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Inde : « Modi est affaibli, mais il ne renonce pas à son plan destructeur pour un Raj de mille ans »
Les Indiens qui aiment et apprécient leur Constitution - leurs droits, leur civilisation et leur fraternité - devront se préparer à un round plus décisif qui ne saurait tarder.
Tiré d'À l'encontre. Article publié sur le site The Wire le 6 juin 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre le 7 juin 2024.
Les électeurs et électrices d'Inde ont fait pour la démocratie indienne ce que la commission électorale et le pouvoir judiciaire du pays n'ont pas réussi à faire : sanctionner et réprimander le Premier ministre Narendra Modi pour avoir cherché à monter les hindous et les musulmans les uns contre les autres, et pour ses liens privilégiés avec les grandes entreprises – dont les dons suspects ont alimenté les politiques gouvernementales qui ont accru les inégalités et la détresse.
Après dix ans au pouvoir [depuis le 26 mai 2014], Modi a perdu la majorité parlementaire dont jouissait son parti, le Bharatiya Janata Party [BJP-Parti indien du peuple, aile politique de l'organisation fascisante du Rashtriya Swayamsevak Sangh, RSS-Organisation volontaire nationale créée en 1925], et doit désormais diriger un gouvernement minoritaire avec le soutien de ses partenaires de coalition, dont certains sont notoirement inconstants. Le fait qu'il n'ait jamais dirigé de coalition réelle – et non théorique – ne va pas l'aider. Il y a trois ans, lorsque le parti indien sikh Shiromani Akali Dal l'a défié au sujet de ses lois agricoles controversées, Modi est resté impassible et ce sont les Akalis [Sikhs] qui ont dû se retirer de la coalition National Democratic Alliance (NDA). Mais des alliés – le Telugu Desam Party-TDP, présent dans l'Andhra Pradesh, 16 sièges, et le Janata Dal-United, présent dans le Bihar, 12 sièges – que les électeurs indiens lui ont maintenant donnés ne prendront pas tranquillement leur jhola (leurs bagages) et ne s'en iront pas. [En effet, ces deux partis alliés visent le poste de président de la Chambre basse ; les marchandages entre les partis de la coalition renvoient à l'époque antérieur à 2014]. Ils auront la capacité de renverser son gouvernement [1]].
Faisant bonne figure, Modi a salué le fait qu'il soit revenu au pouvoir pour la troisième fois comme un « exploit historique ». En réalité, ce résultat représente un revers personnel cuisant pour un homme tellement convaincu de son invincibilité qu'il avait commencé à revendiquer des origines divines. « Tant que ma mère était en vie », a-t-il déclaré lors d'un interview en pleine campagne électorale, « j'avais l'impression que j'étais peut-être né biologiquement. Mais après sa mort, en examinant toutes mes expériences, j'ai acquis la conviction que c'est Dieu qui m'a envoyé. L'énergie [que j'ai] ne vient pas d'un corps biologique. » L'électorat a fait redescendre sur terre ce messager de Dieu autoproclamé, avec un bruit mat.
La revendication de la divinité par Modi est d'ailleurs intervenue dans le même entretien où il a menti sur un discours électoral qu'il avait prononcé au début de la campagne. A Banswara [au sud dans le Rajasthan], il avait qualifié sans ambiguïté les musulmans de l'Inde d'« infiltrés » [ce qui implique leur exclusion] et de personnes qui ont « plus d'enfants ». Modi ne s'est pas contenté d'insulter les musulmans, il a tenté d'attiser les angoisses irrationnelles des électeurs hindous de l'Inde en leur montrant qu'il était le seul dirigeant capable d'empêcher l'opposition de saisir leurs biens et leurs avoirs et de les remettre aux musulmans.
Modi a ensuite répété cette accusation, avec des variations mineures, lors de chaque meeting. Son parti a créé de répugnantes vidéos d'animation destinées à effrayer les hindous pour qu'ils croient à cette affirmation absurde. Dans un autre entretien, il a déformé les conclusions douteuses d'une étude largement diffusée, réalisée par des chercheurs de son propre institut – publiée pour coïncider avec le discours électoral anti-musulman qu'il défendait – afin de convaincre les hindous que la population musulmane de l'Inde augmentait si rapidement que les hindous seraient bientôt submergés.
Pourquoi Modi est-il si obsédé par les musulmans ? Tout d'abord, cela fait partie de son ADN politique. Sa carrière a débuté au sein de l'organisation mère du BJP, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), et s'est construite autour de la conviction du RSS selon laquelle l'Inde est une nation hindoue qui a été asservie par les musulmans pendant 800 ans. Modi soutient que les musulmans indiens d'aujourd'hui – qui constituent statistiquement l'une des cohortes les plus pauvres du pays – sont en fait « privilégiés » et jouissent de plus de droits et d'avantages que les hindous, et que l'Inde ne pourra pas atteindre la gloire tant qu'une « conciliation » face aux musulmans se poursuivra.
Mais il y a une deuxième raison à la récente recrudescence de ses déclarations anti-musulmanes. Lorsque vous abordez une élection sans avoir grand-chose à montrer en termes de réalisations concrètes – le chômage [42,3% des diplômés indiens de moins de 25 ans étaient au chômage en 2021-22, or les personnes de moins de 35 ans constituent 66% de la population] et le désespoir rural sont généralisés et 800 millions d'Indiens subsistent grâce aux céréales gratuites que leur fournit le gouvernement –, il est utile de détourner l'attention des électeurs à grand renfort de dénigrement des musulmans. C'est ce qu'ont fait Modi et son parti.
C'est un secret de Polichinelle que de faire campagne pour obtenir des voix en faisant appel directement ou indirectement à la religion est illégal en vertu de notre loi électorale (l'histoire du pays est séculariste) et peut entraîner l'interdiction pour un politicien de se présenter à une élection pendant six ans. Cependant, Modi a bien calculé que les trois commissaires électoraux chargés de faire appliquer cette loi (et qu'il a triés sur le volet pour ce travail) ne diraient rien [2]. Lorsque des citoyens se sont adressés à la Haute Cour de Delhi pour demander à la Commission électorale de porter plainte contre Modi pour ses discours haineux, ils ont été renvoyés en leur disant qu'ils devaient faire confiance à la Commission électorale (CE). Cette dernière n'a bien sûr rien fait, et lorsqu'on a demandé au commissaire général aux élections (après la fin du scrutin) pourquoi il n'avait pas agi, il a répondu que les tribunaux avaient rejeté les requêtes qui demandaient à la CE d'agir.
Les tribunaux et la Commission électorale se sont peut-être renvoyé la balle et n'ont rien fait, mais au grand dam de Modi, un nombre suffisant d'électeurs hindous ont vu clair dans son jeu et ont décidé qu'ils n'allaient pas troquer leurs préoccupations pour le présent contre les affrontements civils que Modi, le premier ministre, cherchait manifestement à provoquer. Dans l'Uttar Pradesh et le Maharashtra, la part de voix du BJP s'est effondrée. Même Ayodhya [Uttar Pradesh], qui occupe une place particulière dans la politique chauvine de Modi [3], a décidé de le laisser tomber. Au Rajasthan et dans l'Haryana, les électeurs ruraux en colère contre les politiques anti-agriculteurs de Modi ont soutenu l'opposition. Dans toute l'Inde, pas moins de 22 ministres en exercice, soit environ un quart de son cabinet ministériel, ont perdu leur siège.
Grâce à un champ de bataille électoral biaisé par le pouvoir financier du BJP, à l'esprit partisan des grands médias et à sa propre volonté d'utiliser la coercition de l'Etat contre l'opposition, Modi est parvenu à limiter ses pertes et à franchir la ligne d'arrivée en boitillant, avec l'aide d'une coalition.
Le samedi 8 juin, Modi prêtera serment pour la troisième fois. Le fait qu'il ait été affaibli est une bonne nouvelle pour la démocratie indienne, mais dans la mesure où il ne s'est pas laissé abattre, on peut se demander quelles seront ses priorités cette fois-ci.
Ses déboires électoraux signifient-ils qu'il ne sera plus en mesure de poursuivre son programme chauviniste hindou ? Devra-t-il désormais relâcher ses efforts pour étouffer la dissidence et porter atteinte à la liberté de la presse ? Décidera-t-il qu'il est temps d'être moins complaisant envers les grandes entreprises ? Ou pourrait-il en fait redoubler d'efforts pour réaliser son programme actuel ?
Un ami turc me rappelle que les choses peuvent devenir particulièrement dangereuses lorsqu'un homme fort se sent plus faible. C'est ce qui s'est passé avec Recep Tayyip Erdogan en Turquie et il n'y a aucune raison de s'attendre à ce que Modi soit différent. Au cours de son second mandat, Modi a commencé à serrer la vis aux médias numériques indiens, qui ont jusqu'à présent réussi à fonctionner et à atteindre des millions de lecteurs et de téléspectateurs malgré les menaces et le harcèlement qui ont transformé les médias traditionnels indiens en une honte nationale. Au cours de son troisième mandat, Modi sera probablement plus agressif dans son utilisation de la loi contre les médias. De même, il tentera une fois de plus d'utiliser les agences gouvernementales chargées de faire respecter la loi pour paralyser l'opposition en s'en prenant à des dirigeants individuels.
Si Modi poursuit sur la voie qu'il a empruntée jusqu'à présent, il appartiendra à ses partenaires de coalition et au pouvoir judiciaire d'intervenir. Le fait que Modi soit « numériquement » [majorité relative] vulnérable augmente la probabilité qu'il soit confronté à une certaine résistance de la part de ces secteurs, mais rien ne garantit qu'il en sera ainsi.
Au cours de ses deux premiers mandats, Modi a utilisé le soutien et la bonne volonté des puissances étrangères, en particulier des Etats-Unis et de l'Europe, comme un amplificateur de force pour se renforcer politiquement. Cela non plus ne va pas nécessairement changer. De retour au pouvoir, il ne manquera pas de profiter des possibilités commerciales offertes aux entreprises occidentales et du fossé qui se creuse entre les Etats-Unis et la Chine pour dissiper les réticences suscitées par son islamophobie ouverte et ses tendances autoritaires.
Les Indiens respirent mieux aujourd'hui, convaincus qu'ils ont réussi à ramener la démocratie indienne qui était au bord du gouffre. Ils savent également qu'il ne faudra pas longtemps à Modi pour revenir à ses options divinement programmées. Le soutien à la politique antimusulmane du BJP a peut-être atteint son apogée dans le nord et l'ouest de l'Inde, mais Modi tient à étendre sa portée au sud et à l'est. Cet homme se targue d'avoir un plan millénaire pour l'Inde – une variante techno-corporatiste de la vision destructrice du RSS – et il ne l'abandonnera pas si facilement. Les électeurs indiens ont porté un coup fatal à cette vision, mais la vérité est que Modi est de retour. Les Indiens qui aiment et apprécient leur Constitution – leurs droits, leur civilisation et leur fraternité – devront se préparer à un round plus décisif qui ne saurait tarder. Chale chalo [Continue, allez], comme l'a écrit Faiz à propos de la recherche d'une nouvelle aube, ki voh manzil abhi nahin aayi [cette destination n'est pas encore atteinte]. Un port sûr est encore loin.
• Siddharth Varadarajan, éditeur de The Wire, a enseigné à New York University et à Berkeley.
Notes
[1] Le BJP, qui a bénéficié d'une forte majorité lors des deux mandats précédents, n'a obtenu que 240 sièges (perte de 63 sièges), loin des 272 nécessaires pour former un gouvernement à part entière. La coalition NDA a remporté 293 sièges sur les 543 que compte la chambre basse du Parlement. L'alliance INDIA-Indian National Developmental Inclusive Alliance – qui comporte 26 partis – est menée par le parti du Congrès nationale de Rahul Gandhi, 99 sièges, gain de 47 sièges. Elle a obtenu 236 sièges, plus que prévu, avec des gains majoritaires régionaux dans des Etats tels que l'Uttar Pradesh, le Maharashtra et le West Bengal. (Réd.)
[2] A la veille des élections, début mars, « le gouvernement indien a annoncé la mise en œuvre d'une loi stigmatisante à l'égard des musulmans, en leur refusant des droits accordés aux autres religions. Cette réforme dite de la citoyenneté avait été adoptée par le Parlement, en décembre 2019, mais n'avait jamais été appliquée. Elle avait alors suscité la plus grande mobilisation à travers le pays, et trois mois de manifestations qui s'étaient terminées dans le sang, avec des pogroms antimusulmans déclenchés par des fanatiques hindous dans le nord de Delhi. Cinquante-trois personnes avaient péri. » (Le Monde, 13 mars 2024) Cette loi introduit un critère religieux dans l'obtention de la nationalité. (Réd.)
[3] Ville de l'Uttar Pradesh où se trouve le temple de Ram – 7e avatar du dieu Vishnou – inauguré par Modi le 22 janvier 2024, temple qui prend la place d'une mosquée historique, dans le but selon Modi de stimuler le « nationalisme culturel hindou ». (Réd.)
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Avec les slogans « brûlez Shuafat » et « aplatissez Gaza », la Marche des drapeaux de Jérusalem illustre la banalisation d’une politique
La marche annuelle des drapeaux du « Jour de Jérusalem » est depuis longtemps connue pour sa démonstration ouverte de la suprématie juive. Chaque année, pour célébrer l'occupation par Israël de Jérusalem-Est en 1967 et le maintien de son contrôle sur la ville, des dizaines de milliers de Juifs israéliens, jeunes pour la plupart, se déchaînent dans la vieille ville, harcèlent et attaquent les résidents palestiniens et crient des slogans racistes, le tout sous la protection de la police.
Tiré d'À l'encontre.
Toutefois, si par le passé on pouvait dire que seuls certains des participants se livraient à de tels comportements, cette année, ces agissements sont devenus la norme. Encouragés par la guerre de vengeance brutale de leur gouvernement contre la bande de Gaza, presque tous les participants qui se sont rassemblés à la porte de Damas [qui mène à la vieille ville de Jérusalem] avant la marche d'hier après-midi ont participé à la provocation.
Parmi les chants les plus populaires, citons « Que votre village brûle », « Shuafat est en feu » [quartier de Jérusalem-Est à population majoritairement palestinienne], « Mahomet est mort » et la chanson génocidaire de la « vengeance », qui reprend une injonction biblique dirigée contre les Palestiniens : « Que leur nom soit effacé ». Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, sont tous deux arrivés à la porte de Damas avec leurs gardes du corps vers la fin des festivités et se sont joints avec joie aux fêtards qui chantaient et dansaient. [S'était jointe à eux la ministre des Transports, membre du parti Likoud, Miri Regev.]
Parallèlement aux chants, certains participants portaient des drapeaux du groupe suprématiste juif Lehava [1], ainsi que des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Une balle dans la tête de chaque terroriste » et « Kahane avait raison » [2]. Quelques-uns ont fait explicitement référence à l'assaut israélien en cours sur Gaza, appelant à « raser Rafah » et portant le drapeau de Gush Katif – le bloc de colonies israéliennes qui a été évacué de Gaza dans le cadre du « désengagement » de 2005 et que de nombreux membres de la droite israélienne espèrent voir se reconstruire. Certains brandissaient des pancartes représentant les otages toujours détenus par le Hamas à Gaza.
Cependant, l'objectif principal des participants n'était pas Gaza, mais plutôt le Mont du Temple/Haram al-Sharif. La journée a commencé par l'ascension de plus d'un millier de Juifs sur ce site sacré pour les juifs et les musulmans, administré conjointement par la police israélienne et le waqf islamique [fondation composé de la monarchie jordanienne, avec intégration en 2019 de responsables de l'Autorité palestinienne]. Nombre de manifestants portaient des drapeaux israéliens et certains ont violé le « statu quo » de longue date du site en se livrant à des actes de prière.
Ils étaient menés par des militants qui aspirent non seulement à permettre aux Juifs de prier sur le site, mais aussi à reconstruire un temple juif sur le site de la mosquée Al-Aqsa et du dôme du Rocher. Lors de la marche, un groupe de jeunes portait des T-shirts représentant le Dôme du Rocher en train d'être démoli.
A l'exception de l'arrestation d'une poignée de manifestants qui ont attaqué des journalistes, la police – dont le chef de la police et plusieurs hauts gradés – n'a rien fait pour empêcher ou punir les provocations. Cette absence d'intervention était particulièrement flagrante compte tenu de la répression qui a suivi le 7 octobre et qui a vu la police arrêter et inculper des centaines de citoyens palestiniens pour avoir exprimé leur opposition à la guerre à Gaza, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans le cadre de petites manifestations non violentes.
Ce double standard est ancré dans la politique du gouvernement israélien : ce qui compte, ce n'est pas le contenu du discours, mais la personne qui le prononce. Ainsi, alors que des Palestiniens sont arrêtés pour des messages sur les réseaux sociaux, des Juifs ont toute latitude pour célébrer la Journée de Jérusalem en agressant des Palestiniens et en appelant à leur mort.
Journalistes attaqués
Les violences ont commencé vers 13 heures. A ce moment-là, la police avait déjà dégagé une route à travers le quartier musulman de la vieille ville en forçant les résidents palestiniens à rentrer chez eux et les propriétaires de magasins palestiniens à fermer leur commerce.
Par conséquent, les seules cibles restantes vers lesquelles les premiers participants pouvaient diriger leur rage étaient quelques journalistes qui étaient déjà arrivés pour couvrir la marche. Le journaliste palestinien Saif Kwasmi a été agressé par la foule, tandis que le journaliste de Haaretz, Nir Hasson, a également été mis à terre et a reçu des coups de pied. Au lieu d'arrêter les manifestants, la police a arrêté et interrogé Kwasmi, accusé d'incitation à la violence.
La plupart des journalistes n'ont pas pu s'approcher aussi près des manifestants. Avant l'arrivée du gros de la foule, la police a contraint tous les journalistes à se réfugier dans un petit enclos donnant sur la porte de Damas ; selon les responsables de la police, permettre aux journalistes d'accompagner les participants à travers la vieille ville aurait été une provocation dangereuse, compte tenu de l'hostilité des manifestants à l'égard des médias.
Après plusieurs heures et de nombreux appels au bureau du chef de la police, les journalistes ont été autorisés à se déplacer parmi les manifestants, mais seulement après avoir été avertis qu'ils le faisaient à leurs risques et périls. A ce moment-là, les manifestants avaient déjà jeté de nombreuses bouteilles en plastique dans la zone de presse et insulté les journalistes.
Peu avant la fin de ces « cérémonies », Ben Gvir est arrivé à la porte de Damas. Entouré d'un important dispositif de sécurité qui a empêché les journalistes de s'approcher et de poser des questions, le ministre a profité de l'occasion pour déclarer qu'il rejetait totalement le délicat statu quo religieux sur le Mont du Temple/Haram al-Sharif, qui stipule depuis longtemps que les Juifs ont le droit de visiter le site, mais pas d'y prier.
« Je suis revenu ici pour envoyer un message au Hamas et à toutes les maisons de Gaza et du Liban : Jérusalem est à nous. La porte de Damas est à nous. Le mont du Temple est à nous », a-t-il proclamé. « Aujourd'hui, conformément à ma politique, les Juifs sont entrés librement dans la vieille ville et les Juifs ont prié librement sur le mont du Temple. Nous le disons de la manière la plus simple qui soit : ceci est à nous. »
Lors des précédentes marches de la Journée de Jérusalem, Ben-Gvir n'était qu'un participant parmi d'autres. Aujourd'hui, il est le ministre responsable de la police, chargé de sécuriser la marche et de faciliter l'ascension des Juifs vers l'enceinte d'Al-Aqsa. Bien que le Premier ministre Benyamin Netanyahou ait pris ses distances avec l'intention déclarée de Ben-Gvir de bouleverser le statu quo, c'est en fin de compte le ministre de la Sécurité nationale qui applique la politique.
Le Jour de Jérusalem était autrefois un événement exceptionnel, où le racisme et la suprématie juive qui ont toujours existé au sein de la société israélienne étaient exposés aux yeux de tous. Mais aujourd'hui, alors que la vengeance de l'armée à Gaza se poursuit avec le soutien actif de la plupart des Israéliens, que la violence des militaires et des colons s'intensifie en Cisjordanie et que des campagnes sont menées pour persécuter et réduire au silence les dissidents à l'intérieur de la ligne verte, la Marche des drapeaux n'est plus qu'un exemple de plus de la façon dont Israël a banalisé l'extrémisme. (Article publié par le site israélien +972 le 6 juin 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Oren Ziv est photojournaliste et reporter pour le site israélien en hébreu Local Call – qui est conjoint avec +972. Il est membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
Notes
[1] Il s'oppose par exemple aux mariages entre Juifs et non-Juifs, en particulier des mariages des femmes juives avec des hommes arabes, exerce sa violence contre les Palestiniens et les demandeurs d'asile africains. (Réd.)
[2] Meir Kahane a fondé l'organisation Jewish Defense League aux Etats-Unis et le parti Kach d'extrême droite en Israël, interdit en 1994, qualifié d'organisation terroriste. Le Kach soutient une colonisation massive en Cisjordanie et dans la bande de Gaza avec une dimension de sionisme religieux. Kahane fut élu en 1984 à la Knesset – suite à trois échecs – après avoir profité de la « permissivité » des structures politiques et juridiques de l'Etat d'Israël, qui ne prendra des mesures pour disqualifier le parti Kach qu'après son élection. Kahane sera assassiné aux Etats-Unis en novembre 1990. (Réd.)
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Le projet israélien de reconstruction de Gaza
Les hommes d'affaires israéliens proches du Premier ministre Benjamin Netanyahu ont élaboré un plan baptisé « Gaza 2035 » pour reconstruire le territoire israélien en un centre commercial et industriel régional qui exploiterait le gaz naturel palestinien et une main d'œuvre bon marché
Tiré de MondAfrique.
Des documents publiés en ligne présentent la vision d'après-guerre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour la bande de Gaza, connue sous le nom de « Gaza 2035 », a rapporté le Jerusalem Post du 3 mai. Ce plan implique de maintenir Gaza à long terme sous contrôle israélien, de réaliser des investissements majeurs pour reconstruire l'enclave dévastée « à partir de rien » avec l'aide des pays du Golfe, de transformer Gaza en un centre régional de commerce et d'énergie, et d'exploiter la main-d'œuvre palestinienne bon marché et le gaz naturel. Tout cela au profit des intérêts commerciaux israéliens.
Le document qualifie Gaza d'« avant-poste iranien » qui « sabote les chaînes d'approvisionnement émergentes », affirmant par euphémisme que cela « contrecarre tout espoir d'avenir pour le peuple palestinien ».
Selon le document, le plan comprend trois étapes
La première étape devrait durer 12 mois et verra Israël créer des « zones de sécurité libres du contrôle du Hamas » à Gaza, en commençant d'abord par le nord et en se déplaçant vers le sud.
Les Palestiniens de Gaza géreraient les zones de sécurité sous la supervision d'une coalition d'États arabes chargée de fournir l'aide humanitaire.
La deuxième étape durerait cinq à dix ans. L'armée israélienne conserverait le contrôle de la bande, tandis que les États arabes seraient responsables de la reconstruction sous l'égide de la nouvelle Autorité de réhabilitation de Gaza (GRA), les Palestiniens gérant les zones de sécurité.
Les efforts de reconstruction impliqueront de « reconstruire à partir de rien » et de concevoir de nouvelles villes selon une conception et une planification modernes. Cela implique que l'armée israélienne continue de détruire une grande partie, sinon la totalité, de Gaza.
La troisième étape verrait les Palestiniens « s'autogouverner » dans une bande de Gaza démilitarisée tandis qu'Israël conserverait le droit d'agir contre les « menaces à la sécurité ».
Une main d'oeuvre bon marché
La dernière étape, note le Jerusalem Post, serait que les Palestiniens « gèrent pleinement Gaza de manière indépendante » et adhèrent aux Accords d'Abraham, un accord liant plusieurs États arabes à Israël. Le Jerusalem Post affirme que le plan bénéficierait aux Palestiniens de Gaza en leur offrant des opportunités d'emploi et une éventuelle « autonomie » – sous le contrôle continu d'Israël.De nombreux responsables politiques israéliens ont appelé à l'expulsion forcée des 2,3 millions d'habitants de Gaza vers l'Égypte ou l'Europe. Mais le plan prévoit apparemment que certains restent à Gaza comme source de main d'œuvre bon marché.
Le Jerusalem Post affirme que le plan bénéficierait aux États du Golfe en leur offrant « des pactes défensifs avec les États-Unis et un accès sans entrave aux ports méditerranéens de Gaza par le biais de chemins de fer et de pipelines ».
Le plan vise à faire de Gaza un port industriel important sur la Méditerranée, facilitant l'exportation des marchandises gazaouies, du pétrole saoudien et d'autres matières premières du Golfe.
Le plan prévoit également la création d'une vaste zone de libre-échange comprenant Gaza et s'étendant de la ville israélienne de Sderot à Al-Arish, sur la côte égyptienne, ce qui bénéficierait aux intérêts commerciaux des trois pays. Israël exploiterait les gisements de gaz naturel au large de Gaza pour fournir l'énergie nécessaire à la fabrication industrielle. Israël bloque depuis des décennies le développement de gisements qui appartiennent légalement aux Palestiniens.
Le Jerusalem Post ajoute que le plan incluait une proposition visant à fabriquer des voitures électriques dans la zone de libre-échange et à compléter cette proposition par une « fabrication chinoise bon marché », suggérant en outre que la main-d'œuvre palestinienne bon marché de Gaza serait essentielle à la proposition.
L'imprimatur du New York Times
Les intérêts commerciaux israéliens en bénéficieraient probablement le plus. Le New York Times (NYT) rapportait également que le plan pour Gaza avait été élaboré en novembre par un « groupe d'hommes d'affaires, pour la plupart israéliens, dont certains sont proches de M. Netanyahu ».Le New York Times ajoutait que le plan était « à l'étude aux plus hauts niveaux du gouvernement israélien ».
Tout projet israélien pour Gaza d'après-guerre devrait également répondre aux exigences de la communauté religieuse d'extrême droite israélienne, qui exige la colonisation de Gaza et la construction de colonies juives après la guerre.
Le ministre du Logement et de la Construction, Yitzhak Goldknopf, chef du parti ultra-orthodoxe Judaïsme unifié de la Torah, a publié le 14 mai un message vidéo approuvant une marche de protestation exigeant la reprise de la colonisation israélienne dans la bande de Gaza.
« Il est très important de s'identifier à cette marche et ensuite de participer au rassemblement de masse à Sderot », dit-il.
Selon ses organisateurs, les participants viendront de tout le pays. La manifestation est soutenue notamment par la députée d'extrême droite Limor Son Har-Melech du parti Otzma Yehudit,
La journaliste Vanessa Beeley conclut que le plan « Gaza 2035 » comprend effectivement l'expulsion des Palestiniens et la construction de colonies juives. Pour elle, il a probablement été échafaudé plus tôt que l'affirme le New York Times. Elle ajoute : « Ce qui est certain, c'est que ce plan est dans les tuyaux entre les sionistes et les États-Unis depuis peut-être des décennies et qu'il n'est mis en œuvre que maintenant, avec l'exploitation par Israël des événements du 7 octobre pour sécuriser la Nakba II à Gaza, tout en accroissant la présence sioniste dans ce qui reste de la Palestine dans les territoires occupés.
*Source : The Cradle
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L’ombre de la Nakba plane sur Ghaza : Les Ghazaouis plusieurs fois déplacés
Les habitants de l'enclave palestinienne, bombardée huit mois durant, vivent au rythme des déplacements forcés, dictés par les opérations militaires des forces sionistes. Depuis huit mois, plus de deux millions de Ghazaouis ont été déplacés à plusieurs reprises à cause de la guerre barbare et sanglante que mène Israël contre eux. Poussés vers le Sud jusqu'à Rafah, beaucoup d'entre eux ont fui ces dernières semaines vers une « zone humanitaire élargie » plus au Nord, avant de voir certaines de ces zones dites « sécuritaires » bombardées à leur tour.
Tiré d'El Watan.
La journaliste Doaa Chahine, correspondante pour le site panarabe Raseef22, raconte avoir été déplacée neuf fois, allant du camp de Jabaliya, dans le nord de Ghaza, jusqu'à Rafah, avant de remonter vers le camp de Nuseirat, au centre de l'enclave. En mai, elle a survécu à des frappes israéliennes qui ont détruit l'endroit où elle s'était réfugiée.
De même, Marah Mahdi, une autre journaliste, raconte à +972 Magazine avoir été déplacée onze fois avec sa famille. Le 21 octobre, huit jours après que l'armée israélienne a demandé à plus d'un million de Ghazaouis vivant au nord du Wadi Ghaza d'évacuer vers le sud de l'enclave, Marah Mahdi et sa famille ont quitté la ville de Ghaza, fuyant avec seulement leurs vêtements, quelques papiers essentiels et de la nourriture.
Ils ont trouvé refuge dans une école de Nuseirat, rapidement devenue dangereuse à cause des frappes aériennes israéliennes. Ils se sont alors dirigés vers Deir El Balah, espérant y trouver un semblant de sécurité, puis ont continué vers le sud, à Rafah, où ils se sont installés en novembre.
Comme Marah Mahdi, plus de la moitié de la population de Ghaza s'est entassée à Rafah ces derniers mois, vivant dans des camps de tentes surpeuplés dans des conditions humanitaires désastreuses, jusqu'à l'invasion de Rafah il y a près d'un mois, qui a poussé des centaines de milliers de Palestiniens à fuir à nouveau.
Aujourd'hui, plusieurs secteurs de Rafah et de la zone humanitaire d'El Mawasi, adjacente à la grande ville du sud de Ghaza, se sont vidés de leurs habitants, ne laissant que ceux qui n'ont pas les moyens de se déplacer. La plupart des abris de l'UNRWA à Rafah ont été évacués, forçant les personnes déplacées à se diriger vers Khan Younès et Deir Al Balah.
Selon Oxfam, plus des deux tiers de la population de Ghaza se trouvent désormais entassés dans une zone de 69 km², soit moins d'un cinquième de la bande de Ghaza.
Selon l'ONU, plus d'un million de Ghazaouis - soit près de la moitié de la population totale de Ghaza - ont été déplacés au cours du mois dernier. Une grande partie d'entre eux se trouvent désormais à Khan Younès, une ville de ruines dont de nombreux quartiers sont pratiquement méconnaissables, et à Deir El Balah, toutes deux intégrées dans une « zone humanitaire élargie ».
Depuis l'invasion terrestre israélienne de Rafah, moins de 100 000 personnes, sur les quelque 1,3 million de personnes originaires de Rafah ou ayant cherché refuge dans cette région, y restent encore.
Les organisations humanitaires ont averti que les zones de Ghaza où Israël a ordonné l'évacuation des habitants de Rafah manquent d'infrastructures et de besoins essentiels de survie. Et même ces zones, décrites comme « sûres », ont été bombardées ces derniers jours, y compris une récente frappe meurtrière sur une école de l'ONU transformée en refuge dans le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de Ghaza, qui a tué au moins 33 personnes, selon les responsables médicaux de Ghaza.
Les familles, déjà déplacées plusieurs fois, sont de nouveau en mouvement en raison des opérations militaires sionistes et des ordres d'évacuation israéliens. Les conditions de vie dans la région d'El Mawasi sont catastrophiques.
Oxfam rapporte que 500 000 personnes partagent 121 latrines, soit environ 4130 personnes par toilette. Une enquête alimentaire menée en mai par le Nutrition Cluster révèle que 85% des enfants n'ont pas mangé pendant une journée entière au moins une fois dans les trois jours précédant l'enquête, avec une diversité alimentaire en déclin.
Entre le 28 mai et le 1er juin, seulement 232 camions d'aide humanitaire ont pu entrer via le passage de Karem Abu Salem, une réduction significative par rapport à la période précédant l'opération militaire à Rafah. L'UNRWA demeure la plus grande agence des Nations unies opérant via ce point de passage, la majorité de l'aide étant constituée de farine et de produits alimentaires.
Selon l'OMS, des défis persistent pour augmenter le flux d'aide. Durant la période couverte par ce rapport, 60 camions de l'OMS étaient prêts à entrer à Ghaza depuis l'Egypte, soulignant le besoin urgent d'ouvrir les passages pour toutes les fournitures humanitaires, pas seulement médicales.
L'OMS estime que plus de 10 000 personnes nécessitent un transport urgent hors de Ghaza pour traitement, mais ne peuvent le faire depuis la fermeture du passage de Rafah le 6 mai. L'OMS a averti que davantage de Ghazaouis mourront si des évacuations médicales d'urgence ne sont pas autorisées.
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Israël tue plus de 200 Palestiniens pour sauver 4 otages ; les États-Unis auraient participé à l’opération
Au moins 210 Palestiniens ont été tués et 400 autres blessés dans le centre de la bande de Gaza dimanche après que les forces israéliennes ont mené une « opération de récupération » pour libérer quatre captifs. Les informations faisant état de l'implication des États-Unis dans cette opération ont suscité de fortes condamnations.
Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : Frappes israéliennes massives sur le camp de réfugiés de Nuseirat, 8 juin 2024 © Quds News Network.
Au moins 210 Palestiniens ont été tués et des centaines d'autres blessés samedi dans le centre de la bande de Gaza, lors d'une opération militaire qu'Israël qualifie d'« héroïque » pour récupérer quatre Israéliens détenus à Gaza.
Les médias palestiniens ont fait état de bombardements intenses en début d'après-midi, heure locale, dans plusieurs zones de Nuseirat et de Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza. Des images vidéo du marché principal du camp de réfugiés de Nuseirat montrent des foules de civils palestiniens fuyant sous le bruit des tirs d'artillerie lourde.
Le journaliste d'Al Jazeera Anas al-Sharif a rapporté que les forces israéliennes ont « infiltré » le camp de réfugiés de Nuseirat dans des camions déguisés en camions d'aide humanitaire.
Le bureau des médias du gouvernement de Gaza a déclaré dans un communiqué que les forces israéliennes avaient lancé une « attaque brutale sans précédent sur le camp de réfugiés de Nuseirat », visant directement les civils, et que les ambulances et les équipes de la défense civile n'avaient pas pu atteindre la zone et évacuer les blessés en raison de l'intensité des bombardements.
Le bureau des médias a ajouté que, selon son décompte, au moins 210 Palestiniens ont été massacrés et environ 400 autres ont été blessés au cours de l'opération israélienne.
Des vidéos publiées sur les réseaux sociaux ont montré des dizaines de corps d'hommes, de femmes et d'enfants gisant dans les rues de la zone de Nuseirat, ainsi que des civils blessés et ensanglantés transportés d'urgence à l'hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa à Deir al-Balah.
Al Jazeera a cité le Dr Tanya Haj-Hassan, de Médecins sans frontières, qui a déclaré que le service des urgences de l'hôpital Al-Aqsa « est un véritable bain de sang… On dirait un abattoir ».
« Les images et les vidéos que j'ai reçues montrent des patients gisant partout dans des mares de sang… leurs membres ont été arrachés », a-t-elle déclaré à Al Jazeera, ajoutant : « C'est à cela que ressemble un massacre ».
Alors que le bilan des victimes dans le centre de la bande de Gaza ne cesse de s'alourdir, des informations israéliennes font état de quatre captifs israéliens qui auraient été récupérés lors de l'opération et transférés en Israël.
Les quatre captifs ont été identifiés comme étant Noa Argamani, 26 ans, Almog Meir Jan, 21 ans, Andrey Kozlov, 27 ans, et Shlomi Ziv, 40 ans. Ils auraient été capturés le 7 octobre au festival de musique Nova, dans le sud d'Israël, près de la frontière avec Gaza.
Selon les médias israéliens, les quatre captifs ont été trouvés en bonne santé et ont été transférés dans un hôpital en Israël où ils ont retrouvé leurs familles. Un membre des forces spéciales israéliennes a été tué au cours de l'attaque.
Le journal israélien Haaretz a cité le porte-parole de l'armée israélienne, Daniel Hagari, qui a déclaré que les captifs avaient été « secourus sous les tirs et que, pendant l'opération, les FDI avaient attaqué depuis l'air, la mer et la terre dans les zones de Nuseirat et de Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza ».
Les familles des prisonniers israéliens ont tenu une conférence de presse samedi après-midi en réaction à cette nouvelle. Les parents des quatre captifs récupérés samedi ont fait l'éloge de l'armée israélienne et du gouvernement. Certains parents des captifs encore détenus à Gaza ont demandé la fin de la guerre et un échange de prisonniers afin d'obtenir la libération de ceux qui sont encore détenus à Gaza.
Samedi soir, heure locale, le porte-parole des Brigades Qassam, Abu Obeida, a déclaré que « les premiers à être blessés par [l'armée israélienne] sont ses prisonniers », précisant que si certains captifs ont été récupérés au cours de l'opération, un certain nombre d'autres captifs israéliens auraient été tués. Le gouvernement et l'armée israéliens n'ont pas commenté les informations selon lesquelles des captifs israéliens auraient été tués au cours de l'opération.
Il y aurait 120 prisonniers toujours détenus dans la bande de Gaza, dont 43 auraient été tués depuis octobre par les forces israéliennes elles-mêmes.
Sur sa chaîne officielle Telegram, le Hamas a déclaré que la libération des quatre captifs « ne changera pas l'échec stratégique de l'armée israélienne dans la bande de Gaza » et que « la résistance détient toujours un plus grand nombre de captifs et peut l'augmenter ».
Implication des États-Unis dans le massacre de Nuseirat
Alors que les informations sur l'ampleur du massacre dans le centre de Gaza et sur les célébrations en Israël à l'occasion de la récupération des quatre captifs affluent, des rapports font état d'une implication présumée des États-Unis dans l'opération.
Axios, citant un fonctionnaire de l'administration américaine, a rapporté que « la cellule américaine des otages en Israël a soutenu l'effort de sauvetage des quatre otages ».
Le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Jake Sullivan, a déclaré à propos de l'opération : « Les États-Unis soutiennent tous les efforts visant à obtenir la libération des otages encore détenus par le Hamas, y compris des citoyens américains. Cela passe par des négociations en cours ou par d'autres moyens ».
Certains rapports affirment que des forces américaines ont participé à l'opération sur le terrain et que les camions d'aide humanitaire qui auraient été utilisés pour dissimuler l'entrée des forces spéciales à Nuseirat sont partis de l'embarcadère prétendument humanitaire construit par les États-Unis au large de la côte de Gaza.
Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont montré les hélicoptères utilisés dans l'opération d'évacuation des prisonniers israéliens décollant des environs de la jetée américaine construite au large de la côte de Gaza pour acheminer « l'aide humanitaire indispensable » à Gaza.
Cette jetée de 230 millions de dollars, achevée le mois dernier, a suscité de vives critiques de la part de groupes de défense des droits et de militants qui estiment qu'elle ne permettra pas d'acheminer l'aide de manière efficace.
L'implication présumée des États-Unis dans les attaques menées samedi au centre de Gaza et l'utilisation de la jetée dans le cadre de l'opération ont suscité de vives critiques et une vive indignation sur Internet.
En réponse à ces informations, le mouvement Hamas a déclaré qu'elles prouvaient « une fois de plus » que Washington était « complice et complètement impliqué dans les crimes de guerre perpétrés » à Gaza.
Traduction : Chronique de Palestine
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Guerre à Gaza : crépuscule des illusions autour du droit international
La guerre à Gaza n'est pas le crépuscule du droit international, mais plutôt de deux grandes illusions - non nécessairement connexes - qu'alimente le discours dominant dans l'opinion publique sur le droit international : l'idéalisme porté par le courant objectiviste du fondement du droit international ; ainsi que l'illusion de la « supériorité morale de l'Occident ».
Tiré du blogue de l'auteur.
Depuis le début de l'offensive israélienne sur la bande de Gaza en Octobre 2023, une large partie de l'opinion mondiale observe, horrifiée et impuissante, les violations massives du droit international humanitaire (jus in bello) commises par l'armée israélienne contre les civils palestiniens, et qui pourraient constituer des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, voire (plus difficilement) un crime de génocide. Dépassant très largement les principes de proportionnalité et de nécessité, la riposte israélienne à « l'opération Déluge d'al- Aqsa » par le Hamas (où de graves violations du droit international humanitaire ont été également commises) dénature profondément le droit de légitime défense (pilier du jus ad bellum).
Encore faut-il qu'une Puissance occupante puisse se prévaloir du droit de légitime défense contre un territoire qu'elle occupe (voir Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, CIJ, Avis consultatif du 9 Juillet 2004) : Israël ayant conservé un contrôle total, aérien, maritime et terrestre (frontalier) de Gaza après son retrait unilatéral en 2004, la majorité de la doctrine en droit international considère dès lors que la bande de Gaza est toujours sous occupation israélienne, d'autant plus qu'il existe, au regard du droit international, une unité territoriale « de jure » entre Gaza et la Cisjordanie et que l'occupation de la dernière ne fait l'objet d'aucun doute.
Devant l'extrême gravité de la situation, est- ce pour autant qu'il faut considérer que « le droit international est mort à Gaza », comme on l'entend souvent depuis bientôt 8 mois ? A y voir de plus près, Gaza n'est pas le crépuscule du droit international, mais plutôt de deux grandes illusions - pas nécessairement connexes - qu'alimente le discours dominant dans l'opinion publique sur le droit international : l'idéalisme porté par le courant objectiviste du fondement du droit international ; ainsi que l'illusion de la « supériorité morale de l'Occident ».
Courant volontariste et courant objectiviste
Rappelons très brièvement qu'il existe deux grands courants doctrinaux pour définir le fondement du caractère obligatoire du droit international : le courant volontariste et le courant objectiviste. Le premier considère que c'est la volonté des Etats qui constitue le fondement du droit international[1]. En effet, à l'encontre du droit interne, le droit international n'est pas constitué de « lois » à proprement dites qui sont adoptées par un « Parlement » international et s'imposant ispo facto aux sujets du droit. Ce sont principalement les Etats qui créent le droit international : l'acceptation volontaire de l'Etat - sujet primaire du droit international - d'une règle juridique (conventionnelle ou coutumière) est une condition sine qua non de l'applicabilité (opposabilité) de cette règle juridique à ce sujet du droit.
Malgré les limites de cette thèse (notamment pour expliquer le fondement du jus cogens – droit international impératif - auquel un Etat ne peut pas déroger), le courant volontariste est dominant dans la doctrine. Dans la jurisprudence, l'arrêt de la Cour permanente de justice internationale dans l'affaire du Lotus considère également que « le droit international régit les rapports entre des Etats indépendants. Les règles de droit liant les Etats procèdent donc de la volonté de ceux-ci (...) » (CPJI, 7 septembre 1927).
En revanche, pour le courant dit objectiviste qui exerce, surtout par son idéalisme, un attrait intellectuel indéniable, le droit international trouve son fondement dans des éléments extérieurs et supérieurs aux Etats. Pour les jusnaturalistes, cet élément est le droit naturel, que le néerlandais Hugo Grotius (1583-1645) assimile à une morale laïque[2]. Pour les tenants de l'objectivisme normativiste, il s'agit plutôt de la loi de normativité : selon l'autrichien Hans Kelsen (1881-1973) et l'école de Vienne, les normes juridiques sont hiérarchisées dans une « pyramide juridique » où chaque norme tire sa force obligatoire d'une norme supérieure. Quant aux tenants de l'objectivisme sociologique, le droit est fondé sur les nécessités sociales : « un impératif social traduisant une nécessité née de la solidarité naturelle », selon le français Georges Scelle (1878-1961) [3].
Justice internationale et volonté des Etats : échec du courant objectiviste
A la lumière de la situation à Gaza, il s'est avéré, une nouvelle fois, qu'aucun des trois éléments retenus par les conceptions objectivistes ne semble constituer le fondement du droit international, mais c'est plutôt la volonté des Etats : ceci se vérifie particulièrement en matière de justice internationale.
Concernant la CPI (Cour pénale internationale), sa compétence reste essentiellement soumise à la volonté des Etats, ce qui se traduit par leur adhésion au Statut de Rome. Or, Israël n'est pas partie à ce Statut. Par suite, malgré toutes les tentatives (la Palestine étant désormais partie au Statut de Rome) pour contourner ce fait essentiel, on voit mal comment la CPI pourrait efficacement juger et, surtout, « punir » des responsables israéliens pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité, si elle donne suite aux dernières demandes de mandat d'arrêt par le Procureur auprès d'elle.
D'autant plus que l'efficacité d'une juridiction, en l'occurrence internationale, ne saurait être évaluée en fonction de l'utilité politique (« justice- spectacle politique ») qu'elle pourrait fournir indirectement (appuyer certains narratifs politiques - aussi justes soient- ils - et pointer du doigt certains accusés, comme le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou), mais essentiellement en fonction de sa capacité réelle à dire le droit. D'ailleurs, il n'est pas à exclure qu'à long terme, l'effet escompté pourrait ainsi être inversé : ignorer la réalité du volontarisme étatique en droit international, c'est prendre le risque conséquent d'un échec judiciaire à punir effectivement les dirigeants israéliens, ce qui serait de nature à consolider l'impunité israélienne (« l'exception » israélienne par rapport au non- respect droit international).
Quant à la CIJ (Cour internationale de justice), beaucoup d'espoirs ont été nourris concernant la procédure engagée par l'Afrique du Sud contre l'État d'Israël (Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza). Mais il suffit d'observer le manque manifeste d'efficacité de ses mesures conservatoires - celles de Janvier dernier, ou, plus récentes, concernant Rafah - pour arrêter les violations du droit international humanitaire par Israël ; le Conseil de sécurité de l'ONU, censé accompagner la CIJ en fournissant les moyens par lesquels se concrétise l'effectivité du droit international, ne jouant pas son rôle de maintien de la paix et de la sécurité internationales, notamment pour imposer le respect des mesures conservatoires de la Cour. Les précédents agissements d'Israël ainsi que d'autres Etats, comme la Russie (ayant ignoré une ordonnance similaire de la Cour concernant sa guerre en Ukraine), laissaient présager le manque d'efficacité de telles ordonnances. Par ailleurs, notons que si la CIJ ne retenait pas, in fine, la qualification de génocide, un tel échec juridique pourrait renforcer politiquement Israël, dans un effet boomerang (l'intention spéciale ou dolus specialis, très difficile à établir, rend le crime de génocide si particulier).
« Supériorité morale » : l'Occident nu
D'autre part, le discours de la supériorité morale de l'Occident fut essentiellement bâti, après la seconde guerre mondiale, sur la volonté affichée de cet Occident de respecter le droit international. Or, après la chute de l'URSS, ce fameux « Rules-Based International Order » a été torpillé par ses principaux promoteurs : l'Occident, mené par les Etats- Unis, a multiplié (notamment campagne de l'OTAN contre la Yougoslavie en 1999 ; invasion de l'Irak en 2003) l'emploi illicite de la force armée (sans résolution du Conseil de sécurité de l'ONU : violation du jus ad bellum), parfois sur des bases factuelles fallacieuses.
La porte du chaos dans « l'Ordre international libéral » fut alors largement ouverte : ceci a créé des précédents que les adversaires de l'Occident, comme le président russe Vladimir Poutine, utiliseront, à leur tour, à leur avantage (particulièrement en Géorgie en 2008, en Ukraine à partir de 2014 et en Syrie à partir de 2015). Par ailleurs, dispensant pratiquement Israël de respecter le droit international, l'Occident a toujours traité l'Etat hébreu comme une « exception » au « Rules-Based International Order » : l'occupation prolongée (depuis 1967) de la Cisjordanie et de Gaza, ainsi que du Golan syrien, en est un exemple parmi tant d'autres. L'actuelle guerre contre Gaza, d'une violence inouïe (violations massives du droit international humanitaire), a dévoilé davantage cette réalité aux yeux du monde, notamment à beaucoup de ceux qui étaient encore réticents à l'admettre en Occident.
Par suite, aujourd'hui, ce n'est pas le droit international qui est mort, mais ce serait plutôt la « supériorité morale » dont l'Occident s'est paré, surtout après la seconde guerre mondiale, par l'instrumentalisation du droit international (notamment en transformant ce dernier en simple élément de son discours politique par rapport au reste du monde).
En somme, en faisant tomber les masques discursifs et autres illusions autour du droit international, la guerre à Gaza pourrait ainsi constituer, contre toute attente, un « nouveau départ » pour ce droit : il serait dorénavant plus judicieux de voir le droit international dans sa réalité volontariste et de composer avec cette réalité pour essayer de le faire avancer, plutôt que de s'enfermer dans une bulle idéaliste puis de déplorer - non sans exagération – une prétendue « mort du droit international » à chaque fois que la bulle est percée.
Face à ceux qui s'empressent de l'enterrer et/ou ses négateurs de tous bords, il est nécessaire de souligner que le droit international doit rester la référence régissant les relations internationales : il est le phare qui permettra de sortir du chaos qui va crescendo sur la scène internationale. A condition également, du côté politique, que le système international actuel (d'après la deuxième guerre mondiale), dépassé dans plusieurs de ses aspects, soit réformé en profondeur, en commençant éventuellement par le Conseil de sécurité de l'ONU (représentativité et mode de votation), notamment dans le but de garantir une certaine constance de la part des Etats dans le respect du droit international, ainsi que pour maintenir plus efficacement la paix et la sécurité internationales.
Notes
[1] Qu'il s'agisse de volontarisme unilatéral : théorie de l'autolimitation de Georg Jellinek (1851- 1911) et de Rudolf von Jhering (1818-1892), de volontarisme plurilatéral : théorie de la « Vereinbarung » de l'Allemand Heinrich Triepel (1868-1946), ou surtout de positivisme volontariste de l'Italien Dionisio Anzilotti (1867-1950).
[2] Grotius considère que le droit naturel « consiste dans certains principes de la droite raison qui nous font connaître qu'une action est moralement honnête ou déshonnête selon la convenance ou la disconvenance nécessaire qu'elle a avec une nature raisonnable ou sociable » (De jure belli ac pacis- Du droit de la guerre et de la paix, 1625). La laïcisation de cette morale est un apport considérable de Grotius par rapport à ses prédécesseurs, comme les Espagnols Francisco de Vitoria (1480-1546) et Francisco Suarez (1548-1617). Plus tard, les néo- jusnaturalistes, comme le français Louis Le Fur (1870-1943) et l'autrichien Alfred Verdross (1890-1980), affineront la pensée de Grotius : pour eux, le droit naturel est l'application de la justice dans les relations internationales, non pas le sentiment subjectif de la justice, mais la justice comme valeur éthique objective que l'on constate par l'expérience et grâce à ses « sens spirituels ».
[3] Scelle, qui affine la pensée de Léon Duguit (1859-1928), considère que le respect de la solidarité sociale, comme fondement du droit, est une nécessité biologique : la compromettre nuit indéniablement à la vie de la société et de celui qui la compromet. « D'où viennent les règles de droit ? Du fait social lui- même et de la conjonction de l'éthique et du pouvoir, produits de la solidarité sociale » (Georges Scelle, Manuel de droit international public, Montchrestien, Domat, 1948, p.6).
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États-Unis : après la condamnation de Trump, quelles conséquences pour l’élection ?
Pour la première fois dans l'histoire des États-Unis, un ancien président a été déclaré coupable d'un délit criminel, mais il semble que cela n'aura que peu ou pas d'impact sur les prochaines élections. Les politiciens républicains et les partisans de Trump se sont ralliés à lui.
Hebdo L'Anticapitaliste - 711 (06/06/2024)
Par Dan La Botz
Trump affirme que dans les 48 heures qui ont suivi la décision du jury, il a recueilli la somme extraordinaire de 52,8 millions de dollars, surtout auprès de petits donateurs, dont 30 % de nouveaux, tous motivés par sa fausse affirmation selon laquelle l'ensemble du processus a été orchestré par le président Biden, que le juge était corrompu et le procès truqué.
Un procès modèle
En réalité, le procès a été un modèle de justice américaine. Les procureurs de l'État de New York ont porté les accusations après trois ans d'enquête, le juge Juan M. Merchan a mené un procès équitable, et Trump a été déclaré coupable par le vote unanime de 12 jurés, des citoyens ordinaires de la ville de New York, contrôlés et sélectionnés par les deux équipes d'avocats. On ne peut qu'admirer le courage remarquable des jurés qui ont rendu un verdict de culpabilité malgré les menaces violentes des partisans de Donald Trump. L'ancien président a été reconnu coupable des 34 charges retenues contre lui pour avoir falsifié des documents commerciaux afin de dissimuler des paiements occultes à l'actrice de films pornos Stormy Daniels, avec laquelle il a eu des relations sexuelles. Le jury a été autorisé à considérer que la suppression de ces informations a interféré avec l'élection fédérale et celle de l'État.
La sentence attendue
Le 11 juillet, le juge prononcera seul la sentence à l'encontre de Trump et il dispose d'une grande latitude. Il peut laisser l'ancien président en liberté, conditionner sa libération, l'assigner à résidence ou l'envoyer en prison pour une durée de quatre à vingt ans. Beaucoup pensent qu'il est peu probable que Trump aille en prison, mais ce n'est pas exclu.
Les juges tiennent généralement compte des antécédents d'une personne. Donald Trump n'a jamais été condamné au pénal, mais le juge tiendra compte d'autres affaires civiles. Trump a déjà été condamné à payer 35 millions de dollars pour avoir menti sur sa fortune, à payer 5 millions de dollars au civil pour avoir violé E. Jean Carroll, puis à 83,3 millions de dollars pour avoir diffamé cette dernière.
Au cours de cette affaire de fraude, le juge a émis un ordre de silence, interdisant à Trump de menacer les témoins, les jurés, le juge, les membres de la famille du juge et du jury, les procureurs et les fonctionnaires du tribunal. Trump a violé cette ordonnance à dix reprises, ce qui lui a valu une amende de 9 000 dollars. Le juge peut également considérer que Trump n'a montré aucun remords dans cette affaire.
Pas d'interdiction de se présenter
Une fois que la sentence sera prononcée, Trump aura le droit de faire appel, mais cela peut prendre plusieurs mois. Étant donné qu'il s'agit d'une condamnation pour un délit commis dans l'État de New York et non d'un délit fédéral, il peut faire appel devant les juridictions supérieures de l'État, mais la loi ne lui permet pas de faire appel devant la Cour suprême des États-Unis, dont certains membres ont été nommés par lui-même.
Mike Johnson, président républicain de droite de la Chambre des représentants, a demandé à la Cour suprême fédérale d'intervenir dans le recours de Trump, ce qui constituerait une violation de la Constitution.
La Constitution américaine n'interdit pas à un criminel ou même à un prisonnier d'être candidat ou d'être élu à la présidence. Le socialiste Eugene V. Debs, emprisonné pour ses activités antiguerre, s'est présenté à l'élection présidentielle de 1920. Ironiquement, Trump pourrait ne pas être en mesure de voter pour lui-même dans son État d'origine, la Floride, car dans cet État un criminel ne peut pas voter avant d'avoir purgé la totalité de sa peine.
Trump soutenu par les républicains
Malgré sa condamnation, Donald Trump conserve une très légère avance sur Biden dans les sondages. Plus de 80 % des républicains affirment qu'ils le soutiendront, tandis que 16 % disent qu'ils réfléchissent à leur vote, mais seulement 4 % l'ont abandonné. Les groupes clés de Trump, tels que les chrétiens évangéliques, le soutiennent toujours. Biden, quant à lui, perd le soutien des électeurs arabes et musulmans et de certainEs jeunes électeurs qui l'appellent « Genocide Joe ». Et si la plupart des électeurEs noirs et latinos le soutiennent encore, son soutien parmi ces groupes diminue quelque peu.
Le mardi 5 novembre, les AméricainEs pourraient se rendre aux urnes et élire un néofasciste qui est un criminel condamné — et peut-être un détenu.
Traduction Henri Wilno
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Des lois américaines contre la CPI et des États : L’arme des sanctions pour se prémunir des poursuites
Washington a par le passé promulgué des textes pour se prémunir des enquêtes visant ses dirigeants politiques et militaires et pour protéger ses alliés.
Tiré d'Algeria Watch.
Alors qu'une loi sanctionnant les « tribunaux illégitimes », dont la Cour pénale internationale (CPI), pour avoir demandé des mandats d'arrêt contre les dirigeants israéliens, a été votée mardi dernier par le Congrès et déposée jeudi au Sénat, les législateurs américains élaborent une législation visant les Maldives, pour avoir interdit aux détenteurs de passeports israéliens d'entrer dans le pays.
C'est ce qu'a appris le média électronique américain, Axios, citant des sources proches du dossier. Les Maldives avaient décidé de fermer leurs frontières aux ressortissants israéliens, en réaction à la guerre menée contre la population de Ghaza.
« Suite à une recommandation du cabinet, le président Dr Mohamed Muizzu a décidé d'imposer une interdiction d'entrée sur le territoire aux détenteurs de passeports israéliens », a indiqué le bureau de la Présidence dans un communiqué, diffusé le 2 juin. Washington se prépare donc à sanctionner l'archipel et, selon le site Axios, c'est le représentant démocrate Josh Gottheimer – fervent défenseur d'Israël – au Congrès, qui prépare, avec ses collègues des deux camps, un projet de loi, dénommé « Loi sur la protection des voyageurs alliés ».
Ce projet de loi conditionne l'aide américaine aux Maldives à l'autorisation des Israéliens à entrer dans le pays. Dans un communiqué, Gottheimer a expliqué que « l'argent du contribuable ne devrait pas être envoyé à un Etat étranger qui a interdit à tous les citoyens israéliens de voyager dans leur pays.
Non seulement Israël est l'un de nos plus grands alliés démocratiques, mais l'interdiction de voyager sans précédent imposée aux Maldives n'est rien d'autre qu'un acte flagrant de haine envers les Juifs. Ils ne devraient pas recevoir un centime de dollars américains tant qu'ils n'auront pas changé de cap ».
Cette même volonté de protéger Israël a été exprimée par l'adoption, mardi dernier, par 247 membres du Congrès, contre 155, d'une loi qui sanctionne les responsables de la CPI, qui avaient demandé des mandats d'arrêt internationaux contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu et son ministre de la Défense, Yohav Gallant, pour des crimes de guerre à Ghaza.
Malgré le fait que le président Biden ait exprimé son opposition officielle contre de telles mesures, 42 représentants du camp démocratique se sont joints aux républicains pour entériner ce texte, de 9 pages, qui énonce dans son premier paragraphe qu'il « peut être cité sous le nom de loi contre les tribunaux illégitimes » et précise qu'il s'agit d'« imposer des sanctions à la CPI, engagée dans tout effort visant à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre toute personne protégée par les Etats-Unis et leurs alliés », avant de rappeler que les Etats-Unis et Israël ne sont pas parties au Statut de Rome ni membres de la CPI et par conséquent, « la CPI n'a aucune légitimité ni juridiction sur les Etats-Unis ou Israël ».
Mieux encore, le texte rappelle la promulgation, en 2002, d'une loi américaine sur la protection du personnel militaire et des responsables américains ainsi que ceux de certains pays alliés, contre des poursuites pénales par un tribunal pénal international dont les USA ne font pas partie, en expliquant : « En plus d'exposer les membres des forces armées des USA au risque de poursuites pénales internationales, le Statut de Rome crée le risque que le Président et d'autres hauts responsables élus et nommés du gouvernement des Etats-Unis puissent être poursuivis par la CPI. »
Selon cette loi, « les actions de la CPI contre Israël sont illégitimes et sans fondement, y compris l'examen et l'enquête préliminaires sur Israël et les demandes de mandats d'arrêt contre des responsables israéliens et créent un précédent préjudiciable qui menace les États-Unis, Israël et tous les partenaires des Etats-Unis qui ne sont pas soumis à la compétence de la CPI. »
« Approche sélective des décisions judiciaires »
Il est souligné que dans le cas où la CPI « tente d'enquêter, d'arrêter, de détenir ou de poursuivre toute personne protégée, le Président (US) imposera des sanctions contre toute personne étrangère qui s'est directement engagée dans ou a autrement aidé tout effort de la CPI (…) ».
Ces sanctions s'appliquent aussi « aux membres de la famille immédiate de chaque personne étrangère soumise à des sanctions ». Elles se résument au « blocage des biens, à l'interdiction de toutes les transactions sur tous les biens et intérêts dans la propriété de toute personne étrangère si ces biens et intérêts dans des biens se trouvent aux USA, viennent aux Etats-Unis ou sont ou entrent en possession ou sous le contrôle d'une personne américaine ». Il s'agit aussi de « l'interdiction de visas d'entrée aux USA et de l'inéligibilité à l'admission, à la libération conditionnelle aux Etats-Unis, à recevoir tout autre avantage en vertu de la loi sur l'immigration et la nationalité (…) ».
Les sanctions économiques prévues concernent « toute personne qui enfreint, tente de violer, conspire pour enfreindre ou provoque une violation ». Le texte prévoit, toutefois, une disposition relative à la « renonciation » qui permet au « Président de renoncer à l'application des sanctions imposées contre une personne étrangère » s'il y a une nécessité « vitale pour les intérêts de sécurité nationale des êtats-Unis ».
Le Président américain peut, aussi « mettre fin aux sanctions » à l'égard des personnes étrangères « s'il certifie par écrit aux commissions compétentes du Congrès que la CPI a cessé de s'engager dans tout effort visant à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre toutes les personnes protégées, a définitivement clôturé, retiré, mis fin ou autrement mis fin à tout examen préliminaire, enquête ou tout autre effort de la CPI visant à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre toutes les personnes protégées ».
Le texte a par ailleurs décrété l'annulation des fonds destinés à la CPI, précisé que le terme « alliés » des USA, concerne « un gouvernement d'un pays membre de l'Otan ou le gouvernement d'un allié majeur » non membre de cette organisation, et expliqué que la désignation d'un membre de la famille immédiate de la personne étrangère sanctionnée concerne « le conjoint, le parent, le frère ou la sœur ou l'enfant adulte de la personne ».
La même loi a souligné en outre que le terme « personne protégée » signifie « toute personne américaine (…) y compris les membres actuels ou anciens des forces armées des USA, des fonctionnaires élus ou nommés, actuels ou anciens, du gouvernement des USA, toute autre personne actuellement ou anciennement employée par ou travaillant pour le compte du gouvernement des Etats-Unis, toute personne étrangère qui est citoyen ou résident légal d'un allié des Etats-Unis qui n'a pas consenti à la CPI ou n'est pas un Etat partie de la juridiction, y compris les membres actuels ou anciens des forces armées de cet allié des Etats-Unis (…) ».
Le vote de cette loi très controversée a été précédée par une lettre d'une centaine d'ONG des droits de l'homme de l'Amérique latine, de l'Europe, de l'Asie et d'Afrique, adressée au président Biden, dans laquelle elles se sont déclarées « alarmées par les menaces brandies par des législateurs américains contre la CPI », à travers une déclaration de plusieurs sénateurs, le 24 avril dernier, appelant à des sanctions contre « les fonctionnaires et associés » du Procureur de la CPI. Pour les sénateurs signataires de la déclaration, « la capacité de la CPI à rendre justice aux victimes exige le plein respect de son indépendance ».
Fatou Bensouda sanctionnée
Une approche sélective des décisions judiciaires mine la crédibilité et, en fin de compte, « la force de la loi en tant que bouclier contre les violations et abus des droits humains… ». Une lettre restée sans suite. Il faut dire que les menaces américaines contre la CPI ne constituent pas des cas isolés.
La Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l'ONU, a été elle aussi, la cible de tirs croisés des membres du Congrès pro-israéliens démocrates et républicains, après les injonctions qu'elle a imposées à Israël, pour mettre fin à ses opérations à Rafah.
Pour le président du Congrès, Mike Johnson, « les décisions de la CIJ et de la CPI semblent coordonnées » et « ne devraient pas être tolérées », et estimé que son pays « devrait s'opposer fermement à ce pari dangereux ». Au mois de mars dernier, deux membres du camp républicains de cette chambre avaient présenté un projet de résolution condamnant l'ordonnance de la CIJ, qui a fait obligation à Israël, de prendre des mesures urgentes afin d'empêcher le génocide à Ghaza. La CIJ a été violemment prise à parti, une seconde fois.
Cette fois-ci, c'est à travers son président, Nawaf Salam, qui a été menacé de sanctions par des membres du Congrès, après la décision d'ordonner à Israël l'accès de l'aide humanitaire à Ghaza. Si aucun projet de loi sanctionnant la CIJ ne fait pas encore consensus, il n'en demeure pas moins que l'administration US, fortement noyautée par le puissant lobby pro-israélien (Aipac), ne recule pas devant ce qu'elle considère comme étant une menace de ses intérêts et de ceux de l'Etat hébreu.
La CPI en a déjà fait les frais, en 2020, lorsque son ex-procureur en chef, Fatou Bensouda, et un autre magistrat, ont fait l'objet de sanctions économiques, pour avoir ouvert l'enquête sur les crimes de guerre commis par les troupes américaines en Afghanistan.
Washington leur a appliqué la loi ASPA (Americain Service-Members Porotection Act), (votée par la majorité des membres de la Chambre, à 397 voix contre 32 et par le Sénat, par 92 voix contre 7), promulguée par le président Georges W. Bush, en début du mois d'août 2002, qui protège les membres du gouvernement américain, de l'armée et d'autres officiels et responsables de toute poursuite par la CPI. Mieux encore.
Elle assure non seulement l'immunité contre toute extradition d'Américains, mais habilite aussi le président américain à « utiliser tous les moyens nécessaires, y compris les invasions militaires, pour libérer un citoyen américain inculpé par la CPI ».
De même qu'elle conditionne la participation aux opérations onusiennes de maintien de la paix à « des garanties de non-poursuite » contre les américains et interdit toute aide militaire US aux pays qui reconnaissent la CPI. Une mesure qui ne s'applique pas, cependant, aux pays membres de l'Otan ni à ses principaux alliés, à Taïwan, ni aux Etats qui se sont engagés auprès des Etats-Unis à ne pas transférer à la CPI des citoyens américains.
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New York : une conférence de gauche qui intériorise le déclin de l’empire
Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis font face, avec la Chine entourée des pays des BRICS+, à une solide concurrence de leur position hégémonique. Dans la période d'après 1945, pour Richard D. Wolff, la domination des États-Unis sur la planète était telle que la classe politique de la plus grande puissance mondiale s'était habituée à décider de ce qu'elle ferait avec la Russie.
3 juin 2024 | tiré du journal Alter Québec
https://alter.quebec/new-york-une-conference-de-gauche-qui-interiorise-le-declin-de-lempire/
Or cette période est terminée pour Monsieur Wolff, qui affirme que le soutien des États-Unis à l'Ukraine est vain puisque la guerre est déjà perdue. La puissance de la Russie est dix fois celle de l'Ukraine. Aussi, comme le soutient M. Wolff, ni les sanctions économiques ni l'annonce de Biden de permettre de manière irresponsable d'utiliser l'armement américain pour bombarder la Russie ne fonctionnent.
Richard D. Wolff est un économiste marxiste américain « le plus en vue d'Amérique » selon le New York Times ! Il a poursuivi une carrière académique, et depuis quelques années, il a mis sur pied un mouvement d'éducation Democrcy at Work, en vue de démocratiser les entreprises. Plusieurs des sessions de formation sont disponibles sur Democracy Now.
Il était un des invité.es les plus en vue à la conférence No War, but Class War, qui a eu lieu à l'Université Long Island de Brooklyn. Nous étions une quinzaine du Québec à participer à cette conférence organisée par l'Institut pour l'imagination radicale (IRI), appuyé par le réseau Historical Materialism (HM) et rejoint par le Left Forum.
La relance des rendez-vous du printemps en personne de la gauche américaine s'est amorcée avec cette conférence qui a réuni quelques centaines de personnes des milieux surtout académiques. Une présence étudiante active dans les campements universitaires contre Israël fut remarquée, mais constituait l'essentiel des mouvements militants au-delà du monde académique. Le comité organisateur annonce un retour l'an prochain, dans l'espoir de réunir plus largement le monde académique et les mouvements sociaux, alors que par le passé, le Left Forum réunissait 2000 personnes dans une activité semblable.
Nous étions une quinzaine de personnes associées avec le Journal des Alternatives qui a bénéficié d'in soutien de Lojiq pour cinq citoyen.nes canadien.nes du Québec. Les quatre Québécois additionnels et la mobilisation de la demi-douzaine de jeunes français.es étudiant au Québec ont été rendus possibles par des appuis additionnels de l'ONG Alternatives, du Carrefour d'éducation à la solidarité internationale de Québec — CÉSIQ et du Réseau international pour l'innovation sociale et écologique, ainsi que de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN).
Nous amorçons avec le présent article la couverture de quelques ateliers sur la centaine qui se sont tenus au cours des trois jours d'activités.
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Biden limite l’asile et ferme la frontière aux migrant.es avant le débat avec Trump
Quelques semaines avant son premier débat avec son rival républicain Donald Trump, le président Biden a publié ses politiques d'immigration les plus restrictives à ce jour. Mardi, Biden a signé un décret qui est entré en vigueur à minuit et continuera à codifier le programme anti-immigration de l'extrême droite en fermant temporairement la frontière entre les États-Unis et le Mexique et en restreignant sévèrement les protections des migrant.es demandeurs d'asile. Le décret refusera l'asile à la plupart des migrant.es qui traversent en dehors des points d'entrée américains. Les nouvelles mesures limitent les demandes d'asile à la frontière sud à 2 500 par jour. La frontière serait fermée si la moyenne des demandes d'asile quotidiennes sur sept jours dépassait ce chiffre, et ne rouvrirait qu'après que le nombre soit tombé à 1 500 pendant sept jours consécutifs et qu'il le reste pendant au moins deux semaines.
5 juin 2024 | tiré de democracy now !
https://www.democracynow.org/2024/6/5/biden_closes_border
Le président Biden s'est exprimé depuis la Maison Blanche mardi, rejoint par les maires des villes frontalières.
PRÉSIDENT JOE BIDEN : Cette interdiction restera en vigueur jusqu'à ce que le nombre de personnes tentant d'entrer illégalement soit réduit à un niveau que notre système peut gérer efficacement.
AMY GOODMAN : L'American Civil Liberties Union a menacé de poursuivre Biden pour le décret. L'avocat de l'ACLU, Lee Gelernt, a déclaré, je cite : « C'était illégal quand Trump l'a fait, et ce n'est pas moins illégal maintenant.
Plusieurs législateurs démocrates ont également critiqué les nouvelles politiques. C'est le cas pour un membre du Congrès Pramila Jayapal, présidente du Congressional Progressive Caucus.
REPRÉSENTANT. PRAMILA JAYAPAL : Nous refaisons la même erreur que les démocrates commettent continuellement lorsque nous essayons de surpasser les républicains. Cela ne fonctionne pas. Cela ne fonctionne pas. Cela ne résout pas la situation à la frontière. Cela réduit considérablement la capacité des gens à demander l'asile à la frontière, ce que nos lois nationales et nos obligations en vertu des traités internationaux exigent.
AMY GOODMAN : Elle parlait sur un podium qui disait « #AsylumIsARight ». Les membres du Congrès ont été rejoints par des défenseurs des droits de l'immigration lors d'une conférence de presse à Washington mardi. Je suis Guerline Jozef, directrice exécutive de Haitian Bridge Alliance.
GUERLINE JOZEF : Cela causera la mort de gens chaque jour. Nous disons : « Pas en notre nom. » Et nous continuons à défendre les familles de ces enfants, petits garçons et petites filles, nous les voyons mendier, pleurer, demander, plaider pour la sécurité et la protection.
AMY GOODMAN : Pendant ce temps, les demandeurs d'asile forcés d'attendre à Ciudad Juárez, au Mexique, de l'autre côté de la frontière d'El Paso, au Texas, ont critiqué le décret. C'est un migrant vénézuélien.
RAMON EDUARDO : C'est injuste. C'est injuste, car comment allons-nous savoir s'ils dépassent la limite ? Ils peuvent toujours dire qu'ils ont déjà dépassé 2 500, puis tout le monde revient. C'est comme un piège.
AMY GOODMAN : Le président Biden aurait également réduit le temps dont disposent les demandeurs d'asile pour obtenir une assistance juridique avant leur « entretien sur la crainte crédible », de 24 heures à seulement quatre heures.
Pour en savoir plus, nous allons à la frontière. Nous nous rendons à Tucson, en Arizona, où nous sommes rejoints par John Washington, journaliste pour le média indépendant Arizona Luminaria et auteur du nouveau livre The Case for Open Borders, ainsi que de The Dispossessed : A Story of Asylum at the U.S.-Mexican Border and Beyond.
Nous vous souhaitons la bienvenue à Democracy Now !, John. Si vous pouvez commencer par expliquer exactement ce que dit ce décret, qui est entré en vigueur à minuit, et l'importance de cela juste avant que le président Biden n'ait son premier débat avec Donald Trump ?
JOHN WASHINGTON : Oui. Merci beaucoup de m'avoir invité, Amy.
Eh bien, il y reste beaucoup à voir pour comprendre comment ce projet de loi – ou plutôt comment cette règle – sera mis en œuvre exactement. Nous savons que cela dépendra en grande partie du Mexique. Nous avons vu hier, après que le président du Mexique ait rencontré le président Biden, les premiers signes qu'il semble prêt à coopérer. Mais la façon dont cela affectera réellement les gens reste encore à voir.
Mais ce que nous savons, c'est que nous voyons à nouveau que le président Biden a été prêt à tourner le dos à de nombreuses promesses de campagne, à beaucoup de politiques initiales qu'il a essayé de mettre en avant, et qu'il ne respecte pas le droit d'asile ou ne s'engage pas dans l'effort de son rétablissement comme il l'a promis. Et nous savons que les effets vont être atroces et probablement mortels sur les personnes qui tentent de demander l'asile et qui sont parmi les personnes les plus vulnérables au monde en ce moment.
Il y a donc un certain nombre de dispositions dans cet ordre. Vous en avez déjà mentionné quelques-unes. Cela inclut la limitation du nombre d'heures pendant lesquelles les gens ont accès à des avocats. Il augmente également considérablement le seuil d'obtention de l'asile. Donc, à l'heure actuelle, c'est déjà hors de portée pour la plupart des gens en raison d'un ordre qui a été mis en place, il y a environ un an aujourd'hui, pour remplacer le titre 42. Et cela place encore la barre plus haute pour les gens. Cela va faire en sorte que les gens seront renvoyés dans leur pays d'origine.
Cela va violer le droit international et national, comme le clip précédent l'a mentionné. Il est vraiment important de souligner qu'un « demandeur d'asile illégal » est une contradiction dans les termes. Les gens ont le droit, selon la loi américaine, de demander l'asile, indépendamment de la façon dont ils traversent la frontière, de l'endroit où ils se trouvent ou de leur statut. Et cette règle va vraiment à l'encontre de cela.
Concrètement, ce que nous voyons aussi dans ce projet c'est qu'au lieu d'obliger la patrouille frontalière à demander de manière proactive à toutes les personnes avec lesquelles elle entre en contact si elles craignent de retourner dans leur pays d'origine – il y a une série de questions qu'elles sont obligées de poser – ce sera maintenant à la personne elle-même de manifester cette crainte. C'est ce qu'on appelle le « test du cri », où ils doivent eux-mêmes indiquer clairement qu'ils ont peur de retourner dans leur pays d'origine ou d'être potentiellement expulsés vers le Mexique. C'est un problème pour un certain nombre de raisons. Les conditions dans lesquelles ces personnes sont tenues de faire cette demande sont très difficiles. Elles viennent d'être arrêtées. Elles viennent probablement de traverser des semaines, voire des mois, d'un voyage très ardu pour en arriver là. Et elles ont affaire à des gens que nous connaissons – j'ai déjà fait des reportages sur le filtrage de la patrouille frontalière, dont nous savons qu'il y a beaucoup de rapports qui disent qu'ils ne les écoutent tout simplement pas. Cela rend les choses un peu plus faciles, élimine certaines formalités administratives pour la patrouille frontalière, et les gens vont maintenant être obligés de faire ces demandes eux-mêmes.
En outre, les exemptions et exceptions sont restreintes pour les personnes qui peuvent accéder à l'asile. À l'heure actuelle, la façon dont le gouvernement essaie de pousser les gens à le faire est d'accéder à un rendez-vous via une application en ligne ou par téléphone. Cette option est limitée à seulement 1 450 personnes par jour. Et il y a quelques exceptions à cela, mais cette nouvelle règle tire en fait des leçons de ces exceptions, de sorte que moins de gens pourront y accéder. Et ce que cela va faire, c'est contraindre les gens à faire des voyages plus meurtriers dans le désert pour essayer d'éviter d'être détectés, plutôt que de se rendre, comme c'est le cas la plupart du temps maintenant.
Et aussi, cette règle ne s'applique pas aux mineurs non accompagnés, ce qui pourrait conduire à quelque chose comme des séparations familiales forcées, où les parents – et je l'ai vu de mes propres yeux – qui sont embouteillés dans le nord du Mexique et en attendant d'essayer d'entrer, entre guillemets, « de la bonne façon », se rendent compte qu'il n'y a en fait pas d'option ou qu'ils devront attendre des mois ou plus. Ils enverront donc leurs enfants seuls, puis ils essaieront eux-mêmes de faire une réclamation plus tard.
JUAN GONZÁLEZ : John, je voulais vous poser une question spécifique sur le nombre limite que le président Biden a fixé dans ce décret. Lorsque le président soutenait un projet de loi au Congrès, le nombre qu'il utilisait pour déclencher une fermeture de la frontière était de 5 000 passages par jour, et il l'a abaissé à 2 500, même si le nombre de personnes traversant a chuté de façon spectaculaire ces derniers mois. Il a essentiellement garanti que le premier jour, il fermerait la frontière, quelques semaines seulement avant son débat avec le président Trump. Je me demande ce que vous pensez de l'utilisation des chiffres ici pour déterminer une politique.
JOHN WASHINGTON : Oui, c'est vrai. Ainsi, la moyenne actuelle des rencontres de la patrouille frontalière est d'environ 4 000. Donc, oui, vous avez raison de dire que ce projet de loi – ou, pardon, cet ordre a été déclenché immédiatement. Et vous soulignez également que c'est en quelque sorte tiré d'un projet de loi bipartite du Sénat qui a été présenté à la fin de l'année dernière, puis à nouveau au début de cette année, et ce nombre était de 5 000. Ainsi, Biden a montré qu'il était prêt à être encore plus dur avec les demandeurs d'asile et plus dur à la frontière que ce projet de loi bipartisan, qui a reçu le soutien, pendant une courte période, des républicains.
Et nous n'avons pas vu les chiffres descendre en dessous de 1 500 depuis environ quatre ans. Ainsi, bien que ce projet de loi soit déclenché automatiquement il y a environ six heures, nous ne savons pas quand il sera éventuellement suspendu, lorsque ces chiffres tomberont en dessous de 1 500. Et l'une des raisons pour lesquelles nous ne le savons pas – ou nous savons que cela va prendre un certain temps avant que cela ne se produise, c'est parce que ce genre de mesures ne fonctionne pas vraiment. J'ai déjà mentionné qu'une règle avait été mise en place pour remplacer le titre 42. Et ce que nous avons vu avec ce qui était à ce moment-là, il y a un an, la politique d'asile la plus restrictive mise en place depuis un certain temps, c'est que les chiffres ont augmenté de façon spectaculaire. Il en va de même pour le titre 42, qui était en place depuis trois ans avant cela. Dès qu'il a été mis en œuvre – ou plutôt peu de temps après, nous avons vu les chiffres commencer à augmenter. Donc, je ne sais pas quand l'asile sera éventuellement rétabli à notre frontière, mais cela ne semble pas bon.
JUAN GONZÁLEZ : Et en même temps que le décret du président entre en vigueur, les reportages en provenance de l'Arizona montrent que la législature de l'Arizona adopte maintenant une nouvelle résolution appelant à un référendum sur une loi sur la sécurité des frontières. Je me demande si vous pouvez parler de ce qui se passe en Arizona et de la façon dont, en substance, l'immigration devient peut-être le problème le plus important et le plus volatil du pays en ce moment à l'approche de l'élection présidentielle.
JOHN WASHINGTON : Droite. Pas plus tard qu'hier, il y a eu une rafale de nouvelles sur l'immigration et la frontière, mais pas plus tard qu'hier, la législature de l'État de l'Arizona a décidé d'envoyer aux urnes en novembre un référendum qui ferait de la traversée de la frontière sans autorisation un crime d'État. Il permettrait également aux juges locaux d'expulser potentiellement des personnes.
Nous avons déjà essayé cela. La célèbre loi de l'Arizona S.B. 1070 a été adoptée il y a 14 ans et a été rejetée par les tribunaux. Et l'une des dispositions qui ont été rejetées, en fait, était exactement celle qui sera à nouveau sur le bulletin de vote, ce qui en fait un crime d'État, permettant aux forces de l'ordre locales de procéder à des arrestations pour violation de l'immigration. C'est, historiquement et actuellement, l'obligation du gouvernement fédéral. Ce ne sont pas des crimes d'État. Et nous voyons cela se produire au Texas également. Le Texas a essayé d'adopter cette disposition, une disposition très, très similaire.
Je pense que cela fait ressortir un élément clé ici, c'est qu'il semble que le gouvernement fédéral, dans certains de ces cas, joue en quelque sorte l'opposition et est, vous savez, contre le Texas ou potentiellement ce nouveau projet de loi de l'Arizona, mais en fait, ils se disputent l'autorité d'appliquer eux-mêmes l'immigration. Ils ne sont pas opposés sur cette question, comme nous l'avons vu hier avec ce nouveau décret, qui est la répression la plus sévère du droit d'asile que nous ayons vue depuis des années.
AMY GOODMAN : Et dans les dernières secondes que nous avons, John, qu'est-ce que cela signifiera en ce qui concerne les morts à la frontière ?
JOHN WASHINGTON : Eh bien, comme je l'ai dit, vous savez, limiter les voies légales, sûres et quelque peu ordonnées pour que les gens puissent présenter des demandes d'asile les pousse immédiatement plus profondément dans le désert. Cela les oblige à traverser la rivière à gué ou à essayer de traverser la rivière au Texas. Et nous savons ce qui se passe là-bas. Nous avons une tendance, qui remonte à des décennies maintenant, où les gens sont poussés par ces mesures draconiennes à se rendre dans les déserts et la nature sauvage, et ils y meurent. Oui.
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En Israël, la gauche anti-guerre s’ouvre un chemin - Un entretien avec Uri Weltmann de Standing Together
Omdim be'Yachad-Naqef Ma'an, ou Standing Together (Debout Ensemble), est un mouvement social israélien judéo-arabe qui lutte contre le racisme et l'occupation, pour l'égalité et la justice sociale. Dans cet entretien, Uri Weltmann, coordinateur national du mouvement, parle de la progression du mouvement pour la paix en Israël, de la manière dont les militants affrontent les extrémistes de l'extrême droite qui tentent d'empêcher l'aide humanitaire d'atteindre la bande de Gaza, et des récentes percées électorales de la gauche.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Federico Fuentes - Comment le mouvement pacifiste en Israël a-t-il évolué depuis le 7 octobre ? Peut-on dire qu'il est en train de faire évoluer l'opinion publique et qu'il sape les efforts de guerre du Premier ministre Benjamin Netanyahou ? et quel rôle joue « Debout ensemble »au sein de ce mouvement ?
Uri Weltmann - Après le 7 octobre, la police israélienne a limité le droit des gens à manifester et à exercer leurs libertés civiles. Il était presque impossible d'obtenir un permis de manifester. Ainsi, en octobre et novembre, la plupart des actions entreprises par le mouvement pour la paix - y compris « Debout ensemble » - n'étaient pas des manifestations, des piquets ou des rassemblements. Au lieu de cela, nous avons accroché dans les rues des pancartes sur lesquelles était écrit « Seule la paix apportera la sécurité » et nous avons organisé des conférences d'urgence judéo-arabes dans deux douzaines de villes à travers Israël, au cours desquelles nous avons exprimé la nécessité de suivre une autre voie que celle du gouvernement.
Ce n'est qu'en décembre que sont apparues des possibilités d'organiser des manifestations de plus grande ampleur. C'est alors que « Debout ensemble » a rassemblé des centaines de personnes lors d'un rassemblement à Haïfa le 16 décembre et un millier d'autres lors d'un rassemblement à Tel-Aviv le 28 décembre. En janvier, nous avons organisé notre première marche contre la guerre, pour laquelle une coordination de plus de 30 mouvements et organisations pacifistes a mobilisé des milliers de personnes.
Les manifestations les plus récentes et les plus importantes à ce jour ont eu lieu début mai, avec des orateurs palestiniens et juifs et des milliers de personnes qui ont défilé à Tel-Aviv sous le slogan « Arrêtez la guerre, ramenez les otages ». L'un des orateurs était Shachar Mor (Zahiru), dont le neveu est aux mains du Hamas à Gaza. Il a vivement critiqué le cynisme de Nétanyahou et de ses alliés et a appelé à la fin de la guerre pour ramener les otages. Avivit John, survivant du massacre du kibboutz Beeri, où de nombreux civils ont été assassinés le 7 octobre, a déclaré à la foule que, bien qu'il ait perdu des amis et des membres de sa famille dans l'attaque du Hamas, il ne voulait pas que nous tous, en tant que société, perdions également notre humanité. Il a appelé à la fin de la guerre, à la reconnaissance de l'humanité qui est commune aux Israéliens et aux Palestiniens, et au retour des otages.
Parallèlement aux manifestations organisées par le mouvement pacifiste, il y a eu un mouvement de protestation plus large appelant au retour des otages, qui, au fil du temps, a adopté une ligne explicitement anti-guerre. Dans les premiers mois qui ont suivi le 7 octobre, des parents et des amis des otages ont organisé des manifestations pour sensibiliser l'opinion à leur détresse, dans le but de faire pression sur le gouvernement. Il y a deux mois, cependant, ce mouvement a pris un virage à gauche en s'associant à des organisations anti-Netanyahou et en annonçant publiquement qu'ils étaient parvenus à la conclusion que Netanyahou et son gouvernement constituaient un obstacle à un accord de cessez-le-feu qui pourrait faciliter la libération des otages. Selon eux, ce qu'il faut, c'est un mouvement de masse pour forcer le gouvernement à partir et la tenue d'élections anticipées.
Il y a quelques semaines, alors que les négociations entre Israël et le Hamas semblaient sur le point d'aboutir à un accord, ce mouvement de protestation s'est ouvertement prononcé en faveur de la fin de la guerre en échange du retour des otages. Ils ont organisé l'une de leurs grandes manifestations du samedi à Tel-Aviv - à laquelle ont participé des dizaines de milliers de personnes - avec pour mot d'ordre « Otages, pas Rafah », et ont fait reprendre le chant « Kulam Tmurat Kulam » (en hébreu : « Libérez-les tous, en échange de tous »), un appel à la libération des milliers de prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes en échange de la libération des otages israéliens retenus par le Hamas.
Ce vaste mouvement de protestation a modifié le climat politique en Israël : les partis de droite et d'extrême droite qui composent la coalition de M. Netanyahu perdent du terrain parmi la population. Alors qu'ils avaient remporté 64 des 120 sièges de la Knesset (parlement israélien) lors des élections de novembre 2022, ils n'obtiendraient aujourd'hui, selon les derniers sondages, qu'entre 45 et 52 sièges. Cela constitue un problème pour M. Netanyahou, car cela signifie non seulement qu'il serait démis de ses fonctions, mais aussi que son procès pour corruption reprendrait et qu'il pourrait se retrouver en prison. Il a donc un intérêt politique et personnel à ce que la guerre contre Gaza se prolonge et s'étende, conformément aux exigences de ses partenaires de la coalition d'extrême droite. Il sait qu'un accord sur les otages a toutes les chances de signifier la fin de la guerre. Et que la fin de la guerre signifiera le renversement de son gouvernement de coalition et la convocation d'élections anticipées, avec pour conséquence une défaite politique et une possible perte de sa liberté personnelle. C'est cette analyse qui a conduit le grand mouvement de protestation en faveur du retour des otages à réaliser que Netanyahou est un obstacle à écarter et pas un simple acteur du dossier qu'il s'agirait de convaincre.
Les membres de « Debout Ensemble » sont intervenus dans ces manifestations de masse - à Tel Aviv, Haïfa, Jérusalem, Beer Sheva, Kfar Sava, Karmiel et ailleurs - en insistant sur le fait que le retour des otages sains et saufs doit s'accompagner de la fin de la guerre et de l'assassinat de civils innocents à Gaza. En outre, notre message est que la sécurité à long terme des deux peuples ne sera pas assurée par la guerre, l'occupation et le siège. Au contraire, nous exigeons la fin de l'occupation et une paix entre Israël et la Palestine qui reconnaisse le droit de tous à vivre dans la liberté, la sécurité et l'indépendance. Il y a des millions de Juifs israéliens dans notre pays et aucun d'entre eux ne partira. Il y a également des millions de Palestiniens dans notre pays et aucun d'entre eux ne partira. Tel doit être le point de départ de notre politique si nous voulons imaginer un avenir de justice, de libération et de sécurité.
« Debout ensemble » a constitué la « Garde humanitaire » pour riposter aux tentatives de l'extrême droite de bloquer les convois d'aide à destination de Gaza. Que pouvez-vous nous dire de cette initiative ?
À la mi-mai, des images et des vidéos de colons violents et extrémistes, connus sous le nom de « Jeunes de la colline », qui attaquaient des camions au point de contrôle de Tarqumia - le principal point de passage reliant le territoire palestinien occupé de Cisjordanie à Israël - transportant de la nourriture et d'autres produits d'aide humanitaire vers la bande de Gaza assiégée, ont cristallisé l'attention. Les chauffeurs de camion palestiniens ont été battus et ont dû être hospitalisés, les sacs de farine et de blé ont été éventrés et les camions incendiés. Ces agressions violentes ont attiré l'attention des médias locaux et internationaux, notamment parce qu'elles se sont déroulées sous les yeux de soldats et de policiers israéliens qui n'ont rien fait pour les empêcher.
En réaction, "Debout ensemblez a annoncé la constitution de la Garde humanitaire, une initiative destinée à rassembler des militants pour la paix de tout Israël afin de constituer une barrière physique entre les colons extrémistes et les camions, de consigner ce qui se passait et d'obliger la police à intervenir. À ce jour, plus de 900 personnes se sont portées volontaires pour y participer. Chaque jour, des dizaines de personnes viennent de Jérusalem et de Tel-Aviv pour se rendre au point de contrôle. Notre présence protectrice au point de contrôle de Tarqumia a permis le passage en toute sécurité de centaines de camions au cours des deux premières semaines, ce qui a permis de livrer des tonnes de nourriture à la population civile de la bande de Gaza où une famine grandissante et une catastrophe humanitaire sont en train de se produire.
Le premier jour où j'y étais, la police a été obligée de repousser les colons et de laisser passer les camions, dont les chauffeurs klaxonnaient en signe de soutien. Les colons semblaient visiblement dérangés par notre présence et par le fait que nous étions plus nombreux qu'eux. Ils ont quitté le poste de contrôle, mais nous avons appris par leur groupe WhatsApp qu'ils se regroupaient sur la route pour attaquer les camions avant qu'ils n'atteignent le poste de contrôle. Lorsque nous sommes arrivés au carrefour où ils se tenaient, nous les avons trouvés en train de piller un camion, de détruire des colis de nourriture et de les jeter sur le bas-côté de la route. Ce n'est qu'à notre arrivée que la police les a éloignés à contrecœur, permettant au camion saccagé de repartir. Nous avons récupéré la nourriture pour la mettre dans les camions suivants. Nous consignons également les attaques des colons et déposons des plaintes, ce qui a entraîné l'arrestation de certains d'entre eux par la police.
Nous considérons la Garde humanitaire à la fois comme un moyen d'exprimer notre solidarité avec la population de la bande de Gaza et comme un élément dans la lutte que nous menons pour la définition du caractère de notre société : nous refusons que la société israélienne soit façonnée en fonction des critères moraux des fanatiques d'extrême droite qui déshumanisent les Palestiniens et promeuvent une politique de mort. « Debout ensemble », en tant que mouvement, est enraciné dans la société israélienne, avec toutes ses complexités, et œuvre pour susciter des changements dans l'opinion publique et organiser les citoyens juifs et palestiniens d'Israël afin de construire une nouvelle majorité au sein de notre société, une majorité qui nous permettra d'avancer vers la paix, l'égalité, et la justice sociale et climatique.
L'Organisation des Nations unies (ONU) a récemment voté en faveur d'une revalorisation du statut de la Palestine au sein de l'organisation, tandis que certains gouvernements européens ont officiellement reconnu l'État palestinien. Les États-Unis ont même refusé de fournir à Israël des bombes pour attaquer Rafah. En Israël, a-t-on le sentiment de perdre une partie du soutien international et quel est l'impact de cette évolution sur le jugement de l'opinion publique à l'égard du gouvernement ?
Le vote de l'ONU pour donner plus de droits aux Palestiniens au sein de cette institution, ainsi que la décision de l'Espagne, de la Norvège et de l'Irlande de reconnaître formellement l'Etat palestinien, sont des étapes diplomatiques importantes pour renforcer la légitimité internationale de la lutte pour la libération et le droit à un Etat palestinien. Je suis convaincu - et il existe un large consensus international sur ce point - que les résolutions des Nations unies constituent la meilleure base pour permettre aux Palestiniens de gagner leur droit à l'autodétermination nationale, par le biais de la création d'un État indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale et la ligne verte (la frontière avant le 4 juin 1967) comme frontière entre les États de Palestine et d'Israël. Un tel accord de paix devrait inclure le démantèlement de toutes les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, qui sont illégales au regard du droit international ; une solution juste et consensuelle pour les réfugiés palestiniens sur la base des résolutions des Nations unies ; la démolition du « mur de séparation » construit au début des années 2000 ; et la libération des prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes, y compris les plus de 3 600 « détenus administratifs » qui restent en prison sans inculpation, procès ou condamnation, dans certains cas depuis de nombreuses années.
En Israël, les grands médias présentent cette évolution de l'opinion publique étrangère et les développements diplomatiques comme étant prétendument dirigés contre tous les Israéliens. La classe politique israélienne tente de faire l'amalgame entre le gouvernement et l'État, d'une part, et les citoyens ordinaires, d'autre part, et présente les critiques internationales dirigées contre la façon dont le gouvernement Nétanyahou agit à Rafah comme des critiques dirigées contre tous les citoyens israéliens, tandis que les accusations de crimes de guerre portées contre Nétanyahou et d'autres hauts responsables sont présentées comme des accusations dirigées contre l'ensemble des Israéliens. Cela a pour effet de pousser les gens à faire bloc autour du gouvernement de Netanyahou, de sorte que même les personnes qui critiquent ses agissements ou qui cherchent une alternative politique se rangent à ses côtés contre le tribunal de La Haye.
Cela montre à quel point il est important de créer un espace au sein de la société israélienne pour la critique des politiques de ses dirigeants. Si toutes les critiques proviennent de l'extérieur, ou si les critiques confondent le peuple et le gouvernement, l'effet sera de combler, plutôt que d'élargir, le fossé entre la majorité du peuple et les dirigeants actuels.
En pleine guerre, des élections locales ont eu lieu et, pour la première fois, « Debout Ensemble » a réussi à être représenté dans les conseils municipaux de Tel Aviv et de Haïfa. Que pouvez-vous nous dire de ces résultats et de leur importance pour la construction d'une nouvelle gauche en Israël ?
Le 27 février, des élections locales ont eu lieu en Israël. Initialement prévues en octobre, elles ont été reportées en raison de la guerre. Ces élections, qui ont lieu tous les cinq ans, déterminent la composition des conseils municipaux. Dans les mois qui ont précédé les élections, deux nouveaux groupes d'action municipale, tous deux proches des idées de « Debout ensemble », ont été créés à Tel Aviv et à Haïfa en vue de prendre part à ces élections.
À Tel-Aviv, dans le mouvement « ville violette », conduit par Itamar Avneri, membre de la direction nationale de « Debout ensemble », se retrouvent des gens divers parmi lesquels les jeunes urbains sont majoritaires, autour des questions de logement et de justice climatique. En septembre, il s'est associé à d'autres secteurs de la gauche, tels que le parti communiste, un mouvement environnemental local et quelques activistes communautaires pour former une coalition électorale appelée « La ville c'est nous tous ». Cette alliance a obtenu 14 882 voix (7,6 %) et a remporté 3 des 31 sièges du conseil municipal. Avneri, qui était troisième sur la liste , a été élu conseiller municipal.
À Haïfa, le mouvement « La majorité de la ville », conduit par Sally Abed, membre de la direction nationale de « Debout ensemble », s'est présenté aux élections et a obtenu 3 451 voix (3 %), ce qui a permis de faire élire Sally Abed comme la seule femme membre du conseil municipal. C'était la première fois qu'une femme palestinienne était à la tête d'une liste pour le conseil municipal de Haïfa. La liste comptait également parmi ses candidats Orwa Adam, un militant palestinien ouvertement homosexuel, une première dans l'histoire électorale israélienne.
Les deux listes étaient judéo-arabes, et, bien qu'indépendantes de « Debout Ensemble » sur le plan organisationnel, juridique et financier - comme l'exigent les lois électorales -, elles ont été publiquement reconnues comme étant en accord avec notre « étiquette » politique. Ces expériences réussies de mobilisation électorale organisée par en bas sont importantes pour la construction d'une nouvelle gauche populaire et viable en Israël, enracinée dans nos communautés, avec une orientation internationaliste et ancrée dans les valeurs socialistes. Dans les années à venir, c'est le principal défi auquel sont confrontés tous ceux qui espèrent voir une gauche combative en Israël, capable à la fois de défier l'hégémonie de la structure institutionnelle et des forces en place et de gagner en puissance sur la base d'un projet politique en rupture avec l'existant.
• Traduit de l'espagnol pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide e DeepL.
Une correction a été introduite le 7 juin 2024 dans cette phrase : « Il [Nétanyahou] sait qu'un accord sur les otages a toutes les chances de signifier la fin de la guerre. »
Source Nueva Sociedad. MAYO 2024.
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Ces gens qui m’expliquent la vie
Qui n'a jamais eu l'honneur de se faire expliquer la vie par un homme sur des sujets concernant les femmes ? Or, cette irritation quotidienne n'est pas seulement l'apanage masculin, puisque de nombreuses femmes blanches reproduisent ce schéma envers les femmes racisées.
Dans un billet de blogue publié en 2008 sur la plateforme TomDispatch, l'écrivaine américaine Rebecca Solnit y va d'une anecdote qui fait franchement sourire. Elle y relate sa rencontre avec un homme qui se trouve à lui expliquer avec condescendance le propos d'un livre, sans réaliser que son interlocutrice en est l'autrice. Elle écrira « chaque femme sait de quoi je parle » en référence à ce type de situation fâchante.
En effet, il arrive trop souvent que les hommes surestiment leurs capacités et leurs connaissances, parfois dans des domaines où ils n'ont pas ou peu d'expertise. À l'inverse, nombreuses sont celles qui doutent de leurs connaissances et de leur savoir-faire, même lorsqu'elles cochent toutes les cases de la compétence.
En 2014, Solnit publiera l'essai Men Explain Things to Me, qui inspirera l'expression mansplaining (que certain·es traduiront par « mecsplication »). Il s'agit d'un mot-valise composé de « homme » (man) et de « qui explique » (explaining). Selon le Conseil du statut de la femme du Gouvernement du Québec, un mecspliqueur est un « homme qui est convaincu de mieux connaître un sujet qu'une femme alors que le sujet la concerne, elle. »
Dans le même esprit, la journaliste franco-sénégalaise Rokhaya Diallo, en collaboration avec l'illustratrice Blachette, publiera en 2021 la bande dessinée M'explique pas la vie, mec !. Sur un ton humoristique, Diallo et Blachette y abordent des situations où les comportements masculins effacent les femmes. On y aborde notamment les notions de manterrupting, le fait de se faire couper la parole par un homme, et de manspreading, lorsque des hommes en transport en commun s'assoient en écartant leurs jambes de façon à occuper plus d'un siège.
J'ai souvent été victime de mansplaining au cours de ma vie, mais j'ai également reçu cette condescendance de la part de femmes blanches, mais pas que. J'ai beau être doctorante, chargée de cours à l'université et enseigner sur des enjeux touchant les violences faites aux femmes à des étudiant·es en travail social et en criminologie, il y a toujours certaines femmes qui ne sont pas prêtes à reconnaître que j'ai de l'expertise sur ce sujet, et ce, depuis belle lurette.
Plus encore, certaines vont même jusqu'à répandre des accusations mensongères et diffamatoires de « vol d'idées » ou de « plagiat » à l'encontre de femmes noires et racisées sans réaliser que ces idées font partie du « sens commun » pour toutes les personnes qui œuvrent dans le domaine des violences faites aux femmes. Par exemple, expliquer que les femmes ne font pas confiance au système de justice criminelle en matière de violences sexuelles n'a rien de révolutionnaire. C'est une notion qui est présente et qui a fait l'objet de très nombreuses études scientifiques et de livres, dans plusieurs juridictions à travers le monde depuis que ces violences sont criminalisées. De plus, expliquer que le monde a besoin de se réinventer après la pandémie de COVID-19 en matière d'environnement, de féminisme, d'antiracisme et de justice sociale n'est pas spectaculaire en soi. Cette notion fait partie de nombreuses conférences, colloques, essais et fellowships comme thématique principale, et ce, depuis les deux dernières années.
En ce sens, à moins d'être le prochain prix Nobel ou Picasso 2.0, nous sommes rarement aussi originaux ou originales qu'on prétend l'être. Ce qu'on exprime, il est fort probable que d'autres le pensent aussi ou qu'ils y aient pensé avant nous. Il y a également certaines idées et concepts qui sont dans l'air du temps.
Plus on apprend, plus on réalise que l'on sait peu de choses. Le plus souvent, les chercheur·euses universitaires ajoutent une petite brique à l'édifice de ce qui est déjà connu pour toutes les personnes qui se penchent sur le même objet d'étude avec un angle nouveau. Très rares sont ceux et celles qui feront des découvertes qui révolutionneront complètement leur champ ou leur domaine.
J'ai appris à tenir pour acquis que mon interlocuteur ou mon interlocutrice sait très probablement des choses sur l'objet de notre discussion. Je suis souvent irritée lorsque l'on m'explique mon champ d'expertise sans jamais me demander ce que je sais sur le sujet. Ainsi, l'une des choses que la recherche m'aura apprises, c'est l'humilité. Une qualité qui fait malheureusement défaut à beaucoup d'hommes, mais aussi, avouons-le, à certaines femmes en position de pouvoir.
Illustration : Elisabeth Doyon

G(A)FAM. Le géant des apparences
L'expression « GAFAM » désigne les cinq entreprises états-uniennes, toutes du secteur technologique, ayant la plus grande capitalisation boursière. L'entreprise qui domine ce palmarès est Apple.
En début d'année 2022, Apple a battu son propre record de capitalisation boursière, c'est-à-dire la valeur totale de toutes ses actions. Elle a franchi le cap symbolique de 3000 milliards, un sommet depuis la création des places boursières. Elle devance Microsoft, la seule autre entreprise dont la valeur dépasse 2000 milliards. Ces gigantesques montants ont de quoi étourdir tant il est difficile d'en apprécier la démesure. En 2020, la valeur d'Apple était, à elle seule, plus grande que la valeur combinée des quarante entreprises les plus importantes cotées à la bourse de Paris (CAC40). Ces valeurs boursières spectaculaires reflètent la foi des investisseurs en la capacité d'innovation d'Apple.
Les revenus de l'entreprise avaient atteint 365 milliards de dollars US en 2021, un sommet historique quatre fois plus élevé que dix ans plus tôt. D'où proviennent ces revenus ? Apple a longtemps été associée à son ordinateur Macintosh, dont les multiples variantes seront son produit phare jusqu'au moment où les ventes de son téléphone portable « intelligent » le détrônent. Aujourd'hui, Apple vend donc principalement des téléphones portables, ce qui représente un peu plus de la moitié de ses revenus. À l'instar de plusieurs autres GAFAM, Apple s'est lancé dans la commercialisation de divers services en ligne (diffusion de vidéos, de musique et d'information, système de paiement, publicité, stockage de données, etc.) et ceux-ci lui rapportent 20 % de ses revenus. Ses autres sources de revenus sont la vente d'ordinateurs, de tablettes électroniques et de technologies portables ou pour la maison, qui lui rapportent des parts respectives de 11 %, 8 % et 9 % de ses revenus.
Bébelles rebelles ?
Apple a longtemps cultivé une image d'« innovatrice rebelle ». Le coup d'envoi est une célèbre publicité référant au livre 1984 d'Orwell dans laquelle l'entreprise annonce la mise en marché du premier ordinateur Mac en promettant à ses client·es d'échapper à l'emprise de Big Brother. Elle réussit à associer le look « bureautique » des ordinateurs personnels d'IBM à la conformité. Près de 40 plus tard, cette image de rébellion a ironiquement transformé Apple en géant dominant du numérique.
En réalité, l'entreprise a su plusieurs fois s'inspirer de produits ou de prototypes existants pour en faire dériver un produit plus achevé, et, surtout, le mettre en marché avec une promotion agressive le présentant comme une innovation révolutionnaire… que toute personne souhaitant faire l'expérience des dernières prouesses technologiques devait absolument acheter.
Cette image de nouveauté révolutionnaire est furieusement défendue. Les employé·es des usines fabriquant les appareils du géant sont étroitement surveillé·es afin d'éviter toute fuite d'information sur les nouveaux produits. L'entreprise utilise aussi la menace de représailles légales et elle a même exigé que certaines équipes de travail portent des caméras corporelles similaires à celles portées par des corps policiers. De plus, Apple s'est souvent opposée par différents moyens au « bidouillage » de ses appareils, cela en rendant volontairement difficiles les modifications et réparations matérielles ou logicielles et utilisant même la dissuasion légale auprès de sites qui diffusent de telles informations techniques.
Fabriques de malheur
En 2010, le suicide de quatorze employé·es des usines chinoises du fabricant taïwanais Foxconn, le principal fabriquant des appareils d'Apple, a mis au jour les conditions de travail exécrables qui y régnaient. Après la tragédie, Apple s'est engagée à faire respecter une liste de normes à ses fournisseurs, que ceux-ci contournent régulièrement. Par exemple, en plus d'engager des étudiants et étudiantes « stagiaires », un rapport récent du Australian Strategic Policy Institute révélait qu'Apple profitait directement ou indirectement du travail forcé de Ouïgour·es. Les entreprises minières qui fournissent certains matériaux utilisés dans la fabrication des produits du géant embauchent souvent des enfants qui doivent travailler dans des conditions très dangereuses.
Apple réagit très lentement quand des fautes importantes à ses propres normes sont portées à son attention. Selon d'ancien·nes employé·es de l'entreprise, Apple considère que les craintes de pertes de profits et de retards de production l'empêchent de couper les liens avec les fournisseurs fautifs. Le géant rend ceux-ci responsables des conditions de travail de leurs employés, sans admettre sa propre responsabilité dans le problème. En effet, même en connaissant les conséquences d'une telle pression, Apple impose un calendrier de production ne pouvant être réalisé qu'avec une force de travail immense en période de pointe, ce qui pousse ses fournisseurs à opérer dans ces conditions de travail de misère.
Innovation fiscale
Apple est une championne de l'évitement fiscal. Elle a même été l'une des pionnières de l'industrie technologique en cette matière, en créant différentes techniques maintenant imitées par plusieurs autres entreprises états-uniennes. La plus célèbre de ces méthodes est de faire transiter ses revenus par l'Irlande, les Pays-Bas et les Caraïbes. Ces multiples manœuvres fiscales permettent à l'entreprise d'éviter de payer plusieurs dizaines de milliards d'impôts chaque année.
Il y a dix ans, ces manœuvres ont attiré l'attention d'un comité sénatorial aux États-Unis qui a en a dévoilé publiquement le détail. La pression internationale a forcé l'Irlande à modifier ses règles fiscales, mais en accordant un délai de plusieurs années aux entreprises utilisant le « stratagème irlandais ». Comme révélé dans les Paradise Papers, ce délai a permis à Apple de modifier sa stratégie en secret pour y ajouter le paradis fiscal britannique de l'île de Jersey. En 2016, une agence européenne anti-monopole a réussi à condamner l'Irlande à récupérer 13 milliards d'euros d'impôts impayés par Apple, en considérant cette somme comme une aide financière illégale de l'Irlande. Ironiquement, l'État irlandais a fait appel de cette décision, préférant se priver de cette somme plutôt que de compromettre un arrangement qui lui est très profitable. Apple et l'Irlande ont réussi à faire annuler cette condamnation importante en 2020, mais cette décision est elle-même portée en appel par les autorités européennes.
Boutique de domination
Apple fait aussi l'objet d'attention judiciaire concernant des abus de position dominante. Ayant popularisé son magasin d'applications en ligne pour son populaire téléphone intelligent, l'entreprise s'est placée dans une position unique où elle contrôle totalement les règles de ce marché qu'elle a elle-même créé. Ainsi, une procédure de l'Union européenne examine présentement comment Apple facture une commission de 15 % à 30 % aux éditeurs d'applications utilisant sa boutique en ligne, faussant ainsi la concurrence. Dans le même esprit, aux États-Unis, une juge fédérale a interdit à Apple d'imposer l'utilisation de son propre système de paiement aux éditeurs d'applications pour les achats effectués dans leurs produits.
Le concept de boutique en ligne d'applications simplifie l'installation de nouveaux logiciels sur les appareils, mais son contrôle centralisé permet aussi différentes formes d'abus. Apple est l'arbitre ultime des applications permises ou non sur sa plateforme et ceci lui donne un pouvoir de censure. L'entreprise a notamment exercé ce pouvoir pour éviter de déplaire à différents régimes répressifs, comme ceux de la Chine et de la Russie. Apple a d'ailleurs conclu une entente secrète avec la Chine en 2016, promettant des investissements importants en échange d'aide commerciale de l'État chinois.
Le contrôle du géant sur sa boutique en ligne lui permet aussi d'exercer une pression commerciale sur ses concurrents. Apple a même réussi à faire plier un autre GAFAM, Facebook, parce que son application publicisait le fait qu'Apple prélevait 30 % des ventes d'accès aux évènements en ligne. En 2013, Apple a aussi été reconnu coupable d'avoir joué un rôle central dans une entente entre plusieurs éditeurs de livres visant à limiter la compétition dans la vente de livres électroniques.
Ce niveau de contrôle ne résulte d'aucune nécessité technique, mais est plutôt le fruit d'un travail visant à créer un environnement technologique fermé dont Apple conçoit et contrôle les moindres détails.
Un dossier incomplet
Ce court texte ne fait qu'un survol des principaux reproches faits au géant des apparences. Le partage inéquitable des revenus de vente des produits d'Apple entre celles et ceux qui les fabriquent dans des conditions misérables et une entreprise qui les met en marché de manière colorée montre que Apple bat encore de nouveaux records : celui de l'absurdité d'un capitalisme mondial qui lui permet d'exploiter des travailleurs et travailleuses sans leur donner une juste part de ses immenses revenus mis à l'abri dans les paradis fiscaux.

Le Pakistan submergé
Depuis la fin du mois d'août, les Pakistanais·es composent avec des inondations historiques : un tiers du pays se trouve sous l'eau et les efforts requis pour répondre à cette crise sont collossaux. Par-delà les campagnes de dons et d'aide internationale d'urgence, les appels à la justice climatique, notamment par l'annulation de la dette extérieure du Pakistan, se multiplient. « À l'heure actuelle, les ressources du Pakistan doivent être mobilisées pour répondre à la crise, pas pour payer des dettes extérieures. Les leaders mondiaux doivent être tenus responsables de fournir réparation en matière de changements climatiques » (traduction libre), demande la Commission pakistanaise de droits humains. « Quelle attention est-ce que des pays comme le Pakistan, qui ont un ratio dette/PIB des plus élevés, peuvent réellement accorder aux infrastructures sociales, d'assistance sociale et d'adaptation aux changements climatiques ? » (traduction libre), pose Maira Hayat, professeure à l'université Notre Dame, sur Twitter. « On ne peut comprendre vraiment la capacité du Pakistan à répondre à la crise sans la situer dans ce régime de dette international auquel le pays appartient. Comment peut-on penser que des pays endettés seraient en mesure d'investir dans les infrastructures sociales [requises pour l'adaptation aux changements climatiques] ? » (traduction libre).
Photo : Oxfam International (CC BY-NC-SA)

Queer : une révolution flamboyante
Les révolutions ne sont pas toujours télévisées ; elles n'ont pas moins lieu. C'est bien le cas de la révolution queer. Les luttes et les transformations en cours s'acharnent à rendre révolus les systèmes hétérocis et patriarcal, et, à travers une multitude d'alliances, participent au renversement de bien d'autres systèmes encore. Au fond, les tribuns conservateurs n'ont pas complètement tort quand ils annoncent que « les revendications queers menacent toute la civilisation telle qu'on la connaît ». Ces luttes sont porteuses de transformations sociales aussi fondamentales que globales. Nous savons ces transformations nécessaires, généreuses et profondément joyeuses.
La révolution queer renouvelle nos manières de penser et de percevoir nos relations à nous-mêmes, à notre corps, à nos désirs, aux autres, au monde. Elle ouvre des possibilités, transgresse les normes et brouille les frontières, laisse la place aux envies d'être et d'appartenir, là où le monde straight limite les possibles, forge des normalités, érige des murs et cristallise des oppositions et des hostilités. La révolution queer refuse toutes ces divisions sociales qui ne sont que prétexte à la hiérarchisation, à l'isolement et à l'exclusion des manières d'être marginales.
Elle multiplie, bien sûr, les manières dont tou·tes et chacun·e peuvent vivre leur genre et leur sexualité, et plus largement nouer des relations entre elleux. Ce faisant, elle réinvente la langue et les représentations pour dire toutes ces réalités pas si nouvelles, mais encore choquantes pour certain·es. Elle exige aussi de revoir de fond en comble des normes et des pratiques sociales inscrites jusque dans l'État, ses lois et les droits qu'il daigne nous accorder, jusque dans la manière dont nous fixons les rôles sociaux et les bénéfices qui reviennent à chacun·e.
La révolution queer, donc, est et sera inévitablement faite de luttes. Fidèles à elles-mêmes, ces luttes queers ne sont jamais cantonnées à leurs petites affaires, mais sont marquées par les solidarités, par la sensibilité à ce qui nous rassemble ou aux manières dont nos élans peuvent s'entrecroiser. Les luttes queers débordent d'elles-mêmes pour se lier aux combats féministes, bien sûr, mais aussi décoloniaux, antiracistes, écolos, anticapitalistes. Autrement, la révolution queer ne serait ni révolutionnaire ni queer.
Le présent dossier se divise donc en deux grandes parties : la première aborde les manières dont la révolution queer fout le bordel dans les normes sexuelles et de genre ; la seconde montre comment cette révolution peut tisser des liens avec les autres.
Elle a beau se jouer en partie dans l'ombre, la révolution queer ne suscite pas moins son lot de réactions hargneuses et violentes de la part de celleux qui voudraient préserver à tout prix les certitudes et les privilèges que leur confèrent les normes sexuelles et de genre. Puissants chez nos voisin·es du sud et dans certains pays d'Europe, ces contrecoups réactionnaires sont aussi présents chez nous. Les attaques législatives contre les personnes trans et non binaires se multiplient ; la droite se porte à la « défense » des enfants contre les drag queens et autres « prédateur·trices sexuel·les » qui les menaceraient ; les puristes grincheux·ses de la langue française s'insurgent que celleux qui parlent la langue la fassent évoluer pour nommer l'innommé et répondre à nos besoins d'inclusion. Malgré tout cela, nous avons choisi dans ce dossier de ne pas nous étendre sur ce backlash. Nous avons préféré redonner la parole à celleux qui sont visé·es par cette contre-attaque pour mettre en lumière, au-delà de la version distordue qu'en donne une droite obtuse et omniprésente, les aspirations qui animent une révolution en marche.
Dossier coordonné par Philippe de Grosbois, Eve Martin Jalbert et Claire Ross
Illustré par Collages Féminicides Montréal
Avec des contributions de Jade Almeida, Élyse Bourbeau, Arianne Des Rochers, Eve Martin Jalbert, Geneviève Labelle, Laurie La Fée Perron, Pierre-Luc Landry, Judith Lefebvre, Mélodie Noël Rousseau, Alexandra Turgeon et Joshua Whitehead
Pour vous procurer une copie papier de ce numéro, rendez-vous sur le site des Libraires ou consultez la liste de nos points de vente.
Illustration : Florence et Collages Féminicides Montréal, à partir de photos d'André Querry.

Glossaire
Ce glossaire maison ne vise pas à figer le sens des termes qu'il définit, encore moins à fixer une norme lexicale. Il répond à un vœu plus modeste : faciliter la lecture du présent dossier. Nous avons pris le parti de ne pas uniformiser certains termes. La variabilité témoigne selon nous de l'effervescence qui accompagne toute révolution, y compris dans nos manières de parler et de penser.
Queer – Insulte (« étrange », avec une connotation négative) ayant été renversée en terme affirmatif. Queer est désormais une désignation parapluie réunissant des identités, des communautés, des mouvements, des pensées, des théories qui ne correspondent pas aux normes sexuelles et de genre.
LGBTQIA2S+ — Une des multiples formes que peut prendre l'acronyme réunissant les minorités sexuelles et de genre. Lesbiennes, Gais, Bisexuel·les, Trans, Queers/en Questionnement, Intersexes, Asexuel·les/Aromantiques/Allié·es, Bispirituel·les (Two-Spirits, terme utilisé chez certains Premiers Peuples pour désigner les personnes rompant avec les normes sexuelles et/ou de genre).
Genre/sexe — Le mot « sexe » est ici réservé au plaisir qu'on a seul·e, à deux ou à plusieurs. Il ne désigne donc pas des catégories homme/femme venant avec tout un ensemble de caractéristiques jugées naturelles et éternelles. Le genre désigne la construction sociale et historique des hommes et des femmes, des attentes en matière de rôles sociaux, de comportement, d'apparence, de capacités, etc. Il est empreint de stéréotypes, de préjugés, de violences. Le genre est une réalité identitaire, une manière de sentir et d'agir, en adéquation ou non avec telle ou telle caractéristique anatomique.
Binarité/dualité de genre – Approche réduisant la diversité des genres au nombre de deux (masculin/féminin). Cette réduction implique d'accentuer les différences en les opposant et, au sein du patriarcat, en les hiérarchisant.
Personnes non binaires/non-binarité de genre/fluidité de genre/genderqueer/genderfuck — Diverses façons de sortir de la binarité de genre et de l'équation génitalité=genre. Genderqueer et genderfuck désignent la perturbation de la binarité de genre par sa manière d'être et d'agir. Non binaire est un terme parapluie qui permet à des personnes qui ne se sentent pas tout à fait ou pas du tout l'un ou l'autre des genres masculin ou féminin de nommer cette existence. La notion de fluidité implique un mouvement, ponctuel, continu ou intermittent dans le domaine des genres par certaines personnes.
Drag king/drag queen — Drag queen s'applique aux personnes (généralement masculines) qui performent le genre féminin, souvent dans un cadre artistique ; drag king, aux personnes (souvent féminines) qui performent le genre masculin.
Cis/cisgenre/cisidentité — Désigne les personnes dont le genre ressenti et vécu correspond à celui qui leur a été assigné à la naissance, souvent sur la base de la génitalité. Par opposition à trans/transgenre.
Hétérocis/Cishétéro — Nom ou adjectif désignant une personne à la fois cisgenre et hétérosexuelle. On dit aussi parfois cis-het dans le langage courant.
Normes de genre/hétérocisnormativité/cishétéronormativité/hétérocispatriarcat — Règles sociales qui cherchent à figer et à rendre obligatoires l'hétérosexualité et la cisidentité des individus. Ces normes impliquent souvent la violence et l'exclusion à l'endroit de ce qui s'en écarte. Le concept d'hétérocispatriarcat souligne le fait que le patriarcat inclut généralement l'imposition de normes hétérosexuelles et cis.
Straight — Orientation et identité de genre hétérocis. Plus largement, un état d'esprit straight est conforme aux normes hétérocis et s'oppose à la subversion queer des normes sociales et de genre.
TERF — Acronyme venant de l'anglais Trans-Exclusionary Radical Feminism soit « féminisme radical trans-exclusif ». Le mot désigne la forme spécifique de transphobie observable chez certaines féministes.
Iel/ille/elleux/celleux/le·a/etc. — Série de pronoms de formation récente nécessaires ou bien à un langage inclusif (iels inclut tout le monde) ou bien à la désignation appropriée aux identités non binaires. Avec de la bonne foi et le désir de respecter la diversité des identités, l'usage est moins compliqué qu'il n'y paraît.
Intersectionnalité — Terme que l'on doit à la juriste Kimberlé Crenshaw et qui désigne l'entrecroisement de deux ou plusieurs phénomènes d'oppression chez des personnes et des groupes (par exemple les personnes queers et racisées). L'intersectionnalité des oppressions désigne non seulement le cumul des oppressions qui frappent certaines personnes, mais plus encore la spécificité de certaines oppressions qui ne se ramènent pas à la somme des parties (par exemple, une femme racisée ne se fait pas discriminer de la même façon qu'une femme blanche ni qu'un homme noir). Le sens du terme s'est rapidement élargi pour parler du croisement des luttes contre les oppressions.

Le point de départ des fiertés était une émeute
Si la naissance des Fiertés était une action radicale, difficile aujourd'hui d'en discerner l'héritage.
Le point de départ historique des Fiertés est une émeute en réponse à une descente policière au bar Stonewall Inn à New York en 1969. Toute identité sexuelle et/ou de genre qui ne correspond pas à l'hétérocisnormativité est alors pourchassée sans relâche, ce qui modèle profondément, entre autres, le rapport à l'espace public. L'homosexualité et les identités ou performances de genre dissidentes (personnes trans, drags, « travesti·es », etc.) sont traitées comme quelque chose d'anormal et, par conséquent, d'illégal. Des vies entières sont reléguées à une existence intermittente et aux chuchotements des rares espaces sécuritaires – si ce n'est au silence. Les soirées, les bars, les allées, les parcs ou encore les salons privés appartiennent à la culture du secret. Dans ce contexte, la peur d'être découvert·e et celle de représailles affecte chaque seconde du quotidien.
En ce sens, il faut réaliser l'audace que représente l'émeute de Stonewall : le refus de la honte et l'affirmation du droit à être soi de manière publique. Des individus se révoltent contre tout un système en s'opposant à la normalisation de la violence policière, à la criminalisation de leur existence et à leur exclusion sociale. Ne l'oublions jamais, ces émeutes sont menées par des personnes marginalisées, parmi lesquelles on compte des personnes trans, des travailleur·euses du sexe, des personnes en situation d'itinérance, des personnes racisées. Les premières marches sont donc un énorme doigt d'honneur aux normes. C'est revendiquer le droit à la rue, à être visible et audible sans pour autant subir le harcèlement ou la violence étatique. C'est une politisation des identités LGBTQ+ qui s'ancre dans une justice spatiale. Car le droit à occuper l'espace public n'est pas anodin quand votre existence est considérée comme une honte que vous devriez avoir la décence de maintenir cachée.
Peut-on encore être fier·es ?
La Fierté, à son point de départ, était une émeute… mais il est difficile de s'en souvenir tant sa version moderne semble incarner tout ce que les événements de Stonewall avaient rejeté en bloc. En somme, le capitalisme a fait ce qu'il sait faire de mieux : s'adapter pour se maintenir, marchandiser ce qu'il ne pouvait détruire. Désormais, la majorité des Fiertés en Occident se déroulent sous les couleurs de grandes entreprises qui investissent massivement afin de faire figurer leurs logos auprès du drapeau arc-en-ciel. Tandis que des candidat·es politiques défilent en se targuant d'être des allié·es de la cause, des chansons à la mode sont diffusées sous les applaudissements de la foule, qui se précipite pour attraper des goodies payés par les bars partenaires des fêtes. Entre deux associations de défense de droits, certaines ayant dû payer pour avoir l'autorisation de défiler, des corps de métiers sont représentés – et parmi eux : la police. Considérez ceci : la Fierté, supposé héritage d'une émeute lancée contre les violences policières, accueille désormais au sein du défilé la police en uniforme et en voiture de fonction, alors même que le taux élevé de violences policières contre les communautés trans et/ou racisées et/ou autochtones ne cesse d'être documenté et dénoncé.
Une présence qui ne passe pas inaperçue
En 2016, le défilé de Pride Toronto est arrêté par un contingent de Black Lives Matter (BLM). Assis·es au sol afin de bloquer la marche, les militant·es noir·es et queers posent une série de demandes. Iels refusent en particulier que la police puisse continuer de défiler parmi les contingents. Ces revendications sont accueillies par les huées de la foule, frustrée que les festivités soient bloquées. Certain·es vont jusqu'à leur lancer des bouteilles de plastique vides, mais les activistes tiennent bon et BLM obtient gain de cause. L'événement provoque une onde de choc dans de nombreuses Fiertés à travers le monde. Plusieurs prennent position en amont sur la présence de la police lors des célébrations, ce qui déclenche des débats dans le milieu LGBTQ+. Suffisant pour revenir aux racines radicales de l'esprit de ces marches ? Pas sûr.
Instrumentalisation des communautés autochtones
Cette année, c'est un scandale de malversations financières qui entache Pride Toronto, incluant en prime l'instrumentalisation de communautés autochtones. L'affaire, survenue en 2018 et 2019, a été investiguée et dénoncée notamment par l'historien Tom Hooper, qui a produit un rapport détaillé sur le sujet [1]. Pride Toronto est accusée d'avoir trompé des subventionnaires et menti sur l'avancement de projets dans le but de sécuriser des fonds de plusieurs centaines de milliers de dollars. Une partie de cet argent est obtenu alors que Pride Toronto prétendait avoir un contrat avec le célèbre artiste d'ascendance crie Kent Monkman – ce qui était inexact.
Monkman et son équipe avaient d'abord proposé de mettre sur pied tout un projet d'exposition itinérante qui devait présenter des œuvres d'art sur l'histoire des personnes LGBTQ2S+ avant et après Stonewall. L'exposition devait aller à la rencontre de plusieurs communautés autochtones à travers toute l'Île de la Tortue, y compris des communautés éloignées et marginalisées. Mais cette collaboration avait été rompue par l'artiste après que l'organisme ait exigé les pleins droits de propriété sur ses œuvres. Pride Toronto s'abstient d'en avertir les subventionnaires et continue d'utiliser le prétexte de l'exposition pour obtenir plus de fonds.
L'affaire, rocambolesque, ne s'arrête pas là et les accusations sont nombreuses. Pride Toronto prétend ainsi travailler en collaboration avec plusieurs communautés autochtones et groupes LGBTQ2S+ divers. L'organisme fournit des lettres de soutien en ce sens, mais leur authenticité est aujourd'hui remise en question : on soupçonne que d'anciennes lettres aient été recyclées. Pride Toronto avait aussi promis d'embaucher une cinquantaine d'enseignant·es et facilitateur·ices issu·es de communautés autochtones pour prendre part à l'exposition. Or, l'argent aurait été utilisé pour de tout autres dépenses. Actuellement, on parle d'un million de dollars dont les modalités d'obtention et/ou l'usage sont suspects. De mille manières, le rapport de Tom Hooper dénonce ainsi l'exploitation de la main-d'œuvre et le non-respect des créations des communautés autochtones.
Pour couronner le tout, en 2018, les représentant·es de Pride Toronto auraient passé un accord avec le gouvernement pour obtenir toujours plus de subventions, en échange de quoi iels s'engageraient à réintroduire la police dans le défilé. C'était deux ans seulement après la dénonciation de BLM et sans consulter les membres qui avaient voté pour l'exclusion de la police du défilé.
En somme, Pride Toronto est devenu un exemple très concret de la continuité de pratiques et systèmes coloniaux racistes au sein de l'institution qu'est devenue la Fierté.
L'histoire comme mise en garde
Et il ne s'agit pas seulement de Pride Toronto et de ses malversations financières, bien que celle-ci soit un des exemples les plus extrêmes de ce qu'est devenue la culture de la Fierté. De Paris, avec la Marche de fierté anticapitaliste et antiraciste, à Zurich, avec la Fierté de Nuit, en passant par Barcelone et La Fierté critique : dans le monde entier naissent actuellement des mouvements qui se positionnent comme des alternatives aux Fiertés officielles. La Fierté est de plus en plus rejetée comme temple du capitalisme et de la dépolitisation de nos revendications.
Finalement nous devrions prendre l'histoire de la Fierté comme un récit de mise en garde. Il nous faut apprendre de nos tentatives de révolution – et, malheureusement, de leurs échecs. Si les systèmes d'oppression se maintiennent et se renforcent, c'est parce qu'ils se modernisent et surtout parce qu'ils s'adaptent. Ils s'adaptent si rapidement, de manière si fluide et complexe qu'un effort révolutionnaire, populaire et sans précédent peut tout de même aboutir à la marchandisation de nos identités. Mais nous pouvons toujours apprendre de nos échecs.
Le point de départ des Fiertés était une émeute et dans une émeute, il n'y a pas de défilés sponsorisés, pas de public pour applaudir, pas de chars subventionnés par les banques et pas de trajet prédéfini par les pouvoirs publics. Une émeute part de la colère et du trop-plein, fait bouger les corps et fonctionne comme un tremblement de terre : elle part de fractures sociales et provoque une onde de choc qui vise à ébranler le statu quo. Une émeute peut renverser les rapports de pouvoir car, de manière fondamentale, elle s'oppose à l'idée même de la violence légitime de l'État. Quoi de plus normal, par conséquent, qu'une émeute puisse autant inquiéter les classes dirigeantes ? Notre souci dès lors devrait être le suivant : celui de raviver les braises de l'émeute pour qu'elle ne cesse d'être l'émeute.
[1] Tom Hooper, « Misdirection of Funds and Settler Colonialism : Pride Toronto Grants from the Department of Canadian Heritage ». Disponible en ligne.
Illustration : Mathilde et Collages Féminicides Montréal

Vivre au bord du précipice du monde
Deux siècles de frondes et de révoltes féministes, antiracistes, anticoloniales et queers travaillent à ébranler les fondements de l'édifice patriarcal cishétéronormatif et les systèmes d'oppression qui en découlent. Toutefois, malgré les avancées, l'épistémè dominante semble toujours robuste et la question demeure : à quelle « révolution à venir » réfléchissons-nous ? De quelles mutations avons-nous besoin ?
Sojournor Truth a prononcé son discours Ain't I a Woman ? il y a 171 ans, 25 ans après avoir échappé à sa condition d'esclave. Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir a été imprimé il y a 73 ans. Michel Foucault a entamé la publication de son Histoire de la sexualité il y a 46 ans. 45 ans nous séparent de l'énoncé pour un féminisme noir du Combahee River Collective ; 44, de la première itération du texte The Uses of the Erotic d'Audre Lorde ainsi que de la conférence The Straight Mind de Monique Wittig. La première occurrence du mot queer dans les travaux de Gloria Anzaldúa remonte elle aussi à 44 ans, trois ans avant la publication, avec Cherríe Moraga, de l'ouvrage collectif This Bridge Called My Back. Kimberlé Crenshaw travaille la notion d'intersectionnalité depuis 40 ans déjà. Quant à elle, Gayle Rubin œuvre à repenser le sexe depuis plus de 38 ans. La parution de l'essai Gender Trouble de Judith Butler date d'il y a 32 ans. Oyèrónkẹ́ Oyěwùmí faisait paraître il y a 25 ans l'ouvrage The Invention of Women, la même année où Cathy J. Cohen interrogeait le potentiel radical des politiques queers. Il y a 14 ans, Paul B. Preciado publiait Testo Junkie.
S'il est vrai que les régimes d'historicité et les épistémès se développent et changent sur la longue durée, on pourrait penser que les révolutions annoncées par une certaine littérature théorique et par les mouvements radicaux des années 1970-1990 semblent relever chaque jour un peu plus de l'utopie naïve que d'une vérité en marche. En effet, les premières semaines de l'été 2022 laissent en bouche un goût amer quant aux « progrès incontestables » enregistrés dans la lutte pour une société plus juste.
Toutefois, en dépit de ces moments contre-révolutionnaires que je préfère ne pas énumérer, on pourrait aussi penser, avec Jack Halberstam, que « la révolution viendra sous une forme que nous ne pouvons pas encore imaginer » et que la multiplication plus ou moins récente des communs, des tiers espaces affranchis, des coopératives de solidarité et des collectifs autogérés pensés pour et par les personnes marginalisées suggère qu'une autre vie est (encore) possible, que le cours des choses peut être radicalement altéré.
Mais pour redonner à la pensée et à la praxis queers la radicalité intersectionnelle dont elles sont capables, un certain travail mémoriel et épistémologique est nécessaire. Ce travail nous permettrait de dépasser aussi bien la simple réforme des droits à l'intérieur de l'appareil étatique – même si elle est cruellement nécessaire – que l'appropriation à toutes les sauces du vocable « queer » qui en dilue malheureusement la force créatrice et le potentiel subversif. La critique queer racisée a d'ailleurs maintes fois identifié les angles morts des discours aseptisés et exclusifs incapables d'imaginer des formes de subjectivité échappant au simple élargissement des normes déjà en place, mais la mémoire collective vacille parfois dangereusement.
Multiplier les queerutopies révolutionnaires et désirantes
Il y a plus de dix ans, dans les pages de cette revue, Sam Bourcier proposait la multiplication des hétérotopies, des poches de résistance, des collectifs et des mouvements éphémères issus du dissensus et de la piraterie du genre [1]. À défaut d'une révolution, il suggérait en d'autres termes la prolifération de ce que Paul B. Preciado nomme des « micropolitiques de genre, de sexe et de sexualité » aptes à « résister et à défaire la norme ». Pour (ré)activer le potentiel antinormatif de la pensée queer, on peut envisager le sexe, le genre et le corps réifié comme des fictions médicales, politiques, culturelles et somatiques, des « agents de contrôle et de modélisation de la vie » appelés à être dissous « en une multiplicité de désirs, pratiques et esthétiques, [dans] l'invention de nouvelles sensibilités, de nouvelles formes de vie collective », soutient Preciado.
« Le futur est déjà arrivé, mais ça ne veut pas dire que nous n'avons nulle part où aller », écrit Billy-Ray Belcourt dans son recueil de poèmes Cette blessure est un territoire. C'est par l'action du désir – interrogé, reformulé, réinvesti – que cette futurité s'apparente aux « queerutopies » de Bourcier, incarnées au sein même des environnements hostiles du capitalisme colonial cishétéronormatif. En ce sens, l'érotisme est une force créatrice, pourrait-on dire à l'instar d'Audre Lorde, une puissance provocatrice dont les subalternes ont trop longtemps été dépouillé·es : « reconnaître le pouvoir de l'érotique dans nos vies peut nous donner l'énergie de chercher à introduire dans le monde un changement authentique », écrit-elle. Le désir et l'érotisme prennent donc la forme d'un (ré)apprentissage constant de nos gestes d'amour et de care, ainsi que d'une (ré)invention de soi informée par le caractère politique des choix que nous faisons d'investir certains corps plutôt que d'autres d'un potentiel orgasmique. La futurité queer est ainsi tendue vers la possibilité de répondre à cette question posée par Belcourt : « comment fait-on pour vivre au bord du précipice du monde ? »
Pour accéder à cette futurité et s'assurer que les « queerutopies » survivent à la dévastation annoncée par la crise écologique et le pourrissement du social, il semble essentiel de passer par une critique du capitalisme, dans la foulée de l'analyse proposée par Silvia Federici dans Caliban et la sorcière. La révolution queer du désir nous invite à exister, absolument et complètement, d'une manière dissidente libérée des impératifs normatifs du genre et de la productivité, pour ne nommer que ceux-là, allant au-delà de la récupération par l'État et par le capital – la pensée queer peut bien entendu se réjouir des petites victoires, tout en se gardant bien cependant d'être avalée par la machine néolibérale et bourgeoise.
Imaginer le grand chaos
Désapprendre nos modes de sociabilité et se désidentifier de manière hybride et mouvante, à l'aide de pratiques subvertissant les codes de la culture dominante, comme le suggère José Esteban Muñoz, n'est certainement pas une tâche aisée.
La précarité normalisée exhorte chacun·e à se définir rigoureusement et à dévoiler partout et en tout temps son pedigree fait de compétences, expériences, identités, rôles et postures. L'impératif de la révolution queer, s'il fallait le formuler, serait de « foutre le bordel » plutôt que de tenter désespérément d'inclure nos existences marginales au sein d'une norme alors « élargie » ; d'opposer à l'injonction morale du coming out et de la révélation une insaisissabilité joyeuse et triste tout à la fois, une fluidité construite de paradoxes et de démesure ; de refuser de se construire comme sujets parfaitement intelligibles pouvant ensuite être surveillés, saisis et contrôlés ; de contester l'assimilation dans « le système » grâce au capital accumulé. La libération et la transcendance des normes oppressives engagent plutôt la création d'espaces et de temporalités improvisées qui permettent d'exister pleinement – ces hétérotopies, ces communs évoqués plus tôt.
La pensée queer a déjà formulé maintes propositions cherchant à déconstruire les systèmes disciplinaires du genre, du sexe, de l'orientation sexuelle, du désir, de la famille, de la filiation, de la race, de la nation, de la validité, du travail, de la citoyenneté, de la propriété, de la division de l'espace entre privé et public, de la justice, de la légalité, etc. La pensée queer invite à réévaluer la valeur et le sens accordés aux orifices et aux appendices, aux chorégraphies sociales, aux scripts sexuels – la domination du pénétrant universel sur l'anus global, pour reprendre les termes de Preciado, ne peut survivre à la mise en œuvre d'une praxis intersectionnelle, anticapitaliste et libérée de l'épistémè hétérosexiste blanche héritée des Lumières.
Dans la conclusion de son Deuxième sexe, Beauvoir formulait cet avertissement : « Prenons garde que notre manque d'imagination dépeuple toujours l'avenir. » La théorie et la praxis queers déploient depuis longtemps, grâce entre autres au travail du féminisme et de l'antiracisme, des efforts d'imagination importants qui invitent à concevoir des manières d'exister et d'organiser la société afin que toute personne, autodéterminée dans le respect de ses propres multitudes, puisse s'émanciper.
La révolution queer n'est pas seulement « à venir », donc : elle s'incarne d'ores et déjà dans des œuvres d'art, des programmes culturels, des lieux dédiés et des protocoles mémoriels, mais aussi dans la revalorisation de la place centrale que devraient occuper à la fois l'imagination et les expérimentations de toutes sortes – puisqu'il est possible, avec Christian Laval, de penser les utopies « comme des passages à l'acte, comme des pratiques, comme des processus ».
[1] « Utopie = no future », À bâbord !, no 38, février-mars 2011. Disponible en ligne.
Pierre-Luc Landry, Université de Victoria
Collage : Collages Féminicides Montréal

« L’art drag, c’est un art queer »
Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle sont co-directrices artistiques de la compagnie de théâtre Pleurer Dans' Douche, comédiennes et drag kings. En 2022, elles ont présenté la pièce Rock Bière : Le documentaire à l'Espace libre. À bâbord ! les a rencontrées pour qu'elles nous parlent de genre, du milieu drag et de leurs personnages, Rock Bière et RV Métal.
À bâbord ! : Comment Rock Bière et RV Métal sont-ils nés et pour quelles raisons ?
Geneviève Labelle : Notre compagnie fait du théâtre documentaire. Donc au départ, l'idée de faire du drag king, c'était aussi d'en faire du théâtre documentaire. On voulait dénoncer la misogynie sous- jacente, l'invisibilisation des femmes dans le milieu drag, mais on s'est fait prendre à notre propre jeu. On est tombées en amour avec cet art-là et on est devenues des figures importantes, on sent que les gens nous remercient d'avoir ouvert des portes. C'est fou d'avoir cet effet-là.
Mélodie Noël Rousseau : Maintenant les robinets sont ouverts. On a notre soirée Bière & Métal aux deux mois, avec des kings d'un soir qu'on va maquiller nous-mêmes.
G. L. : C'est le premier show au Cabaret Mado avec uniquement des kings, tant à l'animation, à la production que sur la scène. N'importe qui qui dit « Je veux explorer mon genre », on lui dit « Viens-t'en ! » et on le·la lance sur la scène.
M. N. R. : Il y a des gens qu'on maquille qui sont en exploration de leur genre dans leur quotidien. C'est toujours très touchant de les voir se regarder dans le miroir pour la première fois avec des traits qui leur plaisent davantage, de la manière dont ils voudraient se présenter dans la vie.
G. L. : L'art drag, c'est un art queer, c'est un art de la communauté LGBTQ+. Il n'y a pas beaucoup d'endroits pour que les lesbiennes et les personnes queer s'identifiant femmes puissent se rencontrer. C'est pour ça qu'on se disait « Pourquoi on ne peut même pas avoir accès à la folie du drag ? ». Il y a aussi des personnes s'identifiant femmes qui sont drag queens, mais elles ne sont pas aussi bien acceptées.
M. N. R. : C'est une expérience riche pour nous comme comédiennes, ce sont des rôles auxquels on n'a pas accès, normalement. Ça donne une force d'incarner le « sexe fort », cette séduction-là que Mélodie n'a pas dans son quotidien, mais avec laquelle j'aime jouer en faisant Rock Bière.
ÀB ! : Quand on se demande ce que l'art drag relève sur le genre, on voit que ça peut aller dans toutes sortes de directions.
M. N. R. : Oui, il y a aussi des personnes genderfuck, des drags non binaires, qui explorent avec des seins et une moustache. Il y a des drag things, des drag clowns... Le spectre est très large.
En ce qui concerne le genre masculin, disons que la mode masculine est plus drabe. Ça pose un défi d'exprimer le genre masculin qui est construit sur une apparence de neutralité, car cette neutra- lité reste une construction. Parfois, je prépare des costumes qui sont très quotidiens, parce que j'aime ça, dépeindre l'homme au quotidien. Je regarde des gens dans la rue et je me dis : « Ça, c'est un bon Rock Bière ». C'est une grande caricature que je fais après avec plein d'amour.
ÀB ! : Est-ce que vous pensez que cette exploration peut être libératrice pour les gens de façon générale, les faire sortir des carcans féminins et masculins ?
G. L. : C'est toujours à refaire. Quand on regarde des photos de Claude Cahun, une personne non binaire des années 1920 à Paris, on se dit « C'est un drag king ». C'était un·e artiste visuel·le incroyable qui explorait déjà ça. Il y avait tout un groupe de lesbiennes avant-gardistes à Paris dans les années 1920.
En ce moment, on est sur un tremplin mainstream : les drag queens sont à la télé, Barbada fait une émission pour enfants, Rita Baga fait plein d'émissions... Il y en a d'autres qui s'en viennent aussi.
ÀB ! : Quand on observe ces percées dans une culture plus mainstream, on peut se demander s'il y a quelque chose qui se perd là-dedans. Est-ce que c'est une version édulcorée ? Est-ce que certaines catégories sont plus visibles et d'autres moins ?
G. L. : C'est vraiment bien que l'art drag sorte des bars. C'est un art complet. Les gens qui font ça travaillent extrêmement fort. C'est le fun de changer l'idée que les gens en ont, que c'est juste un art qui est fait avec de la drogue et de l'alcool, la nuit, que c'est trash, que c'est sexuel...
Cela dit, les femmes n'y ont pas accès. La compétition est faite pour des drag queens, le vocabulaire est féminisé de A à Z, un drag king dans ces émissions-là serait un oiseau rare. Il y a plus d'ouverture au sein d'autres compétitions naissantes, comme la compétition canadienne Call Me Mother.
M. N. R. : Ru Paul's Drag Race est devenu une compétition de haute couture. Il faut sortir un portefeuille de 30 000 $ à 100 000 $ pour participer. Et le fait qu'on n'a pas de modèle king ne permet pas à l'art d'évoluer. Il y a à peine quelques tutoriels pour les kings, alors qu'il y a un grand nombre de vidéos pour apprendre à se maquiller en drag queen.
ÀB ! : Tout un segment de votre pièce Rock Bière : Le documentaire fait une critique assez solide du Village. Quelle est cette critique ?
G. L. : Le nerf de la guerre, c'est l'invisibilisation des femmes dans la communauté queer. Historiquement, ça s'explique par le fait qu'il y a eu deux solitudes : les hommes gais et les femmes les- biennes. Les femmes étaient plus à la maison et avaient plus ten- dance à être en famille. Les hommes gais ont développé tout un night life, tout un monde. Ce sont eux qui ont développé le quartier gai. C'est le quartier LGBTQ+ des communautés, mais en fait c'est un quartier d'hommes blancs.
M. N. R. : C'était ça, mais maintenant il y a des efforts pour rallier les communautés et être inclusif. On le voit dans la clientèle des bars, dans le type de soirées organisées, dans les artistes invi- té·es. On voit qu'une place se fait pour les voix minorisées, pour les femmes. Mais c'est vrai qu'on n'a pas de bar uniquement féminin. Ils ont tous fermé.
ÀB ! : Dans votre documentaire, il était aussi question du fait que les drag kings n'étaient pas trop pris au sérieux.
M. N. R. : On entend des énormités, comme « Si les femmes ne sont pas sur Ru Paul's Drag Race, c'est parce qu'elles sont moins bonnes. » On entend ça alors qu'on est en train de se maquiller, de se pré- parer pour un show. Si on s'arrêtait à tout ce qu'on entend, on abandonnerait.
G. L. : Si on parle des salaires par exemple, ce n'est pas encore équivalent entre drag queens et drag kings.
M. N. R. : Mais on trouve ça important d'être dans le Village, que ces gens-là nous voient et voient le succès de la soirée. Si on faisait ça dans notre petit coin, entre nous et à l'écart, ça nous ferait du bien, on serait moins confrontées. Mais on veut avoir un dialogue avec des gens plus fermés, qui sont là par hasard et qui découvrent que ça existe.
ÀB ! : Que voulez-vous que le public en général retienne de vos pièces ?
G. L. : L'importance de créer des safe spaces, des lieux où tout le monde se sent bien et invité.
M. N. R. : Apprivoiser la différence aussi. Quand je parle dans ma famille, des fois je me rends compte qu'on est vraiment dans une bulle. À Montréal, c'est un peu plus facile d'être queer. J'espère que des gens qui sont moins familiers avec ça entendent cette parole-là et voient ces réalités-là, même s'ils ne comprennent pas tout, que ça amène des réflexions chez des gens qui ne baignent pas dans ce milieu-là.

La Palestine, un test pour l’humanité

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La Palestine, un test pour l’humanité
Zahia El-Masri, réfugiée palestinienne, militante passionnée de la justice sociale, fondatrice du collectif des femmes pour la Palestine Le tout n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Le 7 octobre s’inscrit dans le cadre d’une série d’événements tragiques pour le peuple palestinien, un continuum commençant aussi loin que 1917 quand lord Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, annonça que son gouvernement soutenait l’établissement d’un « foyer national juif » en Palestine. Cet acte de guerre contre le peuple de la Palestine selon l’historien Rachid Khalidi marquait ainsi le début d’une guerre coloniale d’un siècle en Palestine, soutenue par un ensemble de puissances extérieures, notamment la Grande-Bretagne et les États-Unis, et qui se poursuit toujours aujourd’hui1. La Nakba – ou Grande catastrophe – constitue le début du nettoyage ethnique de la Palestine2. En 1948, plus de 800 000 Palestinien-ne-s ont été violemment expulsés de leurs foyers par les milices israéliennes et déplacés de force de leur maison, leurs terres, obligés de laisser derrière eux leur vie, et suivre les chemins de l’exil forcé. La clé de leur maison en main, ils ont entamé le chemin de la douleur, sans savoir que leur sort transformerait pour toujours le visage de l’humanité. Des familles déchirées, dépourvues, des amours inachevées, des enfances volées, des rêves suffoqués, se sont retrouvés malgré eux, les porteurs de la lutte contre la forteresse de l’impérialisme et du colonialisme érigée sur la terre de la Palestine, leur terre, contre leur volonté. Actuellement, nous sommes témoins d’un génocide3, et pour la première fois de l’histoire de l’humanité, ce sont les victimes de ce génocide même qui nous rapportent les évènements en direct. Gaza s’est transformé d’une prison à ciel ouvert, à un cimetière à ciel ouvert. Pourtant, au niveau des gouvernements, l’indignation, les dénonciations et les actions pour mettre fin à cette catastrophe humanitaire n’étaient pas au rendez-vous, comme elles l’étaient pour l’Ukraine. Au lieu de ça nous avons eu droit à des mots vides, de la passivité et de la résignation. Mais heureusement, les sociétés civiles dans le monde occidental et partout ailleurs se mobilisent en solidarité. Pourtant, selon l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ».Aujourd’hui, il faut adopter un changement drastique dans notre façon d’aborder la question de la Palestine.
Un test pour l’humanité
Chaque année des organismes de défense des droits humains, tel qu’Amnistie internationale, Oxfam, Human Rights Watch, B’Tselem, Al Dameer, ainsi que les diverses agences de l’Organisation des Nations unies (ONU) publient des données qui dénoncent le régime d’apartheid qu’exerce Israël sur la population palestinienne avec des politiques cruelles de ségrégation, de dépossession et d’exclusion. Leurs rapports décrivent les effets brutaux de l’hyper-militarisation d’Israël sur la population palestinienne. Aujourd’hui, la Palestine a démasqué l’hypocrisie. Elle nous a appris que tous les êtres humains ne sont pas égaux, elle nous démontre que la valeur d’une vie humaine est directement liée à la couleur de sa peau et à sa valeur économique. Ce qui compte en réalité pour nos gouvernements ce ne sont pas le respect des droits humains, mais les alliances stratégiques et économiques. Elle nous a appris que le colonialisme semble encore tolérable pour de nombreux États et compagnies, et qu’il est toujours au cœur des violences actuelles malgré tout le mouvement de décolonisation qui a traversé le monde dans les années 1950 à 1980. Nous vivons une crise climatique sans précédent, une crise migratoire, et un génocide en direct, et pourtant, it’s business as usual.Occupation par Israël
L’occupation est un geste violent, la colonisation est une entreprise basée sur la violence, l’expropriation de la terre, le déplacement forcé du peuple, le déracinement, le changement toponymique, le pillage des ressources naturelles, et l’installation de colonies de peuplement en violation du droit international. C’est une tentative d’effacer un peuple, sa culture, son histoire, même son existence. Selon un rapport publié par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, l’occupation israélienne est la plus longue de l’histoire moderne4. La Quatrième Convention de Genève est claire sur le principe qu’une force occupante, comme c’est le cas d’Israël à Gaza, doit « assurer l’approvisionnement de la population en vivres et en produits médicaux ». Le recours à la famine comme méthode de guerre est interdit et constitue un crime de guerre5. Il est hypocrite de prétendre d’un côté que nous sommes signataires des conventions de droits de la personne et des droits de l’enfant, et de fournir de l’autre côté de l’armement à un pays qui pratique l’apartheid : la population non-juive de Cisjordanie est soumise au droit militaire, tandis que les colons israéliens qui occupent le territoire, sont soumis à un autre système juridique. On fournit de l’armement à un pays qui interdit l’accès à plus de 61 %6 du territoire de la Cisjordanie aux Palestinien-ne-s. Cette hypocrisie finira par faire disparaître les principes fondamentaux non seulement de toutes les conventions et de tous les traités internationaux, mais de notre humanité.Gigantesques dépenses militaires
Aujourd’hui, Israël reçoit plus que nul autre pays dans l’histoire, du financement des États-Unis chiffré à 3.3 milliards7 de dollars juste pour 2022, cette somme étant dédiée spécifiquement à l’industrie d’armement. Elle se situe parmi les pays qui allouent le plus de ressources aux dépenses militaires en proportion du produit intérieur brut (PIB), en figurant à la cinquième place du classement mondial8. Le Canada, à son tour, a exporté plus de 21 millions de dollars de matériel militaire vers Israël en 2022, ce qui place Israël parmi les 10 principales destinations des exportations d’armes canadiennes9.| Article premier de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948. « Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, constitue un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir. » Article premier |
Plus possible d’ignorer
Dans un monde soi-disant post colonial, Israël est aujourd’hui le seul pays qui essaie d’étendre son projet colonialiste de peuplement avec des projets d’expansion. Ce projet expansionniste est réalisé par la construction des colonies de peuplement qualifiées comme illégales sous le droit international. La présence d’une panoplie de lois israéliennes racistes dont la loi du retour (1950), la loi sur la propriété des absents (1950), la loi sur l’acquisition des terres (1953) et la loi sur la Nakba (2011), chacune de ces lois constitue une discrimination contre la population palestinienne en Israël ainsi que dans les territoires palestiniens occupés. « Le fait de considérer que les colonies juives revêtent une importance nationale, comme cela est affirmé dans la Loi fondamentale susmentionnée [Loi fondamentale : Israël, État-nation du people juif, 2018], alors qu’elles sont interdites par le droit international, constitue une violation par Israël de ses obligations au titre du droit international10 ». Nous ne pouvons plus prétendre être antiraciste et en même temps soutenir un état qui a imposé au-delà de 60 lois qui discriminent les Palestinien-ne-s. Aujourd’hui, il faut adopter un changement drastique dans notre façon d’aborder la question de la Palestine. Le voile de l’ignorance s’est levé, nous ne pouvons plus plaider l’ignorance et le manque d’information. Pour contrer les tentatives de l’effacement du peuple palestinien, il faut reconnaitre son récit, il faut utiliser la terminologie qui décrit sa réalité. Il faut alors parler de la colonisation et non pas d’une guerre, il faut parler d’une famine forcée et non pas d’une famine, il faut parler du droit à la résistance et non pas de terrorisme. En parlant de Gaza, il faut parler du siège illégal, il faut parler des prisonniers et prisonnières politiques, et non pas des détenu-e-s, il faut parler des martyr-e-s abattus et non pas des personnes tuées. Il faut rappeler que la lutte du peuple palestinien s’inscrit dans un cadre légitime d’une lutte pour l’autodétermination et pour l’atteinte de sa liberté et la libération de sa terre.Changement de paradigme
Nous devons alors décoloniser notre approche. En regardant les atrocités qui se déroulent devant nos yeux, il faut enlever le prisme orientaliste, qui justifie la subordination et ainsi la colonisation des peuples du Sud et voir au-delà des faux récits pour retrouver notre propre humanité. Ce changement de paradigme est essentiel pour comprendre et pour agir. Pour mettre fin au colonialisme, à l’apartheid, il faut une reconnaissance du récit palestinien, une reconnaissance de la Nakba et de ses origines. C’est notre devoir en tant que société de lutter et de dénoncer cette colonisation, de reconnaître l’intersectorialité de nos luttes, et que personne ne sera vraiment libre, tant que nous ne le sommes pas tous. C’est notre devoir d’empêcher un gouvernement colonialiste de continuer son projet d’expansion. C’est notre devoir de lutter contre toutes les formes d’oppression en se tenant debout pour les droits humains, la justice et l’égalité pour tou-te-s. Notre résistance en tant que peuple palestinien est animée par notre désir de justice, par l’amour de notre patrie et non pas par la haine envers l’autre. Au moment où vous lisez ces mots, des familles, des personnes comme vous, essaient de répondre à une simple question, comment? Comment avons-nous permis à ces morts annoncées de se poursuivre jour après jour?- The hundred years’ war on Palestine, Rashid Khalidi,
- Le nettoyage ethnique de la Palestine, Ilan Pappé,
- En ligne : https://www.icj-org/fr/affaire/192
- En ligne : https://www.ohchr.org/fr/news/2023/07/special-rapporteur-says-israels-unlawful-carceral-practices-occupied-palestinian
- En ligne : https://www.hrw.org/fr/news/2023/10/18/israel-le-blocus-illegal-de-gaza-des-effets-fatals-pour-des-enfants
- En ligne : https://www.un.org/unispal/fr/faits-et-chiffres/#_ftn1
- En ligne : https://www.foreignassistance.gov/cd/israel/
- En ligne : https://www.chroniquepalestine.com/armes-et-droits-de-l-homme-le-cas-du-complexe-militaro-industriel-israelien/
- En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2029344/silence-canada-exportations-armes-israel
- En ligne : https://www.ohchr.org/fr/2019/12/dialogue-israel-committee-elimination-racial-discrimination-urges-greater-inclusion-and
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Les services publics et les droits humains : deux faces d’une même médaille

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Les services publics et les droits humains : deux faces d’une même médaille
Alexandre Petitclerc, doctorant en philosophie et président du CA de la Ligue des droits et libertés Les derniers mois ont été marqués par des luttes importantes concernant les services publics québécois. La grève des enseignant-e-s et les luttes des travailleuses de la santé nous ont rappelé que la réalisation d’un projet de société respectueux des droits humains est intrinsèquement liée à des services publics accessibles et financés adéquatement. En ratifiant différents traités et accords en matière de droits humains au cours des 75 dernières années, le Canada et le Québec se sont engagés à mettre en œuvre ces droits. Un financement adéquat et pérenne des services publics permet de mettre en œuvre le droit à la santé, à l’éducation ou au logement, par exemple. Sans financement adéquat, les droits humains ne demeurent que des principes énoncés comme des vœux pieux. Alors, les services publics sont constamment menacés par la privatisation et par les désinvestissements, ces phénomènes mettent à mal la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité des services sociaux, par exemple. Le langage des droits humains rappelle qu’investir en éducation, en santé et dans le logement n’est pas uniquement un choix politique, mais contribue aussi à ce que les États respectent les obligations auxquelles ils se sont engagés. Le financement des services publics est une affaire collective et participe au plein exercice des droits garantis à toutes et tous et à réduire les inégalités socioéconomiques. Privatiser les services publics participe d’un désaveu envers ces droits et envers, qui plus est, celles et ceux qui fournissent les soins et services au quotidien. En ce sens, il est particulier de constater la manière dont le gouvernement provincial a instrumentalisé les luttes syndicales de l’automne dernier pour expliquer le déficit du budget 2024-2025. Le parti au pouvoir n’a pas hésité à mettre la faute sur les hausses salariales des employé-e-s de l’État pour justifier que le gouvernement se retrouve à adopter un budget peu enviable face à son électorat. Or, financer les services publics convenablement, en offrant notamment des salaires décents et des conditions de travail raisonnables, peut se faire sans opposer le personnel de l’État aux contribuables. Au contraire, les travailleuses et les travailleurs et les contribuables sont tous détentrices et détenteurs de droits dont le droit à une vie décente, le droit à la santé, le droit à l’éducation, le droit d’association, etc. De plus, si les services publics constituent un des moyens de réaliser les droits humains, l’État devrait trouver des manières de financer ces services. Une des critiques les plus fortes concernant la pleine réalisation des droits humains — notamment les droits économiques, sociaux et culturels — se base précisément sur l’argument voulant que la réalisation des droits soit dépendante des ressources disponibles au sein des États. Cet argument, celui de la rareté des ressources, stipule qu’il est difficile de mobiliser le langage des droits humains pour justifier des dépenses dans certains services publics. S’il existe une limite matérielle à la réalisation des droits, diront ces critiques, alors il est inutile d’utiliser ce langage. Or, l’argument de la rareté ne doit pas être utilisé pour justifier l’abandon du cadre de référence des droits humains pour défendre les services publics. Au contraire, les engagements de l’État en matière de droits économiques, sociaux et culturels stipulent que la réalisation de ces droits doit se faire progressivement. L’État ne peut pas reculer par rapport à ces droits : il doit toujours travailler à améliorer leur réalisation. De plus, l’argument de la rareté demeure relatif. Bien qu’il soit difficile de contester que l’État dispose de ressources finies pour parvenir à remplir ses obligations en matière de droits humains, il demeure néanmoins qu’il dispose d’une multitude de moyens pour financer les services publics de sorte à favoriser la pleine réalisation des droits humains. Son outil le plus efficace, surtout dans un contexte d’accroissement significatif de la concentration des capitaux, demeure un ensemble de mesures pour limiter et éventuellement éliminer les inégalités socioéconomiques. Or, même en laissant de côté le motif électoraliste d’une telle position, il est difficile pour le gouvernement d’augmenter les revenus provenant des impôts des classes inférieures et moyennes, en raison de l’effet matériel important sur ces classes. Néanmoins, l’enrichissement des groupes les plus possédants a été presque exponentiel depuis les dernières décennies et encore plus depuis la COVID-19. Une période de ralentissement et de difficultés économiques ne justifie aucunement que l’État délaisse ses engagements en matière de droits humains. Il doit en faire plus pour s’assurer que nous puissions éventuellement vivre comme égaux au Québec. Nous le répétons, la réalisation des droits humains doit se faire de manière progressive et l’État ne peut accepter des reculs en la matière. Les grandes mobilisations syndicales, fin 2023 et début 2024, nous rappellent que le cadre de référence des droits humains doit rester au cœur des revendications pour redire à l’État de remplir ses obligations : envers tous les titulaires de droits.L’article Les services publics et les droits humains : deux faces d’une même médaille est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Les organisations syndicales québécoises, canadiennes et internationales soutiennent-elles les affidés de Vladimir Poutine ?
Aussi importante que soit cette question pour connaitre l'orientation politique des directions syndicales, il est difficile d'y répondre clairement. Disons simplement que les organisations syndicales internationales ne brillent pas par leur transparence tandis que les enjeux de solidarité internationale sont secondarisés au sein des syndicats nationaux.
En juin 2024, ont lieu les élections des représentant·es des travailleurs et des travailleuses au Conseil d'administration de l'Organisation Internationale du Travail (OIT). Cette organisation tripartite (composée de représentant·es gouvernementaux, d'employeurs et de travailleur·ses) est notamment responsable de l'adoption des normes minimales en droit du travail. À titre d'exemple, la question de la légalité internationale du droit de grève est aujourd'hui l'une des questions les plus discutées en son sein. Il s'agit donc d'une organisation qui joue un rôle important pour la classe ouvrière, d'où l'importance de bien choisir ses représentant·es.
Ce sont les délégué·es des travailleurs et travailleuses de chaque pays membres à l'OIT qui votent pour les 33 membres du Conseil d'administration qui représentent les intérêts des travailleurs et des travailleuses : 14 membres permanents et 19 adjoint·es auxquels s'ajoutent 19 remplaçant·es. Aussi, pour préparer l'élection, la Confédération Syndicale Internationale (CSI), première organisation syndicale internationale au monde, a nommé un Comité de sélection mondial, composé de huit membres, à savoir les principaux dirigeants de la CSI et ceux des différentes confédérations régionales (Asie-Pacifique, Afrique, Europe, Amériques). Le comité a été chargé de dresser trois listes indicatives (pour les postes permanents, adjoints et remplaçants) des candidat·es. Ces listes sont ensuite communiquées aux délégué·es de l'OIT avant le vote pour leur indiquer le nom des candidat·es qui ont reçu l'appui de la CSI.
Lors de sa dernière réunion cependant, le Comité de sélection de la CSI n'a pas réussi à se mettre d'accord sur l'ensemble de la liste des 19 membres adjoints. Plus précisément, la proposition de laisser le 19e siège vacant « a fait l'objet d'une discussion », considérant que ce poste sera alors probablement pourvu lors du vote à l'OIT par un représentant du FNPR, la Federation of Independent Trade Unions of Russia (FNPR), la principale centrale syndicale Russe (voir document joint). Et finalement, avec 6 votes pour, un vote contre et une abstention, le Comité de sélection a choisi de laisser ce siège vacant. Seule la secrétaire générale du Conseil régional paneuropéen, Esther Lynch a voté contre, « sur la base du mandat clair de sa région de ne pas laisser de place susceptible d'être occupée par un candidat de la FNPR (Russie) ».
Rafael Freire, secrétaire général de la Confédération syndicale des Amériques (CSA) - laquelle compte parmi ses membres le Congrès canadien du travail (dont la FTQ), la CSN et la CSD - s'est quant à lui abstenu au motif « que sa région avait une proposition favorable à l'inclusion d'un représentant de l'organisation de travailleurs la plus représentative de la Fédération de Russie dans la liste de la CSI ».
Certes, il ne s'agit là que d'un vote indicatif du Comité de sélection mondial de la CSI puisque ce sont les délégué·es des travailleurs et des travailleuses à la Conférence internationale du travail de l'OIT qui au final éliront, le 9 ou 10 juin prochain, les représentant·es de leur choix au Conseil d'administration de l'OIT . Reste que cet appui à la FNPR est fortement dénoncé par celles et ceux qui sont attaché·es à la solidarité syndicale internationale .
Ce soutien est d'abord complètement aberrant puisque le Conseil d'administration de l'OIT a fermement condamné l'agression de l'Ukraine et mis fin à sa coopération avec la Russie. De surcroît, la CSI elle-même a suspendue la participation de la FNPR à ses activités depuis mai 2022 –suite à une commission d'enquête du Conseil général - en raison de son indéfectible soutien à Vladimir Poutine et à son « opération spéciale » en Ukraine.
Ainsi, aussi incohérent que cela puisse paraitre, des dirigeant·es de la CSI appuient maintenant la candidature à l'OIT d'un membre qu'ils et elles ont suspendu au motif qu'il violait ses statuts et notamment l'engagement selon lequel : « La Confédération proclame le droit de tous les peuples à l'autodétermination et à vivre libres de toute agression et de tout totalitarisme sous un gouvernement de leur choix ».
Mais ce soutien est aussi honteux quand on sait que la FNPR s'est ouvertement engagée à soutenir l'effort de guerre en Ukraine , qu'elle s'accapare les biens syndicaux ukrainiens dans les territoires occupés, que ses délégués ovationnent Vladimir Poutine venu faire le discours d'ouverture de son dernier congrès, confirmant de facto sa complète soumission et sa complicité avec le régime poutinien. Cet appui constitue une trahison non seulement à l'égard des centrales syndicales ukrainiennes qui appellent vainement à la solidarité internationale et à l'exclusion du FNPR mais également à l'égard des travailleurs et des travailleuses russes membres de la Confédération du travail russe (KTR-la seconde centrale russe) qui ont courageusement pris position contre la guerre.
Pour expliquer ce soutien, certains font valoir, plus ou moins ouvertement, des arguments de « realpolitik », il s'agirait de s'opposer à l'impérialisme « occidental », ou encore des arguments organisationnels et de représentativité : la FNPR serait l'une des plus importantes centrales syndicales, elle compterait pour 17% des membres de la CSI, sa suspension aurait d'importantes répercussions organisationnelles et financières pour la CSI, etc.
Mais quelle peut-être la contribution à la lutte contre l'impérialisme ou pour l'émancipation internationale des travailleurs et des travailleuses d'une organisation syndicale, quand bien même serait-elle la plus importante du monde, qui soutient ouvertement une guerre d'agression, nie le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, appuie des oligarques et des dirigeants racistes, sexistes, homophobes et qui répètent à qui veut l'entendre que l'Ukraine n'existe pas ?
Localement, au Québec comme au Canada, il est temps de se demander ce que votera le ou la représentant·e des travailleurs et des travailleuses canadien·nes à l'OIT [1]. Mais à ce jour, nous ne savons pas qui y participera tandis que les centrales syndicales québécoises comme le Congrès canadien du travail, contrairement à d'autres organisations, n'ont toujours rien communiqué sur le sujet.
Martin Gallié
Le 7 juin 2024.
[1] Nous ne connaissons que les représentant·es syndicaux à l'OIT de 2023 ; à noter qu'il y avait alors des représentant.es de la FTQ, de la CSN et de de la CSQ : https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcms_882714.pdf)
Les chauffeurs de bus gagnent leur lutte pour de meilleures conditions de travail
Site web nonala20

Luttes abolitionnistes et féminisme carcéral

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Luttes abolitionnistes et féminisme carcéral
Entrevue avec Marlihan Lopez, cofondatrice de Harambec et militante féministe Noire Propos recueillis par Delphine Gauthier-Boiteau, doctorante en droit et membre du comité de rédaction de la revue et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés
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Qu’en est-il des systèmes carcéraux et des abolitionnismes ?

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Qu’en est-il des systèmes carcéraux et des abolitionnismes?
Entrevue avec Marlihan Lopez, cofondatrice de Harambec et militante féministe Noire Propos recueillis par Delphine Gauthier-Boiteau, doctorante en droit et membre du comité de rédaction de la revue et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés
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Plus vous faites chier les gens, plus ils vous feront chier
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.











