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"ON EST EN TRAIN D‘ENFOUIR LA CRISE CLIMATIQUE ET ÉCOLOGIQUE AU FOND DES MINES"
19 février 2024 | tiré du site de Blast
https://www.youtube.com/watch?v=PrjdUNS-p4s
C'est l'un des plus grands paradoxes de notre époque, pour limiter le réchauffement climatique et décarboner nos économies, une nouvelle ruée minière d'une ampleur inédite a commencé. Pourtant l'industrie minière est l'une des industries les plus toxiques et les plus énergivores que l'on connaisse. Et son activité explose pour fournir entre autres les matières premières des technologies bas carbone : les batteries des voitures électriques, les métaux pour les smartphones, les ordinateurs…
En seulement 20 ans, les volumes de métaux extraits dans le monde ont doublé et dans les 20 années à venir, les entreprises minières veulent produire autant de métaux qu'on en a extraits au cours de toute l'histoire de l'humanité. Pour la journaliste Celia Izoard, “Continuer à faire croire, qu'il est possible de supprimer les émissions carbones en électrifiant le système énergétique mondial est un mensonge criminel”. Un mensonge criminel car extraire de la matière produit beaucoup plus de déchets que de ressources, des déchets qui forment des collines ou des vallées de matières toxiques et dangereuses qu'il faudra gérer pendant des siècles. Les mines demandent aussi des quantités colossales d'eau et d'énergie. Sans compter leurs impacts sur les écosystèmes et les droits humains. En bref, les mines détruisent bien plus de ressources qu'elles en produisent.
Dans son livre, La ruée minière au XXIème siècle, Celia Izoard enquête sur les réalités qui se cachent derrière le discours des communicants et des entreprises qui prône la « mine durable, verte et sociale » comme un outil de la transition vers les énergies décarbonées. L'essayiste montre à quel point, en tant que population, nous sommes embarqués dans un projet de transition qui repose entièrement sur l'extractivisme et nous mène dans le mur. Comment sortir de cette impasse ? Pour Celia Izoard, la seule solution viable aujourd'hui est de revoir nos modes de vie et de réduire nos besoins en énergie.
“On ne peut miser sur les énergies renouvelables qu'en réduisant drastiquement la production et la consommation. Et cela nécessite des bouleversements majeurs que les élites du capitalisme mondialisé refusent de faire”. Que signifie extraire des métaux au XXIème siècle ? En quoi la mine verte et responsable est un mirage ? Et quels bouleversements majeurs faudrait-il opérer aujourd'hui pour sortir de l'extractivisme ? Réponses dans cet entretien de Paloma Moritz avec Celia Izoard.
Pour aller plus loin :
Le livre de Celia Izoard https://www.seuil.com/ouvrage/la-ruee...
Enquête pour Reporterre
https://reporterre.net/Exclusif-la-li...
Déclaration de solidarité avec les mouvements sociaux en Haïti
Haïti – la nécessité de la lutte organisée
La population palestinienne au Liban inquiète du sort de l’UNRWA
Amendes « minimes » contre l’entreprise responsable de la mort de travailleurs londoniens
La croissance va-t-elle nous sauver des crises ?
« Malheureusement, ça ne peut que s’empirer »

Le blanchiment du mouvement #MoiAussi

Le mot-clic #MeToo est devenu un mouvement international ayant transcendé les frontières des États-Unis et du Web. Après des millions de partages et des poursuites en diffamation contre les dénonciatrices, il y a lieu de se questionner sur l'invisibilisation de femmes noires et racisées qui sont à l'origine de ce mouvement.
En 2006, une organisatrice communautaire, militante et survivante afro-américaine du nom de Tarana Burke lance la campagne #MeToo sur la plateforme MySpace. Sa campagne vise les femmes et les filles noires issues de quartiers défavorisés aux États-Unis. Son initiative est née du regret de n'avoir pu dire « moi aussi » à Heaven, une survivante noire âgée de 14 ans lui ayant fait une confidence près d'une décennie plus tôt. C'est qu'Heaven était une survivante de violences sexuelles, comme Burke. La petite lui a affirmé se faire agresser par le conjoint de sa mère. Ainsi, la campagne Me Too est née du regret de n'avoir su comment accueillir ce secret.
Les femmes noires ont toujours été à l'avant-garde de grands bouleversements politiques, sociaux et intellectuels. Parmi ces pionnières d'avant l'heure, je pense à la dénonciation pour harcèlement sexuel de la juriste Anita Hill contre son ancien patron Clarence Thomas en 1991 ou encore à celle de la femme de chambre du Sofitel de New York, Nafissatou Diallo, qui en 2011, a accusé l'ancien patron du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn (DSK) de viol.
La campagne #MeToo de 2006 n'était pas destinée, à l'origine, à faire tomber des hommes puissants. Elle se voulait un mouvement de sororité par, pour et avec les femmes et les fillettes noires, celles qu'on ne voit pas et que l'on n'écoute pas, même si elles résistent de manière ingénieuse aux violences dont elles sont quotidiennement la cible.
Invisibilisation, appropriation et effacement
Quinzième jour d'octobre 2017. Quelques jours se sont écoulés depuis la publication de deux enquêtes du New York Times et du New Yorker concernant le producteur hollywoodien Harvey Weinstein [1]. Ce dernier a acheté le silence de près d'une centaine d'actrices hollywoodiennes, majoritairement blanches [2], pour taire les décennies de harcèlement, d'agressions sexuelles et de viols qu'il a commis à leur endroit. L'actrice américaine Alyssa Milano décide alors de publier le message suivant sur la plateforme Twitter « If you've been sexually harassed or assaulted, write ‘me too' as a reply to this tweet ». Milano reconnaîtra d'ailleurs très rapidement l'idée
de Tarana Burke lorsqu'on lui fera remarquer qu'elle n'était pas la première à employer ce mot-clic pour traiter de l'enjeu des violences sexuelles. Néanmoins, un peu malgré elle, le mal était fait.
Cette fâcheuse tendance à invisibiliser les luttes des femmes noires et racisées n'a absolument rien de nouveau. La sociologue et professeure à l'Université de Montréal Sirma Bilge parle du « blanchiment de l'intersectionnalité » pour expliquer la manière dont l'institutionnalisation de cette théorie, qui émane d'une praxis militante ancrée dans la justice sociale des communautés racisées, l'a en fait dépolitisée et dénaturée de son sens premier. Le mouvement #MeToo s'est lui aussi blanchisé. En effet, ce n'est que lorsque des dénonciations ont été portées par des femmes blanches, célèbres et correspondant aux standards de beauté occidentaux promus par Hollywood que le monde a tourné la tête pour porter écoute et reconnaître la pandémie fantôme que constituent les violences sexuelles dans notre société et dans notre monde.
Rendre justice
Mon travail, en tant que doctorante, chercheuse et bientôt auteure publiée, est de tenter de rendre justice aux femmes de l'invisible, à celles que l'on ne voit pas sur les plateaux de télévision, à celles qui n'écrivent pas de livres et de chroniques – car oui, il s'agit là d'un privilège – à celles perçues comme étant trop folles, pas assez respectables pour être crues, vues, entendues, validées et soutenues. À celles qui portent notre monde à bout de bras, tant de façon matérielle que symbolique, à celles qui révolutionnent notre univers sans que jamais on ne leur dise merci, sans que jamais qu'on leur en donne le crédit.
Une praxis militante éthique et féministe se doit d'être ancrée dans la réflexivité, et ce, en tout temps. Savoir quand parler, s'il est pertinent de le faire, et sur la manière de le faire sont des questionnements qui doivent faire partie de la boite à outils de toutes les chercheuses et militantes qui se réclament de l'intersectionnalité, du féminisme et de #MeToo. À l'heure des controverses sur la liberté d'expression et académique, il faudrait commencer à parler de responsabilité d'expression et académique. Faire la promotion d'une humilité assumée. Car avec tout droit viennent des devoirs.
La banalité avec laquelle nous sommes effacées et invisibilisées à chaque idée de génie est une histoire déjà trop vue, trop connue et routinière. Au bout du compte, ne pas reconnaître que les femmes noires ont fortement contribué à la genèse du raz-de-marée #MeToo constitue une couche de violence parmi tant d'autres.
Je termine l'écriture d'un essai à paraître prochainement aux Éditions du remue-ménage sur ces enjeux. Mon projet de thèse doctoral à l'Université d'Ottawa, débuté en 2019, porte également sur le mouvement #MoiAussi du regard de femmes afrodescendantes au Québec.
[1] Weinstein a été reconnu coupable en 2020. Il a reçu une sentence de 23 ans de prison qu'il est en train de purger.
[2] Parmi les victimes de Weinstein, on compte Lupita Nyong'o et Salma Hayek. Weinstein a d'ailleurs nié les violences commises qu'à l'endroit de toutes ces deux femmes, qui sont deux femmes racisées.
Photo : Installation Broken de l'artiste Dennis Josef Meseg, Francfort, Allemagne (CC BY-NC-NS 2.0)

Liberté académique. Quand l’État défend la liberté pour mieux l’étouffer

Déjà presque deux ans depuis la polémique entourant l'utilisation du mot en « N » à l'université d'Ottawa. Depuis, professeur·es, chroniqueur·euses et politicien·nes ne cessent de s'insurger devant de prétendues menaces à la liberté académique, toujours plus nombreuses et plus graves. Peu s'indignent toutefois des barrières systémiques, bien réelles, qui freinent le parcours universitaires des étudiant·es noir·es, autochtones et racisé·es.
Le mercredi 6 avril, la ministre responsable de l'enseignement supérieur Danielle McCann a déposé le projet de loi 32 visant à réglementer la liberté académique au sein du milieu universitaire. L'objectif est de garantir un enseignement qui puisse s'exercer sans contrainte « doctrinale, idéologique ou morale ». Velléité ronflante de rectitude morale et d'éthique, mais qui est loin d'illustrer la réalité du modèle proposé. Déjà, des critiques ont été émises sur le fait que ce projet de loi, dans sa formulation actuelle, représente plutôt un recul pour le milieu universitaire. Par exemple, plusieurs éléments importants de la définition de la liberté académique sont écartés : il y manque la reconnaissance du droit aux membres enseignant·es de critiquer publiquement l'institution à laquelle iels appartiennent. De plus, l'article 6 du projet de loi prévoit que le ministère de l'Enseignement puisse dicter la politique d'un établissement universitaire « lorsqu'il l'estime nécessaire », ce qui contrevient au principe même de la liberté académique qui vise, entre autres, à assurer l'indépendance des universités vis-à-vis du gouvernement.
En somme, ce projet de loi est un véritable nœud coulant proposé au milieu académique et des alertes sont soulevées par le corps enseignant avec raison. Par contre, ces dernier·ères ont tellement travaillé à en tresser la corde que j'ai du mal à ressentir la moindre empathie maintenant qu'on leur demande de se la passer au cou. Je m'explique : dans les débats et les critiques entourant le projet de loi, très peu prennent la peine de rappeler le contexte ayant mené à ce que le législatif s'en mêle. Je rappelle que ce projet de loi a été proposé en réaction à des situations très médiatisées sur des propos déplacés tenus en salle de classe par des membres du corps enseignant. Face aux plaintes d'étudiant·es et aux demandes d'imputabilité, le corps enseignant est massivement monté au créneau. La cacophonie qui s'ensuivit a été particulièrement assourdissante : pétition, chronique radio, interview et articles d'opinion ont fleuri dans tous les coins. Le propos global : iels sont victimes de censure. En justification ? L'impossibilité d'utiliser le mot en « N » sans conséquence ! Leurs ennemis ? Le « wokisme » !
Quel danger pour quelle liberté ?
Notez tout de même le doux paradoxe d'individus ayant accès à un maximum de plateformes médiatiques, et s'en servant ad nauseam, pour expliquer qu'iels sont les grandes victimes… de censure. On notera également dans les textes de ces pourfendeurs·euses d'injustice et ces vengeur et vengeresses de la liberté d'expression l'argument de vouloir défendre le corps étudiant. Parce qu'après tout, si iels réagissent avec autant de vergogne, c'est pour assurer à leurs étudiant·es un droit au débat et un espace où tout peut être discuté. Pour autant, si la pluralité de la pensée et des points de vue est si chère à ces professeur·es, on peut s'interroger sur leur quasi-absence de réactions, année après année, lorsque le milieu scolaire de manière globale est épinglé sur son manque de représentativité. Je rappelle qu'au Canada, seulement 2 % des professeur·es à l'université s'identifient comme noir·es. Cette même homogénéité raciale se reflète au sein du corps étudiant au fur et à mesure qu'on gravit le niveau d'étude.
Ainsi, le taux d'abandon des étudiant·es noir·es, par exemple, reste plus élevé que la moyenne de la population. Parmi les multiples facteurs menant à ce désengagement, comme la pauvreté ou le harcèlement scolaire, on note également le racisme des professeur·es ainsi que l'absence de professionnel·les noir·es au sein de l'académie. Par exemple, arrivée en doctorat, j'étais habituée à ne jamais voir d'enseignant·e, de chargé·e de cours ou même d'auxiliaire noir·e dans mon département, et à ne croiser que très peu d'autres étudiant·es noir·es.
Difficile, dans ces conditions, de ne pas prendre comme une gifle la réaction gargantuesque des professeur·es pour défendre leur droit à dire le mot en « N ». De surcroit, ces incidents surviennent à la fin 2020, une année marquée par la mort de Georges Floyd et par des manifestations massives pour la défense de la vie des Noir·es. Pour des professionnel·les si obsédé·es par la protection de leurs étudiant·es, les expériences et vécus des étudiant·es les plus marginalisé·es ne semblent pas particulièrement les émouvoir.
D'ailleurs, où se trouve cet élan de mobilisation lorsqu'il s'agit de dénoncer les multiples cas de violence et harcèlement sexuel commis en toute impunité par leurs collègues ? Ou pour dénoncer l'inaccessibilité de l'université, dont la structure capacitiste n'est plus à démontrer ? Pour lutter contre l'écrémage des étudiant·es noir·es et autochtones par de multiples systèmes de discriminations imbriqués ? S'insurger contre l'augmentation des frais de scolarité et la privatisation de l'enseignement qui ne font que maintenir à l'écart les populations les plus précaires ?
Dénoncer la violence déchainée commise envers les étudiant·es et les travailleur·euses qui osent parler de racisme systémique, enseigner la décolonisation et dénoncer la suprématie blanche dont le milieu universitaire est un outil précieux ?
Une menace montée de toute pièce
Dans ce même ordre d'idées, difficile de ne pas lire tout le mépris et la condescendance des écrits de ces mêmes professeur·es qui mélangent avec une absence de rigueur à en saigner du nez des termes qu'iels ne maîtrisent pas. « Wokisme », « pensée anti-libertaire », « racialiste », « wokisme liberticide », « dogmatisme universitaire » – et j'en passe et de meilleurs – ont été balancés de tous les côtés. Tout cela ne rendait que plus saillante leur mauvaise foi intellectuelle. Comment expliquer, sinon, la capacité d'afficher avec autant de désinvolture leur méconnaissance généralisée de décennies de recherches rigoureuses et de développement de pédagogie anti-oppressive ?
Finalement, le projet de loi 32 a été présenté comme un moyen de « mettre fin à la censure dans nos universités ». Mais qui a monté de toutes pièces cette soi-disant menace de censure, si ce n'est ces enseignant·es réactionnaires s'insurgeant à la moindre critique des rapports de pouvoir internes à l'Académie ? Qui a offert sur un plateau d'argent l'opportunité parfaite à un gouvernement profondément anti-intellectuel·les de resserrer la vis à l'université ? La liberté académique, dans sa définition, je le rappelle, a aussi une dimension de responsabilités : la responsabilité de l'individu et de la communauté universitaire des conséquences de leur travail. Pourtant, lorsque le damné a émergé comme questionneur, penseur et théoricien pour demander des comptes au corps enseignant, ce dernier a préféré travailler activement à sa perte plutôt que de se regarder en face [1]. Comme on dit : on récolte ce que l'on sème et il semble que le temps de la récolte soit venu.
[1] Nelson Maldonado-Torres, « Outline of Ten Theses on Coloniality and Decoloniality », Fondation Frantz Fanon, 2016. En ligne : https://caribbeanstudiesassociation.org
Photo : Université de Montréal (CC BY-NC-SA 2.0)

Noir·es sous surveillance à Montréal

En réponse à une panique morale concernant le crime armé, le SPVM a lancé une série de nouvelles opérations ciblant les jeunes noir·es et racisé·es, notamment l'installation de plusieurs nouvelles caméras de surveillance. La mise sous surveillance des personnes noires est une vieille stratégie à Montréal et elle doit être abolie.
L'année dernière a vu naître une vague de nouvelles opérations policières à Montréal, presque toutes soutenues par de nouveaux investissements publics et visant les jeunes noir·es et racisé·es dans le nord-est de la ville. Dernièrement, le SPVM a annoncé l'installation de dix-huit caméras de surveillance dans des « points chauds » de la ville. Ces caméras, maintenant en place, sont toutes situées dans des communautés noires et racisées, portant ainsi un autre coup à la dignité de ces communautés tout en omettant, une fois de plus, de s'attaquer aux inégalités sociales flagrantes qui produisent la violence sous toutes ses formes.
Surveillé·es d'hier à aujourd'hui
L'idée de mettre les communautés noires et racisées sous surveillance ne vient pas de nulle part. Comme l'explique Robyn Maynard dans NoirEs sous surveillance [1], cette idée est née avec l'esclavage et s'est perpétuée jusqu'à nos jours. Les annonces d'esclaves en fuite, montre l'auteure, encourageant les citoyens blancs de Montréal et d'ailleurs à considérer les personnes noires avec suspicion et à signaler les comportements « déviants ». Après l'abolition de l'esclavage, la surveillance a continué sous d'autres formes. Au 20e siècle, diverses autorités étatiques ont surveillé les travailleur·euses domestiques et les leaders des communautés noires, en déportant un grand nombre d'entre eux et elles sous prétexte d'accusations douteuses.
Aujourd'hui, les jeunes noir·es et racisé·es à Montréal sont soumis·es à un régime intense de surveillance policière. La police est présente dans leurs écoles, elle surveille leurs matchs de basket et elle se présente aux événements communautaires.
Les jeunes Noir·es interrogé·es en 2018 par MTL sans profilage [2] ont témoigné être sous une surveillance quasi constante. « J'ouvre ma fenêtre, je vois la police en avant de chez nous », a rapporté un jeune. « Je vais au parc avec mes amis, ils sont là. » Un autre a expliqué : « On marche et on voit des voitures de police qui passent. Ils ralentissent et nous regardent. Ils s'en vont et refont le tour encore, ralentissent et nous regardent. On se sent épiés pour vrai. »
Injuste et inefficace
La surveillance, avec ou sans caméras, révèle une géographie urbaine faite d'inégalités sociales et de gaspillage de fonds publics. Les problèmes sociaux, y compris la violence, surviennent dans toutes les communautés, mais la réponse est souvent très différente lorsqu'il s'agit de communautés marginalisées. Si un problème se produit à Mont-Royal ou dans un autre quartier blanc et privilégié, personne ne suggérera de mettre des caméras pour surveiller les résident·es. Ce serait considéré comme une insulte, une atteinte à la dignité des personnes, et d'autres solutions, des vraies solutions, seraient donc offertes. Nous devons donc nous demander : quel message la ville veut-elle envoyer en augmentant encore une fois la surveillance des quartiers racisés ? En investissant dans ces communautés, encore et seulement, sous forme de surveillance et de répression ? En les épiant comme si tout le monde était suspect ?
Une expression d'injustice, la surveillance est également une réponse inefficace à la violence. Au mieux, la police peut réprimer la violence après coup – et sa décision d'installer des caméras de surveillance révèle donc ses propres échecs à même réprimer la violence qui sévit dans les quartiers que l'on défavorise. Cela dit, demander à la police de prévenir la violence signifie simplement s'exposer à plus de surveillance et à plus d'arrestations pour des actes qui n'ont souvent rien à voir avec la violence. Cela ne fait rien pour soutenir concrètement les jeunes qui se sont retrouvé·es dans la criminalité et la délinquance faute d'opportunités, de choix, et faute qu'on leur offre un autre chemin. Elle ne fait rien pour guérir les traumatismes causés par la violence, qui sont à la fois une forme de dommage durable et un facteur pouvant conduire à la violence.
En fait, la surveillance peut devenir un facteur aggravant la violence au sein d'une communauté. L'omniprésence de la police, amplifiée par les caméras, peut créer une tension dans les quartiers déjà aux prises avec des dynamiques de violences systémiques. En plus d'écorcher le tissu social d'une communauté, cela peut rendre les gens méfiants les uns envers les autres et cela n'aide pas à préserver l'esprit de solidarité sociale. La surveillance peut également nuire à la demande d'aide chez un individu. La peur d'être identifié·e ou associé·e à des activités criminelles peut pousser à garder le silence.
Repenser la sécurité
Il est possible de prévenir la violence, mais cela nécessite un changement de paradigme dans la manière d'aborder la notion de la sécurité publique au sein des communautés marginalisées. Il s'agit d'investir directement dans ces communautés plutôt que dans la surveillance et la répression. Il s'agit de combattre la pauvreté et l'exclusion, qui constituent déjà une violence sans nom pour les jeunes racisé·es et qui peuvent mener à davantage de violence. Il s'agit de financer, respecter et valoriser le travail communautaire, comme on le fait pour le travail policier. Pour prévenir la violence, les intervenant·es et travailleur·euses de rues doivent être aussi visibles, voire plus visibles que la police. Il faut des investissements à la hauteur des défis de ces travailleur·euses communautaires. Les jeunes doivent avoir accès à l'aide dont elles et ils ont besoin et cette aide doit être plus visible et prépondérante que la présence policière dans leurs quartiers. Bref, il faut réduire la violence, plutôt que d'augmenter l'oppression.
De telles mesures peuvent briser les cycles de la violence. Contrairement à la surveillance et la répression policières, elles construisent également le tissu social et favorisent le vivre-ensemble et la cohabitation saine dans les espaces publics et partout dans les quartiers. Nous sommes donc confronté·es à un choix. Nous pouvons poursuivre une longue histoire de mise sous surveillance des Noir·es, en affirmant que cela créera de la sécurité, tout en augmentant la violence et l'insécurité. Ou nous pouvons choisir une autre voie, une voie qui place la sécurité et le bien-être des communautés noires et racisées au centre des préoccupations et qui leur fournit les ressources, si souvent refusées, qui leur permettront de prospérer.
[1] NoirEs sous surveillance : esclavage, répression, violence d'État au Canada, trad. Catherine Ego, Montréal, Mémoire d'encrier, 2018, 350 p.
[2] Pour en savoir plus sur cette initiative, lisez la contribution de MTL sans profilage dans notre dossier « La police, à quoi ça sert ? » : « Recherche, design et médias contre le profilage racial », À bâbord !, no 87, p. 52-54. Disponible en ligne.
Stéphanie Germain est organisatrice communautaire ; Ted Rutland est professeur à l'Université Concordia.
Illustration : Ramon Vitesse

Pouvoir oublier

Le documentaire Pouvoir oublier relate l'insurrection ouvrière de 1972 à Sept-Îles. Son titre polysémique veut repenser les chemins de la mémoire.
Homère, dans L'Odyssée, raconte l'arrivée d'Ulysse sur l'île des Lotophages, où on consomme le lotos, une plante qui a la particularité de faire oublier aux personnes qui en mangent qui elles sont et d'où elles viennent. Sur cette île de l'oubli, on vit loin des souffrances de la vie mais sans responsabilité, sans objectif à accomplir, dans le plaisir continuel. C'est pourquoi Ulysse doit ramener par la force ceux de ses compagnons qui souhaitent rester sur l'île. Ainsi vont la civilisation et le progrès : il faut lutter contre la tentation de l'oubli en entretenant la mémoire historique, en lui donnant un sens, une direction générale, sans quoi, pas moyen de se projeter dans l'avenir – comme Ulysse qui doit garder la mémoire et ne jamais s'arrêter, s'il espère accomplir son projet de rentrer à Ithaque.
Mais rentrer à Ithaque ou ailleurs, c'est encore donner le dernier mot au passé, à la tradition, au mythe d'une identité nationale qu'on pourrait retrouver pure et intacte au bout du voyage. Protéger la mémoire contre l'oubli, c'est aussi conserver le passé, et le défendre contre l'irruption du nouveau. Pour Nietzsche, qui prend à revers la conception d'Ulysse, l'oubli peut au contraire avoir une fonction positive : il s'agirait d'un « pouvoir actif, une faculté d'enrayer » le lourd poids du passé toujours ressassé, puisqu'on doit de temps en temps « fermer les portes et les fenêtres de la conscience pour qu'il y ait de nouveau de la place pour les choses nouvelles ».
Oublier pour mieux se souvenir
Le titre de notre film peut se comprendre comme un désir de prendre à rebours un récit collectif consensuel, en allant chercher ses failles dans les discours dominants. Paradoxalement, oublier le récit dominant, c'est par la même occasion mieux redécouvrir ce qui, dans notre mémoire commune, est passé sous silence, diminué, réduit à l'anecdotique, ce qui pourrait brusquer le fil continu et lisse d'une histoire renvoyant à la seule action d'illustres personnages. Ce qui est passé sous silence, dans les récits historiques mythifiés, c'est l'évènement lui-même, l'ouverture vers un monde nouveau qu'il a brièvement représenté. L'énergie créatrice de nouveau, celle qui est apparue — pour aussitôt disparaître — au cœur de l'événement, ne se retrouve pas dans les récits historiques qui se servent de la connaissance du passé pour interdire tout changement dans le présent.
Oublier, donc, ne veut pas forcément dire se condamner à répéter aveuglément le passé, comme on le pense trop souvent. Oublier, c'est aussi se donner la possibilité de commencer quelque chose de nouveau. Et tous ces récits historiques qui considèrent d'emblée les illustres personnages (à savoir les élu·es et les chef·fes) comme mandataires de masses sans visage, il faut savoir les oublier, pour retrouver l'énergie démocratique à l'œuvre dans l'événement. Car, écrivait Borduas dans le Refus global : « Il est naïf et malsain de considérer les hommes et les choses de l'histoire dans l'angle amplificateur de la renommée qui leur prête des qualités inaccessibles à l'homme présent. »
Un nouveau récit
Au récit mythique de la Révolution tranquille, cristallisé dans sa devise « je me souviens », nous opposons la revendication de pouvoir oublier. Pouvoir oublier ce qui fige l'histoire et la transforme en butin culturel. Pouvoir oublier ce qui bloque l'énergie du commencement, celle qui s'est manifestée lorsque quelques militant·es de Sept-Îles ont pensé un instant qu'ils et elles pourraient tout changer, mais que leurs rêves et leurs luttes se sont fracassés sur le mur du réalisme des crises économiques successives, de la répression des grèves et des désillusions politiques.
Nous aurions alors pu conjuguer le titre autrement, soit Pouvoir oublié, pour mettre l'emphase sur cette mobilisation populaire exceptionnelle et cette force collective qui détonne avec notre époque si cynique en comparaison. C'est cette volonté de casser le système et de mettre en branle un véritable pouvoir ouvrier que les protagonistes d'autrefois préfèrent aujourd'hui éponger de leur mémoire, tant leurs idées de jeunesse leur paraissent aujourd'hui naïves et démodées – mais aussi parce que l'histoire, cette machine cruelle, leur rappelle leurs trop nombreuses défaites.
Pouvoir oublier, documentaire de Pierre-Luc Junet et David Simard, Bunbury Films, 2022, 90 minutes.

Mai 1972. Insurrection ouvrière à Sept-Îles

En avril 1972, la plus grande grève ouvrière de l'histoire du Québec mobilise jusqu'à 200 000 syndiqué·es et paralyse la province. Après dix jours de débrayage, le gouvernement libéral de Robert Bourassa impose le retour au travail par une loi spéciale, tout en emprisonnant les chefs syndicaux. La réaction des travailleur·euses ne se fait pas attendre et les actions « illégales » se multiplient en mai, dont « l'insurrection ouvrière de Sept-Îles » reste un symbole à ce jour.
Au Québec, les années 1960 sont associées au développement de l'État-providence, mais aussi à la remise en cause de l'économie capitaliste. À la fin de la décennie, les grandes centrales syndicales [1] se montrent insatisfaites du programme social-démocrate provincial et désirent lutter pour de meilleures conditions de travail dans un horizon socialiste. Ces positions radicales s'expriment dans des textes tels que Ne comptons que sur nos propres moyens (CSN, 1971) et L'État, rouage de notre exploitation (FTQ, 1971). Dans ce contexte, l'idée d'un Front commun intersyndical fait son chemin, notamment pour unifier les luttes dans le secteur public et parapublic.
L'offensive ouvrière de 1972
Alors que les conflits de travail se multiplient au début des années 1970, les grands syndicats doivent affronter un nouvel adversaire : le gouvernement libéral de Robert Bourassa (premier ministre du Québec de 1970 à 1976, puis de 1985 à 1994). La question des salaires en particulier pose problème : entre l'intransigeance du gouvernement et les réclamations syndicales – qui se veulent une simple prémisse à des changements structurels plus profonds –, le conflit devient inéluctable. En janvier 1972, afin d'augmenter leur rapport de force, la CSN, la FTQ et la CEQ s'allient dans un Front commun. Leur principale réclamation : un salaire minimum de 100 $ par semaine pour tous·tes les employé·es du secteur public. Le gouvernement maintient son refus et une grève générale illimitée est déclenchée le 11 avril 1972, qui voit débrayer plus de 200 000 personnes.

Avant même le début de la grève, le gouvernement obtient des injonctions afin de limiter les possibilités d'interruption du travail. Il renchérit le 21 avril en promulguant une loi spéciale, le Bill 19, qui interdit la poursuite de la grève et lui permet d'imposer des conventions collectives dans le secteur public et parapublic si aucune entente n'est trouvée avant le 1er juin. De lourdes sanctions sont également prévues en cas de désobéissance. Les directions syndicales décident alors de suspendre le débrayage et de retourner négocier. Revanchard, le gouvernement poursuit les chefs syndicaux qui avaient appelé à ne pas respecter les injonctions d'avril : le 8 mai, Marcel Pepin (CSN), Louis Laberge (FTQ) et Yvon Charbonneau (CEQ) sont condamnés à un an de prison. Cette provocation enflamme le mouvement ouvrier, qui réagit par de très nombreuses grèves impromptues dans le secteur public comme privé, paralysant la province entre le 11 et le 14 mai. C'est dans ce cadre qu'a lieu « l'insurrection ouvrière de Sept-Îles ».
La révolte de Sept-Îles
En avril, la grève générale ébranle Sept-Îles comme le reste de la province : la ville, en partie bloquée, vit au rythme des réunions du comité de grève, en cherchant à inscrire son combat dans une perspective politique plus large, à travers notamment Le Piochon, journal des grévistes. Les travailleur·euses de la ville votent pour la poursuite du débrayage malgré le Bill 19 et sont déçu·es de la décision des directions syndicales d'arrêter la grève le 21 avril. Iels continuent donc leurs moyens de pression jusqu'à ce qu'une nouvelle grève soit déclenchée en réaction à l'enfermement des leaders syndicaux. Le 9 mai en fin de journée, les travailleurs de la construction (affiliés à la FTQ) ferment le chantier « Mille 3 » et manifestent devant le Palais de justice pour dénoncer le sort des chefs des centrales. Plus de 300 personnes se réunissent dans une ambiance tumultueuse : la rue principale est bloquée et des vitres volent en éclat, mais la police n'ose pas intervenir. Une seconde manifestation a lieu le même soir à l'initiative des travailleur·euses du secteur public, noyau dur de la grève d'avril : cette fois la police attaque, blesse plusieurs personnes et procède à dix arrestations.

Le lendemain matin, les « gars de la construction » reprennent l'initiative. Ils commencent par fermer les chantiers, puis bloquent les lieux de travail des ouvrier·ères du secteur public, facilitant grandement la reprise de leur débrayage. Le mouvement est suivi par les employé·es de la municipalité. Surtout, les deux entrées de la 138 – seule route donnant accès à la ville – sont condamnées par des camions, des barrages renforcés par des tranchées durant la journée. Les mineurs choisissent d'intégrer le mouvement de grève, rejoints par les « métallos » de toute la Côte-Nord. À 10 h se tient une grande assemblée à l'aréna, où plus de 800 travailleur·euses décident de fermer tous les commerces non essentiels de Sept-Îles. Vers midi, un groupe de syndiqué·es occupe le poste de radio de CKCN, prenant le contrôle des ondes : il n'est plus diffusé que des textes et communiqués syndicaux, ainsi que des chansons québécoises et françaises. En après-midi, une foule entoure le Palais de justice, protégé par la quarantaine de policiers que compte la municipalité. La bataille commence : pierres et cocktails Molotov contre gaz lacrymogènes. La victoire des manifestant·es est rapide et vers 16 h, les policiers cessent le combat et s'enferment dans le Palais de justice. On proclame alors la ville « sous le contrôle des travailleurs ».
Malheureusement, l'euphorie est de courte durée. Vers 17 h, un antisyndicaliste ivre décide de foncer dans la foule avec sa voiture, blessant une quarantaine de personnes et tuant un ouvrier, Hermann St-Gelais. Le meurtrier est remis aux policiers séquestrés alors que l'hôpital est réouvert pour soigner les blessé·es. Le lendemain, à l'aréna, une assemblée populaire d'environ 4000 personnes élit un comité de coordination. Le comité entre en négociation avec les autorités municipales qui acceptent d'envoyer un télégramme à Robert Bourassa lui demandant d'abroger le Bill 19 et de libérer les chefs syndicaux, de laisser le poste de CKCN à la disposition des travailleur·euses et d'exiger la fermeture de tous les commerces non essentiels de Sept-Îles. Mais le rapport de force s'inverse rapidement entre les autorités et les grévistes : les barrages ont été levés, la police locale – appuyée par la Sûreté du Québec – reprend peu à peu le contrôle de la ville et les travailleur·euses ne peuvent se réunir à l'aréna le 14 mai. Dans l'impossibilité d'agir, les ouvrier·ères reprennent le travail entre le 15 et le 18 mai, dans le désarroi et l'amertume. Alors que les grévistes de Sept-Îles ont été les premier·ères à relancer le débrayage en mai, iels sont aussi les dernier·ères à capituler.

À la suite de la défaite du mouvement autonome de mai, le Front commun se désagrège peu à peu, avec des scissions au sein même des centrales syndicales. Le gouvernement Bourassa, par la répression et la division, a repris le contrôle des évènements et impose, à l'été et à l'automne 1972, une série de conventions négociées par secteur, affrontant dorénavant un ennemi désuni. Malgré cela, le Front commun de 1972 et en particulier les actions « illégales » de mai n'auront pas été en vain : c'est au courant de cette même décennie que les conflits de travail seront les plus nombreux et les plus offensifs au Québec, autant dans le secteur public que dans le secteur privé. L'exemple de Sept-Îles aura aussi ouvert un nouvel horizon pour les travailleur·euses d'ici : la possibilité d'occuper et d'autogérer sa ville.
[1] Notamment la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et la Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ).
Alexis Lafleur-Paiement est membre du collectif Archives révolutionnaires (https://archivesrevolutionnaires.com).
Photos : Archives Canada

Archives révolutionnaires. Des leçons du passé pour la nouvelle génération militante

Archives révolutionnaires est le premier centre d'archives au Québec à se donner le devoir de couvrir systématiquement les mouvements de gauche radicale. Communisme, indépendantisme, marxisme-léninisme, anarchisme, luttes autochtones, féminisme, socialisme, etc. : le collectif porte attention à toute l'extrême gauche québécoise.
François Saillant n'avait jamais vu d'exemplaire de Révolution québécoise avant tout récemment. Cette revue indépendantiste révolutionnaire, lancée par Pierre Vallières et Charles Gagnon juste avant qu'ils rejoignent le Front de libération du Québec, n'a publié que huit numéros entre 1964 et 1965, mais a contribué à diffuser l'idée d'un Québec libre et socialiste.
En découvrant le collectif Archives révolutionnaires, François Saillant, militant septuagénaire, a redécouvert ce pan d'histoire militante. Pouvoir se plonger dans des documents, parfois rares, d'anciens groupes militants est une richesse que le collectif souhaite offrir à la communauté.
Archives révolutionnaires a fait son nid dans le Bâtiment 7, situé dans le quartier de Pointe-Saint-Charles, à Montréal . C'est au deuxième étage de ce centre communautaire autogéré et aux côtés d'ateliers d'arts, d'une épicerie à but non lucratif, de la brasserie artisanale les Sans-Taverne, de la salle de soins thérapeutiques ainsi que de plusieurs locaux à diverses fonctions que se situe la bibliothèque dont s'occupe Archives révolutionnaires.
Depuis 2017, les trois membres du groupe, avec l'aide occasionnelle d'une dizaine de leurs camarades, accumulent la documentation liée aux mouvements révolutionnaires québécois. Même des documents datant du 19e siècle peuvent être trouvés dans leur collection s'élargissant de semaine en semaine. Ils et elles collectionnent notamment les revues, les journaux, les affiches, les pamphlets, les brochures et tout support physique intéressant. Ils et elles possèdent même quelques vinyles produits par des organisations militantes.
Le passé au service du présent
Les membres du collectif, des militant·es dans la fin vingtaine, désirent surtout offrir des outils pratiques et théoriques aux groupes militants actuels. « Les gens arrivent avec l'intuition que le système capitaliste ou social ne fonctionne pas, mais ils ne sont pas outillés stratégiquement et tactiquement pour répondre à ce problème », explique Alexis Lafleur-Paiement, cofondateur d'Archives révolutionnaires. « On le voit dans le mouvement étudiant. À chaque trois ans, les gens doivent réapprendre à faire de la mobilisation, à faire du piquetage, à faire une grève, etc. », ajoute-t-il.
L'idée de s'inspirer du passé pour bâtir les luttes actuelles n'est pas nouvelle. Mélissa Miller, cofondatrice du collectif, a trouvé les traces d'une idée similaire dans un manifeste de la revue Parti Pris. Déjà dans les années 60, des acteurs des luttes de l'époque estimaient que, pour créer un parti socialiste révolutionnaire fort, la mise sur pied d'un centre d'archives et de recherche était une étape primordiale. Avec leur camarade Samuel Provost, Mélissa Miller et Alexis Lafleur-Paiement mettent ainsi la main à la pâte pour voir leur projet s'épanouir à la hauteur de leurs ambitions. Tou·tes trois étudiant·es, ils et elles consacrent plusieurs heures par semaine aux Archives révolutionnaires en plus de leurs études, le tout, sans toucher un sou.
Contribuer aux luttes actuelles
François Saillant, membre fondateur de Québec Solidaire, accorde lui aussi une importance capitale à ce « devoir de mémoire ». Reconnu pour ses quatre décennies à la coordination du FRAPRU et pour les luttes qu'il a menées pour l'accès au logement abordable, il s'est aussi impliqué longtemps dans des groupes et des revues marxistes-léninistes et de gauche radicale dès les années 70. « C'est important de toujours faire les choses en lien, en référence ou en opposition à ce qui s'est vécu auparavant », dit-il.
Il a aussi fait don d'une partie de son propre fonds d'archives à Archives révolutionnaires. Il a permis au groupe de compléter certaines collections de revues en donnant les numéros manquants de Révolte et d'Unité prolétarienne, ainsi que les bulletins mensuels et brochures du regroupement de solidarité avec les Autochtones dont il faisait partie. « Qu'ils puissent mettre à la disposition des gens ces textes, brochures et journaux, qui sont souvent absolument introuvables, je trouvais que c'était important de le faire », mentionne le militant au long parcours.
Les dons d'archives sont d'ailleurs les entrées principales du collectif. Des contributions comme celle-là ne sont donc pas rares dans l'histoire d'Archives révolutionnaires. « Les gens sont très heureux de nous rencontrer, de nous raconter leurs histoires, de nous donner des documents, de savoir qu'on va non seulement les préserver, mais aussi les mettre en valeur », explique Alexis Lafleur-Paiement. Selon lui, cette capacité au don de soi est un avantage de participer à un projet mené par et pour les milieux de gauche radicale, où la camaraderie est très forte.
Une activité en expansion
La demeure d'Archives révolutionnaires, lieu de transition vers un local plus spacieux du Bâtiment 7, n'abrite pas toute la documentation du collectif. Sur les 3000 livres théoriques et historiques que détient le groupe, les documents qu'il rend accessibles à tou·tes occupent, pour le moment, deux larges bibliothèques. On y retrouve des auteur·trices plus classiques dans l'une et des plus contemporain·es dans l'autre. Cinq boîtes et un imposant classeur rouge regroupent aussi une fraction des archives. Dans leur future salle, l'équipe d'Archives révolutionnaires pourra conserver et exhiber ses 100 mètres linéaires de documentation. Pour l'instant, de nombreuses boîtes et cartables s'entassent encore chez les membres du groupe.
Sur le divan en velours turquoise ou autour de la massive table en bois, les visiteur·euses peuvent confortablement venir se plonger dans un livre, discuter ou travailler. Les membres du collectif ne se limitent pas seulement à un travail archivistique rigoureux. Dans le but d'informer, le collectif a ajouté à ses activités l'écriture d'articles contextuels, publiés sur leur site web, présentant et expliquant le contenu de leur documentation. Ils et elles se promènent d'ailleurs régulièrement dans Montréal et à travers le Québec pour faire des présentations thématiques et pour aller à la rencontre d'autres groupes militants.
Par leurs activités, les membres d'Archives révolutionnaires essaient aussi d'encourager les différents groupes à lier leurs luttes et à s'inscrire dans un réseau de gauche radicale plus large. « J'ai l'impression que la raison pour laquelle on numérise les archives, c'est que les mouvements d'extrême gauche ne sont pas assez forts et qu'il n'y a pas assez de passation réelle des expériences », révèle Mélissa Miller. La mise en ligne est donc devenue un outil efficace pour diffuser les documents historiques à grande échelle.
Reconstruire la gauche radicale
Le collectif qualifie les années 80 de période d'effondrement. Alors que frappait la relance néolibérale, les mouvements de gauche radicale ont perdu bien des plumes, expliquent les membres d'Archives révolutionnaires. Les bastions marxistes-léninistes et socialistes ont peu à peu disparu. « Maintenant, on a des groupes d'affinités, des amis qui vont faire des petits trucs ensemble, souvent bénévoles », décrit Alexis Lafleur-Paiement. Même si ce vide a laissé place à une émergence plus importante de groupes anarchistes, les repères traditionnels ont été laissés de côté. Les réseaux communistes et anarchistes québécois actuels comptent quelques centaines de personnes, estime-t-il.
Les années 50 à 70, au contraire, étaient marquées par un foisonnement de groupes militants. Les partis et mouvements communistes regroupaient des milliers de membres partout au pays. « Ces groupes avaient une organisation, des institutions, des lieux loués ou achetés, des salariés, etc. », énumère le cofondateur d'Archives révolutionnaires. Le partage et la transmission de connaissances et d'archives se concrétisaient facilement au sein même des organisations.
Archives révolutionnaires veut donc pallier cette rupture dans la passation des savoirs. Les militant·es peuvent nourrir leur esprit révolutionnaire en parcourant les pages jaunies des revues de l'époque, aux titres évocateurs comme La Masse, Québec libre, Pouvoir ouvrier, et bien d'autres.
Photo : Bibliothèque commune du Bâtiment 7 où les Archives révolutionnaires ont mis à disposition une partie de leur collection (Mélissa Miller, Archives révolutionnaires).
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Congrès et semaine d’action | PRAGUE | 20 – 26 MAI 2024 | « Ensemble contre les guerres capitalistes et la paix capitaliste »
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OCCIDENT : FIN DE L’HÉGÉMONIE ? MÉLENCHON, VENTURA, BULARD, BILLION
03 février 2024 | © LHB pour LVSL
Le mardi 30 janvier, Le Vent Se Lève et l'Institut La Boétie vous invitent à une grande conférence avec Jean-Luc Mélenchon, Christophe Ventura, Martine Bulard et Didier Billion.
Le déclenchement de deux conflits régionaux, aux retentissements et répercussions mondiales, avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022, et l'opération israélienne à Gaza suite aux attaques du 7 octobre, ont rendu visibles les changements immenses qui ont déjà eu lieu dans l'ordre international.
Pour une majorité du monde, l'alignement sur les États-Unis et leurs alliés n'est plus du tout une évidence. Ce grand glissement s'observe aussi à travers d'autres phénomènes de relations internationales, au-delà même des conflits armés : rivalité commerciale, scientifique, industrielle entre la Chine et les États-Unis ; élargissement des BRICS et volonté déclarée de leur part de dédollariser les échanges ; dynamiques démographiques contraires entre continents etc.
À l'occasion du la publication du livre de Christophe Ventura et Didier Billion, chercheurs en relations internationales, « Désoccidentalisation : repenser l'ordre du monde », le département de relations internationales de l'Institut La Boétie, en partenariat avec le média indépendant Le Vent Se Lève, organise une conférence intitulée « La désoccidentalisation du monde est-elle une bonne nouvelle ? ».
Cette discussion fera intervenir les deux co-auteurs du livre, ainsi que Martine Bulard, journaliste au Monde Diplomatique spécialiste de géopolitique, et Jean-Luc Mélenchon, co-président de l'Institut La Boétie et militant engagé de longue date pour une diplomatie altermondialiste.
Lors de leur échange, ces intervenants présenteront leurs thèses sur le déclin relatif des États-Unis d'Amérique, la montée en puissance de la Chine et de l'Asie, et les conséquences de ces dynamiques pour la paix du monde, le droit international, la bifurcation écologique ou la place de la France.

Les géants du fossile s’enfoncent dans le tout-pétrole

Les grands groupes pétroliers occidentaux ont tiré un trait sur leurs engagements de lutte contre les dérèglements climatiques. Tous n'affichent plus qu'un objectif : produire toujours plus de pétrole et engranger toujours plus d'argent. Comme l'exigent leurs actionnaires.
7 février 2024 | tiré d'Europe solidaires sans frontières | Photo : Le stand de TotalEnergies lors de l'Exposition internationale du pétrole d'Abou Dhabi en octobre 2023. © Photo Ali Haider / EFE / EPA via MaxPPP
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69727
Bien sûr, cela n'a pas la même flamboyance qu'en 2022. Mais dans cet environnement morose, où l'activité économique mondiale patine, elles ont toutes les raisons de se féliciter de leurs résultats. Sur l'ensemble de l'année 2023, les cinq plus grandes compagnies pétrolières occidentales (Exxon, Chevron, Shell, BP, TotalEnergies) ont réalisé 113,3 milliards de dollars (105,2 milliards d'euros) de profits.
Comparé aux 180,5 milliards de dollars enregistrés l'année précédente, cela fait certes un peu pâle figure. Mais la crise énergétique s'est dissipée. Les cours du pétrole, qui avaient flambé à plus de 120 dollars le baril, sont redescendus tout au long de 2023 autour 70-80 dollars. Ceux du gaz ont été divisés par quatre, après les tensions extrêmes de 2021-2022, amplifiées par la guerre d'Ukraine. Tous affichent une baisse des profits qu'ils génèrent de 40 % à 50 % d'une année sur l'autre.
TotalEnergies ne fait pas exception. Officiellement, le groupe pétrolier est le seul à voir ses résultats progresser cette année : ils passent de 19 à 21,4 milliards de dollars entre 2022 et 2023. Ses profits de l'an dernier avaient cependant été sérieusement rabotés : ils étaient de plus de 36 milliards de dollars avant que le groupe n'inscrive une série de provisions et de dépréciations d'actifs, notamment après l'abandon de ses activités en Russie.
Cette chute à l'unisson des profits des majors pétrolières vient conforter la thèse de ceux qui défendaient une taxe sur les superprofits des compagnies pétrolières l'an dernier : elles ont bien bénéficié d'un effet d'aubaine lié à des circonstances hors norme qui n'avaient rien à voir avec leurs performances intrinsèques. Cette année, elles n'ont plus rien à craindre en matière de taxation supplémentaire : la question d'un prélèvement sur les superprofits a été enterrée depuis longtemps.
Un nouveau record pour les rachats d'actions
Loin d'être affectées par ces baisses, les majors pétrolières y voient au contraire un signe d'encouragement : leurs profits de 2023 sont supérieurs de 40 % à ceux de 2021. Pour TotalEnergies, c'est la meilleure performance de son histoire ; pour Exxon, la deuxième.
Toutes y décèlent la confirmation du bien-fondé des changements de stratégie qu'ils ont adoptés au cours des deux dernières années. Passés un peu inaperçus, ces revirements se déclinent chez toutes de la même manière : renforcement des activités pétrolières et gazières, abandon des engagements en faveur de la lutte contre les dérèglements climatiques, diminution des investissements et des immobilisations trop gourmandes en capitaux, augmentation des rendements. En un mot, tout ce que leur demandent leurs actionnaires.
« Les grandes sociétés pétrolières démontrent qu'elles peuvent tenir leurs promesses, même quand les prix baissent », s'enthousiasme le chroniqueur énergie de Bloomberg. Les majors pétrolières ne pouvaient avoir plus d'encouragements.
Parmi les cinq plus grandes compagnies pétrolières occidentales, TotalEnergies est la seule à avoir augmenté ses profits entre 2022 et 2023. © Infographie Mediapart

Habituées jusque-là à dominer Wall Street, Exxon et Chevron vivent très mal leur relégation derrière les géants du numérique et de la high-tech. Pour doper leurs cours, elles usent de l'arme désormais favorite des grands groupes : les rachats d'actions. Leurs concurrentes européennes n'ont eu aucun mal à se laisser convaincre de les imiter. Année après année, les sommes dépensées pour rémunérer les actionnaires atteignent de nouveaux sommets.
Mais 2023 marque un record toutes catégories : les cinq majors ont reversé plus de 90 milliards de dollars, dont plus de 60 milliards sous forme de rachats d'actions, à leurs actionnaires. Les unes et les autres se sont engagées à faire encore mieux cette année.
Cette politique se révèle des plus payantes. Les majors pétrolières, qui redoutaient dans les années 2018-2019 de se voir exclues des marchés des capitaux avec l'instauration de normes ESG (environnement, social et gouvernance) en cours d'adoption par les institutions internationales et les financiers, ne nourrissent plus aucune crainte : attirés par la manne pétrolière, les investisseurs reviennent au galop. Même la finance verte, qui se voulait exemplaire en matière de lutte contre les dérèglements climatiques, a passé la marche arrière. Les gérants de ces fonds « verts » achètent en masse ces valeurs pétrolières parce qu'elles offrent des rendements imbattables.
En marche arrière sur les renouvelables
Ce soutien explicite des marchés financiers encourage les groupes pétroliers à abandonner leurs discours précédents : plus question d'être les champions des énergies renouvelables, de contribuer par tous les moyens à l'instauration d'une économie décarbonée et de renoncer au pétrole et au gaz.
Très en pointe dans la promotion d'une stratégie bas carbone, BP a fait untête-à-queue spectaculaire en 2023. Lors de la présentation de ses résultats, son président, Bernard Looney, avait alors annoncé une révision drastique des ambitions du groupe dans ce domaine. Au lieu de 40 % de baisse de ses émissions en 2030, il ne prévoyait qu'une diminution de 25 % à cette date, l'objectif initial étant reporté à 2050.
Le changement de cap a été encore plus brutal que prévu. Déjà contesté pour ses résultats médiocres, Bernard Looney a dû démissionner en septembre dernier pour n'avoir pas révélé toutes ses relations « personnelles » dans l'entreprise. Son successeur, Murray Auchincloss, n'a été confirmé que fin janvier. Entre-temps, le groupe pétrolier britannique a décidé de pousser les feux dans le pétrole et le gaz et d'oublier nombre de projets dans les énergies renouvelables.
Le mouvement est général. Estimant que les prix de rachat garantis par les gouvernements ne sont pas suffisamment élevés pour des projets de champs d'éoliennes ou de parcs solaires, les majors ont renoncé à participer à de nombreux appels d'offres voire se sont retirées des projets déjà lancés. Tout cela n'est pas assez rentable, selon eux.
Dans le souci d'améliorer les performances de Shell, son directeur général Wael Sawan, en poste depuis un an, a annoncé son intention de vendre des actifs et de réduire ses investissements – pourtant déjà assez faibles – dans les solutions bas carbone. Il prévoit de supprimer des centaines d'emplois dans ces activités.
La direction d'Exxon, qui n'a jamais été favorable à toute transition énergétique, ne fait même plus d'effort pour cacher ses positions. À l'exception de la capture du CO2 et de l'hydrogène, dernières lubies des financiers, elle n' a pas de grand projet dans le domaine. Ne se sentant plus contraint par les discours ambiants, le groupe pétrolier a même décidé de montrer les dents face à toute contestation écologique : il vient d'engager des actions judiciaires contre deux fonds activistes qui contestaient son absence de politique environnementale, bien que ceux-ci aient renoncé à leur pétition.
Le pétrole, leur « raison d'être »
À ce stade, il n'y a plus que TotalEnergies qui revendique encore sa volonté de vouloir se développer dans les énergies renouvelables. Le groupe a toujours l'ambition d'atteindre les 100 gigawatts (GW) de puissance installée dans la production d'électricité renouvelable d'ici à 2030. Même si le pétrolier français semble faire bande à part sur le sujet, il se retrouve cependant en parfait accord sur l'essentiel avec ses concurrents : le pétrole et le gaz sont plus jamais les fondements de leur activité, leur « raison d'être ». C'est de là que les uns et les autres tirent tout leur argent.
Les groupes s'enfoncent dans la politique la plus court-termiste qui soit : produire le plus de pétrole possible, en dégageant le plus d'argent possible, sans se soucier de l'avenir.
Les cinq majors ont là aussi changé d'approche sur le sujet : ces activités doivent consommer beaucoup moins de capitaux qu'auparavant, être plus rapidement rentables. Ces nouvelles exigences les amènent à reconsidérer leurs engagements, à nettoyer leur portefeuille, à céder les actifs risqués.
En janvier, Shell a ainsi a annoncé la vente pour 1,3 milliard de dollars de ses activités d'extraction pétrolière au Nigéria, un pays où le groupe travaille depuis des années. Ce dernier prévoit de ne conserver que son exploration offshore jugée moins risquée et moins contestée par les populations. De la même manière, Chevron se dit prêt à vendre des actifs dans l'Alberta (Canada), pas assez rentables.
La grande fusion entre pétrole traditionnel et pétrole de schiste
Pour les groupes pétroliers américains, cette révision des activités pétrolières s'inscrit dans ce qui pourrait s'apparenter à un certain isolationnisme. 2023 a marqué en effet un changement majeur dans le monde pétrolier américain : la fusion entre les activités pétrolières traditionnelles et celles issues du pétrole et du gaz de schiste.
Pendant près de quinze ans, les grandes majors pétrolières ont regardé avec une certaine condescendance le développement de ces petites unités pétrolières et gazières travaillant par fracturation de la roche sur tout le territoire américain. L'accélération de ces productions – qui ont permis aux États-Unis de se hisser à nouveau aux premiers rangs des producteurs pétroliers mondiaux et d'assurer l'indépendance énergétique du pays, sur fond de crise énergétique – a convaincu les majors pétrolières qu'il n'était plus temps de les ignorer.
En octobre, Exxon a racheté la société texane Pioneer Natural Resources pour 59,5 milliards de dollars. C'est la première grande OPA dans le pétrole de schiste. La fusion des deux groupes devrait permettre d'atteindre une production de 2 millions de barils de pétrole de schiste par jour en 2027. Chevron, qui a l'ambition de produire près de 1 million de barils par jour de pétrole de schiste au Texas, serait le prochain candidat pour racheter d'autres de ces producteurs, à en croire certains traders.
Indifférents au contexte international, les groupes pétroliers américains pourraient produire plus de 11 millions de barils par jour cette année, selon les prévisions. Cette politique de production intensive vient heurter de plein fouet celle de l'Arabie saoudite et de l'Opep, qui cherchent, dans cette période de moindre demande, à maintenir des cours élevés en diminuant leur production.
Tant que les majors pétrolières réussiront à dégager des marges plantureuses même avec des prix moyens, elles pourront poursuivre dans cette voie. Mais si leur rentabilité se dégrade, tout s'arrêtera. Car l'important, ce n'est ni le climat ni la préservation de la planète, c'est la satisfaction des actionnaires.
Martine Orange
P.-S.
• MEDIAPART. 7 février 2024 à 20h47 :
https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/070224/les-geants-du-fossile-s-enfoncent-dans-le-tout-petrole
Les articles de Martine Orange sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/martine-orange
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