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Les dirigeants de la Gauche européenne sur l’Ukraine : Même pas un soupçon de solidarité

Le site du think tank Transform ! a publié le 13 août un article intitulé « La gauche et la guerre inter-impériale », écrit par Michael Brie et Heinz Bierbaum (The Left and the (…)

Le site du think tank Transform ! a publié le 13 août un article intitulé « La gauche et la guerre inter-impériale », écrit par Michael Brie et Heinz Bierbaum (The Left and the Inter-Imperial War (transform-network.net). Les auteurs sont des figures de proue de longue date et largement respectées de Die Linke (La Gauche, Allemagne). Heinz Bierbaum a été président du Parti de la gauche européenne de 2019 à 2022 et est aujourd'hui président de la Fondation Rosa Luxemburg.

6 octobre 2023 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://europe-solidaire.org/spip.php?article68660

Die Linke est aujourd'hui dans une crise largement décrite comme existentielle. De nombreux camarades tentent d'aider le parti à sortir du brouillard dans lequel il semble s'être perdu et à développer une approche orientée vers les classes populaires. Brie et Bierbaum sont deux parmi eux. Il y a quelque temps, ils ont coécrit un article dans Neues Deutschland qui allait dans ce sens. Il n'y avait que des références passagères à la guerre en Ukraine, mais elles étaient inquiétantes. À la lumière de leur contribution actuelle, les références inquiétantes étaient clairement prémonitoires de quelque chose de beaucoup plus grave. (Une récente contribution de Walter Baier, Président du Parti de la Gauche Européenne, (Making the Difference - Rosa-Luxemburg-Stiftung (rosalux.de), qui traite de questions plus larges, est sur la question de l'Ukraine, proche de la position de Brie et Bierbaum, bien que sur un ton plus modéré).

Les auteurs citent Ferdinand Lassalle : « Toute grande action politique commence par l'énonciation de ce qui est. Toute petitesse politique consiste à dissimuler et à occulter ce qui est ». On ne peut qu'être d'accord. Alors, posons-nous la question : qu'est-ce qui est, en Ukraine, aujourd'hui ? La première chose à dire est que la chose la plus importante n'est même pas mentionnée dans leur document.

Nous pourrions dire que la chose la plus importante est que la Russie a envahi l'Ukraine en février 2022. C'est bien sûr vrai, et c'est ce qui a déclenché la guerre actuelle. Mais en fait, ce qui est vraiment important, c'est que l'invasion s'est heurtée à la résistance massive du peuple ukrainien. Pas seulement le gouvernement et les forces armées, mais aussi le peuple. Les partisans dans les territoires occupés, les organisations et mouvements de la société civile et les initiatives populaires un peu partout, ont contribué à la défense de leur pays. La communauté rom, souvent victime de discriminations en Ukraine comme ailleurs, s'est également mobilisée. Les formes de résistance peuvent être multiples, armées ou non. Il existe deux grandes confédérations syndicales en Ukraine. Elles soutiennent toutes les deux la défense de leur pays. Elles collectent des fonds pour aider leurs membres engagés dans les forces armées et pour acheter des équipements militaires. La gauche politique soutient la guerre, de même qu'un réseau de femmes très actif. Même les anarchistes ont suspendu leur opposition à tous les Etats pour s'engager dans l'armée et combattre.

Dans le même temps, les syndicats et la gauche luttent contre les politiques néolibérales du gouvernement ukrainien, notamment les lois antisyndicales, et pour la défense des services publics. Les partisans internationaux de l'Ukraine soutiennent les syndicats ukrainiens sur les deux plans, contre l'agression russe et pour la défense de leurs droits sociaux. Dans l'ensemble, les syndicats européens ont un meilleur bilan que la gauche politique. Ils apportent une aide réelle aux syndicats ukrainiens de multiples façons et certains d'entre eux expriment très clairement leur soutien politique à l'Ukraine. Cela s'explique en partie par le fait que nombre d'entre eux connaissent et aident les syndicats ukrainiens depuis 20 ou 30 ans. Pour la même raison, ils font ce qu'ils peuvent pour soutenir les syndicats bélarussiens qui ont été sévèrement réprimés par Loukachenko.

Il faut également tenir compte du fait que les syndicats, aussi affaiblis soient-ils, restent des organisations de masse et sont donc plus sensibles àl'opinion public pro-ukrainien qui est majoritaire dans tous les pays d'Europe occidentale, même dans ceux où la gauche qui voit la politique mondiale à travers le prisme de camps antagonistes (la gauche « campiste ») et celle qui soutient l'apaisement avec Poutine font le plus de bruit. La victoire la plus récente de la solidarité avec l'Ukraine a été le vote écrasant du congrès des syndicats britanniques (voir annexe 1).

A. Nature de la guerre

En ce qui concerne la gauche politique internationale, il n'y a pas de « dans l'ensemble ». Il y a des partis qui soutiennent l'Ukraine et d'autres qui ne la soutiennent pas, que ce soit pour des raisons pacifistes, campistes ou géopolitiques. Et dans de nombreux pays, il y a des divisions au sein de la gauche.

Les auteurs citent Rosa Luxemburg pour affirmer qu'il n'existe pas de guerre défensive. Mais plus loin, ils expliquent que « pour la Russie, il s'agit de défendre sa position géopolitique menacée ». Pas son territoire, pas son peuple, mais sa « position géopolitique menacée ». Nous y reviendrons. Quoi qu'il en soit, la guerre actuelle est une guerre défensive qui a commencé par la défense de l'Ukraine contre l'agression russe. Nous verrons plus tard d'où vient cette agression. Pour prendre un autre exemple, en 1979, le Viêt Nam a mené avec succès une guerre défensive contre une invasion chinoise. Les guerres défensives existent donc, mais la question centrale n'est pas de savoir si une guerre est défensive ou offensive. Ce qui compte, c'est la nature de la guerre et des pays impliqués, et non la question de qui l'a déclenchée. Par exemple, il ne fait aucun doute que les guerres d'indépendance algérienne et irlandaise ont été lancées par des organisations des peuples colonisés, qui ont tiré les premiers coups de feu. Il ne fait également aucun doute que les guerres qui ont suivi étaient des guerres de libération nationale, en réponse à des siècles d'oppression coloniale par les impérialismes français et britannique.

Revenons à la guerre actuelle. Il s'agit d'une guerre d'agression lancée par l'impérialisme russe contre l'Ukraine, qui a été opprimée par la Russie pendant des siècles. La relation entre l'Ukraine et la Russie a été comparée par Lénine à celle entre la Grande-Bretagne et l'Irlande, en des termes très forts : « exploités jusqu'à la limite, sans rien recevoir en retour ». (Discours prononcé à Zurich le 27 octobre 1914, non inclus dans les Œuvres complètes. Il s'agit également de la seule occasion enregistrée où Lénine a explicitement appelé à l'indépendance de l'Ukraine). L'Ukraine a donc tout à fait le droit de se défendre et il est du devoir de la gauche internationaliste de la soutenir. Ce serait encore le cas si l'Ukraine était passée à l'offensive dans le Donbass ou en Crimée entre 2014 et 2022.

1. Que veulent les Ukrainiens ?

Que disent nos auteurs de la résistance du peuple ukrainien ? Pratiquement rien. Dire qu'ils l'occultent serait un euphémisme. Ils parlent d'un « abattoir pour les soldats des deux camps » - des deux camps, comme s'ils étaient sur le même plan. Ce n'est pas le cas. Lors de la bataille de Stalingrad en 1942-43, des centaines de milliers de soldats ont trouvé la mort. Dans les deux camps. Mais ces deux camps n'étaient pas égaux et, à l'époque, personne ne pensait qu'ils l'étaient. Les soldats de l'Armée rouge sont morts en défendant leur pays, puis en passant à l'offensive. Ceux de la Wehrmacht sont morts en envahissant l'Union soviétique et en défendant l'Allemagne nazie. Il n'y avait pas de signe égal. Au Viêt Nam, 60 000 soldats américains sont morts. Beaucoup d'entre eux avaient déjà compris qu'ils menaient une guerre injuste et ne demandaient qu'à rentrer chez eux. Mais la guerre est implacable. Lorsque votre pays est occupé par une armée impérialiste, vous ne pouvez pas la chasser sans tuer un grand nombre de ses soldats. Et l'armée américaine a tué beaucoup, beaucoup plus de Vietnamiens.

Les auteurs qualifient la guerre de guerre inter-impériale. Rien de nouveau, si ce n'est que l'on dit impérial plutôt qu'impérialiste. Ils répètent la litanie habituelle selon laquelle l'OTAN n'a pas tenu sa promesse de ne pas s'élargir à l'Est et que la Russie s'est sentie menacée et a dû se défendre. Je n'aborderai pas ce point en détail, puisque je l'ai déjà fait ailleurs (Russia's war on Ukraine and the European lefts | Links). Mais soulignons ce qui est essentiel dans le document. « Une fois que nous avons compris que cette guerre est avant tout une guerre inter-impériale, les étapes vers la paix deviennent également claires comme de l'eau de roche du point de vue de la gauche. » Ce qui est clair comme de l'eau de roche, c'est que la définition de guerre inter-impériale ou par procuration permet de traiter le peuple ukrainien comme une quantité négligeable et marchandable.

Le premier aspect frappant de l'article est sa négation totale des Ukrainiens en tant qu'agents de leur propre avenir. Car les Ukrainiens ne sont pas de simples victimes, ils ne sont pas non plus manipulés par les méchants impérialistes occidentaux. Les Ukrainiens savent ce qu'ils veulent et sont prêts à se battre pour cela. Mais que lisons-nous ? Tout d'abord, « Les tentatives des États-Unis et de l'Union européenne pour amener l'Ukraine à choisir une orientation unilatérale vers l'Union européenne et l'OTAN, et donc (à abandonner) la politique d'un rôle intermédiaire entre l'Ouest et l'Est ». Premièrement, les Ukrainiens n'ont jamais choisi ce rôle d'intermédiaire, il leur a été imposé. Deuxièmement, ils ont choisi de se détourner de la Russie et de se tourner vers l'Europe. Ils ont fait ce choix lors du Maïdan et l'ont confirmé lors des élections de 2014 et de 2019. Avant 2014, l'attitude à l'égard de l'UE était largement positive, mais pas clairement majoritaire. Il n'y a jamais eu de majorité pour l'OTAN avant 2014. Après, il y a eu une majorité pour l'UE et l'OTAN. Et cette majorité s'est élargie et est devenue massive après le 24 février 2022. La raison peut être résumée en deux mots : Poutine, Russie.

Le 29 août, un sondage a été publié, réalisé par l'Institut international de Sociologie de Kyivpour le compte de l'Institut de sociologie de l'Académie nationale des sciences d'Ukraine. Il a montré (page 39) que 83,5 % des Ukrainiens pensent que la victoire n'est possible que si tous les territoires occupés sont restitués. Seuls 4 % pensent qu'il est acceptable de revenir au statu quo ante 24 février 2022, c'est-à-dire de laisser à la Russie la Crimée et les « républiques ». Ces chiffres n'ont rien de surprenant, ils ne font que confirmer ceux des sondages précédents. Certaines manifestations récentes illustrent l'attitude à l'égard de la guerre. À Odessa, Lviv et ailleurs, des manifestations ont eu lieu pour demander que l'argent destiné par les conseils municipaux à diverses fins soit plutôt utilisé pour soutenir l'effort de guerre. À Kiev, des manifestations contre la corruption au sein de l'administration municipale ont eu le même objectif. Il ne s'agit pas de manifestations contre la guerre ou contre l'utilisation de l'Ukraine comme « proxy » par l'impérialisme occidental. Il s'agit d'exigences pour que la guerre soit menée avec le maximum de ressources disponibles.

2. L'avenir proposé pour l'Ukraine : le ‘conflit gelé'

Ce que dit le document sur l'avenir de l'Ukraine n'a rien à voir avec ce que veut le peuple ukrainien.

« Un cessez-le-feu immédiat, sans conditions préalables, contrôlé par l'ONU et les États neutres. Dans un deuxième temps, des négociations doivent être menées pour rechercher un équilibre des intérêts entre tous les États belligérants et ceux qui sont impliqués dans la guerre. » Pas une seule mention des droits du peuple ukrainien.

Pour que les choses soient tout à fait claires, nous pouvons lire : « L'idée que cela puisse conduire à un état de choses d'avant-guerre n'est pas réaliste. » Dans le contexte du document, cette déclaration est en fait exacte. Le « ceci » auquel il est fait référence concerne le plan décrit ci-dessus. Un argument classique en faveur de négociations par-dessus la tête des principaux intéressés, en l'occurrence le peuple ukrainien. Depuis le Congrès de Vienne en 1815, de tels « traités de paix » n'ont fait que préparer le terrain pour de nouvelles guerres - et parfois des révolutions. En effet, un tel processus en Ukraine ne peut pas conduire à un « état de choses d'avant-guerre », qui impliquerait nécessairement le retrait des troupes russes. La lutte continue du peuple ukrainien peut conduire à un tel résultat. Mais ni cette lutte ni la demande de retrait des troupes russes ne sont mentionnées par les auteurs.

Ils écrivent que « de nombreux efforts sont nécessaires pour créer un système global de sécurité commune incluant la Russie. Cela prendra un temps considérable ». Il s'agit là temps d'un objectif totalement irréaliste même dans un « temps considérable ».

Le pire est encore à venir. Nous apprenons qu'« un conflit gelé devra être supporté pendant une très longue période », mais que c'est « mieux que la guerre ». On se demande si ceux qui écrivent cela savent vraiment ce qu'ils disent. Ils condamnent les Ukrainiens qui vivent sous l'occupation russe à continuer à le faire pendant « une très longue période ». L'occupation de certains territoires dure maintenant depuis plus de dix-huit mois, ce qui est déjà très long pour ceux qui sont obligés de la subir. Il s'agit d'une occupation barbare, qui commence par des viols et des pillages et se poursuit par des arrestations arbitraires, des tortures, des exécutions sommaires d'hommes, de femmes et d'enfants, des filtrages, des déportations de civils et des enlèvements d'enfants ukrainiens, ainsi que par des projets visant à inonder les zones occupées d'immigrants russes, comme cela a déjà été fait en Crimée. De quel droit peut-on condamner des populations entières à subir cela et ajouter l'insulte à l'injure en affirmant que c'est « mieux que la guerre ». Rien n'est moins évident.

Quant à l'idée que l'Ukraine puisse se libérer d'elle-même serait irréaliste, regardons quelques précédents. Nombreux étaient ceux qui ont jugé irréaliste l'idée que le Vietnam puisse vaincre l'impérialisme français puis américain. Ou que l'Algérie pourrait gagner son indépendance. Ou encore qu'une poignée de combattants dans un bateau qui prenait l'eau puisse déclencher une révolution à Cuba. Mais les réalistes n'étaient pas si réalistes. Dans les bonnes circonstances, ceux qui se battent peuvent créer leur propre réalisme. Ceux qui ne se battent pas ne parviendront jamais à rien. En fait, ceux qui ont appelé au cessez-le-feu, aux négociations et à la « paix » en Algérie et au Viêt Nam n'ont eu aucun effet.

B. La rivalité inter-impérialiste et l'Ukraine

Les auteurs de l'article accordent une importance centrale à leur analyse de la guerre comme étant inter-impériale, dans laquelle l'Ukraine n'est qu'un proxy de l'impérialisme américain. Cette analyse semble se justifier d'abord parce qu'elle s'inscrit dans la confrontation entre les États-Unis et l'OTAN, d'une part, et la Russie et la Chine, d'autre part. Et, plus précisément, dans l'expansion de l'OTAN vers l'Est. Deuxièmement, parce que l'Ukraine reçoit, principalement des pays de l'OTAN, une partie des armes dont elle a besoin pour se défendre.

La confrontation entre la puissance mondiale hégémonique, les États-Unis, et son successeur putatif, la Chine, est un fait central de la politique et de l'économie internationales. La Russie ne joue pas dans la même catégorie, mais elle est suffisamment importante pour compliquer les choses. Quelle est donc la place de l'Ukraine dans ce schéma ? Comme nous l'avons dit plus haut, l'Ukraine a choisi de s'aligner sur l'Occident. Il convient d'insister sur le mot « choisi ». D'abord, parce que c'est un fait. Ensuite, parce que l'insistance sur le fait que l'Ukraine et les Ukrainiens sont en quelque sorte manipulés par les États-Unis et l'OTAN révèle deux choses sur ceux qui le disent. La première est leur incapacité à sortir de la mentalité selon laquelle tout ce qui se passe de mauvais dans le monde est de la responsabilité des États-Unis et de l'OTAN. Il s'agit d'un cadre tout à fait inadéquat pour comprendre le monde d'aujourd'hui, où il existe trois impérialismes principaux (États-Unis, Chine et Russie) et une série d'impérialismes secondaires (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Japon...) qui peuvent bien être des alliés des États-Unis mais qui ont également leurs propres intérêts spécifiques à défendre. Il y a ensuite une série d'acteurs autonomes : Inde, Iran, Israël, Arabie Saoudite, Brésil, entre autres. La deuxième chose que cela nous apprend est que, pour eux, non seulement les droits des petites nations, ou même des nations moins petites, sont considérés comme sacrifiables, mais aussi qu'ils les considèrent comme n'ayant aucune volonté propre, aucune capacité d'agir dans leur propre intérêt. Ce ne sont que des pions sur l'échiquier.

La façon dont les auteurs abordent la situation internationale le montre clairement. À un moment donné, ils écrivent qu'« une agressivité croissante est apparue dans la lutte pour l'hégémonie, qui est liée aux contradictions internes et externes exacerbées d'un développement capitaliste inégal ». Ce serait un bon point de départ, mais ils tombent systématiquement dans la caricature de l'agressivité des États-Unis et de leurs alliés, ce qui conduit, implicitement ou explicitement, à l'idée que la Russie et la Chine sont sur la défensive. On y ajoute le dernier mot à la mode, la multipolarité. Il existe une manière potentiellement positive de définir ce mot. Il pourrait signifier le droit de chaque nation à décider de son propre avenir et à se gouverner elle-même. Mais ce n'est pas ce qu'il signifie dans les intentions et les actions des grandes et moins grandes puissances qui le prônent. Ce qu'elle signifie pour eux, c'est le droit de chaque pays à faire ce qu'il veut, avec son propre peuple et, dans la mesure du possible, avec les pays plus faibles qui l'entourent. Les nations puissantes admettent rarement, voire jamais, qu'elles dominent d'autres nations simplement parce qu'elles le peuvent et parce que cela sert leurs propres intérêts. Elles ont recours à des justifications idéologiques. Pour les États-Unis, il s'agit de défendre la « démocratie » et un « ordre international fondé sur des règles ». Beaucoup de gens de gauche vous le diront. En général, ils sont beaucoup plus réticents à disséquer les concepts profondément réactionnaires du monde russe, de la Russie en tant que civilisation unique. Ou la prétention de la Chine à diriger le Sud global.

Les États-Unis, en tant que puissance mondiale hégémonique, sont obligés d'intervenir dans de nombreux endroits pour défendre ou promouvoir leur propre position. Il est donc difficile de définir leur sphère d'influence. D'une certaine manière, le monde est leur sphère d'influence. C'est à la fois une expression de leur puissance et une malédiction. Ce fut également le cas de la Grande-Bretagne pendant les deux siècles de son hégémonie. Il est néanmoins clair que, depuis plus de dix ans, les États-Unis cherchent à tourner leur attention vers la Chine et la région indopacifique. S'engager dans une guerre en Europe n'était pas du tout prévu et ne correspondait pas aux priorités américaines.

1. La Russie et l'OTAN

Prenons le cas de la Russie, dont l'objectif dans la guerre est défini comme « la défense de sa position géopolitique menacée ». C'est vrai et c'est la raison fondamentale pour laquelle elle envahit l'Ukraine. Derrière le terme « position géopolitique » se cache la conception d'une sphère d'influence qui couvre le territoire de l'ancienne Union soviétique/empire tsariste, ainsi que, dans la mesure du possible, ses anciens satellites d'Europe centrale et orientale. Cette position géopolitique est menacée. Par qui ? Les auteurs répondent : par les États-Unis, l'OTAN et l'UE. Il est vrai que ni les États-Unis ni l'UE ne peuvent accepter le droit de la Russie à dominer l'Europe de l'Est. Mais ni les États-Unis, ni l'OTAN, ni l'UE n'ont la moindre intention d'envahir la Russie. Et la véritable menace pour la Russie est la résistance des habitants des pays qu'elle considère comme faisant partie de sa sphère d'influence.

Avec l'effondrement de l'Union soviétique, les républiques non russes ont déclaré leur indépendance et les pays de l'ancien bloc soviétique ont transformé leur indépendance de jure en indépendance de facto. Ils ont rejoint l'OTAN et, dans la plupart des cas, l'Union européenne. Les États baltes ont suivi le même chemin.

Lorsqu'une certaine gauche parle de l'élargissement de l'OTAN, son analyse des raisons pour lesquelles ces pays ont rejoint l'OTAN est généralement réduite aux décisions de Washington. C'était un aspect, et un aspect important. Si Washington s'y était opposé, ces pays n'auraient jamais rejoint l'OTAN. Mais Washington était favorable à leur adhésion parce qu'elle renforçait et étendait l'influence des États-Unis en Europe. Toutefois, l'adhésion à l'OTAN n'a pas été imposée à ces pays. Au contraire, ils ont fait campagne et poussé fort pour être acceptés. Non seulement les nouveaux groupes au pouvoir, mais aussi les populations y étaient favorables. Parce qu'elles avaient une peur justifiée de la Russie. L'Ukraine vient de fournir un exemple frappant de ce qui peut arriver à un pays qui n'est pas membre de l'OTAN. Et aussi parce que l'Occident représentait non seulement la démocratie, mais aussi les sociétés de consommation prospères auxquelles ils aspiraient. Bien sûr, il s'est avéré que tout ce qui brillait n'était pas de l'or.

Aujourd'hui, l'OTAN est plus forte et plus cohérente qu'elle ne l'a jamais été depuis la fin de la Guerre froide. Et elle n'a jamais été aussi populaire. Si l'on veut convaincre les gens que l'avenir ne réside pas dans une alliance militaire dirigée par les États-Unis, il va falloir leur proposer une alternative crédible.

Les autres anciennes républiques soviétiques n'ont pas suivi la même voie, la plupart d'entre elles faisant partie de la Communauté des États indépendants et certaines du CSTO (Organisation du traité de sécurité collective), une sorte d'OTAN de deuxième classe. La plupart des républiques ont reconnu la prédominance de la Russie, mais le degré réel d'influence russe a varié. Aujourd'hui, il est clair que la guerre en Ukraine a eu pour effet d'affaiblir cette influence. Cela profite non seulement aux États-Unis, mais aussi à la Chine et à la Turquie. Un tournant vers ces trois pays (tout en maintenant des relations amicales avec la Russie) fait désormais partie de la politique du Kazakhstan, telle que définie en 2022, tout comme l'augmentation substantielle de ses budgets de défense et de sécurité. Il convient de mentionner que malgré sa proximité avec la Russie, le Kazakhstan refuse de soutenir sa guerre d'agression en Ukraine. Il a également toujours refusé de reconnaître l'annexion de la Crimée par la Russie. À cet égard, il a un meilleur positionnement de principe qu'une partie de la gauche occidentale. Mais il y a sans doute aussi des considérations pratiques : le Kazakhstan compte une minorité russophone, concentrée dans le nord du pays. Il a intérêt à ne pas accepter le droit d'intervention de la Russie partout où il y a des russophones. Pour le reste, cet été le secrétaire d'État américain Blinken a effectué une tournée dans les cinq républiques d'Asie centrale. Et l'Arménie, traditionnellement proche de Moscou, envoie maintenant de l'aide humanitaire à l'Ukraine et mène des manœuvres militaires conjointes avec les États-Unis. Ceci n'est bien sûr pas sans lien avec la réticence ou l'incapacité de la Russie à respecter les obligations du traité du CSTO de défendre l'Arménie et l'enclave du Nagorno-Karabakh contre l'agression de l'Azerbaïdjan. (Voir la déclaration du Mouvement socialiste russe : (Concerning Azerbaijan's aggression against Nagorno-Karabakh/Artsakh | Links).

2. Maïdan et anti-Maïdan

Par sa taille, sa situation géographique et son histoire, l'Ukraine est au cœur de tout projet de reconstruction d'un empire russe. La Russie n'a jamais accepté l'indépendance de l'Ukraine. Le long texte historique de Poutine en 2021 expliquant que les Ukrainiens et les Russes étaient le même peuple peut être considéré comme faisant partie de la préparation idéologique de la guerre à venir. Mais c'est aussi très probablement ce qu'il pense réellement et c'est une idée largement partagée en Russie. Jusqu'en 2014, Poutine pensait pouvoir soumettre l'Ukraine en exerçant des pressions politiques et économiques sur ses gouvernements. Il s'appuyait pour cela sur un réseau d'agents au sein de l'appareil d'État, en particulier de la police et des forces armées. L'étendue de ce réseau, y compris les généraux et les politiciens qui étaient dans la poche de Poutine, a été largement dévoilée en 2014. Mais il était encore partiellement fonctionnel en 2022.

Maïdan a été l'étincelle qui a convaincu Poutine qu'il était temps de recourir à la force. Avant même la victoire de Maïdan et la fuite de Viktor Ianoukovitch, des préparatifs étaient en cours pour l'annexion de la Crimée et pour un processus d'annexion progressive de huit oblasts du sud et de l'est de l'Ukraine, collectivement appelés Novorossiya. Le plan consistait à passer par une phase de proclamation de « républiques populaires », qui demanderaient plus tard à rejoindre la Russie. Ce plan n'a été que très partiellement couronné de succès dans le Donbass.

Il existe de nombreux mythes et demi-vérités sur ce qui s'est passé dans le Donbass, et plus largement dans le sud et l'est de l'Ukraine, en 2014. La plupart des chiffres qui seront donnés ici sont tirés d'un sondage réalisé par l'Institut international de sociologie de Kyiv (KIIS) en avril 2014. Ce sondage a été souvent cité, non seulement parce qu'il provient d'une source réputée, mais aussi en raison de la date à laquelle il a été réalisé. Il donne une photographie de l'opinion dans le sud et l'est au moment où les milices pro-russes s'emparaient des mairies dans tout le Donbass - et tentaient de faire de même ailleurs. Il en ressort que, sur une question importante, concernant la préférence pour l'Union européenne ou l'Union douanière eurasienne, cette dernière était clairement majoritaire, globalement et dans cinq oblasts sur huit, avec trois oblast qui préféraient l'UE. Sur une question qui n'a pas été posée par l'enquête KIIS, mais pour laquelle il existe de nombreuses preuves, davantage de personnes dans le sud et l'est étaient anti-Maidan que pro-Maidan. Mais davantage ne signifie pas tous. À Kharkiv, la plus grande manifestation pro-Maïdan a rassemblé 30 000 personnes, à Dnipropetrovsk 15 000. Même à Donetsk, la plus grande manifestation pro-Maidan était de 10 000 personnes, contre 30 000 pour le plus grand rassemblement anti-Maidan.

Sur d'autres questions, le lobby pro-russe et anti-ukrainien n‘a pas de quoi réjouir. A la question « Soutenez-vous ceux qui s'emparent par les armes de bâtiments administratifs dans votre région ? » (ce qui se déroulait au moment du sondage), le soutien a été faible : moins de 12 % au niveau global, 18 % à Donetsk, 24 % à Luhansk, ailleurs aucun oblast n'a atteint les deux chiffres.

Dans le Donbass, il y a eu des manifestations anti-Maidan avec un réel soutien populaire. Les manifestants n'exigeaient pas de rejoindre la Russie : ils protestaient contre un mouvement basé sur le centre et l'ouest qui, selon eux, avait pris le pouvoir à Kiev. Ils avaient également des griefs justifiés à l'encontre du gouvernement central, qui ne dataient pas de Maïdan. Et, comme le mouvement de Maïdan, ils protestaient contre la corruption et les politiciens voleurs.

Ce qui nous amène à Ianoukovitch. Sur la question de savoir si Ianoukovitch était le président légitime, il n'y avait de majorité nulle part. Entre 27 et 31 % dans le Donbass, beaucoup moins ailleurs. Il est possible de considérer les manifestations anti-Maidan comme des soulèvements populaires embryonnaires. Il aurait été intéressant de voir comment le mouvement aurait évolué, mais il a été interrompu par la militarisation de la situation à travers une série de mini-coups d'État dans les villes, l'une après l'autre. C'est l'origine des « républiques populaires ». Toute l'opération a été menée sous la direction d'agents russes, avec des « volontaires » russes, de l'argent et des armes russes. Ceux qui ont suivi dans le Donbass n'étaient pas majoritaires. En fait, il n'y a jamais eu d'expression de soutien majoritaire à l'adhésion à la Russie dans le Donbass, que ce soit lors d'une élection, d'un référendum ou d'un sondage. Dans le sondage KIIS, environ 30 % des personnes interrogées étaient favorables à l'adhésion à la Russie, tandis que plus de 50 % y étaient opposées.

Compte tenu de la manière dont le Donbass a été occupé et de l'intervention ultérieure de l'armée ukrainienne, il est tout à fait erroné de parler de guerre civile (voir Daria Saburova, “Questions About Ukraine”)..). Même sans l'intervention directe de l'armée russe en 2013-14 et son implication continue dans la guerre de basse intensité de 2014-22, il s'agissait clairement dès le départ d'une intervention de la Russie en Ukraine.

C. La Russie et le contexte international

Voyons maintenant la dimension internationale. Sans rentrer dans les détails, il semble que ce soit une bonne hypothèse de travail de dire que la période de mondialisation commencée dans les années 1980 est terminée. Historiquement, la fin des périodes de mondialisation se traduit par un renforcement de la concurrence inter-impérialiste. Personne à gauche ne conteste que les États-Unis sont impérialistes. On peut en dire autant de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de la France et de certains pays européens de moindre importance, ainsi que du Japon. Pour des raisons qui sont rarement, voire jamais, énoncées, il existe une idée générale à gauche selon laquelle l'émancipation de l'Europe, en particulier de l'UE, de l'hégémonie américaine serait en quelque sorte progressiste en soi. Cela est loin d'être évident et mériterait au moins une analyse sérieuse.

Qualifier la Russie et surtout la Chine d'impérialistes est plus controversé. Mais rappelons la description que Lénine faisait de la Russie en 1916. "La Russie avait déjà battu en temps de paix le record mondial de l'oppression des nations sur la base d'un impérialisme beaucoup plus grossier, médiéval, économiquement arriéré, militaire et bureaucratique. ((voir “Bilan d'une discussion sur le droit des nations à disposer d'elles-memes”, O.C., Vol. 22). Ailleurs, il parlait simplement de l'impérialisme militaire-féodal russe. Il n'y a pas grande place là pour le capital financier, les monopoles ou l'exportation de capitaux. Le point essentiel, c'est que Lénine n'estimait pas nécessaire qu'un pays coche toutes les cases pour être impérialiste. Dans le cas de la Russie, les critères coloniaux et militaires semblent avoir suffi. Par ailleurs, l'économie russe était largement dominée par les capitaux français, allemands et britanniques (dans cet ordre).

La concurrence accrue entre les grandes et les moins grandes puissances s'exerce sur les plans économique, politique et militaire. C'est une caractéristique du capitalisme et de l'impérialisme. C'est dans leur nature. Il est très probable que cela conduise à la guerre à un moment ou à un autre. Comme l'a dit Rosa Luxemburg, la guerre est autant une conséquence logique du capitalisme que la paix armée (“Utopies pacifistes”, 1911).

La confrontation entre les États-Unis et la Chine, qui a réellement commencé à s'aiguiser après 2008, a été relativement pacifique et économique, mais pas complètement. La Chine a mené une politique agressive dans la mer de Chine méridionale, en construisant des îles largement artificielles et hautement militarisées dans les eaux internationales et en empiétant sur les eaux territoriales du Viêt Nam et des Philippines. Bien entendu, les États-Unis n'ont pas manqué de tirer parti de la situation. Ils ont obtenu plusieurs bases aux Philippines et renforcé leurs liens diplomatiques avec le Viêt Nam, comme en témoigne la récente visite très médiatisée du président américain Joe Biden à Hanoï. Bien sûr, il est possible de considérer tout cela comme des provocations contre la Chine inspirées par les États-Unis. Ce serait franchement prendre la situation à l'envers. C'est la Chine qui a lancé des provocations contre le Viêt Nam et les Philippines, et ce sont les États-Unis qui en profitent. Mais au-delà de ces détails, fondamentalement, les États-Unis sont déterminés à maintenir leur hégémonie dans la région indopacifique, tandis que la Chine est déterminée à établir son propre hégémonie. Telle est la réalité. Cela entraînera des tensions et des conflits dans les mers de Chine méridionale et orientale, à propos de Taïwan et dans la compétition pour influencer les nations du Pacifique.

Une approche sérieuse de la situation internationale nécessiterait l'abandon de la vieille rengaine qui consiste à dénoncer constamment l'impérialisme américain et ses alliés, en particulier l'OTAN, tout en trouvant des excuses à la Russie et à la Chine. Cela semble dépasser une partie de la gauche européenne et nord-américaine. Cela ne dépasse pas le Parti communiste japonais (PCJ) (voir Kimitoshi Morihara (Japanese Communist Party) : ‘Indo-Pacific must be a region of dialogue and cooperation, not rivalry') : « L'Indo-Pacifique doit être une région de dialogue et de coopération, et non de rivalité »). Le PCJ s'oppose fermement à la militarisation du Japon et à son intégration dans le système d'alliances antichinoises mis en place par Washington. Mais il critique aussi clairement ce qu'il appelle l'hégémonisme et le chauvinisme de grande puissance chinois. Cela recouvre, entre autres, la critique des violations des droits de l'homme au Xinjiang et à Hong Kong et la défense du droit à l'autodétermination de Taïwan (et évidemment l'opposition à l'usage de la force par la Chine). En ce qui concerne la guerre russe en Ukraine, le PCJ dénonce l'agression de la Russie et exige un retrait immédiat et inconditionnel des forces militaires russes.

Lorsque les gens de la gauche campiste parlent de la Russie, la manière dont ils le font en dit long sur eux. La Russie aurait été menacée par l'élargissement de l'OTAN. Sa réaction en envahissant l'Ukraine ne peut être approuvée, mais la faute en incomberait réellement aux États-Unis et à l'OTAN. Il faudrait comprendre la Russie et faire la paix en tenant compte de ses préoccupations légitimes. Et ainsi de suite.

1. La nature de la Russie

Mais qu'est-ce que la Russie ? C'est la question qu'ils ne posent pas. En principe, une république fédérale mais, en fait, les restes (substantiels) d'un empire. Des six empires qui sont entrés en guerre en 1914 (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Russie, Autriche-Hongrie, Turquie), c'est le seul qui subsiste. La Russie n'est pas un État-nation mais un empire. Les auteurs du document parlent de l'OTAN qui voudrait « exclure la Russie de l'Europe ». Mais ce n'est pas nécessaire. La Russie s'est exclue d'elle-même de l'Europe lorsqu'elle a traversé l'Oural et conquis, en trois siècles, des vastes territoires, vers l'est jusqu'au Pacifique et vers le sud jusqu'à l'Asie centrale. Ou, pour être plus précis, elle a cessé d'être un État purement européen pour devenir un empire eurasien. D'ailleurs, avant même de s'aventurer en Asie, elle était déjà un empire, avec de nombreuses conséquences que nous ne pouvons pas aborder ici. Mais répéter que « la Russie fait partie de l'Europe » ne nous mènera nulle part.

Politiquement, qu'est-ce que la Russie ? Officiellement une démocratie, mais c'est une plaisanterie, comme l'ont montré les récentes élections régionales. C'est, à tout le moins, l'État le plus répressif à l'intérieur et le plus agressif à l'extérieur qui intervienne en Europe. Dans les discussions entre les opposants russes et parmi ceux qui suivent de près les événements en Russie, la question du fascisme est centrale. Examinons les principales caractéristiques de la Russie. Nous avons le grand leader : le culte de Poutine est modeste comparé à la dynastie des Kim en Corée du Nord, ou même à Xi Jinping en Chine, mais il est plus important que pour n'importe quel leader russe depuis Staline. Malgré les apparences de la démocratie parlementaire, le régime n'est soumis à aucun contrôle démocratique. Les droits démocratiques les plus élémentaires (expression, réunion, manifestation) sont supprimés. Il n'y a pas de presse libre, ni de syndicats libres. Le climat social et idéologique est patriarcal, misogyne, homophobe. Et surtout imprégné du chauvinisme grand-russe, qui est désormais enseigné dans les écoles et appliqué en Ukraine. La définition de la Russie fait l'objet d'un débat : fasciste (l'historien Timothy Snyder, le socialiste et écrivain russe Ilya Budraitskis), néo-fasciste (le philosophe slovène Slavoj Zizek), para-fasciste, post-fasciste, fascisant. Il est clair que le fascisme russe ne correspond pas au fascisme « classique » des années 1920 et 1930, mais cela n'épuise pas la question.

La Russie est-elle impérialiste ? Lénine le pensait, et il était bien conscient de la mesure dans laquelle le capital étranger contrôlait son économie. Les choses ont changé : il existe aujourd'hui un capital national russe autonome. Un mélange de capital étatique et privé, fortement axé sur le secteur primaire - pétrole, gaz, minéraux... (Voir Russian imperialism and its monopolies” | Links). Mais le fait que la Russie ait des intérêts économiques à défendre ne signifie pas que c'est ce qui a motivé la guerre. Il y a une autonomie de la dimension politique (ou géopolitique). L'Ukraine est la clé de voute de tout projet impérial russe, même au prix d'un coût économique considérable à court terme.

Répétons-le : pour comprendre le monde d'aujourd'hui, il faut se défaire de l'idée que ce sont les Etats-Unis et leurs alliés qui initient tout. Les contradictions inter-impérialistes et inter-capitalistes s'aiguisent. Cela crée des luttes de pouvoir et la création ou le renforcement de blocs. Les principaux acteurs sont les États-Unis, la Chine et la Russie. Mais il existe d'autres acteurs autonomes, cités plus haut.

En ce qui concerne les blocs, les États-Unis ont une longueur d'avance : OTAN, Quad, AUKUS, etc. Les pays qui soutiennent la Russie sur la guerre (au lieu de s'abstenir) sont une triste collection : Belarus, Corée du Nord, Erythrée, Iran, Syrie, Nicaragua... Une grande partie du soutien organisé à la Russie en Europe provient des partis d'extrême droite, même si certains d'entre eux sont devenus plus discrets depuis le début de la guerre. La Chine a très peu d'alliés dans son environnement proche : le Cambodge et la junte du Myanmar. Le fait est que de nombreux voisins de la Chine sont davantage alliés aux États-Unis, précisément parce qu'ils sont voisins de la Chine.

2. Les camps dans la politique mondiale

Si nous cherchons à aborder la situation mondiale en termes de camps, il est clair qu'il existe un camp occidental, au sens large. Pendant la guerre froide, il y avait sans aucun doute un camp soviétique. Il est beaucoup moins évident de savoir s'il existe aujourd'hui un camp russe ou chinois. C'est à partir de là que nous commençons à entendre la musique des BRICS et du Sud global, dont on parle parfois comme s'il s'agissait d'un camp anti-occidental réel ou potentiel. Qui composerait ce camp ? Parfois tout le monde, sauf l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Asie du Nord-Est. Quels sont les critères ? Dans les années 1950, il y avait le mouvement des non-alignés, qui était précisément cela : il n'était rattaché à aucun bloc et soutenait les mouvements de libération nationale.

Qu'est-ce qui unit les BRICS ou le Sud global ? Au sens très large, la recherche d'une alternative au monde occidental « fondé sur des règles ». Mais c'est très vague. Le document parle de « tentative de nombreux États du monde d'évoluer vers un ordre multipolaire non impérial de sécurité commune ». Premièrement, il semble que l'autonomie économique soit tout aussi importante, sinon plus, que la sécurité commune. Deuxièmement, il est plus qu'évident que la Russie et la Chine cherchent à utiliser les BRICS et la notion de Sud global comme levier contre les États-Unis. L'idée de la Chine en tant que leader du Sud global peut sembler fantaisiste. La Chine est en effet l'un des principaux exploiteurs du Sud, notamment par le biais d'échanges inégaux et de la dette. Mais elle a un objectif très clair à cet égard (voir “China, leader of the Global South ?”,The Economist, 23 septembre 2023). La Russie exploite également le Sud global, mais avec une puissance économique moindre. Ce n'est pas un hasard si sa pénétration de l'Afrique s'est faite par le groupe Wagner, avec les méthodes de voyous qui le caractérisent. De la définition de l'impérialisme russe donnée par Lénine en 1916, on peut retenir au moins qu'il est grossier, militaire et bureaucratique.

Au-delà, le Sud global est extrêmement hétérogène. Il l'a toujours été, à l'époque où on l'appelait le tiers-monde, mais cela est beaucoup plus accentué aujourd'hui. À côté des pays classiquement dépendants d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie, il y a l'Inde qui aspire à rejoindre le club des grands et qui constitue un cas à part. Il y a les pétromonarchies du Golfe, en particulier l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar. Des pays comme le Brésil, l'Afrique du Sud, le Mexique, la Turquie et l'Iran sont ce que l'on pourrait appeler des puissances intermédiaires. Il est plus intéressant d'analyser la réalité du Sud global que de faire de grandes généralités. De même qu'il est plus fructueux d'analyser la Russie et la Chine que de les définir essentiellement par leur opposition aux États-Unis. En outre, le schéma assez banal du déclin de l'hégémonie américaine et de la montée en puissance de la Chine doit être examiné d'un œil critique. Il se pourrait bien que les États-Unis ne déclinent pas aussi rapidement qu'on le dit souvent et que la Chine ne les supplantera pas dans un avenir proche, voire jamais. Si nous examinons les membres des BRICS et le Sud en général, nous verrons que le degré d'imbrication avec l'ordre économique dirigé par l'Occident est souvent considérable. Nulle part est-ce plus vrai qu'en Inde.

Examinons l'avant-dernière section du document. « La paix ... exige avant tout une politique de sécurité commune. C'est le contraire de la politique impérialiste, qui conduit tôt ou tard à des guerres impérialistes ». Il s'agit là d'une déclaration remarquable. Une politique peut être adoptée puis abandonnée au profit d'une autre. Mais l'impérialisme n'est pas une politique : il y a cent ans, Lénine a polémiqué contre Karl Kautsky qui pensait qu'il l'était. L'impérialisme est une étape du capitalisme, et il conduit à des guerres impérialistes. Il ne s'agit pas seulement de guerres entre États impérialistes, ce que nous n'avons pas vu depuis 1945, mais de guerres menées par des États impérialistes (et même d'autres États) pour défendre ou étendre leur propre pouvoir économique, politique et militaire. Il y a eu de nombreuses guerres de ce type ; l'Ukraine est la dernière en date.

« Il doit être clair pour tout le monde que les États-Unis ont été la force motrice de presque toutes les guerres aux portes de l'UE depuis 1991 », indique le document. Tout d'abord, tout dépend de la définition que l'on donne à la notion de « portes ». L'Irak et l'Afghanistan ne sont pas exactement aux portes de l'UE. La Libye peut-être, mais la guerre de bombardements de 2011 a été menée par la Grande-Bretagne et la France, certes avec le soutien des États-Unis. La Tchétchénie est beaucoup plus aux portes de l'UE. Mais la force motrice là n'était pas les États-Unis, mais la Russie. Comme en Géorgie en 2008 et en Ukraine depuis 2014. Franchement, ce « deux poids, deux mesures » permanent a fait son temps. En fait, depuis la chute de l'Union soviétique, toutes les guerres de la Russie, à l'exception de la Syrie, se sont déroulées en Europe. Les guerres balkaniques des années 1990 n'étaient pas le fait de la Russie et son influence était marginale. Les États-Unis et l'OTAN ont joué un rôle plus important, mais la force motrice de ces guerres est venue des contradictions inhérentes à la Yougoslavie, et en particulier des ambitions post-yougoslaves de la Serbie.

D. L'OTAN et l'Europe

On entend constamment, et encore dans ce document, comme s'il s'agissait d'une évidence, que les choses iraient mieux si l'Europe/l'UE s'émancipait de la tutelle des Etats-Unis. C'est loin d'être évident. L'impérialisme européen n'a rien de sympathique. Toutes les guerres depuis 1991... Pourquoi commencer par là ? Pourquoi pas en 1945 ? On trouverait des guerres coloniales, des crimes de guerre, des massacres, impliquant la France, la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Portugal. Non pas au dix-neuvième siècle, mais de mémoire d'homme. La France, en particulier, a continué à intervenir en Afrique jusqu'à aujourd'hui, bien qu'il semble que son temps soit enfin écoulé.

Les pays européens n'ont plus de colonies d'importance, même si la France (encore elle) doit encore se défaire de la Nouvelle-Calédonie/Kanaky. Mais l'exploitation intense des pays du Sud est désormais menée pacifiquement par l'UE et surtout par son noyau impérialiste, en particulier, mais pas seulement, en Afrique.

L'Europe se porterait-elle mieux sans les États-Unis (et sans l'OTAN, car l'OTAN est une alliance militaire dirigée, financée et largement armée par les États-Unis) ? Examinons un instant l'OTAN. Comme chacun sait, elle n'a jamais tiré un seul coup de feu de colère pendant la guerre froide. Mais elle disposait de forces importantes et bien armées et de budgets militaires pour les financer. Elle est intervenue dans les Balkans dans les années 1990 et en Afghanistan à partir de 2001, mais il ne s'agissait pas d'opérations majeures comparée à la guerre en Ukraine. Malgré le discours contraire de la gauche, l'OTAN n'est pas restée une alliance hautement militarisée après 1991. En fait, les budgets de défense ont été réduits et les armées sont devenues plus petites et sous-équipées. Même après les événements de 2013-2014 en Ukraine, il y a eu très peu de changements. Il a été question d'une armée européenne, en particulier de la part de la France. L'ancienne chancelière allemande Angela Merkel et ses différents homologues français ont passé des années à essayer, sans succès, d'apaiser Poutine. Dans ce contexte, l'offre faite en 2008 à l'Ukraine et à la Géorgie de rejoindre l'OTAN apparaît comme une aberration. La France and l'Allemagne étaient toujours contre. Tout comme Obama. L'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN n'a pas effrayé Poutine, car il savait que le risque était inexistant. Le 24 février 2022, l'Ukraine n'était pas plus près d'adhérer à l'OTAN qu'elle ne l'était en 2008.

L'invasion de l'Ukraine par la Russie a tout changé. Pour la première fois en Europe depuis 1945, un pays a lancé une guerre totale contre un autre. Certes, il y a eu 1974 à Chypre, puis les guerres balkaniques dans les années 1990. Mais la guerre actuelle est sans précédent par son ampleur et par le fait qu'elle a été déclenchée par la Russie, une grande puissance nucléaire. Qu'en est-il de la « guerre par procuration » de l'OTAN ? Si l'OTAN avait prévu de lancer une guerre par procuration, elle aurait commencé à armer l'Ukraine en 2014, mais elle ne l'a pas fait (Voir Military Assistance to Ukraine : Rediscovering the Virtue of Courage). L'OTAN et les États-Unis ont été pris par surprise et ont réagi aux événements. Ils n'ont commencé à armer sérieusement l'Ukraine qu'une fois qu'elle a prouvé sa capacité à arrêter la Russie devant Kiev et à lui faire abandonner le nord du pays.

C'est ainsi que les choses se sont passées. La Russie a été surprise par la résistance de l'Ukraine et peut-être encore plus par la réaction de l'OTAN. Les guerres changent beaucoup de choses, qui ne correspondent pas toujours aux intentions de ceux qui les déclenchent. Cette guerre était censée démontrer la puissance militaire de la Russie. Au lieu de cela, elle a révélé ses faiblesses. Elle devait conduire à une Ukraine faible, divisée et soumise à la Russie. L'Ukraine n'a jamais été aussi unie dans la défense de son indépendance. L'OTAN devait être trop faible et divisée pour réagir. Elle n'a jamais été aussi efficace et unie depuis la fin de la guerre froide - et populaire, ou du moins acceptée comme un mal nécessaire.

Le document dit : « La gauche a toujours critiqué la politique expansive et agressive de l'OTAN ». En effet, elle l'a fait. Sans toujours prêter attention aux faits. Comme nous l'avons vu, les engagements militaires de l'OTAN ont été limités. Peut-être que par « expansive et agressive », les auteurs veulent dire que l'expansion de l'OTAN depuis 1999 est en soi agressive ? C'est fort probable. Ce discours passait peut-être à une période où la plupart des gens ne pensaient pas particulièrement à l'OTAN. Mais la guerre a changé la donne. Tout d'abord, elle a montré, à une échelle sans précédent, le caractère agressif de l'impérialisme russe. En particulier dans les pays limitrophes ou proches de la Russie, la leçon a été que si vous êtes dans l'OTAN, vous n'êtes pas envahi (jusqu'à présent, en tout cas), et que si vous n'êtes pas dans l'OTAN, regardez ce qui vous arrive. Si les auteurs de ce document pensent qu'ils peuvent encore s'en tirer avec le vieux discours anti-OTAN (appels à quitter l'OTAN, à dissoudre l'OTAN...), ils se trompent lourdement.

Les auteurs parlent de « parties de la gauche scandinave qui considèrent de plus en plus l'OTAN comme une alliance défensive ». Ils auraient pu ajouter qu'une grande majorité de personnes dans les pays membres de l'OTAN (et au-delà...) pensent exactement cela. Mais ils ne le disent pas parce que cela ne rentre pas dans leur schéma. Une fois de plus, on a la très forte impression que ce que pensent les personnes concernées n'a que peu d'importance par rapport aux « solutions » géopolitiques, qui ne résolvent en fait rien. La Gauche verte nordique est sans doute parfaitement consciente que « l'OTAN n'est pas une alliance pour la défense de la démocratie en Europe mais sert les intérêts hégémoniques des Etats-Unis ». Mais cela ne résout rien. Il est nécessaire de trouver une alternative qui défende les pays d'Europe, leurs peuples et, oui, leur démocratie. Une alternative concrète et réalisable.

1. Démocratie contre dictature ?

Ouvrons une parenthèse. Il est clair que le conflit fondamental entre la Chine, les Etats-Unis, la Russie et d'autres pays repose sur des questions de rivalité inter-impérialiste autour du pouvoir économique, politique et militaire et parfois de revendications territoriales. Il ne s'agit pas de démocratie contre dictature. Si l'on prend les Etats-Unis, ils n'ont eu aucun scrupule à s'allier avec des dictatures, notamment en Amérique latine et au Moyen-Orient. Ils viennent même de conclure des accords de renforcement des relations avec le Vietnam, qui n'est pas une démocratie. Pourtant, si l'on considère les alliés des États-Unis au sein de l'OTAN et de l'UE, ainsi qu'en Asie du Sud et de l'Est, on constate qu'ils sont pratiquement tous des démocraties. Face à cela, il y a une zone sans démocratie de Minsk à Pyongyang. Il serait naïf de penser que les États-Unis et leurs alliés n'en profiteraient pas - et c'est ce qu'ils font. Dans les pays concernés, par exemple les États baltes en Europe et Taïwan en Asie, les populations savent qu'une occupation par la Russie ou la Chine signifierait non seulement la fin de leur indépendance, mais aussi de leurs droits démocratiques. Cela vaut également pour l'Ukraine. Inversement, bien que les motivations de la Russie pour écraser l'Ukraine ne soient pas intrinsèquement basées sur la démocratie, le fait d'avoir une démocratie à proximité est plus qu'une irritation. Ainsi, bien que la question de la démocratie ne soit pas la cause première des conflits, elle est beaucoup plus tangible pour les gens que les théories de l'impérialisme. Elle devient donc un facteur de la situation.

Le document plaide en faveur d'un découplage entre l'Europe et les États-Unis. « La gauche doit donc clairement rejeter la subordination de la politique de sécurité de l'UE aux prétentions impériales à la suprématie des États-Unis ». Plus loin, « l'incapacité de l'UE à s'affirmer de manière indépendante en matière de politique de sécurité est la cause de sa subordination à l'OTAN ». Cela n'explique rien. Franchement, on pourrait tout aussi bien dire que « la subordination de l'UE à l'OTAN est la cause de son incapacité à s'affirmer de manière indépendante ». Ce discours est très répandu à gauche. Il n'est d'ailleurs pas si éloigné des appels répétés du président français Emmanuel Macron à l'« autonomie stratégique » de l'Europe. En effet, le document écrit que « la demande d'une autonomie stratégique pour l'Europe doit être abordée sérieusement par la gauche. »

L'OTAN est une alliance militaire dirigée par les États-Unis. Pourquoi les pays européens acceptent-ils ce leadership américain ? Pendant la Guerre froide, il a été accepté parce qu'il y avait un ennemi commun et que les États-Unis étaient de loin la force militaire la plus puissante. Que s'est-il passé après la fin de la guerre froide ? L'intervention relativement limitée mais néanmoins décisive de l'OTAN dans les guerres des Balkans a souligné une chose. L'Europe était incapable de mettre fin à ces guerres. Elle avait besoin de l'OTAN, donc des États-Unis. Ce n'est pas un hasard si les accords qui ont mis fin à la guerre de Bosnie ont été signés à Dayton, dans l'Ohio. Ensuite, il y a eu l'engagement de l'OTAN en Afghanistan dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis, une opération criminelle qui s'est avérée inutile, et son intervention en Libye en 2011, qui a abouti au démembrement effectif de ce pays. Après cela, on a commencé à se poser des questions sur l'avenir de l'OTAN.

Cette phase est désormais terminée. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a fourni des arguments convaincants en faveur de la nécessité d'une alliance militaire. Ce n'est pas ce qu'une grande partie de la gauche veut entendre, mais c'est la vérité. Alors, à partir de là, où va-t-on ? La diplomatie de la navette menée par Mme Merkel et ses différents partenaires français reposait sur l'idée que la Russie pouvait être intégrée à la famille européenne des nations. Il y avait un prix à payer. Ce prix était l'acceptation d'une « zone grise » entre l'UE/l'OTAN et la Russie : L'Ukraine et les républiques du Caucase du Sud. L'Ukraine et la Géorgie n'adhéreront donc pas à l'OTAN ou à l'UE, mais les troupes russes n'y seront pas admises non plus. Mais la Russie ne voulait pas d'une zone grise, elle voulait que l'Ukraine fasse partie de sa zone. Elle voulait, au minimum, la démilitarisation des États membres de l'OTAN en Europe centrale et orientale. Le résultat de la guerre jusqu'à présent est que ces États sont devenus plus, et non moins, militarisés et que l'Ukraine a maintenant au moins la possibilité d'adhérer à l'OTAN et à l'UE. Qu'elle le fasse ou non dépend de l'issue de la guerre.

E. Quelle alternative pour une paix juste ?

La dernière partie du document traite de la nécessité d'un « concept alternatif de sécurité collective pour l'Europe ». Voyons d'abord le raisonnement : « Les Etats de l'UE - y compris le gouvernement allemand, qui était au départ quelque peu hésitant - sont maintenant pleinement engagés dans la mission de défendre la domination des Etats-Unis et donc, en tant qu'alliés, leur propre position privilégiée. Il ne s'agit pas seulement de la Russie, mais aussi et surtout de la Chine ». C'est une description assez juste. Nous devrions souligner « également leur propre position privilégiée ». C'est le point le plus important. Mais lorsque nous parlons des États membres de l'UE, nous devrions être plus précis. Tous les États membres sont égaux, mais certains sont nettement plus égaux que d'autres. Les véritables privilégiés sont avant tout la France et l'Allemagne, ainsi que des États impérialistes de moindre poids et de quelques pays dépendants. Nous devrions ajouter la Grande-Bretagne, même si elle ne fait pas partie de l'UE. Ces impérialistes de deuxième rang n'ont pas la puissance militaire nécessaire pour défendre leurs privilèges. Elles ont besoin d'un protecteur, et le plus évident est les États-Unis. La France et l'Allemagne ont peut-être pensé qu'elles pourraient y échapper en neutralisant la Russie. Si c'est le cas, elles se sont trompées.

Lorsque les auteurs du document parlent d'autonomie stratégique européenne, ce n'est pas tout à fait explicité, mais le raisonnement semble être qu'une UE libérée de l'hégémonie américaine serait capable de développer une politique étrangère indépendante et de traiter avec le reste du monde (et la Russie, en particulier) sur cette base. Cependant, le principal conflit dans le monde n'est pas « entre les efforts des États-Unis et de leurs alliés pour maintenir leur suprématie impériale » - ce qui est vrai - « et la tentative de nombreux États du monde d'évoluer vers un ordre multipolaire de sécurité commune » - ce qui n'explique rien. Le principal conflit se situe entre les États-Unis et leurs alliés, d'une part, et la Chine et la Russie, d'autre part. Aucun de ces deux pays n'est non-impérial, bien au contraire.

1. La "sécurité collective

Examinons l'aspiration à la paix et à la sécurité collective. Tout d'abord, on ne dira jamais assez que les principales puissances et quelques autres sont motivées par leurs intérêts matériels et géopolitiques. L'invasion de l'Ukraine par la Russie en est l'expression. Le résultat est une guerre entre la Russie et l'Ukraine. Où est le problème avec la notion de « guerre inter-impériale » ? Evidemment, qu'un seul impérialisme est réellement en guerre. Mais l'Ukraine n'est qu'un mandataire des autres impérialistes, nous dit-on. Existe-t-il un précédent ? Oui, il y en a un : la guerre du Viêt Nam. Seuls les États-Unis et quelques alliés étaient en guerre contre le Viêt Nam. Ni l'Union soviétique ni la Chine n'étaient en guerre. Mais ils ont fourni une aide énorme au Viêt Nam, non seulement comparable à celle accordée à l'Ukraine aujourd'hui, mais encore plus considérable. Et bien que cela n'ait pas été rendu public à l'époque, des forces soviétiques et chinoises étaient présentes au Viêt Nam. Quelqu'un a-t-il parlé d'une guerre par procuration à l'époque ? Certainement pas quelqu'un de gauche. Mais il y avait beaucoup de gens à droite qui expliquaient qu'il ne s'agissait pas seulement d'une guerre contre le Viêt Nam, car derrière le Viêt Nam se cachait le « communisme international » qui prévoyait de s'emparer du « monde libre ». Mais malgré toute l'aide reçue, c'était la guerre du Viêt Nam et bien qu'il ait entretenu des relations étroites avec l'Union soviétique en particulier, après la guerre, le Viêt Nam n'a jamais été le satellite de qui que ce soit.

Si l'on examine la logique du document, on constate qu'il commence par sacrifier l'Ukraine sur l'autel de la recherche d'un « système global de sécurité commune qui inclut la Russie ». Nous avons déjà évoqué le prix que la Russie exigerait pour faire partie d'un système de sécurité commune. Le chancelier allemand Olaf Scholz a passé de nombreuses années à négocier avec Poutine aux côtés de Merkel. Aujourd'hui, il déclare qu'il ne peut imaginer un partenariat avec la Russie de Poutine. Il serait probablement erroné d'interpréter cela comme un rejet de Poutine en tant que personne, même si la duplicité de ce dernier a sans aucun doute joué un rôle.

Il s'agit surtout d'un rejet des illusions de grandeur impériale de la Russie. Les auteurs semblent regretter l'abandon de l'autonomie stratégique européenne, malgré les hésitations de l'Allemagne. Mais il se peut que nous sommes en train de voir une certaine forme d'autonomie stratégique. La forme préconisée par le document détacherait l'Europe des États-Unis et rechercherait une sécurité européenne qui inclurait la Russie. Cette perspective n'était pas convaincante avant la guerre actuelle, elle est totalement redondante aujourd'hui. Le premier résultat de la guerre a été d'unir l'OTAN dans son soutien à l'Ukraine. Elle a également renforcé la crédibilité de pays tels que la Pologne et les États baltes, qui mettaient en garde depuis des années contre le danger que représentait la Russie, et a quelque peu entamé l'autorité du couple franco-allemand. Les derniers développements sont assez intrigants. Selon l'Institut Kiel , surtout si l'on considère les engagements à long terme, l'aide américaine à l'Ukraine est en train d'être dépassée par l'Europe. Et qui prend la tête des puissances européennes ? L'Allemagne, suivie de la Grande-Bretagne. Et où est la France ? En bas de l'échelle, parmi les retardataires. Est-ce le début d'une sorte d'autonomie stratégique européenne ? Peut-être, en un sens. Non pas en rompant avec les États-Unis, mais en devenant moins dépendante d'eux. Et non pas en apaisant la Russie, mais en l'affrontant. Il faudra voir comment les choses évoluent.

2. Les alternatives à l'OTAN et la lutte pour la paix

La question se pose donc de savoir s'il existe une alternative à l'OTAN. Et si oui, quelle est-elle ? La réponse n'est pas simple. Si l'on admet qu'il n'y aura pas de sitôt un monde pacifique, l'Europe doit être en mesure de se défendre. Une alliance européenne de défense est envisageable, mais pas si facile. Elle pose à la gauche une série de problèmes que nous ne pouvons qu'effleurer ici : conscription ou non, droits des soldats, budgets militaires.... La question fondamentale est : quelle armée pour défendre quel type de société ?

La dernière partie du document est celle qui pose les questions les plus fondamentales. Le problème n'est pas celui d'un système de sécurité collective, ni même de la paix, qui sont des

La grève générale illimitée des enseignant·e·s de la FAE

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Un message du comité de négo

Le comité de négociation a jusqu'à maintenant passé de nombreuses heures à convaincre la partie patronale à quel point il est primordial d'apporter des changements importants et significatifs à nos conditions d'exercice.

Une forte mobilisation est absolument nécessaire et fera la différence aux tables de négociation.

Pour connaître les priorités de négociations de la Fédération autonome de l'enseignement et lire le document présentant ces dernières, cliquez sur le l'icône ci-dessous :

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Il était une fois l’arsenic à Rouyn-Noranda…

27 novembre 2023, par Rédaction

BILAN DE LUTTES – La crise de l’arsenic est sans aucun doute l’un des dossiers qui m’a le plus sollicitée lors de mon mandat à titre de députée de Rouyn-Noranda-Témiscamingue de 2018 à 2022. Originaire du Témiscamingue, née en 1991, je suis arrivée en poste sans connaitre vraiment les enjeux reliés la Fonderie Horne de la compagnie Glencore qui pourtant mobilisaient des citoyennes et des citoyens de Rouyn-Noranda depuis des décennies déjà. Toutefois, même lorsque je n’en ai pas été moi-même la porteuse, j’ai toujours été une alliée des causes environnementales et sociales, raison pour laquelle j’ai décidé de faire le saut en politique à l’automne 2018 sous les couleurs de Québec solidaire.

Me voilà donc arrivée en poste, dans des souliers immenses, à 26 ans, sans compétence connue pour les fonctions de député, mais avec au ventre des convictions profondes pour améliorer et préserver le bien commun.

Dans les premières semaines qui ont suivi l’élection, j’ai rencontré des représentants du CISSS[1] de l’Abitibi-Témiscamingue pour échanger sur les grands dossiers du moment. L’étude de biosurveillance visant à connaitre les impacts de la pollution de l’air sur la santé de la population était à l’ordre du jour. Rouyn-Noranda était la ville qui enregistrait la plus mauvaise qualité de l’air au Québec, cela inquiétait les autorités de la Santé publique, avec raison.

C’est en mai 2019 que nous furent publiés les premiers résultats[2] : les enfants du quartier Notre-Dame au pied de la Fonderie Horne ont en moyenne quatre fois plus d’arsenic dans leurs ongles que les enfants du groupe témoin à Amos. Cet écart grimpe même jusqu’à 56 fois plus d’arsenic dans le corps d’un petit garçon du quartier. C’est une onde de choc. Mère de deux enfants, je suis atterrée, assommée.

L’arsenic est reconnu comme étant le roi des poisons. Personne n’en veut dans son corps et là, il se retrouve dans celui de nos enfants, ceux-ci en sont imprégnés jusqu’au bout des ongles. Rapidement, nous commençons à documenter la situation. Dès lors, nous constatons qu’il existe une norme québécoise pour limiter la présence d’arsenic dans l’air. Cette norme est fixée à une concentration moyenne annuelle de 3 ng/m3 d’air. Une exposition prolongée au-dessus de ce taux expose la population à des risques pour sa santé. Au même moment, on apprend que Glencore jouit d’un droit de polluer qui lui permet en 2018 d’émettre 200 ng/m3 dans l’air de Rouyn-Noranda. C’est 67 fois la norme québécoise. Un scandale !

Ce droit de polluer s’appelle une attestation d’assainissement, ou une autorisation ministérielle, dans le langage du ministère de l’Environnement. Celle-ci est renouvelable aux cinq ans. Elle a pour but de resserrer progressivement les exigences environnementales en fonction des connaissances acquises, des disponibilités technologiques et économiques ainsi que des besoins particuliers de protection des milieux récepteurs.

À Québec, je dénonce vivement la situation à la période des questions à l’Assemblée nationale. C’est le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, qui me répond : « J’ai demandé à la Santé publique si les enfants de Rouyn-Noranda vont bien et effectivement, on m’a répondu que les enfants sont en santé[3] ». Pour le reste, on devra attendre le rapport de l’étude pour se poser davantage de questions, les premiers résultats étant jugés insuffisants.

Sur le terrain à Rouyn-Noranda, ça bouge. Se forme un comité de parents d’enfants du quartier Notre-Dame et de citoyennes et citoyens inquiets et mobilisés pour protéger la santé de leurs enfants et de la population de Rouyn-Noranda : le comité ARET, pour Arrêt des rejets et émissions toxiques. Ce comité se donne la tâche de s’informer et de documenter la situation. Les travaux de recherche d’ARET ont permis d’apprendre qu’il y a eu deux attestations d’assainissement depuis l’entrée en fonction de la fonderie, la première en 2007 et la seconde en 2017. Ces attestations n’ont donc pas été émises aux cinq ans et elles l’ont été sans resserrement des exigences : une autorisation de 200 ng/m3, de 2007 à 2012, et une autre de 2017 à 2021 où on demandait d’atteindre 100 ng/m3 à la fin de l’année : quatorze ans pour resserrer une norme à un niveau 33 fois plus grand que la norme québécoise ! Autant dire que les gouvernements qui se sont succédé pendant ces années n’ont jamais pris à cœur la protection de la santé de la population de Rouyn-Noranda.

Les risques pour la santé de la population, il y en a plusieurs, et ils sont très préoccupants : risques accrus de cancer (poumon, vessie, prostate, peau), risques cardio-vasculaires, problèmes respiratoires, risques reliés à la grossesse (retard de croissance intra-utérine, petit poids à la naissance, accouchement prématuré, etc.). Les enfants sont aussi plus fragiles à la toxicité des métaux lourds, dont l’arsenic et le plomb. Plus on est exposé tôt, plus le risque est grand et celui-ci augmente avec la durée d’exposition.

Pour espérer corriger la situation, il a fallu clarifier ce que faisait la Fonderie Horne de Glencore. Cette fonderie, qui existe depuis 1926, est à l’origine de la création de la ville de Rouyn-Noranda, la « capitale nationale du cuivre », car l’usine fond du cuivre depuis ce temps : d’abord le cuivre de la mine qui se trouve sous le site, et ensuite du minerai en provenance de partout dans le monde quand la mine fut fermée en 1976.

Actuellement la fonderie traite du concentré dit « vert »[4], tiré de gisements de cuivre avec peu d’arsenic et autres métaux, auquel on ajoute un concentré complexe, riche en or, en argent et en « poisons ». Ce sont ces derniers qui émettent le plus de métaux lourds dans l’air. Ailleurs dans le monde, les teneurs d’arsenic acceptées pour ce type de résidus sont beaucoup plus sévères. Personne ne veut ce concentré complexe, pas même la Chine : il est donc plus payant pour la fonderie de le traiter que de le vendre au rabais. La fonderie fait aussi le recyclage de matériaux électroniques et de « déchets industriels ». Elle insiste sur le recyclage, cela « enverdit » son activité…

On attire beaucoup l’attention sur l’arsenic parce que ça frappe l’imaginaire, mais la fonderie rejette aussi du plomb, du cadmium, du nickel, du bismuth, du chrome, etc. Presque tout le tableau périodique des éléments y passe.

Plus tard, on apprendra que le gouvernement connaissait cette situation depuis bien longtemps. Dès 1982, des chercheurs de l’Université Laval ont levé un drapeau rouge en concluant qu’il y a plus de cancers du poumon et plus de maladies pulmonaires chroniques, de maladies du système digestif et du système endocrinien à Rouyn-Noranda qu’à Val-d’Or et au Québec, et cela, en excluant les mineurs et les fumeurs.

On apprendra aussi que, dès 2004, des recommandations avaient été formulées pour réduire drastiquement les émissions d’arsenic. Après 10 ans de concentration « record » d’arsenic dans l’air ambiant, avec un pic de plus de 1000 ng/m3 en l’an 2000, onze experts interministériels, toxicologues, métallurgistes… déclarent :

Finalement, le groupe de travail ne croit pas qu’une évaluation de risques de grande envergure soit nécessaire pour améliorer la connaissance de la situation. On dispose actuellement de renseignements suffisants pour affirmer que les émissions d’arsenic dans l’air ambiant doivent être mieux contrôlées par la Fonderie Horne[5].

Ils recommandent d’exiger que la fonderie atteigne une moyenne annuelle de 10 ng/m3 d’arsenic dans l’air en 18 mois et qu’elle se dote d’un plan pour atteindre la norme de 3 ng/m3.

Ces recommandations n’ont pas eu de suite. L’attestation qui suivit en 2007 fixait une cible à 200 ng/m3 en 2012 alors que les émissions étaient autour de 150 ng/m3. À l’Assemblée nationale, je mets le dossier à l’avant-plan à l’automne 2019, une fois publié le fameux rapport de la Santé publique régionale. On n’y apprenait rien de neuf. Tout dans ce rapport militait pour poser des gestes rapidement. J’ai eu droit à des déclarations inquiétantes : « Les risques sont minimes » ! nous a dit le premier ministre François Legault ; Benoit Charrette, ministre de l’Environnement, m’a accusée « d’exacerber les inquiétudes de la population ». Sous la pression populaire, le gouvernement pose toutefois quelques gestes : il demande un plan de réduction à la fonderie et met en place un comité interministériel pour évaluer ce plan. L’échéance est fixée au 15 décembre 2019.

À ce moment-là, peu de médias nationaux ont de l’appétit pour le sujet. Le dossier résonne entre les frontières de l’Abitibi-Témiscamingue, mais il ne franchit pas le parc de La Vérendrye.

Puis la pandémie de COVID-19 est arrivée. Le coronavirus était sur toutes les lèvres et dans tous les bulletins télé et radio. Le Québec a découvert le travail de la Santé publique et son directeur national, « héros » de l’ombre, Horacio Arruda. Mais pendant deux ans, les choses ont peu avancé sur le dossier de l’arsenic. La fonderie a finalement déposé un plan bonifié en juillet 2020, mais il a fallu attendre mars 2021 pour que le comité interministériel dépose un rapport complaisant. Aucune cible n’est exigée, aucun échéancier clair, demande d’accélération de quelques actions tout au plus, de sorte qu’en 2020, la fonderie émet une moyenne de 70 ng/m3 d’arsenic et, en 2021, le taux augmente à 87 ng/m3.

Au printemps 2022, le dossier refait surface quand la Santé publique régionale de l’Abitibi-Témiscamingue publie de nouvelles données alarmantes sur l’état de santé de la population de Rouyn-Noranda[6]. On y apprend la surreprésentation de bébés de petit poids à la naissance (30 % de plus) et avec un retard de croissance intra-utérine; une espérance de vie écourtée de six ans partout dans Rouyn-Noranda; 30 % de plus de cancers du poumon; 50 % de plus de maladies pulmonaires chroniques alors que la ville n’a pas plus de fumeurs que la moyenne du Québec.

Pour la première fois, des médecins de Rouyn-Noranda prennent la parole sur la place publique[7]. Outre ces données qui nous incitent à remettre le dossier de l’avant, l’échéance de l’attestation d’assainissement arrive. En novembre prochain, une nouvelle entente devra être signée avec Glencore et de nouvelles cibles devraient donc être exigées. En commission parlementaire, j’arrive à arracher la réponse du ministre de l’Environnement : 30 ng/m3, c’est la nouvelle cible souhaitée. C’est encore 10 fois plus que la norme québécoise.

Le 10 juin 2022, dernier jour des travaux de l’Assemblée nationale, j’ai l’honneur de poser la dernière question de Québec solidaire à la période des questions. Je tente un ultime essai pour mettre de la pression sur le gouvernement. Le ministre de l’Environnement me répond qu’exiger la norme québécoise à la fonderie, c’est exiger sa fermeture. C’est le début d’un discours de peur. Une semaine plus tard, alors que l’actualité « s’en va en vacances », ici, en Abitibi-Témiscamingue, on publie un article rapportant que le docteur Arruda aurait retiré une annexe importante du rapport de biosurveillance de 2019 et qui concernait les taux de cancers à Rouyn-Noranda[8].

C’est le début du plus gros battage médiatique qu’il m’a été donné de connaitre. Enfin ! Sur le terrain, de nouveaux groupes citoyens naissent et s’impliquent : Rouyn-Noranda, faut qu’on se parle; RN Rebelle; Mères au front; Association pour la défense des droits, IMPACTE (médecins). Des gens influents, normalement plutôt discrets sur ces enjeux, s’expriment publiquement. L’agenda du gouvernement caquiste est bousculé. Chaque fois que François Legault fait un point de presse, on le questionne sur la Fonderie Horne. En pleine période électorale, les occasions sont nombreuses. Plus de 250 personnes se présentent à une assemblée publique organisée au début de juillet. Les journalistes affluent de partout pour venir couvrir ce qui se passe à Rouyn-Noranda. Les mentions du dossier dans les médias nationaux se multiplient : à l’émission 24/60 de RDI, Midi-Info, Noovo, à la radio 98,5 à Montréal… Tout le Québec a les yeux rivés sur Rouyn-Noranda et sur sa lutte citoyenne qui prend de l’ampleur. Des médias français se déplacent à Rouyn-Noranda; des films sont produits. Le docteur Luc Boileau, qui a succédé au Dr Arruda, se rend dans la région à plusieurs reprises pendant l’été pour tenter de rassurer la population, mais chaque fois, c’est plutôt l’effet inverse qui se produit. La confiance de la population est minée à l’égard du gouvernement et de la Santé publique nationale qui mettent de plus en plus de l’avant une cible de 15 ng/m3, encore cinq fois de plus que la norme provinciale !

À la mi-août, le ministère de l’Environnement précise les exigences qui seront demandées à la fonderie : 15 ng/m3 au terme de la prochaine attestation, soit en 2027. Il reprend le discours de la Santé publique, mais avec un échéancier qui ne fait aucun sens – dans cinq ans ! – puisque la santé de la population est encore négligée. De plus, le plan est moins ambitieux que celui présenté par la fonderie en juillet 2020 !

La semaine suivante, la fonderie annonce un plan qui colle à celui du ministère, ce qui soulève l’ire de la population. Le 1er septembre, le docteur Boileau revient dans la région. Lors d’une assemblée publique, après trois heures d’intenses échanges avec la population, il admet qu’il ne souhaite pas attendre cinq ans pour l’atteinte de 15 ng/m3. Le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), déclinant sa responsabilité, nous dit que ce sera à la population de Rouyn-Noranda de décider si le plan est recevable ou pas. Il y aura une consultation publique du 6 septembre au 20 octobre alors que les élections québécoises auront lieu le 3 octobre…

La population de Rouyn-Noranda manifeste avec éclat le 21 septembre : plus de 1000 personnes de tous les âges marchent dans les rues pour réclament la norme québécoise et l’encadrement de tous les métaux lourds. Le 29 septembre, François Legault débarque à Rouyn-Noranda pour soutenir son candidat caquiste et répéter son discours menaçant : la fonderie risque de fermer si on est trop exigeant avec elle, il y a danger de perdre 600 jobs, très bien payées… Un discours qui suscite la colère, mais aussi la division.

Le 3 octobre, après un été de lutte aux côtés des groupes citoyens et de la population, je perds mes élections au profit de la CAQ. C’est la consternation partout d’un bout à l’autre du Québec. On parle de cette défaite dans l’ensemble des médias. Un média anglophone va même jusqu’à écrire : « The chickens voted for Colonel Sanders[9] ».

Quelques semaines plus tard, les résultats de la consultation publique sont dévoilés : il n’y a aucune acceptabilité pour le plan proposé par la fonderie et le ministère. Mais durant l’automne, la fatigue militante se fait sentir. Tout le monde passe en mode attente de ce qui se retrouvera finalement dans la fameuse attestation d’assainissement et les prochaines exigences à Glencore.

C’est finalement en mars 2023 que la CAQ dévoile son plan en jetant un nouveau pavé dans la marre : l’établissement d’une zone tampon aux abords de la fonderie. Si les cibles pour les émissions d’arsenic restent les mêmes que celles du plan initial, soit l’objectif de 15 ng/m3 en 2027, le gouvernement a décidé de relocaliser 200 ménages et de détruire 80 bâtiments pour « éloigner » des habitants de la fonderie. Les gens visés par cette expropriation déguisée l’ont appris à la radio en même temps que le reste du Québec.

C’est le début d’un nouveau chapitre de cette lutte qui se poursuit encore : la lutte pour la santé de la population de Rouyn-Noranda et pour son droit à un air de qualité comme dans le reste du Québec, mais aussi pour que les exproprié·e·s de la zone tampon ne soient pas doublement perdants après avoir vécu des décennies à l’ombre de ces « cheminées éternelles comme l’enfer[10] », comme le chante Richard Desjardins.

La dénonciation de cette injustice sanitaire et environnementale n’aurait pu se faire sans l’implication individuelle ou en groupe de nombreux citoyens et citoyennes. Il est difficile de se faire entendre loin des grands centres urbains. Cette lutte citoyenne rallie et trace la voie à d’autres groupes au Québec qui vivent des injustices et les encourage à faire reconnaitre leur droit à vivre dans un milieu sain.

Le 26 septembre dernier, près de 1000 personnes ont marché dans les rues de Rouyn-Noranda pour dénoncer encore une fois le plan totalement inacceptable de la fonderie. La lutte résonne encore, mais est-ce que le gouvernement saura bouger maintenant qu’il est confortablement assis sur son trône pour encore quatre ans, bien au chaud, à 900 km des volutes d’arsenic…

Par Émilise Lessard-Therrien, ex-députée de Rouyn-Noranda-Témiscamingue avec la collaboration du comité ARET de Rouyn-Noranda.


NOTES

  1. CISSS : Centre intégré de santé et de services sociaux.
  2. CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue, Études de biosurveillance sur l’imprégnation à l’arsenic de la population du quartier Notre-Dame de Rouyn-Noranda, 2019, </www.cisss-at.gouv.qc.ca/biosurveillance/#:~:text=%C3%80%20l’automne%202019%2C%20la,%2DDame%20%C3%A0%20Rouyn%2DNoranda>.
  3. Véronique Morin, « Arsenic à Rouyn-Noranda : un scandale “national”, selon l’expert en environnement Louis-Gilles Francoeur », Journal de Québec, 15 mai 2019.
  4. « Les concentrés de cuivre, catégorisés par l’exploitant en deux classes, notamment les concentrés verts et complexes, proviennent des différentes mines à travers le monde. Les concentrés verts sont constitués essentiellement de cuivre et contiennent peu d’impuretés. Les concentrés complexes contiennent un mélange de cuivre, de métaux précieux (or, argent, platine, palladium, etc.) et d’autres substances telles que le plomb, le cadmium et l’arsenic. » Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Avis technique, 17 décembre 2021, <www.environnement.gouv.qc.ca/ministere/consultation-fonderie-horne/documents/Enjeux%20environnementaux/Renouvellement%20autorisation%20minist%C3%A9rielle%202022-2027/Avis%20concernant%20la%20gestion%20des%20GMR%20et%20des%20GMDR/2021-12-17_MELCC_Avis_technique_GMR_et_GMDR.pdf>.
  5. Ministère de l’Environnement, ministère de la Santé et des Services sociaux, Institut national de santé publique, Avis sur l’arsenic dans l’air ambiant à Rouyn-Noranda, Québec, gouvernement du Québec, novembre 2004.
  6. Avis de la Direction de santé publique du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue sur les émissions de la Fonderie Horne et sur le plan déposé dans le cadre du renouvellement de son autorisation ministérielle, 15 octobre 2022,<www.cisss-at.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2022/10/2022-10-15_Avis-DSPu-AT_Renouvellement-autorisation-ministerielle-Glencore-Fonderie-Horne_Final-web.pdf> et <www.cisss-at.gouv.qc.ca/partage/BIOSURVEILLANCE/2022-05-11_CC-PRESENTATION-SANTE.pdf>.
  7. Jean-Thomas Léveillé, « Cri du cœur des médecins », La Presse, 3 juillet 2022.
  8. Jean-Marc Belzile, « Horacio Arruda a empêché la diffusion de données sur le cancer à Rouyn-Noranda », Radio-Canada, 20 juin 2022 ; « Le DArruda a rencontré la fonderie Horne avant de retirer de l’information », La Presse, 21 juin 2022.
  9. NDLR. « Les poulets ont voté pour le colonel Sanders ». Il s’agit d’une expression retrouvée aux États-Unis à diverses occasions en référence à la chaine de restauration rapide PFK de poulet frit fondée par le colonel Sanders.
  10. Avec ces paroles, le chanteur Richard Desjardins fait référence aux deux immenses cheminées de la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda, sa ville natale. On les retrouve dans la chanson Et j’ai couché dans mon char, 1990.

 

Transport aérien en région

27 novembre 2023, par Marc Simard
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Mobiliser pour un quartier chinois inclusif

L'histoire du quartier chinois de Montréal remonte à plus de cent-quarante ans. Une maison, un refuge pour plusieurs communautés, le quartier a vu les changements s'accélérer (…)

L'histoire du quartier chinois de Montréal remonte à plus de cent-quarante ans. Une maison, un refuge pour plusieurs communautés, le quartier a vu les changements s'accélérer dans les dernières années. Après la pandémie de COVID-19 qui a durement malmené sa vie culturelle, ses commerces et ses institutions, un essor rapide de la spéculation immobilière a forcé la communauté du Chinatown à lutter pour la préservation de son héritage afin de pouvoir y construire un avenir. À bâbord ! est allé à la rencontre de deux militant·es afin de dresser un portrait sommaire des gains et des défis auxquels fait face la lutte pour sauver le quartier chinois.

Propos recueillis par Caroline Brodeur et Samuel Raymond.

À bâbord ! : Qu'est-ce qui a marqué le début de la mobilisation pour sauver le quartier chinois ?

Parker Mah : Le quartier tel qu'on le connaît aujourd'hui était beaucoup plus large avant. Historiquement, il a été rongé par l'agrandissement du CHUM, la création du complexe Guy-Favreau, l'autoroute Ville-Marie et l'édification du Complexe Desjardins.

Il y avait déjà plusieurs années, avec la fermeture du centre culturel chinois et la fermeture du YMCA du quartier, qu'on savait qu'on devrait faire quelque chose pour se concentrer sur le quartier et sa revitalisation. On a créé le Groupe de travail sur le quartier chinois (GTQC). Le but du groupe était de mobiliser les personnes citoyennes afin qu'elles puissent s'investir dans le projet.

May Chiu : Nous avons constaté que la ville semblait n'avoir aucun plan de développement du quartier chinois, ce qui le mettait en danger d'effacement imminent par la gentrification. En 2019, les Chinois·es progressistes du Québec (PCQ), une organisation militante antiraciste, a lancé une pétition demandant à la ville une consultation sur un plan de développement et un moratoire sur les nouveaux projets de construction en attendant les conclusions de la consultation.

Plus précisément, les grosses constructions de condos de luxe au sud du boulevard Saint-Laurent nous ont poussé·es à nous questionner : est-ce que la Ville donne des permis à tout le monde, pour n'importe quel projet ? L'administration avait-elle une vision pour le quartier ? Les élu·es savaient-ils qu'un ou deux autres projets de la sorte effaceraient le quartier pour de bon ? Je ne parle même pas du projet du Réseau express métropolitain (REM), qui à lui seul pouvait également porter atteinte à l'intégrité du quartier.

La COVID-19 elle aussi a durement frappé le quartier. Les commerçants et le quartier y ont subi du vandalisme raciste, antichinois. Les difficultés économiques généralisées ont également pesé, le quartier étant un endroit que fréquentent des personnes itinérantes et ultras marginalisées, sans ressources adéquates pour les aider.

P. M. : Le GTQC a été créé par les militant·es des Chinois progressistes du Québec parce qu'ils et elles comprenaient qu'on avait besoin de personnes possédant diverses expertises sur les enjeux urbains pour participer aux consultations de l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM).

Comme accélérant de la mobilisation, il y a eu l'achat de l'immeuble des Nouilles Wing par les promoteurs immobiliers Brandon Shiller et Jeremy Kornbluth. L'immeuble est non seulement le plus vieux du quartier chinois, mais l'un des plus vieux à Montréal. Ça a choqué tout le monde. Le GTQC est passé d'une formation de quatre personnes bénévoles qui se réunissaient chaque semaine à un noyau d'une quinzaine de personnes et plus de cinquante bénévoles.

ÀB ! : Les enjeux entourant la protection et le développement du quartier chinois ont bénéficié d'une large diffusion médiatique, menant, entre autres, au mandat de l'OCPM portant sur les modifications au plan d'urbanisme du quartier. Comment expliquer le succès de votre mobilisation ?

M. C. : Je suis une militante de longue date. Il faut avoir une vision à long terme. Il n'y a pas de baguette magique, pas de solution rapide. Il faut persévérer et on ne contrôle pas le « timing ». Par exemple, dans le cas du quartier chinois, il y a plusieurs facteurs qui ont favorisé la mobilisation.

Tout d'abord, il y avait l'urgence, causée par la gentrification, le vandalisme et les crimes haineux commis contre les Asiatiques pendant la COVID-19. Tout cela a mobilisé la communauté. Le quartier est devenu un symbole du droit à la protection de notre identité. C'est un élément qui a attiré le soutien populaire. Les crises et les menaces nous rassemblent. Ce fut d'autant plus le cas après l'achat de l'immeuble des Nouilles Wing, un symbole fort, un gros morceau du quartier.

P. M. : [De manière plus organisationnelle], on a compris qu'on avait besoin d'expertise. Il nous fallait des expert·es capables de lire les documents complexes, comprendre le processus d'achat d'immeubles, d'octroi de permis par la Ville, la réglementation en vigueur, le processus décisionnel et politique ainsi que le zonage et l'urbanisme.

M. C. : Notre approche est vraiment intéressante, parce que depuis le début, peu importe l'enjeu, nous nous assurons que les voix des personnes concernées les plus marginalisées et vulnérables soient entendues. Il y a des voix diverses, c'est complexe, mais c'est très important d'être en mode concertation.

Avant, les seuls liens entre le quartier et les pouvoirs publics étaient monopolisés par des leaders autoproclamés de la communauté. Dès le début de notre implication, nous avons voulu informer les plus vulnérables et nous assurer que leurs besoins seraient pris en compte. Par exemple, quand l'OCPM a lancé sa consultation sur le quartier, nous avons vulgarisé et traduit l'information transmise par la Ville. Nous avons pris ce travail sur nous, sur nos épaules de personnes militantes bénévoles. Nous avons ensuite pris le temps de faire du porte-à-porte pour diffuser nos bulletins d'information.

ÀB ! : Quelles sont les plus gros gains obtenus par le biais de la mobilisation citoyenne dans le quartier ?

P. M. : La Ville a reconnu le quartier comme un secteur particulier, avec besoins spéciaux. Avant, le quartier était « noyé » dans l'arrondissement de Ville-Marie, avec les standards d'urbanisme du centre-ville, dont les critères de densité et de hauteur de construction n'ont rien à voir. Sans ce genre de caractère distinctif, la Ville ne faisait aucune différence entre les secteurs. Si un développeur voulait construire une tour dans le quartier chinois, il obtenait le permis sans problème, même si le projet jurait avec l'environnement avoisinant.

M. C. : Le groupe de travail sur le quartier chinois a atteint son objectif principal, soit la reconnaissance du quartier comme bien patrimonial. Dans la même lignée, la Ville de Montréal a fait adopter en 2022 sa réglementation sur la hauteur et la densité du quartier, une autre revendication principale du groupe. Ces gains nous ont mené·es à nous questionner sur la suite. Mais dans les faits, ce n'est qu'une fois le quartier « classé », que, pour nous, le vrai travail peut commencer : la préservation du patrimoine matériel et immatériel du quartier chinois.

Le produit final de la consultation de l'OCPM a été le plan de développement du quartier chinois, adopté par la ville en 2021. Dans son rapport, l'OCPM appelait à la création d'une plateforme communautaire afin que la communauté puisse être informée et consultée sur les projets de la ville. La Table ronde sur le quartier chinois, un organisme multisectoriel, a été créée suivant cette recommandation en 2022. Son mandat principal est d'agir comme un forum pour rallier la communauté du Chinatown autour d'une même entité afin de partager de l'information et de faire de l'engagement communautaire. Les enjeux sur lesquels nous travaillons sont parallèles aux principales orientations du plan d'action pour le quartier chinois de la Ville, notamment la qualité de vie, le logement social et la protection du patrimoine. Cependant, comme l'a dit Parker, il y avait une grande lacune dans la définition globale d'une vision du développement du quartier chinois, particulièrement en matière de protection du patrimoine immatériel. La fondation Jia a donc été créée pour combler cette lacune.

ÀB ! : La classification patrimoniale du quartier ainsi que la nouvelle réglementation de la Ville sur la hauteur et la densité aident votre lutte. Est-ce que d'autres éléments organisationnels vous soutiennent maintenant que vous avez su attirer l'attention des pouvoirs institutionnels sur la question du quartier chinois ?

P. M. : Oui, certainement. Par exemple, au début de la mobilisation, nous avions peu ou pas de ressources et nous devions répondre à un nombre très important de questions et de problèmes à régler aux yeux des personnes habitant le quartier.

Après le rapport de l'OCPM, la Ville a annoncé la désignation d'une personne de liaison avec le quartier chinois. La Table ronde sur le quartier chinois a été créée, une table multisectorielle.

Puis, nous avons créé la Fondation Jia afin de combler une lacune organisationnelle dans le quartier chinois. Auparavant, lorsque des problèmes étaient soulevés par les citoyen·nes ou par la Ville, on se demandait toujours qui allait avoir la rude tâche de faire le travail. Ces enjeux retombaient souvent sur le groupe de travail qui, rappelons-le, est une organisation entièrement bénévole. La fondation Jia a donc été créée pour pérenniser la réponse organisationnelle et mobilisatrice aux enjeux du quartier.

ÀB ! : Comment les luttes actuelles servent-elles aux populations marginalisées et aux plus vulnérables ?

M. C. : Les luttes sont tellement complexes. Une des plus sensibles est celle sur les enjeux d'itinérance et de cohabitation. En ce moment, avec la crise du logement, la pauvreté, la crise des opioïdes, le manque de services en santé mentale, les tensions de classe se font plus vives dans le voisinage. Tout ça est en train de se jouer sur le terrain du quartier. C'est comme s'il y avait une concurrence entre différents types de personnes vulnérables, selon les différentes couches d'oppressions qu'ils et elles subissent.

Quand le gouvernement ne prend pas ses responsabilités pour faire face à de tels besoins de la population, celle-ci peut se désolidariser et prendre en bouc émissaire les plus démuni·es. Notre travail est de trouver des solutions à long terme, durables et solidaires pour que la vie du quartier reste inclusive.

ÀB ! : Quelles sont les prochaines étapes, les prochains projets pour défendre le quartier chinois ?

P. M. : Quand on parle de vision du quartier chinois, évidemment, plusieurs factions, intérêts et opinions divergentes se font entendre. Certains veulent se concentrer sur l'aspect économique, le transformer en attraction touristique.

Le forum Repenser le quartier chinois, qui se tiendra en septembre 2023, veut offrir une plateforme et une tribune pour les initiatives de développements plus progressistes. On souhaite s'aligner et s'affilier avec d'autres organisations qui luttent comme nous à la sauvegarde des quartiers chinois ailleurs au pays et dans le monde, s'inspirer de leurs mouvements.

En ce moment, dans le quartier chinois, il n'y a pas de parcs, pas de lieux de rassemblement, sauf dans le soussol du complexe Guy-Favreau, ce qui est déprimant (rires). Il n'y a pas d'écoles ou de terrain de jeux. Il n'y a pas beaucoup d'activités culturelles mis à part les restaurants. Or, des photos datant des années 70 montrent des familles, des enfants, des aîné·es, de la culture.

Une des grandes questions reste la suivante : comment peut-on ramener le patrimoine dans l'équation sans momifier le quartier, afin qu'il puisse continuer d'évoluer ? On ne veut pas qu'une préservation culturelle ; il nous faudra également une production culturelle. Ici, je prends le mot « culture » dans son sens large, en lien avec le quartier et ses valeurs. Un projet que je mets en exemple est celui de la Maison du quartier chinois, une initiative commune de la Fondation Jia et de la Table ronde, qui ouvrira ses portes en septembre 2023. Il s'agit d'un lieu naturel d'échange, d'incubation communautaire, de production et de diffusion culturelle. Vous pourrez visiter ses expositions éphémères tout au long de cet automne. Elles traiteront entre autres de l'histoire trop peu connue du quartier, ainsi que de son avenir.

M. C. : Un de nos défis futurs — et je crois que c'est le même pour plusieurs communautés — c'est que nous devons constamment éteindre des feux, gérer des urgences, et tenter de construire un avenir meilleur dans un même souffle. La classe politique continue de miser sur la sinophobie, notamment par le biais du registre de l'influence étrangère et de l'enquête en cours de la GRC sur les commissariats chinois.

Parce que plusieurs de nos projets nécessitent un partenariat avec la Ville de Montréal, nous tentons toujours d'établir une relation de travail qui ne repose pas sur le racisme systémique. Notre vision du quartier chinois a toujours été inclusive, et la guerre de classes sociales entre résident·es logé·es et non logé·es doit être abordée de front afin que nos avancements bénéficient à tous·tes. Sur une note positive, puisque nous reconnaissons que le quartier chinois est construit sur des terres non cédées ou volées, notre nouvelle collaboration avec Projets autochtones du Québec (PAQ), situé dans le quartier chinois, et les patrouilles de sensibilisation du Centre d'amitié autochtone nous aideront à mieux comprendre comment mener nos projets de développement communautaire dans une perspective décoloniale.

May Chiu est membre de la Table ronde sur le quartier chinois. Parker Mah est membre de la Fondation Jia.

Photo : Hubert Figuère (CC BY-SA 2.0)

Une victoire pour les travailleurs et un message pour le secteur public : « il faut rien lâcher »

24 novembre 2023, par Montréal
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Des problématiques dignes des grandes villes ?

24 novembre 2023, par Marc Simard
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La prison est violences

23 novembre 2023, par Revue Droits et libertés
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La prison est violences

Me Delphine Gauthier-Boiteau, Candidate à la maîtrise en droit et société et avocate Me Sylvie Bordelais, Avocate en droit carcéral Me Amélie Morin, Avocate en droit carcéral

Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2023

Le caractère mortifère de la prison nous a été violemment rappelé par la mort tragique de Nicous D’André Spring, survenue des suites de l’usage de la force par des agents de l’Établissement de détention de Montréal le 24 décembre 2022. Cet événement doit collectivement nous amener à appréhender les violations de droits non pas comme des incidents isolés ou des violences surprenantes, mais comme le symptôme ordinaire du caractère inhérent de la prison1. Les personnes décédées alors qu’elles étaient incarcérées dans une institution provinciale sont trop nombreuses pour les nommer toutes2, car cette violence est l’expression des qualités intrinsèques de la prison : elle en révèle les assises coloniale, raciste, capacitiste et capitaliste, qui appellent à une réaction intersectionnelle. [caption id="attachment_18432" align="alignright" width="307"] Journal Le Tremplin, publié par et pour les personnes détenues (1975-1977). Archives UQÀM, Fonds LDL, 24P-630:02/245[/caption] L’importance d’opposer un contre-discours aux logiques carcérales déployées (de manière tantôt évidente tantôt insidieuse) dans les discours publics, demande un travail de surveillance et de veille du respect des droits humains, et la déconstruction de logiques discursives qui reproduisent préjugés et mythes à l’encontre des personnes criminalisées et incarcérées. Les personnes incarcérées font l’expérience de violations de leurs droits les plus élémentaires ici et maintenant. Le recours à l’enfermement produit une précarisation supplémentaire et subséquente, en provoquant des pertes d’emploi, de logement, de prestations de solidarité sociale, mais aussi (et peut-être surtout) en rompant des liens sociaux et familiaux3. Les conséquences néfastes de cette institution sur la santé physique et psychologique des personnes qui y sont maintenues ne s’arrêtent pas à ses portes. Pour ces raisons, il importe d’appréhender ces violences à partir d’un espace de solidarité sociale qui s’exerce tant sur le plan collectif qu’individuel, et qui considère le caractère intimement interdépendant des droits (notamment des droits civils et politiques, du droit à un niveau de vie décent, au logement, à la santé, à l’éducation, à un environnement sain, à l’égalité et des droits des Premières Nations). La critique de la carcéralité implique un travail de construction et de création qui permette collectivement de penser un ailleurs. Réfléchir des possibles, diffuser et rendre plus largement compréhensibles et accessibles des idées décarcérales et issues de l’abolitionnisme sont autant d’outils qui participent à la construction de ce lieu de liberté. L’idée radicale selon laquelle chaque personne a droit à une vie digne, où elle dispose de tout ce dont elle a besoin pour s’épanouir en sécurité, est tout à fait liée à la mise en œuvre des droits civils, politiques, économiques et sociaux et se révèle un commencement utile.

Penser un ailleurs

Ces constats et les nombreuses déclinaisons des logiques carcérales montrent l’urgence de se positionner contre l’élargissement des outils et pouvoirs alloués aux agent-e-s de ces logiques. Il importe désormais de questionner la carcéralité et la légitimité du recours à l’emprisonnement comme réponse à des problèmes sociaux. Pour la géographe afro-américaine abolitionniste Ruth Wilson-Gilmore, il ne nous faut en somme changer qu’une chose : tout4. Si penser et bâtir un monde sans prison implique de tout changer, à commencer par la culture qui permet l’existence des prisons, cela implique le démantèlement de systèmes de domination que sont le capitalisme racial, le colonialisme, le patriarcat et le capacitisme. Décarcéraliser notre monde implique un refus d’effacement, au profit d’un rapport à l’autre qui s’articule contre cette disposability, l’idée selon laquelle des personnes sont jetables. Un agir décarcéral suppose, encore davantage que les processus de déconstruction qui nourrissent un certain sensationnalisme réactionnel, la création et la construction d’un lieu nouveau. La mise en œuvre de cet ailleurs passe concrètement par la possibilité d’exercice des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des personnes. Le crime est une construction sociale qui n’est pas neutre : les infractions inscrites dans le Code criminel sont le fruit politique de décideuses et de décideurs. Ce constat vise à rappeler que ce système fonctionne tel qu’il a été pensé, c’est-à-dire au profit de celles et ceux pour et par qui il a été pensé, et aux dépens des populations précarisées (ici et en d’autres lieux) par celui-ci. Le crime n’est pas naturel plus qu’il n’est neutre dans sa formulation, son appréhension et encore par les mécanismes de profilage et de punition qui découlent de sa répression. L’appareil pénal et carcéral agit pourtant bien peu en amont de ce qu’il décrit comme crime, et les victimes et/ou survivant-e-s d’actes criminels demeurent des actrices et des acteurs tout à fait secondaires de ce système, en particulier quant à leurs besoins et à la réparation des souffrances vécues. Pour Mariame Kaba, autrice afro-américaine et organisatrice communautaire abolitionniste, ces logiques vont à l’encontre de toute accountability - responsabilisation des personnes qui causent du tort - puisque les personnes accusées, leurs proches et leurs communautés ont trop à perdre face aux violences produites par le système5. La logique punitive et individualisante mobilisée en réponse aux torts et violences causés laisse les rapports de pouvoir intacts et s’oppose à une culture plus large de responsabilisation et de réparation. Pour ces raisons, les principes et valeurs abolitionnistes insistent à la fois sur les manières de responsabiliser les personnes qui ont causé du tort, et de répondre aux besoins des victimes et/ou survivant-e-s. L’incarcération a un coût social qui est trop peu souvent décrié. Dans ses travaux, la professeure et sociologue féministe Gwenola Ricordeau6 appelle à la solidarité vis-à-vis des personnes judiciarisées et incarcérées, mais aussi à une compréhension plus large des dommages du système carcéral, bien au-delà des portes de la prison. Il importe en ce sens de considérer les coûts matériel, financier, émotionnel et social dont nos communautés, les proches des personnes incarcérées et celles-ci font les frais. Alors que l’institution carcérale ne permet pas, non plus, de répondre aux objectifs qu’elle présente comme siens (par ex. protection du public et réinsertion sociale) nous nous trouvons périodiquement confronté-e-s à des modifications législatives et à des réformes. Le travail de surveillance et de veille implique de se positionner vis-à-vis ce qui nous est et sera présenté, de distinguer les réformes réformistes et les réformes non-réformistes. Cela demande d’un côté d’identifier les mesures qui octroient davantage de ressources et de pouvoir aux autorités carcérales, rendant le démantèlement de ce système et la mise sur pied d’alternatives plus difficiles. De l’autre côté, les réformes non-réformistes agissent vers une transformation, emportent une critique radicale, importent pour les droits des personnes incarcérées ici et maintenant et n’opèrent pas une désolidarisation avec certaines catégories de personnes incarcérées. Le caractère délicat de cette tâche convoque une vigilance à l’égard de ce qui nous est proposé, pour éviter de tomber dans le piège de discours qui reproduisent le paradigme de l’innocence7, ou de politiques de contrôle social qui élargissent le filet carcéral.

Conclusion

Ce texte se veut une contribution aux réflexions sur des possibilités transformatrices, sur des agirs qui soient solidaires des personnes pour lesquelles la prison n’est pas une abstraction. Il est essentiel de construire des solidarités qui soient politiques, matérielles et émotionnelles entre militant-e-s, personnes incarcérées et leurs proches (qui font ce travail de soin et de veille depuis que les prisons existent). Comme l’écrivait la regrettée Lucie Lemonde, militante pour les droits humains et professeure de sciences juridiques, la prison est tout sauf une solution et il faut « se questionner sur le bien-fondé du recours à la judiciarisation et à l’emprisonnement pour répondre à des problèmes sociaux8 ». La décarcéralisation est une réorientation du monde. La réduction du « crime », soit de situations problématiques telles qu’appréhendées par le Code criminel, passe par l’universalité, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits humains, comme autant de droits à mettre en œuvre pour améliorer les conditions matérielles d’existence de chacun-e, et multiplier les possibilités de luttes et d’actions politiques des groupes. Une part de cette transformation sociale implique l’apprentissage expérientiel d’alternatives diverses et locales; la normalisation de processus nouveaux qui passent, forcément, quelques fois par un échec; mais surtout, la confiance en un effort collectif et conscient vers cet ailleurs à construire9. Et si, comme l’écrit Mariame Kaba, l’espoir est une discipline, les pratiques militantes et de solidarité sont l’expression d’une mémoire qui désire.
  1. La prison, ici, est comprise comme l’institution principale d’enfermement de personnes criminalisées. Pour les fins de ce texte, nous ne distinguons pas les prisons provinciales des pénitenciers fédéraux.
  2. Bobby Kenuajuak et Robert Langevin sont aussi décédés récemment dans le contexte de leur incarcération à Plusieurs femmes se sont suicidées à la Prison Leclerc depuis 2016. Parmi elles, Michele Messina, Francine Robert, Anne Schingh, Dora Okkuatsiak, Mireille Deveau et Autumn Sanderson Rain. D’autres sont mort-e-s en prison sans que leur nom ou leur histoire n’ait été rendus public.
  3. Laurence Guénette et Lynda Khelil, Une nouvelle prison pour femmes n’est pas une solution, Le Devoir, 7 marsEn ligne : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/784307/droits-humains-une-nouvelle-prison-pour-femmes-n-est-pas-une-solution
  4. Ruth Wilson-Gilmore, Abolition geography dire: essays towards liberation, Verso, London, 2022, 506p.
  5. Mariame Kaba, We do this ‘til we free us: Abolitionist organizing and transformative justice, Haymarket Books, Chicago, 2021, 206p., partie VI, pp 132 à 157.
  6. Gwenola Ricordeau, Pour elles toutes : femmes contre la prison, Lux Éditeur, Montréal, 2019, , à la p. 129 et suivantes.
  7. Sortir du paradigme de l’innocence implique donc de rompre avec une logique binaire coupable/innocent-e et d’être solidaire de chacun-e, en particulier des personnes coupables aux yeux du système.
  8. Lucie Lemonde, Punir la misère par la misère, Liberté, Hiver 2022, No 333, aux pp 60-61. En ligne : https://revueliberte.ca/article/1647/punir-la-misere-par-la-misere
  9. Kaba, supra note 4, aux p 166-167.
 

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Les prisons : lieux de violations de droits

23 novembre 2023, par Revue Droits et libertés
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Les prisons : lieux de violations de droits

Lynda Khelil, responsable de la mobilisation

Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2023

Dès les années 1960, la Ligue des droits et libertés (LDL) intervient régulièrement au sujet des conditions de détention dans les prisons provinciales et les pénitenciers fédéraux situés au Québec. Elle s’oppose à la construction de nouveaux établissements de détention, tels que le pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul en 1965 et le pénitencier Archambault en 1967, deux établissements qui seront construits malgré tout. À la fin des années 1960, la LDL témoigne lors de la Commission d’enquête sur l’administration de la justice en matière criminelle et pénale au Québec présidée par Yves Prévost. En 1970, elle exige et obtient un droit de visite permanent et inconditionnel de tous les centres de détention provinciaux et municipaux. Octroyé par le ministre de la Justice Rémi Paul en 1970, ce droit est retiré lors de la mise en place du bureau de l’Enquêteur correctionnel quatre ans plus tard. Durant la crise d’Octobre 1970, la LDL forme un comité d’aide aux personnes détenues en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. [caption id="attachment_18428" align="alignright" width="279"] P. Landreville, A. Gagnon et S. Desrosiers.
Les prisons de par ici. Montréal, Éditions Parti Pris, 1976, 234 p.[/caption]

L’Office des droits des détenu-e-s

Afin d’élargir ses interventions, la LDL crée en 1972 l’Office des droits des détenu-e-s (ODD), appelé à travailler avec le comité de la LDL sur l’administration de la justice les deux enjeux étant étroitement liés. Deux principes orientent le travail de l’ODD à ses débuts. D’abord, une personne condamnée à une peine d’incarcération se voit uniquement privée du droit de circuler librement dans la communauté, mais conserve tous ses autres droits. Ensuite, la population a un droit de regard sur ce qui se passe à l’intérieur des établissements de détention. Il faut donc en finir avec le secret et l’opacité entourant le système carcéral et rendre accessibles les informations concernant ces lieux, tant pour les personnes détenues que pour le public. L’ODD effectue des visites des établissements de détention, dénonce les conditions de détention et les violations de droits, formule des revendications politiques, documente la situation et sensibilise le public. Il publie également la revue Face à la justice de 1977 à 1984. Au cours de son existence, l’ODD répond à des centaines de requêtes individuelles de personnes incarcérées et leur offre son soutien. Il entreprend parfois des démarches devant les tribunaux, alors que le droit carcéral est relativement nouveau. Il tente également de donner une portée collective aux cas individuels qui lui sont soumis. Les résultats sont mitigés, peu d’avancées sont obtenues face à l’inertie du système. Dès ses débuts, l’ODD exige la fermeture du Centre de prévention Parthenais, situé entre les 10e et 13e étages de l’édifice de la Sûreté du Québec, à Montréal. Ce lieu devait être destiné à des détentions de courte durée pour les personnes en attente de procès, alors qu’elles y restent souvent plusieurs mois. Les prévenus y ont fait quatre grèves de la faim entre 1970 et 1973 pour attirer l’attention sur leurs conditions de détention insalubres et sur les violations de leurs droits. En 1973, six d’entre eux s’automutilent face au désespoir engendré par leur situation. En 1977, la lutte autour de Parthenais s’intensifie, avec la constitution d’un front commun1 qui en revendique la fermeture, exigeant aussi la libération des détenus de Bordeaux avec des courtes sentences (80 %) et le transfert de prévenus de Parthenais à Bordeaux. La lutte sera longue, et Parthenais ne sera fermé qu’en 1996. Dès 1975, l’ODD adopte une position abolitionniste. Celle-ci est présentée publiquement en 1976 dans le manifeste Vers l’abolition de la prison, qui énonce les constats tirés d’observations directes de la réalité de l’incarcération, et les objectifs visés par l’ODD dans la perspective de parvenir à une société sans prison. L’année 1976 marque la tenue à Montréal d’une conférence du philosophe Michel Foucault, invité par l’ODD à l’occasion de la Semaine du prisonnier. Son allocution, « Alternatives » à la prison : diffusion ou décroissance du contrôle social, est d’ailleurs disponible dans le livre Foucault à Montréal, publié aux Éditions de la rue Dorion en 2021. En 1980, le livre Police, coroners et morts suspectes est publié par des militant-e-s de l’ODD, faisant état d’enquêtes du coroner tenues lors de décès dans les institutions carcérales et dans les postes de police. Cette étude a contribué à l’adoption d’une nouvelle Loi des coroners, en 1986. La même année, l’ODD élabore un projet de Charte des droits des détenu-e-s qui aura un fort impact médiatique. Lors de son Congrès de 1982, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) adopte sa version finale qui sera présentée lors du 7e Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, en 1985. L’ODD se mobilise à la suite des événements tragiques de 1982 au pénitencier Archambault, demandant des mesures pour protéger les détenus de possibles représailles de la part des gardiens à la suite d’une émeute majeure et meurtrière. De 1983 à 1987, l’ODD participe à des conférences internationales traitant de l’abolition du système pénal pour alimenter les réflexions critiques sur l’incarcération. L’ODD se dissocie de la LDL en 1984, mais continue ses activités jusque dans les années 1990. Le dossier des droits des détenu-e-s a refait surface à la LDL récemment, notamment en raison des enjeux des prisons pour femmes, de l’incarcération des personnes migrantes et des réflexions sur les limites des logiques carcérales.

La prison Leclerc

En 2016, le gouvernement du Québec annonce le transfert des femmes détenues par le provincial de la prison Tanguay vers l’Établissement Leclerc de Laval, un ancien pénitencier fédéral pour hommes à sécurité maximale, fermé pour cause de vétusté. La LDL, la Fédération des femmes du Québec, le Centre des femmes de Laval et plusieurs autres organisations se mobilisent pour dénoncer le transfert et les conditions de détention qui ne respectent ni la dignité humaine ni les droits : approche correctionnelle digne d’un établissement à sécurité maximale, configuration architecturale oppressante, insalubrité et vétusté des installations, fouilles à nu systématiques, abusives et humiliantes, accès défaillant à des soins de santé physique et psychologique, confinements fréquents, etc. En 2018, la Coalition d’action et de surveillance sur l’incarcération des femmes au Québec (CASIFQ) est créée. Deux demandes de mission d’observation indépendante au Leclerc en 2018 et 2021 sont déclinées par le gouvernement. La dénonciation persiste au fil des ans : en 2021, 100 organisations et 1 260 personnes donnent leur appui à 5 ans de trop à la prison Leclerc, texte issu d’une lettre manuscrite de Sœur Marguerite Rivard, une alliée des femmes. La lettre est transmise le 8 mars aux ministres de la Sécurité publique et de la Condition féminine et à l’ensemble de la députation, demeurant sans réponse, alors que les mobilisations se poursuivent.

Pandémie et violations de droits exacerbées

Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec déclare l’état d’urgence sanitaire. Dès le 19 mars, la LDL anticipe une propagation rapide du virus dans les prisons en raison de la surpopulation, de l’exiguïté et de la configuration architecturale des lieux. La LDL demande publiquement une réduction significative de la population carcérale, par la libération de personnes détenues et la réduction de nouvelles admissions. Pendant deux ans, la LDL multiplie les lettres, communiqués, conférences de presse et entrevues médiatiques pour dénoncer le régime de confinement et d’isolement généralisé, 24h/24 en cellule pendant 14 jours consécutifs et souvent plus, sans douche et vêtements propres, ni contact avec l’extérieur. Une situation équivalente à être « en prison dans une prison », un traitement cruel, inhumain et dégradant considéré de la torture selon les critères établis par l’ONU. En 2021, la LDL met en place un nouveau comité, Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention, sous l’impulsion de feue Lucie Lemonde. L’objectif est d’élargir le travail de la LDL sur les enjeux liés au système carcéral et aux droits des personnes en détention, tant dans les prisons provinciales et les pénitenciers fédéraux que dans les « prisons pour migrant-e-s ». Deux temporalités de luttes évoluent en parallèle. Ici et maintenant, l’urgente défense des droits des personnes détenues qui subissent un déni de leurs droits par les autorités carcérales et politiques. L’état du système carcéral demeure encore aujourd’hui celui de violations de droits systémiques et d’institutions carcérales opaques. Puis, la lutte sur le temps long, questionnant le recours à l’incarcération et les logiques punitives et de contrôle qui traversent le système de justice pénal. L’incarcération, en plus d’engendrer violences, souffrances et discriminations, est dénoncée pour son inefficacité en regard des objectifs qu’elle prétend poursuivre : la réinsertion sociale, la dissuasion et la protection de la société. Ces questions ont fait l’objet de réflexions approfondies lors du colloque De l’Office des droits des détenu-e-s (1972-1990) à aujourd’hui : perspectives critiques sur l’incarcération au Québec, en 2022. En 2023, la LDL a adopté une position de principes visant à orienter le travail des prochaines années : La prison n’est pas une solution. Dans cette perspective, la LDL s’oppose en mars 2023 à la construction d’une nouvelle prison pour femmes annoncée par le gouvernement du Québec, et plaide pour l’abolition des courtes peines de détention de moins de 6 mois, incluant les courtes peines discontinues dites de fins de semaine. Alors que les conditions inhumaines de détention se perpétuent et que les logiques carcérales restent inopérantes, toute réflexion critique au sujet de la prison appelle une remise en question de l’ensemble du système pénal, et demeure un travail important pour la Ligue des droits et libertés (LDL) dans les années à venir.
1) Gagnon, A. et Dumont, H. (1976). Parthenais ; début d’une lutte... Criminologie 9 (1-2), p. 163-188, https://www.erudit.org/fr/revues/crimino/1976-v9-n1-2-crimino902/017056ar.pdf

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Un mouvement « historique, on n’a jamais vu ça »

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20 novembre 2023, par Montréal
La colère gronde parmi les chauffeurs d'autobus québécois, frappés de plein fouet par l'augmentation générale du coût de la vie. Depuis le 16 octobre, seize syndicats du (…)

La colère gronde parmi les chauffeurs d'autobus québécois, frappés de plein fouet par l'augmentation générale du coût de la vie. Depuis le 16 octobre, seize syndicats du transport scolaire, représentant 182 membres, ont envoyé un avis de grève au ministère du Travail, pointant du doigt leurs (...)

Appel des étudiant.es de l’Université Birzeit pour la tenue d’une semaine internationale d’actions en solidarité avec le peuple de Gaza

20 novembre 2023, par Rédaction-coordination JdA-PA
Les changements sociaux sont souvent issus des luttes des mouvements étudiants. La présente lettre ci-dessous est un communiqué d’appel à la solidarité de la communauté (…)

Les changements sociaux sont souvent issus des luttes des mouvements étudiants. La présente lettre ci-dessous est un communiqué d’appel à la solidarité de la communauté étudiante palestinienne à la communauté étudiante internationale, afin de les soutenir dans le conflit israélo-palestinien, (...)

JQSI : Voter pour une alimentation saine, c’est voter pour les conditions de sa culture – Outcha Akoua Enyonam

20 novembre 2023, par Kalya Nzesseu
Face aux changements climatiques et à l’augmentation des prix, la souveraineté alimentaire est un enjeu pour une transition vers un monde plus juste et respectueux de la (…)

Face aux changements climatiques et à l’augmentation des prix, la souveraineté alimentaire est un enjeu pour une transition vers un monde plus juste et respectueux de la planète. Pour Outcha Akoua Enyoam de l’équipe togolaise de l’Institut africain pour le développement économique et social, (...)

Un an de mobilisation pour la protection de la forêt de Pointe-au-Père

20 novembre 2023, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local La mobilisation citoyenne tient à souligner l’anniversaire de sa lutte pour la préservation de la forêt (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local La mobilisation citoyenne tient à souligner l’anniversaire de sa lutte pour la préservation de la forêt Pointe-au-Père, qui perdure depuis maintenant un an, qui ne semble pas s’essouffler, mais au contraire s’enraciner au cœur des (...)

La FAE déclenchera une grève illimitée le 23 novembre

18 novembre 2023, par Montréal
La Fédération autonome de l'enseignement, composée de neuf syndicats de l'enseignement regroupant 66 500 membres, a annoncée qu'elle utiliserait son mandat de grève générale (…)

La Fédération autonome de l'enseignement, composée de neuf syndicats de l'enseignement regroupant 66 500 membres, a annoncée qu'elle utiliserait son mandat de grève générale illimitée à compter du 23 novembre. L'utilisation du mandat de grève vise à faire débloquer les négociations avec le (...)

Comment les bonnes actions peuvent aboutir à une situation indésirable

18 novembre 2023, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Au Bas-Saint-Laurent, la majorité des villes mettent l’accent sur la participation citoyenne pour effectuer le (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Au Bas-Saint-Laurent, la majorité des villes mettent l’accent sur la participation citoyenne pour effectuer le recyclage des déchets pouvant être valorisés. Par exemple, la ville de Rimouski a réalisé plusieurs ateliers sur la question (...)

Les rachats d’actions, ou pourquoi les entreprises n’ont pas les moyens d’augmenter votre salaire

16 novembre 2023, par Southern Ontario
Dans l'arsenal des armes utilisées par les élites économiques pour maintenir leurs monopoles, une méthode insidieuse, quoique moins connue, d'accaparement des richesses fait, (…)

Dans l'arsenal des armes utilisées par les élites économiques pour maintenir leurs monopoles, une méthode insidieuse, quoique moins connue, d'accaparement des richesses fait, en ce moment, l'objet d'un examen approfondi. Le rachat d'actions est un processus par lequel une société achète ses (...)

12 000 travailleurs en grève au Bas-Saint-Laurent

16 novembre 2023, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Le lundi 6 novembre a eu lieu une grève organisée par les syndicats du Front commun autour des établissements (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Le lundi 6 novembre a eu lieu une grève organisée par les syndicats du Front commun autour des établissements scolaires et d’enseignements supérieurs, ainsi que devant les services de la santé et sociaux. Cette grève fait suite à (...)

Comprendre la solidarité internationale à Québec solidaire

15 novembre 2023, par Célia Sales
La Commission altermondialisation et solidarité internationale de Québec solidaire a organisé ce vendredi 10 novembre une rencontre avec les trois candidates au poste de (…)

La Commission altermondialisation et solidarité internationale de Québec solidaire a organisé ce vendredi 10 novembre une rencontre avec les trois candidates au poste de porte-parole pour le parti. Ayant chacune préparé leur réponse aux questions de Marie-Josée Béliveau, animatrice de la (...)

Tout ce que vous voulez savoir sur le FSM 2024 au Népal

15 novembre 2023, par Rédaction-coordination JdA-PA
On trouvera ici la vidéo du lancement du Collectif québécois En route vers le FSM 2024 au Népal qui a eu lieu jeudi 9 novembre dernier. Participez au FSM Népal 2024 (en ligne (…)

On trouvera ici la vidéo du lancement du Collectif québécois En route vers le FSM 2024 au Népal qui a eu lieu jeudi 9 novembre dernier. Participez au FSM Népal 2024 (en ligne ou en présentiel), inscrivez-vous maintenant!  0 min: Contexte socio-politique de la région de l’Asie du Sud et du (...)

Semaine de sensibilisation aux réalités trans et Journée internationale du souvenir trans

14 novembre 2023, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local La Semaine de sensibilisation aux réalités trans, qui se déroule du 13 au 19 novembre 2023, est l’occasion de célébrer (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local La Semaine de sensibilisation aux réalités trans, qui se déroule du 13 au 19 novembre 2023, est l’occasion de célébrer et d’honorer les communautés trans et de sensibiliser la population à la transphobie et ses conséquences. Elle se (...)
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Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

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Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

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