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À Mayotte, une schizophrénie collective

Le 18 octobre, Rémi Carayol publie Mayotte. Département colonie aux éditions La Fabrique. Dans cet ouvrage, le journaliste déconstruit notamment le récit (français) d'une île dont l'histoire est plus complexe qu'il n'y paraît. Afrique XXI en publie des extraits.
Tiré d'Afrique XXI.
« Dans ce livre, je prends le parti d'employer les noms comoriens des quatre îles de l'archipel des Comores et non leurs versions « francisées » issues de l'histoire coloniale : Mayotte est Maore ; la Grande Comore, Ngazidja ; Anjouan, Ndzuani ; et Mohéli, Mwali. » Rémi Carayol (membre du comité éditorial d'Afrique XXI) pose le décor dès la première page de son dernier livre, Mayotte. Département colonie, qui paraît le 18 octobre aux éditions La fabrique.

Car le propos est bien celui-ci : déconstruire un récit colonial véhiculé depuis un siècle et demi pour justifier une colonisation qui ne dit (presque) plus son nom. Maore n'a pas, comme ses « sœurs » comoriennes, accédé à l'indépendance en 1975. Pourtant, « aucune de ces îles ne va sans les autres », rappelle d'emblée le journaliste. En cinquante ans, l'ONU a plusieurs fois condamné la France en vertu du principe selon lequel une décolonisation doit s'effectuer dans le cadre des anciennes frontières pour ne pas atteindre à l'intégrité territoriale d'un pays. En vain.
Pour que la France reste sur place, la réécriture historique est permanente, qu'elle soit du fait de Paris ou de certains Mahorais. Première intox démontée : Maore serait devenue « française » bien avant Nice et la Savoie. En réalité, si les dates semblent donner raison à cette affirmation (l'une des « expression-marteau » qui ancrent durablement une idée dans la tête du public), puisque l'île est « cédée » à la France en 1841, Maore ne devient pas française. Les habitants sont demeurés des indigènes jusqu'en 1946, comme ceux des autres colonies d'Afrique.
Injonctions contradictoires
Au fil des 220 pages, Rémi Carayol s'attache à proposer une lecture le plus juste possible de l'histoire de cette île devenue un département français en 2011 après bien des manipulations. Comment un peuple colonisé en arrive-t-il à revendiquer son attachement à la « métropole » au point d'épouser les thèses racistes de l'extrême droite française, comme celle du « grand remplacement », dont il serait victime à cause des arrivées de Comoriens et, depuis peu, d'Africains du continent ?
Cette particularité mène à une « schizophrénie collective » des Mahorais qui doivent jongler entre les injonctions contradictoires de l'administration coloniale et leurs coutumes séculaires… En définitive, qu'y a-t-il de français à Maore à part les mzungu, qui vivent pour beaucoup dans des « ghettos de Blancs » et qui tentent de maintenir le statu quo ? Cette question devient obsédante quand on referme l'ouvrage.
Afrique XXI publie ci-dessous une partie du chapitre VI intitulé « Peau comorienne, masques français » avec l'autorisation de La Fabrique et de l'auteur.
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L'histoire d'un malentendu
« L'HISTOIRE DE « MAYOTTE FRANÇAISE » EST NÉE D'UN MALENTENDU, ou du moins d'un non-dit. Les drapeaux bleu-blanc-rouge qui volent au vent en permanence sur l'île n'ont pas la valeur que les nostalgiques de l'Empire veulent lui donner. Cette revendication « ne procède pas d'une émotion patriotique pro-française », comme le soulève dès 1976 le journaliste Jean-Claude Guillebaud dans un ouvrage consacré aux « confettis de l'Empire » (1), mais bien d'une volonté, pour les dirigeants du mouvement séparatiste, de rompre avec les autres îles de l'archipel avec l'appui d'une puissance présentée comme protectrice. C'est précisément ce que dit le slogan préféré des partisans de la séparation : « Nous voulons rester français pour être libres. » Ce qui revient à Maoré à vouloir rester colonisés pour être libres.
On ne peut comprendre cette contradiction que si l'on considère que l'attachement à la France, ici, n'est pas le but du projet séparatiste mais le moyen. C'est pourquoi les leaders politiques mahorais se sont battus pendant des années pour obtenir le statut de département. Il ne s'agissait pas de devenir « aussi français que les Français » (le but), mais bien de se munir d'un bouclier institutionnel face aux revendications territoriales de l'État comorien (le moyen), puis, lorsque cette menace s'est éloignée, d'en tirer les bénéfices en matière économique notamment. On ne voulait plus seulement rester français, on voulait désormais devenir département. Sauf que personne, parmi les leaders du mouvement séparatiste, n'a jamais osé dire aux Mahorais ce que signifiait concrètement la départementalisation, ni à quoi elle aboutirait. À force de ressasser le « mot-marteau », on en a fait un dogme incompris. Si bien qu'au fil des ans, le moyen est devenu le but, contribuant à plonger la société mahoraise dans une profonde schizophrénie que l'histoire des « vieilles » colonies et les écrits de Frantz Fanon et d'Albert Memmi aident à comprendre. [...]
La lecture de Fanon est utile lorsqu'on vit dans l'archipel des Comores. Le psychiatre et révolutionnaire martiniquais n'a probablement jamais mis les pieds aux Comores mais certaines lignes qu'il couche sur le papier dans Peau noire, masques blancs (1952) et Les Damnés de la terre (1961) semblent décrire ce qu'il s'y joue aujourd'hui. « Face à l'arrangement colonial le colonisé se trouve dans un état de tension permanente. Le monde du colon est un monde hostile, qui rejette, mais dans le même temps c'est un monde qui fait envie. » Mais il arrive un moment où, « après des années d'irréalisme », le colonisé « prend une conscience très aiguë de ce qu'il ne possède pas », de l'aliénation mentale, de l'inégalité matérielle, et alors il se révolte contre « les seules forces qui lui contestaient son être », les forces du colonialisme. On n'en est pas encore là à Maore, où la remise en cause du système colonial n'est jamais frontale. Mais la multiplication des mouvements sociaux et des grèves générales montre qu'on s'en approche.
Des « contradictions de toutes sortes »
Dans Peau noire, masques blancs, Fanon fait la démonstration que le destin du Noir français (en l'occurrence antillais) est de devenir blanc, que c'est le seul moyen pour lui d'être reconnu en tant qu'être humain, mais que cela relève de l'impossible car cette blancheur restera à jamais hors d'atteinte. Pour Fanon, cette impasse explique les troubles individuels et collectifs qui frappent la société antillaise. Ces troubles, une lointaine consœur de Fanon les a étudiés à Maore. Patricia Janody a exercé la psychiatrie durant plusieurs courts séjours dans l'île entre 2004 et 2011. Et elle en a tiré un très beau récit, L'Odeur de Mayotte. Une clinique des frontières (Epel, 2022).
Elle raconte avoir été confrontée durant ses missions à la difficulté d'exercer dans un tel milieu, « empêtrée dans des contradictions de toutes sortes » (2), à commencer par sa méconnaissance de la langue, un sérieux obstacle dans son travail. Elle décrit et contextualise les troubles qu'elle a rencontrés et aboutit à la conclusion que certains d'entre eux sont directement liés à la situation politique. Elle narre notamment le cas d'une patiente dépressive, dénommée « Ahmed ».
Janody est surprise qu'une femme porte le prénom d'un homme. Grâce à l'aide de l'interprète, elle découvre l'ingénierie proprement coloniale qui a abouti à cette situation. « Ahmed » et l'interprète lui expliquent que jusqu'à récemment, un nouveau-né mahorais recevait son nom d'après trois degrés de filiation : le nom du nouveau-né + le nom du père + le nom du grand-père paternel. Ainsi dans le système comorien, à chaque génération, le nom du père vient s'ajouter à celui du fils. Abdou Madi signifie « Abdou, fils de Madi ». Mais ce modèle ancestral, considéré comme fiable et cohérent par les Comoriens, ne correspond pas à celui en vigueur en France : prénom + patronyme.
Durant toute la période coloniale et même après, les autorités l'ont toléré d'autant plus aisément que la plupart des Comoriens avaient peu de rapports avec l'administration. Mais au milieu des années 1990, lorsque la « marche vers le droit commun » a été engagée à Maore [le nom comorien de Mayotte, NDLR], accentuant le contrôle étatique des populations, l'administration a entrepris de tout remettre à plat, à sa convenance, ce que Janody appelle une « opération de substitution radicale ». Un immense chantier a été lancé pour renommer les gens. Une commission spéciale « relative aux noms patronymiques » a été mise sur pied en 1996. L'année suivante, une brochure intitulée « Le Livre des noms et prénoms mahorais », diffusée par la préfecture, proposait une liste de « prénoms susceptibles de devenir des noms patronymiques » – dont très peu de noms d'origine arabe et de signification religieuse musulmane, comme l'a constaté en 1999 un trio de chercheurs (3).
« Le village et la religion restent au centre de nos vies »
Un an plus tard, une ordonnance fixe les nouvelles règles qui prévoient que « les Mahorais de statut personnel doivent choisir un nom patronymique parmi une liste établie par une commission du nom patronymique créée en 1997 ». Une commission de révision de l'état civil, la CREC, est chargée d'effacer le nom des Mahorais et de leur en attribuer un nouveau, suivant des critères qui échappent bien souvent aux principaux concernés. En dix ans, elle a rendu 85 000 décisions ayant conduit à l'édition de 240 000 actes d'état civil. Du jour au lendemain, on peut ainsi changer de nom ou de prénom. La plupart en rient mais d'autres le vivent mal. « Quand le contexte social soutient le processus, il y a moyen de s'identifier à son nom en souplesse, en laissant glisser ailleurs qu'en soi ses effets de dérobement », constate Patricia Janody.
Mais quand « le contexte social n'est pas cohérent [...] il ne reste guère qu'à en endosser la faille à titre individuel, c'est-à-dire à produire un symptôme ». C'est ce qui est arrivé à « Ahmed », qui a hérité d'un nom masculin bien malgré elle. « Les modalités sont, dans la situation qui nous occupe, littéralement stupéfiantes, poursuit la psychiatre. [...] Elles ne sont pas issues de changements de place au sein d'une société, mais bien de l'imposition d'un autre système de nomination ». Cette dépossession abrupte, « Ahmed » ne l'a pas acceptée... « Mais d'où provient donc la folie ? se demande la psychiatre. D'une faille propre au sujet qui délire, ou bien des sociétés qui désarticulent, sans préavis, les règles d'inscription, d'usage et de transmission du nom ? »
Bien sûr, « Ahmed » a continué de se faire appeler par son vrai nom dans son village, comme tous les Mahorais ou presque. La vie au village n'est pas la même qu'en ville et dans la société comorienne, elle reste cardinale. « On peut faire toutes les réformes qu'on veut, le village et la religion restent au centre de nos vies », m'a un jour expliqué l'actuel sénateur Saïd Omar Oili. De nombreux travaux de recherche l'ont documenté, comme ceux de Nicolas Roinsard : « Sous les eaux agitées de la départementalisation et de ses mesures assimilationnistes, la vie sociale demeure en partie régie selon des logiques d'intégration et d'obligations fondées sur l'appartenance villageoise et familiale, l'ethos musulman, les rapports de genre, etc. » (4).
Une société à deux facettes
C'est ainsi qu'une société à deux facettes s'est constituée : côté pile, ce que l'on veut bien montrer aux Blancs ; côté face, la vie telle qu'on l'entend. D'un côté, la société de la départementalisation et du droit commun : l'école laïque, l'économie marchande déclarée, le français comme langue officielle, etc. De l'autre, la société mahoraise et donc comorienne : les mariages religieux, le travail non déclaré, la prédominance des langues vernaculaires, etc. Un chiffre illustre cette résistance selon Roinsard : 98 % des mariages demeurent coutumiers. « Chassez le culturel, il revient au galop », ironisait Lou Bellétan en 1993 (5).
Ainsi, la polygamie est interdite, mais toujours pratiquée : selon une étude de l'Insee, un homme sur dix était polygame à Maore en 2017, soit à peu près le même taux qu'en 1991 (13 %), lorsque cette pratique était autorisée (6). En 2024, la polygamie est encore très courante, y compris chez les jeunes. Ce serait même « redevenu à la mode », estime Saïd Omar Oili, et pour cause : par l'effet des flux migratoires, il y a plus de femmes que d'hommes sur l'île (12 000 de plus, selon l'Insee), et le fossé est particulièrement important chez les 20-40 ans (7) . Or la pression familiale et au village est telle sur les femmes célibataires qui ont passé la trentaine qu'elles finissent par épouser le premier venu, ou que leurs parents le leur imposent, même s'il a déjà une (ou plusieurs) épouse(s) et même si c'est un « Comorien » venu des autres îles. [...]
Cette cohabitation entre deux mondes qui s'évitent, s'ignorent et entre lesquels les passerelles sont assez rares se reflète dans la pratique de la langue. Roinsard rappelle qu'en 2012 le français était la langue maternelle d'un habitant de Maore sur dix seulement et que plus de la moitié (58 %) de la population en âge de travailler ne maîtrisait pas le français écrit – un véritable obstacle à l'accès au travail salarié. En 2019, seuls 55 % des habitants de Maore déclaraient maîtriser le français (75 % parmi les natifs de l'île (8)). Cette dichotomie entre la langue officielle, indispensable mais peu ou mal maîtrisée, et la langue officieuse parlée par l'immense majorité de la population, y compris les « étrangers », mais incomprise de la petite minorité venue de « métropole » qui détient le pouvoir, est un des marqueurs les plus saisissants de la colonialité mahoraise.
Résistance passive
« Muni de sa seule langue, le colonisé est un étranger dans son propre pays », écrivait en 1957 Albert Memmi dans son Portrait du colonisé. « La possession de deux langues n'est pas seulement celle de deux outils, c'est la participation à deux royaumes psychiques et culturels. Or ici, deux univers symbolisés, portés par les deux langues, sont en conflit. Ce sont ceux du colonisateur et du colonisé. En outre, la langue maternelle du colonisé, celle qui est nourrie de ses sensations, ses passions et ses rêves [...], celle enfin qui recèle la plus grande charge affective, celle-là précisément est la moins valorisée [...] Dans le conflit linguistique qui habite le colonisé, sa langue maternelle est l'humiliée, l'écrasée » (9).
Comme Fanon, Memmi a lui aussi proposé une critique radicale du système colonial. La lecture de ses deux courts essais, Portrait du colonisé et Portrait du colonisateur, publiés en 1957 et fondés sur ses observations sous la colonisation française en Tunisie, offre parfois un miroir déconcertant : c'est comme si les portraits qu'il dresse étaient tirés de la situation à Maore. Le colonisé, écrit-il, « tente soit de devenir autre, soit de reconquérir toutes ses dimensions, dont l'a amputé la colonisation ». Sa première tentative est de changer de peau, de tenter de copier le « modèle tentateur » tout proche du colonisateur qui, lui, « a tous les droits, jouit de tous les biens et bénéficie de tous les prestiges ». Il s'arrache de lui-même et « pour se libérer, du moins le croit-il, il accepte de se détruire ». Mais lorsqu'il se rend compte que l'assimilation est une quête impossible, il se révolte et entreprend de se libérer « par la reconquête de soi ».
Cette reconquête ne prend pas forcément les contours que l'on attend. À Maore, où la revendication frontale de l'indépendance est pour l'heure inenvisageable, elle s'exprime par la résistance passive décrite plus haut, mais aussi par la multiplication des mouvements sociaux depuis le milieu des années 2000. Les Mahorais ne sont plus prêts à faire des efforts inconsidérés sans en recevoir quelques bénéfices. Les instituteurs réclament l'indexation des salaires, les chômeurs une indemnité digne de ce nom, les travailleurs du privé exigent un salaire minimum aligné sur celui en vigueur dans l'Hexagone... Il s'agit de « monnayer l'acculturation », selon le sociologue David Guyot. [...] »
Notes
1- Jean-Claude Guillebaud, Les Confettis de l'Empire. Djibouti, Martinique, Guadeloupe, Réunion, Tahiti, Nouvelle-Calédonie, Guyane, Paris, Seuil, 1976
2- Mohamed Anssoufouddine, Patricia Janody, Les maux/les mots n'appartiennent à personne. Rejouer les frontières d'aujourd'hui, KomEDIT, 2023
3- Mohamed M'Trengoueni, Soilihi Moukhtar, Noël Gueunier, « “NOM, Prénom” : une étape vers l'uniformisation culturelle ? Identité et statut juridique à Mayotte (Océan Indien Occidental) », Revue des sciences sociales, n° 26, 1999.
4- Nicolas Roinsard, Une situation postcoloniale. Mayotte ou le gouvernement des marges, CNRS éditions, 2022.
5- Lou Bellétan, La Guerre de la salive, autoédition, 1993.
6- « Migrations, natalité et solidarités familiales », Insee Analyses Mayotte, n° 12, mars 2017.
7- « Les femmes à Mayotte. Une situation souvent précaire, mais des progrès en matière de formation et d'emploi », Insee Dossier Mayotte n° 3, juillet 2022.
8- Marylise Dehon, Amandine Louguet, « Mayotte, un territoire riche de ses langues et de ses traditions. Enquête Pratiques culturelles à Mayotte en 2019 », Insee Analyses Mayotte n 33, juillet 2022.
9- Albert Memmi, Portrait du colonisateur, Portrait du colonisé, Gallimard, 1985.
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Marx, le communisme et la décroissance — A propos du nouveau livre de Kohei Saito : « Moins ! La décroissance est une philosophie »

Kohei Saito remet le couvert. Dans La nature contre le capital. L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital (Ed. Syllepse, Page2, et M, 2021), le marxologue japonais montrait comment le Marx de la maturité, conscientisé à l'impasse écologique capitaliste par les travaux de Liebig et de Frass, avait rompu avec le productivisme [1]. Son nouvel ouvrage, Moins ! La décroissance est une philosophie (Ed. Seuil, septembre 2024), prolonge la réflexion [2].
Tiré d'À l'encontre.
Ce livre est remarquable et utile en particulier sur quatre points : la nature de classe, foncièrement destructive, des forces productives capitalistes ; la supériorité sociale et écologique des sociétés (dites) « primitives », sans classes ; le débat sur nature et culture avec Bruno Latour et Jason Moore, notamment ; la grosse erreur, enfin, des « accélérationnistes » qui se réclament de Marx pour nier l'impérieuse nécessité d'une décroissance. Ces quatre points sont d'une importance politique majeure aujourd'hui, non seulement pour les marxistes soucieux d'être à la hauteur du défi écosocial lancé par la crise systémique du capitalisme, mais aussi pour les activistes écologiques. Le livre a les mêmes qualités que le précédent : il est érudit, bien construit, subtil et éclairant dans la présentation de l'évolution intellectuelle de Marx après 1868. Il a malheureusement aussi le même défaut : il présente pour acquis ce qui n'est qu'hypothèse. Une fois encore, Saito force le trait à vouloir trouver chez Marx la parfaite anticipation théorique des combats d'aujourd'hui. [3]
Au commencement était la « faille métabolique »
La première partie de « Marx in the Anthropocene » approfondit l'exploration du concept marxien de « faille métabolique » (« hiatus métabolique » dans la version française du Capital). [4] Saito se place ici dans le sillage de John B. Foster et de Paul Burkett, qui ont montré l'immense importance de cette notion. [5] Saito enrichit le propos en mettant en évidence trois manifestations du phénomène – perturbation des processus naturels, faille spatiale, hiatus entre les temporalités de la nature et du capital – auxquelles correspondent trois stratégies capitalistes d'évitement – les pseudo-solutions technologiques, la délocalisation des catastrophes dans les pays dominés, et le report de leurs conséquences sur les générations futures (p.29 et sq.).
Le chapitre 1 se penche plus particulièrement sur la contribution au débat du marxiste hongrois István Mészáros, que Saito estime décisive dans la réappropriation du concept de métabolisme à la fin du 20e siècle. Le chapitre 2 est focalisé sur la responsabilité d'Engels qui, en éditant les Livres II et III du Capital, aurait diffusé une définition du « hiatus métabolique » tronquée, sensiblement différente de celle de Marx. Pour Saito, ce glissement, loin d'être fortuit, traduirait une divergence entre la vision écologique d'Engels – limitée à la crainte des « revanches de la nature » – et celle de Marx – centrée sur la nécessaire « gestion rationnelle du métabolisme » par la réduction du temps de travail. Le chapitre 3, tout en rappelant les ambiguïtés de György Lukács, rend hommage à sa vision du développement historique du métabolisme humain-nature à la fois comme continuité et comme rupture. Pour Saito, cette dialectique, inspirée de Hegel (« identité entre l'identité et la non-identité ») est indispensable pour se différencier à la fois du dualisme cartésien – qui exagère la discontinuité entre nature et société – et du constructivisme social – qui exagère la continuité (l'identité) entre ces deux pôles et ne peut, du coup, « révéler le caractère unique de la manière capitaliste d'organiser le métabolisme humain avec l'environnement » (p. 91).
Dualisme, constructivisme et dialectique
La deuxième partie de l'ouvrage jette un regard très (trop ?) critique sur d'autres écologies d'inspiration marxiste. Saito se démarque de David Harvey dont il épingle la « réaction négative surprenante face au tournant écologique dans le marxisme ». De fait, « Marx in the Anthropocene » rapporte quelques citations « surprenantes » du géographe étasunien : Harvey semble convaincu de « la capacité du capital à transformer toute limite naturelle en barrière surmontable » ; il confesse que « l'invocation des limites et de la rareté écologique (…) (le) rend aussi nerveux politiquement que soupçonneux théoriquement » ; « les politiques socialistes basées sur l'idée qu'une catastrophe environnementale est imminente » seraient pour lui « un signe de faiblesse ». Géographe comme Harvey, Neil Smith « montrerait la même hésitation face à l'environnementalisme », qu'il qualifie de « apocalypsisme ». Smith est connu pour sa théorie de « la production sociale de nature ». Saito la récuse en estimant qu'elle incite à nier l'existence de la nature comme entité autonome, indépendante des humains : c'est ce qu'il déduit de l'affirmation de Smith que « la nature n'est rien si elle n'est pas sociale » (p. 111). D'une manière générale, Saito traque les conceptions constructivistes en posant que « la nature est une présupposition objective de la production ». Il ne fait aucun doute que cette vision était aussi celle de Marx. Le fait incontestable que l'humanité fait partie de la nature ne signifie ni que tout ce qu'elle fait serait dicté par sa « nature », ni que tout ce que la nature fait serait construit par « la société ».
Destruction écologique : les « actants » ou le profit ?
Dans le cadre de cette polémique, l'auteur consacre quelques pages très fortes à Jason Moore. Il admet que la notion de Capitalocène « marque une avancée par rapport au concept de ‘production sociale de nature' », car elle met l'accent sur les interactions humanité/environnement. Il reproche cependant à Moore d'épouser que les humains et les non-humains seraient des « actants » travaillant en réseau à produire un ensemble intriqué – « hybride » comme dit Bruno Latour. C'est un point important. En effet, Moore estime que distinguer une « faille métabolique » au sein de l'ensemble-réseau est un contresens, le produit d'une vision dualiste. Or, la notion de « métabolisme » désigne la manière dont les organes différents d'un même organisme contribuent spécifiquement au fonctionnement du tout. Elle est donc aux antipodes du dualisme (comme du monisme d'ailleurs) et on en revient à la formule de Hegel : il y a « identité de l'identité et de la non-identité ». « Marx in the Anthropocene » s'attaque aussi aux thèses de Moore par un autre biais – celui du travail. Pour Moore, en effet, le capitalisme est mû par l'obsession de la « Cheap Nature » (nature bon marché) qui englobe selon lui la force de travail, l'énergie, les biens alimentaires et les matières premières. Moore se réclame de Marx, mais il est clair que sa « Cheap nature » escamote le rôle exclusif du travail abstrait dans la création de (sur)valeur, ainsi que le rôle clé de la course à la survaleur dans la destruction écologique. Or, la valeur n'est pas un « actant hybride » parmi d'autres. Comme dit Saito, elle est « purement sociale » et c'est par son truchement que le capitalisme « domine les processus métaboliques de la nature » (pp. 121-122).
Il est clair en effet que c'est bien la course au profit qui creuse la faille métabolique, notamment en exigeant toujours plus d'énergie, de force de travail, de produits agricoles et de matières premières « bon marché ». De toutes les ressources naturelles que le capital transforme en marchandises, la force de travail « anthropique » est évidemment la seule capable de créer un indice aussi purement « anthropique » que la valeur abstraite. Comme le dit Saito : c'est « précisément parce que la nature existe indépendamment de et préalablement à toutes les catégories sociales, et continue à maintenir sa non-identité avec la logique de la valeur, (que) la maximisation du profit produit une série de disharmonies au sein du métabolisme naturel ». Par conséquent, la « faille n'est pas une métaphore, comme Moore le prétend. La faille existe bel et bien entre le métabolisme social des marchandises ainsi que de la monnaie, et le métabolisme universel de la nature » (ibid). « Ce n'est pas par dualisme cartésien que Marx a décrit d'une manière dualiste la faille entre le métabolisme social et le métabolisme naturel – de même que la faille entre le travail productif et le travail improductif. Il l'a fait consciemment, parce que les relations uniquement sociales du capitalisme exercent un pouvoir extranaturel (alien power) dans la réalité ; une analyse critique de cette puissance sociale requiert inévitablement de séparer le social et le naturel en tant que domaines d'investigation indépendants et d'analyser ensuite leur emboîtement. » (p. 123) Imparable. Il ne fait aucun doute, encore une fois, que cette vision de « l'emboîtement » du social dans l'environnemental était celle de Marx.
Accélérationnisme vs. anti-productivisme
Le chapitre 5 polémique avec une autre variété de marxistes : les « accélérationnistes de gauche ». Selon ces auteurs, les défis écologiques ne peuvent être relevés qu'en démultipliant le développement technologique, l'automation, etc. Cette stratégie, pour eux, est conforme au projet marxien : il faut abattre les entraves capitalistes à la croissance des forces productives pour possibiliser une société de l'abondance. Cette partie de l'ouvrage est particulièrement intéressante car elle éclaire la rupture avec le productivisme et le prométhéisme des années de jeunesse. La rupture n'est probablement pas aussi nette que Saito le prétend [6], mais il y a incontestablement un tournant. Dans Le Manifeste communiste, Marx et Engels expliquent que le prolétariat doit « prendre le pouvoir pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, centraliser tous les moyens de production aux mains de l'Etat et augmenter au plus vite la quantité des forces productives ». [7] Il est frappant que la perspective de ce texte est résolument étatiste et que les forces productives y sont considérées comme neutres socialement ; elles forment un ensemble de choses qui doit changer de mains (être « arraché petit à petit à la bourgeoisie ») pour grandir quantitativement.
Les accélérationistes sont-ils pour autant fondés à se réclamer de Marx ? Non, car Marx a abandonné la conception exposée dans le Manifeste. Kohei Saito attire l'attention sur le fait que son œuvre majeure, Le Capital, ne traite plus des « forces productives » en général (anhistoriques), mais de forces productives historiquement déterminées – les forces productives capitalistes. Le long chapitre XV du Livre 1 (« Machinisme et grande industrie ») décortique les effets destructeurs de ces forces, à la fois sur le plan social et sur le plan environnemental. On pourrait ajouter ceci : il n'est pas fortuit que ce soit précisément ce chapitre qui s'achève sur la phrase suivante, digne d'un manifeste écosocialiste moderne : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ». [8] Il n'est plus question ici de neutralité des technologies. Le capital n'est plus saisi comme une chose mais comme un rapport social d'exploitation et de destruction, qui doit être détruit (« négation de la négation »). Notons que Marx, après la Commune de Paris, précisera que rompre avec le productivisme nécessite aussi de rompre avec l'étatisme.
Il est étonnant que Kohei Saito ne rappelle pas la phrase du Manifeste citée ci-dessus, où le prolétariat est exhorté à prendre le pouvoir pour « augmenter au plus vite la quantité des forces productives ». Cela aurait donné plus de relief encore à sa mise en évidence du changement ultérieur. Mais peu importe : le fait est que le tournant est réel et débouche au Livre III du Capital sur une magnifique perspective de révolution en permanence, résolument anti-productiviste et anti-technocratique : « La seule liberté possible est que l'homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leur métabolisme avec la nature et qu'ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force, dans les conditions les plus dignes de la nature humaine. La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. » [9] L'évolution est nette. Le paradigme de l'émancipation humaine a changé : il ne consiste plus en la croissance des forces productives mais en la gestion rationnelle des échanges avec la nature et entre les humains.
Subsomption formelle et subsomption réelle du travail
Les pages les plus riches de « Marx in the Anhropocene », à mon avis, sont celles où Saito montre que le nouveau paradigme marxien de l'émancipation résulte d'un ample effort de critique des formes successives que le capital a imposées au travail. Bien qu'elle fasse partie des travaux préparatoires au Capital, cette critique ne sera publiée que plus tard (« Manuscrits économiques de 1861-1863 »). Sa clé de voûte est l'importante notion de subsomption du travail au capital. Insistons-y en passant : la subsomption est plus que de la soumission : subsumer implique intégrer ce qui est soumis à ce qui soumet. Le capital subsume le salariat puisqu'il intègre la force de travail comme capital variable. Mais, pour Marx, il y a subsomption et subsomption : le passage de la manufacture au machinisme et à la grande industrie implique le passage de la « subsomption formelle » à la « subsomption réelle ». La première signifie simplement que le capital prend le contrôle du procès de travail qui existait auparavant, sans apporter de changement ni à son organisation ni à son caractère technologique. La seconde s'installe à partir du moment où le capital révolutionne complètement et sans arrêt le procès de production – non seulement sur le plan technologique mais aussi sur le plan de la coopération – c'est-à-dire des relations productives entre travailleurs.euses et entre travailleurs.euses et capitalistes. Se crée ainsi un mode de production spécifique, sans précédent, entièrement adapté aux impératifs de l'accumulation du capital. Un mode dans lequel, contrairement au précédent, « le commandement par le capitaliste devient indispensable à la réalisation du procès de travail lui-même » (p. 148).
Saito n'est pas le premier à pointer le caractère de classe des technologies. Daniel Bensaïd soulignait la nécessité que « les forces productives elles-mêmes soient soumises à un examen critique ». [10] Michaël Löwy défend qu'il ne suffit pas de détruire l'appareil d'Etat bourgeois – l'appareil productif capitaliste aussi doit être démantelé. [11] Cependant, on saura gré à Saito de coller au plus près du texte de Marx pour résumer les implications en cascade de la subsomption réelle du travail : celle-ci « augmente considérablement la dépendance des travailleurs vis-à-vis du capital » ; « les conditions objectives pour que les travailleurs réalisent leurs capacités leur apparaissent de plus en plus comme une puissance étrangère, indépendante » ; « du fait que le capital en tant que travail objectivé – moyens de production – emploie du travail vivant, la relation du sujet et de l'objet est inversée dans le processus de travail » ; « le travail étant incarné dans le capital, le rôle du travailleur est réduit à celui de simple porteur de la chose réifiée – les moyens de préserver et de valoriser le capital à côté des machines – tandis que la chose réifiée acquiert l'apparence de la subjectivité, puissance étrangère qui contrôle le comportement et la volonté de la personne » ; « l'augmentation des forces productives étant possible seulement à l'initiative du capital et sous sa responsabilité, les nouvelles forces productives du travail social n'apparaissent pas comme les forces productives des travailleurs eux-mêmes mais comme les forces productives du capital » ; « le travail vivant devient (ainsi) un pouvoir du capital, tout développement des forces productives du travail est un développement des forces productives du capital ». Deux conclusions non productivistes et non technocratiques s'imposent alors avec force : 1°) « le développement des forces productives sous le capitalisme ne fait qu'augmenter le pouvoir extérieur du capital en dépouillant les travailleurs de leurs compétences subjectives, de leur savoir et de leur vision, il n'ouvre donc pas automatiquement la possibilité d'un avenir radieux » ; 2°) le concept marxien de forces productives est plus large que celui de forces productives capitalistes – il inclut des capacités humaines telles que les compétences, l'autonomie, la liberté et l'indépendance et est donc à la fois quantitatif et qualitatif » (p. 149-150).
Quel matérialisme historique ? Quelle abondance ?
Ces développements amènent Kohei Saito à réinterroger le matérialisme historique. On sait que la Préface à la critique de l'économie politique contient le seul résumé que Marx ait fait de sa théorie. On y lit ceci : « A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une période de révolution sociale ». [12] Il semble clair que Marx ne pouvait plus adhérer littéralement à cette formulation – et encore moins à celle du Manifeste sur l'augmentation quantitative des forces productives – dès lors que son analyse l'amenait à conclure que le développement des dites forces renforce l'emprise du capital et mutile l'agentivité de celleux qu'il exploite. Comme le dit Saito : « On ne peut plus assumer qu'une révolution socialiste pourrait simplement remplacer les relations de production par d'autres une fois atteint un certain niveau de forces productives. Puisque les forces productives du capital engendrées par la subsomption réelle sont matérialisées et cristallisées dans le mode capitaliste de production, elles disparaissent en même temps que le mode de production ». Transférer la propriété du capital à l'Etat ne changerait pas le problème : les forces productives restant inchangées, 1°) les tâches de conception devraient être assurées par une « classe bureaucratique », 2°) la destruction écologique continuerait. L'auteur en conclut que « la subsumption réelle pose un problème difficile de ‘gestion socialiste libre'. La vision traditionnelle du matérialisme historique, synthétisée dans la Préface, n'indique aucune piste de solution » et « Marx n'a pas été à même d'apporter une réponse définitive à ces questions, même dans Le Capital, de sorte que nous devons aller au-delà » (pp. 157-158).
« Aller au-delà » est ce qui est proposé dans la troisième partie de son ouvrage, et c'est elle qui soulève le plus de polémiques. La question de départ est simple : si l'émancipation ne passe pas par la libre croissance des forces productives, donc par ce que Daniel Bensaid appelait le « joker de l'abondance » [13] par où pourrait-elle passer ? Par « la réduction d'échelle et le ralentissement de la production », répond Saito (p. 166). Pour l'auteur, en substance, l'abondance doit s'entendre non comme pléthore de biens matériels privés – sur le modèle à la fois consumériste et excluant de l'accumulation de marchandises accessibles uniquement à la seule demande solvable – mais comme profusion de richesses sociales et naturelles communes. Sans cela, « l'option restante devient le contrôle bureaucratique de la production sociale, qui a causé l'échec de la voie soviétique » (p. 166).
Décroissance, économie stationnaire et transition
« Marx in the Anthropocene » entend donc plaider pour un « communisme de la décroissance », profondément égalitaire, axé sur la satisfaction des besoins réels. Selon Saito, ce communisme était celui des communautés dites « archaïques », dont certains traits ont subsisté longtemps sous des formes plus ou moins dégradées dans des systèmes agraires basés sur la propriété collective de la terre, en Russie notamment. Pour le Marx de la maturité, il s'agit de beaucoup plus que des survivances d'un passé révolu : ces communautés indiquent qu'après avoir « exproprié les expropriateurs », la société, pour abolir toute domination, devra progresser vers une forme plus élevée de la communauté « archaïque ». J'adhère pleinement à cette perspective, mais avec un bémol : Saito force gravement le trait en prétendant que « 14 années d'étude sérieuse des sciences naturelles et des sociétés précapitalistes » auraient amené Marx en 1881 à avancer « son idée du communisme décroissant » (p. 242) Cette affirmation est excessive. Prise littéralement, elle ne repose sur aucun document connu. Du coup, pour qu'elle ait malgré tout une once de plausibilité (et encore : à condition de la formuler comme une hypothèse, pas comme une certitude !) Saito est obligé de recourir à une succession d'amalgames : faire comme si la critique radicale de l'accumulation capitaliste par Marx était la même chose que l'économie stationnaire, comme si les communautés « archaïques » étaient stationnaires, et comme si l'économie stationnaire était la même chose que la décroissance. Cela fait beaucoup de « si », néglige des différences essentielles… et ne nous fait pas avancer dans le débat sur les enjeux de la décroissance au sens où elle se discute aujourd'hui entre anticapitalistes, c'est-à-dire au sens littéral de la réduction de la production imposée objectivement par la contrainte climatique. Voyons cela de plus près.
Laissons le PIB de côté et considérons uniquement la production matérielle : une société post-capitaliste dans un pays très pauvre romprait avec la croissance capitaliste mais devrait accroître la production pendant une certaine période pour répondre à l'énorme masse de besoins réels insatisfaits ; une économie stationnaire utiliserait chaque année la même quantité de ressources naturelles pour produire la même quantité de valeurs d'usage avec les mêmes forces productives ; quant à une économie décroissante, elle réduirait les prélèvements et la production. En mettant un signe d'égalité entre ces formes, Kohei Saito entretient une confusion regrettable. « Il devrait maintenant être clair, écrit-il, que le socialisme promeut une transition sociale vers une économie de décroissance » (p.242). C'est fort mal formulé, car la décroissance n'est pas un projet de société, juste une contrainte qui pèse sur la transition. Une « économie de décroissance », en tant que telle, cela ne veut rien dire. Certaines productions doivent croître et d'autres décroître au sein d‘une enveloppe globale décroissante. Pour coller au diagnostic scientifique sur le basculement climatique, il faut dire à peu près ceci : planifier démocratiquement une décroissance juste est le seul moyen de transiter rationnellement vers l'écosocialisme. En effet, étant donné qu'un nouveau système énergétique 100% renouvelables doit forcément être construit avec l'énergie du système actuel (qui est fossile à 80%, donc source de CO2), il n'y a en gros que deux stratégies possibles pour supprimer les émissions : soit on réduit radicalement la consommation finale d'énergie (ce qui implique de produire et transporter globalement moins) en prenant des mesures anticapitalistes fortes (contre les 10%, et surtout le 1% le plus riche) ; soit on mise sur la compensation carbone et sur le déploiement massif à l'avenir d'hypothétiques technologies de capture-séquestration du carbone, de capture-utilisation ou de géoingénierie, c'est-à-dire sur des solutions d'apprentis-sorciers entraînant encore plus de dépossessions, d'inégalités sociales et de destructions écologiques. Nous proposons l'expression « décroissance juste » comme axe stratégique des marxistes antiproductivistes d'aujourd'hui. Faire de la décroissance un synonyme de l'économie stationnaire n'est pas une option car cela équivaut à baisser le volume de l'alarme incendie.
La commune rurale russe, la révolution et l'écologie
La perspective d'une décroissance juste doit beaucoup à l'énorme travail pionnier de Marx, mais il n'y a pas de sens à affirmer qu'il en est le concepteur, car Marx n'a jamais plaidé explicitement pour une diminution nette de la production. Pour en faire le père du « communisme décroissant », Saito se base quasi exclusivement sur un texte célèbre et d'une importance exceptionnelle : la lettre à Vera Zasoulitch. [14] En 1881, la populiste russe avait demandé à Marx, par courrier, son avis sur la possibilité, en Russie, de s'appuyer sur la commune paysanne pour construire le socialisme directement – sans passer par le capitalisme. La traduction russe du Capital avait déclenché un débat sur cette question parmi les opposants au tsarisme. Marx rédigea trois brouillons de réponse. Ils attestent sa rupture profonde avec la vision linéaire du développement historique, donc aussi avec l'idée que les pays capitalistes les plus avancés seraient les plus proches du socialisme. A ce sujet, la dernière phrase est claire comme de l'eau de roche : « Si la révolution se fait en temps opportun, si elle concentre toutes ses forces pour assurer l'essor libre de la commune rurale, celle-ci se développera bientôt comme un élément régénérateur de la société russe et comme élément de supériorité sur les pays asservis par le régime capitaliste ».
Pour Saito, ce texte signifie que la dégradation capitaliste de l'environnement avait conduit Marx, après 1868, à « abandonner son schéma de matérialisme historique antérieur. Ce ne fut pas une tâche aisée pour lui, dit-il. Sa vision du monde était en crise. En ce sens, (ses) recherches intensives au cours de ses dernières années (sur les sciences naturelles et les sociétés précapitalistes, D.T.) étaient une tentative désespérée de reconsidérer et de reformuler sa conception matérialiste de l'histoire à partir d'une perspective entièrement nouvelle, découlant d'une conception radicalement nouvelle de la société alternative » (p. 173). « Quatorze années de recherches » avaient amené Marx « à conclure que la soutenabilité et l'égalité basées sur une économie stationnaire sont la source de la capacité (power) de résistance au capitalisme ». Il aurait donc saisi « l'opportunité de formuler une nouvelle forme de régulation rationnelle du métabolisme humain avec la nature en Europe occidentale et aux Etats-Unis » : « l'économie stationnaire et circulaire sans croissance économique, qu'il avait rejetée auparavant comme stabilité régressive des sociétés primitives sans histoire » (pp. 206-207).
Que penser de cette reconstruction du cheminement de la pensée marxienne à la sauce écolo ? Le narratif a beaucoup pour plaire dans certains milieux, c'est évident. Mais pourquoi Marx a-t-il attendu 1881 pour s'exprimer sur ce point clé ? Pourquoi l'a-t-il fait seulement à la faveur d'une lettre ? Pourquoi cette lettre a-t-elle demandé trois brouillons successifs ? Si vraiment Marx avait commencé à « réviser son schéma théorique en 1860 par suite de la dégradation écologique » (p.204), et si vraiment le concept de faille métabolique avait servi de « médiation » dans ses efforts de rupture avec l'eurocentrisme et le productivisme (p. 200), comment expliquer que la supériorité écologique de la commune rurale ne soit pas évoquée une seule fois dans la réponse à Zasoulitch ? Last but not least : si on peut ne pas exclure que la dernière phrase de cette réponse projette la vision d'une économie post-capitaliste stationnaire pour l'Europe occidentale et les Etats-Unis, ce n'est pas le cas pour la Russie ; Marx insiste fortement sur le fait que c'est seulement en bénéficiant du niveau de développement des pays capitalistes développés que le socialisme en Russie pourra « assurer le libre essor de la commune rurale ». Au final, l'intervention de Marx dans le débat russe semble découler bien plus de son admiration pour la supériorité des rapports sociaux dans les sociétés « archaïques » [15] et de son engagement militant pour l'internationalisation de la révolution que de la centralité de la crise écologique et de l'idée du « communisme décroissant ».
« Offrir quelque chose de positif »
L'affirmation catégorique que Marx aurait inventé ce « communisme décroissant » pour réparer la « faille métabolique » est à ce point excessive qu'on se demande pourquoi Kohei Saito la formule en conclusion d'un ouvrage qui comporte tant d'excellentes choses. La réponse est donnée dans les premières pages du chapitre 6. Face à l'urgence écologique, l'auteur pose la nécessité d'une réponse anticapitaliste, juge que les interprétations productivistes du marxisme sont « intenables », constate que le matérialisme historique est « impopulaire aujourd'hui » parmi les environnementalistes, et estime que c'est dommage (a pity) car ceux-ci ont « un intérêt commun à critiquer l'insatiable désir d'accumulation du capital, même si c'est à partir de points de vue différents » (p. 172). Pour Saito, les travaux qui montrent que Marx s'est détourné des conceptions linéaires du progrès historique, ou s'est intéressé à l'écologie, « ne suffisent pas à démontrer pourquoi des non-marxistes, aujourd'hui, doivent encore prêter attention à l'intérêt de Marx pour l'écologie. Il faut « prendre en compte à la fois les problèmes de l'eurocentrisme et du productivisme pour qu'une interprétation complètement nouvelle du Marx de la maturité devienne convaincante » (p. 199). « Les chercheurs doivent offrir ici quelque chose de positif », « élaborer sur sa vision positive de la société post-capitaliste » (p. 173). Est-ce donc pour donner de façon convaincante cette interprétation « complètement nouvelle » que Saito décrit un Marx fondant successivement et à quelques années de distance « l'écosocialisme » puis le « communisme de la décroissance » ? Il me semble plus proche de la vérité, et par conséquent plus convaincant, de considérer que Marx n'était ni écosocialiste ni décroissant au sens contemporain de ces termes. , Cela n'enlève rien au fait que sa critique pénétrante du productivisme capitaliste et son concept de « hiatus métabolique » sont décisifs pour saisir l'urgente nécessité actuelle d'une « décroissance juste ».
Vouloir à toute force faire entrer la décroissance dans la pensée de Marx est anachronique. Ce n'est d'ailleurs pas nécessaire. Certes, on ne peut pas défendre la décroissance juste et maintenir en parallèle la version productiviste quantitativiste du matérialisme historique. Par contre, la décroissance juste s'intègre sans difficulté à un matérialisme historique qui considère les forces productives dans leurs dimensions quantitatives et qualitatives. Quoiqu'il en soit, nous n'avons pas besoin de la caution de Marx, ni pour admettre la nécessité d'une décroissance juste, ni plus généralement pour élargir et approfondir sa « critique inachevée de l'économie politique ».
Le problème de l'apologie
On peut se demander l'utilité d'une critique des exagérations de Saito. On peut dire : l'essentiel est que « (ce) livre fournit une alimentation utile aux socialistes et aux activistes environnementaux, indépendamment des avis (ou de l'intérêt même d'avoir un avis) sur la question de savoir si Marx était vraiment un communiste décroissant ou pas » [16]. C'est l'essentiel, en effet, et il faut le répéter : « Marx in the Anthropocene » est un ouvrage excellent, notamment parce que ses développements sur les quatre points mentionnés en introduction de cet article sont d'une actualité et d'une importance majeure. Pour autant, le débat sur ce que Marx a dit ou pas n'est pas à sous-estimer car il porte sur la méthodologie à pratiquer dans l'élaboration des outils intellectuels nécessaires à la lutte écosocialiste. Or, cette question-là concerne aussi les activistes non-marxistes.
La méthode de Kohei Saito présente un défaut : elle est apologétique. Ce trait était déjà perceptible dans « Marx's ecosocialism » : alors que le sous-titre de l'ouvrage pointait la « critique inachevée de l'économie politique », l'auteur consacrait paradoxalement tout un chapitre à faire comme si Marx, après Le Capital, avait développé un projet écosocialiste complet. « Marx in the Anthropocene » suit le même chemin, mais de façon encore plus nette. Pris ensemble, les deux ouvrages donnent l'impression que Marx, dans les années 70, aurait fini par considérer la perturbation du métabolisme humanité-nature comme la contradiction centrale du capitalisme, qu'il en aurait d'abord déduit un projet de croissance écosocialiste des forces productives, puis qu'il aurait abandonné celui-ci vers 1880-81 pour tracer une nouvelle voie : le « communisme décroissant ». J'ai tenté de montrer que ce narratif est fort contestable.
Un des problèmes de l'apologie est de surestimer fortement l'importance des textes. Par exemple, Saito donne une importance disproportionnée à la modification par Engels du passage du Capital, Livre III, où Marx parle de la « faille métabolique ». La domination des interprétations productivistes du matérialisme historique au cours du 20e siècle ne s'explique pas avant tout par cette modification : elle découle principalement du réformisme des grandes organisations et de la subsomption du prolétariat au capital. Lutter contre cette situation, articuler les résistances sociales pour mettre l'idéologie du progrès en crise au sein même du monde du travail est aujourd'hui la tâche stratégique majeure des écosocialistes. Les réponses sont à chercher dans les luttes et dans l'analyse des luttes beaucoup plus que dans les Notebooks de Marx.
Plus fondamentalement, l'apologie tend à flirter avec le dogmatisme. « Marx l'a dit » devient trop facilement le mantra qui empêche de voir et de penser en marxistes au sujet de ce que Marx n'a pas dit. Car il n'a évidemment pas tout dit. S'il est une leçon méthodologique à tirer de son œuvre monumentale, c'est que la critique est fertile et que le dogme est stérile. La capacité de l'écosocialisme de relever les défis formidables de la catastrophe écologiques capitaliste dépendra non seulement de sa fidélité mais aussi de sa créativité et de sa capacité à rompre, y compris avec ses propres idées antérieures comme Marx le fit quand c'était nécessaire. Il ne s'agit pas seulement de polir soigneusement l'écologie de Marx mais aussi et surtout de la développer et de la radicaliser. (Publié dans Actuel Marx, 2024 numéro 76. Reproduit avec autorisation de l'auteur)
Voir de même à propos de l'ouvrage de Kohei Saïto, La Nature contre le capital, l'article, édité en deux parties, d'Alain Bihr « L'écologie de Marx à la lumière de la MEGA 2 », publié sur le site alencontre.org en date du 23 novembre 2021.
Notes
[1] Marx's ecosocialism. An unfinished critique of the political economy. Trad. française La nature contre le capital. L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital, Syllepse, 2021.
[2] Marx in the Anthropocene. Towards the Idea of Degrowth Communism. Cambridge University Press, 2022.
[3] Voir mon article « Marx était-il écosocialiste ? Une réponse à Kohei Saito »,gaucheanticapitaliste.org
[4] Karl Marx, Le Capital, Livre III, Moscou, éditions du Progrès, 1984, Chapitre 47, p. 848
[5] Lire en particulier Paul Burkett, Marx and Nature. A Red and Green Perspective. Palgrave Macmillan, 1999. John Bellamy Foster, Marx's Ecology. Materialism and Nature, Monthly Review Press, 2000
[6] On lit déjà dans L'Idéologie allemande (1845-46) : « il arrive un stade dans le développement où naissent des forces productives et des moyens de circulation […] qui ne sont plus des forces productives mais des forces destructrices (le machinisme et l'argent) ». Karl Marx et Friedrich Engels, L'Idéologie allemande, Éditions sociales, 1971, p. 68.
[7] Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, in Œuvres choisies, ed. De Moscou, tome 1, p.130.
[8] Le Capital, Livre I, Garnier-Flammarion, 1969, p. 363.
[9] Le Capital, Livre III, ed. De Moscou, chapitre 48, p. 855.
[10] Daniel Bensaïd, Introduction critique à ‘l'Introduction au marxisme' d'Ernest Mandel, 2e édition, ed. Formation Lesoil, en ligne sur contretemps.eu
[11] Michael Löwy, Ecosocialisme. L'alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Mille et une nuits, 2011, p. 39
[12] Marx-Engels, Œuvres choisies, Tome 1, p.525.
[13] D. Bensaïd, op. cit
[14] Marx et Engels, Œuvres choisies, op. cit. tome 3, p. 156.
[15] Une opinion partagée par Engels : cf. notamment son admiration pour les Zoulous face aux Anglais, dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat.
[16] Diana O'Dwyer, « Was Marx a Degrowth Communist », https://rupture.ie
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Compte rendu du 22 octobre 2024


Détruire la Palestine
Tanya Reinhart
Traduit de l'anglais
Cet essai au titre évocateur est paru il y a une vingtaine d'années. Il nous permet de nous rappeler que le génocide en cours en Palestine n'est que la poursuite de la politique à long terme de l'État d'Israël en vue de détruire la Palestine et les Palestiniens. Parmi toutes les politiques et mesures mises en place pour arriver à cette fin relevées dans ce livre, celle qui m'a le plus répugné est l'emploi de tireurs cachés pour blesser gravement par balle des citoyens palestiniens et les rendre invalides et à la charge d'une population déjà paupérisée - les statistiques sur les personnes blessées par balle ayant un impact beaucoup moins grand sur l'opinion publique mondiale que celles sur les personnes tuées. Le commencement de ce qui se poursuit de façon encore plus grave aujourd'hui avec le consentement et le soutien abjects de l'Occident. Un bouquin qui nous décrit l'état des choses lorsque l'inhumanité dépasse l'entendement...
Extrait :
Depuis l'occupation de 1967, les responsables politiques et militaires israéliens débattent de la meilleure façon de conserver le maximum de terres avec le minimum de Palestiniens.

Hiroshima mon amour
Marguerite Duras
Marguerite Duras a écrit ce scénario pour le film franco-japonais du même nom d'Alain Resnais. C'est un texte d'une grande poésie, fait de souvenirs, qui présente la rencontre d'une Française et d'un Japonais. Il porte surtout, en filigrane, non tant sur la souffrance des Japonais que sur la réconciliation des peuples et la paix. Un article de l'Agence France-Presse, paru dans les pages du Devoir en mars, nous rappelle toutefois que le très beau film tiré de ce scénario « fut présenté au Festival de Cannes en 1959, mais écarté de la compétition en raison de pressions américaines. »
Extrait :
J'ai regardé les gens. J'ai regardé moi-même pensivement, le fer. Le fer brûlé. Le fer brisé, le fer devenu vulnérable comme la chair. J'ai vu des capsules en bouquet : qui y aurait pensé ? Des peaux humaines flottantes, survivantes, encore dans la fraîcheur de leurs souffrances. Des pierres. Des pierres brûlées. Des pierres éclatées. Des chevelures anonymes que les femmes de Hiroshima retrouvaient tout entières tombées le matin, au réveil.

Le retrait
Noam Chomsky et Vijay Prashad
Traduit de l'anglais
C'est mon huit-centième compte rendu de lecture. Il porte sur un autre captivant bouquin de Noam Chomsky, cette fois avec des échanges sur la politique internationale avec le journaliste et historien indien Vijay Prashad. Les deux hommes y abordent la question de la fragilité grandissante de la puissance états-unienne avec la monté en force de l'économie de la Chine, mais également d'autres pays dans le monde ; ils y discutent aussi de tout ce que les États-Unis ont fait au cours des dernières décennies et sont prêts à faire – sans égard aux coûts humains et environnementaux – pour maintenir leur hégémonie dans le monde. Un très bon livre ! Encore une fois, je ne saurais trop vous recommander de lire Chomsky !
Extrait :
Ensuite la Chine et la Russie vont multiplier leurs relations institutionnelles et commerciales avec l'extérieur. Elles renforceront d'abord leurs liens mutuels, dans la lignée du rapprochement amorcé au cours de la dernière décennie. Mas ces deux pays s'ouvriront également à de nouvelles régions afin de répondre aux demandes croissantes de multipolarité et de non-alignement du Sud mondialisé. On l'a déjà constaté lors du premier vote de l'Assemblée générale des Nations Unies sur la guerre en Ukraine, où de nombreux pays du Sud se sont abstenus de toute condamnation.

Le nucléaire à la dérive
Marie-Hélène Labbé
Marie-Hélène Labbé est l'auteure de nombreuses publications sur la prolifération des armes et de l'énergie nucléaires. Cet intéressant bouquin nous expose l'historique, la dangerosité et la perte de contrôle progressive du nucléaire à mesure qu'augmente le nombre de pays en possession de ces armes destructrices et qu'augmente le nombre de centrales nucléaires dans le monde. Tout pour nous convaincre de mettre un terme à notre fuite en avant avec l'atome.
Extrait :
Cette demande de nucléaire, que ce soient des armes ou des centrales, rencontre une offre qui est suscitée voir nourrie par les vendeurs eux-mêmes. À une revendication nucléaire globale répond en effet une offre tous azimuts de technologies et de composants nucléaires qui se joue des contrôles à l'exportation et des cartels d'exportateurs. Trois phénomènes se conjuguent pour mettre le nucléaire à la portée de tous : des vendeurs de plus en plus dynamiques, des progrès technologiques avec la victoire de la centrifugeuse et des contrôles toujours inadéquats.
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Nétanyajou : bon pour la taule !
Plusieurs responsables gazaouis du Hamas et du Hezbollah au Liban ont été tués par des attaques israéliennes ces dernières semaines, notamment Yahya Sinouar, l'architecte de l'offensive du 7 octobre 2023 depuis Gaza.
Les responsables gouvernementaux israéliens et même occidentaux ont utilisé le terme "éliminés" pour qualifier l'assassinat de ces gens ; ils s'en réjouissent ouvertement, affectant d'y voir un pas vers la "paix". À observer le qualificatif employé par tout ce monde, on ressent l'irrésistible impression d'assister à une guerre entre bandes rivales de la pègre ; le clan dominant israélien qui supprime ses opposants, ce qui rappelle d'ailleurs les origines terroristes de l'État hébreu.
Les classes politiques dans leur ensemble, en particulier l'américaine et bien entendu celle d'Israël située à l'extrême-droite du spectre politique, se félicitent sans vergogne du meurtre en série de résistants palestiniens, un phénomène qui n'a rien de nouveau. Sans souhaiter ouvertement la suppression de responsables de la résistance palestinienne par le Mossad, les politiciens occidentaux la dénoncent rarement, sauf en ce qui concerne les "victimes collatérales" de ces opérations, c'est—à-dire les proches des gens assassinés. Mais pas question pour autant de remettre en question leur appui inconditionnel à l'État hébreu.
On ne peut donc qu'en tirer une conclusion : à leurs yeux, une vie israélienne vaut bien plus que son équivalente palestinienne.
Il n'y a rien d'original à le faire remarquer, beaucoup d'autres observateurs l'ont déjà fait. Mais dans le cas de la guerre Gaza-Israël, cette constatation devient aussi frappante que choquante vu le nombre très élevé de victimes civiles et l'ampleur des destructions matérielles.
La riposte israélienne à l'offensive du Hamas a fait au moins 41,800 décès, dont une forte majorité de civils. La délégation américaine à l'Onu a opposé à deux reprises son véto à une résolution contraignante du Conseil de sécurité qui, en cas d'adoption, aurait obligé le gouvernement Netanyahou à respecter un cessez-le-feu permanent. Les États-Unis sont donc aussi responsables de la tuerie à Gaza qu'Israël.
La situation dans ce conflit ressemble à celle de responsables policiers qui soutiennent pour divers mobiles une organisation criminelle dominante (Israël en l'occurrence) au détriment d'un groupe non criminalisé dont les membres, victimes du clan dominant se défendent comme elles peuvent. Il y a quelque chose de choquant à voir la plupart des dirigeants occidentaux se réjouir ou même ne pas condamner l'assassinat de plusieurs responsables du Hamas et du Hezbollah en même temps qu'un criminel de guerre comme Benyamin Netanyahou ne fait l'objet d'aucune accusation. Non qu'il faille approuver à priori toutes les initiatives militaires du Hamas et du Hezbollah, mais l'indulgence des dirigeants américains, canadiens, français, britanniques et allemands à l'endroit d'Israël est condamnable. Si Netanyahou était zigouillé par un commando palestinien, ces mêmes politiciens se livreraient à des dénonciations agressives vis—vis de cet "acte terroriste".
Rappelons que jusqu'à présent, les succès militaires israéliens sur le terrain n'ont procuré à l'État hébreu aucune victoire stratégique décisive. Tout sera donc à recommencer tant que les motifs qui animent la résistance palestinienne demeureront en place. En ce sens, c'est rendre un mauvais service à Israël que de le couvrir contre vents et marées.
La meilleure manière de pacifier les relations entre Israël et la Palestine consiste au contraire à intégrer dans toute la mesure du possible les organisations palestiniennes vues comme "terroristes" au sein des futures négociations de paix et non à maintenir leur boycott. On fait la paix avec des ennemis, non avec des alliés. Quant aux irréductibles, ils s'en trouveraient isolés et assez neutralisés.
Il importe donc de mettre un terme à la coupable complaisance des gouvernements occidentaux envers l'État hébreu. Pourquoi alors ne pas débuter par l'émission d'un mandat d'arrêt international contre Benyamin Netanyahou et certains membres de son cabinet ?
Jean-François Delisle
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Israël contre l’ONU, une si longue histoire

Aussi impuissante soit-elle, l'Organisation des Nations unies est la cible de Benyamin Nétanyahou car elle représente le droit international. Ses agences, ses Casques bleus au Liban sont, verbalement et physiquement, attaqués. Même Emmanuel Macron, bien timoré face aux massacres dans la bande de Gaza, s'est fait tancer pour avoir pointé son rôle dans la création d'Israël. Or, ces attaques systématiques contre l'ONU ne datent pas d'aujourd'hui.
Tiré d'Orient XXI.
Dès le début de son offensive à Gaza, le 8 octobre 2023, l'État d'Israël lance une campagne de dénigrement de l'Organisation des Nations unies (ONU). Il présente celle-ci comme un organisme dévoyé qui l'empêche d'assouvir ses objectifs en protégeant indûment ses ennemis, le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban, deux entités « terroristes » aux contours indéfinis qu'il entend « éradiquer en totalité ». Du haut de la tribune de l'Assemblée générale, le 27 septembre 2024, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, traite l'ONU de « cloaque de bile antisémite à assécher ». Si elle n'obtempère pas, dit-il, elle restera « considérée comme rien d'autre qu'une méprisable farce ». Les trois-quarts des présents quittent la salle.
Il en fallait plus pour émouvoir Nétanyahou. Son offensive n'a fait que croître contre toutes les organisations onusiennes sur le terrain, qu'elles soient militaires (les Casques bleus) ou civiles (l'office des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, UNRWA). Israël taxe d'« antisémite » toute critique de ses crimes à Gaza — les pires commis depuis le début de ce siècle, comme répètent les organisations humanitaires. Le 8 octobre 2024, alors que le premier ministre israélien menace explicitement les Libanais de leur faire subir « les mêmes destructions et les mêmes souffrances qu'à Gaza (1) », s'ils ne se soumettent pas à ses exigences, c'est-à-dire « éradiquer le Hezbollah », ses forces armées frappent délibérément trois sites de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Huit jours plus tard, on comptait au moins cinq attaques israéliennes contre cette organisation, créée en 1978, après une lourde opération militaire israélienne au Sud-Liban contre l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) pour surveiller le comportement des belligérants et protéger les populations civiles.
Comme chaque fois qu'Israël se comporte ainsi, l'ONU et de très nombreux pays émettent de vives critiques. L'armée, elle, poursuit sa campagne : le 13 octobre 2024, deux de ses chars entraient de force dans une position de la Finul, pour bien montrer que les pressions internationales l'indiffèrent. À Gaza, au 14 mars 2024, l'UNRWA dénombrait « au moins 165 membres tués dans l'exercice de leurs fonctions » depuis octobre. Quatre jours après le massacre de masse perpétré par le Hamas et d'autres milices palestiniennes, le 7 octobre 2023, le secrétaire général des Nations unies, le Portugais António Guterres rappelait que, selon le droit international, « les locaux de l'ONU et tous les hôpitaux, écoles et cliniques ne doivent jamais être pris pour cible ». Comme s'il savait d'expérience les mesures de rétorsion de l'état-major israélien. Depuis, la vindicte israélienne envers l'Organisation n'a jamais cessé.
L'UNRWA au cœur de l'offensive israélienne
Le ministre des affaires étrangères, Yisraël Katz, a déclaré Guterres « persona non grata » dans son pays, le 1er octobre 2024. À plusieurs reprises, depuis un an, Israël a exigé que l'UNRWA quitte les Territoires palestiniens occupés — l'accusant de servir de protection aux « terroristes ». Cet organisme est le seul à fournir une aide humanitaire permanente, sanitaire et éducationnelle, dans ce qui reste des camps de réfugiés palestiniens, à Gaza et en Cisjordanie, ainsi qu'au Liban, en Syrie et en Jordanie. L'armée bombarde non seulement ses écoles et ses hôpitaux dans la bande de Gaza, mais Israël bloque aussi l'entrée des fonds qui servent à le financer et mène une campagne de dénigrement à son encontre.
Le Parlement israélien a entamé, en juillet 2024, un débat sur un projet de loi pour caractériser l'UNWRA d'« organisation terroriste » ; il doit se conclure à la fin octobre et il pourrait déboucher sur la mise sous séquestre de ses bâtiments et avoirs (2). Le 9 octobre, Katz a aussi laissé entendre que le quartier général de l'organisation à Jérusalem-Est pourrait être confisqué (afin d'y implanter des logements pour les Israéliens).
Parallèlement, sans l'ombre d'une preuve, Israël a mené une propagande active visant à présenter l'UNRWA comme un « repaire de terroristes ». Le 26 janvier 2024, Nétanyahou indiquait que 12 employés avaient participé à l'attaque du Hamas du 7 octobre précédent. Comme par hasard, l'annonce tombait précisément le jour où la Cour internationale de Justice (CIJ) ouvrait une enquête pour un « risque plausible de génocide » à Gaza. Bientôt, Israël obtenait son premier succès d'envergure : le 23 mars 2024, le Congrès américain votait l'arrêt du financement de l'UNRWA par les États-Unis jusqu'en mars 2025. Une attitude finalement peu suivie dans le monde.
Les allégations du gouvernement israélien n'ont eu aucune suite juridique, car il ne présentait aucune preuve convaincante les corroborant, selon le rapport de la commission indépendante Colonna (3). Mais l'essentiel a été atteint : le doute sur l'organisme onusien s'est étendu.
Le risque d'épidémie, un cas d'école
Étonnamment, cependant, la campagne d'Israël s'est un temps interrompue. L'affaire mérite d'être contée, tant elle est édifiante. Fin août 2024, un début d'épidémie de poliomyélite menace la bande de Gaza. Au vu du risque d'extension à des soldats engagés sur le terrain et, par leur biais, à toute la population israélienne non vaccinée — les militaires revenant périodiquement en permission dans leurs foyers —, le rôle de l'UNRWA redevient primordial. Les Israéliens négocient alors avec l'organisme onusien. Un mois après, 560 000 enfants palestiniens ont été vaccinés. L'armée israélienne a dû admettre que, sans la logistique unique de l'UNRWA, « la campagne de vaccination n'aurait jamais pu être menée à bien », explique Jonathan Adler, journaliste au quotidien en ligne Local Call (+972 dans la version internationale) (4).
Le gouvernement a ainsi montré toute sa duplicité. Pendant qu'il laissait passer 1,2 million de vaccins à Gaza pour enrayer le risque d'épidémie, il continuait de restreindre l'entrée des autres médicaments de première urgence, de l'eau et de la nourriture nécessaires aux Gazaouis. Une fois le risque d'épidémie enrayé, la campagne anti-UNRWA a pu reprendre. Le vice-maire de Jérusalem, Nir Barkat (Likoud), a organisé des manifestations permanentes devant le QG de l'UNRWA, pour le pousser à se déplacer à Amman, la capitale jordanienne. À la fin de ce mois, un vote en première lecture est prévu à la Knesset (le Parlement) sur deux propositions de loi : l'une vise à rompre les liens de toute autorité publique israélienne avec l'UNRWA, l'autre à interdire d'activité cet organisme sur le territoire. En attendant, Israël continue de bloquer ses comptes dans les banques israéliennes et les visas d'entrée pour ses nouveaux personnels.
Bilan : entre le 8 octobre 2023 et le 27 septembre 2024, les bâtiments de l'UNRWA — écoles, hôpitaux, foyers, bureaux — ont subi 464 attaques israéliennes à Gaza (5). Plus d'une par jour. Elles ont fait 226 morts parmi ses équipes, et 563 parmi les civils qui s'y trouvaient. Comme l'écrit Jonathan Adler, « l'offensive législative visant à faire partir l'UNRWA des Territoires occupés palestiniens n'est qu'une inscription dans la loi de la pratique militaire existante (6) ». Toutefois, l'armée israélienne est aussi pragmatique. Certains hauts gradés, explique encore Adler, s'inquiètent de ces lois. Leur argument : « Si l'UNRWA quitte Gaza, une nouvelle pandémie potentielle pourrait empêcher l'armée israélienne d'y poursuivre sa chasse au Hamas. »
De Bernadotte à l'OCHA
Bien qu'elle atteigne aujourd'hui des sommets, l'hostilité d'Israël à l'ONU et à la légitimité de toute critique extérieure de sa politique, surtout en temps de guerre, remonte à loin, quasiment à ses origines. La liste serait longue et l'on se contentera de rappeler quelques exemples. Le 17 septembre 1948, quatre mois après la création de l'État d'Israël, et alors que la première guerre israélo-arabe éclate, le comte suédois Folke Bernadotte, médiateur de l'ONU depuis mai 1948, est assassiné à Jérusalem. Bernadotte contrarie les ambitions israéliennes avec un « plan de paix » dont Israël ne veut pas. Il est abattu par quatre hommes portant l'uniforme militaire, mais appartenant au groupe Stern, un mouvement ultranationaliste. Comme le rappelle Jean-Pierre Filiu, ce groupe armé dispose aujourd'hui d'une place éminente au Musée de l'Armée israélienne (7).
Plus près de nous, en 1996, lors d'une opération contre le Hezbollah, l'aviation israélienne bombarde un camp des Casques bleus dans la bourgade de Cana où la population s'est réfugiée : 106 morts parmi les civils. En 46 ans, de tous les organismes onusiens identiques, la Finul est celui qui a connu le plus de pertes : en avril, elle comptabilisait 334 de ses membres tués, le plus souvent lors de raids israéliens. Autre organisme subissant les contraintes permanentes de Tel-Aviv depuis de très longues années : le Bureau des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), seule agence neutre qui recense les actes illégaux (crimes, expulsions, occupation, destructions, etc.) perpétrés dans les Territoires palestiniens occupés.
Quand le président français Emmanuel Macron assure que « M. Nétanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l'ONU », en référence à la résolution 181 partageant la Palestine en deux États, l'un « juif » et l'autre « arabe », adoptée le 29 novembre 1947, il se fait tancer par le chef du gouvernement israélien : « ce n'est pas la résolution de l'ONU qui a établi l'État d'Israël, mais la victoire obtenue dans la guerre d'indépendance [de 1948 contre les Palestiniens et les États arabes] . » Exit l'ONU.
Le retour du néoconservatisme
Ce rejet des autorités onusiennes s'accompagne d'un discours récurrent. En hébreu, l'acronyme ONU se dit « Oum ». Le fondateur de l'État d'Israël, David Ben Gourion, disait par dérision : « Oum, Schmoum », que l'on pourrait traduire par « l'ONU, on s'en fiche ». Une attitude qui s'insère dans une vision politique. Tout comme aux États-Unis, où l'Organisation des Nations unies est vilipendée par une fraction notoire de la classe politique, en particulier les nationalistes. Ces derniers estiment qu'aucun organisme international ne peut imposer à leur pays de se soumettre à une loi générale contraire à la politique choisie — loi universelle que seules les Nations unies peuvent adopter. Israël entend pareillement s'y soustraire, c'est quasiment une doctrine d'État, même si elle reste non dite.
En 2004, j'interviewais Carmi Gilon, un ex-chef du Shin Bet, les forces de sécurité intérieure. L'affaire Abou Ghraib (8) avait éclaté peu avant en Irak. Ma première question était la suivante : « Dans la lutte contre des adversaires qui usent du terrorisme, peut-on respecter le droit humanitaire international, ou y déroger est-il dans la logique des choses ? » Sa réponse fut limpide : « Je ne suis pas un spécialiste du droit international. Je ne peux que me prononcer en fonction du droit israélien (9). » En d'autres termes, le patron des services spéciaux s'assoit sur le droit international et le dit. Cette attitude ne lui est pas propre. Elle incarne une philosophie que les édiles israéliens ont, de tout temps, adoptée : justifier de mille manières possibles le refus de se soumettre au droit international.
Le contourner au nom de la souveraineté est une philosophie que de nombreux régimes entendent aujourd'hui imposer.
Dans ce domaine, Israël a fait figure de précurseur. Le cas le plus explicite est le rapport à la « guerre préventive ». Le rejet de cette notion a été inséré dans le codex onusien par les Conventions de Genève relatives « au droit de la guerre et de l'utilisation des armes pour régler les conflits ». C'est en leur nom qu'en 1967, par exemple, le général de Gaulle déclarait : dans le conflit entre Israël et l'Égypte sur le blocage de l'accès des navires israéliens à la mer Rouge, le premier qui ouvrira le feu enfreindra le droit de la guerre et, de ce fait, il ne bénéficiera pas du soutien de la France. Depuis 1949, cette interdiction à déclencher une guerre ou une opération armée « préventivement » a été de facto ignorée à de nombreuses reprises de grandes comme de petites puissances.
Mais la particularité d'Israël est d'avoir constamment récusé, quasiment depuis sa naissance, l'interdiction du droit à la guerre préventive. Dès le début des années 1950, le général israélien Yigal Alon, devenu chef de la frange la plus militante du parti travailliste alors au pouvoir, se fit le chantre de la « guerre préventive ». Auparavant, la stratégie de l'armée était basée sur une conception dite « défensive-offensive » (privilégier la défense à l'attaque). À partir de 1953, elle devient « offensive-défensive », selon la terminologie militaire israélienne. Une stratégie qui « perdure en grande partie jusqu'à ce jour », écrivait le chercheur israélien Oren Barak en 2013 (10). Pour Barak :
- [Israël a] depuis des décennies, de facto, adhéré à une politique étrangère reposant fortement sur une doctrine (qui) prévoyait le lancement de frappes et de guerres préventives contre les voisins d'Israël en cas de menaces existentielles avant qu'elles ne se matérialisent.
Cette politique, ajoutait-il, est devenue « routinière ». Tel-Aviv adoptant systématiquement l'argument de la « menace existentielle » en toute occasion.
En 1982, lorsque l'armée israélienne envahit le Liban pour en chasser les forces de l'OLP et y changer le gouvernement du pays, le premier ministre de l'époque, Menahem Begin, expliqua qu'il lançait cette guerre parce que « nous avons décidé qu'un nouveau Treblinka n'adviendra pas ». Identiquement, dès le lendemain de l'attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, Benyamin Nétanyahou invoqua « le plus grand crime contre des Juifs depuis la Shoah ». Cette référence « existentielle » permet dès lors de se soustraire à toutes les remontrances onusiennes — qualifiées, comme on l'a vu, d'« antisémites ».
Cette réhabilitation de la « guerre préventive » fut installée en majesté par la conseillère américaine à la sécurité, Condoleezza Rice, dans le document annuel de la « stratégie nationale » américaine, en septembre 2002. Aujourd'hui, cette même doxa préside au comportement israélien, de manière plus radicale encore. Dans une posture de défi, Israël affiche sa volonté de ne respecter aucune des normes du droit de la guerre, bien plus encore que ne le firent les Américains en Irak il y a vingt ans. On le sait trop peu, mais Benyamin Nétanyahou, dans les années 1980-1990, fut un des idéologues majeurs de la montée en puissance du néoconservatisme aux États-Unis.
Notes
1- Lire Vincent Lemire : « Le jusqu'au-boutisme en ligne de mire », Libération, 9 octobre 2024.
2- « Lourdes menaces d'Israël sur UNRWA et l'aide aux Palestiniens », unric.org, 10 octobre 2024.
3- Cf. « Independant review of mechanism and procedure to ensure adherence by UNRWA to humanitarian principle of neutrality », ONU, 22 avril 2024.
4- Jonathan Adler : « Israel paradoxical crusade against UNRWA », Local Call, 10 octobre 2024.
5- « UNRWA Situation Report #140 on the situation in the Gaza Strip and the West Bank, including East Jerusalem », unrwa.org, 27 septembre 2024.
6- op.cit.
7- Jean-Pierre Filiu : « L'assassinat par Israël du médiateur de l'ONU en Palestine », Le Monde, 14 octobre 2018.
8- Du nom de la prison où l'armée américaine et la CIA torturaient des prisonniers durant la guerre d'Irak en 2003-2004.
9- Sylvain Cypel, « Carmi Gilon : La notion de pression modérée est sérieuse, pas hypocrite », Le Monde, 29 juin 2004.
10- Oren Barak, avec Amiram Oren et Assaf Shapira : « “How The Mouse Got His Roar” : The Shift to an 'Offensive-Defensive' Military Strategy in Israel in 1953 and its Implications », The International History Review (35-2) : 356-376, avril 2013.
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Crimes de l’industrie pornographique : les faits doivent être jugés dans leur intégralité

Le 17 octobre, la cour d'appel de Paris rendra une décision importante dans l'affaire dite « French Bukkake ». Les dizaines de victimes des crimes de l'industrie pornographique devront-elles se contenter d'une justice au rabais ?
Tiré de Entre les lignes et les mots
Quatre ans. Cela fait plus de quatre ans que les 42 victimes qui se sont portées parties civiles dans l'affaire dite « French Bukkake » attendent le procès des hommes qui les ont exploitées sexuellement. Dans cette affaire dévoilant les rouages criminels de l'industrie pornographique française, 17 hommes ont été mis en examen pour viols en réunion, traite d'êtres humains en bande organisée et proxénétisme aggravé.
Les violences que ces femmes ont subies sont insoutenables. Manipulées et prises au piège par un rabatteur, elles ont été violées à de multiples reprises. Le dossier d'instruction contient des centaines d'heures d'images de violences sexuelles extrêmes.
L'une des victimes associe les multiples viols qu'elle a subis à de la torture : « J'ai été violée 240 fois, ce n'est pas de la torture ça ? Quatre-vingt-huit fois sur le bukkake, quarante-quatre fois en une heure. Je sais que j'ai été violée, ce n'est pas ça le sujet, le sujet c'est la torture. Aucun humain n'est capable d'absorber quarante-quatre pénétrations en une heure », témoigne l'une des victimes.
Ces femmes ont été soumises à des mises en scène et des actes sadiques, volontairement déshumanisants, à des souffrances aiguës, des étouffements prolongés, des pénétrations multiples et simultanées (vagins, anus, bouche), ces femmes ont été torturées.
Pourtant, la circonstance aggravante d'actes de tortures n'a pas été retenue par le juge d'instruction dans son ordonnance de mise en accusation en 2023. Les circonstances aggravantes de sexisme et de racisme non plus, alors même que les insultes racistes et misogynes pullulent dans les vidéos. La plupart des parties civiles ont donc fait appel de cette décision.
L'abandon de ces circonstances aggravantes est un déni de justice pour les victimes. Au passage, la justice laisse impunie la dimension la plus anti-sociale de ces crimes, leur dimension déshumanisante, raciste et sexiste, ce qui profite aux accusés qui n'auront pas à répondre de l'intégralité de leurs actes. Encourant une peine de 20 ans de réclusion criminelle tout au plus, ils peuvent alors être renvoyés devant une cour criminelle départementale, au lieu de comparaître devant une cour d'assises et de faire face à une peine de 30 ans, voire à la perpétuité.
Cette déqualification inacceptable des violences est rendue possible par la généralisation récente des cours criminelles départementales. Censées répondre à l'engorgement des cours d'assises et améliorer la réponse judiciaire – notamment en matière de viols – ces cours ont en réalité permis l'apparition d'une nouvelle forme de minimisation des viols : les juges d'instruction et les parquets peuvent être tentés d'écarter certaines circonstances aggravantes ayant accompagné les crimes, afin de pouvoir les renvoyer devant une cour criminelle plutôt qu'une cour d'assises. L'affaire French Bukkake en est un exemple flagrant.
Nous, associations féministes, syndicats et organisations de la société civile, attendons beaucoup de la décision que prendra la chambre de l'instruction le 17 octobre.
Sept ans après le début du mouvement #MeToo, en plein procès des violeurs de Mazan, nous ne pouvons accepter que les viols soient encore minimisés par l'institution judiciaire et des victimes sacrifiées pour des motifs budgétaires.
https://mouvementdunid.org/blog/actus-mdn/communiques-presse/crimes-de-lindustrie-pornographique-les-faits-doivent-etre-juges-dans-leur-integralite/
https://scenesdelavisquotidien.com/2024/10/15/communique-de-presse-crimes-de-lindustrie-pornographique-les-faits-doivent-etre-juges-dans-leur-integralite/
https://www.egalite-professionnelle.cgt.fr/crimes-de-lindustrie-pornographique-les-faits-doivent-etre-juges-dans-leur-integralite/
https://cfcv.asso.fr/relais-osez-le-feminisme-crimes-de-l-industrie-pornographique-les-faits-doivent-etre-juges-dans-leur-integralite/
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Pour vaincre l’extrême droite, il faut prendre le racisme (et l’antiracisme) au sérieux

Les éditions Amsterdam ont récemment publié le premier ouvrage collectif d'une nouvelle collection dédiée aux travaux de l'Institut La Boétie : Extrême droite, la résistible ascension. À l'occasion de cette parution, une conférence a été organisée (que l'on peut visionner ici) dans laquelle sont intervenu·es notamment plusieurs membres de la rédaction de Contretemps, sur le thème : « comment battre l'extrême droite ? ».
Le texte que nous publions ici constitue ainsi une version légèrement approfondie de l'intervention d'Ugo Palheta, coordinateur de l'ouvrage, autour d'une dimension spécifique mais centrale de cette question : la lutte contre le racisme.
15 octobre 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/vaincre-extreme-droite-rn-xenophobie-racisme-antiracisme/
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Je voudrais aborder le sujet de mon chapitre du livre que nous présentons ce soir, à savoir la question des rapports entre le racisme et l'extrême droite, qui sont évidemment très étroits. Comme l'ont montré de nombreux travaux, basés sur des enquêtes de terrain (notamment celle qui est au cœur du livre publié en 2024 par le sociologue Félicien Faury, qui a d'ailleurs contribué à notre livre) ou sur des enquêtes d'opinion (par exemple l'enquête réalisée pour le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie), la dimension raciale et raciste est centrale dans le vote pour l'extrême droite.
Elle l'est également dans les orientations programmatiques et stratégiques des organisations d'extrême droite, sous une forme particulièrement évidente et explicite chez Zemmour (qui n'a cessé de faire de la surenchère raciste ces dernières années afin d'exister), et d'une manière à peine plus feutrée chez Le Pen et Bardella. L'extrême droite continue de placer au centre de sa vision du monde et de ses discours la nécessaire « mise au pas » (comme ils le disent de manière euphémisée) de groupes considérés comme des ennemis de l'intérieur, sorte de « cinquième colonne » qui serait soutenue par la gauche (elle-même vue comme « parti de l'étranger »). Tous ceux et toutes celles qui sont perpétuellement soupçonné·es de ne pas être ou se sentir suffisamment français, sont présentés comme inévitablement extérieurs et hostiles à la nation, éternellement « allogènes » même s'ils ou elles sont né·es en France, considérés comme « refusant de s'intégrer » et de toute façon « inassimilables ».
Avant tout autre chose, la bataille de l'extrême droite actuelle est identitaire, mais ce mot mérite une rapide explication. Il importe de rappeler que, dans le langage des extrêmes droites actuelles, le terme d'identité – devenu central dans presque toutes les mouvances de cette famille politique, des néonazis aux identitaires en passant par le FN/RN ou Reconquête – a été introduit dès les années 70 par des idéologues racialistes rassemblés dans ce qu'on a appelé alors la « Nouvelle Droite ». Le concept d' « identité » visait, dans le cadre d'une stratégie élaborée alors et mise en œuvre depuis, à remplacer celui de « race », devenu en grande partie imprononçable après le judéocide, et en tout cas beaucoup trop encombrant pour ces héritiers du fascisme qui aspiraient à sortir de la marginalité politique dans laquelle la défaite politico-militaire du nazifascisme en 1945 les avait confinés.
Ils ont donc travaillé à remodeler le vieux langage de l'extrême droite afin de culturaliser le racisme. Il ne s'agissait plus d'affirmer la hiérarchie des races mais de proclamer l'incompatibilité des cultures et la nécessité de préserver ou sauver, « quoi qu'il en coûte », une identité française ou européenne : une identité dont ces mouvances ont une conception non pas politique, mais culturaliste (fondée sur une essentialisation de la culture) et pseudo-biologique. Cette conception spécifique n'a d'ailleurs généralement pas besoin d'être précisée car les extrêmes droites font le pari que, pour la plupart des gens auxquels ils destinent leurs discours, la défense de l'identité française ou européenne sera immédiatement comprise comme la défense d'une France et d'une Europe blanches, d'une France et d'une Europe où la domination blanche doit impérativement continuer à s'exercer, où les personnes identifiées comme blanches devraient continuer à compter plus que les autres et à passer avant les autres.
Cette identité française ou européenne dont parle tant l'extrême droite est donc le produit d'un bricolage idéologique dont la seule cohérence se trouve dans sa finalité : stigmatiser, marginaliser, isoler, discriminer et in fine exclure, voire déporter (« remigrer » disent les identitaires et Zemmour), en ciblant des groupes qui peuvent être variables historiquement mais qui sont principalement, aujourd'hui en France, les populations noires, musulmanes, arabes, rroms, et l'ensemble des immigrés extra-européens.
Bien sûr, les juifs ont longtemps constitué la cible par excellence des extrêmes droites, mais la plupart de ses courants – notamment le FN/RN, Reconquête et les identitaires –, sans jamais avoir rompu en réalité avec l'antisémitisme (ce qui n'est pas difficile à démontrer), ont adopté une tactique nouvelle (en continuité avec le personnel politique dominant mais aussi une partie des organisations qui prétendent parler au nom des populations juives, en particulier le CRIF) : détourner et instrumentaliser la lutte ô combien nécessaire contre l'antisémitisme pour mieux traîner dans la boue des groupes qui en auraient à présent le monopole, à savoir les musulman·es et les immigrés postcoloniaux, pour des raisons prétendument culturelles qui seraient liées à l'islam ou au soutien à la Palestine occupée et colonisée.
Toutes les enquêtes démentent cette vision[1], sans parler du fait qu'elle absout l'Europe catholique de l'antijudaïsme endémique qui s'y développa pendant des siècles et des pires formes – génocidaires – de l'antisémitisme qui y émergèrent au 19e siècle, dont la conséquence fut précisément le génocide des juifs d'Europe durant la Seconde Guerre mondiale. Ce détournement de la lutte contre l'antisémitisme permet de mettre en accusation l'ensemble de celles et ceux qui pleurent les innombrables morts en Palestine et qui protestent contre la guerre génocidaire menée par l'État colonial d'Israël contre les Palestinien·nes de Gaza, qui sont accusé·es d'antisémitisme. Double infamie ici : passer sous silence le massacre voulu et planifié des Palestinien·nes, et vilipender celles et ceux qui s'y opposent en marquant leur solidarité avec un peuple colonisé et persécuté.
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Quand on aborde la question du racisme dans l'optique de vaincre l'extrême droite, il faut prendre la question en grand, dans toute sa profondeur historique et dans toute sa consistance sociale.
Le racisme n'est pas un venin que Jean-Marie Le Pen et l'extrême droite auraient inoculé à la société française depuis 40 ans. Bien sûr, les néofascistes ont joué leur rôle, en tant que composante la plus brutale et la plus brutalement raciste du nationalisme français. Pour autant, le racisme dans la société française a un ancrage beaucoup plus profond, une histoire beaucoup plus ancienne et un déploiement beaucoup plus transversal, si bien que – sous une forme bien évidemment déniée, occultée – il est inscrit dans le fonctionnement routinier des institutions de ce pays, y compris bien entendu dans le fonctionnement de l'État (la police, la justice ou la prison par exemple. Il s'exprime également sur le marché du travail ou du logement, dans l'institution scolaire et le système de santé, sous des formes à chaque fois spécifiques, qui soulignent la dimension institutionnelle du racisme.
En outre, en raison non pas d'on ne sait quelle « nature humaine » mais de toute une trajectoire historique qui remonte à l'histoire esclavagiste et coloniale de la France (et plus largement de l'Occident), le racisme est inscrit aussi dans les cerveaux, les représentations, les affects, les désirs sociopolitiques d'une bonne partie de la population, pour ne pas dire l'ensemble de la population. Dans une société façonnée par des siècles d'impérialisme, de suprémacisme blanc, de racisme colonial mais aussi d'antisémitisme, tout le monde est, à des degrés très divers et sous des formes variées, imprégné par le racisme. C'est bien sûr le cas quand on en subit les conséquences (discriminations, spoliations, humiliations, violences, etc.), mais aussi et surtout quand on peut en tirer divers avantages.
Ces avantages n'ont à l'évidence nullement disparu avec l'affirmation dans la loi de l'égalité de tou·tes quelle que soit l'origine, la religion, la couleur de peau, etc., et encore moins parce que le terme « race » a été ôté de la Constitution, mesure cosmétique qui a sans doute comme principal effet de renforcer l'aveuglement face au racisme.
Dans une société marquée par des concurrences de plus en plus intenses – au sein du système scolaire, sur le marché du travail, ou pour accéder aux territoires les plus prisés –, les discriminations raciales construisent des formes d'entre-soi blanc et des intérêts, pour les personnes reconnues comme blanches, à la conservation d'un système qui leur octroie de tels avantages relatifs. Dans la mesure où ces avantages se cumulent, à la fois de génération en génération mais aussi entre les différentes sphères sociales (marché du travail, logement, école, santé, etc.), ils font bien souvent de grandes différences dans les parcours sociaux.
Il y a donc bien un ancrage matériel du racisme, y compris du côté de personnes et de couches sociales qui, d'un point de vue de classe, ne sont pas à proprement parler des privilégié·es. Ilfaut signaler sur ce point que le niveau de discrimination raciale se situe en France à un niveau exceptionnellement élevé. Une recherche quantitative comparée, publiée en 2019 dans la prestigieuse revue Sociological Science par certain-es des meilleures spécialistes de ce champ de recherche, a montré que parmi 9 pays occidentaux (dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, etc.), le niveau le plus élevé de discrimination raciale à l'embauche dont sont l'objet les personnes nées dans les pays en question mais identifiées comme non-blanches, a été observée en France.
De même, dans un article publié récemment, Mathieu Ichou et moi-même avons démontré statistiquement l'ampleur des inégalités raciales de salaires en France : des différentiels de plusieurs centaines d'euros par mois, toutes choses égales par ailleurs, au détriment des descendants d'immigrés d'Afrique subsaharienne et du Maghreb mais aussi des Outre-mer.
Si on prend tout cela en compte, l'enjeu pour nous, dans la bataille contre les forces fascistes ou fascisantes, ce n'est pas simplement une échéance électorale particulière, même si cela s'avère primordial dans la mesure où on ne doit laisser aucune instance ou parcelle de pouvoir aux mains de l'extrême droite néofasciste ou de la droite fascisée. C'est toute la structure racialisée de la société française qu'il nous faut combattre durablement, en étant aux côtés des collectifs et de tou·tes celles et ceux qui, d'ores et déjà, mènent cette bataille à partir de questions spécifiques (violences policières, contrôles au faciès, discriminations de toutes sortes, islamophobie, etc.), ou dans sa globalité.
Notre objectif c'est bien sûr de défaire toutes les politiques racistes, anti-immigrés, islamophobes ou rromophobes, qui ont été menées ces dernières décennies, mais c'est plus largement et plus profondément de déracialiser la société française. Et c'est là toute l'hypocrisie des attaques qui s'abattent régulièrement sur le mouvement antiraciste et à présent sur la gauche de rupture, de la part de presque tout le spectre politique, à savoir les accusations de « communautarisme », de « racisme anti-blanc », de « racisme à l'envers » ou encore d' « obsession de la race ».
Nous sommes au contraire celles et ceux, ou nous devons être celles et ceux, qui prenons au sérieux politiquement la manière dont le racisme s'abat quotidiennement sur une partie de la population et fracture la société tout entière, qui ne font pas l'autruche par rapport à la question des inégalités raciales et de la domination blanche : celles et ceux qui ne veulent pas laisser les choses en l'état, qui veulent transformer radicalement les institutions, la culture et l'ensemble de la société de telle manière qu'on ne se pose précisément plus la question raciale, de telle manière que l' « universalisme » ne soit plus un mot creux ou, pire, une couverture pour dissimuler le refus de lutter contre les inégalités et les structures de domination.
Mais pour déracialiser, il faut commencer par affronter la question raciale, autrement dit les catégorisations et hiérarchisations raciales que le racisme produit et reproduit sans cesse, sous des formes d'ailleurs évolutives. Affronter la race pour mieux déracialiser n'est d'ailleurs un paradoxe que pour ceux qui ne veulent pas comprendre, ou qui ont trop intérêt à ne pas comprendre, précisément parce que le statu quo racial et raciste leur profite, ou du moins ne pèse en rien sur leurs existences quotidiennes, et qui font bien souvent tout pour occulter la réalité et les effets du racisme.
Déracialiser suppose bien sûr de renforcer et de populariser un récit antiraciste, de l'opposer en permanence aux discours identitaires et racistes qui ont envahi le débat public, de mener une lutte sans trêve et assumée sur ce terrain de l'antiracisme, pour briser notamment les consensus xénophobe et islamophobe qui se sont imposés au cours des quatre dernières décennies, y compris avec la complicité d'une partie de la gauche, et pour retourner la polarité dans la construction des « problèmes publics » : le problème ce n'est ni l'immigration ni l'islam, ce sont les politiques anti-migratoires (qui tuent chaque jour), l'islamophobie et plus largement le racisme sous toutes ses formes et dans toutes ses variétés.
Mais prendre au sérieux la question raciale, c'est aussi défendre et avancer un programme. Parce que si la question du pouvoir et du gouvernement nous importe, si elle est même cruciale pour nous, c'est en raison de ce que pourrait et devrait faire un gouvernement de rupture, non seulement avec le néolibéralisme et le productivisme, mais aussi avec le racisme et l'impérialisme. Difficile de ne pas en dire quelques mots ici. Un tel programme devrait comporter au minimum :
- – des politiques de régularisation des sans-papiers ;
- – des politiques de lutte réelle contre les discriminations raciales (lutte qui n'existe pas véritablement à l'heure actuelle, quoi qu'on en dise) ;
- – des politiques de déségrégation des territoires, du marché du travail ou de l'institution scolaire ;
- – des politiques de réparation à l'égard des minorités racialisées et des peuples colonisés ;
- – des politiques visant à mettre un terme au profilage racial dans l'activité de la police et engageant par ailleurs la dissolution des brigades – comme la Brigade anti-criminalité (BAC) – les plus activement et brutalement au service du maintien de l'ordre socio-racial ;
- – des politiques éducatives visant la connaissance par tou·tes des processus historiques à travers lesquels les puissances occidentales ont colonisé le monde entier, installé leur domination et imposé des classifications et des hiérarchisations raciales, qui ont eu un rôle central dans la construction d'un capitalisme mondialisé et prédateur.
– mais aussi une rupture nette avec les politiques impérialistes, ce qui passe notamment par la fin du pillage néocolonial de l'Afrique, le boycott d'Israël et l'autodétermination du peuple kanak.
C'est seulement à ce prix politique que l'on parviendrait – au terme d'une longue bataille politique, sociale et culturelle – à déracialiser véritablement les institutions et les consciences. Vaincre l'extrême droite suppose évidemment de battre électoralement des forces politiques organisées mais cela va beaucoup plus loin : il s'agit de transformer radicalement les conditions sociales, politiques, institutionnelles et culturelles, dans lesquelles ces forces naissent, se développent et prospèrent, donc notamment de bâtir une société en rupture complète avec un ordre racial qui organise des concurrences multiples, entretient la division sur le fondement de l'origine, de la religion ou de la couleur de peau, et reproduit tout un ordre inégalitaire socio-racial qui est solidaire et constitutif d'un système capitaliste fondé sur l'exploitation de la grande majorité par une petite minorité.
Cette bataille n'est évidemment pas notre seule tâche dans le combat contre l'extrême droite. Elle n'est pas exclusive d'autres luttes (syndicales, féministes ou écologistes par exemple), mais elle est une tâche absolument centrale pour quiconque prend au sérieux l'objectif de la libération et d'une humanité émancipée.
*
Illustration : Photographie de Martin Noda / Hans Lucas / Photothèque rouge.
Note
[1] Voir là encore le dernier rapport de la CNCDH ou, il y a déjà une vingtaine d'années, cet article de Nonna Mayer.
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Soudan : Au-delà de l’aide humanitaire

Le Soudan est confronté non seulement à des tirs de balles, mais aussi à l'absence étouffante d'infrastructures de communication, une ressource vitale souvent négligée mais aussi essentielle que la nourriture ou les médicaments. Alors que le pays est aux prises avec une grave crise de sécurité alimentaire, les initiatives locales, telles que les groupes d'entraide et les cuisines d'urgence, sont les seules sources fiables de survie pour des millions de personnes . Pourtant, ces réseaux de soutien fragiles dépendent d'un accès stable à Internet, un outil vital aujourd'hui étouffé par la guerre. Alors que les Forces de soutien rapide (RSF) resserrent leur emprise sur les communications dans les territoires qu'elles contrôlent et utilisent des appareils Starlink de contrebande pour surveiller et contrôler l'accès, les acteurs internationaux restent étrangement silencieux sur cette obstruction critique.
Tiré d'Afrique en lutte.
Les enjeux sont clairs : sans le rétablissement de l'accès à Internet, l'avenir humanitaire et politique du Soudan risque de s'effondrer. L'infrastructure même qui mobilisait autrefois la résistance, renversait les dictateurs et permettait une coordination vitale est désormais à la merci des seigneurs de guerre et de l'indifférence étrangère.
La crise alimentaire au Soudan est grave et ne cesse de s'aggraver . L'aide internationale devenant de plus en plus inaccessible en raison du conflit, les communautés les plus vulnérables dépendent des groupes d'entraide, du soutien de la diaspora soudanaise et des cuisines centrales gérées par des services d'urgence bénévoles. Ces initiatives locales ne se contentent pas de combler les lacunes laissées par les efforts humanitaires internationaux ; dans de nombreux cas, elles constituent la seule bouée de sauvetage des populations. « Les Soudanais s'entraident à peine, avec un soutien ou une protection internationale minime », a déclaré William Carter, directeur du Conseil norvégien pour les réfugiés au Soudan. Pour beaucoup, ce réseau local fait la différence entre un repas quotidien et des jours de famine.
Cependant, ces efforts pour sauver des vies dépendent entièrement d'une communication stable et d'un accès à Internet. Les familles qui envoient des fonds, les groupes d'entraide qui identifient les communautés dans le besoin et les cuisines d'urgence qui coordonnent les approvisionnements ont tous besoin d'Internet pour fonctionner. Sans Internet, ce système de soutien déjà fragile, poussé à bout, s'effondrera.
Dans les zones contrôlées par les RSF, les communications reposent uniquement sur des dispositifs Starlink de contrebande, qui fonctionnent de manière non officielle et à un coût élevé. L'accès est rare, dangereux et étroitement surveillé, car nombre de ces appareils sont contrôlés par les soldats des RSF. Il est scandaleux que, malgré l'obstruction continue de l'aide humanitaire par les RSF, les acteurs internationaux restent silencieux sur leur incapacité à entretenir les infrastructures de communication. Ce manque de responsabilité aggrave encore la crise humanitaire et porte atteinte aux réseaux vitaux dont dépendent les communautés soudanaises pour leur survie.
Mais les enjeux vont bien au-delà des besoins humanitaires immédiats : Internet est crucial pour l'avenir politique du Soudan. La guerre en cours remodèle le paysage politique et l'espace civique du pays. Bien avant le déclenchement du conflit le 15 avril, Internet était un élément essentiel de l'infrastructure de l'engagement civique. C'était le champ de bataille où les mouvements populaires soudanais s'organisaient, affrontaient les discours conflictuels et dirigeaient l'opposition qui a renversé une dictature de 30 ans en 2019. Les mêmes réseaux numériques ont soutenu la résistance au coup d'État de 2021 et ont suscité les remarquables réponses locales d'urgence que nous observons aujourd'hui. Leur activisme a été essentiel. Pourtant, la guerre en cours a considérablement perturbé cette dynamique, menaçant l'infrastructure même qui a autrefois donné du pouvoir à une génération de militants et transformé le paysage civique du Soudan.
Les déplacements provoqués par le conflit ont forcé d'innombrables militants, responsables politiques et dirigeants de la société civile à fuir les grandes villes ciblées par les RSF, et nombre d'entre eux n'ont pas pu revenir en raison de la dégradation de la situation sécuritaire. Dans les États relativement sûrs du nord et de l'est du Soudan, les Forces armées soudanaises (FAS) imposent de sévères restrictions, et de plus en plus de militants et de responsables politiques sont pris pour cible. En conséquence, les rassemblements politiques et de la société civile se sont largement déplacés hors du Soudan, ce qui a gravement compromis l'espace civique interne du pays. Les comités de résistance, autrefois l'épine dorsale de la résistance civile, ont été dévastés par ces déplacements. Leur capacité à se réunir et à s'organiser au Soudan a été encore plus entravée par les coupures de communication.
Malgré les promesses répétées de l'envoyé spécial des États-Unis de donner la priorité aux voix des citoyens soudanais dans le processus de négociation, la conception de ces processus reste floue. De plus, les exigences imposées aux factions belligérantes n'ont pas permis de rétablir l'action des civils. Au contraire, le cadre de médiation a encore davantage militarisé les acteurs civils, érodant l'action des citoyens, car de nombreux Soudanais attendent désormais le résultat des élections américaines. Une demande essentielle et immédiate – rétablir et maintenir l'accès à Internet – ne peut attendre un cessez-le-feu. Il s'agit d'un droit fondamental qui doit être garanti sans délai.
Pendant ce temps, RSF continue d'exploiter les plateformes humanitaires, ne répondant que de façade aux médiateurs et aux acteurs internationaux. Une exigence simple et exécutoire – qu'ils assurent un système de communication fonctionnel dans toutes les zones sous leur contrôle – serait une étape vitale, à la fois facile à surveiller et essentielle à la survie des efforts de terrain.
Tahany Maalla est analyste politique et directeur de Mubasara (un centre de recherche soudanais).
Source : https://africasacountry.com/
Traduction automatique de l'anglais
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Mali, les colonels de la junte soudain promus généraux

Ce 16 octobre, les cinq colonels auteusr du coup d'Etat d'août 2020 ont, à titre exceptionnel, obtenu le grade de général de corps d'armée. Si cette promotion n'est pas surprenante, le timing, en revanche interroge.
Tiré de MondAfrique.
Il faudra s'y faire et désormais appeler général aussi bien Assimi, Goïta, président d'une transition qui dure, Sadio Camara, ministre de la Défense, Ismaël Wagué ministre de la réconciliation, Modibo Koné puissant patron du renseignement, Malik Diaw, président du Conseil National de transition. Quatre ans et demi après leur coup d'Etat qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta, ils auront donc pris du temps pour s'octroyer cette promotion.
Le Guinéen Mamadi Doumbouya n'a pas pris autant de précautions, il est passé de lieutenant-colonel à général en moins de trois ans.
Pourquoi maintenant ?
Cette promotion aurait été plus comprise si elle avait été annoncée après un succès militaire comme la reprise de Kidal en novembre 2023. Or, elle intervient précisément dans un moment où les autorités maliennes traversent une très mauvaise passe. Après la défaite cuisante à Tinzawaten en juillet 2024 où nombre de soldats et de mercenaires de Wagner ont été tués, blessés ou fait prisonniers, les militaires sont repartis à l'assaut de cette ville située aux portes de l'Algérie. Après avoir essayé pendant près de deux semaines de rejoindre la localité, en vain, l'armée a rebroussé chemin. Ce nouveau galon est-il destiné à faire diversion pour passer cet échec sous silence ?
Pour le site de l'Alliance des Etats du Sahel, ces changements « s'inscrivent dans un contexte de réorganisation de l'appareil sécuritaire malien », peut-être mais comme les désormais cinq généraux restent tous à leur poste, difficile d'imaginer de grands bouleversements à venir. Ou bien faut-il voir la volonté pour les bénéficiaires de ces promotions de se sécuriser avant d'organiser l'élection présidentielle ? Dans ce dernier cas, ces galons supplémentaires seraient une très bonne nouvelle.
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Sénégal : Législatives 2024 : Enterrer le système !

Le moins qu'on puisse dire est que l'enfantement d'un nouveau Sénégal souverain se fait dans la douleur et des secousses singulières bien qu'artificielles. Pour neutraliser les provocations des élites déchues, les leaders du camp patriotique pourraient élever le niveau du débat, dans le respect strict des droits et libertés, en fixant le cap et en élaborant une feuille de route très claire, qui prenne en charge de manière holistique, les problématiques liées à la transformation systémique. Dans cette phase de transition cruciale, devant acter l'avènement d'une nouvelle ère de souveraineté pleine et entière, de gestion vertueuse de l'Etat, de redistribution équilibrée des ressources nationales et de justice sociale se dressent des obstacles multiples.
Tiré d'Afrique en lutte.
Le premier a trait à la nature même du cours que les tenants de la transformation systémique veulent imprimer à l'évolution politique de notre Nation, empêtrée jusque-là dans le bourbier néocolonial. De fait, la tâche d'anéantissement de la domination impérialiste qui sévit encore dans nos pays, censée faire advenir une nouvelle époque de libération nationale et sociale renvoie au clair-obscur de Gramsci, à un interrègne durant lequel surviennent les phénomènes morbides les plus variés.
Devant la détermination du camp patriotique et des panafricanistes de la sous-région à clore le sinistre chapitre de la Françafrique, (dont un des plus fidèles serviteurs, Mr Robert Bourgi, vient de dévoiler les mécanismes les plus pervers), on observe une résistance farouche du camp de la continuité néocoloniale.
On y retrouve, au premier plan, la coalition TAKKU WALLU, animée, pour l'essentiel, par des héritiers de WADE, ayant montré, le 3 février 2024, leurs vrais visages de putschistes constitutionnels, qui, projetaient de renvoyer aux calendes grecques, la présidentielle initialement prévue le 25 février dernier. Ses liens étroits avec l'ancienne métropole sautent aux yeux, car sa tête de liste, l'ancien président Macky Sall, qui a dirigé notre pays d'une main de fer, pendant douze années, est un collaborateur fidèle du président Macron, son envoyé spécial et président du comité de suivi de son pacte de Paris pour la planète et les peuples. La deuxième personnalité de cette association de « malfaiteurs politiques » est le fils biologique du président Wade, émissaire de Sarkozy, en juin 2011, à Benghazi, où il s'était rendu pour demander à Kadhafi d'abandonner la résistance à l'Occident et de partir.
Quant à l'autre coalition JAMM AK NJARIÑ, elle ne rassure pas davantage, car son président, le « fonctionnaire milliardaire » Amadou Bâ, candidat malheureux de Benno Bokk Yakaar à la dernière présidentielle, était allé en France, proposer ses services comme cheval de substitution à Macky Sall, (rattrapé par la limitation des mandats), pour perpétuer le système françafricain. Elle compte, d'ailleurs, en son sein, plusieurs anciens barons du précédent régime, dont d'anciens combattants de la gauche, qui croient pouvoir se créer une nouvelle virginité politique et effacer leurs « délits politiques » antérieurs, en changeant de parti ou coalition, sans faire le plus petit effort d'autocritique. C'est d'ailleurs cette absence de remise en cause, des anciens tenants du pouvoir, de leurs démarches antérieures, qui explique leur manière de s'opposer, leur but ultime étant de restaurer, le plus vite possible, l'ancien ordre rejeté massivement par peuple sénégalais.
S'il faut saluer la distanciation des membres des coalitions SAMM SA KADDU et SENEGAL KESE par rapport aux deux premières, qui tenaient les rênes du pouvoir et qui ont été électoralement battues, le 24 mars dernier, on ne peut qu'être perplexes devant leur excès d'agressivité par rapport au nouveau régime et leur réticence farouche à soutenir et/ou accompagner les ruptures annoncées par PASTEF.
Au-delà des vicissitudes et péripéties plus ou moins dérisoires de la vie politique, il faudra bien que les acteurs politiques de tous bords, y compris les actuels gouvernants, nous édifient sur leur positionnement par rapport aux enjeux décisifs de refondation institutionnelle, de respect des droits et libertés, de souveraineté nationale, de gestion vertueuse et de justice sociale, autour desquels de larges convergences peuvent être trouvées.
S'agit-il de démanteler le système (néocolonial), en vigueur dans notre pays, depuis son accession à l'indépendance formelle et dont la faillite est devenue manifeste avec le régime quasi-autocratique de Benno Bokk Yakaar ? Ou alors s'agit-il de réanimer ce système désastreux, en se soumettant au diktat des puissances occidentales en général et de la Françafrique, en particulier, ce qui équivaut à la poursuite de la domination économique et politique sur nos pays ?
Voilà les questions de fond auxquelles il faut apporter des réponses claires, au lieu de continuer à louvoyer et de s'adonner à une guérilla politicienne ininterrompue contre le pouvoir en place pour l'amener à abdiquer sur ses orientations progressistes.
Notre souhait le plus ardent est une option résolue vers l'enterrement du système néocolonial honni, par la confirmation du positionnement patriotique lors des prochaines législatives du 17 novembre 2024.
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États-Unis : les médias conservateurs, acteurs clés de la campagne présidentielle

Retour sur l'émergence et le rôle devenu essentiel dans la politique américaine des médias conservateurs – une étiquette d'ailleurs discutable en soi, tant leur idéologie et leur ton n'ont plus grand-chose à voir avec le conservatisme au sens traditionnel du terme…
Tiré de The conversation. Légende de la photo : Donald Trump discute avec le présentateur de Fox News Sean Hannity après un meeting à Harrisburg, Pennsylvanie, le 4 septembre 2024. Mandel Ngan/AFP
Lors du débat présidentiel du 10 septembre dernier, quand Kamala Harris le met explicitement en cause pour son rôle dans les émeutes de Charlottesville de 2017, c'est de l'autorité de Sean Hannity et Laura Ingraham, animateurs vedettes de Fox News, que Donald Trump se prévaut pour attester la véracité de sa version des événements.
Que le candidat républicain s'en remette à deux personnalités phares du prime time politique de la première chaîne conservatrice du pays (Hannity et The Ingraham Angle, leurs émissions respectives, attirent plus de 2,5 millions de téléspectateurs quotidiens) ne doit rien au hasard : depuis l'émergence de la radio conservatrice à la fin des années 1980, l'écosystème des médias conservateurs exerce une influence souvent cruciale sur les destinées du Parti républicain ; depuis 2016, il est un allié proprement indéfectible de Trump. On le constate à chaque intervention ou mention, sur ces chaînes et radios, de Trump ou de ses adversaires. Ainsi, quand Kamala Harris s'est jetée dans l'arène en acceptant l'invitation de Bret Baier, présentateur vedette du journal télévisé, ce 16 octobre, sur le plateau de Fox News pour un entretien de 60 minutes, elle y a été accueillie avec une agressivité tranchant violemment avec le ton cordial employé à l'égard du candidat républicain.
Retour sur l'histoire d'un acteur clé dans le dispositif de reconquête du pouvoir de l'ancien président.
L'essor fulgurant de la radio conservatrice au début des années 1990
Premier média conservateur accessible au grand public, le talkshow radiophonique investit les ondes en août 1988 avec le lancement sur 56 stations de radio AM du Rush Limbaugh Show, émission quotidienne de trois heures qui, jusqu'à la mort de son animateur en février 2021, occupe la première place du palmarès des émissions radio.
Ce nouveau genre est porté par les vagues d'innovation technologique et de déréglementation qui déferlent sur le secteur des médias au cours des années 1980 : généralisation de la transmission satellite, relâchement des règles de propriété, et surtout, en 1987, révocation de la Fairness Doctrine, qui depuis 1949 contraint les diffuseurs à proposer des programmes en lien avec les enjeux locaux et à favoriser le pluralisme des points de vue.
Dès lors, le talkshow conservateur s'empare des ondes pour connaître un essor retentissant à partir de 1992, lorsque Bill Clinton fait son entrée sur la scène politique nationale : en 1994, le nombre de stations diffusant le Rush Limbaugh Show dépasse les 550. Les licences de diffusion sont accordées par le biais d'accords de troc (barter deals) par lesquels les stations acquièrent gratuitement les droits de l'émission en échange de leur temps publicitaire national, vendu aux annonceurs. Par ce système, les stations réduisent leurs coûts de production de façon drastique, mais il en résulte la dénaturation et l'uniformisation de la programmation radiophonique, qui répond de moins au moins aux enjeux locaux.

Le phénomène ne fait que s'exacerber sous l'effet du Telecommunications Act de 1996, qui relâche encore davantage les règles de propriété et permet la consolidation du secteur de la radio et la création de grands réseaux de distribution, tels que Talk Radio Network ou Premiere Radio Network. À partir d'avril 2001, le premier distribue le Laura Ingraham Show ; le second, le Sean Hannity Show, dès le lendemain des attentats du 11 septembre.
Mastodontes du prime time de Fox News, Ingraham et Hannity sont donc également des figures historiques de la radio conservatrice : jusqu'à son interruption en 2018, l'émission d'Ingraham est la première émission radio conservatrice animée par une femme dans un secteur que dominent très largement les voix masculines. Depuis la mort de Limbaugh, le Sean Hannity Show est quant à lui la première émission radio toutes catégories confondues, avec quotidiennement plus de 3 millions d'auditeurs, nettement devant Special Report with Bret Baier (2,13 millions) et The Situation Room with Wolf Blitzer (859 000), les JT de fin d'après-midi de Fox News et CNN.
L'émergence de l'écosystème médiatique conservateur avec Fox News
C'est le lancement en octobre 1996 de la chaîne câblée Fox News qui permet la mise en place de l'écosystème médiatique conservateur. Pour Rupert Murdoch, propriétaire de la chaîne, et Roger Ailes, son directeur, l'objectif est de prendre le contre-pied de CNN, considérée comme étant à la solde des Démocrates, tout en positionnant Fox News comme chaîne d'information légitime.
Par le slogan « Fair & Balanced » – abandonné en 2017 –, elle s'approprie le métadiscours traditionnel sur l'objectivité journalistique pour dépeindre en creux les médias d'information dominants comme ayant failli à l'impératif d'impartialité. Il faut d'ailleurs distinguer le service de l'information, auquel est associé le service électoral (election desk), du service éditorial, dont relèvent les émissions d'analyse politique de prime time, même si ce sont elles qui assurent le succès commercial de la chaîne et définissent son identité. Parmi celles-ci, The O'Reilly Factor (1996-2017) et Hannity & Colmes (1996-2009) – qui devient Hannity à la suite du départ du progressiste Alan Colmes en 2009 – s'imposent comme émissions phares pendant la présidence de George W. Bush.
Ce sont les attentats du 11 septembre puis la Guerre d'Irak de 2003 qui mettent Fox News sur orbite : comparativement à ses concurrentes, elle est la chaîne dont le public s'élargit le plus et, à partir de 2001, ses audiences dépassent systématiquement celles de CNN.
Surtout, là où traditionnellement les présentateurs tirent leur légitimité de leur indépendance vis-à-vis du jeu politique, les animateurs de ces nouveaux formats cherchent à maintenir leur autonomie et leur influence au sein du jeu politique, dont ils deviennent des acteurs à part entière, d'autant qu'entre 2002 et 2004, les publics montrent une proximité croissante avec le Parti républicain.
Une esthétique tapageuse au service d'un conservatisme fondamentaliste
Malgré la proximité des publics avec le Grand Old Party et leur allégeance envers le conservatisme, l'étiquette « médias conservateurs » est toutefois trompeuse.
Depuis l'émergence de la radio conservatrice, les médias de droite radicale ont opéré une rupture radicale avec la tradition conservatrice (mesure dans la conduite du débat politique, attachement à une intervention raisonnée et limitée de l'État, préservation du statu quo) et surtout avec la civilité du débat public : ces médias défendent en fait un conservatisme fondamentaliste porteur d'une réaction culturelle fondée sur des principes universels abstraits et comportant une forte dimension dogmatique et révolutionnaire.
Surtout, ils appartiennent au genre de « l'indignation tapageuse » (outrage programming) : leur objectif n'est pas d'édifier l'auditorat par une analyse dépassionnée de sujets qui intéressent les publics conservateurs, mais de susciter leur indignation, créer le scandale et hystériser le débat. Ils recourent pour cela au sensationnalisme, à l'exagération déformante, à la réinterprétation hyperbolique des événements de l'actualité et à des prédictions de catastrophes imminentes. Le tout servi par une rhétorique et un style abrasifs, où l'attaque ad hominem et la prise à partie le disputent à la vitupération et l'invective.
Sont mises en avant les questions que les publics considèrent primordiales afin de créer un impact émotionnel maximal, de sorte que les petits sujets de niche sont élevés au rang de véritables scandales tandis que certains faits plus importants mais dont la résonance idéologique est jugée moindre sont souvent passés sous silence. Ainsi, en proposant un ordre du jour différent de celui des médias d'information grand public, l'écosystème médiatique conservateur reconfigure les hiérarchies de l'information et place de façon stratégique au centre du débat certaines questions dont la teneur informationnelle et la pertinence politique pourraient être jugées nulles selon les critères du journalisme professionnel.
Un écosystème médiatique au service du projet trumpiste en constante expansion
Depuis le milieu des années 2010, cet écosystème n'a cessé de se développer. À la radio, une nouvelle génération d'émissions telles que le Ben Shapiro Show, le Charlie Kirk Show et le Dan Bongino Show ont fait leur apparition à la fin de la décennie.
Bien que Shapiro fasse parfois montre d'un certain recul critique envers Trump, tout comme Bongino et Kirk, il en est un ardent soutien. En amont du débat présidentiel du 10 septembre avec Kamala Harris, il déclare à l'antenne que Trump « va écraser Harris », qui n'a aucune chance face à lui car elle est incompétente et manque de réactivité. Le 7 octobre, Shapiro accompagne Trump lors de sa visite de la tombe de Menachem Mendel Schneerson, rabbin loubavitch et leader spirituel du judaïsme mondial ; le lendemain, il lui ouvre son antenne pour un entretien par téléphone.
Dans le secteur de la câblodiffusion, Fox News a vu son monopole remis en question par le lancement de One American News Network (OANN) (2013) et de Newsmax (2014), chaînes qui offrent un espace d'expression aux voix conservatrices trop radicales pour être audibles sur les autres supports et grandes pourvoyeuses de théories du complot et de contenus fabriqués.
Toutes deux offrent à Trump un territoire de repli quand sa relation avec Fox connaît des tensions, quand le discours de Fox n'est momentanément plus aligné sur le sien et qu'il cherche à ce que ses positions soient validées. En cela, OANN et Newsmax lui apportent une loyauté indéboulonnable. D'ailleurs, lorsqu'au soir de l'élection de 2020 l'election desk et le service de l'information de Fox News reconnaissent la victoire de Joe Biden et, dans les jours qui suivent, réfutent les allégations de Trump selon lesquelles l'élection a été volée, une partie du public, qui considère ce relâchement dans le soutien à Trump comme une trahison intolérable, migre vers OANN et Newsmax.
Entre juin et octobre 2023, Fox News prend ses distances par rapport à Trump. En avril, lorsque la chaîne accepte de payer $785,5 millions en règlement à l'amiable de l'action en justice intentée contre elle par Dominion Voting Systems pour diffamation – Trump et ses avocats avaient accusé le fabricant de machines de vote d'avoir truqué ses équipements pour favoriser Biden –, elle se sépare de l'animateur de Tucker Carlson Tonight, émission qui attire le plus grand nombre de téléspectateurs, et voit ses audiences baisser fortement.

Si en amont des primaires républicaines, Trump reçoit plus de la moitié du temps d'antenne que les trois chaînes câblées conservatrices consacrent aux candidats, Fox News lui accorde moins de temps qu'à Vivek Ramaswamy et Ron DeSantis. Sur Newsmax, il bénéficie au contraire de plus d'attention que tous les autres candidats réunis, et OANN parle même huit fois plus de lui que de l'ensemble de ses concurrents.
La période de froid entre Trump et Fox News n'a été que de courte durée. La quasi-intégralité des animateurs de la chaîne soutiennent désormais activement la candidature de l'ancien président, que ce soit en jouant le rôle de caisse de résonance de sa campagne de désinformation – le 1er octobre, Hannity développe, montage trompeur à l'appui, les allégations de Trump selon lesquelles les populations touchées par l'ouragan Helene en Géorgie attendent toujours le secours de l'État fédéral – ou en fournissent aux téléspectateurs des contre-récits leur permettant de faire sens de l'hostilité dont Trump fait l'objet. De la jeune génération d'animateurs radio aux nouvelles chaînes câblées en passant par le prime time de Fox News, à quelques semaines de l'élection, Trump bénéficie de l'appui inconditionnel d'un establishment médiatique conservateur entièrement acquis à sa cause et œuvrant activement à sa victoire.
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Algérie - Une victoire salutaire : les ouvriers de Ghar Djbilat se font entendre

Mercredi 2 octobre, un vent de révolte a soufflé sur le chantier de l'usine de production de traverses en béton de la ligne ferroviaire reliant Tindouf à Béchar et la mine de Ghar Djbilat. Les ouvriers algériens, las des conditions de travail et de restauration déplorables, ont décidé de faire entendre leur voix. en refusant de se présenter au travail à 7H du matin.
13 octobre 2024, par
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72229
Le point de rupture ? Des repas servis à la cantine jugés indignes. Malgré de nombreuses réclamations, aucune amélioration n'a été observée, laissant les ouvriers dans un état de de frustration.
Le fossé entre les ouvriers algériens et chinois, ainsi qu'entre les cadres algériens et les travailleurs de base, s'est creusé davantage. L'injustice se manifestait notamment par l'écart flagrant dans la valeur des repas quotidiens. Un ouvrier algérien, contraint de se nourrir sur place, dépense 24 000 DA par mois, soit 800 DA par jour, ce qui représente 40% de son salaire net de 60 000 DA.
La grève collective a été un acte de courage et un signal fort. L'union fait la force et cette action a permis d'arracher une première victoire : l'amélioration de la qualité des repas. D'autres points restent en suspens, ce qui souligne la nécessité de bâtir une union solidaire regroupant tous les travailleurs, algériens et chinois, autour d'un comité représentatif. Il est crucial d'appeler tous les ouvriers, sans exception, à y adhérer afin de défendre collectivement leurs intérêts et leurs droits
Adlène K.
P.-S.
• Le Fil Rouge. 13 octobre 2024 :
https://filrouge19.wordpress.com/author/procrastination146/
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Iran : Sharifeh Mohammadi doit être libérée immédiatement et sans condition !

La Cour suprême a annulé la peine cruelle et sans fondement prononcée contre la militante syndicale et défenseure des droits des femmes Sharifeh Mohammadi. Elle a renvoyé son affaire devant la même instance pour réexamen.
11 octobre 2024 | tiré d'Europe solidaire sans frontières, par Syndicat VAHED
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72230
Sharifeh Mohammadi a été arrêtée le 5 décembre 2023, et a longtemps été en détention à l'isolement et interrogée. Elle est actuellement incarcérée à la prison de Lakan, à Rasht. En juillet 2024, elle avait été reconnue coupable de l'accusation forgée de toutes pièces et condamnée à mort.
Le Syndicat des travailleurs/euses de la compagnie de bus Vahed de Téhéran et de la banlieue, a protesté à plusieurs reprises contre l'arrestation et la condamnation à mort de Sharifeh Mohammadi. Il a œuvré pour sa libération au niveau des organisations internationales, et se félicite de la nouvelle de l'annulation de la condamnation à mort de Sharifeh Mohammadi.
Il rappelle que Sharifeh Mohammadi n'avait commis aucun crime et doit être libérée immédiatement et sans condition.
Les principaux facteurs de l'annulation de la condamnation à mort de Sharifeh Mohammadi ont été :
la détermination de Sharifeh Mohammadi malgré le harcèlement subi lors des interrogatoires et plus largement par les responsables de la sécurité et de la justice,
les efforts de sa famille et la campagne pour défendre Sharifeh Mohammadi,
l'action de ses avocats,
les campagnes nationales et internationales,
le soutien des mouvements syndicaux et pour la liberté.
Nous avons répété à maintes reprises que la peine de mort est une peine inhumaine qui est contraire aux valeurs humaines universelles et qui doit être abolie partout.
Les peines prononcées contre d'autres prisonniers politiques condamnés à mort, dont Pakhshan Azizi, doivent être immédiatement révoquées et révoquées. Tous les militants syndicaux et de la société civile et les prisonniers politiques dans tout le pays doivent être libérés.
Syndicat des salarié.es des bus de Téhéran et sa banlieue (Vahed)
htps ://www.instagram.com/vahedsyndica/
https://twitter.com/VahedSyndicate
vsyndica@gmail.com
https://t.me/vahedsyndica
@Vahed_Syndica
P.-S.
http://www.iran-echo.com/farsi.html
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Travail. En Inde, les ouvriers d’une usine Samsung mettent fin à une longue grève

Les salariés de l'usine de Sriperumbudur, dans le sud de l'Inde, ont mis fin à leur grève entamée il y a plus d'un mois pour la reconnaissance de leur syndicat et l'amélioration de leurs conditions de travail.
17 octobre 2024 | tiré de Courrier international
https://www.courrierinternational.com/article/travail-en-inde-les-ouvriers-d-une-usine-samsung-mettent-fin-a-une-longue-greve_223502
Cela faisait plus d'un mois que les ouvriers de l'usine Samsung de Sriperumbudur, dans le sud de l'Inde, étaient en grève. Le contentieux a été résolu “à l'amiable” le 15 octobre, indique le site MoneyControl.
Cette décision a été prise après trois séries de réunions de conciliation organisées par le gouvernement local de l'État du Tamil Nadu, précise The Hindu. Les salariés du géant sud-coréen de l'électronique exigeaient notamment que l'entreprise reconnaisse leur syndicat nouvellement formé, le Samsung India Workers Union, le Syndicat des travailleurs de Samsung Inde (Siwu).
Lire aussi : Tendance. En Asie, les jeunes salariés disent non au culte du travail
Akriti Bhatia, une militante des droits des travailleurs, a déclaré à la BBC qu'il était fréquent de voir les multinationales présentes en Inde violer le droit du travail, qui accorde aux travailleurs le droit d'association et de négociation collective. Ces entreprises contournent la loi en créant des syndicats internes, qui ne sont dirigés par les travailleurs que sur le papier.
Mouvement historique
Environ 1 500 travailleurs ont participé à la grève pour réclamer de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, en plus de la reconnaissance de leur syndicat nouvellement créé. “Cette grève est l'une des plus importantes que le géant technologique sud-coréen ait connues ces dernières années”, affirme le média britannique. Ils ont également demandé une meilleure application de la rémunération des heures supplémentaires et une augmentation de l'assurance médicale.
Lire aussi : Économie. Une grève historique pourrait perturber la production de semi-conducteurs chez Samsung
La direction de Samsung et le syndicat se sont mis d'accord sur plusieurs points : “Aucune mesure punitive ne doit être prise à l'encontre des travailleurs protestataires ; aucune réduction de salaire ne doit être effectuée pendant la durée de la protestation ; les travailleurs ne doivent entreprendre aucune action préjudiciable à la direction ; et Samsung doit soumettre au conciliateur des réponses écrites à la charte des revendications présentée par le Siwu”, détaille The Hindu.
La demande d'enregistrement du syndicat sera examinée par un tribunal de Madras. “Le Siwu avait accusé l'État du Tamil Nadu de soutenir Samsung et de retarder l'enregistrement du syndicat”, un droit constitutionnel en Inde, rappelle le quotidien.
Alternative à la Chine
L'usine de Sriperumbudur produit des climatiseurs, des réfrigérateurs, des compresseurs, des téléviseurs LED et des composants liés à la technologie 5G et contribue à un tiers du chiffre d'affaires de 12 milliards de dollars (11 milliards d'euros) du géant sud-coréen en Inde.
Lire aussi : Social. Le géant coréen Samsung est confronté à sa “toute première grève”
Cette grève menaçait “de jeter une ombre sur la tentative du Premier ministre Narendra Modi de positionner l'Inde comme une alternative viable à la Chine pour les activités manufacturières”, juge la BBC.
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Le mirage des énergies « renouvelables »

Depuis la COP (Conference of Parties) 21 qui s'est tenue à Paris en novembre 2015, toutes les parties signataires de l'accord alors conclu se sont engagées à promouvoir des politiques visant à contenir « l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels [tout] en poursuivant l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». Au cœur de ces politiques gît l'impératif de « décarboner l'économie », notamment la production d'énergie, en réduisant substantiellement et rapidement le recours aux énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) dont la combustion émet des gaz à effet de serre (GES), au premier chef du dioxyde de carbone (CO2), dont l'accumulation dans l'atmosphère est responsable du changement climatique. Cela suppose de leur substituer des énergies « renouvelables »[1].
Tiré de A l'Encontre
15 octobre 2024
Par Alain Bihr
Des camions Hugelshofer sont stationnés sur la place à côté de la halle de chargement couverte de panneaux solaires pour les camions électriques de Hugelshofer Logistik AG, photographiés le jeudi 29 août 2024 à Frauenfeld (Suisse).
Ces dernières sont multiples. La principale d'entre elles est l'énergie fournie par le rayonnement solaire qui se présente à nous sous différentes formes. Les unes sont directes : l'énergie thermique et la biomasse végétale, qui concentre l'énergie solaire par l'intermédiaire de la photosynthèse et peut nous fournir du bois, du méthane ou de l'éthanol, qui sont autant de combustibles [2]. Les autres sont indirectes : l'électricité photovoltaïque, éolienne (les courants atmosphériques procèdent, outre de la rotation de la Terre, des différences de températures, de densités et partant de pressions entre zones atmosphériques, générées par le rayonnement solaire) ou hydroélectrique (l'énergie solaire est le moteur de l'évaporation de l'eau et partant des précipitations pluvieuses et neigeuses sur les sommets, générant les cours d'eau qu'exploitent les centrales hydroélectriques). Viennent ensuite la géothermie, superficielle ou profonde, et son équivalent maritime (exploitant la différence de température entre eaux de surface et eaux profondes, ce qui n'est cependant possible qu'en zone tropicale) [3]. Enfin l'énergie cinétique des mouvements des mers et océans (vagues, houles, marées, courants marins, etc.), engendrés par les vents et par des phénomènes astronomiques (la rotation de la Terre, l'attraction du Soleil et de la Lune) : énergie énorme, convertissable en électricité par l'intermédiaire d'hydroliennes ou turbines hydrauliques, mais dont l'exploitation n'est encore que très peu développée.
Substituer les sources d'énergie renouvelables aux sources d'énergie fossiles revient donc, en bonne partie, à remplacer l'exploitation de l'énergie solaire sous forme de stocks constitués, directement ou indirectement, par elle au cours de l'histoire de la Terre (charbon, pétrole et gaz naturel procèdent de la fossilisation de la biomasse antérieure) à son exploitation sous forme de divers effets produits par son flux actuel. De fait, à elle seule, l'énergie solaire serait très largement en mesure de couvrir l'ensemble des besoins énergétiques de l'humanité actuelle et future :
« L'énergie solaire totale absorbée chaque année par l'atmosphère terrestre, les océans et les masses terrestres est d'environ 122 PW·an [PW : pétaW = 1015W], soit 3 850 zettajoules(1021 joules, ou ZJ). En 2002, cela représente plus d'énergie en une heure que la consommation humaine sur une année. Pour comparaison, le vent contient 69 TW·an [TW : téraW = 1012W], soit 2,2 ZJ et la photosynthèsecapture environ 95 TW·an, soit 3 ZJ par an dans la biomasse. La quantité d'énergie solaire atteignant la surface de la planète est si importante que, en un an, elle représente environ deux fois l'énergie obtenue à partir des ressources non renouvelables de la Terre — charbon,pétrole, gaz naturel et uraniumcombinés — exploitées de tout temps par l'homme. L'énergie totale utilisée par l'homme représente en effet, en 2005, 0,5 ZJ, dont 0,06 ZJ sous forme d'électricité »[4].
Certes, cette gigantesque puissance mise à notre disposition par le Soleil n'est sans doute qu'en partie exploitable. « Le World Energy Assessment des Nations unies mentionne un potentiel technique de 7 600 exajoules/an [exajoule ou EJ = 1018 joules], soit dix-huit fois les besoins mondiaux en énergie (…) Des chercheurs de l'Institut de thermodynamique de Stuttgart avancent une estimation de 5,9 » (Tanuro, 2012 : 86).
Remplacer les énergies fossiles par des énergies « renouvelables » ?
Dans ces conditions, substituer totalement les énergies « renouvelables » aux énergies fossiles, en remédiant du coup aux multiples maux écologiques engendrés par le recours à ces dernières semble a priori de l'ordre du possible. Des simulations en ce sens ont été tentées. Par exemple, en supposant que soit nécessaire à l'échelle mondiale à l'horizon 2030 une puissance de l'ordre 17 TW (térawatt = 1012 watts), que l'usage exclusif d'énergie électrique produite par des sources renouvelables (solaire, éolien, géothermique et hydroélectrique) pourrait ramener à 11,5 TW :
« une combinaison de quelque 3,8 millions de grandes éoliennes (5 MW), de 49 000 grandes centrales solaires à concentration (300 MW), de 4 0000 centrales solaires photovoltaïques, de 1,7 milliard d'installations photovoltaïques sur les toits, de 5 350 centrales géothermiques, de 900 centrales hydroélectriques, de 49 0000 hydroliennes, et 720 000 dispositifs utilisant l'énergie des vagues (tous énumérés par ordre décroissant de leur contribution à la demande totale) seraient plus que suffisants pour produire une telle puissance » (McCarthy, 2015 : 2492).
Le tout en ne faisant appel qu'à des technologies existantes et éprouvées. Et, selon les auteurs de la même simulation, la production et l'installation d'un tel système énergétique coûteraient (hors frais de transports) quelque 100 000 milliards de dollars (Md$) sur vingt ans, soit des investissements à hauteur de quelque 5 000 Mds par an (Ibid.). Une simulation plus récente conduit à des estimations du même ordre :
« Dans son dernier rapport sur l'énergie, Bloomberg (New Energy Outlook 2021) estime qu'une économie mondiale en croissance nécessitera un niveau d'investissement dans l'approvisionnement et les infrastructures énergétiques compris entre 92 000 et 173 000 milliards de dollars au cours des trente prochaines années. L'investissement annuel devra plus que doubler, passant d'environ 1 700 milliards de dollars par an aujourd'hui à une moyenne comprise entre 3 100 et 5 800 milliards de dollars par an » (Durand, 2021).
Cependant, la réalisation d'un tel projet se heurterait à des problèmes gigantesques. Les moindres sont d'ordre technique. C'est que toutes les sources d'énergies « renouvelables » ici mises en œuvre exploitent des flux et non des stocks d'énergie. Ce qui implique de disperser les foyers de production le long de ces flux sur toute la surface de la Terre (bien qu'inégalement : certaines localisations sont plus favorables que d'autres) et implique de les mettre en réseau pour leur permettre de s'additionner et se soutenir réciproquement. Cela est par ailleurs rendu indispensable du fait de l'intermittence de la plupart d'entre elles (à l'exception de la géothermie) : la lumière solaire ne nous parvient qu'en partie les jours où le ciel est couvert et surtout pas la nuit sur la moitié de la Terre ; le vent ne souffle pas en permanence ; le débit des cours d'eau varie selon les saisons, etc. ; il faut donc compenser les creux de production des unes par les crêtes de production des autres. Enfin, essentiellement productrices d'électricité, ces énergies se heurtent au fait que l'électricité ne se stocke pas, peu ou mal : elle se consomme de préférence dans le temps même où elle est produite. Elle peut cependant se stocker indirectement en étant convertie en différentes formes d'énergie potentielle : mécanique (des volants d'inertie, des retenues d'eau alimentées par de l'eau pompée en aval et activant des centrales hydroélectriques lorsque celle-ci est relâchée, la compression de gaz dans d'anciennes mines) ou chimique (dans des piles et accumulateurs ou sous forme d'hydrogène pouvant servir dans des piles à combustible). La solution de l'ensemble de ces problèmes techniques passerait par la réalisation des réseaux d'électricité dits intelligents (pilotés informatiquement) ou smart grids et de capacités de stockage massives, les deux à l'échelle de continents entiers.
Plus délicats apparaissent les problèmes que soulèverait le financement d'un tel projet. Celui-ci supposerait, comme on l'a vu, des investissements massifs de capitaux, demandant à être stimulés, soutenus et garantis par les Etats sous forme d'aides et de subventions, d'autant plus que ces investissements impliqueraient de lourdes immobilisations (une importante composante fixe de capital constant). Or, si une partie du capital tire d'ores et déjà profit du développement des énergies « renouvelables » et est certainement prête à s'y investir encore davantage (d'autant plus que le prix des installations productrices d'énergies « renouvelables », notamment solaires et éoliennes, ne cesse de baisser), il n'en va pas de même du capital industriel qui se valorise actuellement par l'exploitation des énergies fossiles, adossé à la partie du capital financier qui lui sert de banquier ou qui spécule sur le cours de ses actifs. Tous ces capitaux ont tout à craindre du développement des « énergies » renouvelables, qui non seulement leur prennent d'ores et déjà des parts de marché mais menacent de dévaloriser l'immense stock de leurs capitaux fixes en fonction avant qu'il n'ait eu le temps de s'amortir, stock matérialisé dans le système énergétique actuel [5], et de dévaloriser de même les réserves de combustibles fossiles sur la valorisation desquelles ils ont trouvé à se financer (sous forme de prêts, d'obligations ou d'actions). Comptant parmi les plus gros capitaux (les capitaux les plus concentrés), constituant le plus souvent des monopoles au niveau national et formant de véritables oligopoles au niveau mondial, les compagnies charbonnières, pétrolières et gazières (idem pour les compagnies nucléaires) disposent d'un pouvoir économique et politique considérable, capable d'entraver l'évolution des législations au niveau des Etats et de saboter les négociations internationales, comme en témoigne leur intense lobbying dans le cadre de la mise en œuvre de la Conférence cadre des Nations Unies sur le changement climatique par les COP successives. Elles peuvent d'ailleurs faire valoir qu'elles continuent à fournir plus des quatre cinquièmes de l'énergie consommée dans le monde (cf. infra), que leurs produits sont faciles à stocker et à transporter et que, contrairement aux énergies « renouvelables », les énergies fossiles ne sont pas tributaires des aléas climatiques et répondent donc aux exigences de continuité et de célérité du procès capitaliste de production – en passant évidemment sous silence, en déniant ou en minimisant les dégâts écologiques qu'elles provoquent comme elles ne cessent de le faire depuis des lustres.
Dans ces conditions, d'une part, ces entreprises transnationales ne participeraient que marginalement au financement du développement des énergies « renouvelables ». D'autre part, elles useraient de tout leur poids politique pour freiner ce développement (notamment pour limiter autant que possible les réductions d'émissions de GES) ; et leur pression serait d'autant plus efficace que l'Etat serait amené à jouer un rôle clef dans le passage d'un système énergétique basé sur les énergies fossiles à celui fondé sur les énergies « renouvelables ». C'est qu'une telle transition ne pourrait être laissée au bon soin du seul marché ; elle supposerait l'intervention des Etats pour orienter et soutenir les investissements de capitaux dans le cadre de véritables politiques industrielles, pour faire évoluer les législations et réglementations des marchés de l'énergie, pour surveiller la régulation des smart grids et les sites de stockage d'énergie, pour prendre en charge pour partie au moins les programmes de recherche scientifique et de recherche-développement rendus nécessaires par les bouleversements techniques occasionnés par cette transition, etc. Enfin, la dévalorisation des capitaux de ces transnationales du charbon, du pétrole et du gaz impliquerait tout aussi bien la destruction de la masse considérable de capital fictif dont les actifs (titres de crédit ou de propriété) reposent sur ces industries, qui feront eux aussi défaut pour financer le développement des énergies « renouvelables ».
Les problèmes les plus sérieux que ne manquerait pas de rencontrer ce dernier seraient cependant d'ordre géopolitique. D'une part, l'indispensable déploiement de réseaux continentaux d'unités de production ou de stockage d'énergie électrique à partir de sources renouvelables supposerait une coopération intense et fiable, à la fois technique, juridique et administrative, entre Etats-nations, en dépit des conflits d'intérêts qui pourraient continuer à les opposer, notamment quant à la localisation de ces unités, source de revenus fiscaux et gage de synergies socio-économiques. D'autre part, le déploiement de tels réseaux et capacités de stockage serait gourmand en emprise sur les surfaces terrestres et maritimes (le nouveau système énergétique couvrirait 2 % de la surface terrestre totale dans le scénario précédent selon McCarthy, 2015 : 2493, soit quelque 10 millions de km²), en risquant de se faire au détriment des autres usages de ces dernières et des populations qui ont le moins de moyens de défendre leurs droits d'usage traditionnels sur ces espaces. Il affecterait en priorité les zones rurales, qui offrent de l'espace disponible à faible prix, en y créant une source certaine de conflits au sein des Etats comme entre eux, notamment dans les rapports entre formations centrales et formations périphériques, qui concentrent les localisations les plus favorables à certaines énergies « renouvelables » (notamment le solaire). Enfin, le fait que cette emprise s'effectuerait notamment sur des parties du globe (telle la haute mer) ou des phénomènes naturels (tels la lumière solaire, le vent, la houle ou la chaleur terrestre), qui étaient jusqu'alors juridiquement des res communes, des choses communes n'appartenant à personne et librement disponibles pour tous et qui vont se trouver privatiser à des fins de valorisation, est également susceptible d'aviver de tels conflits ; pensons en particulier aux espaces maritimes situés hors des zones d'exclusion économique sur lesquels pourraient vouloir s'installer des mégafermes d'éoliennes géantes. Toutes ces occurrences renvoient en définitive à la traditionnelle contradiction entre la socialisation des forces productives qu'induisent le développement de la production capitaliste et le cadre maintenu des rapports capitalistes de production, de propriété et de fragmentation de l'espace mondial en Etats-nations souverains dans lequel ce développement a lieu.
Ajoutons qu'une pareille exploitation à échelle planétaire des énergies « renouvelables » ne saurait méconnaître leur empreinte écologique* qui est rien moins que négligeable. La combustion de la biomasse émet des particules fines. La construction des barrages des retenues d'eau alimentant les centrales hydroélectriques, nécessitant des masses énormes de béton, émet de grandes quantités de CO2 ; ces retenues peuvent elles-mêmes détruire ou bouleverser gravement des écosystèmes sur de vastes étendues et générer des émissions de GES (notamment de méthane par décomposition de matières végétales). Les alternateurs des éoliennes tout comme les cellules photovoltaïques sont très gourmands en terres rares dont l'extraction est extrêmement polluante ; les pales des éoliennes, constituées de fibres de verre, de fibres de carbone, de résines polyester et de résines d'époxy, ne sont pas recyclables ; leur mouvement génère des sons de basse fréquence et des infrasons capables de nuire à la santé d'êtres humains et d'animaux d'élevage vivant à leur voisinage ; ce même mouvement présente des dangers pour les oiseaux et les chauves-souris ; etc. (Bouglé, 2019 : Chapitre 1 à Chapitre 4).
Signalons enfin que les énergies « renouvelables » sont extrêmement gourmandes en métaux de toutes sortes (fer, cuivre, manganèse, nickel, etc.), bien au-delà des simples terres rares. Sous ce rapport, outre qu'il ferait appel à l'une des industries parmi les polluantes qui soient, l'extraction minière, leur déploiement à vaste échelle se heurterait à une barrière physique autant qu'économique : l'incapacité à extraire du sous-sol les minerais nécessaires et le coût exorbitant et croissant de cette extraction. Ce qu'a reconnu à demi-mot le directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie : « les données montrent un décalage entre les ambitions climatiques de la communauté internationale et la disponibilité des métaux critiques qui sont essentiels à la réalisation de ces ambitions » (cité par Pitron, 2023 : 251).
L'introuvable « transition énergétique »
De tous ces problèmes, les partisans les plus lucides des « énergies » renouvelables sont pour partie conscients. Aussi n'ambitionnent-ils nullement, au rebours du scénario précédent, de porter leur développement au niveau de puissance auquel sont parvenues les énergies fossiles. Dans la « transition énergétique » qu'ils appellent de leurs vœux, le développement des énergies « renouvelables » ne vient qu'en troisième lieu : doit primer selon eux la sobriété énergétique, doublée de l'amélioration de l'efficacité (du rendement) des équipements producteurs d'énergie, soit la réduction de la production et consommation d'énergie et non pas la production et consommation d'énergie additionnelle. Autrement dit, ils préconisent de se soucier tout d'abord de produire des négawatts avant de produire des mégawatts, selon l'heureuse formule de l'association négaWatt (Association négaWatt, 2015) [6] ! Mais, ce dont ils ne se rendent pas nécessairement compte, une pareille démarche est précisément incompatible avec le maintien de l'échelle actuelle de développement du procès de reproduction du capital et, plus encore, avec l'objectif de poursuivre une « croissance » économique continue : de perpétuer indéfiniment l'accumulation du capital, impliquant une augmentation non moins continue de la production et de la consommation d'énergie, qui fait de la sobriété énergique une pure utopie dans le cadre du capitalisme.
Et, sous ce rapport, la notion de « transition énergétique » est des plus fallacieuses. Succédant à celle de « crise énergétique » apparue à la suite des chocs pétroliers des années 1970 (Fressoz, 2022), elle suggère en effet qu'il s'agirait simplement aujourd'hui de substituer des sources d'énergie renouvelables aux sources d'énergie fossiles : de passer de celles-ci à celles-là comme la première « révolution industrielle » nous aurait fait passer du bois au charbon et la seconde du charbon au pétrole. Or :
« La mauvaise nouvelle est que si l'histoire nous apprend bien une chose, c'est qu'il n'y a en fait jamais eu de transition énergétique. On ne passe pas du bois au charbon, puis du charbon au pétrole, puis du pétrole au nucléaire. L'histoire de l'énergie n'est pas celle de transitions, mais celle d'additions successives de nouvelles sources d'énergie primaire. L'erreur de perspective tient à la confusion entre relatif et absolu, entre local et global : si, au XXe siècle, l'usage du charbon décroît relativement au pétrole, il reste que sa consommation croît continûment, et que globalement, on n'en a jamais autant brûlé qu'en 2013 » (Fressoz, 2014 : 1-2).
Car, dans le cadre maintenu des rapports capitalistes de production, il n'y a pas plus moyen de passer aujourd'hui des énergies fossiles aux énergies « renouvelables » qu'on n'est passé avant-hier du charbon au pétrole et hier du pétrole à l'énergie nucléaire. Les secondes viennent aujourd'hui s'additionner aux premières, comme avant-hier le charbon au bois et hier le pétrole au charbon, pour répondre à chaque fois à la soif inextinguible d'énergie d'un capital voué à élargir sans cesse l'échelle de sa reproduction (Marx, 1991 : 663-664). Ce qui explique d'ailleurs qu'en dépit d'un développement vigoureux de l'éolien et du solaire au cours de ces trois dernières décennies, la part des énergies fossiles a à peine diminué en demeurant écrasante dans le mix énergétique mondial, ainsi qu'il apparaît dans le tableau ci-dessous.

Rappelons pour conclure que l'industrie pétrolière ne fournit pas seulement ce qui reste aujourd'hui le principal combustible mais aussi la matière première de toute la pétrochimie. Sous ce rapport, elle est non moins indispensable au développement capitaliste, puisqu'elle rend possible aussi bien la production des engrais dont se gave l'agro-industrie que les plastiques qui constituent un des matériaux phares de l'industrie et du commerce capitalistes. Et, de ce point de vue, les énergies « renouvelables » ne présentent aucune alternative aux hydrocarbures. (14 octobre 2024)
Bibliographie
Association Négawatt (2015), Manifeste Négawatt : en route pour la transition énergétique, Arles, Acte Sud.
Bouglé Fabien (2019), Éoliennes : la face noire de la transition écologique, Monaco, Éditions du Rocher.
Durand Cédric (2021), « Le dilemme énergétique. (Et la voie d'une transition écologique démocratique) », https://alencontre.org/, 8 novembre 2021.
Fressoz Jean-Baptiste (2014), « Pour une histoire désorientée de l'énergie », 25es Journées Scientifiques de l'Environnement – L'économie verte en question, Créteil.
Fressoz Jean-Baptiste (2022), « La “ transition énergétique ”, de l'utopie atomique au déni climatique, USA, 1945-1980 », Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, n°69-2.
Marx Karl (1991 [1883]), Le Capital. Livre I, Paris, Presses universitaires de France.
McCarthy James (2015), « A socioecological fix to capitalist crisis and climate change ? The possibilities and limits of renewable energy », Environment and Planning, volume 47.
Pitron Guillaume (2023), La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, 2eédition actualisée et augmentée, Paris, Les liens qui libèrent.
Tanuro Daniel (2012), L'impossible capitalisme vert, Paris, La Découverte.
Tanuro Daniel (2020), Trop tard pour être pessimistes ! Ecosocialisme ou effondrement, Paris, Textuel.
Notes
[1] Les guillemets dont j'assortis ce terme s'expliquent par le fait que, strictement parlant, aucune énergie n'est renouvelable : on ne peut pas consommer deux fois le même kWh d'électricité, qu'il soit généré par des panneaux photovoltaïques ou par une centrale hydroélectrique, pas plus qu'on ne peut brûler deux fois le même kg de bois ou de charbon. Qui plus est, la thermodynamique nous enseigne que, si elle se conserve quantitativement au cours de ses transformations, l'énergie se dégrade qualitativement (elle est de moins en moins utilisable pour un travail donné) en finissant toujours par se dissiper sous forme de chaleur. Sont tout au plus renouvelables les sources d'énergie.
[2] Contrairement à celle du charbon, du pétrole et du gaz naturel, la combustion de la biomasse* végétale n'aggrave pas l'effet de serre naturel puisqu'elle ne fait que renvoyer dans l'atmosphère la quantité de dioxyde de carbone qui a été nécessaire à sa production, à condition toutefois de remplacer les arbres, arbustes, etc., que l'on consomme (consume) par des plantations nouvelles équivalentes en masse.
[3] Remarquons au passage que ces deux premières sources d'énergie renouvelables sont d'origine… nucléaire : l'énergie solaire procède des réactions de fusion nucléaire qui sont au cœur de l'activité du Soleil et l'énergie géothermique des réactions de fission nucléaire (impliquant l'uranium 235 et 238, le thorium 232 et le potassium 40) qui se produisent au sein du noyau terrestre.
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_solaireconsulté le 21 décembre 2023. Le joule (symbole J) est l'unité d'énergie dans le Système international d'unités physiques. C'est l'énergie délivrée par une puissance d'un watt pendant une seconde. Ainsi 1kWh = 3 600 000 J = 3,6 mégajoule (3,6 MJ).
[5] « L'ampleur physique de l'actuel système énergétique basé sur les combustibles fossiles est en effet énorme. Il y a des milliers de grandes mines de charbon et de centrales électriques au charbon, quelques 50 000 champs pétrolifères, un réseau mondial comptant au moins quelque 300 000 km d'oléoducs et 500 000 km de gazoducs et 300 000 km de lignes de transmission » (GIEC, Rapport spécial 1,5°C, résumé pour les décideurs, cité par Tanuro, 2020 : 105).
[6] Cf. aussi https://negawatt.org/IMG/pdf/synthese-scenario-negawatt-2022.pdf
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Des syndicalistes ukrainiens en tournée dans l’État espagnol

Pour la première fois, les dirigeant·es des deux principales centrales syndicales ukrainiennes se sont rendus dans l'État espagnol : Grigori Osovyi et Vasyl Andreiev, président et vice-président de la Fédération des syndicats d'Ukraine (FPU), et Olesia Briazgunova, responsable internationale de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine (KVPU).
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/16/des-syndicalistes-ukrainiens-en-tournee-dans-letat-espagnol/
Le président de la KVPU, Mihaylo Volinets, qui est également membre du Parlement ukrainien (la Verkhovna Rada), a dû rentrer à Kyiv à mi-chemin, convoqué en tant que membre de la commission chargée de l'énergie en raison de la gravité de la situation après les dernières attaques de la Russie contre des centres énergétiques clés. Ce détail montre à quel point la tournée était compliquée en pleine guerre et combien la délégation ukrainienne y attachait de l'importance.
Les syndicalistes qui sont venus ont un long parcours. Grigori Osovyi vient de l'ancien syndicat officiel, affilié au Conseil central des syndicats de toute l'Union, qui est devenu le FPU après l'indépendance de l'Ukraine. Il a été membre du Parti communiste, mais n'est aujourd'hui affilié à aucun parti. Olesia est une syndicaliste jeune, mais elle a milité pendant des années au sein de la KVPU. Ce syndicat indépendant s'est constitué à partir du rassemblement des syndicalistes qui avaient participé aux grèves minières et autres, notamment dans le Donbass, c'est le cas de son président, Mihaylo Volynets, et de sa vice-présidente, Natalia Levytska. La KVPU a été créée à la fin de l'année 1998. Vasyl Andreiev, ouvrier du bâtiment depuis l'âge de 14 ans, a rejoint le FPU : malgré sa relative jeunesse, il en est le vice-président et le responsable international.
Les mots prononcés par Vasyl lors de la manifestation du dernier jour de la tournée sont éloquents quant à leurs attentes : « Nous sommes venus pour parler d'ouvrier à ouvrier. »
Des rencontres avec des syndicalistes de l'UGT et des parlementaires
La venue de la délégation des deux centrales syndicales ukrainiennes a été rendue possible grâce à l'invitation de l'UGT espagnole [1]. En février 2024, une délégation de l'UGT de Catalogne s'était rendue à Kyiv pour participer à une conférence internationale de solidarité syndicale à l'occasion du deuxième anniversaire de la guerre. Le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (RESU) avait favorisé et aidé aux contacts et aux rencontres précédentes à Paris et, en tant que responsable de la coordination syndicale du RESU, j'avais eu le privilège de les accompagner. Les menaces d'attaques nous avaient obligés à nous cacher dans l'abri de l'hôtel, notre délégation était la seule représentation internationale présente à la conférence de Kyiv. Les préparatifs de la tournée dans l'État espagnol avaient alors commencé, et c'est l'UGT qui nous a permis de concrétiser ce projet.
La première partie de la visite a été constituée par les réunions à Barcelone et à Madrid avec les responsables des différentes fédérations de l'UGT, où nous avons pu partager nos expériences et nos préoccupations.
Les visites à Barcelone et à Madrid ont été un succès. Au cours d'une semaine épuisante de réunions, d'événements, d'entretiens et de visites, nous avons discuté et avancé dans plusieurs actions possibles pour aider les syndicats, les réfugié·es et les immigré·es.
Au Parlement catalan, la délégation a rencontré le président, Josep Rull (Junts per Catalunya), qui s'est montré intéressé et espère pouvoir organiser une autre visite avec ces syndicats afin de les entendre à l'occasion d'une session parlementaire ou d'une commission. La délégation a également eu des rencontres avec différents groupes politiques : Partit dels Socialistes de Catalunya (PSC), Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) et Junts, qui se sont engagés à les aider dans divers domaines. La délégation ukrainienne a souligné le rôle des syndicats dans la guerre et la reconstruction, et s'est engagée à aider les parlementaires catalans à établir des contacts avec la Verkhovna Rada.
À Madrid, les syndicalistes ukrainiens ont rencontré les groupes parlementaires des Cortes du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), de Sumar et de l'ERC. Ces groupes parlementaires souhaiteraient les aider notamment sur les programmes de formation syndicale et sur les réglementations européennes en matière de travail et de droits [2]. Ces réunions ont également concerné des fonctionnaires du Parlement espagnol des commissions des affaires étrangères, du travail, de l'économie sociale, de la migration et du pacte de Tolède (système de retraites), ainsi que des responsables du gouvernement catalan, la Generalitat, chargés de l'Union européenne et de la mairie de Barcelone.
Dans les manifestations de la Diada, avec les indépendantistes
Outre ces représentants politiques, la délégation ukrainienne a rencontré (en Catalogne) des associations de la société civile telles que Òmnium Cultural, le Centre international Escarré pour les minorités ethniques et nationales, le Centre de Barcelone pour les affaires internationales et l'Institut international catalan pour la paix, ainsi que différentes associations ukrainiennes, y compris la présidente des associations ukrainiennes en Espagne et l'ambassade ukrainienne des arts à Barcelone.
Les syndicalistes ukrainiens ont participé aux événements de la Diada de Catalunya (11 septembre). Devant la statue de Rafel de Casanova (la plus haute autorité militaire et politique de Catalogne pendant le siège de Barcelone par les Bourbons en 1714) et avec les syndicats UGT et Comisiones Obreras, les Ukrainiens ont apporté leur hommage, avec des fleurs bleues et jaunes symbolisant leur drapeau.
La situation de la classe ouvrière ukrainienne
La première chose que les syndicalistes nous ont expliquée, c'est que la guerre affecte gravement la vie de l'ensemble de la population active. Cela a commencé en 2014 avec l'occupation de la Crimée et de certaines parties du Donbass, mais avec l'invasion à grande échelle de 2022, la situation est devenue terrible au quotidien partout en Ukraine. « À cause de la guerre, 2,7 millions d'emplois directs ont été perdus dans la construction, l'alimentation, l'industrie. Nos adhérents sont également sur le front ; d'autres en exil. Tout cela a entraîné une baisse très importante des adhésions. Au total, 9 millions d'emplois ont disparu », a expliqué Grigori Osovyi, avant d'ajouter que pour comprendre l'ampleur de la guerre, il ne fallait pas oublier les tirs nuit et jour de roquettes qui empêchent la population de se reposer. Olesia Briazgunova a enfoncé le clou :
Les enfants et les jeunes qui sont obligés de se réfugier tous les soirs grandiront dans un climat de peur. Qu'arrivera-t-il aux enfants et aux femmes cet hiver ?
Les salarié·es se battent sur le front
Selon Vasyl Andreiev, « 20% de nos membres sont actuellement soldats. Notre pays est en guerre car nous avons été attaqués. Nos camarades nous manquent sur les lieux de travail parce qu'ils se battent pour défendre le pays ». Grigori ajoute :
L'équilibre mondial est très affaibli. Il n'y a pas d'instance mondiale qui puisse appuyer sur un bouton et rétablir la paix, voilà la réalité. L'Espagne nous aide militairement, ainsi que les États-Unis et l'Europe, mais ils ne nous ont pas envoyé des roquettes ou des munitions en quantité suffisante. La Russie dispose d'un million de munitions. Vous nous donnez 20% de ce que la Russie utilise contre nous. Il n'y a pas de roquettes, il nous faut au moins des drones.
Olesia, elle, déclare :
Merci beaucoup pour l'aide militaire que l'Espagne apporte. Elle nous aide à nous défendre. Le peuple ukrainien ne lâche pas, il se battra toujours pour sa liberté. Aujourd'hui, un de nos camarades est mort. Nous payons un prix très élevé pour notre souveraineté et pour la défense de l'Europe.
Selon Olesia, « l'armée russe a le projet de détruire tout ce qui est indispensable à la vie des gens et à l'économie de l'Ukraine : l'énergie, l'eau, les communications. Il est dangereux de travailler dans les mines, dans les centrales nucléaires, qui sont attaquées, dans les centres de distribution d'électricité : l'énergie électrique est vitale pour le pays. Sans électricité, il est très dangereux de travailler dans les zones minières et dans les mines : 51 mineurs ont été pris au piège lors de bombardements. Mais les mineurs continuent à travailler malgré le risque de nouvelles frappes aériennes. » Grigori explique à un député à Madrid que « 26% du territoire ukrainien est occupé par la Russie. Il n'y a pas de conditions pour des négociations ». Il propose deux solutions :
L'Ukraine peut gagner. Si les relations économiques avec la Russie sont rompues, l'agresseur devra arrêter. La Russie n'aura plus d'argent dans un mois si toutes les relations économiques étaient rompues.
L'autre solution : « Si nous perdons du territoire, la Russie entrera à Kyiv. Puis en Pologne. Et ce pourrait être la troisième guerre mondiale. »
La propagande poutiniste vise les travailleur·euses russes et l'Espagne même
Au cours des contacts avec les groupes parlementaires, la délégation a entendu des questions et des opinions sur la paix qui l'ont étonnée. Bien que préoccupés en permanence par la situation dans leur pays, des sourires affleurent de temps à autre. Olesia écarquille ses yeux clairs quand elle entend des affirmations telles que « le plus urgent, c'est la paix, car tout le monde y laisse sa peau », sans distinction entre l'agresseur et l'agressé. À Barcelone, Grigori a déclaré :
Ils disent que la Russie a fait une « guerre préventive » parce que l'Ukraine aurait voulu l'attaquer. Ils disent aussi que l'Ukraine est nazie. Nous avons notre fierté nationale, nous avons une longue histoire, mais nous n'avons jamais été nazis. Autre mensonge : le Sud, le Donbass, sont des territoires russes. Nous sommes étonnés et affolés de voir que 70% des Russes croient à ce mensonge. Et 70 à 80% des Russes pensent que l'Ukraine n'a pas le droit d'exister, que nos terres sont russes. Il est difficile de faire arriver la vérité dans la tête de ces gens.
À Madrid également, Grigori a déclaré :
Un syndicat russe [la Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR)] soutient pleinement l'agression de son pays. Dans les zones occupées, nous, militants syndicaux, avons dû partir à cause de la répression. Ce syndicat aide à remplacer nos adhérents et place les siens. La langue ukrainienne est également remplacée. Un documentaire primé sur les soldats russes [Intercepted] montre tout naturellement qu'ils veulent gagner la guerre et qu'ils font tout ce qu'il faut pour cela.
Et de marteler : « Il n'y a pas de conditions pour négocier la paix. » Olesia ajoute : « Plus de 2 000 syndicalistes et fonctionnaires des territoires occupés ont été enlevés. »
La FPU et la KVPU se sont notamment battues pour tenter d'expulser la FNPR de l'Organisation internationale du travail (OIT). Ce syndicat russe avait invité Poutine à parler lors de son congrès et avait manifesté son soutien total à l'« opération militaire spéciale » contre l'Ukraine. Lors de la dernière conférence de l'OIT, les syndicats ukrainiens sont presque arrivés à exclure la FNPR de la direction, mais l'absence de soutien fort de la part de la direction de la Confédération syndicale internationale (CSI) les en a empêchés. La représentation de la FNPR n'a été élue qu'à une voix près – jamais auparavant la FNPR n'avait bénéficié d'un soutien international aussi faible ! Dans le même temps, le syndicaliste ukrainien Vasyl Andreiev a été nommé à l'un des 19 sièges de suppléant sans aucune opposition. Une belle réussite.
Le dialogue social entre le gouvernement et les syndicats
L'un des principaux objectifs de la visite était de permettre aux syndicats ukrainiens d'expliquer leur relation avec le gouvernement ukrainien et leur point de vue sur la politique économique et de l'emploi du gouvernement. S'ils ont été très clairs quant à la nécessité de se défendre contre l'agresseur et de soutenir l'armée et le gouvernement dans le domaine militaire, ils ont été tout aussi clairs quant à leur dénonciation du néolibéralisme et des attaques du gouvernement contre les travailleurs : le gouvernement ukrainien profite de la situation de guerre pour affaiblir les syndicats et s'attaquer aux conditions de vie de la classe ouvrière.
Grigori
Le deuxième jour après l'occupation russe, la Rada a adopté une loi militaire. Nous, les syndicats, avons essayé de l'adoucir. Elle suspendait des droits des travailleurs comme les manifestations ou les grèves. Toutes ces restrictions doivent être annulées comme si nous étions en temps de paix. L'année dernière, nous avons constaté qu'un tiers des lois adoptées nous desservent. Certains députés défendent nos positions. La question est que le gouvernement nous écoute au Parlement. Les politiciens nous écoutent en période d'élections, mais il n'y a pas d'élections dans notre pays pour l'instant. Le gouvernement est dominé par un seul parti, il n'y a pas de coalition. Nous savons que la guerre entraîne une concentration du pouvoir, mais les droits des travailleurs doivent être respectés.
Vasil
En peu de temps, 30 000 lois ont été modifiées en Ukraine. Notre syndicat participe au processus d'adaptation des lois depuis 2015. Les changements les plus radicaux engagés par gouvernement à l'encontre des travailleurs ont concerné le Code du travail et les normes de sécurité. Nous avons besoin de former des experts, nous avons besoin de fonds pour cela. Des cours de deux semaines pour former des salariés experts dans les normes des secteurs comme la construction, la métallurgie, le secteur maritime. Les syndicats ne peuvent pas le faire seuls. L'expérience de l'Espagne, qui fait partie de l'Europe, peut nous être très utile.
Olesia
Nous avons besoin d'aide pour comprendre et adapter des réglementations espagnoles qui pourraient être utiles à l'Ukraine. L'intégration à l'UE est très importante pour la jeune génération d'Ukrainien·nes, qui s'attend à une amélioration de ses conditions de vie.
Les parlementaires espagnols, les porte-parole de différentes commissions pour le dialogue entre les syndicats, le gouvernement et les partis, se sont montrés particulièrement intéressés par ce point. La formation des syndicalistes ukrainiens aux lois européennes et aux exemples de leur mise en œuvre en Espagne pourrait être l'un des aspects concrets et utiles de cette visite. La députée du PSOE Elisa Garrido a posé une question à la fin : « Y a-t-il des contacts et un dialogue entre les syndicats et le gouvernement ukrainien ? » La réponse de Grigori Osovyi a été claire et concise : « Contact oui, dialogue non. »
La reconstruction du pays
Dans une situation où l'on compte plus de 5 millions de personnes déplacées, des dizaines de milliers de blessé·es et de handicapé·es, des personnes qui seront touchées à vie, parler de reconstruction du pays après la guerre, c'est d'abord créer les conditions pour que les travailleuses et les travailleurs reviennent, qu'ils aient un toit, un salaire décent et des conditions de vie et de services convenables. En d'autres termes, il ne s'agit pas seulement d'une reconstruction économique et des infrastructures, mais aussi d'une reconstruction sociale.
Dans le cas contraire, on pourrait assister à une grande opération économique aux profits juteux où de grandes multinationales se partageraient les territoires et les emplois, en profitant de l'endettement de l'Ukraine ou des fonds européens, en embauchant des travailleuses et des travailleurs migrant·es du monde entier sans accords ni règles, avec des bas salaires et un manque de sécurité. Ce type de reconstruction signifierait un changement pour le pire en Ukraine. Il faut éviter ça. Mais si nous ne voulons pas de ce scénario, nous devons aider les syndicats à jouer un rôle clé dans la reconstruction.
Vasyl, responsable du secteur de la construction de la FPU, est très clair :
Nous manquerons de main-d'œuvre par rapport à l'énorme destruction en cours… Nous devons créer les conditions pour que les gens qui ont dû partir puissent revenir. Olesia souligne le rôle des femmes, « qui remplacent les hommes aux avant-postes dans de nombreuses professions, y compris dans la métallurgie et l'exploitation minière. Nous devons réglementer leur participation à l'avenir en leur accordant des droits égaux ».
Grigori affirme que « celui qui doit payer pour la reconstruction est celui qui a provoqué cette guerre et ses désastres : la Russie. » Il demande de l'aide pour que les syndicats soient impliqués dans le processus de planification de cette reconstruction. Selon lui, le gouvernement ukrainien et les grandes entreprises marginalisent les syndicats de tous les projets et discussions. Il dénonce que, lors de la dernière conférence sur la reconstruction organisée à Berlin par les gouvernements allemand et ukrainien, « sur les 2 000 participants entre les gouvernements et les employeurs, il n'y avait que deux syndicalistes ».
Donner une suite à cette tournée et concrétiser nos engagements
Il y a sans doute encore beaucoup d'aspects et de détails qui mériteraient d'être expliqués au sujet de cette visite. Je pense avoir traité les plus importants. Les associations, organisations, partis et personnes qui ont assisté à certaines réunions, conférences ou événements ont pu entendre, toucher et sentir ce qui se passe en Ukraine et les conséquences de cette guerre d'agression pour la classe ouvrière ukrainienne. Il ne s'agissait pas d'une visite d'un gouvernement, ni du récit d'un média ou des réseaux sociaux : il s'agissait de syndicalistes en chair et en os. Un privilège.
Il nous appartient maintenant de diffuser, organiser et mettre en œuvre ce que nous avons entendu et de décider de la place que nous voulons occuper dans l'aide aux syndicats ukrainiens. Ils nous ont exprimé ce dont ils avaient besoin : générateurs, locaux, soutien psychologique, formation syndicale, lutte contre la désinformation, aide et organisation des réfugié·es que l'on pourrait faire adhérer aux syndicats, soutien politique au rôle des syndicats dans la reconstruction…
Maintenant, que chacun prenne sa place.
[1] https://www.ugt.es/ugt-recibe-los-maximos-dirigentes-de-los-sindicatos-de-ucrania-en-espana
[2] Á propos du meeting de Madrid organisé par le Réseau ibérique de solidarité avec l'Ukraine (RISU) et des réactions des Ukrainiennes et Ukraininens résidant dans l'Etat espagnol, notamment le texte d'une participante, voirwww.trasversales.net/t67sindiucra.htm
Alfons Bech
Alfons Bech est membre des CCOO, du Réseau ibérique de solidarité avec l'Ukraine et coordinateur syndical du RESU.
21 septembre 2024.
Traduction Mariana Sanchez.
Paru dans Soutien à l'Ukraine résistante (Volume 34)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/11/ce-nest-quun-debut-continuez-a-tergiverser/
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Argentine. Les chiffres impitoyables de l’économie à la Milei

[La scène sociale et politique de l'Argentine est marquée ces jours par une importante mobilisation des étudiants universitaires. Le 9 octobre, le président Javier Milei a imposé un veto à toute revalorisation des frais de fonctionnement des universités et des salaires des enseignants du supérieur. Ce veto intervient suite à l'approbation par le Sénat, le 13 septembre, d'une revalorisation devant permettre d'absorber les effets de l'inflation. Actuellement, plus de 30 universités ont voté la grève jusqu'au 17 octobre et le débat sur les initiatives à venir occupe de très nombreuses facultés dans tout le pays. La manifestation étudiante du 9 octobre a réuni un nombre très important d'étudiants. Les menaces autoritaires se sont multipliées. Le porte-parole du gouvernement a qualifié de délit l'occupation de facultés dans les universités. Il a encouragé la justice à intervenir. Ce mouvement s'inscrit dans les politiques d'ajustement développées depuis décembre 2023. Rolando Astarita expose ici de manière détaillée les données de la situation socio-écnomique. Réd. A l'Encontre]
17 octobre 2024 | tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/ameriques/amelat/argentine/argentine-les-chiffres-impitoyables-de-leconomie-a-la-milei.html
Nous avons déjà analysé la politique économique du gouvernement de La Liberta Avanza (LLA). Dans cet article, nous mettons à jour quelques données sur l'économie argentine en ce début d'octobre 2024. Nous ne prétendons pas à l'originalité. Nous voulons simplement contribuer à la critique qui monte de nombreuses autres zones de résistance à une politique brutale dirigée contre les travailleurs et travailleuses, ainsi que les classes dépossédées et appauvries. Commençons par les chiffres de la pauvreté et de l'indigence fournis par l'INDEC (Instituto Nacional de Estadística y Censos de la República Argentina).
Pauvreté : 52,9% de la population. Soit 24,8 millions de personnes. Fin 2023, la pauvreté était de 42%. Aujourd'hui, il y a 5,4 millions de pauvres de plus qu'au 2e trimestre 2023. La pauvreté des enfants se situe à 66%.
L'indigence : 18,1 %. Cela représente 8,5 millions de personnes, soit 3 millions de plus qu'au 2e trimestre 2023. 27% des enfants de moins de 14 ans sont indigents. A la fin de l'année 2023, l'indigence se situait à 11%.
En outre, 23% des enfants âgés de 3 à 5 ans ne fréquentent pas d'établissements d'enseignement formel ; 35 % des jeunes n'ont pas terminé l'école secondaire.
Selon l'Observatorio de la Deuda Social Argentina, de l'Universidad Católica Argentina, dans une recherche conjointe avec la Banco Hipotecario, 56% des enfants dans les centres urbains manquent d'accès à un système de canalisations, de trottoirs et de chaussées ; 53% n'ont pas accès au gaz ; 38% n'ont pas de systèmes d'égouts. Dix-neuf pour cent ont des conditions de logement précaires et 18% souffrent de promiscuité. C'est sur ce « corps social », en chair et en os, que le gouvernement LLA applique « l'ajustement » des dépenses publiques.
Chute des salaires
Depuis l'arrivée au pouvoir de Javier Milei [10 décembre 2023], on assiste à une forte baisse des salaires réels, par le biais de la pression inflationniste. En juillet 2024, l'augmentation moyenne (interannuelle) des salaires était de 206%. Ce mois-là, les salaires des employés de l'Etat ont augmenté, en glissement annuel, de 170% ; ceux du secteur privé non enregistré (déclaré) de 178% ; ceux du secteur privé enregistré ont augmenté de 235,1%, toujours en glissement annuel.
D'autre part, l'inflation, en juillet, en variation annuelle, était de 263,4%. Par conséquent, les salaires des employés de l'Etat ont baissé, en termes réels, de 25,7% ; ceux du secteur privé non enregistré ont baissé de 23,2% ; ceux du secteur privé enregistré ont baissé, en termes réels, de 7,8%.
Manœuvres rhétoriques
Pour masquer la brutalité de ces données, le gouvernement a recours à des comparaisons trimestrielles ou mensuelles. Dans le cas de la pauvreté, les 52,9% pour le semestre indiqués par l'INDEC proviennent de la moyenne des données des deux premiers trimestres : la pauvreté au premier trimestre 2024 était de 55% ; au deuxième trimestre, elle est tombée à 51%. Milei utilise cette baisse pour affirmer que « la pauvreté diminue ». Il fait quelque chose de similaire avec l'évolution des salaires. Etant donné qu'au cours des quatre derniers mois, les augmentations salariales ont été légèrement supérieures à l'inflation, une fois de plus, le discours officiel est « les salaires augmentent ». Il dissimule ainsi la forte baisse des salaires à moyen et long terme et l'augmentation, également à moyen et long terme, de la pauvreté et de l'indigence. Les rebonds ne sont que cela, des « augmentations » qui ne modifient donc pas la tendance de fond.
Plus généralement, c'est une règle dans le capitalisme que lorsque des crises et des dépressions majeures se produisent, il arrive un moment où la baisse des salaires atteint un plancher et où les revenus se redressent quelque peu, en même temps que l'activité économique rebondit. Mais cela n'efface pas le fait que 1° la crise est payée par les travailleurs et les travailleuses et les secteurs populaires ; 2° les salaires finissent par être inférieurs à ce qu'ils étaient au début de la crise ; 3° la pauvreté et l'indigence restent à des niveaux supérieurs à ce qu'ils étaient avant la crise.
Comme Marx l'a justement mis en garde, lorsqu'on parle de salaires, ce qui compte, c'est le long terme, plutôt que les changements à court terme. Et ce qui s'impose aujourd'hui comme une tendance en Argentine, c'est une chute profonde des salaires réels (c'est-à-dire du panier de biens qui servent à reproduire la force de travail) de millions de travailleurs.
L'économie en toile de fond
Le produit intérieur brut (PIB) a baissé de 1,7% en glissement annuel au deuxième trimestre de 2024 et de 1,7% par rapport au premier trimestre. Au cours du premier semestre de l'année, la baisse a été de 3,4%. Au deuxième trimestre, il aurait atteint un plancher, mais il n'y a aucun signe d'une reprise significative et durable. Pour l'instant, il n'y a que de faibles rebonds, sans que l'économie ne sorte du trou. Selon le Relevamiento de Expectativas de Mercado (REM-Enquêtre sur les anticipations du marché), l'enquête menée par la Banque centrale, l'activité économique au troisième trimestre 2024 a augmenté de 1,1% à 1,6% par rapport au deuxième trimestre. Une croissance plus faible, comprise entre 0,6% et 0,9%, est attendue au quatrième trimestre par rapport au troisième. Il en résulte que l'économie clôturerait l'année avec une baisse du PIB comprise entre 3,8% et 3,9%.
Autres données : l'estimation mensuelle de l'activité économique (EMAE) indique -3,5% au cours des 7 premiers mois de l'année. Selon la FIEL (Fundación de Investigaciones Económicas Latinoamericanas), la production industrielle a baissé de 0,7% en août par rapport à juillet. Le chiffre cumulé pour les huit premiers mois de l'année est négatif de 10,5%. Selon le cabinet de conseil Orlando Ferreres, l'indice d'activité générale, après avoir progressé de 1% en juillet par rapport à juin, a de nouveau reculé de 0,6% en août. En comparaison annuelle, l'indice est négatif à hauteur de 5,6%.
Toujours en comparaison interannuelle, l'agriculture et l'élevage se sont améliorés, mais l'industrie, la construction et le commerce ont connu de fortes baisses (Ambito Financiero, 28/09/2024). Un rapport de la Surintendance des risques du travail (Superintendencia de Riesgos del Trabajo) indique qu'au cours des six premiers mois de l'année, 9092 microentreprises (les microentreprises sont celles qui comptent moins de cinq travailleurs) ont cessé leurs activités. Et 2634 entreprises plus importantes ont fermé (M. Zalazar, Infobae, 25/09/2024).
Quant à la consommation privée, elle a baissé de 9,8% au 2e trimestre 2024 par rapport au 2e trimestre 2023. La consommation publique, également en glissement annuel, a été inférieure de 6%. Par rapport au 1er trimestre 2024, elle a été négative de 4,1% et de 1,1% respectivement au 2e trimestre 2024 (INDEC). Selon la Chambre de commerce argentine (CAC), en août 2024, la consommation a chuté de 7,8% en glissement annuel et de 1,8% par rapport à juillet ; en juillet, elle avait augmenté de 1,8% par rapport à juin. Au cours des huit premiers mois de l'année, la baisse de la consommation privée a été de 6,4%.
Certains postes sont particulièrement touchés : les loisirs et la culture ont baissé, en août, en glissement annuel, de 21,7%. L'habillement a chuté de 17% en glissement annuel. Selon le cabinet de conseil Scentia, spécialisé dans la consommation de masse, la consommation a baissé en juillet de 16,1% en glissement annuel. En août, la baisse, en glissement annuel, a atteint 20%. Dans le secteur des appareils électroménagers, la baisse a atteint 33%.
Les chiffres fournis par la Confédération argentine des moyennes entreprises (CAME), en ce qui concerne le mois de septembre, coïncident : les ventes au détail ont chuté de 5,2% par rapport au même mois de 2023 ; au cours des 9 premiers mois de 2024, elles ont chuté de 15% en glissement annuel (La Nación, 7/10/204). Les pourcentages de la chute diminuent – de 21,9% en juin à 5,2% en septembre – mais il n'y a pas de signes qu'une phase de récupération de la récession ait commencé. En août, la construction a chuté de 2,9% par rapport à juillet et, sur l'ensemble de l'année, elle a chuté de 30,3%. L'industrie a progressé de 1,5% d'un mois sur l'autre, mais sur l'ensemble de l'année, elle a chuté de 13,6%. Un autre cas révélateur est celui des ventes de voitures neuves (en période de reprise, la consommation de biens durables a tendance à croître fortement). En septembre, les ventes ont augmenté de 5% par rapport à août, mais entre janvier et septembre, elles ont chuté de 11,7% par rapport à la même période en 2023.
Quant à l'investissement, il s'effondre également (voir ci-dessous). On est loin de la reprise en « V » qui, selon Milei et Luis Caputo (Ministre de l'économie depuis décembre 2023), devait se produire à partir de mars ou avril 2024.
Travail informel et décret 847/2024
Selon l'INDEC, au second semestre 2024, 36,4% des travailleurs salariés ne paient pas de cotisation pour la retraite. Cela signifie que ces travailleurs ne bénéficient pas de prestations de base telles que sécurité sociale, les congés payés ou le droit à une indemnité de licenciement en cas de perte d'emploi. Certaines branches sont particulièrement touchées. Dans la construction, 70% des travailleurs ne sont pas enregistrés (déclarés). Parmi les femmes employées de maison, 76% travaillent dans le secteur informel. Ce niveau élevé d'informalité explique que le taux de chômage n'ait augmenté que de deux points de pourcentage (au premier trimestre 2024 il était de 7,7%, au deuxième de 7,6%, contre 5,7% au quatrième trimestre de 2023) malgré le fort ralentissement économique.
Dans ce contexte, le décret 874/2024 [du 26 septembre 2024] consolide et légitime l'informalité du travail. Entre autres mesures, il établit la catégorie des « collaborateurs » : jusqu'à trois « collaborateurs » peuvent être embauchés sans que cela ne crée une relation de dépendance salariale [donc statut de (pseudo)indépendants]. En outre, grâce à l'excuse de la « promotion de l'emploi enregistré », l'employeur est exempté d'amendes, de sanctions ou de contributions pour avoir des employés non déclarés. Le Registre des sanctions du travail est supprimé. Dès lors, les dettes pour non-paiement des cotisations sociales ou autres contributions de l'employeur sont tolérées. De plus, la porte est ouverte à la modification des indemnités de licenciement, les travailleurs « négociant librement » avec les employeurs, dans une position clairement désavantageuse.
Augmentation de la part des profits dans le PIB
Si les salaires baissent plus que le PIB, le rapport entre les profits et les salaires augmente nécessairement, c'est-à-dire que la part des profits dans le PIB augmente. Les « profits » comprennent les bénéfices des entreprises, les rentes (agricoles, minières, immobilières) et les intérêts. En termes marxistes, le taux de plus-value augmente.
Il s'agit là d'une relation fondamentale à observer. Elle montre que le principal conflit social se situe au niveau des classes sociales. Un transfert de la plus-value (générée par le travail) vers les propriétaires des moyens de production et du capital financier est en train de se produire. C'est le fondement ultime de la politique économique de LLA.
Ce transfert se manifeste par l'augmentation du coefficient de Gini, un indicateur du degré d'inégalité des revenus. Au deuxième trimestre 2024, il était de 0,436 (1 indique une inégalité absolue, 0 une égalité absolue des revenus). « Au même trimestre de 2023, il se situait à 0,417, ce qui indique une augmentation significative de l'inégalité en comparaison annuelle » (« Evolución de la distribución del ingreso », INDEC, 2Q 2024).
Autre fait marquant : au 2e trimestre 2024, les 10% les plus riches recevaient 32,5% des revenus, tandis que les 50% les plus pauvres en recevaient 19,9% (INDEC, 31 agglomérations urbaines ; revenus individuels). Le revenu moyen des quatre premiers déciles de la population, classés selon le revenu de l'occupation principale, était de 153'323 pesos (sur la base du taux de change, sur le marché parallèle, de 1300 pesos pour un dollar).
L'investissement
L'investissement est la clé du développement des forces productives (en premier lieu, le développement technologique et la croissance du travail productif).
Or, selon l'INDEC, la formation brute de capital fixe (comprenant les bâtiments, le matériel de transport, les machines industrielles, le matériel informatique et les logiciels) au deuxième trimestre 2024 était inférieure de 29,4% à celle du même trimestre de 2023. Et elle était inférieure de 9,1% à celle du 1er trimestre 2024.
Selon le cabinet de conseil Orlando Ferreres y Asociados, l'investissement réel en août a chuté de 25,8% en glissement annuel. Le chiffre cumulé pour les huit premiers mois de l'année est de -21,5%. En ce qui concerne les machines et les équipements, l'étude a enregistré une baisse de 23,7% en glissement annuel. Les importations d'équipements de production durables ont chuté de 42,8%. Dans la construction, l'investissement a chuté de 27,6% en glissement annuel. Quant à l'investissement public, il a quasiment disparu. Une situation insoutenable à moyen terme. La reproduction du capital est impossible sans investissements dans les infrastructures, dont une grande partie ne peut être réalisée que par l'Etat.
Dans ce dernier sens, la réduction de l'investissement de l'Etat dans la recherche et le développement est également grave (suppression du financement du CONICET (Conseil national de la recherche scientifique et technique), des universités et d'autres organismes tels que l'INTI-Institut National de Technologie Industrielle). L'investissement dans la R&D en Argentine était déjà très faible, à peine 0,52% du PIB (moins que la moyenne de l'Amérique latine, loin de pays comme les Etats-Unis ou la Corée du Sud). Javier Milei et ses semblables veulent les réduire encore davantage. C'est une pure folie, même si l'on considère la question du point de vue du développement capitaliste.
Un autre fait significatif est qu'entre décembre 2023 et août 2024, huit multinationales quitteront l'Argentine : HSBC, Xerox, Clorox [entreprise de produits d'entretien, siège basé à Oakland], Prudential[services financiers], Nutrien [engrais, canadienne], ENAP[pétrole et gaz, chilienne], Fresenius Medical Care [santé, allemande] et Procter & Gamble. Il semble que l'équilibre budgétaire ne suffise pas à stimuler l'investissement !
Investissements directs, de portefeuille et moratoire
Le gouvernement a répété à plusieurs reprises que les capitaux internationaux envisageaient d'investir en Argentine. Mais la réalité est que, pour l'instant, les investissements directs étrangers des non-résidents sont très faibles : le montant cumulé jusqu'au mois d'août 2024 n'était que de 531 millions de dollars. Les investissements de portefeuille cumulés des non-résidents entre janvier et août ont même été négatifs, à hauteur de 10 millions de dollars (Balance Cambiario).
En revanche, au cours de la même période, la « Formation d'actifs extérieurs du secteur privé non financier » cumulée a été de 1208 millions de dollars (en août, 456 millions de dollars ; Balance Cambiario). Rappelons que les actifs des Argentins à l'étranger s'élèvent à 450'760 millions de dollars (investissements directs, investissements de portefeuille, dépôts en dollars, plus les réserves de la BCRA-Banque centrale). Cela montre que le manque de développement n'est pas dû à un manque d'épargne, mais à un manque d'investissement (en termes marxistes, le réinvestissement de la plus-value dans le travail productif).
L'afflux récent de dollars par le biais du blanchiment d'argent s'inscrit dans ce contexte. Jusqu'au 24 septembre, les dépôts en dollars dans les banques ont augmenté de 11,9 milliards de dollars. Une partie de ces capitaux a servi a acheté des titres d'Etat (« bons du Trésor ») et des obligations de sociétés (obligations négociables). En conséquence, les prix des obligations du Trésor ont augmenté, le risque pays est passé sous la barre des 1200 points, le dollar bleu (sur le marché parallèle) et les dollars financiers ont baissé, et le taux d'emprunt des grandes entreprises a diminué. L'augmentation des dépôts en dollars a également permis une certaine reprise des prêts en dollars, principalement destinés à préfinancer les exportations. D'où la proclamation de « l'été financier ». Mais rien n'indique qu'une reprise durable de l'accumulation du capital soit en cours. Et encore moins que les niveaux historiquement bas de l'investissement en Argentine seront surmontés : depuis des décennies, dans les meilleures années, ils n'ont pas dépassé 20% du PIB.
Excédent budgétaire avec plus de faim et de misère
L'excédent des huit premiers mois a été de 0,35% du PIB. Il a été obtenu principalement par des « ajustements » opérés sur les salaires des employé·e·s de l'Etat, les retraites [avec des manifestations de retraité·e·s durement réprimées par la police], la réduction des subventions et l'effondrement des travaux publics. Selon « Profit Consultores » et le programme de Maxi Montenegro [économiste qui développe des chroniques économiques et financières], la réduction des dépenses publiques au cours des huit premiers mois de 2023 a été la suivante : dépenses d'investissement : -79,4% ; transferts courants aux provinces : -69,1% ; autres dépenses courantes : -46,5% ; subventions aux dépenses d'énergie : -36,8% ; subventions économiques : -34,9% ; subventions aux universités : -34,2% ; autres dépenses de fonctionnement : -32,8% ; subventions aux transports : -27,5% ; programmes sociaux : -26,4% ; dépenses primaires courantes : -24,7% ; pensions et retraites : -22,6% ; dépenses de fonctionnement et autres dépenses : -22,3% ; allocations familiales actives, passives et autres : -21,5% ; pensions non issues de cotisations : -20,6% ; salaires : -19,5% ; prestations sociales : -19,5%.
Part dans l'ajustement des dépenses publiques dans les huit premiers mois de 2024 (même source) : retraites et pensions non contributives (hors cotisations liées au travail déclaré) : – 25,3% ; dépenses en capital : -23,2% ; subventions économiques : -14,5 % ; autres programmes sociaux :- 8,8% ; Salaires : -8,6% ; transferts courants aux provinces : -7% ; transferts aux universités : -3,9 % ; reste : – 8,8%.
Dans le même temps, et en raison du ralentissement économique, les recettes fiscales diminuent. Au cours du premier semestre, elles ont chuté en termes réels de 7% en glissement annuel. En août, les recettes en termes réels ont chuté de 14% en glissement annuel. En septembre, elles n'ont baissé « que » de 3,4% en raison d'un facteur circonstanciel, les paiements anticipés de l'impôt sur les biens personnels. Les recettes liées à l'évolution de la production ont fortement diminué. La TVA a été négative à hauteur de 16,3% et l'impôt sur le revenu à hauteur de 13%. Cela devrait conduire à de nouvelles réductions des dépenses publiques et à de nouvelles baisses des recettes.
La maîtrise de l'inflation, suffisante pour le développement ?
Milei et ses semblables présentent comme une grande réussite le fait d'avoir ramené l'inflation de 25% en décembre 2023 – dopée par la dévaluation que le gouvernement a lui-même provoquée – à environ 4% ou (anticipé) 3,8%, approximativement (mais l'« inflation sous-jacente » – tendance à long terme de l'évolution des prix – semble se maintenir à 4,2%). Un « résultat » obtenu sur la base d'une profonde récession, de la chute des revenus salariaux et des pensions, de l'augmentation de millions de pauvres et d'indigents, de l'effondrement des travaux publics, du démantèlement de l'enseignement public et des entités culturelles, scientifiques et techniques.
Ce désastre social est justifié dans certains milieux par l'argument suivant : « si nous réduisons l'inflation, il y aura du développement ». Mais cela n'est pas vrai. Le passage d'un taux d'inflation élevé à un taux plus bas n'est pas une condition suffisante pour le développement ou pour l'amélioration de la vie des couches populaires. Après tout, le système capitaliste a connu des crises et des dépressions non seulement sans inflation, mais aussi avec des tendances déflationnistes. Par exemple, on peut mentionner la crise de 1929-1933, aux Etats-Unis, et la crise et la dépression post-1992 au Japon. Ou encore la crise argentine de 2001.
Mais le cas du Pérou est encore plus significatif. Depuis 1997, le Pérou connaît un taux d'inflation annuel à un chiffre, à la suite d'un plan d'ajustement très sévère qu'Alberto Fujimori [président de 1990 à 2000] a commencé à mettre en œuvre. Cependant, la situation des masses laborieuses ne s'est pas améliorée de manière substantielle. La pauvreté a diminué par rapport aux niveaux élevés qu'elle avait atteints dans les années 1990 – pendant l'« ajustement » – mais elle s'est stabilisée à 29%. Et 50% des emplois sont informels ou précaires.
Croissance de la dette
En août, l'encours de la dette brute à des conditions normales de remboursement s'élevait à 455,9 milliards de dollars (ministère de l'Economie). Par rapport à juillet, la dette a augmenté de 6,3 milliards de dollars, soit une hausse de 1,4%. Par rapport à décembre 2023, le stock de la dette a augmenté de plus de 87,7 milliards de dollars, en grande partie parce que la dette de la BCRA a été transférée au Trésor. Par ailleurs, des négociations sont en cours pour augmenter les emprunts auprès d'un groupe de banques (voir ci-après).
Quelques précisions sur la dette
Notons tout d'abord que le problème de la dette ne se limite pas à la dette extérieure, comme certains semblent le penser. En effet, la dette extérieure du gouvernement général (gouvernement central plus gouvernements provinciaux), au 2e trimestre 2024, s'élevait à 154,5 milliards de dollars. Cela représente 34% de la dette totale. Les deux tiers de la dette sont détenus par des résidents argentins. Il ne s'agit donc pas d'un problème de défense « nationale » ou de « patrie », mais d'intérêts capitalistes.
En outre, il faut savoir que plus de 45% de la dette est détenue par des agences du secteur public, 92% par le Fonds de Garantie de Durabilité (FGS) de l'ANSES (Agence nationale de la sécurité sociale), et les 8% restants par d'autres entités du secteur public, telles que Banco Nación et la BCRA. Le FGS est donc un fonds souverain composé de divers actifs financiers, intégré au système de retraite. Il détient des bons du Trésor pour environ 31,3 milliards de dollars (cette évaluation varie en fonction du dollar pris comme référence, soit au taux officiel, soit à celui du marché parallèle), ce qui représente 10% des titres émis par le secteur public. Selon la loi Omnibus [loi présentée par Milei en janvier 2023, composée de 664 articles], ces obligations publiques détenues par le FGS seront transférées au Trésor, annulées et cesseront de circuler. De fait, il s'agit d'un défaut des titres détenus par l'ANSES. Il s'agit d'une question à prendre en compte lorsque la gauche exige le non-paiement de la dette.
Troisièmement, les titres de dette émis par le Trésor et les crédits accordés au secteur public représentent aujourd'hui une part importante des actifs des banques. Cela s'explique par le fait que le gouvernement a fait pression sur les banques pour qu'elles achètent des bons du Trésor. Ainsi, en juillet, les LEFI (Letras Fiscales de Liquidez), émises par le Trésor pour remplacer les BCRA pass [prêts à court terme qui se font entre les banques commerciales et la BCRA ; c'est un titre pour la banque], représentaient 37,1% des actifs des banques. A cela s'ajoutent 6% de prêts au secteur public (BCRA, « Informe sobre bancos », juillet 2024). Cette exposition n'a cessé de croître au cours des 12 derniers mois environ. En avril 2023, les engagements du Trésor représentaient 16,4% des actifs des banques. En juin, cette proportion était passée à 36,9%, et elle est aujourd'hui de 43,9%. Un défaut de paiement de la dette mettrait donc le système bancaire en grande difficulté (et la contrepartie de ces actifs sont les dépôts des épargnants). Tant cette question que la détention de la dette publique par l'ANSES montrent qu'un défaut de paiement ne peut avoir un sens progressiste que si la mesure s'articule avec un programme de transformation sociale à la base. Dans le cas contraire, il s'agit d'une rustine qui ne change rien de substantiel.
Enfin, rappelons que 19,6% du stock de dette correspond à des organisations internationales. La dette auprès du FMI représente 9,4% de la dette totale et 26% de la dette extérieure. Une autre donnée à prendre en compte, cette fois par ceux qui réduisent la revendication pour se libérer de la dette à ne plus payer le FMI (même si la dette auprès du FMI a évidemment son importance).
Réserves internationales et paiement de la dette en 2025
Depuis plusieurs décennies, les crises économiques de l'Argentine ont été déclenchées par des facteurs externes, en particulier par des crises de la balance des paiements – perte de réserves, pertes de change – souvent suivies par des crises bancaires et financières, y compris des défauts de paiement de la dette publique. D'où l'importance du suivi des comptes extérieurs.
Entre décembre 2023 et mai 2024, la balance [tenant compte des taux de change] des comptes courants a été excédentaire de 12,1 milliards de dollars. La BCRA a ainsi réduit le déficit des réserves internationales de plus de 10 milliards de dollars à la fin du gouvernement d'Alberto Fernández [2019-2023] à environ 2 ou 3 milliards de dollars. Cependant, la situation a changé à partir du mois de mai 2024. Entre juin et août, la balance des opérations courantes a été déficitaire de 3,16 milliards de dollars. En juin et juillet, la BCRA a perdu 162 millions de dollars ; en août, elle a accumulé 535 millions de dollars et en septembre, 373 millions de dollars. Dans les premiers jours d'octobre, la Banque centrale a procédé à de nouveaux achats, rendus possibles en partie par le moratoire susmentionné et par l'augmentation des dépôts en dollars. Cependant, les paiements en cours sont loin d'être couverts. Globalement, les paiements au titre du service de la dette en 2025 dépassent 17 milliards de dollars (y compris les paiements d'intérêts au FMI, le principal et les intérêts à d'autres organisations internationales et aux détenteurs d'obligations). A cela s'ajoute la dette du BOPREAL (Bonds for the reconstruction for a free Argentina, lancé en avril 2024 : paiement différé des importations déjà effectuées) pour plus de 2,1 milliards de dollars. A ce qui précède, il convient d'ajouter
1° Le peso s'apprécie progressivement, le dollar officiel augmentant de 2% par mois, soit la moitié de l'augmentation des prix. Cela affaiblira la balance des comptes courants.
2° La variation du prix du dollar en dessous du taux d'intérêt du peso permet une spéculation financière rentable. Par exemple, si l'intérêt payé sur une obligation en pesos est de 4% par mois, et si le peso se déprécie de 2% par mois, il y aura un gain, en dollars, de 2% par mois. Il s'agit d'un rendement intenable, qui a traditionnellement conduit à des ruées sur les devises et à des dévaluations brutales des capitaux.
3° Au fur et à mesure que l'économie se redressera – même si ce n'est qu'à l'échelle d'un rebond – les importations augmenteront et, par conséquent, la demande de dollars pour les payer.
4° Le prix du soja a chuté. Aujourd'hui, il se situe autour de 330 dollars la tonne, alors qu'il s'établissait à environ 500 dollars en 2022.
5° Selon la Bourse des céréales de Rosario, en raison de la sécheresse, « 30% du blé se trouve déjà dans des conditions passables ou mauvaises » ; les semailles de maïs commencent à être affectées.
6° Le déficit de la balance des services se creuse. En août, il a atteint 640 millions de dollars, soit un déficit supérieur de 49% à celui du même mois de 2023. Entre janvier et août 2024, le tourisme a chuté de 12,2% et le tourisme « sortant » a augmenté de 10,7%.
Le seul moyen de couvrir les besoins en dollars en 2025 serait un fort afflux de capitaux. Or, ces capitaux ne sont pas au rendez-vous. En raison de la croissance des dépôts en dollars dans les banques, les réserves brutes de la BCRA ont augmenté. Cependant, il ne s'agit pas de dollars librement disponibles. Cela signifie que lorsque la BCRA annonce qu'elle dispose des dollars pour assurer le service de la dette en janvier 2025, elle ne les a pas en réalité. C'est pourquoi le gouvernement a l'intention d'augmenter pour un montant d'environ 3,5 milliards de dollars la dette auprès d'un groupe de banques. L'objectif est d'honorer les engagements de paiement de 4,9 milliards de dollars dus en janvier 2025. Bien entendu, l'augmentation de la dette ne résout aucun des problèmes sous-jacents.
En conclusion
L'« ajustement » des revenus, des conditions de travail et de vie des masses ouvrières et populaires a, pour l'instant, été imposé. Il l'a été avec le soutien et le consentement – au-delà de différences mineures – des milieux économiques et de leurs institutions, des principaux partis politiques (y compris les gouverneurs et les législateurs du péronisme) et la « tolérance », au fond, de la plupart des dirigeants syndicaux.
L'offensive contre les travailleurs et travailleuses ne cesse pas. Le gouvernement a exprimé à plusieurs reprises, dans les conflits en cours chez Aerolineas et chez les enseignants, entre autres, sa volonté de supprimer le droit de grève dans de nombreux secteurs. Le récent veto [par Milei] à la loi de finances de l'université et les attaques contre les travailleurs de la santé (hôpitaux Garrahan et Laura Bonaparte) sont d'autres expressions de cette offensive. Dans un article précédent, datant du 20 mars 2024, nous avions écrit :
« Dans le système capitaliste, il n'y a pas de sortie de crise “progressiste”. La réponse du système à la crise est la baisse des salaires (y compris les salaires sociaux : l'éducation et la santé publiques, etc.), la perte des droits du travail, l'affaiblissement des organisations syndicales, la flexibilité dans l'embauche et le licenciement, etc. Toute la science économique des Milei (et des Hayek et Friedman) se concrétise dans ce programme brutal. Qui est le programme du capital en général.
»Le point central est que le capital ne sort pas des crises en réduisant l'exploitation du travail, mais en l'augmentant […] Aujourd'hui, le gouvernement et le capital cherchent à reconstituer l'accumulation du capital de la même manière que toujours. Même les dirigeants et les politiciens qui se considèrent comme les défenseurs des secteurs populaires appliquent maintenant les ajustements à la baisse des salaires et des pensions, et consentent à l'avancée de la réforme du travail. »
Nous ajoutions : « Il n'y a pas de crise capitaliste sans issue. Il arrive un moment où la dévalorisation des actifs, la perte des droits du travail, la baisse des salaires, la destruction des forces productives, la restructuration du capital (fusions, fermetures d'entreprises improductives), incitent les capitalistes à investir. Au prix d'une tragédie sociale (pauvreté et misère à des niveaux records), le capital recompose les conditions de l'accumulation.
»… la seule façon pour un programme progressiste et humaniste de s'imposer est une transformation qui change les racines de cette structure sociale qui tourne autour du profit du capital et de sa contrepartie, l'exploitation du travail. » (Article publié sur le site de Rolando Astarita début octobre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
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Elections municipales (Brésil) : Victoire du « centre », crise de l’extrême droite et second tour décisif à São Paulo

Les élections municipales au Brésil ont été marquées par d'importantes victoires du centrão de droite, mais aussi par une scission de l'extrême droite, avec l'émergence de nouvelles figures de proue qui défient Bolsonaro. Pour la gauche, le second tour à São Paulo sera décisif.
11 octobre 2024 | tiré d'Europe solidaire sans frontières | Photo : Le président du Brésil Luiz Inacio Lula da Silva et Guilherme Boulos, le 24 août 2024. © Leandro Chemalle/Thenews2/imago/ABACAPRESS.COM
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72224
On a beau se retourner, plus on tire le drap d'un côté, plus l'autre restera à découvert. Ce qui s'est passé lors des élections municipales du dimanche 6 octobre est une victoire éclatante de la droite. Certes, le tableau n'est pas tout à fait complet, puisqu'il y aura encore des seconds tours dans 52 villes, dont 15 capitales d'État, parmi lesquelles la plus grande, São Paulo, qui compte 11 millions et demi d'habitants. Mais le second tour pourrait-il modifier sensiblement les résultats globaux ? Il pourrait les rééquilibrer un peu, oui, mais pas en changer l'orientation.
Voyons ce que disent les chiffres. En 2020, les cinq plus grands partis de droite (MDB, PP, PSD, PSDB et DEM) ont remporté 3 223 mairies, soit 57 % de l'ensemble des mairies du pays. Cette année, ces cinq partis de droite ont remporté 3 613 mairies, soit 64 % des villes du pays.
Et ce, malgré la victoire de Lula en 2022.
Autres chiffres : jusqu'à présent, c'est le Parti social démocratique (qui, malgré son nom est, comme au Portugal, un parti de droite) qui a remporté le plus grand nombre de mairies. Avec 878 maires, le PSD a dépassé le Mouvement démocratique brésilien, hégémonique dans ce domaine depuis 20 ans. Dans le classement des partis en fonction des mairies gagnées, le PT n'apparaît qu'en 9e position. Malgré cela, le PT a fait élire cette année plus de maires qu'en 2020 (il en avait 179, cette année il en a obtenu 253). En revanche, dans les capitales des États, le parti n'a pas réussi à faire élire de maires au premier tour et ne participe au second tour que dans quatre capitales : Cuiabá, Fortaleza, Natal et Porto Alegre.
Dans la région ABC de São Paulo, berceau historique du parti et du courant de Lula, le PT est toujours exclu des mairies de « A » (Santo André), « B » (São Bernardo), et « C » (São Caetano), et ne peut conserver que celles des villes de Diadema et Mauá. Il est notoire que Lula aurait vraiment souhaité que le PT gagne à São Bernardo, jusqu'à ce qu'il doive se rendre à l'évidence que ce n'était pas possible. Le candidat du PT n'est même pas allé au second tour, qui sera disputé entre Podemos et Cidadania.
Fragmentation de l'extrême droite
Il existe cependant un nouveau phénomène qui secoue l'extrême droite et qui pourrait apporter des changements significatifs au paysage politique. Il s'agit de l'émergence de courants qui contestent le rôle de chef de file de l'extrême droite joué par Bolsonaro. São Paulo nous en a fourni le meilleur exemple, avec la candidature de Pablo Marçal.
Pablo Marçal est un influenceur internet, très célèbre sur la toile pour ses cours qui prétendent enseigner aux gens comment gagner de l'argent en ligne et devenir riche. Le parti dont il est le candidat, le Parti rénovateur travailliste brésilien (PRTB), n'a pas accès à la radio et à la télévision, mais Marçal n'en a pas eu besoin : il a Internet. Et c'est à travers les réseaux sociaux qu'il a développé sa campagne, jusqu'à ce que son nom surgisse de nulle part et commence à apparaître dans les sondages. En mai, il obtenait déjà 10 % des voix. Dès lors, le phénomène Marçal prend de l'ampleur et catapulte ce spécialiste du marketing digital dans la course au second tour, qui opposait jusqu'alors Ricardo Nunes, du Mouvement démocratique brésilien (MDB), et Guilherme Boulos, du PSOL. Nunes bénéficie du soutien de Bolsonaro, tandis que Boulos est soutenu par Lula.
Blanc, macho et arrogant
La campagne de Marçal a plongé ses adversaires dans la perplexité. Sorti de la vulgate des formules d'extrême droite, Marçal n'était pas très intéressé par la présentation de propositions pour la ville. Ce qu'il voulait, c'était qu'on parle de lui. Dans les débats, sa tactique consistait à être toujours à l'attaque, accusant ses adversaires des crimes les plus divers, qu'ils aient un début de rapport avec la réalité ou qu'ils soient complètement inventés. Lors d'un des débats, il a tellement provoqué le candidat du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), José Luiz Datena, que ce dernier lui a balancé un tabouret devant les caméras de télévision.
Selon les sondages, sa candidature d'homme blanc macho et arrogant a séduit la moitié des électeurs de Nunes. Son machisme ostentatoire est tel qu'il lui a même porté préjudice lorsque, lors d'un débat, il a poussé la provocation en disant à la candidate Tabata Amaral (PSB) que « les femmes ne votent pas pour les femmes parce que les femmes sont intelligentes ».
Mais le coup le plus violent a été la diffusion, le samedi, veille des élections, d'un certificat médical indiquant que Guilherme Boulos avait été hospitalisé dans une clinique privée pour avoir consommé de la cocaïne. En moins de quelques heures, l'équipe de campagne de Boulos a apporté la preuve qu'il s'agissait d'un faux. Rien de ce qui y figurait n'était exact : ni la signature du médecin, décédé depuis, ni le numéro d'identification de Boulos. En d'autres termes, Marçal savait qu'il commettait un acte frauduleux, mais il espérait que l'effet de la diffusion du rapport tiendrait 24 heures, le temps de devancer Boulos et d'accéder au second tour. Lorsque la falsification serait démontrée, les votes seraient déjà dans l'urne. Cela a raté de très peu. Nunes a obtenu 29,48 % des votes valides, Boulos 29,07 % et Marçal 28,14 %.
« Quel genre de leader est-ce là ? »
Les suites des élections ont montré que l'extrême droite traverse une crise de direction et que le soutien d'un Bolsonaro frappé d'inéligibilité pour les prochaines élections présidentielles de 2026 ne permet pas toujours d'obtenir le résultat escompté. C'est le pasteur Silas Malafaia, l'évangéliste le plus influent du clan Bolsonaro, qui a lancé les critiques. Dans une interview, Malafaia a accusé Bolsonaro d'avoir été lâche et silencieux lors de l'élection à la mairie de São Paulo, se permettant d'être « en retrait » par rapport aux deux candidats d'extrême droite, Ricardo Nunes et Pablo Marçal. « Savez-vous ce qu'il a fait ? Il a joué sur les deux tableaux », a-t-il accusé. Et de s'interroger : « Quel genre de leader est-ce là ? »
Le lendemain, Malafaia annonçait qu'il avait fait la paix avec l'ancien président. Mais les divergences au sein de l'extrême droite sont encore très vives. Dans une interview après les élections, Marçal a déclaré qu'il ne favoriserait pas la réélection de Ricardo Nunes, et qu'il ne le ferait que si l'ancien président Bolsonaro, son fils Eduardo, le pasteur Malafaia et le gouverneur de São Paulo, Tarcísio Freitas, retiraient ce qu'il considère comme des mensonges à son sujet.
Marçal est allé encore plus loin : « Je suis sûr qu'il [Boulos] va gagner. Boulos et Lula parlent le langage du peuple, les autres [sont] juste en train de s'affronter ».
Lors des élections à São Paulo, Marçal a reçu le soutien de certains représentants de l'extrême droite, comme le député fédéral le mieux élu en 2022, Nikolas Ferreira, ainsi que le député fédéral Marco Feliciano. Un autre exemple de la crise de direction a été le soutien de Bolsonaro à la candidature d'Alexandre Ramagem à la mairie de Rio de Janeiro. Le fait que Bolsonaro se soit déclaré en faveur de Ramagem, qui a dirigé l'Agence brésilienne de renseignement entre 2019 et 2022, n'a pas suffi à empêcher la réélection du maire Eduardo Paes, du PSD, dès le premier tour, avec 60,47 % des voix. Ramagem a obtenu 30,81 %.
La droite qui a gagné
Pendant que l'extrême droite se déchirait, la droite dite « centriste » accumulait les victoires. Le PSD est désormais en tête du classement des maires élus avec 878 maires (il en avait 659), suivi du MDB avec 847 (il en avait 790) et du PP avec 743 (il en avait 697). L'União Brasil (parti de droite qui est représenté dans le gouvernement de Lula) suit avec 578 et le PL de Bolsonaro avec 510. Le PT n'arrive qu'en 9e position, avec 243 maires déjà élus. À noter également la chute du PSDB, qui a élu 273 maires, passant de la 4e à la 8e place en termes de nombre de villes gagnées et perdant 250 mairies par rapport à 2020.
Pour tenter de minimiser les répercussions de cette avancée de la droite sur le gouvernement, le ministre des Relations institutionnelles du gouvernement Lula, Alexandre Padilha, a estimé que les résultats du premier tour étaient positifs. « Il y a eu une croissance significative non seulement du PT, mais aussi de tous les partis qui soutiennent Lula », a-t-il déclaré. « Parfois, certains tentent de minimiser la force du gouvernement. Le président Lula a construit un large front avec les partis qui ont soutenu le gouvernement après le 8 janvier. Les leaders qui composent ce large front et qui ont soutenu Lula lors des dernières élections ont vaincu les grandes figures de l'extrême droite », a-t-il conclu.
Ce « front large » comprend en effet des ministres qui correspondent à l'aile la plus à droite du centre : trois ministres de l'União Brasil : Tourisme, Communications et Intégration et Développement régional, un du PP, Sports, et un des Républicains, Ports et Aéroports. Avec ces dernières nominations, Lula a constitué un gouvernement de plus en plus à droite et pratiquement in capable de mettre en œuvre des politiques favorables à la population.
Le centre-droit est entré dans le gouvernement de Lula, mais le prix à payer est très élevé. Une part de plus en plus importante du budget de l'État est contrôlée par les députés et les sénateurs au travers des amendements parlementaires. Cela signifie que l'État consacre moins d'argent aux investissements dont le pays a besoin.
En 2024, plus de 49,2 milliards de Réais ont été inscrits au budget par voie d'amendements. En 2014, ce chiffre était de 6,1 milliards de réais.
Par le biais des amendements dits « PIX », les députés et les sénateurs affectent des fonds du budget à des dépenses dans leurs États et leurs fiefs électoraux. Le contrôle du gouvernement sur ces amendements a considérablement diminué du fait des « amendements obligatoires », qui représentent la quasi-totalité des amendements parlementaires. Ces amendements mentionnent le nom du parlementaire qui en bénéficie, mais ne comportent pas d'obligation d'affectation précise à un projet ou à un programme. En d'autres termes, ils peuvent être utilisés pour n'importe quoi sans qu'aucun contrôle ne soit exercé sur leur mise en œuvre.
Victoire du Centrão et amendements PIX
Ce n'est pas un hasard si le Centrão se bat pour ces amendements. Ils permettent aux partis centristes, majoritaires au Congrès de maintenir et d'étendre leur pouvoir.
Une étude réalisée par le journal O Globo montre que les villes qui ont reçu le plus grand nombre d'amendements Pix ont un taux de réélection des maires supérieur à la moyenne nationale.
L'étude a analysé les 178 municipalités qui ont été les principales bénéficiaires des amendements. Dans ces municipalités, 100 maires ont été réélus et 45 autres ont vu l'élection d'un successeur du même parti.
Cela représente un taux de réussite de 94,6 %, supérieur au taux national de réélection de 81,4 % cette année, qui lui-même dépasse de loin les 63,7 % de 2008.
Ces chiffres prouvent l'importance des amendements pour le maintien au pouvoir des maires, qui les utilisent pour des travaux dans leur municipalité ou pour d'autres prestations moins licites. Le bureau du procureur général a déjà ouvert plus d'une douzaine d'enquêtes sur des soupçons de malversations dans l'utilisation de ces fonds.
C'est une dangereuse illusion que de compter sur la loyauté du centrão vis-à-vis de la nouvelle candidature de Lula en 2026. Il reste encore deux ans, et le centrão ne manquera pas de faire davantage de chantage et de majorer le prix de son soutien. Cela fait partie de la logique même de l'existence de ce bloc de droite.
L'enjeu de São Paulo
Lors de ce second tour, toute l'attention se portera sur l'élection à São Paulo, qui oppose le maire actuel, Ricardo Nunes du MDB, soutenu par Bolsonaro, à Guilherme Boulos du PSOL, soutenu par Lula. Dès le départ, Nunes a l'avantage et, en théorie, les voix de Marçal devraient toutes se porter sur lui. Mais un second tour est toujours une nouvelle élection, et les choix des électeurs répondent à une logique différente. Cela signifie que Boulos, bien que partant avec un désavantage, est en mesure de renverser la vapeur au cours de ces trois semaines de campagne jusqu'au dimanche 27 octobre, date à laquelle le second tour aura enfin lieu. Une victoire du PSOL, avec le soutien du PT, dans la plus grande ville du pays pourrait marquer le début d'un changement à l'échelle nationale.
Luis Leira, 11 octobre 2024
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepL
Source - esquerda.net, 11 de outubro 2024 - 21:50 :
https://www.esquerda.net/artigo/vitorias-do-centrao-crises-na-extrema-direita-e-uma-segunda-volta-decisiva-em-sao-paulo
Les liens Internet intégrés ne sont pas reproduits ici. Se reporter à l'original portugais.
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Dossier-Venezuela. « L’opposition mise au repos forcé »

La répression et le manque de réaction face à celle-ci ont paralysé et presque réduit au silence l'opposition. Le gouvernement a profité de ce flottement politique pour mettre au pied du mur les dirigeants de l'opposition avec des arrestations ciblées, maintenir près de 2000 manifestants en prison, promouvoir des lois plus strictes sur la vie politique et civile et faire diversion avec des mesures telles que l'avancement des vacances de Noël au 1er octobre ou des querelles avec des parlementaires espagnols [voir plus bas].
13 octobre 2024 | tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/ameriques/amelat/venezuela/dossier-venezuela-lopposition-mise-au-repos-force.html
La faiblesse de l'opposition interne est contrebalancée par la réticence de la plupart des gouvernements de l'Amérique du Nord et du Sud et l'UE à reconnaître la victoire de Nicolás Maduro, bien qu'ils ne reconnaissent pas encore Edmundo González comme président élu. Dans le camp de l'opposition interne et dans les gouvernements les plus concernés par ce qui se passe au Venezuela, on reconnaît que le centre de gravité de la crise s'est déplacé vers l'extérieur et que la pression internationale est pour l'instant le principal facteur en faveur d'un changement politique que le parti au pouvoir refuse d'accepter, ajoutant de plus en plus de sacs de sable à ses lignes de défense.
Ce jeu a une échéance fixe de trois mois, puisque le nouveau mandat présidentiel de six ans doit commencer le 10 janvier 2025.
Résultats électoraux et répression
Il y a un mois, González a pris le chemin de l'exil à Madrid, après avoir été pendant des semaines « sous bonne garde » dans les ambassades néerlandaise et espagnole à Caracas. Un mandat d'arrêt avait été lancé contre lui pour une série de délits politiques. Il s'agit d'un revers pour l'opposition et d'un soulagement pour Maduro, bien qu'en Europe, le diplomate à la retraite de 75 ans rencontre des dirigeants politiques pour faire sa victoire le 28 juillet.
D'autres dirigeants de l'opposition n'ont pas eu la même chance. A la suite des manifestations contre la proclamation de Maduro, qui ont fait 25 morts et des dizaines de blessés, une vingtaine de dirigeants nationaux et régionaux de partis d'opposition ont été emprisonnés. Beaucoup d'autres se cachent – comme la principale dirigeante de l'opposition, María Corina Machado – soit ont fui à l'étranger ou se font très discrets.
L'organisation non gouvernementale Foro Penal dénombrait, au 7 octobre, 1916 prisonniers politiques au Venezuela, dont 1676 hommes et 240 femmes ; 1757 civils et 159 militaires ; 1 846 adultes et 70 adolescents de 14 à 17 ans ; 1 784 ont été arrêtés après le 29 juillet et 148 ont été condamnés.
Dans ce climat, l'activité de l'opposition s'est réduite au point de presque disparaître, comme si elle laissait la possibilité à l'inertie de produire une interruption soudaine. Une semaine après l'élection, de grandes manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes. Un mois plus tard, on ne compte que quelques petites manifestations, bien qu'il y ait eu de nombreux Vénézuéliens, s'exprimant dans certaines villes à l'étranger [entre autres en Colombie]. Deux mois plus tard, le 28 septembre, suivant les instructions de Maria Corina Machado, seuls de petits « essaims » ne dépassant pas 40 personnes se sont formés dans certaines régions.
De plus, le tintamarre des « actas » [des bulletins imprimés] de contrôle a presque cessé. Le parti au pouvoir maintient que Maduro a gagné avec 51,95% des voix contre 43,18% pour Gonzalez, tandis que l'opposition maintient que le résultat est au moins de 67% à 30% en sa faveur. Depuis que l'autorité électorale a refusé de publier – et apparemment ne publiera jamais – les résultats dans les 30'026 bureaux de vote, la demande d'attendre les « résultats officiels désagrégés » avant de faire une déclaration est restée un alibi utile pour les gouvernements qui refusent de s'engager à reconnaître la victoire de Maduro ou de González : notamment le Brésil, la Colombie et le Mexique. Le Centre Carter des Etats-Unis, dont la délégation a observé l'élection sur le terrain, a approuvé les chiffres et les décomptes que l'opposition a publiés sur Internet (les autorités électorales et les témoins des partis ont reçu des copies identiques des décomptes des votes dans les bureaux de vote).
Dix jours séparent deux investitures
Le Venezuela reste un sujet qui retient d'attention au plan politique international, bien qu'il soit loin des priorités du Moyen-Orient, de l'Europe de l'Est ou de l'Asie de l'Est. Il y a un mois, les Etats-Unis ont réuni les représentants de 49 gouvernements – en marge de l'Assemblée générale des Nations unies – pour exiger le respect des résultats des élections vénézuéliennes et appeler au dialogue entre le gouvernement et l'opposition.
Cette semaine, c'est Josep Borrell, le responsable des affaires étrangères de l'Union européenne, qui a réaffirmé que la solution à la crise vénézuélienne « ne peut être que politique et doit provenir de la pression internationale ». Il a admis que Maduro « apparemment, selon ses plans, reprendra le pouvoir en janvier prochain », mais « nous ne lui reconnaissons pas de légitimité démocratique ». C'est ce qu'a dit le Parlement européen et c'est ce que va dire le Conseil européen, qui est compétent en matière de politique étrangère, qui se réunira jeudi 17 octobre.
Francisco Palmieri, chef de la mission étasunienne au Venezuela, basée à Bogota, a déclaré il y a quelques jours que « le monde connaît la vérité sur le 28 juillet. Edmundo González a battu Nicolás Maduro par des millions de voix », et a annoncé que Washington poursuivrait sa politique de pression avec des sanctions contre Caracas.
Mais ces mesures et toute autre action étasunienne sur le Venezuela – comme sur d'autres points chauds de la scène dans le monde – passeront par le filtre de l'élection présidentielle du 5 novembre aux Etats-Unis. Il n'y aura que dix jours qui sépareront l'investiture présidentielle à Caracas [10 janvier 2025] et Washington [20 janvier 2025].
Edmundo González a déclaré dans la presse qu'il envisageait de rentrer au Venezuela pour prendre ses fonctions de président le 10 janvier. Les responsables du parti au pouvoir répondent par des railleries, mais aussi par des mesures concrètes, telles que la poursuite de la détention de militant·e·s de l'opposition et l'adoption de lois – l'opposition qui soutient González n'a pas de représentation parlementaire – qui réglementent de manière plus stricte le fonctionnement des organisations politiques et civiles du pays.
Le discours pro-gouvernemental reste conflictuel. L'Espagne a offert une occasion en or, après que son parlement, par un vote partagé, a reconnu González comme président élu et a exhorté le gouvernement à faire de même. L'Assemblée nationale vénézuélienne a ensuite proposé à Maduro de rompre toute relation avec Madrid et a appelé le gouvernement espagnol à faire rien de moins qu'abolir la monarchie. Pendant ce temps, dans le lexique de Maduro et de ses collaborateurs, comme Jorge Rodríguez, président du parlement, et Diosdado Cabello, ministre de l'Intérieur, González est « menteur », « lâche », « traître » et « traître », et Corina Machado est « fasciste », « diabolique » et « sayona [sorcière] ».
Impasse et émigration
La paralysie politique est également marquée par l'absence de nouvelles initiatives gouvernementales pour remédier à la prostration dans la pauvreté de la majorité de la population et par le vent de nouvelles divisions dans les partis politiques d'opposition en perte de vitesse, en particulier Primero Justicia, de centre droit et premier parti du pays il y a quelques années, lorsque son leader, Henrique Capriles, s'est présenté à la présidence en 2012 contre le défunt leader Hugo Chávez, et en 2013 contre son héritier, Maduro. L'armée fait encore moins de bruit, après que ses hauts gradés ont publiquement et fermement soutenu la réélection de Maduro, à qui ils déclarent une loyauté inébranlable.
En attendant, pour une population dont la qualité de vie est déplorable – plus de 80% des 28 millions d'habitant·e·s sont considérés comme pauvres en termes de revenus et plus de la moitié font face à l'impossibilité de satisfaire leurs besoins de base – la perspective de l'émigration se dessine à nouveau. Une enquête de la société Poder y Estrategia a révélé cette semaine que 56% des jeunes Vénézuéliens âgés de 18 à 30 ans envisagent d'émigrer du pays, comme l'ont déjà fait huit millions de leurs compatriotes. Vingt-six pour cent d'entre eux ont déjà des projets en ce sens. (Article publié dans l'hebdomadaire uruguayen Brecha le 11 octobre 2024 ; traduction par la rédaction d'A l'Encontre)
*****
« Une représentation a été définitivement brisée »

« Si le Caracazo de 1989 avait brisé l'image d'un Venezuela riche en pétrole et d'une démocratie prétendument stable, la défaite électorale de Maduro en 2024 et l'éphémère soulèvement populaire qui s'en est suivi ont brisé le pilier symbolique de ce que nous appelons le chavisme », conclut Emiliano Terán Mantovani, après avoir analysé la réalité de la contestation sociale dans son pays. Sociologue à l'Université centrale du Venezuela, Terán Mantovani a collaboré à des initiatives telles que l'Atlas de la justice environnementale et le Panel scientifique pour l'Amazonie.
Il considère que les mouvements sociaux ont joué et jouent encore un rôle important dans son pays, même s'il préfère parler de « camp populaire » pour désigner la mobilisation massive de la population. Bien que les mouvements ne soient pas « liés au couple gouvernement-opposition », il considère que « le tissu des organisations sociales et des initiatives populaires a toujours été très impacté par le pétro-Etat vénézuélien, qui avait une grande capacité à récupérer leur force et à altérer leur autonomie », même avant l'arrivée au pouvoir d'Hugo Chávez en 1999.
Le chavisme a produit une polarisation qui a divisé la société en deux, « ce qui a fortement marqué l'orientation de la mobilisation vers la “partisannerie” ». C'est pourquoi l'effondrement économique du milieu de la décennie 2010 « a eu un impact très dur sur le tissu social : la vie est devenue plus précaire et, avec elle, l'activité militante a été perturbée. »
Si l'on estime à 7 ou 8 millions le nombre de personnes qui ont émigré, on peut s'attendre à ce que de nombreux membres des mouvements sociaux (« du camp populaire ») en fassent partie, ce qui a affaibli leurs structures. Puis vint le pire : « La répression de l'Etat contre la société organisée a commencé à s'intensifier de manière extraordinaire depuis que le gouvernement a mis en échec la stratégie de Juan Guaidó et de Donald Trump en 2019 et que les partis d'opposition ont été durement touchés. Ces mesures répressives se sont traduites contre les syndicats, les ONG, les défenseurs des droits de l'homme et de l'environnement, la communauté LGTBI, entre autres ; une avancée répressive que la pandémie a consolidée. »
Contrepoids venant d'en bas
Bien que l'effondrement économique ait perturbé les coordonnées politiques et ébranlé le terrain pour tout le monde, « dans le camp populaire, un discrédit de la polarisation politique a également commencé à se développer. Selon les sondages, la population se méfiait de tous les secteurs des partis à plus de 60%. La polarisation, qui avait été si décisive, perdait son sens pour la majeure partie de la population. A mon avis, un changement de perspective était déjà perceptible, qui, selon moi, cherche encore sa propre forme ». Une sorte de « force politique populaire » diffuse était en train de se former, mais elle était présente dans des moments tels que les récentes élections.
De plus, l'effondrement implique non seulement la débâcle économique mais aussi l'absence de l'Etat social, ce qui a conduit à ce que « les organisations acquièrent une plus grande capacité d'autogestion et une plus grande conscience de ce qu'est l'activisme dans des contextes de risque et de précarité élevés ». Cette nouvelle réalité s'est concrétisée en 2015 et 2016, avec une inflation à sept chiffres, période au cours de laquelle « des organisations sociales plus diverses et plus variées ont vu le jour, bien qu'affectées par le contexte et la fragmentation ».
Cependant, la proximité de l'élection présidentielle « a commencé à absorber de manière décisive l'expectative et la mobilisation sociale, voyant l'élection comme une possibilité réelle de changer le gouvernement ». L'enthousiasme social a été capitalisé par María Corina Machado, au point que beaucoup ont évoqué le « phénomène MCM » pour sa capacité à rassembler les forces autour de sa candidature. Mais Terán Mantovani estime que « ce serait une erreur de ne pas voir que ce qui précède, ce qui est en arrière-plan, c'est ce sentiment populaire, qui ne peut pas être lu comme une homologation de son programme politico-économique ».
La mobilisation électorale
La mobilisation sociale suscitée par les élections de cette année a probablement constitué un tournant durable. « Elle ne peut être interprétée en termes de grands mouvements sociaux, ni en termes de grands idéaux émancipateurs, bien qu'elle ait été inspirée par l'idée d'une démocratie à retrouver. Peut-être que cette mobilisation sociale est plus un mixte entre le mouvement spontané du peuple, les actions des bases sociales organisées et des différents partis politiques, et le consensus de tous les secteurs de la société pour destituer [Nicolás] Maduro », explique Terán Mantovani
La vérité est que les gens ont fait la queue pour voter dès la nuit précédant l'élection, « de nombreux réseaux de solidarité se sont construits entre les gens pour faciliter la participation massive, il y a eu une organisation pour une défense sans faille du vote, au-delà de la structure organisationnelle des partis politiques. Une chose à laquelle le gouvernement ne s'attendait peut-être pas ».
A l'annonce des résultats et des preuves de fraude, la réaction a été des plus forte et spontanée dans tout le pays, « principalement dans les quartiers populaires les plus emblématiques, anciens bastions du chavisme ». Cela à tel point que la dirigeante de l'opposition « a appelé à la prudence et à rentrer chez soi ». Selon Terán Mantovani, il s'est agi d'un « bref soulèvement populaire comme on n'en avait pas vu depuis des décennies ». « Pendant des années, le narratif chaviste a promu une image qui fusionnait le peuple et la révolution bolivarienne, et aujourd'hui, cette représentation a été définitivement brisée ».
Le puissant ferment social était gelé ou, comme le dit Terán : « il se trouvait dans un certain état de latence dû à la terreur et à la répression brutale ». Mais le calme imposé et l'ampleur de l'explosion « montrent que les conditions ne seront plus les mêmes ». C'est sans doute pour cela que le gouvernement tente de mettre en place un nouveau régime hyper-répressif et policier.
Il est encore trop tôt pour connaître les trajectoires qui seront empruntées par une société qui continue de rêver. La décennie qui s'est écoulée entre le Caracazo et le triomphe de Chávez est peut-être une mesure appropriée des changements inévitables qui sont encore en incubation.
(Article publié dans l'hebdomadaire uruguayen Brecha le 11 octobre 2024 ; traduction par la rédaction d'A l'Encontre).
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Haïti : Dénonçons l’inaction du CPT et du gouvernement Conille dans la crise sécuritaire et migratoire

REHMONCO dénonce et condamne avec véhémence le comportement irresponsable du Conseil présidentiel de transition (CPT) et du gouvernement Conille dans la gestion du pays notamment dans le dossier de sécurité. Les massacres se succèdent les uns plus horribles que les autres pendant que la présidence et le gouvernement s'enlisent dans l'immobilisme.
Le 2 octobre 2024, le gang Grangrif, connu pour ses exactions et crimes dans les communes de Petite-Rivière et de Liancourt, a massacré au moins 117 personnes et blessé grièvement plusieurs dizaines d'autres à Pont Sondé dans le département de l'Artibonite. En dépit de l'ampleur du carnage, cet événement crapuleux n'a rien de surprenant puisque les organisations paysannes ont alerté à plusieurs reprises les responsables de l'État sur l'imminence d'une telle attaque. Rien n'a été fait pour mettre hors d'état de nuire les cohortes criminelles du gang Grangrif et assurer la protection et la sécurité de la population.
Loin d'être un hasard, l'indifférence du gouvernement constitue une conséquence de l'orientation et de la politique gouvernementale. En effet, le premier ministre et le CPT sont proactifs dans les promesses creuses, les campagnes de propagande sur la sécurité dans différentes tribunes et plateforme de communication.
Par contre, ils se révèlent incapables de poser le moindre acte concret visant à rétablir la sécurité publique. Ils sont aussi très actifs dans la pérennisation des pratiques de corruption et de pillage des maigres ressources de l'État, comme en témoigne le scandale des trois conseillers-présidents dans le dossier de la Banque nationale de crédit (BNC).
Cette tendance se confirme un peu plus lorsque le CPT et la primature choisissent de faire main basse sur les fonds alloués au service d'intelligence. Ces comportements, si besoin était, viennent prouver que l'intérêt de la population est le cadet des soucis de ces conseillers-présidents qui ne pensent qu'à se remplir les poches. Pour allier le cynisme à l'indécence, même un discours hypocrite n'est prononcé pour rassurer la population en détresse.
Cette insouciance criminelle du CPT et du gouvernement Conille ne se limite pas à la politique intérieure. Elle se manifeste également dans la diplomatie. Actuellement, des centaines de milliers de ressortissant.e.s haïtien.ne.s sont victimes de campagne de discrimination et de racisme dans plusieurs parties du monde sans le moindre accompagnement des services consulaires et diplomatiques haïtiens. Un cas emblématique est la menace de déportation de l'État dominicain de près 10 000 haïtiens par semaine, mise en exécution depuis plusieurs semaines. Comme d'habitude, ces rapatriements par l'État dominicain se font à l'encontre des normes minimales des droits humains lors de l'arrestation, l'emprisonnement et le transport des ressortissant.e.s haïtien.ne.s.
Le gouvernement haïtien se contente de crier au scandale et au racisme. Comme dans le cas de la politique intérieure, cette crise migratoire met en lumière l'inaction du gouvernement dans la gestion du pays depuis plus de 6 mois. Loin d'être un accident, cette apparente nonchalance témoigne d'un modèle de gouvernance dans lequel l'improvisation constitue un axe central.
REHMONCO salue la mémoire des personnes victimes des massacres perpétrés par les gangs à travers le pays, notamment à Pont Sondé dans le département de l'Artibonite. Il appuie l'initiative de nombreuses organisations populaires de reprendre la mobilisation contre l'inertie des autorités de l'État dans le dossier de l'insécurité.
En ce sens, REHMONCO soutient le choix des mouvements sociaux haïtiens d'adopter une journée de deuil national le 31 octobre 2024 en mémoire des victimes des massacres perpétrés par les gangs. Date hautement symbolique commémorant l'assassinat, en 1919, par les troupes américaines d'occupation du militant patriote, anti-impérialiste Charlemagne Péralte.
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Quand des femmes en Égypte sont abandonnées parce qu’elles tombent malades

Quand Rabab Adel a appris qu'elle avait une hépatite C, son mari est parti. Il a abandonné sa femme, une enseignante de 49 ans originaire de la province de Fayoum en Égypte, ainsi que leurs deux enfants, en prétendant qu'il devait se protéger. Il a aussi arrêté de soutenir sa famille financièrement.
Article tiré de NPA 29
Par Faten Sobhi
“S'il avait tellement peur d'être infecté, pourquoi il n'a pas pris les enfants pour les protéger eux aussi ?” se demande-t-elle.
Plus tard, lorsque le gouvernement égyptien a lancé son initiative 100 millions de vies saines pour lutter contre l'hépatite C, Rabab Adel a pu bénéficier d'un traitement gratuit et a complètement guéri. Entre temps, son mari s'était déjà remarié et avait coupé tous les liens.
C'est une histoire tristement familière, partout dans le monde : une femme tombe gravement malade, et son partenaire masculin la quitte. Une étude de 2009 menée sur des patient·es atteint·es de tumeurs cérébrales aux États-Unis a révélé que les partenaires masculins étaient six fois plus susceptibles de quitter une relation après un diagnostic. En 2015, des chercheur·es ont constaté un risque accru de divorce parmi les couples après une maladie physique grave, mais seulement lorsque la personne malade était une femme.
En Égypte, le problème est particulièrement aigu, d'après les soignant·es, et le coût du traitement est souvent un facteur déterminant.
“Les maris abandonnent souvent leurs épouses lorsque le coût des soins médicaux est élevé”, explique Ziad Waleed, spécialiste de la santé sexuelle et reproductive des femmes, qui fait du bénévolat pour plusieurs organisations de femmes. “Ils pensent que dépenser de l'argent pour le traitement des femmes est un luxe que seules les personnes aisées peuvent se permettre.”
Dans d'autres cas, les familles restent ensemble mais refusent l'accès aux soins car elles ne veulent pas dépenser d'argent pour les membres féminins de la famille.
Heba Rashed, fondatrice de la Fondation Mersal, une ONG de santé basée au Caire, décrit la discrimination médicale en Égypte comme “l'une des pires formes de violence contre les femmes”.
Il n'y a pas que les hommes qui discriminent les membres féminins de la famille. “Je n'oublierai jamais une mère qui a insisté pour soigner d'abord son fils, alors que l'état de sa fille était plus urgent”, raconte Heba Rashed. “Elle a justifié cela en disant que sa fille finirait par rester à la maison pour la servir, tandis que son fils fonderait sa propre famille et la soutiendrait financièrement.”
Une analyse des données de l'Agence internationale pour la recherche sur le cancer a révélé que pour quatre garçons diagnostiqués avec un cancer dans le monde, seules trois filles étaient diagnostiquées, bien qu'il n'y ait pas de différences genrées considérables pour les cancers infantiles. Les chercheur·es pensent que cela s'explique par le fait que, à l'échelle mondiale, les familles sont plus susceptibles de consulter pour les garçons que pour les filles.
Doaa Mahmoud, une infirmière dans une clinique du gouvernorat de Matrouh, voit les conséquences de la discrimination médicale sur les femmes au quotidien. “Leurs ordonnances sont souvent déchirées et leurs maris décident de leur donner ce qui est déjà disponible à la maison”, dit-elle.
La soignante note que les hommes et les garçons de la région reçoivent souvent une meilleure alimentation, et de la viande, tandis que les filles sont plus susceptibles d'en être privées. Cela peut entraîner des niveaux d'hémoglobine trop faibles chez les femmes enceintes, ce qui peut provoquer des hémorragies, des interruptions de grossesse et des saignements post-partum.
D'après des données de la Banque mondiale, un accès limité à des aliments nourrissants a conduit à un taux d'anémie de 28 % en 2019, avec des impacts négatifs à la fois pour les mères et pour les bébés. Les mères anémiées sont beaucoup plus susceptibles de
donner naissance à des bébés en sous poids, ce qui peut augmenter le risque de dénutrition ou de retard de croissance, et avoir un impact à long terme sur le développement physique d'un enfant.
Pour contrer cela, le ministère de la Solidarité sociale du gouvernement égyptien a lancé le programme “Les 1 000 premiers jours”, qui offre des services aux femmes enceintes et aux enfants jusqu'à l'âge de deux ans.
“Le projet fournit aux jeunes mariées des médicaments et des vitamines pour couvrir la période allant de la grossesse aux deux premières années d'allaitement”, explique Doaa Mahmoud, mais elle note que les jeunes mariées peuvent être poussées à tomber enceintes trop rapidement, ce qui empêche le centre de santé de les préparer correctement à la grossesse.
Bien que les traitements gratuits aident les femmes et les filles à recevoir certains soins nécessaires, en pratique, cela signifie néanmoins qu'il existe un système de santé à deux vitesses dans le pays, où le genre détermine l'accès aux soins
“Les garçons reçoivent des soins complets, un soutien et des médicaments, tandis que les filles doivent se contenter des services gratuits dans les unités de soins”, raconte l'infirmière.
Certaines familles empêchent les femmes et les filles de recevoir des soins, même lorsqu'elles n'ont rien à payer. La Fondation Mersal tente également de lutter contre les discriminations médicales en cherchant des femmes privées de soins par leurs familles et en leur offrant des services de santé gratuits.
“Parfois, nous réussissons, mais d'autres fois, nous échouons lorsque la famille refuse de faire bénéficier à ses filles du service gratuit”, explique Heba Rashed.
Hoda El-Saadi, présidente du Conseil national des femmes dans le gouvernorat de Qena en Haute-Égypte, explique que la privation est un facteur majeur de discrimination en matière de santé dans la région.
“L'écart dans les soins de santé entre les hommes et les femmes au sein des familles est lié au conservatisme et à la pauvreté dans le sud”, dit-elle.
Selon la députée Maha Abdel Nasser, la racine du problème est qu'il n'y a pas de stigmatisation sociale associée à l'abandon par les maris de leurs femmes lorsqu'elles tombent malades, ni de loi.
“Nous pouvons autonomiser les femmes sur le plan économique de plusieurs manières, mais la loi ne les protège pas, déclare-t-elle. Rien ne changera vraiment si nous ne sensibilisons pas les gens à ce problème.“
Cet article a été produit en collaboration avec Egab
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Bandung du Nord : les femmes racisées doivent se réapproprier le discours, récrire l’histoire

What do we, as weak, have ? Qu'avons-nous, en tant que faibles ? – Yasmin Jiwani. Les femmes racisées doivent se réapproprier le discours, récrire l'histoire. C'est ainsi que les cinq panélistes de l'atelier ont exprimé d'une voix commune leur démarche sur le féminisme civilisationnel à la conférence Bandung du Nord. Le panel a réuni Yasmin Jiwani, Magalie Lefebvre, Nahla Abdo, Fabienne Présentey et Françoise Vergès. Celui-ci a eu lieu le 28 septembre à l'UQAM, à Montréal.
Tiré de : Journal des Alternatives
Par Amélie Kermel -11 octobre 2024
Photo :"Women's March 1743." Edward Kimmel, Takoma Park, MD. Janvier 2017. CC BY-SA 2.0
La réduction au silence et la marginalisation
La marginalisation se produit lorsque nous réduisons au silence ce qui est différent. Yasmin Jiwani souligne que la suprématie blanche est une structure de pouvoir. Celle-ci définit comment nous voyons le monde et notre langage. Nous refusons de voir l'humanité chez l'autre. Nous ne reconnaissons pas leurs expériences. Françoise Vergès insiste sur le fait que le féminisme blanc est aveugle et/ou ignore la question du racisme et coloniale.
Pour la théoricienne féministe bell hooks, les femmes racisées font partie de deux groupes opprimés : la race et le genre. Elles ont leur propre vision de l'oppression. Les femmes blanches, bien qu'opprimées, peuvent devenir l'oppresseur des femmes racisées.
L'intersectionnalité dans le mouvement féministe nous permettrait de décoder les différences entre les femmes. Il faut briser cette vision binaire. « On parle pour nous » affirme Magalie Lefebvre, qui combat le féminisme hégémonique à l'échelle micro.
Femmes racisées et féminisme blanc
Les femmes racisées sont forcées d'adhérer à la vision blanche du féminisme. En tant que personne biraciale, Magalie Lefebvre dénonce la nécessité de rentrer dans une case pour se faire écouter. S'il y a de l'émotion dans le discours, elles perdent de la crédibilité.
Ce sont les femmes blanches qui, dans les années 90, apportent au-devant de leur mouvement la question de l'Islam. Elles s'approprient la religion et la juge conservatrice, hostile aux droits des femmes. L'opposition des pays arabes au progrès et à la laïcité ont attiré l'attention des institutions internationales et a mené à la reconnaissance d'Israël comme seule démocratie du Moyen-Orient bien qu'elle soit coloniale et basée sur le nettoyage ethnique.
A Gaza, la souffrance des femmes est mise en compétition
On instrumentalise la souffrance des femmes israéliennes pour justifier la barbarie à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. « Elles sont des agentes de la compassion » pour Fabienne Présentey. Les femmes palestiniennes sont déshumanisées. Tandis que les femmes juives sont incitées à continuer la perpétuation des violences envers les palestiniens.nes en s'appropriant le discours de victimisation. Elles permettent de gagner le soutien du public malgré qu'elles subissent elles-mêmes des discriminations raciales genrées et institutionnelles.
Nahla Abdo vient ajouter que le féminisme anticolonial permet de résister face au colonialisme de peuplement. Elle utilise une approche féministe, anticolonialiste et anti-impérialiste pour souligner la nature genrée du colonialisme.
Il faut créer au sein du mouvement féministe, des coalitions dans lesquelles les femmes peuvent se revendiquer antiraciste, anticapitaliste, anti-impérialiste. À l'intérieur de ces coalitions, les femmes vont pouvoir respecter les différences qui les séparent et accepter le vécu des femmes racisées. Le mouvement féministe doit se séparer de cette vision monolithique de la femme et s'élargir.
Atelier Genres et suprématie blanche ; comment combattre le féminisme civilisationnel ?
À la conférence Bandung du Nord à l'UQAM, samedi 28 septembre
Ont pris la parole :
Yasmin Jiwani, professeure à l'Université de Concordia en communication et activiste féministe, Yasmin Jiwani s'intéresse à l'influence croisées de la race et du genre dans le contexte des représentations médiatiques de groupes racialisés et de la violence envers les femmes marginalisées.
Magalie Lefebvre, professeure au Cégep en région et chercheuse.
Nahla Abdo est professeure à Carleton University dans le départment de sociologie et anthropologie, elle utilise une approche féministe anticolonialiste et anti-impérialiste pour souligner la nature genrée du colonialisme.
Fabienne Présentey, sociologue et militante juive antisioniste et féministe.
Françoise Vergès est une politologue et militante féministe décoloniale française.
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La prisonnière politique Iranienne Maryam Akbari Monfared maintenue à l’isolement

La prisonnière politique Maryam Akbari Monfared emprisonnée depuis maintenant quinze ans est aujourd'hui maintenue en prison suite à de nouvelles accusations lui reprochant de demander la vérité et justice sur l'exécution de quatre de ses frères et sœurs lors des massacres de 1988.
Par Marie Penin, L'Humanité, France, le 17 octobre 2024
« Je suis restée éloignée de mes enfants depuis treize ans, mais j'ai vu le crime de mes propres yeux et ma résolution s'est renforcée plus que jamais. » Maryam Akbari Monfared, mère de trois filles, est enfermée depuis maintenant quinze ans dans les geôles iraniennes.
Pendant toutes ces années, la prisonnière politique n'a cessé de dénoncer les violations des droits humains dans son pays, comme à travers ses écrits publiés au centième jour du soulèvement Femme, Vie, Liberté, fin 2022 <https://www.humanite.fr/monde/iran/...> . Après plus de douze années de détention, prolongées de deux ans pour « insulte envers le guide suprême », elle est aujourd'hui sous le coup de nouvelles accusations la maintenant à l'isolement.
Sa peine devait prendre fin le 12 octobre 2024. C'était compter sans la répression qu'elle subit de la part du système judiciaire iranien depuis sa plainte demandant vérité et justice à la suite de l'exécution de quatre de ses frères et sœurs lors des massacres de 1988.
Pendant toutes ces années, la prisonnière politique n'a cessé de dénoncer les violations des droits humains dans son pays.
*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, 18 octobre 2024
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Maryam Radjavi : Personne ne peut arrêter une femme déterminée à obtenir sa liberté
Comment aider les femmes iraniennes est le titre d'un article publié sur le site Internet de Mme Maryam Radjavi, présidente élue du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI). L'article souligne le rôle crucial que jouent les femmes iraniennes dans la lutte contre le régime clérical au pouvoir.
Mme Radjavi évoque la résilience et les sacrifices des femmes iraniennes face à une répression sévère, en soulignant comment elles sont devenues des symboles de la résistance et des catalyseurs du changement. Elle souligne la détermination de ces femmes, dont la quête de liberté et d'égalité est essentielle dans la lutte plus large pour démanteler un régime caractérisé par une discrimination et une oppression systématiques. Mme Radjavi appelle la communauté internationale à soutenir ces femmes dans leur quête d'un Iran libre et démocratique.
Voici le texte intégral de l'article contenant un message inspirant pour les femmes d'Iran :
Les femmes en Iran lutteront jusqu'au bout pour la liberté.
Le visage quotidien de l'Iran est encore ensanglanté par les exécutions, les meurtres et la misogynie des mollahs.
Afin de maintenir ce régime médiéval et d'instaurer un climat de terreur, la répression continue de s'abattre avec violence sur les femmes.
La dictature religieuse opprime les femmes avec démagogie et sous le prétexte absurde de lutter contre les mal-voilées. Elle a pour objectif d'enchaîner les femmes, et non de leur donner de l'espace pour mener une vie sociale. Elle cherche à piétiner leur humanité par des humiliations et des persécutions quotidiennes.
La misogynie et la vision marchande des femmes alimentent ces pratiques oppressives.
Le récit des désastres et de l'amère histoire de l'oppression des femmes sous la dictature religieuse n'a pas de fin, et des volumes ne suffiraient pas pour décrire cette oppression noire et inhumaine. Mais l'autre facette de cette histoire est que les Iraniennes sont fières de leur magnifique résistance contre le pouvoir le plus misogyne de l'histoire parce qu'elles ne se sont jamais soumises.
Des femmes qui ont enduré la prison et la torture pendant plus de quarante ans, les souffrances de l'exil et de l'itinérance, mais qui ne cessent de lutter pour la liberté et l'égalité.
Les mollahs et leurs gardiens politiques n'ont d'autre objectif que de préserver le pouvoir fragile de leur régime, et jouent avec les droits des Iraniennes et les piétinent à coups de manœuvres et de démagogie. Avec des slogans déviants, ils occultent la lutte radicale des femmes contre ce régime criminel. Mais les Iraniennes sont vigilantes, elles connaissent leurs droits et leur véritable statut et elles répondent aux agissements des mollahs par la colère et la haine et ne se contenteront de rien de moins que du renversement complet de ce régime inhumain. Elle se battront jusqu'au bout pour la liberté.
Après un siècle de participation active à la lutte politique et sociale, les femmes en Iran sont à l'avant-garde de la résistance nationale.
Mon message aux femmes iraniennes est le suivant :
Mes chères sœurs, vous pouvez et devez jouer votre rôle dans cette résistance libératrice, où que vous soyez en Iran et quels que soient votre âge et votre situation.
Si vous avez ressenti dans votre chair la nature misogyne du régime des mollahs, si vous n'avez aucun doute sur le fait que les femmes sont les plus opprimées, alors ne doutez pas que vous, les femmes éveillées et libres, jouerez un rôle décisif dans le renversement de ce régime. Vous les femmes qui voulez mettre fin à l'oppression des mollahs ; Vous les femmes qui voulez vous libérer de l'oppression et de l'humiliation quotidiennes ; Vous les femmes qui voulez construireune société libre avec des femmes et des hommes libres.
En saluant votre résistance tous azimuts contre les gardiens des ténèbres et du crime, je vous appelle à être en première ligne de cette bataille. C'est là votre place. C'est là où vous utiliserez votre plus grande force et votre plus grand talent contre le régime misogyne des mollahs, vous briserez le mythe de la faiblesse des femmes, vous entrerez dans monde nouveau, libérées, et vous verrez que les êtres humains, femmes et hommes, ont des capacités infinies que les extrémistes suppriment et détruisent.
Cependant, quand elles s'épanouissent, elles sont magnifiques, et en s'appuyant sur elles, vous pouvez surmonter n'importe quel problème et éliminer n'importe quel obstacle, même le régime des mollahs qui barrent la voie à la liberté de tout le peuple.
Je voudrais aborder le défi devant lequel vous vous trouvez, à savoir l'incrédulité dans la qualité de votre véritable rôle.
Ne sous-estimez pas votre efficacité et votre rôle. Ne pensez pas que vous ne servez à rien.
La question n'est pas de savoir quelles sont les capacités ou les faiblesses de chaque personne, la question fondamentale à laquelle il faut répondre est de savoir si la participation au renversement de ce régime cruel est le devoir de toute la population et de toutes les forces conscientes ou non ?
Il ne fait aucun doute que vous avez votre propre rôle à jouer et votre propre responsabilité à cet égard, et vous pouvez et devez assumer ce rôle sur la scène de la bataille de la libération.
Soyez certaines que personne ne peut empêcher une femme de se libérer quand elle a décidé de vivre libre ; libre de toutes les contraintes que nous connaissons bien. Vous n'êtes pas seules sur ce chemin, vos sœurs de larésistance iranienne, les femmes héroïques qui ont vaincu le monde de l'incapacité et de la faiblesse, assument désormais les responsabilités clés à la direction de cette résistance avec tout leur mérite, et elles sont pour vous le meilleur soutien.
Extraits du discours de Maryam Radjavi intitulé « message aux femmes d'Iran » du 2 mars 1998
https://wncri.org/fr/2024/10/08/maryam-radjavi-femmes-iraniennes/
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Géopolitique 101 : le « conflit » au Moyen-Orient

Israël est un proxy des États-Unis. Les distances prises par les dirigeants américains à l'égard de l'État hébreu sont factices et futiles.
Michel Seymour
Professeur honoraire
Université de Montréal
Auteur de Nation et autodétermination au XXIe siècle, PUM, 2024
Ils veulent nous faire croire qu'ils sont pour un cessez le feu, qu'ils y travaillent jour et nuit, qu'ils sont pour l'acheminement de nourriture par la construction d'une zone portuaire à Gaza et qu'ils sont contre la régionalisation du « conflit », mais ils financent maximalement l'État sioniste pour qu'il accomplisse la basse besogne espérée par Washington : s'attaquer à l'Iran. On se rappellera à ce propos que dans un memo confidentiel dévoilé par le général Wesley Clark, les USA ont décidé après 2001 d'intervenir dans sept pays : Irak, Liban, Soudan, Syrie, Libye, Somalie et Iran. Seul l'Iran avait jusqu'à présent été épargné. C'est à cela qu'Israël veut maintenant s'employer.
Se servir d'un proxy, ce n'est pas nouveau. Les USA se sont servis des Moudjahidines contre l'URSS en Afghanistan. Ils se sont servis des Contras contre les Sandinistes au Nicaragua. Ils se sont servis des Kurdes pour combattre DAESH et de DAESH et d'Al Qaeda pour combattre Bachar Al Assad. Ils se servent maintenant de l'Ukraine pour affaiblir la Russie et bientôt, de Taiwan, de la Corée du Sud, des Philippines, du Japon et de l'Australie pour combattre la Chine. C'est dans ce contexte qu'ils veulent se servir d'Israël pour combattre l'Iran.
Un choc des civilisations
Pour que les peuples occidentaux soient mobilisés dans cette entreprise mortifère, l'État américain s'arrange pour entretenir les sentiments de russophobie, de sinophobie et d'islamophobie. Le choc des civilisations envisagé par Samuel Huntington est une théorie fausse, mais elle peut être rendue vraie dès lors que tout le monde y croit.
Mais pourquoi vouloir dominer le Moyen-Orient ? Pour le pétrole ? Pourquoi voudraient-ils s'emparer des ressources pétrolières et gazières qui s'y trouvent alors qu'ils sont maintenant autosuffisants ? Il s'agit en fait de s'assurer que le pétrole soit vendu en dollars US. Si les USA épargnent l'Arabie saoudite, c'est parce que celle-ci a jusqu'à récemment fait honneur aux pétrodollars. Ce n'est pas pour rien qu'ils veulent étendre les accords d'Abraham pour inclure les Saoudiens.
Les Américains et l'Arabie saoudite se sont impliqués dans la tentative de renverser Bachar Al Assad quand ce dernier a approuvé le projet de pipeline iranien au lieu du projet de pipeline saoudien. Il faut donc en finir avec les ressources pétrolières de l'Iran car celles-ci pourraient être vendues éventuellement sans faire usage du dollar US.
Les Américains ont réussi à mettre un terme à la vente du pétrole et du gaz russe en Europe, et là, ils occupent le tiers de la Syrie ainsi qu'une partie de l'Irak. Il ne manque plus que la destruction des installations pétrolières de l'Iran. Les États-Unis seraient contents de voir Israël se charger de les bombarder.
Le dollar US
Mais pourquoi vouloir à tout prix maintenir la ressource pétrolière vendue en dollars américains ? C'est pour s'assurer que le dollar demeure la devise de réserve mondiale. Sinon, leur monnaie va perdre de sa valeur. L'inflation sera galopante. Il faudra hausser les taux d'intérêt pour attirer les investisseurs vers les bons du trésor américains. Cela va ralentir l'économie et accroître le pourcentage de la dette par rapport au PIB. On prévoit pour 2050 une dette atteignant 200% du PIB et le tiers des revenus servant à payer le service de la dette. Cela va inquiéter les investisseurs et le dollar US va poursuivre sa chute, ce qui va accroître l'inflation, au point où les investisseurs voudront se départir de leurs bons du trésor, ce qui va affaiblir encore plus le dollar et engager les USA dans l'hyperinflation. La crainte de la dédollarisation hante les États-Unis et c'est la raison pour laquelle ils cherchent à maintenir leur hégémonie économique par la force, contre la Russie, la Chine et l'Iran.
La réflexion ne va pas loin dans l'explication des « conflits » au Moyen-Orient. On parle d'une « catastrophe humanitaire » causée par une guerre opposant Israël et le Hamas. L'emploi du mot 'génocide' est rendu difficile. La direction du New York Times interdit même à ses journalistes d'employer le mot. Chez nous, la vaste majorité des personnalités publiques n'osent pas s'aventurer sur ce terrain. Serions-nous sous l'emprise d'un interdit provenant de lobbys appuyant la propagande américaine ?
Conclusion
Sauf pour quelques députés du NPD, la Chambre des communes est demeurée réservée et ce, bien que le tandem Biden/Harris finance le génocide, fournit les bombes meurtrières et laisse aller la famine imposée par l'État d'Israël sur toute la bande de Gaza. Alors qu'ils appuient et encadrent volontairement le génocide de Netanyahou (ce serait sans doute pire avec Trump), nos propres dirigeants se réfugient dans un mutisme complet. C'est pourtant le premier génocide à être diffusé en direct partout dans le monde. Comment la chambre des communes parvient-elle à rester silencieuse face à cette entreprise criminelle ?
Si on veut cependant y mettre fin, il faut plus que l'indignation et la condamnation morale. Il faut comprendre ce qui est en jeu. Nous sommes en face d'une puissance impérialiste paniquée à l'idée de perdre son hégémonie. Expliquer le génocide présentement en cours à Gaza en se contentant d'invoquer l'existence d'un lobby pro-Israël risque de nous faire perdre de vue une appréciation géopolitique instruite qui va au cœur du sujet.
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L’OMS met en garde contre l’« amnésie collective » sur la Covid-19

Notre « amnésie collective » concernant la gravité de la pandémie de Covid-19 ne doit pas nous empêcher de nous protéger et de protéger nos proches contre la propagation continue des maladies respiratoires, alors que l'hémisphère nord se prépare à l'hiver, a averti mercredi le bureau régional de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour l'Europe.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/15/loms-met-en-garde-contre-lamnesie-collective-sur-la-covid-19/
Selon l'OMS, les coronavirus tels que le virus de la Covid-19, la grippe et le virus respiratoire syncytial (VRS) « doivent être pris au sérieux », car ils sont particulièrement dangereux pour les groupes à risque, notamment les personnes âgées, les femmes enceintes et les personnes souffrant d'une maladie existante ou chronique.
« L'amnésie collective concernant la Covid-19 s'est installée, ce qui est préoccupant », a déclaré le Dr Hans Kluge, Directeur régional de l'OMS pour l'Europe. « Les individus, les communautés et les pays veulent, à juste titre, tourner la page sur le traumatisme des années de pandémie. Pourtant, la Covid-19 est toujours bien présente, circulant avec d'autres virus respiratoires ».
Pleins feux sur l'Europe
Le responsable de l'OMS a fait remarquer que 53 pays d'Europe et d'Asie centrale connaissent encore jusqu'à 72 000 décès dus à la grippe saisonnière, ce qui représente environ 20% du fardeau mondial.
« La grande majorité de ces décès peuvent être évités », a-t-il affirmé, ajoutant que les personnes les plus vulnérables « doivent être protégées » par la vaccination, dont il est prouvé qu'elle prévient la maladie et les conséquences graves.
Dans les 28 jours précédant le 22 septembre, les autorités sanitaires de la région européenne de l'OMS ont signalé un peu plus de 278 000 cas du nouveau coronavirus et 748 décès, de Chypre à la Moldavie et de l'Irlande à la Russie. Ces chiffres sont supérieurs à ceux de toutes les autres régions de l'OMS et sont probablement sous-estimés, a fait valoir la branche européenne de l'Agence sanitaire mondiale des Nations Unies.
Selon les données de l'OMS, la Covid-19 a tué plus de sept millions de personnes depuis le début de l'épidémie fin 2019, la plupart des décès ayant été signalés aux États-Unis (1,2 million), au Brésil (702 000), en Inde (534 000) et en Russie (403 000).
Des agents pathogènes imprévisibles
« La Covid-19 a dévasté tous les coins de la planète », a dit le Dr Kluge.
« Le clade II du mpox est apparu de manière inattendue en Europe en 2022 et continue de circuler dans la région, alors même que le clade I du mpox en Afrique centrale et orientale a déclenché une urgence de santé publique de portée internationale. Le virus respiratoire syncytial (VRS) et la grippe continueront à co-circuler avec une intensité accrue dans les mois à venir, notamment parce que de plus en plus de personnes se rassemblent à l'intérieur en raison du temps plus froid », a-t-il insisté.
Dans ce combat contre « des agents pathogènes imprévisibles », les autorités sanitaires nationales devraient remplir leur rôle de protection des populations vulnérables, a poursuivi le haut fonctionnaire de l'OMS, qui a appelé à un investissement accru dans les soins de santé publique afin de protéger les professionnels de la santé surchargés.
Les virus nouveaux et existants peuvent « faire des ravages dans les systèmes de santé, les économies et la société », a averti le Dr Kluge, en appelant à une surveillance et à un suivi réguliers et cohérents pour « garantir que nous sommes prêts à faire face à la prochaine grande urgence sanitaire, quel que soit le moment ou le lieu où elle surviendra ».
L'appel à l'action de la campagne de l'OMS/Europe
Dans le cadre d'une campagne de santé publique de l'OMS Europe visant à prévenir la propagation de la grippe et d'autres maladies respiratoires, l'OMS a rappelé que les principales mesures de protection consistent à rester chez soi en cas de maladie, à pratiquer l'hygiène des mains et de la toux et à assurer une bonne ventilation.
Les populations vulnérables, qui comprennent également les personnes dont le système immunitaire est affaibli et toute personne qui pense avoir attrapé un virus respiratoire, doivent porter un masque ajusté dans les espaces bondés ou fermés, a ajouté l'OMS.
« La protection contre les virus respiratoires est une responsabilité partagée par les gouvernements et l'ensemble de la société », a déclaré le Dr Kluge de l'OMS. « Chacun doit jouer son rôle en encourageant une culture de soins et de solidarité avec les personnes vulnérables ».
« La campagne de cette année intitulée « Personne ne sait à quel risque vous êtes exposé mieux que vous » encourage les individus à évaluer leurs risques personnels et à avoir confiance en leur capacité à effectuer des choix responsables pour eux-mêmes et leur communauté », explique pour sa part, Cristiana Salvi, Conseillère régionale pour la communication sur les risques et la gestion de l'infodémie à l'OMS/Europe.
https://news.un.org/fr/story/2024/10/1149561
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Pétition : Il y a urgence : sauvons les maternités de Mayotte !

À l'attention de Madame la Ministre de la Santé ; Monsieur le Directeur de l'ARS Mayotte ; Mesdames et Messieurs les Élus de Mayotte ; les Responsables du Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) ; des mahoraises et des mahorais ; des françaises et des français ; des européennes et des européens
Tiré de Entre les lignes et les mots
La situation est critique : le système de santé de Mayotte est au bord du gouffre !
Mayotte est en train de vivre une véritable catastrophe sanitaire. Alors que l'île enregistre un taux de natalité record en Europe, avec 10 730 naissances en 2022, les maternités de Dzoumogné et Mramadoudou sont sur le point de fermer leurs portes. Cette fermeture annoncée va mettre en danger immédiat la vie de milliers de femmes enceintes et de leurs enfants à naître.
La situation est alarmante : comment, dans une région où la population est en pleine explosion démographique, peut-on envisager de fermer des services vitaux ? C'est un crime contre la santé publique !
Une décision qui met des vies en péril
Les fermetures programmées de ces maternités sont une erreur monumentale. Mayotte connaît une augmentation de 1,1% du nombre de naissances entre 2021 et 2022, et une hausse de 17% par rapport à 2020. Le territoire est déjà sous-équipé pour faire face à la demande croissante en soins, et maintenant, on nous annonce la fermeture de services essentiels. C'est insensé !
Pourquoi fermer deux maternités alors que la population continue d'augmenter ?
Pourquoi priver les femmes enceintes de soins adéquats, alors que Mayotte a enregistré 9 760 naissances de plus que de décès en 2022 ?
Comment justifier cette décision alors que 970 décès ont été recensés en 2022, soit une augmentation de 23% par rapport à 2019 ? La conséquence directe de cette fermeture sera une multiplication des accouchements à domicile non assistés, des complications mortelles, des fausses couches, et une hausse dramatique de la mortalité maternelle et néonatale.
Les femmes enceintes : condamnées à l'insécurité et à l'abandon
Avec la fermeture des maternités de Dzoumogné et Mramadoudou, les patientes seront obligées de se rendre à Kahani ou Mamoudzou, des trajets longs, dangereux, et imprévisibles. Peu importe l'heure, peu importe les conditions de circulation ou l'insécurité omniprésente à Mayotte, les femmes devront risquer leur vie et celle de leurs bébés pour atteindre un service de maternité saturé. Le plus effrayant est que de nombreux témoignages montrent que les femmes enceintes doivent se débrouiller seules, parfois obligées de faire le trajet avec leurs propres moyens, sous la directive d'un médecin régulateur basé à la Réunion. Cela a déjà conduit à des dizaines de fausses couches et des naissances non assistées à domicile, souvent dans des conditions terrifiantes. Combien de vies faudra-t-il sacrifier avant d'agir ?
Un personnel soignant épuisé et en danger
Les soignants de Mayotte sont eux aussi en première ligne de cette catastrophe. Malgré la présence d'environ 90 à 100 sages-femmes sur le territoire, le manque d'organisation et de ressources continue d'handicaper gravement le fonctionnement des services. Les sages-femmes et le personnel médical sont redéployés dans des zones à haut risque, sans aucune protection ni garantie de sécurité. Ils sont régulièrement agressés lors de leurs trajets, sans qu'aucune mesure sérieuse ne soit mise en place pour les protéger.
En parallèle, des primes de 12 000 euros sont accordées à certains agents, mais cela ne résout rien. Le personnel continue d'être sous-équipé, mal réparti, et épuisé. La mauvaise gestion est devenue chronique, et les conséquences sont visibles : fausses couches, décès évitables, bébés nés sans assistance.
Les infrastructures médicales : au bord de l'effondrement !
À Mramadoudou, la situation est hors de contrôle. Il n'y a plus assez de sages-femmes ni de médecins. Ce sont désormais les aides-soignants qui prennent en charge les suites de couche. Les infrastructures sont vétustes, et le personnel, débordé, ne peut plus faire face à l'afflux constant de patientes. Il est urgent de réouvrir ces maternités, mais également de moderniser les infrastructures existantes. Il est inacceptable que des femmes soient obligées d'accoucher dans de telles conditions, dans un territoire français en 2024 !
Nos revendications immédiates
– Réouverture immédiate et sans condition des maternités de Dzoumogné et Mramadoudou :Chaque jour de fermeture expose des femmes enceintes à la mort. La réouverture des services de maternité est une priorité absolue ;
– Transparence des décisions et consultation des instances locales ;
Aucune décision ne doit être prise dans le secret. Les syndicats, élus locaux, CHM, et la population doivent être consultés. La transparence sur les décisions de l'ARS et du CHM est un devoir moral.
– Publication des statistiques d'urgence :
Il est impératif de publier les statistiques détaillées sur l'impact des fermetures : combien de fausses couches, combien de décès néonatals, combien d'accouchements non assistés ? La transparence sur ces chiffres est cruciale pour comprendre l'ampleur de la catastrophe ;
– Renforcement immédiat des effectifs médicaux et amélioration des conditions de travail :
Des médecins et des sages-femmes supplémentaires doivent être envoyés en urgence pour soulager le personnel en place. L'insécurité pour le personnel médical doit cesser immédiatement, et des moyens de protection doivent être mis en place
– Création d'une école de sages-femmes à Mayotte :
Il est inacceptable que Mayotte, avec un des taux de natalité les plus élevés d'Europe, ne dispose pas de sa propre école de sages-femmes. Cette situation doit être corrigée de toute urgence.
Conclusion
La fermeture des maternités de Dzoumogné et Mramadoudou est une véritable catastrophe humanitaire en cours. Nous faisons face à une crise sanitaire sans précédent, qui risque de coûter la vie à des centaines de femmes et de nouveau-nés si des mesures immédiates ne sont pas prises. Nous exigeons l'intervention immédiate des autorités ! Chaque jour qui passe sans action condamne des femmes à accoucher dans des conditions inacceptables. Signez cette pétition dès maintenant pour sauver des vies ! Il est temps de mettre un terme à cette catastrophe. Nous ne pouvons pas attendre plus longtemps. La vie de nos enfants et de nos mères est en jeu.
Signez ici :
https://www.mesopinions.com/petition/sante/urgence-sauvons-maternites-mayotte/234573
lire aussi :
https://www.francetvinfo.fr/france/mayotte/reportage-a-mayotte-la-plus-grande-maternite-de-france-tente-de-faire-face-a-l-explosion-demographique-on-manque-de-tout-ici_5783702.html
Le Courrier de la Marche Mondiale des Femmes contre les Violences et la Pauvreté – N°436 – 15 octobre 2024
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Rigueur budgétaire : « Une politique d’austérité, mise en œuvre à l’échelle européenne, sera un remède pire que le mal

Cette tribune, rédigée par des économistes membres de la Fondation Copernic et d'ATTAC, a été publiée dans Le Monde le 3 octobre 2024.
17 octobre 2024 |tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/17/rigueur-budgetaire-une-politique-dausterite-mise-en-oeuvre-a-lechelle-europeenne-sera-un-remede-pire-que-le-mal/
Sans surprise, le premier ministre, Michel Barnier, a pointé, mardi 1er octobre, dans son discours de politique générale, « notre dette publique colossale » et entend baisser massivement les dépenses publiques, tout en envisageant de« demander une participation (…) aux grandes entreprises qui réalisent des profits importants » et « une contribution exceptionnelle aux Français les plus fortunés ».
Il semble suivre ainsi Adrien Auclert, Thomas Philippon et Xavier Ragot, qui, dans une tribune, « Budget 2025 : “La question n'est pas de savoir s'il faut réduire le déficit, mais comment le faire sans peser trop fortement sur la croissance” »(Le Monde du 17 septembre),constatent que « l'heure est partout à la consolidation budgétaire » et prônent « une réduction du déficit primaire structurel de 4 points de PIB [produit intérieur brut], soit 112 milliards d'euros étalés sur sept à douze ans », avec dès cette année 20 milliards, essentiellement par des baisses de dépenses.
Ces économistes, qui n'excluent certes pas « des hausses, possiblement transitoires, de la fiscalité », évoquent la « diminution des aides aux entreprises en repensant les allégements de charges ». Rappelons que les baisses d'impôts ou de prélèvements en faveur des ménages les plus riches et des grandes entreprises coûtent chaque année 76 milliards au budget de l'Etat et que les subventions sans contrepartie accordées aux entreprises sont de l'ordre de 170 milliards. Les marges de manœuvre sont donc réelles.
Le spectre de la situation de la Grèce
C'est pourtant la baisse des dépenses publiques qui est privilégiée en matière de services publics, de financement de l'Assurance-maladie et des complémentaires santé. Pis, les auteurs se prononcent pour « un excédent primaire [hors charge de la dette] d'un point de PIB à moyen terme », car, nous disent-ils, « pour réduire la dette, il faudra dégager des surplus primaires », c'est-à-dire avoir un budget durablement excédentaire.
Ce qu'ils nous proposent ici est donc une cure d'austérité massive et prolongée qui ne dit pas son nom, même s'ils s'en défendent en avançant vouloir essayer de trouver un point d'équilibre concernant la vitesse de l'ajustement. Le grand absent chez ces économistes, comme d'ailleurs du discours du premier ministre, est l'état de l'économie et de la société, française autant qu'européenne. Or, la zone euro fait aujourd'hui face à une stagnation économique, et la France n'est pas épargnée.
Dans une telle situation, une politique d'austérité, de plus mise en œuvre à l'échelle européenne, sera un remède pire que le mal qu'il est censé guérir et ira, en définitive, à l'encontre du but recherché. Alors que l'investissement des entreprises est au plus bas, que la consommation des ménages stagne ou régresse, baisser les dépenses publiques aura un effet récessif qui, in fine, aggravera la situation des finances publiques. Phénomène bien connu dont la Grèce a fait l'amère expérience.
« Lente agonie »
Il est particulièrement significatif qu'aucune allusion ne soit faite au rapport que vient de présenter Mario Draghi à la Commission européenne. Celui-ci constate que « le revenu disponible réel par habitant a augmenté presque deux fois plus aux Etats-Unis qu'en Europe depuis 2000 » et que, faute d'un sursaut d'investissement, l'économie européenne est condamnée à « une lente agonie ».
Rappelons que, en trente ans, la productivité horaire du travail dans la zone euro a augmenté moitié moins qu'aux Etats-Unis. Mario Draghi indique que les investissements annuels nécessaires pour combler ce retard se monteraient à 5 points de PIB. Comment faire ces investissements, que ce soit en matière écologique, sociale ou industrielle, avec un budget durablement excédentaire ?
Mais, nous dira-t-on, il y a le feu au lac. La dette publique se monte à 110% du PIB et la charge d'intérêt est d'environ 50 milliards d'euros par an, soit 1,8% du PIB ; elle était de près de 4% à la fin des années 1990, et alors considérée comme soutenable. Il est vrai toutefois que cette somme pourrait être plus utilement employée.
Une réforme fiscale porteuse de justice est nécessaire
Remarquons par ailleurs qu'une partie non négligeable du coût de la dette (13,6 milliards d'euros) provient de l'émission par l'Etat de titres indexés sur l'inflation. Au contraire des salaires, le capital est protégé contre l'inflation ! Que faire alors ? Une réforme fiscale porteuse de justice est évidemment nécessaire.
Les entreprises et les ménages doivent être mis à contribution en fonction de leur richesse effective. Mais, aussi importante soit-elle, elle ne suffira pas à financer les investissements massifs qui sont aujourd'hui nécessaires ; aussi, s'endetter est une nécessité. Ces investissements permettront de construire des infrastructures qui seront utilisées des décennies durant par plusieurs générations, c'est pourquoi un financement par la dette est légitime.
Dire cela ne signifie cependant pas accepter la forme que prend l'endettement actuel, qui, aujourd'hui, dans l'Union européenne (UE), place la dette publique sous l'emprise des marchés financiers. Or, si l'on veut à la fois se prémunir contre les risques d'une spéculation sur la dette publique et réduire sa charge, il est nécessaire de dégager durablement le financement public de cette emprise des marchés.
Un dispositif pour garantir la stabilité du financement
Il faut pour cela créer un dispositif qui, comme jusqu'aux années 1980, garantira la stabilité du financement ; son cœur sera formé par un pôle bancaire public, édifié autour des institutions financières déjà existantes ; il permettra d'orienter l'épargne populaire vers les investissements sociaux et écologiques stratégiques décidés démocratiquement. N'étant pas soumis à la logique de la rentabilité financière, ce pôle bancaire public pourra ainsi être un acheteur important et stable de titres de la dette publique.
Par ailleurs, il pourra avoir accès aux liquidités fournies par la Banque centrale européenne dans le cadre de ses opérations de refinancement, comme le permet l'article 123.2 du traité sur le fonctionnement de l'UE, les titres de dette publique constituant un collatéral de très bonne qualité.
Les institutions financières privées doivent quant à elles être soumises à un contrôle strict et avoir l'obligation de placer une partie de leurs actifs en titres de la dette au taux fixé par la puissance publique.
Les signataires de la tribune, Jean-Marie Harribey, Esther Jeffers, Pierre Khalfa, Dominique Plihon, Jacques Rigaudiat, économistes, sont tous membres d'Attac et de la Fondation Copernic.
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Une cure d'austérité massive et prolongée
Ce texte est issu d'un exposé de Pierre Khalfa fait lors d'un webinaire de la Fondation Copernic
Le projet de budget du gouvernement correspond aux annonces antérieures. Précédé d'un feu roulant médiatique sur « la situation catastrophique des finances publiques », il prévoit une cure d'austérité massive et prolongée.
Ce qui est prévu
Le déficit public sera de 6,1% du PIB en 2025. Le gouvernement voudrait le ramener à 5% en 2025 et passer sous la barre des 3% à la fin 2029. Il ne s'agit donc pas de mesures ponctuelles, mais de mesures qui vont se répéter année après année. Pour 2025 est prévu un ajustement budgétaire de 60 milliards d'euros. Il s'agit d'un choc budgétaire considérable.
Il y a là un premier problème. Passer à 5% du PIB en 2025 correspond à un ajustement de 1,1 point de PIB ce qui, théoriquement, devrait faire 30 milliards d'euros. Or, le gouvernement en annonce 60 parce qu'il prend comme base de calcul ce qu'aurait été, d'après lui, le déficit public en 2025 si rien n'avait été fait. C'est à dire 7%. Il en déduit la nécessité d'un ajustement de deux points de PIB, c'est-à-dire 60 milliards d'euros. Autrement dit, il prend en compte une situation qui n'existe pas et qui ne va pas exister, pour imposer un choc budgétaire deux fois plus important que ce qui aurait été nécessaire, même de son propre point de vue.
Ce qui est prévu, c'est essentiellement une baisse des dépenses publiques de 40 milliards d'euros et une et une augmentation d'impôts de 20 milliards.
Dans ces 20 milliards, il va y avoir d'une part les ménages les plus riches qui vont être touchés, ceux dont les revenus sont supérieurs à 500 000€. Ce qui représente 65 000 ménages et devrait rapporter 2 milliards d'euros. Il y aura aussi un impôt sur les plus grosses entreprises, celles qui ont un chiffre d'affaires supérieur à un milliard d'euros – chiffre d'affaires uniquement en France – qui devrait rapporter 8 milliards. Ces deux prélèvements sont présentés comme exceptionnels et provisoires. Les cotisations patronales devraient être alourdies pour rapporter 4 milliards d'euros et diverses surtaxes devraient être mises en place. Pour le reste de la population, le gouvernement affirme qu'il n'y aura pas d'augmentation d'impôts. C'est faux et on sait par exemple que la taxe sur l'électricité va augmenter.
La baisse des dépenses publiques sera massive. Quand on parle de dépenses publiques, ce que l'on met en avant c'est le ratio dette publique sur PIB. Il était en 2023 de 57%. Ce ratio donne l'impression qu'il y aurait plus de la moitié de la richesse produite, le PIB, qui passerait dans les dépenses publiques. Ce qui est totalement faux parce que ce ratio mesure deux grandeurs hétérogènes. Quand on calcule le PIB, on ne prend pas en compte ce qu'on appelle les consommations intermédiaires, c'est à dire les biens et les services transformés ou consommés au cours du processus de production. Le PIB, pour des raisons techniques ne prend pas en compte ces consommations intermédiaires, alors que le calcul des dépenses publiques les prend en compte. Donc on compare deux choses qui ne sont pas comparables et le ratio dette publique sur PIB a assez peu de sens.
Parmi les baisses de dépenses citons en vrac, la sécurité sociale qui va être amputée de 14 milliards, le report de l'indexation des retraites sur l'inflation qui va rapporter 4 milliards d'euros, des coupes dans le fonctionnement des hôpitaux, la suppression de 4000 postes d'enseignants, etc.
Il faut insister sur une fonction importante des dépenses publiques qui risque de faire les frais de cette cure d'austérité. Une part importante des dépenses publiques, ce sont des transferts sociaux vers les ménages. La moitié en moyenne du revenu des ménages est aujourd'hui issu des transferts sociaux et le montant global des prestations financières est aujourd'hui supérieur au montant des salaires nets. C'est dire l'importance de ces transferts sociaux du point de vue du revenu des ménages. Ainsi les 10% des plus riches, reçoivent 18 fois plus de revenu primaire – c'est à dire de salaire, de revenu du patrimoine – que les plus pauvres (13% de la population). Après transferts sociaux, cet écart passe de 1 à 3. On voit donc à quel point les transferts sociaux sont importants pour le revenu des ménages et pour réduire les inégalités. Or, ces transferts sociaux sont au cœur de la dépense publique.
Y-a-t-il le feu au lac ?
Le déficit est de 6% de plus du PIB. La dette publique représente 110% du PIB. Cela paraît énorme, plus de 3 200 milliards d'euros.
Concernant la dette publique deux points doivent être soulignés. D'une part, d'autres pays avec des économies avancées comme le Japon ou les États-Unis ont une dette nettement supérieure à celle de la France et il n'y a pas dans l'absolu de niveau d'endettement optimum au-delà duquel les problèmes commencent. D'autre part le ratio dette publique sur PIB, mis en avant pour montrer l'importance de la dette publique, est tout à fait problématique. En effet la dette est un stock alors que le PIB représente le flux annuel de richesse créée. Or comparer un stock à un flux a assez peu de sens.
D'autre part, le deuxième point à souligner est qu'un État ne rembourse jamais sa dette. Quand les titres publics arrivent à échéance, l'État ne les rembourse pas. Il emprunte de nouveau, en l'occurrence là sur les marchés financiers. On dit qu'un État fait rouler sa dette. Donc il est faux de dire qu'il faudra rembourser la dette. Aucun État, parmi les grands pays en Europe, aux Etats-Unis, au Japon, etc., ne rembourse sa dette.
L'important, pour savoir si une dette est soutenable, est de regarder la charge de la dette, c'est-à-dire les intérêts que l'on paye. En 2023 la charge de la dette représentait 1,8% du PIB. Elle représentait 4% du PIB à la fin des années 90. Donc, en fait, aujourd'hui le poids de la charge de la dette est moindre que dans les années 90. Elle est néanmoins importante, représentant ces 50 milliards d'euros qui pourraient effectivement être utilisé à autre chose.
Mais cela montre que la France n'est pas dans une situation de crise financière contrairement au discours dominant. Les opérateurs financiers, les banques, les fonds d'investissement, etc. recherchent la dette française et la France n'a aucun mal à emprunter sur les marchés financiers. À chaque adjudication, la demande est supérieure à l'offre de 2 à 3 fois. Cela veut dire que la France n'a pas à supplier les marchés financiers ou les banques pour emprunter. La dette française est une dette parmi les plus sûres au monde.
Maintenant, venons-en au déficit public : 6,1% du PIB en 2024 alors que la prévision du gouvernement était de 4,4%. Pourquoi ça a dérapé ? Le déficit public n'a pas dérapé parce que il y a eu une augmentation des dépenses publiques. Celles-ci sont restées stables et ont même plutôt diminué légèrement entre 2023 et 2024. Le dérapage est imputable à une baisse des recettes fiscales et notamment une baisse des recettes de la TVA. Pourquoi ? Parce qu'il y eu une baisse de la consommation des ménages. Les ménages ont moins consommé, il y a eu moins de recettes de la TVA et de plus en moyenne les ménages, pour ceux qui le peuvent, ont épargné plus. On a en France un taux d'épargne aujourd'hui record, de 18% du revenu disponible des ménages, ce qui est ce qui est le taux le plus important depuis des décennies. Et si les ménages qui le peuvent épargnent, c'est tout simplement parce qu'ils ont la crainte de l'avenir. Les ménages consomment moins, soit parce qu'ils n'en ont pas les moyens, soit parce qu'ils épargnent parce qu'ils craignent l'avenir. Cela entraîne une baisse des recettes fiscales, une baisse de la TVA et donc une augmentation du déficit.
Plus globalement, le déficit public est dû historiquement, depuis les années 2000, à des baisses d'impôts, essentiellement en faveur des grandes entreprises et des ménages les plus riches., Ces baisses d'impôts coûtent 76 milliards d'euros par an au budget de l'État. Avec les 10 milliards de hausse d'impôts prévus par le gouvernement qui vont toucher les ménages les plus riches et les très grosses entreprises, on est donc loin du compte. Et si on prend les subventions aux entreprises en France, ce sont 170 milliards d'euros par an en moins pour le budget de l'État. Dans ces subventions, il y a certaines qui peuvent être utiles, mais il y a de nombreuses qui sont totalement inutiles et qui produisent des effets d'aubaine pour les entreprises. Il y aurait donc des marges de manœuvre fiscales beaucoup plus importantes que celles sur lesquelles joue le gouvernement Barnier.
Les conséquences
Réduire la dépense publique à grande échelle avec ce choc budgétaire ne peut avoir pour conséquence que de réduire le niveau de vie des populations qui sont les premiers bénéficiaires de la dépense publique, les classes moyennes et les classes populaires, que ce soit en matière de services publics ou de transferts sociaux. Cela va aussi aggraver la situation économique.
On est dans une situation économique où la consommation des ménages stagne, voire régresse, ainsi que l'investissement des entreprises. Dans une telle situation, baisser les dépenses publiques aura un effet récessif. Cela entrainera moins de pouvoir d'achat pour des salariés, moins de profits pour les entreprises parce qu'il y aura moins d'activité économique, plus de chômage et donc moins de recettes fiscales et donc, in fine, un risque de plus de déficit public. Et on rentrerait là dans une sorte de spirale mortifère bien connue, c'est celle qu'a subie la Grèce dans les années 2010-2015. C'est ce qu'on appelle en économie l'effet multiplicateur : lorsque la dépense publique baisse d'un point il y a un risque, surtout dans une situation économique dégradée comme aujourd'hui, que l'activité économique baisse encore plus fortement, ce d'autant plus que des mesures similaires vont être prises dans beaucoup de pays européens.
Cela risque de créer un effet récessif global au niveau européen, alors même que l'Europe est en situation de stagnation économique. On est en train de refaire l'erreur économique déjà faite dans les années 2010 où on avait eu une cure d'austérité massive en Europe, un peu moins d'ailleurs à l'époque en France que dans les autres pays européens. Cette fois, cela risque d'être le contraire. On risque d'avoir une cure d'austérité beaucoup plus importante en France que dans les autres pays européens. Mais dans tous les cas, cela avait entraîné une récession de plusieurs années dont on a eu du mal à sortir.
Que faire ?
Aujourd'hui on a besoin d'investir. Investir massivement pour la transition écologique, pour réindustrialiser la France, pour remettre à niveau nos services publics, etc. Il y a eu deux rapports officiels récents qui le confirment. Le rapport Pisani-Ferry-Mafhouz, des économistes proches du pouvoir, indique qu'il faudra 66 milliards d'euros par an en plus d'investissements. Également le rapport pour la Commission européenne fait par Mario Draghi, ancien président de la BCE, qui avance qu'il faudra 800 milliards d'euros d'investissements supplémentaires en Europe. Il note le décrochage de tous les pays de l'Union européenne par rapport aux États-Unis et par rapport à la Chine, parlant même de lente agonie s'agissant de l'économie européenne. Le revenu disponible par habitant a augmenté deux fois plus vite aux Etats-Unis qu'en Europe depuis 2001 et en trente ans la productivité horaire dans la zone euro a augmenté moitié moins qu'aux États-Unis. On est dans un processus de paupérisation relative au niveau du continent européen par rapport au par rapport aux États Unis.
Une réforme fiscale porteuse de justice est évidemment nécessaire. Les entreprises et les ménages doivent être mis à contribution en fonction de leur richesse effective et on a vu que les mesures Barnier sont notoirement insuffisantes. Mais, aussi importante soit-elle, elle ne suffira pas à financer les investissements massifs qui sont aujourd'hui nécessaires ; aussi, s'endetter est une nécessité.
Il faut le dire, pour investir, il faudra s'endetter. Ces investissements permettront de construire des infrastructures qui seront utilisées des décennies durant par plusieurs générations, c'est pourquoi un financement par la dette est légitime. La dette est un pont entre les générations et un bon État, qui pense à l'avenir, est un État qui s'endette. Dire cela ne signifie cependant pas accepter la forme que prend l'endettement actuel, qui, aujourd'hui, dans l'Union européenne place la dette publique sous l'emprise des marchés financiers. Or, si l'on veut à la fois se prémunir contre les risques d'une spéculation sur la dette publique et réduire sa charge, il est nécessaire de dégager durablement le financement public de cette emprise des marchés.
Il faut pour cela créer un dispositif qui, comme jusqu'aux années 1980, garantira la stabilité du financement ; son cœur sera formé par un pôle bancaire public, édifié autour des institutions financières déjà existantes ; il permettra d'orienter l'épargne populaire vers les investissements sociaux et écologiques stratégiques décidés démocratiquement. N'étant pas soumis à la logique de la rentabilité financière, ce pôle bancaire public pourra ainsi être un acheteur important et stable de titres de la dette publique. Par ailleurs, il pourra avoir accès aux liquidités fournies par la Banque centrale européenne dans le cadre de ses opérations de refinancement, comme le permet l'article 123.2 du traité sur le fonctionnement de l'UE, les titres de dette publique constituant un collatéral de très bonne qualité. Les institutions financières privées doivent quant à elles être soumises à un contrôle strict et avoir l'obligation de placer une partie de leurs actifs en titres de la dette au taux fixé par la puissance publique.
https://www.fondation-copernic.org/une-cure-dausterite-massive-et-prolongee/
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L’oligarchie « macro-lepéniste » est en train de tout détruire - François Boulo

Le 7 juillet au soir, la France est officiellement entrée dans une crise de régime qui pourrait aboutir, à terme, à l'effondrement de la Ve République. En prononçant la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin dernier, Emmanuel Macron pensait réaliser un coup de maître en se reconstituant une majorité absolue sur les cendres d'une gauche qu'il pensait définitivement divisée, tout en activant une énième fois le fameux « barrage républicain ». Sa stratégie est un échec cuisant et plutôt que d'accepter sa défaite, il a fait le choix de se mettre à la merci du Rassemblement national, qui est désormais en position de censurer n'importe quel gouvernement, à commencer par celui de Michel Barnier. Faut-il vraiment s'étonner de voir celui qui s'est fait élire comme « rempart » face à la montée de l'extrême droite s'allier désormais ouvertement avec elle ? Que les deux forces politiques présentées depuis des décennies comme les plus opposées en viennent à s'entendre pour permettre la constitution d'un gouvernement n'est-il pas le signe que les institutions actuelles ne sont plus seulement à bout de souffle, mais bien agonisantes ?
11 octobre 2020 | tiré de la lettre d'Elucid
https://elucid.media/democratie/oligarchie-macron-lepeniste-france-tout-detruire-francois-boulo
Si le macro-lepénisme, concept théorisé par Emmanuel Todd en 2020 (1), est devenu une réalité institutionnelle quatre ans plus tard, ce n'est pas le fruit du hasard. Certes, si l'on s'en tient à la surface des choses, l'extrême centre est censé incarner l'ouverture au monde et la promotion de la diversité, alors que l'extrême droite est présentée comme symbole du repli sur soi et du racisme. Ces discours et ces représentations largement relayés par les médias dominants fonctionnent à merveille dans l'opinion publique.
L'extrême centre parle aux gens relativement aisés et, en tout cas, plutôt satisfaits de leur sort, là où l'extrême droite séduit les mal-considérés (les « sans dents »), et plus largement tous ceux qui se plaignent de l'insécurité économique, urbaine ou culturelle. Il n'y a là rien d'illogique à ce que des gens qui se déclarent heureux se montrent disposés à s'ouvrir sur l'extérieur et qu'à l'inverse, ceux qui souffrent ou sont angoissés réclament de la protection et revendiquent une forme de retour aux traditions.
Macronisme et Lepénisme : les deux faces d'une même pièce
Ces considérations auront traversé le débat public français depuis au moins une quarantaine d'années, et plus intensément encore après l'accession au deuxième tour de l'élection présidentielle de Jean-Marie Le Pen en 2002. Or, ce clivage entre camp républicain d'un côté et menace fasciste de l'autre s'apprête à apparaître pour ce qu'il a toujours été : une tartufferie.
Après la fausse alternance gauche/droite qui aura gouverné le pays jusqu'en 2017 avant de fusionner dans le macronisme, voilà que l'autre grand clivage revendiqué dans le champ politique français est en train de s'évaporer sous nos yeux. Et il n'y a là rien de surprenant.
Si l'on fait fi du vernis superficiel qui passionne les journalistes politiques de salon, tout observateur politique avisé voit bien le rapprochement quasi achevé des positions idéologiques portées par l'extrême centre et l'extrême droite. Depuis 2017, le Rassemblement national n'a cessé de se « recentrer » en matière économique – en renonçant à toute politique de rupture avec l'Union européenne – alors que dans le même temps, le camp macroniste s'est progressivement radicalisé sur les questions culturelles, et en particulier sur son rapport à l'islam.
Sans que ces exemples soient exhaustifs, on pense à tel ministre macroniste mandatant le CNRS en 2021 pour mener une « étude scientifique » sur « l'islamo-gauchisme » dans les universités, à l'interdiction de l'abaya lors de la rentrée scolaire 2023, ou encore à Gérald Darmanin reprochant à Marine Le Pen d'être « un peu dans la mollesse » sur sa critique de l'islam, lors d'un débat télévisé sur le service public audiovisuel.
De son côté, le RN a opéré une toute nouvelle série de reculs sur son programme économique lors des dernières élections législatives, parmi lesquels le retour de l'âge légal de départ en retraite à 62 ans, l'exonération de l'impôt sur le revenu pour les jeunes de moins de 30 ans, ou encore la sortie du marché européen de l'électricité. En réalité, la seule différence notable (et elle est quand même de taille !), c'est que l'arrivée au pouvoir du RN – dont le discours répand le venin de la division en stigmatisant certaines communautés minoritaires – accélèrerait plus encore la libération des paroles et des actes racistes.
À cette exception près, force est de constater que ces deux forces politiques s'attirent en réalité comme des aimants. Au point où nous sommes rendus, on a peine à les distinguer puisqu'en retenant une grille de classification de fond, ces deux partis sont inégalitaires (économiquement), autoritaires (démocratiquement) et conservateurs (culturellement). Dit autrement, Emmanuel Macron n'a jamais été un libéral ; il est un inégalitaire-autoritaire !
À la fin, c'est l'oligarchie qui gagne…
Une fois admis cet état de fait, tout s'éclaire. On comprend mieux pourquoi Emmanuel Macron s'est obstinément refusé à désigner un Premier ministre issu du Nouveau Front Populaire (NFP), alors même que c'est le groupe politique qui compte le plus de députés à l'Assemblée, et alors que la France insoumise – excommuniée arbitrairement du « champ républicain » – se montrait disposée à ne pas entrer au gouvernement. Certes, rien n'obligeait Macron dans la lettre de la Constitution, mais l'esprit démocratique, lui, l'imposait.
On est loin de la leçon d'exemplarité donnée par le Général de Gaulle, lui qui démissionnait de la Présidence en 1969 après avoir été désavoué lors d'un référendum par une très courte majorité de 52,41 %. Emmanuel Macron, lui, s'obstine contre vents et marées alors qu'au moins 70 % des Français rejettent sa politique (c'est même 75 % selon un récent sondage Odoxa) ! Que fallait-il néanmoins espérer d'un Président de la République qui, à maintes reprises, a piétiné la démocratie en s'accrochant coûte que coûte à une lecture purement légaliste de la Constitution pour bafouer la volonté exprimée par le peuple ? Rien, à l'évidence.
Le passage en force de la réforme des retraites en 2023 était jusqu'alors la dernière démonstration de sa pratique extrêmement autoritaire du pouvoir. Le double coup de force de la dissolution surprise suivie du refus de tenir compte du résultat des élections n'en est que la continuité.
Pourquoi ? Pourquoi empêcher par tout moyen le Nouveau Front Populaire (NFP) d'accéder au pouvoir ? Le programme de cette gauche issue d'une alliance de circonstances n'avait strictement rien de révolutionnaire. Mais pour la bourgeoisie française, les quelques mesures de justice fiscale et l'abrogation de la réforme des retraites, c'était déjà trop. Et c'est là que nous touchons à l'un des points caractéristiques de la période. Les classes dominantes ne veulent plus faire aucun compromis, aucune concession. Elles veulent le gâteau tout entier, et même les miettes ! Elles tiennent l'appareil d'État et n'ont jamais été aussi arrogantes et sûres d'elles-mêmes.
C'est pour cela qu'il était hors de question pour Macron de prendre le risque de laisser un gouvernement NFP se former. Même si celui-ci était assez certain de tomber par censure dès le vote de confiance voire au bout de seulement quelques semaines, il ne fallait pas même concéder au peuple, en particulier de gauche, une victoire ne serait-ce que symbolique. Pourquoi s'abaisser à s'incliner face à la volonté majoritairement exprimée par les citoyens (même si relative) quand on a la possibilité de s'allier avec l'extrême droite ?
Pour la bourgeoisie, il importe avant tout que le camp au pouvoir soit inégalitaire et autoritaire. Qu'il s'agisse ensuite de l'extrême centre ou de l'extrême droite, c'est bonnet blanc ou blanc bonnet. Dans le moment, la conservation du pouvoir bourgeois passe par un gouvernement de droite macroniste soutenu par l'extrême droite. Demain, ce sera peut-être l'inverse : un gouvernement d'extrême droite soutenue par l'extrême centre. Peu importe la formule, tant que la bourgeoisie garde la main pour servir ses intérêts…
… et la France qui perd
Reste qu'aux yeux de la plupart des électeurs – plus sensibles aux apparences et aux personnalités qu'à l'analyse des programmes et des idéologies –, le macronisme et le lepénisme demeurent à ce jour deux camps politiques radicalement opposés, d'où une tripartition de l'électorat entre gauche, extrême centre et extrême droite, qui empêche de dégager une majorité absolue à l'Assemblée.
Cette tripartition institutionnellement neutralisante, ou à tout le moins incapacitante, pourrait durer plusieurs années, car elle repose sur des critères relativement structurants : une fracture générationnelle entre la gauche (jeune) et l'extrême centre (vieillissant) et une fracture éducative entre la gauche (plutôt diplômée) et l'extrême droite (plutôt peu diplômée). Pour autant, cette tripartition porte en elle une fragilité substantielle, car elle repose fondamentalement sur l'idée – on l'a vue erronée – que le RN serait un parti de « rupture » (preuve en est la justification brandie par nombre de ses électeurs « On n'a jamais essayé »).
Le drame de la scène qui se joue sous nos yeux est que l'extrême droite réussit – avec la complaisance des médias officiels – à se présenter auprès de leurs électeurs comme une alternative à l'extrême centre alors qu'elle n'est que l'autre visage (moins présentable) des classes dominantes. Après 40 ans de néolibéralisme au cours desquels les « élites » ont trahi la nation française en dilapidant le patrimoine public, en bradant une grande part de l'industrie aux puissances étrangères, et en appauvrissant ainsi une part toujours croissante de la population, l'envie des électeurs de renverser la table n'a jamais été aussi forte, et on les comprend ! Là est le point commun entre l'électorat de gauche et celui d'extrême droite.
Mais les électeurs du RN sont les dindons de la farce. La vie politique française est bloquée dans ce paradoxe où 2/3 des Français expriment la volonté d'une rupture politique radicale, mais où dans le même temps, 2/3 d'entre eux votent aussi pour la continuité (extrême centre et extrême droite). Il est à espérer que le soutien de Marine Le Pen au gouvernement Barnier – même s'il ne tiendra peut-être pas dans le temps – agisse comme un révélateur…
L'autre drame est que la France entre en crise institutionnelle au même moment où elle sombre sur le plan économique.
Pendant que la bourgeoisie se gave en battant chaque année de nouveaux records de détention de richesse – les 500 familles françaises les plus fortunées détiennent désormais 1 228 milliard d'euros de patrimoine, soit 50 % du PIB français (c'était 6,4 % en 1996…) – la France, elle, court tout droit à la ruine. Niveau d'endettement, déficit public, balance commerciale… tous les indicateurs sont dans le rouge, à tel point que la Commission européenne vient de déclencher une procédure pour déficit excessif à son encontre, ce qui promet déjà un plan d'austérité drastique pour les années à venir, et cela dans un contexte où l'ensemble de la production au sein de l'Union européenne décroche significativement face à la concurrence mondiale.
Avec des capacités industrielles pulvérisées par les délocalisations massives – causées en grande partie par l'euro et le marché unique européen –, la France ne dispose plus de beaucoup de marges de manœuvre pour se relancer. Il faudrait assumer une rupture avec les règles de l'Union européenne, ce qui, dans un premier temps, produirait inévitablement un choc économique douloureux pour l'ensemble de la population. Or, aucun représentant politique n'assumera de prendre un tel risque. Rien de bon et durable n'adviendra tant que l'Union européenne – dans sa construction actuelle – n'aura pas implosé.
Les crises de régime finissent mal, en général…
Résumons. La France est en déclin économique, une large majorité de la population ne le supporte plus et réclame du changement, mais la bourgeoisie entend plus que jamais continuer à s'accaparer toujours plus de richesses, et aucun représentant politique n'aura le courage ni la légitimité de prendre les décisions radicales (et pour certaines impopulaires) qui s'imposent… et tout cela dans une configuration où plus aucune majorité absolue ne parvient de toute façon à se dégager à l'Assemblée nationale.
En y ajoutant les traditionnelles ambitions personnelles des représentants politiques, il ne serait pas étonnant d'assister dans les prochains mois et prochaines années à une valse des gouvernements comme au temps de la IVe République. À court terme, même la possibilité d'une démission contrainte du Président Macron, malgré son indéfectible volonté de s'accrocher au pouvoir, est désormais une hypothèse tout à fait envisageable. Quelle autre option aura-t-il si le gouvernement Barnier venait à tomber ? Il est bien possible que lui-même ne parvienne pas à répondre à cette question.
Les impasses sont partout. C'est pourquoi, même si la gauche parvenait à accéder au pouvoir, elle pourrait être balayée par les forces de l'Histoire. En 1936, le Front Populaire a certes réussi a légué un héritage social encore d'actualité, mais il n'a rien pu faire pour enrayer les dynamiques guerrières de l'époque, et en particulier la montée du nazisme en Allemagne qui se rêvait en grande puissance européenne. Quatre ans plus tard, la défaite de juin 1940 aboutissait à la fin de la IIIe République et accouchait du régime de Vichy ce qui, on le rappelle, n'avait posé strictement aucun problème à la bourgeoisie française…
Des outils institutionnels pour sortir de la crise ?
Pour sortir de la crise de régime actuelle, nombreux sont ceux dans les sphères militantes qui préconisent l'instauration de nouveaux outils institutionnels permettant une intervention plus directe des citoyens dans le processus démocratique. Référendum d'initiative citoyenne, tirage au sort pour composer les assemblées représentatives, élection au jugement majoritaire, généralisation du dispositif de convention citoyenne sont autant de propositions présentées comme remèdes à nos impasses.
Si ces dispositifs peuvent paraître séduisants en théorie, et que leur discussion présente un incontestable intérêt pédagogique pour la conscience citoyenne, il faut avoir la lucidité et l'honnêteté d'affirmer qu'il s'agit certes d'un moyen de mobilisation important, mais que la solution ne viendra pas là. Et pour une raison fort simple : les classes dominantes n'ont pas du tout l'intention de céder la moindre parcelle de pouvoir au peuple. Elles viennent, d'une main en la personne d'Emmanuel Macron, de refuser le résultat des élections législatives, ce n'est certainement pas pour concéder de l'autre main quelque largesse que ce soit !
La sortie de crise ne se fera malheureusement pas dans l'apaisement et la discussion raisonnable. On ne fera pas l'économie du rapport de force. Autrement dit, seule une force politique réellement de rupture accédant au pouvoir serait disposée à introduire de nouveaux outils institutionnels. Mais encore faut-il déjà accéder au pouvoir, ce qui est pratiquement impossible face à la censure et à la propagande que les médias dominants pratiquent chaque jour avec plus d'autoritarisme et de sectarisme.
En tout état de cause, aucun texte juridique, aussi brillant soit-il, ne sauvera la démocratie. Une Constitution, aussi bien écrite soit-elle, ne constitue jamais un garde-fou absolu. Pour preuve, l'article 2 de la Constitution de 1958 énonce que « le principe de la République est celui du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». On sait ce qu'il en est de ce beau principe aujourd'hui.
Une Constitution est toujours menacée d'être victime d'un coup de force de la part d'une minorité agissante. Cela peut être le fruit d'un putsch militaire, mais aussi, bien plus subtilement, d'une emprise de plus en plus grande d'un pouvoir oligarchique sur l'ensemble des leviers du pouvoir institutionnel. Face à cette menace, il n'existe qu'un seul gardien du temple : un peuple éclairé, soudé et combatif. La souveraineté du peuple est proportionnelle à son niveau de conscience politique.
La période actuelle est certes très incertaine et couve de terribles dangers. Mais une crise systémique comme celle que nous connaissons aujourd'hui ouvre aussi des brèches, des opportunités pour convaincre la masse des gens jusqu'alors insouciante qu'il va désormais falloir prendre les problèmes à bras-le-corps. L'avenir n'est pas ce qui advient, mais ce que nous en
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ferons. Au travail !

Offensive raciste : Retailleau veut déporter des sans-papiers en Irak, au Kazakhstan ou en Egypte

L'Opinion révèle que le ministre de l'Intérieur négocie actuellement des accords avec des pays tels que l'Irak, le Kazakhstan ou l'Égypte pour pouvoir y déporter des étrangers. Un pas de plus franchi dans l'horreur par les politiques racistes et xénophobes du gouvernement.
16 octobre 2024 | tiré du site de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Offensive-raciste-Retailleau-veut-deporter-des-sans-papiers-en-Irak-au-Kazakhstan-ou-en-Egypte
Dans le cadre de son premier discours aux préfets du 8 octobre dernier, Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur proposait d'intensifier la chasse aux étrangers en ayant recours à la « diplomatie migratoire ». Le journal l'Opinion révèle ce mercredi que Retailleau ne propose ni plus ni moins que la déportation d'étrangers désignés comme « illégaux et indésirables » dans des pays tels que le Rwanda, le Burundi, le Kazakhstan, l'Irak ou l'Égypte.
En plus de vouloir faire « baisser les régularisations », Bruno Retailleau, est en effet sur le point de nouer des accords avec des pays tiers pour que ces derniers acceptent de recevoir des étrangers sur leur sol, notamment ceux qui y ont transité ou séjourné. Par exemple, un étranger qui serait considéré comme illégal en France pourrait alors être déporté dans un des pays signataires quand bien même il n'aurait aucune attache avec ce pays. Cette proposition institutionnalise la déportation d'hommes et de femmes migrant.es à des milliers de kilomètres.
Ces accords inhumains, marchandés cyniquement avec des pays qui sont eux-mêmes déstabilisés par des conflits (comme en Irak) et dont l'environnement économique et social est très dégradé, sont négociés aux dépens d'hommes et de femmes qui fuient les ravages des guerres, des crises économiques et de l'instabilité causées par les puissances impérialistes, au premier rang desquelles la France. Ces accords rendront les migrants encore plus vulnérables, comme cela a été le cas après les traités signés entre l'Europe et la Libye. Amnesty International dénonçait des « conditions d'accueil infernales » dans les centre de rétention où les migrants sont exposés à la torture, aux violences sexuelles et à des sévices cruels et inhumains.
Lorsqu'il s'agit de mener des politiques inhumaines et racistes, Bruno Retailleau sait être inventif tout en s'inspirant des politiques xénophobes et racistes menées à échelle européenne, comme celles de Giorgia Meloni en Italie. La présidente italienne a en effet procédé, cette semaine, aux premières déportations de migrants vers l'Albanie, pour limiter les arrivées de migrants secourus en Méditerranée, grâce à un accord signé en 2023. Sous les applaudissements de Commission européenne, la politique d'externalisation des frontières de Meloni est en passe d'être appliquée dans toute l'Europe, au prix des vies de dizaines de milliers de migrants chaque année.
Cette nouvelle annonce intervient après que le ministre de l'Intérieur et le gouvernement ont multiplié, depuis plusieurs semaines, les propositions sur l'immigration dans une course au racisme et la xénophobie. Ce lundi, la porte-parole du gouvernement annonçait la préparation d'une deuxième loi immigration qui porterait la durée maximale de rétention des étrangers « jugés dangereux » de 90 à 210 jours.
Alors que le gouvernement poursuit ses offensives xénophobes en appliquant le programme du Rassemblement National, le parlement s'apprête à voter un budget d'une violence historique, qui devrait encore aggraver les conditions de vie des classes populaires et mettre en danger les vies des travailleurs migrants du fait du gel du budget de l'Aide Médicale d'État. Parce que la violence raciale est le laboratoire de toutes les offensives sociales, tout notre camp social doit s'unir pour lutter contre l'agenda raciste du gouvernement et ses mesures antisociales.
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Comment Budapest est devenue un haut lieu de l’anti-progressisme

Viktor Orbán est devenu le moteur d'une contre-révolution culturelle à l'échelle européenne. De son combat « anti-woke » [1], le Premier ministre hongrois a renforcé ses liens avec des partis comme Vox et des leaders comme Javier Milei et Donald Trump. Dans cet entretien, le politologue András Bíró-Nagy analyse les principales caractéristiques du régime hongrois et analyse son rôle dans le contexte européen et mondial.
13 octobre 2024 | tiré du site Entre les ligne entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/13/comment-budapest-est-devenue-un-haut-lieu-de-lanti-progressisme/
En juillet dernier, la Hongrie a pris la présidence tournante de l'Union européenne et tous les regards étaient à nouveau tournés vers Budapest. Le gouvernement de Viktor Orbán et son parti politique, le Fidesz, ont non seulement transformé la Hongrie en un bastion conservateur national, mais ils ont également mené une contre-révolution culturelle à l'échelle européenne. Aujourd'hui, le régime d'Orbán est caractérisé comme l'un des concurrents les plus déterminés dans la bataille « anti-woke » de l'extrême droite, ce qui l'a rapproché de partis tels que Vox, le président argentin Javier Milei et le trumpisme aux États-Unis.
Le politologue András Bíró-Nagy a suivi de près l'évolution d'Orbán et sa dérive « illibérale » [2]. Directeur du think tank Policy Solutions, chercheur principal au Centre hongrois des sciences sociales et membre du conseil d'administration de l'Association hongroise des sciences politiques, Bíró-Nagy analyse dans cet entretien les principales caractéristiques du régime d'Orbán, décompose ses liens avec les forces de l'extrême droite mondiale et détaille ses relations avec le gouvernement de Benjamin Netanyahou, tout en expliquant ce qui se passe aujourd'hui avec l'opposition hongroise et les divergences avec les pays voisins.
Le 1er juillet, la Hongrie a pris la présidence semestrielle du Conseil de l'Union européenne et a lancé le slogan « Make Europe Great Again ». Que signifie exactement un tel slogan ?
Le slogan Make Europe Great Again, qui est une référence explicite au Make America Great Again de Donald Trump, est une provocation d'Orbán visant avant tout les dirigeant·es européen·nes qui rejettent le populisme de droite, conservateur et souverainiste. D'une manière ou d'une autre, ce slogan montre la perspective d'Orbán sur l'Europe. Il est clair que ce que le régime hongrois actuel recherche et appelle de ses vœux, c'est la construction d'une Europe d'États-nations. Il ne soutient certainement pas la poursuite de l'intégration européenne et souhaite que les piliers de la construction continentale reposent sur les États-nations. Contrairement à d'autres dirigeant·es d'extrême droite, M. Orbán ne cherche pas à quitter l'Europe ou à développer une sorte de « Hunexit », similaire au Brexit britannique. Il souhaite plutôt que les institutions supranationales, telles que la Commission européenne ou le Parlement européen lui-même, aient de moins en moins de pouvoir et évoluent vers la droite. En outre, quitter l'Europe n'aurait pas le soutien de la population. Aujourd'hui, 70% des Hongrois·es sont favorables au maintien dans l'Union européenne. Orbán cherche donc à transformer l'UE de l'intérieur.
Ces dernières années, Orbán est devenu un promoteur actif des réseaux nationaux-conservateurs, non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan financier. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Bien qu'Orbán et son parti, le Fidesz, soient généralement très sensibles à l'ingérence étrangère dans la politique hongroise et prônent constamment l'idéal de la « souveraineté nationale », ils n'ont pas hésité à intervenir dans la politique d'autres pays. Un bon exemple est le financement qu'il a accordé à la campagne de la dirigeante d'extrême droite française Marine Le Pen, ou celui d'une banque proche du Fidesz au parti espagnol Vox ; il a été révélé que le parti espagnol a reçu environ 9 000 000 d'euros. Orbán n'évolue pas seulement dans le domaine de la politique nationale, mais montre sa vocation à participer à une construction politique plus large. Il peut le faire parce qu'il est au pouvoir depuis 14 ans et qu'il dispose de beaucoup plus de ressources que la plupart des extrémistes de droite internationaux qui n'ont pas encore réussi à prendre le contrôle de l'État. C'est pourquoi Orbán est en mesure de réaliser des projets qui, pour d'autres dirigeant·es d'extrême droite, ne sont qu'un rêve. Orbán a montré que le fait d'être au pouvoir lui donne des outils supplémentaires pour aider ses ami·es. Cela a été le cas, par exemple, avec Jair Bolsonaro, qui s'est réfugié dans l'ambassade hongroise de peur d'être arrêté pour sa tentative présumée de coup d'État après la défaite électorale. En bref, le régime Orbán peut alternativement fournir de l'argent aux ami·es de l'extrême droite et un refuge lorsqu'elles ou ils sont en difficulté.
Les institutions para-étatiques, telles que l'Institut du Danube, semblent jouer un rôle clé dans ce cadre. Comment fonctionne cet écosystème para-étatique ?
Il existe en effet plusieurs organisations, telles que l'Institut du Danube, qui ont joué et jouent un rôle central dans la mise en réseau et l'établissement de liens entre le régime d'Orbán et d'autres forces d'extrême droite. Certaines de ces institutions ne sont pas seulement actives en Hongrie, mais opèrent au niveau international. L'Institut du Danube est particulièrement actif dans l'établissement de contacts avec les républicains américains, tout comme le Centre pour les droits fondamentaux. Ce think tank [3] est l'organisateur de la version hongroise de la Conservative Political Action Conference (CPAC), qui imite celle des États-Unis, avec laquelle il entretient des liens directs. Un autre acteur important, dont l'influence internationale s'est accrue, est le Mathias Corvinus Collegium, un établissement d'enseignement privé qui a reçu d'importantes sommes d'argent du gouvernement Orbán et a ouvert un bureau à Bruxelles, d'où il a tenté d'influencer la conversation publique européenne. L'exemple le plus frappant est le financement par le Mathias Corvinus Collegium des manifestations d'agriculteurs et d'agricultrices à travers l'Europe au début de l'année.
Depuis quelque temps, des acteurs politiques émergent en Hongrie, encore plus à droite que le Fidesz. De l'extérieur, les divergences ne sont pas très claires…
Aussi incroyable que cela puisse paraître, il est tout à fait vrai qu'il existe des forces politiques qui se situent à la droite d'Orbán et de son parti, le Fidesz. Un cas bien connu est celui du Mouvement pour la patrie, une organisation fondée par des dissidents du Mouvement pour une meilleure Hongrie (Jobbik), qui est tellement extrémiste que même certains amis d'Orbán ne veulent pas s'en approcher. Au Parlement européen, le Fidesz fait partie d'un groupe appelé Patriotes pour l'Europe, qui comprend également le Rassemblement national de Marine Le en et la Ligue de Matteo Salvini. Cependant, il existe désormais un groupe encore plus à droite, l'Europe des nations souveraines, un espace dirigé principalement par Alternative pour l'Allemagne [AfD]. Ce groupe entretient des relations avec la Russie et la Chine, ce qui n'est même plus supportable pour Marine Le Pen. Le Mouvement pour la patrie se caractérise par la diffusion de théories conspirationnistes, dont beaucoup sont liées à la pandémie de covid-19 et aux vaccins, au sujet desquels il soulève de fortes réticences. En ce qui concerne la guerre en Ukraine, ses dirigeant·es ont déclaré que l'Ukraine devait céder des territoires non seulement à la Russie, mais aussi à la Hongrie elle-même, qui avait été le possesseur historique de certaines parties du pays aujourd'hui envahi et en guerre. Ces positions radicales et extrémistes sont, comme on peut le voir, encore plus à droite que les positions du Fidesz et d'Orbán lui-même.
En Pologne, le parti d'extrême droite Droit et Justice (PiS) a été battu lors des dernières élections après une série de mobilisations de jeunes et de militantes féministes dans les grandes villes du pays. Qu'est-ce qui différencie la Hongrie de la Pologne à cet égard ?
Pendant les huit années où le parti Droit et Justice de Jarosław Kaczyński était au pouvoir, la Hongrie et la Pologne étaient considérées comme les deux exemples les plus clairs de recul démocratique dans la région. Mais, pour être honnête, la situation a toujours été bien pire en Hongrie qu'en Pologne. Droit et Justice n'a jamais disposé d'une majorité constitutionnelle suffisante pour transformer l'ensemble du cadre démocratique du pays. En fait, en ne parvenant pas à obtenir une telle majorité constitutionnelle, il n'a pas non plus été en mesure de modifier un certain nombre de lois importantes. La situation est différente dans le cas d'Orbán, qui, après 14 ans au pouvoir, dispose de ces majorités spéciales qui lui permettent de modifier le système électoral pour améliorer ses performances électorales, ou de changer des aspects substantiels du cadre réglementaire du pays s'il le souhaite. En fait, c'est la super-majorité d'Orbán qui a permis à son parti, le Fidesz, de s'emparer de toutes les institutions de contrôle. Je pense en particulier au bureau du procureur général, à la Cour des comptes qui supervise les dépenses publiques et à la Cour constitutionnelle.
C'est à cause de ce genre de choses que j'ai toujours eu le sentiment que la transformation de l'environnement démocratique, et aussi de l'environnement médiatique, a été beaucoup plus profonde en Hongrie qu'en Pologne. Orbán a eu plus de temps pour cela, mais aussi des pouvoirs plus larges et plus profonds que Kaczyński. Dans le même temps, il a toujours été très clair que les médias étaient plus forts et plus pluralistes en Pologne qu'en Hongrie. En outre, la société civile polonaise s'est révélée plus solide que la société civile hongroise au fil des ans. Mais il y a un autre aspect remarquable dans ce tableau, et c'est celui de l'opposition et des dirigeant·es politiques. En Pologne, contrairement à la Hongrie, il y a toujours eu une opposition forte avec un leadership clair. Donald Tusk est revenu de la politique européenne à la politique polonaise proprement dite en tant que chef de l'opposition et a réussi à se faire élire premier ministre. Il faut ajouter à cela le fait que le système électoral polonais a permis à l'opposition de se présenter sous la forme de différentes listes – de gauche et du centre – puis de s'unir, alors qu'en Hongrie, le système électoral favorise les grands blocs, de sorte que pour défier un gouvernement et un parti fort, il faut une alliance préalable, ce qui n'a jamais satisfait qui que ce soit. Pour les électeurs et les électrices de gauche, il était problématique de voter pour une liste dont le candidat au poste de premier ministre était une personnalité de droite libérale-conservatrice, et pour les électeurs et électrices des zones rurales, où les positions conservatrices prédominent, il était tout aussi problématique de voter pour une liste comprenant des personnalités issues de partis de gauche classiques, même si le premier ministre en lice ne l'était pas. Cela a conduit à une défaite majeure pour ce type d'alliance.
La situation de l'opposition est-elle toujours la même aujourd'hui, ou un nouveau leadership a-t-il émergé ?
La situation actuelle est quelque peu différente en raison de l'émergence d'un nouvel acteur politique. Je veux parler de Peter Magyar, un ancien membre du Fidesz qui est passé dans l'opposition et en est devenu l'une des figures de proue. Peter Magyar – dont le nom de famille signifie littéralement « hongrois » – est l'ex-mari de la ministre de la justice de Viktor Orbán et est quelqu'un qui connaît parfaitement le régime, puisqu'il en est issu. M. Magyar a récemment créé le Parti du respect et de la liberté et, en peu de temps, il a commencé à détruire l'opposition fragmentée existante. Magyar, qui a dénoncé la corruption du régime et certains de ses aspects autoritaires, est un phénomène nouveau. Lors des prochaines élections, qui se tiendront en avril 2026, M. Orbán sera probablement confronté à M. Magyar, qui sera son seul adversaire politique. Il est très probable que les différentes organisations qui s'opposent à Orbán se regroupent autour de la candidature de Magyar.
Avant l'arrivée au pouvoir d'Orbán, le Parti socialiste (héritier du Parti socialiste ouvrier de l'époque communiste) était au pouvoir. Aujourd'hui, ce parti, qui a joué un rôle clé dans le processus de transition entamé après la chute du mur de Berlin, semble avoir subi un déclin important de sa force électorale. Aujourd'hui, ce parti, qui a joué un rôle clé dans le processus de transition entamé après la chute du mur de Berlin, semble avoir subi un déclin significatif de sa force électorale. Qu'est-il arrivé aux socialistes ?
Le dernier parti politique à avoir battu Orbán est le Parti socialiste hongrois en 2006. C'est la dernière fois qu'Orbán a subi une défaite, ce qui s'était déjà produit en 2002, également contre les socialistes. Cependant, les problèmes ont commencé précisément pendant la période de gouvernement entre 2006 et 2010, lorsque le parti socialiste a commencé à faire passer une série de mesures néolibérales sur la santé et l'éducation. Orbán s'est appuyé sur ce tournant néolibéral et a condamné les réformes, soulignant la nécessité d'une plus grande intervention de l'État et de soins de santé publics gratuits. Ferenc Gyurcsány, le premier ministre de l'époque – qui n'est plus membre du parti socialiste mais de la coalition démocratique – est toujours actif dans la politique du pays et est considéré comme un acteur clairement toxique. La réputation et l'héritage de l'ancien premier ministre sont si mauvais, non seulement en termes de gestion mais aussi de corruption, que même 14 ans de règne d'Orbán n'ont pas réussi à les faire oublier. Bien entendu, sous le gouvernement d'Orbán, la corruption a pris des proportions bien plus importantes. C'est le gouvernement le plus corrompu de toute l'Europe, selon les indices de Transparency International et de la Commission européenne. Et pourtant, on se souvient encore des performances du gouvernement libéral-socialiste, ce qui a empêché les socialistes de se redresser.
Et aucun nouveau parti politique ne s'est formé à la gauche du parti socialiste ?
Il y a eu plusieurs tentatives de création de nouveaux partis, mais pas à la gauche du parti socialiste. Il y a eu de nouveaux partis libéraux et de nouveaux partis verts, mais la création de nouveaux partis a de plus en plus contribué à la fragmentation de l'opposition. Lorsque Orbán est arrivé au pouvoir, la gauche ne comptait plus que deux partis. L'un était le parti socialiste et l'autre le parti vert, qui se présentait sous le slogan « la politique peut être différente », un slogan qui faisait référence au mouvement altermondialiste. La fragmentation croissante, l'incapacité du parti socialiste à se redresser et la faible part de voix du parti vert ont empêché l'émergence d'une alternative réellement forte à Orbán. Chacun des nouveaux partis s'est battu non seulement contre le Fidesz, mais aussi contre le reste de l'opposition, ce qui a clairement joué en faveur d'Orbán. Aujourd'hui, tout le monde cherche désespérément quelque chose de nouveau et d'unificateur. Le seul espoir est le changement de régime. Nous en sommes donc arrivé·es à une situation où de nombreux électeurs et de nombreuses électrices des forces d'opposition seraient prêt·es à parier sur Peter Magyar, un bureaucrate de haut rang du régime Fidesz jusqu'à très récemment, pour tenter de modifier le statu quo actuel.
L'une des caractéristiques les plus claires du régime hongrois au niveau mondial est son soutien inconditionnel à Benjamin Netanyahu en Israël. Cependant, Orbán a depuis longtemps adopté des positions qui ont, à tout le moins, été qualifiées de philo-antisémites, par exemple lorsqu'il attaque George Soros. Comment cette situation doit-elle être comprise depuis la Hongrie ?
Étant donné que l'un des principaux objectifs du régime Fidesz dans les affaires internationales est de présenter son gouvernement comme le meilleur allié d'Israël, Orbán est devenu très prudent lorsqu'il s'agit d'aborder des questions traditionnellement associées à l'antisémitisme. L'actuel Premier ministre hongrois considère Netanyahou comme un dirigeant avec lequel il partage non seulement des valeurs, mais aussi une certaine perspective sur ce que devrait être une démocratie. C'est dans ce cadre qu'il se présente comme le défenseur et le garant des droits de la minorité juive hongroise. Après les attentats du 7 octobre 2023 et le début de la guerre à Gaza, Orbán a interdit toute manifestation de soutien à la Palestine et a souligné son alignement sur Israël. Il n'a cependant pas cessé de développer une politique qui vise subrepticement à toucher une partie de la société hongroise, en ciblant clairement George Soros et l'Open Society Foundation. Soros est un survivant hongrois de l'Holocauste qui, avec sa famille, a émigré d'abord au Royaume-Uni, puis aux États-Unis, où il a mené une brillante carrière dans les affaires et la finance. Lorsque, dans les années 1980, le régime communiste a commencé à s'effondrer, Soros s'est impliqué dans la situation politique hongroise et a soutenu des groupes cherchant à contribuer à la transition démocratique. Parmi les différentes organisations visant la fin du régime communiste et l'ouverture du pays à la démocratie se trouvait le Fidesz, le parti d'Orbán. Et c'est dans ce contexte que l'Open Society Foundation de Soros a soutenu financièrement le Fidesz. Mais la situation ne s'est pas arrêtée là. Soros a lui-même financé une bourse d'études à l'Université d'Oxford pour Orbán. Alors que le Fidesz et Orbán lui-même se tournaient de plus en plus vers l'extrême droite, et déjà après l'arrivée au pouvoir d'Orbán, une campagne contre Soros a commencé, le dépeignant comme un banquier et homme d'affaires new-yorkais cupide qui cherchait à gagner de l'influence dans différents pays grâce à son argent, en s'ingérant dans les affaires intérieures de nations souveraines. C'est l'image que le Fidesz a construite de Soros pendant de nombreuses années, et celle qui prévaut encore aujourd'hui. En fait, très récemment, Orbán et son parti ont lancé une campagne présentant Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, comme une « marionnette » du fils de Soros, qui préside aujourd'hui l'Open Society Foundation. Cette idée de la famille Soros comme un groupe de marionnettistes essayant de dominer le monde fait clairement référence aux théories de conspiration juives globales, mais coexiste, en même temps, avec un soutien explicite à Israël. En effet, aucun dirigeant au monde n'est plus pro-israélien et pro-Netanyahu qu'Orbán.
A la fin de l'année dernière, Orbán a assisté à la cérémonie d'investiture de l'actuel président argentin Javier Milei, mais Orbán semble avoir peu de choses en commun avec la vision libertaire du président sud-américain. Comment comprendre ces liens, et dans quelle mesure, comme dans d'autres cas, sont-ils favorisés par les positions « anti-woke » et les diverses batailles culturelles qui unissent la droite radicale ?
L'anti-wokisme est en effet ce qui unit Orbán à Milei, à Vox, à Trump et à d'autres leaders de l'extrême droite mondiale. C'est un point particulièrement important et intéressant, car lorsque l'on observe ces différents leaders et groupes politiques d'extrême droite, on se rend vite compte qu'ils ne partagent pas de position commune, par exemple, sur les questions économiques. Orbán est résolument interventionniste dans le domaine économique, comme il l'a montré pendant la crise énergétique et la période de forte inflation, lorsqu'il a plafonné les prix de différents produits. Aujourd'hui, aux États-Unis, c'est Kamala Harris qui a suggéré qu'elle pourrait plafonner les prix de certains produits, et elle a été critiquée par Trump, qui a qualifié une telle initiative de « mesure communiste ». Lorsque cela s'est produit, nous avons toutes et tous bien ri en Hongrie, car c'est leur ami Orbán qui a adopté cette politique il y a tout juste un an ou deux. Il est donc clair que ce qui les unit n'est pas le terrain économique – parfois, ils ne savent même pas grand-chose de ce qu'ils font en matière de politique économique intérieure – mais la bataille culturelle. Dans cette bataille, l'anti-wokisme joue un rôle clé, tout comme les positions anti-LGTBI+ et anti-féministes. C'est dans ce domaine que tous ces acteurs s'accordent sur un programme fortement conservateur. En Hongrie, il s'agit en fait de la politique la plus réussie du gouvernement Orbán. L'anti-wokisme et la défense de la « famille traditionnelle » sont remarquablement bien acceptés, dépassant même la politique anti-immigration. La société hongroise est plutôt conservatrice et cela inclut non seulement celles et ceux qui votent pour le Fidesz, mais aussi celles et ceux qui votent pour l'opposition. C'est ce qui unit Trump, Vox et Milei, un personnage avec lequel Orbán ne partagerait jamais l'idée que l'État doit être détruit, mais avec lequel il peut être d'accord dans le domaine des batailles culturelles.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie a généré beaucoup de tensions dans le groupe de Visegrad, qui comprend la Slovaquie, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Comment ces divergences ont-elles été traitées ?
Au niveau européen, la question de la guerre d'Ukraine est l'une des lignes de fracture entre les différents acteurs de l'extrême droite. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles il n'existe pas de groupe parlementaire européen unifié de ces forces de droite. D'un côté, il y a le groupe des Conservateurs et Réformistes européens, qui comprend les Frères d'Italie de l'Italienne Giorgia Meloni, les Polonais·es de Droit et Justice de Jarosław Kaczyński, et les Tchèques du Parti démocratique civique. Ce groupe est nettement plus pro-atlantiste et pro-ukrainien que les Patriotes pour l'Europe, le groupe parlementaire qui comprend notamment le Fidesz de Viktor Orbán, le Rassemblement national de Marine Le Pen, le Parti de la liberté d'Autriche et la Ligue de l'Italien Matteo Salvini. Ce groupe est plus clairement pro-russe. Cela montre, par exemple, que les Polonais de Droit et Justice et les Hongrois de Fidesz sont, dans ce cas, divisés. Alors que la Pologne craint une intervention russe en raison de sa propre histoire, Orbán ne voit pas Vladimir Poutine d'un si mauvais œil. Cependant, Orbán ne se prononce pas directement en faveur du dirigeant russe, mais utilise un discours « pro-paix ». Il évite de se considérer comme pro-russe, même si c'est la conclusion de sa position « pro-paix ». Que signifie concrètement une position « pro-paix » dans ce contexte ? Elle signifie évidemment que la Russie peut conserver 20% du territoire ukrainien. C'est ce que le programme « pacifiste » d'Orbán implique en réalité. La question de l'Ukraine divise donc l'extrême droite européenne, y compris les membres du groupe de Visegrad. Ce qui les unit vraiment, ce qui les rassemble et les fait faire partie d'un bloc commun, c'est l'euroscepticisme, la défense de la souveraineté des pays individuels et, bien sûr, le combat culturel anti-progressiste ou anti-éveillé.
Mariano Schuster et Pablo Stefanoni
https://nuso.org/articulo/como-budapest-se-transformo-en-la-meca-del-antiprogresismo/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
[1] woke = état d'éveil face à l'injustice, conscience des rapports sociaux et de leurs effets – NdT
[2] libéralisme au sens politique – NdT
[3] groupe de réflexion ou laboratoire d'idées – NdT
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