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S’attaquer à la crise climatique en agissant sur la consommation alimentaire

30 janvier 2024, par GRAIN — ,
Tout le monde sait aujourd'hui que nous devons transformer à la fois la façon dont nous produisons et la manière dont nous utilisons l'énergie si nous voulons infléchir la (…)

Tout le monde sait aujourd'hui que nous devons transformer à la fois la façon dont nous produisons et la manière dont nous utilisons l'énergie si nous voulons infléchir la trajectoire actuelle du changement climatique.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/01/22/sattaquer-a-la-crise-climatique-en-agissant-sur-la-consommation-alimentaire/

Il ne suffit pas de passer de sources d'énergie « polluantes » à des sources « propres ». En fait, nous devons produire et utiliser moins d'énergie globalement si nous voulons garder notre planète vivable tout en luttant pour la justice et l'équité en matière d'accès à l'énergie et de consommation de l'énergie.

Certains parlent à ce sujet de « décroissance », ou de la nécessité d'abandonner une attitude qui considère la croissance économique comme la mesure de notre réussite en tant que société. La recherche montre qu'une croissance économique « verte » ne suffit pas, car il nous faudrait des centaines d'années pour obtenir l'impact dont nous avons besoin [1]. Nous devons réduire radicalement les émissions et nous devons le faire rapidement. Sur le plan politique, nous savons que la décolonisation – garantir la justice dans la répartition des ressources, du pouvoir et des richesses – doit être notre boussole [2]. C'est un petit nombre de sociétés hautement industrialisées qui sont à l'origine de la surconsommation effrénée des ressources de notre planète.

C'est également vrai en ce qui concerne l'alimentation, la deuxième source d'émissions climatiques mondiales après les combustibles fossiles. Nous devons non seulement changer la façon dont nous produisons notre alimentation, mais aussi la façon dont nous la consommons. Cela peut sembler aller de soi, mais, comme le trop évident « éléphant dans la pièce », le volet consommation de la comptabilité climatique est régulièrement ignoré ou insuffisamment pris en compte, et il devient de plus en plus urgent de s'en préoccuper. À elle seule, la consommation alimentaire mondiale pourrait ajouter près de 1°C au réchauffement planétaire d'ici 2100 et nous pourrions déjà atteindre cette année, en 2023, la limite de 1,5°C fixée par l'Accord de Paris [3]. Le temps qui nous reste pour modifier raisonnablement ce scénario est presque écoulé.

Changer le système

Le mouvement climatique actuel, né d'une prise de conscience aiguë du rôle des combustibles fossiles comme principal moteur de la déstabilisation de notre climat, appelle non seulement au déploiement des énergies renouvelables mais également à des réductions majeures dans l'exploration, la production et l'utilisation de l'énergie qui alimente les pays les plus riches. Cela nécessite des changements profonds et structurels dans la manière dont ces sociétés utilisent et consomment l'énergie. Cela signifie davantage de transports collectifs, plus de durabilité et de réparabilité des produits, et une forte réduction dans la consommation de biens non essentiels. S'attaquer à la consommation et la maîtriser signifie aussi plus généralement moins de production, moins de travail, moins de déplacements, plus de temps consacré à des activités « non productives » (et donc non destructrices). Pour ce faire, il faut prendre conscience de ce qui est rare et le réaffecter à d'autres usage. En d'autres termes, nous devons adopter une culture de la sobriété – mais pas sa version néolibérale, aussi connue sous le nom d'austérité, qui punit les pauvres.

Il en va de même pour le système alimentaire. Au cours du siècle dernier, une grande partie du système alimentaire mondial a été industrialisée par l'introduction d'intrants chimiques, de monocultures à grande échelle, d'élevages industriels, d'une mécanisation lourde et de l'irrigation. Les systèmes alimentaires locaux ont été démantelés et mondialisés, et des multinationales ont pris le contrôle de tous les aspects de la chaîne alimentaire. De ce fait, le système alimentaire industriel est désormais responsable de plus d'un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre, tout en étant également la principale cause de la déforestation, des crises de l'eau, de l'effondrement de la biodiversité et de nombreuses maladies. La Banque mondiale, qui a joué un rôle majeur dans la promotion de ce modèle catastrophique, estime que le système alimentaire mondial nous coûte désormais 12 000 milliards de dollars par an en coûts économiques, environnementaux et sociaux cachés [4].

Les multinationales agroalimentaires qui contrôlent ce système alimentaire et en bénéficient ont tardé à proposer des solutions à la crise actuelle. Mais à mesure que les préoccupations liées à la crise climatique se sont progressivement étendues au secteur alimentaire, la situation a changé et, depuis quelques années, la plupart de ces grandes entreprises ont annoncé des plans « zéro émission nette » et se sont associées à des gouvernements et des organismes internationaux dans le cadre de programmes de réduction des émissions dans l'agriculture. Toutes ces initiatives d'entreprises tournent autour de techniques et de technologies qui peuvent, selon elles, rendre les exploitations agricoles plus performantes, et toutes supposent que la production et la consommation peuvent être maintenues. En fait, tous ces modèles d'entreprise s'appuient sur les prévisions de croissance de leurs ventes de produits à fortes émissions, et mettent en avant le message mensonger selon lequel ces produits peuvent être « neutres en carbone », « verts » et « sans déforestation » [5]. Il n'est donc pas surprenant que les engagements « zéro net » des multinationales agroalimentaires s'appuient fortement sur les compensations carbone [6].

Il est évident que cela ne fonctionnera pas. Mais ce n'est pas non plus nécessaire ni souhaitable. La réalité est que le système alimentaire industriel est organisé autour du profit des grandes entreprises, et non en fonction de l'allocation de ressources limitées (et d'émissions) pour faire en sorte que les huit milliards de personnes sur cette planète aient suffisamment d'aliments nutritifs à manger. Notre système alimentaire mondial repose sur la production massive de quelques cultures de base destinées à être transformées en viande, produits laitiers et en aliments transformés, ainsi que sur un approvisionnement régulier en articles de luxe pour les riches (par exemple chocolat, fleurs ou fraises) – qui génèrent tous d'énormes émissions sans apporter beaucoup d'éléments nutritifs en retour.

Ce système alimentaire des multinationales est également source de gaspillage. Un tiers de la nourriture produite est gaspillée. Cela signifie qu'elle finit dans des décharges où elle génère d'importantes quantités de gaz à effet de serre, en particulier du méthane. De plus, une grande partie de la nourriture produite par ces grandes entreprises est déjà de la « malbouffe » au départ. Nestlé (l'entreprise suisse qui domine les rayons des épiceries dans le monde entier et dépense chaque année des centaines de millions de dollars en publicité et en lobbying pour garantir les ventes de ses produits) a reconnu que « la valeur nutritionnelle de moins de la moitié de son portefeuille d'aliments et de boissons grand public peut être considérée comme « saine » selon une définition communément acceptée [7]. » On peut imaginer toutes les terres, l'eau et l'énergie qui pourraient être réutilisées pour la production d'aliments nutritifs si nous supprimions les Nestlé de ce monde.

La consommation est dictée par les grandes entreprises

Pour faire face à la crise climatique, nous devons, de manière équitable, réduire la consommation et la production de viande industrielle, de produits laitiers industriels et d'aliments inutiles privilégiés par les multinationales. Nous devons en revanche accorder la priorité à la production et à la consommation d'aliments locaux et sains. Les avancées de la science montrent à quel point ces aliments industriels contribuent aux ravages climatiques [8]. Nous savons désormais qu'une réduction de la consommation de viande rouge et de produits laitiers industriels chez les populations aisées ou bien nourries pourrait réduire considérablement les émissions climatiques liées à l'alimentation. Cette réduction pourrait atteindre 75%, selon une équipe de recherche de l'Université d'Oxford [9]. Et le remplacement des aliments d'origine animale par des légumineuses, des noix, des fruits et des légumes présente également d'importants avantages pour la santé : diminution du risque de maladies cardiovasculaires et de diabète de type 2, et réduction de la mortalité due aux maladies liées à l'alimentation.

Pourtant, ces changements ne doivent pas être minimisés ou réduits au comportement individuel. Nous produisons et consommons collectivement trop de nourriture et d'énergie. Les objectifs des grandes entreprises – qui vont à l'encontre de l'intérêt public par le biais du marketing, du lobbying politique et des accords commerciaux conduisent à la fois à la surproduction et à la surconsommation. (Voir l'encadré sur Jalisco.) Le système commercial mondial repose sur toujours plus de consommation, de stimulation et de croissance, et il renforce ces tendances. Aujourd'hui, selon l'Organisation mondiale du commerce, les émissions générées par la production et le transport de biens et services exportés et importés représentent 20 à 30% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Dans le cas des fruits et légumes, le chiffre est de 36% [10]. La manière dont la viande de bœuf parvient aux ménages chinois illustre très bien le problème .

Prenons l'exemple du sucre. Alors que les autorités climatiques britanniques ont recommandé une réduction de 20% de la consommation de viande et de produits laitiers d'ici 2030, et de 35% pour la consommation de viande d'ici 2050, c'est désormais le sucre qui retient l'attention [11]. La quantité de sucre produite par le Royaume-Uni dépasse largement les besoins de sa population. Et cette production a un coût « climatique » lié à une utilisation très importante des terres et de l'eau, à la perte de la couche arable, à l'érosion de la biodiversité et à des subventions mal ciblées. Le coût sanitaire est bien sûr tout aussi préoccupant : les deux tiers de la société britannique sont en surpoids ou obèses. Mais le pays importe près de deux fois la quantité de sucre qu'il surproduit, générant ainsi une facture climatique encore plus élevée [12]. Cette consommation excessive n'est pas motivée par la demande des consommateurs mais par la cupidité des grandes entreprises. Le sucre est un ingrédient alimentaire bon marché qui augmente les ventes, en particulier sous forme d'aliments ultra-transformés. Les importations sont intégrées dans les nombreux accords de libre-échange conclus par le Royaume-Uni pour soutenir les intérêts des grandes entreprises, et non ceux du public. Des groupes britanniques exigent désormais une restructuration complète du secteur, allant jusqu'à la réaffectation des subventions en faveur du sucre pour rendre les fruits et légumes plus abordables.

Une occasion d'agir

Comme nous l'avons déjà souligné, si l'action individuelle est importante, nous ne pouvons pas réduire le problème aux individus ni leur en faire porter la responsabilité. Il est parfaitement logique de réduire les importations dans les pays où la viande industrielle, les produits laitiers et les aliments inutiles sont consommés en excès, tout en rendant les systèmes de production plus écologiques. Et nous devons trouver les moyens d'éliminer les grandes entreprises qui sont à l'origine de tous ces dégâts.

Cela nécessite des changements politiques radicaux et une pression organisée de la part des mouvements sociaux. Heureusement, la prise de conscience de la nécessité d'opérer des changements profonds par une action collective s'est développée depuis que les populations subissent directement les impacts du dérèglement climatique.

Une série de mesures concrètes ont déjà été élaborées par des activistes et des équipes de recherche et doivent être accélérées de toute urgence :

Éliminer le gaspillage alimentaire, source majeure d'émissions.

Réduire la consommation excessive dans une minorité de pays, tant de viande et de produits laitiers industriels que d'aliments superflus (fruits et légumes hors saison, produits de luxe comme les baies et les sucreries, etc.). Les taxes, droits de douane et autres instruments fiscaux peuvent jouer un rôle, tout comme des mesures énergiques prises par le secteur de la distribution alimentaire. Les accords commerciaux qui favorisent les schémas d'offre excédentaire, comme l'accord UE-Mercosur, doivent également être stoppés ou abrogés.

Réduire la production industrielle de viande et de produits laitiers en Europe, en Amérique du Nord, au Brésil, en Australie et en Nouvelle-Zélande grâce à des mesures énergiques telles que la réduction du cheptel.

Aider les populations agricoles à abandonner les engrais chimiques et interdire les élevages en milieu confiné, qui génèrent respectivement d'énormes quantités d'oxyde nitreux et de méthane.

Repenser et réamorcer le système de distribution alimentaire. Les villes doivent réorganiser la vente au détail de produits alimentaires de façon à ce que les magasins et les marchés soient répartis de manière égale et proposent des aliments sains plutôt que des produits ultra-transformés. Nous devrions également envisager un zonage ou d'autres politiques publiques pour limiter la présence des grandes entreprises et protéger la vente et les coopératives au niveau local. Nous devons mieux socialiser la distribution alimentaire. Certains tentent déjà d'y parvenir en mettant en place des systèmes de sécurité sociale alimentaire, en se battant pour obtenir des permis locaux et des protections sociales nationales pour les commerces de rue, et en essayant de renforcer les marchés publics par le biais de contrôles des prix, de subventions et d'infrastructures publiques. Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.

Supprimer les réglementations et les lois qui portent atteinte aux exploitations de production alimentaire locale et les remplacer par des politiques qui soutiennent les systèmes paysans de production et de commercialisation agroécologiques.

Enfin, nous devons mettre un terme aux accaparements des terres et de l'eau qui sont menés en silence à travers le monde afin d'accroître la production de monocultures agricoles destinées à l'exportation [13]. Nous devons également soutenir les vastes mouvements sociaux qui se mobilisent, de l'Argentine à l'Arizona et du Cameroun à la France, pour maintenir le contrôle social sur la terre et l'eau en tant que biens communs appartenant aux populations dans leurs territoires, et non comme marchandises à exploiter au profit de quelques-uns [14].

En résumé, nous devons mettre en place davantage de systèmes publics, d'actions collectives et de nouvelles économies pour parvenir à la justice à laquelle les gens aspirent. Mais nous devons agir vite. Les entreprises et les autres criminels du climat ne s'écarteront pas du chemin si nous ne faisons pas bouger les choses.

Comment les accords de libre-échange favorisent des modes de consommation qui détruisent les communautés rurales

Voyons comment cela se passe dans les communautés autour d'El Grullo, dans l'État mexicain de Jalisco, un exemple parmi tant d'autres. Avant l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), en 1994, les terres étaient gérées collectivement, les communautés paysannes pratiquant une combinaison de cultures vivrières traditionnelles et faisant paître le bétail dans les forêts à flanc de colline. Les gens avaient accès à l'eau, à la terre et à la nourriture. Les surplus de maïs, de fromage et d'autres aliments produits étaient vendus en ville pour dégager des revenus.
Puis est arrivé l'ALENA. Les populations ont perdu leurs marchés locaux pour le maïs, écrasés par des importations étatsuniennes bon marché et subventionnées. Le gouvernement mexicain a lancé une campagne pour encourager les gens à passer à la production sous contrat de pommes de terre en monoculture et à d'autres cultures pour les entreprises de restauration rapide. C'est ainsi qu'a commencé un cycle d'endettement, d'utilisation de produits chimiques, de déforestation et d'affaiblissement du contrôle collectif des populations sur les territoires.
Aujourd'hui, les communautés sont plus pauvres que jamais et les terres sont dévastées. Les terres et la production ont été accaparées par le crime organisé et les grandes entreprises, qui se concentrent sur la production à grande échelle d'agave (tequila) et de cultures d'exportation destructrices pour l'environnement et la société, comme les avocats, les baies et le raisin, qui sont principalement destinées aux supermarchés des États-Unis et du Canada. Les systèmes alimentaires florissants de Jalisco ont été détruits pour laisser la place à un système de production et de consommation organisé autour du profit des entreprises.
Cette situation ne sera pas résolue en rendant les vignes plus performantes ou plus durables. Elle ne peut l'être que si les communautés reprennent le contrôle de leurs territoires et que les consommateurs et consommatrices des États-Unis et du Canada disent adieu aux raisins importés.
(Texte basé sur un entretien avec des membres du Colectivo por la Autonomía)

[1] Jegim Vogel et Jason Hickel, « Is green growth happening ? An empirical analysis of achieved versus Paris-compliant CO2–GDP decoupling in high-income countries », The Lancet, septembre 2023 :
https://www.thelancet.com/journals/lanplh/article/PIIS2542-5196(23)00174-2/fulltext
[2] À ce sujet, voir les excellentes présentations de « Beyond Growth 2023 », Bruxelles, 15-17 mai 2023 :
https://www.beyond-growth-2023.eu.
[3] Catherine Ivanovitch et al, « Future warming from global food consumption », Nature Climate Change, 6 mars 2023 :
https://www.nature.com/articles/s41558-023-01605-8. Berkeley Earth, « September 2023 temperature update » :
https://berkeleyearth.org/september-2023-temperature-update/
[4] Banque mondiale, « Food finance architecture : Financing a healthy, equitable, and sustainable food system », 23 sept. 2021 :
https://documents.worldbank.org/en/publication/documents-reports/documentdetail/879401632342154766/food-finance-architecture-financing-a-healthy-equitable-and-sustainable-food-system
[5] Il faut noter que le terme « neutre en carbone » sera interdit sur les étiquettes des produits (mais pas sur les services comme les billets d'avion) dans l'Union européenne à partir de 2026. Voir Nikolaus Kurmayer, « EU reaches deal banning climate-neutral product claim », 21 sept. 2023
https://www.euractiv.com/section/energy-environment/news/eu-reaches-deal-banning-climate-neutral-product-claims/
[6] Par exemple, le géant étatsunien de la confiserie Mars Inc. admet qu'il lui faudrait compenser au moins 20% de ses émissions pour atteindre l'objectif zéro net. Mars, « Net zero road map », sept. 2023 :
https://www.mars.com/sites/g/files/jydpyr316/files/2023-09/Mars%20Net%20Zero%20Roadmap%202050_2.pdf
[7] Alistair Gray, « Nestlé says less than half of its mainstream food and drinks are considered ‘healthy' », Financial Times, 21 mars 2023 :
https://www.ft.com/content/8d42f7e8-72a6-4d85-9990-ad2a2cd0da21
[8] Voir le résumé de Physicians for Responsible Medicine, 29 octobre 2023 :
https://www.pcrm.org/good-nutrition/vegan-diet-environment
[9] Ces résultats reflètent les régimes alimentaires britanniques. Voir Damian Carrington, « Vegan diet massively cuts environmental damage, study shows. » The Guardian, 20 juillet 2023 :
https://www.theguardian.com/environment/2023/jul/20/vegan-diet-cuts-environmental-damage-climate-heating-emissions-study.
L'étude elle-même a été publiée dans Nature Food le 20 juillet 2023 :
https://www.nature.com/articles/s43016-023-00795-w.
[10] Commission européenne, DG Environnement, « Field to fork : global food miles generate nearly 20% of all CO2 emissions from food », 25 janvier 2023 :
https://environment.ec.europa.eu/news/field-fork-global-food-miles-generate-nearly-20-all-co2-emissions-food-2023-01-25_en
[11] Oliver Morrison, « Sugar : the next ingredient set to come under fire for its climate impact ? », Food Navigator, 23 avril 2021 :
https://www.foodnavigator.com/Article/2021/04/23/Sugar-the-next-ingredient-set-to-come-under-fire-for-its-climate-impact
[12] James Tapper, « Cap UK's sugar supply to fight obesity, say campaigners », The Guardian, 28 octobre 2023 :
https://www.theguardian.com/society/2023/oct/28/cap-uks-sugar-supply-to-fight-obesity-say-campaigners
[13] Voir l'outil de suivi de GRAIN :
https://farmlandgrab.org.
[14] GRAIN, « L'accaparement de l'eau par l'industrie alimentaire mondiale assoiffe les communautés locales », 21 septembre 2023 : https://grain.org/e/7041.

https://grain.org/fr/article/7063-s-attaquer-a-la-crise-climatique-en-agissant-sur-la-consommation-alimentaire

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Soudan. Neuf mois de guerre et si peu d’espoir

30 janvier 2024, par Gwenaëlle Lenoir — , ,
Depuis avril 2023, l'affrontement entre l'armée régulière d'Abdel Fattah Al-Burhan et les paramilitaires de la Force de soutien rapide (FSR) de Mohamed Hamdan Dagalo alias (…)

Depuis avril 2023, l'affrontement entre l'armée régulière d'Abdel Fattah Al-Burhan et les paramilitaires de la Force de soutien rapide (FSR) de Mohamed Hamdan Dagalo alias Hemeti a mis le Soudan à feu et à sang et forcé plusieurs millions de Soudanais à fuir leur foyer, voire à se réfugier à l'étranger. La situation se détériore, dans l'indifférence de la communauté internationale.

Tiré d'Orient XXI.

Appelons-les Nassim et Ibrahim, prénoms d'emprunt pour les protéger. Avant la guerre, Nassim habitait un quartier populaire de Khartoum. Étudiant célibataire, il vivait chez ses parents, des fonctionnaires de la classe moyenne qui luttaient pour maintenir un niveau de vie à peu près correct malgré l'inflation vertigineuse. Étudiant en master, Nassim appartenait au noyau dur du comité de résistance de son quartier, organisation de base de la révolution populaire de 2018 – 2019. Mais après l'euphorie du soulèvement, il s'était un peu éloigné de la politique, déçu par le retour en force des vieux partis englués dans leurs querelles mutuelles et leurs batailles d'égos.

Âgé de quelques années de plus, Ibrahim est divorcé. Avant la guerre, il collaborait avec des organisations internationales, les agences onusiennes et les grandes ONG, auxquelles il ouvrait en quelque sorte les portes de son pays dont il connait les moindres recoins. Lui aussi a participé à la révolution et à cet élan intellectuel qui promettait de reconstruire le Soudan, d'en faire un État pour tous ses citoyens. Lui aussi bataillait contre une crise économique dévastatrice qui laissait exsangue le peuple tout entier, à l'exception de l'élite prédatrice de l'ancien régime, les Kaizan.

Fuir Khartoum

Nassim et Ibrahim ont tenu bon devant les vicissitudes de la période postrévolutionnaire. Avec des millions d'autres, ils ont risqué leur vie pour ne pas céder aux militaires et aux miliciens. Ils n'ont pas reculé face au coup d'État d'octobre 2021, durant lequel l'armée régulière (les Forces armées soudanaises ou FAS) et les paramilitaires (la Force de soutien rapide ou FSR) étaient unis pour mettre fin à l'expérience démocratique.

Pourtant ces alliés d'hier se font aujourd'hui la guerre. Depuis le 15 avril dernier, Abdel Fattah Al-Burhan, commandant en chef de l'armée, chef de facto du pays, est soutenu par les islamistes de l'ancien régime contre Mohamed Hamdan Dagalo, alias Hemeti, à la tête de la FSR, des paramilitaires si puissants qu'ils sont devenus une armée bis.

Comme des millions de leurs concitoyens, le 15 avril 2023 a bouleversé les destins de Nassim et Ibrahim. Ibrahim a fait de multiples aller-retours dans sa voiture déglinguée pour évacuer sa famille d'abord, puis des amis chers, puis des connaissances. Tous ont fui les combats à Khartoum, vers la frontière égyptienne pour certains, vers l'est du pays pour d'autres. La population de la capitale a subi les pillages, les viols et les meurtres des FSR du général Hemeti, fidèles à leur ascendance : les terrifiants janjawid de la guerre au Darfour dans les années 2000, supplétifs du régime d'Omar Al-Bachir. En même temps, les habitants de Khartoum ont subi les bombardements par l'artillerie lourde et l'aviation de l'armée régulière. Ibrahim a donc fini par partir, lui aussi, en direction de Wad Madani, la capitale de l'État d'Al-Jazirah, une vaste province agricole située à 185 km au sud-est de Khartoum.

Nassim et sa famille sont restés à leur domicile pendant plusieurs semaines. Et quand leur quartier est tombé aux mains des FSR, ils se sont déplacés chez une proche, en banlieue de Khartoum. Les paramilitaires ont fini par arriver jusque-là ; Nassim est alors parti vers le sud-est. Il a traversé des barrages militaires avant de s'arrêter à Kosti, une ville de l'État d'Al-Nil Al-Abyad ("le Nil blanc"). Là-bas, il a pu trouver une maison à louer à bas prix. Un sort beaucoup plus confortable que celui des milliers de déplacés entassés dans des écoles ou sous des abris précaires.

Sept millions et demi de personnes sont déplacées à l'intérieur et à l'extérieur du pays, selon le chiffre du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) du 14 janvier 2024, sans oublier les 12 000 morts, un bilan certainement sous-estimé. Tous traversent les mêmes affres : trouver de quoi se loger, récupérer son argent après le pillage et l'effondrement des établissements bancaires, pallier l'absence d'écoles fermées depuis avril, suppléer à la quasi-destruction des infrastructures médicales… Bref, survivre dans un pays déjà appauvri et mal doté avant la guerre.

Les « villas fantômes »

En décembre 2023, le tableau est assez clair : le Soudan est coupé en deux dans le sens est-ouest. La milice de Hemeti contrôle une grande partie de la capitale, l'armée régulière étant cantonnée dans quelques bases et quelques quartiers d'Omdourman. Les hommes de Hemeti tiennent aussi l'ouest, le Darfour, ainsi qu'une partie du Kordofan. Ce n'est guère une surprise : recrutés pour l'essentiel parmi les tribus arabes de la grande province occidentale, les FSR connaissent parfaitement le terrain et se sont emparés sans grandes difficultés des principales villes.

Des comités de paix formés de dignitaires religieux et séculiers ont bien tenté de maintenir des cessez-le-feu, mais ils ont volé en éclat les uns après les autres. La tâche des FSR a été facilitée par le peu d'appétence de l'armée régulière à les combattre. Celle-ci a préféré se retirer dans ses cantonnements.

Partout dans les zones tenues par les FSR, de très graves violations des droits humains sont rapportées, commises soit directement par les hommes de Hemeti, soit par des milices arabes locales liées aux FSR par la famille ou la tribu.

Commandée par le général Al-Burhan, l'armée régulière largement adossée aux islamistes du régime d'Omar Al-Bachir a déménagé à Port-Soudan. Ces hommes tiennent l'est et le nord du pays — la vallée du Nil d'où sont originaires les classes économiques, militaires et politiques des gouvernements successifs depuis l'indépendance du pays. Comme sous l'ancien régime, ils mènent une politique répressive contre tout opposant. Dans ce contexte, la sinistre mémoire des « villas fantômes », lieux secrets de détention, est réactivée.

« Jusqu'à mi-décembre, on semblait se diriger vers un scénario à la libyenne avec un pays scindé et dirigé par deux entités ennemies, chacune soutenue par des parrains étrangers : les FSR par les Émirats arabes unis et les FAS par l'Égypte. Mais ce scénario est caduc », affirme Kholood Khair, analyste soudanaise aujourd'hui en exil.

Le retrait suspect de l'armée régulière

Le 15 décembre à l'aube, les hommes de Hemeti attaquent les faubourgs de Wad Madani, capitale de l'État d'Al-Jazirah vers laquelle ont afflué, comme Ibrahim, des centaines de milliers d'habitants de Khartoum. Abri pour les déplacés, la ville est aussi devenue un centre de stockage d'aide alimentaire et de médicaments.

Les forces régulières se retirent sans presque combattre. Le 18 décembre, Wad Madani est aux mains des FSR. Pillages, viols, menaces, les exactions sont du même type qu'au Darfour. « Au sein des FAS, les officiers de rang moyen sont furieux, car ils ont reçu l'ordre de quitter la ville sans combattre », assure Kholood Khair.

  • Les hauts gradés sont tous islamistes, car ils ont été recrutés et formés sous Omar Al-Bachir. Ils ne discutent donc pas le bien-fondé des décisions de l'état-major. Mais leurs subordonnés s'interrogent : pourquoi tous ces ordres qui semblent favoriser FSR ? Il y a des soupçons d'achat de certains officiers par Hemeti.

La chute de Wad Madani est un choc et, indéniablement, un tournant. Le verrou vers Port-Soudan à l'est ainsi que vers Sennar et Kosti au sud a sauté. Selon l'ONU, 300 000 personnes ont fui Wad Madani dans les premières heures de l'offensive des FSR, et 200 000 supplémentaires les jours suivants.

Ibrahim a été de ceux-là. Il est parti vers Sennar, plus au sud :

  • Nous n'avions pas d'autre destination possible devant l'avancée des FSR, les autres routes étaient coupées. C'était complètement chaotique. Les gens étaient paniqués, tout le monde sait les atrocités commises par les FSR à Khartoum et au Darfour. Nous avons mis plus de deux jours pour atteindre Sennar, qui est à 90 km !

Ibrahim a attendu de voir si les troupes de Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemeti allaient poursuivre leur marche vers l'est et le sud. Celles-ci ont effectivement essayé, mais cette fois, elles ont été bombardées par l'aviation. Pour l'instant, elles restent donc sur leurs dernières positions. Ibrahim rejoint Gedaref puis Port Soudan, à la recherche d'un travail. Il n'envisage toujours pas de quitter le pays.

Supprimer toute résistance civile

Nassim, lui, a jeté l'éponge. La prise de Wad Madani a été celle de trop. En charge de ses parents âgés et traumatisés, ainsi que d'une partie de ses frères et sœurs, il a fini par se résoudre à l'exil. La famille a d'abord fait le voyage de Kosti au sud vers Dongola au nord de Khartoum :

  • Nous avions trop peur que les FSR bloquent la route et que nous soyons pris au piège, pour rester à Kosti. Des milliers de personnes ont fait comme nous : remonter vers le nord tant qu'il en était encore temps.

À Dongola, il a payé des passeurs. Direction l'Égypte. La voie légale est onéreuse, plus encore que la clandestine, et aussi difficile depuis que Le Caire a décidé de restreindre considérablement le passage. « Il suffit de payer les soldats égyptiens », lui ont assuré les passeurs. Aujourd'hui, Nassim est en Égypte.

Certains restent malgré tout. Dans les zones contrôlées par les FSR comme dans celles tenues par les FAS, les organisations révolutionnaires, comités de résistance, comités de quartier, organisations de femmes, syndicats, s'efforcent de pallier l'État désormais failli. Mais partout ces organisations sont en butte à une répression féroce. C'est là le point commun entre les généraux Hemeti et Al-Burhan. Même ennemis, ils se retrouvent dans leur volonté d'en finir avec la révolution. Comme l'analyse Kholood Khair :

  • Les deux sont persuadés de leur victoire. Chacun d'entre eux veut donc supprimer toute résistance civile avant de conquérir le pays. Sinon, ils savent bien que ce pouvoir qu'ils espèrent tant sera trop fragile. Alors l'un comme l'autre utilise le paravent de la guerre pour tuer ce qui reste de la révolution. Des médecins, des journalistes, des activistes sont assassinés, arrêtés, emprisonnés, torturés. Par les deux camps.

Une velléité d'accord vite balayée

Dans ce chaos, une image a surpris : celle de Hemeti serrant la main d'Abdallah Hamdok, ancien Premier ministre durant la courte parenthèse démocratique, de septembre 2019 à octobre 2021. Aujourd'hui, l'ancien chef de gouvernement est à la tête de la coalition des forces démocratiques, appelée également Taqaddom (« avancée »). Créée à Addis-Abeba en octobre 2023, cette plateforme rassemble des partis politiques, des syndicats et des organisations de la société civile qui ont été parties prenantes dans la révolution. Elle veut peser sur les acteurs du conflit pour obtenir une cessation des hostilités et, surtout, des garanties pour l'après-conflit.

Le 2 janvier, Taqaddom a donc signé un accord avec l'un des deux belligérants. Sur X (anciennement Twitter), Abdallah Hamdok s'est réjoui d'avoir obtenu la « pleine disponibilité des FSR à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, à des mesures visant à protéger les civils, à la facilitation du retour des citoyens dans leurs foyers, à l'acheminement de l'aide humanitaire et à la coopération avec la commission d'enquête. »

L'encre n'avait pas encore séché que Taqaddom se prenait une volée de bois vert de la part de certains partis, comme le Parti communiste, une faction du Baas, des personnalités du Parti unioniste ou du parti Oumma, des activistes de la révolution ou encore des comités de résistance… À l'autre bout du spectre politique, des islamistes de l'ancien régime, furieux, ont poussé le général Al-Burhan à refuser toute rencontre, avec Taqaddom comme avec Hemeti. Pour Kholood Khair, cela montre à quel point les civils sont divisés :

  • Taqaddom perd sa crédibilité en signant un accord avec Hemeti malgré toutes les atrocités commises par les FSR. Non seulement elles ne sont pas mentionnées, mais elles ont même été niées par leur porte-parole ! Certains, au sein de la plateforme, pensent pouvoir contrôler Hemeti une fois qu'il aura pris le pouvoir. C'est extraordinairement naïf ! Et cela veut dire que ces hommes politiques n'ont rien appris de ces dernières années.

En attendant, aucune promesse contenue dans la déclaration d'Addis-Abeba tant vantée par Abdallah Hamdok n'a connu l'amorce d'une concrétisation. Des témoignages affirment même que la reprise de la « vie normale » vantée par les FSR à Wad Madani se fait à la pointe du fusil. Les médecins sont contraints de reprendre leur poste sous la menace et les commerçants sont rackettés.

Mais les poignées de main ont permis au général Hemeti de gagner encore un peu plus en honorabilité. Il a ainsi été reçu en interlocuteur digne de foi et d'intérêt dans plusieurs capitales africaines, lors d'une tournée qui l'a mené de Pretoria à Djibouti en passant par Nairobi, Kampala et Kigali, où il s'est recueilli au mémorial du génocide…

« Même s'il réussit à progresser vers l'est et le nord, à prendre Port-Soudan et à contrôler tout le pays, il n'aura pas gagné la guerre, prophétise Kholood Khair. Il aura à affronter des groupes armés dans toutes ces régions. » Les FAS distribuent des armes à la population de la vallée du Nil qui tient à défendre ses villes et ses villages. Et qui refusera de voir un homme du Darfour gouverner le Soudan.

Le vieux clivage entre le centre, la vallée du Nil, ancien royaume de Kouch mythifié par les élites soudanaises qui gouvernent depuis l'indépendance, et les périphéries, en particulier le Darfour, n'est pas mort dans le fracas des armes. Au contraire, il est revivifié. Et au Soudan, il n'y a pas de cuillères assez grandes pour dîner avec les trop nombreux diables.

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Maroc. Manifestations populaires et silence royal

30 janvier 2024, par Omar Brouksy — , ,
Tiraillés entre une population majoritairement acquise à la cause palestinienne qui risque de basculer dans un islamisme aux aguets, et l'accord de normalisation signé en 2020 (…)

Tiraillés entre une population majoritairement acquise à la cause palestinienne qui risque de basculer dans un islamisme aux aguets, et l'accord de normalisation signé en 2020 dont ils ne sont pas près de s'affranchir, les dirigeants marocains se réfugient dans un silence de plus en plus pesant.

Tiré de Orientxxi
23 janvier 2024

Par Omar Brouksy

Manifestation en solidarité avec Gaza, le 24 décembre 2023 à Rabat/AFP
AFP

Plus de quatre mois après le déclenchement de la guerre contre Gaza, la mobilisation anti-Israël n'a pas faibli au Maroc. Des milliers de personnes manifestent quasiment chaque week-end dans les grandes villes du pays, notamment à Rabat et Casablanca. Deux revendications dominent les slogans : la fin des massacres de la population gazaouie par l'armée israélienne et, surtout, la fin de la normalisation des relations diplomatiques entre le royaume chérifien et « l'État sioniste », comme le scandent les manifestants.

Commencé en décembre 2020, le processus de normalisation entre les deux États prend la forme d'une transaction tripartie : en contrepartie de la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental par l'ancien président américain Donald Trump, le royaume « normalisera » ses relations avec Israël. Une manœuvre habile puisqu'il s'agit de monnayer une « cause sacrée » pour la majorité des Marocains (l'affaire du Sahara occidental, considéré par le Maroc comme ses « provinces du sud ») par une autre « cause sacrée » (la question palestinienne).

Depuis, la coopération, notamment militaire, entre les deux pays est devenue officielle après avoir été longtemps officieuse, même si l'État hébreu tient à la cantonner aux armes défensives et légères. L'attaque d'envergure du Hamas au cœur d'Israël, le 7 octobre 2023, ne représente pas une rupture, mais un point de basculement qui affectera profondément la lune de miel israélo-marocaine, louangée tant par les Etats-Unis que par l'Union européenne.

Manoeuvre politique

Au cœur de ce processus, le Palais royal avait eu recours à un stratagème habile et machiavélique visant à porter le coup de grâce au Parti de la justice et du développement (PJD), le parti islamiste au gouvernement à l'époque, et dont la légitimité religieuse concurrençait celle du roi, le Commandeur des croyants. Ce dernier fait alors signer l'accord de normalisation non pas par le ministre des Affaires étrangères mais par le chef du gouvernement, l'islamiste Saad Dine Elotmani (2017-2021), en même temps secrétaire général du PJD. Les conséquences sur l'identité politique et l'image du parti sont désastreuses car la lutte contre la normalisation avec « l'entité sioniste » fait partie de l'ADN des partis islamistes. Laminé électoralement un an plus tard lors des législatives de 2021 où il obtient 12 sièges au Parlement du Maroc qui en compte 395, le PJD est aujourd'hui l'ombre de lui-même, une coquille vide.

Lors des rassemblements propalestiniens qui se déploient depuis le 7 octobre dans les artères principales des grandes villes, ni les dirigeants du PJD ni ses militants n'osent se montrer ou se mêler aux foules en colère. Et pour tenter de réparer ce que l'ancien secrétaire général avait détruit en signant le traité de normalisation, le nouveau dirigeant du PJD, Abdelilah Benkirane, un populiste lui aussi ancien chef du gouvernement (2011- 2016), multiplie désespérément les sorties médiatiques. « Oui, le PJD s'est trompé en signant la normalisation, nous l'admettons. Mais le parti n'a jamais été pour cette normalisation », déclare-t-il en sanglots, le 19 novembre 2023 devant un parterre de militants. Il va même jusqu'à offrir au leader du Hamas Khaled Mechaal, en visite au Maroc, une tribune dans laquelle le responsable palestinien, devant les militants, invite les Marocains « à s'adresser aux dirigeants du pays (…) pour rompre les relations, arrêter la normalisation et chasser l'ambassadeur » – ce qui suscite une colère noire de l'entourage royal qui y voit une « ingérence intolérable et un appel à peine déguisé au soulèvement. »

Pour réhabiliter son parti, Abdelilah Benkirane ira même jusqu'à tenir des propos ouvertement antisémites : « Ils avaient des savants comme Einstein, mais ils ne voient pas loin. C'est pour cela que Dieu les a favorisés au début et maudit il y a 2 000 ans. Parce qu'en réalité, ils sont idiots. Leur idiotie leur fait croire que c'est la force qui résout le problème ». Mais ces tentatives n'ont pas d'effets marquants sur l'image de sa formation ni de ses dirigeants qui restent parmi les moins considérés sur la scène politique marocaine.

Organisation à la romaine

Toutefois, l'absence du PJD va être vite comblée par l'autre composante de l'islamisme marocain : l'association Justice et bienfaisance (Al-Adl wa Al-Ihsan). Interdit mais toléré, ce mouvement, qui ne reconnaît pas le statut religieux du roi et conteste ses larges pouvoirs politiques, est très présent dans les manifestations propalestiniennes à travers la mobilisation, à Rabat et Casablanca notamment, de l'essentiel de ses sympathisants. Connu pour son organisation à la romaine, la discipline de ses membres et les moyens utilisés pour s'assurer un maximum de visibilité dans l'espace public, Justice et bienfaisance ne pouvait pas rater l'occasion du 7 octobre pour s'affirmer comme "l'unique choix islamiste possible", après le fiasco électoral et politique du PJD.

Très présents sur les réseaux sociaux, dès lors que les médias officiels leur sont fermés, les militants n'hésitent pas à utiliser la question palestinienne et celle de la normalisation comme des vecteurs de redéploiement pour rallier ne serait-ce que les déçus du PJD, mais aussi comme des leviers pour contester le régime monarchique et sa légitimité religieuse – le roi Mohammed VI étant à la fois Commandeur des croyants et président du Comité Al-Qods pour la Palestine.

Silence de cathédrale

En ce qui concerne les autres partis politiques, le contraste reste très marqué avec la population qu'ils sont supposés, selon la Constitution, représenter et encadrer. Pour ces partis parfaitement domestiqués par la monarchie, la question palestinienne est devenue, depuis la signature de l'accord de normalisation, une ligne rouge à ne pas franchir, à l'exception du Parti socialiste unifié (PSU) et de la Voie démocratique travailliste (Al-Nahj Al-Dimokrati Al-Amili), deux organisations de gauche ultra-minoritaires.

Si certains osent, en y mettant beaucoup de gants, contester les attaques israéliennes contre Gaza et le nombre effrayant des victimes, ils évitent soigneusement de demander la fin de la normalisation. Cela se traduit sur le terrain par l'absence des partis politiques dans les manifestations propalestiniennes. S'agit-il d'une prudence stratégique et d'une volonté de leurs dirigeants de ne pas susciter l'ire du roi et de son entourage ? Aucune réponse. Un silence de cathédrale. Y compris, le 12 janvier 2024, au moment même où l'Afrique du Sud défend sa plainte pour génocide contre Israël devant la plus haute Cour de l'ONU, la Cour internationale de justice dont l'un des membres, le juriste Mohamed Bennouna, est Marocain. Au même moment, le Bureau de liaison, une délégation marocaine à Tel-Aviv, annonce la reprise de tous les services consulaires à partir du 22 janvier, après leur suspension, le 19 octobre 2023, lorsque le ministère des Affaires étrangères israélien avait décidé d'évacuer son bureau de liaison à Rabat en réponse à la forte mobilisation des Marocains.

Même silence du côté du Palais royal, à l'exception d'un communiqué laconique datant du 17 octobre, au lendemain du bombardement par l'armée israélienne de l'hôpital Al-Maamdani faisant plusieurs centaines de morts et de blessés palestiniens à Gaza : « Le Royaume du Maroc réitère son appel à ce que les civils soient protégés par toutes les parties et qu'ils ne soient pas pris pour cibles. Sa Majesté le roi Mohammed VI, que Dieu L'assiste, président du Comité Al-Qods, souligne l'urgence de fédérer les efforts de la communauté internationale pour mettre fin, au plus vite, aux hostilités, respecter le droit international humanitaire et œuvrer pour éviter que la région ne sombre dans une nouvelle escalade et de nouvelles tensions. »

Un silence qui sera doublé d'une absence physique du roi dès le 4 décembre. Le président du comité Al-Qods entame alors un long périple mi-officiel mi-privé qui le conduit d'abord aux Émirats arabes unis, où il est reçu en grande pompes par le Cheikh Mohammed ben Zayed fraichement investi, avant de s'envoler le 17 décembre vers les Seychelles, l'archipel africain aux 115 îles paradisiaques dans l'océan Indien. Le roi part ensuite pour Singapour, où il fête le Nouvel An, avant de finalement rentrer à Rabat le 11 janvier, jour de la signature du manifeste pour l'indépendance, célébré au Maroc.

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Guerre d’influence entre l’Occident et les Brics en Afrique

30 janvier 2024, par Nicolas Beau — ,
La présidente de l'Alliance internationale des Brics Larisa Zlenstova et son vice-président chargé des projets stratégiques, Ahoua Don Mello accompagnés des vice-présidents (…)

La présidente de l'Alliance internationale des Brics Larisa Zlenstova et son vice-président chargé des projets stratégiques, Ahoua Don Mello accompagnés des vice-présidents Brics chinois et indien ont parrainé, le jeudi 18 janvier dernier, la signature d'un accord-cadre sur le financement de plusieurs projets stratégiques au profit du gouvernement centrafricain, au moment où le Secrétaire d'Etat américain, Anthony Blinken préparait sa mini tournée dans l'ouest-africain.

Tiré de MondAfrique.

La guerre d'influence que se livrent de plus en plus ouvertement le bloc occidental et l'Alliance internationale des Brics a pris, ces derniers jours, l'allure d'un chassé-croisé diplomatique sur le sol africain où séjourne, depuis lundi, Anthony Blinken. Le Secrétaire d'Etat américain qui doit se rendre dans les prochains jours à Luanda, en Angola, a débuté sa mini tournée diplomatique au Cap vert avant de rejoindre Abidjan le même jour. Partout, il a promis à ses « amis » africains un soutien institutionnel et financier de son pays de nature à aider au renforcement de la démocratie.

La Côte d'Ivoire qui doit organiser une élection présidentielle en 2025, soit dans un peu plus d'un an, partage ses deux frontières nord avec le Burkina Faso et le Mali qui ont tous les deux, plus le Niger, établi des accords de coopération militaire avec Moscou.

La montée du djihadisme

Abidjan s'inquiète également des possibles infiltrations de groupes djihadistes sur son territoire et compte sur ses partenaires occidentaux compte de la guerre larvée qui l'oppose à ses voisins du Sahel. En revanche, les Brics ont le vent en poupe en Afrique où ils doivent maintenant consolider leur influence en réalisant les infrastructures d'interconnexion capables d'aider au développement de leurs partenaires du continent. C'est pourquoi au moment de signer l'accord cadre entre le patron de l'entreprise émirati, Engineering solution (ENGSOL), et le ministre des transports et de l'aviation civile Herbert Djono-Ahaba, tout l'état-major des Brics comprenant la présidente Larisa Zelenstova, le vice-président chargé des projets stratégiques et les vice-présidents chinois et indien des Brics se sont retrouvés au grand complet à Bangui, dans la capitale centrafricaine.

Tous ont donc assisté à la conclusion de l'accord de concession destiné à la construction du futur aéroport international du pays qui, pour l'heure, est le seul à avoir bénéficié d'un contrat de réalisation. A ce titre, ENGSOL finance la conception, l'ingénierie et le financement du nouvel aéroport, ainsi que la création d'une zone franche de fret régional et la mise en place de l'exploitation d'un système de gestion intégrée à l'ensemble des activités du transport aérien dans le pays.

Cette cérémonie de signature a été présidée par le président centrafricain, Faustin Touadéra, président de la République de la Centrafrique qui avait à ses côtés Mme Zlenstova et Ahoua Don Mello en tant que responsable des projets stratégiques dans l'Alliance. Reste désormais à régler les problèmes fonciers et toutes les questions liées aux sujétions coutumières avant le démarrage des travaux.

Baptisés 5G, ces projets majeurs stratégiques comprennent également la construction d'une ville nouvelle et moderne, l'ouverture d'un réseau de chemins de fer destiné à relier les côtes, tout comme divers autres projets intéressant les secteurs des mines, des télécoms et de l'énergie.

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Le Niger, le Burkina Faso et le Mali quittent la CEDEAO

30 janvier 2024, par Rédaction de Mondafrique — , , ,
Les trois pays du Sahel central organisés en Alliance des Etats du Sahel (AES) au sein de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest viennent d'annoncer dimanche (…)

Les trois pays du Sahel central organisés en Alliance des Etats du Sahel (AES) au sein de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest viennent d'annoncer dimanche leur sortie de l'organisation ouest-africaine. La télévision publique nigérienne a publié officiellement la nouvelle.

Tiré de MondAfrique.

Les trois pays ont fondé l'AES après le coup d'Etat qui a renversé Mohamed Bazoum le 26 juillet dernier, pour se défendre contre les pressions très fortes exercées par la France et la CEDEAO, dont les deux leaders, les Présidents ivoirien Alassane Ouattara et nigérian Bola Tinubu, étaient en visite officielle à Paris ces dernières heures.

A la suite du renversement du Président Bazoum, le Niger a exigé le départ du contingent français et de l'ambassadeur Sylvain Itte, dans le cadre d'un bras de fer très dur avec Paris et de sanctions d'une gravité inédite ordonnées par la CEDEAO contre ce pays enclavé.

La CEDEAO prévoit la libre circulation des personnes et des biens pour les ressortissants de ses 15 membres en Afrique de l'Ouest : les 8 Etats réunis au sein de l'UEMOA (Union économique et monétaire d'Afrique de l'Ouest) et fonctionnant avec le franc CFA ainsi que les anglophones et les lusophones, parmi lesquels le géant nigérian.

Les intérèts occidentaux déstabilisés

La crise provoquée par les coups d'Etat militaires dans les trois pays du Sahel a déstabilisé les intérêts occidentaux dans la région. Le Premier ministre du Niger Lamine Zeine est revenu il y a quelques jours d'une tournée en Russie et en Iran.

« Après 49 ans d'existence (de la CEDEAO), les vaillants peuples du Burkina, du Mali et du Niger constatent avec beaucoup de regret, d'amertume et une grande déception que leur organisation s'est éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme », écrivent les trois présidents, le capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso, le colonel Assimi Goïta au Mali, et le général Abdourahmane Tiani au Niger dans le communiqué conjoint rendu public dimanche. « En outre, la CEDEAO, sous l'influence des puissances étrangères trahissant ses principes fondateurs est devenue une menace pour ses Etats membres et ses populations dont elle est sensée assurer le bonheur. En effet, l'organisation n'a pas porté assistance à nos Etats dans le care de notre lutte existentielle contre le terrorisme et l'insécurité ; pire lorsque ces Etats ont décidé de prendre leurs destins en main elle a adopté une posture irrationnelle et inacceptable en imposant des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violation de ses propres textes. »

« Toutes choses qui ont davantage fragilisé les populations déjà meurtries par des années de violence imposées par des hordes terroristes instrumentalisées et téléguidées. Face à cette situation qui perdure, (les trois Présidents) prenant toutes leurs responsabilités devant l'histoire et répondant aux attentes, préoccupations et aspirations de leurs populations, décident en toute souveraineté du retrait sans délai du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté économique des Etats de l'Ouest », conclut le communiqué.

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Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères : « Israël poursuit des objectifs similaires à ceux de la Russie » !

30 janvier 2024, par Yorgos Mitralias — , , ,
Ceux qui doutent encore de l'existence de « similitudes » entre les guerres menées par MM. Poutine et Netanyahou contre l'Ukraine et les Palestiniens, respectivement, peuvent (…)

Ceux qui doutent encore de l'existence de « similitudes » entre les guerres menées par MM. Poutine et Netanyahou contre l'Ukraine et les Palestiniens, respectivement, peuvent désormais se rassurer en voyant leurs doutes enfin et irrévocablement dissipés : Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères et bras-droit de M Poutine, affirme catégoriquement à l'agence de presse officielle russe RIA Novosti, qui dépend du gouvernement de la Fédération de Russie, qu'« Israël a des objectifs similaires à ceux de la Russie » !

22 janvier 2024 | tiré du site Entre les lignes entres les mots | Dessin de Sonia Mitralia
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/01/24/serguei-lavrov-ministre-russe-des-affaires-etrangeres-israel-poursuit-des-objectifs-similaires-a-ceux-de-la-russie/

Et M. Lavrov s'empresse même de préciser que les objectifs d'Israël dans sa présente campagne de nettoyage ethnique et d'extermination du peuple palestinien, à savoir « la destruction complète du mouvement Hamas » et « l'élimination de tout extrémisme à Gaza » sont similaires à la « démilitarisation » et la « dénazification » que Moscou poursuit en Ukraine depuis le début de l'offensive en février 2022 ! [1] Et pour qu'il n'y ait aucun doute sur ce qu'il a dit, M. Lavrov conclut, dans le texte intégral de RIA Novosti que nous publions ci-dessous, par ce qui ressemble fort à un éloge de M Netanyahou, puisqu'il souligne que, contrairement à son prédécesseur, l'actuel premier ministre israélien « a évité de faire des déclarations contre la Russie, malgré les critiques internationales et le fait qu'il se trouve dans une « situation difficile » », et, surtout, « a refusé d'envoyer de l'aide militaire à l'Ukraine » !

Mais à qui s'adresse M. Lavrov avec ces déclarations tonitruantes ? Et quel est l'objectif de ces déclarations particulièrement cyniques du ministre russe des affaires étrangères, qui ne plairont certainement ni aux partisans plus ou moins fervents de la guerre de M. Poutine contre l'Ukraine, ni à ceux qui soutiennent sans réserve la guerre de M. Netanyahou contre les Palestiniens ? La réponse renvoie, d'une part, à l'indifférence traditionnelle du Kremlin à l'égard des « petits » dont il se moque éperdument, qu'ils soutiennent ou non la Russie. Et d'autre part, à la préoccupation permanente du Kremlin, et donc de la diplomatie russe, qui n'est autre que le rapprochement avec les « grands », et surtout avec les États-Unis, en faisant apparaître la Russie de Poutine comme le défenseur le plus conséquent de ce qu'il appelle la « civilisation occidentale », c'est-à-dire des intérêts géostratégiques et autres du capitalisme.

En d'autres termes, M Lavrov s'adresse d'abord à l'establishment américain, et accessoirement européen, c'est-à-dire là où il sait qu'il y a de plus en plus d'« oreilles bienveillantes » disposées au moins à considérer favorablement les arguments russes. Et il le fait en expliquant que la Russie ne fait rien de plus en Ukraine qu'Israël à Gaza, avec le soutien de la quasi-totalité de l'Occident. La différence, cependant, c'est que cet Occident, et surtout les États-Unis, poursuivent une politique « absurde » de deux poids et deux mesures, refusant de faire dans le cas ukrainien ce qu'ils font dans le cas palestinien, ce qui est, après tout, contraire à leurs intérêts à long terme. Bref, M. Lavrov sermonne l'Occident, comme d'ailleurs la fait d'habitude M. Poutine, en essayant de lui faire comprendre que la Russie n'est pas un adversaire mais plutôt un ami, les deux ayant des intérêts communs. Et c'est évidemment pour cette raison que cette interview importante n'a pas reçu l'attention qu'elle méritait, que la presse française l'a passé sous un silence très éloquent (pas un mot !) et qu'elle reste donc totalement inconnue. Quant aux divers « naïfs » qui prennent les vessies coloniales grande-russes pour des lanternes anti-impérialistes, ils ne valent qu'en tant qu'« idiots utiles », et jetables, de la propagande russe…

Conclusion : En affirmant catégoriquement que la Russie de Poutine et l'Israël de Netanyahou ont les mêmes objectifs en Ukraine et à Gaza, M. Lavrov a fait quelque chose qu'il n'a pas l'habitude de faire : il a dit la vérité !

*-*

Israël poursuit des objectifs similaires à ceux de la Russie – Lavrov

La lutte contre le nazisme est ce qui unit historiquement la Russie et le pays du Moyen-Orient, a déclaré le ministre des affaires étrangères.

Les objectifs déclarés d'Israël dans son opération en cours contre les militants du Hamas à Gaza semblent presque identiques à ceux de Moscou dans sa campagne contre le gouvernement ukrainien, a déclaré le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, dans une interview accordée à RIA Novosti jeudi.

Les forces de défense israéliennes (FDI) mènent depuis deux mois une campagne de bombardements incessante dans l'enclave palestinienne de Gaza, à la suite d'une attaque surprise du Hamas contre les territoires israéliens le 7 octobre. L'attaque des militants palestiniens a fait quelque 1 200 morts et plus de 200 otages ont été enlevés. La réponse d'Israël, quant à elle, aurait coûté la vie à plus de 21 000 personnes, selon les autorités sanitaires de Gaza.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré que l'objectif final de Tsahal était la destruction complète du mouvement Hamas sous toutes ses formes, ainsi que l'élimination de tout extrémisme à Gaza.

M. Lavrov a toutefois fait remarquer que ces objectifs semblent similaires à la « démilitarisation » et à la « dénazification », que Moscou poursuit en Ukraine depuis le lancement de son offensive en février 2022.

Le diplomate a relevé l'hypocrisie dont a fait preuve l'ancien gouvernement israélien du Premier ministre Yair Lapid, qui a condamné l'opération militaire russe et accusé Moscou d'attaquer la population civile et d'annexer des parties de l'Ukraine. « C'était injuste », a déclaré M. Lavrov.

Dans le même temps, le ministre a souligné que l'actuel Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu – qui a pris ses fonctions pour un sixième mandat en décembre 2022 – a évité de faire des déclarations contre la Russie, malgré les critiques internationales et le fait qu'il se trouve dans une « situation difficile ».

M. Lavrov a également rappelé que M. Netanyahu avait eu deux conversations téléphoniques avec le président russe Vladimir Poutine et que les Israéliens avaient aidé Moscou à évacuer les citoyens russes de Gaza.

« C'est pourquoi nous devons être très attentifs à notre histoire commune avec Israël et, surtout, à l'histoire de la lutte contre le nazisme. C'est la principale chose qui nous unit historiquement », a déclaré M. Lavrov.

La Russie a appelé à plusieurs reprises Israël et le Hamas à cesser les hostilités à Gaza. M. Poutine a déclaré que le seul moyen de résoudre la crise du Moyen-Orient était de parvenir à une formule « à deux États » approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies.

M. Netanyahou, quant à lui, a refusé d'envoyer une aide militaire à l'Ukraine et s'est proposé comme médiateur potentiel pour des pourparlers de paix entre Moscou et Kiev.
jeudi 28 décembre 2023, par RT News

[1] Dans son résumé, RIA Novosti ne fait référence qu'à la partie de l'interview de Lavrov dans laquelle le ministre russe des affaires étrangères parle d'Israël et de la guerre qu'il mène contre les Palestiniens. L'interview complète (du 28/12/2023) de Lavrov est plus éloquente que son résumé, et peut être consultée, traduite en anglais, sur le site web du ministère russe des affaires étrangère :
https://mid.ru/en/foreign_policy/news/1923676/

Yorgos Mitralias

Russia, per Lavrov Israele persegue obiettivi simili a quelli della Russia

https://andream94.wordpress.com/2024/01/22/russia-per-lavrov-israele-persegue-obiettivi-simili-a-quelli-della-russia/

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La Confédération paysanne appelle à se mobiliser pour des paysannes et paysans nombreux et rémunérés !

30 janvier 2024, par Confédération paysanne — , ,
Le Comité National de la Confédération paysanne réuni aujourd'hui affirme sa pleine solidarité avec les mouvements d'agricultrices et d'agriculteurs en France. Le constat est (…)

Le Comité National de la Confédération paysanne réuni aujourd'hui affirme sa pleine solidarité avec les mouvements d'agricultrices et d'agriculteurs en France. Le constat est partagé : la colère exprimée est légitime, tant le problème de la rémunération du travail paysan est profond. Il y a 25 ans, la Confédération paysanne dénonçait déjà les conséquences du libéralisme, du Larzac à Seattle.

24 janvier 2024, | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69508

Par contre, sur les solutions proposées, l'agriculture française tourne en rond depuis des décennies derrière la sacro-sainte « compétitivité » chère à l'agrobusiness et aux marchés mondialisés. Résultat : un plan de licenciement massif dramatique qui tue nos campagne.

La Confédération paysanne nationale a aujourd'hui pris la décision d'appeler l'ensemble des structures départementales à exprimer leur solidarité au mouvement, à se mobiliser et à porter des solutions durables de sortie de crise et de système.

Nos mobilisations prendront diverses formes, en fonction du contexte local. Le mot d'ordre commun de la Confédération paysanne est clair : « Un revenu digne pour tous les paysans et paysannes » et « Rompre avec le libre-échange ».

Alors que plusieurs Confédération paysanne départementales étaient déjà mobilisées sur le terrain, la décision de notre Comité National va amplifier cette mobilisation. Plusieurs dizaines de départements ont déjà prévu de se mobiliser pour obtenir des solutions concrètes pour tous les paysans et paysannes. Demain, les Confédération paysanne du Rhône, de Loire-Atlantique et du Var manifesteront, vendredi dans les Pyrénées orientales, ce week-end en Bretagne et dans le Calvados...

Nous souhaitons collectivement apporter de véritables solutions de fond au malaise agricole. Nous demandons donc d'urgence une loi interdisant tout prix agricole en-dessous de nos prix de revient et la fin immédiate des négociations d'accords de libre-échange.

Les gouvernements successifs et la FNSEA ont mené conjointement l'agriculture dans l'impasse actuelle d'un système économique ultralibéral, inéquitable et destructeur. Nous alerterons nos collègues sur le mirage de la « suppression des normes » et celui du « complément de revenu » par la production d'énergies.

Certes, une simplification administrative est nécessaire car beaucoup de procédures administratives et de normes sanitaires sont inadaptées à la réalité de nos fermes. Mais ne nous trompons pas de cible. La demande de la majorité des agriculteurs et agricultrices qui manifestent est bien celle de vivre dignement de leur métier, pas de nier les enjeux de santé et de climat ou de rogner encore davantage sur nos maigres droits sociaux.

Ce n'est pas, comme le font les dirigeants de la FNSEA, en demandant à pouvoir détruire des haies, en instrumentalisant le sujet des jachères, en éludant la question du partage équitable des terres et de l'eau, en négociant des avantages pour la production d'agrocarburants, que nous résoudrons en profondeur les problématiques de notre métier de paysan, producteur d'alimentation pour nos concitoyen·nes.

Nous lutterons sur le terrain contre toute forme de récupération de nos colères pour attiser le chaos, encourager le repli sur soi et in fine poursuivre la fuite en avant d'un système qui nous met en concurrence les uns contre les autres. Nous appelons également à des mobilisations pacifiques respectueuses des personnes, des biens publics et exemptes de racisme, de sexisme ou de toute autre forme de discrimination.

Ce dont nous avons besoin, c'est de s'attaquer aux racines du problème en offrant plus de protection sociale et économique aux agricultrices et agriculteurs.

Instauration de prix garantis pour nos produits agricoles, mise en place de prix minimum d'entrée sur le territoire national, accompagnement économique à la transition agroécologique à la hauteur des enjeux, priorité à l'installation face à l'agrandissement, arrêt de l'artificialisation des terres agricoles : rassemblons-nous sur des solutions d'avenir pour transformer positivement cette colère et sortir du marasme dans lequel est plongé le monde agricole depuis trop longtemps.

Bagnolet, le 24 janvier 2024

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Pourquoi nous sommes tous des paysans en colère

30 janvier 2024, par Nicolas Framont — , ,
Depuis plusieurs mois, le monde paysan est en ébullition : au début cantonné à plusieurs journées d'action organisées par les puissants syndicats patronaux FNSEA et Jeunes (…)

Depuis plusieurs mois, le monde paysan est en ébullition : au début cantonné à plusieurs journées d'action organisées par les puissants syndicats patronaux FNSEA et Jeunes Agriculteurs, il s'est transformé en mouvement de colère un peu plus spontané qui met en œuvre des actions choc de blocage des flux de circulation, en particulier dans le Sud-Ouest du pays. Dans le reste de la population, on pointe – à juste titre – l'attitude des autorités locales et nationales qui auraient été bien plus répressives si ce genre d'action avaient été le fait de syndicalistes, d'écologistes et de gilets jaunes. D'autres, à gauche, s'inquiètent des contradictions du mouvement : les revendications pour un niveau de vie décent se mêlent à un discours antiécologique, la concurrence internationale est critiquée mais les représentants officiels du monde paysan – comme le président de la FNSEA Arnaud Rousseau – sont proches des grands groupes qui en bénéficient… Et pourtant, en montrant aux agriculteurs que nous sommes avec eux, nous pouvons contrer le mal que les gouvernements et les industriels nous font à nous tous.

25 janvier 2024 | tiré du site Frustrations
https://www.frustrationmagazine.fr/agriculteurs-colere/
par Nicolas Framont | 25 Jan 2024 | Édito

1 – Les racines de la colère

Tout le monde sait que la vie d'une agricultrice ou d'un agriculteur français est difficile. Il s'agit pour commencer d'un métier pénible sur le plan physique, qui expose à de nombreux accidents du travail et maladies professionnelles. Dans certains secteurs, comme l'élevage, les amplitudes horaires sont très importantes et il est très difficile, en particulier pour les petits exploitants, de prendre des congés. Cette réalité est de mieux en mieux connue du reste de la population mais de façon souvent superficielle : les épisodes de “l'Amour est dans le pré” ne permettent que peu de comprendre la situation réelle des paysans participants à l'émission tandis que le film à succès “Au nom de la terre”, où Guillaume Canet incarne un agriculteur débordé qui finit par se suicider, ne permet quasiment pas de comprendre les racines du problème. Quant au traitement médiatique des difficultés du monde paysan, il laisse souvent à désirer, comme nous l'expliquions dans cet article. Tout semble fait pour ne pas aborder les sujets qui fâchent, et qui risquent d'exposer les industriels de l'alimentation, les gouvernements successifs et l'entièreté du modèle agricole français et européen qui déconne à plein tube. La preuve infaillible du caractère malsain du système est le taux de suicide des agriculteurs, nettement supérieur au reste de la population (Le risque de mortalité par suicide est supérieur de 43,2% à celui des autres travailleurs, selon la Mutualité Sociale Agricole). Cela signifie que l'organisation de tout un secteur conduit les producteurs à mettre fin à leurs jours tellement ils se sentent pris à la gorge et sans perspective d'avenir. Le taux de pauvreté chez les agriculteurs est de 18% (14,5% dans la population générale) et leurs revenus ont chuté en moyenne de 40% en trente ans, selon le ministère de l'agriculture.

Dans le mouvement social actuel, plusieurs grands problèmes sont mis en avant à travers les revendications, sur les réseaux sociaux et sur les pancartes des paysans mobilisés partout dans le pays

  • La complexité administrative et la charge mentale qui l'accompagne. C'est une des revendications les plus entendues car elle est activement relayée par les gros syndicats comme la FNSEA et les JA (on verra plus loin pourquoi). La plupart des agriculteurs sont des indépendants ou des petits patrons et ils font face à de nombreuses institutions extérieures qui leur demandent des comptes : le ministère de l'agriculture, qui contrôle par exemple le bon usage des produits chimiques, les chambres d'agricultures, qui régulent l'installation, la transmission et les formalités liées à la vie d'une entreprise agricole, l'attribution des terres etc. les banques qui attribuent les crédits aux paysans ou encore la Mutualité Sociale Agricole (MSA) à qui les agriculteurs doivent déclarer leur chiffre d'affaires, qui fixe ensuite le montant des cotisations et qui assure l'ensemble des prestations qui, pour le reste de la population, est confié à la Sécurité Sociale. C'est peu dire que les procédures administratives sont lourdes, nécessitent beaucoup de temps et exposent forcément à plus d'erreurs que lorsque l'on est salarié et que l'on a à faire à moins d'institutions (son employeur, les impôts et la Sécurité sociale, pour faire vite). Les faibles revenus des agriculteurs expliquent aussi qu'il leur soit difficile voire impossible, comme des chefs d'entreprise classiques, d'externaliser ou de confier les tâches administratives à un salarié expert du sujet. Or, “C'est la charge mentale au niveau administratif qui tue petit à petit” expliquait à BFM TV Camille Beaurain, autrice d'un livre-témoignage où elle raconte ce qui a mené au suicide de son mari agriculteur. C'est un constat partagé par Solidarité Paysan, une association qui lutte contre la détresse des paysans en apportant soutien moral et administratif aux paysans en difficulté, et pour laquelle j'ai eu la chance d'être bénévole : les agriculteurs qui contactent l'association sont souvent submergés par des impayés, des relances et une accumulation de difficultés administratives face auxquelles ils n'arrivent plus à faire face. Cette anxiété administrative plombe le moral et finit par alimenter l'idée qu'on ne va plus jamais s'en sortir.

les agriculteurs qui contactent Solidarité Paysan sont souvent submergés par des impayés, des relances et une accumulation de difficultés administratives face auxquelles ils n'arrivent plus à faire face. Cette anxiété administrative plombe le moral et finit par alimenter l'idée qu'on ne va plus jamais s'en sortir.

  • La concurrence internationale déloyale : depuis les années 1960, le secteur agricole français est ouvert à la concurrence internationale, d'abord au niveau européen puis à l'échelle de l'ensemble du globe. Ces dernières décennies, ce processus de “mondialisation” des échanges a été choisi par des gouvernements qui ont conclu des traités de libre-échange. En novembre dernier, le Parlement européen a ratifié un accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Nouvelle Zélande : concrètement, cet accord met fin aux droits de douane que pratiquaient les deux zones l'une envers l'autre et va permettre d'intensifier les échanges commerciaux. Sauf que les produits exportés de la Nouvelle Zélande vers l'UE sont principalement de nature agricole : “L'exportation de viande rouge et de produits laitiers, sur lesquels les négociations ont été rudes, devraient générer plus de 500 millions d'euros' supplémentaires pour la Nouvelle-Zélande dans les sept ans à venir” indique ainsile journal New Zealand Herald. Vous avez bien lu : la viande rouge et les produits laitiers, c'est-à-dire ce que produisent actuellement les éleveurs français, lesquels sont déjà la catégorie d'agriculteurs la plus pauvre (25% de taux de pauvreté). Le gouvernement français, qui a soutenu l'accord avec la Nouvelle-Zélande, a donc choisi de sacrifier les producteurs de viande et de produits laitiers au profit d'un autre secteur qui bénéficie, lui, des exportations, notamment le vin. Dans tout processus d'ouverture internationale il y a des gagnants et des perdants : dans le cas de l'agriculture française, des producteurs de vin réputés (comme le Bourgogne) ou de Cognac (les agriculteurs les plus riches dans l'ex-région Poitou-Charente) ont tout à gagner de la concurrence internationale, puisqu'ils disposent d'un terroir unique. En revanche, les éleveurs, eux, ont tout à perdre. Enfin, les accords de libre échange sont toujours injustes, puisque les normes de production ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre et que c'est le pays le moins favorable socialement et environnementalement qui sera le plus compétitif… sans compter l'aberration écologique que constitue l'importation de viandes et de produits laitiers depuis l'autre bout du globe quand on peut produire la même chose localement.
    En novembre dernier, le Parlement européen a ratifié un accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Nouvelle Zélande : concrètement, cet accord met fin aux droits de douane que pratiquaient les deux zones l'une envers l'autre et va permettre d'intensifier les échanges commerciaux. Sauf que les produits exportés de la Nouvelle Zélande vers l'UE sont principalement de nature agricole
  • Les prix trop bas : c'est une revendication qui apparaît sur tous les blocages à travers le pays. Les agricultrices et agriculteurs français ont globalement le sentiment de ne pas être suffisamment rémunérés pour leur travail. Effectivement, ils sont pour la plupart pris dans un système où ils ne sont pas maîtres du prix de vente de leurs produits et sont contraints de vendre à prix cassés leurs productions à des industriels bien plus forts qu'eux. Début janvier, le géant de l'agro industrie Lactalis a annoncé unilatéralement une baisse du prix du lait qu'elle achète aux producteurs. Ces derniers ne peuvent pas, individuellement, protester. Lactalis est pourtant une très grande entreprise française. Son PDG, Emmanuel Besnier, est l'un des hommes les plus riches du pays, avec une fortune estimée à plus de 25 milliards de dollars par le magazine Forbes. Pourtant, les producteurs de lait français gagnent en moyenne 25 100 euros par an… C'est dire si le gâteau est mal réparti ! Les agriculteurs mobilisés en Haute-Saône ne s'y sont pas trompés : le 23 janvier, ils sont allés déverser une grande quantité de déchets devant les bâtiments de Lactalis. Depuis les années 90, les prix de vente des productions agricoles ont considérablement baissé, car la production agricole s'est intensifiée, a augmenté et s'est internationalisée. Parallèlement à cela, le secteur agroalimentaire s'est densifié, de grandes entreprises puissantes comme Lactalis et des groupes comme Unilever, Danone, Nestlé se sont structurés. A l'autre bout de la chaîne, la grande distribution a révolutionné la consommation alimentaire en proposant des prix bas et en offrant à ses actionnaires un parfait contrôle de la chaîne de production. Des grandes fortunes se sont constituées sur cette fortification de l'agro alimentaire et de la grande distribution : les Leclerc, Mulliez (Auchan), Besnier (Lactalis) se sont engraissés… pendant que toute une partie du monde agricole, lui, restait composé de petits exploitants qui ne font plus le poids face à de tels géants. Selon l'Observatoire français des prix et des marges, seul 10%, en moyenne, du prix de vente d'un produit agricole revient aux producteurs.

Le PDG de Lactalis, Emmanuel Besnier, est l'un des hommes les plus riches du pays, avec une fortune estimée à plus de 25 milliards de dollars par le magazine Forbes. Pourtant, les producteurs de lait français gagnent en moyenne 25 100 euros par an…

  • Des charges trop élevées : Parallèlement à ça, certaines charges ont augmenté, et de façon particulièrement forte ces deux dernières années avec l'inflation : En 2022, le prix des intrants utilisés par les exploitants pour leur activité agricole a augmenté de 25,9 %, selon le ministère de l'agriculture. Par “intrants” on désigne les engrais et amendements (dont les prix ont augmenté en 2022 de … 74,8 % !), l'énergie et des lubrifiants (+ 41,6 %), et les aliments pour animaux (+ 24,9 %). Comment ne pas comprendre que les agriculteurs se sentent étranglés ? Forcément, lorsque le ministre des finances Bruno Le Maire a annoncé la fin de l'avantage fiscal des agriculteurs sur le gazole non routier (GNR), la colère a franchi un cap. Comme au début du mouvement des gilets jaunes, les agriculteurs se mobilisent contre une taxation qui a des motifs écologiques (désinciter l'utilisation des énergies fossiles) mais qui va d'abord peser sur des gens qui sont déjà au bord du gouffre.

https://twitter.com/bleubesancon/status/1749894389965492326?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1749894389965492326%7Ctwgr%5E0e956e8f9371073383d386e62afbbcd1ca402cbe%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.frustrationmagazine.fr%2Fagriculteurs-colere%2F

  • Vivre des aides ou vivre de son travail ? La lourdeur des procédures administratives qui pèsent sur les agriculteurs français tient notamment au fait qu'une partie très significative de leur revenu est étroitement liée à l'obtention d'aides, à commencer par la fameuse PAC, pour “Politique Agricole Commune”. Les aides PAC ont originellement été établies dans l'après-guerre pour relancer le secteur agricole et pousser à sa modernisation. Mais depuis les années 90, les aides PAC servent en réalité à compenser la faiblesse des prix et les effets de la concurrence internationale. Il s'agit de maintenir une agriculture et de la pousser, timidement, à se réformer, notamment pour s'adapter aux évolutions environnementales. Il faut imaginer la complexité des dossiers : si une partie des aides PAC sont associées à des paramètres assez clairs comme le nombre d'hectares, d'autres critères sont liés à l'utilisation des pesticides, au mode de production etc. On imagine bien que pour un exploitant isolé, remplir chaque année des dossiers de subvention qui assurent toute une partie de ses revenus est particulièrement stressant… La dépendance aux aides PAC mine le moral des agriculteurs qui ont l'impression de ne pas réellement vivre de leur travail et de dépendre de l'évolution de la réglementation en la matière, qui est changeante. De plus, la faiblesse de leurs revenus rend 10% d'entre eux dépendants des prestations sociales que sont le RSA et la prime d'activité…. quand ils y ont recours, puisque, selon nos confrères de Reporterre, ils seraient 50 à 60% à ne pas demander les aides auxquelles ils ont droit. La nécessité des aides PAC et des prestations sociales mine le moral du monde paysan et nourrit la complexité administrative dont ils se sentent victimes.

2 – L'hypocrisie du gouvernement et des médias face à la colère des paysans

A l'heure actuelle, la mobilisation des agricultrices et agriculteurs est soutenue par l'intégralité des partis politiques et par une bonne partie des médias, y compris les plus à droite. Il semble bien que la radicalité des actions – blocages des autoroutes, dégradation des bâtiments publics, voire même l'explosion d'un bâtiment de la Direction générale de l'environnement de l'Aude, à Carcassonne, n'empêchent donc pas les bons bourgeois qui nous gouvernent de continuer de soutenir la mobilisation. Même les préfets, habitués à réprimer violemment les manifestations de tout type et de toute fraction de la population (gilets jaunes, cheminots, infirmières, pompiers, écologistes…) sont très complaisants envers le mouvement et leur assure une protection. Ainsi, le mardi 23 janvier, la police a organisé une escorte des tracteurs et autres véhicules venus larguer du fumier et des déchets devant des banques et des bâtiments publics, une séquence qui a suscité la surprise sur les réseaux sociaux.

Comment expliquer une telle complaisance des autorités politiques et médiatiques et que faire de ça ? Tout d'abord, il faut bien comprendre qu'elles n'ont pas vraiment le choix : d'abord, le mouvement est extrêmement populaire auprès de la population française. Selon l'institut Elabe, qui a fait un sondage le 24 janvier, le mouvement est approuvé par 87% de la population. C'est encore davantage que le mouvement des gilets jaunes dans ses débuts (approuvés par 73% des sondés). On y apprend que la population a une excellente image des agriculteurs et une forte empathie pour ses difficultés. Mais ça ne suffit pas à expliquer l'attitude du gouvernement : s'en prendre violemment à la mobilisation contre la réforme des retraites, pourtant ultra populaire, ne lui avait posé aucun problème.

https://twitter.com/Manouck44/status/1750125424653238555?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1750125424653238555%7Ctwgr%5E168237639f5a85338134fbf4be83abe04d04d8f2%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.frustrationmagazine.fr%2Fagriculteurs-colere%2F

Par contre, les préfets et le gouvernement savent que l'équipement des agriculteurs et leur détermination ne pourront pas être combattu aussi efficacement que des manifestants non motorisés et moins organisés. Car le rapport de force en faveur de la mobilisation est très très important, ne serait-ce que parce que le mouvement s'étend à l'Europe entière. Peu de professions arrivent à faire cela, et les paysans européens l'ont fait. Le mouvement de blocage a débuté en Allemagne, où des milliers de paysans se sont mobilisés au début du mois de janvier, simultanément à une exceptionnelle grève des cheminots. Le mouvement s'étend désormais à la Roumanie, à la Pologne, aux Pays-Bas… et

il débute en Belgique la semaine prochaine

, qui va favoriser l'exportation vers l'Europe de produits agricoles, ou avec le Maroc, qui va favoriser la concurrence sur les fruits et légumes. Là encore, le gouvernement choisit de sacrifier les agriculteurs français au profit d'autres secteurs : l'accord avec le MERCOSUR vise explicitement à favoriser l'exportation d'automobiles européennes vers l'Amérique du sud. Le gouvernement n'a eu aucune politique volontariste pour réformer ou réorienter les aides PAC, qui continuent de favoriser les plus grosses exploitations agricoles (parce qu'elles sont basées notamment sur la surface exploitée) et donc à creuser les inégalités.

Le gouvernement est lié à l'industrie agroalimentaire, comme il l'est avec toutes les grandes entreprises : le ministre de l'agriculture, Marc Fesneau, a nommé une lobbyste de l'ANIA (Association nationale des industries alimentaires, premier lobby de l'agroalimentaire) au poste de conseillère communication. La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) a simplement exigé qu'elle n'entre pas en contact avec son ancien employeur… avec qui le ministère traite régulièrement.

3 – Des représentants officiels du monde paysan qui jouent un double jeu

Dès le début de la mobilisation, Gabriel Attal, le premier ministre, s'est empressé de recevoir Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles est le premier syndicat des agriculteurs exploitants (plus de 50% des voix lors des élections de représentants dans les Chambres d'agriculture), il est donc, pour le moment, l'acteur clef de la mobilisation. Mais face aux revendications de plus en plus claires des agriculteurs mobilisés, notamment sur la question centrale du revenu et le rejet de la concurrence internationale, il est de plus en plus clair que la FNSEA pousse son propre agenda.

Par exemple, concernant le libre-échange et l'accord avec la Nouvelle Zélande, le syndicat demeure très poli : “Nous serons vigilants à ce que les secteurs de production sensibles que sont la viande bovine, la viande ovine et les produits laitiers ne soient pas victimes d'importations qui dérèglent les marchés, écrit la FNSEA au sujet du traité de libre-échange. La Nouvelle Zélande continue à utiliser des produits tels que l'atrazine interdits en Europe. Il est indispensable que l'UE applique la réciprocité des normes, et que par des contrôles robustes aux frontières, le chapitre de l'accord dédié au développement durable ne soit pas qu'un miroir aux alouettes !” Il y a une belle ambiguïté dans ce communiqué : la FNSEA ne rejette pas en bloc une concurrence internationale dont ses adhérents pâtissent et elle demande “la réciprocité des normes”, sans préciser qui doit s'aligner sur qui… De telle sorte que le modèle ultra productiviste de l'agriculture néo-zélandaise pourrait être, pour la FNSEA, à imiter… On comprend bien que pour l'agro industrie qui profite des coûts de production agricole les plus faibles possibles, la réduction des normes environnementales soit un potentiel effet positif du libre-échange… Mais en quoi cela serait-il favorables aux agriculteurs français qui, comme beaucoup le disent sur les blocages, comme le relèvent nos confrères de Reporterre à qui des paysans bloqueurs de l'autoroute A64 ont déclaré : “on voudrait mettre en place des normes écologiques sur nos exploitations, c'est juste qu'il n'y a aucun accompagnement ou trop peu de financements pour cela”.

La FNSEA ne rejette pas en bloc une concurrence internationale dont ses adhérents pâtissent et elle demande “la réciprocité des normes”, sans préciser qui doit s'aligner sur qui… De telle sorte que le modèle ultra productiviste de l'agriculture néo-zélandaise pourrait être, pour la FNSEA, à imiter

La FNSEA et une partie de la classe politique profitent de la mobilisation pour stigmatiser le discours écologiste qui aurait nuit fortement à la condition des agriculteurs français. “La France était la première puissance agricole et on a sacrifié notre agriculture sur l'autel de la bobo-écologie parisienne” a ainsi déclaré le député LR Olivier Marleix. Depuis plusieurs années, à travers le concept d'”agribashing”, la FNSEA a fait de l'opposition aux mesures écologiques son cheval de bataille, et entend amener cette question comme revendication principale de la mobilisation actuelle. Pourtant, on ne peut pas dire que ce soit une politique écologiste qui se soit appliquée en France ces dix dernières années : l'interdiction du glyphosate, ce pesticide cancérigène, a été repoussée de 10 ans avec le soutien du gouvernement Macron, tandis que la gendarmerie nationale a créé, en coopération avec la FNSEA, une cellule chargée de lutter contre l'activisme écologique et antispéciste. Le gouvernement a aussi créé un nouveau label, Haute Valeur Environnemental (HVE) qui permet aux exploitations agricoles de toucher des aides réservées auparavant à l'agriculture biologique mais sans devoir respecter autant de contraintes en termes d'arrêt d'utilisation de substances chimiques. Bref, l'écologie agricole n'est pas au pouvoir, loin de là, et affirmer donc que les paysans seraient d'abord victimes des normes environnementales est un pur mensonge.

https://twitter.com/MaximCombes/status/1749709164194984026?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1749709164194984026%7Ctwgr%5E168237639f5a85338134fbf4be83abe04d04d8f2%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.frustrationmagazine.fr%2Fagriculteurs-colere%2F

Mais pourquoi la FNSEA l'agite-t-elle, ce mensonge, alors qu'elle est au service des agriculteurs ? Alors qu'il est censé représenter tous les agriculteurs, dans leur diversité, la FNSEA est dirigée par des industriels. Son actuel président, Arnaud Rousseau, dirige aussi le conseil d'administration du groupe Avril, un groupe agro industriel international d'origine française spécialisé dans l'alimentation humaine, l'alimentation animale, l'énergie et la chimie renouvelable. Il possède des filiales comme Puget (huile d'olives), Lesieur ou Matines (les œufs). Le conflit d'intérêt est clair : cet homme est chargé de défendre des paysans que son propre groupe a plutôt intérêt à ne pas trop rémunérer, à diriger et à maintenir sous sa coupe. Dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant à ce que la FNSEA dirige la colère des paysans pour obtenir une réduction des normes environnementales et un alignement sur une concurrence internationale plus productiviste.

4 – Nous sommes tous des paysans : ce qu'ils subissent, nous le vivons aussi

L'omniprésence médiatique de la FNSEA suffit parfois à créer de la défiance envers la mobilisation actuelle. Mais après tout, n'est-ce pas notre lot à tous, toute profession confondue, d'être représentée syndicalement pas des gens qui ont intérêt à nous voir échouer dans nos revendications principales ? Après tout, le premier syndicat des salariés du privé est la CFDT, dont les secrétaires généraux successifs finissent quasi tous par bosser pour le gouvernement et la classe dirigeante ! Notre époque est celle des organisations syndicales et politiques faibles, peu fiables et facilement détournées par ceux qui nous oppriment. Les paysans ne font pas exception.

La surcharge administrative, nous la connaissons tous. Que cela soit au travail ou dans notre vie privée, le niveau de paperasse a atteint des sommets, et c'est une angoisse que nous vivons tous plus ou moins. Or, cela n'a rien à voir avec les restes de socialisme ou à des “normes environnementales”, comme les bourgeois aiment nous le faire croire. Au contraire, le niveau croissant de bureaucratie à tous les niveaux est lié à l'augmentation du capitalisme dans nos vies. Car celui-ci est tellement confus, incohérent et injuste qu'il doit sans cesse être corrigé pour que les choses continuent, malgré tout, de tourner.

Le niveau croissant de bureaucratie à tous les niveaux est lié à l'augmentation du capitalisme dans nos vies. Car celui-ci est tellement confus, incohérent et injuste qu'il doit sans cesse être corrigé pour que les choses continuent, malgré tout, de tourner.

Un exemple : autrefois, les salaires étaient indexés sur l'inflation. En France, c'est fini depuis Mitterrand. Depuis, l'inflation et la faiblesse croissante du rapport de force au travail ont réduit nos rémunérations. A tel point que désormais, toute une partie de la population, salariée et indépendante, ne peut plus vivre de son travail. Comme les paysans, nous sommes de plus en plus nombreux à être contraints à recourir à la prime d'activité, dispositif créé sous François Hollande pour que le contribuable compense les faibles salaires des salariés et les faibles prix des agriculteurs. Vous voulez une mesure de simplification ? Augmentez considérablement le SMIC, réinstaurez l'indexation sur l'inflation, instaurez un contrôle des prix des produits agricoles : nous serons payés par ceux pour qui nous travaillons, et pas par l'Etat. Une mesure de simplification administrative que ni la FNSEA ni le gouvernement ne soutiendront, et pourtant !

Toute la filière agricole pourra fonctionner plus simplement si elle n'était pas soumise à la pression financière et politique de la grande distribution et de l'industrie agroalimentaire. Si l'on veut sauver l'agriculture française, on peut répartir la valeur créée tout le long de cette chaîne, en encadrant les marges de tous les acteurs présents. C'est ce qu'a proposé au Parlement le groupe France Insoumise en novembre, cette proposition a été rejetée par la droite et la majorité. On peut aussi revenir en arrière sur l'ouverture à la concurrence internationale. La “mondialisation” n'est pas une nécessité historique mais un choix politique. Si, en tant que société, nous décidons de sauvegarder un secteur économique parce que nous y sommes attachés et que nous considérons, notamment pour des raisons écologiques, qu'il est absurde d'importer ce que nous mangeons, alors nous pouvons rétablir des barrières douanières au niveau national. Enfin, la complexité des “normes environnementales” tient au fait que nous sommes actuellement dans la demi-mesure : nous vivons dans un système absurde où, actuellement, pour passer en bio, c'est-à-dire produire de façon plus respectueuse de l'environnement, il faut payer des labels et des organismes certificateurs qui vont effectuer des contrôles… Il existe désormais des labels concurrents, entre le AB (agriculture biologique) ou le HVE (Haute valeur environnementale) et ce n'est lisible ni pour le producteur, ni pour le consommateur… parce que le législateur a voulu ménager la chèvre et le choux. Mettre fin à la logique des multiples labels, en proposer un seul, véritablement bio, certifié gratuitement par des organismes publics et avec d'importantes compensations financières, serait à la fois une politique écologique ambitieuse ET une immense mesure de simplification administrative.

Mettre fin à la logique des multiples labels, en proposer un seul, véritablement bio, certifié gratuitement par des organismes publics et avec d'importantes compensations financières, serait à la fois une politique écologique ambitieuse ET une immense mesure de simplification administrative.

Ce qui peut heurter le reste de la population, c'est la revendication, mise en avant par la FNSEA, de “la fin des normes environnementales”. Car oui, l'agriculture intensive pose des problèmes environnementaux et de santé publique, tout le monde le sait. Dans un département agricole comme la Charente-Maritime, l'eau potable est menacée par les pesticides : plusieurs captages ont dû être fermés et il va falloir des millions d'euros pour réussir, à terme, à filtrer l'eau. Le recul de la biodiversité et la disparition de nombreux oiseaux ne convient à personne, pas même aux agriculteurs. Il n'est donc pas très porteur que, face aux caméras, des agriculteurs mobilisés dans le Lot-et-Garonne tiennent des propos hostiles voire insultants envers “les écolos”. En faisant cela, ils s'attirent certes la sympathie des pouvoirs publics et des industriels qui, comme nous l'expliquions dans un précédent article, seraient trop heureux d'utiliser la colère des agriculteurs pour obtenir la possibilité de s'en foutre complètement de l'écologie (ce qu'ils font globalement déjà), mais ils risquent de se couper du reste de la population qui est très majoritairement favorable à une meilleure prise en compte de ce sujet.

Plus nous serons nombreux à rejoindre les agriculteurs et à les soutenir, en partageant des revendications communes – bien vivre de son travail est la première, arrêter de subir la mondialisation forcée en est une autre – plus nous pourrons les amener vers ce qui nous lie tous. En orientant la mobilisation sur la question écologique, forcément clivante parce qu'elle oppose le désir des paysans de produire plus et celle des citoyens de vivre dans un environnement plus sain et plus durable, la FNSEA, la droite, le RN et ses satellites veulent tuer ce qui pourrait conduire à la grande révolte sociale de l'année 2024. Comme au moment des Gilets Jaunes, c'est à la gauche et aux syndicats, ainsi qu'à l'ensemble des autres catégories professionnelles qui subissent le macronisme et le capitalisme de profiter de cette fenêtre de tir et de s'engouffrer dans le combat, aux côtés des agricultrices et agriculteurs. La CGT semble l'avoir compris : le jeudi 25 janvier, elle a appelé ses adhérents à rejoindre la mobilisation !

C'est un grand cap qui peut être franchi par rapport aux mouvements sociaux antérieurs. Car si cette grande révolte sociale advient, nous aurons bien plus qu'un chariot-élévateur à nos côtés.

Nicolas Framont

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Grande-Bretagne. Les femmes et la grève des mineurs de 1984-1985

30 janvier 2024, par Kelly Rogers — , ,
En Grande-Bretagne, la grève des mineurs de 1984-1985 [sous le gouvernement de Margaret Thatcher initié en mai 1979] est un moment riche d'enseignements et d'histoires à la (…)

En Grande-Bretagne, la grève des mineurs de 1984-1985 [sous le gouvernement de Margaret Thatcher initié en mai 1979] est un moment riche d'enseignements et d'histoires à la fois tragiques et stimulantes. L'un de ces aspects réside dans le formidable parcours des femmes du bassin minier.

Tiré de A l'Encontre
24 janvier 2024

Par Kelly Rogers

Le mouvement de soutien des femmes du bassin minier s'est mis en branle quelques semaines seulement après le début de la grève, le 6 mars 1984. Des groupes d'appui ont été créés dans chaque bassin minier par des femmes de la région, principalement des épouses, des sœurs et des filles de mineurs. Elles soutiendront la grève pendant 12 longs mois.

La classe

Dans Never the Same Again, publié en 1987 (The Women's Press Ltd), Jean Stead [journaliste ayant joué un rôle important dans la configuration de The Guardian depuis les années 1960, disparue en 2016] évoque les valeurs traditionnelles des communautés minières. Bien qu'il ne soit pas inhabituel que les femmes travaillent, le nombre de femmes ayant un emploi salarié est plus faible dans les régions minières qu'ailleurs. Il est généralement attendu des femmes qu'elles s'occupent des enfants et des tâches ménagères. Jean Stead écrit : « Au plus profond d'elles-mêmes, elles ont toujours su qu'elles étaient exploitées, mais elles savaient qu'au moins leur exploitation était parallèle à celle des hommes avec lesquels elles partageaient leur vie. C'est pourquoi les femmes de mineurs ne déversent pas, dans l'ensemble, leur amertume du passé sur les mineurs. Elles se plaignent des préjugés de leurs maris, mais elles s'efforcent de les changer, tout en s'occupant des enfants et en préparant les repas pour la fin du service. » Ce qu'elle veut dire, c'est que ce nouveau mouvement n'était pas « féministe » au sens habituel du terme. Certes, les hommes font partie du problème, mais leur situation est aussi le produit de l'exploitation de leur classe.

Il était important pour les femmes du bassin minier de prouver qu'elles étaient derrière leurs hommes. La plupart d'entre elles ne cherchaient pas à bouleverser l'ordre des sexes et étaient heureuses de coordonner le soutien dans les coulisses, en fournissant de la nourriture aux grévistes et à leurs familles. Au fil du temps, de nombreuses femmes se sont de plus en plus impliquées dans les dimensions plus politiques de la grève : organisation de rassemblements, entretiens avec la presse et piquets de grève. Mais là encore, une politique normative de genre se met en place : les femmes se présentent aux piquets de grève avec des banderoles et des pancartes pour soutenir les « vrais hommes » en grève et condamner les briseurs de grève (« scabs » – les « jaunes ») qui, selon elles, ont renoncé à leur masculinité en franchissant les piquets de grève. Quel triste état de fait, disaient-elles, que ces hommes aient besoin de femmes pour les remettre à leur place.

Le soutien à la grève n'était pas unanime. De nombreuses femmes s'inquiètent du prix à payer pour leur famille suite à la grève. La grève fait suite à plusieurs mois d'interdiction des heures supplémentaires décidée par le NUM (National Union of Mineworkers), et de nombreux ménages ont déjà du mal à joindre les deux bouts. L'antipathie à l'égard d'Arthur Scargill [dirigeant du NUM depuis 1982, jusqu'en 2002] était donc très répandue parmi les femmes de mineurs. Mais une forte culture solidaire prévalait dans les communautés minières et, quelle que soit l'opinion de chacun et chacune sur la grève, il était inconcevable pour la plupart des gens de rompre un piquet de grève. De nombreuses femmes du bassin minier étaient issues de familles de mineurs et leur loyauté envers le syndicat était profonde.

Les femmes politiques

Dans leur nouveau livre Women and the Miners' Strike 1984-1985 (Oxford University Press, octobre 2023) Florence Sutcliffe-Braithwaite et Natalie Thomlinson notent que des femmes ayant une expérience politique ont dirigé les groupes de soutien des femmes dans de nombreux endroits. Dans certaines régions, comme à Chesterfield dans le Derbyshire, les regroupements de solidarité sont nés des réseaux politiques existants. Betty Heathfield, membre du Parti communiste de Grande-Bretagne (CPGB) et épouse de Peter Heathfield, secrétaire général du NUM, y a créé un groupe qui a soutenu Tony Benn [personnalité représentant la gauche du Labour et fortement anti-impélialiste] lors de l'élection partielle de Chesterfield en février 1984 [il sera réélu régulièrement dans cette circonscription jusqu'en 2001]. Quelques semaines plus tard, il était tout à fait naturel que le même collectif se réunisse pour soutenir la grève des mineurs. Les femmes actives dans la campagne pour le désarmement nucléaire ou les syndicalistes ont également pris l'initiative.

Les femmes de Barnsley, la ville natale d'Arthur Scargill, ont été parmi les premières à s'organiser. En mai, elles ont organisé une marche nationale des femmes à travers la ville, qui s'est terminée par un rassemblement au Barnsley Civic Hall. Contre toute attente, plus de 10 000 femmes s'y sont rendues. Jean Miller, militante politique au sein du groupe de soutien de Barnsley, a décrit cette journée : « Ce fut vraiment l'expérience la plus passionnante de ma vie. L'atmosphère était formidable. Il y avait tellement de femmes qu'on avait l'impression que le sol allait s'effondrer. » Maureen Douglas, du Doncaster Miners' Support Committee, a pris la parole depuis la tribune : « Le rôle traditionnel des femmes a été sérieusement ébranlé au cours des huit dernières semaines… C'est une nouvelle expérience – nous avons dû repartir de zéro et créer nos propres organisations. C'est intimidant, mais cela a été fait. »

Cette journée a marqué un tournant dans le mouvement. A partir de ce jour, les groupes de femmes construisent un réseau national et s'organisent ensemble. C'est le rassemblement de Barnsley qui a inspiré la création de l'association National Women Against Pit Closures [contre la fermeture des puits], officiellement inaugurée trois mois plus tard, en août 1984.

Nourriture et fonds

Les femmes ont dû surmonter d'importants obstacles pour mettre sur pied leurs collectifs de soutien. A South Kirby, dans le Yorkshire, elles ont utilisé une tente sans eau courante pour préparer 570 repas par jour. Malgré ces difficultés, elles ont réussi à coordonner des cuisines et des colis alimentaires à une échelle colossale. Le groupe de soutien de Swansea, Neath et Dulais Valleys au Pays de Galles confectionnait environ 400 colis alimentaires par semaine en mai 1984, 900 par semaine en juillet et plus de 1000 à la fin du mois de décembre. A Hatfield, dans le Yorkshire, le groupe de soutien servait 300 dîners par jour au centre d'aide sociale des mineurs en juin ; en novembre, il préparait 500 repas par jour et envoyait 700 colis alimentaires chaque semaine.

Les groupes de soutien collectaient également des fonds, à la fois pour financer leurs activités et pour alimenter le fonds de lutte du syndicat. De nombreuses femmes ont dû quitter leur village pour voyager à travers le pays et à l'étranger afin de prendre la parole lors de réunions et de rassemblements.

Entre juillet 1984 et septembre 1985, le National Women Against Pit Closures a collecté plus de 710 000 livres sterling (près de 3 millions de livres sterling en monnaie actuelle – soit 3,5 millions d'euros). A Londres, environ 40 000 livres par mois ont été collectées par l'intermédiaire du comité de soutien officiel du NUM de Londres. Ce chiffre ne tient pas compte des innombrables efforts de collecte de fonds au niveau local. Des fonds ont également été collectés par le biais d'un programme de jumelage, dans le cadre duquel des groupes de soutien extérieurs aux communautés minières, des sections syndicales ou des groupes politiques « adoptaient une mine ». Women's Fightback a lancé un appel aux groupes Fightback locaux et aux sections féminines du Parti travailliste pour qu'ils agissent de la sorte.

Les prises de parole

Lorsque les groupes de soutien de femmes ont commencé à attirer l'attention de la presse, ils ont souvent été décrits comme traditionnels et ordinaires. En fait, il s'agissait d'un récit convaincant : une femme au foyer opprimée devenue militante. Cela a pu agacer certaines des femmes du bassin minier, qui étaient, dans l'ensemble, éduquées, éloquentes et très capables.

Cela dit, un très grand nombre de témoignages montrent à quel point la grève a été un facteur de transformation au plan personnel, en particulier lorsqu'il s'agissait de prendre la parole en public. Les femmes se sont lancées dans des exercices collectifs, discutant de politique et débattant des questions syndicales. Elles y sont parvenues avec une telle efficacité que nombre de leurs maris ont été surpris lorsqu'elles sont montées à la tribune. Doreen Hamber, de Blidworth dans le Nottinghamshire, a parlé de son expérience : « Je me suis vraiment lancée et je me suis laissée emporter. Ils n'arrêtaient pas de pousser des notes devant moi qui disaient ‘tais-toi maintenant', ‘tais-toi maintenant', mais je n'ai même pas regardé les notes ; j'étais juste emportée. Lorsque j'ai terminé et que je suis descendue de scène, mon mari s'est approché de moi et m'a embrassée. Il m'a dit : “Ce discours était fantastique.” Il était stupéfait que je puisse me tenir debout et parler de politique. Toutes ces choses que j'ai apprises, il a fallu qu'il assiste à une réunion pour m'écouter parler et se rendre compte que j'avais progressé en huit mois. »

Les piquets de grève

Certains grévistes étaient réticents à l'idée d'un piquet de grève tenu par des femmes. Outre qu'ils craignaient pour leur sécurité, certains pensaient que les femmes aggraveraient les tensions entre les grévistes et la police. Mais de nombreuses femmes étaient déterminées à manifester leur soutien de la manière la plus directe possible, en se tenant aux côtés de leurs hommes sur le piquet de grève.

Dans certains cas, les femmes ont commencé à participer au piquet de grève presque par accident. Dans une interview réalisée pour Women's Fightback, Sheila Jow, de Thurnscoe dans le Yorkshire, a décrit une de ces occasions en avril 1984. Un groupe de femmes s'était rendu à Ollerton, dans le Nottinghamshire, pour parler aux épouses des mineurs qui brisaient la grève. Elles voulaient convaincre les femmes, qui, pensaient-elles, pourraient ensuite persuader les hommes, que la grève n'était pas aussi difficile qu'il n'y paraissait à première vue. Sur place, elles rencontrent également les épouses des mineurs en grève, qui mettent en place une cuisine et demandent de l'aide. Ils retournent donc à Thurnscoe, rassemblent quelques bras supplémentaires et, quelques jours plus tard, reprennent le chemin d'Ollerton. Lorsqu'elles ont atteint la périphérie du Nottinghamshire, elles ont été arrêtées par la police, qui a bloqué leur bus et menacé de les arrêter. Sheila Jow raconte : « Nous avons décidé que si la police allait nous traiter comme des piquets de grève volants, nous pourrions tout aussi bien être des piquets de grève volants… Nous avons donc marché jusqu'à la mine de Harworth, à trois miles de là. » Le piquet de grève ne comptait que quelques grévistes, qui ont été ravis d'être rejoints par plus de 35 femmes de Thurnscoe, escortées par un cordon de plus d'une centaine de policiers.

Les groupes de soutien de femmes organisent également des piquets de grève réservés aux femmes. Dans la soirée du 11 octobre, 150 femmes ont dressé un piquet de grève devant la mine de Florence, dans les West Midlands. L'action a rassemblé des femmes de toute la région, qui avaient décidé de choisir cette mine en raison du nombre plus élevé que d'habitude de briseurs de grève. Jill Mountford, qui écrivait à l'époque pour Women's Fightback, a déclaré : « Il a été décidé que toute la soirée serait placée sous le signe de la fête… La joie a commencé dès que les femmes sont arrivées aux portes. Leurs chants, leurs danses et leurs moqueries incessants ont généré de l'énergie, de la confiance et de la solidarité. » Ce soir-là, elles ont réussi à refouler trois briseurs de grève.

Les piquets de grève féminins ont été traités de manière extrêmement violente par la police. Elles ont été traînées, bousculées et frappées. Elles ont été arrêtées et harcelées pendant leur détention. Aggie Currie a été arrêtée après avoir tenu un piquet de grève dans le Nottinghamshire : « Ils vous frappent, ils s'en foutent que vous soyez un homme ou une femme. » La photo désormais célèbre de Lesley Boulton, membre de Women Against Pit Closures (WAPC) de Sheffield, attaquée par un policier à cheval armé d'une matraque lors de la bataille d'Orgreave en juin 1984, en est peut-être la meilleure illustration.

National Women Against Pit Closures

La conférence inaugurale de la NWAPC (National Women Against Pit Closures) s'est tenue en juillet 1984 à Barnsley. Une cinquantaine de femmes issues des différents collectifs de soutien y assistent. Un « cercle restreint » s'est réuni avec Arthur Scargill et Peter Heathfield avant la conférence pour discuter de l'orientation de l'organisation. Les dirigeants du NUM tenaient à s'assurer que les « anti-Scargill » de la faction eurocommuniste du CPGB (Scargill était proche de l'aile stalinienne du parti) ne seraient pas en mesure d'occuper des postes d'influence. Cette division durera toute la durée de la grève, Scargill tenant l'organisation en laisse.

Les « scargillistes » tenaient à limiter l'adhésion des femmes de mineurs afin de minimiser l'influence politique extérieure. D'autres souhaitent construire un mouvement qui s'appuie sur la force des syndicalistes, des socialistes et des féministes qui s'engagent à aider. Lors de la conférence de novembre à Chesterfield, seules trois déléguées n'étaient pas des femmes de mineurs. Deux d'entre elles, Ella Egan et Ida Hackett, toutes deux eurocommunistes, plaident en faveur de « liens avec le mouvement pacifiste et les organisations féminines progressistes ». Elles espéraient que la construction d'un « front populaire » suivant ces orientations soutiendrait la grève, tout en remodelant la politique de la classe ouvrière pour qu'elle soit plus inclusive des mouvements féministes et autres mouvements sociaux. Betty Heathfield s'y opposa, défendant la ligne de Scargill : la seule priorité du NWAPC était de soutenir les stratégies du NUM. Heathfield et les autres partisans de Scargill remportent le débat, mais les tensions se poursuivent dans de nombreux groupes locaux. Dans certains cas, comme à Barnsley, les collectifs de soutien se divisent sur des questions comme celles-ci.

Greenham Common

Le féminisme était parfois un sujet controversé dans les villages de mineurs. Une femme, interviewée juste après la grève par Betty Heathfield, associe le féminisme à l'anti-famille : « Nous avons rencontré beaucoup de féministes et nous avons été insultées par beaucoup de féministes. Non pas qu'ils aient voulu nous insulter, mais nous voulons toujours être des femmes mariées. Nous voulons toujours aimer nos maris. Aimer nos enfants. »

Néanmoins, des liens importants ont été établis avec le mouvement des femmes au sens large. Au cours de l'été 1984, des cars ont été loués pour emmener les femmes du camp de Greenham Common [1] aux piquets de grève du Pays de Galles et du Nottinghamshire. Jean Stead décrit ces visites : « Elles arrivaient aux centres de soutien de manière inattendue et impulsive, comme elles le faisaient pour la plupart des choses. Un groupe apparaissait soudainement dans un collectif d'entraide de mineurs… sentant la fumée de bois. Elles commençaient alors à parler. Soucieuses de ne pas s'immiscer dans le monde extrêmement privé des communautés minières, elles étaient néanmoins déterminées à apporter leur aide si elles le pouvaient. » Les femmes de Greenham ont créé leur propre badge – « A Greenham ou sur le piquet de grève » – et ont passé le reste de l'été à tenir des piquets de grève aux côtés des mineurs et de leurs familles. Les femmes des communautés minières visitent Greenham Common en retour, et des liens de solidarité et d'amitié se tissent entre les deux « camps ».

Mais il existe de profonds désaccords politiques. Greenham était un camp pacifiste et les femmes ont discuté avec les mineurs, appelant à la non-violence sur les piquets de grève – une position qui a été accueillie avec incompréhension. Les mineurs étaient confrontés à des batailles quotidiennes avec la police. La non-violence n'était pas une option. Dans quelques cas, les femmes de Greenham ont convaincu les mineurs d'organiser des sit-in de protestation, mais ces expériences se sont révélées désastreuses. Lynn Clegg décrit une tentative de sit-in à Hatfield, dans le Yorkshire, en août 1984 : « Les gars ont été battus à mort… [Ils] n'ont même pas eu l'occasion de comprendre ou de se lever. Les policiers sont intervenus avec des matraques, frappant tout le monde et un garçon a été placé en soins intensifs. C'est le pire jour que nous ayons connu à Hatfield. »

Briseurs de grève

Dans le Nottinghamshire, plus de 27 000 mineurs brisent la grève. Ce fut la bataille décisive du conflit : mineurs contre mineurs. Pendant toute la durée de la grève, des mineurs venus d'ailleurs se déplaçaient pour tenir le piquet de grève dans les mines du Nottinghamshire. Des milliers de policiers hautement entraînés et semi-militarisés ont été envoyés pour terroriser ces « piquets volants » et les grévistes locaux.

Ceux qui ont fait grève, et les femmes qui les ont soutenus, ont eu du mal à s'en sortir. Les femmes du Nottinghamshire sont obligées d'occuper des centres d'aide sociale afin de remettre leurs cuisines en état de marche. A la mine de charbon de Clipstone, un groupe de femmes a pris possession d'un centre de jeunesse appartenant au National Coal Board [société gérant l'industrie charbonnière, créée en 1946]. Elsie Lowe, l'une des responsables de l'occupation, décrit la situation de l'époque : « Les gens commençaient à avoir faim. Nous savions qu'un millier de personnes n'avaient littéralement rien à manger… Nous savions que nous devions faire quelque chose. » Après six nuits d'occupation, les administrateurs ont accepté de leur donner un peu d'espace et ils se sont installés dans le St John's Ambulance centre, où il n'y avait qu'un vieux four sale. « La première chose que nous avons faite a été de nettoyer cette cuisine ! »

Dans certains anciens villages miniers, les divisions se font encore cruellement sentir. Dans le Nottinghamshire, les grévistes ont dû faire face à une violence extraordinaire de la part de la police, qui avait placé les villages en état de siège. Les voitures de police sillonnent les rues jour et nuit, les agents frappent les piquets de grève au hasard et pénètrent de force dans les maisons des mineurs grévistes pour les arrêter. John Lowe, le mari d'Elsie Lowe, a été arrêté alors qu'il était assis sur l'herbe devant sa mine : « Six policiers se sont jetés sur moi en même temps, mais j'ai été accusé d'avoir frappé deux policiers et d'avoir causé des lésions corporelles. »

Un groupe de femmes du Nottinghamshire s'est rendu à la marche des femmes à Barnsley en mai 1984. Elles racontent s'être senties coupables au début : « Les gens semblaient penser que nous étions toutes des briseurs de grève, ils ne se rendaient pas compte du nombre de grévistes dans le comté. » Mais très vite, elles ont été acclamées comme des héros et placées en bonne place au milieu du cortège. Elles ont fièrement traversé Barnsley en chantant “Notts are here ! Les Notts sont là !” » C'était une récompense bienvenue pour les sacrifices et les épreuves qu'elles avaient endurés.

Le NUM

En juin 1984, Jean McCrindle, du WAPC de Sheffield, écrivit au Sunday Times pour demander que les femmes des groupes de soutien puissent adhérer au NUM en tant que membres associés. Le NUM du Yorkshire et le syndicat dans son ensemble étaient majoritairement opposés à cette idée, mais le débat s'avéra important. Même lorsqu'il s'agit de gérer les cuisines, les femmes sont souvent empêchées par le syndicat. A Hetton, dans le comté de Durham, les femmes ont insisté pour qu'une réunion soit organisée afin de convenir des activités du collectif. C'était une expérience humiliante : « Les femmes devaient s'asseoir dans les escaliers, attendant que les hommes décident de leur donner la permission de les servir dans les soupes populaires. » A Woolley Edge, près de Barnsley, Betty Crook a vécu une expérience similaire. Dans l'interview qu'elle a accordée pour Women and the Miners' Strike (Les femmes et la grève des mineurs), elle se souvient qu'elle a dû recourir à la force pour obtenir ce qu'elle voulait : « J'ai été convoquée à une réunion pour l'aide sociale aux mineurs avec des syndicalistes, et il a tout d'abord été dit que nous n'étions pas capables d'assurer la soupe populaire. J'ai répondu : “Bien sûr que si”. On nous a répondu : “Vous ne savez pas comment la faire”. J'ai répondu : “Nous le pouvons”. On m'a dit : “Vous n'avez pas de couverts ni de vaisselle”. J'ai répondu : “Nous avons tout ce qu'il faut”. On me répond : “Vous ne pouvez pas assurer une soupe populaire”. J'ai répondu : “ça va se faire“. »

On peut se demander pourquoi les sections locales du NUM agissent de la sorte. Dans certains cas, il s'agissait de sexisme pur et simple : les membres de ces sections estimaient que les femmes devaient rester à la maison et ne pas se mêler des affaires syndicales. Mais les femmes ont également ébranlé le syndicat. Jean Stead écrit : « Les femmes ont remarqué qu'elles étaient elles-mêmes plus rapides à démarrer des projets, à les mener à bien, à avoir des idées et à les mettre en pratique… Les hommes étaient plus lents et plus conservateurs, moins inspirés. C'est pourquoi ils ont eu peur de laisser les femmes s'approcher du syndicat. »

Certaines femmes membres du NUM travaillaient dans des cantines de puits de mine, comme femmes de ménage ou comme employées de bureau. Pour ces femmes, s'impliquer dans le syndicat était souvent difficile. Jean Stead raconte l'histoire d'Alfreda Williamson, une employée de cantine, âgée de 18 ans, en grève. Chaque matin, à 4 heures, elle préparait le thé dans la salle de repos avant de rejoindre le piquet de grève aux portes de la mine de Murton, à Durham. Plus tard, elle retournait à la cantine pour préparer le thé, avant de faire la vaisselle. « Nous travaillions beaucoup plus dur que les hommes, et je l'ai dit à certains d'entre eux lorsqu'ils venaient se plaindre », raconte-t-elle. Elle a demandé à rejoindre les autres grévistes dans le bus NUM pour se rendre au piquet de grève et à être autorisée à faire le thé, mais le syndicat n'a pas accepté. Malgré cela, elle s'est battue pour convaincre les autres employées des cantines du NUM de soutenir la grève, une bataille qu'elle a souvent perdue : « Dans leur propre esprit, celles qui ont repris le travail l'ont fait parce que le syndicat ne s'est jamais soucié d'elles. »

Fin de la grève

La conférence qui décide de mettre fin à la grève a lieu le 3 mars 1985. Un vote serré – 98 délégués contre 91 – renvoie les mineurs au travail après des heures de débats tendus. Les retombées sont amères. 10 000 mineurs ont été arrêtés pendant la grève et des centaines ont été emprisonnés. Plus d'un millier d'entre eux ont été licenciés. Plusieurs cars de mineurs écossais licenciés rencontrent les délégués lorsqu'ils quittent le Congress House. L'un d'eux s'est écrié, alors que Scargill confirmait les résultats : « Nous vous avons donné nos cœurs, nous vous avons donné notre sang, nous vous avons tout donné et vous nous vendez… Vous êtes goudronnés et plumés avec le reste des bâtards galeux. » Il se met alors à pleurer.

Les femmes étaient tout aussi dévastées. Au début de la grève, Sheila Jow s'était adressée à Women's Fightback et avait déclaré : « Nous mangerons de l'herbe avant de repartir. Il faut se battre jusqu'au bout. » Ce propos a été répété des milliers de fois lors de réunions et de rassemblements dans tout le pays. Dans sa rétrospective de 1987, Jean Stead écrit : « Presque toutes les femmes étaient opposées à ce que les mineurs reprennent le travail. Elles n'avaient pas subi toute une année de privations et de difficultés pour céder à ce moment-là… Mais, en fin de compte, elles n'avaient pas le droit de vote et n'avaient pas vraiment voix au chapitre. »

Les mineurs reprennent le travail sous les bannières des syndicats. Dans de nombreux endroits, les groupes de soutien de femmes ont pris leur place au front.

Une semaine après le vote fatal, Ian McGregor, président du National Coal Board, déclare : « Les gens découvrent maintenant le prix de l'insubordination et de l'insurrection. Et nous allons faire en sorte qu'ils s'en souviennent ! » Des milliers d'emplois ont été perdus au cours des premiers mois qui ont suivi la fin de la grève. En 1991, il ne restait plus que 15 mines sur 174 000 et 160 000 emplois avaient été perdus.

La situation des familles de mineurs est désastreuse : les dettes se sont accumulées pendant la durée de la grève et il faut maintenant payer les factures, les loyers et les hypothèques qui avaient été gelés. Les collectifs de femmes ont continué à fonctionner dans certains endroits pendant encore deux ans pour les aider.

Se souvenir de la grève

En 1985, l'association North Yorkshire WAPC a publié une brochure intitulée Strike 84-5. Dans l'avant-propos, on peut lire : « Dans les bassins miniers, il y a une nouvelle génération de femmes qui n'ont que l'âge de la grève et qui ont gagné l'admiration des gens dans le monde entier. Elles se sont battues non pas derrière leurs hommes, mais côte à côte avec eux. Lorsque l'on écrira l'histoire de la grève, tout le monde sera d'accord pour dire que les femmes sont magnifiques. »

Cela reproduit un récit habituel et assez condescendant : avant la grève, les femmes de mineurs étaient arriérées et simples, mais elles ont été transformées par la grève. Ce récit passe sous silence les innombrables activistes des communautés minières qui ont construit le mouvement de soutien à partir de la base, ainsi que les syndicalistes, les socialistes et les féministes qui ont partagé leurs connaissances et ont passé un an à construire l'effort de solidarité peut-être le plus impressionnant que le pays ait jamais connu.

Mais il est vrai que les femmes ne se sont pas contentées de « soutenir leurs hommes ». Elles sont devenues les leaders de la grève. De nombreux membres du NUM voulaient s'assurer que les femmes restent des auxiliaires du syndicat, fournissant de la nourriture et des fonds mais restant à l'écart de la politique. En fin de compte, nombre d'entre elles sont devenues les décideurs dans leur foyer, veillant à ce que leurs hommes respectent la ligne de conduite. Elles ont parcouru le pays et voyagé à l'étranger pour prendre la parole lors de réunions et de rassemblements. Elles ont mené leurs propres batailles politiques pour décider des stratégies de leur mouvement. Sans leurs efforts, les mineurs n'auraient jamais pu faire grève aussi longtemps.

Les lignes de la guerre des classes ont été mises à nu par la grève des mineurs. Le gouvernement de Thatcher a entrepris de détruire l'une des industries les mieux organisées du pays et, en réussissant, a ouvert la voie à la société déréglementée, caractérisée par une inégalité galopante, dans laquelle nous vivons aujourd'hui. Quarante ans plus tard, il est plus important que jamais de regarder en arrière et de tirer les leçons de cette année décisive. Mais nous pouvons aussi nous inspirer des histoires de courage, de solidarité et de fierté qui jalonnent la grève.

Lorsque la grève a été annulée, Marlene Thompson, femme de mineur et militante, a écrit un poème pour marquer ce jour : « La tête haute, nous continuerons à lutter – Mais un briseur de grève reste un briseur de grève jusqu'à ce qu'il meure. » (Article publié sur le site Worker's Liberty, le 17 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)


[1] Le Camp de femmes pour la paix à Greenham Common était un campement de protestation pacifiste contre l'installation de missiles nucléaires sur la base Royal Air Force de Greenham Common, dans le Berkshire, l'un des plus anciens comtés d'Angleterre où se trouve le château de Windsor. (Réd.)

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Un mois de gouvernement Milei en Argentine : libéralisme radical et attaques antidémocratiques

Après seulement un mois de gouvernement, le président Milei range dans un tiroir sa principale promesse de campagne : faire payer la crise économique par la caste politique. Ce (…)

Après seulement un mois de gouvernement, le président Milei range dans un tiroir sa principale promesse de campagne : faire payer la crise économique par la caste politique. Ce sont bel et bien les travailleurEs, à commencer par les plus pauvres, qui payent le prix de l'austérité.

18 janvier 2024 | tiré de Hebdo L'Anticapitaliste - 691
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/un-mois-de-gouvernement-milei-en-argentine-liberalisme-radical-et-attaques

La principale mesure prise a été de dévaluer fortement la monnaie et de libérer les prix. Le résultat est une inflation de 25 % au mois de décembre, sans qu'on puisse entrevoir une diminution de celle-ci dans les prochains mois. Un seul exemple permet de l'illustrer : l'augmentation du prix des carburants fin décembre enclenchera une nouvelle spirale inflationniste et risque d'obliger à une nouvelle dévaluation, pour enclencher un troisième tour d'augmentations des prix. Pourtant son gouvernement aurait pu négocier avec la petite poignée d'entreprises pétrolières pour au moins échelonner l'augmentation. Mais son dogmatisme libéral le pousse à éviter toute intervention de l'État, même si ceci implique de modérer l'impact de ses mesures et de mettre en péril le succès de son plan économique. Son plan perd une dose de cohérence interne, tout en gardant son côté injuste.

Le projet de Milei : changer le pays à jamais

Cependant Milei ne se contente pas des mesures de court terme. Dans la foulée, il essaye de changer le pays à jamais : privatisation de toutes les entreprises publiques, dérogations aux lois de protection de la nature, dérégulation de tous les secteurs économiques, pour ne nommer que les points saillants. En tout, des centaines de modifications légales avec un méga-projet de loi et un décret présidentiel.

Ceux-ci doivent passer maintenant par l'Assemblée. Ce n'est toujours pas clair ce que feront le Parti radical (aujourd'hui de centre-droite) et les péronistes non alignés avec le kirchnérisme. Concernant le décret, au début ils se disaient contre, mais aujourd'hui leur opposition est de plus en plus tiède. Néanmoins, certains volets, notamment celui de la réforme du droit du travail, ont été suspendus provisoirement par la justice, constituant un premier revers pour le gouvernement. La Cour suprême de Justice doit se prononcer sur la ­constitutionnalité du décret.

Le projet de loi est débattu depuis le 9 janvier. Au début, le gouvernement ne voulait rien négocier, mais pour en faire approuver au moins une partie significative, ils ont été obligés de proposer des modifications. La dérégulation de la pêche a été modifiée face aux pressions du secteur, l'article obligeant une autorisation à toute réunion publique de plus de trois personnes va être retirée. Même la réforme électorale concernant les législatives va être modifiée, voire arrêtée. Cette dernière était très critiquée car, d'une élection à la proportionnelle directe par région, elle passait à une élection uninominale par circonscription. Un autre point, source de grandes critiques, est celui de la déclaration de ­l'urgence économique, qui donne les pleins pouvoirs au président pendant deux ans minimum, c'est-à-dire plus de pouvoirs et pendant plus de temps que lors de la pandémie de coronavirus.

Grève nationale le 24 janvier et solidarité internationale

Le résultat législatif et judiciaire est incertain. C'est la rue qui va changer la donne. Les casserolades, même si elles sont modestes, ont émergé depuis l'annonce du décret, et dans quelques quartiers de la capitale des assemblées populaires (comme celles de 2001) commencent à voir le jour. Mais le plus important est la grève nationale du 24 janvier. La bureaucratie syndicale (beaucoup plus puissante que la française) semble se réveiller d'un sommeil de quatre ans et appelle à une grève générale d'un jour tout en interpellant le péronisme (notamment l'ancienne présidente Cristina Kirchner et le candidat perdant de la dernière présidentielle Sergio Massa) pour agir. Cette journée de grève et de mobilisation peut être le début d'une opposition sociale solide aux politiques libérales de Milei.

Ici, en France, à l'appel de l'ACAF (Assemblée des citoyens argentins en France), de FAL (France Amérique latine) et de syndicats français (CFDT, CGT, FO, FSU, UNSA et Solidaires) un rassemblement est prévu le 24 janvier à 18 heures devant l'ambassade argentine à Paris (angle de la rue Cimarosa et de l'avenue Kléber, 75016 Paris — Métro 6 : Boissière).

Pour que vive la solidarité internationale face aux attaques des ­capitalistes !

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Argentine : la grève fait trembler l’ultra-droite de Milei

30 janvier 2024, par Nicolas Menna — , ,
Le 24 janvier dernier, en Argentine, a eu lieu la première grève générale contre le gouvernement ultra-libéral et réactionnaire de Javier Milei. Organisée à peine un mois après (…)

Le 24 janvier dernier, en Argentine, a eu lieu la première grève générale contre le gouvernement ultra-libéral et réactionnaire de Javier Milei. Organisée à peine un mois après son entrée en fonction, cette journée de grève et de mobilisations exprime une ferme opposition du mouvement ouvrier aux premières contre-réformes en matière de Droit du travail et droits démocratiques jusque-là garantis par la Constitution du pays.

Tiré de Inprecor 716 - janvier 2024
25 janvier 2024

Par Nicolas Menna

Les premières mesures de Milei comprennent : une dévaluation de plus de 100 % de la monnaie, une augmentation des impôts et la libéralisation de nombreux marchés (notamment immobilier) qui ont entraîné dès à présent une hausse des prix de plus de 40 % ainsi qu'une inflation qui ne descend pas en dessous de 25 % chaque mois ; des mesures qui ont déjà durement frappé les travailleurs/euses (dont 40 % travaillent dans le secteur informel) et les classes moyennes.

Privatisations et écrasement des classes populaires

En effet, avec un Décret de nécessité et d'urgence (DNU, qu'on pourrait qualifier de 49.3 argentin) et une loi « omnibus » (paquet de lois), le gouvernement veut déroger à des centaines de lois qui, jusqu'à présent, régulaient les relations de travail, le droit de grève, d'expression et de manifestation ainsi que la concentration de la propriété des médias, des entreprises et de la terre.

Le gouvernement cherche également à amplifier et étendre ses pouvoirs, d'une façon presque dictatoriale, afin d'appliquer son programme d'austérité qui implique des conséquences dramatiques sur les conditions de vie et de travail des classes populaires. Celui-ci prévoit la privatisation des entreprises sous contrôle de l'État, y compris l'entreprise nationale d'hydrocarbures YPF, les centrales atomiques (au nombre de trois dans le pays) et plus de 40 entreprises dans des secteurs stratégiques du pays (aviation, recherche, énergies, transports, communication …).

Une mobilisation qui pourrait déstabiliser le projet de Milei

Le mouvement de grève, initié par les organisations syndicales et sociales – piqueteros, organisations des quartiers populaires, des droits humains, gauche politique, parti-front péroniste « Union por la Patria » (Union pour la Patrie) - constituent une forme de pression pour que le Congrès National (Assemblée Nationale) refuse d'adopter le décret et le paquet des lois.

À ce stade, il n'est pas possible de connaître le taux de participation à la grève mais on sait qu'elle a eu un impact considérable sur les transports, le secteurs des hôpitaux, des services publics et du trafic aérien. Si elle a été fortement suivie par de nombreux syndicats, la grève n'a cependant pas été écrasante. Les manifestations, en revanche, ont donné le rythme à ce mouvement avec des centaines de milliers de personnes dans tout le pays, la plus grande quantité s'est concentré à la capitale où le slogan « l'Argentine ne se vend pas » a résonné devant le palais du Congrès. Ces mots-d'ordre ont été largement repris dans les discours et les chants des manifestants qui intiment aux élus de voter contre « la ley motosierra » (la loi tronçonneuse, en proposant un renversement du symbole utilisé par le candidat ultra-libéral pendant la campagne).

La présence des « Madres de Plaza de Mayo » (les mères des personnes disparues pendant la dictature militaire), symbole de la résistance, a contribué à fournir une forte charge symbolique à la manifestation.

Continuer à construire le rapport de forces

Après cette démonstration cruciale de la force du nombre, plusieurs juges ont déclaré l'inconstitutionnalité de certains articles de la loi, notamment ceux qui s'attaquent directement aux droits du travail. Ils ont également annulé la proposition d'augmentation des tarifs de transport ce qui a entraîné également un report de la loi d'une semaine afin de permettre au gouvernement de s'assurer une majorité désormais incertaine. Dans le même temps, les oppositions « molles » (y compris une partie des députés péronistes) se préparent à voter une loi qui est rejetée par l'immense majorité de la population.

Le rapport de forces est établi, mais il est nécessaire de continuer à pousser pour faire pencher la balance de manière décisive en faveur de la classe travailleuse.

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« Le fascisme américain » : L’historien Rick Perlstein parle de la mainmise de D. Trump sur le Parti républicain et des risques d’un deuxième 6 janvier

30 janvier 2024, par Amy Goodman, Rick Perlstein — , ,
Les Républicains.es se sont réunis et ont conçu un plan complet pour 2025. Il compte des milliers de pages où on trouve l'idée de défaire les services publics. C'est un plan (…)

Les Républicains.es se sont réunis et ont conçu un plan complet pour 2025. Il compte des milliers de pages où on trouve l'idée de défaire les services publics. C'est un plan pour défaire la forme américaine de gouvernement. Donc c'est quelque chose qu'il faut prendre avec sérieux.

Democracy Now, 22 janvier 2024
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr

Amy Goodman : (…) Nous allons nous arrêter sur l'état du Parti républicain maintenant que la primaire présidentielle (républicaine) au New-Hampshire ne compte plus que deux personnes. Le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis a annoncé son retrait dimanche dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. (…) Avec le retrait de Ron DeSantis, il annonce aussi qu'il se range aux côtés de D. Trump, pour qui beaucoup de questions sont soulevées sur son acuité mentale. Vendredi, lors d'un rassemblement au New-Hampshire, il a confondu à plusieurs reprises son opposante républicaine, Mme Nikki Haley, avec l'ancienne présidente de la Chambre des représentants, Mme Nancy Pelosi. (…) Pour aller plus loin, nous rejoignons l'historien Rick Perlstein, auteur d'une série de quatre ouvrages portant sur le conservatisme moderne. Sa chronique dans American Prospect est intitulée « The Infernal Triangle ».

Rick, soyez à nouveau le bienvenu sur Democracy Now. (…) Parlez-nous de la signification du retrait de R. DeSantis et de son appui à D. Trump. Qu'est-ce que cela veut dire maintenant que la course se fait à deux même si les sondages donnaient D. Trump gagnant, avec des marges jamais vues. On lui prédisait 30% d'avance sur DeSantis. Et les uns.es après les autres les Républicains.nes lui donne leur appui.

Rick Perlstein : Oui, sans aucun doute il va devenir le candidat si on tient pour acquis son habileté à se conduire comme un être humain mais, comme vous le savez, c'est un facteur négligeable. Ce qui est important à comprendre, c'est que la course de chevaux va bien mais elle ne compte pour rien si le gars sous la casquette MAGA déraille complètement. Le nombre de vote qu'il peut récolter n'a pas d'importance ; il va gagner l'investiture. Le nombre de vote qu'il va récolter en novembre n'a aucune importance parce qu'il va continuer à revendiquer la victoire. L'important se sont les gens. Combien de personnes sont prêtes à prendre les armes pour D. Trump le 6 janvier 2025 ? Je ne veux pas tomber dans le mélodrame mais, en ce moment, la réalité semble montrer que des millions d'Américains.es, une part considérable du Parti républicain, s'identifient à la personne de D. Trump. Et l'expression que nous devons employer pour désigner cette situation, pour mélodramatique qu'elle semble, est « fascisme américain ».

A.G. : Pouvez-vous nous parler des personnes comme le gouverneur du New-Hampshire M. Sununu, qui a appuyé Nikki Haley et qui dit maintenant que si D. Trump gagne cette primaire, en fin de compte il va lui donner son appui, en répondant à la question de Kristen Welker, à Meet the Press : « Vous dites que vous l'appuriez malgré le 6 janvier, malgré ce que vous avez dit à propos de cette insurrection ? Tous ces dirigeants.es républicains.nes après avoir questionner D. Trump à la fin se mettent à le suivre alors qu'une fois de plus il fait face au viol de Jean Carroll. Le juge a employé ce mot de la langue populaire.

R.P. : Correct. Il n'y a rien de nouveau à ce sujet. Si nous jetons un regard sur ce que des gens comme Lindsay Graham ont dit en 2015 et 2016 à propos de D. Trump, et ce qu'ils ont dit quand ils ont vu qu'il pouvait être un atout pour la conservation de leur propre pouvoir…. Encore une fois, c'est bien dommage que ce que nous avons dans ce contexte de philosophie politique qui décrit ce qui se passe nous vienne de l'Allemand. C'est le terme Führerprinzip » : Le leader détient la vérité.

Et quand ils doivent d'une certaine façon se cacher derrière un criminel pour sembler avoir une figure un peu légitime dans un parti politique ce parti (…) Vous devez vous questionner sur l'allure que ces personnes auront dans, disons 50 ans aux yeux de l'histoire. Ils vont ressembler à des personnages comme Fritz von Papen qui disait : « Nous tenons Hitler dans un coin aussi longtemps qu'il ne rue pas dans les brancards ». Fritz von Papen était le vice chancelier d'Allemagne, celui qui a monté une coalition avec Hitler et qui a pu ainsi devenir chancelier d'Allemagne. Ce sont des processus. Nous sommes rendus.es loin dans un processus pour lequel les questions posées par les journalistes conventionnels.les ne signifient plus rien.

A.G. : Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, s'est retiré de la course deux jours avant la tenue de la primaire du New-Hampshire, moins d'une semaine après qu'il ait perdu par 30 points face à D. Trump lors des caucus de l'Iowa. Et il a donné son appui à D. Trump.

G. Ron DeSantis : Je l'appuie parce que nous ne pouvons pas revenir à la vieille garde du Parti républicain du passé, à un reformatage du bon vieux corporatisme que représente Nikki Haley.

A.G. : Maintenant que Ron DeSantis n'est plus sur les rangs, la course en est essentiellement une à deux : D. Trump et Nikki Haley l'ancienne gouverneure de la Caroline du sud, et qui a été ambassadrice aux Nations Unies sous l'administration Trump. Elle a fait campagne au New-Hampshire durant la fin de semaine. Elle a mis en cause l'acuité mentale de son adversaire après qu'il l'ait confondue avec l'ancienne présidente de la Chambre des représentants, Mme Nancy Pelosi. Joe Biden fait maintenant campagne en ligne et se questionne sur les capacités mentales de D. Trump s'appuyant sur les propos de Mme Haley. (…) Et D. Trump dit avoir été dans la course contre B. Obama. Il demande aussi si nous voudrions voir Joe Biden présider à la deuxième guerre mondiale au lieu de la troisième.

Que représente le gouverneur DeSantis ? Combien a-t-il dépensé et d'où venait cet argent ?

R.P. : Je pense que le plus important à comprendre de R. DeSantis, de ce qu'il représente …. il n'a pas ébranlé le culte de la personnalité voué à D. Trump, aucune contestation sérieuse de sa part. Il représente vraiment l'incapacité des grands médias à faire leur travail d'information à donner aux gens ce que nécessite le fait d'être un.e citoyen.ne qui pense par soi-même. Il a été choisi malgré qu'il ait acclamé la torture à Guantánamo où il était avocat et assurait une sorte de supervision mais qui riait en observant les prisonniers torturés. Il a, pour ainsi dire, transformé son État en petit fief fasciste. Il a été mis en selle non seulement parce qu'il pouvait battre D. Trump, mais parce qu'il serait mieux que lui. D'une certaine façon nous sommes piégés.es dans cette chambre aux miroirs où on répète ce genre de manière de faire du journalisme populaire où on trouve le meneur et le compétiteur, où il y a une course de chevaux et bla-bla-bla et qui ne dit rien de ce qui se passe réellement dans le pays en ce moment.

A.G. : Et le montant d'argent qu'il a reçu ? Il a dépensé quelque chose comme 150 millions de dollars.

R.P. : Oui. Je pense que cela dit quelque chose de la manière dont fonctionne le culte de la personnalité fasciste. Impossible de le mettre au défi, d'accord ? Quand Nikki Haley souligne que D. Trump pense qu'il a fait campagne contre B. Obama et qu'elle était la présidente de la Chambre ça nous rappelle ce que G. Orwell a écrit dans 1984 : « votre loyauté envers Big Brother se manifeste par votre désir de dire que deux et deux font cinq ». Si vous examinez de près ce qu'a dit D. Trump, non seulement il confond Nikki Haley avec Nancy Pelosi mais il dit qu'il a réquisitionné 10,000 soldats.es. Ça ne s'est jamais produit, n'est-ce pas ? Impossible de vérifier les faits quand vous êtes dans cet espèce de monde mythique avec cette figure quasi religieuse qui va nous sauver du mal. Ce n'est pas ce qu'on enseigne dans les écoles de journalisme.

A.G. : (…) le gouverneur de Floride, R. DeSantis a insisté sur les nouvelles règles du Florida Board of Education qui exigent que les éducateurs et éducatrices enseignent que les gens de couleur (durant l'esclavage) : « ont développé des habiletés qui, dans certaines circonstances, pouvaient leur apporter un profit personnel ». Il a défendu ce curriculum. L'association nationale des gens de couleur a qualifié cela de : « javellisé, de récit malhonnête de l'histoire de l'esclavage aux États-Unis ». Je me demandais si vous pourriez vous exprimer à ce sujet et aussi sur les controverses entourant Nikki Haley maintenant que nous sommes dans une course à deux ; entre autre le fait qu'elle dise avoir oublié de dire que parmi les causes de la guerre civile, il y avait l'esclavage. Quand on lui a demandé sur Fox News si les États-Unis étaient un pays raciste, elle a répondu que non et qu'il ne l'avait jamais été. Qu'en pensez-vous ?

R.P. : Oui, d'accord. Nous entrons ici dans l'histoire de la droite, du mouvement conservateur et du Parti républicain. J'ai écrit à ce sujet dans mon livre, The Invisible Bridge en 2014 avec (la photo) de Ronald Reagan en couverture. Quand la série Roots a paru, a été présentée aux Américains.es, beaucoup ont été mis en face de la cruauté de l'esclavage. (R. D.Santis) a déclaré qu'il détestait cette série parce qu'elle traitait, selon lui, tous les Blancs.ches de mauvaises personnes et tous les noirs.es de bonnes.

D. Trump hérite de ce récit qui présente les États-Unis comme un pays innocent, une nation voulue par Dieu, qui ne fait jamais rien de mal mais, comme bien autre chose dans le trumpisme, comme nous l'a monté Nikki Haley, c'est maintenant devenu convenu parmi les Républicains.es (…). Mais ce n'est pas possible de vivre dans notre monde moderne avec l'idée que rien ne peut vous distraire de l'originelle perfection de votre pays, la complexité et les contradictions doivent dicter votre action. Nous sommes donc bloqués.es dans une situation où la moitié de la population doit vivre dans un espace de rêve mythique. C'est ce qui pousse certains.es d'entre nous à utiliser le mot fascisme pour décrire l'hégémonie du Parti républicain.

A.G. : Parlez-nous plus du fascisme.

R.P. : Vous savez ce ne sont pas que des politiques de droite repoussantes. Nous avons connu cela pendant longtemps. Le fascisme est le culte de la personnalité d'un.e individu.e qui est présumé.e représenter la volonté du peuple. C'est aussi l'idée mythique du retour de ce passé qui doit être débarrassé des ennemis.es transcendants.es du peuple, qui est amené à constituer le peuple normal, les vrais.es Américains.es. (…) C'est la conviction qu'ils sont le peuple, qu'ils sont l'État et que toute opposition ne peut être qu'illégitime.

Et si vous ajoutez à cela une opposition armée qui proclame qu'elle se bat contre la tyrannie, pour préserver le gouvernement républicain contre les dangereux tyrans, c'est vraiment une mauvaise conception. Mais c'est l'idéologie de la NRA qui qualifie les Démocrates de tyrans. C'est une très affreuse situation. Et si les gens sont fatigués de la politique, en ont ras-le-bol de la politique, vous ne savez plus quoi dire. Comme le dit D. Trump, il se peut que nous ne reconnaissions pas notre pays dans cinq, dix, vingt ans.

A.G. : Bientôt les primaires au NewHampshire. Quand Kristen Welker, à l'émission Meet the Press, sur NBC a interviewé le gouverneur républicain de cet État, M. C. Sununu, elle lui a demandé ce qui se passait au Parti républicain, il a répondu : « Je n'ai rien à faire avec le Parti auquel vous appartenez, que vous soyez un.e conservateur.trice extrême ou un.e socialiste libéral.e, tout le monde devrait se sentir concerné par le genre de mentalité qui règne à la Maison blanche ».

Kristen Welker : Malgré tous ses commentaires, malgré ceux sur l'immunité, malgré ce que vous avez dit à propos de l'insurrection, vous allez voter pour D. Trump à l'élection présidentielle contre Joe Biden ?

G. Chriss Sununu : Eh ! Bien, selon les sondages, la plupart des Américains.es vont le faire. C'est votre manière de ne pas rapporter (les choses). Joe Biden a été mauvais à ce point, il a été incompétent. Il peut difficilement sortie de scène. Personne ne veut de cela et tout le monde est effrayé de voir Kamala Harris présidente.

A.G. : Quand il dit que tout le monde est effrayé il n'a rien dit des raisons qui l'amènent à appuyer D. Trump après les critiques qu'il lui a faites spécialement à propos de l'insurrection. Mais il parle de Kamala Harris.

R.P. : Oui. C'est l'espace mythique dont je parle : Joseph Biden a complètement failli. On peut critiquer encore et encore J. Biden mais nous avons quand même le plus bas taux de chômage des dernières 50 années. Ce n'est donc qu'une représentation d'un faux monde où tous et toutes sont contre K. Harris. C'est une des manières dont fonctionne le fascisme. Nous avons besoin d'un conservatisme légitime et la famille Sununu a été au service de la famille Bush pour ne donner qu'un exemple. Je crois que son père a été chef de bureau pour le premier Président Bush. Vous devez avoir ce genre de légitimité auprès des soit disant élites conservatrices afin de donner l'impression d'être éligible à une position de pouvoir. Il n'est pas plus responsable de ce qui se passe que les Proud Boy qui acceptent de battre une personne employée au décompte électoral.

A.G. : Je veux que vous nous parliez de Davos, de la rencontre de l'élite d'affaire du monde qui s'y est tenue, des dirigeants.es d'entreprises et des gouvernements. Que s'y est-il dit ? La semaine dernière à ce Forum, le PDG de JPMorgan, Jamie Dimon, a dit que D. Trump a été correct sur bien des enjeux. Il a dit : « Je ne pense pas qu'on vote pour Trump pour ses valeurs familiales. Mais faites un pas de recul et soyez honnête. Il avait raison en quelque sorte sur l'OTAN. De même sur l'immigration. Il a fait progresser l'économie assez correctement. La réforme fiscale a bien marché ». Et ce qui ressort de Davos est que non seulement D. Trump va remporter l'investiture républicaine mais qu'il va gagner l'élection présidentielle.

R.P. : Encore une fois cela me rappelle (les positions) de l'élite allemande tôt durant les années 1930. Elle pensait fondamentalement qu'il était possible de contrôler (ce qui se pointait), qu'elle pourrait retenir le tigre. Ce n'est pas cela qui provoque leur vote pour D. Trump. Vous savez ce que c'est ? 80% des électeurs.trices républicains.ne dans les primaires disent qu'ils et elles sont d'accord avec D.Tump qui dit que les immigrants sans papiers empoisonnent le sang américain. Voilà ! Donc il vit aussi dans cet espace mythique. Et, clairement, si vous ne rejoignez pas la résistance c'est la fin de la démocratie comme nous la connaissons et encore une fois, c'est un membre de l'establishment qui se révèle partie au problème.

A.G. : (…) Après le 7 octobre, l'ex Président Trump s'est adressé à la Republican Jewish Coalition :

« Parce qu'ils veulent détruire notre pays. Ils veulent détruire notre pays. Avec Biden nous n'avons pas qu'un désastre migratoire, nous en avons deux. Nous avons le désastre à la frontière et nous en avons un au Département d'État de Biden qui admet d'énormes quantités de jihadistes dans nos communautés, nos campus et via nos programmes de refuge. C'est ce qui explique toutes ces manifestations à New York et Chicago. Personne ne peut croire à ce qui se passe. Nous ne pouvons pas permettre cela. Et nous ne voulons pas ressembler à l'Europe avec des jihadistes à tous les coins de rue. C'est ce qui arrive. Je veux dire, nous allons avoir … nous allons devenir comme l'Europe. Prenez Londres. Jetez un coup d'œil sur Paris. Arrêtez-vous sur ce qui se passe là-bas. Nous voulons être les États-Unis d'Amérique et nous voulons redonner sa grandeur à notre pays (make our country great again). On nous couvre de ridicule.

Président, je vais mettre fin une fois pour toute à l'importation de masse d'antisémites aux États-Unis. Comme je l'ai déjà fait, je vais tenir les terroristes islamiques radicaux hors du pays. Nous les tenions à l'extérieur. Nous allons les tenir à l'extérieur. L'interdiction d'entrée au pays va s'appliquer à nouveau. Nous allons à nouveau appliquer l'interdiction d'entrée au pays. Au premier jour, je vais autoriser l'application de cette interdiction. Nous avions cette interdiction parce que nous ne voulions pas que des gens caressant l'idée de tout faire sauter entrent dans le pays ; faire sauter nos rues, nos centres commerciaux et notre peuple. Donc, j'ai introduit ce qui est appelé l'interdiction Trump d'entrée. Ce fut un extraordinaire succès. Elle a été suspendue comme elle allait s'appliquer. (Une jugement de cour fédérale suite à des contestations monstres. ndt.). Je n'en ai jamais parlé depuis quatre ans. Je ne l'ai jamais mentionné. Nous n'avons pas eu un seul incident en quatre années parce que nous avons tenus les mauvaises personnes hors du pays. Nous les avons tenues en dehors. Nous n'avons rien eu, pas une seule fois. Je ne veux pas dire durant les quatre années parce que je ne veux pas sortir de mon discours et provoquer quelque chose, n'est-ce pas ?

Je vais aussi introduire des examens idéologiques corsés pour tous.tes les immigrants.es qui veulent (venir ici). Si vous détestez les États-Unis, si vous voulez supprimer Israël, si vous sympathisez avec les jihadistes, nous ne voulons pas de vous dans notre pays, vous n'allez pas y entrer. Je vais annuler les visas de tous les étudiants.es liés.es au Hamas et à leurs sympathisants.es sur les campus des collèges. Les campus des collèges ne doivent pas être assaillis. Et tous les résidents.es étrangers.es qui ont rejoint les manifestations pro jihadistes ce mois-ci … personne n'a jamais vu cela. 2025 arrive, nous allons vous retrouver et nous allons vous expulser. Nous allons vous expulser ».

A.G : Pouvez-vous réagir à cela, Rick ?

R.P. : D'abord, j'apprécie que vous ayez diffusé une grande partie de cet extrait. Les gens doivent vraiment savoir ce qu'est son discours et pas seulement (entendre) de petits bouts que nous donnent les reportages dans les médias.

Ensuite, il y a beaucoup à dire mais ce qui m'a surtout frappé c'est au début quand il dit : « Vous savez, le Département d'État est infiltré par les jiadistes ». C'est exactement un rappel de ce que Joseph McCarthy disais dans son fameux discours en 1950, que le Département d'État était infiltré de communistes. Cela nous fait voir à quel point nous sommes en face à ce genre de racines éparpillées qui sont là dans l'histoire de la droite républicaine.

Ce que McCarthy disait et ce que D. Trump dit, c'est que tout ce qui arrive de mauvais aux États-Unis est le fait des élites. C'est très dangereux de penser ainsi. Et donc, tout ce qui arrive de mal, que les élites ont permis qu'il arrive, est causé par les étrangers.ères. À Chicago, où je me trouve en ce moment, un gamin de huit ans a été poignardé parce qu'il était Palestinien. Est-ce qu'il était un jiadiste ? Il a été le bouc émissaire des immigrants.es sans papiers.

Ce mirage ne peut pas fonctionner. La promesse de rédemption, la promesse que tout ce qui va mal va être éliminé si nous nous débarrassons de ces mauvaises personnes, ne peut être satisfaite. C'est à ce moment-là qu'on choisit un autre groupe. Le Pasteur Niemöller disait : « Il sont venus chercher les communistes, et je n'ai rien dit parce que je n'étais pas communiste ». C'est tellement prophétique. Vous savez, quand la rédemption ne vient pas, que : « renvoyez chez eux les Mexicains, les jiadistes » (ne résout rien), les gens vont se tourner vers un autre bouc émissaire. Nous devons prendre conscience que c'est un processus en marche. Il se dirige vers une forme de plus en plus autoritaire chaque semaine, chaque mois, chaque année, comme s'il n'y avait pas de force pour l'arrêter. Nous sommes dans une dynamique extrêmement dangereuse.

A.G : Je veux savoir comment Wall Street s'insère dans ce tableau. Pendant que nous parlons, CNBC, le canal d'affaire de NBC publie : « Comme D. Trump se dirige vers l'investiture républicaine, plusieurs dirigeants.es de Wall Street ont décidé de ne rien dire contre lui et dans certains cas, on considère l'idée de le soutenir plutôt que Joe Biden. C'est une décision réfléchie selon plus d'une douzaine de personnes familières (de ce milieu). Cela reflète une position partagée par une grande partie de Wall Street qui s'applique à se faire à l'idée que D. Trump sera vraisemblablement investit candidat à la Présidence par le Parti républicain et battra J. Biden en novembre prochain. Un sondage de Real Clear Politics dimanche concluait qu'en moyenne, D. Trump battrait J.Biden par 2 points à l'élection générale ». Qu'est-ce que cela veut dire ? Et croyez vous que l'argent fait le président ? C'est un lieu commun ou non ?

R.P. : Si l'argent fait le Président, Nikki Haley est sur la bonne pente puisqu'elle est la candidate des frères Koch n'est-ce pas ? Bien des choses déterminent qui sera Président.

Ce qui me renverse c'est que cette élite d'affaire dise : « Oui, ça ne fait pas de différence ». Ça ne fait pas de différence que D. Trump gagne. Qu'elle puisse travailler avec lui est un autre exemple de la situation de Fritz vo Papen. L'histoire ne l'absoudra pas. Elle va être vue comme partie du problème quand la population regardera les ruines, les ruines fumantes des États-Unis comme république s'il y a des historiens.nes pour nous le dire dans 50 ans ou 100 ans. Ces gens doivent rejoindre la résistance anti fasciste (…). Pour ainsi dire, ils donnent une corde à D. Trump pour qu'il les pendent. Ils vont être à sa merci. Ce que Ron DeSantis à tenter de faire avec Disney n'est qu'une farce pour ceux et celles qui ont croisé D. Trump même s'ils sont les super dirigeants.es d'entreprises de l'univers. Il va avoir la technologie de la NSA à la portée. Il va avoir l'armée à sa portée. Et s'ils pensent qu'ils vont pouvoir négocier avec le crocodile (ils se trompent), c'est le crocodile qui va les manger finalement.

A.G : Parlez-nous du vote de la jeunesse. Il y a quelques temps, vous avez écrit dans le Washington Post que les Démocrates recherchaient le vote des jeunes.

R.P. : Oui, dans cette chronique et dans le livre sur lequel je travaille qui porte sur les dernières 25 années et qui s'intitule : « The Infernal Triangle ». Ce triangle, c'est l'autoritarisme républicain, l'incompétence des médias, le vôtre excepté, et une sorte d'incompétence de la démocratie. Le fait que le Parti démocrate n'est pas vu l'absolue priorité d'allumer la torche, pour paraphraser J.F. Kennedy, auprès des nouvelles générations américaines, est une vraie faute institutionnelle, une vraie tragédie. Parce que si les gens ne peuvent voir comment ils pourraient s'identifier au Parti démocrate, vous savez, dans notre système politique tel qu'il existe, c'est comme le disait Stephen Douglas aux Afroaméricains.es en 1880. Le Parti républicain peut prendre de la place, peut aussi devenir de plus en plus ploutocratique. (…) Et si le Parti démocrate ne donne pas aux jeunes électeurs.trices, qui dans 10, 20, 30, 40, 50 ans seront l'électorat vieux ; … qu'ils et elles adhérent au Parti démocrate maintenant pourrait maintienir leur loyauté. S'ils et elles ne gagnent pas, ne maintiennent pas leur loyauté, feront pas leur part va manquer dans la lutte au fascisme également.

J'avais été très encouragé par Joseph Biden et Kamala Harris …. en 2020, (disant qu'ils allaient être) une sorte de pont pour la nouvelle génération de Démocrates. Mais ils ont fini par s'accrocher à leur influence comme à une sinistre mort. Vous connaissez Ryan Grim ? Il publie un merveilleux livre intitulé The Squad. (À propos de Nancy Pelosi) le plus choquant, et ont en reste bouche bée franchement, c'est comme si instinctivement, elle semblait traiter avec condescendance la « Squad » (coalition de 4 jeunes femmes de gauche dans le Parti démocrate. Ndt.) et Alexandria Ocasio-Cortez. Elle ne les voit pas comme un atout mais bien comme une menace à son influence. Elle a même renommé le « Green New Deal », « Green new dream ». Elle en fait n'importe quoi.

Je reviens à votre segment précédent sur l'enjeu d'Israël et de la Palestine. (On y trouve une illustration) de la réaction de la classe vieillissante de 70-80 ans quand il s'agit du Proche Orient.Elle n'a aucun sens pour l'électorat dans la vingtaine, n'est-ce pas ? C'est tout simplement une terrible triste situation. Et nous avons ce boulet. Mais je vais me rendre au bout avec les candidats.es démocrates parce que ce Parti est la barque, tout le reste c'est la mer. Nous devons sérieusement penser à comment nous sortir de cette effroyable situation.

A.G. : Pouvez-vous nous dire ce que vous espérez de la primaire du New Hampshire ? Pas la républicaine mais la démocrate. Le Président Biden a dit que cette primaire comme celle de l'Iowa ne devrait pas venir en début de campagne. Ce sont les États les plus « blancs » du pays qui en détermineraient le programme pour le reste, donnant le plan pour ce qui viendra ensuite. Donc, il ne figure pas sur les bulletins de vote au New Hampshire. Discrètement, ses supporters lancent une campagne en sa faveur par l'inscription de son nom à la main sur les bulletins. Expliquez-nous ce qu'il en est et ce que vous surveillez dans la compétition Haley-Trump ; qui vote pour qui ? Qui est le député Dean Phillips ?

R.P. : À propos des Démocrates : voir la direction du Parti dans ces États s'accrocher à sa position de pouvoir comme à une sinistre mort, à persister à être les premiers dans la nation, même si le Comité national démocrate a tenté, raisonnablement et de manière responsable de réformer tout cela ! Cela nous mets face à une tragédie de plus : quand un groupe qui détient le pouvoir se représente, qu'il n'a pas le courage patriotique et civique de faire quelque chose pour le bien commun du pays. Ça aurait pu se régler en 2024, ça ne le sera pas.

Quant aux Républicains : je vais encore et encore répéter que Donald Trump va remporter le maximum de votes dans les primaires. Il ne vaut même pas la peine d'y attacher autant d'attention. Ce qui importe pour ceux et celles qui votent pour lui est de savoir combien d'entre eux et elles seraient prêts.es à prendre les armes le 6 janvier 2025. S'il perd, nous savons très bien qu'il va proclamer qu'il a gagné. Donc, nous devons réellement penser à ces jours non seulement par rapport au vote républicain mais aussi aux Républicains.nes comme formation paramilitaire. Et si les journalistes n'en parlent pas en ce sens, s'ils et elles n'y pensent pas en ce sens c'est que leur vie se passe en 1996.

A.G : Finalement, Rick, (quand on voit) D. Trump applaudir Viktor Orbán de Hongrie et dire ce qu'il va faire le premier jour de sa (future) présidence, c'est-à-dire être un dictateur d'un jour… Quel sérieux faut-il lui accorder ?

R.P. : Beaucoup de sérieux. Il n'existe pas de dictateur d'un jour. Dire que vous allez annuler des décrets de l'exécutif c'est une chose. C'est constitutionnel, légal. Mais si vous y pensez comme une preuve de dictature … Les Républicains.es se sont réunis et ont conçu un plan complet pour 2025. Il compte des milliers de pages où on trouve l'idée de défaire les services publics. C'est un plan pour défaire la forme américaine de gouvernement. Donc c'est quelque chose qu'il faut prendre avec sérieux. (Un art. a déjà été publié sur PTAG à ce sujet. Ndt). Malheureusement, des gens comme Jamie Dimon veulent l'aider à le faire.

A.G. : Pourquoi, selon vous, le soutient à D. Trump ne faiblit pas alors qu'il fait face à 91 accusations ?

R.P. : C'est le « Führerprinzip », le mot allemand pour dire que la personne de D. Trump détient toute la vérité, la réalité, la rédemption. C'est le culte de la personnalité. Rien ne vient briser cela. Si par exemple, c'est un procureur général d'un État qui le poursuit, cela veut dire qu'il est Afro-américain, qu'il est étranger, pas un vrai Américain. Le jury dans la poursuite à Washington va être noir, donc pas de vrais.es Américians.es. S'il s'agit d'une accusation d'un tribunal fédéral, ce n'est qu'une extension de l'État profond et de Joe Biden qui tente de le discréditer. Les faits n'importent pas. C'est l'espace du rêve fasciste, du mythe où il y a des bons et des mauvais et D. Trump est bon. Tous ceux et toutes celles qui lui sont associés.es sont temporairement bons et bonnes et quiconque s'oppose a lui est mauvais et doit être éliminé. Nous sommes dans cette situation en ce moment. Il faut le regarder droit dans les yeux et résister avec tous nos moyens.

A.G. : Rick est l'auteur d'une œuvre en quatre volumes sur le mouvement conservateur moderne.

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Trump gagne en Iowa : l’argent dans la politique américaine

30 janvier 2024, par Dan La Botz — , ,
L'ancien président Donald Trump a remporté la primaire républicaine de l'Iowa à la mi-janvier, la première primaire du pays, avec 51 % des voix, le reste étant réparti entre (…)

L'ancien président Donald Trump a remporté la primaire républicaine de l'Iowa à la mi-janvier, la première primaire du pays, avec 51 % des voix, le reste étant réparti entre ses rivaux, le gouverneur de Floride Ron DeSantis et Nikki Haley, l'ancienne gouverneure de Caroline du Sud.

25 janvier 2024 | Hebdo L'Anticapitaliste - 692
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/trump-gagne-en-iowa-largent-dans-la-politique-americaine

Après ce résultat, DeSantis s'est retiré de la course et a annoncé qu'il soutenait désormais Trump. Les candidats sont maintenant en route pour le New Hampshire, où Trump devrait également l'emporter.

Si la victoire de Trump est largement due à son charisme et à la loyauté de sa base, l'argent joue un rôle énorme dans les élections américaines. Les candidats républicains ont dépensé 124 millions de dollars pour l'élection dans l'Iowa, la majeure partie de cette somme étant consacrée à la publicité télévisée et aux médias sociaux tels que Facebook et Google. L'organisation de M. Trump, Make America Great Again Inc. a diffusé environ 21 000 publicités télévisées. Mais l'argent n'a pas été décisif dans l'Iowa : Haley, qui a dépensé le plus, est arrivée en dernière position.

1 112 dollars par électeurE dans l'Iowa

L'Iowa compte 2 083 979 électeurs républicains inscrits, mais seuls 15 % d'entre eux, soit 110 000, se sont présentés aux caucus, la forme que prend leur primaire, dont les réunions se sont tenues dans les 99 comtés de l'État. Les 124 millions de dollars dépensés représentent 1 112 dollars par électeurE. La population de l'Iowa est à 87,9 % blanche et le Parti républicain l'est à 95 %.

Lors de cette primaire, l'Iowa n'élit que 40 des 2 500 délégués républicains à la convention, soit moins de 2 % du total, mais parce qu'elle arrive la première, elle peut donner le ton de l'ensemble des primaires républicaines. Les Démocrates n'organisent plus leur première primaire dans l'Iowa car ils estiment qu'elle donnerait un poids démesuré à une population majoritairement blanche et rurale qui n'est pas représentative du pays.

La prochaine primaire républicaine aura lieu le 23 janvier dans le New Hampshire, où la population est à 88,9 % blanche. Cette primaire permettra de désigner 22 délégués à la Convention républicaine, soit moins de 1 % du total. Les Démocrates de l'État organiseront également une élection primaire non officielle le même jour, mais le nom du président Joe Biden, candidat présumé, ne figurera pas sur le bulletin de vote.

55 % des contributions des entreprises aux Républicains

Dans toutes les élections primaires et, plus tard, dans les élections générales, l'argent jouera un rôle clé dans la détermination du vainqueur. L'affaire Citizens United vs. Federal Election Commission, jugée en 2010 par la Cour suprême, a renversé des règles électorales établies de longue date, et a permis aux riches particuliers, aux entreprises, aux syndicats et à d'autres de dépenser des sommes illimitées pour les élections. Cela a conduit à la création de « super-PACS » (comités d'action politique) qui peuvent accepter des contributions illimitées et les dépenser en faveur ou contre des candidats. On estime que 55 % des contributions des entreprises vont aux Républicains et 45 % aux Démocrates. Les Républicains reçoivent également des fonds de nombreux groupes conservateurs, tels que les chrétiens évangéliques qui ont contribué à hauteur de 2,3 milliards de dollars à l'élection de 2020, presque entièrement au profit des Républicains. Les Démocrates reçoivent également des fonds des syndicats, des organisations de NoirEs, de Latinos, de femmes et de LGBT. Les syndicats ont versé 1,8 milliard de dollars, dont la quasi-totalité aux Démocrates pour l'élection de 2020.

« Le comité exécutif de la classe dirigeante »

Le mouvement Occupy Wall Street de 2011 a exigé que l'argent des entreprises soit retiré de la politique. Bernie Sanders a repris ce cri en 2016 lorsqu'il s'est présenté à l'élection présidentielle. Comme l'a déclaré Nina Turner, coprésidente de la campagne de Sanders, « le trop-plein d'argent dans la politique étouffe les voix des gens ordinaires. Cela fait partie du casse-tête américain : plus on a d'argent, plus on peut s'exprimer. Cela exclut les gens ordinaires de l'équation ».

La gauche américaine au sens large convient que l'argent permet aux entreprises d'acheter le gouvernement qu'elles souhaitent, de sorte qu'il devient, selon les termes de Karl Marx, « le comité exécutif de la classe dirigeante ». L'alternative est la construction d'un mouvement de masse de la classe ouvrière et des personnes opprimées qui pourraient utiliser leur puissance sociale et politique pour créer un pays plus démocratique et socialement progressiste.

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États-Unis : exemple du Massachussetts qui augmente les impôts de 4% pour financer la santé

30 janvier 2024, par Félix Cauchy-Charest — , ,
Lunchs scolaires gratuits pour tous les élèves, investissements dans le transport collectif, abolition des frais de scolarité dans les collèges et universités publics, (…)

Lunchs scolaires gratuits pour tous les élèves, investissements dans le transport collectif, abolition des frais de scolarité dans les collèges et universités publics, investissements dans les infrastructures, voilà autant d'objectifs louables auxquels les membres du gouvernement et faiseurs d'opinion opposent habituellement la fameuse « capacité de payer de l'État ». Pour dénouer ce nœud gordien et diminuer les inégalités de richesse en faisant d'une pierre deux coups, l'État du Massachussetts a peut-être trouvé la solution.

15 janvier 2024 | CSQ
https://www.lacsq.org/actualite/quand-le-massachusetts-montre-lexemple/

Par Félix Cauchy-Charest, conseiller CSQ

Lors des dernières élections de mi-mandat, le 8 novembre 2022, les personnes votantes ont dû se prononcer sur une série de propositions d'amendement à la constitution de l'État, dont celle d'imposer une taxe supplémentaire de 4 % aux contribuables ayant des revenus supérieurs à 1 million $, afin de réinvestir l'argent dans les secteurs de l'éducation et du transport.

Les électrices et électeurs ont voté à 52 % en faveur de cette modification constitutionnelle, après une chaude lutte par le Fair Share Massachusetts, le Vote Yes on Fair Share 2022 ainsi que la Coalition for Social Justice Fair Share 2021-2022 qui s'y opposaient. En 2018, une tentative de faire passer la même mesure comme une nouvelle législation d'initiative populaire avait échoué pour des raisons techniques.

Trois grandes organisations syndicales, l'American Federation of Teachers (AFT), le Massachusetts Teachers Association (MTA) ainsi que le conseil massachusettois du Service Employees International Union (SEIU) figuraient au nombre des organisations appuyant cet amendement.

Les arguments

Les différents groupes défendant cette proposition d'amendement ont fait valoir que la pandémie avait mis en lumière les dangers du sous-financement chronique du filet de sécurité sociale de l'État. Le sénateur démocrate, James O'Day, soulignait que l'économie du Massachusetts fonctionnait très bien pour le 1 % des plus fortunés et qu'il était temps pour l'ensemble des citoyennes et citoyens de l'État de récolter les bénéfices de la richesse que leur travail a produits.

De leur côté, les opposants ont mis de l'avant les arguments classiques anti-impôt, arguant que les dollars prélevés aux riches empêcheraient autant d'investissements dans l'économie et dans la création d'emplois dans les petites entreprises. En résumé : « Créons de la richesse, nous la redistribuerons plus tard. »

Combien vaut le 4 % du 1 % ?

Les partisanes et partisans de l'amendement peuvent dire qu'ils ont visé dans le mille. Avec cette modification constitutionnelle, le Massachusetts, qui compte 6 millions d'habitants,a récolté la coquette cagnotte de 1,5 milliard de dollars. Cette dernière sera investie dans les secteurs identifiés dans le projet d'amendement (voir encadré).

LA QUESTION SOUMISE AUX ÉLECTRICES ET ÉLECTEURS

Voici ce à quoi devaient répondre les électrices et électeurs du Massachusetts lors des élections de mi-mandat, en novembre 2022 :

Approuvez-vous l'adoption d'un amendement constitutionnel tel que résumé ci-bas, approuvé par une session commune des deux chambres (Chambre des représentants et Sénat), le 12 juin 2019 et le 9 juin 2021 ?

Afin d'allouer les ressources nécessaires pour assurer une éducation publique de qualité et une abordabilité pour les collèges et universités, ainsi que pour la réparation et le maintien des routes, ponts et transports collectifs, que tous les revenus reçus en lien avec ce paragraphe soient étendus et sujets à appropriation, pour ces matières seulement. En supplément des taxes sur le revenu autrement autorisées par cet article, que soit instituée une taxe additionnelle de 4 % sur la portion du revenu imposable excédant 1 000 000 $. Afin de s'assurer que cet impôt additionnel continue de ne s'appliquer qu'aux plus riches contribuables, ce seuil d'un million de dollars sera ajusté annuellement pour refléter la hausse du coût de la vie selon les mêmes paramètres utilisés pour calculer les paliers d'impôt du gouvernement fédéral. Ce paragraphe s'appliquera à toutes les années fiscales, commençant le 1er janvier 2023 et suivantes.

Des leçons pour le Québec ?

Attention aux raccourcis, met en garde Minh Nguyen, conseiller à la recherche socioéconomique et à l'action politique à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). « Le contexte fiscal du Massachusetts n'est pas celui du Québec. Notre 1 % n'est pas le même », explique-t-il.

Rappelons que le régime fiscal québécois prévoit quatre paliers d'imposition :

Premier palier : 14 % sur les premiers 51 780 $ ;
Deuxième palier : 19 % de 51 780 $ à 103 545 $ ;
Troisième palier : 24 % de 103 545 $ à 126 000 $ ;
Quatrième palier : 25,75 % au-delà de 126 000 $.

« En venant ajouter des paliers fiscaux à 250 000 $ et à 500 000 $ de revenu déclaré, par exemple, on viendrait chercher une meilleure répartition de la richesse produite au Québec, c'est certain, affirme Minh Nguyen. Cependant, on ne tient pas compte des gains en capitaux, de la valeur des actifs des mieux nantis ou des stratégies d'évitement fiscal, etc. » En prenant en compte tous ces éléments, on constate qu'« une vraie réflexion sur la fiscalité s'impose », conclut-il.

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Etats-Unis : Mensonges sur les élections

30 janvier 2024, par Flora, Olivia et l'équipe d'Ekō — , ,
Meta vient de lever l'interdiction des publicités affirmant que les dernières élections américaines ont été truquées. *Il s'agit d'un cadeau pour Trump, et d'un cauchemar pour (…)

Meta vient de lever l'interdiction des publicités affirmant que les dernières élections américaines ont été truquées. *Il s'agit d'un cadeau pour Trump, et d'un cauchemar pour la démocratie.

*Dites à Meta de cesser de diffuser de fausses annonces sur les élections.*

SIGNER LA PÉTITION

Ami, amie,

Mark Zuckerberg a discrètement *levé l'interdiction des publicités affirmant que l'élection américaine a été truquée*, autorisant ainsi une nouvelle vague de désinformation pro-Trump sur Facebook et Instagram, alors que les prochaines élections approchent.

Il s'agit ni plus ni moins d'une sordide opération financière destinée à capitaliser sur le flot ininterrompu de mensonges des extrémistes, dans l'indifférence la plus totale quant aux conséquences que cela pourrait entraîner dans le monde. *Mais nous avons l'opportunité de l'empêcher.*

Zuckerberg sait très bien qu'il pourrait s'attirer les foudres du grand public et nuire à Meta avec ce coup bas. Il a donc glissé cette mesure très discrètement dans une mise à jour des politiques de Meta. *À l'approche des élections américaines, nous pouvons lancer une vaste campagne publique *qui obligera Meta à faire marche arrière sur cette politique dangereuse qui pourrait avoir des conséquences désastreuses dans le monde entier. Signez maintenant :

Dites à Meta d'interdire la diffusion de publicités mensongères sur les élections dès maintenant. <https://act.sumofus.org/go/686440?t...>

Les États-Unis ne sont pas le seul pays concerné. Meta a également levé les interdictions relatives aux infox sur les résultats des élections en Italie et au Brésil, pays dans lequel les mensonges de Bolsonaro sur les élections de 2022 ont conduit des manifestants armés à prendre d'assaut le Congrès lors d'une tentative de coup d'État.

Zuckerberg est en train de démanteler les démocraties du monde entier, une élection à la fois, au lieu de faire en sorte que les erreurs du passé ne soient plus jamais commises.

Les *membres d'Ekō ont déjà fait en sorte que Meta fasse marche arrière*, notamment lorsque l'entreprise envisageait de créer un Instagram ciblant directement les enfants. *Nous pouvons renouveler l'exploit ! Signez la pétition :*

Dites à Meta d'interdire la diffusion de publicités mensongères sur les élections dès maintenant. <https://act.sumofus.org/go/686440?t...>

SIGNER LA PÉTITION <https://act.sumofus.org/go/686441?t...>

Merci pour tout ce que vous faites,
Flora, Olivia et l'équipe d'Ekō

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Géographie de la violence : les États-Unis en pole position

30 janvier 2024, par Gilles Fumey, Manouk Borzakian, Nashidil Rouiai, Renaud Duterme — , ,
Le retour de Trump sur la scène électorale (il vient de gagner la 2e étape des primaires républicaines) met en relief une des particularités des États-Unis : ils sont l'un des (…)

Le retour de Trump sur la scène électorale (il vient de gagner la 2e étape des primaires républicaines) met en relief une des particularités des États-Unis : ils sont l'un des États les plus violents de la planète.

Manouk BORZAKIAN (Lausanne), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (Université de Bordeaux).

24 janvier 2024 | Billet de Blog
https://blogs.mediapart.fr/geographies-en-mouvement/blog/240124/geographie-de-la-violence-les-etats-unis-en-pole-position

On ne parle pas d'un État failli comme certains qui ploient sous les coups des gangs, mais bien d'un pays qui revient tous les quatre ans dans une joute électorale démocratique qui se termine, depuis quelques scrutins, par une contestation des résultats. Un pays menacé par un parti non loin d'adouber Donald Trump pour la prochaine campagne présidentielle puisqu'il vient de remporter la deuxième manche des primaires dans le New Hampshire après l'Iowa. Un parti « axé sur le culte de la personnalité, qui a fait du trumpisme un populisme, un anti-internationalisme » (Fergus Cullen)[1]. Visé par 91 chefs d'accusation et rendu responsable en 2023 d'agression sexuelle, l'ancien président, « autoritaire qui convient bien à un nombre significatif de républicains » est, donc, en passe d'arracher la nomination du parti avec une réélection possible en novembre 2024.

Cette dérive autoritaire et violente peut choquer dans les pays démocratiques. Mais elle oblige à se positionner face à une violence « civilisationnelle »[2] des États-Unis. Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik confiait à Max Armanet : « C'est une morale perverse que de se dire qu'il n'y a qu'une seule morale qui existe, la mienne ! »[3] Il évoquait Poutine en Ukraine et pensait sans doute à Trump, hurlant au complot contre la justice de son pays.

Il n'empêche. Cette violence a pignon sur rue aux États-Unis : 43 000 homicides et suicides pour la seule année 2020. Le taux de mortalité par armes à feu pour 100 000 habitants y est de 4,1[4], et fait du pays le premier de la liste mondiale, le deuxième pays étant la Bulgarie avec 0,6 (environ huit fois moins), la France se positionnant à la 6e place (seize fois moins). Voici donc les électeurs républicains satisfaits du retour de leur chef après son passage en 2023 au congrès de la National Rifle Association, « une association célèbre qui réunit le peureux et les lâches d'Amérique se voyant bien vivre une arme dans chaque main et un couteau entre les dents »[5]. À l'automne 2023, on signalait la présence de Trump à cette réunion au moment où une vingtaine de gamins se faisaient assassiner par un déséquilibré. Et on doit rappeler qu'à la faveur d'un amendement dans la Constitution au 18e siècle, les Etats-Uniens sont autorisés à posséder une arme. Ce n'est même pas assez puisqu'il faudrait, à entendre Trump, équiper les vigiles et… les enseignants, hommes et femmes, arme automatique en bandoulière.

© World Prisons Brief, 2018

La violence, c'est aussi l'enfermement. D'après le World Prison Brief, les États-Unis sont le pays qui a le plus fort taux de détenus par habitant (666 prisonniers/100 000 habitants, soit 2 145 000 personnes derrière les barreaux) à comparer avec le Brésil (trois fois moins par habitant). Et toujours une surenchère pour construire de nouvelles prisons.

Le retour de Trump fait penser à cet épisode où Michel Serres remercie René Girard d'avoir « fait entendre, en ces abois, ces hennissements, ces hurlements d'animaux enragés […] ; d'avoir dévoilé, en cette meute sanglante, en ce nœud de vipères, en ces bêtes acharnées, la violence abominable de nos sociétés. (…) L'origine de la tragédie que Nietzche chercha sans la trouver, vous l'avez découverte, elle gisait, toute offerte, en la racine hellénique du terme lui-même : tragos, signifiant le bouc, ce bouc émissaire que des foules prêtes à la boucherie expulsent en le chargeant des péchés du monde, les leurs propres […] ». La tragédie des États-Unis, la voilà incarnée par Trump qui dévoile au reste du monde cette face qu'Ingrid Carlander qualifiait de « satanique »[6].

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[1] Libération, 23 janvier 2024, p. 6

[2] Marc Dugain, Les Echos, 10 juin 2022

[3] We demain, n°39, août 2022, p. 186.

[4] Source : Institute for Health Metrics and Evaluation's (IHME), 2019

[5] Marc Dugain (cité)

[6] Ingrid Carlander, Le Monde diplomatique, février 1991

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Yémen. Des mercenaires américains tuent pour le compte des Émirats arabes unis

30 janvier 2024, par Pierre Bernin — , , ,
Au moment où les projecteurs sont braqués sur les houthistes en mer Rouge, un documentaire de la BBC diffusé le 23 janvier 2024 jette une lumière crue sur les agissements des (…)

Au moment où les projecteurs sont braqués sur les houthistes en mer Rouge, un documentaire de la BBC diffusé le 23 janvier 2024 jette une lumière crue sur les agissements des Émirats arabes unis dans le sud du Yémen. Signée Nawal Al-Maghafi, l'enquête détaille l'implication de mercenaires américains et d'une entreprise israélienne dans l'assassinat de figures politiques et religieuses à Aden depuis 2015.

Tiré d'Orient XXI.

L'élimination de figures du parti Al-Islah, branche yéménite des Frères musulmans, ainsi que de leaders salafistes et de journalistes a longtemps été une dimension ignorée de la stratégie émiratie au Yémen. La longue série d'assassinats perpétrés dans les gouvernorats du sud, en particulier entre 2016 et 2018, est souvent apparue aux yeux des observateurs extérieurs comme un enjeu marginal du conflit. Elle était considérée comme un avatar (implicitement acceptable) de la lutte contre les djihadistes, une politique jugée nécessaire et efficace après la libération d'Aden de l'emprise houthiste au cours de l'été 2015. En tout état de cause, elle demeurait sous bien des radars.

Dans ce contexte, les autorités d'Aden, affidées aux Émiratis, faisaient commodément passer les assassinats ciblés de dizaines d'individus sur le compte de règlements entre islamistes. Elles pointaient du doigt des responsabilités djihadistes ou même houthistes, comme c'est le cas dans l'assassinat de la figure montante du salafisme Abdel Rahman Al-Adani, tué en février 2016. Dans d'autres cas, elles annonçaient que les éliminations extrajudiciaires qu'elles avaient menées ciblaient des membres d'Al-Qaida ou de l'organisation de l'État islamique (OEI).

Tuer les opposants

Mais dans la capitale du sud et ses environs, l'implication émiratie dans des assassinats qui avaient en réalité une tout autre ambition était un secret de polichinelle. Ont ainsi été ciblés des civils qui se tenaient à l'écart des djihadistes, et n'avaient aucun autre engagement que politique ou lié la mosquée. Ils avaient cependant tous en commun de critiquer les Émirats arabes unis (EAU). La liste des victimes de cette guerre secrète est longue : au moins cent personnes ont été éliminées entre 2016 et 2018 dans des attaques qui ont entretenu l'insécurité dans la grande ville, et continuent de le faire jusqu'à aujourd'hui. Alors qu'Aden devait au cours de cette période devenir la vitrine d'un Yémen pacifié, débarrassé des houthistes, elle a été maintenue dans un état d'instabilité et de misère. La ville a ainsi pu incarner aux yeux de bien des Yéménites, l'incurie des alternatives aux rebelles venus du nord.

Parmi ces victimes, on trouve Adel Al-Shihri, un salafiste qui avait engagé un rapprochement avec le parti Al-Islah et critiquait Al-Qaida. Une figure reconnue, tout comme Rawi Samhan Al-Ariqi, qui avait le même profil. Leurs assassinats n'ont jamais été élucidés. Un autre homicide, celui de Mohsen Al-Sarari, fils de la militante des droits humains Houda Al-Sarari, en 2019, illustre combien cette guerre secrète n'avait que peu à voir avec la lutte contre les djihadistes. Des dizaines de militants ou cadres locaux d'Al-Islah, dont Ansaf Mayo, député au Parlement yéménite ayant survécu à une attaque à la voiture piégée, ont par ailleurs été pris pour cibles, de même que des journalistes travaillant pour des médias proches de ce parti.

Un documentaire diffusé par Al-Jazira1 en 2018 (au paroxysme des tensions entre le Qatar et ses voisins) dans la fameuse émission d'investigation Al-Sunduq Al-Aswad (La boîte noire) avait déjà accusé les EAU de commanditer des assassinats en série pour lutter contre ses opposants, plus particulièrement les Frères musulmans dans le sud. Le documentaire démontrait que cette stratégie s'accompagnait de nombreuses violations des droits humains, et notamment de la systématisation de la torture à l'intérieur de centres secrets disséminés dans les zones sous contrôle émirati.

Témoignages directs des tueurs

Six ans plus tard, l'implacable documentaire de Nawal Al-Maghafi donne de la substance aux accusations visant les Émirats arabes unis. Cette journaliste d'origine yéménite a une solide expérience et a notamment remporté trois Emmy Awards pour son travail sur le trafic sexuel en Irak et sur la crise Covid au Yémen. Intitulé American Mercenaries : Killing in Yemen, son documentaire donne à entendre le récit direct de citoyens américains anciens soldats, ayant participé de manière directe au programme d'élimination. Dans leurs interventions, ils affirment avoir œuvré à la lutte contre les djihadistes, sûrs d'avoir fait le bien, obéissant sans mot dire aux ordres venus d'Abou Dhabi.

Au fil du documentaire, des réseaux macabres se révèlent. Les mercenaires ont été recrutés via l'entreprise de sécurité Spear Operations Group dirigée par l'israélo-hongrois Abraham Golan, grâce à ses contacts avec Mohammed Dahlan, Palestinien de Gaza devenu conseiller de Mohammed ben Zayed, le dirigeant émirati.

L'enquête de la journaliste, entretiens et documents à l'appui, bénéficie du travail fastidieux mené par l'organisation Reprieve et par le juriste Baraa Shiban. Elle inclut aussi des révélations plus anciennes diffusées par le média américain d'information BuzzFeed (2) en 2018. Ensemble, ces divers éléments démontrent combien les profils de la plupart des victimes ne peuvent aucunement être associés aux mouvements islamistes armés. Et quand bien même ils le seraient, les exécutions extrajudiciaires demeurent une violation patente des droits humains, menées en dehors de tout cadre juridique.

Le documentaire illustre combien il ne s'agit aucunement de « victimes collatérales », mais bien d'une stratégie délibérée d'élimination des opposants aux Émirats, quitte à s'allier au passage certains djihadistes hostiles aux Frères musulmans. Des noms et des détails sont livrés, en plus de curieuses concomitances, comme celle entre l'assassinat d'Ahmed Al-Idrissi, un dirigeant du mouvement sudiste réputé avoir refusé de livrer le port d'Aden qui était sous son contrôle, et la cession de la gestion de ce port aux Émirats arabes unis. Enjeux politiques et affairisme sont étroitement mêlés.

Un documentaire à des fins politiques ?

Sans surprise, le documentaire a fait grand bruit sur les réseaux sociaux yéménites. La nature des échanges illustre la fragmentation du champ politique, mais aussi la mauvaise foi de bien des intellectuels, journalistes et décideurs au Yémen, qui continuent de se positionner en fonction des intérêts de leurs sponsors régionaux. À cet égard, les réactions face aux éléments apportés par la BBC constituent un bon indicateur de l'état du débat public après presque une décennie de guerre.

Face aux révélations de Nawal Al-Maghafi, les défenseurs des Émirats ont eu beau jeu de renvoyer la journaliste à une alliance imaginaire avec les houthistes du fait de ses origines supposément hachémites (descendants du Prophète), partagées avec les leaders du mouvement rebelle. Leur critique du documentaire de la BBC veut s'inscrire dans le mouvement intellectuel de redéfinition de l'identité yéménite qui vise à exclure les Hachémites du récit national. En même temps, les défenseurs des EAU soulignent l'implication supposée des Frères musulmans dans ces révélations, montrant combien la polarisation régionale autour de la relation à la confrérie continue à structurer enjeux et positions.

Contre toute attente, on trouve également dans les critiques certains militants pro-houthistes qui, forts de leur popularité acquise grâce à leur engagement en faveur de Gaza, tentent à présent de ne pas s'aliéner les Émirats. Ceux-là ont ainsi pointé du doigt le caractère opportuniste de la sortie de ce documentaire. De leur point de vue, le film constitue une tentative du Royaume-Uni (BBC oblige) afin de faire pression sur les Émirats arabes unis qui refusent de rejoindre la coalition militaire formée avec les États-Unis pour stopper les attaques houthistes en mer Rouge. Cette critique semble faire bien peu de cas du professionnalisme de la rédaction de la BBC et de la temporalité d'une telle enquête débutée il y a plusieurs années.

Défendre les droits humains

Sans doute, le documentaire valide-t-il auprès du public yéménite un sentiment largement partagé d'exaspération face à la stratégie émiratie. Du Soudan à la Libye en passant par le Yémen, la politique étrangère émiratie soutenue en particulier par la France est, depuis les soulèvements arabes de 2011, fauteuse de troubles, de violences et d'instabilité. En cherchant à installer sur l'île de Socotra une base militaire et un comptoir, en soutenant le mouvement sudiste contre le gouvernement reconnu par la communauté internationale, la « petite Sparte » a développé une diplomatie dont les ambitions, comme les moyens, sont problématiques. L'état de décomposition du Yémen doit beaucoup aux décisions prises à Abou Dhabi, sans doute autant qu'à l'hubris des dirigeants saoudiens.

Dans sa réaction à la diffusion du documentaire, Ali Al-Boukhaiti, ancien partisan des houthistes devenu un féroce critique, relevait combien la stratégie d'élimination des figures politiques et religieuses à Aden avait directement contribué à l'échec de la coalition menée par l'Arabie saoudite. Cette tactique a en effet divisé profondément le camp anti-houthiste et généré une défiance à l'égard des acteurs régionaux. Deux jours après la diffusion, Al-Boukhaiti a organisé un space (salon de discussion) sur X (ex-Twitter) afin d'évoquer le documentaire, rassemblant plus de 15 000 personnes en direct.

En parallèle, les réactions face au documentaire s'inscrivent aussi dans une volonté de porter l'affaire des assassinats extrajudiciaires devant les tribunaux. Pour nombre d'activistes et militants — dont certains ont été emprisonnés et torturés par les forces de sécurité émiraties —, les éléments présentés fournissent de la matière à des poursuites internationales. Le travail mené par Reprieve, mais également par Huda Al-Sarari est à cet égard d'une grande importance. Sa mise en lumière par Nawal Al-Maghafi constitue une étape fondamentale.

Notes

1- « Quel rôle pour les Emirats souhaitent-il jouer au Yémen ? »

2- « A Middle East Monarchy Hired American Ex-Soldiers to Kill Its Political Enemies. This Could Be the Future of War »

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La mer de Chine orientale, cette autre zone de tensions en Indo-Pacifique

30 janvier 2024, par Olivier Guillard — , ,
Taïwan, la Corée du Nord et la mer de Chine du Sud ne sont pas les seuls points chauds en Asie-Pacifique. La mer de l'Est ou mer de Chine orientale a connu un dangereux regain (…)

Taïwan, la Corée du Nord et la mer de Chine du Sud ne sont pas les seuls points chauds en Asie-Pacifique. La mer de l'Est ou mer de Chine orientale a connu un dangereux regain de tension dans le dernier semestre, souligne Olivier Guillard dans cette tribune.

Tiré de Asialyst
21 janvier 2024

Par Olivier Guillard

Un navire de surveillance de la marine chinoise croise des gardes-côtes japonais près des îles Senkaku/Diaoyu en mer de Chine orientale, le 23 avril 2013. (Source : Bloomberg)

*En direction de Séoul et de Washington en cette année électorale (législatives sud-coréennes en avril, présidentielles américaines en novembre).

Au même titre que l'inquiétante actualité sino-taïwanaise de ces derniers mois et que l'effervescente agitation rhétorique et balistique de la défiante Corée du Nord*, la mer de Chine du Sud et sa kyrielle d'incidents, d'intimidations et de postures belliqueuses entre les marines chinoises et philippines du trimestre passé a très logiquement attiré la plus grande attention de la communauté internationale et la curiosité de l'opinion. C'est que le niveau de tension est devenu singulièrement préoccupant entre Pékin et Manille, littéralement à couteaux tirés par bâtiments interposés dans le sensible périmètre du Second Thomas Shoal (haut-fond), dans l'archipel des Spratleys.

*Cf. Britannica.
Ce trio majeur de points chauds asiatiques pourrait naturellement être complété par la guerre civile en cours en Birmanie depuis bientôt trois ans. Il mérite amplement l'attention qui lui est consacré, tant les enjeux associés emportent de lourdes conséquences régionales et internationales. Pourtant, à y regarder de plus près, il est un autre espace asiatique maritime disputé où, à intervalles réguliers, s'exercent les pressions concurrentes d'acteurs étatiques aux conceptions territoriales pas nécessairement alignées, là encore : la mer de Chine orientale (ou mer de Chine de l'Est). Étirée sur environ 750 000 km², cette zone maritime est un bras de l'océan Pacifique bordant l'Asie orientale continentale et s'étendant vers le Nord-Est depuis la mer de Chine méridionale, à laquelle elle est reliée par le sensible détroit de Taïwan*. Elle s'étend à l'Est jusqu'à la chaîne des îles japonaises Ryukyu, au Nord jusqu'à Kyushu, au Nord-Ouest jusqu'à l'île sud-coréenne de Cheju, enfin à l'Ouest jusqu'aux provinces orientales côtières chinoises. « Un grand nombre d'îles et de hauts-fonds parsèment la frontière orientale ainsi que la zone proche de la Chine continentale », précise utilement Britannica.

Souveraineté territoriale et contentieux

*Situées à 150 km au nord de Yonaguni (Japon), à 190 km au nord-est de Keekung (Taiwan), à 350 km au sud-est de Wenzhou (Chine). **En 2012, le gouvernement japonais a acheté ce chapelet rocheux inhabité à une famille nippone pour quelques dizaines de millions de dollars (Le Monde, 5 septembre 2012). ***Cf. site de l'Ambassade du Japon en France.

La République populaire de Chine, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud se disputent l'étendue de leurs zones économiques exclusives (ZEE) respectives en mer de Chine orientale. C'est précisément entre la deuxième et le troisième économie mondiale que le désaccord est le plus marqué au niveau de la souveraineté dans ce périmètre maritime orientale contesté. Pékin et Tokyo cumulent deux contentieux distincts à son propos : le premier concerne la souveraineté sur les îles Senkaku*/Diaoyu, 8 îlots rocheux inhabitués sur 7 km², situés au nord-ouest de Taïwan, administrés par le Japon** mais revendiqués par la Chine (ainsi que Taïwan). « Après le rattachement des îles Senkaku en 1895, le gouvernement chinois ne contesta pas la souveraineté japonaise sur ces îles pendant plus de 75 ans. Tout changea dans les années 1970, lorsque les îles suscitèrent un intérêt croissant en raison de la possible présence de gisements pétroliers en mer de Chine orientale », souligne à ce sujet le gouvernement japonais***.

*SIPRI, Promoting crisis management in the East China Sea.

Le second contentieux sino-nippon en mer de Chine orientale concerne la délimitation maritime et notamment les zones économiques exclusives (ZEE) de 200 milles nautiques, calculées à partir des lignes de base des côtes des deux pays. Celles-ci se chevauchent sur une superficie non négligeable. Pékin revendique l'extension de sa ZEE le long de son plateau continental jusqu'à la côte japonaise, tandis que Tokyo promeut une résolution selon le principe d'équité et une frontière maritime le long d'une ligne médiane*.

Récentes frictions

Lors du semestre écoulé, de l'été 2023 aux premiers jours de 2024, la mer de Chine orientale a été le théâtre de divers épisodes de tension entre acteurs régionaux. Sans augurer nécessairement à court terme une escalade se muant en crise plus grave, elles laissent toutefois entrevoir à court et moyen terme de possibles lendemains crispés.

*USNI news, 14 décembre 2023.
À la mi-décembre, les armées de l'air russe et chinoise patrouillaient conjointement dans la région Asie-Pacifique. Elles déployaient à cette occasion des bombardiers stratégiques Tupolev-95MS et Hong-6K survolant la mer du Japon et la mer de Chine orientale, au grand déplaisir de Tokyo, entre autres*.

Une quinzaine de jours plus tôt, le 28 novembre, les autorités chinoises suggéraient à leurs homologues australiennes de les informer des mouvements de leur marine dans les zones contestées de la mer de Chine méridionale, mais également de la mer de Chine orientale. Et Pékin de mettre en garde Canberra contre les possibles « risques d'escalade et de détérioration des relations entre les deux armées ».

Début novembre, les garde-côtes chinois déclaraient avoir « mis en garde » plusieurs bâtiments japonais coupables « d'intrusion illégale » dans les eaux entourant les îles Senkaku/Diaoyu, et avoir « pris les mesures de contrôle nécessaires ». Pékin exhorte alors Tokyo à cesser immédiatement toute « activité illégale » dans la zone et à veiller à ce que de tels incidents ne se reproduisent pas à l'avenir… De leur côté, les garde-côtes japonais relatent que leurs patrouilleurs avaient demandé à plusieurs reprises à trois navires des garde-côtes chinois de quitter les eaux en question. Un face-à-face tendu – mais sans confrontation ni blessé – entre bâtiments chinois et nippons en tous points conformes à un incident similaire survenu mi-octobre.

Un « Millésime 2024 » encore plus crispé ?

Dans les derniers jours de l'année écoulée, la presse japonaise rappelait que le président chinois Xi Jinping avait ordonné récemment aux garde-côtes de la République populaire de « renforcer leur activité » pour « affirmer la souveraineté chinoise » sur les Senkaku/Diaoyu.

Des instructions suivies à la lettre par la marine chinoise en ces premières semaines de 2024 : quelques jours après effectué des manœuvres maritimes les 8 et 9 janvier (des exercices de tirs en conditions réelles) au large de Ningbo et Zhoushan au sud de Shanghai, la marine chinoise et ses garde-côtes supplétifs patrouillaient à nouveau quelques heures à proximité des Senkaku, « afin d'assurer la protection des droits », les garde-côtes japonais également déployés sur zone exhortant à plusieurs reprises les quatre navires chinois à quitter « les eaux territoriales nipponnes ».

Ces confrontations sino-japonaises en mer de Chine orientale n'ont jusqu'alors pas débouché sur des accrochages maritimes tels que ceux observés au dernier trimestre 2023 en mer de Chine du Sud entre les marines chinoise et philippine. Toutefois, à mesure que les garde-côtes chinois se montrent de plus en plus présents et entreprenants en mer de Chine du Sud et de l'Est, que Pékin s'arc-boute de plus en plus sur son agenda et sa posture nationaliste pour justifier, de Taïwan aux Spratleys, des Senkaku/Diaoyu aux Paracels, ses incertaines velléités territoriales, on ne peut à terme que redouter la survenance « accidentelle » d'un accrochage dans les eaux disputées entourant ces îlots rocheux inhabitués – mais si convoités.

*Congressional Research Service report U.S.-China Strategic Competition in South and East China Seas : Background and Issues for Congress, Congressional Research Service, 14 septembre 2023.

« Les actions des forces maritimes chinoises sur les îles Senkaku, administrées par le Japon, en mer de Chine orientale, sont une autre source de préoccupation pour les observateurs américains. La domination chinoise dans la région maritime proche de la Chine – c'est-à-dire la mer du Sud et la mer de Chine orientale, ainsi que la mer Jaune – pourrait avoir une incidence considérable sur les intérêts stratégiques, politiques et économiques des États-Unis dans la région indopacifique et dans d'autres régions », synthétisaient l'été dernier les rédacteurs et experts du Congressional Research Service*.

En début de semaine, dans la foulée du tir d'un missile balistique nord-coréen à portée intermédiaire (IRBM) le 14 janvier, les marines américaine (avec le groupe aéronaval du porte-avions à propulsion nucléaire USS Carl Vinson), japonaise et sud-coréennes ont mené trois jours durant des manœuvres conjointes en mer de Chine de l'Est. Dans le souci certes de manifester une fois encore collectivement à destination de Pyongyang l'hostilité de Tokyo, Séoul et Washington à pareil aventurisme balistique, mais également pour adresser un message de fermeté à l'endroit de Pékin et de ses postures territoriales hasardeuses en mer de Chine orientale.

Il y a fort à parier que ce double message, pour limpide soit-il, sera hélas probablement lu avec un certain détachement tant dans la capitale chinoise que dans l'austère Pyongyang. Une fois encore.

Par Olivier Guillard

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Taïwan : la victoire pleine d’incertitudes de William Lai

30 janvier 2024, par Pierre-Antoine Donnet — , , ,
Les menaces et la désinformation du Parti communiste chinois n'y ont rien fait. Le vice-président sortant William Lai Ching-te, poulain de Tsai Ing-wen qui ne pouvait se (…)

Les menaces et la désinformation du Parti communiste chinois n'y ont rien fait. Le vice-président sortant William Lai Ching-te, poulain de Tsai Ing-wen qui ne pouvait se représenter au terme de ses deux mandats, a été élu le 13 janvier président de Taïwan avec 40,1 % des voix. Mais il ne s'agit pas d'un triomphe. Le Parti démocratique progressiste (DPP) devra en effet composer avec l'opposition au parlement de l'île du fait de législatives qui annoncent des temps compliqués.

Tiré d'Asialyst.

Jamais sans doute une élection présidentielle à Taïwan n'avait suscité autant d'intérêt à travers le monde. Le gouvernement taïwanais a affirmé le 14 janvier avoir reçu les félicitations de « plus de 50 pays dont 12 alliés diplomatiques ». La victoire de William Lai Ching-te, ancien médecin spécialiste des lésions de la moelle épinière et candidat du Parti démocratique progressiste, a, sans surprise, suscité la colère de Pékin qui a répété son narratif inchangé depuis des années. « Quels que soient les changements qui surviennent à Taïwan, il est une donnée fondamentale et immuable : il n'existe qu'une seule Chine dans le monde et Taïwan en fait partie », a ainsi déclaré au lendemain du scrutin un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.

« Taïwan n'a jamais été un pays, a renchéri le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi. Ce n'était pas le cas dans le passé, et ce ne le sera certainement pas dans le futur. Si quiconque sur l'île de Taïwan a l'intention d'aller vers l'indépendance, il divisera la Chine et sera sans aucun doute sévèrement puni par l'Histoire et la loi. [Ce vote] n'entravera pas la tendance inévitable d'une réunification avec la Chine. »

Le président chinois Xi Jinping a été encore plus explicite : « Les forces patriotiques à Taïwan doivent être encouragées et gagner en puissance pour unifier [la Nation], a-t-il écrit dans un article publié le 15 janvier par Qiushi (求是, Rechercher la vérité), le magazine du Parti communiste. Les actes séparatistes pour l'indépendance de Taïwan doivent être rejetés. La réunification complète de la mère-patrie doit aller de l'avant. »

Le bureau chinois des Affaires de Taïwan, par la voix de son porte-parole Chen Binhua, a complété : « Nous nous opposerons fermement aux activités séparatistes visant à l'indépendance de Taïwan ainsi qu'à l'ingérence étrangère. » Ce dernier terme vise principalement les États-Unis qui sont aujourd'hui l'un des très rares pays fournissant des armes à Taïwan. Une délégation informelle envoyée par Washington est d'ailleurs arrivée dès le 14 janvier dans l'île pour marquer le soutien américain à ce processus démocratique mené à bien la veille. Cette délégation était composée de l'ancien conseiller à la Sécurité nationale Stephen Hadley, de l'ex-secrétaire d'État adjoint James Steinberg et de la présidente de l'Institut américain à Taïwan Laura Rosenberger. La délégation bipartisane a rencontré la présidente taïwanais sortante Tsai Ing-wen pour lui transmettre « les félicitations du peuple américain à Taïwan pour le succès des élections », selon un communiqué de Washington.

Illustration de la proximité politique entre Taïwan et les États-Unis, le secrétaire d'État Antony Blinken a fait parvenir au président-élu taïwanais un message de félicitations personnel : « Nous nous attendons à travailler avec le Dr. Lai et avec les dirigeants taïwanais de tous les partis pour faire avancer nos intérêts et nos valeurs communes. [Les États-Unis] s'engagent à maintenir la paix et la stabilité entre les deux rives du continent chinois et de Taïwan. » Blinken a néanmoins précisé que la collaboration entre Washington et Pékin s'appliquait dans le cadre d'une « relation de longue date non officielle » qui respecte le concept d'une seule Chine observée par les États-Unis. Ce message dont la teneur est proche d'une reconnaissance de Taïwan comme un État n'a pas manqué de déclencher la fureur de Pékin qui a dénoncé dans un communiqué « une violation par Washington de son engagement à ne maintenir avec Taïwan que des relations non officielles ».

La France a elle-même salué le 14 janvier la tenue des élections et le Quai d'Orsay a adressé ses « félicitations » aux électeurs et candidats « ayant participé à cet exercice démocratique », sans mentionner nommément le président-élu Lai Ching-te. « Nous réaffirmons le caractère crucial de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan, appelons au respect du statu quo par toutes les parties, et espérons une reprise du dialogue entre les deux rives du détroit », a conclu le communiqué de la diplomatie française.

Équation à plusieurs inconnues

C'est au terme d'une campagne marquée par une forte pression diplomatique et militaire de la Chine que Lai Ching-te a remporté à 64 ans cette élection présidentielle à un tour. Il prendra ses fonctions le 20 mai prochain, aux côtés de sa vice-présidente Hsiao Bi-khim (蕭美琴), ancienne représentante de Taipei à Washington. Lai a promis de « protéger Taïwan des menaces et intimidations continuelles de la Chine ». Dans un communiqué publié le 14 janvier, le ministère des Affaires étrangères à Taipei a, lui, appelé la Chine communiste à « respecter les résultats de l'élection, à faire face à la réalité et à renoncer à réprimer Taïwan ».

Habitués aux menaces chinoises, les Taïwanais ont fait le choix de la continuité. Ils ont préféré Lai Ching-te, honni par Pékin, plutôt que Hou Yu-ih (侯友宜), candidat du Kuomintang (KMT), ou Ko Wen-je, du Parti populaire de Taiwan (TPP), deux opposants favorables à des relations plus étroites avec la Chine. Il s'agit de la troisième victoire consécutive du DPP à la présidentielle, du jamais vu dans la jeune démocratie taïwanaise.

« Nous avons montré au monde combien nous chérissions la démocratie », s'est réjoui le nouveau président, devant des dizaines de milliers de partisans venus célébrer sa victoire le 13 janvier au soir à Taipei. « Taïwan a remporté une victoire pour la communauté des démocraties, s'est-il félicité. Nous resterons du côté des démocraties. […] Seul le peuple de Taïwan a le droit de choisir son propre président. »

Pour Lai Ching-te, la tâche à venir sera probablement herculéenne. En filigrane, les pressions chinoises vont certainement s'intensifier encore, les stratèges du PCC sachant pertinemment l'existence de deux inconnues qui se présentent à lui.

Primo, les jours et semaines qui viennent seront cruciaux car Pékin pourrait bien très fortement hausser le ton, explique Lev Nachmann, chercheur à l'Université Nationale Chengchi de Taipei, cité par le magazine nippon Nikkei Asia. « Taïwan va se retrouver confrontée soit à des exercices militaires chinois très sonores, similaires à ceux qui avaient suivi la visite de [l'ancienne présidente de la Chambre américaine des Représentants] Nancy Pelosi au cours de l'été 2022, soit à une panoplie de menaces militaires plus discrètes combinées à une rhétorique brutale. » Le test sera l'attitude de Pékin à l'approche de l'investiture de Lai le 20 mai. De plus, le Kuomintang pourrait être tenté de tirer parti de la bellicosité qui sera exprimée par le régime chinois pour conforter ses positions dans la population taïwanaise.

La deuxième inconnue vient de la nouvelle donne politique dans l'île. La victoire de William Lai, malgré son score honorable, est loin d'être totale. Le DPP a perdu sa majorité au parlement, ne remportant que 51 sièges contre 52 au Kuomintang, tandis que le TPP en a gagné 8, des candidats non inscrits ayant obtenu 2 sièges. Le TPP se retrouve ainsi dans une position d'arbitre pour apporter son soutien au DPP ou au Kuomintang en fonction des gains qu'il trouvera auprès de l'un ou de l'autre. Peu après l'annonce des résultats définitifs du vote le 13 janvier, le candidat du TPP Ko Wen-je a déclaré que son parti jouerait le rôle d'une « minorité critique ». Le candidat du Kuomintang Hou Yu-ih a, quant à lui, refusé de dire si les deux partis d'opposition allaient faire cause commune contre le gouvernement, se contentant d'un truisme : « Les partis d'opposition auront la responsabilité d'être des partis d'opposition. »

William Lai devra donc composer avec ses opposants pour gouverner, un exercice qui s'avère compliqué sinon même tumultueux. « Le prochain gouvernement Lai, en particulier ses projets de loi et son budget, seront scrutés avec beaucoup plus de pressions de la part des élus que [pendant les deux mandats] de l'administration Tsai, analyse Jing Bo-jiun, un chercheur de haut rang à l'université d'Oxford, cité par le média japonais. [Le président-élu] Lai va aussi faire face à une fatigue plus prononcée des électeurs vis-à-vis du DPP qui comptera 12 ans de pouvoir en 2028″, année de la prochaine élection présidentielle. Cette situation politique est inédite à Taïwan et comporte donc de fortes incertitudes pour l'avenir de la démocratie dans l'île.

Lei Fei-fan, un ancien secrétaire général adjoint du DPP aujourd'hui membre d'un think tank influent à Taïwan, s'est dit « assez inquiet » du fait que le nouveau gouvernement connaîtra « une période très difficile » pendant les quatre années à venir, en particulier sur les questions liées aux relations entre Taïwan et la Chine communiste. Selon Lei, cité par l'agence Reuters, l'opposition au parlement pourrait être tentée de renforcer ses échanges avec Pékin.

« Compétition du siècle »

Ainsi, aux yeux de certains analystes, le Parti communiste chinois pourrait tirer parti de cette nouvelle donne politique interne pour traiter directement avec les personnalités de l'opposition taïwanaise. Et d'ignorer le gouvernement installé par Lai Ching-te. Pékin pourrait par exemple inviter en Chine des personnalités en vue de l'opposition ou décréter des embargos sur l'importation de certains produits taïwanais afin d'affaiblir l'autorité de Lai et de son gouvernement. « Il pourrait bien surgir de fortes tensions entre le palais présidentiel et les élus » de Taïwan tandis que « les ingérences de Pékin dans les affaires taïwanaises vont elles aussi s'intensifier », craint Michael Fahey, un avocat et commentateur américain établi à Taïwan, cité par le Nikkei Asia.

Le régime chinois garde le même objectif : isoler Taïwan sur la scène internationale, semer le doute au sein de la population taïwanaise dans le but ultime de rattacher l'île au continent, si possible sans devoir déclencher une offensive militaire. D'ailleurs, l'un des pays entretenant des relations diplomatiques avec Taipei, Nauru, une petite île du Pacifique, a annoncé le 15 janvier rompre avec Taipei et reconnaître dans la foulée la République populaire de Chine. Désormais, seuls 12 pays maintiennent encore des relations officielles avec Taïwan.

Cependant, nuance Su Tzu-yun, un influent chercheur de l'Institute for National Defence and Security Research, un think tank proche des milieux militaires à Taïwan, il est peu probable que Xi Jinping décide d'actions militaires offensives dans les mois à venir. « Il va observer ce que va dire Lai Ching-te d'ici son investiture. Le Parti communiste chinois est très réaliste. Ce qu'il ne supporte pas, c'est le risque politique. »

Les autorités chinoises affirment depuis des décennies que la « réunification » de Taïwan au continent est inéluctable, par la force si nécessaire. Ces dernières années, Xi Jinping a été clair : il s'agit là d'une « cause sacrée » qui doit être menée à bien par la génération présente. À la veille du scrutin taïwanais, Zhang Xiaogang, porte-parole du ministère chinois de la Défense, avait averti que l'Armée populaire de libération ne manquerait pas « d'écraser » toute velléité d'indépendance dans l'île.

En dépit de la victoire du DPP et de l'élection de Lai Ching-te le 13 janvier, l'avenir de Taïwan est tout sauf sûr, tant sont grandes les incertitudes à la fois géopolitiques, politiques, militaires et sociétales dans l'île comme aux États-Unis, en Asie et en Europe. Si Washington a toujours réaffirmé son soutien à Taipei depuis l'arrivée au pouvoir du président Joe Biden, l'armée américaine est aujourd'hui engagée sur trois fronts : l'Asie de l'Est, l'Ukraine et depuis le 7 octobre, le Moyen-Orient. Sans compter les élections présidentielles aux États-Unis en novembre prochain : la campagne des primaires qui a commencé le 15 janvier s'avère très risquée pour un Joe Biden candidat à sa réélection à l'âge de 81 ans.

L'avenir de l'île n'en est pas moins crucial. La Chine traverse une profonde et inédite crise économique et sociale, tandis que la force militaire des Américains reste impressionnante, combinée avec l'intérêt des pays démocratiques pour Taïwan avec qui le courant de solidarité ne cesse de croître. Le 15 janvier, l'un des meilleurs spécialistes de l'île, J. Michael Cole, chercheur au Global Taiwan Institute, posait ainsi, dans Foreign Affairs, l'enjeu mondial lié au sort de Taipei : « Taïwan est au cœur de la compétition du siècle, celle qui déterminera si l'ordre international établi perdurera ou s'il sera remplacé par l'autoritarisme. »

Par Pierre-Antoine Donnet

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Cour Internationale de Justice : Israël au banc des accusés, victoire du droit !

30 janvier 2024, par Association France Palestine Solidarité, Cour Internationale de Justice — , , , ,
La Cour Internationale de Justice (CIJ) a rendu ce vendredi 26 janvier sa décision sur les mesures conservatoires demandées par l'Afrique du Sud contre Israël au sujet du (…)

La Cour Internationale de Justice (CIJ) a rendu ce vendredi 26 janvier sa décision sur les mesures conservatoires demandées par l'Afrique du Sud contre Israël au sujet du génocide en cours dans la bande de Gaza.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Elle a affirmé sa compétence à statuer sur la requête de l'Afrique du Sud dans le cadre de la Convention pour la prévention et la répression du risque de génocide et a rejeté la demande d'Israël de radier l'affaire.Tout en rappelant que pour l'instant elle n'en était pas à statuer sur le fond, la Cour considère qu'il existe un risque sérieux de génocide et que des mesures conservatoires sont nécessaires pour préserver les droits de la population palestinienne.

Après avoir rappelé la définition du génocide – un ensemble d'actes qui visent à détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux - la présidente a décrit, nombre de rapports à l'appui, ce que subit depuis le 7 octobre la population de la bande de Gaza : des dizaines de milliers de morts et de blessés, les destructions massives de bâtiments, les déplacements forcés, la privation de nourriture, d'eau et de soins. Elle a ainsi estimé que l'existence même des habitants de la bande de Gaza est menacée et évoqué les traumatismes terribles des survivants.

Elle a également rappelé les nombreux discours déshumanisants des responsables politiques israéliens et considéré qu'il existe un lien direct entre ces discours et le risque de génocide à Gaza. Elle a considéré qu'il y avait un risque réel et imminent qu'un préjudice irréparable soit causé aux droits des habitants de Gaza.En conséquence de quoi la Cour ordonne à Israël :

de prévenir tout acte génocidaire, d'empêcher ses militaires de commettre de tels actes et d'assurer l'entrée dans la bande de Gaza de nourriture, d'eau, de médicaments et d'autres besoins humanitaires

de s'abstenir de commettre des actes constitutifs d'un génocide et de poursuivre les auteurs d'incitation au génocide

de soumettre sous un mois un rapport avec les mesures prises pour s'acquitter des ordonnances de la Cour.Bien que la Cour n'ordonne pas explicitement un cessez-le-feu, l'obligation de laisser entrer l'aide humanitaire impose de facto ce cessez-le-feu.

L'AFPS se réjouit de la décision historique de la CIJ. Les décisions de la CIJ sont définitives, contraignantes et sans appel, et tous les États doivent se conformer à leurs obligations légales en prenant toutes les mesures possibles pour s'assurer qu'Israël respecte la décision de la Cour et mette en œuvre intégralement et sans délai les mesures provisoires ordonnées.

La décision de la CIJ accroît la responsabilité juridique des États qui doivent mettre fin au génocide israélien en cours.L'AFPS s'adresse donc solennellement au gouvernement français et particulièrement à son ministre de l'Europe et des Affaires étrangères qui a affirmé la semaine dernière devant l'Assemblée nationale : « accuser Israël de génocide dépasse le seuil moral ». La première réaction de la diplomatie française n'est absolument pas conforme à gravité de la situation. Non seulement elle ne précise pas comment elle va contraindre Israël à appliquer les décisions de la Cour, mais on comprend qu'elle va contester auprès d'elle la qualification de génocide. Nous rappelons donc à messieurs Macron et Séjourné qu'au-delà de la responsabilité de la France, c'est leur responsabilité personnelle et morale dans une potentielle complicité du crime de génocide qu'ils engagent.

Les décisions de la CIJ ont été toutes prises à la quasi-unanimité de ses 17 juges, monsieur Séjourné, allez-vous reconnaître, comme la Cour vient de le faire, que le risque de génocide à Gaza est plausible ?

La démarche de l'Afrique du Sud redonne toute sa place au droit international. La France s'est engagée à respecter la décision de la Cour Internationale de Justice : il faut donc passer aux actes maintenant ! Il faut contraindre Israël à respecter les ordonnances de la Cour ! C'est une obligation autant juridique que morale.

Il ne suffit pas de rappeler à Israël qu'il doit se conformer au droit, il faut le lui imposer, comme il faut lui imposer par tous les moyens le cessez-le-feu, y compris par des sanctions. Et en tout premier lieu, cesser de vendre des armes à Israël !

Le Bureau national de l'AFPS
Le 26 janvier 2024

Le communiqué de la Cour internationale de justice

Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël)

La Cour indique des mesures conservatoires

LA HAYE, le 26 janvier 2024. La Cour internationale de Justice a rendu ce jour son ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée par l'Afrique du Sud en l'affaire relative à l'Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël).

Il est rappelé que, le 29 décembre 2023, l'Afrique du Sud a déposé une requête introductive d'instance contre Israël au sujet de supposés manquements par cet État aux obligations qui lui incombent au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (la « convention sur le génocide ») en ce qui concerne les Palestiniens dans la bande de Gaza. Dans sa requête, l'Afrique du Sud a également prié la Cour d'indiquer des mesures conservatoires pour « protéger contre un nouveau préjudice grave et irréparable les droits que le peuple palestinien tient de la convention sur le génocide » et « veiller à ce qu'Israël s'acquitte des obligations que lui fait la convention de ne pas commettre le génocide, ainsi que de le prévenir et de le punir » (voir communiqué de presse 2023/77).

Des audiences publiques sur la demande en indication de mesures conservatoires de l'Afrique du Sud se sont tenues les jeudi 11 et vendredi 12 janvier 2024.

Dans son ordonnance, qui a un caractère obligatoire, la Cour indique les mesures conservatoires suivantes :

« 1) Par quinze voix contre deux,L'État d'Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l'encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d'application de l'article II de la convention, en particulier les actes suivants :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner
sa destruction physique totale ou partielle ; et

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Moseneke, juge ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; M. Barak, juge ad hoc ;

2) Par quinze voix contre deux,L'État d'Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus ;

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Moseneke, juge ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; M. Barak, juge ad hoc ;

3) Par seize voix contre une,L'État d'Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l'incitation directe et publique à commettre le génocide à l'encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; MM. Barak, Moseneke, juges ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ;

4) Par seize voix contre une,L'État d'Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d'existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ;

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; MM. Barak, Moseneke, juges ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ;

5) Par quinze voix contre deux,

L'État d'Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d'actes entrant dans le champ d'application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Moseneke, juge ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; M. Barak, juge ad hoc ;

6) Par quinze voix contre deux,

L'État d'Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l'ensemble des mesures qu'il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d'un mois à compter de la date de celle-ci.

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Moseneke, juge ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; M. Barak, juge ad hoc. »*

Mme la juge XUE joint une déclaration à l'ordonnance ; M me la juge SEBUTINDE joint à
l'ordonnance l'exposé de son opinion dissidente ; MM. les juges BHANDARI et NOLTE joignent des déclarations à l'ordonnance ; M. le juge ad hoc BARAK joint à l'ordonnance l'exposé de son opinion individuelle.

Un résumé de l'ordonnance figure dans le document intitulé « Résumé 2024/01 », auquel sont annexés des résumés de la déclaration et des opinions. Ce résumé ainsi que le texte intégral de l'ordonnance sont disponibles sur la page de l'affaire sur le site Internet de la Cour.

Les communiqués de presse précédents concernant l'affaire sont disponibles sur le site Internet de la Cour.

Remarque : Les communiqués de presse de la Cour sont établis par son Greffe à des fins d'information uniquement et ne constituent pas des documents officiels.

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l'organe judiciaire principal de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé ses activités en avril 1946. La Cour est composée de 15 juges, élus pour un mandat de neuf ans par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l'ONU. Elle a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). La Cour a une double mission, consistant, d'une part, à régler conformément au droit international les différends d'ordre juridique qui lui sont soumis par les États et, d'autre part, à donner des avis consultatifs sur les questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l'ONU et les institutions du système dûment autorisés à le faire.

Département de l'information

Mme Monique Legerman, première secrétaire de la Cour, cheffe du département :
+31 (0)70 302 2336

Mme Joanne Moore, attachée d'information : +31 (0)70 302 2337

M. Avo Sevag Garabet, attaché d'information adjoint : +31 (0)70 302 2394

Adresse électronique : info@icj-cij.org

La « coordination » entre le régime de Sissi et le pouvoir politico-militaire israélien pour le contrôle des clés de la prison bombardée de Gaza

Il y a quelques semaines, la fille d'amis palestiniens qui étudie à l'étranger m'a demandé de l'aider à lancer une campagne de crowdfunding [financement participatif] pour (…)

Il y a quelques semaines, la fille d'amis palestiniens qui étudie à l'étranger m'a demandé de l'aider à lancer une campagne de crowdfunding [financement participatif] pour sauver sa famille, qui a été déplacée de la ville de Gaza à Rafah, dans le sud.

Tiré d'À l'encontre.

Mercredi 24 janvier, Ahmed S. a demandé aux utilisateurs de Facebook au « cœur généreux » de l'aider à faire sortir sa sœur et ses jeunes enfants de la bande de Gaza.

Sur la même page, Ismail A. a écrit mardi qu'il avait besoin de coordonner d'urgence un départ dans les 48 heures pour les personnes qui ont des visas de résidence pour les Emirats arabes unis. Il peut payer 5000 dollars, et non les « frais astronomiques » exigés actuellement.

Munzer S. a également demandé ce jour-là une « coordination » urgente pour la sortie de Rafah d'une femme et de son fils qui avaient déjà un visa de tourisme pour la Turquie. Dimanche, Rawan A. a lancé un appel au même groupe Facebook : « Quelqu'un peut-il aider une famille déplacée du nord vers le sud ? Ils sont actuellement dans une tente, leur situation est grave et leur mère est malade. Qui peut faire un don ? Et connaissez-vous quelqu'un qui puisse les faire sortir de Gaza, car les frais pour obtenir un “bon de sortie” [le terme « coordination » recouvre ce trafic] sont exorbitants ? »

Le groupe Facebook, appelé Rafah Inland Crossing Network, est rempli de messages similaires, mais aussi d'annonces d'appartements à louer au Caire et d'appels à acheter des livres égyptiennes en échange de shekels (à 12 ou 13 livres pour un shekel, alors que le taux officiel est d'environ 8,4). On y trouve également des numéros de téléphone de personnes qui promettent d'organiser des départs.

Le désespoir des personnes cherchant à partir s'accroît à mesure qu'Israël continue de repousser les habitants de Gaza tout au sud de l'enclave, y compris les centaines de milliers de personnes déplacées qui n'ont pas encore fui Khan Younès, assiégée et bombardée. Selon les estimations de l'ONU, plus d'un million de personnes sont entassées dans le gouvernorat de Rafah, qui comptait environ 300 000 habitants avant la guerre. Elles sont horrifiées par chaque rumeur ou déclaration israélienne annonçant l'approche de l'offensive terrestre à Rafah.

A 50 ou 100 mètres de là, de l'autre côté de la frontière égyptienne, ils peuvent être à l'abri de la mort. Mais pour résister à ce qui est considéré comme les plans d'Israël pour s'emparer à nouveau de Gaza, l'Egypte continue d'interdire aux habitants de Gaza de partir comme ils le souhaitent. Les porte-parole égyptiens disent qu'ils ne collaboreront pas avec les projets et objectifs israéliens visant à vider Gaza de sa population. Un départ n'est possible que si des pays étrangers interviennent en faveur de certaines personnes pour une raison ou une autre, et pour quelques blessés graves et malades, dont la sortie est rendue possible au prix de grands sacrifices.

Mardi 23 janvier, les médias sociaux se sont emballés. Motaz Azaiza avait décidé de partir. Il fait partie des jeunes journalistes indépendants courageux qui ont documenté les bombardements, les sauvetages et les récupérations de corps dans les décombres, ainsi que les hôpitaux et les écoles débordant de personnes déplacées. Sur Instagram, où il compte environ 17 millions de followers, il a d'ailleurs posté une photo de lui en train de quitter son gilet de protection [sur lequel était indiqué « Press »] ainsi que ses collègues. Après plus de 100 jours de reportage, il avait de nombreuses raisons de partir, certaines connues, d'autres non.

L'une de ces raisons était peut-être le fait que 26 membres de sa famille dans la ville de Deir el-Balah [à mi-distance entre la ville de Gaza et Rafah] ont été tués par une frappe aérienne israélienne le 12 octobre. Le désespoir et le deuil peuvent s'accumuler lentement et frapper sans prévenir. La semaine dernière, un site d'information égyptien a rapporté qu'un avion militaire qatari avait attendu Motaz Azaiza à l'aéroport égyptien d'El Arish, dans le Sinaï, et l'avait emmené à Doha, la capitale du Qatar. Mais son départ, qui s'est déroulé sans encombre, est l'exception qui confirme la règle.

La seule issue et solution

Les personnes mentionnées dans les cinq premiers paragraphes font référence à une route dont les Egyptiens nient l'existence mais qui est connue de tous. De nombreux médias, dont Haaretz, en ont parlé. Pour un prix élevé – qui est passé de 4000 dollars au début de la guerre à 10 000 dollars par personne, aujourd'hui – des intermédiaires anonymes promettent de faire passer les habitants de Gaza par le point de passage de Rafah vers l'Egypte. L'euphémisme utilisé pour désigner cette vaste entreprise de corruption est « coordination ».

Les Egyptiens ont catégoriquement démenti un article publié le 8 janvier par The Guardian sur ce phénomène qui a commencé avant la guerre. Diaa Rashwan, directeur du service d'information de l'Etat égyptien, a déclaré que les droits de douane étaient perçus à Rafah conformément à la législation égyptienne, mais que n'étaient pas fondés les rapports faisant état de pots-de-vin versés par des fonctionnaires pour le franchissement de la frontière.

« Est-il vrai que les coordinations ont cessé ? » a demandé Sara M. mercredi 24 janvier au soir au sein du groupe Facebook. En fait, dans les jours qui ont suivi le démenti, des gens ont appris qu'il n'était plus possible de payer pour passer le point de passage. Mais un habitant de Rafah a déclaré à Haaretz ce jour-là que ce système avait repris, et une personne sur Facebook a dit à Sara : « Cela a pris fin seulement dans ce qui est rapporté par les médias. »

Dans son démenti, Diaa Rashwan a appelé les Palestiniens à signaler aux autorités égyptiennes toute pression exercée par des personnes cherchant à tirer profit du souhait des Palestiniens de passer par le point de passage. Il est presque certain que personne ne donnera l'information. Tout d'abord, ce paiement, aussi inaccessible soit-il pour la plupart des habitants de Gaza, semble être la seule bouée de sauvetage, un rêve ou une corde à saisir, d'autant plus que la fin de la guerre s'éloigne de plus en plus dans le temps.

Il est vrai qu'il existe aussi un ethos patriotique pour rester à Gaza. Il s'agit en partie d'une résistance aux objectifs déclarés des partisans de la droite israélienne qui cherchent à s'y installer après avoir expulsé les Palestiniens [1]. Il y a aussi le sumud [persévérance inébranlable] traditionnel, la fermeté, une position consciente adoptée avec ou sans choix. C'est devenu une seconde nature en raison du lien profond de la population avec son lieu de naissance. Mais cette éthique n'a jamais été aussi fortement en conflit avec le désir de vivre, les inquiétudes concernant les enfants et leur avenir, et le besoin fondamental d'être préservée de la peur de la mort ou des blessures graves que l'on peut subir à chaque instant.

La deuxième raison est que les gens sont convaincus que les « coordinateurs » de sortie rémunérés sont liés aux services de sécurité égyptiens, c'est-à-dire au cœur de l'establishment. « La liste des personnes quittant Rafah n'est pas seulement contrôlée par des agents au point de passage, mais par les plus hauts fonctionnaires du Caire », a déclaré à Haaretz un chercheur égyptien qui a requis l'anonymat. Il a précisé que tous les Egyptiens qui travaillent à Rafah – même les concierges – sont soumis à un processus de contrôle strict par des personnes haut placées. Tous les services de sécurité égyptiens sont représentés à Rafah. L'Egypt's General Intelligence Service y est l'autorité centrale. « Il s'agit d'une corruption autorisée par l'Etat ; il n'est pas nécessaire de comprendre la physique nucléaire pour arriver à cette conclusion », selon ce chercheur.

Le démenti officiel est ridicule, a-t-il déclaré. Selon lui, la corruption a commencé en 2005 avec le retrait d'Israël de la bande de Gaza, la fermeture quasi hermétique du point de contrôle israélien d'Erez avec Gaza et le début de la fermeture du point de passage de Rafah pendant de longues périodes pour des raisons de sécurité. « Quiconque semble choqué feint probablement la surprise. Comme partout ailleurs dans le monde, la guerre exacerbe le phénomène. Pendant des années, il y a eu une alternative au passage normal : les tunnels. Même là, l'argent parvenait aux agents de sécurité et aux officiers égyptiens. Les noms ont changé, mais la méthode est restée la même. A une différence près : aujourd'hui, ce point de passage connaît une sorte d'embouteillage, car c'est le seul moyen pour les habitants de la bande de Gaza de sortir et d'entrer en contact avec le monde extérieur. »

Un habitant de Gaza qui, avant la guerre, se rendait régulièrement à l'étranger pour des raisons familiales décrit le type d'embouteillage durant les périodes dites normales. « Le point de passage égyptien peut traiter environ 500 personnes par jour, alors que chaque jour, au moins 10 000 habitants de Gaza veulent et doivent voyager », explique-t-il.

La forte demande concernait les étudiant·e·s qui étudiaient à l'étranger, les hommes d'affaires, les patients dont le traitement n'était pas disponible à Gaza et qu'Israël n'autorisait pas à se rendre dans les hôpitaux de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, les personnes qui avaient (et ont) de la famille dans d'autres pays, et tout simplement les personnes qui voulaient se libérer de la prison appelée Gaza et qui ont réussi à obtenir un visa de touriste pour un autre pays. Même les quelques centaines de personnes qui passent chaque jour subissent des retards de plusieurs heures pour des raisons obscures. « Comment se fait-il que ce qui est possible à l'aéroport du Caire – des passagers passant le contrôle frontalier en quelques minutes – prenne 12 heures à Rafah ? Je ne comprends pas », dit cet habitant de Gaza.

En raison de l'écart entre la capacité limitée du point de passage et le nombre de personnes cherchant à partir, un système d'enregistrement anticipé des demandeurs avait été mis au point par le ministère de l'Intérieur contrôlé par le Hamas. La date prévue était communiquée, mais il n'y avait aucune garantie qu'elle serait respectée. En général, il fallait plusieurs semaines pour que le tour de la personne enregistrée arrive. Dans un message texte envoyé à son téléphone, elle était informée du jour et du numéro de l'autobus auquel elle était affectée.

Par le passé, Haaretz a appris que les autorités du Hamas donnaient la priorité à leur personnel et à leurs associés lorsqu'elles établissaient les listes des personnes qui partaient. Depuis 2014, et surtout ces trois dernières années, la transparence a été introduite pour s'assurer que les premiers à s'inscrire seraient les premiers à partir. Dans les cas vraiment urgents, il a été possible d'utiliser des « contacts » avec de hauts responsables du Hamas, qui se « coordonnaient » directement avec les Egyptiens. Mais, comme me l'a assuré un habitant de Gaza, ces numéros de téléphone étaient généralement accessibles à tous.

Pour ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient pas attendre longtemps, il existait des agences de voyage palestiniennes qui, moyennant quelques centaines de dollars, accéléraient le processus. Certaines de ces agences étaient liées à une entreprise publique égyptienne de tourisme appelée Ya Hala. Le service comprenait un raccourcissement de la période d'attente et une enquête précoce pour s'assurer qu'il n'y avait pas de problèmes de sécurité, que ce soit de la part d'Israël ou de l'Egypte.

Il y avait donc une « coordination » régulière qui coûtait entre 100 et 300 dollars par personne en fonction de la saison et de la situation politique. On pouvait attendre jusqu'à une semaine avant le départ. Et il y avait une « coordination VIP » pour environ 700 à 900 dollars : avec départ dans les trois jours. Vous êtes assis dans une pièce séparée du passage de Rafah – avec une tasse de café et l'air conditionné – et votre transport jusqu'au Caire est organisé à l'avance par la compagnie. Vous n'étiez pas harcelé aux points de contrôle militaires en cours de route.

De lourds pots-de-vin ab absurdum

Lorsque la guerre a éclaté, le point de passage de Rafah a été fermé aux habitants de Gaza pendant près d'un mois. Une fois qu'il a été ouvert – et, là encore, d'abord aux détenteurs de passeports étrangers –, la société Ya Hala a cessé de fournir ses services de « coordination », en raison de la décision du Caire de ne pas permettre une fuite massive des habitants de Gaza vers l'Egypte. Pour environ 650 dollars, Ya Hala ne s'occupe plus que des Palestiniens citoyens égyptiens dont le départ, pour quelque raison que ce soit, n'a pas été immédiatement autorisé par Le Caire.

Pour les autres, le prix est passé de quelques centaines de dollars à 10 000 dollars par personne, ce qui signifie que seules quelques personnes – les habitants de Gaza les plus riches et les mieux connectés, ou ceux qui ont de riches parents à l'étranger – peuvent fuir le cauchemar sans fin que connaissent plus de 2 millions d'habitants de Gaza.

Les intermédiaires ne sont pas connus par leur nom, et leur lien avec les entités au point de passage n'est pas clair non plus. Leurs numéros de téléphone sont obtenus par le bouche-à-oreille ou par des annonces sur les médias sociaux. Les « vrais » courtiers demandent à recevoir la moitié du montant à l'avance et l'autre moitié de l'autre côté. Si le départ n'est pas possible, l'argent est remboursé. Les escrocs s'emparent de l'argent lorsque le payeur découvre que son nom ne figure pas sur la liste.

Les personnes qui ne sont pas tenues de payer ces frais exorbitants sont les suivantes : les Palestiniens ayant la double nationalité, ou les parents au premier degré de citoyens étrangers dans les pays qui autorisent leur entrée, ou encore ceux qui ont des liens particuliers avec les ambassades de divers pays, ou qui ont soumis des demandes spéciales aux services de sécurité égyptiens et israéliens pour autoriser leur sortie. Selon le site Internet du coordinateur israélien des activités gouvernementales dans les territoires, depuis le début de la guerre jusqu'au 22 janvier, environ 14 300 personnes ayant la nationalité de 69 pays ont quitté le territoire par Rafah après avoir été soumises à une « évaluation de sécurité ».

Lorsque la sortie est « coordonnée », l'autorité frontalière, qui est contrôlée par le Hamas, publie une liste complète des personnes qui partent, avec leur nom complet et leur numéro d'identification, et parfois leur année de naissance et leur numéro de téléphone. Il s'agit d'une liste reçue des autorités frontalières égyptiennes, après avoir été contrôlée par les autorités israéliennes. Une minorité est constituée de personnes malades ou blessées, ainsi que de leurs accompagnateurs. Tous les autres apparaissent généralement sous le nom du pays qui a organisé le départ. Les habitants de Gaza affirment que les personnes qui paient pour la « coordination » figurent sur la liste des Egyptiens.

Haaretz n'a pas pu déterminer le nombre total de personnes qui ont quitté Gaza, mais le COGAT (Administration civile israélienne dans les Territoires palestiniens) lui a indiqué que « le processus de départ des Palestiniens de Gaza vers l'Egypte est coordonné entre Israël et l'Egypte ». Certains des Palestiniens qui sont des citoyens de pays étrangers, ou des parents au premier degré de citoyens étrangers, ont été informés par les ambassades que c'était Israël qui avait interdit leur sortie. Certaines ambassades ne disent pas à leurs citoyens quelle partie a refusé leur départ.

Mais les Palestiniens soupçonnent qu'il y a des cas où les Egyptiens interdisent la sortie, afin que des pots-de-vin soient versés. Selon une source, des fonctionnaires palestiniens – vêtus d'uniformes de la police de l'Autorité palestinienne mais subordonnés au Hamas – inspectent également les personnes qui quittent le pays par Rafah. Selon une personne qui est partie récemment, ces fonctionnaires ne jouent aucun rôle dans le processus d'approbation ou de refus du départ.

Du côté égyptien de Rafah, un visa est délivré pour trois jours. Sur le sceau, il est indiqué que 25 dollars ont été payés (comme à l'aéroport), mais, comme l'a dit récemment une femme qui a quitté Gaza, « nous payons 35 dollars, et nous ne savons pas à qui vont ces 10 dollars supplémentaires ».

Les personnes qui souhaitent rester en Egypte sont autorisées à prolonger leur permis d'un mois auprès du ministère de l'Intérieur. Les personnes qui dépassent la durée de leur séjour doivent payer une amende lorsqu'elles quittent le pays ou retournent à Gaza. Beaucoup de ceux qui paient les prix élevés de la « coordination » tiennent également compte du fait qu'ils devront payer l'amende pour avoir enfreint les conditions du visa.

Le chercheur égyptien mentionné explique que, théoriquement, l'entreprise de corruption à la frontière contredit la décision de l'Egypte de ne pas laisser les habitants de Gaza fuir la bande pendant les bombardements israéliens sur Gaza. Mais, dit-il, « en fait, l'un encourage l'autre. Le fait que le point de passage soit fermé permet d'exiger et d'accepter de lourds pots-de-vin ad absurdum. » Il ajoute : « Même les citoyens égyptiens présents à Gaza n'ont pas été autorisés à partir immédiatement, et ils doivent maintenant payer pour la “coordination”. L'Etat [égyptien] – qui est en situation de faillite – permet cette corruption, et ce au plus haut niveau, afin que ses fonctionnaires et officiers soient satisfaits et conservent leur loyauté. »

« Nous sommes, en somme, les vaches à lait de l'Egypte », ajoute un habitant de Gaza qui a perdu de l'argent au profit d'un intermédiaire, même s'il a finalement traversé sans cette aide.

Un membre du groupe Facebook nommé Marie met en garde contre un vétéran de l'escroquerie d'origine turque qui a escroqué les familles des blessés et des défunts. Il prétend maintenant être jordanien, écrit-elle. « Qu'Allah te coupe la main et te gèle la langue », a-t-elle écrit. En réponse à un message, quelqu'un a commenté : « L'une des conditions pour mettre fin à la guerre doit être l'ouverture d'un passage maritime vers Chypre, car le passage de Rafah, sous la férule du régime égyptien actuel, implique l'humiliation et l'avilissement de tous ceux qui le traversent. »

Article publié dans le quotidien israélien Haaretz le 29 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre.


[1] Le dimanche 28 janvier était organisé à Jérusalem dans la salle de conférence appelée Binyanei Ha'uma International Convention Center un vaste rassemblement ayant, entre autres, pour thème le transfert des Palestiniens hors de la bande de Gaza.

On y trouvait de nombreux membres de la Knesset et du gouvernement. Nir Hasson, dans Haaretz du 29 janvier, égrène les noms suivants : Bezalel Smotrich, ministre des Finances et ministre délégué de la Défense, Orit Malka Strouck, du Parti sioniste religieux et ministre des Colonies (Implantations !), Itamar Ben-Gvir, du parti Force juive, ministre de la Sécurité nationale, Amichai Eliyahu, du parti Force juive et ministre du Patrimoine, et Yitzhak Wasserlauf, de Force juive, ministre du Néguev, de Galilée et de la Résilience nationale, Haim Katz, ministre du Tourisme, membre du Likoud, Amichai Chikli, ministre de la Diaspora et de l'Egalité sociale, membre du Likoud, Shlomo Karhi, ministre des Communications, membre du Likoud)… Sur le site pro-israélien i24news, en date du 28 janvier, était clarifié l'objectif de cette assemblée dite « festive » : « reconstruire les implantations juives israéliennes au cœur de la bande de Gaza et encourager l'émigration de la population palestinienne après la fin de la guerre contre le Hamas ». Selon i24news, Itamar Ben-Gvir a déclaré : « Le temps est venu de revenir dans le Gush Katif [groupe de colonies au sud de Gaza établies après 1967] et d'encourager l'émigration volontaire », faisant allusion aux implantations israéliennes autrefois installées à Gaza et évacuées en 2005. »

Par « émigration volontaire », ces forces entendent la déportation des Palestiniens dans la continuité de 1948 et de politique de colonisation par refoulement en Cisjordanie. Toujours selon i24news, Smotrich a affirmé : « sans implantation, il n'y a pas de sécurité. Et sans sécurité aux frontières d'Israël, il n'y a pas de sécurité dans aucune partie d'Israël », avant de conclure : « Si Dieu le veut, ensemble nous réglerons la question et nous serons victorieux. »

La réalisation de ce projet – réunissant des éléments d'une politique génocidaire – du gouvernement Netanyahou est connectée aux résultats de la guerre, c'est-à-dire à la situation militaire sur le terrain une fois la guerre « terminée ». C'est cette situation qui déterminera la réalisation complète, partielle de ce type de plan tel qu'exprimé lors de cette « conférence ». (Réd.)

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Cisjordanie-témoignages. « Barbarie ordinaire et impunité »

30 janvier 2024, par Ezra Nahmad — , , ,
En Cisjordanie les agressions des colons et de l'armée se suivent et se ressemblent, lorsqu'elles ne convergent pas. Elles relèvent des mêmes scénarios : intimidations, (…)

En Cisjordanie les agressions des colons et de l'armée se suivent et se ressemblent, lorsqu'elles ne convergent pas. Elles relèvent des mêmes scénarios : intimidations, enlèvements, coups et blessures, fabrication de preuves à charge, pillages et destructions. Cet enfer de tous les jours n'est pas le fait de quelques individus, c'est le lot « ordinaire » d'une guerre coloniale menée depuis des décennies.

25 janvier 2024 | tiré du site alencontre.org | Photo : Khalet A-Dabe', 8 décembre 2023. (Villages Group)
https://alencontre.org/moyenorient/palestine/78140.html

Pour ce qui touche à la terreur dans le mont Hébron, au sud de la Cisjordanie, les témoignages d'une association israélienne, The Villages Group, sont précieux. Ses membres visitent les villages du mont Hébron pour maintenir des liens d'amitié et de solidarité, et fournir une aide matérielle. Voici des extraits de leurs comptes rendus. Des témoignages d'exactions qui se sont multipliées depuis le 7 octobre.

Enlèvements. Décembre 2023

Un jeune de 17 ans a été enlevé samedi vers midi à son domicile d'Umm Al Kheir. Les soldats de la « police des frontières » l'ont chargé dans une Isuzu blanche, les yeux bandés, les mains menottées derrière le dos, et sont repartis. Pourquoi ont-ils fait ça ? Simplement parce qu'il est palestinien. Sa famille a passé de longues heures à s'inquiéter, sans nouvelles. Nous [The Villages Group] avons tout essayé pour savoir où il se trouvait et avons interpellé notre avocat, Riham – en vain.

Cette disparition ressemble à d'autres cas récents. Dimanche matin, après vingt heures d'incertitude, ce jeune a été libéré. On ne lui a rien donné à boire ni à manger pendant son enlèvement. […] Nous comprenons maintenant pourquoi nous ne pouvions pas le localiser : il ne s'agissait pas d'une arrestation officielle, mais d'un acte de sadisme délibéré à l'initiative de quelques soldats.

Nous connaissions ce garçon depuis des années, ainsi que ses frères et sœurs, car nous avons aidé la plupart d'entre eux à poursuivre leurs études. « Aujourd'hui, disent-ils, la plupart des écoles sont fermées à cause du harcèlement des colons et des soldats. Les enseignants n'ont pas été payés parce que les partis d'extrême droite qui contrôlent le gouvernement israélien n'ont pas donné à l'Autorité palestinienne les fonds [obtenus via les taxes sur les travailleurs palestiniens dans les entreprises israéliennes] qui lui reviennent. »

J'ai reçu un appel de Y. Son village a été investi le matin – comme c'est le cas quotidiennement – par deux colons avec un quad ; ils ont photographié de près les villageois et leurs enfants. Peu de temps après, cinq colons en uniforme ont débarqué dans une camionnette. De la direction opposée, des soldats réguliers sont arrivés à pied. On ne sait pas qui avait pris l'initiative du rassemblement. Les premiers étaient grossiers et violents, les soldats étaient un peu plus posés, mais ils laissaient faire.

Deux jeunes villageois ont été battus, enchaînés ; les yeux bandés, ils ont été emmenés dans la camionnette vers une destination inconnue. L'un a été descendu du véhicule et laissé quelque part, et l'autre a été conduit dans la soirée au commissariat de police, meurtri, accusé d'avoir frappé un soldat (mensonge). Aussi ridicules que soient les accusations, dès que les colons déposent une plainte, elle est enregistrée comme procédure « légale » officielle, et nous ne pouvons rien faire. Les avocats ne peuvent pas non plus être d'une grande aide dans de tels cas. Les colons savent qu'il s'agit là d'une autre forme de harcèlement et de torture.

Vandalisme et pillage à Khalet A-Dabe', 8 décembre 2023

Les habitants de Khalet A-Dabe' vivaient dans des grottes jusqu'à ce qu'ils commencent à construire des maisons afin d'améliorer leur qualité de vie. J. a également construit une maison, mais elle a été démolie par l'armée. J. a reconstruit, les autorités ont encore démoli, et ainsi cinq fois. Après la dernière démolition, J. rénove la grotte mais reçoit les invités dans une tente dressée sur les décombres. Depuis que la guerre a éclaté, le harcèlement des colons s'est accru, alors J. a commencé à dormir dans la tente tandis que sa femme et ses cinq enfants dormaient dans la grotte.

Le 8 décembre à l'aube, dit-il, « plusieurs soldats sont entrés dans la tente, ont dit qu'ils venaient chercher des armes. Ils se sont bien comportés, ont fait leurs recherches et sont partis. Mais ensuite les colons sont arrivés. Depuis le début de la guerre, ils portent des uniformes et des armes militaires, ils ressemblent à des soldats. Mais ils étaient masqués. Avec eux, c'était différent, il y a eu des injures grossières – “fils de pute [répété en hébreu et en arabe], tu es le Hamas” –, et ils ont pointé leurs armes sur nos visages. Ils ont encore fouillé, tout renversé, détruit les projecteurs, démonté une partie de la clôture […]. Ils allaient de maison en maison et saccageaient tout. Dans la partie principale du village, ils ont forcé tous les habitants à se réunir dans une seule maison. Ils ont emmené mon cousin S. aux latrines et l'ont battu là-bas.

Au bout d'un moment, un colon est arrivé avec un cartable contenant de vieilles munitions. Ils ont continué à le battre pour qu'il avoue que cela lui appartenait, mais ce n'était pas le cas. Il a été emmené par les soldats, enchaîné et les yeux bandés, pour un trajet de plusieurs heures, avant d'aboutir au commissariat de Kiryat Arba (la colonie proche de Hébron). Les soldats ont continué à faire preuve de cruauté, notamment en éteignant des cigarettes sur ses bras. » Il est probable que les colons eux-mêmes aient apporté le sac avec les munitions. Mais la libération immédiate de S. atteste que la police s'est rendu compte qu'il s'agissait là d'une tromperie des colons.

Les dégâts matériels les plus graves ont été commis dans la petite école dans laquelle étudient dix enfants du village – de la 1re à la 4e année. Les colons se sont déchaînés là-bas et ont détruit tout ce qu'ils pouvaient, ils ont cassé les armoires et les portes et vandalisé les livres et les cahiers. Les écoles sont une cible privilégiée. Au cours de leur « perquisition », les vandales ont cassé des téléviseurs et des ustensiles de cuisine, volé des outils de travail, un marteau-piqueur et un générateur, ainsi que de l'argent, de l'or et des bijoux. « Qu'est-ce que cela a à voir avec une fouille d'armes ? », demande J.

Les actes de terreur coloniale en Cisjordanie sont attestés par de nombreux articles publiés dans la plupart des organes de presse internationaux. Des centaines d'agressions ont été répertoriées ces derniers mois. Pourtant, la complicité des colons, de l'armée et du système judiciaire, établie depuis de longues années, est souvent brouillée, ignorée. L'impunité et l'omerta équivalent à une caution. Israël recourt toujours à l'inversion des accusations, en fabriquant le cas échéant de fausses preuves. Les falsifications sont facilitées par les outils technologiques. Ces pratiques criminelles, accompagnées de meurtres quelquefois, se situent dans la continuité des stratégies engagées à la création de l'État d'Israël, mais les actes de barbarie ont augmenté ces derniers mois.

Raids de l'armée

Il faut ajouter à cette barbarie quotidienne les raids de l'armée. Jénine (nord de la Cisjordanie) ou Tulkarem (nord-ouest) ont été les cibles d'incursions militaires ou de bombardements par des drones. Le 12 décembre, l'armée a tué douze Palestiniens à Jénine. Mais elle a aussi volé et pillé dans la grande tradition des armées coloniales. Après le départ des soldats, un épicier faisait, devant une journaliste du Monde, l'inventaire de ce qui avait été volé : « Regardez, ce sont les restes des graines de tournesol qu'ils ont prises. Ils ont mangé et bu des articles de ma boutique. »

À la mi-janvier, l'armée a mené à Tulkarem une opération meurtrière dite « antiterroriste » de trente-cinq heures. Les témoins ont fait état de destructions des rues et des voitures par des bulldozers militaires. Depuis le 7 octobre, 360 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie par l'armée ou par les colons [1]. De l'avis de tous les observateurs, l'arbitraire colonial sous toutes ses formes ne fait que renforcer l'influence du Hamas. (Article publié sur le site de Politis le 24 janvier 2024)


[1] La tragédie quotidienne se prolonge à Gaza. Le 24 janvier un porte-parole de l'UNRWA a indiqué que des centaines de personnes réfugiées dans l'un de ses centres de formation – devenu un lieu de refuge – à Khan Younès ont essuyé des tirs israéliens nourris. Le bâtiment a pris feu, de nombreuses personnes n'ont pu s'échapper, au moins 9 personnes ont été tuées et les blessé·e·s se comptent par dizaines.

Le 25 janvier, le ministère de la Santé de Gaza déclare qu'une attaque a été menée contre des personnes affamées qui faisaient la queue pour obtenir une aide humanitaire dans le nord de la ville de Gaza, ravagée par la guerre. « L'occupation israélienne a commis un nouveau massacre contre des “bouches affamées” qui attendaient de l'aide », a déclaré Ashraf al-Qudra sur Telegram. L'attaque s'est produite au rond-point du Koweït, dans la ville de Gaza, et a fait au moins 20 morts et 150 blessés. Le nombre de morts est susceptible d'augmenter car des dizaines de personnes ont été grièvement blessées. Les victimes sont soignées à l'hôpital al-Shifa, qui est à court de fournitures médicales et ne dispose que de quelques médecins, a indiqué Ashraf al-Qudra. (Réd.)

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Rendre la bande de Gaza invivable pour les générations à venir

30 janvier 2024, par Joshua Frank — , ,
Sur une plage typique du centre de Gaza, à un kilomètre au nord du camp de réfugiés d'Al-Shati, aujourd'hui rasé, de longs tuyaux noirs serpentent à travers des collines de (…)

Sur une plage typique du centre de Gaza, à un kilomètre au nord du camp de réfugiés d'Al-Shati, aujourd'hui rasé, de longs tuyaux noirs serpentent à travers des collines de sable blanc avant de disparaître sous terre. Une image diffusée par les Forces de défense israéliennes (FDI) montre des dizaines de soldats posant des canalisations et ce qui semble être des stations de pompage mobiles qui doivent prélever de l'eau dans la mer Méditerranée et l'acheminer dans des tunnels souterrains. Selon divers rapports, le plan consiste à inonder le vaste réseau de puits et de tunnels souterrains que le Hamas aurait construit et utilisé pour mener à bien ses opérations.

Tiré de A l'Encontre
23 janvier 2024

Par Joshua Frank

(Atia Mohammed/Flash90)

« Je ne donnerai pas de détails, mais il s'agit d'explosifs servant à détruire et d'autres moyens visant à empêcher les militants du Hamas d'utiliser les tunnels pour attaquer nos soldats », a déclaré le chef d'état-major de Tsahal, le lieutenant-général Herzi Halevi. « Tout moyen qui nous donne un avantage sur l'ennemi qui [utilise les tunnels], qui le prive de cet atout, est un moyen que nous étudions pour son usage. Et voir si c'est une bonne idée… »

Alors qu'Israël teste déjà sa stratégie d'inondation, ce n'est pas la première fois que les tunnels du Hamas sont soumis au sabotage par l'eau de mer. En 2013, l'Egypte voisine a commencé à inonder les tunnels contrôlés par le Hamas qui auraient été utilisés pour la contrebande de marchandises entre la péninsule du Sinaï et la bande de Gaza. Pendant plus de deux ans, l'eau de la Méditerranée a été déversée dans le réseau de tunnels, causant des dégâts à l'environnement dans la bande de Gaza. Les nappes phréatiques ont rapidement été polluées par la salinité et, par conséquent, la terre est devenue saturée et instable, provoquant des affaissements du sol et la mort de nombreuses personnes. Des champs agricoles autrefois fertiles ont été transformés en mares de boue salée, et l'eau potable, déjà rare à Gaza, s'est encore dégradée.

La stratégie actuelle d'Israël visant à noyer les tunnels du Hamas causera sans aucun doute des dommages similaires et irréparables. « Il est important d'avoir à l'esprit », prévient Juliane Schillinger, chercheuse à l'université de Twente (située à Enschede), aux Pays-Bas, « qu'il ne s'agit pas seulement d'eau à forte teneur en sel : l'eau de mer le long de la côte méditerranéenne est également polluée par les eaux usées non traitées, qui sont continuellement déversées dans la Méditerranée par le système d'égouts défectueux de Gaza. »

Bien entendu, cela semble faire partie d'un objectif israélien plus ample : non seulement démanteler les capacités militaires du Hamas, mais aussi dégrader et détruire encore plus les aquifères menacés de Gaza (déjà pollués par les eaux usées qui s'échappent des canalisations vétustes). Les responsables israéliens ont ouvertement admis que leur objectif est de faire en sorte que Gaza soit un endroit invivable, une fois qu'ils auront mis fin à leur campagne militaire impitoyable.

« Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », a déclaré le ministre de la Défense Yoav Gallant peu après l'attaque du Hamas du 7 octobre. « Nous allons tout éliminer et ils le regretteront. » Et Israël tient aujourd'hui sa promesse.

Comme si ces bombardements aveugles (« A Times Investigation Tracked Israel's Use of One of Its Most Destructive Bombs in South Gaza, New York Times, 21 décembre 2023), qui ont déjà endommagé ou détruit jusqu'à 70% des habitations de Gaza (Jerusalem Post, 30 décembre), ne suffisaient pas, le déversement d'eau polluée dans ces tunnels fera en sorte que certains bâtiments d'habitation restants souffriront également de problèmes structurels. Et si le sol est meuble et peu sûr, les Palestiniens auront du mal à reconstruire.

L'inondation des tunnels par des eaux souterraines polluées « provoquera une accumulation de sel et l'effondrement du sol, ce qui entraînera la démolition de milliers de maisons palestiniennes dans la bande de terre densément peuplée », explique Abdel-Rahman al-Tamimi, directeur du Palestinian Hydrologists Group, la plus grande ONG qui surveille la pollution dans les territoires palestiniens. Sa conclusion est on ne peut plus saisissante : « La bande de Gaza deviendra une zone dépeuplée et il faudra environ 100 ans pour se débarrasser des effets environnementaux de cette guerre. »

En d'autres termes, comme le souligne Abdel-Rahman al-Tamimi, Israël est en train de « détruire l'environnement ». Et à bien des égards, tout a commencé par la destruction des verdoyantes oliveraies de Palestine.

La fin des olives

Au cours d'une année moyenne, Gaza produisait autrefois plus de 5000 tonnes d'huile d'olive provenant de plus de 40 000 arbres. La récolte d'automne, en octobre et novembre, a longtemps été une période de fête pour des milliers de Palestiniens et Palestiniennes. Les familles et les amis chantaient, partageaient les repas et se réunissaient dans les vergers pour faire la fête sous les arbres anciens, qui symbolisaient « la paix, l'espoir et la prospérité ». Il s'agissait d'une tradition importante, d'un lien profond à la fois avec la terre et avec une ressource économique vitale. L'année dernière, les récoltes d'olives ont représenté plus de 10% de l'économie gazaouie, soit un total de 30 millions de dollars.

Bien entendu, depuis le 7 octobre, la récolte d'olives a cessé. La tactique israélienne de la terre brûlée a entraîné la destruction d'innombrables oliveraies. Des images satellites publiées début décembre montrent (The Observers, 12 décembre 2023) que 22% des terres agricoles de Gaza, dont d'innombrables vergers d'oliviers, ont été complètement ravagées.

« Nous avons le cœur brisé à cause de nos cultures, que nous ne pouvons pas atteindre », explique Ahmed Qudeih, un agriculteur de Khuza, une ville du sud de la bande de Gaza. « Nous ne pouvons ni irriguer, ni cultiver nos terres, ni en prendre soin. Après chaque guerre dévastatrice, nous payons des milliers de shekels pour garantir la qualité de nos récoltes et rendre notre sol à nouveau approprié à l'agriculture. »

L'acharnement militaire d'Israël contre Gaza a eu un impact très profond sur la vie humaine (plus de 22 000 morts [actuellement, plus de 25 000 morts], dont un nombre important de femmes et d'enfants, et des milliers d'autres corps ensevelis sous les décombres et que l'on ne peut donc pas dénombrer). Cette dernière vague de violences militaires israéliennes n'est que la continuation particulièrement sinistre d'une campagne, qui dure depuis 75 ans, d'éradication de l'héritage culturel palestinien. Depuis 1967, Israël a déraciné plus de 800 000 oliviers palestiniens, parfois pour faire place à de nouvelles colonies juives illégales en Cisjordanie ; dans d'autres cas, pour de prétendues raisons de sécurité ou par pure rage sioniste viscérale (Middle East Monitor, « Illegal Settlers destroy, steal hundreds of olive trees in Bethlehem », 31 mars 2023).

Les oliviers sauvages sont cultivés par les habitants de la région depuis des milliers d'années, depuis la période chalcolithique (âge du cuivre durant le néolithique) au Levant (4300-3300 avant notre ère), et la destruction de ces vergers a eu des conséquences catastrophiques sur l'environnement. « L'abattage des arbres est directement lié à des changements climatiques irréversibles, à l'érosion des sols et à une réduction des récoltes », selon un rapport de la Yale Review of International Studies datant de 2023. « L'écorce pérenne et ligneuse agit comme un puits de carbone… [un] olivier absorbe 11 kg de CO2 par litre d'huile d'olive produit. »

En plus de constituer une récolte et une valeur culturelle, les oliveraies sont vitales pour l'écosystème de la Palestine. De nombreuses espèces d'oiseaux, dont le geai d'Europe, le pinson vert, la corneille à capuchon, la pie-grièche masquée, l'oiseau-soleil de Palestine et la fauvette sarde, dépendent de la biodiversité des arbres sauvages de Palestine, parmi lesquels six espèces sont souvent présentes dans les oliveraies des territoires : le pin d'Alep, l'amandier, l'olivier, le nerprun de Palestine, l'aubépine épineuse et le figuier.

Comme l'ont écrit Simon Awad et Omar Attum (Indiana University Southeast) dans le numéro de décembre 2019 du Jordan Journal of Natural History : « [Les] oliveraies en Palestine pourraient être considérées comme des paysages culturels ou être désignées comme des systèmes agricoles d'importance mondiale en raison de la combinaison de leur biodiversité et de leurs valeurs culturelles et économiques. La valeur de la biodiversité des oliveraies historiques a été reconnue dans d'autres parties de la Méditerranée, certains proposant que ces zones soient protégées parce qu'elles constituent un habitat utilisé par certaines espèces rares et menacées et qu'elles sont importantes pour le maintien de la biodiversité régionale. »

Un olivier ancien et indigène devrait être considéré comme un témoignage de l'existence même des Palestiniens et de leur lutte pour la liberté. Avec son tronc épais et torsadé, l'olivier constitue une mise en garde pour Israël, non pas en raison des fruits qu'il porte, mais à cause des histoires que ses racines racontent sur un paysage écorché et un peuple meurtri qui a été assiégé sans pitié et sans relâche pendant plus de 75 ans.

Le phosphore blanc et les bombes, les bombes et encore les bombes

Tout en contaminant les aquifères et en déracinant les oliveraies, Israël empoisonne désormais Gaza depuis le ciel. De nombreuses vidéos analysées par Amnesty International et confirmées par le Washington Post (12 octobre 2023) montrent des fusées éclairantes et des panaches de phosphore blanc pleuvant sur des zones urbaines densément peuplées. Utilisé pour la première fois sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale pour couvrir les mouvements de troupes, le phosphore blanc est connu pour être toxique et dangereux pour la santé humaine. Son utilisation en milieu urbain est désormais considérée comme illégale au regard du droit international. Or, Gaza est l'un des endroits les plus densément peuplés de la planète. « Chaque fois que le phosphore blanc est utilisé dans des zones civiles surpeuplées, il présente un risque élevé de brûlures atroces et de souffrances à vie », déclare Lama Fakih, directeur pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Human Rights Watch (HRW).

Si le phosphore blanc est hautement toxique pour l'homme, des concentrations importantes ont également des effets délétères sur les plantes et les animaux. Il peut perturber la composition du sol, le rendant trop acide pour les cultures. Et ce n'est là qu'une partie de la masse de munitions qu'Israël a déversées sur Gaza au cours des trois derniers mois. Cette guerre (si l'on peut appeler « guerre » un assaut aussi asymétrique) a été la plus meurtrière et la plus destructrice de l'histoire récente (Julia Frankel, AP, January 11, 2024). Selon certaines estimations, elle est au moins aussi grave que les bombardements alliés sur l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, qui ont anéanti 60 villes allemandes et tué un demi-million de personnes, d'après les estimations.

Comme les forces alliées de la Seconde Guerre mondiale, Israël tue sans discernement. Sur les 29 000 missiles/bombes air-sol tirés, 40% ont été des bombes non guidées larguées sur des zones résidentielles très peuplées (CNN, December 22, 2023). Les Nations unies estiment qu'à la fin du mois de décembre, 70% des écoles de Gaza, dont beaucoup servaient d'abris aux Palestiniens et Palestiniennes fuyant l'assaut israélien, avaient été gravement endommagées (Boston Review, December 20, 2023). Des centaines de mosquées et d'églises ont également été touchées et 70% des 36 hôpitaux de Gaza ont été touchés et ne fonctionnent plus.

Une guerre qui dépasse toutes les prévisions

« Gaza est l'une des campagnes de représailles des civils les plus intenses de l'histoire », affirme Robert Pape, historien à l'université de Chicago. « Elle se situe désormais clairement dans le quartile supérieur des campagnes de bombardement les plus dévastatrices de l'histoire. »

Il est encore difficile d'appréhender les dégâts infligés, jour après jour, semaine après semaine, non seulement aux infrastructures et à la vie civile de Gaza, mais aussi à son environnement. Chaque bâtiment qui explose laisse derrière lui un nuage de poussière toxique et de vapeurs qui réchauffent le climat. « Dans les zones touchées par un conflit, la détonation d'explosifs peut libérer d'importantes quantités de gaz à effet de serre, notamment du dioxyde de carbone, du monoxyde de carbone, des oxydes d'azote et des particules », explique Erum Zahir, professeur de chimie à l'université de Karachi (TRTWorld, November 2023).

La poussière dégagée par l'effondrement des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001 a fait des ravages parmi les premiers intervenants. Une étude réalisée en 2020 a révélé que les sauveteurs étaient « 41% plus susceptibles de développer une leucémie que les autres individus ». Quelque 10 000 New-Yorkais ont souffert de problèmes de santé à court terme à la suite de l'attaque, et il a fallu un an pour que la qualité de l'air dans le sud de Manhattan revienne à son niveau d'avant le 11 septembre.

Bien qu'il soit impossible d'analyser tous les impacts des bombardements israéliens incessants, on peut supposer que la destruction en cours de Gaza aura des effets bien pires que ceux du 11 septembre sur la ville de New York. Nasreen Tamimi, directrice de l'Autorité palestinienne pour la qualité de l'environnement, estime qu'une évaluation environnementale de Gaza aujourd'hui « dépasserait toutes les prévisions » (Euronews.green, 20 décembre 2023).

L'accès à l'eau potable était au cœur du casse-tête auquel étaient confrontés les Palestiniens de Gaza, même avant le 7 octobre, et les bombardements incessants d'Israël n'ont fait que l'exacerber de manière effroyable. Un rapport de l'UNICEF datant de 2019 indique que « 96% de l'eau de l'unique aquifère de Gaza est impropre à la consommation humaine ».

L'électricité intermittente, conséquence directe du blocus israélien, a également endommagé les installations sanitaires de Gaza, entraînant une contamination accrue des eaux souterraines qui, à son tour, a provoqué diverses infections et des épidémies massives de maladies d'origine hydrique évitables. Selon HRW, Israël utilise le manque de nourriture et d'eau potable comme outil de guerre, ce qui, selon de nombreux observateurs internationaux, constitue une forme de punition collective – un crime de guerre de forte gravité. Les forces israéliennes ont intentionnellement détruit des terres agricoles et bombardé des installations d'eau et d'assainissement dans ce qui semble être un effort pour rendre Gaza littéralement invivable.

« Je dois marcher trois kilomètres pour obtenir 4 litres [d'eau] », a déclaré Marwan, 30 ans, à HRW. Comme des centaines de milliers d'autres habitants de Gaza, Marwan a fui vers le sud avec sa femme enceinte et ses deux enfants au début du mois de novembre. « Il n'y a pas de nourriture. Si nous parvenons à trouver de la nourriture, c'est sous forme de conserves. Nous ne mangeons pas tous bien. »

Dans le sud de Gaza, près de la ville surpeuplée de Khan Younès, les eaux usées s'écoulent dans les rues car les services d'assainissement ont cessé de fonctionner. Dans la ville de Rafah, où tant de Gazaouis ont dû se réfugier [sur ordre de l'armée israélienne], les conditions sont plus que désastreuses. Les hôpitaux de fortune de l'ONU sont débordés, la nourriture et l'eau manquent et la famine est en nette augmentation. Fin décembre, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a recensé plus de 100 000 cas de diarrhée et 150 000 infections respiratoires dans une population gazaouie d'environ 2,3 millions d'habitants. Ces chiffres sont probablement très inférieurs à la réalité et augmenteront sans aucun doute au fur et à mesure que l'offensive israélienne se poursuivra. En effet, 1,9 million de personnes ont déjà été déplacées, soit plus de 85% de la population, et la moitié d'entre elles sont maintenant menacées de famine, selon l'ONU.

« Depuis plus de deux mois, Israël prive la population de Gaza de nourriture et d'eau, une politique encouragée ou approuvée par de hauts responsables israéliens et qui reflète l'intention d'affamer les civils comme méthode de guerre », rapporte Omar Shakir de Human Rights Watch.

Rarement, si ce n'est jamais, les auteurs de massacres (qui craignent la saisine par l'Afrique du Sud de la Cour internationale de justice de La Haye pour actes de génocide de la part d'Israël) n'ont exposé aussi clairement leurs cruelles intentions. Comme l'a dit le président israélien Isaac Herzog dans un effort méprisant de justifier les atrocités auxquelles sont confrontés les civils palestiniens, « c'est une nation entière qui est responsable [du 7 octobre]. Cette rhétorique selon laquelle les civils n'étaient pas conscients, pas impliqués, n'est absolument pas vraie. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu se battre contre ce régime diabolique [du Hamas]. »

La violence infligée aux Palestiniens par un Israël soutenu de manière si frappante [la livraison quotidienne de munitions nullifie les déclarations de Biden] par le président Biden et son équipe de politique étrangère ne ressemble à rien de ce dont nous avions été témoins auparavant, plus ou moins en temps réel, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Gaza, ses habitants et les terres qui les ont nourris pendant des siècles sont en train d'être saccagés et transformés en un enfer trop invivable, dont l'impact sera ressenti – c'est une certitude – pour les générations à venir. (Article publié sur le site TomDispatch, le 11 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Joshua Frank, journaliste californien reconnu et co-rédacteur du site CounterPunch. Il est l'auteur de Atomic Days : The Untold Story of the Most Toxic Place in America (Haymarket Books, octobre 2022).

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Appel à la paix : faisons de ce mois de janvier un temps de prise de conscience pour une Résistance créatrice de l’humanité pour la Paix, la Justice et la Liberté

Après les massacres du Hamas en Israël, la vengeance et la punition collective engagées par Netanyhaou et son gouvernement d'extrême droite, conduisent aujourd'hui au massacre (…)

Après les massacres du Hamas en Israël, la vengeance et la punition collective engagées par Netanyhaou et son gouvernement d'extrême droite, conduisent aujourd'hui au massacre massif de palestiniens (femmes, enfants, civils) dans la bande de Gaza comme en Cisjordanie.

Et pendant ce temps, des otages israéliens sont morts ou restent emprisonnés malgré l'échange, après une trêve, d'otages contre des prisonniers palestiniens. Il n'y a pourtant aucune solution militaire envisageable après 75 ans de violences. Seule une solution politique humaine, viable et pérenne assurera la sécurité des deux peuples dans une coexistence pacifique. Les atrocités de la guerre ne font que renforcer la rage et la violence des deux côtés. C'est le cas pour Israël et Gaza, pour l'Ukraine, pour le Soudan, pour tous les peuples opprimés ou en butte à des pouvoirs autoritaires et partout où les droits humains élémentaires sont bafoués. Il nous faut refuser cet engrenage de régressions inhumaines, appuyer l'action du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, et donner toute sa "place à l'humanité » pour reprendre le thème du même nom initié par les Dialogues en humanité.

En ce temps de vœux, faisons de ce passage d'année un temps de deuil pour les régressions inhumaines qui signent des défaites de l'humanité et témoignons au contraire d'une résistance créatrice et d'une espérance dans l'alliance des forces de vie, de justice et de liberté.

Cet appel signé Edgar Morin et Patrick Viveret le 1er janvier 2024 a, notamment , comme premiers signataires :

Geneviève Ancel co fondatrice du réseau international des Dialogues en humanité.
Catherine André rédactrice en chef de Vox Europe.
Alain Caillé directeur de la revue du Mauss et initiateur du mouvement des convivialistes.
Anne Marie Codur du réseau international des « guerrières de la paix ».
Jean Fabre ancien directeur adjoint du Programme des Nations Unies pour le développement.
Merci d'appuyer en donnant votre nom et prénom, votre titre et votre mail à
Jean Pierre Lancry jeanpierrelancry@gmail.com
et Patrick Viveret : patrick.viveret@icloud.com
Merci à Jean-Claude Oliva pour le relais en Amérique via
Pierre Jasmin, secrétaire général des Artistes pour la Paix jasmin.pierre@uqam.ca
Jacques Lévesque, professeur émérite, doyen de la Faculté de Science Politique et de Droit 1999- 2005, Université du Québec à Montréal, levesque.jacques@uqam.ca
Marie-Luc Arpin, professeure, Marie-Luc.Arpin@USherbrooke.ca
Michel Seymour, professeur retraité, Université de Montréal, seymour@videotron.ca
Saul, Samir, professeur, samir.saul@umontreal.ca
Baba, Sofiane, professeur, Sofiane.Baba@USherbrooke.ca
Renée Joyal, juriste et professeure honoraire, joyal.renee@uqam.ca
Tamara Lorincz, doctorante Wilfrid Laurier University, tlorincz@dal.ca
Yvon Rivard, écrivain, professeur retraité McGill, y_rivard@sympatico.ca
Élisabeth Gallat-Morin, musicologue Université de Montréal morinjy@cooptel.qc.ca
Derek Paul, professeur retraité Univ. Toronto, derekleverpaul@gmail.com
Vandelac, Louise, professeure titulaire, vandelac.louise@uqam.ca
Mergler, Donna, professeure émérite, mergler.donna@uqam.ca
Lilya Prim-Chorney, danseuse retraitée, lilyacontact@hotmail.com
Pietro Pizzuti, membre de l'Agora des Habitants de la Terre, pizzuti.pietro@gmail.com
Dimitri Roussopoulos, éditeur, dimitri@blackrosebooks.com
Pierre Dubuc, éditeur, pierre-dubuc@videotron.ca
Nadia Alexan, professeure retraitée, nadia.alexan@videotron.ca
Claudio Zanchettin, philosophe, cl.zanchettin@gmail.com
Pascale Frémond, Présidente Religions pour la Paix - Québec et Religions for Peace Canada, religionspourlapaixquebec@gmail.co
Louise Marie Beauchamp, co-présidente APLP lmbeauchamp@artistespourlapaix.org
Izabella Marengo, vice-présidente APLP izabella.marengo@artistespourlapaix.org
Raymond Warren, sculpteur, warrenraymond956@gmail.com
Pascale Camirand, philosophe féministe, pascalecamirand@hotmail.com
André Jacob, professeur retraité UQAM, www.andrejacobgalerie.com
Gilarowski, Elizabeth, independant writer/researcher thatwar@hotmail.com
Jacques Goldstyn, Artiste pour la Paix de l'Année jacquesgoldstyn@gmail.com
Daniel Gingras, membre du C.A. Artistes pour la Paix daniel.gingras.dg90@gmail.com
Barbara Guy, doctorante en sciences de l'environnement barbarav@gmail.com
Lucie Sauvé, professeure émérite - environnement sauve.lucie@uqam.ca
Micheline Labelle, professeure émérite – sociologie labelle.m@uqam.ca

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Alliance de la gauche verte d’Europe centrale et orientale (CEEGLA)

29 janvier 2024, par Rédaction-coordination JdA-PA
Sotsialnyi Rukh (Mouvement social) Le Mouvement social a participer à la fondation de l’Alliance de la gauche verte d’Europe centrale et orientale (CEEGLA). Cette association (…)

Sotsialnyi Rukh (Mouvement social) Le Mouvement social a participer à la fondation de l’Alliance de la gauche verte d’Europe centrale et orientale (CEEGLA). Cette association comprend des partis politiques et des organisations publiques qui prônent une Europe sociale juste, de gauche et (...)

FSM 2024 : le concert des luttes s’invite à Katmandou

29 janvier 2024, par Rédaction-coordination JdA-PA
Communiqué du comité organisateur du FSM 2024 au Népal, 21 janvier 2024 La 16e édition du Forum Social Mondial 2024 Népal (FSM 2024) est prête à se tenir du 15 au 19 février (…)

Communiqué du comité organisateur du FSM 2024 au Népal, 21 janvier 2024 La 16e édition du Forum Social Mondial 2024 Népal (FSM 2024) est prête à se tenir du 15 au 19 février 2024 à Katmandou, au Népal. Comment se déroulera l’événement et comment y participer ? La préparation du Forum Social (...)

Gaza : la famine comme méthode de guerre

29 janvier 2024, par Rédaction-coordination JdA-PA
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Crise du logement…des solutions nouvelles ?

29 janvier 2024, par Marc Simard
Avec la pénurie de logement, les gouvernements et les municipalités cherchent des solutions à la crise du logement dans la construction de logement. Mais la construction de (…)

Avec la pénurie de logement, les gouvernements et les municipalités cherchent des solutions à la crise du logement dans la construction de logement. Mais la construction de nouveaux logements n’est pas l’unique solution. Les habitations alternatives sont aussi une solution. D’abord, les (...)

Quelles actions de solidarité avec la gauche ukrainienne ?

28 janvier 2024, par Rédaction-coordination JdA-PA
Par Oleksandr Kyselov La situation sur le front militaire est préoccupante. Malgré certains succès tactiques, les grands espoirs placés dans la controffensive n’ont pas été (…)

Par Oleksandr Kyselov La situation sur le front militaire est préoccupante. Malgré certains succès tactiques, les grands espoirs placés dans la controffensive n’ont pas été comblés. Au contraire, Valeri Zaloujny, le commandant en chef ukrainien, a ouvertement reconnu une impasse. Les sondages (...)

« À propos de l’anarcho-syndicalisme » par Esmeralda et JM

https://liberteouvriere.files.wordpress.com/2024/01/llibreria_rosa_de_foc_-_cnt-2004909787-e1705719273999.jpg https://0.gravatar.com/avatar/08b9589eb27d3c06729f93084302d98e4131a5e1c0977a835d8b57b967e3a53b?s=96&d=identicon&%2338;r=G28 janvier 2024, par liberteouvriere
Une brève explication du discours et de l’approche organisationnelle de l’anarcho-syndicalisme, accompagnée d’une explication sur la différence avec le syndicalisme (…)

Une brève explication du discours et de l’approche organisationnelle de l’anarcho-syndicalisme, accompagnée d’une explication sur la différence avec le syndicalisme révolutionnaire.
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