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Turquie. Les femmes dans la rue contre les féminicides toujours plus nombreux

15 octobre 2024, par Kurdistan au féminin — , ,
TURQUIE / KURDISTAN – En Turquie, y compris dans les régions kurdes du pays, six femmes ont été assassinées par des hommes en 4 jours (entre le 4 octobre et le 8 octobre). (…)

TURQUIE / KURDISTAN – En Turquie, y compris dans les régions kurdes du pays, six femmes ont été assassinées par des hommes en 4 jours (entre le 4 octobre et le 8 octobre).

Tiré de Entre les lignes et les mots

Par ailleurs, la petite Sila de 2 ans qui a été violée et frappée par plusieurs individus est décédée hier, après 30 jours passés aux soins intensifs. Les femmes sont de nouveau descendues dans les rues à travers le pays, exhortant le gouvernement à protéger la vie des femmes, en appliquant notamment la Convention d'Istanbul.

« Les féminicides sont politiques »

Les femmes tiennent le gouvernement responsable de ce qu'elles appellent la politique d'impunité et exigent une mise en œuvre effective de la loi sur les violence faites aux femmes.

Le meurtre de deux jeunes femmes de 19 ans par un homme du même âge le 4 octobre a déclenché des manifestations dans toute la Turquie. L'agresseur, identifié comme Semih Çelik, a tué İkbal Uzuner, qu'il traquait depuis des années, et Ayşenur Çelik, ses camarades de classe.

Selon les informations, Çelik aurait assassiné Ayşenur chez lui en lui tranchant la gorge, puis aurait tué İkbal près des remparts historiques de la ville, dans le quartier d'Edirnekapı, dans le district de Fatih, où il l'aurait décapitée. Il s'est suicidé après les meurtres. Les funérailles des deux femmes ont eu lieu le 5 octobre.

Les manifestations ont également mis en lumière un autre incident qui a provoqué l'indignation, où deux hommes ont ouvertement harcelé une femme dans le quartier de Beyoğlu, un quartier touristique connu pour sa vie nocturne animée, selon des images qui ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux le 4 octobre.

Bien que les hommes aient été initialement libérés après avoir été arrêtés par la police, à la suite de réactions sur les réseaux sociaux, ils ont été de nouveau détenus puis arrêtés par un tribunal.

Ce week-end, des groupes de défense des droits des femmes ont organisé des manifestations dans tout le pays, dénonçant la « politique d'impunité » du gouvernement comme étant à l'origine des violences masculines. Les manifestants demandent à la Turquie de rejoindre la Convention d'Istanbul, un traité du Conseil de l'Europe visant à prévenir les violences faites aux femmes, dont le pays s'est retiré en 2021.

En outre, ils exigent l'application effective de la loi 6284, qui s'appuie sur la convention mais qui a fait l'objet de critiques pour sa mauvaise mise en œuvre, notamment après le retrait.

« L'impunité encourage les auteurs de crimes »

À Istanbul, des centaines de femmes se sont rassemblées sur la place Tünel, sur l'avenue Istiklal, un lieu central de Beyoğlu. La foule comprenait les députées du Parti pour l'égalité des peuples et la démocratie (DEM), Özgül Saki et Kezban Konukçu.

Les femmes ont scandé des slogans tels que « Arrêtez les meurtriers, pas les femmes », « Les féminicides sont politiques (Kadın cinayetleri politiktir) », « L'État protège, les hommes tuent », « La justice, c'est nous, nous ne nous tairons pas » et « Où est l'État, les femmes sont là ».

La police a d'abord empêché le groupe de défiler sur l'avenue. Cependant, après des tentatives répétées, elle les a autorisés à avancer jusqu'à la place Şişhane, où les femmes ont lu une déclaration publique.

Dans leur déclaration, les femmes ont condamné l'incapacité de l'État à protéger les femmes et critiqué la clémence dont il fait preuve à l'égard des harceleurs et des meurtriers. Les militants ont souligné que les femmes en Turquie se tournent souvent vers les réseaux sociaux pour obtenir justice, car les autorités sont perçues comme encourageant la violence avec leurs politiques d'impunité.

« Les hommes qui ont agressé et harcelé une femme à Beyoğlu ont été libérés malgré leur casier judiciaire, mais ont été à nouveau arrêtés après l'indignation du public. L'État, par le biais de son système judiciaire et de ses forces de l'ordre, ne prend pas en compte les témoignages des femmes mais plutôt les réactions sur les réseaux sociaux. Les femmes victimes de violences sont obligées de chercher refuge sur les réseaux sociaux, et non dans les commissariats de police », peut-on lire dans le communiqué.

Dans leur déclaration, les manifestants ont condamné l'incapacité de l'État à protéger les femmes et critiqué la clémence dont il fait preuve à l'égard des harceleurs et des meurtriers. Les militants ont souligné que les femmes en Turquie se tournent souvent vers les réseaux sociaux pour obtenir justice, car les autorités sont perçues comme encourageant la violence avec leurs politiques d'impunité.

« Nous savons que vous essayez de rendre les rues dangereuses pour les femmes. Avec des remarques telles que « Que faisait-elle dehors à cette heure-là ? » et des politiques promouvant une « cellule familiale forte », vous essayez de nous confiner chez nous. Votre langage sexiste, qui dicte combien d'enfants les femmes devraient avoir ou à quelle heure elles devraient être dans la rue, encourage la violence masculine. Vous voulez transformer les femmes en membres dociles d'un système familial oppressif et exploiteur. Nous rejetons cela », poursuit le communiqué.

Les manifestantes ont également dénoncé les tentatives visant à minimiser la violence masculine en invoquant l'alcoolisme ou la toxicomanie, soulignant que la cause profonde est le patriarcat et que les auteurs sont des hommes. Elles ont averti que tenter de détourner l'attention en se concentrant sur la race ou le statut de réfugié des agresseurs ne résoudrait pas le problème de la violence contre les femmes, car des hommes de tous horizons commettent de tels actes.

« Nous sommes confrontés à un gouvernement qui encourage les auteurs de violences en se retirant de la Convention d'Istanbul, en affaiblissant les acquis durement acquis en matière de droits des femmes et en libérant les hommes violents des commissariats de police et des palais de justice », conclut le communiqué.

« Partout des scènes de crime »

Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs provinces au cours du week-end. Dans la ville kurde de Diyarbakır, des groupes de femmes et des politiciens se sont rassemblés, notamment l'éminente femme politique kurde Gültan Kışanak et la co-maire de Van Neslihan Şedal.

« Nous continuerons à nous battre pour chaque femme arrachée à la vie par la violence », a déclaré Şedal.

Suzan İşbilen, présidente de l'Association des femmes Rosa, a souligné que les féminicides ont augmenté sous le régime du Parti de la justice et du développement (AKP) et du Parti du mouvement nationaliste (MHP). Elle a qualifié les meurtres récents non seulement d'actes individuels mais de crimes politiques enracinés dans des normes patriarcales qui cherchent à contrôler les femmes.

À Şırnak, une autre ville peuplée de Kurdes, un groupe de femmes, dont la députée du parti DEM, Newroz Uysal-Asla, s'est rassemblé, brandissant une banderole sur laquelle on pouvait lire « Partout des scènes de crime ».

« Nous savons que nous pouvons créer une vie égale, libre, non violente et sans exploitation, où nous ne serons pas assassinés dans la rue, maltraités dans les dortoirs, exploités sur les lieux de travail et dans les familles. Nous allons intensifier notre lutte jusqu'à ce que nous construisions une vie libre pour chacun d'entre nous », a déclaré le groupe dans un communiqué.

« Nous mettrons fin à l'impunité »

À Eskişehir, des femmes se sont rassemblées devant le monument d'Ulus, scandant des slogans contre l'impunité et portant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « Nous mettrons fin à l'impunité. Nous mettrons fin au harcèlement et aux meurtres. »

Dans un communiqué, les manifestants ont condamné l'inaction des autorités malgré le fait que la victime, İkbal Uzuner, ait déposé à plusieurs reprises des plaintes contre le tueur, Semih Çelik, avant d'être assassinée.

« Les femmes ne veulent plus voir vos condoléances. Elles veulent voir des actes tant qu'elles sont encore en vie », ont déclaré les manifestants, appelant à l'application effective de la loi 6284 et au retour de la Turquie à la Convention d'Istanbul.

« Nous voulons une vraie justice, pas une justice masculine »

À Izmir, des femmes se sont rassemblées sur la place de la démocratie Aliağa, scandant : « Les féminicides sont politiques », « Nous voulons une vraie justice, pas une justice masculine » et« Nous ne nous tairons pas, nous n'obéirons pas ». Deniz Gültekin, lisant une déclaration au nom du groupe, a exprimé son indignation face à la violence croissante contre les femmes et au manque d'application de la loi. « Nous ne sommes pas en deuil, nous sommes en révolte », a-t-elle déclaré, critiquant le gouvernement qui a libéré des meurtriers et des pédophiles dans la société grâce à des lois d'amnistie.

À Bolu, la Plateforme des femmes a organisé une manifestation sur la place Kardelen, avec Pınar Altun Akkuş du Syndicat des travailleurs de l'éducation et des sciences (Eğitim-Sen) soulignant le chagrin et la colère collectifs que ressentent les femmes, alors qu'elles vivent dans la peur constante de devenir la prochaine victime.

Elle a critiqué le gouvernement pour avoir rejeté des propositions au parlement qui auraient pu contribuer à prévenir de nouvelles violences, promettant que les femmes continueraient à se battre pour leur droit de vivre librement et en sécurité. (Bianet)

https://kurdistan-au-feminin.fr/2024/10/08/turquie-les-femmes-dans-la-rue-contre-les-feminicides-toujours-plus-nombreux/

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Comment le système mondial de la dette étouffe les pays africains

15 octobre 2024, par Jaume Portell Caño, Lydia Namubiru — , ,
Selon le FMI, le ratio d'endettement moyen en Afrique subsaharienne a presque doublé en dix ans : il est passé de 30 % du PIB à la fin de 2013 à un peu moins de 60 % du PIB à (…)

Selon le FMI, le ratio d'endettement moyen en Afrique subsaharienne a presque doublé en dix ans : il est passé de 30 % du PIB à la fin de 2013 à un peu moins de 60 % du PIB à la fin de 2022. À partir du cas de l'or sénégalais, “The Continent” décrit des mécanismes d'endettement qui poussent les pays africains à emprunter aux sociétés internationales qui s'enrichissent en exploitant les matières premières du continent.

Tiré de Courrier international. Publié en anglais dans The Continent. Légende de la phot : Mine d'or traditionnelle à Ngari, dans la région de Kédgougou (Sénégal) en octobre 2023. Photo Frédéric Koller/Le temps.

La vie est paradoxale à Kédougou, au Sénégal, car la pauvreté côtoie la richesse aurifère. Des 17 tonnes d'or exportées par le Sénégal en 2023, plus de la moitié (9,13 tonnes) venait de la mine de Sabodala, à Kédougou. Pourtant, c'est tout juste si la population accède aux services de base.

“L'exploitation de l'or laisse aux populations de la pollution, mais quasiment aucun avantage”, affirme Ahmad Dame Seck, directeur du lycée de Dindéfélo, à Kédougou. Il explique que lorsque ses élèves terminent leur scolarité (ou y renoncent), ils se retrouvent au chômage, restent dans la précarité du secteur informel ou émigrent en Europe, alors même qu'ils sont voisins d'une machine à fabriquer de l'argent.

Emprunter à son exploiteur

L'entreprise britannique qui a racheté la mine de Sabodala en 2021, Endeavour Mining, en a tiré au moins 598 millions de dollars [543 millions d'euros] depuis. Dans ses derniers rapports financiers, Endeavour Mining valorise la mine sénégalaise à plus de 2,5 milliards de dollars [2,27 milliards d'euros]. L'entreprise possède aussi des mines en Côte d'Ivoire, au Burkina Faso et au Mali, valorisées à près de 3 milliards de dollars [2,73 milliards d'euros]. Endeavour Mining conserve 90 % des bénéfices de ses activités sénégalaises, qui sont bien sûr partagés avec ses actionnaires. L'État sénégalais conserve les 10 % restants.

C'est notamment à cause de contrats inéquitables dans l'industrie extractive que le Sénégal peine à engranger suffisamment de recettes pour administrer le pays. Quand ses coffres sont vides, le gouvernement doit emprunter sur les marchés internationaux de capitaux. Il se tourne souvent, et c'est un cruel paradoxe, vers des sociétés qui précisément soutirent l'essentiel des revenus de l'extraction des gisements aurifères sénégalais.

Dans une nouvelle analyse exclusive, The Continent montre que 40 % des parts d'Endeavour Mining appartiennent à 17 sociétés d'investissement qui détiennent aussi des obligations souveraines sénégalaises. L'État sénégalais leur doit plus de 271 millions de dollars [246 millions d'euros].

Lorsque le Sénégal verse les intérêts annuels de ces obligations – jusqu'à 7,75 % selon les titres –, ces sociétés qui engrangent déjà la majorité de l'argent issu de l'or sénégalais profitent aussi du fait que le pays manque d'argent.

Une mécanique de la dette qui étouffe l'Afrique

Cette dynamique – se remplir les poches pour ensuite consentir des emprunts – existe dans de nombreux pays. Les États d'Afrique ont émis des dizaines d'obligations internationales, soit l'emprunt d'au moins 84 milliards de dollars [76 milliards d'euros] auprès de sociétés étrangères d'investissement telles que BlackRock, Fidelity, HSBC, Schwab, etc. Elles possèdent souvent des parts valant des millions dans les multinationales qui exploitent les ressources locales.

Les prêts de créanciers privés, dont les obligations ne sont qu'un exemple, sont généralement la forme la plus intraitable de dette souveraine – les taux d'intérêt sont élevés, il n'y a pas de report possible et les prêteurs n'écoutent que les marchés. Quand les États ne s'acquittent pas des intérêts, le chaos économique s'ensuit.

La Zambie, le Ghana et l'Éthiopie n'ont pas remboursé leurs intérêts obligataires après que la pandémie de Covid et d'autres chocs économiques ont sapé la croissance qui devait découler de leurs emprunts. Ces défauts de paiement ont poussé leurs dirigeants à se tourner vers des renflouements du Fonds monétaire international, qui requièrent notamment de grandes réformes des politiques économiques, comme une monnaie nationale flottante et des augmentations d'impôts.

Les difficultés que créent ces réformes poussent les citoyens à descendre dans la rue, lors de manifestations parfois meurtrières et toujours coûteuses pour les économies locales. Pourtant, des gouvernements africains continuent de s'enferrer dans cette forme de dette.

Selon les données de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, les gouvernements africains étaient endettés de plus de 777 milliards de dollars [706 milliards d'euros] auprès de créanciers privés à la fin de 2023. Ces derniers détiennent aujourd'hui environ 44 % de la dette extérieure des pays d'Afrique, contre 30 % en 2010. Ça ne permet pas de répartir uniformément le risque.

Les pays à revenu intermédiaire ne peuvent souvent pas prétendre aux prêts à taux faible d'institutions comme la Banque mondiale et se tournent plus fréquemment vers des créanciers privés. Mais cette voie risquée ne suscite pas partout le même enthousiasme. En Afrique du Sud et en Angola, les emprunts privés représentent 88 % et 78 % de la dette souveraine. En Algérie et au Botswana, ce pourcentage est négligeable, même si la santé économique de ces pays est comparable.

Du capitalisme mondial à l'exploitation locale

Issaga Diallo ne connaît pas les rouages du capitalisme mondial et son extraction circulaire, mais il sait qu'il ne fera pas fortune grâce à la mine moderne de Sabodala où les capitaux internationaux coulent à flots.

Il travaille dans une mine informelle à Bantakokouta, près de Kédougou, où un gramme d'or peut aller chercher 50 dollars [45 euros], soit 20 de moins que le cours international. Le village de Bantakokouta n'est qu'à deux kilomètres environ du terril voisin des mines d'or. C'est là que travaillent les ouvriers de la mine informelle.

Issaga Diallo vit ici depuis près de huit ans, depuis qu'il a arrêté l'école en 2016. Chaque jour, il achète du carburant pour le générateur qui fait tourner son équipement, mais il travaille parfois des mois sans trouver d'or. Dans ces cas-là, il accumule les prêts et promet de rembourser ses créanciers le jour où il trouvera le précieux minerai – tout comme les chefs d'État lorsqu'ils émettent des obligations sur les marchés internationaux de capitaux.

Si, sur la durée, Issaga Diallo se révèle plus souvent chanceux que l'inverse, il espère gagner assez d'argent pour créer une entreprise à Kédougou, dans un cadre plus urbain. Il aime regarder sur son téléphone des vidéos de mineurs qui ont trouvé plus de 100 grammes, ce qui entretient son espoir.

À long terme, si l'État sénégalais a plus de chance que la Zambie, le Ghana et l'Éthiopie, il gagnera assez pour rembourser en temps et en heure ses intérêts obligataires jusqu'à ce que son secteur des ressources naturelles puisse remplir les coffres nationaux. À court terme, en revanche, ce ne sont pas les citoyens sénégalais ordinaires qui tirent profit de ce secteur et du remboursement des intérêts.

Jaume Portell Caño et Lydia Namubiru

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Au Soudan, la révolution populaire contre la contre-révolution des élites

15 octobre 2024, par Abdelraouf Omer — , ,
Inspirés par le besoin d'analyses plus fondées et non élitistes de la situation actuelle au Soudan, nous avons interviewé quatre personnes dont l'organisation contre les (…)

Inspirés par le besoin d'analyses plus fondées et non élitistes de la situation actuelle au Soudan, nous avons interviewé quatre personnes dont l'organisation contre les politiques oppressives de l'État soudanais s'étend sur des années, voire des décennies dans certains cas. Chacun d'entre eux établit un lien entre la révolution et la guerre actuelle et met en avant les processus d'organisation et de vision collective qui ont fait et pourraient encore nous faire avancer vers un avenir démocratique populaire dans un Soudan d'après-guerre. Nous leur sommes extrêmement reconnaissants de nous avoir parlé malgré les circonstances auxquelles ils sont confrontés, notamment les coupures de télécommunications et d'électricité dans une grande partie du pays. Dans ce premier volet, vous lirez notre introduction et une interview avec Abdelraouf Omer, un agriculteur de Gezira et organisateur syndical.

Tiré d'Afrique en lutte.

Cela fait maintenant 15 mois que la guerre au Soudan oppose les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR). Pourtant, l'attention médiatique dont bénéficie le Soudan ne reflète pas la crise monumentale à laquelle il est confronté et qui menace l'ensemble de la région. Lorsque les médias grand public couvrent le Soudan, ils ont tendance à se concentrer exclusivement sur la catastrophe humanitaire qu'a produite le conflit, qui a débuté le 15 avril 2023, après le coup d'État conjoint des FSR et des FAS en octobre 2021. En revanche, les militants de base au Soudan ont tendance à mettre en évidence les processus de marginalisation, d'extraction et de militarisation qui rendent une telle crise productive pour ceux qui sont au pouvoir.

La réalité humanitaire est si dévastatrice que les Nations Unies ont qualifié les souffrances d'« épiques », déclarant que le Soudan était « un cauchemar pour les civils ». La diplomatie internationale et l'extraction de ressources par les entreprises ont rendu ce cauchemar possible en légitimant et en maintenant au pouvoir les dirigeants du coup d'État soudanais, ouvrant ainsi la voie à cette guerre. La réticence de l'ONU et de l'Union africaine, ainsi que d'entités puissantes comme les gouvernements des États-Unis et de l'Union européenne, à utiliser efficacement leur pouvoir pour arrêter le flux d'armes et obtenir un cessez-le-feu est le dernier exemple en date de la raison pour laquelle nous ne pouvons pas nous attendre à une quelconque intervention positive de la part du système étatique et des institutions multinationales. Sans cessez-le-feu, il s'est avéré difficile d'établir des passages sûrs et des couloirs humanitaires, tout comme il a été impossible de mettre fin aux attaques contre les civils, les premiers intervenants, les journalistes, les habitations et les infrastructures sanitaires et autres infrastructures essentielles dans un cercle toujours plus large de bombardements, d'incendies, de violences sexuelles et de pillages. Les souffrances sont épiques parce que l'échec éthique et matériel du monde à fournir une aide aux personnes se trouvant au Soudan et fuyant au-delà de ses frontières a également été épique.

Chaque mois, la catastrophe atteint de nouvelles profondeurs. La nécessité d'une attention urgente et d'une réponse immédiate demeure. Pourtant, penser uniquement à l'humanitaire occulte les causes profondes de la violence, qui sont façonnées par le colonialisme et le capitalisme racial. Le désir d'affronter enfin ces forces historiques a donné naissance à la révolution de décembre 2018 au Soudan, propulsant le pays dans l'un des mouvements d'émancipation les plus puissants du XXIe siècle. L'exclusion de la révolution de décembre et de ses revendications, résumées dans son slogan « Liberté, paix et justice », des discussions politiques n'est pas seulement un échec théorique : elle a eu un effet sur le terrain, sapant la capacité des gens à exercer leur pouvoir d'action pour s'aider eux-mêmes.

De la catastrophe humanitaire à la guerre par procuration

La catastrophe humanitaire au Soudan a produit des chiffres catastrophiques. Plus de 10 millions de personnes ont été déplacées au cours de l'année écoulée (y compris la plupart de nos familles), et trois millions de personnes ont traversé la frontière dans des tentatives de plus en plus désespérées de trouver refuge. Malgré les avertissements persistants selon lesquels la famine est déjà en cours, menaçant plus de 25 millions de personnes , moins de 20 pour cent de l'aide demandée par l'ONU a été reçue. Les pillages, les coupures d'électricité et les attaques ciblées des RSF contre les agriculteurs ont perturbé la saison des semis. Les RSF ont poursuivi leurs campagnes de nettoyage ethnique visant les Massalit et d'autres groupes non arabes au Darfour. Au Darfour, à Khartoum et dans d'autres zones de combats actifs, les violences sexuelles contre les femmes et les filles sont généralisées et non traitées. Dans tout le pays, 19 millions d'enfants ont perdu l'accès à l'éducation, les institutions de l'État s'effondrant et les écoles désaffectées se transformant en abris. Au moment où nous écrivons ces lignes, El Fasher, capitale du Darfour-Nord et l'une des plus grandes villes du pays, est assiégée par les bombardements et la famine, un peu comme à Gaza. La réponse lamentable de la soi-disant communauté internationale est honteuse et est façonnée par le racisme anti-Noir.

Pour être clair, la guerre n'est pas une lutte de pouvoir interne ni une simple guerre par procuration entre puissances régionales ou « super » mais une guerre contre-révolutionnaire à plusieurs échelles soutenue par des acteurs internes et externes liés par le capital et le désir de préserver l'État soudanais postcolonial, ethno-nationaliste, violent et extractif. Les puissances occidentales invitent des acteurs civils d'élite, comme Taqaddum , à des réunions à huis clos où ils sont invités à représenter les civils soudanais, et où l'accent est mis sur la manière de parvenir à un autre accord avec l'armée et les milices et de restaurer la gouvernance. Les révolutionnaires avec lesquels nous sommes en contact voient l'objectif principal de cette guerre comme éclipsant les visions et les processus menés par le peuple qui ont été développés pendant la révolution.

La révolution de décembre

Pour comprendre la guerre sous l'angle de la contre-révolution, il est important de la replacer dans l'histoire politique récente du Soudan, à partir de 1989. Cette année-là, le Front national islamique, une organisation politique aux racines lointaines dans les Frères musulmans, a pris le pouvoir par un coup d'État militaire, établissant le régime dirigé par Omar el-Béchir et connu au Soudan sous le nom d'Inqaz, ou régime du salut. Ce régime a perduré pendant près de trois décennies, une période qui a vu une intensification de la violence d'État contre les communautés non arabes au Soudan du Sud, dans les monts Nouba, dans la région du Nil Bleu et, à partir de 2003, au Darfour, la région la plus occidentale du Soudan. Au moment même où un accord de paix était en cours de négociation pour mettre fin à la guerre dans le sud, ouvrant la voie à l'indépendance du Soudan du Sud, une guerre génocidaire a commencé au Darfour. Sous prétexte de réprimer la rébellion, le régime a lancé les milices Janjaweed, issues des groupes d'éleveurs arabes de la région, dans une campagne génocidaire contre les communautés non arabes. Le résultat fut l'incendie de milliers de villages, le déplacement de millions de personnes et la mort de centaines de milliers de personnes.

Trois décennies de règne du Salut ont fait passer l'économie de sa base coloniale de cultures commerciales comme le coton cultivé dans de grands systèmes d'irrigation gérés de manière centralisée à la production et à l'exportation de pétrole brut. Abdelraouf Omer montre ci-dessous l'effet dévastateur des politiques de l'État sur les moyens de subsistance des populations rurales, notamment dans son État, la Gezira, une région du soi-disant cœur arabe du Soudan, à deux pas de Khartoum. Les rentes pétrolières et autres sources se sont de plus en plus concentrées entre les mains du régime et de ses clients extérieurs, principalement mais pas exclusivement les États arabes du Golfe. Les institutions de l'État ont été purgées de toute opposition et peuplées de fidèles du régime dans le cadre d'une politique que le régime a appelée « Empowerment » (« Tamkeen »).

Après l'indépendance, deux grands soulèvements populaires ont eu lieu avant 2018, en 1964 et 1985. Chacun d'entre eux a renversé un régime militaire, avant que l'armée ne lance un coup d'État qui l'a ramené au pouvoir quelques années plus tard. La guerre, les campagnes génocidaires, le racisme structurel, la répression des femmes et des dissidents ont alimenté les griefs à grande échelle, tout comme le chômage de masse facilité par les politiques néolibérales de privatisation, la dépossession des terres et l'effondrement économique. La résistance au régime du salut a pris de nombreuses formes, armées ou non, après 1989. De petits soulèvements populaires en 2013 et 2016, déclenchés par des mesures d'austérité et des hausses de prix après que le Soudan a perdu l'accès au pétrole du Soudan du Sud après son indépendance, ont été réprimés efficacement et brutalement. Mais un outil d'organisation clé, les comités de résistance , a émergé de ces soulèvements dits ratés.

En décembre 2018, les manifestations contre le prix exorbitant du pain se sont étendues à toute une série de revendications sociales et ont attiré de larges pans de la population. Ce qui est devenu la révolution de décembre s'est transformé en une revendication unifiée pour la chute non seulement d'el-Béchir et de son parti au pouvoir, mais de l'État militaire dans son ensemble. La revendication principale du mouvement révolutionnaire est devenue la madaniya : un régime civil complet, l'armée étant écartée de la politique et de l'économie.

En avril 2019, la pression populaire a forcé la chute d'el-Béchir et de son parti au pouvoir, le Congrès national. Dans le but de stabiliser et de maintenir l'État militaire, de hauts responsables militaires ont formé un conseil militaire de transition qui comprenait également les RSF, une milice qu'el-Béchir avait formée à partir des restes des milices Janjawid. Les négociations avec les groupes politiques civils ont abouti à un accord de partage du pouvoir entre les technocrates et les politiciens de l'opposition et l'armée. L'idée était que l'armée se retirerait finalement du pouvoir et que des élections seraient organisées pour un gouvernement entièrement civil.

Cette « transition » a commencé en août 2019 et s'est achevée avec le coup d'État d'octobre 2021 des FAS et des RSF, qui étaient toujours alliées. Les membres civils de l'élite du gouvernement de transition avaient adopté des réformes néolibérales plutôt que de répondre aux revendications de la rue. Un exemple en est la normalisation des relations avec Israël appelée « accords d'Abraham », que le gouvernement de transition a signé en janvier 2021 en échange de son retrait de la liste américaine des États soutenant le terrorisme et de la promesse d'un prêt d'un milliard de dollars pour effacer sa dette envers la Banque mondiale, malgré l'opposition des comités de résistance et de l'opinion publique. Les mois qui ont suivi le coup d'État ont été marqués par des tentatives frénétiques des FAS pour consolider le pouvoir, contrées par une résistance continue à l'armée. Dans le même temps, le projet révolutionnaire s'est accéléré, ce qui a donné lieu à un travail intense au niveau local et national pour construire des structures capables de développer une vision populaire du pouvoir. En 2022, les comités de résistance ont signé la Charte révolutionnaire pour l'établissement du pouvoir populaire, un document politique élaboré à travers un processus de vision collective qui trace un avenir démocratique populaire de la base vers le haut.

Après le coup d'État, les tensions entre les FAS et les RSF se sont intensifiées, notamment au sujet du contrôle de l'or soudanais. Après la perte des revenus pétroliers suite à l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, l'or a remplacé le pétrole comme principale source de revenus du régime. Le Soudan est rapidement devenu l'un des plus gros exportateurs d'or d'Afrique ; jusqu'à 90 % de cet or est exporté en contrebande hors du pays. La plupart des mines d'or et des réseaux de distribution appartiennent aux RSF ou à l'armée et à d'autres vestiges du régime du Salut. La principale destination de l'or pillé est les Émirats arabes unis ; de là, il entre sur les marchés mondiaux. La Russie et d'autres pays ont accumulé des stocks d'or soudanais. En échange de cet or, les Émirats arabes unis ont fourni aux RSF des armes qui sont introduites en contrebande au Soudan via le Tchad et la Libye.

Dans une guerre qui est avant tout le produit de la contre-révolution, la question n'est pas de savoir quand la paix viendra, mais de quelle sorte de paix il s'agira. S'agira-t-il d'une paix fondée sur le partage du pouvoir entre les élites militaires et civiles, qui ne mettra que temporairement un terme à la violence, ou d'une véritable paix fondée sur la justice et un nouveau modèle de gouvernance partant de la base, qui rompt avec le passé et démantèle les systèmes existants de pouvoir des élites et d'appropriation systématique ? Malgré cette guerre brutale, des millions de Soudanais persistent à dire, selon un slogan populaire, que « la révolution est la révolution du peuple. L'autorité est l'autorité du peuple. L'armée appartient aux casernes et les Janjawids doivent être dissous ».

La justice foncière et la révolution de décembre

Abdelraouf Omer est un agriculteur et un syndicaliste basé dans la ville de Hassaheissa, dans la région agricole de Gezira, au centre du Soudan. Il est représentant pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de La Via Campesina , un mouvement paysan international qui se consacre à la défense de la souveraineté alimentaire et des droits des agriculteurs. Il est également un chercheur qui se concentre sur l'impact des politiques de privatisation du régime du Salut sur les moyens de subsistance ruraux et sur l'histoire de l'organisation des paysans et des ouvriers agricoles. Ses dernières recherches portent sur le gaspillage de l'eau dans le secteur agricole du Soudan et sur le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne. Il s'est organisé, au sein de la Coalition des agriculteurs de Gezira et de Managil, contre la privatisation du système de Gezira par le régime d'el-Béchir. Jusqu'au début des années 2000, le système était l'un des plus grands projets d'irrigation gérés par l'État au monde, s'appuyant sur le travail des petits exploitants agricoles et des ouvriers agricoles. Il y discute de la révolution de décembre et de la guerre actuelle, mettant en avant l'expropriation des terres parrainée par l'État comme élément clé pour comprendre la violence contre-révolutionnaire qui engloutit le pays.

Je suis né dans le village de Faris Al Kitab, dans une famille de cultivateurs de blé et de coton, au cœur du système d'irrigation de la Gezira. J'ai acquis mes compétences agricoles très jeune. Faris Al Kitab est connu pour son histoire d'organisation socialiste contre les régimes coloniaux et postcoloniaux depuis les années 1940. La maison de mon père était un lieu de rassemblement pour les agriculteurs qui discutaient de leurs préoccupations vis-à-vis des administrateurs étatiques du système, car il y occupait un rôle, représentant leurs préoccupations. J'ai donc grandi entouré d'activistes et de personnes qui exprimaient leurs griefs contre leurs employeurs et l'État. J'ai quitté Faris Al Kitab dans les années 1980 pour devenir enseignant, d'abord à Wadi Shaeer, puis à Hassaheissa, où j'ai rejoint le Parti communiste et contribué à créer un syndicat d'enseignants qui a travaillé avec d'autres formations syndicales pour reprendre le pouvoir à l'Union socialiste soudanaise dirigée par l'État, qui servait les intérêts du régime de Nimeiri [1969-1985].

La révolution de décembre a été lancée en réponse aux effets cumulés de trente années de politiques du régime du Salut et sans doute des décennies de politiques extractives capitalistes qui l'ont précédée. Certaines de ces politiques, impulsées et recommandées par le FMI, la Banque mondiale et l'OMC, visaient à libéraliser l'économie et à privatiser le secteur public. En conséquence, le chômage des travailleurs, des professionnels et des jeunes diplômés s'est généralisé. La population a souffert d'une pauvreté et d'une faim endémiques. Une grande partie des richesses du Soudan était concentrée entre les mains d'une petite partie de la population, dont une grande partie appartenait au parti islamiste au pouvoir. Grâce à une corruption massive, ces élites ont réussi à mettre la main sur tous les projets économiques et sites de production du Soudan, dont elles ont vidé le personnel qualifié. Les postes dans le secteur public en déclin et dans le secteur privé en expansion ont été occupés par des employés non qualifiés appartenant au parti au pouvoir. C'est ainsi qu'ils ont pris le contrôle de la majeure partie de l'économie : entreprises, banques, usines, associations, etc. Dans la Gezira et d'autres régions agricoles, l'ancien régime a ciblé les projets agricoles et de subsistance par le biais de politiques de privatisation et a restructuré la main-d'œuvre – comme il l'a fait dans les secteurs industriel et des services – de telle manière qu'il a perdu d'importants centres d'organisation.

Pour gérer et réprimer le mécontentement suscité par ces politiques, le régime a renforcé et étendu l'appareil sécuritaire de l'État, en créant des forces de sécurité spéciales et en ouvrant des maisons de torture et des prisons, autant de moyens utilisés pour criminaliser et réprimer la dissidence sous couvert idéologique d'islam politique. À mesure que l'État sécuritaire s'est étendu au centre du Soudan, la violence étatique s'est intensifiée dans les régions marginalisées du Darfour, de la région du Nil Bleu et des monts Nouba. L'État a armé des milices pour réprimer différentes formes de résistance populaire et armée. Au Darfour, cela a conduit à ce que l'on appelle aujourd'hui un génocide contre les communautés non arabes. L'État a déplacé des millions de fermiers darfouriens non arabes afin d'exploiter l'or et l'uranium de la région. La communauté internationale est intervenue principalement pour fournir un abri et une aide aux Darfouriens déplacés, ce qui a finalement coûté moins cher que les richesses minières extraites par les entreprises travaillant avec les dirigeants du régime. La guerre actuelle reproduit un processus similaire d'extraction violente et l'étend à d'autres parties du pays.

C'est dans ce contexte qu'a émergé la révolution de décembre. Une crise économique de plus en plus grave s'est accompagnée d'une intensification de la violence étatique dans les régions marginalisées du Soudan. Cette convergence a donné naissance à de nouvelles formes de résistance organisée et de désobéissance civile qui ont attiré les masses. S'appuyant sur leur héritage historique de résistance aux élites étatiques, de la révolution mahdiste de 1885 à la révolution d'octobre de 1964 et à l'Intifada de 1985, les Soudanais ont commencé à s'engager dans diverses formes de protestation dans les années 2010, qui ont finalement atteint la capitale en 2013. De nouvelles stratégies et de nouveaux outils de résistance ont émergé, ouvrant la voie à la révolution. Il s'agissait non seulement de manifestations et de marches, mais aussi de la création d'organisations démocratiques publiques visant à reconquérir le pouvoir que les élites avaient pris au peuple. C'est à cette époque que les comités de résistance ont été formés, accélérant un mouvement qui avait commencé dans les zones rurales et s'était étendu aux villes du Soudan, culminant avec un sit-in massif dans la capitale, Khartoum. Le 11 avril 2019, le 113e jour de la révolution, ce mouvement a renversé Omar el-Béchir après 30 ans au pouvoir. Au-delà de ce moment, la révolution a représenté le réveil du peuple soudanais, des camps de déplacés internes du Darfour à l'ouest à Al-Damazin et Khashm El Girba à l'est et les villes de Gezira et Khartoum au centre, qui n'avaient jamais vu de manifestations par millions ni d'élargissement des tactiques politiques pour inclure des sit-in, des cortèges, des barricades, des grèves publiques et des boycotts.

L'objectif de la révolution était de démanteler l'ancien régime politiquement, économiquement et juridiquement. La guerre du 15 avril vise à y mettre un terme. Elle sert les intérêts d'une élite capitaliste parasitaire liée et soutenue par les processus régionaux et internationaux de l'impérialisme qui ont détruit tous les moyens de production. Depuis le début de cette guerre, le pays a perdu une myriade d'usines d'industrie légère et d'ateliers de forge et de menuiserie dans l'État de Khartoum et au-delà. Des dizaines d'autobus, de stations-service, ainsi que 14 marchés centraux et 22 000 magasins ont été pillés ou détruits. Cela a eu des répercussions sur plus d'un million de travailleurs, en plus des centaines de milliers employés dans le secteur informel de l'économie.

La guerre actuelle est une lutte politique et de classe contre-révolutionnaire pour l'autorité et les ressources, motivée par les intérêts du capital mondial. Ces forces n'hésitent pas à remplacer un système totalitaire, déjà rejeté par le peuple, par un faux gouvernement civil et démocratique adoptant un système néolibéral contrôlé par les élites, qui continueront à piller et à exploiter les ressources humaines et naturelles du Soudan. La terre est au centre de cette lutte. Par terre, j'entends le sol, mais aussi l'eau, le bétail, les forêts, les minéraux, le pétrole et d'autres ressources que les élites locales, régionales et internationales cherchent à contrôler et à exploiter depuis l'Antiquité. Bien sûr, pendant la période coloniale turco-égyptienne, les ressources soudanaises servaient la classe dirigeante égyptienne. Lors de l'indépendance du régime anglo-égyptien en 1956, nous avons essentiellement échangé un système colonial extractif contre un système capitaliste mondial extractif.

La loi de 2005 sur le projet d'irrigation de la Gezira a marqué un tournant important pour nous, membres de la Coalition des agriculteurs de la Gezira et de Managil. Après son arrivée au pouvoir en 1989, le régime d'Inqaz avait libéralisé l'économie par la privatisation. Il avait dissous les syndicats et les coopératives agricoles, attaqué les organisations de la société civile et créé des lois restreignant les libertés des citoyens. La loi de 2005 a accéléré ce processus, en particulier la prise de contrôle du projet d'irrigation de la Gezira. Elle a facilité la privatisation et la vente de tous les intrants productifs du projet : ses bureaux, ses usines d'égrenage, ses entreprises telles que la Société soudanaise du coton, ses machines agricoles, ses installations de stockage, ses entrepôts, ses logements pour les ouvriers, etc., ont été vendus principalement à des investisseurs privés nationaux. Cela a permis aux élites de l'État de commencer à acheter les terres des petits agriculteurs, qui s'étaient endettés en raison du retrait des services de vulgarisation de l'État et de la privatisation du projet.

En tant que coalition, nous nous sommes organisés contre cette loi sous le slogan « Non à la privatisation et non à la vente des terres du projet de Gezira ». Nous avons présenté une alternative à la loi de 2005 qui comprenait la création et le renforcement des coopératives de petits agriculteurs. Nous avons présenté des candidats aux élections locales de 2005 qui ont gagné malgré des fraudes mais dont la victoire, bien que protégée par une décision de justice, a été ultérieurement rejetée par le Registre des organisations syndicales. Nous avons intenté une action en justice contre la vente de nos terres et contre la distribution de semences périmées par la société soudanaise de coton, qui avait été reprise par le parti au pouvoir. Grâce à un processus collectif développé au cours de sept réunions, nous avons élaboré une Charte pour la justice foncière. La charte propose des alternatives non seulement à la loi de 2005 mais aussi aux lois foncières du projet de Gezira de 1927 et 1984 qui l'ont précédée. Elle s'oppose également à une loi de 2011 qui a remplacé les syndicats existants par des associations qui ont été reprises par de riches agriculteurs et capitalistes. Cette prise de contrôle a entraîné la destruction des ateliers chargés de l'entretien et de la gestion du périmètre, notamment de ses réseaux d'irrigation, et le transfert de ces responsabilités à des entreprises privées, qui ont commencé à vendre des tracteurs, des camions et du matériel d'excavation. Beaucoup sont aujourd'hui utilisés dans l'exploitation aurifère dans d'autres régions du pays.

Au fur et à mesure que la coalition grandissait, nous avons également développé une branche d'éducation politique. Nous avons produit des brochures sur (1) l'histoire du mouvement des agriculteurs depuis la grève de 1946 jusqu'à nos jours ; (2) les dommages environnementaux causés par les pesticides et les engrais, qui ont conduit à des taux de cancer et de maladies rénales parmi les plus élevés du pays ; et (3) les dangers des lois et des politiques agricoles mises en œuvre sous le régime d'Inqaz. Pendant la révolution, nous avons continué à nous organiser autour de ces questions et avons participé aux tentatives de récupération des terres et des intrants productifs volés par l'ancien régime. Nous avons rencontré des représentants du gouvernement de transition, notamment le Premier ministre Hamdok et le gouverneur de l'État de Gezira, pour partager nos préoccupations et présenter les alternatives que nous avons proposées dans notre charte. Ils ne nous ont pas pris au sérieux et les tentatives des responsables locaux de mettre en œuvre nos idées ont été accueillies avec des tactiques dilatoires. En conséquence, la dépossession des terres a continué pendant la période de transition et les terres cultivées par les petits agriculteurs ont diminué.

Récemment, les petits agriculteurs de la Gezira se sont réunis pour préparer la saison des semis, tout en affirmant qu'il ne peut y avoir de semis sans sécurité. Nous ne pouvons pas cultiver si cela signifie que nous risquons d'être tués, pillés et violés par les RSF. La coalition estime qu'environ 70 % des agriculteurs ont été déplacés par cette guerre, et leur nombre augmente chaque jour. La Gezira, et le secteur agricole plus largement, sont à nos yeux la clé du développement au Soudan. Nous ne pouvons pas nous permettre de les céder aux capitalistes qui mènent cette guerre et en tirent profit.

Source : https://hammerandhope.org/

Traduction automatique de l'anglais

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De Serval à Barkhane : le bilan confisqué de dix ans d’interventions militaires au Sahel

15 octobre 2024, par Grégory Daho, Marc-Antoine Pérouse de Montclos — , , , , ,
La France a annoncé en juin 2024 l'allègement du dispositif de pré-positionnement de ses armées en Afrique subsaharienne : les effectifs seront réduits à environ 300 hommes au (…)

La France a annoncé en juin 2024 l'allègement du dispositif de pré-positionnement de ses armées en Afrique subsaharienne : les effectifs seront réduits à environ 300 hommes au Tchad et une centaine dans chacune des bases existant au Gabon, au Sénégal et en Côte d'Ivoire. À sa manière, cette décision entérine l'échec de dix ans d'interventions militaires au Sahel.

Tiré d'Afrique en lutte.

Le bilan complet et officiel des opérations Serval et Barkhane reste néanmoins à dresser. Cette question a nourri les débats d'un colloque qui a été organisé en avril par l'Institut Pour la Paix à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Le déni de l'échec

L'échec de l'opération Barkhane est incontestable si l'on en juge par l'activité des groupes djihadistes au Sahel et l'arrivée au pouvoir de putschistes au Niger, au Mali et au Burkina Faso.

En France, les autorités gouvernementales, militaires et parlementaires refusent cependant de le reconnaître. Dans une interview accordée au Point le 23 août 2023, Emmanuel Macron proclamait ainsi le « succès » des interventions militaires françaises au Sahel :

  • « Si l'on prend de la hauteur, la France a eu raison de s'engager au côté d'États africains pour lutter contre le terrorisme… Si nous ne nous étions pas engagés, avec les opérations Serval puis Barkhane, il n'y aurait, sans doute, plus de Mali, plus de Burkina Faso, je ne suis même pas sûr qu'il y aurait encore le Niger ».

Quelques jours plus tôt, le 7 août 2023, le ministre des Armées Sébastien Lecornu réfutait également l'idée d'un échec de Barkhane, estimant que « c'est une faute de dire cela ».

Du fait de leur devoir de réserve, les militaires français ont été moins prolixes à ce sujet. La plupart de ceux qui se sont exprimés en public n'en ont pas moins conclu à un « bilan globalement positif ».

« Les opérations Serval puis Barkhane, soutenait par exemple l'un d'entre eux, ont rempli la mission qui leur était fixée ». Au Mali, en 2013, les soldats français auraient évité que les djihadistes du nord s'emparent de la capitale Bamako, et ils auraient ensuite permis aux casques bleus des Nations unies de se déployer à l'intérieur du pays, même si les troupes de Serval n'étaient en fait pas présentes dans les régions du centre qui allaient devenir un haut lieu de l'activité des groupes insurrectionnels.

Même ceux qui s'essayent à l'auto-critique ne dépassent pas les enseignements déjà soulignés à propos de l'usage de la force en Afghanistan (excès d'optimisme et défaut d'anticipation de l'après-crise, méconnaissance des réalités locales et défaut de coordination avec les secteurs diplomatiques et humanitaires, etc.)

L'absence de critiques du Parlement

Depuis Paris, les parlementaires, quant à eux, ont été fort peu critiques.

Bien qu'il s'agisse de la plus grosse intervention outre-mer de l'armée française depuis la guerre d'Algérie, les opérations Serval puis Barkhane n'ont fait l'objet que de deux rapports lénifiants, publiés en 2013 et en 2021, qui visaient surtout à accorder un quitus à l'Élysée.

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Le principe d'un engagement militaire dans la lutte contre le terrorisme au Sahel n'a jamais été remis en cause, contrairement aux conclusions de la commission présidée par l'historien Vincent Duclert, qui a pointé la « faillite de l'analyse » et « l'aveuglement » des décideurs à l'origine de l'opération Turquoise pendant le génocide rwandais de 1994.

Il a finalement fallu attendre jusqu'en 2023 pour qu'un rapport admette timidement « l'échec de la lutte contre le terrorisme au Sahel ». Encore ce constat était-il aussitôt tempéré par l'affirmation que les responsabilités étaient aussi celles « des dirigeants africains eux-mêmes ». Le contraste n'en est que plus saisissant avec les parlementaires britanniques qui ne se sont pas privés d'épingler les gouvernements de Tony Blair puis David Cameron pour avoir entraîné leur pays dans des guerres inutiles et dispendieuses en Irak en 2003 puis en Libye en 2011 sur la base de « postulats erronés » et d'une « compréhension incomplète de la situation ».

Ainsi, malgré la réforme de 2008, qui leur permet de se prononcer sur une intervention militaire lorsqu'elle se prolonge au-delà de quatre mois, les députés n'ont jamais mis fin à une opération.

Le 22 avril 2013, lorsqu'ils ont dû se prononcer sur l'autorisation de prolongation de l'intervention française au Mali, sur les 342 suffrages exprimés, aucun vote « contre » n'a été enregistré. Aucun groupe parlementaire n'a exprimé d'opposition de fond. Les arguments sécuritaires (il faut, ou plutôt il fallait, intervenir pour soutenir un « État failli », et faire face à une situation d'instabilité politique engendrant un risque de propagation) font autant consensus que les arguments idéologiques (responsabilité, morale ou historique, de la France ; crédibilité sur la scène internationale ; maintien du rang). Les réticences, sur la forme, du Groupe de la gauche démocratique et républicaine (GDR), se sont traduites par l'abstention lors du scrutin.

Faut-il encore une fois le rappeler ? Aucun des groupes que l'armée française a combattus au Sahel n'a jamais commis d'attentats outre-mer. Du point de vue de l'intérêt national et de la lutte contre le terrorisme, les opérations Serval et Barkhane relevaient donc d'une guerre préventive, quitte à exacerber le ressentiment des insurgés et leur envie de se venger par des attaques sur le sol métropolitain. En 2013, le caractère global de la menace djihadiste avait été très manifestement exagéré. Plus de dix ans après, il convient en conséquence de remettre en perspective les déclarations triomphales de l'Élysée selon lesquelles les troupes de Serval puis de Barkhane auraient « empêché la création de califats à quelques milliers de kilomètres de nos frontières », fait « reculer les groupes terroristes au Sahel », sauvé « des milliers de vies sur place » et protégé les Français « des menaces d'attentats sur [leur] sol ».

Les raisons d'un déni de réalité

Peu de chefs d'État reconnaissent publiquement leurs erreurs stratégiques. La France ne fait pas exception. D'autres raisons expliquent cependant le déni de réalité de l'exécutif et de son entourage.

En effet, le continent africain demeure la dernière terre d'élection et d'exaltation de ce qu'il reste d'une puissance moyenne. La grandeur et les obligations historiques de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies sont donc invoquées pour contrer les analyses par trop défaitistes d'intellectuels parfois soupçonnés de sympathies « islamo-gauchistes », voire d'indulgence pour les terroristes. L'argument fatal est qu'après tout, les autres ont fait pire. Ainsi, ces opérations ont été beaucoup moins onéreuses et mortifères pour les civils que les interventions militaires des États-Unis en Afghanistan. Le retrait des troupes françaises du Sahel a beau avoir été humiliant, il n'a en rien été comparable à la débâcle de l'armée américaine à Kaboul lorsque les talibans ont repris le pouvoir en 2021.

Moins frontaux dans leur déni, les officiers supérieurs continuent quant à eux d'insister sur le bilan positif des premiers mois de l'opération Serval, véritable vitrine d'un art français de faire la guerre. Elle a notamment témoigné des mérites d'une chaîne décisionnelle courte, des avantages d'un pré-positionnement des troupes en Afrique et d'une grande agilité logistique pour surprendre et devancer l'ennemi dans des temps très courts grâce à la mise en place d'un pont aérien articulé à des moyens aéroterrestres. Selon la formule consacrée par les chefs de Serval et Barkhane, l'armée française aurait ainsi remporté de francs « succès tactiques » et elle ne serait pas responsable de l'absence de vision politico-stratégique à long terme.

Traduction brutale : à défaut de vaincre les organisations djihadistes au Sahel, les armées auraient au moins réussi à exécuter leurs principaux dirigeants. Les contradictions du recours aux assassinats ciblés sont pourtant pointées par la doctrine française de la contre-insurrection édictée en 2013, qui souligne que les stratégies d'attrition sont contreproductives car « la base populaire dont disposent les insurgés leur fournit un réservoir de ressources humaines quasi inépuisable ».

De plus, on peut se demander pourquoi l'état-major a décidé d'engager tant de forces terrestres alors que 80 % des pertes infligées aux djihadistes ont été le résultat d'attaques menées par avion, par hélicoptère ou par drone. En réalité, il s'agissait d'un combat sans fin et d'une guerre ingagnable face à un ennemi insaisissable et invisible. Pour reprendre une expression souvent utilisée par les Américains en Afghanistan, les militaires français n'ont fait que « tondre la pelouse » en attendant que la « chienlit » repousse, toujours plus fournie.

Sur le plan stratégique, l'armée tricolore aurait pourtant pu se retirer dignement de la zone au moment de l'élection du président malien Ibrahim Boubacar Keïta en 2013, ou bien encore après l'élimination des chefs djihadistes Abdelmalek Droukdel en 2020 puis Adnan Abou Walid al-Saharaoui en 2021. Au lieu de cela, l'Élysée s'est entêté jusqu'au bout et a dû se résoudre à des départs précipités, sous la contrainte et à la demande expresse de putschistes de plus en plus hostiles aux interférences de l'ancienne puissance coloniale.

La faute des autres

Il est plus facile de mettre la perte d'influence de la France au Sahel sur le compte de la propagande russe ou salafiste. Les autorités ne manquent pas non plus de souligner les défaillances des partenaires européens, qui n'ont pas voulu accompagner les opérations Serval puis Barkhane à la hauteur des moyens demandés. Enfin et surtout, elles insistent à présent sur l'incurie des gouvernements de la zone, un argument qui, rétrospectivement, semble d'autant plus curieux que la faiblesse des États sahéliens avait justement été invoquée pour justifier le déclenchement de l'opération Serval.

Reste à savoir dans quelle mesure l'échec de Barkhane va constituer une rupture, quoi qu'il en soit par ailleurs des récits de l'Élysée sur le « succès » de ses engagements dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Le gouvernement dit maintenant vouloir alléger son dispositif militaire au sud du Sahara. Mais la réduction des effectifs de l'armée française sur le continent est une tendance lourde. Au moment des indépendances, déjà, ils étaient passés de 60 000 hommes en 1960 à moins de 7 000 en 1965, certes en grande partie du fait que les personnels africains avaient été intégrés dans les jeunes armées nationales. Plus de soixante après, les militaires français sont toujours présents en Afrique et ne semblent pas prêts à renoncer au principe de bases permanentes qui doivent leur permettre de continuer à s'entraîner et de rester aguerris après leur départ de l'Afghanistan puis du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

Ajoutons à cela que le fiasco de l'opération Turquoise au moment du génocide rwandais de 1994 n'a nullement empêché le montage de l'opération Barkhane vingt ans plus tard. Aujourd'hui, rien ne démontre que l'Élysée ait réellement tiré les leçons de ses échecs si l'on en juge par la poursuite des coopérations militaires avec le Gabon, le Bénin, la Côte d'Ivoire et le Sénégal, tous d'anciennes colonies. Le mot de la fin, à cet égard, revient certainement à ce général qui, récemment encore, vantait les mérites des formations proposées par l'armée française, « comme nous l'avons fait à Barkhane ».

Grégory Daho, Maître de Conférences en science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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Contre la normalisation avec Israël et une multitude de problèmes sociaux : Au Maroc, ça gronde fort !

15 octobre 2024, par Madjid Makedhi — , , , ,
Des personnalités publiques, dont la star de l'équipe nationale marocaine de football Hakim Ziyech, ont soutenu ces mouvements de protestation et ont exprimé leur (…)

Des personnalités publiques, dont la star de l'équipe nationale marocaine de football Hakim Ziyech, ont soutenu ces mouvements de protestation et ont exprimé leur désapprobation envers la politique du gouvernement.

Tiré d'El Watan.

La rue marocaine est, depuis plusieurs mois, en ébullition. Des manifestations quasi hebdomadaires drainant des milliers de personnes font vibrer les principales villes et les régions du royaume. Coordonnés, ces actions expriment le rejet massif des politiques, internes et étrangères, du gouvernement du pays qui ne répond toujours pas.

Et les autorités marocaines, à leur tête le roi Mohammed VI, semblent faire le dos rond face à cette grogne sociale qui va crescendo, selon des médias locaux et occidentaux. En effet, les mouvements de protestation se sont accentués depuis le début de l'agression israélienne à Ghaza. La dernière en date est celle organisée, dimanche et lundi derniers, à Rabat et dans différentes villes du pays contre le maintien de la normalisation avec Tel-Aviv.

La première action, appelée « Marche unitaire » regroupant différentes organisations marocaines, a eu lieu avec la participation d'une foule nombreuse, selon les médias locaux et internationaux. Exprimant leur solidarité avec le peuple palestinien meurtri, des milliers de manifestants ont exigé la fin de la normalisation actée en 2020 avec Israël. Brandissant des drapeaux palestiniens, des pancartes et des banderoles, les protestataires ont lancé également des slogans soutenant la résistance des Palestiniens : « La résistance ne meurt pas » et « Le peuple veut la fin de la normalisation ».

Sur des pancartes, comme on pouvait voir sur les nombreuses vidéos partagées sur les réseaux sociaux, les manifestants ont aussi insisté sur le rejet des relations contre-nature avec l'occupant israélien : « Nous ne reconnaissons pas Israël » et « La Palestine est une cause nationale ». Les étudiants marocains ont pris, lundi, le train de la contestation.

Par une action coordonnée, le milieu estudiantin se mobilise. Représentant une quarantaine d'universités et d'écoles supérieures, dont celle où étudie le prince héritier Moulay El Hassan, à Rabat, des milliers d'étudiants appellent, eux aussi, à la fin de la normalisation. Les protestations ont également ciblé le gouvernement marocain, accusé de soutenir tacitement l'Etat hébreu malgré les violations du droit international. Des personnalités publiques, dont la star de l'équipe nationale marocaine de football, Hakim Ziyech, ont soutenu ces mouvements de protestation et ont exprimé leur désapprobation envers la politique du gouvernement.

Ces manifestations démontrent l'évolution de l'opinion publique marocaine qui ne veut plus de relations avec Israël. Selon un sondage réalisé entre décembre 2023 et janvier 2024 par le réseau de recherche Arab Barometer, « seuls 13% des Marocains interrogés se disaient encore favorables à ce réchauffement des relations, contre 31% en 2022 et 41 % en 2021 ».

Près de 12 000 manifestations en 2023

Outre le soutien au peuple palestinien, la population marocaine et différentes catégories professionnelles du pays protestent aussi contre la cherté de la vie, la pauvreté et le chômage endémique. Selon le Conseil national des droits humains marocain, le pays avait connu plus de 12 000 manifestations, dont notamment celles en faveur de la Palestine, des protestations d'enseignants et d'autres contre la hausse des prix.

« Le Conseil a surveillé 600 manifestations publiques sur un total de 11 086 manifestations et rassemblements dans la rue principale pour protester contre la hausse des prix et la guerre en Palestine entre autres », a fait savoir Amina Bou Ayach, présidente du Conseil, lors de sa présentation du rapport annuel du Conseil pour l'année 2023. Elle avait recommandé la nécessité d'établir, de manière effective, « un système national de protection des droits économiques et sociaux, surtout ceux liés aux normes minimales de Sécurité sociale telles que les allocations de chômage et d'invalidité et les indemnités d'accident du travail ».

Trafic de drogue aux Pays-Bas : Une organisation marocaine criminelle démantelée à Paris

Un membre jugé important d'une organisation criminelle d'origine marocaine, très active dans la distribution de cocaïne aux Pays-Bas, a été arrêté mardi à Paris à la sortie d'un restaurant, a annoncé la gendarmerie française. L'homme, de nationalité marocaine, âgé d'une trentaine d'années, selon une source proche du dossier, était sous le coup d'un mandat d'arrêt européen délivré par les Pays-Bas. Il a été interpellé par le GIGN, l'unité d'élite des gendarmes, qui était en appui des enquêteurs de la section de recherches de Paris, a ajouté la gendarmerie.

Il était 15h00 quand il a été arrêté à la sortie d'un restaurant dans le nord de la capitale française, sans incident, a-t-on précisé de même source. Considéré par les enquêteurs comme un membre important de la Mocro Maffia, organisation criminelle marocaine très active dans la distribution de cocaïne aux Pays-Bas, il est recherché notamment pour trafic de stupéfiants et production de drogues de synthèse, selon la même source. Il va être présenté à un magistrat qui devrait lui notifier, selon une source proche du dossier, son extradition vers les Pays-Bas.

En février, le baron de la drogue le plus redouté des Pays-Bas, Ridouan Taghi, né au Maroc et ayant grandi aux Pays-Bas, considéré comme le cerveau de la Mocro Maffia, a été condamné à la prison à perpétuité pour une série de meurtres commis par son gang qui ont choqué le pays. Mocro Maffia est l'appellation donnée aux organisations mafieuses marocaines « spécialisées dans le trafic de cocaïne de drogue de synthèse basées aux Pays-Bas et en Belgique ».

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« Féministe, radicale, pour « une révolution pacifique »... : Qui est Clara Brugada, la nouvelle maire de Mexico ?*

Claire Brugada est la nouvelle maire de Mexico. Féministe et « radicale ». Dans son premier discours en tant que cheffe du gouvernement de la capitale, elle a appelé à (…)

Claire Brugada est la nouvelle maire de Mexico. Féministe et « radicale ». Dans son premier discours en tant que cheffe du gouvernement de la capitale, elle a appelé à poursuivre la « révolution pacifique » visant à transformer la société pour « libérer les femmes » et les extraire de « l'esclavage moderne » qui les opprime encore trop souvent.

Par Luis Reygada,
Tiré de L'Humanité, France, 7 octobre 2024

Elle est encore plus « radicale » et féministe que la nouvelle présidente de son pays - Claudia Sheinbaum <https://www.humanite.fr/monde/claud...> – et elle dirige, depuis samedi 5 octobre, une des plus grandes villes au monde. Clara Brugada, issue de l'aile gauche du parti au pouvoir (Mouvement de la régénération nationale), est la nouvelle maire de la vibrante, dynamique, cosmopolite et chaotique Mexico, et de ses 9 millions d'administrés (au cœur d'une mégalopole qui en compte plus du double).

Dans son premier discours en tant que cheffe du gouvernement de la capitale, elle a appelé à poursuivre la « révolution pacifique » visant à transformer la société pour « libérer les femmes » et les extraire de « l'esclavage moderne » qui les opprime encore trop souvent.

Que ce soit en matière de mobilité urbaine, de lutte contre la gentrification, de rénovation des écoles publiques, de système de soin ou encore d'accès à l'eau, les projets sont nombreux pour celle qui a annoncé qu'elle gouvernera « pour toutes et tous, et tout particulièrement pour celles et ceux qui ont le moins ».

*Programmes sociaux, lutte contre les inégalités et pour les services publics*

Clara Brugada a aussi souligné son engagement en faveur de la continuité des programmes sociaux mis en place par l'administration précédente ( sous la direction de Sheinbaum, 2018-2023 <https://www.humanite.fr/monde/elect...> ), notamment en matière de combat contre les inégalités, ainsi que de renforcement des services publics et de lutte contre insécurité ( l'un des résultats les plus notables de sa prédécesseure ).

Pour cela, l'ex-maire d'Iztapalapa, le district le plus peuplé de la capitale mexicaine ( 1,8 million d'habitants, pour une superficie équivalente à celle de la ville de Toulouse ), compte bien reproduire à l'échelle de Mexico le modèle des Utopies, ces centres communautaires de développement social et culturel qui avaient fait le succès de son mandat ( 2018-2023 ) dans cette banlieue autrefois connue pour son taux élevé de criminalité. Brugada en avait érigé 16 à Iztapalapa, elle compte désormais en créer 100 à Mexico.

https://www.humanite.fr/monde/claudia-sheinbaum/mexique-le-maire-de-la-capitale-du-guerrero-decapite

Clara Brugada a annoncé qu'elle gouvernera « pour toutes et tous, et tout particulièrement pour celles et ceux qui ont le moins , le 5 octobre 2025, lors de son premier discours à Mexico

*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, arr. Ville-Marie, district Sainte-Marie, 08 octobre 2024.
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Trumpisme, fascisme et réalités politiques aux Etats-Unis

15 octobre 2024, par Paul LeBlanc — , ,
Donald Trump représente le type de politique qui a profondément transformé les réalités politiques aux États-Unis, le type de politique étiqueté par certains comme « trumpisme (…)

Donald Trump représente le type de politique qui a profondément transformé les réalités politiques aux États-Unis, le type de politique étiqueté par certains comme « trumpisme ». C'est une étiquette utile qui nous aide à le comprendre, quel que soit ce qui va arriver à Donald Trump, qu'il aille finalement en prison ou bien qu'il reprenne à nouveau les commandes de la Présidence des États-Unis, qu'il vive une nouvelle décennie ou qu'il meure demain, le trumpisme va nous accompagner dans la durée. Avant d'examiner le « trumpisme », arrêtons-nous un moment pour examiner la personnalité avec le nom de laquelle on identifie cet « isme ».

Tiré de Inprecor 725 - octobre 2024
7 octobre 2024

Par Paul Leblanc

Une approche possible de cette tâche implique de se frayer un chemin à travers l'alphabet. En commençant par la lettre « a » – et en écartant les jurons grossiers et insultants – on arrive vite au mot « arrogant » qui convient très certainement à Trump, même si malheureusement il n'est pas le seul dans ce cas.

Les qualités de Donald Trump incluent des dynamiques qui reflètent la bigoterie, l'intimidation et la vantardise (bigot, bully, and braggart). Sa bigoterie est en résonance avec des courants profonds de la culture, des attitudes et de la construction psychologique de millions de gens aux États-Unis. Il a déjà montré que, lorsque cela l'arrange, il peut adopter une position et un ton d'intimidation forçant beaucoup à se soumettre, en intimidant certains et en ravissant d'autres. La vantardise prend diverses formes : l'aspect « fonceur » qui souligne compulsivement ce qu'il a réalisé, mais qui prétend aussi avoir été plus loin et obtenu plus que ce n'est le cas ; le fait pour un homme ignorant de se vanter de son ignorance (« je ne lis pas de livres ») tout en proclamant en savoir beaucoup plus qu'il n'en sait réellement ; le fait d'exagérer l'estime que les gens ont pour lui et de s'attribuer le mérite de réalisations qui ne sont pas les siennes.

On peut aussi ajouter un quatrième mot – milliardaire (billionaire) – ajoutant ainsi du lustre, des ressources et de l'autorité à tout ce qui est déjà inclus dans l'auto-construction narcissique de la personne qu'est Donald Trump.

Concernant la lettre suivante de l'alphabet, on peut noter que par quintessence et avec fierté Trump est un capitaliste… et il y a trente-quatre condamnations criminelles qui conduisent beaucoup à le considérer comme un escroc (crook) !

Trump et le trumpisme

Si l'on saute à une autre lettre de l'alphabet, il y a beaucoup de gens qui insistent sur le fait que Trump est un fasciste. D'autres se demandent s'il est suffisamment consistant et cohérent pour jouer le rôle d'un Mussolini ou d'un Hitler et insistent sur le fait que ce terme n'est pas utile pour définir Trump. Certains ajoutent que le terme « fasciste » est largement devenu un épithète sans signification – une insulte librement utilisée et appliquée aux idées, aux pratiques et aux gens que nous trouvons oppressifs. Trump lui-même utilise ce terme (en le mélangeant à des mots tels « Marxistes », « communistes », « terroristes » et « très mauvaises personnes ») pour désigner ses ennemis tapis dans les cours de justice, au sein des grands médias d'information, du gouvernement ou du Parti démocrate.

Quelle discipline et quelle détermination sont celles de Donal Trump en tant que dirigeant politique ? On peut difficilement le comparer favorablement à un Churchill ou à un Reagan, encore moins à un Mussolini ou à un Hitler. Selon Maggie Haberman, la chroniqueuse du New York Times, « au printemps 2020, il est devenu clair pour ses principaux conseillers que l'impulsion de Trump pour saper les systèmes existants et pour plier les institutions afin de les adapter à ses propres objectifs allaient de pair avec une conduite erratique et des niveaux de colère qui obligeaient les autres à essayer de le maintenir sur la bonne voie quasiment à chaque heure de la journée. » (1)

C'est intéressant de prendre en compte l'expérience de Steve Bannon, l'un des idéologues les plus focalisés à l'extrême droite qui a servi de conseiller principal lors de la première phase de l'administration Trump, telle qu'elle est rapportée par Michael Wolff :

« Une partie de l'autorité de Bannon au sein de la nouvelle Maison Blanche reposait sur le fait qu'il était le gardien des promesses, méticuleusement rappelées sur le tableau dans son bureau. Trump s'est rappelé avec enthousiasme de la réalisation de certaines de ces promesses ; il avait peu de souvenirs de certaines autres, mais était heureux de convenir qu'il avait bien dit cela. Bannon a agi en disciple et a promu Trump en tant que gourou ou en tant que Dieu impénétrable. » (2)

Au fil du temps, Bannon a été gagné par l'exaspération et la désillusion en se rendant compte que les détails de l'agenda « populiste » qu'il avait envisagé étaient entièrement dépendants de l'inattention de Trump et de ses violentes sautes d'humeur ». Ainsi que Bannon l'avait appris depuis longtemps, Trump « se fout complètement de l'agenda ; il ne sait pas ce que c'est que l'agenda ». (3)

On est frappé par les compte-rendu de la soi-disant conférence de presse de Trump, le 31 mai 2024, après ses condamnations pour crimes. Loin d'un appel au clairon provocateur d'extrême droite ou fasciste, « la chose était une sorte de pensum » selon A.O. Scott du New York Times. Scott ajoutait : « Trump n'a jamais été un orateur ordonné ou quelqu'un qui bâtit méthodiquement ses arguments ; il passe d'une idée à l'autre et improvise, se livre à des associations d'idées et se répète, s'éloignant du scenario qu'il a sous la main ». Scott rapporte que « ces manières étaient sobres et curieusement plates : un ressassement du procès, avec peu d'aperçus vers des enjeux politiques plus larges ». Rex Huppke de USA Today était beaucoup moins charitable, le décrivant comme « désordonné, décousu et incohérent », Trump proclamant que les témoins du procès avaient été « littéralement crucifiés », que le Président Joe Biden voulait « vous empêcher d'avoir des voitures » et que le juge qui allait rendre son verdict à son encontre le 11 juin était « réellement un démon ». Hafiz Rashid de la New Republic a eu ce commentaire : « A certains moments, ses paroles étaient difficiles à suivre comme si le premier Président condamné pour crime prenait la tangente avec des phrases sans aucune fin claire. » (4)

Mais ce que l'on peut appeler « trumpisme » transcende les limites personnelles et les disfonctionnements de cet individu vieillissant. Trois éléments essentiels cimentent cette vaste entité à laquelle nous donnons l'étiquette de « trumpisme ».

L'un de ces élément est armé et dangereux : les forces qui se sont rassemblées le 6 janvier 2021 pour envahir le Capitole, parmi lesquelles les Proud Boys, les Gardiens du Serment, certains venus des composantes les plus militantes du Tea Party, les partisans des derniers jours de la vieille Confédération des Etats du Sud, ainsi que différents groupes Nazis ou suprématistes blancs. Le Général des Etats-Unis Mark Milley, qui était alors Président des chefs d'état-major interarmées, a fait la liste de ces groupes dans une note de janvier 2021, avec ce commentaire : « Grande menace : le terrorisme intérieur ». Selon Bob Woodward et Robert Costa du Washington Post « Milley concluait que certains de ces groupes étaient les nouvelles Chemises brunes, une version étatsunienne de l'aile paramilitaire du Parti nazi qui a soutenu Hitler. C'était une révolution planifiée. La vision de Steve Bannon prenait vie. Faîtes tout tomber, faîtes tout exploser, faîtes tout bruler et émergez avec puissance ! ». Ces éléments autrefois marginalisés sont revenus au sein du courant politique dominant, et se sont développés substantiellement avec les encouragements actifs de Donald Trump et de ceux qui sont autour de lui. Et cet individu rusé, avare et profondément limité ainsi que ces acolytes ont été à peine capables de contrôler ces groupes. (5)

On peut trouver un second élément essentiel à la fabrication du trumpisme dans un groupe assez différent d'entités conservatrices et d'individus rassemblés dans le Projet 2025 de la Fondation du Patrimoine. Fondée dans les années 70, la Fondation du Patrimoine a servi de centre de regroupement à des universitaires, des intellectuels et des décideurs politiques conservateurs depuis la Présidence de Ronald Reagan. Sa contribution la plus récente est un ouvrage de 900 pages titré « Mandat pour les dirigeants : la promesse conservatrice » qui est conçue comme un guide d'élaboration des politiques pour une deuxième administration Trump. « Cet ouvrage est le produit de plus de 400 universitaires et experts politiques venus de l'ensemble du mouvement conservateur et de tout le pays. Parmi les contributeurs, on trouve d'anciens élus, des économistes de renommée mondiale, issus de quatre administrations présidentielles. C'est un agenda préparé par et pour des conservateurs afin d'être prêts dès le premier jour de la nouvelle administration à sauver notre pays au bord du désastre ». Cela vaut le coup de noter que Donald Trump n'est en aucune manière la pièce maîtresse de ce document qui fait plutôt référence au « prochain Président conservateur ». Trump est mentionné de façon fréquente et respectueuse, mais la Fondation du Patrimoine, ses collaborateurs et son programme sont conçus comme transcendant ce personnage. (6)

(Il est également intéressant de noter qu'il y a quelques rides étranges dans cette « Promesse conservatrice » dont une apparente surestimation de « la Gauche » combinée avec un emprunt apparent à des idées de gauche, ce qui sera discuté dans la dernière partie de cette analyse).

Dans le trumpisme, le troisième élément essentiel est aujourd'hui le Parti Républicain. Des figures dirigeantes et des responsables – comme c'était le cas pour le courant conservateur dominant dans son ensemble – n'ont pas commencé en tant que supporter de Trump. Un agent républicain compétent, Tim Miller, décrit ainsi ce qui s'est passé : « quand les troubles de Trump ont commencé, il n'y en avait pas un dans nos rangs qui aurait dit qu'ils étaient de son côté. En tant que personne, nous l'avons trouvé gauche, répulsif et en deçà de la dignité que requièrent les responsabilités publiques et nous lui avons adressé un regard arrogant. Nous ne l'avons pas pris au sérieux. Et vous ne nous auriez pas vus avec ces casquettes de baseball d'un rouge criard ».

Mais d'abord progressivement et ensuite brusquement, nous avons pratiquement tous décidé d'y aller. Les mêmes gens qui, en privé, incendiaient Donald Trump comme une menace d'incompétence, soutenaient ses conneries rances en public lorsqu'il le fallait. Et ils ont continué à le faire même après que la foule qu'il a convoquée ait souillé le parti, nos idéaux et les salles du Capitole avec leur merde7 .

Miller nous offre une vue de l'intérieur du terrible cynisme qui a imprégné la direction du Parti républicain et qui a contribué au triomphe de Trump en son sein. Considérant l'arène politique comme un « grand jeu » à travers lequel – en gagnant – elle « s'octroyait elle-même le statut de service public, la classe dirigeante républicaine a abandonné à leur sort ceux qu'elle manipulait et elle s'est sentie de plus en plus à l'aise avec l'utilisation de tactiques qui les enflammaient et les retournaient contre leurs semblables ».

Miller et d'autres agents « avançaient des arguments auxquels personne parmi nous ne croyait » et « faisaient que des gens se sentaient lésés à propos de questions que nous n'avions ni l'intention ni la capacité de résoudre ». Il reconnaît qu'un racisme tranquille et non reconnu a été souvent utilisé. Et « ces tactiques ne sont pas seulement devenues incontrôlées : elles ont été suralimentées par l'écosystème médiatique de droite avec lequel nous couchions et qui avait ses propres pulsions néfastes, avalant des clicks et des images avec rage, bousculant tout sans aucune intention de fournir quelque chose qui pourrait apporter de la valeur dans la vie des gens ordinaires ».

Miller conclut : « en quoi est-ce une surprise qu'un charlatan qui a passé plusieurs décennies à duper les masses afin qu'elles rejoignent ses systèmes pyramidaux et qu'elles achètent ses produits merdiques puisse exceller dans un environnement pareil ? Quelqu'un qui possède en propre une plateforme de médias et un instinct reptilien pour la manipulation ? Quelqu'un qui n'hésite pas à dire tout fort ce qui devrait rester discret ? ». (8)

« Donald Trump ne peut pas réussir seul » analyse Liz Cheney « il dépend de ses facilitateurs et de ses collaborateurs ». Cheney qui a été toute sa vie une Républicaine conservatrice et une ancienne représentante du Wyoming au Congrès qui a résisté – avec plus d'obstination que la plupart – aux efforts de Trump pour intimider le Parti Républicain et le forcer à le soutenir, finit par déplorer que « la plupart des Républicains du Congrès feront globalement ce que Donald Trump leur demandera, quel que soit ce qu'il leur demandera… Je suis très triste de constater que l'Amérique ne peut plus compter sur un corps d'élus républicains pour protéger notre République ». (9)

Tim Miller en identifie les raisons psychologiques en discutant avec un de ses amis . Il conclut : « Caroline a été aspirée par la secte. Elle est aspirée par la secte. Elle est obsédée par Trump, elle l'adore, aussi étrange que cela paraisse. » Il y voit une dimension très sombre : « c'est une adepte masochiste qui ressent le besoin d'être testé, abusé et forcé de prouver encore, encore et toujours qu'elle mérite l'amour du leader ». (10)

Adam Kinzinger, un ancien représentant de l'Illinois au Congrès, reflète la psychologie de certains de ces collègues dans ce commentaire : « bien plus que la mort, ils craignent d'être expulsés de la tribu et ils craignent de perdre leur identité ». La tribu, c'est le Parti républicain et c'est pareil pour l'identité « vous allez perde votre identité comme membre du Congrès ». (11) Selon Liz Cheney, « l'amour du pouvoir est tellement fort que des hommes et des femmes qui paraissaient autrefois raisonnables et responsables sont soudainement devenus désireux de violer leur serment sur la Constitution par opportunisme politique et loyauté envers Donald Trump ». (12)

Bien sûr, le Parti Républicain possède une histoire longue et complexe. Comme dans le cas d'autres éléments du trumpisme, elle n'a pas commencé avec Trump et ne finira pas avec lui. On le créditera d'avoir joué un rôle important en aidant à rassembler tous ces éléments mais, indépendamment de ce qui va arriver à Trump, le phénomène plus large qu'est le « trumpisme » sera avec nous encore pour quelque temps à venir.

Fascisme du passé… et fascisme en devenir

Une chose de plus. Nous traitons d'un phénomène global noté par de nombreux observateurs différents – incluant des mouvements puissants et, parfois, des gouvernements dans un large éventail de pays (Argentine, Brésil, France, Grèce, Hongrie, Inde, Italie, Russie, Turquie, Etats-Unis et d'autres encore). Une combinaison de termes décrit ce qui se passe - populisme de droite, ultranationalisme autoritaire et xénophobe, etc. – en indiquant son contenu complexe. Le mot « fascisme » est parfois utilisé, mais le terme quasi-fascisme semble plus approprié. Le préfixe « quasi » signifie que « cela y ressemble » ou que « cela en a certains traits, mais pas tous ». Dans les circonstances actuelles, le terme quasi-fascisme peut être compris comme « fascisme en devenir ».

Le fascisme a beaucoup été analysé et débattu – parmi les universitaires aussi bien que parmi les théoriciens et les militants de gauche. Nous allons ici nous restreindre à aborder les premières explorations faîtes en 1923 par Clara Zetkin (une camarade proche de Rosa Luxemburg et une pionnière du communisme allemand), suivies des commentaires écrits en 1940 par Léon Trotski.

On peut juger de la qualité globale de ses développements par la phrase d'introduction de l'analyse de Clara Zetkin en 1923 : « le fascisme est l'expression concentrée de l'offensive qu'a entreprise la bourgeoisie mondiale contre le prolétariat ». (13) On devrait rappeler que « expression concentrée » particulière n'a pas été adoptée par l'entièreté de la classe capitaliste – de larges secteurs de la bourgeoisie britannique ont, par exemple, préféré soutenir Neville Chamberlin ou Winston Churchill plutôt que Oswald Mosley et aux Etats-Unis certains éléments de la classe capitaliste ont aidé à fabriquer le programme du New Deal présenté par Franklin D. Roosevelt. Mais on ne peut pas comprendre les réalités de cette époque ou de la nôtre sans prendre en compte la dimension globale mise en lumière par Zetkin.

Cette dimension globale est indispensable d'un autre aspect de la réalité que Zetkin identifie comme la racine primaire du développement du fascisme : « la désintégration et la pourriture de l'économie capitaliste et le symptôme de la dissolution de l'État bourgeois ». Elle ajoute que « l'on pouvait observer les symptômes de cette pourriture du capitalisme avant même la Première Guerre Mondiale ». Mais cette guerre catastrophique « a ébranlé les fondations de l'économie capitaliste ». Ce qui en a résulté n'est « pas seulement l'appauvrissement colossal du prolétariat mais aussi… la misère profonde de la petite bourgeoisie, des petits paysans et des intellectuels ». Comme le note Zetkin « on leur avait promis à tous que la guerre apporterait une amélioration de leurs conditions matérielles. Mais c'est exactement le contraire qui s'est produit » avec non seulement les dévastations de la guerre, mais aussi une prolétarisation soudaine et massive combinée au chômage de masse au sein des « anciennes couches moyennes ». Elle souligne : « c'est parmi ces éléments que le fascisme a recruté un contingent considérable ». (14)

Selon Zetkin, « la seconde racine du fascisme est le retard de la révolution mondiale à cause de la trahison des dirigeants réformistes ». Elle fait ici référence aux partis de masse sociaux-démocrates et aux syndicats. Cela vaut la peine de regarder en profondeur ce qu'elle décrit : « des larges secteurs de la petite bourgeoisie et même des couches moyennes ont abandonné leur psychologie de guerre pour une certaine sympathie envers le socialisme réformiste, espérant que ce dernier apporterait une réforme de la société selon des principes démocratiques. Leurs espoirs ont été déçus. Ils ont pu alors voir que les dirigeants réformistes avaient un accord bienveillant avec la bourgeoisie, et le pire est que les masses en ont perdu la foi non seulement envers les dirigeants réformistes mais aussi envers le socialisme dans son ensemble. Ces masses de sympathisants socialistes déçus sont rejointes par de larges couches du prolétariat, de travailleurs qui n'ont pas seulement perdu la foi dans le socialisme mais aussi dans leur propre classe. Le fascisme est devenu une sorte de refuge pour sans abri politiques. » (15)

Ceci fournit le cadre analytique de la compréhension du fascisme qui est celle de Clara Zetkin. Elle met un point d'honneur à distinguer le fascisme de la violence autoritaire de droite telle que celle qui est employée par les forces autour du dirigeant militaire réactionnaire Miklós Horthy qui ont sauvagement réprimé les travailleurs socialistes et communistes hongrois en 1919 et remplacé un gouvernement ouvrier avorté par une dictature de droite.

Zetkin insistait sur le fait que ce n'était pas le fascisme : « bien que les deux aient des méthodes similaires, ils sont différents dans leur essence ». Elle expliquait : « La terreur de Horthy a été mise en place après que la victoire du prolétariat, certes de courte durée, ait été annihilée. C'était l'expression de la vengeance de la bourgeoisie. Les meneurs de la Terreur Blanche était une clique relativement peu nombreuse d'anciens officiers ». Par contraste, « le fascisme n'est pas la revanche de la bourgeoise en représailles à une agression du prolétariat contre la bourgeoisie, mais c'est une punition infligée au prolétariat pour avoir échoué à poursuivre la révolution (socialiste) commencée en Russie. Les dirigeants fascistes ne constituent pas une caste limitée et exclusive, ils incluent de larges éléments de la population. » (16)

Zetkin offre une compréhension complexe et étendue de la signification du fascisme : « la bourgeoisie veut reconstruire l'économie capitaliste. Sous les circonstances présentes, la reconstruction de la domination de classe de la bourgeoisie ne peut être menée à bien qu'au prix d'une exploitation accrue du prolétariat par la bourgeoisie. La bourgeoisie est tout à fait consciente que les socialistes réformistes qui parlent doucement sont en train de perdre rapidement leur emprise sur le prolétariat et qu'il n'y aura pas d'autre issue pour la bourgeoisie que de recourir à la violence contre le prolétariat. Mais, pour les Etats bourgeois, les moyens de la violence commencent à manquer. Ils ont donc besoin d'une nouvelle organisation de la violence et cela leur est offert par le conglomérat du fatras fascistes. Pour cette raison, la bourgeoisie met toutes les forces à sa disposition au service du fascisme. Le fascisme a des caractéristiques différentes dans les différents pays. Néanmoins il a deux caractéristiques distinctives dans tous les pays, à savoir le prétexte d'un programme révolutionnaire intelligemment adaptés aux intérêts et aux revendications des larges masses, et d'autre part l'application de la violence la plus brutale. » (17)

L'analyse de Clara Zetkin est devenue influente au sein de l'Internationale Communiste, même si cette dernière a été progressivement frelatée, dogmatisée et diluée au cours des années qui s'étendent de 1923 jusqu'à la dissolution du Komintern en 1943. Mais c'est clairement évident dans les efforts de Léon Trotski à la fin de sa vie pour résumer l'essentiel de sa discussion de 1940 sur les perspectives politiques aux Etats-Unis. L'essentiel pour les révolutionnaires – c'est le titre de l'un des chapitres du document – tient en huit mots : « le fascisme n'adviendra que si nous échouons ». Mais, bien sûr, Trotski avait d'autres choses à dire. Deux citations suffiront donc. Voici la première : « dans tous les pays où le fascisme a été victorieux, avant la montée du fascisme et sa victoire, nous avons eu une vague de radicalisation des masses ; des travailleurs, des paysans pauvres et des fermiers, et de la classe petite-bourgeoise. En Italie après la guerre et avant 1922, nous avions une vague révolutionnaire aux dimensions formidables ; l'État était paralysé, la police n'existait pas, les syndicats pouvaient faire ce qu'ils voulaient. Mais il n'y avait pas de parti capable de prendre le pouvoir : le fascisme est venu en réaction ». (18)

Et voici la seconde citation : « nous ne devons pas identifié la dictature militaire – la dictature de la machine militaire, de l'état-major, du capital financier – avec la dictature fasciste. Pour cette dernière, il est nécessaire qu'il y ait un sentiment de désespérance de larges masses du peuple. Quand les partis révolutionnaires les trahissent, quand l'avant-garde des travailleurs montre son incapacité à mener le peuple à la victoire, alors les fermiers, les petits entrepreneurs, les chômeurs, les soldats deviennent capables d'apporter leur soutien à un mouvement fasciste, mais seulement dans ces circonstances ». (19)

Aux États-Unis, le fascisme décrit par Zetkin et Trotski ne s'est pas cristallisé, mais l'on peut argumenter de façon plausible que les éléments convergents du trumpisme représentent un fascisme en devenir.

Le Pouvoir, l'échec et l'avenir de la Gauche aux Etats-Unis

Il y a des énigmes à résoudre. L'une concerne précisément de savoir comment les perspectives indiquées par Zetkin et Trotski s'appliquent aux réalités des Etats-Unis. L'autre concerne les « quelques rides étranges » du document « Promesse conservatrice » pour 2025 de la Fondation du Patrimoine. En résolvant ses énigmes, avec un peu de chance, nous aurons une meilleure idée des réalités politiques des États-Unis, ainsi que de la puissance, des échecs et de l'avenir possible de la gauche américaine.

Nous avons déjà noté les dimensions globales de la question que nous traitons, ce qui n'est pas moins le cas aujourd'hui que ce n'était vrai à l'époque de Zetkin et Trotski. Plus que cela, nous voyons également, pour notre époque comme pour la leur, une crise du capitalisme qui dure depuis plusieurs décennies et a engendré des politiques capitalistes préjudiciables au niveau de vie et à la qualité de vie de millions de travailleurs dans de nombreux pays, dont le nôtre, en fait une restructuration de longue durée de l'économie associée à la mondialisation. Sont également mis en évidence les impacts catastrophiques de la dégradation globale de l'environnement aussi bien que la violence impérialiste sur de nombreux fronts.

D'un autre côté, au moins superficiellement, la gauche organisée (qu'elle soit dirigée par des partis socialistes ou communistes, des syndicats militants, ou d'autres) est très loin de présenter une menace révolutionnaire ou même d'assure une présence crédible, au moins dans la patrie de Donald Trump, les États-Unis d'Amérique. Cela fait que le document « la Promesse conservatrice » de la Fondation du Patrimoine semble être un exercice absurde, alarmiste et calomnieux lorsque (dans le même souffle que ses reproches au Parti Démocrate) il fait tout un raffut sur « la Gauche » et « les Marxistes ».

La promesse apparente de Trotski était que nous aurions une chance de faire une révolution avant que la menace du fascisme ne devienne sérieuse. C'est ainsi que beaucoup d'entre nous avaient compris l'assertion brute : « le fascisme n'adviendra que si nous échouons ». La possibilité que le trumpisme se métamorphose en fascisme serait ainsi exclue. Mais cela implique un grave malentendu à propos de notre histoire qui correspond d'une manière univoque aux développements décrits par Zetkin et Trotski. Dans un sens tout à fait important, les conservateurs alarmistes de la Fondation du Patrimoine ont raison.

Au cours du siècle passé, la gauche organisée a eu un puissant impact et a influencé les politiques, les législations, la conscience et la culture au sein des États-Unis. Le mouvement ouvrier, les vagues féministes, le mouvement antiraciste et pour les droits civiques, les combats contre la guerre du Vietnam, les différents mouvements étudiants et d'autres encore – déterminant pour apporter des changements profonds sur la scène américaine pendant plusieurs décennies – n'auraient pas été aussi efficaces (et n'auraient peut-être pas vus le jour) sans les efforts essentiels d'organisation des militants de gauche.

Cependant, cela s'est accompagné d'un autre développement. Bien qu'un élément significatif pour les militants de gauche soit l'insistance mise sur l'indépendance vis-à-vis des partis politiques pro-capitalistes, cela a été largement soumis à l'emprise d'une tendance profonde à l'adaptation. Lors de la Décennie Rouge des années 30, la convergence entre des forces d'état d'esprit socialiste et un libéralisme social quelque peu expansif s'est accélérée, lorsque le Parti Démocrate sous la direction de Franklin D. Roosevelt (FDR) a « volé » de nombreux éléments de réformes du programme socialiste. Cela s'est fait, comme FDR le soulignait avec insistance, pour sauver le capitalisme durant les années de colère de la Dépression mais aussi afin d'assurer la popularité constante de FDR et son élection. Au-delà de cela, le cœur de la gauche organisée a été absorbée au sein de la coalition du New Deal. (20)

En un demi-siècle, six épisodes-charnière ont rendu l'absorption de la Gauche organisée dans le Parti démocrate presque complète.

Épisode n° 1 : le mouvement syndical des années 30 – en particulier le nouveau Congress of Industrial Organizations (CIO) dont la dynamique penchait à gauche – a constitué une alliance solide avec les Démocrates du New Deal de FDR.

Épisode n° 2 : la décision de 1935 de l'Internationale Communiste dirigée par Joseph Staline de constituer des alliances de « Front populaire » avec des libéraux capitalistes comme FDR a conduit les dynamiques communistes des Etats-Unis à rejoindre la coalition du Parti Démocrate.

Épisode n° 3 : au début de la Guerre Froide, le cœur du mouvement ouvrier organisé (de concert avec la plupart des socialistes modérés) a adhéré à l'agenda anti-communiste et capitaliste libéral du Parti Démocrate, ce qui a conduit à un large « pacte social » et à un consensus libéral capitaliste, depuis la fin des années 40 et au cours des années 50.

Épisode n° 4 : la coalition pour les droits civiques du début des années 60 a été profondément imbriquée avec le parti de John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson.

Épisode n° 5 : au cours des années 70 et 80, la plupart des partisans de la « nouvelle gauche » des années 60 se sont engagés dans l'aile réformiste du Parti Démocrate.

Épisode n° 6 : à l'orée du vingt-et-unième siècle, de nouvelles vagues de jeunes militants ont rejoint des couches plus âgées - dans le cadre de promesses radicales et d'espoirs grandissants – pour porter Barak Obama à la Maison Blanche.

Depuis le début du vingtième siècle, la gauche organisée avait été une force dynamique d'une importance considérable aux États-Unis. Au sein des travailleurs et des opprimés, elle a mobilisé dans de réels combats et remporté d'authentiques victoires. Elle a inspiré l'espoir pour de nouveaux combats qui feraient avancer les droits humains, améliorerait la vie de la majorité de la classe ouvrière et donnerait naissance à un monde meilleur. Et bien sûr elle a inspiré la peur et la rage des riches et des puissants.

À la fin du siècle, à travers le processus que nous avons retracé, la Gauche organisée s'est largement évaporée. On peut retrouver dans le Parti démocrate quelques-uns des discours de la Gauche, beaucoup de ses valeurs et une grande partie de son programme de réformes (souvent sous une forme édulcorée). Mais un engagement sincère et pratique à remplacer la dictature économique du capitalisme par la démocratie économique du socialisme n'était plus à l'ordre du jour. Néanmoins, parmi les riches et les puissants, il y en avait toujours qui ressentaient de la peur et de la rage ainsi qu'une détermination profonde à rattraper le terrain perdu. (21)

Les analyses de Zetkin et Trotski doivent être adaptées à un contexte assez différent. « Les socialistes réformistes qui parlent doucement vont perdre rapidement leur emprise sur le prolétariat » selon Zetkin dans les années 20, en particulier parce que « les dirigeants réformistes ont un accord bienveillant avec la bourgeoisie ». Un siècle plus tard, aux États-Unis, une « avant-garde de la classe ouvrière » hautement compromise au sein des syndicats (AFL-CIO) et l'aile « progressiste » du Parti Démocrate a sans doute montré « son incapacité à mener le peuple à la victoire ». Les partenaires capitalistes des réformistes – si généreux au début – se sont sentis obligés de restructurer l'économie au détriment de la classe ouvrière et les réformistes se sont sentis capables de faire un peu plus que de s'adapter. Lorsque les entreprises « trop grandes pour faire faillite » ont provoqué l'effondrement de l'économie en 2008-2009, le réformiste radical nouvellement élu, Barak Obama, s'est dépêché de renflouer l'élite des entreprises au détriment de la majorité de la classe ouvrière. Dans une telle situation – alors que la sécurité, la stabilité et la qualité de vie laissaient la place à la catastrophe économique et sociale – des masses de gens qui avaient été désillusionnés par cette variante de la soi-disant Gauche étaient inévitablement enclines à chercher des solutions parmi les démagogues de droite.

Les démagogues peuvent être grossiers comme Trump, mais ils peuvent être policés comme la Fondation du Patrimoine. Cela nous conduit à une autre ride bizarre du document « La Promesse conservatrice ». Nous avons vu la logique de sa « surestimation » de la Gauche. Mais plus d'une fois, ce document ressemble à une note apparemment de gauche, comme dans cette description radicalement lumineuse de la Révolution américaine :

« La République américaine a été fondée sur des principes qui donnaient la priorité et maximisaient les droits des individus à vivre leur meilleure vie possible et à profiter de ce que les Pères fondateurs appelaient « les Bénédictions de la Liberté ». C'est cette égalité radicale – la liberté pour tous – pas seulement l'égalité des droits mais l'égalité de l'autorité – que les riches et les puissants haïssent dans la démocratie en Amérique depuis 1776. Ils n'aiment pas l'audace des Américains dans leur insistance à dire que nous n'avons pas besoin d'eux pour nous dire comment vivre. C'est ce droit inaliénable à l'autonomie – l'opportunité pour chaque personne de se comporter lui-même ou elle-même, pour sa communauté, pour le bien – que dédaigne la classe dominante ». (22)

Cette note apparemment de gauche résonne encore et encore : « les élites dirigeantes ont sabré et déchiré les contraintes et la responsabilité qui leur sont imposées » nous dit-on « ils concentrent le pouvoir en haut et loin du peuple américain ». La Promesse conservatrice adopte le ton qui est celui de nombreux agitateurs de gauche : « les élites de l'Amérique de la politique et des affaires ne croient pas aux idéaux sur lesquels notre nation a été fondée, l'autogouvernement, le règne de la loi, la liberté dans l'ordre. À coup sûr, ils ne font pas confiance au peuple américain et dédaigne les restrictions mises par la Constitution à leurs ambitions. » Profitant du fait que beaucoup parmi la soi-disant Gauche s'étaient regroupés avec le libéralisme pro-capitaliste de l'élite du Parti Démocrate, le document proclame que « les socialistes… sont presque toujours des gens aisés » en insistant sur le fait que « le Gauche ne croit pas que tous les hommes ont été créés égaux – ils pensent qu'eux sont spéciaux » et en ajoutant « à chaque moment où la Gauche dirige des politiques fédérales et des institutions d'élite, notre souveraineté, notre Constitution, nos familles et notre liberté sont sur le point de disparaître. 23)

En dépit de la floraison radicale-démocratique de La Promesse Conservatrice, le résultat net est cependant la défense d'un capitalisme effrénée. Le premier objectif du Président des Etats-Unis, on nous le dit, devrait être de libérer « le génie dynamique de la libre entreprise » parce que dans les pays où existe « un haut degré de liberté économique, les élites ne sont pas aux responsabilités parce que tout le monde est aux responsabilités ». Selon La Promesse Conservatrice, l'élitisme, la corruption, l'avidité et le mépris envers les gens ordinaires qui prévalent dans la sphère politique seraient miraculeusement absents de la sphère économique. La « libre entreprise » capitaliste est naturellement merveilleuse : « les gens travaillent, construisent, investissent, épargnent et créent en fonction de leurs intérêts et au service du bien commun de leurs concitoyens ». (24)

A partir de certaines choses que La Promesse Conservatrice dit et à partir de ce qu'elle ne dit pas, on peut supposer que les auteurs de ce document accueilleraient avec bienveillance tout soutien à la réalisation de cette vision lumineuse qui pourrait lui être apporté par les forces qui le 6 janvier 2021 se sont mobilisées pour maintenir Donald Trump au pouvoir : les Proud Boys, les Gardiens du Serment, les milices de droite, les contingents du nationalisme blanc, etc.

Il est définitivement certain que la situation actuelle recèle un potentiel, dont certains éléments se cristallisent sous nos yeux. Que cette cristallisation soit ou non achevée, il semble clair que la Gauche a besoin d'emprunter un chemin différent que celui qui consiste à être piégée dans l'accommodation avec le capitalisme, particulièrement dans une époque de longue durée de crise capitaliste et de catastrophe. Les révolutionnaires feront ce qu'ils peuvent pour reconstruire et refonder une orientation, un ensemble de combats, un mouvement et une organisation cohérents avec les apports de Clara Zetkin et de Rosa Luxemburg, de Léon Trotski et de Vladimir Lénine, et de beaucoup d'autres qui ont reconnu que nous sommes confrontés au choix fatidique entre le socialisme authentique et l'horrible barbarie.

Des crises sous-jacentes, des oppressions profondes et des explosions de rage réprimées ont périodiquement conduit à d'étonnantes explosions militantes, comme le mouvement Occupy Wall Street ou le soulèvement Black Lives Matters faisant basculer qualitativement les réalités politiques vers la gauche. Cela a donné de l'énergie et accru le nombre de ceux qui se situent dans la Gauche militante. Bien entendu, ces développements ont également et inévitablement approfondi la peur et accru la détermination de ceux qui se situent à droite ; rien ne peut arrêter cela. Les partisans du trumpisme utiliseront toujours de tels évènements pour leurs propres objectifs.

Le problème est que les énergies et la rage de masse orientées à gauche – qui ne peuvent pas être maintenues indéfiniment – n'ont nulle part où aller une fois que la poussière retombe sinon dans deux directions : ou bien la quiétude apathique ou bien les voies réformistes. Ces voies sont compromises par le libéralisme des grandes entreprises et ont prouvé leur incapacité à transcender le système économique qui engendre les crises, les oppressions et la rage. Ce qui est à l'ordre du jour est la création de quelque chose de meilleur et de plus efficace que cela. (25)

Publié par ESSF le Samedi 8 juin 2024
Traduit par François Coustal.

Notes

1. Penguin Books, 2022), p. 429.
2. Michael Wolff, Fire and Fury ; Inside the Trump White House (New York ; Henry Holt and Co., 2018), pp. 115-116.
3. Michael Wolff, Siege ; Trump Under Fire (New York ; Henry Holt and Co., 2019), p. 29.
4.
5. Bob Woodward and Robert Costa, Peril (New York ; Simon and Schuster, 2021), pp. 273-274 ; Matt Prince, “What is President Trump's Relationship with Far-Right and White Supremacist Groups ?,” Los Angeles Times, Sept. 30, 2020. Aram Roston, “The Proud Boys Are Back ; How the Far-Right is Rebuilding to Rally Behind Trump,” Reuters, June 3, 2024.
6. Spencer Chretien, “Project 2025,” The Heritage Foundation, Jan. 31, 2023. Project 2025 - The Presidential Transition Project ; Policy Agenda, qui comprend un texte Paul Dans and Steven Groves, ed., Mandate for Leadership ; The Conservative Promise. Pour des évaluations critiques, lire E. Fletcher McClellan, “A Primer on the Chilling Far-Right Project 2025 Plan for 2nd Trump Presidency,” Lancasteronline, June 3, 2024. Global Project Against Hate and Extremism, “Project 2025 ; The Far-Right Playbook for American Extremism”. La citation décrivant qui a composé le document du Projet 2025 se trouve dans Mandate for Leadership ; The Conservative Promise, pp. 2-3.
7. Tim Miller, Why We Did It ; A Travelogue from the Republican Road to Hell (New York ; Harper, 2022), p. xii.
8. Miller, p. xx.
9. Liz Cheney, Oath and Honor ; A Memoir and a Warning (New York ; Little Brown and Co., 2023), pp. 2, 366.
10. Miller, p. 245.
11. “Former Rep. Kinzinger Reflects on GOP and Future of Democracy in ‘Renegade,'” (interview avec Geoff Bennett), PBS News Hour, Nov. 1, 2023.
12. Cheney, p. 2.
13. Clara Zetkin, “Fascism (August 1923),” Marxist Internet Archive.
14. Zetkin, “Fascism”.
15. Zetkin, “Fascism”.
16. Zetkin, “Fascism”.
17. Zetkin, “Fascism”.
18. Léon Trotski, “American Problems” (August 7, 1940), Writings of Leon Trotsky, 1939-1940 (New York ; Pathfinder Press, 1973), p. 337.
19. Trotski, “American Problems”, p. 338.
20. On peut trouver des détails et des références sur la Décennie Rouge dans Paul Le Blanc, Marx, Lenin, and the Revolutionary Experience ; Studies of Communism and Radicalism in the Age of Globalization (New York ; Routledge, 2006), pp. 153-198, avec des aspects sur les années suivantes qui sont abordés pages 221 à 258.
21. Ceci est retracé dans Kim Phillips-Fein, Invisible Hands ; The Making of the Conservative Movement from the New Deal to Reagan (New York ; W.W. Norton 2009), résumé dans Paul Le Blanc, “The Triumphant Arc of US Conservatism”, Left Americana ; The Radical Heart of US History (Chicago ; Haymarket Books, 2017), pp. 179-186.
22. Mandate for Leadership ; The Conservative Promise, p. 14.
23. Mandate for Leadership ; The Conservative Promise, pp. 8, 10, 15, 16.
24. Mandate for Leadership ; The Conservative Promise, pp. 14, 15.
25. International Journal of Socialist Renewal, August 13, 2019 ; Paul Le Blanc, “The Rise, Fall, and Aftermath of the Sander Challenge,” Irish Marxist Review, Volume 9, Number 27, 2020 ; Paul Le Blanc, Lenin ; Responding to Catastrophe, Forging Revolution (London ; Pluto Press, 2023), pp. 177-186.

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USA : l’élection de tous les dangers

15 octobre 2024, par Dan La Botz — , ,
Le peuple américain se rendra aux urnes le 5 novembre pour élire le président des États-Unis – certains dans quelques États auront déjà pu voter plus tôt – et choisir entre (…)

Le peuple américain se rendra aux urnes le 5 novembre pour élire le président des États-Unis – certains dans quelques États auront déjà pu voter plus tôt – et choisir entre l'ancien président Donald Trump, le leader autoritaire de ce qui est devenu un parti républicain d'extrême droite et la vice-présidente Kamala Harris, une démocrate quelque peu progressiste, qui s'est maintenant déplacée vers la droite, est devenue une modérée, et qui continue de soutenir Israël inconditionnellement, malgré sa guerre génocidaire contre la Palestine. L'élection présente plusieurs dangers connexes, d'une victoire de Trump qui pourrait mettre fin à la démocratie américaine à une élection serrée qui pourrait entraîner des manifestations violentes et peut-être une autre tentative de coup d'État et puis aussi le danger que si Harris gagne elle soit incapable de maintenir les États-Unis en dehors d'une guerre au Moyen-Orient qui s'élargit. Nous y reviendrons plus loin.

Tiré de Entreleslignesentre les mots
8 octobre 2024

Par Dan La Botz

Les deux candidats sont statistiquement à égalité dans les sondages en ce qui concerne le nombre total de voix, mais pour gagner l'élection, un candidat doit remporter non pas la majorité du vote populaire, mais la majorité du vote du collège électoral. Dans cette compétition, l'essentiel est de gagner les « swing states », c'est-à-dire les États qui ne sont pas déterminés par un parti ou un autre et qui pourraient voter soit pour les républicains, soit pour les démocrates. Il y a trois millions d'électeurs indécis dans ces États, mais l'élection sera décidée par quelques centaines de milliers ou même seulement quelques dizaines de milliers d'électeurs ambivalents ou jusqu'à présent indécis dans ces États. Toute l'attention, l'argent et les plans de voyage des candidats sont concentrés sur l'obtention de ces votes.

La campagne électorale se déroule dans un climat de violence. Il y a eu deux tentatives d'assassinat de Trump et des coups de feu ont été tirés dans un bureau de campagne de Harris à Tempe, en Arizona. Quarante pour cent des fonctionnaires électoraux, ceux qui gèrent les bureaux de vote ou comptent les voix, ont été menacés ou harcelés.

Trump fait campagne en grande partie sur l'économie, qui comprend le coût élevé de la vie, les impôts et le commerce extérieur et il promet d'arrêter l'inflation croissante, de réduire les impôts et d'améliorer le commerce extérieur grâce à d'énormes droits de douane – 10, 20, 50% – sur les produits importés. Mais lors de ses rassemblements et de ses interviews, il n'explique guère comment sa politique économique fonctionnera et les économistes de tous bords affirment que les droits de douane pourraient détruire l'économie américaine et peut-être même l'économie mondiale.

Plus récemment, Trump, lors d'un rassemblement, a promis une « renaissance manufacturière », en attirant les investissements étrangers, en créant des zones manufacturières, en réduisant les impôts et en éliminant les réglementations environnementales. Et donc en « volant » des millions d'emplois dans d'autres pays.

La plupart du temps, cependant, Trump, dans ses rassemblements de milliers de personnes, s'insurge contre ce qu'il appelle une invasion d'immigrants qui, selon lui, sont des « animaux », de la « vermine » et « empoisonnent le sang de notre pays ». Il prétend que les immigrants sont des criminels issus des prisons et des asiles d'aliénés du monde entier, qu'ils ont envahi et pris le contrôle de certaines villes et qu'ils « détruisent le tissu de notre pays ». C'est pourquoi il dit que la criminalité est en baisse dans d'autres pays mais en hausse dans le nôtre bien qu'en fait la criminalité soit en baisse aux États-Unis. Ses affirmations selon lesquelles les immigrants sont des criminels et des malades mentaux et selon lesquelles les taux de criminalité sont en hausse aux États-Unis sont toutes les deux fausses. Plus récemment, il a affirmé que les Haïtiens avaient pris le contrôle de la ville de Springfield, dans l'Ohio, et qu'ils mangeaient les chats, les chiens, les animaux domestiques et les oies de cette ville, affirmations pour lesquelles des responsables, du maire au gouverneur de l'État, ont déclaré qu'elles n'étaient absolument pas fondées. Le fils de Trump, Donald Jr, a déclaré que les Haïtiens avaient un QI inférieur à celui des autres personnes. Trump a promis que les services de l'immigration et la Garde nationale seraient utilisés – en violation de la loi actuelle – pour rassembler des millions d'immigrés, les placer dans des camps de concentration et les expulser vers leur pays d'origine. Et, dit-il, il commencera par Springfield.

Une nation divisée de fond en comble

Qui soutient ce démagogue réactionnaire et raciste ? La base de Trump, Make America Great Again (MAGA), est composée en grande majorité de Blancs employés par des petites et moyennes entreprises – avocats, agents immobiliers, propriétaires de magasins, vendeurs, cadres moyens d'entreprise, etc. – et vivant dans les banlieues ou les zones rurales (Chris Dite, Jacobin, 16 avril 2024). Un pourcentage élevé de travailleurs blancs généralement définis par les sondages comme ceux qui n'ont pas fait d'études supérieures soutiennent également Trump, bien qu'il ait perdu le soutien de certains d'entre eux récemment. Il a également gagné le soutien de certains hommes noirs et latinos. De nombreux trumpistes sont des chrétiens évangéliques qui, quel que soit son comportement personnel, voient en Trump un défenseur de leur foi, un fervent opposant à l'avortement, un antigay et un anti-trans. Dieu se sert de lui, disent-ils. Plus de la moitié des pasteurs protestants disent qu'ils voteront pour Trump, un quart est pour Harris, et près d'un quart est indécis (Aaron Earls, Christianity Today, 17 septembre 2024). Certains partisans de Trump sont des adeptes de Q-Ânon et croient qu'une cabale de pédophiles dirige le pays et se livre au trafic sexuel d'enfants. Les fabricants d'armes soutiennent Trump, tout comme la National Rifle Association qui l'a soutenu en raison de ses promesses de lutter contre le contrôle des armes à feu.

Qu'en est-il des grandes entreprises ? Soutiennent-elles Trump ?

La classe capitaliste américaine, historiquement divisée entre les deux partis, les soutient souvent tous les deux à des degrés différents, et les capitalistes passent fréquemment d'un camp à l'autre, ce qui modifie l'équilibre. Après la « révolution » conservatrice du président Ronald Reagan, le Parti républicain s'est mis à la disposition des entreprises. Trump, malgré ses discours populistes contre les élites, a également servi les grandes entreprises et les riches, en réduisant leurs impôts, en supprimant les réglementations et en entravant les syndicats. Et il promet d'accentuer cette ligne lors de son prochain mandat. Lors d'une réunion avec des cadres pétroliers en mai de cette année, par exemple, il leur a dit que s'ils lui donnaient un milliard de dollars pour revenir à la Maison Blanche, il se débarrasserait des réglementations environnementales de Biden.

Les grandes entreprises et les très riches sont comme toujours divisés, certaines soutenant Trump et d'autres Harris, bien qu'elle ait fait mieux que lui. Selon leurs déclarations officielles faites au gouvernement, au 21 septembre, la campagne de Harris et le Comité national démocrate abordent les deux derniers mois de l'élection de 2024 avec 286 millions de dollars en banque, contre 214 millions pour la campagne de Trump et le comité national républicain. Les analystes politiques ont toujours regardé de près quels secteurs – la finance, l'industrie, le commerce, etc. – forment le soutien bourgeois aux différents candidats politiques américains à la présidence. Par exemple, ils ont constaté que Franklin D. Roosevelt, le président qui a créé l'État-providence américain moderne, était soutenu par les industries de consommation (automobiles, pétrole, électricité, grands magasins), tandis que ses adversaires républicains étaient soutenus par la haute finance et l'industrie lourde, comme la banque Morgan et US Steel.

On ne sait pas exactement quel secteur constitue la base du soutien financier de Trump. Ses plus grands soutiens sont l'industriel high-tech Elon Musk, susceptible de devenir bientôt le premier trillionaire au monde, Timothy Mellon, héritier d'une fortune pétrolière, Miriam et feu Sheldon Adelson, exploitants de casinos Linda et Vince McMahon de World Wrestling Entertainment [1], Diane Hendricks d'ABC, fournisseur de matériaux de construction, Kelsey Warren, constructeur de pipelines ; Timothy Dunn, pétrolier texan, Richard et Liz Uhlein, propriétaires d'une société de matériaux d'emballage, Jeff Sprecher et sa femme Kelly Loeffler d'International Exchange qui possède la Bourse de New York, et une variété d'autres grandes entreprises et de riches particuliers issus de différents secteurs financiers et industriels. Le colistier de Trump, J. D. Vance, est soutenu par le milliardaire de la technologie Peter Theil.

En tant qu'ancienne sénatrice de Californie et démocrate, il n'est pas surprenant que les plus grands donateurs de Harris soient les sociétés high-tech de la Silicon Valley et de Hollywood, qui sont de toute façon des donateurs financiers démocrates traditionnels. Parmi eux, Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, le site web social, Dustin Moskovitz, cofondateur de Facebook, Melinda French Gates de Microsoft, Laurene Powell Jobs, l'ancienne épouse de Steve Jobs d'Apple, Jeffrey Katzenberg, ancien président de Walt Disney Studios, James Murdoch, ancien PDG de 21st Century Fox, Jeff Bewkes de Time Warner, Barry Diller, ancien PDG de Paramount. En outre, George Soros, l'homme d'affaires et investisseur milliardaire, et son fils Alex Soros soutiennent Harris. Les stars de Hollywood qui soutiennent Harris sont plus nombreuses que celles qui soutiennent Trump, la plus célèbre d'entre elles étant Taylor Swift. Bien sûr, certains magnats de Hollywood et géants de la technologie soutiennent également Trump, mais Harris semble plus forte dans ces secteurs les plus avancés de l'économie américaine.

Que fera le gouvernement américain en cas d'élection serrée ?

Il n'y aurait pas de réponse unifiée. Les États-Unis ont aujourd'hui un gouvernement divisé. Joe Biden est le président, et Harris, la vice-présidente, tous deux démocrates. Au Sénat, les démocrates disposent d'une faible majorité de 51 voix (provenant de 47 démocrates et de quatre indépendants) tandis que les républicains en ont 49. Les Républicains ont également une très faible majorité à la Chambre des représentants, 220 contre 211 pour les démocrates. La Cour suprême est effectivement devenue républicaine. Trump a nommé trois juges ce qui donne aux conservateurs une majorité de six contre trois. Elle est bien plus conservatrice que la plupart des autres cours modernes. Cela lui a permis d'abolir l'arrêt Roe v. Wade retirant aux femmes le droit à l'avortement protégé par le gouvernement fédéral et conduisant à l'interdiction de l'avortement dans quatorze États et à des limitations strictes dans treize autres. La Cour a également adopté un certain nombre d'autres mesures conservatrices et a notamment voté par six voix contre trois l'immunité présumée d'un président pour la plupart de ses actes officiels. Comme l'a écrit l'ACLU :

Au fond, la majorité de six contre trois de la Cour permet aux présidents d'utiliser leurs pouvoirs officiels pour commettre des actes criminels sans avoir à rendre compte de leurs actes.

Le programme de Kamala Harris

Le point fort de Harris qui lui a valu un très large avantage parmi les électrices est sa promesse de rétablir la protection fédérale de l'avortement et des autres droits reproductifs. Harris bénéficie de la coalition habituelle des candidats du Parti démocrate : syndicats, organisations noires, groupes latinos et asiatiques, mais surtout du soutien des organisations féminines.

En ce qui concerne plus généralement la politique intérieure, Kamala Harris, remplaçant Joe Biden en tant que candidate et entrant dans l'élection assez tardivement, n'avait pas élaboré de programme à part entière. Ayant été la vice-présidente de Biden, elle se présente en grande partie sur la base de ses réalisations législatives. Depuis les années 1980, sous l'égide de républicains comme Ronald Reagan et de démocrates comme Bill Clinton ou Barack Obama, les États-Unis et leurs alliés ont créé une économie mondiale néolibérale basée sur la déréglementation, la privatisation, la réduction des dépenses sociales et la diminution du pouvoir des syndicats. La Grande Récession 2008 a été la crise de cet ordre néolibéral mondial et a conduit à la fois au mouvement conservateur du Tea Party et à Occupy Wall Street. Les campagnes de francs-tireurs du démocrate Bernie Sanders et du républicain Donald Trump en 2016 étaient des réactions à cette crise et des réponses de ces mouvements.

La crise du néolibéralisme qui a débuté lors de la Grande Récession de 2008, puis qui s'est compliquée avec la pandémie de COVID et la récession économique consécutive, a conduit Joe Biden à adopter les programmes économiques et sociaux les plus progressistes depuis l'ère du démocrate Lyndon B. Johnson (1963-1969). Les programmes économiques et sociaux les plus importants de Joe Biden ont été la loi sur le plan de sauvetage américain (1 900 milliards de dollars) pour soutenir les entreprises et les travailleurs pendant le COVID, la loi sur l'investissement dans les infrastructures et l'emploi (1 200 milliards de dollars) et la loi sur la réduction de l'inflation (369 milliards de dollars) pour faire face aux problèmes climatiques. Ces mesures ont restauré l'économie américaine qui a connu une croissance de 5,7% au cours de sa première année de mandat générant le taux de croissance le plus élevé depuis 40 ans et ont fait baisser le taux de chômage à 3,9 %, le pays ayant enregistré le nombre de nouvelles demandes d'allocations-chômage le plus bas depuis cinquante ans. Biden a ensuite été confronté au problème de l'inflation élevée, qui est passée de 1,4% en janvier 2021 à un pic de 9,1% en juin 2022, un problème très grave, bien que l'inflation soit aujourd'hui négligeable. Harris qui en tant que vice-présidente n'avait pas de programme économique propre peut revendiquer les succès et accepter les échecs de l'administration Biden. Le problème, c'est que de nombreux Américains jugent l'économie non pas en termes de rapports d'activité, mais tout à fait personnellement. Le coût de l'essence, le prix des denrées alimentaires et le coût du logement ont augmenté. Pourtant, bien que le prix de l'essence soit inférieur à 3 dollars le gallon dans la majeure partie du pays, que les taux d'intérêt aient baissé de plus d'un point de pourcentage et que les prix des produits alimentaires aient chuté, la moitié des Américains pensent que l'économie va mal et pour la plupart d'entre eux, c'est la question la plus importante de l'élection. Aujourd'hui, Mme Harris qualifie son programme économique d'« économie d'opportunité » qui réduira les coûts pour les familles.

En bref, c'est un plan pour stimuler le capitalisme américain et elle ne prend aucune mesure qui changerait fondamentalement les structures économiques actuelles. Elle demande une réduction d'impôts pour les familles de la classe moyenne et de la classe ouvrière ; elle s'engage à construire trois millions de maisons et d'immeubles ; elle promet de soutenir davantage les petites entreprises en leur offrant des déductions fiscales ; elle affirme qu'elle renforcera et étendra la loi sur les soins abordables et qu'elle protégera Medicare et la Sécurité sociale ; elle veut apporter aux familles des services de garde d'enfants abordables et améliorer également les soins aux personnes âgées ; enfin, elle veut « réduire les coûts de l'énergie et s'attaquer à la crise du climat ». Autrefois très progressiste sur les questions d'énergie et du climat, elle a modéré ses positions et, par exemple, accepte désormais la fracturation [2]. Contrairement à Trump, elle comprend que les combustibles fossiles contribuent à la crise climatique mais son point de vue reste modérément progressiste.

Joe Biden a bénéficié d'un soutien important des syndicats, surtout en raison de son soutien à la grève des travailleurs de l'automobile l'année dernière en devenant le premier président venir sur un piquet de grève aux côtés des travailleurs. Ce soutien s'est reporté sur Kamala Harris. Aujourd'hui, ce sont les dockers de l'International Longshoremen's Association qui sont en grève. Leur syndicat représente 45 000 dockers dans 36 ports de la côte Est et du golfe du Mexique, du Maine au Texas. Ils traitent environ la moitié du fret maritime du pays. La grève porte sur l'automatisation et les salaires. Joe Biden s'est rangé du côté du syndicat. Ces entreprises, a déclaré Joe Biden, « ont réalisé des bénéfices incroyables, plus de 800% depuis la pandémie, et les propriétaires gagnent des dizaines de millions de dollars grâce à cela ». « Il est temps, a-t-il ajouté, qu'elles s'assoient à la table des négociations et de faire cesser la grève. » Le gouvernement fédéral a le pouvoir d'intervenir et, si la grève se poursuit, des pressions s'exerceront sur Biden pour qu'il impose un accord. Et s'ils ne sont pas contents de l'accord, les syndicats pourraient se retourner contre lui ce qui ne serait pas une bonne chose pour la candidate démocrate.

Harris a complètement soutenu la politique étrangère de Biden, appuyant Israël et sa guerre contre Gaza, soutenant la guerre de l'Ukraine contre l'invasion russe et s'opposant aux ambitions impériales rivales de la Chine. Le gros problème de Harris, en particulier avec les libéraux, les progressistes et la gauche ainsi qu'avec les Arabes et les musulmans américains, est son soutien total à Israël. La réputation de Harris d'être plus progressiste que Biden sur la question de la guerre d'Israël contre Gaza est basée sur des déclarations comme celle qu'elle a faite après sa rencontre avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou : « Ce qui s'est passé à Gaza au cours des neuf derniers mois est dévastateur. […] Les images d'enfants morts et de personnes désespérées et affamées fuyant pour se mettre à l'abri, parfois déplacées pour la deuxième, troisième ou quatrième fois – nous ne pouvons pas détourner le regard face à ces tragédies », a-t-elle déclaré, ajoutant : « Je ne resterai pas silencieuse. » Les propos qu'elle a tenus dans son discours de remerciement étaient plus faibles :

L'ampleur de la souffrance est déchirante. Le président Biden et moi-même travaillons à mettre fin à cette guerre de telle sorte qu'Israël soit en sécurité, que les otages soient libérés, que la souffrance à Gaza prenne fin et que le peuple palestinien puisse réaliser son droit à la dignité, à la sécurité, à la liberté et à l'autodétermination.

Contrairement à Trump et à Netanyahou, elle soutient une solution à deux États.
Aujourd'hui, la situation est bien entendu encore plus compliquée par la guerre entre Israël et le Hezbollah, l'invasion israélienne du Liban, de l'attaque de l'Iran contre Israël et de la guerre larvée entre les deux pays.

Les belles paroles de Harris n'ont toutefois été accompagnées d'aucune proposition ou action de sa part. Et cela pourrait lui coûter les élections. Le Michigan compte entre 200 000 et 300 000 électeurs arabo-américains, et lors des primaires, plus de 100 000 d'entre eux ont refusé de voter pour Harris et ont préféré voter sans s'engager. Un sondage du Council on American-Islamic Relations (Conseil des relations américano-islamiques) publié en septembre a montré que dans le Michigan, 40% des électeurs musulmans soutenaient la candidate du Parti vert, Jill Stein ; 38 % soutenaient Trump ; et seulement 18 % voteraient pour Harris.

La campagne de Trump et le Projet 2025

Lors des rassemblements de campagne de Trump – et il en a organisé des dizaines au cours des quatre dernières années – il affirme que les États-Unis sont une nation défaillante parce qu'elle n'a pas été capable de défendre ses frontières contre ce qu'il appelle l'invasion des immigrés. Il affirme qu'à la fin de sa première présidence, il a laissé le pays en pleine forme sur le plan économique mais que les immigrants ont apporté la criminalité et ont pris les emplois des travailleurs américains, en particulier des Latinos et des Noirs. Trump promet qu'en tant que président, il lancera un effort national pour rassembler des millions d'immigrés illégaux et les expulser, ce qui améliorerait l'économie. Son plan économique central consiste à réduire les impôts des riches et à augmenter les droits de douane sur les biens importés. Il nie le changement climatique et l'un de ses mantras est « Drill, baby, drill [3] », exprimant sa volonté de reconstruire l'économie sur le charbon, le pétrole et le moteur à combustion interne – bien que depuis qu'il est devenu ami avec Musk il ne soit plus aussi critique à l'égard des véhicules électriques. S'il touche à la politique étrangère, c'est pour dire qu'il réduirait le soutien à l'Ukraine, mais d'un autre côté, il promet : « J'apporterai à Israël le soutien dont il a besoin pour gagner, mais je veux qu'il gagne vite. »

Bien que Trump n'ait pas de plan précis pour son administration – il n'est pas très doué pour la planification –, un certain nombre de ses conseillers, travaillant pour la fondation conservatrice Heritage Foundation, ont produit un plan de 900 pages pour sa prochaine administration, appelé Projet 2025. Trump prétend ne rien savoir à ce sujet, mais neuf de ses anciens secrétaires de cabinet ont aidé à le rédiger et 140 autres anciens fonctionnaires et bureaucrates de l'administration Trump y ont participé. L'Union américaine pour les libertés civiles, qui défend depuis longtemps nos droits, l'a qualifié de « feuille de route sur la façon de remplacer l'État de droit par des idéaux de droite ».

La démocratie américaine n'est pas parfaite, loin de là, mais, même s'il y a des abus, nous avons toujours des droits démocratiques fondamentaux et des libertés civiles. Comme l'explique l'American Civil Liberties Union (ACLU) [4], le projet 2025 propose de réorganiser le pouvoir exécutif et de l'utiliser pour limiter davantage l'avortement, de cibler « les communautés d'immigrants par des déportations massives et des raids en mettant fin à la citoyenneté de naissance, en séparant les familles et en démantelant le système d'asile de notre nation », d'accroître le pouvoir de la police et de réprimer les protestations sociales, de limiter l'accès au vote, de censurer les discussions sur la race, le genre et l'oppression systématique dans les écoles et les universités et de faire reculer les droits des transgenres, entre autres choses. Le projet 2025 éliminerait également des dizaines de milliers de travailleurs de la fonction publique fédérale et les remplacerait par des personnes nommées pour des raisons politiques et fidèles au président. Il représente la première étape du démantèlement de la démocratie américaine et de la création d'un gouvernement autoritaire. Cela commencera par l'élection de Trump ou sa prise de pouvoir par un coup d'État.

Les deux dangers

Il existe deux dangers imminents. Le premier est que si Trump remporte une victoire décisive, il établira un régime autoritaire et pourrait abolir les institutions démocratiques et les droits civiques et instaurer un ordre véritablement fasciste. Le sénateur démocrate Richard Blumenthal du Connecticut a récemment déclaré :

Il existe un éventail d'horreurs qui pourraient résulter de l'utilisation sans restriction de la loi sur l'insurrection par Donald Trump. Un président aux motivations malignes pourrait l'utiliser dans une vaste gamme de moyens dictatoriaux, à moins qu'à un moment donné, les militaires eux-mêmes ne résistent à ce qu'ils considèrent comme un ordre illégal. Mais cela fait peser un très lourd fardeau sur les militaires (NBC News, 14 janvier 2024).

Souvenons-nous que lorsque Trump était président, il a menacé de déployer l'armée pour réprimer les énormes manifestations nationales Black Lives Matter de 2020, mais les responsables civils et militaires lui ont résisté et l'ont mis en échec. Ils risquent de ne pas pouvoir le faire la prochaine fois. William Cohen, ancien sénateur républicain du Maine et ancien secrétaire à la défense, a récemment averti, en parlant de Trump :

Nous sommes à environ 30 secondes de l'horloge de l'Armageddon en ce qui concerne la démocratie (NBC News, 14 janvier 2024).

L'autre danger est que si l'élection est serrée, Trump et le Parti républicain utilisent toute une série de tactiques, légales et illégales, pour réaliser un coup d'État et s'emparer du pouvoir. Ils sont déjà prêts à contester juridiquement chaque aspect du processus de vote, qu'il s'agisse de contester des électeurs individuels, de contester le décompte des voix dans chaque État ou de soulever des objections à la certification du Congrès américain. Ces contestations juridiques seront probablement accompagnées de protestations militantes et de violences dans les bureaux de vote, dans les bureaux autorisés à compter les votes et dans les assemblées législatives des États. Trump mobilisera les grands États républicains dotés de gouverneurs réactionnaires, tels que le Texas et la Floride, pour soutenir ses contestations et ralentir ou arrêter le processus post-électoral. Ces États pourraient mobiliser les forces de leur garde nationale pour soutenir Trump. Il existe également des organisations militantes armées d'extrême droite – quelque 1 400 ont été identifiées – dont on peut s'attendre à ce qu'elles mènent des actions violentes dans les capitales des États et au Capitole national à Washington. Déjà pendant la pandémie de COVID, des groupes armés opposés au port du masque ont pris le contrôle de certaines capitales d'État, par exemple dans le Michigan. D'autres milices se sont rendues à la frontière au Texas et ont arrêté illégalement des immigrants sans papiers. L'objectif de tout cela sera d'empêcher Harris d'entrer en fonction et d'installer Trump à la présidence à sa place. Une telle action entraînerait une crise politique du gouvernement fédéral et pourrait effectivement conduire à des violences de masse dans certaines régions.

Donald Trump, les républicains de droite et les milices ont tenté un coup d'État le 6 janvier 2021 après que Trump ait ameuté un rassemblement de milliers de personnes qui ont ensuite marché jusqu'au Capitole où des centaines ont envahi le bâtiment, cherchant la chef du Parti démocrate Nancy Pelosi et menaçant de pendre le vice-président républicain Mike Pence pour son incapacité à soutenir l'affirmation de Trump selon laquelle il avait gagné l'élection. Cette violente insurrection a réussi à retarder le décompte des votes du collège électoral et la certification du nouveau Président, a coûté la vie à six personnes, a blessé plusieurs policiers et a fait des millions de dollars de dégâts matériels. Par la suite, 11 424 personnes ont été inculpées et des centaines ont été condamnées et emprisonnées. Cette tentative de coup d'État a échoué, mais un autre coup d'État est-il possible ?

De nombreux élus, officiers supérieurs et commentateurs des médias pensent que oui. En décembre 2021, dans une tribune parue dans le Washington Post, trois généraux – Paul D. Eaton, Antonio M. Taguba et Steven M. Anderson – ont écrit qu'en cas de résultats contestés des élections, où l'on ne sait pas exactement qui est devenu président, « le risque d'une rupture totale de la chaîne de commandement selon des lignes partisanes – du sommet de la chaîne au niveau de l'escouade – est important si une autre insurrection se produisait. L'idée que des unités rebelles s'organisent entre elles pour soutenir le commandant en chef « légitime » ne peut être écartée. […] Dans un tel scénario, il n'est pas exagéré de dire qu'un effondrement militaire pourrait conduire à une guerre civile ».

L'acceptation par le public d'un coup d'État a également progressé. Un sondage publié dans le Washington Post le 6 janvier 2022 a révélé que « la part des Américains prêts à tolérer un coup d'État est passée de 28% en 2017 à 40% en 2021. C'est une augmentation de 43%, et le taux le plus élevé que nous ayons observé aux États-Unis depuis que nous avons commencé à poser la question il y a plus de dix ans. »

Si Trump perd lors d'une élection serrée, il est possible que nous assistions à une nouvelle tentative de coup d'État, celle-ci impliquant l'armée et pouvant avoir une portée nationale, avec la possibilité d'inciter à une guerre civile. Certains officiers pourraient tenter de prendre la tête d'un soulèvement en faveur de Trump. Mais les obstacles à un coup d'État militaire seraient le secrétaire à la défense de Biden-Harris, Lloyd Austn, et leurs chefs d'état-major interarmées, les commandants de l'armée. Il est difficile de concevoir qu'ils soutiennent une tentative de Trump de s'emparer du pouvoir. Malgré tout, nous serions téméraires d'ignorer les dangers d'un nouveau coup d'État.

Qu'en est-il de la gauche ?

La gauche américaine (social-démocrate, socialiste, anarchiste) est assez petite, peut-être 1% de la population, et elle est divisée en une myriade de groupes et de nombreux militants individuels sans affiliation. Le Democratic Socialist of America (DSA), le Parti communiste et certains anciens maoïstes soutiendront la candidate du Parti démocrate Kamala Harris, même si, comme le DSA, ils ne l'ont pas approuvée. L'extrême gauche – les anarchistes, les trotskistes, les néostaliniens et les campistes – ne participera pas à l'élection. Certaines petites sectes font semblant de participer à la politique électorale, comme Socialist Action, qui, en 2020, a présenté son leader Jeff Mackler à la présidence. Il n'est pas apparu sur le bulletin de vote d'un seul État. Cette année, le Parti du socialisme et de la libération présente Claudia De La Cruz et Karina Garcia à la présidence et à la vice-présidence. Elles ne figurent que sur le bulletin de vote de la Floride. Il ne s'agit pas vraiment de campagnes politiques mais de campagnes de propagande destinées uniquement à promouvoir le parti et à recruter.

Les deux candidats de gauche les plus importants de cette élection sont Jill Stein du Parti vert et Cornel West. Le Green Party, fondé en 1984, est un parti très réel et sérieux avec un programme quasi-socialiste assez progressiste et un engagement sérieux pour prévenir le réchauffement climatique. Il se définit lui-même comme « écosocialiste ». Sa seule grave faiblesse politique est son manque de soutien à la guerre défensive de l'Ukraine contre la Russie de Poutine et, en fait, Stein semble souvent suivre les arguments de Poutine. Il semble que le parti Vert ait recueilli suffisamment de signatures pour pouvoir figurer sur les bulletins de vote de 34 des 50 États et il espère apparaître dans dix autres États. Les démocrates ont partout œuvré pour bloquer les Verts et les républicains ont essayé de les aider à figurer sur les bulletins de vote. Comme a dit Trump, « Jill Stein, je l'aime beaucoup. Tu sais pourquoi ? Elle prend 100% des voix [démocrates]. » Par le passé, Stein a remporté environ 1% des voix à la présidentielle et zéro voix au collège électoral, pourtant. Mais, comme nous l'avons déjà mentionné, cette année, Jill Stein pourrait gagner les votes des Arabes et des musulmans, prenant peut-être suffisamment de voix à Harris pour lui faire perdre l'État du Michigan et garantir l'élection à Donald Trump.

L'autre candidat de gauche est le théologien noir Cornel West. À l'origine, il avait prévu de se présenter sur un ticket du People's Party en crise, puis il est passé au Green Party, a ensuite décidé de se présenter de façon indépendante et a finalement créé son propre Justice for all Party, jusqu'à présent sans convention fondatrice avec peut-être une demi-douzaine d'affiliés dans les États et un très maigre nombre d'adhérents. Il fait peu campagne et reçoit peu de publicité. À l'heure actuelle, il semble qu'il figurera sur le bulletin de vote dans quatorze États. Sa campagne est un geste futile et plutôt pathétique. Malgré tout, la campagne de West comme celle de Stein pourrait prendre des voix à Harris et offrir l'élection à Trump.

De nombreux Américains, en particulier les jeunes, les Arabes et les musulmans, mais aussi les militants juifs et bien d'autres, ont été consternés par le soutien de l'administration Biden-Harris à la guerre génocidaire d'Israël contre la population de Gaza et les autres Palestiniens. La guerre d'Israël contre le Hezbollah ne fera qu'exacerber le sentiment d'aliénation de ces électeurs. Mais cela ne sera peut-être pas décisif pour Harris, car la jeunesse politisée ne représente qu'une petite partie de la population, beaucoup de jeunes ne votent pas de toute façon, et ceux qui votent peuvent encore très bien voter pour Harris pour vaincre Trump.

D'autre part, de nombreux libéraux, progressistes et militants de gauche non sectaires estiment qu'il faut un front uni dans cette élection contre Trump et le fascisme. Même s'ils critiquent vivement le soutien de Biden et de Harris à la guerre génocidaire d'Israël, ils considèrent Trump comme une menace existentielle pour la démocratie américaine. Comme eux, je voterai pour Harris, tout en soutenant l'appel à un cessez-le-feu à Gaza et à la fin de la guerre d'Israël contre le Hezbollah.

[1] Entreprise de spectacle de catch.
[2] Fracturation hydraulique des sols pour l'extraction du gaz de schiste.
[3] « Drill, baby, drill » : « Perce, baby, perce », encouragement à l'extractivisme.
[4] Union américaine pour les libertés civiles,www.aclu.org

Dan La Boz a été syndicaliste, cofondateur de Teamsters for a Democratic Union et journaliste. Membre du comité de rédaction de la revue new-yorkaise New Politics, il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Le nouveau populisme américain : résistances et alternatives à Trump (Syllepse, 2018).

Texte paru dans Adresses n°5 :Adresses n°5

The Dangerous American Election
https://newpol.org/the-dangerous-american-election/

Usa, i pericoli delle presidenziali
https://andream94.wordpress.com/2024/10/08/usa-i-pericoli-delle-presidenziali/

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Les États-Unis envoient des soldats en Israël, au risque d’être entraîné dans la guerre ?

En déployant un système de défense antimissile et une centaine de soldats pour le faire fonctionner, Washington s'implique encore un peu plus au Moyen-Orient. Semblant redouter (…)

En déployant un système de défense antimissile et une centaine de soldats pour le faire fonctionner, Washington s'implique encore un peu plus au Moyen-Orient. Semblant redouter une escalade entre l'Iran et Israël, le pays de Joe Biden pourrait se retrouver pris dans l'engrenage, s'inquiètent des observateurs et certains responsables outre-Atlantique.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Une station de lancement du système de défense antimissiles à haute altitude (THAAD) de l'armée américaine, le 4 mars 2019. Photo Cory Payne/AFP

Les États-Unis ont annoncé, le dimanche 13 octobre, l'envoi en Israël d'une batterie THAAD, “un intercepteur terrestre conçu pour abattre des missiles balistiques”, ce qui marque “une étape importante dans leurs efforts pour protéger directement Israël contre une attaque ennemie”, notamment iranienne, rapporte The Wall Street Journal.

Washington enverra également à l'État hébreu une centaine de soldats pour faire fonctionner ce système de défense antimissile, “renforçant ainsi l'engagement des États-Unis dans la guerre qui s'intensifie au Moyen-Orient, alors que le pays s'attend à une attaque imminente d'Israël contre l'Iran”, écrit The Washington Post. Le journal évoque “le premier déploiement significatif de soldats états-uniens en Israël depuis le début de la guerre”.

Selon Aaron David Miller, un expert du Moyen-Orient passé par le département d'État, l'envoi de ce matériel montre que Washington s'attend à une riposte israélienne “d'une telle ampleur que les Iraniens devront y répondre”. L'État hébreu a reçu le 1er octobre une pluie de missiles balistiques, en représailles à l'assassinat de hauts dirigeants de l'Iran et de ses alliés, qui “a démontré que le système de pointe de défense antimissile israélien pouvait se trouver submergé”, ajoute The Washington Post.

Un risque pour les États-Unis

En venant épauler son allié, tout en appelant à ne pas frapper les sites pétroliers pour éviter de déstabiliser l'économie mondiale, le président Joe Biden montre une nouvelle fois qu'il préfère user de “la carotte” plutôt que du bâton dans sa relation difficile avec le Premier ministre israélien, estime Harrison Mann, ancien officier et analyste du renseignement aux États-Unis, qui redoute la suite.

  • “Une fois que ce système antimissile sera en place, […] quel intérêt Nétanyahou aura-t-il à tenir parole et à ne pas viser les cibles sensibles qu'il a promis d'éviter ?”

Qui plus est, poursuit le quotidien de la capitale, la décision de déployer plus de soldats en Israël “accroît le risque de pertes humaines, un scénario qui pourrait entraîner les États-Unis encore plus loin dans le conflit qui est en train de s'étendre, selon Aaron David Miller”.

The New York Times observe, lui aussi, que ces soldats se retrouveront “plus près de la guerre” et note que cette décision intervient “alors que de hauts responsables du Pentagone se demandent si la présence militaire renforcée des États-Unis dans la région contribue à contenir la guerre, comme l'espère Washington, ou au contraire à l'attiser”.

Des inquiétudes se font ainsi entendre au sujet des opérations de plus en plus offensives menées par Israël, “en sachant qu'une armada de navires et une douzaine d'avions de chasse des États-Unis se tiennent prêts”. Ainsi, désormais, qu'un système de défense antimissile.

Gabriel Hassan

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Gaza et Liban : la position étatsunienne me révolte profondément !

15 octobre 2024, par Ovide Bastien — , ,
Je suis abasourdi. Incrédule. Profondément révolté. Je viens de voir, en direct sur Al Jazzera, l'intervention de l'ambassadrice des États-Unis Linda Thomas-Greenfield lors de (…)

Je suis abasourdi. Incrédule. Profondément révolté. Je viens de voir, en direct sur Al Jazzera, l'intervention de l'ambassadrice des États-Unis Linda Thomas-Greenfield lors de la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU, convoquée à la suite du lancement par l'Iran, dans la nuit du 1er au 2 octobre, de plus de 180 missiles balistiques contre Israël.

Quelle présentation absolument biaisée ! Quelle hypocrisie ! Quelle façon éhontée d'ignorer complètement l'oppression historique dont souffre, depuis des décennies, le peuple palestinien !

Un bref rappel du contexte général qui a mené à ce lancement de missiles par l'Iran.
Le 7 octobre 2023, le Hamas attaque Israël faisant, dans l'espace de quelques heures, 1139 victimes israéliennes et retournant à Gaza avec 250 otages.

Traumatisée par l'assaut le plus atroce et meurtrier qu'elle n'ait subi depuis sa fondation en 1948, Israël contrattaque la bande de Gaza, la bombardant massivement et annonçant avec rage et vengeance qu'elle va priver Gaza de toute eau, alimentation, et énergie !

Le Hezbollah, se montrant solidaire du Hamas, qui, comme lui, résiste depuis longtemps à une brutale occupation israélienne qui dure depuis des décennies, se met immédiatement à tirer des roquettes depuis le sud du Liban vers le nord d'Israël.

Quelques jours plus tard, l'armée de terre israélienne envahit Gaza. Cette invasion, toujours en cours et constamment accompagnée de bombardements, a produit, à ce jour, la destruction d'environ 75% de l'infrastructure– résidences, écoles, hôpitaux, mosquées, églises, systèmes d'eau, routes, etc. – rendant la bande de Gaza inhabitable. Elle a fait 100 000 blessés et 42 000 victimes, dont 70% enfants et femmes, 226 employés des Nations Unies, 174 journalistes et employés des médias. Plus de 17 000 enfants ont perdu un de leurs parents, et souvent tous les deux. Plus de 1 000 de ces derniers ont dû subir l'amputation d'une jambe, d'un bras, etc., souvent sans anesthésie aucune. Plus de 90% de la population de Gaza s'est vu contrainte de se déplacer, plusieurs de nombreuses fois.

Alors que l'attention internationale se focalise sur Gaza, Israël en profite pour intensifier ses attaques en Cisjordanie. Depuis un an, elle y a tué plus de 720 Palestiniens et Palestiniennes, en a détenu plus de 11 000 - dont plus de 200 mineurs – et généralement sans accusation et possibilité de procès. Elle a aussi permis à des colons fanatiques juifs d'expulser violemment de plus en plus de Palestiniens et Palestiniennes de leurs terres, prenant possession de celles-ci avec une impunité totale.

Telle est l'immensité du carnage et de la destruction à Gaza – atrocités qu'on peut observer en direct au jour le jour sur nos écrans –que le vent de sympathie internationale que s'était initialement attiré Israël à la suite de l'attaque du Hamas le 7 octobre se transforme rapidement en condamnation et isolement international de plus en plus accentués (1)

Néanmoins, le gouvernement de Joe Biden continue de se solidariser avec son grand allié Israël, décrivant sans cesse, et avec moultes détails, les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre, répétant comme un perroquet qu'Israël a le droit de se défendre, mais passant complètement sous silence le fait, pourtant reconnu par le droit international, que Palestiniens et Palestiniennes ont eux aussi le droit de se défendre contre une occupation qui est carrément illégale, dure depuis des décennies, et est d'une brutalité et inhumanité inouïes !

Au lieu de reconnaître le Hamas comme le fer de lance de la résistance palestinienne, le gouvernement Biden réduit celui-ci à un mouvement terroriste et monstrueux qui doit être éliminé.

Que tuer avec de puissantes bombes étatsuniennes 17 000 enfants à Gaza, les déchiquetant littéralement en mille morceaux, puisse représenter monstruosité et terrorisme...

Que la situation à Gaza soit rendue telle que la Cour internationale de justice, le 26 janvier dernier, estime tellement plausible qu'Israël soit en train de commettre un génocide qu'elle accepte d'entamer une enquête officielle à ce sujet...

Que la Cour pénale internationale de justice, le 20 mai dernier, demande un mandat d'arrêt contre le premier ministre d'Israël Benjamin Nétanyahou et son ministre de la Défense Yoav Gallant, les accusant, entre autres, d'utiliser la faim comme arme de guerre (2)...

Que le Conseil de sécurité de l'ONU ordonne, le 10 juin 2024, un cessez-le-feu immédiat à Gaza...

Que la Cour internationale de Justice déclare, le 19 juillet dernier, que l'occupation par Israël de la bande de Gaza, la Cisjordanie, et Jérusalem Est soit carrément illégale et exige que tout ce territoire soit rendu au plus tôt à la Palestine...
Que l'Assemblée générale des Nations Unies, le 10 septembre dernier, reconnaisse officiellement, dans un vote historique (143 en faveur, 9 contre, et 25 abstentions), la Palestine comme membre...

Que tout cela se passe importe peu au gouvernement Biden.

Selon lui, tous ces jugements et décisions n'ont aucune validité. Rien ne démontre, insiste-il, que ce qui se passe à Gaza constitue un génocide ! Rien ne démontre que les actions des leaders israéliens constituent des crimes ! Les ordonnances de cessez-le-feu provenant du Conseil de sécurité de l'ONU, allègue-t-il, n'aurait pas de caractère obligatoire ! (3)

Non seulement le gouvernement Biden refuse de sévir contre le gouvernement d'Israël, notamment en coupant le flot d'armes et d'argent, mais il fait exactement le contraire ! Il augmente celui-ci de façon spectaculaire !

Sans doute dans un effort pour échapper à l'isolement international dans lequel le plonge de plus en plus son appui inébranlable à un régime qui a une montagne de plus en plus énorme de sang et d'atrocités sur les mains... et pour tenter de calmer la colère montante que suscite chez une partie substantielle de sa base électorale démocrate son appui immoral à Israël, surtout dans le segment des jeunes et les Arabes, le gouvernement Biden multiplie les déclarations où il demande à Israël de limiter le plus possible le nombre de victimes civiles.

Il y a beaucoup trop de victimes civiles, se lamente-t-il avec une hypocrisie consommée ! Nous travaillons inlassablement et de façon acharnée avec nos alliés afin qu'Israël et le Hamas arrivent à un cessez-le-feu, répète depuis des mois le gouvernement Biden. Un cessez-le-feu comportant une négociation politique aboutissant à la solution de deux états, un pour Israël, et un pour la Palestine.

Cependant, qu'Israël fasse exactement le contraire...

Qu'elle fasse augmenter de façon spectaculaire, barbare et inhumaine la destruction d'infrastructure, et que le nombre de victimes palestiniennes augmente par douzaines chaque jour...

Que le premier ministre Benjamin Nétanyahou saborde systématiquement toute proposition de cessez-le-feu, dès que le Hamas affirme avoir accepté une telle proposition...

Que Nétanyahou, le 31 juillet, ose assassiner à Téhéran Ismail Haniyeh, le chef politique du Hamas, alors que ce dernier venait tout juste d'accepter la proposition de cessez-le-feu que le président Joe Biden lui-même proposait, en affirmant que celle-ci avait été formellement acceptée par Israël...

Que le parlement israélien, le Knesset, pousse l'audace jusqu'à voter massivement, le 17 juillet dernier, contre la création d'un état palestinien souverain, rejetant formellement et publiquement la solution politique de deux états que propose depuis des mois le gouvernement Biden...

Non. Tout cela ne change absolument rien à l'appui de fer (iron-clad) qu'offre ce dernier à Israël !

Comme si le gouvernement Biden n'avait pas suffisamment démontré au monde entier toutes ses contradictions et le ridicule éhonté de ses prises de position par rapport à Israël et le conflit en cours, le porte-parole du Département d'état étatsunien Matt Miller répondait ce qui suit à un journaliste qui l'interrogeait récemment lors d'une conférence de presse :

« Nous n'avons jamais voulu arriver à une résolution diplomatique avec le Hamas. Nous voulons un cessez-le-feu, mais nous nous sommes toujours engagés à détruire le Hamas. Nous avons toujours dit clairement que nous voulions une autorité gouvernante différente à Gaza. » (4)

Difficile d'arriver à une entente avec une partie, si cela est conditionnel à ce que celle-ci accepte sa propre disparition !

Le 17 septembre, Israël, sans doute frustrée de ne pas avoir réussi à éliminer le Hamas à Gaza, se tourne vers le Liban et y fait exploser, dans l'espace de quelques secondes, environ 5000 téléavertisseurs. Et, le lendemain, de centaines de walkietalkies et radios portatives.

Ces explosions, qui ont lieu surtout à Beyrouth mais aussi partout au Liban - supermarchés, voitures ordinaires, ambulances, résidences, etc., enfreignent carrément les lois humanitaires internationales et constituent des actes on ne peut plus terroristes : 37 morts, dont deux enfants ; plus de 3 000 blessés, dont 200 grièvement, plusieurs perdant des doigts, un œil, et parfois tous les deux.

Le 27 septembre, Israël assassine à Beyrouth le chef du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, ainsi qu'un général de l'armée iranienne.

Un autre geste du premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, pour saborder, on ne peut plus clairement, une proposition de cessez-le-feu. Car au moment même où il est assassiné grâce à 80 bombes de 2 000 lb de fabrication étatsunienne - dénommées, à cause de leur capacité de pénétrer une épaisseur imposante de béton, « bunker busters »

Nasrallah venait tout juste d'accepter la proposition de cessez-le-feu de 21 jours proposée par les États-Unis, la France, et la Grande Bretagne. Une proposition, qui, selon les dires de Washington, aurait déjà été formellement acceptée par le gouvernement israélien.

Cette attaque revêt un caractère terroriste, car les 80 bombes font aussi plus de trois douzaines de victimes civiles libanaises ainsi que 200 blessés.

Dans les jours qui suivent, Israël poursuit ses bombardements et réussit à assassiner un nombre considérable de hauts leaders du Hezbollah, suscitant cris de joie et de victoire en Israël.

Puis, les troupes israéliennes commencent à envahir le sud du Liban.
Dans la nuit du 1er au 2 octobre, l'Iran, qui n'avait toujours pas encore riposté à l'assassinat à Téhéran d'Ismail Haniyeh, le chef politique du Hamas, lance plus de 180 missiles balistiques contre Israël. Selon Israël et les États-Unis, presque tous ces missiles furent contrés, grâce, d'une part, à la robuste défense antimissile israélienne – Dôme de fer, Fronde de David et système Arrow – et, d'autre part, à l'aide des États-Unis qui ont tiré une douzaine d'intercepteurs depuis leurs destroyers déployés en mer, entre la Méditerranée et le golfe d'Oman. Cependant, l'Iran maintient qu'un bon nombre de missiles ont bel et bien atteints leurs cibles, soit des bases militaires israéliennes. La version iranienne semble valide, car des images satellite et des images diffusées sur les réseaux sociaux montrent clairement des missiles frappant les uns après les autres la base aérienne de Navtim dans le désert du Néguev, et déclenchant quelques explosions secondaires. (5)

Quelques derniers commentaires pour compléter ce tableau du contexte, à la fois général et plus immédiat, dans lequel intervenait l'ambassadrice des États-Unis Linda Thomas-Greenfield lors de la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU mentionnée au début de cet article. Une intervention, comme mentionné plus haut, qui me laissait abasourdi, incrédule, et profondément révolté.

Si le Hezbollah tire des projectiles sur le nord d'Israël depuis le 8 octobre 2023, obligeant environ 60 000 Israéliens à se déplacer de cette région, ce n'est pas, comme le laisse constamment entendre Israël, parce qu'il serait enfant de la noriceurs, méchant, monstrueux, barbare et terroriste. C'est plutôt parce qu'il représente un mouvement de résistance palestinienne à l'occupation d'Israël, et se solidarise avec la bande de Gaza qui est en train de subir ce que la Cour internationale de justice qualifie de génocide plausible. Le Hezbollah affirme d'ailleurs depuis des mois que ses attaques contre Israël cesseront complètement dès qu'il y aura un cessez-le-feu à Gaza.

Si les Houthis, depuis le 3 décembre dernier, attaquent des navires commerciaux en mer Rouge à l'aide de drones et de missiles balistiques, surtout les navires qui se dirigent vers Israël, c'est fondamentalement parce qu'ils se solidarisent avec la souffrance des Palestiniens et Palestiniennes à Gaza, et reprochent à Washington et aux puissances occidentales de soutenir un pays qui est en train de commettre un génocide. Et, comme le Hezbollah, ils répètent depuis des mois que dès qu'il y aura cessez-le-feu à Gaza, ils mettront immédiatement fin à leurs attaques.

Si l'Iran a tiré quelques 180 missiles balistiques sur Israël dans la nuit du 1 au 2 octobre dernier, ce n'est pas, comme le laissent entendre le premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, ainsi que le gouvernement Biden, parce que ce pays est fondamentalement terroriste et barbare, et cherche constamment à semer haine et chaos dans le Moyen-Orient. C'est fondamentalement parce qu'il appuie avec une main de fer la cause palestinienne, s'oppose carrément à l'oppression exercée par l'état juif, et accuse les pays occidentaux, principalement les États-Unis, d'appuyer financièrement, militairement, et politiquement un régime génocidaire.

Est très révélateur à cet égard la réaction de Nétanyahou lorsqu'Emmanuel Macron proposait, le 5 octobre dernier, l'arrêt des livraisons d'armes à Israël, et argumentait que c'était un non-sens, d'une part, de poursuivre le flot d'armes à ce pays, et, d'autre part, d'appeler à un cessez-le-feu :

« Quelle honte ! » s'exclame Nétanyahou avec colère. « Alors qu'Israël combat les forces de la barbarie dirigées par l'Iran, tous les pays civilisés devraient se tenir fermement aux côtés d'Israël. Pourtant, le président Macron et d'autres dirigeants occidentaux appellent maintenant à des embargos sur les armes contre Israël. Ils devraient avoir honte. »

Ayant brossé un tableau du contexte dans lequel fut convoquée d'urgence une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU, j'invite maintenant lectrices et lecteurs à lire l'intervention de l'ambassadrice des États-Unis Linda Thomas-Greenfield, lors de cette réunion. Je les invite, plus précisément, à noter :

• Qu'elle qualifie les deux leaders, un du Hamas et l'autre du Hezbollah, de « chefs terroristes », comme si ces deux mouvements n'avaient rien à voir avec la lutte contre une occupation illégale que mène le peuple palestinien, comme si le terrorisme faisait tout simplement partie de l'ADN de ces deux mouvements.

• Qu'elle attribue à l'Iran la responsabilité d'une « escalade significative », qualifie son lancement de missiles balistiques contre Israël « d'attaque non provoquée », et demande aux membres du Conseil de sécurité de l'ONU de condamner cette attaque et d'imposer de nouvelles sanctions sur l'Iran. Comme si ce n'était pas le carnage et la destruction que perpétue Israël à Gaza depuis un an et au Liban depuis deux semaines qui représente la racine fondamentale de « l'escalade significative » ! Comme si les missiles balistiques tombaient du ciel par pure malice, représentaient une « attaque non provoquée », et n'avaient absolument rien à voir avec le carnage et la destruction que perpétue Israël ! Comme si la grande priorité du Conseil de sécurité de l'ONU ne devrait pas être de condamner le nettoyage ethnique, voire le génocide, qu'effectue présentement Israël ! Et surtout de condamner tous les pays, surtout les États-Unis, qui financent et appuient un tel carnage et une telle destruction !

• Qu'elle a le culot d'accuser l'Iran d'avoir réalisé une attaque « destinée à causer beaucoup de morts et de destruction », alors qu'elle non seulement s'abstient de porter une accusation similaire envers son allié israélien, qui lui, réalise bel et bien depuis un an des montagnes d'attaques qui sont non seulement destinées à être meurtrières et dévastatrices, mais qui le sont effectivement et spectaculairement !

• Qu'elle accuse formellement l'Iran « de s'être rendu complice des attaques du 7 octobre contre Israël en finançant, en entraînant, en dotant de moyens, et en soutenant l'aile militaire du Hamas », comme si c'était un péché mortel que de financer un mouvement de libération nationale, mais un acte carrément angélique de la part des États Unis que de financer Israël, un pays qui opprime, détruit, massacre, impose un système d'apartheid, et commet un génocide !

• Qu'elle accuse l'Iran d'encourager les Houthis au Yémen de perturber le transport maritime mondial et de lancer des attaques contre Israël », comme si les attaques des Houthis n'avaient absolument rien à voir avec la lutte menée par la résistance palestinienne ; comme si les Houthis n'étaient que des fauteurs de troubles, qui agissent par pure haine et ne cherchent que chaos et destruction !

• Qu'elle accuse l'Iran d'armer et d'encourager « le Hezbollah après que son ancien chef, Nasrallah, a pris la décision le 7 octobre d'ouvrir un « front nord » contre Israël », comme si c'était une action criminelle que d'armer et encourager un mouvement qui lutte spécifiquement pour la libération d'un peuple qui souffre d'une horrible et longue oppression !

• Qu'elle affirme qu'il « ne fait aucun doute que le soutien iranien à ses proxys régionaux a directement contribué aux crises à Gaza et au Liban ». Comme si ce n'était pas plutôt le soutien étatsunien indéfectible à son proxy israélien qui a « directement contribué aux crises à Gaza et au Liban », un soutien immense qui, depuis des dizaines d'années, permet à Israël de continuer à imposer au peuple palestinien une oppression brutale et carrément coloniale !

• Qu'elle accuse l'Iran et ses alliés de se donner « corps et âme à ce qui ne constitue que pure propagande », comme si le récit mis de l'avant par Nétanyahou et Biden - Israël est en train de mener la grande lutte des pays civilisés contre barbarisme et terrorisme – tenait la route ! Comme si ce n'était pas plutôt ce récit précis qui n'a aucun sens ! Comme si ce n'était pas ce récit précis « qui ne constitue que pure propagande » !

• Qu'elle note que « l'intensification des combats (au Liban) au cours de la semaine dernière a entraîné le déplacement de près d'un million de personnes, » et pleure « les nombreux civils qui ont été tués ». Comme si ce n'était pas carrément à son allié Israël qu'incombait l'entière responsabilité de cette « intensification des combats » ! Comme s'il lui suffisait de dire qu'elle pleure « les nombreux civils qui ont été tués » ! Comme s'il suffisait de verser quelque larmes pour s'excuser des montagnes de morts qu'elle-même et son pays, les États-Unis, produisent quotidiennement en fournissant fidèlement à Israël bombes, avions, munitions et caution morale et politique !

• Qu'elle affirme ne pas voir « d'exemple plus frappant de soutien étatique au terrorisme que le lancement de missiles balistiques pour venger la mort d'un chef terroriste ». Comme si ce n'était pas plutôt les actions massivement génocidaires et destructives lancées par Israël depuis un an qui constituaient, devant les yeux du monde entier, l'exemple le plus spectaculaire et le « plus frappant de soutien étatique au terrorisme » !

Chers collègues,

Hier, le Corps des gardiens de la révolution islamique d'Iran, le CGRI, a lancé près de 200 missiles balistiques en direction d'Israël. (...)

L'intention déclarée de l'Iran était de venger la mort de deux chefs terroristes soutenus par le CGRI, et d'un commandant du CGRI, en infligeant des dommages importants et en tuant des personnes en Israël.

Heureusement, grâce à une coordination étroite entre les États-Unis et Israël, l'Iran n'a pas atteint ses objectifs.

Ce résultat n'enlève rien au fait que cette attaque, destinée à causer beaucoup de morts et de destruction, a marqué une escalade significative de la part de l'Iran. Elle n'enlève rien à la nécessité d'une action immédiate du Conseil.

Le moment est venu pour le Conseil de s'exprimer - d'une seule voix - et de condamner l'Iran pour son attaque non provoquée contre un autre État membre. Et, ce qui est tout aussi important, d'imposer des conséquences sérieuses au Corps des gardiens de la révolution islamique pour ses actions.

Chers collègues, d'une manière générale, l'Iran s'est rendu complice des attaques du 7 octobre contre Israël en finançant, en entraînant, en dotant de moyens et en soutenant l'aile militaire du Hamas.

Après l'horrible attaque du Hamas, perpétrée il y a près d'un an aujourd'hui, les États-Unis ont envoyé un message clair à l'Iran : n'exploite pas la situation d'une manière qui risquerait d'entraîner la région dans une guerre plus vaste.

Le CGRI a ignoré cet avertissement de manière flagrante et répétée.

En encourageant et en permettant aux Houthis au Yémen de perturber le transport maritime mondial et de lancer des attaques contre Israël. (...) Et en armant et en encourageant le Hezbollah après que son ancien chef, Nasrallah, a pris la décision le 7 octobre d'ouvrir un « front nord » contre Israël.

Il ne fait aucun doute que le soutien iranien aux mandataires régionaux a directement contribué aux crises à Gaza et au Liban.

Au centre des efforts déployés par l'Iran depuis le 7 octobre pour semer le chaos et menacer la stabilité régionale se trouve le Corps des gardiens de la révolution islamique, qui a bafoué et violé à plusieurs reprises les résolutions de ce Conseil.
Je n'arrive pas à croire que je doive le dire, mais je le ferai : le CGRI et ses alliés se donnent corps et âme à ce qui ne constitue que pure propagande.

La décision de lancer près de 200 missiles balistiques sur Israël n'était en aucun cas défensive. Le CGRI ne protégeait pas l'Iran contre les menaces d'un autre État membre.
Au contraire, le CGRI a agi par solidarité avec le Hezbollah après l'assassinat de Nasrallah, qui dirigeait un groupe terroriste ayant sur les mains le sang de milliers d'Américains, de Libanais et d'Israéliens.

Je ne vois pas d'exemple plus frappant de soutien étatique au terrorisme que le lancement de missiles balistiques pour venger la mort d'un chef terroriste.
C'est indéfendable et inacceptable. En tant que membres du Conseil de sécurité, nous avons la responsabilité collective d'imposer des sanctions supplémentaires au Corps des gardiens de la révolution islamique pour son soutien au terrorisme et pour avoir bafoué un si grand nombre de résolutions de ce Conseil.

Si ce Conseil reste les bras croisés, quel message enverra-t-il ? Je crains que le silence et l'inaction ne fassent qu'inviter le CGRI à répéter des attaques comme celles que nous avons vues hier, et le 13 avril de cette année, encore et encore et encore.

Chers collègues, nous nous réunissons à un moment où le risque que des pays de la région soient entraînés dans un conflit plus large est accru.

Le Liban en fait partie. L'intensification des combats au cours de la semaine dernière a entraîné le déplacement de près d'un million de personnes, et nous pleurons les nombreux civils qui ont été tués.

Nous reconnaissons également que, depuis près d'un an, Israël n'a cessé de réclamer la mise en œuvre intégrale de la résolution 1701. Alors même que les attaques du Hezbollah le long de la frontière israélo-libanaise ont déplacé des Libanais et que le Hezbollah a empêché le gouvernement libanais d'exercer sa pleine souveraineté de son côté de la Ligne bleue.

Il est révélateur que, même après les événements récents, Israël continue de réclamer la mise en œuvre intégrale de la résolution 1701.

L'obtention de ce résultat par le travail acharné de la diplomatie reste la priorité urgente des États-Unis. Nous sommes fermement convaincus qu'une solution diplomatique le long de la ligne bleue, conforme à la résolution 1701, est le seul moyen de désamorcer durablement les tensions et de permettre aux citoyens israéliens et libanais de rentrer chez eux en toute sécurité.

Dans le cadre de la recherche de cette solution diplomatique, nous réitérons notre appel à toutes les parties pour qu'elles protègent les civils.

Nous soulignons également notre soutien à la FINUL et insistons sur le fait que toutes les parties doivent veiller à ce que le personnel de la FINUL reste en sécurité.

Chers collègues, nous sommes également déterminés à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre fin à la guerre à Gaza, où les civils palestiniens ont été pris dans le collimateur de la guerre et où une grave crise humanitaire persiste. C'est pourquoi nous nous efforçons d'obtenir un accord de cessez-le-feu et la libération des otages, conformément à la résolution 2735.

Les événements de la semaine dernière devraient envoyer un message sans ambiguïté aux dirigeants du Hamas, qui continuent de se cacher dans les tunnels sous Gaza : le Hezbollah et l'Iran ne vous sauveront pas.

La seule voie à suivre est celle d'un accord de cessez-le-feu. Nous devons redoubler d'efforts pour trouver des solutions diplomatiques qui garantiront la sécurité des populations dans toute la région.

Ce faisant, il ne doit y avoir aucun doute : les États-Unis continueront à soutenir le droit d'Israël à se défendre contre le Hezbollah, le Hamas, les Houthis et tous les autres terroristes soutenus par l'Iran.

Bien entendu, la manière dont Israël se défend est importante. Nous continuons à affirmer clairement que des mesures doivent être prises pour minimiser les dommages causés aux civils.

Chers collègues, comme l'a souligné le président Biden à la suite de l'attaque d'hier : « Les États-Unis soutiennent pleinement, pleinement, pleinement Israël ».
Nos actions ont été de nature défensive.

Soyons clairs : le régime iranien sera tenu responsable de ses actes. Et nous mettons fermement en garde contre le fait que l'Iran - ou ses proxys - entreprennent des actions contre les États-Unis, ou d'autres actions contre Israël.

Chers collègues, ce moment de grand risque est un test pour ce Conseil. Il est impératif que nous condamnions sans équivoque l'attaque de l'Iran et que nous exigions qu'il cesse de soutenir le terrorisme dans la région.

Les habitants d'Israël, de Gaza et de Cisjordanie, du Liban et de toute la région méritent une paix durable. Et il est grand temps que ce Conseil demande des comptes à l'Iran pour avoir attisé les flammes de la guerre.

Je vous remercie, Madame la Présidente.

Notes

1. Patrick Wintour, Israel was told ‘you are not alone' – but year of war has left it isolated, The Guardian, le 4 octobre 2024. Consulté le même jour

2. La cour demande aussi en même temps un mandat d'arrêt contre deux leaders du Hamas pour les atrocités commises en Israël le 7 octobre 2023.

3. US Spokesperson Contradicts Himself In Excruciating Press Conference, Michael Walker, publié sur YouTube le 3 octobre 2024.

4.Andrew Roth, Escalation with Iran could be risky : Israel is more vulnerable than it seems, The Guardian, le 5 octobre 2024. Consulté le même jour

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Biden-Harris envoient plus d’armes et de troupes américaines au Moyen-Orient

15 octobre 2024, par Dan La Botz — , ,
Alors qu'Israël continue d'étendre sa guerre au Moyen-Orient, l'administration du président Joe Biden et de la vice-présidente Kamala Harris continue de fournir une aide (…)

Alors qu'Israël continue d'étendre sa guerre au Moyen-Orient, l'administration du président Joe Biden et de la vice-présidente Kamala Harris continue de fournir une aide militaire et d'augmenter ses forces militaires dans la région pour soutenir Israël.

Hebdo L'Anticapitaliste - 724 (10/10/2024)

Par Dan La Botz

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a récemment déclaré que son pays se battait sur sept fronts : Gaza, la Cisjordanie, le Liban, la Syrie, l'Irak, le Yémen et l'Iran. Le Hezbollah a déclaré qu'il pourrait attaquer Chypre, en Méditerranée orientale, s'il s'apercevait que l'île est utilisée comme base israélienne pour attaquer le Liban. Une guerre entre l'Iran et Israël semble désormais probable, et les États-Unis pourraient bien y être entraînés.

Israël, le plus grand bénéficiaire de l'aide américaine

Si l'administration Biden-Harris a toujours appelé à la paix dans la région, elle l'a fait en persistant à soutenir politiquement et à armer Israël. Depuis des semaines, le sénateur Bernie Sanders appelle à la suppression de l'aide militaire à Israël, car ce pays a enfreint le droit international et le droit américain. « À mon avis, a-t-il déclaré, Israël ne devrait plus recevoir un centime d'aide militaire américaine ». Mais le gouvernement Biden-Harris l'a ignoré, ainsi que d'autres critiques.

L'aide militaire américaine à Israël est stupéfiante. Depuis sa création en 1948, selon l'organisation non gouvernementale Council on Foreign Relations « Israël a été le plus grand bénéficiaire cumulé de l'aide étrangère des États-Unis, recevant environ 310 milliards de dollars (corrigés de l'inflation) d'aide économique et militaire totale. Les États-Unis ont fourni à Israël une aide économique considérable entre 1971 et 2007, mais la quasi-totalité de l'aide américaine sert aujourd'hui à soutenir l'armée israélienne, la plus avancée de la région. Les États-Unis ont provisoirement accepté de fournir à Israël 3,8 milliards de dollars par an jusqu'en 2028 ».

Biden-Harris ignorent la loi

Depuis le début de la guerre d'Israël contre le Hamas en octobre dernier, les États-Unis ont fourni environ 30 milliards de dollars d'aide militaire à Israël. Selon la loi Leahy, les États-Unis ne peuvent pas fournir d'assistance en matière de sécurité aux gouvernements ou groupes étrangers qui commettent des violations flagrantes des droits de l'homme, mais l'administration Biden-Harris a tout simplement ignoré la loi.

Les États-Unis eux-mêmes sont également présents — environ 40 000 militaires étaient présents dans la région au mois d'août, et ce chiffre ne cesse d'augmenter. Les troupes américaines sont ­stationnées à Bahreïn, en Égypte, en Irak, en Israël, en Jordanie, au Koweït, au Qatar, en Arabie saoudite, en Syrie et aux Émirats arabes unis, et il existe également de grandes bases à Djibouti et en Turquie.

Depuis le début de la guerre d'Israël contre le Hamas, Biden a également envoyé plusieurs navires de guerre en Méditerranée orientale et en mer Rouge. Il s'agit de deux groupes de porte-avions, de plusieurs destroyers, d'un navire de débarquement amphibie et de milliers de marines. Les États-Unis ont également déployé des ressources considérables de l'armée de l'air, des chasseurs, des avions de transport et des avions-citernes, ainsi que quelques milliers de soldats supplémentaires. D'autres avions de guerre américains sont en route.

De nombreuses questions pour le mouvement antiguerre

Le mouvement de solidarité avec la Palestine, si actif sur certains campus au printemps, a été réprimé par les administrations universitaires, et ses campements et manifestations sont interdits. Des professeurEs pro-­palestiniens ont été licenciéEs et des conférencierEs annulés. Certaines parties du mouvement de solidarité avec la Palestine sont divisées sur le soutien au Hamas. Dans plusieurs villes américaines, des milliers de personnes se sont jointes aux manifestations pro-palestiniennes du 5 octobre, scandant des slogans tels que « Gaza, Liban, vous vous lèverez, le peuple est à vos côtés ». Mais avec la guerre qui maintenant sévit non seulement à Gaza mais aussi au Liban, où 43 % des habitantEs seraient chrétienEs et 58 % musulmanEs (27 % chiites), nombreux sont ceux qui ne soutiennent pas le Hezbollah et l'accusent même d'être responsable de la guerre, ce qui complique la situation. La guerre avec l'Iran la rendra encore plus compliquée. Le mouvement antiguerre n'a pas encore pris la mesure de cette évolution.

Kamala Harris a rencontré des groupes arabes et musulmans dans l'État crucial du Michigan la semaine dernière. Elle continue de parler de paix alors que Biden fournit des armes. Cela pourrait lui coûter l'élection et conduire à la victoire du républicain Donald Trump.

Dan La Botz, traduction Henri Wilno

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Choisir la pleine démocratie, combattre sa destruction !

15 octobre 2024, par Espace de travail Démocratie d'ATTAC — , ,
Notre espace démocratique est sous tension. De multiples questions surgissent, sociales, écologiques, mais nous sentons bien qu'elles butent désormais contre un mur (…)

Notre espace démocratique est sous tension. De multiples questions surgissent, sociales, écologiques, mais nous sentons bien qu'elles butent désormais contre un mur infranchissable (pour exemples la réforme des retraites et, quoique sur un mode différent, les mégabassines (1). Ce mur porte un nom : la crise de la démocratie. D'où la question : doit-on renforcer plus encore le pouvoir présidentiel ou, au contraire, réanimer notre vie démocratique par plus de pouvoirs citoyens ?

9 octobre 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/09/choisir-la-pleine-democratie-combattre-sa-destruction/#more-86384

Depuis 1958, naissance de notre constitution, mais surtout depuis 2023, nous sommes confrontés à une crise qui débouche sur deux lourdes tendances contradictoires : opter pour un pouvoir centralisé, mais fragile démocratiquement, et trop présidentiel, ou, au contraire, investir dans un enrichissement authentique de notre démocratie ? Le moment est venu d'agir pour construire un avenir où le pouvoir et la participation vont de pair !

Notre choix, à Attac France (2), est depuis longtemps, de faire progresser la démocratie, de démocratiser (3), et corrélativement de diminuer tout pouvoir autoritaire et/ou arbitraire (dans la gestion des conflits sociaux).

I – Un césarisme représentatif grandissant !

Le mode représentatif actuel montre que nombre d'élites essaient de donner à la démocratie le visage du césarisme (ou bonapartisme assimilé à un pouvoir concentré entre les mains d'un homme fort, charismatique, appuyé par le peuple) (4). Quant au peuple dont sa souveraineté est transférée à ses représentants, il cherche à conserver le peu de pouvoir dont il dispose encore, sinon en regagner un peu.

Le mode représentatif est le système dominant de notre démocratie telle qu'elle existe : une démocratie de plus en plus réduite à des traficotages constitutionnels. La « crise démocratique » actuelle montre un écart grandissant entre les élites qui cherchent à enlever le pouvoir aux citoyens et les citoyens eux-mêmes qui potentiellement veulent reprendre ce pouvoir. En d'autres termes, il y a un conflit entre le pouvoir (kratos) et le peuple (demos).

Or il est essentiel d'avoir plus de participation citoyenne. Les citoyens ne doivent pas rester passifs entre les élections. Actuellement, les moyens d'intervenir entre les élections sont très limités : les citoyens sont réduits au rapport de force par manifestations de rue de plus en plus réprimées, tandis que les parlementaires votent des lois, peuvent censurer le gouvernement par le jeu d'alliances incertaines. Ils peuvent aussi destituer le président.

À côté des outils démocratiques, il existe des mesures de l'exécutif qui sont des contraintes contre les représentants des électeurs, comme le passage en force d'une loi (article 49.3), les ordonnances (article 38), l'élimination des amendements de l'opposition, et le vote bloqué (article 44.3). Le référendum est contrôlé par le Président et le gouvernement, et si le résultat ne leur plaît pas, ils peuvent passer outre comme ce fut le cas en 2005. Désormais, nous l'avons vu, le président peut même nier le résultat des urnes et donner le pouvoir au groupe parlementaire le plus faible. Ces dispositions constitutionnelles peuvent être considérées comme des abus de pouvoir de l'exécutif.

La dissolution de l'Assemblée nationale (en juin 2024) après un scrutin européen qui n'avait aucune incidence sur la politique nationale, le refus de nommer un Premier ministre du groupe parlementaire le plus important, l'arrêt des institutions pendant deux mois, et l'envoi de lettres plafonds aux ministères sur pour contraindre la politique économique avant même la nomination d'un Premier ministre sont peuvent être considérés comme un déni démocratique, une faute constitutionnelle, voire un coup d'État. Le gouvernement démissionnaire a poussé le détail jusqu'à passer un décret, le 9 juillet, pour suspendre le repos hebdomadaire de certaines activités agricoles, alors qu'il devait se contenter de gérer les affaires courantes.

Un régime représentatif peut être démocratique ou autoritaire, selon les actions pouvoirs de l'exécutif et ce qu'il en fait. La Constitution de la Ve République est un régime présidentiel qui n'a fait que se renforcer. Macron utilise les méthodes autoritaires du néolibéralisme avec son gouvernement bis des cabinets-conseils : au lieu d'avancer vers plus de démocratie, il la fait reculer.

II – Une Ve République clivée par les inégalités

Nous devrions vivre dans une République pour tous et toutes, une République libre, égalitaire et solidaire, mais Emmanuel Macron divise profondément la société en favorisant les riches (concentration des dividendes dans le 1%), et en libérant les entreprises des contraintes de leur responsabilité sociale et environnementale. Cette politique inégalitaire a pour conséquence non seulement d'affliger les plus faibles (exonération des cotisations patronales pour les faibles salaires) mais aussi de frapper l'ensemble du monde du travail par diverses formes de précarité. En outre, cette politique encourage la concurrence entre les individus. À eux de s'adapter ou de s'éliminer ! L'égalité est oubliée ! L'égalité est même niée par l'extrême droite en passe de prendre le pouvoir…

Le régime de Macron est autoritaire, césariste et antirépublicain. Il nie le peuple, le divise et empêche le vote des parlementaires. Il s'appuie sur la forme actuelle de la Constitution de la 5e République, modifiée dans sa forme depuis son adoption initiale et qui laisse les mains libres à l'exécutif avec un président déclaré irresponsable. Aucun chef d'un État dit démocratique n'a un tel pouvoir.

III – Une autre République est possible et nécessaire !

La Ve République est parvenue à son terme. C'était inéluctable : elle contient en elle, les ferments de la démocrature (5) ; ce mal autoritaire voire dictatorial qui se diffuse partout sous couvert d'élections et de votations. Il faut que cela cesse. Nous devons franchir ce mur que cette constitution a dressé entre l'exécutif et les citoyens.

Il ne s'agit donc plus de réformer cette constitution devenue nocive. Il s'agit d'en changer pour que le peuple puisse exercer sa souveraineté, ne serait-ce que par le contrôle de ses élus qu'il doit pouvoir révoquer. Mais la démocratie peut aller au-delà en permettant aux citoyens de proposer des référendums eux-mêmes (RIC -cf 6), d'utiliser les mécanismes des assemblées citoyennes et des conventions citoyennes. Le peuple a montré en 2005 qu'il savait s'intéresser à des sujets complexes, lors du référendum sur le traité européen. Les citoyens ont aussi démontré dans les conventions citoyennes dont les experts ont dit y voir des conclusions d'experts alors même que les citoyens la composant sont tirés au sort.

Aux représentants qui ont trop souvent montré qu'ils représentaient d'autres intérêts que ceux du peuple, affirmons que, nous, peuple de France, sommes capables de prendre notre destin en main.

Jean-Luc Picard Bachélerie, Christian Delarue, Jacques Testart, Alain Mouetaux, Robert Joumard, Jean-Michel Toulouse, Martine Monier, Monique Demare, Margaret Méchin, Martine Boudet, Eliane Cesarin Mayoussier – de l'Espace de travail Démocratie d'ATTAC

Notes :

(1) Retraites et mega-bassines : crise démocratique, un diagnostic philosophique sur Radio France
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/reforme-des-retraites-mega-bassines-diagnostic-philosophique-d-une-crise-democratique-2020517
(2) ATTAC France et pas que « l'Espace de travail Démocratie » ( dite communément « Commission Démocratie » )
(3) Pour les membres d'« ATTAC Démocratie » une « démocratisation de notre démocratie césariste est nécessaire » : Lire « Pour un autre démocratie, une autre constitution » (automne 2023)
https://france.attac.org/nos-idees/etendre-et-approfondir-la-democratie/article/pour-une-autre-democratie-une-autre-constitution
ou
https://blogs.mediapart.fr/amitie-entre-les-peuples/blog/081023/pour-une-autre-democratie-une-autre-constitution
(4) Césarisme (ou bonapartisme – terme proche) lire notre dernier texte : « Contre un césarisme antidémocratique, une constituante ».
https://blogs.attac.org/commission-democratie/outils-de-la-democratie/article/contre-un-cesarisme-antidemocratique-une-constituante
ou
https://blogs.mediapart.fr/christian-delarue/blog/070924/contre-un-cesarisme-antidemocratique-une-constituante
(5) D comme Démocrature
https://blogs.mediapart.fr/edition/abecedaire-citoyen-du-club-2024/article/100924/d-comme-democrature
(6) Sur le RIC :
https://france.attac.org/nos-idees/etendre-et-approfondir-la-democratie/article/les-enjeux-democratiques-actuels-le-ric-referendum-d-initiative-citoyenne

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72140

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Belgique : Pour la liberté de circulation et d’installation, contre les centres fermés

15 octobre 2024, par Gauche anticapitaliste — , ,
En mémoire du 22 septembre 1988, jour où Semira Adamu, militante sans papier, a été tuée par deux policiers lors d'une tentative d'expulsion. 6 octobre 2024 | du site (…)

En mémoire du 22 septembre 1988, jour où Semira Adamu, militante sans papier, a été tuée par deux policiers lors d'une tentative d'expulsion.

6 octobre 2024 | du site d'inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4335

Pour la liberté de circulation et d'installation et l'abolition des politiques migratoires fascistes.

Afin de soi-disant récupérer les voix du Vlaams Belang, l'ex-secrétaire d'État à l'Asile et la Migration, Theo Francken (ex- militant d'extrême-droite et dirigeant de la N-VA) avait fait voter en 2017 son fameux « Masterplan centres fermés » pour les personnes en séjour illégal : forte extension de la capacité de retour existante et création de trois nouveaux centres fermés afin de pouvoir dépasser les 5000 retours forcés. Ses successeurs (Mahdi et de Moor) ont continué le sale boulot, bavant leurs slogans creux et hypocrites (« …ferme mais humain » puis « humain mais ferme » !) En 2024, on parle même « d'externaliser nos frontières » : construire des prisons dans les pays de l'Est et du Sud global pour y renvoyer « nos déboutés ».

Car le gouvernement fédéral Vivaldi sortant (avec Ecolo et le PS) a docilement repris en main la construction des trois centres fermés dont un centre fermé de 200 places au total à Jumet d'ici 2028, ce qui en ferait le plus grand centre de détention de Belgique, avec l'appui des autorités de Charleroi (PS et Paul Magnette).

Les centres fermés sont de véritables prisons de transit avant de déporter par avion hors du territoire belge les personnes détenues, non pas pour des infractions pénales commises, mais uniquement pour des raisons migratoires.

Ces prisons sont indignes, en termes de respect des droits et des procédures ainsi qu'en termes de conditions de détention : manque criant de personnel e.a. de soignants, invasion de punaises de lit, harcèlement et violence récurrente, automutilation et tentatives de suicide, campagnes de désinformation et d'incitation à l'expulsion volontaire.

Ces prisons sont le résultat d'une politique migratoire violente dictée par l'extrême droite basée sur l'exploitation, la détention et l'expulsion de personnes dépossédées par un système capitaliste et néo-colonialiste de leur dignité et humanité.

La gauche anticapitaliste soutient la lutte des personnes sans-papiers pour une vraie politique migratoire qui comprend :

  • L'ouverture des frontières (« Toute personne à le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat « = Déclaration universelle des droits de l'homme)
  • La liberté de circulation et d'installation pour tou·te·s, également pour les non européen.ne.s, avec égalité des droits (personne n'est illégal)
  • La régularisation de tou·te·s les personnes sans-papiers
  • Le démantèlement des centres fermés (utilisation de l'argent récupéré pour améliorer l'accueil des demandeurs d'asile qui fuient notre désordre économique, militaire et climatique)

Le 20 septembre 2024, publié par la Gauche anticapitaliste.

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L’impérialisme politique, la Russie de Poutine et la nécessité d’une alternative de gauche mondiale

15 octobre 2024, par Federico Fuentes, Ilya Matveev — , ,
[NDLR : Ilya Matveev abordera le thème de « L'impérialisme(s) aujourd'hui » lors de la conférence en ligne, « Boris Kagarlitsky et les défis de la gauche aujourd'hui », le 8 (…)

[NDLR : Ilya Matveev abordera le thème de « L'impérialisme(s) aujourd'hui » lors de la conférence en ligne, « Boris Kagarlitsky et les défis de la gauche aujourd'hui », le 8 octobre prochain. La campagne de solidarité internationale Boris Kagarlitsky organise cette conférence dans le cadre de sa campagne pour la libération de Kagarlitsky de la prison russe, après son emprisonnement pour avoir dénoncé l'invasion massive de l'Ukraine. En tant que co-organisateur de la conférence, LINKS International Journal of Socialist Renewal encourage tous ses lecteurs à s'inscrire à l'événement].

Tiré de Entre les lignes entre les mots
4 octobre 2024

Entretien avec Ilya Matveev par Ilya Matveev & Federico Fuentes

Ilya Matveev est un socialiste et économiste politique russe. Actuellement chercheur invité à l'Université de Californie à Berkeley, il est également membre du groupe de recherche Public Sociology Laboratory basé en Russie. Dans cet entretien approfondi avec Federico Fuentes pour LINKS International Journal of Socialist Renewal https://links.org.au/, Matveev discute des deux logiques de l'impérialisme, de la façon dont elles nous aident à expliquer les différents chemins empruntés par la Chine et la Russie pour devenir des puissances impérialistes et de la nécessité pour la gauche d'avoir une vision mondiale commune du changement progressif.

Au cours du siècle dernier, le terme impérialisme a été utilisé pour définir différentes situations et a parfois été remplacé par des concepts tels que la mondialisation et l'hégémonie. Quelle est la validité du concept d'impérialisme aujourd'hui et comment le définis-tu ?

Le principal débat concernant l'impérialisme est de savoir s'il faut le considérer comme une théorie permettant de comprendre le capitalisme mondial comme une politique d'agression ou de coercition menée par un pays puissant à l'égard d'un pays plus faible. Lénine a soutenu que l'impérialisme était une caractéristique globale du capitalisme à un stade avancé : la logique économique de l'impérialisme était intégrée dans sa définition. Mais c'est là le problème de la définition de Lénine, car tu ne peux pas expliquer chaque acte spécifique d'agression impérialiste par des motifs économiques uniquement. Si tu définis l'impérialisme comme une caractéristique du capitalisme mondial alors il peut être logique de le remplacer par des termes tels que mondialisation, qui est parfois considérée comme une sorte de « nouvel impérialisme ». Mais si nous considérons l'impérialisme comme une politique systématique d'agression envers un pays plus faible par des moyens militaires, politiques et/ou économiques alors il n'est pas logique d'assimiler la mondialisation à l'impérialisme.

L'économie peut être le moteur de l'impérialisme mais ce n'est pas la même chose. Il n'existe pas de loi éternelle selon laquelle l'impérialisme doit toujours coïncider avec les besoins du capital. De plus, l'impérialisme peut être motivé par d'autres facteurs. Le [géographe américano-britannique] David Harvey, s'appuyant sur les travaux de [l'économiste italien] Giovanni Arrighi, suggère deux logiques de l'impérialisme : la logique économique du capital et la logique géopolitique de l'État. L'interaction entre ces deux logiques peut être complexe ; parfois leurs besoins coïncident, parfois non. De plus, ces logiques ne sont pas universelles. La logique du capital est plus universelle dans la mesure où les contradictions capitalistes sont plus ou moins les mêmes partout. Mais il n'en va pas de même pour l'impérialisme politique. Il n'y a pas de logique universelle de l'impérialisme politique : différents pays auront des motivations et des stratégies différentes. Cela peut entraîner des contradictions entre les deux logiques. C'est pourquoi nous ne devrions pas les réduire en une seule.

Y a-t-il cependant des éléments des travaux de Lénine sur l'impérialisme qui restent pertinents aujourd'hui ?

La contribution la plus importante de Lénine dans ce domaine a été de développer les idées de l'auteur libéral anglais John Hobson jusqu'à leur conclusion logique. Hobson, qui a écrit un livre célèbre intitulé Imperialism, voulait prouver que l'impérialisme était une aberration et que le capitalisme et le commerce finiraient par apporter la paix au monde. Mais il avait des opinions économiques peu orthodoxes qui l'ont amené à développer une théorie selon laquelle lorsque vous avez d'énormes inégalités au sein d'un pays, vous vous retrouvez avec un capital excédentaire qui ne peut pas être réinvesti de façon rentable chez vous et qui doit donc être investi à l'étranger. Pour Hobson, il s'agit là de la « racine économique » de l'impérialisme, car lorsque vous réinvestissez des capitaux à l'étranger, vous devez créer les conditions pour que vos investissements soient rentables. Cela peut signifier, par exemple, contraindre d'autres pays à accepter vos investissements. Tu devais également protéger ces investissements et les routes commerciales, ce qui nécessitait une grande marine. Cette logique économique a donc créé le besoin d'utiliser la force dans les affaires internationales. Les idées de Hobson ont fait de lui un renégat au sein de la tradition libérale car il a découvert que le commerce ne menait pas toujours à la paix ; au contraire, pour Hobson, les contradictions capitalistes créaient la demande d'une politique étrangère plus agressive.

Lénine a repris l'idée de Hobson mais a dit qu'il se trompait sur la capacité à réformer le capitalisme. Selon Lénine, le capitalisme produira toujours une demande d'agression extérieure parce qu'il y aura toujours un surplus de capital. Le développement inégal et combiné signifie qu'il y aura toujours des pays capitalistes plus développés et moins développés et que les pays capitalistes développés chercheront à exporter leurs capitaux vers les pays moins développés et exerceront une pression politique pour s'assurer que ces investissements sont rentables. Il était donc impossible de réformer le capitalisme. Lénine envisageait également que les capitaux nationaux concurrents des pays capitalistes développés feraient pression sur leurs gouvernements pour les aider à obtenir une plus grande part du marché mondial. Le problème était qu'une fois le monde entier divisé entre les différents blocs capitalistes nationaux, la seule option qui restait pour poursuivre l'expansion était la guerre. La guerre mondiale était donc inévitable : elle était inscrite dans la logique du capitalisme.

Ces deux idées constituent la contribution la plus importante de Lénine. Il était le défenseur le plus cohérent de ces deux idées : le capitalisme engendre l'impérialisme, car les pays les plus développés auront toujours besoin de nouveaux débouchés pour leurs investissements et le capitalisme engendre des rivalités inter-impérialistes car les pays puissants s'affronteront inévitablement lorsqu'ils chercheront à accroître leur part du marché mondial. La grande contribution de Lénine a été d'expliquer les motifs économiques qui sous-tendent l'impérialisme et les rivalités inter-impérialistes. Le problème, comme je l'ai mentionné, c'est qu'il a dissocié cette logique économique de toute considération idéologique ou politique.

Après la chute de l'Union soviétique et la fin de la guerre froide, la politique mondiale a été complètement dominée par l'impérialisme américain. Ces dernières années, cependant, un changement semble s'opérer. Nous avons assisté à la montée en puissance de la Chine, à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et même à des nations comme la Turquie et l'Arabie saoudite, entre autres, qui déploient leur puissance militaire au-delà de leurs frontières. Comment vois-tu ces dynamiques actuelles au sein de la politique mondiale ?

Après la Seconde Guerre mondiale, le monde s'est approché de quelque chose de similaire à l'idée d'ultra-impérialisme de Karl Kautsky. Kautsky n'était pas d'accord avec le concept de rivalité inter-impérialiste de Lénine et suggérait la possibilité que les pays impérialistes créent un cartel ou une alliance afin d'exploiter conjointement le reste du monde. C'est ce qu'il a appelé l'ultra-impérialisme. Nous avons assisté à quelque chose de similaire sous l'hégémonie américaine dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement à partir des années 80 avec l'effondrement de l'Union soviétique. Pendant cette période, l'Occident a collectivement dominé et exploité le reste du monde. Cela a été possible parce que la logique économique de l'impérialisme a décliné après la Seconde Guerre mondiale, les politiques keynésiennes imposant des limites à la suraccumulation du capital. À cette époque, la logique de l'impérialisme était plutôt politique, à savoir la vision du monde des États-Unis et leur lutte contre le communisme. À partir des années 80, cependant, la suraccumulation est réapparue en raison des politiques néolibérales. C'était l'apogée de ce que l'on pourrait appeler l'ultra-impérialisme, au cours duquel un Occident uni a imposé des programmes d'ajustement structurel et des politiques néolibérales à tous les pays périphériques.

Nous assistons aujourd'hui à la désintégration de cet ultra-impérialisme dirigé par les États-Unis. Le problème, c'est que les États-Unis ont essayé de jouer sur deux tableaux. Ils voulaient une forte consommation chez eux et ont donc emprunté de l'argent à la Chine. Et ils voulaient aussi exporter des capitaux à l'étranger. Le résultat final a été la transformation de la Chine en une puissance économique qui a constitué une menace pour la domination économique des États-Unis. C'est ce conflit économique qui est à l'origine du conflit politique entre les deux pays aujourd'hui. À mon avis, les dirigeants chinois ne veulent pas activement affronter les États-Unis. Mais leurs ambitions économiques, motivées par les contradictions objectives de l'accumulation du capital en Chine, les ont forcés à s'affirmer davantage. Je ne pense pas non plus que les États-Unis souhaitent activement une confrontation avec la Chine. Mais, là encore, la logique économique de l'impérialisme est très puissante et difficile à contrecarrer. C'est ce qui motive le conflit entre les États-Unis et la Chine. Nous nous retrouvons moins avec un monde multipolaire qu'avec un monde bipolaire qui réapparaît. La confrontation entre la Chine et les États-Unis, bien qu'encore gérable pour l'instant, ne fait que croître. Tout cela crée une situation très explosive, qui ne s'apparente plus à l'ultra-impérialisme, mais plutôt à la période précédant la Première Guerre mondiale.

Mais certains, se basant sur la définition de Lénine, remettraient en question l'idée que la Chine est impérialiste.

Si nous regardons le monde aujourd'hui, que voyons-nous ? Nous voyons la montée de la Chine en tant que centre alternatif d'accumulation de capital au sein du système capitaliste mondial qui exporte du capital par le biais d'énormes projets mondiaux tels que l'initiative Belt and Road. La motivation de ces projets est économique : La Chine a un excédent de capital et une surcapacité industrielle, elle a donc besoin de nouveaux débouchés pour réinvestir le capital et exporter des marchandises. Pour y parvenir, la Chine a commencé à se démener dans le monde entier pour trouver de nouveaux marchés. Cela a déclenché un conflit avec les États-Unis, l'hégémon mondial, qui ont également besoin de débouchés pour leurs marchandises et leurs investissements. Cela signifie que la relation de coopération qui existait lorsque les États-Unis utilisaient la Chine comme plate-forme de production devient lentement antagoniste. Le capital chinois, soutenu par l'État chinois, est désormais si puissant que le capital américain ne veut plus coopérer avec lui. Au contraire, il craint la montée en puissance de la Chine et s'attend à ce que le capital chinois devienne un concurrent puissant. C'est pourquoi le capital américain a commencé à demander l'aide de l'État américain pour contrer cette menace.

Nous nous retrouvons avec une rivalité inter-impérialiste classique, telle que décrite par Lénine. Deux puissants centres de capitalisme s'affrontent pour obtenir des débouchés pour leurs investissements et leurs marchandises. Cela conduit à la création de blocs politiques autour de ces centres d'accumulation capitaliste : les États-Unis ont l'Occident derrière eux, la Chine a la Russie. En ce sens, la logique économique de l'impérialisme est toujours d'actualité pour comprendre le monde d'aujourd'hui.

Comment la Russie s'inscrit-elle dans ce scénario ? Peut-elle également être définie comme impérialiste ?

Dans le cas de la Russie, c'est une dynamique différente qui est en jeu. Le capital russe n'a jamais été assez puissant pour défier l'Occident ; il a toujours été un partenaire junior du capital occidental, qui préférait coopérer avec le capital russe afin de mieux exploiter les ressources naturelles russes et de profiter du rôle de la Russie en tant que puissance sous-impérialiste dans le monde post-soviétique. Le capital occidental a utilisé la Russie pour extraire la plus-value des pays post-soviétiques. Pour donner un exemple : [la société gazière majoritairement détenue par l'État russe] Gazprom comptait de nombreux investisseurs internationaux, dont l'énorme société américaine de gestion d'actifs BlackRock, qui pèse des milliers de milliards de dollars. Lorsque Gazprom s'est développé en Ukraine, en Moldavie, en Biélorussie… BlackRock en a également profité. Les capitaux occidentaux n'avaient rien contre le fait que la Russie soit une puissance régionale tant qu'elle leur offrait la possibilité de faire des profits dans la région. D'un point de vue économique, il n'y avait pas de réelle contradiction : Les capitaux russes et occidentaux coopéraient et profitaient tous deux de cette coopération.

Mais à partir de 2014, la logique politique de l'impérialisme russe a commencé à se découpler de la logique économique. Avant cela, l'impérialisme russe reposait sur un arrangement sous-impérialiste : il menait une politique agressive à l'égard des pays de la région post-soviétique et l'Occident profitait de ses actions. Il avait donc un intérêt direct dans l'impérialisme russe. Mais en 2014, Poutine a brisé le scénario en annexant la Crimée. À ce moment-là, la Russie a cessé d'être une puissance sous-impérialiste et a choisi la voie de la confrontation avec l'Occident. Il a brisé les règles que l'Occident avait fixées pour le gouvernement et le capital russes. Pourtant, il n'y avait aucune logique économique réelle à cette décision car elle ne faisait que rendre la vie plus difficile aux capitalistes russes. L'annexion de la Crimée ne répondait à aucune logique économique. Bien que la Crimée possède quelques gisements de ressources naturelles, pour les exploiter, la Russie devrait investir beaucoup d'argent. De plus, la Crimée est aujourd'hui un bénéficiaire net de l'énergie russe et du financement du gouvernement fédéral. Par conséquent, l'explication de son annexion ne peut être trouvée dans des motifs économiques ; l'explication se trouve dans le domaine de l'idéologie de la classe dirigeante russe.

Les cas de la Chine et de la Russie sont donc différents. Avec la Chine, tu as un impérialisme plus classique, tel que décrit par Lénine. En Russie, tu as un impérialisme différent – un impérialisme politique qui est découplé, dans une certaine mesure, des intérêts économiques.

Es-tu en train de suggérer que, contrairement aux puissances impérialistes qui ont vu le jour à l'époque de Lénine, l'impérialisme russe n'a pas de fondement économique et s'explique uniquement par des facteurs politico-idéologiques ?

Je ne dis pas que l'impérialisme russe est entièrement différent des autres impérialismes ou qu'il n'a aucune base économique. À partir de 1999, la Russie a commencé à se remettre de la crise des années 90 ; jusqu'en 2008 environ, elle a connu une période de forte croissance économique avec un taux de croissance annuel d'environ 7%. Au cours de cette période, les entreprises russes sont devenues de puissantes sociétés mondiales. Même si les capitaux russes n'étaient pas aussi puissants que les capitaux occidentaux, ils sont devenus un acteur sérieux sur le marché mondial. Dans le même temps, il y a eu une suraccumulation de capitaux en Russie en raison des prix élevés de l'énergie et des matières premières.

Ces entreprises russes émergentes avaient besoin de réinvestir leur capital excédentaire quelque part et elles ont choisi de le faire dans les pays post-soviétiques. Leur objectif était de reconstruire quelque chose de similaire aux chaînes d'approvisionnement et aux liens économiques qui existaient à l'époque soviétique. La différence, cependant, c'est que cette fois-ci, ce sont les capitaux russes qui sont aux commandes. À l'époque de l'Union soviétique, l'économie soviétique était intégrée ; aujourd'hui, il s'agit d'une économie russe qui domine les autres économies de la région. Cela a fait pression sur le gouvernement russe pour qu'il s'affirme davantage dans la région post-soviétique. En ce sens, la logique économique léniniste classique de l'impérialisme s'applique au cas de la Russie, en particulier dans les années 2000, lorsque Poutine arrive au pouvoir.

Mais il est important de souligner à nouveau que lorsque la Russie a revendiqué la région post-soviétique au cours de cette première période, elle l'a fait en coopérant avec les États-Unis et l'Occident plutôt qu'en les affrontant. Cette coopération ne s'est pas limitée à la coopération économique entre les capitaux occidentaux et russes ; il y a également eu une coopération géopolitique entre les États russes et occidentaux. Par exemple, la Russie a coopéré avec l'OTAN dans sa guerre contre l'Afghanistan. La Russie était le plus grand fournisseur de pétrole et de ressources de l'OTAN et fournissait à la coalition de l'OTAN des routes logistiques terrestres et aériennes. En 2011, la Russie a vendu des hélicoptères de transport aux États-Unis pour le gouvernement qu'elle avait installé en Afghanistan dans le cadre d'un accord d'une valeur de plus d'un milliard de dollars américains. De toute évidence, malgré les désaccords ou les tensions qui existaient, l'Occident considérait la Russie comme un partenaire junior, du moins jusqu'en 2014.

En fin de compte, il n'y avait rien d'inévitable à ce que la Russie devienne un ennemi de l'Occident si l'on se limite strictement à la logique économique. La Russie aurait pu rester une puissance sous-impérialiste qui profitait conjointement de l'espace post-soviétique avec les capitaux occidentaux. Elle aurait pu être comme la Turquie d'aujourd'hui qui semble agir de manière indépendante mais veille à ne pas gâcher les relations avec l'Occident. Ou comme le Brésil, qui a eu des dirigeants tels que Lula [da Silva] qui peuvent avoir une rhétorique très militante et être en désaccord avec les États-Unis sur de nombreux points mais qui entretiennent avec eux des relations qui sont loin d'être extrêmement conflictuelles. La Russie était comparable à ces pays, en ce sens qu'ils ont tous bénéficié économiquement du fait d'être un partenaire junior de l'Occident, même si certaines tensions ou contradictions existaient.

Alors, qu'est-ce qui a conduit à ce changement de positionnement de la Russie vis-à-vis de l'Occident ?

Pour comprendre ce changement, il faut se pencher sur la logique politique en jeu. Poutine craignait que l'Occident ne prépare un changement de régime contre lui. Poutine était aussi clairement incapable de comprendre les mouvements populaires et les révolutions sociales. Pour Poutine, le mouvement populaire était une contradiction dans les termes car les gens ne pouvaient jamais rien faire par eux-mêmes ; tout mouvement de ce type était toujours contrôlé et manipulé de l'extérieur. Ainsi, lorsque le Printemps arabe [de 2010-11] s'est produit, Poutine n'y a vu rien d'autre que la volonté de l'Occident de déstabiliser les pays du Moyen-Orient.

Puis est survenue la révolution de Maïdan [2014] en Ukraine. Poutine a refusé d'accepter qu'il puisse s'agir d'un véritable mouvement populaire motivé par la frustration sincère des gens à l'égard du gouvernement et de la répression. Au lieu de cela, il a vu dans Maïdan l'utilisation de l'Ukraine par les États-Unis comme un pion dans leur jeu d'échecs avec la Russie. Maïdan a transformé la vision de Poutine. Car si Maïdan était une manœuvre de l'Occident contre la Russie, alors, selon la logique de Poutine, la Russie devait répondre en écrasant violemment cette manœuvre et en faisant la sienne. En fin de compte, la crainte d'un changement de régime a coloré tous les calculs de Poutine. Elle l'a conduit à faire l'amalgame entre une menace politique pour son régime et une menace occidentale pour la sécurité de la Russie. D'une manière générale, l'OTAN ne menaçait pas la Russie d'un point de vue militaire conventionnel. Mais pour Poutine, l'OTAN était derrière Maïdan, qu'il considérait comme un complot contre son pouvoir.

Résultat, la Russie est devenue un pays impérialiste beaucoup plus agressif après 2014 : l'annexion de la Crimée, l'armement des séparatistes du Donbass et l'occupation de certaines parties de l'est de l'Ukraine s'expliquent, en fin de compte, par la crainte idéologique de Poutine que l'Occident ne complote pour un changement de régime. En réalité, l'Occident s'accommodait parfaitement de Poutine en tant que dirigeant capitaliste qui facilitait l'accès des entreprises occidentales aux ressources naturelles russes et à la région post-soviétique. Cela convenait également à Poutine, jusqu'à ce qu'il craigne que l'Occident ne complote contre lui. Cela explique en fin de compte pourquoi la Russie s'est engagée dans la voie de la confrontation avec l'Occident.

Et une fois que la Russie s'est engagée sur cette voie, il lui a été difficile de faire marche arrière car la confrontation a pris une logique propre. Par exemple, après l'annexion de la Crimée par la Russie, les Ukrainiens ont commencé à détester Poutine et se sont tournés vers l'Occident pour obtenir de l'aide. Pourtant, c'est exactement ce que Poutine voulait empêcher. Alors qu'a-t-il fait ? Il est devenu encore plus agressif envers l'Ukraine et a finalement lancé une invasion à grande échelle, tout cela au nom de la prévention d'une Ukraine pro-occidentale. Mais la haine de l'Ukraine à l'égard de la Russie était précisément le produit des propres actions de la Russie. Poutine ne pouvait cependant pas comprendre cela, pour lui, tout cela n'était qu'une manifestation du complot de l'Occident contre son pouvoir. Paradoxalement, alors que les convictions de Poutine n'étaient pas fondées sur la réalité, la chaîne d'événements qu'il a déclenchée n'a fait que renforcer ses convictions, le conduisant finalement sur la voie de cette guerre désastreuse. C'est pourquoi cette guerre n'était pas le résultat de motifs économiques ; elle était motivée par l'idéologie.

Quelle influence pensez-vous que la montée en puissance de la Chine ait pu avoir dans les calculs de Poutine et dans le passage de la Russie d'une puissance sous-impérialiste à une puissance impérialiste ? Il semble possible que la présence de la Chine en tant que puissance alternative vers laquelle la Russie pourrait se tourner une fois en confrontation avec l'Occident ait influencé les décisions prises par Poutine depuis 2014….

C'est une question intéressante. Je suis d'accord pour dire que Poutine avait une meilleure perception de ces changements mondiaux qui se préparaient par rapport aux responsables économiques russes et au gouvernement, qui considéraient ce type de confrontation extrême avec l'Occident comme inimaginable. Il suffit de regarder 2022 : il était évident à l'époque que même les secteurs les plus faucons du gouvernement ne s'attendaient pas à une invasion à grande échelle de l'Ukraine. Poutine, quant à lui, était totalement convaincu que les Ukrainiens attendaient que la Russie les libère du colonialisme occidental et de la soi-disant petite minorité de nazis de type Bandera au pouvoir dans le pays. Mais tout en ayant cette vision fantaisiste de l'Ukraine, Poutine était d'une certaine manière plus prévoyant que d'autres en ce qui concerne le type de changements tectoniques qui se produisaient dans les affaires mondiales et la place de la Russie dans le monde. Poutine pouvait sentir les possibilités offertes par la Chine et les pays semi-périphériques tels que la Turquie, le Brésil et l'Inde, qui devenaient plus autonomes par rapport aux États-Unis.

Il faut savoir qu'en 2000, les pays du G7 contrôlaient 65% du PIB mondial, mais qu'en 2021-22, ce chiffre était plutôt de l'ordre de 40-45%. Le bloc de pays des BRICS représentait une part légèrement plus importante du PIB mondial lorsqu'il était mesuré en termes de parité de pouvoir d'achat. Cela représentait un énorme changement en termes de pouvoir économique et politique. Poutine a perçu ce changement et, comme tu l'as dit, a vu l'opportunité. Il a compris que la rupture de la Russie avec l'Occident serait très douloureuse, mais qu'elle pourrait probablement survivre dans une alliance avec la Chine et en commerçant avec des pays semi-périphériques qui étaient devenus puissants de leur propre chef, économiquement et politiquement. Et il avait raison sur ce point alors que ses opinions sur les motivations occidentales et l'Ukraine étaient follement inexactes et biaisées, sa vision de ce qui se passait à l'échelle internationale était tout à fait exacte. C'est cette combinaison de pensée saine et de pensée erronée qui a finalement conduit à l'invasion et à tout ce qui s'est passé depuis.

Certains militants de gauche, s'appuyant sur la définition de l'impérialisme de Lénine, soutiendraient que l'absence de motifs économiques et la puissance économique beaucoup plus faible de la Russie par rapport à l'Occident signifient que la guerre de la Russie contre l'Ukraine ne peut pas être impérialiste. Certains vont même jusqu'à imputer une sorte de dynamique anti-impérialiste à la guerre de la Russie. Pourquoi, selon toi, est-il important de comprendre la guerre de la Russie comme un acte d'agression impérialiste ?

C'est le problème des définitions économistes de l'impérialisme : lorsqu'un pays ne correspond pas à un certain profil économique ou que vous ne pouvez pas expliquer immédiatement les actions d'un pays sur la base d'une certaine logique économique, alors la position par défaut est que le pays ne peut pas être impérialiste ou agressif et que ses actions doivent donc être défensives. Mais un pays peut être agressif sans que ses actions soient motivées par des raisons économiques spécifiques.

Si nous comprenons l'impérialisme comme une politique d'agression systématique envers un voisin plus faible, alors nous pouvons voir pourquoi l'impérialisme définit exactement ce que la Russie fait à l'Ukraine depuis les années 90. Il y avait déjà des points d'agression à l'époque, lorsque la Russie a manipulé l'approvisionnement en gaz de l'Ukraine afin d'influencer les politiques du gouvernement. Puis, en 2004, la Russie a essayé de faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle élise un candidat présidentiel pro-russe, en envoyant des « doreurs d'image » et des agents secrets de Moscou à Kiev pour aider à vaincre [Viktor] Iouchtchenko. En cas d'échec, la Russie a cherché à contraindre l'Ukraine en interrompant son approvisionnement en gaz naturel, une première fois en 2006 et une seconde fois en 2009. La Russie a également acquis des actifs économiques en Ukraine afin de créer une plateforme économique qui lui servirait de point d'appui politique dans le pays. Après cela, tu as eu l'annexion de la Crimée, la participation de la Russie à la guerre dans l'est et, enfin, l'invasion à grande échelle en 2022.

Toute l'histoire des relations russo-ukrainiennes dans la période post-soviétique est celle de l'impérialisme russe à l'égard de l'Ukraine. Comment peut-on décrire cela autrement que par de l'impérialisme ? De plus, comment peut-on le définir comme défensif ? Les actions impérialistes de la Russie ont commencé bien avant qu'il ne soit question que l'Ukraine rejoigne l'OTAN. Par exemple, lorsque la Russie s'est ingérée dans les élections ukrainiennes de 2004 l'Ukraine n'était en aucun cas liée à l'OTAN. Et en quoi peut-on dire que l'Ukraine a attaqué la Russie ? Comment est-ce possible ? Avec quelle armée ? L'armée ukrainienne était pratiquement inexistante avant 2014. L'Ukraine n'a commencé à renforcer son armée qu'en réponse à l'impérialisme russe. Il va de soi que la Russie est l'agresseur dans cette relation. Son agression s'est intensifiée progressivement, mais la Russie a toujours été l'agresseur. En nous en tenant à une compréhension uniquement économique de l'impérialisme, nous passons à côté de l'impérialisme russe en tant que phénomène.

À la lumière de tout ce dont nous avons discuté, vois-tu des possibilités de construire des ponts entre les luttes anti-impérialistes et les luttes dans les pays impérialistes, en gardant à l'esprit que les différentes luttes seront confrontées à des puissances différentes et peuvent donc chercher à obtenir le soutien de blocs impérialistes rivaux ? À quoi devrait ressembler l'internationalisme anticapitaliste et anti-impérialiste au 21e siècle ?

Il y a bien sûr des aspects pratiques à l'internationalisme, comme l'aide aux prisonniers politiques. Les campagnes de solidarité internationale peuvent faire beaucoup et ont fait beaucoup, par exemple pour [le marxiste russe anti-guerre emprisonné] Boris Kagarlitsky. Malheureusement, il y a beaucoup de prisonniers de gauche en Russie en ce moment. Donc, concrètement, c'est quelque chose que le mouvement socialiste peut faire : se soutenir mutuellement en aidant les prisonniers politiques en Russie.

Mais pour réfléchir à cette question de manière plus générale, nous devons d'abord comprendre la nature de la rivalité inter-impérialiste actuelle par rapport à la guerre froide. Bien que l'Union soviétique ait été problématique à bien des égards, sa politique étrangère comportait une composante idéologique : elle avait la vision d'un autre monde qui représentait une sorte d'alternative. L'Union soviétique avait un projet idéologique, même s'il était déformé par le stalinisme et vidé de sa substance par le cynisme des élites. Cette vision idéologique a influencé l'attitude de l'Union soviétique à l'égard du tiers-monde, même si son approche des mouvements post-coloniaux comportait aussi un élément cynique. Mais la Russie n'est pas l'Union soviétique. Si nous regardons la Russie d'aujourd'hui, nous constatons qu'il n'y a pas de vision d'une alternative.

La seule chose que la Russie propose, c'est la confrontation avec l'Occident. La Russie dit : « Vous devez vous battre contre l'Occident ». Mais se battre pour quoi au juste ? Quelle est la vision russe d'un modèle politique, économique alternatif ? La Russie est un pays ultracapitaliste dirigé par des oligarques, avec d'énormes inégalités entre les gens et les régions, et un État-providence très faible. La guerre avec l'Ukraine a peut-être contraint ces oligarques à réorienter leurs intérêts commerciaux vers les marchés d'Asie et à quitter leur propriété londonienne pour un immense appartement à Dubaï. Mais quelle différence cela fait-il pour un travailleur russe ordinaire ? La Russie n'a rien de progressiste. Il en va de même pour la Chine : elle n'a pas de vision idéologique au-delà du capitalisme avec une grande présence de l'État ; elle n'offre pas de vision alternative de changement progressif.

Cela signifie que les mouvements progressistes du monde entier doivent se battre pour une alternative. Ils ont besoin d'une vision alternative pour guider ce mouvement internationaliste mondial des travailleurs et des socialistes. Cela signifie également qu'il ne faut pas faire de compromis avec les dictatures ou les classes capitalistes prédatrices, que ce soit en Chine, en Russie ou aux États-Unis. En fin de compte, cela se résume à une vision très classique de l'impérialisme dans laquelle l'ennemi principal se trouve à la maison. Le principal ennemi des socialistes russes est l'impérialisme russe ; ce ne sont pas les États-Unis ou l'Ukraine. Et le principal ennemi des socialistes américains est l'impérialisme américain. C'est la base du véritable internationalisme : l'unité contre nos propres gouvernements impérialistes et pour une vision commune du changement progressif aux États-Unis, en Russie et en Chine. Cela peut sembler abstrait, mais c'est tout simplement de la bonne logique. C'est la base sur laquelle nous pouvons construire des ponts entre nos luttes.

Publié le 28 septembre 2024
https://links.org.au/political-imperialism-putins-russia-and-need-global-left-alternative-interview-ilya-matveev

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France - La « {dette } » ? Une Fake News au service de l’austérité-Barnier

15 octobre 2024, par aplutsoc — , ,
« La dette explose, pourquoi ? C'est comme ça, ne vous posez pas de question, consentez à rembourser, parce que cette dette est la vôtre ! D'où mon budget d'une austérité qui (…)

« La dette explose, pourquoi ? C'est comme ça, ne vous posez pas de question, consentez à rembourser, parce que cette dette est la vôtre ! D'où mon budget d'une austérité qui ne fait que commencer. » Telle est la politique de Barnier.

Tiré de aplutsoc
9 octobre 2024

Par aplutsoc

La dette est à la fois l'ardoise de Macron et la croisade libérale d'austérité menée par Barnier. Une croisade sur plusieurs années. Explications.

1) Cette Dette, c'est la nôtre ? Ah bon ?

La dette des administrations publiques ? Seulement ? Tu parles…

En vrai, c'est un mécanisme financier infernal :

. L'État, pour financer ses dépenses, emprunte aux marchés financiers, et non à la Banque de France depuis que l'Union européenne l'a décidé.
. Une méthode du capitalisme financier.

. L'État français s'endette sur les marchés à des taux variables.
. Cette fluctuation des taux d'intérêt module le coût de refinancement de l'État.

Elle fait de la dette un instrument pour justifier la destruction des services publics et des modèles sociaux. C'est ainsi que la dette est d'abord et avant tout le « marché de la dette »

2) Une Dette instrument de l'austérité

. Le ralentissement de l'activité économique provoque une réduction des rentrées d'impôts, accentuée par les exonérations Macron pour les riches.

. Les recettes des impôts diminuent, le besoin de recourir à l'emprunt augmente.

. Et on est parti dans un cercle vicieux avec un effet boule de neige, c'est-à-dire une forte augmentation de la dette et des intérêts à payer.

. L'endettement public est en permanence instrumentalisé par le gouvernement, la Commission européenne, le Fonds monétaire internationale, ou encore les agences de notation , pour l'adoption de mesures d'austérité.

3) Et vlan ! Le budget Barnier et la baisse des budgets sociaux, …

…. les privatisations, la réduction de la protection sociale qui permet au plus grand nombre de vivre mieux (Sécurité sociale, système de retraites par répartition, assurance chômage de moins en moins protectrice)…

La démocratie ? « Perte de temps », crie le capitalisme ensauvagé !

Le pouvoir ne fait même pas semblant :

« La dette, surgie soudain à la rentrée, est celle du peuple, c'est vrai parce que je le dis, répète Barnier.

Mais alors, nos besoins élémentaires, santé, travail, logement, ne sont pas pris en compte ? Le capitalisme d'automne n'a pas de temps à perdre avec la parole d'en bas ?

Ben non, répond Barnier qui a une austérité à faire passer, la mise en souffrance de la démocratie en est la condition. »

Barnier comme Premier ministre est né d'un déni de démocratie électorale.

« Et alors ? Mon gouvernement dépend de Le Pen, de cette extrême droite rejetée par les électrices et les électeurs… Mais en quoi ça me concerne, moi Barnier je suis commissaire européen en capitalisme sauvage, alors, hein, les bulletins de vote…

Ben alors, mon vote n'est pas pris en compte, seuls pèsent les intérêts des financiers, des riches, des nantis ? »

-Oui, oui, répond Barnier, minoritaire je suis minoritaire, j'impose les intérêts de la minorité, les très riches, les grandes fortunes. »

Austérité + déni de démocratie = putsch ultralibéral

Nous n'avons pas voté pour cette impasse démocratique, nous n'avons pas opté pour ce choc d'austérité contre nos intérêts sociaux et la satisfaction de nos besoins élémentaires.

Voilà pourquoi on ne peut plus séparer les revendications telles que l'augmentation des salaires, l'abrogation de la loi sur la retraite à 64 ans, la protection et l'indemnisation des chômeurs, avec l'exigence de démocratie.

S'opposer au putsch ultralibéral

Les jours heureux, à la naissance du Front Populaire, ont été vécus avec bonheur quand partis, syndicats et associations reconnaissaient comme leur le programme commun à tout le mouvement ouvrier. Eh bien, ce sont ces jours heureux qui doivent revenir, pour que vive ensemble notre programme revendicatif et notre espérance immédiate de démocratie.

Déni de démocratie et choc d'austérité – Le carburant raciste veut tout incendier

Au carrefour du déni démocratique et du choc d'austérité se développe un bloc réactionnaire contre une « invasion de migrant·es ».

Une puissante presse dominée par les milliardaires de droite et d'extrême droite déverse un discours anxiogène sur la menace d'une « immigration de masse ».

Une campagne électorale permanente de ces forces coalisées, dont le RN, dénonce le « laxisme » en matière d'immigration.

Elle appelle à intensifier les expulsions, jusqu'à la « remigration ». Retailleau au gouvernement, Le Pen en soutien à Barnier, en sont les animateurs.

Chaque jour, un « lumpen-commentariat » envahit les chaînes en continu et déverse les dénonciations de l'immigration comme des « préoccupations légitimes ».

Où est le cœur vibrant de l'idéologie de la réaction anti-immigrés ?

La panique morale organisée dénonce des frontières et des barrières qui s'érodent et des gens qui se trouvent là où ils ne devraient pas être.

Les réactionnaires lancent leur croisade contre « le déclin du mode de vie traditionnel » dominé par la perspective de « l'extinction des Blanc·hes ».

Les passions persécutrices et vengeresses sécrétées par le bloc réactionnaire sont le produit direct de :

. la compétition sociale incessante,
. l'inégalité de classes croissante,
. la célébration des gagnant·es et le sadisme envers les perdant·es,
. et des conséquences psychologiques de plus en plus toxiques de l'échec.

Le racisme d'aujourd'hui ?

Il est celui de l'époque des déplacements de populations entre les anciennes colonies et les anciennes métropoles coloniales.

Il est centré sur le refus des mouvements de populations provoqués par les dégâts de l'économie capitaliste, les guerres et les dérèglements climatiques.

C'est un racisme qui affirme l'irréductibilité des différences culturelles, et qui s'obsède du « danger « de l'effacement des frontières et l'incompatibilité des styles de vie.

C'est un racisme qui dit dans de multiples langues : « Puisque l'horizon du capitalisme est indépassable, alors battons-nous pour qu'il y en ait pour nous seuls car il n'y en aura pas pour tout le monde. »

Le nouveau pacte social et politique sur lequel convergent les néolibéraux et les néofascistes est un pacte économique à connotation ethno-raciale.

C'est pourquoi notre réponse combine la lutte pour la victoire du Nouveau Front Populaire, le développement des luttes sociales et la guerre au bloc raciste anti-immigrés.

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L’extrême droite autrichienne gagne les élections, mais surtout l’hégémonie

15 octobre 2024, par Àngel Ferrero — , ,
Les prévisions se sont finalement réalisées et le Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ) a clairement remporté les élections législatives du dimanche 29 septembre 2024, devenant (…)

Les prévisions se sont finalement réalisées et le Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ) a clairement remporté les élections législatives du dimanche 29 septembre 2024, devenant la première force du pays avec 28,85% des voix, soit une augmentation de plus de 12 points par rapport aux dernières élections.

9 octobre 2024 | tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/divers/lextreme-droite-autrichienne-gagne-les-elections-mais-surtout-lhegemonie.html

Avec ces résultats, le FPÖ a réussi pour la première fois de son histoire à dépasser le Parti populaire autrichien (ÖVP), qui a obtenu 26,27%, soit une baisse significative de 11 points de pourcentage dans les urnes. Bien que le Parti social-démocrate d'Autriche (SPÖ) n'ait pas réussi à améliorer ses résultats – 21,14% – il n'a pas non plus enregistré de pertes significatives, mais la progression du FPÖ le relègue à une inconfortable troisième place Il est suivi par le parti libéral NEOS avec 9,14% (+1,1) et les Verts avec 8,24% (-5,6). Ni le parti communiste autrichien (KPÖ : 2,3%), ni le parti satirique de la bière (BIER :2%) n'ont réussi à franchir le seuil nécessaire pour entrer au parlement et la question reste de savoir s'ils l'auraient fait si l'autre s'était retiré, ainsi que la mesure dans laquelle le SPÖ a capitalisé sur le vote utile de la gauche [1]. [Le taux de participation fut de 77,3%, donc plus élevé qu'en 2019 : 75,6% ; voir le graphique ci-dessous ayant trait à la répartition des sièges]

Les résultats de ces élections sont sans précédent et l'avenir politique de l'Autriche est incertain. Certaines voix internationales ont déjà exprimé leur inquiétude : le ministre italien des affaires étrangères, Antonio Tajani de Forza Italia, affirme :« Je pense que l'Autriche a besoin d'un gouvernement de coalition qui exclut le FPÖ, les combats politiques se gagnent toujours au centre afin que les partis d'extrême gauche et d'extrême droite ne puissent pas causer de dommages ». Le président de la Israelitische Kultusgemeinde Wien et Ariel Muzicant et de l'European Jewish Congress, a déclaré au quotidien italien La Stampa, le 30 septembre : « Kickl se réclame des slogans de Göbbels, je vais écrire au Président [Alexander Van der Bellen, élu au suffrage universel en janvier 2017] qu'il lui fasse obstacle [pour un rôle gouvernemental] »

Le fait que les « bleus » – nom donné à l'extrême droite en Autriche – aient remporté ces élections ne signifie pas automatiquement qu'ils gouverneront. Ce lundi 30 septembre, le quotidien Der Standard a rappelé qu'en 2019, il fallait 100 jours pour former un exécutif. Si le FPÖ a déjà préparé son équipe de négociation et ne veut pas attendre trop longtemps pour s'asseoir à la table des négociations, plusieurs obstacles se dressent sur son chemin à Ballhausplatz 2, le siège de la chancellerie fédérale autrichienne. Le président du pays, Alexander van der Bellen, pourrait par exemple, dans l'exercice de ses fonctions, ne pas confier à Herbert Kickl, le candidat du FPÖ, le soin de former un gouvernement en faisant appel aux piliers démocratiques de la constitution de la IIe République, bien que cette éventualité semble peu probable.

Les conservateurs décisifs

Si le FPÖ fait la une des journaux, c'est l'ÖVP qui détient la clé du gouvernement. Malgré son net recul – le Parti populaire autrichien n'a bénéficié ni de la baisse de l'inflation en août, ni de la stabilité supposée que les électeurs recherchent après des catastrophes naturelles telles que les récentes inondations en Europe centrale, ni de ses équilibres de politique étrangère avec la Russie sur la base de la neutralité historique du pays – les 52 députés conservateurs seront déterminants pour la formation d'un exécutif.

La première option de l'ÖVP serait d'entrer dans un gouvernement de coalition avec le FPÖ comme partenaire minoritaire. Cette option a ses partisans et ses détracteurs au sein du parti. Parmi les premiers – y compris, selon des interviews données il y a quelques semaines, le chancelier Karl Nehammer lui-même (ÖVP) – il y a ceux qui optent pour quelque chose de plus machiavélique : un cordon sanitaire non pas contre le FPÖ, mais contre Herbert Kickl, dans l'espoir de précipiter une crise interne dans le parti qui lui permettrait, au moins, de gagner de l'oxygène même s'il gouverne avec eux et de regagner ainsi le terrain perdu. Dans cette constellation politique, l'ÖVP utiliserait sûrement ses 52 sièges dans les négociations pour revendiquer des portefeuilles clés tels que les Finances, l'Intérieur et la Justice qui lui permettraient de se présenter à l'électorat comme le partenaire fiable de la coalition.

La deuxième option, une grande coalition avec les sociaux-démocrates étant exclue – l'empreinte que le président de gauche du parti [depuis juin 2023], Andreas Babler, a imprimée au parti est considérée comme « instable » par une grande partie de l'opinion publique – consiste pour l'ÖVP à diriger un gouvernement tripartite avec d'autres partis, les libéraux étant le « parti charnière », selon le modèle allemand.

La perte de voix dans les circonscriptions industrielles est particulièrement inquiétante pour les sociaux-démocrates. La direction du SPÖ a exprimé sa volonté d'entamer un cycle de négociations avec les autres partis, et bien que Michael Ludwig, maire de Vienne et l'un des poids lourds du parti, ait déclaré aux médias qu'un débat sur les noms au sein du parti n'était pas envisagé, la démission de Babler pourrait bien être le prix à payer pour la signature d'une coalition avec les conservateurs s'il finit par être considéré comme le principal obstacle à la formation de cette coalition. Comme le note Barbara Tóth dans Der Falter, « la campagne électorale est terminée et les luttes de pouvoir commencent ».

En attendant les discussions entre les partis, la société civile s'est déjà mobilisée et une première manifestation a déjà été convoquée pour le jeudi 3 octobre devant le Parlement, exigeant que les partis politiques ne pactisent pas avec le FPÖ.

Le FPÖ conquiert l'hégémonie

Même si le FPÖ reste en dehors du gouvernement, il ne faut pas oublier qu'il a gagné quelque chose d'encore plus important : l'hégémonie politique. En tant que première force parlementaire, il pourrait suivre l'exemple du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et, à partir de là, s'efforcer de miner l'exécutif – inévitablement présenté comme une « coalition de perdants » – puis, à un moment plus propice, s'attaquer à la Chancellerie fédérale. Entre-temps, et surtout à travers les apparitions médiatiques de ses élus et les médias sociaux, le FPÖ normalise son discours auprès de l'opinion publique.

La confirmation dans les urnes de ce que les sondages ont montré ces derniers mois et qui révèle que, contrairement à ce qui se passait il y a quelques années, de moins en moins d'électeurs n'hésitent pas à exprimer ouvertement leur sympathie pour le FPÖ, est une indication du chemin parcouru par l'extrême droite autrichienne dans ce domaine. Interrogée par l'agence de presse APA sur les résultats des élections, la dramaturge et prix Nobel de littérature 2004 Elfriede Jelinek – ancienne critique du FPÖ et l'une des voix les plus connues contre le parti – a répondu laconiquement : « Rien, tout a été dit, sauf que les catastrophes annoncées se produisent ».

Le FPÖ a donc des raisons de se réjouir des résultats de ces élections, car même sans gouverner, il pourra influencer l'agenda du prochain gouvernement. Kickl pourrait, depuis son siège de député, devenir l'un des hommes forts de l'extrême droite en Europe centrale. La figure de proue de cette tendance, Viktor Orbán, est déjà au pouvoir en Hongrie depuis des années, et lors des récentes élections régionales en République tchèque – qui se sont déroulées en même temps que les élections sénatoriales – le parti d'Andrej Babiš, l'ANO, a été le parti le plus voté. Si ces résultats se confirment, Andrej Babiš détrônerait Petr Fiala au poste de premier ministre lors des élections législatives prévues en octobre 2025, si elles ne sont pas anticipées. Babiš est l'un des fondateurs, avec Kickl et Orbán, des « Patriotes pour l'Europe », la troisième force au Parlement européen, dont Vox [dans l'Etat espagnol] est également membre.

Aucun des scénarios n'augure de « stabilité » et tous confirment un glissement vers la droite en Europe. (Article publié sur le site de Sin Permiso, le 30 septembre 2024 ; traduction-édition rédaction A l'Encontre)


[1] A Vienne, la capitale, le SPÖ obtient 29,8% de suffrages, le FPÖ 21,2%, l'ÖVP 17,6%, Grüne(Les Verts) : 12% ; NEOS 11,1%, KPÖ, 3,8%. Le taux de participation dans cette circonscription fut de 67,4%. Le quorum se situe à 4%.

Dans la ville de Graz, la troisième du pays, le SPÖ obtient 21,7% de suffrages, l'ÖVP, 21,3%, le FPÖ 19,9%, 17,6%, Grüne 15,5%, NEOS 12,1% ; KPÖ, 6%. Le taux de participation : 73,3%.

A Innsbruck, la deuxième du pays, le SPÖ obtient 23% de suffrages, l'ÖVP, 20,81%, le FPÖ 22,29, 17,6%, Grüne 14,68%, NEOS 11,56%, KPÖ 3,84%. Le taux de participation : 69,81%. (Réd.)

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Pour une politique migratoire d’accueil et de solidarité

15 octobre 2024, par Collectif de signataires — , ,
Nous, associations, collectifs de personnes exilées, collectivités accueillantes et syndicats, faisons part de notre vive préoccupation quant aux intentions du gouvernement (…)

Nous, associations, collectifs de personnes exilées, collectivités accueillantes et syndicats, faisons part de notre vive préoccupation quant aux intentions du gouvernement Barnier en matière d'immigration. Après le feuilleton de la loi sur l'asile et l'immigration, nous nous opposerons à toute nouvelle dégradation des droits des personnes exilées en France et continuerons à défendre une politique migratoire d'accueil et de solidarité.

5 octobre 2024 | tiré d'entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/05/pour-une-politique-migratoire-daccueil-et-de-solidarite/

A peine nommé, le gouvernement fait de l'immigration son cheval de bataille et multiplie les annonces outrancières et dangereuses. Le ministre de l'Intérieur a déjà annoncé réunir les préfets « des dix départements où il y a le plus de désordre migratoire pour leur demander d'expulser plus, de régulariser moins ». Nous dénonçons cette représentation mensongère des migrations : non, il n'y a pas de désordre migratoire, ni de crise migratoire. Nous assistons à une crise de l'accueil et de la solidarité, et une mise en danger des personnes exilées par des politiques de restriction et d'exclusion dont les gouvernements successifs se font les champions. Collectivement, nous revendiquons la régularisation des personnes sans-papiers, la protection des mineur-e-s non accompagné-e-s, le respect de la dignité et des droits humains.

Le ministre de l'Intérieur a annoncé vouloir remettre en cause l'Aide médicale de l'Etat (AME). La santé des personnes exilées est à nouveau instrumentalisée pour venir alimenter des considérations de politique migratoire. Nous souhaitons rappeler que l'AME est un dispositif de santé, essentiel pour l'accès aux soins des personnes et qu'elle répond à des enjeux de santé publique. A ce titre, cette politique publique se décide au ministère de la Santé. Nous nous inquiétons de voir nos gouvernant-e-s s'approprier la rhétorique d'extrême droite basée sur l'appel d'air et les dépenses incontrôlées, pourtant largement pourfendue par nombres d'études et rapports récents. Enfin, nous alertons sur le fait qu'environ un quart des bénéficiaires de l'AME sont mineur-e-s, et qu'il est intolérable de vouloir priver des enfants de l'accès aux soins.

Rien ne sera épargné aux personnes issues de parcours d'exil. Le gouvernement envisage même une nouvelle loi sur l'asile et l'immigration pour promouvoir des mesures pourtant censurées par le Conseil constitutionnel en début d'année. Ceci, à l'heure où nous constatons déjà les premières conséquences dramatiques de la loi promulguée le 26 janvier 2024. Ce gouvernement s'est lui-même placé sous la tutelle de l'extrême droite et a choisi de faire des personnes exilées le bouc-émissaire de tous les maux. Ses propositions s'inscrivent dans l'intensification du climat de peur pesant sur les personnes étrangères, et plus généralement sur toutes les personnes victimes du racisme. Le programme est clair : restrictions des droits, criminalisation des migrations et des personnes solidaires, répression des personnes exilées, enfermement à tout-va. Dans sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale ce mardi 1er octobre, le Premier ministre a annoncé vouloir « lutter contre le racisme » et traiter le sujet de l'immigration avec dignité, mais il se contredit aussitôt en prévoyant d'augmenter la durée maximale légale de rétention, d'empêcher les personnes exilées de franchir les frontières, et en faisant peser sur elles toutes les suspicions. En revanche, Michel Barnier ne remet à aucun moment en question les déclarations inquiétantes du ministre de l'Intérieur. Nous dénonçons l'orientation du gouvernement, et rappelons notre attachement à un Etat de droit qui respecte les personnes et les considère avec humanité, pas comme des indésirables.

Nous, associations, collectifs de personnes exilées, collectivités accueillantes, et syndicats, appelons à mettre fin à cette obsession migratoire xénophobe et dangereuse, et à respecter les droits de chaque personne, indépendamment de sa nationalité, de son origine, de sa religion, de son orientation sexuelle et de genre. Nous appelons chacun-e à la vigilance et à la solidarité, à continuer à soutenir et à participer aux actions, comme les luttes des travailleur-se-s Sans Papiers pour leur régularisation. Nous resterons mobilisé-e-s contre tout nouveau coup porté au respect des droits et à la dignité des personnes étrangères.

Signataires :

Organisations nationales : Les Amoureux au ban public / Anafé / ANVITA / Ardhis / CCFD-Terre Solidaire / CGT / La Cimade / CNAJEP / CRID / Dom'Asile / Emmaüs / Femmes Egalité / FSU / Gisti / Grdr – Migrations-Citoyenneté-Développement / Humanity Diaspo / J'Accueille / LDH (Ligue des droits de l'Homme) / Ligue de l'Enseignement / Limbo / Médecins du Monde / MRAP / On Est Prêt / Oxfam / Patrons Solidaires / PLACE Network / Planning Familial / Polaris 14 / Réseau Féministe « Ruptures » / Ripostes, pour une coordination antifasciste / SAF (Solidarités Asie France) / Singa / Thot / UEE / Union syndicale Solidaires / UniR Universités & Réfugié.e.s / Utopia 56 / Visa – Vigilance et initiatives syndicales antifascistes / Watizat / Weavers

Organisations locales : Association Bretillienne des Familles / Accueil Réfugiés Bruz / L'Auberge des migrants / Bienvenue Fougères / Droit à l'Ecole / Fédération Etorkinekin Diakité / Forum Social des Quartiers – Rennes le Blosne / Groupe accueil et solidarité (GAS) / L'Hirondelle de Martigné-Ferchaud / Intercollectif : Coordination Sans-Papiers 75, CTSP Vitry, CSPM, CSP 17e, CSP 93, Gilets Noirs / L'IOSPE – InterOrga de soutien aux personnes exilées de Rennes / Ligue des Droits de l'Homme – Pays de Rennes / Migrants en Bretagne Romantique – QMS / Pantin Solidaire / Paris d'Exil / Plouër Réfugié-e-s / Réseau Territoires Accueillants 35 / Soutien Migrants Redon / Tous Migrant / Un Toit c'est Un Droit Rennes / VIAMI Val d'lle-Aubigné Accueil Migrants

Paris, le 2 octobre 2024
https://www.ldh-france.org/pour-une-politique-migratoire-daccueil-et-de-solidarite/

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En Ukraine, l’écocide est utilisé comme arme de guerre. Cela devrait faire partie des crimes traités par la Cour pénale internationale

15 octobre 2024, par Renéo Lukic, Sophie Marineau — , , ,
Depuis le 24 février 2022, la Russie mène contre l'Ukraine plusieurs guerres parallèles : la conventionnelle, l'hybride ou la cyberguerre, et celle contre l'environnement — (…)

Depuis le 24 février 2022, la Russie mène contre l'Ukraine plusieurs guerres parallèles : la conventionnelle, l'hybride ou la cyberguerre, et celle contre l'environnement — l'écocide. L'écocide en tant qu'arme de guerre est accompagné par la destruction systématique des infrastructures civiles et du réseau énergétique du pays. L'écocide n'est donc pas uniquement un simple dommage collatéral de la guerre conventionnelle, son objectif est de rendre invivables les régions de l'Ukraine pour la vie civile.

26 septembre 2024 | Tjhe conversation | Des maisons inondées dans la ville d'Oleshky, en Ukraine, le 10 juin 2023. Les inondations ont suivi l'explosion catastrophique qui a détruit le barrage de Kakhovka dans la région méridionale de Kherson. (AP Photo/Evgeniy Maloletka, File)
https://theconversation.com/en-ukraine-lecocide-est-utilise-comme-arme-de-guerre-cela-devrait-faire-partie-des-crimes-traites-par-la-cour-penale-internationale-238641

En détruisant les infrastructures, les routes, et en forçant les autorités ukrainiennes à investir temps et ressources à la reconstruction, la Russie s'assure de nuire le plus possible à la campagne militaire. Toute ressource, humaine ou matérielle investie dans le sauvetage ou la reconstruction d'une région prive le complexe militaro-industriel de la même ressource. Il s'agit donc d'une tactique de guerre à large spectre, visant à limiter les capacités ukrainiennes dans plusieurs secteurs, notamment dans le secteur militaire.

Un homme passe devant une voiture endommagée après une attaque de roquettes russes à Malokaterynivka, dans la région de Zaporizhzhia, en Ukraine, le 21 août 2024. La présence d'une importante centrale nucléaire à proximité laisse craindre un écocide depuis le début de la guerre. (AP Photo/Andriy Andriyenko)

Professeur titulaire de relations internationales au Département d'histoire de l'Université Laval, ma co-auteure, Sophie Marineau, est doctorante à l'Université catholique de Louvain en histoire. Depuis 2014, la guerre en Ukraine et la réaction internationale vis-à-vis du conflit sont au centre de nos recherches respectives.

Un geste délibéré

Le mot écocide provient du grec oïkos (maison) et du latin caedere (tuer) : l'action de tuer la Terre.

Selon l'historien David Zierler, l'écocide est une destruction délibérée de l'écologie et de l'environnement comme arme de guerre. Pour Laurent Neyret, juriste et spécialiste du droit de l'environnement, l'écocide comprend « toute action généralisée ou systématique comprise dans une liste d'infractions qui causent des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel, commises délibérément et en connaissance de cette action ».

Guerre du Vietnam

L'étude de l'écocide comme arme de guerre peut être retracée à la guerre du Vietnam lorsque les Américains ont mené de larges campagnes de bombardements visant à rendre le territoire hostile et inhabitable pour la population et le Front national de libération du Sud Vietnam, notamment par l'utilisation de l'Agent orange. Depuis, plusieurs tentatives, par différents acteurs de la communauté internationale, ont échoué à faire reconnaître l'écocide comme un crime international. Encore aujourd'hui, la lutte continue.

L'expertise universitaire, l'exigence journalistique.

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À cet effet, depuis le début de l'invasion russe de février 2022, le président ukrainien déplore le manque de reconnaissance internationale de l'écocide, et l'absence de compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour ce type de crime.
Cour pénale internationale

Les quatre crimes pour lesquels la CPI a compétence sont le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression. Dans une vidéo sur son canal Telegram, le président Volodymyr Zelensky déclare que la Russie est coupable de crime d'agression, l'un des crimes de guerre qu'elle a commis, et qu'on peut ajouter à la liste un écocide brutal à la suite de la destruction du barrage Khakovka en juin 2023.

En liant l'écocide aux autres crimes pour lesquels la CPI a compétence, Zelensky souhaite attirer l'attention de la communauté internationale sur la sévérité des dégâts causés par la guerre. Les coûts de reconstruction, estimés par la Banque Mondiale, sont déjà à près de 500 milliards de dollars américains pour tout le territoire ukrainien.

La destruction du barrage de Kakhovka pourrait éventuellement inciter la Cour pénale internationale à inclure l'écocide comme un cinquième crime relevant de ses compétences.

Vue aérienne d'un barrage coupé en deux
Cette image fournie par Maxar Technologies montre le barrage et la station de Kakhovka, en Ukraine, après son effondrement, le 7 juin 2023. (Satellite image 2023 Maxar Technologies via AP, File)
Rupture du barrage de Kakhovka

Selon le rapport de l'ONU, la destruction délibérée du barrage de Kakhovka, situé au sud de l'Ukraine et sous occupation de l'armée russe, le 6 juin 2023, a provoqué une inondation dévastatrice sur plus de 620 km2.

La rupture du barrage a causé la mort d'au moins 40 civils ukrainiens, quelque 4 400 foyers ont été inondés et plus de 4 000 personnes des oblasts de Kherson et de Mykolaivska ont été déplacées. Le rapport indique aussi de nombreux dommages sur l'écosystème de la région, notamment sur l'industrie de la pêche. On dénombre la perte de plus de 11 388 tonnes de poissons. Quelques 11 294 hectares de forêt ont aussi été détruits par les inondations. Parallèlement, le barrage permettait de fournir de l'eau potable à près d'un million de personnes qui s'en sont retrouvées privées à la suite de sa destruction.

Un homme accroupi devant des milliers de poissons morts gisant sur une terre asséchée
Un photographe prend des photos de poissons morts dans le réservoir asséché de Kakhovka après la destruction catastrophique du barrage de Kakhovka près de Kherson, en Ukraine, le 18 juin 2023. On dénombre la perte de plus de 11 388 tonnes de poissons. (AP Photo/Mstyslav Chernov)

Notons également que la Russie a refusé l'aide des Nations unies pour secourir la population civile ukrainienne sinistrée dans les zones sous son contrôle.

Pas un cas isolé

Malheureusement, le cas du barrage Khakovka n'est pas un cas isolé dans cette guerre. La Russie a visé d'autres barrages, notamment ceux de Oskil et de Pechenihy, en plus des attaques autour de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia — cinq fois plus grandes que la centrale de Tchernobyl, dont l'explosion de 1986 causerait potentiellement jusqu'à 25 000 cancers supplémentaires en Europe d'ici 2065.

L'armée russe a également transformé la centrale nucléaire de Zaporizhzhia en base militaire, sachant pertinemment que l'armée ukrainienne ne la prendra jamais pour cible, pour éviter tout incident, même si une contre-offensive devait être lancée dans la région.
Vue d'une caméra d'une centrale nucléaire. Une fumée s'élève d'une tour de refroidissement
Sur cette image d'une caméra de surveillance, de la fumée s'élève d'une tour de refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia dans une zone contrôlée par la Russie dans la région, en Ukraine, le 11 août 2024. (Ukrainian Presidential Press Office via AP)

De nombreux autres sites industriels endommagés ou détruits par les frappes russes ont causé des fuites de produits chimiques dangereux dans les rivières, les lacs, et dans l'écosystème ukrainien de façon générale.

Plus récemment, le 26 août 2024, la Russie a également lancé une frappe massive contre la centrale hydroélectrique de Kiev. Des coupures d'eau et d'électricité ont été signalées, mais la centrale n'aurait pas subi de dommages critiques selon les autorités ukrainiennes. En visant les infrastructures énergétiques, la Russie espérait démoraliser les Ukrainiens en les privant durablement d'eau et d'électricité.

Un droit international non contraignant

Étant donné que l'écocide n'est pas à l'heure actuelle un délit pénal au regard du droit international, l'Ukraine pourrait poursuivre les auteurs présumés de l'écocide en appliquant son propre code pénal. L'article 441 de ce code définit l'écocide comme étant la « destruction massive de la flore et de la faune, l'empoisonnement de l'air ou des ressources en eau, ainsi que toute autre action susceptible de provoquer une catastrophe environnementale ». Le code prévoit une peine d'emprisonnement allant de 8 à 15 ans.

L'Ukraine n'est cependant pas seule dans sa campagne pour faire reconnaitre l'écocide comme un crime international. Le Vanuatu a déjà soulevé la proposition en 2019, récemment appuyée par Fidji et Samoa — deux États insulaires du Pacifique — particulièrement vulnérables aux changements climatiques et à la montée des océans. Une demande formelle a été déposée à la CPI, le 9 septembre 2024.

Si l'écocide devait être reconnu comme une nouvelle compétence de la CPI, l'Ukraine serait alors en droit d'engager des procédures contre la Russie pour les ravages délibérés de la guerre actuelle sur son territoire.

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Manifestations et résistance contre la guerre en Russie

Pourquoi n'y a-t-il pas de manifestations de masse contre la guerre en Russie ? À quoi ressemblent les actions de protestation individuelles contre le régime de Poutine ? (…)

Pourquoi n'y a-t-il pas de manifestations de masse contre la guerre en Russie ? À quoi ressemblent les actions de protestation individuelles contre le régime de Poutine ? Comment les gens résistent-ils à la logistique de la guerre ? Ivan Astashin, militant de la zone de solidarité, retrace une brève histoire de la protestation anti-guerre en Russie.

Comment avons-nous réagi au début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine ?

Le 24 février 2022, les possibilités de protestation légale avaient pratiquement disparu en Russie. Au cours des dix années précédentes, les autorités avaient tout fait, par des moyens à la fois législatifs et pratiques, pour s'assurer que les gens ne descendent pas dans la rue. En fait, la vis s'est resserrée tout au long du règne de Poutine, mais c'est à la suite des manifestations de 2011-2012 que cette tendance s'est particulièrement accentuée. Ces manifestations - d'abord contre la falsification des élections législatives, puis contre le système de pouvoir existant dans son ensemble - restent à ce jour les plus grandes actions de protestation de l'histoire contemporaine de la Russie : à l'époque, jusqu'à 100 000 personnes ont réussi à descendre dans les rues de Moscou. La dernière manifestation de masse de cette période - la « Marche des millions » - s'est tenue le 6 mai 2012, à l'occasion de l'investiture de M. Poutine à la présidence de la Russie (pendant quatre ans, ce poste avait été occupé par le Premier ministre fantoche de M. Poutine, M. Dmitri Medvedev). Ce jour-là, la police et les forces de sécurité (OMON) ont empêché les manifestants d'atteindre la place Bolotnaya, où le rassemblement était censé avoir lieu. Cela a conduit à des affrontements entre les manifestants et les forces de sécurité. Par la suite, cet épisode a dégénéré en « affaire de la place Bolotnaya », une affaire criminelle qui a conduit à la poursuite et à l'emprisonnement de plus de 30 personnes. Après cet événement, la Douma d'État, sous le contrôle de l'administration présidentielle, a commencé à introduire des politiques répressives, qui ont restreint les possibilités de protestation légale et augmenté à la fois la durée des peines privatives de liberté et les amendes pour la participation à des manifestations non autorisées.

À l'époque, comme aujourd'hui, toute personne souhaitant organiser un rassemblement ou une manifestation en Russie devait obtenir l'autorisation des autorités municipales, faute de quoi elle risquait d'être dispersée par les forces de sécurité. Or, ces dernières années, il n'est pas arrivé une seule fois que les autorités locales autorisent une manifestation de l'opposition. Il est donc ridicule de penser qu'elles puissent un jour autoriser une manifestation anti-guerre. De plus, pendant toute cette période, les restrictions du COVID-19 sont restées en vigueur et ont été utilisées par les personnes au pouvoir comme une excuse pour refuser d'autoriser toute action de protestation de masse. Les autorités font de leur mieux pour limiter les appels à des manifestations non autorisées. En conséquence, les activistes publics qui incitent les gens à descendre dans la rue se font arrêter à leur domicile et, grâce à l'aide des caméras de reconnaissance faciale, à d'autres endroits également. Ils sont alors placés en détention sous l'accusation d'avoir organisé un rassemblement non autorisé. Pour une première infraction, la personne risque jusqu'à 10 jours d'arrestation. En cas de récidive, la personne risque jusqu'à 30 jours d'emprisonnement. Il est également important de noter que ces infractions administratives à la législation « anti-manifestation », ainsi que d'autres infractions similaires, peuvent donner lieu à des amendes considérables, allant jusqu'à 300 000 roubles (environ 3 000 euros aujourd'hui). Si certaines personnes ont peur d'être arrêtées, d'autres craignent ces amendes, car elles seraient alors obligées de renoncer à utiliser des cartes bancaires (les autorités pouvant prélever de l'argent sur les comptes bancaires) et il leur serait impossible de quitter le pays légalement.

En Russie, une manifestation non autorisée implique toujours un grand nombre de policiers et de gardes nationaux qui se rassemblent au point de rassemblement. En général, leur travail consiste à arrêter tous ceux qui se présentent et à les escorter jusqu'aux fourgons de police. C'est pourquoi il est évident qu'une action de protestation non autorisée ne peut réussir que si elle est réellement massive. Par exemple, en janvier 2021, après l'arrestation d'Alexei Navalny, un homme politique populaire de l'opposition, près de 20 000 personnes sont descendues dans les rues de Moscou. En raison de l'ampleur de la manifestation, les forces de sécurité n'ont pas pu arrêter l'action de protestation.

En même temps, même les manifestations non autorisées les plus réussies en Russie ne ressemblent pas à ce que nous voudrions qu'elles soient. Vous avez peut-être vu des images de manifestations russes montrant des manifestants se déplaçant exclusivement sur les trottoirs. Étant donné que le blocage des routes peut être considéré comme une infraction pénale en Russie - et nous pouvons trouver de nombreux exemples de poursuites pénales engagées par les autorités russes contre des activistes pour de tels actes - les gens évitent de le faire. Rien que dans le cadre de l'« affaire du palais » (où des manifestants ont été détenus pour avoir soutenu Navalny après son arrestation), au moins 22 personnes ont été inculpées en vertu de l'article 267 du code pénal de la Fédération de Russie pour avoir « empêché la circulation des véhicules et des piétons sur les voies publiques et les réseaux routiers ». Par exemple, l'activiste Gleb Maryasov a été condamné pour ce motif à une période de 10 mois d'emprisonnement.

Par peur de l'emprisonnement, les gens font tout pour éviter les confrontations avec les forces de sécurité. En effet, comme l'a montré l'expérience des 12 dernières années, on peut être accusé de « violence contre un représentant de l'autorité » pour les avoir bousculés ou leur avoir jeté une bouteille d'eau ou même un gobelet en plastique. Dans de tels cas, les militants ont généralement été condamnés à 2 ou 3 ans d'emprisonnement, mais il y a également eu des peines plus sévères, allant jusqu'à 5 ans. Par conséquent, lors des manifestations contre la guerre, nous voyons des manifestants fuir la police au lieu de marcher en rangs organisés avec d'autres manifestants.

La rhétorique de l'opposition libérale, qui s'articule autour du concept de protestation « pacifique » et « non violente », a joué un rôle majeur à cet égard. Cette rhétorique a gravement sapé le potentiel de protestation dans des circonstances où la protestation « pacifique » est impossible. L'opposition libérale a appelé les gens à descendre dans la rue, mais elle n'a jamais proposé de plan pour la suite. Au contraire, chaque fois que quelqu'un appelait à une escalade, elle qualifiait ces suggestions de « provocations ».

Je peux vous donner un exemple tiré de ma propre expérience. Le 23 janvier 2021, après l'arrestation de Navalny, son équipe a appelé les gens à descendre dans la rue pour protester. À ce moment-là, il n'y avait pas eu de grandes manifestations depuis plus d'un an et de nombreuses personnes étaient impatientes de répondre à l'appel à la protestation. Bien qu'il soit évident que les gens étaient prêts à descendre dans la rue non pas tant pour Navalny lui-même que contre les pouvoirs en place en général, certains anarchistes et gauchistes étaient sceptiques à ce sujet. À l'époque, cela ne faisait que quatre mois que j'avais été libéré de la colonie du régime et j'étais sous surveillance administrative. Néanmoins, j'ai décidé de me rendre à la manifestation en tant que spectateur. La manifestation a rassemblé un nombre impressionnant de personnes - d'après mes estimations, il y avait environ 20 000 personnes. Pourtant, les gens marchaient exclusivement sur les trottoirs et s'attendaient à une forme de protestation plus radicale de la part des « anarchistes, communistes et nationalistes » (ce sont les mots que j'ai entendus dans la foule). Les gens ne partageaient aucun programme ni aucune revendication, et ils manifestaient sans banderoles, drapeaux ou autres symboles.

Actions de protestation de masse après le début de l'invasion à grande échelle

La plupart des Russes ne s'attendaient pas au début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine, c'est pourquoi leurs manifestations du 24 février étaient largement spontanées. Ce jour-là, seul un groupe d'anarchistes et d'antifascistes a réussi à organiser une petite manifestation à Moscou, en s'appuyant sur leur expérience d'actions de protestation similaires. Selon des témoins oculaires, environ 700 à 800 personnes ont participé à la manifestation avant d'être rapidement dispersées par les policiers et les gardes nationaux. Dans le même temps, d'autres villes ont été le théâtre d'actions de protestation spontanées relativement importantes et assez réussies. On a pu voir des photos et des vidéos impressionnantes des manifestations à Novossibirsk, Ekaterinbourg et Saint-Pétersbourg.

Il semble que le lendemain, le 25 février, les manifestations de masse se soient poursuivies uniquement à Saint-Pétersbourg. En effet, les citoyens de cette ville ont passé de nombreux jours à protester contre la guerre.

Le mouvement démocratique de la jeunesse « Vesna » (« Printemps ») - un petit mouvement de jeunesse libéral - a annoncé une manifestation dans toute la Russie pour le 27 février. Cependant, les puissants médias d'opposition et les leaders d'opinion n'ont pas soutenu cette initiative. En conséquence, la manifestation du 27 février a été rejointe par relativement peu de personnes, qui n'ont pas pu se rassembler en un seul endroit en raison des contre-mesures de la police et de la garde nationale. À mon avis, ce fut une journée honteuse qui a marqué la fin des manifestations de masse contre la guerre en Russie. Dans tout le centre de Moscou, des centaines de personnes fuyaient devant quelques policiers. Cette journée a montré qu'il est impossible d'organiser des manifestations de masse dans les rues dans les circonstances actuelles. C'est du moins ce que j'ai constaté à Moscou, où les manifestations précédentes étaient généralement massives.

D'aucuns pourraient dire que la manifestation de Saint-Pétersbourg était mieux organisée et plus stimulante. Cependant, au début du mois de mars, les forces de sécurité ont procédé à des fouilles massives des militants qui avaient participé aux manifestations et qui auraient pu être chargés d'organiser d'autres manifestations. Certains militants ont fait l'objet de menaces d'intimidation, d'autres ont été inculpés dans des affaires pénales absurdes et détenus dans des centres d'isolement temporaires pendant quelques jours, alors que la manifestation devait avoir lieu.

En conséquence, les manifestations qui ont suivi les 6, 8 et 13 mars ont été de moindre ampleur et décevantes. Les manifestations de masse contre la guerre ont pris fin avant même d'avoir pu commencer.

Incendies criminels contre les bureaux d'enrôlement militaire

Néanmoins, dès les premiers jours de l'invasion à grande échelle, certaines personnes étaient prêtes à passer à une action plus radicale.

Le 28 février 2022, quatre jours après le début de la guerre, Kirill Butylin, 21 ans, a lancé des cocktails Molotov sur le bureau d'enrôlement militaire de Lukhovitsy, dans la banlieue de Moscou. Kirill a filmé cette action et l'a publiée en ligne, accompagnée d'un manifeste contre la guerre. Dans le texte d'accompagnement, il explique qu'il a peint les portes du bureau d'enrôlement militaire aux couleurs du drapeau ukrainien et qu'il y a écrit : « Je n'irai pas tuer mes frères ». Il a ensuite escaladé la clôture, versé de l'essence sur la façade du bâtiment, brisé quelques fenêtres et jeté des cocktails Molotov à travers celles-ci. Kirill Butylin avait pour objectif de détruire les dossiers des conscrits individuels qui, selon ses sources, étaient conservés dans ce bâtiment. Il pensait que cela entraverait la mobilisation dans le quartier. Kirill a également déclaré dans son manifeste : « J'espère que je ne verrai pas mes camarades de classe retenus en captivité ou figurant sur la liste des victimes. Je pense que cette approche doit être diffusée. Les Ukrainiens sauront qu'il y a des gens en Russie qui les défendent, que tout le monde n'a pas peur et que tout le monde n'est pas indifférent. Nos manifestants doivent prendre leur courage à deux mains et agir de manière plus décisive. Cela devrait encore plus briser le moral de l'armée et du gouvernement russes ». Malheureusement, Krill Butylin a été arrêté. Un an plus tard, il a plaidé coupable d'avoir commis un « acte de terrorisme » et a été condamné à 13 ans d'emprisonnement.

Le 3 mars, un bureau d'enrôlement militaire a été incendié à Voronezh. Les services de sécurité ont indiqué qu'un homme de 45 ans avait été arrêté, mais aujourd'hui encore, personne ne connaît les détails de cette histoire.

Le 11 mars, un bureau d'enrôlement militaire a été incendié dans la banlieue d'Ekaterinbourg. Une patrouille de police a arrêté l'incendiaire, qui s'est avéré être un anarchiste local de 24 ans, Aleksei Rozhkov. Il est maintenant accusé d'avoir commis un « acte de terrorisme », d'avoir « justifié le terrorisme » et d'avoir diffusé des « fausses informations » sur l'armée russe.

Ces exemples ne sont que les premières manifestations d'actions partisanes. Pendant toute l'année 2022, les insurgés russes ont commis pas moins de 78 incendies criminels contre la guerre. Parmi eux, 55 étaient des attaques contre des bureaux d'enrôlement militaire et des stations de recrutement. Les autres visaient le FSB, les forces de la garde nationale et les quartiers généraux de la police, ainsi que les bâtiments des administrations locales.

En général, ces incendies criminels sont perpétrés par des individus agissant sans l'aide de personne. En termes d'opinions politiques, n'importe qui, de l'anarchiste au néo-nazi, peut devenir un insurgé. Toutefois, dans la plupart des cas, ces personnes partagent des opinions relativement libérales-démocratiques et soutiennent souvent Navalny. Ils expliquent que la raison pour laquelle ils choisissent cette forme de protestation est qu'il n'y a pas d'autres alternatives.

Avant l'annonce de la mobilisation le 21 septembre 2022 - un événement qui signifiait que la guerre touchait désormais l'ensemble de la population adulte masculine en Russie - la plupart des forces politiques ont pris leurs distances par rapport au soutien à une action de protestation radicale. Les médias libéraux ont continué à insister sur l'idée d'une manifestation « pacifique ». Ce sont principalement les organisations anarchistes et nationalistes qui ont ouvertement exprimé leur soutien aux incendiaires.

Après l'annonce de la mobilisation le 21 septembre, la situation a radicalement changé. Presque tous les médias libéraux ont commencé à appeler à des incendies criminels : « Brûlez les bureaux d'enrôlement militaire ! » Néanmoins, ils n'ont offert aucun soutien réel non seulement aux insurgés qui passaient à l'action, mais aussi aux manifestants qui se sont retrouvés emprisonnés pour leurs incendies criminels contre la guerre. À ce jour, la seule initiative soutenant ces partisans arrêtés est le collectif Solidarity Zone, organisé par des activistes anti-autoritaires. Récemment, l'initiative Avtozak LIVE a également commencé à soutenir ces prisonniers politiques.

Sabotage ferroviaire anti-guerre

Outre les incendies criminels des bureaux d'enrôlement militaire, une autre forme d'action partisane a vu le jour, à savoir le sabotage des chemins de fer. Il est bien connu que le matériel militaire, les fournitures et les futurs soldats voyagent le plus souvent par train jusqu'au front. Il semble donc logique que pour résister à l'armée russe, il faille saboter cette ligne d'approvisionnement. Il se trouve que la première action de protestation de ce type a été menée par des activistes locaux au Belarus, car l'armée russe est également approvisionnée à travers son territoire.

Nous en savons moins sur le sabotage ferroviaire que sur d'autres formes de protestation. Si quelqu'un fait sauter un itinéraire ferroviaire ou démantèle simplement un tronçon de chemin de fer quelque part dans la forêt, il est peu probable que cela soit connu du grand public, à moins que les partisans eux-mêmes n'en fassent la publicité. Cependant, il arrive que l'on puisse voir des photos et des vidéos d'actions partisanes en ligne. Par exemple, l'Organisation de combat anarcho-communiste a publié une photo d'une voie ferrée démantelée et d'un chemin de fer brisé près du 51e arsenal de la Direction principale des missiles et de l'artillerie du ministère de la Défense de la Fédération de Russie, dans la région de Vladimir.

En 2023, le nombre de sabotages de voies ferrées a dépassé le nombre d'incendies volontaires de bureaux d'enrôlement militaires. Cependant, la forme de sabotage la plus répandue est également l'incendie criminel : les partisans mettent le feu à des dispositifs électromécaniques le long des voies ferrées, provoquant l'arrêt du trafic pendant quelques heures, voire quelques jours. En 2023, quelques explosions ferroviaires et déraillements de trains de marchandises à grande échelle ont également été organisés. Par exemple, l'anarchiste Ruslan Siddiqui a fait exploser la voie ferrée dans l'oblast de Riazan au passage d'un train de marchandises. Cette action a entraîné le déraillement de 19 wagons et a interrompu pendant une longue période le trafic sur cette branche du chemin de fer. Malheureusement, Ruslan a été arrêté.

Qu'en est-il aujourd'hui ?

En s'appuyant sur des sources d'information accessibles au public, Solidarity Zone a découvert qu'avant septembre 2023 (c'est-à-dire au cours des 19 premiers mois de l'invasion totale), il y avait eu 310 cas d'actions de partisans anti-guerre en Russie et dans les territoires occupés. Parmi ces actions, 128 étaient des incendies criminels de bureaux d'enrôlement militaire et d'autres installations gouvernementales, 111 des sabotages de voies ferrées et 18 des sabotages de sites industriels.

En outre, selon les calculs de Solidarity Zone, sur plus de 400 partisans, 156 personnes ont été arrêtées, le sort de 176 autres est inconnu et pas moins de 37 résistants ont échappé à l'arrestation.

En janvier 2024, différentes formes d'actions partisanes continuent d'être menées dans toute la Russie par des individus et de petits groupes de personnes. Les autorités procèdent à des perquisitions et à des arrestations, torturant souvent les détenus. Elles introduisent également de nouvelles politiques répressives (par exemple, fin 2022, une série d'amendements « anti-sabotage » ont été introduits, qui prévoient une peine d'emprisonnement à vie pour le sabotage et l'aide au sabotage). Cependant, les forces de sécurité ne parviennent pas à trouver tous les partisans. Par exemple, malgré des recherches chaotiques dans différentes régions, les agents de sécurité n'ont réussi à arrêter aucun des membres de l'Organisation de combat anarcho-communiste. Il semble que les partisans qui organisent des actes de sabotage ferroviaire parviennent souvent à éviter d'être arrêtés. L'initiative de défense des droits de l'homme Solidarity Zone vise à apporter un soutien aux insurgés qui ont été arrêtés.

IVAN ASTASHIN

La version originale de ce texte a été préparée par des militants de Solidarity Zone sous la forme d'une brochure à distribuer gratuitement. Les militants peuvent être contactés ici : https://solidarityzone.net/kontakty/

Site : https://posle.media/language/en/anti-war-protests-and-resistance-in-russia/?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTEAAR2TRYIjfzpmCYJQPO4ulOZd94mqSReSWRhOOxEuDSLV5ZJg95j3yM5hsAc_aem_9PYJgDRJBD9sN5QZ_Tj3QQ

Texte traduit en français avec Deepl.com.

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Ukraine : le suicide du vassal militaire européen ?

15 octobre 2024, par Michel Gourd — , ,
En ne créant pas suffisamment d'armement sur son territoire pour contrer la Russie, l'UE risque-t-elle de tout perdre en Ukraine si elle est abandonnée par les États-Unis ? (…)

En ne créant pas suffisamment d'armement sur son territoire pour contrer la Russie, l'UE risque-t-elle de tout perdre en Ukraine si elle est abandonnée par les États-Unis ?

Dans une entrevue présentée le 12 octobre dernier dans l'édition internationale du bulletin de nouvelles de TV5 Monde, l'ancien officier de l'armée française, Guillaume Ancel, qui a publié plusieurs livres et est cité régulièrement dans de très nombreux médias, affirmait qu'il y aurait une compétition qui se serait installée entre le front en Ukraine et celui au Moyen-Orient. Selon lui, le seul vrai fournisseur d'armes en Ukraine serait les États-Unis, pays qui réserverait actuellement l'essentiel de son stock d'armes à Israël, réduisant l'approvisionnement en Ukraine, ce qui mettrait ce pays en grande difficulté.

Bien que nous soyons deux ans et demi depuis le début de la guerre en Ukraine, l'industrie militaire européenne n'aurait jamais vraiment été mobilisée et la défense de l'Europe serait fortement dépendante des États-Unis. Malgré de nombreux discours, les Européens n'auraient donc pas vraiment pris conscience des enjeux et de l'importance de cette guerre puisqu'ils ne mobiliseraient pas leurs moyens industriels et n'auraient donc jamais pris le relais dans la fourniture d'armes. D'autres auteurs font remarquer que sur le continent européen, en dehors de la Russie, l'incitation à développer une économie de guerre se heurterait aux marchés et à la résilience du commerce.

Or la perte de la guerre en Ukraine pourrait avoir de très lourdes conséquences selon Pierre Lellouche, l'auteur d'« Engrenages. La guerre d'Ukraine et le basculement du monde ». Pour lui, l'après-guerre d'Ukraine déterminerait l'avenir de l'Europe et de ses institutions. Faute d'une bonne évaluation de la situation, après avoir raté la guerre en Ukraine, qui aurait pu être évitée, les Européens seraient donc partis pour rater la paix qui suivra. Incapables de fournir l'équipement militaire nécessaire, ils risquent donc de se retrouver avec une Ukraine ayant perdu le Donbass et la Crimée. Ce serait un pays économiquement ruiné et dévasté par la guerre, possiblement instable politiquement, mais aussi la première puissance militaire d'Europe en raison de toute l'aide reçue. Une seule vraie manière de changer la donne resterait, soit d'aider l'Ukraine à gagner la guerre.

Les preuves semblent s'accumuler pour montrer une Europe vassalisée par les États-Unis au niveau de la défense et dépassée par les événements. Dans un texte publié le 12 octobre sur son site web, le Réseau Atlantico se demande si la nouvelle tournée de Zelensky en Europe était un marathon pour rien. Le président ukrainien qui a visité Londres, Paris, l'Allemagne et l'Italie n'en revient avec rien de substantiel. S'il a reçu en Croatie, lors du sommet avec les États du Sud-Est européen du 9 octobre, le soutien diplomatique de 12 chefs d'États et de gouvernement des Balkans et de la Mer Noire, le président ukrainien n'a pas ramené d'aide financière supplémentaire. Bref, si les États-Unis coupent leur soutien militaire, l'Ukraine pourrait être acculée à la capitulation et la Russie aurait une fenêtre pour récupérer par la violence, ou la peur, plusieurs morceaux perdus de l'URSS. Seule une défaite russe serait capable de l'ébranler. La guerre en Ukraine semble tracer la future frontière orientale de l'Union européenne.

La manière proposée par Guillaume Ancel pour améliorer la situation serait donc à étudier sérieusement et rapidement. L'Europe devrait faire comme dans l'aéronautique et créer quelque chose ressemblant à un Airbus de la défense capable de fédérer toutes les capacités européennes, qui serait très importante considérant les budgets de la défense de tous les pays membres. Le but serait d'augmenter l'approvisionnement militaire de l'Ukraine afin de lui permettre d'avoir suffisamment d'avantages tactiques sur le terrain pour empêcher les Russes d'avancer, les obligeant à négocier la fin de la guerre. Cela permettrait de créer un moment où une négociation pourrait ne pas être considérée comme une capitulation pour les deux côtés. La défaite de l'Ukraine serait une catastrophe assurée pour l'Europe. Les Européens devraient réaliser que ce ne serait peut-être pas la même chose pour les États-Unis et que leur condition de vassal militaire peut les mener à leur perte.

Michel Gourd

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Opinion. « Alors qu’Israël s’apprête à frapper l’Iran, une guerre de plus en plus meurtrière s’annonce au Moyen-Orient »

15 octobre 2024, par Patrick Cockburn — , ,
Alors que le cabinet de sécurité israélien autorise des frappes aériennes sur l'Iran [1], les objectifs de guerre d'Israël s'élargissent et incluent le risque d'une guerre (…)

Alors que le cabinet de sécurité israélien autorise des frappes aériennes sur l'Iran [1], les objectifs de guerre d'Israël s'élargissent et incluent le risque d'une guerre régionale contre l'Iran afin de remodeler radicalement le paysage politique du Moyen-Orient en faveur d'Israël.

Tiré de A l'Encontre
12 octobre 2024

Par Patrick Cockburn

Cet objectif ambitieux, voire fantaisiste, est lourd de dangers pour la région et le monde. Israël ne peut l'atteindre sans le soutien total et non dissimulé des Etats-Unis. Bien que le président Joe Biden prétende avoir vainement exhorté Benyamin Netanyahou à un cessez-le-feu, il a par la suite toujours approuvé chaque escalade israélienne. Il est raisonnable pour Israël de conclure qu'il peut attaquer l'Iran en toute impunité, puisque, en cas de problème, il aura le soutien des forces armées américaines.

Les historiens parviendront peut-être un jour à conclure « à quel point la queue israélienne fait bouger le chien américain », profitant de la faiblesse de Joe Biden [sioniste catholique qui a toujours appuyé Israël] pour entraîner les Etats-Unis dans une nouvelle aventure militaire imprudente au Moyen-Orient.

Il est trop facile d'imputer l'inefficacité de la diplomatie états-unienne au déclin cognitif de Biden au cours des trois dernières années. Mais si ce n'est pas Biden, il est difficile de savoir qui sont les véritables décideurs à la Maison Blanche et dans les hautes sphères de l'administration.

Si l'on juge la Maison Blanche sur ses actes plutôt que sur ses paroles, elle voit un avantage géopolitique à vaincre l'Iran – un allié de la Russie et de la Chine, même s'il est éloigné – et ses alliés [2].

Les vœux pieux jouent probablement un rôle. Israël a réussi à tuer les dirigeants et les commandants de niveau intermédiaire du Hezbollah avec beaucoup plus de succès que prévu. Une attaque agressive contre l'Iran et son « axe de la résistance » ne pourrait-elle donc pas produire des victoires similaires ?

C'est une perspective séduisante, bien que les interventions militaires états-uniennes – de la Somalie en 1992/93 à l'Afghanistan en 2001 et à l'Irak en 2003 – aient échoué en grande partie à cause de l'hubris et de la sous-estimation de l'ennemi.

Un danger singulier

Les antécédents d'Israël sont quelque peu similaires lorsqu'il s'agit de surestimer avec arrogance sa main en Cisjordanie après avoir vaincu l'Egypte et la Syrie en 1967, et envahi le Liban en 1982. Pourtant, des décennies plus tard, les Forces de défense israéliennes (FDI) se battent toujours dans ces deux endroits.

Ces analogies historiques sont souvent citées par les commentateurs occidentaux comme des avertissements sinistres sur ce qui peut terriblement mal tourner pour les Etats-Unis et Israël lorsqu'ils ne comptent que sur la force. Pourtant, ces comparaisons sont quelque peu trompeuses, car le paysage politique, tant au niveau de la politique intérieure israélienne que de la région dans son ensemble, s'est transformé au cours des vingt dernières années. Ce sont ces changements qui rendent la crise actuelle bien plus dangereuse que les précédentes.

Le gouvernement israélien formé par Netanyahou après avoir remporté les élections générales de novembre 2022 a été immédiatement reconnu comme étant le plus fanatiquement de droite et le plus ultranationaliste de l'histoire d'Israël.

Pour ne citer qu'un exemple, Itamar Ben-Gvir, le chef du parti Puissance juive, est devenu ministre de la sécurité nationale – un poste nouvellement créé qui le place à la tête de la police nationale. Ce colon religieux de Kiryat Arba, près de la ville d'Hébron en Cisjordanie, a été condamné dans le passé pour incitation au racisme et soutien à la terreur. Il avait menacé le Premier ministre Yitzhak Rabin en direct à la télévision et avait accroché chez lui une photographie de Baruch Goldstein, qui avait assassiné 29 Palestiniens alors qu'ils priaient dans la mosquée d'Hébron en 1994 [4].

Compte tenu de la composition idéologique du cabinet israélien, il n'est guère surprenant que les objectifs d'Israël à Gaza et en Cisjordanie semblent désormais s'étendre à la fin de toute vie normale pour les cinq millions de Palestiniens qui y vivent. Jeudi, une frappe aérienne sur une école du centre de Gaza a tué 28 personnes, dont beaucoup, selon l'Unicef, étaient des femmes et des enfants qui faisaient la queue pour recevoir un traitement contre la malnutrition [5].

Les FDI (Forces de défense israéliennes) ont justifié cette frappe en affirmant que l'école abritait un poste de commandement du Hamas. Même à supposer que cela soit vrai, dans sa tentative de se justifier, les FDI avouent que le Hamas est présent partout à Gaza un an après l'invasion israélienne.

Israël prétend que le chiffre de 42 000 morts à Gaza est exagéré par le ministère palestinien de la Santé, mais c'est exactement le même schéma de frappes aériennes menées sans tenir compte des victimes civiles qui se produit au Liban. Une frappe sur Beyrouth, le même jour que celle sur Gaza, a tué 22 personnes, dont trois enfants d'une famille de huit personnes, qui avaient fui le Sud-Liban [6].

La nouvelle élite

Ce qui rend la crise actuelle doublement dangereuse, c'est que ce n'est pas seulement le fait qu'Israël ait une direction politique ethno-nationaliste. Une évolution parallèle s'est produite au sein de l'élite de l'Etat israélien – fonction publique, police, justice et, de plus en plus, les FDI – qui est issue de l'aile fondamentaliste et messianique de la société israélienne.

Cette nouvelle élite est moins sophistiquée que ses prédécesseurs (même si ces derniers étaient aussi souvent partisans d'une ligne dure), plus encline à considérer les ennemis d'Israël comme à la fois démoniaques et menaçants, mais aussi vulnérables lorsqu'ils sont confrontés à l'usage implacable de la force.

Le déroulement de la guerre jusqu'à présent au Liban tendrait à le confirmer et il y a d'autres arguments puissants de leur côté. Les Etats-Unis donnent carte blanche à Israël comme jamais auparavant et il est peu probable qu'ils s'opposent à une stratégie israélienne agressive à l'égard de l'Iran.

Menaces imminentes

Les Etats-nations arabes autrefois hostiles à Israël, notamment la Syrie, l'Irak, la Libye et le Soudan, ont tous été gravement affaiblis par des guerres civiles au cours des dernières années. Les dirigeants arabes sont muets ou inefficaces en ce qui concerne Gaza et le Liban. L'Iran est plus isolé qu'il ne l'a été depuis la fin de la guerre Iran-Irak en 1988.

Pourtant, la vulnérabilité de l'Iran et de ses alliés peut être un peu trompeuse. La bande d'Etats dominés par les musulmans chiites qui s'étend au nord du Moyen-Orient – l'Iran, l'Irak, la Syrie et le Liban – ne va pas disparaître.

Israël et les Etats-Unis pourraient tenter d'attiser les conflits religieux et ethniques dans des pays tels que le Liban, qui a connu une guerre civile sectaire meurtrière entre 1975 et 1990. On rapporte déjà que des musulmans chiites fuyant les bombardements israéliens sont considérés avec hostilité lorsqu'ils cherchent refuge dans certaines régions non chiites.

Quant à l'Iran, il pourrait conclure qu'il ne peut dissuader Israël, qui est prêt à risquer une guerre régionale, mais qu'il ferait mieux d'élargir le conflit en attaquant le trafic du pétrole [missiles des Houtis sur les navires passant le détroit de Bab el-Mandeb], les alliés des Américains ou les bases américaines [en Irak]. Son objectif serait de forcer les Etats-Unis à freiner Israël. L'affirmation de Washington selon laquelle il n'est pas en mesure de le faire est universellement rejetée au Moyen-Orient.

Il devient de plus en plus difficile de voir comment une guerre régionale peut être évitée – et encore plus difficile de voir comment elle peut être arrêtée. (Publié par INews le 11 octobre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)


[1] Selon le Washington Post du 11 octobre, « le cabinet de sécurité israélien s'est réuni jeudi sans voter l'approbation d'une action militaire contre l'Iran, jetant une incertitude supplémentaire sur la date à laquelle les frappes attendues pourraient avoir lieu. Les responsables israéliens se sont engagés à riposter à l'attaque de missiles balistiques à grande échelle lancée par l'Iran contre Israël le 1er octobre. »

Le « débat » porte sur l'ampleur et les objectifs qui vont rester non explicites. Ce qui était entendu dans la déclaration de Yoav Gallant. Jean-Phillipe Rémy dans Le Monde daté du 11 octobre rappelle que Yoav Gallant « a déclaré mercredi soir (9 octobre), devant les responsables israéliens que les frappes [contre l'Iran] allaient être “meurtrières, précises et surprenantes”. Et d'ajouter : “Ils ne vont pas comprendre ce qui leur est arrivé et comment cela leur est arrivé”. La menace […] demeure floue, mais semble orienter la nature de l'action. »

Selon Zvi Bar'el dans Haaretz du 11 octobre, « les scénarios de représailles israéliennes potentielles à l'attaque de missiles balistiques de l'Iran dominent la couverture médiatique en Iran, dans les Etats arabes et en Occident. Ces scénarios vont de l'attaque de champs pétroliers et d'installations de forage et de raffinage au bombardement d'infrastructures civiles et à l'attaque de sites nucléaires. Les avertissements et les menaces des hauts responsables iraniens, qui visent non seulement Israël mais aussi tout pays susceptible de permettre à Israël ou aux Etats-Unis d'utiliser son territoire ou son espace aérien pour attaquer l'Iran, sont tout aussi fréquents. » (Réd.)

[2] Dans la conjoncture actuelle, les différentes rencontres et déclarations de dirigeants donnent lieu à des hypothèses et spéculations sur les développements d'un conflit régional qui se profile et des alliances ou collaborations qui pourraient se concrétiser. Ainsi, le Financial Times du 12 octobre écrit : « Le président russe Vladimir Poutine a rencontré son nouvel homologue iranien Masoud Pezeshkian pour la première fois vendredi [11 octobre], alors que Téhéran devrait demander l'aide de Moscou pour moderniser son armée afin de contrer la menace d'une attaque d'Israël. Il est presque certain que l'Iran devra faire face à des représailles militaires après une attaque massive de missiles contre Israël le 1er octobre, lancée en soutien à son allié le Hezbollah. Les analystes affirment que, dans le cadre de sa dissuasion, Téhéran s'intéresse à la technologie russe, notamment aux batteries de missiles sol-air S-400, aux systèmes de guerre électronique et aux avions de chasse. La rencontre, en marge d'une réunion des dirigeants d'Asie centrale au Turkménistan, précède la signature attendue d'un accord stratégique entre la Russie et l'Iran lors d'un sommet à Kazan à la fin du mois, qui pourrait porter sur la coopération en matière de défense. » (Réd.)

[3] Charles Enderlin, dans Israël, l'agonie d'une démocratie, Le Seuil/Libelle, septembre 2023, notait de même que Netanyahou, en vue des élections de novembre 2022, a coaché Itamar Ben-Gvir pour « qu'il évoque publiquement le moins possible sont mentor, le rabbin raciste Meir Kahane. Retire de son salon le portrait de Baruch Goldstein, le terroriste juif qui, le 25 février 1994, a assassiné 29 fidèles musulmans en prière dans le tombeau des Patriarches, à Hébron. Surtout il doit exiger de ses militants [de Puissance juive] qu'ils cessent de scander “Mort aux Arabes” lors des manifestations et disent plutôt “Mort aux terroristes”. » (p.30-31) Ben-Gvir sera récompensé avec ce poste ministériel des plus importants qui, entre autres, lui donne le pouvoir de « surveiller les conditions de détention des Palestiniens » ! (Réd.)

[4] Le quotidien économique italien Il Sole 24 Ore du 12 octobre publie une note indiquant : « Israël prend délibérément comme cible les structures sanitaires, tuant et torturant le personnel médical à Gaza, ont déclaré les enquêteurs de l'ONU [Commission d'enquête indépendante internationale des Nations unies], accusant Israël de crimes contre l'humanité. » (Réd.)

[5] Le quotidien L'Orient-Le Jour du 11 octobre décrit (sous la plume de Lyana Alameddine) : « Cette pièce [d'un appartement de Basta el-Faouqa, quartier résidentiel… dans le cœur de Beyrouth], dont le mur s'est effondré, donne directement sur l'immeuble de quatre étages touché par la frappe israélienne et transformé en un champ de gravats où s'attroupe une meute de journalistes. Selon des résidents, des déplacés y avaient trouvé refuge. Ici, les bâtiments sont collés les uns aux autres. Presque aucune bâtisse n'a été épargnée par le souffle du bombardement. L'une d'entre elles a été éventrée. Dans la rue, la plupart des voitures sont calcinées. Dans ce Beyrouth considéré comme “sûr” par ses habitants, la peur s'installe. » (Réd.)

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L’isolement ou l’enfer du huis-clos - Lettre des geôles turques

15 octobre 2024, par Zeki Bayhan — , ,
« L'isolement est une obscurité profonde. Il entoure l'être humain d'innombrables filets. La conscience d'un néant infini englobe progressivement l'esprit ». Zeki Bayhan est un (…)

« L'isolement est une obscurité profonde. Il entoure l'être humain d'innombrables filets. La conscience d'un néant infini englobe progressivement l'esprit ». Zeki Bayhan est un détenu politique incarcéré depuis 27 ans, soupçonné d'avoir perpétré des attentats en défense des droits des Kurdes. Il a été transféré depuis peu de la prison fermée de type F de Buca Kırıklar d'Izmir, à celle de Kandira, dans province de Kocaeli. Il a transmis une lettre sur l'isolement.

9 octobre 2024
Tiré de https://blogs.mediapart.fr/zeki-bayhan/blog/091024/lisolement-ou-l-enfer-du-huis-clos-lettre-des-geoles-turques
Capture d'écran de la lettre manuscrite de Zeki Bayhan

Zeki Bayhan est un détenu politique, incarcéré depuis 27 ans. Il a été transféré depuis peu de la prison fermée de type F de Buca Kırıklar d'Izmir, à celle de Kandira , dans province de Kocaeli, à 2 000 kilomètres d'Hakkari où il est né en 1976. Diplômé en économie, il fut arrêté en 1998 pour appartenance au Parti des travailleurs du Kurdistan et soupçonné d'avoir à ce titre perpétré des attentats à la bombe. Le 8 juin 2000, la Cour de sûreté le condamna à la peine capitale, commuée à la réclusion criminelle à perpétuité. Dans une lettre puissante et profondément émouvante il décrit l'impact psychologique et émotionnel profond que l'isolement cellulaire produit sur tout individu condamné à de lourdes peines, sans aucune perspective de révision. Dans cette lettre, Zeki Bayhan réfléchit sur la nature de l'isolement cellulaire, qui, selon lui, va bien au-delà de la séparation physique. Il décrit l'isolement comme une volonté systématique pour emprisonner l'esprit humain dans le corps, un processus qui pousse les individus à l'autodestruction. Il parle avec éloquence des luttes auxquelles sont confrontés les prisonniers, à la fois en isolement et/ou en détention partagée, en offrant une série de « fenêtres » sur la réalité déchirante de la vie dans ces conditions.

André Métayer, d'Amitiés kurdes de Bretagne.

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Zeki Bayhan

B-63 Koğuşu, 2 nolu F Tipi Hapishanesi,

Kandıra/Kocaeli , Türkiye

« J'ai l'impression de m'adresser à vous depuis une lointaine fenêtre »

Bonjour,

Lorsqu'on m'a demandé d'écrire quelque chose sur l'isolement, la première chose qui m'est venue à l'esprit a été de m'interroger sur quoi dire. Non pas parce qu'il n'y a rien à dire, mais plutôt parce qu'il y a tellement de choses et de conséquences dévastatrices qu'on ne sait pas comment les décrire. Et, bien sûr, on est hanté par le doute quant au degré de compréhension possible sur ce que va être dit. Si l'on y réfléchit bien, l'isolement et ses pratiques sont si inhumains que cela dépasse la perception et l'expérience d'un être humain normal. Ce n'est donc pas facile à comprendre. C'est pourquoi j'ai l'impression de m'adresser à vous depuis une lointaine fenêtre.

L'isolement, c'est en effet être sans fenêtre. Dans l'isolement, toutes les fenêtres sont tournées vers l'intérieur. A l'intérieur de l'être humain... Il s'agit d'une sorte d'autodestruction forcée. C'est une terrible torture que d'être obligé de ne voir, de n'entendre et de ne sentir plus que soi-même partout où l'on regarde. Comme si vous étiez pris dans un tourbillon, tiré de plus en plus bas, en ayant l'impression de s'écrouler et de s'effondrer sur soi-même. Oui, l'isolement n'a pas de fenêtre sur l'extérieur mais les personnes qui résistent trouvent des moyens de créer de petits trous dans les murs de l'isolement lui-même. Vous savez, lorsque vous mettez votre œil sur un petit trou et que vous regardez à l'intérieur, le trou grandit et se transforme en fenêtre. Ici, je vais essayer d'ouvrir quelques fenêtres par lesquelles vous pourrez voir à l'intérieur, à l'intérieur de l'isolement. Je sais que depuis la lumière du dehors, il est difficile de voir l'obscurité à l'intérieur, mais si vous rapprochez vos yeux des fenêtres, peut-être un peu plus... Parlons des fenêtres.


La politique de l'isolement pousse à s'autodétruire

Fenêtre 1 : L'isolement est l'action d'isoler physiquement une personne en l'incarcérant. Il est généralement analysé, critiqué, etc. dans ce cadre. Cependant, il ne s'agit que de l'aspect factuel de l'isolement. Les caractéristiques spatiales et architecturales sont liées au domaine d'application de l'isolement, et non à l'isolement lui-même. En réalité, l'isolement ne se limite pas à l'incarcération de personnes entre des murs. Le but de l'isolement est d'emprisonner l'esprit humain dans le corps. C'est ce qui est destructeur. C'est le but de l'isolement physique, des technologies de contrôle et de surveillance et de toutes les pratiques du régime carcéral. Avec l'isolement, toute l'attention, la sensibilité, l'anxiété et la peur du prisonnier sont incitées à se diriger vers soi-même, vers son propre corps. Dès que le prisonnier tombe dans ce piège, il commence à se découper et à se consumer. L'isolement est la politique qui consiste à pousser quelqu'un à s'autodétruire de ses propres mains. Il s'agit d'une destruction physique, idéologique, politique, spirituelle, mais nécessairement d'une destruction.

Briser les personnes sur le plan psychologique, émotionnel et intellectuel

Fenêtre 2 : Des formes les plus sombres d'isolement aux formes relativement grises, l'objectif est le même : briser les personnes sur le plan psychologique, émotionnel et intellectuel.

Dans l'isolement, bien sûr, le fait d'être seul ou avec une ou deux autres personnes fait une différence. Il est réconfortant d'entendre une autre voix que la sienne, mais dans les conditions d'isolement qui s'étendent dans le temps, les personnes qui restent ensemble perdent peu à peu leur spécificité et leur vitalité l'une pour l'autre. L'imbrication permanente des mêmes personnes dans un espace de quelques mètres carrés conduit à la mémorisation de tous les comportements et réflexes des uns et des autres.

Et dans la mesure où ceux qui restent ensemble perdent leur caractère distinctif les uns par rapport aux autres, ils deviennent partie intégrante du système d'isolement. L'isolement d'une personne se transforme en isolement de trois personnes. Et parfois, l'isolement de trois personnes peut devenir encore plus difficile, et c'est ce qui arrive.

Quel terrible tourment de ne pas avoir un seul moment pour soi

Fenêtre 3 : L'isolement est un système de destruction dans lequel les personnes sont punies à la fois en étant avec et sans les autres. L'isolement punit les gens en les empêchant d'être avec les autres. Vous avez envie d'entendre une autre voix. En revanche, dans un isolement à trois ou cinq personnes, on est puni parce qu'on est toujours avec les mêmes personnes. Je ne sais pas si vous pouvez comprendre quel terrible tourment c'est de ne pas avoir un seul moment pour soi, de ne pas avoir un endroit où être seul pendant des années et des années.

Je parle de situations telles que l'incapacité à s'éloigner lorsqu'on est frustré, l'incapacité à se retirer dans une pièce et à fermer la porte lorsqu'on est submergé par son entourage, ou l'incapacité à trouver un coin tranquille pour se reposer lorsqu'on souffre de maux de tête.

L'isolement c'est une répétition sans fin

Fenêtre 4 : La vie en isolement est basée sur une répétition sans fin. Chaque jour est le même que tous les autres jours. Imaginez que vous viviez le même jour pendant dix ans, vingt ans, trente ans. Vous avez l'impression d'être suspendu dans le temps ; vous avez l'impression que votre sens du temps a été effacé. Une petite expérience sociale : demandez à quelqu'un qui a servi dans l'armée ou étudié à l'université de vous raconter ses souvenirs à l'armée ou à l'université. Ils vous feront de longs récits. Demandez à quelqu'un qui a été emprisonné pendant vingt ou trente ans... Il sera plus silencieux. Parce qu'il a vécu la même journée pendant 20 ou 30 ans.

Emprisonner l'esprit humain dans les habitudes

Fenêtre 5 : Une vie d'isolement basée sur une répétition sans fin finit par se substituer, par l'habitude, à l'acte de penser. En vivant le même jour, il n'est pas nécessaire de repenser ses actions. Les habitudes naissent de ce que l'on a déjà pensé. Or, l'esprit a déjà pensé une fois et codé le quoi et le comment. Après cela, il s'agit d'une répétition sans fin. En isolement, les habitudes mécanisent la vie à un tel point que l'on fait souvent les choses sans réfléchir. Parfois, une hésitation apparaît, on se demande « si j'ai fait ça ou pas ». Quand on se retourne et qu'on vérifie, on s'aperçoit qu'on l'a fait. Sans réfléchir. Une personne en prison semble beaucoup penser. Cependant, il ne s'agit souvent pas d'une véritable réflexion analytique. Il s'agit plutôt d'un plongeon ou d'un va-et-vient entre des miettes fragmentées teintées d'un peu de mélancolie. J'ai mentionné que l'isolement emprisonne l'esprit dans le corps. Et le filet dans lequel l'esprit est emprisonné, ce sont les habitudes.

L'humiliation inutile du comptage biquotidien

Fenêtre 6 : Il est trompeur de penser à l'isolement en termes de pratiques individuelles. L'isolement est un système, un ensemble de pratiques. Les pratiques individuelles trouvent également leur sens dans ce contexte. Par conséquent, la perception de ces pratiques par le détenu n'est pas forcément la même que celle des personnes qui regardent de l'extérieur. La plupart du temps, elle n'est pas du tout la même. Par exemple, chaque jour, deux fois par jour, il y a un comptage. Les prisonniers sont comptés. Si vous demandez à l'État, il vous répondra : « Je dois les compter pour des raisons de sécurité ». Si vous demandez aux gens de l'extérieur, ils disent « C'est compréhensible, il n'y a pas de mal ». Dans la perception du prisonnier, cependant, le décompte est un rappel biquotidien que le prisonnier est un actif fixe, c'est une pratique faite pour maintenir en vie la “conscience du néant”.

Réfléchissons maintenant pour savoir si la perception de la personne extérieure à cette pratique est plus proche de l'État ou de la personne en isolement. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les quatre prisonnier·ère·s sont observé·e·s et surveillé·e·s à l'aide de toutes sortes d'outils technologiques. Alors est-il vraiment nécessaire, pour des raisons de sécurité, de procéder à un comptage physique afin de déterminer si les prisonniers sont dans leur cellule ou non ?

L'isolement détruit aussi psychologiquement les gardiens

Fenêtre 7 : L'isolement nuit également à la psychologie des gardiens. Il est inconcevable que les responsables de pratiques inhumaines restent normaux. Les gens deviennent progressivement des gardiens. Le système le sait également. C'est pourquoi les gardiens qui interagissent avec les avocats et les familles de l'extérieur sont généralement différents de ceux qui s'occupent des prisonniers à l'intérieur. La prison a un visage à la fois tourné vers l'extérieur et vers l'intérieur.

Ces fenêtres ne sont pas de celles qui portent la lumière, elles portent l'obscurité jusqu'à l'extérieur. C'est la raison pour laquelle cela peut être accablant. Je viens à peine de commencer, mais je m'arrête là.

Mais malgré tout, il est possible de résister

Je voudrais terminer en disant quelques mots sur le revers de la médaille. Oui, l'isolement est une obscurité profonde. Il entoure l'être humain d'innombrables filets. La conscience d'un néant infini englobe progressivement l'esprit, l'émotion, etc. Mais malgré tout, il est possible de résister. Même s'il est difficile de résister à l'isolement, il faut attraper la lumière dans l'obscurité et la faire grandir. Les prisonniers politiques y parviennent. La résistance est multiforme. Pour un·e prisonnier·ère politique qui a été isolé·e durant 10 ou 20 ans, écrire un article publiable sur la politique actuelle, par exemple, est une grande réussite contre l'isolement. Le contenu intellectuel de l'article est bien sûr important, mais ce qui est encore plus important et précieux, c'est que, malgré des années d'isolement, il n'a pas rompu avec l'agenda de la lutte populaire et qu'il peut articuler la politique actuelle. C'est un exemple de résistance qui montre que l'isolement peut être surmonté par la volonté humaine.

Les prisonnier·ère·s politiques sont des sujets politiques qui luttent en prison ou en isolement. Le passage de la position de sujet politique en lutte à celle de victime des conditions d'emprisonnement ou d'isolement est le point où la destruction commence pour le prisonnier politique. C'est un piège. Il a été mis en place. Malheureusement, certains d'entre nous tombent dans ce piège. Lorsque les prisonnier·ère·s politiques sont isolé·e·s de leur identité et de leur combat politiques, il ne reste qu'une personne victimisée. C'est l'objectif du régime d'isolement.

Appel aux soutiens : devenez correspondant

Le changement du régime des prisons et de l'isolement n'est possible que par le changement du système politique. Cela nécessite une longue lutte et donc du temps. Cela signifie que l'isolement ne sera pas levé immédiatement. En ce cas, de petites touches et contributions à la vie et à la résistance des prisonnier·ère·s politiques en prison peuvent être envisagées. Il ne faut pas oublier qu'une personne isolée a le plus besoin des gens et que la question n'est pas celle du soutien économique. Ceux qui vivent l'isolement le plus profond en prison sont les prisonnier·ère·s politiques condamné·e·es à une peine d'emprisonnement à perpétuité aggravée. Ils sont 9 dans ma prison et environ 20 au total dans les 3 prisons de notre campus. Si chacun des avocats patriotes, révolutionnaires et démocrates prenait la procuration d'un de ces amis et même s'ils les rencontraient pour une heure de conversation tous les trois mois, ce serait une bouffée d'air frais pour ces amis.

Encore une fois, si chacune des personnes bienveillantes qui ne sont pas avocats devenait le correspondant d'un de ces amis et pouvait lui envoyer quelques livres tous les deux mois, ce serait également une bouffée d'air frais pour ces amis. De telles touches sont-elles si difficiles ? C'est à vous de voir. Je l'ai suggéré. Nous devrions prendre l'isolement dans son endroit le plus sombre et commencer la lutte à partir de là. N'oublions pas cet endroit ! L'isolement peut être froid, mais l'esprit de résistance est chaud. Avec la chaleur de celles et ceux qui résistent, je vous salue tou·te·ss avec affection et respect...

Zeki BAYHAN

À ce jour, Zeki BAYHAN a publié quatre livres : “Paradigme démocratique, écologique et de libération des genres” (Belge Publications, 2011) ; “Socialisme démocratique” (Belge Publications, 2015) ; “Nation démocratique” (Belge Publications, 2016) ; “Atteindre le point zéro” (Aram Publications, 2018).

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Déluge d’Al-Aqsa, Occident et Shoah : un entretien avec Gilbert Achcar

S'il y a une lueur d'espoir au milieu de ce brouillard tragique qui hante notre région depuis le début de la guerre génocidaire à Gaza, elle consiste sans aucun doute dans le (…)

S'il y a une lueur d'espoir au milieu de ce brouillard tragique qui hante notre région depuis le début de la guerre génocidaire à Gaza, elle consiste sans aucun doute dans le mouvement populaire de solidarité qui s'est développé dans les pays occidentaux – en contraste avec le tableau morose des pays arabes à cet égard – notamment aux États-Unis, où ce mouvement est surtout important en raison de la centralité du rôle des États-Unis dans le soutien à l'État sioniste, de leur complicité de fait avec lui et de leur pleine participation à la guerre génocidaire qu'il mène.

1. L'opération Déluge d'Al-Aqsa a ramené » la question de Palestine » au centre de l'attention du monde et a exposé les préjugés inhérents à la position officielle et institutionnelle de l'« Occident », qui a non seulement soutenu Israël, mais a sacrifié également des valeurs, telles que l'objectivité journalistique, la liberté d'opinion et autres, afin de protéger le récit du gouvernement israélien, même lorsque ce dernier s'effondrait. Par position « occidentale » ici, nous n'entendons pas tous les pays occidentaux, ni qu'il y ait une position sans objection interne ou diverses versions. Nous entendons plutôt une position qui s'est elle-même définie comme « occidentale » et a justifié ses limitations sous cet angle. Comment les attitudes médiatiques et culturelles à l'égard du génocide en cours peuvent-elles être évaluées et expliquées ? Y a-t-il eu des changements dans ces attitudes entre l'année dernière et aujourd'hui ?

Permettez-moi d'abord de préciser ce que l'opération Déluge d'Al-Aqsa est censée avoir accompli. Si par retour de la Palestine au « centre de l'attention mondiale », on entend la vague montante de condamnation de la guerre génocidaire menée par Israël et de solidarité avec le peuple palestinien, il serait plus exact de dire que cela s'est produit en dépit de l'opération Déluge d'Al-Aqsa plutôt que grâce à elle. En effet, le premier impact de l'opération a été que la sympathie mondiale pour la population israélienne a atteint son paroxysme, avec une exploitation médiatique intense de ce qui s'est passé le 7 octobre – non sans exagération et même fabrication de mythes. Toutefois, c'est la brutalité de l'assaut sur Gaza qui, en dépassant ce qui avait été observé dans toutes les guerres sionistes contre le peuple de Palestine, y compris la Nakba de 1948, a provoqué l'indignation d'une partie importante de l'opinion publique dans les pays occidentaux. Quant aux pays du Sud mondial, la majorité de leurs populations soutiennent la cause palestinienne, à l'exception de l'Inde, dominée par un gouvernement néofasciste et antimusulman qui partage l'état d'esprit du gouvernement néofasciste d'Israël.

Le cœur du sujet est l'exceptionnalité de la guerre génocidaire que l'État sioniste mène à Gaza. Cela a exacerbé le fossé dans les médias occidentaux entre ceux qui ruminent le mythe de l'État d'Israël comme rédemption de l'Holocauste nazi, de sorte que qui conque s'y oppose est renvoyé à une généalogie qui le place dans la même catégorie que les nazis, et ceux qui dénoncent ce qui est en train d'être fait par un État aujourd'hui gouverné par une coalition de néofascistes et de néonazis, dont le comportement envers le peuple palestinien rappelle le comportement des nazis allemands. Le mouvement de solidarité avec la Palestine est nettement plus fort en Grande-Bretagne que dans des pays comme la France ou l'Allemagne. L'une des principales raisons en est la différence évidente entre le complexe de culpabilité des Allemands et des Français, dont les ancêtres ont été impliqués dans l'extermination des Juifs, et l'absence d'un tel complexe chez les Britanniques, qui voient leurs ancêtres, bien au contraire, comme des sauveurs des Juifs.

2. La Shoah est le levier culturel et historique de cette position, en particulier dans des pays comme l'Allemagne, ce qui les amène à retirer « la question de la Palestine » de la politique étrangère et à l'insérer dans un récit psychologique et historique de culpabilité et de responsabilité. Comment ce récit historique a-t-il été construit et transformé en un levier de soutien occidental à Israël ?

Il s'agit d'une très ancienne entreprise de propagande, qui a commencé immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le mouvement sioniste a intensifié sa campagne envers les gouvernements occidentaux, les États-Unis en particulier, ainsi que le gouvernement soviétique, afin de les amener à soutenir le projet d'un État juif – d'abord, en exerçant des pressions sur le gouvernement britannique et, ensuite, à l'Organisation des Nations Unies lorsque la question lui fut soumise. La propagande s'est d'abord concentrée sur le rôle désastreux d'Amin al-Husseini [chef religieux palestinien] qui a agi en porte-parole de la propagande nazie pendant la guerre, de sorte que les Palestiniens purent être dépeints comme des disciples des nazis – contrairement à la vérité historique, comme je l'ai montré dans mon livre Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (2009).

Cette légende a continué à être tissée au fil des décennies, Gamal Abdel Nasser et Yasser Arafat étant tour à tour décrits comme des imitateurs d'Adolf Hitler. Les derniers à être nazifiés sont le Hamas et le Hezbollah. Le Déluge d'Al-Aqsa a fourni une occasion unique de porter ce récit mythique à son paroxysme. Dès le début, Netanyahou et ses collègues, mais aussi divers gouvernements occidentaux, ont décrit l'opération comme « le pire massacre de Juifs depuis la Shoah ». Cette façon de présenter les choses vise à dépeindre l'opération Déluge d'Al-Aqsa comme une continuation de la série de crimes racistes auxquels les Juifs européens ont été soumis tout au long de l'histoire, en la détachant ainsi de la séquence historique à laquelle elle appartient vraiment, qui est l'histoire des luttes populaires contre le colonialisme en général, et l'histoire de la résistance au colonialisme sioniste en Palestine en particulier.

3. Les récits changent et s'adaptent aux transformations sociales et politiques. Cela s'applique au récit de la Shoah, dont les traits ont changé ces dernières années. Alors que ce récit portait initialement sur la relation de l'Occident avec ses composantes juives, il a commencé à se transformer, sous une pression visant à le redéfinir, en un récit sur le danger de l'Islam pour les Juifs, en particulier après les événements du 11 septembre. Comment ce récit a-t-il été réorienté pour s'aligner sur le changement politique ?

La question est plus complexe que cela, il me semble. L'accent sioniste sur l'Islam a été conforme à la montée de l'islamophobie en Occident au cours des dernières décennies, en particulier après les attentats du 11 septembre à New York et Washington. Cela s'est produit dans le cadre d'une montée mondiale de l'extrême droite, dont l'État sioniste a été pionnier avec l'arrivée du parti néofasciste Likoud au pouvoir en 1977 ; puis en 2001, l'accès d'Ariel Sharon, alors figure la plus radicale du Likoud, au poste de premier ministre, quelques mois avant le 11 septembre ; et enfin et surtout, l'installation de Netanyahou à ce même poste sur le long terme à partir de 2009. Ils ont tous contribué à la fabrication de l'idéologie de l'extrême droite contemporaine, dans laquelle les Juifs ont été remplacés par les musulmans, de sorte que l'État prétendant représenter l'héritage de la lutte antinazie est devenu un rouage central de la tradition opposée, celle de l'extrême droite islamophobe contemporaine.

Cependant, la question se complique lorsque l'on tient compte de l'objectif israélien de « normalisation » avec les États arabes réactionnaires, et plus particulièrement avec le royaume saoudien. C'est pourquoi il existe un discours parallèle qui fait la distinction entre « bons » et « mauvais » musulmans, en mettant l'accent sur la caractérisation du Hamas et du Hezbollah comme antisémites, et, bien sûr, en les qualifiant de terroristes, afin d'établir une différence entre eux, ainsi que l'Iran qui les soutient, et les États de la « normalisation », c'est-à-dire l'Égypte, la Jordanie, le Maroc et les monarchies du Golfe. La même distinction était au cœur de la rhétorique de l'administration George W. Bush après le 11 septembre.

4. Le débat sur la position arabe sur l'Holocauste était un moyen de transformer ce récit, en concevant une culpabilité arabe ou un antisémitisme arabe susceptible de remplacer l'ancien ennemi. Comment évalueriez-vous ces tentatives, à la lumière de votre livre sur le sujet ?

Ces tentatives ne résistent pas à l'épreuve de la réalité et à l'examen des faits historiques. J'ai consacré à les réfuter un épais ouvrage, salué même par certains historiens éminents de la Shoah et qu'aucun historien prosioniste n'a pu contrer autrement que par les épithètes et les insultes habituelles, en particulier l'accusation voilée d'antisémitisme. Ils ont donc préféré le conjurer par une conspiration du silence, au point qu'aucun journal ou magazine américain de premier plan n'a publié une recension du livre, à la grande déception de mon éditeur américain, l'une des plus grandes maisons d'édition américaines. Quant à la traduction hébraïque, elle n'a été ni revue, ni commentée, ni même mentionnée dans un quelconque journal israélien. Publiée en 2017 après des années de pression de la part d'Israéliens antisionistes, la publication en a été contractée par l'éditeur américain, qui détient les droits de traduction, avec le Van Leer Institute, où plusieurs intellectuels israéliens juifs et palestiniens ont travaillé, le plus célèbre parmi ces derniers étant Azmi Bishara lorsqu'il était encore dans le pays. En fait, on peut remarquer que le débat historique sur ces questions s'est estompé ces dernières années pour être remplacé par des accusations générales sans prétention scientifique.

5. Le retour de « la question de Palestine » au centre de la politique a accompagné le « génocide » en cours à Gaza, qui a fait la une des journaux cette année, le gouvernement israélien étant accusé de perpétrer des crimes. Vous attendez-vous à ce que le « génocide » transforme les approches « occidentales » d'Israël et du récit centré sur la Shoah ?

Il n'y a pas de position « occidentale » unifiée sur la question. Il y a des gouvernements d'Europe occidentale, en Irlande, en Espagne et en Belgique, qui ont adopté assez tôt des positions condamnant l'agression sioniste contre Gaza et appelant à la solidarité avec le peuple palestinien en reconnaissant l'État de Palestine, une façon pour eux d'exprimer leur condamnation des actes du gouvernement Netanyahou et leur soutien à une solution pacifique au conflit en cours dans le cadre établi par le droit international. La réponse judiciaire à la guerre génocidaire sioniste, qui est gérée par la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, est naturellement basée sur le droit international, dont la violation par l'État sioniste a atteint un niveau plus élevé que jamais auparavant.

Tout cela a affecté d'autres gouvernements occidentaux, au point que l'Allemagne elle-même, qui a été le plus ardent des partisans d'Israël pour des raisons historiques évidentes, a commencé à exprimer une réserve timide et à suggérer que ses exportations militaires vers Israël avaient été gelées. Quant à la Grande-Bretagne, même son Premier ministre actuel, prosioniste par excellence, a été contraint d'annoncer la suspension de quelques exportations militaires vers Israël. Le dernier événement en date est l'appel du président français à mettre fin aux exportations d'armes vers Israël tant que le pays est engagé dans une guerre meurtrière contre Gaza et le Liban.

Plus important encore, l'opposition à la guerre génocidaire menée par l'État sioniste est parvenue jusqu'à la Chambre des représentants des États-Unis, où quelques élus ont soumis des projets de loi visant à assortir les exportations militaires vers Israël de conditions strictes quant à leur utilisation. Même Joe Biden, que Netanyahu a décrit comme un « fier sioniste irlando-américain », a dû suspendre pendant un certain temps la fourniture à Israël des bombes les plus mortelles, pesant environ une tonne chacune, que les forces sionistes ont largement utilisées pour détruire Gaza et anéantir son peuple. Tout cela met en évidence la contradiction flagrante entre le droit international, dont la plus grande partie a été rédigée à la suite de la victoire sur le nazisme et ses alliés, et le comportement de l'État sioniste. Les gouvernements occidentaux sont confrontés à un choix difficile dans leur position sur ce droit international qu'ils ont défendu avec enthousiasme contre l'invasion russe de l'Ukraine et ignoré en ce qui concerne la guerre génocidaire à Gaza, avec des difficultés qui s'aggravent toutefois avec le temps.

6. Le deuxième développement qui a accompagné le retour de « la question de Palestine » a été la vague de solidarité avec Gaza, qui a surpris beaucoup de monde, surtout après des décennies de mise à l'écart de la question palestinienne loin du centre de l'attention publique occidentale. Voyez-vous dans cette solidarité la possibilité d'un changement politique dans les manières d'aborder « la question de Palestine » en Occident ?

S'il y a une lueur d'espoir au milieu de ce brouillard tragique qui hante notre région depuis le début de la guerre génocidaire à Gaza, elle consiste sans aucun doute dans le mouvement populaire de solidarité qui s'est développé dans les pays occidentaux – en contraste avec le tableau morose des pays arabes à cet égard – notamment aux États-Unis, où ce mouvement est surtout important en raison de la centralité du rôle des États-Unis dans le soutien à l'État sioniste, de leur complicité de fait avec lui et de leur pleine participation à la guerre génocidaire qu'il mène. Nous en sommes arrivés au point où la position sur cette guerre est devenue un facteur avec lequel il faut compter lors des élections américaines. Il s'agit d'un développement important, et il faut espérer qu'il se poursuivra et atteindra le point où il pourrait changer l'équation internationale au sujet de la Palestine.

Vous pouvez librement reproduire cet entretien en en indiquant la source avec le lien correspondant, ainsi que la source de l'original arabe.

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7 octobre 2024 : c’est le premier anniversaire de quoi ? VP

Ce n'est pas le premier anniversaire d'une offensive de destruction, d'oppression et d'agression menée par l'Etat israélien contre Gaza en particulier et contre les (…)

Ce n'est pas le premier anniversaire d'une offensive de destruction, d'oppression et d'agression menée par l'Etat israélien contre Gaza en particulier et contre les Palestiniens en général. L'offensive actuelle commence en effet le 8 octobre 2023. Le 7 octobre se produisaient les massacres du Hamas, qui donneront le motif de l'offensive israélienne commencée le lendemain.

Tiré d'Aplutsoc.

Ce n'est pas le premier anniversaire d'une offensive historique de la lutte de libération palestinienne : le 7 octobre 2023, les forces du Hamas perçaient la prison de Gaza uniquement pour commettre des massacres qui allaient fournir le prétexte d'un recul historique de la situation déjà sombre des Palestiniens.

Le 7 octobre est l'anniversaire d'un pogrom et du calvaire des otages pris ce jour-là. « Pogrom » implique que l'offensive n'avait rien d'une offensive de libération, ce que l'on a pu croire parfois, faute d'informations, pendant les toutes premières heures. Il s'agissait uniquement du massacre des juifs se trouvant dans des kibboutz frontaliers et dans une rave party, plus de nombreux non juifs, palestiniens ou immigrés, et parmi lesquels des militants pacifistes ou défenseurs des Palestiniens comme Vivian Silver.

« Pogrom » signifie aussi que l'opération a pris la forme d'une vague de meurtres par armes blanches et par le feu, assortis de mutilations et de viols. « Pogrom » n'est pas un terme tendancieux « sioniste », il désigne ce que les juifs, d'Israël ou non, sionistes ou non, ont ressenti, et que les humains doivent savoir ressentir avec elles et eux.

« Pogrom », enfin, est un terme qui s'incorpore à l'analyse suivante : le processus déclenché le 7 puis le 8 octobre est réactionnaire sur toute la ligne, tant du côté du Hamas que de celui de Tsahal.

Comment qualifier, ensuite, ce qui a commencé le 8 octobre, lorsque les troupes israéliennes ont été ramenées de la Cisjordanie sur Gaza ?

« Génocide » est un terme fréquemment employé, mais pour deux raisons différentes.

L'une est l'indignation, devant les massacres, leur répétition, l'horreur, sa prolongation. Ainsi parle-t-on aussi parfois de génocides s'agissant des Ukrainiens, des Syriens, des Arméniens, des Tamouls …

Mais il y a une deuxième raison. « Génocide » était déjà, avant le 8 octobre, un terme obsessionnel s'agissant de Gaza. « Israël [id est : les Juifs] commet un génocide ».

Quant une série de crimes de guerre et de crimes de masse ont été commis chaque semaine depuis le 8 octobre 2023 envers la population de Gaza, l'indignation légitime et la deuxième raison, plus trouble, à l'emploi systématique de ce mot, se sont conjuguées.

S'il n'est pas toujours possible de rectifier chaque fois que passe le mot, il est néanmoins nécessaire de distinguer. Où en est-on exactement à Gaza s'agissant de la réalité d'un génocide ?

45 000 morts et probablement plus, une population de 2 millions de personnes dans des décombres victimes du trauma, de la faim et des maladies : c'est assurément là une situation qui comporte la possibilité d'un génocide. Et cette possibilité résulte des actes choisis et assumés par l'armée et par le gouvernement d'extrême-droite israéliens.

Mais faites le test : presque toujours, les publications et les forces politiques qui répètent, indépendamment de la situation concrète, « génocide, génocide », s'agissant de Gaza, n'ont vu aucun génocide ou risque de génocide en Ukraine, alors que le discours poutinien est explicite et que, jusqu'à il y a quelques semaines, le niveau de destruction et le type de « traitement » de la population à Marioupol ressemblait beaucoup à Gaza ; ils n'ont rien vu ni rien dit non plus s'agissant de la Syrie, ou du Tigré, où du Darfour encore récemment, où le nombre de victimes est très supérieur, victimes palestiniennes aussi en Syrie.

C'est donc que nous avons affaire à un biais particulier. Le reconnaître implique de comprendre que l'antisémitisme, loin d'être « résiduel » comme le veut le dogme de la « gauche » campiste de plus en plus réactionnaire, est une réalité forte du capitalisme contemporain.

La réalité du pogrom du 7 octobre et la réalité de la situation de risque génocidaire montant instaurée à Gaza depuis le 8 octobre devrait être comprise comme la plus terrible condamnation jetée à la face de l'ordre social et politique du monde capitaliste contemporain : car cette double mais unique réalité signifie que le risque génocidaire est réel à l'encontre des Juifs et qu'il est immédiat à l'encontre des Palestiniens.

En toute rigueur, et la rigueur est indispensable, il n'y a pas eu génocide à ce jour à Gaza, mais un massacre et des crimes de masse. Si cela continue, deux millions et demi de personnes sont exposées à mourir : le risque génocidaire est là. Il faut donc l'empêcher.

Scander que le génocide a lieu ou a eu lieu n'est pas la meilleure manière de l'empêcher réellement. Il faut, de même, empêcher la purification ethnique en Cisjordanie et briser le talon de fer en train de s'appesantir sur le restant du peuple palestinien.

Donner un nom rigoureux aux faits requiert une analyse qui situe les évènements dans la réalité mondiale du moment présent. Et l'on ne peut les comprendre autrement.

Depuis les 7 et 8 octobre 2023, on entend tous les jours d'éminents analystes poser à l'intelligence en nous rappelant pesamment ce que tout le monde sait déjà et qui est indéniable, à savoir que le 7 octobre se produit dans une situation conditionnée depuis des décennies par la colonisation … ce qui n'en fait pas un acte anticolonialiste ou excusable pour autant !

Ces mêmes éminents analystes « oublient » la réalité mondiale présente.

Or, c'est du point de vue de cette réalité mondiale présente qu'il était utile à certains que se produise la provocation pogromiste du 7 octobre. Sa conséquence directe a été de mettre l'Ukraine au bord de la défaite, en achevant de tarir les livraisons d'armes et en détournant l'attention. Une telle défaite aurait scellé le caractère de la période ouverte alors, comme un « minuit dans le siècle », un minuit précoce dans un siècle qui se réchauffe …

Malgré tout, les Ukrainiens ont résisté à ce jour, la montée au pouvoir de l'extrême-droite a été temporairement stoppée, bien malgré Macron, en France, et il s'avère que Trump peut être battu. Ni Netanyahou ni le Hamas ne sont pour rien dans cette résilience des combats pour les droits sociaux et pour la démocratie !

D'où l'impasse dans laquelle s'est trouvé Netanyahou, acculé à choisir, à Gaza, le génocide ou le cessez-le-feu. Il lui faut la guerre. Fort de ce que l'Iran était capable de lancer le Hamas dans une folie mais n'avait pas l'intention de l'aider vraiment, Netanyahou a entrepris la destruction des « proxis » de l'Iran, Hezbollah en tête, créant ainsi une situation, dans laquelle la guerre régionale semble à la porte, et la porte semble entrouverte car la guerre est au Liban, situation dont tant Trump que Poutine espèrent profiter.

Netanyahou joue avec le feu au bord du gouffre pour prolonger la situation et éviter tout choix à Gaza, prolongeant le risque génocidaire, tout en menant à bas bruit l'épuration ethnique en Cisjordanie.

Ainsi, tant la provocation du 7 octobre que ce qui a suivi et ce qui se passe à présent ne peut être compris et analysé que dans le cadre de la multipolarité impérialiste actuelle et non pas dans les catégories équivoques du « sionisme » éternel qui sont celles des petites doxas de la « gauche » dominante.

Et c'est à l'échelle internationale que nous sauverons les Gazaouis du risque génocidaire proche, et imposerons un cessez-le-feu, par le combat pour battre Trump aux Etats-Unis, Poutine par les armes en Ukraine et ensuite par les peuples en Russie, et, ne nous oublions pas, en battant Macron/Barnier/Le Pen et leur régime politique, la V° République, dont il faut sortir, en France.

Précisons que l'arrêt des envois d'armes n'aurait pas pour effet de « désarmer » Israël mais de faire tomber Netanyahou et d'ouvrir la voie à la seule manière efficace de combattre les chefs ultra-réactionnaires du Hamas ou du régime iranien : par la reconnaissance du droit national à l'autodétermination palestinienne et par le respect des libertés individuelles de toutes et de tous, quelles que soient leur identité.

Ces combats peuvent gagner.

Mais soyons clairs : le type de mobilisation « pour la Palestine » ayant eu lieu jusqu'à présent ne constitue en rien une mobilisation internationaliste efficace. C'est la mobilisation de Science-Po, mise sous les projecteurs, et pas celle du 93 où l'on s'est mobilisé, dans le silence médiatique, pour l'école publique. S'identifier au Palestinien souffrant en arborant ses couleurs et en chantant « le génocide » n'empêchera pas un génocide de se produire mais l'accompagnera. Ce qui l'empêchera, ce sont l'ensemble des combats contre les pouvoirs en place et, dans ce cadre, pour l'arrêt des envois d'armes à Israël. Ce qui l'empêchera, c'est la reconstruction d'un véritable internationalisme dans le feu de ces combats.

Ces combats peuvent gagner : Macron a donc déclaré qu'il faudrait arrêter d'armer Israël à l'encontre de Gaza. C'est une déclaration platonique qui n'entraine aucune conséquence contraignante pour la France et moins encore pour les Etats-Unis. Mais c'est une déclaration qui retentit car elle dit tout haut le problème posé à Washington : l'impasse sanglante vers laquelle Netanyahou, aidé au départ par le Hamas, fonce à toute allure.

Cette impasse sanglante est aussi celle de Poutine, elle concentre en elle l'impasse sanglante d'un ordre social global, que l'on combattra, et que l'on renversera, en commençant par stopper ses effets immédiats les plus extrêmes.

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Un an de génocide, un an de protestations

Dans cet article, la juriste et universitaire palestinienne Noura Erakat revient sur les différentes séquences qui ont jalonné l'offensive génocidaire de l'État colonial (…)

Dans cet article, la juriste et universitaire palestinienne Noura Erakat revient sur les différentes séquences qui ont jalonné l'offensive génocidaire de l'État colonial israélien contre les Palestinien-nes de Gaza depuis un an, ainsi que sur les mobilisations multiformes qui ont sillonné le monde et les initiatives juridiques visant à mettre fin au génocide et à sanctionner Israël.

Tiré du site de la revue Contretemps.

Le génocide est toujours en cours et Israël menace le Liban du même niveau de destruction que Gaza. Dans le même temps, la solidarité avec la Palestine n'a jamais été aussi puissante et la réalité du projet sioniste si limpide. Comme les Palestinien-nes qui résistent inlassablement depuis près d'un siècle, tou-tes celles et ceux qui sont soucieux-ses de l'égalité et de la justice dans le monde brandissent, aujourd'hui et pour toujours, la bannière éclatante de la Palestine jusqu'à sa libération.

***

Jour après jour, depuis un an, l'armée israélienne a mené une campagne d'extermination implacable contre les palestiniens à Gaza. Jour après jour, les gens de conscience tentent d'y mettre fin.

367e jour du génocide. J'ai pris l'habitude de compter les jours de cette manière, avec l'horrible certitude qu'aujourd'hui, la destruction à échelle industrielle des Palestiniens de la bande de Gaza se poursuit, et avec la détermination infaillible de la voir prendre fin, aujourd'hui.

J'ai établi cette pratique au 6e jour, lorsque l'on a appris que la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient avaient largué 6000 bombes en moins d'une semaine sur une population assiégée, majoritairement constituée de réfugiéEs.

Avant même cette révélation, nous comprenions que cette attaque était sans précédent. Nous le comprenions, même en sachant que la colonisation de peuplement de la Palestine par Israël avait déjà créé une structure d'élimination vieille de huit décennies ; même en sachant qu'Israël avait lancé de grandes offensives durant la guerre de 1948, la guerre de 1967 et l'invasion du Liban en 1982 ; même en sachant qu'il avait encerclé Gaza d'une grille militarisée depuis 1993, imposé un siège total depuis 2007, et démarré une campagne systématique d'offensives à grande échelle depuis 2008.

Nous comprenions que cette fois les choses étaient à la fois d'une ampleur et d'une nature différentes. Mu par un désir fanatique de vengeance, doublé du calcul opportuniste, dépourvu de tout scrupule, par lequel la Nakba pourrait être menée à son terme, Israël, avec le soutien d'une superpuissance globale, déchaîna une campagne impitoyable visant à punir et détruire un peuple qui refuse de disparaître.

Nous savions tout ceci dès le 6e jour, et puis, ce même jour vers minuit, l'armée israélienne ordonna à 1,1 million de palestiniens de se déplacer vers le sud, au-delà de la rivière Wadi Gaza. Dès le 7e jour, le spécialiste des études sur l'holocauste, Raz Segal, parlait à ce propos d'un « cas d'école en matière de génocide ». Le 8e jour, 800 chercheurs en droit sonnèrent la même alarme. Au 10e jour, l'hôpital Al-Ahli fut bombardé. Au 11e jour, 400 militantEs juifs et juives occupèrent le Capitole aux États-Unis, tandis qu'au 12e jour, les experts des Nations Unies mettaient en garde contre un génocide.

Le 27e jour, des militants d'Oakland, en Californie, empêchèrent l'accostage d'un bateau qui, les avait-on averti, transportait des munitions à destination d'Israël. Le 28e jour, 300 000 manifestants à Washington DC exigèrent un cessez-le-feu immédiat. 31e jour ; des militants à Tacoma, dans l'État de Washington, empêchèrent là encore l'accostage d'un bateau chargé de munitions. 33e jour ; trois organisations palestiniennes pour la défense des droits humains adressèrent une pétition à la Cour pénale internationale accusant Israël de génocide. 35e jour ; à Londres, près d'un demi-million de manifestants exigèrent un cessez-le-feu, et le 37e jour, le Centre for Constitutional Rights attaqua en justice le Président des États-Unis ainsi que son ministre des affaires étrangères [Antony Blinken] et son ministre de la défense [Lloyd J. Austin] pour mettre fin à leur complicité de génocide.

Tout ceci est arrivé avant le premier et le seul cessez-le-feu qui facilita l'échange diplomatique de captifs entre les 48e et 54e jours.

Quatre semaines plus tard, au 83e jour, la République d'Afrique du Sud soumit sa pétition accusant Israël de non-respect de la Convention sur le génocide. Cette initiative participait du soulèvement global de toutes celles et ceux qui n'avaient pas besoin d'une cour de justice pour caractériser ce dont ils et elles étaient témoins en temps réel. Les uns et les autres n'avaient besoin d'aucun précédent juridique pour condamner la destruction de 60 pour cent des immeubles d'habitations de Gaza, l'anéantissement de toutes les principales universités, la paralysie de 36 hôpitaux, le ciblage d'une mosquée vieille de 1400 ans et la troisième église la plus ancienne au monde.

Ils et elles n'eurent besoin d'aucun comité juridictionnel pour conclure que le fait de tuer 247 palestiniens par jour en moyenne, dont deux mères de famille toutes les heures, et l'amputation d'un ou de plusieurs membres de dix enfants chaque jour, n'étaient pas le résultat d'un grotesque affrontement urbain. Cependant, un bien trop grand nombre d'États membres de l'ONU, nécessitèrent, eux, que leur principal organe judiciaire les rappelle à leurs obligations et devoirs, pour les contraindre à contenir un État génocidaire et ses soutiens.

Au 111e jours, sur les 17 juges de la Cour internationale de justice, 15 estimèrent plausible qu'Israël était en train de perpétrer un génocide. Ils étaient d'accord sur le fait que la loi interdit ce que le sel de la terre condamne, à savoir, que la destruction d'un peuple, que ce soit à des fins politiques, ou d'accroissement d'une emprise territoriale, ou d'imposition unilatérale de la souveraineté de colons, ou pour toute autre raison, n'est jamais acceptable.

Mais cette décision retentissante se heurta à la réalité désespérante de l'absence de tout mécanisme de mise en application dans le système international, excepté, il est vrai, pour ce qui concerne le Conseil de sécurité de l'ONU dont les cinq membres permanents détiennent un droit de veto qui peut s'opposer – et qui d'ailleurs s'oppose – à la volonté de la terre entière.

Malgré cela, une opinion mondiale implacable poursuivit un combat acharné pour la justice la plus élémentaire. Si les institutions internationales ne pouvaient être mobilisées efficacement pour arrêter le génocide, les institutions nationales, elles, le seraient. Au 121e jour, plusieurs fonds de pension danois se sont désinvestis d'entreprises israéliennes ; au 122e jour, le gouvernement de Wallonie décida de suspendre deux licences d'exportation d'armes ; au 129e jour, une cour d'appel néerlandaise interdit le transfert de toutes les pièces détachées d'avions F-35 ; et au 246e jour, la Colombie imposait un embargo énergétique. En Angleterre et aux États-Unis, des militantEs sont passés outre leur propre gouvernement pour aller directement bloquer les usines Elbit, le plus gros fabricant d'armes privé d'Israël, installé à Tamworth, Oldham, et Cambridge.

193e jour : les étudiantEs des universités américaines, qui avaient protesté contre la complicité de leur institution dans le génocide, éveilla l'attention du pays lorsque les étudiantEs de Columbia installèrent un campement. Au 209e jour, il y avait plus de 150 campements semblables à travers le monde. Ces étudiantEs ne furent pas dissuadéEs par les sanctions brutales que leurs propres institutions leur infligèrent pour avoir osé s'opposer aux pires atrocités que des États pouvaient commettre, et pour s'être emparé du potentiel de l'action organisée pour changer le cours de l'histoire.

De manière héroïque, des étudiantEs en journalisme vinrent combler le vide béant laissé par toute la profession du secteur, et des diplômés produisirent de nouvelles connaissances sur la Nakba que les publications de juristes les plus en vues tentèrent de censurer, en vain. Au 228e jour, partout aux États-Unis, des assemblées adoptèrent 175 résolutions municipales en faveur du cessez-le-feu, et au 235e jour, 100 000 personnes encerclèrent la Maison blanche d'une ligne rouge humaine, en réponse à celle que le gouvernement Biden avait menacé d'instaurer autour de la dernière ville encore debout à Gaza, avant de s'y refuser au bout du compte.

Tout ceci ne représente qu'une fraction du travail entrepris à échelle globale pour stopper le génocide, et pour ne rien dire du front inflexible maintenu par les Palestiniens à Gaza, sans lequel la solidarité n'aurait aucun sens. Mais rien de tout ceci n'a suffit à mettre un terme au génocide.

A ce jour, le 366e, près de 42 000 palestiniens, pour celles et ceux que l'on a pu recenser, ont été tués -parmi lesquels, plus de 20 000 enfants, ensevelis, introuvables, et détenus. Les noms de ceux âgés de moins de un an remplissent quatorze des 649 pages du document qui tente de garder la mémoire de ces victimes. A ce stade, 902 familles dans leur intégralité ont disparu du registre civil. Le nombre réel de morts résultant du programme consistant à imposer la famine, les maladies et la destruction des conditions nécessaires à la survie, selon la revue médicale The Lancet, est de 186 000 et atteindra les 335 000 d'ici la fin de l'année.

Mon souhait

Est de voyager

D'arriver jusqu'à un hôpital

Et d'avoir une prothèse des bras.

Afin de pouvoir tenir un ballon dans mes mains

Afin de pouvoir jouer.

Afin de pouvoir écrire.

Afin de pouvoir manger

Et pourtant, même encore maintenant, Israël n'en a pas terminé. Au 355e jour, il a intensifié sa campagne avec une attaque terroriste au Liban qui a transformé des humains en bombes ambulantes. Israël a continué avec le bombardement aveugle de secteurs habités en ayant recours au même cliché raciste du « bouclier humain » qui aurait pourtant dû finir sous les 26 millions de tonnes de gravats et de débris auxquels ont été réduites ce que furent autrefois les infrastructures civiles de Gaza. Suite aux tirs de missiles iraniens sur Israël, au 359e jour, le risque d'une guerre régionale et potentiellement globale plane sur un horizon qui se rapproche.

Aujourd'hui, 367e jour, il est quasiment impossible de ne pas éprouver un sentiment de désespoir. « La catastrophe n'est pas à venir, la Nakba n'est pas le passé, » nous dit l'historienne Sherene Seikaly. Nous ne sommes pas au bord du précipice de l'apocalypse ; nous avons construit la vie dans ses replis. Dans son traité sur la reconstruction du monde, Octavia Butler nous rappelle que « tout ce que nous touchons, nous le transformons. Tout ce que nous transformons nous transforme ».

Nos efforts collectifs ont laissé une marque indélébile : les États-Unis et Israël sont isolés à l'échelle internationale, leur influence réduite au seul recours à la l'usage de la force nue, dépourvu du moindre argument juridique ou éthique en sa faveur. Leurs ravages sans limite n'ont d'égal que leur propre naufrage moral, qui saute aux yeux de qui consent à les ouvrir.

Nous sommes nous-même transformés à jamais : les yeux grands ouverts, prêts à nous défier des autorités médiatiques, sociales et politiques cherchant par tous les moyens à nous réduire à l'état de zombies obnubilés par les divertissements de la culture pop ; grands ouverts sur le fait que l'impérialisme façonne chaque détail de nos vies quotidiennes ; sur le fait que le sionisme est un racisme et qu'une Palestine libre a le potentiel de nous libérer toutes et tous.

Il nous faut reconnaître notre propre désespoir, le nommer, pour empêcher son abysse de ténèbres de transformer nos espaces d'interventions en lieux toxiques de blessures. Il nous faut nous rappeler que la capitulation n'est pas une option et que l'histoire s'étend au-delà du temps même d'une époque entière.

Il nous faut nous tourner vers les Palestinien-nes pour trouver notre meilleure ligne de conduite et notre inspiration, vers eux et elles qui, pendant 76 années, ont plus d'une fois subi des pluies de coups et qui chaque fois se sont redressés tel un phénix, pour se reconstituer et continuer à se forger un avenir dans le feu du sacrifice le plus difficile et l'assurance de la victoire collective. Un génocide a menacé d'effacer la Palestine, mais il conduit à ce que la Palestine vit aujourd'hui dans chacune et chacun de nous, immortelle. Rien, ni personne parmi nous, ne sera plus jamais le même.

*

Noura Erakat est avocate, engagée dans la défense des droits humains, professeure à l'Université Rutgers, New Brunswick, et coéditrice de Jadaliyya. Elle a publié Justice for Some : Law and the Question of Palestine (Stanford University Press).

Traduction par Thierry Labica.

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Poursuit de la guerre contre Ghaza et le Liban : Les États-Unis et l’Allemagne, principaux pourvoyeurs d’armes d’Israël

En dépit de la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) et des appels de plus en plus nombreux à un embargo sur les livraisons d'armes à Israël, les Etats-Unis, (…)

En dépit de la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) et des appels de plus en plus nombreux à un embargo sur les livraisons d'armes à Israël, les Etats-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni continuent d'assurer un soutien militaire, aux forces israéliennes.

Tiré d'El Watan.

Pendant que Beyrouth brûle sous les bombes israéliennes, que Ghaza subit depuis plus d'une année une guerre dévastatrice qui a fait plus de 42 000 morts, plus de 10 000 portés disparus et près de 100 000 blessés, que la Cisjordanie occupée est assiégée et fait l'objet d'offensives militaires violentes qui ont pour conséquence près de 600 morts en une année, les livraison d'armes à Israël n'ont pas fléchi, malgré la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) et les appels à l'embargo sur l'armement que de nombreux pays ont déjà mis à exécution.

Allié important d'Israël, la France, par la voix de son président Emmanuel Macron, a fini par rejoindre ces derniers, en appelant, jeudi, à l'interdiction de la vente d'armes à Tel-Aviv. Bien plus. Il a accusé « d'incohérence », les gouvernements qui appellent à un cessez-le feu à Ghaza tout en continuant à approvisionner les forces israéliennes en armes meurtrières.

Sous le fallacieux prétexte du droit à la légitime défense d'une force occupante, les Etats-Unis et de nombreux pays européens ont, dès le 7 octobre 2023, soutenu la guerre génocidaire contre Ghaza. Dérive après dérive, le comportement de l'armée sioniste a été jugé par la Cour internationale de justice (CIJ) comme « génocidaire », et par la Cour pénale internationale (CPI) comme des actes de « crimes de guerre » et de « graves violations » du droit humanitaire, suscitant, chez de nombreux pays, la crainte de se voir complices dans l'épuration ethnique qui se déroule sous les yeux du monde et à ce jour.

Alliée principale d'Israël, l'administration américaine n'a pas fléchi un moment son appui militaire et politique à Tel-Aviv, malgré son offensive militaire qui prend une tournure extrêmement dangereuse pour la paix dans la région, en l'élargissant au Liban, à l'Iran, au Yémen, à la Syrie et à l'Irak, en attendant d'autres pays ciblés par son projet expansionniste.

Dans un nouveau rapport sur « Costs of War Project » sur les dépenses américaines, publié il y a quelques jours, l'Institut américain Watson Bronwn d'études internationales a estimé à 22,76 milliards de dollars, le montant dépensé par l'administration américaine pour les opérations israéliennes et connexes dans la région, du 7 octobre 2023 au 30 septembre 2024. Le rapport affirme en outre que le montant global « inclut les 17,9 milliards de dollars que le gouvernement américain a approuvés en matière d'aide à la sécurité pour les opérations militaires israéliennes à Ghaza et ailleurs depuis le 7 octobre, soit bien plus que toute autre année depuis que les Etats-Unis ont commencé à accorder une aide militaire à Israël en 1959 ».

Le rapport précise, néanmoins, que cette enveloppe ne « représente qu'une partie » du soutien financier américain fourni pendant cette guerre et précise que c'est la marine américaine qui a « considérablement intensifié ses opérations défensives et offensives contre les militants houthis au Yémen », en soulignant que « les opérations US dans la région, y compris au Yémen, ont déjà coûté au gouvernement 4,86 ​​milliards de dollars, inclus dans la somme de 22,76 milliards de dollars ».

La « raison d'état » de l'Allemagne et « les intérêts » géostratégiques US
Officiellement, depuis le 7 octobre 2023, l'administration américaine a livré à Israël 57 000 obus d'artillerie, 36 000 cartouches de canon, 20 000 fusils M4A1 et 13 981 missiles antichars. Au mois d'août dernier, elle a approuvé cinq contrats (qui attendent leur validation par le Congrès), de vente d'armes majeures, dont 50 avions de combat F-15, des munitions pour chars, des véhicules tactiques, des missiles air-air et 50 000 obus de mortier, entre autres équipements, pour un montant total de plus de 20 milliards de dollars.

Depuis le début de la guerre, Washington n'a pas cessé d'intensifier son aide à Israël tout en appelant à un cessez-le-feu et à éviter de cibler les civils. Pendant que Washington s'opposait à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU exigeant la fin de la guerre, le président Biden a contourné le Congrès et utilisé une disposition d'urgence pour vendre environ 14 000 obus de char – d'une valeur de 106,5 millions de dollars à l'Etat hébreu.

En juillet 2024, alors que des centaines de Palestiniens ont été tués dans les raids aériens sionistes à Rafah, malgré l'ordre de la CIJ pour évacuer la zone, le président Biden, a autorisé les livraisons de bombes de 227 kg, et au mois d'août, il a validé cinq opérations de vente d'armes pour plus de 20 milliards de dollars, actuellement au niveau du Congrès. Un autre accord est approuvé un mois après, pour un montant de 8,7 milliards de dollars. Au mois de mars 2024, pendant qu'Israël bloquait une file interminable de camions d'aide militaire en Egypte, au point de passage de Rafah, la presse américaine a fait état de la connaissance, par l'administration, de la décision d'Israël de fermer hermétiquement la frontière à l'aide humanitaire, alors que la population était confrontée à la famine, aux maladies, à la malnutrition et bien plus.

Fin septembre, Israël a assassiné le chef du Hezbollah libanais à Beyrouth, en lançant sur l'immeuble où il se trouvait plus de 80 bombes, anti-bunker de 900 kg chacune, de fabrication américaine qui ont réduit en cendres au moins trois tours d'habitations. Rien n'a changé dans la politique américaine vis-à-vis d'Israël auquel elle fournit 70% des armes, en dépit des appels à l'embargo sur les armes à destination d'Israël qui deviennent de plus en plus nombreux.

Plusieurs Etats ont pris la décision de cesser les livraisons d'armes à Israël, dès le début de la guerre génocidaire contre Ghaza. Il s'agit, entre autres, de l'Irlande, l'Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Nicaragua, le Chili, l'Afrique du Sud, la Turquie, pour ne citer que ceux-là mais d'autres comme l'Allemagne et le Royaume- Unis continuent d'aider militairement Israël à ce jour.

L'Allemagne livre à Israël 29% de l'armement dont il a besoin pour sa guerre contre Ghaza. Voici une récente étude élaborée par EuroVerify, un site européen qui analyse la réponse des pays européens aux appels à un embargo et les raisons du soutien de chacun des Etats à Israël. Ainsi la position de l'Allemagne est analysée comme faisant partie de sa « raison d'Etat », ou Staatsräson, en raison de son rôle dans l'Holocauste. Cela signifie que Berlin est de loin le plus grand fournisseur européen d'armes à l'Etat juif.

La France, qui selon le site, qui a assuré avoir cessé de transférer des armes à Israël, « a toutefois continué à lui fournir des pièces susceptibles d'être utilisées dans sa propre production nationale d'armes » écrit EuroVerify. Considérée comme le 3e fournisseur d'armes d'Israël, avec 1% des ventes, l'Italie, malgré son annonce de cessation d'exportation d'armes vers Tel-Aviv, a reconnu par son ministre de la Défense, « que des commandes signées avant le 7 octobre 2023, avaient été expédiées pendant la guerre », alors que la loi italienne interdit l'exportation d'armes létales vers des pays en guerre.

Le Royaume-Uni a annoncé avoir suspendu 30 des 350 licences d'exportation d'armes vers Israël, après avoir constaté « un risque clair que certaines exportations militaires vers l'Etat hébreu soient utilisées dans les violations du droit humanitaire international ». Selon EuroVerify, le Royaume-Uni fournit toujours à Israël des composants des avions de combat F-35 utilisés dans la guerre contre Ghaza.

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Israël : autopsie du suicide d’une Nation

Israël est toujours perçue comme en sursis, dans une existence conquise de haute lutte mais sans cesse menacée par un environnement régional hostile. Et si le vrai danger (…)

Israël est toujours perçue comme en sursis, dans une existence conquise de haute lutte mais sans cesse menacée par un environnement régional hostile. Et si le vrai danger existentiel qui pèse sur Israël venait de lui-même ?

Tiré du blogue de l'auteur.

Juges 21-25, « En ce temps-là, il n'y avait pas de roi en Israël ; chacun faisait ce qui semblait juste à ses yeux »

Proverbes 29-18 : « Quand il n'y a point de vision, le peuple est sans frein »

« Israël n'a pas de politique étrangère, seulement une politique intérieure ». Malgré son absolu cynisme en matière de relations internationales, Henry Kissinger avait une capacité certaine à ramasser le réel en une formule quasi axiomatique.

À observer Israël et ce qui en est communément dit, seule la pression géopolitique expliquerait de façon univoque la politique extérieure du pays. Tout comme son incapacité à se normaliser dans son environnement régional. Mais, à suivre l'axiome « kissingerien », il est aussi possible de considérer que la politique étrangère israélienne est tout autant un sous-produit de sa situation politique intérieure.

Selon cette dynamique centrifuge éclairée par Kissinger, l'état de guerre permanent que vit Israël depuis sa création pourrait donc aussi être le signe d'un effort continu de pacification des tensions intérieures du pays par l'externalisation et l'exportation de celles-ci. Que les minorités intérieures, les territoires occupés palestiniens ou les pays voisins figurent cet extérieur. S'opèreraient alors une purgation et un transfert vers l'extérieur de la violence sociale et politique du pays.

Toujours selon l'explication de Kissinger, c'est à la seule condition d'une alerte existentielle permanente que la société israélienne n'implose pas. Autrement dit, cet état de guerre permanent est aussi la continuation par d'autres moyens et vers d'autres buts des forces dislocatrices qui traversent la société israélienne.

Or, depuis le 7 octobre, la mise en place concomitante d'un front intérieur et d'un front extérieur s'observe. Les guerres menées par le pays coexistent avec une exacerbation croissante de la conflictualité intérieure.

Tout se passe comme si la conflictualité extérieure ne suffisait plus à résoudre et évacuer la fracturation latente de l'État d'Israël et de sa société. Plus encore, ces deux dynamiques semblent se conjuguer, se répondre, s'additionner, voire se multiplier dans un large mouvement destructeur. Et c'est peut-être là que gît le plus grave danger existentiel pour Israël.

En suivant cette hypothèse, Benjamin Netanyahou joue, à l'évidence, un rôle d'accélérateur. Si ce dirigeant a toujours habilement manié la dynamique centrifuge qui purgeait son pays, il alimente désormais les tensions internes qui menacent la société israélienne. Et plus la situation intérieure lui échappe et s'emplit de positions inconciliables, plus Benjamin Netanyahou ouvrira de nouveaux fronts dans ses guerres extérieures.

Le front libanais, appelé en Israël de façon significative la « guerre du nord » qui vient s'ajouter à celle de l'ouest (Gaza) et celle de l'est (Cisjordanie), illustre ce schéma encastré non seulement dans l'éthos du Premier ministre mais aussi dans l'instabilité chronique d'Israël. Comme si le pays ne disposait toujours pas des mécanismes intérieurs nécessaires et suffisamment forts pour se pacifier.

En sociologie, l'anomie est une situation où se trouvent les individus lorsque les règles sociales qui guident leurs conduites et leurs aspirations perdent leur pouvoir, sont incompatibles entre elles. Ou lorsque, bousculées par les changements sociaux, elles sont concurrencées et doivent s'effacer devant d'autres normes.

Un pays, organisation normé s'il en est, peut aussi se trouver en situation d'anomie. L'anomie israélienne tient à plusieurs facteurs : effilochement du tissu social, poussée de l'extrême-droite religieuse, sape du sentiment de confiance envers l'État, pression de la guerre, communautés qui vivent en parallèle ou en opposition mais non ensemble… Cette anomie intérieure est renforcée par une autre anomie, internationale celle-là. Les guerres israéliennes actuelles se placent dans un vide international, entre repli électoral ou de longue durée des États-Unis et impuissance organisée de l'ONU.

Retour à « Sde Teiman » : quand l'armée vacille

Institution centrale de l'ordre social, économique et politique israélien, l'armée n'échappe pas à ces tensions. Lorsque les historiens se pencheront sur ce qui aura été le signe le plus flagrant d'une société israélienne en voie de fracturation, un chapitre entier sera consacré non pas à la guerre à Gaza mais à la prise d'assaut de la base militaire de Sde Teiman, le 29 juillet dernier.

Tout est parti de l'arrestation par la police militaire des Forces de défense israéliennes (IDF) de neuf réservistes au sein du camp de détention de la base militaire de Sde Teiman. Ces soldats devaient être interrogés après qu'un prisonnier palestinien, détenu dans l'établissement, avait été transporté d'urgence à l'hôpital. Les réservistes étaient soupçonnés d'avoir commis sur lui des sévices graves et de l'avoir sodomisé de force.

Or, après avoir tenté d'entrer dans la prison militaire de Sde Teiman pour les libérer, des manifestants d'extrême droite ont envahi la base militaire de Beit Lid, laquelle abrite aussi la police militaire et certains tribunaux de Tsahal. Selon la presse israélienne, les assaillants, dont certains semblaient armés, ont été encouragés par des membres ultranationalistes de la coalition gouvernementale, également présents sur place. Ceux-ci entendaient contester les processus internes de l'armée pour juger ses propres soldats.

Le ministre du Patrimoine Amichay Eliyahu, les députés Zvi et Nissim Vaturi ont même été filmés parmi les personnes forçant l'entrée de la base. Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir comme celui des Finances, Bezalel Smotrich, ont de leur côté mobilisé leurs partisans ou justifié cet assaut. Les journalistes présents ont noté que la police israélienne, placée sous l'autorité du ministre Ben Gvir, était restée relativement passive et n'avait arrêté aucun des manifestants.

Du côté politique, le ministre de la Défense, Yoav Gallant a alerté contre ce « grave » incident qui portait “gravement atteinte à la démocratie israélienne ». Yaïr Lapid, chef du parti d'opposition Yesh Atid, via X, a affirmé que le message envoyé par les députés qui ont pris d'assaut les bases de Tsahal est qu'“Ils en ont fini avec la démocratie, ils en ont fini avec l'État de droit”. “Ce n'est pas une émeute, c'est une tentative de coup d'État menée par une milice armée », a-t-il poursuivi.

La presse israélienne a été vivement alarmée par ce double assaut. Le très influent éditorialiste Ben Caspit y a vu une “marche vers la guerre civile” et un abandon de l'État de droit, alors même que les institutions israéliennes, estime-t-il, y compris l'armée du pays, fonctionnent conformément à la loi depuis la déclaration de l'indépendance du pays en 1948.

Pour le journaliste Barak Ravid, d'Axios, cet incident traduit “la désintégration de la chaîne de commandement de Tsahal et de l'ordre public interne de l'armée, encouragée par des politiciens ultranationalistes qui, pendant des années, ont qualifié l'armée d'institution ‘libérale' et ont affirmé qu'elle faisait partie d'un ‘État profond' qui avait besoin d'être démantelé”.

Ha'Aretz, tout aussi alarmé, cite de son côté des sources de la Défense selon lesquelles les événements dans les deux bases reflètent « la désintégration de la société israélienne » et pour lesquelles cet incident est "plus dangereux que l'Iran et le Hezbollah réunis."

Ces alarmes ont été d'autant plus vives que les militants d'extrême-droite ont obtenu gain de cause avec la libération des 9 soldats alors que la prison a été qualifiée, dans la presse internationale et du pays, de « Guantanamo à l'israélienne ». L' arrestation des soldats avait pourtant été une façon pour l'armée d'indiquer à la communauté internationale que le système judiciaire israélien a les ressources pour juger les manquements au droit israélien et au droit international commis par ses soldats.

Sde Teiman n'est pas un épiphénomène. L'incident a ébranlé quelques socles de la société israélienne dont le prestige de l'armée et l'inviolabilité de ses bases. De la même façon, il a été interprété comme une façon de sortir ou d'exempter Israël du système international et de toute responsabilité qui en découle.

Une tentation contre laquelle avait pourtant mis en garde Aharon Barak, qui fut président de la Cour Suprême israélienne, et qui avait rappelé qu' « Israël n'est pas une île enclavée, mais fait partie d'un système international ». Un système auquel il doit théoriquement rendre des comptes.

Le face-à-face de l'Armée et de la Police

À Sde Teiman, devant l'absence de réaction de la police ou sa relative passivité, l'armée israélienne a été contrainte de se déployer face à des manifestants ultranationalistes restés impunis. Dans cet instantané figurant une mise en opposition de la Police et de l'Armée, se cristallise l'une des lignes de fracture qui menacent la société israélienne.

Ces tensions sont d'abord affaires d'hommes. Yoav Gallant a des relations notoirement exécrables avec Benjamin Netanyahou et Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale. Les prises de position du ministre de la Défense, sur la question des otages, sur l'hypothèse d'une « victoire totale » sur le Hamas avancée par Netanyahu et qu'il a qualifié d'« absurde » , comme ses réticences à ouvrir un front libanais ou son objection à l'exemption des étudiants de yeshiva du service militaire, indiquent d'une crise de confiance entre l'appareil militaire et le Premier ministre, flanqué de ses alliés d'extrême-droite.

Si le Premier ministre a exclu Itamar Ben-Gvir du cabinet de guerre, il lui a toutefois concédé la sécurité intérieure. Une façon également de contenir Yoav Gallant, aussi perçu comme l'homme des Américains, en accordant de larges pouvoirs au trublion d'extrême-droite sous la responsabilité de qui la Police a été placée.

Lorsque le gouvernement a été mis en place en novembre 2022, la presse israélienne avait craint que Ben Gvir ne forme une milice pour son usage politique. La distribution massive d'armes à des civils, après le 7 octobre, a ravivé cette crainte. Après que des objections ont été soulevées contre la création d'une garde nationale qui rendrait directement compte au ministre, celui-ci a obtenu le vote d'une loi sur mesure. Une loi analysée par Ha'Aretz comme « une autre étape cruciale vers l'éclatement final de la démocratie israélienne ».

Cette loi, adoptée en décembre 2022, accorde de larges pouvoirs en matière de police au ministre de la Sécurité nationale. Son adoption était une condition essentielle posée par Ben Gvir pour rejoindre le gouvernement de Benjamin Netanyahu.

Concrètement, cette loi sur mesure permet au ministre de la Sécurité intérieure de « définir les politiques de la police et les principes généraux de son fonctionnement ». Elle autorise également au ministre de définir la politique en matière d'enquêtes, après consultation du procureur, du commissaire de police et des officiers chargés des enquêtes. Autrement dit, l'un des premiers actes du gouvernement a été d'octroyer à un ministre d'extrême-droite religieuse et ultra-nationaliste le contrôle opérationnel de la police.

La Cour suprême comme la Procureure générale ont tenté de maintenir et garantir l'indépendance de la Police et de ses enquêtes après que des groupes de la société civile ont contesté les pouvoirs étendus de Ben Gvir, s'inquiétant que les dispositions vagues de la loi créent un risque de politisation de l'institution policière. Mais le ministre a déjà laissé son empreinte sur la police, en nommant des responsables qui lui sont inféodés.

Cet été, un incident a ainsi dernièrement conforté les craintes des médias et des citoyens israéliens. Une jeune femme, qui avait jeté une poignée de sable dans la direction de Ben Gvir, a été violemment arrêtée et placée en garde à vue durant 24H. Beaucoup y ont vu la confirmation que la Police, forte de 30.000 hommes, se conforme déjà aux ordres et au programme d'un ultranationaliste extrémiste.

La crainte est d'autant plus forte dans un contexte de manifestations régulières de la société civile du pays. En 2023, la Cour suprême a explicitement interdit à Ben Gvir de donner des instructions à la police en raison de préoccupations concernant le maintien de l'ordre lors des manifestations antigouvernementales. Cependant, Itamar Ben-Gvir a notoirement protégé des officiers accusés de violences durant ces manifestations.

Depuis que Ben-Gvir a pris la direction de la police du pays, la police a été accusée de laxisme face à la violence des colons en Cisjordanie occupée, de tactiques agressives contre les manifestants antigouvernementaux et de ne pas avoir réussi à mettre un terme aux attaques d'extrême droite contre les convois humanitaires à Gaza assiégée. Dans le même temps, Ben-Gvir a cherché à modifier unilatéralement le statu quo qui régit le lieu saint le plus inflammable de Jérusalem, l'enceinte de la mosquée al-Aqsa ou Mont du Temple. « Un jour, le tyran (Benjamin Netanyahou) jettera un coup d'œil par-dessus son épaule et constatera que l'homme qu'il a nommé pour assurer sa sécurité commence à constituer sa propre armée. », avertit de son côté l'analyste Yossi Klein dans un article alarmé.

Sous Ben Gvir, Israël connaît une recrudescence des crimes violents, un nombre record de meurtres et une forte augmentation du nombre d'accidents de voiture mortels. En particulier, les crimes violents dans les villes et villages palestiniens israéliens ont atteint des niveaux records, passant de 116 meurtres en 2022 à 244 en 2023. Près de 170 Arabes israéliens ont été assassinés en 2024. Dans son éditorial du 15 septembre, Ha'Aretz notait ainsi que sept citoyens arabes ont été tués en Israël en moins de 24 heures. Mais rien de tout cela n'est une priorité pour la police de Ben-Gvir.

La conflictualité intérieure israélienne s'est accrue, que celle-ci concerne les Palestiniens de Cisjordanie, ceux de citoyenneté israélienne, les manifestants contre la politique de Netanyahou, les familles des otages ou l'armée comme lors de l'assaut de Sde Teiman. Une violence qui se diffuse et qui vient comme pointer une anomie naissante en Israël. Une anomie entendue non pas au sens de l'absence ou d'organisation ou de loi, mais au sens de disparition des valeurs communes à un groupe.

Cette anomie intérieure semble répondre, en miroir, à une autre anomie, celle constatée dans la guerre menée à Gaza et dans les territoires occupés. Dans la chaine de commandement comme dans le comportement individuels ou en groupes de certains soldats israéliens, l'anomie prend alors la forme non pas de l'absence de toute norme ni même de toute morale mais du refus de celles-ci.

Israël a toujours affirmé être tout à la fois une démocratie et un État de droit. Un État régit par la loi et s'inscrivant dans un système international. La Police comme institution encadrée par des normes rigoureuses, et non inféodée à un parti politique ou un homme, participe en théorie de ces principes. Pourtant « [p]lus Ben Gvir et Smotrich seront en charge de la sécurité nationale et de la Cisjordanie, plus il sera impossible de croire que les décisions en matière de sécurité ne sont pas biaisées par des considérations personnelles et de partis politiques », observe dans Ha'Aretz, Mordechaï Kremnitzer de l'Israel democracy institute.

La possibilité d'un schisme intérieur sur fond de colonisation accélérée

Un autre transfert de pouvoirs significatifs a été de façon discrète, porteur également d'un possible schisme. Politique et territorial celui-là.

Le 29 mai dernier, l'armée israélienne a discrètement cédé d'importants pouvoirs en Cisjordanie occupée à l'administration de Bezalel Smotrich. Bon nombre des pouvoirs exercés auparavant par la chaîne de commandement militaire, de la réglementations en matière de construction jusqu'à l'administration de l'agriculture, de la sylviculture, des parcs et des zones de baignade, sont désormais sous la responsabilité de ce ministre d'extrême-droite. Ce transfert réduit également les contrôles juridiques sur l'expansion et le développement des colonies. Autrement dit, Smotrich, qui vit lui-même dans une colonie illégale, supervisera lois et réglementations régissant la vie des 800000 colons mais également des millions de Palestiniens de Cisjordanie.

Ce transfert de pouvoir a été compris comme venant affirmer la souveraineté israélienne en Cisjordanie. Il est largement considéré comme une étape significative vers l'annexion de jure par Israël de grandes parties de la Cisjordanie. Les Accords d'Oslo, déjà moribonds, ne sont plus. La colonisation n'est plus rampante mais ouverte. 2024 aura d'ailleurs été l'année lors de laquelle la plus grande superficie de terres de Cisjordanie a été déclarée « Domaines de l'État ».

Certes, officiellement, le pouvoir a été présenté comme essentiellement administratif. Mais sur le terrain les colons surarmés, leur impunité et leur autonomisation croissante par rapport à l'État d'Israël emportent les germes d'une autonomie plus large pour eux et de cette même anomie en germe à l'échelle du pays.

Voici Bezalel Smotrich intronisé tétrarque ou satrape de ce qu'il nomme « Judée-Samarie ». Pourtant la CIJ et l'Assemblée générale de l'ONU ont estimé que la présence israélienne dans les territoires palestiniens constitue bel et bien une occupation et un crime international, requérant dès lors le retrait israélien de ces mêmes territoires. Déjà dans les documents officiels israéliens, la région figure une division administrative à part, nommée « Gouvernorat de Judée et Samarie ».

Entre la violation continue du droit international et la possibilité d'une guerre civile si ce même droit international venait à s'appliquer, Israël a choisi et choisira toujours la première hypothèse.

Mais les pouvoirs élargis qu'a obtenus Bezalel Smotrich suffisent déjà pour créer une entité politique autonome. Une entité peuplée de 800 000 colons qui pourraient décider de ne plus appliquer les lois profanes de l'État d'Israël.

Le 7 octobre a été compris par beaucoup comme la traduction humaine d'une eschatologie cachée et en voie d'accomplissement. Les colons en Cisjordanie sont en effet toujours plus gagnés par une fièvre messianiste. En témoigne le mouvement dit des « Jeunes des Collines ». Quand l'autorité de l'État israélien contreviendra de façon frontale à un mode de vie et à des normes qui se veulent comme découlant de la seule autorité de la Loi religieuse juive, que se passera-t-il alors ? Déjà le projet de conscription des Haredim ou ultra-orthodoxes en donne un aperçu en termes de refus et de désobéissance.

L'Histoire se répétera-t-elle ? Selon la Bible, après la mort du Roi Salomon, un schisme apparut qui mena à la scission de l'Israël antique en deux entités politiques rivales : le royaume d'Israël et le Royaume de Judée. Dans la volonté d'assurer une souveraineté juive sur la Cisjordanie, Benjamin Netanyahou peut aussi être l'instrument involontaire d'une répétition de cette scission antique.

Une société en lente fracturation

Dans l'histoire d'Israël, les risques de scission ont déjà existé. Le pays a traversé, entre autres, les manifestations massives qui ont suivi la guerre du Liban en 1982, l'assassinat d'un Premier ministre en 1995 et le retrait forcé de 8 600 colons qui ont quitté le bloc de Gush Katif, à Gaza en 2005.

Une autre brèche s'est ouverte depuis le 7 octobre, qui se cristallise notamment dans la question des otages. La presse israélienne a documenté les obstacles sciemment posés par Netanyahou à tout accord. Dernièrement, c'est sur le corridor de Philadelphie, sur lequel Netanyahou entendait garder le contrôle, que les pourparlers ont achoppé. Philadelphie, ou l'amour des frères…il faut prêter sens aux mots.

La certitude qui s'installe que le gouvernement israélien a préféré abandonner ses citoyens au profit de calculs politiques pour les uns ou de prophéties fumeuses pour les autres a approfondi les tensions du corps social israélien qui court depuis quelques années. La stigmatisation des familles des otages et de leur soutien participe de ce délitement, ces familles étant de plus en plus ouvertement traitées comme des ennemis intérieurs politiques.

L'abandon effectif des otages retenus par le Hamas a aussi montré que deux sociétés israéliennes, deux visions aussi, se font face et peuvent s'affronter : celle d'un Israël qui refuse la guerre perpétuelle et aspire à un cessez-le-feu contre un Israël qui voit dans ces évènements tragiques l'occasion de concrétiser le « grand Israël » messianiste. Un Israël laïque, qui se revendique d'une tradition sioniste mais qu'il considère comme aboutie et close. Face à cet Israël, dont beaucoup des otages sont issus, se tient un Israël religieux qui inscrit les évènements dans une lecture religieuse et dans une dynamique territoriale, considérée comme non aboutie.

En un sens, cette fracture poursuit et approfondit la crise institutionnelle que le pays connaissait avant le 7 octobre, en raison du désir du gouvernement israélien et de Benjamin Netanyahu de réduire l'indépendance de la Cour suprême. Celle-ci est garante du contrôle judiciaire et de la protection des libertés civiles, notamment parce que le pays ne dispose que d'une seule chambre législative. Le pays n'a pas non plus de constitution formelle, mais un ensemble de 13 lois fondamentales que la Cour suprême utilise comme constitution de facto. Autrement dit, la Cour Suprême avait développé un contrôle juridique des actes politiques, ce qui a semblé insupportable pour Netanyahou et ses alliés.

Or, la réforme que voulait impulser le premier ministre consistait notamment à annuler les décisions rendues par la haute juridiction par une simple majorité d'une voix à la Knesset. Une Knesset pourtant contrôlée par des partis extrémistes pour lesquelles la loi de l'État n'est au mieux qu'une modalité pour généraliser l'application de la loi religieuse.

Cette possible mise au pas de la plus haute instance judiciaire du pays avait suscité de sérieuses inquiétudes et provoqué de vastes manifestations contre ce qui était alors qualifié de « coup d'État judiciaire ». Lors des manifestations qui ont suivi le projet de loi, l'armée traditionnellement socle de cohésion du pays avait montré des signes de tension avec plus de 1 000 réservistes de l'armée de l'air qui avaient alors songé à boycotter leur devoir militaire si le projet de loi progressait.

La question des responsabilités qui ont mené au 7 octobre sera forcément posée et peut approfondir ces ruptures entre l'armée et le pouvoir politique. Certes Benjamin Netanyahou a indiqué que la création d'une commission d'enquête devra attendre la fin de la guerre, tout en se dédouanant par avance de toute responsabilité et ou en laissant ses proches charger l'armée israélienne des défaillances qui ont mené à cette catastrophe humaine.

Mais la tension qui monte entre lui et l'appareil militaire et sécuritaire ne s'apaisera pas quand il faudra pointer les responsabilités. Pour les observateurs israéliens, si l'armée israélienne se retrouve comme bouc émissaire du 7 octobre et de l'échec des actions militaires qui ont suivi, elle devra choisir entre accepter sa marginalisation indéfinie ou se heurter frontalement au pouvoir politique. De ce choix découlera aussi l'avenir d'Israël.

Il est ainsi symptomatique que les références à l'affaire Altalena se multiplient dans les débats médiatiques israéliens. Le 26 mai 1948, Ben Gourion publiait un ordre portant sur la formation des Forces de défense israéliennes (IDF). Or, certaines milices sionistes, dont l'Irgoun et le Léhi avaient alors refusé cette institutionnalisation afin de préserver un certain degré d'indépendance politique. Ce fut le début de cette affaire Altalena, lorsque les IDF, dominées par la Haganah, tentèrent de bloquer une cargaison d'armes à bord du cargo Altalena et destiné à l'Irgoun. L'affrontement avait entraîné la mort de nombreux membres de l'Irgoun, des arrestations massives et le bombardement du navire lui-même. Cette mini-guerre civile dans le tout jeune État israélien a abouti à un équilibre historique que le 7 octobre a peut-être bouleversé.

Dans l'anomie qui gagne la société israélienne, la guerre devient non pas une situation perturbatrice de la coexistence sociale mais un moyen d'assurer cette dernière. Et avec l'anomie, c'est aussi le sens même de l'altérité qui s'efface.

À la Nakba continuelle, un 7 octobre continu fait miroir. Chaque jour est une répétition de ce trauma. Le risque à terme est de sortir des catégories encore normées de la paix et de la guerre pour entrer dans un nihilisme. Une étanchéité entre les faits et les valeurs qui ne peut être que destructrice pour tous.

« Il n'y aura pas de guerre civile [en Israël] » répète à l'envi Benjamin Netanyahou, lors de chaque crise intérieure. Il sera pourtant peut-être celui qui livrera le pays à ses apories, contradictions renforcées paradoxalement par des choix politiques censés les prévenir.

Tel Samson arcbouté entre ses deux piliers à Gaza…

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Actions urgentes nécessaires

15 octobre 2024, par Palestinian BDS National Committee (BNC) — , , , ,
L'Israël génocidaire a lancé une campagne d'extermination contre 400 000 survivant.es palestinien.es dans le nord de Gaza. 11 octobre 2024 Par le Comité national (…)

L'Israël génocidaire a lancé une campagne d'extermination contre 400 000 survivant.es palestinien.es dans le nord de Gaza.

11 octobre 2024
Par le Comité national palestinien BDS (BNC)

Traduction Arthur Young

En plein génocide contre 2,3 millions de Palestinien.es dans la bande de Gaza occupée, l'armée israélienne intensifie ses massacres dans le nord de la bande de Gaza pour déplacer de force la population palestinienne restante – environ 400 000 personnes. Au cours des sept derniers jours, les forces israéliennes ont avancé dans cette zone, bloquant de fait les trois seules entrées et imposant un siège qui comprend des frappes aériennes et des bombardements massifs, ciblant en particulier ce qui reste du camp de réfugié.es de Jabalia.

Alors que le bilan des mort.es s'alourdit, les corps de nombreux.euses Palestinien.es massacré.es gisent dans les rues, inaccessibles en raison du blocus en cours. Les forces génocidaires israéliennes tirent sur les Palestinien.es qui tentent de secourir les blessé.es. Israël a ordonné aux hôpitaux du nord de Gaza d'évacuer tout le personnel et les patient.es, menaçant de bombarder s'ils ne s'exécutent pas. Parallèlement, Israël intensifie son agression sanglante en Cisjordanie occupée, ses massacres au Liban, allant jusqu'à bombarder une position de casques bleus de l'ONU, et ses campagnes de bombardements en Syrie, en Irak et au Yémen.

La criminalité sans précédent d'Israël est le résultat direct de son impunité sans précédent, rendue possible par l'armement, le financement et le partenariat total de l'Occident colonial, dirigé par les États-Unis.

« Où aller ? » se demandent plus de 400 000 Palestinien.es resté.es dans le nord de Gaza. Il n'y a pas de réponse, car il n'y a pas d'endroit sécuritaire où aller. Israël utilise la politique de la « terre brûlée », réduisant les terres palestiniennes en poussière, bombardant des maisons, des infrastructures, des installations médicales et des écoles, pendant qu'il provoque une famine énorme et la propagation de maladies infectieuses afin d'exterminer autant de Palestiniens que possible et de nettoyer ethniquement les survivants.

Ceci est un appel urgent à l'action : agissez maintenant pour mettre fin au génocide israélien contre les Palestinien.ess, diffusé en direct. Seul notre pouvoir populaire peut construire la pression nécessaire pour mettre fin au carnage israélien et contribuer au démantèlement de son régime de colonialisme de peuplement et d'apartheid, vieux de 76 ans.

IL FAUT AGIR MAINTENANT :
1. FAITES PRESSION SUR VOTRE GOUVERNEMENT POUR QU'IL IMPOSE DES SANCTIONS À ISRAËL, Y COMPRIS UN EMBARGO MILITAIRE TOTAL.

Ce n'est pas un choix, c'est un devoir : les sanctions contre Israël ont été votées par une majorité global de 124 États le 18 septembre à l'Assemblée générale des Nations Unies . Les décisions historiques de la Cour internationale de justice cette année déclenchent l'obligation juridique de tous les États de mettre fin à leur complicité avec le régime d'oppression d'Israël.

2. DESCENDEZ DANS LA RUE POUR FAIRE PRESSION SUR LES GOUVERNEMENTS POUR QU'ILS METTENT FIN À LA COMPLICITÉ.

Rejoignez les millions de personnes qui manifestent et perturbent pacifiquement le cours normal des choses pour faire pression sur leurs gouvernements afin qu'ils mettent fin à leur complicité dans les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide d'Israël.

3. SOUTENEZ LE MOUVEMENT DE BOYCOTT, DÉSINVESTISSEMENT ET SANCTIONS (BDS).

Le mouvement BDS est dirigé par la plus grande coalition de la société palestinienne. Boycottez les entreprises ciblées par le mouvement BDS. Faites pression sur votre université, votre fonds de pension, votre conseil municipal, votre syndicat, votre église, votre centre culturel et d'autres institutions pour qu'ils respectent les directives du BDS, pour qu'ils désinvestissent des entreprises complices de l'occupation militaire, de l'apartheid et du génocide israéliens.

4. EXIGER LA SUSPENSION IMMÉDIATE D'ISRAËL, UN ÉTAT D'APARTHEID, DE L'ONU.

Israël a été admis en 1949 au sein de l'ONU sous le faux prétexte qu'il s'agirait d'un État épris de paix et prêt à coopérer avec l'ONU pour mettre en œuvre la résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations Unies, qui stipule le droit des réfugié.ss palestinien.es au retour et à des réparations. Aujourd'hui, alors qu'Israël poursuit son génocide à Gaza, ses massacres au Liban, ses attaques contre les Casques bleus de l'ONU et son nettoyage ethnique des Palestinien.es en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, il est grand temps d'expulser Israël de l'ONU et de toutes les instances internationales.

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Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Il n’y aura pas de paix juste sans sanctions contre Israël

Le 6 octobre 2023, il n'y avait ni calme, ni paix pour les Palestiniens. La violence, nous la vivons au quotidien. Elle s'invite dans notre chair, sous les bombes, aux (…)

Le 6 octobre 2023, il n'y avait ni calme, ni paix pour les Palestiniens. La violence, nous la vivons au quotidien. Elle s'invite dans notre chair, sous les bombes, aux check-points, derrière les barreaux, dans la rue, ou simplement en allant cueillir des olives.

Tiré du blogue de l'auteur.

Nous, Palestiniennes et Palestiniens — et Arabes de manière plus générale — sommes exténués. Chercher l'empathie et la reconnaissance de notre lutte auprès de l'opinion publique semble parfois vain. Comme nos parents, nos grands-parents avant nous, nous portons chaque jour le deuil de nouveaux massacres, exodes forcés, maisons arrachées, révoltes écrasées. Inlassablement, nous devons justifier notre droit le plus élémentaire de vivre libres sur notre terre, en espérant ne pas être accusés d'antisémitisme ou d'apologie du terrorisme. Un an écoulé et se pose la question de comment avancer ? La fin de l'impunité d'Israël alimentée par notre déshumanisation reste la clé.

Le génocide en cours à Gaza est sans aucun doute l'un des pires épisodes de l'histoire contemporaine du peuple Palestinien. Israël a tué plus de 40,000 palestiniens et exterminé 902 familles entières rayées du registre de la population. Il est difficile de prendre du recul lorsque nous sommes dans le tourbillon d'un moment historique et une telle déflagration, où l'urgence est à stopper le carnage, arrêter de creuser des fosses communes.

Néanmoins, pour construire un chemin politique et social fondé sur les valeurs de liberté, équité et droits humains sur toute la terre du Jourdain à la mer Méditerranée - aujourd'hui entièrement contrôlé par Israël - il faut comprendre le moment actuel dans son contexte - même le plus immédiat - à la lumière des faits et non de la désinformation et des anathèmes, car les narratifs sont intimement liés aux décisions politiques.

La violence n'a pas commencé le 7 octobre et le “conflit” ne s'est pas amorcé ce jour-là non plus. Faire de cette date le point de départ pour expliquer la situation — et en faire le point central de la couverture médiatique sur la situation — c'est déjà s'inscrire dans le problème. Prendre pour prisme les violences subies par les Israéliens plutôt que de les reconnaître comme un symptôme, c'est effacer d'un revers de main des décennies de politiques génocidaires, d'invasions de pays voisins, de bombardements de capitales étrangères, et de spoliation des terres. Cela banalise la violence, tout en exigeant de nous soumission, silence et surtout, l'interdiction de résister pour un avenir meilleur.

Demander aux Palestiniens ce qu'ils pensent de la violence ou s'ils la condamnent — une tactique d'interview usée jusqu'à la corde — c'est faire l'impasse sur le fait que cette violence, nous la vivons au quotidien. Elle s'invite dans notre chair, sous les bombes, aux check-points, derrière les barreaux, dans la rue, ou simplement en allant cueillir des olives. Aucun parent, qu'il soit chrétien, juif, musulman ou bouddhiste, ne devrait jamais avoir à enterrer son enfant.

Il y a soixante-seize ans en 1948, 750,000 Palestiniens étaient expulsés de leurs terres et forcés à l'exil - dont toute ma famille paternelle - dans une campagne de nettoyage ethnique appelée la Nakba. Depuis octobre 2023, deux millions de Palestiniens de Gaza ont de nouveau été déplacés, nombreux d'entre eux étant déjà des réfugiés de la Nakba de 1948.

Les Palestiniens ont toujours vécu la Nakba comme un processus continu de dépossession et non pas un événement limité dans le temps. Une violence palpable, tant dans des flambées extrêmes comme à Gaza aujourd'hui que dans le système complexe de colonisation imposé par l'occupation militaire et l'apartheid, qui envahissent nos vies quotidiennes, contrôlant notre temps, notre espace, et jusqu'aux décisions les plus intimes.

La dernière décennie a été marquée par la fin de l'illusion d'un "processus de paix", par des soulèvements massifs populaires comme la Grande Marche du Retour de 2018 à 2020, réprimée dans le sang, et les soulèvements populaires en 2021 pour Jérusalem, tant d'événements qui ont culminé avec l'attaque du 7 octobre.

L'extermination en cours à Gaza s'inscrit dans un continuum d'oppression systémique qui remonte aux origines du projet sioniste. Il n'est pas le résultat d'une vengeance qui aurait mal tourné ou d'une réponse “exagérée” au 7 octobre ou encore moins d'une offensive visant à “éliminer le Hamas”. Ce n'est pas non plus une guerre pour récupérer les otages israéliens, qui auraient été libérés depuis longtemps si Netanyahu n'avait pas rejeté les accords de cessez-le-feu successifs ou fait assassiner le principal négociateur du Hamas. De toute manière, le gouvernement Israélien aurait trouvé d'autres prétextes pour l'opération de destruction totale en cours.

Le 6 octobre 2023 il n'y avait ni calme, ni paix pour les Palestiniens, seulement une illusion de tranquillité pour les Israéliens barricadés derrière leurs murs et leur arsenal militaire étouffant et invisibilisant les Palestiniens. Gaza subissait depuis seize ans un blocus inhumain et transformé en "prison à ciel ouvert". En Cisjordanie, les années 2022 et 2023 avaient été les plus meurtrières depuis des décennies. La violence quotidienne contre les Palestiniens, banalisée et ignorée des médias, était reléguée au rang de simples épisodes dans un “conflit inextricable” — un anathème effaçant toute dimension coloniale et politique, exonérant ainsi Israël de ses responsabilités.

Aujourd'hui Netanyahu et sa coalition mènent une stratégie de destruction totale en commençant par Gaza et par extension la Cisjordanie et le Liban. Il embrasse la doctrine du leader sioniste Jabotinsky qui, en 1923 reconnaissant le caractère colonial du projet sioniste, et qu'« il n'existe pas de cas unique de colonisation effectuée avec le consentement de la population autochtone” prônait la mise en place d'un “mur de fer” pour écraser toute contestation.

Comment Israël a-t-il pu façonner et fabriquer un tel consentement à son entreprise de conquête coloniale et bénéficier d'une telle impunité face au piétinement continu de toute loi internationale ?

La réponse est dans la déshumanisation des Palestiniens, et le racisme qui irrigue la perception de la situation entre Israéliens et Palestiniens.

Les Palestiniens sont présumés coupables, violents et racistes jusqu'à preuve du contraire. L'accent médiatico-politique est mis sur les victimes idéales — femmes, enfants, médecins — comme si les hommes, artisans de leur quotidien, avaient moins droit à la dignité. Le génocide, filmé en temps réel, se transforme en débat sémantique, la famine est qualifiée d'"inventée", et les mensonges d'État repris pour argent comptant. Les civils ne sont plus des civils et les limites du pire toujours dépassables. Cybersurveillance, censure, incarcération, répression des mouvements de solidarité et accusations d'antisémitisme parachève l'arsenal pour criminaliser les Palestiniens et normaliser la violence d'Etat Israélienne.

D'autre part, qualifier le Hamas de "groupe terroriste", un concept politique sans définition en droit international, ou comme un mouvement antisémite visant à anéantir les juifs, dépolitise la nature de ce groupe et légitime toute forme de punition collective et d'oppression. Pourtant, l'oppression des Palestiniens, leur résistance et leurs révoltes existaient bien avant la création du Hamas en 1987, qui lui-même est né dans ce contexte d'un demi-siècle de répression.

Au contraire, la communauté internationale, en particulier les pays occidentaux, part du principe que les choix politiques et les actions d'Israël sont par essence légitimes et menés de bonne foi. Ainsi, les dirigeants israéliens ont perfectionné la politique du fait accompli : gagner du temps pour étendre son emprise coloniale, repousser les lignes rouges et rendre toute contestation future d'autant plus difficile. La nouvelle litanie des "négociations pour un cessez-le-feu" remplace le "processus de paix". Une tactique qui ne date pas d'hier. Lorsque l'armée israélienne a occupé la Cisjordanie et Gaza en 1967, le monde a demandé qu'ils se retirent immédiatement et mettent fin à l'occupation. Puis lorsque les colonies ont été construites et se sont consolidées sans aucune conséquence internationale, les négociations se sont réduites à demander le gel de nouvelles colonies. Cinquante ans plus tard, plus de 700,000 colons règnent en maître en Cisjordanie et l'assemblée générale des Nations Unies vote de nouveau pour demander à Israël de “mettre fin à l'occupation”.

Mais voilà, après un siècle de contestation de l'entreprise coloniale sioniste, les Palestiniens sont toujours là, et demandent l'intégralité de leurs droits.

Ce que demande l'avenir immédiat est d'abord la reconstruction d'un mouvement national politique Palestinien unifié qui puisse se réapproprier notre combat historique. Un pouvoir qui devra englober toutes les parties prenantes politiques, du Hamas au Fatah en passant par les non-affiliés et les réfugiés en exil, sans que notre mobilisation politique soit écrasée avant même d'être organisée.

Nous devons entre temps résister à la tentation d'embrasser les gesticulations diplomatiques hâtives et propositions de “raviver” des “solutions” et “processus de paix” voués à normaliser les faits accomplis coloniaux, masquer les responsabilités d'Israël tout en nous imposant des dirigeants fantoches choisis par leurs mécènes.

La véritable question à poser aujourd'hui n'est pas de savoir si la “solution à deux États peut être sauvée”, mais quel contrat social nous souhaitons instaurer sur l'ensemble du territoire qui inclut aujourd'hui Israël et les territoires occupés depuis 1967. Tant que les lois constitutionnelles et les institutions en place, racistes par essence, continueront de donner plus de droits aux juifs, tant que les Palestiniens ne pourront pas revenir sur leur terre, et tant que remettre en question le sionisme en tant que projet politique restera un tabou intouchable, la violence prévaudra.

Il n'y aura pas de cessez-le-feu sans sanctions contre Israël et sans prise de conscience internationale que l'impunité et la complicités doivent cesser. Il n y aura pas de paix sans démanteler le système d'Apartheid et de Nakba continue. Il n'y aura pas de paix sans justice internationale ou droits fondamentaux pour tous.

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Enquête : Le gouvernement de Netanyahou ne se contente pas d’autoriser la terreur juive en Cisjordanie, il la finance également

15 octobre 2024, par Hagar Shezaf, Hilo Glazer — , , , ,
Les colons parlent de révolution : Plus de 60 avant-postes agricoles illégaux ont vu le jour en Cisjordanie au cours des sept dernières années, s'emparant de vastes étendues de (…)

Les colons parlent de révolution : Plus de 60 avant-postes agricoles illégaux ont vu le jour en Cisjordanie au cours des sept dernières années, s'emparant de vastes étendues de terres palestiniennes. Grâce à la main-d'œuvre bon marché fournie par des jeunes « à risque », cette entreprise est également devenue l'un des principaux fomentateurs de la terreur juive dans les territoires - et l'État paie généreusement la facture.

Tiré de France Palestine solidarité. Article originalement paru dans Haaretz. Photo : Les colons israéliens mènent des raids à Masafer Yatta © Mohammad Hureini

La route menant à Havat Dorot Illit - la ferme d'Upper Dorot - commence en fait par une descente abrupte. Le virage serré de la route interne de la colonie de Ma'aleh Shomron mène à un sentier vierge dans une réserve naturelle, ce qui représente un défi même pour les conducteurs expérimentés. Le sentier a été tracé uniquement pour la ferme. Pendant de longues minutes, il ressemble à une route qui ne mène nulle part.

Au sommet de la colline se trouve la maison des propriétaires de la ferme : Ben Yishai Eshed, sa femme Leah et leurs deux jeunes enfants. Une famille et un troupeau de bovins, qui sont restés comme un os dans la gorge des communautés palestiniennes de longue date vivant dans la région. À quelque distance de la maison familiale, une cabane en béton domine le terrain. C'est le quartier général improvisé des soldats de l'unité de défense régionale des Forces de défense israéliennes qui gardent l'avant-poste des colons. Cependant, le cœur de la ferme palpite à l'intérieur d'une modeste structure située sur le côté : une grande tente recouverte d'une toile noire. Les matelas entassés à l'intérieur indiquent que c'est là que vivent les garçons de Dorot Illit.

Dans une vidéo promotionnelle diffusée sur le web, Eshed se vante de la présence dans la ferme de pas moins de six jeunes « volontaires qui apprennent à travailler, à apprécier et à aimer la terre ».

Lors de notre visite, nous avons rencontré deux jeunes qui ont déclaré avoir 17 et 16 ans, bien qu'ils aient l'air plus jeunes. L'un d'eux nous a expliqué qu'il avait grandi dans une ville isolée du nord d'Israël, qu'il avait quitté l'école il y a un an et qu'il s'était retrouvé à la ferme par l'intermédiaire d'une connaissance de ses parents. Depuis qu'il s'est installé dans cet avant-poste isolé, il s'est astreint à une routine exigeante qui consiste à se lever à 5 heures du matin pour emmener les vaches au pâturage. Au fil du temps, il est également devenu habile dans la récolte des olives et les travaux d'entretien. Après nous avoir raconté son histoire, il part à toute vitesse avec son ami sur un véhicule tout-terrain.

C'est alors qu'Eshed lui-même arrive de la route principale. Il est un instant déconcerté par ces invités inattendus qui sont venus faire une randonnée dans la réserve naturelle et se sont retrouvés dans sa ferme, mais il nous adresse immédiatement un regard amical. « Les enfants vous ont offert du café ? » demande-t-il, en précisant qu'il veut dire “les gars”. Qui sont les gars ? « Des jeunes de 15 ou 16 ans qui ne se sont pas retrouvés à l'école », explique-t-il.

Eshed se sépare de nous cordialement mais fermement. Nous reprenons le chemin sinueux. En chemin, nous apercevons un conteneur de stockage portant l'inscription « Uri Eretz Ahavati » (Réveille-toi, ma terre bien-aimée) - le nom de l'association à but non lucratif pour les jeunes à risque qui est à l'origine du projet éducatif expérimental de la ferme. Selon ses rapports au Registre des associations, Uri Eretz gère « un cadre éducatif pour les jeunes qui ont des difficultés à s'intégrer dans des cadres formels, ce qui implique la création de fermes agricoles qui servent de pensionnat pour les jeunes, où on leur apprend à aimer la terre et à travailler le sol ».

Dorot Illit constitue la première partie du projet. En 2023, l'association à but non lucratif qui exploite la ferme a reçu près de 400 000 shekels (environ 110 000 dollars) du ministère du développement du Néguev et de la Galilée ; Eshed reçoit également un salaire symbolique de l'organisation. En outre, le ministère de l'agriculture a approuvé une subvention de près de 100 000 shekels sur une période de deux ans. Ce n'est pas tout. Jusqu'à la fin de l'année 2023, la ferme a également bénéficié d'un soutien dans le cadre d'un programme pour les jeunes à risque lancé par le Fonds national juif.

En juillet dernier, des colons de la ferme et de ses environs sont arrivés dans un village palestinien voisin. Selon les habitants, les intrus les ont attaqués avec des tuyaux de fer, des gourdins et des pierres, et ont incendié leurs tentes ; un garçon de 3 ans qui dormait dans l'une d'elles a été blessé. Au total, cinq habitants du village ont été hospitalisés. Eshed lui-même a été documenté sur les lieux. Une plainte déposée par l'un des villageois a été rejetée par la police, qui a affirmé qu'elle n'était pas en mesure de localiser les suspects.

Les Palestiniens affirment que cette agression est la pire d'une série d'actes abusifs perpétrés par les gens de la ferme. En effet, ils considèrent leur vie avant et après l'établissement de l'avant-poste.

En définitive, Havat Dorot Illit - l'un des endroits les plus extrêmes et les plus indisciplinés de Cisjordanie, qui est devenu un foyer de frictions et de violences presque dès sa création - bénéficie d'une part importante du financement public. Et ce n'est pas le seul.

* * *

Les colons de Cisjordanie parlent de ce qui se passe depuis quelques années dans les avant-postes agricoles et pastoraux, presque tous illégaux, comme d'une véritable révolution. Son esprit incarne le « miracle » que la ministre des Missions nationales, Orit Strock, a décrit dans le contexte des événements déclenchés par le massacre du 7 octobre. En effet, dans l'ombre de la guerre qui dure depuis un an, le gouvernement a resserré son emprise sur la Cisjordanie. Le plat de résistance de ce repas est constitué de groupes relativement restreints de fermiers gloutons qui prennent le contrôle de vastes étendues de terre.

Les pionniers dans ce domaine existent depuis longtemps. Les premières communautés qu'ils ont créées, dans les années 1980 et 1990, étaient la ferme Har Sinai dans les collines du sud d'Hébron, le ranch d'Avri Ran à Givot Itamar et la ferme Skali à l'est de la colonie d'Elon Moreh. Au début de l'année 2017, 23 avant-postes de ce type étaient disséminés en Cisjordanie. Mais depuis lors, leur nombre a considérablement augmenté, avec quelque 65 nouveaux avant-postes créés en l'espace de sept ans seulement. En 2021, Amira Hass a publié un article dans Haaretz sur quatre fermes qui avaient été créées en l'espace de cinq ans et qui contrôlaient une superficie équivalente à celle de la ville de Holon.

Aujourd'hui, il existe environ 90 avant-postes de ce type qui, ensemble, couvrent approximativement 650 000 dunams (162 500 acres) de terres, soit environ 12 % du territoire de toute la Cisjordanie - une superficie équivalente à celle de Dimona, Jérusalem, Be'er Sheva, Arad et Eilat réunies.

L'entreprise florissante des avant-postes pastoraux et agricoles, qui diffèrent du type d'avant-postes typiquement associés aux jeunes des collines, a été lancée et fondée de manière bien planifiée. Il suffit d'écouter Zeev (« Zambish ») Hever, le leader de longue date des colons qui a librement accès au bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Hever, le cerveau de l'accaparement des terres dans les territoires et le chef d'Amana, la principale branche opérationnelle du mouvement pour la création d'avant-postes de colons, a fait la lumière sur le projet en juin. Dans une interview accordée au magazine Nadlan Yosh (Judea-Samaria Real Estate), M. Hever a indiqué que la mission principale d'Amana était de « sauvegarder les territoires ouverts » et a ajouté que « les principaux moyens que nous utilisons sont les fermes agricoles ». Il a également noté que « la zone occupée par ces fermes est 2,5 fois plus grande que la zone occupée par les centaines de colonies ».

Amana est assurément une organisation puissante, dont les actifs sont estimés à 600 millions de shekels (environ 158 millions de dollars actuellement). Néanmoins, elle n'aurait pas pu, à elle seule, donner vie à une entreprise aussi ambitieuse. Ces dernières années, l'État a fait des fermes d'avant-postes un projet phare et les a comblées de largesses extraordinaires. Des dizaines de millions de shekels de fonds publics sont injectés dans ces communautés directement par les ministères, les autorités locales des territoires et la division des colonies de l'Organisation sioniste mondiale. Parallèlement, le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a annoncé qu'il travaillait à la légalisation officielle des fermes.

Des dizaines de millions de shekels de fonds publics sont injectés dans ces communautés. Au moins six ministères sont impliqués dans le financement et le maintien de cette entreprise en plein essor, dont l'objectif sous-jacent est la dépossession systématique des résidents palestiniens.

Contrairement au passé, les propriétaires des nouvelles fermes ont tendance à jouer le jeu avec l'État, s'écartant ainsi de l'idéologie « classique » des jeunes des collines, qui rejetaient totalement la coopération avec ce qu'ils considéraient comme l'establishment. Le résultat est que les agriculteurs des avant-postes travaillent désormais main dans la main avec l'État, qui leur accorde des prêts pour l'établissement de leurs communautés, leur attribue des contrats pour des pâturages, les relie aux infrastructures, répond à leurs besoins en matière de sécurité, leur achète du matériel et leur offre également des « subventions pour le pâturage » et même des « subventions pour la création d'entreprises ».

L'enquête de Haaretz révèle qu'au moins six ministères sont impliqués dans le financement et le maintien de cette entreprise florissante, dont l'objectif sous-jacent est la prise de possession de terres par la force et la dépossession systématique des résidents palestiniens.

Le généreux panier de soutien n'est qu'un élément de cette initiative. Le Fonds national juif (Keren Kayemeth LeIsrael) est également devenu un soutien important de cette initiative, sa principale contribution tournant autour de projets pour les jeunes à risque dans les fermes et les ranchs.

D'une manière générale, le terme « jeunes à risque » est devenu ces dernières années la cheville ouvrière de toute une industrie de « blanchiment » des fermes, notamment en termes d'image. Le séjour des adolescents sous l'égide d'un cadre « éducatif » ou « réhabilitatif » confère aux avant-postes une légitimation précieuse, qui se traduit par des budgets conséquents. Certains programmes sont même inclus dans les paquets d'activités d'enrichissement que le ministère de l'éducation propose aux établissements d'enseignement.

Entre-temps, cependant, il est de plus en plus évident que, dans de nombreux cas, les avant-postes d'agriculteurs et de bergers sont devenus un terrain propice à la violence nationaliste extrême. Les exemples de ces dernières années sont nombreux : la ferme de Zohar Sabah, dans la vallée du Jourdain, d'où des colons, dont certains étaient mineurs, ont attaqué le directeur d'une école palestinienne dans l'enceinte de l'établissement ; la ferme de Hamachoch, près de Ramallah, dont les habitants ont réussi à chasser les résidents du village palestinien voisin, Wadi al-Siq ; Yinon Levy, de la ferme de Meitarim, dans le sud des collines d'Hébron, qui a mené des attaques et des harcèlements qui ont forcé les résidents d'un autre village à s'enfuir. Dans ces fermes, la force d'avant-garde est souvent composée d'adolescents à risque.

Depuis que la guerre a éclaté il y a un an, la passion ostensible de la vengeance parmi les colons des fermes s'est accrue, de même que leur audace. Le Shin Ben a récemment remis au gouvernement un document dans lequel il mettait en garde contre la prolifération rapide des fermes et l'augmentation des incidents violents qui en découlent. Appelons un chat un chat », déclare Hagit Ofran, qui dirige le projet “Settlement Watch” au sein de Peace Now. « La montée en flèche de la violence des colons en Cisjordanie est directement liée à l'émergence des avant-postes agricoles. Leurs habitants sont responsables d'une grande partie de cette violence ». Dans le même temps, le nombre de communautés palestiniennes situées à proximité des fermes et dont les habitants ont été chassés de force de leurs maisons a fortement augmenté.

Nous parlons de 35 expulsions [de villages] au cours des deux dernières années, la majorité d'entre elles étant des « expulsions d'octobre » », note Dror Etkes, fondateur de Kerem Navot, une ONG qui surveille les colonies en Cisjordanie.

L'arène internationale n'est pas restée indifférente à cette évolution. Au cours de l'année écoulée, les États-Unis, la Grande-Bretagne et d'autres pays ont imposé des sanctions aux propriétaires de six de ces fermes. Expliquant les raisons des mesures imposées à trois fermes en mars dernier, l'administration Biden a déclaré qu'elles s'étaient « livrées à des violences répétées et à des tentatives de violence contre des Palestiniens en Cisjordanie » et, dans certains cas, contre d'autres Israéliens également.

Mais les jeunes volontaires qui vivent dans ces communautés ne sont pas affectés par la condamnation internationale. « Depuis que la guerre a commencé, nous sommes pratiquement autorisés à tout faire, du point de vue de la sécurité et aussi en ce qui concerne les autorisations », déclare avec une honnêteté inquiétante un jeune qui vit à Havat Oppenheimer, à côté de la colonie haredi (ultra-orthodoxe) d'Immanuel, dans le nord de la Cisjordanie. « L'armée est avec nous et il nous sera plus facile de prendre possession des terres. Il en va de même pour les États-Unis, car depuis le 7 octobre, ils ont les yeux rivés sur Gaza et moins sur la Judée et la Samarie [en Cisjordanie] ». En effet, depuis que la guerre a éclaté, des réservistes ont été déployés en permanence dans les avant-postes agricoles, renforçant ainsi l'emprise sur les terres de Havat Oppenheimer, alias Havat Se'orim (Ferme de l'orge), et d'autres avant-postes similaires.

La ferme de l'orge, créée à la mi-2023 par le chef du service foncier du conseil régional de Samarie, se trouve non loin de Dorot Illit. « Il y a trois fermes le long du même axe », explique le jeune homme, qui ajoute : »C'est divisé d'une manière absolument stratégique.

Le joyau de la couronne est la « salle de guerre », une partie du bâtiment principal remplie d'écrans divisés qui reçoivent les images des caméras disséminées dans la région, ce qui permet d'observer l'ensemble du secteur 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Une salle de contrôle plantée au cœur d'une réserve naturelle verdoyante. Le propriétaire de la ferme dispose même d'un drone équipé d'un mécanisme de vision nocturne, grâce à la générosité du One Israel Fund, une organisation américaine qui fournit aux avant-postes agricoles toute une série de dispositifs technologiques liés à la sécurité.

« Depuis que la guerre a commencé, nous sommes pratiquement autorisés à tout faire », explique un jeune qui vit à Havat Oppenheimer, dans le nord de la Cisjordanie. « L'armée est avec nous et il nous sera plus facile de prendre possession des terres.

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Nili, situé à quelques kilomètres à l'est de la ligne verte, est un symbole de la colonisation séculaire et bourgeoise. Ses maisons aux toits de tuiles rouges sont entourées d'une clôture hermétique. Dans la rue qui mène à la colonie, une installation composée de chaises vides appelle silencieusement à un accord pour sauver les otages de Gaza. Depuis le point d'observation situé au sommet de la colline, deux villages palestiniens sont visibles à proximité, rappelant l'objectif fondamental de la création de ces communautés. Pourtant, aujourd'hui, la contribution des colonies de vétérans comme celle-ci à l'objectif de creuser un fossé entre les communautés arabes de Cisjordanie semble presque marginale.

Il n'est pas nécessaire d'avoir des jumelles pour observer les nouveaux développements dans la région. Au pied de Nili se trouve la ferme Magnezi, nommée d'après son fondateur, Yosef Chaim Magnezi, qui y vit avec sa femme Devora et leur tout jeune fils. « Le contraste entre Nili et Magnezi constitue l'essence de toute l'histoire ici », affirme l'activiste Etkes. Magnezi couvre environ 5 000 dunams (1 250 acres) de terres agricoles - la taille de la ville de Yehud-Monosson dans le centre d'Israël, et quatre fois la taille de Nili - même si toute sa population consiste en une seule famille vivant dans un camion transformé en résidence, avec quelques invités occasionnels.

La ferme de Magnezi a étendu ses longues tentacules sur les terres palestiniennes qui l'entourent au moyen de nouveaux chemins de terre. Les documents promotionnels rédigés à propos de la ferme indiquent que son objectif est « d'empêcher une prise de contrôle par les Arabes des territoires de notre précieuse terre ». Magnezi, pour sa part, a déclaré dans une interview : « Il y aura des Juifs dans ces collines. Il y a ceux qui comprennent plus vite et ceux [qui comprennent] plus lentement ».

L'avant-poste, avec son troupeau de 200 moutons, ses pâturages à perte de vue et ses bosquets de bananiers et de manguiers, ne pourrait exister sans un réseau efficace de bénévoles. La plupart sont des adolescents, dont certains ont abandonné leurs études dans divers cadres et d'autres n'ont pas de contact avec leur famille. Selon le site Internet de Hashomer Yosh (Gardien de la Judée-Samarie), une organisation soutenue par le gouvernement qui contribue à fournir des volontaires aux fermes - qui vient tout juste de faire l'objet de sanctions américaines - « de nombreux jeunes viennent à Magnezi... parmi eux des jeunes haredi de [la colonie de] Kiryat Sefer ».

Magnezi et sa femme délèguent de nombreuses tâches aux membres de leur jeune main-d'œuvre - dont certains sont classés comme étant à risque - y compris l'entretien des infrastructures et le travail de berger. L'enveloppement thérapeutique et rééducatif ostensiblement fourni par la ferme est basé sur le travail manuel dans un endroit où les gens « vivent simplement et se débrouillent avec peu, [et qui est] connecté à la nature », a déclaré Magnezi au site web de Channel 7 News l'année dernière. « Les jeunes, et c'est tout à leur honneur, ont cette flamme dans les yeux. Ce sont eux qui doivent faire ces choses folles. Les jeunes veulent créer une ferme et être actifs. Ils doivent être autorisés à le faire ».

L'entreprise ostensiblement éducative de Magnezi est ainsi devenue un aimant pour les jeunes à problèmes. L'un d'entre eux, Einan Tanjil, originaire de Kiryat Ekron, une ville proche de Rehovot, est arrivé adolescent dans les collines de Cisjordanie. En février dernier, il est devenu l'une des premières personnes à faire l'objet de sanctions de la part de l'administration américaine. En novembre 2021, alors qu'il avait 19 ans, Tanjil et une vingtaine de colons masqués ont attaqué des Palestiniens qui récoltaient des olives dans les bosquets de Surif, un village proche de la colonie de Bat Ayin. Il a également matraqué trois militants israéliens des droits de l'homme et a été reconnu coupable d'agression aggravée à l'aide d'une arme froide (non explosive) et de tentative d'agression.

Au cours de la procédure judiciaire, Tanjil a demandé à être placé en détention dans la ferme des Magnezi. Yosef Chaim Magnezi a comparu à l'audience et a longuement décrit comment il avait aidé des jeunes comme Tanjil. « J'ai beaucoup travaillé avec ces jeunes, je crois vraiment en eux », a-t-il déclaré. « Ce sont des personnes très fortes et je pense qu'il faut leur donner une orientation dans la vie. Devora, son épouse, a également évoqué leur rôle dans la réhabilitation de jeunes comme Tanjil. « Cela fait partie de ma mission, dit-elle, d'accepter des gens qui n'ont nulle part où aller.

Pour sa part, le service de probation n'a pas été impressionné par les propos du couple, pas plus que le juge. La représentante de l'État a rappelé au tribunal que Magnezi lui-même avait fait l'objet d'une enquête pour suspicion de menaces et d'intrusion lors d'un incident survenu dans un village palestinien voisin. Elle a ajouté que sa ferme était un foyer de « troubles et de frictions ».

Lors d'une visite de la ferme par Haaretz il y a deux semaines, l'un des volontaires, un jeune homme de 18 ans issu d'une communauté haredi, a été aperçu en train d'effectuer des travaux d'entretien. Il a raconté qu'il était arrivé à Magnezi deux ans plus tôt, après avoir abandonné une yeshiva et s'être impliqué dans des activités criminelles. « J'ai été emprisonné pour des bêtises de jeunesse », a-t-il déclaré. « Je suis la personne que je suis aujourd'hui grâce à la ferme. Et il ajoute, très simplement : « C'est une ferme de colonisation. Avant cela, les Arabes venaient ici ».

Aujourd'hui, l'endroit est en plein essor, a déclaré le jeune homme, en montrant une structure orange isolée située à environ un kilomètre à pied - une « ferme-fille » où vivent désormais d'autres volontaires comme lui. « Nous avons commencé ici et nous avançons vers là. La vie sur le « nouveau site » a été compliquée par les frictions constantes avec les Palestiniens de la région.

La volonté d'expansion n'est pas anodine : Il y a peu, la ferme a fait savoir qu'elle était en difficulté économique et a lancé une campagne de crowdfunding sous le slogan « Saving Magnezi's Farm » (Sauver la ferme de Magnezi). Le public a répondu en donnant environ un demi-million de shekels. L'organisation à but non lucratif qui a servi de canal pour les dons est l'organisation Btsalmo de l'activiste de droite Shai Glick. C'est d'ailleurs cette même organisation qui a permis de collecter des fonds pour une autre personne « dans le besoin », le Premier ministre Benjamin Netanyahou, afin de financer sa défense juridique.

Outre l'organisation Hashomer Yosh, l'organisation à but non lucratif Regavim, qui contribue également à soutenir la ferme Magnezi, reçoit chaque année de généreuses subventions du gouvernement. Le ministère de l'agriculture a accordé une modeste subvention à la ferme et d'autres aides à son fonctionnement proviennent de la JNF.

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L'activité du JNF en Cisjordanie a suscité de vifs désaccords au sein de l'organisation. Certains de ses représentants locaux sont d'orientation politique de centre-gauche et d'autres sont des Juifs d'Amérique du Nord - des groupes qui n'approuvent généralement pas l'entreprise de colonisation. Lorsque les membres des communautés juives du monde entier font des dons généreux à la JNF, ils ne se rendent peut-être pas compte que leur argent sert en fait à financer des activités qui profitent à des avant-postes de colons extrémistes, dont certains sont violents, dans toute la Cisjordanie.

Néanmoins, au cours des trois dernières années, le Fonds a transféré 5,5 millions de shekels à son programme pour la jeunesse agricole, qui aide les bénévoles des avant-postes agricoles et pastoraux et est présenté comme un programme d'aide aux jeunes à risque. Dans le cadre de ce programme, les adolescents volontaires participent à des formations professionnelles, à différents types d'ateliers et à des cours de maturité - payés par le JNF. La formation professionnelle comprend des options permettant de développer des compétences particulièrement utiles pour les avant-postes des colons, telles que la soudure, l'installation de caméras de sécurité, les travaux agricoles et la maîtrise de l'arabe. Ces activités risquent non seulement de ne pas entraîner le départ des jeunes des fermes, mais aussi de contribuer à leur maintien sur place.

Un document obtenu par Haaretz révèle la liste des avant-postes, pour la plupart illégaux, soutenus dans le cadre du programme agricole du JNF, dont certains ont été sanctionnés par Washington en raison de leur caractère violent. Certains responsables du JNF craignent que la poursuite du financement du programme ne constitue une violation de ces sanctions.

Havat Hamachoch et Havat Rimonim sont deux de ces avant-postes. Ces deux fermes, ainsi que la personne qui les dirige, Neria Ben Pazi, ont fait l'objet de sanctions américaines pour leur rôle dans l'expulsion de communautés palestiniennes locales. Une autre ferme impliquée dans le même programme du JNF et qui figure également sur la liste noire des États-Unis est celle de Zvi Bar Yosef. Il y a environ un an, Haaretz a rapporté une série d'exemples d'attaques violentes provenant de la ferme de Zvi, dont certaines ont été décrites comme des pogroms.

Au total, jusqu'à la fin de l'année 2023, plus de 200 adolescents ont participé au projet du JNF dans des dizaines de fermes de Cisjordanie. Quatre-vingts de ces jeunes figuraient parmi les bénéficiaires des 1,5 million de shekels (environ 415 000 dollars) que le JNF a transférés au Conseil régional de Binyamin, en Cisjordanie. Le FMN a transféré une somme encore plus importante, 2 millions de shekels, à Artzenu, une organisation qui a financé des programmes de formation pour 150 jeunes dans 25 autres fermes. Artzenu est en effet l'une des organisations les plus étroitement liées aux nombreux volontaires qui affluent dans ces avant-postes. La coopération avec cette organisation a été gelée par le JNF à la suite d'un rapport de Haaretz l'année dernière.

Lorsque les Juifs de la diaspora font des dons généreux à la JNF, ils ne se rendent pas toujours compte que leur argent sert en fait à financer des activités qui profitent à des avant-postes de colons extrémistes, dont certains sont violents.

Pour les militants de gauche, les projets présentés comme destinés aux jeunes à risque ont toujours été un moyen efficace de s'approprier des terres en Cisjordanie. Dès 2013, un avant-poste thérapeutique appelé Haroeh Haivri (le berger hébreu) a été établi près de Kfar Adumim, à l'est de Jérusalem, pour « réhabiliter » les jeunes des collines. La ferme a été construite sans permis, mais l'État l'a ensuite légalisée. Actuellement, elle fonctionne en coopération avec les forces armées et reçoit une généreuse subvention de 2 millions de shekels par an de la part du ministère de l'éducation.

L'académie prémilitaire de Liel, nommée en l'honneur du sergent-chef Liel Gidoni, tué lors de l'opération Bordure protectrice en 2014, et destinée aux jeunes à risque, a été créée quatre ans plus tard, après que des colons eurent repris un camp militaire abandonné dans la vallée du Jourdain. Le ministère de l'éducation lui alloue environ 170 000 shekels par an, en moyenne.

La ferme de Lechatchila, créée en 2019 dans la région de Jéricho pour les jeunes Haredi en décrochage scolaire, est un autre avant-poste agricole relativement récent. Depuis sa création, les tensions n'ont cessé de croître entre la ferme et les communautés de bergers bédouins voisines. Ce projet fait également partie du projet du JNF pour les jeunes agriculteurs et a été financé à hauteur d'environ 1,25 million de shekels au cours des deux dernières années.

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En tout état de cause, les millions que le JNF consacre aux activités des bénévoles dans les avant-postes non autorisés ne sont qu'un rouage dans un mécanisme de soutien gouvernemental multi-institutionnel et lourd de ressources. Pour trouver un autre organisme public impliqué dans la garantie de telles entreprises, il faut remonter à août 2022, lorsque Naftali Bennett était premier ministre du « gouvernement du changement ».

À cette époque, Bennett, qui détenait également le portefeuille des colonies au sein du gouvernement, a approuvé le programme de travail annuel de la division des colonies de la WZO, qui comprenait « la planification des infrastructures essentielles et des éléments de sécurité dans les jeunes colonies [c'est-à-dire les avant-postes illégaux] avec un horizon de régularisation. » Sous le couvert de ce langage alambiqué, la division a transféré 15 millions de shekels aux avant-postes agricoles en 2023. Cette année, le budget a presque triplé, passant à 39 millions de shekels (plus de 10 millions de dollars).

Yisrael Gantz, chef du conseil régional de Binyamin, a décrit le plan avec une émotion palpable lors d'une réunion l'année dernière. « Nous avons ici un EB [budget exceptionnel] d'un grand intérêt et d'une grande importance, qui est à notre disposition pour la première fois dans l'histoire », a-t-il déclaré. « Le commandement central [des FDI] a défini exactement ce qu'il fallait mettre où, la division de la colonisation a transféré les fonds et nous devons exécuter [le plan]. C'est la première fois que Young Settlement reçoit un budget gouvernemental sur la table ».

Il apparaît que les avant-postes en question dépensent les 54 millions de shekels, sur deux ans, pour acquérir des véhicules utilitaires, des drones, des caméras, des générateurs, des barrières électriques, des poteaux d'éclairage, des clôtures, des panneaux solaires et bien plus encore. La division des implantations de la WZO ne divulgue pas quels types de « composants de sécurité » ont été achetés pour quels avant-postes. Cependant, Peace Now rapporte que des dispositifs utilisés à des fins de sécurité ont récemment été installés dans au moins 30 fermes, dont cinq ont fait l'objet de sanctions internationales pour des actes violents à l'encontre de Palestiniens.

Lors d'une réunion organisée par le parti du sionisme religieux en juin, le directeur général de la division des colonies, Hosha'aya Harari, a parlé de l'important soutien public offert aux fermes de colonisation. Il a indiqué que 68 communautés de ce type avaient été financées en 2023. Il a également mentionné les 7,7 millions de shekels affectés à la « construction de nouvelles routes » dans les avant-postes en général. Ces routes en terre sont des artères cruciales pour les avant-postes, permettant aux colons de s'étendre profondément dans le territoire environnant.

En plus de s'emparer des terres, les fermiers agissent souvent comme des inspecteurs autoproclamés qui s'occupent des constructions palestiniennes illégales, à l'aide de drones, de menaces et de rapports aux autorités. Ils ont été rejoints par des départements de patrouille foncière mis en place par différents conseils, auxquels le ministère des colonies a alloué des dizaines de millions de shekels depuis 2021. Au cours des deux dernières années, les organes de patrouille ont reçu en moyenne 35 millions de shekels par an, afin de « prévenir les violations en matière de planification et de construction et la saisie de terres publiques » - même si c'est l'administration civile qui a l'autorité de superviser la construction palestinienne. Les fonds ont été utilisés pour acquérir des véhicules tout-terrain et pour installer des caméras dans les zones ouvertes, pour financer en partie les salaires et pour « construire des routes et fermer des zones ».

En plus de saisir des terres, les agriculteurs agissent souvent comme des inspecteurs autoproclamés qui s'occupent des constructions palestiniennes illégales, à l'aide de drones, de menaces et de rapports aux autorités.

Il est peut-être tout à fait naturel que l'État considère les fermes des avant-postes comme des start-ups - comme une entreprise innovante conçue pour s'emparer d'un maximum de territoire avec un minimum de main-d'œuvre - et, par conséquent, qu'il accorde aux colons des subventions au titre de la « création d'entreprise ». Treize « fermiers » ont reçu un tel financement, pour un total de 1,6 million de shekels, de 2020 à 2022. Parmi les bénéficiaires figurent l'entrepreneur Zvi Laks, de la ferme Eretz Hatzvi, à l'ouest de Ramallah, qui a reçu 140 000 shekels, et Issachar Mann, qui dirige un avant-poste dans les collines du sud d'Hébron et a reçu 120 000 shekels.

Ces deux fermes sont des exemples d'avant-postes qui sont présentés au public comme des lieux de loisirs et d'activités récréatives, mais dont la véritable raison d'être est cachée. Eretz Hatzvi est décrit sur son site web comme un « complexe d'hospitalité avec une étonnante piscine écologique », qui propose des « petits déjeuners de style campagnard ». La ferme Mann promet aux vacanciers « l'hospitalité du désert », dont le fleuron est une « tente bédouine » divisée en trois chambres. Une nuit vous coûtera 800 shekels (212 dollars) ; sa principale attraction est une paire de pataugeoires qui font face aux étendues infinies du désert de Judée.

Comme les autres communautés illégales mentionnées ici, ces deux avant-postes s'appuient également sur une main-d'œuvre composée de jeunes volontaires (le site d'Eretz Hatzvi contient une galerie de photos intitulée « Our Special Youth ») ; tous deux font également partie du programme « Farm Youth » du JNF. En juillet, les États-Unis ont sanctionné la ferme Mann en raison de la violence systématique perpétrée par ses colons.

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Meirav Barkovsky, membre du groupe Jordan Valley Activists qui aide à protéger les bergers palestiniens, rencontre quotidiennement les fermiers des avant-postes. Mais une visite à la ferme Asael, alias Havat Eretz Shemesh, est une expérience qu'elle n'est pas prête d'oublier.

« Un samedi de novembre dernier, nous avons été informés que des colons avaient volé les vaches de deux Palestiniens et les avaient emmenées à la ferme Asael », raconte-t-elle à Haaretz, ajoutant qu'elle et deux autres militants ont décidé de se rendre à l'avant-poste, fondé par Asael Kornitz. « Nous pensions y aller, leur parler et peut-être les persuader de rendre les vaches. Nous étions optimistes, peut-être naïfs - avec le recul, même stupides ».

Les trois hommes ont gravi la colline menant à la ferme sur un sentier qui se terminait par une clôture métallique. Les meuglements de l'autre côté indiquent qu'ils sont au bon endroit. « Une lumière vive nous a aveuglés », se souvient Barkovsky. « Nous sommes sortis de la voiture et nous les avons appelés, nous avons dit que nous étions venus pour les vaches. Soudain, en un instant, un groupe de jeunes masqués est arrivé de la direction de l'avant-poste et nous a attaqués ».

S'ils étaient masqués, comment avez-vous su qu'il s'agissait de jeunes ?

Barkovsky : « On le voit à leur apparence, au corps révélé par les plis de leurs chemises. »

Sasha Povolotsky, qui appartient également au groupe de la vallée du Jourdain et qui était le chauffeur lors de l'incident, ajoute : « Je dirais qu'il y avait 10 adolescents d'âges différents. On pouvait voir qu'ils étaient jeunes à leur corpulence. La plupart d'entre eux n'étaient pas grands, ils étaient minces, presque imberbes sous leurs chemises. On pouvait clairement voir qu'il s'agissait d'un corps de garçon.

Un homme costaud, plus âgé que les autres, accompagnait le groupe de jeunes. Les militants racontent que les adolescents ont bousculé les deux femmes et leur ont arraché leurs téléphones portables, tandis que l'homme plus âgé a brutalement frappé Povolotsy. « Il l'a frappé à coups de poing », raconte M. Barkovsky. « Le visage de Sasha était ensanglanté lorsqu'il s'est relevé. Ils ont continué à le frapper et il est retombé.

« Je suintais du sang », dit Povolotsky. « Il s'est avéré qu'il m'a cassé le nez et l'orbite de l'œil.

Mais l'événement n'était pas encore terminé. Povolotsky : « Alors que nous nous enfuyions sur la route sinueuse, un véhicule tout-terrain transportant des enfants était juste derrière nous. Ils ont jeté des pierres en passant à côté de notre voiture. Les vitres ont volé en éclats, j'étais à peine capable de conduire. Il n'aurait pas fallu grand-chose pour que nous tombions dans la vallée. »

« Sasha conduit, il conduit vite, mais ils se rapprochent et nous emboutissent avec le véhicule par l'arrière », poursuit Barkovsky. Ils ont appelé une ambulance et la police, qui les a rejoints en descendant de l'avant-poste. « Mais l'officier n'a pas accepté de monter avec nous pour identifier les agresseurs », raconte Polovotzky. « Nous avons porté plainte et, deux semaines plus tard, nous avons été informés que l'affaire avait été classée en raison de la difficulté à localiser les suspects. Deux des suspects n'avaient que 15 ans, et deux autres 16 et 17 ans.

Pour sa part, Kornitz a déclaré qu'il « n'avait pas connaissance d'un tel événement ».

Les résidents de la ferme Asael ont systématiquement terrifié une communauté palestinienne voisine, obligeant finalement les habitants à partir. Mais Kornitz a reçu deux bourses d'entrepreneuriat de 150 000 shekels de la part de la division des implantations de la WZO, ainsi qu'un soutien de la part de l'État. Le ministère de l'agriculture a approuvé une généreuse « subvention de pâturage » de plus d'un quart de million de shekels sur deux ans. En général, ce ministère est un canal important pour le transfert des fonds gouvernementaux vers les avant-postes agricoles. Les données du ministère montrent qu'entre 2017 et 2023, il a approuvé des subventions de plus de 3 millions de shekels pour les avant-postes, dont environ la moitié a été effectivement versée. Certains des avant-postes qui ont reçu des fonds ont ensuite fait l'objet de sanctions internationales.

Outre le soutien direct, l'État finance également les fermes des colons de manière indirecte, par l'intermédiaire d'organisations à but non lucratif qui participent à leurs activités et en veillant à ce qu'elles disposent d'une main-d'œuvre. La majorité des subventions gouvernementales sont transférées sous l'égide du programme « Volontariat pour l'agriculture », par l'intermédiaire duquel les ministères injectent 20 millions de shekels par an dans ces organisations à but non lucratif. Selon un rapport de Peace Now, environ 30 % de ces subventions sont destinées à la Cisjordanie.

L'une de ces organisations, Hashomer Yosh, sert d'agence centrale de placement pour les volontaires, et en particulier pour les adolescents, au nom des fermes des colons. Les T-shirts verts portant le logo de l'organisation sont visibles dans les avant-postes ; parmi les volontaires, on trouve des jeunes filles effectuant leur service national comme alternative au service militaire. Le 1er octobre, les États-Unis ont imposé des sanctions à Hashomer Yosh. Mais l'État a, du moins jusqu'à présent, adopté l'organisation à but non lucratif, lui allouant en moyenne 1,8 million de shekels par an, prélevés sur les fonds publics.

En septembre, le personnel de Hashomer Yosh a rencontré le ministre de la protection sociale, Yaakov Margi, dans le but de « promouvoir la jeunesse pionnière dans les fermes », selon l'organisation. Son PDG, Avichai Suissa, a refusé de s'étendre sur les sujets abordés. Le bureau de Margi a noté que la réunion avait été organisée avant que les sanctions ne soient imposées et qu'un lien actif avec le groupe n'était pas à l'ordre du jour. Le porte-parole du ministère a ajouté : « La réunion n'a porté que sur le sort des jeunes ».

Une autre organisation à but non lucratif importante dans le même domaine est Shivat Zion Lerigvei Admadata, plus connue sous le nom d'organisation Artzenu (mentionnée ci-dessus). L'année dernière, le groupe a reçu quelque 4 millions de shekels des ministères de l'éducation, de l'agriculture et du développement du Néguev et de la Galilée. L'ampleur des fonds publics investis dans l'organisation a été multipliée par cinq en seulement deux ans. La mission déclarée de l'association est de « renforcer le lien entre la jeune génération et le travail de la terre afin de préserver les territoires ouverts ». En mai 2023, Shivat Zion a ajouté à ses objectifs officiels « la gestion et l'exploitation de programmes éducatifs pour les jeunes à risque ».

Son programme de soutien aux jeunes volontaires dans les avant-postes agricoles est le projet phare de l'organisation. Une déclaration sur son site Internet indique que ces dernières années, de plus en plus d'adolescents « ont trouvé un refuge sûr dans ces fermes » et que « Artzenu met l'accent sur l'autonomisation de ces adolescents et crée une atmosphère holistique pour eux ». Le directeur d'Artzenu est Yonatan Ahiya, président de la faction « Souveraineté maintenant » du Likoud et l'un des principaux recruteurs du parti.

Les groupes à but non lucratif dont les tendances politiques semblent moins évidentes jouent également un rôle important dans le projet gouvernemental de financement des fermes isolées. C'est le cas de l'association Hiburim - Beit She'an and Valley, qui gère principalement des groupes dits garin Torani - littéralement, des noyaux de Torah ou des groupes de base de personnes qui s'installent dans des communautés largement non religieuses - à Beit She'an et à Afula. Ces dernières années, cependant, l'organisation a développé un programme appelé Hiburim - Connecting Through Agriculture (hiburim signifie « connexions » en hébreu), et environ un tiers de ses activités se déroulent désormais en Cisjordanie, par exemple dans la colonie de Hamra, dans la vallée du Jourdain.

À côté de Hamra se trouve un avant-poste agricole très connu, la ferme Emek Tirza, qui a été impliquée dans certains des incidents les plus violents de la vallée. À la suite de ces incidents, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union européenne ont récemment imposé des sanctions à l'encontre d'Emek Tirza et de son responsable, Moshe Sharvit. Des activistes chevronnés de la vallée du Jourdain se souviennent d'incidents au cours desquels les résidents de l'avant-poste ont lapidé des Palestiniens et leurs troupeaux, les ont battus et ont lâché des chiens sur eux pendant de longues périodes.

Pour la communauté internationale, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase à Emek Tirza a été le fait que, quelques semaines après le début de la guerre à Gaza, Sharvit et ses acolytes ont expulsé par la force les habitants d'Ein Shibli, une communauté palestinienne voisine. Les villageois ont été attaqués, menacés par une personne qui s'est fait passer pour un agent du service de sécurité du Shin Bet, et ils affirment que Sharvit lui-même leur a donné un délai explicite : « Vous avez cinq heures pour partir : « Vous avez cinq heures pour partir ». Une famille raconte que quelques jours avant de s'enfuir, des habitants de l'avant-poste sont arrivés, ont agressé le père de famille et ont saccagé leur propriété.

Pour la communauté internationale, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase à Emek Tirza a été le fait que quelques semaines après le début de la guerre à Gaza, Sharvit et ses acolytes ont expulsé par la force les habitants d'Ein Shibli, une communauté palestinienne voisine.

Lors d'un autre incident, qui s'est produit le 15 avril non loin d'Emek Tirza, deux Palestiniens ont été tués par balle. Une source militaire a déclaré à Haaretz que, par la suite, le Shin Bet a identifié Sharvit comme étant présent sur le site et armé, mais que son arme n'a pas été confisquée pour inspection pendant plusieurs semaines.

La ferme ne prospère pas uniquement grâce à des dons privés, mais aussi parce qu'elle reçoit l'aide de l'État et de l'organisation de la colonie d'Amana, par exemple en se voyant attribuer des pâturages ou en étant raccordée au système d'approvisionnement en eau. Il y a également des primes occasionnelles provenant directement du gouvernement lui-même. En 2023, par exemple, Sharvit a bénéficié d'une subvention du ministère de l'agriculture pour le pâturage.

Au fil des ans, Emek Tirza est devenu un avant-poste prospère, dont l'une des cartes de visite est son projet éducatif pour les jeunes. Ce ne sont pas des jeunes qui ont abandonné le cadre [formel] », insiste Sharvit dans une vidéo YouTube décrivant son activité. « Ils se trouvent dans un cadre beaucoup plus rigide et exigeant. Il y a ici des exigences auxquelles il faut répondre ».

La ferme est également connue comme un « complexe d'accueil à la campagne ». Sur leur site web, Sharvit et sa femme invitent le public à séjourner dans des tentes climatisées sur le site, à barboter dans une « piscine de soins » et à organiser des événements familiaux dans « notre khan », qui dispose d'une « grande piste de danse suffisante pour une occasion excitante ».

Cependant, lors d'une visite guidée de la ferme par Sharvit, documentée par la BBC le mois dernier, il a mentionné le but ultime pour lequel l'endroit a été créé. « Nous nous emparons ici de quelques milliers de dunams, de la taille d'une ville pas si petite... 7 000 dunams [7 km²], c'est sans fin ». Il poursuit en décrivant la stratégie de l'ensemble de l'entreprise de construction d'avant-postes agricoles. « Le plus grand regret que nous ayons eu en construisant des colonies, c'est d'être restés coincés à l'intérieur des clôtures et de ne pas nous être étendus à l'extérieur. [En fin de compte, l'espace est la chose la plus importante ici. Cette ferme est très importante, mais la chose la plus importante est la zone environnante... Nous gardons des zones ouvertes dans lesquelles personne ne pénètre, dont personne ne s'approche. »

Sharvit a de nombreux partenaires dans le projet de prise de contrôle de la vallée du Jourdain par les Juifs. En parcourant la route d'Alon, qui relie la vallée à la route transsaharienne, on peut voir un ensemble extraordinaire d'avant-postes agricoles et pastoraux. Pas moins de 30 communautés de ce type ont été établies le long de cette route au cours des dernières années, et les médias des colons se vantent déjà de la création réussie d'une « formidable continuité territoriale », depuis la zone industrielle de Sha'ar Binyamin, au nord de Jérusalem, jusqu'au nord de la vallée du Jourdain.

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Sur la même route, entre les colonies de Hemdat et Maskiot, se trouve Havat Nof Gilad (Um Zuka), un avant-poste religieux établi par Uri et Efrat Cohen en 2016. Il bénéficie lui aussi des largesses de l'État, notamment d'une subvention de 530 000 shekels du ministère de l'Agriculture.

Ici aussi, les projets de construction et autres sur le site dépendent d'une main-d'œuvre composée d'adolescents volontaires qui n'ont pas trouvé leur place dans les établissements d'enseignement conventionnels. « Chacun d'entre eux est venu ici avec sa propre situation et sa propre vie », a déclaré Efrat Cohen lors d'une émission sur les médias sociaux à propos de diverses fermes en Cisjordanie. Pour sa part, Uri les perçoit comme une force de combat essentielle dans la guerre qu'il mène. « Nous sommes là et nous triompherons. La question est de savoir combien de temps cela prendra et quel prix nous paierons », déclare-t-il dans la vidéo. « Ces jeunes de 15, 16 et 17 ans sont le fer de lance de l'État d'Israël et ce sont eux qui gagnent la bataille.

Les adolescents de Nof Gilad font tout : souder, monter la garde la nuit, emmener les animaux au pâturage. La discipline est stricte à la ferme, disent-ils. « L'emploi du temps est très chargé », explique un jeune qui vit sur l'avant-poste depuis quatre ans. « Le travail toute la journée, les responsabilités, la garde du troupeau la nuit - la vie, tout. Les Cohen, a-t-il ajouté, « sont un peu comme mes parents » ; ils l'aident lorsqu'il est dans un « mauvais état mental ».

Un autre jeune, qui n'a pas encore 17 ans, a déclaré : « J'ai l'impression que c'est [la vie sur le terrain] : « J'ai l'impression qu'elle [la vie à la ferme] me fait mûrir davantage que l'école ». Et un autre jeune homme, qui est arrivé à la ferme alors qu'il était mineur, a fait son service militaire et est revenu, a expliqué : « Un jeune de 16 ans qui vient ici, qui garde la nuit, qui dort trois heures par nuit et qui travaille toute la journée, qui fait des choses qu'il n'a pas toujours envie de faire, il devient différent. En fin de compte, ce qui forge le plus le caractère d'une personne, c'est sa capacité à faire face aux difficultés ». Au moins 15 jeunes comme lui se sont intégrés à la vie à Nof Gilad au fil des ans, a-t-il ajouté.

Comment ces jeunes se retrouvent-ils dans ce centre ? Selon M. Cohen, c'est au ministère des affaires sociales de répondre à cette question. « Vous payez des impôts », a-t-il dit à un militant qui l'a interpellé. « Les impôts vont au ministère des affaires sociales, qui les subventionne [les adolescents]. Pourquoi me posez-vous la question ?

Sous les auspices des conseils régionaux de Cisjordanie, le ministère de la protection sociale participe effectivement à l'intégration des adolescents dans les avant-postes agricoles et pastoraux, mais il maintient qu'il ne les y dirige pas. Cette pratique remonte à une décision prise par le gouvernement Bennett-Yair Lapid sous le titre « Renforcer les réponses thérapeutiques et éducatives pour les jeunes de la région de Judée et Samarie ». Le principal résultat de cette décision a été un programme appelé Mit'habrim (Connexion), dont l'un des objectifs est d'institutionnaliser le lien entre le ministère de la protection sociale et les avant-postes.

Haaretz s'est entretenu avec un certain nombre d'employés du ministère de l'aide sociale qui travaillent dans les conseils de colonies et qui connaissent bien le fonctionnement de Mit'habrim. Deux d'entre eux ont accepté de parler de la manière dont Mit'habrim est mis en œuvre, et il en ressort que les conseils n'envoient pas nécessairement les jeunes directement dans les fermes, mais qu'ils contribuent plutôt à faciliter leur séjour. Le Conseil régional de Shomron, par exemple, a mis à disposition un travailleur social ainsi que trois coordinateurs qui travaillent avec les fermiers afin de les « former à identifier les signes de détresse chez les jeunes ». Un autre élément du programme consiste à encourager les adolescents à participer à des cours, des programmes de formation et des activités d'enrichissement. « L'idée est de les voir, afin qu'ils ne deviennent pas des jeunes perdus », a déclaré la source.

Au conseil régional, on insiste sur le fait que les jeunes ne sont pas retirés à la garde légale de leurs parents et qu'ils ne répondent pas nécessairement aux critères des jeunes à risque. « Pour la plupart, ce sont des jeunes très idéologiques, qui fonctionnent, et qui ne trouvent pas leur place dans les cadres standards.

« La plupart des gars dans les fermes ne sont pas des résidents de Judée et de Samarie et ne sont pas ce que l'on appelle des jeunes des collines », ajoute quelqu'un qui est impliqué dans le programme Mit'habrim dans le Conseil régional de Binyamin. « Ils viennent d'endroits comme Jérusalem, Petah Tikva et Holon. Nous voulons nous assurer que les jeunes qui nous arrivent de l'extérieur ne rencontrent pas de situations à risque. Une fois sur place, les jeunes ont besoin d'être encadrés et accompagnés. Ils doivent être orientés vers des activités productives ».

Un jeune homme qui a vécu dans des fermes lorsqu'il était mineur explique que la plupart des adolescents qui y vivent sont « des personnes qui ont abandonné l'école en raison de difficultés d'apprentissage ou d'une incompatibilité avec le système, parfois en raison d'une incompatibilité religieuse ou d'un trouble déficitaire de l'attention ». Ils entendent parler des avant-postes par le bouche à oreille. « Si vous abandonnez l'école, vous savez que cette option existe. Il a ajouté que dans un cas, un garçon qui avait eu des démêlés avec la justice et qui était censé être envoyé dans un centre de réhabilitation, a réussi à persuader le juge de l'autoriser à résider dans une ferme à la place.

La question du type de jeunes qui doivent vivre dans ces avant-postes a été soulevée lors d'une réunion, en mars dernier, de la commission spéciale de la Knesset sur les jeunes Israéliens, présidée par la députée Naama Lazimi (travailliste). Galit Geva, directrice de l'unité du ministère des affaires sociales chargée des populations à risque, a participé à cette réunion, convoquée à la suite du pogrom perpétré par des colons dans la ville palestinienne de Hawara. Elle a indiqué à la commission que 320 jeunes - 240 garçons et 80 filles - vivant dans des fermes de Cisjordanie étaient en contact avec des travailleurs sociaux. Environ deux tiers de ces jeunes sont originaires de colonies et les autres de divers endroits du pays, dont beaucoup de Jérusalem.

Apparemment, le ministère de la protection sociale a affecté un travailleur social à quatre autorités locales dans les territoires : Samarie, Binyamin, le bloc d'Etzion et les collines d'Hébron. Cependant, de nombreux jeunes dans les fermes vivaient en fait dans la vallée du Jourdain, où il n'y avait pas de supervision de l'État. Les défenseurs des droits de l'homme de la région ont signalé à plusieurs reprises que de jeunes colons, parfois des enfants, emmenaient eux-mêmes les animaux au pâturage et qu'ils étaient exposés à divers dangers. Aucune réponse officielle n'a été apportée à cette situation.

« Nous voyons des enfants, dont certains n'ont même pas l'âge de la bar-mitzvah, qui sont très négligés et qui passent des heures dans les champs avec leurs troupeaux pour s'emparer des pâturages des Palestiniens », raconte Gali Hendin, de l'association Mistaclim - Looking the Occupation in the Eye (Regarder l'occupation dans les yeux). Yifat Mehl, une autre activiste, ajoute : « Les jeunes sont le fer de lance de la violence spontanée. Auparavant, les agriculteurs eux-mêmes allaient affronter les Palestiniens et les activistes. Aujourd'hui, ces jeunes sont en première ligne. Ils sont l'avant-garde.

Dans une lettre qu'elle a envoyée en mars dernier au ministère de la protection sociale au nom des militants de la vallée du Jourdain, le professeur Michal Shamai, de l'école de travail social de l'université de Haïfa, a comparé les jeunes vivant dans les avant-postes agricoles au phénomène des « enfants soldats » qui ont été recrutés pendant les guerres dans les pays africains. « Ce n'est pas à cela que devrait ressembler un processus de réhabilitation des jeunes à risque. De tels endroits sont un terreau fertile pour le développement de la haine. Et la haine n'est pas une réhabilitation », a déclaré Shamai à Haaretz. Cette semaine, les militants ont de nouveau contacté le ministère de la protection sociale et des affaires sociales, signalant des « suspicions d'atteinte à des mineurs ». Les activistes ont mis en garde contre « la soumission d'adolescents et de jeunes à des situations de préjudice physique et émotionnel, de négligence physique présumée et d'absence des cadres scolaires ».

Dans une lettre adressée au ministère des affaires sociales, le professeur Michal Shamai, de l'école de travail social de l'université de Haïfa, compare les jeunes vivant dans les fermes à des « enfants soldats » qui ont été recrutés pendant les guerres dans les pays africains.

En outre, les jeunes des fermes constituent une main-d'œuvre bon marché. Roni (nom fictif) vivait récemment dans une ferme de la vallée du Jourdain pendant une année de service volontaire avant de partir à l'armée. Elle a toutefois décidé de partir plus tôt que prévu, car elle estimait qu'elle et les autres jeunes étaient employés dans des conditions d'exploitation.

« Au début, tout semblait rose et enchanteur », explique Roni. « Vous avez toutes les responsabilités et vous vous sentez chez vous. Mais nous travaillions de 6 heures du matin, avec une pause d'une demi-heure pour le déjeuner, jusqu'à 7 heures du soir. Nous n'étions pas payés, bien sûr, à part 400 shekels par mois (environ 110 dollars) versés par l'organisation par laquelle nous faisions notre année de service ». Il est difficile pour les jeunes volontaires de se révolter, explique-t-elle, « parce que pour eux, le propriétaire de la ferme et sa femme sont comme un père et une mère. Ce sont des enfants de 15-16 ans qui pensent qu'ils [le couple de fermiers] leur ont sauvé la vie ».

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Un matin d'avril dernier, Binyamin Achimeir, 14 ans, qui vivait à l'avant-poste de Malachei Hashalom, le long de la route d'Allon, est parti seul à 6 heures du matin pour emmener un troupeau de moutons au pâturage. Il n'est pas revenu. Le lendemain matin, son corps a été retrouvé à proximité : il avait été sauvagement assassiné par un Palestinien du village voisin.

Achimeir, dont la famille vit à Jérusalem, n'était pas le genre d'adolescent qui abandonne l'école pour se retrouver parmi les jeunes sur les collines de Cisjordanie. Il combinait les études à la yeshiva et le bénévolat à la ferme pendant les week-ends. Sa sœur, Hanna Achimeir, journaliste à i24NEWS, pense qu'il est erroné de coller l'étiquette « à risque » à ces jeunes. « Je comprends la tentation de faire le lien, dit-elle, mais à mon avis, c'est une erreur. La plupart des jeunes religieux qui se rendent dans les fermes sont en quête de sens. Pour un jeune qui a une affinité avec la nature ou un désir de calme, il est naturel de se rendre dans ces fermes.

Achimeir, qui vit à Jaffa, ajoute que « pour les adolescents de Tel-Aviv, la recherche [de sens] peut prendre la forme de toutes sortes d'expériences branchées que la ville peut offrir ». Dans une société nationale-religieuse, les restrictions sont infinies et l'on a le sentiment qu'un autre monde, parallèle, se cache au coin de la rue. Si vous avez grandi dans une communauté bourgeoise et que vous êtes un peu curieux, vous vous retrouverez soit au Cats Square [un lieu de rencontre pour les jeunes à Jérusalem], soit vous vous dirigerez vers les fermes si vous êtes un peu hippie ».

La ferme Malachei Hashalom a été fondée par Eliav Libi, qui y vit avec sa famille. Il a récemment créé une filiale appelée Havat Harashash. Selon des militants de gauche, ses résidents ont terrorisé une communauté bédouine voisine, Ein Rashrash, jusqu'à ce que ses habitants s'enfuient il y a environ un an.

La web-série sur les fermes de Cisjordanie a consacré un épisode à Harashash, mettant en scène les adolescents qui y vivent. L'un d'entre eux, âgé de 17 ans, a expliqué qu'il travaillait bénévolement dans la ferme depuis deux ans. « Vous n'êtes pas payés, n'est-ce pas ? » a demandé l'intervieweur, qui a répondu par l'affirmative.

À la suite du meurtre, la ferme a lancé une campagne de crowdfunding via l'organisation à but non lucratif Btsalmo, sous le titre « La réponse au meurtre », qui a permis de récolter environ 433 000 shekels. Cependant, la soi-disant réponse a pris la forme d'une série d'assauts menés par des colons de toute la région contre dix villages palestiniens voisins. Résultat ? Quatre Palestiniens ont été tués et des dizaines d'autres blessés au cours de ces attaques, au cours desquelles des voitures ont été incendiées et des maisons gravement endommagées.

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D'aucuns pensent qu'au moins certains des avant-postes agricoles ont un effet réellement bénéfique sur leurs jeunes volontaires. En effet, ils semblent être les piliers de l'avant-poste de Nof Avi, près de la colonie urbaine d'Ariel. La ferme a été fondée par Israël et Sara Rappaport, qui vivent de la vente de bétail et y élèvent leurs trois filles ; un groupe de volontaires est toujours sur place. Certains jeunes portent un T-shirt portant l'inscription « Rappaport's wounded » (les blessés de Rappaport). Amos, père d'un adolescent qui a vécu à la ferme, estime que le terme « blessé » est tout à fait approprié.

« Mon fils a quitté la maison à l'âge de 14 ans et demi », raconte-t-il. « Il traînait dans la rue et s'est rapidement attiré des ennuis. Il a été arrêté pour effraction, possession d'un couteau, utilisation d'un canif. Il s'est retrouvé dans l'un des lieux de rencontre de Jérusalem et a rencontré des gars de la zone de colonisation d'Eli. C'est là que s'est fait le lien avec les fermes. Un jour, il nous a simplement informés qu'il vivait avec un jeune couple dans une ferme en Samarie ». C'était l'avant-poste des Rappaport.

« C'était une sorte de salut pour nous », dit Amos. « Après avoir passé des mois à ne pas savoir ce qui lui arrivait, nous avions enfin une adresse. Il y avait aussi d'autres gars comme lui, qui se portaient volontaires et faisaient des choses productives et positives. Son séjour là-bas n'a été que bénéfique ».

Cependant, le fils d'Amos n'a pas fini par utiliser la ferme comme un tremplin vers un mode de vie normatif ; il a été attiré par des endroits plus extrêmes. « Il est passé par deux ou trois fermes de ce type avant d'arriver à un avant-poste beaucoup plus sauvage. Il y a quatre mois, il a été emprisonné. Je ne sais pas quel genre de personne il serait devenu s'il n'avait pas connu ces fermes, mais j'ai tendance à croire que son état serait pire ».

Haaretz a demandé à Sara Rappaport de parler des « blessés », mais cette demande a été rejetée. « Il m'est difficile de faire confiance à Haaretz », a-t-elle répondu.

« Les propriétaires des fermes aident à prévenir la détérioration de ces adolescents », déclare un éducateur qui travaille avec des adolescents à risque dans toute la Cisjordanie. « Lorsqu'un jeune est en crise et qu'il est en fait une sorte de nomade, la ferme est un point d'ancrage pour lui. Où qu'ils se trouvent, ces jeunes ont besoin d'être pris en charge. Si, au lieu d'être jetés sur la place des Chats ou sur les plages du Kinneret, ils faisaient des gardes dans une ferme. Peut-être que du point de vue de Haaretz, cela ressemble à de l'exploitation, mais pour lui, ce sera une sorte de cadre sécurisé ».

Le rabbin Arik Ascherman, fondateur de l'organisation de défense des droits de l'homme Torah of Justice, qui a été attaqué à plusieurs reprises au cours de ses années d'activisme, s'interposant entre les Palestiniens et les colons abusifs, connaît bien cette approche. « Les propriétaires des fermes se considèrent comme des éducateurs », explique M. Ascherman. « Je conteste bien sûr ce point de vue. Au-delà des horreurs que ces jeunes font subir aux Palestiniens, nous devons également prendre en compte ce que le séjour dans les fermes leur fait subir. »

En réponse

Le JNF a répondu à cette question : « Le programme Noar Besikuy [jeunes à risque] du JNF existe dans les communautés de la périphérie sociale et géographique du pays. Ce programme offre aux jeunes la possibilité de s'intégrer dans divers cadres de la société israélienne, en t

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