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Guide pratique Les forêts nourricières | Parution 5 nov. | Offrir un milieu au vivant, redonner vie à son milieu

29 octobre 2024, par Caroline Dufour‑L'Arrivée , Éditions Écosociété — ,
Offrir un milieu au vivant, redonner vie à son milieu : un guide pour découvrir et créer des forêts nourricières collectives en ville ou en campagne. Le guide pratique Les (…)

Offrir un milieu au vivant, redonner vie à son milieu : un guide pour découvrir et créer des forêts nourricières collectives en ville ou en campagne.

Le guide pratique Les forêts nourricières - Manuel d'aménagement pour les communautés, de l'agronome et biologiste Caroline Dufour‑L'Arrivée, paraîtra en librairie le 5 novembre prochain.

En bref : Dans ce guide pratique, Caroline Dufour‑L'Arrivée met à profit son expertise pour outiller et accompagner les communautés qui souhaitent aménager des forêts nourricières dans leur milieu, qu'il soit urbain, rural, municipal, scolaire ou institutionnel. Un outil idéal pour les citoyen·nes qui souhaitent offrir un milieu au vivant, et redonner vie à leur milieu.


À propos du livre

Si la fonction nourricière de la forêt n'est pas nouvelle, plusieurs d'entre nous avons fini par l'oublier. Pourtant, la forêt continue d'assurer un rôle essentiel dans l'alimentation de centaines de millions de personnes sur la planète et la culture de ses aliments connaît un retour en force au Québec, en ville comme à la campagne. Face à des changements climatiques vertigineux sur lesquels plusieurs ne sentent pas avoir d'emprise, de plus en plus de citoyen·nes se mobilisent autour de lopins de terre bien concrets pour les protéger ou les cultiver. Les forêts nourricières en sont un exemple resplendissant.

S'autorégulant comme une forêt naturelle et exigeant un minimum d'entretien, ces dernières sont des alliées de choix dans la révolution agroécologique en cours. Non seulement peuvent-elles fournir facilement des aliments sains et frais à des communautés qui en manquent, mais leur apport dépasse largement les ventres : maintien de la biodiversité, pédagogie, amélioration de la qualité de l'air, réduction des îlots de chaleurs, dynamisation des communautés et de la participation citoyenne, absorption des eaux de pluie...

Dans ce guide, Caroline Dufour‑L'Arrivée met à profit son expertise pour outiller et accompagner les communautés qui souhaitent aménager des forêts nourricières dans leur milieu, qu'il soit urbain, rural, municipal, scolaire ou institutionnel. En plus d'offrir de nombreux conseils en matière de choix de végétaux et de techniques agricoles, ce guide :
explique le concept de « forêt nourricière » et son importance ;
partage l'expérience acquise par 13 initiatives modèles et pionnières du Québec ;
montre en quoi les collectivités peuvent retisser des liens et développer leur résilience grâce à ce type de projets ;
dégage les éléments fondamentaux pour mener à bien un projet de forêt nourricière collective ;
propose une méthode de travail étape par étape pour implanter ce type d'aménagement.
Ce guide saura autant accompagner les citoyen·nes qui souhaitent offrir un milieu au vivant que redonner vie à leur milieu, un terrain à la fois.

À propos de l'autrice

Agronome, biologiste et maître en agroforesterie et en génie civil en assainissement biologique de l'eau, Caroline Dufour‑L'Arrivée a accompagné la création de plusieurs projets de forêts nourricières collectives au Québec et transmet depuis son savoir à travers son entreprise Agriculture Vivante. Elle vit à Tête-à-la-Baleine, où elle gère la Ferme du Rigolet qui développe une agriculture nordique diversifiée pour une communauté isolée.

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Douce-amère Sainte Catherine

29 octobre 2024, par François-Pierre Gingras — ,
Montréal, octobre 2024 - Le 25 novembre approche à grands pas, et avec lui, une tradition québécoise bien particulière : la fête de la Sainte-Catherine. Dans son nouveau roman (…)

Montréal, octobre 2024 - Le 25 novembre approche à grands pas, et avec lui, une tradition québécoise bien particulière : la fête de la Sainte-Catherine. Dans son nouveau roman Douce-amère Sainte Catherine, l'auteur François-Pierre Gingras nous invite à plonger au cœur de cette célébration pour la redécouvrir à travers les yeux
d'Églantine, une adolescente attachante.

Réunis chez leurs grands-parents, les cinq cousins et cousines maintenant âgés de 10 à 15 ans s'apprêtent à étirer de la tire. Ne connaissant pas tellement les origines de la fête, ils se réjouissent surtout de manger des sucreries ! Avec son esprit curieux, Églantine ne
peut s'empêcher de poser des questions, s'engageant dans une quête qui va révéler des facettes inattendues de sa propre vie et de celle de ses proches.

À travers les péripéties de cette soirée, qui oscillent entre rires et émotions, l'auteur aborde des thèmes universels : la famille, la résilience et le passage à l'âge adulte. Le roman célèbre avec tendresse les liens qui unissent les générations tout en rendant
hommage aux femmes qui ont marqué notre histoire.

Composé de 54 courts chapitres, ce 8 tome de la série C'est Fête ! offre également une section « Références » qui enrichit l'expérience de lecture avec une recette de tire Sainte-Catherine, des curiosités historiques et des réflexions sur des sujets traités dans le livre.

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Le livre Tenir tête aux géants du web - Une exigence démocratique, d’Alain Saulnier

29 octobre 2024, par Éditions Écosociété — ,
Culture, (dés)information, valeurs : quelques multimilliardaires décident ce qui est bon pour nous, à commencer par Musk et Zuckerberg. Nos États sont-ils de taille pour leur (…)

Culture, (dés)information, valeurs : quelques multimilliardaires décident ce qui est bon pour nous, à commencer par Musk et Zuckerberg. Nos États sont-ils de taille pour leur résister ? Dans tous les cas, leur tenir tête est une exigence démocratique.

En bref : « [...] J'ose lancer un cri d'alarme. Voulons-nous vraiment que les personnes les plus riches de la planète, comme Elon Musk, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos et quelques autres, dictent nos vies, nos valeurs, nos cultures, nos choix de société et notre avenir ? »

À propos du livre

Si les lois C-11 et C-18, ainsi que la (maigre) taxe de 3% pour les fournisseurs de services numériques, constituent des pas dans la bonne direction, il faut aller encore plus loin : la conquête de l'univers numérique par les géants du web ne menace pas seulement la survie de nos langues et de nos cultures, elle met carrément en péril nos acquis démocratiques. Il y a urgence d'agir.

Dans Tenir tête aux géants du web, qui poursuit la réflexion amorcée dans Les barbares numériques, Alain Saulnier propose un ensemble de mesures concrètes pour rééquilibrer dès maintenant les forces en présence et permettre à nos institutions démocratiques de reprendre l'ascendant dans un far west numérique.

Propulsés par la puissance débridée des réseaux sociaux, les courants d'extrême droite (ultraconservateur et libertarien) gagnent en popularité et menacent ouvertement les fondements mêmes de nos démocraties, sans parler de la désinformation qui fleurit sous le parapluie d'une liberté d'expression instrumentalisée. N'est-il pas alarmant de savoir que l'homme le plus riche du monde, Elon Musk, ayant transformé Twitter en instrument de pouvoir au service de ses idées libertariennes et d'autocrates avérés ou en devenir, ait plus d'influence que n'importe quel média occidental avec ses 200 millions d'abonnés, et n'ait pourtant aucun compte à rendre ?

Véritable cri du cœur pour éviter que nos sociétés ne sombrent dans des dérives autoritaires, ce livre nous rappelle qu'il n'y a aucune raison de rester passifs et d'accepter d'être soumis aux diktats des GAFAM et aux préférences personnelles d'une poignée de ploutocrates. Il nous faut réduire notre dépendance à leur égard et défendre notre souveraineté culturelle, médiatique et démocratique.

À propos de l'auteur

Journaliste de métier, Alain Saulnier a dirigé le service de l'information à Radio-Canada (2006−2012) et enseigné le journalisme à l'Université de Montréal (2012−2022). Il est l'auteur de Ici était Radio-Canada (Boréal, 2014) et Les barbares numériques - Résister à l'invasion des GAFAM (Écosociété, 2022).

L’extrême-droite par le bas : une enquête de terrain

29 octobre 2024, par Camille Boulègue — , ,
Le score du Rassemblement National aux élections européennes, puis législatives, a suscité de nombreux débats, tant sur la sociologie et les motivations de son électorat. Dans (…)

Le score du Rassemblement National aux élections européennes, puis législatives, a suscité de nombreux débats, tant sur la sociologie et les motivations de son électorat. Dans ce cadre, il nous a semblé important de présenter les analyses et les conclusions de Félicien Faury, qui propose dans « Des électeurs ordinaires » Ed. Du Seuil, une lecture très éclairante des ressorts du vote Rassemblement national, notamment dans le sud-est de la France, terrain qu'il a arpenté entre 2016 et 2022.

27 septembre 2024

Inégalités et racisme systémique, telles sont les motivations principales des électeur·ices du FN/RN.

Pour comprendre les ressorts sociologiques qui motivent des électeur·ices à donner leur suffrage à l'extrême droite, Félicien Faury s'est efforcé, par l'enquête de terrain d'identifier les logiques d'attraction que peut exercer sur eux un parti comme le RN.

Il prend le contre-pied d'une posture qui tend à minorer, voire ignorer la composante raciste du vote pour le FN/RN, au profit d'autres raisons. L'auteur montre que le facteur déterminant du vote RN est racial, et s'inscrit dans un contexte d'un racisme systémique qui se déploie bien au-delà des seules électeur·ices du RN.

L'étude de Félicien Faury se centre sur des ménages de classes populaires stables ou de classes moyennes et met en lumière l'insécurité (vécue et/ou ressentie) vis-à-vis de l'avenir qui les inquiète. Cette insécurité sociale permet de comprendre leur rejet de la fiscalité et de la redistribution.

En effet les ressorts du vote Rassemblement National qui sont expliqués à partir de l'environnement social au sein duquel il s'inscrit démontre que si le racisme est un des déterminants du vote pour le Rassemblement National, la critique de la redistribution par l'impôt et les prestations sociale sont vécues comme une forme de dépossession territoriale et culturelle. Les électeur·ices interviewé·es contestent systématiquement le principe de solidarité par la redistribution et l'usage des ressources communes.

S'ajoute à ce sentiment de déclassement, le souhait de se rattacher au groupe des dominant.es c'est à dire « Blanc ». Le vote RN ne se fait pas par méprise ou manque d'éducation mais bien pour défendre un ordre du monde, racial et dominant. Le fait est, que ces électeu.rices se sentent envahies/remplacés par des minorités « visibles » dans l'espace public. Et iels ont l'impression d'être de moins en moins chez eux, craignant que leurs privilèges soient fragilisés.

Le choix du vote RN et non pour la gauche, pour certain.es, [s'inscrit dans ce sentiment d'avoir subi des épreuves et découvert progressivement une certaine vérité sur la conflictualité de la vie sociale. Et ce à l'inverse de ces individus « qui ne voient pas le problème » parce qu'ils n'en ont pas, qui « donnent des leçons » Ceux-ci sont, très souvent dans les entretiens assimilés à la gauche. P187]. [… la gauche est considérée (…) comme systématiquement favorable aux « immigrés » sur le plan tant économique (…) que régalien. P191.]

Mais le succès du RN qui s'accélère, s'explique aussi [majoritairement par la radicalisation progressive de l'électorat de droite, notamment populaire. C'est la droite déçue (bien plus que la gauche) qui a, avant tout alimenté les succès lepénistes. P193]

Cet ouvrage démontre que, dans un contexte de services publics dégradés, en particulier l'Education nationale, la santé, de bashing constant d'une justice considérée laxiste, la normalisation politique du Rassemblement National au sein du champ médiatique et politique permet d'assumer son acceptation. Voter pour le RN comme et avec ses proches, ses collègues, ses voisins… fait ressortir l'évolution grandissante de l'intolérance envers l'immigration et en particulier celle des musulmans (ou supposés dans le cas de la non-blanchitude de certain.es considéré.es comme étranger.es)
La dimension raciste, qu'elle soit sociale, résidentielle et/ou relationnelle, souvent issue de perceptions subjectives, est toujours fondamentale dans le vote RN.

Avec cet ouvrage, Félicien Faury n'a pas pour ambition de fournir tous les éléments d'analyse sociologique qui expliquent les diversités du vote RN dans tous les différents territoires, ni de fournir les clés pour une stratégie d'ensemble de lutte contre l'extrême-droite. Mais ce livre est indispensable pour comprendre les imbrications complexes des motivations raciales et sociales qui fondent un socle très solide de vote RN dans la région PACA et, plus largement dans la représentation raciale de la société véhiculée par le RN.

Camille Boulègue

Félicien Faury est également l'auteur de « l'espace clivé du militantisme, une mobilisation électorale du Front National dans le Sud de la France ». Cette étude de la campagne présentielle de 2017 forme le chapitre 3 de l'ouvrage « Sociologie Politique du RN » coordonné par Safia Dahaini et Estelle Delaine, Presses Universitaires du Septentrion , 2023

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Génocide à Gaza : simple tolérance de l’Occident ou entière collaboration ?

29 octobre 2024, par Ovide Bastien — , , ,
Il y a quelques minutes, j'apprenais qu'hier, 26 octobre, Israël avait de nouveau tué de dizaines de Palestiniens à Gaza. Cette fois, elle faisait 70 victimes, la plupart, (…)

Il y a quelques minutes, j'apprenais qu'hier, 26 octobre, Israël avait de nouveau tué de dizaines de Palestiniens à Gaza. Cette fois, elle faisait 70 victimes, la plupart, comme c'est le cas depuis un an, enfants et femmes !

Ovide Bastien

Au cours des trois dernières semaines, Israël a tué plus de 1 000 Palestiniens et Palestiniennes au nord de Gaza, tout en privant systématiquement 400 000 Gazaouis de cette région de nourriture, d'eau et de soins médicaux. La plupart de ces derniers doivent se débrouiller tant bien que mal avec des habitations de fortune, leurs maisons ayant été détruites par les forces de défense israéliennes.

C'est évident qu'Israël, en semant de façon systématique mort et famine, cherche à effrayer la population afin que celle-ci quitte en masse cette région.

Au début octobre, se tenait, à l'extérieur de la bande de Gaza une conférence intitulée « Préparer le repeuplement de Gaza », à laquelle assistaient de centaines d'Israéliens. Son objectif : décider de ce qu'on allait faire de Gaza et de ses habitants une fois la guerre terminée. Alors que retentissaient au loin des tirs d'artillerie, une jeune Israélienne suggérait : « Nous devrions tuer tous les Gazaouis ». Se montrant un peu plus raisonnable, le ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, commentait : « Nous devrions encourager tous les Gazaouis de quitter volontairement, leur offrir la possibilité de s'installer dans d'autres pays. Car cette terre, en fin de compte, nous appartient ».
L'encouragement dont parle Ben-Gvir n'est pas du tout subtil. Car il se traduit par :

• Frappes aériennes incessantes occasionnant des massacres ; plus de 43 000 morts à Gaza jusqu'à maintenant et plus de 101 000 blessés ;
• Doubles frappes, c'est-à-dire l'envoi d'une deuxième frappe pour éliminer ceux et celles qui se sont rassemblés pour venir secourir les victimes des premières frappes ;
• Ciblage d'enfants avec des drones ;
• Empêcher les approvisionnements afin de créer des conditions de famine ;
• Ordonner aux équipes médicales et de défense civile de quitter le camp de réfugiés de Jabalia ;
• Brûler des patients vifs dans des lits d'hôpitaux, comme ce fut le cas pour Sha'ban al-Dalou, dont la perfusion était encore reliée à son bras ;
• Qualifier de « terroristes » plusieurs reporters d'Al Jazeera encore courageusement présents dans la région, et dont les reportages noircissent énormément l'image internationale d'Israël.

Si lectrices et lecteurs trouvent un peu extrême une telle stratégie ‘d'encouragement', on doit leur rappeler que celle-ci ne fait que refléter celle mise en pratique, et ceci, depuis fort longtemps, dans les territoires occupés que sont la Cisjordanie et Jérusalem-est. De colons juifs fanatiques expulsent violemment de leurs terres ancestrales Palestiniens et Palestiniennes, et ceci avec la totale complicité du gouvernement israélien.

En septembre dernier, le professeur Uzi Rabi, directeur du centre Moshe Dayan de l'université de Tel-Aviv, déclarait, lors d'une interview radiophonique, qu'il espérait que « toute la population civile de Gaza serait retirée du nord et que ceux qui refuseraient de quitter seraient légalement condamnés comme terroristes et soumis à un processus de famine ou d'extermination ». Ces propos s'inscrivent dans le droit fil du « plan des généraux », une proposition faite au gouvernement israélien début octobre par un certain nombre de généraux à la retraite. Selon ce plan, on donnerait aux Palestiniens quelques jours pour quitter le nord de Gaza, puis on déclarerait cette zone militaire. Enfin, on tuerait et affamerait ceux qui refuseraient de quitter.

Quand cette folie, ce massacre pur et simple de Palestiniens, qui sont devenus des réfugiés il y a des décennies à cause de la mainmise massive d'Israël sur leurs terres ancestrales, prendra-t-elle fin ? Quand cesserons-nous de regarder ces nouvelles, ce nettoyage ethnique, voire ce génocide, comme si on nous annonçait simplement que le temps est nuageux ? Quand la communauté internationale mettra-t-elle enfin son pied à terre ? Quand les États-Unis, alliés indéfectibles d'Israël, ainsi que les autres alliés européens d'Israël, décideront-ils que trop c'est trop ? Quand mettront-ils fin à leur incroyable hypocrisie ? Quand cesseront-ils de nous raconter toutes ces histoires d'un ordre fondé sur des règles, de droits humains, de compassion humaine, alors que leurs gestes concrets quotidiens démontrent on ne peut plus clairement qu'ils se fichent éperdument de toutes ces valeurs ? Alors qu'ils ignorent tous les cris des manifestants à travers le monde et toutes les condamnations des organisations internationales ? Alors que nous voyons parfois des enfants palestiniens portant sur leur dos leurs frères et sœurs blessés, et que le Knesset, le parlement israélien, s'apprête à approuver une motion bannissant l'UNRA de Gaza et de la Cisjordanie, cette organisation des Nations Unies qui offre, depuis des décennies, l'aide la plus massive et la plus importante aux centaines de milliers de réfugiés palestiniens ?

Une enquête menée par l'agence de surveillance et de vérification Sanad d'Al Jazeera, dont le rapport fut publié récemment dans l'émission Inside Story de cette chaine de télévision, nous aide peut-être à comprendre la source de l'inaction et du silence de la communauté internationale. Car elle révèle que l'Occident fait plus que tolérer hypocritement ce que la Cour internationale de justice considère comme un génocide plausible à Gaza. Elle démontre on ne peut plus clairement que l'Occident participe massivement, sur le plan militaire, à ce génocide.

On sait qu'Israël se targue d'avoir l'armée la plus morale du monde. Qu'elle est extrêmement fière de sa capacité militaire, qui est non seulement immense mais aussi, à bien des égards, à la fine pointe de la technologie militaire mondiale. Cependant, aurait-elle pu mener une campagne de bombardement aussi prolongée et implacable à Gaza depuis plus d'un an, et maintenant au Liban ces dernières semaines, si elle n'avait pas pu compter sur l'immense coopération de l'Occident, et en premier lieu des États-Unis et du Royaume-Uni ?

L'agence de surveillance et de vérification Sanad d'Al Jazeera a utilisé des données de vol de source ouverte pour montrer l'ampleur de la participation américaine et britannique aux opérations militaires d'Israël entre octobre 2023 et octobre 2024. Ces données font état de plus de 6 000 vols militaires au-dessus de la région en un an, dont de centaines de missions de transport d'armes à destination d'Israël.

Est fort révélateur le fait qu'Israël n'aurait effectué que 20 % des 1 600 missions de reconnaissance enregistrées, alors que le Royaume-Uni, lui, en aurait effectué près de la moitié.

Le rapport de Sanad révèle aussi l'ampleur du pont aérien occidental construit pour Israël. En l'espace d'un an, plus de 1 200 vols de fret militaire ont été effectués. Plusieurs bases européennes ont été utilisées, avec de centaines de vols en provenance du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de l'Italie, de Chypre et de la Grèce.

C'est ce pont aérien, affirme le rapport, ainsi que le grand nombre de vols de surveillance et de ravitaillement en vol, qui ont permis à Israël de mener une si longue, incessante et brutale guerre à Gaza et qui l'aide présentement à étendre ses opérations au Liban, et parfois ailleurs au Moyen-Orient.

L'incapacité de l'Occident - en particulier celle des États-Unis et du Royaume-Uni - à mettre le holà à Israël ne proviendrait donc pas du simple fait que l'Occident est profondément hypocrite, tolère ce qui est intolérable, et manque de courage et de force morale. Elle proviendrait plutôt du fait que l'assaut génocidaire en cours n'est pas seulement celui d'Israël. Dans une large mesure, il est carrément celui de l'Occident lui-même.

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Israël : Le nerf de la guerre

29 octobre 2024, par Agence Média Palestine — , , , ,
À un an du début de l'offensive en cours et alors que son développement régional continue d'aggraver le bilan des pertes civiles, l'Agence Média Palestine propose un tour (…)

À un an du début de l'offensive en cours et alors que son développement régional continue d'aggraver le bilan des pertes civiles, l'Agence Média Palestine propose un tour d'horizon (non exhaustif) des soutiens d'Israël.

Tiré de l'Agence Média Palestine
24 octobre 2024

Par l'Agence Média Palestine

La guerre génocidaire d'Israël en Palestine a un coût. Lors de la présentation du budget annuel israélien, le ministre des finances Betsalel Smotrich la qualifiait lui-même de « guerre la plus longue et la plus coûteuse de l'histoire d'Israël », alors que la Banque d'Israël a estimé que les coûts liésà la guerre pour 2023-2025 pourraient s'élever à 55,6 milliards de dollars. Le nerf de la guerre, ou plus exactement le nerf du génocide, est bien là.

De nombreux pays apportent une aide financière et fournissent les armes et l'énergie nécessaires à Israël pour qu'il puisse mener sa guerre. Pourtant, les arrêts de la Cour de justice internationale (ICJ), qui ont fait suite à la plainte pour génocide de l'Afrique du Sud à l'encontre d'Israël, ont condamné la violence en cours et demandé l'arrêt immédiat de toute aide militaire approvisionnant le génocide. Selon certain·es expert·es juridiques, ces entreprises et ces pays pourraient être tenu·es pour complices de ce génocide en vertu de la Convention sur le génocide.

Les pays, ainsi que les entreprises privées et les compagnies pétrolières et gazières, doivent être tenu·es pour responsables de leur rôle dans la perpétuation de la violence et des violations des droits de l'homme. Les groupes palestiniens et leurs allié·es demandentun embargo sur la fourniture d'énergie et d'armes à Israël et exigent que les gouvernements et les entreprises cessent toute livraison de carburant et d'armes à Israël jusqu'à ce que ce dernier mette fin au génocide et à son régime d'apartheid contre le peuple palestinien.

Un incendie dans les tentes des Palestinien-nes déplacés à l'hôpital Al-Aqsa Martyrs dans la ville de Gaza, octobre 2024 (Anadolu via Getty Images)

Le partenariat économique européen

L'union Européenne est le premier partenaire économique d'Israël, et les échanges sont garantis par un accord d'association signé en 1995 et entré en vigueur en 2000. Celui-ci contient deux axes principaux : un dialogue politique et une libéralisation des échanges commerciaux entre les parties. Les échanges commerciaux en question permettent à l'UE de se maintenir comme premier partenaire commercial d'Israël, représentant 28,8 % de ses échanges de marchandises en 2022.

Ces échanges sont largement encouragés par l'accord, qui supprime notamment les droits de douane et interdit les restrictions quantitatives. L'UE est ainsi devenu le principal fournisseur d'Israël, avec 31 % de ses importations ; mais aussi son deuxième plus gros client, avec 24 % de ses exportations. C'est presque autant que les États-Unis, qui reçoivent 25,5 % des exportations israéliennes. La France à elle seule est le 10ᵉ fournisseur et le 11ᵉ client d'Israël.

Depuis 2022 et désireuse de réduire sa dépendance aux énergies fossiles russes après l'invasion de l'Ukraine, l'UE s'est également rapprochée de l'Etat hébreu dans le but d'augmenter ses importations de gaz en provenance du pays.

Outre ces échanges commerciaux, l'Union Européenne finance « l'innovation et la recherche » israélienne à travers le programme Horizon Europe. Israël en est le plus gros bénéficiaire hors UE, avec 126 millions d'euros reçus depuis octobre 2023. L'université de Tel Aviv à elle seule a reçu 28 millions d'euros, alors qu'elle a mené plus de 5030 projets de recherche conjoints avec l'armée israélienne. En tout, les financements d'Horizon Europe ont servi le développement de 130 projets israéliens.

En mars 2024, les observateurs Statewatch et Informationsstelle Militarisierungont révélé que le programme Horizon Europe avait contribué au financement de la technologie des drones utilisée par Israël dans sa guerre contre Gaza. Xtend, fabricant de drones soutenant l'armée israélienne, aurait reçu 50 000 € d'Horizon Europe, un fonds de recherche et d'innovation, pour réaliser une étude sur l'optimisation de son système de drone Skylord Xtender et trouver des « partenaires stratégiques pour la production et la commercialisation de la technologie », selon les observateurs. L'entreprise aurait ensuite signé des contrats avec le ministère américain de la Défense, qui impliquaient l'armée israélienne, et le PDG de Xtend a déclaré le PDG Aviv Shapira que sa société avait « réorienté ses énergies pour soutenir les forces israéliennes à 100 % » après le 7 octobre 2023.

Les aides militaires états-uniennes

Les Etats-Unis sont, de très loin, le premier partenaire d'Israël en matière de défense, et Israël est le premier bénéficiaire de l'aide étrangère américaine depuis la seconde guerre mondiale. Israël reçoit une aide militaire annuelle de 3,8 milliards de dollars (2,9 milliards de livres sterling) dans le cadre d'un accord décennal visant à permettre à leur allié de maintenir ce qu'ils appellent un « avantage militaire qualitatif » par rapport aux pays voisins.

Dans les jours qui ont suivi le 7 octobre 2023, le président Joe Biden a déclaré que les États-Unis fourniraient une « assistance militaire supplémentaire » à Israël. Les Etats-Unis ont par ailleurs autorisé l'armée israélienne à puiser dans un de munitions arsenal stockées en Israël pour éviter d'avoir à l'acheminer en cas de conflit armé dans la région. Ces cessions ont permis à Washington de se passer de l'aval du Congrès.

Jeudi 26 septembre, en pleine escalade régionale du conflit et le déclenchement d'attaques terrestres israéliennes au sud Liban, le ministère de la Défense israélien a annonçé avoir obtenu une nouvelle aide militaire américaine d'une valeur de 8,7 milliards de dollars « en soutien à l'effort militaire en cours d'Israël ». Ironiquement ce même jour, le gouvernement états-unnien réclamait un cessez-le-feu dans un communiqué commun avec la France en marge de l'Assemblée Générale de l'ONU.

Les ventes d'armes

Tous les fournisseurs d'armes à Israël ne détaillent pas leurs exportations de matériel militaire. Il est donc difficile d'en connaître la nature et le volume, mais quelques donnéespermettent d'en faire un bref état des lieux. L'Agence Média Palestine se propose donc de dresser une liste non-exhaustive des pays qui fournissent à Israël des armes.

États-Unis

En décembre,l'administration Biden a rendu publiques deux ventes à Israël après avoir utilisé l'autorité d'urgence pour éviter l'examen par le Congrès. L'une portait sur 14 000 munitions pour chars d'assaut, d'une valeur de 106 millions de dollars, tandis que l'autre concernait des composants pour la fabrication d'obus d'artillerie de 155 mm, d'une valeur de 147 millions de dollars. Les médias américains ont rapporté en mars 2024 que l'administration avait également effectué discrètement plus de 100 autres ventes militaires à Israël depuis le début de la guerre, la plupart d'entre elles n'atteignant pas le montant en dollars qui nécessiterait une notification formelle au Congrès.

En mai 2024, les États-Unis ont interrompupour la première fois une livraison d'armes à Israël, les représentants du parti démocrate de M. Biden au Congrès et leurs partisans étant de plus en plus préoccupés par le projet israélien d'offensive terrestre sur la ville de Rafah, dans le sud de Gaza. En juillet, des responsables américains ont déclaré que la livraison des bombes de 500 livres serait autorisée, mais que les bombes de 2 000 livres continueraient d'être retenues en raison de l'inquiétude persistante concernant les victimes civiles.

En août 2024, l'administration Biden a informé le Congrès avoir approuvé des ventes d'armes à Israël pour un montant de 20 milliards de dollars. Il s'agit d'un paquet de 18,8 milliards de dollars pour 50 jets F-15IA et des kits de mise à niveau pour 25 avions F-15I qu'Israël possède déjà ; un nombre non spécifié de camions cargo de 8 tonnes d'une valeur de 583 millions de dollars ; 30 missiles air-air de moyenne portée pour 102 millions de dollars ; et 50 000 obus de mortier de 120 mm pour 61 millions de dollars. En septembre, les États-Unis ont approuvé une autre vente d'armes à Israël pour un montant de 165 millions de dollars afin de financer des remorques de chars lourds, dont la livraison est prévue en 2027.

Allemagne

L'Allemagne est le deuxième plus grand exportateur d'armes vers Israël, représentant 30 % des importations entre 2019 et 2023, selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).

L'année dernière, les ventes d'armes de l'Allemagne à Israël se sont élevées à 326,5 millions d'euros (361 millions de dollars ; 274 millions de livres sterling), soit 10 fois plus qu'en 2022, et la majorité des licences d'exportation ont été accordées après les attentats du 7 octobre. Le gouvernement allemanda déclaré en janvier 2024 que les ventes comprenaient 306,4 millions d'euros d'« équipements militaires » et 20,1 millions d'euros d'« armes de guerre ».

Selon l'agence de presse DPA, ces dernières comprennent 3 000 armes antichars portables et 500 000 munitions pour armes à feu automatiques ou semi-automatiques. L'agence précise également que la plupart des licences d'exportation ont été accordées pour des véhicules terrestres et des technologies destinées au développement, à l'assemblage, à l'entretien et à la réparation d'armes.

Cependant, depuis le mois de mars 2024, les autorisations de vente semblent avoir été suspendues, sans que l'Allemagne, soutien politique fort d'Israël, n'ait fait de déclaration claire à ce sujet. En août, les données fournies par le ministère de l'économie indiquaient que 14,5 millions d'euros avaient été accordés de janvier au 21 août, ce qui témoigne d'une baisse considérable. Sur ce montant, la catégorie des armes de guerre ne représentait que 32 449 euros. En septembre, plusieurs sources citées dans un rapport de l'agence Reuters affirmaient que de nouvelles licences d'exportation d'« armes de guerre » vers Israël avaient été suspendues dans l'attente d'un recours en justice.

L'Allemagne est en effet assignée en justice dans deux affaires intentées dans le but de stopper ses ventes d'armes à Israël. La première est a à l'initiative du Nicaragua, qui a demandé en la CIJ, également connue sous le nom de Cour mondiale, d'ordonner à l'Allemagne de cesser ses exportations d'armes militaires vers Israël et de reprendre son financement de l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), estimant qu'il existait un risque sérieux de génocide à Gaza. La seconde, à Berlin, est intentée par le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l'homme. Si aucune de ces affaires n'a encore abouti, elles ont créé de vives tensions au sein du gouvernement allemand.

Le ministre de l'économie Robert Habeck a déclaré mi-septembre que l'Allemagne examinait « de près » les demandes. « S'il existe des soupçons de violation du droit humanitaire international, [la question] sera traitée différemment », affirmait le ministre, avant de nier l'arrêt des ventes et de rappeler que l'Allemagne et Israël entretiennent une « alliance militaire étroite » et que Berlin avait une « obligation historique » envers Israël en raison des crimes commis par l'Allemagne nazie contre le peuple juif.

Italie

L'Italie est le troisième exportateur d'armes vers Israël, mais elle n'a représenté que 0,9 % des importations israéliennes entre 2019 et 2023, selon le SIPRI.

En 2023, les ventes d'« armes et de munitions » se sont élevées à 13,7 millions d'euros, selon le magazine Altreconomia qui cite le bureau national des statistiques ISTAT. Quelque 2,1 millions d'euros d'exportations ont été approuvés entre octobre et décembre 2023, bien que le gouvernement ait assuré qu'il les bloquerait en vertu de la loi italienne interdisant les ventes d'armes aux pays qui font la guerre ou considérés comme violant les droits de l'homme.

Le ministre de la Défense, Guido Crosetto, a déclaré au Parlementen mars 2024 que l'Italie avait seulement honoré les contrats pré-existants, après les avoir vérifiés au cas par cas et s'être assurée « qu'ils ne concernaient pas des matériaux susceptibles d'être utilisés contre des civil·es ».

Royaume-Uni

En décembre 2023, le gouvernement britannique déclarait que les exportations britanniques de matériel militaire vers Israël étaient « relativement faibles », s'élevant à 18,2 millions de livres en 2023. Entre le 7 octobre 2023 et le 31 mai 2024, 42 licences d'exportation ont été délivrées pour des biens militaires, alors que 345 licences étaient déjà en cours. Le ministère des Affaires et du Commerce a déclaré que l'équipement militaire couvert par les licences comprenait des composants pour les avions militaires, les véhicules militaires et les navires de combat.

En septembre 2024, le ministre britannique des affaires étrangères David Lammy a annoncé la suspension immédiate d'une trentaine de licences d'exportation (sur 350) pour des articles utilisés dans les opérations militaires israéliennes à Gaza. Le communiqué du ministère affirme l'existence d'un « risque manifeste » que certaines exportations de matériel militaire « puissent être utilisées pour commettre ou faciliter une violation grave du droit international humanitaire ». Les licences concernées couvrent des composants d'avions militaires, notamment des avions de chasse, des hélicoptères et des drones, ainsi que des articles facilitant le ciblage au sol.

Amnesty International déclarait en réaction que cette décision était « pleine de lacunes et n'allait pas assez loin ». La décision de continuer à fournir à Israël des composants d'avions meurtriers F-35 « est un échec catastrophique pour le contrôle des armes et la justice », a déclaré l'organisation.

France

Les exportations d'armes sont nimbées d'opacité et le détail exact des livraisons d'armes est inconnu. Chaque année, un rapport sur les exportations d'armes est remis au Parlement, mais il ne contient que des données financières générales sur les licences et les livraisons. Le dernier document en date, paru à l'été 2023, révèle que la France a livré pour 189,8 millions d'euros d'équipements à Israël entre 2013 et 2022, à un rythme moyen d'environ 20 millions d'euros par an.

La France a à plusieurs reprise affirmé ne pas vendre d'armes létales à Israël, et que ses exportations ne concernaient que des éléments destinés à la revente ou à des dispositifs de défense. Pourtant, les révélations de Disclose et Marsactu ont mis en lumière que la France avait livré à la société israélienne IMI Systems des composants pour mitrailleuses. Des maillons M27, en l'occurrence, en quantité suffisante pour relier 100 000 cartouches adaptées au fusil israélien Negev 5, et aucun contrôle ne permet d'affirmer que ces pièces ont été ré-exportées et n'ont pas servi directement à l'armée Israélienne.

La France a signé le traité sur le commerce des armes, censé empêcher les ventes d'armes en cas de risque de violation des droits humains, mais ne semble pas toujours respecter cet engagement. Disclose a révélé que la société Thales avait continué de livrer à Israel des pièces équipements électroniquespour l'assemblage des drones armés « Hermès 900 », alors que ces drones sont utilisés pour bombarder des civils à Gaza.

Il s'agit de transpondeurs de type « TSC 4000 IFF » classés par le ministère des armées dans la catégorie des « systèmes de surveillance, de poursuite de cible et de reconnaissance ». L'enquête de Disclose met en évidence au moins huit frappes meurtrières des drones israéliens contre la population gazaouie depuis octobre 2023. Au moins huit de ces transpondeurs devaient être expédiés en Israël entre décembre 2023 et fin mai 2024, soit plusieurs mois après les premiers bombardements aériens de Tsahal. Deux d'entre eux ont été livrés au début de l'année 2024. Les six autres unités seraient bloquées par les douanes françaises.

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A propos de l’accord de compromis de l’Association internationale des dockers (ILA) et la fin de la grève

Kim Moody propose quelques réflexions initiales sur le règlement de la grève de l'Association internationale des dockers (ILA) sur la côte Est et sur le rôle de (…)

Kim Moody propose quelques réflexions initiales sur le règlement de la grève de l'Association internationale des dockers (ILA) sur la côte Est et sur le rôle de l'administration Biden. Voir les articles publiés sur le site alencontre.org en date du 2 et du 4 octobre.

22 octobre 2024 | alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/etats-unis-a-propos-de-laccord-de-compromis-de-lila-et-la-fin-de-la-greve.html

L'administration Biden est en effet intervenue très tôt dans les négociations entre l'ILA (The International Longshoremen's Association) et l'USMX (The United States Maritime Alliance, une alliance des compagnies de transport maritime par conteneurs, des opérateurs portuaires et d'autres employeurs du secteur des débardeurs) – par l'intermédiaire de la secrétaire au Travail Julie Su [en fonction depuis le 11 mars 2023] et du secrétaire aux Transports Pete Buttigieg [en fonction depuis le 3 février 2021]. Elle a finalement obtenu du syndicat qu'il mette fin à sa grève de trois jours en échange d'une augmentation de salaire de 62% sur six ans. C'est moins que les 77% demandés par le syndicat, mais plus que les 50% proposés par les employeurs de l'USMX.

L'administration Biden a fait pression sur les deux parties pour qu'elles parviennent à cet accord de principe et évitent une prolongation de la grève. La question centrale de l'automatisation doit être négociée d'ici au 15 janvier 2025, date à laquelle le contrat prolongé expirera et où une grève deviendra légale. Le Wall Street Journal du 8 octobre rapporte [dans un article intitulé « The Battle Over Robots at U.S. Ports Is On »] toutefois qu'un « responsable de l'industrie du transport maritime » a déclaré que l'accord salarial avait été « conclu à la condition que les dockers acceptent des gains de productivité (efficacité) incluant davantage de technologie ».

Si ces propos sont exacts, l'ensemble de l'accord vise à favoriser non seulement les démocrates lors des élections, mais aussi les employeurs en matière d'automatisation. Il n'y a pas de menace de grève avant le 15 janvier et seul le président de l'ILA, Harold Daggett, qui gagne 900 000 dollars par an, peut déclencher une grève. Les membres de l'ILA n'ont pas de droit de vote officiel en cas de grève, bien que certaines sections locales aient procédé à des sondages auprès de leurs membres cette année.

Les libéraux (démocrates dits de gauche) ont salué cet effort de Joe Biden en faveur des syndicats, ainsi qu'une diversion par rapport à une grève pré-électorale embarrassante et très perturbatrice qui pourrait favoriser Donald Trump. Ils soulignent que l'Association des industriels et la Chambre de commerce des Etats-Unis ont demandé à Biden d'invoquer la loi Taft-Hartley [datant de juin 1947] pour empêcher une grève, ce à quoi il a héroïquement résisté ! En revanche, l'USMX, elle, n'a pas formulé une telle exigence, qui n'était absolument pas nécessaire.

Le fait est que l'administration a convaincu le syndicat de ne pas recourir à la grève avant les élections et après que les importations eurent chuté de façon spectaculaire pour atteindre leur niveau annuel le plus bas en janvier et février 2024 (voir graphique ci-dessous), après les vacances de fin d'année, comme toutes les parties concernées le savaient Le syndicat aura donc beaucoup moins d'influence même lorsque la date d'une grève potentielle arrivera finalement avec l'expiration du contrat le 15 janvier.

Les importations maritimes des Etats-Unis atteignent le troisième taux mensuel le plus élevé en juillet 2024

Les importations américaines par conteneurs atteignent un pic plus tôt que d'habitude en 2024 en raison des attaques en cours en mer Rouge, d'une grève potentielle dans les ports maritimes de la côte Est et du golfe du Mexique et de la constitution de stocks de cellules solaires, de batteries de véhicules électriques et d'autres marchandises exposées à des hausses tarifaires à venir (introduites en septembre).

Source : Siddharth Cavale & Lisa Baertlein, « US retailers rush holiday imports, fearing strikes and disruption », Reuters, 10 août 2024.

Il convient de rappeler que, avant cette dernière action visant à briser la grève, l'administration Biden est également intervenue directement dans les négociations pour empêcher les grèves de l'ILWU (International Longshore and Warehouse Union), de l'IBT (International Brotherhood of Teamsters) chez la grande firme de logistique UPS (même s'il n'était pas nécessaire de le faire) ainsi que celle envisagée par les syndicats des chemins de fer [1]. (Article publié par Tempest le 19 octobre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Kim Moody, de 1979 à 2001, a animé la revue Labor Notes, basée à Detroit. Il réside actuellement en Angleterre comme chercheur auprès de University of Herdfordshire. Il est l'auteur, entre autres, de Breaking the Impasse : Electoral Politics, Mass Action, and the New Socialist Movement in the United States, Haymarket Books, 2022.


[1] En 2022, un conflit s'est développé entre les compagnies de chemins de fer du fret et les syndicats du secteur. En effet, la base avait rejeté les propositions établies en septembre 2022 d'accord contractuel entre les employeurs et les directions syndicales. Le Congrès et le président Joe Biden sont intervenus pour faire passer l'accord provisoire en loi le 2 décembre, évitant ainsi une grève. (Réd.)

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États-Unis. Les machinistes de Boeing rejettent l’accord et poursuivent la grève : “On lâche rien”

29 octobre 2024, par Courrier international — , ,
L'accord douloureusement conclu entre le syndicat majoritaire des usines de Boeing et la direction a été rejeté mercredi 23 octobre par une large majorité des votants. (…)

L'accord douloureusement conclu entre le syndicat majoritaire des usines de Boeing et la direction a été rejeté mercredi 23 octobre par une large majorité des votants. Prolongeant la grève entamée le 13 septembre et ainsi même la crise qui affecte l'avionneur américain.

224 octobre 2024 | tiré du site de Courrier international | Photo : Piquets de grève à l'entrée de l'usine Boeing de Renton, près de Seattle, aux États-Unis, le 23 octobre 2024. to David Ryder/REUTERS
https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-les-machinistes-de-boeing-rejettent-l-accord-et-poursuivent-la-greve-on-lache-rien_223768

C'est à une “large majorité” que les grévistes de Boeing ont rejeté mercredi 23 octobre le projet d'accord négocié “dans la douleur” et décidé de prolonger la grève entamée il y a “près de six semaines” dans les usines de la région de Seattle, alors que l'avionneur américain avait “annoncé quelques heures plus tôt un déficit de 6,1 milliards de dollars [5,6 milliards d'euros]”, rapporte The New York Times.

Selon le syndicat IAM, qui représente quelque 33 000 machinistes de Boeing, “le contrat, le deuxième que les salariés refusent, a été rejeté par 64 % des votants”, détaille le quotidien américain. John Holden, le dirigeant de l'IAM-District 751 de la région de Seattle, a expliqué à l'assemblée “scandant ‘On lâche rien'” : “On a encore beaucoup de travail. On poussera pour retourner à la table des négociations. On poussera pour que vos revendications soient entendues dès que possible.”

Lire aussi : Social. La famille Merwin, fidèle depuis soixante ans à Boeing, fait grève contre le déclassement

Un revers pour le patron de Boeing

Boeing n'a pas réagi au vote, qui “constitue un revers” pour Kelly Ortberg, le patron nommé en août dernier pour “tenter de restaurer la réputation et les résultats” de l'entreprise, engluée dans une crise majeure. Un peu plus tôt, pour expliquer l'ampleur du déficit des résultats trimestriels affiché, il avait expliqué qu'il “faudrait un ‘changement radical de culture' pour retrouver l'équilibre et améliorer le fonctionnement” de Boeing.

Autant dire que l'affaire se présente mal. La grève avait été votée le 13 septembre, quand 95 % des machinistes avaient rejeté une première mouture de la convention collective. Puis Boeing avait proposé sa “meilleure et dernière offre”, une hausse des salaires de “près de 40 % sur quatre ans”. Mais pour parvenir à cet accord finalement rejeté, il avait fallu l'“intervention du gouvernement Biden”, via sa ministre du Travail, Julie Su.

Lire aussi : Aéronautique. Chez Boeing, les machinistes votent la grèvehttps://www.courrierinternational.c...

C'est que Boeing est “un moteur économique majeur pour les États-Unis et un symbole de sa réussite industrielle”, avec 150 000 salariés sur le territoire, “dont près de la moitié dans l'État de Washington”, rappelle le quotidien de New York.

Mais le moteur est pour le moins grippé. Boeing vient d'annoncer une vague de licenciements qui concernerait “environ 10 % des effectifs, soit 17 000 emplois”. La grève lui “coûterait des dizaines de millions de dollars par jour”. Boeing “tente de se rétablir d'une crise ouverte par la porte arrachée en plein vol d'un 737 Max”, en janvier dernier, qui avait fait resurgir les critiques sur les failles de sécurité des avions de l'entreprise.

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BRICS+, une rencontre bonne ou mauvaise pour la planète ?

29 octobre 2024, par Michel Gourd — ,
Les orientations que prennent les membres des BRICS+ pourraient créer un futur réunissant les meilleurs ou les pires côtés de l'ancien et du nouvel ordre mondial. Terminé (…)

Les orientations que prennent les membres des BRICS+ pourraient créer un futur réunissant les meilleurs ou les pires côtés de l'ancien et du nouvel ordre mondial.

Terminé le 24 octobre, le 16e Sommet annuel de trois jours à Kazan en Russie des BRICS+, représentant près de la moitié de la population mondiale et le tiers du PIB de la planète, a réuni une quarantaine de chefs d'État ou de gouvernement, incluant ceux de ses neuf pays membres. L'objectif de ce regroupement est d'augmenter son influence dans des négociations économiques internationales dominées par l'Occident. Politiquement, ils veulent créer une alternative économique à l'ordre existant en faisant émerger un monde multipolaire. Ces pays font partie d'un phénomène plus large, soit l'émergence de nations qui n'avaient pas de pouvoir économique et politique au XXe siècle.

Victoire et tentative de manipulation

Cette rencontre a prouvé que, pour les pays membres des BRICS+, la guerre en Ukraine n'a pas l'importance qu'elle a pour les Occidentaux. Pour beaucoup de pays du tiers monde, l'Ukraine est une guerre de blancs qu'ils ont peur de devoir payer comme cela a été le cas dans les deux premières Guerres mondiales. La Russie a aussi démontré qu'elle a hérité de plusieurs des liens qu'avait créés l'URSS alors qu'elle était une grande puissance anticoloniale. Elle a encore des milliers de coopérants dans le monde et reste une référence pour ceux qui contestent l'Occident.

Le président de la Russie, Vladimir Poutine, qui est soumis à des sanctions depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022, a aussi voulu faire de ce sommet une arme contre les Occidentaux et leur vision du monde, mais l'Inde et le Brésil ont insisté pour qu'il soit plutôt un levier de puissance pour ses pays membres qui veulent moins contester l'ordre occidental que de le récupérer à leur profit.

L'unité des BRICS+ n'a jamais paru aussi fictive que durant cette rencontre pendant laquelle la Russie a tenté de masquer des différences fondamentales. Si l'Inde et le Brésil fonctionnent démocratiquement, la Russie, la Chine et plusieurs autres membres sont des régimes autoritaires qui contestent les règles faites par l'Occident en 1945. Les pays du BRICS n'ont aucune alliance militaire entre eux et seulement quelques liens économiques conjoncturels, incluant ceux de l'Inde et de la Chine qui boivent littéralement à prix cassés 90 % de la production de pétrole russe visée par des sanctions.

La véritable victoire diplomatique de l'événement était d'avoir rapproché les dirigeants indiens et chinois, Narendra Modi et Xi Jinping, actuellement en guerre ouverte dans l'Himalaya, à la frontière des deux pays, depuis l'affrontement en 2020 entre leurs armées.

Attention aux autocrates !

Le président russe Vladimir Poutine s'est aussi fait remettre sur le nez par le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, que l'invasion russe de l'Ukraine était une violation du droit international. « Nous avons besoin de la paix en Ukraine. Une paix juste, conforme à la Charte des Nations unies, au droit international et aux résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU », y a-t-il affirmé soulignant que la liberté de navigation en mer Noire était d'une importance capitale pour la sécurité alimentaire et énergétique mondiale. Narendra Modi a aussi publiquement déclaré au dirigeant russe qu'il voulait la paix en Ukraine.

Il est sain que les pays émergents s'organisent pour augmenter la qualité de vie de leurs citoyens, mais les discours contre la force occidentale sont essentiellement faits par des autocrates qui refusent l'universalisme. Le BRICS+ n'est pas le club des pays émancipateurs du « Sud global ». Les autocrates qui en sont membres désirent qu'on ne les empêche pas de massacrer leur population et visent à revenir à des zones d'influence issue de la force brute comme dans l'ordre de Yalta. Cela représente les désirs des dirigeants autoritaires et non de leurs citoyens qui doivent les souffrir.

Les BRICS+ sont donc devenus un objet politique ambigu dans lequel des autocrates cherchent à continuer à commettre impunément leurs crimes. Ils veulent faire de la realpolitik comme les Occidentaux, dont les discours vertueux ne correspondent pas aux actions. Ceux-ci dénoncent que l'Occident n'est pas au rendez-vous de l'éthique qu'il demande au reste du monde.

Les démocraties auraient tout intérêt à trouver, face à cette situation, l'énergie nécessaire pour restaurer leur unité face aux régimes autoritaires, défendre la liberté politique, se réformer et s'associer aux nouvelles puissances du Sud, qui visent une gouvernance ouverte de leur société. Les désirs d'égalité, de justice et d'humanisme ne sont pas des lubies occidentales. Ils sont les moteurs de la modernité et ont quelque chose d'irrésistible, transcendant les siècles et les peuples. Les populations préféreront toujours se battre pour ne pas être soumises. Pourquoi faire naître dans le sang le nouvel ordre mondial alors qu'il pourrait être négocié en épargnant la vie de millions d'innocents ?

Michel Gourd

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Iran : Le Conseil des gardiens approuve un nouveau projet de loi sur le hijab, renforçant l’apartheid entre les sexes

Le samedi 19 octobre 2024, Hadi Tahan Nazif, porte-parole du Conseil des gardiens, a annoncé que le Conseil avait approuvé le nouveau projet de loi sur le hijab et qu'il était (…)

Le samedi 19 octobre 2024, Hadi Tahan Nazif, porte-parole du Conseil des gardiens, a annoncé que le Conseil avait approuvé le nouveau projet de loi sur le hijab et qu'il était maintenant soumis au Parlement pour les prochaines étapes.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Cette annonce fait suite à celle faite un mois plus tôt, le 17 septembre 2024, par Mousa Ghazanfari Abadi, qui avait également confirmé l'approbation du projet de loipar le Conseil des gardiens. Plus tard, le 25 septembre 2024, le porte-parole de la Commission culturelle parlementaire du régime a déclaré : « La question a été communiquée au parlement et le président du parlement informera bientôt le gouvernement de cette loi ». (Javanonline.ir, 25 septembre 2024)

Dans ce contexte, Hadi Tahan Nazif a déclaré : « Plusieurs membres du parlement ont déjà fourni des mises à jour sur cette question, il n'était donc pas nécessaire de faire des annonces supplémentaires. »

Réactions sociales à l'approbation par le Conseil des gardiens de la nouvelle loi sur le hijab

De nombreux utilisateurs des médias sociaux se sont demandés pourquoi, alors que le pays traverse une grave crise, le régime soulève à nouveau la question de l'approbation par le Conseil des gardiens de la loi sur le hijab et la chasteté. Ces utilisateurs ont évoqué les menaces de guerre, l'effondrement de la valeur du rial, les crises économiques et les sanctions, les différends concernant la propriété des îles iraniennes, l'inflation sans précédent, les pénuries d'eau et d'électricité et l'affaissement des terres.

Le parlement du régime a approuvé la nouvelle loi sur le hijab le 20 septembre 2023, un an exactement après la mort de Zhina Mahsa Aminiet le début des manifestations nationalesen 2022. La loi prévoit de nombreuses peines et amendes sévères pour les personnes qui s'opposent au port obligatoire du hijab. Elle devait être mise en œuvre à titre expérimental pendant trois ans, le texte final étant examiné et approuvé par la commission judiciaire et juridique. Toutefois, les allers-retours entre le Conseil des gardiens et le Parlement au sujet du projet de loi ont duré une année entière et ont donné lieu à 6 cycles d'examen.

Un mois plus tard, le projet de loi n'a toujours pas été communiqué

Un mois après l'approbation du Conseil des gardiens, le projet de loi n'a toujours pas été officiellement communiqué par le gouvernement ou le parlement. Le 16 octobre 2024, Shahram Dabiri, adjoint aux affaires parlementaires de Pezechkian, a répondu à une question sur l'intention du gouvernement de présenter un projet de loi visant à modifier la loi sur le hijab et la chasteté. Il a déclaré : « Il n'est pas prévu pour l'instant de présenter un nouveau projet de loi, car le projet précédent a déjà été approuvé, bien qu'il n'ait pas encore été officiellement communiqué. » (asriran.com, 16 octobre 2024).

Il a ajouté : « Il y a quelques problèmes ici, et nous envisageons certaines réformes dans ce domaine. Le Dr Pezechkian croit fermement que cela (c'est-à-dire l'application du Hijab obligatoire) doit être fait, mais principalement par des approches positives plutôt que punitives. »

Il semble que le gouvernement Pezechkian hésite à communiquer le projet de loi en raison des réactions du public. Dans le même temps, compte tenu de la situation critique du pays, le régime est profondément inquiet de la possibilité d'une nouvelle agitation sociale et de l'éclatement d'un nouveau soulèvement. Par conséquent, parallèlement à l'augmentation des exécutions, le régime soulève fréquemment la question de la mise en œuvre de la loi sur le hijab sans la communiquer officiellement.

Mise en œuvre illégale de la nouvelle loi sur le hijab avant sa rédaction

6 mois avant la rédaction du nouveau projet de loi sur le hijab,dès le printemps 2023, le régime avait déjà intensifié ses actions répressives, renforçant le contrôle et imposant des restrictions sévères aux femmes dans tout le pays. Après la rédaction du projet de loi, le régime a commencé à l'appliquer illégalement, avant même qu'il ne devienne une loi.

Le retour des patrouilles de la police des mœurs, le déploiement de patrouilles en hijabdans les rues et les stations de métro, l'imposition d'amendes et la mise en fourrière des voitures dans lesquelles des femmes étaient vues sans hijab, l'interdiction des services aux femmes non voilées, la mise sous scellés des magasins, restaurants et entreprises qui servaient des femmes non voilées, l'interdiction de l'éducation et de l'emploi, L'assassinat d'Armita Geravand, letabassage brutal de 2 écolières dans la rue et les tirs sur la voiture d'Arezou Badri, qui ont laissé cette dernière paralysée, ne sont que quelques-unes des dimensions de la répression infernale qui est devenue un cauchemar quotidien pour les femmes iraniennes et l'ensemble de la population.

Selon les experts en criminologie et en droit pénal du régime, les actions des forces de sécurité de l'État (FSE) concernant la saisie des voitures, l'obtention d'engagements de la part d'individus sur la question du hijab, la mise sous scellés de magasins, l'interdiction de se trouver dans des lieux publics et l'envoi de messages textuels ne reposent sur aucune base juridique. Toutes ces actions sont considérées comme illégales.

Le SSF n'a même pas le pouvoir d'émettre des avertissements verbaux à ce sujet. Des entités telles que le Conseil de sécurité du régime, le quartier général chargé de promouvoir la vertu et d'interdire le mal, le quartier général chargé de mettre en œuvre le hijab et la chasteté, et le ministre de l'intérieur ne sont pas des organes législatifs et ne peuvent donc pas établir de droits et d'obligations légaux pour les individus, les institutions et les entreprises.

Les forces de sécurité de l'État (FSE) n'ont que le pouvoir de présenter des individus au tribunal et rien d'autre. Il est essentiel de noter que les forces de sécurité de l'État n'ont pas le pouvoir d'arrêter des personnes ou de détenir des femmes et des filles dans les commissariats de police ou les quartiers généraux. (Site Internet de l'État Roozno.com, 14 avril 2024)

« La détention de femmes et de jeunes filles dans ces lieux contre leur volonté constitue un crime de détention illégale, passible de 1 à 3 ans d'emprisonnement en vertu de l'article 583 du code pénal. » (Compte du Dadban Legal Consultants Group, samedi 13 avril 2024)

Le nouveau projet de loi sur le hijab viole les droits fondamentaux des femmes

On ne sait toujours pas ce que contient le texte final du projet de loi approuvé par le Conseil des gardiens, ni quels changements ont été apportés au projet initial. Ce qui est certain, cependant, c'est que chaque clause du nouveau projet de loi sur le hijab viole les droits fondamentaux des femmes.

Le projet de loi porte atteinte aux libertés individuelleset cible les femmes de manière disproportionnée, les marginalisant dans l'emploi, la vie publique et même les espaces virtuels. En criminalisant la prestation de services aux femmes qui ne se conforment pas au hijab obligatoire, il perturbe fondamentalement leur capacité à vivre.

Selon l'article 32 du nouveau projet de loi sur le hijab, « la condition pour tout emploi ou recrutement de femmes dans tous les bureaux et institutions du gouvernement, et même dans les centres éducatifs non gouvernementaux, est le respect de la culture de la chasteté et du hijab, non seulement dans les espaces publics, mais aussi en dehors du lieu de travail et des environnements éducatifs, y compris les espaces virtuels ».

Outre les mesures violentes à l'encontre des femmes, le projet de loi met l'accent sur l'extension de la ségrégation sexuelle dans les universités, les centres administratifs et éducatifs, les parcs, les zones de loisirs et même dans les sections de traitement des hôpitaux.

Les peines liées à la violation du hijab dans ce projet de loi sont plus sévères que celles prévues pour de nombreux délits liés à la drogue ou au port d'armes, transformant ainsi la répression des citoyens en loi.

La nouvelle loi sur le hijab est un exemple d'apartheid entre les sexes

Le 1er septembre 2023, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme a publié un rapport dans lequel un groupe d'experts nommés par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies a critiquéla loi iranienne sur le hijab. Les experts ont déclaré que le projet de loi pourrait constituer un « apartheid de genre », soulignant l'inquiétude mondiale concernant la position de plus en plus répressive de l'Iran sur les droits des femmes.

Selon la mise à jourpubliée par la Mission d'établissement des faits de l'ONU, « depuis avril 2024, les autorités de l'État ont « renforcé les mesures et les politiques répressives par le biais du plan dit « Nour » (Nour signifiant « lumière » en persan), encourageant, sanctionnant et approuvant les violations des droits de l'homme à l'encontre des femmes et des filles qui ne respectent pas le hijab obligatoire », peut-on lire dans la mise à jour.

Les forces de sécurité ont encore intensifié les schémas préexistants de violence physique, notamment en frappant, en donnant des coups de pied et en giflant les femmes et les filles perçues comme ne respectant pas les lois et les réglementations relatives au hijab obligatoire, comme le montrent des dizaines de vidéos examinées par la Mission. Parallèlement, les autorités de l'État ont renforcé la surveillance du respect du hijab dans les sphères publiques et privées, y compris dans les véhicules, par le biais d'un recours accru à la surveillance, y compris par drones.

Au milieu de cette escalade de la violence, un projet de loi sur le hijab et la chasteté est en phase finale d'approbation par le Conseil des gardiens de l'Iran et devrait être finalisé dans les plus brefs délais. Ce projet de loi prévoit des sanctions plus sévères pour les femmes qui ne portent pas le hijab obligatoire, notamment des amendes exorbitantes, des peines de prison plus longues, des restrictions en matière de travail et d'éducation, ainsi que des interdictions de voyager.

La réponse des femmes iraniennes reste un non retentissant au hijab obligatoire

Mme Maryam Radjavi, présidente élue du Conseil national de la Résistance iranienne, a réagià la nouvelle en déclarant : Après l'adoption du projet de loi sur le hijab obligatoire, les femmes iraniennes éprises de liberté disent au Conseil des gardiens, au guide suprême des mollahs et à son président, Massoud Pezechkian : « Non au voile obligatoire, non à la religion obligatoire et non au gouvernement obligatoire ».

https://wncri.org/fr/2024/10/20/nouveau-projet-de-loi-sur-le-hijab/

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Narges Mohammadi, emprisonnée en Iran depuis 2021, en danger de mort

29 octobre 2024, par Eugénie Barbezat — , ,
En détention depuis trois ans, la lauréate iranienne du Nobel de la paix 2023 voit sa santé se dégrader après avoir été violemment frappée par des gardiens au cours de l'été. (…)

En détention depuis trois ans, la lauréate iranienne du Nobel de la paix 2023 voit sa santé se dégrader après avoir été violemment frappée par des gardiens au cours de l'été.

Par Eugénie Barbezat,
Tiré de L'Humanité, France, le mardi 22 octobre 2024

https://www.humanite.fr/monde/emprisonnement/narges-mohammadi-emprisonnee-en-iran-depuis-2021-en-danger-de-mort

Incarcérée depuis novembre 2021 à la prison d'Evin, près de Téhéran, la lauréate du prix Nobel de la paix en 2023 (1), condamnée à dix ans de prison (2) par le régime Iranien, est en danger de mort. C'est ce que révèlent ses soutiens et sa famille, qui déplorent le refus des autorités de la conduire à l'hôpital après les violences graves qu'elle a subies.

L'été dernier, des gardiens l'ont violemment frappée, au point qu'elle aurait perdu connaissance, victime d'une crise cardiaque. Depuis, « sa santé ne fait que se dégrader », alerte Pinar Selek, qui appelle chacun à se mobiliser, notamment en envoyant des courriers à l'ambassadeur d'Iran en France.

Et la sociologue turque en exil forcé en France de rappeler l'un des faits d'armes de la journaliste iranienne : « Il y a déjà quelques mois, elle avait réussi à faire une action énorme : pour rendre visible l'apartheid de genre, elle avait choisi de converser avec sept femmes dans le monde entier, posant des questions spécifiques à chacune d'entre elles. J'ai eu la chance d'être l'une de ces femmes. »

Fin septembre, à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies à New York, Narges Mohammadi avait aussi envoyé, toujours de sa prison, une lettre aux principaux dirigeants mondiaux pour qu'ils demandent la libération des prisonniers politiques et la fin de la répression des femmes et de la société civile en Iran.

« Je vous demande instamment d'exiger le respect des droits humains, (…) qui constitue le seul chemin possible pour la réalisation de la démocratie et de la paix au Moyen-Orient », écrivait-elle alors. Aujourd'hui c'est pour que cette voix de la paix ne soit pas réduite à jamais au silence qu'un appel est lancé.

(1) https://www.humanite.fr/monde/iran/le-prix-nobel-de-la-paix-decerne-a-la-militante-iranienne-narges-mohammadi

(2) https://www.humanite.fr/monde/iran/la-journaliste-iranienne-narges-mohammadi-a-nouveau-condamnee

Narges Mohammadi, lauréate iranienne du prix Nobel de la paix 2023 incarcérée depuis novembre 2021 à la prison d'Evin en Iran.


*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal (Québec), le 24 oct0bre 20-24

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La féminisation de la pauvreté en Iran : Les femmes chefs de famille et leurs luttes incalculables

Dans cet article, nous commémorons la Journée internationale pour l'élimination de la pauvretéen nous penchant sur le sort des femmes chefs de famille en Iran et sur les (…)

Dans cet article, nous commémorons la Journée internationale pour l'élimination de la pauvretéen nous penchant sur le sort des femmes chefs de famille en Iran et sur les pressions supplémentaires qu'elles subissent.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Lorsque l'on parle de femmes chefs de famille, plusieurs groupes clés viennent à l'esprit : les veuves, les divorcées, les épouses d'hommes toxicomanes, les épouses d'individus incarcérés, les épouses de travailleurs migrants, les femmes célibataires autonomes et les épouses d'hommes handicapés ou invalides. Toutes ces femmes sont obligées de subvenir aux besoins de leur famille et de la gérer. Pendant ce temps, les lois du régime clérical iranien les catégorisent officiellement comme des citoyennes de seconde zone, n'existant que pour servir les hommes. C'est pourquoi les experts soulignent depuis longtempsla féminisation de la pauvreté en Iran.

Les femmes chefs de famille : Les soutiens de famille les plus pauvres

Selon le Centre national des statistiques d'Iran (NSC), il y avait près de 4 millions de femmes chefs de famille en Iran en 2020. (mokhaberatema.ir, 20 octobre 2021)

Le dernier rapport du NSC sur les dépenses et les revenus des ménages pour l'année 2020 indique que sur un total de 25 685 000 chefs de famille dans le pays, 3 517 000 étaient des femmes. Notamment, sur ces 3,5 millions de femmes chefs de ménage, près de 1,5 million étaient des femmes célibataires autonomes (vivant seules). En d'autres termes, environ 13,7% de tous les chefs de famille en Iran sont des femmes, et environ 41,5% de ces femmes vivent de manière indépendante. (mashreghnews.ir, 9 avril 2022)

Près de la moitié des femmes soutiens de famille appartiennent aux segments les plus pauvres de la société. Selon les statistiques officielles, dans le décile des revenus les plus bas (les plus pauvres), environ 45% des chefs de famille sont des femmes. (salamatnews.com, 20 octobre 2021)

Il est important de noter que le régime iranien manque de transparence en ce qui concerne les statistiques. On peut supposer que les chiffres réels sont nettement plus élevés que ceux publiés par le CNS. Par exemple, Ensieh Khazali, l'ancienne députée chargée des affaires féminines et familiales, a déclaré en juin 2022 que « les statistiques non officielles indiquent que nous avons près de6 millions de femmes chefs de famille ». Avant elle, Tayebeh Siavoshi, ancien membre du parlement du régime, avait indiqué que ce nombre pouvait varier et atteindre jusqu'à5 millions.(ICANA.ir, 7 août 2017)

Femmes chefs de famille : Une part minime sur le marché du travail

En Iran, les femmes sont confrontées à une importante discrimination structurelle et sociale, ce qui fait qu'il leur est extrêmement difficile d'entrer sur le marché du travail et d'obtenir des postes convenables et bien rémunérés. En conséquence, de nombreuses femmes employées sont contraintes d'accepter un travail dans le secteur informel, souvent dans de petits ateliers fonctionnant sans réglementation, et d'effectuer des tâches éreintantes pour de maigres salaires et de longues heures de travail.

Ces femmes, qui doivent faire face à de nombreux défis dans leur vie, souffrent de troubles physiques dus à des conditions de travail inadaptées. Nombre d'entre elles souffrent de problèmes de dos et de cou résultant d'un travail pénible.

La plupart des femmes chefs de famille sont au chômage ou occupent des emplois informels à temps partiel. Même celles qui ont un emploi formel gagnent très peu, ce qui ne leur permet pas de maintenir un niveau de vie élémentaire. Un nombre important de femmes chefs de famille ont du mal à couvrir les dépenses quotidiennes, y compris les dépôts de loyer et autres nécessités, en raison de leurs revenus limités.

Les femmes chefs de famille : Les championnes silencieuses des terres agricoles

Dans la province du Khouzestan, il y a plus de 35 000 femmes chefs de famille, bien que des sources non officielles suggèrent que ce nombre pourrait être plus élevé. (quotidien Etemad, 15 juin 2024)

Une grande partie de ces femmes travaillent dans l'agriculture. Dans la seule ville de Dezfoul, plus de 5 000 femmes sont employées dans le secteur agricole. Des adolescentes aux septuagénaires, elles travaillent en groupe pour un maigre salaire journalier de 200 000 tomans (3,25 dollars). Ces femmes travaillent aux côtés des hommes mais ne reçoivent que 60% de leur salaire.

La plupart d'entre elles travaillent sans assurance. Une femme de 80 ans a déclaré qu'elle travaillait dans l'agriculture sans assurance depuis 60 ans, endurant la chaleur torride de 50 degrés du Khouzestan ! Si ces femmes avaient été assurées à un tel âge et avec une telle ancienneté, elles auraient déjà dû prendre leur retraite deux fois.

En 2017, l'Organisation de recherche sur la sécurité sociale a indiqué que les femmes représentaient 80% de la main-d'œuvre non assurée.

Les ouvrières agricoles travaillent souvent en double journée et doivent faire face à diverses excuses de la part de leurs employeurs lorsqu'il s'agit de percevoir leur salaire. Certains employeurs prétendent qu'ils manquent de fonds, tandis que d'autres subordonnent le paiement intégral à la vente complète de leurs produits ; si leurs marchandises ne se vendent pas, elles ne sont pas payées du tout.

De nombreuses travailleuses perdent tragiquement la vie dans des accidents de la route alors qu'elles se rendent à leur travail. En septembre 2022, 18 travailleuses agricoles ont perdu la vie lorsqu'un minibus les transportant a été impliqué dans un accident sur les routes de Chouchtar. Au cours de l'hiver 2024, une camionnette transportant des ouvrières agricoles s'est renversée près du canton de Fazili à Dezfoul, blessant huit femmes. En juin 2024, un autre incident impliquant le renversement d'une camionnette transportant des ouvrières a fait sept blessés.

Ali Ziaei, chef du groupe d'enquête sur les scènes de crime à l'organisation médico-légale, a déclaré en avril 2024 que 2 115 travailleurs étaient morts et 27 000 avaient été blessés dans des accidents du travail en 2023. (Etemad daily, 15 juin 2024) Malheureusement, il n'existe pas de données détaillées concernant spécifiquement les travailleuses.

Femmes chefs de famille : Vendeuses de rue pour une bouchée de pain

De nombreuses femmes chefs de famille sont contraintes de s'engager dans des activités telles que la vente ambulanteen raison de la grande pauvreté et du manque d'accès à des emplois stables. Alors que les couches les plus défavorisées de la société continuent de s'appauvrir, le nombre de femmes qui ont recours à la vente de rue augmente de jour en jour. Ces femmes jonglent souvent avec leur rôle de mère tout en assumant la responsabilité de subvenir aux besoins de leur famille.

Il y a une dizaine d'années encore, la vente ambulante était essentiellement considérée comme une activité masculine, et très peu de femmes descendaient dans la rue pour y ouvrir un magasin. Cependant, aujourd'hui, les pressions économiques et les charges financières qui pèsent sur les femmes chefs de famille sont si écrasantes que la vente ambulante est devenue un travail bien établi pour nombre d'entre elles. Partout où les vendeurs de rue se rassemblent, les femmes font partie intégrante de la scène.

Malgré cette réalité, il n'existe pas de données précises sur le nombre de vendeuses de rue. Le nombre de femmes exerçant cette activité a doublé depuis le début de la pandémie de COVID-19. (Journal Arman-e Melli, 7 juin 2024)

Asieh est une femme qui gagne sa vie depuis cinq ans en vendant du thé, du café et des infusions sur la place Tajrich à Téhéran. Son mari est complètement handicapé et elle doit également subvenir aux besoins de ses 2 filles. Asieh a déclaré : « Au début, travailler dans la rue était très difficile et embarrassant. Mais quand vous n'avez rien et pas de capital, vous mettez de côté votre gêne et vous vous concentrez uniquement sur l'alimentation de vos enfants, même si cela signifie vendre dans la rue ».

Najmeh est une autre femme qui a commencé à vendre dans la rue il y a 4 ans, en raison de son divorce et de la responsabilité qu'elle avait de s'occuper de ses deux enfants. Le soleil a fortement altéré son visage, reflétant le poids de son travail de vendeuse de rue. En ce qui concerne le stress lié à son travail, Najmeh déclare : « Lorsque les agents municipaux viennent nettoyer la zone, ils sont tellement harcelants que le froid, la chaleur et les coups de soleil ne comptent même plus. »

La féminisation de la pauvreté dans un contexte économique difficile

Sous le règne des religieux, la société iranienne s'appauvrit de plus en plus. Selon les dernières statistiques officielles, le seuil de pauvreté en Iran est fixé à 30 millions de tomans (484 dollars), mais plus de 30 millions de personnes vivent en dessous de ce seuil. (eghtesadonline.com, 12 septembre 2024)

Dans ce contexte, les travailleurs et les retraités, mais aussi les fonctionnaires et la plupart des salariés du pays peinent à joindre les deux bouts. Le salaire minimum pour les travailleurs en 2024 serait de 7 millions de tomans (113$), tandis que la pension pour les retraités est fixée à 9 millions de tomans (145 $). (sepidarsystem.com, 20 mai 2024) Cela suppose que ces salaires soient effectivement versés, car les travailleurs et les retraités passent souvent plusieurs mois sans recevoir ne serait-ce que ces montants minimaux en raison de l'état d'épuisement du trésor public et des ministères concernés.

Dans des circonstances économiques aussi difficiles, avec des taux de chômage élevés, la situation est encore pire pour les femmes, qui sont victimes de discrimination à l'embauche et dans l'emploi. Certaines femmes chefs de famille dans les provinces du Kurdistan, de Kermanchah et d'Hormozgan ont recours au travail de porteur (koulbari) pour subvenir aux besoins de leur famille. Dans certains cas, la pression exercée par le manque d'emplois appropriés et la nécessité d'assurer la santé et l'éducation de leurs enfants poussent les femmes chefs de famille à s'engager dans des activités non conventionnelles, telles que la vente d'organes ou même la prostitution.

Selon un expert gouvernemental, la féminisation de la pauvreté est un problème très dangereux. On ne peut s'attendre à ce qu'une société piégée dans une pauvreté féminine chronique fasse preuve d'une grande tolérance. (Rouydad24.ir, 2 juin 2024)

Le régime clérical n'a pas l'intention d'améliorer les conditions économiques de la population, en particulier des femmes, et ne le souhaite pas. En appauvrissant la population, le régime vise à la maintenir préoccupée par la satisfaction de ses besoins quotidiens, dans l'espoir d'empêcher tout soulèvement contre son régime oppressif. Cependant, cette stratégie est une grave erreur de calcul.

La société iranienne est devenue une véritable poudrière et, malgré la répression sévère et impitoyable des religieux, il y a eu au moins cinq soulèvements nationaux majeurs au cours des sept dernières années. Tout indique que le jour approche où la dernière vague de colère populaire éclatera, balayant une fois pour toutes la tyrannie religieuse au pouvoir des pages de l'histoire iranienne.

https://wncri.org/fr/2024/10/17/les-femmes-chefs-de-famille-pauvrete-iran/
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L’affaire de Mazan vu à travers du prisme du terrorisme masculiniste

29 octobre 2024, par Stephanie Lamy — , ,
Une série de crimes violents, orchestrée méthodiquement en réseau, ayant pour objectif de normaliser les violences sexuelles et visant une femme, symbole de toutes les autres… (…)

Une série de crimes violents, orchestrée méthodiquement en réseau, ayant pour objectif de normaliser les violences sexuelles et visant une femme, symbole de toutes les autres… Et si l'affaire Mazan relevait d'une nouvelle forme de terrorisme – masculiniste – contre lequel il est crucial de protéger notre pays ?

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/21/laffaire-de-mazan-vu-a-travers-du-prisme-du-terrorisme-masculiniste/

Le procès ouvert le 2 septembre 2024 à Avignon bouleverse les perceptions collectives des violences sexuelles. Cette affaire de viols de masse mobilise l'appareil judiciaire pour une durée de quatre mois, en raison de la gravité et de l'ampleur des crimes commis. Entre 2011 et 2020, un total de 92 viols a été perpétré sur une seule victime. L'exploitation des fichiers saisis chez Dominique Pélicot, maître d'œuvre, a permis aux enquêteurs de cartographier un réseau tentaculaire de 83 violeurs présumés, dont 54 ont été formellement identifiés. Parmi ces hommes, 23 avaient des antécédents judiciaires, certains pour violences conjugales et d'autres pour violences sexuelles. Au total, 49 accusés sont poursuivis pour viol aggravé, un pour tentative de viol, et un autre pour agression sexuelle. De plus, cinq d'entre eux sont inculpés pour possession massive d'images pédopornographiques, renforçant ainsi la dimension criminelle transnationale du dossier.

Ce procès a ouvert des débats publics sur des enjeux essentiels liés à la sécurité des femmes et la justice sociale, aussi autour de la soumission chimique, de la culture du viol et des stratégies employées par les avocats des accusés. À cela s'ajoute une réflexion sur la liberté d'informer, lorsqu'une victime, courageuse, refuse le huis clos pour briser l'omerta. Mais l'enjeu sécuritaire le plus préoccupant, à mes yeux, reste celui de la radicalisation masculiniste qu'on voit ici à l'œuvre. Mon objectif, ici, n'est pas de créer une nouvelle figure du « monstre », alors que l'affaire Mazan révèle la banalité déconcertante des profils de ces agresseurs, mais de mettre en lumière l'expansion rapide des foyers de terrorisme masculiniste sur notre territoire, ainsi que la diffusion de leur discours extrémiste.

Rebondissons sur une phrase polémique lancée par Me Guillaume de Palma, l'un des avocats de la défense, pour qui il existerait « viol et viol ». Si l'avocat a tenté de minorer la gravité des faits commis par son client, nous pourrions aussi proposer leur aggravation en les qualifiant de terroristes. En effet, l'article 421-1 du code pénal, qui définit ce qui constitue l'acte terroriste, s'applique aussi aux atteintes à l'intégrité de la personne, dont les crimes de viol. Les violences sexuelles, bien que rarement pensées comme mode d'action terroriste, n'en sont pas pour autant exclues. Pourquoi ne pas envisager alors ces viols de masse en termes sécuritaires, tant ils portent gravement atteint à l'ordre public ? Encore faudrait-il que les services de l'État entendent que l'« ordre public » serait troublé par la commission de ces viols…

Il est vrai que le terrorisme masculiniste n'opère en général pas par la mise en scène publique de la violence ni ne cherche à augmenter sa notoriété par ses attentats (ce qui constitue le terrorisme dans l'imaginaire collectif). Il travaille à normaliser les violences fondées sur le genre dans une volonté de transformation sociétale vers le renforcement de la domination masculine. Minorer la gravité des violences commises ainsi que la portée symbolique de leur action, est, pour la plupart des milieux radicaux masculinistes, l'objectif stratégique.

Dans l'imaginaire collectif, toujours, un attentat n'en est un que si l'auteur ne connaît pas sa cible. Dans le cas des actes terroristes masculinistes, choisir une cible de proximité, d'opportunité, est le choix du moindre risque, permettant de tenter de réduire la gravité de ces crimes par la confusion faite entre violences interpersonnelles et les leurs fondées sur l'idéologie violente de l'effacement totale de la perspective des femmes.

Les éléments révélés au cours de la procédure judiciaire permettent de replacer cette affaire dans une approche de sécurité publique. Dominique Pélicot n'était pas un loup solitaire, il agissait comme un recruteur au sein d'une entreprise collective. Pour démontrer la dimension terroriste de ces viols, nous nous appuierons sur des caractéristiques clés des milieux radicaux élaborées par les sociologues de la violence politique Stefan Malthaner et Peter Waldmann :

Communauté Partagée : Offrir un espace où les individus partagent des croyances et des valeurs similaires, favorisant un sentiment d'appartenance. Dans l'affaire Pélicot, c'est le salon au titre explicite « à son insu » sur le site coco.gg, un site visé par plus de 23 000 procédures judiciaires et fermé depuis peu. La valeur partagée est celle de la performance technique pour contourner le consentement des femmes.

Soutien Mutuel : Créer un environnement de solidarité, où les membres s'encouragent mutuellement à adopter des comportements extrêmes. Les récits faits à l'audience, montrent le partage d'un savoir-faire pour neutraliser la cible (sans pour autant la tuer, ce qui pourrait éveiller des soupçons). Cette solidarité, masculine, s'exprime aussi lors du déroulement du procès, avec une complicité nouée lors des pauses, et une hostilité partagée à l'égard de la presse et des soutiens féministes de Gisèle Pélicot.

Normes et Idéologies : au sein de ces milieux sont promues des idées radicales qui justifient l'utilisation de la violence. L'idéologie, ici, est celle de la déshumanisation des femmes, une misogynie collective et caractérisée par l'apologie de la violence sexuelle. Lorsque l'un des complices, un infirmier, fournit à Pélicot les dosages exacts pour garantir l'efficacité des substances chimiques utilisées dans les violences, il agit comme un artificier au service d'une cause terroriste. Cette transmission de savoirs, loin de susciter des remords, vient renforcer leur sentiment de légitimité. Les actions sont méticuleusement organisées, et donc justifiées.

Cohésion Sociale : L'engagement et la loyauté envers le groupe sont renforcés par des rituels et des pratiques collectives, dont celui du partage des faits d'armes – le contournement du consentement –, par le récit ou l'image. Par ailleurs, Dominique Pélicot instaurait un protocole strict pour la mise en œuvre des actions violentes, et documentait systématiquement la commission de viols.

Contrôle Social : Il existe un mécanisme de surveillance interne qui sanctionne les comportements déviants, renforçant l'idéologie collective. Lorsque le protocole mis en place par Dominique Pélicot n'était pas respecté, ce dernier ne ré-invitait plus. La captation par l'image de la commission des viols, lui permettait également de contrôler les actions de ses adeptes. Le silence mutuel devient une règle absolue : personne ne trahit, garantissant ainsi la pérennité du groupe.

Dans mon essai La Terreur Masculiniste (Éditions Du Detour, 2024), j'ai analysé en profondeur la manière dont la misogynie ordinaire peut évoluer en un passage à l'acte violent du fait de milieux radicaux, et l'affaire Pélicot en est une illustration parfaite. J'ai notamment élaboré des outils d'identification de ces milieux. Le salon « À son insu » se distingue comme un exemple typique de ce que je désigne par « milieu flexeur ». Dans cet espace, Dominique Pélicot recrutait des complices et orchestrait des actions violentes, tout en structurant une masculinité hégémonique fondée sur la maîtrise technique du viol et la perpétuation de l'impunité. La transmission de ce savoir-faire destructeur devient ici un outil de pouvoir.

Comprendre ces dynamiques est une étape essentielle pour pouvoir les combattre. Sans ces clés d'analyse, nous ne pourrons jamais endiguer la normalisation de cette forme de violence, qui relève d'une forme de terrorisme. Dans l'affaire Mazan, Gisèle Pélicot n'est pas seulement une survivante de viols de masse, elle est aussi une rescapée héroïque d'attentats. Masculinistes.

Stephanie Lamy
Féministe, chargée d'enseignement, chercheuse
https://blogs.mediapart.fr/stephanielamy/blog/181024/laffaire-de-mazan-vu-travers-du-prisme-du-terrorisme-masculiniste

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Nos terres, notre avenir : Lutte contre la désertification, COP 16 décembre 2024

29 octobre 2024, par Yveline Nicolas — ,
Plus d'un milliard de personnes vivent dans des zones dégradées et menacées par la sécheresse. La seizième session de la Conférence des Parties (COP16) à la Convention des (…)

Plus d'un milliard de personnes vivent dans des zones dégradées et menacées par la sécheresse. La seizième session de la Conférence des Parties (COP16) à la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification se tiendra du 2 au 13 décembre 2024 à Riyad, en Arabie Saoudite.

Tiré de Adéquations
Samedi 19 octobre 2024, par Yveline Nicolas

Introduction : la Convention pour la lutte contre la désertification

La notion de "désertification" fait l'objet de débats et de différentes définitions. Le processus en cours de désertification dû aux activités humaines ne doit pas être confondu avec l'existence des déserts, qui sont des écosystèmes spécifiques. Selon l'ONU, entre 2015 et 2019, 100 millions d'hectares de terres saines et productives, dont la formation nécessite des centaines d'années, ont été dégradées chaque année par les activités humaines. 40% des terres de la planète sont actuellement dégradées [1], entrainant une perte de la productivité parfois irréversible.Trois personnes sur quatre dans le monde devraient être confrontées à une pénurie d'eau d'ici à 2050. Un rapport coordonné par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) indique que les cours d'eau ont atteint en 2023 un niveau de sécheresse sans précédent depuis plus de trois décennies, annonçant "des perturbations inquiétantes des ressources en eau, alors que la demande ne cesse d'augmenter". [2]

Réchauffement climatique, érosion de la biodiversité et désertification entrent en interaction. Les sécheresses en sont un exemple, elles ont augmenté de près de 30 % depuis 2000, sous l'effet à la fois du réchauffement climatique et de l'érosion des sols. Si l 'Afrique est le continent le plus touché, la désertification ne concerne pas que les pays pauvres ou "désertiques" : le Sud de l'Europe (Espagne, Italie...), l'Australie, les Etats-Unis, etc. sont également directement touchés. Au moins 170 pays dans le monde sont concernés par la dégradation des terres et/ou la sécheresse.

En 2024, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), moins connue que les deux autres conventions internationales issues du Sommet de la Terre en 1992 (climat, diversité biologique) fête son trentième anniversaire. (2024 est aussi l'année de la COP16 sur la Biodiversitéet de la COP29 sur le climat).

La Convention des Nations unies sur la Lutte contre la désertification (CNULCD) donne la définition suivante : « la dégradation désigne des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines. » [3]

Les pays parties à la CNULCD qui se déclarent affectés par la désertification élaborent des Plans d'action nationaux (des indicateurs d'évaluation et de suivi ont été définis) et des objectifs volontaires pour restaurer les terres dégradées. La France ne s'est pas déclarée "affectée par la désertification" selon les termes de la Convention, mais les impacts très forts des changements climatiques, dont l'aridification de certains sols, pourraient l'amener à reconsidérer sa position à l'avenir.

Une "Décennie des Nations unies pour les déserts et la lutte contre la désertification" (2010-2020) visait à prévenir, inverser les processus de dégradation des sols et restaurer les écosystèmes. L'Objectif de développement durable n°15 "Vie terrestre" vise à protéger et restaurer les écosystèmes terrestres, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, stopper et d'inverser la dégradation des sols et enrayer la perte de biodiversité. Une cible 15.3 est notamment de restaurer 1,5 milliard d'hectares de terres dégradées d'ici 2030.

Lancée lors de la COP27 climat, l'Alliance Internationale pour la résilience face à la sécheresse, coprésidée par l'Espagne et le Sénégal rassemble 35 Etats et 28 organisations internationales (comme la Commission du climat pourla région du Sahel (CCRS), la Commission centraméricaine pour le climat et l'environnement (CCAD), l'Institut international de gestion de l'eau (IWMI), etc.)

La Journée mondiale contre la désertificationet la sécheresse a lieu chaque année le 17 juin.

Femmes, genre et désertification

Dans les pays pauvres, la désertification aggrave la situation de précarité des paysan-nes et la surcharge de travail des femmes et les filles, d'autant qu'elles subissent des violences et des discriminations sur leurs droits fonciers (au niveau mondial, elles constituent moins de 20% des propriétaires de terres). Or une grande partie d'entre elles aux Suds et notamment en Afrique vivent d'activités agricoles, pastorales et forestières et sont particulièrement dépendantes des ressources naturelles (eau, bois énergie, plantes, etc.).

Mais les femmes sont également vectrices du changement, porteuses de connaissances spécifiques et jouent un rôle central dans l'utilisation et l'entretien des ressources en terres.

C'est pourquoi la Convention sur la désertification reconnaît l'importance des femmes dans la mise en œuvre de la CNULCD, identifiant trois domaines stratégiques de leur engagement : (i) la sensibilisation et la participation à la conception et à la mise en œuvre des programmes ; (ii) les processus de prise de décision que les hommes et les femmes adoptent au niveau local dans la gouvernance du développement, la mise en œuvre et l'examen des programmes d'action régionaux et nationaux (PAR et PAN) ; (iii) le renforcement des capacités, l'éducation et la sensibilisation du public, en particulier au niveau local grâce au soutien d'organisations locales.

Les enjeux de genre sont à l'agenda depuis 1998, à commencer par la demande d'une représentation équitable des femmes et des hommes dans les processus de la Convention. Puis à partir de 2011, les Etats parties à la Convention ont convenu d'un cadre politique pour la promotion du genre, et demandé l'intégration des questions d'égalités entre les sexes dans tous les travaux de la Convention et à tous les niveaux.

Un Plan d'action genre a été adopté en septembre 2017 pour accompagner la mise en œuvre du cadre stratégique 2018-2030 de la Convention Désertification. Télécharger en français

Un travail est en cours à la CNULCD, en partenariat avec le réseau international World Overview of Conservation Approaches and Technologies (WOCAT), sur les méthodologies et pratiques sensibles au genre de gestion soutenable des terres (Sustainable Land Management).

La COP 16 du 2 au 13 décembre 2024

Selon l'ONU, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) est "une convention axée sur les personnes, où la société civile et les peuples autochtones, les agriculteurs et les scientifiques, les femmes et les jeunes, les autorités locales et le secteur privé peuvent s'unir pour soutenir une gestion durable des terres".

Lors de la COP16 de la CNULCD), les Etats devraient décider des actions collectives pour :
Accélérer la remise en état des terres dégradées d'ici 2030,
Renforcer la préparation, la réaction et la résilience face à la sécheresse,
Veiller à ce que les terres continuent d'apporter des solutions en matière de climat et de biodiversité,
Renforcer la résilience face à la recrudescence de tempêtes de sable et de poussière,
Développer la production alimentaire en respect avec la nature,
Renforcer les droits fonciers des femmes pour faire progresser la restauration des terres,
Promouvoir l'engagement de la jeunesse, y compris en matière d'emplois jeune décents basés sur la terre.

Ressources documentaires
Document de présentation de la COP16 sur la Lutte contre la déserfication, ONU Télécharger

Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification

Rubrique CNULCD de la COP 16

[Site web de la présidence COP 16 Ryad [https://www.unccdcop16.org/]->https://www.unccdcop16.org/]

Cadre stratégique CNULCD 2018-2030. Télécharger

Suivi de l'évaluation à mi-parcours du Cadre stratégique de la Convention (2018-2030), ONU juillet 2024 Télécharger

Décennie des Nations unies pour les déserts et la lutte contre la désertification

Alliance Internationale pour la résilience face à la sécheresse. Site web

Ressources documentaires genre et désertification

Enjeux de genre à la CNULCD

[ Plan d'action genre CNULCD. Télécharger en français ; >https://www.unccd.int/sites/default/files/documents/2018-01/GAP%20FRE%20%20low%20res_0.pdf]

Actualités et bonnes pratiques genre et désertification

Processus Gender-responsive Sustainable Land Management, WOCAT et UNCCD. Questionnaire sur les Technologies GDT Sensible au Genre En différentes langues

P.-S.
16e Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, 21 octobre à 1er novembre 2024 à Cali, Colombie
29ème Conférence des Parties à la Convention sur les changements climatiques, 11 au 22 novembre 2024 à Baku, Azerbaïdjan

Notes

[1] soit 5,2 milliards d'hectares sur 13 milliards.

[2] Communiqué https://wmo.int/fr/news/media-centre/un-rapport-de-lomm-signale-une-aggravation-lechelle-planetaire-de-linsuffisance-des-ressources-en

[3] La définition de ces zones bioclimatiques est basée sur la valeur du rapport entre le total annuel des précipitations (P) et la valeur annuelle de l'évapotranspiration potentielle (ETP). Le programme des Nations unies pour l'Environnement définit les zones sèches ayant des valeurs comprises entre 0,05 < P/ETP < 0,65. Les zones hyper-arides (P/ETP < 0,05) considérées comme désertiques ne sont pas prises en compte.

titre documents joints
Plan d'action Genre Convention Désertification (PDF - 110.1 ko)
Convention désertification Rapport sur mise en oeuvre 2024 (PDF - 294.8 ko)

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COP16 : la Colombie, un pays hôte dont la biodiversité est très menacée

29 octobre 2024, par Sarah Krakovitch — , ,
Le sommet mondial pour la biodiversité débute le 21 octobre en Colombie. Le pays se place en chef de file de la biodiversité et espère bénéficier de cet événement, son (…)

Le sommet mondial pour la biodiversité débute le 21 octobre en Colombie. Le pays se place en chef de file de la biodiversité et espère bénéficier de cet événement, son territoire étant l'un des plus menacés au monde.

21 octobre 2024 | tiré de reporterre.net
https://reporterre.net/COP16-la-Colombie-un-pays-hote-dont-la-biodiversite-est-tres-menacee

Cali (Colombie), reportage

Côte à côte, les drapeaux de la Colombie et de l'Organisation des Nations unies (ONU) flottent pour la première fois dans la ville de Cali. Située dans le sud-ouest de la Colombie, elle accueille à partir de lundi 21 octobre l'événement international le plus important jamais organisé en Colombie : la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (COP16). Un symbole fort pour ce pays qui aspire à se faire connaître autrement que par le trafic de drogue et les groupes armés.

Dans une interview au quotidien colombien El Tiempo, le maire de Cali, Alejandro Eder, se réjouissait que le monde s'apprête à regarder le pays de « manière positive ». Et pour cause : durant quinze jours, la ville sera un territoire international de paix entre les États participant au sommet mondial.

La Conférence des parties sur la biodiversité réunit tous les deux ans les États signataires, en théorie les 196 membres des Nations unies. Elle vise un but : protéger, restaurer et utiliser de manière durable la biodiversité à l'échelle internationale. Cette édition, la première depuis l'adoption du Cadre mondial pour la biodiversité en 2022, aura notamment la charge d'examiner les plans d'actions de chaque État sur la protection de la nature et l'inversion de la perte de biodiversité, et leur mise en œuvre.

Seulement 31 stratégies nationales reçues

Ces stratégies nationales de préservation de la biodiversité (NBSAP) doivent être alignées sur les mesures de l'accord adopté lors de la COP15 à Montréal en 2022, baptisé Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal. Elles constituent les instruments nationaux de réponse aux menaces qui pèsent sur la diversité biologique. Parmi les 23 mesures du Cadre figure la protection d'au moins 30 % des terres et des mers d'ici à 2030.

Un objectif « trop flou » pour Swann Bommier, chargé de plaidoyer de l'association Bloom, consacrée à la protection des océans, qui déplore que l'accord de 2022 n'explique pas concrètement comment déployer cette mesure sur le terrain. « C'est facile de s'engager à protéger 30 % des aires maritimes si l'on ne précise pas ce qu'elles représentent », s'indigne-t-il. Il attend de la COP16 une « traduction des grands discours et objectifs très vagues en mesures concrètes et contraignantes pour mettre fin à la destruction de la biodiversité ».

À l'heure actuelle, seuls 31 pays, dont la France, ont remis leur stratégie actualisée. Au moins 100 pays ont en revanche transmis leurs cibles, qui correspondent à des engagements pour s'aligner avec les 23 cibles du Cadre mondial. Un document moins conséquent, qui est demandé aux pays qui n'ont pas terminé d'élaborer leur stratégie. Le WWF s'est dit inquiet du manque d'ambition des quelques stratégies nationales reçues face à l'urgence. Son dernier rapport révèle que les populations mondiales d'espèces sauvages ont diminué en moyenne de 73 % au cours des cinquante dernières années.

La Colombie aura donc la charge du passage des mots à l'action. La véritable initiatrice de la COP16, la ministre colombienne de l'Environnement Susana Muhamad, assure que Cali ne sera pas un moyen de « continuer à négocier des engagements », mais bien de « les mettre en œuvre ». En tant qu'organisatrice et partie, la Colombie aura une mission aussi politique que climatique : prouver au monde et à ses citoyens qu'elle est capable d'organiser un événement d'ampleur malgré un contexte sécuritaire encore très fragile — des groupes armés continuent de sévir dans le pays, et les négociations de paix sont à la peine. Mais aussi démontrer qu'elle peut incarner ce leadership en matière d'environnement et de biodiversité pour parvenir à récolter des fonds — une question qui fera partie des négociations.

La voix de la Colombie pèsera aussi en raison de son statut de pays « mégadivers », terme désignant les pays qui abritent l'écrasante majorité de la biodiversité de la planète. Dix-sept États, dont l'Indonésie, la Chine, l'Australie, Madagascar ou encore le Brésil, en font partie.

Mais ces pays battent aussi le triste record des plus meurtriers pour les défenseurs de l'environnement, la Colombie en tête, avec 79 meurtres enregistrés en 2023. Depuis 2012, date à laquelle Global Witness a commencé à documenter ces cas, 461 Colombiens ont perdu la vie. L'Amérique latine est de loin la région la plus meurtrière. Sur les 196 cas documentés en 2023 dans le monde, 85 % se trouvaient dans la région. Parmi les pays ayant commis le plus de meurtres cette année-là, cinq se trouvent en Amérique latine : la Colombie, le Brésil, le Honduras, le Mexique et le Nicaragua.

La Colombie veut se faire une place

Quatrième pays le plus riche en biodiversité selon le rapport 2023 du Système national de données ouvertes sur la biodiversité (SIB), et le plus diversifié en matière d'espèces d'oiseaux, d'orchidées et de papillons, la Colombie fait logiquement partie des pays les plus menacés quant à la sauvegarde de cette dernière. « Elle veut se faire entendre en tant que délégation et s'assurer que la communauté internationale perçoive clairement l'urgence d'enrayer la perte de biodiversité », dit Sandra Vilardy, biologiste marine et environnementaliste à l'université de los Andes et ancienne vice-ministre de la Politique environnementale de Colombie.

À l'échelle nationale, la politique environnementale menée depuis deux ans par le président Gustavo Petro semble aller dans le bon sens. La Colombie est devenue le premier pays d'Amérique latine à adhérer au traité de non-prolifération des combustibles fossiles, lors de la COP28 à Dubaï, en décembre 2023. Et le gouvernement a placé la transition écologique au centre de son programme, notamment à travers un plan de relance économique qui prévoit le soutien à une économie plus verte et la décarbonation de cette dernière. « L'écologie politique et la justice environnementale sont les éléments les plus sérieux de la conversation diplomatique de la Colombie au cours des deux dernières années », ajoute Sandra Vilardy.

Mais si le pays s'affiche en élève modèle de la préservation de la biodiversité, il fait aussi partie des États qui n'ont pas encore remis leur stratégie de conservation. Selon le ministère de l'Environnement, elle sera présentée lors du coup d'envoi du sommet, le 21 octobre.

Depuis un an, il mène dans ce cadre des discussions auprès de la société colombienne. Peuples autochtones, afrodescendants, communautés noires, paysans mais aussi associations de femmes et de jeunes sont consultés afin d'ériger sa stratégie nationale pour la biodiversité. Un moyen de remplir un autre de ses engagements : la mise en lumière de l'importance des savoirs des peuples autochtones, qui représentent 6 % de la population mondiale, dans la lutte contre la perte de biodiversité. Les forêts protégées par ces peuples captent deux fois plus de carbone que les autres, selon le World Resources Institute (WRI).

Le pays a un rôle « fondamental » à jouer à ce sujet, selon Javier Revelo-Rebolledo, professeur de sciences politiques et codirecteur du groupe d'étude forêt et conflit de l'université del Rosario, mais les opposants à la tenue de la COP sont nombreux, notamment parce qu'ils s'en sentent exclus. Dans ce contexte, des organisations de protection de l'environnement opposées à la « marchandisation transnationale de la diversité biologique » organisent une COP alternative à Cali les 26 et 27 octobre, en marge du sommet international.

Plus conventionnelle, la partie ouverte au public de la COP16, la zone verte, sera pour sa part accessible tout au long de l'événement. La ministre de l'Environnement répétant à l'envi que cette COP est « celle du peuple », qui doit « prendre conscience de la richesse naturelle de son pays ». La zone sera composée de stands d'ONG et du secteur privé, dont la participation atteint des niveaux « historiques » selon la présidence. 140 délégations et 18 000 personnes sont par ailleurs accréditées dans la zone bleue, l'espace officiel de négociation.

Le continent latino-américain en première ligne

Concernant les personnalités politiques attendues, la ministre de l'Environnement colombienne s'est félicitée d'une édition qui battait également tous les records de participation. À ce jour, 14 chefs d'État, dont ceux du Brésil, du Panama, du Mexique et du Ghana et plus de 100 ministres de l'Environnement ont confirmé leur participation. Une première, puisqu'aucun chef d'État ne s'est rendu à une COP biodiversité auparavant.

Une présence qui « confirme l'importance qu'accordent les pays d'Amérique latine et les pays en développement à ce sommet », autrement dit ceux qui regroupent la majorité de la biodiversité mondiale, selon Juliette Landry, chercheuse à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). « Mais sûrement un peu moins [vrai] pour les pays développés », qui sont aussi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre.

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La protection de la biodiversité capturée par des grands organismes. Une nouvelle tendance à la marchandisation de la nature

29 octobre 2024, par Fiore Longo — ,
Quelque 31 ans après l'entrée en vigueur de la Convention sur la diversité biologique (CDB), la dernière Conférence des Parties – c'est ainsi que l'on appelle les réunions (…)

Quelque 31 ans après l'entrée en vigueur de la Convention sur la diversité biologique (CDB), la dernière Conférence des Parties – c'est ainsi que l'on appelle les réunions régulières des gouvernements, des ONG et d'autres acteurs concernés par ces conventions – débute cette semaine [lundi 21 octobre] dans la ville colombienne animée de Cali.

26 octobre 2024 | tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/ameriques/amelat/colombie/la-protection-de-la-biodiversite-capturee-par-des-grands-organismes-une-nouvelle-tendance-a-la-marchandisation-de-la-nature.html

Cette fois-ci, la COP16 est particulièrement importante car elle est censée résoudre des questions vitales mais restée en suspens concernant le nouveau « plan d'action » mondial pour la biodiversité [1], connu sous le nom de Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal [plan adopté lors de la COP15 en 2022].

Ne vous laissez pas tromper par ce titre typiquement conventionnel : ce qui est en jeu ici pourrait avoir des conséquences dramatiques pour des millions de personnes dans le monde, en particulier pour les communautés autochtones [au sens de originaires du lieu où elles vivent] et locales, car le cadre présente un certain nombre de failles fatales.

Celles-ci signifient collectivement que ce qui aurait pu, et dû, être une initiative transformatrice ne fait que répéter la même vieille approche de la « protection de la biodiversité », en promouvant un modèle colonial verticaliste, piloté par les gouvernements et les agences internationales, qui est enraciné dans le racisme et qui a été largement discrédité, mais qui persiste malgré tout.

La décision de financer sa mise en œuvre non pas par la création d'un fonds mondial innovant, comme le souhaitaient de nombreux pays du Sud, mais plutôt par la création d'un fonds placé sous les auspices du Fonds pour l'environnement mondial [FEM, créé en 1991], une collaboration de longue date entre la Banque mondiale, diverses agences des Nations unies et des gouvernements, est symptomatique de la manière dont le nouveau plan d'action a été coopté dès le départ.

Le choix du Fonds pour l'environnement mondial s'est avéré très problématique, car l'organisation n'exige pas que les peuples autochtones aient le droit de donner leur consentement préalable, libre et éclairé pour tout projet qu'elle finance et qui pourrait avoir une incidence sur leur vie, leurs terres et leurs droits. [« Selon certaines estimations, les territoires autochtones traditionnels couvriraient jusqu'à 24% de la surface du globe, et recèleraient 80% des écosystèmes préservés et des zones prioritaires pour la protection de la biodiversité mondiale. » (In « Communautés autochtones et biodiversité », FEM, avril 2008) – Réd.]

Et comme le nouveau fonds, connu sous le nom de Fonds-cadre mondial pour la biodiversité (GBFF-Global Biodiversity Framework Fund), est en quelque sorte une filiale du FEM, il en a adopté les règles. Ainsi, il n'acceptera que les propositions de financement de nouveaux projets relatifs à la biodiversité émanant de l'une des « agences du FEM » agréées. Il s'agit d'un groupe de 18 institutions qui sont toutes des banques de développement multinationales ou de grandes sociétés de conservation comme le WWF ou Conservation International qui ont un long passé de complicité dans les violations des droits de l'homme.

Suivre l'argent

Survival a analysé les documents relatifs aux 22 projets approuvés à ce jour. Ce que nous avons trouvé suggère que les pires craintes des détracteurs du GBFF étaient amplement justifiées :

  • Sur les 22 projets approuvés jusqu'à présent, un seul est susceptible de bénéficier aux populations autochtones et leur est clairement destiné.
  • Le total des rémunérations à payer aux agences proposantes – c'est-à-dire au-delà des coûts réels des activités du projet – s'élève à 24% du total des fonds disponibles. La proportion des fonds du projet restant au sein de ces agences sera probablement encore plus élevée.
  • Parmi les agences de proposition (et de mise en œuvre), la section états-unienne du WWF est celle qui a le mieux réussi à capter les fonds. Ses cinq projets ou concepts approuvés (y compris les subventions pour la préparation) représentent 36 millions de dollars, soit presque exactement un tiers du financement total. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et Conservation International (CI), qui ont respectivement neuf et deux projets, représentent chacun environ un quart du total des fonds. Avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), ces agences recevront 85% des 110 premiers millions de dollars de financement.
  • L'un des projets financera (par l'intermédiaire du WWF) des zones protégées en Afrique qui ont une longue histoire de dépossession des populations indigènes de leurs terres et de brutalité à leur égard de la part des éco-gardes [chargés de relayer sur le terrain les politiques environnementales engagées à divers niveaux].

Une grande partie des fonds est consacrée à l'objectif « 30×30 », qui consiste à porter l'étendue des zones protégées à 30% des terres et des mers de la planète d'ici à 2030. Cet objectif est particulièrement préoccupant, car les parcs nationaux, les réserves de faune et de flore et les autres zones de conservation constituent déjà l'une des plus grandes menaces pour les populations autochtones.

Ces parcs ont presque toujours été le théâtre d'expulsions et d'exclusions brutales, de violences et de la destruction des moyens de subsistance des populations autochtones. Ces problèmes perdurent aujourd'hui, comme l'atroce expulsion de milliers de Massaïs de la zone de conservation de Ngorongoro, en Tanzanie.

Survival International estime que la structure et le fonctionnement de ce modèle de financement sont fondamentalement erronés. Ce modèle penche fortement en faveur des projets de conservation « business as usual », de haut en bas, plutôt que de promouvoir une nouvelle approche de la protection de la biodiversité, basée sur les droits, qui fait cruellement défaut. De plus, il est presque entièrement inaccessible aux populations autochtones elles-mêmes.

Nous pensons que l'ensemble du mécanisme de financement doit être reconsidéré. Le GBFF doit être réorienté de manière à ce que le financement soit principalement destiné aux peuples autochtones et aux communautés locales. Le financement de projets nouveaux ou élargis de « conservation forteresse » devrait être interdit.

Plus généralement, les sommes extraordinairement élevées (telles que 700 milliards de dollars par an) prétendument nécessaires à la protection de la biodiversité sont proposées par des sociétés de conservation qui ont tout intérêt à créer de tels objectifs. La protection de la biodiversité nécessiterait beaucoup moins de fonds si l'accent était mis sur une reconnaissance plus large des terres et des droits des peuples autochtones, plutôt que sur l'approche coûteuse, coloniale, de haut en bas et militarisée, qui reste le pilier économique de l'industrie de la conservation.

Les crédits de biodiversité : une nouvelle menace

Comme si tout cela n'était pas assez inquiétant, la COP16 verra le lancement d'un certain nombre d'initiatives visant à créer des crédits de biodiversité.

Le concept des crédits de biodiversité est similaire à celui des marchés du carbone, où les entreprises ou les organisations peuvent prétendument « compenser » leur pollution à l'origine du changement climatique en achetant des crédits de carbone à des projets réalisés ailleurs, qui sont censés prévenir les émissions de carbone ou éliminer activement le carbone de l'atmosphère. En réalité, tant l'idée que la pratique sont profondément erronées : ces projets donnent un prix à la nature, traitant les terres des communautés autochtones et locales comme un stock de carbone à échanger sur le marché pour que les pollueurs puissent continuer à polluer, tandis que l'industrie de la conservation en profite à hauteur de milliards de dollars. Les peuples autochtones et les communautés locales, quant à eux, se retrouvent dépossédés et dépouillés de leurs moyens de subsistance.

Les crédits de biodiversité, tout comme les crédits de carbone, s'inscrivent dans le cadre d'une nouvelle tendance à la marchandisation de la nature. Une déclaration récente de plus de 250 organisations environnementales, de défense des droits de l'homme, de développement et communautaires du monde entier (dont Survival International) appelle à une suspension immédiate du développement des systèmes de biocrédit [Biodiversity markets are false solutions, biomarketwatch.info, version française Déclaration de la société civile sur les mesures compensatoires et les crédits en faveur de la biodiversité).

Outre les problèmes techniques, moraux, philosophiques et pratiques que pose le fait de donner un prix à la conservation d'espèces ou d'écosystèmes entiers et de les échanger contre leur destruction ailleurs, cette idée représente une grave menace pour les populations autochtones. Celles-ci seraient confrontées à une pression croissante liée à l'accaparement des terres, les projets de compensation biologique cherchant à tirer profit de la biodiversité souvent riche des lieux où vivent les peuples autochtones et qu'ils gèrent depuis des générations.

Des problèmes similaires se sont déjà produits à maintes reprises dans le cadre de projets de compensation des émissions de carbone. De nombreux dirigeants autochtones affirment simplement que la marchandisation de la nature implicite dans le biocrédit et le commerce s'opposent frontalement à leurs visions du monde et à leurs valeurs.

Quels sont donc les espoirs que l'on peut placer dans cette COP16 ? Pas grand-chose, répond-on honnêtement. L'ensemble du processus de protection de la biodiversité a été confisqué presque aussitôt qu'il a commencé par les mêmes institutions qui se sont enrichies aux dépens des peuples autochtones – les gardiens d'une grande partie de la biodiversité mondiale – pendant des décennies.

Le droit des peuples autochtones à donner – ou à refuser – leur consentement libre, préalable et éclairé à tout projet les concernant doit au moins être respecté. Les organisations autochtones, en collaboration avec leurs alliés, feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que ce soit le cas.

La réponse à la question de savoir comment protéger la biodiversité mondiale est en fait très simple : respecter les droits fonciers des peuples autochtones et s'attaquer aux causes sous-jacentes de la destruction de la biodiversité, à savoir l'exploitation des ressources de la planète à des fins lucratives. Il serait bienvenu que cela figure en tête de l'ordre du jour de la conférence des parties. (Article publié par Survival International le 21 octobre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Fiore Longo est chercheuse et militante à Survival International, le mouvement mondial des peuples autochtones. Elle est également directrice de Survival International France et Espagne. Elle coordonne la campagne Decolonize Conservation de Survival.


[1] A propos de la COP16, deux questions : « Comment a-t-on historiquement établi un lien entre les pertes de la biodiversité et l'activité humaine ? Comment ce champ de recherche a-t-il évolué historiquement ? », on peut écouter sur France Culture du 22 octobre l'intervention de Philippe Grandcolas, écologue, directeur adjoint scientifique national pour l'Écologie et l'Environnement au CNRS. (Réd.)

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Exécutions extra-judiciaires : la vengeance contre le droit

29 octobre 2024, par Roland Schaer — ,
L'attaque israélienne au Liban a déclenché une vague « d'exécutions extra-judiciaires », justifiées par une « guerre contre le terrorisme » s'affranchissant du droit. Dans (…)

L'attaque israélienne au Liban a déclenché une vague « d'exécutions extra-judiciaires », justifiées par une « guerre contre le terrorisme » s'affranchissant du droit. Dans cette logique de vengeance où le « terroriste » est exclu du champ juridique et politique, les objectifs des deux camps se rejoignent dans une symétrie troublante : à tout prix, ne pas faire la paix, et nier l'existence de l'autre comme être politique.

17 octobre 2024 | tiré de aoc.media
https://aoc.media/opinion/2024/10/16/executions-extra-judiciaires-la-vengeance-contre-le-droit/

Le débat semble clos. Quand l'armée israélienne a déclenché sa contre-offensive contre le Hezbollah au Sud-Liban, elle a d'abord procédé massivement par « exécutions extra-judiciaires », ou, comme on dit encore, par « assassinats ciblés ». À ma connaissance, le recours à ce procédé n'a posé de problème à personne. Silence assourdissant.

Après l'assassinat de Nasrallah, le président Biden, rappelant l'attentat perpétré par le Hezbollah contre des soldats américains en octobre 1983, a salué « une mesure de justice ». De fait, il parlait de vengeance. De fait, il tenait la vengeance pour la justice. Sans doute nous sommes-nous habitués.

Depuis les années 2000, Israël a multiplié ce type d'opération, à Gaza, en territoire libanais, en territoire syrien, en territoire iranien… Dans les années 2010, l'administration Obama en a fait de même, à grande échelle, en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen. La capture et l'exécution de Ben Laden en furent l'apothéose. Le président Hollande a commandité lui aussi, comme il l'a évoqué, au moins un « assassinat ciblé ». Gages d'honorabilité ? Reste qu'à l'époque, dans la plupart des cas, ces opérations avaient suscité des débats, parfois vifs, quant à leur légitimité.

Apparemment, ce temps est révolu. C'est l'argument de la « lutte contre le terrorisme », inlassablement repris, qui a balayé les questions de droit, en un temps où, plus largement, le droit international semble en coma dépassé. Faut-il se résigner à cette défaite ? Faut-il admettre, sans s'en alarmer, que nous sommes entrés dans une ère où la force fait droit, où la vengeance pure est de retour ?

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, dès la conférence de Téhéran (novembre 1943), puis à Yalta (février 1945), les dirigeants alliés, Roosevelt, Staline et Churchill, avaient engagé des discussions sur la manière dont il faudrait « punir » les dirigeants nazis à la fin des hostilités. Dans un premier temps, Churchill et Roosevelt étaient partisans d'une exécution sans jugement. Staline voulait un procès. De Gaulle, consulté en 1945, se prononça également en faveur du procès. Finalement, c'est Truman, arrivé à la présidence des États-Unis après le décès de Roosevelt en avril 1945, qui fléchit Churchill.
Le procès de Nuremberg s'ouvrit en novembre et jugea vingt-quatre hauts responsables nazis.

Nuremberg a été un très puissant catalyseur dans le processus d'élaboration d'un droit pénal international. Il a permis une définition plus précise du « crime contre la paix », ce délit relevant du jus ad bellum que nous appelons aujourd'hui crime d'agression. Il a stimulé la formulation des « crimes de guerre » (le jus in bello), en particulier quant au traitement des populations civiles dans les conflits armés, il a introduit la notion de crime contre l'humanité et préfiguré la catégorie de génocide. Le statut de Rome, qui porte la création de la Cour Pénale Internationale, adopté en juillet 1998, et entré en vigueur en juillet 2002, est le descendant direct du procès de Nuremberg. Comme souvent, ce sont les grands procès qui font avancer le droit.

Cela étant, il y a un paradoxe dans l'idée d'un tribunal pénal international. Il juge au nom d'un droit qui limite la souveraineté des États, sans qu'il puisse pour autant s'appuyer sur une puissance supranationale, sur une force capable de faire appliquer ses décisions, comme le fait un État – justice et police – à l'échelle des nations. L'État, dépositaire du monopole de la violence légitime, est ce Léviathan qui interdit aux particuliers de se faire justice eux-mêmes. Ce faisant, il met fin à l'ère des vengeances.

Dans Les Euménides, la dernière tragédie du cycle de l'Orestie d'Eschyle, les dieux décident qu'Oreste, qui a tué sa mère, sera jugé par un tribunal composé de citoyens d'Athènes, appelé à juger en vertu des lois de la cité. Les Erinyes, ces anciennes déesses assoiffées de sang qui réclamaient vengeance, voient alors leur règne finir. Elles deviennent les « Euménides », les « bienveillantes », des divinités chargées de protéger la cité. Fin du cycle interminable des vengeances. La tragédie célèbre l'avènement de l'État comme lieu unique du droit.

La transposition d'un tel dispositif à l'échelle des rapports internationaux est évidemment un exercice fragile. Reste que c'est l'honneur de l'après-guerre, une leçon tirée des crimes perpétrés par les nazis, une tentative pour mettre l'inhumanité hors-la-loi. Il est vrai que ce tribunal fut celui des vainqueurs. Faut-il pour autant tenir Nuremberg pour le dernier éclat de l'âge des Lumières, désormais révolu ?

La « guerre contre le terrorisme » s'affranchit du droit de la guerre. Le raisonnement crée une symétrie mimétique entre l'acte terroriste et la guerre contre le terrorisme.

On l'a dit, c'est au nom de la lutte contre le terrorisme, cette guerre asymétrique qui en général oppose des États à des groupes armés non-étatiques, que sont justifiées les exécutions extrajudiciaires. En ce sens, nous serions dans une situation incomparable avec celle qui a rendu possible Nuremberg, ou la traque et la capture d'Adolf Eichmann par le Mossad en 1960, suivies de son retentissant procès à Jérusalem.

À l'occasion d'une délibération de la Cour Suprême israélienne en décembre 2006, les représentants de l'État ont avancé l'argument suivant : les terroristes doivent être considérés comme des « combattants illégaux ». Portant des armes, ils ne sont plus des civils, mais ils ne sont pas non plus des combattants, puisqu'ils ne respectent pas le droit de la guerre. Les détruire relève donc de la légitime défense.

Le raisonnement consiste, au motif que le terroriste, dans ses crimes, exclut son adversaire du champ du droit en exerçant une violence pure, à exclure en retour le « terroriste » de ce même champ du droit, à la fois du droit de la paix et du droit de la guerre ; il ne relève plus de quelque droit que ce soit. Ce faisant, il entraînerait l'État qui le combat dans le monde du non-droit. Ce qui revient à dire que cet État s'exonère lui-même du droit, c'est-à-dire légitimise pour soi les procédés auxquels recourt le terrorisme. La « guerre contre le terrorisme » s'affranchit du droit de la guerre. Le raisonnement crée une symétrie mimétique entre l'acte terroriste et la guerre contre le terrorisme.

Il faut alors revenir à cette qualification de « terroriste ». Elle a d'une part une dimension purement juridique ; l'ONU en a esquissé une définition, inaboutie, le Conseil de l'Union Européenne, dans une décision-cadre de juin 2002, en a établi une définition plus complète, qui fait autorité en Europe. Il ne fait pas de doute qu'à la lumière de ces textes, il est parfaitement légitime – et nécessaire – de qualifier le 7 octobre d'acte terroriste. Par ailleurs – même si je n'ai aucune légitimité à dire cela – je crois justifié, à propos de ces massacres, de parler de « crimes de guerre » et de « crimes contre l'humanité », tels que définis par le protocole de Rome.

Cela étant, la qualification de « terroriste », à côté de sa définition strictement juridique, porte en elle une autre charge sémantique : elle consiste en une double exclusion ; le terroriste est mis hors champ juridique, comme on vient de le voir, et, par conséquent, hors champ politique.

Chaque protagoniste nie toute existence politique à son ennemi. Le terroriste n'appartient plus au monde où l'on se parle. Comme on dit, « on ne discute pas avec les terroristes » parce qu'avec eux, aucune relation contractuelle, donc aucune paix, n'est à jamais envisageable, comme font deux États belligérants qui concluent leur guerre par un traité. C'est admettre d'une part que la violence terroriste est inextinguible, parce que d'essence. Le terroriste est à jamais réduit à ses actes, c'est-à-dire à ses crimes. Et c'est admettre du même coup que la guerre contre le terrorisme ne s'achèvera qu'avec l'extermination complète de ses partisans, qu'elle implique d'aller tout au bout de la vengeance.

C'est précisément ce tabou que Yitzhak Rabin et Yasser Arafat avaient courageusement brisé au début des années 1990. Ils avaient vu qu'au contraire le cycle formé par les actes terroristes et par la « guerre au terrorisme » est une spirale infinie, chaque terroriste mort « en martyr » faisant naître d'autres terroristes assoiffés de vengeance. Ils avaient vu qu'à laisser la vengeance commander la politique, la violence ne s'arrête jamais. Ils avaient tenté de restaurer le politique contre la guerre : de fabriquer du droit pour mettre fin aux vengeances.

Rabin en est mort assassiné par un colon juif ultranationaliste religieux. Autrement dit, pour des raisons extraordinairement profondes, l'argument selon lequel, en « ciblant » un terroriste, on sauve les vies qu'il aurait pu supprimer, est un argument qui ne tient pas.

Les objectifs réels du terrorisme et ceux de la stratégie des exécutions extrajudiciaires sont identiques de part et d'autre, et étrangement mimétiques : à tout prix, ne pas faire la paix. À tout prix, nier l'existence de l'autre comme être politique.

Roland Schaer
Philosophe

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Les BRICS et le FMI : pas de retour à Bretton Woods

29 octobre 2024, par Michael Roberts — , ,
Cette semaine, la réunion semi-annuelle du FMI et de la Banque mondiale se tient à Washington, aux États-Unis. Au même moment, le groupe BRICS+ se réunit à Kazan, en Russie. (…)

Cette semaine, la réunion semi-annuelle du FMI et de la Banque mondiale se tient à Washington, aux États-Unis. Au même moment, le groupe BRICS+ se réunit à Kazan, en Russie. Que ces deux réunions aient lieu en même temps illustre bien l'évolution de l'économie mondiale en 2024.

Tiré de Vientosur
FMI y BRICS : no volver a Bretton Woods23 octobre 2023

Michael Roberts

(Traduit de l'anglais par Ovide Bastien)

Après la Seconde Guerre mondiale, le FMI et la Banque mondiale sont devenus les principales agences de coopération internationale et d'action sur l'économie mondiale. Ces institutions sont issues des accords de Bretton Woods de 1944, qui ont défini le futur ordre économique mondial à mettre en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale. À l'époque, le président états-unien Franklin Roosevelt avait prononcé ces paroles prophétiques :

« La période actuelle de l'histoire est riche de promesses et de dangers. Soit le monde évoluera vers l'unité et une prospérité largement partagée, soit il se divisera en blocs économiques forcément concurrents ».

Roosevelt faisait référence à la division entre les États-Unis et leurs alliés et l'Union soviétique. Cette « guerre froide » a pris fin avec l'effondrement de cette dernière en 1990. Mais 35 ans plus tard, les mots de Roosevelt s'inscrivent dans un nouveau contexte : entre les États-Unis et leurs alliés et un bloc émergent de nations du « Sud ».

L'ordre économique mondial adopté à Bretton Woods a fait des États-Unis la puissance économique hégémonique du monde. En 1945, ils étaient la plus grande nation manufacturière du monde, ils avaient le secteur financier le plus important, ainsi que les forces militaires les plus puissantes. De plus ils dominaient, grâce à l'utilisation internationale du dollar, le commerce et l'investissement au niveau international.

John Maynard Keynes a été fortement impliqué dans l'accord de Bretton Woods. À la suite de cet accord, il déclarait cependant que son « idée visionnaire d'une nouvelle institution visant à équilibrer plus équitablement les intérêts de pays créanciers et débiteurs avait été rejetée ».

Le biographe de Keynes, Robert Skidelsky, a décrit les conséquences de ce rejet :

« Naturellement, les États-Unis, grâce à leur puissance économique, obtenaient ce qu'ils voulaient. La Grande-Bretagne renonçait à son droit de contrôler les monnaies de son ancien empire, dont les économies étaient désormais soumises au dollar, et non plus à la livre sterling. Cependant, elle obtenait, en contrepartie, des crédits pour survivre, mais avec des intérêts à payer. »

L'accord ne représentait pas, Keynes déclarait au parlement britannique, « une affirmation de la puissance américaine mais plutôt un compromis raisonnable entre deux grandes nations ayant le mêmes objectif, c'est-à-dire restaurer une économie mondiale libérale ».

Les autres nations, bien sûr, furent ignorées.

Depuis lors, les États-Unis et leurs alliés européens dominent le FMI et la Banque mondiale, tant au niveau du personnel que des politiques. En dépit de quelques réformes mineures concernant le vote et la prise de décision au cours des 80 dernières années, le FMI continue d'être dirigé par le G7, ne permettant pratiquement pas aux autres pays de s'exprimer. Le conseil d'administration du FMI compte 24 sièges au total, le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, l'Allemagne, l'Arabie saoudite, le Japon et la Chine disposant chacun d'un siège individuel - et les États-Unis ayant le pouvoir d'opposer leur veto à toute décision importante.

En ce qui concerne la politique économique, le FMI est peut-être surtout connu pour avoir imposé des « programmes d'ajustement structurel ». Les prêts du FMI étaient « accordés » aux pays en détresse économique à condition qu'ils acceptent d'équilibrer leurs déficits, de comprimer les dépenses publiques, d'ouvrir leurs marchés et de privatiser des secteurs clés de l'économie. La politique la plus largement recommandée par le FMI reste toujours de réduire ou de geler les salaires du secteur public. Et le FMI refuse toujours de réclamer des impôts progressifs sur les revenus et les richesses des particuliers et des entreprises les plus riches. En 2024, 54 pays seront en crise d'endettement et nombre d'entre eux consacrent plus d'argent au service de leur dette qu'au financement de l'éducation ou de la santé. Certains des cas les plus graves ont été mis en évidence sur ce blog.

Les critères de la Banque mondiale pour les prêts et l'aide aux nations les plus pauvres restent également dans le cadre de la vision économique dominante selon laquelle l'investissement public est fait simplement pour encourager le secteur privé à prendre en charge la tâche de l'investissement et du développement. Les économistes de la Banque mondiale ignorent le rôle de l'investissement et de la planification de l'État. Au lieu de cela, ils veulent créer « des marchés globalement compétitifs, réduire les réglementations concernant le marché des facteurs de productions et celui des produits, laisser disparaître les entreprises improductives, renforcer la concurrence, renforcer les marchés des capitaux... ».

Kristalina Georgieva vient d'être reconduite pour un second mandat à la tête du FMI. Elle parle désormais de politiques économiques « inclusives ». Elle affirme vouloir renforcer « la collaboration mondiale et réduire les inégalités économiques ». Le FMI prétend qu'il se préoccupe désormais des conséquences négatives de l'austérité fiscale, citant souvent la façon dont les dépenses sociales devraient être protégées des coupes par des conditions qui établissent des planchers de dépenses. Pourtant, une analyse d'Oxfam portant sur dix-sept programmes récents du FMI a révélé que pour chaque dollar que le FMI encourageait ces pays à dépenser pour la protection sociale, il leur demandait d'en réduire quatre par des mesures d'austérité. L'analyse a conclu que les planchers de dépenses sociales étaient « profondément inadéquats, incohérents, opaques et, en fin de compte, voués à l'échec ».

Jusqu'à récemment, le FMI considérait qu'une croissance plus rapide dépendait d'une productivité plus élevée, de la libre circulation des capitaux, de la mondialisation du commerce international et de la « libéralisation » des marchés, y compris des marchés du travail (ce qui signifie l'affaiblissement des droits des travailleurs et des syndicats). L'inégalité n'entrait pas en ligne de compte. Telle était la formule néolibérale de la croissance économique.

Cependant, l'expérience de la grande récession de 2008-9 et de la pandémie de 2020 semble avoir donné une leçon qui donne à réfléchir à la hiérarchie économique du FMI. Aujourd'hui, l'économie mondiale souffre d'une « croissance anémique »

Le FMI est donc inquiet. Selon Georgieva, la raison pour laquelle les principales économies connaissent un ralentissement et une faible croissance du PIB réel est la montée en flèche des inégalités de richesse et de revenu : « Nous avons l'obligation de corriger ce qui a été le plus grand problème au cours des 100 dernières années - la persistance d'une forte inégalité économique. Les recherches du FMI montrent qu'une plus faible inégalité des revenus peut être associée à une croissance plus forte et plus durable. » Le changement climatique, la montée des inégalités et la « fragmentation » géopolitique accrue menacent également l'ordre économique mondial et la stabilité du tissu social du capitalisme. Il faut donc agir, affirme-t-elle.

Au cours de la longue dépression de la décennie 2010, la mondialisation s'est fragmentée selon des lignes géopolitiques - environ 3 000 mesures de restriction des échanges ont été imposées en 2023, soit près de trois fois plus qu'en 2019. Georgieva est inquiète : « La fragmentation géoéconomique s'accentue à mesure que les pays déplacent les flux commerciaux et les flux de capitaux. Les risques climatiques augmentent et affectent déjà les performances économiques, de la productivité agricole à la fiabilité des transports, en passant par la disponibilité et le coût des assurances. Ces risques pourraient freiner les régions ayant le plus grand potentiel démographique, comme l'Afrique subsaharienne ».

Dans le même temps, la hausse des taux d'intérêt et des coûts du service de la dette pèse sur les budgets publics, ce qui réduit la marge de manœuvre des pays pour fournir des services essentiels et investir dans les personnes et les infrastructures.

Georgieva souhaite donc adopter une nouvelle approche pour son nouveau mandat de cinq ans. L'ancien modèle néolibéral de croissance et de prospérité doit être remplacé par une « croissance inclusive » qui vise à réduire les inégalités et pas seulement à augmenter le PIB réel. Les questions clés devraient désormais être « l'inclusion, la durabilité et la gouvernance mondiale, en mettant l'accent sur l'éradication de la pauvreté et de la faim ».

Mais le FMI ou la Banque mondiale peuvent-ils vraiment changer quelque chose, même si Georgieva le souhaite, alors que les États-Unis et leurs alliés contrôlent ces institutions ? Les conditions des prêts du FMI n'ont pratiquement pas changé. Il y a peut-être un allègement de la dette (c'est-à-dire une restructuration des prêts existants), mais pas d'annulation des dettes onéreuses. En ce qui concerne les taux d'intérêt sur ces prêts, le FMI impose en fait des pénalités supplémentaires cachées aux pays très pauvres qui ne sont pas en mesure d'honorer leurs obligations de remboursement ! Après une levée de boucliers contre ces pénalités, ces taux ont récemment été réduits (et non supprimés), réduisant ainsi les coûts pour les débiteurs de (seulement) 1,2 milliard de dollars par an.

Christine Lagarde, directrice de la Banque centrale européenne (BCE), était la précédente directrice du FMI. Au printemps dernier, elle a prononcé un important discours devant le Conseil américain des relations étrangères à New York. Lagarde a évoqué avec nostalgie la période qui a suivi l'effondrement de l'Union soviétique dans les années 1990, censée annoncer une nouvelle période de prospérité et de domination mondiale par les États-Unis et leur « alliance de volontaires ». « Après la guerre froide, le monde a bénéficié d'un environnement géopolitique remarquablement favorable. Sous la direction hégémonique des États-Unis, les institutions internationales fondées sur des règles ont prospéré et le commerce mondial s'est développé. Cela a conduit à un approfondissement des chaînes de valeur mondiales et, avec l'arrivée de la Chine dans l'économie mondiale, à une augmentation massive de l'offre de main-d'œuvre au niveau mondial.

C'était l'époque de la vague de mondialisation, de l'augmentation des échanges commerciaux et des flux de capitaux, de la domination des institutions de Bretton Woods, telles que le FMI et la Banque mondiale, qui dictaient les conditions de crédit, et surtout, de l'espoir que la Chine serait intégrée au bloc impérialiste après son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001.

Cependant, cela n'a pas fonctionné comme prévu. La vague de mondialisation s'est brusquement arrêtée après la grande récession et la Chine n'a pas joué le jeu en ouvrant son économie aux multinationales occidentales. Cela a contraint les États-Unis à modifier leur politique à l'égard de la Chine, passant de l'« engagement » à l'« endiguement », et ce avec une intensité croissante au cours des dernières années. Ensuite, les États-Unis et leurs satellites européens ont renouvelé leur détermination à étendre leur contrôle vers l'est et à faire en sorte que la Russie échoue dans sa tentative d'exercer un contrôle sur ses pays frontaliers et d'affaiblir de façon permanente la Russie en tant que force d'opposition au bloc impérialiste. C'est ce qui a conduit à l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Cela nous amène à la montée en puissance du bloc des pays du BRICS. BRICS est l'acronyme pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, les premiers membres de ce bloc. Se tient maintenant à Kazan la première réunion des BRICS-plus avec ses nouveaux membres que sont l'Iran, l'Égypte, l'Éthiopie, les Émirats arabes unis (et peut-être l'Arabie saoudite).

La gauche est très confiante que l'émergence du groupe des BRICS modifiera l'équilibre des forces économiques et politiques à l'échelle mondiale. Car les cinq pays originaux des BRICS ont aujourd'hui un PIB combiné supérieur à celui du G7 en termes de parité de pouvoir d'achat (une mesure de ce que le PIB peut acheter au niveau national en termes de biens et de services). Et si l'on ajoute les nouveaux membres, cet écart se creuse encore davantage.

Il existe toutefois des mises en garde. Tout d'abord, au sein des BRICS, c'est la Chine qui fournit l'essentiel du PIB des BRICS (17,6 % du PIB mondial), suivie de loin par l'Inde (7 %), tandis que la Russie (3,1 %), le Brésil (2,4 %) et l'Afrique du Sud (0,6 %) ne représentent ensemble que 6,1 % du PIB mondial. Il ne s'agit donc pas d'un pouvoir économique équitablement partagé au sein des BRICS. En plus, si l'on mesure le PIB par personne, les BRICS font piètre figure, car même en utilisant des dollars internationaux ajustés à la parité des pouvoirs d'achat, le PIB par habitant des États-Unis s'élève à 80 035 dollars, soit plus de trois fois celui de la Chine, qui ne s'élève qu'à 23 382 dollars.

Le groupe BRICS+ demeure donc une force économique beaucoup plus petite et plus faible que le bloc impérialiste du G7. En outre, les BRICS sont très hétérogènes en termes de population, de PIB par habitant, de géographie et de composition commerciale. Les élites dirigeantes de ces pays sont souvent en conflit (Chine contre Inde, Brésil contre Russie, Iran contre Arabie saoudite). Contrairement au G7, qui a des objectifs économiques de plus en plus homogènes sous le contrôle hégémonique des États-Unis, le groupe des BRICS est disparate en termes de richesse et de revenu et n'a pas d'objectifs économiques unifiés - sauf peut-être celui d'essayer de s'éloigner de la domination économique des États-Unis et, en particulier, du dollar américain.

Et même ce dernier objectif sera difficile à atteindre. Comme je l'ai souligné dans des articles précédents, même si la domination économique des États-Unis dans le monde et le dollar a connu un déclin relatif, ce dernier reste de loin la monnaie la plus importante pour le commerce, l'investissement et les réserves nationales au niveau international. Environ la moitié du commerce mondial est facturée en dollars et cette part n'a guère changé. Le dollar a été impliqué dans près de 90 % des opérations de change mondiales, ce qui en fait la monnaie la plus échangée sur le marché des changes. Environ la moitié des prêts transfrontaliers, des titres de créance internationaux et des factures commerciales sont libellés en dollars américains, tandis qu'environ 40 % des messages SWIFT et 60 % des réserves de change mondiales sont libellés en dollars.

Le yuan chinois continue de gagner progressivement du terrain et la part du renminbi dans les opérations de change mondiales est passée de moins de 1 % il y a 20 ans à plus de 7 % aujourd'hui. Mais la monnaie chinoise ne représente toujours que 3 % des réserves de change mondiales, contre 1 % en 2017. Et la Chine ne semble pas avoir modifié la part du dollar dans ses réserves au cours des dix dernières années.

John Ross a soulevé des points similaires dans son excellente analyse au sujet de la « dédollarisation ». « En bref, les pays/entreprises/institutions qui s'engagent dans la dédollarisation subissent ou risquent de subir des coûts et des risques importants, » affirme Ross. « En revanche, il n'y a pas de gains immédiats équivalents à tirer de l'abandon du dollar. Par conséquent, la grande majorité des pays/entreprises/institutions ne se dédollariseront pas à moins d'y être contraints. Le dollar ne peut donc pas être remplacé comme unité monétaire internationale sans un changement complet de la situation internationale globale, pour lequel les conditions internationales objectives ne sont pas encore réunies. »

En outre, les institutions multilatérales qui pourraient constituer une alternative au FMI et à la Banque mondiale existants (contrôlés par les économies impérialistes) sont encore minuscules et faibles. Par exemple, la Nouvelle banque de développement des BRICS (NDB) a été créée en 2015 à Shanghai. Celle-ci est dirigée par l'ancienne présidente de gauche du Brésil, Dilma Rousseff. On entend fréquemment dire que la NDB peut fournir un pôle de crédit opposé aux institutions impérialistes du FMI et de la Banque mondiale. Mais il reste un long chemin à parcourir pour y parvenir. Un ancien fonctionnaire de la South African Reserve Bank (SARB) affirmait récemment que « l'idée que les initiatives des BRICS, dont la plus importante jusqu'à présent a été la NDB, supplanteront les institutions financières multilatérales dominées par l'Occident est une chimère ».

Et comme le soulignait récemment Patrick Bond : « Le groupe des BRICS trop souvent tient un discours de gauche mais agit concrètement à droite dans la finance mondiale. En témoignent non seulement son soutien financier vigoureux au Fonds monétaire international au cours des années 2010, mais aussi, plus récemment, la décision de sa Nouvelle banque de développement - censée être une alternative à la Banque mondiale - de geler son portefeuille russe au début du mois de mars, faute de quoi elle n'aurait pas conservé sa note de crédit occidentale de AA+ ». Et la Russie détient 20 % du capital de la NDB.

Les BRICS rassemblent un groupe hétéroclite de nations dont les gouvernements n'ont aucune perspective internationaliste, et certainement pas une perspective basée sur l'internationalisme de la classe ouvrière. Plusieurs d'entre eux sont dirigés par des régimes autocratiques où la voix des travailleurs compte peu ou pas du tout, ou par des gouvernements encore fortement liés aux intérêts du bloc impérialiste.

Revenons à Bretton Woods et à la prophétie de Roosevelt. De nombreux disciples modernes de Keynes considèrent les accords de Bretton Woods comme l'une des grandes réussites de la politique keynésienne dans la mise en place du type de coopération mondiale dont l'économie mondiale a besoin pour sortir de la dépression dans laquelle elle se trouve actuellement. Ce qu'il faut, en effet, c'est que toutes les grandes économies du monde se réunissent pour élaborer un nouvel accord sur le commerce et les monnaies, assorti de règles garantissant que tous les pays travaillent pour le bien de la planète. Deux Keynésiens du parti démocrate états-unien ont récemment argumenté « qu'il faut absolument adopter un autre type de vision du monde ». Pour comprendre cela, nous n'avons qu'à examiner les problèmes de notre époque, qu'il s'agisse de la crise environnementale, des inégalités de revenu et de richesse, ou de l'exclusion sociale... Concevoir un nouveau cadre économique mondial exige une concertation à l'échelle planétaire.

En effet, mais est-il vraiment possible qu'un amalgame de gouvernements qui exploitent et répriment souvent leur propre peuple, arrivent à résister à un bloc impérialiste dirigé par un régime de plus en plus protectionniste et militariste (avec Trump à l'horizon) ? Dans une telle situation, l'espoir d'un nouvel ordre mondial coordonné dans le domaine de l'argent, du commerce et de la finance est exclu. Un nouveau « Bretton Woods » équitable n'est pas sur le point de voir le jour au XXIe siècle, bien au contraire.

Revenons à Lagarde. Celle-ci affirme que ce sont « les forces économiques fondamentales » qui représentent « le facteur le plus important influençant l'utilisation des devises internationales ». En d'autres termes, d'une part, la tendance à l'affaiblissement des économies du bloc impérialiste, confrontées à une croissance très lente et à des effondrements pendant le reste de la décennie, et d'autre part, l'expansion continue de la Chine et même de l'Inde. La forte domination militaire et financière des États-Unis et de leurs alliés repose, en fin de compte, sur la très fragile base d'une productivité, d'un investissement et d'une rentabilité relativement faibles.

Voilà la recette d'une fragmentation et d'un conflit à l'échelle mondiale.

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Un sommet des BRICS en Russie qui n’offre pas d’alternative

29 octobre 2024, par CADTM — , ,
Le 16e sommet des BRICS a abouti, le 23 octobre 2024, à une déclaration finale en 134 points, qui indique clairement que ce bloc ne constitue pas une alternative favorable aux (…)

Le 16e sommet des BRICS a abouti, le 23 octobre 2024, à une déclaration finale en 134 points, qui indique clairement que ce bloc ne constitue pas une alternative favorable aux intérêts des peuples.

Tiré du site du CADTM.

Il n'y a aucun doute qu'il faut combattre la politique des grandes puissances impérialistes traditionnelles : les États-Unis et ses partenaires européens ainsi que le Japon. Il n'y a pas de doute que les pays impérialistes les plus agressifs sont de loin les États-Unis et Israël, dans le sillage desquels se placent l'Union européenne, le Royaume-Uni, le Japon, l'Australie, le Canada… qui acceptent tout ce qu'accomplit le gouvernement fasciste israélien.

Il y a un tel dégoût pour la politique de ces puissances impérialistes traditionnelles qu'une partie de la gauche considère que la politique des BRICS constitue une alternative encourageante même si beaucoup sont contre l'invasion de l'Ukraine par la Russie, tout en considérant que l'OTAN et Washington ont leur part de responsabilité.

C'est important d'analyser le contenu de la déclaration finale des BRICS adoptée à Kazan le 23 octobre 2024 afin de vérifier si ce bloc met en avant une alternative au modèle et aux politiques qui sont imposées par les puissances impérialistes traditionnelles (regroupée dans le G7 : États-Unis, Allemagne, France, Royaume-Uni, Canada, Japon, Italie et Union européenne). De toute manière, on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'émerge une alternative favorable aux peuples d'un conglomérat de pays tous dominés par une logique capitaliste (même si c'est à des degrés divers) et parmi lesquels les gouvernements qui répriment leur peuples sont majoritaires. Le résultat de la lecture de la déclaration finale dans son intégralité est sans appel : même au niveau des mots, on ne trouve pas de véritable différence avec les discours, les déclarations des principales puissances impérialistes traditionnelles et des institutions qu'elles dominent. Si, en plus, on prend la peine d'analyser la politique concrète des BRICS, on ne peut que conclure que pour promouvoir une alternative favorable à l'émancipation des peuples, pour renforcer la lutte contre les différentes formes d'oppression et pour affronter la crise écologique, il ne faut pas compter sur l'aide et l'action des BRICS.

Pour passer en revue les points les plus importants de la déclaration finale du sommet des BRICS, tenu en Russie, je suivrai, sauf à un endroit, l'ordre dans lequel les différents points se succèdent. Ceux et celles qui veulent lire l'ensemble de la déclaration, la trouveront sur le site du gouvernement russe : http://static.kremlin.ru/media/events/files/en/RosOySvLzGaJtmx2wYFv0lN4NSPZploG.pdf et sur d'autres sites officiels.

Pas de remise en cause du FMI et de la Banque mondiale :
Dans le point 11, les BRICS réaffirment le rôle central que doit jouer le Fonds monétaire international (FMI) :

11. « Nous réaffirmons notre volonté de maintenir un filet de sécurité financier mondial solide et efficace, avec en son centre un FMI »

Les BRICS se félicitent des discussions en cours au FMI sur l'évolution des droits de vote en son sein :

« Nous nous félicitons des travaux en cours du Conseil d'administration du FMI visant à élaborer, d'ici juin 2025, des approches possibles pour guider la poursuite du réalignement des quotes-parts ». « Il s'agit également de féliciter le FMI pour son intention de permettre aux pays d'Afrique subsaharienne, scandaleusement sous-représentés dans la direction du FMI, d'obtenir en son sein un siège supplémentaire. »

Les BRICS n'émettent aucune critique à l'égard des politiques néolibérales imposées par le FMI aux pays qui font appel à ses crédits.

Les BRICS n'exigent aucun changement de la part de la Banque mondiale et se contentent de dire à son propos : « Nous attendons avec intérêt l'examen de la participation de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) à l'horizon 2025. »

On ne trouve dans la déclaration aucune demande et aucun engagement pour l'annulation des dettes.

Suit, au point 12, une déclaration purement abstraite et sans intérêt sur la nécessaire amélioration du système monétaire et financier international.

Satisfecit pour les COP qui pourtant n'apportent aucune solution probante et soutien au marché du carbone

Au point 16, concernant les initiatives pour faire face à la crise écologique et au changement climatique, la déclaration ne fait aucune allusion à la profonde crise écologique et se félicite des avancées que représentent les derniers sommets COP sur le climat :

« Nous félicitons l'Égypte d'avoir accueilli la COP27 à Sharm El-Sheikh en 2022, où le Fonds de réponse aux pertes et dommages a été créé, et les Émirats arabes unis d'avoir accueilli la COP28 à Dubaï en 2023, où le Fonds a été rendu opérationnel. Nous nous félicitons du consensus obtenu par les Émirats arabes unis lors de la COP28, notamment de la décision intitulée « Résultats du premier bilan mondial », et du Cadre des Émirats arabes unis pour la résilience climatique mondiale. Nous nous engageons à ce que la COP29 en Azerbaïdjan soit couronnée de succès… Nous soutenons le leadership du Brésil qui accueillera la COP30 en 2025 et saluons la candidature de l'Inde qui accueillera la COP33 en 2028. »

Alors que les COP n'aboutissent sur aucun résultat probant et que les derniers ont été des caricatures, les BRICS se retrouvent de fait très proches des grandes puissances industrielles impérialistes traditionnelles en refusant de reconnaître que jusqu'ici les politiques adoptées ne permettent pas de fournir des réponses à la hauteur des enjeux. Malgré leurs désaccords et les tensions qui marquent leurs relations, les deux blocs s'entendent en pratique lors des COP pour ne pas adopter de mesures contraignantes suffisamment fortes pour faire face à la crise écologique. Chaque bloc défend les intérêts des industries polluantes. C'est frappant de constater que les BRICS ne dénoncent pas la politique irresponsable des anciennes puissances impérialistes et des grandes entreprises qui vivent des énergies fossiles.
De plus au point 85, les BRICS déclarent leur soutien au marché des permis d'émission de carbone

« Nous reconnaissons le rôle important que jouent les marchés du carbone en tant que l'un des moteurs de l'action en faveur du climat, et nous encourageons le renforcement de la coopération et l'échange d'expériences dans ce domaine. » (pour plus loin).

Le marché du carbone est au cœur du capitalisme vert, du greenwashing et de la poursuite de politiques prédatrices à l'égard de la nature.

Pour en savoir plus sur le marché du carbone, lire : Adam Hanieh, « Blanchissement de carbone — La « nouvelle ruée vers l'Afrique » du Golfe », publié le 14 août 2024

Condamnation d'Israël sans employer le mot génocide
Le point 30 aborde la situation en Israël-Palestine sans utiliser une seule fois le mot génocide pour désigner l'action criminelle du gouvernement israélien.

Nous réitérons notre grave préoccupation face à la détérioration de la situation et à la crise humanitaire dans le territoire palestinien occupé, en particulier l'escalade sans précédent de la violence dans la bande de Gaza et en Cisjordanie à la suite de l'offensive militaire israélienne, qui a entraîné des massacres et des blessures de civils, des déplacements forcés et la destruction généralisée d'infrastructures civiles. Nous soulignons la nécessité urgente d'un cessez-le-feu immédiat, global et permanent dans la bande de Gaza, de la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages et détenus des deux camps qui sont illégalement retenus en captivité, de l'acheminement durable et sans entrave de l'aide humanitaire à grande échelle dans la bande de Gaza et de la cessation de toutes les actions agressives. Nous dénonçons les attaques israéliennes contre les opérations humanitaires, les installations, le personnel et les points de distribution. (…) nous saluons les efforts continus de la République arabe d'Égypte, de l'État du Qatar et d'autres efforts régionaux et internationaux en vue de parvenir à un cessez-le-feu immédiat, d'accélérer l'acheminement de l'aide humanitaire et le retrait d'Israël de la bande de Gaza.

Les BRICS ne décrètent pas une rupture ou une suspension des relations commerciales et des traités de coopération avec Israël. Pire, comme Patrick Bond et d'autres auteurs l'ont montré, les BRICS continuent à fournir à Israël du pétrole, du gaz, du charbon, indispensables à ce pays pour continuer son effort de guerre. Cela est également vrai de la part du gouvernement d'Afrique du Sud qui bien qu'ayant déposé à juste titre une plainte contre Israël devant la Cour de justice internationale, continue de lui fournir du charbon.

Pour en savoir plus sur la poursuite des relations commerciales entre les BRICS et Israël pendant le génocide, lire en anglais ou en espagnol : Patrick Bond, ‘The Blessing' for genocide publié le 1 octobre 2024, - En Espagnol : La “bendición” para el genocidio

Certes ils condamnent au point 31. , « la perte de vies civiles et les immenses dégâts causés aux infrastructures civiles par les attaques menées par Israël contre des zones résidentielles au Liban et nous demandons la cessation immédiate des actes militaires » mais ils s'en tiennent à cela.

Au point 32, ils condamnent, sans désigner comme responsable le gouvernement d'Israël, « l'acte terroriste prémédité consistant à faire exploser des appareils de communication portatifs à Beyrouth, le 17 septembre 2024, qui a fait des dizaines de morts et de blessés parmi les civils » .

Condamnation sans les mentionner explicitement des actions Houthis qui tentent d'entraver les relations commerciales avec Israël
Au point 33, ils condamnent, sans les nommer, les actions des Houthis qui s'attaquent aux bateaux qui commercent avec Israël. Les BRICS affirment

« qu'il importe de garantir l'exercice des droits et libertés de navigation des navires de tous les États en mer Rouge et dans le détroit de Bab Al-Mandab ».

Absence de condamnation de l'invasion de l'Ukraine par la Russie et absence de critique explicite à l'égard de l'OTAN
Au point 36, les BRICS ne condamnent pas l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Ils écrivent :

« Nous rappelons les positions nationales concernant la situation en Ukraine et dans les environs, telles qu'elles ont été exprimées dans les enceintes appropriées, y compris le Conseil de sécurité des Nations unies et l'Assemblée générale des Nations unies. (…). Nous prenons note avec satisfaction des propositions pertinentes de médiation et de bons offices, visant à un règlement pacifique du conflit par le dialogue et la diplomatie. ».

Le fait qu'on ne trouve pas de critique de l'OTAN est vraisemblablement dû au fait que la Turquie était invitée au sommet.

Soutien aux partenariatx public-privé qui en réalité favorisent les grandes entreprises privées aux détriments des biens publics
À partir du point 61, les BRICS reviennent sur les questions financières. Ils se prononcent pour les partenariats public-privé en déclarant :

« Nous reconnaissons que le recours au financement mixte est un moyen efficace de mobiliser des capitaux privés pour financer des projets d'infrastructure. »

Ils ajoutent : « nous saluons les travaux du groupe de travail des BRICS sur les partenariats public-privé et les infrastructures ».

Soutien aux activités de la Nouvelle banque de développement créée par les BRICS en 2015 en parlant des crédits en monnaie locale alors que l'essentiel du financement passe toujours par le dollar des États-Unis

Au point 62, ils soulignent « le rôle clé de la Nouvelle banque de développement (NDB) (voir encadré sur la NDB) dans la promotion des infrastructures et du développement durable de ses pays membres. » Ils promettent une amélioration de sa gestion : « Nous soutenons la poursuite du développement de la NDB et l'amélioration de la gouvernance d'entreprise et de l'efficacité opérationnelle en vue de la réalisation de la stratégie générale de la NDB pour 2022-2026 ». Pour comprendre la référence à l'amélioration de la gouvernance de la NDB, il faut certainement prendre en compte l'avis du brésilien, Paulo Nogueira Batista qui a représenté de 2007 à 2015 le Brésil au FMI sous la présidence de Lula, et qui a été ensuite vice-président de la Nouvelle banque de développement (créée par les BRICS) de 2015 à 2017. Bien qu'il exprime un soutien enthousiaste aux BRICS, il n'a pas manqué de critiquer la mauvaise gestion de la direction de la NDB :

« La Banque a accompli beaucoup de choses mais n'a pas encore fait la différence. L'une des raisons est, franchement, le type de personnes que nous avons envoyées à Shanghai depuis 2015 en tant que président·es et vice-président·es de l'institution. Le Brésil, par exemple, sous l'administration Bolsonaro, a envoyé une personne faible pour devenir président de la mi-2020 au début 2023 - techniquement faible, orientée vers l'Occident, sans leadership et sans la moindre idée de la manière de mener une initiative géopolitique. La Russie ne fait malheureusement pas exception à la règle : le vice-président russe de la NDB est remarquablement inapte à ce poste. La faiblesse de la gestion a souvent conduit à un mauvais recrutement du personnel. » [1]

Ceux-ci annoncent qu'ils soutiennent la NDB dans l'expansion continue des financements en monnaie locale, ce qui est positif mais ils omettent de dire que l'essentiel du financement de la NDB se fait en dollars par l'émission de titres sur les marchés financiers.

Encadré sur la Nouvelle banque de développement (NDB)

La NDB a été créée officiellement le 15 juillet 2014 à l'occasion du 6e sommet des BRICS qui s'est tenu à Fortaleza au Brésil. La NDB a octroyé ses premiers crédits à partir de fin 2016. Les cinq pays fondateurs ont chacun une part égale du capital de la Banque et aucun n'a le droit de veto. La NDB, outre les 5 pays fondateurs, compte comme membres le Bangladesh, les Émirats Arabes Unis et l'Égypte. L'Uruguay est en train de rendre effective sa participation. La NBD est dotée d'un capital de 50 milliards de dollars qui devrait être porté dans le futur à 100 milliards de dollars. Il y a rotation pour l'exercice du poste de président·e de la NDB. A tour de rôle pour un mandat de cinq ans, chaque pays a droit à exercer la présidence. Dilma Rousseff, la présidente actuelle, est brésilienne, le prochain ou la prochaine présidente sera russe et sera désignée en 2025 par Vladimir Poutine qui vient d'être réélu à la présidence de la Fédération de Russie jusque 2030. La Nouvelle Banque de Développement annonce qu'elle se concentre principalement sur le financement de projet d'infrastructures y compris des systèmes de distribution d'eau et des systèmes de production d'énergie renouvelables. Elle insiste sur le caractère « vert » des projets qu'elle finance, bien que cela soit très discutable.

Certains passages concernant la NDB donnent à entendre qu'il y a véritablement des tensions entre les pays membres des BRICS :

« Nous demandons instamment à la Banque de s'acquitter de sa mission et de ses fonctions, conformément aux statuts de la nouvelle banque de développement, de manière équitable et non discriminatoire. »

C'est probablement lié au fait que la NDB n'a octroyé aucun crédit en Russie depuis que les puissances occidentales ont pris des sanctions contre Moscou après l'invasion de l'Ukraine en février 2022. En effet la NDB qui se finance sur les marchés financiers a craint de subir une dégradation de sa note triple AAA au cas où elle aurait poursuivi les prêts à la Russie. Elle a donc refusé de financer des projets en Russie.
Ceci peut être vérifié sur le site de la NDB : https://www.ndb.int/projects/all-projects/ où l'on constate que depuis début 2022, la NDB a approuvé le financement de plus de 50 projets différents dont aucun en Russie. Concernant les crédits vers la Russie, si on clique ici : https://www.ndb.int/projects/all-projects/?country=russia&key_area_focus=&project_status=&type_category=&pyearval=#paginated-list on peut constater que le dernier projet soutenu financièrement par la NBD en Russie remonte à septembre 2021.

Soulignons de nouveau le jugement négatif émis en mars 2024 par Paulo Nogueira, pourtant chaud partisan des BRICS, à propos de la NDB dont il a été vice-directeur en 2014-2015 :

"Pourquoi peut-on dire que la NDB a été une déception jusqu'à présent ? Voici quelques-unes des raisons. Les décaissements ont été étonnamment lents, les projets sont approuvés mais ne sont pas transformés en contrats. Lorsque les contrats sont signés, la mise en œuvre effective des projets est lente. Les résultats sur le terrain sont maigres. Les opérations - financements et prêts - se font principalement en dollars américains, monnaie qui sert également d'unité de compte à la Banque.

Comment pouvons-nous, en tant que BRICS, parler de manière crédible de dédollarisation si notre principale initiative financière reste majoritairement dollarisée ?

Ne me dites pas qu'il n'est pas possible d'effectuer des opérations en monnaie nationale dans nos pays. La Banque interaméricaine de développement, la BID, par exemple, possède depuis de nombreuses années une expérience considérable en matière d'opérations en monnaie brésilienne. Je ne comprends pas pourquoi la NDB n'a pas profité de cette expérience. »

[2]

Les BRICS ne parlent plus du lancement d'une monnaie commune
En réalité en ce qui concerne les outils financiers dont se sont dotés les BRICS les résultats sont négligeables et aucune avancée sérieuse n'est annoncée dans la déclaration finale.

Rappelons que Lula, président du Brésil, lors du sommet précédent tenu en Afrique du Sud en août 2023 avait déclaré que les BRICS avaient

« approuvé la création d'un groupe de travail chargé d'étudier l'adoption d'une monnaie de référence pour les BRICS. Cela augmentera nos options de paiement et réduira nos vulnérabilités. » [3]

Peu après, Paulo Nogueira Batista, déjà cité, avait déclaré dans une rencontre en Russie :

« Nous avons la chance que la Russie préside les BRICS en 2024 et le Brésil en 2025 - précisément les deux pays qui semblent les plus intéressés par la création d'une monnaie commune ou de référence. Si tout se passe bien, les BRICS pourraient prendre la décision de créer une monnaie lors du sommet en Russie l'année prochaine ». [4]

Rien de tel ne s'est produit. Dans la déclaration finale du 16e sommet des BRICS rendue publique le 23 octobre 2024, il n'y a aucune référence à la création d'une monnaie commune. Il s'agit donc d'un important pas en arrière. Or beaucoup de partisans des BRICS avaient annoncé en 2023 après que la rencontre des BRICS en Afrique du Sud qu'on était à la veille de la création de cette monnaie. La montagne a accouché d'une souri et le court point 67 en donne la mesure :

« 67. Nous chargeons nos ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales, selon le cas, de poursuivre l'examen de la question des monnaies locales, des instruments de paiement et des plateformes et de nous faire rapport d'ici la prochaine présidence. »

Pas un mot sur une monnaie commune.

Le Fonds monétaire des BRICS est au point mort

Sur un autre point, le bilan est carrément négatif, il s'agit du fonds de réserve en devises que les BRICS avaient décidé de créer en 2015, il y a près de 10 ans. L'acronyme de ce fonds est le CRA (Contingent Reserve Arrangement ). Il devait permettre à des pays membres des BRICS confrontés à un problème de manque de devises pour assurer leurs paiements internationaux de pouvoir puiser dans ce fonds (emprunter à ce fonds) les devises qui leur manquait. Cet instrument est important en particulier pour l'Afrique du Sud, le pays le plus faible des BRICS car celui-ci a fait face ces dernières années à un manque de devises. Ce problème concerne aussi une quantité importante de pays qui ont adhéré aux BRICS ou sont candidats pour en faire partie. On peut citer comme exemples l'Éthiopie, l'Égypte, l'Iran.

Or depuis que le Fonds a été créé sur papier en 2015 rien n'a avancé. Aucun crédit n'a été octroyé.

Ce Fonds devait remplir la fonction que joue le FMI quand un de ses membres fait face à un manque de réserves de change pour effectuer des paiements. Cela devait permettre aux pays membres des BRICS d'échapper aux conditionnalités imposées par le FMI.
Or, ce fonds bien que créé sur papier, n'est pas entré en activité et le sommet des BRICS qui vient de se conclure accouche d'une déclaration on ne peut plus timide :

68. Nous reconnaissons que l'accord sur les réserves contingentes (càd le fonds de réserve appelé CRA, note d'Éric Toussaint) des BRICS est un mécanisme important pour prévenir les pressions à court terme sur la balance des paiements et renforcer la stabilité financière. Nous exprimons notre soutien résolu à l'amélioration du mécanisme du CRA en envisageant d'autres monnaies éligibles et nous nous félicitons de la finalisation des modifications apportées aux documents relatifs au CRA. Nous saluons l'achèvement réussi du 7e test du CRA et la cinquième édition du Bulletin économique des BRICS sous le titre « BRICS Economies in a Higher-rate Environment » (Les économies des BRICS dans un environnement de taux plus élevés).

Se féliciter de l'édition d'un bulletin d'analyse et de la réalisation d'un 7e test, c'est reconnaître qu'après 9 ans le fonds de réserve (CRA) n'existe qu'à l'état de projet et n'a effectué aucune opération.

Paulo Nogueira déclarait à propos du CRA en octobre 2023 :

« Les deux mécanismes de financement existants des BRICS ont été créés à la mi-2015, il y a plus de huit ans. Permettez-moi de vous assurer que lorsque nous avons commencé avec le CRA et la Nouvelle banque de développement, il existait une inquiétude considérable quant à ce que les BRICS faisaient dans ce domaine à Washington, au FMI et à la Banque mondiale. Je peux en témoigner car j'y ai vécu à l'époque, en tant qu'administrateur pour le Brésil et d'autres pays au sein du conseil d'administration du FMI.

Au fil du temps, cependant, les gens à Washington se sont détendus, sentant peut-être que nous n'allions nulle part avec le CRA (= le Fonds monétaire commun des BRICS) et la Nouvelle Banque de Développement. » (même source que les citations précédentes)

Pour en savoir plus sur les BRICS : Éric Toussaint, Les BRICS et leur Nouvelle banque de développement offrent-ils des alternatives à la Banque mondiale, au FMI et aux politiques promues par les puissances impérialistes traditionnelles ?, publié le 18 avril 2024,

Selon les BRICS, le libre-échange est le leitmotiv de l'activité agricole. Pas un mot sur la souveraineté alimentaire, sur l'agriculture biologique

73. Nous convenons que la résilience des chaînes d'approvisionnement et le libre-échange dans l'agriculture, parallèlement à la production intérieure, sont essentiels pour garantir la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance, en particulier pour les agriculteurs à faible revenu ou disposant de ressources limitées, ainsi que pour les pays en développement importateurs nets de denrées alimentaires. »

L'expérience a montré que le libre échange est une arme des grandes puissances et des grandes entreprises privées de l'agro business contre les paysans.

Les BRICS font la promotion des Zones économiques spéciales, paradis des entreprises capitalistes et souvent un espace de non droit pour les travailleurs-ses
« 74. Nous reconnaissons l'efficacité des zones économiques spéciales (ZES) des pays du BRICS en tant que mécanisme bien établi pour la coopération commerciale et industrielle et la facilitation de la fabrication (…) Nous nous félicitons de la création d'un forum de coopération sur les zones économiques spéciales des pays du BRICS. »

Rejet des mesures protectionnistes pour protéger l'environnement

« 83. Nous rejetons les mesures protectionnistes unilatérales, punitives et discriminatoires, qui ne sont pas conformes au droit international, sous prétexte de préoccupations environnementales, telles que les mécanismes unilatéraux et discriminatoires d'ajustement carbone aux frontières, les exigences de diligence raisonnable, les taxes et autres mesures, et nous réaffirmons notre soutien total à l'appel lancé lors de la COP28 pour éviter les mesures commerciales unilatérales fondées sur le climat ou l'environnement. Nous nous opposons également aux mesures protectionnistes unilatérales qui perturbent délibérément les chaînes d'approvisionnement et de production mondiales et faussent la concurrence. »

Il est vrai que des grandes puissances traditionnelles en perte de vitesse comme l'UE et les USA prennent prétexte de motivations environnementales pour cacher leur volonté de protéger les intérêts des grands actionnaires des entreprises en perte de vitesse mais cela ne signifie pas que nous devons être contre toutes les mesures protectionnistes qui défendraient réellement l'environnement et permettrait la promotion des droits des travailleurs tant au Sud qu'au Nord de la planète.

Les BRICS ont un discours sur les femmes tout à fait compatible avec celui adopté par les puissances impérialistes traditionnelles, par la Banque mondiale, par la presse dominante et le monde des affaires

« 130. Nous reconnaissons le rôle essentiel des femmes dans le développement politique, social et économique. Nous soulignons l'importance de l'autonomisation des femmes et de leur pleine participation, sur la base de l'égalité, à toutes les sphères de la société, y compris leur participation active aux processus de prise de décision, y compris aux postes à responsabilité, qui sont fondamentales pour la réalisation de l'égalité, du développement et de la paix. Nous reconnaissons que l'entrepreneuriat inclusif et l'accès des femmes au financement faciliteraient leur participation aux entreprises, à l'innovation et à l'économie numérique. À cet égard, nous nous félicitons des résultats de la réunion ministérielle sur les affaires féminines et du forum des femmes des BRICS qui se sont tenus en septembre à Saint-Pétersbourg sur le thème « Les femmes, la gouvernance et le leadership » et nous reconnaissons la précieuse contribution de ces réunions annuelles au développement et à la consolidation de l'autonomisation des femmes dans les trois piliers de la coopération des BRICS.

131. Nous apprécions les efforts déployés par l'Alliance des femmes d'affaires des BRICS pour promouvoir l'entrepreneuriat féminin, notamment le lancement de la plateforme numérique commune de l'Alliance des femmes d'affaires des BRICS, la tenue du premier forum des femmes d'affaires des BRICS à Moscou les 3 et 4 juin 2024 et le premier concours de startups féminines des BRICS. Nous sommes favorables à la poursuite du renforcement de la coopération entre la BRICS Women's Business Alliance et les femmes entrepreneurs du Sud, y compris la mise en place de bureaux régionaux, le cas échéant.

Pour en savoir plus sur la question du genre : Camille Bruneau : La farce de la « prise en compte du genre » : une grille de lecture féministe des politiques de la Banque mondiale, publié le 25 septembre 2024,

Les BRICS ne sont pas une alternative pour les peuples face aux puissances impérialistes traditionnelles. Les positions des BRICS s'inscrivent à merveille dans le système capitaliste néolibéral global, ils ne font rien ou presque pour s'en détacher et souscrivent aux fausses solutions du capitalisme vert. Malgré leur dénonciation des crimes commis par Israël contre les peuples palestiniens et libanais, ils ne daignent pas rompre leurs liens commerciaux avec la puissance sioniste.

Notes

[1] Paulo Nogueira Batista , “BRICS Financial and Monetary Initiatives – the New Development Bank, the Contingent Reserve Arrangement, and a Possible New Currency”, 3 October 2023, https://valdaiclub.com/a/highlights/brics-financial-and-monetary-initiatives/ consulté le 25 octobre 2024.

[2] Paulo Nogueira Batista , “BRICS Financial and Monetary Initiatives – the New Development Bank, the Contingent Reserve Arrangement, and a Possible New Currency”, 3 October 2023, https://valdaiclub.com/a/highlights/brics-financial-and-monetary-initiatives/ consulté le 25 octobre 2024.

[3] Lula : “aprovado a criação de um grupo de trabalho para estudar a adoção de uma moeda de referência dos Brics. Isso aumentará nossas opções de pagamento e reduzirá nossas vulnerabilidades » Folha de Paulo, « Moeda do Brics : tema ganha tratamento tímido em cúpula » - 25/08/2023 - https://www1.folha.uol.com.br/mercado/2023/08/india-resiste-a-moeda-do-brics-e-tema-ganha-tratamento-timido-em-cupula.shtml. CNN, « Brics criam grupo de trabalho para avaliar moeda comum » https://www.youtube.com/watch?v=keUdkW-s5M4

[4] Paulo Nogueira Batista , “BRICS Financial and Monetary Initiatives – the New Development Bank, the Contingent Reserve Arrangement, and a Possible New Currency”, 3 October 2023, https://valdaiclub.com/a/highlights/brics-financial-and-monetary-initiatives/ consulté le 25 octobre 2024.

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La Banque mondiale empêtrée dans ses contradictions à propos de la pauvreté

29 octobre 2024, par Éric Toussaint — , ,
Dans ses récentes publications, la Banque mondiale constate qu'en conséquence de la crise liée au coronavirus, 23 millions d'êtres humains ont augmenté les rangs des victimes (…)

Dans ses récentes publications, la Banque mondiale constate qu'en conséquence de la crise liée au coronavirus, 23 millions d'êtres humains ont augmenté les rangs des victimes de l'extrême pauvreté en 2020-2021.Elle écrivait le 2 avril 2024 : « En 2022, 712 millions de personnes dans le monde vivaient dans l'extrême pauvreté, soit 23 millions de plus qu'en 2019. » [1]

Tiré du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM)
22 octobre 2024

Par Eric Toussaint

Le 15 octobre 2024, la Banque mondiale déclarait dans un communiqué de presse : « L'objectif mondial visant à mettre fin à l'extrême pauvreté — moins de 2,15 dollars par personne et par jour — d'ici 2030 est hors de portée : il faudrait trois décennies voire plus pour éliminer la pauvreté fixée à ce seuil, lequel est surtout pertinent dans les pays à faible revenu. » [2] Quel aveu d'impuissance pour une institution qui est censée contribuer à la réduction de la pauvreté dans le monde.

La vérité c'est qu'au lieu de contribuer à réduire la pauvreté, les politiques financées par la Banque mondiale et son jumeau le FMIla reproduisent et l'accentuent.
Jamais les dirigeant-es de la Banque mondiale et du FMI ne reconnaissent le rôle éminemment négatif des recettes et du modèle qu'ils recommandent voire qu'ils imposent aux pays qui font appel à leurs crédits.

Cet article vise à montrer que la Banque mondiale a tendance depuis des décennies à sous-estimer le nombre de personnes affectées par la pauvreté. Il est bon de revenir sur un événement survenu il y a plus de quinze ans lorsque la Banque mondiale a reconnu s'être trompée à propos du nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté. En effet, en 2008, la Banque mondiale a reconnu avoir fait des erreurs importantes dans ses calculs concernant la situation mondiale de la pauvreté. Tout en affirmant que « les estimations de la pauvreté établies par la Banque mondiale s'améliorent grâce à des données plus fiables sur le coût de la vie », l'institution a découvert que « 400 millions de personnes de plus que l'on ne pensait précédemment vivent dans la pauvreté » [3].

"En 2008, la Banque mondiale a reconnu qu'elle avait sous-estimé de 400 millions le nombre de pauvres"

C'était l'équivalent de plus de la moitié de la population de l'Afrique subsaharienne à l'époque ! Dès cette époque dans une carte blanche publiée par le quotidien Le Soir le CADTM avait souligné cette erreur et avait pointé du doigt les responsabilités de la Banque et du FMI. La carte blanche est toujours disponible sur le site du Soir et est en accès libre sur le site du CADTM.

L'erreur reconnue par la Banque mondiale reflète le manque de fiabilité des statistiques publiées par cette institution, statistiques qui servent surtout à cautionner les politiques néolibérales imposées à travers le monde par ses propres experts [4].

Selon son communiqué de 2008, « 1,4 milliard de personnes vivant dans le monde en développement (1 personne sur 4) subsistaient avec moins de 1,25 dollar par jour en 2005 », alors que les estimations précédentes tournaient autour de 1 milliard de personnes.

Pourtant, la Banque mondiale ne manquait pas de se réjouir car ce qui compte pour elle, ce n'est pas le nombre de pauvres, mais la proportion de personnes pauvres. Pourquoi ? Parce qu'avec la démographie mondiale galopante, ce chiffre permet plus facilement de faire illusion : si, par exemple, le nombre de personnes pauvres stagne, la proportion de pauvres baisse mécaniquement au fil des ans au regard de l'augmentation de la population mondiale. Voilà pourquoi l'objectif dit « du millénaire » était de réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le revenu est inférieur à 1,25 dollar par jour.

Mais avec les énormes erreurs de la Banque mondiale dans ses calculs sur la pauvreté, c'est tout l'édifice des politiques internationales contre la pauvreté qui s'écroulait. Les politiques d'ajustement structurel (réduction des budgets sociaux, recouvrement des coûts dans les secteurs de la santé et de l'éducation, agriculture tournée vers l'exportation et réduction des cultures vivrières, abandon de la souveraineté alimentaire, etc.), imposés par le FMI et la Banque mondiale depuis le début des années 1980, ont détérioré les conditions de vie de centaines de millions de personnes dans le monde. Les critiques envers la Banque mondiale n'ont pas manqué à ce propos.

Ainsi Thomas Pogge, professeur à l'université Columbia, écrivait en 2008 : « Les méthodes de calcul de la Banque mondiale sont extrêmement douteuses. Il y a des raisons de penser qu'avec une méthode plus plausible, on observerait une tendance plus négative et une pauvreté beaucoup plus étendue. (…) Tant que la méthode actuelle de la Banque mondiale et les données qui se basent sur elle conserveront leur monopole dans les organisations internationales et dans la recherche universitaire sur la pauvreté, on ne pourra pas prétendre prendre ce problème réellement au sérieux. » [5]

"Martin Ravallion : « Les estimations les plus récentes de la pauvreté ont été établies à partir des enquêtes réalisées auprès de 675 ménages dans 116 pays en développement »"

Le peu de sérieux des calculs de la Banque mondiale apparaît très clairement dans cette déclaration de Martin Ravallion en 2010, un des principaux auteurs de la Banque sur la question de la pauvreté : « Les estimations les plus récentes de la pauvreté ont été établies à partir des enquêtes réalisées auprès de 675 ménages dans 116 pays en développement, représentant 96 % du monde en développement » explique-t-il [6]. Comment peut-on oser prétendre publier des chiffres fiables concernant la situation de plusieurs milliards de personnes sur la base d'une enquête se limitant à 675 ménages ? Quel aveu de manque de sérieux ! Le même auteur reconnaît également qu'au début des années 1990, la Banque mondiale se limitait à des enquêtes menées dans seulement 22 pays.

Sur le ton de la diplomatie, le même Martin Ravallion écrivait : « De nouvelles données importantes ont révélé que le coût de la vie dans les pays en développement est plus élevé que nous ne le pensions, ce qui explique l'ampleur inégalée à ce jour des modifications apportées aux chiffres relatifs à la pauvreté dans le cadre de la dernière révision… » [7].

Au moment où ces lignes sont écrites en 2024, la Banque mondiale estime qu'une personne ne vit pas dans l'extrême pauvreté si, résidant dans un pays en développement, elle dispose pour vivre de plus de 2,15 dollar par jour. C'est évidemment tout à fait discutable. Cela fixe très bas le revenu quotidien qui permet de déterminer si une personne vit en dessous du seuil de pauvreté extrême. Ce montant de 2,15 dollar par jour ne constitue pas un indicateur fiable et les méthodes pour extrapoler à l'échelle de la planète le nombre de pauvres ne sont pas sérieuses. Comme l'écrit l'économiste britannique Michael Robertssi au lieu de prendre 2,15 dollars par jour, on fixait la barre de l'extrême pauvreté à 5 dollars par jour, 40 % de la population mondiale serait considérée comme extrêmement pauvre ; si on mettait la barre à 10 dollars par jour, cette proportion serait de 62 % et à 30 dollars, elle serait de 85 % [8].

"Si on fixait la barre de l'extrême pauvreté à 5 dollars par jour, 40 % de la population mondiale serait considérée comme extrêmement pauvre ; si on mettait la barre à 10 dollars par jour, cette proportion serait de 62 %"

Dans un rapport publié en 2020, la Banque mondiale écrit : « La lutte contre la pauvreté enregistre sa pire régression en 25 ans. En 2020, le taux mondial d'extrême pauvreté devrait augmenter pour la première fois en plus de vingt ans, du fait de la pandémie de coronavirus ». Dans le même article, les auteurs de la Banque ajoutaient : « Le changement climatique pourrait entraîner de 68 à 135 millions de personnes dans la pauvreté à l'horizon 2030 » [9].

Ces estimations qui sont à prendre avec des pincettes vu les méthodes de calcul de la Banque indiquent néanmoins une évolution dramatique qui demande des solutions radicales et urgentes en faveur des droits humains.

"La Banque mondiale estime qu' « Au rythme actuel, il faudrait plus d'un siècle pour sortir la moitié du monde de la pauvreté »"

Le communiqué de presse publié par la Banque mondiale le 15 octobre 2024 avait pour titre : « Au rythme actuel, il faudrait plus d'un siècle pour sortir la moitié du monde de la pauvreté ». [10] Dans l'article de la Banque mondiale de 2010 cité plus haut, un des sous-titres affirmait « Le monde en développement est toujours en bonne voie pour réduire de moitié la pauvreté à l'horizon 2015 par rapport au niveau atteint en 1990 »
Il est grand temps de se débarrasser du duo Banque mondiale-FMI et de le remplacer par d'autres institutions au service de l'humanité.

Voici les propositions du CADTM pour bâtir une nouvelle architecture internationale :

Il faut opter pour des propositions qui redéfinissent radicalement le fondement de l'architecture internationale (missions, fonctionnement…). Prenons le cas de l'OMC, du FMI et de la Banque mondiale.

L'organisation qui remplacera la Banque mondiale devrait être largement régionalisée (des banques du Sud pourraient y être reliées), elle aurait pour fonction de fournir des prêts à taux d'intérêttrès bas ou nuls et des dons qui ne pourraient être octroyés qu'à condition d'être utilisés dans le respect rigoureux des normes sociales et environnementales et, plus généralement, des droits humains fondamentaux. Contrairement à la Banque mondiale actuelle, la nouvelle banque dont le monde a besoin ne chercherait pas à représenter les intérêts des créanciers et à imposer aux débiteurs un comportement de soumission au marché-roi, elle aurait pour mission prioritaire de défendre les intérêts des peuples qui reçoivent les prêts et les dons.

Le nouveau FMI, quant à lui, devrait retrouver une part de son mandat originel pour garantir la stabilité des monnaies, lutter contre la spéculation, contrôler les mouvements de capitaux, agir pour interdire les paradis fiscaux et la fraude fiscale. Pour atteindre cet objectif, il pourrait contribuer, en collaboration avec les autorités nationales et des fonds monétaires régionaux (qu'il faut créer), à la collecte de différentes taxes internationales.

La nouvelle OMC devrait viser, dans le domaine du commerce, à garantir la réalisation d'une série de pactes internationaux fondamentaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits humains et tous les traités fondamentaux en matière de droits humains (individuels ou collectifs) et d'environnement. Sa fonction serait de superviser et de réglementer le commerce de manière à ce qu'il soit rigoureusement conforme aux normes sociales (conventions de l'Organisation internationale du travail) et environnementales. Cette définition s'oppose de manière frontale aux objectifs actuels de l'OMC. Ceci implique bien évidemment une stricte séparation des pouvoirs : il est hors de question que l'OMC, comme d'ailleurs toute autre organisation, possède en son sein son propre tribunal. Il faut donc supprimer l'Organe de règlement des différends.

Toutes ces pistes requièrent l'élaboration d'une architecture mondiale cohérente, hiérarchisée et dotée d'une division des pouvoirs. La clef de voûte pourrait en être l'ONU, pour autant que son Assemblée générale en devienne la véritable instance de décision – ce qui implique de supprimer le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité (et le droit de veto qui lui est lié). L'Assemblée générale pourrait déléguer des missions spécifiques à des organismes ad hoc.

Une autre question qui n'a pas encore fait suffisamment de chemin est celle d'un dispositif international de droit, d'un pouvoir judiciaire international (indépendant des autres instances de pouvoir international), qui complète le dispositif actuel comportant principalement la Cour internationale de La Haye et la Cour pénale internationale. Avec l'offensive néolibérale qui a commencé au cours des années 1970-1980, la loi du commerce a progressivement dominé le droit public. Des institutions internationales comme l'OMC et la Banque mondiale fonctionnent avec leur propre organe de justice : l'Organe de règlement des différends au sein de l'OMC et le CIRDI au sein de la Banque mondiale, dont le rôle a démesurément augmenté. La charte de l'ONU est régulièrement violée par des membres permanents de son Conseil de Sécurité. Nous avons souligné les limites du droit international et les violations systématiques de la Charte des Nations unies, notamment l'interdiction du recours à la force contenu en son article 2. Des nouveaux espaces de non-droit sont créés (les prisonniers sans droit embastillés à Guantanamo par les États-Unis). Les États-Unis, après avoir récusé la Cour internationale de La Haye (où ils ont été condamnés en 1985 pour avoir agressé le Nicaragua), refusent la Cour pénale internationale. Il en va de même de la part du régime néo fasciste de Netanyahu coupable sous nos yeux d'un génocide à l'encontre du peuple palestinien. Tout cela est insupportable requiert d'urgence des initiatives pour compléter un dispositif international de droit.

En attendant, il faut amener des institutions comme la Banque mondiale et le FMI à rendre des comptes à la justice devant des juridictions nationales, exiger l'annulation des dettes qu'elles réclament et agir pour empêcher l'application des politiques néfastes qu'elles recommandent ou imposent.

Notes

[1] Source : https://www.banquemondiale.org/fr/topic/poverty/overview consulté le 21 octobre 2024

[2] Banque mondiale, « Au rythme actuel, il faudrait plus d'un siècle pour sortir la moitié du monde de la pauvreté », publié le 15 octobre 2024, https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2024/10/15/ending-poverty-for-half-the-world-could-take-more-than-a-century consulté le 15/10/2024

[3] Banque mondiale, « Estimations de la pauvreté dans le monde en développement (mise à jour) » https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2010/02/17/estimates-of-poverty-in-the-developing-world-updated consulté le 21 octobre 2024.

[4] Damien Millet et Éric Toussaint, « Carte blanche : La Banque mondiale découvre 400 millions de pauvres en plus », publié par le quotidien Le Soir, publiée le 13 septembre 2008, https://plus.lesoir.be/art/carte-blanche-la-banque-mondiale-decouvre-400_t-20080913-00HX62.html consulté le 21 octobre 2024.

[5] Sanjay G. Reddy and Thomas W. Pogge, ‘How not to count the poor', 29 October 2005, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=893159 Voir pour une analyse d'ensemble : Thomas Pogge, Politics as Usual : What Lies behind the Pro-Poor Rhetoric, Cambridge, Polity Press, 2010.

[6] Martin Ravallion, directeur du Groupe de recherche sur le développement économique à la Banque mondiale dans Banque mondiale, « Estimations de la pauvreté dans le monde en développement (mise à jour) » https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2010/02/17/estimates-of-poverty-in-the-developing-world-updated déjà cité.

[7] Martin Ravallion, directeur du Groupe de recherche sur le développement économique à la Banque mondiale, in https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2010/02/17/estimates-of-poverty-in-the-developing-world-updated déjà cité.

[8] Michael Roberts, « Measuring global poverty », Michael Roberts Blog, 8 octobre 2024, https://thenextrecession.wordpress.com/2024/10/08/measuring-global-poverty/ consulté le 21/10/2024. Cet article est également disponible sur le site du CADTM : https://www.cadtm.org/Measuring-global-poverty

[9] Banque mondiale, « Pauvreté », https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2020/10/07/global-action-urgently-needed-to-halt-historic-threats-to-poverty-reduction consulté le 21 octobre 2024.

[10] Source : https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2024/10/15/ending-poverty-for-half-the-world-could-take-more-than-a-century

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Kanaky-Nouvelle-Calédonie : La Cour de cassation annule le transfert en métropole du militant indépendantiste Christian Tein*

29 octobre 2024, par Benjamin König — , ,
Emprisonné depuis cinq mois à Mulhouse, à 17 000 km de chez lui, le dirigeant indépendantiste a vu la Cour de cassation annuler la décision de son transfert en métropole. Un (…)

Emprisonné depuis cinq mois à Mulhouse, à 17 000 km de chez lui, le dirigeant indépendantiste a vu la Cour de cassation annuler la décision de son transfert en métropole. Un camouflet pour la justice française, et notamment le procureur de Nouméa, Yves Dupas.

Par Benjamin König, L'Humanité, France, le mardi 22 octobre 2024
Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/monde/flnks/kanaky-nouvelle-caledonie-la-cour-de-cassation-annule-le-transfert-en-metropole-du-militant-independantiste-christian-tein

Avec six autres militants indépendantistes, Christian Tein avait été « <https:/www.humanite.fr/politique/c...>'>exilé » en métropole après leur mise en examen pour leur rôle présumé dansles révoltes qui ont touché la <https:/www.humanite.fr/monde/decol...>'>Kanaky-Nouvelle-Calédonieen mai dernier. « Une déportation », s'était insurgé le Front de libération kanak et socialiste (FLNKS), la coalition indépendantiste dont Christian Tein a été élu président fin août, après avoir été le leader de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), une émanation du mouvement indépendantiste mise sur pied pour organiser la lutte contre le dégel du corps électoral.

Celui que ses camarades appellent « Bichou » s'était pourvu en cassation, de même que les autres mis en examen. Et ils ont remporté une première victoire juridique : la Cour de cassation a annulé l'arrêt du 5 juillet dernier qui confirmait le placement en détention de Christian Tein ainsi que d'un autre militant kanak, Steve Unë. Tous avaient été éparpillés dans différentes prisons de l'Hexagone.

*Justice d'exception*

Tout dans ce dossier relève d'une justice d'exception. Leur transfert, pour commencer : les militants avaient été menottés et sanglés durant les 30 heures de vol entre Nouméa et Paris, usage totalement disproportionné pour des prévenus politiques. Selon l'un de leurs avocats, Me François Roux, le vol et les gardes à vue se sont déroulés dans des conditions « inhumaines et dégradantes ». Lors de leur garde à vue, « nos clients sont restés enchaînés au mur, le bras en l'air ».

Surtout, les chefs d'accusation sont très lourds pour des militants, notamment « complicité de meurtre », « vol en bande organisée avec arme », « destruction en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes », « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime et d'un délit ». Malgré la violence des révoltes qui ont touché la Kanaky-Nouvelle-*Calédonie, les militants affirment avoir simplement défendu des idées politiques et n'ont jamais appelé à la violence.*

La Cour de cassation a donc décidé que leur droit à la défense avait été violé, notamment parce que personne, ni les prévenus ni leurs avocats, n'avait été informé d'un transfert en métropole. Un autre juge doit désormais examiner leurs conditions de détention. Leurs avocats ont également demandé un dépaysement du dossier, tant il est clair aujourd'hui que les actes du procureur de Nouméa témoignent d'une justice coloniale d'un autre âge.

La Cour de cassation considère que le droit à la défense avait été violé, notamment parce que personne, ni les prévenus ni leurs avocats, n'avait été informé d'un transfert en métropole de Christian Tein, et des six autres militants indépendantistes. Ici, le 14 juin 2024, à Bourail en Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, 24 octobre 2024

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Afrique : La Zlecaf, un cheval de Troie néolibéral ?

29 octobre 2024, par Aicha Fall — , ,
Lancée officiellement le 1er janvier 2021, la Zone de libre-échange continentale africaine vise à créer un marché unique pour les biens et les services et à favoriser la (…)

Lancée officiellement le 1er janvier 2021, la Zone de libre-échange continentale africaine vise à créer un marché unique pour les biens et les services et à favoriser la circulation des capitaux et des personnes. Mais derrière cet objectif, présenté comme « panafricaniste », se cache un projet néolibéral qui pose des questions cruciales.

Tiré d'Afrique XXI.

Officiellement lancée le 1er janvier 2021, la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) regroupe les 54 pays du continent, dont 48 ont déjà ratifié l'accord. Son objectif est de tripler le commerce intra-africain, actuellement limité à 15 % du commerce total, d'ici à 2030. Ce projet vise à redéfinir les relations économiques en Afrique tout en faisant de l'intégration régionale un levier essentiel pour une prospérité partagée.

Mais, bien qu'elle soit souvent présentée comme le couronnement du rêve panafricaniste promu notamment par Kwame Nkrumah au milieu du XXe siècle, la Zlecaf révèle une réalité moins idéaliste. En effet, elle s'inscrit dans une logique néolibérale prônant l'ouverture et la dérégulation des marchés - elle est d'ailleurs largement promue par des économistes orthodoxes et des institutions internationales - qui risque de renforcer les inégalités et de fragiliser les économies locales face aux pressions du capital international. Ainsi, sous son enveloppe « panafricaniste », la Zlecaf semble avant tout répondre aux injonctions du marché global.

Une lente mise en route

Le 21 mars 2018, à l'issue du sommet de l'Union africaine (UA) à Kigali, au Rwanda, 44 pays africains ont signé l'accord fondateur de la Zlecaf. Celui-ci promettait d'établir un marché unique pour les biens et services à travers le continent, en favorisant le commerce intra-africain et l'intégration économique régionale, et en réduisant les barrières tarifaires et non tarifaires. Un rapport de l'UA de 2024 table sur une augmentation de 53 % du commerce intra-africain grâce au projet (1). Cependant, les résultats concrets se font encore attendre car la mise en œuvre complète des accords prend du temps.

Selon l'économiste sénégalais Chériff Assane Sall, la Zlecaf est dans sa phase pilote :

  • Seuls quelques pays ont commencé à commercer entre eux dans le cadre du droit préférentiel de la Zlecaf grâce à l'Initiative de commerce guidé (GTI) lancée en octobre 2022 (2). Il s'agit du Cameroun, de l'Égypte, du Ghana, du Kenya, de Maurice, du Rwanda, de la Tanzanie et de la Tunisie, et cela ne concerne que 96 produits identifiés, tels que les carreaux de céramique, le thé, le café, les produits de viande transformés, le sucre, les pâtes, les fruits secs.

« Peu de pays ont réellement mené des transactions sous l'égide de la Zlecaf, ajoute le chercheur indépendant en économie et sciences sociales camerounais Martial Ze Belinga, et les estimations faites par la Banque mondiale, entre autres, montrent qu'il n'y aura d'effets notables que lorsque les baisses tarifaires seront effectives et massives (3), or cela prend beaucoup de temps. »

Selon ses promoteurs, la Zlecaf encouragera la diversification des économies africaines en réduisant leur dépendance à l'exploitation de leurs matières premières. Chériff Assane Sall estime que,

  • l'Afrique a adhéré et ratifié plusieurs accords en sa défaveur. Aujourd'hui la Zlecaf sonne comme un bouclier et une porte de sortie pour qu'enfin le continent puisse bénéficier convenablement de la mondialisation. Un impact visible est que les relations commerciales entre les pays africains et le reste du monde vont croître moins que le commerce inter-africain, ce qui permettra in fine de réduire le déficit commercial en Afrique.

Toutefois, l'accord révèle des contradictions qui mettent en lumière l'illusion d'une véritable unité économique continentale.

Le poids de l'héritage colonial

La coordination entre les 54 pays membres pose tout d'abord des défis institutionnels. La mise en œuvre uniforme des accords et des réglementations est complexe, sans parler du fait qu'ils ne disposent pas tous de la même monnaie. Le président du Comité de coordination de la Zlecaf, Wamkele Mene, souligne que « la coordination entre les pays, notamment au niveau réglementaire, nécessite des efforts considérables pour éviter des incohérences qui pourraient entraver la mise en œuvre efficace de l'accord », et générer les coûts supplémentaires de mise en conformité.

De plus, Martial Ze Belinga rappelle qu'« un accord commercial prend tous ses effets lorsque les pays ont des complémentarités économiques et industrielles, lorsque les économies ont déjà des capacités de transformation notamment. Or c'est ce qui fait défaut aux économies africaines prises globalement ». L'économiste parle d'une « colonialité économique, à quelques exceptions près ». En effet, l'héritage colonial qui se traduit par la production de matière première brute destinée à être transformée ailleurs continue de façonner les économies africaines. Les exemples ne manquent pas : le Sénégal avec la production d'arachide, la Côte d'Ivoire avec le cacao, le Nigeria avec le pétrole, le Ghana avec l'or ou encore le Kenya avec le thé et le café. En outre, certaines économies nationales sont en concurrence pour les mêmes produits de base. Par exemple, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Togo sont tous d'importants producteurs et exportateurs de coton.

À cela s'ajoute le fait que les économies les plus développées du continent, telles que l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Égypte ou encore l'Algérie, seront les principales bénéficiaires de cet accord en raison de leur puissance économique. L'Afrique du Sud, par exemple, tire parti de ses infrastructures avancées et de sa domination régionale dans des secteurs stratégiques comme l'agroalimentaire, l'énergie et l'industrie automobile (avec une production annuelle de 600 000 véhicules, ce qui le place en tête au niveau continental). Le Nigeria, avec ses quelque 218 millions d'habitants, bénéficie d'un marché intérieur robuste qui attire massivement les investissements étrangers, tandis que l'Égypte a capté 9,84 milliards de dollars d'IDE en 2023, d'après le rapport sur l'investissement dans le monde 2023 de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).

Dindons de la farce

Les pays moins développés, avec des infrastructures limitées et des marchés intérieurs plus restreints, peinent à concurrencer ces puissances économiques régionales. Il n'est pas certain qu'il en soit autrement demain, même avec la levée des barrières douanières. La Zlecaf risque au contraire de renforcer les disparités existantes, menaçant de marginaliser davantage les économies les plus fragiles du continent. « La faible industrialisation de la grande partie des pays africains pourrait faire de ce projet un outil d'exploitation pour les plus industrialisés, tels que l'Afrique du Sud, le Maroc, l'Égypte, etc., estime l'économiste burkinabè Asrafil Kere. D'une part, les moins industrialisés se verront privés de recettes fiscales douanières, et leurs industries ne pouvant pas rivaliser avec les autres, cela pourrait d'autre part à conduire à leur fermeture. »

En effet, la mise en œuvre effective de l'accord implique une réduction, voire la suppression progressive des droits de douane sur les échanges intra-africains. Or ces droits représentent une part importante des recettes des États peu industrialisés. Souvent dépourvus de systèmes fiscaux robustes et de ressources humaines et techniques suffisantes, ils peinent à optimiser la collecte des impôts intérieurs, ce qui complique la compensation des pertes douanières.

Par ailleurs, les multinationales, dotées de ressources et d'un pouvoir de négociation supérieurs à ceux des petites entreprises locales, risquent d'accentuer les inégalités dans les échanges commerciaux intra-africains en favorisant des déséquilibres. Leur tendance à rapatrier les profits à l'étranger réduit également les bénéfices économiques pour les pays africains, contribuant ainsi aux fuites de capitaux. Un phénomène qui sera d'autant plus exacerbé si les politiques fiscales ne sont pas harmonisées entre les États membres, avec la mise en place de réformes pour imposer un cadre aux entreprises transnationales. En Afrique, l'évasion fiscale des multinationales représente pas moins de 52 milliards de dollars par an selon un rapport de la Cnuced publié en septembre 2020.

Aussi, en dominant certains secteurs, elles freinent la diversification économique et limitent la compétitivité des entreprises locales. La Zlecaf pourrait accentuer cette asymétrie. L'ouverture des marchés africains à ces multinationales dans un marché global expose davantage les pays membres à des risques de dumping social et à l'exploitation de failles réglementaires, ce qui pourrait aggraver les inégalités et les tensions sociales.

Un « APE bis » ?

Face à ces défis, l'Organisation mondiale des douanes (OMD), avec le soutien de l'Union européenne (UE), a élaboré un guide pratique pour aider les administrations douanières et les opérateurs économiques à appliquer les règles d'origine (4) de la Zlecaf. L'UE a en outre créé l'EU-TAF, un fonds d'assistance technique dédié aux Communautés économiques régionales, aux Agences spécialisées de l'UA, aux États membres de l'UA et aux organisations continentales et régionales du secteur privé. Ce fonds soutient des activités telles que la mobilisation d'expertise technique, le renforcement des capacités et l'organisation d'ateliers et de réunions pour accélérer la mise en œuvre de la Zlecaf.

Dès lors, se pose le problème de la dépendance externe. L'implication de ces acteurs internationaux soulève des inquiétudes quant à l'influence de leurs agendas sur les besoins spécifiques du continent africain. Par exemple, les failles de l'Accord de partenariat économique (APE) entre l'UE et certains pays africains, souvent critiqué pour ses impacts négatifs sur les économies locales, pourraient se répéter avec la Zlecaf si les gouvernements africains ne parvenaient pas à défendre leurs intérêts face aux puissances économiques mondiales. « Il ne faudrait pas que la Zlecaf devienne un Nepad bis ou un APE bis », alerte Asrafil Kere.

L'une des ambitions de l'accord est de dynamiser les investissements directs étrangers en vue de favoriser le développement économique. Chériff Assane Sall pense qu'avec la mise en œuvre de la Zlecaf,

  • une réorientation des produits échangés sera observée. Les importations des pays africains seront plus orientées vers les technologies de production, alors que les exportations porteront davantage sur des produits industrialisés avec plus de valeur ajoutée et de moins en moins sur des matières premières. Avec les règles d'origine, des entrées massives d'IDE sont potentiellement attendues.

Cependant, cette croissance pourrait paradoxalement favoriser le commerce extérieur plutôt que le commerce intra-africain. Les IDE sont souvent concentrés dans des secteurs extractifs comme les mines et l'énergie, qui représentaient environ 55 % des IDE totaux en 2023, selon la Banque africaine de développement (BAD). Une part significative des produits issus de ces investissements est exportée vers des marchés non africains ; par exemple, environ 80 % des produits miniers sont exportés hors du continent, selon un rapport de la BAD datant de 2023 (5). Il y a peu de chances que la Zlecaf ait un impact dans ce domaine.

En parallèle, le commerce intra-régional a atteint environ 15 % du total des échanges commerciaux du continent en 2023, comme indiqué dans un rapport de 2024 de la Banque africaine d'import-export (Afreximbank) (6).

Un défi environnemental

Les défenseurs de l'accord estiment que sa mise en œuvre impulsera une augmentation significative des activités industrielles, ouvrant la voie à des opportunités économiques majeures. Pour de nombreux pays africains, le développement industriel est crucial afin de sortir de la pauvreté, réduire la dépendance vis-à-vis des exportations de matières premières et renforcer l'autonomie économique.

Cette dynamique poserait cependant un défi environnemental de taille. La croissance rapide des industries, souvent énergivores et polluantes, risque d'aggraver la dégradation des écosystèmes locaux, d'augmenter les émissions de gaz à effet de serre et de compromettre la biodiversité. Face à ce dilemme, les États africains doivent concilier l'impératif de développement avec des politiques strictes de durabilité en investissant dans des technologies vertes et en favorisant des pratiques industrielles respectueuses de l'environnement, pour en limiter l'impact.

Selon Serge Éric Menye, consultant et essayiste camerounais, auteur de L'Afrique face au cynisme climatique (L'Harmattan, 2023), concilier les deux

  • passe par le développement rapide des énergies renouvelables au service des industries mais aussi des transporteurs. Les financements dans ce sens restent accessibles. Et dans le transport, une autre solution serait d'attribuer les licences ou les droits de passage (et d'effectuer les contrôles) en privilégiant les transports à bas carbone, en contrôlant l'âge des véhicules et en favorisant les transports partagés et collectifs. Il y a aussi la traçabilité, et donc des registres accessibles où l'on peut voir l'origine des produits et leur note environnementale.

Pour l'instant, ajoute le chercheur, « rien n'existe vraiment pour accompagner l'expansion industrielle du point de vue des émissions. Ça va sans doute suivre, mais, actuellement, les décideurs n'en font pas une priorité ».

Notes

1- « Zlecaf : 24 nouveaux pays rejoindront l'initiative de commerce guidé en 2024 », Union africaine, 2024.

2- Il s'agit d'un programme pilote permettant aux États africains de commencer à commercer sous les règles de la Zlecaf tout en testant les mécanismes et les procédures avant la mise en œuvre complète de l'accord.

3- Les lignes tarifaires déterminent les droits de douane sur différents produits, influençant les prix et la protection des industries locales ; dans le cadre d'accords comme la Zlecaf, leur réduction ou leur élimination facilite les échanges entre pays participants.

4- Les règles d'origine dans le cadre de la Zlecaf sont des critères qui déterminent si un produit est considéré comme originaire d'un des pays membres et peut ainsi bénéficier de tarifs préférentiels lors de son exportation au sein de la zone.

5- Perspectives économiques en Afrique, Banque africaine de développement, 2023.

6- Rapport sur le commerce africain 2024, Afreximbank, 2024.

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BRICS et Afrique : nouveau partenariat « win-win » ou « colonialisme newlook » ?

29 octobre 2024, par Laurent Delcourt — , ,
Pour de larges segments du monde politique et de la société civile en Afrique, les BRICS+ constituent une alternative salutaire à la domination occidentale, en proposant de (…)

Pour de larges segments du monde politique et de la société civile en Afrique, les BRICS+ constituent une alternative salutaire à la domination occidentale, en proposant de nouveaux partenariats plus équitables, plus respectueux des souverainetés nationales et davantage centrés sur les priorités de développement national. Reste qu'entre l'Afrique et ce club hétérogène de puissances émergentes, la relation demeure très inégale, tendant même à reproduire l'ancienne dichotomie Nord-Sud. L'essor de l'Afrique ne reposera pas sur les BRICS. Il dépendra de sa capacité à s'engager dans un projet de développement. Explication.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

« [...] Tout moyen de limiter l'influence de l'OTAN et de l'oligarchie occidentale est bénéfique pour le reste de la population mondiale. Aujourd'hui, nous sommes dirigés par une minorité qui souhaite imposer ses lois au reste du monde. Avec les BRICS, une première manifestation d'opposition à cette domination se manifeste. […] »
Kémi Seba, blogueur et activiste panafricaniste.

Dans un contexte d'aggravation des tensions géopolitiques, de recomposition des alliances internationales et de croissante perte d'influence des pays occidentaux sur leurs traditionnelles arrière-cours et plus généralement sur la marche du monde, les BRICS+ –coalition formée par le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud, rejoints, depuis le 1er janvier 2024, par l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l'Iran, l'Égypte et l'Éthiopie–exercent aujourd'hui un indéniable pouvoir d'attraction sur les pays du Sud. Ces derniers sont de plus en plus nombreux à vouloir intégrer ce club hétérogène de puissances émergentes ou, à tout le moins, à s'en rapprocher. Les BRICS soulèvent aussi l'enthousiasme d'une bonne partie du monde politique et de larges secteurs de la société civile au Sud. En particulier en Afrique, où la montée en puissance de cette coalition qui conteste l'hégémonie occidentale et entend œuvrer à la construction d'un monde multipolaire est largement célébrée : pour beaucoup en effet, les BRICS constituent une réelle opportunité pour le continent de se débarrasser des vieux restes de dépendance néocoloniale, empreinte de domination, d'assistanat et de paternalisme, de nouer des rapports de coopération plus équitables et d'amorcer un développement réellement souverain, plus en phase avec les priorités du continent.

Agnès Adélaïde Metougou, activiste camerounaise anti-dette explique : « Avant la montée en puissance de ces émergents, le monde était extrêmement asymétrique. Les pays d'Europe de l'Ouest, les États-Unis et le Japon, représentaient à peine 20% de la population, mais contrôlaient les trois quarts de la richesse du monde. Les BRICS sont venus relativiser cette hégémonie en créant de nouveaux pôles […] qui assure[nt] une représentation plus équilibrée de tous les segments de l'humanité. [Leur] cosmopolitisme […] permet de sortir du monde unipolaire dans lequel une seule civilisation imposait son refrain culturel et idéologique sans la moindre possibilité de négocier ou de choisir. Aujourd'hui les BRICS contestent précisément [cette] hégémonie […]. Et peuvent proposer un contre-modèle aux structures économiques et politiques libérales dominantes promues par les puissances occidentales. Sur le plan économique, cette situation autorise une diversification des partenariats et un élargissement des marchés, etc. Mais sur le plan politique, les Africains peuvent se saisir de cette opportunité pour rejeter, au moins en partie, les diktats imposés par les Occidentaux […] » [1]

« Il s'agit là d'un formidable atout pour tous ceux qui recherchent les voies d'un véritable développement du continent africain, abonde dans le même sens l'homme politique et diplomate ivoirien, Ahoua Don Mello, […] nous avons là des partenaires très importants puisqu'ils rassemblent […] près de la moitié de la population mondiale. Ils peuvent nous appuyer sur des projets de développement alternatifs qui nous sortent de la soumission et des pillages orchestrés sur le continent par le néocolonialisme et les multinationales occidentales […]. L'ambition est de sortir des terribles rapports de dépendance qui empêchent un développement souverain des Africains » [2].

Des perspectives alléchantes

Ayant axé leur dernier sommet sur le renforcement de leur coopération avec l'Afrique « dans le cadre d'un partenariat [avec le continent] pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif », les BRICS ne manquent en effet pas d'arguments pour convaincre. Ils mettent à disposition de l'Afrique d'énormes ressources, sous forme de prêts, d'investissements, d'aides et d'offres de services. En outre, leur rhétorique, axée sur le respect de la souveraineté des États, la dénonciation des doubles standards et leur commune volonté de mettre fin à l'hégémonie occidentale et à la domination du dollar séduit, bien au-delà des cercles gouvernementaux, des populations échaudées par des décennies d'ingérence, d'ajustements économiques et d'endettement aux conséquences sociales désastreuses.

Le discours séduit d'autant plus que les BRICS sont immunisés contre le ressentiment qui alimente en Afrique le rejet des anciennes métropoles. Les BRICS –c'est là un point essentiel– ne trainent pas de lourd passé colonial. Anciennes colonies ou protectorats eux-mêmes–du moins pour la plupart d'entre eux–, ils ont au contraire largement soutenu (financièrement, militairement ou diplomatiquement) les luttes africaines d'indépendance et contre l'apartheid, ce qui leur confère un énorme capital symbolique de sympathie sur le continent. En tant qu'ex-pays en développement, qui partagent donc avec l'Afrique une histoire commune d'assujettissement (vis-à-vis des anciennes métropoles, puis vis-à-vis des institutions financières internationales), ou en tant qu'alliés historiques (telle la Russie), leur trajectoire, leur réussite et leur modèle inspirent autant qu'ils fascinent. Ils contribuent aussi à les « dédouaner » de toute intention malsaine, ce qui fait notamment dire à Ahoua Don Mello que la Russie « ne cherche ni les matières premières de l'Afrique, ni à la dominer » [3].

Une relation inégale

Reste que la densification des relations observées ces dernières années entre les BRICS et l'Afrique donne à voir une tout autre réalité. Si le rapprochement entre les deux blocs contribue à réintégrer le continent dans les circuits commerciaux internationaux, amplifie la marge de manœuvre des États africains et offre de nouvelles possibilités de financements et d'investissements, force est également de constater que ces relations s'inscrivent dans un rapport tout aussi inégal. En témoigne la structure de leurs échanges, l'Afrique exportant quasi exclusivement vers les BRICS des biens primaires, tandis qu'elle importe de ces pays pour l'essentiel des produits transformés, et accuse par ailleurs vis-à-vis d'eux un déficit commercial de plus en plus grand. Ceci, sans parler des nouvelles dettes qu'elle contracte auprès de ces puissances.

En dépit des bonnes dispositions apparentes des BRICS à l'égard de l'Afrique, cette « coopération » tend ainsi à reproduire la traditionnelle dichotomie Nord-Sud, entre centres et périphéries. Cela risque à terme de consolider la position subalterne du continent dans la division internationale du travail et partant, d'interdire tout processus d'industrialisation autocentré ou souverain que les Africain·es appellent de leurs vœux.

Loin de l'image idéalisée qui en est donnée, les BRICS+ sont des rouages essentiels d'un système qui a marginalisé de nombreux pays pauvres, mais qui a aussi assuré – et assure toujours – leur propre essor économique.

Il ne faut pas s'y tromper. Dans le contexte global d'accumulation capitaliste, ce qui motive la présence des BRICS+ en Afrique et guide l'évolution de leurs rapports avec le continent, c'est bien la conquête de nouveaux marchés et, plus encore, l'accès aux matières premières indispensables à leur propre développement. Derrière leur rhétorique de solidarité Sud-Sud, leur modus operandi n'est guère différent de celui des anciennes puissances coloniales. Malgré leur sacro-saint principe du respect des souverainetés nationales, leur présence en Afrique indique une logique d'exploitation assez similaire. Alors qu'ils se présentent dans les forums internationaux comme un bloc cohérent, en lutte contre un Occident dominateur, chacun de leurs membres y déploie, en effet, à son niveau, des stratégies visant à faire main basse sur les ressources locales, à favoriser l'expansion de leurs géants économiques nationaux, à s'assurer de nouveaux débouchés pour leurs propres exportations, à doper leur propre croissance ou enfin à gagner en influence diplomatique [4].

Des logiques de domination et d'exploitation similaires

Sur le terrain, les projets financés par les BRICS, dans les domaines de l'agro-industrie, de l'industrie minière et énergétique ou des infrastructures, ont des impacts tout aussi destructeurs sur le plan social ou environnemental : accaparement des ressources, spoliation des communautés locales, expansion et renforcement du modèle extractiviste, courses au moins-disant social, destructions des milieux naturels, multiplication des conflits socio-environnementaux, extraction de la plus-value et même militarisation de régions entières, à l'instar de la région frontalière entre le Soudan et la République centrafricaine, sous la coupe des mercenaires du groupe Wagner, rebaptisé récemment Africa Corps. N'en déplaise à Ahoya Don Mello, les actions qu'ils y mènent pour le compte de la Russie ne sont pas spécialement philanthropiques [5]. Dans cette logique d'accumulation par dépossession, les nouveaux membres des BRICS, depuis janvier 2024, ne sont pas en reste. Ainsi, un récent rapport de SuissAid [6] révèle qu'entre 2012 et 2022, 2.596 tonnes d'or en provenance des mines artisanales africaines ont été exportées illégalement vers les Émirats arabes unis (soit près de 50% de tout l'or non déclaré produit en Afrique) pour y être raffinées, ce qui correspond à un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars pour le continent. Très actif dans le marché du carbone, la monarchie, via son entreprise Blue Carbon, est également devenue l'un des principaux accapareurs de terres forestières en Afrique. Au Libéria notamment, la société a fait main basse sur près de 10% du territoire national, privant nombre de communautés des ressources nécessaires à leur survie, une forme de colonialisme vert largement dénoncée par des activistes locaux [7].

Rappelons en outre que s'ils prétendent réformer l'architecture économique internationale, les BRICS+, Chine et Brésil en tête, sont d'ardents défenseurs du libre-échange et de la mondialisation face aux tentations protectionnistes. Ils comptent aussi parmi les principaux utilisateurs des paradis fiscaux, lesquels constituent l'un des instruments les plus efficaces de captation de la richesse en provenance du Sud. Près de 7,8 trillions de dollars, soit 8% de la richesse produite mondialement et 40% des profits des multinationales sont aujourd'hui dissimulés dans ces banques offshore [8].

Un modèle économique « néolibéral avec des caractéristiques du Sud »

De fait, loin de l'image idéalisée qui en est donnée, les BRICS+ sont des rouages essentiels d'un système qui a marginalisé de nombreux pays pauvres, mais qui a aussi assuré–et assure toujours–leur propre essor économique. C'est ce qui explique que même s'ils contestent bruyamment la hiérarchie de l'ordre international, ils ne montrent pas d'empressement à le réformer en profondeur dans le sens d'une meilleure répartition des richesses et des bénéfices du développement au profit des pays les plus pauvres, africains en particulier. Les BRICS+ ne voient, en réalité, ces pays que comme de vastes réservoirs de matières premières et de main-d'œuvre bon marché ou comme des marchés captifs pour l'écoulement de leur production industrielle. Loin de remettre en cause les injustices structurelles héritées de la colonisation puis de la mondialisation, le modèle économique qu'ils promeuvent–qualifié notamment par un économiste indien de « néolibéral avec des caractéristiques du Sud »–, risque au contraire de les amplifier.

Certes, certain·es objecteront que les BRICS participent d'un redéploiement économique de l'Afrique en investissant prioritairement dans des projets d'infrastructure qui y font cruellement défaut. Et que les financements non conditionnés accordés par les BRICS+ aux gouvernements africains leur donnent davantage de latitude dans le choix des projets à financer. Or, l'on constate que la majorité des investissements réalisés par les BRICS, y compris dans les infrastructures (routes, chemins de fer, terminaux portuaires, etc.) sont étroitement connectés à leur entreprise d'extraction des ressources. Quant à l'absence de conditionnalités, que beaucoup voient comme un moyen d'échapper aux diktats occidentaux, elle est à double tranchant. Si elle donne une marge de manœuvre bien plus large aux gouvernements, elle permet aussi à ces derniers de se soustraire à leur obligation en matière de respect des droits humains, de protection de l'environnement ou de transparence dans la gestion des fonds publics. De même qu'elle permet aux investisseurs des BRICS+ de se soustraire de toute responsabilité en la matière. Au fond, le « schéma reste le même à peu de chose près, prévient l'écrivain et sociologue sénégalais, Souleymane Gassama, […] le continent [africain] continue d'être perçu comme une opportunité, avec un mélange de prédation capitaliste brutale associé à un soft power, où il s'agit pour les nouveaux arrivants de jouer sur les affects et leur absence de passif colonial » [9].

En tout état de cause, la prospérité de l'Afrique ne dépendra pas des BRICS+. Elle dépendra de la capacité de ses gouvernements à formuler un projet de développement autonome et autocentré, répondant d'abord aux priorités, aspirations et besoins de sa population. Et non pas aux intérêts d'une petite élite. Et de son habilité à tirer parti de partenariats multiples, sans se laisser enfermer dans une logique « campiste », sous peine de voir les vieilles dominations impérialistes remplacées par d'autres. Elle dépendra enfin de la capacité des sociétés civiles africaines à se mobiliser, à faire pression sur les autorités et à faire entendre la voix des sans-voix.

***

Laurent Delcourt

Source : CETRI

Notes

[1] CETRI, « Les BRICS et l'Afrique : Une opportunité pour rejeter les diktats imposés par les Occidentaux », entretien avec Agnès Adélaïde Metougou, par Laurent Delcourt, 6 juin 2024, www.cetri.be.

[2] « Portrait : Ahoua Don Mello, le visage de l'autre Afrique », L'Humanité, 20 mars 2024.

[3] « Côte d'Ivoire : Pour Ahoua Don Mello, vice-président des BRICS : La Russie ne recherche ni les matières premières de l'Afrique, ni à la dominer », Koaci, 21 mai 2024.

[4] CETRI, BRICS+ Une alternative pour le Sud global ?, Collection Alternatives Sud, Paris, Syllepse, 2024.

[5] Le groupe Wagner ne mène pas seulement des opérations d'influence, des campagnes de désinformation ou des actions sécuritaires en Afrique. Avec l'appui de plusieurs gouvernements, il a également pris le contrôle de plusieurs mines de diamant, de cuivre et d'or, lui permettant, entre autres, de financer ses opérations militaires en Ukraine. Entre le déclenchement de l'invasion russe en décembre 2023, l'exploitation des seules mines d'or (au Mali, au Soudan et en République centrafricaine) lui aurait ainsi rapporté quelque 2,5 milliards de dollars selon un récent rapport, lequel met également en lumière les nombreux abus commis par les mercenaires et leurs supplétifs locaux sur les sites miniers ou dans leur périmètre. Voir : The Blood Gold Report, How the Kremlin is using Wagner to launder billions in African gold, décembre 2023.

[6] SwissAid , On the Trail of African Gold. Quantifying Production and Trade to Combat Illicit Flows, mai 2024.

[7] « The new scramble for Africa : how a UAE sheikh quietly made carbon deals for forest bigger than UK », The Guardian, 30 novembre 2023.

[8] CETRI, BRICS+ Une alternative pour le Sud global ?,op.cit.

[9] « Il est essentiel de désaliéner l'Afrique d'ellemême et de ce qu'elle est censée être, mais plus encore l'Occident de luimême », grand entretien avec El Hadj Souleymane Gassama (Elgas), RIS –Revue internationale et stratégique, n° 130, été 2023.

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L’héritage du colonialisme et de l’apartheid sur la terre et le travail en Afrique du Sud

29 octobre 2024, par Marthinus van Staden — , ,
La dépossession des terres de la population noire, majoritaire en Afrique du Sud, reste un problème épineux, trente ans après l'instauration de la démocratie. Les nouvelles (…)

La dépossession des terres de la population noire, majoritaire en Afrique du Sud, reste un problème épineux, trente ans après l'instauration de la démocratie. Les nouvelles recherches du spécialiste du droit du travail Marthinus van Staden examinent la relation historique entre la dépossession des terres et le contrôle du travail en Afrique du Sud. Il étudie comment la saisie systématique des terres des peuples autochtones pendant la colonisation et l'apartheid les a réduits du statut de propriétaires fonciers à celui de travailleurs, dans des conditions d'exploitation, et comment les effets perdurent encore. The Continent lui a demandé de s'expliquer.

Tiré d'Afrique en lutte.

Quelle est l'histoire de la dépossession des terres et du contrôle du travail en Afrique du Sud ?

L'histoire de la colonisation s'étend sur plusieurs siècles, commençant avec la colonisation néerlandaise au milieu du XVIIe siècle . Elle s'est intensifiée sous la domination britannique à partir de la fin du XVIIIe siècle . Les premières politiques coloniales étaient incohérentes, mais ont progressivement évolué vers des accaparements de terres et des réglementations du travail plus systématiques .

La découverte de minéraux – principalement d'or et de diamants – dans les années 1880 a accru la demande de main-d'œuvre noire bon marché.

Le XIXe siècle a été marqué par d'autres évolutions importantes, notamment l' abolition de l'esclavage et l'introduction de lois sur les laissez-passer . Ces lois imposaient aux Noirs de détenir des documents d'identité qui limitaient leurs déplacements, leur emploi et leur installation.

La loi sur les terres indigènes de 1913 limitait considérablement la propriété foncière des Noirs. Elle empêchait les Noirs de posséder ou de louer des terres dans 93 % du territoire sud-africain, qui étaient réservées aux Blancs. De nombreux agriculteurs noirs qui possédaient ou louaient auparavant des terres dans ce qui avait été désigné comme des « zones blanches » ont été contraints de devenir ouvriers agricoles dans des fermes appartenant à des Blancs. Ou bien ils ont dû déménager dans des « réserves » mises en place par l'État.

Cela a été suivi par une série de lois mettant en œuvre la ségrégation urbaine et l'expansion des « réserves indigènes ».

L' apartheid, qui a été une période de ségrégation raciale formelle de 1948 à 1994, a été marqué par les mesures les plus extrêmes de dépossession des terres et de contrôle du travail. La création du système des homelands a relégué les Sud-Africains noirs dans dix zones économiquement non viables, selon des critères ethniques. Les Noirs des homelands ont été pour la plupart contraints de travailler dans l'Afrique du Sud « blanche », où ils n'avaient aucun droit légal en tant que travailleurs.

Ce n'est qu'en 1979 que les syndicats noirs ont été autorisés à s'enregistrer. Cela leur a permis d'opérer ouvertement et de négocier avec les employeurs et le gouvernement pour obtenir de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.

Les syndicats ont joué un rôle important sur le plan politique. Ils ont renforcé la voix et l'influence politiques des travailleurs noirs. En fait, toutes les lois du travail avant 1981 avaient pour caractéristique d'exclure les travailleurs noirs de leur champ de protection.

Ce n'est qu'après la fin de l'apartheid en 1994 que des efforts ont été entrepris pour remédier aux séquelles de la dépossession des terres et aux pratiques de travail déloyales, par le biais de restitutions et de réformes. Les processus de réforme agraire ont été critiqués pour leur inefficacité.

Quel effet a eu la dépossession ?

La dépossession a créé un vaste bassin de main-d'œuvre bon marché pour les fermes et les industries appartenant aux Blancs. Sans accès à la terre pour l'agriculture de subsistance ou commerciale, les Sud-Africains noirs n'avaient d'autre choix que de travailler pour de bas salaires dans l'économie capitaliste. Le contrat de travail, transplanté du droit colonial, est devenu un outil de contrôle sur ces travailleurs. Il a renforcé leur statut de subordonnés.

Le contrat de travail de common law, avec son élément inhérent de contrôle de l'employeur, a été appliqué aux peuples autochtones autrefois indépendants, désormais contraints au travail salarié.

Les homelands assuraient un approvisionnement continu en main d'œuvre migrante noire bon marché. Ce système de privation de terres et de contrôle du travail ne servait pas seulement les intérêts économiques de la minorité blanche. Il renforçait également les hiérarchies raciales .

Les conséquences socio-économiques perdurent. Les travailleurs noirs sont toujours plus susceptibles d'être au chômage – ou d'occuper un emploi précaire – que les blancs.

Pourquoi est-ce important aujourd'hui ?

L'héritage de la dépossession des terres et du contrôle du travail continue de façonner le paysage social, économique et politique de l'Afrique du Sud. Il s'agit d'un élément essentiel à prendre en compte dans les efforts visant à construire une société plus juste et plus équitable.

Cette histoire a créé de profondes disparités économiques. La concentration de la propriété foncière et des richesses entre les mains de la minorité blanche demeure largement intacte, perpétuant ainsi les inégalités socio-économiques .

La lutte actuelle pour la restitution et la réforme des terres est directement liée à cette histoire. Il est essentiel de s'attaquer aux séquelles de la dépossession pour assurer la justice économique et la stabilité sociale.

Comprendre cette histoire est essentiel pour élaborer des politiques efficaces visant à lutter contre la pauvreté , le chômage et les inégalités de développement.

Elle est également essentielle à la réconciliation nationale et à la construction d'une société plus équitable. Elle sous-tend les débats actuels sur la justice sociale, les réparations et la transformation des structures économiques.

Quelles politiques pratiques et correctives faut-il mettre en œuvre ?

Le lien historique entre la perte de terres et l'assujettissement au moyen des contrôles inhérents au contrat de travail fait de la réforme agraire une première étape nécessaire pour inverser ce processus.

Le gouvernement a mis en place des mécanismes formels pour mettre un terme à la propriété foncière racialisée. Toutefois, les programmes de restitution et de réforme des terres doivent être renforcés et accélérés.

Ces mesures devraient inclure la restauration des droits fonciers lorsque cela est possible et l'appui à une utilisation durable des terres. Cela permettrait de répondre aux aspects économiques et émotionnels de la dépossession historique.

Des lois comme la Loi sur les relations de travail et la Loi sur l'équité en matière d'emploi ont largement contribué à renforcer la protection des droits des travailleurs, en particulier ceux qui occupent des emplois précaires. Cependant, il faut repenser la manière dont ces lois continuent de cautionner une conception du travail qui privilégie le contrôle.

Il faut réformer ces systèmes pour promouvoir l'égalité, la dignité et des pratiques de travail équitables. Les réformes doivent s'appuyer sur des modèles plus collaboratifs et s'attaquer aux impacts socio-économiques afin de réparer les injustices historiques.

Des initiatives ciblées de développement économique sont nécessaires dans les zones historiquement défavorisées, notamment les anciens territoires ancestraux. Il pourrait s'agir de développement des infrastructures, de programmes de formation professionnelle et de soutien aux petites entreprises pour créer des opportunités économiques.

Ces politiques correctives devraient faire partie d'une stratégie globale visant à remédier aux injustices historiques et à créer une société sud-africaine plus équitable.

***

Marthinus van Staden est professeur associé de droit du travail à l'Université du Witwatersrand.

Source

Traduction automatique de l'anglais

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NON à un accord de libre-échange entre le Canada et l’Équateur !

29 octobre 2024, par Sabine Bahi — , , ,
Fanny Kaekat, Hortencia Zhagüi, Zenaida Yasacama et Ivonne Ramos sont des femmes autochtones équatoriennes et militantes en provenance de différentes communautés amazoniennes. (…)

Fanny Kaekat, Hortencia Zhagüi, Zenaida Yasacama et Ivonne Ramos sont des femmes autochtones équatoriennes et militantes en provenance de différentes communautés amazoniennes. Côte à côte, elles ont parcouru le Canada pendant une semaine pour s'opposer activement à l'accord de libre-échange qui est négocié entre le Canada et l'Équateur. Après Toronto et Ottawa, elles étaient présentes à Montréal le vendredi 4 octobre pour faire appel au soutien des Canadien.nes dans leur lutte contre la présence de compagnies minières canadiennes sur leurs territoires.

22 octobre 2024 | tiré du Journal des alternatives | Photo : Quatre femmes autochtones équatoriennes à Montréal pour s'opposer au projet en négociation | Sabine Bahi, correspondante en stage
https://alter.quebec/non-a-un-accord-de-libre-echange-entre-le-canada-et-lequateur/

Les peuples autochtones représenteraient une menace au développement économique : tel est le narratif véhiculé par les parties en négociation, selon les militantes. Alors que la lutte contre l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Équateur n'a pas donné de résultats dans leur pays d'origine, les quatre femmes autochtones équatoriennes ont voyagé jusqu'au Canada dans l'espoir que leur voix ait une plus grande portée.

L'accord en question a pour objectif principal l'accroissement des activités des entreprises canadiennes sur le territoire équatorien. Entre les lignes, il s'agit d'une invitation claire aux compagnies minières du Canada pour développer plus de projets extractifs en Équateur. Or, les communautés autochtones en Amazonie déplorent déjà depuis plusieurs décennies l'existence de nombreux projets qui bafouent leurs droits en toute légalité, malgré l'absence de leur consentement et de l'écoute de leurs revendications. En Équateur, la présence des compagnies minières canadiennes remonte à environ 30 ans, comme l'a évoqué Ivonne Ramos.

Le Canada, véritable machine minière

À l'entrée de l'événement, des brochures d'information étaient prêtes à être consultées sur la table d'accueil. Plusieurs rappelaient l'intensité des activités pétrolières et minières menées par l'État canadien dans le monde. Le Canada est l'un des plus grands joueurs étatiques dans l'industrie minière à l'échelle mondiale, pour ne pas dire le plus grand. Plus de la moitié des sociétés d'exploitation minière et d'exploration minérale cotées en bourse proviennent du Canada. En 2022, les compagnies canadiennes exerçaient leurs activités dans 98 pays étrangers, et ce majoritairement en Amérique latine et dans les Caraïbes. En 2023, 34 compagnies et consortiums canadiens étaient impliqués dans 37 projets dans la région, et la grande majorité de ces projets relevaient du secteur de l'extraction.

Le Canada prétend que les projets d'extraction déployés par les entreprises canadiennes sont guidés par le respect des droits humains ainsi que le consentement préalable des communautés autochtones. Dans les faits, le portrait des activités minières du pays démontre une réalité tout autre.

D'importantes violations de droits humains en jeu

Les projets miniers perpétrés par le Canada en Équateur ont des effets destructeurs sur la vie quotidienne des communautés autochtones amazoniennes et bafouent systématiquement leurs droits humains. Zenaida Yasacama, présidente de la Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur (CONAIE), mentionnait avant tout l'atteinte au droit à la vie. Considérant le lien inextricable entre la nature et les modes de vies de leurs communautés, les impacts environnementaux des entreprises minières canadiennes affectent directement leur capacité de survie. Qui plus est, plusieurs membres des peuples autochtones ont déjà été assassinés pour le simple fait de lutter contre les projets mis en place sur leurs territoires.

Une notion clé à la compréhension de la problématique des activités d'extraction menées sur les territoires des peuples autochtones amazoniens est celle du consentement préalable, libre et éclairé. Ce droit a été consacré en droit international en 2007 dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Celle-ci stipule que le consentement des autochtones doit être octroyé préalablement à la réalisation de projets, de manière non forcée et en connaissance de cause. Malgré le fait que le Canada reconnaisse ce droit, les quatre femmes présentes à la table ronde ont insisté sur le fait qu'elles et leurs communautés n'ont jamais été informées de l'élaboration de l'accord de libre-échange avant d'en voir les conséquences.

De telles violations de droits humains par les compagnies minières canadiennes sont des composantes systémiques d'une politique de développement économique qui ne reconnaît pas les impacts engendrés sur les communautés autochtones et l'environnement, voire qui en profite. C'est en maintenant une logique d'accroissement et de protection de ses investissements que le Canada continue de signer des traités de libre-échange avec de nombreux pays du Sud global, et ce malgré les multiples avertissements émis par différentes organisations de droits humains depuis des décennies.

Un processus juridique entamé

Des actions juridiques ont déjà été mises en œuvre par des communautés autochtones de la forêt amazonienne face à l'accord de libre-échange. La Constitution équatorienne n'est pas vide de dispositions pouvant être utilisées en faveur de la lutte en cours. Ivonne Ramos a notamment mentionné l'article 422 du document constitutionnel, qui prévoit que les traités ou instruments internationaux impliquant le recours à de l'arbitrage international ne puissent avoir effet en Équateur.

Les quatre femmes autochtones équatoriennes ont affirmé à maintes reprises qu'elles ne baisseraient pas les bras avant que le Canada cesse ses activités d'extraction dans la forêt amazonienne, et que le pays renonce à son accord de libre-échange avec l'Équateur. Les deux pays entrent dans la quatrième ronde de négociations et souhaitent conclure l'accord d'ici le début de l'année prochaine. À l'aune de ce court échéancier, toutes les personnes présentes à la table ronde ont quitté l'événement avec un objectif précis : faire écho à la lutte des communautés autochtones équatoriennes pour que les dirigeant.es ne puissent plus l'ignorer.

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Gauches et droites latino-américaines dans un monde en crise

29 octobre 2024, par Eric Toussaint , Franck Gaudichaud — ,
Nous publions la préface rédigée par Franck Gaudichaud et Éric Toussaint à la demande de la revue cubaine Temaspour un livre coordonné par Julio César Guanche à paraître en (…)

Nous publions la préface rédigée par Franck Gaudichaud et Éric Toussaint à la demande de la revue cubaine Temaspour un livre coordonné par Julio César Guanche à paraître en Argentine sous le titre Izquierdas y derechas en America latina.

Tiré du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM)
19 juin 2024

Par Eric Toussaint , Franck Gaudichaud

Emergentes + Hernán Vitenberg para Emergentes (CC BY-NC 4.0)

Le monde de ces dernières années a été marqué par de multiples crises. On pourrait parler d'une « polycrise » globale, intersectionnelle et interconnectée du capitalisme néolibéral : turbulences politiques et économiques profondes, guerres et violences armées, effondrement accéléré des écosystèmes et du climat, pandémies et extractivismeprédateur, redéfinitions brutales des équilibres géopolitiques et tensions inter-impérialistes, etc. Une fois de plus, l'humanité traverse des ouragans et des défis majeurs dans un moment historique où, manifestement, sa survie même en tant qu'espèce et son (in)capacité à habiter collectivement et pacifiquement cette planète sont d'ores et déjà en jeu. La grande révolutionnaire allemande Rosa Luxemburg déclarait, dans les années 1910, alors qu'il était minuit dans le siècle dernier : socialisme ou barbarie ! Ce slogan résonne très fort aujourd'hui [1], dans un contexte où les peuples et les mouvements populaires continuent de résister, de se mobiliser, de débattre, de proposer, mais sans parvenir à surmonter la fragmentation structurelle, ni - pour l'instant - à voir des forces politiques émancipatrices ayant une réelle capacité à accompagner, consolider ces résistances et construire un cap à moyen terme pour des alternatives démocratiques et éco-sociales « raizal », pour citer le sociologue colombien Orlando Fals Borda (1925-2008).

Cependant, si l'on observe les Amériques « latines » et les Caraïbes au cours des deux dernières décennies, les terres de Berta Cáceres (1971-2016), José Carlos Mariátegui (1894-1930) et Marielle Franco(1979-2018) semblent chercher de nouvelles voies sociales et politiques, réveillant les espoirs de la gauche mondiale, au-delà de la chute du mur de Berlin et d'un néolibéralisme vorace. « Tournant à gauche », « vague progressiste », « fin du néolibéralisme », « marée rose » : l'inflexion sociopolitique vécue par de nombreux pays d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale dans les années 2000 a surpris beaucoup d'observateurs et d'observatrices et même fasciné beaucoup d'autres, notamment en Europe [2]. Le défi - en particulier pour des pays comme la Bolivie, le Venezuela et l'Équateur, qui ont construit un narratif et une promesse « transformatrice » - était de trouver des voies politico-électorales et nationales-populaires avec une clé « post-néolibérale » et anti-impérialiste. Pour certains militant.e.s et mouvements, il ne s'agissait pas seulement de « démocratiser la démocratie », mais aussi de ne pas rester enfermé dans un nouveau modèle fondé sur l'extractivisme des matières premières, la soumission au marché mondial et diverses formes de colonialisme interne et externe.

Plus de 20 ans après le début de ce « cycle », nous pouvons constater à quel point cet objectif de transformation n'a pas été atteint, bien qu'à des rythmes et des réalités très différents selon les scénarios régionaux et nationaux d'Abya Yala[3]. Obstacles et difficultés, désenchantement et désillusion ont été communs à plusieurs pays gouvernés par la gauche et le « progressisme », sans qu'une dynamique homogène ne soit perceptible. Parallèlement, les forces conservatrices et les nouvelles extrêmes droites ont su capitaliser sur ce contexte de crises multiples, pour imposer de nouveaux récits politiques et culturels furieusement « antiprogressistes », soutenus par les grands groupes médiatiques et par les oligarchies économiques locales et impériales, afin, in fine, de se poser en « alternatives populaires » : Javier Milei est le dernier maillon de cette chaîne réactionnaire globale [4]. Nayib Bukele Ortez, réélu à la présidence du Salvador en février 2024, a développé un style de gouvernement qui rappelle l'expérience de la présidence de Rodrigo Duterte aux Philippines entre 2016 et 2022, durant laquelle des milliers d'exécutions extrajudiciaires contre des secteurs populaires « lumpénisés » ont été menées par les forces répressives sous son contrôle au nom de la lutte contre le trafic de drogue. Daniel Noboa, élu président de l'Équateur en 2023, pourrait tenter d'aller dans ce sens.

Comme le montre ce livre, il est essentiel d'établir un bilan critique et argumenté des dernières décennies, du point de vue des sciences sociales et de leur méthodologie, en approfondissant et en débattant les essais et les publications qui tentent de décrypter l'Amérique latine d'aujourd'hui. L'objectif est d'analyser dans sa complexité changeante la période ouverte dans les années 2000 (avec l'élection d'Hugo Chávez en 1999), produit des luttes sociales et populaires contre l'hégémonie néolibérale de la période précédente. Un premier sursaut suivi d'une multiplicité de victoires électorales permettant un relatif « âge d'or » (entre 2005 et 2011) de la gauche et des gouvernements progressistes, avec diverses formes d'État compensateur et redistributeur, une baisse notable de la pauvreté et de nouvelles formes de participation politique, période suivie d'un net reflux régional, d'une baisse du prix des matières premières et d'une embellie conservatrice (2011-2018), marquée - entre autres - par la crise profonde de la « révolution bolivarienne », débouchant sur le moment chaotique post-pandémique des dernières années (2019-2023), où l'on a assisté à la victoire de Bolsonaro au Brésil, à la confirmation des dynamiques de droite en Équateur, mais aussi à des soulèvements populaires au Chili, en Haïti, en Colombie, au Pérou et en Équateur. Dans le même temps, une troisième nouvelle « vague » de gauches institutionnelles( ou « progressisme tardif » selon Massimo Modonesi), clairement limitée (par rapport au début du siècle), a commencé à prendre forme au Chili avec l'élection de Gabriel Boric (2021), en Colombie avec la victoire de Gustavo Petro (2022), Honduras avec la présidence de Xiomara Castro (2022), Guatemala avec l'élection de Bernardo Arévalo en 2023 mais aussi - depuis 2018 - avec l'élection de Manuel López Obrador au Mexique ou en 2020 avec le retour démocratique du Mouvement pour le Socialisme (MAS) en Bolivie.

Cet ouvrage collectif, coordonné par le chercheur Julio César Guancheet publié par la revue cubaine Temas, nous invite à comprendre ces processus à partir de différents points de vue, géographies et sensibilités. L'intérêt principal de cette publication est de couvrir les réalités politiques et sociales de plusieurs pays : l'Argentine, le Brésil, le Chili, l'Équateur, le Mexique, le Pérou et Cuba, à partir d'un examen critique des continuités et des nouveaux phénomènes dans la région, en particulier les transformations sociales et culturelles souterraines qui sous-tendent les changements politiques en cours. Ainsi, ce livre pluraliste traite des processus de gauche ou « progressistes » au pouvoir, ainsi que des processus conservateurs et réactionnaires. Il décrit les dimensions plébéiennes du populisme ou de l'extrême droite (en Équateur, au Brésil et au Pérou), et décrypte les contradictions des progressistes au pouvoir. Si les auteurs envisagent ici les aspects partisans et institutionnels (par exemple, à propos de la droite équatorienne ou de la gauche chilienne et mexicaine), ce n'est pas sans laisser de côté le vaste champ des mobilisations collectives et de la société civile organisée : mouvements sociaux afro-descendants, luttes féministes et anti-féministes, mouvements religieux fondamentalistes, mouvements indigènes sont tous présents dans cet opus. Sans aucun doute, la diversité des approches et des origines des chercheurs inclus ici, qui ont tous une longue histoire de travail et de vie dans différents pays de la région, permet au lecteur d'offrir une vision intéressante, plurielle et contrastée du continent à l'heure actuelle.

Le politologue Noberto Bobbio, dans son ouvrage désormais classique, Droite et gauche, essai sur une distinction politique [5] a souligné de manière convaincante que la distinction des deux pôles de ce binôme peut être un bon point de départ pour réfléchir à une carte politique. Dans cette distinction, Bobbio part de l'axe liberté/égalité pour classer les forces politiques : les droites revendiquant de manière privilégiée le concept de « liberté » (du marché et/ou de l'individu en particulier) et les gauches celui d'« égalité » (et d'émancipation sociale et collective). En transposant cette réflexion à l'Amérique latine et aux Caraïbes, et en rompant avec les visions eurocentriques, il serait nécessaire d'introduire un ensemble d'autres concepts pour penser cette distinction, tels que la colonialité du pouvoir et les conceptions nationales/plurinationales de l'État, les notions de souveraineté populaire et d'anti-impérialisme, les droits des peuples indigènes et les rapports sociaux de race ou de genre, les modèles de développement et les modèles socio-environnementaux, etc. Au-delà de ces caractérisations, ce sont surtout les zones grises et les recoins des espaces sociopolitiques latino-américains actuels que ce livre confirme, des espaces qui ne se résument pas à une simple dichotomie gauche/droite. Cette publication propose des versions actualisées de textes parus dans un dossier de la revue Temas en 2022. Dans leur présentation, les coordinateurs notent à juste titre :

« L'arrivée de nouveaux gouvernements de gauche et de centre-gauche identifiés comme la « marée rose » en Amérique latine et dans les Caraïbes ne fait que renvoyer à un phénomène électoral, dont l'environnement politique est plus complexe. En son sein coexistent des différences stratégiques, des croisements de bases sociales entre les zones de gauche et les zones conservatrices, comme le néo-évangélisme, le rejet de l'autoritarisme de certains mouvements progressistes, des critiques sur les questions de genre, la justice raciale et environnementale, les revendications des peuples indigènes, et d'autres sujets à l'ordre du jour politique, comme la transition énergétique, la perpétuation de l'extractivisme et sa corrélation avec un système de démocratie populaire, qu'il s'appelle socialisme ou non« . Bien qu'ils aient perdu des sièges au gouvernement, les courants conservateurs ont gagné une base populaire, comme le reflète non seulement leur représentation parlementaire, mais aussi le renforcement du consensus néolibéral parmi ces autres bases, sur la »liberté« et la »démocratie« et contre le »populisme". Ces courants n'ont pas cessé d'utiliser la répression pour maintenir un régime d'inégalité caractérisé par une grande dévastation sociale ». [6]

Plus que jamais, les réalités latino-américaines montrent la turbulence des sociétés et de l'ensemble des forces politiques : une situation dans laquelle l'extrême droite « libertarienne » et « anarcho-capitaliste » est capable de faire un ratissage électoral dans des secteurs populaires précaires, alors que dans le même temps, des courants politiques émergeant du cœur de la gauche incarnent des pratiques autoritaires ou sont déconnectés des mouvements sociaux, féministes ou écologistes. C'est ce que confirment plusieurs chapitres du livre et ce que souligne Daniel Kersffeld, rappelant que le progressisme a été marqué ces dernières années par diverses formes de caudillisme, de corruption, d'acceptation d'un modèle de développement extractiviste, ou encore par la mise en œuvre de politiques de « main de fer » et de militarisation, qui semblaient jusqu'à récemment être le « patrimoine politique » de la droite. Dans un autre chapitre, la chercheuse et militante féministe antiraciste Alina Herrera Fuentes souligne que le conservatisme patriarcal ne vient pas seulement des rangs de la droite :

« Les parcours nationaux des progressistes ont été et sont profondément fragiles et discontinus. À certaines périodes et sur certaines questions, des progrès ont pu être accomplis, mais ils se sont arrêtés à d'autres moments. Par exemple, alors que le taux de pauvreté global a diminué, la féminisation de la pauvreté a augmenté au cours de cette période. En d'autres termes, la pauvreté a globalement diminué, mais les femmes ont moins bénéficié que les hommes des politiques qui ont permis d'atteindre cet objectif (ONU Femmes 2017). Mais surtout, ce sont les politiques qui remettent en cause les normes traditionnelles de la famille et de la sexualité - comme l'avortement, le mariage homosexuel, la reconnaissance de l'identité de genre et, dans certains cas, la violence fondée sur le genre - qui ont été le plus entravées par le conservatisme des dirigeants ou directement par les alliances entre les hommes politiques au pouvoir et le néoconservatisme religieux en expansion. Les preuves à cet égard infirment l'hypothèse selon laquelle, par définition, la politique de gauche remet en question les croyances et les hiérarchies conservatrices, avec une base religieuse implicite ou explicite ».

Bien entendu, ces observations n'effacent pas le bilan positif des années 2000-2010 en termes de lutte contre la pauvreté, de progrès des politiques publiques en matière d'éducation, de santé ou de construction de logements, de conquête de processus constituants originaux (Bolivie, Équateur, Venezuela), l'élan bolivarien pour une intégration régionale indépendante des Etats-Unis (UNASUR, CELAC, ALBA), le développement d'une nouvelle diplomatie Sud-Sud, notamment grâce à Hugo Chávez, qui a tenté de privilégier un axe de gauche anti-impérialiste, et dans une certaine mesure à Lula, qui a favorisé l'accroissement de l'influence de son pays dans la région et l'axe des BRICS. En ce qui concerne les politiques internationales de Lula et de Dilma Rousseff, il serait utile de prendre en compte et d'actualiser l'analyse faite par l'auteur marxiste brésilien Ruy Mauro Marini (1932-1997) dans les années 1960, lorsqu'il a qualifié le Brésil de « sous-impérialisme ». Comme le note Claudio Katz :

« Ruy Mauro Marini ne s'est pas contenté de ressasser les vieilles dénonciations du rôle oppressif des États-Unis. Il a plutôt introduit le concept controversé de »sous-impérialisme« pour décrire la nouvelle stratégie de la classe dirigeante brésilienne. Il a décrit les tendances expansionnistes des grandes entreprises affectées par l'étroitesse du marché intérieur et a perçu leur promotion de politiques étatiques agressives pour faire des incursions dans les économies voisines ». [7]

Alors qu'Hugo Chávez soutenait activement le projet ALBA avec Cuba, avec l'appui notamment de la Bolivie et de l'Équateur, et jetait les bases d'une Banque du Sud, Lula a donné la priorité au renforcement du rôle régional et international du Brésil en tant que puissance régionale, coordonnant l'intervention militaire en Haïti (ce qui convenait parfaitement à Washington) et participant activement au lancement des BRICS en 2009 avec la Russie, la Chine et l'Inde (auxquels s'est ajoutée l'Afrique du Sud en 2011). Hugo Chávez avait besoin de la protection du Brésil de Lula contre le danger posé par Washington, et espérait beaucoup de son soutien à la création de la Banque du Sud. Bien que l'acte fondateur de la Banque ait été signé à Buenos Aires - en décembre 2007 - par les présidents brésilien Lula, argentin Néstor Kirchner, bolivien Evo Morales, vénézuélien Hugo Chávez et paraguayen Nicanor Duarte Fruto, le Brésil a effectivement paralysé la mise en œuvre de la Banque [8]. La Banque du Sud n'a jamais fonctionné [9] et aucun crédit n'a été accordé au cours des quinze années qui ont suivi sa création. En fait, Lula a favorisé l'utilisation de la Banque Nationale de Développement Économique et Social (BNDES) pour la politique de crédit dans la région. Cette banque accorde des crédits à de grandes entreprises brésiliennes comme Odebrecht, Vale do Rio Doce, Petrobras, etc. afin qu'elles puissent étendre et renforcer leurs activités à l'étranger [10]. Par la suite, Lula a soutenu le lancement des activités de la Nouvelle Banque de Développement (NBD) créée par les BRICS, basée à Shanghai et présidée à partir de 2023 par Dilma Rousseff [11]. Lula a également favorisé le Mercosur, qui correspondait aux intérêts du grand capital brésilien. L'avortement de la Banque du Sud doit être inclus dans l'évaluation critique de la première vague du progressisme. De même que l'isolement relatif de l'Équateur en 2007-2009 dans sa décision d'auditer sa detteet de suspendre le paiement d'une grande partie de celle-ci, en la déclarant illégitime. L'Équateur a remporté une victoire éclatante contre ses créanciers privés, mais son exemple n'a pas été suivi par les autres pays de la région, malgré les promesses faites lors de la réunion des chefs d'État de la région qui s'est tenue au Venezuela en juillet 2008, et contre la volonté du président Fernando Lugo (Paraguay) de suivre l'exemple de l'Équateur [12].

Ainsi, à l'heure du bilan, on perçoit toutes les nuances, les revers et les limites de ce premier cycle, tributaire d'équilibres fragiles et transitoires, qui a laissé place à une recomposition de la droite et même à des figures fascisantes (Bolsonaro, Kast, Milei, Añez, Bukele, etc.). En fait, si ce livre parle de « gauches et de droites » au pluriel, il explore aussi la notion même de « progressisme ». Cette caractérisation est présente dans presque tous les chapitres, mais que signifie aujourd'hui le progressisme latino-américain : la crise du processus bolivarien au Venezuela, les timides réformes du jeune président Boric au Chili, le « populisme de gauche » d'AMLO ? Ce mot est par excellence conceptuellement vaste et ambigu, devenant un mot insaisissable et en même temps omniprésent. En fait, il est intéressant de rappeler que « cette notion de progressisme appartient au langage par lequel, historiquement, la gauche marxiste a désigné les programmes et les forces sociales et politiques sociaux-démocrates, populistes ou nationaux-populistes qui cherchaient à transformer et à réformer le capitalisme en introduisant des doses d'intervention et de régulation de l'État et de redistribution des richesses : dans le cas de l'Amérique latine, avec un net accent anti-impérialiste et développementaliste. Ce dernier aspect, aujourd'hui présenté comme le »néo-développementalisme« , est lié à la notion de progrès et contribue à définir l'horizon et le caractère du projet, ainsi que les critiques qui, à partir de perspectives environnementalistes, écosocialistes ou postcoloniales, remettent en question l'idée de progrès et de développement, tant dans leurs expressions au cours des siècles passés que dans leur prolongement au XXIe siècle ». [13]

Nous pensons que ce livre montre que des ambiguïtés et des points de fuite peuvent également être trouvés lorsqu'il s'agit de définir les droits du temps présent, le conservatisme ou même la nouvelle extrême-droite. Cependant, ce que les cas de l'Équateur analysé par Franklin Ramírez Gallegos, du Brésil présenté par Luiz Bernardo Pericás et du Pérou (article de Damian A. Gonzales Escudero) soulignent, c'est qu'une base commune pour la consolidation et la radicalisation de la droite actuelle est la confrontation frontale avec le progressisme, que ce soit dans ses aspects nationaux-populaires ou de centre-gauche. C'est ce que confirme un pays, aujourd'hui scénario capital de la réaction continentale : l'Argentine, où la construction de la candidature « outsider » de Milei s'est appuyée sur la haine d'une partie de l'électorat pour le péronisme et le kirchnerisme, dans un contexte d'effondrement économique, d'hyperinflation et de rejet de l'administration d'Alberto Fernández, qui n'a pas tenu ses promesses de dénoncer la dette illégitime et odieuse contractée par Mauricio Macri auprès du FMIen 2018. Un autre pays qu'il serait intéressant d'inclure dans les réflexions est le Nicaragua de Daniel Ortega, car il offre l'exemple dramatique d'un pays gouverné par une force politique initialement issue d'une révolution (1979-1989) et qui incarne aujourd'hui la tutelle d'un clan familial répressif, qui a voulu mettre en œuvre un programme du FMI en 2018, provoquant une rébellion massive de la jeunesse et d'autres secteurs populaires, et qui a décidé de la réprimer brutalement afin de rester au pouvoir [14].

Il faut ici reconnaître un autre aspect original de ce livre : il inclut une réflexion sur la situation à Cuba, une réflexion critique nécessaire quand Cuba et sa révolution ont été un « phare » central de l'imaginaire de la gauche latino-américaine et mondiale tout au long du vingtième siècle [15]. Manuel R. Gómez revient sur l'histoire de la droite cubaine, en tant qu'instrument « utile » - mais non décisif - de la politique étatique et impériale des Etats-Unis, tant dans les périodes de « main de fer » de Washington à l'égard de l'île caribéenne, que de rapprochement relatif et timide sous le mandat Obama. Quant à Wilder Pérez Varona, il pose à juste titre la question suivante : dans quel sens peut-on parler de gauche et de droite à Cuba aujourd'hui, compte tenu des spécificités de l'histoire cubaine depuis 1959 et de son régime sociopolitique ? Là, le terme même de « révolution » est devenu flou, car « pendant des décennies, le terme révolutionnaire a fusionné des relations très diverses. Très tôt, cette condition a expulsé toute opposition de la communauté politique nationale et l'a qualifiée de contre-révolutionnaire. L'utilisation du terme »révolution« a servi à synthétiser une épopée exceptionnelle, dont les réalisations et les acquis ont résisté à la belligérance systématique des États-Unis. Son utilisation a souvent évité à la fois l'analyse des contradictions du processus et de ses acteurs. La prémisse de l'unité face au siège a externalisé le conflit politique ».

Parler aujourd'hui, à Cuba, en termes de gauche/droite renvoie en fait à une question essentielle : celle de la représentation politique ou plutôt de son déficit, dans le contexte d'une société de plus en plus inégalitaire et différenciée, de l'élargissement de la contestation et des exigences croissantes de changements dans les domaines économique et culturel, mais aussi d'une véritable démocratisation politique.

Pour conclure cette brève présentation, revenons à notre constat initial. La « polycrise » mondiale et la prise de conscience que nous entrons dans une période de fortes turbulences qui se font sentir sur l'ensemble du continent. Ainsi, comme l'affirment Gabriel Vommaro et Gabriel Kessler, aujourd'hui « la polarisation idéologique avec des composantes affectives, le mécontentement généralisé et la polarisation autour d'un leader émergent marquent la politique latino-américaine, dont les électorats, comme sous d'autres latitudes, sont de plus en plus volatiles et insatisfaits » [16] . Peut-être avons-nous là une leçon essentielle de ce livre collectif et des urgences qu'il signifie. Au-delà des régimes politiques, de droite comme de gauche, progressistes ou conservateurs, le malaise citoyen et le mécontentement de ceux « d'en bas » s'amplifient. Mais il y a aussi du désespoir si des alternatives démocratiques locales et globales n'émergent pas, un désespoir qui pourrait ouvrir la porte à des forces de plus en plus violentes et réactionnaires, et même à la possibilité du fascisme [17].

Depuis l'œil du cyclone, les auteur.e.s de cet ouvrage contribuent à l'analyse du moment crucial que nous vivons, à une meilleure compréhension du présent et à l'esquisse de perspectives d'avenir pour l'Amérique latine et les Caraïbes.

Traduit de l'espagnol par Christian Dubucq.

Notes

[1] 1. Andreas Malm, Corona, Climate, Chronic Emergency : War Communism in the Twenty-First Century, Londres, Verso, 2020.

[2] 2. Voir par exemple : Tariq Ali, Piratas del Caribe. El eje de la esperanza, Madrid, Foca ediciones, 2008.

[3] 3. Maristella Svampa, Del cambio de época al fin de ciclo : gobiernos progresistas, extractivismo, y movimientos sociales en América Latina, Buenos Aires, Edhasa, 2017 et Massimo Modonesi, « La normalización de los progresismos latinoamericanos », Jacobín América Latina, juillet 2022, https://jacobinlat.com/2022/07/04/la-normalizacion-de-los-progresismos-latinoamericanos.

[4] 4. Pablo Stefanoni, La rébellion est-elle passée à droite ? Paris, Éditions La Découverte, 2022. Miguel Urban, Trumpismos : Neoliberales y Autoritarios. Radiografía de la derecha radical, Madrid, Verso, 2024, https://versolibros.com/products/trumpismos.

[5] 5. Norberto Bobbio, Droite et gauche : essai sur une distinction politique, Seuil, Paris, 1996

[6] Temas, N° 108-109, marzo-octubre 2022, https://temas.cult.cu/revista/revista_datos/3

[7] Claudio Katz, La teoría de la dependencia cincuenta años después, Argentine, Ed. Batalla de Ideas, 2018, p. 102.

[8] Éric Toussaint, Banque du Sud et nouvelle crise internationale, Paris, 2008, CADTM/Syllepse.

[9] Éric Toussaint, La banque du Sud est une alternative, pas celle des BRICS, CADTM, 19 août 2014. Voir également : Éric Toussaint, « L'expérience interrompue de la Banque du Sud en Amérique latine et ce qui aurait pu être mis en place comme politiques alternatives au niveau du continent », https://www.cadtm.org/L-experience-interrompue-de-la-Banque-du-Sud-en-Amerique-latine-et-ce-qui , CADTM, 10 mai 2024.

[10] Caio Bugiato, « A política de financiamento do BNDES e a burguesia brasileira », in Cadernos do Desenvolvimento, http://www.cadernosdodesenvolvimento.org.br/ojs-2.4.8/index.php/cdes/article/view/125/128

[11] Éric Toussaint, « Les BRICS et leur Nouvelle banque de développement offrent-ils des alternatives à la Banque mondiale, au FMI et aux politiques promues par les puissances impérialistes traditionnelles ? », CADTM, 22 avril 2024.

[12] Éric Toussaint et Benjamin Lemoine, « En Équateur, des espoirs déçus à la réussite. Les exemples de l'Afrique du Sud, du Brésil, du Paraguay et de l'Équateur », CADTM, 3 août 2016.

[13] Franck Gaudichaud, Massimo Modonesi, Jeffery Webber, Fin de partie. Les expériences progressistes dans l'impasse, (1998-2019), Paris, 2020, Syllepse.

[14] Nathan Legrand, Éric Toussaint, « Nicaragua, la otra revolución traicionada », CADTM, 30 janvier 2019, https://www.cadtm.org/Nicaragua-la-otra-revolucion-traicionada. Éric Toussaint, « Nicaragua : L'évolution du régime du président Daniel Ortega depuis 2007 », https://www.cadtm.org/Nicaragua-L-evolution-du-regime-du-president-Daniel-Ortega-depuis-2007 , CADTM, 25 juillet 2018. Éric Toussaint, « Nicaragua : Poursuite des réflexions sur l'expérience sandiniste des années 1980-1990 afin de comprendre le régime de Daniel Ortega et de Rosario Murillo », https://www.cadtm.org/Nicaragua-Poursuite-des-reflexions-sur-l-experience-sandiniste-des-annees-1980, CADTM, 12 août 2018.

[15] Tanya Harmer, Alberto Martín Álvarez (dir.), Toward a Global History of Latin America's Revolutionary Left, Gainesville, University of Florida Press, 2021.

[16] Dossier « Cómo se organiza el descontento en América Laina ? Polarización, malestar y liderazgos divisivos », Nueva Sociedad, Nº 310, mars-avril 2024, https://nuso.org/articulo/310-como-se-organiza-el-descontento-en-america-latina/

[17] Dossier « Ultraderechas, neofascismo o postfascismo », Cuadernos de Herramienta, avril 2024, https://herramienta.com.ar/cuadernos-de-herramienta-las-ultraderechas-neofascismo-o-postfascismo

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Le référendum en défense de la sécurité sociale au centre de la lutte de classes en Uruguay

29 octobre 2024, par Ruben Navarro — , ,
Ce dimanche 27 octobre aura lieu en Uruguay le premier tour des élections présidentielles et celle des représentants – députés et sénateurs. En même temps, les votants devront (…)

Ce dimanche 27 octobre aura lieu en Uruguay le premier tour des élections présidentielles et celle des représentants – députés et sénateurs. En même temps, les votants devront s'exprimer sur le référendum contre la réforme de la sécurité sociale.

23 octobre 2024 | rité d'Inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4385

La campagne électorale est marquée par l'absence de propositions, à tel enseigne que même le journal de droite El Observador, parle d'une campagne plate qui devient sale1 .
Les conditions actuelles pour accéder à la retraite

La réforme de la Sécurité sociale du 2 mai 2023 fixe l'âge de départ à la retraite à 65 ans, alors qu'elle était de 60 ans jusqu'en août 2023. Cette réforme a été adoptée par le gouvernement actuel, une coalition hétéroclite de droite très conservatrice qui a soutenu le candidat et actuel président Luis Lacalle Pou, du parti Nacional, fils de l'ancien président Luis Alberto Lacalle Herrera (entre 1990 et 1995). Les autres membres de la coalition sont le parti Colorado, Cabildo Abierto (extrême droite dont le chef est un militaire issu d'une famille liée historiquement à l'extrême droite et à la dictature militaire) et deux autres partis mineurs. Pour sa part, le Frente Amplio, de type front populaire composé de partis d'origine ouvrière (PCU, PS, PVP et de forces bourgeoises) a voté contre cette loi et a proposé des amendements lors du débat parlementaire.

La reforme établit une cotisation obligatoire au BPS (Banco de Previsión Social), la caisse de retraites cogérée par l'État, les patrons et les représentants des travailleurs2 , mais aussi aux AFAP (Administradoras de Fondos de Ahorro Provisional), des organismes privés ou de capital mixte, des fonds de pension. Les apports aux AFAP sont donc obligatoires au-dessus d'un certain seuil (voir ci-dessous). Ces AFAP prennent une « commission » d'entre 4% et 6% même si on ne cotise pas, y compris en cas de chômage. Les prélèvements effectués sur les cotisations obligatoires payées par les travailleurs sont gérés par le BPS, institution publique, ce qui signifie qu'elles n'ont aucun frais de gestion à ce niveau-là.

Les AFAP sont apparues en 1996, sous le deuxième mandat de Julio María Sanguinetti (parti Colorado, droite libérale) lorsque celui-ci a introduit le Système de Prévoyance Mixte, un coup de massue au système solidaire existant. Cette réforme imposait la cotisation obligatoire aux AFAP à partir d'un revenu équivalent, en euros constants, à environ 1900 euros ( 86600 pesos).

Actuellement, la cotisation au BPS et aux AFAP se distribue comme suit :

• Si le salaire brut est inférieur à $85.607 (en pesos uruguayens, environ 1900 euros) : La cotisation est de 15% du salaire. La moitié va au BPS et l'autre moitié est transférée sur le Compte d'Épargne Inidividuel de l'AFAP choisie.

• Si le salaire brut se situe entre $85.607 y $128.410 (entre 1900 et 2850 euros) : Cotisation de 15% du salaire repartie de la manière suivante : jusqu'à $85.607, une moitié reste au BPS et l'autre à une AFAP. La part de cotisation qui dépasse ce montant va au BPS.

• Si le salaire brut se situe entre $128.410 y $256.821 (entre 2850 et 5700 euros) : La cotisation est toujours de 15% du salaire brut et elle se ventile de la manière suivante : Le 15% des $85.607 reste au BPS et tout ce qui dépasse ce seuil est transféré sur le Compte d'Épargne Individuel dans une AFAP.

En dessous du premier seuil (environ 1900 euros), la cotisation aux AFAP et optionnelle. Chaque travailleur se voit prélever trois « commissions » de ses cotisations de retraite : Une « commission d'administration » qui varie entre 4,4% et 6,6 % selon le gestionnaire privé de fonds ; une autre commission qui varie entre 15,6% et 16,7%, prélevée celle-ci par la Banque des Assurances, qui appartient à l'État (Banco de Seguros del Estado) et enfin une commission de « garde », qui tourne autour de 0,0015%, à la Banque Centrale de l'Uruguay.

Ces AFAP, qui disposent d'un fonds d'environ 24 milliards de dollars, financent des projets de l'État mais aussi des investissements à risque dans l'immobilier, y compris des quartiers privés à Punta del Este, haut lieu de la spéculation immobilière, une « place to be » de la grande bourgeoisie latinoaméricaine et étasunienne. Elles financent aussi des projets de certaines mairies dont deux des plus grandes villes de l'Uruguay, Montevideo et Canelones, gouvernées par la coalition progressiste, le Frente Amplio.

Genèse du plébiscite

Deux mois après l'adoption de la réforme, l'Association des travailleurs de la sécurité sociale (ATSS, travailleurs du BPS) a présenté une motion à la direction du PIT-CNT, la centrale syndicale unique, en proposant un référendum dans le but de abroger la réforme des retraites du gouvernement et d'introduire dans la Constitution trois points : 1) suppression des AFAP, 2) établir l'âge de départ à la retraite à 60 ans avec 30 annuités et 3) le montant des retraites ne pourra pas être inférieur au Salaire Minimum National.

Le 10 août 2023, sur 44 syndicats et fédérations membres de la direction du PIT-CNT, 16 ont voté pour mais, suite aux abstentions, la proposition a été adoptée par la centrale ouvrière. Le débat a été dur. La fédération des métallos – la UNTMRA – et le courant Gerardo Cuesta (tous les deux sous très influencés par le PC) proposaient ne pas toucher aux fonds de pension, les AFAP. Mais le syndicat des travailleurs de la sécurité sociale a joué un rôle clé en réussissant à faire adopter la suppression de ces fonds privés, pour la plupart inféodés et contrôles par des multinationales de la spéculation, sauf un, géré par une banque d'État, le Banco República.

L'appel au référendum a été appuyé par la FUCVAM, la coopérative de logements (qui a un poids important dans la société uruguayenne, même si à présent elle compte peu de militants) la FEUU, Fédération des Étudiants Universitaires de l'Uruguay (une tradition très importante mais un poids devenu très relatif) et d'autres organisations.

Pour déclencher un référendum il faut recueillir 10% des inscrits, un peu moins de 250.000 signatures sur quelques 2.680.000 inscrits sur le registre électoral. Ce seuil a été atteint dès le début avril 2023. Mais les organisateurs du référendum ont réussi à recueillir un total de 430.000 signatures avec des campagnes quartier par quartier, en parcourant l'ensemble du territoire, et les ont déposées au siège du Parlement le 27 avril 2023. La procédure référendaire était ainsi enclenchée avec une marge suffisante afin d'éviter les signatures non validées par la Cour Électorale.

La campagne du plébiscite, la gauche et les élections

Le référendum est tombé comme un cheveu dans la soupe dans la valse électorale, comme « Le convive de pierre » de Tirso de Molina, cette statue de don Gonzalo qui à la fin du repas prend la main de Don Juan et le conduit en enfer. Les réactions des partis politiques n'ont pas été immédiates. Le président de la République (Partido Nacional, droite conservatrice, parti héritier de la grande bourgeoisie propriétaire terrienne), a tardé à réagir.

Les premières réactions sont venues de la gauche. Les partis communiste et socialiste, ainsi que d'autres partis moins importants, comme le PVP (Partido por la Victoria del Pueblo) ont soutenu l'initiative du mouvement ouvrier dès le début. Leurs militants syndiqués ont participé à la campagne de collecte de signatures. Ils ont mis leurs appareils à contribution de la campagne du Pit-Cnt. Mais un secteur très important du Frente Amplio, le MPP (Mouvement de Participation Populaire) de l'ancien président Mujica, s'est rapidement positionné contre l'initiative des travailleurs organisés. L'idole de milliers de militants du monde entier a dit que « l'approbation du référendum de la sécurité sociale serait le chaos et que le chemin est la loi »3 .

Les candidats de la gauche à la présidence et vice-présidence, Yamandú Orsi et Carolina Cosse ne voteront pas le « Sí » au référendum. La coalition de gauche a décidé de laisser « liberté d'action » à ses militants.

Une tribune de 112 « experts » du Frente Amplio a annoncé qu'ils feraient campagne contre le référendum de la centrale syndicale4 . Parmi les signataires de cette tribune on retrouve le potentiel futur ministre d'économie en cas de victoire électorale du Frente Amplio, Gabriel Oddone. Les arguments sont les mêmes que l'on a pu entendre dans la bouche de la droite lors de la lutte contre la réforme des retraites en France. Et en plus du « chaos » de Mujica, la peur, la menace de « devoir » doubler les impôts sur les bénéfices des entreprises, de devoir multiplier par quatre les cotisations patronales ou encore de devoir passer la TVA de 22% à 35%. Un discours connu…

Mais la dirigeante du syndicat des travailleurs de la sécurité sociale (ATSS), Nathalie Barbé, a balayé les arguments alarmistes du capital et ses gestionnaires de droite et de gauche en signalant que « sans perdre les 5 milliards de dollars qui iront aux fonds parapublics jusqu'en 2060 seulement », avec 1,5 milliard de dollars supplémentaires par an dans les caisses de l'État et « sans parler des 24 milliards de dollars actuellement accumulés dans les fonds d'épargne » qui reviendront progressivement à l'État lorsque les contrats de fonds fiduciaires prendront fin, « il y a suffisamment de ressources pour financer la réforme »5 .

Les chambres patronales se sont manifestées contre le référendum, cela va de soi. Les arguments vont de « l'impact négatif que cela aurait pour le pays » au fait que cela « nuirait à la réputation internationale de l'Uruguay »6 .

Le vote du dimanche 27 novembre

Le scrutin présidentiel s'annonce serré. La coalition progressiste devrait obtenir plus de voix que la droite, mais pas assez pour éviter un second tour, autour de 44% des voix.

L'autre option de gauche, une alliance entre la Unidad Popular et le Parti des Travailleurs (parti frère de Política Obrera en Argentine, le parti d'Altamira) n'a pas réussi à créer une alternative de gauche et n'obtiendrait qu'un pour cent des voix. Le pilier de l'Unidad Popular est le Mouvement 26M – scission historique du MLN Tupamaros. Ce mouvement a quitté le Frente Amplio en 2008. Cependant, son dirigeant de l'époque, Raúl Sendic (fils de l'ancien dirigeant du MLN) est resté dans la coalition. Cette alliance – Unidad Popular-Frente de los Trabajadores – reflète une recherche de recomposition de la gauche, une recomposition qui peine, qui a du mal à trouver des alternatives en dehors de la gauche institutionalisée. Plusieurs réunions de militants issus de divers courants de la gauche radicale ont lieu depuis un certain temps sans que cela se traduise au niveau organisationnel et encore moins électoral.

Le mouvement ouvrier s'est placé au centre des débats et de la lutte de classes. « Le conflit de classes s'exprime dans le référendum de la sécurité sociale et non pas dans les élections nationales », affirme Mario Pieri7 . Le mouvement ouvrier est affaibli. Affaibli par des conditions objectives : travail précaire ou informel, fermetures d'usines, poids des zones franches (des zones de non-droit)… mais aussi subjectives, comme la « cohabitation » pendant 15 ans, dans le cadre de trois gouvernements successifs de la gauche entre 2005 et 2020.

Le dernier sondage estime que le « Sí » au référendum obtiendrait 47% d'approbation, 43% serait contre et 10% n'ont pas pris encore de décision8 .

La bataille est rude. Les mêmes partis qui ont participé à la recherche de signatures pour déclencher le référendum et qui participent activement de la campagne différencient clairement la campagne électorale du référendum. Ainsi, par exemple, le parti Communiste ne fait presque pas référence au référendum dans ses clips de campagne, sauf dans les réseaux sociaux.

Pendant ce temps, le possible futur ministre de l'Économie du Frente Amplio, Gabriel Oddone, est parti aux États-Unis où il s'entretiendra avec la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et des représentants des entrepreneurs et des finances. Il ne sera de retour en Uruguay que le samedi 26, la veille des élections. Des entretiens qui en disent long sur une éventuelle « rupture », ou pas, si la gauche institutionnelle venait à gagner les élections.

L'autre référendum

Un deuxième référendum concerne le droit pour les « forces de l'ordre » d'effectuer des perquisitions nocturnes dans les domiciles privés sous prétexte de « lutte contre le trafic de drogues ». En réalité, ce droit de perquisition nocturne existe déjà mais seulement lorsque la justice l'autorise. Les mesures pointent les petits dealers avec une vision purement répressive. Une proposition populiste face à une augmentation de la violence, qu'elle soit réelle ou ressentie. À l'initiative de ce référendum on retrouve Cabildo Abierto, le parti de l'ancien militaire Guido Manini Ríos, dont les positions flirtent avec l'extrême droite et il est soutenu par les quatre autres membres de la coalition qui gouverne (parti nacional, parti colorado, parti de la gente et parti independiente). Les derniers sondages indiquent qu'il pourrait être adopté. En effet, malgré une baisse dans les intentions de vote, il bénéficie encore de 56% d'approbation parmi les votants. La gauche dans son ensemble s'est prononcée contre cette initiative9 .

Le 22 octobre 2024

Notes

1. quién, por qué, para qué”. El Observador, 20-10-2024

2. La direction du BPS est composée de 7 membres. L'exécutif en désigne directement 4 d'entre eux. Les 3 autres sont élus directement par la population concernée et représentent les entrepreneurs, les travailleurs et les retraités respectivement. Cette institution est le fruit de l'unification établie dans la Constitution de 1967 des principales caisses de retraites, dont certaines avaient été créées dès la fin du XIXe siècle. Certains secteurs, comme la banque, les professionnels universitaires qui exercent en libéral, les notaires ou les militaires ont encore une caisse indépendante. ladiaria.com.uy/economia/articulo/2020/12/las-cajas-paraestatales-y-sus-regimenes-jubilatorios/

3. José Mujica dijo que la aprobación del plebiscito de la seguridad social sería un "caos" y cree que "el camino es la ley". El Observador, 26-9-2024 www.elobservador.com.uy/nacional/jose-mujica-dijo-que-la-aprobacion-del-plebiscito-la-seguridad-social-seria-un-caos-y-cree-que-el-camino-es-la-ley-n5962720
4
5. Y, sin embargo, se mueve. Agustín Büchner, Brecha, 9-8-2024. brecha.com.uy/y-sin-embargo-se-mueve-4/

6. Cámaras empresariales expresaron preocupación por el plebiscito de la seguridad social. La Diaria, 21-10-2024. ladiaria.com.uy/elecciones/articulo/2024/10/camaras-empresariales-expresaron-preocupacion-por-el-plebiscito-de-la-seguridad-social

7. El conflicto de clases se expresa en el plebiscito de la seguridad social, no en las elecciones nacionales. Mario Pieri, Correspondencia de Prensa, 1-10-2024 correspondenciadeprensa.com/ ?p=43816

8. 47% del electorado se inclina a votar por el plebiscito de la seguridad social, según Factum. La Diaria, 15-10-2024. ladiaria.com.uy/elecciones/articulo/2024/10/47-del-electorado-se-inclina-a-votar-por-el-plebiscito-de-la-seguridad-social-segun-factum/

9. Allanamientos nocturnos ¿qué propone la reforma a la Constitución que se vota el domingo ? Búsqueda, 21-10-2024 www.busqueda.com.uy/informacion/allanamientos-nocturnos-que-propone-la-reforma-la-constitucion-que-se-vota-el-domingo-n5393853

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Marxisme et racisme aux Etats-Unis : une approche théorique

29 octobre 2024, par Cornel West — , ,
Quel est le rapport entre la lutte contre le racisme et la théorie et la pratique socialistes aux États-Unis ? Pourquoi les gens de couleur, actifs dans les mouvements (…)

Quel est le rapport entre la lutte contre le racisme et la théorie et la pratique socialistes aux États-Unis ? Pourquoi les gens de couleur, actifs dans les mouvements antiracistes, devraient prendre au sérieux le socialisme démocratique ? Et qu'est-ce que les socialistes américains d'aujourd'hui peuvent penser des tentatives inadéquates des socialistes d'hier de comprendre la complexité du racisme ?

Tiré de Entre les ligne et les mots

Dans cette contribution, j'essaie de répondre à ces questions cruciales pour le mouvement démocratique socialiste. D'abord, j'examine les efforts passés des marxistes pour comprendre ce qu'est le racisme et comment il opère dans des contextes différents. Ensuite, j'entreprends de développer une nouvelle conception du racisme qui par ses constructions va au-delà de la tradition marxiste. Enfin, j'examine comment ces nouvelles conceptions éclairent les rôles du racisme dans le passé et le présent. J'essaie, pour conclure, de montrer que la lutte contre le racisme est à la fois moralement et politiquement nécessaire pour les socialistes démocratiques.

Les conceptions marxistes d'hier du racisme

Le plus souvent la théorisation socialiste du racisme a été produite dans une structure marxiste et s'est concentrée sur l'expérience afro-américaine. Quoique mon analyse se concentre sur des personnes d'origine africaine, particulièrement les Afro-américains, il a aussi des implications importantes pour analyser le racisme qui a constitué un fléau pour d'autres peuples de couleur, tel que les Espagnols-parlant-américain (par exemple, les Chicanas et les Puerto-Ricains), les Asiatiques, et les Américains indigènes. Il y a quatre conceptions de base du racisme dans la tradition marxiste. La première des analyses du racisme se glisse sous la rubrique générale d'exploitation du fonctionnement de classe. Ce point de vue tend à ignorer des formes du racisme non déterminées par le lieu de travail.

Au tournant du siècle, cette conception a été avancée par les principaux dirigeants du Socialist Party, particulièrement Eugene Debs. Debs qui a cru que le racisme blanc contre le peuple de couleur était uniquement le produit d'un « diviser pour mieux régner » de la classe dominante et que porter l'attention à ses effets « à part du problème de la main-d'œuvre » en général constituerait un racisme à l'envers. Mon but n'est pas de dénoncer la conception des socialistes ou d'insinuer que Debs était un raciste. Le Socialist Party avait quelques membres distingués, et Debs avait une longue histoire de combat contre le racisme. Mais cette analyse qui l'emprisonnait lui-même dans la sphère d'oppression du lieu de travail, oubliait le racisme dans d'autres sphères de vie. Pour le Socialist Party cette stratégie en « aveugle à la couleur » pour résister au racisme parmi tous les ouvriers, a conduit à considérer simplement les ouvriers comme des ouvriers sans identité spécifique ou sans problème. Les pratiques racistes dans et à l'extérieur du lieu de travail ont été réduites uniquement à des stratégies de la classe dominante.

La deuxième conception du racisme dans la tradition marxiste reconnaît le rôle spécifique du racisme sur le lieu de travail (par exemple, la discrimination du travail et les inégalités structurelles de salaires) mais reste silencieuse sur la scène extérieure aux activités sur le lieu de travail. Ce point de vue considère que le peuple de couleur est soumis à l'exploitation du fonctionnement général de classe et à un autre mode d'oppression spécifique qualifié de « surexploitation » qui se traduit par un moindre accès au travail et des salaires inférieurs. Sur un plan pratique cette perspective a accentué une lutte plus intense contre le racisme que ne le faisait la conception de Debs, et cependant elle a limité encore cette lutte au lieu de travail.

La troisième conception du racisme dans la tradition marxiste, nommée « thèse de la Nation noire », a été la plus influente parmi les marxistes noirs. Elle considère que le racisme est bien une conséquence de l'exploitation générale et du fonctionnement général de classe spécifique et d'une oppression nationale. Ce point de vue soutient que les Afro-américains constituent, ou ont constitué, une nation opprimée dans le Sud et une minorité nationale opprimée dans le reste de la société américaine. Il y a de nombreuses versions de la thèse de la nation noire. Sa forme classique a été mise en avant par le Parti communiste américain en 1928, modifiée en 1930 dans une résolution et a été codifiée dans La libération nègre de Henri Haywood (1948). Quelques petites organisations léninistes souscrivent encore à cette thèse, et sa plus récente reformulation est parue dans L'autodétermination de James Forman et Le peuple africain-américain (1981). Toutes ces variantes adhèrent à la définition de Staline d'une nation dans son Marxisme et la question nationale (1913) pour lequel :

Une nation est une communauté historiquement constituée, stable de personnes sur la base d'une langue commune, d'un territoire, d'une vie économique et un état psychologique qui se manifeste dans une culture commune.

En dépit de sa brièveté et de sa formulation un peu frustre, cette approche prend en compte la dimension culturelle cruciale ignorée par les deux autres conceptions marxistes du racisme. En outre, elle relie le racisme à des luttes entre nations dominées et dominantes et a été considérée comme pertinente vis-à-vis de la situation critique des Américains indigènes, des Chicanas, et des Portoricains qui ont été expropriés et décimés par les colons blancs. De tels modèles du « colonialisme interne » ont des implications importantes pour la stratégie organisationnelle parce qu'elle porte une attention particulière à la critique des formes linguistiques et culturelles d'oppression. Elle nous rappelle ce que la conquête de l'Amérique de l'Ouest a consisté en accaparement de terres précédemment occupées par des Américains indigènes et celles du Mexique. Depuis le garveyisme, mouvement des années 1920, qui a été le premier mouvement de masse parmi les Afro-Américains, la gauche noire a été forcée de prendre sérieusement en compte la dimension culturelle de la lutte pour la libération noire. Le nationalisme noir de Marcus Garvey a transformé les marxistes noirs en « proto-gramsciens » dans le sens, limité, qu'ils ont pris en compte les questions culturelles plus sérieusement que beaucoup d'autres marxistes. Mais cette attention à la vie culturelle a été limitée par la thèse de la Nation noire elle-même. Bien que la théorie ait inspiré beaucoup de luttes impressionnantes contre le racisme et de façon prédominante menée par la gauche blanche, particulièrement dans les années 1930, sa définition raciale ahistorique d'une nation, sa détermination purement statistique des limites nationales (le Sud était une nation noire parce que sa population d'alors était en majorité noire), et sa conception illusoire d'une économie nationale noire distincte ont finalement rendu son analyse inadéquate.

La quatrième conception du racisme dans la tradition marxiste considère que le racisme n'est pas seulement le résultat du fonctionnement de classe spécifique mais aussi le produit d'attitudes xénophobes qui ne sont pas strictement réductibles à l'exploitation. Dans cette perspective, les attitudes racistes ont une vie et une logique qui leur sont propres, et dépendent de facteurs psychologiques et de pratiques culturelles. Ce point de vue a été motivé essentiellement par opposition au rôle prédominant de la Thèse de la Nation noire sur la gauche américaine et afro-amé- ricaine. Ses interprètes les plus influents ont été W. E.B. Du Bois et Oliver Cox.

Pour une conception plus adéquate du racisme

Ce bref examen des vues marxistes passées conduit à une conclusion. La théorie marxiste est indispensable, cependant elle est finalement inadéquate pour saisir la complexité du racisme comme phénomène historique. Le marxisme est indispensable parce qu'il met en valeur les relations du racisme au mode de production capitaliste et reconnaît son rôle crucial dans l'économie capitaliste. Cependant le marxisme est inadéquat parce qu'il manque d'approfondir d'autres sphères de la société américaine où le racisme joue un rôle, particulièrement dans les sphères de la psychologie et de la culture. En outre, les approches marxistes soulignent que le racisme a ses racines dans la montée du capitalisme moderne. Cependant, il peut être démontré facilement que le racisme a été façonné et a été approprié par le capitalisme moderne, et que donc le racisme est antérieur au capitalisme. Ses racines remontent aux rencontres entre les civilisations d'Europe, d'Afrique, d'Asie, et d'Amérique latine et il s'est manifesté longtemps avant la montée du capitalisme moderne. Il est en effet vrai que la catégorie même de « race » dénote essentiellement que la couleur de peau a été employée en premier lieu comme un moyen de classer les corps humains comme l'a fait, en 1684, François Bernier, un médecin français. La première division qui fait autorité en matière raciale de l'humanité se trouve dans Le système naturel (1735) du naturaliste du 18e siècle, Carolue Linnaeus. Ces deux exemples révèlent des conceptions racistes européennes au niveau d'une codification intellectuelle qui dégrade et dévalue les non Européens. Folklore raciste, mythologies, légendes, et histoires fonctionnent dans la vie ordinaire du sens commun aux 17e et 18e siècles. Par exemple, l'antisémitisme chrétien et l'anti-Noir de l'Euro-chrétien étaient rampants durant le Moyen Âge. Ces fausses divisions de l'humanité ont été appliquées à l'Amérique latine où le racisme anti-lndien est devenu un pilier fondamental de la société coloniale et a influencé plus récemment le tardif développement national métis. Donc le racisme est beaucoup plus qu'un produit de l'interaction de chemins culturels de la vie comme l'est celui du capitalisme moderne. Une conception plus adéquate du racisme doit renvoyer à ce contexte de double réalité, culturelles et économiques dans lesquelles s'est développé le racisme. Une nouvelle analyse du racisme doit se construire sur le meilleur des théories marxistes (particulièrement l'attention d'Antonio Gramsci sur les sphères culturelles et idéologiques), et cependant doit aller au-delà en incorporant trois propositions. […] Une telle analyse doit inclure le rôle extraordinaire et équivoque du christianisme évangélique et protestant (qui tous les deux ont promu et aidé à contenir la résistance noire) et les influences africaines et protestantes anglo-saxonnes US et catholiques françaises au milieu desquelles ont émergé les styles distinctifs afro-américains culturels, des langues, et valeurs esthétiques. L'objectif de cette approche est de montrer comment les discours suprémacistes blancs façonnent les identités non européennes, et influencent les sensibilités psychosexuelles et participe à la construction d'un contexte de cultures et de mœurs opposées (mais aussi co-optables) non-europénnes. Cette analyse révèle aussi comment l'oppression et la domination culturelle américaine d'indigènes, de Chicanos, de Portoricains, et de bien d'autres colonisés sont différentes (même s'il existe beaucoup de traits communs) de celles connues par les Afro-Américains.

L'analyse du colonialisme interne, de l'oppression nationale, et de l'impérialisme culturel conduit à expliquer le déplacement territorial et la domination que subissent les peuples. Une autre approche révèle le rôle et le fonctionnement d'exploitation de la classe et la répression politique dans la consolidation des pratiques racistes. Cette analyse ressemble aux théories traditionnelles marxistes du racisme, qui centrent leur attention essentiellement sur les institutions de production économique et secondairement sur l'État et le public et les bureaucraties privées. Mais la nature de ce pivot est modifiée dans le sens où cette production économique n'est pas envisagée comme la seule source majeure des pratiques racistes. Ce pivot est plutôt considéré comme une source parmi d'autres. Pour le dire un peu grossièrement, le mode de production capitaliste constitue juste une des contraintes structurelles qui détermine les formes que le racisme prend à une période historique particulière.

Cornel West
Cornel West est professeur d'études afro-américaines et de philosophie des religions. Il a notamment publié Restoring Hope : Conversations on the Future of Black America (Beacon Press, 1997) et Democracy Matters : Winning the Fight Against Imperialism (Penguin Books, 2005).
Publié dans L'Autre Amérique, n° 19, 4e trimestre 1998.

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Les accusations de « fascisme » déroutent les électeurs américains

29 octobre 2024, par Dan La Botz — , ,
Le fascisme est dernièrement devenu une question centrale de l'actualité relative à l'élection présidentielle américaine 23 octobre 2024 Point de vue international Dan La (…)

Le fascisme est dernièrement devenu une question centrale de l'actualité relative à l'élection présidentielle américaine

23 octobre 2024
Point de vue international Dan La Botz
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article8720
Traduction Johan Wallengren

Le fascisme est dernièrement devenu une question centrale de l'actualité relative à l'élection présidentielle américaine, ce à quoi ont largement contribué des déclarations de Donald Trump, qui a confié qu'il ferait appel à l'armée pour supprimer « l'ennemi intérieur », expression qui recouvre pour lui les « illuminé(e)s de la gauche radicale » (« radical left lunatics ») et dont il a en particulier affublé sa rivale Kamala Harris, à plus d'une occasion. Il a par ailleurs assimilé le membre démocrate du congrès Adam Schiff, qui a mené le premier procès en destitution contre lui et qui est maintenant candidat au Sénat, à « l'ennemi intérieur ».

Questionné lors d'une entrevue télévisée quant à la possibilité que le processus électoral puisse être perturbé par des agitateurs de l'extérieur, Trump a répondu : « Je pense que le plus gros problème est l'ennemi de l'intérieur. Nous avons des gens pas bien du tout. Nous avons des malades, des illuminés de la gauche radicale. Et d'ajouter : « mais les choses devraient pouvoir être prises en main sans problème, si nécessaire, par la Garde nationale, ou si c'est vraiment nécessaire, par l'armée, parce qu'ils ne peuvent pas laisser de telles choses se produire ».

Plusieurs commentateurs ont souligné que le recours à l'armée pour réprimer l'opposition politique ressemble à ce que nous appelons le fascisme. Et pour beaucoup d'observateurs, il ne fait aucun doute qu'en envisageant d'utiliser le pouvoir de l'État contre les citoyens américains, Trump va plus loin dans ses déclarations que les fois où il a dit qu'il ferait appel à la police et aux gardes nationaux pour débusquer les immigrants, les parquer dans des camps de concentration, puis les expulser.

Une remarque du général Mark A. Milley, ancien président de l'état-major interarmées sous Trump, en rajoute : selon ce que rapporte le célèbre journaliste américain Bob Woodward dans son nouveau livre, ce haut gradé aurait décrit Trump comme étant un « fasciste en puissance » (« fascist to the core »). Madame Harris elle-même a repris à son compte cette confidence de Milley et a convenu à d'autres moments que Trump pouvait être étiqueté fasciste. À noter que le président Joe Biden avait déjà qualifié le mouvement de Trump de « semi-fasciste » en 2022.

L'affirmation selon laquelle Trump est un fasciste risque toutefois de ne pas émouvoir beaucoup d'électeurs américains. La lutte des États-Unis contre les fascistes de Benito Mussolini et les nazis d'Adolf Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale est désormais de l'histoire ancienne. Seuls les 1 à 2 % d'Américains âgés de plus de 85 ans ont un souvenir direct de ces événements. En outre, le peuple américain a une connaissance notoirement vague de l'histoire et la plupart des Américains n'ont jamais réfléchi à la question du fascisme et à tout ce que peut charrier ce mot. Pendant des années, le monde politique et la presse ont considéré que traiter quelqu'un de fasciste était une faute de goût, tandis que pour la population en général, c'était juste une façon de désigner quelqu'un de peu recommandable.

On peut d'autant plus parler d'un imbroglio que Trump a régulièrement traité Kamala Harris de « marxiste, communiste, fasciste, socialiste ». Le colistier de Trump, le sénateur J.D. Vance, a quant à lui déclaré que les affirmations des démocrates selon lesquelles Trump est quelqu'un d'autoritaire ou de fasciste sont à l'origine des deux tentatives d'assassinat dont il a fait l'objet.

La gauche n'a pas toujours contribué à faire la lumière sur ce concept de fascisme. Dans les années 1960 et 1970, les gens de gauche avaient tendance à utiliser le mot sans discernement : Les racistes du Sud étaient fascistes, la guerre du Viêt Nam était fasciste, le maire de Chicago, Richard Daley, était fasciste, et pour certains, le système politique américain tout entier était fasciste. Pendant quarante ans, le parti communiste et les groupes maoïstes ont à chaque élection présidentielle avancé l'argument que le candidat républicain était fasciste et qu'il fallait donc voter démocrate.

Aujourd'hui, au sein de groupes tels que les Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), dont les membres sont nombreux à avoir fait des études supérieures, des universitaires de gauche prennent part à des discussions sur le fascisme. Le magazine Jacobin, par exemple, a publié en 2019 une entrevue d'Enver Traverso sur son livre Les nouveaux visages du fascisme et sa théorie du « post-fascisme » pouvant servir à ausculter des gens comme Trump. Au sein de petites organisations socialistes et anarchistes d'extrême gauche, on discute sérieusement et concrètement du sujet. Et des journaux en ligne populaires comme Truthout ont publié de nombreux articles parlant du fascisme. Néanmoins, pour la plupart des Américains, l'utilisation de ce mot ne permet en rien d'y voir plus clair.

Si Trump est élu – ce qui est tout à fait possible – et qu'il s'avère être le fasciste que nous croyons qu'il est, nous serons mal préparés, tant d'un point de vue théorique que pratique.

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Etats-Unis : Quel genre de dommages la Cour suprême infligera-t-elle au cours de ce mandat ?

29 octobre 2024, par Elie Mystal — , ,
Pour comprendre les ambitions de la majorité conservatrice, il suffit de regarder le Projet 2025, qui a été concocté par certaines des mêmes personnes qui ont conçu la cour (…)

Pour comprendre les ambitions de la majorité conservatrice, il suffit de regarder le Projet 2025, qui a été concocté par certaines des mêmes personnes qui ont conçu la cour actuelle.

Tiré de The Nation

Elie Mystal
Illustration par Adrià Fruitós.

La Cour suprême rentrera de ses vacances d'été le 7 octobre, quatre semaines et un jour avant les élections générales du 5 novembre. Les empreintes digitales de la Cour (ainsi que les empreintes digitales des riches donateurs républicains qui ont probablement payé certaines des vacances d'été des juges) sont déjà partout dans les prochaines élections. Plus tôt cette année, le tribunal a assuré à Donald Trump une place sur le bulletin de vote lorsqu'il s'est prononcé contre une tentative de l'empêcher de se présenter à la présidence en raison de sa participation à une insurrection contre le gouvernement. puis, en juillet, les juges républicains ont accordé à Trump une « immunité absolue » pour les crimes commis dans le cadre de ses « fonctions officielles », garantissant probablement qu'il n'aura jamais à rendre des comptes pour ses pires actions. Grâce à ces décisions, Trump peut légalement se présenter à un poste qu'il a précédemment tenté de voler.

Étant donné l'empressement démontré de la Cour à mettre son pouce sur la balance pour Trump avant les élections, nous ne pouvons qu'imaginer ce qu'elle fera pour l'aider après les élections. Trump pourrait perdre par des millions dans le vote populaire et par 40 voix au collège électoral, mais s'il peut obtenir que cinq juges de la Cour suprême se prononcent en sa faveur, aucun de ces votes n'aura d'importance. La Cour lui donnera le pouvoir d'inaugurer une ère d'autoritarisme et de régime permanent à parti unique.

Pourtant, même si Kamala Harris parvient à franchir tous les obstacles à la présidence – si elle parvient à remporter à la fois le vote populaire et le collège électoral, et que ces votes sont honorés – il est important de comprendre que le redoutable travail de la Cour suprême visant à démanteler la démocratie et à faire reculer les droits des femmes, des personnes de couleur, et la communauté LGBTQ selon les normes en vigueur de 1859 se poursuivra à un rythme soutenu. Les dés sont pipés, et les six juges conservateurs de la Cour ne vont pas laisser passer cette occasion. Ils ont un ordre du jour – un mandat, pourrait-on dire – et il ressemble beaucoup à celui qui a suscité beaucoup d'attention ces derniers mois : le mandat de leadership du Projet 2025, Le plan conservateur pour prendre le contrôle du gouvernement fédéral et remodeler le pouvoir exécutif à l'image d'un christofaciste si Trump gagne.

Le Projet 2025 est l'œuvre de la Heritage Foundation. Il en va de même, à bien des égards, de la Cour suprême actuelle. Parallèlement à laSociété fédéraliste, la Heritage Foundation a été l'un des principaux acteurs déterminant quels républicains se retrouvent à la plus haute cour du pays. Depuis plus de 50 ans, il s'efforce de remplir le système judiciaire de juges républicains extrémistes dans le but d'anéantir le progrès civil et social du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Et il a largement réussi.

Ce succès peut aider à expliquer l'une des rares lacunes du document de 900 pages du Projet 2025 : l'absence d'une section détaillée consacrée à la Cour suprême. Je crois que c'est parce que le plan fasciste suppose que le tribunal a déjà été capturé. Le Projet 2025 est en cours devant les tribunaux, et il continuera d'aller de l'avant là-bas, avec ou sans Trump au pouvoir, car ses principes fondamentaux sont soutenus par une majorité des juges de la Cour suprême.

Cela nous en dit long sur ce que nous pouvons attendre de la Cour à l'avenir. Au cours du prochain mandat et des nombreux qui suivront, nous verrons l'agenda du Projet 2025 se dérouler dans trois domaines clés : l'État administratif, les réglementations environnementales et les droits civils.

Le démantèlement de l'État administratif a été une obsession déterminante pour les conservateurs pendant des décennies, et ils se sont rapprochés de plus en plus de la réaliser ces dernières années. Au début de l'été, la Cour suprême Renversé La déférence de Chevron – la doctrine juridique selon laquelle les tribunaux devraient s'en remettre aux agences exécutives sur les questions concernant l'interprétation des lois du Congrès. La décision remet en question des milliers de réglementations qui ont été mises en avant par ces agences exécutives. Leonard Leo, le toujours impitoyable Svengali de la Federalist Society, a appelé les républicains à « inonder la zone » de contestations de ces réglementations, et les tribunaux inférieurs examinent déjà un certain nombre d'affaires qui cherchent à percer des trous dans l'autorité réglementaire d'agences telles que la Securities and Exchange Commission et le Bureau of Alcohol, Tobacco, Armes à feu et explosifs (ATF).

Beaucoup de ces affaires ne sont peut-être pas prêtes pour l'examen de la Cour suprême ce trimestre, mais en ce qui concerne l'environnement, il y a déjà deux affaires sur le rôle de la cour qui permettront aux juges conservateurs de remplir leur rôle de membres officieux des industries des combustibles fossiles et des produits chimiques. Dans l'affaire City and County of San Francisco v. Environmental Protection Agency, la Cour suprême décidera probablement que ses membres, et non les experts de l'environnement, devraient déterminer la quantité de pollution et de saleté humaine qui peut être déversée dans l'océan. Et dans l'affaire Seven County Infrastructure Coalition v. Eagle County, Colorado, les conservateurs choisiront probablement d'affaiblir le rôle des études d'impact environnemental. La loi sur la politique environnementale nationale exige que les agences mènent de telles études avant de commencer de grands projets qui modifieront l'écosystème environnant, mais les conservateurs et les pollueurs veulent libérer les développeurs pour qu'ils fassent autant de ravages qu'ils le souhaitent sur l'environnement.

La Cour ne s'arrêtera pas non plus à la déréglementation et aux abus environnementaux. L'un des principaux objectifs du Projet 2025 est de réaffirmer et de sauvegarder la suprématie blanche en renversant toute loi ou politique destinée à égaliser les chances. La décision de la Cour suprême de 2023 mettant fin à la discrimination positive n'était que le début pour ces personnes. Le plan est de prendre la mauvaise interprétation délibérée de Clarence Thomas du 14e amendement, telle qu'articulée dans son opinion concordante pour Students for Fair Admissions v. Harvard, et de l'utiliser comme une arme contre tout programme de droits civiques qu'ils n'aiment pas. Il y a déjà des affaires qui font leur chemin devant les cours d'appel inférieures qui cherchent à rendre inconstitutionnelle la conscience raciale dans l'embauche. Il y a un effort pour déclarer que la formation sur la diversité et l'inclusion en milieu de travail crée un environnement de travail « hostile ». Et un juge de Trump au Texas a déclaré la loi sur le développement des entreprises minoritaires inconstitutionnelle. La Cour suprême n'a pas encore décidé d'entendre l'une de ces affaires, mais il est probable qu'elle le fera bientôt – ce qui signifie que dans les mois et les années à venir, nous verrons presque certainement la Cour redéfinir les « droits civiques » pour signifier « pour les Blancs et personne d'autre ».

Au-delà de ce genre d'affaires alignées sur le Projet 2025, ce mandat de la Cour suprême verra, une fois de plus, les juges conservateurs rendre les écoles dangereuses pour les enfants mais sûres pour les tireurs de masse, rendre le pays peu accueillant pour les immigrants du Sud, et adopter des positions barbares sur la peine de mort et envoyer des personnes potentiellement innocentes à la mort. Et nonobstant leurs positions sur la peine de mort, les juges conservateurs se déclareront « pro-vie » et reprendront leur assaut contre les droits reproductifs. Au cours du dernier mandat, la Cour s'est penchée sur deux affaires majeures d'avortement, probablement dans le but d'éviter d'enflammer la question avant les élections. Mais vous pouvez parier que ces affaires seront de retour sur le rôle après les élections.

Dans l'affaire FDA c. Alliance pour la médecine hippocratique, la Cour suprême Gouverné qu'un groupe composé de médecins, d'un dentiste et de plusieurs personnes sans aucune formation médicale ni licence n'avait pas qualité pour poursuivre la Food and Drug Administration pour son autorisation du médicament mifépristone pour l'utilisation dans les avortements médicamenteux. Le tribunal a ensuite renvoyé l'affaire au cinquième circuit, au juge Matthew Kacsmaryk, nommé par Trump, qui est celui qui a permis à ces randos assortis d'intenter des poursuites en premier lieu. Maintenant, Kacsmaryk a donné aux responsables de l'État de l'Idaho, du Kansas et du Missouri le droit de se joindre au litige en tant que coplaignants, résolvant potentiellement le problème de la qualité pour agir. La question de savoir si la mifépristone restera légale est encore très en suspens.

La deuxième affaire est Moyle c. États-Unis. Fin juin, la Cour suprême a rejeté une affaire faisant valoir que la Loi relative aux traitements médicaux d'urgence et au travail actif (EMTALA) ne pouvait pas obliger les hôpitaux à pratiquer des avortements lorsque la vie ou la santé de la future mère est en danger. Une fois de plus, il l'a fait pour des raisons techniques, mais avec une touche d'originalité. Bien que la décision de la Cour ait éludé les questions sous-jacentes de l'affaire, l'accord important de la juge Amy Coney Barrett comprenait quelques conseils aux défenseurs des naissances forcées sur la façon de gagner à l'avenir : modifier l'affaire pour faire valoir que le Congrès ne peut pas exiger des hôpitaux qu'ils suivent EMTALA comme condition pour recevoir des fonds Medicare. Si les challengers saisissent l'allusion, cette affaire pourrait être de retour devant la Cour suprême plus tôt que tard.

La Cour n'a pas encore fini de classer toutes ses affaires pour le mandat, mais son rôle est déjà rempli d'affaires qui couvrent une gamme de domaines importants, ce qui est de mauvais augure pour des millions de personnes.

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