé à son encontre depuis janvier 2023. Plus encore, début 2024, la Turquie a adressé à la France une demande d'extradition en confirmant le mandat d'arrêt international. Enfermer Pınar Selek à perpétuité pour ses travaux de recherches, ses œuvres littéraires et ses prises de position en faveur des minorités kurdes et arméniennes, des mouvements féministes, des minorités LGBTQIA+ reste visiblement toujours l'obsession d'un certain pouvoir turc.

Nous, citoyen·nes européen·nes, militant·es pacifistes et féministes, élu·es français, scientifiques, professionnelles du droit, éditrices, artistes, nous tiendrons une fois encore aux côtés de Pınar Selek, en Turquie, en Europe et dans le monde, contestant cette inqualifiable torture judiciaire. Une nouvelle fois nous demandons au gouvernement français de réaffirmer son soutien à cette universitaire et citoyenne française, comme de refuser bien sûr la scandaleuse demande d'extradition. Nous nous adressons aussi aux élu·es européen·nes : il en va de la défense de la liberté académique et de la liberté d'expression, droits fondamentaux sans lesquels aucune démocratie ne peut exister.

Collecte de dons en vue de l'audience du 28 juin 2024 :
• via Internet : https://www.helloasso.com/associations/karinca/formulaires/1
• Ou par chèques : à Revue Silence – 9 rue Dumenge – 69004 Lyon, en notant ‘'Pinar Selek'' au dos.

Courrier N°430 de la Marche Mondiale des Femmes

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Marche pour la Palestine et contre le racisme.

23 avril 2024, par Omar Haddadou — , ,
Se réapproprier les Droits confisqués à travers la mobilisation. La cause palestinienne et la lutte contre le racisme occupent le devant de la scène en France. A Barbès, le (…)

Se réapproprier les Droits confisqués à travers la mobilisation. La cause palestinienne et la lutte contre le racisme occupent le devant de la scène en France. A Barbès, le cortège parisien a rassemblé, ce dimanche 21 avril, plus de 3.000 manifestants (es).

France.

De Paris, Omar HADDADOU

« A partir d'aujourd'hui, tout change à la Casbah ! (Ali la Pointe, le Révolutionnaire)

Une haine obsessionnellement « overdosée » ! Chroniqueurs et Analystes des médias français, de la trempe de Finkielkraut, biberonnés dans les nurseries nauséabondes de l'Extrême Droite, parlent impudemment du massacre inédit des Palestiniens (es) depuis le 7 octobre, « D'idiologie victimaire ». Le Philosophe s'est même indigné après que des étudiants ont occupé et baptisé « Gaza », l'amphithéâtre Emile Boutmy.
A Gaza, un enfant est tué ou blessé toutes les dix minutes, portant à 33 899 morts.
Je n'en dis pas plus ! Si ! Une info croustillante qui vient du front, relayée par l'Envoyé spécial de RFI au moment où les bombardements sur Gaza redoublent de férocité et d'animalité.

Le Journaliste avait pour mission de prendre la température de l'ambiance sur une plage à Tel Aviv, en ce samedi ensoleillé du 20 avril 2024. Un des Surfeurs exulte : « Le soleil est de retour, on a sorti les planches et la crème solaire. C'est un pur bonheur ! ».

Même ressenti de félicité chez les baigneurs (es), inquiets certes, qui ont pour vis-à-vis une un peuple immolé avec la bénédiction du Président sortant Biden - éligible à un second mandat - dont la stratégie consiste à éviter à ses troupes tout enlisement sur le terrain. En débloquant, à l'issue du vote au Congrès, aujourd'hui, les 61 Milliards de dollars pour l'Ukraine, 7 pour l'Etat hébreu, 8 pour Taïwan, le Président des Etats-Unis semble enclin à déroger à la tradition trop brutale, par le message implicite suivant : « Je préfère envoyer d'énormes sommes que des hommes ! ».

D'autant que les foyers de tension, dont le récent s'ébauche en Irak, reprennent de plus belle. Profitant de l'escalade multipolaire, l'unité ultra- orthodoxe israélienne, d'après la même source française se basant sur des vidéos, aurait pris d'assaut (visages masqués), un village palestinien, faisant des victimes dont un couple de jeunes mariés. D'où la déclaration ex-abrupto de Washington, ce lundi, « de sévir contre Netzah Yehuda ».

Dans ce contexte d'affrontements meurtriers et de rééquilibrage des rapports de force, ce que l'Amérique entreprend, l'Europe le sacralise obséquieusement !
Il faut rendre grâce à Netanyahou qui a forcé l'Histoire par le tragique pour que les peuples africains s'affranchissent de la domination et l'humiliation.
Il n'y aura pas de guerre nucléaire ni de collision majeure entre l'Iran et Israël, mais une réhabilitation d'un respect mutuel entre un Occident arrogant et le reste du monde.

C'est dans cette perspective d'équité que l'Algérie, par la voix de son représentant permanant auprès des Nations unies, Amar Bendjama, a appelé les membres du Conseil de sécurité à accepter l'adhésion de la Palestine en tant que membre à part entière auprès de l'ONU : « Il s'agit d'une étape essentielle pour rectifier une injustice de longue date ». Requête aussitôt torpillée par le Véto américain.

Il n'y aura pas de cause perdue. Et pour preuve le Président algérien, Abdelmadjid Tebboune, comme la rue parisienne, ne lâcherons pas la Palestine ni abdiqueront devant le racisme florissant que des milliers de personnes dénonçaient ce dimanche à Barbes dans le 18ème arrondissement.

Une forte mobilisation interdite par le Préfet de Police, puis autorisée par la Justice, grâce à la combativité d'un jeune avocat (d'origine algérienne) accueilli avec des yous yous ! Une deuxième victoire collective qui a galvanisé le cortège, conduit par les ténors de la France Insoumise (la Présidente Mathilde Panot, Eric Coquerel, Daniel Obono…) sous l'œil bien-aise de Mélenchon.

Progressant derrière une banderole frappée du slogan « Nos enfants sont en danger », les participants, en soutien à la Palestine, avaient répondu à l'appel d'une cinquantaine d'organisations dont le NPA, Attac et Solidaires. Une tribune dressée Place de la République abritait « les coups de gueule » des intervenants (es), dénonçant les carnages dans la bande de Gaza.

Celui de l'impétueuse Panot, était au final, bien incisif : « Nous n'acceptons pas, dans notre pays comme ailleurs, qu'il ait un racisme, notamment une Islamophobie depuis que la Guerre au Proche-Orient a pris des proportions encore plus grandes ».

A 96 jours des Jeux Olympiques, le Comité craint une exacerbation des mouvements sociaux, un impact de la tragédie à Gaza, et surtout les retards accumulés de livraison des chantiers, mettant les ouvriers à très rude épreuve ! Un monde disloqué, à force de cumuler les arbitraires !
O.H

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Premières secousses

23 avril 2024, par Éditions de la Fabrique — , ,
Au fil des saisons, nous avons formé des cortèges bigarrés, muni·es de bêches, de mégaphones et de meuleuses, vêtu·es de bleus de travail et de combinaisons blanches, (…)

Au fil des saisons, nous avons formé des cortèges bigarrés, muni·es de bêches, de mégaphones et de meuleuses, vêtu·es de bleus de travail et de combinaisons blanches, escorté·es par des oiseaux géants… Nous avons traversé les bocages et les plaines, arpenté les vallées industrielles et le bitume des usines – et même frôlé les cimes alpines.

Nous nous soulevons pour défendre les terres et leurs usages communs. Contre les méga-bassines, les carrières de sable, les coulées de béton et les spéculateurs fonciers, nous voulons propager les gestes de blocage, d'occupation et de désarmement, pour démanteler les filières toxiques. Nous nous soulevons parce que nous n'attendons rien de ceux qui gouvernent le désastre. Nous nous soulevons parce que nous croyons en notre capacité d'agir.

Depuis des siècles, du nord au sud, des mouvements populaires se battent pour défendre une idée simple : la terre et l'eau appartiennent à tou·tes, ou peut-être à personne. Les Soulèvements de la terre n'inventent rien ou si peu. Ils renouent avec une conviction dont jamais nous n'aurions dû nous départir.

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Une nouvelle revue sur l’Internationalisme et la démocr@tie : Adresses

23 avril 2024, par Martin Gallié — ,
En janvier 2024, un collectif d'anonymes a lancé une nouvelle revue, Adresses – Internationalisme et démocr@tie. Le titre est un « clin d'œil à l'Association internationale des (…)

En janvier 2024, un collectif d'anonymes a lancé une nouvelle revue, Adresses – Internationalisme et démocr@tie. Le titre est un « clin d'œil à l'Association internationale des travailleurs de Marx et de Bakounine et un appel à la mise en place d'un outil international et internationaliste de réflexion, de partage et d'échanges ».

Les objectifs des responsables sont clairs et ambitieux :

« faire renaître la capacité à discuter et à élaborer ensemble pour que s'ouvre – à la lumière de nos expériences multiples qui se sont souvent frottées les unes aux autres – une large discussion pour faire de la révolution une utopie concrète, pour permettre des synthèses ».

Les deux premiers numéros (23 janvier 2024 ; 15 mars 2024), contiennent de précieuses contributions sur des enjeux d'actualité, la guerre en Ukraine ou en Palestine/Israël, sur des questions davantage théoriques comme les divisions de la gauche internationale, le concept d'« impérialisme multipolaire » ou la « coopération antagoniste » entre la Chine et les États-Unis, ou d'anciens textes, mais toujours d'actualité, de militant.es socialistes.

Ils offrent également un regard « décalé » ou « décentré » comme par exemple de passionnantes études sur l'histoire des luttes féministes en Iran. Celles-ci ouvrent des riches perspectives d'analyses sur les effets systémiques de la marginalisation plus ou moins délibérée des contradictions de « classes de sexe » par la gauche anti-impéraliste, au nom de « l'ennemi principal ».

Ce regard « décentré » c'est également celui de militant·es russes qui produisent un manifeste pour un « Monde durable » dans lequel ils et elles détaillent assez précisément, ou du moins juridiquement, les conditions d'une paix durable avec l'Ukraine et le fonctionnement souhaité des institutions internationales comme l'ONU.

À l'heure où le fascisme, le sexisme, les impérialismes (« grands » ou « petits »), les multinationales sont « à l'offensive partout sur la planète » et où la gauche québécoise et canadienne, notamment, sont silencieuses ou profondément divisées sur la lecture des événements internationaux, cette nouvelle revue offre effectivement un riche matériau pour ouvrir une « large discussion » et tenter de dépasser certaines contradictions.

Reste que pour qu'une telle discussion puisse aujourd'hui avoir lieu, il faudra peut être « renouveler » nos habitudes et trouver « comment, dans l'action, concilier l'intransigeance de la conviction ferme avec la tolérance et le respect de « celui qui pense autrement » réclamé́ autrefois par Rosa Luxembourg ? », pour reprendre un extrait du texte de Victor Serge publié dans le dernier numéro d'Adresses.

"Les femmes du coin de la rue" : La vie en miettes

23 avril 2024, par Jean-François Laé — , ,
Nous voilà plongé·es dans un journal d'enquête de longue haleine. On ne le lit pas pour se donner un air curieux envers le 18e arrondissement, au nord de Paris, ou par un vague (…)

Nous voilà plongé·es dans un journal d'enquête de longue haleine. On ne le lit pas pour se donner un air curieux envers le 18e arrondissement, au nord de Paris, ou par un vague souci de la pauvreté qui ronge quelques trottoirs. On ne le lit pas plus pour se payer un voyage au pays des « brebis noires », histoire de clore ses lectures de fin de vacances et pour quelques conversations de salon. Car le lire, c'est se ramasser un coup dans le bas-ventre, se courber en montant un escalier, entendre crier une douleur dans l'enfer quotidien de ces femmes, toutes des damnées de la terre, et enfin écouter leurs voix nous susurrer quelques mots… jusqu'à nous.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Postface de Jean-François Laé au livre de Patricia Bouhnik : Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité

Avec l'aimable autorisation des Editions Syllepse

Ce journal est gros de narration, traversé d'un fort désir de voir, d'entendre et de savoir.

Pendant combien d'années Patricia Bouhnik a-t-elle bourlingué dans le triangle Stalingrad – porte de la Villette – porte de la Chapelle, à observer cette mise en marge contre le périphérique ? Dans cette zone hybride, les marqueurs de la grande pauvreté sont là : vieux, jeunes, migrant·es ou non, et ces vieilles femmes invisibles parce que vieilles.

Combien d'années lui aura-t-il fallu pour s'approcher de leurs lèvres, en s'interdisant délibérément tout sentimentalisme, restant des heures sans broncher et en toute sagesse pour s'avancer encore lentement vers leurs déambulations hésitantes ? Ce que Patricia Bouhnik tente de restituer avec une vaillance qui force le respect, c'est la réalité du monde de celles qui n'ont plus rien, dépossédées de chaque jour, mais qui parviennent à porter de l'énergie plus avant et composer quelques aires de repos. Les désaffiliées oubliées, dirait Robert Castel ; « l'être-frontière qui n'a pas de frontière », répondrait Georg Simmel ; une vie en reste, ajouterait Zygmunt Bauman1 !

La réussite de cette proximité affectueuse tient à son talent à « explorer de près » – depuis des décennies – ces expériences sombres, des vies cachées et blessées. Déjà en 1990, avec ces enfants atteints d'un cancer venus d'Algérie pour se faire soigner et auprès de qui elle était institutrice, son attention vivement grandie envers leurs appels était frappante ; suivie par son engagement d'enseignante à la cité de transit du Port, à Gennevilliers, avec tant de liens qui perdureront ; puis les usages de drogues dans les quartiers populaires du « 93 », les petits « usagers-revendeurs », devenant des hommes-frontières entre des milieux qui s'ignorent : consommateurs, vendeurs, proches, pairs et des parents morts de trouille ; puis par un saut de mur, cette fois au parloir d'une prison, où certains échouaient quand ils avaient rompu leurs derniers ancrages, pour décrypter leur réflexivité biographique.

Quel incroyable continuum dans ce puzzle en morceaux ! Car toutes ces enquêtes s'adossent les unes aux autres et se parlent entre elles.

Et que de temps consacré à se familiariser, à se glisser dans le bon endroit au bon moment, à faire signe d'une disponibilité, se créditer d'une proximité biographique, se dédoubler férocement pour ne pas créer d'embrouille, à braver les soupçons de subjectivité ou de position partisane !

Produire de la confiance est un immense travail de conviction. Ne pas céder, suivre celles et ceux qui ont rompu avec leurs derniers ancrages, faire signe d'amitié, gagner des morceaux de confidence, s'ajuster à leur tempo, sentir les frontières de respectabilité, mettre en jeu des affects pour atteindre l'autre rive, cette zone si fragile de survie : le métier d'enquêtrice se révèle. Il consiste à faire éprouver aux lecteur·trices la coprésence, l'attention réciproque, les détails des cheminements. Éprouver des situations pour délier des événements, les comprendre. Les comprendre avant d'expliquer, cette méthode compréhensive nous ouvre des vues étonnantes de précision.

À bout d'oubli, ces femmes

Les femmes – dans ce paysage – complètement oubliées ? Comment s'en étonner tant on leur a appris à souffrir en silence. Savoir s'effacer est un art. Disparaître, un formidable exploit. Se masquer, éteindre l'incendie, retenir et se réconcilier. Se couvrir, s'éclipser pour un rien, adoucir l'eau bouillante, bercer les enfants, refouler l'accusation, s'enfermer en cas de danger : la menace subie, le chantage, le trafic, l'argent si rare, les excès. Rien n'y fait. S'incliner est un apprentissage de genre ; se retirer sur la pointe de pied, le sacrifice ultime.

C'est de ça que nous parle cet ouvrage. Ces filles, ces femmes, ces mères, ces grands-mères répètent ce qu'on leur a dit de répéter. À bout d'oubli, d'endurance et de survie, invisible et monotone comme la prison ou la prostitution, ces femmes échangent avec Patricia Bouhnik comme nul·le autre pareil·le. Le miroir narratif tendu est coupant comme un rasoir.

Ces femmes expliquent comment faire profil bas, comment circuler pour rester invisibles. Il s'agit de marcher sur les frontières des zones de passage – chambres d'hôtel, compagnons de fortune –, des points de replis sur des recoins – embrasures, bancs, friches, stations de métro, gares –, ou de rejoindre des regroupements discrets en squats ou chambres proposées dans des foyers, hôtels sociaux, centres d'hébergement d'urgence ou associatifs, appartements vétustes ou précaires ; avec parfois un passage en prison ou aux urgences psychiatriques. La tournée de ces lieux éclaire les nuits de dépendance et de pénitence. Ne jamais s'arrêter de circuler. Passer de lieu en lieu en courant, c'est le prix à payer pour gagner une petite sécurité sans agression, en attendant un pli de rue, un recoin ou un bout de chambre pour se réfugier.

Imperceptibles, incapables, incompétents, indigents, indignes, infâmes, infirmes. La liste est longue de ces forces négatives, de ces dominations souterraines, de ces mots mi-juridiques mi-psychiatriques qui peuplent le langage institutionnel jusqu'à contaminer l'ordinaire de ces femmes. Cette série des « in- » marque les gestes, les actes moteurs autant que les actes mentaux. Dans ces interstices, le droit n'agit qu'en « négatif sur » les modes de repos, les circulations, les recoins, les manières de se laver, d'aimer même. Femme vieille, seule, sans attache, pauvre de surcroît, mal née et mal aimée, chaos humain comme autant de cicatrices, dans ce sous-sol strié de menace existentielle imminente, nous sommes bien au bord du féminicide. Et pourtant, elles résistent à tous ces vents contraires, « elles résistent tant qu'elles le peuvent pour éviter de se voir imprimer des marques d'infamie à même la peau ».

Jean-François Laé2

Rappel :
Préface de Coline Cardi : « Jusqu'à l'os » au livre de Patricia Bouhnik : Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/29/preface-de-coline-cardi-jusqua-los/

1. Zygmunt Bauman, La vie en miettes : expérience postmoderne et moralité, Paris, Fayard, Pluriel, 2010.

2. Sociologue, professeur émérite à l'Université de Paris 8, chercheur au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa), il a notamment publié Une fille en correction op. cit et Parole donnée : entraide et solidarité en Seine-Saint-Denis en temps de pandémie, Paris, Syllepe, 2022.

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Patricia Bouhnik : Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité

https://www.syllepse.net/les-femmes-du-coin-de-la-rue-_r_22_i_1067.html

Pour une politique écoféministe d’Ariel Salleh,...

23 avril 2024, par Ariel Salleh, Jeanne Burgart Goutal, Vandana Shiva — ,
Pour une politique écoféministe d'Ariel Salleh, on vous propose de découvrir la préfacière et la postfacière de l'oeuvre - respectivement Vandana Shiva et Jeanne Burgart Goutal (…)

Pour une politique écoféministe d'Ariel Salleh, on vous propose de découvrir la préfacière et la postfacière de l'oeuvre - respectivement Vandana Shiva et Jeanne Burgart Goutal - qui apportent chacune une mise en relief pertinente et actuelle de ce classique de la pensée écoféministe.

L'écoféminisme, mot apparu en 1974 sous la plume de Françoise d'Eaubonne en France, est un concept pluriel qui s'est coconstruit de manière simultanée à plusieurs endroits du globe : en Allemagne avec Maria Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen, en Inde avec Vandana Shiva, aux États-Unis avec Rachel Carson et Carolyn Merchant ou encore au Kenya avec Wangari Muta Maathai. Cette diversité des approches en fait un mouvement riche, nourri de plusieurs vécus, et nous sommes fier·es de pouvoir offrir au lectorat français l'angle de l'australienne Ariel Salleh. Pour elle, l'écoféminisme est la préfiguration d'une synthèse politique regroupant 4 révolutions aux problématiques communes : écologie, féminisme, socialisme et post-colonialisme.

VANDANA SHIVA

« Ce livre rassemble d'indispensables éclairages pour passer du paradigme de la mondialisation patriarcale capitaliste à un monde de non-violence – dans nos esprits et dans nos vies. »

Née en 1952, Vandana Shiva est une physicienne, militante écologiste et écoféministe indienne d'influence mondiale. Elle dirige la Fondation de recherche pour la science, la technologie et l'écologie, et a fondé l'ONG Navdanya destinée au développement de l'agriculture biologique. Elle a écrit plus de 20 livres, dont Restons vivantes : femmes, écologie et lutte pour la survie (2022, Rue de l'échiquier), et Monocultures de l'esprit (Wildproject, 2022). En 1993, elle reçoit le prix Nobel alternatif « pour avoir placé les femmes et l'écologie au coeur du discours sur le développement moderne ».

JEANNE BURGART GOUTAL

Agrégée de philosophie et professeure de yoga, Jeanne Burgart Goutal mène depuis près de dix ans une recherche sur l'écoféminisme, mêlant approche théorique et vécue. Elle est notamment l'autrice du livre Être écoféministe. Théories et pratiques (L'Échappée, 2020, prix de la Fondation de l'écologie politique) et d'un roman graphique, Resisters (Tana, 2021).

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L’antagonisme fédéralisme indépendance : bientôt un nouveau rebond ?

23 avril 2024, par Jean-François Delisle — , ,
On peut se poser la question au vu des événements des dernières semaines. Tout d'abord le chef du Parti québécois, Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP) a étoffé son discours et a (…)

On peut se poser la question au vu des événements des dernières semaines. Tout d'abord le chef du Parti québécois, Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP) a étoffé son discours et a remis la question du statut du Québec (en fait celle de la souveraineté) à l'ordre du jours au cours de son vigoureux discours d'il y a trois semaines. Il a même promis de tenir un troisième référendum sur la souveraineté si le parti qu'il dirige accédait au pouvoir. Mais surtout, ce qui inspire le plus les cadres et responsables, c'est qu'il connaît une remontée que même les observateurs les plus perspicaces et les indépendantistes les plus enthousiastes ne pouvaient prévoir voici à peine quelques années encore.
Par ailleurs, la tranquille assurance (que certains qualifieraient d'arrogance) des libéraux fédéraux commence à s'en trouver fissurée. On ne se rend pas toujours assez compte que depuis l'échec du référendum d'octobre 1995, le point du vue trudeauiste sur le Canada a triomphé. Même si Justin Trudeau n'a conquis le pouvoir qu'en 2015, il a consolidé encore davantage les vues de son défunt père dans la capitale fédérale. Pierre Élliott Trudeau (PET) a laissé un héritage intellectuel anti-nationaliste québécois qui a marqué à divers degrés l'ensemble de la classe politique à Ottawa, sauf le Bloc québécois bien entendu et ce, en dépit de la vaine et modeste tentative des conservateurs de Brian Mulroney (fin de la décennie 1980 et début de la suivante) de "réintégrer dans l'honneur et l'enthousiasme" le Québec au sein de ce qui est erronément nommé la "Constitution" canadienne, en vigueur depuis 1982.
Un exemple caricatural : le proclamation à tout vent de Justin Trudeau que le Canada est un "État post-national". Il rejoint et prolonge ainsi l'idéologie multiculturaliste de son père pour qui le Canada était pour l'essentiel formé d'un ensemble de minorités, dont la plus importante sur le plan numérique est celle des "Canadiens-français". Cette position intransigeante niait la théorie des deux nations sur laquelle s'appuyait le mouvement souverainiste.
Lors d'un débat durant les années 1970, à Trudeau qui défendait bec et ongles son opinion, le syndicaliste Michel Chartrand avait répondu, cinglant :
"Ici, c'est un pays, pas une aérogare".
Les premiers ministres québécois qui se sont succédé, depuis Lucien Bouchard (1996-2001) et Bernard Landry (2001-2003), ont tous adopté une attitude "low profile" sur la question des revendications constitutionnelles du Québec, sauf Pauline Marois (septembre 2012-avril 2014), mais son bref passage à la tête du gouvernement ne lui a guère permis de laisser une empreinte profonde sur cette dimension de notre existence collective. Paul Saint-Pierre Plamondon partait donc de loin et de creux lorsqu'il a pris la direction du PQ le 9 octobre 2020 avec un ferme discours souverainiste.. Au scrutin de 2022, bien des analystes politiques donnaient le parti fondé par René Lévesque pour moribond. Or, de 9% d'intentions de vote au déclenchement de la campagne électorale, le Parti québécois a presque rejoint Québec solidaire en terminant la course électorale à 14%. Au dernier sondage en date, il a grimpé à 34%, Québec solidaire devant se contenter de 18%.
Pour la première fois depuis belle lurette, le multiculturalisme "canadian" et sa version canadienne-française sont attaqués de front et on recommence à parler sans complexe de la nation québécoise et de son droit à l'autodétermination.
Pour les jeunes d'aujourd'hui qui n'étaient pas nés en 1995, il s'agit d'une découverte. Se rallieront-ils à l'indépendance comme ce fut le cas pour une bonne partie de leurs aînés ? Ça reste à voir, mais le mouvement indépendantiste paraît relancé.
Québec solidaire, lui, affiche sa souveraineté plus qu'avant afin de ne pas abandonner le terrain souverainiste au Parti québécois. Mais outre que les motifs initiaux de sa fondation en 2006 sont d'ordre socio-économiques (lutter contre le rétrolibéralisme) plus que nationalistes, en termes d'intentions de vote le Parti québécois devance nettement le parti de la gauche sociale depuis 2023. Il poursuit sa remontée. La formation de Paul Saint-Pierre Plamondon a pris du galon alors que son rival solidaire piétine et peine à élargir sa base électorale. Il partage aussi avec les libéraux quelques éléments du multiculturalisme. Son opposition à la loi 21 en constitue la plus éloquente démonstration.
Il faut souligner toutefois qu'indépendantisme ne rime pas avec xénophobie. Les membres de ce courant reconnaissent qu'il existe deux nations (trois avec les Amérindiens et Amérindiennes). Les nouveaux venus (les néo-Québécois) sont invités à s'intégrer à la nation québécoise, même s'ils peuvent conserver certaines de leurs moeurs et croyances, ce qui n'a rien de commun avec le multiculturalisme à la Trudeau. L'intégration complète à la société d'accueil se fait en général à la seconde génération dont les membres sont nés ici ou sont arrivés très jeunes chez nous.
Le "trudeauisme" est une imposture que la moindre étude sociologique réduit en miettes.
Parlera-t-on bientôt d'un "régime post-libéral" à Ottawa ?

Jean-François Delisle

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Comment les femmes au Pakistan luttent contre les disparitions forcées et les assassinats

Alors que des centaines de personnes ont investi les rues de Karachi, la plus grande ville du Pakistan, le 12 janvier, une marée de manifestant·es, majoritairement des femmes, (…)

Alors que des centaines de personnes ont investi les rues de Karachi, la plus grande ville du Pakistan, le 12 janvier, une marée de manifestant·es, majoritairement des femmes, a continué à scander « le Balochistan demande justice », même face à une forte présence policière.

tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/04/17/comment-les-femmes-au-pakistan-luttent-contre-les-disparitions-forcees-et-les-assassinats/

Pendant ce temps, dans la province agitée mais magnifique du Baloutchistan, au sud-ouest du pays, des milliers d'autres personnes ont envahi les rues. Leur manifestation contre les disparitions forcées et lesexécutions extrajudiciaires dans leur province n'est que la dernière mobilisation d'un mouvement qui a connu une croissance exponentielle au cours du mois dernier.

Suite à l'assassinat de Balaach Mola Baksh, 22 ans, en novembre, des centaines de femmes – accompagnées de certains de leurs enfants – ont entamé une marche d'environ 1 600 kilomètres depuis sa ville natale de Turbat à Islamabad le 6 décembre. Arrivées dans la capitale du Pakistan, elles ont installé un camp devant le Club National de la Presse.

Depuis près d'un mois, ces manifestantes – issues de près de 300 familles dont les proches sont victimes de disparitions forcées et d'assassinats – vivent dans des tentes en tissu et en bâche, alors même que les températures approchent du gel. Avec l'apparition de nouvelles manifestations dans tout le pays et l'intérêt croissant des défenseur·ses des droits humainsdu monde entier, ce mouvement dirigé par des femmes montre sa force face à la répression gouvernementale inflexible.

« Ils l'ont tué »

« Quand je suis allée voir son corps, les agents m'ont dit de l'enterrer, mais j'ai répondu « Non, je veux justice » », a expliqué Najma Baloch par téléphone depuis le sit-in d'Islamabad. « Ce n'est pas seulement mon frère, c'est le frère de tout le peuple baloutche. »

Balaach a été enlevé par des hommes en civil chez lui à Turbat à 1h du matin le 30 octobre. La famille pense que ces hommes – arrivés dans un convoi de huit voitures – faisaient partie du Département de lutte Contre le Terrorisme du Pakistan (CTD).

« Quand il est rentré du travail ce soir-là, on n'aurait jamais pu imaginer le perdre quelques heures plus tard », a déclaré Najma à propos de son frère, qui travaillait comme brodeur dans un magasin d'artisanat.

« Ma mère a dit que les tyrans l'avaient pris », a poursuivi Najma. Mais lorsqu'ils ont contacté la police, on leur a dit que Balaach n'était pas sous leur garde. « J'ai dit « Alors où est-il ? La terre l'a-t-elle englouti, ou le ciel l'a-t-il avalé ? » »

Ce n'est que près d'un mois plus tard, le 21 novembre, que Balaach est apparu au tribunal, où il a été placé en détention provisoire du CTD pendant 10 jours.

« Quand on l'a vu au tribunal, ma mère et moi l'avons serré dans nos bras », a déclaré Najma. « Nous étions tellement heureux pour ma mère, c'était comme s'il renaissait. Deux jours plus tard, ils l'ont tué. »

Le 24 novembre, le CTD a publié une déclaration affirmant que Balaach avait avoué être impliqué dans une « opération terroriste », leur fournissant des informations qui ont conduit le CTD à la cachette de ses associés. Arrivés sur place, selon le communiqué, un « échange de tirs » a eu lieu et quatre corps sans vie ont été retrouvés, dont celui de Balaach.

« Ils ont dit qu'il était mort dans une embuscade, mais on l'a vu au tribunal – alors comment aurait-il pu mourir dans une rencontre ? C'était une fausse rencontre… ils l'ont tué », a déclaré Najma. « Je suis complètement dévastée. »

Najma a décrit Balaach comme un frère et un fils aimant. « Il a toujours pris soin de notre mère. Il était encore si jeune, et il n'était pas impliqué dans ce qu'ils racontent. Il n'a jamais été impliqué avec quelqu'un de mauvais, il était complètement innocent. »

Alors que le CTD nie les accusations d'enlèvement et de meurtre, il insiste également sur le fait que Balaach n'a été arrêté que le 20 novembre – la veille de sa présentation au tribunal – et non le 29 octobre, lorsqu'il a été enlevé de son domicile. Pour les militant·es, ce n'est qu'une preuve supplémentaire que Balaach est devenu l'un des milliers de personnes au Baloutchistan à avoir subi une disparition forcée et une exécution extrajudiciaire.

Un mouvement est né

Lorsque la famille de Najma a reçu le corps sans vie de Balaach, elle a refusé de l'enterrer pendant sept jours, s'asseyant en signe de protestation devant leur maison avec son corps. Les habitant·es de Turbat ont rejoint la manifestation, et c'est ainsi qu'a commencé la vague de protestations dont le Pakistan est aujourd'hui témoin.

Des centaines de femmes comme Najma se mobilisent pour exiger le retour de leurs proches disparus de force depuis des années, parfois depuis plus d'une décennie, et enlevés de leurs maisons de la même manière que Balaach. Ces femmes ont continué à protester malgré l'opposition farouche des forces de police.

Lors du rassemblement du 12 janvier à Karachi, la police a publié un rapport d'incident accusant les manifestant·es d'émeute, de trouble à l'ordre public, de rassemblement illégal et d'incitation à la discorde. Si les manifestant·es sont reconnu·es coupables de ces infractions, ils et elles risquent une peine de prison pouvant aller jusqu'à deux ans, une amende, ou les deux.

Malgré l'intimidation, les manifestant·es sont resté·es jusqu'à la tombée de la nuit, allumant les torches de leurs téléphones tout en scandant « Nous soutenons Mahrang Baloch » – en référence à l'une des leaders du mouvement contre les disparitions forcées. Elle n'avait que 10 ans lorsque son père a été enlevé pour la première fois par les forces de sécurité en2006. Il a été libéré trois ans plus tard, pour être à nouveau enlevé sept mois après. Deux ans plus tard, son corps mutilé a été retrouvé.

Si son visage est devenu synonyme du mouvement, l'histoire de Mahrang n'est pas unique. L'association Voix des personnes baloutches disparues affirme avoir enregistré 8 000 cas de disparitions forcées depuis 2013, conformément à la méthode recommandée par l'ONU pour l'enregistrement de tels incidents.

« Les disparitions forcées sont utilisées comme un outil de terreur pour intimider les gens ordinaires », a déclaré Mahrang, « pour écraser leurs mouvements politiques, pour exploiter les ressources du Baloutchistan et pour soumettre le Baloutchistan au contrôle du Pakistan, à la manière d'un régime colonial ».

How Balochistan got here

En 1948, le Baloutchistan a été annexé par le Pakistan, offrant au pays l'une de ses plus importantes réserves de gaz naturel. Ces dernières années, son port de Gwadar, situé sur la mer d'Arabie, est devenu unmaillon crucialdu corridor économique Chine-Pakistan — permettant au Pakistan d'étendre ses corridors commerciaux et à la Chine de contourner le détroit de Malacca patrouillé par les États-Unis et d'accéder au Moyen-Orient.

Malgré l'importance du Baloutchistan pour le Pakistan, beaucoup d'habitant·es estiment que le territoire n'aurait jamais dû être annexé. Certains groupes séparatistes – l'Armée de libération du Baloutchistan (BLA) et le Front de libération du Baloutchistan (BLF) – continuent de lutter pour cette cause.

Selon le journaliste et analyste politique baloutche chevronné Malik Siraj Akbar, le gouvernement pakistanais a toujours craint que le Baloutchistan ne devienne un autre Bangladesh, qui était autrefois le Pakistan Oriental et est devenu indépendant en 1971, après une guerre de libération sanglante. M. Akbar estime que c'est cette peur – le besoin de réprimer toute dissidence et de maintenir le contrôle des ressources naturelles du Baloutchistan – qui explique les politiques répressives de l'État.

« L'armée pakistanaise détient de facto le pouvoir », a-t-il déclaré. « Elle contrôle tout », surtout depuis le 11 septembre [2001], lorsque le Pakistan a reçu de nombreux fonds antiterroristes, ce qui a permis la modernisation de l'armée et le maintien du Baloutchistan « sous contrôle ».

En 2006, les forces de sécurité pakistanaises ont tué Akbar Bugti, ancien Premier Ministre et leader séparatiste populaire du Baloutchistan. Cet événement est décrit par Akbar comme le « 11 septembre » du Baloutchistan. « Tout a changé », a déclaré Akbar. « Lorsque Bugti est mort, les habitants du Baloutchistan ont commencé à se demander ce qui leur arriverait si quelqu'un comme Bugti, un ancien premier ministre, pouvait être tué ». Après sa mort, les groupes séparatistes du Baloutchistan ont répliqué en attaquant les infrastructures pakistanaises, et l'armée pakistanaise a répondu en procédant à de nouvelles disparitions forcées.

« Cela a marqué le début de la politique connue sous le nom de « tuer et jeter » » a expliqué Akbar, faisant référence au type de disparitions et d'assassinats que Balaach et des centaines d'autres ont subis. La position officielle du Pakistan, cependant, est qu'il s'agit simplement d'un élément de sa lutte contre les acteurs anti-étatiques. Même l'actuel Premier ministre par intérim, Anwaar-ul-Haq Kakar, originaire du Baloutchistan, s'est prononcé contre les récentes manifestations, qualifiant les femmes et leurs familles de « fausses héroïnes des droits humains » et leur demandant « d'aller rejoindre le BLF ou le BLA pour que l'État sache de quel côté elles sont ».

Au cours de la semaine dernière, le Baloutchistan s'est retrouvé au cœur des attaques aériennesentre l'Iran et le Pakistan. Au milieu de ces échanges, l'Iran a lancé ce qu'il a appelé une « action préventive » contre le groupe militant sunnite musulman Jaish al-Adl, tandis que le Pakistan a frappé des cachettes qu'il présumait utilisées par le BLF et le BLA. Les trois groupes visés sont d'origine ethnique baloutche, mais selon les manifestants, ce sont des civils, et non pas des terroristes, qui ont été tués lors des attaques.

Comme l'a fait remarquer Sammi Deen Baloch, leader du mouvement de protestation, « le peuple baloutche est toujours celui qui se retrouve pris en tenaille, ce sont ses vies qui sont perdues ».

Un combat qui dure depuis des générations

Comme Mahrang, Sammi Deen – la secrétaire générale de « Voix pour les personnes Baloutches disparues » – s'est également engagée dans le mouvement suite à l'enlèvement de son père. Elle marche pour le ramener à la maison depuis 2009, alors qu'elle n'avait que 10 ans.

« C'est le même mouvement qui se poursuit depuis des décennies », a expliqué Sammi Deen. « Il n'a pas éclaté soudainement ».

En 2010, elle s'est rendue pour la première fois dans la capitale, Islamabad, participant à une marche accompagnée de sept autres familles dont des proches avaient été victimes de disparition forcée. Elles sont revenues en 2011 avec quelques familles supplémentaires. Puis, en 2013, elles ont organisé une « longue marche » de la ville de Quetta au Baloutchistan jusqu'à Islamabad, voyageant à pied pendant trois mois et 18 jours.

Grâce à la constance des protestations au fil des ans, 300 familles, selon Sammi Deen, se sentent désormais légitimes pour parler au nom de leurs proches. « En 2013, peu de gens étaient au courant des disparitions forcées au Baloutchistan », a-t-elle expliqué. « Mais aujourd'hui, nous avons un outil important dans les médias sociaux, que nous pouvons utiliser pour faire entendre notre voix aux gens de tout le pays et du monde entier ».

Mahrang et Sammi Deen s'accordent à dire que les médias sociaux ont joué un rôle important dans leur activisme. De l'utilisation coordonnée de hashtags comme #MarchAgainstBalochGenocide et #IStandWithBalochMarch auxmises à jour quotidiennes du site de protestation, le partage de leurs voix en ligne est devenu un moyen crucial pour les manifestant·es de rassembler du soutien à travers le Pakistan.

« Les médias traditionnels ne couvrent pas ceci », a déclaré Mahrang, « donc les gens n'ont aucun moyen de savoir… mais aujourd'hui, les gens ordinaires au Pakistan sont obligés de regarder le rôle qu'ils jouent dans le génocide du peuple baloutche ».

Pour Mahrang et toutes les familles qui protestent, il s'agit bel et bien d'un génocide – une destruction ciblée du peuple baloutche et de son identité qui se déroule depuis des décennies. Cependant, lors d'une conférence de presse le 1er janvier, le Premier ministre par intérim Kakar a décrit « son combat » non pas contre une race ou une caste particulière, mais contre les diverses organisations anti-étatiques du Baloutchistan.

Les femmes aux commandes

Outre les réseaux sociaux, une autre caractéristique unique de ce mouvement contre les disparitions forcées est qu'il est dirigé par des femmes, comme Mahrang et Sammi Deen.

« Ce mouvement est l'aboutissement de deux décennies de souffrance des femmes, et ce sont elles qui le dirigent maintenant », a déclaré Mahrang. « Il y a des mères, des sœurs, des grand-mères, des demi-veuves… et cela montre aux gens que nous ne sommes pas des agents d'une quelconque organisation mais simplement des gens ordinaires du Baloutchistan qui exprimons notre douleur et notre oppression ».

Une autre raison pour laquelle les femmes ont pris la tête du mouvement, selon Sammi Deen, est de protéger leurs sympathisants et leurs membres de famille masculins. « Au Baloutchistan, les hommes ne sont pas en sécurité de quelque façon que ce soit, qu'il s'agisse d'activisme ou simplement d'aller au marché », a-t-elle déclaré. « Nous ne savons jamais s'ils rentreront sains et saufs ».

Cela étant dit, les femmes elles-mêmes ont été loin d'être en sécurité face aux interventions policières. Le soir du 20 décembre, lorsque la marche a atteint la périphérie d'Islamabad, leur entrée a été bloquée par les forces de police.

Une pétition déposée le 3 janvier par Sammi Deen auprès de la Haute Cour d'Islamabad décrit l'interaction, déclarant que « la police a chargé les manifestant·es à coups de matraque et a utilisé des canons à eau contre ces marcheur·ses et leurs partisan·es ». Pendant ce temps, lors de sa conférence de presse, Kakar a décrit l'utilisation de canons à eau comme une « pratique standard des forces de l'ordre dans le monde entier ».

Mahrang et 52 autres femmes et enfants manifestant·es ont été détenu·es pendant plus de 24 heures et n'ont été libéré·es qu'après l'ordre de la Haute Cour. 290 autres étudiant·es, femmes et enfants ont ensuite été détenu·es pendant cinq jours avant d'être libéré·es. Selon la pétition, « les femmes et les enfants baloutches ont été brutalisés par la police d'Islamabad », et une tentative a été faite de les forcer à monter dans des bus et de les renvoyer à Quetta, au Baloutchistan. La police d'Islamabad a rejeté ces accusations sur le réseau social X, affirmant qu'il n'y avait « aucun mauvais traitement envers les femmes ou les enfants ».

Une fois que les manifestant·es se sont installé·es au sit-in du Club national de la presse à Islamabad le 23 décembre, les familles des personnes disparues ont été menacées d'arrestation si elles ne quittaient pas le lieu de protestation, et la police a bloqué à plusieurs reprises l'arrivée de nourriture et de couvertures, essentiels dans l'hiver pakistanais. Elles ont également été ciblées par des hommes cagoulés en civil, qui leur ont volé leur haut-parleur tout en pointant des armes chargées – le tout en présence de la police et de multiples caméras de surveillance.

Avec des caméras de surveillance présentes presque partout autour du sit-in, la police – selon Mahrang – tente clairement d'intimider le groupe de manifestant·es, majoritairement féminin. Pour leur part, Mahrang a été accusée de sédition et Sammi Deen a été la cible d'une « campagne de propagande vile et sale » utilisant de fausses photos la représentant avec des groupes militants avec lesquels elle n'a aucun lien. Cet incident a contraint Sammi Deen à enlever son niqab (le couvre-visage porté par certaines femmes musulmanes) qu'elle portait auparavant lors des conférences de presse. Néanmoins, Sammi Deen promet de ne pas se laisser réduire au silence.

Changement de cap et des demandes qui ouvrent la voie

Cette Marche contre le Génocide Baloutche – comme les manifestant·es appellent souvent leur mouvement – a reçu un soutien sans précédent sous la forme de manifestations de solidarité dans diverses parties du Baloutchistan, d'autres provinces pakistanaises et même devant le 10 Downing Street à Londres, où les manifestants ont organisé un sit-in de cinq jours..

Selon Mahrang, cette réponse est due au fait que la protestation fait en sorte que les gens se sentent entendus pour la première fois depuis des décennies. « Il y a toujours eu une négativité répandue selon laquelle les gens ordinaires n'ont aucun pouvoir face à l'establishment pakistanais et doivent simplement les suivre aveuglément » a-t-elle déclaré.

Selon Akbar, l'analyste politique, c'est aussi parce que, pour la première fois, la confiance des gens dans l'armée a faibli. « Il y a une partie de la population qui a commencé à réaliser que l'armée n'est pas si propre », a-t-il dit. « Dans le passé, les gens ne croyaient peut-être pas à toutes ces allégations contre l'armée. Mais maintenant qu'ils et elles voient que l'ancien Premier ministre Imran Khan a été réduit au silence, au point de ne pouvoir même pas se présenter aux prochaines élections – malgré qu'il soit le leader le plus populaire du pays – les gens commencent à se poser des questions ». Akbar a également souligné le rôle que les médias sociaux ont joué en donnant aux gens de l'extérieur du Baloutchistan une fenêtre sur leurs souffrances.

Selon Sammi Deen, l'un des principaux objectifs du mouvement est de collecter des données. En moins d'un mois, alors qu'ils et elles marchaient du Baloutchistan à Islamabad, ses membres ont rassemblé des preuves sur environ 600 personnes disparues. « À Dieu ne plaise, si quelqu'un·e meurt demain dans une fausse rencontre, nous saurons au moins s'il ou elle était [déjà] porté·e disparu·e auparavant ».

En plus de collecter des données, le mouvement s'efforce également de traduire en justice les coupables des assassinats d'hommes comme Balaach. Le 9 décembre, après une résistance initiale, la police a enregistré une plainte contre quatre membres du CTD sur instruction d'un tribunal inférieur. Puis, deux jours plus tard, la Haute Cour a ordonné la suspension immédiate des quatre membres du CTD. Une commission d'enquête sur le décès a également été créée. Toutefois, aucune arrestation n'a encore été effectuée.

« Nous voulons que toutes les personnes disparues du Baloutchistan soient libérées et… nous voulons voir des progrès dans leurs affaires judiciaires », a déclaré Sammi Deen avant d'ajouter que le CTD et les « escadrons de la mort » (ou milices privées) parrainés par l'État, responsables de ces disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires, devraient être dissous.

Le 10 janvier, Mahrang et Sammi Deen ont pu s'entretenir avec la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les Défenseur·es des Droits Humains, Mary Lawler, au sujet de la nécessité d'une mission d'enquête des Nations Unies au Pakistan pour examiner les violations des droits humains et le génocide au Baloutchistan. Écrivant sur X, Lawler a déclaré : « Les informations faisant état de harcèlement policier sont très préoccupantes. Les plaintes pénales fallacieuses déposées contre des manifestant·es pacifiques devraient être abandonnées ».

Selon M. Akbar, s'il y a une « volonté réelle de la part de l'armée », il est possible que les personnes disparues soient ramenées chez elles, à condition qu'elles n'aient pas déjà été tuées. « L'armée est une institution très organisée, donc elle a certainement des rapports sur ces personnes disparues ». Akbar a également noté qu'un grand nombre de personnes disparues ont été libérées dans le passé lorsque le gouvernement voulait apaiser le peuple baloutche. Toutefois, Akbar ne croit pas que le Pakistan autorisera une mission d'enquête indépendante des Nations unies au Baloutchistan, car le Pakistan considère que c'est une question qui relève de sa propre souveraineté.

« C'est une punition collective, car lorsqu'un membre de la famille disparaît, tous ses proches en souffrent », a déclaré Sammi Deen. « C'est l'incertitude, l'attente continue, la douleur torturante qui est insupportable ».

Malgré tout cela, ou peut-être à cause de cela, Sammi Deen et Mahrang pensent que ce mouvement ne s'éteindra pas, mais qu'il continuera et développera son important travail.

« Nous sommes en train d'élargir ce mouvement dans tout le pays et dans le monde entier », a déclaré Mahrang. « À tous·tes celles et ceux qui sympathisent avec nous, nous leur demandons de protester en solidarité, d'envoyer des pétitions à l'ONU, d'écrire à vos parlements pour lancer des discussions. Ce n'est que le début, et nous continuerons pacifiquement ».

Esha Mitra, 19 janvier 2024
Lire l'article original en anglais sur Waging Non-Violence
Cet article a été publié le 19 janvier 2024 sur WagingNonViolence.org.
Il a été traduit vers le français grâce à notre équipe de traducteur·ices bénévoles.
https://www.ritimo.org/Comment-les-femmes-au-Pakistan-luttent-contre-les-disparitions-forcees-et-les

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Iran. Narges Mohammadi dénonce les actes barbares infligés aux femmes kurdes emprisonnées

23 avril 2024, par /kurdistan-au-feminin.fr — , , ,
IRAN – Les femmes et les enfants kurdes détenus dans la tristement célèbre prison d'Evin sont particulièrement victimes d'abus, de violences sexuelles, d'isolement et de (…)

IRAN – Les femmes et les enfants kurdes détenus dans la tristement célèbre prison d'Evin sont particulièrement victimes d'abus, de violences sexuelles, d'isolement et de passages à tabac, selon Narges Mohammadi, lauréate du prix Nobel de la paix 2023, également détenue à Evin.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Narges Mohammadi, la militante des droits humains qui a reçu l'année dernière le prix Nobel de la paix alors qu'elle était détenue derrière les barreaux en Iran, a dénoncé les abus barbares, les passages à tabac et l'isolement infligés aux femmes et aux enfants kurdes détenus dans la tristement célèbre prison d'Evin.

Les révélations font référence à une brève rencontre en 2018 que la lauréate du prix Nobel a eue avec un groupe d'autres prisonnières à Evin, généralement détenues à l'écart des autres femmes. Des Kurdes et d'autres prisonnier·es politiques sont régulièrement détenues, torturées, privés de soins médicaux et exécutés dans ce centre de détention notoire. Dans une interview audio enregistrée secrètement et diffusée par la suite sur le site d'information Iran Wire, Mohammadi a rappelé comment les femmes kurdes et leurs enfants ont été soumis à un traitement particulièrement dur, n'ayant droit qu'à une heure d'exercice en plein air par semaine.

« Les conditions étaient désastreuses : pas de draps sur les lits, juste un matelas, un oreiller et une couverture », a-t-elle déclaré. « Ces enfants n'avaient rien, pas même des jouets. Nous leur avons proposé de leur acheter des jouets, mais les autorités pénitentiaires ont refusé. »

Néanmoins, d'autres prisonnières ont progressivement pu offrir soutien et solidarité aux femmes, ciblées par de nouveaux abus en raison de leur identité kurde. « Même si tout contact leur était refusé, les femmes kurdes ont progressivement établi une communication clandestine avec d'autres prisonnières », se souvient Mohammadi. « Ce lien s'étendait au partage de produits cosmétiques et au soutien de prisonnières politiques qui fournissaient de la nourriture, des jouets et des bonbons aux enfants kurdes. »

La militante des droits humains, arrêtée pour avoir dirigé une organisation protestant contre le recours à la peine de mort en Iran, a vu des femmes kurdes se faire battre devant leurs nouveau-nés. Elle dit :

« L'une d'elles a nommé son enfant Abdullah à sa naissance. Le premier était un garçon et la seconde, une fille nommée Jenan, est née en mars. Une nuit, j'ai encore entendu du bruit dans le couloir et je me suis précipitée. Je les ai vus emmener la mère de Jenan et la battre. Elle était lourdement chargée, incapable de marcher correctement, et je la regardais du haut des escaliers, les larmes coulant sur mon visage. Les autorités ont confisqué les affaires du bébé, généralement apportées par un proche (…). Ils ne lui ont pas permis de rester à l'hôpital. »

« La détention d'enfants aux côtés de leur mère est un sujet particulièrement préoccupant dans un pays où des enfants détenus dès l'âge de douze ans ont été soumis à « la flagellation, aux décharges électriques et à la violence sexuelle », selon Amnesty International .

« Quand ils sont arrivés ici, les enfants étaient émaciés… dépourvus de vitalité. Une enfant, Fatemeh, était particulièrement fragile et apathique », a déclaré Mohammadi. « Sa mère l'embrassait souvent… Dès que la mère s'éloignait, elle gémissait comme si elle était brûlée ou tombée de très haut. Elle ne supportait pas d'être séparée de leur mère, ne serait-ce qu'un instant, à cause des bombardements, de la fuite, de la misère, de la faim et de la perte de sa famille. Le père est mort et elle pleurait toujours. »

Mohammadi a en outre rappelé que les enfants plus âgés avaient été séparés de force de leur mère, laissant un vide qui « ne pouvait être comblé par rien », ainsi que les conditions particulières d'isolement pendant la pandémie de coronavirus. Plus généralement, les manifestantes et militantes détenues dans la prison d'Evin et dans d'autres établissements pénitentiaires souffrent de conditions extrêmement précaires, notamment d'un accès limité à l'eau potable, à l'air frais, d'une hygiène sordide et d'autres dégradations de leurs droits fondamentaux. Les prisons sont surpeuplées et ne peuvent fournir de l'eau aux douches que deux jours par semaine, ce qui entraîne une perte de cheveux et une crainte des poux, selon les rapports des militantes des droits humains.

L'administration pénitentiaire ne fournit pas de produits de nettoyage pour l'hygiène personnelle, les toilettes ne sont pas nettoyées et la plupart des détenus souffrent déjà d'infections. En guise de punition, les gardiens de prison refusent de laisser les détenus utiliser les toilettes, ce qui entraîne des problèmes rénaux. Pendant ce temps, une mauvaise ventilation entraîne une propagation rapide des maladies.

Mais la solidarité clandestine avec les prisonniers kurdes n'est pas la seule façon dont les femmes détenues dans le centre de détention ont résisté à leur traitement. L'année dernière, sept militantes détenues à Evin ont organisé un sit-in, annoncé par Mohammadi, à l'occasion de l'anniversaire des manifestations qui ont éclaté après la mort de Jina Mahsa Amini, 22 ans, sous la garde de la police des mœurs du pays.

Dans un communiqué à l'époque, les détenues ont déclaré : « Cela fait un an que Jina Amini a été tuée par des agents de la République islamique d'Iran. La profonde tristesse et la colère que nous ressentons face à la perte de nos concitoyens dans les rues et dans les prisons, la répression brutale des manifestations, les arrestations arbitraires, la torture et l'emprisonnement de ceux qui osent s'exprimer pèsent lourdement sur nos cœurs. Malgré ces défis, nous restons fermes dans notre détermination à poursuivre notre lutte jusqu'à la victoire. »

https://kurdistan-au-feminin.fr/2024/04/06/iran-narges-mohammadi-denonce-les-actes-barbares-infliges-aux-femmes-kurdes-emprisonnees/

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Chayuda Boonrod : « { les barrages ne sont bons que pour les capitalistes} »

23 avril 2024, par capiremov.org, Chayuda Boonrod — , ,
Chayuda Boonrod est membre de l'Assemblée des pauvres (AoP en anglais), une organisation populaire thaïlandaise luttant pour l'autodétermination et le droit aux ressources avec (…)

Chayuda Boonrod est membre de l'Assemblée des pauvres (AoP en anglais), une organisation populaire thaïlandaise luttant pour l'autodétermination et le droit aux ressources avec les communautés urbaines et rurales. Sa participation à la lutte vient de sa famille, impliquée dans la lutte pour la terre dans le pays.

05/04/2024 |
Tiré de : Capire
https://capiremov.org/fr/entrevue/chayudaboonrod-les-barrages-ne-sont-bons-que-pour-les-capitalistes/
Découvrez le contexte politique actuel en Thaïlande et la lutte contre la construction de barrages

Chayuda a partagé avec nous des aspects du contexte politique actuel de la Thaïlande et de la lutte de l'AoP contre les impacts des barrages dans le pays. L'Assemblée des pauvres est active dans la lutte contre les barrages depuis sa création le 10 septembre 1995. « Je suis née le 31, donc j'ai 21 jours de moins que l'organisation. En grandissant, j'ai vu ma famille, mes tantes et mes oncles, tous ceux que je connais, impliqué.e.s d'une manière ou d'une autre dans notre organisation et dans La Via Campesina », a déclaré Chayuda.

Cette interview a été réalisée lors de la 8ème Conférence Internationale de La Via Campesina (LVC), qui a eu lieu en décembre 2023 à Bogotá, en Colombie. Avec la Via Campesina, les membres de l'AoP participent à des activités dans leur pays et à l'étranger. Sur la relation entre les deux organisations, elle ajoute : « Nous avons beaucoup de gens de LVC qui viennent visiter et étudier les communautés ». En outre, AoP a la Réunion de la Jeunesse Asiatique de LVC, qui ont eu lieu en octobre 2022, à Surat Thani, en Thaïlande. Lisez l'interview complète ci-dessous :


Pourriez-vous nous parler du contexte politique de la Thaïlande ? Quels sont les principaux enjeux pour la classe ouvrière et les personnes paysannes ?

Les élections de 2023, renforcées par la Constitution, ont mis au pouvoir un nouveau premier ministre, mais ce n'est pas celui que nous avons choisi. Le parti qui a remporté le plus de voix aux élections n'a pas réussi à former un gouvernement parce qu'il était obstrué par les astuces cachées dans la Constitution actuelle, rédigée par le gouvernement militaire mis en place après le coup d'État de 2014. Parce que le parti politique avec le plus de voix ne peut pas établir un gouvernement, le deuxième plus grand parti a réussi à former un gouvernement de coalition avec le soutien des partis qui faisaient partie du précédent gouvernement militaire.

Les gens avaient le sentiment que rien n'avait changé en termes de réponses à leurs demandes ou de la question des droits humains. Ils se soucient de gagner de l'argent, ils ne se soucient pas des gens, en particulier des pauvres. En octobre, AoP a organisé une mobilisation de masse d'un mois pour rehausser le profil de ces aspects du gouvernement actuel et lutter pour nos droits.

Et quels sont les principaux problèmes avec les barrages en Thaïlande aujourd'hui ? Quel est le combat de l'AoP concernant la construction de barrages ?

La lutte contre la construction de barrages dans l'AoP est énorme. C'est une bataille que nous avons menée dans de nombreux endroits depuis la création de l'organisation. Il y a, par exemple, la lutte des peuples contre le barrage de Sirinthorn, qui est l'un des premiers cas dans l'histoire de la construction de barrages en Thaïlande, vers 1970, avant la création de l'AoP. À propos du barrage de Sirinthorn, les conséquences et les souffrances de la population étaient très évidentes, mais le gouvernement n'a jamais essayé de diminuer ses ambitions de le maintenir.

En parlant du contexte actuel, nous pouvons le diviser en deux types. La lutte contre les barrages qui ont déjà été construits et la lutte contre le projet de construction de nouveaux barrages. Sur le premier type de lutte, il y a cinq communautés confrontées à des barrages qui ont déjà été construits. La compensation qui, selon le gouvernement, serait accordée n'est pas appropriée. Pour nos frères et sœurs issus de ces communautés, leurs souffrances continueront sans réponse gouvernementale pour résoudre leurs problèmes.

Le gouvernement a une formule très simple pour calculer l'indemnisation. Par exemple, si dans une maison il y a cinq arbres, le gouvernement ne peut calculer que leur valeur à ce moment-là. Ils ne se demandent pas quand les cinq arbres auront une valeur à long terme pour la famille. Notre peuple estime qu'il serait préférable que le gouvernement échange des terres avec eux, trouve d'autres terres et les leur donne en compensation de celles qu'ils ont perdues. Mais le gouvernement peut faire quelque chose de simple, comme calculer le prix de la terre à ce moment-là, leur donner de l'argent et les laisser trouver de nouvelles terres, aller en acheter eux-mêmes.

Lorsque, à cause de la construction de barrages, les paysans perdent leurs terres, ils perdent leur identité de paysans. Ils n'ont plus de terres à produire. Pour les paysans, perdre des terres signifie que tout est fini. Ils n'ont rien, seulement leur corps et leur travail.

Beaucoup d'entre eux doivent migrer vers une grande ville. Dans ces grandes villes, les gens deviennent de la main-d'œuvre bon marché, des citadins pauvres, les femmes tombent dans la prostitution. De nombreux autres problèmes les accompagnent, tels que la séparation de la famille ou la toxicomanie. C'est très concret, mais les problèmes vont plus loin avec la perte des moyens de subsistance et de la biodiversité. Dans le cas du barrage de Rasi Salai, des études ont montré que près de la moitié des espèces de poissons de la rivière ont disparu. De nombreux chercheurs étudient l'impact des barrages, mais ils ne font que venir dans les communautés, parler aux gens et produire des articles. Ils n'aident pas activement. Et, parce que nous sommes ceux qui luttons contre ces problèmes depuis de nombreuses années, le public a commencé à nous considérer comme des méchants.

Le dernier cas, le barrage de Pong Khunpet, est un exemple de la façon dont, malgré l'achèvement de la construction du barrage, les gens refusent de déménager parce que le gouvernement ne leur a pas donné de nouvelles terres. Le barrage ne fonctionne pas complètement, mais ils ont un peu ouvert la vanne d'eau, ce qui provoque des inondations dans la communauté. Les gens doivent utiliser des bateaux pour se déplacer. Une telle eau apporte beaucoup de problèmes de santé et de maladies. Bien sûr, la réponse du gouvernement local est très lente. Notre peuple proteste pour faire pression pour une réponse plus rapide.

De nombreux barrages qui existent aujourd'hui ont été construits pendant les dictatures. Dans les périodes des gouvernements dictatoriaux, nous ne pouvions pas protester. Cela signifie que la question des barrages est également liée à la situation politique.

De nombreuses communautés AoP protestent contre les projets de construction de barrages parce qu'elles ont appris qu'ils ne produisent aucun bien pour elles. Mais dans la plupart des cas, ce qu'elles obtiennent n'est qu'une pause dans le projet. Il n'y a pas vraiment d'arrêt ou d'interruption du plan. Nous ne savons jamais quand on va simplement abandonner les accords et passer à autre chose. C'est une inquiétude perpétuelle.

Le gouvernement essaie de faire connaître le bon côté de la construction de barrages. Il essaie de convaincre les gens qu'ils peuvent simplement prendre l'argent et aller vivre ailleurs. Un autre discours que le gouvernement utilise pour convaincre les gens est sur le sacrifice, disant qu'il veut que les gens se sacrifient pour le plus grand bien. Mais en fait, il existe de nombreuses façons de gérer les ressources en eau, au-delà de la construction de barrages. Nous savons que les barrages ne sont bons que pour les capitalistes et l'industrie.

Comment se déroule la lutte de l'AoP pour créer de meilleures conditions de vie pour les paysans en Thaïlande, et quel est le rôle des femmes dans cette lutte ?

Tous les projets sont initiés par l'État, par le gouvernement, main dans la main avec les capitalistes. Ils n'apportent jamais rien de bon aux gens. Mais les luttes ont renforcé le mouvement et le peuple. Nous prenons conscience que chaque construction ou développement nous enlève notre mode de vie, qui est en fait véritablement basé sur la production agroécologique.

La lutte engendre de nombreuses initiatives, et de nombreux membres de notre mouvement se sont intéressés aux initiatives de l'école d'agroécologie ou du projet de semences. L'une des choses qui leur permet de continuer à se battre, c'est que beaucoup d'entre eux se souviennent encore de la signification du bien-vivre. C'est une sorte d'encouragement ou d'inspiration pour eux de continuer à se battre pour la récupérer.

Le gouvernement fait taire et décourage les gens en leur faisant croire que leurs luttes sont trop difficiles, qu'ils ne gagneront pas. Mais ce n'est pas comme ça pour nous. Pour nous, plus nous nous battons, plus nous devons surmonter tout ce que le gouvernement nous impose.

Les femmes dans l'Assemblée des pauvres sont une force féroce. Dans notre structure, nous garantissons un équilibre entre les sexes dans toutes les instances ou activités, telles que les mobilisations, les réunions ou les négociations. Les femmes représentent près de la moitié du mouvement et sont capables de se battre avec les mêmes capacités que les hommes.

En 2005, il y a eu une campagne internationale de 1000 femmes pour le prix Nobel de la paix. Habituellement, les lauréats du prix Nobel de la paix sont des hommes et des individus, mais les femmes se battent collectivement. À ce moment-là, notre dirigeante principale, Wanida Morsa, a été contactée par le projet pour donner son nom comme l'une des 1000 femmes. Elle a dit que nous, les femmes de l'Assemblée des pauvres, ne nous battons pas individuellement. Ainsi, au lieu d'avoir son nom parmi les 1000 femmes, nous avons enregistré un groupe de membres de l'AoP.

Les dirigeantes paysannes qui m'ont précédée sont mon inspiration. Lors de grandes mobilisations en octobre 2023, de nombreuses femmes leaders de notre mouvement qui y étaient présentes ont subi des affrontements avec la police. Ces mères, tantes et grands-mères se sont battues en première ligne avec une puissante force féministe. Plus la force est grande, plus il est facile de combattre le patriarcat présent dans le système. Lors de la confrontation, nos grands-mères ont réussi à faire face à la situation, empêchant la violence qui pourrait survenir si elles étaient des hommes en première ligne.

Interview réalisée par Natália Lobo
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : anglais

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La confrontation des féministes en particulier au racisme en général

23 avril 2024, par Colette Guillaumin — ,
Le féminisme, sous ce nom et comme mouvement contestataire collectif, est né en même temps — dans la première moitié du 19e siècle — que le mouve-ment (contestataire collectif) (…)

Le féminisme, sous ce nom et comme mouvement contestataire collectif, est né en même temps — dans la première moitié du 19e siècle — que le mouve-ment (contestataire collectif) anti-esclavagiste. Non seulement en même temps mais entretenant avec lui des liens fondateurs, ceci en deux sens : en ce que certains de ses membres l'étaient également du mouvement contre l'esclavage et en ce que l'un des moments fondateurs du féminisme contemporain, la rencontre de Seneca Falls, est en partie issue d'un conflit au sein du mouvement anti-esclavagiste.

On peut d'ailleurs voir une photo prise lors d'un meeting de Frederick Douglass, ancien esclave, figure
déterminante du mouvement anti-esclavagiste, où l'assistance est composée de plus de
femmes que d'hommes. 1

Le rôle joué par Le Deuxième Sexe (1949) dans la renaissance féministe des années
soixante de notre siècle est évident, quelle que soit en cette occurrence la nature attri-buée à ce texte : celle d'être un mythe de référence ou celle d'initiateur ou de catalyseur du mouvement. L'introduction que Simone de Beauvoir a faite à son livre place d'emblée, dans une perspective sociale et historique, les femmes dans une situation
analogue (ce qui n'est pas dire semblable) à celle d'autres groupes infériorisés : « […]
qu'il s'agisse d'une race, d'une caste, d'une classe, d'un sexe réduits à une condition
inférieure, les processus de justification sont les mêmes ».

Les similitudes entre le féminisme et d'autres mouvements d'émancipation sont à
la fois pratiques et théoriques. Elles relèvent d'une expérience commune, celle d'une
situation comparable dans le système social et celle de la protestation contre cette
situation ; sur le plan théorique, elles impliquent une description parente des systèmes
d'oppression. Mais plus, c'est une constante que, parmi les minoritaires, les femmes
quelles qu'elles soient, comme les juifs en général, sont plus fréquemment engagées
dans les mouvements d'émancipation et de libération d'autres groupes que le leur ou
à visée universelle. Et que elles/ils le sont également, plus fréquemment, dans l'étude
des phénomènes de minorité et de domination touchant des groupes autres que le leur.
L'histoire des mouvements antiségrégationnistes aux États-Unis, anti-apartheid et
anticolonialistes en Afrique et en Europe, comme le développement, dans les pays
industrialisés, des recherches sur les discriminations et le racisme en témoignent.
Quelle que soit la façon de le voir, il ne peut pas échapper à l'observation qu'il existe
un lien entre les mouvements et préoccupations minoritaires et le féminisme, non
seulement, bien sûr, parce qu'il est l'un d'entre eux mais aussi à travers les femmes qui
sont leurs actrices, la conscience qu'elles ont de l'état de leur société et les projets
qu'elles ont sur ce que devrait être cette société.

Quel caractère spécifique présente le mouvement ou la mouvance féministe si on les
compare aux autres mouvements d'émancipation (ce terme est faible ou imprécis, mais
je ne vois que lui pour recouvrir des projets aussi divers et parfois porteurs de contradic-tions que sont la liberté des individus et leur autonomie, les droits civiques, les aspirations nationales, les libérations coloniales, etc.) aux mouvements antiracistes ou aux mouve-ments de défense des droits humains (dits en France « Droits de l'Homme »), etc.?

D'abord, bien sûr sa spécificité est d'être concerné par les femmes, mais il n'est pas
si évident de dire quelle est la nature de ce concernement. Proche des combats anti-discriminatoires et antiracistes, il est antisexiste par définition. L'antisexisme est le dénominateur commun de toutes ses formes. Mais ce dénominateur commun n'en-traîne pas de facto un projet de société et surtout il n'implique nullement une analyse
identique des formes que prend le sexisme, de leur mécanisme ou de leur cause. Et il
est bien vrai que l'émancipation recherchée est toute différente selon qu'il y a ou non
critique des formes sociales, selon qu'il y a projet de société ou bien absence de projet
de société. Et pour qu'il y ait projet de société, encore faut-il d'abord analyser la société
existante et être dans une position critique de cette société-là.

Or, il va sans dire, mais mieux vaut le rappeler, que la structure socio-sexuelle de
notre société n'est pas majoritairement mise en cause elle-même, elle semble en
quelque sorte normale (améliorable certainement, mais normale), à coup sûr, aux
mouvements féminins (qui se proposent de défendre les femmes et les intérêts des
La confrontation des féministes en particulier au racisme en général 157
femmes « en tant que femmes »), mais également à une partie du féminisme qui peut
réserver ses critiques de l'organisation sociale aux autres sociétés, réputées porteuses
d'un sexisme organique qui n'existerait pas (ou plus) ici. Et ceci précisément (qui n'est
pas caricatural, même s'il se présente peu sous une forme aussi extrême ou explicite)
est l'une des formes du racisme réel ou potentiel. C'est en tous cas l'une des raisons de
l'irritation de féministes d'autres sociétés envers certaines féministes des sociétés indus-trielles. Et c'est l'un des effets du refus d'analyser ce que sont les hommes et les femmes comme la relation qui les fait tels dans les sociétés que nous connaissons.

Avec une ironie toute relative, on pourrait sans doute aborder la diversité des
mouvements de femmes à travers leur mode d'intervention sociale selon qu'ils seraient
dans une optique « corporatiste », « syndicale » ou « politique ». Et cela a quelque rap-port avec la possibilité de poser la question du racisme dans les pratiques et dans les formations mentales. En fait, c'est la question de la définition elle-même du féminisme qui est sous-jacente, ce qui n'est pas une question académique, ni d'une façon générale,
ni en ce qui nous préoccupe. On pourrait penser que le féminisme étant un mouve-ment antisexiste et non pas un mouvement antiraciste ou anti-impérialiste, la question du racisme et de l'antisémitisme se poserait en fonction d'événements déterminés et qu'elle interviendrait ponctuellement à des moments précis, bref qu'elle tiendrait à des
occurrences extérieures.

Ce pourrait parfaitement être le cas dans une perspective qui ne voudrait — qui
ne veut — considérer que les intérêts des « femmes en tant que femmes », c'est-à-dire
explicitement et intrinsèquement en tant que piliers de leur communauté, définies par
les hommes de cette communauté à laquelle et auxquels elles appartiennent. C'est une
forme corporatiste en quelque sorte de défense et promotion des intérêts d'un groupe
professionnel, celui des épouses et mères, lequel étant recruté parmi les êtres humains
femelles en conclut que tous les êtres humains femelles sont obligatoirement épouses
et mères et seulement cela. Ce dont les hommes tombent d'accord si on le leur
demande. Ce corporatisme serait la défense des vraies femmes, lesquelles sont des
défenseures inconditionnelles (par définition) de leurs hommes dans le champ poli-tique des antagonismes nationaux, communautaires, de classe, etc. Elles n'ont a priori pas de raison particulière, si ce n'est celle de la pitié humaine, de considérer qui que ce soit d'autre comme digne d'intérêt, de droits, de liberté, et parfois de vie. Ce n'est pas
une forme rarissime de mouvement féminin et qui se conçoit bien, en effet, comme un
mouvement de défense des intérêts des femmes. Les associations de femmes des sys-tèmes nationalistes et communautaristes comme des systèmes totalitaires ou religieux, répondent en fait à cette conception des femmes comme éléments d'une communauté où elles doivent prendre leur place, toute leur place et seulement leur place. Le système politique de la communauté où elles sont nées est le leur, raciste ou antiraciste, c'est
selon (mais le plus souvent raciste).
La configuration est différente si on envisage les intérêts des femmes dans une
perspective « syndicale » qui pourrait se voir comme la défense des femmes certes, mais
également l'acquisition de droits meilleurs ou plus équitables, bref une conquête et une
recomposition de la distribution sociale, celle des rôles et celle des biens, de façon à ce
que hommes et femmes atteignent une sorte d'équilibre statutaire de partenaires, sans
d'ailleurs que le statut de « femme » et celui d'« homme » soient eux-mêmes interrogés.
La perspective diffère encore si on envisage le féminisme comme mouvement « poli-tique », c'est-à-dire comme un mouvement qui a un projet de société ou qui cherche à en produire un, dont la réflexion est orientée par force dans ce sens. Par force, dans la mesure où l'analyse et la critique de la structure socio-sexuelle ne peuvent pas ne pas
remettre en cause l'ensemble de l'organisation sociale. Ce qui fait du lesbianisme dans
le féminisme (je ne dis pas l'homosexualité, qui est autre chose) une position forcé-ment politique, qui oblige à penser autrement que par le biais du sexe. Le lesbianisme ne peut être ni corporatiste (être lesbienne n'est pas un métier) ni syndical (lesbienne n'est pas un statut de sexe). Ancienne question certes, mais nullement vieille dans le
mouvement féministe.

On a aperçu que la « défense du droit des femmes » et l'antisexisme ne sont pas
nécessairement liés à une préoccupation d'émancipation, parfois même au contraire
et que par conséquent une partie des « mouvements féminins » se place hors le projet
d'émancipation. Dans son principe, un mouvement d'émancipation, s'affrontant aux
formes de la domination, mais aussi de la contrainte et de l'exploitation, me semble-t-il, ne peut pas ne pas avoir une vision au moins, sinon un projet d'ensemble d'une société possible vers laquelle tendre et ne peut pas éviter ces questions sur le fond. Et s'il ne les pose pas, s'il ne se les pose pas, il pourra, à terme et parfois dans l'immédiat,
entreprendre des actions qui travailleront contre les femmes. Et en prônant la diffé-rence (par exemple), revenir là même d'où il tentait de sortir. Qu'est-ce, en effet, que « les intérêts des femmes » ? Parfois, on croit répondre en demandant : « les intérêts de quelles femmes ? », mais c'est une mauvaise question. Ce ne sont pas les femmes qui
sont différentes (quoique bien évidemment elles le soient dans leur existence quoti-dienne), ce sont leurs choix politiques qui le sont. Et ensuite, ce sont leurs possibilités matérielles qui le sont et ne permettent pas les mêmes décisions pratiques.

Probablement, il s'agit là de l'un des conflits majeurs au sein des mouvements de
femmes, si ce n'est le conflit majeur. C'est également dans ce clivage politique profond
que la possibilité de poser — ou non — la question d'une organisation sociale qui ne
soit pas raciste réside. Celle où nous vivons l'est. Où vivent les féministes, objets du
racisme et/ou productrices de racisme.

Les différentes formes de mouvements féminins et de féminisme sont engagées et
partie prenante de l'histoire politique de leurs sociétés. Ce que nous montre d'ailleurs,
en ce qui concerne le féminisme (« syndical » et « politique », en résumé le féminisme
de l'émancipation justement), les attaques qu'il rencontre. Telle, par exemple, la levée
de boucliers des « analystes » sociologiques ou politiques de la situation algérienne,
contre les féministes explicites, distinguées des femmes qui seraient, elles, des vraies
femmes et dont le courage « modeste » légitimerait une lutte « raisonnable ». Ce que
montre également la capacité étonnante de déni de l'action des féministes, déni si évi-dent dans la proposition que ce qu'elles obtiennent serait arrivé de toute façon, car La confrontation des féministes en particulier au racisme en général
conforme à « l'évolution de la société ». Les féministes sont des citoyens que la structure
sociale, l'organisation et le fonctionnement de leur société concernent qu'elles le
veuillent ou non, puisque, en effet, elles interviennent dans cette organisation. Dont
aujourd'hui le racisme, dont l'antisémitisme est l'une des formes, est un trait structurel.
En fait, une bonne part des analyses du racisme repose sur, ou implique, le pré-supposé qu'il serait un phénomène autonome, sorte d'excroissance ou de « corps étranger » dans la société où il se produit. Cependant l'antisémitisme et le racisme nazi, l'apartheid, la ligne de couleur aux États-Unis, en France l'antisémitisme, de l'affaire
Dreyfus aux lois antisémites de l'État français (1940-1944) et à sa continuité dans le
champ politique avec le Front National, le racisme contre les Maghrébins et les
Africains, ne sont pas des phénomènes « extérieurs » à leur société, ils lui sont intrinsè-quement liés. Ce ne sont pas d'incompréhensibles accidents. Ils sont inscrits dans les lois ou « institutionnels », ce qu'on nomme systémique dans les sciences sociales, ce qui suppose un processus de mise en œuvre d'une intention politique délibérée. Mais plus,
dans certaines formes sociales, à certains moments historiques, le racisme est le fonde-ment du projet social. Comme la soumission des femmes et leur appropriation, qui sont factuellement le socle des sociétés historiquement et actuellement connues, sont explicitement un constituant fondamental des formes nationalistes, communautaires
(là encore, ces termes sont imprécis mais acceptons-les provisoirement pour désigner
les projets de fermeture sur soi et d'exclusion comme d'exaltation du groupe).

Sans analyse des formes sociales, on traite racisme et sexisme comme des épiphéno-mènes ou des affaires conjoncturelles, bref des sortes de dysfonctionnement. On s'em-pêche ainsi, on s'interdit même, de voir comment les ségrégations, les inégalités matérielles, la dépendance, de situations de fait se transforment en pratiques institution-nelles, en règles et structures sociales, en lois. Et de factuelles deviennent intentionnelles
et organiques. Une illusion à laquelle il est tentant de succomber voudrait qu'un mou-vement d'émancipation, un mouvement minoritaire né de la persécution, de la connais-sance de l'oppression ou de la contrainte, devrait les reconnaître en toutes circonstances et dans tous les groupes qui en sont les cibles. Et surtout ne jamais les pratiquer, ni — c'est le moins — les relayer. Illusion, en effet. Et singulière expérience que de voir, parmi
les siennes, au plus proche de soi, le déni parfois, l'ignorance souvent. Et à certains
moments, brutalement, le relais et l'adoption du racisme de la société banale.

L'arrogance raciste a une série de conséquences, dont d'aveugler les femmes vis-à-vis les unes des autres. Cette arrogance est l'expression d'un rapport de force où certains groupes sont à la merci d'autres groupes. Et les femmes appartiennent à ces groupes, à tous et à chacun de ces groupes. Et quand on dit ici « appartiennent », c'est
aux deux sens du terme qu'il faut l'entendre : au sens propre et matériel d'appartenir
aux hommes de ce groupe (qui décident de la forme et des actions du groupe). Et au
sens figuré, qui est tout autant fondateur, d'appartenir à cette histoire, à cette culture,
à cette langue, à cette classe, à cette religion, etc., bref au sens de manière d'être au
monde et au sens de conscience. Or l'arrogance raciste s'exprime précisément dans le
déni du rapport de force lui- même et dans le déni des effets du rapport de force. Au
plus, elles les prétend imaginaires ou secondaires, attribuant alors une tournure d'es-prit « victimiste » à celles qui en sont l'objet. A ce propos, le reproche de « victimisa-tion », si souvent repris, dans une perspective de disqualification, à l'encontre du féminisme et plus souvent encore à l'intérieur du mouvement, est une constante du
discours raciste lui-même. Il intervient dans les circonstances politiques où un groupe
discriminé dit qu'il l'est, dit comment il l'est et dit que ce n'est pas admissible. On
appelle cela « se poser en victimes ». Comme s'ils décidaient, eux, d'être victimes,
comme s'il s'agissait dans leurs propos de pure incantation, sans fondement réel alors
même qu'ils parlent des moyens employés contre eux pour les maintenir dans la sujé-tion, la dépendance ou la fragilité, des moyens employés contre eux pour les tuer. C'est une opération de disqualification sans doute, mais c'est aussi une opération de déni.

C'est dénier d'abord la sujétion et la dépendance mais également les pratiques qui les
accompagnent, les bénéfices qui en sont tirés, les conséquences de cet assujettissement.
C'est dans le racisme d'abord que j'ai remarqué ce biais particulier du déni qu'est
l'accusation de victimisation et sans doute cela m'a-t-il aidé à comprendre ce qui se
passait à l'encontre du féminisme (et des femmes) et dans le mouvement lui-même.
Arrogance raciste, dont l'envers est une culpabilité affichée (un sentiment de culpabi-lité) tout théorique et formel, forme d'hommage du vice à la vertu et qui dispense tout autant de considérer les faits, qui ne fait que revêtir l'aveuglement du manteau de la respectabilité.

À quoi est-on aveugle ici ? Aux rapports de force impliqués. Doubles et toujours à
l'œuvre ensemble

• Ceux qui soumettent certains groupes aux autres ou soumettent les autres à eux
(car ce n'est pas une situation symétrique, l'un de ses caractères spécifiques étant,
justement, la dissymétrie). Quand on parle de groupe ici, on désigne les ensembles
sociaux maintenus par la reproduction, quel que soit par ailleurs leur caractère
particulier : classe, religion, nation, culture, « race », etc.
• Ceux qui mettent les femmes à la merci des hommes, de leur groupe précisément,
lesquels sont constitutifs des précédents et leur sont organiquement liés au sens
strict du terme.

Ce sont à ces derniers rapports que se confrontent les féministes. Explicitement. Et elles
sont obligatoirement confrontées aux premiers dans la mesure où les relations des
femmes aux hommes sont partie prenante des relations des hommes entre eux. Penser
aux femmes, penser les femmes, oblige à prendre en compte les deux termes. Appartenir
à certains groupes permet ou bien empêche d'être lesbienne (je ne dis pas homo-sexuelle). Appartenir à certains groupes confronte directement aux hommes auxquels on appartient, mais pas à tous les hommes. Appartenir à certains groupes signifie être tué pour être né dans ce groupe et tué avec le groupe dans son ensemble. Appartenir à
certains groupes signifie être ségrégué ou emprisonné ou chassé ou discriminé pour
appartenir à ce groupe, avec le groupe dans son ensemble. Appartenir à certains
groupes confronte directement aux hommes auxquels on appartient et confronte, de
La confrontation des féministes en particulier au racisme en général
surcroît et souvent d'abord, aux hommes qui tiennent à merci les hommes auxquels
on appartient. Appartenir à certains groupes vous met dans la position d'enjeu, de
proie ou de moyen dans la guerre que mènent ces groupes avec d'autres ou dans la
guerre qu'ils sont forcés de subir (etc., hélas !). Car, en effet, dans la mesure même où
les femmes sont sociologiquement fonction des hommes (dans la dépendance et « à la
merci » est la forme que prend cette fonction de type algébrique), les féministes,
comme les femmes, sont diverses. Et ce qui les met ensemble est en même temps très
simple — leur commune domination par les hommes et très complexe — les hommes
des différents groupes ne sont pas dans une relation neutre et symétrique où chaque
groupe n'existerait que par des caractéristiques aléatoires, idéalement équivalentes. Et
les femmes ne flottent pas au-dessus de la mêlée, mais sont bien de leur histoire, de leur
langue, de leur culture et plus, de la place que leur assigne leur groupe de naissance
dans l'ensemble des relations pas du tout neutres et égalitaires qu'entretiennent entre
eux ces divers groupes.

La tentative d'en sortir avec cette fameuse « différence » des femmes qui les ferait
toutes semblables en face des hommes, toutes semblables par nature, métaphysique-ment, revient précisément à éviter de connaître et d'affronter le rapport de force : en affirmant une spécificité d'essence féminine, on voile sûrement les rapports de force avec les hommes, mais on dénie également les rapports de force entre les hommes,
dont les femmes sont partie prenante malgré elles (mais aussi parfois très volontaire-ment). Ou bien, en faisant appel à la spécificité des appartenances, nommée diversité culturelle, où toutes les femmes sont différentes les unes des autres selon l'histoire et la place de leur groupe d'appartenance et ainsi résorbées dans leur groupe, déniées. Dans
les deux cas, la renonciation à la compréhension de ce qui fait les femmes est complète.
De ce qui construit les femmes et les hommes (qui n'existent pas l'un sans l'autre, cela
va sans dire, mais tant et si bien qu'on finit par n'y plus penser). De la relation de sexe
dans les groupes sociaux de reproduction. De l'usage et de l'instrumentalisation des
femmes, de leur assignation et de leur place d'objet et d'outil de la transmission et de
la reproduction. Ce contre quoi une part non négligeable d'entre elles se révolte et ce
de différentes façons selon les possi- bilités et les circonstances. (Mais toutes ne s'in-surgent pas.) Cette révolte n'est pas dirigée contre ce qui, du groupe, constitue l'indi-vidu, ce qui les fait elles- mêmes, nous fait nous-mêmes : langue, histoire, culture, dont nous sommes ; mais contre notre instrumentalisation et notre usage par les hommes.
Il est tout à fait erroné, il me semble, de dire « en tant que femme ET en tant que x, z
ou n ». Car ce sont les relations de pouvoir entre groupes qui imposent l'idée d'une telle
coupure. Un être humain est un, conscience et sujet pour lui-même. Il peut avoir à
faire face à des situations conflictuelles ou complexes, mais c'est autre chose qu'une
conscience multiple : lui-même est un sujet unique. L'idée de « la différence », celle
d'une spécificité métaphysique du « féminin » ou bien celle de femmes « différentes »
par immersion irréductible dans leur seule appartenance de groupe sont l'une et l'autre
l'effet d'un affrontement refusé à la structure sexuelle de nos sociétés, du renoncement
à la réflexion sur elle. Refus et renoncement dont les effets nous déchirent.

Pour terminer, mais certainement pas pour finir (ou le contraire, je ne sais),
quelques remarques de vocabulaire puisque les mots sont nos outils de travail. J'ai les
plus grandes réserves, qui ne font que croître, sur les termes « patriarcat » et « genre ».
Je leur préfère « domination des hommes » et « sexe ». En ce sens que « patriarcat »
désigne un mode particulier, une variante, historiquement et géographiquement déli-mitée, de la domination des hommes et que « genre » finit par masquer plus ou moins le fait que le sexe anatomique qui est le déterminant social du genre (ce que signifie bien le terme) l'est obligatoirement et impérativement. Ce n'est pas central à notre
préoccupation ici, encore que la dénomination soit dans l'analyse des rapports de sexe
un point crucial. Cette analyse de ce que sont nos sociétés et des liens qu'entretient le
racisme avec la division sexuelle, ses effets sur les femmes des différents groupes et leurs
relations entre elles est, elle,

Note
1.1. Ce texte a été initialement publié en 1998 par l'Association Nationale des Études Féministes
(ANEF). GUILLAUMIN, C. (1998), « La confrontation des féministes en particulier au racisme en général.
Remarques sur les relations du féminisme à ses sociétés », paru dans « Les féministes face à l'antisémitisme
et au racisme », Journée de l'ANEF du 14 Juin 1997, Supplément du Bulletin de l'Association Nationale des
Études Féministes, n° 26, p. 7-14

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Aide médicale d’État : les femmes précaires dans le collimateur du gouvernement ?

Le gouvernement s'oriente vers une réforme de l'Aide médicale d'État (AME) via une série de mesures techniques, sans information de l'opinion publique ni débat parlementaire et (…)

Le gouvernement s'oriente vers une réforme de l'Aide médicale d'État (AME) via une série de mesures techniques, sans information de l'opinion publique ni débat parlementaire et malgré les alertes de nos associations. Si le texte est adopté, il aura pour conséquence de priver de soins des dizaines de milliers de femmes étrangères en situation de précarité. Une stratégie qui interroge alors même que le gouvernement affirmait avoir hissé la défense des droits des femmes comme Grande cause nationale. 

En décembre 2023, le gouvernement reconnaissait, par la voix de sa Première Ministre, que « l'AME est un dispositif sanitaire utile, globalement maîtrisé et qu'il ne constitue pas en tant que tel un facteur d'incitation à l'immigration irrégulière dans notre pays ». Il envisage pourtant aujourd'hui d'introduire une série de mesures d'apparence technique qui affecteraient tout particulièrement les femmes les plus précaires, qui étaient près de 193 000 à bénéficier de l'AME en 2023. 

L'AME est réservée aux personnes gagnant moins de 847 euros par mois (pour une personne seule). Le gouvernement veut désormais prendre en compte les ressources du conjoint (français ou étranger en situation régulière), si celui-ci est affilié à la sécurité sociale. Dans un couple où seule une personne est sans-papiers, celle-ci pourrait alors être privée de l'AME si son conjoint dispose de ressources dépassant le seuil. S'ajouterait à cela un durcissement de la justification de l'identité, qui entraînerait des conséquences désastreuses pour nombre de femmes victimes de violences qui se voient confisquer, voire détruire, leur document d'identité ou font face à un chantage aux papiers.

Avec une telle réforme, promise par le gouvernement face aux pressions de la droite et de l'extrême-droite pendant les débats parlementaires sur la loi immigration et élaborée aujourd'hui à l'abri des regards, bon nombre de femmes étrangères risquent de ne plus pouvoir se soigner.

Ces femmes, nos organisations les connaissent : elles présentent des risques accrus de précarité économique et sociale par rapport aux hommes. La pauvreté s'aggrave en France et, on le sait, touche plus violemment les femmes, qui étaient 4,9 millions sous le seuil de pauvreté en 2019 (Insee).

Ces femmes menacées d'une exclusion des soins sont, par exemple, celles qui travaillent, à temps partiel, caissières de supermarché et aides à domicile, détentrices d'un contrat de travail pour un métier « essentiel », de manière déclarée avec paiement de cotisations sociales, sans qu'elles disposent d'un titre de séjour ou d'un justificatif d'identité en bonne et due forme. D'autres sont obligées de travailler sans être déclarées, ce qui les prive de l'assurance maladie. 

Ce sont aussi des femmes mariées à une personne française ou en situation régulière, en attente de régularisation depuis des mois, voire plusieurs années, notamment du fait d'innombrables difficultés administratives (impossibilité de prendre rendez-vous, absence de délivrance de récépissés ou d'attestation de prolongation de l'instruction, etc.).

Ce sont également ces femmes victimes de violences sexistes : conjugales, intrafamiliales ou sexuelles, ou de chantages aux papiers, qui peinent à quitter leur conjoint disposant lui, d'un salaire, mais qui n'ont pas personnellement les moyens de financer un divorce, et qui restent de ce fait juridiquement liées à leur ex-conjoint. Nous savons que l'une des manifestations des violences conjugales est précisément la violence financière, l'auteur de violences maintenant sa partenaire sous sa domination, l'obligeant à lui demander de l'argent pour la moindre dépense, même personnelle.

Nos organisations refusent que des dizaines de milliers de femmes n'aient accès à aucune couverture maladie pour se soigner. Nous appelons le gouvernement à renoncer à cette réforme.

Communiqué du 17 avril 2024

Signataires :
Women for Women France
Réseau européen des femmes migrantes
Le Rajfire
Planning familial
Osez le féminisme
Maison des femmes de Paris
Maison des femmes de Montreuil
Maison des femmes d'Asnières sur Seine
Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie
Fédération Nationale des CIDFF
Fédération nationale Solidarité Femmes
Excisions parlons-en
Elles aussi
La CLEF
Amicale du Nid
La Cimade
Comede
Emmaüs France
Fondation Abbé Pierre
France Assos Santé
Fasti
Gisti
Ligue des droits de l'Homme
Samu social de Paris
Secours catholique – Caritas France
Uniopss

https://www.gisti.org/spip.php?article7218
https://blogs.mediapart.fr/association-gisti/blog/170424/aide-medicale-d-etat-les-femmes-precaires-dans-le-collimateur-du-gouvernement

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Déclaration sur le génocide à Gaza

23 avril 2024, par Feminist Dissent — , ,
Note : Depuis que nous avons écrit cette déclaration, un nouveau cycle de violence s'est ouvert au Moyen-Orient, déclenché par l'attaque israélienne contre le consulat iranien (…)

Note : Depuis que nous avons écrit cette déclaration, un nouveau cycle de violence s'est ouvert au Moyen-Orient, déclenché par l'attaque israélienne contre le consulat iranien en Syrie et par l'attaque massive de drones et de missiles iraniens contre Israël, qui a été abattue avec l'aide des forces britanniques et américaines. Où cela se terminera-t-il ?

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/04/18/feminist-dissent-declaration-sur-le-genocide-a-gaza-et-autres-textes/

Feminist Dissent tient à remercier l'artiste palestinienne Malak Mattar de nous avoir autorisés à utiliser l'image de sa peinture Thawra/Révolution. Mattar est une artiste de 22 ans originaire de Gaza.

Le dimanche 7 avril 2024 a marqué exactement six mois depuis qu'Israël a déclenché sa guerre brutale contre le peuple palestinien à Gaza, une guerre qui ne semble pas près de s'arrêter.

À Feminist Dissent, nous avons du mal à trouver les mots pour décrire la douleur et la rage que nous ressentons face à la cruauté et à l'injustice qui se sont manifestées depuis le 7 octobre 2023. Ce jour-là, le Hamas et ses associés ont attaqué, torturé et assassiné de nombreux et nombreuses civils israéliens et ressortissant·es étranger·es, y compris des femmes et des enfants – 1200 personnes ont été tuées et 253 prises en otage, dont seulement 112 ont été libérées ou sauvées et 12 corps ont été retrouvés. Parmi les personnes agressées et tuées figuraient des militant·es pacifistes, dont certains·e étaient elleux-mêmes des survivant·es·de l'Holocauste, qui s'étaient engagé·es depuis longtemps à vivre au service de l'humanisme, de la compassion et de la réconciliation entre les deux peuples. Le Hamas ne faisait pas de distinction entre la population civile et l'État israélien.

Israël ne l'a pas fait non plus lorsqu'il a entamé sa campagne de vengeance – ostensiblement contre le Hamas – qui s'est avérée être une guerre brutale et totale contre la population de Gaza qui continue d'être diabolisée, déshumanisée, disloquée et tuée en masse. Au cours des six derniers mois, 33 494 Palestiniens·ne sont mort·es, dont plus de 13 000 enfants et 8 400 femmes. Huit mille autres personnes sont portées disparues. Ces chiffres ne tiennent pas compte des blessé·es et des mort·es en Cisjordanie.

Il est évident qu'il ne s'agit pas d'une guerre symétrique ou d'une guerre sans contexte. Si le Hamas et l'État israélien représentent tous deux des forces fondamentalistes et antidémocratiques de terreur et de répression qui se nourrissent l'une de l'autre, ils le font dans une dynamique profondément inégale dans laquelle Israël est la force dominante, en raison de sa puissance militaire et du soutien occidental. Depuis des années, Gaza est pratiquement une prison à ciel ouvert et Israël a longtemps cru que sa politique de division et de domination des différentes factions palestiniennes lui permettrait de continuer à dominer les Palestinien·nes sans être inquiété. Il aspire à une « normalisation » avec d'autres pays du Moyen-Orient tout en ignorant la question palestinienne. L'attaque du Hamas montre les limites de ces politiques, en particulier dans un Israël néolibéralisé et religieux qui a abandonné la plupart de ses citoyen·nes au profit d'intérêts économiques spécifiques et surtout d'intérêts religieux et nationalistes.

La relation entre Israélien·nes et Palestinien·nes doit être comprise à travers une histoire de colonialisme de peuplement, d'occupation et d'apartheid racialisé, alimentée par le projet sioniste de peuplement et, de plus en plus, par la politique juive de droite et fondamentaliste. La tragédie de cette guerre est que l'attaque du Hamas a renforcé l'angoisse existentielle des Israélien nes et ajouté la soif de vengeance à la déshumanisation croissante de « l'autre », qui s'est accrue dans les politiques d'occupation israéliennes. En conséquence, l'objectif de la guerre visant à « en finir avec le Hamas » – une organisation qu'Israël a cultivée pendant des années en tant que pouvoir politique intra-palestinien s'opposant à l'OLP laïque puis plus progressiste – est devenu dans la pratique une guerre visant à l'anéantissement total de la Palestine. En bloquant l'aide humanitaire et en détruisant l'infrastructure juridique, sociale, culturelle, religieuse et économique palestinienne nécessaire à la vie, Israël est passé du domicide à des politiques génocidaires permanentes qui utilisent la famine comme arme contre la population de Gaza. La campagne militaire d'Israël, pilotée par l'intelligence artificielle, lui a permis d'étendre la guerre dans toutes les directions pour englober toutes les parties de la société palestinienne, y compris les journalistes, les éducateurs et les éducatrices, les travailleurs et les travailleuses de la santé et de l'aide humanitaire, les personnes âgées et les malades. Les mort·es, les déplacements et la dévastation généralisés qui ont suivi ont conduit les Nations unies et de nombreuses agences humanitaires à mettre en garde contre le « danger imminent de famine », qui est en fait déjà une réalité pour un nombre croissant d'habitant·es de Gaza, en particulier dans le nord.

Les signes avant-coureurs d'un génocide imminent étaient là depuis le début. Suite au tollé international, en janvier 2024, l'Afrique du Sud a réussi à pousser la Cour internationale de justice à statuer provisoirement qu'Israël est engagé dans des actes plausibles de génocide et à appeler à un cessez-le-feu immédiat en conformité avec les obligations d'Israël en vertu de la Convention sur le génocide. Le rejet éhonté de la décision par Israël témoigne d'un stupéfiant sentiment d'impunité rendu possible par le soutien du Royaume-Uni et d'autres puissances occidentales. L'encouragement, le soutien militaire et financier d'Israël par les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et d'autres pays constituent un nouveau fiasco dans notre ordre mondial d'après-guerre fondé sur des règles. Il s'agit d'une démonstration flagrante de complicité opportuniste et de la dégradation d'un leadership mondial qui a atteint des niveaux dangereux de faillite juridique, morale et politique. C'est précisément cette collusion qui a conduit d'anciens juges et avocat·es de la Cour suprême du Royaume-Uni à prendre la mesure sans précédent de publier une lettre avertissant que le Royaume-Uni risque lui-même d'enfreindre gravement le droit humanitaire international par le biais de politiques telles que son commerce d'armes avec Israël.

Les violences sexuelles et les viols commis par le Hamas à l'encontre des femmes israéliennes constituent une dimension supplémentaire de la guerre. En ce qui concerne le 7 octobre 2023, des preuves crédibles montrent qu'il s'agit d'une attaque calculée contre des femmes israéliennes dont les corps ont été violés, mutilés et utilisés comme armes de guerre. Nous dénonçons ces actes de brutalité et de dépravation dans les termes les plus forts possibles et soutenons les enquêtes indépendantes sur ces événements en tant que crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Bien que les violences sexuelles n'aient pas atteint l'ampleur des guerres de Bosnie ou du Rwanda, il est clair que le Hamas avait l'intention de se venger en humiliant et en dégradant les femmes israéliennes.

Mais les actes de viol et de mutilation du Hamas proviennent de la même source idéologique qui se manifeste sur le corps des femmes palestiniennes. À l'instar de tous les mouvements fondamentalistes religieux, le Hamas a fait reculer les droits des femmes à Gaza en imposant des normes et des lois discriminatoires de la charia qui considèrent les femmes comme inférieures et justifient les restrictions de leurs mouvements, leur oppression et d'autres formes de violence à leur encontre. Par exemple, le nombre de femmes palestiniennes agressées ou tuées, y compris dans des crimes dits d'honneur, par des hommes violents a augmenté d'année en année à Gaza et dans d'autres territoires palestiniens.

Ce n'est là qu'une des nombreuses raisons pour lesquelles le Hamas ne symbolise pas une lutte héroïque pour la libération de la Palestine, comme l'ont prétendu de nombreux membres de la gauche. Il s'agit d'un groupe islamiste militant qui a été créé à partir des Frères musulmans fondamentalistes par l'État israélien à Gaza pour semer la division et affaiblir la lutte des Palestinien·nes pour la liberté. Il ne se préoccupe pas plus des droits humains des femmes que l'État israélien, qui n'a pas hésité à instrumentaliser le viol et la violence sexuelle des femmes israéliennes pour justifier le massacre des Palestinien·nes. Nous ne devons pas oublier qu'Israël a lui aussi une longue et sordide histoire d'utilisation de la violence sexuelle contre les femmes, voire les hommes et les garçons palestiniens, comme arme de torture. Dans le même temps, il apaise également les forces fondamentalistes juives et ultra-orthodoxes qui exigent un plus grand contrôle patriarcal des femmes au sein de la société israélienne.

Le recours au viol et à la violence contre les femmes dans n'importe quel contexte doit être condamné, mais il en va de même pour l'assujettissement du peuple palestinien par Israël, qui dépend non seulement d'une violence et d'une surveillance aveugles, mais aussi d'un génocide en soi.

Il est difficile d'avoir de l'espoir en ces temps très sombres. Mais nous ferions bien de nous rappeler qu'en Israël, la résistance au mépris de Netanyahou pour la vie des otages et de leurs familles et à sa politique belliciste se développe, même si c'est pour des raisons politiques différentes. Si l'existence d'Israël en tant qu'État ethno-nationaliste et d'apartheid n'est pas encore sérieusement menacée, sa prétention douteuse à la démocratie et à la recherche de la paix s'effiloche rapidement.

Alors que la plupart des hommes politiques continuent d'excuser ou de défendre les actions d'Israël, en dehors d'Israël, la résistance de tous les secteurs de la société civile prend de l'ampleur. Guidés par les notions de liberté, d'État de droit et de justice sociale, de plus en plus de personnes réclament non seulement la fin de la guerre ou même de l'occupation post-1967, mais aussi la transformation de la Palestine/Israël en un État où tous les résident·es, quelle que soit leur origine ethnique, nationale, leur sexe ou leur classe sociale, peuvent jouir de droits humains et civils individuels et collectifs égaux. Pour celles d'entre nous qui se considèrent comme des féministes laïques, antiracistes, anti-fondamentalistes et socialistes, la lutte pour la survie de notre humanité et des valeurs fondamentales qui devraient la sous-tendre est devenue une lutte politique urgente.

https://feministdissent.org/blog-posts/statement-on-the-genocide-in-gaza/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Sahel : la vague de chaleur meurtrière provoquée par un changement climatique « d’origine humaine »

23 avril 2024, par El-Watan — ,
Une étude publiée jeudi 18 avril par les scientifiques du réseau World Weather Attribution (WWA) établit un lien entre la vague de chaleur meurtrière qui a frappé le Sahel (…)

Une étude publiée jeudi 18 avril par les scientifiques du réseau World Weather Attribution (WWA) établit un lien entre la vague de chaleur meurtrière qui a frappé le Sahel début avril et le changement climatique d'origine humaine.

Tiré de El watan-dz
18 avril 2024

Rédaction web/AFP
1205

Du 1er au 5 avril, le Mali et le Burkina Faso ont été affectés par une vague de chaleur exceptionnelle en termes de durée et d'intensité, avec des températures dépassant les 45°C, entraînant de nombreux décès dans ces régions.

Selon les observations et les modèles de températures analysés, les scientifiques concluent que de telles vagues de chaleur auraient été impossibles sans un réchauffement global d'origine humaine, estimé à 1,2 °C. En effet, un épisode de cette ampleur dans la région ne survient normalement qu'une fois tous les 200 ans.

Les chercheurs soulignent que si les humains n'avaient pas provoqué le réchauffement planétaire en brûlant des énergies fossiles, la vague de chaleur d'avril aurait été moins intense de 1,4 °C dans la région. Ils avertissent que de telles tendances se poursuivront avec le réchauffement futur, et estiment qu'une augmentation supplémentaire d'un degré dans un monde déjà plus chaud de 0,8°C rendrait ces vagues de chaleur 10 fois plus fréquentes qu'actuellement.

La durée et la gravité de cette vague de chaleur ont entraîné une augmentation des décès et des hospitalisations, même si les populations locales sont habituées à des températures élevées. Bien qu'il soit difficile de quantifier précisément le nombre de victimes en raison du manque de données disponibles, il est probable qu'il y ait eu des centaines, voire des milliers de décès liés à la chaleur.

Les personnes âgées et les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables aux vagues de chaleur, qui ont également affecté le fonctionnement des services de santé en raison des coupures de courant et des conditions climatiques extrêmes. Cette situation a mis en lumière l'impact dévastateur du changement climatique sur la santé et la sécurité des populations du Sahel.

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G7 : Accords en vue

23 avril 2024, par Bruno Marquis — ,
Les chefs d'État du G7 – États-Unis, Allemagne, Japon, France, Royaume-Uni, Italie et Canada – se réuniront dans la région des Pouilles, en Italie, du 13 au 15 juin. (…)

Les chefs d'État du G7 – États-Unis, Allemagne, Japon, France, Royaume-Uni, Italie et Canada – se réuniront dans la région des Pouilles, en Italie, du 13 au 15 juin.

Journaux et analystes patentés nous donneront l'impression d'ici là que l'on risque encore une fois de ne pas trop s'entendre sur certaines questions, en matière de lutte contre les changements climatiques ou au sujet de conflits en cours, lors de ce grand sommet du capital.

Vous pouvez toutefois être rassurés sur l'essentiel. Parce que tous ils s'entendront encore une fois comme larrons en foire, soyez-en sûrs, sur tout ce qui compte vraiment :

– laisser la destinée du monde entre les mains des riches, des banques et des multinationales ;

– spolier pour leur compte les pays pauvres de leurs ressources avec tout l'arsenal nécessaire de mesures économiques, politiques et militaires pour les assujettir complètement, anéantir leur marche vers la démocratie et la justice et réduire leurs populations à la pauvreté et à l'obéissance ;

maintenir la démocratie à l'état embryonnaire dans les pays riches et en détruire le plus possible l'émergence dans les pays plus pauvres, d'une part par le contrôle privé et public de l'information et des sources de divertissement, d'autre part par la force et l'intimidation ;

et empêcher coûte que coûte le partage des pouvoirs propre à ce que serait une vraie démocratie – la démocratie directe - et le partage équitable des ressources et responsabilités qui en découleraient.

Que faire ? Eh bien commencer par le commencement ! La prochaine fois, plutôt que de parler de tout et de rien à nos proches et amis, de potins ou de sports, parlons-leur de notre monde, de ce qui nous concerne, de justice sociale, d'égalité, de véritable démocratie. Parlons-leur et parlons-nous de ce qui compte vraiment pour nous et recommençons à semer le désir de changement…

Si puissants qu'ils puissent être, la faible minorité des possédants ne sera pas éternellement en mesure de maintenir le couvercle sur les espoirs en ébullition de la vaste majorité.

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Un nouveau rapport accuse l’UNESCO de complicité dans des expulsions et des violations de droits humains à l’encontre de peuples autochtones

23 avril 2024, par Survival — ,
À l'occasion de la Journée du patrimoine mondial (le 18 avril), un nouveau rapport de Survival International accuse l'UNESCO de complicité dans des affaires d'expulsions (…)

À l'occasion de la Journée du patrimoine mondial (le 18 avril), un nouveau rapport de Survival International accuse l'UNESCO de complicité dans des affaires d'expulsions illégales et de violations de droits humains à l'encontre de peuples autochtones. Ce document mentionne que de nombreux sites classés au patrimoine mondial de l'UNESCO sont le théâtre de graves abus, commis de manière récurrente au nom de la conservation.

Tiré de https://www.survivalinternational.fr/actu/13928
18 Avril 2024

Photo :Dans le parc national de Kahuzi-Biega, site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, des gardes et des soldats brûlent les maisons des Batwa afin de chasser ce peuple autochtone du parc, sa terre ancestrale. © KBNP

Des enquêtes de terrain réalisées par des chercheurs et chercheuses de Survival dans des communautés autochtones en Afrique et Asie ont permis de mettre au jour des cas répétés de torture, de viols et de meurtres à l'intérieur et autour de sites classés au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Le rapport mentionne six sites classés au patrimoine mondial occupant des terres volées à des peuples autochtones, incluant les trois exemples suivants.

Zone de conservation de Ngorongoro, Tanzanie

Dans cette célèbre destination touristique, on assiste aujourd'hui à des opérations de “sécurité” destinées à intimider les communautés autochtones et à la suspension des services de base, le gouvernement tanzanien mettant en œuvre son projet d'expulser des milliers de Massaï des terres sur lesquelles ils vivent depuis des générations. L'UNESCO a explicitement soutenu ces expulsions. Un leader massaï ayant témoigné auprès de Survival a déclaré : “Le soutien de l'UNESCO sert à nous expulser. Nous vivons dans la maladie et l'incertitude.”

Parc national de Kahuzi-Biega, République démocratique du Congo

Ce parc national a été ajouté à la liste des sites classés au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1980. En 2019, les autorités du parc, avec le soutien de l'armée congolaise, ont lancé une campagne visant à expulser de la forêt tous les Batwa qui étaient revenus sur leurs terres ancestrales l'année précédente. Elles ont mené des attaques extrêmement violentes contre des villages batwa et perpétré de nombreuses atrocités amplement documentées. L'UNESCO a encouragé une approche basée sur la force et la militarisation, et a pressé le gouvernement congolais d'“augmenter l'étendue et la fréquence des patrouilles” et d'“évacuer les occupants illégaux”. Les Batwa ont énormément souffert de ces attaques, mais ont déclaré : “Nous vivons dans la forêt. Lorsqu'ils nous voient, ils nous violent. Ceux d'entre nous qui mourront mourront, mais nous resterons dans la forêt.”

Parc national d'Odzala-Kokoua, République du Congo

Ce parc a été ajouté à la liste des sites classés au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2023, en dépit des violations des droits humains, largement documentées, qui y ont été commises, incluant notamment des cas de viols et de torture. Un homme baka ayant été expulsé de la forêt a déclaré à Survival : “Nous avons besoin de la forêt. Nos enfants ne connaissent plus les animaux ni les plantes médicinales traditionnelles. Aujourd'hui, les Baka vivent sur le bitume.”

Deux hommes baka issus d'une communauté expulsée pour laisser place au parc national d'Odzala-Kokoua.
Le parc a été ajouté à la liste des sites classés au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2023. © Fiore Longo/Survival

Survival demande à l'UNESCO de :

cesser de soutenir les violations des droits humains des peuples autochtones commises au nom de la conservation ;

supprimer de sa liste des sites classés au patrimoine mondial tout territoire sur lequel sont perpétrés des atrocités et des abus à l'encontre de peuples autochtones et autres communautés locales ;

promouvoir un modèle de conservation basé sur la pleine reconnaissance des droits des peuples autochtones.
Survival lance une journée d'activisme en ligne pour marquer la publication du rapport ; nous invitons le public à
partager une nouvelle vidéo et à utiliser le hashtag #DecolonizeUNESCO. La vidéo sera disponible sur la page Instagramde Survival.

La directrice de Survival au Royaume-Uni, Caroline Pearce, a déclaré aujourd'hui : “L'UNESCO a joué un rôle clé dans la légitimation d'un grand nombre d'Aires protégées parmi les plus célèbres en Afrique et en Asie, et a largement ignoré les atrocités, pourtant bien attestées, commises sous sa supervision. Ce que l'organisation appelle “sites classés au patrimoine naturel” sont très souvent les terres ancestrales de peuples autochtones leur ayant été volées. Ces peuples y sont aujourd'hui interdits d'accès et subissent des campagnes d'intimidation et de terreur. La complicité de l'UNESCO va au-delà du silence : elle soutient activement des gouvernements et des actions qui violent les droits des peuples autochtones. Elle doit retirer le statut de site classé au patrimoine mondial à tout territoire où de telles exactions se produisent.”

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Le directeur de l’Aut’Journal souhaite la capitulation de l’Ukraine

23 avril 2024, par Marc Bonhomme — , ,
La conjoncture de la guerre contre l'Ukraine, devenue favorable à l'invasive Russie suite au déficit d'armements de l'Ukraine qui réjouit campistes pro-russe et faux (…)

La conjoncture de la guerre contre l'Ukraine, devenue favorable à l'invasive Russie suite au déficit d'armements de l'Ukraine qui réjouit campistes pro-russe et faux pacifistes, est l'occasion du énième retour de la fable de l'entente de paix ratée à la Conférence d'Istanbul à la fin mars 2022 quand il était devenu manifeste que le blitz russe pour conquérir l'Ukraine avait été mis en échec mais que la Russie n'avait pas pour autant reculé jusqu'aux points de départ de son invasion, soit la frontière entre les deux pays, y compris la Biélorussie, mais aussi celle délimitant la zone est (partie du Donbas) subrepticement conquise en 2014 sur la base de manipulations de troubles internes, conquête reconnue en plein jour la veille de l'invasion du 24 février 2022, et de la Crimée annexée suite à un référendum bidon sous contrôle de l'armée russe.

21 avril 2024

Voilà qu'au Québec, le directeur de l'Aut'Journal, sous prétexte d'un article sur le sujet dans la prestigieuse revue Foreign Affairs publié par un think tank imbriqué dans la politique étrangère des ÉU, y est allé d'un plaidoyer défendant hardiment cette fable.

L'OTAN belliqueux de l'un n'a rien à voir avec l'OTAN protecteur des autres

Le nœud de la fable consiste en la visite surprise du Premier ministre britannique Johnson à Kiev le 30 mars 2022. Celui-ci aurait dit au président Zelensky de ne pas signer la proposition d'accord négocié à Istanbul et de continuer la guerre qui tournait à leur avantage. Zelensky aurait immédiatement obtempéré aux ordres de cet émissaire de l'OTAN. On constate immédiatement le contexte de la fable. L'Ukraine est un pion aux ordres des ÉU et de l'OTAN dans une guerre où la Russie cherche à briser la pression de l'OTAN, qui a intégré l'Europe centrale et orientale depuis déjà près ou plus de 20 ans pour les pays les plus importants. Pour ce faire, elle envahit l'Ukraine qui ne la menace nullement pas plus que l'OTAN, dont l'Ukraine n'est pas membre. Le peuple ukrainien était alors très divisé sur le sujet. Les membres de l'OTAN, surtout ceux européens, ne voulaient pas de cette adhésion et encore aujourd'hui puisque justement ils seraient dans l'obligation de défendre l'Ukraine en cas d'invasion.

En fait, avant l'invasion russe de 2022, l'OTAN était en crise — en « mort cérébrale » selon le président français — suite au fiasco afghan. Le président russe Poutine, qui n'a pas digéré le démantèlement de l'URSS en 1989-90 et dont le rentier capitaliste de connivence (crony capitalism) était en mal de fuite de capitaux, voulait profiter de l'occasion pour les propres fins de l'impérialisme russe. L'invasion se présentait comme une promenade militaire d'autant plus que jusque-là l'écrasement de la Tchétchénie, l'annexion d'une partie de la Géorgie, l'interventionnisme pro-Assad en Syrie et, last but not least, l'invasion-annexion de la Crimée puis celle par étapes du Donbas en 2014 n'avaient causé aucune levée de boucliers de la part des ÉU et de l'OTAN sauf des tapes sur les doigts. Au diable l'engagement de la Russie de respecter les frontières de l'Ukraine compensant la remise à la Russie de son stock d'armes nucléaires, ce qu'elle doit amèrement regretté. L'OTAN est maintenant ressuscitée des morts après avoir gagné l'adhésion de la Suède et de la Finlande.

Le joker ukrainien jette par terre le château de cartes du macabre jeu impérialiste

Le joker dans ce jeu de cartes c'est le peuple ukrainien et son gouvernement néolibéral comme nos gouvernements le sont et élu dans le cadre d'un système parlementaire multipartis tout croche comme les nôtres mais qui n'a rien à voir avec la démocratie illébérale russe se transformant à vue d'œil en dictature de plus en plus répressive. Quant à l'extrême-droite, elle est autrement plus forte en Russie, et liée au gouvernement Poutine en plus d'être en symbiose avec l'extrême-droite européenne, qu'en Ukraine dont l'extrême-droite est électoralement légère en comparaison par exemple avec les extrêmes-droites française et allemande. La résistance héroïque du peuple ukrainien a pris par surprise tout le camp impérialiste, de la Russie aux ÉU en passant par la Chine et l'Union européenne, et même le gouvernement ukrainien lui-même. Cette invasion russe qui se voulait rapidement un fait accompli tout en redistribuant plus marginalement que drastiquement les sphères d'influence géostratégiques chères à tous les impérialismes du monde s'est illico transformé en guerre de libération nationale.

Ce que constatant, un Poutine désemparé a cherché à gagner du temps par la négociation d'un accord de paix afin de regrouper et bonifier son appareil militaire pour d'abord consolider quelques gains, comme l'hécatombe de Marioupol et le massacre de Boutcha, puis reprendre l'offensive. C'est dans cette conjoncture qu'il faut situer les négociations d'Istanbul. Pour ce qui est des détails de l'affaire, une chatte aurait de la difficulté à retrouver ses petits. L'article suivant d'un media alternatif de gauche britannique s'y essaie brillamment. Je me permets d'en tirer la citation suivante : « La réalité sur le terrain a montré que les troupes russes ne se seraient pas retirées des territoires nouvellement occupés dans le sud et l'est de l'Ukraine, et qu'elles se préparaient à y rester durablement. » L'article du directeur de l'Aut'Journal cite pour sa cause le principal négociateur ukrainien :

Le principal négociateur ukrainien, Davyd Arakhamia, a déclaré dans une interview de novembre 2023 à une émission de télévision ukrainienne que la Russie avait « espéré jusqu'au dernier moment qu'elle [pourrait] nous contraindre à signer un tel accord, que nous [adopterions] la neutralité. C'était la chose la plus importante pour eux. Ils étaient prêts à finir la guerre si, comme la Finlande [pendant la guerre froide], nous adoptions la neutralité et nous nous engagions à ne pas rejoindre l'OTAN. »

Fort bien mais il aurait fallu ajouter la suite citée par le site web de l'opposition russe, Meduza :

« C'était essentiellement le point principal. Tout le reste n'était que cosmétique et embellissement politique sur la 'dénazification', la population russophone, bla bla bla », a déclaré M. Arakhamia. Lorsqu'on lui demande pourquoi l'Ukraine n'a pas accepté les conditions de la Russie, Arakhamia se montre résolu :

« Tout d'abord, pour accepter ce point, nous devrions modifier la constitution [ukrainienne]. Notre chemin vers l'OTAN est inscrit dans la Constitution. Deuxièmement, nous ne faisions pas et ne faisons toujours pas confiance aux Russes pour tenir leur parole. Cela n'aurait été possible que si nous avions eu des garanties de sécurité. Nous ne pouvions pas signer quelque chose, nous en aller, tout le monde pousserait un soupir de soulagement, puis [la Russie] nous envahirait, mieux préparée cette fois-ci - car la première fois qu'elle nous a envahis, elle n'était pas préparée à ce que nous résistions autant. Nous ne pourrions donc travailler [avec eux] que si nous étions sûrs à 100 % que cela ne se reproduirait pas. Et nous n'avons pas cette confiance. »

Depuis l'invasion russe larvée de 2014, l'OTAN était devenue la seule police d'assurance possible à laquelle l'Ukraine pouvait avoir recours. Que l'OTAN ne voulait pas de l'Ukraine démontre la contradiction de politique extérieure entre l'impérialisme occidental et l'Ukraine. Après l'invasion, cependant, il y eut momentanément une coïncidence entre leurs politiques ce qui explique l'apparent acquiescement du président Zelensky aux « ordres » de l'émissaire de l'OTAN. Il se peut que face à un rapport de forces fort défavorable, le gouvernement ukrainien capitule, avec ou sans l'assentiment populaire, sous forme d'un accord de paix.

Mais cet accord ne sera en réalité qu'un cessez-le-feu temporaire entre impérialisme conquérant et résistance nationale. Aujourd'hui, ce cessez-le-feu, l'Ukraine ne le souhaite pas (encore) car il consacrerait le charcutage du pays et l'acceptation d'un nettoyage ethnique en douce dans les parties conquises, pas plus que la Russie qui sent le vent tourner sans compter que le régime Poutine, comme le premier ministre sioniste Netanyahou, a besoin d'une guerre permanente pour se maintenir. Quant à l'impérialisme occidental, à l'encontre du gouvernement ukrainien, il souhaite dorénavant un arrêt de la guerre.

L'intérêt des ÉU pour l'Ukraine n'est pas ce que révèle la propagande médiatique

Il n'est pas innocent que cette fable soit remise au goût du jour par une revue prestigieuse de l'establishment des ÉU. Ce n'est plus un secret pour personne que la politique étrangère des ÉU veut se focaliser sur la zone indopacifique, zone mondiale de l'accumulation capitaliste, au centre de laquelle trône la Chine qui ambitionne de contrôler ses mers avoisinantes aux dépens des alliés étatsuniens et de conquérir Taïwan. Les ÉU trouvent bien embêtant — ils n'ont plus la capacité d'antan de mener deux grandes guerres en même temps —, en plus de craindre un embrasement du Moyen-Orient à cause de son fascisant allié sioniste qui perd les pédales jusqu'à une guerre génocidaire laquelle en plus lui fait perdre la face, de devoir soutenir une Ukraine dont la défaite lui ferait perdre la faveur de tous ces pays nouvellement ralliés à l'OTAN. Même si le blocage du soutien à l'Ukraine par les Républicains au Congrès, tout juste levé, poussait la coche trop loin, il révélait une réelle réticence de l'Administration étatsunienne qui dorénavant pousse pour un arrêt des combats sous forme d'une entente négociée obligeant certes l'Ukraine a céder de facto des territoires mais enlisant en même temps une Russie affaiblie par les sanctions dans un face-à-face armé, si ce n'est une guérilla, neutralisant, pour les pays limitrophes de l'OTAN ou y aspirant, le danger d'être envahi par la Russie.

Ce qui reste cependant énigmatique consiste en la prise de position du directeur de l'Aut'Journal reconnu pour son soutien inébranlable à l'indépendance du Québec qui, d'un point de vue de gauche étant le sien, doit se comprendre comme le soutien à la lutte de libération nationale du peuple québécois. Comment peut-il ne pas reconnaître une telle lutte de la part du peuple ukrainien et de son gouvernement, lutte se faisant dans des conditions autrement plus dramatiques et qui ont même certains aspects génocidaires, en tout cas de manifestes crimes de guerre ?

Marc Bonhomme, 21 avril 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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La Palestine, l’Ukraine et la crise des empires

23 avril 2024, par Simon Pirani — , , ,
Le week-end de Pâques, lors de la dernière marche géante à Londres contre la complicité du Royaume-Uni dans la guerre d'Israël contre Gaza, un groupe d'entre nous portait une (…)

Le week-end de Pâques, lors de la dernière marche géante à Londres contre la complicité du Royaume-Uni dans la guerre d'Israël contre Gaza, un groupe d'entre nous portait une banderole sur laquelle on pouvait lire : « De l'Ukraine à la Palestine, l'occupation est un crime ». Nous avons reçu les applaudissements des gens autour de nous qui ont scandé notre slogan. Mais au-delà du slogan, que pouvons-nous faire, dans le mouvement ouvrier et les mouvements sociaux au Royaume-Uni, face à ces conflits qui transforment le monde dans lequel nous vivons et alimentent les craintes de guerres plus larges et plus sanglantes ?

20 avril 2024 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/palestina-ucrania-y-la-crisis-de-los-imperios/

Dans ce qui suit, je propose quelques éléments de réponse, basés sur l'idée que nous assistons au déclin de deux empires, l'américain et le russe. Bien sûr, ni l'un ni l'autre n'est un empire au sens strict du terme. Par empire américain, j'entends la domination économique des États-Unis dans le capitalisme mondial, ainsi que le système militaire et politique qui le soutient, dans lequel Israël est un élément clé. La Russie, d'autre part, est une puissance économiquement subordonnée de second ordre qui cherche à réaffirmer sa domination dans l'espace géographique eurasien.

Je me concentrerai sur la guerre de la Russie en Ukraine et sur son évolution dans le contexte de la guerre à Gaza. Les sections de l'article font référence à (1) des choses que je trouve qui ont changé au cours des six derniers mois, (2) comment la Russie a changé depuis 2022, (3) les perspectives pour l'Ukraine, (4) le rôle des puissances occidentales dans la guerre de la Russie, (5) la démocratie et l'autoritarisme, (6) les dangers d'une prolongation de la guerre et certaines conclusions[2].

1. Ce qui a changé

Le premier est la violence exceptionnelle et choquante de la guerre d'Israël. Plus de 33 000 Palestiniens, pour la plupart des femmes et des enfants, ont été tués en six mois. La population civile est soumise à des punitions collectives, la famine est utilisée comme arme de guerre. De nombreux crimes de guerre sont enregistrés et signalés chaque jour. La soldatesque israélienne se vante de ses crimes sur les réseaux sociaux ; Des groupes de civils se vantent du blocus de l'aide humanitaire. Les politiciens israéliens déclarent ouvertement des buts de guerre qui s'apparentent à un génocide et à un nettoyage ethnique. Ici, au Royaume-Uni, la réponse d'une nouvelle génération de manifestants, qui ne se contentent pas de descendre dans la rue, mais mènent des actions directes contre les usines d'armement, est un signe d'espoir.

Deuxièmement, il y a le soutien à l'assaut génocidaire des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne et d'autres gouvernements occidentaux. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, ainsi que les extrémistes fous qui font partie de son gouvernement de coalition, donnent le ton ; Les puissances occidentales suivent. La chasse aux sorcières frénétique contre ceux qui s'opposent à la guerre d'Israël est sans précédent. Cependant, à chaque nouvelle image scandaleuse et à chaque nouvelle manifestation exigeant un cessez-le-feu, un nouveau fil est tiré du tissu de la grande fiction, qui dit qu'Israël défend le peuple juif et que remettre en question ses actions est antisémite. D'énormes fissures s'ouvrent dans les fondements idéologiques du projet sioniste.

Troisièmement, la façon dont des centaines de millions de personnes dans le monde ont compris, et ont été exaspérées, par l'hypocrisie des politiciens occidentaux qui condamnent le nettoyage ethnique de la Russie mais permettent que le nettoyage ait lieu à Gaza.

Quatrièmement, la façon dont l'absence d'un État ou d'une armée étatique laisse les victimes civiles de l'incursion israélienne si terriblement sans défense. Encore une fois, il s'agit d'un contraste. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a été entravée non seulement par la puissante force morale de la résistance populaire, mais aussi par la force des armes. Beaucoup de ces derniers ont été fournis aux forces armées ukrainiennes par les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres États, qui facilitent maintenant la terreur israélienne à Gaza.

Enfin, face à ces deux guerres, la paralysie politique de sections du mouvement ouvrier occidental est extrêmement choquante. Ceux qui professent le campisme et l'anti-impérialisme unilatéral dénoncent les États-Unis et Israël, mais ne regardent pas l'empire russe à travers le même prisme. Le glissement de l'État russe vers le fascisme, le caractère impérialiste de sa guerre et l'horreur qu'il a imposée aux parties occupées de l'Ukraine sont dans un angle mort. Trois décennies après l'effondrement de l'Union soviétique, le mouvement et son internationalisme sont minés par ce campisme, ce monstrueux petit-fils du stalinisme.

2. La guerre dela Russie

La socialiste ukrainienne Hanna Perekhoda a récemment écrit sur le caractère impérialiste de la guerre menée par la Russie, et le socialiste russe Ilya Budraitskis a fourni un argument puissant en faveur du tournant du Kremlin vers le fascisme pendant la guerre[3]. Je commenterai ici deux aspects qui, à mon avis, soutiennent et développent ses arguments : sur la façon dont la guerre est menée et sur la façon dont la politique économique s'adapte pour la servir.

La guerre de la Russie est avant tout une guerre contre la population civile ukrainienne. L'attaque massive de missiles et de drones des 21 et 22 mars, qui a visé Kharkiv (la deuxième ville d'Ukraine), Zaporijjia et Kryvoï Rog, l'a rappelé. La plus grande centrale hydroélectrique d'Ukraine sur le fleuve Dniepr a été réduite à l'état de décombres et DTEK, la principale compagnie d'électricité, a déclaré qu'elle avait perdu 50 % de sa capacité de production. « La Russie cause la mort de civils, y compris des travailleurs sur les lieux de travail, et détruit activement l'économie ukrainienne et l'industrie de l'énergie », a déclaré la Confédération des syndicats libres d'Ukraine.

Deux rapports des Nations unies et d'organisations non gouvernementales, qui quantifient les destructions causées au cours des deux années qui ont suivi l'invasion russe du 24 février 2022, montrent que l'attaque russe se concentre sur des cibles civiles. Une mise à jour du rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme confirme que plus de 10 000 civils ont été tués et 20 000 autres blessés ; « Les chiffres réels sont probablement un peu plus élevés. » La grande majorité de ces personnes ont été victimes d'« armes explosives aux effets très variés », un peu plus d'une personne sur sept vivant dans des zones occupées (c'est-à-dire très probablement des bombardements ukrainiens), le reste dans des zones sous contrôle gouvernemental (très probablement par des bombardements russes). Les preuves démontrant la commission de crimes de guerre reviennent au même : de nombreux rapports des Nations Unies montrent que la grande majorité, mais pas la totalité, ont été commises par les forces russes.

Au fil du temps, l'enquête en a révélé davantage sur le siège de Marioupol par la Russie, un événement clé de l'invasion de 2022. Un rapport de 230 pages de Human Rights Watch et de Truth Hounds conclut qu'au moins 8 000 personnes y sont mortes de causes liées à la guerre. Les corps ont été enterrés dans des fosses communes, et le nombre réel ne sera peut-être jamais connu. L'attaque a endommagé l'ensemble des 19 hôpitaux de Marioupol et 86 de ses 89 écoles et facultés. Les conclusions de la commission internationale indépendante des Nations Unies complètent ces données.

Un trait distinctif de la guerre de la Russie est sa volonté de sacrifier ses propres troupes pour quelques kilomètres de terrain, ce qui rappelle la Première Guerre mondiale. C'est ainsi que la Russie s'est emparée de la ville stratégique d'Avdivka à Donetsk le mois dernier, comme elle l'avait fait à Bakhmout en 2023. Depuis février 2022, la Russie a probablement dénombré 75 000 soldats tués, en plus d'un nombre inconnu de militaires des républiques de Donetsk et de Louhansk, tandis que l'Ukraine pourrait avoir eu 42 000 victimes. On estime que plus de 300 000 Russes et 100 000 Ukrainiens sont blessés[4].

Une autre caractéristique cruciale de la guerre de la Russie est l'administration des territoires qu'elle a occupés, ce qui fait entrer dans le XXIe siècle le nettoyage ethnique, la tyrannie locale et le vandalisme culturel qui ont inauguré l'empire britannique au XIXe siècle. Un exemple frappant de la folie suprémaciste russe est celui de Sergueï Mironov, un leader parlementaire, qui a adopté l'année dernière une fille volée dans un orphelinat dans le territoire occupé.

Les zones occupées ont été militarisées et les droits civils ont été réprimés. Les ONG surveillent la stratégie des autorités d'expulsion forcée de la population civile ukrainienne et d'encouragement à l'immigration de colons russes[5]. La résistance, lancée en 2022, s'étend à nouveau, d'abord et avant tout à travers des réseaux clandestins de militantes. Il y a de l'espoir.

La stratégie économique de la Russie a changé pendant la guerre. L'adoption du keynésianisme militaire pourrait être un facteur clé de l'extension de la guerre à l'intérieur de l'Ukraine et au-delà de ses frontières. Le budget a été gonflé par la forte augmentation des recettes provenant de la vente de pétrole, et ces fonds ont été canalisés vers l'industrie militaire et les secteurs connexes. L'État réorganise également la propriété des entreprises, transfère des actifs à des secteurs de l'élite liés aux nouveaux services de sécurité et oblige les oligarques exilés à rapatrier leurs actifs en Russie ou à les vendre.

En réponse à l'invasion de 2022, les puissances occidentales ont imposé une série de sanctions sans précédent à la Russie : 13 000 mesures sont actuellement en place, soit plus que ce qui a été décrété contre l'Iran, Cuba et la Corée du Nord réunis. Ces sanctions n'ont pas éliminé les revenus pétroliers qui sous-tendent le budget russe : au paragraphe 4, je me demande si cette possibilité a jamais été évoquée. Les réserves de change de la Russie ont été gelées et l'activité de ses banques a été limitée. Le Kremlin a réagi en interdisant les sorties d'argent, en augmentant les taux d'intérêt et en établissant des contrôles de capitaux. Les exportations de pétrole ont été dirigées vers des destinations asiatiques.

Les dépenses militaires ont augmenté de façon vertigineuse : si en 2019-2021 elles étaient de 3 à 3 600 milliards de roubles (44 à 48 milliards de dollars, soit 15 % du budget fédéral ou 3 à 4 % du PIB), en 2022 elles ont déjà bondi à 8 400 milliards de roubles (124,5 milliards de dollars), et en 2023 à environ 13 300 milliards de roubles (160 milliards de dollars, représentant 40 % du budget fédéral, soit 8 à 9 % du PIB), selon les calculs de l'économiste Boris Grozovski[6]. Les paiements aux familles des soldats ont grimpé en flèche et les industries liées à l'armée, telles que la microélectronique et l'équipement électrique, se sont rapidement développées. Des fonds sont destinés à la reconstruction des villes ukrainiennes détruites par les bombardements russes et désormais occupées par l'armée russe[7].

L'année 2023 a été marquée par un effort concerté pour réorganiser la propriété des entreprises : le bureau du procureur général a demandé aux tribunaux de nationaliser plus de 180 entreprises privées. La majeure partie d'entre eux appartiennent à des secteurs nécessaires à la production de matériel de guerre, comme l'usine électrométallurgique de Tcheliabinsk, principal fabricant russe de ferroalliages, qui a été nationalisée le mois dernier, et à ceux appartenant à des hommes d'affaires jugés injustes. Une nouvelle offensive a commencé cette année : le mois dernier, le gouvernement a commencé à répertorier les « organisations économiquement importantes » qui forceront les empires commerciaux basés à l'étranger à rapatrier leur argent en Russie et à payer leurs dividendes dans ce pays ; Cela protégera ces entreprises des sanctions et les soumettra en même temps à un contrôle étatique plus strict[8].

L'économiste Alexandra Prokopenko pense qu'il n'y a rien de moins qu'un remaniement de l'élite russe en cours : le deuxième promu par Vladimir Poutine, après l'asservissement des oligarques de l'ère Eltsine en 2003-2007. Les vagues de nationalisations font « partie de la tentative de Poutine de redistribuer les biens des personnes jugées insuffisamment loyales au Kremlin et de créer une nouvelle classe de propriétaires d'actifs qui doivent leur fortune au président et à son cercle rapproché ». Ces nouveaux propriétaires seront « les vrais vainqueurs de la guerre en Ukraine et une base solide pour la stabilité du régime »[9].

Le keynésianisme militaire implique une baisse de la productivité et de la compétitivité, une réduction des dépenses consacrées aux activités non militaires et une augmentation du risque d'escalade militaire, note Prokopenko. « Cela incite le Kremlin à prolonger la guerre aussi longtemps que possible, ou à transformer une guerre chaude en une guerre froide. » L'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm met en garde contre le fait que la « nouvelle dépendance » aux dépenses militaires crée une dépendance encore plus grande à l'égard des revenus de l'énergie[10].

Le Kremlin a entraîné la Russie dans la guerre en 2014, subordonnant la gestion économique et les intérêts commerciaux des capitalistes russes aux impératifs géopolitiques (en bref, l'aspiration à atteindre le statut de grande puissance), à l'expansionnisme impérialiste et à l'idéologie nationaliste. En 2022, ce sacrifice des intérêts économiques aux impératifs militaires et politiques est allé bien plus loin. Aujourd'hui, le Kremlin s'engage encore plus loin dans cette voie désastreuse. La démagogie fasciste devient plus véhémente, les vis de la répression interne sont serrées et l'économie n'est pas seulement subordonnée au nationalisme et au militarisme, mais remodelée pour les nourrir. Ce processus génère peut-être le plus grand danger d'une guerre future en Europe.

3. Les perspectives de l'Ukraine

La guerre en Ukraine est menée par une coalition de l'État ukrainien avec la population et les puissances occidentales qui lui fournissent des armes. Cette alliance a été mise à rude épreuve par le résultat décevant de la tentative de contre-offensive ukrainienne de l'été dernier et par la prévision d'une nouvelle offensive russe cet été. L'armée ukrainienne manque d'hommes et d'équipements : un groupe de journalistes a calculé qu'à Avdivka, par exemple, le rapport avec l'armée russe était de cinq pour un (artillerie), sept pour un (drones) et jusqu'à 15 pour un (soldats).

Il est important de replacer les choses dans leur contexte. Le Kremlin espérait soumettre complètement l'Ukraine en une semaine, et deux ans plus tard, il a subi de lourdes pertes pour capturer les ruines d'une petite ville qu'il bombardait auparavant massivement. Mais nous devons faire face au monde que le Kremlin a contribué à créer entre-temps.

Le manque de troupes aggrave les tensions entre l'État et la population. Le 2 avril, le président Vladimir Zelensky a promulgué des lois abaissant l'âge du service militaire obligatoire de 27 à 25 ans, créant un registre en ligne des conscrits et supprimant le statut d'inapte partiel aux examens médicaux. Ces changements interviennent alors qu'une nouvelle loi de mobilisation qui adopte une approche plus large et pourrait permettre à quelque 500 000 hommes d'être appelés est bloquée au Parlement. Plus de 4 000 amendements ont été déposés par les députés. Zelensky et son équipe tentent de prendre leurs distances avec ces mesures, qui sont impopulaires : ils n'ont pas confirmé le chiffre de 500 000 hommes (l'Ukraine compte actuellement environ 330 000 soldats déployés, sur un total de 1,2 million de personnes qui composent les forces armées).

Il ne faut pas confondre la vive polémique publique autour de la mobilisation avec une opposition à la guerre, dont il n'y a guère de signes. La question est de savoir comment s'en débarrasser. Les soldats mobilisés ont en moyenne entre 40 et 50 ans, et certains sont au front depuis deux ans sans interruption. Un sondage récent révèle que 48% des hommes ne sont pas prêts à se battre, 34% le sont et 18% dis-le est difficile à dire ; Une autre enquête montre qu'une majorité de la population ukrainienne (54 %) comprend les motivations de ceux qui se soustraient à la conscription, et une troisième enquête indique qu'il y a beaucoup plus de personnes qui pensent que le niveau de conscription est plus ou moins adéquat ou insuffisant que celles qui pensent qu'il est excessif[11].

En plus de la pénurie potentielle de soldats, les forces armées ukrainiennes souffrent d'une grave pénurie d'armes. Ce fait reflète les divergences entre les pays occidentaux qui les fournissent en ce qui concerne la situation de guerre (voir la section suivante). Ce déficit n'est que partiellement compensé par l'utilisation intelligente d'un approvisionnement limité en armes, par exemple en infligeant de graves dommages à la flotte russe de la mer Noire et en attaquant des raffineries de pétrole et des aérodromes en Russie.

Dans ce contexte, la presse occidentale cite régulièrement des sources anonymes et affirme, par exemple, que les États-Unis demandent à l'Ukraine si elle est disposée à négocier ou que la Russie a fait des propositions informelles aux États-Unis. Le mois dernier, la Turquie a proposé d'accueillir des négociations. De mon point de vue, les obstacles à une négociation de paix sont considérables. Le Kremlin a inscrit le territoire ukrainien qu'il revendique dans la constitution russe. Il s'est engagé à aller de l'avant, non seulement en raison de sa rhétorique impérialiste niant le statut de nation de l'Ukraine, mais aussi en vertu de ses objectifs géopolitiques et de l'adoption du keynésianisme militaire.

Je n'essaierai pas de brosser un tableau de ce qui se passe dans la tête du peuple ukrainien en ce moment, mais d'après mes conversations et la lecture des médias, je dirais que pour beaucoup de gens, l'aspiration désespérée à la paix est compensée par la conviction que (1) la perspective que la Russie conserve le contrôle des 18% du territoire ukrainien qu'elle occupe actuellement, Cette idée qui est discutée dans les couloirs du pouvoir occidental est inacceptable, et (2) d'abord et avant tout, tout accord de paix qui permet à la Russie de reconstruire ses forces armées lourdement endommagées et de retrouver un nouvel élan est un danger mortel. C'est ce qui ressort de l'un des nombreux commentaires publiés dans les médias ukrainiens au sujet de la conscription :

L'un des arguments les plus courants concernant les hommes qui se soustraient à la conscription est le suivant : si vous vous cachez des officiers de recrutement militaires de votre propre pays et que l'Ukraine est vaincue, personne ne vous sauvera des officiers et des commandants militaires russes, qui vous enverront prendre d'assaut Cracovie et Varsovie. Il vaut donc mieux se soumettre à son propre Léviathan qu'à celui de l'ennemi.

Ma conclusion est que tant que le Kremlin n'aura pas décidé de faire une pause, voire d'arrêter, son agression, aucune négociation de paix n'est en vue. Espérons qu'un cessez-le-feu sera possible et qu'il gèlera au moins le conflit.

Dans le mouvement ouvrier des pays occidentaux, il reste crucial de répondre à l'affirmation cinglante selon laquelle seules les puissances occidentales s'opposent à un accord de paix, une affirmation généralement faite par les campeurs (anti-impérialistes unilatéraux), qui considèrent que la seule puissance impérialiste est les États-Unis et que la Russie et/ou la Chine représentent une alternative potentiellement progressiste (voir l'article Pas de chemin vers la paix dans ce monde imaginaire).

4. Les puissances occidentales et l'Ukraine

Des désaccords émergent entre les puissances occidentales sur la manière de traiter avec la Russie, pour des raisons géopolitiques et stratégiques, liées à la crise de l'empire américain. Il ne s'agit pas de principes démocratiques, mais de la façon de contrôler, plutôt que de détruire, un empire de second ordre qui joue un rôle subordonné dans l'économie mondiale.

Le régime de Poutine n'a jamais été aux antipodes de l'empire américain. Jusqu'en 2014, les puissances occidentales l'ont choyé avec enthousiasme, alors qu'il intégrait le capital russe dans le système mondial. À partir de 2014, la relation s'est refroidie de plus en plus. C'est l'invasion massive de l'Ukraine en 2022 qui a provoqué une rupture définitive. Même par la suite, le régime de sanctions a été limité. Plus précisément, l'empire américain a aboli les mesures qui entravaient l'approvisionnement en pétrole du marché mondial. Le contexte suivant aide à comprendre l'attitude actuelle des puissances occidentales à l'égard de la Russie.

Au début des années 2000, l'empire américain a soutenu la violente campagne militaire de Poutine contre la Tchétchénie, ainsi que les multiples crimes de guerre qui ont été commis, dans le cadre de sa stratégie de centralisation et de renforcement de l'appareil d'État affaibli. Lorsque l'économie russe s'est redressée grâce à la hausse des prix du pétrole (2001-2008), les puissances occidentales ont traité Poutine comme un gendarme du capital, et il a eu carte blanche dans l'espace post-soviétique.

À partir de 2007, lorsque Poutine prononce son discours à Munich contre le « monde unipolaire » dirigé par les États-Unis, il tente d'inverser le déclin de la Russie en tant que puissance impériale, bien que ses efforts soient entravés par les crises économiques successives (krach de 2008-2009, effondrement du prix du pétrole en 2015 et pandémie de 2020-2021). À travers tout cela, les puissances occidentales ont regardé impassiblement l'invasion de la Géorgie par la Russie (2008) et l'est de l'Ukraine (2014), ainsi que lorsque Poutine a aidé Bachar al-Assad à noyer dans le sang la révolte syrienne (2015-2016). L'empire américain n'a protesté que contre l'annexion de la Crimée, qui violait de nombreux accords internationaux, et contre la destruction de l'avion de ligne civil malaisien survolant l'est de l'Ukraine (2014).

En 2021, alors que le Kremlin se préparait à envahir l'Ukraine, les puissances occidentales ont cherché à faire reculer certaines sanctions. En juillet de la même année, les États-Unis et l'Allemagne ont convenu de lever les obstacles au projet de gazoduc de la mer du Nord et n'ont pas abandonné cette tentative jusqu'à ce que la Russie reconnaisse les républiques bâtardes de Donetsk et de Louhansk le 21 février 2022, trois jours avant l'invasion massive de l'Ukraine[12].

À la suite de l'invasion, les puissances occidentales ont rompu les liens de la Russie avec le système financier international et ont accepté de voir les exportations de gaz russe vers l'Europe considérablement réduites, probablement pour toujours. Mais ils ont bloqué toutes les mesures susceptibles de faire grimper le prix du pétrole.

Les sanctions sur les exportations de pétrole sont les plus importantes, car le pétrole est de loin le principal produit d'exportation et celui qui génère le plus de revenus du budget de l'État russe. En décembre 2022, les pays européens avaient proposé une interdiction simple des services financiers, y compris l'assurance maritime, pour les navires transportant du pétrole russe. La domination de l'Europe sur le marché de l'assurance signifiait qu'une telle décision serait viable, mais les propositions « ont effrayé le Trésor américain », comme Global Witness l'avait rapporté à l'époque. « Le gouvernement américain a conçu le plafonnement des prix avec l'intention explicite de maintenir l'écoulement du pétrole russe, tout en réduisant les revenus du Kremlin, et a fait pression sur les pays européens pour qu'ils renoncent à leur interdiction totale. »

Lorsque le plafonnement des prix a été adopté, il était trop élevé pour être efficace – 60 $ le baril de brut – et les États-Unis sont également intervenus pour s'assurer que les pénalités en cas de non-conformité étaient légères et que les produits pétroliers raffinés à partir du pétrole russe ne soient pas sanctionnés.

Ainsi, le pétrole russe est désormais exporté vers l'Inde, la Chine et d'autres destinations principalement asiatiques, où il est raffiné et réexporté vers des destinations occidentales. Le Royaume-Uni, dont les politiciens sont les plus virulents dans leur soutien à l'Ukraine, a importé ces produits pour un total d'environ 660 millions d'euros au cours de la première année suivant l'imposition du plafonnement des prix du pétrole. À ce contournement des sanctions s'ajoute un non-respect systématique des sanctions par une flotte grise de navires dépourvus d'assurance adéquate et appartenant à des structures opaques.

Sans se laisser décourager, l'armée ukrainienne a attaqué le mois dernier des raffineries de pétrole russes avec des drones. La réponse : une réprimande de Washington. Selon le Financial Times, les États-Unis s'inquiètent de la hausse des prix de l'essence en cette année électorale et craignent que la Russie « s'en prenne aux infrastructures énergétiques sur lesquelles l'Occident compte », telles que les oléoducs qui transportent le pétrole d'Asie centrale à travers la Russie. Je suis heureux de dire qu'à l'heure où j'écris ces lignes, il semble que l'Ukraine n'y ait pas prêté beaucoup d'attention.

Quant au chœur des entreprises occidentales qui ont annoncé en 2022 qu'elles quitteraient la Russie, une base de données de la Kyiv School of Economics montre que sur les 3 756 entreprises étrangères qui y opéraient avant l'invasion massive, seules 372 ont complètement quitté le pays. Bien que les principaux producteurs de pétrole aient cessé leurs activités en Russie, la plus grande société de services pétroliers au monde, SLB (anciennement Schlumberger), ne l'a pas fait. Il n'est pas surprenant que d'autres gouvernements aient fait pression sur l'Ukraine pour qu'elle retire sa liste noire des « sponsors de la guerre », ce qui a conduit à la suppression de la version accessible au public.

5. Démocratie et autoritarisme

Le régime de Poutine est un monstre de Frankenstein qui s'est retourné contre l'empire américain qui l'a autrefois nourri. Le gouvernement de Netanyahou est un autre type de monstre, fortement dépendant de son maître américain, qui le protège alors qu'il se déchaîne dans Gaza. Dans la mesure où les puissances occidentales ont un récit idéologique pour justifier leur opposition à Poutine et leur soutien à Netanyahou, elles disent défendre la démocratie face à une alliance de puissances autoritaires qui comprend la Russie, la Chine, l'Iran et la Corée du Nord, comme l'a déclaré cette semaine Jens Stoltenberg, le chef de l'OTAN. Le mouvement ouvrier et les mouvements sociaux ne doivent pas accepter cette fausse dichotomie.

Les dangers de croire à ce faux récit affectent la question politique très pratique de la fourniture d'armes à l'Ukraine. Les puissances occidentales rationnent délibérément ces armes, conformément à leurs vues sur la manière de traiter avec le Kremlin, mais elles sont divisées sur l'ampleur de ce rationnement. Il est parfois suggéré dans les cercles du mouvement ouvrier que ces arguments reflètent une scission entre les démocrates et les nouveaux autoritaires dans la politique occidentale. Je ne suis pas d'accord. Tout d'abord, à l'heure actuelle, ce sont les démocrates, notamment les autoritaires, qui imposent les restrictions les plus dommageables à la résistance ukrainienne à la Russie. Pour comprendre cela, je suggère que nous le regardions dans le contexte de la crise de l'empire américain.

Commençons par Donald Trump. Il est tenu pour acquis que le Kremlin continuera d'intensifier son action militaire en Ukraine au moins jusqu'en novembre, dans l'espoir que Trump remportera l'élection présidentielle américaine et affaiblira le soutien occidental à l'Ukraine. Je n'ai aucune raison de douter que le Kremlin gardera ses options ouvertes à cet égard, mais (étant tout sauf un expert de la politique américaine) je crois que Trump n'est qu'une pièce du puzzle de la politique occidentale.

Prenons, par exemple, la décision sur l'aide à l'Ukraine qui a été adoptée par le Sénat américain et qui est maintenant bloquée à la Chambre des représentants parce que Trump fait pression sur le président de la Chambre, Mike Johnson. Le retard dans le programme d'aide nuit militairement à l'Ukraine. Martin Wolf, du Financial Times, a averti que Trump « pourrait bientôt donner la victoire à son ami, Vladimir Poutine, sur l'Ukraine ».

Wolf examine les machinations internes au sein du Parti républicain et conclut que la force de Trump réside dans la loyauté de la base du parti. Il craint que l'Ukraine ne soit « abandonnée » : cela « soulèverait partout des doutes sur la fiabilité des États-Unis » ; Les alliés des États-Unis douteraient de ses assurances ; la prolifération nucléaire pourrait se produire ; le vide pourrait être comblé par des alliances moins dépendantes des États-Unis.

Contrairement à Wolf, les chroniqueurs de The Economist soulignent les divisions internes au sein du Parti républicain. Si Trump remportait l'élection, disent-ils, sa politique étrangère serait chaotique, mais elle serait influencée par des factions républicaines fondamentalement opposées : le secteur isolationniste, fort soutenu dans les rangs républicains (« Make America Great Again ») ; ceux qui pensent que l'attention devrait se déplacer de l'Europe vers le Pacifique et vers la prétendue menace chinoise pour l'empire américain ; et la faction reaganienne, qui croit en la préservation de l'hégémonie américaine.

Dans l'ensemble, je pense qu'une victoire de Trump en novembre pourrait entraîner de nouvelles restrictions sur la fourniture d'armes à l'Ukraine. Mais ne perdons pas de vue le fait que celles-ci s'appuieraient sur les restrictions déjà imposées sous l'administration Biden, tant sur la fourniture d'armes que sur les sanctions. Le contexte est le déclin à long terme de l'empire américain. La prise de contrôle du Parti républicain par Trump n'en est rien d'autre qu'une manifestation ; le dysfonctionnement de la gouvernance américaine en est un autre ; le retrait chaotique d'Afghanistan en 2021, un troisième.

L'affaiblissement des institutions internationales mises en place par l'empire américain après la Seconde Guerre mondiale, et en particulier des Nations Unies, est symptomatique. La profondeur du malaise se voit dans l'échec désastreux de la communauté internationale à lutter contre le changement climatique, ou dans la série de guerres tout aussi destructrices qui sont cachées au regard de l'Occident (Soudan, Erythrée, etc.).

L'illustration la plus frappante de la crise de cet empire est sa relation avec Netanyahou, qui a conduit Israël et le sionisme sur la voie la plus extrême possible, tandis que les démocrates américains (et non les républicains) refusent de l'arrêter. L'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), créé en 1949 pour gérer la crise des réfugiés palestiniens provoquée par la création de l'État d'Israël, en est victime.

Nous sommes confrontés à une crise profonde de l'hégémonie occidentale qui ne peut pas être comprise uniquement comme une action maléfique de nouveaux autoritaires (Trump et compagnie) contre les démocrates.

En Europe, alors que les dirigeants de droite des petits pays de l'Est comme la Hongrie et la Slovaquie espèrent conclure un accord avec le Kremlin, en Pologne, le parti d'extrême droite Droit et Justice et la Plateforme civique de centre-droit de Donald Tusk plaident pour un fort soutien militaire à l'Ukraine. La réponse la plus efficace aux demandes d'aide à l'Ukraine parmi les pays européens les plus riches a été celle du gouvernement conservateur du Royaume-Uni, le plus à droite d'entre eux. Même la coalition d'extrême droite de Giorgia Meloni en Italie (mais pas son adjoint, Matteo Salvini) soutient fermement la fourniture d'armes.

En Allemagne, c'est un dirigeant des sociaux-démocrates, Rolf Mutzenich, qui a déclenché une tempête de feu au parlement lorsqu'il a fait valoir non seulement que les missiles Taurus ne devraient pas être envoyés en Ukraine, mais que l'Allemagne devrait essayer de « geler la guerre et d'y mettre fin plus tard », probablement en faisant des concessions à Poutine.

La conclusion politique de tout cela n'est pas que les droitiers soient des alliés plus fiables que les démocrates américains, les sociaux-démocrates allemands ou les dirigeants travaillistes britanniques. Nous sommes confrontés à une crise profonde de la politique des gouvernements occidentaux, dont la démocratie et la social-démocratie font partie. Les démocrates et les sociaux-démocrates facilitent le génocide à Gaza en vertu de leur engagement de longue date envers Israël, à la fois idéologique et stratégique, tout comme la gauche et la droite de la politique bourgeoise ont facilité l'attaque meurtrière contre l'Irak en 2003, pour un ensemble similaire de raisons. Aujourd'hui, ces démocrates voient l'Ukraine à travers le prisme de leur politique russe. Soutenir le Kremlin est un principe pour eux ; Les droits démocratiques et sociaux du peuple ukrainien, non.

Bien sûr, il y a différentes façons de comprendre la démocratie par rapport à l'autoritarisme. Par exemple, juste après l'invasion massive de l'Ukraine par la Russie, l'écrivain Volodymyr Yermolenko a utilisé ces termes pour expliquer la résistance féroce et inattendue du peuple ukrainien :

L'autoritarisme interne en Ukraine est difficile à trouver et a toujours été importé. Kiev et Moscou diffèrent considérablement en termes de culture politique et de droits civils. Les Ukrainiens veulent vivre dans une démocratie où les droits et les libertés sont garantis, et ils perçoivent la Russie comme un endroit où ces valeurs sont négligées et où le pouvoir des tyrans est respecté.

Je ne partage pas la vision optimiste de Yermolenko sur l'histoire ukrainienne. Et je considère que l'autoritarisme progressiste dans l'Ukraine déchirée par la guerre (la concentration du pouvoir, les restrictions imposées au parlement et aux syndicats) est dangereux. Mais je pense que Yermolenko a essentiellement raison en ce qui concerne l'impact de l'invasion de 2022 sur la conscience nationale ukrainienne :

Autant le Kremlin tente de diviser le peuple ukrainien par de faux récits historiques, autant la distorsion des faits et l'invasion et l'appropriation de territoires, ainsi que tous ses comportements agressifs, unissent la nation ukrainienne et renforcent l'identité ukrainienne.

Voici quelques indications d'une vision de la démocratie façonnée par le peuple, développée et défendue par l'action collective. Pour l'élite politique occidentale, en revanche, la démocratie est inscrite dans l'État. Par exemple, Michael Ignatieff, un politicien canadien devenu universitaire, dans un discours prononcé juste après l'invasion initiale de l'Ukraine par la Russie en 2014, a déclaré que la démocratie dépend en grande partie de l'État américain et qu'elle est déterminée par lui :

Vous ne pouvez pas changer les nouveaux autoritaires [dirigeants de la Russie et de la Chine], mais vous pouvez les arrêter et vous pouvez attendre qu'ils s'en aillent. Pour ce faire, les États-Unis doivent faire ce qu'ils peuvent pour maintenir les deux régimes autoritaires séparés, pour établir des relations avec chacun d'eux qui leur offrent des alternatives à une intégration plus poussée l'un avec l'autre.

Les États-Unis, a déclaré M. Ignatieff, « demeurent la démocratie dont l'état de santé détermine la crédibilité du modèle capitaliste libéral lui-même dans le monde en général ». Ce modèle gît brisé et brisé parmi les cadavres non enterrés des enfants de Gaza.

C'est un principe fondamental du socialisme que la démocratie et les droits démocratiques sont enracinés dans les luttes pour le changement social, et non aux États-Unis ou dans tout autre État capitaliste. C'est essentiellement le point de vue de plus de 400 militants, écrivains et chercheurs ukrainiens qui ont signé la lettre de solidarité avec le peuple palestinien en novembre :

Le peuple palestinien a le droit à l'autodétermination et à la résistance contre l'occupation israélienne, tout comme les Ukrainiens ont le droit de résister à l'invasion russe. Notre solidarité découle d'un sentiment de colère face à l'injustice et d'une profonde douleur face aux effets dévastateurs de l'occupation, du bombardement des infrastructures civiles et du blocus humanitaire dont nous avons souffert dans notre pays.

C'est un point de vue minoritaire, un petit début. Je pense que c'est par là qu'il faut commencer.

6. Le danger d'une extension de la guerre

L'Europe se trouve dans une « période d'avant-guerre », a déclaré le 31 mars le Premier ministre polonais nouvellement élu, Donald Tusk. La destruction par la Russie de l'infrastructure énergétique ukrainienne indique que « littéralement n'importe quelle évolution est possible ». En tant que socialistes, nous pouvons vilipender Tusk et les institutions politiques néolibérales dans lesquelles il opère, mais cet instantané de l'époque est-il correct ? Je pense. Je ne comprends pas assez cette menace pour en parler en détail, mais je pense qu'elle doit être reconnue.

L'empire américain est en crise, et Netanyahou, le chien de cet empire, aime étendre sa guerre à travers le Moyen-Orient. Plus tôt ce mois-ci, il a réagi à l'aggravation de la crise politique en Israël en ordonnant le bombardement de l'ambassade iranienne en Syrie. La crainte ressentie par des millions de personnes en Europe de l'Est, et exprimée par Tusk, est que Poutine, le monstre Frankenstein de l'empire américain, tente également d'étendre sa guerre au-delà de l'Ukraine (The Insider - un magazine d'opposition russe - a publié un sondage d'opinion à ce sujet).

C'est un principe socialiste, tel que je le comprends, que la guerre, de par sa nature même, tend à confondre, à bloquer et à affaiblir notre espoir de changer le monde par l'action collective, de renforcer la société face à l'État et de trouver des moyens de faire reculer, de renverser et de vaincre le capitalisme. Mais cela ne signifie pas que nous nous opposons à toutes les guerres en toutes circonstances : les guerres des peuples opprimés contre les oppresseurs et les guerres de résistance à la tyrannie et à la dictature peuvent être justifiées, et dans des cas comme ceux de l'Ukraine et de la Palestine, elles le sont.

Si nous entrons effectivement dans une période d'avant-guerre, nous devrons développer une analyse des types de guerre auxquels nous pourrions être confrontés. Verrons-nous des guerres analogues à l'attaque de l'Italie contre l'Érythrée (1935) ? Celle de l'empire japonais contre la Chine (à partir de 1937) ? L'invasion soviétique de la Finlande (1939) ? S'opposerions-nous à la fourniture d'armes à la partie attaquée dans tous ces cas d'agression ? Encore une fois, je ne vais pas entrer dans les détails de cette question ici, même si je reconnais que nous devons y réfléchir. Espérons que nous pourrons éviter les spéculations sur la façon dont cette période d'avant-guerre pourrait évoluer et traiter plutôt des guerres réelles qui se déroulent actuellement.

Conclusions

En mai 2022, un groupe local de la coalition Stop the War a organisé une discussion entre Lindsey German, une éminente porte-parole de Stop the War, et moi-même. Elle a annulé l'événement à la dernière minute et je lui ai écrit une lettre ouverte qui disait :

En mai [2021], vous avez écrit que Stop the War « se tient aux côtés du peuple de Palestine, qui a le droit de résister à l'occupation ». Je suis d'accord. Mais pourquoi ne pas en dire autant de l'Ukraine ? Et si le peuple ukrainien, ou palestinien, a le droit de résister, qu'est-ce que cela implique ? Cela signifie-t-il seulement faire face aux chars les mains vides, comme ils ont dû le faire en Ukraine ? Cela signifie-t-il que les chars doivent être confrontés à des pierres, souvent les seules armes dont disposent les jeunes Palestiniens ? Qu'en est-il des armes appropriées ? Pensez-vous que le peuple palestinien y a droit ? Et l'Ukrainien ?

J'ai dit alors que je ne pensais pas qu'il était facile de répondre à ces questions, et je n'y crois toujours pas. Mais je n'ai pas changé d'avis : le mouvement syndical ne devrait pas s'opposer à la livraison d'armes à l'Ukraine par les gouvernements occidentaux, comme le fait Stop the War, car la guerre en Ukraine reste essentiellement une guerre de résistance à l'agression impériale.

Les arguments selon lesquels l'Ukraine mène une guerre par procuration au sein de l'OTAN sont basés sur une mythologie inspirée par le Kremlin. Ces arguments ne correspondent pas à la position réelle des puissances occidentales (paragraphe 4 ci-dessus) ou de la Russie (paragraphe 2 ci-dessus). Nous devons nous attaquer à la guerre qui est en train d'être menée, et non à celle qui existe dans la tête des propagandistes de gauche.

Dans cette véritable guerre, je souhaite ardemment la défaite de l'invasion russe et le retrait de toutes les forces russes, comme base d'une issue juste. Mais pour les raisons énoncées ci-dessus, je ne pense pas que ce soit l'issue la plus probable à court terme. L'année prochaine, je pense qu'il est plus probable que (1) les forces russes ne feront pas d'autres avancées et ne conserveront que des parties limitées de l'est et du sud de l'Ukraine, ou (2) que les forces russes feront de nouvelles avancées.

Par conséquent, le dilemme le plus probable auquel la majorité du peuple ukrainien est confrontée, à court terme, pourrait être entre vivre dans une démocratie bourgeoise très imparfaite, de plus en plus dépendante économiquement et politiquement de l'Union européenne (comme c'est maintenant le cas pour la majorité), ou vivre sous les administrations d'occupation fantoches d'un régime fasciste russe. ou presque fasciste.

Les socialistes ne peuvent pas être neutres à ce sujet. Nous sommes pour la défaite du pouvoir impérial et pour tous les coups que la résistance ukrainienne peut lui porter. En d'autres termes, nous reconnaissons le droit du peuple ukrainien à se battre pour vivre sous Zelensky, au lieu d'être gouverné par des voyous sans foi ni loi. C'est certainement lié à notre aspiration à long terme, à renforcer le mouvement de la classe ouvrière et de la société civile, à construire son pouvoir en opposition au pouvoir du capital et de ses élites politiques.

En ce qui concerne les futurs pourparlers de paix, l'avenir nous le dira. À mon avis, ils sont loin d'être le cas. Appeler à des pourparlers de paix, sans reconnaître la façon dont le Kremlin utilise ce discours, est naïf. Nous pouvons faire pression sur les gouvernements occidentaux pour qu'ils adoptent des politiques qui aident les gens à survivre à la guerre et à se construire une vie meilleure après celle-ci, notamment en ne les privant pas des armes dont ils ont besoin pour se défendre, en annulant la dette ukrainienne, en endiguant la vague de néolibéralisme que les institutions britanniques, américaines et européennes s'apprêtent à imposer à l'Ukraine d'après-guerre, et en soutenant les futurs arrangements de sécurité les plus solides possibles face à l'expansionnisme russe.

Nous devons également reconnaître les limites de notre capacité à influencer les gouvernements et exploiter la richesse des initiatives de solidarité directe en faveur de la classe ouvrière et de la société civile ukrainiennes par les mouvements syndicaux britanniques et européens au cours des deux dernières années. Un autre élément vital dans ce processus est de construire des relations entre le mouvement dans les pays occidentaux, en Europe de l'Est et dans l'ensemble des pays du Sud, où la guerre à Gaza a produit une vague de répulsion contre l'impérialisme, et la volonté de le vaincre, dans une nouvelle génération.

08/04/2024

L'homme et la nature

Traduction : Viento sur

Notes

[1] Un grand merci à T., D. et à tous ceux qui ont commenté le projet.

[2] Notez que je ne fais que suggérer quelques indications sur ce que le mouvement ouvrier et les mouvements sociaux pourraient faire, car ce sont les agents de changement qui comptent. Je n'écris pas sur ce que les gouvernements pourraient ou devraient faire ; Je ne vois pas la politique de cette façon.

[3] J'ai exprimé mon opinion sur ces deux sujets en avril 2022, dans cet article.

[4] L'État russe dissimule des informations sur les victimes. Les informations les plus fiables sur les pertes russes proviennent du projet conjoint de Mediazona et Meduza. Des publications occidentales telles que The Economist et Newsweek considèrent ses calculs comme crédibles. Du côté ukrainien, le chiffre de 42 000 provient également de Meduza/Mediazona. À l'occasion du deuxième anniversaire de l'invasion russe, le président Zelensky a déclaré que 32 000 soldats ukrainiens avaient été tués.

[5] L'Institute for the Study of War, basé aux États-Unis, a également récemment publié un rapport sur les territoires occupés. Malgré son parti pris politique évident, les faits sont exacts.

[6] B. Grosovski, « Le budget de guerre sans précédent de la Russie expliqué », The Wilson Centre : the Russia File, 07/09/2023. Grosovsky inclut dans ses calculs des sections budgétaires classées comme militaires et d'autres classées comme secrètes. Des chiffres plus bas sont indiqués dans V. Ishchenko, I. Matveev et O. Shuravliev, « Russian Military Keynesianism : Who Profits from the War in Ukraine ? », South Wind, 04/04/2024.

[7] Ishchenko et al., « Le keynésianisme militaire russe » ; « Novye rossiiski regiony okazalis' dotatsionnymi pochti no 90% », Forbes.ru, 5/06/2023

[8] « La guerre en Ukraine facilite le rêve de « désaveu » du Kremlin », The Bell, 8/03/2024 ; Novaïa Gazeta Evropa, « Iz'iato dlia SVOikh », 5/03/2024 ; « La réorganisation de Poutine : la déprivatisation en tant que « projet national » pour reformater les élites », Objet : Russie, 7/03/2024.

[9] A. Prokopenko, « Les oligarques sont perdants alors que Poutine courtise une nouvelle classe de propriétaires d'actifs loyaux », Financial Times, 04/10/2023.

[10] A. Prokopenko et A. Kolyandr, « Keynes in jackboots : can defense spending sustain Russian economic growth », The Bell, 23/06/2023 ; « La surprenante résilience de l'économie russe », Financial Times, 02/02/2024.

[11] Voir « L'Ukraine a besoin de 500 000 recrues. Peut-il les élever ?", Financial Times, 13/03/2024 ; Commentaire de l'OSW, Au seuil d'une troisième année de guerre. la crise de mobilisation en Ukraine, février 2024 ; et « L'esquive de la conscription empoisonne l'Ukraine », Politico, 25/03/2024. Sondages examinés dans l'article du Financial Times et ici.

[12] J'ai écrit sur la question du gazoduc de la mer du Nord ici et ici

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Nous avons besoin d’une renaissance de l’analyse marxiste des classes sociales

23 avril 2024, par David W. Livingstone — ,
Sans données d'enquête solides, les discussions sur les classes et la conscience de classe ne sont souvent que des suppositions. Les études marxistes empiriques de la structure (…)

Sans données d'enquête solides, les discussions sur les classes et la conscience de classe ne sont souvent que des suppositions. Les études marxistes empiriques de la structure et de la conscience de classe sont inestimables pour une élaborer une robuste orientation politique socialiste : nous avons besoin de davantage d'enquêtes.

Tiré du site de la revue Contretemps
15 avril 2024

Par David W. Livingstone

La contribution la plus importante de Karl Marx à l'analyse moderne des classes sociales a été de documenter la manière dont les propriétaires capitalistes extraient continuellement du travail non rémunéré des travailleurs.ses salarié.es dans le cadre du processus de production, ce qui constitue la principale source de leurs profits.

Après sa mort, de nombreux analystes ont négligé l'importance qu'il accordait à cette « antre secrète » de la production dans le processus de travail capitaliste, se concentrant plutôt sur la distribution inéquitable des marchandises. Plus tard, des intellectuels marxistes et d'autres ont analysé avec perspicacité d'autres effets généraux dévastateurs du développement capitaliste. Mais l'accent mis sur le processus du travail a été ressuscité dans le sillage des manifestations d'étudiant.es et des travailleurs.ses des années 1960, notamment par l'ouvrage de Harry Braverman (1920-1976) intitulé Travail et capitalisme monopoliste, publié en 1974. Une série d'études ont suivi pour identifier la structure de classe des sociétés capitalistes avancées sur la base des relations de travail rémunéré entre les propriétaires et les employés embauchés.

L'intérêt initial de Marx pour l'identification des conditions dans lesquelles les travailleurs.ses salarié.es développeraient une conscience de classe s'opposant au capitalisme a connu un parcours similaire : de nombreuses affirmations sur la nécessité d'une conscience de classe, mais peu d'enquêtes empiriques sur son existence – jusqu'à ce que les protestations des années 1960 déclenchent une série d'études, telles que Consciousness and Action Among the Western Working Class, (Conscience et action parmi la classe ouvrière occidentale ) de Michael Mann (1942 -). Ces études spécifiques sur la structure et la conscience de classe ont eu lieu alors que les organisations syndicales atteignaient des niveaux d'adhésion historiques et que la part de la main-d'œuvre menaçait les marges bénéficiaires normales dans de nombreuses économies capitalistes. Ces développements ont conduit la contre-attaque néolibérale du capital.

Cette offensive capitaliste s'est déroulée à des moments différents et avec des degrés de coordination variables dans les pays capitalistes avancés. Cependant, dès les années 1990, ses effets sont devenus évidents, se manifestant par des réductions importantes de l'impôt sur les sociétés, la déréglementation des entreprises, des réductions dans le financement de l'éducation, de la santé et de la protection sociale, la privatisation des services publics, et des efforts soutenus pour affaiblir et démanteler les syndicats. Cette attaque a eu pour conséquence une diminution de l'intérêt et du financement de la recherche sur les études marxistes des rapports de classe, coïncidant avec l'attention croissante portée à la diversité raciale et sexuelle de la main-d'œuvre. Depuis le début des années 1980, lorsque Erik Olin Wright (1947 – 2019) a coordonné des enquêtes nationales dans plusieurs pays capitalistes avancés, il n'y a pratiquement plus eu d'études marxistes empiriques majeures sur la structure des classes et la conscience de classe dans le Nord global.

Point de bascule

Nous vivons probablement l'époque la plus dangereuse pour l'espèce humaine depuis ses origines. Les nombreux incendies de forêt qui ont détruit de vastes étendues de terre dans de nombreux pays durant l'été 2023 sont un signe parmi d'autres que nous ne sommes plus qu'à quelques années d'une dégradation irréversible de l'environnement. Les preuves scientifiques sont désormais irréfutables : ces conditions exigent une action humaine immédiate. La guerre en Ukraine et la guerre d'Israël contre Gaza nous rappellent que nous pourrions à nouveau être confrontés à la perspective d'un hiver nucléaire.

Nous assistons à des pics historiques d'inégalité des richesses et à des baisses historiques de la confiance du public dans la capacité des gouvernements élus à remédier aux inégalités. La COP28 – la conférence des Nations unies sur le changement climatique de 2023 – s'est achevée sans qu'aucun mécanisme réel n'ait été mis en place pour garantir une action environnementale, tandis que les entreprises de combustibles fossiles déclarent des bénéfices et des plans de production records avec une opposition publique minimale de la part des élu.es. Ces dernières années ont été marquées par les plus grandes manifestations sociales de l'histoire sur les questions d'environnement et de justice sociale. Aujourd'hui plus que jamais, l'identification des forces de classe et la mobilisation des travailleurs.ses sont essentielles dans la lutte pour un avenir durable.

Les années 1980 ont vu fleurir d'importantes études sur la manière dont les rapports de classe imprègnent les tâches ménagères et le travail communautaire non rémunéré, et interagissent avec les rapports entre les hommes et les femmes et les relations raciales. Mais les recherches récentes axées sur la structure des classes professionnelles et la conscience de classe ont été très rares. Il existe toutefois une exception significative. Wallace Clement et John Myles, de l'université de Carleton, ont mené l'enquête sur la structure des classes au Canada en 1982, contribuant ainsi à la série internationale d'enquêtes sur les classes et la conscience de classe menée par Erik O. Wright.

À partir de 1998, j'ai pu mener une série d'enquêtes similaires grâce aux réseaux de recherche générale que je dirigeais. Ces enquêtes ont eu lieu en 1998, 2004, 2010 et 2016. Elles permettent de mieux comprendre les relations de travail en faisant la distinction entre les employeurs, les cadres et les travailleurs non-cadres, ainsi que d'examiner les niveaux et les formes de conscience de classe. Les résultats sont documentés dans mon récent ouvrage, Tipping Point for Advanced Capitalism : Class, Class Consciousness and Activism in the Knowledge Economy (Point de bascule pour le capitalisme avancé : classe, conscience de classe et activisme dans l'économie de la connaissance). Certaines des conclusions les plus importantes sont mises en évidence dans cet article.

Structure et conscience de classe

La figure suivante résume la répartition des classes au Canada en 2016. Les sociétés capitalistes et les grands employeurs sont restés très peu nombreux. Une tendance notable depuis le début des années 1980 est le déclin des travailleurs industriels. Toutefois, le nombre d'employés professionnels non-cadres a considérablement augmenté, de même que le nombre de cadres moyens, qui contrôlent le travail de connaissance de plus en plus important des employés non-cadres. Les cadres ont connu une détérioration de leurs conditions de travail et un sous-emploi, tout en devenant la partie la plus organisée de la main-d'œuvre. Ces tendances basées sur le processus de travail sont confirmées au niveau international par les données sur les classes d'emploi de la base de données sur l'économie politique comparée.

La conscience de classe émerge à trois niveaux critiques : l'identité de classe, la conscience oppositionnelle et les visions de l'avenir basées sur la classe. Ces niveaux correspondent à des questions-clés : Vous identifiez-vous à une classe spécifique ? Avez-vous des intérêts de classe opposés à ceux d'une autre classe ? Avez-vous une vision de la société future qui s'aligne sur les intérêts de votre classe ?

Actuellement, les personnes engagées à gauche croient souvent que nombre de travailleurs s'identifient de manière erronée à la classe moyenne, qu'ils possèdent une conscience oppositionnelle confuse qui a été affaiblie par l'idéologie bourgeoise dominante et qu'ils sont incapables de concevoir une véritable alternative au capitalisme. Cela est loin d'être vrai. L'analyse comparative des enquêtes d'Érik Olin Wright des années 1980 et des enquêtes canadiennes plus récentes a révélé ce qui suit :

Si de nombreuses personnes s'identifient avec précision comme appartenant à la « classe moyenne » – par opposition à ceux qui sont manifestement riches ou démunis – cette auto-identification n'empêche pas un nombre important de personnes (les métallurgistes, par exemple) de développer une conscience de classe progressiste et oppositionnelle.

Les personnes ayant une conscience progressiste d'opposition pro-travail (soutenant le droit de grève et s'opposant à la maximisation du profit) sont nettement plus nombreuses que celles ayant une conscience de classe pro-capital (s'opposant au droit de grève et soutenant la maximisation du profit), et le nombre de partisans pro-travail semble augmenter.

Un nombre important et croissant de personnes expriment leur soutien aux visions d'une future démocratie économique caractérisée par des motifs non lucratifs et l'autogestion des travailleurs.

Les personnes ayant une conscience ouvrière révolutionnaire, qui combine une conscience oppositionnelle pro-ouvrière et un soutien à la démocratie économique, constituent un groupe restreint mais croissant. Ce groupe est beaucoup plus important que les travailleurs dont les points de vue défendent clairement les conditions capitalistes existantes.

Les non-cadres organisés, tels que les infirmières ou les enseignants, comptent parmi les militants les plus progressistes des réseaux actuels du mouvement syndical et social, résistant activement aux empiètements sur les droits économiques, sociaux et environnementaux.

Un militantisme de classe

Dans les pays capitalistes avancés, de nombreux travailleurs non-cadres expriment un mélange pragmatique d'espoirs et de craintes. Mais peu de travailleurs défendent un capitalisme obsédé par le profit qui donne la priorité à l'autorité managériale, alors que beaucoup préfèrent nettement une transformation vers une économie durable, sans but lucratif et gérée par les travailleurs. Parmi ceux qui ont une conscience de classe progressiste, il y a un soutien presque unanime à l'action contre le réchauffement climatique et à la réduction de la pauvreté.

C'est parmi les travailleurs non-cadres appartenant à des minorités visibles que le soutien est le plus fort. Le nombre croissant de travailleurs ayant une conscience révolutionnaire bien développée était encore faible en 2016 (moins de 10 %). Mais l'histoire a démontré que de petits groupes organisés peuvent provoquer des changements transformateurs lorsqu'ils répondent à de véritables préoccupations démocratiques.

Ces récentes enquêtes canadiennes sur les classes sociales suggèrent que les travailleurs non-cadres possèdent une conscience de classe progressiste latente bien plus importante que ne le supposent souvent les intellectuels de gauche. La conscience de l'exploitation sur les lieux de travail, ainsi que les sentiments plus larges de discrimination raciale et sexuelle, animent de fortes protestations sociales, bien qu'encore occasionnelles. Les travailleurs conscients de leur appartenance de classe sont les principaux militants de la plupart des mouvements sociaux progressistes.

Regarder vers l'avenir

À la suite de l'augmentation des votes et des manifestations en faveur des partis de droite au cours des dernières années, de nombreux experts ont spéculé sur la possibilité que de petits groupes non représentatifs accèdent au pouvoir politique de manière non démocratique. Les enquêtes canadiennes confirment que la majorité de ces petits groupes de capitalistes, des grands employeurs et des cadres supérieurs sont clairement enclins à soutenir les orientations politiques et les partis de droite. Cependant, le poids de cette enquête, ainsi que quelques autres enquêtes récentes – sensibles aux classes objectives définies par les rapports de travail rémunéré dans les pays capitalistes avancés – indiquent que les employés sont, dans l'ensemble, fortement favorables à des politiques sociales progressistes et à des partis politiques orientés à gauche.

Les travailleurs syndiqués de l'industrie et des services ont généralement maintenu une position politique progressiste. Toutefois, dans les pays où les mouvements syndicaux sont plus faibles, même certains travailleurs non-cadres bien établis – distincts des travailleurs des minorités visibles confrontés à la discrimination et à l'exploitation – se sont trouvés de plus en plus attirés par les mouvements anti-immigration et anti-diversité en raison de la précarité matérielle croissante.

Les idéologues réactionnaires et les partis de la droite radicale ont souvent utilisé les insécurités matérielles et psychiques chroniques pour faire appel à une plus grande gloire nationaliste et attiser les peurs racistes et les actions coercitives, en particulier parmi les classes relativement aisées et les groupes ethniques inquiets de perdre leurs privilèges. C'est aussi vrai pour l'insurrection du 6 janvier aux États-Unis que pour la montée du nazisme dans l'Allemagne de Weimar. Des preuves empiriques limitées provenant d'une rare enquête d'opinion dans l'Allemagne de Weimar suggèrent qu'une majorité d'employés et de travailleurs qualifiés ont continué à soutenir les opinions politiques de gauche et à rejeter les sentiments autoritaires. Mais seule une petite minorité de partisans des partis de gauche s'est montrée suffisamment attachée aux droits démocratiques pour résister au nazisme.

La différence la plus significative aujourd'hui est que dans la plupart des pays capitalistes avancés, la majorité des travailleurs non-cadres, en particulier ceux qui ont une forte conscience de classe, protègent davantage les droits démocratiques fondamentaux qu'ils ont durement acquis. Ils sont mieux préparés à les défendre lorsqu'ils sont sérieusement remis en question – comme le seront les travailleurs.ses aux États-Unis si Donald Trump gagne en novembre et que les plans du Projet 2025 deviennent opérationnels.

Les limites des enquêtes sur des échantillons de population pour prédire le comportement réel sont bien connues. Mais les enquêtes fondées sur les classes sociales, comme celles menées au Canada, permettent de suivre avec une grande précision l'évolution de la structure des classes et les liens avec les sentiments des classes sociales sur les questions politiques. Depuis la dernière enquête en 2016, des événements importants se sont produits, notamment la pandémie, l'aggravation des inégalités économiques et des revendications raciales, la multiplication des événements liés au réchauffement climatique et les guerres qui touchent plus directement les pays capitalistes avancés.

Une enquête partielle réalisée en 2020 au Canada, avant la pandémie, a révélé un soutien croissant à la transformation vers une démocratie économique durable. Il est urgent de réaliser des enquêtes complètes sur les classes et la conscience de classe dans tous les pays capitalistes avancés. Ces enquêtes sont cruciales pour aider les forces progressistes à mobiliser les sentiments anticapitalistes qui semblent être plus répandus et plus intenses qu'en 2016. Les questions de l'enquête du réseau Wright des années 1980 et des enquêtes canadiennes ultérieures sont désormais accessibles au public.

L'accès quasi-universel aux médias sociaux, la disponibilité de nombreux chercheurs qualifiés, ainsi que l'essor des mouvements sociaux axés sur des questions précises, qui ont besoin d'une telle intelligence de terrain, rendent les enquêtes représentatives des classes actuelles et de leur conscience politique plus pratiques que jamais. Les chercheurs pourraient facilement entreprendre une nouvelle enquête suédoise pour la comparer aux enquêtes Wright menées au début des années 1980, qui ont montré un fort soutien des travailleurs au plan Meidner, qui représentait une menace significative pour la propriété capitaliste de l'économie. De même, une enquête étatsunienne pourrait apporter des informations précieuses en comparant les résultats actuels avec ceux de l'enquête de 1980, d'autant plus que le mouvement syndical semble plus actif aujourd'hui qu'à l'époque. De telles enquêtes pourraient contribuer de manière significative aux efforts de mobilisation stratégique.

Les enquêtes fondées sur le processus de travail sont aujourd'hui beaucoup plus faciles et rapides à réaliser que lorsque Marx a tenté d'en réaliser une auprès des travailleurs français en 1880.

Les récentes enquêtes expérimentales menées aux États-Unis par la revue Jacobin sont prometteuses, car elles mettent en évidence des liens significatifs entre les politiques économiques progressistes, les candidats aux élections et certaines des divisions et identités de classe de Wright. Les chercheurs devraient poursuivre ces études et les relier plus étroitement aux structures de classe marxistes et à la conscience de classe. Ne pas saisir ces opportunités actuelles pour que les analyses marxistes de classe soutiennent l'action politique progressiste, alors que nous approchons du point de bascule entre le néant capitaliste et une alternative durable, serait une profonde erreur.

*

Publié initialement sur https://jacobin.com/2024/03/marxist-class-analysis-class-consciousness

Traduction : Contretemps

D. W. Livingstone est professeur émérite à l'Université de Toronto et auteur de Tipping Point for Advanced Capitalism : Class, Class Consciousness and Activism in the Knowledge Economy. (Point de bascule du capitalisme avancé, classe, conscience de classe et militantisme dans l'économie de la connaissance)

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Soudan : une année de guerre insensée et de violence extrême contre la population

23 avril 2024, par Sudfa — , ,
La guerre au Soudan a éclaté le 15 avril de l'année dernière et continue jusqu'à aujourd'hui de ravager le pays. A l'occasion de ce triste « anniversaire », nous revenons sur (…)

La guerre au Soudan a éclaté le 15 avril de l'année dernière et continue jusqu'à aujourd'hui de ravager le pays. A l'occasion de ce triste « anniversaire », nous revenons sur l'année écoulée. Malgré les chocs et les horreurs auxquels la population est confrontée au quotidien, les Soudanais·e·s continuent de se mobiliser pour réclamer la fin des combats et le retour à une transition démocratique.

Tiré du blogue de l'auteur.

Retour en avril 2023 : une situation fragile

Suite au coup d'Etat du général Al-Burhan mené en octobre 2021 contre la composante civile du régime de transition, qui devait permettre l'instauration d'une démocratie réclamée par les Soudanais-e-s durant la révolution, la population soudanaise n'a pas cessé de manifester son refus du coup d'Etat, à travers des manifestations, grèves et occupations. En avril 2023, sous pression et de plus en plus isolé, le général Al-Burhan (chef de l'armée soudanaise) avait réouvert les discussions autour d'une transition civile.

L'objectif était de trouver un accord pour sortir de l'impasse. Mais ces discussions – qui portaient notamment sur la réforme de l'institution militaire et le calendrier de cette réforme – ont ravivé les tensions entre Al-Burhan et son allié Mohamed Hamadan Dagalo (appelé « Hemedti), à la tête de la milice des « Forces de Soutien Rapide » (RSF). Les révolutionnaires civils demandent la dissolution de toutes les milices et la constitution d'une seule armée unifiée, qui se tienne à l'écart du pouvoir politique. Mais les RSF, devenues aussi puissantes que l'armée elle-même - n'avaient pas d'intérêt à être dissoutes et regroupées dans l'armée.

La tension s'est brutalement accentuée entre Al-Burhan et Hemedti. En parallèle d'une visite stratégique aux Emirats Arabes Unis, qui le soutiennent, Hemedti commençait à déployer ses soldats à divers endroits stratégiques, notamment à Marawi, où se trouve l'aéroport militaire de l'armée soudanaise.

Le 15 avril, le jour où tout a basculé

Ce jour aurait dû être une célébration de l'Aïd. Mais ce matin-là, les habitant-e-s de Khartoum ont été réveillé-e-s par des tirs et des explosions. La guerre venait d'éclater entre l'armée soudanaise et les RSF. Qui a tiré la première balle ? On ne le sait toujours pas. Pour la première fois dans l'histoire du Soudan, la guerre a éclaté dans la capitale, à proximité du palais présidentiel. La sidération était totale. Pensant que les affrontements dureraient à peine quelques heures, nombreux sont ceux à avoir quitté leurs maisons en imaginant y revenir le soir même. Mais ils ne sont jamais revenus.

La sidération s'est poursuivie dans les jours suivants. L'attention de la communauté internationale (Etats Unis, pays européens et pays du Golfe) a principalement porté sur l'évacuation de leurs ressortissants. Le départ des étranger-e-s issu·e·s de ces pays a été vécu par la population soudanaise comme un abandon de la communauté internationale. Les Soudanais-e-s et les étranger-e-s d'autres nationalités qui n'avaient pas été évacué-e-s (notamment africaines) sont resté-e-s livré-e-s à eux-mêmes, au milieu des combats.

Entre massacres à répétitions et tentatives de négociations : synthèse d'une année de guerre

Pendant plus de trois semaines, la capitale et plusieurs villes du Darfour (Nyala, Al Fasher) et du Kordofan (Al Obeid) ont été soumises à des combats ininterrompus entre les bombardements de l'armée et les tirs des RSF. Les habitant-e-s ont rapidement témoigné sur les réseaux sociaux de cambriolages, de vols, et de viols de la part des soldats des RSF, mais aussi des militaires. Les Soudanais·e·s ont continué à quitter massivement leurs maisons, pour aller depuis la capitale vers la province (Wad Madani, Gezira, Port Soudan) mais aussi vers l'Egypte et Ethiopie, le Tchad et le Sud du Soudan.

En mai 2023, des négociations ont eu lieu à Djeddah avec la médiation des Etats-Unis et de l'Arabie Saoudite. L'objectif était de rassembler les deux généraux autour de la table. Mais l'initiative était vouée à l'échec : les RSF débutaient – au même moment – un massacre (qualifié de génocide) à Al-Geneina, ville frontière avec le Tchad, située au Ouest Darfour[1].

Le massacre d'Al-Geneina prolonge ainsi l'histoire des génocides au Darfour qui ont eu lieu au début des années 2000, avec le soutien de l'armée et du gouvernement d'Omar El-Béshir. Musab, militant soudanais en exil, pointe ainsi du doigt la double responsabilité des RSF et de l'armée dans ces massacres : « Les militaires sont complices de tout ça, même durant le génocide au Darfour en 2003, ils étaient témoins du massacre. Les milices permettent à l'armée soudanaise de rejeter sur elles sa responsabilité. Les militaires sont censés être le premier groupe qui évite d'entrer dans une guerre, mais au Soudan c'est le contraire. »

En décembre 2023, la ville de Wad Madani est tombée aux mains des RSF, après que l'armée ait une nouvelle fois abandonné la population locale. Les destructions, bombardements, vols, pillages, se sont poursuivis dans tout le pays, s'étendant progressivement du Darfour et de la capitale vers le centre et l'Est.

En janvier 2024, le collectif « Taqqadum » - composé de plusieurs partis politiques – a signé un accord avec les RSF à Addis-Abeba, dans lequel les RSF s'engagent à garantir une transition civile et démocratique s'ils gagnent la guerre. Cet accord – qui a notamment été signé par Abdallah Hamdock (l'ancien premier ministre de la période de transition) – a été largement contesté et décrié par les Soudanais-e-s, qui considèrent qu'aucune compromission n'est possible avec les RSF.

Si cet accord survenu à un moment où les RSF prenaient l'avantage sur l'armée, il s'inscrit également dans une « normalisation diplomatique » des relations avec les RSF. De janvier à mars 2024, Hemedti a ainsi effectué une série de visites officielles dans les pays voisins, où il a été reçu comme un allié diplomatique. Mais plus récemment, l'armée soudanaise a remporté – grâce à des drones iraniens - plusieurs combats majeurs sur les RSF. A ce jour, l'issue de la guerre reste donc toujours très incertaine.

Une guerre difficile à comprendre

Les raisons profondes de cette guerre sont obscures et font l'objet de débats au sein des Soudanais·e·s, comme le constate Khansa, militante soudanaise en exil : « Il n'y a pas une seule analyse profonde sur la situation actuelle au Soudan, et c'est ça qui nous rend confus. Il y a des gens qui soutiennent la guerre, qui veulent que les militaires écrasent les RSF quoi qu'il arrive, mais il y a aussi des gens qui qui considèrent les RSF comme un allié politique, ou encore d'autres qui ont des intérêts directs dans la guerre. Et il y a des gens qui disent : « Non à la guerre ! », qui pensent que c'est la pire chose qui peut arriver. Avec tous ces discours, on n'arrive pas à trouver une bonne orientation, ni de bons outils de travail pour être plus efficaces. Parce qu'il y a un manque d'analyse et on n'a pas de boussole. »

Certains estiment que c'est une guerre de pouvoir entre deux hommes, pour leurs simples intérêts personnels. Pour Khaled - militant soudanais en exil – la guerre peut être analysée d'un point de vue féministe, comme une « compétition de virilité entre deux généraux qui prennent en otage la population soudanaise ». D'autres estiment qu'il s'agit d'une « guerre entre différents groupes sociaux et culturels de la société », avec une dimension raciale qui conduit à des génocides. D'autres considèrent qu'il s'agit d'une guerre « impérialiste », car chacun des deux groupes qui s'affrontent est soutenu par différentes puissances étrangères qui convoient le Soudan pour ses ressources naturelles et pour sa localisation stratégique. Khansa considère ainsi que : « la guerre est une étape très violente qui se traduit par le fait qu'il y a des organisations armées qui essayent de monopoliser les richesses et le pouvoir du pays par les armes, par n'importe quel moyen. »

Mais pour beaucoup, il s'agit avant tout d'une guerre « contre-révolutionnaire ». En mettant le pays à feu et à sang, elle a fait s'effondrer les espoirs de la révolution civile et démocratique. Et a poussé sur les routes de l'exil de nombreux·ses militant·e·s engagé·e·s dans la révolution. En déstabilisant complètement le pays, cette guerre permet aux cadres de l'ancien régime de rester en place sans être jugés pour les crimes qu'ils ont commis durant des décennies (durant la dictature militaire puis du coup d'Etat).

Se mobiliser et résister

Malgré l'immense douleur et la colère, les Soudanais-e-s n'ont pas dit leur dernier mot et la flamme de la résistance est toujours présente. La mobilisation demeure active dans le pays (voir notre précédent article). Du côté de la société civile, les initiatives se sont multipliées pour réclamer la fin de la guerre. En novembre 2023, les comités de résistance (organisations autogérées par quartier de la société civile, et fer de lance du mouvement de contestation depuis 2018) ont publié une déclaration avec des pistes concrètes de propositions pour mettre fin à la guerre[3], réformer les forces armées soudanaises, mettre en place un gouvernement civil et obtenir justice pour toutes les victimes de guerre. De nombreuses initiatives locales mettent en œuvre une solidarité dans les différents quartiers, malgré une situation humanitaire catastrophique.

La résistance se poursuite également dans la diaspora soudanaise à travers le monde, même si la guerre affecte aussi fortement les Soudanais-e-s à l'étranger (voir notre précédent article). Rashida - militante soudanaise en exil - note une différence entre la période post-révolutionnaire et la situation aujourd'hui : « Les gens sortaient en masse après le coup d'Etat, parce qu'il y avait de l'espoir. Mais maintenant, nous ne sommes pas nombreux aux manifestations. C'est la guerre, et il n'y a plus d'espoir, nous sommes perdus. Les manifestations sont tristes, car il n'y a personne qui n'a pas été touché directement par cette guerre. » Pour autant elle continue à se mobiliser, en considérant que « c'est le minimum que je peux faire » pour soutenir son pays depuis la France, et « qu'il ne faut rien lâcher ».

A Paris, hier, des militants ont manifesté place de la République contre la guerre, et d'autres ont fait entendre leur voix en perturbant la « Conférence sur la crise humanitaire au Soudan » organisée par les puissances internationales, accusée par de nombreux militants soudanais de poursuivre la normalisation des relations internationales avec les RSF et d'aller à l'encontre de la volonté de la population soudanaise. Des manifestations ont eu lieu hier dans différentes villes du monde, à Paris, Londres, Boston, New York, Oslo, Whasington, Phoeniw, Cardiff, dans le cadre de la « Global March for Sudan » qui vise à demander la fin immédiate de la guerre.

Auteur : Equipe de Sudfa Media

Notes

[1] Aujourd'hui, des journalistes soudanais·e·s et organismes d'investigation tentent de comprendre ce qui s'est passé à Al-Geneina au cours de ces derniers mois, et d'estimer le nombre de morts : certaines études évoquent entre 10 et 15 000 mort·e·s rien que dans cette ville, ce qui est autant que le nombre total de mort·e·s dans tout le pays évoqué par l'ONU.

[2] Donnant lieu à des génocides (comme celui des Massalit dans la ville d'El-Geneina), et poursuivant la logique des guerres génocidaires qui ont eu lieu dans le passé au Darfour, Kordofan et au Soudan du Sud

[3] La déclaration des comités de résistance sera traduite prochainement sur Sudfa.

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Sudfa est un blog participatif franco-soudanais, créé par un groupe d'ami-e-s et militant-e-s français-e- et soudanais-e-. Nous nous donnons pour objectif de partager ou traduire des articles écrits par des personnes soudanaises, ou co-écrits par personnes soudanaises et françaises, sur l'actualité et l'histoire politiques, sociales et culturelles du Soudan et la communauté soudanaise en France. Si vous souhaitez nous contacter, vous pouvez nous écrire à sudfamedia@gmail.com, ou via notre page facebook. Pour plus d'infos, voir notre premier billet « qui sommes-nous ». Vous pouvez aussi retrouver tous nos contenus, articles, chroniques et reportages, sur notre nouveau site : sudfa-media.com. A bientôt.

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Soudan. De la révolution de 2018-19 à la guerre civile actuelle : leurs origines, leurs développements et la place des « acteurs régionaux »

23 avril 2024, par Khalid Mustafa Medani — , ,
Le15 avril 2023, l'alliance entre le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane des Forces armées soudanaises (SAF) et Mohammed Hamdan Daglo (« Hemetti »), le chef des Forces (…)

Le15 avril 2023, l'alliance entre le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane des Forces armées soudanaises (SAF) et Mohammed Hamdan Daglo (« Hemetti »), le chef des Forces de soutien rapide (RSF), s'effondre, catapultant le pays dans une guerre sans précédent.

Tiré d'À l'encontre.

La guerre a d'abord commencé autour de la capitale Khartoum, mais elle s'est rapidement étendue à d'autres régions du Soudan, notamment au Darfour, à Port-Soudan et, en décembre 2023, à l'Etat de Gezira, jusque-là paisible, cœur agricole du pays situé au confluent du Nil bleu et du Nil blanc.

La nature des combats – qui s'étendent à la fois aux zones rurales et urbaines – et leur ampleur ont provoqué une grave crise humanitaire. Pas moins de 9 millions de Soudanais ont fui, dont plus d'un million en franchissant les frontières du pays. Human Rights Watch [novembre 2023] a fait état de nettoyage ethnique à Khartoum et au Darfour, ainsi que de la prise pour cible de milliers de civils et la persécution de villages. La crise a été aggravée par l'insécurité alimentaire, qui touche environ 60% de la population, car les combats perturbent la production agricole dans une grande partie du pays. Le PAM (Programme alimentaire mondial) a récemment, le 6 mars 2024, averti que le pays était confronté à « la plus grande crise alimentaire dans le monde »[1].

Sur le terrain, l'acheminement de l'aide humanitaire a été entravé par des blocages bureaucratiques, notamment le refus d'accorder des permis de voyage aux organisations humanitaires, et par leur impossibilité en raison des combats en cours à entrer dans les zones dans le besoin. L'aide acheminée risque d'être confisquée ou redirigée par l'armée et les forces de sécurité, dans le cadre de l'effort de guerre et pour pénaliser les civils qui s'y opposent. Les deux parties belligérantes ont pris pour cible les installations médicales. Quelque 70 % des hôpitaux et des installations médicales ne fonctionnent pas. Les gens meurent de la propagation de maladies soignables et de blessures traitables.

La situation actuelle diffère fortement de la période antérieure, des années 2018-2019, lorsque le monde a observé avec admiration le Soudan dans lequel un soulèvement populaire renversait le régime islamiste-militant du président Omar el-Béchir. La révolution promettait d'ouvrir une nouvelle ère de démocratie, bien que fragile, après trois décennies de régime autoritaire. Au lieu de cela, le conflit prolongé qui sévit aujourd'hui au Soudan menace les fondements mêmes de l'Etat soudanais et, partant, la stabilité du Sahel et de la Corne de l'Afrique.

La crise économique et les racines de la protestation populaire

Dans une large mesure, la guerre au Soudan est le résultat direct de la force et de l'ampleur, au-delà des clivages sociaux, régionaux et ethniques, de ce que les Soudanais appellent la « Glorieuse Révolution » de 2018.

La sécession du Sud-Soudan, le 9 juillet 2011, a été l'un des principaux facteurs à l'origine des manifestations populaires qui ont fini par renverser le régime autoritaire d'Omar el-Béchir. Après plus d'une décennie de croissance économique relative, la sécession du Sud-Soudan a privé l'Etat d'une grande partie de ses revenus pétroliers (les deux tiers des ressources pétrolières du Soudan se trouvent dans le Sud), ce qui a entraîné une aggravation de la crise économique. Entre 2000 et 2009, le pétrole représentait 86% des recettes d'exportation du Soudan[2]. La sécession du Sud-Soudan a donc entraîné la perte de 75% des recettes pétrolières de Khartoum[3].

L'absence de revenus pétroliers a érodé les réseaux clientélaires de l'ancien régime, renforçant les rivalités entre les dirigeants du Parti du Congrès national (NCP) d'El-Béchir. Elle a également exacerbé les griefs sociaux et économiques d'un large éventail de la société soudanaise, tant dans les zones urbaines que rurales, jetant ainsi les bases du soulèvement populaire de décembre 2018.

Les manifestations ont débuté dans la ville ouvrière d'Atbara, dans l'Etat du Nil, à environ 320 km au nord de Khartoum, sous l'impulsion d'élèves de l'enseignement secondaire, très vite rejoints par des milliers d'habitant·e·s de la ville. L'étincelle initiale a été la multiplication par trois du prix du pain. Mais dans les zones périphériques où le soulèvement a commencé, les griefs économiques avaient précédé la perte des revenus pétroliers de l'Etat. Pendant la période du boom pétrolier, bien que l'économie formelle du Soudan se soit développée, les bénéfices ont été inégalement répartis. L'attribution des services, des emplois et des projets d'infrastructure est restée concentrée dans l'Etat de Khartoum et elle a été conçue pour apaiser les populations urbaines. Comme l'indique une étude, au cours des deux décennies précédant la révolution, environ cinq projets majeurs dans le triangle central du Nord ont représenté 60% des dépenses de développement[4].

En 2009 (dix ans avant le soulèvement), l'incidence de la pauvreté au sein de la population rurale était de 58%, contre 26% au sein de la population urbaine. En outre, les chiffres de cette période montrent que les niveaux de pauvreté étaient bien plus élevés au Darfour et dans l'est qu'à Khartoum et dans les Etats du centre[5]. L'inégalité entre les régions et entre le centre et la périphérie du pays explique, en partie, pourquoi les protestations initiales qui ont conduit au soulèvement populaire de 2018 ont éclaté, pour la première fois dans l'histoire du Soudan, dans la périphérie du pays plutôt que dans la capitale.

En l'espace de quelques jours, cependant, les manifestations antigouvernementales se sont étendues à un large éventail de villes et de villages dans toute la région du nord et dans la capitale, Khartoum. Les manifestant·e·s ont scandé des slogans, comme celui bien connu des soulèvements arabes : al-sha'ab yurid isqat al-Nizam, « le peuple veut la chute du régime ».

Nouveaux réseaux de mobilisation populaire

A l'instar des villes de la périphérie, les manifestations à Khartoum ont également commencé par protester contre une crise économique profonde liée à la hausse des prix du pain et du carburant et à une grave crise de trésorerie. Mais leurs revendications se sont rapidement transformées en appels à l'éviction d'El-Béchir.

Dans la période précédant la révolution, les leaders de la jeunesse soudanaise se sont associés aux syndicats de médecins, de pharmaciens, d'avocats et d'enseignants du secondaire. L'Association professionnelle soudanaise (SPA) – un réseau de syndicats parallèles (ou non officiels) composé notamment de médecins, d'ingénieurs et d'avocats – a pris la tête de l'organisation et de la préparation des manifestations. Fin décembre 2018, ils ont appelé à une marche sur le parlement à Khartoum, demandant au gouvernement d'augmenter les salaires du secteur public et de légaliser les associations professionnelles informelles et les syndicats. Après que les forces de sécurité ont eu recours à la violence contre des manifestations pacifiques, leurs revendications se sont transformées en un appel à la destitution du pouvoir du Parti du Congrès national (PCN), à la transformation structurelle de la gouvernance au Soudan et à une transition vers la démocratie.

Leurs revendications ont fait écho à celles des précédentes manifestations populaires, notamment en 2011, 2012 et 2013. Mais les manifestations de 2018-19 étaient sans précédent en termes de durée et d'étendue géographique. Elles ont également suivi un processus remarquablement nouveau, innovant et durable. Les manifestant·e·s ont tiré les leçons des erreurs commises lors des manifestations précédentes, qui étaient très centralisées, essentiellement réservées aux Soudanais de la « classe moyenne » et dépourvues de stratégies pour faire face aux forces de sécurité étatiques, omniprésentes.

Dirigées par la SPA et organisées au niveau de la rue par des comités de résistance de quartier (NRC) dirigés par des jeunes, les manifestations ont été coordonnées, programmées et essentiellement conçues pour mettre l'accent sur la permanence plutôt que sur le nombre. Les manifestations étaient également réparties dans les quartiers de la classe moyenne, de la classe ouvrière et des quartiers pauvres. Il y avait une coordination avec les manifestant·e·s dans les régions éloignées de Khartoum, y compris les Etats de la mer Rouge, à l'est, et le Darfour, à l'extrême ouest du pays.

Au-delà de l'échelle régionale, les manifestations se sont également distinguées par des niveaux inédits de solidarité entre les classes sociales et les ethnies. Les jeunes militants et les membres d'associations professionnelles ont non seulement contesté le discours politique de l'Etat islamiste, mais ils ont également joué un rôle important dans l'élaboration d'alliances entre classes dans le cadre de ces manifestations. Les slogans qu'ils ont utilisés étaient conçus pour résonner et mobiliser le soutien au-delà des clivages ethniques, raciaux et régionaux.

Au cours des six mois de manifestations, des grèves, des arrêts de travail et des sit-in ont été organisés, non seulement sur les campus universitaires et dans les écoles secondaires, mais aussi parmi les travailleurs du secteur privé et du secteur public. Parmi les exemples les plus importants, on peut citer les grèves des travailleurs de Port-Soudan sur la mer Rouge, qui exigeaient l'annulation de la vente du port méridional à une société étrangère, ainsi que plusieurs arrêts de travail et protestations menés par les employés de certaines des banques les plus importantes du pays, de fournisseurs de télécommunications et d'autres entreprises privées.

Si l'accent est mis, à juste titre, sur le rôle central des manifestant·e·s, des comités de résistance et de la SPA, les partis d'opposition soudanais ont également joué un rôle : non seulement en organisant les manifestations, mais aussi en apportant un soutien idéologique aux revendications des manifestants. Les partis politiques ont pris l'initiative de rédiger la Déclaration de liberté et de changement en janvier 2019, au plus fort de la mobilisation. Avec la SPA, les principales coalitions de partis politiques soudanais, notamment les Forces du consensus national et l'Appel du Soudan(Nida al-Sudan), ont favorisé la formation d'un vaste réseau d'opposition, qui s'est réuni sous la bannière des Forces de la liberté et du changement (FFC). Les FFC étaient principalement chargées d'assurer la coordination entre les différentes classes sociales, y compris celles travaillant dans le secteur informel.

En effet, et c'est le plus important, les FFC ont mobilisé non seulement des associations et des groupes de jeunes de la classe moyenne, mais aussi des comités de résistance de quartier organisés de manière informelle, dont certains représentaient les quartiers urbains les plus pauvres. Ces comités de résistance de quartier trouvent leur origine dans la désobéissance civile de 2013 contre El-Béchir. Ils ont fourni des forces de base aux manifestations. Ces comités ont pris l'initiative de réorienter les manifestants pour s'éloigner des forces de sécurité. Ils ont joué un rôle central dans le maintien des manifestations malgré la grande violence déployée par les forces de sécurité et les milices pour réprimer le soulèvement.

La force relative et la légitimité initiale des principaux partis d'opposition, ainsi que leur coordination avec les manifestants de la rue et les syndicats informels, ont joué le rôle le plus crucial dans le maintien des manifestations qui ont chassé El-Béchir. Après la révolution, les comités de résistance joueront un rôle politique plus direct, en s'efforçant de dégager un consensus populaire autour d'un projet de transition légitime et populaire vers une démocratie civile, conformément aux objectifs de la révolution.

La violence contre-révolutionnaire

Après la chute d'Omar el-Béchir en avril 2019, le Soudan est toutefois resté un régime autoritaire hybride par excellence.

Dans un premier temps, Omar el-Béchir a été remplacé par une junte militaire sous la forme du Conseil militaire de transition (TMC). Le TMC était dirigé par le général Bourhane de l'armée soudanaise (SAF), et son adjoint était Daglo, le commandant des RSF (Forces de soutien rapide). En réponse à la prise de pouvoir par les militaires, les sit-in et les manifestations se sont poursuivis, exigeant une transition vers un régime civil à part entière. Le 3 juin 2019, les forces de sécurité du TMC, y compris les milices des RSF, ont violemment dispersé l'un de ces sit-in, tuant des centaines de personnes et en blessant des milliers d'autres dans ce qui est devenu le « massacre du sit-in » de Khartoum.

Les dirigeants civils, représentés par le FFC (Forces de la liberté et du changement), sont finalement parvenus à un accord avec les militaires en juillet. En août 2019, les parties ont signé un apparent accord de partage du pouvoir sous la forme d'une charte constitutionnelle. Les FFC a proposé Abdallah Hamdok comme premier ministre du gouvernement de transition [août 2019-octobre 2021]. Cette charte constitutionnelle a été modifiée par l'Accord de paix de Juba d'octobre 2020, signé entre le gouvernement de transition et plusieurs groupes d'opposition [5 groupes rebelles issus des régions du Darfour, du Khordofan du Sud et du Nil Bleu qui ont accepté de déposer les armes en échange d'une meilleure inclusion de leurs populations, historiquement marginalisées, dans le partage des richesses et la gestion du pays].

Le gouvernement de transition n'a cependant jamais établi une séparation claire des pouvoirs : par le biais de la charte constitutionnelle, les militaires ont conservé le droit de rejeter tous les points proposés par les dirigeants civils de la coalition. En outre, ils ont bénéficié de l'immunité contre les enquêtes sur les crimes passés (y compris le massacre du sit-in du 3 juin 2019) et ont exercé un droit de veto sur les nominations ministérielles civiles, telles que celles du président de la Cour suprême et du procureur général. Le gouvernement de transition a donc fonctionné avec un déséquilibre marqué entre l'autorité des militaires et celle des civils.

Pour leur part, les comités de résistance de quartier du Soudan et le mouvement général de protestation ont continué (et continuent encore aujourd'hui) à faire pression en faveur de cinq priorités importantes. La première est une transition vers un régime civil à part entière qui repose sur le rejet d'un autre partenariat avec les dirigeants militaires (illustré par le slogan des « trois non » : pas de négociations, pas de partenariat et pas de légitimité pour les militaires). Deuxièmement, ils demandent la reformulation de l'accord de Juba afin qu'il intègre davantage les personnes directement touchées par la guerre sur le terrain. Troisièmement, ils exigent des discussions sur la réforme constitutionnelle afin de préparer une conférence constitutionnelle qui tienne pleinement compte des inégalités structurelles et ethniques du passé et qui, en fin de compte, superviserait des élections libres et équitables. Quatrièmement, ils veulent que les acteurs de l'Etat impliqués dans les violences contre les civils, y compris dans le massacre du sit-in, rendent des comptes. Enfin, ils souhaitent la mise en place rapide d'un conseil législatif après la cessation des hostilités.

Parmi ce réseau d'organisations de la société civile, on trouve des groupes qui avaient apporté leur soutien au gouvernement civil, notamment l'Association des professionnels soudanais (SPA) et les deux principales organisations de jeunes (Girifna et Sudan Change Now). En fin de compte, l'incapacité d'Abdallah Hamdok et de la branche civile du gouvernement de transition à intégrer les principales demandes et la participation des comités de résistance a sapé les progrès concrets en ce qui concerne les demandes populaires en matière de justice et de rendre des comptes. Cela a limité la base sociale et le soutien aux dirigeants civils. Le retard pris dans la mise en place d'une assemblée législative chargée de préparer les élections a encore affaibli la popularité et la légitimité d'Abdallah Hamdok et des partis politiques en général. Les dirigeants militaires, dans le cadre de ce qui était alors un partenariat solide entre Bourhane et Daglo, ont habilement exploité ces divisions, ouvrant la voie au coup d'Etat d'octobre.

Le 25 octobre 2021, le général Bourhane des Forces armées soudanaises (SAF) et le commandant des Forces républicaines de sécurité (RSF), Daglo, ont conjointement fomenté un coup d'Etat contre Hamdok [ce dernier a été retenu chez lui par les putschistes, puis sous la pression des manifestations il est placé par les militaires à un pseudo-poste de premier ministre]. Des protestations persistantes et généralisées ont immédiatement suivi, appelant à un retour à un régime civil. Ces manifestations, menées par les comités de résistance populaire, ont contraint les SAF et les RSF à accepter des négociations avec l'opposition civile. Ces négociations ont ouvert la voie à l'accord-cadre, aujourd'hui annulé, qui a suscité une rivalité féroce entre Bourhane et Daglo. Plus précisément, les SAF et les RSF étaient en désaccord profond sur la question de l'intégration de ces dernières dans l'armée nationale régulière. En outre, les deux forces ont rejeté les tentatives de démantèlement de leurs vastes fortunes économiques – un objectif clé de la révolution.

Le désaccord entre les deux généraux sur la réforme du secteur de la sécurité et leur ambition réciproque de conserver le contrôle de vastes pans de la richesse du pays sont deux des facteurs les plus importants qui ont conduit le Soudan à la guerre.

Les origines des RSF

Si la rivalité entre les officiers de l'armée soudanaise soutenus par les islamistes et les milices des RSF menace aujourd'hui de détruire l'Etat, c'est leur longue histoire de partenariat qui est à l'origine de la guerre actuelle.

L'émergence des RSF remonte à la guerre du Darfour, au début des années 2000. En réponse à une insurrection qui a débuté au Darfour en 2003, le régime de Béchir a mené une guerre anti-insurrectionnelle de type « terre brûlée » qui a entraîné la mort de plus de 200 000 civils. Cette guerre a été principalement menée par les milices Janjawids, créées, financées et contrôlées par le régime de Khartoum. L'actuel commandant des RSF, Daglo (Hemetti), a lui-même servi en tant que commandant des Janjawids pendant ces années. (Bourhane était lui aussi stationné au Darfour afin que les Forces armées soudanaises puissent coordonner les efforts anti-insurrectionnels pour le compte de Khartoum).

En 2013, à la suite de la restructuration de l'armée par le régime islamiste, les Janjawids ont été transformés en RSF sous la direction de Daglo. Préoccupé par la menace posée par les insurgés au Darfour et par les cycles répétés de manifestations en faveur de la démocratie à Khartoum, El-Béchir a institutionnalisé les RSF en tant que bras anti-insurrectionnel de l'armée soudanaise. Outre le déploiement de la milice contre l'insurrection et les manifestations populaires, un troisième objectif était d'affaiblir l'armée nationale permanente afin d'empêcher toute tentative de la part d'officiers de rang moyen d'évincer le parti d'El-Béchir (le régime du Parti du Congrès national-NCP) par le biais d'un coup d'Etat militaire. El-Béchir a donné à Daglo son surnom, Hemetti, « mon protecteur ». En 2017, El-Béchir a légalisé les RSF par décret exécutif, établissant formellement la milice comme une force de sécurité indépendante, par la suite, plus justement catégorisée comme une milice para-militaire d'Etat.

Après la révolution de 2019, Bourhane a autorisé et encouragé l'expansion des RSF dans les zones résidentielles de l'agglomération de Khartoum, préparant ainsi le terrain pour que la capitale devienne l'épicentre de la violence au début de la guerre.

C'est une ironie fatale de l'histoire soudanaise que les RSF – la milice ostensiblement loyale de l'ancien régime islamiste du NCP – prennent les armes contre son ancien bienfaiteur en avril 2023. Les raisons principales de cette décision étaient doubles : l'insistance sur l'autonomie de commandement et de contrôle et la réalisation de l'ambition croissante de Hemetti de dominer l'économie et la politique du pays.

Une guerre pour l'économie « illicite »

Le pouvoir de l'armée soudanaise, en particulier dans ses rangs supérieurs, trouve son origine dans la fondation de l'Etat profond actuel du Soudan et dans le lien entre l'économie nationale et les intérêts militaires et sécuritaires.

Après le coup d'Etat de 1989 qui a porté au pouvoir le régime militaire de Béchir, soutenu par les islamistes, le gouvernement a mis en place une stratégie économique de tamkeen (autonomisation). Cette politique a permis d'établir une hégémonie politique et économique en faveur des élites islamistes du pays, organisées autour du Front national islamique (NIF) et, plus tard, du Parti du Congrès national (NCP). Dans le cadre d'une politique de réformes ostensiblement néolibérales et favorables au marché, les entreprises publiques ont été vendues aux alliés du régime. Les hommes d'affaires ont été contraints d'accorder des parts de leurs sociétés aux loyalistes du NCP, et des réductions d'impôts, voire des exonérations totales, ont été accordées aux entreprises favorables au régime[6].

En plus d'acheter la loyauté au régime, l'Etat a purgé ses rivaux du gouvernement et de la société civile. Dès son arrivée au pouvoir, le régime islamiste a limogé des milliers de militaires et de fonctionnaires[7].

Dans un schéma qui rappelle la guerre actuelle, les dirigeants islamistes ont commencé à accumuler et à distribuer de manière sélective des produits de base tels que le blé, la farine et le pétrole. Le pétrole, en particulier, a joué un rôle central dans la pérennité islamiste-autoritaire du régime jusqu'à la sécession du Sud en 2011. Le régime de Béchir, fort d'un boom des revenus pétroliers qui alimentaient directement les coffres de l'Etat, a utilisé ces revenus pour renforcer et étendre ses réseaux clientélaires dans tout le pays, en dirigeant les fonds vers les loyalistes et leurs régions d'origine. Mais si les politiques économiques du tamkeen ont permis aux islamistes de monopoliser les secteurs économiques formels et informels du Soudan, elles ont également élargi le rôle de l'armée soudanaise dans l'économie[8]. La création de la Military Industrial Corporation (MIC) au début des années 1990 a permis aux SAF de contrôler une douzaine d'entreprises qui produisaient du matériel militaire. Leurs activités économiques se sont ensuite étendues au-delà de la MIC pour inclure une série d'industries civiles.

C'est dans ce contexte que l'économie est devenue une scène décisive de la compétition politique après le soulèvement de 2018-19. Au cours de la transition qui a suivi la révolution, deux factions d'élite ont émergé au centre : les restes de la coalition islamiste du FNI, liés aux membres du NCP – qui avaient été principalement responsables de la construction de l'Etat profond dans les années 1990 – et le Conseil militaire de transition (TMC) composé de dirigeants des milices SAF et RSF.

Alors que dans le passé les islamistes représentaient un groupe relativement cohérent, des fissures sont apparues au cours de la transition entre les dirigeants militaires à la tête du TMC et un groupe idéologique islamiste résurgent, exerçant un contrôle important sur les services de sécurité de l'Etat, y compris les tristement célèbres et militants kattayib al-zil, ou « brigades de l'ombre »[9]. En réponse, le TMC a pris le contrôle de nombreuses grandes entreprises appartenant à des islamistes et a réduit le pouvoir des services de renseignement du Soudan. Il s'est même employé à démanteler plusieurs milices en confisquant leurs biens et en fermant leurs comptes bancaires. A la suite du coup d'Etat du 25 octobre 2021, Bourhane s'est retrouvé de plus en plus isolé, sans pouvoir ni légitimité dans la société civile. Il a rapidement rétabli les relations avec les islamistes, en réintégrant leurs dirigeants dans la bureaucratie et l'appareil de sécurité de l'Etat. Tous deux combattent aujourd'hui les milices RSF.

Les chefs militaires, soutenus par les islamistes purs et durs, s'efforcent de conserver et de faire fructifier les vastes richesses financières et les avantages politiques dont ils jouissaient grâce à leur monopole sur l'Etat profond. Les objectifs de Bourhane dans la guerre actuelle sont donc motivés par les entreprises et les investissements des SAF, ainsi que par la longue histoire de manipulation de l'économie informelle par les SAF et les islamistes, qui leur a permis d'exercer leur emprise sur l'Etat. Le fait qu'ensemble ils soient déterminés à atteindre cet objectif par tous les moyens militaires nécessaires et quel qu'en soit le coût humain explique en partie la logique de la violence à grande échelle dans la guerre civile en cours et, en particulier, le ciblage de la population civile – dont une grande partie a lutté pour démanteler l'héritage de l'Etat profond. En effet, l'un des objectifs centraux de la révolution était dès le départ : tafkeek al-nizam wa izalat al-tamkeen (démanteler le régime et supprimer ses politiques d'« autonomisation »)[10].

Du pétrole à l'or

Les politiques d'autonomisation (tamkeen) et le boom pétrolier ont alimenté la montée en puissance d'un Etat profond dominé par les islamistes. Dans la guerre actuelle, cependant, c'est l'extraction de l'or pour l'exportation qui alimente les milices parallèles d'Hemetti et génère la violence politique.

Suite à la perte des revenus pétroliers avec la sécession du Sud-Soudan en 2011, El-Béchir s'est tourné vers l'or pour soutenir ses réseaux clientélaires affaiblis. Entre 2012 et 2017, la production d'or a connu une augmentation astronomique de 141%[11]. En 2018, un an avant la révolution, le pays était le douzième producteur mondial.

Mais contrairement au pétrole, les bénéfices de ce nouveau boom de l'or ont été distribués de manière beaucoup plus décentralisée. La plupart des exportations d'or sortent illégalement du pays, principalement vers les marchés des Emirats arabes unis. La majeure partie de la valeur de l'or échappe ainsi à l'économie formelle malmenée, ce qui compromet la capacité de l'Etat à générer des revenus et à allouer des ressources à sa population civile. Une étude récente a révélé que l'écart entre les exportations d'or déclarées par le Soudan et les importations enregistrées par ses partenaires commerciaux s'élevait à 4,1 milliards de dollars[12], ce qui laisse supposer que 47,7% des revenus de l'or soudanais se retrouvent dans des mains privées.

Alors que l'armée et l'appareil de sécurité dominé par les islamistes se battent pour contrôler les entreprises impliquées dans le pétrole, la gomme arabique, le sésame, les armes, le carburant, le blé, les télécommunications et les banques, Hemetti monopolise l'or (et dans une moindre mesure le bétail et l'immobilier), afin d'étendre son effort de guerre. La violence qui sous-tend la guerre est directement liée à sa richesse personnelle, qu'il a amassée en grande partie grâce à sa participation au commerce illicite de l'or.

En 2015, un rapport publié par le Conseil de sécurité de l'ONU a révélé que les forces de Hemetti généraient 54 millions de dollars par an grâce au contrôle de la mine d'or de Jebel Amer[13], ce qui lui a permis de recruter des jeunes, pauvres et sans emploi, de tout le Sahel au sein du RSF, venant notamment de Libye, du Tchad, du Mali et du Niger, et qui sont les principaux auteurs des violences au Darfour, à Khartoum et dans le centre du Soudan. Sa force paramilitaire est actuellement estimée à 40 000 hommes. Par rapport à leurs homologues des SAF, ses hommes de troupe bénéficient d'un accès privilégié aux ressources financières et à la formation de la part d'acteurs extérieurs.

L'émergence de l'or en tant que matière première la plus rentable du Soudan contribue à expliquer la nature décentralisée de la guerre et les niveaux élevés de violence infligés par les milices du RSF, en particulier dans les régions riches en or du Darfour et du Kordofan.

Alimenter une guerre par procuration

Bien que la dynamique principale de la guerre au Soudan soit interne, des puissances régionales et d'autres plus éloignées jouent un rôle influent. Les pays du Golfe, en particulier l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, sont au premier rang de ces puissances.

Ici aussi, l'émergence de l'or comme la matière première la plus rentable du Soudan est significative. Contrairement au pétrole, l'or est une ressource pillable, ce qui incite les acteurs extérieurs, comme les Emirats arabes unis, à intervenir aux côtés des RFS, quelles que soient les conséquences en termes de violence à l'encontre des civils. Les Emirats arabes unis soutiendraient Hemetti et ses RSF par des livraisons d'armes transitant par le Tchad et la Libye.

Au-delà du commerce illicite de l'or, Hemetti a également bénéficié des intérêts régionaux des pays du Golfe et de leurs préoccupations concernant la mer Rouge. L'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis s'inquiètent depuis longtemps de l'encerclement iranien par le détroit d'Ormuz et Bab el-Mandeb. Ces inquiétudes ont été renforcées par le soutien iranien au mouvement Houthi au Yémen, qui a conduit à l'intervention militaire d'une coalition dirigée par l'Arabie saoudite en 2015. Hemetti a reçu des millions de dollars de l'Arabie saoudite et des Emirats arabes unis pour envoyer ses milices combattre dans la guerre.

Alors que la majorité des soldats des RSF sont rentrés du Yémen, la récente escalade de la violence en mer Rouge, due aux attaques des Houthis contre des navires commerciaux en réponse à la guerre d'Israël contre Gaza, a alimenté les inquiétudes de l'Arabie saoudite, en particulier. Riyad, avec les Etats-Unis, a pris l'initiative de tenter de négocier un accord de cessez-le-feu entre les deux parties belligérantes, dans le but stratégique de conserver une alliance solide avec le régime qui émergera à Khartoum après la guerre.

L'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont tous deux établi avec succès des bases militaires dans la Corne de l'Afrique : l'Arabie saoudite à Djibouti et les Emirats arabes unis en Erythrée. Les Emirats arabes unis cherchent également à établir des installations similaires dans le nord de la Somalie. Mais la concurrence pour l'influence dans la région de la mer Rouge ne se limite pas à ces Etats. Le Qatar, la Turquie et la Russie ont tous renforcé leur engagement dans la région et se sont lancés dans l'établissement de bases militaires au large de la côte soudanaise de la mer Rouge.

S'il est en partie stratégique, l'intérêt des Etats du Golfe pour le Soudan découle également d'objectifs économiques à plus long terme. Ils considèrent les investissements en Afrique comme un moyen de diversifier leurs économies et sont désireux de développer le commerce sur ce continent riche en ressources, dont le Soudan est la porte d'entrée. Les Emirats arabes unis ont poursuivi avec détermination un projet de développement portuaire au large de la côte soudanaise de la mer Rouge. En 2022, Khartoum aurait officiellement attribué aux Emirats arabes unis un contrat d'exploitation d'une partie de Port-Soudan, dans lequel les Emirats arabes unis investiraient 6 milliards de dollars.

Les terres agricoles du Soudan sont également essentielles pour aider les Etats du Golfe à répondre à la demande croissante d'importations alimentaires. Dans le cœur agricole du Soudan – dans l'Etat de Gezira, par exemple – les investissements des pays du Golfe (estimés à 8 milliards de dollars) ont été facilités par des politiques néolibérales qui ont plongé les petits agriculteurs dans l'endettement et décimé le secteur de l'agriculture familiale. Une grande partie des terres louées par les investisseurs du Golfe a été transformée en projets agro-industriels à grande échelle qui ont coupé les routes de transhumance des troupeaux et absorbé des parcelles autrefois utilisées pour l'agriculture de subsistance pluviale. La paupérisation des agriculteurs et des travailleurs ruraux soudanais a d'ailleurs contribué au succès du recrutement des milices des RSF, dont les combattants sont issus de populations rurales désormais dépossédées.

L'Egypte, pour sa part, soutient le général Bourhane et les Forces armées soudanaises. Le Caire s'inquiète non seulement de la revitalisation de l'influence islamiste sur son flanc sud. Elle se préoccupe aussi de la gestion du bassin du Nil. En 2020, l'Ethiopie a commencé à remplir le Grand Ethiopian Renaissance Dam, un barrage hydroélectrique de 4,8 milliards de dollars sur le Nil Bleu, que Le Caire considère comme une menace existentielle pour ses propres ressources en eau. Hemetti entretient des liens étroits avec l'Ethiopie ainsi qu'avec les Emirats arabes unis qui, bien qu'ils soient un bienfaiteur majeur de l'Egypte, sont également un rival régional en termes d'influence. L'Egypte considère donc un Soudan dominé par les RSF comme une menace pour ses intérêts nationaux.

L'une des conséquences de ces rivalités est l'existence d'une série d'efforts de « paix » qui sont contradictoires entre eux. A l'heure où nous écrivons ces lignes, quatre forums différents sont simultanément à l'œuvre pour obtenir un cessez-le-feu et un accord de paix entre les factions belligérantes : les pourparlers de Riyad (menés par les Etats-Unis et l'Arabie saoudite) ; l'initiative IGAD-Union africaine menée par Djibouti ; les pourparlers du Caire visant à forger une alliance entre l'opposition civile et l'allié égyptien, les Forces armées soudanaises ; et une initiative plus récente placée sous la conduite des Emirats arabes unis mais tenue sous les auspices du gouvernement de Bahreïn.

Ces initiatives reflètent les intérêts des Etats qui les ont initiées et leurs relations avec les parties belligérantes respectives, plutôt que des efforts visant à aider le peuple soudanais et la société civile à trouver un cadre réaliste pour aboutir à un cessez-le-feu.

La promesse durable de la révolution

Contrairement à d'autres guerres civiles dans l'histoire du Soudan, les parties belligérantes au Soudan ne bénéficient actuellement d'aucun soutien ni d'aucune légitimité au sein de la société civile. Les deux parties mènent une guerre contre le peuple soudanais précisément parce que, dans le sillage de la révolution démocratique à grande échelle de 2018, la société civile soudanaise a massivement rejeté un avenir dominé par des dirigeants militaires autocratiques.

En effet, la révolution de 2018-19 a clairement montré, et la guerre dévastatrice actuelle l'a confirmé, que les perspectives de paix et de démocratie reposent sur la pérennité de la société civile du Soudan, composée d'associations professionnelles, de syndicats et d'organisations de jeunes et de femmes. La guerre n'a fait qu'affirmer l'importance de ces réseaux. Aujourd'hui encore, les comités de résistance dirigés par des jeunes, malgré leurs différences, s'accordent à dire que la priorité est de mettre fin à la guerre et de rétablir la paix en s'attaquant aux causes profondes des conflits au Soudan, comme l'a voulu la révolution.

Au cours d'une guerre dévastatrice et face à des déplacements massifs, un mouvement populaire influent dirigé par des jeunes a fait preuve d'une grande capacité à collaborer au-delà des clivages ethniques, de genre et sociaux pour atteindre des objectifs démocratiques. En l'absence d'une aide internationale adéquate, par exemple, des équipes d'intervention d'urgence dirigées par des jeunes ont mobilisé l'aide mutuelle dans tout le pays.

Alors que les élites politiques perdent de leur légitimité dans la société civile soudanaise, les leaders de la jeunesse continuent de bénéficier d'un soutien important de la part d'une large couche de Soudanais. Les dirigeants du mouvement de jeunesse, les organisations de femmes, les universitaires indépendants, les artistes et les millions de Soudanais de la diaspora sont presque unanimes pour relever le défi actuel de la guerre en travaillant au renforcement de la société civile de manière à rétablir la confiance, à résoudre le conflit et à construire une paix durable. (Article publié par le Middle East Research and Information Project (Merip), printemps 2024, n° 310 ; traduction rédaction A l'Encontre)

* Khalid Mustafa Medani est professeur agrégé de sciences politiques à l'Université McGill, Montréal.

Notes

[1] “Sudan crisis sends shockwaves around the region as displacement, hunger, and malnutrition soar,” WFP, February 19, 2024.

[2] The National Population Council, Ministry of Social Welfare and Security, “Sudan Millennium Development Goals Progress Report, 2010,” July 23, 2012, p. 67.

[3] IMF Country Report No. 13/318 : “Sudan : Interim Poverty Reduction Strategy Paper,” (October 2013), p. 6.

[4] “Sudan : Public Expenditure Review, Synthesis Report,” World Bank, Report no. 41840-SD. Washington DC. December 2007.

[5] World Bank : “The Sudan Interim Poverty Reduction Strategy Paper Status Report,” (October 2016), p. 1.

[6] Ahmed Gallab, The First Islamic Republic : Development and Disintegration of Islamism in Sudan (Surrey : Ashgate, 2008).

[7] Anne L. Bartlett, “Dismantling the ‘Deep State' in Sudan,” Australisian Review of African Studies, 41/1, (2020), pp. 51-57.

[8] Harry Verhoeven, “The rise and fall of Sudan's Al-Ingaz Revolution : The Transition from Militarised Islamism to Economic Salvation and the Comprehensive Peace Agreement,” Civil Wars 15/2 (2013), pp. 118-140.

[9] “Burhan lets the Islamists back in,” Africa Confidential 62/10 (May 12, 2022).

[10] “Al-Burhan forms committee to dissociate al-Bashir's regime in Sudan,” Middle East Monitor, December 11, 2019.

[11] “Analyzing Trade, Oil and Gold : Recommendations to Support Trade Integrity in Sudan,” Global Financial Integrity, May 2020, p. 3.

[12] “Analyzing Trade, Oil and Gold : Recommendations to Support Trade Integrity in Sudan,” Global Financial Integrity, May 2020, p. 3.

[13] “U.N. Panel of Experts Reveals Gold Smuggling and Cluster Bombs in Darfur,” Relief Web, April 12, 2016.

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Sahel. “US Army get out” : le départ des soldats américains du Niger réclamé et enclenché

23 avril 2024, par Courrier international — , , ,
Alors que Washington a accepté la demande de retrait de ses militaires déployés au Niger formulée par Niamey, des centaines de manifestants se sont rassemblés le 21 avril à (…)

Alors que Washington a accepté la demande de retrait de ses militaires déployés au Niger formulée par Niamey, des centaines de manifestants se sont rassemblés le 21 avril à Agadez, dans le centre du pays, dénonçant le manque de résultats de la coopération militaire nigéro-américaine.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo. Manifestation contre la présence américaine à Agadez, au Niger, le 21 avril 2024. Photo Stringer/Reuters.

“Here is Agadez, not Washington. US Army get out” [“Ici c'est Agadez, pas Washington. Dehors l'armée américaine”], affichait une banderole en tête de cortège, le dimanche 21 avril à Agadez. Des centaines de personnes ont manifesté dans cette ville saharienne du centre du Niger pour réclamer le départ des forces américaines.

Le vendredi 19 avril, l'administration Biden a entériné le retrait des forces américaines du Niger, après que Niamey avait dénoncé, le 16 mars, l'accord de coopération militaire avec les États-Unis.

À quelques kilomètres de l'arène de lutte traditionnelle d'Agadez, où les manifestants ont tenu un meeting, se trouve la base 201, une base de drones construite par le Pentagone peu après l'arrivée des premiers commandos américains au Niger en 2012. Il s'agit de la deuxième base militaire américaine, par la taille, sur le continent, après celle de Djibouti.

Dans une déclaration relayée par le site Actu Niger, les manifestants ont dénoncé l'opacité de la base aérienne 201 : “personne ne sait ce qui s'y passe”. Tout autant dénoncés : le manque de résultats engrangés dans la lutte antiterroriste “malgré les moyens technologiques de dernière génération”, ou encore la crainte que cette base ne soit ciblée par les ennemis que Washington s'est créés “du fait de son comportement de provocateur et de gendarme de la planète”.

“Sagesse” et “bon sens”

Le quotidien burkinabè Le Pays salue le compromis trouvé par les deux parties “même si, officiellement, il n'existe pas encore un calendrier très précis du retrait des soldats américains du Niger”.

À l'inverse de la France, qui a dans un premier temps refusé de prendre au sérieux la demande de retrait de ses militaires basés au Niger – au motif qu'elle émanait d'un pouvoir considéré comme illégitime – le divorce entre Niamey et Washington pourrait, selon le quotidien burkinabè, se dérouler “dans le respect des uns et des autres, c'est-à-dire sans animosité”.

Washington opte donc pour “la sagesse et le bon sens [qui] commandent de plier bagage”, même si l'arrivée au Niger de matériel russe et d'instructeurs militaires d'Africa Corps (groupe paramilitaire russe héritier de Wagner) l'aura aussi motivé à quitter le Niger, selon le titre ouagalais.

“Où iront les 1 100 soldats américains ?” s'interroge de son côté Aujourd'hui au Faso. Au Tchad ou aux États-Unis ? Le 18 avril, la chaîne américaine CNN évoquait un courrier de responsables tchadiens adressé, hors des canaux diplomatiques officiels, à l'attaché de défense de l'ambassade des États-Unis au Tchad et réclamant l'annulation d'un accord militaire entre les deux parties. Un moyen pour N'Djamena d'obtenir des concessions de Washington ?

“Le Tchad n'a pas demandé aux forces américaines de partir. […] Nous sommes convenus que la période suivant l'élection présidentielle au Tchad [prévue le 6 mai] est un moment approprié pour réexaminer notre coopération en matière de sécurité”, a réagi un porte-parole du département d'État, cité par Alwihda.

Selon l'armée de l'air tchadienne, explique le site d'information, le courrier évoquait un départ des éléments américains de la base Adji Kosseï, au nord-ouest de N'Djamena, sans que cela ne “[remette] en cause la coopération militaire entre le Tchad et les États-Unis”. Moins de 100 soldats américains sont actuellement présents au Tchad.

Courrier international

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Grèce : la deuxième mort de Syriza ou, de la tragédie à la farce

23 avril 2024, par Stathis Kouvelakis — , ,
Syriza traverse actuellement ce qui pourrait bien être sa crise finale après l'élection à sa tête d'un ancien trader : Stefanos Kasselakis. Celui-ci a pris la succession (…)

Syriza traverse actuellement ce qui pourrait bien être sa crise finale après l'élection à sa tête d'un ancien trader : Stefanos Kasselakis. Celui-ci a pris la succession d'Alexis Tsipras après la déroute électorale récente du parti, en bénéficiant d'un large soutien des médias dominants et d'un système de « primaire interne » qui permet à toute personne s'inscrivant en ligne et payant la somme de deux euros de participer à l'élection du chef du parti.

Stathis Kouvélakis analyse dans cet article ce qui apparaît d'ores et déjà comme la « deuxième mort » de Syriza, la première renvoyant à la capitulation en rase campagne de l'été 2015 face à la Troïka (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international et Commission européenne). Celle-ci conduisit Tsipras à mener une politique d'une extrême brutalité pour les classes populaires et, ainsi, à transformer Syriza de parti de la gauche radicale en parti de l'austérité néolibérale.

8 avril 2024 | tiré de la gauche écosocialiste | d'abord publié sur le site de Contretemps
https://www.contretemps.eu/grece-deuxieme-mort-syriza-tsipras-kasselakis/

On connait sans doute les phrases par lesquelles commence leDix-huit Brumaire de Louis Bonaparte de Marx : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages de l'histoire surgissent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ».

Ce « quelque part » fait référence à un passage des Leçons sur la philosophie de l'histoire qui établit un parallèle, d'une part, entre le passage de Rome de la république à l'empire et celui de la France de la monarchie à la république, et, de l'autre, entre le destin de César, celui de Napoléon et celui de la dynastie des Bourbons. Selon Hegel, le meurtre de César est censé ramener la république, en mettant fin au pouvoir personnel, mais il aboutit à sa fin irrévocable et à l'instauration du régime impérial, d'un césarisme sans César que le meurtre de celui-ci a rendu possible. Napoléon et les Bourbons sont chassés deux fois du pouvoir, et ce n'est qu'au terme de cette réitération que l'irréversibilité de la fin du pouvoir qu'ils ont incarné est véritablement actée.

Hegel en tire une sorte de loi de l'histoire selon laquelle « la répétition réalise et confirme ce qui au début paraissait seulement contingent et possible »[1]. Un événement n'est définitivement enregistré que lorsque, par sa répétition, sa nécessité, c'est-à-dire son caractère irréversible, est reconnue. Cette répétition n'est en fait jamais une répétition à l'identique, elle s'effectue toujours sous une forme déplacée.

Toutefois, l'idée d'un passage de la tragédie à la farce est, pace Marx, déjà bien présente chez Hegel, qui caractérise la « Restauration » des Bourbons de « farce qui a duré 15 ans »[2]. La normalité propre à l'ère bourgeoise tend à refouler les moments troubles qui ont scandé son émergence. Pour autant, si toute idée de retour en arrière s'avère illusoire, cette illusion fait elle-même partie du processus qui, par le jeu de la répétition, enregistre la césure de l'événement.

Le désastre que vit la Grèce, et en particulier la gauche grecque, depuis le terrible été 2015 apparaît comme un cas d'école de cette « ruse de la raison historique ».

Entre les deux morts, la séquence 2015-2023

La dernière en date des tragédies d'un pays qui en a connu bien d'autres est donc survenue en ce terrible été 2015, lorsqu'Alexis Tsipras capitule en rase campagne face à la Troïka (Union européenne, Banque centrale européenne, Fond Monétaire International), et accepte un plan néolibéral de choc (connu en tant que « 3e Mémorandum ») bien pire que celui que l'électorat grec venait de rejeter quelques jours auparavant, lors du référendum du 5 juillet. Mais l'ampleur de la catastrophe était telle qu'elle fit l'objet d'un déni, habilement cultivé par Tsipras et ceux qui l'ont suivi au sein de son parti, avec l'appui enthousiaste des classes dominantes grecque et européennes.

Syriza a pu ainsi remporter le scrutin anticipé de septembre 2015 en laissant croire que l'acceptation du 3e Mémorandum n'était qu'un recul tactique et en promettant de mettre en œuvre un « programme parallèle », censé neutraliser ses retombées négatives. Les quatre ans qui ont suivi ont toutefois été marqués par l'application à la lettre des recettes néolibérales draconiennes gravées dans le marbre de cet accord, sans la moindre mesure compensatoire, transformant la Grèce en pays modèle du néolibéralisme au sein de l'UE.
L'électorat sanctionne lourdement Syrizaau scrutin européen de mai 2019, en le plaçant (à 23,7% contre 35,6% en septembre 2015), dix points derrière une droite revigorée, assurée de revenir au pouvoir. Sentant le vent du boulet, Tsipras bouscule de quelques mois le calendrier électoral et appelle à un scrutin législatif anticipé pour juillet. La manœuvre porte ses fruits, ou du moins quelques-uns.

Certes, Syriza sort perdant, à près de neuf points derrière Nouvelle Démocratie. Mais il progresse de près de huit points par rapport aux européennes, atteignant un score inespéré de 31,5%. La perspective d'un retour de la droite au pouvoir a suscité un ultime réflexe de vote-barrage. Ce réflexe s'était nourri de la réaction suscitée par les manifestations nationalistes du printemps précédent contre l'accord signé avec la République de Macédoine du Nord, qui avaient vu se constituer un front commun entre l'extrême droite et les secteurs les plus radicaux de Nouvelle Démocratie.

Ce score a créé l'illusion, propagée conjointement par Syriza et le système politico-médiatique, selon laquelle on assisterait au retour à un système bipartisan comme celui que le pays avait connu des années 1970 à la crise de 2010. A la seule différence que c'était désormais le parti d'Alexis Tsipras qui était censé occuper la place qui fut naguère celle du Pasok, celle d'une force d'alternance gouvernementale face à la droite.

Cette illusion renvoyait de fait à une autre, plus profonde : celle qui refusait d'admettre le caractère irréversible de ce qui s'était passé l'été 2015, et qui s'était prolongé lors des quatre années qui avaient suivi, à savoir la mutation de Syriza d'un parti de la gauche radicale en véhicule d'une forme particulièrement dévastatrice de néolibéralisme, assortie d'une mise sous tutelle du pays pendant plusieurs décennies[3].

Mai-juin 2023 : le naufrage électoral

L'effondrement électoral de Syriza au scrutin de mai 2023, confirmé et aggravé dans celui qui a suivi (de 31,5% en 2019 à 20% en mai puis à 17,8% en juin), a mis fin à cette illusion. Au cours des quatre années précédentes, Syriza s'était contenté de mener une opposition superficielle, ne contestant aucune orientation de fond de la droite.

Au parlement, ses députés ont voté 45% des lois proposées par le gouvernement de Mitsotakis, y compris les plus emblématiques comme celle autorisant la vente à un prix symbolique du terrain de l'ancien aéroport d'Elliniko à l'oligarque Yanis Latsis, associé à des capitaux qataris, ou les pharaoniques contrats d'armement, d'un montant de près de 15 milliards à ce jour, qui ont conduit au doublement du budget de la défense entre 2020 et 2022. Syriza s'est chargé lui-même de rappeler quotidiennement que la capitulation de 2015 et son mandat gouvernemental ne constituaient en rien une « parenthèse » forcée mais bien une rupture qui n'admettait aucun retour en arrière.

Par ailleurs, Tsipras a engagé une mutation de la structure organisationnelle de Syriza en ouvrant largement le parti à des personnalités « centristes », en général issues du Pasok, qui avaient approuvé tous les Mémorandums signés avec la Troïka lors de la période 2010-2015. Le nom du parti a été modifié en 2020 en « Syriza-Alliance progressiste », avec l'ambition d'en faire une force capable de couvrir l'espace du « centre-gauche » et d'apparaître comme une force d'alternance stable. Et, surtout, Tsipras a instauré en 2022 un système de « primaire interne », ouverte à toute personne s'inscrivant en ligne et payant la somme de deux euros.

Seul candidat, Tsipras est élu président du parti par une « base » fictive de 170 mille personnes – jusqu'à l'été 2015 Syriza comptabilisait 35 000 membres, mais il s'agissait alors de vrais membres affiliés à une section locale ou d'entreprise. A la tête d'un parti vidé de toute substance militante et transformé en machine électorale au service du leader, Tsipras pensait aborder avec une relative sérénité les scrutins de 2023. L'objectif était sinon de gagner une majorité, du moins être en mesure de constituer une coalition gouvernementale « progressiste » avec le Pasok et accoucher ainsi d'un pôle de centre-gauche sur le modèle du PD italien.

Dans ce contexte, la double déroute de mai et juin 2023, la seconde amplifiant la première, a provoqué un séisme interne. Dans une ambiance lugubre, Tsipras démissionne quelques jours après la gifle électorale de juin. Il laisse un parti démoralisé et, surtout, dépourvu d'identité et de repères autres que le culte du leader et l'obsession de revenir au pouvoir.

De nouvelles « primaires » sont convoquées pour septembre, et une proche de Tsipras, Efi Achtsioglou, se présente comme la successeure désignée, bénéficiant de l'appui de l'appareil. Elle fait partie du groupe de quadras qui ont accédé à la notoriété en occupant d'importants portefeuilles ministériels entre 2015 et 2019. Elle-même, en tant que ministre du travail, a lié son nom à deux lois qui restreignent drastiquement le droit de grève (désormais soumis à un vote préalable des membres du syndicat, sur le modèle des lois Thatcher) et suppriment les négociations tripartites (syndicats-patronat-Etat) sur le SMIG, désormais fixé par décret.

Tout paraissait joué, jusqu'à ce qu'un outsider absolu, Stefanos Kasselakis se déclare candidat à la fin août et remporte aisément le scrutin (qui s'est déroulé en deux tours, selon les règles fixées en 2022). Que s'est-il passé ?

Qui est Stefanos Kasselakis ?

Dans les conditions actuelles d'affaiblissement au niveau mondial des partis politiques, le succès d'un outsider comme Kasselakis pourrait paraître trivial. Il l'est toutefois moins si on prend en compte ce qui fait la singularité du personnage et de son ascension éclair sur la scène politique. L'originalité du cas consiste en ce que l'outsider en question ne fonde pas une nouvelle formation, par-delà les clivages établis du champ politique, mais, défiant toute prévision, parvient à s'imposer à la tête d'un parti héritier d'un courant historique de la gauche et qui, malgré son affaiblissement, reste la principale force d'opposition au parlement grec.

A première vue, le succès de Kasselakis se présente comme une simple combinaison des techniques de com qui font l'essence de la « post-politique » actuelle. Jeune, riche, sportif, ouvertement gay (mais sans promouvoir d'agenda LGBT+ particulier), Kasselakis paraît incarner lui-même l'« image » de nouveauté, celle du « rêve grec » qu'il promet à ses partisans. La campagne-éclair qui l'amène à la présidence de Syriza est entièrement basée sur des petites vidéos (six, soit un total 43 minutes), de rares interviews (il arrête rapidement un exercice qui le met en difficulté), et, avant tout, sur le recours intensif aux réseaux sociaux.

Le candidat-surprise est aussitôt adoubé par les médias audiovisuels, qui lui assurent une visibilité extraordinaire, entièrement basée sur l'étalage complaisant de son style de vie (son chien, son mari, sa salle de fitness, ses sorties etc.). Son discours est à l'image de sa campagne : il se présente comme un visage neuf, « l'homme capable de battre Mitsotakis », dégagé de tout « boulet idéologique » à l'opposé des « hommes (et femmes) d'appareil » qu'il affronte dans le cadre des primaires de Syriza.

Lors des interviews, son ignorance des sujets les plus élémentaires de la politique grecque est flagrante. Malgré son succès supposé dans le monde des affaires, il semble ignorer le montant du taux d'imposition des sociétés en Grèce et, nonobstant les saillies « patriotiques » dont il parsème ses discours, il n'a qu'une vague idée des problèmes qu'affronte le pays dans ses rapports avec la Turquie. Ses propositions sont aussi floues que sommaires, mais toutes s'insèrent dans la grammaire néolibérale : moins d'impôts, suppression du service militaire obligatoire et promotion d'une armée de métier, « égalité des chances » et « rêve grec pour tous ».

Peu après son élection à la présidence du parti, il prononce devant l'assemblée générale annuelle du patronat grec un discours remarqué, qui dissipe le nuage de fumée qui a entouré sa campagne. Il y défend une vision qui « ne diabolise pas le capital et le voit comme un outil pour la prospérité, pour la réduction des inégalités à travers une croissance forte ». Selon cette version de la « théorie du ruissellement », le « mot travail doit être un appel à la ‘collaboration', pour un nouveau contrat social par lequel les travailleurs participent activement à la croissance de l'entreprise ».

La clé du succès de Kasselakis se trouve sans doute dans cette adéquation entre un discours à peu près vide de contenu, au sens où il se contente de surfer sur les clichés (au sens imagé) du néolibéralisme, et son incarnation dans un visage juvénile, dépourvu de toute épaisseur, donc entièrement modelable (et modelé) par les techniques de la com. Il apparaît comme la transposition dans le champ de la politique de la figure de l'« ambianceur », pour reprendre une catégorie de Nicolas Vieillescazes : quelqu'un qui diffuse une certaine vision, en l'occurrence néolibérale, mais de façon vague, quasiment subreptice, qui évite toute affirmation et propos « clivant » et se fond ainsi dans l' « ambiance » régnante, puissamment aidé en cela par son (apparente) absence de passé. Davantage qu'une véritable singularité, Kasselakis apparaît comme un produit d'algorithmes, simple figuration de la logique anonyme du système politique et de l'ordre social dont il est l'expression.

Si Kasselakis a pu s'en tenir pendant sa courte campagne pour la présidence de Syriza (à peine plus de deux semaines) à un discours infra-politique, c'est qu'il est lui-même un inconnu à peu près complet non seulement sur la scène politique mais aussi dans la vie publique du pays. Sa désignation par Alexis Tsipras sur les listes de Syriza (dans une position non-éligible) aux scrutins de mai et juin 2023 au titre de personnalité de la diaspora[4] est passée à peu près inaperçue.

Ayant quitté la Grèce à l'âge de 14 ans, il est résident permanent aux Etats-Unis jusqu'au début de l'année dernière. C'est dans ce pays que s'est déroulée la totalité de sa carrière professionnelle, qui l'a vu passer du statut de trader de la Goldman Sachs à celui d'armateur, une trajectoire qui lui donne l'aura du self-made man dont il ne cesse de se prévaloir. Pourtant, un voile d'opacité entoure la nature exacte de ses activités entrepreneuriales.

De récents reportages de la presse grecque pointent une structure labyrinthique de sociétés au statut juridique complexe, dont les principales sont basées au Delaware, un Etat de la côte Est des Etats-Unis connu pour son statut de paradis fiscal et pour la règle de confidentialité qu'il applique quant à la propriété des sociétés qui y sont enregistrées. Tout cela au mépris de la législation grecque qui interdit aux élu.es et aux dirigeant.es de partis représentés au parlement d'être propriétaires de sociétés dont le siège se trouve hors du pays.

Même le passage par la Goldman Sachs est controversé : Kasselakis aurait été licencié pour « performance insuffisante », alors que lui-même assure l'avoir quittée de son propre gré pour reprendre des études supérieures. De même, il apparaît que, loin d'être le self-made man qu'il prétend, son entrée dans le monde des affaires s'est effectuée grâce à l'appui de la société de son père et à celui du puissant armateur Marcos Nomikos.

Que sa trajectoire ait été celle d'un capitaine ou, plus vraisemblablement, celle d'un chevalier d'industrie, Kasselakis n'est pas un inconnu au sein de la communauté gréco-étatsunienne. Il a tenu pendant des années une chronique consacrée à l'économie dans son organe emblématique, The National Herald, un quotidien ultra-conservateur (et soutien notoire de la dictature des colonels qui a sévi de 1967 à 1974) mais qui entretient de puissants liens « bipartisans » avec l'establishment politique et économique étatsunien. Kasselakis y publie ses chroniques parfois sous son nom, parfois sous le pseudo d'Aristotelis Oikonomou, en hommage à l'armateur mythique Aristotelis Onassis.

La presse grecque a abondamment fait état de ses publications passées, qui ne laissent aucun doute sur son positionnement idéologique et politique – même si l'effet de ces révélations a été habilement neutralisé par le tapage communicationnel qui a entouré sa campagne. Tout au long de la crise des années 2010-2015, Kasselakis a vigoureusement défendu la thérapie de choc de la Troïka, jugeant que les salaires grecs sont trop élevés (y compris le salaire minimum), et que les licenciements de fonctionnaires et les coupes dans les services publics imposés par la thérapie de choc étaient « insuffisants ».

Il proposait comme modèle la politique économique de Reagan et la création d'universités privées. Il considérait Syriza, et en particulier Alexis Tsipras, comme un « danger » pour le pays comparable à celui que Trump représentait pour les Etats-Unis (lui-même était pourtant enregistré comme électeur républicain à New York de 2013 à 2019). Il avait affiché, en 2015, son soutien à l'actuel premier ministre Konstantinos Mitsotakis lors des primaires de la droite et salué, en 2019, la victoire de Nouvelle Démocratie (dirigée par Mitsotakis), lorsqu'elle succède au pouvoir à Syriza.

Dans un entretien accordé en juillet 2023 à l'édition en langue anglaise du quotidien athénien Kathimerini, alors qu'il s'était déjà présenté comme candidat sur les listes de Syriza, il se targue de « son excellente relation avec Mitsotakis, qui date de 2012, quand il était simplement député ». Dans le même entretien, il déclare avoir accepté la proposition de Tsipras de figurer sur les listes de son parti car il « pense qu'avec lui (Tsipras) nous pourrions créer l'équivalent grec du Parti Démocrate [étatsunien], qui pourrait mettre en œuvre un ensemble de changements politiques allant de projets de loi bipartisans sur l'économie et la réforme de la justice à des protections progressistes sur les droits de l'homme, le logement, la pauvreté, etc. ».

L'aboutissement d'un long délitement

L'élection d'une telle personnalité à la tête d'un parti comme Syriza, qui compte 20 ans d'existence et plonge ses racines dans l'histoire mouvementée de la gauche communiste grecque, a bien quelque chose de vertigineux. De la tragédie on est effectivement passé à la farce, mais le spectacle a continué à attirer des spectateurs. Il s'est en effet trouvé 70 mille personnes pour soutenir Kasselakis lors du second tour des primaires (56% du total) contre 56 mille à sa rivale, Efi Achtsioglou. Comment expliquer cette adhésion ?

Il faut tout d'abord mentionner la déstructuration idéologique profonde induite par le cynisme impudent d'une formation de la « gauche radicale » qui renie ses engagements fondamentaux, bafoue le résultat d'un référendum qu'elle a elle-même organisé, et s'accroche au pouvoir pour poursuivre la politique néolibérale d'une grande brutalité engagée par ses prédécesseurs. La perte de repères qui s'ensuit nourrit le nihilisme et les mues les plus improbables, y compris au sein de ce qui restait de l'électorat de Syriza.

Vient ensuite l'impact de la procédure de la primaire qui substitue au principe d'un parti constitué de militants souverains celui d'un agrégat anonyme et atomisé, constitué de membres fantômes à deux euros, aisément manipulable par les médias et le buzz des réseaux sociaux. Sans la figure de Tsipras, qui maintenait l'apparence d'une continuité, le parti centré autour de son leader est apparu pour ce qu'il était devenu : une coquille vide.

Avec ce mélange d'inconscience et de sincérité qui caractérise les outsiders, Kasselakis a déclaré que « si Syriza fonctionnait correctement, s'il avait une base sociale, une réserve de cadres et de jeunes, il y aurait évidemment quelqu'un d'autre qui aurait pris la place que j'occupe aujourd'hui. Le fait que j'aie été élu n'est pas un signe de bon fonctionnement. Je l'admets. Si j'ai été élu, c'est parce que les gens voulaient quelque chose de différent ».

Toutefois, la victoire d'un candidat aussi improbable n'a été possible que du fait du discrédit de ses concurrents. Usés par un exercice du pouvoir impopulaire, ayant appliqué sans broncher des politiques néolibérales aux antipodes complets des engagements de Syriza, ils et elles en ont payé le prix lorsque le désastre électoral est survenu. Incarnant la continuité et une forme de légitimité « partidaire », Efi Achtsioglou en particulier pensait que les primaires seraient une promenade et menait une campagne routinière et « centriste ».

C'est précisément ce qui l'a conduit à la défaite : brocardée en tant que représentante d'une ligne et d'une équipe qui avait échoué, elle n'avait pas grand-chose à opposer à la « guerre-éclair » communicationnelle d'un Kasselakis, avec son profil d'« homme neuf », vierge de tout lien avec le Syriza de gouvernement, adossé au système médiatique mais bénéficiant également de la bienveillance implicite de Tsipras. Sa défense de « l'identité de gauche » du parti ne pouvait qu'apparaître que comme le reliquat démonétisé d'une époque révolue.

La force de Kasselakis a été précisément d'affirmer la rupture avec une identité devenue sans objet. Une fois de plus, l'injonction que le « révisionniste » Eduard Bernstein lançait à la socialdémocratie allemande à la fin du 19e siècle – « qu'elle ose paraître ce qu'elle est » – a fait la preuve de son efficacité. Profitant du désarroi créé par la déroute électorale, le candidat surprise a su mobiliser les procédures mises en place par Tsipras pour construire une base de supporters à partir des technologies qu'appellent ces mêmes procédures : le buzz des réseaux sociaux et le tapage médiatique.

Son succès illustre ce que Gramsci appelait un processus déjà bien avancé de « transformisme » et dont la racine n'est pas à chercher ailleurs que dans la capitulation de l'été 2015. C'est aussi la raison pour laquelle son OPA sur Syriza a bénéficié, dans un premier temps (mais qui était le plus crucial), de la bienveillance de Tsipras et du soutien de ses plus proches collaborateurs au sein du cercle dirigeant.

Syriza sous le leadership de Kasselakis

Si l'on appliquait à Kasselakis les critères dont il se réclame lui-même, le bilan de ses six premiers mois à la présidence du parti est pour le moins décevant, si ce n'est catastrophique. Les élections régionales et municipales d'octobre dernier ont été une humiliation pour le parti, qui a perdu le peu de bases municipales qui lui restaient.

Presque partout il a été dépassé par le Pasok, qui a remporté un succès spectaculaire et inattendu en délogeant (au second tour) la droite de la municipalité d'Athènes, l'ex-maire n'étant autre que le neveu du premier ministre Mitsotakis. Pire, Syriza est talonné au niveau national par le Parti communiste, qui connaît un redressement sensible et contrôle actuellement cinq municipalités importantes, dont celle de Patras, 3e ville du pays (conquise en 2014). Suite à ce premier test électoral, Syriza est relégué en 3e position (autour du 12%) dans la quasi-totalité des sondages, à deux points en moyenne derrière le Pasok.

Ce qui a fait la une des médias au cours des mois qui ont suivi, ce ne sont plus tant les opérations de com' de son président (malgré la publicité accordée à l'anniversaire de son chien Farly…) mais les déboires internes du parti et les révélations sur ses activités professionnelles aux Etats-Unis. Son élection a été suivie de vagues de départ de Syriza (pendant plusieurs semaines, la presse publiait quasi-quotidiennement des lettres collectives de départ signées par des dizaines, parfois des centaines de membres), des exclusions de députés, et rapidement, par le départ des principaux courants « historiques » : « Parapluie », qui se voulait l'aile gauche du parti (son candidat, Euclide Tsakalotos, ancien ministre de l'économie et des finances, avait recueilli 8,3% des voix lors du 1er tour des primaires), et le groupe dit « 6+6 », qui regroupe les quadras de l'ancienne direction autour de Tsipras, dont la candidate, Efi Achtsioglou, a affronté Kasselakis lors du second tour des primaires (elle avait obtenu 36% lors du premier).

Ces deux courants ont d'abord créé un groupe parlementaire, avec 11 députés sur les 47 élus sous l'étiquette Syriza en juin 2023, puis un parti nommé « Nouvelle Gauche ». Celui-ci a tenu sa première conférence nationale début mars et élu à sa tête Alexis Charitsis (47 ans), qui a détenu divers portefeuilles dans les gouvernements Tsipras.

Bien que se voulant garante de l'« identité de gauche », qu'elle accuse Kasselakis d'avoir abandonnée, Nouvelle Gauche se veut également la meilleure défenseure du bilan gouvernemental de Syriza, auquel ses principaux dirigeants restent associés. L'argument est que la cause de la crise du parti remonte à 2019. Seraient en cause l'incapacité à mener une opposition crédible et la politique d'« ouverture vers le centre » impulsée par Tsipras, ainsi que la transformation de l'organisation en machine au service du leader. La capitulation de 2015 et les quatre années de politiques néolibérales drastiques qui ont suivies font l'objet d'un non-dit, si ce n'est d'un déni. La proposition politique de Nouvelle Gauche revient en fin de compte à entretenir l'illusion d'un possible « tsiprisme sans Tsipras », dans la continuité du « Syriza de gouvernement » des années 2015-2019.

Par contraste, le Syriza de l'ère Kasselakis joue une carte de distanciation partielle avec le bilan du Syriza au pouvoir. Flirtant avec une rhétorique populiste, il dénonce certains aspects de la politique de la période 2015-2019 qui ont particulièrement affecté les couches moyennes (surtaxation des professions libérales et des indépendants) ou les retraités. Naviguant au gré des sondages et des trouvailles des communicants, le « progressisme » du « nouveau » Syriza offre une combinaison de platitudes néolibérales agrémentées d'une pincée de populisme.

Parmi les principaux appuis de l'actuel président issus de l'ancien Syriza, on trouve Pavlos Polakis, ancien ministre de la santé. Personnage histrionesque maniant constamment l'insulte sur les réseaux sociaux , il y relaie l'argumentation des antivax ainsi que des propos nationalistes et xénophobes, frisant parfois le racisme. De son côté, Kasselakis ne manque jamais une occasion de mettre en avant son « patriotisme » et d'affirmer son soutien aux montants astronomiques des dépenses militaires engagées par le gouvernement actuel (que Syriza a par ailleurs toujours soutenues au parlement).

Le 4e congrès de Syriza, qui s'est tenu fin février, a été marqué par l'intervention de dernière minute de Tsipras au moyen d'une lettre rendue publique la veille de son ouverture. Quelques jours auparavant, Kasselakis avait adressé aux « membres » un « questionnaire en ligne » qui remettait en cause l'ensemble des « fondamentaux » de Syriza : nom et emblème du parti, positionnement dans l'axe droite-gauche, nécessité de « changements radicaux » dans sa structure.

Ce questionnaire a suscité la réaction de la quasi-totalité des anciens « barons » du parti et forcé Tsipras à intervenir. Dans une ultime tentative d'affirmer son influence au sein du parti, Tsipras dénonce à la fois ceux qui l'ont quitté pour créer Nouvelle Gauche et le leadership de Kasselakis, à qui il reproche d'avoir été élu sans avoir ouvert ses cartes. Il lui demande en conséquence de procéder à des nouvelles élections pour la présidence du parti, faisant ainsi monter d'un cran le niveau, déjà très élevé, de tension interne.

Le congrès lui-même a donné une image de chaos indescriptible, la plupart des participant.es n'étant pas des délégué.es élu.es (les sections se trouvant dans l'incapacité de tenir des réunions) mais une masse de supporters du nouveau leader, huant systématiquement les opposant.es dans une ambiance digne des jeux de cirque romain. Malgré l'annonce d'une candidature opposée à Kasselakis (celle d'Olga Gerovassili, un profil comparable à celui d'Achtsioglou en plus âgé), le congrès a repoussé in fine la proposition de tenue de nouvelles élections dans une caricature de délibération. Les médias ont abondamment parlé de farce, et comparé le congrès aux spectacles satiriques kitsch de la scène populaire du Pirée Delphinario.

Pourtant, que ce soit en termes d'image personnelle ou de stratégie, Kasselakis sort incontestablement renforcé de l'épreuve : débarrassé de toute opposition interne, il a rompu le lien symbolique avec Tsipras et mis un terme à toute velléité de son ancien leader d'interférer dans les affaires du parti. Il a désormais carte blanche pour mener au bout sa transformation de Syriza en parti libéral à l'américaine. Ses premières décisions ont consisté à mettre en place un schéma d'organisation d'inspiration explicitement entrepreneuriale : le parti est géré par son président, entouré de son staff et de plusieurs « think tank » thématiques.

Le projet de changement de nom n'est que reporté, sans doute pour le lendemain du scrutin de juin prochain. Reste à savoir si cette opération est en mesure d'améliorer la performance électorale, qui s'annonce calamiteuse, aux élections européennes. Les derniers sondages indiquent certes un léger redressement, et redonne à Syriza la deuxième place, légèrement devant le Pasok, mais à plus de vingt points derrière Nouvelle Démocratie et toujours sensiblement en-deçà du score de juin 2013.

Même si lui-même s'en défend, et réclame à être jugé en fonction du résultat lors du prochain scrutin législatif (prévu pour 2027), le leadership de Kasselakis apparaît fragile. Mais on peut d'ores et déjà affirmer que sa mission historique est accomplie : la deuxième mort de Syriza est maintenant un fait accompli. Le passage de la tragédie à la farce laisse derrière lui une gauche exsangue et une société déboussolée, à la merci de démagogues sans scrupules, qui ne cachent même plus leurs liens avec les puissances d'argent.

Stathis Kouvelakis. Publié sur le site de Contretemps.

Notes

[1] G. W. F. Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, Paris, Vrin, 1979, p. 242.

[2] Ibid., p. 343.

[3] Les engagements en matière d'excédents budgétaires, de remboursement de la dette et de mise sous hypothèque du patrimoine public de la Grèce contractés en 2018 par le gouvernement Tsipras, lors de l'accord de « sortie » du 3e Mémorandum, courent jusqu'en 2060. Par ailleurs, le Trésor public de la Grèce, tout comme l'Institut de statistiques, sont devenus des autorités « indépendantes », placées sous le contrôle indirect de l'Union européenne.

[4] Les partis grecs sont tenus d'inclure un quota de candidat.e.s de la diaspora depuis que le vote a été accordé, sous des conditions très restrictives, aux résident.e.s à l'étranger.

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L’affaire Ilaria Salis bouleverse l’Italie

23 avril 2024, par Claude Vaillancourt — , ,
Ilaria Salis, une professeure dans une école primaire à Monza, en Italie, se rend en Hongrie avec un petit groupe de militant.es antifascistes. avec l'aimable permission de (…)

Ilaria Salis, une professeure dans une école primaire à Monza, en Italie, se rend en Hongrie avec un petit groupe de militant.es antifascistes.

avec l'aimable permission de l'auteur
Par Claude Vaillancourt -10 avril 2024
https://alter.quebec/23749-2/

Salis libérée de ses chaînes - illustration tirée de la vidéo réalisée par le média public italien Rai
Claude Vaillancourt

Ces personnes veulent se confronter à des néonazis qui célèbrent la Fête de l'honneur, commémorant le soi-disant héroïsme d'un bataillon nazi contre l'Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale. Bien qu'illégale, cette fête est tolérée sans peine par le gouvernement d'extrême droite de Victor Orbán.

La suite des événements est confuse. Ilaria Salis est arrêtée dans un taxi et accusée d'avoir violenté deux néonazis. Rien ne permet de le confirmer, sinon des vidéos confuses avec des gens masqués. Ses deux « victimes » ont subi des blessures légères, elles ont été rapidement rétablies et n'ont pas porté plainte. Pourtant, la jeune enseignante subit un sort terrible. Elle passe plusieurs mois en prison sans pouvoir contacter sa famille ou un avocat. Son enfermement est particulièrement pénible : elle vit dans des conditions hygiéniques déplorables, avec des rats et des punaises de lit, dans le froid, mal nourrie.

Lorsqu'elle est enfin convoquée au tribunal, plusieurs mois plus tard, elle apparaît les pieds et les mains enchainées. Ces images, diffusées par les médias italiens, sont un choc. Jamais plus, en Europe, on traite les accusé.es de cette façon, à moins de personnes considérées comme extrêmement dangereuses, des cas rarissimes. Un vent d'indignation se répand en Italie : comment peut-on traiter ainsi une citoyenne, d'autant plus que l'accusation semble particulièrement floue ?

Le peu d'empressement du gouvernement italien

Des pressions très fortes se font sentir pour une intervention ferme du gouvernement italien. L'affaire relève de la diplomatie et il devient important d'aller au-devant d'une femme traitée indignement. Le père d'Ilaria Salis, invité à de nombreuses tribunes médiatiques, défend avec ardeur sa fille et obtient un soutien significatif.

Mais la situation se complique par le fait que Georgia Meloni, première ministre à la tête du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, est une alliée et une amie de Victor Orbán dont elle a loué les qualités à plusieurs occasions. Celle-ci se trouve prise entre deux feux : d'une part, il faut porter secours à une citoyenne en difficulté ; d'autre part, il lui est malaisé de réprimander une personne de sa famille politique. Son gouvernement choisit d'en faire le moins possible, soulevant la colère des personnes révoltées par l'ensemble de la situation.

Devant les pressions qu'il doit malgré tout subir, le gouvernement hongrois affirme qu'il faut laisser la justice suivre son cours. Un point de vue mal reçu en Italie. D'abord parce que cette justice est très dure, en particulier dans le cas de Salis. Aussi parce que la Hongrie a été pointée du doigt à plusieurs reprises par l'Union européenne justement pour son manque d'indépendance judiciaire. Selon plusieurs, dont l'auteur Roberto Saviano, l'affaire est bel et bien politique.

La solution à la crise paraissait envisageable : les avocats de Salis visaient une assignation à résidence, ce qui lui aurait permis d'être transférée en Italie. Mais pendant sa dernière présence au tribunal, fin mars, la justice hongroise en a plutôt rajouté : voilà encore la prisonnière enchainée et subissant une dure rebuffade. C'est en Hongrie qu'elle devra poursuivre sa peine, bien qu'elle continue à clamer son innocence.

L'extrême droite décomplexée

Les leçons à retenir de l'acharnement contre Ilaria Salis sont claires : les antifascistes ne sont pas les bienvenus en Hongrie et ils seront durement réprimandés s'il le faut. La Hongrie de Victor Orbán n'a pas de leçon à recevoir de personne, elle continuera à appliquer ses politiques d'extrême droite décomplexée ; et gare à celles et ceux qui se mettront sur son chemin.

Certains y voient aussi une stratégie pour la Hongrie de combattre l'isolement dont elle est victime dans l'Union européenne à cause de ses politiques antidémocratiques (comme le prétend aussi Saviano). En échange d'un meilleur traitement pour Salis, Orbán négocierait un appui de l'Italie pour obtenir des fonds européens qui lui sont coupés actuellement.

En attendant, le gouvernement hongrois résiste à toutes les pressions et Ilaria Salis croupit en prison, victime d'enjeux qui la dépassent largement. Son procès principal aura lieu le 24 mai ; elle risque onze ans de prison.

Les opposants à Salis — il y en a de très vocaux, dont des trolls particulièrement actifs — prétendent qu'elle n'est pas la seule à subir les prisons hongroises et qu'il est normal qu'elle paye pour les risques qu'elle a pris. Mais l'acharnement contre elle, en dépit de la très grande médiatisation de son cas, donne une fois de plus la mesure de ce qu'une extrême droite bien en selle peut mettre de l'avant : un mépris profond des droits, un acharnement cruel contre ses adversaires, un refus ferme du dialogue.

La version plus présentable de cette extrême droite européenne, celle du gouvernement de Georgia Meloni, montre cependant, par son peu d'empressement à intervenir, qu'elle cautionne indirectement les agissements des plus radicaux de ce mouvement.

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Yanis Varoufakis : Le discours que je n’ai pas pu prononcer

23 avril 2024, par Yanis Varoufakis — , , ,
Nous reprenons le discours de Yanis Varoufakis publié dans l'Aut'journal. Yanis Varoufakis n'a pu prononcer ce discours parce que la police allemande a fait irruption dans la (…)

Nous reprenons le discours de Yanis Varoufakis publié dans l'Aut'journal. Yanis Varoufakis n'a pu prononcer ce discours parce que la police allemande a fait irruption dans la salle du congrès à Berlin pour mettre fin au congrès sur la Palestine (dans le style des années 1930). Cette répression est une indication du type de société que l'Allemagne est en train de devenir lorsque sa police interdit les propos rapportés ci-dessous.

Nous publions également la déclaration de l'Internationale Sozialistische Organisation dénonçant la répression contre le congrès sur la Palestine à Berlin.

17 avril 2024 | tiré de l'Aut'journal
https://lautjournal.info/20240417/yanis-varoufakis-le-discours-que-je-nai-pas-pu-prononcer

Le discours que je n'ai pas pu prononcer

Mes amis,

Félicitations et remerciements sincères pour votre présence, malgré les menaces, malgré le dispositif policier renforcé devant cette salle, malgré la panoplie de la presse allemande, malgré l'État allemand, malgré le système politique allemand qui vous diabolise pour votre présence.

« Pourquoi un Congrès sur la Palestine, M. Varoufakis ? », m'a demandé récemment un journaliste allemand. Parce que, comme l'a dit Hanan Asrawi : « Nous ne pouvons pas nous appuyer sur les personnes réduites au silence pour nous faire part de leurs souffrances ».

Aujourd'hui, la réponse d'Asrawi est confortée de manière déprimante : nous ne pouvons pas compter sur les personnes réduites au silence, qui sont également massacrées et affamées, pour nous parler des massacres et des privations de nourriture.

Mais il y a aussi une autre raison : parce qu'un peuple fier et respectueux, le peuple allemand, est entraîné sur la voie périlleuse d'une société sans cœur en étant lui-même associé à un nouveau génocide.

Je ne suis ni Juif ni Palestinien. Mais je suis incroyablement fier d'être ici parmi des Juifs et des Palestiniens – de mêler ma voix pour la paix et les droits humains universels aux voix juives pour la paix et pour les droits humains universels – aux voix palestiniennes pour la paix et pour les droits humains universels. Le fait d'être ensemble, ici, aujourd'hui, est la preuve que la coexistence est non seulement possible, mais qu'elle est déjà présente !

« Pourquoi pas un congrès juif, M. Varoufakis ? », m'a demandé le même journaliste allemand, s'imaginant être intelligent. J'ai bien accueilli sa question.

Car si un seul Juif est menacé, où que ce soit, simplement parce qu'il est juif, je porterai l'étoile de David à ma boutonnière et j'offrirai ma solidarité – quoi qu'il en coûte.

Alors, soyons clairs : si les Juifs étaient attaqués, n'importe où dans le monde, je serais le premier à demander un congrès juif pour exprimer notre solidarité.

De même, lorsque des Palestiniens sont massacrés parce qu'ils sont Palestiniens – en vertu d'un dogme selon lequel les morts sont forcément des membres du Hamas – je porterai mon keffieh et j'offrirai ma solidarité, quoi qu'il en coûte.

Les droits humains universels sont universels ou ils ne signifient rien.

C'est dans cet esprit que j'ai répondu à la question du journaliste allemand par quelques unes de mes propres questions :

  • Est-ce que 2 millions de Juifs israéliens, qui ont été chassés de leurs maisons et enfermés dans une prison à ciel ouvert il y a 80 ans, sont toujours détenus dans cette prison à ciel ouvert, sans accès au monde extérieur, avec un minimum de nourriture et d'eau, sans aucune chance d'avoir une vie normale, ni de voyager, et bombardés périodiquement depuis 80 ans ? Non.
  • Est-ce que les Juifs israéliens sont intentionnellement privés de nourriture par une armée d'occupation, leurs enfants à même le sol, hurlant de faim ? Non.
  • Est-ce qu'il y a des milliers d'enfants juifs blessés, sans parents survivants, qui rampent dans les décombres de ce qui était leurs maisons ? Non.
  • Est-ce que les Juifs israéliens sont aujourd'hui bombardés par les avions et les bombes les plus sophistiqués du monde ? Non.
  • Est-ce que les Juifs israéliens subissent un écocide complet du peu de terre qu'ils peuvent encore appeler leur terre, qu'il ne reste plus un seul arbre sous lequel chercher de l'ombre ou dont ils peuvent goûter les fruits ? Non.
  • Est-ce que des enfants Juifs israéliens sont tués aujourd'hui par des tireurs d'élite sur ordre d'un État membre de l'ONU ? Non.
  • Est-ce que les Juifs israéliens sont aujourd'hui chassés de leurs maisons par des bandes armées ? Non.
  • Est-ce qu'Israël se bat aujourd'hui pour son existence ? Non.

Si la réponse à l'une de ces questions était oui, je participerais aujourd'hui à un congrès de solidarité avec les Juifs.

Mes amis,

Aujourd'hui, nous aurions aimé avoir un débat décent, démocratique et mutuellement respectueux sur la manière de ramener la paix et les droits humains universels pour tous, Juifs et Palestiniens, Bédouins et Chrétiens, du Jourdain à la Méditerranée, avec des personnes qui pensent différemment de nous.

Malheureusement, l'ensemble du système politique allemand a décidé de ne pas le permettre. Dans une déclaration commune, non seulement la CDU-CSU ou le FDP, mais aussi le SPD, les Verts et, fait remarquable, deux dirigeants de Die Linke, ont uni leurs forces pour faire en sorte qu'un tel débat civilisé, dans lequel nous pouvons être en désaccord, n'ait jamais lieu en Allemagne.

Je leur dis : vous voulez nous faire taire. Nous interdire. Nous diaboliser. Nous accuser. Vous ne nous laissez donc pas d'autre choix que de répondre à vos accusations par nos accusations. C'est vous qui avez choisi cela. Pas nous.

Vous nous accusez de haine antisémite

  • Nous vous accusons d'être les meilleurs amis des antisémites en mettant sur le même plan le droit d'Israël à commettre des crimes de guerre et le droit des Juifs israéliens à se défendre.

Vous nous accusez de soutenir le terrorisme

  • Nous vous accusons de mettre sur le même plan la résistance légitime à un État d'apartheid et les atrocités commises contre des civils, que j'ai toujours condamnées et que je condamnerai toujours, quels qu'en soient les auteurs – Palestiniens, colons Juifs, membres de ma propre famille, qui que ce soit.
  • Nous vous accusons de ne pas reconnaître le devoir de la population de Gaza d'abattre le mur de la prison à ciel ouvert dans laquelle elle est enfermée depuis 80 ans, et de mettre sur le même plan cet acte d'abattre le mur de la honte – qui n'est pas plus défendable que ne l'était le mur de Berlin – et des actes terroristes.

Vous nous accusez de banaliser la terreur du 7 octobre

  • Nous vous accusons de banaliser les 80 années de nettoyage ethnique des Palestiniens par Israël et la construction d'un système d'apartheid inflexible en Israël et Palestine.
  • Nous vous accusons de banaliser le soutien à long terme de Netanyahou au Hamas comme moyen de détruire la solution à deux États que vous prétendez favoriser.
  • Nous vous accusons de banaliser le terrorisme sans précédent déclenché par l'armée israélienne sur la population de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

Vous accusez les organisateurs du congrès d'aujourd'hui de, je cite, « ne pas être intéressés par la discussion sur les possibilités de coexistence pacifique au Proche-Orient dans le contexte de la guerre à Gaza ». Êtes-vous sérieux ? Avez-vous perdu la tête ?

  • Nous vous accusons de soutenir un État allemand qui est, après les États-Unis, le plus grand fournisseur d'armes que le gouvernement Netanyahou utilise pour massacrer les Palestiniens dans le cadre d'un grand plan visant à rendre impossible la solution à deux États et la coexistence pacifique entre Juifs et Palestiniens.
  • Nous vous reprochons de ne jamais répondre à la question pertinente à laquelle tout Allemand doit répondre : combien de sang palestinien doit couler avant que votre culpabilité, justifiée, à l'égard de l'Holocauste ne soit effacée ?

Soyons donc clairs : nous sommes ici, à Berlin, avec notre Congrès sur la Palestine parce que, contrairement au système politique et aux médias allemands, nous condamnons les génocides et les crimes de guerre, quels qu'en soient les auteurs. Parce que nous nous opposons à l'apartheid sur la terre d'Israël-Palestine, quel que soit celui qui a le dessus – tout comme nous nous sommes opposés à l'apartheid dans le Sud américain ou en Afrique du Sud. Parce que nous défendons les droits humains universels, la liberté et l'égalité entre les Juifs, les Palestiniens, les Bédouins et les Chrétiens sur cette terre historique qu'est la Palestine.

Et pour que nous soyons encore plus clairs sur les questions, légitimes comme pernicieuses, auxquelles nous devons toujours être prêts à répondre :

Est-ce que je condamne les atrocités du Hamas ?

Je condamne toute atrocité, quel qu'en soit l'auteur ou la victime. Ce que je ne condamne pas, c'est la résistance armée à un système d'apartheid conçu dans le cadre d'un programme de nettoyage ethnique lent mais inexorable. En d'autres termes, je condamne toute attaque contre des civils et, en même temps, je rends hommage à tous ceux qui risquent leur vie pour ABATTRE LE MUR.

Israël n'est-il pas engagé dans une guerre pour son existence même ?

Non, ce n'est pas le cas. Israël est un État doté de l'arme nucléaire, avec l'armée peut-être la plus avancée technologiquement au monde avec toute la panoplie de la machine militaire américaine à ses côtés. Il n'y a pas de comparaison avec le Hamas, un groupe qui peut causer de graves dommages aux Israéliens, mais qui n'a absolument pas la capacité de vaincre l'armée israélienne, ni même d'empêcher Israël de continuer à mettre en œuvre le lent génocide des Palestiniens dans le cadre du système d'apartheid mis en place avec le soutien de longue date des États-Unis et de l'Union européenne.

Les Israéliens ne sont-ils pas en droit de craindre que le Hamas veuille les exterminer ?

Bien sûr ! Les Juifs ont subi un Holocauste qui a été précédé de pogroms et d'un antisémitisme profondément ancré en Europe et en Amérique depuis des siècles. Il est tout à fait naturel que les Israéliens vivent dans la crainte d'un nouveau pogrom si l'armée israélienne se replie. Cependant, en imposant l'apartheid à ses voisins, en les traitant comme des sous-hommes, l'État israélien attise les feux de l'antisémitisme, renforce les Palestiniens et les Israéliens qui veulent s'anéantir les uns les autres et, en fin de compte, contribue à la terrible insécurité qui consume les Juifs en Israël et dans la diaspora. L'apartheid contre les Palestiniens est la pire forme d'autodéfense des Israéliens.

Qu'en est-il de l'antisémitisme ?

Il s'agit toujours clairement d'un danger. Il doit être éradiqué, en particulier dans les rangs de la gauche mondiale et des Palestiniens qui luttent pour les droits civiques des Palestiniens, partout dans le monde.

Pourquoi les Palestiniens ne poursuivent-ils pas leurs objectifs par des moyens pacifiques ?

Ils l'ont fait. L'OLP a reconnu Israël et a renoncé à la lutte armée. Et qu'ont-ils obtenu en échange ? Une humiliation absolue et un nettoyage ethnique systématique. C'est ce qui a nourri le Hamas et l'a élevé aux yeux de nombreux Palestiniens comme la seule alternative à un lent génocide sous l'apartheid israélien.

Que faut-il faire maintenant ? Qu'est-ce qui pourrait apporter la paix en Israël-Palestine ?

  • Un cessez-le-feu immédiat.
  • La libération de tous les otages : ceux du Hamas et les milliers d'autres détenus par Israël.
  • Un processus de paix, sous l'égide des Nations unies, soutenu par un engagement de la communauté internationale à mettre fin à l'apartheid et à garantir des libertés égales pour tous.
  • Quant à ce qui doit remplacer l'apartheid, il appartient aux Israéliens et aux Palestiniens de choisir entre la solution des deux États et celle d'un État fédéral laïque unique.

Mes amis,

Nous sommes ici parce que la vengeance est une forme lâche du deuil.

Nous sommes ici pour promouvoir non pas la vengeance, mais la paix et la coexistence en Israël et Palestine.

Nous sommes ici pour dire aux démocrates allemands, y compris à nos anciens camarades de Die Linke, qu'ils se sont couverts de honte depuis assez longtemps – que « deux fautes ne font pas une juste » – que permettre à Israël de commettre des crimes de guerre n'améliorera pas l'héritage des crimes commis par l'Allemagne contre le peuple juif.

Au-delà du congrès d'aujourd'hui, nous avons le devoir, en Allemagne, de changer de discours. Nous avons le devoir de persuader la grande majorité des Allemands honnêtes que les droits humains universels sont ce qui compte. Que « plus jamais ça » signifie « plus jamais ça ». Pour tous, Juifs, Palestiniens, Ukrainiens, Russes, Yéménites, Soudanais, Rwandais – pour tous, partout.

Dans ce contexte, j'ai le plaisir d'annoncer que MERA25, le parti politique allemand de DiEM25, participera à l'élection du Parlement européen en juin prochain, en sollicitant le vote des humanistes allemands qui ont besoin d'un député européen représentant l'Allemagne et dénonçant la complicité de l'UE dans le génocide – une complicité qui est le plus grand cadeau de l'Europe aux antisémites d'Europe et d'ailleurs.

Je vous salue tous et vous propose de ne jamais oublier qu'aucun d'entre nous n'est libre si l'un d'entre nous est enchaîné.


Répression contre le congrès sur la Palestine à Berlin

19 avril 2024 par Internationale Sozialistische Organisation
https://inprecor.fr/node/3995

Le vendredi 12 avril, plusieurs centaines de policiers ont violemment interrompu et dispersé le Congrès sur la Palestine qui se tenait à Berlin, qui avait été planifié de longue date et avait fait l'objet auparavant de négociations détaillées avec les soi-disant forces de l'ordre. Des motifs absurdes et contraires à toutes les normes de l'État de droit ont été invoqués pour interrompre le déroulement de la conférence, toute discussion avec les organisateurs et leurs avocats a été refusée, il n'a été tenu aucun compte des propositions de modifications.

Cet événement représente pour l'instant le point culminant d'une campagne menée depuis des mois par le gouvernement allemand pour empêcher toute solidarité avec le peuple palestinien et toute critique du soutien militaire et politique du gouvernement fédéral à Israël. Des salles de réunion sont refusées ou retirées, des intervenants sont mis à l'écart ou empêchés d'entrer sur le territoire.

Les derniers exemples les plus scandaleux en sont l'annulation de l'invitation de la professeure de philosophie Nancy Fraser qui devait donner une conférence à l'université de Cologne et la toute récente interdiction de participer à toute activité politique qui frappe l'ancien ministre grec des finances Yanis Varoufakis.

Il s'agit de pratiques qui correspondent à l'anticipation d'une situation de guerre : c'est la contribution de l'Allemagne à la guerre de Gaza.

• Nous sommes solidaires du mouvement de solidarité avec la Palestine.

• Libre exercice des activités politiques pour le mouvement de solidarité avec la Palestine !

• Annulation de toutes les mesures de restriction et indemnisation des organisateurs !

• Arrêt de la guerre à Gaza !

• Arrêt de tout soutien politique et militaire à Israël de la part du gouvernement fédéral !

Déclaration de la coordination de l'Internationale Sozialistische Organisation (ISO)

Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde. Source ISO. 15.04.2024.

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Les hurlements du vent : enquête sur l’extractivisme éolien au Mexique

23 avril 2024, par N. Derossi, N. Tiburcio — , ,
À l'image des ruées vers l'or qui ont provoqué des désastres politiques, sanitaires et environnementaux, la ruée contemporaine vers le vent conduit aux mêmes impasses. Au (…)

À l'image des ruées vers l'or qui ont provoqué des désastres politiques, sanitaires et environnementaux, la ruée contemporaine vers le vent conduit aux mêmes impasses. Au sud-est du Mexique, l'Isthme de Tehuantepec fait l'objet d'un investissement industriel et capitaliste hors-norme. L'extractivisme vert s'y traduit par un néocolonialisme économique qui nourrit la violence et les cartels.

17 avril 2024 | tiré du site de la revue Terrestres

Certains paysages racontent des histoires hostiles : les sédiments hétéroclites d'un passé et un présent de pillages, de crimes, et de conflits divers. L'Isthme de Tehuantepec héberge certains de ces paysages. Cette bande de terre étroite située entre l'Atlantique et le Pacifique forme un passage entre l'Amérique Centrale et l'Amérique du Nord. Depuis des siècles, ce frêle couloir suscite des convoitises afin d'en faire une une zone stratégique où impulser le commerce transocéanique. Situé dans le sud du Mexique, l'Isthme est devenu célèbre grâce à son potentiel d'expérimentation et d'expansion des mégaprojets d'énergie renouvelable à l'échelle mondiale, notamment pour le développement des fermes éoliennes.

Cette image a été reálisée sur la base de la carte “Megaproyectos en el Istmo de Tehuantepec” de GeoComunes, disponible ici.

Au moins depuis le milieu des années 1990, des projets pilotes y avaient été installés pour tester la faisabilité des parcs énergétiques, permettant peu après la prolifération des centrales éoliennes. Aujourd'hui, plus de 30 parcs ont transformé le paysage local. Dans les textes scientifiques d'ingénierie environnementale, l'Isthme n'est plus que 44.000 mégawatts de capacité énergétique potentielle : sa densité culturelle et sa diversité naturelle sont traduites et réduites à un chiffre de puissance productive. Les analyses de risques des investisseurs parlent à leur tour d'une “zone économique spéciale” et de “retours de capitaux”. Ce qu'ils oublient trop souvent est que dans ce paysage de conditions météorologiques optimales, de promesses pour l'avenir du climat et la stabilité économique, il y a des êtres, humains ou pas, qui y habitent depuis longtemps. Dans ces paysages, il y a aussi des vies en résistance.

L'Isthme n'est plus que 44.000 mégawatts d'énergie potentielle : sa densité culturelle et sa diversité naturelle sont réduites à un chiffre de puissance productive.

Plusieurs reportages journalistiques et études approfondies existent sur les énergies renouvelables, le colonialisme vert, les communautés autochtones de Oaxaca ou même les impacts environnementaux récents dans la région de l'Isthme1. Rappelons que derrière chaque éolienne, il y a une mine à ciel ouvert qui bouleverse un lieu et ses conditions de vie2. Dans l'Isthme, une poignée d'entreprises minières et cimentières3 ainsi que quelques chaînes de commercialisation et de production agro-industrielle4, toutes appartenant à l'oligarchie économique du Mexique et du reste du Globe, branchent leurs profits au vent de l'Isthme, accaparant un tiers de l'énergie produite.

Plus de la moitié de la capacité énergétique des parcs est contrôlée par cinq compagnies, dont quatre européennes5 – la plupart mettant en avant leur image verte, alors même qu'elles ouvrent des puits de fracking et construisent des oléoducs ailleurs. L'extractivisme éolien doit enfin être abordé dans le contexte plus large du Couloir Trans-océanique, un complexe de développement industriel censé “moderniser” la région à travers la construction de ports d'importation et d'exportation, de chemins de fer, de puits d'exploitation d'hydrocarbures, de raffineries, de mines et d'usines6. Les investissements colossaux visent à transformer l'Isthme de Tehuantepec en une étroite bande du Progrès, une de ces lignes de connexion globale qui font transiter le capital d'un côté à l'autre, un espace ne reliant plus deux mers mais les divers pôles de développement par des flux économiques dictés par la même logique prédatrice du Globe.

Les investissements colossaux visent à transformer l'Isthme en une étroite bande du Progrès, une de ces lignes de connexion globale qui font transiter le capital d'un côté à l'autre.

Les camarades de StopEDF Mexique ont co-organisé récemment une tournée en Europe pour ouvrir des espaces de parole dédiés à des participant.es direct.es des luttes les plus emblématiques de l'Isthme contre l'expansion des éoliennes et du Couloir Trans-océanique. Nous avons voulu faire un geste inverse mais complémentaire : aller là-bas, rencontrer les lieux, les personnes et entendre leurs histoires. En janvier 2023, nous avons réalisé une brève enquête pour rassembler des témoignages fragmentés de la situation actuelle et pour repérer les singularités et les récurrences à San Mateo del Mar, San Francisco Pueblo Viejo et Juchitán de Zaragoza. Cet article est donc une collecte de rumeurs, un écho parmi d'autres qui rassemble les sons que nous avons trouvés au cours de notre marche. Nous avons vu une mosaïque complexe de violences juxtaposées qui pourtant sont affrontées jour après jour avec le digne espoir d'arriver à tisser, ensemble, quelque chose de commun. Ce sont certaines de ces histoires que nous souhaitons partager ici.

FAIRE SUBSISTER DES MONDES FRAGILES

La route qui mène à San Mateo del Mar est étrangement peuplée et animée, transitée de tous les côtés par des mototaxis, des calèches tirées par des chevaux, des motos avec trois personnes à bord, des vaches rachitiques, des femmes seaux à la main et paniers sur la tête. La rectitude infinie du chemin interpelle et invite à consulter une carte : comment est-ce qu'on peut avancer si longtemps dans la même direction, au milieu de l'océan ? San Mateo del Mar se trouve sur une mince langue de terre d'une trentaine de kilomètres de long qui sépare l'océan Pacifique de l'Amérique du Nord de la lagune supérieure du Golfe de Tehuantepec. De l'autre côté de la lagune, vers l'Est, une autre péninsule s'étend dans la direction inverse, formant une courbe inusitée, interrompue à peine par un estuaire d'un peu plus de 2 km de large.

C'est dans le périmètre de ce Golfe que des projets de fermes éoliennes ont commencé à voir le jour de manière dispersée il y a désormais plus de vingt ans. Dans certains cas comme celui de La Ventosa, les pales et les poteaux blancs immaculés de 80 mètres de haut s'étalant sur des terrains vides, clôturés et surveillés par caméras, sont une réalité bien installée. En revanche, dans des lieux comme San Mateo del Mar ou San Francisco, des villages situés dans la péninsule opposée, les fermes éoliennes sont visibles seulement dans la ligne lointaine de l'horizon. Cette trêve apparente était précairement maintenue, traversée par les bémols et les antagonismes entre la survie de la cohésion communautaire, les forces de désagrégation sociale et diverses expressions de résistance – des vecteurs multidirectionnels qui demeurent ancrés dans les traits du paysage.

Regardant vers le soleil levant, les habitant.e.s de San Mateo appellent la mer à gauche « la mer morte », et celle de droite « la mer vivante ». Sur la première, les gens sèment des bâtons blancs en bois, parfois éloignés de la côte de plusieurs dizaines de mètres, pour ancrer leurs cayucos, des canoës colorés d'une capacité de deux ou trois personnes, taillés dans un tronc, propulsés par la force de la rame et celle du vent. Avec des pièces de nylon cousues à la main à partir de bâches ou de sacs en plastique, les pêcheurs improvisent les voiles, hissées chaque aube pour la recherche de poissons. De l'autre côté, celui de la mer vivante, les rafales soufflent avec plus de vigueur et quand les conditions sont favorables, on peut voir les filets de pêche être tirés et placés depuis la rive avec l'aide d'un papalote, un cerf-volant. À San Mateo del Mar, on utilise le vent pour pêcher, les mangroves pour chercher des crevettes, le sable et les pierres pour chasser des crabes. On mange du poisson et des fruits de mer matin, midi et soir. Plusieurs fois par an, des pétales de fleurs sont laissés à la merci de la marée, pour rendre hommage à cet océan qui permet encore leur subsistance. La communauté vit du vent et de la mer, de ces deux mers. Ces eaux sacrées, nous dit-on, sont l'assise de leur travail et leurs rituels.

Cinq villages occupent la péninsule. San Mateo est le quatrième, l'avant-dernier au bout de la péninsule. Comme beaucoup d'autres communautés du Mexique qui maintiennent leur héritage autochtone, il est petit : environ 75 kilomètres carrés de ville pour moins de quinze mille habitant.e.s, dont la plupart d'origine ikoots. Au centre, une placette accueille les assemblées du village, le siège des discussions publiques et de la prise de décisions. C'est là qu'advient le changement des autoridades – les personnes mandatées pour l'organisation du village -, un événement toujours accompagné de la cérémonie du passage du bâton de commandement, un exercice rituel où les gens prient à portes closes pendant une nuit entière pour reconnaître la rotation des responsabilités communautaires. Le lendemain, elles se rassemblent devant la mairie ou aux alentours, écoutant de près et de loin les mots en ombeayiüts, la langue locale. Là-bas, les habitant.e.s choisissent leur gouvernement à main levée avec un système tournant de cargos, de services à la communauté, qui depuis l'arrivée de l'État-nation et de la démocratie libérale, se juxtapose aux partis politiques de l'administration municipale. Cependant, selon la logique représentative de l'État, la participation politique est réduite à une visite occasionnelle aux urnes. Au sein de cette communauté, en revanche, la légitimité du président en charge ne dépend pas de son registre électoral, mais plutôt de l'accord collectif et du rituel de passage.

L'assemblée et les mécanismes de prise de décisions associés sont des pratiques collectives fondamentales pour faire exister la communauté. Néanmoins, le commun ne se tisse pas seulement avec l'exercice de la parole et la gestion du pouvoir : il déborde les étroites limites du dialogue, du consensus et de la (dés)identification politique7. Le commun est acté au jour le jour, dans le travail quotidien, les cérémonies et les fêtes de villages. Témoins d'un de ces moments, nous nous retrouvons à six heures du matin à la « Maison du peuple ». Les rayons timides du soleil commencent à peine à dissiper l'abîme de la nuit. Pourtant, les hommes et les femmes du village sont déjà rassemblés depuis quelques heures pour contribuer à l'organisation de la « Fête de la Candelaria », l'une des festivités les plus importantes du pays, un mélange inouï d'héritage préhispanique, de liturgie chrétienne et de traditions autochtones. Une soixantaine de femmes vêtues de robes tissées avec la technique artisanale du telar de cintura sont assises sur des chaises en plastique dans la cour du bâtiment. Leurs regards sont fiers, leurs cheveux soignés, laissant à découvert les rides que le soleil et le temps ont creusé sur leur bronzage. Le concert polychromatique de l'aube façonne les feuilles et la silhouette des troncs et des visages, ajoutant de la solennité au pliage de leurs habits. Plusieurs hommes, tous vêtus de pantalons malgré la chaleur, sont également assis, tandis que cinq autres sont debout et servent aux personnes qui sortent d'une petite salle un breuvage marron, transporté à deux mains dans des jícaras8. Une écume dense dépasse la circonférence des tasses : c'est l'atole de espuma, une boisson préhispanique à base de maïs qui a été préparée pendant la nuit par celles et ceux qui avaient assumé ce rôle pour collaborer à l'événement. À l'intérieur de la pièce, la pénombre règne. Des hommes et des femmes discutent devant une table, reçoivent les offres monétaires et notent minutieusement les montants sur un livre ouvert. À côté, contre un mur, se dresse un autel avec quelques bougies allumées, des fleurs, une croix chrétienne et le grand masque d'un serpent. C'est la rencontre de plusieurs mondes – l'expérience du fil tiré par les mains qui, ensemble, nouent leurs vies avec leurs paysages, leurs passés, leurs mondes et leurs destins.

Le commun ne se tisse pas seulement avec l'exercice de la parole et la gestion du pouvoir : il est acté au jour le jour, dans le travail quotidien, les cérémonies et les fêtes.

Tout le monde participe d'une manière ou d'une autre à garder en vie ces moments qui perpétuent la vie communautaire. Il s'agit de pratiques collectives que certain.e.s appellent depuis un moment la comunalidad – des pratiques qui rendent possible à la fois la subsistance des personnes, des lieux et des liens entre les un.e.s et les autres9. La comunalidad émerge en ce sens de la rencontre d'histoires parfois récentes, parfois ancestrales. Elle a des racines qui creusent les profondeurs de la terre, bien ancrées dans des anciennes coutumes et des souvenirs lointains, mais elle pousse aussi à partir de ses réactualisations constantes. Des rencontres passées qui donnent lieu à des rencontres futures et façonnent d'autres pratiques, d'autres présents. Ivan Illich avait bien remarqué que contrairement à l'homogénéisation de certain projets d'urbanisation et d'aménagement, l'habiter n'est pas un parking de corps transposables n'importe où dans un espace standardisé, mais plutôt une série de pratiques plurales, vernaculaires, attachées à leurs milieux d'existence10. Les langues, les usages, les mémoires, les reliefs topographiques et les êtres multiples qui peuplent ces paysages composent ensemble des trames communes, toujours singulières, jamais interchangeables. Le commun nomme ainsi moins un principe politique qu'un mode d'habiter qui ouvre et entretient des mondes pluriels.

On a appris à San Mateo que ces mondes sont aussi riches que fragiles. Ces derniers temps se lèvent des menaces persistantes de mort, des menaces directes et explicites pour certaines des habitant.e.s ; et silencieuses et sous-jacentes pour les agencements communs. Chaque année, il y a moins de personnes consacrées à la prière ou capables d'assumer la charge de diriger l'organisation de la fête. Les jeunes, avec des possibilités toujours plus restreintes de continuer à vivre comme auparavant, partent au nord, vers les villes ou aux Etats-Unis. Celles et ceux qui restent ou retournent se retrouvent souvent mêlé.e.s à la dépendance des drogues fortes, comme le cristal, qui envahit la région. Les terres sont à leur tour toujours plus inaccessibles, avec des contrats privés qui érodent la gestion agraire communautaire. Pareil avec la pêche : les conflits prolifèrent du fait de la démarcation des zones de droits de pêche exclusifs et excluants. Même les assemblées sont fragmentées par l'intrusion des partis politiques. Ernesto de Martino parlait de la dissolution de ces attachements comme de ‘la perte ou la fin du monde' : la destruction des liens qui nous tiennent ensemble 11. Dans l'Isthme de Tehuantepec, nous avons pu observer comment la perte de ces mondes est étroitement liée à l'expansion de cet autre monde, dont les fermes éoliennes font partie.

LES VECTEURS DÉGÉNÉRATIFS DE L'HABITER COLONIAL : PARTIS POLITIQUES, CARTELS ET ENTREPRISES D'AMÉNAGEMENT

« Vous allez prendre vos hamacs et les attacher aux poteaux des moulins. Leurs pales vont tourner, et vous deviendrez riches sans lever le petit doigt ! » – disaient les ingénieurs et les représentants des projets pour convaincre les paysan.ne.s de vendre leurs terres au projet. Les habitant.e.s se souviennent des ambassadeurs des compagnies transnationales et des délégués des bureaux gouvernementaux venus parler du développement des fermes éoliennes. Ils se sont présentés à l'école, à la mairie et dans les quartiers, avec des promesses d'un futur d'abondance, proposant de grosses sommes d'argent pour louer 50 ans avec une clause de renouvellement automatique les terres communales de San Mateo, de San Francisco ou celles autour de Juchitan. Le projet : installer des centaines d'éoliennes dans les alentours des localités ainsi que sur la Barra de Santa Teresa, une maigre frange de terre qui traverse la lagune, considérée comme un territoire sacré par les communautés adjacentes. Les promoteurs se promenaient de village en village, accompagnés de leurs gardes armés, pour inviter les paysan.ne.s à des réunions où l'alcool coulait à flots – sous l'influence de l'alcool, la fumée des illusions ou simplement de la nécessité économique, certain.e.s ont signé des contrats de vente ou de location avec les développeurs. À San Mateo on a offert environ 25 000 pesos par mois pour l'école. Une grosse somme, ou du moins ce qu'il paraît avant quelques calculs : “il y a environ 300 enfants, ça ferait quoi… 80 pesos par enfant ? Alors imaginez que chaque enfant vient d'une famille assez large, disons 6 minimum : les 25.000 pesos se réduisent à un peu plus de 10 pesos par personne… 10 pesos par mois… 10 pesos par mois pour perdre nos terres à jamais !” – disaient les habitant.e.s, fiers d'avoir réussi à repousser le projet.

« Vous allez prendre vos hamacs et les attacher aux poteaux des moulins. Leurs pales vont tourner, et vous deviendrez riches sans lever le petit doigt ! »

Au niveau des autorités et des institutions publiques, le capital engagé, les bénéfices escomptés ont fait de toute position de pouvoir un poste potentiellement corruptible : des votes ont été achetés pour prendre le contrôle sur l'administration, changer les réglementations d'usage du sol, ou pour contourner la supervision agraire ou environnementale. Des consultations délibérément mal informées, sans traduction dans les langues autochtones, reposant sur des outils numériques presque inexistants dans les communautés et sans quorum représentatif furent utilisées pour justifier les installations, en dépit même des inquiétudes soulevées dans la rue et les tribunaux.

Cette intrusion est advenue à travers la collusion de l'industrie énergétique avec un écosystème d'acteurs que nous pourrions regrouper en trois grands groupes : les partis politiques et leurs postes dans l'administration, les cartels du crime organisé et leurs branches locales, et les compagnies de construction appartenant aux oligarchies régionales et nationales. Ces acteurs ont opéré chacun à leur manière comme des vecteurs dégénératifs, dirigeant l'injection de capital vers la désagrégation des communautés, fragmentant les pratiques qui faisaient tenir leurs mondes. Grâce à l'organisation collective, dans certains cas comme ceux de San Mateo del Mar ou de San Francisco, les parcs éoliens n'ont pas encore vu le jour, mais la présence de ces vecteurs était devenue perceptible dans le quotidien des habitant.e.s.

D'abord, dans les pratiques d'organisation politique. Les assemblées ressentent désormais des divisions importantes : les conflits entre les groupes cherchant le pouvoir sont toujours plus fréquents et violents, et parfois des candidats externes aux communautés prennent des postes dans l'administration à travers des processus frauduleux, soutenus par tel ou tel parti politique, toujours favorables aux projets d'aménagement. En 2020, par exemple, San Mateo a vécu un de ces épisodes. Les habitant.e.s se souviennent en chuchotant du “Massacre” : au cours d'une assemblée communautaire, 15 personnes furent assassinées à coups de machette, bâtons, pierres et armes à feu par un groupe d'hommes cagoulés. L'événement remontait à 2017, quand une personne n'ayant pas accompli ses cargos força sa candidature au gouvernement de la municipalité en achetant des votes et sans être reconnue par l'assemblée. Une fois au pouvoir, des contrats permettant la privatisation et l'aménagement des terres ont été signés, déclenchant l'intensification des confrontations entre des groupes antagonistes au sein de la communauté. Dans d'autres lieux, comme San Francisco, les partis au pouvoir ont retiré des programmes d'assistance sociale aux familles d'un village, pour les diriger vers leurs partisans dans un autre village, creusant ainsi le conflit entre les deux communautés. On nous le dit à plusieurs reprises : dans une logique de représentation où le politique n'est qu'un marché de votes et un vacarme d'opinions, “les partis sont là pour ça : pour partir 12, pour diviser”.

UNE GUERRE CONTRE DES MANIÈRES DE VIVRE ET DE S'ORGANISER

La création et la prolifération de groupes d'intimidation se propageant dans la région pour favoriser tel ou tel parti politique s'accompagne d'un renforcement des mafias locales qui parfois sont directement liées aux parcs éoliens – par exemple, dans la composition des corps de sécurité qui surveillent en continu les infrastructures ou en ce qui concerne les “groupes de choc 13” qui sont mobilisés pour réprimer et intimider celles et ceux qui se manifestent contre le projet. Certaines entreprises deviennent donc des alliées des sicarios 14de la zone : il y a quelques années, par exemple, des compagnies ont engagé un groupe de tueurs à gage. Aujourd'hui, ce même groupe a consolidé sa présence et opère désormais comme la branche locale de l'un des cartels du crime organisé les plus redoutés du pays : le Cartel Jalisco Nueva Generación. La collusion avec le pouvoir politique et le capital issu des projets de développement a donc permis d'augmenter le pouvoir et la marge de manœuvre des mafias locales, amenant plus de drogues, plus d'armes, achetant plus de politiciens et de policiers.

Enfin, avec l'argent qui arrive par millions, la main sur les autorités corruptibles et sur les armes, les cartels et les développeurs ont impulsé ensemble la spéculation immobilière et industrielle dans la région. Ceci, à travers une modification du régime agraire, l'obtention de permis de construction et des titres des terrains concernés. Les nouveaux plans d'aménagement prévoient la construction d'un couloir industriel dont les éoliennes ne sont que l'avant-poste. C'est ainsi que les groupuscules du crime organisé, agissant avec les investisseurs venus d'ailleurs sont devenus eux-mêmes des sociétés entrepreneuriales, finançant la création de nouvelles sociétés de pêcheurs et d'éleveurs, créant des comités de « travailleurs organisés » en faveur des parcs ou contrôlant l'expansion de franchises très rentables partout dans la ville. À San Francisco, une nouvelle société de pêche essaie d'accaparer l'usage des eaux, alors qu'une entreprise entend imposer la construction des autoroutes non réglementaires, contre la volonté de l'assemblée locale. À San Mateo, les groupes derrière la violence et les abus d'autorité étaient liés à des entreprises d'aménagement mangeuses des terres. À Juchitan, on retrouve les noms des familles des cartels aux postes de pouvoir dans l'administration, ainsi qu'à la tête de franchises très lucratives. Les politiciens, les narcotrafiquants et les entrepreneurs se mêlent jusqu'à devenir indiscernables.

“C'est une guerre contre nos manières de vivre et de nous organiser” – résuma l'enseignant zapotèque15 d'un lycée en expliquant la situation actuelle. Il y a deux décennies, le mouvement zapatiste avait déjà décrit l'expansion du Monde-Un de la marchandise comme une guerre contre la diversité irréductible des modes de vie qui peuplent la planète : leur anéantissement par uniformisation à la citoyenneté globale du consommateur universel ; leur déchirement par la fragmentation en des identités fixées et scindée 16. Cette guerre porte aujourd'hui les drapeaux de la transition énergétique. Depuis leurs bureaux en Europe ou aux États-Unis, les banquiers distribuent tranquillement des crédits pour l'innovation techno-scientifique et la gestion d'une planète propre et bien organisée. Les plus avant-gardistes commencent à déplacer leurs investissements vers des compagnies zéro charbon, projetant fièrement dans les salles de leurs gratte-ciels les vidéos de ces projets de technologie de pointe qui permettent de rêver d'un autre monde, un monde exactement comme celui d'aujourd'hui, c'est à dire, un monde sans attachements, où l'on est libre de vendre nos milieux d'existence et où il n'y a pas d'autre appartenance que celle achetée avec de l'argent ou gagnée par la violence, mais cette fois-ci aussi branché à la machine zéro charbon des parcs éoliens et des fermes solaires.

Le mouvement zapatiste a déjà décrit l'expansion du Monde-Un de la marchandise comme une guerre contre la diversité irréductible des modes de vie qui peuplent la planète. Cette guerre porte aujourd'hui les drapeaux de la transition énergétique.

En étudiant les plantations des Caraïbes, Malcom Ferdinand parlait de l'habiter colonial comme un mode d'habiter basé sur l'anéantissement des mondes-autres, leurs milieux de vie et d'organisation. L'Isthme de Tehuantepec montre la réactualisation et l'extension de ce mode d'habiter : une voie à sens unique, une transition, effectivement, mais une transition vers un seul mode d'habiter basée sur la prolétarisation et la spoliation. Et pourtant, comme face à toutes les guerres, il y a des expériences d'organisation et de résistance capables de semer des alternatives parmi les décombres. Comme ce fut rappelé à plusieurs reprises, après 500 ans de colonisation, les communautés sont encore là, en train d'exister, de subsister et de résister.

RÉSISTER : LES NOUVEAUX ASSEMBLAGES DU COMMUN

Certains processus de lutte dans l'Isthme de Tehuantepec sont désormais connus à l'international. Les assemblées populaires et des peuples autochtones font partie des multiples plateformes d'organisation intercommunautaire permettant la coordination de contre-pouvoirs populaires, de brigades d'information, de ressources juridiques contre les entreprises et le gouvernement pour défendre la vie et le territoire. Dans certains cas, ce furent des processus fructueux, ralentissant ou même forçant l'abandon de certains méga-projets. Dans d'autres, ce fut un déchaînement de violence. Et pourtant, malgré les conditions extrêmes, les expériences de résistance et de réactualisation du commun se répandent : projets d'écoles, collectifs culturels et éducatifs de femmes, de radios, réhabilitations des écosystèmes…. Dans un des villages, un groupe de femmes conçoit des campagnes informatives sur les risques des méga projets extractivistes, soutient des actions de reforestation des mangroves, et réalise des peintures murales sur les questions de genre, de droits reproductifs et de changement climatique. Elles orchestrent aussi la construction d'un foyer d'organisation communautaire avec des ateliers de sciage et de menuiserie qui ont pour but de former les jeunes, récupérer les métiers artisanaux et ouvrir une alternative de vie qui permette de garantir leur subsistance sans émigrer, sans nourrir les rangs du travail exploité, et sans gonfler les cadres armés des cartels.

Malgré les conditions extrêmes, les expériences de résistance et de réactualisation du commun se répandent : projets d'écoles, collectifs culturels et éducatifs de femmes, de radios, réhabilitations des écosystèmes….

De l'autre côté de cette même région, une radio communautaire participe à sa façon à l'articulation du commun avec un format de diffusion où les habitant.e.s sont en même temps ses auditeur.rice.s et ses participant.e.s. Depuis le toit de l'école, une antenne rudimentaire attachée à des fils tendus en métal émet à quelques dizaines de kilomètres à la ronde de la musique, des discussions en direct sur les impacts de tel ou tel projet, des radio-romances et des campagnes d'information sur les sujets d'actualité concernant la vie locale. Il ne s'agit pas de la consommation d'un contenu venu d'ailleurs ou de l'usage d'un service impersonnel, mais de la participation collective à un outil convivial visant à promouvoir leurs langues et leurs traditions.

Plus loin, l'assemblée communautaire a fondé une société de transport local, achetant des voitures pour faire l'aller-retour vers les villes les plus proches. Les habitant.e.s ont également créé une coopérative de tortillas pour à la fois partager le travail de production et réduire la dépendance des biens de consommation externes. Plus récemment a débuté l'installation d'une station de purification d'eau. Et, malgré le fait que depuis quelques années l'électricité a été coupée par un village voisin à cause des conflits pour la terre liés directement à l'expansion industrielle, on essaye de trouver des alternatives avec l'installation de petits panneaux solaires – des initiatives dont la taille contraste avec l'ampleur industrielle des fermes éoliennes.

Enfin, dans une des villes de l'Isthme, au sein d'un quartier populaire marqué par la précarité et la violence, une maison communautaire est en train d'être construite. Des murs gris, en ciment brut, des câbles exposés, des chambres sans portes et des sols non carrelés coexistent avec des jeunes plantes, des colonnes stables, des cadres de portes en bois arqués et des volets de fenêtres solennels. Sous le plafond, des planches de bois précieux reposent alignées de manière impeccable sur des poutres monumentales. Et dans les murs, les corniches et les modillons laissent voir une espèce de soin et d'extravagance inespérée. C'est une maison érigée avec les décombres du tremblement de terre de 2017. Après la catastrophe, le collectif a parcouru les rues pour collecter les fragments d'histoires de la ville effondrée, afin d'aménager un espace dédié précisément à la reprise des liens collectifs.

Ce sont ainsi des couches de souvenirs, les vestiges de bâtiments autrefois somptueux qui ont été repris par morceaux, déplacés et re-signifiés pour construire une autre maison pour héberger un autre avenir. À l'intérieur de ce chantier en cours, se dressait un autel rudimentaire avec une croix et deux larges portraits, l'un avec le visage d'Emiliano Zapata, l'autre avec celui du Che Guevara. C'était un autel dédié à la Santa Cruz de la Barricada. On nous a dit que cette festivité, invoquant les ancêtres et les esprits des montagnes et des rivières, déclenche la récupération, la transmission et la réinvention des traditions – une manière de retrouver le sol qui fait grandir le commun. Là-bas, la tradition n'existe pas sans résistance, et la communauté n'existe pas sans travail communautaire. L'essence ne précède jamais ses modes de subsistance.

Une maison communautaire est en train d'être érigée avec les décombres du tremblement de terre. Ce sont des couches de souvenirs, les vestiges de bâtiments autrefois somptueux qui ont été repris par morceaux, déplacés et re-signifiés pour construire une autre maison pour héberger un autre avenir.

Comme Zapata et le Che avec la Santa Cruz de la Barricada, le commun et les traditions se réactualisent toujours. Elles ne restent jamais simplement en arrière, elles ne visent pas uniquement l'avant, elles se transforment face à des menaces constantes et grâce à des rencontres avec les autres. C'est ainsi qu'on trouve le véritable pari d'autres mondes possibles. Face à l'aménagement, le réagencement : le commun qui se réinvente par un habiter singulier, non interchangeable. Dans l'Isthme de Tehuantepec, des assemblées, des blocages de rue, des campagnes de diffusion, des ateliers pour enfants, des radios communautaires, des rites et des fêtes populaires sont organisés pour affirmer que malgré l'avancée de l'ignominie – là-bas, ni le vent, ni la vie n'ont un prix.

Crédits photos : N. Tiburcio et N. Derossi.
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Etats-Unis : Où va vraiment l’argent de votre impôt sur le revenu pour l’exercice 2025

23 avril 2024, par War resisters league — , ,
Chaque année, la Ligue des résistants à la guerre analyse les dépenses des fonds fédéraux telles qu'elles sont présentées dans des tableaux détaillés dans les « Perspectives (…)

Chaque année, la Ligue des résistants à la guerre analyse les dépenses des fonds fédéraux telles qu'elles sont présentées dans des tableaux détaillés dans les « Perspectives analytiques » du budget du gouvernement des États-Unis.

Tiré de War resisters league
https://www.warresisters.org/store/where-your-income-tax-money-really-goes-fy2025?utm_source=scw-announce&utm_medium=email&utm_campaign=WARTAX

Notre analyse est basée sur les fonds fédéraux, qui n'incluent pas les fonds fiduciaires - tels que la sécurité sociale - qui sont collectés séparément de l'impôt sur le revenu à des fins spécifiques. L'impôt fédéral sur le revenu que vous payez (ou ne payez pas) d'ici le 15 avril 2024 est affecté à la partie du budget consacrée aux fonds fédéraux.

Sans compter les nouveaux financements, les États-Unis fournissent à Israël plus de 3 milliards de dollars chaque année, la quasi-totalité de la somme étant utilisée pour soutenir l'armée israélienne. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont consacré plus d'aide étrangère à Israël que tout autre pays.

C'est tout à fait faux : la politique étrangère des États-Unis

Peu de gens pourraient passer à côté du cynisme du président Biden annonçant fièrement des largages symboliques de nourriture à Gaza en mars 2024, tout en fournissant à Israël des milliers de bombes fabriquées aux États-Unis à larguer sur une bande de terre de la taille de Las Vegas. Déjà 31 000 Palestiniens ont été tués et des maisons, des hôpitaux, des commerces, des écoles, des hôpitaux, des entreprises, des écoles, des routes et des terres agricoles à Gaza ont été laissés en ruines ou rasés au bulldozer.

La politique étrangère des États-Unis est conçue pour tuer

Environ les deux tiers des conflits actuels dans le monde impliquent un ou plusieurs adversaires armés par un ou plusieurs adversaires armés par les États-Unis.

78 ans et 220 milliards de dollars d'aide militaire à Israël ont soutenu l'occupation des Palestiniens dans l'occupation des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza par l'armée la plus puissante de la région.
L'aide militaire à Israël de 3,8 milliards de dollars par an se poursuivra jusqu'en 2029 dans le cadre d'un accord négocié par Obama. En outre, Biden a utilisé des failles dans les directives de vente d'armes pour envoyer à Israël plus de 100 cargaisons de bombes et d'équipements militaires.

L'aide militaire américaine de 46 milliards de dollars à l'Ukraine a ralenti l'invasion russe, mais a conduit à un bourbier, coûtant la vie à plus de 10 500 civils et détruisant des villages et des villes.

Trump a utilisé des failles au cours de sa présidence pour envoyer des milliards de dollars d'armes à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis afin de poursuivre la guerre au Yémen avec plus de 19 000 morts civils

Les dons politiques de l'industrie de l'armement ont totalisé 19 millions de dollars au cours des deux premières années de Biden. Lockheed Martin, Boeing, Raytheon et Genera Dynamics ont pris 58 % de l'entreprise.

CESSEZ-LE-FEU MAINTENANT ! NÉGOCIER ! DÉSARMEZ LE PENTAGONE !

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Alerte à l’action : La guerre des mots du NYT : évitez la « Palestine », le « génocide », le « nettoyage ethnique »

23 avril 2024, par Jim Naureckas — , ,
Les rédacteurs en chef du New York Times ont publié une note de service à l'intention de leurs employés qui mettait en garde contre l'utilisation d'un « langage incendiaire et (…)

Les rédacteurs en chef du New York Times ont publié une note de service à l'intention de leurs employés qui mettait en garde contre l'utilisation d'un « langage incendiaire et d'accusations incendiaires de toutes parts » – mais les instructions offertes par la note, qui a été divulguée à The Intercept (15/04/24), semblaient destinées à atténuer les critiques des actions d'Israël à Gaza et à renforcer le récit israélien du conflit.

18 AVRIL 2024
Tiré de Fair

JIM NAURECKAS

Photo :Bâtiment du New York Times à New York (Photo Creative Commons : Wally Gobetz)

Parmi les termes que le mémo demande aux journalistes du Times d'éviter : « Palestine » (« sauf dans de très rares cas »), « territoires occupés » (par exemple, « Gaza, Cisjordanie, etc. ») et « camps de réfugiés » (« désignez-les comme des quartiers ou des zones »).

Ce sont tous des termes classiques : « Palestine » est le nom d'un État reconnu parles Nations Unies et de 140 de ses 193 membres. Les « territoires occupés » sont la façon dont Gaza et la Cisjordanie sont désignées par l'ONU ainsi que par les États-Unis. « Camps de réfugiés » sont le nom qu'ils donnent à l'agence de l'ONU qui administre les huit camps de Gaza.

La note de service décourage l'utilisation des termes « génocide » (« Nous devrions... placer la barre très haut pour permettre à d'autres de l'utiliser comme une accusation ») et « nettoyage ethnique » (« un autre terme chargé d'histoire »).

Le génocide est défini par la Convention sur le génocide comme certains « actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel ». Ces actes comprennent le fait de « tuer des membres du groupe » et « d'infliger délibérément au groupe des conditions de vie calculées pour entraîner sa destruction physique en tout ou en partie ». La Cour internationale de justice a statué en janvier qu'il était « plausible » qu'Israël viole la Convention sur le génocide (NPR, 26/01/24). Un juge fédéral américain a également statué que « le traitement actuel des Palestiniens dans la bande de Gaza par l'armée israélienne peut constituer de manière plausible un génocide en violation du droit international » (Guardian, 2/1/24).

Mondoweiss : Israël annonce sa fin de partie à Gaza : le nettoyage ethnique est considéré comme de l'« humanitarisme »
« Notre problème n'est pas de permettre la sortie, mais le manque de pays prêts à accueillir des Palestiniens », a déclaré Netanyahu à un allié du Likoud (Mondoweiss, 28/12/23) « Et nous y travaillons. » Au New York Times, vous n'êtes pas censé appeler cela un « nettoyage ethnique ».

Le « nettoyage ethnique » n'a pas de définition légale, mais il est certain que la campagne militaire israélienne qui a déplacé 85 % de la population de Gaza, alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu promet qu'il « travaille » sur « l'émigration volontaire » de cette population (Mondoweiss, 28/12/23), est admissible selon n'importe quelle norme raisonnable.

Contrairement à son point de vue sur le « génocide » et le « nettoyage ethnique », le mémo soutient qu'« il est exact d'utiliser les termes « terrorisme » et « terroriste » pour décrire les attentats du 7 octobre » ; Cependant, les mots « combattants » ou « militants » sont déconseillés aux participants à ces attaques. C'est l'opposé de l'approche adoptée par des médias comme AP (X, anciennement Twitter, 1/7/21) etla BBC (10/11/23) ; John Simpson, rédacteur en chef des affaires mondiales de ce dernier, qualifie le « terrorisme » de « mot lourd de sens, que les gens utilisent à propos d'une organisation qu'ils désapprouvent moralement ».

Également sur la liste des termes approuvés par le Times : « l'attaque la plus meurtrière contre Israël depuis des décennies ». Apparemment, les journalistes n'ont pas de superlatifs à utiliser pour décrire l'agression israélienne contre Gaza, comme « l'une des plus meurtrières et des plus destructrices de l'histoire » (AP, 21/12/23), ou la « détérioration la plus rapide vers une famine généralisée » (Oxfam, 18/03/24), ou « la plus grande cohorte d'amputés pédiatriques de l'histoire » (New Yorker, 21/03/24).

« Notre objectif est de fournir des informations claires et précises, et le langage enflammé peut souvent obscurcir plutôt que clarifier le fait », indique le mémo, rédigé par la rédactrice en chef des normes du Times, Susan Wessling, et le rédacteur en chef international, Philip Pan, ainsi que leurs adjoints. « Des mots comme 'massacre', 'massacre' et 'carnage' véhiculent souvent plus d'émotion que d'information. Réfléchissez bien avant de les utiliser dans notre propre voix. La note de service pose la question suivante : « Pouvons-nous expliquer pourquoi nous appliquons ces mots à une situation particulière et pas à une autre ? »

Comme FAIR l'a noté dans une nouvelle étude(17/04/24), le Times applique un « langage enflammé » d'une manière résolument déséquilibrée. Lorsque les articles du Times utilisaient le mot « brutal » pour décrire une partie au conflit de Gaza, 73 % du temps, il était utilisé pour caractériser les Palestiniens. Une analyse par The Intercept (1/9/24) de la couverture de la crise de Gaza dans le Times (ainsi que dans le Washington Post et le Wall Street Journal) a révélé que

Des termes hautement émotionnels pour désigner le meurtre de civils, tels que « massacre », « massacre » et « horrible », ont été réservés presque exclusivement aux Israéliens qui ont été tués par des Palestiniens, plutôt que l'inverse.

Le terme « horrible » a été utilisé neuf fois plus souvent par les journalistes et les rédacteurs en chef pour décrire le meurtre d'Israéliens que de Palestiniens ; Le terme « massacre » décrit le nombre de morts israéliens 60 fois plus élevé que le nombre de morts palestiniens, et le terme « massacre » plus de 60 fois.

ACTION :
S'il vous plaît, demandez au New York Times de réviser ses directives sur la couverture de la crise de Gaza afin qu'il n'interdise plus les descriptions standard et ne mette plus hors de portée les caractérisations les plus précises des actions israéliennes.

CONTACT :
Lettres : Centre des lecteurs letters@nytimes.com

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