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Une catastrophe annoncée pour Saint-Adelphe et ses citoyens : une atteinte à notre patrimoine, à notre qualité de vie et à nos écosystèmes

11 mars, par Dany Janvier — , ,
Imaginez un instant : vous vivez dans une belle région agricole, patrimoniale, entourée de forêts et de paysages naturels. Cette tranquillité, héritée de plusieurs générations, (…)

Imaginez un instant : vous vivez dans une belle région agricole, patrimoniale, entourée de forêts et de paysages naturels. Cette tranquillité, héritée de plusieurs générations, fait la fierté de votre communauté. Mais du jour au lendemain, vous apprenez qu'un projet de parc industriel éolien, d'une envergure massive, est sur le point d'être imposé sur votre territoire. Ce projet, comprenant pas moins de 70 éoliennes, dont 40 sur le territoire même de Saint-Adelphe, transformera notre environnement en un chantier gigantesque. Au total, ce sont 140 éoliennes qui viendront défigurer nos deux MRC (Mékinac et Des Chenaux).

Les impacts sur nos vies quotidiennes, notre patrimoine et notre environnement seront irréversibles. Le calme qui caractérise nos zones rurales sera remplacé par le bruit incessant et envahissant, jour et nuit, des pales des éoliennes. Les flashs lumineux rouges clignoteront sans relâche dans le ciel, visibles à des dizaines de kilomètres, perturbant nos nuits et nos paysages. Les chantiers nécessaires à l'implantation de ces infrastructures géantes ravageront nos terres agricoles, modifiant à jamais le visage de notre territoire.

Ce projet aura également des conséquences catastrophiques sur nos écosystèmes naturels. Ces zones agricoles et ces forêts, véritables puits de carbone, jouent un rôle fondamental dans la régulation de notre climat. Au lieu de préserver ces milieux naturels, nous allons les sacrifier pour un projet éolien qui prétend décarboner notre société, tout en dégradant ces écosystèmes essentiels à la séquestration du carbone. Ce sont ces milieux, nos forêts et nos milieux humides, qui sont en réalité les véritables usines à décarbonation naturelles. Leur destruction, sous prétexte de transition énergétique, ne fait que remettre en question l'efficacité réelle de ce projet prétendant participer à la décarbonation.

Les conséquences économiques seront tout aussi dramatiques. Les valeurs immobilières s'effondreront. Qui voudra acheter une propriété en périphérie de ces géants d'acier, qui envahiront nos champs et nos forêts ? De nombreux propriétaires verront leurs maisons perdre des milliers, voire des dizaines de milliers de dollars en valeur, et seront piégés, incapables de vendre ou de quitter un territoire désormais défiguré.

Pendant ce temps, nos élus, en particulier Paul Labranche, se présentent comme « neutres », mais il est évident qu'ils sont aveuglés par les milliers voire les millions de dollars privés qui s'annoncent. Une arrogance non dissimulée. Paul Labranche et ses alliés semblent obnubilés par les redevances annuelles qui leur seront peut-être versées, au détriment de la population, à l'exception peut-être de quelques propriétaires terriens, souvent absents de la municipalité ou en difficulté financière, pour qui l'argent semble n'être qu'un pansement temporaire. Leur vision est réductrice, centrée uniquement sur les profits immédiats des éoliennes, dont la taille dépasse celle de la Place Ville-Marie à Montréal. Paul Labranche, qui semble être celui qui remportera le jackpot grâce au grand nombre d'éoliennes dans sa municipalité, sera-t-il fier du legs qu'il laissera une fois le territoire dévasté ? C'est dommage, car il a sûrement accompli des choses positives pour le village s'il est resté maire aussi longtemps. Cependant, depuis que je le connais, il fait systématiquement la sourde oreille à ceux qui ne pensent pas comme lui, leur répond de manière insensée, ou agit en coulisse sous prétexte de neutralité ou de confidentialité, de concert avec ceux qui dirigent la MRC de Mékinac.

On peut excuser les maires et la mairesse, dont certains se sentent contrôlés par les gouvernements. Si c'est le cas, pourquoi ne s'unissent-ils pas à d'autres MRC ou à d'autres municipalités qui se disent contrôlées et qui ne peuvent rien faire ? Pourquoi ne s'unissent-ils pas à leurs citoyens en leur disant la vérité et ne dénoncent-ils pas cette situation aux médias et à la face du monde ? Un gouvernement de girouettes comme celui de François Legault et de la CAQ écouterait la vraie voix des gens ; les maires qui se sentent pris pourraient le dire à tout le monde sur la place publique, au lieu de jouer en catimini dans un mauvais film. Je crois que si les maires et la mairesse n'ont pas tous les pouvoirs, ils ont au moins celui de dénoncer la situation et de promouvoir le bien-être de leur population, ainsi que de défendre leurs ressources naturelles et énergétiques.
Notre territoire, notre patrimoine, nos terres agricoles et nos écosystèmes naturels sont bradés aux multinationales au nom d'un développement soi-disant écologique, alors que ce projet n'est qu'un exemple de greenwashing où le profit prime sur la véritable préservation de notre environnement.

Nous, citoyens de Saint-Adelphe, avons le pouvoir de nous opposer à cette catastrophe. D'ici novembre, nous devons nous unir et reprendre le contrôle de nos municipalités avant qu'il ne soit trop tard. Il est impératif de dire NON à ce projet et de défendre notre territoire, nos terres agricoles, nos milieux naturels, notre patrimoine et notre avenir.
Dany Janvier, citoyen de Saint-Adelphe (une belle campagne patrimoniale mais future zone industrielle de production énergétique pour le privé)

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La forêt de Contrecoeur armée pour se défendre contre l’expansion du Port de Montréal

11 mars, par Collectif — , ,
Contrecoeur, 04 mars 2025 - Un groupe anonyme est passé à l'action pour défendre le territoire contre l'expansion du port de Montréal à Contrecoeur. Afin de contrecarrer l'un (…)

Contrecoeur, 04 mars 2025 - Un groupe anonyme est passé à l'action pour défendre le territoire contre l'expansion du port de Montréal à Contrecoeur. Afin de contrecarrer l'un des plus gros projets de privatisation et de bétonisation des berges de la province, le groupe a « armé la forêt » en plantant des barres d'acier à travers les arbres du site.

Cette pratique, qui vise à empêcher la coupe sans compromettre l'intégrité des arbres, est une tactique utilisée par les écologistes depuis plus de 40 ans pour protéger les forêts de l'exploitation extractive ou des projets industriels qui les menacent. Le groupe affirme avoir mené cette action en réponse à l'appel des Soulèvements du fleuve à se soulever contre la conteneurisation, l'accaparement du fleuve Saint-Laurent, de ses berges et de ses bassins versant par les multinationales qui détruisent le territoire et méprisent les populations locales.

«

Malgré une forte opposition citoyenne et ses conséquences écologiques désastreuses, Legault et le Port de Montréal soutiennent encore le projet d'expansion du port de Montréal à Contrecoeur. Personne ne veut y investir, il manque encore un milliard de dollars de financement et les experts qualifient ce projet "d'éléphant blanc". », explique un militant du groupe. « Nous avons jugé nécessaire d'enfoncer le clou quant à l'inadmissibilité du projet et de défendre le territoire face à cette expansion destructrice

. »

Dans le cas de Contrecoeur, la mise sur pied du monstre industrialo-portuaire prévoit, en plus del'abattage d'une forêt mature de 20 000 arbres, le ravage de plus d'un demi-kilomètre de rives naturelles et la perte de nombreux milieux humides déjà rares dans la région. Ce projet sera construit dans l'habitat de plusieurs espèces menacées d'extinction dont le chevalier cuivré, une espèce endémique dont l'existence estconfinée à une petite section du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Richelieu. Par le passage de deux à trois bateaux par semaine, ce projet accélérerait également l'érosion des berges qui alarme les citoyennes et citoyensdepuis plusieurs décennies.
« Cela fait plusieurs années que François Legault et les multinationales de la logistique cherchent à transformer le fleuve en une "autoroute" à marchandises. Nous nous opposons à ce que les pouvoirs économiques et politiques s'accaparent notre fleuve pour faciliter l'accélération du commerce international et l'accroissement du trafic maritime, tout cela en bafouant le droit des citoyennes et des citoyens d'être informés et consultés » affirme une personne qui milite au sein du groupe.

Nous nous soulevons contre la destruction de la forêt et de la plage de Contrecoeur, pour le fleuve et celles et ceux qui l'habitent. Le ravage de ces milieux naturels ne se déroulera pas sous notre regard passif : la lutte ne fait que commencer.

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Publication par le fédéral du Rapport final sur l’état des PFAS

11 mars, par Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME) — , ,
Le gouvernement fédéral a publié aujourd'hui le Rapport final sur l'état des PFAS en vertu de la loi canadienne sur la protection de l'environnement (LCPE), et il a annoncé un (…)

Le gouvernement fédéral a publié aujourd'hui le Rapport final sur l'état des PFAS en vertu de la loi canadienne sur la protection de l'environnement (LCPE), et il a annoncé un processus de consultation et de réglementation qui les réglementera d'ici quelques années. Ceci afin de protéger la population à l'égard des 15 000 substances chimiques que l'on retrouve dans une quantité innombrables de produits, de même que dans l'eau et dans l'air.

Avec plusieurs groupes de défense de l'environnement, de la santé et de la justice, l'ACME-Canadian Association of Physicians for the Environment (CAPE) a salué l'approche par catégorie que préconise le gouvernement fédéral.
La Dre Lyndia Dernis, impliquée à l'AQME et à l'ACME-CAPE, est encouragée par l'annonce du ministre de l'Environnement du Canada - elle faisait partie d'une délégation des groupes, et a fait une déclaration devant le ministère de l'Environnement cet après-midi.

Il s'agissait aussi de l'exhorter« à rapidement adopter un arrêté ministériel visant à classer les PFAS comme toxiques en vertu de la LCPE afin de donner au gouvernement une capacité accrue de réglementer ces produits chimiques hautement dangereux. »

Alors que la nouvelle administration américaine vient de mettre sur la glace ses réglementations sur les rejets industriels, il est aussi rassurant de savoir que la France interdira très prochainement les PFAS dans plusieurs produits, comme le souligne la directrice de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l'Atlantique, Sabaa Khan.

Pour le bien de la santé de tous et toutes, et de l'environnement dont la santé humaine est tributaire !

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Leçons de la lutte contre les fermetures d’Amazon au Québec

11 mars, par Julien Arseneau — , ,
Le 22 janvier dernier, en réponse à la syndicalisation de son entrepôt DXT4 à Laval par la CSN, le géant Amazon annonçait la fermeture de ses sept entrepôts au Québec, causant (…)

Le 22 janvier dernier, en réponse à la syndicalisation de son entrepôt DXT4 à Laval par la CSN, le géant Amazon annonçait la fermeture de ses sept entrepôts au Québec, causant ainsi la perte de plus de 4500 emplois. Cette attaque dégoûtante a immédiatement soulevé une vague d'indignation dans la province.

La lutte pour sauver les emplois chez Amazon présente un avant-goût de ce qui pourrait attendre d'autres travailleurs au Québec et au Canada dans le contexte de guerre commerciale. Pas moins de56% des entreprises canadiennes récemment sondées par la firme KPMG affirment qu'elles procéderaient à des licenciements si des tarifs sont imposés.

Malheureusement, dans le cas présent, un mois plus tard, les entrepôts d'Amazon sont en processus de fermeture. Le syndicat a maintenant amené l'affaire devant le Tribunal administratif du travail, mais c'est une bataille qui prendra des années à se régler ; entre-temps, les emplois sont perdus.

Cet exemple offre des leçons clés pour le mouvement ouvrier dans la lutte contre les fermetures et les pertes d'emploi que les capitalistes tenteront d'imposer à l'avenir.

Réponse syndicale

Avec un délai d'à peine quelques semaines avant le début des fermetures, il fallait agir vite pour empêcher les pertes d'emploi.

Malheureusement, dès le départ, la CSN a semblé accepter que les emplois étaient perdus. Leurs communications et actions n'indiquaient pas de volonté de les maintenir. Le communiqué de presse initial parlait vaguement d'accompagner « les salarié-es de DXT4 dans l'ensemble des démarches et des contestations qui devront être entreprises au cours des prochains jours. »

Ces paroles n'ont cependant été suivies d'aucune mobilisation pour sauver les emplois, que ce soit ceux des syndiqués ou des autres entrepôts.

C'est dans ce vide que des militants de gauche ont lancé une campagne « Ici, on boycotte Amazon », dès le lendemain de l'annonce des fermetures. Les objectifs immédiats de la campagne de boycottage étaient : « Stopper la fermeture des entrepôts. Maintenir les emplois de TOUS les travailleurs. Respect du droit syndical de TOUS les travailleurs. Arrêt des subventions pour Amazon. »

Cette campagne avait donc le bon objectif, celui de maintenir les emplois. Mais par quelles méthodes y arriver ?

La question d'un boycott des consommateurs n'est pas une question de principe. Il s'agit parfois d'un excellent auxiliaire à une lutte des travailleurs, un bon moyen de bâtir un mouvement de solidarité large, par exemple lors d'une grève, ou plus encore quand des scabs font rouler une entreprise en grève.

Cependant, sans action collective des travailleurs affectés eux-mêmes, même le boycott le plus réussi du monde ne sauvera pas d'emploi.

C'est encore plus vrai en ce qui concerne un mastodonte comme Amazon. Selon de récentes statistiques, pas moins de 64% des achats en ligne au Québec sont faits via Amazon. Cette entreprise véreuse a ses tentacules partout. Elle ne pouvait être forcée de revenir en arrière sur des fermetures par un seul boycott, qui allait de toute façon prendre un certain temps à être appliqué sur une si vaste échelle.

Malheureusement, cette campagne n'avait pas pour objectif de susciter l'action indépendante des travailleurs eux-mêmes, ni d'appliquer de la pression sur les centrales syndicales pour qu'elles organisent de telles actions pour sauver les emplois. Elle avait donc une sérieuse faiblesse dès le départ.

La CSN lance sa campagne

Incroyablement, devant une attaque aussi éhontée, la direction de la CSN n'a pratiquement rien dit pendant les deux semaines qui ont suivi l'annonce.

C'est seulement le 4 février que la CSN a annoncé une campagne autour des fermetures : elle a alors repris à son compte le slogan de boycott d'Amazon, qui avait précédemment été endossé par le Conseil central FTQ du Montréal métropolitain.

Mais la question n'était déjà plus de sauver les emplois.

En fait, le mot d'ordre du boycott d'Amazon circulait dans les grands journaux dès le début. Comme l'annonce des fermetures avait été faite peu de temps après les menaces de Trump contre le Canada, le commentariat bourgeois a immédiatement vu Amazon comme une cible de choix dans la guerre commerciale avec les États-Unis. Rapidement, se sont mis à fuser de partout des appels à acheter à des « entreprises d'ici » plutôt qu'à Amazon.

On pouvait par exemple lire dans le Journal de Montréal, le 24 janvier, soit deux jours après l'annonce : « Perdre quelques millions de revenus au Québec changera bien peu de choses pour Amazon. Mais ce même argent dépensé dans nos entreprises enrichit directement notre économie. Face aux tarifs de Donald Trump [...], il est dans notre intérêt de développer notre souveraineté économique. »

Le même discours a été repris par la CSN. Sa présidente, Caroline Senneville affirmait :

«

Quelques millions de moins de chiffre d'affaires pour Amazon, ce n'est peut-être pas des tonnes. Mais quelques millions de plus dans le chiffre d'affaires des entreprises québécoises, ça peut faire la différence entre une entreprise québécoise qui survit, puis une entreprise québécoise qui progresse.

»

Sur sa page Web consacrée à Amazon, la CSN ne parle pas de sauver les emplois ni de faire quoi que ce soit pour les travailleurs, mais bien d'« encourager les commerces locaux en cessant d'acheter sur Amazon ».

Il n'a pas été bien difficile pour les politiciens et gouvernements d'un bout à l'autre du spectre politique de rejoindre le mouvement. Même le ministre fédéral François-Philippe Champagne a été interpellé par la CSN, et il songe maintenant à revoir les liens du gouvernement avec Amazon.

La mairie de Montréal a coupé les ponts avec Amazon, affirmant : « Malgré le sursis au niveau des tarifs douaniers, Montréal ne baisse pas la garde. On passe la liste de nos fournisseurs au peigne fin pour trouver des alternatives locales ou internationales. On demeure solidaire et on achète local lorsque c'est possible. »

Et maintenant, le gouvernement Legaultdemande à ce que les fonctionnaires tâchent de passer à travers des fournisseurs québécois, au lieu de commander en ligne sur de grandes plateformes.

La lutte contre Amazon a ainsi été complètement récupérée. Plutôt que d'être une lutte pour les travailleurs, la campagne de boycott est devenue une lutte pour les capitalistes québécois contre les capitalistes américains. La perte de nos emplois n'est devenue rien d'autre qu'une excuse pour que ce gouvernement des riches vienne en aide à ses amis.

Comme si les capitalistes d'ici traitaient mieux leurs travailleurs ! Il est d'ailleurs incroyablement ironique que le gouvernement Legault participe à boycotter Amazon pour ses fermetures d'entrepôts antisyndicales, alors qu'il vient lui-même de déposer le projet de loi 89 visant à casser les syndicats.

Le résultat est que la campagne de boycott a donné un vernis de gauche à la bureaucratie de la CSN qui n'avait rien fait pour résister aux fermetures, et a même donné l'occasion à François Legault lui-même de sembler du bord des travailleurs. Et par-dessus tout, elle n'a pas permis de sauver les emplois ou d'obtenir des concessions pour ces travailleurs.

Le 21 février, la CSN a annoncé avoir déposé une plainte au Tribunal administratif du travail contre Amazon. La plainte affirme que la compagnie a dérogé au Code du travail et demande carrément de revenir en arrière sur les fermetures et de maintenir les emplois.

C'est trop peu, trop tard. Et l'histoire a bien montré que les recours devant les tribunaux ne tournent pas à la faveur des travailleurs. Mais même quand les travailleurs « gagnent », cela ne survient que des années plus tard, alors que le mal est fait. C'était le cas avec la fermeture de Walmart à Jonquière en 2004 (alors que les travailleurs venaient de se syndiquer) : les emplois ont été perdus, et il a fallu attendre 10 ans avant que les travailleurs reçoivent leurs indemnités.

Comment lutter contre les fermetures et pertes d'emplois ?

Avec la guerre commerciale qui se profile à l'horizon, des milliers, voire des centaines de milliers d'emplois seront sur le billot. La lutte contre les fermetures d'Amazon nous offre un exemple instructif qu'il faut évaluer d'un œil critique si nous voulons sauver les emplois à l'avenir.

La leçon importante est qu'aucune méthode ne peut se substituer à l'action indépendante des travailleurs sur le terrain.

Voilà pourquoi il aurait fallu que, dès le départ, la CSN utilise ses ressources et son pouvoir de mobilisation en vue d'une grève dans les entrepôts menacés de fermeture. De plus, il semble que très rapidement après l'annonce des fermetures, Amazon a commencé à rediriger ses colis vers des sous-traitants en vue de rendre les entrepôts inutiles. En commençant par bâtir un mouvement de grèves et occupations par les travailleurs eux-mêmes, les dirigeants syndicaux auraient pu démarrer une mobilisation de masse de tous les travailleurs impliqués dans la livraison des colis d'Amazon au Québec.

Un boycott des consommateurs aurait pris un sens radicalement différent dans un tel contexte. On peut se douter que les libéraux fédéraux et la CAQ n'auraient jamais voulu s'approcher d'une telle campagne.

Bien des gens ont affirmé à des militants du PCR au cours des dernières semaines que les méthodes comme la grève étaient irréalistes. Mais nous n'inventons rien de nouveau. À de nombreuses reprises, les travailleurs ont lutté contre les fermetures par des grèves et occupations, et ont obtenu des gains qu'ils n'auraient jamais obtenus autrement.

Au Saguenay, en 2004, des employés de l'usine d'Alcan ont refusé leur licenciement en occupant l'usine et en continuant la production sous leur contrôle. Malgré que le syndicat s'exposait à de sévères amendes, il a continué son action pendant 19 jours. Ils ont obtenu que leur emploi soit transféré au lieu d'être simplement perdu.

Un autre exemple inspirant provient d'Oshawa. En 1980, plus de 200 travailleurs de l'usine Houdaille ont occupé illégalement leur usine pendant deux semaines pour réclamer des pensions décentes et des indemnités de licenciement lors de la fermeture de l'usine. Il y avait même eu une menace de grève générale des 14 000 travailleurs de General Motors de la ville. Cette lutte a permis d'arracher d'importantes concessions à Houdaille et même de renforcer les indemnités de licenciement dans la loi ontarienne.

Avec la guerre commerciale qui s'en vient, il faut une nouvelle stratégie. Les appels aux tribunaux prennent une éternité à donner des résultats – s'ils en donnent. Et les appels au boycott, séparés ou opposés à des actions de grève et d'occupation des travailleurs eux-mêmes, sont clairement insuffisants pour gagner. Plus encore, un tel boycott ne participe pas à élever la confiance des travailleurs dans leur propre force, ni leur conscience de leur opposition irréductible aux patrons. Il tend plutôt – comme nous l'avons vu – à mettre travailleurs et patrons dans un même camp contre un autre patron.

Il n'y a aucune solution simple aux fermetures que les capitalistes voudront imposer. Des luttes acerbes s'en viennent. Nous ne pouvons avoir aucune confiance dans les gouvernements provinciaux et fédéraux pour venir en aide aux travailleurs.

Historiquement, c'est par les méthodes de grèves et occupations que les emplois ont été maintenus ou que des concessions importantes ont été obtenues. Ce sont ces méthodes que le PCR vise à faire redécouvrir et propager dans le mouvement.

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Grande mobilisation pour les arts au Québec : discours de l’organisation

11 mars, par Grande Mobilisation des artistes du Québec (GMAQ) — , ,
Le 22 février dernier se tenait dans plusieurs villes du Québec la Grande mobilisation pour les arts au Québec. Il s'agissait d'une autre manifestation dans l'intention de (…)

Le 22 février dernier se tenait dans plusieurs villes du Québec la Grande mobilisation pour les arts au Québec. Il s'agissait d'une autre manifestation dans l'intention de faire bouger le ministre de la Culture Mathieu Lacombe en faveur d'une augmentation substantielle du budget du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Une prochaine est prévue le 22 mars prochain. Afin de soutenir cette mobilisation, nous vous offrons quelques interventions diffusées à cette occasion. Ici, Clément de Gaulejac, Edith Brunette et Sara A.Tremblay, membres du comité organisateur.

La GMAX vous parle

Sara : Salut salut ! Je nous présente Clément de Gaulejac, Edith Brunette et Sara A.Tremblay, on fait partie du noyau de la GMAQ, on est là à se les geler depuis 1 an et plus, on est contents de vous voir.

Edith : Pour amorcer cette manif, nous voudrions reconnaître que celle-ci a lieu en territoire traditionnel autochtone non cédé, des territoires que nous habitons au quotidien et sur lesquels ces peuples ont jadis accueilli les ancêtres de plusieurs d'entre nous. Nous nous trouvons en territoire Kanien'kehá : ka, aussi un lieu de rassemblement de plusieurs nations autochtones, qui se battent encore aujourd'hui pour la reconnaissance de leur droit à la terre et le fleurissement de leur culture. Nous espérons que nos propres efforts pour renforcer le soutien public aux arts contribueront aussi à renforcer le soutien aux arts autochtones.

La volonté de se battre pour défendre sa culture, maintes fois exprimée par les Premiers peuples, est aussi ce qui nous rassemble aujourd'hui. Et se battre, il le faudra. La folle poursuite de l'aventure néolibérale et la montée des fascismes en forme de descente aux enfers appellent à utiliser nos voix pour faire vivre autre chose que les plans de redressement économiques et les berceuses paranoïaques que nous susurrent des milliardaires morts de rire. Nous sommes ici parce que nous sommes encore vivants, vivantes, et parce qu'on croit encore que l'art agit. Nous sommes vivantes et nous refusons de décorer votre abattoir avec des géraniums : vous nous rêvez contemplatifs, mais nous sommes des guerrières !

Sara : Ouais ! Une petite bataille tout en douceur, pour réitérer qu'on est valides, visibles et que nous soutenir (émotionnellement et financièrement) n'est pas en vain. On a bien vu le 12 février dernier, que la population est derrière nous. Grâce à l'initiative de Myriam Verreault qui a fait explosé les box office (wow), et aussi à Kev Lambert, Tania Kontoyanni (et même simon brault) qui ont dit la vérité à la télévision à heure de grande écoute. Ça nous a fait tellement de bien ! Merci pour la visibilité !

Heille, merci d'être là ! On est heureux et heureuses d'être avec vous !! Vraiment !

Ça fait quelques mois qu'on le répète, on favorise l'autogestion et l'autonomie, la GMAQ c'est pas juste nous, c'est vous ! Alors ce qui est vraiment cool cette fois-ci, c'est qu'il y a du monde qui, de manière autonome, ont organisé des rassemblements partout au Québec, en soutien à la GMAQ. Alors on salue notre ami Jérémie St-Pierre qui anime présentement la manifestation à Sherbrooke sur le parvis du Musée des Beaux-Arts ! GOOD JOB SHERBROOKE ! Et on est heureux et émus de penser à toutes les personnes réunies en ce moment même à St-Jean-Port-Joli ! À Québec ! À Rouyn-Noranda ! À Ste-Rose-du-Nord ! Pis nous autres ici, devant les bureaux du ministre de la culture M.Lacombe (SALUT, on le sait que vous nous regardez en direct sur instagram xX). On est beaux et belles et puissant.e.s quand on est uni.e.s ! Comme on aime bien le dire, l'armée de la GMAQ est en marche !

Edith : Le ministre de la Culture nous répète tant qu'il le peut qu'il ne faut nous attendre à rien. Il faut nous attendre à rien, parce que le gouvernement, semble-t-il, a déjà prévu que l'argent du prochain budget irait surtout ailleurs. La CAQ a aussi prévu de ne pas rétablir les points d'imposition qu'ils ont eux-mêmes abolis, et que s'il y a un feu à éteindre, c'est celui de la guerre tarifaire lancée par Trump. Mais Mathieu Lacombe, Éric Girard, François Legault, c'est pas en nous disant de nous attendre à rien que vous allez nous éteindre comme une bougie. La CAQ espère juguler la crise culturelle en disant aux artistes d'être raisonnables et affirme que le milieu culturel aurait juste besoin de faire un bon travail d'introspection pour trouver les trésors enfouis qui dormiraient quelque part dans de mystérieuses institutions ben trop riches ou dans les craques inexplorées de programmes qui ne serviraient soi-disant à rien. J'aimerais ça, leur dire une chose à propos des programmes qui ne servent à rien : devinez qui les a créés (indice : c'est pas le milieu culturel). Et j'aimerais ça leur dire quelque chose à propos des institutions qui seraient trop riches : quand même Ex Machina et le Musée de la Civilisation doivent suspendre leurs activités, je vois pas trop ce seraint qui les enfants gâtés de la culture chez qui on pourrait gratter quelques millions.

Alors oui, messieurs, on s'attend à quelque chose ! On s'attend même à de grandes choses, même si on se doute que c'est pas de votre gouvernement qu'elles viendront. Pis on va pas lâcher le morceau, parce qu'on croit qu'un monde en feu a un urgent besoin qu'on prenne soin de lui avec autre chose qu'un budget équilibré et des autoroutes.

Sara : Non, on lâchera pas l'morceau. Parce qu'on est pas ici toustes ensemble uniquement pour que le gouvernement bonifie le budget du calq. Non, on est ici pour être vue.s et pour construire un mouvement qui tiendra les médias, la population bien informés des réalités du milieu pour que “même si ce n'est pas une priorité vu la fin du monde qui est à nos portes”, on puisse manger, boire et OEUVRER dans la dignité.

Clément : Une des pancartes que j'ai dessinées pour équiper visuellement notre manif d'artistes et de travailleur.euse culturelles proclame « l'OEuvre est Grève ». Au début j'avais un autre slogan en tête, qui est pas mal non plus et qui disait « l'OEuvre est grave ». J'aimais bien. Mais, à la GMAQ, on aime essayer de cultiver une certaine légèreté pour combattre l'esprit de sérieux de nos dirigeants. Et puis j'ai été rattrapé par cette déformation professionnelle qui me fait lire des mots là où il y en a d'autres. À travers le mot Grave, j'ai vu le mot Grève. Parce que bien sûr, l'heure est grave, d'une gravité sans pareil. Mais c'est justement parce que la situation est immensément grave qu'il faut nous y opposer en étant immensément grève.

Dans le contexte qui nous réunit, c'est quoi la grève ? Dans nos discussions gémaquiennes, l'idée de la grève de l'art revient souvent. Elle porte en elle l'espoir que, privé des formes de l'art, l'État en viendrait à reconnaître l'importance de ses producteurs et la nécessité de leur accorder les moyens de vivre dignement dans une société où tout s'achète.

Mais les artistes sont-ils des producteurs, au sens où l'entend le ministre Lacombe quand il se rend en France pour vanter la découvrabilité de nos produits culturels ? L'artiste est-il vraiment un·e travailleur·euse comme les autres ? En choisissant la voie de l'art, ne nous mettons-nous pas au contraire en rupture avec le monde du travail ? Ne revendiquons-nous pas un type de production de valeur radicalement opposée à celle qui est enseignée en école de commerce ? Les termes de production, produits culturels et découvrabilité sont-ils biens choisis quand on parle d'art ?

Il me semble au contraire que choisir la voie de l'art est une manière de s'opposer au système capitaliste. De produire une valeur qui ne soit pas uniquement celle de l'argent roi, de s'intéresser à la vie au-delà des intérêts économiques, n'en déplaise à Pierre-Yves McSween.

Peut-être que se mettre en grève, pour nous autres les artistes, ce n'est pas seulement cesser le travail. C'est se rendre disponible pour autre chose, occuper le terrain en restant attentif aux possibilités du futur. Faire grève, c'est oeuvrer pour le futur, c'est oeuvrer pour qu'il y ait encore un futur malgré la danse de mort des pétro-techno-capitalistes.

Quand l'heure est grave, l'oeuvre fait grève.

Sara : Ouais mais. Comment on fait la grève quand les gens pensent qu'on travaille même pas ??

On le sait qu'on ne doit pas uniquement compter sur les subventions, (on pourrait peut-être en parler au monde de la construction, voir s'ils aimeraient ça se faire dire ça), on le sait qu'il faut diversifier nos revenus.

Je sais pas vous, mais moi c'est pas mon premier BBQ. On travaille en tabarouette, le 9 à 5 n'existe pas pour nous, on ne dit jamais non, on surchauffe, mais tout ça en silence.

Faut pas chialer, ça parait mal. Trouve-toi une job comme tout l'monde !

HAHAHA

Yo. J'en ai une job. J'ai même étudié pendant plus de dix ans pour l'avoir. C'est mon métier, pas mon hobby, Trop bien ! 45 000$ de dettes d'études et ma job de rêve !!!

Il y a parmi nous aujourd'hui, des étudiants et des étudiantes en arts / artsvisuels peut-être ?

Coucou ! faites du bruit !

C'est pas un peu fâchant de se faire dire qu'on est pas vraiment prioritaires ?

Qu'il y a trop d'artistes ?? que vous rêvez en couleur ?

Qu'on sera les premiers à être coupés et que ce sera perçu comme juste normal, qu'on sert à rien dans une guerre commerciale ?Etc ?

C'est fâchant !

Qu'est-ce qu'on fait quand on est fâché.e.s ? On sort dans la rue, on s'unit !
Moi je dis “quand on demande rien, on a rien”. Et la CAQ compte justement sur les précaires, comme nous, pour ne rien demander. alors Surprise, on demande !

On vous voit, les futurs artistes et travailleureuses culturels, et c'est entre autres pour vous qu'on OEUVRE !

ENTK

Moi j'voulais surtout vous dire ce qui est vraiment important, c'est que tout le monde ici aujourd'hui, nous, de toutes les disciplines, partout au QC, on soit toustes convaincu.e.s qu'on mérite mieux.

Ça c'est très touchant !

Et on est d'autant plus émus que la GMAX, les organismes du front commun pour les arts, les universitaires, la chambre de commerce, même le PQ pis le parti Libéral. Tout le monde est de notre notre bord ! On est pas tout seuls ! On est aimé.e.s !

Mes attentes à moi ne sont pas que financières, elles sont ailleurs, au niveau de la rue et à la hauteur de l'amour que je porte aux gens qui font exister la culture : vous autres.

Avant de passer à la suite, on voudrait dire un mot sur la violence.

Il paraît qu'à la manifestation du 22 janvier, certains propos ont été perçus comme “violents''.

C'est vrai qu'il y des gros mots qui ont été dis… – on a même scandé des « F you Legault ». Pis, bin, y a des gens, au gouvernement, qui ont trouvé ça irrespectueux.

Comme dirait Valérie Plante, la violence, C'EST NON. À la GMAQ, on est contre la violence.

Clément : surtout la violence économique.

Sara : lol

C'est pour ça qu'on vous propose notre “exercice de communications non-violente”, inspiré du site « réussir son management point com ».

Une première technique de communication non violente, c'est de parler au « je » :

Sara : Par exemple, à l'avenir, on ne dira pas : « F you la CAQ », mais bien « La CAQ me fucke » ou « M. Legault, JE me sens fucké ».

Clément : Ça c'est bon, on a le droit :)

Sara : Tu voudrais hurler que le gouvernement se câlisse de la culture ? non non non. Mauvaise approche. Essayez celle-là :

Edith : « Messieurs les ministres, JE me sens blessée quand J'AI l'impression que vous vous câlissez de la culture. »

Clément : « Plutôt que de dire »

Sara : « T'es au bord du burn out depuis trois ans et tu viens de recevoir ta 92eme réponse négative à une demande de bourse, pis t'apprends le même jour que le ministre va payer six expert.e.s 150 000$ chacun.e pour 9 mois de travail pour trouver comment réarranger le financement de l'audiovisuel ? »

Clément : « Dites plutôt »

Edith : « Messieurs les ministres, J'ÉPROUVE de l'agitation émotionnelle quand J'AI l'impression que c'est toujours les autres qui sont payés. »

Clément : Vous l'aurez-compris, à la GMAQ on est sucré-sucré ULTRA-MIAM

Sara : Fait que la du beau monde icitte MERCI d'être là, on vous a préparé un beau party !

Restez au chaud ! Maintenant que la piste de danse est ouverte !

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Grande mobilisation pour les arts au Québec : l’intervention d’Edith Patenaude

11 mars, par Edith Patenaude — , ,
Finissante du Conservatoire d'art dramatique de Québec en 2006, Édith Patenaude s'est aussitôt lancée dans la création. Avec Les Écornifleuses, dont elle assure la direction (…)

Finissante du Conservatoire d'art dramatique de Québec en 2006, Édith Patenaude s'est aussitôt lancée dans la création. Avec Les Écornifleuses, dont elle assure la direction artistique pendant dix ans, elle développe un territoire de création libre. Voici son intervention lors de la Grande mobilisation pour les arts au Québec le 22 février dernier.

La culture québécoise est en péril. Depuis des mois, nous le crions dans la rue, nous le faisons valoir dans les coulisses du pouvoir, en conversations avec nos élus, nous le chiffrons, nous nous unissons dans la lutte comme jamais auparavant, artistes, compagnies, associations et institutions, usant de tous les moyens à notre disposition pour rendre visible le mur contre lequel nous sommes acculés, nous remercions les journalistes et chroniqueurs, mais aussi – et peut-être surtout – les citoyennes et citoyens issus de différents secteurs qui réaffirment l'importance capitale de la culture, faisant mentir tous ceux qui insinuent que nous n'avons pas l'appui populaire.

C'est plus faux que jamais.

Aujourd'hui, du fait des menaces de notre voisin autrefois ami, la population entière se rappelle à sa culture. Elle sent dans sa chair que nous sommes entrés dans une crise existentielle. Une peur inédite nous fait trembler, mais si on la regarde en face, surgit une force qui la supplante, celle de notre désir farouche de liberté.

Les revendications que nous portons, vous les connaissez. Les combats de chiffre avec le gouvernement, vous les connaissez et vous savez qu'ils ratent la cible, qu'ils sont des excuses pour éviter de regarder la réalité en face. Personne ne peut nous enlever l'expérience intime que nous avons des faits, des conséquences dévastatrices de la crise sur nos vies, de l'effritement effarant de la capacité des institutions à créer, à soutenir les artistes, à offrir à nos concitoyennes et concitoyens des objets d'art libres. L'état des choses n'est pas tenable, nous le savons. Nos gouvernements le savent. Mais le comprennent-ils dans leurs fibres, dans leur cœur ? Sont-ils conscients de la corrélation directe et profonde entre culture et liberté ?

Parce que, oui : en défendant corps et âme la culture, c'est notre liberté que nous défendons. Celle d'être, de nous exprimer, de créer, mais surtout de penser. Depuis des années, nous laissons nos acquis sociaux nous glisser entre les doigts, assez lentement et sournoisement pour que nos gardes baissent, pour que la gravité de ces transformations nous échappe et que nous acceptions que c'est ce qu'il faut faire, qu'ainsi va le monde en démocratie capitaliste. La menace américaine est un électrochoc. Si nous laissons, pétrifiés, la peur prendre le contrôle, nous ne choisirons plus, nous ne ferons que réagir, sans vision ni cohérence. Nous risquons alors d'abandonner tous nos principes, inconscients et paniqués, et prendre la forme même de ce contre quoi nous nous élevons.

Mais nous avons encore le choix. Nous pouvons, réveillés par cet électrochoc, nous ressaisir et corriger le tir en investissant notre argent public en accord avec nos valeurs de décence, d'équité, d'ouverture, de liberté. C'est sur ces fondements que s'est bâti le Québec.

Nos libertés d'être et de penser ne sont pas des choses flottantes qui existent par elles-mêmes, peu importe le contexte. Pour qu'elles prennent racines et se déploient, une société doit impérativement en soutenir les trois piliers : l'éducation, en offrant un système en santé accessible à tous ; l'information, qui circule à travers des médias fiables, non soumis aux pressions du marché ; et une culture forte, considérée et traitée comme ce qu'elle est : le bastion de nos rêves collectifs, de notre histoire et de notre conscience, de notre identité vivante, mouvante, unique.

C'est le moment de laisser tomber les arguments d'affaires pour revenir aux fondements existentiels de la culture. Elle est nous. Nous sommes elle. Écraser la culture revient à s'écraser soi-même. Il est temps d'exiger que notre culture ait les moyens d'être préservée, et même qu'elle rayonne, se gonfle de fierté et d'espoir et devienne ce puissant bouclier qui saura, bien mieux que les armes, que la haine et que la peur, nous protéger.

Pour qu'un peuple s'affirme, il lui faut une voix. Le choix de société que nous faisons actuellement est celui du silence. Dans le vacarme actuel du monde, c'est de la folie. C'est un abandon auquel nous n'avons pas consenti. Je suis sciée qu'on puisse encore douter du sérieux de la crise dans laquelle nous sommes plongés. Que restera-t-il d'un peuple sans voix, sans culture ? Des corps sans âmes qui vendent leur attention au plus offrant ?

Nous sommes debout aujourd'hui pour crier de cette voix qui nous reste que nous sommes le cœur battant du Québec, vigoureux et fier. Nous sommes là en signe d'unité, pour manifester notre conviction, que nous espérons partagée, qu'il n'y a aucun compromis à faire sur notre liberté.

Nous faisons le choix de ne pas nous écraser, de nous tenir debout !

Courage à nous toutes et tous !

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Grande mobilisation pour les arts au Québec : l’intervention de Tamara Nguyen

Tamara Nguyen s'intéresse à la satire politique, à la manière dont l'art peut mettre un frein au défilement de l'actualité pour permettre une réflexion de fond. Voici son (…)

Tamara Nguyen s'intéresse à la satire politique, à la manière dont l'art peut mettre un frein au défilement de l'actualité pour permettre une réflexion de fond. Voici son intervention lors de la Grande mobilisation pour les arts au Québec.

Tamara Nguyen est autrice et conseillère dramaturgique.

Lors de ses passages en France, Mathieu Lacombe a été interviewé deux fois par le journaliste Patrick Simonin dans le cadre de l'émission L'Invité. Là-bas, il a parlé avec enthousiasme du sujet qui anime ses discussions avec la ministre de la Culture française : la découvrabilité. Tous deux travaillent à promouvoir les cultures francophones auprès des jeunes et des un-peu-moins-jeunes qui montrent peu d'intérêt pour la télévision et la radio, se tournant vers les plateformes de streaming, les podcasts et les réseaux sociaux où la culture américaine est dominante.

Je tiens ici à saluer cet effort. Il est vrai que le monde évolue et qu'avec lui doivent évoluer nos manières de nous tenir informé·es, de nous tenir cultivé·es. Mathieu Lacombe insiste beaucoup sur l'importance de promouvoir la langue française et d'entendre notre parler québécois sur Netflix et Amazon Prime, ce qui est un combat louable.

Je me propose ici d'apporter ma pierre à l'édifice de la découvrabilité des arts vivants. Bien que la langue de Molière, dans toutes ses déclinaisons, soit digne d'être découverte et redécouverte, d'autres aspects des arts vivants québécois méritent aussi leur place sous les projecteurs.

Par exemple, la polyvalence des artistes québécois, qui portent souvent plusieurs chapeaux. Nous avons, entre autres, des autrices-comédiennes-pigistes-ouvreuses-coachs-d'audition-baristas-profs-de-yoga, mais aussi des acteurs-libraires-médiateurs-culturels-professeurs-de-théâtre-vendeurs-chez-Simons-récemment-retournés-aux-études et des conceptrices-vidéo-techniciennes-coiffeuses-gardiennes-d'enfants-et-d'animaux-en-tout-genre.

Nous devrions faire connaître l'absence de sommeil honorable de ces artistes qui, pour porter leurs multiples chapeaux, dorment entre trois et cinq heures par nuit quand leurs enfants en bas âge ou l'anxiété généralisée ne les empêchent pas complètement d'accéder à un sommeil semi-réparateur.

Nous devrions aussi découvrir la générosité sans commune mesure des artistes qui s'endettent de quelques milliers de dollars par année pour auto-produire leur spectacle. Ces mêmes artistes portent également les chapeaux de porteur·euses-de-projet-gestionnaires-comptables-organisteur·rices-de-gofundme-laruche afin d'espérer grapiller cinq mille dollars qui leur permettront de fabriquer des décors, d'acheter des costumes et de payer leurs interprètes, leurs concepteur·rices et leurs technicien·nes. Je précise ici que les porteur·euses-de-projet-gestionnaires-comptables-organisteur·rices-de-gofundme-laruche font souvent le choix de ne pas se rémunérer, ce qui élève leur générosité au rang de sacrifice de soi.

Comme vous le savez sans doute, le sacrifice de soi est une valeur célébrée dans un très grand nombre de cultures à travers le monde. Il y a donc ici une opportunité de promouvoir notre culture québécoise en titillant l'imaginaire judéo-chrétien de nos publics lointains.

On pourrait, par exemple, lancer une mode sur Instagram où les artistes feraient défiler leur relevé bancaire sur fond de chanson québécoise avec le hashtag
#jem'appauvrispourenrichirlaculturequébécoise.

Nous pourrions aussi enregistrer notre dernier appel avec Desjardins après le dépassement de notre limite de crédit, ou encore notre dernier appel avec notre propriétaire mécontent du retard de paiement de notre loyer. Un·e musicien·ne québécois·ne pourrait ensuite en faire un remix sur lequel un·e chorégraphe québécois·e créerait une danse facile à reproduire qui ferait fureur sur TikTok. Tout cela encore sous le hashtag #jemappauvrispourenrichirlaculturequebecoise.

Mais je digresse. Il y a encore de nombreux aspects de la culture québécoise que l'on devrait donner à découvrir au reste du monde.

Comme par exemple, l'ingéniosité folle de nos directeur·rices de théâtre qui composent chaque année leur saison avec des sommes dérisoires, travaillant d'arrache-pied pour diffuser et produire des spectacles de qualité tout en s'assurant que les murs de leur théâtre ne finissent pas par s'effriter et tomber sur les comédien·nes, quitte à s'endetter de quelques centaines de milliers de dollars.

Comme par exemple, le courage inégalé des artistes qui écrivent, réécrivent et écrivent encore leur demande de subvention aux Conseils des Arts pour financer leur prochaine œuvre tout en sachant pertinemment que seul·es 20% d'entre eux recevront les fonds nécessaires pour créer leur spectacle et le produire.

Comme par exemple, la patience exemplaire des artistes québécois, dont le salaire médian est inférieur à 17 000 $, qui se font dire par un ministre de la Culture gagnant 232 000 $ par année que le peu d'argent qui leur est versé pourrait être mieux géré.

Je ne souhaite pas, monsieur le ministre, vous accuser d'hypocrisie. Il y a, bien évidemment, derrière votre choix de nous appauvrir, une idéologie méticuleusement pensée et appliquée. L'homme de culture que vous êtes sait que le mythe selon lequel nous serions né·es pour un petit pain traverse la littérature québécoise et que de nombreux artistes créent leur chef-d'œuvre dans la plus grande misère matérielle et psychique. Vous cherchez sans auxun doute à nous pousser dans nos retranchements pour que nous produisions des œuvres de qualité qui feront rayonner la culture québécoise à l'international. Pour cela, je tiens à vous féliciter. Notre détresse ne va qu'en s'accroissant et si votre calcul est bon, nous devrions produire des œuvres phénoménales cette année. Je ne garantis rien pour l'année suivante puisque la misère a parfois raison des meilleur·es d'entre nous, mais qu'importe, tant que la qualité est au rendez-vous.

Certains pourraient vous accuser à tort de pousser les artistes à quitter le métier, réduisant ainsi notre nombre et réglant par le fait même ce sinistre problème de manque de fonds, mais je n'y crois pas un instant. Votre mandat est de protéger et promouvoir la culture québécoise ; il serait absurde que vous contribuiez activement à son appauvrissement.

Des artistes pauvres, oui.

De la culture pauvre, non.

J'espère que mes conseils, s'ils ne vous aident pas, vous apporteront au moins matière à réflexion.

Sachez que si le temps vous manque – on dit « avoir un agenda de ministre » après tout – nous vous aiderons au meilleur de nos forces à promouvoir ces aspects uniques de la culture québécoise dans les médias et dans les rues.

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Grande mobilisation pour les arts au Québec : l’intervention de Sébastien Dodge

11 mars, par Sébastien Dodge — , ,
Sébastien Dodge, finissant du cégep de Valleyfield, signe une trilogie sur la corruption politique avec Gaétan Paré, dans le cadre d'un projet de développement d'artistes (…)

Sébastien Dodge, finissant du cégep de Valleyfield, signe une trilogie sur la corruption politique avec Gaétan Paré, dans le cadre d'un projet de développement d'artistes locaux qui se produisaient durant l'été dans les parcs de Vaudreuil-Soulanges. Il crée trois pièces en 2008, pourfendant le corporatisme (Suprême Deluxe, 2008)19, la médiocrité intellectuelle (La genèse de la rage, 2011)20 et le totalitarisme (La guerre, 2012)21, respectivement sur fond de science-fiction apocalyptique, de film d'horreur et d'épopée louisquatorzienne. Voici son intervention lors de la Grande mobilisation pour les arts au Québec.

Sébastien Dodge est un acteur, auteur et metteur en scène québécois.

Très cher Mathieu Lacombe

Très cher Mathieu Lacombe, ça fait un an ces temps-ci que nous avons amorcé notre résistance culturelle face à ce rouleau compresseur caquiste qui aime dont la culture commerciable à succès, les projets pharaoniques mal avisés et les pluies de chèques aux bons consommateurs.

Un an à résister, à proposer des solutions concrètes, à mettre sur un plateau doré toutes nos bonnes idées pouvant servir à redresser la situation pour des milliers d'artistes.

A expliquer comment il est important de renouer avec le public par l'éducation, par un passeport culturel soutenu par des ambassades culturelles de quartier, à taxer pour notre profit les Netflix de ce monde et comment il est plus qu'impératif de déclarer notre indépendance culturelle nationale.

Depuis un an, la plus grande coalition pour les arts vivants s'est organisée afin de défendre les demandes raisonnables qui assureraient la survie, même pas la croissance, la survie du milieu culturel à genoux.

Un an à discuter, à négocier, à demander, à proposer, à exiger. Nous avons ton oreille de ministre de la culture parait-il ? Et bien Mathieu, je sais que tu frétilles d'excitation quand on parle de hockey et de gros party historique de la St-Jean, mais aux dernières nouvelles, me semble que tu n'étais pas le ministre de la bière cheap pis des hot-dogs ? Non, tu es le ministre supposé chérir et protéger notre riche biodiversité culturelle. Alors va dire à papa Legault et à maman Girard de te donner plus d'argent de poche pour aider la culture la fin de semaine.

Car pour nous, les artisans des arts vivants, rien ne bouge. Rien. Nos conditions continuent de se dégrader, nos horizons s'amenuisent. Notre colère bouillonne.

Mais puisque la mathématique est importante, Mathieu, disons-le, 200 millions pour le CALQ est un minimum. Un seuil de survie. 200 millions pour l'ensemble du CALQ, c'est une broutille. Une poignée de change. On parle quand même ici de notre culture nationale en grand péril.

Oui, Mathieu, à cette demande de 200 millions. Évidemment, oui. Mais peut-on aussi penser que ces fonds pourrait servir à autre chose qu'à l'entretien du béton et à payer les factures d'électricité des institutions ?

Oui Mathieu, donnons plus de fond pour la création, l'exploration et les prises de risque. Tu sais surement que le risque créer le rendement.

Alors oui 200 millions, c'est une base élémentaire, on est tous d'accord.

Donc, ton cabinet et toi Mathieu, devez cesser de vous jouer de nos divisions dans les médias car ici, nous parlons tous d'une même voix : notre culture se meurt. Et si elle meurt, que pourrons-nous découvrir grâce à ton fameux concept de découvrabilité sur les plateformes numériques ? Nada.

Et je rajouterais, Mathieu, que si l'artisan de l'art vivant venait à disparaître, les scènes de théâtre seraient des condos, les musées seraient des condos, les bibliothèques des condos et les scènes musicales seraient poursuivies par tous les nouveaux propriétaires de condos.

Que les technocrates cessent de jouer leur petit jeu de politicaillerie alors que nous avons de plus en plus de difficultés à subvenir à nos besoins. Ça, c'est violent. Ça, c'est de la violence. Il en va de notre survie.

Car n'oublie pas, Mathieu, pas d'artiste pas d'institution culturelle, pas d'institution pas de culture, pas de culture pas de nation et pas de nation pas d'Assemblée Nationale.

Nous vaincrons.

Sébastien Dodge
Acteur et dramaturge

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Grande mobilisation pour les arts au Québec : l’intervention de Philippe Ducros

11 mars, par Philippe Ducros — , ,
Philippe Ducros est un dramaturge, metteur en scène, photographe et acteur québécois. Dramaturge autodidacte, il s'inspire de ses nombreux voyages pour écrire des pièces (…)

Philippe Ducros est un dramaturge, metteur en scène, photographe et acteur québécois. Dramaturge autodidacte, il s'inspire de ses nombreux voyages pour écrire des pièces fortement engagées qu'il met généralement lui-même en scène. Voici son intervention lors de la Grande mobilisation pour les arts au Québec le 22 février dernier.

Un barrage à l'obscurité

L'hydre idéologique

L'heure est urgente. Il est temps de nommer les choses telles qu'elles sont. La culture et l'art, ça fait partie d'un tout. Ce mépris que l'on vit de la part des gouvernements, ça fait partie d'un tout. Ce mépris, c'est celui que vivent les professeurs et tout le milieu de l'éducation, c'est celui que vivent les éducatrices en garderie, les infirmières, les préposés des CHSLD. Même le droit élémentaire de grève, de syndicalisation, ils le méprisent, même en ce qui a trait à la langue française, l'attitude de nos gouvernements est celle du mépris, en coupant comme ils le font dans les structures de francisation d'une façon si incohérente. Ce mépris est systémique, pour utiliser un mot que n'accepte pas la CAQ. Le système que ces gens au pouvoir tentent de pérenniser nous méprise. Ce mépris envers l'éducation, la culture, l'art, le français, envers ce qui nous unis, ce qui nous définit, se résume au mépris de ce que nous sommes, de ce que nous pouvons devenir.

Et pourtant.

Le Québec, lui aussi fait partie d'un tout, sa culture et son art tout autant. À l'heure des guerres tarifaires et des menaces d'annexion, l'art et la culture ont un rôle existentiel dans la survie identitaire des nations et dans leur résistance à la starbuckisation du monde. En Ukraine, depuis le 24 février 2022, dans les territoires occupées par les troupes russes de Poutine, les musées sont pillés, les théâtres sont ciblés par les bombardements, les livres ukrainiens sont détruits des bibliothèques, remplacés par des ouvrages russes. La guerre n'est pas que territoriale, elle est culturelle. Le Kremlin construit dans les zones occupées des nouvelles écoles, des nouveaux musées, des nouvelles bibliothèques, des nouveaux théâtres. Il implante sa culture. Depuis 3 ans, 149 figures de la scène culturelle ukrainienne ont été tué selon Kyiv et 476 sites culturels ont été détruits ou endommagés selon l'ONU. Qu'est-ce que ça va prendre à nos gouvernements pour qu'ils mettent fin à la fermeture de nos théâtres, de nos musées, pour qu'ils réagissent à l'effacement de notre culture et de l'art qui la vocifère ? Une invasion ? Mais elle a lieu cette invasion ! Bien sûr, de notre côté du monde, elle ne se fait pas encore à coup de tank, de drones, de sièges et de bombardements. Mais la menace est réelle. Et l'invasion existe. On parle de résister à l'hégémonie américaine, de résister à l'intimidation de son tsar belliqueux, on parle d'un Québec fort, on parle de préserver le fait français en Amérique du Nord, et on méprise notre culture ?

On méprise notre art, notre langue ? Pourtant l'invasion culturelle existe. Le soft power de la culture américaine influence réellement nos sociétés. Il s'infiltre partout, en nous. C'est leur première source de revenus d'exportation. Ils ont compris l'importance de la culture, et pas juste comme levier économique.

Aux États-Unis, en 2025, on bannit des écoles les livres des personnes racisées ou des personnes LGBTQ+. Les milliardaires au pouvoir ont très bien compris la résistance que permet la culture, la résistance que les livres et l'art incarnent. Ils ont compris que la culture et l'art sont des barrages à l'obscurité, celle-là même qu'ils veulent imposer.

Qu'est-ce qu'il faudra à nos dirigeants pour cesser leurs discours creux, pour arrêter de nous asphyxier et donner à nos poumons culturels l'air qui leur faut pour respirer autrement que dans un sac de papier en pleine crise de panique ? On parle ici de survie, de l'air nécessaire à ce qui fait de nous ce que nous sommes. On ne parle pas des 7 millions donnés au match des Kings de LA, ou des 700 millions siphonnés par Northvolt, ou des milliards du 3e lien mais de 50 petits millions de dollars pour que le secteur culturel, qui contribue 11 milliards de dollars à l'économie, puisse uniquement se maintenir. Ne pas investir davantage en culture, la laisser s'étouffer, la laisser tomber, ce faut le réaliser. Et rester unis, la culture, les arts, l'éducation, la syndicalisation, la francisation, toutes et tous ensemble, continuer à faire du bruit et à se mobiliser contre cette idéologie du mépris.

Philippe Ducros

22 février 2025 lors de la manifestation pour un soutien de base aux arts et à la culture organisée par La Grande Mobilisation des arts au Québec (GMAQ).

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Grande mobilisation pour les arts au Québec : l’intervention de Miguel Tremblé

11 mars, par Miguel Tremblé — , ,
Miguel Tremblé est bibliothécaire et chroniqueur pour la revue Liberté. Il commente l'actualité sur sa page Facebook. Voico son intervention lors de la manif du 22 février (…)

Miguel Tremblé est bibliothécaire et chroniqueur pour la revue Liberté. Il commente l'actualité sur sa page Facebook. Voico son intervention lors de la manif du 22 février dernier.

Allô ! Je suis Miguel Tremblé, bibliothécaire et chroniqueur pour la revue Liberté, une revue qui se préoccupe d'art et de politique. Je viens partager avec vous une conviction : non seulement il est toujours nécessaire de faire place à la magie, mais il faut défendre cette place si nous ne voulons pas la perdre.

Mais débutons par le début : est-ce qu'il y en a parmi vous qui avez des livres en retard ? Les frais sont abolis pour vous permettre de participer à la manifestation aujourd'hui. En fait, bonne nouvelle ! ils sont abolis pour toujours, on les a retirés. Vous pouvez arrêter de vous stresser avec ça !

Plus de frais de retard. Pourquoi ? Parce qu'en bibliothèque, on travaille pour l'accès à la culture : libre et ouvert à tous. C'est une institution publique où tu reçois des services gratuits. Un truc de fou quand tu y penses. Qui paye si c'est gratuit ? Québec fournit la bâtisse et la formation, la municipalité paie les salaires. Nous sommes financés à la mission - l'argent nécessaire pour acheter les documents, faire une programmation, assurer l'organisation, répondre aux questions. C'est MA-LA-DE. J'adore ma job ! Mais surtout les conditions de travail permettent de me projeter en sécurité et de créer du lien avec les membres de ma communauté — et je pense que ça change beaucoup de choses, alors je suis là avec vous par solidarité.

Mais vous savez déjà tout ça. Comme je suis bibliothécaire, je vais vous faire une heure du conte plutôt qu'un speech.

On lève les mains ! On va toucher les étoiles ! Tappe dans les mains une fois ! On tappe dans les mains 2 fois ! Tu me donnes tes yeux et tes oreilles parce que regardes, j'ai quelque chose à te montrer :O

*[OUVRIR LE LIVRE]*

IL ÉTAIT UNE FOIS l'histoire d'un tout petit gars, vraiment vraiment petit mais avec des grosses lunettes rondes. Il est arrivé à la bibliothèque et je lui ai remis mon lire préféré : Ce livre s'appelait "Le livre des géants", écrit par OBOM, plein de belles images et de belles couleurs.

Le livre ici c'est un symbole tout le monde ! Ça représente la culture ! OK OK !

*[FERMER LE LIVRE]*

Le petit bonhomme était content, un petit bonheur ! Il s'est mis à beaucoup aimer les histoires. Est-ce que toi tu aimes les histoires ? Moi oui ! Les chiffres aussi !

Depuis la politique culturelle des années 1980, donc il y a 45 ans à peu près, c'est presque 150 bibliothèques qui ont été construites ou rénovées dans toute la province. On était non seulement en retard, mais en plus on aimait pas beaucoup la lecture pour vrai. Pourtant chaque année, des millions de documents sortent des bibliothèques, et nous recevons des centaines de milliers de visiteurs. Si je sais compter et si je fais 1+1 dans ma tête, ça veut sans doute dire que les gens aiment de plus en plus avoir accès à leurs histoires. Ceux que je rencontre me disent qu'ils ADORENT ça, de toutes les manières imaginables, ils veulent qu'on leur donne du beau et du nouveau, c'est comme des affamés devant des petits pains chauds !

*[RÉOUVRIR LE LIVRE]*

Retour à mon histoire : au fil du temps, le petit garçon revenait toujours à la bibliothèque et il mettait à sent grandir.

Il avait déjà appris avec les formes et les couleurs, maintenant il voulait apprendre des mots ! Je lui ai dit que les mots c'était bien, parce que non seulement tu peux apprendre ce que les autres savent déjà, mais en plus tu peux inventer des nouvelles choses et même de nouveaux mots. Il avait rencontré des géants !

Le premier mot qu'il a appris, je m'en rappelle, c'est dans la langue abénakise de OBOM. C'était le mot “Ami” qui se dit “Nid Baska”. C'est un mot important parce que ça permet de savoir à qui tu peux faire confiance tout le temps.
L'autre mot, c'était le mot “Beauté”. C'est un mot que lui il m'a appris, un jour où il m'a apporté un dessin de sa famille pour me le montrer. Je vous avoue que j'ai trouvé ça très mystérieux, et très intéressant aussi - parce que ça voulait dire que la beauté n'était pas la même chose pour lui que pour moi. Je lui ai demandé ce que ça représentait, si c'était un monsieur avec un drôle de chapeau, mais il m'a dit que non, que c'était un beau mouton. Écoutez, on en apprend tous les jours comme bibliothécaire.

Il m'a dit qu'il se faisait ami avec les mots. Que c'était des géants. Et ça, ça c'est un vrai trésor ! Un truc de fou, encore !

Un trésor... ça doit valoir quelque chose, non ? On peut se demander si ça suit le coût des loyers et le coût de l'inflation, même. Parce que le coût de la vie lui il augmente en ouistiti !

*[FERMER LE LIVRE]*

C'est peut-être pour ça que la CAQ a du mal à comprendre. Ils disent qu'ils ne sont pas idéologiques, qu'ils font juste gérer la machine pour qu'elle soit productive. Mais productive pour qui ? Pour les grandes fortunes et les fonds de pension, ou pour les enfants qui découvrent ces histoires à nouveau pour la première fois ? Est-ce qu'ils savent, eux, ce qu'est le beau, le vrai et le juste ? Ou alors justement leur job c'est de gérer pour que nous on puisse se poser la question sans devoir sans arrêt nous arrêter pour remplir des formulaires de demande de subvention ?

Dans les négotiations avec le gouvernement, qu'est-ce qui se passe si on remplace le mot “art” par ”trésor” ? Est-ce que le “Conseil des trésors du Québec” a reçu assez de subvention ? Est-ce que les producteurs de trésors sont suffisamment bien payés ? Quel serait le budget pour toutes les chasses aux trésors qu'on peut mener, et quel genre d'équipage ça nous prendrait ?
Au fond, le petit bonhomme était en train d'apprendre à écrire sa propre aventure dont vous êtes le héros comme vous aujourd'hui.

Un jour, le petit bonhomme est revenu me voir pour me dire au revoir. Il avait trouvé sa propre aventure et un fond de recherche pour lui et son équipage. Il allait faire une pièce de théâtre sur les pirates et il allait s'assurer que tout soit vraiment, vraiment, vraiment GROS pour que tout le monde puisse le voir de loin.

Fin ! As tu trouvé la morale, toi ? Si je devais trouver une morale, je dirais que la question n'est pas de savoir combien valent les oeuvres, mais combien NOUS valons à travers les oeuvres que nous produisons.

Évaluer la culture, ce n'est pas juste mesurer, contrôler et optimiser les œuvres produites. C'est œuvrer ensemble à vivre les valeurs qui nous fondent - notre valeur propre, j'irais jusqu'à dire : notre amour-propre ! Ça c'est la job du peuple, pas du gouvernement — parce que la culture c'est nous qui la crée, donc ça devrait être à nous de la juger.

Donc voilà : Je voulais vous remercier de vous battre pour nous offrir le meilleur - que ce soit par l'expression authentique de votre regard, un travail sur une question esthétique, la réponse à un besoin communautaire, ou un geste qui mérite votre attention. Ce travail mérite reconnaissance, et c'est en exigeant cette reconnaissance que vous faites votre travail.

Vous valez tout l'argent qu'on vous donne. Pour vos salles, vos outils, votre temps de réflexion, vos déplacements, votre subsistance. Pour faire votre travail, osti ! Merci d'être là. Venez nous voir en bibliothèque, on vous attend et on a hâte de vous recevoir !

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Le chemin parcouru. Enlevées et disparues : violences sexuelles et mémoire historique

11 mars, par Nuria Alabao — , ,
L'exercice de reconstruction du passé dans le livre « The Call » de Leila Guerriero permet de comprendre la portée des avancées féministes dans la reconnaissance sociale du (…)

L'exercice de reconstruction du passé dans le livre « The Call » de Leila Guerriero permet de comprendre la portée des avancées féministes dans la reconnaissance sociale du viol.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Ces derniers temps, nous avons assisté à une certaine ambivalence de nos réalisations dans la lutte contre les violences sexuelles. D'une part, la réédition #MeToo de ces derniers mois embrouille plus qu'elle ne contribue, du fait de son instrumentalisation dans des guerres partisanes. D'autre part, nous avons réussi à mettre les violences sur le devant de la scène et à pointer des abus passés sous silence, non sans d'importants désaccords féministes sur la meilleure façon d'y remédier. Toutefois, au-delà des débats en cours, cette semaine des 8M est également l'occasion de regarder en arrière et de reconnaître le chemin parcouru. Il est bon de se rappeler que les frontières de ce que nous identifions aujourd'hui comme des violences sexuelles ont bougé, et ce grâce aux féminismes et aux femmes qui, après en avoir souffert, en ont parlé publiquement malgré toutes les difficultés.

Le livre magistral de Leila Guerriero, La llamada (Anagrama, 2024), a déjà été largement commenté dans la presse, mais j'y reviens parce qu'il offre des leçons importantes et un point de comparaison qui nous permet de percevoir clairement ces avancées. La llamada raconte la biographie de l'Argentine Silvia Labayru, une guérillera montonera qui, à l'âge de vingt ans et enceinte de cinq mois, a été enlevée, torturée, violée et forcée de travailler pour ses ravisseurs au service de la dictature militaire. Quelques mois après le coup d'État – 1976 – elle a été capturée et emmenée à l'ESMA, l'École de mécanique navale, où fonctionnait un centre de détention clandestin, où des milliers de personnes ont été torturées et assassinées. Dans ce lieu de terreur, elle a accouché sur une table d'une petite fille qui, une semaine plus tard, a été remise à ses grands-parents paternels.

Tout le livre, entre le quotidien le plus banal et le récit de l'horreur, répond à la question de savoir comment on peut continuer à vivre après cette expérience ; car on continue à vivre – ce qui est souvent oublié dans les récits médiatiques de terreur sexuelle, qui relatent généralement les viols comme si, après cet événement, les femmes devaient être irrémédiablement abîmées. Mais on continue à vivre, même dans ce cas, que nous prenons comme un exemple, un exemple extrême. Cependant, Labayru elle-même se rebelle contre l'idée que toute sa biographie devrait être lue à la lumière de ce moment. Non seulement la réponse de la protagoniste est complexe, mais l'autrice a réussi à faire en sorte que l'histoire ait tellement de facettes qu'il est impossible qu'elle ne transperce pas certaines certitudes. Oui, c'est une œuvre qui fait chavirer, la meilleure façon, peut-être, de réfléchir en profondeur.

« Les violences sexuelles sont considérées comme faisant partie de la torture et n'ont été reconnues comme un crime qu'en 2010 ».

La violence sexuelle faisait partie intégrante de la torture systématiquement appliquée à l'ESMA. « Nos corps étaient considérés comme un butin de guerre », déclare Labayru dans l'un des procès contre la dictature. Cependant, bien que le premier procès ait eu lieu en 1985, les violences sexuelles ont été considérées comme faisant partie de la torture et n'ont été spécifiquement reconnues comme un crime qu'en 2010. En fait, bien que la protagoniste ait suggéré qu'elle avait été violée, elle explique que lors de ces procès, on ne lui a jamais demandé de détails sur les viols. Il semble que ce ne soit pas si important à l'époque. Une autre des victimes de représailles, Bettina Ehrenhaus, explique dans le livre : « Nous nous sommes dit : « Ce n'est qu'une autre éventualité, ce que nous devons faire, c'est sauver nos vies. Et si cela m'arrivait dans la rue, c'est la même chose. Je ne risquerais pas ma vie parce que j'ai été violée. On survit. Le fait d'être déshabillée était un problème mineur. Aujourd'hui, je ne considère pas cela comme un problème mineur, mais à l'époque, c'était le cas ».

Dans les années 1970, 1980 ou 1990, il était encore plus difficile de parler publiquement de ces questions qu'aujourd'hui. « A l'époque, dénoncer un viol était doublement condamné. Dans le monde militant, le fait que l'on kidnappe des femmes et que l'on dénonce le viol portait atteinte au moral révolutionnaire, à l'image des Montoneros », explique Labayru. Elle explique le cas de Sara Solarz de Osatinsky, l'épouse d'un membre de la direction de l'organisation, assassinée avec ses deux enfants. Lorsque, lors d'un des premiers procès, elle a expliqué les viols qu'elle avait subis pendant des mois à l'ESMA, ses propres collègues « ont voulu l'engloutir parce qu'elle avait sali le nom d'Osatinsky », explique Mme Labayru.

Sur les plus de 5 000 personnes passées par l'ESMA, 90% ont été assassinées. Un petit nombre a été épargné, le plus souvent parce qu'elles étaient contraintes de travailler pour la dictature – dans la presse ou la falsification de documents, entre autres – dans l'espace même où leurs camarades étaient torturées. Le mécanisme était furieusement pervers. Celles qui survivaient devaient faire face aux doutes de leurs propres camarades : et celle-ci, pourquoi a-t-elle été épargnée ? Le mot « trahison » est un thème récurrent dans les rencontres des exilées. Après tout, elles avaient travaillé pour les militaires afin de survivre, c'était du travail d'esclave, mais ensuite, dit Labayru, ce n'était pas si clair. La forme la plus répandue de cette condamnation des survivantes était l'accusation, voilée ou non, d'avoir consenti à avoir des relations sexuelles avec les militaires pour sauver leur vie, ou encore d'avoir eu des relations affectives avec eux. « C'est vrai que tu sortais avec Tigre Acosta [l'un des patrons de l'ESMA] », a déclaré plus tard un célèbre présentateur de télévision à l'une des détenues.

La situation était également particulièrement tordue, car si certaines ont été violés alors qu'elles étaient attachés à l'ESMA, d'autres ont été obligées de sortir dîner ou d'aller à l'hôtel et d'avoir des relations sexuelles avec eux dans le cadre de leur processus de « rétablissement ». C'est ainsi que l'armée appelait la fiction selon laquelle elle rééduquait ces femmes pour les débarrasser de leurs idées gauchistes et de leur militantisme afin de les « réinsérer » dans la société. Dans le cadre de ce processus, on demandait à certaines femmes d'accepter d'avoir des relations avec eux, de faire semblant d'être leurs flirts ou leurs petites amies. Labayru a non seulement quitté sa cellule pour rencontrer dans des hôtels Alberto Eduardo González, « Gato », son interrogateur pendant la torture, mais elle s'est également rendue dans la maison du militaire où elle a également été forcée d'avoir des relations sexuelles avec sa femme. « Et ce viol par sa femme, je n'ai pas osé en parler à qui que ce soit. Non seulement cela, mais j'avais du mal à comprendre qu'elle était aussi une violeuse », explique-t-elle.

Si aujourd'hui nous pensons que les femmes violées sont souvent soupçonnées d'avoir provoqué le viol, de ne pas avoir suffisamment résisté, dans ces années-là, le sentiment était écrasant. Tout cela rendait encore plus difficile la compréhension de ce qui se passait avec les viols. Labayru ose également affronter le tabou de l'éventuel plaisir ressenti lors de l'agression : « Il y a beaucoup de pudibonderie à ce sujet, à savoir que les viols doivent nécessairement impliquer de la violence, un sentiment de dégoût et qu'il ne peut y avoir aucune forme de plaisir. Et vous dites : « Ecoutez, même si vous avez eu du plaisir, même si vous avez eu quarante-huit orgasmes, c'est quand même un viol ».

« Si nous voulons conserver le consentement, la possibilité de dire non est un horizon indépassable. »

Quand on ne peut pas dire non

Comment répondre à une question fréquente à l'époque, mais qui perdure encore aujourd'hui : avez-vous résisté ? Comment avez-vous pu résister dans un camp de torture et d'extermination ? Labayru est claire : « Le fait qu'ils ne vous aient pas torturée lors du viol ne signifie pas qu'il ne s'agissait pas de viols, car ils vous forcent à faire quelque chose en vous kidnappant et en vous menaçant de mort. Cela n'a pas d'autre nom que le viol, mais c'est difficile à comprendre, même pour les personnes enlevées elles-mêmes ». « Nous n'avions pas non plus la certitude que ce qui s'était passé était un viol. Nous avons commencé à nous demander dans quelle mesure je ne m'étais pas prostituée. Mais on ne décide de rien là-dedans. Dans un camp de concentration, il n'y a pas de consentement », dit-elle. Nombre d'entre elles ont dû porter la culpabilité pendant longtemps par la suite.

Les débats sur le consentement qui ont eu lieu au cours des dernières décennies ont déplacé la frontière de la violence sexuelle pour établir clairement que si vous ne pouvez pas dire non, il s'agit d'un viol. Aujourd'hui, personne ne douterait que ce qui s'est passé est un viol – presque personne ? Mais cette affaire illustre bien les objections à la formule magique du « oui, c'est oui », capable d'effacer toutes les ambiguïtés ou complexités de la preuve. Elles ont dit oui, mais pouvaient-elles dire non ? Aucun pas du « non » vers le « oui » ne résout le problème. La seule chose qui rend le oui libre, la seule chose qui le rend réversible, la seule chose qui le distingue d'un oui d'esclave, c'est qu'il est possible de dire ‘non'. Si nous voulons préserver le consentement, si nous nous y engageons, alors la possibilité de dire non est un horizon indépassable », explique Clara Serra dans El sentido de consentir.

Labayru elle-même, dans La llamada, cite Inés Hercovich, une chercheuse qui, après avoir interrogé de nombreuses victimes de viol, a soutenu que les femmes violées acceptent en quelque sorte un échange dans lequel elles abandonnent leur vagin ou une autre partie de leur corps pour survivre, ou pour le faire avec le moins de dommages possibles. « La mort qui plane autour de la scène, l'isolement qui les fait se sentir impuissantes, perturbent les significations des actions, et les codes habituels pour comprendre qu'ils ne sont plus utiles. Sous la menace de la mort, consentir c'est résister », explique Hercovich. Il s'agit peut-être d'une approche quelque peu inhabituelle, mais qui tente de souligner que la passivité apparente dont certaines femmes peuvent faire preuve dans une telle situation – leur immobilité, le fait qu'elles ne « résistent » pas – est néanmoins un signe d'action, une perspective qui peut les aider à surmonter la culpabilité qu'elles ressentent souvent de ne pas avoir résisté.

« Ce n'est qu'en 1999 que la possibilité de viol conjugal a été incluse dans le code pénal argentin (1995 en Espagne) »

Il fallait que la société change pour qu'il soit possible de dénoncer

Le premier procès pour des crimes de violence sexuelle commis à l'ESMA a eu lieu en 2014, vingt ans après le premier procès de la junte militaire. Labayru, ainsi que Mabel Lucrecia Luisa Zanta et María Rosa Paredes, étaient les plaignantes dans cette affaire. Les accusés ont été condamnés pour ce crime, bien qu'ils aient déjà été condamnés auparavant et qu'ils aient accumulé plusieurs condamnations à perpétuité pour des crimes contre l'humanité. Pour la première fois, il y a eu une reconnaissance claire et publique de ce qui s'était passé. « Il a fallu du temps pour que la société accepte les témoignages des victimes avec un regard différent. Ils ont dû cesser de nous accuser d'être des traîtres, des collaboratrices, des agentes des services, des putes », dit la protagoniste de L'Appel. Il a également fallu que la société comprenne différemment la violence sexuelle. Par exemple, ce n'est qu'en 1999 que la possibilité de viol au sein du mariage a été clairement incluse dans le code pénal argentin – en Espagne, en 1995.

«

Je ne sais pas si ce procès aurait eu lieu dans les années 1990. Elle-même ne se serait pas exposée de cette manière il y a 20 ou 30 ans, parce que le procès aurait été pour elle d'une terrible violence interrogatoire », affirme l'auteur du livre, Guerriero. Avec ce procès, Labayru a senti qu'elle fermait un cycle : « Je sais que j'ai eu une bonne vie. Je sais que j'ai eu une bonne vie et que j'ai encore une très bonne vie. Mais ils m'ont coupé en deux. Oui, ces fils de pute m'ont coupé en deux ».

Nuria Alabao
Journaliste et docteure en anthropologie sociale. Chercheuse spécialisée dans le traitement des questions de genre dans la nouvelle extrême droite.
https://ctxt.es/es/20250301/Politica/48652/Nuria-Alabao–Leila-Guerriero-violacion-violencia-sexual-memoria-la-llamada.htm
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Le mythe de la pulsion incontrôlable, instrument du contrôle masculin

11 mars, par Francine Sporenda —
Dans mon livre « La mystification patriarcale », j'ai abordé le mythe de la pulsion sexuelle incontrôlable qui serait une caractéristique spécifiquement masculine, selon le (…)

Dans mon livre « La mystification patriarcale », j'ai abordé le mythe de la pulsion sexuelle incontrôlable qui serait une caractéristique spécifiquement masculine, selon le discours dominant.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/02/25/le-mythe-de-la-pulsion-incontrolable-instrument-du-controle-masculin/?jetpack_skip_subscription_popup

J'ai souligné que cette association entre masculinité et pulsion sexuelle incontrôlable est récente : jusque vers la fin du 18ème siècle, c'était la libido féminine qui était considérée comme plus exigeante que celle des hommes, voire insatiable. Dans ce livre, j'ai aussi signalé que ce mythe était un instrument essentiel du contrôle masculin sur les femmes : si les pulsions sexuelles masculines étaient vues comme contrôlables, les femmes ne vivraient plus dans la peur d'être violées ou agressées sexuellement et, n'étant pas sous la menace constante de telles agressions, elles n'auraient plus besoin d'adopter certains comportements afin (ou plutôt dans l'espoir) de les éviter.

Cette menace de violences sexuelles, implicite dans la notion de pulsion incontrôlable, vise à produire chez elles un effet d'intimidation qui les dissuade de s'affirmer face aux hommes, les incite à faire profil bas dans l'espace public (ne pas aller dans certains quartiers, ne pas sortir la nuit, etc.), et généralement à se montrer soumises, déférentes et conciliantes avec eux pour ne pas les déclencher.

Ce qu'il faut aussi ajouter à ce tableau, c'est que ces pulsions sexuelles sont présentées par le discours dominant comme « naturellement » incontrôlables, c'est à dire qu'elles relèveraient de déterminismes biologiques auquel on ne pourrait rien changer. Si l'on y regarde de plus près, loin d'être un comportement d'origine purement biologique, ces pulsions masculines sont en fait constamment encouragées et stimulées par la société.

La forme la plus visible de cette stimulation omniprésente des pulsions sexuelles masculines est évidemment la pornographie : accessible en quelques clics sur un téléphone portable, dès l'âge de 12 ans, un enfant sur 3 a été exposé à des contenus pornographiques [1]. La pornographie est présente sur les chaînes télé câblées, dans les jeux vidéos, sur les sites de streaming etc. ; les représentations pornographiques contaminent les publicités, les films, la mode, la littérature, et même les romans à l'eau de rose visant par définition un lectorat féminin (il y aurait une étude à écrire sur l'influence qu'a eue « Fifty Shades of Grey » sur la pornification de ce type de littérature).

Il est impossible aux individus de sexe masculin d'y échapper : selon une étude de 2020 publiée sur le site de la National Library of Medecine (site gouvernemental lié au National Institute of Health), 91,5% des hommes interrogés auraient regardé du porno au cours du mois précédent [2]. Un article du Huffington Post publié en 2013 qui a fait sensation signalait que le nombre de visites sur les sites pornos dépassait celui sur des visites sur Amazon, Netflix et Twitter additionnés [3]. Vu cette exposition précoce et massive au porno, de nombreux hommes deviennent accros, passent des heures en cachette de leur famille devant des images pornographiques de plus en plus extrêmes véhiculant une image hyper-masculiniste et violente de la sexualité, et où le viol, la pédophilie et tous les crimes sexuels, de pair avec les perversions les plus répugnantes et les plus dangereuses, sont normalisés. Une autre étude parle de 10% des hommes de 14 à 24 qui consommeraient du porno tous les jours, voire plusieurs fois par jour, avec toutes les conséquences graves qu'entraîne cette surexcitation sexuelle permanente pour eux-mêmes et pour les personnes qui partagent leur vie [4].

Autre stimulation, celle-ci médicamenteuse, des pulsions sexuelles masculines : le Viagra qui permet à des hommes souffrant de difficultés érectiles, en particulier suite au vieillissement, de continuer néanmoins à avoir des rapports sexuels pénétratifs avec des femmes – compagne, prostituées etc.—qui souvent n'en ont aucune envie. Des femmes seniors vivant en couple se plaignent des ardeurs chimiquement renouvelées de leur compagnon, « devoir conjugal » dont elles pensaient être débarrassées vu son âge. Le paradoxe est qu'aux Etats-Unis, si le Viagra, ou autres médicaments (Cialis, Levitra) basés sur la même molécule, ne sont pas remboursés par les assurances santé, les versions génériques le sont assez généralement [4]. Alors que, et bien que la situation pour ce qui est du remboursement par les assurances santé de la pilule contraceptive soit assez compliquée (les régulations varient selon les états), le remboursement de ce mode de contraception pour la majorité des personnes dont l'assurance santé est privée (couverte par leur employeur) n'est pas pris en charge par leur assurance lorsque la pilule est achetée sans ordonnance, ce qui est le cas le plus souvent.

Le remboursement par les assurances privées des médicaments génériques censés produire une érection est donc meilleur que celui des pilules contraceptives vendues sans ordonnance. Autrement dit, le fait que des hommes puissent avoir une érection alors que leur âge ou leur état de santé ne les en rend plus capables est jugé plus important que la protection des femmes contre les grossesses non désirées : les performances sexuelles des hommes passent avant la santé des femmes, leur plaisir compte plus que leur souffrance. On le sait, en société patriarcale, tout ce qui concerne les hommes – leurs problèmes, leurs activités, leurs opinions etc. – est toujours jugé plus intéressant et plus important que ce qui concerne les femmes, mais cette hiérarchisation systémique est ici particulièrement révoltante.

Il y a au final une autre dimension idéologique à cette notion de pulsion masculine incontrôlable : elle est une composante essentielle de l'identité masculine. Un homme vraiment viril est censé avoir constamment des pensées sexuelles et doit être capable de bander à tout moment. Et –disent des masculinistes – avec n'importe quelle femme, même une femme peu attirante. L'affirmation de la pulsion incontrôlable est avant tout la preuve et la condition même de la virilité. Comme le dit Richard Poulin « violer, c'est viril ». Et harceler sexuellement les femmes dans la rue, les siffler, leur balancer des remarques ou bruits obscènes, c'est faire la démonstration publique de sa virilité. Aux yeux des femmes mais surtout des autres hommes, les pairs et égaux, qui sont en définitive les seuls habilités à certifier la possession de cette qualité virile chez un homme, dont la possession conditionne l'accès au plein statut et aux privilèges de dominant.

Car en dernière analyse, la notion de pulsion sexuelle incontrôlable est un privilège de dominant : durant la période de l'esclavage aux Etats-Unis, aucun homme blanc ne parlait de pulsion incontrôlable au sujet des hommes noirs. Les agressions sexuelles de ces hommes sur les femmes blanches étaient rarissimes, et les sanctions mises en oeuvre, s'ils étaient seulement soupçonnés de s'intéresser de trop près à leurs maîtresses (souvent l'exécution) étaient puissamment dissuasives. Et c'est seulement quand ils sont devenus théoriquement libres qu'on leur a attribué une sexualité exceptionnellement forte, censée prouver leur sous-humanité, leur animalité et leur dangerosité – et par suite l'inacceptable erreur qu'a constitué leur libération aux yeux des Confédérés.

La pulsion sexuelle des dominants est incontrôlable parce que si la position dominante de ces derniers leur permet d'exercer un contrôle sur les dominé.es, ils n'ont aucune envie d'exercer ce contrôle sur eux-mêmes : édicter pour les autres des lois et des règles qu'on se dispense d'observer soi-même est un des avantages les plus agréables que confère une position dominante. Par définition, les « contrôleurs » ne se contrôlent pas eux-mêmes et seule la sexualité des dominé/es est contrôlable et doit être contrôlée. La position de pouvoir des dominants confère à leurs exigences le statut de besoins et à leurs besoins un caractère impératif et indiscutable : si leurs désirs sont des ordres, les dominé/es par contre sont enjoints de mettre les leur dans leur poche et de vivre avec leurs frustrations. Les femmes sont ainsi la catégorie dont la sexualité a été le plus férocement contrôlée par les dominants, car elle a toujours été jugée extrêmement dangereuse pour l'ordre masculin si elle était laissée libre.

La notion de pulsion incontrôlable a pour fonction d'opérer la naturalisation de la construction sociale du désir sexuel masculin comme instrument de contrôle des femmes.

Notes

[[1] https://jeprotegemonenfant.gouv.fr/pornographie/->https://jeprotegemonenfant.gouv.fr/pornographie/]

[2]https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30358432/

[3]https://www.huffpost.com/entry/internet-porn-stats_n_3187682

[4] https://gaeconseil.fr/addictions-2/tout-savoir-sur-laddiction-au-porno/

et https://www.wepsee.com/fr/wikipsee/quelles-sont-les-consequences-de-l-addiction-a-la-pornographie/

[5]https://www.singlecare.com/blog/is-viagra-covered-by-insurance/# : :text=Commercial%20health%20insurance%20plans%20do,sildenafil%2C%20tadalafil%2C%20

Francine Sporenda
https://sporenda.wordpress.com/2025/02/12/le-mythe-de-la-pulsion-incontrolable-instrument-du-controle-masculin/

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Quand les élèves se révoltaient - Manuel d’histoire avant l’Effondrement

11 mars, par Emanuelle Dufour, Francis Dupuis-Déri — , ,
Comment les historien·nes du futur vont regarder notre époque ? C'est un peu ce que propose cette BD documentaire et rétrofuturiste qui nous plonge dans l'histoire méconnue des (…)

Comment les historien·nes du futur vont regarder notre époque ? C'est un peu ce que propose cette BD documentaire et rétrofuturiste qui nous plonge dans l'histoire méconnue des plus grandes révoltes d'élèves. De quoi s'inspirer
pour défendre nos démocraties et nos droits dans un monde de plus en plus autoritaire...

La BD *Quand les élèves se révoltaient - Manuel d'histoire avant l'Effondrement*, va paraître *en librairie le 25 mars* prochain.

Le professeur de science politique Francis Dupui-Déri et la bédéiste Emanuelle Dufour signent une BD singulière dans laquelle jeunes et moins jeunes apprendront qu'il n'y a pas d'âge pour se mobiliser au nom de la liberté, de l'égalité, de la justice et de la solidarité. Pour un public de 15 à 95 ans.

*À propos de la BD*

Vous arrive-t-il parfois de vous demander comment les historien·nes du futur vont regarder notre époque ? C'est un peu ce que propose cette BD documentaire en se présentant sous la forme d'un faux manuel d'histoire de l'année scolaire 2047-48, dans un monde situé après l'Effondrement climatique.

Forts de cette mise en scène rétrofuturiste, Emanuelle Dufour et Francis Dupui-Déri nous racontent l'histoire méconnue des différentes révoltes que des millions d'élèves ont menées pour protester contre des injustices, une histoire bien loin de se limiter à l'exemple non moins épatant de Greta Thunberg et des grèves mondiales pour le climat. S'appuyant sur des
témoignages de jeunes et des milliers d'articles de journaux, les auteur·es nous plongent dans des grèves, des occupations, des manifestations et des incendies de pensionnats qui ont tour à tour servis de réponse à la ségrégation raciale aux États-Unis, à des vagues d'agressions sexuelles en Inde, aux inégalités sociales au Chili, à la répression des Autochtones ou
de la diversité de genre et sexuelle au Canada et à l'inaction climatique généralisée.

Le manuel soulève par le fait même des questions importantes sur la notion de démocratie telle que nous la transmettons à l'école et, plus généralement, dans la société. Alors que les adultes leur vantent les mérites de la « démocratie » et leur proposent d'élire à l'école des conseils d'élèves sans pouvoir, des jeunes se mobilisent sur toute la planète pour défendre concrètement leurs intérêts, leurs valeurs et leur dignité. L'ouvrage nous rappelle ainsi qu'il faut se battre pour protéger
nos droits. Voilà de quoi s'inspirer pour faire vivre nos démocraties dans un monde de plus en plus autoritaire...

Comme dans tout bon manuel scolaire, nous y trouvons des définitions de certaines notions, des rappels historiques (rubrique « Savais-tu ? ») et quelques exercices sous formes de mots croisés ou de devinettes.

Avec ce livre, jeunes et moins jeunes apprendront qu'il n'y a pas d'âge pour se mobiliser au nom de la liberté, de l'égalité, de la justice et de la solidarité.

*À propos des auteur·es*

*Francis Dupuis-Dér*i enseigne la science politique et les études féministes à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est l'auteur de nombreux livres, dont *Démocratie : histoire politique d'un mot *(Lux, 2013), *L'anarchie expliquée à mon père* (Lux, 2014) et il a codirigé avec Marcos Ancelovici l'ouvrage collectif *Un printemps rouge et noir - Regards
croisés sur la grève étudiante de 2012* (Écosociété, 2014).

Détentrice d'une maîtrise en anthropologie (UdeM) et d'un doctorat en éducation par les arts (UConcordia) qui croisent sécurisation culturelle et bande dessinée, *Emanuelle Dufour* est facilitatrice graphique, consultante
et chercheure postdoctorale. Elle est l'autrice de la BD *« C'est le Québec qui est né dans mon pays ! »* (Écosociété, 2021).

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« Le discours de protection des enfants face à...

11 mars, par Gabrielle Richard — , ,
« Le discours de protection des enfants face à la menace queer est politiquement bénéfique, tant sur le plan financier que sur celui de la mobilisation de la droite (…)

« Le discours de protection des enfants face à la menace queer est politiquement bénéfique, tant sur le plan financier que sur celui de la mobilisation de la droite conservatrice. »

Gabrielle Richard

Parution le 4 mars 2025, au Québec

Propagande idéologique, dérives de la théorie du genre, aliénation wokiste ! On entend ces cris d'orfraie dès lors qu'on évoque le genre et la sexualité des jeunes queers. Un phénomène de mode les inciterait à changer de genre et à déserter en masse l'hétérosexualité. Leur parole, leurs désirs et leur capacité à s'autodéfinir ne seraient pas crédibles, ce qui obligerait les adultes à les protéger d'influences nocives de la société, mais surtout d'elleux-mêmes.

Cette rhétorique réactionnaire est conforme au retour dans l'espace public d'une extrême droite carburant à la panique morale et aux LGBTQphobies. Rhétorique qui met aussi en évidence un enjeu souvent ignoré : l'adultisme, ce rapport de domination des adultes sur les plus jeunes, souvent victimes de violence et privé·es de droits fondamentaux. À l'opposé d'une éducation positive ou bienveillante, ce concept rend visible une forme d'oppression omniprésente et jamais remise en question. Car si notre souhait est de protéger les enfants, ne faut-il pas d'abord repenser le contrôle abusif exercé par les adultes ? Une autorité juste est-elle même possible ?

Gabrielle Richard invite à investir ces questions inconfortables en croisant son expérience à des analyses sociologiques et à des témoignages de jeunes queers.

GABRIELLE RICHARD est sociologue et directrice de la recherche
au GRIS-Montréal. Elle a notamment fait paraître Hétéro, l'école ? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité (Remue-ménage, 2019).

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Toute une histoire : Introduction au livre : Si une femmes veut avorter, ne la laisse pas seule !

11 mars, par Catherine Soulat , Martine Lalande — , ,
L'interruption volontaire de grossesse a une histoire1, commencée il y a bien plus que cinquante ans, et qui continuera. Les femmes avortent depuis toujours et avorteront (…)

L'interruption volontaire de grossesse a une histoire1, commencée il y a bien plus que cinquante ans, et qui continuera. Les femmes avortent depuis toujours et avorteront toujours. Lorsque c'était interdit, et dans les pays où l'avortement reste illégal comme à Madagascar ou au Salvador, ainsi que dans les pays où il le redevient, comme dans certains États d'Amérique ou en Pologne, les femmes avortaient et avortent quand même. Il y a alors des mortes, des infections et des séquelles. Les médecins en voient les conséquences, le plus souvent trop tard.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Avec l'aimable autorisation des Editions Syllepse

La lutte pour la légalisation de l'avortement a été menée par des femmes, des hommes et des soignant·es. De très forts mouvements se sont mis en place, féministes en tête. Rarement une mobilisation a été aussi importante et exemplaire. L'idée géniale, et nécessaire, de pratiquer les avortements dans de bonnes conditions, alors que ce n'était pas légal, a donné une force incroyable à ce mouvement. Le MLAC, Mouvement de lutte pour l'avortement et la contraception, a réussi à coupler les deux, mobilisation d'ampleur et pratique affichée, menant à des procès spectaculaires. Gisèle Halimi2 et Simone Veil3 ont aidé, mais elles n'auraient rien pu faire sans ce mouvement.

Aujourd'hui, l'avortement est encore raconté dans les livres, les films et les séries, comme un drame. Pour les féministes c'est une libération, et pour la plupart des femmes un véritable soulagement. Aujourd'hui de jeunes féministes disent haut et fort « J'ai avorté, je vais bien merci4 » sur un site du même nom. De jeunes médecins – généralistes et femmes pour la plupart – apprennent avec enthousiasme les techniques et l'accompagnement de l'interruption volontaire de grossesse qui rend tellement service aux femmes. Dans le même temps, l'avortement est reconnu comme un acte médical courant en France. En cinquante ans de légalisation, c'est un droit – les femmes qui le réclament comme elles le veulent quand elles le veulent ne s'y trompent pas – la société le leur doit.

C'est un domaine très particulier. C'est un droit qui est vécu comme tel, mais suffira-t-il que la liberté d'avorter soit inscrite dans la constitution pour qu'il le demeure ? Les moyens se raréfient, et les techniques ne se préoccupent pas partout du confort des femmes. Ce droit est difficile à obtenir quand il n'existe pas de structures pour le prendre en charge sauf à parcourir des dizaines de kilomètres quand on ne vit pas en zone urbaine. Ou quand des attaques sont toujours possibles par les anti-avortement, en commandos dans les centres IVG ou en manifestation dans les grandes villes.

Aucune mesure de santé publique n'a été aussi spectaculaire que la légalisation de l'avortement : de dizaines de mortes (ou plutôt centaines d'après le Mouvement français du planning familial) chaque année, on est arrivé à une mortalité nulle en cinquante années de pratique légale.

De drame total dans la vie d'une femme – comme il est raconté dans la littérature ou le cinéma –, l'avortement devenu interruption volontaire de grossesse participe à la libération des femmes telle qu'elles l'ont revendiquée avec force dans le sillage de Mai 68.

C'est un moment historique dans l'histoire des femmes, et de l'humanité. Le contrôle de leur corps par les femmes hors de la reproduction représente pour elles la maîtrise de leur destin. Jusque-là, leur destin était associé à la maternité. Elles subissaient les grossesses, assignées à ce domaine par la domination masculine5. Geneviève Fraisse6 parle de la généralisation de la contraception et de l'avortement comme d'une « révolution copernicienne7 ». La légalisation de l'avortement a changé les rapports entre les hommes et les femmes.

Une fois la loi votée fin 1974, il fallait instituer la pratique des avortements. Certaines équipes étaient prêtes et ont ouvert des centres d'IVG et de contraception au cours de l'année 1975. C'est le cas du Centre IVG de Colombes. Il fallait aussi passer d'une pratique associative, autogérée, où les femmes organisaient les choses et parfois faisaient elles-mêmes les IVG, et où tout était discuté, à une pratique hospitalière respectant les règles de l'institution et surveillée par une communauté médicale souvent hostile.

Car du côté des médecins, l'avortement est aussi une révolution. Ceux et celles qui l'ont pratiqué avant la loi ont osé imposer une vision de la santé au service des femmes, mettant directement en cause le pouvoir médical. Ils et elles ont accepté d'échanger avec les femmes et les couples, et de discuter avec elles et eux des choix politiques et des techniques à développer. Le savoir médical a été partagé et enrichi de ces échanges d'expériences et de pratiques. Une autre vision du rapport entre médecins et patient·es s'est développée. Cette vision perdure encore actuellement, c'est elle qui attire les jeunes médecins qui se forment avec enthousiasme à l'IVG.

Pour ces médecins et pour les femmes, l'interruption volontaire de grossesse est un acquis en France. Même si aujourd'hui son inscription dans la constitution n'en fait pas un « droit » mais seulement une « liberté ». La différence est importante : libres d'avorter, les femmes ne seront pas emprisonnées si elles y ont recours, mais comment auraient-elles la possibilité de faire leurs avortements dans de bonnes conditions si les centres IVG disparaissent et si les médicaments sont rationnés ? D'autant plus que les mouvements pro-life resurgissent dans différents pays d'Europe, et en France aussi récemment, pour faire obstacle au droit d'avorter.

Devenue un droit des femmes et une pratique institutionnalisée, l'IVG reste un domaine sensible qu'il faut continuer d'observer pour le protéger. Nous proposons ici de nous plonger dans sa pratique avec ses subtilités, par l'immersion dans l'histoire et la vie d'un centre qui pratique les IVG depuis le lendemain de la loi. Les plus anciennes sont parties, les plus jeunes en reprennent l'héritage et contribuent à son évolution. Toutes sont conscientes que c'est un lieu et une pratique à défendre.

Nous allons raconter l'histoire de l'avortement depuis les années 1970, au travers des témoignages de femmes et de médecins acteurs et actrices de la création puis du fonctionnement d'un centre d'IVG et de contraception situé à Colombes, en banlieue parisienne. Ce centre IVG est historique car c'est le premier qui a ouvert en région parisienne après le vote de la loi Veil légalisant l'avortement en 1975. Parmi les personnes interrogées certaines ont participé au GIS8 et au MLAC9, sans lesquels cette histoire n'aurait jamais eu lieu.

Ce travail est dédié particulièrement à : Patrick Nochy, médecin fondateur du Centre IVG de Colombes, décédé en mai 1989 à l'âge de 48 ans, et Jacqueline Saintin (qu'on appelait Constance), infirmière militante du MLAC puis animatrice importante du Centre IVG, décédée en février 2021 à l'âge de 88 ans. Par convention, dans tout cet ouvrage, nous utilisons l'appellation « Centre IVG » et non « Centre d'IVG », car c'est de cette façon que l'on nomme le centre de Colombes en pratique.

Les 19 entretiens ont été réalisés par Martine Lalande, sauf le sien qui a été mené par Danièle Monnier-Moricet. L'entretien de Christine Pasquet a été réalisé par Martine Lalande et Daniel Delanoë. Les quatre infirmières qui travaillent actuellement au Centre IVG de Colombes ont voulu être entendues ensemble, et sous pseudonymes.

Les prénoms et initiales de noms suivis d'un astérisque* sont des pseudonymes.

Martine Lalande, Catherine Soulat : Si une femme veut avorter, ne la laisse pas seule !
Du MLAC au centre IVG de Colombes
Editions Syllepse, paris 2024, 250 pages, 20 euros
https://www.syllepse.net/si-une-femme-veut-avorter-ne-la-laisse-pas-seule–_r_22_i_1087.html

Lire l'introduction de Geneviève Fraisse : Une nécessaire transmission
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/02/03/genevieve-fraisse-une-necessaire-transmission/#more-90247

Notes

1. Jean-Yves le Naouret et Catherine Valenti, Histoire de l'avortement, 19e-20e siècle, Paris, Le Seuil, 2003.

2. Gisèle Halimi était l'avocate du MLAC et a obtenu la relaxe d'une femme, de sa mère et de trois autres femmes inculpées pour avortement au procès de Bobigny en 1972.

3. Simone Veil est la ministre de la santé qui a présenté au Parlement le projet de loi sur l'avortement adopté fin 1974.

4. Elles s'appellent Les filles des 343 et ont écrit un livre J'ai avorté et je vais bien, merci, Paris, La Ville brûle, 2012.

5. L'anthropologue féministe Nicole-Claude Mathieu parle d'arraisonnement des femmes.

6. Geneviève Fraisse, « L'habeas corpus des femmes : une double révolution ? », dans Étienne-Émile Baulieu (dir.),Contraception : contrainte ou liberté, Paris, Odile Jacob, 1999.

7. Une révolution copernicienne est un renversement de la représentation du monde. Copernic a découvert que la Terre tourne autour du soleil, alors que l'on pensait l'inverse avant lui.

8. Le Groupe information santé (GIS) est un collectif né en 1971 d'une rencontre entre un groupe de médecins et Michel Foucault qui venait de créer le Groupe d'information sur les prisons.

9. Le Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (MLAC) est une association qui a été créée en avril 1973 dans le but de légaliser l'interruption volontaire de grossesse (IVG) en France avec des militants du Planning familial, du Mouvement de libération des femmes et du Groupe information santé.

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Main basse sur Israël - Netanyahou et la fin du rêve sioniste de Jean-Pierre Filiu

11 mars, par Les Éditions de la Découverte — , , ,
Israël va vivre en 2019 deux élections générales, à quelques mois d'intervalle, du jamais vu dans l'histoire du pays. Les pères fondateurs du sionisme auraient bien de la peine (…)

Israël va vivre en 2019 deux élections générales, à quelques mois d'intervalle, du jamais vu dans l'histoire du pays. Les pères fondateurs du sionisme auraient bien de la peine à se retrouver dans l'actualité israélienne, marquée par les scandales à répétition et des polémiques d'une brutalité inouïe. Le grand artisan de ce détournement est Benyamin Netanyahou, en passe de battre le record de longévité de David Ben Gourion à la tête du gouvernement de l'État hébreu.

Jean-Pierre Filiu éclaire ce processus de régression démocratique par une réflexion historique sur le sionisme. Dans ce livre qui fera date, il démontre la manière dont les thèses longtemps minoritaires de Zeev Jabotinsky (1880-1940) se sont imposées en lieu et place du travaillisme des pionniers d'Israël. Il décrit comment cette main basse sur Israël s'accompagne aujourd'hui de la fin du rêve sioniste : Netanyahou a choisi de s'appuyer sur les religieux ultraorthodoxes contre toutes les autres familles du judaïsme ; il n'hésite pas à jouer aux États-Unis les fondamentalistes chrétiens contre la communauté juive ; il va jusqu'à encourager, comme en Hongrie, des campagnes à relent antisémite.

Un autre Israël demeure néanmoins possible, mais il lui faudra se réconcilier avec lui-même et avec la diaspora avant de rouvrir l'horizon de la paix avec ses voisins arabes.

Lire un extrait

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H.G. Wells, la Guerre des mondes et l’écocide

11 mars, par Pierre Lagrange — ,
En 1898, dans un roman célèbre, l'écrivain anglais H. G. Wells décrit comment des Martiens envahissent la Terre avant d'être décimés par nos microbes. Ne peut-on établir un (…)

En 1898, dans un roman célèbre, l'écrivain anglais H. G. Wells décrit comment des Martiens envahissent la Terre avant d'être décimés par nos microbes. Ne peut-on établir un parallèle entre le thème de ce roman et notre situation actuelle face à la destruction de la biodiversité et à la multiplication des pandémies ?

Billet de blogue 5 mars 2025 | illustration : Réédition en 1953 de The War of the Worlds © Collection de l'auteur

La Guerre des mondes est un célèbre roman publié en 1898 à Londres par Herbert George Wells (1866-1946), un des figures littéraires de la fin du 19e siècle et du début du 20e. Cet ouvrage est considéré comme fondateur de ce qu'on appelle la science-fiction (SF) à travers l'un de ses thèmes les plus populaires, l'invasion venue de l'espace. La manière dont ce thème a été exploité par la littérature populaire vaut même à La Guerre des mondes d'être souvent associé à l'idée de « crédulité populaire ». Orson Welles n'a-t-il pas déclenché une panique en adaptant La Guerre des mondes à la radio en 1938 ? Les histoires de « martiens » multipliées par les pulps de science-fiction des années 1930-40 n'ont-elles pas influencé des vagues de « crédulité populaire » comme celle des « soucoupes volantes » en 1947 ? J'ai montré ailleurs que la panique attribuée à Orson Welles et la crédulité associées aux vagues de soucoupes volantes devraient plutôt être qualifiées de « légendes urbaines »1 mais je voudrai ici me concentrer sur un autre point pou ressayer de montrer que La Guerre des mondes pourrait aider à penser l'écocide, la destruction des vivants provoquée par la civilisation occidentale.

Rappelons brièvement l'intrigue du roman. L'action se situe à la toute fin du 19e siècle ou au tout début des années 1900. A l'époque, un certain nombre d'astronomes et une partie du public pensaient que Mars était habitée. Après la découverte de fins tracés rectilignes, désignés sous le terme de canaux, à la surface de la planète rouge à la fin des années 1870, des astronomes ont imaginé que Mars abritait une civilisation techniquement très développée. Car, pour être visibles de la terre, les canaux devaient avoir au moins la largeur de la Manche. Ces astronomes pensaient aussi que la planète était en train de mourir en raison de la disparition de ses océans.

Nous avons oublié aujourd'hui que beaucoup de personnes ont envisagé alors très sérieusement que Mars était habitée par une civilisation à la fois très développée et sur le déclin. En France un astronome mondialement célèbre, Camille Flammarion (1842-1925), a publié un grand nombre d'articles et plusieurs livres pour parler de la situation de Mars et pour décrire les changements brutaux observés par les astronomes à la surface de la planète rouge, notamment des inondations catastrophiques susceptibles d'avoir englouti des populations entières de Martiens.

En s'appuyant sur ces spéculations, rappelées au début du roman, Wells imagine que Mars abrite une civilisation bien plus avancée que la civilisation occidentale, une société martienne en train de s'effondrer, ce qui conduit les Martiens à prendre la décision de nous envahir et de nous supprimer pour coloniser la terre dans le but de l'« aréoformer », de la transformer en une seconde planète Mars (quelques milliardaires ne prévoient-ils pas aujourd'hui de « terraformer » Mars ?).

Un premier vaisseau martien débarque donc dans la banlieue de Londres, près de Woking dans les carrières de sables d'Horsell. Une fois surgis de leur machine, les Martiens, qui ressemblent à de gigantesques poulpes2, commencent à décimer tout sur leur passage. Juchés au sommet d'immenses tripodes biomécaniques, ils enjambent les maisons, les fleuves, et détruisent les humains de manière impitoyable. Wells ne décrit pas une guerre mais bien ce qu'il faut qualifier d'opération d'extermination. Nous sommes perçus comme des parasites et les Martiens nous éliminent sans le moindre état d'âme.

Pourquoi la lecture de ce roman présente-elle un intérêt nouveau aujourd'hui à l'heure de la crise écologique ?

Il est important de se souvenir que si Herbert George Wells a écrit La Guerre des mondes en s'inspirant des débats sur la vie martienne, il l'a aussi écrit en pensant aux massacres auxquels les Occidentaux se livraient à son époque aux quatre coins de la planète au nom de la « raison », du « progrès » et de la « civilisation », bref dans le but d'accaparer les terres sur lesquelles vivaient d'autres peuples, ainsi que leurs ressources. Le livre est une critique ouverte du colonialisme. Wells mentionne notamment la manière dont l'empire britannique a exterminé au cours du 19e siècle l'ensemble de la population de l'île de Tasmanie, au sud de l'Australie, au prétexte qu'il s'agissait de « sauvages » qui auraient ignoré les raffinements dont notre civilisation était capable. Gageons que les Tasmaniens ont pu juger sur pièce du niveau de raffinement atteint par la grande civilisation occidentale.

Pour Wells, les Anglais, et les Occidentaux de manière plus générale, sont indiscernables des Martiens. Ils se comportent avec les autres peuples comme les envahisseurs Martiens se comportent avec les humains.

La guerre des mondes et l'écocide

Ce que Wells pouvait difficilement percevoir à son époque, c'est que ce monde occidental dont il critiquait le fanatisme colonialiste, était également en train d'étendre cette idéologie coloniale à l'ensemble des êtres vivants, des « non-humains » terrestres, en mettant en place les conditions de la destruction de la biodiversité de notre planète3.

La crise écologique, l'éradication des êtres vivants et de la biodiversité décrite à longueur de rapport par des institutions comme le GIEC, ne sont en effet rien d'autre qu'un prolongement de l'entreprise coloniale. Les travaux multipliés dans le domaine de l'éthologie nous ont montré que les animaux ne sont pas des êtres de nature, de simples créatures biologiques mues par des instincts. Ce sont des êtres sensibles, des êtres sociaux, qui développent des langages et des cultures qu'ils transmettent à leurs descendants et qui évoluent au fil des générations. Les animaux (nous devrions dire les animaux non-humains pour ne pas oublier que nous sommes aussi des animaux) forment en fait des sociétés et ce que nous appelons improprement la « nature » n'est rien d'autre qu'un ensemble de cultures.

L'écocide en cours est donc bien, au vrai sens du terme, un ensemble de génocides. Et dire cela n'enlève évidemment rien à l'horreur des génocides qui ont marqué l'histoire des sociétés humaines au cours des siècles passés, depuis l'époque des grands voyages d'explorations à la fin du Moyen Age jusqu'à aujourd'hui.

Comme les Martiens, nous avons détruit la quasi totalité des vivants qui ont organisé l'évolution dont nous sommes issus. La Terre ressemble chaque jour un peu plus à la planète Mars décrite par une partie des astronomes de la fin du 19e siècle, où le spectacle de la biodiversité s'efface derrière les catastrophes générées par nos « progrès » technologiques des imbéciles qui croient que « c'est la 5G ou la lampe à huile ».

Les projets de terraformation de Mars présentés comme une solution à la destruction de la biodiversité sur terre a de quoi susciter un certain « agacement » lorsqu'on sait que c'est le modèle économique qui a permis l'enrichissement de ces « visionnaires » qui est en grande partie responsable de la crise que nous vivons.

Ces projets de « conquête martienne » témoignent de l'étendue du parallèle que l'on peut faire entre le roman de Wells et l'écocide.

Sauvés par la biodiversité

Allons plus loin. Wells décrit des humains totalement impuissants à stopper ou même freiner la progression des envahisseurs martiens. Les humains sont décimés. Pourtant, alors que tout semble perdu, Les Martiens montrent des signes de faiblesse. Bientôt, les tripodes immobiles jonchent le sol, leurs occupants morts. Qu'est-il arrivé aux envahisseurs ? Les humains ne sont pour rien dans ce retournement de situation. Ils ne sont ni les vainqueurs des Martiens ni les héros du roman. Les Martiens, dans leur folie colonisatrice et exterminatrice, n'avaient pas anticipé le danger incarné par certains virus auxquels l'évolution nous a conduit à nous habituer. Les Martiens ont donc croisé les êtres en apparence les plus insignifiants que la terre semble porter, les microbes, les virus. Et ils les ont pris de plein fouet.

Les humains sont sauvés des exterminateurs martiens par ce qu'on appelle aujourd'hui la biodiversité.

Les humains face aux virus

On pourrait s'étonner de voir une civilisation martienne, si évoluée technologiquement, capable de franchir les « gouffres de l'espace », terrassés par des virus comme celui de la grippe. Ce serait oublier la propre arrogance doublée d'ignorance qui caractérise les porte-parole du « progrès occidental ».

Comme les Martiens, les adeptes du capitalisme se croient évolués, rationnels, capables de « conquérir » — autrement dit de détruire — les occupants de cette planète sans réaliser que leurs actes ont des conséquences. Après avoir envahi des terres dont les occupants humains ont été méthodiquement exterminés, après avoir détruit une grande partie des sociétés animales, après avoir saccagé les sols, abattu les forêts et pollué les fleuves et les océans, nous nous trouvons de plus en plus au contact de virus inconnus issus de territoires que nous avons réduit à des « ressources économiques » sans tenir compte des équilibres qui permettaient à ces régions de participer à l'entretien de la vie sur cette planète. Des virus, parfaitement inoffensifs dans les zones où ils se trouvent, ont des effets catastrophiques lorsqu'ils parviennent jusqu'à nous.

La multiplication des épidémies comme celles du sida, ébola, les grippes aviaires ou celle du covid, nous montrent à quel point notre prétention relève non pas du progrès mais d'une forme supérieure de stupidité propre à la civilisation occidentale et, désormais, aux sociétés industrialisées qui souhaitent imiter notre folie.

Il se pourrait bien qu'avant de finir par être victimes du réchauffement climatique nous soyons d'abord victimes des virus issus des lieux que nous dévastons.

Quels enseignements tirer de la Guerre des mondes ?

Il est donc urgent de relire et de faire relire la Guerre des mondes pour espérer faire face à l'actuelle guerre des mondes qui se joue d'une part entre les pays industrialisés et la biodiversité et d'autre part entre les plus riches et le reste de la population. Comment répondre à ces humains qui ont décidé de faire sécession avec le reste de l'humanité, comme l'a montré Bruno Latour, et qui estiment que leur volonté d'enrichissement est prioritaire face au droit des terrestres à vivre sur un monde habitable ? Comment réagir face à cette petite partie de l'humanité qui a décidé de mettre la biodiversité en coupe réglée ? Peut-on continuer à obéir à des gens qui n'ont jamais respecté la première Constitution, celle écrite par les centaines de millions d'années d'évolution, et que les rapports du GIEC n'ont cessé de traduire en langage humain ? Comment confondre l'« intérêt général » et l'« économisation » du monde au profit de quelques-uns ?4 Comment accepter de « traverser la rue » lorsqu'on constate qu'elle a été privatisée par les plus riches qui échappent ainsi aux épreuves qu'ils imposent au reste de la société ? Ceux qui nous disent que seule la « valeur travail » compte oublient de préciser qu'ils n'accepteraient jamais de passer par les fourches caudines qu'ils imposent aux autres.

Lorsqu'en 2018 Emmanuel Macron intime à un jardinier de « traverser la rue », les médias, à l'exception de Quotidien, oublient de montrer que, quelques mètres plus loin, le chef de l'État croise un jeune homme sur le point d'entrer en grande école. Tout d'un coup, il n'est plus question de hausser le ton ni de lui demander de « traverser la rue ». Soudain, Emmanuel Macron se transforme en un bon génie prêt à ouvrir toutes les portes conduisant vers autant d'avenir radieux. Comment ne pas voir, dans ces vidéos où Macron martèle l'existence d'un fossé entre « ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien », qu'il n'a jamais été question d'offrir à l'ensemble des Français les mêmes conditions de vie et de citoyenneté mais qu'il s'agit bien d'instituer un monde « à la Stanislas », profondément inégalitaire ? Après avoir détruit les non-humains, après avoir détruit les non-Occidentaux, après avoir contraint les populations à occuper des bullshit jobs, les plus riches et nos dirigeants n'ont pas l'intention de s'arrêter. Le colonialisme du monde « extérieur » n'aura été que le prélude au colonialisme de l'« intérieur ».

Emmanuel Macron a l'intention de laisser les entreprises continuer à détruire la biodiversité, « quoi qu'il en coûte ». Il accuse les pauvres de couter un « pognon de dingue » alors que ce sont les plus riches qui ruinent les finances publiques5. Il accuse les femmes de mettre en place un tribunal médiatique contre les hommes (la violence des hommes, bien sûr, n'y est pour rien). Il accuse les jeunes de banlieues d'« ensauvager » la société. D'autres accusent les migrants de nous « grand remplacer ». Certains vont même jusqu'à expliquer que les phoques ou les dauphins vident les océans (mais pas les chalutiers industriels). Les platanes seraient-ils responsables des accidents de la route ? Ce riez pas, on trouve des politiques pour oser l'affirmer (mais pas la fatigue, l'alcool ou des véhicules surpuissants). Etc. La fabrique du mensonge tourne à plein. Le fanatisme néolibéral est sans borne. Nos dirigeants préfèrent généraliser la surveillance des populations en remplaçant nos services publics par des algorithmes (pour traquer les allocataires de la CAF ou du RSA) plutôt que de surveiller étroitement les agissements irresponsables de quelques milliers de grandes entreprises qui dévastent la planète (ce serait pourtant si simple, des associations dépourvues des moyens de l'État comme Bloom, Sea Shepherd, Canopée et des médias aux budgets limités comme Médiapart, Blast, ou Off Investigation y parviennent).

Un débat de société ou une nouvelle forme de guerre ?

Nous sommes en guerre. Non pas contre des virus, mais contre ceux dont l'ignorance cupide a provoqué l'écocide et la multiplication des pandémies qui en résulte. Une guerre d'un genre nouveau pour les hommes occidentaux, mais qui a un furieux air de déjà vu pour les femmes, pour les autres peuples, pour les animaux, pour les plantes. Nous devons recomposer le monde autrement, reconstruire les liens avec les vivants en tenant compte de l'histoire déjà construite par ces vivants, en mettant par conséquent fin aux Grands Partages (great divide) entre hommes et femmes, occidentaux et non occidentaux, humains et non-humains, nature et culture (voir les travaux de Latour et Descola). La « nature » ne se réduit pas à un ensemble de ressources à piller, c'est une collection de sociétés d'humains et de non-humains auxquelles nous devons nous relier pour espérer prolonger nos existences.

Résumons-nous. Loin de concerner uniquement la fin du 19e siècle, La Guerre des mondes est un roman qui colle très bien à notre actualité. Comme les Martiens, une poignée de très riches a décidé de détruire le monde commun faute d'avoir compris que la société qu'ils croient avoir bâti depuis quelques siècles est une parenthèse pathologique de l'histoire des sociétés humaines et non-humaines. Avec le soutien de nos dirigeants, ils ont décidé « quoi qu'il en coute », de continuer l'écocide en prétendant, mensonge supplémentaire dans une vaste usine à mensonges, nous sortir de la crise à l'aide du modèle économique qui nous y a plongé.

Comme les Martiens, les riches ne céderont sur rien. Il vaut mieux être prévenus.

Seule différence entre le roman de Wells et la situation présente : nous ne sommes pas plus immunisés que les "Martiens" contre les virus auxquels leur pratique assidue de l'écocide nous confronte toujours plus.

NOTES

1. Pierre Lagrange, La guerre des mondes a-t-elle eu lieu ? Paris, Robert Laffont, 2005 ; idem, « The Ghost in the Machine : How Sociology Tried to Explain (Away) American Flying Saucers and European Ghost Rockets » in Alexander Geppert (ed), Imagining Outer Space : European Astroculture in the Twentieth Century, Londres, Palgrave Macmillan, 2018, p. 245-268 [https://pierrelagrangesociologie.wordpress.com/wp-content/uploads/2018/08/lagrange-pierre-ghost-in-the-machine-geppert-2018-imagining-outer-space.pdf].

2. Ancien étudiant en biologie, HG Wells a mis plusieurs fois en scène des poulpes ou des êtres ressemblant à des poulpes, notamment dans « les pirates de la mer » une nouvelle qui décrit une vérité de poulpe particulièrement intelligent (Haploteutis ferox) et dans « L'œuf de cristal » dont l'intrigue annonce la Guerre des mondes.

3. Rappelons que dès le 19e siècle certains auteurs alertent contre les ravages que produit l'industrialisation en chargeant l'atmosphère en gaz carbonique, en colonisant les autres continents et en détruisant la biodiversité. Vladimir Vernadsky décrit dans son livre La Biosphère (1906) la manière dont le rejet de gaz carbonique modifie le climat. Mais il pense que cela peut avoir des effets bénéfiques.

4. Cf Bruno Latour, Où suis-je ?, Paris, La Découverte ; David Graeber, Bulshit Jobs, Paris, Les Liens qui Libèrent.

5. Les économistes répètent que le problème ce n'est pas la fraude au RSA ou à l'assurance chômage, ou le déficit des retraites, mais l'évasion fiscale. Attac explique (mardi 2 mars 2024 sur Twitter) : « La fraude fiscale, c'est 80 à 100 milliards par an. La fraude aux prestations sociales, c'est 3 milliards par an. Gabriel Attal annonce le triplement des contrôles des chômeurs... tout en réduisant les moyens du contrôle fiscal. Stop à cette politique de guerre aux pauvres ! »

Contre le fascisme

11 mars, par Guy Roy — , ,
Je suis un syndicaliste à la retraite. J'ai beaucoup appris de mon expérience syndicale. Je n'ai pas monté dans la hiérarchie pour ne pas m'encombrer de taches bureaucratiques (…)

Je suis un syndicaliste à la retraite. J'ai beaucoup appris de mon expérience syndicale. Je n'ai pas monté dans la hiérarchie pour ne pas m'encombrer de taches bureaucratiques préférant l'éducation politique de classe à la base et dans l'action. Magalie Picard, l'actuelle présidente de la FTQ, qui était alors vice-présidente pour le Québec de l'Alliance de la Fonction Publique du Canada (section Québec), mon syndicat, m'a déjà dit que les bateaux sur lesquels j'ai milité sont devenus des « pépinières de syndicalistes ». Elle avait remarqué combien avait porté l'éducation politique de classe à laquelle j'avais soumis mes confrères de travail et son utilité pour assurer une succession à ce travail.

J'effectue présentement un travail de solidarité internationale pour un syndicat salvadorien qui me prend du temps et exige patience et détermination. Je perpétue un apprentissage que j'ai commencé dès mon engagement envers mes confrères de travail.

J'ai entrepris d'éveiller mon syndicat, la FTQ, à la montée de l'extrême droite dont on parle beaucoup aux nouvelles avec l'arrivée de Trump, mais dont peu de gens se préoccupe comme de l'émergence d'un nouveau fascisme.

Ce que je connais de l'histoire du pouvoir fasciste, c'est qu'il est la politique de la faction du patronat la plus réactionnaire qui soit. Il est l'alternative que le patronat garde en réserve pour écraser toute résistance des salariés ou de la population en général. Non seulement c'est une politique de droite, mais c'est la politique la plus à droite, la plus extrême que le pouvoir peut exercer contre sa population. Il est réactionnaire en ce qu'il s'attaque à toutes les idées de progrès et fait du colonialisme quelque chose de populaire par la démagogie qu'il entretient contre les populations appauvries du monde entier au point où l'annexion de pays aussi indépendants que le Canada ou le Danemark est banalisée.

Ce que j'entends par l'éducation politique, que devrait entreprendre dès maintenant les syndicats, c'est d'éveiller à cette réalité qui semble nouvelle que les pouvoirs du patronat virent à droite à cause des crises de société qui suscitent de plus en plus de colère. Cette saine et juste colère est déviée de ses objectifs d'engendrer des progrès de société, par la démagogie de leaders politiques qui s'en servent comme tremplin pour attaquer quiconque s'oppose à eux et à leurs projets de régression sociale.

Ce n'est pas banal. Il ne faut pas croire que le patronat est uni autour du fascisme. Il y a des patrons et des intellectuels qui le connaissent pour les dommages qu'il a causé dans l'histoire à leur pouvoir. Après la Deuxième Guerre Mondiale, tout le monde abhorrait le fascisme pour les calamités qu'il avait engendrées. Encore aujourd'hui, certaines couches de la population sont éveillées aux reculs qu'il veut imposer. Mais ces couches populaires, actives contre le fascisme, sont encore minoritaires puisque les fascistes sont élus comme au El Salvador où Bukele sème la terreur parmi les protestataires tout en ayant l'assentiment passif de la population. C'est ce qui nous attend s'il n'y pas de réplique au discours démagogiques de l'extrême droite.

Les belles paroles ne servent à rien contre la démagogie. Elles se nourrissent l'une de l'autre. Toute opposition conséquente au fascisme rencontre une répression que le pouvoir invoque pour sa survie propre et contre les opposants.
Est-ce à dire qu'il n'y plus rien à faire ? Non au contraire, plus la répression augmente, plus le fascisme doit rencontrer d'adversaires, comme contre Hitler. Le fascisme peut être vaincu si on remet en question son pouvoir et les mécanismes qui le font vivre : l'ignorance politique et la passivité devant son ascension.

Alors, que faire ? Tout d'abord prendre conscience que son origine est patronale, qu'il a sa racine dans la domination de classe des patrons et de leurs partis. C'est dire le choix à faire entre d'un côté le mouvement ouvrier le plus politisé, les syndicats, et le patronat qui a cette option pour en venir à bout. C'est dire l'importance de la démocratie syndicale dont on a vu qu'elle se distinguait de celle que l'on connait communément comme la démocratie libérale dans la lutte du Front Commun où la population a pris fait et cause pour les salariés. La démocratie libérale est celle qui permet au patronat de dominer. Ce qui reste de la démocratie avant le fascisme peut servir à l'empêcher d'aller jusqu'au pouvoir. Mais il faut que les contre-pouvoirs se mettent en marche.

C'est ce qui me fait peur. Il n'y pas de riposte politique résolue et énergique à la montée d'un Polièvre, par exemple. Au Québec, on soupçonne que ce que nous avons connu du fédéralisme peut nous mettre en garde contre les abus de pouvoir. Mais il n'y a personne, à part quelques communistes, qui tirent les leçons d'une Crise d'Octobre dont même certains indépendantistes de droite accusent les protagonistes de l'avoir provoquée sans viser le fédéral qui en est responsable.
Il n'y a donc pas de remparts immuables contre le fascisme sinon une riposte consciente contre un patronat inique et désespéré qui en fasse un adversaire de tous les instants.

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« Le Canard Enchaîné » : deux anciens dirigeants condamnés pour discrimination syndicale

« La section syndicale a à peine trois ans ; c'est la première créée dans les 110 ans d'histoire de notre journal de gauche et, déjà, arrive une condamnation pour (…)

« La section syndicale a à peine trois ans ; c'est la première créée dans les 110 ans d'histoire de notre journal de gauche et, déjà, arrive une condamnation pour discrimination syndicale, alors que nous sommes censé défendre les libertés dans nos colonnes. Ce sont les milliardaires de la presse qui vont être jaloux... »

Si Christophe Nobili choisit l'humour pour se féliciter du jugement rendu le 28 février par les Prudhommes de Paris, cela ne saurait cacher son amertume d'être obligé d'en arriver là. Nicolas Brimo et Michel Gaillard, absents à l'audience, respectivement ancien directeur général et ancien président du Canard Enchaîné, ont été condamnés à titre personnel – une première à notre connaissance dans ce type de dossier – pour discrimination syndicale à l'encontre du délégué
syndical SNJ-CGT.

Le SNJ et le SNJ-CGT saluent cette décision qui reconnaît le préjudice subi par Christophe Nobili, défendu par Me Joyce Ktorza. Les deux syndicats, qui accompagnaient la plainte du journaliste au titre de l'atteinte portée à la profession, recevront également des dommages et intérêts. Autre satisfaction : malgré les tentatives de l'avocat de la direction d'obtenir un report, l'affaire a bien été jugée selon le calendrier prévu.

Et le dossier est épais. La direction du Canard a ainsi tout fait pour licencier le délégué syndical, essuyant deux refus de l'Inspection du travail et deux autres du ministère du Travail, ce qui ne l'empêche pas, désormais, de saisir le Tribunal administratif. Christophe Nobili a également été à de nombreuses reprises dénigré publiquement par ses employeurs, dans les colonnes mêmes de l'hebdomadaire satirique ou lors de réunions au journal. Sans oublier une mise à pied avec suppression de salaire, des entraves à son retour dans la rédaction après le refus du licenciement, le retrait de sa signature au bas de ses articles...

Les dirigeants Nicolas Brimo et Michel Gaillard, ainsi que l'ex-dessinateur André Escaro et sa compagne Edith Vandendaele, l'ont également attaqué – et ont perdu leur procès devant le tribunal judiciaire de Paris en décembre dernier – pour « atteinte à la présomption d'innocence », suite à une interview donnée au média en ligne Blast. Cette interview portait principalement sur les soupçons d'emploi fictif d'Edith Vandendaele, que Christophe Nobili a révélés dans son livre « Cher Canard » et pour lequel les quatre protagonistes de l'affaire sont renvoyés, en juillet prochain, devant la justice pénale, notamment pour abus de biens sociaux.

La direction voyait déjà d'un très mauvais œil la création par Christophe Nobili d'une section syndicale SNJ-CGT dans la rédaction. L'enquête judiciaire sur l'emploi fictif a d'ailleurs révélé, deux ans après les faits, que cette création avait coûté au journaliste une promotion. Mais les ennuis ont décuplé – également pour celles et ceux qui l'ont soutenu en interne – après la parution du livre.

Le SNJ et le SNJ-CGT espèrent que cette condamnation aux Prud'hommes amènera la direction actuelle du Canard, nommée par Nicolas Brimo et Michel Gaillard et qui les soutient toujours aveuglement, à un peu de raison. Et qu'elle se rangera enfin du côté des salariés et actionnaires du journal, qui se sont portés partie civile dans le procès pénal qui doit avoir lieu cet été. A moins que, comme en octobre dernier, un énième report soit demandé par les prévenus et leur fan club…

Le 3 mars 2025

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L’égalité des genres en matière d’emploi prendrait près de deux siècles, selon l’OIT

11 mars, par ilo.org, Organisation internationale du Travail — ,
Trente ans après l'adoption de la Déclaration et du Programme d'action de Pékin, qui visaient un agenda ambitieux pour l'égalité, les femmes continuent de faire face à (…)

Trente ans après l'adoption de la Déclaration et du Programme d'action de Pékin, qui visaient un agenda ambitieux pour l'égalité, les femmes continuent de faire face à d'importants obstacles économiques, selon une nouvelle note de l'Organisation internationale du Travail.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/08/en-2158-serieusement/

GENÈVE (OIT Infos) – Trente ans après l'adoption de la Déclaration et du Programme d'action de Pékin, qui avaient fixé des objectifs ambitieux en matière d'égalité, les femmes rencontrent encore des barrières significatives sur le marché du travail, selon une nouvelle note de l'Organisation internationale du Travail (OIT), intitulée Women and the economy : 30 years after the Beijing Declaration(Les femmes et l'économie : 30 ans après la Déclaration de Pékin), publiée à l'occasion de la Journée internationale des femmes.

Malgré la réduction de l'écart d'emploi entre les femmes et les hommes, qui est passé de 27,1 à 23,1 points de pourcentage depuis1991, le taux d'emploi des femmes reste bien inférieur à celui des hommes. En 2024, seulement 46,4% des femmes en âge de travailler occupaient un emploi, contre 69,5% des hommes. Au rythme actuel de progression, il faudrait près de deux siècles pour parvenir à l'égalité des taux d'emploi.

Bien que de plus en plus de jeunes femmes poursuivent des études et des formations, cela ne s'est pas traduit par des avancées significatives sur le marché du travail. Les femmes occupent seulement 30% des postes de direction dans le monde, avec une amélioration modeste au cours des vingt dernières années.

Elles restent surreprésentées dans les secteurs faiblement rémunérés, comme les soins infirmiers et la petite enfance, tandis que les hommes dominent des domaines comme les transports et la mécanique. De plus, les femmes perçoivent en moyenne des salaires inférieurs, travaillent moins d'heures rémunérées et occupent davantage d'emplois informels, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire inférieur.

Des réformes urgentes sont nécessaires pour lutter contre les inégalités en matière de responsabilités familiales, l'écart salarial entre les hommes et les femmes ainsi que la violence et le harcèlement au travail. – Sukti Dasgupta, Directrice du département Conditions de travail et égalité de l'OIT

D'un autre côté, des progrès ont été réalisés pour réduire l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes. En 2024, les femmes occupant un emploi – qu'elles soient salariées ou indépendantes – ont gagné 77,4 cents pour chaque dollar gagné par un homme, un écart toujours important, mais en amélioration par rapport aux 70,1 cents en 2004.

« Trois décennies après que les dirigeants du monde entier se sont réunis à Pékin et se sont engagés à faire progresser les droits des femmes, d'importants défis perdurent à concrétiser la Déclaration de Pékin », explique Sukti Dasgupta, Directrice du département Conditions de travail et égalité de l'OIT.

« Malgré des avancées, des millions de femmes continuent de rencontrer des obstacles persistants afin d'entrer, de rester et de progresser dans un emploi décent. Des réformes urgentes sont nécessaires pour lutter contre les inégalités en matière de responsabilités familiales, l'écart salarial entre les hommes et les femmes ainsi que la violence et le harcèlement au travail – autant de facteurs qui perpétuent des lieux de travail inéquitables et peu sûrs pour les femmes », a-t-elle ajouté.

La note de l'OIT met en lumière les tendances mondiales en matière d'emploi et de conditions de travail pour les femmes et les hommes, en insistant sur les inégalités persistantes, souvent exacerbées par des facteurs tels que le statut migratoire ou le handicap. Elle souligne également les obstacles systémiques qui entravent l'accès des femmes à l'emploi et à des conditions de travail décentes. Ces défis sont le reflet d'inégalités structurelles profondes, de normes sociales discriminatoires et de politiques économiques qui ne tiennent pas suffisamment compte des besoins différenciés des femmes et des hommes.

En tant que pilier des efforts mondiaux en faveur de l'autonomisation et l'émancipation des femmes, le Programme d'action de Pékin demeure un levier puissant d'influence sur les politiques et les législations qui favorisent le progrès social et économique. À l'heure des mutations numériques, environnementales et démographiques, sa vision est plus pertinente que jamais.

https://www.ilo.org/fr/resource/news/legalite-des-sexes-en-matiere-demploi-prendrait-pres-de-deux-siecles-selon

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Au Cameroun, la révolte des travailleurs du sucre

Une grève dans une filiale camerounaise du géant français Castel a été violemment réprimée en février, causant la mort d'un ouvrier et d'un policier. Depuis, la situation reste (…)

Une grève dans une filiale camerounaise du géant français Castel a été violemment réprimée en février, causant la mort d'un ouvrier et d'un policier. Depuis, la situation reste précaire.

Tiré de Reporterre.

« On n'avait jamais perdu de camarade jusqu'ici, mais voilà, c'est arrivé. Cela montre bien que la situation va de mal en pis », s'indigne un membre du Syndicat des travailleurs saisonniers de la filière canne à sucre (Strascas), au Cameroun. Le 4 février, un mouvement de grève des ouvriers de la Société sucrière du Cameroun (Sosucam) a été violemment réprimé par les forces de sécurité à Nkoteng, dans le centre du pays, tournant au drame : un employé d'une vingtaine d'années, Gaston Djora, a été tué par balle et un policier a succombé à ses blessures.

Tous les Camerounais connaissent la Sosucam, installée dans le département de la Haute-Sanaga, à une centaine de kilomètres au nord de Yaoundé : ils consomment son sucre depuis des décennies. Créée en 1964, l'entreprise appartient à 26 % à l'État du Cameroun et à 74 % au groupe français Somdia, lui-même propriété de la multinationale française Castel, principal producteur de vin dans le monde. Il contrôle aussi 80 % du marché de la bière au Cameroun.

La Sosucam produit annuellement environ 100 000 tonnes de sucre. Elle possède deux usines et 25 000 hectares de plantations de canne à sucre, réparties sur plusieurs arrondissements : Mbandjock, Nkoteng et Lembe-Yezoum. Près de 8 000 personnes travaillent sur ces sites, dont 90 % sont des saisonniers, employés comme manœuvres pendant la campagne sucrière (novembre-mai), et parfois aussi pendant l'intercampagne (juillet-août). Une grande partie d'entre eux, soit environ 3 500 personnes, sont dans les champs pour planter, glaner ou couper, les autres officient dans les usines et le transport des récoltes.

« Travailler sans être payé, ce n'est pas possible »

Pour ces saisonniers, originaires pour beaucoup du nord du pays, une région défavorisée, les conditions de travail sont très pénibles : « Aucune couverture médicale, pas de logement décent pour certains, salaires très bas, manque d'équipements de protection, non-respect du cadre légal limitant le travail temporaire », a résumé dans un rapportde 2023 le Strascas, qui rend aussi compte d'entraves à ses activités et d'accidents du travail récurrents.

Lorsque la grève a débuté le 26 janvier, le salaire mensuel de base d'un manœuvre agricole était de 56 000 francs CFA (85 euros) — une somme ne permettant pas de vivre décemment. Au niveau national, le salaire minimum garanti pour les ouvriers agricoles est de 45 000 francs CFA (69 euros).

En février 2022, les saisonniers avaient déjà fait grève pour dénoncer des licenciements abusifs et leurs conditions de travail. Il y avait eu des violences. L'entreprise, déjà mise en cause pourdes problèmes environnementaux et sociaux par les populations riveraines, avait dû suspendre les licenciements. Elle avait aussi augmenté de 75 francs CFA (0,11 centime d'euro) une « prime de coupe », parfois donnée en fin de journée aux coupeurs de canne (elle était ainsi passée de 0,27 à 0,38 centime d'euro), et accordé une « prime de campagne » de 15 000 francs CFA (23 euros).

Cette année, les ouvriers se sont révoltés en raison d'un changement dans les dates et modalités de paie, un retard de paiement, et des rétrogradations inexpliquées d'échelons sur la grille salariale ayant entraîné des baisses de salaire. « Le travail est très dur et l'est de plus en plus. Travailler sans être payé, ce n'est pas possible. Les gens se sont rassemblés pour dire : “Pas de travail s'il n'y a pas d'argent ! Trop, c'est trop” », explique à Reporterre le président du Strascas, Mahamat Zoulgue.

Ils ont ramassé « des gars en ville pour les mettre de force dans des bus »

Le mouvement a commencé à Mbandjock, suivi par 2 000 personnes, et s'est propagé le 29 janvier à Nkoteng avec 1 500 grévistes supplémentaires. « Les premiers jours, tout était calme, on se rassemblait le matin, puis chacun rentrait chez lui », témoignent des saisonniers, pour qui « cette crise couvait depuis longtemps ». Au bout de quelques jours, la direction de la Sosucam a renoncé à changer le système de paiement des salaires. Mais elle n'a pas répondu aux revendications concernant le niveau de la rémunération, si bien que les grévistes n'ont pas repris le chemin des plantations.

La situation a fini par dégénérer le 4 février à Nkoteng, lorsque les forces de sécurité ont entrepris, selon des témoignages, de « ramasser des gars en ville pour les mettre de force dans des bus qui devaient les conduire aux champs. La population a dit non et s'est levée comme un seul homme. C'est à ce moment-là que la police a commencé à tirer avec de vraies balles et que l'un des nôtres est tombé ». Durant les affrontements, un policier a reçu un coup mortel à la tête, un nombre indéterminé de personnes ont été blessées, et des champs de canne à sucre ont été incendiés.

«

Ce qui était à l'origine une réclamation relative à la date de paiement des acomptes d'une partie du personnel, à laquelle il a été répondu favorablement, est devenue progressivement une entrave au travail accompagnée de tensions et heurts urbains et échappant totalement au cadre de l'entreprise

», a commenté la Sosucam dans un communiqué.

Disant avoir mené une « concertation » avec « les délégués du personnel, les présidents des syndicats, les représentants désignés des manœuvres agricoles coupeurs », elle a ensuite annoncé, le 7 février, une augmentation du salaire de base des coupeurs de canne de… 1 000 francs CFA (1,5 euro). Elle a invité dans la foulée les employés à reprendre le travail. « La reprise en marche ! » a-t-elle posté les jours suivants, en lettres capitales, sur son compte LinkedIn, avec une vidéo de camions chargeant des tiges de canne à sucre — sans faire aucune allusion à l'ouvrier et au policier tués.
Pression et chantage

Si une partie des travailleurs sont retournés dans les champs, plusieurs centaines d'autres sont restés chez eux. « On ne peut pas se satisfaire des mesures annoncées par Sosucam », commente un membre du Strascas, qui revendique 450 adhérents et 2 000 sympathisants. « Nous n'avons pas été invités aux présumées réunions de concertation. Pourtant, nous avions écrit pour dire que notre syndicat souhaitait participer. La direction a préféré discuter avec des syndicats qui lui sont inféodés », précise un autre.

Le 15 février, la compagnie, qui a dit avoir comptabilisé treize jours d'arrêt de production, 970 hectares de plantations partis en fumée et une perte de plus de 5 milliards de francs CFA (7,6 millions d'euros), a adressé une note aux « collaborateurs de Sosucam » pour constater « un taux d'absentéisme élevé ». Ajoutant : « Seront considérés comme démissionnaires et remplacés » ceux qui n'auront pas repris le travail « sous vingt-quatre heures ».

Quelques jours après, elle a été obligée de lancer une campagne de recrutement pour trouver 600 ouvriers agricoles. « La répression et le remplacement des travailleurs saisonniers absents ne sauraient être une option pour trouver des solutions durables à la crise », laquelle « reste la même, irrésolue et latente », a réagi le Strascas, qui réclame un « dialogue inclusif » et plaide pour un salaire de base d'au moins 70 000 francs CFA (107 euros) pour les manœuvres agricoles.

« Nous ne baissons pas les bras »

« Les travailleurs ont toujours la même colère », constate un syndicaliste, qui s'exprime comme d'autres sous anonymat par crainte de représailles. « Dans cette société, rien ne change jamais. Même pour obtenir une augmentation symbolique de 5 francs CFA [moins de 1 centime d'euro], on est obligé de faire grève. Jusqu'à perdre un camarade… » soupire un autre.

Les saisonniers ont reçu l'appui de la députée européenne Marina Mesure, membre de La France insoumise (LFI), qui a demandé à la Commission européenne d'examiner la situation au regard de la directive européenne adoptée en 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises — la maison mère de la Sosucam étant installée dans un État membre de l'Union européenne, la France. Contacté par message électronique, le groupe Castel n'a pas réagi.

Les autorités camerounaises, elles, n'ont guère manifesté d'empathie pour les employés de la société : s'il a parlé de la nécessité d'un « dialogue franc et sincère », le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Grégoire Owona, a fustigé des « mouvements sociaux sauvages ».

« Nous ne baissons pas les bras, répond Mahamat Zoulgue, le président du Strascas. Le combat continue pour trouver des solutions. »

https://reporterre.net/

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Un accord tardif a été conclu dans le cadre de la Cop16 pour protéger la biodiversité, mais est-ce suffisant ?

11 mars, par Patrick Greenfield — , ,
On se souviendra peut-être de la COP15 de Montréal sur la biodiversité en décembre 2022. Malgré les frustrations de maintes délégations du Sud géostratégique, beaucoup (…)

On se souviendra peut-être de la COP15 de Montréal sur la biodiversité en décembre 2022. Malgré les frustrations de maintes délégations du Sud géostratégique, beaucoup d'experts en la matière considèrent la Déclaration de Montréal-Kunming comme l'équivalent en matière de biodiversité de l'Accord de Paris lors de la COP21 en 2015 en matière de climat. Pendant que celle de Paris stipulait de ne pas dépasser un réchauffement de 1.5°C, celle de Montréal appelait à protéger 30 % des terres et des mers pour la nature.

Alors que la COP15 de Montréal se concluait par un »accord historique », la COP16 à Cali l'été dernier finissait en queue de poisson faute de quorum. Puis, soudain, son prolongement à Rome paraît aboutir à « un plan pour financer la sauvegarde de la nature ». À voir nous dit le journal The Guardian, en association avec Carbon Brief. Pas plus que l'objectif de non- dépassement de 1.5°C de réchauffement terrestre, déjà dépassé, l'objectif de protection de 30% des surfaces terrestres et maritimes, et de son financement, ne seront atteints.

Marc Bonhomme, 7/03/25

6 mars 2025 | The Guardian - Down to Earth

La semaine dernière, les pays ont signé un compromis sur le financement de la protection de la nature, obtenu de haute lutte à l'issue de négociations marathon à Rome, mettant enfin un terme aux réunions de la Cop16 sur la biodiversité. En novembre, le sommet des Nations unies sur la nature a été suspendu dans le désordre après que les négociateurs ont manqué de temps pour achever leur travail à Cali, en Colombie. Ils ont dû se réunir à nouveau à Rome pour terminer le travail.

En Italie, les gouvernements ont adopté une feuille de route pour trouver les 200 milliards de dollars US par an pour la nature d'ici à 2030, y compris des discussions sur un nouveau fonds pour la biodiversité – une demande clé de négociation de nombreux pays du sud de la planète. Ils se sont également entendus sur les indicateurs qui permettront aux États de mesurer leurs progrès en Arménie à la fin de l'année 2026.

Les quelques ministres présents se sont empressés de qualifier la conférence de succès. La présidente de la Cop16, Susana Muhamad, ministre colombienne de l'environnement sortante, a pleuré à l'issue de cette "journée historique".

Steven Guilbeault, ministre canadien de l'environnement et du changement climatique, a déclaré : « Nos efforts montrent que le multilatéralisme peut être porteur d'espoir en cette période d'incertitude géopolitique ».

Mais, en privé et de plus en plus en public, on craint que les années 2020 ne soient une nouvelle décennie d'échec pour la nature. Les gouvernements n'ont jamais atteint un seul des objectifs de l'ONU en matière de biodiversité. Le risque d'une nouvelle répétition s'accroît : les 23 cibles et les quatre objectifs convenus il y a moins de trois ans à Montréal sont déjà sous assistance respiratoire.

À la veille des négociations de Rome, une analyse réalisée par Carbon Brief et le Guardian a révélé que plus de la moitié des pays du monde n'ont pas prévu de protéger 30 % des terres et des mers pour la nature, bien qu'ils se soient engagés à le faire en 2022 [à la COP15 de Montréal] dans le cadre d'un accord mondial. Il s'agit de l'objectif principal de l'accord de cette année. Si de grands pays riches en biodiversité comme le Mexique, l'Indonésie, la Malaisie, le Pérou, les Philippines, l'Afrique du Sud et le Venezuela ne le mettent pas en œuvre, l'objectif mondial ne sera pas atteint.

Selon un rapport publié l'année dernière par Earth Track, les subventions qui alimentent le réchauffement climatique et détruisent la nature ont continué à croître malgré l'objectif de réformer 500 milliards de dollars des subventions les plus nocives d'ici la fin de la décennie. Seuls le Brésil et l'Union européenne montrent des signes d'action, selon les chercheurs.

Dans les deux cas, il s'agit de questions antérieures à Trump et au récent changement des vents géopolitiques sur l'environnement.

Pendant ce temps, les indicateurs scientifiques continuent de se dégrader. Selon le dernier indice « Planète vivante », les populations mondiales d'espèces sauvages ont chuté en moyenne de 73 % en 50 ans. Nous aurons une meilleure idée des progrès accomplis sur d'autres objectifs lors de la Cop17 l'année prochaine, mais certains ministres de l'environnement sont de plus en plus nombreux à dénoncer l'absence de progrès.

Interrogé par ma collègue Phoebe Weston à Rome, le ministre malgache de l'environnement, Max Fontaine, a brossé un tableau peu reluisant de la situation.

« Honnêtement, c'est presque impossible quand on voit les tendances de l'évolution des choses », a-t-il déclaré. « Nous n'allons pas dans la bonne direction, nous devons tous redoubler d'efforts. »

Jean-Luc Crucke, ministre belge du climat et de la transition écologique, a qualifié les négociations de la COP de « moins mauvais » processus. Si l'on veut vraiment sauver la nature, a-t-il dit, « il n'y a pas d'autre solution que celle-là ». Mais des questions se posent sur sa pertinence. Avant le sommet de Rome, certains craignaient qu'il n'y ait pas assez de pays présents au sommet de l'ONU sur la nature pour que les négociateurs puissent prendre des décisions contraignantes.

Bien sûr, il y a eu quelques petites victoires. À Cali, les gouvernements sont parvenus à un accord visant à encourager les entreprises à partager les bénéfices commerciaux tirés des découvertes utilisant des données génétiques issues de la nature, grâce à la création d'un fonds volontaire, qui a été lancé à Rome. Nous devrons attendre de voir combien d'argent ce nouveau fonds finira par générer. Les pays ont également reconnu officiellement les communautés autochtones dans le processus décisionnel mondial sur la biodiversité.

Ce n'est pas fini tant que ce n'est pas fini. Mais si, au cours d'une nouvelle décennie, les objectifs en matière de protection de la nature ne sont pas atteints, des questions plus difficiles se poseront quant à l'utilité de négocier des accords internationaux que les pays n'ont apparemment pas la capacité ou la volonté d'honorer.

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Une odeur de pétrole sur le sommet climatique de Bakou

11 mars, par MondAfrique — , ,
Plus de 100 chefs d'État et de gouvernement sont attendus à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan , dans les prochains jours pour la COP 29 où flottera l'odeur du pétrole. 5 (…)

Plus de 100 chefs d'État et de gouvernement sont attendus à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan , dans les prochains jours pour la COP 29 où flottera l'odeur du pétrole.

5 mars 2025 | tiré de Mondafrique
https://mondafrique.com/a-la-une/une-odeur-de-petrole-sur-le-sommet-climatique-de-bakou/

L'odeur est épaisse dans l'air, preuve de l'abondance des énergies fossiles dans ce petit pays au bord de la mer Caspienne.Les torches des raffineries illuminent le ciel nocturne et de petits puits de pétrole parsèment la ville, leurs pistons se soulevant et s'abaissant à mesure qu'ils extraient le pétrole du sol. Le symbole national est également la flamme de gaz, incarnée sous la forme de trois gratte-ciels imposants surplombant la ville.

L'Azerbaïdjan s'est bâti sur le pétrole depuis le milieu du XIXe siècle , et les combustibles fossiles représentent désormais 90 % de ses exportations.Rien ne nous rappelle plus clairement la question fondamentale que les dirigeants mondiaux sont venus résoudre à Bakou : la planète brûlera-t-elle pour que les producteurs de combustibles fossiles puissent continuer à gagner de l'argent, ou doivent-ils emprunter une autre voie ?

Le fait que la plus grande économie du monde, les États-Unis, soit sur le point de s'éloigner de l'orientation énergétique propre promue par Joe Biden vers les politiques de « forage » de Donald Trump sera un sujet de conversation majeur parmi les dizaines de milliers de délégués au sommet climatique de l'ONU Cop29 .Cependant, nombreux sont ceux qui souligneront qu'aucun pays n'a jamais produit autant de pétrole et de gaz que les États-Unis aujourd'hui , avec 20 % de licences pétrolières et gazières de plus délivrées pendant l'administration Biden que pendant le premier mandat de Trump.

Les dirigeants du climat ont réagi avec défi au résultat des élections américaines. « Le résultat de cette élection sera considéré comme un coup dur pour l'action climatique mondiale, mais il n'arrêtera pas les changements en cours pour décarboner l'économie et atteindre les objectifs de l'Accord de Paris », a déclaré Christiana Figueres, ancienne responsable du climat de l'ONU et cofondatrice du groupe de réflexion Global Optimism.

Trump n'assistera pas à la COP29, une réunion de deux semaines qui est la dernière d'une série semestrielle remontant à 1992, lorsque la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques – le traité parent de l'accord climatique de Paris de 2015 – a été signée.

Ces discussions peuvent sembler n'avoir abouti à rien, alors que les émissions de gaz à effet de serre continuent d'augmenter et que le bilan des phénomènes météorologiques extrêmes – les ouragans record dans l'Atlantique, les inondations dramatiques de la semaine dernière en Espagne et une sécheresse en Afrique qui a menacé des millions de personnes de famine – devient de plus en plus évident de jour en jour.

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Iran. Les femmes kurdes célèbrent la Journée du 8 mars, malgré les menaces du régime

11 mars, par Militantes pour les droits civiques des femmes de Sanandaj, Militantes pour les droits des femmes à Sanandaj, Union des femmes du Kurdistan — , ,
IRAN / ROJHILAT – Dans la ville kurde de Sanandaj, les femmes ont célébré la Journée internationale des femmes du 8 mars malgré les menaces des forces de sécurité iraniennes. (…)

IRAN / ROJHILAT – Dans la ville kurde de Sanandaj, les femmes ont célébré la Journée internationale des femmes du 8 mars malgré les menaces des forces de sécurité iraniennes.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Un groupe de militantes des droits des femmes, de militantes syndicalistes, de syndicalistes et du mouvement des Mères pour la paix se sont réunis aujourd'hui à Sanandaj, dans la province du Kurdistan, pour célébrer la Journée internationale des femmes, malgré la pression des forces de sécurité qui tentaient d'empêcher l'événement.

Le Réseau des droits de l'homme du Kurdistan ((Kurdistan Human Rights Network, KHRN) a appris que sept groupes ont participé au rassemblement, dont les militantes des droits des femmes de Sanandaj (Sîne), l'Union des femmes du Kurdistan, les militantes des droits civiques des femmes de Sanandaj, les Mères pour la paix, le groupe sportif Arghavan de Sanandaj, le groupe culturel et d'alpinisme Chil Chama et le syndicat des enseignants du Kurdistan.

Les participants ont scandé des slogans en faveur des droits des femmes et contre les exécutions et les soi-disant « crimes d'honneur ».

Une déclaration cosignée par trois organisations de défense des droits des femmes, soulignant la lutte continue pour l'égalité et la liberté.

Le texte intégral de la déclaration :

Le 8 mars rappelle la lutte historique des femmes contre l'oppression, les inégalités et l'exploitation. Cette journée, qui trouve ses racines dans les protestations des travailleuses du XIXe iècle, a marqué le début de mouvements de grande ampleur qui ont permis d'obtenir des avancées significatives en matière de droits politiques, sociaux et économiques. De la lutte pour le droit de vote à la résistance aux systèmes patriarcaux et à la violence structurelle, les femmes ont toujours défendu fermement le chemin de la liberté et de l'égalité, refusant d'abandonner leurs idéaux malgré d'innombrables obstacles.

Cependant, en Iran, les autorités au pouvoir ont constamment cherché à priver les femmes de leurs droits fondamentaux par des politiques misogynes. Des lois répressives telles que le hijab obligatoire, le mariage des enfants, les restrictions aux libertés individuelles et les violations des droits reproductifs servent d'outils pour contrôler les femmes et légitimer la domination patriarcale. Ces politiques non seulement limitent la liberté et l'autonomie des femmes, mais légitiment et normalisent également la violence généralisée à leur encontre. Les taux croissants de féminicides, de violences sexuelles, de maltraitance des enfants et de sanctions sévères contre les femmes mettent en évidence leur situation désastreuse en Iran. En outre, la discrimination dans l'allocation des ressources dans le cadre des inégalités systémiques du néolibéralisme et des crises économiques affecte de manière disproportionnée les segments vulnérables de la société, en particulier les femmes marginalisées, notamment les femmes baloutches, kurdes et migrantes, ainsi que celles qui travaillent dans le secteur informel. Dans ces circonstances, les femmes, aux côtés d'autres mouvements de protestation tels que les travailleurs, les retraités, les enseignants et les étudiants, se sont unies dans la lutte pour la justice et l'égalité, amplifiant les voix de la résistance contre l'oppression structurelle.

En Iran, les femmes restent sous la coupe d'un gouvernement qui craint profondément leur présence. Cette peur s'est intensifiée depuis la révolution Jina et son slogan « Femmes, vie, liberté », qui a poussé les autorités à prononcer des peines de mort et des peines de prison contre des militantes. Des personnalités telles que Pakhshan Azizi, Sharifeh Mohammadi et Verisheh Moradi, que l'État a cherché à réduire au silence, sont devenues des symboles de la résistance à la répression. Ces voix ne se sont pas éteintes ; au contraire, elles sont devenues un cri mondial contre la tyrannie.

La lutte des femmes au Kurdistan est l'un des exemples les plus avancés de mouvements de libération des femmes, servant de modèle de résilience et d'auto-organisation au Moyen-Orient. Les femmes kurdes ont non seulement lutté contre une oppression multidimensionnelle fondée sur le sexe, l'ethnie et la classe, mais ont également présenté un nouveau modèle de résistance, d'auto-organisation et de lutte pour la libération en créant des structures indépendantes et organisées. Par leur détermination sur les champs de bataille, dans les mouvements sociaux et dans les cercles intellectuels, elles ont joué un rôle irremplaçable dans la promotion des idéaux d'égalité et de liberté. Leur participation et leur organisation dans tous les aspects de la vie politique et sociale affirment la vérité indéniable selon laquelle la libération des femmes est le fondement d'une liberté sociétale plus large.

Le mouvement des femmes a atteint un point de non-retour. La prise de conscience, l'organisation et l'expérience historique de cette lutte rendent impossible un retour à l'ère de l'inégalité et de l'oppression. Les femmes du monde entier, en particulier celles du Moyen-Orient, ne reviendront plus jamais à un passé où leurs voix étaient réduites au silence. Ce mouvement n'est pas seulement une lutte pour les droits des femmes, mais un changement fondamental et irréversible qui transformera des sociétés entières. La victoire dans cette lutte n'est pas une simple possibilité ; c'est une nécessité inévitable pour la justice et la liberté.

Nous déclarons que le 8 mars, Journée internationale des femmes, est la commémoration d'un vaste mouvement social et politique, et que les femmes en Iran, en particulier au Kurdistan, sont plus déterminées que jamais à réaliser leurs aspirations. Les femmes et les hommes s'unissent contre toutes les formes d'inégalité et continuent de lutter pour un monde libre, égalitaire et juste. Par conséquent, cette année, à l'occasion de la Journée internationale des femmes, notre lutte doit donner la priorité à la lutte contre les exécutions, les crimes d'honneur et les difficultés économiques et les inégalités croissantes.

Signé par :
Union des femmes du Kurdistan
Militantes pour les droits des femmes à Sanandaj
Militantes pour les droits civiques des femmes de Sanandaj

https://kurdistan-au-feminin.fr/2025/03/07/iran-les-femmes-kurdes-celebrent-la-journee-du-8-mars-malgre-les-menaces-du-regime/

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Lineda Carrié : Un Engagement Indéfectible pour l’Émancipation des Femmes en Haïti

Cayes, Haïti, le 9 mars 2025 – Dans un contexte où les femmes haïtiennes continuent de lutter contre des défis multiples, Lineda CARRIÉ, entrepreneure et Présidente de la (…)

Cayes, Haïti, le 9 mars 2025 – Dans un contexte où les femmes haïtiennes continuent de lutter contre des défis multiples, Lineda CARRIÉ, entrepreneure et Présidente de la Chambre de Commerce des Femmes Entrepreneures et Professionnelles du Sud (CCFEPS), incarne un symbole d'espoir et de résilience.

Par son engagement, elle œuvre sans relâche pour l'autonomisation des femmes, en particulier dans le Grand Sud de l'île, et défend ardemment leurs droits économiques et sociaux. À travers son rôle à la tête de la CCFEPS, elle facilite l'accès des femmes aux financements, à la formation et aux opportunités de marché, tout en menant une bataille plus large pour éradiquer les violences basées sur le genre.

Un engagement pour l'autonomisation et l'égalité

L'autonomisation des femmes haïtiennes est au cœur de la mission de la CCFEPS. "Nous œuvrons pour qu'elles puissent accéder aux financements nécessaires pour développer leurs entreprises, qu'elles soient formées dans des domaines clés et qu'elles trouvent des opportunités sur le marché. L'autonomie financière est cruciale pour leur émancipation, et pour leur offrir un moyen de se protéger contre les violences auxquelles elles sont souvent confrontées", explique Lineda CARRIÉ. Cependant, malgré leur contribution essentielle à l'économie, les femmes haïtiennes se heurtent à des obstacles persistants : un accès limité aux financements, une discrimination systématique dans le domaine économique, et une exclusion sociale de plus en plus marquée.

Des défis profondément enracinés

Avec plus de 50% de la population haïtienne composée de femmes (IHSI, 2015), l'inégalité entre les sexes reste un problème de taille dans le pays. Selon CARRIÉ, bien que des progrès législatifs aient été réalisés dans le domaine des droits des femmes, leur mise en œuvre reste largement insuffisante. "Les femmes continuent de faire face à des défis majeurs : violences physiques et psychologiques liées à l'insécurité généralisée, accès restreint aux opportunités économiques, inégalités d'éducation et absence de protection sociale et juridique", souligne-t-elle.

Les violences basées sur le genre en Haïti, qu'elles soient domestiques, sexuelles, économiques ou institutionnelles, sont des fléaux omniprésents. Celles-ci trouvent souvent leur origine dans une culture patriarcale renforcée par la pauvreté, l'impunité, et un manque flagrant d'éducation. Ce climat contribue à maintenir un silence social autour des abus, rendant difficile pour de nombreuses femmes de dénoncer leurs agresseurs et de trouver justice. La situation est encore plus compliquée par l'absence de statistiques fiables, ce qui empêche une évaluation correcte de l'ampleur du problème.

L'urgence d'une action collective

Malgré ces difficultés, l'espoir réside dans la mobilisation collective. "La clé pour changer les choses est l'unité et l'action concertée. Nous devons renforcer les lois existantes, en assurer leur application stricte, et punir sévèrement les auteurs de violences", affirme CARRIÉ. L'accès aux financements et à l'autonomisation économique des femmes est également un pilier essentiel de son engagement. Pour elle, former les agents publics, notamment les policiers, juges et travailleurs sociaux, est une étape indispensable pour assurer une meilleure prise en charge des victimes de violences.

Les femmes haïtiennes doivent également être mieux représentées dans les instances décisionnelles. "Lorsque les femmes occupent des positions de pouvoir, leurs besoins sont mieux pris en compte", insiste Lineda CARRIÉ. Encourager leur participation active dans les sphères politiques et économiques ne serait pas seulement bénéfique pour elles, mais pour l'ensemble du pays.

Un programme national de développement durable à l'horizon 2030

Dans le cadre des Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies, notamment l'ODD 5 : "Parvenir à l'égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles", la mise en œuvre d'un plan d'action national doit inclure des stratégies de sensibilisation et d'éducation sur les droits des femmes. Pour CARRIÉ, il est indispensable d'intégrer l'égalité des sexes dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge, tout en multipliant les campagnes d'information et de formation via les médias, les réseaux sociaux, les leaders communautaires et les organisations locales.

"Impliquer les hommes et les garçons dans cette lutte est crucial pour initier un changement culturel profond et durable", estime-t-elle. Par ailleurs, CARRIÉ plaide pour une réforme du système judiciaire, afin de garantir que les victimes de violences soient systématiquement protégées et qu'elles aient accès à des réfuges et à des services d'accompagnement adaptés.

La Journée internationale des droits des femmes : un levier, pas une fin

À l'occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, Lineda CARRIÉ appelle à un engagement renouvelé et à des actions concrètes. "Cette journée est importante, mais elle ne doit pas se limiter à une simple commémoration. Elle doit être un catalyseur pour des actions durables en faveur de l'égalité des sexes et des droits des femmes", explique-t-elle.
Elle conclut son message en adressant un message fort à toutes les femmes haïtiennes : "Vous êtes fortes, résilientes et essentielles au développement de notre pays. Ne laissez personne limiter vos ambitions. Continuons à nous soutenir, à nous éduquer et à nous battre pour nos droits. L'avenir d'Haïti dépend de l'émancipation de ses femmes."

Un appel à l'action pour l'avenir d'Haïti

Les mots de Lineda CARRIÉ résonnent comme un appel à la solidarité et à l'action pour un Haïti où les femmes ne sont pas seulement des victimes, mais des actrices et des leaders du changement. Alors que les défis restent nombreux, l'engagement sans faille de cette entrepreneure et militante offre une lueur d'espoir. L'émancipation des femmes est non seulement essentielle pour leur propre bien-être, mais également pour l'avenir et la prospérité de tout le pays.
Smith PRINVIL

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Basculement réactionnaire : agir face au recul des droits des femmes

Le 8 mars résonne cette année comme un cri d'alarme et un appel à la résistance face à l'ascension des politiques réactionnaires, populistes et anti-intellectualistes. Cette (…)

Le 8 mars résonne cette année comme un cri d'alarme et un appel à la résistance face à l'ascension des politiques réactionnaires, populistes et anti-intellectualistes. Cette journée est l'occasion de dénoncer les attaques à grande échelle dont font l'objet les droits des femmes et des minorités sexuelles.

Tiré du site du CETRI

Le monde est-il en train de basculer ? Aux bouleversements écologiques, guerres et injustices sociales, viennent s'ajouter les frasques d'un leader imprévisible qui accroissent la brutalité et le chaos. L'absence de réponses collectives aux enjeux globaux a alimenté un repli sur soi qui s'est manifesté par l'essor d'idéologies nationalistes, de mouvements populistes et de réflexes identitaires. Si la perspective d'un basculement peut effrayer et potentiellement précipiter l'effondrement, elle peut aussi ouvrir la voie à des transformations profondes de nos écosystèmes naturels, socio-économiques et politiques.

Une offensive mondiale anti-genre

À l'aune de ces défis, le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, revêt cette année une résonance particulière. Elle est l'occasion de dénoncer les attaques à grande échelle dont font l'objet les droits des femmes et des minorités sexuelles.

Souvent qualifiées de « retour de bâton », ces attaques relèvent d'une réaction conservatrice à des avancées obtenues en matière d'égalité de genre. Elles visent à « remettre les femmes à leur place », à préserver un statu quo patriarcal et à restreindre les droits des personnes LGBT+. La dangerosité de ces offensives ne se limite toutefois pas à ces conséquences directes. Elle réside aussi dans le recyclage et l'exploitation qui sont faites de la grammaire du genre, ainsi que dans sa portée symbolique, qui a permis de coaliser des acteurs très différents.

Si ces offensives « anti-genre » s'inscrivent ainsi dans la continuité d'un conservatisme de longue date, elles s'en distinguent en termes d'acteurs, de discours et de stratégies. Apparues initialement en Europe et en Amérique latine, au milieu des années 2000, elles se sont intensifiées et propagées depuis à tous les continents.

Originellement portées par des organisations de la société civile et des cercles catholiques, opposés à la montée en puissance du concept du genre promu par les conférences onusiennes, les campagnes anti-genre ont évolué. Elles ont été récupérées par des acteurs, en apparence hétérogènes, mais unis autour de la contestation de « la théorie » ou de l'« idéologie de genre », percevant dans ce concept le fondement intellectuel des lois et des politiques qu'ils rejettent.

Ce phénomène, à l'origine religieux et sociétal, s'est transformé en un véritable projet politique, puis étatique avec le développement de mesures publiques anti-genre et la formation de nouvelles alliances diplomatiques. Des partis, principalement situés à droite ou à l'extrême-droite de l'échiquier, ont fait de la « phobie du genre » un élément clé de leur stratégie. Ils veulent ainsi s'opposer aux droits des femmes et des minorités sexuelles, mais aussi toucher de nouveaux publics et accroître leur influence. Ce processus s'est opéré dans un climat de méfiance croissante envers les institutions démocratiques, alors que les inégalités structurelles ne cessaient de se creuser.

Aux États-Unis sous Trump, en Hongrie sous Orbán ou au Brésil sous Bolsonaro, ces politiques sont devenues un projet d'État à part entière. Elles ont servi à la fois des objectifs idéologiques et le pouvoir des dirigeants. De même, Vladimir Poutine s'est posé en victime menacée en s'affirmant comme « le dernier rempart civilisationnel » face à un « impérialisme occidental » qui défend des valeurs féministes et pro-LGBT+, menaçant l'intégrité de la nation russe. Il a ainsi légitimé sa politique étrangère agressive.

Un appel à la résistance

Alors que les politiques réactionnaires, populistes et anti-intellectualistes d'extrême-droite gagnent du terrain en Europe et dans le monde, ce 8 mars doit retentir comme une alarme et un appel à la résistance : les avancées sociales et les droits des femmes et des minorités sexuelles sont en danger. Les coups portés sont tantôt directs et frontaux, visant l'égalité de genre, les droits sexuels et reproductifs ou l'impunité des violences ; tantôt indirects, lorsque, comme en Belgique, des manœuvres politiques bloquent une proposition de loi améliorant l'accès à l'avortement.

Certains discours conservateurs puisent dans des nationalismes sexuels anciens, de la première moitié du 20e siècle, où racisme et xénophobie se combinaient au sexisme et à l'homophobie. Des dirigeants d'hier, comme d'aujourd'hui, ont alors en commun d'invoquer une masculinité viriliste et un ordre sexuel traditionnel, fondé sur la famille nucléaire hétérosexuelle où les rôles de genre sont strictement définis et inégalitaires.

D'autres figures politiques, masculines et féminines, dans un jeu de trompe-l'œil, feignent de défendre les droits des femmes, tout en détournant ces luttes à leur compte, sans se soucier de leur réalisation. À travers des discours fémonationalistes (ou homonationalistes, comme en Israël), elles cherchent à se présenter en protecteur des femmes (ou des personnes LGBT+), mais poursuivent leurs agendas nationalistes, ultra-libéraux, racistes et anti-immigration. En fin de compte, la défense des droits des femmes n'est rien d'autre qu'un prétexte pour exclure des populations dont la « culture » est perçue comme incompatible avec l'« identité nationale ».

Le sexisme et le racisme sont des leviers, mobilisés par l'extrême-droite et les « contre-mouvements » sociaux, afin de consolider une « politique du ressentiment ». À l'inverse de l'indignation qui émerge face à l'injustice, le ressentiment naît, comme l'explique Éric Fassin, de « l'idée qu'il y en a d'autres qui jouissent à ma place, et donc qui m'empêche de jouir. Autrement dit, c'est une réaction non pas aux inégalités, mais aux progrès de l'égalité ». Dans cette logique, les frustrations et la colère populaire ont été habilement dirigées contre le féminisme ou les défenseur·euses des droits des minorités.

Dans le contexte néolibéral qui est le nôtre, il est illusoire de vouloir séparer les enjeux économiques des enjeux culturels, ceux de la redistribution et de la reconnaissance. Les luttes pour les droits des minorités ne sont pas uniquement culturelles, tout comme les luttes de classe ne sont pas seulement matérielles. Dépasser ces oppositions binaires est une démarche indispensable pour recréer un front des luttes à même de contrer les offensives réactionnaires qui sévissent aujourd'hui, en Europe et dans le monde.

Aurélie Leroy

https://www.cetri.be/Basculement-reactionnaire-agir

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Face à l’internationale d’extrême droite : que reste-t-il de la quatrième vague féministe ?

L'extrême droite est à l'offensive à l'échelle mondiale et les mouvements – et conquêtes – féministes sont l'une de ses cibles. Que peuvent ces mouvements face à la vague (…)

L'extrême droite est à l'offensive à l'échelle mondiale et les mouvements – et conquêtes – féministes sont l'une de ses cibles. Que peuvent ces mouvements face à la vague néo-réactionnaire portée par Trump, Milei et consorts ? Quelle stratégie adopter ? Aurore Koechlin propose une série de réponses en commençant par un bilan de ce qu'on a pu appeler la quatrième vague féministe.

Photo et aarticle tirés de NPA 29

Il y a dix ans, en 2015, naissait le mouvement Ni Una Menos en Argentine, suite à une série de féminicides, dont celui de Chiara Páez. Les manifestations massives qui déclaraient « pas une femme de moins », constituaient le premier acte d'une mobilisation féministe internationale, qui allait bientôt embraser l'Amérique latine, puis le monde avec Me Too. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) devenait le centre de ce qu'on peut appeler « la quatrième vague du féminisme ».

Dans de nombreux pays d'Amérique latine, comme l'Argentine, le Mexique, ou la Colombie, ces luttes se sont traduites par des victoires, avec l'obtention par la mobilisation de la légalisation de l'avortement. Dix ans après pourtant, le tableau semble plus sombre. En Argentine comme aux États-Unis, l'extrême droite, via Milei et Trump, a pris le pouvoir. Leurs politiques s'attaquent directement aux luttes et aux acquis féministes et LGBTI+ de la décennie précédente. Tant et si bien qu'il semble légitime, en ce 8 mars 2025, de s'interroger : que reste-t-il de la quatrième vague féministe ?

Différentes réponses politiques à la crise de la reproduction sociale

La montée, puis la prise de pouvoir, par le fascisme dans les années 1920 et 1930 est classiquement interprétée comme une réponse à la force du mouvement ouvrier, et au risque d'une révolution imminente. Plus précisément, la crise politique ouverte par la crise économique de 1929 ne parvenait à être réglée ni par le maintien au pouvoir de la bourgeoisie, ni par la prise de pouvoir du prolétariat. Le fascisme est alors apparu comme une réponse crédible à une bourgeoisie en pleine crise d'hégémonie.

Elle faisait en quelque sorte d'une pierre deux coups : conserver son pouvoir économique via un gouvernement qui défendrait ses intérêts, et écraser toute contestation par la destruction physique du mouvement ouvrier. Cette corrélation entre montée de l'extrême droite et force du mouvement ouvrier est précisément ce qui a poussé ces dernières années une partie de l'extrême gauche à minimiser le danger de l'extrême droite : la bourgeoisie parvenant malgré tout à imposer ses contre-réformes libérales, l'extrême droite n'aurait pas été une réelle alternative aux yeux des classes dominantes. À tort malheureusement, comme l'évolution de la situation l'a montré.

Dans cette perspective, on pourrait alors relire la montée de l'extrême droite à l'échelle internationale dans les années 2010 et 2020 comme une réponse à la force non moins internationale du mouvement féministe et LGBTI+ : c'est par exemple l'analyse que propose Veronica Gago[1]. Le mouvement féministe aurait en quelque sorte pris la place d'un mouvement ouvrier affaibli, notamment en mettant en son centre l'arme de la grève féministe comme réponse aux attaques néolibérales et patriarcales contemporaines. Et de fait, l'extrême droite développe un discours très élaboré sur le genre et les sexualités, et apparaît comme cristallisant une forme de backlash contre la quatrième vague féministe.

Il est symptomatique que Milei arrive au pouvoir dans un des pays où le mouvement féministe a été le plus fort ces dernières années, l'Argentine. Dès son accession au pouvoir, Trump a immédiatement promu un ensemble de décrets anti-trans, transférant les femmes trans emprisonnées dans des prisons pour hommes, déremboursant les transitions pour les mineur·e·s, interdisant aux personnes trans le service militaire et les compétitions sportives, ou encore faisant annuler les passeports des personnes non binaires.

L'actrice Hunter Schafer, connue pour son interprétation dans la série Euphoria, a dénoncé récemment sur les réseaux sociaux que suite à son renouvellement de passeport, on lui a imposé la lettre « M », alors que son genre à l'état civil avait été changé depuis qu'elle était adolescente. Trump a également interdit l'usage par son administration ou par les recherches scientifiques financées par l'État de certains mots, désormais interdits – comme « genre », « femme », « LGBT », « race », ou encore « changement climatique ».

Mais la montée de l'extrême droite n'est pas d'abord une réponse à la force du mouvement féministe : si ces deux phénomènes sont effectivement corrélés, c'est qu'ils sont le produit d'un tiers facteur, la crise du capitalisme et de sa dernière mue néolibérale, crise qui est tant économique et sociale que sanitaire et écologique. Or, dans cette crise multiforme, la question du genre est centrale. En effet, un des aspects que revêt la crise du capitalisme néolibéral n'est autre que la crise de la reproduction sociale, également appelée « crise du care ».

Qu'entend-on par-là ? Le capitalisme est depuis toujours pris dans une contradiction indépassable entre sa recherche effrénée d'accumulation de la sur-valeur, produite par la force de travail, et la nécessité dans laquelle il se trouve de reproduire cette dernière, donc d'assigner une partie de la force de travail non à la production de la sur-valeur mais à la reproduction de la force de travail elle-même (historiquement, cette assignation a surtout été celle des femmes, des populations immigrées et aujourd'hui racisées). Nancy Fraser a bien montré comment à chaque époque du capitalisme, ce dernier est parvenu à résoudre cette contradiction de façon différente, mais toujours imparfaite[2].

Aujourd'hui, à un capitalisme néolibéral correspond une gestion néolibérale de la reproduction sociale. Celle-ci connaît alors un double mouvement. D'un côté, la prise en charge de la reproduction sociale par les services publics est remise en cause (baisse des financements, manque d'effectifs, fermetures, etc.) pour que se développe au contraire sa marchandisation. De l'autre, la reproduction sociale revient de plus en plus à la charge des femmes de façon gratuite et invisibilisée dans le cadre familial. C'est ce que souligne Nancy Fraser :

« Dans un contexte d'inégalités sociales croissantes, cela aboutit à une reproduction sociale à deux vitesses : utilisée comme marchandise pour celleux qui peuvent en payer le prix, restant à charge de celleux qui n'en ont pas les moyens »[3].

Si bien que la prise en charge de la contradiction passe par un dépassement de celle-ci, en faisant en partie au moins du travail reproductif un travail productif de sur-valeur sur le marché. Mais ce dépassement se fait au prix de la reproduction sociale elle-même : un certain nombre de travailleur·se·s ne parviennent plus à assurer leur propre reproduction sociale. C'est pourquoi on peut parler de crise de la reproduction sociale.

Or, ces évolutions ne se font pas sans une réponse du mouvement féministe et LGBTI+. La quatrième vague du féminisme, en soulignant combien la famille est le lieu de production de violences, combien la construction de deux genres uniques et opposés sert en définitive à la renforcer, remet en question cette structure comme unité économique de la société. Elle défend au contraire une autre prise en charge de la reproduction sociale, par sa socialisation, tout au contraire de ce que fait le néolibéralisme. La quatrième vague féministe propose ainsi de sortir de la crise de la reproduction sociale par le développement des services publics, mais aussi leur extension, par exemple par la mise en place de crèches et de cantines collectives dans les entreprises et dans les lieux de vie.

L'extrême droite propose une résolution bien différente à cette crise de la reproduction sociale, et en tout point opposée. De la même façon que dans le champ de la production elle propose un néolibéralisme autoritaire et identitaire, elle propose dans le champ de la reproduction sociale une version encore plus autoritaire et identitaire de ce qui existe déjà. Il va s'agir de poursuivre la destruction des services publics et leur mise sur le marché de façon accélérée, tout en en préservant une fraction de la population, du moins c'est ce qu'elle promet en discours.

Félicien Faury a effectivement montré que le RN défendait une forme de « protectionnisme reproductif » pour les classes moyennes blanches, ce qui pourrait d'ailleurs constituer une des raisons explicatives du vote des femmes pour le RN en France[4]. L'accès à ce qui reste de services publics ne serait ainsi assuré que pour les populations blanches. Mais au-delà, l'extrême droite propose une autre voie d'issue à la crise de la reproduction sociale, et qu'elle assume très largement – le retour des femmes au foyer, dont les trad wives sont la manifestation la plus spectaculaire sur les réseaux sociaux.

C'est pourquoi la production idéologique d'un discours réactionnaire et transphobe n'a pas uniquement pour but d'écraser les avancées de la nouvelle vague féministe, ni d'instrumentaliser ces thématiques dans un but électoral autour de « paniques morales » construites de toute pièce, même si ces deux dimensions sont évidemment importantes. Elle est aussi parfaitement en adéquation avec une vision du monde congruente entre la sphère de la production et la sphère de la reproduction.

La famille doit reprendre toute sa dimension économique, elle doit redevenir le lieu central de la reproduction sociale : pour ce faire, il faut une idéologie qui le justifie et qui réaffirme cette fiction qu'est la famille hétérosexuelle monogame composée d'un « homme » et d'une « femme », avec une division clairement genrée du travail.
Féminisme ou barbarie : une polarisation accrue

Regarder une telle situation en face a de quoi inquiéter. D'un certain côté, les années 2010 où nous connaissions un incroyable élan de mobilisations nationales – avec les mobilisations contre la Loi travail, celles des étudiant·e·s et des cheminot·e·s, ou encore celle des Gilets jaunes – et internationales – qu'on pense à Black Lives Matter ou à Me Too – semblent bien lointaines. Cette situation n'est pas effacée bien sûr, et nous devons nous rappeler qu'en France, la plus grande mobilisation de ces dernières années, celle contre la réforme des retraites, a eu lieu il y a seulement deux ans. Mais il est indéniable que la situation a évolué : il est difficile aujourd'hui de ne pas tenir compte dans l'équation politique du danger que représente cette internationale d'extrême droite qui s'est développée, qui gouverne dans de nombreux pays, et qui en menace d'autres.

Néanmoins, la montée de l'extrême droite ne met pas fin à la quatrième vague féministe. La particularité de la situation est que les deux ont lieu simultanément. En France, le mouvement Me Too continue de se développer dans toutes les sphères de la société : le procès Mazan en est une fois de plus la preuve, et avec l'affaire Bétharram, pose enfin à une échelle de masse la question de l'inceste et de l'oppression spécifique des enfants. Aux États-Unis, suite à la révocation de l'arrêt Roe vs Wade, une véritable mobilisation numérique s'est déployée sur Tik Tok afin de permettre aux femmes souhaitant avorter et ne pouvant plus le faire d'être hébergées dans un autre État, voire un autre pays, comme le Canada[5].

En Argentine, une manifestation massive a eu lieu le 1er février dernier pour répondre aux propos anti-féministes et anti-LGBTI+ de Milei. La situation est donc avant tout caractérisée par une très forte polarisation. Cette polarisation trouve d'ailleurs une expression dans certaines enquêtes scientifiques. Il y a quelques mois, Le Monde titrait « Les jeunes femmes sont de plus en plus progressistes, tandis que les hommes du même âge penchent du côté conservateur »[6] : ce constat effectué par plusieurs études concerne les jeunes générations, et a lieu simultanément à l'échelle internationale, puisqu'il se retrouve tout aussi bien en Europe, aux États-Unis, qu'en Corée du Sud, en Chine ou en Tunisie.

En France, le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) ne dit pas autre chose dans son dernier rapport de janvier 2025, intitulé significativement « À l'heure de la polarisation » : surtout chez les jeunes, les femmes sont plus féministes, et les hommes sont plus masculinistes[7].Dans un tel contexte de polarisation croissante, et de force de la quatrième vague féministe à l'échelle internationale, le mouvement féministe doit prendre la mesure de toutes ses responsabilités dans la lutte contre l'extrême droite.

Dans les pays où il est le plus fort, il doit être force d'impulsion pour des réponses unitaires contre l'extrême droite – manifestations, constitution de collectifs unitaires pour organiser la riposte, grèves féministes contre l'extrême droite. Dans les pays où il est plus faible, la question se pose un peu différemment. C'est le cas de la France, dont la particularité est double : d'une part, le mouvement social y est très fort, d'autre part, la quatrième vague ne s'y est pas développée autant que dans d'autres pays, y compris d'Europe (par exemple l'État espagnol, l'Italie, la Belgique ou la Suisse). Cela implique trois choses.

Premièrement, le mouvement féministe ne doit pas tomber dans le piège sectaire d'un repli sur lui-même à une heure où il peut se sentir très minoritaire. Cette tentation est toujours présente, elle peut l'être d'autant plus dans une période où le risque de démoralisation est fort. Parce que le mouvement féministe a le sentiment que son action politique ne parvient pas à influencer la société, il se tourne sur lui-même, sur ses débats internes, sur le niveau de responsabilité dans la situation de chaque collectif, pire, sur le degré de pureté militante de chacun·e de ses membres.

Quel groupe, quel·le individu a dit, a fait telle chose problématique ? Et dans une période au climat dégradé, on ajoute de la peur à la peur. Rien de plus démobilisateur. Nous devons nous le répéter une fois pour toute : nos pratiques et nos discours ne seront jamais « parfaits » tant que nous vivrons dans une société qui demeure inchangée par ailleurs. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas les politiser, mais cela veut dire qu'il est absurde de les moraliser.

Ensuite, le mouvement féministe doit réussir à se détacher au moins partiellement des critiques qui le créditent de tous les maux de la terre, et qui ne peuvent tout simplement là encore que mener à l'inaction. Les risques de récupération par l'État, le fait que les fractions les plus dotées du mouvement (en termes de race et de classe) soient celles qui soient le plus mises en avant, son caractère situé, etc., n'est pas le propre du mouvement féministe, il concerne tous les mouvements sociaux : que chacun·e balaye devant sa porte. Pourquoi n'interroge-t-on que le mouvement féministe ? Je vous laisse deviner la réponse.

Cela ne veut bien sûr pas dire qu'il ne faille pas œuvrer à améliorer cet état de fait, c'est une certitude. Mais cela ne doit pas servir de prétexte pour disqualifier l'entièreté du mouvement, comme c'est le cas depuis des années dans certains milieux d'extrême gauche, pourtant souvent bien moins prompts à critiquer les syndicats et les partis. Depuis Me Too, des femmes et des minorités de genre qui n'avaient jamais milité auparavant se sont politisé·e·s sur la question des VSS : plutôt que de leur reprocher de ne pas être suffisamment anti-carcéral·e·s, passons un cap en les convainquant que l'extrême droite, par sa vision du genre, des sexualités et de la famille, est notre ennemi mortel. Nos choix, nos corps, nos familles, nos vies sont en jeu. En tant que femmes, que LGBTI+, nous n'avons rien à prouver.

C'est donc tout le contraire qu'il faut faire. Il faut agir, et il faut le faire dans la démarche la plus large et unitaire possible. D'autant plus que, sous la pression de la situation, des clarifications ont lieu en accéléré. Dans le mouvement social, l'islamophobie, les attaques anti-trans, sont maintenant clairement identifiées à l'extrême droite. Parallèlement, le mirage d'un féminisme néolibéral, qui depuis les années 1980 avait fait tant de promesses, est en train de s'effondrer sous nos yeux, avec le ralliement des secteurs du capitalisme réputés « progressistes » à Trump.

Le plus marquant est sans doute celui du secteur de la Tech, avec l'exemple de Mark Zuckerberg, qui a, du jour au lendemain, mis fin à toute politique de diversité au sein de son entreprise, et tenu un discours crypto-masculiniste. Ce faisant, nous avons la démonstration éclatante que le capitalisme n'a jamais été que tactiquement et en apparence un allié des femmes et des minorités de genre.

Enfin, le mouvement féministe doit sortir de son isolement, et renforcer ses alliances. La première et la plus évidente vu le danger de l'extrême droite est bien sûr avec le mouvement antiraciste. Une autre est également d'une grande importance – celle avec les syndicats, à l'heure actuelle première organisation des travailleur·se·s. Aucune riposte contre l'extrême droite ne pourra se faire sans les syndicats. Et concernant les liens entre mouvement féministe et syndicats, beaucoup reste encore à faire.

Le dernier mouvement contre la réforme des retraites en France l'a mis dramatiquement en lumière lors du 8 mars 2023. Dans une sorte d'alignement des étoiles, non seulement le mouvement féministe l'avait tout particulièrement préparé, mais l'intersyndicale s'en était emparée pour faire du 7 et du 8 des journées de mobilisation, afin d'essayer de porter le départ en grève reconductible. Ce fut effectivement un immense succès féministe : en tout, près de 150 000 personnes ont manifesté le 8 mars dans toute la France. Mais on était très loin des 3 millions et demi de la veille… Et l'histoire a montré qu'il n'y a pas eu de départ en grève reconductible.

Les causes en sont multiples, et ont été analysées depuis, mais au-delà de ça, ce qui a très certainement joué, et que nous devons regarder en face également, c'est un manque de conviction de la part des syndiqué·e·s de la pertinence des revendications féministes, et de la grève pour le 8 mars en particulier. Ce travail reste encore très largement à faire, et c'est à nous de le porter, pour ce 8 mars, en construisant l'échéance avec les équipes syndicales, en s'en emparant pour tisser de nouvelles convergences, mais bien sûr également au-delà.

Pour cela, nous pouvons nous inspirer de la démarche de la Coordination féministe, qui a appelé à la grève féministe pour battre l'extrême droite pour le 25 janvier et le 8 mars[8]. Ce type d'initiatives doivent être prolongées dans les mois qui viennent. Nous devons bien en avoir conscience, la polarisation dans laquelle nous nous trouvons ne peut mener qu'à une chose : féminisme ou barbarie. Mais rien n'est encore écrit. En ce 8 mars 2025, même si la situation a changé, que reste-t-il de la quatrième vague féministe ?

Tout. Et pour cette raison, tout est encore possible.

Aurore Koechlin 7 mars 2025

https://www.contretemps.eu/

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Admission de l’Indonésie aux BRICS : nouveau pas vers un « capitalisme multipolaire »

11 mars, par François Polet — , , ,
L'admission éclair de l'Indonésie au groupe BRICS a renouvelé les interrogations autour de son expansion. L'attractivité de la coalition repose sur son potentiel économique et (…)

L'admission éclair de l'Indonésie au groupe BRICS a renouvelé les interrogations autour de son expansion. L'attractivité de la coalition repose sur son potentiel économique et l'ambivalence de son horizon géopolitique, mais la cooptation de nouveaux membres dépend de critères « larges » dont l'application fait la part belle aux intérêts des premiers membres. Alors que la réélection de Donald Trump pourrait temporairement casser l'élan « pro-BRICS » de ces dernières années, l'adhésion de l'Indonésie au groupe constitue une nouvelle brique dans l'édification d'un monde capitaliste multipolaire. Par François Polet, docteur en sociologie et chargé d'étude au Centre tricontinental (CETRI).

4 février 2025 | tiré d'europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article73858

Longue marche vers un capitalisme multipolaire

Faut-il le rappeler, les BRICS ont été créés en 2009 (par la Russie, la Chine, l'Inde et le Brésil) en vue de réformer un système international dominé par les pays occidentaux et intensifier la coopération économique entre ses membres. Il s'agissait en quelque sorte du pendant non occidental du G7, ce club des pays riches s'employant à coordonner leurs vues sur les grands enjeux économiques et financiers mondiaux. Pour autant, comme le rappellent les auteurs et autrices d'une livraison récente d'Alternatives Sud, en dépit du maniement d'une rhétorique progressiste, les BRICS ne visent pas la transformation du modèle de développement dominant promu par le G7, mais oeuvrent plutôt à l'avènement d'un « capitalisme multipolaire ». [1]

Ce forum intergouvernemental n'a pas été formé en 2009 par hasard. Ses membres ont connu une croissance telle durant les années 2000 (et les années 1990 pour ce qui est de la Chine) que leur influence sur les institutions de la gouvernance mondiale était en décalage de plus en plus flagrant avec leur poids réel dans l'économie mondiale. Une situation de moins en moins supportable pour les pays concernés. Ce, d'autant plus que la récession de 2007-2008 venait de démontrer que l'architecture internationale n'était pas seulement inéquitable, mais aussi incapable de prévenir l'apparition de crises systémiques aux effets dévastateurs pour les pays en développement. Les futurs membres se sont très tôt accordés sur la nécessité « d'une nouvelle monnaie internationale de réserve, susceptible de faire contrepoids au dollar et de stabiliser le système financier global ». [2]

« L'attraction magnétique des BRICS » repose sur la force de son idée centrale – la promesse d'un monde plus équilibré – mais aussi sur son ambivalence

Les BRICS ont poursuivi une double stratégie consistant à accroître leur influence au sein des institutions existantes et à mettre en place des structures alternatives, en particulier la Nouvelle banque de développement et l'Accord de réserve contingente (un fonds de réserve de devises) créés en 2014. Les tensions croissantes entre pays occidentaux, Chine et Russie à partir de la deuxième moitié des années 2010, avec l'annexion de la Crimée, l'affirmation des ambitions de Pékin de Xi Jinping, la guerre commerciale initiée par Donald Trump, l'invasion de l'Ukraine par la Russie et enfin les sanctions occidentales contre la Russie, ont graduellement accru la dimension géopolitique des BRICS – que Pékin et Moscou s'efforcent désormais explicitement de transformer en plateforme anti-occidentale d'une « majorité globale ». Voire en embryon d'un ordre international alternatif.

Treize années séparent le premier élargissement des BRICS, avec l'admission de l'Afrique du Sud en 2010, du deuxième, en août 2023, lors du sommet de Johannesburg, où six pays ont été invités à rejoindre le groupe – Iran, Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis, Argentine, Égypte et Éthiopie. Cette même année 2023 a aussi mis en évidence l'attractivité de la coalition parmi les pays du « Sud global » : pas moins d'une quarantaine de pays ont exprimé un intérêt à rejoindre ce forum. Plus de la moitié ont officiellement formulé une demande d'adhésion. Une nouvelle catégorie de pays « partenaires » des BRICS a été créée lors du Sommet suivant, en octobre 2024 à Kazan, à laquelle treize pays aspirants ont été invités. Parmi eux l'Indonésie, cooptée deux mois plus tard, janvier 2025, pour devenir le dixième membre effectif de la coalition [3]. L'intégration du pays le plus peuplé d'Asie du Sud-Est et du monde musulman donne une nouvelle envergure à la coalition, qui représente désormais la moitié de l'humanité et plus de 40% de l'économie mondiale.

Ressorts d'une attraction magnétique

Dans un texte rédigé pour l'Africa Policy Research Initiative, Mihaela Papa revient sur les ressorts de cette expansion récente de la coalition. [4] « L'attraction magnétique des BRICS » repose sur la force de son idée centrale – la promesse de marchés émergents dans un monde plus équilibré – et la multiplicité des interprétations auxquelles cette idée se prête, notamment quant aux objectifs et moyens de la réforme du système international. Une force de gravité renforcée par la proactivité croissante de ses membres, Chine et Russie en tête, dans la perspective de constitution d'un bloc contre-hégémonique.

L'ambiguïté du projet contribue à son attractivité en ce qu'il permet la coexistence de motivations hétérogènes chez les candidats. La participation aux BRICS peut d'abord apparaître comme un moyen de renforcer les liens avec des économies et des institutions financières en pleine expansion : promesse d'investissements étrangers, de partenariats, d'accès à des marchés, à des crédits, à des ressources énergétiques, à des technologies… potentiellement sans passer par le dollar. Cet enjeu pragmatique est la principale motivation de la majorité des nouveaux membres effectifs et « partenaires ». Ensuite, la participation à la coalition peut être motivée par le renforcement de l'autonomie stratégique d'un pays, via la diversification de ses relations diplomatiques et commerciales – réduisant sa perméabilité aux pressions occidentales.

Enfin la participation aux BRICS porte en elle la promesse de contribuer à l'avènement d'un monde multipolaire. Celui-ci est tantôt entendu dans un sens « réformiste » d'une démocratisation de la gouvernance mondiale, offrant davantage d'espace au « Sud global ». Tantôt en un sens « radical » ou « révisionniste » de lutte contre les principes et pratiques associés à l'Occident, que l'on parle d'une géopolitique impérialiste ou d'une conception universelle de la démocratie et des droits humains (plus rarement du libre-échange, ardemment défendu par la coalition face aux velléités protectionnistes des États-Unis…). En d'autres termes, si la majorité des pays envisagent leur participation aux BRICS sous l'angle de la concrétisation du principe de « non-alignement actif » ou de « multi-alignement », incarnés par l'Inde et le Brésil [5], d'autres y voient d'abord l'expression de leur alignement sur le camp anti-occidental – cas de l'Iran, du Venezuela, de Cuba…

Critères partagés, intérêts contingents

Si ces considérations renseignent quant aux motivations, elles en disent peu sur le processus de sélection des nombreux candidats. La décision d'inviter un nouveau membre est théoriquement prise par consensus. Le pays candidat doit avoir démontré son adhésion aux principes des BRICS (dont la réforme de la gouvernance globale ou le rejet des sanctions non validées par l'ONU), avoir une influence régionale, entretenir de bonnes relations avec les membres et contribuer au renforcement du groupe. La formalisation des critères a fait l'objet de tensions entre les membres initiaux, de même que le rythme de l'élargissement du groupe. Si la Chine et la Russie poussent à l'expansion rapide de la coalition, l'Inde et surtout le Brésil craignent la dilution de leur influence et de leur statut. [6] En-deçà des principes, le processus de cooptation paraît surtout guidé par « un mélange de considérations pragmatiques, d'intérêts contingents et de souverainisme sourcilleux » souligne Laurent Delcourt. [7]

L'adhésion de l'Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis se sont imposées du fait du poids financier et de la puissance énergétique qu'ils apporteraient au groupe. La candidature de l'Argentine a été poussée par la diplomatie brésilienne, en vue de renforcer le pôle latino-américain de l'attelage, mais surtout pour éviter qu'il devienne « une source de risques en devenant un club de régimes autoritaires ayant des positions anti-occidentales ». [8] Des enjeux diplomatiques du même ordre ont contribué à ce que le Brésil bloque l'entrée du Venezuela lors du Sommet de Kazan. [9] La candidature du Pakistan est entravée par l'Inde pour des raisons de rivalité régionale. [10] Et la non-sélection de l'Algérie est officiellement motivée par des critères économiques, mais Alger y voit la main des Émirats, avec lesquels ses rapports sont tendus, qui auraient convaincu l'Inde de mettre son veto [11].

Equations politiques internes et coûts géopolitiques

Le retrait de l'Argentine décidé par le président Javier Milei rappelle que les logiques d'adhésion aux BRICS sont aussi tributaires d'équations politiques internes. De même, l'inclusion accélérée de l'Indonésie aux BRICS résulte également d'une alternance politique. Le président Subianto, personnalité autoritaire réputée pro-russe, a sorti son pays de la posture attentiste qui le caractérisait auparavant, dictée par l'espoir de ne pas gâcher sa demande d'adhésion à l'OCDE. Le « non-alignement » invoqué par Jakarta pour justifier ce changement d'optique devrait pencher nettement dans le sens des intérêts de Moscou [12].Un tournant qui explique vraisemblablement l'insistance de Vladimir Poutine à précipiter l'accession de l'Indonésie… ignorant le moratoire sur l'élargissement du groupe annoncé par son propre ministre des Affaires étrangères six semaines plus tôt. [13]

Les tergiversations de l'Arabie Saoudite, invitée à rejoindre le groupe à Johannesburg, mais qui n'avait toujours pas répondu formellement à l'invitation au début de l'année 2025, illustrent les craintes des coûts géopolitiques de la participation à une coalition dominée par des puissances hostiles à l'Occident. Les menaces de Donald Trump, un mois avant sa prise de fonction, d'imposer des droits de douane de 100% aux pays contribuant à la dédollarisation des échanges accentuent ces craintes [14]. Cette diplomatie coercitive pourrait casser temporairement l'élan « pro-BRICS » d'une série de pays fortement dépendants des États-Unis sur les plans sécuritaire et économique. Mais sur le plus long terme, elle a toutes les chances d'aboutir au résultat inverse – et à renforcer l'attractivité du club pour les pays en développement, en quête d'un monde plus respectueux des souverainetés et des intérêts du « Sud global ».

François Polet

LVSL

Notes :

1 CETRI, BRICS+ : une alternative pour le Sud global ?, Syllepse – CETRI, Paris – Louvain-la-Neuve, 2024.

2 Laurent Delcourt, « BRICS+ : une perspective critique », in CETRI, Ibid.

3 L'Argentine a décliné l'invitation début 2024, tandis que l'Arabie saoudite n'a ni accepté, ni rejeté la sienne en janvier 2024.

4 Mihaela Papa, « The magnetic pull of BRICS », Africa Policy Research Insitute – APRI, 3 décembre 2024.

5 Notons que les deux nouveaux membres africains – l'Égypte et l'Éthiopie – sont les premiers bénéficiaires de l'aide états-unienne du continent.

6 Ces critères ont été précisés lors du Sommet de Johannesburg d'août 2023.

7 Dès 2017, les velléités chinoises d'élargir les BRICS ont fait craindre une tentative de mettre la dynamique au service du projet des Nouvelles routes de la soie, grande priorité diplomatique de Xi Jinping. Voir Evandro Menezes de Carvalho, « Les risques liés à l'élargissement des BRICS », Hermès, La Revue, n° 79(3), 2017.

8 Editorial d'un journal économique brésilien (Valôr Econômico) cité par Oliver Stuenkel, « Brazil's BRICS Balancing Act Is Getting Harder », America's Quarterly, 21 octobre 2024.

9 Dans un contexte de dégradation des relations entre les présidents brésilien et vénézuélien liée aux conditions de la réélection de ce dernier en juillet 2024.

10 Mirza Abdul Aleem Baig, « Why Did Pakistan Fail To Secure BRICS Membership At 2024 Summit ? – OpEd », Eurasia review, 27 octobre 2024.

11 El Moudjahid, 28 septembre 2024. L'Algérie a néanmoins intégré la catégorie des pays partenaires et rejoint la Nouvelle banque de développement.

12 Notons que ce même principe de non-alignement motivait la présidence précédente à… ne pas rejoindre les BRICS, craignant que cela soit interprété en Occident comme un rapprochement avec l'axe Pékin-Moscou. Juergen Rueland, « Why Indonesia chose autonomy over BRICS membership », East Asia Forum, 25 octobre 2023.

13 Saahil Menon, « Why Was Indonesia's BRICS Membership Short-Circuited ? », Modern Diplomacy, 14 janvier 2025.

14 https://fr.euronews.com/2024/12/02/trump-menace-les-brics-avec-des-droits-de-douane-de-100-sils-affaiblissent-le-dollar

https://lvsl.fr/admission-de-lindonesie-aux-brics-nouveau-pas-vers-un-capitalisme-multipolaire/

7 grands axes pour construire la paix

11 mars, par Clémentine Autain — ,
L'élection de Donald Trump accélère le cours de l'histoire. L'ordre mondial en est chamboulé, avec la guerre pour moteur. Clémentine Autain en appelle au réveil de « l'esprit (…)

L'élection de Donald Trump accélère le cours de l'histoire. L'ordre mondial en est chamboulé, avec la guerre pour moteur. Clémentine Autain en appelle au réveil de « l'esprit public » contre la loi du plus fort.

6 mars 2025 | tiré de regards.fr

Il faut du temps pour digérer et ingérer la rupture qui vient de se produire dans l'ordre mondial. Et pourtant, il y a urgence à défendre une perspective stratégique de paix, et donc de justice et de démocratie. C'est pourquoi je mets ici en partage 7 grands axes. Comme pour la politique intérieure, ils reposent sur le réveil de ce que j'appelle l'esprit public, c'est-à-dire la solidarité, la coopération, la démocratie contre la loi du plus fort, la prédation et la marchandisation, l'autoritarisme :

1. Nous devons affirmer notre solidarité avec le peuple ukrainien agressé par la Russie de Vladimir Poutine et méprisé par Donald Trump, qui encourage le massacre des populations civiles ukrainiennes et la russification des territoires occupés. Notre fil à plomb est dans la défense du principe de l'autodétermination des peuples et des frontières reconnues par le droit international. Nous ne pouvons accepter que la loi du plus fort et l'accaparement de ressources l'emporte sur le droit international et la démocratie.

2. Ce soutien au peuple ukrainien doit se traduire dans les actes, loin de tout esprit munichois et sans engrenage guerrier. C'est une ligne de crête mais elle est la seule qui peut enrayer la mécanique conduisant à une troisième guerre mondiale. Autrement dit, il s'agit d'aider concrètement les Ukrainiens qui se battent pour leurs droits, et non d'entrer en guerre directement avec la Russie.

3. Ni Poutine, ni Trump, ce mot d'ordre rassemble. Si les régimes aux États-Unis et en Russie ne sont pas les mêmes, ces deux présidents portent, l'un et l'autre, la haine de la démocratie et l'impérialisme. L'un et l'autre se battent pour accaparer, et de façon brutale, les ressources rares sur une planète dont les limites deviennent tangibles. Combattre Poutine et Trump signifie que nous devons en finir avec l'atlantisme et avec le campisme – non, les ennemis de nos ennemis ne sont pas nos amis. Cela signifie aussi que nous ne nous inscrivons pas dans une logique de camps. À la puissance de la force, nous opposons la force des principes, les règles de droit, la logique de biens communs. Il faut rompre avec la prédation, la loi du profit et le productivisme débridé, pour défendre un changement profond de modèle de développement, soutenable pour l'écosystème et favorisant la paix. Le capitalisme insatiable conduit à la guerre pour l'accès aux ressources.

4. Prendre la mesure des bouleversements monde qui n'est plus celui d'hier, c'est chercher à nouer des alliances sur toute la scène internationale pour faire avancer la justice et la démocratie, et donc la paix, par la diplomatie et le multilatéralisme. Face aux puissances impérialistes brutales, il nous faut construire des convergences sur la base de la défense de principes et d'objectifs précis. Il nous faut plaider pour un nouvel ordre mondial fondé sur le droit, et non la force. Car il n'y a plus d'Occident. Il n'y a pas non plus de Sud Global. C'est pourquoi chercher des alliés à l'intérieur de l'Union européenne et en dehors pour faire contrepoids aux puissances impérialistes est une nécessité. Cela suppose de sortir de la culture des blocs.

5. La guerre en Ukraine et la menace de son extension impliquent que nous soyons capables de nous défendre. Il est désormais clair pour toutes et tous que les États-Unis de Trump ne peuvent aucunement assurer notre sécurité. Et puis, Poutine va-t-il s'arrêter là ? Rien ne l'indique. Il nous revient donc de renforcer notre système de défense car nous devons montrer que personne n'a intérêt à une guerre contre nous. Mais les dépenses militaires ne peuvent se faire en comprimant celles qui servent les besoins essentiels de la population. Elles n'ont pas non plus vocation à se substituer à une stratégie diplomatique, ni à servir les besoins du capitalisme. Leur financement doit passer par une contribution des ultra-riches et des grands groupes et par une coordination européenne – l'UE pourrait d'ailleurs commencer son aide par un effacement partiel de la dette des États par la BCE pour leur permettre d'investir. Comment se fait-il que lorsqu'il s'agit de défendre l'esprit public, l'État social et la transition écologique, il n'y a pas d'argent et quand il s'agit d'armement, la présidente de Commission européenne, Ursula von der Leyen, trouve 150 milliards d'euros tout de suite et annonce garantir 800 milliards d'euros en tout ? Quand on sort des critères de Maastricht, c'est pour investir dans l'armement ! Mais que chacun soit lucide : on ne refait pas nos capacités militaires pour combler le défaut des États-Unis dont on a si longtemps dépendu en quelques semaines, ni en quelques mois. On ne partage pas non plus à 27 la dissuasion nucléaire, surtout quand ces 27 comptent la Hongrie de Orban et l'Italie de Meloni. Et on ne bâtit pas une armée sans socle commun partagé et sans contrôle démocratique digne de ce nom. Raisons de plus pour se doter avant tout d'une stratégie d'alliances sur la scène internationale et d'investir le champ de la diplomatie.

6. Le réarmement ne fait pas une stratégie. Nous ne voulons pas seulement défendre les intérêts de la France mais aussi des principes, une certaine vision géopolitique appuyée sur le droit, la démocratie et la justice qui servent les peuples à travers le monde. C'est pourquoi le droit international est fondamental. Si l'organisation mondiale issue du compromis de 1945 ne correspond plus aux coordonnées de notre temps, il nous faut travailler à un nouvel équilibre, à un nouvel édifice international.

7. Dans ce contexte, la victoire ou non de Marine Le Pen en France est aussi un enjeu de paix mondiale. C'est pourquoi le rassemblement des forces de gauche et écologistes pour offrir une perspective de victoire, pour ouvrir un espoir de progrès face à la montée du RN est une responsabilité empreinte de gravité. Devant le tragique de l'histoire, l'heure est venue de se mettre au travail pour construire l'alternative à la vague brune dans notre pays. Et elle passe par une doctrine géopolitique commune aux forces de gauche et écologistes.

Clémentine Autain

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Le plan des États-Unis pour l’Ukraine, « fruit de 40 ans d’histoire entre Trump et la Russie »

Comment comprendre le rapprochement entre Trump et Poutine au sujet de l'Ukraine ? Quelles conséquences pour l'Europe ? Réponses avec Régis Genté, journaliste basé en Géorgie, (…)

Comment comprendre le rapprochement entre Trump et Poutine au sujet de l'Ukraine ? Quelles conséquences pour l'Europe ? Réponses avec Régis Genté, journaliste basé en Géorgie, auteur d'une enquête sur les relations de Trump avec le pouvoir russe.

Tiré de NPA 29

Basta ! : Comment analysez-vous l'incroyable altercation entre Trump et Zelensky lors de leur rencontre à la Maison blanche, le 28 février ?

Cette séquence dans le bureau ovale est probablement du jamais-vu dans l'histoire diplomatique. Pour autant, elle s'inscrit dans la droite ligne des déclarations outrancières de Trump au sujet de l'Ukraine depuis qu'il est revenu au pouvoir, quand il dit que « Zelensky est un dictateur sans élection », que c'est lui qui a commencé la guerre, etc.

Ce qui est faux, bien entendu. Ce qui est intéressant avec Trump, ce ne sont pas ses mots, mais les intentions qu'il y a derrière. Il apparaît assez clair que cette scène a été pensée à l'avance, tout cela n'est pas arrivé par accident.
« Cette séquence dans le bureau ovale est probablement du jamais-vu dans l'histoire diplomatique »

Vu les conditions posées préalablement à l'accord de paix, sans la moindre contrainte pour Poutine, Trump se doutait que Zelensky ne signerait pas. La manipulation consiste à lui rendre les choses impossibles pour lui faire porter ensuite la responsabilité de l'échec des négociations, et avoir ainsi une pseudo-justification morale pour ne plus armer l'Ukraine – et peut-être même ne plus lui fournir de renseignements, si Musk décide également de ne plus utiliser ses satellites Starlink. Ce qui laisse les mains libres à Trump pour négocier directement avec Poutine et signer une paix favorable à la Russie, puisqu'il semble bien que ce soit son projet depuis le départ.

Ce rapprochement spectaculaire entre Trump et Poutine, qui s'est matérialisé ces derniers jours sur le dossier du cessez-le-feu en Ukraine, ne vous a pas surpris, il était même « prévisible », dites-vous. Pourquoi ?

Parce que c'est le fruit de plus de 40 ans d'histoire entre Trump et la Russie. Trump est dans le radar du KGB dès la fin des années 1970, lorsqu'il se marie avec Ivana, sa première épouse, qui est alors citoyenne tchécoslovaque, un pays satellite de l'URSS. La sécurité d'État tchécoslovaque, la STB, une sorte de filiale du KGB, avait identifié cet homme alors encore méconnu, mais déjà assez riche et remuant.

C'est le moment où le KGB va redéfinir et intensifier ses efforts de recrutement, principalement aux États-Unis, son principal ennemi. Les documents internes de l'époque sont très clairs, sur le sujet : Vladimir Krioutchkov, le patron de la première direction générale du KGB, la plus prestigieuse, en charge de l'espionnage politique extérieur, cible tout particulièrement les scientifiques et les personnalités du monde politique et des affaires comme de potentiels relais intéressants au service de l'URSS. Trump entre parfaitement dans ce spectre-là.

Ce travail d'approche se concrétise en juillet 1987, lors du tout premier voyage de Trump à Moscou, dans l'idée d'y vendre une Trump tower. Tous les éléments laissent à penser que l'opération est directement organisée par le KGB. D'ailleurs, à peine deux mois après son retour, Trump s'offre une campagne de communication, pour près de 100 000 dollars, dans les plus grands journaux américains [le New York Times, le Washington Post et le Boston Globe, ndlr] pour publier une lettre ouverte appelant à ce que les États-Unis « cessent de payer pour défendre des pays qui ont les moyens de se défendre eux-mêmes », en référence directe à l'Otan.

Vous voyez qu'il y a une certaine constance, chez Donald Trump, puisqu'il utilise encore quasiment les mêmes termes aujourd'hui. C'est simple, j'ai cherché, et on ne trouve guère de déclaration sérieuse de sa part où il se serait montré critique à l'égard de la Russie ou de Poutine. Au contraire, il est en permanence très élogieux.

Il y a également le précédent des suspicions de tentatives d'ingérence russe dans la présidentielle états-unienne de 2016, exposée par plusieurs enquêtes (ingérence qui visait notamment à discréditer l'opposante de Trump, Hillary Clinton)…

Le titre de mon livre, Notre homme à Washington, est directement tiré d'un e-mail découvert par le procureur spécial Robert Mueller, lors de son enquête sur ces soupçons de collusion. L'auteur de cette formule, Felix Sater, connaît bien Trump et est directement issu de la « mafia rouge », ces familles de mafieux qui ont émigré d'Union soviétique aux États-Unis dans les années 1970. En Russie, ces gens-là ne sont jamais bien loin de l'appareil d'État. Felix Sater est particulièrement bien connecté aux hautes sphères des services de sécurité russe.

La preuve quand il écrit en 2015 qu'il va tenter de convaincre Poutine qu'on pourrait « installer notre homme à la Maison blanche », en parlant de Trump. La formule est très révélatrice : on voit bien que ce n'est pas l'initiative de Vladimir Poutine. Il n'y a pas eu de grand plan décidé par le Kremlin à Moscou pour placer Trump à la tête des États-Unis. C'est arrivé de façon plus fortuite, grâce à tous ces gens en lien avec le pouvoir russe et qui cultivent des relations avec Trump – et qui agissent au moins autant dans leur propre intérêt que dans celui de l'État russe.
« On ne trouve guère de déclaration sérieuse de Trump où il se serait montré critique à l'égard de la Russie ou de Poutine. Au contraire, il est en permanence très élogieux »

Le rapport Mueller, demandé par le département de justice américain, apporte des preuves très fortes sur cette influence, et sur la complaisance – pour ne pas dire plus – de Trump et de ses équipes à l'égard de tous ces gens parfaitement intégrés au système politique russe.

Vous parliez d'une campagne de « recrutement » du KGB : quelle est la nature exacte des relations que Trump entretient avec la Russie ? En est-il un « agent » comme on le laisse parfois entendre ?

Non, ce n'est pas un agent, au sens où ce n'est pas quelqu'un qui est rémunéré pour rendre des services et qui se sait missionné pour ça. C'est plus subtil. Il faut plutôt le voir comme une sorte de compagnonnage, quelqu'un qu'on va accompagner dans sa carrière parce qu'on a repéré qu'il pouvait être sur la même longueur d'ondes, partager une même vision du monde, et surtout qu'il pouvait être utile pour du renseignement ou de l'influence.

Dans le jargon soviétique, on appelle ça un « contact confidentiel », une notion qui apparaît dans les mêmes documents stratégiques du KGB, au moment d'établir les campagnes de recrutement dans les années 1980. Le contact confidentiel y est défini comme une personne « susceptible de fournir de l'information de valeur, mais aussi d'influencer activement la politique intérieure et extérieure ».

À ce moment-là, les velléités politiques de Donald Trump sont déjà claires. Il ne va pas devenir pour autant une marionnette, mais plutôt une sorte de relation intéressante qu'on entretient, qu'on flatte, qu'on aide. Trump a ainsi été « cultivé » par différents réseaux, pendant près de 40 ans, avec plus ou moins d'intensité. La banque d'État russe, la VTB, est parfois venue au soutien de la Trump Organization [le conglomérat de la famille Trump, ndlr], via la Deutsche Bank.

À chaque fois qu'il approchait de la faillite, on a vu des oligarques et des mafieux injecter de l'argent dans ses projets immobiliers ou blanchir de l'argent dans ses casinos. En Russie, ce genre de personnes agit toujours en symbiose avec l'État, il y a une connexion intrinsèque entre le monde du crime, la pègre, et le monde des services de sécurité. Trump est lié à cet « État profond » russe, cet État dans l'État : un mélange de pouvoir politique, de pouvoir financier, de pouvoir mafieux et de pouvoir sécuritaire.

Et quel était son intérêt à lui, Donald Trump ?

Cela a été une façon de se donner une surface internationale et de nourrir ainsi ses ambitions, aussi bien dans le business qu'en politique. Se retrouver à Moscou en 1987, c'est une manière de montrer qu'il ne se contente pas de développer de l'immobilier à New York, mais qu'il peut aller partout. Ce qui attire Trump à l'époque, c'est l'ascension, il veut être reconnu dans le grand monde de la jet-set politico-médiatique.
« À chaque fois qu'il approchait de la faillite, on a vu des oligarques et des mafieux injecter de l'argent dans les projets immobiliers de Trump »

À l'époque, l'un des conseillers, le fameux avocat Roy Cohn, lui souffle l'idée de se proposer comme négociateur en chef auprès de Reagan sur le désarmement nucléaire entre la Russie et les États-Unis – une autre façon de jouer dans la cour des grands à Washington. Tout en reprenant les éléments de langage de Moscou sur le sujet…

« Trump dans la main des Russes », écrivez-vous en sous-titre de votre livre. Mais la relation est-elle à ce point aussi asymétrique, aujourd'hui ?

Force est de constater que, jusqu'à présent, les prises de position de Trump sont généralement favorables au Kremlin. Il faut se souvenir de l'épisode de leur rencontre à Helsinki en 2018 : interrogé sur les soupçons d'ingérence russe pendant la campagne de 2016, Trump répond qu'il fait plus confiance à Poutine qu'à la CIA ! Et on découvre un Trump, à l'attitude d'ordinaire si tonitruante et volontariste, qui ressemble d'un coup à un petit garçon à côté de Poutine.

En fait, Trump admire profondément Poutine, comme le décrit bien son ancienne conseillère sur la Russie, Fiona Hill, dans un livre (There is nothing for you here, 2021, non-traduit). Elle raconte comment elle a observé le président américain se mettre à, selon ses termes, « suivre le ‘‘mode d'emploi'' autoritaire de Poutine ». C'est une image, mais ça en dit long sur l'influence qui s'exerce.

Trump est fasciné par la façon dont Poutine dirige son pays et par la mise en scène de son pouvoir. Il est un modèle, qui coche toutes les cases dont Trump rêve – puissance, richesse, célébrité – et avec qui il partage un même ADN sociopolitique : le culte de la puissance, des hommes forts, de la grandeur de l'État, une vraie aversion pour la démocratie libérale et le mépris des peuples qui va avec, la dénonciation des élites et la soumission de la vérité à la politique.

Comment interprétez-vous le choix de Donald Trump d'accélérer sur le dossier ukrainien ces tout derniers jours ?

Plusieurs hypothèses circulent à ce sujet. Certains lui prêtent une grande ambition géopolitique qui consisterait à casser l'alliance entre la Russie et la Chine pour mieux isoler cette dernière – qui serait sa véritable obsession sur le plan international. Quand on connaît un peu son fonctionnement et sa façon de prendre des décisions, tels qu'ils sont très bien décrits dans la biographie que lui a consacréela journaliste Maggie Habermanpar exemple, on peut douter qu'il soit animé d'une telle vision stratégique. Trump, c'est quelqu'un qui donne parfois raison au dernier qui a parlé, tout simplement…

Difficile aussi, à mon sens, de le justifier par un choix purement économique : les échanges entre la Russie et les États-Unis, pour l'heure, restent dérisoires au regard du commerce international, sans compter que ces deux pays sont en concurrence sur leurs exportations de gaz et de pétrole.

Un autre argument consiste à y voir un coup médiatique, avec l'envie d'apparaître pour un héros ou un faiseur de paix – quitte peut-être même à revendiquer le prix Nobel ensuite, qui sait. Pourquoi pas, c'est sûr que Trump est très attaché à montrer qu'il est efficace dans son action politique – c'était la même idée lorsqu'il disait qu'il allait régler le conflit à Gaza en 24 heures.

Je pense qu'il y a surtout un enjeu plus politique : en remettant en cause la démocratie américaine comme il le fait depuis son retour à la Maison blanche, et en s'attaquant directement à l'article 2 de la Constitution [qui définit les pouvoirs de l'exécutif, dont le président, ndlr] pour tenter de concentrer tous les pouvoirs, Trump sait bien qu'il va être attaqué. Chez lui par le camp démocrate et par l'establishment qui reste puissant, mais plus largement aussi par le camp des démocraties libérales.

Il a donc besoin de trouver de nouveaux alliés, à même de le légitimer dans son mouvement politique. Proposer un deal favorable à la Russie sur la question ukrainienne, c'est évidemment une bonne manière de plaire à Poutine et d'entretenir un lien fort avec lui.

Du côté de Poutine, est-ce une aubaine pour poursuivre sa stratégie d'expansion à l'égard de l'Europe ?

De la même façon, je crois que pour comprendre la politique étrangère de Poutine, il faut comprendre sa situation sur le plan intérieur. Poutine a besoin de légitimer son pouvoir et de justifier son autoritarisme absolu – le truquage des élections, l'emprisonnement des opposants, etc.

Dans les dictatures, on est toujours très attentif à l'opinion, et Poutine fait énormément de sondages pour prendre le pouls de la population. Il doit constamment s'assurer qu'il reste légitime, par-delà la peur, la violation des droits de l'Homme, l'État policier, etc.

De ce point de vue, l'Europe reste une voisine gênante, elle exhibe son modèle de liberté juste sous le nez des Russes et fait fantasmer les élites intellectuelles qui rêvent de démocratie – en témoignent toutes les révolutions colorées dans les anciens pays soviétiques. De ce fait, l'Europe menace directement les fondements de son régime, c'est pour ça que Moscou veille autant à préserver sa sphère d'influence sur l'ancien espace soviétique.

C'est par exemple tout l'enjeu de l'instrumentalisation des questions LGBT en Russie, mais également en Hongrie, en Géorgie et ailleurs : c'est devenu un outil géopolitique qui sert d'abord à diaboliser l'Occident.

Et Poutine connaît bien Trump. À travers ses récentes velléités expansionnistes sur le Canada ou le Groenland, Poutine l'observe réhabiliter à sa façon la vieille doctrine Monroe. Il lui propose un partage : tu as ton aire d'hégémonie sur le territoire américain, moi je veux la mienne sur l'Europe de l'Est !

Croyez-vous à l'hypothèse de l'extension de la guerre à l'intérieur même des frontières de l'Union européenne ou de l'Otan ?

Difficile à dire. Pour l'heure, je n'en suis pas convaincu, mais on ne peut pas tout à fait exclure l'hypothèse, concernant la Pologne notamment. Il y a une sorte de pensée profonde en Russie qui considère que la Pologne n'est pas légitime, qu'elle fait fondamentalement partie de la Russie, un peu comme la Crimée.

Le moteur, ce n'est pas tant de contrôler l'Europe que de l'affaiblir. C'est ce qu'a théorisé la doctrine Karaganov, qui fixe la ligne de la politique étrangère russe. L'enjeu pour Poutine, c'est tout ce qui pourrait alimenter la crise larvée du multilatéralisme, en obligeant l'Otan et les États-Unis à réagir – ou mieux, justement, à ne pas réagir. Ce qui tuerait de facto le fameux article 5 de l'Alliance [qui oblige chacun des membres à intervenir en cas d'agression contre un autre État membre, ndlr].

Qu'en est-il de la Géorgie, où vous habitez depuis plus de vingt ans ? L'année 2024 y a été émaillée d'importantes mobilisations contre l'ingérence russe.

Il ne faut jamais oublier que la guerre en Ukraine a commencé ici, en Géorgie, en 2008, avec le conflit autour de l'Ossétie du Sud. C'est le même mouvement et les mêmes motivations, la même guerre pour sécuriser un espace face à des territoires qui affirment de plus en plus leur désir d'Europe et d'Occident. On pourrait presque parler de guerre géorgo-ukrainienne, tant ce qui se passe actuellement en Ukraine en est le prolongement direct.

En Géorgie, l'homme qui règne aujourd'hui sur le pouvoir depuis plus de dix ans, Bidzina Ivanichvili, est un oligarque qui a construit toute sa fortune en Russie. C'est plus qu'un « contact confidentiel » en l'occurrence, car il émane du cœur du pouvoir à Moscou. De par son histoire, il ne peut pas échapper au contrôle du Kremlin.

C'est le principe même des élites et milliardaires russes, qui rêvent souvent de s'émanciper en rachetant des clubs de football, par exemple, mais qui ne peuvent le faire qu'à la condition de rester sous le contrôle de Moscou, au risque sinon d'avoir de gros problèmes.

Ce sont des fortunes qui sont là pour servir le régime, et c'est exactement ce que fait Ivanichvili en Géorgie, en instaurant progressivement les bases d'un régime autoritaire à la russe pour sortir le pays de l'orbite pro-européenne, contre la volonté de la population.

C'était tout l'enjeu de la loi sur les « agents étrangers », directement inspiréed'une loi russe, qui a été adoptée l'an dernier. C'est une façon d'installer un modèle dictatorial tout en éradiquant l'influence occidentale – car les ONG ou les médias indépendants ne peuvent pas vivre sans l'argent étranger. Et ainsi de faire avorter habilement le processus d'adhésion à l'Union européenne, qui ne peut que dire « non », dans ces conditions-là.

En octobre, les élections législatives géorgiennes ont été vivement contestées, après des soupçons de truquage, ce qui a engendré un long mouvement de protestation, avec des manifestations quotidiennes, pendant plus de deux mois. Où en est-on ?

Le mouvement s'est un peu essoufflé, même s'il reste vif. Il y a de la fatigue, d'autant que la répression ne faiblit pas, elle. Aujourd'hui, on risque des amendes de 1700 euros en tant que manifestant. Il y a eu beaucoup de passages à tabac, d'arrestations arbitraires, parfois même des enlèvements en pleine rue. À certains égards, cela rappelle ce qui s'est passé en Biélorussie, même si le degré de violence reste moindre.
« L'Europe reste une voisine gênante, elle exhibe son modèle de liberté juste sous le nez des Russes et fait fantasmer les élites intellectuelles qui rêvent de démocratie »

On voit s'installer un régime de la peur, qui consiste à tuer ce mouvement de protestation. Lequel est par ailleurs très horizontal, sans leader, un peu comme le mouvement de la place Tahrir, en Égypte, en 2011. C'est probablement ce qui a contribué à mettre des dizaines de milliers de gens dans la rue chaque soir – ce qui est considérable dans un pays de trois millions d'habitants.

Face à l'usure du temps, cette horizontalité n'aide pas à engager de nouvelles stratégies dans le bras de fer avec le pouvoir. Ce qui s'y joue est pourtant fondamental : la Géorgie illustre non seulement le sort de l'Europe, mais plus encore, du modèle occidental, avec ses valeurs libérales et démocratiques, qui est aujourd'hui directement menacé par ces régimes populistes et dictatoriaux.

3 mars 2025 Barnabé Binctin
Journaliste indépendant basé à Tbilissi, en Géorgie, et spécialiste de l'ancien espace soviétique. Il est correspondant pour RFI, France 24 et Le Figaro. Il a publié une biographie de Volodymyr Zelensky, Poutine et le Caucase, et l'an dernier une enquête minutieuse sur les relations que Trump entretient historiquement avec le pouvoir russe : Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes.
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