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Afrique du Sud. Le déclin électoral du « glorieux » ANC et le gouvernement d’« unité nationale »
L'Afrique du Sud traverse une profonde crise politique et sociale. La défaite retentissante du Congrès national africain (ANC) lors des élections générales du 29 mai – où l'ancien parti de Nelson Mandela n'a obtenu que 40% des voix et a perdu 17 points par rapport à 2019 – a reflété le fort rejet par les électeurs et les électrices de la formation politique qui a dominé le pays depuis la chute de l'apartheid et l'appel aux premières élections multiraciales en 1994.
Tiré d'À l'encontre.
Au cours de son mandat, l'ANC a promu un modèle de développement économique néolibéral qui s'est traduit par des taux de chômage élevés, une pauvreté de masse, des inégalités massives de revenus et de richesses, un sous-développement rural et urbain et une mauvaise qualité et administration des services publics de base par l'Etat. Cette situation a été aggravée par une corruption généralisée de l'Etat qui a entraîné une perte de confiance dans les institutions publiques. Cependant, l'ANC a conservé de fortes majorités électorales, ce qui a maintenant changé. Pour les élections de 2024, il était envisagé que l'ANC tomberait au-dessous de la barre des 50%. Il y a là un trait dominant révélé par ces élections, car leur résultat implique une rupture par rapport aux 30 ans de domination de l'ANC dans le domaine de la politique électorale, ce depuis la fin officielle de l'apartheid en 1994.
La plupart des sondages donnaient à l'ANC un score de 45%, donc en baisse. Cependant, on s'attendait généralement à ce que l'ANC obtienne entre 45% et 50%, un chiffre qui lui permettrait de former un gouvernement de coalition en forgeant des alliances avec des partis plus petits [de droite et de gauche]. Mais cela ne s'est finalement pas produit et le système politique sud-africain s'est dès lors engagé sur une voie incertaine.
Une autre grande surprise de ces élections a été le résultat spectaculaire du parti uMkhonto weSizwe [Lance de la nation] (MK), dirigé par l'ancien président Jacob Zuma, six mois seulement après sa création. MK a obtenu 14,58% des voix au niveau national et 45% dans la deuxième province du pays, le Kwazulu-Natal, qui abrite 20% de la population sud-africaine. L'ascension de MK s'est faite aux dépens de l'ANC, les deux partis partageant la même base électorale. MK est, à proprement parler, une scission de l'ANC. Son chef, Jacob Zuma, qui a présidé l'Afrique du Sud de 2009 à 2018 et l'ANC lui-même, jouit toujours d'une grande popularité auprès de nombreux membres et partisans de son ancienne force politique (l'ANC), malgré ses positions conservatrices et ses scandales de corruption.
La domination incontestée de l'ANC
Les premières élections démocratiques, organisées en avril 1994, ont marqué la victoire de la lutte de libération nationale sur le régime d'apartheid. Dirigé par Nelson Mandela, l'ANC a triomphé lors des élections avec un score écrasant de 62% des voix et a obtenu le mandat de conduire le peuple vers la « terre promise » d'une Afrique du Sud véritablement libérée, avec « une vie meilleure pour tous ». L'ANC a été perçu et a revendiqué pour lui-même le rôle de parti exclusif dans la lutte pour la libération nationale de la majorité noire, car les autres organisations qui ont combattu l'apartheid ont été gravement affaiblies [entre autres, par la répression] et n'ont jamais réussi à se rétablir.
Des années 1980 au début des années 1990, l'ANC a réussi à s'insérer et à s'allier aux principaux mouvements de masse du bloc historique anti-apartheid, alors organisé autour du Front démocratique uni [United Democratic Front, 1983-1991, ayant initialement une base syndicale dès le début des années 1970 et une base dans les quartiers comme Soweto dès 1976] qui comprenait des dizaines de mouvements de résistance et de la société civile (jeunesse, étudiants, civiques, syndicaux, féminins, ecclésiastiques, sportifs, etc.) Pendant 15 à 20 ans, l'ANC a bénéficié d'un soutien important, issu de la légitimité de la lutte anti-apartheid. Cela a rendu difficile toute forme d'opposition extérieure au parti.
Les mouvements de masse alliés à l'ANC étaient autonomes et contestaient souvent la direction du parti. Par exemple, le Congrès des syndicats sud-africains [Congress of South African Trade Unions-COSATU, créé en 1965] a vivement contesté la stratégie macroéconomique connue sous le nom de GEAR (Growth, Employment and Redistribution), qui a consolidé la restructuration néolibérale à partir de 1994.
Après les cinq premières années de gouvernement, l'ANC a réussi à coopter un nombre considérable de dirigeants des mouvements de masse pour leur confier des postes au sein du gouvernement et des entreprises d'Etat, par le biais de programmes de discrimination positive et de la politique connue sous le nom de « black political empowerment » (autonomisation / responsabilisation politique des Noirs). Les mouvements civiques et sociaux, regroupés au sein de la South African National Civic Organisation (SANCO), ont cessé d'être indépendants et ont rejoint l'alliance dirigée par l'ANC avec le Parti communiste et le Congrès des syndicats sud-africains. Une fois que les dirigeants des mouvements de masse ont été cooptés par l'ANC et ont perdu leur autonomie, ils ont fini par tomber dans le giron du parti au pouvoir, ce qui a conduit à la dissolution du bloc historique anti-apartheid au début des années 2000.
La légitimité de l'ANC a commencé à s'éroder sérieusement à mesure que la crise néolibérale, qui associait des résultats médiocres en matière de développement à une corruption généralisée au sein de l'Etat, atteignait sa maturité. Au début des années 2000, la transformation de l'ANC d'un mouvement de libération nationale de gauche en un parti néolibéral centriste, de facto, était déjà clairement visible.
A partir de 2009, lorsque Jacob Zuma a accédé à la présidence, le déclin électoral de l'ANC a commencé à être irréversible, bien que Zuma ait conservé un soutien important dans certains milieux. Le parti est passé de 69,69% des voix en 2004 à 65,90% en 2009. Et de 62,10% en 2014 à 57,50% en 2019. Un déclin lent mais constant, jusqu'en 2024, où cette baisse a été de 17 points de pourcentage, ce qui a remis en question les images d'autosatisfaction de l'ANC en tant que « glorieux mouvement » de libération nationale.
Un renouveau cosmétique
Depuis le départ anticipé de Jacob Zuma de la présidence début 2018, empêtré dans diverses affaires de corruption, le parti a annoncé qu'il développerait un processus de renouvellement. Ce processus, qui devait consister dans la lutte contre la corruption et un nouveau modèle économique – incluant la restructuration de la banque centrale, la réforme agraire et la redistribution des richesses et des revenus au profit de la majorité noire pauvre – ne s'est jamais concrétisé.
Face à la réticence du parti à développer un véritable renouveau, son discrédit n'a cessé de croître. Sans Zuma comme bouc émissaire, la corruption est devenue de plus en plus injustifiable et les faits ont commencé à être révélés sans relâche. Le ministre des Sports et de la Culture [Zizi Kodwa] a été arrêté le 5 juin, une semaine seulement après les dernières élections, accusé d'avoir reçu des pots-de-vin d'une valeur de 1,6 million de rands (89 000 dollars) de la part d'un homme d'affaires ayant reçu des contrats gouvernementaux d'une valeur de 400 millions de rands (22 millions de dollars). Pour ne rien arranger, l'actuel président, Cyril Ramaphosa, dont l'accession au pouvoir s'est appuyée sur une campagne de lutte contre la corruption, fait l'objet de graves soupçons de malversations après qu'il a été découvert qu'il avait dissimulé un vol de plus d'un demi-million de dollars dans sa ferme de Phala Phala. L'origine réelle de l'argent reste inexpliquée.
En novembre 2022, l'ANC a utilisé sa majorité au parlement pour bloquer l'enquête sur l'origine de l'argent volé dans la ferme du président. L'enquête, menée par un groupe indépendant composé de deux juges à la retraite et d'un avocat chevronné, a été interrompue après que la majorité parlementaire de l'ANC a rejeté le rapport compilé par les experts. Le parti des Combattants pour la liberté économique [Economic Freedom Fighters], associé à la gauche politique, a porté l'affaire devant la Cour constitutionnelle. Si la Cour constitutionnelle juge que le Parlement a mal agi dans l'affaire Phala Phala et demande une nouvelle enquête parlementaire, l'actuel gouvernement d'unité nationale pourrait être déstabilisé. A cela s'ajoute un autre événement extrêmement grave : l'arrestation de la présidente du Parlement et membre éminente de l'ANC, Nosiviwe Mapisa-Nqakula [ministre de la Défense de 2012 à 2021 et présidente de l'Assemblée nationale d'août 2021 au 3 avril 2024], qui fait l'objet d'une enquête dans le cadre d'un scandale de corruption dans lequel elle aurait reçu des pots-de-vin d'un montant total de 25 000 dollars.
Le chômage, les faibles taux de croissance, les faibles niveaux d'investissement, les inégalités, la pauvreté, le fonctionnement désastreux des services publics tels que la santé, l'éducation et le logement, ainsi que la détérioration des infrastructures publiques [eau, électricité…] se sont aggravés depuis l'arrivée au pouvoir de Ramaphosa. Bien qu'il ait promis une transformation économique radicale axée sur l'amélioration des conditions de vie de la population noire, dont la grande majorité vit dans la pauvreté, aucun programme de ce type n'a été mis en place. La politique anti-corruption proclamée et le programme économique transformateur promis, les deux piliers du renouveau de l'ANC, brillent par leur absence.
Crise et montée des forces de droite
La faible participation électorale est l'un des symptômes de l'apathie politique de la population. Traditionnellement, elle se situait autour de 70% – le pic a été de 89% en 1999 – mais en 2019 elle est tombée à 66% et lors des dernières élections à 58%. L'ANC est suivi par l'Alliance démocratique, un parti libéral, avec près de 22% [depuis 2009, la Democratic Alliance gouverne un des neuf Etats, le Western Cape, le troisième en termes de population].
Dans ce contexte, paradoxalement, le parti de l'ancien président Zuma, qui a gagné le soutien de nombreux électeurs de l'ANC, a progressé. La MK tend à être plus forte dans le KwaZulu-Natal [deuxième province la plus peuplée] ainsi que dans le Gauteng [la plus peuplée bien que de superficie réduite] et le Mpumalanga [ancienne Eastern Transvaal, ], deux provinces importantes dans lesquelles prédomine l'ethnie zouloue. Cette situation s'explique par la forte prévalence de l'identité, du symbolisme et du nationalisme zoulous dans le discours de Zuma. Toutefois, le facteur décisif du résultat électoral spectaculaire de MK est la popularité de Zuma lui-même parmi une partie de la base électorale de l'ANC. Ainsi, la chute de l'ANC de 54% à 16,99% au KwaZulu-Natal ne peut être attribuée qu'à l'ascension spectaculaire de MK, qui a obtenu 45% dans la même province.
Bien que le MK se présente comme un parti de gauche, il déclare ouvertement dans son manifeste son soutien aux idées conservatrices. Celles-ci consistent notamment à donner plus de pouvoir constitutionnel aux chefs traditionnels (largement reconnus comme n'ayant pas de comptes à rendre) et même à subordonner les dirigeants politiques à ces chefs ethniques. Dans le même temps, le MK affirme qu'il abolira les freins et contrepoids de l'ordre constitutionnel actuel et le remplacera par un ordre non contrôlé de suprématie parlementaire dans lequel « la majorité » gouvernera sans retenue. Il a également préconisé le rétablissement de l'appel militaire de l'époque de l'apartheid pour « inculquer la discipline » aux jeunes.
Un autre parti en pleine ascension, l'Alliance patriotique [Patriotic Alliance créé en 2013 par des hommes d'affaires plus que douteux], a remporté 9 sièges à l'Assemblée nationale. L'AP est dirigée par deux anciens détenus qui mobilisent les communautés métisses (représentant 8,2% de la population) avec une idéologie communautariste racialisée combinée à un ferment brut de xénophobie qui appelle ouvertement à l'expulsion de tous les étrangers [issus des pays africains voisins], quel que soit leur statut légal.
Vers un gouvernement d'« unité nationale »
Maintenant que l'ANC n'a obtenu que 40% des voix, sa capacité à former un gouvernement est remise en cause. Avec 45%, il aurait pu former un gouvernement rapidement, avec le soutien des petits partis, mais les résultats obligent l'ANC à entamer des négociations avec les autres grands partis. Les trois organisations les plus importantes du pays, outre l'ANC, sont l'Alliance démocratique libérale, les Combattants pour la liberté économique, issus de l'ANC et associés à la gauche anticapitaliste et au nationalisme noir radical, et le MK de Jacob Zuma. Le fait que les idéologies de ces partis soient si différentes les unes des autres complique les négociations en vue de la formation éventuelle d'un gouvernement de coalition [voir note 1].
L'Alliance démocratique, l'un des partis avec lesquels l'ANC doit discuter, est un parti qui promeut l'austérité budgétaire et monétaire ainsi qu'une vaste politique de privatisation et rejette des politiques telles que la discrimination positive. La base sociale de l'Alliance démocratique, dirigée par John Steenhuisen, est très majoritairement blanche, un secteur qui ne représente que 7,3% de la population mais qui, trente ans après la chute officielle de l'apartheid, reste le groupe racial le plus privilégié et le plus puissant économiquement et socialement, en raison de l'absence de mise en œuvre de mesures de transformation sociale visant à corriger les déséquilibres du passé.
L'option d'une coalition avec ce parti a été rejetée par la base et l'aile gauche de l'ANC, ainsi que par le Parti communiste [influent dans l'ANC] et le Congrès des syndicats sud-africains (COSATU). Cependant, c'est l'option préférée de l'establishment de l'ANC. Un accord pour former un gouvernement d'unité nationale avec l'Alliance démocratique et les petits partis a déjà été annoncé au moment où nous écrivons [1]. (Article publié par NUSO, juin 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Gunnett Kaaf a fait des études d'économie politique et d'histoire. Il réside à Bloemfontein. Est coauteur de Destroying Democracy. Neoliberal capitalism and the rise of authoritarian politics, 2021.
Notes
[1] Le Financial Times du 15 juin 2024 écrit : « Lors d'un vote parlementaire vendredi soir, Ramaphosa a largement battu Julius Malema, le leader radical des Economic Freedom Fighers (EFF), qui a fait campagne sur un programme de nationalisation des banques et d'autres industries décisives. » Malema a obtenu 44 voix au parlement et Ramaphosa 283, pour le poste de président. La réélection de Ramaphosa a impliqué un accord avec Democratic Alliance et y compris ave Inkatha Freedom Party [IFP, 17 sièges] dominé par l'ethnie zoulou. Annelie Lotriet, membre de la direction de DA, a été élue comme présidente du parlement. Ramaphosa a déclaré : « Il ne s'agit pas d'une grande coalition de deux ou trois partis, mais d'un gouvernement d'unité nationale. Nous étions déjà ici en 1994 lorsque nous avons cherché à unir notre pays et à le réconcilier. »
Les secteurs capitalistes – entre autres ceux liés à DA – saluent l'accord comme marquant un tournant dans l'histoire récente, tournant présenté comme « une occasion de stabilisation et de relance économique ». Au plan international, les voix s'élèvent déjà pour une pause dans l'initiative de l'Afrique du Sud en direction de la Cour internationale de justice (la requête face à Israël) et une rediscussion sur la place des troupes sud-africaines en RDC, troupes intégrées à la Communauté de développement d'Afrique australe. Elles sont officiellement chargées d'aider « les forces gouvernementales de la RDC à lutter contre les rebelles du M23 ».
Toutefois une grande interrogation reste à propos de la stabilité de cette coalition. (Réd. A l'Encontre)
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La Via Campesina : Appel urgent pour sauver la révolution et le peuple soudanais
Dans le contexte de l'aggravation de la crise humanitaire et politique qui sévit au Soudan depuis le déclenchement de la guerre absurde le 15 avril 2023, le mouvement La Via Campesina exprime sa solidarité totale avec le peuple soudanais dans sa lutte héroïque pour la liberté, la paix et la justice.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/06/15/la-via-campesina-appel-urgent-pour-sauver-la-revolution-et-le-peuple-soudanais/
Le Soudan, qui a obtenu son indépendance en 1956 après des décennies de lutte contre le colonialisme britannique, est depuis confronté à de nombreux défis, notamment des conflits internes, des régimes dictatoriaux et une corruption endémique.
En 2019, le peuple soudanais s'est soulevé contre le régime du président Omar elBéchir dans une révolution pacifique connue sous le nom de « Révolution de décembre ». La révolution a réussi à renverser el-Béchir après de grands sacrifices, mais elle n'a pas pu réaliser le changement escompté, le pays souffrant toujours d'instabilité politique et économique. Cette révolution a été le résultat direct de décennies de privation et de répression subies par le peuple soudanais, notamment les jeunes confrontés à un taux de chômage élevé, et en particulier les agriculteur.rices qui représentent plus de 61% de la main-d'œuvre du pays. Ces derniers ont été maltraités par l'orientation politique des gouvernements successifs, servant les intérêts des investisseurs et des agents des multinationales, et exécutant les diktats de la Banque mondiale en matière de privatisation des terres.
Les Soudanais·es, en particulier les jeunes, ont souffert d'une corruption généralisée dans tous les secteurs de l'État, ainsi que d'une longue domination militaire qui a duré des décennies, réprimant les libertés fondamentales et empêchant le peuple d'exercer ses droits démocratiques. Cette situation a engendré un sentiment général de frustration et de désespoir, poussant toutes les couches de la société, en particulier les jeunes, à descendre dans la rue pour demander un véritable changement et des réformes radicales.
Cette période a suscité de grandes attentes quant à l'établissement d'un gouvernement civil capable de réaliser les aspirations du peuple soudanais, y compris celles des agriculteurs et agricultrices qui ont formé des comités pour récupérer les biens publics, comme les projets agricoles et les terres, afin qu'ils deviennent une propriété commune et ne soient plus sous le contrôle d'une élite dirigeante. Cependant, les forces militaires ont continué à dominer les rouages de l'État. Au lieu de la transition vers un gouvernement civil et démocratique, les conflits internes et les tensions politiques ont perduré, cherchant à servir leurs intérêts liés aux puissances mondiales et régionales.
Le 15 avril 2023, une guerre civile sanglante éclate au Soudan après l'échec des négociations entre le Conseil militaire de transition et les forces d'opposition. La guerre se déroule entre l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide, se transformant en une lutte de pouvoir entre ces deux factions, ce qui a conduit à une grave insécurité et à de graves violations des droits humains. La situation politique s'est compliquée, les divisions internes au Soudan se sont approfondies et la guerre s'est prolongée, avec des puissances régionales et internationales jouant un rôle dans l'exacerbation du conflit pour servir leurs intérêts en intervenant directement et en soutenant un camp au détriment de l'autre. Certaines sources accusent des acteurs étrangers, comme les États-Unis et l'Union européenne, de chercher à affaiblir le Soudan et à diviser ses ressources. Ces accusations suggèrent que ces puissances soutiennent les factions en conflit pour atteindre leurs propres objectifs géopolitiques.
Cette guerre a engendré une tragédie humanitaire effroyable, coûtant la vie à plus de vingt mille personnes, en blessant cinquante mille autres et en déplaçant plus de 8,5 millions de personnes de leurs foyers. De plus, la guerre a conduit à une destruction quasi totale des infrastructures, au pillage des marchés et des fermes, et à la perturbation des moyens de subsistance, aggravant de manière catastrophique les conditions de vie.
Aujourd'hui, le Soudan souffre d'une crise humanitaire sévère, caractérisée par une pénurie grave de nourriture, d'eau et de médicaments, ainsi que par la détérioration des services de santé et l'absence de sécurité. Plus de 24,7 millions de personnes ont un besoin urgent d'aide humanitaire, dont 14 millions d'enfants. Les hôpitaux fonctionnent en dessous de leur capacité, voire sont totalement arrêtés, et la sécurité alimentaire est en état d'urgence. Le mouvement La Via Campesina condamne fermement cette guerre absurde, financée et soutenue par des forces régionales au service de leurs intérêts étroits, la considérant comme faisant partie d'un plan impérialiste visant à affaiblir le Soudan et à faire échouer son processus révolutionnaire. Ces forces ciblent les ressources économiques du pays, y compris les terres agricoles et les projets vitaux tels que le projet Al Jazeera et Al-Managil, qui constituent l'épine dorsale de l'économie agricole au Soudan. Nous considérons que cette guerre n'est rien d'autre que la continuation des politiques néolibérales imposées par les puissances impérialistes depuis 1989, lesquelles ont conduit à la privatisation du secteur public et à la destruction des infrastructures agricoles et industrielles du pays. Ces politiques ont appauvri les agriculteur.rices et les travailleur.euses agricoles, les poussant au bord du gouffre, où leurs terres ont été confisquées et leurs récoltes saisies.
Le mouvement La Via Campesina affirme que la seule solution à la crise soudanaise réside dans :
– L'arrêt immédiat de la guerre et la cessation des interventions étrangères qui alimentent le conflit.
– La libération de tous les prisonniers politiques et des leaders des comités de résistance.
– La constitution d'un gouvernement civil représentant la volonté du peuple soudanais et exprimant ses aspirations.
-L'achèvement d'une constitution permanente reflétant les aspirations du peuple soudanais et garantissant les droits des citoyen.nes et la justice sociale.
Nous appelons toutes les forces progressistes et libres du monde à se solidariser avec le peuple soudanais dans sa lutte. Il est essentiel de faire pression sur les régimes qui soutiennent la guerre pour y mettre fin et de soutenir les efforts en faveur d'une solution politique pacifique pour restaurer la stabilité au Soudan et assurer une vie sûre et digne à tou.tes ses citoyen.nes. La lutte du peuple soudanais est une lutte pour la liberté, la dignité et la justice, et elle concerne l'ensemble de l'humanité. Aujourd'hui, le peuple soudanais montre sa résilience et sa détermination, et il est crucial que nous nous tenions à ses côtés en cette période critique.
Vive la lutte du peuple soudanais ! Vive un Soudan libre et fier !
La Via Campesina 22 mai 2024
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La marche de la « Nouvelle Calédonie » vers la « Kanaky indépendante »
La France coloniale montre encore une fois qu'elle n'a pas de parole, qu'elle n'est pas digne de confiance. Son Assemblée nationale vient de voter le reniement de l'engagement pris en 1988 par les « accords de Nouméa » que « seules les personnes inscrites sur les listes électorales avant la date de signature des accords de Nouméa en 1998 et leurs descendants pouvaient voter au référendum d'autodétermination ». En effet la nouvelle « loi sur le dégel du corps électoral » accorde « le droit de vote pour le référendum d'autodétermination aux colons européens non nés sur le territoire kanak ». Le communiste Bertolt Brecht disait : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple et le remplacer ». C'est ce que nous avons appelé un génocide par substitution que l'impérialisme colonial français poursuit aussi en Martinique, Guadeloupe et Guyane.
Tiré d'Afrique en lutte.
L'annexion coloniale française avait dès 1853 pris la forme d'une colonisation de peuplement dont l'objectif incessant et permanent est la minorisation dans leur propre pays, à défaut de la disparition ou quasi-disparition génocidaire à la manière étatsunienne des Amérindiens, des Kanaks. Ainsi de 100.000 habitants en 1800, la population autochtone est réduite un siècle plus tard à 40.000, puis en 1920 à 27.000 conséquence de la « pacification » par les massacres de masse et une prime à chaque soldats français ramenant des paires d'oreilles puis une tête de Kanak. Le nazisme colonial par l'obtention lors du génocide « en 1917... la prime était de 20 F pour un prisonnier et de 25 F pour un mélanésien mort ! ».
La révolte en 1988 s'était conclue par le massacre de la grotte d'Ouvéa se soldant par la mort de 19 militants kanaks et de deux militaires français. Comme les vrais « pères des indépendances africaines », les leaders Kanaks indépendantistes assassinés par l'ordre colonial sont Jean-Marie Tjibaou et Eloi Machoro.
Comme l'écrit mon camarade Algérien Saïd Bouamama « Alors que la Kanaky est inscrite par l'Organisation des Nations-Unies sur la liste des territoires à décoloniser depuis 1946 et que la France est annuellement épinglée pour son refus de respecter le droit à l'autodétermination du peuple kanak, l'État français tente par cette nouvelle manœuvre coloniale d'enterrer définitivement la perspective d'une Kanaky indépendante ».
Voilà pourquoi le sang coule à nouveau en Kanaky avec l'envoi de renforts militaires, des forces spéciales du GIGN ou du RAID qui répriment sauvagement la révolte populaire indépendantiste.
L'occident impérialiste hégémonique unipolaire séculaire barbare est en déclin face à l'exigence souverainiste des puissances émergentes porteuses d'un monde multipolaire (BRICS). En décadence, l'occident et la France impérialiste de plus en plus fascisants refusent par les guerres d'agressions, les sanctions et la répression coloniale le droit à l'indépendance des peuples, et nations. Cette fascisation est illustrée par la nature intrinsèquement répressive de la « démocratie » bourgeoise devenue à l'époque le capitalisme à son stade suprême l'impérialisme comme le dit Lénine à l'intérieur avec les mains et les yeux arrachés des Gilets Jaunes, les 49/3 soumettant le pouvoir Législatif au pouvoir Exécutif, les traitements inhumains fait au sans papiers, les interdictions et judiciarisation de la solidarité avec la Palestine génocidée, etc. Elle est illustrée aussi par la complicité totale des USA/OTAN/UE avec le fascisme colonial sioniste israélien qui commet depuis 1948 des crimes contre l'humanité et des épurations ethniques et religieuses en Palestine et aujourd'hui un génocide à Gaza.
L'impérialisme français s'entête vainement à maintenir coûte que coûte ses dernières colonies dont la Kanaky dans la prison coloniale pour continuer :
– à piller le nickel dont 10 % de la superficie du territoire en contient, soit 20 % des réserves mondiales prouvées, voire 40 % des réserves estimées pour les plus optimistes et qui produit 7.5 millions de tonnes de minerai brut extraites chaque année et 45 000 tonnes de ferro-nickel transformées, 9 % de la production de la planète, soit le 5e rang mondial ;
– à posséder la zone économique exclusive qui fait que d'une superficie de dix-huit mille cinq cents kilomètres carrés, la Kanaky dispose d'une zone maritime d' un million sept cent quarante milles kilomètre carré.
– à s'accaparer du sous-sol de cette zone décrite comme un sous-sol marin recelant des métaux rares, de cobalt et de manganèse, d'hydrocarbures ;
– à maintenir une présence géostratégique contributive de l'impérialisme français à la stratégie d'encerclement de la Chine communiste populaire par les USA/OTAN.
Cette nouvelle révolte populaire indépendantiste en Kanaky est annonciatrice du début de la fin de ce qui reste encore de l'empire colonial français en attendant que s'y mettent les Antilles et Mayotte qui doit retourner dans la patrie comorienne.
L'Afrique passée du colonialisme au néo-colonialisme prend aussi le chemin de la fin de la françafrique.
La solidarité anti-coloniale et anti-néocoloniale des peuples opprimés d'Afrique, des océans pacifique et atlantique est une exigence stratégique qui doit rencontrer la solidarité des internationalistes de France, d'Europe et des USA.
La Chine communiste populaire, la Corée du nord, le Vietnam, Cuba, l'Algérie, la Namibie, le Zimbabwe, l'Angola/Mozambique/Guinée-Cap-Vert/ l'Afrique du Sud ont vaincu, Palestine vivra.
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Législatives 2024 : face à la menace RN, la riposte féministe s’organise
Associations, collectifs et syndicats planifient, ensemble ou en parallèle, des actions le 23 juin pour faire barrage au Rassemblement national. Et appellent à voter à gauche, les 30 juin et 7 juillet.
Tiré de l'Humanité
www.humanite.fr/feminisme/elections/legislatives-2024-face-a-la-menace-rn-la-riposte-feministe-sorganise
Par Kareen Janselme <https://www.humanite.fr/authors/kar...> , L'Humanité, France. Mis à jour le 12 juin 2024 à 19h40
Depuis le coup de semonce de dimanche aux<https:/www.humanite.fr/politique/e...>'>élections européenneset la réplique sismique provoquée par la dissolution de<https:/www.humanite.fr/politique/e...>'>l'Assemblée nationale, les communautés féministes et queer s'interrogent sur les modes d'action efficaces et rapides à déployer pour contrer l'avancée du RN.
Très vite, les réseaux sociaux et des tribunes ont pu porter de nombreuses voix féministes. « L'extrême droite n'est pas une bonne nouvelle pour les femmes », a rappelé la Fondation des femmes, dénonçant le programme délétère du parti d'extrême droite contre les <https:/www.humanite.fr/feminisme/e...>'>droits sexuels et reproductifs, contre l'accès aux droits et aux services publics, précisant que « les femmes n'appartiennent ni à leur mari, ni à leur famille, ni à la patrie ».
Choisir la cause des femmes, qui avait persuadé la FI, le PS-PP, EELV et le PCF d'inscrire dans leur programme leur projet européen pour le droit des femmes et des personnes LGBTQI +, demandait dès le 9 juin une coalition des forces de gauche. « Nous ne nous résignons pas au tapis rouge que le président de la République déroule à l'extrême droite », précisait l'association.
*Une mobilisation commune le 23 juin*
Passé la réaction et la prise de parole engagée, des assemblées générales n'ont pas tardé à se réunir pour organiser la riposte sur le terrain. Mardi soir, la Fondation des femmes rassemblait une centaine d'organisations pour construire une journée d'action féministe. « C'est historique de notre point de vue, mais tout autant que ce moment », analyse Laura Slimani, directrice du pôle projets de la Fondation.
Comment rassembler une vague puissante et inclusive pour se faire entendre ? Si certains collectifs annoncent sans ambiguïté leur couleur politique à gauche, d'autres organisations plus institutionnelles ont du mal à s'afficher publiquement.
« Nous préparons une grande mobilisation pour le 23 juin, à laquelle toutes et tous pourront participer pour alerter sur les dangers de l'extrême droite pour les femmes, détaille Laura Slimani. Le mouvement doit être fort et visible à Paris et partout en France, mais inclure au-delà des organisations féministes. Tout l'enjeu est de créer quelque chose le plus large possible, que le mouvement féministe soit le catalyseur d'une grande mobilisation, complémentaire à celle du monde du travail du 15 juin et de la Marche des fiertés du 29 juin. Il faut occuper le terrain et montrer que la France dit non à l'extrême droite. »
*L'expérience militante des féministes en soutien à la campagne du front populaire*
Le même soir, simultanément, 200 militantes #NousToutes répondaient présent à un rendez-vous précipité. « Nous n'avons pas le temps d'attendre, toutes les réunions ont eu lieu en même temps, s'excuse presque Marie, l'une des porte-parole collégiales de #NousToutes. L'une d'entre nous s'est rendue à la réunion organisée par la Fondation des femmes, mardi soir, une autre membre menait la nôtre en même temps. J'en connais certaines qui participaient à l'Assemblée féministe Paris-Banlieue. Nous sommes toutes en contact entre nous pour développer des actions complémentaires. Les temps sont très courts. »
Leur collectif s'est, lui, prononcé franchement pour une union <https:/www.humanite.fr/politique/f...>'>de la gauche dès dimanche. « Nous appelons à voter le nouveau Front populaire, enchaîne Marie. Pour nous, le féminisme est à gauche. Mais là, notre premier objectif est d'aller récupérer un maximum de votes abstentionnistes, voire de faire changer certaines opinions en allant à la rencontre des personnes sur les territoires, notamment dans les petites localités. Notre second objectif est qu'il n'y ait /pas d'agresseurs parmi les <https:/www.humanite.fr/politique/a...>'>candidats /investis par les partis de gauche. »
#NousToutes entend utiliser ses outils et son expertise particulière : réaliser de grosses campagnes sur les réseaux sociaux, avec des messages simples et percutants luttant contre les fausses informations, mobiliser en masse par tractage et coordonner des actions de collage sur toute la France. « Nous voulons aussi interpeller des personnalités culturelles, éloignées du monde associatif, pour qu'elles prennent position et sensibilisent les jeunes », ajoute Marie – 60 % des 18-24 ans n'ont pas voté aux Européennes et doivent être mobilisés contre les idées fascistes.
La relève féministe, qui soutient le nouveau Front populaire, exige aussi que les agresseurs soient disqualifiés et insiste pour « l'investiture de femmes, jeunes, de quartiers populaires, milieux ruraux et du monde du travail ». D'autres assemblées générales s'organisent en banlieue, autour des mères isolées, dans les mouvements antiracistes, antivalidistes, queer et trans, ces prochains jours. Si un mot d'ordre commun n'a pas encore été trouvé, la résistance est collective.
*Sur le même thème :* « Stopper l'immigration sauverait les femmes européennes » : à Bruxelles, comment le RN instrumentalise les droits des femmes
Les associations féministes se mobilisent contre la menace que fait peser le RN
sur les droits des femmes.© Teresa Suarez / Réa
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Violences sexuelles : comment accompagner les survivantes ?
Interview de Lisa Serero par Francine Sporenda
Lisa Serero, autrice et défenseuse des droits humains, a débuté sa carrière en tant que journaliste spécialisée dans les questions d'identité. Victime elle-même de violences sexuelles, elle vient de publier « Nos survivantes. Violences sexuelles, le pouvoir des proches » (Leduc société)
FS : Vous rappelez que les violences masculines sont un problème majeur de santé publique à cause des nombreuses conséquences à long terme qu'elles entraînent pour les victimes. Par exemple, en 2020, 6,7 millions de personnes ont été recensées comme ayant été victimes d'inceste. Or une des conséquences fréquentes de la dénonciation de l'inceste, c'est l'explosion de la cellule familiale : en plus de son trauma initial, la victime est souvent accusée de mensonge et rejetée par sa famille. Pouvez-vous commenter sur les conséquences pour les femmes quand elles dénoncent leurs agresseurs ?
LS : Il faut d'abord s'imaginer le parcours du combattant qu'a dû traverser la victime avant même de dénoncer son agresseur : avoir mis des mots sur ce qu'elle a vécu, avoir accepté son statut de victime, s'être délestée (partiellement) de la honte générée par la violence sexuelle et de la culpabilité de dénoncer un membre de sa famille. Les victimes ont conscience qu'une telle révélation risque de faire exploser la cellule familiale et qu'elles se retrouveront au cœur du cataclysme. D'autant que la parole des enfants et des femmes est systématiquement mise en doute. La société leur prête souvent de mauvaises intentions, en particulier dans la dénonciation de violences sexuelles. Ces enfants ou ces femmes utiliseraient ce motif pour attirer l'attention, se venger d'un homme ou encore lui soutirer de l'argent.
Or, lorsque l'on écoute les victimes, on s'aperçoit qu'aucune d'entre elles n'a tiré de bénéfice de la dénonciation ! Dénoncer des violences sexuelles a un coût financier, psychologique, social extrêmement fort. Les survivantes prennent le risque de ne pas être crues et d'être rejetées par leur famille. Le déni des proches peut être dévastateur. Il est plus facile de traiter la victime de menteuse ou de menteur que d'imaginer son mari, son fils ou son frère agresser sexuellement une autre personne. Une étude montre d'ailleurs que les proches apportent davantage de soutien aux victimes lorsque l'auteur est un inconnu que lorsque c'est un membre de l'entourage, comme c'est le cas dans 90% des violences sexuelles.
Il existe aussi une profonde méconnaissance des mécanismes des violences sexuelles et du système de domination, notamment de l'enfant. Lorsqu'une victime décide de parler plusieurs années après les faits, cela peut être un instrument utilisé pour décrédibiliser sa parole, alors que l'emprise et l'amnésie traumatique empêchent la victime de parler juste après les faits. C'est donc la double peine pour les victimes. Ajoutons à cela la faible probabilité que leur agresseur soit condamné par la justice puisque 94% des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. On comprend alors mieux pourquoi de si nombreuses victimes préfèrent se murer dans le silence plutôt que d'affronter la violence de leur entourage et des institutions. Le problème, c'est que le manque de soutien de la part de l'entourage aggrave les séquelles du stress post-traumatique qui peuvent se manifester plus fortement et/ou plus durablement (troubles de l'alimentation, conduites à risque, anxiété, dépression…). Dans les cas d'inceste, moins de 2 victimes sur 10 entretiennent une bonne relation avec leur père et moins de 3 victimes sur 10 entretiennent une bonne relation avec leur mère.
FS : Vous dites que le soutien des victimes de violences masculines par l'entourage est crucial pour leur reconstruction mais vous signalez qu'une « réaction inadaptée, même bien intentionnée (…) peut aggraver la situation des victimes ». Vous détaillez ce qu'il faut éviter dans le soutien aux victimes : ne pas juger, ne pas dire « moi à ta place… », ne pas pousser la victime à porter plainte si elle n'est pas prête, etc. Pouvez-vous commenter ?
LS : Toutes les victimes interrogées dans le livre ont appréhendé l'annonce à leur entourage. Bien souvent, elles se sont d'abord confiées à une personne dont elles étaient certaines d'avoir le soutien. Parfois, il s'agissait d'une personne ayant également subi des violences sexuelles et apparaissant comme une garantie d'offrir un accueil adapté à la parole de la victime. Ces survivantes ont vécu une situation de domination, d'atteinte à leur dignité, les empêchant souvent de réagir, de manifester leur désaccord. Les proches doivent donc agir à l'inverse de cela en permettant à la victime d'être actrice de sa propre reconstruction. Le rôle des proches consiste à écouter, protéger, déculpabiliser et aider la victime à trouver son propre chemin vers le mieux-être.
C'est le ressenti de la victime qui compte et les proches doivent apprendre à le respecter ainsi que ses besoins. La domination opère aussi dans l'écoute que l'on pense apporter aux victimes. Or, une fausse ou une mauvaise écoute peut être dévastatrice. Mener l'enquête pour tenter de démêler le vrai du faux n'est, par exemple, pas le rôle des proches. Les conseils non sollicités sur ce qu'elle aurait dû faire ou ne pas faire sont aussi à éviter. La victime a plutôt besoin d'écoute, d'empathie, de non jugement. Sa parole sera suffisamment niée et minimisée par ailleurs, dans d'autres espaces. Et la temporalité de la victime n'étant jamais celle de l'entourage, il faut limiter les injonctions telles que « c'est du passé, il faut que tu avances ». La victime a son propre rythme et traversera de nombreuses fluctuations tout au long de sa reconstruction. La plainte peut d'ailleurs être une manière d'obtenir réparation comme elle peut générer un second traumatisme, en raison du manque de formation de nombreux policiers ou gendarmes et du faible taux de condamnation. Il faut donc respecter le choix d'une victime ne souhaitant pas entamer de procédure judiciaire.
Lorsqu'une victime semble aller bien parce qu'elle travaille, sort avec ses ami.es ou vit en couple, les proches considèrent que la violence sexuelle est derrière elle. Or la libération de la parole ne signifie pas forcément que la reconstruction est totale ! Parler, c'est même le début d'une autre bataille. C'est sur le long terme que les proches doivent apporter leur soutien et être attentif.ves aux séquelles du stress post-traumatique. La réaction des proches s'avère d'autant plus importante puisque peu de victimes ont accès à un parcours de soin adapté au psychotraumatisme.
FS : Vous dites que, pour les personnes aidantes, il y a le risque de tomber dans « l'accompagnement sacrificiel », que l'écoute de la victime peut réactiver des traumas chez elles et que « la victime peut devenir persécuteur et le sauveur victime ». Pouvez-vous expliquer ?
LS : Si les victimes vivent un #metoo depuis 2017, il faut s'imaginer que leurs proches aussi. Les parents, conjoint.es, ami-es, frères ou sœurs figurent parmi les victimes par ricochet. Et pourtant, les proches sont également, à leur niveau, oublié.es et impacté.es. Ces personnes peuvent se sentir démunies, impuissantes, en colère… ou dans l'incapacité de répondre aux besoins des victimes. Une révélation de violence sexuelle peut même faire ressurgir chez les proches un traumatisme passé. Ce n'est pas rien d'assister, voire de subir, les conséquences des violences sexuelles. Comment gérer les cauchemars, flash backs ou épisodes dépressifs de la personne que l'on aime ? Or, avec un accueil inadapté de la parole ou une absence de soutien, c'est à la fois le bien-être de la victime qui risque d'en pâtir mais aussi la relation familiale, amicale ou amoureuse que l'on entretient avec elle.
Il est essentiel que les proches soient outillé-es pour accompagner au mieux les victimes et préserver la victime ainsi que leurs relations avec cette dernière. Mais la capacité à mener cet accompagnement n'est pas innée. Pour pouvoir soutenir une victime, il est nécessaire de prendre soin de soi puisque cet accompagnement peut ressembler à un marathon, tant les séquelles des violences sexuelles s'immiscent dans toutes les sphères et tout au long de la vie. En voulant tenter de « sauver » l'autre, on risque à son tour de devenir la « victime » si l'on se réfère au « Triangle de Karpman » selon lequel le « sauveur » peut tomber dans une posture sacrificielle, au détriment de ses propres besoins. En tant que proche, il faut rester à l'écoute de ses propres émotions pour détecter d'éventuels signaux d'alerte. Il est important de déterminer ce qui relève de la responsabilité de l'entourage et ce qui ne l'est pas. Il ne faut pas hésiter à demander de l'aide à d'autres proches pouvant prendre le relais et à se faire aider par des professionnel.les si l'on sent que l'on n'arrive plus à un endosser ce rôle. Le syndrome vicariant est un traumatisme par procuration qui peut toucher les personnes écoutantes. Sans avoir directement vécu la violence sexuelle en question, il est possible que son récit génère chez les proches des séquelles. Ils et elles auront l'impression d'avoir vécu, senti, vu, entendu la scène au même titre que la victime.
FS : La réaction habituelle à la révélation des violences est l'incrédulité : « il est incapable de faire ça, c'est un si gentil voisin… ». Vous dites que les femmes victimes elles-mêmes sont souvent dans le déni, ont tendance à banaliser les violences qu'elles subissent, voire sont incapables de les identifier. Pouvez-vous commenter ?
LS : Chaque jour, nous côtoyons des femmes victimes de violences sexuelles. Avec un viol commis toutes les 7 minutes, comment ne pas banaliser ce fléau des violences sexuelles qui fait partie du quotidien d'une majorité de femmes ? Comment qualifier un acte de « violence sexuelle » quand il n'y a pas eu de « violence » telle qu'on se l'imagine ? Surtout lorsque l'auteur des violences sexuelles est, dans l'immense majorité des cas, connu de la victime. Ces agresseurs sont partout autour de nous : ce sont nos pères, nos frères, nos amis.
Le problème, c'est que la culture du viol nous a amené.es à penser que le viol, c'est cette agression commise par un sombre inconnu dans la nuit, couteau à la main. Et que tout ce qui ne correspond pas à cette « bonne » définition du viol n'en est pas un. On observe même que plus l'agression sexuelle se rapproche des représentations véhiculées par la culture du viol, plus les dépôts de plainte et les condamnations augmentent. Or, l'immense majorité des agressions sexuelles sont commises par des personnes que l'on connaît, sans violence. Cela ajoute de la difficulté à identifier les violences sexuelles.
La culture du viol contribue également à culpabiliser les victimes en véhiculant un ensemble de stéréotypes qui justifient, banalisent ou minimisent les violences sexuelles. Au lieu de se concentrer sur la violence et sur son auteur, on se focalise sur la victime et ses agissements. Portait-elle une jupe trop courte ? Etait-elle alcoolisée ? Ces questionnements sont tellement répandus dans la société qu'ils ont été intériorisés par un bon nombre de femmes. Par conséquent, la victime elle-même s'interroge sur la qualification de l'acte subi. « Si je ne me suis pas débattue, était-ce un consentement ? », « En même temps, je suis montée chez lui, donc je suis un peu responsable aussi », etc. Toutes ces représentations visent à inverser les rôles de victime et d'agresseur. Le viol est ainsi le seul crime pour lequel la victime se sent coupable et où il existe un climat de suspicion à la moindre dénonciation. Cela ne viendrait à l'idée de personne d'accuser une victime de cambriolage d'avoir menti ou de ne pas avoir crié. Si la victime ne parle pas tout de suite, on met en doute sa parole : « Pourquoi tu n'as rien dit pendant toutes ces années si c'est vraiment arrivé ? ». A l'inverse, si la victime parle tout de suite, elle est accusée de vouloir détruire la vie de son agresseur. Quoi qu'il arrive, la bonne victime et le bon agresseur n'existent pas.
FS : Les prédateurs sexuels ne reconnaissent pratiquement jamais leurs agressions, pourtant leurs dénis sont largement répercutés dans les médias : sur 1 000 affaires de viols recensées depuis 2017, seulement 2 agresseurs sont passés aux aveux. Les médias les présentent même parfois comme des victimes. Et en cas de harcèlement en particulier, ils contre-attaquent en lançant contre leur accusatrice un procès pour dénonciation calomnieuse voire diffamation, (comme PPDA l'a fait malgré les 18 témoignages de Médiapart contre lui). Pouvez-vous commenter ?
LS : C'est une totale inversion des rôles : les victimes se retrouvent à devoir se défendre, à dépenser des milliers d'Euros en frais d'avocat, sans oublier les coûts psychologiques générés par cette épreuve supplémentaire. Nier ou minimiser les faits dénoncés par une victime représente un anéantissement pour elle. Tandis que l'agresseur, lui, se positionne comme la victime et expose les prétendues conséquences néfastes qu'a pu générer l'accusation sur sa vie personnelle et professionnelle. Mais qui se préoccupe des conséquences sur la vie des victimes ? Qui s'intéresse aux dommages physiques, psychiques, relationnels des survivantes ? Les procès sont des moments d'une extrême violence pour les victimes de violences sexuelles, d'autant plus lorsqu'elles sont sur le banc des accusés. Les arguments utilisés par les avocats peuvent être d'une extrême violence pour décrédibiliser la parole des victimes, tout comme les analyses psychologiques qui ont montré leurs limites dans un certain nombre d'affaires.
En effet, certains professionnels pétris de misogynie ont pu contribuer à venir mettre en doute la parole des victimes suite à leurs analyses qui ne tenaient pas compte des particularités du psychotraumatisme. Les ripostes des agresseurs, telles que la plainte pour diffamation ou pour dénonciation calomnieuse, ne sont rien d'autre que des instruments utilisés pour bâillonner les victimes et montrer aux autres que, si elles osent parler, elles en paieront le prix.
FS : Les médias de droite accusent les féministes d'être « victimaires » quand elles dénoncent les violences masculines mais vous dites que, pour qu'elle cesse d'être une victime, la victime doit d'abord être reconnue comme victime ? Pouvez-vous expliquer ?
LS : Il serait préférable que les personnes qui luttent contre un discours perçu comme victimaire utilisent cette énergie pour lutter contre les violences sexuelles. Pour une victime, il est essentiel de remettre les choses à l'endroit en lui reconnaissant son statut de victime. La honte et la culpabilité l'auront suffisamment poussée à se sentir responsable des actes odieux commis par une autre personne. Cette reconnaissance, elle fait partie des 5 besoins des victimes tels que posés par Ruth Morris, abolitionniste pénale : obtenir des réponses à leurs questions sur les faits, voir leur préjudice reconnu, être en sécurité, obtenir réparation, donner un sens à ce qu'elles ont subi. En nommant la gravité des faits, en condamnant les actes de l'auteur, les proches contribuent à rétablir la dignité de la victime.
Récemment, une jeune femme prénommée Zéline s'est pendue trois ans après le viol pour lequel elle avait déposé plainte. Cette dernière a été classée sans suite et Zéline, se trouvant dans une grande détresse, avait demandé elle-même à être hospitalisée en unité spécialisée. Cependant, aucune place n'était disponible dans les établissements à proximité. Zéline s'est suicidée suite à une double défaillance, à la fois judiciaire et médicale. Son histoire n'est malheureusement pas isolée puisque les tentatives de suicide sont 4 fois plus élevées chez les victimes de viols que dans le reste de la population féminine. Le sentiment de solitude et l'absence de reconnaissance de la souffrance ont des conséquences graves.
Néanmoins, les besoins des survivantes évoluent. L'étiquette de « victime » ne doit pas résumer l'identité de ces personnes qui n'ont certainement pas envie d'être vues uniquement à travers le prisme des violences sexuelles subies. Il est intéressant de pouvoir aussi valoriser auprès d'elles les étapes passées, les victoires remportées pour souligner les évolutions à travers les années. Seule l'écoute permettra aux proches de percevoir les attentes des victimes.
FS : Vous parlez du « lourd silence des hommes » après #metoo est vous signalez que, d'après le HCE, 23% des hommes pensent qu'« on en fait trop sur les agressions sexuelles ». Vos commentaires ?
LS : On voit bien que #metoo n'a pas permis de modifier les représentations des hommes. Et ce, malgré les milliers de témoignages qui inondent les médias depuis 2017 et qui auraient pu susciter empathie et prise de conscience. Notre parole ne suffit donc pas. L'impunité subsiste aussi puisque la justice ne joue pas son rôle dissuasif. Or, nous avons besoin que les hommes se positionnent autrement que par le #NotAllMen et par une posture défensive. C'est d'un soutien et d'une profonde remise en question de leurs visions et comportements dont nous avons besoin, d'autant que ce sont eux qui détiennent encore le pouvoir politique, économique ou culturel. Nous devons encore passer par eux pour obtenir de véritables changements. Il a fallu attendre 7 ans pour qu'une tribune signée par 100 hommes soit enfin publiée dans le magazine Elle, ce mois-ci !
Néanmoins, parmi les proches masculins interrogés dans mon livre, tous se sont remis en question sur leurs propres représentations et comportements vis-à-vis des femmes. Découvrir les mécanismes et conséquences des violences sexuelles leur a permis de repenser leurs rapports aux autres sous le prisme du féminisme. En réalité, les violences sexuelles peuvent être vectrices d'évolutions positives au sein de l'entourage.
FS : 1% des viols aboutissent à une condamnation pénale (chiffres HCE). Vu les chiffres en baisse des condamnations pour viol et ceux en hausse du nombre des plaintes, pensez-vous que #metoo a eu des conséquences réelles dans la punition des violences sexuelles ? Les femmes parlent-elles « dans le vide et #metoo n'est-il qu'un « écran de fumée » ?
LS : A mon sens, #metoo n'a pas permis de montrer aux agresseurs que la partie était terminée. Ils continuent de sévir dans tous les milieux, tout le temps. Le nombre de condamnations n'a pas suivi la hausse du nombre de plaintes. Et les stéréotypes de genre persistent. En revanche, #metoo a permis d'accroître la libération de la parole, de développer l'empowerment des femmes ainsi que le concept de sororité. Désormais, de nombreuses victimes font bloc, se soutiennent mutuellement et peuvent sortir de leur isolement pour transformer leur vécu individuel en vécu collectif. Même si les oreilles ne sont pas suffisamment ouvertes, un mouvement est en marche et provoque peu à peu un raz-de-marée. Par ailleurs, les statistiques montrent que les jeunes dénoncent davantage et plus tôt les violences sexuelles donc l'impact de #metoo semble être remarquable sur les nouvelles générations.
Il nous reste à envahir les institutions qui, elles, n'échappent pas au patriarcat. Tant que des moyens humains et financiers, notamment pour des formations des professionnels de police, de santé et de justice, ou sur la mise en place effective de l'éducation à la vie affective et sexuelle, le changement massif n'aura pas lieu. Lorsque les féministes occuperont davantage de places de pouvoir, nous obtiendrons un réel impact de #metoo.
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Les jeunes féministes qui affrontent Milei
Cela fait six mois que le gouvernement Milei est entré en fonction en Argentine, et face à ses dangereux reculs en matière de droits, ce sont les féministes et les étudiant·es qui mènent l'un des principaux mouvements d'opposition. Voici l'histoire de trois d'entre elles.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Il fait déjà nuit lorsqu'il prend la parole. Des milliers et des milliers de personnes sont dans les rues. Nous sommes le 23 avril 2024 et la marche de l'université fédérale contre les politiques d'austérité du président argentin Javier Milei est massive. Certain·es disent même qu'il s'agit d'une des plus grandes mobilisations de l'histoire de l'Argentine.
Sur la place où la scène est installée, devant le Congrès national, il n'y a pas de place pour une épingle. Sur la scène, une poignée de recteurs/rectrices, d'enseignant·es, de non-enseignant·es, d'étudiant·es et de représentant·es de la société civile. Parmi elles et parmi eux, une jeune fille blonde de 26 ans aux cheveux longs, vêtue d'un T-shirt noir avec des lettres blanches « FUA ». Elle est escortée par deux autres jeunes filles du même âge.
Elle s'appelle Piera Fernández De Piccoli et est la présidente de la Federación Universitaria Argentina, l'association étudiante la plus importante du pays. Dans quelques minutes, cette jeune fille va devenir le centre d'attention de toute l'Argentine grâce à son discours percutant, qu'elle récite sans problème. D'une voix forte et déterminée, elle prononcera devant le micro des phrases telles que : « nous ne voulons pas qu'on nous enlève nos rêves », « notre avenir ne vous appartient pas », « nous sommes les fier·es fils et filles de l'université publique argentine », « nous sommes l'université publique libre et gratuite avec une entrée excellente dans la liberté et l'équité. Nous sommes l'université publique du grand peuple argentin ».
Piera, jeune femme féministe de 26 ans, est devenue pendant quelques heures l'une des voix les plus fortes contre le gouvernement d'extrême droite au pouvoir en Argentine depuis six mois et contre un président qui, selon sa collègue María Florencia Alcaraz, est « le président d'une expérience libérale libertarienne qui a explicitement désigné notre existence comme son ennemie ». Quelques minutes après avoir prononcé son discours devant des milliers de personnes, Piera restera sans voix.
« Qui est Piera Fernández de Piccoli, le visage et la voix de la FUA qui affronte le modèle libertarien ? », s'interrogent les portails d'information, ainsi que les animateurs de radio et de télévision. Trop d'exposition pour une jeune fille qui, quelques minutes plus tard, serait également victime d'une furieuse campagne de trolls, et qui serait traitée de « vaga » comme la plus subtile des insultes.
Mais Piera n'est pas seule. Au-dessus (et au-dessous) de la scène, elle partage la lutte avec deux autres jeunes féministes qui, comme elle, dirigent les fédérations universitaires les plus importantes du pays.
En Argentine, le mouvement féministe a une longue histoire et une imbrication de facteurs multiples qui inclut, entre autres, la lutte des Mères et Grand-mères de la Place de Mai : des femmes qui, dans la solitude, se sont battues depuis la fin des années 1970 pour retrouver leurs enfants et petits-enfants, victimes de la sanglante dictature civilo-militaire. Des femmes qui ont aujourd'hui plus de 90 ans et qui, depuis 2015, se sont jointes au cri de « Ni Una Menos », un cri collectif qui est devenu le symbole de la lutte du féminisme. L'une d'entre elles, Nora Cortinas, Madre de Plaza de Mayo, a participé à toutes les marches et a partcilièrement milité pour la campagne en faveur de l'avortement légal. Lors de la dernière marche du 3 juin, « Ni Una Menos » a également fait ses adieux à « Norita », comme tout le monde la connaît, qui était décédée trois jours auparavant.
Quelques heures avant de monter sur scène, Piera, qui ne vit pas à Buenos Aires mais à Río Cuarto, la deuxième ville de Córdoba, à 800 kilomètres de Buenos Aires, prend la tête de la colonne principale de la marche avec une banderole géante sur laquelle on peut lire « En défense de l'université publique ».
À ses côtés, une jeune femme au teint noir, aux cheveux bruns et bouclés qu'elle porte attachés, et portant un tee-shirt sur lequel est écrit « FUR ». Elle s'appelle Flor del Alba Cruz, elle a 25 ans et est présidente de la Fédération universitaire de Rosario, ville emblématique pour être le lieu de naissance de Lionel Messi, à 300 kilomètres de Buenos Aires. Lucille Levy, qui est tout aussi blonde que Piera, se trouve à mi-chemin de la liste, si tant est qu'elles aient l'air d'être sœurs ou cousines. À 28 ans, elle est à la tête de la Fédération universitaire de Buenos Aires (FUBA), qui regroupe les centres d'étudiant·es de l'Université de Buenos Aires (UBA), la plus grande du pays et l'une des plus prestigieuses d'Amérique latine.
Ce n'est pas la première fois qu'elles partagent une scène ensemble. Dans les premiers jours de novembre 2023, quelques semaines avant le scrutin au cours duquel Javier Milei a finalement été élu président, les trois animatrices ont organisé une manifestation contre les frais universitaires que le candidat libertaire prélèverait s'il devenait président. Des mois plus tard, les premières tentatives ont été confirmées et ensemble, une fois de plus, elles ont fait entendre leur voix, cette fois-ci auprès de millions de personnes dans tout le pays, dont de nombreux électeurs et d'électrices de Javier Milei.
Leurs histoires sont différentes et elles le sont aussi. Mais elles passent sans aucun doute par la même matrice. Aucune d'entre elles n'aurait été connue sans un pays dont l'emblème est l'université publique, gratuite et de qualité.
Piera a grandi à Río Cuarto, une ville agricole dotée d'une université publique. Le fait qu'il y ait une université dans cette ville n'est pas anodin. L'Argentine compte 70 universités publiques, gratuites et ouvertes. C'est l'un des rares pays au monde à disposer d'un tel système éducatif, ce qui explique qu'il soit si apprécié.
Sans être issue d'un foyer où l'on parlait de politique, elle a créé en 2013, à l'âge de 15 ans, avec ses camarades de classe, le centre des étudiant·es de son école secondaire, et s'est dès lors intéressée à la politique. À tel point que lorsqu'elle a dû choisir son cursus universitaire, elle s'est inscrite en sciences politiques. Elle s'est également impliquée dans un groupe d'étudiant·es.
En 2019, Piera a été élue présidente du Centre des étudiant·es en sciences humaines de l'Université nationale de Río Cuarto, quelques mois seulement après l'approbation de l'avortement légal en Argentine, un moment qui a mis le feu aux poudres dans tous les collectifs féministes. « Je voulais que les femmes commencent à occuper des espaces de décision, que nous commencions aussi à avoir de la visibilité dans les centres », se souvient-elle.
En 2022, elle devient la deuxième femme de l'histoire à diriger la Federación Universitaria Argentina, qui depuis sa création en 1918 n'avait eu qu'une seule femme à sa tête. « Être une femme est à la fois complexe et très agréable. Cela n'a pas été facile et cela ne l'est toujours pas. Mais je pense que ce qui est le plus merveilleux dans tout ce processus, c'est que nous nous soutenons les unes les autres, que nous nous épaulons et que nous faisons en sorte que les choses fonctionnent. La politique de l'université a également changé à la suite de ce processus. Elle est beaucoup plus fondée sur le dialogue, beaucoup plus calme, beaucoup plus collective, beaucoup plus humaine. Je le constate dans toutes les universités que je fréquente. Les anecdotes ne sont plus les mêmes qu'il y a une vingtaine d'années.
Comme Piera, Lucille Levy, 28 ans, n'a pas grandi dans un foyer politisé. Elle est née à Buenos Aires au milieu des années 1990 et a fréquenté des écoles publiques. Mais à l'université, elle n'a pas hésité à s'inscrire à la faculté d'économie, qui fait partie de l'UBA, pour devenir comptable. L'UBA est la plus grande université du pays et l'une des plus prestigieuses d'Amérique latine. Fondée en 1821, elle offre plus de 80 carrières, a formé 16 présidents argentins et 5 prix Nobel. « Lula », comme tout le monde le connaît, y est entré sans penser que cet endroit le transformerait.
Peu intéressée par la politique, mais influencée par la vague féministe qui commençait à prendre forme en Argentine, elle a commencé à participer au centre des étudiant·es de sa faculté avec l'aide d'une amie. « J'ai commencé à aimer la vocation d'aider. C'était vraiment un centre d'étudiant·es qui faisait de son mieux, qui améliorait les conditions de cours pour chacun et chacune d'entre nous », raconte Lula.
Et ce qui avait commencé comme une chose passagère est devenu la chose qui a le plus accaparé son temps et sa vocation. À tel point qu'en 2016, elle a été élue présidente du Centre des étudiant·es en économie, l'un des plus importants du pays, d'où sont sortis de nombreux ministres argentins de l'économie. Lula devient la deuxième femme de l'histoire à occuper ce poste. Cinq ans plus tard, en 2022, avant les élections des autorités de la Fédération universitaire de Buenos Aires (FUBA), l'organisation étudiante qui regroupe tous les centres d'étudiant·es de toutes les facultés de l'UBA, lui propose la présidence. « J'ai beaucoup hésité lorsqu'on m'a proposé ce poste. En plus de toutes les insécurités personnelles que l'on peut avoir pour diriger quelque chose d'aussi grand que la FUBA, j'avais logiquement peur parce que j'étais une femme. Parce lorsqu'une femme prend le pouvoir, tout le monde met un point d'interrogation sur la table. Et cela n'arrive pas aux hommes. Mais nous, les femmes, nous restons dans le doute : « Sera-t-elle capable de se défendre ? Et grâce au soutien de ses collègues, mais surtout de ses collègues femmes, elle a relevé le défi. Après la FUA, la FUBA est le poste le plus important que l'on puisse occuper dans la politique étudiante universitaire.
« La vérité est que travailler côte à côte avec Piera et Flor, ainsi qu'avec d'autres collègues femmes qui dirigent des fédérations universitaires, est un soutien très important et fondamental. Nous nous comprenons, je me sens à l'aise et je ne suis pas jugée. Je n'ai pas besoin d'élever la voix pour parler, nous nous écoutons les unes les autres. Se sentir accompagnée, ce n'est pas rien dans ce genre d'environnement. Mais d'un autre côté, je pense que cela brise aussi beaucoup de mythes. Personne ne s'attendait à ce que Piera fasse un discours comme celui qu'elle a prononcé lors de la manifestation contre les politiques d'austérité. Et pourtant, c'était impressionnant, elle a brisé toute les formes de stigmatisation et a montré que les femmes peuvent vraiment être à l'avant-garde de ces espaces. Qu'on ne vienne pas nous dire le contraire », dit Lucille.
Flor del Alba Cruz aime à se décrire comme la première femme d'origine africaine à diriger une fédération universitaire. Née en République dominicaine, elle est arrivée en Argentine très jeune, car le mari de sa mère est argentin. Elle a toujours étudié dans des écoles publiques et n'a pas hésité à s'inscrire à l'université de Rosario pour étudier la communication. En 2016, alors qu'elle était en première année, elle s'est sentie interpellée par un congrès sur la démocratie organisé par les étudiant·es, ce qui l'a amenée à devenir activiste. Elle est devenue présidente du centre étudiant de la Faculté de politique et, plus tard, présidente de la Fédération qui regroupe tous les centres étudiants de l'Université de Rosario.
« Depuis 2015, et surtout avec la lutte pour la dépénalisation de l'avortement, il y a eu une grande sensibilisation de la part des femmes universitaires qui, bien sûr, étaient dans nos espaces militants, mais ce qui est intéressant, c'est qu'en quelque sorte, au-delà de l'appartenance à un espace idéologique ou à un parti politique particulier, nous étions en quelque sorte dans un lieu d'égalité lorsqu'il s'agissait de discuter de questions liées au féminisme et de critiquer les structures de nos propres partis politiques », explique Mme Flor.
Mais il y a quelques semaines, comme Piera, au milieu des débats sur la crise universitaire, où Flor était l'une des voix les plus critiques à l'égard des politiques de Javier Milei, elle a été attaquée sur les réseaux sociaux, en grande partie parce qu'elle était d'origine africaine. Bien que la lecture de tous ces commentaires xénophobes ait été douloureuse pour elle, elle n'a pas abandonné le combat et a continué à avancer. Je pense que le mouvement étudiant a beaucoup à apprendre, mais aussi à transmettre à la politique nationale, car même si nous avons nos différences, nous n'avons aucun problème à les mettre de côté et à parier sur une construction collective lorsque des droits aussi importants que l'éducation sont en jeu », dit-elle. « Et cela passe sans doute aussi par plus de féminisme », conclut-elle.
Bien qu'elles aient moins de 30 ans, elles font partie du mouvement féministe qui, en Argentine, a débordé à partir de 2015 et toutes les trois ont activement milité en 2018 et 2020 pour que l'avortement soit légalisé. Aujourd'hui, alors que le gouvernement tente de faire taire les collectifs féministes, démantèle les politiques publiques contre les violences de genre, démantèle le ministère de la Femme et des Diversités, interdit le langage inclusif et promeut les discours de haine, un nouveau phénomène se propage avec des jeunes femmes à l'avant-garde du corps étudiant. Il y a quelques jours, le gouvernement a annoncé qu'il était parvenu à un accord avec les recteurs de toutes les universités publiques nationales pour augmenter le budget des frais de fonctionnement. Le porte-parole présidentiel Manuel Adorni a annoncé lors d'une conférence de presse que l'augmentation serait d'environ 270%. Ce n'est pas la solution complète au problème, mais c'est un petit pas en avant.
Tali Goldman
https://volcanicas.com/las-jovenes-feministas-que-enfrentan-a-milei/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Tisser des propositions émancipatrices : les femmes des Amériques dans la formation féministe
Des organisations se sont réunies au Guatemala pour préparer une nouvelle édition de l'École de facilitatrices qui aura lieu en août 2024
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/06/14/tisser-des-propositions-emancipatrices-les-femmes-des-ameriques-dans-la-formation-feministe/
photo Vanessa Ordoñez
Les transformations sociales systémiques exigées par les mouvements populaires accumulent d'innombrables expériences historiques et pratiques émancipatrices qui s'entrecroisent. L'articulation politique et l'éducation populaire sont des stratégies fondamentales pour renforcer et élargir l'organisation féministe. Elles doivent donc marcher ensemble. En alliance et avec des processus de formation, les organisations féministes et populaires approfondissent leurs perspectives et radicalisent leur agenda et leurs actions, formulant de nouveaux horizons.
Entre le 5 et le 7 mai 2024, des femmes militantes de divers mouvements qui participent et construisent le processus de l'École internationale d'organisation féministe « Berta Cáceres » (IFOS en anglais) se sont réunies à Antigua, au Guatemala, pour une autre étape d'articulation et de réflexion. « L'école est une réponse à ce besoin stratégique de formation politique pour renforcer les mouvements et construire un sujet politique pluriel et féministe », explique la coordinatrice Sandra Morán, du Guatemala.
La rencontre a été fructueuse dans la réflexion sur les pratiques et stratégies politiques communes. Les méthodologies d'éducation populaire ont facilité l'identification de spécificités et de perspectives diverses parmi les organisations impliquées, visant à construire des synthèses et des chemins communs. « Nous tissons nos articulations, nos expériences et aussi nos échecs pour apprendre et continuer à tester des alternatives qui viennent des bases et qui cherchent à résoudre les contradictions que nous avons en mouvement », déclare Cindy Wiesner, directrice de la Grassroots Global Justice Alliance (GGJ) des États-Unis.
« Cet espace construit à partir de tendresse, d'amour et de complicité nous enrichit et nous aide à nous reposer des exigences que nous imposons à nous mêmes. Nalu nous a toujours dit ça », rappelle Sandra en parlant de l'importance des liens de confiance construits dans les espaces de formation et des contributions de Nalu Faria, qui a accompagné toute la construction d'IFOS depuis le début de ce processus en 2018.
Un processus de formation en construction permanente
« Tisser nos propositions émancipatrices » était le titre de la rencontre au Guatemala, qui visait à partager les méthodologies et les agendas du féminisme populaire en préparation des prochaines activités de l'École. « Nous avons eu des conversations très honnêtes sur nos propres défis au sein des organisations et des mouvements. », évalue Cindy. Les participantes ont également partagé des analyses et cherché à trouver des réponses en commun à la conjoncture régionale et internationale des guerres, des génocides, de la criminalisation, de l'appauvrissement et de l'ensemble des attaques du capital contre la vie.
« Les féminismes populaires sont sur la même longueur d'onde, chacun avec ses spécificités. » Cony Oviedo
En août 2024, l'IFOS organisera une autre édition de son École de facilitatrices au Honduras, une étape fondamentale pour la multiplication des connaissances et des pratiques d'apprentissage dans chaque pays et territoire. En mai 2025, une nouvelle édition internationale de l'École aura lieu au Kenya.Après la concentration des activités en mode virtuel, le retour aux activités internationales en présentiel permet l'échange entre les mouvements sociaux et entre les générations de militantes, évalue la Cubaine Gina Alfonso, du Groupe de recherche Amérique Latine : philosophie sociale et axiologie (Galfisa).
« Nous sentons déjà que nous faisons partie d'une communauté qui commence à se tisser ensemble » Sandra Morán
Depuis l'édition 2023 de l'IFOS, qui s'est tenue au Honduras, le processus a impliqué des organisations qui font partie de la Journée continentale pour la démocratie et contre le néolibéralisme, une articulation latino-américaine et caribéenne qui rassemble des mouvements syndicaux, féministes, paysans, écologistes, entre autres. « L'IFOS est un instrument que nous avons construit en alliance, qui reflète la pensée politique accumulée par les organisations et qui est en train de s'enrichir. C'est, en fait, un espace vivant », définit Sandra. Le défi auquel l'École est confrontée est similaire à celui identifié lors de la Journée continentale, selon Nadia dos Santos, de la Confédération syndicale des Amériques (CSA) : que les débats ne se limitent pas à la portée régionale et soient liés à la réalité de chacune des organisations nationales et locales liées à l'articulation.
L'économie féministe comme stratégie
L'école a également été un espace riche dans les élaborations sur l'économie féministe – que, comme le déclare Cindy, « doit être populaire, plurielle, émancipatrice et diversifiée, avec une proposition de vie très claire contre tous nos ennemis qui soutiennent les systèmes d'oppression ». À l'École, le féminisme populaire n'est pas traité comme un axe uniquement, ni comme un sujet réservé aux femmes et aux personnes dissidentes de genre.
« L'économie féministe est une alternative à ce système raciste, homophobe, patriarcal et colonial. Nous proposons et collectivisons cette proposition depuis des décennies dans nos luttes et dans notre travail pour créer des alternatives. » Cindy Wiesner
La dette et la dynamique de l'appauvrissement sont des axes fondamentaux de l'imbrication du capitalisme, du racisme et du patriarcat. Confronter les agents du capital et leurs pratiques d'exploitation est nécessaire pour modifier la corrélation des forces du conflit capital-vie. Pour cela, il est nécessaire d'analyser le capitalisme d'un point de vue féministe, explique Gina.
La souveraineté alimentaire est aussi un horizon articulé à la proposition de l'économie féministe. « Le projet de souveraineté alimentaire peut non seulement sauver l'agriculture, mais aussi sauver l'humanité », déclare Wendy Cruz de l'organisation hondurienne 25 Novembre, liée à La Via Campesina et à la Marche Mondiale des Femmes. Au cours de l'École, les participantes ont créé une véritable mosaïque de luttes interconnectées, ajoutant les résistances et les alternatives proposées par leurs organisations. María de los Ángeles, du Mouvement des personnes touchées et affectées par les barrages (MAR, acronyme en espagnol), par exemple, a parlé des liens entre le féminisme et l'énergie. Quelles propositions d'économie féministe voulons-nous et comment cela se combine-t-il avec un modèle d'énergie communautaire, visant au bien-vivre ? Ses questions ont été reprises par Mercedes Gould, des Amis de la Terre Amérique latine et Caraïbes (Atalc), qui a partagé la proposition d'une transition juste et féministe.
« Rien n'est gravé dans la pierre. Dans les processus de dialogues, de rencontres et de formation, nous construisons cet autre monde possible avec lequel nous rêvons. » Cony Oviedo
« Quand nous parlons de la vie, nous ne parlons pas seulement des femmes ou des gens. Nous parlons de toutes les vies qui existent sur cette planète et de la façon dont nous les plaçons au centre. Nous pensons prendre soin de la nature, dans des relations plus solidaires et équitables où le travail de reproduction est reconnu et réorganisé », propose Cony Oviedo, du Paraguay, membre du Comité international de la Marche Mondiale des Femmes. Les dichotomies patriarcales, comme celle qui hiérarchise la vie humaine et non humaine, font partie du problème et doivent être affrontées à partir d'une proposition politique qui affirme l'interdépendance des êtres humains et notre écodépendance par rapport à la nature.
Dans ce même sens, la séparation patriarcale entre le corps et l'esprit est constamment subvertie dans les processus de formation féministe, à la fois dans les discussions et dans l'approche du corps et de la sexualité des femmes, ainsi que dans les méthodologies créatives et corporelles d'apprentissage et de débat. En tant qu'activité basée sur l'éducation populaire, il y a eu aussi de beaux moments de mystique, qui font connaître aux participantes d'autres cultures et territoires, se souvient Andrea Ross Beraldi, d'Alba Movimentos.
« Les rencontres au Honduras et au Guatemala nous donnent des tâches à accomplir, car il y a des discussions très approfondies que nous devons transférer à nos organisations et construire à partir des bases. Cela alimente nos processus nationaux et régionaux » Wendy Cruz
Rédaction par Helena Zelic à partir des interviews menées par Renata Reis, Valentina Machado et Vanessa Ordoñez
Édité par Tica Moreno
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
https://capiremov.org/fr/experiences/tisser-des-propositions-emancipatrices-les-femmes-des-ameriques-dans-la-formation-feministe/
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Ukraine : travailleuses sociales en temps de guerre
Il y a des gens qui, au moment où ils sont en danger de mort, pensent d'abord à celles et ceux qui ont besoin d'aide. Ces personnes sont nombreuses, dont les travailleuses sociales.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Ces dernières années, il y a eu de nombreux exemples de travailleuses sociales qui ont continué à distribuer de la nourriture et des médicaments à des retraités et à des personnes handicapées sous le feu de l'ennemi, et qui ont fait parvenir les pensions. Il y a également eu des personnes qui, soucieuses de la sécurité des personnes âgées, les ont accueillies chez elles. Les travailleuses sociales expliquent que, dans ces situations, elles ont été motivées non pas tant par le désir de conserver leur emploi, où elles perçoivent un salaire plutôt modeste, que par le sens des responsabilités. Dans cet article, nous vous parlerons du travail désintéressé des travailleuses sociales, nous verrons si leur travail est apprécié aujourd'hui et nous interrogerons les travailleuses sociales elles-mêmes sur les problèmes de l'aide sociale en Ukraine.
« Le seul qui a accepté de travailler »
Les travailleuses sociales sont chargées d'aider les personnes vulnérables, notamment les retraités isolés et les personnes souffrant de handicaps physiques et psychologiques qui ont besoin de soins, de services domestiques et médicaux. La situation est souvent extrême, car ces personnes sont souvent incapables de s'occuper correctement d'elles-mêmes dans la vie de tous les jours. Certains membres du personnel, conscients de cette situation, n'ont pas quitté leurs protégés, même lorsque les bombardements ont commencé à être intenses, se mettant ainsi en danger de mort. C'est le cas de Lilia Blazhko, une assistante sociale originaire du village de Pavlivka, dans la région de Soumy, à deux kilomètres de la frontière russe. Cette femme explique qu'elle est entrée dans le secteur social par hasard.
« Lorsque la guerre a éclaté, j'étudiais à l'école de Bilopillia, mais je suis retournée presque immédiatement à Pavlivka. À l'époque, le village cherchait une travailleuse sociale. Il fallait aider dix habitants. Mais personne ne voulait le faire – ils avaient peur. J'ai été la seule à accepter de travailler » raconte Liliia à Commons.
Malgré le retrait des troupes russes de la région au printemps 2022, il est toujours dangereux de vivre à Pavlivka. Le village est régulièrement bombardé, ne laissant sur place que 160 habitants sur plus de 800. Récemment, un obus a touché une cour, endommageant une maison et ses dépendances. Les propriétaires n'ont pas été blessés car ils travaillaient dans le jardin au moment de l'arrivée de l'obus. Il convient de noter que Pavlivka est un village qui ne compte pratiquement qu'une seule rue, qui s'étend sur 10 kilomètres. Pour se rendre auprès de la personne nécessitant des soins, Lilia Blazhko doit parcourir une distance considérable, et ce uniquement à pied, car elle ne peut pas faire de vélo.
Au cours de son séjour dans le village sur la ligne de front, elle a appris à identifier les « sorties » et les « arrivées ». En cas de bombardement intensif, elle descend à la cave avec les personnes qu'elle aide, ou si elle est surprise sur la route, elle cherche un abri au bord de la route. Les tâches de Lilia consistent non seulement à distribuer les pensions, de la nourriture et des médicaments aux personnes à mobilité réduite, mais aussi à participer aux tâches ménagères : lavage, cuisine, nettoyage et aide au jardin. Entre autres choses, Lilia peut également effectuer de petites réparations, comme poser du papier peint. Elle affirme que cela ne lui pose aucun problème, car elle est peintre et plâtrière de profession. Malgré les conditions de travail dangereuses, elle reçoit 6 500 UAH [149 euros] par mois pour son travail.
Il n'était pas question de laisser des gens derrière soi
Vira Temchenko, habitante de Verkhnya Syrovatka, dans la région de Soumy, aide 17 habitants depuis le début des hostilités, dont sept de sa propre initiative, car leurs proches sont partis et il n'y a personne pour s'occuper d'eux. Elle raconte que les bombardements du village ont commencé dès les premiers jours de la guerre. L'assistante sociale se souvient du moment où elle a entendu pour la première fois des obus voler au-dessus de sa tête.
« Je me souviens que j'étais à vélo pour livrer du pain à un homme handicapé et à sa mère, également handicapée. Soudain, les bombardements ont commencé. L'air vibrait au passage d'un obus. J'ai décidé de poursuivre ma route, à une vitesse que je n'avais jamais connue auparavant. La fois suivante, alors que j'allais chercher les pensions au bureau de poste pour la remettre à des gens, j'ai été retardé. Soudain, des tirs d'obus ont commencé à proximité. Il s'avère que les tirs ont eu lieu, en particulier, autour du chemin que j'étais censée emprunter auparavant » raconte Vira Temchenko.
La femme affirme que sa famille a essayé à plusieurs reprises de la persuader de quitter son emploi, mais qu'elle a refusé.
« Je ne pouvais pas laisser les gens derrière moi. Qui s'occuperait alors d'eux ? C'est parce que moi et d'autres travailleuses sociales avons continué à les aider malgré les bombardements que ces personnes ont traversé une période difficile, car elles ont compris qu'elles ne seraient pas abandonnées. Pendant toute la période des bombardements, aucune travailleuse sociale de notre communauté n'a quitté son travail. Et aujourd'hui, alors qu'il existe un risque de nouvelle invasion dans notre région, toutes les travailleuses sociales de la communauté ont déclaré qu'elles continueraient à travailler » a déclaré la femme.
Parlant des spécificités de son travail, Vira Temchenko admet tristement que sa profession n'est pas particulièrement populaire dans la société. Vira n'a commencé à être fière de sa profession qu'il y a quelques années, lorsqu'elle a commencé à travailler en tant qu'assistante sociale et qu'elle a pris conscience de la responsabilité qui lui incombait. Selon elle, les jeunes hésitent à se lancer dans le travail social, et celles qui le font abandonnent souvent parce qu'elles ne supportent pas les conditions de travail. En effet, elles doivent s'occuper de personnes souffrant de troubles mentaux ou ayant un mode de vie pas très social.
« Personne ne veut pas s'occuper de ces personnes. Il y a aussi des problèmes de déplacement. En été, je fais du vélo, qui m'a été donné spécialement à cet effet, mais en hiver, je ne peux pas vraiment faire ainsi le tour du village, je dois beaucoup marcher. Quant à la journée de travail, elle commence souvent une heure plus tôt car il faut que j'aie le temps d'acheter les produits que les retraités me demandent, car ils ont l'habitude de les acheter auprès de certains vendeurs. En ce qui concerne le salaire, nous avions l'habitude de gagner plus parce que nous avions des primes, mais aujourd'hui le salaire est plus bas et s'élève à 6 400 UAH par mois » détaille Vira Petrivna.
Elle estime que l'État doit promouvoir le travail des travailleuses sociales dans la société, tout en améliorant leurs conditions de travail et en augmentant leurs salaires. Cependant, malgré des conditions de travail difficiles et un salaire modeste, l'assistante sociale nous assure qu'elle aime son travail. Elle dit s'inquiéter chaque fois qu'elle voit un appel en absence des personnes âgées qu'elle aide, et que si elle n'arrive pas à les joindre pendant un long moment, elle se fait du souci pour leur santé. « Je pense que les personnes âgées devraient mériter plus d'attention et de respect aujourd'hui », conclut-elle.
Le travail de Natalia n'a pas diminué
Nous nous sommes entretenus avec une autre assistante sociale de Verkhnia Syrovatka, Natalia Zelenina. Depuis le début de la guerre, cette assistante sociale de dix-sept ans d'expérience a aidé onze personnes. Parmi elles, une habitante de 101 ans, Kateryna Alekseevna, que Natalia a accueillie chez elle parce qu'elle craignait pour sa vie : la vieille dame aimait s'asseoir près de la fenêtre, dont des éclats pouvaient la blesser en cas d'explosion. Comme il n'y avait pas de lit supplémentaire dans la maison de Zelenina, l'assistante sociale a installé la retraitée dans son propre lit, dormant elle-même à même le sol. Une semaine après son emménagement, un obus a frappé la cour de sa grand-mère, brisant les portes et les fenêtres.
Natalia Zelenina nous a raconté que du 24 février au 26 mars, alors que les troupes russes se trouvaient à Verkhnia Syrovatka, elle n'a pratiquement pas dormi parce qu'elle avait peur d'être la cible de tirs. En même temps, elle ne voulait pas se cacher dans la cave et laisser sa grand-mère seule dans la maison.
« Il y a eu des jours où les explosions étaient continues, mais je devais livrer de la nourriture aux gens. Je demandais alors à mon mari de me conduire en voiture. S'il n'y avait pas d'explosions, je me déplaçais à vélo. Bien sûr, j'étais consciente de tous les risques, mais comment pouvais-je laisser les gens qui comptaient sur mon aide » explique l'assistante sociale.
Depuis la fin des hostilités dans la région, le travail de Natalia Zelenina n'a pas diminué. Chaque jour, elle doit rendre visite à plusieurs personnes à qui elle livre non seulement de la nourriture, mais qu'elle aide aussi dans leurs tâches ménagères.
« Aujourd'hui, j'ai rendu visite à quatre personnes. Pendant la journée, j'ai lavé du linge, préparé des repas, acheté des médicaments à la pharmacie, fauché les herbes des chemins autour de la maison pour une vieille dame avec une faux à main et planté des concombres. Parfois, quelqu'un me demande de venir l'aider le lendemain, alors que son tour est à la fin de la semaine. Je ne peux pas refuser, car je comprends que c'est la période du jardinage et que tout le monde veut planter à temps. Comment fais-je pour tout faire ? On voit encore très bien jusqu'à huit heures du soir, c'est pourquoi je dois souvent rester deux ou trois heures de plus au travail. Mais je n'ai pas le temps de faire quoi que ce soit à la maison » explique l'assistante sociale.
De toutes les travailleuses sociales avec lesquels nous nous sommes entretenus, Natalia Zelenina est la seule à posséder un vélo électrique, offert par ses enfants. Elle dit qu'il lui permet d'économiser beaucoup d'énergie. Son mari est également d'une grande aide, puisqu'il emmène de sa propre initiative certains retraités à l'hôpital du centre régional, situé à 12 km du village.
Voyages dangereux
Natalia Adamenko, de la région de Tchernihiv, apporte son aide aux habitants de trois villages frontaliers : Pushkary, où elle vit, et les habitants des villages voisins de Kovpynka et Kremsky Bugor. Elle doit parfois parcourir de longues distances à vélo, voire à pied. Depuis le début des hostilités, Natalia n'a pas quitté son travail un seul jour, même si la région est périodiquement bombardée par des roquettes Grad.
« Effrayant ou pas, je dois y aller. Une fois, j'ai failli être la cible de tirs. Je devais me rendre à Kremsky Bugor pour rendre visite à un homme âgé, mais il m'a appelée pour me dire qu'il était en ville et que je ne devais pas venir. Quelque temps plus tard, le village a été bombardé », raconte Natalia.
Bien que la région soit relativement calme aujourd'hui, les villages où Natalia a des protégés qui sont situés à 10-15 km de la frontière et sont donc régulièrement touchés par des obus. De ce fait, même les ambulances refusent de se rendre dans les villages. L'une des particularités du travail d'une travailleuse sociale de l'Oblast de Tchernihiv réside dans les longues distances.
« Il y a huit kilomètres « aller » de ma maison à l'une de mes grands-mères à Kovpyntsi. J'y vais à vélo. S'il pleut ou s'il neige, mon mari m'y conduit. Mais maintenant, l'eau est montée près du village pour la deuxième année consécutive, et il est impossible de passer, alors je marche… Kremskyi Buhra est plus proche, mais il faut aller tout droit à travers la forêt, ce qui est dangereux parce que les chiens y courent. On y a vu des loups qui attaquaient les chiens domestiques » explique la femme.
Le travail de Natalia Adamenko est similaire à celui des autres femmes que nous avons interrogées : livraison de nourriture, de médicaments, aide aux tâches ménagères et au jardinage. Récemment encore, Natalia a dû apporter de l'eau potable à l'une des vieilles dames de la ville voisine de Kovpynka, car l'eau des puits de la retraitée et de ses voisins, qui vivent à l'extrémité du village, s'était tarie.
« Je prenais donc un bidon de 20 litres à la maison, j'allais chercher de l'eau à une pompe publique, située à un kilomètre et demi de là, et je l'apportais à la retraitée. Mais après la diffusion d'un reportage à la télévision, le problème de la colonne du puits cassée a été résolu » explique Natalia.
Cette femme travaille comme assistante sociale depuis 14 ans et n'envisage pas de quitter la profession. Elle dit aimer son travail, bien que son salaire soit très modeste – 5 500 UAH [126 euros] par mois. Le mari de Natalia ne travaille pas et la famille doit donc économiser sur tout.
Une pierre angulaire du soutien social
Afin de fournir un soutien social décent à la population, un financement substantiel est nécessaire, car les fonds ne servent pas seulement à payer les salaires des travailleuses sociales, mais devraient également être utilisés pour financer les prestations aux personnes âgées car les capacités financières de nombreuses catégories de citoyens vulnérables sont extrêmement limitées.
« En avril, je suis allée en ville avec une retraitée dont je m'occupe, et elle a acheté pour 2 700 UAH [61 euros] de médicaments : cinq injections, quelques pilules et une miche de pain. De nombreuses personnes à mobilité réduite dépensent également beaucoup d'argent pour se rendre à l'hôpital de Novhorod-Siverskyi. Le bus de notre village se rend en ville une fois par semaine, il est donc bondé de passagers, et les pauvres retraités avec leurs cannes ne peuvent tout simplement pas monter à bord. C'est pourquoi de nombreuses personnes âgées sont obligées de louer les services d'un chauffeur avec leur propre moyen de transport. Un tel voyage coûte entre 800 et 900 UAH [18-20 euros] » nous raconte l'assistante sociale.
Vira Temchenko explique que de nombreuses personnes âgées de son village sont obligées d'économiser sur tout. Même l'eau des puits, qui est gratuite pour leur usage personnel, est utilisée avec parcimonie, afin de ne pas avoir à appeler un camion pour pomper la fosse d'épuration. Beaucoup de personnes âgées aimeraient élever des animaux et des volailles pour éviter d'acheter du lait, des œufs et de la viande, mais elles ne le peuvent pas car elles ont besoin d'argent pour se nourrir. Selon Vira, de nombreux retraités se souviennent de l'aide financière que l'ONU leur a versée au cours de la première année de la guerre. Aujourd'hui, ils ne reçoivent pratiquement plus d'argent.
« En regardant comment ces personnes vivent, on se rend compte que la vieillesse ne devrait pas être ainsi. Il est nécessaire qu'une personne arrive à l'âge de la retraite en bonne santé, afin qu'elle ne reste pas seule avec elle-même et ses problèmes. C'est pourquoi, en tant que travailleuse sociale, on essaie de soutenir ces personnes » ajoute-t-elle.
Il convient de noter qu'il existe de nombreuses travailleuses sociales en Ukraine qui sont prêts à faire leur travail de manière désintéressée, même au péril de leur vie, mais pourquoi reçoivent-elles un salaire aussi maigre pour leur travail ? Natalia Lomonosova, sociologue et auteur de plusieurs études sur les services sociaux, a répondu à cette question pour Commons. Selon elle, les prestataires de services sociaux municipaux sont gérés par les gouvernements locaux, et ce sont donc ces derniers qui doivent payer les salaires des employés. Pour déterminer le salaire, il existe une grille tarifaire qui constitue le salaire officiel. Cependant, selon la sociologue, en général, les salaires de la grille sont bas et doivent être révisés.
« Un autre problème est que depuis 2017, les salaires officiels sont liés au minimum vital, et non au salaire minimum, comme c'était le cas auparavant. Cela a pour conséquence que les salaires officiels les plus bas sont inférieurs au salaire minimum, parfois de plusieurs milliers d'UAH » détaille la sociologue.
Selon Nataliia Lomonosova, si le salaire d'un employé est inférieur au salaire minimum, la loi oblige l'employeur à verser un supplément. Ainsi, aujourd'hui, certaines travailleuses sociales perçoivent un salaire au niveau du salaire minimum, sur lequel des impôts sont également retenus.
Nataliia Lomonosova ajoute que, pour leur part, les municipalités peuvent introduire des paiements supplémentaires à partir du budget local, ainsi qu'améliorer les conditions de travail, par exemple en fournissant aux travailleuses sociales des bicyclettes électriques et en achetant les véhicules nécessaires pour le centre de services sociaux. Cependant, cela dépend des priorités des autorités locales et, surtout, du budget de la communauté elle-même. Après la réforme de la décentralisation, les communes ont acquis une large autonomie, alors que leurs ressources dépendent de la présence de grandes entreprises qui sont des contribuables.
Natalia Lomonosova a également ajouté que pour un développement efficace de la politique sociale et de la fourniture de services sociaux, il est nécessaire de développer un réseau de spécialistes dans ce domaine. À l'heure actuelle, le nombre de spécialistes du travail social et de travailleuses sociales dans le pays est insuffisant, alors que le besoin de tels spécialistes ne fait que croître.
« Récemment, le nombre de personnes en situation difficile a augmenté. En outre, la situation des personnes âgées nécessitant des soins s'est aggravée, car de nombreux membres de leur famille ont déménagé à l'étranger. Et ce, alors que certaines travailleuses sociales ont également quitté leur communauté » souligne-t-elle.
Les difficultés économiques, les combats et la destruction des infrastructures aggravent encore la situation des personnes vulnérables. Et malgré tous les obstacles et les maigres salaires, les travailleuses sociales continuent d'exercer leurs fonctions avec intégrité et courage.
Toutefois, un soutien de qualité aux personnes vulnérables ne devrait pas reposer sur le dévouement de travailleuses individuelles et dépendre des ressources d'une seule communauté. Les besoins et les problèmes fondamentaux des personnes qui, en raison de leur âge et de leurs handicaps physiques, ne sont pas en mesure de s'occuper correctement d'elles-mêmes doivent être abordés et résolus au niveau systémique. Cependant, aujourd'hui, nous ne pouvons que constater que le soutien social fourni par l'État est clairement insuffisant.
Dans le même temps, les exemples de travail désintéressé des travailleuses sociales dans de nombreuses régions d'Ukraine montrent que les gens essaient de créer de meilleures conditions pour ceux qui sont dans le besoin, au moins au niveau individuel. Cela signifie qu'il y a de nombreux citoyens dans le pays qui voient clairement le besoin urgent d'améliorer la qualité de vie de la population et qui comprennent à quel point il est important d'agir dans ce sens. Il s'agit là d'un pas en avant vers un changement positif.
Alexander Kitral
4 juin 2024
Illustration : Katya Gritseva
https://commons.com.ua/en/desheva-robota-z-rizikom-dlya-zhittya-yak-socialni-robitnici-pid-obstrilami-dopomagali-lyudyam/
Traduction Patrick Le Tréhondat
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Droit d’asile : la France doit protéger les femmes persécutées en raison de leur genre
En janvier dernier, la Cour de justice de l'Union européenne a fait montre de progressisme : elle a reconnu les violences faites aux femmes comme un motif de persécution ouvrant droit au bénéfice de l'asile. Cette avancée considérable pourrait devenir réalité en France.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Ce vendredi 14 juin, la Cour nationale du droit d'asile statue en effet sur plusieurs situations de femmes victimes de violences et pourrait reprendre à son compte cette décision. La France se mettrait ainsi en conformité avec ses obligations internationales.
Par un arrêt du 16 janvier 2024, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a fait un pas de géant pour la reconnaissance de la qualité de « réfugiée » aux femmes exposées à des violences sexistes dans leur pays d'origine. Les femmes, dans leur ensemble, peuvent désormais être considérées comme appartenant à un « groupe social » selon la Convention de Genève. Cela signifie que, pour la CJUE, la violence à l'égard des femmes à raison de leur genre est reconnue comme une persécution pouvant ouvrir droit à l'asile, lorsqu'elles ne peuvent obtenir une réelle protection dans leur pays d'origine. La CJUE a confirmé sa position il y a quelques jours, en fonction des conditions prévalant dans le pays d'origine, et y compris pour les mineures.
Jusqu'à présent, les femmes devaient démontrer qu'elles appartenaient à des « groupes sociaux » créés par la jurisprudence, comme les personnes victimes de la traite des êtres humains, les fillettes et jeunes filles risquant l'excision, les personnes persécutées du fait de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, etc. Avec cette décision de la CJUE, les femmes victimes ou exposées à des violences sexistes, qu'il s'agisse de violences physiques ou psychologiques, de violences sexuelles, économiques ou conjugales, devraient pouvoir prétendre à l'octroi d'une protection conventionnelle du seul fait d'être une femme victime de violence, même en l'absence d'autres motifs de persécution.
Cette décision européenne constitue une avancée importante mais elle ne prendra sa pleine effectivité en France que si elle est reconnue et mise en oeuvre par les instances nationales en charge de l'asile (en l'occurrence, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides – Ofpra – et la Cour nationale du droit d'asile – CNDA). Rappelons qu'aujourd'hui, la CNDA rejette encore par voie d'ordonnances, sans audience, des dossiers de femmes victimes de violences.
L'opportunité de franchir le pas se présente ce vendredi 14 juin à la CNDA. Nos associations de défense des droits des femmes étrangères apportent leur soutien à quatre femmes, ressortissantes d'Afghanistan, d'Albanie, de Guinée et du Mexique.
Reconnaître aux femmes le droit d'être réfugiées quand elles sont persécutées du seul fait d'être une femme serait une occasion pour la France de respecter ses engagements internationaux, notamment la Convention d'Istanbul de lutte contre les violences à l'encontre des femmes qu'elle ratifiait, il y a déjà 10 ans. Consolider le droit d'asile permettrait ainsi à la France de rejoindre la Belgique, l'Espagne, l'Irlande, la Suisse et l'Allemagne, qui ont reconnu, il y a déjà plusieurs années, que les femmes constituaient un groupe social. Une telle décision réaffirmerait aussi le rempart que constitue la justice face aux régressions législatives et gouvernementales, particulièrement bienvenu dans un contexte où l'extrême droite menace de prendre le pouvoir.
Paris, le 14 juin 2024
Signataires :
Elena France
Fasti (Fédération des Associations de Solidarité avec Tou⋅te⋅s les Immigré⋅e⋅s)
Fédération nationale des CIDFF
FNSF (Fédération Nationale Solidarité Femmes)
Femmes de la Terre
Gisti
LDH
JRS France
Le Planning familial
Rajfire
https://www.gisti.org/spip.php?article7261
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Mexique-dossier. Claudia Sheinbaum : « un triomphe à contre-courant en Amérique latine »
Claudia Sheinbaum sera la première femme présidente du Mexique. Scientifique et vétérane des luttes étudiantes, elle aura pour défi de poursuivre le processus initié par Andrés Manuel López Obrador, tout en faisant preuve d'autonomie politique. Sa victoire ne renforce pas seulement la gauche, mais exprime également la crise du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), la force politique autrefois hégémonique du pays.
10 juin 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/amelat/mexique/mexique-dossier-claudia-sheinbaum-un-triomphe-a-contre-courant-en-amerique-latine.html
La victoire de Claudia Sheinbaum aux élections présidentielles mexicaines [avec 59,75% des suffrages] marque un tournant dans l'histoire du pays, renforce la gauche institutionnelle latino-américaine et contraste avec les avancées de l'extrême droite dans la région ces dernières années.
Les résultats contredisent la prémisse rabattue selon laquelle l'un des effets de la pandémie post-Covid 19 résidait dans la défaite assurée des partis au pouvoir, sans distinction idéologique. Contrairement à ce qui s'est passé au Brésil ou en Argentine, le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a réussi à garantir la continuité du Mouvement de régénération nationale (MORENA). Il l'a fait main dans la main avec Claudia Sheinbaum, une scientifique de 61 ans qui, le 1er octobre, après avoir remporté les élections du dimanche 2 juin avec près de 60% des voix, deviendra la première femme présidente de l'histoire du Mexique. Ce seul fait, dans un pays et un continent caractérisés par une culture politique manifestement machiste, constitue l'une des facettes les plus fondamentales de la campagne électorale. Avant Claudia Sheinbaum, Rosario Ibarra de Piedra [candidate du PRT en 1982 et en 1988], Cecilia Soto [candidate du Partido del Trabajo en 1994], Marcela Lombardo [candidate du Parti alternatif social-démocrate en 1994], Patricia Mercado [candidate pour le Partido Alternativa Socialdemocrata y Campesina en 2006], Josefina Vázquez Mota [candidate du PAN-Parti d'action nationale en 2012] et Margarita Zavala [candidate du PAN en 2018] ont présenté leur candidature.
Cette année, Claudia Sheinbaum [MORENA] et Xóchitl Gálvez [27,75% des suffrages], la candidate de l'opposition [coalition réunissant le PAN, le PRI et le PRD] qui, au-delà de ses escarmouches médiatiques, n'a jamais réussi à se positionner comme une rivale compétitive, ont rejoint la liste des pionnières. Dans tous les cas, il ne faut pas succomber aux mirages fréquents liés au genre de la candidate. Même si cela semble évident, il faut rappeler qu'une femme au pouvoir n'est pas une garantie de féminisme. Pendant la campagne, Sheinbaum a inclus dans ses promesses des questions telles que le care et a répété le slogan : « Je n'arrive pas seule, nous arrivons toutes ensemble ». Mais, en réalité, tout au long de sa carrière politique, elle n'a pas embrassé les luttes féministes de manière énergique. Les tensions et les contradictions avec le mouvement des femmes qu'elle a héritées de son passage à la tête du gouvernement de Mexico [district fédéral] sont encore présentes, et nous devrons donc attendre pour voir si son arrivée au pouvoir se traduira par des politiques d'extension des droits.
D'autre part, la victoire de Claudia Sheinbaum représente une nouvelle étape dans la débâcle du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), force politique omniprésente qui, au siècle dernier, a gouverné le Mexique pendant sept décennies consécutives jusqu'à ce que, en 2000, l'alternance tant attendue commence enfin. Depuis lors, la droite (PAN) a gouverné pendant deux mandats, avec Vicente Fox [2000-2006] et Felipe Calderón [2006-2012]. Puis le PRI est revenu, avec Enrique Peña Nieto [2012-2018]. La gauche, représentée par López Obrador (AMLO), l'a emporté en 2018 et la victoire de Claudia Sheinbaum lui assure de rester au pouvoir jusqu'en 2030.
Les racines historiques des dirigeants de gauche sont toutefois multiples. Si López Obrador [membre du PRI, puis du PRD, puis fondateur [1] de MORENA] et Cuauhtémoc Cárdenas [initiateur du PRD en 1989] sont nés politiquement au sein du PRI, personne ne peut revendiquer ce passé pour Claudia Sheinbaum. Elle a toujours été une militante de gauche et a maintenu la continuité comme l'une de ses principales bannières politiques. C'est pourquoi elle représente un changement de genre, mais aussi un changement de génération en termes politiques.
Ce processus électoral n'a pas seulement conduit au triomphe de Sheinbaum et de MORENA, mais il a laissé le PRI en crise et, selon certains points de vue, au bord de l'extinction. L'alliance de ce dernier avec le Parti d'action nationale (PAN) et le Parti de la révolution démocratique (PRD), autrefois rivaux, a montré que sa seule vocation était de constituer une opposition viscérale et de classe à Lopez Obrador. La campagne du PRI était en fait centrée sur la peur, comme le démontrent les déclarations constantes du parti selon lesquelles, en cas de victoire de Sheinbaum, le Mexique serait « transformé en Venezuela », une « dictature » se développerait et le pays serait gouverné par le « communisme ». La stratégie du PRI s'est traduite par une campagne erratique et parfois embarrassante de Xóchitl Gálvez et a eu pour effet d'aggraver la crise que traverse le parti depuis près de vingt ans. Loin de relancer positivement le PRI, l'alliance avec des partis avec lesquels il s'était précédemment affronté l'a conduit à liquéfier son identité et à se retrouver dans une position critique.
L'opposition a également dû faire face à un président (AMLO) qui contrôle la communication publique et fixe l'agenda politique par le biais de ses conférences de presse quotidiennes – connues sous le nom de « mañaneras » – et qui, dans la dernière ligne droite de son gouvernement, jouit d'une cote de popularité record de 60%. López Obrador cédera son poste à Claudia Sheinbaum en lui laissant les comptes macroéconomiques en bon état. Le Mexique d'aujourd'hui, c'est un peso renforcé, des conditions salariales meilleures que par le passé, moins de pauvreté et une batterie de programmes sociaux destinés aux plus défavorisés. Claudia Sheinbaum devrait également poursuivre la rhétorique obradoriste liée à l'« humanisme » et à la « justice sociale » et les politiques qui ont permis à López Obrador d'évincer, en à peine une décennie, la triade PRI-PAN-PRD et de faire de MORENA le parti le plus important du pays. Ce déplacement et la prééminence de MORENA se sont traduits, en fait, par l'augmentation des sièges obtenus lors des élections à la Chambre des députés et au Sénat. Selon les dernières données du décompte électoral, MORENA obtiendrait une majorité qualifiée au Congrès. [MORENA aurait 250 députés sur 500 et 372 sur 500 en tenant compte de la coalition Morena-Partido del Trabajo, Partido Verde Ecologista.]
Le processus de changement de López Obrador a joué en faveur de Claudia Sheinbaum, qui a pu capitaliser sur les réalisations de l'administration du président grâce au soutien de ce dernier. Claudia Sheinbaum a promis de poursuivre la « quatrième transformation » ou « 4T », comme le président a baptisé son administration pour lui donner une aura épique, en l'assimilant à l'indépendance de 1810, à la guerre de réforme du XIXe siècle et à la révolution de 1910. Aux premières heures du lundi 3 juin, une fois son triomphe confirmé, Claudia Sheinbaum a une nouvelle fois fait preuve de loyauté en qualifiant le président comme « un homme exceptionnel qui a transformé l'histoire de notre pays pour le meilleur ».
A son tour, dans son premier message post-électoral, López Obrador a réitéré son « affection et son respect » pour Claudia Sheinbaum. « J'avoue que je suis très heureux, fier d'être le président d'un peuple exemplaire, le peuple mexicain. La journée électorale d'aujourd'hui a montré qu'il s'agit d'un peuple très politisé, le nôtre », a-t-il déclaré, soulignant qu'en 200 ans d'histoire, jamais une femme n'avait gouverné.
L'échange d'éloges a couronné une relation politique qui a débuté il y a 24 ans, lorsque López Obrador a remporté le gouvernement de la capitale et a invité Claudia Sheinbaum, alors scientifique et universitaire, à rejoindre son cabinet en tant que secrétaire à l'Environnement. Depuis lors, ils ne se sont jamais quittés. Elle a ensuite été porte-parole de la première campagne de López Obrador (2006) et a été l'une des fondatrices et des acteurs politiques de MORENA. Avec le soutien de son mentor, elle remporte en 2015 la mairie de Tlalpan [une des 16 divisions territoriales de Mexico] et, quelques années plus tard, le gouvernement de la ville de Mexico [l'agglomération compte 21 millions d'habitants]. Le 1er décembre 2018, López Obrador a prêté serment en tant que président et cinq jours plus tard, Claudia Sheinbaum a prêté serment en tant que maire de la capitale nationale. Six ans plus tard, il lui transmettra (en octobre) la présidence, consolidant ainsi leur statut de duo politique le plus performant du Mexique contemporain.
L'héritage que recevra Claudia Sheinbaum comprend également des bilans négatifs. Parmi ceux-ci se dégage la violence incessante qui sévit dans le pays. Celle-ci doit être, au même titre que les rapports avec les familles et les réparations pour les victimes, une question de la plus haute priorité. Cette violence, qui est multiple et s'exprime à différents niveaux et dans différentes directions, a coûté la vie à 30 candidats au cours de cette même campagne électorale. Bien que le président López Obrador ait tenté de minimiser les faits et présenté les élections comme « les plus propres et les plus pacifiques de l'histoire », les données montrent que de nombreux citoyens et citoyennes ont décidé de « voter » pour l'une des plus de 100 000 personnes disparues et ont inscrit leur nom sur les bulletins de vote afin de rendre visible une tragédie à laquelle les dirigeants politiques, à commencer par le président AMLO, n'ont accordé que peu ou pas d'attention. L'agenda des droits de l'homme est urgent, mais la méfiance de nombreuses organisations et groupes de familles de victimes à l'égard de la nouvelle présidente est plus qu'évidente. La proximité de Claudia Sheinbaum avec Omar García Harfuch, policier et ancien secrétaire à la Sécurité citoyenne de la ville de Mexico [du 4 octobre 2019 au 9 septembre 2023, ce dernier a donné sa dimension pour intégrer la campagne de Sheinbaum et envisager un poste gouvernemental], est, pour ces organisations, inquiétante. La raison en est évidente : García Harfuch a été désigné par les proches des étudiants de l'école normale d'Ayotzinapa disparus en 2014 comme faisant partie de ceux qui ont construit le « récit officiel » sur un cas de violations évidentes des droits de l'homme [la clarté n'a jamais été faite sur les circonstances de leur mort et du rôle de l'armée]. Ce fait conduit les organisations à émettre des réserves à l'égard de Sheinbaum, tandis que García Harfuch fait non seulement partie de l'équipe de conseillers de la nouvelle présidente, mais semble même faire partie de son prochain cabinet. Il reste à voir dans quelle mesure les « contradictions inévitables mais nécessaires », l'euphémisme utilisé par ceux qui justifient toute forme d'alliance, prévaudront.
Sur le plan extérieur, les élections mexicaines rééquilibrent la répartition du pouvoir dans une Amérique latine où l'idée fausse d'un inévitable glissement à droite s'était répandue. Le samedi 1er juin, juste un jour avant l'élection de Sheinbaum, le président argentin Javier Milei et le salvadorien Nayib Bukele se sont donné l'accolade en souriant, essayant de montrer une extrême droite qui progresse régulièrement à l'échelle mondiale. Mais le lendemain, le triomphe de MORENA au Mexique a remis les projecteurs sur la gauche démocratique diversifiée qui comprend Luiz Inácio Lula da Silva (Brésil), Gustavo Petro (Colombie), Luis Arce (Bolivie) et Gabriel Boric (Chili), le groupe restreint de présidents dont, dans quatre mois, Claudia Sheinbaum fera partie.
Comme presque toutes les femmes qui accèdent à de hautes fonctions, Claudia Sheinbaum doit faire face à de multiples préjugés. Promue par López Obrador, elle a été accusée par ses adversaires politiques et médiatiques de n'être qu'une « marionnette » de l'actuel président. En fait, ces mêmes opposants soutiennent que c'est le fondateur de MORENA – qui a déjà annoncé son prochain retrait de la vie politique – qui continuera à gouverner en coulisses. Claudia Sheinbaum doit maintenant relever le défi de démontrer son autonomie politique sans laisser entendre qu'elle est déloyale. Ce sera l'un des principaux défis de la nouvelle présidente [2].
Elle n'est pas seule dans ce processus. Un autre événement marquant de l'élection est que la capitale du pays sera également gouvernée par une femme. Il s'agit de Clara Brugada [membre de MORENA depuis 2014, elle a quitté le PRD en 2012], l'ancienne maire d'Iztapalapa [secteur populaire de l'agglomération de Mexico, de 2018 à septembre 2023], issue des luttes urbaines (occupation du territoire), qui se définit comme féministe et qui, dès son entrée en fonction, deviendra automatiquement pré-candidate à la présidence et possible successeure de Claudia Sheinbaum en 2030. Mais cela sera une autre histoire. (Article publié dans la revue Nueva Sociedad, juin 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Cecilia González est journaliste, auteure de nombreux ouvrages sur le Mexique et l'Argentine.
[1] Sur la constitution de MORENA, voir l'ouvrage d'Hélène Combes : De la rue à la présidence. Foyers contestataires à Mexico (CNRS Editions, 2024). (Réd.)
[2] Le milieu entrepreneurial a accueilli de manière assez positive l'élection de Claudia Sheinbaum. Cette dernière a rapidement pris contact avec, par exemple, le directeur général de BlackRock Mexico, pour assurer les flux d'investissements. A ses côtés, la future responsable de l'Economie, la jeune dirigeante d'entreprise Altagracia Gómez Sierra, était déjà membre de l'équipe de la campagne présidentielle de Sheinbaum. (Réd.)
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Mexique. Violente campagne de la coalition de droite : en vue de quel futur ?
Photo : Xóchitl Gálvez, le 5 juin, demande que l'exécutif soit jugé pour son intervention dans les élections.
Par Carlos Alberto Ríos Gordillo
1.- Au Mexique, à l'issue des élections présidentielles du 2 juin, la victoire de la coalition de gauche (Sigamos Haciendo Historia-Continuons à écrire l'histoire : MORENA, PT, Partido Verde Ecologista) se profilait. Dès le matin et bravant un soleil de plomb, des millions de personnes se sont alignées dans les rues, dans des files d'attente intergénérationnelles, pour voter dans tout le pays et dans les principaux consulats mexicains aux Etats-Unis et en Europe. Plus importante que l'élection de 2018, la participation citoyenne a d'emblée suscité l'étonnement. Quelle candidate tous ces votes allaient-ils favoriser ? Cette incertitude a suscité les réactions les plus diverses le jour même de l'élection.
Avant la fermeture des bureaux de vote, les instituts de sondage ont commencé à publier des résultats préalables. L'un de ces instituts, le très partial Massive Caller, a annoncé la victoire de la candidate conservatrice Xóchitl Gálvez [coalition Fuerza y Corazón por México : PRI, PAN, PRD] Peu après, elle s'est réunie avec les principaux responsables de son équipe de campagne, a annoncé lors d'une conférence de presse sa victoire éclatante à la présidence et dans les neuf Etats où se déroulaient les élections, y compris la capitale du pays. Dans un discours préparé à l'avance, elle a exigé que le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) respecte le vote, tout en demandant à l'Institut national électoral (INE) de ratifier automatiquement le résultat [1].
Délirante et sans résultats en main, assimilant la forte participation à un vote en sa faveur, la droite a célébré à l'avance une victoire : moins comme une farce que comme un faux positif. « D'après ces résultats, il est clair que nous avons déjà gagné », s'est exclamée Xóchitl Gálvez, tandis qu'un tonnerre de clameurs scande : « Présidente, Présidente ! » Cependant, les nuances du discours triomphal laissaient présager ce qui allait se passer quelques heures plus tard : « Nous sommes en concurrence avec l'autoritarisme et le pouvoir. Et ils sont capables de tout », a-t-elle déclaré. Comme si c'était un présage, elle annonce le piège qui se nicherait derrière la prétendue victoire : « Nous allons défendre votre vote, nous n'allons pas partir, nous allons défendre cette victoire. »
Créer la confusion, déformer, mentir depuis le début et jusqu'à la fin, c'est ce qu'a fait la propagande de droite avant même le début de la campagne présidentielle ; mais si l'heure de la défaite a sonné, à quoi bon ?
2.- La réalité n'a pas tardé à être connue et célébrée. Ce que la droite célébrait, c'était tout ce qu'elle n'avait pas gagné dans son ancien monde : à l'exception de cinq divisions territoriales (demarcaciones territoriales qui sont au nombre de 16) dans la capitale et d'un Etat dans le pays, elle avait tout perdu. Selon le Programme des Résultats Electoraux Préliminaires de l'INE (Instituto Nacional Electoral), Xóchitl Gálvez avait obtenu 27,90% des voix, soit presque deux fois plus que le dernier concurrent en lice : Jorge Álvarez Máynez, qui avait obtenu 10,4187%, mais trente points derrière Claudia Sheinbaum, avec 59,75% des voix. Curieusement, c'est à l'étranger (Etats-Unis, Europe) qu'elles sont le plus proches : 86 554 voix pour la première, 91 522 pour Sheinbaum.
Avec ces résultats, la majorité qualifiée au sein du pouvoir législatif est restée entre les mains de la coalition dirigée par le parti Mouvement de régénération nationale (MORENA), ce qui, en principe, lui permet d'approuver les réformes de l'INE [six modifications voulues par AMLO de la législation électorale] et du pouvoir judiciaire. Réformes auxquelles s'opposait l'opposition déguisée en « marée rose » [couleur adoptée par la coalition de droite] trouvant ainsi une cause de connexion avec les secteurs de la population mécontents du gouvernement de López Obrador et une légitimité sociale qu'elle a recherchée avec ténacité tout au long des six années du mandat d'AMLO. Si ces partis ont trouvé dans leur coalition un moyen de ne pas succomber séparément, ils ont trouvé dans les « citoyens » la légitimité qui les a animés pendant la campagne et leur a permis d'obtenir un pourcentage aussi élevé lors des élections du 2 juin.
Alors que le Zócalo de Mexico a été le théâtre d'une fête populaire en faveur de Claudia Sheinbaum et que les célébrations ont fusé de partout, les réactions internationales ne se sont pas fait attendre. Alors qu'il y a six ans, le grand sociologue Immanuel Wallerstein [disparu en 2019] considérait la victoire d'AMLO comme une « victoire de la gauche », significative pour l'ensemble de la gauche mondiale, voilà que l'intellectuel et cinéaste anglo-pakistanais Tariq Ali écrit sur son compte X : « Excellente nouvelle du Mexique. Enorme victoire pour Claudia Sheinbaum, féministe d'origine juive. Antisioniste et écologiste. Sa victoire est aussi un symbole de la popularité d'AMLO dans le pays. Un triomphe de l'espoir sur le désespoir. Un soulagement après le désastre en Argentine. »
3.- Peu après avoir célébré une telle victoire en apothéose, les dirigeants des partis politiques de droite mexicains ont annoncé une nouvelle conférence de presse, où ils ont tenu une conférence de presse durant laquelle ils ont présenté une réalité à l'opposé de celle mentionnée dans la conférence précédente mentionnée plus haut : ils ont exigé le respect de la volonté du peuple. Ils ont ainsi changé les termes de leur discours. Dans un langage guindé, Alejandro Moreno, président national du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), a dit la chose la plus révélatrice : « Nous avons gagné dans ces six Etats. Nous sommes en train de construire et de consolider les résultats de l'élection présidentielle, ce qui montre clairement que Xóchitl Gálvez a non seulement le soutien du peuple mexicain, mais que nous avons clairement gagné dans ces six Etats. » [2] En quelques minutes, les dirigeants du parti sont passés d'un air de triomphe à une tonalité de morosité. Voyant que la défaite à la présidence était acquise, ils se sont accrochés à la lutte pour seulement six Etats, finalement eux aussi perdus pour eux.
Quelques minutes plus tard, avec l'apparition des résultats préliminaires de l'INE, la candidate Xóchitl Gálvez elle-même a dû accepter l'inévitable. Elle a convoqué une nouvelle conférence de presse pour reconnaître que le vote en faveur de sa candidature ne lui était pas favorable, que les tendances électorales étaient irréversibles et que, par conséquent, « il n'y a aucune information suggérant que cela pourrait changer lors du dépouillement dans les districts ». Cette reconnaissance, comme elle l'assume, s'accompagne d'une « ferme exigence de résultats et de solutions aux graves problèmes du pays et de l'indispensable respect de la Constitution et des institutions démocratiques » [3].
Ce faisant, elle a révélé la reconfiguration de la stratégie qui avait résulté de la cuisante défaite électorale, mais dans le cadre de la survie politique des derniers mois : la formation d'un mouvement de masse [la « marée rose »]. « Nous descendrons dans la rue autant de fois qu'il le faudra pour défendre la République et la démocratie », a-t-elle déclaré. Elle a ensuite énuméré les thèmes de la lutte à venir : le soutien aux mères à la recherche de disparus, la lutte des femmes, les droits des peuples indigènes [en lien avec le projet de train Maya mis en place par AMLO], la lutte contre la corruption et, bien sûr, la promotion de l'énergie propre [place de la firme pétrolière Pemex dans la distribution budgétaire d'allocations sociales] et d'autres causes. Une fois de plus sont utilisés des thèmes que la gauche a défendus face à l'assaut de la droite.
Outre les partis politiques qui l'ont proposée à la présidence, Xóchitl Gálvez a remercié les citoyens de la « marée rose », qu'elle conservera pendant « le temps que Dieu décidera de me prêter sur cette terre ». Une « guerrière » autoproclamée pour un « Mexique où la vie, la vérité et la liberté sont respectées ». Une guerrière de la « démocratie », qui a prévenu : « Nous ne permettrons pas qu'elle soit attaquée. » Dépité, le public qui, quelques heures plus tôt, l'avait acclamée avec le slogan « Présidente ! », lui a renvoyé un simple : « Xóchitl ! », comme pour la ramener à sa simple dimension.
4.- Après avoir encouragé la perplexité et diffusé la confusion, la droite a cherché à gagner sur ce qu'elle affirmait depuis des mois : l'ingérence de López Obrador dans la campagne électorale, la présence du crime organisé et l'utilisation des programmes gouvernementaux à l'avantage de MORENA qui ont fait de cette élection une élection d'Etat. Dans cette optique, au lendemain de l'élection, Xóchitl Gálvez a, dans l'après-midi, publié un communiqué, dans lequel, très en phase avec ce que nombre de ses partisans ont écrit sur les réseaux sociaux (appelant parfois à l'usage de la violence), elle a affirmé :
« (…) Cela ne s'arrête pas là. Oui, nous présenterons les éléments qui prouvent ce que je vous dis et ce que nous savons tous. Et nous le ferons parce que nous ne pouvons pas permettre une autre élection comme celle-ci. Aujourd'hui plus que jamais, nous devons défendre notre démocratie et notre république. Les contre-pouvoirs et la séparation des pouvoirs sont toujours menacés. Ce doit être un grand moment d'unité pour ceux et celles d'entre nous qui croient en la vie, la vérité et la liberté. Ils chercheront à nous diviser et à nous décourager, mais nous ne pouvons pas nous permettre de baisser les bras. Poursuivons notre lutte pour vous, pour votre famille et pour le Mexique. Nous sommes la résistance et nous devons faire notre part : défendre le Mexique contre l'autoritarisme et le mauvais gouvernement. » [4]
Le 4 juin, Xóchitl Gálvez a haussé encore le ton et diffusé une vidéo « Nous commençons la défense de ton vote », adressée « à tous ceux qui font partie de notre lutte », dans laquelle elle y expose les quatre points d'une stratégie de défense de la démocratie, appelant à un recomptage de 80% des urnes, comme si le résultat des élections était déjà clos. En outre, elle dénonce « l'intervention très claire du Président dans le processus électoral », « l'utilisation évidente des ressources publiques dans la campagne de MORENA », et « le haut niveau de violence et l'intervention du crime organisé ». Le visage tremblant, elle a poursuivi en affirmant que « le Mexique ne mérite pas une autre élection avec l'intervention de l'Etat et du crime organisé ». Fidèle à son cynisme éhonté, elle a affirmé que « nous avons commencé par la résistance pour protéger notre démocratie, notre Constitution et notre liberté ».
5.- Jusqu'à présent, deux axes semblent constituer la stratégie de la droite. Premièrement. Exiger un recomptage des votes afin de perturber le climat politique et la légitimité de l'élection et de l'INE (dans la « défense » duquel la « marée rose » a trouvé l'un de ses emblèmes les plus prestigieux), en délégitimant les vainqueurs de l'élection. Une mesure de pression et de lutte qui a créé l'indignation, la lassitude et même la mobilisation de la base de la coalition Fuerza y Corazón por México vaincue, ce qui contribue à un climat hostile que la droite elle-même ne peut presque plus contrôler, que ce soit dans le sens de la diriger ou de l'alimenter. Ainsi, la droite tente d'atténuer l'action réformatrice du nouveau gouvernement, de le ligoter pour qu'il se modère et n'approfondisse pas la réforme du système judiciaire et de l'INE. Combien de temps ce climat peut-il durer et quel type de chocs faudra-t-il pour l'alimenter ?
Deuxièmement. Maintenir sa présence et son leadership auprès de sa base électorale, non seulement mécontente de la défaite, mais en colère, dont le point de vue a longtemps été influencé par les rumeurs d'une élection orchestrée par l'Etat et le président López Obrador. Cela a obligé Xóchitl Gálvez à se maintenir dans une prétendue « résistance », alors que quelques heures plus tôt, elle avait accepté les résultats des élections. Si elle est discréditée, d'autres (ou peut-être personne) pourraient capitaliser sur cette indignation, attisée dans les médias par une pléiade de commentateurs. Risque alors d'être perdu le leadership d'une force sociale dont les partis de la coalition défaite (pour autant que le PRD survive) ont besoin pour se légitimer – pour l'instant, via la candidate des patriotes, des défenseurs de la République et de la Constitution, dont le « discours » a su séduire les électeurs de droite, mais aussi ceux qui sont mécontents du gouvernement de López Obrador.
6.- Le succès de cette symbiose entre Xóchitl Gálvez et la « marée rose » s'explique d'abord par le fait qu'elle a su réunir autour de sa candidature différents courants de la droite : catholique militant (anti-avortement, anti-féministe, anti-droits LGBT+), anti-communiste et sinarchiste [mouvement nationaliste des années 1930 à connotation fascisante, catholique], anti-immigrés et aporophobe [aversion pour les pauvres], entrepreneurial, pro-libre marché et pro-culture de l'effort, et donc aussi classiste, discriminatoire et raciste. A cet élément chimique s'en ajoute un autre, plus dangereux : l'expropriation des causes sociales les plus importantes de la gauche dans le Mexique contemporain : la recherche des disparus et le soutien du gouvernement aux mères en quête d'un enfant disparu, les droits des peuples indigènes, la demande d'une santé et d'une éducation de qualité, l'arrêt de la criminalité organisée, etc. Néanmoins, cette nébuleuse de forces politiques, d'alliances et de regroupements mise sur sa survie et est prête à muter à nouveau, à se transformer ou à se moderniser pour n'importe quelle cause ou lutte sociale, comme le font les virus lorsqu'ils cherchent un hôte, tout en s'en nourrissant.
Dans l'anatomie de ce à quoi nous assistons, il y a le germe d'un mouvement de masse qui, en revendiquant cette résistance nationale pour la démocratie et la liberté, ouvre la voie à un programme où la politique est néolibérale, donc favorable aux élites dirigeantes et aux grands médias. Tandis que, sur les questions sociales, elle se présente comme progressiste, en « défendant » tout ce que nous, la gauche, avons défendu pendant des années. En phase avec les nouveaux visages de la droite, cette philosophie politique, libérale et libertarienne, organise la vie sociale selon un modèle entrepreneurial, de guerriers courageux et charismatiques prêts à se sacrifier pour le bien commun, pour la République et la Constitution, qui entreprennent et défendent les causes de notre temps.
7.- Bien qu'il n'ait pas gagné les élections, ce programme a profité des circonstances et a su créer une base sociale propre qui, malgré tout, bouge. Elle n'est pas entièrement nouvelle, mais sa vigueur s'est développée aux dépens de ce gouvernement progressiste de MORENA. Elle réapparaîtra plus tard, mais peut-être avec de nouveaux dirigeants et représentants, ajoutant à son répertoire les promesses non tenues et les erreurs du gouvernement en place, et transformant nos thèmes programmatiques et nos slogans en une simple propagande instrumentale. Bien que, sur le fond, il se résume au pragmatisme radical brut de la droite en quête de légitimité et de pouvoir, sur la forme, le programme s'habille des causes les plus urgentes de notre époque.
Nous aurons besoin de clarté intellectuelle pour distinguer le contenu de la forme : la volonté de changement social en surface, tout en préservant le statu quo au fond. L'essentiel de la tromperie élaborée consiste à associer l'attrait de la forme à l'illusion de la substance, et donc à tout changer pour que tout reste pareil.
Cependant, si dans cette dimension cosmétique de l'œuf de serpent réside son énigmatique pouvoir de métamorphose, ainsi que son indéniable pouvoir d'attraction sociale, à travers les caractéristiques de sa membrane, il est également possible de distinguer la physionomie du reptile en pleine formation. (Article publié par le site Sin Permiso le 8 juin 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Carlos Alberto Ríos Gordillo enseigne au département de sociologie de l'Universidad Autónoma Metropolitana, Unidad Azcapotzalco.
[1] Gálvez, Xóchitl. https://www.youtube.com/watch?v=Ur-k8xl9LZg (Consultado : 2 de junio de 2024)
[2] https://www.facebook.com/Xochitl.Galvez.R/videos/389259593473885/ (Consultado : 2 de junio de 2024)
[3] Gálvez, Xóchitl. https://www.facebook.com/Xochitl.Galvez.R( Consultado : 2 de junio de 2024)
[4] Gálvez, Xóchitl. https://www.facebook.com/Xochitl.Galvez.R (Consultado : 3 de junio de 2024)
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Le bolsonarisme peut revenir au pouvoir
Le lulisme, ou loyauté politique à l'expérience des gouvernements dirigés par le Parti des Travailleurs (PT) a permis de gagner le soutien des plus pauvres. Mais la gauche brésilienne a perdu son hégémonie sur sa base sociale de masse d'origine.
Bolsonaro peut-il revenir au pouvoir en 2026 ? Oui, c'est possible. Il faut considérer l'existence de puissants facteurs objectifs et subjectifs pour expliquer la résilience de l'extrême droite, même après la défaite de la semi-insurrection de janvier 2023.
27 mai 2024 | tiré du site Rebelion.org
https://rebelion.org/el-bolsonarismo-puede-volver-al-poder/
Mais, en premier lieu, il est lucide de reconnaître le contexte international du phénomène, dans lequel l'extrême droite joue un rôle déterminant :
a) les turbulences du système étatique avec le renforcement de la Chine et la stratégie de l'impérialisme américain visant à préserver la suprématie de la Troïka, pour laquelle une orientation protectionniste plus dure est utile ;
b) les différends causés par l'émergence de la crise environnementale et de la transition énergétique, qui désavantagent temporairement ceux qui décarbonent plus rapidement ;
(c) le tournant des fractions bourgeoises vers la défense des régimes autoritaires qui font face à la protestation populaire et embrassent une ligne national-impérialiste ;
d) la tendance à la stagnation économique, à l'appauvrissement et au virage à droite des classes moyennes ; et
(e) la crise de la gauche, entre autres.
Mais il y a des particularités brésiliennes dans la fragmentation politique du pays. Elles sont essentiellement cinq :
i) l'hégémonie entre l'armée et la police ;
(ii) le penchant de la grande majorité de l'évangélisme pentecôtiste vers l'extrême droite ;
(iii) le poids du bolsonarisme dans les régions les plus développées, le Sud-Est et le Sud du pays, en particulier parmi la nouvelle classe moyenne qui les dirigent, ou celle ayant un très haut niveau d'éducation et qui remplit des fonctions exécutives dans les secteurs privé et public ;
(iv) la direction du courant néofasciste au sein de l'extrême droite et
(v) le soutien à l'extrême droite parmi les classes moyennes salariées ayant des salaires compris entre trois. cinq, voire sept fois le salaire minimum.
Les quatre premières particularités ont été étudiées de manière approfondie, mais la dernière l'a moins été. L'étudier est stratégique, car il est peut-être le seul moyen d'inverser, dans le contexte d'une situation très défavorable, des rapports sociaux de force favorisant les réactionnaires.
Certains facteurs objectifs expliquent la distance politique, la division ou la séparation entre des parties de la classe ouvrière et celle des plus pauvres, tels que l'inflation dans les plans privés d'éducation et de santé, et l'augmentation de l'impôt sur le revenu, qui menacent un modèle de consommation et un niveau de vie, et qui ont des impacts subjectifs, comme le ressentiment social et le ressentiment moral et idéologique. Les deux sont entrelacés et peuvent même être indivisibles.
Mais ce n'était pas le cas lorsque la phase finale de la lutte contre la dictature s'est ouverte, il y a quarante-cinq ans. Le PT est né avec le soutien des métallurgistes, des enseignant-es du secteur public, des travailleurs-euses du pétrole, des banquiers-ères et d'autres catégories qui, par rapport à la réalité des masses, avaient plus d'éducation et de meilleurs salaires. Le lulisme, ou loyauté politique à l'expérience des gouvernements dirigés par le PT, a permis de gagner le soutien des plus pauvres. Mais la gauche, tout en maintenant ses positions, a perdu son hégémonie sur sa base sociale de masse d'origine. Cette réalité tragique, parce qu'elle est la fracture de la classe ouvrière, exige que nous l'analysions d'un point de vue historique.
La période d'après-guerre (1945/1981) qui en fut une de croissance intense, au cours de laquelle le PIB a doublé chaque décennie et qui a favorisé la mobilité sociale absolue au Brésil, accompagnée de l'urbanisation accélérée du pays, semble faire irrémédiablement partie du passé. Le plein emploi et l'augmentation de la scolarisation, dans un pays où la moitié de la main-d'œuvre était analphabète, ont été les deux facteurs clés de l'amélioration de la vie de cette couche de travailleurs et travailleuses. Mais ils n'exercent plus la même pression que par le passé.
Il est clair qu'au cours de la dernière décennie, le capitalisme brésilien a perdu de son élan. Le pays a perdu 7 % de son PIB entre 2015/17 et, après la pandémie de covid en 2020/21, il a fallu trois ans pour revenir aux niveaux de 2019. Malgré toutes les contre-réformes antisociales – travail, protection sociale – visant à réduire les coûts de production, le taux d'investissement n'a pas dépassé 18 % du PIB en 2023, malgré l'autorisation de la PEC transitoire de crever le plafond des dépenses publiques.
Le Brésil, plus grand parc industriel et marché de consommation de biens durables de la périphérie, est devenu un pays à croissance lente. L'augmentation de la scolarité n'est plus un moteur aussi puissant. Améliorer les conditions de vie est devenu beaucoup plus difficile.
Le Brésil de 2024 est un pays moins pauvre qu'au XXe siècle, mais non moins injuste. Bien sûr, il y a encore beaucoup de pauvreté : des dizaines de millions de personnes ou même plus sont toujours en situation d'insécurité alimentaire, malgré la Bolsa Família (un programme social brésilien), selon le cycle économique. Mais il y a eu une réduction de l'extrême pauvreté sans réduction qualitative des inégalités sociales.
La répartition fonctionnelle du revenu entre le capital et le travail a enregistré des variations dans la marge. La répartition des revenus personnels s'est améliorée entre 2003 et 2014, mais a de nouveau augmenté depuis 2015/16, à la suite du coup d'État institutionnel contre le gouvernement de Dilma Rousseff. L'extrême pauvreté a diminué, mais la moitié de la population économiquement active compte un revenu inférieur à deux fois le salaire minimum. Un tiers des salarié-es gagnent entre trois et cinq fois le salaire minimum. L'inégalité est restée presque intacte parce que, entre autres raisons, la position des salarié-es à revenu moyen ayant un niveau d'éducation plus élevé a stagné avec un biais descendant.
De nombreuses études confirment que l'augmentation de la scolarité moyenne n'est pas liée à l'employabilité, et les enquêtes de l'IBGE confirment paradoxalement que le chômage augmente avec la scolarisation. La plupart des millions d'emplois signés depuis la fin de la pandémie ont été réservés à des personnes gagnant jusqu'à deux fois le salaire minimum, avec des exigences de scolarité très faibles.
Pour évaluer la plus ou moins grande cohésion sociale d'un pays, deux taux de mobilité sont considérés, l'absolu et le relatif. Le taux absolu compare la profession du père et de l'enfant, ou la première activité de chacun avec son dernier emploi. Le taux de mobilité relatif montre dans quelle mesure les obstacles à l'accès à l'emploi – ou aux possibilités d'études – favorables à la promotion sociale pourraient ou non être surmontés par les personnes en position sociale inférieure.
Au Brésil, les taux absolu et relatif ont été positifs jusque dans les années 1980, mais le premier a été plus intense que le second. En d'autres termes, nous avons connu une mobilité sociale intense dans la période d'après-guerre en raison de la pression de l'urbanisation et des migrations internes, du Nord-Est vers le Sud-Est, et du Sud vers le Centre-Ouest. Mais ce n'est plus le cas. Cette étape historique s'est terminée dans les années 90, lorsque le flux du monde agricole s'est épuisé.
Depuis, la pauvreté a diminué, mais les travailleurs et travailleuses de la classe moyenne ont connu une réalité plus hostile. Ce qui explique ce processus, c'est que les trajectoires de mobilité sociale au cours des vingt dernières années ont bénéficié à des millions de personnes vivant dans l'extrême pauvreté, mais très peu ont vu leurs conditions de vie augmenter de manière significative. Beaucoup ont amélioré leur vie, mais ils n'ont fait que passer à l'étape suivante au-dessus de celle occupée par leurs parents.
La mobilité sociale relative est restée très faible, car les incitations matérielles à augmenter la scolarisation ont été plus faibles au cours des quarante dernières années qu'elles ne l'avaient été pour la génération qui a atteint l'âge adulte dans les années 1950 ou 1960. Les récompenses que les familles obtiennent pour garder leurs enfants sans emploi pendant au moins douze ans jusqu'à ce qu'ils terminent leurs études secondaires ont diminué par rapport à la génération précédente, malgré la plus grande facilité d'accès.
Un pays peut partir d'une situation de grande inégalité sociale, mais si la mobilité sociale est intense, les inégalités sociales doivent être réduites, augmentant ainsi la cohésion sociale, comme cela s'est produit dans l'Italie d'après-guerre. À l'inverse, un pays qui avait de faibles inégalités sociales par rapport à ses voisins dans une position similaire dans le monde peut voir sa situation se détériorer si la mobilité sociale devient régressive, comme c'est le cas en France aujourd'hui.
Au Brésil, contrairement à la croyance populaire, la plupart des nouveaux emplois au cours des dix dernières années n'ont pas bénéficié au secteur le plus éduqué de la population. Étudier davantage n'a pas réduit le risque de chômage. Au cours des quarante-cinq années écoulées depuis 1979, la scolarité moyenne est passée de trois à plus de huit ans. Mais il y a eu deux transformations qui ont eu un impact durable sur la conscience de la jeunesse de la classe ouvrière.
La première est que le capitalisme brésilien n'est plus une société de plein emploi, comme il l'a été pendant un demi-siècle. La seconde est que, même avec les sacrifices consentis par les familles pour garder leurs enfants à l'école et retarder leur entrée sur le marché du travail, l'employabilité s'est concentrée dans des activités qui nécessitent peu de scolarité et offrent de faibles salaires. Pour la première fois dans l'histoire, les enfants ont perdu l'espoir de pouvoir vivre mieux que leurs parents.
Le chômage des diplômé-es est proportionnellement plus élevé que celui des personnes ayant un niveau d'éducation inférieur, et si l'inégalité des revenus personnels a diminué au cours des quinze dernières années, c'est parce que le salaire moyen des diplômé-es du niveau moyen et supérieur a diminué. L'expansion vertigineuse de l'ubérisation n'est donc pas surprenante. Les enquêtes mensuelles sur l'emploi de l'IBGE dans la région métropolitaine de São Paulo indiquent une évolution très lente qui ne se rapproche, au mieux, que de la reprise de l'inflation.
Près de quarante ans après la fin de la dictature militaire, l'équilibre économique et social du régime démocratique libéral est décourageant. Les réformes menées par le régime, telles que l'élargissement de l'accès à l'éducation publique, la mise en œuvre du SUS (Système unifié de santé), la Bolsa Família pour les personnes extrêmement pauvres, entre autres, ont été progressistes, mais insuffisantes pour réduire les inégalités sociales[1]. L'hypothèse selon laquelle une population plus éduquée modifierait progressivement la réalité politique du pays, entraînant un cycle durable de croissance économique et de répartition des revenus n'a pas été confirmée.
Une forme d'illusion gradualiste dans une perspective de justice sociale à l'intérieur des limites du capitalisme était cet espoir qu'une population plus éduquée changerait progressivement la réalité sociale du pays. Cela nous ramène aux limites des gouvernements de coalition dirigés par le PT, qui ont opté pour la concertation avec la classe dirigeante pour réguler le capitalisme « sauvage ». Bien qu'il existe des corrélations à long terme entre la scolarisation et la croissance économique, aucune causalité directe n'a été identifiée qui soit incontestable, encore moins si l'on inclut la variable de la réduction des inégalités sociales, comme le confirme la Corée du Sud.
Ce qui est incontestable, c'est que la bourgeoisie brésilienne s'est unie en 2016 pour renverser le gouvernement de Dilma Rousseff, malgré la modération des réformes menées. Il n'est pas surprenant que la classe dirigeante n'ait eu aucun scrupule à aller jusqu'à manipuler la destitution, en subvertissant les règles du régime pour s'emparer du pouvoir au profit de ses représentants directs, comme Michel Temer. Le défi est d'expliquer pourquoi la classe ouvrière n'était pas prête à se battre pour la défendre.
Les salaires représentaient plus de la moitié de la richesse nationale au début des années 1990 et, au cours des trente dernières années, ils sont tombés à un peu plus de 40 % en 1999 et, malgré la reprise observée entre 2004 et 2010, ils sont toujours inférieurs au niveau de 50 % de 2014 encore aujourd'hui, en 2024. Cette variable est significative pour une évaluation de l'évolution des inégalités sociales, car le Brésil de 2024 est une société qui a déjà achevé la transition historique du monde rural vers le monde urbain (86% de la population vit en ville), et la majorité de ceux et celles qui travaillent sous contrat, soit 38 millions avec un contrat de travail et 13 millions de fonctionnaires, reçoivent des salaires.
Dix autres millions de personnes ont un employeur mais pas de contrat. Il est vrai qu'il y a encore 25 millions de Brésilien-nes qui vivent d'un travail indépendant, mais ils sont proportionnellement moins nombreux que par le passé. La bourgeoisie n'a aucune raison de se plaindre du régime libéral. Malgré cela, une fraction de la bourgeoisie, comme celle de l'agro-industrie et d'autres, soutient le néofascisme et sa stratégie autoritaire.
Les données indiquant que les inégalités sociales ont diminué parmi les salarié-es sont convaincantes. Mais pas parce que l'injustice a diminué, bien que la misère, elle, ait diminué. Ce processus s'est produit parce qu'il y a eu deux tendances opposées sur le marché du travail. L'une est relativement nouvelle et l'autre est plus ancienne. La première était l'augmentation des planchers salariaux des secteurs les moins qualifiés et les moins organisés. Le salaire minimum a augmenté lentement mais sûrement au-dessus de la dévaluation depuis 1994 avec l'introduction du real, s'accélérant dans les années des gouvernements de Lula et Dilma Rousseff.
C'est un phénomène nouveau, puisque c'est l'inverse qui s'est produit au cours des quinze années précédentes. Le salaire minimum est une variable économique clé car c'est le plancher des retraites de l'INSS, c'est pourquoi la bourgeoisie exige qu'il soit renvoyé. La reprise économique favorisée par le cycle mondial d'augmentation de la demande de matières premières a entraîné une baisse du chômage à partir du second semestre 2005, culminant en 2014 en une situation de quasi-plein emploi.
La distribution massive de Bolsa Família semble également avoir exercé une pression sur la rémunération du travail manuel, en particulier dans les régions moins industrialisées. La deuxième tendance est la baisse continue de la rémunération des emplois nécessitant des études secondaires et supérieures, un processus qui se produit depuis les années 1980. En conclusion, les données disponibles semblent indiquer que l'augmentation de la scolarisation n'est plus un facteur important d'ascension sociale, comme c'était le cas par le passé.
La loyauté politique des masses populaires envers le lulisme est une expression du premier phénomène. La vie des plus pauvres s'est améliorée pendant les années des gouvernements PT. La division entre les salarié-rs qui gagnent plus de deux fois le salaire minimum exprime un ressentiment social qui a été manipulé par le bolsonarisme. Si la gauche ne reprend pas confiance dans ce secteur de la main-d'œuvre, le danger pour 2026 est grand.
Notes
[1] L'inégalité sociale est une variable qui cherche à mesurer la disparité des conditions socio-économiques. Le Social Radar, une étude de l'IPEA (Institut de recherche économique appliquée) confirme que les 1% les plus riches des Brésilien-nes ont un revenu équivalent à celui des 50% les plus pauvres. L'autodéclaration présente des marges d'erreur importantes, si les données ne sont pas croisées avec d'autres sources, telles que l'IRPF (impôt sur le revenu des personnes physiques) et l'IRPJ (impôt sur le revenu des personnes morales). Cette incertitude a toujours été excellente pour évaluer les inégalités au Brésil. Consulter en : https://www.ibge.gov.br/
[2] Une autre dimension de l'étude de la transition d'une société à prédominance rurale est l'évaluation de la démographie brésilienne. Nous sommes au plus fort de la transition démographique. La population de plus de 60 ans est toujours d'environ 15 %, inférieure à celle des pays centraux où elle atteint 20 % voire 25 %, mais les enfants et les jeunes, qui étaient d'environ 50 %, sont tombés à environ 20 %. En 1970, les femmes brésiliennes avaient en moyenne 5,8 enfants. Trente ans plus tard, cette moyenne était de 2,3 enfants. En 2016, il était de 1,8 et est depuis tombé à 1,5. La courbe démographique est à la fois fascinante et inquiétante : chaque année, environ deux millions de jeunes sont à la recherche de leur premier emploi. Cela montre le dynamisme de l'expansion de la main-d'œuvre disponible, ainsi que la nécessité de taux de croissance élevés du PIB pour réduire le chômage. L'ampleur de cette croissance du PAE peut être pleinement évaluée si l'on compare les données du Brésil avec celles de la France : l'expansion de la population active est passée de 20 à 26 millions en l'espace de 40 ans, de 1950 à 1990, c'est-à-dire qu'elle a augmenté de 30 %, alors qu'au Brésil elle a doublé en 30 ans.
Valerio Arcary est historien, militant de la PSOL (Résistance) et auteur de O martelo da História : ensaios sobre a urgência da revolução contemporânea (Sundermann, 2016).
Traduction du portugais : Jacobinlat, révisé pour Rebelión par Alfredo Iglesias Diéguez.
Source (de l'original) : https://aterraeredonda.com.br/o-bolsonarismo-pode-voltar-ao-poder/#_ednref1
Source (de la traduction en espagnol) : https://jacobinlat.com/2024/05/25/el-bolsonarismo-puede-volver-al-poder/
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France : Deux journées riches d’enseignements
La poussée d'en bas qui veut imposer l'unité est puissante. Il n'est pas déplacé d'évoquer, avec de grandes différences sur tous les plans certes, le 12 février 1934 quand l'unité d'action du PC et de la SFIO, de la CGTU et de la CGT, a été imposée par les manifestants contre les fascistes, ce qui fut le point de départ non pas des Fronts populaires (on va revenir ici sur cette précision), mais du front unique prolétarien contre la réaction.
11 juin 2024 | tiré du site Arguments pour la lutte sociale | Photo : Paris, le 10 juin 2024. Pendant un rassemblement "Front Populaire" contre le RN, place de la République, au lendemain de la victoire du Rassemblement national aux élections européennes en France.
C'est pourquoi il importe de reprendre le fil des principaux évènements ayant suivi le dernier coup d'État macronien. Dès dimanche soir, des centaines et des centaines de manifestants se sont spontanément, avec les drapeaux des différentes organisations dites de gauche, rassemblés place de la République à Paris et dans plusieurs villes, appelant à l'unité. La principale intervention de Raphaël Glucksmann ce soir-là avait précédé l'annonce de la dissolution mais comportait une phrase refusant toute main tendue de la part de ceux qui avaient misé sur le RN pour faire passer leur loi Immigration, donc avec les macroniens.
Ce premier verrou s'impose assez facilement. Par exemple, défense de rire, Jérôme Cahuzac, l'ancien ministre du Budget de Hollande et grand fraudeur fiscal, a annoncé qu'il se présentait à Villeneuve-sur-Lot contre une député sortante RN en prétendant jouer les sauveurs : le PS a immédiatement récusé tout soutien. Il faudra bien sûr être vigilants sur les tentatives de candidatures du type « centre-gauche ».
Mais l'unité elle-même, à laquelle aucun dirigeant et autres chefs à plume n'a tenté de s'opposer frontalement, allait-elle vraiment s'imposer ?
On pouvait avoir des craintes avec le grand discours de Jean-Luc Mélenchon réagissant à la dissolution (rejoint avec 5 minutes de retard par Manon Aubry sur une estrade déjà occupée par une garde rapprochée !).
Ce discours mérite d'être écouté de près : J.L. Mélenchon y a réintroduit toute la rhétorique nationale-populiste de 2017, aux fondements de LFI, en l'adaptant à sa version « villes et banlieues multiculturelles », mais c'est fondamentalement la même méthode : « un peuple, une nation, un programme » ; une « France nouvelle » va émerger et se construire : « la France des villes ». Cette insistance sur les villes galvanisait particulièrement les militants présents au fur et à mesure que tombaient les résultats tardifs des grandes villes comme Lyon ou Montpellier et de certaines banlieues, qui faisaient remonter le score de LFI de 8% à un peu moins de 10% (cela alors que dans les zones de banlieues les pourcentages élevés de LFI vont avec une abstention ultra-majoritaire, la plus élevée de tout le pays).
De plus, dans ce discours, J.L. Mélenchon introduisait de véritables poisons de division : la supposée escalade antirusse de la France qui doit s'arrêter ; et les accusations d'antisémitisme qui n'auraient d'autre fonction que d'attiser ce qui est réellement grave, appelé tantôt « racisme » et tantôt « islamophobie » (bien que ce ne soit pas exactement la même chose …). Que, selon des sondages dont il faut bien dire qu'ils sont dignes de foi, 90% des juifs de France questionnés sur ce qui leur fait le plus peur aujourd'hui dans ce pays répondent tragiquement : « Mélenchon », ne semble pas poser ici question …
Enfin, J.L. Mélenchon présentait la dissolution macronienne comme justifiée et inévitable, sans même relever son caractère antidémocratique (l'annoncer à l'avance pour septembre aurait été tout à fait différent).
Mais à peu près au même moment, François Ruffin interrogé par les journalistes développait une orientation qui, en gros, était l'inverse de celle proclamée par J.L. Mélenchon pour LFI. Il démarrait en attaquant frontalement Macron accusé de faire n'importe quoi, poursuivait en affirmant vouloir aller à la bataille dans toutes les communes y compris les plus petites, et concluait en appelant à l'unité inconditionnelle et immédiate pour constituer un « Front populaire ».
Ainsi s'ouvrait une brèche, sous-tendue par la volonté des larges masses d'unité et de prise en compte de tous les secteurs populaires.
La transposition de la rhétorique national-populiste de Mélenchon 2017 sur le peuple des centre-villes et des banlieues livre littéralement au RN ce que l'on appelle aujourd'hui « la ruralité », laquelle n'est pas principalement paysanne même si les potagers y sont fréquents et aident à survivre, et qui est la France des ronds-points qu'occupèrent en masse les Gilets jaunes. La faille avec Ruffin passe bien entendu par là.
Le terme de « Front populaire » signifie « unité d'action » pour les larges masses. De plus, il remplace, pas fortuitement, les formules invoquant « NUPES » ou « Union populaire », formules et références qui peuvent parfaitement être utilisées de manière diviseuse, avec l'invocation d'un « programme » à la mise en œuvre duquel il serait bien naïf de croire – et les larges masses n'ont pas cette naïveté.
Quand il est écrit sur le site créé samedi soir par François Ruffin avec des députés des différents partis de gauche, Front Populaire : « Il n'y a pas de fatalité, nous pouvons l'emporter. La crise de 1929 a donné le nazisme en Allemagne, mais le Front populaire en France. », les mots clefs auxquels nous nous associons, que nous avons nous-aussi crié dès dimanche soir, sont que nous pouvons gagner.
Mais l'histoire n'a pas été celle que raconte la seconde phrase : évitant la tragédie allemande (l'arrivée au pouvoir d'Hitler en janvier 1933), le 12 février 1934 a certes imposé l'unité, mais celle-ci fut élargie, sur décision de Moscou, aux principales forces bourgeoises de l'époque (les radicaux), et c'est cela que fut le « Front populaire » qui conduisit à la défaite devant Franco en Espagne et à la défaite sociale en France aussi, suivie du retour à la division lors du pacte Hitler-Staline : ce fut finalement la chambre de Front populaire qui vota les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Nazisme et fascismes seront vaincus en Europe par la guerre et la lutte armée des peuples. Il y a donc une part d'illusions dans cette formule dont la résurgence traduit le désir sain et nécessaire d'unité.
Lundi matin, des proches de F. Ruffin et des secteurs du PS introduisaient auprès des journalistes une expression curieuse pour parler de lui : « Il prend le capitanat. » Nous n'avons nul besoin d'un capitaine pour agir et imposer l'unité, et François Ruffin en est probablement conscient, mais le sens donné à cette formule, selon « un cadre du PS » cité par Libération, serait de suggérer un premier ministre en cas de victoire, qui, ne pouvant être ni Mélenchon ni Glucksmann, pourrait être Ruffin.
Outre que c'est là aller un peu vite en besogne, soulignons la question politique principale : si nous gagnons, s'agira-t-il de cohabiter, vraiment ? Avec Macron, dans le cadre de la V° République ? Celui qui, avec sa loi Immigration et la répression, a montré qu'il peut gouverner avec le RN, laissera-t-il abroger sa loi contre les retraites ? La vraie question ne serait-elle pas, dans ce cas, celle de la souveraineté de l'Assemblée, contre le président, et donc contre les institutions de la V° République ?
Cette fameuse Constituante, qu'un J.L. Mélenchon et le programme de LFI n'ont jamais envisagée qu'octroyée et corsetée de caudillesque manière, ne sera-t-elle pas au bout du chemin si la volonté démocratique renverse les obstacles ?
Voila pourquoi, à Aplutsoc, fidèles d'ailleurs à une vieille chanson qui dit « Ni Dieu, ni César, ni tribun », nous avons dit tout de suite : Assemblée souveraine ! Voilà la question ! Et pas de capitaine premier ministre … de Macron !
C'est là une discussion qui aide à aller de l'avant, mais nous n'en sommes pas du tout là. La question immédiate, c'est l'unité pour gagner. Et, le lendemain de ces discours, lundi 10 juin, J.L.Mélenchon a multiplié les tweets appelant à « l'unité » et au « front populaire » en expliquant que c'était sa volonté qui s'imposait enfin à tout le monde !
N'en croyons rien : la ligne national-populiste « urbaine et banlieusarde » de son discours de division du dimanche a dû être rembourrée par le ralliement à la volonté populaire le lundi.
Tout au long de la journée de lundi, des militants, de simples citoyens, ont téléphoné, se sont réunis, ont parfois manifesté, ont exigé l'unité, partout, partout, en France.
En fin d'après-midi, on apprenait que la LFI, le PCF et EELV, rejoints un peu plus tard par le PS, ainsi que Place publique et les groupes résiduels comme Génération.s ou la GRS, avaient envoyé des délégations sur invitation d'EELV, à leur siège. J.L. Mélenchon et R. Glucksmann n'y étaient pas, LFI étant représentée par Manuel Bompard et le PS par Olivier Faure.
Lundi soir au 20 heures sur la 2, ce fut au tour de Raphaël Glucksmann, à contretemps et d'une manière franche, de poser des obstacles à l'unité, alors que cette réunion se tenait. Après avoir dénoncé l'irresponsabilité de Macron, il présentait « 5 conditions » selon lui impératives : le « soutien indéfectible à la construction européenne », le « soutien indéfectible à la résistance ukrainienne », l'abrogation des lois contre les retraites et l'Assurance chômage et la loi Immigration, l' « accélération de la transition écologique », et le refus de la « brutalisation », des fake news et autres.
Ces « conditions » sont de natures différentes et forment un ensemble confus. L'abrogation des lois antisociales de Macron est bien sûr au centre des exigences sociales de base. Le soutien à la résistance ukrainienne doit être imposé dans la gauche et le mouvement syndical, contre les campistes et les néopoutiniens. La référence à la « construction européenne » ne veut rien dire si, justement, elle ne dit rien de la nature actuelle de l'UE, d'ailleurs remise en cause implicitement par la demande pressante d'adhésion ukrainienne. Bref, le tout, défini comme des « conditions », pourrait en soi permettre d'interdire toute unité efficace pour empêcher l'arrivée au pouvoir du premier parti poutinien de France qu'est et reste le RN.
Puis, faisant en somme, de son point de vue, la synthèse de son orientation, R. Glucskmann concluait en se disant non candidat au poste de premier ministre, et en sortant de son chapeau une proposition, présentée comme l'antithèse de Macron : l'ancien dirigeant CFDT Laurent Berger !
Ainsi, l'évocation du poste de premier ministre, comme de la part de Mélenchon lors des législatives de 2022, comme avec le « capitanat » prêté à F. Ruffin, est facteur de division. Certes, le choix de Laurent Berger n'est pas politiquement neutre : il désigne cette grande démocratie-chrétienne qui, politiquement, n'existe pas en France, comme devant former la couche de mousse entre le peuple et le parlement, d'une part, la présidence de l'autre. Mais la question clef est là encore celle-là même de la cohabitation, c'est-à-dire du respect de la V° République. Prenons les deux points les meilleurs des prétendues « conditions » de R. Glucksmann : l'abrogation des lois retraite, assurance-chômage et immigration et un soutien aux Ukrainiens qui, précisons-le, cesserait de se faire au compte-goutte en posant des conditions diplomatiques, économiques et autres. S'imagine-t-on imposer le tout sans frottements avec la présidence, à tout l'appareil préfectoral et bureaucratique, au Conseil constitutionnel et au Sénat ? Allons donc ! A nouveau : assemblée souveraine, voilà la question !
Mais … nous n'en sommes pas du tout là. Nous en sommes à l'urgence pour éviter le gouvernement Macron/Bardella, ou Macron/Le Pen (ou des présidentielles anticipées offertes à l'un ou l'autre). Ces histoires de « conditions » et de « premier ministre » ne sont pas le sujet pour celles et ceux qui, tout ce lundi 10 juin, ont voulu verrouiller leur volonté pour des candidatures uniques, un peu comme, en janvier 2023, ils s'étaient soudés sur l'exigence de retrait de la loi Macron contre les retraites qui s'était ainsi imposée à l'intersyndicale.
Et donc, un peu plus tard dans la soirée, cela alors, c'est très important, que des centaines et des centaines de manifestants, majoritairement des jeunes, se regroupaient spontanément autour du siège d'EELV dans le X°, scandant « Trouvez un accord ! Ne trahissez pas ! », les 4 partis de l'ex-NUPES accouchaient, à 22h 20, de la déclaration suivante :
« Quelques jours pour faire Front Populaire.
Nous avons échangé ce jour pour faire face à la situation historique du pays, suite aux résultats de l'élection européenne et à la dissolution de l'Assemblée nationale.
Nous appelons à la constitution d'un nouveau front populaire rassemblant dans une forme inédite toutes les forces de gauche humanistes, syndicales, associatives et citoyennes. Nous souhaitons porter un programme de ruptures sociales et écologiques pour construire une alternative à Emmanuel Macron et combattre le projet raciste de l'extrême droite.
Dans chaque circonscription, nous voulons soutenir des candidatures uniques dès le premier tour. Elles porteront un programme de rupture détaillant les mesures à engager dans les 100 premiers jours du gouvernement du nouveau front populaire. Notre objectif est de gouverner pour répondre aux urgences démocratiques, écologiques, sociales et pour la paix.
En écho à l'appel des syndicats ce soir et de la jeunesse, nous appelons à rejoindre les cortèges et à manifester largement.
A la manière dont nous gouvernerons, sur un cap clair, nous voulons bâtir ce nouveau front populaire avec toutes les forces qui partagent cette ambition et cet espoir. »
L'essentiel immédiat est que les chefs ont cédé sur la question des candidatures uniques. Sur tout le reste – projet gouvernemental, programme, « cap clair », rien n'est réglé, et bien entendu la question de la souveraineté d'une assemblée élue contre Macron et le RN est passée sous silence. Mais l'essentiel immédiat était la première victoire d'en bas, victoire sur les chefs de tous les partis de l'ex-NUPES !
La courte allocution des chefs tenus de sourire a été suivie d'une amplification de la manifestation nocturne et de son enthousiasme. Au bout de 20 minutes, les CRS sont intervenus en bombardant la jeunesse présente de lacrymos.
Voilà le concentré de la situation : la poussée d'en bas a imposé sur un point sa volonté, et l'État nu, celui de la préfecture, de Darmanin et de Macron, devait montrer qu'il sera le dernier rempart quand les autres obstacles auront sauté. C'est aussi pour cela qu'il nous faut battre le RN et propager le thème de la souveraineté de l'assemblée à élire contre le RN et Macron.
C'est plus tard dans la soirée que les centrales syndicales réunies sortaient un communiqué signé de la CGT, la CFDT, la FSU, Solidaires et l'UNSA, appelant à manifester notamment ce week-end et à la suspension des contre-réformes engagées par Macron. Nous reviendrons dans nos prochains articles et éditoriaux sur la place des syndicats dans la crise politique.
VP, le 11/06/2024.
Communiqué de presse intersyndical 10 juin 2024 Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues !
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À l’école du (nouveau) Front populaire
Le fascisme, la France a connu il y a moins d'un siècle. Dans cette tribune, *Laurence De Cock* fait le parallèle entre cette période et ce que nous vivons actuellement. « Le danger n'a jamais été aussi grand de voir notre école publique tomber aux mains de ses fossoyeurs. La solution réside dans notre sursaut collectif. Oui le défi est vertigineux ; oui nous sommes déjà épuisés par une incessante maltraitance ; mais qu'on le veuille ou non le compte à rebours a commencé », écrit l'historienne.
*Tiré de Le Café pédagogique, Paris, le 17 juin 2024
https://www.cafepedagogique.net/2024/06/17/a-lecole-du-nouveau-front-populaire/
photo 1936 Jean Zay première colonie de vacances
« Telle est l'architecture de la maison que nous destinons à la jeunesse. Elle sera claire et aérée, conforme à la raison et ouverte à vie. La justice sociale n'exige-t-elle pas que, quel que soit le point de départ, chacun puisse aller dans la direction choisie, aussi loin et aussi haut que des aptitudes le lui permettront ? « . C'est par ces mots que Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale du Front populaire termine son projet de loi sur la réforme de l'enseignement en mars 1937.
Le pays sort d'années mouvementées. Menacée par les ligues fascistes, la gauche a réussi à s'entendre malgré de lourdes divergences idéologiques. L'heure n'est plus aux déchirures internes à la grande famille. Il faut rassembler le plus largement possible pour éviter le basculement vers les forces nationalistes, xénophobes et racistes.
*Quand le fascisme menaçait déjà l'école*
En 1936, on sait ce que le fascisme fait à l'École. On peut le voir à l'œuvre en Europe, en Italie comme en Allemagne. Le fascisme éteint la lumière ; il confisque l'innocence des enfants. Son école enferme leur corps dans des uniformes, verrouille leur pensées et leur impose ses idoles. Le fascisme est une chape de plomb posée sur l'enfance. Il trie les enfants sur des bases sociales et racistes et livre les plus fragiles en pâture au marché du travail ou à la rue.
À la veille du Front populaire, l'école en France est encore très ségrégative. Seuls 5% des élèves obtiennent le Baccalauréat à la fin du secondaire ; la plupart sont entrés au lycée dès le cours préparatoire, un lycée réservé à la bourgeoisie qui était même resté payant jusque 1933. Pour tous les autres l'aventure s'arrête à la fin de l'école primaire, des cours complémentaires ou du Primaire supérieur pour ceux qui souhaitent de courtes études. Mais la démocratisation scolaire est en débat. Elle passerait par ce qu'on appelle déjà l' »école unique ». Car tout le monde sait que la véritable condition d'une démocratisation scolaire est de laisser les enfants ensemble, le plus longtemps possible.
De nombreux pédagogues œuvrent déjà en ce sens. Parmi eux, Élise et Célestin Freinet, un couple d'instituteur et institutrice, très engagé politiquement à gauche. Depuis une quinzaine d'années, ils ont monté un petit édifice autour d'une pédagogie inspirée par ce que l'on appelle l' »éducation nouvelle » qui prône des pédagogies actives. Particulièrement soucieux des enfants les plus pauvres, le couple accueille dans sa toute jeune école, des enfants de républicains, réfugiés de la guerre d'Espagne, ainsi que des enfants d'ouvriers ou orphelins. Fou de joie à l'annonce du Front populaire, « Nous revivons » écrit-il en octobre 1935, Célestin Freinet envisage même la création d'un « Front populaire de l'enfance » pour « défendre les conquêtes populaires de l'école laïque« , améliorer les conditions matérielles de l'accueil des enfants et protéger les enseignants du fascisme.
Lorsque Jean Zay, à 31 ans, devient ministre de l'Éducation nationale, il baigne dans cette atmosphère réformatrice. Sensible aux appels des pédagogues et soucieux de s'inscrire dans la politique sociale du Front populaire, Zay veut que l'enfance prenne sa part dans cet immense mouvement historique d'espoir.
*Le ministre de la « récréation nationale »*
C'est ainsi que le qualifient ses ennemis ; ceux qui ne supportent pas l'idée que l'enfant soit un petit être humain et qui continuent de le confondre avec de la pâte à modeler. Le projet de Zay irrite les partisans de l'ordre, c'est bon signe. Lors des débats parlementaires, tandis qu'il propose de ne s'en tenir qu'à trois degrés (primaire, secondaire, supérieur), la droite redoute de voir « des barbares » monter « sur les bancs de l'entre-soi ». Alors Zay légifère à coups de circulaires, décrets et expérimentations pour bâtir cette maison « ouverte à la vie ».
Pour favoriser le passage entre le primaire et le secondaire, Zay expérimente deux cents classes de sixième d'orientation à effectifs limités (25 élèves), disposant de quatre à cinq maîtres et d'un médecin qui leur est attaché. Il propose qu'un point y soit régulièrement fait pour préparer l'orientation des enfants. Des cours d'éducation physique et sportive sont instaurés dans certains départements. Il met aussi en place, une demi-journée par semaine, des « loisirs dirigés » (ce qui lui vaut ce surnom) en coopération avec l'éducation populaire, qui deviendront des « activités dirigées » et s'intéresse à la qualité des repas des enfants à la cantine. Enfin, il promeut des pédagogies actives. « C'est bien la démocratisation moderne qui s'invente » écrit l'historien Olivier Loubes dans son livre Jean Zay, l'inconnu de la République. Cet attachement de Zay au bien-être des enfants est sa marque de fabrique. Avec le ministre socialiste Léo Lagrange, sous-secrétaire d'État aux loisirs et aux sports, et créateur des auberges de jeunesse, il développe les colonies de vacances et accompagne la découverte, par les masses populaires, du droit à la culture, aux loisirs, et au bonheur.
*Le nouveau Front Populaire*
Dans son programme, le nouveau Front populaire a dévoilé ses principales mesures sur l'école : réaffirmation de la gratuité, baisse des effectifs, fin des procédures de tri social (choc des savoirs, ParcourSup), aide à la médecine scolaire et à la scolarisation des enfants en situation de handicap, ou encore abrogation du SNU et soutien aux association d'éducation populaire. Assurément, l'esprit de Jean Zay plane sur ces mesures. Et il redevient possible de rêver. Contre l'obscurantisme fasciste et le danger qu'il fait planer sur l'enfance et la jeunesse, nous pouvons brandir l'étendard d'une école publique, protectrice et chaleureuse ; une école qui tende la main à tous les enfants et plus particulièrement aux plus fragiles ; une école émancipatrice, soucieuse de les accompagner dans la trajectoire scolaire de leur choix.
Ainsi le socle serait posé. Et il nous resterait à affiner le reste, en prenant tout notre temps : que devrait-on y apprendre et selon quelles méthodes ? Quelle formation des enseignants accompagnerait ce projet ? Comment y impliquer l'ensemble de la société ? Comment rendre l'école publique plus désirable et dissuader des bifurcations vers le privé ? Comment redonner envie d'embrasser la profession d'enseignant dont l'image a été abîmée par des années d'agression ?
Le danger n'a jamais été aussi grand de voir notre école publique tomber aux mains de ses fossoyeurs. La solution réside dans notre sursaut collectif. Oui le défi est vertigineux ; oui nous sommes déjà épuisés par une incessante maltraitance ; mais qu'on le veuille ou non le compte à rebours a commencé.
Laurence De Cock, Le Café pédagogique, Paris, le 17 juin 2024
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France - L’unité est un combat. Éditorial de la revue Contretemps-web
Lors de la soirée électorale, la surprise n'est pas venue des résultats, du moins en France. L'annonce de la dissolution de l'Assemblée Nationale a éclipsé en partie les dynamiques sorties des urnes de ces élections européennes. Dans une situation difficile pour la gauche de transformation sociale, cette annonce peut ajouter à la démoralisation, mais aussi à la colère, et sonner une alarme salutaire. Le temps n'est pas à se lamenter mais à nous organiser. Proposons quelques pistes d'analyse pour mieux reprendre l'initiative.
Tiré de la revue Contretemps
11 juin 2024
Par Contretemps
Prévisible, mais gigantesque, la première donnée du scrutin est bien évidemment l'abstention : la participation s'élève à peine à plus de 51% des inscrit‧es (en France comme dans l'UE en moyenne). Se gargariser d'un taux très légèrement supérieur à celui de 2019 conduirait à omettre une coordonnée centrale de la situation : la moitié de la population en droit de voter – en particulier parmi les jeunes et les classes populaires – a choisi de ne pas le faire. C'est là une dimension durable de la crise politique et un défi central pour les forces de gauche.
Autre donnée largement annoncée à l'avance, le score du Rassemblement National constitue tout de même un événement majeur. Le RN recueille plus de 31% des suffrages exprimés, soit 7,76 millions de voix (contre 23% et 5,2 millions en 2019). L'extrême-droite rassemble au total plus de 9 millions de voix, avec notamment l'apport de la liste de Marion Maréchal-Le Pen et Eric Zemmour (5,5%, 1,3 million). C'est considérable et, malgré une participation faible, non loin du nombre de suffrages obtenus lors du premier tour de la présidentielle de 2022.
De son côté le camp présidentiel enregistre un net recul : 14,6% et 3,6 millions de voix (22% et 5 millions en 2019). Les Républicains (LR) connaissent un tassement juste en-dessous de 1,8 million de voix (7,2%). Si on compare avec les élections de 2022 l'écart est bien évidemment encore plus grand. Pour autant, la Macronie figure bien en 2e position comme en 2019.
La gauche est dans une dynamique à peu près inverse de la droite au pouvoir, avec une relative progression générale (par rapport aux européennes de 2019 et même aux législatives de 2022, mais pas la présidentielle) et des dynamiques assez différentes selon les listes. Ce qui ressort au premier regard est le résultat de la liste du Parti Socialiste conduite par Raphaël Glucksmann, talonnant la liste macroniste avec 13,8% et 3,4 millions de voix. Cependant dans le même temps la liste arrivée 3e en 2019 (Europe Ecologie-Les Verts, EELV) s'effondre, et si l'on compte ensemble le score de ces deux composantes qui constituaient l'aile droite de la NUPES, sa hausse par rapport à 2019 est modérée (+300000 voix), et trois fois moindre que celle de la France Insoumise (LFI).
En effet la liste de Manon Aubry totalise cette fois près de 2,5 millions de voix et approche des 10% (soit 1 million de voix de plus qu'en 2019). La campagne Glucksman, grâce à sa surexposition médiatique en rapport inverse de la diabolisation de LFI par les forces dominantes, politiquement et médiatiquement, grâce également au vote utile pour la liste de gauche la mieux placée, a maintenu, voire fait revenir (pour cette fois au moins) une partie de l'électorat de gauche dans le giron du social-libéralisme auquel on doit d'avoir propulsé au pouvoir… Emmanuel Macron. Dans un tel contexte, le score de LFI, même s'il révèle des difficultés, confirme malgré tout des points forts.
Dans une situation électorale peu favorable pour son camp, qu'espère Emmanuel Macron avec son coup de poker de dimanche soir ? Le plan A : en espérant une division à gauche, mettre à nouveau l'électorat au pied du mur, c'est à dire face à la (fausse) alternative macronisme / lepénisme, en espérant que ce chantage fonctionne une fois encore en sa faveur dans de nombreuses circonscriptions. Pour continuer à exister, la Macronie doit continuer à effriter ses concurrents sur ses deux flancs (LR et centre gauche) avec cette fois des promesses de désistements en faveur de candidat‧es PS ou LR en cas de triangulaires avec le RN.
Si le pari était gagné, ce serait un sérieux revers pour le RN qui apparaîtrait au moins temporairement comme désavoué dans ses ambitions d'accès au pouvoir gouvernemental. Sans pour autant remettre en cause le statut de première opposition acquis par le RN, sur lequel Macron compte bien continuer à jouer. Le pouvoir macronien n'a cessé de porter des coups toujours plus durs à la gauche et au mouvement social, pour mieux servir les riches et le capital. Son ultime manœuvre s'inscrit dans le prolongement d'une violente politique anti-LFI, et par extension anti-NUPES, brutale à l'égard des mouvements sociaux et liberticide, une politique qui a atteint son paroxysme au cours de la période qui a succédé au 7 octobre et pendant la campagne de ces élections européennes.
Au vu des rapports de forces électoraux, Macron et ses conseillers ont nécessairement envisagé sérieusement le plan B que constituerait la victoire triomphante du RN, c'est-à-dire l'obtention d'une majorité absolue (Le Monde rapporte que les projections des sondeurs sur lesquelles s'est fondée la décision de dissoudre en font une réelle possibilité). Dans cette hypothèse, Macron espère sans doute que quelques années de cohabitation avec un gouvernement d'extrême-droite donneraient à son camp l'occasion de se rétablir, notamment en vue de la présidentielle de 2027.
C'est l'une des premières sources de démoralisation ou/et de colère et de révolte face à son geste : Macron vient de franchir un nouveau seuil dans son jeu avec le feu du néofascisme. S'il parvenait au gouvernement, le bloc lepéniste disposerait de nombreux leviers pour mener une politique violente et ravageuse. Tout en demeurant au service des riches, cette politique donnerait toute licence aux secteurs les plus brutaux de la police (BAC et BRAV-M notamment), mettrait plus que jamais l'Etat au service d'un déchaînement islamophobe, raciste, patriarcal, et d'une politique de destruction de toutes les formes de solidarité et de l'environnement, en brisant les contre-pouvoirs (dans la société civile ou au sein de l'État).
Un danger d'autant plus grand que le RN pourrait bien alors constituer une option séduisante pour une durée plus longue (comme on l'observe avec l'extrême-droite dans d'autres pays), pour des classes dirigeantes en mal d'hégémonie. En prenant possession des moyens du pouvoir d'Etat, il pourrait mener une politique clientéliste et raciste à destination des classes populaires, réactivant et approfondissant les divisions pour renforcer la domination capitaliste. L'hypothèse d'un résultat électoral intermédiaire d'où pourrait surgir une majorité hybride entre la droite (LR) et l'extrême droite, terrible parachèvement de la longue normalisation du RN et de l'extrémisation de la droite traditionnelle, n'est pas plus rassurante.
Pour nous, il y a donc urgence.
Pour repartir à l'offensive et conjurer la catastrophe, il nous faut aussi connaître les points d'appui dont nous pouvons disposer dans la situation. Comme on l'a souligné, la campagne courageuse et radicale menée par LFI dans une grande adversité n'a pas subi la défaite cuisante espérée par ses adversaires (contrairement à deux campagnes ayant incarné la division de la NUPES : celles du PCF et d'EELV). C'est remarquable non seulement au vu de la politique maccarthyste anti-LFI, qui s'est accentuée dans cette campagne, mais aussi des résultats plus faibles obtenus par notre camp politique dans d'autres pays d'Europe (à l'exception de la Finlande, de la Belgique et de la Suède).
Au regard de l'abstention beaucoup plus forte aux européennes qu'aux présidentielles, personne ne peut croire aujourd'hui que le score de la liste Glucksmann change foncièrement la donne dans les rapports de forces au sein de la gauche, ce qui pousse manifestement le PS à négocier un accord pour les législatives. La dynamique électorale de la gauche de lutte a été limitée notamment par la défaite sociale de 2023 sur les retraites, qui continue de peser sur la situation, au profit du parti du désespoir, c'est-à-dire, comme toujours, de l'extrême-droite. Mais si les résultats indiquent que notre camp n'a pas perdu toutes ses forces, c'est aussi justement parce que nous nous sommes battu‧es l'année dernière et que nous pouvons nous mobiliser à nouveau.
Aujourd'hui cette mobilisation est d'abord celle du combat pour l'unité d'une gauche de transformation sociale, pour éviter les désastres électoraux annoncés. Mais quelle unité, comment, et pour quoi faire ?
Le temps manquerait pour arriver à un accord sur un programme très détaillé… Peut-être est-ce tant mieux, car une liste limitée mais offensive de propositions suffirait à donner à cette unité un contenu fort et mobilisateur dans la rue et dans les urnes. L'histoire en donne bien des exemples, du « pain, paix, terre » au cours de la Révolution russe au « pain, paix, liberté » du Front populaire en France en 1936.
Cette unité ne doit pas se ramener à une coalition de partis. Nous avons tou‧te·s un rôle à jouer dans la bataille à mener pour le meilleur accord possible à gauche, dans cette campagne législative qui s'ouvre et au-delà. Cette bataille n'est pas seulement électorale, elle ne saurait se conclure par la simple reconstitution d'un cartel d'organisations par en haut. Si cette campagne doit renforcer notre camp social et politique, elle devra reposer sur une dynamique militante. Dans le mouvement syndical et associatif, des initiatives sont déjà en train de se concrétiser, dans ce sens. Il faut les amplifier et les multiplier pour aller vers un grand front social et politique sur un programme de rupture : rupture avec les politiques néolibérales mais aussi avec les politiques racistes et productivistes.
L'unité est un combat. La division laisserait derrière elle un champ de ruines (bien au-delà du plan électoral) autour d'un nouveau face-à-face entre partisan‧es de Macron et de Le Pen. L'unité n'aurait pas de sens sans reposer sur un projet politique porteur de changement radical. Des mesures fortes qui reflètent les aspirations des classes populaires, des exploité‧es et des opprimé‧es, et qui les appelle à la mobilisation sans laquelle rien ne sera possible. Dans la situation actuelle, c'est difficile, mais sous la pression collective, ce scénario est possible. Combattons pour résoudre cette équation et reconstruire une gauche de masse sur des bases radicales.
À ce stade, la situation reste ouverte et particulièrement incertaine. Elle est très périlleuse : que Macron remporte son pari ou, pire, que le RN accède au gouvernement, nous allons au-devant de désastres. Les accords annoncés hier entre les partis de gauche mais aussi entre les syndicats donnent l'espoir que chacun prenne ses responsabilités, mais on voit également la droite du PS regroupée derrière Glucksmann tenter de saborder l'union, appuyé par une bonne partie des éditocrates. L'urgence est donc de garantir que la volonté affirmée de candidatures uniques se concrétise, autour d'une base politique de rupture avec le macronisme. Une autre voie est encore possible, et nous devons mener ce combat.
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Contre l’extrême-droite et Macron, le Front Populaire ! Mobilisation générale !
Le NPA-L'Anticapitaliste a décidé de rejoindre le Front Populaire sans aucune hésitation. Macron, après sept ans de politiques ultra-libérales, racistes et autoritaires est à bout de souffle. Il ne peut plus servir la finance et le grand patronat qui en demandent toujours plus. L'extrême droite, qui a totalisé près de 40 % des votes lors de la dernière élection européenne, est un recours bienvenu pour les capitalistes. Avec la dissolution, Macron leur déroule le tapis rouge.
Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)
14 juin 2024
Crédit Photo
Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas
L'extrême-droite est notre pire ennemi
L'arrivée de l'extrême droite au pouvoir serait une catastrophe. D'abord pour les étrangerEs qui seraient persécutés. Pour les femmes et les personnes LGBT+ dont les droits reculent dans tous les pays dirigés par l'extrême droite. Pour les syndicalistes dont l'extrême droite veut se débarrasser pour laisser le patron seul maître à bord dans l'entreprise.
Face au danger, l'unité de la gauche sociale et politique
En quelques jours, l'ensemble des organisations de gauche, les syndicats, les associations et mouvements qui agissent sur les luttes environnementales, antiracistes, féministes, LGBT+ se sont positionnées pour l'union et soutiennent le Nouveau Front Populaire. En quelques jours, c'est bien le camp des exploitéEs et des oppriméEs, qui s'est reconstitué comme un sujet politique se battant pour son émancipation. Cela dépasse telle ou telle organisation ou personnalité. Nous sommes une force qui peut tout changer et le NPA-L'Anticapitaliste appelle à rejoindre les comités de campagne du Nouveau Front Populaire dans toutes les circonscriptions.
Nourrir le Nouveau Front Populaire de nos revendications
En quelques jours, le Nouveau Front populaire a élaboré un programme. Beaucoup de points ont été portés par le mouvement social ces derniers mois : abrogation des réformes des retraites, « Darmanin » ou de l'assurance chômage, augmentation des salaires, investissement massif dans l'école ou les hôpitaux. Mais ce programme n'est pas abouti. Il doit être nourri par les syndicats et les mouvements sociaux. Nous devons par exemple mettre sur la table la mise sous contrôle public du secteur de l'énergie face à la crise climatique ou encore la titularisation des centaines de milliers de précaires de la fonction publique. Ce travail revendicatif, chaque secteur doit se l'approprier pour solder les comptes avec le Capital.
La victoire doit être un encouragement aux luttes futures
Le Nouveau Front Populaire est en capacité de gagner les élections. Mais nous sommes des millions à percevoir que cela ne sera pas suffisant. Un nouvel échec de la gauche assurerait le triomphe de Marine Le Pen dans deux ans. Comment remettre en cause le pouvoir des capitalistes ? Comment revenir sur 40 ans de casse sociale et gagner de nouveaux droits ? Comment renforcer le soutien aux peuples palestinien et ukrainien tout en rompant avec l'alliance impérialiste qu'est l'OTAN ? Pour le NPA, les choses sont claires. C'est en luttant par en bas, dans nos quartiers et nos entreprises, que nous pourrons changer les choses. En 1936, c'est une grève générale qui a forcé le Front Populaire nouvellement élu à mettre en place les premiers congés payés de l'histoire. Si dans trois semaines le Nouveau Front Populaire gagne, le chemin de la lutte collective ne fera que commencer car l'histoire nous enseigne que les capitalistes ne céderont pas uniquement par l'action parlementaire.
Unitaire et révolutionnaire, rejoins le NPA-L'Anticapitaliste !
Si tu veux combattre l'extrême droite. Si tu es convaincu qu'il faut l'unité pour gagner contre les capitalistes et les fascistes. Si tu penses qu'il faut que le Nouveau Front Populaire gagne les élections mais qu'il faudra continuer après le 7 juillet à prendre ses affaires en mains. Si tu veux en finir avec le système capitaliste qui nous exploite et nous opprime. Si tu veux passer de l'espoir à la révolution, Alors viens discuter et rejoins-nous !
Le vendredi 14 juin 2024
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France - Feu le bloc bourgeois ? Feu sur le bloc bourgeois !
Paul Elek analyse la situation politique sortie des élections européennes et de la dissolution de l'Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron. Il montre notamment comment le bloc bourgeois se réorganise rapidement autour d'un axe nationaliste et réactionnaire, sous domination FN/RN, nécessitant une réponse unitaire de la gauche sociale et politique.
Tiré de la revue Contretemps
13 juin 2024
Par Paul Elek
L'annonce surprise de la dissolution de l'Assemblée nationale, moins d'une heure après les résultats des élections européennes, a pris de court jusqu'aux rangs de l'ancienne minorité présidentielle. Si la séquence électorale de 2022 n'avait en rien résolu la confrontation des trois blocs politiques en constitution depuis 2017, elle avait laissé place à des signes de plus en plus visibles de la décomposition de la Ve République.
En deux ans, et en l'absence de majorité stabilisée, seuls l'instrumentalisation autoritaire de la Constitution (et du règlement de l'Assemblée nationale) et les coups de poker des accords au cas par cas avec Les Républicains et le Rassemblement National alimentaient l'illusion d'un maintien du cours des affaires. Deux longues années durant lesquelles la direction du pays s'est faite sans approbation par un vote du Parlement, le budget de l'État pour 2023 et celui de 2024, comme les réformes majeures (à l'image de celle des retraites), ayant été imposées par 49.3. C'est l'échec cinglant du parti présidentiel aux européennes, perdant plus d'1,5 million de voix par rapport à l'édition précédente, qui semble marquer aujourd'hui la limite ultime des recompositions électorales du bloc bourgeois savamment orchestrées par Emmanuel Macron depuis sa victoire en 2017.
À mesure que la stratégie d'annexion de la base sociale de la droite se déclinait comme autant de reprises des propositions xénophobes et liberticides de la droite et de l'extrême-droite par la « Macronie », l'affrontement semblait inévitable entre l'ancien bloc bourgeois [1], réorganisé en « bloc de droite 2.0 » [2] et le nouveau bloc bourgeois en gestation sous le patronage national-réactionnaire du RN. Le processus d'alignement idéologique entre toutes les formations de droite sur le triptyque consensus néolibéral / fracturation raciste du corp social / autoritarisme pouvait-il d'ailleurs mener à autre chose que la constitution d'un nouvel « arc réactionnaire » [3] qui menacerait le rôle de direction du va-tout de la bourgeoisie qu'incarnait Emmanuel Macron ?
En prenant la décision de dissoudre l'Assemblée nationale, le chef de file des pompiers pyromanes a parié sur la division de la gauche avec en ligne de mire l'objectif d'abattre la « gauche du désordre au parlement ». Car si c'est la gauche, sous la forme de la coalition NUPES, qui avait empêché le parti présidentiel d'obtenir une majorité au parlement en 2022, la cible réelle reste la France Insoumise. Dans la période, en dehors de son action d'opposition parlementaire farouche, la formation politique a surtout joué le rôle de paratonnerre des forces dynamiques au sein du camp social, celles arrimées sur une ligne de rupture claire avec le consensus néolibéral et l'affirmation de sa mue raciste-autoritaire.
Or c'est ce rapport de force à gauche, imposé lors de deux élections présidentielles par la candidature de Jean-Luc Mélenchon, qui fait peur à une bourgeoisie ne voyant pas d'un bon œil l'affaiblissement des forces qui ont joué ses supplétifs à gauche. Du tournant de la marche contre l'islamophobie à la révolte des quartiers populaires contre les crimes policiers en passant par la bataille contre la réforme des retraites ou le génocide à Gaza, c'est bien une France Insoumise poussée par les mouvements populaires qui a fait face à l'agenda du pouvoir, devenant un point de repère, bon gré mal gré, de beaucoup de militants et d'électeurs à gauche.
Comment expliquer autrement la progression d'un million de voix aux européennes de ladite formation malgré le contexte maccarthyste installé par une Macronie qui a ajouté aux musulmans une longue liste d'ennemis désignés de l'État où se succèdent toutes les incarnations de l'opposition à sa politique, des « gilets jaunes » aux « islamogauchistes », en passant par les syndicalistes jugés trop combatifs, les supposés « écoterroristes » des Soulèvements de la Terre et les convoqués pour apologie de terrorisme ? À en croire les partisans du gouvernement, la France Insoumise – dont la proposition politique a surtout des airs du programme commun de 1972 [4] – serait d'ailleurs une chimère à mi-chemin entre Action Directe et le Hamas.
À court terme, Emmanuel Macron a fragilisé sa centralité politique en créant les conditions d'émergence de deux nouvelles alliances électorales à gauche et à l'extrême-droite qui préfigurent peut-être la réorganisation en deux blocs socio-politiques de la société française. Face au risque d'un parlement dominé par le RN, l'annonce de législatives anticipées a poussé les formations de l'ex-NUPES à envisager un nouvel accord, tandis que le Rassemblement National lance son appel au rassemblement de « tous les patriotes », fort des 9,5 millions de voix de l'extrême-droite aux européennes. L'hubris n'excluant pas la folie, voilà que Jupiter cavale désormais derrière l'actualité et se propose d'intervenir jusqu'à trois fois par semaine dans le débat public pour exister dans l'étau qu'il a lui-même resserré. L'effondrement du bloc bourgeois étant engagé, dans son sillage, se réouvrent les plaies du « transformisme » bancal à l'origine de sa constitution entre 2017 et 2022.
La formule « Plutôt Hitler que le Front Populaire » restera l'horizon de la bourgeoisie, mais la situation actuelle se présente d'abord comme une nouvelle phase de recomposition de ses différentes chapelles. Le lendemain de l'accord annoncé par les organisations de gauche pour les législatives anticipées, ce sont d'ailleurs les bataillons périphériques du bloc bourgeois qui ouvrent le bal de la panique. Les Républicains écartelés depuis sept ans entre le rôle de supplétifs de la Macronie et celui de moines copistes du RN se déchirent.
Alors qu'Eric Ciotti a négocié une coalition avec le RN pour près de 80 candidats LR, des ténors du parti, à commencer par les chefs des groupes parlementaires au Sénat et à l'Assemblée nationale, se sont réunis dans un bureau politique d'exception pour engager sa destitution de la direction de l'organisation ainsi que son exclusion et celle de ses partisans. Après s'être enfermé comme un forcené dans le siège en le vidant de ses salariés dans un moment tragi-comique savoureux, le député niçois, campe désormais sur ses positions arguant du soutien de milliers d'adhérents et de l'illégalité des procédures engagées contre lui. Reste à savoir comment la vieille garde outrée par son initiative compte tirer son épingle du jeu quand tous continuent d'osciller entre alliance tacite avec le parti présidentiel et attente d'une hypothétique recomposition de la droite post-Macron pour se refaire. La chute de la maison gaulliste Les Républicains est donc actée, mais le supplice pourrait durer.
Quant à la droite du PS, la voilà qui bouillonne et mise sur l'illusion Raphaël Glucksmann. « Plutôt Macron que la France Insoumise », voilà le cri de ralliement des partisans socialistes de la solidarité coloniale avec Israël et de la vieille « hollandie » menée par Bernard Cazeneuve. Les soutiens d'Anne Hidalgo et le groupuscule Place Publique ont, eux, déjà annoncé s'organiser pour présenter descandidatures dissidentes aux législatives à Paris. Enfin, cerise sur le gâteau, au-delà même des rivages adjacents de feu le bloc bourgeois, la boutique néofasciste Reconquête se fracasse aussi sur l'alliance proposée par Marion Maréchal avec le RN. Le raciste multirécidiviste à sa tête, dans sa fureur, l'a ainsi exclue du parti dénonçant une trahison supplémentaire au sein d'une longue carrière en la matière. Pas faux.
Si le bloc bourgeois s'effrite, rejoint par certains vestiges du monde qu'il avait participé à enterrer, les jeux ne sont pas faits. Pour achever la bête, une nouvelle coalition électorale à gauche pourrait être une étape nécessaire, mais en rien une garantie suffisante. L'enjeu de son périmètre programmatique sera l'objet d'une bataille intense tant les divisions entre les formations de gauche à la recherche d'une voie d'apaisement face à la crise politique et celles engagées pour une ligne de rupture avec le capitalisme et l'ordre social raciste sont vives et éloignent l'avènement d'un projet d'émancipation collective. À peine, peut-être, le geste pourrait-il permettre d'éviter le pire au sein de l'espace parlementaire, mais comme disait le poète : « Quand les blés sont sous la grêle/ Fou qui fait le délicat/ Fou qui songe à ses querelles/ Au cœur du commun combat » [5]. Cette nouvelle coalition électorale de la gauche pourrait a minima déjouer l'intention d'Emmanuel Macron de se poser une nouvelle fois comme un rempart à l'extrême-droite pour rafler la mise, quand il a été dans les faits un « boulevard » pour son accession au pouvoir [6].
Le consensus politique qui s'est exprimé en faveur de la répression des révoltes provoquées par le meurtre du jeune Nahel et l'unilatéralisme médiatique en faveur du soutien inconditionnel à l'État colonial israélien ont entravé la possibilité de tirer les leçons de l'échec cinglant de la NUPES en faisant de la France Insoumise et du camp internationaliste une citadelle assiégée. L'absence d'un espace politique à même de permettre l'intervention populaire dans le destin de la coalition l'avait par ailleurs sans doute déjà condamné à l'instabilité en raison de la lutte acharnée pour la direction politique du camp social entre son aile modérée et son aile « radicale ».
L'opportunisme constaté de certains des appareils de la NUPES (aujourd'hui Nouveau Front Populaire) incapables de s'opposer à l'agenda du pouvoir a achevé d'en clouer le cercueil, pour des résultats piteux dans le scrutin européen. Si, de nouveau, la pression populaire pour l'union et l'instinct de préservation des intérêts boutiquiers ont forcé la main aux appareils pour un « accord au sommet », le contexte de constitution express du « Nouveau Front Populaire » diffère cependant de la genèse de la Nupes au sortir de l'élection présidentielle de 2022.
L'identification saisissante du danger fasciste et le sursaut qu'elle pourrait provoquer laissent entrevoir cette fois l'opportunité de mener la bataille au-delà de l'espace électoral afin d'imposer de l'extérieur le contrôle populaire des nouveaux serments proclamés. Les principales organisations syndicales ouvriront le bal ce week-end avec un appel à manifester contre l'extrême-droite et à « porter la nécessité d'alternatives de progrès pour le monde du travail », et seront rejointes par des organisations de la société civile à l'image de la LDH ou d'Attac qui s'engagent également dans la bataille.
L'heure devrait être a minima à la constitution d'une coordination des états-majors du camp social dans le respect de l'autonomie des rôles de chacun, et, dans son sillage, d'un programme d'intervention populaire dans le débat, peut-être sous la formation de comités locaux pour le nouveau front populaire (une expérience déjà ancienne – 2005-2006 – de comités unitaires locaux, à l'occasion du référendum sur le Traité constitutionnel européenne, avait été une réussite).
Quant à l'état de furie du débat politique et médiatique dans lequel s'engage la bataille, Paul Nizan en suggérait déjà les termes en 1932 en écrivant : « Quand la pensée bourgeoisie résiste à la révolution, elle feint de croire et croit qu'elle défend la société humaine contre les agressions, contre les régressions barbares. » »[7]. Il est temps de faire mentir cette prétention infâme !
Notes
[1] Bruno Amable, Stefano Palombarini, L'illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, Paris, (Nouvelle édition actualisée et augmentée) Raisons d'agir, 2018.
[2] Bruno Amable, Stefano Palombarini, Où va le bloc bourgeois ?, La Dispute, 2022
[3] Voir Paul Elek, « Sur l'arc réactionnaire : quelques thèses à propos de la crise politique en 2024 », #Positions, 14 janvier 2024 [en ligne].
[4] Ce programme de gouvernement signé par le PS et le PCF en 1972 portait même sans doute une ambition politique plus radicale sur certaines questions économiques et sociales mais ne prenait pas en compte nombre de thématiques actuelles comme la question d'une transition écologique.
[5] Aragon, la rose et le Réséda : https://www.poesie.net/aragon4.htm Compléter la réf + lien (ou lien direct dans le texte).
[6] Sébastien Fontenelle, Macron et l'extrême droite : Du barrage au boulevard, éditions Massot, 2023
[7] Paul Nizan, Les chiens de garde, 1932
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Dossier : Contre la vague brune, contre ceux qui l’ont préparée, il est encore temps !
Dans trois semaines peut-être, l'extrême droite arrivera au gouvernement, aux portes du pouvoir. Cette victoire potentielle n'est pas inattendue, tant elle a été préparée, encouragée, et — disons-le – souhaitée par une partie non négligeable de la classe politique et des cercles éditorialistes. Ce courant politique et la vision du monde qu'il défend remontent au-delà des années 1930 — comme le mot même d'islamophobie – et trouve ses racines dans le rôle structurel de l'héritage colonial, notamment en Algérie.
Tiré d'Orient XXI.
Cette histoire constitue, comme le rappelle Fabrice Riceputi, la matrice essentielle de l'extrême droite, celle qui fait oublier sa collaboration et son antisémitisme structurel. Cet impensé colonial permet d'expliquer la large convergence dans le soutien à Israël, qui a vu les héritiers du Front national défiler aux côtés de l'essentiel des forces politiques dans une « marche contre l'antisémitisme » en novembre 2023.
Cette histoire coloniale rappelle également la généalogie méconnue de la gestion sécuritaire des musulmans, toujours perçus comme « un problème », comme étrangers même pour celles et ceux qui sont français⸱es, mais surtout comme un danger pour la République. Si hier dominait la figure de l'Arabe « voleur, fourbe et violeur » ou du musulman réfractaire à l'assimilation coloniale, désormais les musulman⸱es et autres « islamo-gauchistes » seraient le nouvel ennemi intérieur, comme c'était le cas, il y a près d'un siècle, pour les juifs. À un siècle de distances, juifs et musulmans, sont perçus comme deux minorités religieuses racialisées, à qui l'on prête des desseins complotistes, comme le montre l'historien Reza-Zia Ebrahimi dans l'analyse de leur histoire croisée. Par leur duplicité à l'égard de la République, par l'extrémisme inhérent à leur religion — mieux, à leur culture, puisque même la langue arabe devient ni plus ni moins que l'outil véhiculaire de terrorisme —, les musulmans de France, définis comme une masse homogène malgré leur diversité, lanceraient un défi mortel au monde. Comme le fait à l'échelle internationale « le terrorisme islamique », porteur d'une guerre contre la civilisation occidentale ou prétendument « judéo-chrétienne ».
À l'heure où l'extrême droite a déjà un pied dans la porte, on ne peut pas fermer les yeux sur la responsabilité historique de la classe dirigeante et de ses relais médiatiques, dans la banalisation d'une islamophobie d'État qui n'a fait que s'intensifier depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, pour arriver à son paroxysme sous celle d'Emmanuel Macron. Si le dévoiement de la laïcité pour en faire une arme contre l'islam et les musulman⸱es, bien loin de l'esprit de la loi de 1905 défendue par Aristide Briand, date de la fin du second mandat de Jacques Chirac, l'offensive de l'actuel président de la République et de ses ministres contre les musulman⸱es, accusé⸱es de « séparatisme », a marqué l'intensification de discours de rejet et de mesures de répression, qui ont participé à la victoire de l'extrême droite dans la bataille culturelle qu'elle mène pour l'hégémonie. Le tout avec la complicité d'intellectuels, d'éditorialistes et de quelques « chercheurs de cour », qui n'ont eu aucun scrupule à mettre leur savoir au service d'une idéologie de haine et de rejet.
En reprenant quelques articles publiés par Orient XXI qui s'articulent autour des thématiques citées ci-dessus au sein de ce dossier, nous soulignons la responsabilité des pyromanes de la République, mais nous remplissons aussi le rôle que nous nous sommes donné depuis notre création en tant que média indépendant il y a plus de dix ans, et que nous jugeons plus que jamais nécessaire : donner à nos lectrices et lecteurs les outils de comprendre, et donc de résister à la vague brune qui risque de déferler sur nous, mais qu'il est encore temps d'arrêter.
ILLUSTRATION : Castres, 13 décembre 2009. Profanation de l'entrée de la mosquée de Castres. Des tags nazis et xénophobes sont peints sur le mur, des pieds de porc pendent à la poignée et des oreilles de porc sont agrafées sur la porte. THIERRY ANTOINE / AFP
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Olivier Besancenot : « Le danger fasciste est réel »
Lucide sur l'avancée de l'extrême droite, l'ancien candidat d'extrême gauche à la présidentielle appelle à refuser la « dictature du fait accompli » : à condition d'éviter le sectarisme, le camp de l'émancipation peut se ressaisir.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
11 juin 2024
Par Olivier Besancenot et Mathieu Dejean
Olivier Besancenot, photo ajoutée, reprise du journal l'Anticapitaliste.
Olivier Besancenot à Paris en mai 2022. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
Mobilisation contre la loi immigration,divisions à gauche, monde en bascule avec l'ascension des discours et des forces d'extrême droite en Europe... L'ancien candidat à la présidentielle de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en 2002 et 2007 (il avait obtenu respectivement 4,25 % et 4,08 % des suffrages exprimés), désormais simple militant au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), qui a récemment proposé à La France insoumise (LFI) de faire liste commune aux élections européennes de 2024, porte un regard inquiet sur la situation en France et dans le monde.
Sans céder aux « fatalistes de l'Histoire » qui veulent imposer le récit d'une victoire inexorable de Marine Le Pen en 2027, il alerte sur ce « danger réel » et invite toutes les forces de gauche à reprendre le flambeau de l'antifascisme « au-delà de la seule question électorale ».
Mediapart : La loi immigration est passée fin décembre avec les voix du RN. Même si le Conseil constitutionnel censure certains de ses articles, considérez-vous qu'on est passé à une nouvelle étape dans l'évolution du macronisme ?
Olivier Besancenot : Cette loi marque un saut majeur dans l'extrême droitisation de la classe politique, c'est évident. Son élaboration témoigne de l'influence du Rassemblement national, qui est devenu une boîte à idées du pouvoir en place. Cela crédibilise un peu plus la thèse de l'accession possible du RN au pouvoir, même si l'extrême droite n'y est pas encore.
Sur la loi immigration, la bataille n'est pas terminée. Après lamanifestation du 14 janvier, il y aura celle du 21 janvier. Nous allons unifier un maximum de forces et faire entendre la voix de toutes celles et tous ceux qui y sont opposés. Les macronistes traîneront cette loi comme un boulet, y compris lors d'échéances symboliques comme l'entrée de Manouchian au Panthéon. Car faire entrer au Panthéon l'un des responsables des Francs-tireurs et partisans – Main-d'œuvre immigrée (FTP-MOI) et faire voter cette loi, ce n'est pas du « en même temps » mais une contradiction politique scandaleuse et moralement révoltante.
Les nombreux coups portés par le camp présidentiel sur la question sociale, dans une ambiance internationale sombre, pourraient susciter davantage d'abattement que de révolte. Comment percevez-vous le climat du pays ?
Un récit nous est imposé sur le thème de l'inexorable ascension du RN au sommet de l'État. Je suis plutôt du côté du révolutionnaire Auguste Blanqui, qui pourfendait les fatalistes de l'Histoire. La responsabilité première à gauche, quelle que soit sa sensibilité, est de refuser cette dictature du fait accompli et de faire en sorte que ce récit soit démenti par les faits. Je suis conscient de l'évolution du rapport de force, et je sais qu'on ne l'inversera ni par des postures ni par de la gonflette, mais l'Histoire n'est pas une construction linéaire, elle est faite de bifurcations.
Il faut rassembler les forces sur des batailles essentielles, dont la lutte contre l'extrême droite et ses idées. S'il existe un drapeau qui permet de rassembler toute la gauche sociale et politique anticapitaliste, c'est le drapeau commun de l'antifascisme. Un tournant mondial nauséabond s'opère, auquel il faut opposer un large front d'actions et de résistance à l'air du temps.
À quoi attribuer ce tournant qu'on constate en Europe, mais aussi en Amérique latine avecJavier Milei en Argentine, ou en Israël avec Nétanyahou ?
Ce qui se passe en Israël, ce qui se passe en Europe et ce qui se passe en Amérique latine, au-delà des singularités propres à chaque situation, témoigne de la fin d'un cycle. Celui de la mondialisation libérale telle que nous l'avons connue depuis quarante ans, et cela renvoie aux contradictions profondes et inhérentes au système capitaliste.
Comme toujours, une fin de cycle n'est pas synonyme de retour à la situation antérieure : c'est une situation nouvelle qui s'ouvre, marquée par des intérêts nationaux aiguisés, des compétitions interimpérialistes et des guerres locales de très haute intensité qui mettent en péril le reste du monde à chaque instant. C'est comme si le monde avait perdu le contrôle de sa propre marche, comme un train fou qui roulerait à vive allure vers un précipice. La catastrophe écologique et climatique ou même la récente crise liée au narcotrafic en Équateurvont dans ce sens.
Nous ne vivons pas une redite des années 30, car ce n'est pas tant le “péril rouge” qui inquiète la classe dominante que le désordre globalisé qui menace ses affaires. Mais le danger fasciste est réel.
Politiquement, cela produit des courants d'extrême droite, néofascistes ou fascistes – l'heure n'est plus aux colloques sur leur dénomination. Marx comparait la révolution à un train qui tire l'humanité vers l'avant. Walter Benjamin, lui, tout en faisant sienne la rhétorique marxienne, comparait la nécessité révolutionnaire au signal d'alarme de ce train que l'humanité devait tirer au plus vite et en conscience, avant qu'il ne s'écrase. La tâche du mouvement d'émancipation tient aujourd'hui précisément à cela : tirer ce signal d'arrêt d'urgence !
L'extrême droite a fortement progressé tant électoralement que sur le plan culturel depuis 2002, où l'extrême gauche représentait un débouché politique important – avec Arlette Laguiller de Lutte ouvrière, vos deux candidatures cumulaient 10 % des suffrages exprimés à la présidentielle. Comment expliquer cette extrême droitisation, et le fait que la gauche de rupture soit moins identifiée comme un débouché politique aujourd'hui ?
D'abord, il y a eu des défaites sociales sur le terrain de la lutte de classes, dont très récemment celle sur la bataille des retraites. Dans ces circonstances, l'idée que la solidarité paye est plus compliquée à démontrer. Les discours émancipateurs ne sont jamais aussi forts que lorsqu'ils sont portés par des périodes de victoires par l'action. Or, compte tenu de la crise globale que nous traversons, les luttes ne sont pas derrière nous. Tout reste ouvert.
Mais il y a aussi des tendances de fond, notamment une aspiration à l'ordre que les discours simplistes remplissent facilement de haine. Hannah Arendt l'a analysé à maintes reprises : il existe une base sociale au mouvement totalitaire, qui ne s'explique pas seulement par le haut et le jeu des classes dominantes. Elle évoque un terreau : un phénomène de « désolation », sorte de stade suprême de l'individualisation et de la fragmentation des relations sociales. Face à cela, tout projet émancipateur doit partir de cette terrible réalité pour espérer être en phase.
Dans ce contexte, nous sommes obligés de tirer les bilans de notre propre histoire, même si celle-ci ne se répète jamais à l'identique. Nous ne vivons pas une redite des années 30, car ce n'est pas tant le « péril rouge » qui inquiète la classe dominante que le désordre globalisé qui menace ses affaires à terme. Mais le danger fasciste est réel du point du vue du racisme anti-immigrés et des attaques antidémocratiques. Les erreurs tragiques du mouvement ouvrier propres aux années 30, elles, menacent de se reproduire à l'identique : le sectarisme, la fragmentation, l'aveuglement.
C'est cette analyse qui a conduit le NPA à proposer une campagne commune avec LFI aux européennes de 2024 ?
Je ne suis plus à la direction du NPA, mais j'accompagne cette démarche qui consiste en effet à interpeller les forces de la gauche de rupture. Cela étant, au-delà de la seule question électorale, il y a une nécessité de dépassement et de rassemblement des forces sociales et politiques anticapitalistes, tout en plaçant au centre le front unique contre la droite et l'extrême droite. Une unité sur une démarche d'actions concrètes qui puisse alimenter le retour nécessaire des questions stratégiques pour incarner une alternative de masse – ce que nous n'avons pas réussi jusqu'ici.
L'extrême droite mène à sa façon une bataille pour l'hégémonie culturelle de manière décomplexée depuis trente ans ! À nous de mener la nôtre. Pour l'heure, nous traversons un énorme trou d'air idéologique où les gauches en France semblent perdre leurs boussoles, au point de devenir parfois méconnaissables...
Méconnaissables en termes de faiblesse politique ou en termes de ligne ?
En termes de ligne politique. Pendant longtemps, la lutte contre le racisme, sous toutes ses formes, était un repère politique structurant à gauche. De l'affaire Dreyfus aux générations qui ont écrit les pages de la Résistance et du mouvement ouvrier, sans oublier la marche pour l'égalité des années 80. Ce combat inclut autant la lutte contre l'antisémitisme, l'islamophobie que la négrophobie. Cette boussole à gauche est fondamentale, au même titre que l'a toujours été la lutte anticoloniale – je pense au Vietnam ou à l'Algérie, par exemple.
Or, depuis le 7 octobre dernier, les gauches paraissent perdre le nord, comme si les aiguilles s'affolaient au point de renoncer à l'une ou l'autre de leurs valeurs. Idem sur l'internationalisme, victime du triste retour du « campisme » qui voudrait transformer en loi la maxime qui prétend que « l'ennemi de mon ennemi est forcément mon ami ». C'est la même cohérence qui nous pousse, au NPA, à affirmer notre solidarité pour les résistances à la fois palestinienne, kurde ou ukrainienne, par exemple.
La gauche a en effet été accusée d'antisémitisme, de complicité avec le Hamas dans cette période, et le NPA n'y a pas échappé. Y a-t-il eu des maladresses, quand vous relisez les événements depuis le 7 octobre ? Avez-vous réussi à tenir tous les bouts ?
J'appartiens à un courant politique, la IVe Internationale, où des camarades ont été porteurs de valises pour le FLN, remplies d'argent ou d'armes. C'était notre contribution à la lutte d'indépendance algérienne. Pour ma part, j'en tire une grande fierté. Cela ne nous empêchait pas à l'époque de formuler nos désaccords, voire des critiques sur certaines modalités d'action. Nous étions par exemple opposés aux attentats aveugles contre les civils. Des questions morales d'autant plus importantes qu'une des conditions pour qu'une lutte de libération nationale l'emporte, c'est que la société coloniale elle-même se fracture.
L'accusation d'apologie du terrorisme qui nous est faite est une insulte à notre histoire.
En outre, le Hamas n'est pas le FLN. Nous sommes pour le droit à l'autodétermination du peuple palestinien, parce que nous sommes pour son droit à l'émancipation. Or le projet du Hamas est à l'opposé, point par point, d'un projet d'émancipation. Pour nous, les massacres contre les civils, les corps souillés ou les viols ne seront jamais des actes de résistance mais des actes de barbarie. Je les ai toujours dénoncés. Le 7 octobre 2023 n'échappe pas à la règle.
Du reste, l'accusation d'apologie du terrorisme qui nous est faite est une insulte à notre histoire. Ici comme ailleurs, je ne ferai jamais mienne la devise qui affirme que « la fin justifie les moyens ». Les contre-révolutions bureaucratiques du XXe siècle sont toutes nées en ânonnant joyeusement ce genre de slogan. Et précisément parce que, dans chaque situation, nous plaçons la vie humaine au-dessus de toute chose, les silences politiques assourdissants sur le massacre qui se déroule à Gaza me glacent le sang.
Il y a un côté orwellien dans la situation actuelle, quand on écoute les mots qui sont utilisés. Ce n'est pas d'une guerre d'occupation coloniale qu'il serait question mais d'une « opération militaire pour éradiquer le terrorisme », donc d'une opération de paix – on n'est pas loin de « la guerre, c'est la paix » dans le roman d'Orwell. On peut multiplier les exemples : on criminalise le simple fait de participer, comme je l'ai fait, à des manifestations de solidarité avec le peuple palestinien pour réclamer le cessez-le-feu. Brandir le drapeau palestinien serait désormais considéré comme un signe antisémite ! C'est du délire.
Un porte-parole de l'armée israélienne a promis des combats à Gaza « tout au long de cette année 2024 ». On ne peut pas dire qu'en France la mobilisation pour la solidarité soit aussi massive que dans d'autres pays. Comment peser pour que cessent les massacres ?
Une responsabilité considérable pèse sur nous pour que la solidarité s'organise ici, dans les pays les plus riches. La mobilisation qui se déroule aux États-Unis − notamment les manifestations juives qui proclament « Pas en notre nom ! » − est extrêmement importante de ce point de vue. Ces luttes exercent une pression au cœur même de la puissance protectrice de l'État colonialiste israélien.
Pour qu'une solution politique binationale voie le jour là-bas, avec égalité des droits pour tous et toutes – deux États, un État, un système fédéral… –, il faut, en complément de la lutte palestinienne, que la solidarité s'organise dans nos pays pour imposer à nos gouvernants de retirer à Israël tout appui logistique, économique et militaire, et mettre fin à l'horreur à laquelle nous assistons chaque jour, impuissants.
On a besoin d'un sursaut de conscience politique et que la gauche sorte de sa léthargie. Malheureusement, la gauche française paraît trop souvent prisonnière des règles de la Ve République. Une campagne présidentielle se termine, et les futurs candidats à la prochaine se profilent d'emblée. Trop de remplaçants sur le banc, qui ne pensent qu'au brassard de capitaine et plus vraiment à l'équipe. Au foot, ça finit toujours mal. Jouer collectif, c'est taper ensemble sur les mêmes clous, même lorsque nous marchons séparément, pour reprendre la vieille formule !
Le pire des risques pour la gauche aujourd'hui, c'est donc le sectarisme ?
Il ne faut céder ni au sectarisme ni à l'opportunisme. Affirmer sa solidarité avec le peuple palestinien est un minimum, quelle que soit notre obédience, et quelles que soient les pressions exercées par le courant dominant. Nous avons, par exemple, des désaccords politiques connus avec LFI, mais la diabolisation et la cornérisation dont cette organisation fait l'objet devraient tous nous alerter.
De même, lorsque le NPA a été convoqué par la police judiciaire et entendu dans le cadre d'une enquête préliminaire pour « apologie du terrorisme », les soutiens ont été discrets. La gauche peut s'en laver les mains, ou se les frotter, sur le thème « ils l'ont bien cherché », mais si par malheur le cours politique dominant réussissait à nous mettre au ban, c'est tout le mouvement ouvrier et syndical qui pourrait être emporté par la suite. Et même une partie de la macronie – souvenez-vous decette scèneoù le député RN Laurent Jacobelli traite de « racaille » le député de la majorité Belkhir Belhaddad…
Loin des écuries présidentielles, il existe pourtant un renouvellement dans les combats de l'heure, marqués par une nouvelle génération qui s'est exprimée dans les luttes ouvrières, dans le syndicalisme, sur le terrain de l'écologie avec les Soulèvements de la Terre, dans les luttes LGBT… Les potentialités et les ressources existent. Mais en se privant sciemment d'horizons et d'espérances politiques, au nom des petits calculs électoralistes de la Ve République, la gauche continuera à creuser sa propre tombe avec enthousiasme.
J'espère que la bataille sur la loi immigration nous servira d'électrochoc. Et que le danger fasciste nous poussera à nouveau à nous serrer les coudes. Être révolutionnaire, répétait Alain Krivine, c'est aussi résister au fait de devenir cynique ou blasé. Nous sommes nombreuses et nombreux à avoir un rôle à jouer pour qu'un courant anticapitaliste unitaire, large, fasse entendre sa voix.
Mathieu Dejean
Boîte noire
Cet entretien a été réalisé le 11 janvier 2024 à Paris. Olivier Besancenot l'a relu et légèrement modifié avant sa publication.
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La dimension internationale de la crise française
L'indice CAC 40 de la Bourse de Paris a baissé, lundi 10 juin, de 1,35% sur la journée, avec de fortes oscillations, et à cette heure (17H) mardi 11 juin, il a à nouveau baissé de 1,33%. L'un des points où la presse internationale s'interroge est : les Jeux olympiques et paralympiques prévus cet été à Paris et en France, qui apparaissaient déjà compliqués, vont-ils pouvoir se tenir dans un pays en crise de régime sévère ?
11 juin 2024 | tiré du site Arguments pour la lutte sociale
Le président Macron avait la possibilité d'annoncer dimanche soir qu'il comptait dissoudre l'Assemblée nationale, mettons, au 15 septembre. Et même de dire qu'en attendant, et quel que soit le caractère fallacieux d'une telle annonce, il appelait à la communion nationale pour les JOP 2024, à un été calme avec un débat démocratique montant. Mais c'est là rêver : sa stratégie est celle du choc, sa méthode celle du coup d'État permanent, sa posture celle du coup d'éclat insistant. Il a pris de cour son propre premier ministre Attal qui a proposé sa démission lundi, refusée.
De débat démocratique montant, il ne veut pas. Un discours par jour, pour l'instant, véritable matraquage apte à faire encore monter le RN. Et deux mouvements de fonds dans la société.
L'un est le mouvement des atomisés : la France de la « ruralité », qui a été celle de l'insurrection sociale des Gilets jaunes, vote massivement RN sans forcément afficher les idées du RN, et il y a encore des réserves d'abstentionnistes pour cela. Ce mouvement est amorphe, il suppose justement que la mise en mouvement, y compris sous la forme de la fraternité des ronds-points, ne soit pas là. Il est une addition d'anonymats et d'isolements dans des semi-campagnes et des villes moyennes privées de services publics et marquées par une misère, matérielle et morale, profonde.
L'autre est le mouvement que Macron voulait corseter au maximum par des délais hyper-rapides, il est le mouvement, non pas tant et pas seulement des organisés (politiquement, syndicalement, associativement) que la poussée venue d'en bas pour s'organiser et contraindre les chefs à l'unité.
Ce second mouvement a commencé dimanche soir dans la minute suivant l'annonce de la dissolution par Macron. Il peut stopper le mouvement précédent, en affrontant Macron, en prenant en compte le fait que dans des élections par territoires le RN a moins de « figures » connues et saisissables à présenter, en donnant corps à la colère sociale, et par là en attirant des électeurs revenant du RN ainsi que des abstentionnistes.
Le succès du premier mouvement, renforcé par les ralliements, qui ont commencé (Ciotti), de barons de la droite « traditionnelle », produirait soit un gouvernement de cohabitation Macron/RN, soit une démission de Macron accroissant encore la crise de régime, l'incertitude et l'instabilité.
Le second mouvement peut soit endiguer le premier suffisamment pour produire à nouveau l'élection d'une Assemblée nationale sans majorité, non dissoluble pendant un an, et renforcer la dimension d'ingouvernabilité, soit conduire à une majorité dite « de gauche » qui tentera de cohabiter avec Macron alors même que la dynamique d'une telle victoire soulèvera la question, que nous sommes encore peu à soulever mais ça va venir, de la souveraineté de l'Assemblée (1), n'obéissant pas à l'exécutif, par exemple pour abroger la contre-réforme Macron des retraites, et donc mettant en cause la constitution de la V° République et les pouvoirs du président.
Ces quatre hypothèses – victoire électorale du RN avec cohabitation, victoire électorale du RN avec démission de Macron, assemblée sans majorité, majorité de gauche- sont très différentes pour la majorité des exploité.e.s et des opprimé.e.s. Son intérêt passe par la dernière et à défaut par la troisième, il lui faut éviter les deux premières (mais la dernière peut aussi conduire à la démission de Macron mais dans de toutes autres conditions !).
Mais toutes ont un point commun : aucune d'elles ne conduit à une stabilisation.
Par conséquent, lorsqu'on aborde la dimension internationale de la crise française, il faut bien comprendre que celle-ci consiste, comme la presse internationale notamment financière l'a tout de suite saisi, dans le fait que la France est l'homme malade de l'Europe, un épicentre de la crise, l'autre épicentre étant la guerre en Ukraine, la question européenne, la question française et la question ukrainienne (et donc russe) formant une chaîne.
La présentation médiatique simplifiée d'une déferlante de l'extrême-droite en Europe ne correspond pas à la réalité, il est important de l'expliquer en France où il est facile de s'imaginer que la situation spécifique de crise de régime correspondrait à un processus européen global. C'est en fait l'inverse : c'est la crise française qui, par ses suites possibles en juin-juillet, peut modifier fortement la situation politique européenne, qui, pour l'heure, n'a pas été fondamentalement changée, mais se trouve en suspens.
La répartition des sièges au parlement européen est analogue à la précédente. En Allemagne, le SPD prend une claque sans précédent (14%) mais l'AfD, qui le dépasse à 16%, progresse moins qu'annoncé ; le parti « de gauche » poutinien-populiste-anti-migrants de Sahra Wagenknecht, qui a eu bien des contacts avec les chefs de LFI, siphonne, avec 6% des voix, l'essentiel de l'électorat de Die Linke (2%), le parti de « gauche radicale » qui avait une filiation mortifère avec l'ancien régime de RDA. En Autriche, on a un transfert de près de 10% des voix des conservateurs démocrates-chrétiens vers les « Libéraux » d'extrême-droite, sans recul de la social-démocratie et des Verts (et une légère progression du PC). Aux Pays-Bas, le PVV de G. Wilders progresse certes par rapport au dernier scrutin européen, mais moins que prévu et recule en fait par rapport aux dernières législatives. En Italie, la progression de l'extrême-droite est ancienne et sa forme actuelle remonte aux élections ayant conduit au gouvernement Meloni. En Espagne, Vox est à 9,6%, au Portugal Chega à 9,8%, contre 18% aux législatives précédentes. Dans l'aire nordique et scandinave, l'extrême-droite est plutôt en recul.
Le fait important ne réside aucunement dans une déferlante « brune » au parlement européen, mais dans l'évolution possible des alliances et regroupements entre ces partis.
Il y a actuellement deux groupements, celui des « Conservateurs et Réformistes Européens » (CRE : 73 députés) qui comporte notamment les Fratelli d'Italia de la première ministre Meloni et le PiS national-catholique de Pologne, dont la défaite aux législatives a été confirmée au scrutin de ce dimanche, et celui d'Identité et Démocratie (I&D, 58 députés) qui comporte notamment le RN français, la Lega italienne de Matteo Salvini (actuellement vice-président du conseil des ministres), les « Libéraux » autrichiens, le Vlaams Belang flamand, l'AfD allemande.
Le premier groupement est réputé plus « atlantiste » puisque Meloni s'est alignée sur la politique de l'OTAN et de l'UE depuis qu'elle est au pouvoir, et que le PiS étant polonais peut difficilement être pro-russe. Le second groupement, dont on voit que le RN est une composante clef, est très clairement poutinien.
Mais il y a une troisième composante, décisive, parmi les 45 députés non-inscrits, avec le Fidesz hongrois, le parti de Victor Orban, le chef de l'exécutif hongrois, qui a quitté le groupe PPE (conservateur, dont font partie en France les LR) et qui appelle justement à l'union des groupes CRE et I&D en se présentant comme le meneur possible de cet attelage. Lequel Fidesz vient de reculer de 57% à 44% des voix (son score le moins élevé à ce scrutin, depuis 2004) et est contesté dans la rue, cela la veille même du scrutin, par un mouvement anticorruption né d'une scission de ses rangs.
Victor Orban est organiquement lié à Poutine. Il est apparu dans la nuit de dimanche à lundi, la voix enrouée, donnant l'axe sur lequel il entend fédérer les extrêmes-droites européennes : « Immigration stop, genre stop, guerre stop, Soros stop. » (Nota Bene : « Soros stop » veut dire « Juifs stop »).
Forcément, la question de cette « union des droites » se posera vraiment après les législatives françaises, qui auront de l'influence sur elle. Clairement, ladite union ou ses avatars possibles (alliances à géométrie variable), est « poutinienne » en ce sens qu'elle fait de la « paix », c'est-à-dire de la défaite ukrainienne ou au moins de l'occupation définitive du Donbass, de la Crimée et du Sud, l'un de ses axes centraux, et plus généralement qu'elle entend jouer sur la multipolarité impérialiste.
Le parti de Marine Le Pen a été financé de manière décisive par Moscou durant les années 2010 et son local de campagne en 2017 était orné d'un portrait géant associant M. Le Pen, Poutine et Trump. Il a mis en veilleuse ces liens depuis février 2022 et J. Bardella veut se présenter comme celui qui les écarte le plus. Mais l'orientation fondamentale demeure : « paix », « souverainisme », et, récemment apparition du projet d'adhésion aux BRICS+, conjointe d'ailleurs à celle de cet autre État membre de l'OTAN qu'est la Turquie d'Erdogan (non officiellement candidate, la Turquie est actuellement invitée régulière aux réunions des ministres des Affaires étrangères des BRICS+). L'abandon de l'Ukraine est au centre de ces orientations.
N'oublions pas qu'à travers toutes les déclarations de Macron, cet abandon n'a jamais été totalement écarté et reste présent dans ce qu'il a dit lors de la venue de V. Zelenski en France la veille du scrutin, visite dénoncée ou boycottée par le RN d'une part, LFI et le PCF d'autre part : « La seule paix que nous défendons est une paix négociée par les deux parties et qui respecte le droit international et fait une place au Donbass. » Comme nous l'écrivions : qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire si ce n'est la cession à l'occupant d'une partie du Donbass et donc d'imposer ceci à l'Ukraine ?
Une victoire législative du RN en France pèserait donc très fortement dans le sens des options déjà bien présentes d'abandon de l'Ukraine. D'une certaine façon, elle serait, par son impact politique sur les fournitures d'armes, un contre-choc négatif envers le déblocage tardif de l'aide militaire par le Congrès nord-américain le 24 avril dernier.
Autrement dit : il s'instaure une relation directe entre la crise de régime en France et la place du RN, d'une part, le sort des armes en Ukraine, d'autre part.
Cette connexion ne doit pas être comprise seulement à partir de l'impact direct de la place législative et éventuellement gouvernementale du parti le plus poutinien de France sur les relations diplomatiques globales et les envois d'armes, mais plus généralement comme un arc de crise entre deux pôles, le front militaire et la résistance (armée et non armée) ukrainienne d'une part, la France en crise de régime, d'autre part, arc de crise prenant un caractère décisif par rapport à l'ensemble de l'évolution européenne.
L'arrivée au pouvoir du RN en France, quelle que soit ladite « dédiabolisation » et la « banalisation », ne serait pas un phénomène de pourrissement progressif comme l'incrustation de l'extrême-droite dans le parlementarisme vermoulu italien, mais une secousse sismique dans l'État fort et centralisé de la V° République française et à partir de lui. C'est elle qui constituerait le « basculement européen » vers l'extrême-droite qui ne s'est pas produit le 9 juin. Elle renforcerait en premier lieu Poutine.
Inversement, la défaite du RN en France ou son endiguement malgré et sans Macron entrerait en résonance avec la résistance ukrainienne et renforcerait la possibilité d'une victoire ukrainienne contribuant à l'effondrement du régime poutinien en Russie et au déferlement des aspirations sociales et nationales parmi tous les peuples de Russie, d'Asie centrale, voire d'au-delà.
De plus, le RN s'est positionné contre toute reconnaissance d'un État palestinien et amalgame toute défense des droits nationaux et démocratiques de la nation palestinienne à un soutien au Hamas, s'élevant, comme LR et les macroniens, contre la procédure de la Cour Pénale Internationale visant Netanyahou : sa victoire serait aussi une mauvaise nouvelle pour les Palestiniens, car elle diminuerait encore les possibilités d'un volet diplomatique français prenant en compte leurs droits.
La crise de régime en France, de dimension européenne, instaure donc un lien organique, fondamental, entre la question française et la défense de l'Ukraine. D'ailleurs, contrairement à ce que pensaient la plupart des commentateurs et analystes, l'Ukraine est bien présente dans la conscience des masses en France car c'est elle le point qui a initialement provoqué la relative percée de la liste Glucksmann au scrutin du 9 juin. La cause de l'Ukraine en France passe maintenant par le combat pour que le RN soit défait, donc par l'unité des candidatures et l'unité d'action.
Certains camarades, et des amis soutenant l'Ukraine, sont interloqués de ce qu'une telle alliance comporte nécessairement LFI surtout, ainsi que le PCF.
Il n'y a aucune raison de blanchir Mélenchon de son soutien à la multipolarité impérialiste, appelée par lui « non-alignement », au pire régime tortionnaire d'extrême-droite du monde, celui de Bachar el Assad, et de ses tropismes poutiniens. Aucune raison.
Mais la volonté d'unité l'inclut nécessairement, lui et LFI, dans un mouvement plus large qui, en battant le RN, contrebat Poutine. C'est le refus de cette unité qui ferait le jeu de Poutine. Les positions de LFI et, en son sein, de Mélenchon et du POI tout particulièrement, sont un facteur de confusion et de division, mais le principal relais de l'ordre impérialiste poutinien en France est le RN, pas LFI. Combattre Poutine en France c'est combattre le RN et cela passe par l'unité contre le RN, avec LFI et par le combat, dans ce cadre, pour le véritable internationalisme. La contrainte que leur impose la réalisation du front unique est une défaite de leurs orientations poutiniennes, et, depuis l'ouverture de la pluralité des lignes toujours refusée à ce jour par l'état-major omnipotent du mouvement « gazeux », qui s'est produite dimanche soir entre Mélenchon et Ruffin, cela va s'accentuer.
A nous de porter, dans le cadre de l'unité pour battre le RN et Macron, la défense de l'Ukraine et le combat pour la chute du régime poutinien. Les meetings, réunions, débats, sur l'Ukraine en pleine campagne législative doivent se tenir et affirmer l'unité du combat contre Poutine et contre le RN !
Enfin, ce qui va se passer en France aura aussi une dimension, non pas seulement européenne, mais mondiale. Le verdict sur Trump est prévu pour le 11 juillet, quelques jours après le second tour des législatives françaises. L'extrême-droite mondiale a deux fanaux, deux parrains, Poutine et Trump. Ne pas comprendre cela pour lutter contre elle, c'est s'impuissanter. Cette lutte ne vise pas des fantômes du passé mais des monstres contemporains. Battre Le Pen, c'est porter un coup à Poutine et donc à Trump.
La dimension internationale de la crise française n'est pas un aspect supplémentaire de celle-ci, elle en est un fondement. Au centre de l'année 2024, elle impose un combat qui vaut vraiment la peine d'être mené.
VP, le 11/06/2024.
(1) Seul Aplutsoc en a parlé dès dimanche soir ; les camarades qui interrogent sur ce que pourrait bien être notre marque de fabrique : la voilà ! C'est que la question centrale du pouvoir et donc de la révolution est pour nous concrète et vivante, immédiate et présente : elle appelle une politique concrète se situant dans une temporalité proche, pas une politique de témoignage aussi radical soit-il. Il y a, certes un écart entre cette compréhension et ce que nous sommes et que d'autres peuvent partager à leur façon. Mais venez en discuter ce dimanche 16 juin à 14 h au Maltais rouge !
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Ilaria Salis, élue au Parlement européen pour échapper à Viktor Orban
Après plus d'un an dans les sinistres geôles hongroises, Ilaria Salais, la jeune enseignante de Monza, dans les environs de Milan (Italie), devrait pouvoir retrouver son pays, sa famille, ses proches et ses camarades. Elle vient d'être élue au Parlement européen.
<https://www.humanite.fr/sections/societe>
L'Humanité, France. Mis à jour le 10 juin 2024 à 17h16
Par Thomas Lemahieu <https://www.humanite.fr/authors/tho...>
Adieu cafards, punaises de lit et souris ! Au revoir, les mauvais traitements, la nourriture avariée et les autres formes de torture blanche. Après plus d'un an dans les sinistres geôles hongroises et quelques semaines assignée à résidence en liberté très surveillée à Budapest, la jeune enseignante de Monza, dans les environs de Milan (Italie), devrait pouvoir retrouver son pays, sa famille, ses proches et ses camarades.
Placée en bonne position sur la liste pour les européennes de l'Alliance des Verts et de la Gauche ( AVS ), Ilaria Salis, la militante antifasciste italienne qui avait été arrêtée, emprisonnée et poursuivie pour sa participation, en février 2023, aux protestations contre le « Jour de l'honneur » – un rassemblement strictement néonazi célébrant l'« héroïsme » des SS, la Wehrmacht et les collabos magyars face à l'Armée rouge –, a été élue au Parlement européen.
Ilaria Salis doit pouvoir quitter la Hongrie
Le but, c'était bien de la sortir des griffes de Viktor Orbán, de la protéger des brutes locales qui faisaient circuler son adresse ces dernières semaines et de lui éviter une peine pouvant aller jusqu'à vingt ans de prison, sur la base d'un dossier complètement fabriqué en toute dépendance du gouvernement hongrois…
Dans le paysage passablement désolé de l'Union européenne>, c'est une belle victoire : en vertu de l'immunité délivrée par les électeurs italiens, Ilaria Salis doit pouvoir quitter la Hongrie. Reste une incertitude pour son père, Roberto, qui a mené sa campagne par procuration : que va faire le gouvernement postfasciste de Giorgia Meloni particulièrement passif dans cette affaire, si le premier ministre hongrois cherche le bras de fer ? /« J'attends qu'ils fassent respecter la volonté des citoyens italiens… »/
L'enseignante et activiste italienne Ilaria Salis est accusée d'avoir attaqué des néonazis
présumés en Hongrie.
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Israël. Une “pause tactique” à Gaza qui met Nétanyahou hors de lui
L'armée israélienne a annoncé dimanche 16 juin l'instauration d'une pause humanitaire de onze heures chaque jour pour permettre l'acheminement d'aide dans le sud de la bande de Gaza. Aucun membre du gouvernement n'en avait, semble-t-il, été informé.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Distribution d'aide alimentaire par l'UNRWA dans le camp de réfugiés de Jabalia dans le nord de la bande de Gaza le 13 juin 2024. Photo Omar Al Qaatta/AFP
Une “pause tactique et humanitaire” quotidienne de onze heures dans le sud de la bande Gaza jusqu'à nouvel ordre. C'est ce qu'a annoncé, tôt dimanche 16 juin, un porte-parole de l'armée israélienne, repris par ynet, le site d'information du quotidien Yedioth Ahronot.
“Afin d'augmenter le volume de l'aide humanitaire entrant à Gaza et à la suite de discussions supplémentaires avec l'ONU et les organisations internationales, une pause locale et tactique de l'activité militaire à des fins humanitaires aura lieu de 8 heures à 19 heures tous les jours jusqu'à nouvel ordre le long de la route qui mène du point de passage de Kerem Shalom à la route de Salah Al-Din et plus loin vers le nord”, est-il écrit dans un message mis en ligne sur X et accompagné d'une carte.
Plus précisément, cette pause devrait être observée dans la zone allant de Kerem Shalom, passage dans le sud de Gaza, à la frontière avec l'Égypte, jusqu'à la route Salaheddine puis vers le nord du territoire palestinien. Sur la carte publiée par l'armée, on voit la route humanitaire s'étendant jusqu'à l'hôpital européen de Rafah, à environ 10 km de Kerem Shalom.
Comme pris par surprise, les plus hauts dirigeants israéliens, à commencer par le Premier ministre Benyamin Nétanyahou lui-même, se sont élevés contre cette annonce. Benyamin Nétanyahou l'a qualifiée d'“inacceptable”, selon ynet. Le ministre de la Défense Yoav Gallant a, lui aussi, dit ne pas avoir été informé de cette décision.
Quant au ministre de la Sécurité nationale, l'extrémiste Itamar Ben Gvir, il est sorti de ses gonds : “La personne qui a pris la décision d'instaurer une pause à un moment où les meilleurs de nos soldats tombent au combat […] est maléfique et stupide “, a-t-il tempêté, en faisant référence à la mort, la veille, de onze militaires. Et d'ajouter :
- “Il est temps de mettre fin à cette approche folle et délirante.”
“Après enquête, le Premier ministre a été informé qu'il n'y avait pas de changement dans la politique de l'armée et que les combats à Rafah se poursuivaient comme prévu”, rapporte pourtant The Times of Israel, qui indique que Tsahal a dû publier un nouveau communiqué pour mettre les choses au clair.
Le pont flottant américain a cessé de fonctionner
L'ONU a, pour sa part, salué cette annonce mais a demandé que cela “conduise à d'autres mesures concrètes” pour faciliter l'aide humanitaire, a souligné Jens Laerke, le porte-parole de l'agence onusienne pour les situations d'urgence (Ocha), à l'AFP. “Nous saluons cette annonce mais bien entendu, cela ne s'est pas encore traduit par une aide accrue pour les personnes dans le besoin.”
Israël est vivement condamné par la communauté internationale, y compris par les États-Unis, pour ne pas avoir pris suffisamment de mesures pour assurer la distribution de l'aide humanitaire à Gaza, rappelle The Jerusalem Post.
- “L'absence d'un système efficace de distribution de l'aide a conduit les Nations unies à affirmer que la population de Gaza était affamée et à accuser Israël d'utiliser la faim comme arme de guerre.”
La Coordination des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT) affirme qu'aucune restriction à l'entrée de camions à Gaza n'est imposée et que 8 600 camions commerciaux ou humanitaires y sont arrivés entre le 2 mai et le 13 juin, soit 201 en moyenne chaque jour, écrit Al-Jazeera en reproduisant un tweet de la COGAT.
Mais, ajoute aussitôt le média qatari, “une grande partie de cette aide s'entasse aux points de passage et n'atteint pas sa destination finale, car les déplacements à l'intérieur de la bande de Gaza sont très dangereux”.
De plus, le port flottant construit à grands frais par les États-Unis a cessé de fonctionner fin mai après seulement onze jours de service. L'armée américaine a annoncé samedi 15 juin qu'il allait être remorqué jusqu'au port israélien d'Ashdod pour y être réparé.
Courrier international
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Le salaire du génocide ou comment l’économie israélienne tient
Comme toutes les guerres, celle que mène Israël contre Gaza coûte extrêmement cher économiquement et la croissance est en chute libre. Toutefois, si elle ne s'effondre pas, c'est grâce à l'aide publique et privée des États-Unis, mais aussi de l'Union européenne qui a poursuivi ses échanges commerciaux comme si de rien n'était. Sans oublier l'Inde et la Chine. Benyamin Nétanyahou peut poursuivre tranquillement son génocide des Palestiniens.
Tiré d'Orient XXI.
L'économie israélienne a enregistré une chute de 21 % du produit intérieur brut (PIB) au dernier trimestre 2023 (comparé à celui de l'année précédente), soit deux fois plus que ne le prévoyait la banque centrale, après le 7 octobre. En février 2024, l'agence américaine Moody's a pris la décision sans précédent d'abaisser la note de l'État et celle des cinq plus grandes banques commerciales d'Israël.
Les conséquences vont surtout peser sur l'industrie technologique. En temps normal, cette branche emploie un Israélien sur sept et génère environ la moitié des exportations du pays, un cinquième du produit intérieur brut (PIB) et plus d'un quart des recettes de l'impôt sur le revenu. Une performance qui ne peut se maintenir qu'avec un accès aux capitaux étrangers dont le coût de collecte menace d'augmenter.
Chute des investissements dans la tech
Depuis la fin de 2022, les investissements dans les hautes technologies n'ont cessé de s'affaisser, et fin 2023, la chute a atteint 20 % par rapport aux chiffres déjà faibles de l'année précédente ; les investissements étrangers ont dégringolé de 29 % (1). Les premières données pour 2024 montrent que les flux sont au plus bas depuis neuf ans.
Le modèle de croissance du pays étant lié à ce secteur, de tels résultats posent des problèmes majeurs. D'autant que les projets du premier ministre Benyamin Nétanyahou visant à orienter l'économie vers la production de matières premières, au détriment de ce secteur dont il doute de la loyauté politique, ont été mis à mal. En mars 2024, inquiets des missiles houthis autant que des retombées politiques, l'Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) et British Petroleum (BP) ont interrompu les discussions concernant l'acquisition prévue de la moitié du principal producteur israélien de gaz naturel, NewMed Energy (2).
Tout cela soulève des questions sur la viabilité de l'économie d'Israël et, par conséquent, sur sa capacité à poursuivre son assaut contre Gaza. Déjà les économistes du ministère des finances avaient estimé que les seules manœuvres de Benyamin Nétanyahou pour changer la constitution (et l'opposition que cela suscitait) conduiraient à une amputation de la croissance de 15 à 25 milliards de dollars (14,9 milliards à 18,6 milliards d'euros) par an (3). Une étude de la société de conseil américaine RAND a indiqué que les pertes économiques en cas de campagne militaire limitée, mais de longue durée contre la Palestine, s'élèveraient à 400 milliards de dollars (plus de 373 milliards d'euros) sur dix ans (4). Selon le ministère des finances, l'opération « Sabre de fer » coûte 269 millions de dollars (plus de 350 millions d'euros) par jour à l'économie — une guerre à l'échelle de la région serait, bien sûr, beaucoup plus onéreuse.
On peut s'interroger sur la capacité de la société israélienne qui vit dans un certain confort matériel à supporter un retour à une économie de guerre comme dans les années 1970 lorsque les dépenses militaires représentaient 30 % du PIB. Même si l'on fait abstraction de cette question, beaucoup d'autres se posent : les réalités économiques peuvent-elles influer sur la voie suivie par les dirigeants politiques et militaires ? Si oui, comment ? Les entreprises étrangères qui contribuent au génocide pourront-elles maintenir leur politique sur une longue période ?
Les sources de la résilience à moyen terme
Malgré les vents contraires, il y a peu de raisons de penser que les pressions économiques puissent accélérer la fin de la guerre à court ou moyen terme. Cela tient à l'ampleur des marchés financiers israéliens et aux réserves en devises étrangères, d'une part, ainsi qu'aux relations extérieures de l'État et de l'économie, d'autre part.
1. Des marchés de capitaux profonds et des réserves abondantes
La profondeur des marchés de capitaux israéliens permet à la coalition au pouvoir de financer localement une grande partie de ses projets militaires : cette année environ 70 % des 60 milliards de dollars (55,8 milliards d'euros) des emprunts d'État seront vendus sur les marchés intérieurs et libellés en nouveau shekel israélien (NIS). De plus, comme il y a une forte demande des institutions financières locales, les taux d'intérêt restent peu élevés localement, un peu plus quand il s'agit de bons du Trésor proposés à l'international, mais pas excessivement plus que pour ceux actuellement émis par les États-Unis. De ce fait, au cours des cinq premiers mois de cette année, le ministère israélien des finances a pu emprunter (en vendant des obligations d'État) un total de 67,5 milliards de NIS (16,7 milliards d'euros) sans encourir de lourdes charges de remboursement.
Ainsi, bien que le gouverneur de la Banque d'Israël mette régulièrement en garde contre les emprunts excessifs — et bien que certains indicateurs signalent un malaise sur le marché — Tel-Aviv peut s'endetter sans trop souffrir financièrement, tout au moins pour l'instant. Cela donne aux dirigeants une grande autonomie et cela se répercute sur la guerre.
L'accumulation de réserves de devises étrangères au cours des deux dernières décennies a un effet protecteur similaire. De 27 milliards de dollars (25 milliards d'euros) en 2005, la valeur des réserves détenues par la Banque d'Israël a dépassé les 200 milliards de dollars (186 milliards d'euros) au début 2024. Non seulement ces actifs génèrent des revenus pour l'État, mais ils permettent également à la banque centrale de défendre le shekel sur les marchés des changes (5). Ce qui contribue à maintenir l'inflation à un faible niveau, renforçant ainsi la stabilité de l'économie de guerre.
Toutefois, la violence génocidaire de l'armée nécessite des volumes de munitions bien supérieurs à ce que les fabricants nationaux, qui ont réorienté leurs activités vers des produits haut de gamme, sont actuellement capables de produire. Sans les flux incessants d'obus d'artillerie, de missiles, d'ogives et autres, qui proviennent presque tous des États-Unis (ou de caches d'armes leur appartenant prépositionnées en Israël avant cette guerre) (6) et d'Allemagne, les campagnes actuelles sur Gaza et le Sud-Liban échoueraient rapidement. De même, sans les clouds fournis par Google et Microsoft ainsi que le partage de données WhatsApp par Meta, on peut être certain que le plan israélien d'assassinats de masse pilotés par l'intelligence artificielle s'effondrerait rapidement.
2. La solidité des relations extérieures
Le deuxième facteur, peut-être le plus important, expliquant la résilience à moyen terme de l'économie israélienne est la solidité de ses relations extérieures. Elles lui apportent des appuis en tout genre : des flux financiers au commerce, en passant par le soutien logistique, sans oublier les armées de réserve de main-d'œuvre, telle la promesse de l'Inde de fournir 50 à 100 000 travailleurs pour remplacer les Palestiniens de Cisjordanie. De quoi, en fin de compte, rendre le génocide israélien possible.
Une vaste constellation d'acteurs américains, publics et privés, soutient actuellement financièrement l'État, l'armée et l'économie. Les flux provenant du gouvernement fédéral demeurent les plus importants. La subvention annuelle du Programme américain de financement militaire à l'étranger — 3,3 milliards de dollars (3,075 milliards d'euros) par an depuis l'administration Obama (2009-2017) — couvre, en général, 15 % de ses dépenses de défense. Comme ces dernières devraient augmenter de près de 15 milliards de dollars (13,95 milliards d'euros) en 2024, la ligne de crédit gratuite du gouvernement américain va considérablement augmenter cette année. En avril dernier, le Congrès américain a voté la loi sur la sécurité nationale accordant 13 milliards de dollars (12 milliards d'euros) d'aide supplémentaire (7). Sur cette somme, 5,2 milliards de dollars ont été affectés au réapprovisionnement des systèmes de défense Iron Dome, Iron Beam et David's Sling, 4,4 milliards de dollars (4,1 milliards d'euros) à la reconstitution des stocks de munitions épuisés et 3,5 milliards de dollars (3, 2 milliards d'euros) aux systèmes d'armes avancés.
Organisations américaines pour budget israélien
Mais, cela va au-delà. Sur l'ensemble du territoire états-unien, des États, des comtés et même des municipalités sortent également leur carnet de chèques. Le canal de financements est supervisé par la Development Corporation for Israel (DCI), une entité enregistrée aux États-Unis qui agit en tant que courtier local et souscripteur pour le compte du ministère israélien des finances. Depuis 1951, la DCI émet ce que l'on appelle des « obligations israéliennes » sur le marché américain. Bien que rarement connus du public, ces instruments financiers, libellés en dollars et destinés à fournir un soutien général au budget israélien, représentent 12 à 15 % de la dette extérieure totale d'Israël. Ils constituent donc une source substantielle de crédit et de devises fortes pour Tel-Aviv.
Depuis le 7 octobre, la DCI a considérablement accru ces ventes d'obligations, en partie en développant ses partenariats avec une organisation de droite l'American Legislative Exchange Council (ALEC). Au cours des deux dernières décennies, l'ALEC a été l'une des forces les plus influentes dans les coulisses de la politique américaine. Son activité consiste généralement à rédiger des projets de loi sur des sujets allant de l'avortement au mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) puis à diffuser des modèles législatifs auprès de ses alliés dans les assemblées des États, où ils deviennent lois.
Cet automne, l'ALEC a diversifié ses opérations en mobilisant sa Fondation des agents financiers de l'État pour encourager l'achat d'obligations israéliennes par des fonds de pension publics et par les trésoreries des États et des municipalités. Les fruits de ces efforts sont assez stupéfiants : 1,7 milliard de dollars (1,58 milliard d'euros) d'achats d'obligations en six mois seulement. Au-delà de leur valeur matérielle pour Israël, ces achats constituent un engagement important de la part de l'appareil d'État américain dans son ensemble. Les autorités locales comme le gouvernement fédéral se montrent ainsi prêts à investir des sommes significatives dans les entreprises génocidaires d'Israël.
Malheureusement les citoyens et les institutions financières ont la même attitude que les dirigeants. Ils ont, eux aussi, accordé (et/ou facilité) un grand nombre de crédits à Israël depuis le début de sa destruction de Gaza. Certains l'ont fait, au printemps dernier, en achetant près des trois-quarts des obligations dont il vient d'être question. Au lendemain de l'opération « Sabre de fer », des banques américaines ont également organisé des ventes d'obligations privées pour le compte de l'État israélien, dont les rendements n'ont pas été rendus publics.
De Goldman Sacha à BNP-Paribas
Le fait le plus marquant, cependant, a été l'opération menée par Bank of America et Goldman Sachs qui, en mars 2024, ont souscrit à la première vente internationale d'obligations israéliennes post-7 octobre. Aux côtés de la Deutsche Bank et de BNP Paribas, ces financiers sont parvenus à attirer suffisamment d'investisseurs du monde entier pour en faire la plus importante vente de l'histoire d'Israël : près de 7,5 milliards d'euro-obligations (8).
Les contributions privées américaines ne s'arrêtent pas là. Si les investissements technologiques sont globalement en retrait, un certain nombre d'entreprises continuent d'injecter des capitaux, malgré le génocide en cours. Ainsi, ces six derniers mois, Nvidia, le leader mondial de la production de puces et de l'intelligence artificielle basé à Santa Clara, a investi des sommes considérables dans l'acquisition d'entreprises israéliennes (9). En décembre, fort d'une subvention de 3,2 milliards de dollars (3 milliards d'euros) et d'un taux d'imposition extrêmement réduit (7,5 % au lieu de 23 %), Intel a accepté de construire une nouvelle usine de semi-conducteurs. Un mois plus tard, Palantir Technologies, l'entreprise de modélisation d'intelligence artificielle, a annoncé un nouveau partenariat stratégique avec le ministère israélien de la défense.
L'Union européenne, bouée de sauvetage
Comme en témoigne la participation de la Deutsche Bank et de BNP Paribas à l'émission d'euro-obligations, l'Europe joue un rôle non négligeable. La Banque européenne d'investissement, basée à Luxembourg et détenue conjointement par les 27 États membres de l'Union européenne, a maintenu son intention d'injecter 900 millions de dollars (838 millions d'euros) dans l'économie israélienne (10). Depuis le 7 octobre, le programme Horizon Europe, principal instrument de financement de la recherche et de l'innovation, a autorisé l'octroi de près d'une centaine de subventions à des entreprises et institutions israéliennes. À plus petite échelle, l'organisation à but non lucratif European Investment council (EIC) a récemment augmenté ses investissements dans les startups israéliennes.
Mais ce sont surtout les échanges de biens et de services qui comptent. Le flux ininterrompu d'exportations vers le marché européen, qui reste son principal partenaire, a joué un rôle essentiel dans l'excédent de 5,1 % de la balance commerciale d'Israël au cours du dernier trimestre 2023. Bien qu'il ait été question dans les capitales européennes de revoir l'accord d'association de l'Union européenne avec Israël, les premières données publiées pour 2024 montrent que celle-ci continue d'importer des produits israéliens : plus de 4,27 milliards d'euros au premier trimestre — une somme qui correspond à peu près à ce qui a été observé ces dernières années et qui sert de bouée de sauvetage à l'économie israélienne.
Les affaires continuent avec la Chine et l'Inde
Le maintien par Tel-Aviv de relations extérieures (secrètes et ouvertes) avec des économies non occidentales a également renforcé la viabilité de son économie de guerre. Même si elles n'atteignent pas tout à fait les volumes d'avant le 7 octobre, même si elles sont sans aucun doute réduites en raison des interventions des Houthis, qui ont forcé les compagnies maritimes à suspendre le commerce direct, les données communiquées par la Banque d'Israël indiquent que les importations en provenance de Chine sont toujours substantielles : 10 milliards de dollars (9,3 milliards d'euros) au premier trimestre 2024. Elles demeurent l'un des éléments vitaux de l'économie au quotidien, bien que les investissements chinois restent déprimés — en grande partie en raison des pressions exercées par les États-Unis sur Tel-Aviv.
Quant à la contribution de l'Inde, qui importe de grandes quantités d'armes israéliennes et exporte des travailleurs bon marché pour remplir les postes de travail vidés des Palestiniens, elle est loin d'être négligeable. Malgré les difficultés, il est clair que des marchandises sont acheminées en Israël via le Golfe et la Jordanie, approvisionnant les rayons des magasins.
Enfin, il faut tenir compte des relations ambiguës de la Turquie. Bien que le ministère du commerce d'Ankara ait instauré des interdictions progressives sur le commerce avec Israël à partir du début du mois d'avril 2024, il y a des raisons de penser que la mesure ne sera pas totalement appliquée. Dans un premier temps, la politique prévoit un sursis de trois mois permettant aux entreprises d'honorer les commandes existantes par l'intermédiaire de pays tiers. Il est donc peu probable qu'elle provoque un resserrement immédiat de l'offre. Deuxièmement, les liens commerciaux entre les producteurs turcs d'acier et d'aluminium et Israël sont profonds et anciens, la dépendance des premiers à l'égard de ce marché est bien connue. Il ne faut donc pas écarter la possibilité que les fournisseurs turcs trouvent une solution pour livrer des fournitures essentielles non seulement aux entreprises de construction, mais aussi à l'industrie de l'armement — peut-être par le biais d'un transbordement en Slovénie.
Capable de s'appuyer sur des marchés de capitaux importants, des réserves de devises fortes et des relations solides avec des partenaires économiques extérieurs, Israël n'est confronté à aucune limite matérielle immédiate dans la conduite de son génocide. À moins que la politique des partenaires extérieurs en question ne change, Israël sera libre de poursuivre son massacre inadmissible pendant un certain temps encore.
Un espoir à long terme ?
À long terme, plusieurs éléments peuvent jouer contre cette économie de guerre. Parmi eux, la tendance au désinvestissement évoquée précédemment, que les interventions du gouvernement ne parviendront probablement pas à inverser. S'y ajoute une possible augmentation des impôts pour reconstituer les réserves. Mais, peut-être plus important encore, ce sont les tensions sociales que la poursuite du génocide accentuera dans les mois et les années à venir.
Depuis longtemps, le pays figure parmi les plus inégalitaires de l'OCDE11. Des mesures plus sophistiquées estiment actuellement le taux de pauvreté à 27,8 %, avec un tiers des habitants en situation d'insécurité alimentaire. Malgré toute la mythologie qui a entouré la « startup nation », il s'avère en outre que la croissance et les gains de productivité réalisés au cours des deux dernières décennies sont en réalité relativement faibles, la fuite des cerveaux ayant des conséquences.
À ce mélange s'ajoute désormais l'austérité. En effet, après avoir enregistré des déficits considérables tout au long de sa campagne sur Gaza, Israël va accélérer le retrait de son État-providence en réduisant les dépenses sociales et éducatives, tout en pressurant les ménages pauvres par l'augmentation des taxes à la consommation. Il est certain que des tensions sociales importantes sont à prévoir alors que, déjà, des clivages fracturent la société israélienne – entre les quelques personnes qui ont profité du boom technologique et immobilier et les nombreuses autres qui n'en ont pas vu la couleur ; entre les communautés religieuses exemptées du service militaire et celles qui sont chargées de risquer leur vie pour faire avancer leur vision de la conquête ; entre une communauté de colons bénéficiant d'une dérogation spéciale de la part de l'État et toutes les autres obligées de compter sur les banques alimentaires pour assurer leur subsistance. D'une manière ou d'une autre, cela ne peut que se répercuter négativement sur la cohérence du projet d'État et sur la capacité du gouvernement actuel à poursuivre ses complots destructeurs.
Pour la Palestine, et plus particulièrement pour les Palestiniens de Gaza, il y a urgence. Le temps nécessaire pour que la dynamique sociale se mette en place au sein de la société israélienne — pour que la capacité d'Israël à faire la guerre soit corrodée de l'intérieur — est tout simplement trop long.
Donc, quiconque espère mettre fin à ce génocide ne peut que prôner l'isolement de l'économie israélienne dans tous les domaines possibles, seul moyen d'y parvenir. Tant que les solides relations extérieures du pays ne seront pas affaiblies, voire rompues, les moteurs de la violence israélienne continueront à fonctionner sans le moindre crachotement. Pour les bloquer au point que les bombes cessent de tomber, il faut perturber les circuits financiers et commerciaux existants.
Colin Powers
Notes
1- Adrian Filut, « Economic concerns mount as Israel faces drop in foreign investment and services export », Ctech, 18 mars 2024.
2- Ani, « BP, UAE suspend USD 2 bn gas deal in Israel amid Gaza war », The Economic Times, Bombay, 15 mars 2024.
3- Nimrod Flaschenberg, « Israel's economy was Netanyahu's crown jewel. Can apartheid survive without it ? », +972 Magazine, 27 mars 2023.
4- C. Ross Anthony et al., The Costs o the Israeli-Palestinian Conflict, Rand Corporation, Santa Monica (États-Unis), 2015.
5- Galit Alstein, « Israel's $48 billion war leaves it at mercy of bond markets », BNN Bloomberg, Toronto, 22 novembre 2023.
6- Connor Echols, « Bombs, guns, treasure : What Israel wants, the US gives », The New Arab, 12 mars 2024.
7- « FY2024 National Security Supplemental Funding : Defense Appropriations », Insight, Congressional Research Service, Washington, 25 avril 2024.
8- Steven Scheer, « Israel sells record $8 billion in bonds despite Oct 7 attacks, downgrade », Reuters, 6 mars 2024.
9- Meir Orbach, « Nvidia continues Israel shopping spree with acquisition of Deci », Ctech, 25 avril 2024.
10- Sharon Wrobel, « EU financial arm to invest €900m in Israel, including Western Galilee desalination », The Times of Israel, 25 juin 2023.
11- Le coefficient de Gini qui s'établit à 0 quand il y a égalité parfaite et 1 pour une inégalité totale s'élève à 0,34, contre 0, 395 pour les États-Unis et 0,298 pour la France.
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Alors que Gaza est victime d’un génocide physique, la Cisjordanie est confrontée à un génocide économique
Alors que le monde est préoccupé par l'horrible génocide dans la bande de Gaza, Israël tue des centaines de Palestiniens, s'empare de plus en plus de terres et étrangle économiquement la Cisjordanie occupée.
Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : L'armée israélienne attaque et détruit la ville de Jénine en Cisjordanie occupée, accompagnée de nombreux bulldozers, 30 mai 2024 © Quds News Network
Le 22 mai, à la suite des décisions de la Cour internationale de justice contre Israël et de la reconnaissance de la Palestine par trois pays européens, le ministre israélien des finances d'extrême droite, Bezalel Smotrich, a pris des "mesures punitives sévères" à l'encontre de l'Autorité palestinienne. Il a notamment bloqué le transfert des recettes fiscales perçues par Israël au nom de l'Autorité palestinienne, ce qui pourrait entraîner l'effondrement de cette dernière.
Depuis sa création dans le cadre des accords d'Oslo de 1993, l'Autorité palestinienne a été limitée par des accords politiques, économiques et de sécurité imposés par Israël et ses alliés. L'un des plus importants est l'accord économique de Paris de 1994, qui était censé être temporaire et durer cinq ans. Il a établi la dépendance de l'économie palestinienne à l'égard de l'économie israélienne et a donné à l'État d'occupation les moyens de rendre cet accord temporaire permanent. Pour l'essentiel, l'accord a intégré l'économie palestinienne dans celle d'Israël par le biais d'une union douanière, Israël contrôlant toutes les frontières, les siennes et celles de l'Autorité palestinienne. Cela signifie que la Palestine reste dépourvue de portes d'accès indépendantes à l'économie mondiale.
Cela signifie que la Palestine reste dépourvue de portes d'entrée indépendantes dans l'économie mondiale. Selon l'accord, le gouvernement israélien est chargé de collecter les taxes sur les marchandises importées en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qu'il transfère au trésor de l'Autorité palestinienne en échange d'une commission de 3 %.
Il est supposé que cet argent sera transféré en douceur à l'Autorité palestinienne, à raison d'une moyenne de 190 à 220 millions de dollars américains par mois. L'AP compte sur ces fonds pour payer les salaires de ses employés et s'acquitter de ses obligations en matière de dépenses de fonctionnement de ses institutions.
La décision de M. Smotrich n'est pas la première que le gouvernement israélien prend à l'encontre de l'Autorité palestinienne et de l'économie palestinienne en général. Elle s'inscrit dans le prolongement d'une série de mesures déclarées et non déclarées visant à saper l'autorité. En effet, l'AP représente le gouvernement potentiel d'un futur État palestinien auquel les gouvernements israéliens successifs, qu'ils soient de droite ou de gauche, se sont toujours opposés.
Israël a toujours utilisé les recettes fiscales pour faire pression sur l'Autorité palestinienne et saper l'économie palestinienne ; il ne s'agit pas d'une réponse au 7 octobre.
Les transferts ont été bloqués sous de nombreux prétextes, dont celui de punir l'AP pour toute démarche politique qu'elle entreprend, comme l'adhésion à la Cour pénale internationale en 2015, par exemple. En effet, l'État d'occupation déduit systématiquement une partie des fonds depuis 2019, sous prétexte que l'AP verse des allocations aux familles des prisonniers et martyrs palestiniens, ce qu'Israël qualifie de "soutien au terrorisme".
Depuis le 7 octobre, le gouvernement d'occupation israélien a également déduit des recettes fiscales le montant que l'AP verse normalement à ses institutions dans la bande de Gaza, qui s'élève à environ 75 millions de dollars par mois, ce qui a entraîné une crise économique majeure. Il est clair qu'Israël veut séparer complètement la Cisjordanie de Gaza, bien que les deux soient des territoires palestiniens occupés et fassent partie de l'État palestinien indépendant envisagé.
En septembre de l'année dernière, le ministre palestinien des finances, Shukri Bishara, a annoncé qu'Israël retenait 800 millions de dollars à l'Autorité palestinienne. Selon les données du ministère des finances à Ramallah le mois dernier, le montant total des recettes fiscales retenues par Israël s'élevait à 1,6 milliard de dollars, soit l'équivalent de 25 à 30 % du budget annuel total de l'Autorité palestinienne.
Cette situation a entraîné un déficit financier sans précédent dans la trésorerie de l'Autorité palestinienne, menaçant sa capacité à fournir des services de base tels que la santé, l'éducation et la sécurité, et à payer les salaires des fonctionnaires qui reçoivent des salaires partiels depuis des années. En raison de ces déductions, le gouvernement palestinien n'a pas été en mesure de payer l'intégralité des salaires de ses employés depuis novembre 2021, alors qu'il s'était engagé à en payer 80 à 85 % jusqu'au déclenchement de la guerre contre les Palestiniens de Gaza. Ce pourcentage a progressivement diminué pour atteindre 50 % au cours des deux derniers mois. Les fonctionnaires sont désormais dans l'incapacité de s'acquitter de leurs obligations financières mensuelles envers les banques et les écoles.
Les institutions publiques palestiniennes ont réduit les heures de travail afin d'économiser de l'argent, ce qui a entraîné une réduction des services, notamment dans les domaines de la santé et de l'éducation dans les écoles et les universités. L'enseignement se fait principalement en ligne.
Les fonctionnaires palestiniens - dont je fais partie - n'ont pas reçu de salaire complet depuis 2021, et le total des arriérés dus équivaut à six mois de salaire complet. Collectivement, cela représente environ 750 millions de dollars, auxquels s'ajoutent 800 millions de dollars de dettes envers le secteur privé, ce qui a eu un impact majeur sur les hôpitaux privés et les sociétés pharmaceutiques. Incapable de remplir ses propres obligations financières, et avec un pouvoir d'achat réduit pour les biens et les services, le secteur privé du commerce et des services a été paralysé.
Outre les dépenses du gouvernement, en particulier les salaires des 147 000 fonctionnaires, l'économie palestinienne repose sur deux autres piliers qui ont été gravement endommagés depuis le 7 octobre : le marché du travail israélien et le secteur privé. Israël a empêché les travailleurs palestiniens d'entrer dans l'État d'occupation, ce qui signifie que 200 000 d'entre eux ont perdu leur unique ou principale source de revenus et sont au chômage.
Cette situation a réduit le pouvoir d'achat des familles palestiniennes, ce qui a eu un effet d'entraînement sur les entreprises privées et a augmenté le chômage. On estime à 500 000 le nombre de Palestiniens au chômage en Cisjordanie occupée, des milliers d'emplois ayant été perdus.
Le chômage atteint un niveau sans précédent
La diminution du soutien financier accordé à l'Autorité palestinienne par les États arabes a encore aggravé la situation. En outre, l'Autorité a atteint sa limite d'emprunt auprès des banques, ce qui a rendu encore plus difficile le paiement des salaires des employés, et le cycle des dépenses continue donc de s'effondrer.
Tout cela a conduit à la quasi-paralysie de l'économie palestinienne et à une forte pression sur les citoyens ordinaires qui ne peuvent plus trouver d'emploi et n'ont que peu ou pas d'économies pour couvrir les besoins de base. Cette situation risque de déclencher des crises sociales, politiques et économiques majeures.
À tout cela s'ajoute le fait qu'Israël a tué plus de 500 Palestiniens en Cisjordanie depuis octobre et en a arrêté 9 000, la plupart sans inculpation ni jugement. Les camps de réfugiés et les villes du territoire occupé ont vu leurs infrastructures vitales détruites dans le cadre d'actes vicieux de punition collective visant à saper les activités légitimes de lutte contre l'occupation.
Nous, Palestiniens de Cisjordanie occupée, avons honte de parler de notre situation à cause de l'horreur du génocide sans précédent qui se déroule sous nos yeux à Gaza. Nous préférons garder le silence pour ne pas détourner l'attention de ce qui se passe là-bas. Nous comprenons qu'Israël cherche à séparer Gaza de la Cisjordanie afin d'anéantir tout niveau de solidarité au sein d'une société palestinienne unie. Le fait est que nous, en Cisjordanie, préférerions mourir de faim avec nos frères de la bande de Gaza plutôt que de voir l'Autorité palestinienne cesser de remplir ses obligations à leur égard et à l'égard des familles des martyrs et des blessés.
Journaliste palestinien vivant à Ramallah, Fareed est agriculteur et militant politique et environnemental.
Traduction : AFPS
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Comment Biden s’est transformé en colombe
Afin que personne ne puisse imaginer qu'une révélation divine s'est abattue sur Biden et son administration, et qu'ils se sont repentis de leur collusion avec les auteurs du génocide... (traduit de l'arabe).
Gilbert Achcar
Professeur, SOAS, Université de Londres
Ainsi donc, après huit mois de génocide au moyen de bombardements intensifs de zones palestiniennes densément peuplées, qui ont coûté la vie à près de cinquante mille personnes, entre les morts qui ont été dénombrés et ceux qui sont encore sous les quarante millions de tonnes de gravats résultant de la destruction de près de 300 000 logements selon les estimations de l'ONU, sans parler des bâtiments publics, après toute cette férocité meurtrière et destructrice de « l'État juif » à côté de laquelle la férocité de « l'État islamique » semble plutôt modeste, et après des efforts continus pour faciliter ce génocide en s'opposant à tout projet de cessez-le-feu, c'est-à-dire de cessation du massacre, notamment en exerçant un droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU, voici Biden, le sioniste fier de l'être, insistant soudainement pour obtenir un cessez-le-feu au point de soumettre un projet de résolution à cet effet au Conseil de sécurité de l'ONU lundi dernier.
Afin que personne ne puisse imaginer qu'une révélation divine s'est abattue sur Biden et son administration, et qu'ils se sont repentis de leur collusion avec les auteurs du génocide, ils ont tenu à présenter leur projet de trêve, consistant en un cessez-le-feu temporaire et un échange de prisonniers, en prélude à des négociations visant à mettre fin à l'agression israélienne sur la bande de Gaza, comme s'il s'agissait d'un projet qui avait l'approbation d'Israël, voire même un projet israélien, de sorte que la responsabilité de son échec à entrer en vigueur retombe sur le seul Hamas. C'est de la pure hypocrisie, puisque Netanyahu n'a jamais officiellement annoncé son approbation du projet, mais a agi jusque là comme voulant s'en dissocier. De leur côté, les dirigeants politiques du Hamas ont fait preuve de perspicacité et de compréhension du jeu en s'empressant de saluer la résolution du Conseil de sécurité et d'exprimer leur volonté de négocier les termes de sa mise en œuvre, renvoyant ainsi la balle dans le camp du gouvernement sioniste après que l'administration américaine ait tenté de la confiner dans leur propre camp.
C'est parce que le gouvernement sioniste est dans un état de confusion. Si Netanyahu avait publiquement accepté le projet de trêve, Gantz et son groupe n'auraient pas décidé de mettre fin dimanche à leur participation au cabinet de guerre. Ils ont attribué leur retrait à la réticence de Netanyahu à accepter le projet de trêve et à fixer des conditions pour mettre fin à la guerre qui soient conformes aux intérêts israéliens et aux souhaits du parrain américain. En vérité, l'objectif de la récente initiative de Washington au Conseil de sécurité n'est pas de faire pression sur le Hamas, mais plutôt de faire pression sur Netanyahu pour qu'il accepte le projet officiellement et publiquement. Ceci en deuxième lieu, mais en premier lieu, Biden déploie des efforts pour montrer à cette partie importante de l'opinion publique américaine qui est bouleversée par la guerre génocidaire menée par l'État sioniste, et qui constitue une proportion importante des électeurs traditionnels du Parti démocrate, qu'il est sérieux dans ses efforts pour arrêter la guerre.
L'administration américaine intensifiera la pression sur Netanyahu pour qu'il accepte la trêve temporaire, dont ils savent tous qu'elle ne durera pas plus de quelques semaines (comme expliqué la semaine dernière dans « La trêve à Gaza et les dilemmes de Netanyahu et du Hamas », 4/6/2024), et pour qu'il mette fin à sa dépendance envers les « néonazis » de son gouvernement et accepte l'offre de ses rivaux Gantz et Lapid de former un gouvernement d'unité nationale incluant le Likoud, les deux principaux partis d'opposition, ainsi que d'autres groupes sionistes moins extrémistes que ceux de Ben-Gvir et Smotrich. Que cela se produise ou non, Biden a besoin de ressembler à un faucon qui s'est transformé en colombe, afin d'atténuer les manifestations contre lui qui devraient perturber la Convention nationale démocrate en août prochain (19-22) à Chicago, lorsque le Parti démocrate adoptera officiellement ses candidats à la présidence et à la vice-présidence.
Voilà le secret de la métamorphose de Biden, d'un partenaire clé dans la guerre génocidaire sioniste en un défenseur de la paix. Si cette mutation est un hommage à l'importance du mouvement de protestation contre la guerre aux États-Unis, nous ne pouvons ignorer sa nature opportuniste et hypocrite et le fait que Biden, Gantz et leurs entourages diffèrent avec Netanyahu sur la manière de liquider la cause palestinienne après avoir perpétré conjointement la « Seconde Nakba », et non sur l'objectif de la liquidation lui-même.
Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 11 juin en ligne et dans le numéro imprimé du 12 juin. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
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USA : les contradictions de la politique étrangère de Biden
Au cimetière américain de Normandie, en France, lors d'un discours prononcé à l'occasion du 80e anniversaire du jour J, Joe Biden a appelé l'alliance occidentale à s'unir une fois de plus pour défendre la liberté et la démocratie contre « un tyran déterminé à dominer », c'est-à-dire Vladimir Poutine et sa guerre contre l'Ukraine.
Hebdo L'Anticapitaliste - 712 (12/06/2024)
Par Dan La Botz
Crédit Photo
Wikimedia commons
Les contradictions de la politique étrangère de Joe Biden ont été mises en évidence tant à l'étranger qu'à l'intérieur du pays le week-end dernier.
La liberté et la politique de Netanyahou
Le président américain a demandé à l'auditoire : « Allons-nous nous dresser contre la tyrannie, contre le mal, contre la brutalité écrasante de la poigne de fer ? » Pendant ce temps, des dizaines de milliers de PalestinienNEs et leurs alliés ont encerclé la Maison Blanche avec une liste de noms de milliers de PalestinienNEs tués par la main de fer à Gaza. Ces noms étaient inscrits sur une bannière rouge symbolisant les lignes rouges fixées par Joe Biden, et que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou continue d'ignorer et de franchir.
L'affirmation de Biden selon laquelle les États-Unis sont toujours le leader d'un monde libre et démocratique qui galvanise les alliés européens de l'Amérique pour s'opposer à un dictateur déterminé à conquérir, entre en contradiction avec le fait que les États-Unis soutiennent Israël. C'est un fossé qui divise les électeurEs démocrates. Le candidat républicain Donald Trump a uni son parti et sa base autour de sa personnalité charismatique et autoritaire et son programme réactionnaire qui menace de saper et de détruire la démocratie américaine. La campagne de Joe Biden repose en grande partie sur la promesse de défendre la démocratie et la liberté — celle des femmes de choisir l'avortement, de vote, d'organiser un syndicat ou une manifestation pour les droits civiques — menacées par une victoire de Trump.
Le parti démocrate est soumis à d'énormes pressions, en grande partie à cause du soutien de Biden à Israël. Le groupe parlementaire progressiste a fait pression sur Biden pour qu'il freine Israël et instaure un cessez-le-feu, mais le groupe lui-même s'est divisé sur ces questions. Les neuf membres du groupe de gauche, dont quatre de DSA, les Socialistes démocrates d'Amérique, ont adopté les positions les plus critiques à l'égard de la politique de soutien de Biden à Israël, même s'ils répugnent à critiquer le président de manière trop virulente, de peur de compromettre sa réélection. D'autre part, certains représentantEs ont quitté le Progressive Caucus parce qu'ils estiment qu'il est trop critique à l'égard d'Israël.
Politique migratoire
Une autre contradiction profonde entre la rhétorique et la politique se trouve dans la politique d'immigration de Biden. Dans un récent discours sur la politique migratoire, Biden a déclaré, pour se distinguer de Trump, « je ne diaboliserai jamais les immigrés. Je ne dirai jamais des immigrés qu'ils “empoisonnent le sang” d'un pays ».
Ces mots ont été prononcés lors de l'annonce par Biden de l'adoption d'une politique de restrictions plus sévères à l'égard des migrantEs demandant l'asile à la frontière mexicaine, une politique qui ressemble beaucoup à celle de Trump. Lorsque le niveau de 2 500 sans-papiers par jour sera atteint, ce qui arrive presque tous les jours, la frontière leur sera complètement fermée.
À 150 jours de l'élection, les républicains s'unissent autour de Trump, malgré sa récente condamnation pour crime, tandis que les démocrates se fragmentent en raison du manque de cohérence politique et morale de Biden.
Traduction par la rédaction
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Le gaz me donne les bleus
« On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels », écrivait Anatole France en 1922 dans L'Humanité, au sujet de la guerre. « On croit mourir à cause de l'emballement du climat ; on meurt à cause des industriels », pourront dire nos enfants, si la tendance se maintient. Les stratégies gazières qui se mettent en place au Québec illustrent de manière troublante la primauté des intérêts industriels sur la vie.
Environ 80 % du gaz qui est brûlé au Québec pourrait être remplacé par l'électricité. Eh oui : alors que la planète en feu hurle l'urgence de se libérer des énergies fossiles, environ 200 000 bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels demeurent inexplicablement chauffés au gaz, au pays de René Lévesque. Et près de 2 000 branchements se sont encore ajoutés entre octobre 2021 et juillet 2022 ! D'importants volumes de gaz servent également à des procédés industriels dont la conversion à l'électricité ne présente aucun défi technique particulier.
Électrifier ces usages permettrait de réduire de neuf mégatonnes (sur 12) les émissions de gaz à effet de serre attribuables au gaz naturel, ce qui améliorerait le bilan carbone total du Québec de plus de 10 %. Cela pourrait se faire en une quinzaine d'années : il suffirait d'interdire l'installation d'équipements au gaz dans tous les cas où l'électricité peut rendre le service énergétique attendu, qu'il s'agisse de nouveaux équipements ou du remplacement d'équipements en fin de vie.
Quand on pense que les émissions totales de GES du Québec ont reculé d'à peine 2,7 % en près de 30 ans, malgré les milliards dépensés par les gouvernements, il est difficile d'imaginer une bonne raison de se priver d'une telle réglementation qui compenserait au moins partiellement la lenteur de la décarbonation d'autres secteurs. Or, vous ne trouverez aucun document en ce sens dans les cartons de nos gouvernements. C'est là une des raisons pour lesquelles la petite flamme bleue adoptée il y a 20 ans par le principal distributeur gazier du Québec ne me fait plus danser la bossa-nova.
Tartufferie climatique au service de l'industrie
Le deuxième motif de consternation, relativement au gaz naturel, est l'importance des ressources collectives consacrées à des stratégies alambiquées qui nous éloignent de nos cibles climatiques tout en se donnant l'air de vouloir nous en rapprocher.
L'offre biénergie parrainée conjointement par Hydro-Québec et Énergir en est un excellent exemple. En vertu de cette offre, présentement réservée au marché résidentiel [1], les ménages qui ont un système de chauffage central au gaz sont invités à convertir leur système à la biénergie afin que l'électricité devienne leur principale source d'énergie pour le chauffage et que le gaz naturel ne soit consommé qu'en période de pointe hivernale.
Intuitivement attrayante, l'offre de biénergie n'en a pas moins été vertement critiquée par des environnementalistes et des scientifiques, et pour cause : elle est incompatible avec les objectifs climatiques du Québec. Alors que, tel que mentionné, l'abandon du gaz naturel dans tous les usages convertibles permettrait de diminuer les émissions totales de GES du Québec de plus de 10 %, les chercheurs de l'Institut de l'énergie Trottier estiment que le programme de biénergie ne permettra, au mieux, qu'une réduction de 0,6 %. Il aura aussi pour effet de verrouiller la dépendance du Québec à l'égard du gaz pour des décennies et de compromettre l'atteinte de la carboneutralité en favorisant le renouvellement d'équipements de chauffage au gaz naturel qui devraient simplement être mis de côté à la fin de leur vie utile.
Le règlement qui exige l'injection d'un pourcentage minimal de gaz naturel renouvelable (GNR) dans le réseau gazier est aussi une ingénieuse supercherie. Initialement adopté en 2019, ce règlement fait présentement l'objet d'une mise à jour qui introduit le concept de « gaz de source renouvelable » (GSR), incluant non seulement le GNR, mais aussi l'hydrogène vert, et porte de 5 % en 2025 à 10 % en 2030 la part des GSR devant circuler dans le réseau gazier.
Tout est problématique dans ce règlement. D'abord, l'idée même d'exiger l'injection de 10 % de GSR dans le réseau signifie en clair assurer une continuation de la consommation massive (90 %) de gaz fossile, issu principalement de la fracturation, pour des besoins qui pourraient rapidement et facilement, pour la plupart, être comblés par l'électricité.
Ensuite, produire du gaz qui sera brûlé est dans bien des cas le pire usage qu'on puisse faire de la biomasse résiduelle. Pour respecter les limites biophysiques des écosystèmes, préserver les milieux naturels et la biodiversité, éviter de concurrencer la production alimentaire et les usages plus écologiques de la biomasse résiduelle comme le compostage, en cette période sombre pour la santé de la nature, il est essentiel que le GNR soit produit en quantité limitée et réservé à des usages pour lesquels le gaz est irremplaçable (les usages dits « sans regret »).
Produire de l'hydrogène vert pour le mélanger à du gaz fossile servant principalement à des usages électrifiables serait encore plus absurde, si cela est possible, car l'électricité dépensée pour produire l'hydrogène est beaucoup plus grande que l'énergie contenue dans l'hydrogène. Le concept même est une aberration scientifique et économique.
« It's the industry, stupid ! »
Ces stratégies vous semblent rocambolesques ? Elles deviennent tout à fait limpides quand on les analyse du point de vue de l'industrie et quand on sait qu'elles sont assorties de généreuses contributions du trésor public, notamment par l'entremise du fonds Capital ressources naturelles et énergie (CRNE), doté d'une enveloppe de 1 milliard $, et du Programme de soutien à la production de gaz naturel renouvelable (PSPGNR).
En fait, la raison pour laquelle il « faut » préserver le réseau gazier le plus longtemps possible, en le légitimant notamment par l'offre de biénergie et le verdissement partiel du combustible, est fort simple : si on cessait de brûler du gaz pour 80 % des usages actuels, les grandes industries dont les procédés ne sont pas facilement convertibles à l'électricité devraient assumer seules les coûts du réseau gazier en attendant de pouvoir compter sur de nouveaux procédés ou sur des gaz de source renouvelable. Or, selon une étude réalisée à HEC Montréal, « l'électrification des marchés Résidentiel et Affaires évincerait (sic) 91 % des revenus de distribution du gaz naturel au Québec et entraînerait nécessairement la clientèle industrielle dont les usages sont non convertibles vers une “spirale de la mort” puisque les quelques grands consommateurs de gaz naturel restants ne seraient sans doute pas en mesure de soutenir l'augmentation tarifaire causée par le départ des autres clients. » [2]
Doublement futées, les stratégies gazières du gouvernement (peut-être aidé par les quelque 140 lobbyistes inscrits d'Énergir ?) permettent aussi de brouiller le message des scientifiques et des écologistes qui ont bien du mal à expliquer, en « lignes de com » de 20 mots, pourquoi ils et elles s'opposent à des mesures de réduction des émissions de GES. De plus, comme le développement du GNR et de l'hydrogène vert est coûteux, ces stratégies justifient de siphonner des fonds publics destinés à la décarbonation vers des filières dont la contribution à la lutte au réchauffement climatique restera toujours marginale, mais dont nos quelques grandes industries auront besoin pour poursuivre leurs opérations quand la consommation de gaz fossile ne sera vraiment plus admise.
L'industrie ou la vie ? Le choix est clair. Repose en paix, Anatole France.
[1] Une offre pour les secteurs commercial et institutionnel devrait être déployée dans les prochains mois, sous réserve de l'approbation de la Régie de l'énergie.
[2] Rapport d'étude no 01-2020, Électrification des usages du gaz naturel au Québec : analyse des impacts économiques, Alexandre Paradis Michaud, étudiant à HEC Montréal, sous la supervision de Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie, HEC Montréal. Disponible en ligne.
Illustration : Ramon Vitesse
gauche.media
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