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Bilan. 2023 est bien l’année la plus chaude jamais enregistrée

16 janvier 2024, par Courrier international — ,
L'année qui se termine est la plus chaude que la Terre ait connue depuis qu'il existe des relevés, et probablement depuis 125 000 ans. Après huit années consécutives de records (…)

L'année qui se termine est la plus chaude que la Terre ait connue depuis qu'il existe des relevés, et probablement depuis 125 000 ans. Après huit années consécutives de records de chaleur, certains scientifiques y voient la preuve d'une accélération du réchauffement climatique. Même les océans ont connu des canicules.

29 décembre 2023 | tiré de Courrier international
https://www.courrierinternational.com/article/bilan-2023-est-bien-l-annee-la-plus-chaude-jamais-enregistree

C'est officiel, ou presque, l'année qui touche à sa fin est la plus chaude que la Terre ait connue depuis cent soixante-quatorze ans qu'il existe des mesures directes de température. “Bien que les relevés de décembre ne soient pas encore définitifs, les scientifiques de la National Oceanic and Atmospheric Administration [NOAA] estiment qu'il y a plus de 99 % de chance que l'année 2023 soit celle où la température moyenne mondiale enregistrée soit la plus élevée, dépassant le précédent record de 2016”, rapporte, le 28 décembre, le site de la radio publique américaine NPR.

D'après les chercheurs qui reconstituent le paléoclimat et les températures passées à partir, notamment, des cernes d'arbre ou des couches de glace polaire accumulées au fil du temps, il est même probable qu'il n'y ait pas eu d'année plus chaude depuis 125 000 ans.

“Les températures mondiales n'ont pas seulement battu les records des années précédentes, elles leur ont aussi fait mordre la poussière, constate The New York Times. De juin à novembre, le mercure n'a pas cessé de grimper.” Avec une température moyenne de 17,1 °C à la surface du globe, le 7 juillet a été le jour le plus chaud parmi les plus chauds. “Et en décembre, poursuit le quotidien américain, les températures sont restées très au-dessus des normales : une bonne partie du nord-est des États-Unis s'attend à une semaine de fin d'année tout à fait printanière.”

Le problème, c'est que ce phénomène ne s'accompagne pas seulement de bucoliques bourgeons dans les arbres de l'hémisphère Nord en plein hiver, il dérègle aussi le climat mondial.

Il a en particulier alimenté, tout au long de l'année et partout sur la planète, des événements météorologiques d'une violence extrême entraînant des catastrophes pour les humains et la biodiversité : canicules tueuses aux États-Unis, en Inde et en Argentine ; incendies ravageurs au Canada ; inondations particulièrement meurtrières en Libye, mais aussi en Turquie, en Grèce, en Bulgarie ou encore en Autriche ; cyclones dévastateurs au Malawi et en Nouvelle-Zélande. Et cette liste est loin d'être exhaustive.

Les océans ont également atteint des niveaux records de chaleur nocifs pour la vie marine et propices à la prolifération d'espèces invasives.

La faute aux quantités colossales de gaz à effet de serre

Bien entendu, le principal moteur de ce réchauffement global, ce sont les gaz à effet de serre (GES) – au premier rang desquels le CO2 et le méthane –, dont les émissions ont explosé depuis le début de l'ère industrielle et ne cessent de croître d'année en année. Des activités comme la production d'électricité à partir de combustibles fossiles, le transport ou même l'élevage intensif contribuent pour une bonne part à surcharger notre atmosphère en GES.

Auprès de la NPR, Zeke Hausfather, climatologue à Berkeley Earth, une organisation à but non lucratif qui analyse les tendances climatiques, insiste :

“Une année comme celle-ci n'aurait pas eu lieu sans les milliers de milliards de tonnes de dioxyde de carbone que nous avons rejetées dans l'atmosphère au cours du siècle dernier.”

“Aussi extrêmes qu'aient été les températures de cette année, elles n'ont pas pris les chercheurs au dépourvu, assure néanmoins le New York Times. Les modèles des scientifiques présentent une fourchette de températures prévisibles, et la chaleur de 2023 s'y situe encore, bien qu'à l'extrémité supérieure.”

Le plus inquiétant, c'est que 2023 s'inscrit dans une séquence de huit années lors desquelles la température moyenne a battu des records. D'aucuns y voient la preuve que le réchauffement climatique s'accélère. C'est d'ailleurs ce qu'affirme James Hansen, “le scientifique américain qui a été le premier à alerter le monde sur l'effet de serre”,souligne The Guardian.

Dans une étude parue en novembre, le chercheur et ses coauteurs prévoient que le réchauffement climatique dépassera de 1,5 °C la température de la période de référence (l'époque préindustrielle) dès la décennie 2020, et de 2 °C avant 2050. C'est à dire bien plus tôt que prévu et que ce qui est indiqué dans l'accord de Paris sur le climat.

“La vérité est déjà assez moche comme ça”

Tout le monde ne partage cependant pas ce point de vue. Dans un billet de blog commentant l'étude de ses confrères, le chercheur américain Michael Mann estime qu'il n'y a pas d'accélération visible. Il voit davantage une augmentation “stable” et linéaire de la température qu'une accélération. “La vérité est déjà assez moche comme ça”, écrit-il.

Selon The Washington Post, de nombreux autres scientifiques se montrent également sceptiques quant à l'accélération du réchauffement moyen de l'atmosphère terrestre. Si certaines simulations climatiques la prévoient, eux ne la voient pas clairement dans les données “réelles” recueillies sur la planète. “Du moins, pas encore”, note, non sans ironie, le journal américain.

Le Washington Post, le New York Times et d'autres médias rapportent les débats qui animent la communauté scientifique concernant, par exemple, le rôle des particules fines, mauvaises pour la santé humaine mais qui réfléchissent le rayonnement solaire, contrebalançant en partie le piégeage de la chaleur par les gaz à effet de serre.

Le phénomène climatique récurrent El Niño est aussi à prendre en considération. Tant que l'épisode qui a démarré cette année n'est pas terminé, “il est peu probable que nous soyons en mesure de faire des affirmations définitives” quant à l'accélération du réchauffement, déclare au New York Times Reto Knutti, physicien du climat à l'École polytechnique fédérale de Zurich.

Ainsi, la combinaison d'El Niño et du réchauffement d'origine anthropique pourrait conduire à une année 2024 tout aussi chaude, voire plus encore. “Les années [où est actif] El Niño sont généralement plus chaudes, car une grande quantité de chaleur stockée dans l'océan est libérée dans l'atmosphère”, rappelle le site de la radio NPR.

Pour Tessa Hill, scientifique à l'institut des sciences côtières et marines de l'université de Californie, il est encore largement temps d'agir pour limiter le réchauffement en réduisant la quantité de GES envoyée dans l'atmosphère. Mais “si nous ne changeons rien, si nous continuons sur la trajectoire actuelle, nous nous souviendrons de 2023 comme d'une année qui n'aura pas été si terrible que cela”, prévient-elle dans l'article du site de la NPR.

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Comment la dette ruine les luttes climatiques

16 janvier 2024, par Pablo Laixhay — ,
L'urgence d'un changement de modèle de société gronde de plus en plus lourdement. Malgré un accord présenté comme historique à la COP28, appelant à une transition hors des (…)

L'urgence d'un changement de modèle de société gronde de plus en plus lourdement. Malgré un accord présenté comme historique à la COP28, appelant à une transition hors des énergies fossiles, force est de constater que de nombreux blocages fondamentaux persistent. Tous sont entretenus par un mécanisme bien connu, le système dette, outil favori du capitalisme néolibéral.

8 janvier 2024 | tiré du site du CADTM Pablo Laixhay | Photo : Félix Vallotton, The Wind, 1910, CC, National Gallery Of Art, https://www.nga.gov/collection/art-object-page.66439.html
https://www.cadtm.org/Comment-la-dette-ruine-les-luttes-climatiques

Alors que la 28e Conférence des Parties (COP28) s'est achevée le 13 décembre 2023, le moins que l'on puisse dire est que le chemin est manifestement encore long et pavé d'obstacles avant de pouvoir se targuer d'avancées significatives. Conclue sur un accord présenté comme historique car appelant à une transition hors des énergies fossiles, l'accord reste non contraignant et la temporalité de cette sortie bien entendu non définie.

Alors que les combustions de gaz, de charbon et de pétrole sont à l'origine de 90 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) et que leur consommation devrait battre un nouveau record en 2024 [1], l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), dont font partie les Émirats arabes unis, pays hôte de la COP28, a demandé à ses membres de rejeter tout accord réclamant la sortie des énergies fossiles au cours de cette même COP [2]. De la même manière, une récente enquête relayée par The Guardian vient de révéler que l'Arabie saoudite « mène un vaste plan d'investissement mondial visant à créer une demande pour son pétrole et son gaz dans les pays en développement [et a] les rendre accros… » [3]. Le moins que l'on puisse dire est que la pièce n'est pas tombée, en particulier auprès des géants des énergies fossiles dont 2 456 lobbyistes étaient accrédité·es pour la COP.

Suite à la publication de l'accord, Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du GIEC, soulignait au micro de France Inter qu'actuellement au niveau mondial « les promesses [de lutte contre le changement climatique faites par les États], si elles se réalisent toutes, permettent une baisse d'environ 5 % des émissions de GES à horizon 2030, alors que pour limiter le réchauffement sous les 2 °c d'augmentation des températures, une baisse de 25 % est nécessaire. Elle monte à 43 % pour rester sous les 1,5 °c. » [4]

Rappelons que nous avons déjà largement dépassé le 1 degré d'augmentation des températures moyennes depuis l'ère préindustrielle. Tandis que le GIEC insiste sur le fait que 60 % des réserves de pétrole et de gaz connues en 2018 doivent rester dans les sous-sols pour atteindre l'objectif des 1,5 °c, les entreprises pétrolières continuent d'investir massivement dans de nouvelles prospections. Parler aujourd'hui de rester sous le seuil des 1,5 degré est au mieux une illusion naïve, au pire une sinistre farce. Celui-ci sera certainement dépassé avant la fin de la décennie et les conséquences s'en feront inégalement ressentir. Depuis début décembre 2023, cette position est notamment soutenue par le Global Carbon Project [5].

Un autre élément totalement éclipsé dans cet l'accord est la justice fiscale et la prise en compte des capacités des pays du Sud pour faire face aux effets du dérèglement climatique ainsi que pour financer l'adaptation et les réparations des dégâts subis. Pour soutenir les États déjà lourdement impactés, un fonds pour les « pertes et dommages » a en effet été mis en place avec une capacité de… 400 millions de dollars. Quant au volet « adaptation », « la COP28 est parvenue à rassembler à peine 160 millions de dollars de plus pour aider les pays du Sud à s'adapter aux canicules ou aux pluies diluviennes qui deviennent plus intenses et plus fréquentes » [6].

Ces sommes apparaissent complètement dérisoires lorsqu'on sait que :

« Les coûts d'adaptation actualisés pour les pays en développement sont estimés entre 215 et 387 milliards de dollars par an(estimation revue systématiquement à la hausse) au cours de cette décennie » [7],

Les transnationales des énergies fossiles ont engrangé plus de 4 000 milliards de dollars en 2022 et assez de bénéfices ces 20 dernières années pour « pour couvrir près de 60 fois les coûts des pertes liées au changement climatique dans 55 des pays les plus vulnérables » [8]

• « Ces 55 économies les plus vulnérables au climat ont déjà subi à elles seules des pertes et des dommages évalués à plus de 500 milliards de dollars au cours des deux dernières décennies » [9]. Il est d'ailleurs important d'insister sur le fait qu'« en termes monétaires absolus, les pertes des pays les plus riches dues aux évènements climatiques ont tendance à être plus élevées, mais les pertes économiques par rapport au PIB, et en particulier, les pertes de vies humaines, de biodiversité, de culture, de patrimoine et de moyens de subsistance, les déplacements humains et animaux, les difficultés personnelles et les menaces existentielles, ont été beaucoup plus répandues dans les pays à revenu faible et intermédiaire » [10],

• Pour les pays du Sud, ces coûts pourraient atteindre 580 milliards de dollars annuels en 2030 et 1 700 milliards de dollars annuels d'ici 2050 [11].

Mais le problème va bien plus loin. Cet énorme manque de financement est profondément aggravé par la problématique de l'endettement des pays du Sud qui mine complètement leurs capacités financières, sert de transfert des richesses des pays du Sud vers les pays du Nord et tue dans l'œuf toute initiative ambitieuse de lutte contre changement climatique. Le présent article vise à rappeler en quoi le système international de la dette représente un verrou redoutable dans la lutte contre le changement climatique ou visant au moins à adapter la société a ses effets. Par souci de concision, trois éléments en particulier sont ici retenus : le surcoût du financement, le paiement de la dette comme priorité et l'extractivisme.

1. Le surcoût du financement

Plus un pays est vulnérable et a besoin de financement, plus le coût de l'emprunt sera élevé et plus il lui sera difficile de rassembler les investissements nécessaires pour lutter contre cette vulnérabilité et pour le bien de sa population

Suite à une série de chocs tels que la pandémie Covid, la guerre en Ukraine (qui a fait exploser les prix des céréales , des engrais chimiques et des combustibles) et l'augmentation des taux d'intérêts par les banques centrales du Nord, les pays du Sud font face à l'explosion du coût de leurs dettes. Les marchés financiers, dont les principaux acteurs (banques, compagnies d'assurance, fonds d'investissements,… ) sont issus du Nord, sont aujourd'hui la principale source de financement des États et imposent aux pays à faibles revenus, aux pays vulnérables et aux pays surendettés [12] des taux d'intérêt exorbitants. La logique est simple : plus un pays est en difficulté économique ou risque de voir son économie impactée par des catastrophes naturelles, plus les agences de notations et les marchés financiers vont considérer qu'il est risqué de lui prêter. Pour pallier ce « risque », ou pour en profiter, ils vont donc imposer des taux d'intérêt faramineux, obligeant les États en question à consacrer une part importante de leurs budgets annuels à payer le service de financement, et ce au détriment du financement de politiques stratégiques telles que des politiques sociales ou en faveur de l'environnement et du climat.

Résultat : Plus un pays est vulnérable et a besoin de financement, plus le coût de l'emprunt sera élevé et plus il lui sera difficile de rassembler les investissements nécessaires pour lutter contre cette vulnérabilité et pour le bien de sa population.

Les taux d'intérêt pour les pays du Sud, souvent supérieurs à 10 %, peuvent grimper jusqu'à 20, voire 30 %, alors que les pays du Nord, ou du moins ceux ayant la confiance des marchés, empruntent aujourd'hui à des taux entre 3 et 6%. Même en Belgique, la banque Degroof Petercam prête à des pays tels que le Ghana à du 25 % [13]. Pour un prêt sur 10 ans, ce pays paie donc à cette banque d'affaires 2,5 fois le montant emprunté (en plus du remboursement intégral) rien que pour les intérêts, alors que celui-ci peine à financer les services de base pour sa population.

Pour en savoir davantage, consultez l'étude d'Entraide et Fraternité sur l'implication des banques dans l'endettement des pays du Sud : Dette du Sud : les banques peuvent-elles s'en laver les mains ?

Cette logique pousse les pays du Sud à consacrer des parts toujours plus importantes de leur budget au service de la dette, voire de s'endetter davantage pour payer les intérêts de la dette, augmentant ainsi la charge des paiements. Un véritable cercle vicieux. Selon le dernier rapport International Debt Report (IDR) de la Banque mondiale [14], les pays dits « en développement » ont consacré en 2022 440 milliards de dollars au paiement du service de la dette, 5 % de plus qu'en 2021. Le même rapport prévoit une augmentation de 10 % pour 2023, pour atteindre 500 milliards de dollars. Un autre rapport commandé par l'ONU estime quant à lui que pour la période 2018-2028, le groupe des 20 pays les plus vulnérables (V20) devrait payer 168 milliards de dollars de surcout en intérêt pour pallier au « risque climatique » [15]. Les impacts du changement climatique déjouant dernièrement toutes les prévisions et estimations de par leur ampleur, ces estimations sont à prendre à minima.

Alors que ces pays ne parviennent pas à subvenir aux besoins de leurs populations, alors qu'ils subissent déjà de plein fouet les conséquences du changement climatique, alors que, comme partout ailleurs, des investissements massifs dans la réorientation de leur économie et de leur industrie pour lutter contre le changement climatique s'imposent, les États vulnérables et surendettés sont donc condamnés à verser des sommes colossales aux créanciers.

2. Le paiement de la dette, priorité des priorités

En 2021, le Ghana prévoyait d'allouer 77 millions de dollars par an pour l'adaptation face au changement climatique. La même année, le pays dépensa 4,8 milliards de dollars en service de la dette

Le paiement de ce service de la dette est systématiquement prioritaire sur les dépenses sociales (éducation et santé publiques, paiement des salaires des fonctionnaires,…). Pour assurer ce paiement, des coupes sur les budgets sont imposées. C'est le cas des budgets pour la santé et pour l'éducation, mais également pour la transition écologique, les politiques de protection de l'environnement ou le financement de l'adaptation et des réparations face aux catastrophes naturelles.

Aujourd'hui, le service de la dette des pays à faible revenu représente en moyenne les deux tiers de leurs budgets cumulés d'éducation et de santé. Pour certains pays, il dépasse même de très loin le budget de la santé. C'est le cas, par exemple, du Kenya où le paiement de la dette absorbe l'équivalent de 5 fois le budget de la santé, en Tunisie 4 fois et au Ghana 3 fois [16].

Il en va donc de même pour le financement des politiques d'adaptation face au changement climatique. Si nous gardons l'exemple du Ghana, en 2021 celui-ci prévoyait d'allouer 77 millions de dollars par an pour l'adaptation [17], c'est-à-dire en systèmes d'irrigation pour faire face aux sècheresses, des systèmes d'alertes pour prévenir les crues, etc. La même année, le pays dépensa 4,8 milliards de dollars en service de la dette, montant qui devrait atteindre 6,4 milliards en 2025. Cet exemple vaut pour une série alarmante de pays.

Même les pays directement touchés par des catastrophes naturelles ne peuvent faire l'impasse sur le paiement du service de la dette. Pamela Kuwali, directrice du ActionAid Malawi déclarait en début d'année 2023 : « Le Malawi [pays frappé par le cyclone Freddy qui a déplacé un demi-million de personnes] a une dette qui représente près des deux tiers de son produit intérieur brut, ce qui signifie qu'au lieu que notre gouvernement soit en mesure de canaliser des fonds vitaux pour la reconstruction et le redressement après le cyclone Freddy, nous sommes contraints de rembourser d'anciens emprunts. Nous avons les mains liées, alors que les catastrophes climatiques deviennent de plus en plus intenses et destructrices. Cela ne peut plus durer, et ce sont les femmes et les jeunes filles qui en souffriront le plus. [18] »

Plus que jamais les États ont besoin de moyens énormes pour les besoins de la population, pour investir prioritairement dans la transition écologique, l'adaptation au changement climatique et les réparations suite aux catastrophes. Ces investissements, passés au second plan, deviennent impossibles ou dérisoires.

3. La dette, moteur de l'extractivisme...

Outre la participation à l'émission de GES et donc à l'accélération des effets du changement climatique, les projets extractivistes ont donc logiquement des répercussions environnementales et écologiques désastreuses

Le troisième élément, peut-être le plus problématique, c'est l'extractivisme, un des rouages les plus essentiels et les plus pervers du système dette.

Comme souligné dans de nombreuses publications du CADTM, la logique de l'endettement des pays du Sud repose notamment sur le fait que les dettes, devant être payées en devises fortes (dollars, euros, yen,…), seront en partie remboursées grâce à l'exploitation et à l'exportation vers les marchés internationaux des ressources naturelles des pays en question, l'exportation étant un des moyens majeurs dont disposent les pays du Sud pour s'approvisionner en devises fortes. Pour rembourser leurs dettes, les États, en particulier les États d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine, n'ont donc souvent d'autres choix que d'étendre les monocultures d'exportation et/ou intensifier les pratiques d'élevages, parfois au prix d'une profonde déforestation, d'exploiter exagérément leurs réserves halieutiques, d'extraire de leur sous-sol un maximum de ressources minières et de ressources fossiles telles que le pétrole, le gaz de schiste, le charbon, etc.

Outre la dépendance vis-à-vis de nombreux facteurs exogènes tels que les cours internationaux, les effets néfastes de cette logique d'exploitation et d'extraction pour l'exportation sont innombrables, d'autant plus que les coûts des dommages causés par les activités des entreprises multinationales ne sont souvent pas prises en charges par ces dernières et sont donc supportées par l'environnement et par les populations locales, en particulier les femmes.

Les exemples ne manquent pas, à commencer par celui de Vaca Muerta en Argentine l'un des plus grands gisements de pétrole et de gaz de schiste au monde. Outre la potentielle libération de 5 milliards de tonnes de CO2, son exploitation par fracturation hydraulique, qui doit permettre de rembourser la dette illégitime de 43 milliards de dollars contractée auprès du FMI en 2018 [19], entraine des déplacements de population, une lourde contamination des eaux, des sols et des sous-sols et de graves problèmes sanitaires. Une multitude d'autres projets extractivistes liés à l'exploitation des ressources fossiles sont aujourd'hui opérationnels, sur le point d'être entrepris ou en cours d'étude alors que les scientifiques tirent la sonnette d'alarme depuis des années sur l'importance de se diriger vers la fin de l'utilisation des énergies fossiles. Plusieurs de ces projets sont d'ailleurs décriés comme de véritables bombes climatiques, parmi lesquels Santos, Buzios, et Lula, trois projets d'extraction de pétrole et de gaz offshore au Brésil, le projet Tannezuft Shale en Algérie ou encore l'EACOP, le fameux pipeline chauffé traversant l'Ouganda et la Tanzanie. Les projets d'extraction de charbon ne manquent pas non plus avec Paardekop et Grootegeluk (grande chance en néerlandais) en Afrique du Sud, Zambezi et Chirodzi au Mozambique, Phulbari au Bangladesh, PTBA en Indonésie, etc [20]. Ces projets se comptent par centaines…

Pour rappel, plusieurs éléments permettent de qualifier une dette comme étant illégitime, illégale ou odieuse.
• La conduite des créanciers : Connaissance des créanciers de l'illégitimité du prêt.
• Les circonstances du contrat : Rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d'accord
• Les termes du contrat : Termes abusifs, taux usuraires...
• La destination des fonds : Utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
Dans le cas de la dette de 43 milliards de dollars contractée par le gouvernement argentin de Mauricio Macri auprès du FMI afin de financer la réélection du président, celle-ci est odieuse, illégale et anticonstitutionnelle car contractée sans l'approbation du parlement argentin, contre l'intérêt de la population et en connaissance de cause de la part du créditeur, ici le FMI.
Les taux d'intérêt usuraires, excessivement élevés, auxquels font face les pays du Sud sont également un élément permettant de contester la légitimer d'une dette.
Plusieurs outils et textes du droit international, tels que la Déclaration sur le droit au développement, les résolutions de l'ONU sur la souveraineté des États sur les ressources naturelles ou encore le Conseil des droits de l'homme de l'ONU soulignent par ailleurs que le remboursement d'une dette qui entraine la violation des droits de l'homme est nul et non avenue. C'est notamment le cas lorsqu'une population voient ses droits remis en question face à l'application de politiques d'ajustement structurels.
Pour retrouver les différentes définitions : https://www.cadtm.org/Definition-des-dettes-illegitimes
Outre la participation à l'émission de GES et donc à l'accélération des effets du changement climatique, les projets extractivistes ont donc logiquement des répercussions environnementales et écologiques désastreuses et exacerbent profondément les limites planétaires [21] de notre biosphère.

Les exploitations minières, et la (non-)gestion des déchets qui y sont liés, symbolisent parfaitement les dégâts de l'extractivisme de par leurs impacts sur l'environnement et sur les populations vivant dans les régions concernées. La question de l'impact du secteur minier est d'autant plus sensible que pour atteindre les objectifs de transition énergétique de l'accord de Paris, la quantité de métaux à extraire et à transformer d'ici à 2050 dépasse la quantité extraite depuis l'antiquité [22]. Or, ces exploitations laissent systématiquement derrière elles des « zones mortes » où les rares réhabilitations des espaces peinent à cacher la perturbation des équilibres chimiques et biologiques. De plus, lorsqu'ils surviennent, les incidents liés à ces exploitations ont des conséquences colossales, à l'image de la rupture du barrage de la société Samarco en 2015 au Brésil qui retenait 40 millions de mètres cubes de déchets toxiques liés à l'exploitation d'une mine de fer. La coulée de boue a progressé sur plus de 500 km et a englouti 39 localités avant de se jeter dans l'Atlantique, faisant une vingtaine de morts [23]. Quatre ans plus tard, un drame similaire se produit avec la rupture de barrage de Brumadinho faisant 270 morts [24]. On estime qu'entre 4 et 6 accidents majeurs liés au secteur minier se produisent chaque année dans le monde.

En plus de jouer un rôle moteur dans le changement climatique, les conséquences de l'extractivisme imposé par la dette sont donc multiples, touchent tous les pans des sociétés des pays du Sud et les enjeux qui en résultent sont tant environnementaux et sociaux que politiques et économiques.

Conclusion

L'annulation de ces dettes est aujourd'hui, comme hier, cruciale, mais la portée vitale de cet enjeu sur les pays du monde entier est plus que jamais manifeste

La dette entraîne ainsi un véritable cercle vicieux et verrouille le statuquo. Afin d'assurer le remboursement des dettes dont la légitimité peut très souvent être contestée, les pays du Sud voient leurs capacités d'investissement complètement plombées et sont incités à exploiter leurs ressources, y compris leurs ressources fossiles. Cela engendre à la fois un immobilisme vis-à-vis de toute initiative sérieuse de lutte contre le changement climatique et une fuite en avant dans l'émission de GES et dans l'exacerbation des activités destructrices pour les écosystèmes du monde entier.

Dès lors, les impacts du changement climatique ne font logiquement que croître avec de lourdes conséquences, en particulier pour les pays du Sud se trouvant en première ligne. Alors que leur vulnérabilité et leurs besoins en investissements vont croissant, les pays touchés voient leurs économies et leurs capacités d'actions s'éroder. L'augmentation des taux d'intérêt et donc des coûts de financement freine lourdement des investissements plus que nécessaires et participe à l'explosion des dettes des pays les plus vulnérables, dettes qui seront à leurs tours remboursées grâce à l'exportation des ressources.

La dette et l'extractivisme tenant des rôles centraux dans la sécurisation de l'approvisionnement des marchés et des multinationales en matières premières et en ressources stratégiques, dans l'extraction des énergies fossiles et dans l'engraissement du commerce international et de la consommation de masse, un simple ralentissement de cette dynamique représente un défi colossal.

En plus de bloquer tout investissement allant contre l'intérêt du système capitaliste et des grands groupes privés, la dette vide les pays du Sud de leurs richesses naturelles et financières, promeut le saccage des écosystèmes et bloque toute perspective de changement et de transition écologique un tant soit peu sérieuse. Celle-ci ne peut être envisagée tant que le cercle vicieux n'est pas brisé.

Il est de plus en plus urgent d'exclure les fausses solutions allant du capitalisme vert aux suspensions de dettes anecdotiques en passant par les « échanges dettes contre nature » [25]. Tous les signaux indiquent aujourd'hui que nous sommes à l'aube d'une nouvelle crise de la dette dans les pays du Sud. Cette crise risque d'affecter davantage les capacités d'investissement des États et de pousser d'autant plus de pays dans la léthargie vis-à-vis des luttes environnementales et climatiques.

Pour en savoir plus sur la nouvelle crise de la dette, consultez : Selon la Banque mondiale, les « pays en développement » sont pris au piège d'une nouvelle crise de la dette : Comment l'expliquer ?

Il est aujourd'hui primordial, que ce soit vis-à-vis de la justice sociale, de la justice climatique, mais aussi de notre intérêt commun à un avenir vivable, de permettre aux peuples des pays du Sud de se libérer du remboursement de dettes dont la légitimité est contestable et d'organiser une transition écologique conséquente. L'annulation de ces dettes est aujourd'hui, comme hier, cruciale, mais la portée vitale de cet enjeu sur les pays du monde entier est plus que jamais manifeste.

Voir carte blanche cosignée par le CNCD, le CADTM et Entraide et Fraternité : Annuler les dettes pour assurer la justice climatique
L'auteur remercie Brigitte Ponet, Maxime Perriot et Eric Toussaint pour leurs relectures.

Notes

[1] COP28 : en parallèle de l'accord « historique », l'Opep annonce un nouveau record de la demande de pétrole en 2024. Par Helene Zelany sur Europe1. Le 13/12/23. Disponible sur : https://www.europe1.fr/international/cop28-en-parallele-de-laccord-historique-lopep-annonce-un-nouveau-record-de-la-demande-de-petrole-en-2024-4219896

[2] L'OPEP déclenche l'indignation de plusieurs États à la COP28 après avoir demandé à ses membres de refuser tout accord ciblant les énergies fossiles. Le 9/12/23. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/09/a-la-cop28-le-chef-de-l-opep-demande-aux-membres-de-refuser-tout-accord-ciblant-les-energies-fossiles_6204825_3244.html#:~:text=Dans%20ce%20contexte%2C%20l'Organisation,courrier%20consult%C3%A9%20vendredi%208%20d%C3%A9cembre

[3] Revealed : Saudi Arabia's grand plan to ‘hook' poor countries on oil. Par Damian Carrington dans The Guardian. Le 27/11/23. Disponible sur : https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/27/revealed-saudi-arabia-plan-poor-countries-oil

[4] Accord à la COP28 : « Ce qu'on acte, c'est quand même la sortie des énergies fossiles ». France Inter. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=A6t4HL-z5lQ&t=1125s

[5] Fossil CO2 emissions at record high in 2023. Disponible sur : https://globalcarbonbudget.org/fossil-co2-emissions-at-record-high-in-2023/

[6] COP28 : Un accord en deca de l'urgence climatique. Par Mickael Correia. Sur Mediapart. Le 13/12/23. Disponible sur : https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/131223/cop28-un-accord-en-deca-de-l-urgence-climatique

[7] Climat : il faut prendre des mesures dès maintenant pour combler le déficit en matière d'adaptation. Le 2/11/23. Disponible sur : https://news.un.org/fr/story/2023/11/1140262

[8] COP28 : Lancement d'une task force sur les taxations par le président macron. Par Guillaume Compain sur CareFrance. Le 2/12/23. Disponible sur : https://www.carefrance.org/actualites/cop-28-task-force-sur-les-taxations-climat-par-macron-ong-care-france/

[9] Idem ONU 2/11/23

[10] Eurodad. L'urgence climatique : Qu'est-ce que la dette a à voir la dedans ?. Septembre 2021. Page 6.

[11] Markandya, A., González-Eguino, M. (2019). Integrated Assessment for Identifying Climate Finance Needs for Loss and Damage : A Critical Review. In : Mechler, R., Bouwer, L., Schinko, T., Surminski, S., Linnerooth-Bayer, J. (eds) Loss and Damage from Climate Change. Climate Risk Management, Policy and Governance. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-319-72026-5_14

[12] 93% des pays les plus vulnérables sont en situation de surendettement

[13] Dette du Sud : les banques peuvent-elles s'en laver les mains ? par Entraide et fraternité. Disponible sur : https://entraide.be/wp-content/uploads/sites/4/2023/11/EtudeDette2023.pdf

[14] International Debt Report 2023. World Bank. Disponible sur : https://openknowledge.worldbank.org/entities/publication/02225002-395f-464a-8e13-2acfca05e8f0

[15] Climate Change and the Cost of Capital in Developing Countries. Imperial College Business School and SOAS University of London. 2018. Disponible sur : https://www.v-20.org/wp-content/uploads/2020/12/Climate_Change_and_the_Cost_of_Capital_in_Developing_Countries.pdf

[16] Idem. Entraide et Fraternité.

[17] Lower income countries spend five times more on debt payments than dealing with climate change. Jubilee Debt Campaign. Octobre 2021. Disponible sur : https://jubileedebt.org.uk/wp-content/uploads/2021/10/Lower-income-countries-spending-on-adaptation_10.21.pdf

[18] 93% of countries most vulnerable to climate disasters are either in or at significant risk of debt distress, new research by ActionAid International shows. USAID. 10/04/23. Disponible sur : https://www.actionaidusa.org/news/93-of-countries-most-vulnerable-to-climate-disasters-are-either-in-or-at-significant-risk-of-debt-distress-new-research-by-actionaid-international-shows/

[19] Voir interview de Esteban Servat dans l'article « La dette se paie, les escroqueries non » : Échanges dette contre nature et Debt for Climate, deux initiatives antinomiques ». https://www.cadtm.org/La-dette-se-paie-les-escroqueries-non-Echanges-dette-contre-nature-et-Debt-for Lire également d'Éric Toussaint par le portal Le Vent se Lève : « L'Argentine face au FMI : les péronistes à la croisée des chemins », https://lvsl.fr/largentine-face-au-fmi-les-peronistes-a-la-croisee-des-chemins/

[20] Carte des bombes carbones. Disponible sur : https://www.carbonbombs.org/map

[21] L'extractivisme exacerbe les neuf limites planétaires, ou frontières planétaires, ces « seuils à l'échelle mondiale à ne pas dépasser pour que l'humanité puisse vivre dans un écosystème sûr, c'est-à-dire évitant les modifications brutales, non-linéaires, potentiellement catastrophiques et difficilement prévisibles de l'environnement ». Rappelons en effet que si le changement climatique est un des phénomènes les plus médiatisés et les plus préoccupants vis-à-vis de l'avenir des écosystèmes sur notre planète, il n'est que l'un des neuf points de bascule qui menacent aujourd'hui. Sur ces neuf seuils, six ont déjà été franchis : le changement climatique, l'intégrité de la biosphère, la perturbation des cycles biochimiques de l'azote et du phosphore, la modification de l'occupation des sols, et plus récemment, la pollution chimique, dépassée début d'année 2023, et le cycle de l'eau douce, dépassée dans le courant du mois de septembre, dans un silence médiatique assourdissant.
Pour plus d'informations : https://reporterre.net/Qu-est-ce-que-les-limites-planetaires#4

[22] Olivier Vidal. Impact de différents scénarios énergétiques sur les matières premières et leur disponibilité future. Annales des mines - Série Responsabilité et environnement, 2020, N°99 (3), pp.19-23. Disponible à : https://hal.science/hal-03426222/document

[23] https://www.geo.fr/environnement/bresil-quatre-ans-apres-la-catastrophe-de-mariana-un-decor-fantome-198473

[24] La rupture du barrage de Brumadinho, qui a fait 270 morts et disparus au Brésil, « aurait pu être évitée ». Sur Le Monde. Le 6/11/2019. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/11/06/au-bresil-la-rupture-du-barrage-de-brumadinho-aurait-pu-etre-evitee_6018181_3244.html

[25] Pour en savoir plus sur les échanges contre nature, voir les analyses de Anne Theisen sur le sujet : Critique de la stratégie globale des échanges dette-nature en Afrique. Disponible sur : https://www.cadtm.org/Critique-de-la-strategie-globale-des-echanges-dette-nature-en-Afrique-22119 et Anguille au vert aux Galapagos. Disponible sur : https://www.cadtm.org/Anguille-au-vert-aux-Galapagos
Pour en savoir plus sur la position du CADTM, consultez « Pourquoi le CADTM n'est pas d'accord avec les échanges « dettes contre action climatique » ». Disponible sur : https://www.cadtm.org/Pourquoi-le-CADTM-n-est-pas-d-accord-avec-les-echanges-dette-contre-action

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Capitalisme fossile : les multinationales du pétrole distribuent 100 milliards de dividendes

16 janvier 2024, par Elea Novak — , ,
Alors que l'inflation, toujours grimpante, a été tirée en 2023 par les prix de l'énergie, les dividendes distribués par les grands groupes pétroliers pour l'année 2023 (…)

Alors que l'inflation, toujours grimpante, a été tirée en 2023 par les prix de l'énergie, les dividendes distribués par les grands groupes pétroliers pour l'année 2023 pourraient atteindre un niveau record. Pourtant, ces actionnaires sont responsables du réchauffement climatique et de la précarité énergétique.

4 janvier | tiré du site de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Capitalisme-fossile-les-multinationales-du-petrole-distribuent-100-milliards-de-dividendes

Le 1er janvier 2024, le journal The Guardian a révélé que les cinq plus grandes entreprises pétrolière (BP, Shell, Chevron, ExxonMobil et TotalÉnergies) sont en voie de distribuer pour l'année 2023 des dividendes plus élevés encore qu'ils ne l'étaient en 2022. Selon Institut d'économie de l'énergie et d'analyse financière (IEEFA), les grands groupes se préparent à dépasser les 104 milliards de dollars dont ils avaient arrosé leurs actionnaires en 2022, et ont d'ores et déjà distribué 100 milliards de dollars (94 milliards d'euros) pour l'année 2023.

Selon The Guardian, les entreprises ont pu faire des promesses de dividendes de plus en en plus élevés au fil de l'année, se reposant sur des prix de l'essence toujours en augmentation depuis le début de la guerre en Ukraine. Pourtant, comme le rappelle Alice Harrison, militante de Global Witness, « une fois de plus, des millions de familles n'auront pas les moyens de chauffer leur maison cet hiver, et des pays du monde entier continueront de subir les phénomènes météorologiques extrêmes liés à l'effondrement climatique ». En effet, en France les prix de l'énergie ont atteint une inflation de 5,6% sur un an en décembre 2023 selon l'INSEE. Prix auxquels les Français devront s'habituer, avec la fin du chèque carburant pour 2024.

Non contents de profiter d'une précarité énergétique grandissante, les grands pétroliers prévoient également ces dividendes records sur le dos de l'année la plus chaude de l'histoire. Les 11 premiers mois de l'année 2023 ont en effet enregistré une moyenne de température 1,46°C plus haute que la moyenne sur la période 1850-1900, l'ère préindustrielle. Alors que les pays membres de la COP28 signaient en décembre un maigre appel à une « transition hors des énergies fossiles », les industries poursuivaient leurs opérations et investissements dans les hydrocarbures.->https://www.theguardian.com/us-news/2024/jan/03/2023-hottest-year-on-record-fossil-fuel-climate-crisis] Dan Cohn, chercheur à l'IEEFA dénonçait ainsi auprès du Guardian en juillet que « elles [les entreprises fossiles, NDLR] n'ont laissé aucun doute que leurs engagements avaient été déployés pour des objectifs politiques cyniques, seulement pour être délaissés lorsqu'ils ne servaient plus la position stratégique de l'industrie ».

La fin de l'année 2023 nous permet de pointer clairement du doigt les responsables de la crise climatique et économique. Les plus de 100 milliards de dividendes distribués pour 2023 et les profits records sont indécents face à la situation de précarité dans laquelle sont plongés de nombreux foyers. Alors que la planète se réchauffe toujours plus, les plans et accords pour limiter ce réchauffement sont inefficaces tant qu'ils reposent sur les entreprises qui font des profits sur l'exploitation de la planète.

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Nous, syndicats, associations, appelons à ne pas promulguer la loi Immigration et à continuer la mobilisation

16 janvier 2024, par Collectif — , ,
Nous, associations, syndicats, membres de la société civile, nous sommes réuni·es mercredi 20 décembre au lendemain du vote de la loi pour « contrôler l'immigration, améliorer (…)

Nous, associations, syndicats, membres de la société civile, nous sommes réuni·es mercredi 20 décembre au lendemain du vote de la loi pour « contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » face au point de bascule qu'elle constitue pour nos principes républicains comme pour la vie des personnes étrangères et de l'ensemble des habitants de notre pays, salarié·es, travailleuses et travailleurs sociaux, agent·es du service public, bénévoles, universités et entreprises qui seraient confronté·es aux désordres provoqués par cette loi.

tiré de Entre les lignes et les mots

photo : Serge D'Ignazio

Rassemblé·es par nos valeurs communes de solidarité, de fraternité et d'égalité, nous ne pouvons accepter de voir le gouvernement et le Président de la République endosser une part conséquente du programme historique de l'extrême-droite : préférence nationale, remise en cause du droit du sol, déchéance de nationalité, criminalisation des personnes sans-papiers, limitations du droit à vivre en famille… Nous sommes consterné·es qu'une idéologie funeste l'ait emporté sur les faits, que les fantasmes aient triomphé sur la réalité des dynamiques migratoires.

Alors que notre pays est traversé de multiples fractures, nous dénonçons un texte qui tourne le dos aux forces de la société et va remettre en cause la garantie de droits fondamentaux et les libertés publiques, appauvrir des personnes déjà vulnérables, en les privant notamment d'aides au logement, à l'autonomie ou d'allocations familiales, remettre en question l'inconditionnalité de l'hébergement d'urgence, durcir l'accès aux titres de séjour, refuser un cadre clair de régularisation des travailleurs et travailleuses sans papiers et qui contribuera à stigmatiser davantage toute personnes d'origine immigrée et toute personne étrangère.

Nous ne sommes pas dupes des discours qui n'assument pas la réalité du contenu de cette loi et qui visent à en maquiller les conséquences pour les étrangers en France, mais aussi pour toute la population.

C'est bien un tournant que connaît notre République depuis mardi 19 décembre au soir. Mais le Président de la République a encore, entre ses mains, la capacité d'interrompre cette marche funeste. C'est pourquoi nous lui demandons solennellement de prendre la mesure de l'ampleur du désordre et de la crise sociale et démocratique que cette loi viendrait aggraver et de surseoir à sa promulgation.

Nous sommes et resterons déterminés à défendre un autre modèle de société, loin du rejet et de la haine de l'autre. Nous entendons poursuivre cette mobilisation avec toutes les forces de la société qui s'expriment d'ores et déjà dans les collectivités locales, les universités, les entreprises et dans toute la société civile.

Nous nous retrouverons à nouveau dès la rentrée, le 11 janvier, pour poursuivre cette dynamique de rassemblement, demander au Président de la République de surseoir à la promulgation de la loi, intensifier et élargir la mobilisation contre ce texte et son idéologie.

Signatures :
1. ATTAC
2. Anafé
3. ANVITA
4. Bibliothèques Sans Frontières
5. CEMEA France
6. Cimade
7. CFDT
8. CGT
9. CNAJEP
10. Droits d'urgence
11. Emmaüs France
12. Emmaüs Solidarité
13. Fédération des Acteurs de la Solidarité
14. Fédération de l'entraide protestante
15. Femmes de la Terre
16. Femmes Egalité
17. Fondation Abbé Pierre
18. France Terre d'Asile
19. Futbol Mas France
20. FSU
21. Groupe Accueil et Solidarité
22. JRS France
23. Ligue des Droits de l'Homme
24. Ligue de l'Enseignement
25. MADERA
26. Médecins du Monde
27. MRAP
28. Observatoire international des prisons
29. Oxfam France
30. Pantin solidaire
31. Paris d'Exil
32. Polaris 14
33. Samu Social de Paris
34. Secours
35. SINGA
36. Solidarité Laïque
37. Solidaires
38. Solidarités Asie France
39. SOS Racisme
40. Thot
41. Union des Etudiants Exilés
42. UNIR – Universités & Réfugié.e.s
43. UNSA
44. Utopia 56
45. UNIOPSS

https://blogs.mediapart.fr/la-cimade/blog/221223/nous-syndicats-associations-appelons-ne-pas-promulguer-la-loi-immigration

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L’extrême droite est l’ennemie des salarié·es !

Les partis d'extrême droite, au premier rang desquels le Rassemblement national, ont toujours tenté de porter un discours social, dans l'espoir d'attirer le vote des (…)

Les partis d'extrême droite, au premier rang desquels le Rassemblement national, ont toujours tenté de porter un discours social, dans l'espoir d'attirer le vote des travailleuses et des travailleurs.

Tiré du site web https://www.cgtparis.fr/

Dans la même logique, ils cherchent à s'approprier les mouvements de mobilisation du monde du travail dans le but de s'imposer comme le débouché politique de la colère sociale.

Mais le masque tombe dès qu'il s'agit de voter à l'Assemblée nationale, où les députés d'extrême droite votent contre les intérêts du travail.

À côté des votes, il y a aussi les violences sur le terrain. On ne compte plus les agressions de l'extrême droite contre le mouvement social : attaques de manifestations, dégradation de locaux syndicaux, tabassage de syndicalistes…

L'extrême droite est l'ennemie des travailleurs et des travailleuses ; elle sert ceux qui nous exploitent et nous écrasent, en vo- tant dans le sens de leurs intérêts et en essayant d'installer la division parmi les exploités en jouant la carte du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie.

Pour toutes ces raisons, l'extrême droite n'a sa place ni dans nos syndicats, ni dans nos manifestations, ni dans nos réunions publiques !

Pour améliorer nos conditions de travail et de vie, il n'y aura pas de raccourci, seules nos luttes collectives nous permettront de gagner le progrès social et de pré- server et renforcer nos libertés publiques.

Les syndicats et la CGT sont les outils pour construire ces luttes et faire reculer l'autoritarisme libéral de Macron et le nationalisme réactionnaire de l'extrême droite !

Paris, le 19 décembre 2023

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Les cinq hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune depuis 2020 tandis que cinq milliards de personnes se sont appauvries depuis le début de la « décennie des fractures »

16 janvier 2024, par Oxfam-Québec — , ,
Le nouveau rapport d'Oxfam sur les inégalités et le pouvoir mondial des entreprises révèle que la fortune des cinq hommes les plus riches du monde a plus que doublé depuis (…)

Le nouveau rapport d'Oxfam sur les inégalités et le pouvoir mondial des entreprises révèle que la fortune des cinq hommes les plus riches du monde a plus que doublé depuis 2020, passant de 405 milliards de dollars à 869 milliards de dollars (à un rythme de 14 millions de dollars par heure), tandis que cinq milliards de personnes se sont appauvries. La fortune d'un multimilliardaire pourrait dépasser les 1 000 milliards de dollars dans environ dix ans si la tendance actuelle se maintient, tandis que la pauvreté ne sera éradiquée que dans 229 ans.

À l'heure où l'élite économique se réunit à Davos, le rapport « Multinationales et inégalités multiples » publié aujourd'hui, révèle que sept des dix plus grandes entreprises mondiales ont un PDG milliardaire ou un milliardaire comme actionnaire principal. La valeur totale de ces entreprises s'élève à 10 200 milliards de dollars. Elle est supérieure aux PIB combinés de tous les pays d'Afrique et d'Amérique latine.

« Nous assistons à ce qui semble être le début d'une décennie des fractures. Des milliards de personnes subissent les chocs économiques dus à la pandémie, à l'inflation et à l'opposition à la fiscalité, tandis que les milliardaires prospèrent. Ces inégalités ne sont pas le fruit du hasard. La classe des milliardaires veille à ce que les entreprises contribuent avant tout à son propre enrichissement, au détriment du reste de la population », dénonce Amitabh Behar, directeur général par intérim d'Oxfam International.

« Le pouvoir démesuré des grandes entreprises et des monopoles privés est une machine à fabriquer des inégalités : en pressurant les travailleurs et travailleuses, en s'adonnant à l'évasion fiscale, en privatisant l'État et en accélérant les dérèglements climatiques, les entreprises génèrent des richesses inépuisables pour leurs propriétaires ultrariches. Mais elles leur donnent aussi du pouvoir, ce qui mine nos démocraties et nos droits. Aucune entreprise ni individu ne devrait avoir autant de pouvoir sur nos économies et nos vies. À vrai dire, personne ne devrait avoir un milliard de dollars ».

La montée en flèche des richesses extrêmes s'est consolidée ces trois dernières années tandis que le niveau de pauvreté dans le monde est toujours le même qu'avant la pandémie. La fortune des milliardaires a augmenté de 3 300 milliards de dollars depuis 2020, à une vitesse trois fois plus rapide que celle de l'inflation.

Alors qu'ils ne représentent que 21 % de la population mondiale, les pays riches du Nord détiennent 69 % des richesses mondiales et abritent 74 % des richesses des milliardaires du monde.

L'actionnariat est particulièrement avantageux pour les plus riches. Les 1 % les plus riches détiennent 43 % de tous les actifs financiers mondiaux. Dans les pays du Moyen-Orient, les 1 % les plus riches détiennent 48 % du patrimoine financier. Cette part est de 50 % en Asie et de 47 % en Europe.

Tout comme les ultra-riches, les grandes entreprises devraient réaliser en 2023 des bénéfices annuels qui pulvériseront tous les records. 148 des plus grandes entreprises mondiales ont engrangé conjointement 1 800 milliards de dollars de bénéfices nets au cours des 12 mois précédant juin 2023, ce qui représente une hausse de 52 % par rapport aux bénéfices nets moyens réalisés pendant la période 2018-2021. Leurs superprofits ont bondi à près de 700 milliards de dollars. D'après le rapport d'Oxfam, pour chaque tranche de 100 dollars de bénéfices générés par 96 grandes entreprises entre juillet 2022 et juin 2023, 82 dollars ont été reversés aux riches actionnaires.

Bernard Arnault est le deuxième homme le plus riche du monde. Il est à la tête de l'empire du luxe LVMH, qui s'est vu infliger une amende par l'Autorité des marchés financiers. Bernard Arnault détient également certains des plus grands médias français comme Les Échos et Le Parisien.

Aliko Dangote, l'homme le plus riche d'Afrique, détient un « quasi-monopole » sur le ciment au Nigeria. Il étend actuellement son empire au pétrole, ce qui suscite des inquiétudes quant à l'émergence d'un nouveau monopole privé.

La fortune de Jeff Bezos, qui s'élève à 167,4 milliards de dollars, a augmenté de 32,7 milliards de dollars depuis le début de la décennie. Le gouvernement des États-Unis a poursuivi en justice la société Amazon, à l'origine de la fortune de Bezos, et l'accuse d'avoir exploité son « pouvoir monopolistique » pour augmenter les prix, dégrader la qualité du service pour les consommateurs et étouffer la concurrence.

  • « Les monopoles privés nuisent à l'innovation, écrasent les travailleurs et travailleuses et détruisent les petites entreprises. Le monde n'a pas oublié comment les monopoles pharmaceutiques ont privé des millions de personnes du vaccin contre la COVID-19 et créé un apartheid vaccinal raciste tout en enrichissant un nouveau groupe de milliardaires »
  • - Amitabh Behar, Directeur général, Oxfam International

Dans le monde entier, les personnes travaillent plus dur et plus longtemps, souvent pour des salaires de misère dans des emplois précaires et dangereux. Près de 800 millions de travailleurs et travailleuses, dont les salaires n'ont pas suivi l'inflation, ont perdu 1 500 milliards de dollars au cours des deux dernières années, ce qui représente environ un mois (25 jours) de salaires perdus pour chaque travailleur ou travailleuse.

Selon une nouvelle analyse réalisée par Oxfam sur les données de la World Benchmarking Alliance portant sur plus de 1 600 entreprises parmi les plus grandes du monde, à peine 0,4 % d'entre elles s'engagent publiquement à payer un salaire décent à leurs employé·es et soutiennent le paiement d'un salaire décent dans leurs chaînes de valeur. Il faudrait 1 200 ans à une travailleuse du secteur sanitaire et social pour gagner ce qu'un PDG d'une entreprise du classement Fortune 100 gagne en moyenne en un an.

En outre, le rapport d'Oxfam révèle que l'opposition à la fiscalité menée par les entreprises a permis de réduire l'impôt effectif sur les sociétés de près d'un tiers au cours des dernières décennies. Pendant ce temps, les entreprises n'ont eu de cesse de privatiser les services publics et ont notamment ségrégué l'accès à l'éducation et à l'eau.

« Nous avons les preuves. Nous connaissons les faits. Les pouvoirs publics peuvent contenir le pouvoir débridé des entreprises et l'explosion des inégalités pour favoriser un marché plus juste non contrôlé par des milliardaires. Les États doivent intervenir pour démanteler les monopoles privés, autonomiser les travailleurs et travailleuses, taxer les bénéfices colossaux des entreprises et surtout investir dans une nouvelle génération de biens et de services publics », estime Amitabh Behar.

« Chaque entreprise a la responsabilité d'agir, mais très peu le font. Les États doivent intervenir. Les législateurs peuvent s'inspirer de bon nombre d'initiatives, comme la plainte déposée contre Amazon par les autorités américaines chargées de la lutte contre les monopoles privés, la décision de la Commission européenne de contraindre Google à se dessaisir d'une partie de ses activités publicitaires en ligne, ou encore la lutte historique menée par les gouvernements africains pour redéfinir les règles de la fiscalité internationale ».

  • « L'énorme concentration du pouvoir des entreprises et des monopoles et de leurs riches actionnaires à l'échelle mondiale et chez nous, accentue non seulement les inégalités économiques, mais aussi climatiques et envers les femmes. Rien pour construire des sociétés stables, et inclusives… Il est impératif de faire connaitre l'impact de ce pouvoir sur le quotidien des gens – nos salaires, notre accès aux médicaments, aux transports, à l'éducation, la gestion de la crise climatique … Et sur notre économie. Les gouvernements doivent jouer un rôle proactif dans l'orientation des économies favorisant les gens et la planète et le renforcement des services publics qui réduisent les inégalités. Nous avons une décennie devant nous pour revitaliser le rôle de l'État, réguler le pouvoir et les devoirs des entreprises et réinventer l'économie et la fiscalité. C'est possible, en s'assurant que les femmes soient incluses. »
  • - Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Oxfam-Québec

Oxfam appelle les gouvernements à réduire rapidement et radicalement le fossé entre les ultra-riches et le reste de la société grâce aux mesures suivantes :

Revitaliser l'État. Un État dynamique et efficace est le meilleur rempart contre le pouvoir extrême des entreprises. Les États doivent garantir des services universels de santé et d'éducation, et travailler à la mise en place d'un service public fort dans des secteurs allant de l'énergie au transport pour une transition juste.

Contenir le pouvoir des multinationales, notamment par la mise en place d'une législation qui garantit des salaires décents, le plafonnement de la rémunération totale des PDG, et l'instauration de nouvelles taxes progressives pour les ultra-riches et les multinationales, notamment des impôts permanents sur la fortune et les bénéfices excédentaires*. Oxfam estime qu'un impôt sur la fortune pour les milliardaires du monde entier pourrait rapporter 1 800 milliards de dollars par an dans le monde.

Réinventer le monde des affaires pour des modèles entrepreneuriaux d'économie sociale, basés ente autres sur l'économie du beigne et l'économie circulaire. Les bénéfices pourraient être partagés de manière plus égalitaire dans les entreprises suivant un modèle de gouvernance démocratique avec les employés et les parties prenantes. Si seulement 10 % des entreprises américaines étaient détenues par leurs employé·es, cela permettrait de doubler la part de richesse des 50 % les plus pauvres de la population américaine et la richesse médiane des ménages noirs.

*

En date du 2 janvier, les PDG des plus grandes entreprises québécoises ont gagné l'équivalent du salaire annuel moyen au Québec.

84% de la rémunération des PDG de ces grandes entreprises est composée de primes et bonus liés aux profits de leurs compagnies. (Source : Observatoire québécois des inégalités)

1/5 des personnes employées au Québec ne peuvent pas se loger dans le grand Montréal. (Source : Observatoire québécois des inégalités)

La fortune des cinq hommes les plus riches du monde a bondi de 114 % depuis 2020.

A peine 0,4 % sur plus de 1 600 entreprises parmi les plus grandes du monde, s'engagent publiquement à payer un salaire décent à leurs employé·es.

Un milliardaire est à la tête ou est actionnaire principal de sept des dix plus grandes entreprises mondiales.

Au total, 148 des plus grandes entreprises ont réalisé 1 800 milliards de dollars de bénéfices, ce qui représente une hausse de 52 % par rapport aux bénéfices moyens des trois dernières années. Elles ont redistribué des bénéfices records à leurs riches actionnaires, alors que des centaines de millions de personnes sont confrontées à une baisse de leur salaire réel.

En moyenne, il faudrait 1 200 ans à une femme travaillant dans le secteur de la santé et de l'action sociale pour gagner ce que gagne en un an le PDG moyen des 100 plus grandes entreprises de Fortune.

Oxfam appelle à une nouvelle ère d'action publique, incluant l'investissement dans les services publics, la régulation des entreprises, le démantèlement des monopoles privés, la valorisation de modèles entrepreneuriaux alternatifs et l'instauration d'impôts permanents sur la fortune et les bénéfices excédentaires.

Notes

Téléchargez le rapport d'Oxfam intitulé « Multinationales et inégalités multiples » ainsi que la note méthodologique.

Il faudrait 229 ans (presque 230) pour garantir qu'aucune personne ne vive en dessous du seuil de pauvreté de 6,85 dollars par jour fixé par la Banque mondiale.

Selon la World Economic Outlook Database du Fonds monétaire international, le PIB combiné de toutes les économies d'Afrique s'élevait à 2 867 milliards de dollars en 2023, tandis que celui des pays d'Amérique latine et des Caraïbes était de 6 517 milliards de dollars, ce qui représente un total de 9 400 milliards de dollars.

*Oxfam définit les superprofits comme ceux qui dépassent de plus de 20 % les bénéfices moyens générés entre 2018 et 2021.

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Quand Israël va chercher sa main-d’œuvre en Afrique

16 janvier 2024, par Jean-Christophe Servant — ,
Depuis le 7 octobre, l'État hébreu a vu sa main-d'œuvre étrangère – en premier lieu thaïlandaise – fuir ses exploitations agricoles. Pour faire face à cette pénurie, Tel-Aviv a (…)

Depuis le 7 octobre, l'État hébreu a vu sa main-d'œuvre étrangère – en premier lieu thaïlandaise – fuir ses exploitations agricoles. Pour faire face à cette pénurie, Tel-Aviv a notamment fait appel aux travailleurs du Malawi, un allié historique sur le continent et le pays d'adoption de Nir Gess, une figure influente de la diplomatie parallèle israélienne.

Tiré d'Afrique XXI.

« Nous suivons avec attention et préoccupation cette arrivée de travailleurs malawites qui se fait hors de tout accord bilatéral et laisse craindre leur exploitation », indique depuis Tel-Aviv Assia Ladizhinskaya, porte-parole de l'ONG israélienne Kav LaOved (KLO), qui défend les droits des travailleurs étrangers présents en Israël.

Le samedi 25 novembre 2023, dans la soirée, un Airbus A321-251 de la compagnie israélienne Arkia décollait du Kamuzu International Airport de Lilongwe, la capitale malawite, avec à son bord un premier groupe de 221 jeunes travailleurs agricoles du Malawi. Direction : l'État hébreu. Selon Michael Lotem, ambassadeur d'Israël dans la sous-région (1), ce vol ouvre la voie à un accord « gagnant-gagnant » entre Tel-Aviv et ce pays d'Afrique australe de 20 millions d'habitants, l'une des quinze nations les plus pauvres de la planète. « Les Malawites, explique le diplomate dans l'hebdomadaire sud-africain Mail & Guardian, gagneront 1 500 dollars par mois et, par dessus tout, acquerront de la connaissance. L'argent, ça va ça vient, mais la connaissance, ça reste. » Les travailleurs malawites, précise-t-il, « n'iront pas à Gaza, ils travailleront en Israël. Nous prendrons soin d'eux autant que nous prenons soin des Israéliens » (2).

Depuis le début des années 1990, Israël attire des travailleurs venus du monde entier – et en premier lieu du Sud-Est asiatique – qui souhaitent se faire embaucher dans divers secteurs : les soins aux personnes âgées et aux personnes handicapées, l'agriculture, la construction, l'hôtellerie ou encore l'industrie.

Avant le 7 octobre 2023, Israël accueillait, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 105 000 étrangers détenteurs d'un permis de travail. Après les attaques du Hamas, puis le lancement par Tel-Aviv de l'opération militaire « Glaive de fer » sur Gaza, qui a fait plus de 21 000 morts, les secteurs du bâtiment et de l'agriculture se sont soudainement retrouvés à cours de bras. Les permis de travail des 18 000 Gazaouis autorisés à se rendre en Israël ont été révoqués et ceux des Palestiniens de la Cisjordanie occupée ont été suspendus. Dans le même temps, certains pays réservoirs de main-d'œuvre tels que la Thaïlande ont rapatrié 10 000 de leurs ressortissants – sur les 30 000 qui se trouvaient sur place –, parmi lesquels ceux qui étaient employés dans les exploitations agricoles (3). Pour répondre aux besoins d'une filière qui connaît aujourd'hui une pénurie de 30 000 travailleurs, selon Avi Dichter, le ministre israélien de l'Agriculture et du Développement rural, il a donc fallu recruter ailleurs. Et notamment au Malawi, qui a été le premier pays du continent africain à répondre à cet intérêt.

Des travailleurs exploités et mis en danger

Mais à lire les témoignages et les derniers rapports publiés par l'ONG Kav LaOved, il semble que cette opportunité n'en soit pas forcément une. En 2021, l'ONG soulignait un manque d'accès des travailleurs étrangers du secteur agricole aux « soins médicaux, à des logements adéquats et à des conditions environnementales, sociales et de travail acceptables ». Elle notait que « les travailleurs [étrangers] sont également exposés à de nombreux risques pour la sécurité et la santé, tels que les pesticides, le travail en hauteur, le travail avec du bétail et le travail avec des véhicules et des outils lourds, souvent sans accès aux protections légalement requises ». Enfin, elle indiquait que « dans les zones ciblées par les tirs de roquettes [...], les employeurs exigent souvent que leurs employés continuent à travailler dans les champs ou à la ferme, sans abri, même lorsque cela est interdit par le commandement du front intérieur israélien. Cela a entraîné de nombreux blessés et décès parmi les travailleurs ». Dans ce rapport, l'ONG exige que « des abris soient mis à disposition de tous les travailleurs situés à proximité des zones de combat ».

En 2019, dans une autre enquête, KLO avait déjà révélé que des étrangers venus se former à l'agronomie dans des centres agricoles israéliens pour une durée de onze mois – programme dont profitent des Malawites – s'étaient retrouvés forcés de travailler au mépris des lois du travail israéliennes.

Lors des attaques du 7 octobre 2023 lancées par le Hamas, 39 ouvriers agricoles thaïlandais ont été tués d'après le quotidien thaïlandais Bangkok Post, et 25 seraient portés disparus. Les terres israéliennes limitrophes de l'enclave palestinienne, au sud du pays, sont un haut lieu de la filière maraîchère israélienne : 75 % des légumes récoltés dans le pays viennent de cette zone, tout comme 20 % des fruits.

Une collaboration ancienne

L'arrivée de centaines de Malawites fin novembre 2023 n'a suscité aucun débat en Israël. En revanche, 6 800 km plus au sud, au Malawi, cette nouvelle a provoqué la bronca de la société civile et de l'opposition. « Aucun parent sain d'esprit ne peut envoyer son fils ou sa fille dans un pays en guerre », a vitupéré Kondwani Nankhumwa, le président du principal parti d'opposition, le Democratic Progressive Party.

Ce n'est pas un hasard si le Malawi a été le premier à répondre aux besoins de Tel-Aviv. Le Malawi, est, avec l'Eswatini (l'ancien Swaziland) et le Lesotho, l'un des rares pays du continent africain à avoir maintenu des relations diplomatiques ininterrompues avec Israël depuis son indépendance, et ce même durant sa mise au ban par le continent africain après la guerre du Kippour en 1973. « C'est aussi le seul pays d'Afrique subsaharienne dont les citoyens peuvent se rendre sur place sans effectuer une demande de visa », expliquait en 2020 Boniface Dulani, enseignant et chercheur en sciences politiques à l'université du Malawi et directeur des études de l'institut Afrobarometer.

Avec l'arrivée au pouvoir en 2020 d'une figure évangélique, Lazarus Chakwera, les relations se sont même renforcées (4). À peine investi, le chef de l'État avait annoncé l'ouverture d'une ambassade à Jérusalem, un choix très controversé qui va à l'encontre de la position de l'ONU, et que la plupart des partenaires de l'État hébreu n'ont pas fait... (5)

Échapper au chômage

Les habitants du Malawi ont rapidement déchanté après l'élection de Chakwera, pourtant saluée comme une victoire de la démocratie. Le pays, qui sortait à peine de la crise socio-économique liée au Covid, a vu les prix de ses produits alimentaires et de l'énergie flamber. Finances publiques dans le rouge, pénurie de devises étrangères et cure d'austérité : fin 2022, le Malawi est devenu la première nation à faible revenu à obtenir un prêt du Fonds monétaire international (FMI) afin de faire face à un choc alimentaire. En novembre 2023, la Banque centrale a annoncé qu'elle allait dévaluer la monnaie nationale, le kwacha, de 44 %.

Pour une large partie des Malawites, l'espoir de partir travailler en Israël est donc considéré comme une chance. Mais l'opposition et la société civile questionnent l'opacité entourant ce programme d'embauches, mené « afin de résoudre le chômage des jeunes », selon la ministre du Travail du Malawi, Agnes Makonda Nyalonje. « Le gouvernement s'était engagé à créer 1 million d'emplois en un an, commentait début décembre Boniface Dulani. Envoyer des jeunes travailler en Israël semble être une démonstration de son incapacité à lutter contre le chômage. »

La confusion règne jusqu'au sommet de l'État. Le ministère du Travail reconnaît, embarrassé, n'avoir eu aucune connaissance d'un quelconque accord officiel entre les deux pays. Les embauches, qui ont été annoncées deux semaines après l'octroi par Israël de 60 millions de dollars d'aide publique au Malawi, n'ont jusqu'alors fait l'objet d'aucun accord bilatéral. Selon nos informations, des sociétés de courtage mandatées par Tel-Aviv auraient mené en novembre 2023 une campagne de recrutement auprès des jeunes âgés de 23 à 34 ans et ayant déjà suivi des programmes de formation agricole en Israël, notamment au Kinneret College. Un prêt bancaire remboursable sur deux ans, permettant en particulier de payer les 600 euros du vol charter organisé pour rejoindre Israël, a été octroyé aux « heureux » élus.

De 6 heures à 15 heures (mais beaucoup semblent faire des heures supplémentaires), ces derniers travaillent en particulier dans la bananeraie du kibboutz Gevim, situé prés de Sderot (dans le sud d'Israël, près de Gaza), et dans les fermes de la vallée d'Arabah (dans le sud, à la frontière avec la Jordanie).

L'ombre du négociant Nir Gess

La conduite de cette opération de recrutement a été menée par une figure de la diplomatie israélienne en Afrique : Nir Gess. Consul honoraire du Malawi en Israël et ambassadeur de bonne volonté en Ouganda, Nir Gess, 65 ans, est un vétéran des affaires israéliennes sur le continent. Il le découvre en 1981, alors qu'il sert de garde du corps personnel (6) d'Ariel Sharon, qui est à cette époque ministre de la Défense. En novembre 1981, dans le cadre de la reprise des relations diplomatiques avec le Zaïre (devenu la République démocratique du Congo) de Mobutu, qui débouchera sur un accord de coopération militaire, Sharon, en visite confidentielle à Kinshasa, prête au dictateur congolais son propre garde du corps. Va alors commencer, comme le raconte le quotidien israélien The Jerusalem Post, « une période de deux ans et demi au cours de laquelle chaque fois que Mobutu se déplaçait en dehors du Congo, Gess était à ses côtés, assurant sa sécurité ». Et allant jusqu'à développer « une relation chaleureuse et personnelle » avec le despote, qui lui ouvrira la porte du négoce de diamants.

Au début des années 1990, alors que la santé de Mobutu commence à se détériorer, Gess va rebondir dans le golfe de Guinée et poursuivre cette activité en Sierra Leone, dont il devient également le premier importateur de riz. La guerre civile force Gess à reprendre la route. Après un court passage au Liberia, cette fois-ci dans le pétrole, Gess est contacté au début des années 2010 par un fabricant de cigarettes ukrainien qui cherche à se fournir en tabac du Malawi. Pour le négociant israélien, c'est le début d'une entente cordiale avec le pays d'Afrique australe et son président d'alors, Joyce Banda. L'idylle se poursuivra avec ses successeurs, Peter Mutharika et Lazarus Chakwera.

Tabac, mais aussi poisson, maraîchage et cannabis thérapeutique : « Skippa », comme le surnomment ses amis, est aujourd'hui, avec son groupe Inosselia, une figure incontournable du monde des affaires du Malawi. Moins flamboyant que le magnat franco-israélien Beny Steinmetz, Gess n'en reste pas moins un acteur de l'ombre du retour d'Israël sur le continent africain, initié en 2016 sous l'impulsion de Benjamin Netanyahou – cette année-là, le Premier ministre israélien avait visité quatre pays africains : l'Ouganda, le Rwanda, le Kenya et l'Éthiopie. Et la relève semble assurée. Le Calcalist, l'un des plus importants médias d'information économique d'Israël, note que le fils de Nir Gess, Or Gouaz, était l'accompagnateur de bord des premiers travailleurs malawites recrutés par l'État hébreu.

Malgré son regain d'activité sur le continent, « l'Afrique reste très secondaire pour la diplomatie israélienne », souligne la chercheuse Sonia le Gouriellec dans Le Grand Continent. L'affaire des ouvriers agricoles marque-t-elle une nouvelle étape dans l'offensive de charme d'Israël vis-à-vis de ses partenaires en Afrique ? Après le Malawi – qui projetait d'envoyer 2 000 autres travailleurs fin 2023 –, le Kenya a annoncé l'envoi de 1 500 de ses ressortissants en Israël. Le Kenya a été l'un des rares pays africains à apporter un soutien inconditionnel à l'État hébreu après le 7 octobre 2023.

Notes

1- Il représente son pays dans les États suivants : Malawi, Kenya, Ouganda et Seychelles.

2- Jack Mcbrams, « Israel is recruiting Malawian workers », Mail & Guardian, 10 décembre 2023.

3- En 2021, le secteur agricole israélien employait 73 500 personnes, dont 44 % d'Israéliens, 33 % d'étrangers, aux 3/4 des Thaïlandais, et 23 % de Palestiniens

4- Élu à l'issue de l'annulation d'un premier scrutin, Chakwera, entre les deux rounds, avait passé trois jours remarqués en Israël.

5- Cette ambassade n'avait toujours pas ouvert en décembre 2023. Selon l'interprétation littéraliste des textes bibliques menée par les milieux évangéliques, et leur eschatologie, Jérusalem est la seule capitale d'Israël et doit jouer un rôle prépondérant à la « fin des temps ».

6- En tant qu'élément de l'unité 730, prestigieux corps du Shin Bet, l'un des services de renseignements israéliens, chargé notamment de protéger les hauts fonctionnaires.

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Le trafic de mercure imprègne les sites aurifères du Burkina Faso

16 janvier 2024, par Paténéma Oumar Ouédraogo — , ,
Avec la multiplication des sites d'orpaillage, le mercure, utilisé pour amalgamer l'or, est de plus en plus demandé dans le pays. Ce métal liquide est pourtant interdit en (…)

Avec la multiplication des sites d'orpaillage, le mercure, utilisé pour amalgamer l'or, est de plus en plus demandé dans le pays. Ce métal liquide est pourtant interdit en raison de ses effets sur l'environnement et sur la santé humaine. “Sidwaya” a enquêté sur les filières de contrebande, transfrontalières et circulaires, qui approvisionnent les mineurs.

Tiré de Courrier international. Article publié à l'origine dans le sidwaya.info

Mognonré, village situé à cheval entre les frontières du Togo et du Ghana, dans la région du Centre-Est du Burkina Faso, abrite un gisement aurifère, devenu également un lieu de trafic de mercure. Fournisseurs de mercure, grossistes, petits acheteurs, responsables de points de rachat d'or, mineurs artisanaux : voilà les principaux acteurs qui constituent ce réseau. Le circuit d'approvisionnement du métal liquide, selon Ousmane Kéré, un mineur âgé de la cinquantaine, commence par les ravitailleurs.

Ils arrivent du Togo à moto en contournant les services de contrôle de la police et de la douane avec du mercure conditionné dans des bidons et/ou des bouteilles classées dans des caisses en bois. À cette marchandise s'ajoutent du cyanure et des explosifs en bâtonnets. Ensuite, [les ravitailleurs] rallient le gisement aurifère de Mognonré en empruntant différentes pistes.

“Une fois sur le site, ils se dirigent vers des magasins et boutiques de fortune détenus par des grossistes et des gestionnaires de comptoir”, explique Ousmane Kéré.

Avec l'acide, un métal de qualité médiocre

À écouter Abdoul Salam Naaba, le représentant de la coopérative des orpailleurs du site de Gnikpière, dans la province du Ioba (Dano), région du sud-ouest du Burkina, l'usage du mercure dans les gisements aurifères burkinabè remonte au début des années 2000, plus précisément sur le site d'orpaillage du village de Mognonré.

Avant l'introduction du mercure, dit-il, les mineurs recouraient à l'acide pour extraire l'or, un processus laborieux qui donnait une qualité médiocre de métal précieux. Grâce aux mineurs ghanéens, le secret du mercure leur fut révélé, améliorant “significativement” leurs méthodes.

Depuis lors, des intermédiaires assurent l'approvisionnement en mercure provenant du Togo ou du Ghana à partir de ce village. Ces intermédiaires demeurent inconnus. Interrogé sur leur identité, Abdoul Salam Naaba préfère ne pas dévoiler de nom.

Cependant, il ne fait aucun doute que le village de Mognonré constitue le point d'entrée clandestin du mercure en provenance du Togo. Abdoulaye Ouédraogo, gérant d'un comptoir d'achat d'or sur le site, indique que, en plus du Togo, le Nigeria est une source d'approvisionnement.

Le mercure, importé principalement des pays d'Asie et d'Amérique du Sud, transite par le port de Lomé, au Togo, pour arriver sur les sites aurifères du Burkina Faso par des circuits illégaux.

Dès le transbordement des cargaisons

Le Togo, en ratifiant la convention de Minamata en 2017, un traité mondial destiné à protéger la santé humaine et l'environnement contre les effets négatifs du mercure, a interdit officiellement la vente, l'achat et l'usage de ce métal liquide sur son territoire.

Le Burkina Faso, également signataire de la convention la même année, selon l'agent de la Direction de la préservation de l'environnement Serge Alain Nébié, a proscrit l'utilisation des produits chimiques, notamment le mercure, sur les sites d'orpaillage. Officiellement, le Burkina Faso n'importe plus de mercure depuis 2018, sauf en cas d'autorisation spéciale d'importation.

Dans ce cas, le pays de transit (le Togo) qui approuve la demande de l'importateur (le Burkina Faso) garantit la protection de la santé humaine et de l'environnement et le respect du stockage provisoire du produit. Selon l'accord conclu entre les deux pays, la cargaison de mercure bénéficie d'un accompagnement (escorte) spécifique tout au long de son transit terrestre depuis le port de Lomé jusqu'au Burkina Faso. En dépit de ce dispositif, le mercure arrive à se retrouver illégalement sur les sites aurifères.

Selon une source douanière burkinabè, le trafic débute lors des transbordements des cargaisons dans le port de Lomé. À en croire ce douanier, avec la complicité de certaines personnes du port, le mercure, des produits chimiques comme le cyanure et des explosifs en bâtonnets utilisés pour dynamiter la roche sont chargés frauduleusement dans des camions avec d'autres marchandises.

Une fois sortis du port, révèle Barthélemy Kafando, un ancien chauffeur reconverti en mécanicien de camion, ces véhicules de transport de marchandises restent quelques jours à Lomé et ravitaillent discrètement des clients grossistes dans la ville avec une petite quantité. Ces clients, à leur tour, reconditionnent le métal liquide dans des bidons de 5 à 20 litres qui vont être chargés comme des marchandises dans le coffre arrière des voitures d'occasion achetées par des particuliers, pour être acheminés au Burkina Faso.

Au risque de graves incendies

Au cours du trajet, une partie du mercure reste sur le territoire togolais, notamment dans sa partie nord, à Dapaong et à Cinkassé. Depuis ces localités, les trafiquants de mercure parviennent à ravitailler les sites aurifères des villages frontaliers au Burkina Faso comme celui de Mognonré, ajoute Barthélemy Kafando.

Quant à l'autre partie (la plus grande), a confié le mécanicien de camion, elle est acheminée au Burkina Faso en se soustrayant aux contrôles douaniers. C'est à partir des marchés de Pouytenga (région du Centre-Est) et Ouagadougou (région du Centre), au Burkina, que le mercure arrivé du Togo est dispatché dans les différentes exploitations minières artisanales du pays.

“À partir du marché de Pouytenga, le mercure est distribué dans les sites d'orpaillage des régions du Centre-Est, du Sahel et de l'est du Burkina. Quant à la marchandise du marché de Ouagadougou, elle est destinée principalement aux régions du sud-ouest et du nord du pays”, précise l'ancien chauffeur.

Selon les déclarations d'un coursier (dont nous avons préservé l'identité) au marché de Sankar-Yaaré, à Ouagadougou, au Burkina Faso, le métal liquide argenté utilisé pour débarrasser l'or de ses impuretés pendant son extraction est d'abord stocké la nuit dans des entrepôts du marché et à proximité. Au marché de Sankar-Yaaré, des individus se faisant passer pour des vendeurs de céréales, en complicité avec la police municipale et des gardiens du marché, dissimulent ces marchandises illicites.

Plusieurs témoignages recueillis auprès des commerçants de la capitale burkinabè laissent entendre que l'incendie du marché de Sankar-Yaaré en janvier 2023 pourrait être lié au stockage clandestin d'explosifs, de cyanure et de mercure.

Roch Donatien Nagalo, secrétaire général du Syndicat national des commerçants du Burkina, fait remarquer que le stockage de ces substances chimiques dans le marché n'est pas une nouveauté. “Malgré les avertissements adressés à l'ensemble des commerçants avant l'incendie, certains acteurs du système ont continué à participer à ces activités illégales”, affirme M. Nagalo. Il appelle donc les autorités à intervenir pour mettre fin à ces pratiques et à soutenir la reconstruction du marché de Sankar-Yaaré.

78 tonnes de mercure utilisées par an

Actuellement, sur les sites d'orpaillage, indique Serge Alain Nébié, agent de la Direction de la prévention de l'environnement, pour produire 1 gramme d'or, l'artisan minier burkinabè utilise 1,57 gramme de mercure.

S'appuyant sur le plan d'action national “de réduction, voire d'élimination du mercure dans l'extraction minière artisanale et à petite échelle de l'or conformément à la convention de Minamata sur le mercure 2020-2029”, il confie qu'environ 78 tonnes de mercure sont utilisées annuellement sur les sites aurifères.

La demande la plus importante en mercure provient de la région du Sud-Ouest du Burkina, du fait de sa forte production artisanale d'or. La région du Sud-Ouest du Burkina Faso occupe une place prépondérante dans la chaîne de production aurifère à l'échelle nationale, avec 9,5 tonnes d'or par an.

Selon le président de l'Association des artisans miniers de la province de la Bougouriba (Diébougou), dans la région du Sud-Ouest du Burkina Faso, Raphaël Tapsoba, “l'or ne peut être extrait efficacement sans l'utilisation du mercure”. “Malgré son interdiction, nous sommes obligés de l'utiliser, car nous n'avons pas d'alternatives viables”, justifie-t-il. Il explique que l'or gît en profondeur dans le sol sous forme de particules dispersées, nécessitant l'utilisation de mercure pour les amalgamer.

Retour clandestin au Togo

Malgré [les mesures prises par les autorités], le mercure réussit à traverser les mailles. De Ouagadougou, il se fraie clandestinement un chemin inverse vers Lomé par l'intermédiaire des négociants burkinabè.

Kokou Elorm Amegadze, directeur exécutif par intérim de la section togolaise de l'ONG Amis de la terre, évoque le rôle prépondérant des négociants burkinabè dans l'industrie aurifère. Selon lui, ces négociants, étant très impliqués dans l'exploitation de l'or, pourraient apporter clandestinement du mercure au Togo, où il est utilisé à diverses fins.

Il a été établi que le mercure est couramment utilisé dans le processus de refonte par les bijoutiers au Togo. Le trafic de mercure se déroule en parallèle des flux illicites d'or. Les grossistes en or fournissent généralement le mercure aux orpailleurs afin qu'ils puissent traiter le minerai extrait sur-le-champ, en vue de sa future commercialisation.

Cette coordination implique la mise en place d'un système de collecte orchestré par les négociants agissant en tant qu'intermédiaires auprès des orpailleurs. Certains orpailleurs se transforment eux-mêmes en négociants travaillant directement avec les grossistes en or.

L'extraction de l'or à partir du mercure

Les mineurs artisanaux utilisent le mercure, une neurotoxine dangereuse, pour extraire l'or du minerai. Malgré les diverses tentatives en cours pour réduire et éliminer le mercure dans l'extraction artisanale de l'or, cette méthode reste populaire dans les sites aurifères parce qu'ils estiment que la méthode est efficace avec une forte probabilité de récupérer toutes les particules. En effet, après le broyage du minerai sorti des galeries, l'on procède au lavage sur une planche inclinée dont le fond est recouvert d'un tapis épais qui permet de piéger des grains d'or. Après cette étape, le tapis est retiré de la planche et remué dans une bassine contenant de l'eau propre de sorte à obtenir un liquide concentré. On y ajoute en ce moment, une certaine quantité de mercure et on procède à une malaxation (pendant un certain temps) au cours de laquelle le métal liquide piège toutes les particules d'or. L'on obtient ainsi une boule d'amalgame de mercure et d'or. Enfin, l'on procède au brûlage de la boule à l'air libre sur un feu de bois ou à l'aide d'un chalumeau à gaz. Le mercure disparaît progressivement sous l'effet de la chaleur pour ne rester uniquement que l'or. Mais pendant le brûlage, il se dégage une épaisse fumée blanche de mercure qui contamine l'environnement.

Paténéma Oumar Ouédraogo

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Sahel, la France abandonnée par ses alliés occidentaux

16 janvier 2024, par Francis Sahel — , , , ,
L'isolement de la France se durcit au Sahel après la décision de l'Allemagne de rester, comme les Etats-Unis, au Niger, malgré la prise de pouvoir par le Conseil national pour (…)

L'isolement de la France se durcit au Sahel après la décision de l'Allemagne de rester, comme les Etats-Unis, au Niger, malgré la prise de pouvoir par le Conseil national pour la sauvegarde de la démocratie (CNSP), le 26 juillet 2023. Avant le Niger, la France avait déjà été chassée du Burkina Faso et du Mali.

Tiré de MondAfrique.

Le timing a quelque chose de cruel pour la diplomatie française : le 22 décembre 2023 le dernier des 1500 soldats français présents au Niger a dû embarquer dans l'avion pour Paris. Deux jours plus tôt, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius annonçait à Niamey le maintien des 120 soldats allemands déployés à la base aérienne 101 de la capitale nigérienne. Au-delà de cette annonce, M. Pistorius a assuré que l'Allemagne va poursuivre sa coopération militaire avec le Niger, à travers la formation des forces spéciales nigériennes ; le soutien à une école de formation de sous-officiers nigériens ainsi que l'attribution des bourses de stages en Allemagne.

À la grande satisfaction des autorités militaires qu'il a rencontrées, le ministre allemand a confirmé que son pays entendait soutenir la construction à Niamey d'un hôpital militaire de référence dont le coût est estimé à près de 30 millions d'euros (20 milliards de FCFA). L'Allemagne a très clairement pris le contre-pied de la France dans l'appréciation de la situation créée au Niger par le coup d'Etat qui a renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023.

Précédent américain

Les Américains ont été les premiers, avant les Allemands, à prendre leur distance avec la France dans leur attitude vis-à-vis du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). A l'opposé de la diplomatie française, les Américains n'ont jamais rompu de contacts avec la junte qui a pris le pouvoir à Niamey à travers des échanges directs avec le général Moussa Salaou Barmou, chef d'état-major des FAN, et le colonel-major Maman Sani Kiaou, chef d'état-major de l'armée de terre. Ces deux officiers membres du CNSP ont été formés dans les écoles militaires américaines. Alors que les Français s'épuisaient à exiger le retour à l'ordre constitutionnel au Niger avec le président Bazoum à la tête de l'Etat, les Américains étaient, de leur côté, plus nuancés, prêts à se satisfaire d'une transition courte avec « un agenda crédible ». Sur l'autel du pragmatisme et de la real politique, les Etats-Unis ont dès septembre 2023 repris leurs activités militaires au Niger, faisant décoller leurs drones et leurs avions de surveillance et de reconnaissance. Ils ont officiellement reconnu en octobre 2023 le CNSP comme « autorités de fait » qui dirigent le Niger avant de décider en décembre 2023 que leur nouvelle ambassadrice à Niamey Kathleen Fritzgibbon présente ses lettres de créance à la junte. De passage au Niger, après le sommet de la CEDEAO du 10 décembre 2023 à Abuja, la Secrétaire d'Etat adjointe en charge des Affaires africaines Molly Phee est allée encore plus loin, en déclarant que les Etats-Unis étaient prêts à reprendre l'intégralité de leur coopération avec le Niger, sous réserve de l'annonce d'un calendrier d'une « transition courte avec un contenu crédible ». L'agenda américain au Niger est clairement très différent de celui de la France.

Jusqu'au-boutisme macronien

Adoptant la même posture que les Américains et les Allemands, les Nations unies ont décidé de désigner une nouvelle Coordinatrice résidente de leur système au Niger, qui présentera prochainement ses lettres de créance aux autorités du pays. L'ONU a également décidé que désormais les autorités au pouvoir à Niamey pourront s'exprimer dans toutes ses instances. Même la CEDEAO est à présent dans une démarche nettement différente des positions figées de la France. L'organisation sous-régionale n'exige plus en effet le rétablissement du président Bazoum, après avoir enterré définitivement son projet d'une intervention militaire. Les différents revers subis depuis le 26 juillet n'ont manifestement pas suffi à ouvrir les yeux de la diplomatie française. La France a finalement tout cédé au CNSP sur les conditions de retrait de ses troupes du territoire nigérien. Alors qu'elle défendait un retrait de ses soldats par Cotonou, au Bénin, la diplomatie française à dû accepter un itinéraire via N'Djamena beaucoup plus long. Paris a également dû avaler les grandes déclarations de Macron pour accepter le départ de Niamey de Sylvain Itté, ambassadeur de France au Niger. Enfin, les autorités françaises ont dû se résoudre à laisser partir le Mont Greboun, avion présidentiel nigérien, qu'elles séquestraient à l'aéroport de Fribourg-Mulhouse depuis le coup d'Etat du 26 juillet. Ironie de l'histoire, la France a même dû avancer les frais de parking exigés pour que l'avion puisse repartir à Niamey, condition posée par la junte pour aménager une porte de sortie honorable à Sylvain Itté.

Mort de la politique africaine

Derrière la succession incompréhensible d'erreurs de la diplomatie française, se cache, en réalité, une vraie absence de politique africaine. En effet, à Paris on n'a pas perçu l'évolution du contexte africain caractérisé désormais par l'émergence de sociétés très actives ; l'arrivée de nouveaux compétiteurs pas les Russes et les Chinois seulement ; une jeunesse connectée aux réseaux sociaux et très exigeante. La diplomatie verticale à force de coups de menton aux dirigeants des ex-colonies, ADN de la politique africaine de Macron et son ancien ministre des Affaires étrangères Jean Yves Le Drian, ne peut pas prospérer dans « cette nouvelle Afrique ». Tant le style que le contenu du discours macronien sur l'Afrique et le Sahel ne passent plus à Bamako, Ouagadougou et Niamey. Or, la plupart des décisions françaises sur le Niger, le Mali, le Burkina Faso ont été dictées par l'Elysée, les diplomates français, et leur cheffe Catherine Colonna, n'ont qu'à suivre les desideratas du Château. Ils n'avaient pas la moindre marge de manœuvre face à « Jupiter ».

Il y a, hélas, peu de chance que la France rectifie le tir, tant est ancré ici l'idée que si elle est en mauvaise posture au Sahel, c'est de la faute des « Sahéliens vendus » à la Russie et de la « propagande déloyale » anti-française qui règne dans la région. A ce prix-là, le retour de la France au Sahel n'est pas pour demain.

Francis Sahel

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Crise de la banane et de la cocaïne en Équateur

La professeure Joana das Flores a publié ce texte sur Instagram, que nous avons fait suivre de la déclaration de la Confédération des nationalités indigènes d'Équateur. Ces (…)

La professeure Joana das Flores a publié ce texte sur Instagram, que nous avons fait suivre de la déclaration de la Confédération des nationalités indigènes d'Équateur. Ces deux textes permettent de comprendre ce qui se joue sur place.

Tiré de Inprecor 716 - janvier 2024

Par Joana das Flores

Nous assistons à une guerre commerciale pour le marché intérieur et extérieur de la drogue à partir de l'Équateur. Dans ce cas, le conflit ne porte plus seulement sur les itinéraires et l'emplacement historique des entrepôts du pays. Il s'agit de la perte de pouvoir des entrepreneurs locaux dans l'exportation vers le cartel des Balkans (qui comprend les mafias albanaise et serbe).

Cette mafia dispose désormais d'un réseau mondial en partenariat avec les Colombiens et les Mexicains. Ils sont les principaux distributeurs mondiaux et se disputent le plus grand port de l'Équateur. Le port de Guayaquil est responsable des plus grandes expéditions de cocaïne vers l'Europe et l'Asie.

Le groupe Noboa, détenu par la famille de l'actuel président, est le leader de l'exportation de bananes depuis 1916… les plus grosses saisies de drogue dans les ports européens et asiatiques, en provenance de l'Équateur, se font dans des caisses de bananes…

Daniel Noboa est la troisième génération d'Exportadora Bananera Noboa. Le groupe possède des actifs d'une valeur de 1 355 millions de dollars et se compose de 156 entreprises. En 2021, si on l'analyse en fonction de sa taille, Exportadora Bananera occupe la 19e position parmi 295 groupes économiques.

Le groupe est entre les mains d'Álvaro Noboa Pontón, le père du président élu. Selon le Service fédéral des impôts, la plupart des entreprises qui font partie de ce groupe économique sont situées dans les provinces côtières de Guayas et Manabí. En outre, 119 entreprises sont nationales et 15 sont étrangères.

Le groupe Noboa possède une licence pour Quaker, leader sur le marché de l'avoine en Équateur. Avec 156 millions de dollars, elle détient 10 % des actifs du groupe jusqu'en 2020. Mais l'entreprise la plus importante du groupe n'est pas Quaker, mais l'exportateur de bananes Noboa Traiding, qui a réalisé en 2022 un chiffre d'affaires de 177 millions de dollars, selon la Surintendance des entreprises. Le groupe est composé d'autres entreprises qui contrôlent tout, de la culture des bananes à la production de carton pour l'emballage, en passant par les navires sur lesquels elles sont exportées.

Le pays sud-américain est le plus grand exportateur de bananes au monde, transportant environ 6,5 millions de tonnes par an par voie maritime. On estime que plus de 30 % de ce marché est déjà sous le contrôle des cartels.

La banane est le fruit défendu.

Face à la vague de violence causée par le crime organisé en Equateur.

Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur - CONAIE, Quito, 09 janvier 2024

Nous nous trouvons dans une situation de violence sans précédent, provoquée par le crime organisé, le trafic de drogue et les mafias. C'est le résultat d'un problème structurel, causé par la radicalisation des politiques néolibérales qui ont détruit l'État et ses institutions, les rendant incapables de réagir. Ces politiques ont également généré plus d'inégalités et de pauvreté, créant des conditions sociales propices au recrutement des jeunes dans la criminalité.

Les criminels, les trafiquants de drogue et les mafias ont profité de la permissivité accordée par les différentes autorités au cours des dernières années, infiltrant la plupart des entités étatiques et affaiblissant les institutions chargées de la sécurité publique. Les criminels ont utilisé la stratégie de la peur et du chaos pour intimider et soumettre le peuple équatorien, qui n'a pas reçu de garanties suffisantes de la part d'un État défaillant et réduit.

À cette crise s'ajoute le manque de leadership et de projet politique des derniers gouvernements, qui sont arrivés au pouvoir sur la base de mensonges, de faux espoirs et d'attaques contre divers acteurs sociaux. Ces gouvernements ont donné la priorité à leurs agendas particuliers pour favoriser les grands groupes économiques, au détriment de la pauvreté et de la souffrance de la majorité de la population.

Face à cette situation, nous appelons les peuples et les nationalités à maintenir actifs les gardes communautaires, à contrôler l'entrée sur leurs territoires et à protéger la vie et l'intégrité des communautés. Nous appelons également à l'unité nationale, à l'union des forces de tous les secteurs de la société, des organisations sociales, de la société civile, des peuples et des nationalités, pour surmonter cette crise. La peur et les menaces ne doivent pas nous vaincre, car il en va de l'avenir de notre terre et des générations futures.

Le gouvernement national doit agir dans le cadre juridique actuel, respecter les organisations en tant qu'espaces légitimes de défense des citoyens et reconnaître que l'Équateur est fait de nous tous. En outre, nous demandons instamment au gouvernement national et à l'Assemblée nationale de ne pas utiliser cette crise comme excuse pour adopter des lois ou des politiques antipopulaires qui affectent la majorité de la population, car cela ne fera qu'aggraver la situation et provoquer une réaction populaire en défense des droits, dans une situation qui n'a pas été causée par le peuple, mais par des gouvernements qui ont échoué.

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Chili : après le nouveau rejet constitutionnel, vers un nouveau cycle politique ?

16 janvier 2024, par Franck Gaudichaud, Pablo Abufom Silva — , ,
Dimanche 17 décembre 2023, pour la deuxième fois en un peu plus d'un an, les Chilien·nes devaient voter par référendum « pour » ou « contre » un projet de nouvelle (…)

Dimanche 17 décembre 2023, pour la deuxième fois en un peu plus d'un an, les Chilien·nes devaient voter par référendum « pour » ou « contre » un projet de nouvelle Constitution, qui mettrait fin à celle promulguée en 1980 sous la dictature d'Augusto Pinochet (et réformée à plusieurs reprises depuis 1989). Contrairement au précédent référendum, ce sont la droite et l'extrême droite qui ont cette fois subi une défaite politique.

Tiré de Contretemps
30 décembre 2023

Pablo Abufom Silva et Franck Gaudichaud

Dans ce texte écrit à chaud pour Jacobin América Latina, Franck Gaudichaud et Pablo Abufom reviennent sur les résultats électoraux, et plus largement les défis stratégiques de la période pour les gauches et les mouvements sociaux.

***

La nouvelle élection nationale du 17 décembre 2023 a lieu quatre ans après la grande révolte sociale de 2019, qui a ébranlé l'hégémonie néolibérale établie dans le pays andin depuis 5 décennies, et deux ans après l'élection de Gabriel Boric, le jeune président de la gauche progressiste (soutenu par une coalition entre le Parti communiste et le Frente Amplio, en alliance avec une partie de l'ancienne Concertación, la coalition sociale-libérale qui a gouverné la transition post-dictature).

Le premier plébiscite constitutionnel (septembre 2022) visait à « approuver » ou « rejeter » la proposition de constitution rédigée par une Convention composée principalement de représentant·es plutôt positionnés à gauche, anti-néolibéraux et marquée par la participation des peuples indigènes, des mouvements sociaux, de militantes féministes. Ce projet reprenait des décennies de luttes sociales et aspirait à un Chili démocratique, fondé sur des droits sociaux étendus, qui pourrait enterrer l'héritage de la dictature.

Au contraire, ce dernier référendum porte sur un texte constitutionnel qui a été rédigé par un Conseil constitutionnel à majorité d'extrême droite, dirigé par le Parti républicain, qui visait à approfondir le régime politique néolibéral de la constitution de 1980 et restreignait encore davantage les droits sociaux et avancées conquises depuis 1990 [1].

Un vote de classe

Une fois de plus, plus de 15 millions de Chiliens et Chiliennes ont été appelés à voter : 55,8% se sont opposés au nouveau texte constitutionnel, bien que 15% des électeurs·rices ne se soient pas rendus aux urnes, malgré le système de vote obligatoire avec inscription automatique (à nouveau en vigueur depuis 2022).

Une fois de plus, un vote de classe s'est exprimé dans la capitale, comme dans le reste du pays : alors que les trois municipalités les plus riches du pays ont voté « pour », les municipalités populaires du sud et de l'ouest de la capitale ont voté à plus de 60 %, voire 70 %, « contre ». Seules deux régions du pays andin ont voté majoritairement en faveur du dernier projet de constitution rédigé par les droites.

Pourtant, le grand capital et ses médias ont investi plus de 130 millions de pesos dans la campagne pour défendre le nouveau texte et une constitution qui empêcherait définitivement toute législation en faveur de l'avortement, qui sauvegarderait le système de retraite par capitalisation, qui consoliderait la marchandisation de l'eau, de l'éducation et de la santé, et qui consacrerait l'interdiction de la négociation collective par branche, tout en protégeant l'un des droits de grève les plus réactionnaires d'Amérique latine.

Une défaite pour le parti d'extrême droite d'Antonio Kast

En septembre 2022, plus de 62% de la population avait déjà rejeté une proposition constitutionnelle, mais il s'agissait alors d'un projet constitutionnel clairement progressiste, paritaire et féministe, qui proclamait un État « plurinational » et reconnaissait de nouveaux droits aux peuples indigènes. Pour de nombreux électeurs.trices, il s'agissait de dépasser – au moins en partie – l'État néolibéral et le modèle de développement extractiviste et écocide hérité de Pinochet et de ses « Chicago Boys » ; mais cette proposition n'avait pas convaincu largement, dans un contexte post-pandémique, d'incertitude politique et de crise économique [2].

En décembre dernier, le rejet s'est à nouveau exprimé, confirmant la dimension « dégagiste » en cours dans le champ politique-électoral ; il s'agit aussi de l'expression d'une population qui tient à dire par tous les moyens son ras-le-bol et sa colère, sa fatigue aussi depuis quatre années de convulsions sans perspectives claires, et quelles que soient finalement les orientations affichées par les un.es ou les autres.

Cette fois le rejet massif s'exprime face à un texte rédigé par l'extrême droite et la droite traditionnelle, dans le cadre d'un processus beaucoup plus « contrôlé » par les partis traditionnels et le Parlement, avec des « comités techniques de recevabilité » et des commissions d' »experts ». Les 50 membres (élu.es en mai 2023) du Conseil constitutionnel ont été conduits par une majorité relative rattachée au Parti républicain de José Antonio Kast, une nouvelle extrême droite qui a émergé fortement ces 3 dernières années, qui s'est imposée comme une force de « retour à l'ordre » face à la rébellion collective d'octobre 2019, face au puissant mouvement féministe et à ses revendications, face au gouvernement Boric et à son » progressisme tardif « , avec un discours ouvertement raciste, anti-immigré.es, patriarcal, ultra-conservateur et chrétien fondamentaliste.

En alliance avec la droite, le Parti républicain a cru pouvoir rédiger une Constitution à son image, celle des « vrais Chiliens » selon les mots de la présidente du Conseil, la très réactionnaire et intégriste luthérienne Beatriz Hevia. Avec le résultat du dernier référendum, le Parti républicain vient de subir sa première défaite claire. D'autant plus que Kast était déjà perçu comme le candidat à la présidence ayant de réelles chances de l'emporter à la fin de l'année 2025. Les couteaux sont également de sortie entre la coalition de droite conservatrice-néolibérale (Chile Vamos), autour de figures comme Evelyn Matthei, et le clan républicain, chacun cherchant à se dédouaner de sa responsabilité dans la débâcle.

Des dissensions apparaissent également au sein de l'extrême droite, certains leaders ou éditocrates comme Axel Kaiser cherchant à créer un « Parti libertaire », encore plus radical que Kast et copié sur le modèle de Javier Milei en Argentine [3]. Ces différenciations et tensions au sein du camp de la droite sont appelées à prendre de l'importance au cours des prochains mois, créant ainsi une fenêtre d'opportunité politique (ténue mais réelle) pour la gauche sociale et politique.

Un gouvernement Boric sans initiative, un progressisme sans réformes

Le soir du résultat, le président Boric a de nouveau parlé de « consensus national », tout en confirmant que la tentative de processus constituant était arrivée à son terme après ces deux échecs, reconnaissant que les « urgences sociales » étaient résolument ailleurs. Le jeune président (37 ans), au lieu de profiter de cette déroute des droites dans les urnes, a répété un discours d'autoflagellation critiquant le supposé « radicalisme » de la première proposition constitutionnelle de 2021-2022, et rejetant toute « polarisation » du pays :

« Il est temps de reconnaître le résultat obtenu par ceux qui ont défendu l'option « contre », mais sans oublier qu'une partie importante de ceux qui se sont rendus aux urnes ont voté pour l'option « pour ». Nous ne pouvons pas commettre la même erreur que lors des plébiscites précédents. Le pays est fait par nous tous et toutes, et ceux qui triomphent lors d'une élection ne peuvent pas ignorer ceux qui ont été battus. Notre pays continuera avec la Constitution actuelle parce qu'après deux propositions constitutionnelles soumises à un plébiscite, aucune n'a réussi à représenter et à unir le Chili dans sa belle diversité. Le pays s'est polarisé et divisé, et malgré ce résultat retentissant, le processus constitutionnel n'a pas réussi à canaliser les espoirs de rédaction d'une nouvelle Constitution pour tous ».

De manière générale, plusieurs responsables gouvernementaux reconnaissent que ce résultat apporte un peu d'air frais à un exécutif caractérisé, depuis ses débuts, par une faible capacité de changement et des réformes timides et contradictoires (avancées sur la gratuité des soins, la réduction du temps de travail et l'augmentation du salaire minimum) [4].

Ce qui marque surtout chez Boric, c'est son manque de volonté, même minimale, d'affronter les secteurs dominants et patronaux et d'essayer de mobiliser les secteurs populaires « par en bas », alors qu'en dehors du PC, il n'a pas de liens réels avec la classe ouvrière et les secteurs subalternes. Minoritaire au Parlement, enfermé dans une logique parlementaire et de gestion de l'appareil d'État, n'ayant pas réussi à imposer sa réforme fiscale, Gabriel Boric est de plus en plus dépendant du Parti socialiste et de ses alliés de « l'extrême-centre » (piliers du néolibéralisme depuis 1990), entrés en force à La Moneda (le palais présidentiel) et incarnés par la ministre de l'Intérieur, Carolina Tohá.

Embourbé dans une affaire de corruption (Caso Convenios) qui touche des proches du président, confronté à un bombardement systématique et terriblement efficace des monopoles médiatiques capitalistes qui ont focalisé les débats publics sur le narcotrafic, l'insécurité et le rejet des migrant.es, le gouvernement subit l'agenda politique dicté par les droites, plutôt qu'il ne l'impulse.

Dans cette lignée, et malgré la protestation de nombreux militant.es de gauche qui le soutiennent ou la critique de dirigeants comme le maire communiste de Recoleta Daniel Jadue, le gouvernement a continué à militariser le territoire mapuche connu sous le nom de Wallmapu, à défendre les carabiniers et la large impunité des responsables de la répression d'octobre 2019 ou encore il a proposé des lois qui criminalisent les luttes pour le droit au logement. La présence de quelques personnalités de gauche comme la ministre et porte-parole de l'exécutif Camila Vallejo (toujours populaire selon les sondages), ne change rien à cette orientation générale, qui génère également une grande démobilisation ou désillusion dans la base du Frente Amplio et du PC.

Un nouveau cycle politique ?

Les élections de dimanche marquent indéniablement la fin d'un moment politico-électoral, mais peut-être plus largement d'un cycle politique. Comme suggéré plus haut, des éléments paradoxaux de continuité peuvent être discernés au cœur de ces deux référendums, et même dans le sillage de la rébellion d'octobre 2019 [5] : clairement, la crise d'hégémonie, le rejet de la « caste » politique et l'insatisfaction massive face à l'absence de solutions aux principales demandes populaires sont toujours d'actualité, sous des formes et avec des orientations stratégiques différentes, et y compris sous des formes contradictoires.

Au-delà de l'impact profond et indéniable des médias dominants et des réseaux sociaux sur les résultats électoraux des deux plébiscites, on constate que le vote « contre quelque chose » l'emporte sur le vote « pour quelque chose ». Cela reflète une situation d'impasse politique nationale, dans laquelle aucun des acteurs en conflit ne parvient à imposer son programme, ou encore à convaincre une majorité de la population que ses propositions pour sortir de la crise sont les bonnes. Ni l'irruption massive du peuple en octobre 2019, ni la majorité anti-néolibérale de la Convention de 2021, ni le progressisme au gouvernement depuis 2022, ni la majorité pinochetiste au sein du Conseil constitutionnel de 2023 : aucune de ces expressions n'a représenté une porte de sortie crédible à l'échelle du pays.

Dans cette situation d'impasse qui pourrait s'avérer catastrophique, la principale menace à court terme pour les classes populaires et la (fragile et partielle) démocratisation du Chili est la consolidation de l'émergence d'une force politique d'extrême droite réactionnaire qui parviendrait à capitaliser sur les défaites de tous les acteurs mentionnés ci-dessus et le mécontentement généralisé. Il va sans dire que le triomphe de Javier Milei en Argentine renforce cette possibilité, au moins pour l'instant. Mais dans un scénario de polarisation politique, alors que le gouvernement de centre-gauche n'a pas été en mesure de réaliser son programme, il n'est pas déraisonnable d'imaginer un prochain gouvernement de droite/extrême droite, ce qui explique pourquoi les principales figures présidentielles dans les sondages sont aujourd'hui Kast et Matthei.

Perspectives pour les mouvements sociaux

Face à cet horizon infâme, les gauches alternatives et les mouvements sociaux, féministes et populaires ont l'obligation de tirer des leçons stratégiques des quatre dernières années.

D'une part, la modération programmatique incarnée par le parti au pouvoir, et particulièrement l'expérience du Front Large, a eu pour effet, à la fois, de décevoir sa base électorale et d'emprunter les voies de la mobilisation collective pour contrer le blocage parlementaire et médiatique de l'opposition. Lorsque face à une opposition obstinée, le gouvernement Boric préfère reculer, abandonner ses prétentions de changement et finit par approuver « avec succès » des projets vidés de leur intention initiale, un message clair est envoyé : en temps de crise, la capitulation programmatique parait inéluctable. Il n'y aurait ainsi pas de place et de forces pour soutenir un programme de transformation, s'appuyant sur des appels à la mobilisation et l'affrontement politique avec les droites. Vu sous cet angle, le gouvernement a renoncé précisément au peu qu'il peut faire en temps de crise et de blocage parlementaire : utiliser sa fraction de pouvoir institutionnel – certes limité – pour forcer une confrontation ouverte sur le programme et clarifier les positions de chaque acteur en conflit. Au contraire, Boric a préféré rééditer la « politique des accords » élitiste, par en haut et sans le peuple, qui a caractérisé le centre-gauche social-libéral de la transition (1990-2010) [6].

D'autre part, les gauches et les mouvements sociaux feraient bien de profiter de ce moment post-plébiscite pour faire une autocritique profonde de la dispersion organisationnelle qu'impliquent les luttes sectorielles actuelles, chacune dans sa propre sphère d'influence ou territoire, sans la construction d'un espace commun de dispute pour le pouvoir autour d'un programme transversal et indépendant de classe. Une exception notable a été le cas du féminisme développé autour de la Grève générale féministe promue par la Coordinadora Feminista 8M, qui a cherché à faire des féminismes une vision globale capable d'affronter programmatiquement et organisationnellement l'ensemble des problèmes nationaux du temps présent.

En termes classiques, ce nouveau cycle confrontera les gauches et les mouvements sociaux au problème de la construction d'une force politique à la fois radicale et unitaire, capable de frapper dans une direction commune avec comme perspective d'élargir les brèches ouvertes par la rébellion d'octobre 2019. Cela exige, en premier lieu, d'identifier les raisons pour lesquelles celle-ci n'a pas réussi à imposer, par ses propres moyens, les termes de la sortie de crise, et pourquoi elle a dû être transmutée en un processus constituant convenu et conçu par et à partir du Congrès.

Plutôt que de blâmer les « traîtres » en place qui auraient perverti la puissance de la révolte sociale, cette clôture du cycle nous oblige à réfléchir à nos propres carences : une dispersion des revendications sociales sans référence au fil rouge stratégique des causes structurelles de la crise du capitalisme néolibéral chilien/mondial, un archipel d'organisations sans activité commune autre que la mobilisation de rue, une déconnexion entre les noyaux militants et la masse mobilisée, et la persistance de modes d'organisation artisanaux qui n'ont pas su tirer parti de l'irruption massive et populaire de la révolte par la création de nouveaux référents politiques alternatifs avec une présence nationale.

Si la principale menace qui pèse aujourd'hui sur le camp populaire est bien la montée de l'extrême droite, il s'agit d'identifier toutes les voies par lesquelles il est possible d'arrêter net ce processus régressif accéléré. Nous pensons que cela passera principalement par la résurgence de revendications unitaires qui puissent sortir la classe travailleuse chilienne de la précarité généralisée qu'elle connaît, et par la constitution d'une force politique large qui relie ces solutions à une histoire de luttes, à 50 ans du coup d'État du 11 septembre 1973.

L'objectif reste de rompre avec le régime politique et économique dominant, hérité de la dictature, tout en tirant des leçons de l'échec du Frente Amplio à le faire. Si Kast et d'autres expressions néo ou post-fascistes représentent une « sortie de crise » avec des caractéristiques conservatrices, autoritaires et nationalistes qui renforceraient le régime, alors la voie pour les gauches et les mouvements sociaux devra être celle du conflit de classe dans une perspective anticapitaliste, féministe et éco-socialiste, visant à démonter les causes profondes de la crise, tout en résolvant ses symptômes les plus immédiats avec des solutions politiques concrètes et matérielles à court terme.

Sans cette combinaison, l'extrême droite et les héritiers du pinochetisme continueront à avoir les coudées franches pour convaincre les secteurs populaires que le progressisme actuel n'est pas de leur côté, et que la seule solution serait de leur confier les rênes de l'État.

*

Publié initialement sur Jacobin América Latina.

Traduit de l'espagnol (chilien) par Contretemps Web.

Illustration : Photographie de Janitoalevic : Un Chilien avec une banderole « contre » le plébiscite constitutionnel de 2023 (WikiCommons)
Notes

[1] Cf. https://www.contretemps.eu/victoire-extreme-droite-chili-kast-boric

[2] Cf. https://www.contretemps.eu/chili-rechazo-nouvelle-constitution-boric-gauche-neoliberalisme/

[3] Cf. https://www.contretemps.eu/de-quoi-milei-est-il-le-nom/

[4] Cf. https://www.contretemps.eu/chili-boric-president-ancien-nouveau/

[5] Cf. https://www.cadtm.org/Franck-Gaudichaud-Regardons-le-Chili-pour-comprendre-dans-quel-monde-on-veut

[6] Antoine Faure, Franck Gaudichaud, María Cosette Godoy H., Fabiola Miranda P., René Jara (dir.), Chili actuel : gouverner et résister dans une société néolibérale, Paris, L'Harmattan, 2016.

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Chiapas : (les) trente ans d(e l)’insurrection !

16 janvier 2024, par Louison Le Guen — , ,
Le 1er janvier 1994, les puissants de ce monde se réveillèrent sceptiques, incrédules, et peut-être, pour les plus lucides d'entre eux, vaguement inquiets... C'est que la (…)

Le 1er janvier 1994, les puissants de ce monde se réveillèrent sceptiques, incrédules, et peut-être, pour les plus lucides d'entre eux, vaguement inquiets... C'est que la permanence de la révolution venait de leur sauter aux yeux !

Hebdo L'Anticapitaliste - 689 (04/01/2024)

Par Louison Le Guen

Crédit Photo
DR

À zéro heure entrait en vigueur l'ALENA, l'accord de libre-échange nord-américain qui devait aligner le Mexique sur ses puissants voisins du Nord. Le dicton ne dit-il pas « pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des États-Unis d'Amérique ! » ? Ainsi étaient condamnéEs à encore plus de misère les petits paysanEs centro-américainEs, parmi lesquels une grande proportion des communautés indiennes du Chiapas, assignées à l'exil et/ou à l'emploi dans les maquiladoras de la frontière !

À zéro heure trente, alors que tout semblait se passer pour le mieux pour le capital, voilà qu'une armée de gueux investissaient les plus grandes villes des Chiapas, dont la très symbolique San Cristobal de las Casas ! Il fallut bien alors, pour le gouvernement mexicain, se rappeler ce territoire et ses habitantEs, tenter de résoudre la question... et négocier avec l'EZLN (Ejército zapatista de liberación nacional) !

Autonomie, démocratie, bon gouvernement !

Bien entendu, le gouvernement s'abandonna à la tentation militariste, qui provoqua la mort de plus de 500 personnes. Sauf que... investir militairement la forêt chiapanèque, pour en déloger un ennemi invisible, indissociable d'une population indigène très largement acquise à la cause, immédiatement soutenu par tout ce que le Mexique comptait alors de forces progressistes, entouré de la solidarité internationale qui ne demandait qu'à s'enflammer pour ces révolutionnaires arméEs en cagoule, s'avéra un défi hors de portée d'un gouvernement déjà bien fragile.

Il fallut donc négocier : ce furent les accords de San Andrès (1996). Même s'ils ne furent jamais appliqués, il s'agissait d'une victoire éclatante pour ce qui devint le FZLN, qui sut combiner de façon audacieuse des apparitions armées, un ancrage dans la société réelle des indigènes et non indigènes des zones les plus pauvres et des démonstrations de force politiques au cœur même de la capitale.

Puis, face aux atermoiements du gouvernement, à la pression militaire, aux exactions des paramilitaires, le FZLN décida de mettre en œuvre directement ce qu'il ne pouvait faire inscrire dans la loi. Il mit en place dans les zones qu'il contrôlait des structures politiques démocratiques et égalitaires, dont le Monde diplomatique disait en 2017 qu'« à cette échelle et sur cette durée, l'aventure zapatiste est la plus importante expérience d'autogouvernement collectif de l'histoire moderne ».

Une autre mondialisation, celle de la lutte !

Si le mantra des Zapatistas — « Mandar obedeciendo ! » (commander en obéissant) — reste d'actualité, si la volonté de changer le monde sans prendre le pouvoir persiste, l'application à s'entourer du soutien des progressistes du monde entier ne s'est jamais démentie, depuis la première Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme qui réunit, en 1996, 5 000 personnes de 42 pays, jusqu'à la récente tournée européenne d'une délégation zapatiste — notamment présente à Notre-Dame-des-Landes — venue à la rencontre des résistances et des rébellions du continent, afin de tisser le réseau planétaire de luttes auquel les Zapatistas appellent de longue date « afin de défendre la vie ».

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La colère et la mobilisation grandissent au Pérou

La colère et l'indignation grandissent, non seulement à cause de la corruption de la procureure générale Benavides et des accords pourris passés par le Congrès, qui ont aggravé (…)

La colère et l'indignation grandissent, non seulement à cause de la corruption de la procureure générale Benavides et des accords pourris passés par le Congrès, qui ont aggravé la crise politique, mais aussi en raison de la grâce antidémocratique accordée par la Cour Constitutionnelle au voleur et assassin Alberto Fujimori (1) . Dans ce contexte, les mobilisations et la lutte se développent également et les rues s'enflamment dans les provinces de la Costa, de Sierra et de la Selva (2) .

Tiré de Quatrième internationale
4 janvier 2024

Par Súmate

Copyright
Súmate al Nuevo Perú

L'indignation se conjugue avec la crise économique profonde que subissent des milliers de Péruviens et Péruviennes, conséquence du modèle économique néolibéral défendu par la droite, la CONFIEP [la Confédération des Entreprises Privées) et entériné par la constitution fujimoriste, qui n'a fait qu'engendrer la pauvreté, la pollution et la faim.

Partie prenante du Nuevo perú por el buen vivir [Nouveau Pérou pour Vivre Bien] au niveau national, nous avons participé aux grandes journées nationales de lutte du 7D (3). Tou·te·s les militant·e·s, et en première ligne les dirigeant·e·s, et la camarade Veronika Mendoza étaient dans la mobilisation avec notre peuple. À Lima, la participation a été massive, j'irais jusqu'à dire quelle a dépassé les dix mille personnes, mais le point le plus important est qu'il y a eu des actions dans de nombreuses provinces du Pérou.

Notre organisation Súmate, courant interne de Nuevo Perú por el Buen Vivir, présente dans plusieurs régions du pays, salue l'effort et la combativité des militant·e·s, des travailleur·euses et du peuple, présent·e·s dans les manifestations pour vaincre les responsables de la crise que traverse le pays.

Qu'avons-nous obtenu et que manque-t-il pour « qu'ils s'en aillent tous » ?

La question que beaucoup se posent est : Boluarte va-t-elle tomber, le Congrès va-t-il être fermé ?

Les conditions d'une victoire sont réunies, il y a beaucoup de colère, le peuple se bat, il se mobilise, tout le monde est d'accord pour « qu'ils s'en aillent tous », mais il y a encore un manque d'unité et d'organisation.

Malheureusement, il existe des secteurs avant-gardistes ultra-sectaires qui pensent pouvoir à eux seuls vaincre les tanks, les forces armées, la police, mais tout ce qu'ils font, c'est diviser la lutte, exactement ce que souhaite la droite. Ces politiques sectaires finissent par faire le jeu du gouvernement, du Congrès et de la mafia, et dans ce même secteur se trouvent ceux qui soulèvent la question de la réintégration de Castillo, une illusion encore plus lointaine.

Mais d'autre part, toutes les organisations sociales, les syndicats, les forces de gauche, les citoyens, qui sont regroupés dans la CNUL [Direction unitaire nationale de Lutte], proposent une plus grande unité au niveau national.

Pour que le slogan « qu'ils s'en aillent tous » devienne une réalité, il est nécessaire de se regrouper dans chaque province du Pérou. Les organisations du mouvement social, sans perdre leur indépendance, doivent rejoindre la CNUL. Elles ont des critiques et il existe certainement des contradictions, mais la priorité est de vaincre cette coalition ultra conservatrice dirigée par la mafia du fujimorisme, de lancer un appel uni aux citoyens, aux quartiers organisés, aux femmes et à leurs mouvements, aux jeunes, aux étudiant·e·s, aux travailleur·euses de la campagne et de la ville. Uni·e·s comme un seul poing, organisé·e·s, nous pouvons remporter la victoire, et combattre toutes sortes de sectarismes infantiles. Ce n'est pas le moment de jouer aux « révolutionnaires », c'est le moment de s'unir et de chasser la mafia du pouvoir.

Il nous faut aussi d'un plan de lutte avec des initiatives qui créent les conditions d'une grève nationale, organisée dans chaque structure avec des assemblées pour garantir que la grève sera efficace.

N'attendons pas qu'un sauveur ou une sauveuse vienne nous apporter les solutions, soyons nous-mêmes ceux qui décideront de l'avenir du Pérou en mettant en avant une Assemblée Constituante pour enterrer la constitution fujimori, liquidatrice et corrompue.

8 décembre 2023

Publié initialement sur le site de Súmate al Nuevo Perú, traduit par Fourth.International.

Notes

1. Alberto Fujimori a été président du Pérou du 28 juillet 1990 au 22 novembre 2000. Son mandat a été marqué par une corruption de grande dimension, et par le recours à des violences militaro-policières et des tueries sous prétexte de lutte contre la guérilla du « Sentier Lumineux ».

2. Les péruviens divisent leurs pays en trois régions de l'ouest à l'est, La Costa désigne la région la plus peuplée en bordure du Pacifique ; la Sierra est la région centrale des hauts plateaux et des Andes, et la Selva est la région amazonienne.

3. La destitution du président Pedro Castillo le 7 décembre 2022 et sa substitution par la vice Dina Boluarte à la suite d'un putsch parlementaire a été suivie de manifestations massives et prolongées dans les trois régions du Pérou.

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France. Immigration : Macron chausse les bottes de l’extrême droite

16 janvier 2024, par Léon Crémieux — , ,
Macron et son gouvernement viennent de franchir un pas spectaculaire dans l'adoption d'une politique discriminatoire, raciste et xénophobe vis-à-vis des étrangers (…)

Macron et son gouvernement viennent de franchir un pas spectaculaire dans l'adoption d'une politique discriminatoire, raciste et xénophobe vis-à-vis des étrangers extracommunautaires, et ce avec le soutien de l'extrême droite.

Tiré de A l'Encontre
7 janvier 2024

Par Léon Crémieux

La loi qui vient, en décembre 2023, d'être adoptée en France par un vote commun de l'alliance macroniste, du parti de droite Les Républicains (LR) et de l'extrême droite Rassemblement national (RN) est la plus régressive en France depuis celle votée il y a presque 40 ans, en 1986 (loi Pasqua – alors ministre de l'Intérieur du gouvernement de Jacques Chirac), et elle contient des aspects encore plus réactionnaires. Elle s'adapte totalement aux prémisses de l'extrême droite qui désigne les étrangers et l'immigration comme un danger, une menace pour le pays, agitant le fantasme de « la submersion migratoire », du déséquilibre économique et social créé par les immigré·e·s et amalgamant immigration, insécurité, délinquance et menace terroriste. Ces thèmes sont développés largement en Europe, mais ils le sont en particulier en France par le RN de Marine Le Pen ou par le petit parti Reconquête de Marion Maréchal [tête de liste de Reconquête pour les élections européennes] et Eric Zemmour. Depuis une vingtaine d'années, la droite traditionnelle les a, elle aussi, largement popularisés, reprenant peu à peu la propagande idéologique de Jean-Marie Le Pen et du Front national sur ces questions. Nicolas Sarkozy, au début des années 2000, avait notamment essayé de cliver la société française en introduisant un débat sur « l'identité nationale », intégrant même ce concept dans l'intitulé du ministère de l'Intérieur, désigné comme « Ministère de l'Intérieur et de l'identité nationale », cela selon l'idée d'un de ses conseillers, Patrick Buisson, issu de l'extrême droite « nationaliste révolutionnaire » des années 1970.

Macron et son gouvernement ont donc eux aussi emprunté ces chemins fangeux tout en pensant au départ faire une manœuvre parlementaire pour déstabiliser le parti des Républicains. La manœuvre s'est transformée en boomerang contre le camp présidentiel.

Au début de son second mandat, à l'été 2022, Macron et son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, annonçaient la présentation d'une nouvelle loi sur les conditions d'entrée et de séjour, centrée sur le droit d'asile, trois ans à peine après celle qu'il avait fait voter en 2019. Assimilant explicitement délinquance et demandeurs d'asile, le but annoncé était de lutter pour « prévenir les flux migratoires non européens », « accélérer les procédures pour les demandeurs d'asile » et les « procédures d'expulsion », tout autant de thèmes réactionnaires classiques. Le but essentiel était surtout, alors que les préoccupations essentielles de la population étaient l'inflation, la crise du système de santé et les menaces contre les retraites, d'essayer de polariser le débat public sur cette question en brandissant « l'insupportable menace migratoire » et, une fois de plus, de rendre les immigrés responsables de la situation sociale des classes populaires. Le but affiché par Gérald Darmanin était de « rendre la vie impossible aux migrants ». Son profil affiché avec morgue était même celui d'un « Monsieur plus » se vantant d'être plus dur que l'extrême droite contre les immigrés parlant, avec une pointe de sexisme, de la « mollesse » de Marine Le Pen et de « l'incapacité de Giorgia Meloni à régler les problèmes migratoires ». Ce projet de loi fut combattu dès son origine par le mouvement social et la gauche, avec le collectif Unis contre l'immigration jetable (UCIJ) rassemblant 800 collectifs et associations (notamment des centaines travaillant au jour le jour pour l'accueil et la solidarité avec les sans-papiers et les demandeurs d'asile), avec le soutien des Verts, de LFI et de la gauche radicale, dont le NPA [1].

Depuis les élections de juin 2022 où Macron est sorti sans majorité parlementaire ni d'alliance avec d'autres partis, lui et son gouvernement ont dû négocier texte de loi après texte de loi avec les autres partis, essentiellement le parti de la droite traditionnelle gaulliste, Les Républicains (LR). Ainsi ceux-ci ont voté, au coup par coup, les deux tiers des lois présentées par le gouvernement entre juin 2022 et juin 2023. Darmanin avait donc ouvert la porte à un dialogue avec les LR sur sa loi. La montée en puissance de la mobilisation contre la réforme des retraites au printemps 2023 obligea le gouvernement à mettre de côté le débat sur ce projet de loi. Les LR, de leur côté virent dans le débat sur cette loi l'occasion de reprendre une place dans le débat politique. Les Républicains ont été ramenés à une place de supplétif de Macron par le résultat des élections législatives de juin 2022 – 62 députés sur 577, une perte de 51 sièges –, derrière le Rassemblement national [89 députés] et la France insoumise [75 députés], et ont du mal à exister comme force indépendante, coincés entre Macron et le Rassemblement national. D'ailleurs, de nombreux responsables macronistes sont des transferts des LR et Nicolas Sarkozy a plusieurs fois appelé le parti qu'il a longtemps dirigé à s'allier avec Macron. Dès lors, LR a tenté au printemps 2023 une opération politique en présentant eux-mêmes deux lois d'attaques contre l'immigration et les étrangers vivant en France. Considérant que c'est le seul terrain où ils pouvaient faire entendre une voix différente de Macron, leurs projets de loi reprenaient sans problème les principaux éléments du programme du Rassemblement national, notamment en adoptant la « préférence nationale », la discrimination des droits sociaux pour les étrangers non communautaires avec la diminution des droits aux prestations sociales, en revenant sur « le droit du sol » pour les enfants nés en France, introduisant de nouveaux obstacles à l'adoption de la nationalité française, avec une répression plus forte et des expulsions plus rapides des étrangers sans-papiers. Les LR avaient depuis un an développé une campagne obsessionnelle contre la submersion migratoire, l'invasion des migrants, le coût exorbitant de l'immigration, se faisant largement plus entendre que l'extrême droite sur la question.

La pression idéologique croissante de l'extrême droite

La France si elle a été de longue date un pays d'immigration avec des législations ouvertes a, depuis les années 70 du XXe siècle, fortement durci les droits à l'entrée et au séjour. Encore marqué par l'acquisition de la nationalité par le droit du sol, le pays pratique le grand écart entre un affichage d'accueil et des pratiques de plus en plus fermées. Cela est vrai pour l'immigration, comme pour l'accueil des réfugié·e·s. D'ailleurs, la France avec 7,7% d'étrangers sur son sol, affiche un pourcentage inférieur à la moyenne européenne (8,4%), à côté des 8,7% présents en Italie et en Suède, de 11 à 13% dans l'Etat espagnol, l'Allemagne et la Belgique. On est bien loin de « l'appel d'air », de la « politique trop généreuse » brandis par le gouvernement et ses nouveaux amis.

Concernant les réfugiés, la guerre a mené, notamment en 2014 et en 2015, à l'exode des réfugié·e·s de Syrie. La réalité est que sur les 6,8 millions d'exilé·e·s, la plupart sont restés en Turquie, en Jordanie et au Liban. Seuls 17%, un peu plus de 1 million, ont déposé une demande d'asile dans l'Union européenne, la France a enregistré 2,2% de ces 17%… autour de 25 000 ! Concernant les Afghans, l'effort a été un peu plus important avec, en France 8% des réfugié·e·s afghans présents en Europe. De même, si les réfugiés ukrainiens sont au nombre d'environ 4,6 millions dans l'UE et 120 000 en France, et si personne ne s'est insurgé contre la venue d'une population qui a « la chance » de ne pas être de culture musulmane, là encore le chiffre n'est pas du tout à la mesure du poids économique (17%) et démographique (15%) de la France en Europe. Le discours prétentieux de Macron et autosatisfait sur « la part de la France dans l'accueil des réfugiés » est hors de propos. D'autant plus que, concernant les demandes d'asiles, la France présente un des taux de protection les plus faibles d'Europe. Autour de 70% des demandes d'asiles sont refusées pour l'octroi d'un statut de protection (celui de réfugié ou de protection subsidiaire) amenant les demandeurs d'asile à des situations de séjour irrégulières, précaires et au péril d'une reconduite à la frontière.

Les dirigeants européens comme français vivent dans un déni schizophrénique concernant les migrations internationales. Celles-ci sont un phénomène humain naturel et inéluctable dans l'histoire passée et actuelle de l'humanité, phénomène auquel les Européens eux-mêmes ont participé et participent encore et qui touche beaucoup plus d'ailleurs aujourd'hui l'Afrique et le Moyen-Orient que l'Europe. Mais les réactionnaires cherchent à en faire une question de « guerre des civilisations », « d'invasion barbare », de « submersion démographique ». Il est vrai malheureusement que les guerres et les changements climatiques vont accentuer les phénomènes migratoires, encore une fois sans que l'Union européenne en soit la première destination. Le déni de l'UE est évidemment qu'elle est un des principaux responsables des changements climatiques, directement par la pollution de l'environnement et indirectement par les groupes capitalistes industriels et commerciaux européens. Elle entretient des rapports néocoloniaux avec les pays du Sud amenant une partie de ses ressortissants à quitter leur habitat. Sa politique extérieure est aussi responsable de conflits et de guerres ouvertes avec leurs catastrophes humaines. Mais l'UE veut entraver les courants migratoires faisant courir des dangers extrêmes à des centaines de milliers d'hommes et de femmes, amenant à la mort des dizaines de milliers d'êtres humains sur les chemins des migrations.

L'autre déni est que la France et l'UE dans son ensemble organisent eux-mêmes l'immigration internationale qui est en grande partie légale, car elle est partie prenante du système économique et social européen. Ainsi, en 2022 pour 340 000 entrées de sans-papiers dans l'Union européenne, il y a eu 3 millions et demi d'entrées légales. Et, au-delà de la démagogie réactionnaire purement idéologique, trois réactions en France suite au vote de la loi ont été caractéristiques : celle de 3500 médecins dont des urgentistes, celle des présidences des grandes universités et des directions des grandes écoles et celle du président du MEDEF-Mouvement des entreprises de France, Patrick Martin. Les médecins s'insurgent contre la menace de suppression de l'Aide médicale de l'Etat (AME) et s'engagent publiquement à continuer à soigner gratuitement les sans-papiers si l'AME est supprimée, par respect du « Serment d'Hippocrate » enjoignant de soigner toute personne malade et par un souci de santé publique. Les présidences d'universités et les directions des grandes écoles s'insurgent contre le système de « caution de retour », existant déjà dans d'autres pays européens (une somme que devront consigner les étudiant·e·s étrangers sur leur compte bancaire avant d'arriver en France) et contre la limitation des aides sociales que devront désormais subir les étudiants étrangers, au prétexte du fantasme des « faux étudiants profiteurs des systèmes sociaux ». Il y a aujourd'hui, autour de 400 000 étudiant·e·s étrangers en France, 13% des effectifs. Ils et elles sont un pilier du système universitaire, notamment dans les grandes écoles, et participent de sa vitalité et évidemment aussi d'une internationalisation de la formation universitaire, avec parmi les étudiant·e·s 70 000 doctorant·e·s… bien loin des fantasmes xénophobes des faux étudiants, obsession d'Eric Ciotti, président des LR et de Darmanin.

La dernière réaction est venue de Patrick Martin, disant que « sauf à réinventer notre modèle économique », il faudra, dans les années à venir, 3,9 millions de travailleurs étrangers supplémentaires en France, et une proportion au moins équivalente dans le reste de l'Union européenne. Car, aux antipodes des porte-parole des LR et du RN, le patronat connaît une réalité proclamée depuis longtemps par les économistes de l'OCDE : les populations étrangères, migrantes, loin d'être une charge financière pour les pays d'accueil, présentent, dans tous les pays de l'OCDE, un « bilan net » excédentaire dans les budgets des pays d'accueil. Dans le concert d'inepties des derniers mois, un député du RN a repris un article du quotidien de droite Le Figaro titrant que l'immigration « coûtait plus qu'elle ne rapporte » [article de Jean-Paul Gourévitch, essayiste bavard qui nourrit l'extrême droite] et citant un montant de 53,9 milliards. D'autres chiffres ont été cités, mais avec toujours en point commun l'idée que les étrangers viennent profiter du système social, vivant sur les prestations sociales et l'assurance chômage. La réalité des études exhaustives faites par l'OCDE en 2021, portant sur la période 2006/2018 (Perspectives des migrations internationales 2021, Ana Damas de Matos, OECD i LIBRARY) est que dans les 25 pays étudiés, la contribution budgétaire nette est toujours comprise entre -1% et +1% du PIB, avec un bilan excédentaire moyen de 10 milliards d'euros par an pour la France durant cette période. Au-delà de ces comptes, la réalité évidente est que les étrangers participent évidemment à la vie économique du pays où ils se trouvent, souvent en Europe avec un travail moins bien rémunéré et des conditions de travail plus difficiles. Ces difficultés viennent à la fois des difficultés de régularisation pour certains et du climat de discrimination qui rend l'accès à l'emploi plus difficile, pour les étrangers mais aussi pour les descendants d'étrangers de 2e voire de 3e génération. Entretenir ce climat de racisme est donc évidemment une arme patronale. Mais le patronat des secteurs qui par définition ne peuvent délocaliser leur activité, comme le transport, la logistique, l'hôtellerie, le bâtiment, les métiers du soin, fait très souvent appel à des travailleurs et travailleuses étrangers ou issus de l'immigration.

Et la réalité européenne est aussi que la courbe démographique est sur un trend désormais partout descendant, hors solde migratoire, la France n'échappant pas à cette tendance. Aussi, derrière le discours des droites plus ou moins extrêmes qui servent à diviser les classes populaires et les distraire des véritables responsables des politiques de casse sociale, il y a évidemment une réalité incontournable que non seulement l'immigration n'est pas un coût mais que vouloir l'entraver serait créer un déséquilibre social et économique dans les prochaines décennies. De fait, les processus migratoires et de délocalisations doivent être inscrits et compris en les replaçant dans l'actuelle phase de mondialisation de « l'armée de réserve industrielle », sous ses diverses composantes. L'hypocrisie des classes dominantes est donc de soutenir le plus souvent le discours des droites extrêmes, de le cultiver dans leurs médias écrits et audiovisuels, fantasmant sur « l'appel d'air » que représenterait la moindre régularisation de sans-papiers et, en même temps, de penser le présent et le futur en intégrant la réalité du maintien d'un apport migratoire. Politique utilitariste, hypocrite qui prive des millions d'hommes et de femmes des droits sociaux et des conditions de vie décentes, qui maintient des discriminations et les violences policières dans les quartiers populaires où vivent beaucoup d'enfants issus de l'immigration, mais qui maintient néanmoins les filets d'immigration indispensables à « l'équilibre » économique et social.

Cette politique est encore plus grave concernant les migrants, les sans-papiers qui tentent de joindre l'Europe par la Méditerranée ou les frontières continentales. La droite, l'extrême droite et leurs relais médiatiques parlent de submersion, là où les chiffres donnent une autre réalité : il y a entre 4 et 5 millions de sans-papiers en Europe, à partir des données gouvernementales, soit moins de 1% de la population totale… La moitié vivant en Allemagne et en Grande-Bretagne : autour de 700 000 en France, de 500 000 à 700 000 en Italie. Mais le fantasme de la submersion, la propagande xénophobe et raciste justifient un traitement inhumain pour celles et ceux qui veulent venir en Europe. Des dizaines de milliards sont dépensés pour sécuriser, contrôler les frontières, refouler les arrivants, négocier avec des pays africains ou du Proche-Orient pour bloquer les passages. Ces montants sont à comparer avec les faibles sommes accordées pour l'accueil, le logement et les aides à fournir aux populations migrantes. Les réfugié·e·s d'Ukraine ont été la seule population à bénéficier du « statut de la protection temporaire », accordé par le Conseil de l'Union européenne. Notamment en France, ils ont donc été les seuls à bénéficier de conditions d'accueil correctes : permis de séjour immédiat, accès au marché du travail et au logement, assistance médicale et accès des enfants à l'éducation, droit d'ouvrir un compte bancaire. Ces droits devraient évidemment bénéficier à toute personne demandeur d'asile venant de Syrie, d'Afghanistan ou d'ailleurs.

Darmanin et Macron pris au piège

Donc, concernant la poursuite des débats autour de cette loi au printemps 2023, Les Républicains, dans leurs projets de loi contre l'immigration présentés en mai 2023, voulaient aussi une modification de la Constitution pour que la France puisse déroger au droit européen concernant les obligations vis-à-vis des demandeurs d'asile, et s'opposer à toute régularisation de sans-papiers dans les métiers dits « en tension » (hôtellerie notamment), ce que proposait Darmanin dans son projet de loi. De plus, ils voulaient aussi supprimer l'Aide médicale de l'Etat (AME) qui permet à un étranger sans-papiers de disposer d'un accès aux soins pris en charge par la Sécurité sociale dans le système hospitalier (360 000 personnes en ont bénéficié en 2023). Darmanin et le gouvernement étaient opposés à cette suppression.

LR, bénéficiant toujours d'une majorité au Sénat, pensaient pouvoir faire une forte pression pour obliger Darmanin et Macron à venir sur leur terrain. Darmanin, de son côté, comptait en adoptant quelques-unes des mesures proposées par les LR amener au moins une partie de leurs députés à voter son projet, affaiblissant davantage encore les LR à l'Assemblée. Ce jeu politicien sordide sur le dos des étrangers servait aussi à Darmanin pour essayer de trouver sa place dans la course à la succession présidentielle de Macron en 2027.

Le projet de loi de Darmanin fut donc mis en veilleuse jusqu'à la rentrée de 2023. Là encore, après 6 mois de mobilisations massives sur les retraites, après les révoltes des quartiers populaires durant l'été face aux violences et aux meurtres de jeunes par la police, le gouvernement voulait stigmatiser la population issue de l'émigration et étouffer les préoccupations sociales prépondérantes au sein de la population : pouvoir d'achat, santé, logement, environnement… préoccupations apparues clairement dans les mobilisations sociales, et même dans des sondages récents (institut IPSOS septembre 2023 par exemple où l'immigration n'apparaît comme préoccupation des sondé·e·s qu'en neuvième position). L'hyperbolisation des questions migratoires dans l'arsenal médiatique de la droite extrême et des dirigeants réactionnaires a maintenu un climat nauséabond visant à mêler immigration, insécurité et islamisme et faire de cet amalgame la question politique principale, cela avec l'aide prépondérante du réseau de médias et de presse écrite qui sont aux mains des principaux capitalistes français, en premier lieu la galaxie médiatique aux mains de Bolloré… Cette question a en effet occupé le terrain du débat public de septembre à décembre, mais pas avec l'issue voulue par Macron et son gouvernement.

Espérant manœuvrer comme sur certains autres dossiers, le timing du gouvernement était simple. Le débat commençait par un vote au Sénat début novembre où Les Républicains amendèrent le projet de Darmanin avec toutes leurs mesures empruntées à l'extrême droite. Ensuite la commission des lois de l'Assemblée, où les équilibres donnaient une majorité relative au gouvernement, nettoya, début décembre, le projet de loi, le ramenant à sa version de départ, une version réactionnaire mais écartant de nombreux ajouts du Sénat (par exemple sur la suppression de l'AME, sur des délais de 5 ans de séjour régulier pour obtenir les prestations sociales, sur les régularisations dans les métiers « en tension »). Ensuite, logiquement, le jeu des abstentions aurait dû permette à Elisabeth Borne et à Darmanin de faire passer la loi, article après article, en comptant sur des apports de votes venant des Républicains et des abstentions venant du Parti socialiste, selon les articles de loi.

C'est là que la mécanique s'est grippée. Les écologistes, opposés à la loi avec tous les groupes de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale), déposèrent une motion de rejet permettant de bloquer à l'Assemblée l'examen de la loi. Le 11 décembre, contre toute attente, cette motion fut adoptée majoritairement par le vote de la NUPES, mais aussi des 2/3 des députés LR et du RN : 270 voix pour le rejet et 265 voix contre. Le piège s'est alors refermé sur Darmanin et son gouvernement. Il ne pouvait plus y avoir de vote article par article à l'Assemblée à partir de la version du gouvernement. Macron avait le choix entre le retrait pur et simple de son texte ou une nouvelle tentative de compromis par une écriture commune d'un nouveau texte entre députés et sénateurs (dans une commission mixte paritaire-CMP) avec, ensuite, un vote bloqué de chacune des deux chambres sur le même texte. Après avoir subi un échec cuisant, mis pour la première fois en minorité à l'Assemblée, Macron refusa de reconnaître son échec en retirant la loi. Il préféra mettre la loi dans les mains des Républicains, puisque l'écriture d'un texte commun n'était possible, dans cette CMP de 14 membres (7 députés et 7 sénateurs), que par un accord entre les 5 macronistes et les 5 républicains et centristes de droite. En réalité, le nouveau projet fut négocié directement entre la Première ministre, Elisabeth Borne et la direction des Républicains.

Le texte qui fut, au final, voté par l'Assemblée et le Sénat est donc une copie très proche des positions des LR, inspirés du Rassemblement national. Ces derniers, sans avoir participé à la moindre négociation, et même affiché jusqu'au bout leur hostilité à un projet qu'ils trouvaient trop modéré, saisirent au final l'effet d'aubaine de s'afficher en votant pour un texte largement inspiré de ses positions, créant un tollé général. C'est sans précédent depuis 40 ans que des forces traditionnelles votent le même texte que l'extrême droite concernant l'immigration. De plus la Première ministre Elisabeth Borne s'est engagée formellement à un vote parlementaire de révision de l'Aide médicale de l'Etat. Alors que Macron et Darmanin espéraient que cette loi permettrait un « coup » politique en fracturant Les Républicains et en isolant le RN sur son propre terrain de prédilection, l'issue en a été inverse : le RN apparaît comme le vainqueur politique d'une loi qui reprend ses obsessions xénophobes et adopte la préférence nationale, les discriminations pour les prestations sociales et durcit les conditions de naturalisation. Les LR, grâce à leur contrôle du Sénat, sortent renforcés et, par contre, les macronistes sortent, eux, affaiblis et divisés : seuls 131 députés sur 171 ont voté pour cette loi, 20 ont voté contre et 17 se sont abstenus, les « jeunes avec Macron » ont désavoué cette loi et le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a démissionné de son poste.

L'urgence d'une riposte à gauche

Le faible rapport de force dont disposait Macron après sa deuxième élection avait déjà été battu en brèche par la formidable mobilisation en défense des retraites, puis par les révoltes des quartiers populaires au début de l'été. Le gouvernement apparaît désormais comme le simple otage de la droite et de l'extrême droite.

Du côté de la gauche et de la NUPES, malheureusement, ce glissement vers l'extrême droite a du mal à créer le sursaut nécessaire. Le gouvernement, secondé par une lancinante campagne de presse multiforme, a tout fait depuis un an pour discréditer la NUPES apparue comme la première force d'opposition lors des élections, et en tout premier lieu La France insoumise (LFI), ostracisée et diabolisée par Macron et Borne comme étant « sortie de l'arc républicain » (suite, notamment, à ses positions lors des révoltes des quartiers populaires et sur les meurtres commis par les policiers), alors que le tapis tricolore était déroulé sous les pas du RN. Une pression maximale s'est donc exercée pour pousser à l'éclatement de cette alliance qui n'a jamais su dépasser le statut d'un intergroupe parlementaire. Les composantes de la NUPES, pour diverses raisons ont, elles-mêmes, toujours refusé la construction d'une force politique populaire nationale, structurée dans les villes et les quartiers. Malgré les positions convergentes de ses composantes en soutien à la mobilisation pour les retraites, aucune dynamique politique ne fut créée à cette occasion. Depuis plusieurs mois, c'est la question électorale des européennes de 2024 qui a vu les tendances centrifuges amener la NUPES à la paralysie et à son éclatement de fait, les partis alliés à LFI refusant la présentation d'une liste unitaire, notamment pour ne pas reprendre le programme radical de la NUPES sur l'Union européenne. Malgré de larges convergences unitaires du mouvement syndical et associatif contre les violences policières et plus récemment pour exiger un cessez-le-feu immédiat à Gaza face au massacre perpétré par l'armée israélienne, l'opposition de gauche à Macron apparaît aujourd'hui incapable de construire un réel rapport de force politique et social unitaire. Malgré tout, le vote de décembre a entraîné un haut-le-cœur de dizaines de milliers de militant·e·s voyant l'extrême droite dicter la politique gouvernementale. En avril 2022, les votes pour Macron contre Le Pen venaient pour moitié d'électeurs de gauche voulant faire barrage au Rassemblement national.

Autour des appels de la coalition « Unis contre l'immigration jetable », des milliers de personnes ont défilé dans les rues de plusieurs villes. Mais l'enjeu de ce début d'année 2024 va être de construire une force et des mobilisations populaires unitaires à la hauteur des exigences sociales et de la menace de l'extrême droite. (Article reçu le 31 décembre 2023)


[1] Des dizaines et dizaines de collectifs, organisations, syndicats, etc. appellent à une mobilisation le 14 janvier sur la base de l'appel ci-dessous :

« Retrait de la loi asile immigration ! »

Mobilisation nationale dimanche 14 janvier 2024 contre la loi Darmanin

La loi asile immigration marque un tournant que nos collectifs, associations, syndicats, organisations ne peuvent accepter. Elle reprend de nombreuses idées de l'extrême droite comme la préférence nationale et aura des conséquences terribles sur la vie de centaines de milliers d'habitant·es étranger·es sur le sol français [1]. Il s'agit de la loi la plus régressive depuis 40 ans. Cette loi raciste et xénophobe restreint le droit au séjour, accentue considérablement la répression, s'attaque au droit d'asile, au droit du sol, aux étranger·es malades, aux étudiant·es non européen·nes, au regroupement familial. L'attaque contre l'hébergement d'urgence, le durcissement de l'accès aux prestations sociales dont les allocations familiales et les aides aux logements vont jeter des familles à la rue ou dans les bras de marchands de sommeil, particulièrement les femmes migrantes.

Cette loi va précariser davantage les travailleuses et travailleurs, les lycéen·nes, les étudiant·es avec ou sans-papiers.

L'arbitraire préfectoral est encore renforcé, refoulement aux frontières, délivrance systématique des OQTF [obligation de quitter le territoire français] et IRTF [interdiction de retour sur le territoire français] et allongement de leur durée, notamment pour les travailleuses et les travailleurs. Cette loi s'attaque aux libertés publiques, bafoue les droits fondamentaux tels que le droit d'asile, réinstaure la double peine et fait honte à la France, qui prétend défendre les valeurs d'égalité entre toutes et tous. Nous exigeons donc le retrait de cette loi.

Nous appelons :

. À soutenir toutes les luttes pour la régularisation des sans-papiers, notamment les grèves

. À empêcher l'application de cette loi en multipliant les actions de solidarité et en faisant œuvre de désobéissance civile

. À manifester massivement sur tout le territoire le dimanche 14 janvier, pour empêcher que cette loi soit promulguée, combattre le racisme, la xénophobie et défendre une politique migratoire d'accueil et de solidarité.

Le 3 janvier 2024

[1] Dans Le Monde du 3 janvier 2024, Elvire Guillaud et Michaël Zemmour (tous deux économistes et membres du Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques de Sciences Po), dans la rubrique Débats, écrivent : « Aussi, si la loi était appliquée, des personnes affiliées à la Sécurité sociale par leur travail et à ce titre assujetties à la CSG [contribution sociale généralisée affectée à la protection sociale] et aux cotisations sociales ne pourraient pas bénéficier des prestations comme l'ensemble des assurés… Par-delà les ruptures politiques, la mise en œuvre de la réforme conduirait à appauvrir durablement des dizaines de milliers de familles et d'enfants, français ou non (puisque la loi retient la nationalité des parents, et non des enfants, comme critère d'exclusion). Une mère célibataire de trois enfants, en raison de sa nationalité, pourrait par exemple voir ses revenus mensuels diminuer de 319 euros au titre des allocations familiales et de 516 euros au titre des aides au logement, contrairement à sa voisine ou collègue vivant dans les mêmes conditions et soumise aux mêmes prélèvements. Un couple d'actifs avec un enfant de 6 ans et un enfant de 6 mois se trouverait privé d'allocations familiales (140 euros) et de la prestation d'accueil du jeune enfant (182 euros). » (Réd.)

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Est-il possible de vaincre la Russie ? « L’Occident doit faire face à la réalité en Ukraine » dit Nina Khrushcheva

16 janvier 2024, par Amy Goodman, Nermeen Shaikh, Nina Khrushcheva — , , ,
Democracy Now, 4 janvier 2024 Traduction, Alexandra Cyr Nermeen Shaikh : Mercredi (le 3 janvier 2024), l'Ukraine et la Russie ont procédé à un échange de 500 prisonniers, le (…)

Democracy Now, 4 janvier 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Nermeen Shaikh : Mercredi (le 3 janvier 2024), l'Ukraine et la Russie ont procédé à un échange de 500 prisonniers, le plus important depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie il y a presque deux ans. 230 Ukrainiens ont été échangés contre 248 Russes. Les Émirats arabes unis ont aidé à ce résultat par leur médiation. Cela est intervenu après que le Président ukrainien, V. Zelensky eut déclaré que la Russie avait lancé 500 missiles et drones contre son pays en seulement cinq jours. Il a fait ce discours mardi (le 2 janvier 2024) : « Depuis le début de la journée nous avons reçu presque 100 missiles de tous types. Leur trajectoire avait été spécifiquement programmée pour qu'ils fassent un maximum de dommages. C'est absolument une terreur consciente ». Pendant ce temps, le Président russe V. Poutine annonce une intensification de ses attaques suite à celles de l'Ukraine contre la ville russe de Belgorod qui a fait 25 victimes dont cinq enfants samedi. Il s'est exprimé lors d'une rencontre avec des soldats blessés dans un hôpital de Moscou : « Nous aussi nous voulons la fin de ce conflit et aussitôt que possible, mais selon nos conditions. Nous ne voulons pas combattre indéfiniment mais nous n'allons pas retraiter de nos positions non plus ».

Amy Goodman : Le mois dernier, le New York Times rapportait que le Président Poutine avait informé via ses intermédiaires dans les coulisses, qu'il était ouvert à un cessez-le-feu en Ukraine. Pour discuter plus à fond, nous rejoignons à Moscou, Mme Nina Khrushcheva, professeure d'affaires internationales à la New School. Elle est l'arrière-petite fille de l'ancien dirigeant soviétique, Nikita Kruschev. Elle est l'autrice de : The Lost Khruchev : Journey into the Gulag of Russia Mind, et co-autrice de : In Putin's Footsteps : Searching for the Soul of an Empire Across Russia's Eleven Time Zones. Son plus récent article est intitulé « The West Must Face Reality in Ukraine » et est paru dans Project Syndicate.

Professeure Khrushcheva soyez la bienvenue sur Democracy Now. Commençons par le plus récent. La semaine dernière, V. Poutine a intensifié ses attaques contre l'Ukraine, à un point encore jamais vu depuis le début de cette guerre. Le New York Times rapportait qu'il serait prêt à un cessez-le-feu. Et ensuite nous voyons cet échange de prisonniers, le plus important au cours de cette guerre. Pouvez-vous nous situer tout cela ?

Nina Khrushcheva : Merci et bonjour. Ce ne sont pas des incidents liés entre eux. Les attaques contre l'Ukraine sont les plus importantes depuis le début (de la guerre). En quelque sorte elles suivent celles très importantes de la semaine dernière ou des deux dernières semaines contre le territoire russe. Car les forces ukrainiennes y ont aussi lancé, je pense, 300 missiles en une journée. Donc c'est l'escalade. Et c'est parce que, comme nous l'avons si souvent entendu, la contre-offensive ukrainienne n'a pas donné les résultats escomptés. Puis, l'aide américaine et européenne est ralentie. L'Ukraine devait démontrer qu'il se bat. Et, bien sûr, comme chaque fois, V. Poutine et les Russes ont riposté. C'est ce que nous avons vu.

Comme le New York Times l'a rapporté, il y des signaux pour des négociations. Mais ce n'est pas ainsi que nous voyons les choses ici, qu'il ait donné quelques signaux ou fait des clins d'œil. Depuis le début V. Poutine a été très clair : la Russie va atteindre ses objectifs et maintenant plus que jamais, alors que ses forces occupent encore certains territoires. L'Ukraine a pu en reprendre quelques -uns mais la Russie en détient beaucoup. Il parlait de la réalité du terrain. Oui, il a donné quelques signaux mais en disant : « tant que nous négocions selon mes conditions, je suis d'accord ».

Quant à l'échange de prisonniers, en effet il n'y en avait pas eu depuis un bon moment. C'est un élément particulier de la guerre. Déjà, en 2014, quand la Russie a annexé la Crimée, et qu'il y avait une certaine activité militaire (il y en a eu un). Cette fois ce fut beaucoup mieux. Dans ce cas, ils ont vraiment tenté de suivre les lois de la guerre, les règles de la guerre.

N.S. : Professeure Khrushcheva pouvez-vous nous en dire plus sur l'échange de prisonniers de guerre, qu'elle est son importance ? Je ne sais pas ce qui est connu du nombre de prisonniers russes qui sont en Ukraine, mais selon ce que l'on dit, il y aurait des milliers, plus de 4,000 soldats ukrainiens en captivité en Russie. Pourriez-vous aussi nous dire ce que vous savez de la situation militaire russe en ce moment ? Certains rapports semblent dire qu'un grand nombre des soldats.es, ceux et celles de l'avant-guerre, de l'avant invasion ont été tués.es ou blessés.es et que maintenant, la plupart des membres de l'armée russe qui se battent en Ukraine sont d'anciens.nes concrits.es des gens qui ont été appelés.es et qui ne sont pas très bien entraînés.es. Est-ce exact ?

N.K. : Pas complètement. (…) nous ne savons pas combien de milliers. Il y a des prisonniers des deux côtés en ce moment. Et il y a toujours des échanges de prisonniers. Mais je vous préviens, je ne suis pas une experte (en ces matières). Mais ce que je peux constater, ces échanges de prisonniers sont toujours une manipulation politique. Je vous en donne, vous m'en donnez. Apparemment, selon ce que je lis, il y en a eu 245 et il n'y a jamais eu de négociations pour 75 d'entre eux. D'une certaine façon, les Ukrainiens ne les ont que rendus. C'était une partie du bataillon Azov. Vous devez vous rappeler de ce fameux bataillon lié à une sorte de force ultra nationaliste. Il y a eu de nombreuses discussion à savoir si ses membres devaient être libérés ou non. Donc, apparemment, certains l'ont été libérés par la Russie. C'est ce que nous entendons dire. Et, en décembre, voyant le Nouvel an venir, il y a eu beaucoup de pourparlers ; le moment était important donc il fallait être de bonne foi.

Pour ce qui est de la guerre sur le territoire ukrainien, bien sûr qu'il y a un nombre très important de victimes (dans l'armée russe). Combien ? Mais un très, très grand nombre. Ce que la Russie croit, ce que le Kremlin imagine et dit, c'est que ce ne sont pas des conscrits.es mais bien des combattants.es volontaires. Et plusieurs ont reçu un certain entrainement militaire. Et nous avons aussi parlé de ce Prigogine, de son coup l'été dernier. Il était le chef des milices Wagner. Il a été pardonné puis tué à cause de sa mutinerie en juin. C'est lui qui avait mis en place ce système de recrutement de prisonniers violents qui en combattant gagnaient leur citoyenneté normale pour ainsi dire. Beaucoup d'entre eux sont dans l'armée régulière. Ils sont soumis à un certain entrainement. Les Russes n'aiment pas cela parce que beaucoup reviennent et commettent de nouveaux crimes violents. Mais en même temps, cela permet à une partie de la population normale de ne pas aller à la guerre. C'est de cette façon que V. Poutine a réussi à donner un semblant de normalité dans le pays en guerre sans l'être vraiment.

N.S. : Professeure, pouvez-vous nous parler des conditions qui règnent en Russie ; comment la guerre y est-elle perçue ? Quels sont les effets réels des sanctions ? Quelles en sont les conséquences dans la vie russe de tous les jours ? Et que penser du fait que la majorité de la population soit contre la guerre selon les sondages alors que V. Poutine reçoit encore un taux d'approbation de 80% ? Dans un de vos articles vous parlez d'une division entre les urbains et les ruraux….

N.K. : Exact.

N.S. : Comment la guerre est-elle vue à St-Pétersbourg, à Moscou par rapport à ailleurs dans les campagnes ? Pouvez-vous nous parler de cela ?

N.K. : Oui. C'est vraiment l'histoire de deux Russies. Dans les villes, les gens tentent de se tenir éloignés de cette réalité, ils prétendent qu'il ne se passe rien malgré les babillards et les endroits où, sur une base volontaire, vous pouvez signer (une pétition). (…) Si vous entrez dans une librairie, (les livres) de ceux et celles qui ont été étiqueté « agents.es de l'étranger » sont disponibles. Ces auteurs.trices n'ont pas appuyé la guerre mais leurs ouvrages sont en magasin. Malgré les sanctions, des choses comme les croustilles, les barres Mars sont en étalage donc il devient presque difficile de se penser en guerre. Alors, vous allez plus loin dans les villes. En Sibérie, je suis allée à Omsk. Ce n'est pas loin en Sibérie mais quand même. Dans les petits villages les salons de beauté sont en croissance tout-à-coup parce que les veuves, ou ces femmes qui ont envoyé leurs fils ou leurs maris à la guerre reçoivent beaucoup d'argent. C'est le fonctionnement actuel de l'armée (qui provoque cela). Elle paye les gens, (ça compte) dans les régions pauvres. Soudainement ils nagent dans l'argent. Ils peuvent prendre des vacances. Ils peuvent voyager vers des lieux plus chauds.

Donc c'est le type de division (qui existe). C'est l'effigie de la Russie, son blason. Il y a toujours eu de la division, un trouble de personnalité, de la schizophrénie, mais en ce moment c'est plus visible que jamais. En ville les gens prétendent que c'est loin d'eux parce qu'ils ne peuvent pas l'arrêter mais dans les plus petites villes, de fait les populations approuvent le Président Poutine. Elles ne sont pas pour la guerre mais elles d'accord pour « montrer à l'Occident que nous ne nous rendrons pas ».

Je veux aussi vous dire que ce 80% (d'appuis) n'est pas représentatif ; je parlerais plus de 60%. Et 56% veulent des négociations parce qu'ils et elles ont le sentiment que si la Russie a tenu le coup pendant deux ans face aux sanctions, comment pourra-t-elle poursuivre. Les sanctions ne sont pas très visibles sauf pour ce qui est de l'inflation, de la montée des prix. Mais en dehors de cela, le sentiment est que la Russie peut mettre fin à la guerre avec des conditions plus favorables.

A.G. : (…) Le titre de votre article est « The West Must Face Reality in Ukraine », pouvez-vous nous parler de ce que cela veut dire au juste, qu'est-ce que nous ne comprenons pas particulièrement aux États-Unis ? Quelle influence dans les élections Russes en mars ?

N.K. : En mars, V. Poutine va redevenir président. Nous ne parlons pas d'élections évidemment. Joe Biden a déclaré qu'il allait défaire V. Poutine stratégiquement parce qu'il serait incapable de se maintenir en guerre. Cela s'avère faux, preuves à l'appui. Dans mon article je parle de l'effet Stalingrad. Vous savez, quand le monde entier est sur le dos de la Russie, qu'il peut la mettre à terre, d'une certaine façon elle s'organise pour faire face. Donc, la victoire rapide promise par le Président Biden n'arrivera pas.

Je ne vous vois pas du tout comment la Russie pourrait perdre cette guerre. C'est un pays de onze fuseaux horaires. Mais je pense qu'un beau jour il va y avoir une sorte de retour de la grande idée, de l'emporter sur la Russie, de faire des plans pour en finir avec cette guerre en Ukraine et, pour ainsi dire, punir la Russie mais la guerre ne devrait vraiment pas faire partie du programme stratégique des États-Unis.

A.G. : Merci Nina Khrushcheva d'avoir été avec nous aujourd'hui.

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La guerre en Ukraine : agenda pour les relations entre la gauche ukrainienne et internationale

La situation sur le front militaire est préoccupante. Malgré certains succès tactiques, les grands espoirs placés dans la contre-offensive n'ont pas été comblés. Au contraire, (…)

La situation sur le front militaire est préoccupante. Malgré certains succès tactiques, les grands espoirs placés dans la contre-offensive n'ont pas été comblés. Au contraire, Valeri Zaloujny, le commandant en chef ukrainien, a ouvertement reconnu une impasse. Les sondages nationaux indiquent un début d'épuisement. La « communauté internationale » se désintéresse de la situation, les programmes d'aide sont bloqués, les transports routiers sont bloqués. L'hiver est là, tout comme les frappes de missiles russes sur les infrastructures énergétiques [1].

Tiré de A l'Encontre
10 janvier 2024

Par Oleksandr Kyselov

Kiyv, 2 janvier 2024.

Sur le plan politique, la situation n'est pas meilleure. La gauche ukrainienne, qui ressemble plus à une constellation d'ONG, de groupes d'activistes et de dirigeants syndicaux locaux qu'à un mouvement cohérent, est effectivement mise à l'écart et marginalisée. Le mouvement d'opinion dominant ressemble à un étrange mélange de chauvinisme linguistique [face à la langue et à la culture russes] et de néolibéralisme effréné. L'effet de ralliement autour du drapeau diminue mais persiste : le président, l'armée et les volontaires jouissent du plus haut niveau de confiance. La grande majorité de la population ukrainienne ne veut pas d'élections en raison de leur coût, des limites de la loi martiale, du manque de sécurité et de la non-possibilité pour une grande partie des Ukrainiens et Ukrainiennes de voter.

Pour qui ou pour quoi se battre alors ?

Il serait naïf, bien sûr, d'exiger une solidarité sans réserve de la part de la gauche internationale. Il y a tant d'injustices dans le monde, et il n'est pas toujours très avenant de se ranger aux côtés de l'Ukraine. Après tout, il n'est pas nécessaire de creuser profondément pour trouver des fonctionnaires [ukrainiens] qui instrumentalisent la peur et orientent la détestation ou des lobbyistes liés aux entreprises qui rêvent de détruire tout ce qui est social. De même, il est facile de désigner les aspirants « néo-féodaux » désireux de maintenir les frontières fermées pour que leurs « serfs » ne s'échappent pas ou les xénophobes de la classe moyenne appelant à priver de leurs droits les résidents des territoires occupés [par la Russie]. De manière véritablement orwellienne, le président Zelensky lui-même a soutenu sans équivoque la puissance occupante d'Israël, comme s'il oubliait que son propre pays souffre des prétentions pseudo-historiques de son voisin russe.

Inutile de dire qu'aucune solidarité n'est attendue avec de tels personnages. Mais il faut garder à l'esprit que de nombreux destins contrastés sont aujourd'hui enchevêtrés. La gauche doit agir pour les travailleurs ! Les agriculteurs de Kherson qui labourent le sol chargé de mines. Les conducteurs de train de Kiev qui livrent des fournitures vitales dans des trains délabrés. Les infirmières sous-payées de Lviv qui s'occupent des malades et des blessés. Les mineurs russophones de Kryvyi Rih qui se battent pour protéger leur ville natale. Les ouvriers du bâtiment de Mykolaïv qui déblaient les décombres dangereux pour reconstruire, mais qui luttent pour nourrir leurs familles. Soutenez-la, cette majorité invisible dont la voix est rarement entendue mais qui n'a nulle part où aller. L'establishment, au contraire, doit être surveillé de près.

Comment soutenir ?

De nombreuses initiatives ont déjà vu le jour, chacune étant un exemple de ce qui est possible. Les efforts de plaidoyer international du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine, le soutien résolu de la Gauche verte nordique, la voix unie des syndicats danois, les tournées de conférences des dirigeants syndicaux ukrainiens, le renforcement des capacités de Sotsialnyi Rukh (Mouvement social), l'organisation syndicaliste des travailleurs ukrainiens à Stockholm, sont autant d'exemples de ce qu'il est possible de faire. Le champ d'action potentiel est vaste, mais certains points reviennent régulièrement dans les discussions.

Faites entendre votre voix sur la manière dont l'argent de vos impôts est dépensé ! La dépendance de l'Ukraine à l'égard de l'aide extérieure n'est un secret pour personne. Personne ne souhaite que ses impôts finissent sur le compte bancaire de quelqu'un en Suisse plutôt que de servir ceux qui sont dans le besoin. Il est donc logique de faire pression pour inclure des clauses sociales dans les conditions d'aide et les marchés publics ou de dénoncer les pratiques déloyales lorsqu'elles existent. L'aide à la reconstruction devrait aller de pair avec des emplois verts, un salaire décent, une vigilance syndicale, une responsabilité des entrepreneurs, un emploi protégé et un environnement de travail sain et sûr !

Appel à l'allègement de la dette ! La dette extérieure de l'Ukraine dépasse les 93 milliards de dollars. Au fil des ans, l'emprunt a été un moyen facile pour les gouvernements d'éviter de remettre en question le statu quo et de s'immiscer dans les affaires des oligarques. La plupart des prêts récents sont déjà assortis d'exigences plus strictes visant à contrer la mainmise de l'Etat, et les choses sont en train de changer. Mais le montant de la dette en suspens sert déjà de prétexte pour justifier l'austérité. De plus, elle reproduit la dépendance, où la reconstruction est financée par de nouveaux prêts. Ce que l'on gagne est consacré au remboursement. On peut se demander s'il est juste que les habitants des régions dévastées paient pour les décisions politiques erronées de la classe dirigeante. Mais il est encore plus important de se souvenir de la principale leçon tirée du succès du plan Marshall : les pays déchirés par la guerre ont besoin de dons, pas de prêts.

N'ignorez pas les problèmes de démocratie et de droits de l'homme ! Au début de l'invasion, des citoyens de tous les milieux sociaux ont fait la queue devant les centres de recrutement. Près de deux ans plus tard, ce n'est plus le cas. Le premier outil de recrutement militaire est la mobilisation avec tous ses inconvénients [2]. Mais pour que les gens risquent leur vie, il faut qu'ils soient sûrs que c'est juste et qu'eux ou leur famille seront pris en charge en cas de malheur. Il faut leur offrir la possibilité de participer à la définition de l'avenir du pays. Mais pourquoi le gouvernement s'en soucierait-il s'il existe une solution de contournement ? Sous prétexte de devoir de défense, les rafles en masse dans les rues ou les transports publics continueront à proliférer si l'on n'y prête pas attention.

Il en va de même pour la résolution du problème démographique après la guerre [3] ou la réintégration du Donbass et de la Crimée. Ce n'est pas en fermant les frontières, ni en intensifiant la propagande, mais en offrant des salaires décents, des logements abordables et une sécurité sociale que l'on peut convaincre les gens de rester ou de revenir. Ce ne sont pas les moralisateurs arrogants, les tests de confiance ou les camps de rééducation [The Kyiv Independent du 10 octobre 2023 estimait que le pouvoir russe avait placé des milliers d'enfants dans des camps de rééducation en Crimée], mais le respect mutuel, la reconnaissance de la dignité humaine et le partage des responsabilités en matière de reconstruction qui pourraient permettre la réconciliation.

Soutenez les syndicats ! Ce sont les seules organisations de masse établies qui existent spécifiquement pour les salarié·e·s. Même s'ils ne sont pas les plus militants, mais trop bureaucratiques et faibles, voire seulement à demi vivants, il n'y a rien d'autre. La reconnaissance institutionnelle du rôle particulier des syndicats dans le développement de l'après-guerre pourrait les revitaliser et encourager une dynamique syndicale. Elle permettrait également de créer un acteur crédible pour lutter contre la corruption et le dumping social. Il est évident que certains syndicats seront immédiatement récupérés par des opportunistes. Mais c'est aussi la raison pour laquelle il faut tenir compte de la démocratie interne et de l'autonomie de leurs sections locales ou de leur marge d'activité syndicale indépendante.

Accepter d'être en désaccord ! Certaines choses auxquelles les Ukrainiens croient peuvent vous sembler erronées ou irrationnelles. Vous pourriez avoir raison, mais les mêmes concepts peuvent avoir des significations différentes. Dans l'histoire moderne, l'Ukraine n'a connu que des périodes de paix. Son droit à l'existence est ouvertement remis en question. Les Ukrainiens sont depuis longtemps déçus par leurs dirigeants et n'ont souvent pas d'autre moyen de pression sur eux que de se soulever de temps à autre. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait une plus grande confiance dans l'engagement international. Choisissez vos batailles et concentrez-vous sur ce que nous avons en commun !

Créez des liens : de personne à personne, de ville à ville, d'association à association ! Les mouvements populaires du monde entier ont accumulé une énorme expérience politique que vous pouvez partager. Les récits traditionnels de la gauche sont discrédités dans la société ukrainienne en raison de leur utilisation abusive. Ainsi, les personnes avec lesquelles vous vous connectez peuvent ne pas être politiquement éduquées, mais c'est là que la pratique compte le plus – tendre la main pour lutter ensemble avec le maire d'une petite ville qui se soucie de ses citoyens, avec un dirigeant syndical local qui est exaspéré par l'indifférence et un sentiment d'impuissance, ou avec un immigrant récent qui s'est fait escroquer son salaire. L'engagement de ceux qui vivent actuellement en dehors de l'Ukraine sera particulièrement pertinent pendant des années et peut faire la différence. Qu'ils restent ou qu'ils reviennent, ils seront riches de cette nouvelle expérience.

Des éléments aussi simples n'ont peut-être rien de révolutionnaire. Le calcul, cependant, est que de nombreux petits pas peuvent conduire à un changement progressif en créant les conditions nécessaires et en créant un espace pour un agenda progressiste. Mais pour faciliter cela, la gauche a besoin de crédibilité et de confiance [envers la population ukrainienne], ce qui est pratiquement impossible pour ceux qui s'opposent à l'approvisionnement en armes.

Il ne fait aucun doute que la gauche ne doit pas se satisfaire de l'envoi d'armes, mais c'est un minimum que de ne pas s'y opposer. Le droit de se défendre n'a pas de sens sans les moyens de combattre. Refuser la fourniture d'armes, c'est menacer la survie de l'Ukraine en tant que nation. N'oubliez pas que la disponibilité des armes n'est pas la même chose que leur utilisation. Même si la guerre se termine à la table des négociations, le fait de disposer d'armes ne mettra pas l'Ukraine à la merci de la Russie, et l'Ukraine ne sera pas non plus sans défense si Poutine décide de violer la trêve.

Se battre jusqu'à la victoire ?

L'impasse. En l'état actuel de la situation, il n'y a pas de conditions préalables à une issue rapide. L'armée russe ne contrôle pleinement aucune des régions qu'elle a occupées, à l'exception de la Crimée. Pourtant, toutes ces régions sont désormais mentionnées dans la Constitution russe comme faisant partie inaliénable de la Russie. L'Ukraine est également liée par sa Constitution. Reculer et plier risque de provoquer de graves troubles internes dont seule la droite tirerait profit. Ensuite, si aucune force ne peut l'emporter, le risque existe de glisser vers un conflit prolongé de faible intensité. Cela signifie essentiellement encore plus de destruction et moins d'espoir d'une éventuelle renaissance. La meilleure discussion à avoir dans ce cas serait de sécuriser les vies civiles, d'intégrer les réfugiés et de réduire les conséquences pour le monde en établissant, par exemple, des zones démilitarisées de l'ONU autour des centrales nucléaires.

La défaite de la Russie. La meilleure garantie de la paix future est une Russie démocratique. Si l'impérialisme russe est indubitablement plus faible que ses rivaux, le fait de contester l'hégémonie états-unienne ne le rend pas plus progressiste en soi, ni un moindre mal pour ceux qui vivent à côté. Même avant que la Russie ne se tourne vers l'expansionnisme, la vie en Ukraine était marquée par son ingérence constante dans la vie politique et économique [4], sa lutte pour la domination culturelle et la projection de sa puissance militaire, notamment par le biais de ses bases militaires en Crimée.

L'espoir a toujours été que le fait de forcer la Russie à se retirer catalyserait un changement à l'intérieur du pays. C'est pourquoi l'Ukraine continue de se battre. Mais cela a un coût. Tout d'abord, le nombre non déclaré mais terrible de morts et de blessés. La question est de savoir combien de temps encore la société ukrainienne peut se permettre un tel sacrifice et quelles en seront les conséquences. Dans cette lutte, le soutien consiste à augmenter les coûts pour la Russie, afin qu'elle plie plus tôt, et à les réduire pour l'Ukraine, afin qu'elle survive. C'est pourquoi les gauches ukrainienne et russe ont demandé des sanctions plus strictes, l'arrêt total des importations de pétrole et de gaz et la fourniture rapide d'armes modernes.

Trêve. Les parties pourraient décider d'étudier la possibilité d'un armistice. Mais nous devons garder à l'esprit que l'Ukraine est un Etat plus petit et plus faible, dévasté par cette guerre et confronté à de graves problèmes démographiques. La plus grande crainte découlant d'un cessez-le-feu est de se retrouver oublié et seul. Rien n'empêcherait alors la Russie de lancer une nouvelle attaque lorsqu'elle sera mieux préparée. Pour avoir la moindre chance de résister, l'Ukraine devrait se transformer en camp militaire tout en vivant dans un état d'insécurité permanent. C'est précisément le facteur le plus important du soutien massif à l'adhésion à l'OTAN, en tant que moyen de dissuasion et de garantie de la paix. La seule alternative possible serait un accord contraignant ayant un effet similaire. Plus que jamais, votre voix et votre soutien crédibles seraient nécessaires pour y parvenir.

Espérer le meilleur, se préparer au pire

En fin de compte, la solidarité avec l'Ukraine ne doit pas être un signe de vertu. C'est une réponse rationnelle. Si la légitimité des « sphères d'influence » est reconnue, quel autre choix les petits Etats auraient-ils que de rejoindre l'un des blocs ? Si les puissances nucléaires peuvent dicter leur volonté, qui choisira alors le désarmement ? Si la dépendance aux combustibles fossiles permet à des autocrates enhardis de faire chanter le monde, que reste-t-il de la démocratie ? Si l'Ukraine tombe, qu'est-ce qui empêcherait les employeurs criminels et les réseaux mafieux de votre pays de profiter de millions de personnes traumatisées et dépossédées ?

En fin de compte, si le pire se produit, ce sera un clou de plus dans le cercueil de la paix mondiale, contribuant à l'instabilité croissante. Dans le nouveau monde des petits impérialismes concurrents, qui marque le déclin de l'empire états-unien, nous devrons nous préparer à des temps plus sombres et créer les conditions d'une éventuelle renaissance. Le moins que nous puissions faire est de maintenir des liens et de ne pas nous considérer comme des ennemis, même si nous finissons par nous retrouver dans les camps concurrents. Suivons le conseil de Joe Hill [5] et ne perdons pas de temps à nous lamenter. Organisons-nous ! (Article publié sur le site Commons, le 21 décembre 2023 ; traduction rédaction A l'Encontre)


[1] Selon The Kyiv School of Economics (octobre 2023), les destructions d'infrastructures, jusqu'au 1er septembre 2023, s'élèvent à 151 milliards de dollars ; 168 000 unités d'habitation ont été détruites ou endommagées, conjointement à 18 aéroports, plus de 300 ponts et 25 000 km de routes. Quelque 1700 écoles secondaires ont été endommagées, ainsi que 1200 centres de soins. (Réd.)

[2] Le 19 décembre, Zelensky a affirmé que l'armée ukrainienne avait besoin « de 450 000 à 500 000 hommes supplémentaires, cette déclaration a suscité un débat. Dans Le Monde du 29 décembre, Florence Aubenas écrit : « Cette fois, le chiffre lancé est phénoménal pour une armée qui compte 1 million de soldats et pourrait mettre le pays dans une situation sociale et politique délicate. » Jusqu'à maintenant, l'engagement reste volontaire et ne « devient obligatoire – pour ceux qui sont aptes – qu'en cas de convocation nominative. Là commence l'inconnu. Comment et à qui sont distribuées ces convocations ?… Comble du hasard, les contrôles se multiplient dans les lieux publics, salles de sport, saunas, centres commerciaux… Dans le pays, jusque-là soudé dans la guerre, apparaissent les premières fissures. Des femmes ou mères de militaires manifestent dans plusieurs villes d'Ukraine pour exiger la démobilisation de leurs proches, souvent au front depuis vingt-deux mois, et réclamer l'enrôlement de nouvelles recrues. « Pourquoi les nôtres et pas les vôtres ? », dénonce une pancarte. » (Réd.)

[3] Avant la guerre, l'Ukraine avait connu une perte importante de population ; de plus, la guerre a suscité un vaste mouvement d'exil : quelque 6 millions, auxquels s'ajoutent 5 millions de déplacés internes. (Réd.)

[4] Dès le milieu des années 1990, dans le contexte d'un démantèlement de la base industrielle ukrainienne, les investissements impérialistes visaient à mettre la main, entre autres, sur les riches terres de l'Ukraine, la ruralisant en quelque sorte dans ses rapports futurs avec l'Union européenne. (Réd.)

[5] Joe Hill était membre de l'Industrial Workers of the World (IWW). Avant son exécution en novembre 1915 – suite à un procès des plus controversés – il a écrit : « Ne perdez pas de temps dans le deuil. Organisez-vous ». (Réd.)
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États-Unis : le prochain combat du syndicat de l’automobile, organiser les travailleurs de Tesla

16 janvier 2024, par Alex N. Press — , ,
Après avoir obtenu – par des grèves de masse et une stratégie très audacieuse – des accords historiques avec les trois grands constructeurs automobiles étatsuniens, l'UAW (…)

Après avoir obtenu – par des grèves de masse et une stratégie très audacieuse – des accords historiques avec les trois grands constructeurs automobiles étatsuniens, l'UAW (United Auto Workers) poursuit son offensive. Le syndicat a jeté son dévolu sur les constructeurs sans représentation syndicale, de Toyota et Hyundai dans le Sud à Tesla en Californie.

Tiré de Contretemps
3 janvier 2024

Par Alex N. Press

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S'exprimant sur les détails des accords de principe conclus avec les trois grands constructeurs automobiles, le président de l'United Auto Workers (UAW), Shawn Fain, a déclaré :

« L'un de nos principaux objectifs après avoir remporté une victoire avec ce nouveau contrat collectif, est d‘organiser [de nouveaux établissements] comme jamais ».

« Lorsque nous reviendrons à la table des négociations en 2028, ce ne sera pas seulement avec les Trois Grands, mais avec les cinq ou six Grands », a-t-il conclu.

Ce n'étaient pas des paroles en l'air. Le jour même où le syndicat a annoncé qu'il était parvenu à un accord de principe avec General Motors (GM), la dernière entreprise des trois grands à en arriver là, la nouvelle est tombée que l'UAW était déjà passé à la suite. Bloomberg a rapporté que les travailleurs.ses avaient formé un comité d'organisation pour tenter d'implanter l'UAW dans l'usine phare de Tesla à Fremont, en Californie.

Avant que Tesla ne rachète l'usine en 2010, les salarié.es y étaient organisé.es et représenté.es par l'UAW. Il s'agissait d'une coentreprise (joint-venture) inhabituelle entre Toyota et GM. Les deux entreprises ont exploité l'usine pendant vingt-cinq ans ; GM s'est retiré de cette coentreprise pendant sa procédure de faillite en 2009, et Toyota a fermé l'usine l'année suivante. Lorsque Tesla a pris le relais, la reconnaissance du syndicat ne faisait pas partie de l'accord.

Aujourd'hui, l'usine de Fremont, d'une superficie de 49 hectares, emploie quelque vingt mille travailleurs.ses et, malgré des efforts considérables ces dernières années pour que l'UAW puisse les représenter, ces tentatives ont échoué, en partie grâce à l'opposition sans relâche d'Elon Musk à l'égard des syndicats. Lorsque Jose Moran, alors ouvrier de production à l'usine de Fremont, a mené la charge pour la syndicalisation en 2017, le PDG a qualifié cette campagne de « moralement scandaleuse » et s'en est pris à Moran publiquement, affirmant qu'il était un permanent de l'UAW et qu'il ne travaillait pas réellement pour Tesla. (Moran n'est plus employé à l'usine, et Musk a fait appel des décisions du National Labor Relations Board qui ont déclaré illégales ses actions contre le syndicat). Rien de tout cela ne semble arrêter l'UAW.

« Nous pouvons battre n'importe qui, a déclaré Shawn Fain à Bloomberg à propos de la lutte contre Tesla. « Je pense que c'est faisable. »

S'attaquer à Elon Musk

En tant que premier fabricant de véhicules électriques (VE) aux États-Unis, Tesla est une cible de choix pour l'UAW. Le syndicat ne peut pas permettre que le marché des VE reste presque entièrement non syndiqué s'il veut survivre. L'UAW a fait des progrès importants vers cet objectif cette année en créant une voie pour intégrer certaines des usines de VE des Trois Grands dans les accords-cadres du syndicat, mais les constructeurs automobiles qui ne sont pas couverts par ces contrats, au premier rang desquels Tesla, restent un problème majeur.

« L'UAW s'est engagé à fournir toutes les ressources nécessaires à la campagne », a déclaré à Bloomberg une personne proche des organisateurs.trices de la campagne à venir. Cette campagne sera une guerre, où Musk jouera probablement un rôle similaire à celui du milliardaire Howard Schultz chez Starbucks. Les deux dirigeants restent étroitement liés aux entreprises qu'ils ont fondées, et Musk est plus ouvertement opposé à l'organisation des travailleurs.ses que ne l'était Schultz avant que ses employé.es n'entament leur campagne de syndicalisation. Il est également plus habitué à faire face à une couverture médiatique négative.

L'année dernière, Musk a tweeté : « Un syndicat n'est qu'une entreprise comme une autre ». Au début de l'année, il a licencié des dizaines de travailleurs.ses d'une usine Tesla à New York le lendemain de l'annonce de leur campagne de syndicalisation avec le syndicat Workers United, qui représente les travailleurs.ses de Starbucks.

D'un autre côté, les employé.es de Tesla bénéficieront avant tout de l'immense élan dont jouit actuellement l'UAW dans le secteur, au lendemain d'une grève qui a mis fin à toute une période de collaboration du syndicat avec les trois grands constructeurs automobiles au profit d'une approche beaucoup plus combative. Les scandales de corruption de la direction du syndicat ont fait partie, durant les dernières décennies, des arguments que tous les patrons utilisaient pour discréditer les actions de l'UAW, mais la stratégie du syndicat lors de la grève de cette année, menée par une direction nouvellement élue et en rupture avec les précédentes, avec Shawn Fain comme président, a mis tout cela en veilleuse. De plus la localisation géographique de l'usine Tesla, est un facteur favorable : en cas de durcissement du conflit, il y aura beaucoup de soutien public en faveur du syndicat dans la région de la baie de San Francisco.

Les autres entreprises sans représentation syndicale

Cependant, Tesla est loin d'être le seul problème de l'UAW. Le nombre de travailleurs.ses de l'automobile aux États-Unis n'a pas diminué au cours des dernières décennies, mais la proportion de ces travailleurs.ses qui sont membres de l'UAW a chuté. Alors que 586 000 ouvrier.es de l'automobile étaient membres de l'UAW en 1983, on n'en comptait plus que 225 000 en 2022.

Aujourd'hui, la majorité des ouvrier.es de l'automobile aux États-Unis ne sont pas syndiqué.es. Cela représente une menace existentielle pour l'UAW : les constructeurs automobiles avec une représentation syndicale peuvent invoquer les faibles coûts de main-d'œuvre de leurs concurrents non syndiqués pour expliquer qu'ils ne peuvent pas se permettre d'accepter les revendications du syndicat. Pendant ce temps, les ouvrier.es de l'automobile non syndiqué.es, concentré.es dans le Sud des États-Unis, doivent se contenter de salaires et de couvertures sociales inférieures.

Le succès de la grève chez les « Big Three » de cette année, combiné aux grandes mutations qui ont suivi la pandémie, à savoir le resserrement du marché du travail, un État-providence plus généreux que d'habitude et la délégitimation généralisée des directions d'entreprises qui ont largement échoué à assurer la sécurité de leurs employé.es, a changé la donne. Depuis que le syndicat a suspendu sa grève et tandis que ses membres continuent de voter sur la ratification, plusieurs constructeurs automobiles ont commencé à imiter les Trois Grands, en augmentant les salaires pour tenter de contrecarrer d'éventuelles campagnes de syndicalisation dans leurs propres ateliers.

Honda a annoncé qu'il augmenterait les salaires de certains travailleurs de 11 % en janvier 2024, soit la même augmentation que celle dont bénéficieront de nombreux membres de l'UAW chez les Trois Grands au cours de la première année de leur contrat. Toyota augmente les salaires de 9,2 % pour la plupart des travaillers.ses des chaînes de montage. Hyundai déclare qu'il augmentera les salaires de 25 % d'ici à 2028, ce qui correspond aux augmentations que les travailleurs.ses des Trois Grands connaîtront. Une note interne de la seule usine de fabrication de Subaru aux États-Unis, consultée par Bloomberg, indique que « nombre » de travailleurs.ses ont également demandé à l'entreprise de s'aligner sur les contrats des Trois Grands, ce qu'elle prévoit de le faire dans le courant du mois.

« UAW : c'est l'abréviation de « You Are Welcome » [de rien / littéralement, vous êtes les bienvenu.es] », a déclaré Fain en réponse aux augmentations accordées chez les constructeurs automobiles sans représentation syndicale. Sur Facebook, le syndicat s'est adressé directement aux travailleurs.ses non syndiqué.es, déclarant que des milliers d'entre elleux l'avaient contacté au cours des trois derniers mois.

« Si vous travaillez chez Toyota, Honda, Hyundai, Tesla, Nissan, BMW, Mercedes, Subaru, Volkswagen, Mazda, Rivian ou tout autre constructeur automobile : une vie meilleure est possible », a écrit le syndicat. « Il ne tient qu'à vous d'agir. Rejoignez notre mouvement, et rejoignez l'UAW ». Le message se termine par un lien vers un formulaire de contact destiné aux ouvrier.es de l'automobile non syndiqué.es.

Outre Tesla, Honda, Hyundai et Subaru, la liste des cibles possibles comprend l'usine d'assemblage de Volkswagen à Chattanooga, dans le Tennessee, que l'UAW n'a pas réussi à syndiquer en 2019. De nombreuses autres entreprises ont des ateliers non syndiqués dans le Sud : Nissan, Mercedes-Benz, Hyundai et BMW ont des usines en Alabama, au Mississippi, en Géorgie, au Tennessee et en Caroline du Sud. (Les travailleurs.ses de l'un des rares ateliers automobiles où l'UAW est implanté dans le Sud, un fournisseur de pièces détachées de Mercedes-Benz en Alabama, ont récemment mis fin à une grève de près d'un mois). Il existe également des usines non syndiquées en dehors du Sud : dans l'Indiana, par exemple, des milliers d'ouvrier.es de l'automobile ne sont pas syndiqué.es.

À l'offensive

Le moment est venu pour le syndicat de passer à l'offensive dans le secteur automobile sans représentation syndicale. Alors que les membres de l'UAW des Trois Grands continuent de voter la ratification des accords de principe signés par leur direction, leurs homologues des ateliers non syndiqués utilisent déjà les gains obtenus à ces tables de négociation pour obtenir davantage pour eux-mêmes. Tout porte à croire que l'UAW est en train de rattraper le temps perdu précédemment sous des directions corrompues.

Quant aux constructeurs automobiles sans représentation syndicale, s'ils pensent que l'augmentation des salaires suffira à repousser les tentatives de syndicalisation, ils se trompent complètement. Cette stratégie a fonctionné par le passé, mais nous entrons dans une nouvelle ère.

*

Cet article a d'abord été publié en anglais par Jacobin. Traduit en français par Christian Dubucq pour Contretemps.

Alex N. Press est rédactrice salariée de Jacobin.

Photo d'illustration : compte Twitter de l'UAW.

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Biden et Trump s’accusent mutuellement de mettre fin à la démocratie américaine

16 janvier 2024, par Dan La Botz — , ,
La nouvelle année a été marquée par les premières salves dans la bataille pour la présidence des États-Unis lors des élections de novembre 2024 : le président Biden et l'ancien (…)

La nouvelle année a été marquée par les premières salves dans la bataille pour la présidence des États-Unis lors des élections de novembre 2024 : le président Biden et l'ancien président Trump se sont mutuellement accusés d'être des dangers pour la démocratie américaine.

Hebdo L'Anticapitaliste - 690 (11/01/2023)

Par Dan La Botz

Crédit Photo
Commons

Les deux candidats affirment qu'il s'agit d'une élection qui ne porte pas tant sur les politiques que sur le sens même du gouvernement et de la société. Dans le même temps, la Cour suprême fédérale vient d'annoncer qu'elle se pencherait sur la question du Colorado et du Maine, qui ont rayé la candidature de Trump du futur scrutin pour avoir encouragé et fomenté une insurrection contre les institutions. Et les premières primaires ne sont plus qu'à quelques jours, l'Iowa le 15 janvier et le New Hampshire le 28 janvier.

L'insurrection du Capitole

Profitant du troisième anniversaire de l'insurrection du 6 janvier 2021 et de la tentative de coup d'État au Capitole de Washington, Biden a prononcé un discours cinglant dans lequel il a accusé Trump de tenter de détruire les institutions fondamentales de la démocratie américaine, et ce, à Valley Forge en Pennsylvanie, le bivouac de l'armée de George Washington pendant la guerre ­d'indépendance américaine.

« Aujourd'hui, nous sommes ici pour répondre à la plus importante des questions : la démocratie est-elle toujours la cause sacrée de l'Amérique ? Il ne s'agit pas d'une question rhétorique, académique ou hypothétique. La question de savoir si la démocratie est toujours la cause sacrée de l'Amérique est la question la plus urgente de notre époque », a déclaré Biden. « C'est l'enjeu de l'élection de 2024 ». « Nous devons être clairs », a affirmé Biden. « La démocratie est sur le bulletin de vote. Votre liberté est en jeu ».

Trump a répondu en accusant Biden d'être « alarmiste ». Il affirme que Biden est le « véritable danger pour la démocratie ». Trump accuse Biden d'utiliser le ministère de la Justice pour le persécuter, l'ancien président étant désormais accusé de délits dans plusieurs affaires fédérales et au niveau des États. Trump prévient que si les Démocrates peuvent lui faire cela, ils peuvent le faire à n'importe qui. Il défend l'insurrection du 6 janvier comme une protestation légitime, faisant l'éloge des personnes condamnées et emprisonnées comme si elles étaient des héros, et continue d'affirmer que l'élection de 2020 lui a été volée par Biden et l'« État profond ».

Nécessité d'un troisième parti

Trump continue de devancer les autres candidats à la primaire républicaine de 30 points et les derniers sondages montrent que Trump et Biden sont au coude à coude. Le principal argument de Trump est que Biden est « corrompu et incompétent », ­notamment parce qu'il n'a pas réussi à contrôler l'immigration à la frontière sud. Avec des mots qui rappellent ceux d'Adolf Hitler dans Mein Kampf, il déclare : « L'immigration clandestine empoisonne le sang de notre nation. Ils viennent de prisons et d'institutions psychiatriques, du monde entier ». Dans ses discours, il fait l'éloge de dirigeants autoritaires comme Kim Jong-un, qu'il qualifie de « très gentil ». Et il cite Vladimir Poutine en disant que Biden le persécute.

Jusqu'à présent, les candidats des autres partis ou ceux qui se présentent en tant qu'indépendants, de Jill Stein du Parti vert aux indépendants, Cornel West et Robert F. Kennedy Jr., n'ont pas bénéficié d'une grande couverture médiatique ni du soutien du public. Pourtant, selon un récent sondage Gallup, 63 % des AméricainEs affirment qu'un nouveau troisième parti serait nécessaire. Mais les dirigeantEs des syndicats, les principales organisations noires et latinos et les groupes de femmes restent fidèles aux Démocrates, et il n'y a pour l'instant aucun signe de fissure. Avec les congés derrière nous, la compétition Biden-Trump dominera l'actualité tout au long de l'année 2024.

Bien que formulé en termes de lutte pour la démocratie, il s'agit en réalité d'un combat entre Biden, leader du parti de la ploutocratie des grandes entreprises et néolibérale, et Trump, qui représente un mouvement à tendance autoritaire et quasi fasciste.

Traduction Henri Wilno

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Le « Grand remplacement » aux États-Unis : racisme, antisémitisme et antisionisme

16 janvier 2024, par Eric Fassin — , ,
Pour comprendre pourquoi Claudine Gay, la présidente de l'université Harvard s'est vue contrainte de démissionner le 2 janvier, il faut analyser en détail les polémiques et (…)

Pour comprendre pourquoi Claudine Gay, la présidente de l'université Harvard s'est vue contrainte de démissionner le 2 janvier, il faut analyser en détail les polémiques et fake news qui agitent les réseaux sociaux depuis quelques mois, et notamment X, propriété du trumpiste Elon Musk, et le rôle désormais central qu'y occupe la théorie du « Grand remplacement » imaginée par l'écrivain français Renaud Camus.

8 janvier 2024 | tiré de aoc.media
https://aoc.media/analyse/2024/01/07/le-grand-remplacement-aux-etats-unis-racisme-antisemitisme-et-antisionisme/

De l'antisémitisme…

« L'oiseau est libéré. » Le 28 octobre 2022, Elon Musk annonçait son rachat de Twitter en célébrant la libération de la parole. Depuis lors, les discours de haine se sont donné libre cours sur le réseau social rebaptisé X, avec les encouragements de l'homme le plus riche du monde.

Le 15 novembre 2023, à un « juif conservateur de Floride » qui dénonce la lâcheté des antisémites s'abritant dans l'anonymat d'internet, un compte sous pseudonyme répond : « Les communautés juives ont encouragé exactement la même forme de haine dialectique contre les Blancs qu'elles veulent faire cesser contre elles. Je n'en ai vraiment rien à foutre des populations juives occidentales troublées par la prise de conscience que ces hordes de minorités qu'elles soutiennent pour inonder leur pays ne les aiment vraiment pas beaucoup. Vous voulez la vérité en face ? La voici. » Elon Musk approuve ce message : « C'est la vérité vraie ». Il garantit ainsi des millions de vues à un post qui n'en sera pas moins supprimé pour avoir enfreint les règles du réseau X.

L'Anti-Defamation League (ADL), fondée en 1913 pour combattre l'antisémitisme, réagit le lendemain. Pour son président, Jonathan Greenblatt, qui est un ancien de la Maison Blanche sous Barack Obama, « dans un moment où l'antisémitisme explose en Amérique et fait une poussée à travers le monde, il est indéniablement dangereux d'utiliser son influence pour valider et promouvoir des théories antisémites. » Comme l'ADL dénonce la progression des discours de haine depuis qu'il a pris le contrôle de Twitter, Elon Musk l'accuse régulièrement de… diffamation. Pour expliquer son soutien au post antisémite, il a d'ailleurs enfoncé le clou : « L'ADL attaque injustement la majorité en Occident, bien que celle-ci soutienne le peuple juif et Israël. C'est à défaut de pouvoir, en vertu de ses principes, critiquer les groupes minoritaires qui constituent leur menace principale. » Il a toutefois tenu à élargir sa cible : « Il est vrai qu'il ne s'agit pas de toutes les communautés juives ; mais pas seulement de l'ADL. » Bref, il vise, non pas tous les juifs, mais des catégories de juifs, en tant que tels.

Il n'empêche : des suprémacistes blancs l'applaudissent. « C'est ce que nous disions à Charlottesville », en 2017, se félicite Nick Fuentes, « quand les manifestants criaient : “les juifs ne nous remplaceront pas !” ». Il s'agit de la version antisémite du « Grand remplacement », qui oppose les « remplacés » (blancs), non seulement aux « remplaçants » (de couleur), mais aussi aux « remplaceurs » (juifs). Le journaliste Yair Rosenberg le rappelle dans The Atlantic, au moment de perpétrer en 2018 un massacre dans une synagogue de Pittsburgh, le terroriste écrivait que, si les juifs prônent l'accueil des réfugiés, c'est pour « faire venir des envahisseurs qui tuent notre peuple. » Bref, les mots d'Elon Musk confirment alors, sans ambiguïté, son antisémitisme. C'est d'autant plus clair que le site Media Matters révèle le 17 novembre que des annonces de grandes entreprises apparaissent sur X à côté de comptes qui font l'apologie d'Hitler. Apple, IBM, Disney et d'autres renoncent alors à confier leurs publicités à ce réseau. Elon Musk riposte avec une « plainte thermonucléaire » contre cette association critique des médias ; pour lui, « le mal », ce n'est pas le retour du nazisme ; c'est sa dénonciation.

… à l'antisionisme

Pourtant, quelques heures plus tard, le même Jonathan Greenblatt congratule Elon Musk sur le réseau social : « Voici un geste important et bienvenu d'Elon Musk. J'apprécie qu'il mène ainsi le combat contre la haine. » Qu'est-ce qui explique ce revirement ? C'est qu'il répond à un autre post du propriétaire du réseau social, en référence au conflit du Proche-Orient : « “décolonisation”, “du fleuve à la mer,” et autres euphémismes, impliquent inévitablement le génocide. Les appels ouverts à la violence extrême sont contraires à nos principes, et entraîneront la suspension de comptes. » Autrement dit, tout se passe comme si la défense d'Israël annulait le grief d'antisémitisme.

Ce n'est pas un hasard. Le président de l'ADL avait en effet déclaré l'année précédente : « permettez-moi de clarifier ce point aussi clairement que possible : l'antisionisme, c'est de l'antisémitisme. » Sans doute avait-il bientôt nuancé, pour être « d'une clarté cristalline », cette affirmation dans un entretien accordé au New Yorker. Reste que l'ADL, en incluant les manifestations pacifiques en soutien aux Palestiniens, double les chiffres de la poussée d'antisémitisme depuis le 7 octobre. Le 19 octobre 2023, c'est la réaffirmation de cette logique qui l'autorise à renvoyer dos à dos les suprémacistes blancs et les organisations juives de gauche Jewish Voice For Peace et If Not Now, qui manifestent avec des rabbins contre « un génocide potentiel » à Gaza. Cette actualité prolonge une histoire. Dès 1974, dans un livre d'Arnold Forster et Benjamin Epstein, l'ADL dénonçait un « nouvel antisémitisme » (notion qui connaîtra une importante postérité en France) : à côté des traditionnels discours de haine de la droite, la Guerre du Kippour était selon eux le révélateur d'une indulgence condamnable, dans la gauche pro-arabe (y compris chez des juifs), pour les discours hostiles à l'État d'Israël.

Mais il y a plus. L'équivalence posée entre l'antisionisme et l'antisémitisme finit par réduire l'antisémitisme au seul antisionisme. Effet pervers de l'attaque du Hamas : à Elon Musk, l'ADL peut ainsi pardonner son complotisme, alors même qu'il vise les juifs, dès lors qu'il rejoint les positions sionistes. C'est précisément ce que dénonce Michelle Goldberg, le 20 novembre 2023, dans le New York Times : « Musk semble avoir appris sa leçon : un sionisme ardent peut servir d'alibi pour l'antisémitisme », car il est des dirigeants de la communauté juive pour « le rendre kasher ». Dans The Guardian, Sam Wolfson s'inquiète une semaine plus tard de cette même aberration : « des associations censées protéger les droits des juifs détournent le regard de l'hostilité aux juifs tant qu'elle est portée par des soutiens d'Israël. »

Benyamin Nétanyahou ne s'y trompe pas. Le 18 septembre, lors de sa visite en Californie, il avait déjà affiché son soutien enthousiaste à Elon Musk. Lors de leur échange sur X, il le proclamait non seulement « l'Edison de notre temps », mais aussi « le président officieux des États-Unis ». Il est vrai que le Premier ministre israélien, en difficulté dans son propre pays pour sa remise en cause anti-démocratique de la séparation des pouvoirs, était alors en froid avec Joe Biden, le président officiel. Sans doute pour Benyamin Nétanyahou, Elon Musk était-il un allié puissant. Mais celui-ci n'était-il pas engagé dans une virulente campagne antisémite, non seulement contre l'ADL, mais aussi contre George Soros ?

La rencontre donnait ainsi à Elon Musk l'occasion de se justifier : « Évidemment, je suis contre l'antisémitisme. Je suis contre “anti-quoi que ce soit”. » Il est vrai qu'il s'oppose à l'antisionisme comme à l'antiracisme. Deux mois plus tard, le 27 novembre, c'est au tour du Premier ministre israélien d'accueillir Elon Musk dans un kibboutz, l'une des scènes des massacres du 7 octobre ; cette fois, malgré la controverse récente, il n'est même plus question d'antisémitisme. Le quotidien de la gauche israélienne Ha'aretz s'indigne : « La répugnante accolade d'Israël à Elon Musk est une trahison cynique des juifs, les morts comme les vivants. » Tout se passe comme si l'antisémitisme n'existait plus que sous la forme de l'antisionisme.

Deux camps dans l'extrême droite

Aux États-Unis, Elon Musk est le révélateur d'un clivage au sein de la droite radicale. D'un côté, le polémiste Ben Shapiro, dont le Daily Wire est diffusé depuis mai 2023 en streaming sur X, prend la défense d'Elon Musk – et il le fait en tant que juif orthodoxe. Déjà le 28 septembre, dans la foulée de l'adoubement du patron de X par Benyamin Nétanyahou, il convoquait des personnalités juives, y compris des rabbins, pour défendre son diffuseur. Celui-ci en profitait pour détourner l'accusation d'antisémitisme vers « l'extrême gauche, y compris dans les meilleures universités où on leur enseigne qu'Israël, c'est l'apartheid, un État qui ne devrait pas exister. »

En novembre, Ben Shapiro le reconnaît, Elon Musk a d'abord fait « une grosse boulette » (“a major boo-boo”) : le post qu'il a cité aurait dû dire « des », et non « les communautés juives », puisque « la plupart des communautés orthodoxes », à commencer par la sienne, s'opposent (comme Elon Musk) aux politiques de diversité (Diversity Equity and Inclusion, ou DEI) et à « l'ouverture des frontières sur une base intersectionnelle » (sic). Il aurait donc dû préciser qu'il visait les juifs « de gauche » (liberal). Mais, selon Ben Shapiro, c'est ce qu'il a bientôt fait en nommant l'ADL. Or les médias qui dénoncent la proximité d'Elon Musk avec la « droite radicale » (alt right) seraient justement ceux qui appellent à un cessez-le-feu à Gaza. Leur antisionisme s'abriterait ainsi derrière l'imputation d'antisémitisme, également brandie contre Donald Trump. Reconnaissant, Elon Musk cite sa vidéo, ainsi qu'un post se félicitant que Jonathan Greenblatt et Ben Shapiro se retrouvent, malgré leurs divergences, pour le soutenir. Leur point commun ? Se ranger dans le camp d'Israël.

Or c'est sur ce point que la droite radicale se divise aux États-Unis. D'un autre côté, en effet, des stars du trumpisme prennent leurs distances avec Israël. Dans cet autre camp, on trouve Candace Owens, qui sur son compte, suivi par 4,5 millions de personnes, écrit le 3 novembre : « Aucun État, nulle part, n'a le droit de commettre un génocide. Rien ne justifie un génocide. Je n'arrive pas à croire qu'il soit besoin de le dire, ou qu'il soit le moins du monde jugé polémique de l'énoncer. » Une semaine après le déclenchement de l'offensive contre Gaza, ce post est évidemment lu comme une critique d'Israël. Ben Shapiro, pour qui elle travaille au Daily Wire, le juge « honteux ». Mais un compte de « Républicains contre Trump » s'indigne : « Où était-il lorsqu'elle a fait l'éloge d'Hitler ? Ou défendu l'antisémitisme de Kanye West ? »

Certes, cette femme noire, égérie de la droite évangélique, joue contre Ben Shapiro, en réponse à ses attaques, une carte antisémite : « Christ est roi. » Mais lui-même n'a-t-il pas justifié l'antisémitisme d'Elon Musk ? L'extrême droite se déchire aux États-Unis sur l'antisionisme, et pas sur l'antisémitisme. Candace Owens s'accorde sans peine avec Ben Shapiro pour dénoncer les juifs « de gauche », responsables, en soutenant les minorités, de favoriser le Grand remplacement. Car l'enjeu de leur conflit, c'est Israël. Et c'est ce qui vaut à Candace Owens le soutien de Tucker Carlson. FoxNews a fini par licencier ce tribun raciste en avril 2023. Il n'empêche : le 8 novembre, Donald Trump n'exclut pas de lui proposer la vice-présidence : « il a un bon sens remarquable ».

Or Tucker Carlson critique le soutien des États-Unis à Israël, comme à l'Ukraine d'ailleurs : à l'instar de Candace Owens, c'est un isolationniste, dans une tradition qui va de Charles Lindbergh à Pat Buchanan. Le 15 novembre, il invite donc celle-ci dans son émission : « Tucker on X ». On le voit, Elon Musk héberge les deux camps de la droite radicale. Si Tucker Carlson compatit avec les victimes du Hamas, il compare les réactions d'empathie qu'elles suscitent dans ce que Candace Owens appelle « le lobby pro-Israël » avec l'absence d'émotion face à une « tragédie » qu'il estime de plus grande ampleur : « Notre pays est envahi, en ce moment-même, par des millions de jeunes hommes dont nous ne connaissons pas les identités. Ils n'aiment probablement pas l'Amérique, et maintenant, ils vivent ici. »

Tucker Carlson reprend alors à son compte l'interpellation de Candace Owens. Les généreux donateurs qui financent les campus de l'Ivy League veulent leur couper les vivres quand y résonnent des discours anti-israéliens. Mais « où étiez-vous ces dix dernières années lorsqu'ils appelaient de leurs vœux un génocide anti-blanc ? » Il se prend à « détester ces gens » : « On taxait mes enfants d'immoralité du seul fait de leur couleur de peau, et c'est votre argent qui finançait cela. » En plein accord avec Candace Owens, Tucker Carlson reprend, comme à son habitude, tous les éléments de la théorie conspirationniste du Grand remplacement, y compris le racisme anti-blanc. En matière d'antisémitisme, c'est donc le même discours que Ben Shapiro, contre les juifs de gauche. Mais la ligne de partage, c'est l'antisionisme. À l'inverse du camp isolationniste de Tucker Carlson et Candace Owens, l'autre droite radicale, celle de Ben Shapiro et Elon Musk, est définie par le soutien à Israël. Reste à savoir quel camp Donald Trump pourrait finalement favoriser.

Le racisme escamoté

Pour sa part, dès le 17 novembre, la Maison Blanche a formellement condamné le post d'Elon Musk. Andrew Bates, un de ses porte-paroles, cite le post du journaliste Yair Rosenberg : « C'est littéralement la théorie embrassée par le suprémaciste blanc pour son massacre de la synagogue de l'Arbre de vie. Et Musk approuve. » Et de commenter qu'il est « inacceptable de répéter le mensonge odieux à l'origine de l'acte d'antisémitisme le plus mortel de l'histoire des États-Unis, surtout un mois après la journée la plus meurtrière pour le peuple juif depuis la Shoah. » Le lien est fait, d'emblée, avec l'attaque du Hamas. Le post qui est à l'origine de la polémique s'en prenait aux « juifs occidentaux » ; désormais, il s'agit tout autant d'Israël et de l'actualité politique de la guerre à Gaza, donc de l'antisionisme en même temps que de l'antisémitisme.

Sans doute ce communiqué dénonce-t-il « la promotion de la haine antisémite et raciste » ; mais, bien qu'il s'agisse de Grand remplacement, le deuxième terme passe aussitôt à la trappe. C'est le cas dès le titre de la dépêche qu'y consacre l'AFP : « La Maison Blanche accuse Elon Musk de faire une « promotion abjecte de l'antisémitisme. » D'ailleurs, comme son post, l'article de Yair Rosenberg dans The Atlantic répond uniquement à la théorie du complot, sans évoquer le Grand remplacement lui-même. Comme le résume le 17 novembre dans son titre un article de Media Matters : « C'est l'antisémitisme, imbécile ! »

Dans la polémique, il ne sera plus question des « hordes de minorités » venues « inonder le pays », selon le post qui est à l'origine de la polémique, soit un mélange de xénophobie (contre les immigrés) et de racisme (contre les minorités). Pourtant, c'est bien ce qui indignait Elon Musk le même jour, en réponse à un post du compte @EndWokeness montrant « des centaines de clandestins forçant notre frontière » à travers le Rio Grande. Et d'applaudir un autre post : seuls les Blancs se verraient interdire, par l'histoire dominante, d'être « fiers de leur race » ; il serait donc temps d'en finir avec « ces mensonges ». À l'évidence, le suprémacisme blanc ne se limite pas à l'antisémitisme.

Le Grand remplacement, dans la version originale de Renaud Camus, c'est un slogan démographique. Comme dans la version états-unienne, il efface la distinction entre immigrés et minorités. C'est pour mieux défendre les Français de souche : un peuple de couleur serait en voie de remplacer un peuple blanc, entraînant un changement de civilisation. Mais ce qu'on appelle la théorie du Grand remplacement correspondrait plutôt à une version conspirationniste, davantage répandue dans le monde anglophone, qui en impute la responsabilité aux juifs : George Soros serait la figure paradigmatique de ces « remplaceurs ».

Or l'écrivain français prétend se démarquer de cette théorie conspirationniste : pour lui, le « remplacisme » ne résulte pas d'un complot, mais d'un processus social caractéristique de la modernité. Du reste, interrogé en 2017 sur Charlottesville, Renaud Camus applaudissait le « nationalisme blanc », mais répudiait l'antisémitisme et le nazisme. Sans doute avait-il été échaudé par la polémique suscitée en 2000 par son Journal : il y déplorait la surreprésentation des « collaborateurs juifs » sur France Culture. Radio France annonçait porter plainte. Quant à Alain Finkielkraut, loin de se sentir visé, il prenait la défense, contre « la France grégaire », de cette « mélancolie barrésienne » : « depuis qu'il s'enchante de penser si bien, ce pays fait peur. » En 2017, quand ce producteur de France Culture invite l'écrivain une nième fois dans son émission, c'est pour débattre avec un démographe du « Grand remplacement ». Le médiateur de la radio publique défend ce choix contre la « censure », et à ceux qui rapprochent l'islamophobie d'aujourd'hui de l'antisémitisme d'hier, Alain Finkielkraut rétorque que c'est « faire l'impasse sur le nouvel antisémitisme », celui des musulmans.

Toutefois, on peut penser que la position actuelle de Renaud Camus ne relève pas seulement de la prudence. Peut-être, comme son ami Alain Finkielkraut, est-il guidé par la logique de l'ennemi principal. En tout cas, comme beaucoup à l'extrême droite, le voici devenu sioniste. En réaction à l'attaque du Hamas le 7 octobre, il s'engage « avec Israël », identifiant son propre combat à la vision qu'en exalte l'extrême droite israélienne : « Israël, l'une des plus vieilles nations sur la face de la Terre, est le modèle de toutes les appartenances. Si Israël n'est pas aux juifs, il n'y a plus de raison profonde pour que la France reste aux Français et l'Europe aux Européens. » Renaud Camus, comme ses épigones français d'extrême droite, n'a pas besoin de la théorie complotiste, si répandue aux États-Unis parmi les suprémacistes blancs, pour s'en prendre au « Grand remplacement ».

Il est d'autant plus problématique de restreindre l'idéologie du Grand remplacement à sa seule dimension antisémite, en oubliant son fondement xénophobe et raciste, que si la synagogue de Pittsburgh a été prise pour cible en 2018, c'est précisément en raison de son engagement en faveur des réfugiés. À Christchurch, en Nouvelle-Zélande, l'auteur de l'attentat de 2019 contre deux mosquées, Brenton Tarrant, au moment d'annoncer sa diffusion en direct sur Facebook, promet de « mener une attaque contre les envahisseurs ». De fait, son manifeste est intitulé « Le Grand remplacement », et c'est de lui que se réclament, la même année, le terroriste de Poway, Californie, qui s'en prend et à une synagogue et à une mosquée, et celui d'El Paso, Texas, contre des Mexicains, puis en 2022 celui de Buffalo, New York, contre des Noirs. Oblitérer ces autres événements, pourtant explicitement placés sous le signe du Grand remplacement, c'est donc s'empêcher de penser ensemble le racisme démographique et l'antisémitisme conspirationniste, soit l'idéologie du Grand remplacement et la théorie du complot qui en est un prolongement.

Pour une part, cela tient au contexte. Après le 7 octobre, rompant avec le traditionnel soutien conditionnel de son pays à l'État d'Israël, le président des États-Unis lui manifeste un appui inconditionnel. Il ne saisit donc pas l'occasion du post d'Elon Musk pour réunir la critique du racisme et de l'antisémitisme. Appeler à un cessez-le-feu, explique le 10 octobre sa porte-parole Karine Jean-Pierre, serait « répugnant » et « honteux ». Malgré ses différends avec Benyamin Nétanyahou, Joe Biden choisit son camp. C'est d'autant plus remarquable que ce choix pourrait lui coûter sa réélection : il s'aliène, non seulement les Arabes, ralliés au parti démocrate depuis 2001, qui pourraient cette fois faire basculer le scrutin dans un État-clé, le Michigan, mais aussi les jeunes générations qui lui étaient également acquises : si l'opinion continue de pencher nettement pour Israël, les 18-29 ans ont davantage de sympathie pour les Palestiniens, et ce, avec un écart comparable. Dès lors, ce sont les jeunes qui vont se retrouver mis en cause.

La campagne contre l'Ivy League

En effet, c'est dans ce contexte d'écart générationnel, en même temps que d'anti-intellectualisme, qu'on peut mieux comprendre les attaques répétées contre les campus états-uniens, et en particulier contre les élites de l'Ivy League, soupçonnées de laisser libre cours à l'antisémitisme, c'est-à-dire à l'antisionisme. Pour ses positions pro-palestiniennes, la gauche universitaire états-unienne a été durement tournée en dérision dans un sketch en anglais de l'émission satirique israélienne Eretz Nehederet (« Un pays merveilleux », rebaptisée « Un pays en lutte »), reposté sur X le 6 novembre par le compte de l'État d'Israël. Sur le campus de Columbia Antisemity (sic), on y voit de jeunes queers, caricatures de « wokisme », scander : « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre. » Et de proposer leur aide, avec déférence, à un terroriste du Hamas qui leur promet pourtant la mort, avant de conclure : « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre de juifs » (« From the river to the sea, Palestine will be Jews-free. »)

Le lendemain même, 7 novembre, l'usage de cette phrase (sans le mot « juifs », bien sûr) vaut à l'unique élue palestinienne du Congrès états-unien, Rashida Tlaib, un vote de rappel à l'ordre : ce serait un « appel génocidaire à la violence pour détruire l'État d'Israël et son peuple et le remplacer par un État palestinien. » Le Hamas ne l'a-t-il pas repris à l'OLP ? Certes, le Likoud l'utilise aussi : « entre la mer et le Jourdain, il n'y aura que la souveraineté israélienne. » Mais ce point n'est jamais abordé. Cette représentante du Michigan avait elle-même fait grief à Joe Biden de soutenir un génocide à Gaza (un premier rappel à l'ordre, la semaine précédente, avait échoué à réunir une majorité). Dénoncer « un système d'apartheid qui crée des conditions étouffantes et déshumanisantes pouvant mener à la résistance », ce serait défendre le terrorisme. Soutenue par des élues de couleur, Rashida Tlaib se défend en revendiquant une « coexistence pacifique » : « pour moi, les cris des enfants palestiniens et israéliens ne sont pas différents. »

Tout cela aura préparé le terrain pour les auditions de trois présidentes d'universités, le 5 décembre, par une commission de la Chambre des Représentants. L'investigation porte sur l'antisémitisme ; du racisme, il ne sera pas question. Dès l'ouverture, ces présidentes sont mises en accusation par Virginia Foxx, représentante républicaine de Caroline du Nord, qui préside la séance : « Aujourd'hui, chacune d'entre vous pourra répondre des nombreux cas d'antisémitisme haineux et vitriolique sur vos campus pour donner réparation ». Une vidéo intitulée « antisémitisme sur les campus » illustre alors son propos : dans des manifestations étudiantes pacifiques, on entend des slogans de solidarité avec Gaza et des appels à l'intifada, mais aucune référence aux Israéliens ni aux juifs. Robert Scott, représentant démocrate de Virginie, rappelle ensuite que « mes collègues républicains ont refusé les auditions sur les discriminations dans les universités demandées par les Démocrates de ce comité en 2017 alors que des suprémacistes blancs défilaient dans l'Université de Virginie en criant : ‘les juifs ne nous remplaceront pas.' »

Les trois présidentes à qui la parole est donnée commencent par condamner sans réserve « les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre ». Chacune reconnaît la poussée de l'antisémitisme, non seulement dans la société, mais aussi sur les campus. Chacune ajoute que les incidents islamophobes aussi se sont multipliés. Chacune affirme que les discours qui incitent à la violence contreviennent aux règlements universitaires sur le harcèlement. Ces clarifications liminaires ne suffisent pas. Virginia Foxx leur demande : « Croyez-vous que l'État d'Israël a le droit d'exister en tant que nation juive ? » Les trois affirment en réponse le droit d'exister de l'État d'Israël – mais sans reprendre les derniers mots. Quant à Joe Wilson, républicain de Caroline du Sud, il somme chacune d'indiquer le pourcentage de conservateurs dans le corps professoral. Les présidentes ne pouvant répondre, puisqu'aucune université ne recueille ces données, il déduit qu'il n'y en a pas, ce qui serait la preuve d'un « illibéralisme », conclut-il, « dont le résultat est l'antisémitisme. »

Leur interrogatoire par Elise Stefanik, élue républicaine de New York, est aussitôt devenu viral. La nouvelle présidente du M.I.T., Sally Kornbluth, s'est présentée « en tant qu'Américaine et que juive » pour affirmer sa détestation de l'antisémitisme, et son engagement pour le combattre. Mais c'est dans les limites de la liberté d'expression : elle a souligné la différence profonde entre « ce que l'on a le droit de dire », et « ce que l'on devrait dire ». Elise Stefanik lui demande : « Appeler au génocide des juifs est-il en violation des codes de conduite du M.I.T. sur le harcèlement ? » « Je n'ai pas entendu d'appels au génocide sur notre campus. » « Mais vous avez entendu scander “intifada” ? » C'est du harcèlement « si des individus sont visés », répond la présidente du M.I.T., « de manière intrusive et persistante ». Même question pour Liz Magill : « oui ou non ? » La présidente de Penn (University of Pennsylvania) donne la même réponse, et ajoute : « si les mots deviennent un comportement, c'est du harcèlement. » La représentante s'emporte : « Le comportement, ça veut dire commettre un génocide ? » Même question pour Claudine Gay, présidente de Harvard, et même réponse. Comme ses collègues, au lieu d'un simple « oui » ou « non », cette politiste précise : « Cela dépend du contexte. » Elise Stefanik tranche alors : « Cela ne dépend pas du contexte. La réponse est oui, et voilà pourquoi vous devriez démissionner. »

Les trois présidentes ont donné, en substance, la même réponse : les codes de conduite respectent la liberté d'expression (garantie par le Premier amendement de la Constitution), et ils concernent le harcèlement (viser des individus avec insistance). Mais le compte-rendu officiel de la séance juge accablant leur consensus : « étant donné la réputation qu'ont les universités de promouvoir une complète convergence idéologique, ces témoignages sonnaient faux dès lors que c'étaient les mêmes mots que prononçaient les témoins. » Leur rappel des règles et des faits est donc inaudible : on y voit la confirmation d'une tolérance inexcusable pour l'antisémitisme. Comme naguère contre Elon Musk, la Maison Blanche met son poids dans la balance. Son porte-parole Andrew Bates réagit à nouveau : « C'est incroyable qu'il faille le dire : les appels au génocide sont monstrueux ; c'est l'antithèse de tout ce que notre pays représente. » Le président de l'ADL, Jonathan Greenblatt, l'en félicite.

L'émission satirique états-unienne Saturday Night Live se contente de moquer le jargon juridique des présidentes. La parodie d'Elise Stefanik s'en émerveille : « Suis-je en train de gagner ? » Mais c'est bien elle la cible principale : « Les discours de haine n'ont pas leur place sur les campus », continue son personnage, « seulement au Congrès, sur le Twitter d'Elon Musk », et bien sûr chez ses collègues et donateurs trumpistes. En revanche, son équivalent israélien, Eretz Nehederet, qui bénéficie désormais d'une audience internationale, poursuit sa campagne : après le sketch sur Columbia et avant celui sur Berkeley, un autre, non moins féroce, est consacré aux auditions, reconstituées dans l'univers d'Harry Potter. Les universitaires finissent par l'avouer, l'argent des Qataris serait la cause de leur tolérance pour les appels au génocide. C'est reprendre la nouvelle accusation des représentants républicains.

L'entretien que publie Ha'aretz avec un professeur de Harvard, Eric Maskin, prix Nobel d'économie, apporte dès son titre un tout autre éclairage : « Il n'y a guère d'antisémitisme à Harvard ». En revanche, « de l'antisionisme, sans aucun doute. » Tout est bien dans la définition. Et de confirmer : à sa connaissance, les étudiants pro-Palestiniens d'Harvard « n'ont jamais lancé d'appel au génocide ». De fait, « les juifs de Harvard ne sont pas leurs ennemis ; c'est de l'État d'Israël qu'ils ont à se plaindre. » Il est certes en désaccord avec eux ; mais il respecte leur engagement en faveur de ceux qu'ils estiment dominés. Selon lui, ils se trompent ; mais c'est par générosité. Ce juif new-yorkais est d'autant plus intéressant que, s'il apporte son soutien à Claudine Gay, en même temps, critique de Benyamin Nétanyahou, il approuve entièrement la politique pro-israélienne de Joe Biden. Non sans naïveté, la présidente s'est contentée de répondre à la question posée. Or « la plupart des universités ont une conception très libérale de ce que l'on peut dire. Si, pour la Constitution, ce n'est pas illégal, alors, on a le droit de le dire. »

Seule Sally Kornbluth échappe à ce jour à la tourmente. Liz Magill est aussitôt amenée à démissionner. « Et d'une, encore deux », jubile Elise Stefanik, citée et félicitée par Donald Trump. Quant à Claudine Gay, elle commence par s'excuser, mais l'offensive de la droite radicale ne s'arrête pas là. Christopher Rufo, un polémiste de la droite radicale qui s'est fait connaître par ses attaques contre les Études critiques sur la race à l'université puis contre les questions LGBT à l'école, fait pencher la balance avec des accusations de plagiat dans la thèse de Claudine Gay en 1997, qui porte justement sur l'impact positif de la diversité en politique. Si certains universitaires considèrent qu'il s'agit bien de plagiat, même mineur (reprendre verbatim des phrases d'auteurs que l'on nomme et discute, mais en omettant les guillemets), cette qualification a été récusée par les supposés plagiés eux-mêmes, à commencer par… son directeur de thèse. Cela n'y change rien. Le 2 janvier 2024, la première présidente noire de Harvard est acculée à la démission ; son mandat aura été le plus bref de l'histoire de cette université.

« Et de deux », claironne Elise Stefanik, qui s'engage à continuer la chasse aux sorcières. « Scalpée », jubile Christopher Rufo. Il lance un fonds de « chasse au plagiat » dans l'Ivy League et pavoise : « C'est le début de la fin pour la diversité (DEI) dans les institutions américaines. » En même temps, Bill Ackman, un investisseur milliardaire, lance un appel pour enquêter sur le corps professoral. Il veut investir dans l'Intelligence Artificielle pour faire tomber des têtes : « cela pourrait mener à des licenciements en masse d'universitaires, à des donateurs qui cessent de donner et à l'annulation de financements fédéraux. »

Claudine Gay l'a bien compris : au lendemain de sa démission, elle explique dans le New York Times : « ce qui vient d'arriver à Harvard est plus grand que moi. » À l'heure du trumpisme, « des campagnes de ce genre commencent souvent par des attaques contre l'éducation et l'expertise, car ce sont les meilleurs outils pour percer à jour la propagande. » La droite de la droite a bien raison de triompher : son récit s'impose comme une vérité – jusqu'en France : pour expliquer la démission de la présidente de Harvard, Le Monde répète qu'elle « n'avait pas clairement condamné des appels au génocide des juifs lancés sur le campus depuis le 7 octobre. » Et tant pis s'il n'y a pas eu de tels appels, si elle en a condamné le principe, et si elle a simplement rappelé les règles existantes en matière de harcèlement, conformément à la question qui lui était posée.

Le retour de la race

Il se trouve que ces mêmes universités étaient depuis quelques années accusées par cette même droite d'entraver la liberté d'expression : c'est la polémique contre la (supposée) « cancel culture ». Cette fois, qu'importe la liberté d'expression : sur de nombreux campus, des associations pro-palestiniennes, soupçonnées de soutenir le Hamas, sont bannies, d'autres réduites au silence ; des manifestations sont interdites, et des conférences annulées. Mais, dans ces situations, nul ne parle de « culture de l'annulation ». Désormais, la gauche universitaire est taxée, non plus de « maccarthysme », mais de laxisme. Ce serait justement la preuve qu'elle est partisane – intolérante avec les uns, tolérante pour les autres. Ainsi, pour le représentant républicain de l'Indiana Jim Banks, « Penn impose des règles aux discours qui lui déplaisent. » C'est donc une nouvelle attaque contre le (présumé) « wokisme ». D'ailleurs, un représentant républicain de l'Utah, Burgess Owens, interpelle aussi Claudine Gay (comme elle, il est noir) sur la « ségrégation raciale » à Harvard (c'est-à-dire sur des événements non-mixtes, réservés aux minorités). Au motif de s'attaquer à l'antisémitisme, l'antiracisme devient la cible – paradoxalement, comme pour les idéologues antisémites du Grand remplacement.

Ce retour de la race joue un rôle crucial dans la polémique sur l'antisémitisme. Revenons à Bill Ackman, l'un des plus virulents critiques de Harvard dont il est un ancien étudiant, comme Elise Stefanik. Il ne se contente pas de faire campagne sur les réseaux sociaux contre la présidente, qui n'aurait pas assez tenu compte de ses préconisations. Appelant à sa démission, il va jusqu'à remettre en cause sa nomination : « réduire le nombre de candidatures sur un critère de race, de sexe ou de sexualité, ce n'est pas la bonne manière de recruter les meilleurs pour diriger nos universités les plus prestigieuses. » Autrement dit, Claudine Gay devrait son poste à sa couleur. Et de reprendre un argument classique contre les politiques de discrimination positive que les juges conservateurs de la Cour suprême ont récemment bannie : « Il n'est pas bon, quand on se voit décerner la charge de président, de se retrouver à une place qu'on n'aurait pas eue sans un sacré coup de pouce dans la balance. » Bref, avec l'extrême droite, Bill Ackman s'en prend aux politiques de diversité (DEI) qui seraient la cause profonde de l'antisémitisme.

C'est la réduction du Grand remplacement à sa dimension antisémite qui a rendu possible ce retournement. La preuve ? Il est un contexte qui disparaît dans la charge menée contre les universités censément coupables de « wokisme », et donc d'antisémitisme. Républicaine modérée, Elise Stefanik s'est convertie au trumpisme jusqu'à se proclamer « ultra-MAGA » (Make America Great Again). Après l'insurrection du 6 janvier 2021 au Capitole, Harvard l'a exclue d'un comité consultatif pour avoir refusé de reconnaître le résultat des élections et voté contre l'investiture du nouveau président. Quelques mois plus tard, elle a affirmé que les Démocrates s'apprêtaient à fomenter « une insurrection électorale permanente ». Comment ? « Leur plan, accorder une amnistie aux onze millions d'immigrés illégaux, renversera notre corps électoral actuel pour créer une majorité libérale permanente à Washington. » C'était reprendre à son compte la théorie complotiste du Grand remplacement.

Pour les Démocrates, en 2022, l'attentat de Buffalo, dans l'État de New York dont elle est représentante, qui visait des Noirs en considérant le Grand remplacement comme un « génocide blanc », a été l'occasion de dénoncer les conséquences de tels discours. Mais les Républicains se sont refusés à toute remise en cause – à l'exception de Liz Cheney : elle a pointé du doigt la responsabilité des dirigeants républicains pour avoir « encouragé le nationalisme blanc, le suprémacisme blanc et l'antisémitisme » de ceux qui n'hésitent pas à parler de « génocide blanc. » Cette vigoureuse critique de la dérive trumpiste a été écartée pour faire place à Elise Stefanik. Alors que celle-ci fait aujourd'hui la leçon à des présidentes d'universités, les commentateurs s'abstiennent de rappeler, du moins aux États-Unis, cet épisode récent, qui éclaire pourtant son usage du mot « génocide ».

On peut d'ailleurs s'interroger sur la sincérité de l'engagement d'Elise Stefanik contre l'antisémitisme : jamais elle n'a dit un mot contre Donald Trump lorsqu'il a estimé en 2017 qu'à Charlottesville, malgré les violences pendant les manifestations des néo-nazis, « il y avait aussi des gens très bien des deux côtés », ni en 2022 quand il dînait avec des antisémites notoires comme Kanye West et Nick Fuentes dans sa propriété de Mar-a-Lago. On comprend pourquoi elle rejette le mot « contexte » (utilisé par les trois présidentes) : aux États-Unis comme en France et ailleurs, les réactionnaires s'en prennent aux sciences sociales dont la vocation est précisément de contextualiser. C'est ainsi qu'ils imposent leur version des faits en même temps que leur vision du monde. En l'occurrence, faire abstraction des contextes dans cette controverse lancée par la droite républicaine ne permet pas de comprendre la manœuvre politique derrière leur rhétorique de lutte contre l'antisémitisme. Tout se passe en réalité comme si l'invocation de l'antisémitisme redéfini comme antisionisme permettait surtout de ne plus rien dire du racisme, sauf celui attribué à l'antiracisme.

À son insu, la Maison Blanche aura contribué à légitimer ce discours de la droite radicale en condamnant la théorie complotiste du Grand remplacement sans référence à son fondement xénophobe et raciste. En même temps, au Congrès, on fait le procès des universités, et non pas d'Elon Musk. C'est à ces institutions qu'on fait grief de la liberté d'expression qu'elles défendent, pas à celui qui, au nom de cette même liberté, a transformé son réseau social en chambre d'écho du racisme et de l'antisémitisme. Elon Musk peut continuer tranquillement ses posts sur le Grand remplacement ; il se contente de ne pas le nommer. Désormais, il s'en prend, non plus aux juifs, mais seulement aux politiques de diversité dont la présidente de Harvard serait l'incarnation : « DEI discrimine en raison de la race, du sexe, etc. : ce n'est pas seulement immoral, c'est aussi illégal ». Et de reposter Bill Ackman, pour qui « la racine de l'antisémitisme », c'est « une idéologie diffusée sur les campus en termes d'oppresseurs et d'opprimés », bref, Diversity, Equity, and Inclusion.

Tel est le sens commun de la droite républicaine. Le problème, ce n'est plus le racisme ; comme en France, c'est l'antiracisme, qui en serait le nouveau visage. Aujourd'hui, les partisans de la diversité ne sont-ils pas réputés complices de l'antisionisme ? Autrement dit, à l'heure du retour en force d'un antisémitisme d'extrême droite qui va jusqu'à se réclamer ouvertement du nazisme, on s'en prend, en même temps qu'aux juifs libéraux lorsqu'ils financent les universités, à la gauche intellectuelle. « On ne peut plus rien dire » : telle était hier encore la plainte opposée au « wokisme ». Aujourd'hui, sous prétexte de lutter contre un « nouvel antisémitisme », c'est plutôt l'injonction : « Taisez-vous ! »

Éric Fassin

SOCIOLOGUE, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE ET D'ÉTUDES DE GENRE À L'UNIVERSITÉ PARIS 8, MEMBRE DE L'INSTITUT UNIVERSITAIRE DE FRANCE ET CHERCHEUR AU LABORATOIRE SOPHIAPOL

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« Le fascisme haut et fort » : D. Trump amplifie son discours raciste et l’extrême droite fais des plans pour une lente guerre civile

16 janvier 2024, par Amy Goodman, Jeffe Sharlet, Nermeen Shaikh — , ,
Nous allons maintenant examiner le langage de plus en plus autoritaire de Donald Trump dans ses discours de campagne. Democracy Now, 21 décembre 2023 Traduction, Alexandra (…)

Nous allons maintenant examiner le langage de plus en plus autoritaire de Donald Trump dans ses discours de campagne.

Democracy Now, 21 décembre 2023
Traduction, Alexandra Cyr

Nermeen Shaikh : Nous allons maintenant examiner le langage de plus en plus autoritaire de Donald Trump dans ses discours de campagne. Durant la dernière fin de semaine, il a déclaré que les immigrants.es « empoisonnent le sang » de la nation.

Donald Trump : « Quand ils laissent…..je pense que le nombre exact de gens (entrés) dans notre pays est de 15 ou 16 millions. Quand ils font cela, nous avons beaucoup à faire. Ils empoisonnent le sang de notre pays. C'est ce qu'ils ont fait. Ils nous ont empoisonnés.es ».

N.S. : Ces remarques ont suscité un très grand nombre de critiques. La Vice-présidente, Kamala Harris a déclaré que ces termes étaient « semblables à ceux d'A. Hitler » Mais, mardi, D. Trump en a rajouté en Iowa durant un discours de campagne.

D.T. : Ce qui se passe est fou. Ils ruinent notre pays. Et c'est vrai : ils détruisent le sang du pays. C'est ce qu'ils font. Ils détruisent notre pays. Ils n'aiment que je dise cela. Je n'ai jamais lu Mein Kampf. Ils disent « Oh, Hitler a dit cela » de manière très différente ».

Amy Goodman : Donald Trump se tenait entre deux arbres de Noël.

Jeffe Sharlet nous rejoint maintenant. Il est un journaliste primé, auteur et professeur d'Anglais et d'écriture créative au Collège Dartmouth. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont The Undertow : Scenes from a Slow Civil War. Les caucus de l'Iowa et les primaires du New Hampshire sont les premiers et les premières du parti Républicain. Les Démocrates ont changé leur calendrier.

Jeff, d'abord pouvez-vous réagir à ces mots de « empoisonnement du sang » et la comparaison avec A. Hitler ? L'épouse de D. Trump, la mère du premier de ses trois fils, Ivana Trump, qui est décédée suite à une chute dans un escalier il y a quelques temps, a déclaré qu'il avait des extraits d'un livre d'A. Hitler sur sa table de chevet. (…)

Jeff Sharlet : C'est assez fascinant d'entendre D. Trump affirmer « Je n'ai jamais lu Mein Kampf ». Il semble que le livre qu'il est censé avoir eu récemment, est un livre différent d'Hitler. Mais ce qui m'interpelle c'est qu'il sorte de sa piste quand il parle ainsi alors que les comparaisons sont déjà faites. Il invoque cela parce que c'est une forme de chaos et que c'est dramatique. Je pense aussi qu'il compte sur le fait qu'il tirera plus profit auprès de sa base par le grand drame hitlérien de la deuxième guerre mondiale que par les comparaisons avec le pire dictateur fasciste de l'histoire. Je ne pense pas qu'il creuse cela, je crois plutôt qu'il va vers ça.

N.S. : Donc, que pensez-vous que seront les conséquences si on prend au sérieux ce langage ? Aussi, est-ce que cela pourrait faire diminuer ses appuis ou plutôt les augmenter ?

J.S. : Nous ne pouvons…tout ce que nous avons à faire, c'est d'examiner ce qui se passe. Cela augmente ses appuis. Et encore une fois, il comprend que la dramatisation et le spectacle sont ses atouts.

Mais, quant à la prise au sérieux de ces propos, je suis très content que la presse suive cette course comme si c'en était une de chevaux plutôt qu'au dernier soupir que nous pourrions….accrochons-nous à ce que nous à ce que la démocratie américaine possède encore. Commençons par examiner quelque chose qui se nomme Projet 2025. C'est un document de 900 pages réalisé par des alliés de D. Trump, la Fondation Héritage financée par l'argent des Koch. La presse a fait grand cas des Koch quand ils ont endossé la candidate Nikki Haley pour cacher leur mise (ailleurs). Un document de 900 pages pour le premier jour (suivant l'élection de 2024). Rappelez-vous que D. Trump a déclaré : « Le premier jour je serai un dictateur ». C'est une autre miette de langage pour mettre la presse sur le fil. « C'est une farce. Non non, le premier jour je serai un dictateur ; ce n'est qu'une farce. Qu'est-ce que je disais ? Dictateur ». Encore une fois, plus important que la substance (des mots), c'est le spectacle, la dramatisation qui le rend excitant dans le sens fasciste du mot, un homme d'action. Et vous avez ce document diffusé agence de presse par agence de presse qui contient les vues de tous les groupes de droite, avec un personnel de 20,000 individus et qui prévoit déjà recruter 5,000 avocats.es qui mèneront la bataille en parlant de camps de concentration, de surveillance interne, donc toutes les facettes d'un véritable gouvernement fasciste. Il n'a pas besoin de lire tout ça comme il n'a pas besoin d'avoir lu Mein Kampf pour mettre de l'avant ce contenu.

A.G. : Ce que les gens doivent comprendre c'est que ce document de 920 pages comme vous avez dit, écrit par la Fondation Héritage et financé par les frères Koch parle de réduire le financement du Département de la justice, de démanteler le FBI, de disloquer le Département de la sécurité intérieure (Homeland Security), celui de l'éducation et du commerce. Le sous-titre de votre prochain livre est : The Undertow, Scenes From a Slow Civil War. Nous allons bientôt entrer en 2024, pouvez-vous nous donner un avant-goût de ce que veut dire : « slow civil war » ?

J.S. : Il faut d'abord voir les conséquences qui sont déjà là : les femmes enceintes qui sont forcées d'avoir leur enfant ou souffrir physiquement et même mourir ; l'épidémie de suicides chez les personnes trans et queers ; toutes ces facettes sont celles d'une concentration de politiques fascistes. La lente guerre civile se met aussi en place par des lois qui empêchent les gens d'obtenir ce dont ils ont besoin. Ce sont les retombées de cette lente guerre civile.

Ce que ce document nous apprend, c'est qu'il y aura une accélération de tout ça. Le plan est conçu pour une période de 180 jours environ. La Fondation Héritage a fait sa réputation avec un document du genre qu'elle a élaboré pour Ronald Reagan en 1980. 60% en avait été installé au cours de premiers six mois de son administration. Ils s'y réfèrent et ajoutent : « OK mais c'était pour Reagan. Maintenant nous sommes dans l'ère Trump. Nous devons aller beaucoup plus loin ». C'est le terme qu'ils emploient : « beaucoup plus loin ».

N.S. : Jeff, à quel point diriez-vous que ce document est représentatif du mouvement conservateur d'extrême droite ? Et pensez-vous qu'avec ou sans l'élection de D. Trump, certaines de ces politiques seront mises en place ou qu'au moins on tentera de les faire adopter ?

J.S. : Je pense que c'est l'autre aspect dont il faut se souvenir. Si par un coup de chance, Nikki Haley en fin de compte (gagne, je ne prends pas cette possibilité au sérieux), mais si ça arrivait, c'est tout prêt pour elle aussi. Mais c'est aussi tout prêt pour le militantisme de droite. Il porte le signe du trumpisme. Et ça ne vient pas de n'importe quel groupe mais de la Fondation Héritage, de l'Alliance for Defending Freedom qui, en passant est le groupe responsable du retrait de l'arrêt Roe contre Wade. On y trouve aussi des organisations chrétiennes de droite, des intellectuels.les du Claremont Institute et du Hillsdale College comme s'ils et elles étaient de droite. Nous sommes face à une convergence. Le document compte 400 contributeurs.rices beaucoup, vraiment beaucoup sont d'anciens représentants.es de l'administration Trump et des entreprises à contrat dans le domaine de la défense. Je pense que ce document est aussi conçu pour mettre de l'avant une fois pour toute, tout ce que les compétences des bourreaux de travail peuvent employer pour concrétiser la furie du fascisme à la Trump. Comme si le mot d'ordre était : « OK Tout le monde au travail ! C'est le cadre, c'est le projet ». C'est un projet de trumpisme peu importe où cet homme se retrouve.

A.G. : Finalement, Jeff, vous êtes au New Hampshire. Nikki Haley y a reçu l'appui officiel du gouverneur de l'État, M. Sununu. Qu'est-ce que cela signifie ? Et elle a répondu au discours de D. Trump à propos de la pollution du sang du pays, que cela n'aidait en rien. Pouvez-vous, en finissant, nous parler des effets de ce type de langage, comment il façonne tout le discours et comment pensez-vous que les médias devraient traiter ce fait ?

J.S. : J'ai été impressionné de voir qu'ils ont pris un petit peu de hauteur récemment non seulement avec cette partie des termes mais aussi en rappelant celui de « vermine », un mot lié à l'extermination. Il est important de se rappeler que l'expression « empoisonnement du sang », n'appartient pas qu'à Mein Kampf, mais représente un courant sous-jacent qui traverse le discours de la droite américaine. J'ai examiné un document titré The American Mercury daté de 1957. Il s'agit d'une publication de droite pour les procès civiques. On croirait que ça a été écrit hier et l'expression « empoisonnement du sang » s'y trouve. C'est ce genre de procédé qui a toujours été là en douce et que D. Trump porte maintenant sur la scène nationale lui donnant une plateforme que l'extrême droite a toujours voulue et qu'elle avait un tout petit peur de proclamer, je pense. Ils avaient peur : « si nous disons cela tout haut, il se peut que nous perdions des gens ». Maintenant ils découvrent que les gens qu'ils attendaient viennent vers eux parce que le mot en F, fascisme, est prononcé haut et fort.

A.G. : Merci, Jeff Sharlet.

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Condamner la chasse publique aux sorcières

16 janvier 2024, par Melanie L. Campbell — , ,
Source médias : la présidente et directrice générale de la table ronde des femmes noires (black women's roundtable) condamne la chasse aux sorcières publique contre la (…)

Source médias : la présidente et directrice générale de la table ronde des femmes noires (black women's roundtable) condamne la chasse aux sorcières publique contre la présidente de l'université de Harvard qui a dû démissionner

Traduction Johan Wallengren

Washington - Melanie L. Campbell, présidente et directrice générale de la National Coalition on Black Civic Participation (Coalition nationale pour la participation civique des Noirs) et organisatrice de la Black Women's Roundtable, exprime ses vives préoccupations en rapport avec la démission de Claudine Gay, présidente de l'université de Harvard. La campagne menée par le milliardaire Bill Ackman, qui a fait fortune dans les fonds spéculatifs (hedge funds), a grandement contribué à ce dénouement. Cette tournure des événements est perçue non seulement comme un incident individuel, mais comme le résultat d'une attaque de plus grande envergure contre les valeurs de la diversité, de l'équité et de l'inclusion (DEI) non seulement dans la sphère de l'enseignement, mais aussi dans d'autres secteurs de la société.

Melanie Campbell est une source largement reconnue lorsqu'il s'agit de traiter des droits civils et de la justice sociale. Elle est disponible pour commenter dans les médias les implications de la démission forcée de la présidente Gay, qu'elle décrit comme une illustration inquiétante de la chasse aux sorcières en cours visant le leadership des femmes noires et les initiatives DEI pour lesquelles elles militent. Ce qui est arrivé à Claudine Gay va au-delà de sa seule personne ; c'est un message clair adressé à toutes les femmes noires qui cherchent à atteindre l'excellence dans leurs domaines d'activité respectifs. De tels actes sapent les progrès durement acquis dans notre lutte pour l'égalité et la représentativité.

La NCBCP, Coalition nationale sur la participation civique des Noirs [1], est l'une des organisations de défense des droits civiques et de la justice sociale les plus actives aux États-Unis. Elle œuvre pour un engagement accru des Noirs américains à l'égard de leurs droits civiques, économiques et électoraux.
La BWR, Table ronde des femmes noires [2], est la branche de la NCBCP qui aide les femmes et les jeunes filles à faire valoir leurs droits.

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Guerre à Gaza : « Israël semble décidé à en découdre avec le Hezbollah et l’Iran à la faveur du soutien américain »

16 janvier 2024, par Gilbert Achcar, Pierre Barbancey — , ,
Le chercheur Gilbert Achcar analyse les conséquences pour le Moyen-Orient de l'attaque perpétrée le 7 octobre par le Hamas et de la guerre menée par Israël. Il revient sur le (…)

Le chercheur Gilbert Achcar analyse les conséquences pour le Moyen-Orient de l'attaque perpétrée le 7 octobre par le Hamas et de la guerre menée par Israël. Il revient sur le comportement du Hezbollah libanais, des Houthis yéménites mais aussi sur celui de l'Iran, « qui n'était pas partie prenante ».

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
2 janvier 2024

Par Gilbert Achcar et Pierre Barbancey

Gilbert Achcar est professeur en relations internationales et études du développement à l'École des études orientales et africaines (Soas) de l'université de Londres. Observateur attentif des évolutions du Moyen-Orient, il constate que l'Iran et ses alliés régionaux ont reproché au Hamas de ne pas les avoir consultés avant l'attaque du 7 octobre. Pour lui, le mouvement islamiste s'est trompé en surestimant son impact régional et ses alliances.

Quel impact a eu l'attaque du 7 octobre au Moyen-Orient ?

Ce n'est pas tant le 7 octobre qui a des répercussions sur le plan régional que la guerre qui a suivi. Celle-ci va bien au-delà de toutes celles menées précédemment par Israël dans la bande de Gaza. Elle constitue déjà l'épisode le plus terrible, le plus sanglant de l'histoire palestinienne.

Jamais un massacre de cette nature et de cette intensité n'a été commis par Israël depuis sa création en 1948, depuis la Nakba, la catastrophe, c'est-à-dire l'expulsion de la grande majorité des Palestiniens du territoire sur lequel s'est établi le nouvel État. Nous sommes devant une seconde Nakba qui dépasse en intensité la précédente. Cela a un impact considérable sur la situation régionale.

Évidemment, le processus qu'on appelle la « normalisation » entre Israël et un certain nombre d'États arabes s'en trouve bloqué. Le dernier en cours concernait le royaume d'Arabie saoudite, sur lequel l'administration américaine se concentrait. La colère est forte au sein des opinions publiques de la région [1] , tout comme le ressentiment qui s'installe face à l'État d'Israël.

C'est d'autant plus important que, pour l'instant, il n'y a aucune clarté sur ce qui adviendra de la bande de Gaza une fois que les opérations militaires cesseront. Tout cela a ravivé la question palestinienne dans les opinions publiques locales, régionales et même mondiale, en lui donnant une ampleur sans précédent.

Le risque de déflagration régionale existe-t-il ?

Il semblerait que l'Iran et ses alliés aient reproché au Hamas de ne pas les avoir consultés. On sait que l'opération du 7 octobre a été conçue par un très petit noyau d'au plus cinq personnes. Selon une enquête récente, le Hamas aurait prévenu le Hezbollah libanais une demi-heure seulement avant le déclenchement de l'attaque.

L'Iran ne se considère pas tenu de s'associer à cet acte de guerre parce qu'il n'y a pas eu de préparation commune. C'est une façon de s'excuser de ne pas se lancer dans ce que souhaitait le Hamas, c'est-à-dire une guerre régionale. Le Hezbollah a pris soin de limiter les échanges de tirs, sans recours aux missiles de longue portée.

Il y a eu quelques actes ici ou là de milices en Irak, mais rien d'important. Et puis, il y a aussi les Houthis au Yémen. Mais ces derniers ont une relation encore plus distante avec l'Iran que celle du Hezbollah ou des milices irakiennes.

Quand on lit la déclaration du chef militaire du Hamas, Mohammed Deif, le matin du 7 octobre, on comprend mieux l'esprit qui a animé les instigateurs de l'attaque. On trouve d'abord un discours religieux. Le Hamas est une organisation intégriste islamique. Il a une vision religieuse qui invoque une intervention divine auprès des combattants engagés dans l'opération.

Il appelle ensuite les Palestiniens, où qu'ils se trouvent, puis les Arabes, puis les musulmans et, en particulier, l'Iran et ses auxiliaires régionaux. Il y avait donc cette illusion que l'opération allait déclencher un embrasement régional et qu'Israël serait mis en mauvaise posture, à devoir se battre sur plusieurs fronts à la fois. Mais cela n'a pas eu lieu. Le contraste entre l'attente de ceux qui ont fait l'opération et ce qui s'est passé en réalité montre bien que l'Iran n'était pas partie prenante.

Cela dit, Israël semble décidé à en découdre avec le Hezbollah et peut-être même avec l'Iran à la faveur du soutien américain à la guerre en cours. Le Hezbollah risque de voir son appui limité, quasi symbolique, au Hamas se retourner contre lui en fournissant un prétexte à Israël d'une agression de grande envergure.

Comment analysez-vous l'implication des Houthis du Yémen ?

Ils interviennent d'une manière plus spectaculaire que le Hezbollah. Ils s'en prennent aux bateaux qui desservent Israël en passant par le détroit de Bab el-Mandeb. Les États-Unis ripostent directement et mettent sur pied une coalition pour la protection de la navigation en mer Rouge.

Mais ce qu'on oublie à propos du rôle des Houthis, c'est le conflit yéménite lui-même. Ils relèvent d'une branche du chiisme au sens large et pratiquent une surenchère anti-israélienne vis-à-vis de l'autre camp au Yémen qui, de surcroît, est sunnite comme le Hamas. Pour eux, l'enjeu est de politique locale. Les Houthis s'érigent ainsi en représentants de l'ensemble du peuple yéménite, ainsi qu'en musulmans au-delà des différences confessionnelles. Mais je crois qu'ils freineront dès qu'il y aura une menace sérieuse à leur égard. Ils ont fait un grand coup médiatique qui ne leur a pas coûté grand-chose jusqu'ici. Je doute qu'ils aillent plus loin.

Cela signifie-t-il que le Hamas a décidé de tenir un rôle régional beaucoup plus important que celui qu'il jouait jusqu'à présent ?

Le Hamas a compté sur ses alliances et son impact régional pour que tout cela explose en même temps à la faveur de ce détonateur qu'aurait été l'opération du 7 octobre. C'était un mauvais calcul, même en invoquant l'intervention divine. Il a sous-estimé l'impact qu'aurait son opération sur Israël même, tout en surestimant son impact sur l'environnement arabe et régional, Iran inclus.

En Israël, l'extrême droite est au pouvoir. Une bonne partie de celle-ci considère que le retrait israélien de Gaza en 2005 était une erreur, et souhaite réoccuper ce territoire, et même l'annexer, puisque ce sont des partisans du Grand Israël, d'un État d'Israël qui engloberait les territoires occupés en 1967, Gaza et la Cisjordanie. Dès lors, il était évident que ce qui allait résulter de l'opération serait une catastrophe d'une ampleur inouïe.

On le voit avec le plan élaboré par le ministère israélien du Renseignement évaluant les scénarios de fin de guerre, la coïncidence de la publication de ces scénarios avec l'appel à la population palestinienne à se déplacer en masse vers le Sud. Près de 90 % de la population de Gaza ont été ainsi déplacés. Il était impensable qu'Israël puisse, à froid, se lancer dans la reconquête de Gaza souhaitée par l'extrême droite. Et d'ailleurs, il a fallu trois semaines, après le 7 octobre, pour que l'opération terrestre commence, ce qui montre bien qu'Israël n'était pas prêt.

Où tout cela peut-il mener ?

Je suis malheureusement pessimiste en ce qui concerne le sort des Palestiniens, parce que l'on assiste depuis longtemps à un glissement continu de l'État d'Israël vers l'extrême droite. De l'autre côté, il y a le pourrissement de l'Autorité palestinienne en Cisjordanie, rejetée par l'écrasante majorité de la population, et il y a les actions du Hamas. La situation a maintenant atteint un paroxysme avec cette guerre effroyable que mène Israël.

On est entré dans un nouveau cycle de radicalisation extrémiste en réaction à la barbarie de l'invasion israélienne de la bande de Gaza. Cette radicalisation ne se limitera pas à la région : comme d'habitude, elle débordera sur l'Europe, voire sur les États-Unis. De ce point de vue, les gouvernements occidentaux ont fait preuve de myopie extrême dans leur soutien inconditionnel à l'État d'Israël.

À l'échelle régionale, la situation est très assombrie, surtout si on y ajoute le fait que ce qui restait des dynamiques révolutionnaires enclenchées avec ce qu'on a appelé le Printemps arabe en 2011 a été liquidé…

Il reste quand même des raisons d'espérer, cependant. Ce qui a causé les deux vagues de soulèvements régionaux en 2011 et 2019, c'est la crise structurelle, socio-économique, profonde de la région. Une crise qui est loin d'être résolue. On devrait donc assister à de nouveaux épisodes de luttes sociales comme on l'a vu au Maroc ces derniers mois. C'est sur le plan social, sur le plan des luttes de classe, qu'il faut s'attendre à ce que de nouvelles perspectives s'ouvrent pour la région.

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P.-S.

l'Humanité

https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/guerre-a-gaza-israel-semble-decide-a-en-decoudre-avec-le-hezbollah-et-liran-a-la-faveur-du-soutien-americain

Notes

[1] Gilles Achcar est l'auteur de La Poudrière du Moyen-Orient (2007), avec Noam Chomsky. Il vient de publier La Nouvelle Guerre froide : États-Unis Russie et Chine, du Kosovo à l'Ukraine aux Éditions du Croquant

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Hamas, son histoire, son développement. Une perspective critique

16 janvier 2024, par Joseph Daher — , ,
Dans cet article, le chercheur et militant internationaliste Joseph Daher revient sur les origines, le développement, l'orientation politique et la stratégie du Hamas, dans une (…)

Dans cet article, le chercheur et militant internationaliste Joseph Daher revient sur les origines, le développement, l'orientation politique et la stratégie du Hamas, dans une perspective marxiste critique, tout en soulignant que « toute critique sérieuse du Hamas ne peut être formulée sans une opposition claire à l'État d'apartheid raciste et colonial d'Israël« .

Tiré de Contretemps
2 janvier 2024

Par Joseph Daher

L'armée d'occupation israélienne mène une guerre génocidaire contre la population palestinienne dans la bande de Gaza. Les 2,4 millions d'habitants de la bande de Gaza vivent sous des bombardements israéliens constants d'une violence sans précédent. Plus de 20 000 personnes ont été tuées par les frappes israéliennes. Plus de 1,9 million de Palestiniens sont déplacés dans la bande de Gaza, représentant plus de 85 % de la population totale du territoire. Il s'agit à bien des égards d'une nouvelle Nakba, après celle de 1948, au cours de laquelle plus de 700 000 Palestiniens ont été chassés de force de leurs foyers et sont devenus des réfugiés. Ce processus de nettoyage ethnique, qui ne s'est jamais arrêté, se poursuit aujourd'hui.

Le Hamas est diabolisé depuis ses attentats du 7 octobre 2023, qui ont entraîné la mort de plus de 1 139 individus, y compris 695 civils israéliens, 373 membres des forces de sécurité et 71 étrangers[1]. Quelles sont les origines de ce parti et comment s'est-il développé ? Quelle est l'orientation politique et la stratégie du Hamas, ainsi que ses alliances régionales ?

Avant de discuter de la nature politique du Hamas et de développer une perspective critique sur le parti islamique palestinien, il est nécessaire de clarifier certaines positions politiques. Premièrement, Israël a toujours été un projet colonial de peuplement visant à établir, maintenir et étendre son territoire, cherchant à déplacer continuellement par la violence les Palestiniens de leurs territoires. Des groupes comme Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International ont également qualifié l'État israélien de régime d'apartheid. Deuxièmement, tout au long de son histoire, le mouvement sioniste, puis l'État israélien, se sont alliés aux puissances impérialistes occidentales et ont obtenu leurs soutiens, d'abord celui de l'empire britannique, puis celui des États-Unis. Le génocide actuel dans la bande de Gaza se déroule avec le soutien actif de toutes les puissances impérialistes occidentales, des États-Unis à l'Union européenne. La très grande majorité des classes dirigeantes occidentales soutiennent la propagande meurtrière de l'Etat d'Israël sur le « droit d'Israël à se défendre ». Cela signifie que les Palestiniens ne luttent pas seulement contre l'État israélien, mais aussi contre l'ensemble du système impérial occidental.

Dans ce contexte, les partisans de la lutte palestinienne pour la libération et l'émancipation doivent réaffirmer le droit à la résistance des opprimé.es face à un régime d'apartheid, raciste et colonial. En effet, comme toute autre population confrontée aux mêmes défis et menaces, les Palestinien.nes jouissent de ces droits, y compris par des moyens militaires. Certes, il ne faut pas confondre cela avec le soutien aux perspectives politiques des différents partis politiques palestiniens, ni avec toutes sortes d'actions militaires menées par ces acteurs, conduisant notamment au meurtre aveugle de nombreux civils comme le 7 octobre[2].

Pour l'État israélien, la question n'est en effet pas la nature de l'acte de résistance des Palestinien.ne.s, qu'il soit pacifique ou armé, ni même son idéologie, mais le fait que toute contestation des structures d'occupation et de colonisation doit être criminalisée et réprimée. Avant le Hamas et jusqu'à aujourd'hui, les factions de l'OLP, des organisations à la gauche du Fatah, les progressistes et démocrates palestinien.ne.s, ainsi que les civils sans idéologie affirmée, ont tous subi la répression israélienne. Tout comme les manifestations très largement pacifiques vers la barrière de séparation israélienne organisés par de jeunes manifestants au cours des derniers mois, et avant cela en 2018-19, également connues sous le nom de « Grande marche du retour », ont toutes été violemment réprimées par l'armée d'occupation israélienne, notamment par des tirs à balles réelles, des gaz lacrymogènes, et même des frappes aériennes. De nombreuses personnes ont été tuées, et des blessés parmi les manifestants désignés comme « terroristes ».

Plus généralement, la violence utilisée par l'oppresseur pour maintenir ses structures de domination et d'assujettissement ne devrait jamais être comparée ou mise sur le même plan que la violence de l'opprimé qui tente de restaurer sa propre dignité et qui cherche à faire reconnaître son existence.

La nature de l'État israélien et ses politiques ont créé les conditions pour le type d'actions qui se sont produites le 7 octobre, tout comme n'importe quel acteur colonial et occupant à travers l'histoire. Il est donc très important de situer l'attaque du Hamas dans le contexte colonial historique de la Palestine.

Dans cette perspective, toute critique sérieuse et honnête du Hamas ne peut être formulée sans une opposition claire à l'État d'apartheid raciste et colonial d'Israël, visant à son démantèlement, et à un soutien à l'autodétermination des Palestiniens, à leur droit à la résistance, et à leurs droits fondamentaux contre l'occupation, comprenant la fin de la colonisation, l'égalité pour les Palestiniens et un droit au retour garanti pour les réfugiés palestiniens.

Ce n'est qu'à partir de là que nous pouvons développer une critique du mouvement palestinien Hamas, son orientation politique et sa stratégie.

Origines et évolutions du Hamas

Le Hamas, acronyme arabe de « Mouvement de résistance islamique », a été officiellement créé en décembre 1987, au début de la première Intifada palestinienne. Ses racines remontent cependant à l'organisation égyptienne des Frères musulmans (FM), active dans la bande de Gaza depuis les années 1940, et à l'association al-Mujamma al-Islami fondée par Cheikh Ahmad Yassin[3] en 1973 à Gaza et légalisée par l'armée d'occupation israélienne en 1979. Al-Mujamma al-Islami a été créé et a agi comme une organisation de façade pour les activités des FM à Gaza.

Les autorités d'occupation israéliennes ont initialement encouragé le développement des structures d'al-Mujamma al-Islami dans toute la bande de Gaza, en particulier les institutions sociales et les activités politiques. Pour les forces d'occupation israéliennes, il s'agissait naturellement d'affaiblir le camp nationaliste et de gauche, en encourageant l'alternative islamique. En effet, les FM avaient décidé d'adopter un comportement de non-confrontation envers les forces d'occupation israéliennes et se sont d'abord concentrés sur l'islamisation de la société. Le choix de la confrontation non armée avec l'occupant israélien a été contesté au sein des FM au début des années 1980 et une nouvelle entité politique, le Jihad islamique, dirigé à Gaza par Fathi Shikaki, a été créée sur cette division. Shikaki a également été inspiré par la révolution islamique en Iran et par l'idéologie de l'ayatollah Ruhollah Khomeini.

La confrontation non armée avec Israël a pris fin avec la création du Hamas en 1987, notamment sous la pression d'une partie de la base du parti, particulièrement de jeunes militants, qui critiquaient l'absence de résistance à l'occupation israélienne. Ils plaidaient pour une politique plus conflictuelle contre l'occupant israélien, contrairement à la pensée traditionnelle axée d'abord sur l'islamisation de la société. Le déclenchement de l'Intifada en 1987 a permis aux partisans d'une ligne de résistance contre l'occupation de gagner une position plus forte au sein du mouvement. Ils ont convaincu les plus récalcitrants, en arguant notamment que le mouvement des FM et al-Mujamma al-Islami dans les territoires occupés subiraient une grande perte de popularité s'ils refusaient de s'impliquer dans l'Intifada[4]. En même temps, la popularité croissante du Jihad islamique dans sa résistance militaire contre les autorités d'occupation israéliennes constituait de plus en plus une menace directe pour les FM en termes de base populaire.

Un accord a finalement été trouvé entre la vieille garde conservatrice, favorable à une approche non conflictuelle avec Israël et composée principalement de commerçants urbains et de membres issus de la classe moyenne supérieure, et une jeune génération de nouveaux cadres militants, favorables à la résistance et composée pour la plupart d'étudiants issus de la classe moyenne inférieure et des camps de réfugiés, par la création du Hamas en tant qu'organisation affiliée distincte. Les membres des FM qui n'étaient pas d'accord avec sa création pouvaient rester au sein de l'organisation sans rejoindre le Hamas. La création du Hamas était un moyen de rejoindre l'Intifada sans mettre directement en péril l'avenir des institutions du mouvement et de l'association al-Mujamma al-Islami. Avec cette formule, en cas d'échec de l'Intifada, c'est la responsabilité du Hamas qui serait engagée et non celle des FM. C'est exactement le contraire qui s'est produit puisque la participation de la nouvelle organisation Hamas à l'Intifada a été un grand succès. Ce dernier a intégré presque tous les membres du mouvement des FM en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et a surtout commencé à attirer des adeptes et des sympathisants qui n'étaient pas membres des FM.

Le développement du Hamas a également été stimulé par les événements régionaux tels que le boom pétrolier d'après 1973, permettant aux monarchies du Golfe d'augmenter leurs investissements dans les mouvements fondamentalistes islamiques, y compris à l'époque al-Mujamma al-Islami dans la bande de Gaza, et la création de la République Islamique d'Iran (RII). Les dirigeants de la RII ont en effet soutenu l'orientation politique fondamentaliste islamique à travers la région, y compris le Hamas à partir du début des années 1990. La consolidation des relations et futures alliances entre l'Iran et le Hamas se noue au moment de l'expulsion de centaines de membres du Hamas et du Jihad Islamique au Liban Sud à Marj al-Zouhour en 1992, y compris de l'actuel chef du bureau politique de l'organisation palestinienne Ismael Haniyeh. A cette période, le Hamas renforce également ses liens avec le Hezbollah au Liban.

D'un autre côté, les mouvements fondamentalistes islamiques dans les territoires palestiniens occupés (TPO) ont également bénéficié des revers majeurs de l'OLP, à commencer par la Jordanie en 1970 avec « Septembre noir » et la violente répression du régime jordanien contre les forces palestiniennes, qui a conduit à son transfert au Liban. Suite à la nouvelle expulsion des forces de l'OLP de Beyrouth vers Tunis en 1982, le mouvement national palestinien fut encore affaibli. Son leadership, sa stratégie et son programme politique étaient de plus en plus remis en question. Cela s'ajoutait à la concentration croissante de l'OLP, dirigée par le Fatah, sur la recherche d'une solution politique et diplomatique plutôt que sur la résistance armée. Cela était conforme à la dynamique politique de la guerre d'après octobre 1973, qui avait ouvert la porte à un règlement politique avec Israël, comme avec l'accord de paix avec l'Égypte.

En revanche, les dirigeants du Hamas ont refusé l'orientation de l'OLP et ont soutenu la résistance armée. Le Hamas a joué un rôle significatif dans la première (1987-1993) et la deuxième Intifada (2000-2005), tout en maintenant une position rhétorique forte contre l'accord de paix d'Oslo entre l'OLP et Israël. Après sa conclusion, l'accord d'Oslo a été de plus en plus largement perçu comme une capitulation totale de l'OLP face aux exigences d'Israël. Dans ce cadre, le Hamas a gagné en popularité au sein des TPO. Dans le même temps, l'Autorité Palestinienne (AP) a été de plus en plus critiquée en raison de son incapacité à atteindre les objectifs nationaux palestiniens face à l'occupation et à la colonisation israélienne continue, tandis que Ramallah était de plus en plus accusée de forte corruption et de pratiques clientélistes. De plus, la collaboration sécuritaire de l'AP avec Israël a également été vivement dénoncée au sein de la population et de la société palestinienne.

En même temps, le Hamas s'est lentement transformé d'un parti initialement refusant toute participation institutionnelle dans les années 1990 aux institutions héritées de l'accord d'Oslo à un accommodement politique avec ce dernier. Les responsables et dirigeants du Hamas ont expliqué leur changement de position par le fait que les accords d'Oslo avaient échoué, à la suite de la deuxième Intifada, alors qu'en 1996, participer à de telles élections aurait signifié les reconnaître et les soutenir.

Lors des élections législatives palestiniennes de janvier 2006, sous la forme de « Liste du changement et de la réforme », le Hamas a remporté la majorité des sièges, obtenant 42,9 % des voix et 74 des 132 sièges. Les puissances occidentales et Israël ont réagi en boycottant et en imposant un embargo sur le gouvernement dirigé par le Hamas, et en suspendant toute aide étrangère aux TPO[5]. Les tensions entre le Hamas et le Fatah se sont intensifiées et ont mené à un conflit entre les deux acteurs, le Hamas chassant le Fatah de Gaza en juin 2007, tandis que l'AP prenait le contrôle total de la Cisjordanie. La Cisjordanie et la bande de Gaza restent respectivement sous l'autorité de l'AP et du Hamas.

Parallèlement, le Hamas s'est considérablement renforcé militairement depuis la première incursion terrestre d'Israël lors de la guerre de 2008-2009, en partie grâce à ses liens croissants avec les Gardiens de la révolution iraniens et le Hezbollah, et au partage de l'expertise militaire de ses acteurs au mouvement palestinien. Les estimations des Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche militaire du Hamas, concernant le nombre de combattants prêts au combat sont difficiles à estimer, avec des fourchettes allant de 15 000 à environ 40 000. L'aile militaire dispose de roquettes fabriquées localement, mais les roquettes à longue portée proviennent de l'étranger, d'Iran, de Syrie et d'autres pays, en passant par l'Égypte. Le Hamas utilise également de nombreux pièges armés, tels que les engins explosifs improvisés (IED), un type d'arme non conventionnelle qui peuvent être activés de diverses manières et sous diverses formes. La faction utilise des obus et des mines. Le Hamas fabrique une grande partie de ses propres armes, développe des drones et des véhicules sous-marins sans pilote et se lance dans la cyberguerre.

Programme et orientation politiques

Le Hamas a adopté sa première Charte le 18 août 1988, dans laquelle il reconnait son affiliation aux FM. Le mouvement islamique palestinien « considère la terre de Palestine comme un waqf islamique pour toutes les générations de musulmans jusqu'au jour de la résurrection ». Le Hamas a déclaré dans la première charte concernant l'OLP que : « Notre patrie est une, notre malheur est un, notre destin est un et notre ennemi est commun ». L'opposition du Hamas à l'OLP a toujours été essentiellement politique et non religieuse. Le texte de la 1ère Charte avait cependant des connotations antisémites, avec une référence au Protocole des Sages de Sion (un faux créé par la police tsariste au début du XXe siècle), ainsi qu'une dénonciation des « complots » des loges maçonniques, des clubs du Rotary et de Lyon.

La dernière charte du Hamas publiée en 2017 a connu des modifications majeures et représente une véritable tentative par le leadership du parti d'exprimer ses orientations politiques principales, par rapport à la première charte de 1988 considérée comme caduque depuis de nombreuses années par les principaux dirigeants du parti palestinien. Le mouvement se décrit dans cette nouvelle charte de la manière suivante :

« Le mouvement déclare que le Mouvement de résistance islamique “Hamas” est un mouvement islamique palestinien de libération et de résistance nationale. Son objectif est de libérer la Palestine et de faire face au projet sioniste. Son cadre de référence est l'Islam, qui en détermine les principes, les objectifs et les moyens. »

Dans la nouvelle charte, le contenu antisémite a été supprimé et la lutte du parti se tourne contre le sionisme[6]. Le nouveau document ne mentionne plus aucun lien avec les FM, alors que l'Islam reste évoqué comme son cadre de référence. Dans le même temps, le parti islamique palestinien propose un programme politique implicitement en accord avec une solution temporaire à deux États, conforme à de nombreuses déclarations faites par les responsables du Hamas au cours des dernières décennies concernant l'approbation du parti pour une telle solution, et au droit international.

Dans ce contexte, la comparaison entre Daesh et Hamas telle que préconisée par certains acteurs israéliens et occidentaux doit être totalement rejetée. Alors que le Hamas est ancré dans l'histoire palestinienne et s'oppose à la colonisation et à l'occupation israélienne, Daesh est né de l'occupation américaine de l'Irak. Il est né d'Al-Qaïda en Irak, qui a combattu à la fois l'occupation américaine et le régime fondamentaliste chiite installé par les États-Unis et soutenu par l'Iran. Il s'est ensuite étendu à la Syrie alors qu'il tentait d'établir un califat islamique sunnite. Le développement de Daesh est le résultat de l'impérialisme et de la contre-révolution au Moyen-Orient.

Les tentatives d'Israël et des gouvernements occidentaux de présenter le Hamas, et plus généralement les Palestiniens, comme des terroristes similaires aux organisations djihadistes ne sont pas nouvelles[7]. Après le 11 septembre 2001, la classe dirigeante israélienne a déjà décrit sa guerre contre les Palestiniens pendant la Seconde Intifada comme sa propre « guerre contre le terrorisme ». Et ce, même si l'AP sous la direction d'Arafat et le Hamas ont condamné les actions d'Al-Qaïda. Les actions suicides du Hamas à Jérusalem et ailleurs dans la Palestine historique ont été présentées comme « étant un symptôme du terrorisme islamique mondial », comme l'explique Tareq Baconi[8]. La présidence Bush a défendu au début des années 2000 le droit d'Israël à se défendre contre le « terrorisme islamique », tout comme l'actuelle administration américaine et les États occidentaux. Indépendamment de ce que nous pensons des attentats suicides, les opérations du Hamas s'inscrivaient dans le cadre d'une opposition à l'occupation et à la colonisation israéliennes, et non dans le cadre d'une lutte islamique mondiale. Le Hamas a justifié le recours aux attentats suicides pour saper les discussions d'Oslo et empêcher toute sécurité de la population israélienne. De plus, elle cherchait à alimenter les contradictions au sein de la société israélienne, mais ces actions ont plutôt favorisé son unité et renforcé l'extrémisme politique israélien[9].

Des organisations telles que Daesh ou Al-Qaïda présentent des différences dans leur formation, leur développement, leur composition et leur stratégie avec des partis politiques tels que le Hamas ou le Hezbollah au Liban[10]. Le Hamas a par exemple participé aux élections et aux institutions héritées des accords d'Oslo, tout en acceptant la diversité religieuse de la société palestinienne. En revanche, les djihadistes comme al-Qaïda et Daesh considèrent généralement la participation aux élections des institutions étatiques comme non islamique et se tournent plutôt vers des tactiques de guérilla ou de terrorisme dans l'espoir de s'emparer à terme de l'État, tout en s'attaquant aux minorités religieuses[11]. De plus, des affrontements ont eu lieu entre le Hamas et des groupes jihadistes salafistes dans la bande de Gaza depuis qu'il en a pris le contrôle. Les forces militaires du Hamas ont combattu ces groupes et ont lancé des campagnes d'arrestation contre leurs membres[12], perçus comme des menaces pour la sécurité et, dans une moindre mesure, comme des rivaux politiques pour leurs bases populaires.

Plus généralement, les tentatives d'Israël et des impérialistes occidentaux de comparer le Hamas et les groupes djihadistes tels que Daesh, ou avant Al-Qaïda, font partie d'une stratégie plus vaste consistant à s'appuyer de plus en plus sur l'islamophobie depuis le 11 septembre pour justifier leur soi-disant guerre contre le terrorisme.

Cela dit, l'orientation politique du Hamas ne doit pas être présentée ou qualifiée de progressiste. Le mouvement islamique palestinien promeut un programme politique et une vision de la société réactionnaires et autoritaires, et son règne à Gaza est loin d'être démocratique.

Classe et économie politique

À l'instar d'autres partis fondamentalistes islamiques, la base populaire du Hamas n'est pas ancrée dans une seule classe. La base électorale du Hamas s'est considérablement développée en deux vagues, d'abord lorsqu'il a rejoint la lutte contre Israël en 1987 et a mené une résistance militaire dans les années 1990 et 2000, et ensuite lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 2006 et a pris le contrôle de la bande de Gaza en 2007. La résistance militaire du Hamas et son opposition aux accords d'Oslo et, plus généralement, aux politiques oppressives israéliennes, aux côtés de ses réseaux d'organisations caritatives, basés sur les anciens réseaux des FM et d'al-Mujamma al-Islami, et du mécanisme d'islamisation de la société, a permis au mouvement islamique palestinien de constituer une large base populaire, issue principalement des couches populaires défavorisées de la population palestinienne des territoires occupés, tout en étant capable de maintenir des liens avec les forces traditionnelles bourgeoises comme les commerçants aisés et autres. Le mouvement islamique palestinien a en effet historiquement et généralement bénéficié du soutien et de la sympathie des hommes d'affaires, des propriétaires fonciers, et des commerçants[13].

Le milieu social des dirigeants de la bande de Gaza, initialement composé majoritairement de petits-bourgeois et de classes moyennes inférieures, était historiquement plus propice à son expansion que les dirigeants de Cisjordanie issus d'un milieu social plus aisé, majoritairement bourgeois et d'élites traditionnelles, et liés à la monarchie jordanienne en raison de ses liens initiaux avec les FM jordaniens qui ont constitué un soutien fidèle aux dirigeants jordaniens pendant de nombreuses décennies. Le mouvement des FM dans les TPO, comprenait généralement des commerçants, des hommes d'affaires et des sections de la classe aisée palestinienne, qui ont généralement continué à soutenir le Hamas par la suite[14].

Au niveau de ses dirigeants et cadres, l'une des caractéristiques majeures de l'organisation palestinienne est qu'une grande majorité d'entre eux a un niveau d'éducation élevé et tend à occuper des professions libérales. Il peut également exister chez un grand nombre d'employés du Hamas, en particulier ceux qui occupent des postes de direction au sein de l'administration gouvernée par le parti dans la bande de Gaza, une certaine mentalité « petite-bourgeoise » (même si la très grande majorité d'entre eux sont d'origine prolétarienne), par le fait de devenir des cadres salariés, signifiant une certaine revalorisation sociale. Cette dynamique est cependant réduite fortement par la réalité politique et sociale de Gaza, caractérisée par un siège mortifère et des guerres continues menées par l'armée d'occupation israélienne, maintenant un lien relativement important entre les cadres locaux du Hamas et les classes populaires palestiniennes.

Plus généralement, et contrairement à d'autres mouvements fondamentalistes islamiques de la région, il est important de noter que le processus « d'embourgeoisement » de la direction du Hamas a été limité. Ceci est lié aux limites d'un développement capitaliste significatif et d'un processus d'accumulation de capital important dans les TPO, et plus particulièrement dans la bande de Gaza depuis l'imposition du siège en 2005, résultant de l'occupation israélienne et des politiques de de-développement imposées par l'État d'Israël. Ce dernier a mené une politique visant à limiter toute forme de développement économique et institutionnel autochtone susceptible de contribuer à la réforme structurelle et à l'accumulation de capital, en particulier dans le domaine industriel. Israël a empêché les Palestinien.nes de développer des industries locales susceptibles de concurrencer les industries israéliennes, augmentant et maintenant la dépendance de l'économie palestinienne vis-à-vis des importations israéliennes[15]. Les grands conglomérats palestiniens qui dominent l'économie en Cisjordanie sont en réalité principalement basés dans le Golfe. La stratégie économique de l'AP a d'ailleurs consisté à renforcer ces grands conglomérats palestiniens, tout en creusant les inégalités dans la société palestinienne[16].

Le Hamas a également pu construire une nouvelle classe marchande liée au parti, à partir de la fin des années 2000 et du début des années 2010, grâce à l'expansion massive des activités des tunnels avec l'Egypte. La bande de Gaza a même connu un « boom économique » selon un rapport de la Banque mondiale de 2011, la croissance du PIB atteignant 28 % au cours des six premiers mois de cette année-là[17]. Le marché du travail au premier semestre 2011 avait été caractérisé par une croissance relativement significative de l'emploi. Le taux de chômage au sens large était tombé à 32,9 % à la mi-2011, contre 45,2 % au second semestre 2010, selon le rapport sur la bande de Gaza pour les six premiers mois de 2011 réalisé par l'UNRWA[18]. L'emploi total avait augmenté de 21 % par rapport à l'année précédente, avec environ 41 270 personnes supplémentaires travaillant, les réfugié.es représentant environ la moitié de cette croissance. L'industrie des tunnels et les activités qui y étaient liées ou qui en bénéficiaient ont été le principal facteur de la hausse de l'emploi privé, notamment l'importation croissante de matériaux de construction. En termes géographiques, cette nouvelle prospérité a suivi les nouvelles opportunités d'emploi : le nord a décliné, tandis que le sud était en plein essor. Bayt Hanun, autrefois porte d'entrée de Gaza vers Israël, sombrait dans la dépression, tandis que Rafah, jusqu'ici la ville la plus pauvre de l'enclave, était en plein essor. L'économie des tunnels a été la principale raison de ce boom, estimé par les hommes d'affaires gazaouis à plus de 700 millions de dollars par an[19], et a renforcé le pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza. La plupart des tunnels ont été financés par des investisseurs privés, pour la plupart des membres du Hamas, qui se sont associés à des familles se trouvant des deux côtés de la frontière[20]. Un rapport de l'Organisation internationale du travail a cité l'émergence de 600 « millionnaires des tunnels », qui ont particulièrement investi dans l'achat de terrains et dans l'immobilier[21]. Les brigades al-Qassam ont établi une surveillance sur une grande partie du réseau de tunnels qui était auparavant sous l'autorité de clans disparates et d'autres partis politiques. Cependant, à partir de la mi-2012, mais surtout après l'arrivée au pouvoir du dictateur égyptien Sissi suite au coup d'État militaire contre la présidence de Morsi en juillet 2013, l'activité des tunnels a été durement touchée et a considérablement diminué. Le régime militaire égyptien a fermé de nombreux passages de contrebande reliant le Sinaï à Gaza et les a inondés d'eaux usées.

Le Hamas, à l'instar des FM, soutient une économie basée sur le capitalisme et le libre marché[22]. Le Hamas souscrit à la croyance générale au sein des cercles des mouvements fondamentalistes islamiques selon laquelle la religion islamique promeut la libre entreprise et consacre le droit à la propriété privée[23]. Dans une interview que j'ai réalisée en 2012 avec Ali Baraka, représentant du Hamas au Liban, il a déclaré que le Hamas était contre une économie socialiste parce qu'elle allait à l'encontre des droits individuels et d'entrepreneur du peuple et qu'il soutenait plutôt l'initiative privée[24]. Le modèle économique islamique évoqué par les membres du Hamas n'est en aucun cas en contradiction avec le système capitaliste. Les sources de financement du Hamas expliquent également l'absence d'opposition au système capitaliste et son programme économique plutôt conservateur. Le mouvement islamique palestinien est financé par la République islamique d'Iran, le Qatar, les dons d'hommes d'affaires palestiniens de la diaspora[25] et les collectes de fonds effectuées principalement dans les monarchies du Golfe, mais aussi dans d'autres pays comme la Turquie et la Malaisie, qui sont reversés au parti et/ou à des œuvres caritatives, institutions et projets de bienfaisance affiliées au Hamas au sein des TPO[26]. Le Trésor américain a accusé le Hamas d'avoir établi un réseau secret de sociétés gérant environ 500 millions de dollars d'investissements dans des entreprises de divers pays de la région, notamment des sociétés opérant au Soudan, en Turquie, en Arabie Saoudite, en Algérie et aux Émirats arabes unis (EAU)[27].

Autoritarisme et Hala Islamya

Comme déjà souligné plus haut, le règne du Hamas dans la bande de Gaza depuis 2007 a été marqué par le siège mortifère imposé par l'armée d'occupation israélienne, avec l'assistance du régime égyptien, ainsi que par les politiques répressives de l'AP en Cisjordanie, particulièrement contre les membres, organisations et institutions du parti ou liés à ce dernier, mais pas seulement[28]. Ces éléments ont bien sûr influencé la politique du mouvement, caractérisée par un certain degré d'autoritarisme et de répression.

Dans le rapport 2022 d'Amnesty International, l'organisation de défense des droits humains a déclaré que « dans la bande de Gaza, un climat général de répression, suite à une répression brutale des manifestations pacifiques contre la hausse du coût de la vie en 2019, a effectivement dissuadé la dissidence, conduisant souvent à des formes d'auto-censure »[29]. D'autres organisations palestiniennes ont également condamné les violations des droits humains commises par le Hamas, notamment les détentions arbitraires, la torture et les coups punitifs[30]. Le parti islamique est également accusé de menacer les journalistes qui critiquent son gouvernement. De nombreuses protestations politiques publiques ont souvent été réprimées, comme les manifestations contre la division palestinienne du 15 mars 2011[31] jusqu'à plus récemment en juillet 2023, lorsque les forces de sécurité du Hamas ont une nouvelle fois réprimé dans plusieurs villes de la bande de Gaza, un mouvement de protestation contre les coupures d'électricité chroniques et des conditions de vies difficiles, mais aussi contre la gouvernance lacunaire, la corruption et l'autoritarisme[32].

Cet environnement autoritaire est reflété par différents sondages réalisés par le Centre palestinien de recherche politique et d'enquête (PSR), dans lesquels des larges secteurs de la population palestinienne basée à Gaza ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas critiquer les autorités du Hamas sans crainte, avec des taux atteignant 67,9 % en 2014 et 59% en 2023[33].

En même temps, le mouvement a poursuivi une politique renforçant un environnement islamique conservateur accompagné d'une plus grande politique d'islamisation de la société gazaouie, à travers son contrôle de l'administration publique, des organisations liées au mouvement et également par des mesures répressives. La diffusion de l'idéologie du Hamas à travers ses institutions et son réseau d'organisations est également un moyen pour consolider et reproduire son pouvoir sur de larges secteurs de la population palestinienne dans la bande de Gaza. Déjà à la fin des années 1980 et 1990, al-Mujamma al-Islami et le Hamas ont joué un rôle important dans une large mesure dans l'imposition par diverses formes de coercition des normes sociales conservatrices à Gaza[34]. Dans ce cadre, certains cybercafés ont été fermés pour protéger les « valeurs morales » et empêcher le mélange des hommes et des femmes. Le ministère de l'Intérieur a lancé des campagnes d'intimidation pour interdire aux coiffeurs masculins de coiffer une femme ou de travailler chez des coiffeuses féminines, tandis que les coiffeurs ne respectant pas cette règle étaient la cible d'attaques[35]. Les mesures répressives du gouvernement du Hamas et les attaques de groupes armés « inconnus » ont également visé des institutions ou individus ne respectant pas la hala islamyya, ou « sphère islamique ».

L'attitude du Hamas envers les femmes a évolué depuis sa création en leur octroyant davantage de place au sein du parti, mais toujours dans une perspective conservatrice islamique. Le parti encourage par exemple les femmes à poursuivre des études supérieures et à participer davantage à la vie publique, notamment au sein des activités du parti et des institutions à Gaza[36], mais dans le respect des « normes islamiques » telles que la ségrégation sexuelle et en favorisant principalement les emplois considérés comme une extension des rôles reproductifs des femmes, tels que l'enseignement, les soins infirmiers, etc.[37] Le mouvement islamique palestinien définit en effet la fonction première des femmes comme étant la « maternité » et, en particulier, l'inculcation des principes islamiques à la prochaine génération[38]. Il est certain que le Hamas n'est pas le seul acteur dans la région à promouvoir une vision patriarcale de la société, renforçant la domination masculine et une restriction des femmes à des rôles subalternes dans la société ; l'organisation palestinienne islamique a cependant renforcé et approfondi ces dynamiques à Gaza. Le Hamas a, notamment, encouragé et appliqué de plus en plus un code moral conservateur, œuvrant à la ségrégation sexuelle et la division du travail sexuée. Le gouvernement a mis par exemple en œuvre depuis avril 2013 la ségrégation sexuée dans toutes les écoles de Gaza pour les élèves de plus de neuf ans, sous prétexte de protéger « l'identité islamique » de Gaza[39]. Les autorités du Hamas ont, dans plusieurs cas, imposé des vêtements et des comportements particuliers censés préserver l'honneur des femmes[40] et celui de la famille, tandis qu'un tribunal islamique de la bande de Gaza a statué que les femmes avaient besoin de l'autorisation d'un tuteur masculin pour voyager[41]. Cela a provoqué des résistances au sein de la société palestinienne, mais pour le Hamas, comme d'autres mouvements fondamentalistes islamiques régionaux, le « modèle » islamique est considéré comme la seule « voie correcte » pour les femmes, sinon elles sont considérées comme étrangères à leur propre société et sous l'influence de l'impérialisme culturel occidental.

Stratégie et alliances régionales

En termes d'alliances politiques régionales, les dirigeants du Hamas ont cultivé ces dernières années des alliances avec le Qatar et la Turquie[42], ainsi qu'avec la République islamique d'Iran qui est son principal soutien politique, financier et militaire. L'aide annuelle de l'Iran au parti est estimée à environ 75 millions de dollars[43].

Dans le même temps, le Hamas a tenté d'améliorer ses relations avec d'autres monarchies du Golfe, notamment le Royaume saoudien, depuis plusieurs années, mais avec plus de difficultés. Au début de l'année 2021, à la suite de la réconciliation entre le Qatar, l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, a salué les efforts du roi saoudien Salman bin Abdul-Aziz al-Saud et du prince héritier Mohammed bin Salman pour résoudre la crise du Golfe et parvenir à la réconciliation. En octobre 2022, le Royaume saoudien a libéré l'ancien représentant du mouvement palestinien Hamas, Mohammed al-Khudari, ainsi que son fils Hani al-Khudari, et les a expulsés vers la Jordanie, après plus de trois ans de détention.

Plus généralement, le Hamas a assisté avec une inquiétude croissante à la conclusion des accords d'Abraham négociés par les États-Unis à l'été 2020 et à la poursuite de la normalisation des relations entre Israël et les États arabes. Sans oublier le rapprochement entre la Turquie et Israël. En mars 2022, le président israélien Isaac Herzog a été le premier haut responsable israélien à se rendre en Turquie depuis 2008. Ce contexte n'a donc fait que renforcer l'alliance cruciale du Hamas avec l'Iran – et donc le Hezbollah. Ses relations avec Téhéran ont continué à fournir au Hamas une assistance militaire, notamment des armes et une formation, en plus d'un financement important[44]. L'un des principaux objectifs de l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre était d'ailleurs de saper le processus de normalisation initié par Donald Trump et poursuivi par Joe Biden, entre Israël et certains pays arabes. Peu après le déclenchement de la guerre israélienne contre la bande de Gaza, le Royaume d'Arabie Saoudite a réagi en stoppant tout progrès sur les accords bilatéraux entre Riyad et Tel Aviv.

Les changements de direction au sein du mouvement politique du Hamas ont également eu un impact. Si les relations ont certainement été maintenues sur le plan politique et militaire au cours de la dernière décennie – malgré les désaccords sur le soulèvement syrien, notamment le refus des dirigeants de soutenir la répression du régime despotique de Damas contre le mouvement de protestation populaire – le remplacement de Khaled Meshaal par Ismael Haniyeh à la tête du Hamas en 2017 a ouvert la porte à des relations plus étroites entre le Hamas, le Hezbollah et l'Iran. De plus, la nomination de Cheikh Saleh al-Arouri – l'un des fondateurs de la branche armée du Hamas, les Brigades al-Qassam – au poste de chef adjoint du bureau politique du groupe, a également facilité cette évolution. Tout comme l'élection de Yahya Sinwar, autre membre fondateur des brigades al-Qassam, à la tête du mouvement à Gaza. En effet, la branche militaire a toujours entretenu des liens étroits avec l'Iran, contrairement au bureau politique du mouvement dirigé par Meshaal. En fait, les dirigeants des Brigades al-Qassam se sont opposés aux tentatives de Meshaal pendant son mandat d'éloigner le Hamas de l'Iran et du Hezbollah, en faveur d'une amélioration des relations avec la Turquie, le Qatar et même l'Arabie saoudite à un moment donné.

Les responsables du Hamas ont depuis multiplié leurs visites à Téhéran pour rencontrer le commandant des Gardiens de la révolution, Qassem Soleimani, tout en saluant à plusieurs reprises l'aide de l'Iran dans les médias. Ils ont déclaré à plusieurs reprises que le groupe avait réussi à développer de manière significative ses capacités militaires grâce à l'Iran qui leur avait fourni beaucoup d'argent, d'équipement et de savoir-faire.

Les relations renouvelées et approfondies avec l'Iran ne se sont toutefois pas faites sans critiques dans la bande de Gaza et même parmi les bases populaires du Hamas. Une photo du défunt commandant de la Force iranienne Quds, le général Qassem Soleimani, affichée sur un panneau publicitaire dans la ville de Gaza, a été vandalisée et démolie quelques jours seulement avant le premier anniversaire de sa mort. L'assassinat de Soleimani par une frappe américaine à Bagdad en 2020 a été fermement condamné par le Hamas, et Haniyeh s'est même rendu à Téhéran pour assister à ses funérailles. L'instigateur de l'action, Majdi al-Maghribi, a accusé Soleimani d'être un criminel. Plusieurs autres banderoles de Soleimani ont également été démontées et vandalisées, une vidéo montrant un individu le décrivant comme le « tueur des Syriens et des Irakiens ».

De même, le rétablissement des liens entre le régime syrien et le Hamas à la mi-2022 doit être vu comme une tentative de Téhéran de consolider son influence dans la région et de réhabiliter ses relations avec ses deux alliés. Cela dit, toute évolution dans les relations entre la Syrie et le mouvement palestinien ne signifiera pas un retour à la situation d'avant 2011, lorsque les dirigeants du Hamas bénéficiaient du privilège d'un soutien majeur de la part du régime syrien. Les responsables syriens réduiront très probablement leurs critiques publiques à l'égard du Hamas dans le cadre de leur alliance avec l'Iran, mais ne rétabliront aucune forme de soutien stratégique, militaire et politique, du moins à court terme. Les relations futures entre le régime syrien et le Hamas sont donc largement régies par des intérêts structurés et liés à l'Iran et au Hezbollah. De plus, la « réconciliation » reflète un problème plus général dans la stratégie politique de la lutte de libération du peuple palestinien.

Le Hamas n'est cependant pas une simple marionnette de l'Iran. Il dispose d'une autonomie propre par rapport à Téhéran, comme les désaccords sur la question syrienne ou le Bahrain[45] l'ont démontré dans le passé.

Conclusion

Après le 7 octobre, le Hamas a réussi à se positionner, une nouvelle fois, comme l'acteur principal sur la scène politique palestinienne, marginalisant encore davantage une AP toujours plus affaiblie. Les derniers sondages menés dans les TPO démontrent une popularité croissante du Hamas et un affaiblissement continu de l'AP[46]. Dans le même temps, la question palestinienne est désormais de retour à l'agenda israélien et régional.

Cependant, le parti islamique, tout comme le reste des partis politiques palestiniens, du Fatah à la gauche palestinienne, ne considère pas les masses palestiniennes, les classes ouvrières régionales et les peuples opprimés comme des forces pour gagner leur libération[47]. Au lieu de cela, ils recherchent des alliances politiques avec les classes dirigeantes de la région et leurs régimes pour soutenir leurs batailles politiques et militaires contre Israël. Les dirigeants du Hamas poursuivent une stratégie similaire ; ses dirigeants ont cultivé des alliances avec les monarchies des États du Golfe, notamment le Qatar récemment, et la Turquie, ainsi qu'avec le régime iranien. Plutôt que de faire avancer la lutte, ces régimes limitent leur soutien à la cause aux domaines où il fait progresser leurs intérêts régionaux et la trahissent lorsque ce n'est pas le cas. La réticence de l'Iran et du Hezbollah à réagir et à lancer une réaction militaire plus intense à la guerre israélienne contre les Palestinien.nes afin de préserver leurs propres intérêts politiques et géopolitiques le démontre. L'objectif de l'Iran en soutenant le Hamas, ou le Jihad islamique, n'est pas de libérer les Palestinien.nes, mais d'utiliser ces groupes comme levier politique, en particulier dans ses relations avec les États-Unis et les puissances occidentales.

Un positionnement clair critiquant les orientations politiques, sociales et économiques du Hamas ne devrait, cependant, pas empêcher la gauche, localement et internationalement, de soutenir la lutte palestinienne contre un régime d'apartheid, colonial et raciste soutenu par l'impérialisme occidental. Pour celles et ceux qui disent que nous devrions soutenir uniquement la résistance communiste ou dirigée par la gauche, c'est une grave erreur et un manque de soutien internationaliste. Il s'agit en fait d'une vieille position d'ultra-gauche sur la question nationale que Lénine avait déjà vivement critiquée. Le soutien à une lutte légitime contre l'occupation étrangère doit être apporté quelle que soit la nature de sa direction. De même, nous ne condamnons pas les envois d'armes à la résistance palestinienne par des États autoritaires.

En conclusion, il est important de réitérer notre soutien au droit à la résistance du peuple palestinien, y compris à la résistance armée, sans confondre cette position de principe avec le soutien aux perspectives politiques des dirigeants ou des groupes politiques qui les dirigent, y compris le Hamas.

Illustration : Tarciso

Notes

[1] https://www.newarab.com/news/israels-7-oct-toll-revised-down-social-security-data.

[2] Il est à noter que de nombreux civils israélien.nes le 7 octobre 2023 ont également été tués par les forces d'occupation israéliennes, notamment en tirant des obus de char sur des maisons où des Israéliens étaient détenus. Par exemple voir https://www.ynetnews.com/article/rkjqoobip.

[3] D'autres dirigeants éminents étaient le pharmacien Ibrahim al-Yazuri, le Dr Abd al-Aziz al Rantissi et le Dr Mahmud Zahar.

[4] Khaled Hroub (2010), Hamas, Pluto Press, p. 12.

[5] Un haut responsable de l'administration Bush de l'époque, Eliot Abrahams, a déclaré après la victoire du Hamas aux élections : « Légalement, nous devions traiter le Hamas comme nous avons traité Al-Qaïda ». Mentionné dans Tareq Baconi, Hamas Contained, The Rise and Pacification of Palestinian Resistance, 2018, Stanford University Press, p. 97.

[6] Il ne s'agit pas de contester l'existence chez certains dirigeants du Hamas, et d'autres, de discours ou paroles antisémites. Il faut néanmoins comprendre, pour mieux combattre ces discours antisémites, les sources et les conditions de la création de cet antisémitisme, pourquoi il a une audience et est reproduit : c'est avant tout la politique d'Israël, prétendument menée « au nom des Juifs » qui est le principal producteur de discours antisémites chez les Palestiniens. Il s'agit d'une réaction face à un oppresseur s'identifiant et prétendant parler au nom « des Juifs du monde entier ». Il ne s'agit pas de justifier mais de comprendre pour mieux lutter contre cette forme d'antisémitisme, très différent et qu'on ne peut pas comparer à l'antisémitisme des organisations d'extrême droite et fascistes occidentales.

[7] Déjà dans les années 1970, les actions des différents groupes palestiniens de l'OLP étaient souvent décrites comme terroristes.

[8] Tareq Baconi, Hamas Contained, The Rise and Pacification of Palestinian Resistance, p. 47.

[9] Il est important de noter que la majorité de la population palestinienne s'est opposée à ces attentats-suicides, menant d'ailleurs le Hamas à cesser ce genre d'opérations.

[10] Pour en savoir plus sur la différence entre les groupes djihadistes et les mouvements fondamentalistes islamiques, voir https://isreview.org/issue/106/marxism-arab-spring-and-islamic-fundamentalism/index.html.

[11] Parmi les djihadistes, il existe également des débats et des divisions sur les tactiques et stratégies permettant d'atteindre leur objectif d'un État islamique.

[12] https://www.al-monitor.com/originals/2015/05/palestine-gaza-strip-hamas-salafist-attack-kidnapping-mosque.html.

[13] Voir Ziad Abu Amr Z. Islamic fundamentalism in the West Bank and Gaza ; Khaled Hroub, Hamas, Pluto Press, 2010.

[14] L'analyste palestinien Khaled Hroub affirme que ces derniers ont toujours été considérés avec respect et admiration en raison de leurs dons continus au mouvement ; Khaled Hroub, Hamas, p.66-67.

[15] Sara Roy, The Gaza Strip : The Political Economy of De-development, Institute Palestine for Studies, 1995.

[16] Voir Adam Hanieh, Lineages of Revolt : Issues of Contemporary Capitalism in the Middle East, Haymarket, 2013.

[17] Word Bank (2012, March), Stagnation or Revival ? Palestinian Economic Prospects : http://siteresources.worldbank.org/INTWESTBANKGAZA/Resources/WorldBankAHLCreportMarch2012.pdf.

[18] UNRWA (2011) Labour Market in the Gaza Strip A Briefing on First-Half 2011. http://www.unrwa.org/userfiles/20111207970.pdf.

[19] Pelham. N (2011) ; Gaza's Tunnel Complex, http://www.merip.org/mer/mer261/gazas-tunnel-complex. Des interviews effectuées avec un certain nombre de Palestinien.nes à Gaza, en février 2012, m'ont confirmé ces informations.

[20] Les autorités du Hamas ont également imposé que les autorisations de tunnel soient conditionnées à la nomination de ses membres aux conseils d'administration des coopératives de tunnels, souvent à des conditions préférentielles. Pelham N. (Summer 2012), Gaza's Tunnel Phenomenon : The Unintended Dynamics of Israel's Siege, Journal of Palestine Studies, Vol 41, no. 4, http://palestinestudies.org/journals.aspx?id=11424&jid=1&href=fulltext.

[21] Pelham N. (October 26 2012) Gaza : A Way Out ?, http://www.nybooks.com/blogs/nyrblog/2012/oct/26/gaza-isolation-way-out/ ; des interviews effectuées avec un certain nombre de palestiniens à Gaza en février 2012 m'ont confirmé ces informations.

[22] Interview Dr. Ahmed Youssef , ancien conseiller politique d'Ismael Hanieh, membre du Hamas, Février 2012, Gaza city.

[23] Khaled Hroub, Hamas, pp. 66.

[24] Interview Ali Baraka, représentant du Hamas au Liban, Janvier 2012, Beyrouth.

[25] Un indicateur de ce soutien est le ciblage par les États-Unis de personnalités d'affaires palestiniennes dans divers pays de la région qui financent ou facilitent le financement du Hamas. Voir https://home.treasury.gov/news/press-releases/jl0159.

[26] Le Hamas a notamment utilisé un réseau financier mondial pour canaliser le soutien d'organisations caritatives et de différents pays, en faisant passer de l'argent via les tunnels de Gaza ou en utilisant des crypto-monnaies pour contourner les sanctions internationales.

[27] https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy0798.

[28] Voir le rapport d'Amnesty International sur les violations de droits humains en Cisjordanie par l'AP

[29] https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/palestine-state-of/report-palestine-state-of/

[30]https://www.alhaq.org/cached_uploads/download/2023/06/05/al-haq-annual-field-report-2022-en-1685960523.pdf.

[31] https://content.time.com/time/world/article/0,8599,2061661,00.html ; Discussion à Gaza en Février 2012 avec des militants ayant participé à ces manifestations.

[32]https://www.nytimes.com/2015/04/30/world/middleeast/gaza-protesters-beaten-and-detained-by-hamas-security-officials-witnesses-say.html?ref=topics&_r=0.

[33] http://www.pcpsr.org/sites/default/files/p52e.pdf.

[34] Le Hamas a par exemple mené des campagnes dans les années 1980 et 1990 pour imposer le voile islamique aux femmes, à la fois par des mesures propagandistes et violentes, particulièrement dans la bande de Gaza. Contre les tentatives violentes visant à imposer le hijab aux femmes, ces dernières ont eu peu, pour ne pas dire aucun, de soutien de la part des dirigeants nationaux de l'Intifada, y compris des groupes nationalistes et de gauche, qui n'ont pas réussi à affronter la campagne du port du voile à cette période et dans une certaine mesure y ont participé, comme le Fatah, pour tenter de démontrer qu'ils n'étaient pas moins « moraux » que le Hamas. Le Hamas a également lancé des campagnes de fermeture des cinémas et des restaurants vendant de l'alcool. Voir Islah Jad, Les Femmes islamistes de Hamas : entre le Féminisme et le Nationalisme, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 2010, http://remmm.revues.org/6971 ; Sarah Roy, Hamas and civil society in Gaza, Princeton University Press 2011.

[35] Interview avec un journaliste indépendant dans la bande de Gaza, Janvier 2012, Gaza city.

[36] Voir Giorgia Baldi, « Re-Thinking Islam and Islamism : Hamas Women between Religion, Secularism and Neo-Liberalism », Middle East Critique 33, pp.241-261 24 Jun 2022 ; https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/19436149.2022.2087950.

[37] https://www.7iber.com/politics-economics/the-palestinian-women-movement-versus-hamas/.

[38] Le Hamas a par exemple salué à l'occasion de la Journée internationale des femmes en mars 2021, le rôle des femmes palestiniennes en tant que mères et épouses dans le maintien de la cohésion sociale en protégeant la famille, élément de base de la société et garant de sa stabilité : https://english.palinfo.com/o_post/Hamas-praises-Palestinian-women-s-role-in-freedom-struggle/.

[39]https://www.reuters.com/article/uk-palestinians-hamas-schools/hamas-law-promotes-gender-segregation-in-gaza-schools-idUKBRE93009B20130401/.

[40] En 2006, le programme politique du Hamas pour les élections législatives affirmait que les femmes devraient bénéficier d'une éducation islamique, afin de garantir que leur « personnalité indépendante » soit fondée sur « la chasteté, la décence et l'observance ». Manifeste électoral du Hamas pour les élections législatives tenues en janvier 2006, mentionné dans Azzam Tamimi, Hamas a history from within, Olive Branch Press, 2007, p. 297.

[41]https://apnews.com/article/travel-middle-east-womens-rights-israel-gaza-strip-acc6bdb0383b43d5c13af594374ada88.

[42] Dans le cadre de cette alliance avec la Turquie, le dirigeant du Hamas Khaled Mashal n'avait pas hésité en avril 2018 de faire l'éloge de l'invasion et de l'occupation d'Afrin en Syrie par la Turquie lors d'une visite à Ankara. Il a déclaré que « le succès de la Turquie à Afrin sert d'exemple solide », en espérant qu'il sera suivi par des « victoires similaires de l'oumma islamique dans de nombreux endroits du monde. » L'occupation d'Afrin par les forces armées turques et ses mandataires syriens réactionnaires a chassé 200 000 personnes, principalement kurdes, et réprimé celles qui sont restées.

[43] Selon le département d'État américain, la République islamique d'Iran fournit jusqu'à 100 millions de dollars par an au Hamas et à d'autres groupes militants palestiniens : https://www.state.gov/wp-content/uploads/2023/02/Country_Reports_2021_Complete_MASTER.no_maps-011323-Accessible.pdf.

[44] L'Iran a réduit son aide au Hamas après l'éclatement du soulèvement en Syrie et le refus du mouvement palestinien de soutenir la répression meurtrière du régime syrien contre les manifestants syriens. La chercheuse Leila Seurat estime que l'Iran a réduit de moitié son aide économique au Hamas en 2013, passant de 150 millions de dollars à moins de 75 millions de dollars par an : https://www.foreignaffairs.com/israel/hamass-goal-gaza.

[45] En 2012, Ismail Haniyeh, premier ministre du gouvernement du Hamas à Gaza à l'époque, a fait l'éloge des « réformes » de Bahreïn alors que le régime, avec le soutien de ses alliés du Golfe, a écrasé le soulèvement démocratique du pays. De nombreux dirigeants du Hamas l'ont considéré comme un coup d'État « confessionnel » perpétré par les chiites de Bahreïn soutenus par l'Iran.

[46] https://pcpsr.org/en/node/961.

[47] Pour aller plus loin sur cette orientation : https://www.contretemps.eu/palestine-revolution-moyen-orient-strategie/.

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Iran : Vers une solidarité et une organisation conséquentes des mobilisations des salarié.es du secteur pétrolier

16 janvier 2024, par Collectif — , ,
Faisant suite à leurs mobilisations éparses contre les conditions de vie et le faible niveau des salaires, ainsi qu'aux atteintes du gouvernement à leurs droits et avantages (…)

Faisant suite à leurs mobilisations éparses contre les conditions de vie et le faible niveau des salaires, ainsi qu'aux atteintes du gouvernement à leurs droits et avantages acquis, les travailleurs/euses permanent.es du secteur pétrolier ont annoncé, lors d'un de leurs rassemblements il y a environ deux mois, qu'ils organiseraient des rassemblements tous les lundis pour faire aboutir leurs revendications.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Cela fait plus d'un an que des retraité.es de la sécurité sociale, des enseignant.es, des employé.es des télécommunications, etc. ont décrété que des journées de mobilisation auront lieu certains jours de la semaine, et que des rassemblements simultanés seraient organisés dans différentes villes d'Iran.

Cette façon de lutter et de protester a joué un rôle dans le développement de l'unité entre retraité.es, ainsi que dans le renforcement du mouvement des retraité.es, qui est devenu habituel.

Aujourd'hui, les travailleurs/euses titulaires du secteur pétrolier ont pris comme modèle cette tradition progressiste et moderne, pour coordonner et organiser leurs mobilisations. Il ne fait aucun doute que l'utilisation de cette méthode renforcera leurs luttes.

Elle aura également un impact important sur le renforcement de la mobilisation et de l'unité des travailleurs/euses de tous les secteurs, face à leurs employeurs et au système étatique qui les soutient.

Le secteur pétrolier constitue la source principale des finances de l'Etat. Ce dernier est simultanément le patron de cette industrie, et est donc directement confronté aux salarié.es qui y travaillent.

Le pouvoir a un besoin vital que le secteur de la production pétrolière soit en activité afin de couvrir les coûts exorbitants de son propre système, ainsi que de la gouvernance en général.

Pour ces raisons, les salarié.es titulaires et de la sous-traitance du secteur pétrolier occupent une place particulière dans l'ensemble du mouvement ouvrier d'Iran.
Le développement de leurs mobilisations exercera une pression fondamentale et décisive sur le gouvernement et le contraindra à réagir.

Le résultat de chaque victoire et de chaque succès des travailleurs/euses du pétrole constituera un tremplin pour les victoires et les succès des salarié.es de tous les autres secteurs.

Il est du devoir de toutes et tous les travailleurs/euses, enseignant.es, retraité.s, chômeurs/euses, ainsi que de toute personne voulant une amélioration des conditions de travail et de vie, de soutenir les luttes des salarié.es du secteur pétrolier.

Signataires

1- Syndicat des retraité.es ;

2- Syndicat des travailleurs/euses de l'électricité et de la métallurgie de Kermanshah ;

3- Syndicat des peintres d'Alborz ;

4- Conseil des retraité.es d'Iran ;

5- Comité pour la création d'organisations ouvrières ;

6- Appel des femmes d'Iran ;

7- Voix indépendante des salarié.es du groupe sidérurgique « National Steel Group ».

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Entre l’OLP et le Hamas, les chaises musicales de la troisième voie palestinienne

Cette réflexion m'a été inspirée par la lecture du texte d'Adam Shatz publié le 31 octobre par Orient XXI et intitulé « Gaza, Les pathologies de la violence [1] » et de la (…)

Cette réflexion m'a été inspirée par la lecture du texte d'Adam Shatz publié le 31 octobre par Orient XXI et intitulé « Gaza, Les pathologies de la violence [1] » et de la réponse que lui a faite le 8 novembre Abdaljawad Omar sous le titre « Les pathologies de l'espoir dans la guerre pour la Palestine [2] ». Elle prend surtout pour point de départ la réplique de A. Omar qui, se saisissant de l'approche faite par Shatz de la violence anticoloniale, tente de la dépasser en dessinant à grands traits les objectifs stratégiques qu'elle sert. A. Omar conteste une approche de la violence exercée par la résistance palestinienne le 7 octobre en tant que phénomène épuisant tout son sens dans ses seules modalités, supposées d'ailleurs sans aucune certitude, et relevant de ce fait d'un simple jugement fondé sur les critères de la « normalité » et de la « pathologie ».

Tiré d'Algeria-Watch.

Il relève que Shatz propose « trois grands énoncés polémiques : « les pathologies vengeresses » des Israéliens et des Palestiniens « reflétant les mêmes instincts primordiaux » ; une critique de « la « gauche décoloniale », qu'il accuse de fermer les yeux sur les « crimes » commis par les colonisés et de se réjouir de manière puérile de la mort des civils » ; « l'utilisation d'analogies historiques » rapprochant les événements du 7 octobre avec « un épisode oublié de la guerre de libération algérienne : la bataille de Philippeville ».

Une négation de la rationalité de la violence révolutionnaire

A propos des événements de Skikda (ex. Philippeville) du 20 août 1955, Shatz écrit :

« Encerclé par l'armée française, craignant de perdre du terrain au profit des politiciens musulmans réformistes favorables à un règlement négocié, le Front de libération nationale (FLN) lança alors une attaque féroce dans la ville portuaire de Philippeville et ses environs. Des paysans armés de grenades, de couteaux, de gourdins, de haches et de fourches massacrèrent — parfois en les éventrant – 123 personnes, principalement des Européens, mais aussi un certain nombre de musulmans. Pour les Français, ces violences étaient purement gratuites, mais dans l'esprit des auteurs de ces actes, il s'agissait de venger les massacres à Sétif, Guelma et Kherrata de dizaines de milliers de musulmans par l'armée française, appuyée par des milices de colons, après les émeutes indépendantistes de mai 1945 ».

Réfutant la comparaison du 7 octobre avec le 20 août 1955, A. Omar réplique que « l'objectif principal de la bataille de Philippeville était de cibler les civils, et supposer que c'était l'objectif principal du 7 octobre revient à ignorer les faits ».

Dans cet échange d'interprétations, il est clair que Shatz n'invoque le 20 août algérien que pour appuyer la thèse de la vengeance qu'il développe à propos du 7 octobre, alors que A. Omar ne réfute la comparaison que pour écarter l'idée de vengeance à propos du 7 octobre. Moyennant quoi, tous les deux font une appréciation erronée des motifs et des enjeux du 20 octobre 1955 et retiennent en substance que l'insurrection visait les civils européens.

Or, cet accord sur le récit du 20 août constitue en lui-même une adhésion objective à la lecture coloniale de la violence révolutionnaire pendant la guerre d'Algérie mais aussi, potentiellement, une caution apportée par les deux auteurs à la lecture stigmatisante de la violence des colonisés que l'on applique actuellement selon les mêmes standards aux événements du 7 octobre. C'est dire que, en acceptant l'idée de Shatz selon laquelle l'ALN avait visé les civils, A. Omar, malgré ses dénégations, concède en creux que la grille de lecture vaut pour le 7 octobre.

On peut en effet observer que la surenchère actuelle focalisant sur un 7 octobre voué par le Hamas à des « atrocités contre les civils » est en train d'être gravée en temps réel dans le marbre de l'histoire et que cette version risque de n'en être plus jamais effacée, exactement de la même manière que l'histoire du 20 août 1955 demeure à jamais dans la mémoire sélective et révisionniste des Français celle du massacre de 123 civils européens.

C'est donc une erreur aux conséquences théoriques et pratiques graves que A. Omar commet, préoccupé qu'il est de disculper les combattants palestiniens, en concédant que l'insurrection du 20 août était une attaque contre les civils.

Il est en effet contraire à la réalité et nuisible à la représentation des luttes de libération nationale de considérer que la violence mise en œuvre puisse être stratégiquement plus ou moins rationnelle dans un cas que dans l'autre.

L'instinct de vengeance primaire est absent de l'insurrection du 20 août autant que de l'attaque du 7 octobre. Mais, comme il n'existe un semblant d'accord entre les deux auteurs que sur les motivations du 20 août, A. Omar s'opposant à Shatz sur les motivations du 7 octobre, il nous faut d'abord examiner les éléments qui réfutent leur lecture sinon identique du moins convergente du 20 août.

La dimension stratégique de l'insurrection du 20 août 1955

La seule part de vérité que l'on peut déceler dans l'affirmation de Shatz selon laquelle l'insurrection du 20 août avait pour moteur la volonté populaire de venger les massacres du 8 mai 1945, réside au mieux en ceci que c'était là un argument de mobilisation tout trouvé parmi d'autres pour le chef de la zone 2 de l'ALN, Zighout Youssef. On aurait pu supposer qu'il en fût autrement si les masses paysannes s'étaient révoltées de manière spontanée et anarchique. Tous les rapports de l'époque indiquent le contraire : l'initiative avait été prise par l'ALN et la population, sommairement armée, était rigoureusement encadrée par des djounouds dans les assauts qu'elle a lancés dans plusieurs villes de la région. Zighout poursuivait de ce fait un objectif stratégique lié à l'actualité de la lutte lancée le 1er novembre 1954 et non pas un dessein associé au passif sanglant de mai 1945. Sans qu'il soit nécessaire de s'attarder sur ce point qui a été suffisamment exploré par les historiens, il suffit de rappeler que, d'une part, il voulait remédier à l'isolement dans lequel se trouvaient les combattants de la zone 2 dans un contexte où l'armée de libération n'était pas encore structurée au niveau national, que, d'autre part, l'armée d'occupation s'efforçait d'empêcher toute jonction que l'ALN tenterait avec des milieux influents de la population algérienne et que, enfin, les couches paysannes, dépossédées par la colonisation et potentiellement favorables à la lutte, échappaient encore à son encadrement. C'est ce statu quo, que le 1er novembre n'avait pas ébranlé, qu'il fallait faire évoluer. L'objectif de Zighout était en définitive foncièrement rationnel, à la fois militaire et politique.

Et cela devait se confirmer, dans l'exécution, par le fait que l'attaque contre les civils ne constituait pas l'essentiel de l'action qui ne les a visés qu'en tant que composante des centres de colonisation, agricoles et industriels (notamment la mine de pyrite d'El Hallia), alors qu'étaient visés simultanément les bases et cantonnements des forces de la répression : le camp militaire d'El Khroub et les locaux de la police de Skikda furent entre autres lieux le théâtre de combats acharnés.

C'est une insurrection contre la colonisation, civile et militaire, c'est-à-dire contre le système colonialiste dans son essence et dans sa logistique militaro-policière, qu'a connue le 20 août 1955. Les attaques ont été planifiées pour donner tout son sens à l'objectif de lutte armée de libération nationale. Et, si des civils européens en ont été victimes, ce fut au prix du sacrifice consenti au centuple par les masses algériennes. L'implication des deux populations civiles devait d'ailleurs porter le message que la guerre de libération ne pouvait être qu'une guerre totale, avec la certitude déjà acquise que l'ALN et le peuple n'avaient pas d'autre choix que d'être dans le même camp pour faire pièce à la solidarité organique existant entre les colons et l'armée française qu'avait illustrée la coordination entre les militaires et les milices civiles dans les exactions de mai 1945. S'il y a bien un lien entre les événements de 1945 et ceux d'août 1955, comme le soutient Shatz, il ne tient nullement du désir de vengeance mais de l'expérience tirée par la société et les combattants algériens.

Cette expérience ne laissait d'ailleurs aucun doute sur le fait que la répression colonialiste serait terrible et elle le fut (12.000 personnes massacrées, des villages et des douars entièrement rasés). Mais les historiens s'accordent à considérer que les objectifs de l'insurrection furent atteints. Comme le relève Gilbert Meynier, « désormais le peuple était solidaire d'une ALN qui avait gagné en prestige. Le FLN représentait légitimement le peuple ; et le mythe de l'intégration avait volé en éclat [3] ».

Telle est la juste appréciation des objectifs et des acquis de l'insurrection du 20 août qui nous permet de réfuter l'appréciation qui en est faite par Shatz et par A. Omar, l'un, par assimilation, dans sa volonté d'étayer sa thèse du mobile irrationnel de l'attaque du 7 octobre, et l'autre, par différentiation, dans son intention de soutenir le contraire.

Un déficit de sens historique

Tous deux pêchent ainsi par simplification et par un déficit commun de sens historique que dénote le fait qu'ils semblent s'accorder à dire que « la bataille de Philippeville » est « un épisode oublié de la guerre de libération algérienne ».

Pour en revenir à notre propos sur l'opération Déluge d'Al Aqsa, il convient de relever toute la différence qui existe entre les deux approches. Alors que celle de Shatz épuise son propos dans l'examen des mobiles, celle d'A. Omar tente de s'approfondir par l'exploration des aspects tactique et stratégique.

L'auteur est beaucoup plus affirmatif dans l'interprétation qu'il propose du dispositif tactique et ce, après avoir mis en doute la version israélienne de l'attaque qui la représente comme une expédition barbare dirigée contre les civils et qui est reprise sans recul critique par Shatz :

« Les informations disponibles, écrit-il, permettent de supposer que l'opération du 7 Octobre avait trois objectifs tactiques principaux : capturer des soldats israéliens en échange de prisonniers, obtenir des informations ou des armes à partir des nombreuses bases militaires israéliennes et faire en sorte qu'aucune force policière ou militaire ne puisse facilement nettoyer et reprendre l'enveloppe de Gaza (ce qu'elle ferait probablement en négociant les otages qu'elle détient dans les colonies situées à l'intérieur de l'enveloppe de Gaza) ».

S'agissant de l'aspect stratégique de l'opération, il s'inscrit en faux contre l'analyse résolument nihiliste de Shatz mais sans en tirer des perspectives suffisamment affirmées. Il écrit :

« Pourquoi une attaque contre le nerf principal d'Israël – sa dissuasion et sa puissance militaire – ne conduirait-elle pas à une leçon d'humilité qui pourrait ouvrir d'autres voies pour une nouvelle solution politique ? Si de telles perspectives semblent lointaines dans le feu de l'action et des intentions génocidaires d'Israël, c'est la bataille réelle sur le terrain qui décidera de l'avenir ».

Ainsi suggéré sur le mode interrogatif, l'enjeu stratégique évoqué est par ailleurs formulé d'une façon qui trahit l'hésitation de l'auteur entre le plan militaire et le plan politique. Et il est évident que le seul test d'évaluation qui vaille se situe au niveau politique : quel profit attendre de l'attaque qui soit suffisamment important pour que se justifient tant soit peu les sacrifices qu'elle ne pouvait manquer d'exiger de la population de Gaza ?

• Omar effleure la réponse à cette question sans paraître vraiment s'en aviser dans un paragraphe précédent sa formulation : ayant exprimé le jugement sommaire qu'il porte sur l'insurrection du 20 août pour contester toute similitude qu'elle aurait avec le 7 octobre, il nuance son propos en écrivant plus loin que « l'une des conséquences les plus importantes de la bataille de Philippeville a été de mettre fin aux perspectives d'un mouvement de « troisième voie » qui liait les Arabes algériens aux colons français ». Ce faisant, il restitue en partie à l'événement une dimension stratégique qu'il avait d'abord niée, même s'il laisse ainsi entendre que cette « conséquence » a été obtenue sans avoir été préalablement pensée, c'est-à-dire comme une prime fortuitement ajoutée à l'objectif recherché qui était selon lui de « viser les civils ». Mais, de toutes façons, il ne concède à l'insurrection du 20 août ce résultat stratégique que pour mieux opposer la conjoncture politique algérienne à la situation actuelle en Palestine puisqu'il ajoute : « En Palestine, cette troisième voie a pris fin il y a deux décennies, devenant une coalition très faible soutenue par quelques organisations de défense des droits de l'homme et des voix minoritaires en Israël ».

• Et je crois que c'est là qu'il commet une erreur conséquente sur la situation palestinienne actuelle qui l'empêche d'apercevoir les enjeux politiques de l'opération du 7 octobre [4].

La 3e voie palestinienne : une menace en cours de réalisation avancée

Il existe en effet bel et bien en Palestine la menace, en cours de réalisation avancée, que le mouvement national succombe à une captation opérée par une troisième voie. Ce qui distingue cette problématique en Palestine par rapport aux précédents historiques des luttes de libération nationale, et notamment le précédent algérien, c'est que, d'une part, la résistance a semblé avoir conjuré ce risque relativement tôt lorsque le Fatah avait dégagé la cause palestinienne de la gangue stérile du conflit israélo-arabe en 1968, mais que, d'autre part, la trajectoire de la résistance qu'il a menée par la suite sous l'enseigne de l'OLP l'a conduit à partir de 1988 [5] et surtout des accords d'Oslo de 1993 à un terrible reniement.

Les accords de paix, précédés de la concession à Israël de 78% du territoire historique, ont en effet fourvoyé la résistance palestinienne dans un arrangement combinant à la fois le renoncement à la résistance et le retour sous la tutelle arabe, notamment celle de l'Égypte et de la Jordanie, dont les mobiles étaient de faire d'une Palestine pacifiée le prétexte et le point d'appui d'une stratégie de coopération économique régionale ayant Israël, avec sa technologie et sa puissance industrielle, pour pivot central.

Les accords d'Oslo ont doublement affaibli l'OLP :

– D'une part, en la reconnaissant comme l'unique représentant du peuple palestinien, Israël l'a isolée à la fois de la résistance intérieure qui avait été l'âme de la première intifada et des Palestiniens de la diaspora. Alors que cette même reconnaissance de l'OLP par l'ONU et la Ligue arabe en 1974 avait achevé de fermer la porte à toute troisième voie, sa confirmation par Tel Aviv allait au contraire entraîner dans une telle voie alternative l'organisation présidée par Arafat elle-même, débordée peu à peu par une résistance qui lui était extérieure. Israël a pu d'ailleurs compter sur les penchants monopolistiques de la direction de l'OLP rentrée de l'exil pour atteindre cet objectif. Après avoir offert aux Israéliens un désarmement du mouvement national empêchant tout retour à la résistance (en tournant la page de l'action violente et en s'engageant à sanctionner tout contrevenant), Yasser Arafat n'a pas hésité à abroger la charte palestinienne au prix d'un noyautage autoritaire du conseil national palestinien qui en a adopté les amendements en avril 1996. L'isolement du Fatah au sein de la résistance à laquelle il appartenait encore formellement fut consommé en 2005 lorsque Mahmoud Abbas conclut un cessez-le-feu avec Israël pour mettre fin à la seconde intifada. Le Hamas, le jihad Islamique ainsi que des factions de l'OLP ont alors résolu de poursuivre la lutte.

– D'autre part, les accords d'Oslo ont été conçus par les Israéliens, qui ont largement imposé leurs vues, comme un instrument de neutralisation de la cause palestinienne en la dissolvant dans une perspective de coopération régionale avec les États arabes. A cet égard, alors qu'ils occultaient les questions politiques épineuses de la reconnaissance de l'État palestinien et de l'arrêt de la colonisation des territoires occupés, ces accords ont détaillé dans deux des protocoles économiques annexes qui les accompagnaient une vision d'un nouveau Moyen-Orient économique et financier qui semblait mieux faite pour appâter les oligarchies arabes de la région que pour satisfaire les revendications palestiniennes.

Oslo, prélude à la normalisation israélo-arabe

George Corm a parfaitement analysé cette duperie à laquelle les États les plus industrialisés du G7, la Ligue arabe et les pays islamiques étaient conviés à prendre part. Prenant pour prétexte le projet d'investir dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, l'initiative avait pour dessein d'articuler une coopération israélo-arabe qui servirait les intérêts des Etats et rendrait irréversible la présence israélienne dans les territoires de 1967. De sorte que les accords d'Oslo furent le cheval de Troie d'une tentative de remodelage de la région qui anticipait, sur le plan économique, les plans que George W. Bush tenterait la décennie suivante d'imposer par la force des armes et dans une approche globale incluant le politique.

La frénésie qui s'était saisie à l'époque des milieux d'affaires est aujourd'hui oubliée. Mais il est bon de rappeler que toute une série de rencontres avaient été alors organisées dans une euphorie qui ne devait pas tarder à faire long feu : à la Banque mondiale à Washington, dans plusieurs capitales européennes ; mais aussi à Jérusalem où s'est tenue une « business conference » avec une forte participation arabe, au Maroc. Le célèbre forum de Davos lui-même devait accueillir Shimon Perez et Yasser Arafat, venus discuter business [6].

Ainsi, les accords d'Oslo n'ont pas seulement fait renier à l'OLP son engagement originel d'être le pôle dynamique de la résistance, ils ont converti ses instances dirigeantes en structures bureaucratiques chargées de garantir la « paix » nécessaire à la marche des affaires et de gérer la manne financière qu'elles recevaient en contrepartie de ses parrains arabes et occidentaux.

Parallèlement, le Hamas, issu des rangs des frères Musulmans, amorçait une trajectoire inverse qui devait le conduire de ses positions piétistes et attentistes initiales, qui lui avaient valu les faveurs d'Israël, à un engagement dans l'action armée amorcé à la faveur de la seconde intifada. Cédant à la suprématie de l'OLP, il devait ensuite accepter de s'intégrer dans le processus d'Oslo et de participer pour la première fois aux élections de 2006. Mais la victoire qu'il y a remportée devait paradoxalement le marginaliser définitivement, du fait du désaveu et du boycott des puissances occidentales qu'elle lui a valus en même temps que de la guerre civile dans laquelle elle l'a entraînée contre le Fatah [7].

Depuis lors, le nouveau paysage palestinien n'a fait que s'enraciner avec une division à la fois géographique et politique des deux principaux acteurs de la scène palestinienne : Gaza insurgée sous la férule du Hamas et la Cisjordanie livrée à la colonisation massive sous la supervision du gouvernement israélien et sous les yeux d'une Autorité palestinienne impuissante sinon complice.

La boussole qui indique habituellement dans des conflits analogues la position respective des deux protagonistes principaux et de la troisième voie alternative qui viendrait se mêler au jeu s'en est trouvée déréglée dans la mesure où c'est un véritable jeu de chaises musicales qui a fini par assigner aux deux organisations palestiniennes leurs places effectives.

Dans le même temps, la géopolitique régionale était elle-même profondément remaniée sous l'effet combinée de l'invasion de l'Irak et de la guerre syrienne qui ont redessiné les alliances nouées autour de la question palestinienne. Alors que les accords d'Oslo n'en finissaient pas d'étendre leurs effets « normalisateurs » aux États arabes qui appuyaient l'Autorité de Ramallah, notamment à la faveur des ralliements suscités par les accords d'Abraham, l'Iran s'affirmait dans son rôle de soutien au Hamas à Gaza en coordination avec l' « axe de la résistance » animé essentiellement par le Hezbollah.

C'est à partir de cette géographie locale et régionale qu'on peut décrypter les intentions stratégiques de l'opération du 7 octobre. L'adhésion annoncée de l'Arabie Saoudite au processus de normalisation allait rompre l'équilibre existant entre les factions palestiniennes, favorisant d'une manière qui pouvait s'avérer décisive la troisième voie que l'OLP, à travers le Fatah qui y prédomine, avait fini par incarner, à rebours de son histoire militante. La cause palestinienne était sur le point de disparaître sur le terrain et dans une reconfiguration régionale défaitiste. En Cisjordanie, l'autonomie était appelée à se limiter à une auto-administration subordonnée à Israël sur un micro-territoire constamment rogné par la colonisation, alors qu'à Gaza une résistance résiduelle était contenue par des raids récurrents de l'armée israélienne en attendant l'éradication du Hamas et le nettoyage ethnique qui ne pouvait manquer de l'accompagner.

Le 7 octobre et la position intenable de l'Autorité palestinienne

Il n'est donc pas douteux que l'opération « Déluge d'al Aqsa » a été pensée pour aboutir à une redistribution générale des cartes aux différents niveaux où elles se répartissaient :

1°- Frapper Israël au cœur de son territoire par une action militaire qui constitue une première depuis 1948 afin d'attester que son invulnérabilité n'était qu'un mythe auquel avait souscrit le défaitisme arabe. Et, à cet égard, l'acharnement d'Israël à affirmer que l'attaque ne fut qu'une action terroriste visant à massacrer, violer et mutiler la population civile s'avère de moins en moins payant, en dépit de la propagande qui le soutient ;

2° – Provoquer par contagion, et devant l'ampleur de la répression, un sursaut de la résistance en Cisjordanie avec pour objectif primordial de susciter une dissidence au sein des appareils de l'Autorité palestinienne et une remise en cause des accords d'Oslo ;

3° – Entraver le processus de normalisation dans la région dont la source et la justification se trouvent précisément dans ces accords ;

4° – Last but not least, mettre en échec l'offensive terrestre de l'armée israélienne à Gaza pour réhabiliter les vertus de la résistance par les armes.

L'attaque du 7 octobre est de ce fait bel et bien, quoi qu'en pense A. Omar (pour ne rien dire de l'interprétation erronée de Shatz), une opération destinée à faire barrage à une troisième voie, telle que sa menace doit être comprise dans le contexte spécifique palestinien. Il s'agit de contrer le retour de l'OLP dans le giron de régimes arabes convertis à la normalisation tel qu'il s'est amorcé à la fin des années 1980, dans un mouvement qui a annulé le chemin parcouru par l'organisation de Yasser Arafat depuis 1968 quand elle s'était arrachée à la tutelle de régimes bravaches et velléitaires.

Le pari n'est pas gagné d'avance. Les critères définissant les intérêts stratégiques des États arabes semblent avoir été durablement modifiés par la multiplication des conflits et des enjeux des deux dernières décennies au cours desquelles la question palestinienne a perdu la place prépondérante qu'elle y occupait. Le Hamas n'arrive pas à faire oublier aux Égyptiens qu'il est issu des Frères Musulmans ni aux Syriens qu'il s'est opposé à eux pendant la guerre civile de la dernière décennie. La tiédeur des positions exprimées au sommet de Ryad le 11 novembre dernier, la tacite confiance maintenue à Israël par les États normalisateurs, en dépit des massacres qui se poursuivent à Gaza, et même la réserve d'un pays comme l'Algérie à l'égard du Hamas [8] sont autant d'indices que celui-ci a du mal à mobiliser autour de lui. Les États arabes semblent attendre que l'éviction de Netanyahu et de ses soutiens d'extrême-droite ramène au pouvoir des partis qui approuvent le projet américain de remettre en selle les accords d'Oslo et l'Autorité palestinienne. Ils ont définitivement décidé que leur intérêt était là et certainement pas dans une relance de la résistance à l'occupation.

Dans un tel contexte, le Hamas ne peut incarner à lui seul la résurrection de la résistance. Voilà pourquoi la partie se joue essentiellement en Palestine où l'OLP et surtout le Fatah qui la domine ne peuvent désormais continuer aussi facilement à enfoncer la tête dans le sable.

Khaled Satour, décembre 8, 2023

Notes

[1] https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/gaza-pathologies-de-la-vengeance,6829

[2] Publié d'abord en anglais sur mondoweis sous le titre Hopeful pathologies in the war for Palestine : a reply to Adam Shatz. La traduction française est accessible sur le site d'Algeria Watch : https://algeria-watch.org/?p=89687

[3] Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, 1954-1962, Paris, Fayard, 2002, p. 281.

[4] Il convient de préciser à ce stade de la réflexion que j'entends ici le concept polysémique de troisième voie par référence à l'option prise depuis 1968 par l'OLP de mener une résistance armée contre Israël mais aussi à partir de la conviction que la cause palestinienne n'a pas d'autre choix si elle veut se réaliser en État indépendant. Dès lors, la 3e voie est celle qui fournirait à Israël le partenaire palestinien susceptible de faire échec à cet objectif. Sur un plan plus global, se pose la question de la forme de réalisation de cet objectif (solution à deux États ou État démocratique sur l'ensemble de la Palestine historique) que je n'aborderai pas. Aussi bien, ne discuterai-je pas l'approche faite par Edward W. Said sous le titre Israël-Palestine, une troisième voie. Voir le Monde diplomatique d'août 1998 : https://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/SAID/3925

[5] Le 15 novembre 1988 à Alger, Yasser Arafat annonçait la création de l'État palestinien sur 18% du territoire historique, avec Jérusalem pour capitale, ce qui constituait une reconnaissance d'Israël. Ce fut le préliminaire aux accords d'Oslo.

[6] Georges Corm, Le Proche-Orient éclaté, T. 2, 1956-2012, Gallimard, 2012, pp. 762 et s.

[7] Sur la trajectoire du Hamas, lire l'entretien avec Tareq Baconi publié par le site contretemps le 23 novembre 2023 sous le titre Le Hamas dans le mouvement national palestinien : une mise en perspective historique.
https://www.contretemps.eu/hamas-mouvement-national-palestinien-historique/?fbclid=IwAR0JAZyicFkkkbdWPjX4362vdknzCU9VQFJDy2pE843UDS2BsSR0sBKlIOg

[8] L'interdiction signifiée le 28 novembre à Abderrazak Makri, ancien leader du MSP, parti algérien de la mouvance Frères Musulmans, de quitter le territoire algérien pour se rendre auprès des chefs politiques du Hamas à Doha, en est un indice très significatif. https://www.jeuneafrique.com/1510461/politique/en-algerie-interdiction-de-sortie-du-territoire-pour-abderrazak-makri/

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Yémen, des centaines de milliers de manifestants

Ce vendredi 12 janvier des dizianes de milliers de Yéménites ont pris les rues dans nombreuses villes du pays pour manifester contre les attaques anglo-américaines sur leurs (…)

Ce vendredi 12 janvier des dizianes de milliers de Yéménites ont pris les rues dans nombreuses villes du pays pour manifester contre les attaques anglo-américaines sur leurs terres et en soutien à la Palestine, après que les États-Unis et le Royaume-Uni aient fait pleuvoir une centaine de missiles sur des infrastructures militaires et aériennes au Yémen la nuit même.

Tiré de MondAfrique.

La colère règne au Yémen, et vendredi des chants pro-palestiniens et anti-américains ont retenti dans les rues du pays, et particulièrement dans la capitale Sanaa, où des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés. Les attaques anglo-américaines, qui avaient pour objectif d'éliminer des dirigeants Houthis, sont survenues après que le groupe rebelle religieux ait attaqué des navires de fret en mer rouge, point de passage d'un grand nombre de vaisseaux commerciaux, et donc d'une suprême importance. Ces attaques houthies, qui ont fortement perturbé le commerce mondial, ont été conduites au nom du soutien aux Palestiniens, qui subissent les bombardements israéliens. Les houthis sont soutenus par l'Iran, ennemi juré d'Israël et des États-Unis.

Vendredi, les Yéménites ont réagi au quart de tour. Le déluge de missiles avait eu lieu à l'aube, et en l'espace de quelques heures la masse avait investi les rues. Au menu, des drapeaux palestiniens et yéménites géants, des chants en soutien à la Palestine, et la défiance envers les États-Unis, exemplifiée par le classique moyen-oriental qui consiste à brûler des drapeaux états-uniens.

Des promesses de représailles

Le porte-parole Houthi a annoncé, dans une déclaration, que “l'agression criminelle” des américains et britanniques “ne sera pas sans réponse et sans punition”. Il continue, “Cette agression brutale ne découragera pas le Yemen dans sa position de support envers le peuple palestinien.”Dans la rue, la détermination régnait aussi. D'après les dires d'un manifestant, « Nous n'avons pas peur de l'aviation américaine ou britannique. Cela fait neuf ans que nous sommes bombardés et une nouvelle attaque n'est pas nouvelle pour nous ».

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Gaza. ces journalistes qu’on assassine.

16 janvier 2024, par Mustapha Saha — , , ,
Paris. Mercredi, 10 janvier 2024. Ils sont surarmés de caméras, d'appareils photo, de micros, de stylos, de blocs notes. Ils sont journalistes, reporteurs, correspondants, (…)

Paris. Mercredi, 10 janvier 2024. Ils sont surarmés de caméras, d'appareils photo, de micros, de stylos, de blocs notes. Ils sont journalistes, reporteurs, correspondants, envoyés spéciaux. Les derniers témoins du génocide sioniste à Gaza. Ils sont les cibles prioritaires de l'armée israélienne.

Samedi, 6 janvier 2024. Deux roquettes provoquent la mort, dans leur voiture à Khan Younes, dans le sud de Gaza, de deux journalistes, Hamza al-Dahdouh, fils de Waël al Dahdouh, chef du bureau d'Al Jazeera, et Moustafa Thuraya, vidéaste pigiste à l'Agence France-Presse. Une éradication systématique du journalisme. Un crime de guerre à grande échelle. Un massacre sans fin. Une extermination totale. La chaîne internationale Al-Jazira demeure le dernier témoin. La famille de Waël al-Dahdouh, journaliste palestinien et chef du bureau de la télévision qatarie à Gaza, est décimée. Il est la voix des damnés de la terre sainte. Il n'a quitté l'antenne ni après l'assassinat, 25 octobre 2023, de son épouse, de sa fille de sept ans, de son fils de quinze ans, de son petit-fils d'un an et demi, ni après avoir été blessé le 15 décembre 2023 aux côtés de son collègue Samer Abou Daqqa tué sur le coup, ni après le meurtre de son fils aîné, Hamza al-Dahdouh, journaliste, vingt-sept ans. Il déclare : « Hamza était tout pour moi. Alors que nous, les palestiniens, nous sommes pleins d'humanité, les sionistes sont emplis de haine meurtrière ». Il couvre jusqu'où bout les événements dans sa ville natale, Gaza, réduite en cendres, avant de transférer ses bureaux et ses équipes à Rafah. Il compense la conscience absente d'un monde livré aux manipulations politiques et médiatiques.

Dimanche, 17 décembre 2023. Une tribune signée par deux cents journalistes sonne désespérément l'alarme. « Chaque jour, nos consœurs et confrères palestiniens se mettent en danger pour documenter la situation et informer le monde sur la situation à Gaza. Le Comité pour la protection des journalistes, qui tient des statistiques depuis 1992, signale que les derniers mois représentent la période la plus meurtrière pour les journalistes dans un conflit. C'est la plus grande atteinte à la liberté de la presse et d'expression jamais observée. Dans l'horreur qui étreint Gaza, les journalistes palestiniens sont en première ligne. Les violations contre la liberté́ de la presse commises par la machine de guerre israélienne ne sont pas nouvelles, à l'exemple de l'exécution de Shireen Abu Akleh le 11 mai 2022 à Jénine en plein reportage. Nous dénonçons, par ailleurs, l'asymétrie de la compassion à l'œuvre dans les médias français, justifiant l'injustifiable, et la partialité́ de la couverture médiatique, qui occulte la réalité́ de la guerre coloniale en cours. Nous dénonçons le fait que des journalistes soient sanctionnés et censurés dans leurs rédactions lorsqu'ils ne font pas preuve de complaisance par rapport à la version de l'armée israélienne. Nous apportons tout notre soutien au journaliste Mohammed Kaci, désavoué par la chaîne TV5 Monde pour une interview jugée trop critique. Le relai biaisé des événements, la minimisation de la colonisation, la dédramatisation des carnages israéliens sont une faillite journalistique et morale. La stratégie israélienne réduit au silence les populations civiles, détruit les infrastructures des médias. Notre rôle n'est pas de relayer la propagande militaire. Notre rôle est d'informer, de rapporter les faits réels ».

A Gaza, les écoles se transforment en charniers d'enfants, les maternités en cimentières de nouveaux nés. Des corps écrasés par les chars gisent dans les décombres. L'apocalypse dans toute son horreur. Les puissances occidentales apportent leur aide militaire inconditionnelle à l'armée sioniste. Elles garantissent son impunité dans le Conseil de Sécurité de l'Onu. Les journalistes palestiniens ne meurent pas de balles perdues et de dommage collatéraux. Ils sont expressément frappés pour empêcher toute documentation écrite, photographique, audiovisuelle. Ils ne sont plus visés individuellement par un sniper. Des missiles téléguidés exterminent plusieurs reporters à la fois. Selon le Syndicat des journalistes palestiniens, soixante maisons de journalistes, vingt-quatre stations de radio, soixante trois bureaux de médias ont été détruits. Le 9 octobre 2023, un raid de l'aviation anéantit le district de Rimal abritant le bâtiment Hiji et plusieurs médias. Le rédacteur en chef Saeed al-Taweel du site Al-Khamsa News, les correspondants Mohammed Sobboh et Hisham Alnwajha de l'agence de presse Khabar, sont tués.

Audrey Azoulay, directrice générale de l'Unesco publie un communiqué de protestation : « Je déplore la mort des journalistes Saeed Al-Taweel, Mohammed Sobboh et Hisham Alnwajha. Je demande une enquête indépendante pour déterminer les circonstances de cette tragédie. Les journalistes couvrant des situations de conflit doivent être protégés en tant que civils, conformément au droit international humanitaire et à la résolution 2222/2015 du Conseil de sécurité des Nations unies sur la protection des journalistes, des professionnels des médias et du personnel associé dans les situations de conflit ». Toujours en octobre 2023, le journaliste Assaad Shamlakh est liquidé avec neuf membres de sa famille par une frappe aérienne de leur demeure à Sheikh Ijlin. En novembre 2023, la journaliste Alaa Taher Al-Hassanat et le photojournaliste Mohammed Moin Ayyash sont éliminés de la même manière avec plusieurs de leurs proches. La terrorisation sioniste atteint parfois son objectif. Le dimanche 7 janvier 2024, Anas El Najar, correspondant du China Media Group annonce l'abandon de sa mission : « Ma couverture journalistique s'arrête là. Inutile de transmettre des informations de terrain à une planète qui n'a aucune humanité, aucun empathie ».

L'Organisation danoise International Media Support pointe ce conflit comme le plus funeste des conflits depuis un siècle, 83 journalistes morts à Gaza en deux mois, 71 morts pendant la guerre d'Irak en trois ans, 69 journalistes morts pendant la Seconde Guerre mondiale en six ans, 63 journalistes morts pendant la guerre du Vietnam en vingt ans. Le Syndicat des journalistes palestiniens dénombre 109 reporters délibérément abattus en trois mois. Le Comité de protection des journalistes, basé à New York, confirme globalement ces chiffres, 72 palestiniens, 4 israéliens, 3 libanais. Les journalistes étrangers sont interdits d'accès sur le territoire palestinien ou soumis au contrôle permanent de l'armée israélienne. Quand un journaliste gazaoui meurt, il n'y a personne pour le remplacer. Personne ne peut s'exposer à une mort certaine. La journaliste Ayat al-Khadour dénonce l'utilisation de bombes au phosphore blanc et de bombes thermobariques : « Les occupants israéliens larguent des bombes au phosphore blanc sur la zone de Beit Lahia, des bombes sonores effrayantes. La situation est terrifiante ». Elle ajoute : « Cela pourrait être ma dernière vidéo ». Peu de temps après, le lundi 20 novembre 2023, elle tombe sous un bombardement. L'utilisation de bombes au phosphore blanc, fournies par les Etats Unis, est confirmée par le Washington Post daté du 11 décembre 2023. L'origine américaine des obus est vérifiée par Human Rights Watch. Les mêmes codes de fabrication apparaissent sur des obus au phosphore blanc alignés à côté de pièces d'artillerie israéliennes dans la ville de Sderot, près de la bande de Gaza, sur une photo prise le 9 octobre 2023. L'armée sioniste veut, à tout prix, rendre sa guerre invisible au prix d'une monstrueuse boucherie. Les fake-news, l'intelligence artificielle, la peste internétique brouillent les pistes.

Mustapha Saha
Sociologue

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Parce qu’il ne veut pas de témoins de ses crimes, Israël tue méthodiquement les journalistes qu’il ne peut faire taire !

16 janvier 2024, par Yorgos Mitralias — , ,
Aucun criminel ne veut de témoins de ses crimes. Et Israël non plus, bien sûr. C'est pourquoi il fait tout ce qu'il peut pour pouvoir commettre ses crimes à Gaza - et dans les (…)

Aucun criminel ne veut de témoins de ses crimes. Et Israël non plus, bien sûr. C'est pourquoi il fait tout ce qu'il peut pour pouvoir commettre ses crimes à Gaza - et dans les Territoires occupés - loin des projecteurs. Et il le fait de plusieurs façons à la fois :

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
12 janvier 2024

Par Yorgos Mitralias

• En interdisant aux journalistes étrangers d'entrer dans la bande de Gaza, dont il contrôle toutes les entrées.

• En menaçant ceux qui sont restés à Gaza pour qu'ils la quittent immédiatement s'ils ne veulent pas mourir.

• En assassinant méthodiquement, systématiquement et en priorité ceux qui persistent pour faire leur travail de journaliste.

• En faisant pression et en menaçant de les qualifier d'« antisémites » les journalistes intègres de par le monde pour qu'ils utilisent comme seules sources d'information sur ce qui se passe au Moyen-Orient uniquement celles de l'armée israélienne et du gouvernement israélien.

• En forçant, avec la coopération active des autorités étatiques et d'autres soutiens dans le monde, les médias d'autres pays à utiliser une certaine terminologie interdisant des mots et des expressions tels que ...« escalade de la guerre » ou même « stop the war » !

Mais il y a aussi une suite, puisque depuis quelques semaines, nous assistons -au niveau mondial- à la mise en application d'une nouvelle forme de manipulation de l'information par Israël et ses complices internationaux : le black out, le silence journalistique total sur les « actions » de l'armée israélienne à l'encontre de la population palestinienne. La raison en est évidente : telle est l'ampleur de ses crimes, tel est le choc et la répulsion qu'ils provoquent presque partout, telle est désormais l'inefficacité de ses « arguments » et de sa propagande, qu'Israël et ses soutiens dans le monde entier jugent apparemment préférable de faire « oublier » leur guerre et de ne plus en parler au quotidien ! C'est ainsi que l'on voit, par exemple, des médias qui, pendant deux mois, ont consacré leur première page au bain de sang de Gaza, ne disant - soudainement et... comme par magie - pas un mot ou couvrant la question de manière succincte et sur leurs toutes dernières pages... remplaçant systématiquement les rivières de sang de Gaza par des reportages sur des crimes crapuleux et autres faits divers d'un intérêt plutôt médiocre.

L'effet de ce black-out de l'information se fait déjà sentir : la guerre et, avec elle, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par Israël font désormais partie de la routine quotidienne ou tendent à être oubliés. C'est sans doute le plus grand, le plus dangereux et le plus cauchemardesque « exploit » de Netanyahou et de ses bourreaux, car il nous accoutume “à un monde ressemblant de plus en plus à une jungle où règne uniquement le droit du plus fort et où sont « permises » les pires atrocités contre les plus faibles !” (1)

Et tout cela dans l'indifférence générale, et sans la moindre réaction des syndicats des journalistes de nos pays. Des syndicats qui ne semblent pas particulièrement émus par le fait que non pas un ou deux, mais... 110 collègues journalistes ont été tués ou plutôt assassinés, principalement à Gaza et dans les Territoires occupés, par l'armée israélienne et les colons israéliens, en seulement trois mois, dans ce qui est de loin le plus grand massacre de journalistes de l'histoire de l'humanité ! Vraiment, qu'attendent-ils pour descendre dans la rue et se mettre urgemment en grève de solidarité et de soutien aux collègues palestiniens, qui vivent et meurent dans l'enfer de Gaza, et qui demandent désespérément ce soutien et cette solidarité ?

Pourtant, Tim Dawson, secrétaire général adjoint de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), avait deja déclaré il y a trois semaines, « je ne pense pas qu'il y ait jamais eu autant de journalistes tués dans un conflit, quel qu'il soit. Il y avait environ 1 000 journalistes à Gaza au début de ce conflit. Bien que les chiffres diffèrent légèrement quant au nombre exact de morts, si entre 7,5 et 10 % d'entre eux sont décédés, il s'agit d'un chiffre extraordinairement élevé ». Et la présidente de la Fédération internationale des journalistes (600 000 membres dans le monde), Dominique Pradalié, avait ajouté :« Sur les terrains de guerre, des exactions peuvent être commises contre des journalistes de façon ponctuelle. À Gaza, elles sont systématiques. » ». Quant au vice-président de la même Fédération internationale des journalistes, le Palestinien Nasser Abou Bakr, après avoir dénoncé que les journalistes travaillant à Gaza et dans les Territoires occupés sont "régulièrement menacés de mort et reçoivent des appels et messages anonymes ou de militaires sur WhatsApp, il a conclu comme suit ; « Chaque jour, je communique avec mes confrères encore sur place, je leur demande comment ils vont. Ils me répondent une chose : nous sommes toujours vivants. Ils attendent de mourir et se demandent qui sera le prochain. Mais ils insistent pour continuer leur travail. S'ils arrêtent, qui racontera et documentera les crimes de masse et le nettoyage ethnique que subit notre peuple ? Israël veut tuer les journalistes, qui sont les témoins de ses crimes ».

Bien entendu, ce n'est pas un hasard si la plupart des journalistes menacés, blessés ou tués travaillent pour la chaîne d'Al Jazeera, car c'est précisément cette chaîne de télévision internationale qui est constamment dans le viseur d'Israël, qui tente à tout prix de la faire taire. Pourquoi ? Mais, parce qu'Al Jazeera est la seule chaîne qui fait correctement son travail : elle informe directement et généralement « en direct », couvrant tous les développements et événements du Moyen-Orient - et pas seulement du Moyen-Orient - et donnant la parole à toutes les parties, même les plus odieuses. Ayant suivi la chaîne anglophone d'Al Jazeera sans interruption au cours des trois derniers mois, nous pouvons confirmer que nous y avons vu défiler aussi bien des représentants du Hamas que des ministres et des généraux israéliens, aussi bien des Américains et autres partisans de M. Netanyahou que ceux qui soutiennent les Palestiniens. En d'autres termes, nous avons constaté qu'Al Jazeera fait exactement ce que la grande majorité des médias, y compris bien sûr ceux de nos pays « libéraux », refusent de faire. Quant aux calomnies qui sont traditionnellement lancées contre elle, même par de nombreux « progressistes », à savoir qu'Al Jazeera serait le porte-parole des « Frères musulmans » ou... du Hamas, ce sont des mensonges aussi grossiers que ceux qui prétendent qu'Israël bombarde et tue sans discernement non pas des civils palestiniens, mais des « terroristes du Hamas ». Après tout, il serait pour le moins paradoxal qu'Al Jazeera soit... islamiste, obscurantiste et réactionnaire alors qu'elle critique durement toute manifestation d'antisémitisme et qu'elle soutient et promeut sans réserve les mouvements progressistes et antiracistes du monde entier, y compris ceux des Juifs des États-Unis et d'ailleurs qui manifestent quotidiennement réclamant un cessez-le-feu immédiat…

C'est donc parce que ce sont ses journalistes qui font que Al Jazeera soit si unique et précieuse en ces temps de barbarie où l'information objective devient une denrée de plus en plus difficile à trouver, que leur incroyable souffrance nous émeut et nous bouleverse encore plus. En effet, ce n'est pas seulement que 110 journalistes ont déjà été tués par l'armée israélienne. C'est aussi que les membres de leur famille, de leurs grands-parents à leurs petits-enfants et à leurs bébés, sont également tués avec eux, aussi en toute priorité ! C'est ce qui s'est passé, entre bien d'autres, dans la tragédie personnelle du reporter en chef d'Al Jazeera à Gaza, Wael Al-Dahdouh, qui a perdu dans trois bombardements israéliens successifs sa femme, sa fille, son fils cadet et son petit-enfant, ainsi que huit autres membres de sa famille. Puis, son cameraman qui est mort exsangue, les soldats israéliens n'ayant pas permis à l'ambulance de l'atteindre - alors qu'il était lui-même blessé - et enfin, son fils aîné, journaliste lui aussi ! Inutile de dire qu'il n'y a pas de mots pour décrire les sentiments du téléspectateur lorsqu'il voit quelqu'un, et cela s'est produit à plusieurs reprises, interrompre un journaliste d'Al Jazeera alors qu'il parle en plein direct depuis les décombres des innombrables bombardements israéliens, pour lui chuchoter à l'oreille que des membres de sa famille viennent d'être tués. Et de voir ce journaliste se pétrifier, devenir tout pale et avoir les larmes aux yeux... tout en continuant de faire son reportage, parlant de la mort des autres !

C'est donc à ces journalistes qui sauvent l'honneur du journalisme mondial, que les syndicats des journalistes de nos pays doivent d'urgence et en actes montrer leur solidarité, non seulement parce qu'ils leur en sont redevables, mais aussi parce que le salut et même la vie de ces journalistes héroïques dépend de notre soutien. Cependant, ce n'est pas seulement nos syndicats des journalistes mais toute l'opposition progressiste et les gauches qui doivent justifier leur raison d'être en soutenant le peuple palestinien martyrisé non pas en paroles mais par des actes. Comme par exemple, en soutenant activement la plainte sud-africaine pour génocide contre Israël, qui a commencé à être discutée à la Cour internationale de justice de La Haye. De quelle manière ? En mobilisant dans les rues et en faisant pression dans les Parlements sur leurs gouvernements pour qu'ils s'associent ou pour le moins soutiennent la plainte de l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice. Hic Rhodus, hic salta...

Yorgos Mitralias

Note

1. https://www.cadtm.org/Quand-Netanyahou-nous-accoutume-a-un-monde-inhumain-sans-droit-ni-regles-ou

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« Migration volontaire ou nettoyage ethnique » ?

16 janvier 2024, par Amy Goodman, Mouin Rabbani — , , , ,
Mouin Rabbani parle du plan d'Israël pour expulser les résidents.es de Gaza Democracy Now, 3 janvier 2024 Traduction, Alexandra Cyr Introduction : Mouin Rabbani, (…)

Mouin Rabbani parle du plan d'Israël pour expulser les résidents.es de Gaza

Democracy Now, 3 janvier 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Introduction : Mouin Rabbani, analyste politique néerlandais d'origine palestinienne soutien qu'Israël se sert de l'attaque du Hamas du 7 octobre dernier comme prétexte pour mettre en œuvre « sa vieille ambition » de sortir les Palestiniens.nes de Gaza. Il souligne que des hauts fonctionnaires israéliens ont commencé à proposer des déplacements de masse de civils.es vers l'Égypte et d'autres pays, presque aussitôt que la guerre ait commencé. Cela est en concordance avec les politiques sionistes datant d'avant la fondation d'Israël. Selon M. Rabbani, « le nettoyage ethnique, ou ce que les sionistes nomment les transferts est intrinsèque au Sionisme et fait partie des politiques israéliennes depuis ses tout débuts ».
M. Rabbani est adjoint rédacteur en chef de Jadaliyya et anime la balado diffusion sur Connections. Son dernier article est intitulé « The Long History of Zionist Proposals to Ethnically Cleanse the Gaza Strip ». Il a été publié par Mondoweiss.

Amy Goodman : Mouin Rabbani, en lien avec votre dernier article, les journaux israéliens rapportent que le Premier ministre, B. Netanyahu aurait déclaré à un groupe d'élus.es : « Pour ce qui est de l'immigration volontaire, (…) c'est vers cela que nous nous dirigeons ». Le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ber Gvir, qui en passant a été trouvé coupable de terrorisme, a tenu des propos semblables : « L'encouragement à l'immigration est une solution que nous devons mettre de l'avant. C'est la solution correcte, juste, morale et humaine. J'ai souligné au Premier ministre et au nouveau ministre des affaires étrangères, que je félicite pour sa nomination, que le temps était venu de coordonner un projet de migration, un projet pour encourager les résidents.es de Gaza à immigrer ailleurs dans le monde. Soyons clairs, nous avons des partenaires dans le monde que nous pouvons appeler à l'aide. Il y a des gens dans le monde avec qui nous pouvons discuter de cette idée. Encourager l'émigration va nous permettre de ramener chez eux, les résidents.es des communautés près de Gaza et ceux et celles de la colonie de Gush Katif ».

A.G. : (…) Mardi, le Département d'État américain a émis un communiqué où il déclare être en désaccord avec les commentaires de M. Ben-Gvir et ceux de Bezalel Smotrich. Le Times de Londres, rapporte que des hauts fonctionnaires ont eu des échanges secrets avec la République démocratique du Congo et plusieurs autres pays sur la possibilité qu'ils acceptent des Paliestiniens.nes de Gaza sur leur territoire. Pouvez-vous nous parler de cette histoire, M. Rabbani ? Et aussi, que veulent-ils dire quand ils parlent « d'immigration volontaire » à Gaza. Parlez-nous aussi des pressions que subit l'Égypte pour qu'elle ouvre sa frontière aux habitants.es de Gaza.

Mouin Rabbani : Oui. Maintenant, l'immigration volontaire est présentée comme une émigration humanitaire. Autrement dit, nous faisons une faveur à ces gens en procédant au nettoyage ethnique à leur égard.

Je pense que le problème est aussi que beaucoup de gens associent le nettoyage ethnique des Palestiniens.nes avec l'extrême droite israélienne, les gens comme Ben-Gvir, Smotrich, Netanyahu et ainsi de suite. Mais ce que je voulais démontrer dans mon article qui est maintenant accessible sur Twitter et que j'ai publié plus tard sur Mondoweiss, c'est que le nettoyage ethnique, ou ce que les Sionistes nomment transferts, est intrinsèque au Sionismes et plus tard dans les politiques israéliennes envers les Palestiniens.nes et ce depuis les tout débuts.

Aussitôt qu'en 1895, Theodor Herzl, le fondateur du mouvement sioniste contemporain, a écrit : « organisons (l'envoie) de ces pauvres hors des frontières » et trouvons-leur du travail dans d'autres pays. Durant la période qui s'étend entre le mandat britannique et la fondation de l'État d'Israël en 1948, le mouvement sioniste a mis en place un comité des transferts équipé de termes de références très clairs ; il devait s'assurer que les expulsés.es ne pourraient jamais retourner en Palestine et pour cela il fallait détruire leurs villages et d'autres propositions de la sorte. La population de Gaza est composée aux trois quarts de Palestiniens.nes victimes de nettoyage ethnique en 1948. Depuis 1950, elle a aussi été la cible par Israël d'une réduction de sa population parce qu'il ne veut pas de tous ces réfugiés et toutes ces réfugiées à portée de vue pour ainsi dire de leurs anciennes demeures à sa frontière. Il y a eu un grand nombre de proposition et d'initiatives au fil des années pour atteindre ce but. À la fin des années 1960, un projet proposait d'évacuer 60,000 habitants.es de la bande Gaza vers le Paraguay. Mais, en contrepartie le Mossad a découvert qu'il n'avait plus les moyens de poursuivre sa chasse aux Nazis réfugiés dans ce pays avec la protection du régime Stroessner. (Le projet est donc tombé à l'eau).

Je voulais vraiment vous démontrer que la politique la plus récente proposée par la frange la plus extrême de la politique israélienne, n'est pas exceptionnelle ; cela fait partie intrinsèque du Sionisme et des politiques israéliennes depuis les tout débuts.

A.G. : À la fin de votre article vous écrivez : « Malgré son importance la Nakba de 1948 n'a pas défait les Palestiniens.nes. Leur lutte s'est poursuivie depuis les camps de réfugiés.es, ceux de Gaza en première ligne. Il faudrait un niveau de stupidité à la Blinken pour penser que l'expulsion des Palestiniens.nes de Gaza produirait un autre résultat ». Parlez-nous de l'objectif de Netanyahu d'extirper le Hamas de Gaza. Qu'est-ce que cela veut dire au juste ? Quels sont les effets des victimes à ce point-ci soit plus de 22,000 personnes décédées ?

M.R. : Cela me ramène à la deuxième partie de votre précédente question à laquelle je n'ai pas répondu et qui porte sur les retombées de la présente guerre. Israël s'est rendu compte qu'il avait ainsi atteint au soutient inconditionnel des Occidentaux, des États-Unis et d'Europe en reprenant la vieille ambition de nettoyer la Bande Gaza de ses habitants.es palestiniens.nes.

Dès le 7 octobre, cette proposition a été mises de l'avant : déménager la population de Gaza vers le désert du Sinaï en Égypte. Cette idée a été endossée avec enthousiasme par le Secrétaire d'État américain, A. Blinken. Lors de sa première visite dans la région il a tenté de la faire adopter par les alliés arabes des États-Unis. Je pense qu'il devient une poule sans tête quand il s'agit du Proche Orient. Je pense qu'il s'attendait à entendre les alliés arabes des américains lui dire : « Comment pouvons-nous vous aider à aider vos amis israéliens » ? Au lieu de quoi il s'est frappé à un refus catégorique d'abord et avant tout de la part de l'Égypte.

Par la suite, les gouvernements américains et européens ont pris position contre les expulsions forcées de la Bande de Gaza ce qui a permis ce que nous voyons en ce moment : une campagne militaire israélienne dont le premier objectif est de rendre cet espace invivable et donc d'encourager les déplacements volontaires ou ce qu'ils nomment maintenant, humanitaires ; l'émigration pour accomplir le nettoyage ethnique. Je crois que ce que nous voyons en ce moment c'est un génocide. D'ailleurs le Tribunal international de justice de La Haie en jugera suite à la plainte de l'Afrique du sud en vue de l'application de la Convention contre les génocides. Et la Bande de Gaza est devenue inhabitable.

A.G. : Mouin Rabbani, nous devons nous arrêter ici. Je vous remercie.

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La machine sioniste de destruction massive menace le Liban à la suite de Gaza

16 janvier 2024, par Gilbert Achcar — , ,
Il y a deux semaines, nous estimions, à la lumière des éléments disponibles, que les forces d'occupation israéliennes cesseraient leur campagne intensive de bombardement (…)

Il y a deux semaines, nous estimions, à la lumière des éléments disponibles, que les forces d'occupation israéliennes cesseraient leur campagne intensive de bombardement ravageur au début de cette nouvelle année, pour passer à une « guerre de basse intensité » dont l'objectif serait de resserrer le contrôle sur la majeure partie du territoire de la bande de Gaza tombée sous leur emprise, d'éradiquer ce qui y resterait de résistance et de détruire le réseau de tunnels qui subsiste sous son sol (voir « Où va la guerre d'Israël contre Gaza ? », 20/12/2023). Lundi dernier, au premier jour de cette nouvelle année, le porte-parole officiel de l'armée d'occupation a annoncé le retrait de Gaza de cinq brigades, composées essentiellement de réservistes, dans ce qui a été interprété par les observateurs comme un premier pas vers le passage à une « guerre de basse intensité », comme l'ont promis les dirigeants israéliens à leurs soutiens extérieurs, les États-Unis au premier chef.

Tiré de Inprecor no 716 Janvier 2024
7 janvier 2024

Par Gilbert Achcar

La vérité est que, pour des raisons à la fois humaines et économiques, l'État sioniste ne peut pas continuer longtemps à mener une guerre de la même intensité que celle qu'il mène depuis le « Déluge d'Al-Aqsa ». En effet, Israël est un pays relativement petit, avec une population juive d'un peu plus de sept millions d'habitants, dont un million et demi d'hommes en âge de servir dans les forces armées (auxquels s'ajoutent un million et demi de femmes qui n'ont pas encore été engagées dans la guerre). Il ne peut pas continuer à mobiliser approximativement un demi-million de réservistes pendant une longue période, car cela constitue une lourde charge humaine sur le plan social et encore plus lourde sur le plan économique.

Jusqu'à la fin de l'année dernière, c'est-à-dire en moins de trois mois, la guerre a coûté environ 20 milliards de dollars, selon ce qu'a déclaré un ancien vice-gouverneur de la Banque centrale israélienne au Washington Post, soit un coût avoisinant le quart de milliard de dollars par jour, ce qui est énorme pour l'économie du pays. Le gouvernement sioniste estime que le coût total de la guerre, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu a confirmé samedi dernier qu'elle durerait au moins un an, sera d'environ 50 milliards de dollars (soit environ un dixième du PIB d'Israël). Netanyahou et ses alliés de l'extrême droite sioniste d'autant plus déterminés à poursuivre la guerre à moindre intensité tout au long de cette nouvelle année qu'ils misent sur la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine de l'automne prochain. Ils sont convaincus que Trump leur donnerait le feu vert pour qu'ils achèvent la « seconde Nakba » en s'emparant définitivement de la bande de Gaza et en l'annexant. Tout en comptant sur le financement américain pour atténuer l'impact de la guerre sur leur économie, ils doivent en réduire le coût afin de pouvoir la poursuivre au cours des prochains mois comme ils l'entendent.

En même temps, cependant, le gouvernement sioniste planifie une deuxième campagne intensive de bombardement qui commencerait après que l'intensité des bombardements sur Gaza aura été réduite. Aux tout premiers jours de la nouvelle offensive israélienne, des rapports indiquaient que le ministre de la « Défense » sioniste, l'ancien général de division Yoav Gallant, membre du Likoud et rival de Netanyahou, avait souhaité qu'Israël attaque le Hezbollah au Liban en même temps que le Hamas à Gaza. Gallant est connu pour être un défenseur de la doctrine connue sous le nom de Dahiya [banlieue, en référence à la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah], appliquée pour la première fois lors de l'assaut israélien sur le Liban en 2006. Cette stratégie militaire consiste à riposter à quiconque menacerait la sécurité d'Israël d'une façon si radicale et si destructrice qu'elle constituerait une forte dissuasion. En tant que chef du commandement sud entre 2005 et 2010, Gallant a supervisé l'application de cette doctrine lors de l'attaque meurtrière de trois semaines contre Gaza à partir de la fin de l'année 2008.

L'été dernier, le ministre de la « Défense » sioniste menaçait de ramener le Liban à « l'âge de pierre ». C'était après avoir inspecté la zone des fermes de Chebaa, à la frontière libanaise, et y avoir aperçu une tente installée par le Hezbollah. Gallant avait alors déclaré : « Je mets en garde le Hezbollah et Nasrallah de ne pas commettre d'erreurs. Vous avez commis des erreurs dans le passé et vous avez payé un prix très élevé. Si, à Dieu ne plaise, une escalade ou une confrontation se produisait ici, nous ramènerons le Liban à l'âge de pierre ». Il avait poursuivi en répétant : « Je mets en garde le Hezbollah et son chef : ne faites pas d'erreur. Nous n'hésiterons pas à utiliser toute notre puissance et à détruire chaque mètre appartenant au Hezbollah et au Liban s'il le faut ». Il avait ajouté : « Lorsqu'il s'agit de la sécurité d'Israël, nous sommes tous unis ». Ces derniers mots répondaient à l'affirmation par le chef du Hezbollah qu'Israël était affaibli par sa crise politique.

La probabilité d'une nouvelle agression massive de l'État sioniste contre le Liban est donc devenue très forte. Le gouvernement israélien met le Hezbollah devant un dilemme en exigeant de lui qu'il retire ses forces militaires au nord du fleuve Litani, à quelque 10 km au nord de la frontière libanaise. S'il s'exécutait, le Hezbollah perdrait la face, tandis que s'il refusait d'obtempérer, il porterait la responsabilité d'une nouvelle agression dévastatrice contre le Liban, en particulier contre les zones où il est déployé. L'intervention limitée du Hezbollah dans le sillage du « Déluge d'Al-Aqsa » a donc eu un effet pervers, car le parti a manqué l'occasion de forcer Israël à s'engager dans une guerre intensive sur deux fronts, tandis qu'Israël menace aujourd'hui de se lancer dans un bombardement intensif du Liban, en le distinguant à son tour après avoir achevé son bombardement intensif de la bande de Gaza.

Traduit en français à partir de la traduction anglaise, faite par l'auteur sur son blog, de l'original arabe publié dans Al-Quds al-Arabi le 2 janvier 2024. Cet article a été écrit avant l'assassinat par Israël d'un haut dirigeant du Hamas à Beyrouth.

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