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4 novembre 2023, par Rédaction-coordination JdA-PA
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Nous publions un appel d’intellectuel.les, d’artistes, de militant.es politiques et sociaux en solidarité avec le peuple palestinien qui contraste avec la prise de position du gouvernement ukrainien en appui à Israël. Nous, chercheurs-chercheuses, artistes, militant.es politiques et syndicaux (...)

L’accord entre l’UAW et les trois géants de Détroit « marque un tournant dans la lutte des classes »

3 novembre 2023, par International
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Le 30 octobre, le syndicat américain United Auto Workers (UAW) a conclu un accord de principe avec General Motors (GM), mettant fin à une grève sans précédent de six semaines contre les "trois géants" de l'automobile à Détroit. L'accord avec GM, qui fait suite à des accords similaires conclus (...)

JQSI —pour réinventer notre culture de consommation

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Lilli Berton Fouchet, correspondante et stagiaire Si l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) a retenu le thème de la souveraineté alimentaire cette année, c’est parce qu’on a constaté que l’heure de l’urgence climatique est inévitable. Ce thème interroge (...)

CISO, la table de concertation intersyndicale en solidarité internationale tient son AGA 2023

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La dernière assemblée générale annuelle du Centre international de solidarité ouvrière (CISO) s’est tenue le 23 octobre dernier, sous le thème Renforcer la solidarité entre travailleuses et travailleurs du Québec et d’ailleurs dans le monde pour une société plus juste et démocratique. La (...)

Violence et conseil municipal

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L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Certaines municipalités, dont Trois-Pistoles et Rimouski, se plaignent de la colère et des revendications de la part des citoyen.nes lors des séances de conseil de ville. Pour y remédier, un renforcement des coercitions est exercé par (...)

Appel de candidatures de Lojiq pour le FSM 2024 au Népal

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Lancement du Collectif québécois En route vers le FSM 2024 au Népal

1er novembre 2023, par Rédaction-coordination JdA-PA
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Communiqué du Collectif québécois En route vers le Forum social mondial 2024 au Népal C’est en mars dernier que le Conseil international (CI) du Forum social mondial (FSM) a accueilli la proposition de tenir la prochaine édition du FSM au Népal. L’Association québécoise des organismes de (...)

Catastrophe annoncée à Gaza – Un déchirant sentiment d’impuissance

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Par Pierre Mouterde, sociologue et essayiste Pierre Mouterde rappelle le drame humain en cours en Palestine et plaide pour un engagement des Canadien.ne.s des et Québécois.es. à devenir une force sociale et politique auprès de leurs gouvernements respectifs afin de réclamer la paix et une (...)

NORMAN LAFORCE (1952-2023)

1er novembre 2023, par Archives Révolutionnaires
Le 5 octobre 2023, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de notre ami et camarade, le militant Norman Laforce (1952-2023). Norman était un ami (…)

Le 5 octobre 2023, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de notre ami et camarade, le militant Norman Laforce (1952-2023). Norman était un ami fidèle, sensible, bienveillant, un camarade dévoué, combatif, prêt à tout donner. C’est en sa mémoire que nous présentons cet article biographique à son sujet : pour que ses engagements ne soient pas oubliés et qu’ils servent d’inspiration aux jeunes générations.

Norman est né dans la ville ouvrière de Jacques-Cartier (maintenant intégrée à Longueuil) le 25 mars 1952. Mis au monde par le médecin militant Jacques Ferron, il fréquente la même école que Paul et Jacques Rose, futurs membres du Front de libération du Québec (FLQ). Au début des années 1960, la famille de Norman déménage dans l’État New York, d’abord dans un quartier populaire de la métropole puis dans la ville de Corning où il fréquente la Corning Painted Post West High School qu’il délaisse pour travailler. Norman a rapidement été conscient de l’injustice qui fonde notre monde. À l’adolescence, sa réflexion se consolide par la lecture du Rat Subterranean News, un journal contre-culturel adoptant des positions anti-capitalistes, pacifistes et écologistes.

De retour à Montréal, Norman structure de plus en plus sa pensée au contact des mouvements marxistes en pleine ascension. En tant que plombier (et plus tard déménageur), il constate quotidiennement la pauvreté dans les appartements dont il doit s’occuper. D’ailleurs, il fait régulièrement des travaux gratuitement pour ses voisin·e·s pauvres ayant des propriétaires négligents. Norman acquiert ainsi une conviction durable comme quoi le système capitaliste entraîne une lutte des classes qui oppose la bourgeoisie au prolétariat. Dans le but de faire avancer la cause du peuple, Norman s’investit dans les années 1970 au sein du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), étant même candidat au poste de conseiller municipal à l’élection de 1978.

Au tournant des années 1980, Norman s’intègre de plus en plus à la scène punk et skinhead émergente de Montréal. Il participe à l’organisation de concerts locaux (Genetic Control, SCUM) et de groupes internationaux (dont Angelic Upstarts et Dead Kennedys), assure la sécurité dans les spectacles et compose quelques chansons. En plus de son implication musicale, Norman assume le leadership d’une bande de skinheads marquée à gauche – les East End Skins – qui combat manu militari les groupes fascistes de la métropole. C’est ainsi qu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990, Norman devient un des piliers de la lutte anti-fasciste à Montréal. Il mène ce combat avec succès, notamment contre l’éphémère section montréalaise du KKK dirigée par Michel Larocque. Grâce à ses nombreuses contributions à la scène musicale et au combat anti-fasciste, Norman continuera d’entretenir de forts liens de camaraderie avec les Red and Anarchist Skinheads (RASH) de Montréal et d’ailleurs. Il est salué personnellement par Roddy Moreno, chanteur de The Oppressed, lors du passage du groupe à Montréal en décembre 2021.

Norman contribue aussi grandement aux luttes des locataires des années 1990 jusqu’à son décès en 2023. Il est membre du Comité logement Ville-Marie où il intègre le conseil d’administration de 2012 à 2014, et participe au POPIR Comité Logement dont il est vice-président en 2016, tout en écrivant pour son journal Le Canal. Il s’implique en sus au Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), au Comité logement du Plateau Mont-Royal, au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) dont il est président aussi en 2016 et, enfin, au Regroupement information logement (RIL). Installé dans Pointe-Saint-Charles depuis 2013, Norman participe aux mobilisations pour que la communauté récupère les terrains et la bâtisse qui deviendront le Bâtiment 7 (B7). Lorsque nous obtenons gain de cause en 2017, Norman poursuit son implication dans les différents cercles du B7, à l’épicerie communautaire Le Détour et au regroupement Action-Gardien. Ces dernières années, il était au cœur du grand projet communautaire qu’est le B7.

Au fil du temps, Norman évolue du marxisme à l’anarchisme « lutte de classes » qu’il découvre dans les années 1980 grâce au livre L’anarchisme (Daniel Guérin, 1965). Norman s’investit beaucoup dans le mouvement montréalais, faisant régulièrement des permanences à la librairie L’Insoumise puis à la Bibliothèque DIRA (toutes deux situées sur la rue Saint-Laurent). Il assume deux mandats comme membre du conseil d’administration de l’Association des espèces d’espaces libres et imaginaires (AEELI) qui gère le bâtiment abritant ces deux « institutions ». Norman donne des ateliers lors de plusieurs Salons du livre anarchiste de Montréal et aide diverses initiatives militantes révolutionnaires. Il mène plusieurs actions conjointement avec la branche montréalaise du Industrial Workers of the World (IWW), dont il devient officiellement membre en 2014.  Pour souligner sa longue implication dans la défense de la classe ouvrière, la branche le nomme « membre à vie » en 2019 ; Norman est la première et seule personne ayant obtenu ce statut honorifique à ce jour.

Norman participe aussi à l’Association pour la liberté d’expression (ALE), dont il sera président, qui met sur pied la Commission populaire sur la répression politique (CPRP) en 2014-2015. L’objectif est de documenter et dénoncer les abus policiers, et le projet débouche sur la publication de l’ouvrage collectif Étouffer la dissidence. Vingt-cinq ans de répression politique au Québec (Lux, 2016). En 2017, il cofonde le Collectif d’éducation et de diffusion anarcho-syndicaliste (CÉDAS) qu’il anime jusqu’en 2021, traduisant la brochure La libération queer est une lutte de classe. Dans les dernières années, Norman a consacré beaucoup de temps et d’énergie aux luttes LGBTQ+, notamment à la défense des droits des personnes trans. Peu avant son décès, il a joint le Comité queer de Pointe-Saint-Charles à titre d’homme bisexuel pro-transidentités. Il cherchait toujours une manière de lier les luttes afin qu’ensemble, nous puissions détruire le capitalisme et instaurer une société égalitaire. Enfin, que ce soit contre l’extrême droite, au sujet du logement, pour le 1er Mai (Journée internationale des travailleuses et des travailleurs), pour des actions de désobéissance civile ou contre la répression, Norman a participé à des centaines de manifestations partout au Québec : il était littéralement de tous les combats.

Depuis 2018, Norman a contribué au collectif Archives Révolutionnaires, en achetant des ouvrages pour le collectif, en numérisant des archives et en éclairant nos lanternes sur les luttes passées. Il était plus qu’un compagnon de route pour nous : c’était un véritable ami. La collaboration devait se poursuivre puisque Norman voulait faire des permanences à notre local, mais la mort en aura décidé autrement. Atteint de la maladie de Forestier et d’un cancer, Norman Laforce est décédé le 5 octobre 2023 à Pointe-Saint-Charles. Qu’importe, son esprit revendicateur continuera d’habiter notre projet et nous poursuivrons notre mission de documenter les luttes passées pour dynamiser les luttes actuelles. Longue vie cher ami, c’est maintenant à nous de continuer le combat pour l’égalité.

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Par ce texte, nous voulons pérenniser l’héritage de Norman Laforce. Si vous constatez des erreurs ou que vous souhaitez nous informer de faits absents du texte, n’hésitez pas à nous contacter.

Le dessin en couverture est l’œuvre de Maxime Archambault (2020)

World Press Photo 2023 : au-delà du spectacle monde

1er novembre 2023, par Kalya Nzesseu
Kalya Nzesseu, correspondante et stagiaire Lorsque l’on entre dans le hall de l’exposition, une grande affiche nous présente le but du concours World Press Photo 2023 : (…)

Kalya Nzesseu, correspondante et stagiaire Lorsque l’on entre dans le hall de l’exposition, une grande affiche nous présente le but du concours World Press Photo 2023 : représenter autant les événements majeurs de l’actualité 2022 que d’autres moments importants négligés de la presse (...)
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À l’ère du capitalisme de surveillance

31 octobre 2023, par Revue Droits et libertés
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À l’ère du capitalisme de surveillance

Dominique Peschard, militant à la LDL et président de la LDL de 2007 à 2015

Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2023

L’intrusion du numérique dans toutes les facettes de nos vies a permis une cueillette de données sans précédent qui touche tous nos champs d’activités, privés et sociaux. Tout est prétexte à cette captation de données qui ne cesse de s’étendre avec le développement de l’Internet des objets, la multiplication des applications de gestion de la vie courante, les capteurs corporels, les villes intelligentes, etc. Ce modèle d’affaires fondé sur l’extraction des données, initié par les Google, Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft (GAFAM), est maintenant repris par toutes les entreprises et services publics. Les gouvernements, dépassés par l’expertise et les moyens des géants du numérique, ont abandonné toute velléité de souveraineté numérique et cèdent de plus en plus à l’entreprise privée la gestion et le stockage dans le nuage des données qu’ils recueillent sur les citoyens. Ces données sont utilisées à des fins de surveillance et de contrôle, pour analyser et influencer nos comportements. Elles servent tant pour nous solliciter à des fins lucratives que pour évaluer le risque que nous représentons. Cette masse immense de données est traitée par des systèmes de décision automatisés (SDA) qui placent les individus dans des catégories qui leur sont favorables ou défavorables. Les algorithmes derrière ces SDA sont opaques et souvent biaisés. Ces entreprises s’approprient notre expérience personnelle afin de comprendre et d’influencer nos comportements. C’est ce que Shoshana Zuboff appelle le commerce de l’avenir humain1. Les systèmes de protection de ces données sont déficients et on assiste régulièrement à des fuites, des vols de données et à de l’extorsion par rançongiciel. Les victimes de ces actes criminels ont peu de recours et la protection offerte par l’anonymisation des données n’est pas très fiable. La guerre au terrorisme menée par les États après les attentats du 11 septembre 2001 a certainement contribué à ce que le capitalisme de surveillance puisse se développer sans entraves de la part des gouvernements. Les États ont eux aussi mis en place un système de surveillance généralisé des populations en prétextant que c’était le seul moyen d’assurer notre sécurité. Comme l’a révélé Edward Snowden, les agences de renseignements se sont généreusement abreuvées, à l’insu des populations, à même les données amassées par le capitalisme de surveillance. Les techniques d’identification biométriques se développent sans encadrement adéquat. Le développement de banques d’ADN et d’outils de reconnaissance faciale menace toute prétention à l’anonymat. Ces outils sont utilisés de manière opaque par les forces policières et permettent de faire des enquêtes en ayant recours à des moyens intrusifs sans mandat judiciaire. Le modèle d’affaires des GAFAM repose non seulement sur la captation de données sur l’usager, mais aussi sur la capacité de capter son attention et de l’inciter à visiter le plus de sites possible. Plus de clics égalent plus de revenus publicitaires. Une conséquence est que l’usager se voit orienter vers des sites sensationnalistes qui reflètent ses biais. Ces mécanismes favorisent la propagation de fausses nouvelles et l’enfermement de l’internaute dans des chambres d’écho qui renforcent ses préjugés. Ils empoisonnent le débat démocratique et facilitent la polarisation des extrêmes. Une autre conséquence est de développer la dépendance aux écrans, phénomène particulièrement nocif pour les jeunes, au point de devenir un problème de santé publique. La distanciation et l’anonymat que permettent les plateformes ont favorisé l’humiliation, le harcèlement et l’intimidation en ligne de nombreuses personnes, la plupart du temps des filles et des femmes, laissées à elles-mêmes face à leurs agresseurs. Des adolescent-e-s vulnérables se sont suicidés. La croissance du capitalisme de surveillance repose sur un développement sans limites de communication de données, y compris pour des usages les plus superficiels. A-t-on vraiment besoin d’une application qui envoie un message pour nous avertir que la pinte de lait dans le frigidaire est à moitié vide ou d’envoyer une photo de notre assiette à tous nos amis ? Notons qu’un simple courriel avec pièce jointe a une empreinte carbone d’environ 20 grammes ! Cette transmission sans limites de données entraîne une explosion des infrastructures, telles que la 5G et les mégas centres de données, la consommation de matières premières comme les métaux rares et d’énergie avec des effets désastreux sur l’environnement. Comme on le constate, ces développements soulèvent de nombreux enjeux de droits qui dépassent le seul droit à la vie privée. La surveillance et la manipulation des comportements sont des atteintes à l’autonomie des individus et à la vie démocratique. Le manque de transparence dans la collecte de données et les SDA qui servent à la prise de décision sont source de discrimination, portent atteinte au droit à l’information et accentuent le déséquilibre de pouvoir entre les individus et les géants du numérique et les gouvernements. Le développement en catimini de l’identité numérique par le gouvernement Legault en est un exemple. La notion qu’il existe une solution technique à chaque problème et l’idéalisation de l’intelligence artificielle (IA) – pensons à l’application de traçage COVID – permet d'escamoter le débat public sur les enjeux sociaux sous-jacents. Les phénomènes de dépendance et l’impact environnemental du capitalisme de surveillance portent atteinte au droit à la santé et à un environnement sain.

Le défi des années à venir

À ses débuts, dans les années 1990, Internet était source d’espoir. Internet allait briser le monopole des grands médias écrits et électroniques traditionnels sur le débat public et permettre à des voix qui n’avaient pas accès à ces moyens de se faire entendre et de s’organiser. Pour ce faire, Internet devait demeurer neutre, accessible à tous et à l’abri d’interférence étatique. Cet espoir n’était pas sans fondement et Internet a effectivement permis à de nombreux mouvements sociaux (MeToo, Black Lives Matter, la campagne pour l’abolition des mines antipersonnel…) de se développer à une échelle mondiale et d’avoir un impact. Les réseaux sociaux permettent de diffuser et de dénoncer en temps réel les violations de droits aux quatre coins de la planète. On a aussi vu comment ces moyens de communication pouvaient être utiles en temps de pandémie. Ceci ne doit toutefois pas nous faire perdre de vue que, si nous n’intervenons pas, le développement du numérique sous la gouverne du capitalisme de surveillance, comporte de graves dangers pour les droits humains. Nous devons pouvoir utiliser Internet et les plateformes de communication et d’échange à des fins socialement utiles. Le défi des prochaines années est de se réapproprier ces outils numériques afin de les mettre au service du bien commun. Le capitalisme de surveillance n’est pas une fatalité et les nouveaux moyens d’information et d’échange sont devenus tellement névralgiques qu’ils constituent un commun qui doit être soustrait au capitalisme de surveillance. Les marchés qui font le commerce de l’avenir humain entrainent des conséquences néfastes, dangereuses et antidémocratiques, et causent des préjudices intolérables dans une société démocratique. Ils devraient être illégaux tout comme le commerce d’organes et d’êtres humains est illégal. Nous devons définir un droit qui garantisse à chacun la protection de son expérience personnelle. Nous devons aussi refuser les moyens de fichage et de surveillance biométriques, tout particulièrement, la reconnaissance faciale. La croissance débridée du numérique à des fins socialement néfastes et inutiles induit un impact environnemental majeur qui est encore largement méconnu. Le numérique est présenté comme quelque chose d’immatériel et la population est maintenue dans l’ignorance de la vaste quantité de ressources et d’énergie que requièrent ces infrastructures. Les considérations environnementales sont une partie intégrante de la réappropriation du numérique dans un objectif de promotion du bien commun. Nous sommes au tout début de la prise de conscience de l’existence du capitalisme de surveillance et de ses effets. L’enjeu de la prochaine période est de dénoncer et de s’opposer au développement d’une société de surveillance et de revendiquer la mise en place d’un cadre règlementaire qui fait primer les droits humains sur les intérêts de tous les acteurs qui tirent profit du capitalisme de surveillance, qu’il s’agisse des États, des entreprises ou des acteurs du secteur privé.
  1. En ligne : https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/421/ETHI/Brief/BR10573725/br-external/ZuboffShoshanna-10073190-f.pdf

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Logement et agriculture

31 octobre 2023, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Pour répondre à la crise du logement, l’une des solutions complémentaires réside dans la création de nouveaux (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Pour répondre à la crise du logement, l’une des solutions complémentaires réside dans la création de nouveaux logements. Seulement, l’une des limites se trouve dans l’étalement urbain qu’il est tentant de faire en s’étendant au (...)
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Essor de la société de surveillance

31 octobre 2023, par Revue Droits et libertés
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L'essor de la société de surveillance

Dominique Peschard, militant à la LDL et président de la LDL de 2007 à 2015

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Le droit au respect de la vie privée enchâssé dans les constitutions des premiers États démocratiques visait à protéger les citoyens contre les fouilles abusives. Cependant, les États, mêmes réputés démocratiques, n’ont jamais renoncé à mettre en place des systèmes de surveillance, souvent au nom de la préservation de l’ordre établi et de la sécurité nationale. Cette menace est plus réelle que jamais alors que ces pouvoirs ont connu un développement sans précédent au nom de la guerre au terrorisme. La pandémie a une fois de plus démontré comment il était facile d’instaurer un régime d’exception porteur de violations de droits en situation de crise.

Les premières décennies

Dans le cadre de l’Opération liberté, lancée le 1er mars 1978, la Ligue des droits de l’homme a organisé un colloque sur le thème Police et Liberté, les 26, 27 et 28 mai de la même année. Considéré comme la plus importante initiative du genre à ce jour au Québec, ce colloque a réuni plus de 400 participants. Son objectif est la défense et l’élargissement des droits démocratiques et des libertés fondamentales attaqués par l’État à tous ses niveaux (fédéral, provincial, municipal), par les lois et règlements répressifs, par l’utilisation des tribunaux et par le renforcement des services de sécurité et de renseignements de la police et de l’Armée canadienne, qui emploient des méthodes illégitimes. Le développement de systèmes informatiques à partir des années 1960 introduit une nouvelle menace à la vie privée : la constitution par les entreprises et les gouvernements de vastes banques de données et la possibilité d’utiliser ces données à d’autres fins que celles nécessaires pour fournir le service, ouvrant ainsi la porte à la marchandisation des données. En 1982, Radio-Canada dévoile l’existence d’un registre informatisé qui fiche les locataires qui ont recours à la Régie, rendant inopérantes les mesures de protections de la Régie du logement. Pire, d’autres systèmes permettent aux propriétaires d’éviter de louer à des citoyens sur la base de critères discriminatoires. En réaction, le Regroupement des comités de logement et associations de locataires du Québec, avec l’appui de la Ligue des droits et libertés (LDL) et des associations de consommateurs, obtiennent que le gouvernement du Québec adopte le projet de loi 24 en juin 1983 qui inscrit une nouvelle disposition au Code civil, soit « l’interdiction de la discrimination fondée sur l’exercice d’un droit1». Dans la foulée de cette mobilisation, les groupes impliqués mettent sur pied une table de concertation Télématique et libertés animée par la LDL dont l’objectif est d’examiner les implications du développement de l’informatique sur les libertés. En 1985, la table de concertation et ses alliés font campagne pour une loi de protection des renseignements personnels et, en 1986, la LDL publie la brochure Gérard et Georgette, citoyens fichés afin de sensibiliser la population. Enfin, après 10 ans de lutte, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé est adoptée le 15 juin 1993. C’est la première du genre dans les Amériques.

Les années 2000

Le début du 21e siècle est marqué par les attentats du 11 septembre 2001. En réaction, les États adoptent une série de lois et de mesures antiterroristes liberticides. Ces mesures remettent en question des droits jusque-là tenus pour acquis : l’Habeas corpus, la présomption d’innocence, le droit à un procès juste et équitable, l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants. Les musulman-e-s sont la principale cible de ces mesures et la LDL n’aura de cesse de dénoncer l’hystérie islamophobe et les discriminations dont sont victimes les musulman-e-s. De plus, les définitions vagues des crimes de terrorisme permettent que ces mesures puissent être utilisées pour cibler des activités militantes qui n’ont rien à voir avec le terrorisme. Dès son dépôt à l’automne 2001, la LDL s’oppose au projet de loi antiterroriste C-36 du gouvernement fédéral et lance une déclaration, signée par 200 organisations et 310 personnalités, pour demander le retrait du projet de loi. Au printemps 2002, la LDL participe à la création d’une large coalition pancanadienne, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC), pour organiser une résistance aux mesures liberticides. De son côté, en 2004, la LDL lance une campagne, Nos libertés sont notre sécurité, et organise une conférence avec Maher Arar et des invités internationaux, Ben Hayes (Statewatch, UK) et Jameel Jaffer (American Civil Liberties Union, US). Une infrastructure de surveillance de masse et de partage de renseignements est mise en place par les États. Sur la base de ces données, des centaines de milliers de personnes sont placées sur des listes de suspects et certaines sont renvoyées vers la torture, bloquées aux frontières ou empêchées de prendre l’avion, sans savoir pourquoi et sans recours efficace. La LDL dénonce ces atteintes à la présomption d’innocence et fait campagne de 2002 à 2011 contre les différents projets du gouvernement fédéral de donner aux forces policières de nouveaux pouvoirs de surveillance des communications. Elle participe à la Campagne contre la surveillance globale lancée en 2005 par une large coalition d’organisations de plusieurs pays. En 2007, la LDL publie un dépliant afin d’alerter la population et l’inviter à s’opposer à la mise en place d’une liste d’interdiction de vol au Canada. En 2009, la LDL participe à un projet de la CSILC afin de documenter les cas de personnes (y inclus de jeunes enfants !) placées sur la liste d’interdiction de vol. Dans la revue Droits et libertés de 2009, la LDL fait le point sur la surveillance et l’érosion de la vie privée et organise une conférence On nous fiche, ne nous en fichons pas sur le sujet au printemps 2010. À partir des années 2010, la LDL tourne son regard vers le rôle des entreprises privées dans le phénomène de la surveillance. La marchandisation des données a connu un bond qualitatif au 21e siècle. Le numérique envahit tous les aspects de la vie, et pratiquement tout ce que nous faisons - achats, champs d’intérêt, liens sociaux, déplacements – laisse une trace dans l’univers numérique. La numérisation de l’ensemble de nos activités et échanges a permis à de nouveaux joueurs de mettre en place un système de surveillance de nos comportements extrêmement profitable : le capitalisme de surveillance. Des compagnies créées au tournant du siècle – Amazon (1994), Google (1998) et Facebook (2004) – sont devenues des géants dont le modèle d’affaires est fondé sur l’appropriation de ces données à des fins d’analyse comportementale qui permet de cibler les individus et d’influencer leur comportement à des fins commerciales ou même politiques. La population n’est en général pas encore consciente de l’ampleur du phénomène et n’en voit pas les conséquences. Dans le but d’alerter la population face à cette nouvelle menace, la LDL a fait de La surveillance des populations, le thème de sa revue de l’automne 2014. Elle a également offert des ateliers Je n’ai rien à cacher mais… tout à craindre à des groupes communautaires dans plusieurs régions du Québec. Depuis 2019, la LDL s’attaque à la menace que représente le capitalisme de surveillance, non seulement pour nos droits individuels, mais aussi pour le tissu social et la démocratie. La revue du printemps 2022 fait le point sur le capitalisme de surveillance. Pour la LDL, les moyens de communication et d’échanges numériques sont devenus un bien commun trop important pour être abandonné sans contrôle à l’entreprise privée. Depuis 2022, la LDL offre un atelier : Capitalisme de surveillance : ce qui se passe derrière l’écran. Les lois de protection des renseignements personnels adoptées au siècle dernier s’avèrent complètement dépassées pour faire face à cette nouvelle réalité. À l’automne 2021, le gouvernement du Québec adopte le projet de loi 64 pour moderniser la loi québécoise. La LDL intervient lors de l’étude du projet de loi et démontre que tout en apportant certaines améliorations à la loi, celui-ci ne remet pas en question les fondements de cette nouvelle économie basée sur la marchandisation des données. La LDL dénonce également le manque de réglementation efficace de l’utilisation de la biométrie, et en particulier de la reconnaissance faciale, dont le déploiement rend toute prétention à l’anonymat illusoire. À l’instar de nombreuses autres organisations au Canada et à travers le monde, la LDL demande un moratoire sur l’utilisation de cette technologie. Au fil des 60 dernières années, la Ligue des droits et libertés est intervenue à maintes reprises pour dénoncer le développement d’un vaste système de surveillance portant atteinte aux libertés civiles ainsi qu’à la démocratie elle-même. Nous devons poursuivre cette lutte car une société de surveillance n’est pas une fatalité!
  1. En ligne : https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/421/ETHI/Brief/BR10573725/br-external/ZuboffShoshanna-10073190-f.pdf

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Rimouski en transition : renverser la pyramide du pouvoir !

30 octobre 2023, par Lilli Berton Fouchet
Lilli Berton Fouchet, correspondante et stagiaire Comment transformer le capitalisme pour développer un monde plus viable et comment le réaliser localement ? C’est dans une (…)

Lilli Berton Fouchet, correspondante et stagiaire Comment transformer le capitalisme pour développer un monde plus viable et comment le réaliser localement ? C’est dans une salle bien remplie qu’une cinquantaine de personnes ont réfléchi mardi 17 octobre à Rimouski autour de « La fin du (...)

Vidéotron « pousse 214 familles à la rue »

30 octobre 2023, par Ottawa-Gatineau
La situation s’assombrit pour les 214 travailleurs et travailleuses de Vidéotron — Gatineau, pris au piège dans un conflit prolongé. L’entreprise a empêché ses travailleurs de (…)

La situation s’assombrit pour les 214 travailleurs et travailleuses de Vidéotron — Gatineau, pris au piège dans un conflit prolongé. L’entreprise a empêché ses travailleurs de venir travailler ce matin en représailles au rejet, le 18 octobre, d’une offre patronale par les membres du Syndicat (...)

Augmenter les taux d’intérêt, pas la réponse à l’inflation

29 octobre 2023, par Rédaction

Entrevue avec Bertrand Schepper[1]

 Introduction

Face à la montée de l’inflation, qui domine la perception de la conjoncture économique dans l’après-pandémie, les banques centrales des États-Unis et du Canada ont adopté une politique monétaire que l’on peut qualifier d’orthodoxe[2]. Elle consiste à avoir pour principal objectif la stabilité des prix, et par là même, la stabilité du rendement des placements, en augmentant les taux directeurs qui servent de référence aux prêts entre banques. La Banque centrale européenne s’apprêtait en juillet dernier à faire de même dans l’espoir de juguler l’inflation. L’idée est de limiter la monnaie en circulation, et donc la capacité de dépenser des particuliers et celle d’investir des entreprises, afin par contrecoup de ralentir la hausse des prix en mettant une pression sur l’offre.

Partout, le coût du crédit augmente donc. Mais sur le plan macroéconomique, les taux d’intérêt restent inférieurs à l’inflation, qui continue de galoper. Le coût réel du crédit, et donc des emprunts d’État, reste négatif. Cela alimente les croyances orthodoxes comme quoi, finalement, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, si ce n’est pour les pays du Sud fortement endettés vis-à-vis des pays dominant la mondialisation, et qui sont au bord de la rupture de paiement en subventionnant des aliments pour leur population[3].

Le risque de ce retour du monétarisme est de précipiter une récession, à laquelle tous les économistes s’attendent, et de renouer avec des politiques d’austérité, puisque les importantes dettes contractées par les États pendant la pandémie vont coûter plus cher en intérêts, ce qui va peser sur la capacité des gouvernements d’effectuer des dépenses publiques, et ce, d’autant plus que les banques centrales sont décidées à ne plus racheter d’obligations d’État.

Plusieurs reportages et enquêtes journalistiques témoignent en outre du fait que les ménages à faible et moyen revenu souffrent. Pour eux, l’augmentation des taux d’intérêt se combine à – et non contrecarre – l’inflation, qui grève déjà lourdement leur budget. Face à l’adoption de cette politique monétaire à la sortie du confinement, nous ne sommes pas plus égaux que nous ne l’étions lors du confinement, quand les travailleuses et travailleurs essentiels continuaient de se rendre sur leur lieu de travail et prenaient d’importants risques pour leur santé pour des salaires ridicules[4].

Aujourd’hui, même si la politique monétaire réussissait à freiner les prix sans trop freiner l’économie, la hausse qui s’est produite ne s’effacera pas. Des réajustements salariaux sont nécessaires, même d’un point de vue orthodoxe. Cependant, la situation paraît particulièrement dramatique pour les personnes qui dépendent de prestations ou de pensions, car celles-ci n’ont pas connu de rattrapage ces derniers mois, contrairement aux salaires[5]. Des économistes appellent donc à des mesures ciblées d’accompagnement[6].

Mais en ne prenant que des mesures pour atténuer les pires effets de ce monétarisme, ne reste-t-on pas dans une vision à court terme, aveugle aux modifications des relations et des rôles entre pays ? Par exemple, les pays du Nord arrivaient à maintenir leur niveau de vie en limitant les hausses salariales, car ils profitaient du fait que la Chine produisait à bas prix – ce qu’elle ne va pas continuer à faire. L’horizon d’une politique monétaire, et des politiques publiques en général, se limite-t-il à assurer la stabilité des prix, des profits et des placements financiers pour soutenir la pérennité d’un système dont on sait pourtant qu’il s’en va dans le mur[7] ?

NCS – Pourquoi le choix de traiter l’inflation par une hausse des taux d’intérêt n’est pas le remède ?

Bertrand Schepper – Tout d’abord, il est nécessaire de ramener dans ce débat les principales causes de l’inflation. Car il n’y a pas de cause unique qui viendrait d’une économie en surchauffe. Les raisons de l’inflation varient selon les époques et les pays. Actuellement, il s’agit d’enjeux d’approvisionnement, qui jouent sur les prix des denrées alimentaires et sur l’accessibilité du pétrole notamment. Ces enjeux résultent de la pandémie et des politiques de confinement, qui ont d’autant plus d’effet que l’on vit dans un monde just in time[8] et que des pays ont cherché à recomposer leurs stocks alimentaires.

Après la pandémie, on estimait qu’il faudrait de six à huit mois pour rétablir les chaînes d’approvisionnement, mais la guerre en Ukraine est venue bouleverser les prévisions. Il en est de même pour les coûts énergétiques, qui ont décollé à partir de l’été 2021, et qui continuent depuis de grimper. Il y a aussi deux autres facteurs qui ont joué : les importantes sécheresses qui diminuent les récoltes de riz ou de céréales et le maintien d’une politique dure de confinement en Chine, qui menace aussi d’affecter significativement les récoltes, ce qui renforcera les risques de famine dans certains pays, en particulier ceux du Sud-Est asiatique.

Alors, bien sûr, on peut tenir le raisonnement que dans ces crises d’approvisionnement, on a des intermédiaires qui en profitent, notamment dans les chaînes de distribution alimentaire, ce qui aggrave la hausse des prix. Il y aurait donc une surchauffe contre laquelle les économistes orthodoxes réclament de fortes hausses des taux directeurs car ils jugent que les banques centrales n’ont que trop tardé à réagir. Ils font le calcul que si une récession se précise à l’automne, on pourra alors jouer à nouveau sur une baisse des taux.

C’est ce raisonnement qui justifie d’avoir recours à un remède appliqué à partir des années 1970, lorsque la politique monétaire mondiale, sous l’égide des États-Unis, n’a plus eu pour objet le plein emploi, mais la stabilité des prix, dans une fourchette d’inflation entre 1 % et 3 %. Les monétaristes misent sur le fait que la hausse des taux directeurs envoie un message clair aux marchés en mettant un frein à la circulation de la monnaie. Ainsi, en augmentant les taux, on fait diminuer la consommation des individus et les investissements des entreprises, ce qui, à terme, augmente le chômage; cette augmentation exercerait une pression pour maintenir les salaires plus bas lors des négociations salariales, ce qui éventuellement diminuerait l’inflation.

En l’occurrence, la Banque du Canada a fait savoir qu’il faut cesser la spéculation immobilière, qui se répercute sur le coût du logement, puisque les taux d’intérêt des emprunts ne permettent plus d’acheter facilement. Cependant, on pourrait dire que le marché immobilier au Canada se calmait déjà avant la hausse.

Surtout, il faut souligner que le raisonnement décrit précédemment peut fonctionner si ce sont effectivement les salaires qui alimentent l’inflation. Or, ce n’est pas le cas actuellement. En outre, au Canada et au Québec, la hausse des taux directeurs n’a de toute façon pas d’effet sur les principaux facteurs d’inflation, qui résultent d’évènements à l’extérieur du pays, et qui sont hors du contrôle des gouvernements fédéral et provincial.

Il y a ainsi de bonnes raisons de douter du bien-fondé d’une telle politique, qui risque d’avoir des effets d’autant plus délétères au Canada et au Québec, que cela fait des années que l’on dit aux gens de s’endetter. C’est d’ailleurs le recours à l’endettement, qui reste élevé malgré l’accroissement de l’épargne lors de la pandémie, qui a permis d’amortir en partie les impacts de la crise de 2008, mal gérée par les gouvernements, qui n’ont pas aidé directement les particuliers; c’est là une des leçons qu’on a retenues à l’époque, et c’est pourquoi, lors de la pandémie, le gouvernement fédéral a créé la prestation canadienne d’urgence.

NCS – Quelle alternative peut-il y avoir à cette politique monétariste ?

B. S. – On a l’impression que la politique monétaire axée sur l’inflation est le seul outil que l’on peut utiliser. Or, cela relève d’un choix politique. Le Canada et le Québec ont les moyens de faire autrement. Une chose qu’on ne souligne pas assez dans le débat actuel, c’est que le Canada est un pays extractiviste : lorsque le prix du pétrole augmente, les revenus pétroliers suivent. Il y a actuellement un afflux de demandes pour les gaz de schiste ou bitumineux. Tout comme le Canada par la TPS, le Québec en profite aussi par l’accroissement des recettes de la TVQ et l’augmentation des tarifs d’Hydro-Québec.

Actuellement, les gouvernements canadien et québécois ont donc des marges de manœuvre financière et devraient plutôt se concentrer sur la façon d’accompagner les ménages qui subissent de plein fouet l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, ainsi que sur l’organisation de la sortie de la dépendance aux énergies fossiles.

Mais il n’y a aucune vision de transition écologique dans ce retour à la politique monétariste. Au moins dans les années 1970, lorsque les pays de l’OPEP ont décidé de changer leurs rapports avec les pays occidentaux et d’augmenter le prix du pétrole, ces derniers ont cherché à diminuer leur consommation. Lors de leur dernier sommet en juin dernier, les pays du G7 ont au contraire approuvé une augmentation du recours aux énergies fossiles, comme s’il n’y avait que ce moyen pour moins dépendre de la Russie !

NCS – Concrètement, quelles mesures le gouvernement québécois pourrait-il prendre ?

B. S. – On peut très bien proposer, puisque l’argent est là, de prendre acte de la crise alimentaire pour développer des circuits courts de production locale, ainsi que pour favoriser des projets écologiques par l’intermédiaire de la Caisse de dépôt et placement du Québec. L’intervention de l’État doit être orientée vers la mise en place d’un tissu industriel qui assure la résilience économique, l’inclusion sociale et le respect de l’intégrité des écosystèmes. En la matière, les objectifs que s’est donnés le gouvernement de la Coalition avenir Québec sont très inférieurs aux besoins en matière de réduction des gaz à effet de serre (GES). On le constate par exemple lorsqu’on examine le plan de mise en circulation de 1,5 million de véhicules électriques d’ici à 2030, alors qu’on a déjà 5,3 millions de véhicules de promenade sur les routes du Québec, ou l’augmentation insuffisante du prix de la tonne de carbone (la tonne d’émission de GES), qui prend appui sur une politique d’autorégulation du privé – une logique de gestion qui a toujours été mise en échec. On a besoin d’une politique plus audacieuse qui va se traduire par l’arrêt de certaines activités, la création d’autres et l’accompagnement des salarié·e·s, sachant que les industries à faible intensité de carbone sont aussi celles où la densité d’emploi est la plus importante. On a les moyens d’assurer une transition juste[9].

Par ailleurs, au lieu d’avoir fait un chèque électoraliste de 500 dollars à tous les ménages gagnant moins de 100 000 dollars par année, ce qui contribue à l’inflation, il serait socialement juste d’augmenter les minima sociaux, comme l’aide sociale et les pensions de retraite, ainsi que le salaire minimum à un niveau décent. Ce niveau dépasse aujourd’hui les 18 $ l’heure[10] pour lesquels une coalition de syndicats et d’organismes communautaires, baptisée Minimum 18 $ !, s’est formée en début d’année pour relancer le débat à ce sujet. Le gouvernement pourrait aussi revaloriser les salaires du secteur public et parapublic lors des négociations des conventions collectives. Voilà qui serait un signal intéressant pour le secteur privé afin que ce ne soit pas les classes populaires qui fassent les frais de cette crise. Enfin, toujours dans une perspective à moyen et long terme, il est important non seulement d’envisager d’encadrer les tarifs de certains besoins de base, mais surtout de revoir notre structure d’imposition. Et ce d’autant plus qu’à l’heure actuelle, vu la structure de leur consommation, les riches subissent moins l’inflation.

Entrevue menée par Carole Yerochewski, sociologue.


NOTES

  1. B. Shepper est chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
  2. La politique monétaire orthodoxe ou monétarisme sont des termes issus des controverses des années 1980 lorsque Thatcher au Royaume-Uni et Reagan aux États-Unis ont appliqué cette politique tournée vers l’offre, c’est-à-dire vers les entreprises. Pour un clair historique sur ce sujet et sur la façon de faire face aux enjeux actuels, voir Guillaume Hébert, La politique monétaire au service du bien-être collectif, IRIS, série Après la pandémie, fiche n° 4, février 2022 et Bertrand Schepper et Mathieu Dufour, Inflation : que peuvent faire les gouvernements ?, billet, IRIS, 8 décembre 2021.
  3. Voir Martine Orange, « Banques centrales : la guerre inversée des monnaies », Mediapart, 19 juin 2022.
  4. Pour mémoire, plusieurs étaient payés au salaire minimum de 13,10 $ l’heure à l’époque, ce qui avait amené les gouvernements du Canada et du Québec à financer ou à allouer des primes COVID (500 $ par mois dans le cas du Québec).
  5. Voir notamment Éric Desrosiers, « Une inflation (un peu) moins forte pour les moins riches », Le Devoir, 25 juin 2022 et « Tous inégaux devant l’inflation », Le Devoir, 7 janvier 2022.
  6. Voir par exemple l’entrevue avec Éric Heyer, « Inflation : “On ne pourra pas aider tout le monde”, prévient un économiste », France Info, 27 juin 2022.
  7. Voir Orange, op. cit.
  8. Le just in time ou flux tendu désigne une méthode de rentabilisation de la production qui consiste à ne garder aucun stock.
  9. Voir aussi Bertrand Schepper, La nécessaire transition écologique, série Après la pandémie, fiche n° 3, IRIS, février 2022.
  10. Le montant de 18 $ représente le taux horaire minimum nécessaire pour qu’une personne qui travaille à temps plein toute l’année puisse espérer sortir de la pauvreté au Québec.

Le « convoi de la liberté » : le 18 Brumaire de Pierre Poilievre et d’Éric Duhaime

27 octobre 2023, par Rédaction

Hegel remarque quelque part que tous les grands faits et les grands personnages de l’histoire universelle se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce.
— Karl Marx[1]

Un parfum de fascisme à l’odeur de diésel a flotté sur la ville d’Ottawa pendant près d’un mois. Est-il exagéré de comparer cet événement grotesque et ridicule (une farce) à celle, meurtrière, de l’Europe des années 1930 et 1940 (une tragédie) ? Probablement. Mais il faut tout de même reconnaître l’émergence d’un courant qui n’est pas pour autant inoffensif.

Le « convoi de la liberté »… et de la colère

Ayant convergé à la dernière fin de semaine de janvier vers la capitale fédérale, principal théâtre d’une mobilisation pancanadienne contre les mesures sanitaires, le « convoi de la colère », à l’aide de son avant-garde de camions lourds, a occupé le centre-ville jusqu’à la fin du mois de février, renforcé chaque vendredi par l’afflux de centaines, voire de milliers, de manifestantes et de manifestants. Ce fut un douloureux spectacle pour les personnes résidentes prises au piège du tourbillon d’agressivité devant lequel la police d’Ottawa n’offrait qu’une réponse complaisante que certains ont même qualifiée de complice.

En réaction aux diverses mesures sanitaires, mais aussi pour la défense de la « liberté », le mouvement affichait un refus général des règlements, un soutien à l’exploitation pétrolière et une haine envers la personne de Justin Trudeau, en plus de faire preuve d’homophobie et d’une pléthore d’autres attitudes discriminatoires. La caractéristique la plus atypique de cette mobilisation relève toutefois de sa forme, distincte de la manifestation classique. Les participantes et participants eux-mêmes ont évoqué « Woodstock » : il s’agissait pour plusieurs d’un événement culturel animé où, souvent accompagnés de leurs jeunes enfants, se côtoyaient des militantes et des militants à différents degrés d’engagement, les uns mettant en place des camps de fortune et d’autres préférant le confort de l’hôtel, tous rassemblés au centre-ville de la capitale pour afficher leur colère.

Au même moment, d’autres manifestations se tenaient dans plusieurs villes canadiennes, notamment à Québec. Cependant, c’est la présence de plusieurs blocus à la frontière avec les États-Unis qui a semblé prendre de court les dirigeants politiques, créant une perturbation économique à laquelle ils ont répondu promptement[2]. De plus, des manifestations d’envergure variable ont surgi dans différentes villes, même plusieurs mois après les événements, reprenant parfois la forme du convoi, entrée dans le répertoire des actions collectives comme catalyseur de la démonstration. Ainsi, en mai, c’était au tour d’un convoi de motocyclistes d’être le détonateur d’une autre manifestation censée s’opposer aux mesures sanitaires.

Il semble qu’il s’agit là de la sortie de l’ombre d’un mouvement multiforme qui a profité de la conjoncture pour croître et se radicaliser. Non seulement le contexte pandémique l’a-t-il propulsé à l’avant-scène, mais la montée en puissance de l’extrême droite mondiale, particulièrement de son aile « trumpiste » étatsunienne, fortement liée à l’organisation du convoi, a été le principal catalyseur de la mobilisation. Nous assistons ainsi à un réalignement international où une bonne partie de la droite politique, pour se renouveler et rester au pouvoir, se soude en un bloc plus radical. Ce dernier est composé de quelques figures de proue médiatisées, mais ce sont les petits propriétaires ruraux et des personnes reliées à l’industrie pétrolière et gazière qui en sont la véritable colonne vertébrale financière[3]. Finalement, le mouvement a trouvé un soutien populaire chez les « laissés-pour-compte » (à défaut d’une meilleure expression), simples pions dans son entreprise de droitisation et de libéralisation. Camionneurs, ex-policiers, ex-militaires ou agriculteurs sont devenus le symbole du mouvement, et leurs croyances, parfois loufoques, ont permis qu’ils se sentent « importants », qu’ils soient les « héros » de l’époque actuelle[4].

Au-delà des clichés et des raccourcis, la présence de ces laissés-pour-compte ne signifie pas pour autant que la gauche traditionnelle aurait abandonné les classes populaires ou le précariat. En effet, le petit commerce était fort représenté dans ce mouvement dont le moteur était la colère, l’intolérance et le racisme. L’opposition aux mesures sanitaires a servi à rassembler autour de ce « signifiant vide » une chaîne de revendications et d’opinions politiques diverses. Une fois celles-ci réunies, le poids politique du mouvement est devenu considérable.

Les relais politiques

Sur le plan politique, c’est Pierre Poilievre qui a su rapidement profiter de la situation. Homme de la droite radicale, Poilievre est un député du Parti conservateur de la banlieue d’Ottawa et un ancien ministre du gouvernement de Stephen Harper. Ses excès d’enflure verbale, qu’il diffuse habilement en ligne, séduisent les militantes et militants conservateurs. Comme plusieurs de ses collègues, il n’a pas hésité à appuyer le convoi et ainsi à se positionner comme leader en devenir de sa formation. Depuis son élection comme chef conservateur, Erin O’Toole s’était présenté comme le porteur de l’équilibre entre le populisme radical, identifié à l’ouest du pays, et le conservatisme affairiste, identifié à l’est. Toutefois, à la suite de sa défaite électorale aux mains des libéraux, son leadership s’est retrouvé de plus en plus fragilisé. C’est ainsi qu’en janvier, pris de panique devant la rébellion qui se préparait dans ses propres troupes, il a tenté de sauver la mise en allant à la rencontre des manifestantes et des manifestants du convoi. Quelques jours plus tard, son caucus lui montrait pourtant la porte.

Poilievre veut transgresser encore plus la ligne du parti sans ménager l’aile traditionnelle de celui-ci. Son discours est totalement différent de celui des conservateurs traditionnels, mais typique de la droite populiste. Dépassant le régionalisme, il dénonce les élites, la concentration des pouvoirs politiques, économiques et culturels aux mains des « soi-disant experts », des « wokes » et de la « coalition socialiste » que formeraient les libéraux et les néo-démocrates. En plus de son leitmotiv de la « liberté », son cheval de bataille principal est le coût de la vie, une stratégie par ailleurs adoptée par Marine Le Pen, en France, dans sa démarche de « dédiabolisation ». Avec une approche populiste qui lui permet d’élargir le bassin conservateur à la petite-bourgeoisie rurale et aux « laissés-pour-compte », il dénonce le prix excessif du logement qui serait, selon lui, le résultat du pouvoir corrompu de l’entourage de Justin Trudeau, dont le Nouveau Parti démocratique serait complice.

Au Québec, même si Éric Duhaime et son Parti conservateur n’ont pas participé aux manifestations et aux convois, ces derniers ont constitué pour eux une démonstration de force. À la différence de Maxime Bernier, qui tente de défendre, sans le même succès, des idées semblables sous une forme similaire, Duhaime apparaît comme un fin stratège sur le plan de la communication. La curiosité, voire la fascination médiatique qu’il suscite, est entretenue par des propos habiles qu’ils lui permettent de toujours repousser la limite acceptable et de devenir le relais des mouvements contestataires de droite, ce qui normalise un discours qui serait autrement jugé farfelu, voire dangereux.

En croyant que le mouvement s’essoufflerait avec la fin de la pandémie, les forces progressistes, de leur côté, ont eu une attitude attentiste face à cette croissance de l’extrême droite[5]. Il s’agit toutefois d’une erreur : les graines de l’intolérance et de la réaction ont été plantées, et leurs effets commencent à se faire sentir. Comme ce fut le cas pour la « Manif pour tous » en France – un « Mai 68 conservateur » –, les manifestations d’Ottawa et d’ailleurs au pays, la croissance des échanges en ligne et le regroupement au sein de partis politiques ou d’organisations ont agi comme vecteurs de socialisation pour les personnes adhérentes et sympathisantes du mouvement[6]. Après la pandémie, ces personnes qui se sont reconnues ne s’oublieront pas du jour au lendemain, et leurs idées poursuivront leur convergence. Elles vont continuer de croire que les gouvernements nous mentent et qu’ils veulent brimer notre liberté. Elles parleront d’immigration, de culture et d’identité, et mettront de l’avant un programme économique de droite, basé sur la « liberté de choix ». L’opposition aux mesures sanitaires pourrait bien constituer un cheval de Troie qui a contribué au processus de normalisation de l’extrémisme.

Sans avoir pris le pouvoir, même si ses éléments les plus radicaux et délirants l’avaient souhaité, le mouvement d’Ottawa aura marqué bien des esprits. Ses participantes et participants attendent l’émergence d’un Napoléon III ou l’apparition d’autres occasions de se faire entendre. Leur rassemblement lors de cet événement à haute visibilité leur a permis de se rendre compte qu’ils avaient une importance politique pour la droite canadienne tentée par le virage « trumpiste ».

Que faire ?

La question est de savoir comment agir face à ce phénomène pour pouvoir le combattre. La répression policière ou le recours à des instruments autoritaires ne sont pas des solutions à privilégier. En plus du fait qu’il est moralement condamnable d’y recourir, elles peuvent au contraire renforcer le sentiment d’opposition que le mouvement met de l’avant. Une condamnation purement morale pourrait aussi paraître du mépris de classe envers les participantes et participants du mouvement. L’adoption par les médias d’une perspective plus critique et plus informée serait souhaitable, mais elle est difficilement envisageable.

La mobilisation citoyenne et politique, sous différentes formes, semble être la voie la plus efficace. Sans condamner ni soutenir l’idée d’organiser une confrontation directe à la manière des manifestations antifascistes, affronter la peur par le nombre constitue une option sur laquelle il faudrait se pencher et à laquelle il faudrait réfléchir davantage[7].

Sur le plan des organisations politiques, nous assistons à une lutte hégémonique pour la signification de l’impact de la pandémie. Le pouvoir semble préférer, comme repoussoir et garantie du statu quo, une opposition comme celle du convoi. Il s’agit d’un jeu dangereux. Les forces progressistes doivent pouvoir incarner le changement et barrer la route à ces élans réactionnaires.

Pendant ce temps, le parfum continue de se répandre avec ses effluves de violence, d’intolérance, d’appétit de domination et de désinformation. Avec le convoi de la liberté, l’extrême droite a fait son entrée dans la politique canadienne et pousse encore davantage vers la droite radicale les organisations politiques conservatrices traditionnelles.

En somme, cet événement est le symptôme canadien d’un virage mondial vers l’extrême droite, symptôme que l’on dénonce trop peu, sinon à demi-mot, sans jamais lui apposer l’étiquette qui lui convient le mieux : le néofascisme.

Par Milan Bernard, doctorant en science politique à l’Université de Montréal et membre du Collectif d’analyse politique.


NOTES

  1. Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte, Paris, Les Éditions sociales, 1969.
  2. Pour une analyse qui aborde davantage la réponse du gouvernement fédéral au mouvement comme tel, voir l’un des derniers textes du regretté Pierre Beaudet, notre ami cofondateur des Nouveaux Cahiers du socialisme : <www.monde-diplomatique.fr/mav/182/BEAUDET/64517>.
  3. Pour un bref portrait des donateurs du convoi, voir Luke Ottenhof, « Meet some of the wealthy Canadians who donated to the trucker convoy », The National Observer, 16 février 2022, <www.nationalobserver.com/2022/02/16/news/meet-some-wealthy-canadians-who-donated-trucker-convoy>.
  4. Les manifestantes et les manifestants s’identifient entre eux comme des « patriotes ». En plus de la référence à Marx pour qui le sous-prolétariat parisien fut gâté par Louis-Napoléon Bonaparte au point d’en devenir son avant-garde, l’utilisation du terme « héros » renvoie également à l’étude de Franco « Bifo » Berardi sur le phénomène des « tireurs solitaires », une des manifestations des tendances de notre temps. Ceux-ci seraient plutôt les « héros d’une époque de nihilisme et de stupidité spectaculaire : l’ère du capitalisme financier ». L’héroïsme auquel fait référence Berardi est celui qui a émergé avec le néolibéralisme : l’individualisme exacerbé qui impose une lecture compétitive à l’ensemble de la société, sous tous ses aspects, pour faire émerger les « gagnants ». Franco Berardi, Tueries : forcenés et suicidaires à l’ère du capitalisme absolu, Montréal, Lux, 2016, p. 27.
  5. La condamnation venant de l’élite progressiste ne porte que sur le plan moral. Plutôt que d’offrir une réponse politique, on a plutôt opté pour l’affichage sur les réseaux sociaux d’une vertu ostentatoire.
  6. Gaël Brustier, Le Mai 68 conservateur, Paris, Les Éditions du Cerf, 2014. L’appellation « Manif pour tous », du nom de la principale organisation du mouvement, réfère aux manifestations de 2012 et de 2013 contre le mariage homosexuel et l’homoparentalité en France.
  7. À Vancouver, les manifestants sympathisants du « Convoi » ont été tenus en échec par des contre-manifestants à bicyclette qui se déplaçaient rapidement en groupe pour bloquer la voie aux camions. Ian Holliday, « Counter-protesters say ‘Go Home’ as Vancouver convoy disrupted », CTV News Vancouver, 5 février 2022, <https://bc.ctvnews.ca/counter-protesters-say-go-home-as-vancouver-convoy-disrupted-1.5769541>.

La maison des communs du savoir

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Pierre Beaudet : la passion de l’internationalisme

27 octobre 2023, par Rédaction

Quelques mois après son départ, nous mesurons la place qu’a occupée Pierre Beaudet, et nous ressentons à quel point il nous manque. En pensant à Pierre, je me rappelle la proposition de Gramsci qui citait Romain Rolland : « Il faut savoir allier le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté ». J’ai connu peu de personnes qui, autant que Pierre, illustraient cette proposition. L’intelligence de Pierre lui faisait voir les difficultés, les impossibilités de certaines situations. Ce qui ne l’empêchait jamais de s’y engager pleinement, avec sa fougueuse volonté, son humour et son grand sourire. Pierre ne se mettait pas en avant, mais quand il était passé quelque part, il y avait toujours quelque chose qui avait changé, des lignes qui avaient bougé. La fraternité se traduisait toujours en actes.

Je voudrais dans cette contribution rappeler l’attachement de Pierre Beaudet à l’internationalisme, sa passion de l’internationalisme. Il le traduisait dans la solidarité internationale, cette fraternité élargie qui constitue un internationalisme concret ; dans sa pratique critique du développement pour contribuer à la transformation des sociétés et du monde ; dans son engagement politique pour l’altermondialisme qui représente la forme actuelle de l’internationalisme ; dans l’engagement politique constant et dans les projets pour construire l’espace international.

La solidarité internationale et l’internationalisme concret

Pierre alliait naturellement, dans la solidarité, le local et le global. Les deux pôles de son engagement associaient, d’un côté, la transformation radicale de la société québécoise et, de l’autre, les mouvements révolutionnaires dans le monde. Il naviguait entre ce qu’il appelait, avec humour, son village d’Astérix et le monde. Il combinait parfaitement l’internationalisme et l’enracinement. Il voyageait entre le local dans ses différentes acceptations, le national, les grandes régions géoculturelles et le mondial.

Il rappellera son parcours dans On a raison de se révolter. Chronique des années 70[1]. L’internationalisme de Pierre était d’abord concret, il travaillait directement avec des mouvements dans les différentes parties du monde. Il apprenait d’eux, toujours à leur écoute, attentif aux différences, enrichi par les constructions d’avenir ancrées dans des sociétés millénaires. Il y apportait son écoute fraternelle et son engagement. Il apportait aussi l’appui d’un réseau international auquel il a toujours contribué à partir de la création d’Alternatives, en 1994.

Cette solidarité internationale se concrétisait dans des découvertes, des échanges et des amitiés. C’était des rencontres extraordinaires ; j’en citerai une parmi beaucoup d’autres pour montrer ce que peut apporter et ce que signifie un internationalisme concret. C’est Pierre qui m’a fait connaître Mohammad Ali Shah, le fondateur du Pakistan Fisherfolk Forum (PFF), qui nous a quittés, probablement d’une complication du COVID-19, il y a un an, à l’âge de 66 ans. Le PFF est un syndicat de pêcheurs et de leur famille. Mohammad Ali Shah était un leader reconnu par plus de cinq millions de personnes de la communauté des pêcheurs du Sindh et du Baloutchistan. Fondé officiellement en 1998, le PFF compte 100 000 membres, dont plus de 35 % sont des femmes. Pendant plusieurs années, Alternatives Montréal, avec la participation d’autres associations, dont le Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (CEDETIM)[2], a accompagné le PFF et a énormément appris de ce partenariat fraternel.

Avec Mohammad Ali Shah, le PFF menait les batailles sur plusieurs fronts. Lorsque, sous la dictature de Pervez Musharraf, l’armée s’est emparée par la force, au Pakistan, du commerce de la pêche dans les lacs intérieurs du district de Badin, dans la province de Sindh, Shah a mené une série de manifestations et mobilisé l’opinion publique, obligeant ainsi l’armée à se retirer de l’industrie de la pêche. Lorsque les politiques néolibérales des gouvernements, national et provincial, n’ont pas tenu compte des licences des pêcheurs autochtones et ont plutôt vendu aux enchères les lacs sous contrat à de grands propriétaires et à des sociétés commerciales, la communauté de pêcheurs déjà appauvrie a été durement touchée. Elle a mené d’énormes mobilisations et protestations dans tout le Sindh, sous la houlette du PFF.

Le PFF, qui a pu mesurer la dégradation terrible de la baie de l’Indus, est devenu l’une des plus actives associations de défense de l’écologie. Au moment des grandes inondations, le PFF a lutté contre la politique de réaménagement capitaliste qui cherchait à éliminer les villages de pêcheurs pour les remplacer par de grands hôtels, des zones touristiques et de l’agro-industrie. Sous la direction de Shah, le PFF a participé activement à des initiatives régionales et internationales progressistes telles que le Forum des peuples Pakistan-Inde pour la paix et la démocratie (PIPFPD), le Forum mondial des pêcheurs (WFFP) et le Forum social mondial (FSM). Il a joué un rôle clé dans l’organisation du FSM qui s’est tenu à Karachi au Pakistan en 2006 ; il a reçu les délégations du FSM sous une grande tente de 10 000 personnes, essentiellement des pêcheurs.

Pierre adorait les rencontres improbables. Il était à l’écoute des luttes et des mobilisations dans toutes les parties du monde. Il se passionnait pour l’histoire des mouvements sociaux et citoyens et pour les militantes et les militants qui y étaient engagés. Il les recevait au Québec ; il envoyait de jeunes volontaires s’y former. Il était aussi attentif à l’histoire longue dans ses différentes déclinaisons, à commencer par l’histoire des civilisations. Je me souviens du jour où un ami irakien nous avait beaucoup fait rire en nous déclarant : « Ce qui nous énerve chez les Américains, c’est qu’ils nous prennent pour des sauvages ; alors qu’ils ont à peine deux cents ans et que leur histoire a moins de cinq siècles, tandis que notre histoire, avec la Mésopotamie, a commencé il y a cinq millénaires !

Pierre avait compris très tôt, bien avant beaucoup d’autres, l’importance des peuples premiers, des peuples autochtones ou des peuples indigènes sous leurs différentes dénominations. Comment comprendre le Québec et le Canada si on ne prend pas en compte cette inscription dans le temps long. Pour lui, c’est dans le temps long, celui de la continuité et des ruptures ente les civilisations, que commence la solidarité internationale. Il a d’ailleurs rédigé plusieurs publications sur l’indianisme et la paysannerie en Amérique latine[3] et sur les peuples premiers et les peuples autochtones.

La pratique critique du développement

Pierre était complètement engagé dans la nécessaire compréhension des sociétés et du monde. Dans l’esprit que Marx avait défini dans les thèses sur Feuerbach, nous voulons comprendre le monde pour le transformer. Pierre était investi dans la volonté de transformation des sociétés et du monde ; c’était le sens de son engagement théorique, pratique, professionnel et pédagogique sur le développement. La notion de développement s’était imposée, et avait été imposée, comme la manière de prendre en compte le débat stratégique et technique sur la transformation des sociétés.

Pierre participait donc aux débats sur le développement à partir d’une démarche critique. Il combinait les approches de l’engagement politique radical avec la pratique dans la conduite de programmes d’action, de la recherche théorique, de l’enseignement. Il inscrivait cet engagement dans la discussion critique sur le développement en mettant en avant les grands enjeux de la solidarité et de la coopération internationale. Il analysait les effets négatifs de la mondialisation et soutenait les pratiques d’autonomie en Afrique, en Amérique latine et centrale, en Asie et en Europe. Il appuyait directement les actions de mouvements dans de nombreux pays, en Angola, au Brésil, en Inde, au Pakistan, en Afrique du Sud, en Palestine, au Niger, au Maghreb… Chaque fois qu’un mouvement défendait son autonomie et s’inscrivait dans la défense des droits fondamentaux, il cherchait, à partir de la camaraderie avec les animateurs et animatrices de ces mouvements, à réunir les moyens pour les renforcer et les faire reconnaître.

Pierre s’était inscrit dans les différentes écoles de critique du développement, celles de renouvellement du marxisme, amorcées par Henri Lefebvre ou par Althusser, Etienne Balibar et Emmanuel Terray. Il était attentif aux propositions qui avaient accompagné la remise en cause du développement à partir des travaux de François Partant sur la fin du développement et de Serge Latouche. Il était surtout partie prenante des démarches engagées par Samir Amin, Immanuel Wallerstein, Giovanni Arrighi et André Gunder Frank explicitées dans les livres La crise, quelle crise ? et Le grand tumulte[4]. Il avait perçu très vite que l’écologie remettait en cause inexorablement la doxa du développement fondée sur la croissance économique qui subordonnait le développement à la pensée capitaliste.

À l’initiative de Pierre, Alternatives et le CEDETIM se sont engagés dans une longue histoire commune. D’abord dans le soutien aux mouvements des peuples des pays du Sud. Ensuite, dans l’émergence du mouvement altermondialiste par les luttes contre la dette et les programmes d’ajustement structurel, contre les politiques des institutions internationales, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, puis l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Nous, du CEDETIM, avons appris beaucoup de choses d’Alternatives : de la longue lutte contre la Zone de libre- échange des Amériques (ZLEA) qui commencera dès 1994 jusqu’aux grandes mobilisations de 2001 ; et de manière plus directe avec l’expérience internationaliste d’Alternatives, notamment son programme de volontaires qui nous servira à définir le lancement de l’association Échanges et Partenariats.

En 1998, avec Pierre, nous avions participé, à Bruxelles, avec Samir Amin et François Houtard, au lancement du Forum mondial des alternatives (FMA). Le FMA prendra part, en janvier 1999, à Davos, aux premières manifestations contre le Forum économique mondial, avec quelques organisations, notamment ATTAC[5], la KTCU[6] de Corée du Sud, le Mouvement des sans-terre (MST) brésilien, des paysans burkinabés, des femmes québécoises. Ce contre-sommet précédera les manifestations contre l’OMC à Seattle à la fin de novembre 1999.

À partir de 2001, l’altermondialisme ouvre une nouvelle période de rencontres et de visibilité internationaliste. C’est le début des forums sociaux mondiaux à Porto Alegre. Dans le même temps, le mouvement québécois constitue un élément majeur dans les mobilisations qui auront raison de la ZLEA. Pierre et Alternatives Montréal jouent un rôle de premier plan dans la succession des forums sociaux, à Porto Alegre (2001, 2002, 2003, 2005), Mumbai (2004), Bamako (2006), Caracas (2006), Karachi (2006), Nairobi (2007), Belém (2009), Dakar (2011), Tunis (2013, 2015), Montréal (2016), Salvador de Bahia (2018). Pierre inscrivait le débat critique sur le développement dans la solidarité internationale. L’internationalisme interpelle la notion dominante du développement et en renouvelle la conception.

L’altermondialisme inscrit dans l’histoire de l’internationalisme

L’histoire des internationales, et particulièrement la Première Internationale, nous servait de référence. Pierre a édité, avec Thierry Drapeau, un très beau livre, L’Internationale sera le genre humain ! De l’Association internationale des travailleurs à aujourd’hui[7]. Nous inscrivions l’altermondialisme et les forums sociaux mondiaux dans cette histoire.

L’altermondialisme est la forme que prend l’internationalisme à partir des années 1980, avec l’imposition du néolibéralisme, et il se concrétise dans les forums sociaux mondiaux, à partir de l’an 2001. Pierre va s’y engager à fond. L’altermondialisme, c’est l’émergence des mouvements sociaux et politiques qui, sans être des partis politiques, renouvellent l’engagement politique à partir des luttes sociales, politiques et idéologiques. C’est aussi l’ouverture vers les mouvements syndicaux, ouvriers, salariés et paysans, les peuples autochtones, les mouvements des pays du Sud. L’altermondialisme s’élargira aux nouvelles radicalités, au féminisme et aux mouvements de genre, à l’écologie et au climat, à la lutte antiraciste et contre les discriminations, aux peuples autochtones, aux migrants et migrantes. C’est l’invention d’une nouvelle culture de l’émancipation.

L’altermondialisme se construit dans la convergence des mouvements, autour de quelques principes : celui de la diversité et de la légitimité de toutes les luttes contre l’oppression, celui de l’orientation stratégique pour l’égalité des droits et un accès universel, celui d’une nouvelle culture politique qui lie engagement individuel et collectif. À plusieurs reprises, la notion de mouvement se précise par rapport à celle de parti, de société civile et de peuple. En 1984, à Hiroshima, à l’invitation du mouvement social japonais, des mouvements asiatiques et des intellectuels proposent de lancer une alliance mondiale des peuples (Global alliance of people), mais ils se demandent qui va construire cette alliance. Vinod Raina[8] nous avait rapporté la réponse qui s’était précisée dans ces débats : « Ce sont les mouvements qui construiront l’alliance des peuples. Ce ne sont pas les partis, ni les associations, ni les ONG, ce sont les mouvements sociaux et citoyens ». Cette proposition, confirmée par les zapatistes dans le Chiapas mexicain, caractérisera les futurs forums sociaux mondiaux.

Le Forum social de 2009 à Belém au Brésil constitue le moment de plus marquant des FSM. Les mouvements sociaux présents à Belém ont mis l’accent sur une triple crise emboîtée : une crise du néolibéralisme en tant que phase de la mondialisation capitaliste ; une crise du système capitaliste lui-même qui combine la contradiction spécifique du mode de production, celle entre le capital et le travail, celle entre les modes de la production et les modes de la consommation et celle entre les modes productivistes et les contraintes de l’écosystème planétaire ; une crise de civilisation, renforcée par la question des rapports entre l’espèce humaine et la nature, qui interpelle la modernité occidentale et qui interroge certains des fondements de la science contemporaine.

Le mouvement altermondialiste prolonge et renouvelle plusieurs mouvements qui ont marqué les luttes sociales depuis cent ans : le mouvement des libertés démocratiques, le mouvement ouvrier, le mouvement pour les droits économiques, sociaux et culturels, le mouvement des droits des femmes, le mouvement paysan, le mouvement de la décolonisation et des droits des peuples, le mouvement écologiste, le mouvement des peuples autochtones, le mouvement des migrants et migrantes. Chacun de ces mouvements définit ses objectifs et les approfondit. À partir de 2010, une nouvelle période de crise s’intensifie. Chaque mouvement y répond de son côté en creusant son sillon ; nous pouvons ensuite mesurer ce qui manque, un projet d’ensemble qui donnerait une perspective commune.

L’altermondialisme s’appuie sur le rôle des mouvements sociaux et citoyens par rapport au rôle des partis. Il ne remet pas en cause l’importance du politique, mais il conteste le monopole de l’action politique et de la direction du politique, qui est attribué aux partis politiques. D’ailleurs, les différents partis progressistes sont très présents dans les forums sociaux mondiaux à travers des syndicats, des associations et les différents mouvements qui leur sont liés. Comme l’avait souligné Immanuel Wallerstein, cette interrogation sur les partis accompagne celle sur l’équation stratégique : créer un parti, pour conquérir l’État, pour changer la société. Il faut cependant admettre que le parti créé pour conquérir l’État devient un parti-État avant même d’avoir conquis l’État et que l’État induit fortement les changements possibles des sociétés. Cette interrogation amène à reconsidérer la définition même de la démocratie.

La passion des mouvements devient une nouvelle forme de la passion du politique. Elle pose alors une nouvelle question, celle des nouvelles formes du réformisme et des récupérations à travers l’« ONGéisme ». Il faut évidemment distinguer les mouvements sociaux et citoyens des ONG. Cette distinction n’est pas toujours facile sur le plan des orientations, car il y a des ONG réformistes et des ONG radicales, et il y a aussi, dans les mouvements sociaux, des radicaux et des réformistes. Mais surtout, les tentatives de récupération idéologique et financière brouillent les frontières. Le capitalisme tente d’intégrer les associations, les mutuelles, les coopératives… Il tente aussi de brouiller les frontières de l’économie sociale et solidaire, associative, locale en prétendant que leur évolution vers le capitalisme est inéluctable, et en leur imposant, comme seule norme de l’efficacité, celle des entreprises capitalistes et de la financiarisation. C’est l’un des fronts de la bataille pour la construction d’alternatives émancipatrices.

La nouvelle situation internationale

Nous pouvons définir la gauche à partir de l’émergence des valeurs de l’égalité et des droits. Au-delà des révolutions bourgeoises, anglaise, américaine et française (1789), Pierre insistait sur l’accélération de l’histoire avec la Première Internationale (1864), la Commune de Paris (1871), les révolutions soviétiques, chinoises, vietnamienne, la décolonisation à partir de 1920. On peut resituer l’altermondialisme dans la période du dernier siècle. Depuis le milieu des années 1970, l’altermondialisme constitue une réponse à la période de 40 ans d’offensive contre la décolonisation et les mouvements sociaux dans les pays décolonisés. Cette offensive a été étendue aux pays qui avaient connu des révolutions et dans les pays industrialisés. Nous insistions sur la nécessité d’une orientation alternative à la mondialisation capitaliste.

Cette orientation comporte plusieurs enjeux : l’enjeu d’une nécessaire démocratisation et l’enjeu majeur d’une nouvelle phase de la décolonisation qui correspondrait, au-delà de l’indépendance des États, à l’autodétermination des peuples. Elle met aussi sur le devant de la scène la question de l’épuisement des ressources naturelles, particulièrement celui de l’eau, et les questions du climat, de la biodiversité, du contrôle des matières premières, de l’accaparement des terres. Elle nécessite un renouvellement culturel et civilisationnel.

La référence à la Première Internationale, l’Associations internationale des travailleurs (AIT) de son nom officiel, a marqué l’émergence et l’organisation politique de la classe ouvrière dans l’histoire. L’AIT a été capable de se dépasser et de s’élever à l’échelle d’une histoire en train de se faire. Elle a permis à la classe ouvrière de se définir comme un acteur de cette histoire et de contribuer à la modifier. Le monde a changé et continue de changer ; et les fondements que l’AIT avait dégagés restent essentiels. La décolonisation, les droits des femmes, l’écologie, l’impératif démocratique introduisent de nouvelles nécessités. Il faut aussi tenir compte des échecs sur la route de l’émancipation : le deuil des régimes issus de la décolonisation ; le deuil du soviétisme ; le deuil de la social-démocratie fondue dans le néolibéralisme.

L’histoire se renouvelle ; de nouvelles révoltes éclatent et de nouvelles propositions émergent. Pierre Beaudet était à l’écoute, à partir de 2011, des mouvements massifs, quasi insurrectionnels, qui témoignaient, dans plus de quarante pays, de l’exaspération des peuples. Ce qui a émergé à partir des places[9], c’était une nouvelle génération qui s’imposait dans l’espace public. Cette nouvelle génération a tenté de construire, par ses exigences et son inventivité, une nouvelle culture politique. Elle a expérimenté de nouvelles formes d’organisation à travers la maîtrise des réseaux numériques et sociaux, l’affirmation de l’auto-organisation et de l’horizontalité. Elle tente de redéfinir, dans les différentes situations, des formes d’autonomie entre les mouvements et les instances politiques. Elle recherche des manières de lier l’individuel et le collectif. Ce n’est pas un changement du rapport au politique, c’est un processus de redéfinition du politique. Les nouveaux mouvements marquent la transition entre les mouvements de contestation de la dernière phase du cycle ouvert par le néolibéralisme et les mouvements anti-systémiques de la phase à venir. On retrouve dans les mouvements récents une nouvelle génération culturelle, celle qui, comme les Iraniennes, se désigne comme la troisième génération.

Les interrogations essentielles sur la démocratie et sur les formes d’organisation émergent à partir des luttes et des mobilisations, de la recherche de pratiques nouvelles et d’un effort continu d’élaboration. Une part de ce qui est nouveau cherche son chemin à l’échelle d’une génération et n’est visible qu’à l’échelle des grandes régions et du monde. C’est à cette échelle que se construisent de nouveaux mouvements sociaux et citoyens qui modifient les situations et ouvrent la possibilité à de nouvelles évolutions. Les enjeux de la nouvelle période, d’une nouvelle révolution se précisent : la définition de nouveaux rapports sociaux et culturels ; de nouveaux rapports entre l’espèce humaine et la nature ; la nouvelle phase de la décolonisation ; la réinvention de la démocratie. Ce sont les défis du mouvement altermondialiste.

Ces interrogations sur la démocratie s’inscrivent dans la bataille pour l’hégémonie culturelle qu’analysait Gramsci. Cette bataille oppose, aujourd’hui, une conception sécuritaire, identitaire et nationaliste mise en avant par les extrêmes droites à une conception fondée sur l’égalité et la solidarité portée par une gauche à reconstruire. Cette bataille partage les conceptions de la liberté, une conception libertarienne pour la droite, des conceptions individuelles et collectives pour la gauche.

Les dangers de la nouvelle situation sont de plus en plus visibles, et Pierre y était très sensible ; son pessimisme de la raison lui montrait les dangers. La montée des idées d’extrême droite, la victoire des Dutertre, Modi, Orban, Trump, Bolsonaro, Melone, avait de quoi inquiéter. D’autant qu’elle polarisait les droites traditionnelles et que la gauche n’avait toujours pas défini de projet mobilisateur à la suite de l’échec du soviétisme qui s’était présenté comme l’héritier du socialisme des révolutions de 1917 et de la décolonisation. Nous avions une analyse, qui se voulait optimiste, de cette montée des extrêmes droites et de leur capacité à polariser les couches moyennes et une partie des couches populaires. Nous analysions cette progression de l’extrême droite comme une résistance aux nouvelles radicalités, comme une panique par rapport à un nouveau monde caractérisé par la montée du féminisme, de l’antiracisme, des peuples premiers, de la décolonialité ; la panique de voir le monde ancien s’écrouler et les jeunesses s’engager dans de nouvelles voies. Tout en admettant, comme l’enseigne le pessimisme de la raison, que l’exigence de ce nouveau monde n’était pas sûre de l’emporter, que le néolibéralisme avait déjà défini son évolution austéritaire, identitaire et sécuritaire, répressive et liberticide ; que les guerres et les répressions violentes pouvaient prolonger les offensives idéologiques et médiatiques et ouvrir à tous les dangers. La période à venir sera contradictoire, menaçante et violente.

Le présent s’analyse par rapport à l’avenir

Pierre Beaudet avait toujours plusieurs projets d’avenir en cours et en préparation. Pour lui, le présent se vivait toujours par rapport à des projets d’avenir. Pour conclure provisoirement ce rappel, je voudrais citer deux projets que Pierre avait partagés et qu’il avait participé à mettre en œuvre ; il s’agit d’Alterinter et d’Intercoll.

Pierre pensait qu’il fallait mettre de l’avant, parallèlement au forum social mondial, une initiative qui s’inscrive plus clairement dans la construction de l’internationalisme. Alternatives Montréal avait proposé, avec le CEDETIM-IPAM[10], de construire Alternatives International, Alterinter, avec des mouvements luttant contre les injustices sociales, le néolibéralisme, l’impérialisme et la guerre. On y retrouvait Alternative Espaces citoyens Niger à Niamey, Alternatives Asie à New Delhi, Alternative Information Center à Jérusalem, Alternatives Terrazul à Fortaleza, le Forum des Alternatives Maroc à Rabat, Teacher Creativity Center à Ramallah, Un Ponte Per à Rome. C’était l’amorce du noyau d’une internationale.

La deuxième initiative a été la création d’Intercoll. En 2010, nous étions à Ramallah au Forum social mondial sur l’éducation. Alterinter accompagne Refaat Sabbah qui, avec le Teacher Creativity Center, est l’un des principaux animateurs du forum de Ramallah. Nous discutons, Pierre, Vinod Raina, Hamouda Soubhi[11] et moi de la situation. Nous savons qu’il faut renouveler fondamentalement le processus des forums et qu’en attendant de dégager une nouvelle voie, il faut continuer à les assumer. Que faire alors ? Dans la discussion animée qui s’engage, nous en arrivons, à partir d’une phrase de Gramsci, à la nécessité d’un intellectuel collectif international des mouvements sociaux. Nous venons de lancer Intercoll. Ce nouveau projet va bien nous occuper. C’est avec une grande tristesse que nous assistons, avant le décès de Pierre, à celui de Vinod qui nous a tant apporté.

C’est au cours du séminaire d’Intercoll à Taiwan, organisé par Pierre et les militants Shenjing et Mei, avec des participantes et participants de différentes régions de la Chine continentale que nous avons avancé sur la définition d’Intercoll. Pierre a démontré une fois de plus ses capacités d’initiatives politiques et pédagogiques. Par un exposé brillant, il expliqua que le défi est d’être capable de traduire les concepts dans les différentes cultures afin de construire une culture d’engagement international. Selon lui, Intercoll devait partir des différentes régions géoculturelles du monde pour construire un nouvel internationalisme. La traduction entre les langues sera au centre de cette initiative, mais il ne s’agit pas d’une traduction simple, il s’agit de traduire des concepts qui sont nés dans des cultures différentes. Ainsi, avait-il expliqué, traduire par exemple, « buen vivir » dans une autre langue, ce n’est pas simplement « bien-vivre ». Pour comprendre ce concept, il faut être capable d’intégrer ce qu’apporte de novateur la culture des peuples premiers d’Amérique. C’est l’amorce de l’invention d’un nouvel internationalisme, un internationalisme riche des cultures des peuples.

Chaque fois que je retourne dans mes souvenirs, je retrouve des échanges avec Pierre, des interrogations et des réflexions. Et, à chaque fois, les discussions s’orientent vers des interrogations fondamentales, un retour sur nos sources de référence autour du marxisme et de l’internationalisme. Et à chaque fois, la discussion apporte des propositions d’initiatives innovantes, de nouveaux chemins à explorer, de nouveaux engagements, vers l’optimisme de la volonté.

Par Gustave Massiah, économiste, écrivain et militant altermondialiste.


NOTES

  1. Pierre Beaudet, On a raison de se révolter. Chronique des années 70, Montréal, Écosociété, 2008.
  2. NDLR. Le CEDETIM est une organisation française de solidarité internationale. Gustave Massiah a contribué à sa création en 1967. Depuis 2003, le CEDETIM fait partie du réseau Initiatives pour un autre monde (IPAM) avec d’autres organisations.
  3. José Carlos Mariátegui et Álvaro García Linera, Indianisme et paysannerie en Amérique latine, textes réunis par Pierre Beaudet, Ville Mont-Royal, M Éditeur, 2012.
  4. Samir Amin, Giovanni Arrighi, André Gunder Frank, Immanuel Wallerstein, La crise, quelle crise ? Paris, Maspéro, 1982 ; Le grand tumulte ?, Paris, La Découverte, 1991.
  5. ATTAC : Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne.
  6. KCTU : Confédération coréenne des syndicats.
  7. Pierre Beaudet et Thierry Drapeau (dir.), L’Internationale sera le genre humain ! De l’Association internationale des travailleurs à aujourd’hui, Saint-Joseph-du-Lac, M Éditeur, 2015.
  8. Vinod Raina est un militant indien qui a démissionné de son poste à l’Université de Delhi pour travailler sur les réformes de l’éducation en Inde. Co-auteur du livre The Dispossessed (1999), membre du Conseil international du Forum social mondial, il a œuvré avec divers groupes populaires et politiques.
  9. Depuis 2011, on assiste à des mobilisations citoyennes massives, par exemple, le mouvement de la place Tahrir au Caire (Égypte) ou de Maïdan à Kiev (Ukraine).
  10. IPAM : Initiatives pour un autre monde.
  11. Hamouda Soubhi a travaillé à titre d’agent de développement à Alternatives et a contribué à la mise sur pied du Forum des alternatives Maroc. Il est actuellement membre observateur du conseil d’administration d’Alternatives. Il œuvre également avec le Conseil marocain des droits de l’Homme. Il est l’actuel secrétaire général du Conseil international du Forum social mondial.

Après la pandémie : l’urgence de repenser et de transformer la responsabilité sociale des entreprises

27 octobre 2023, par Rédaction

APRÈS LA PANDÉMIE[1] – Qu’elle soit appréhendée à l’échelle mondiale ou locale, l’économie contemporaine est organisée autour de la grande entreprise capitaliste[2] dont la logique est celle de la maximisation des profits. La crise générale qui se dessine avec ses versants économique, écologique, politique et de la reproduction sociale[3] induit une urgence, celle de rappeler les entreprises à leurs responsabilités. Cela ne saurait se faire sans l’établissement de nouveaux rapports de force qui créent les conditions pour que ces responsabilités puissent être repensées, négociées et contestées.

Investir le champ de la responsabilité sociale des entreprises

La responsabilité sociale des entreprises (RSE) est un champ de recherche et de pratique qui s’est développé dès le milieu du XXe siècle avec pour contexte privilégié d’application la grande entreprise. La question fondamentale que pose la RSE est celle des contours légitimes d’intervention de l’entreprise en dehors de ses activités orientées vers la maximisation de ses profits. Or la réponse à cette question renvoie nécessairement à des conceptions divergentes, voire antagoniques, du rôle de l’entreprise dans la société et plus largement des rapports entre entreprise, État et société civile.

La RSE demeure encore trop peu investie par les milieux progressistes. Du point de vue de la recherche et donc de la production de connaissances, très peu de travaux portés par des perspectives progressistes échappent à une critique absolue de la RSE dont la conséquence est une invalidation tout aussi absolue des possibilités de transformation des pratiques de l’entreprise privée. Il en ressort que les chercheuses et chercheurs critiques ont tendance à renoncer à toute forme d’engagement pratique avec les entreprises, laissant le champ libre à celles et ceux dont la vision est parfaitement conciliable avec le fonctionnement actuel de l’économie capitaliste. La posture assumée dans ce texte est celle d’une performativité critique[4], à savoir d’un engagement dans une démarche à la fois de critique des rapports de pouvoir et d’une tentative de transformation de ces rapports au profit des groupes de la société les plus affectés par les activités des entreprises.

Critique de la responsabilité sociale des entreprises en contexte de récession démocratique

À l’échelle mondiale, les signes de récession démocratique sont persistants depuis une quinzaine d’années[5]. Outre quelques rares soubresauts favorables à des figures de gauche − l’élection historique de Gustavo Petro à la présidence de la Colombie en juin 2022 en étant certainement l’exemple le plus intéressant − cette récession démocratique se fait globalement au profit de discours et de programmes de droite et d’extrême droite qui confortent le laisser-faire endossé par les États en matière économique depuis près de cinquante ans. Il en ressort que les entreprises continuent à gagner en puissance et en capacité d’influence sur nos choix de société. Dans ce contexte, la RSE se limite au rôle que les entreprises veulent bien se donner, en toute liberté, au lieu d’être le résultat de négociations avec les groupes de la société civile, notamment les plus marginalisés, sous l’arbitrage de l’État. C’est ainsi que des sujets tels que la crise climatique, la justice sociale, ou encore le racisme se retrouvent à être traités par les entreprises sous des formes qui s’assurent que toute action reste compatible avec la logique de maximisation des profits[6].

Bien que la récession démocratique constitue un problème grave, notamment parce qu’elle s’accompagne d’un renforcement du pouvoir des entreprises, elle ne doit cependant pas occulter la persistance de modes d’organisation et de résistance à l’échelle locale et translocale qui reposent souvent sur des pratiques démocratiques. Ce sont précisément ces modes d’organisation et de résistance qui mériteraient d’être soutenus, parce qu’ils portent en eux un potentiel de contestation radicale. Le rôle des entreprises vis-à-vis de ces initiatives consisterait à leur apporter un soutien financier et matériel sans aucun droit de regard. Il s’agirait d’une responsabilité sociale imposée, à laquelle les entreprises seraient tenues de se conformer sous l’autorité de l’État également chargé de permettre un accès le plus large possible à l’information pour la société civile. Il s’agirait ainsi de faire de la RSE une source de revitalisation de la démocratie en permettant à des initiatives radicalement contestatrices de bénéficier de financement provenant d’entreprises dont on a permis l’enrichissement par des décennies de politiques publiques de laisser-faire. Ces mesures devraient néanmoins être conçues comme transitoires, le véritable horizon à se donner étant celui d’une démocratisation interne des entreprises pour assurer une redistribution et un partage du pouvoir en leur sein.

Transformer la responsabilité sociale des entreprises par la démocratisation, une nécessité impérieuse

En dehors de l’économie sociale et solidaire qui demeure marginale, la démocratisation des entreprises, à savoir l’application de règles démocratiques au fonctionnement interne des entreprises, est un sujet peu débattu. Considérée comme étant absolument impraticable dans les milieux progressistes et comme étant absolument non souhaitable dans les milieux conservateurs, la démocratisation de l’entreprise capitaliste demeure un impensé. C’est pourtant une piste indispensable à creuser si l’on veut ouvrir les possibilités de déconcentration du pouvoir[7].

Heureusement, à défaut d’être suffisamment réfléchie, la démocratisation de la grande entreprise est expérimentée. L’exemple d’Amazon Labor Union (ALU), premier syndicat de l’histoire de la puissante multinationale Amazon aux États-Unis, est particulièrement instructif sur le désir et le potentiel de démocratisation portés par la société civile. La création d’ALU en avril 2022 est le fruit d’une mobilisation de longue haleine de milliers de travailleuses et travailleurs d’Amazon de l’entrepôt phare de Staten Island, dans l’État de New York. Le visage le plus médiatisé de cette mobilisation est l’Africain-Américain Christian Smalls, président fondateur d’ALU, dont le sénateur Bernie Sanders a signé un portrait élogieux dans le magazine Time. C’est en pleine pandémie de COVID-19 et alors qu’il s’insurgeait contre l’absence de mesures de protection pour ses collègues que Chris Smalls a été licencié par Amazon sous des prétextes ayant des relents de racisme et de classisme[8]. ALU est un cas de mobilisation d’inspiration populaire visant à changer les rapports de force au sein d’une puissante multinationale perçue comme indomptable. La bataille se poursuit[9], mais le processus de politisation des travailleuses et travailleurs d’Amazon et sa résonance inédite est déjà une démonstration du potentiel de responsabilisation des entreprises par la démocratisation imposée. C’est dans ce type d’expérimentations que peuvent se dessiner de nouvelles perspectives de transformation de la responsabilité sociale des entreprises orientée vers la justice sociale. Pour les milieux progressistes, il s’agit à la fois de soutenir et de documenter ces expérimentations pour contribuer à les faire essaimer et transformer le réel.

Nolywé Delannon, professeure agrégée au département de Management de l’Université Laval et directrice adjointe du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES).


NOTES

  1. Ce texte s’inspire d’une présentation au colloque Après la pandémie : austérité, relance ou transition ?, colloque en ligne organisé par l’École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère de l’Université Saint-Paul, les 16 et 17 février 2022.
  2. La réflexion proposée dans ce texte porte sur la grande entreprise capitaliste, aussi à chaque fois que le terme entreprise est évoqué, c’est en faisant référence à ce type d’organisation.
  3. Nancy Fraser, « Contradictions of capital and care », New Left Review, n° 100, juillet-août 2016, p. 99-117.
  4. André Spicer, Mats Alvesson et Dan Kärreman, « Critical performativity : the unfinished business of critical management studies », Human Relations, vol. 62, n° 4, 2009, p. 537-560.
  5. Larry Diamond, « Facing up to the democratic recession », Journal of Democracy, vol. 26, n° 1, 2015, p. 141-155.
  6. Subhabrata Bobby Banerjee, « Who sustains whose development ? Sustainable development and the reinvention of nature », Organization Studies, vol. 24, n° 1, 2003, p. 143-180 ; Subhabrata Bobby Banerjee et Diane Laure Arjaliès, « Celebrating the end of enlightenment : organization theory in the age of the Anthropocene and Gaia (and why neither is the solution to our ecological crisis) », Organization Theory, vol. 2, 2021, p. 1-24 ; Luzilda Carrillo Arciniega, « Selling diversity to white men : how disentangling economics from morality is a racial and gendered performance », Organization, vol. 28, n° 2, 2021, p. 228-246 ; Helena Liu, Redeeming Leadership. An Anti-Racist Feminist Intervention, Bristol (RU), Bristol University Press, 2020 ; Christopher Wright et Daniel Nyberg, « An inconvenient truth : how organizations translate climate change into business as usual », Academy of Management Journal, vol. 60, n° 5, 2017, p. 1633-1661.
  7. Thomas Piketty, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019.
  8. Julia Carrie Wong, « Amazon execs labeled fired worker ‘not smart or articulate’ in leaked PR notes », The Guardian, 3 avril 2020.
  9. Ariane Gaffuri, « Christian Smalls, le leader syndical qui bouscule Amazon », Radio France Internationale, 27 mai 2022.

Après la pandémie : peut-on penser une transition par les services publics ?

27 octobre 2023, par Rédaction

APRÈS LA PANDÉMIE[1] – C’est maintenant un euphémisme de le dire, nous sommes face à une crise inouïe et, pour l’instant, nous échouons à définir des lignes directrices pour saisir les occasions qui se présentent. Crise sanitaire, crise climatique, crise sociale, crise militaire… autant d’éléments qui rehaussent la pertinence des propositions de la gauche socialiste, mais qui, et c’est là un paradoxe cruel de la vie politique, donnent plutôt de l’élan aux mouvances les plus réactionnaires. Dans ce court texte, je n’ai pas la prétention de fournir ces lignes manquantes, mais plus modestement d’œuvrer à débroussailler certaines pistes de réflexion pour la suite.

La sortie de crise nous offre un contexte propice pour lancer des propositions audacieuses qui, au-delà de leur justesse analytique, peuvent avoir une importante portée politique pour l’avenir. Face à des gouvernements qui, à Québec comme ailleurs, dirigent leurs interventions vers l’impératif d’un retour à la normale, avons-nous de l’espace pour que ce « retour » comporte son lot d’inflexions, pour qu’il soit un peu ou minimalement synonyme de mise en place d’un cadre favorable au principe de transition écologique et de justice sociale ?

Épochè, guerre civile, culture

Pour avancer dans cette voie, nous nous devons de faire un petit effort de conceptualisation. Pas tant pour payer un tribut absurde aux normes du travail intellectuel que pour jeter les bases d’une compréhension commune du moment politique qui est le nôtre. Oui, il faut définir des lignes directrices, des lignes d’orientation programmatique, mais cela ne peut se faire sans inscrire notre propos dans une perspective conceptuelle élargie de la conjoncture : il ne suffit pas de décrire les événements pour en tirer une perspective stratégique, il faut les situer dans une trame apte à saisir les opportunités qu’offre le présent contexte. Pour cela, trois éléments me semblent particulièrement saillants à prendre en compte pour mieux saisir la nature des propositions que je vais avancer dans la deuxième partie du texte.

D’abord, le concept d’épochè provenant de la tradition de la phénoménologie peut nous être utile. Je le reprends des travaux de Miguel Abensour sur l’utopie et la démocratie. Pour le dire rapidement, Abensour comprend le principe d’épochè[2], soit de mise entre parenthèses de l’état normal des choses, comme un moment où les fondations de la société sont explicitement exposées au jugement critique. Il n’est pas question ici de simplement « penser à l’extérieur de la boîte » pour relativiser la prégnance des idées dominantes, mais de s’intéresser aux moments de bifurcation à portée instituante. La pandémie est, à bien des égards, l’un de ces moments. Un moment de suspension qui rend concrète l’idée d’un changement possible de trajectoire. En ce sens, l’épochè devient davantage synonyme d’occasions à saisir, d’une opportunité stratégique dont on peine à s’emparer pour l’instant et qui semble fuir devant nous. Les fondements irrationnels de l’économie de marché ont été exposés (par exemple, le fait que les travailleuses et travailleurs essentiels du début de la pandémie sont souvent les salarié·e·s les plus exploités) et c’est de cette mise à nu que nous devons extraire nos propositions.

Vient ensuite l’idée découlant des travaux récents de Pierre Dardot et de Christian Laval sur le néolibéralisme comme choix de la guerre civile[3], soit comme ensemble polymorphe de pratiques destinées à réaliser le projet d’une pure société de marché. Ce « choix » est assez simple à saisir en fait une fois que l’on met de côté les jérémiades intellectuelles et médiatiques du néolibéralisme pour nous concentrer sur la réalité des rapports de pouvoir mis en place par près d’un demi-siècle de politique néolibérale[4] : sous la façade du tout au marché se dessine davantage un rétablissement du pouvoir patronal en entreprise et sur la société. Pour Dardot et Laval, si les chemins tactiques mènent à cette restauration, la direction ne laisse pas place à interprétation et, pour y arriver, les politiques néolibérales n’hésitent pas à aller en conflit avec le corps social (pensons à notre printemps érable ou encore à l’imposition de l’objectif de déficit zéro par Lucien Bouchard il y a de cela un quart de siècle). Nous devons faire nôtre l’insistance de ces auteurs sur l’opportunisme tactique des principaux promoteurs du néolibéralisme. Nous le savons, mais parfois il est bon de dire des évidences, la sortie de crise ne sera pas neutre : soit elle renforcera le cadre néolibéral, soit elle l’affaiblira; mais elle ouvre à coup sûr un espace de combat. À voir le plan de rétablissement des services de santé du ministre Christian Dubé et l’insistance que nous y trouvons à élargir la place du privé, il est aisé de constater que la crise actuelle ne sera pas « perdue » par l’élite, mais bien utilisée pour avancer un pas de plus dans le merveilleux cauchemar néolibéral.

Finalement, la nature culturelle de ce combat ne doit pas être délaissée au profit d’une approche strictement matérielle. Si le néolibéralisme a réussi une chose, c’est bien d’associer l’idéal du libre marché avec la norme culturelle de consommation qui donne sa consistance au concept même de classe moyenne. C’est par la consommation, par la démonstration ostentatoire de notre capacité à consommer en vain, que l’on entre dans cette norme. La classe moyenne, vue ainsi, est une création purement culturelle au sens où son existence n’est pas liée à son positionnement dans la sphère de la production, mais dans celle de la consommation. Tout ceci devient important pour nous aujourd’hui afin de nous aider à saisir la révolte des banlieues blanches d’Amérique du Nord. Dans le moment néolibéral actuel, cette révolte s’est intensifiée sans grande surprise dans la foulée de la crise sanitaire et des restrictions qui en ont découlé. On l’a vu lors des événements de la capitale fédérale à la fin de janvier[5] : nous avons assisté à bien des égards à un mouvement coalisant le mécontentement de gens issus des banlieues du Canada. On le voit clairement lorsque l’on suit la trace des donateurs de ce mouvement; il s’agit là d’un indicateur que nous sommes en présence d’une révolte de classe moyenne, essentiellement blanche, ces mêmes gens qui ont été les moins atteints par la pandémie sur le plan de la santé, mais qui ont le plus vécu la privation de leurs activités de consommateurs; et qui, à Ottawa, manifestaient au nom d’une liberté qui se confond avec l’agir consumériste qui sert de socle identitaire à notre chère classe moyenne.

La réponse gouvernementale

À l’aide de ces trois éléments (épochè, guerre civile, culture), la sortie de crise prend évidemment des allures réactionnaires. Et cela pas seulement en raison des actions délirantes des groupes d’extrême droite qui ont occupé Ottawa, mais aussi en raison de l’action gouvernementale elle-même. À Québec, la sortie de crise prendra la forme d’une tentative de réponse politique au mécontentement consumériste qui sert de toile de fond au rejet grandissant des mesures sanitaires. Sans prétendre épuiser la question, il me semble que cette réponse se structure autour des points suivants :

  • L’absolue nécessité de laisser intact notre régime fiscal, de ne pas utiliser la crise pour instaurer des réformes majeures destinées à donner à l’État les moyens d’un réel changement de cap. Là-dessus, le ministre des Finances est limpide. Non seulement la pandémie n’a pas fait reculer le gouvernement sur le dossier des taxes scolaires (dont la diminution ne sert qu’à avantager la même population blanche de classe moyenne qui aujourd’hui désire reprendre ses habitudes de consommation), mais, en plus, il a clairement indiqué qu’une hausse de la contribution des plus riches ou des entreprises ne se trouve absolument pas sur son écran radar. Bref, la sortie de crise doit être ici un retour à la norme d’avant la pandémie : la fiscalité est peut-être un mal nécessaire, mais assurément pas un outil dont on doit revoir à la hausse l’utilisation.
  • Les réinvestissements ne peuvent qu’être adossés qu’à des impératifs déconnectés des réels besoins de la population. Le plan budgétaire du gouvernement Legault prévoit des sommes importantes en santé et en services sociaux, mais il s’inscrit dans une approche par projet qui bloque toute portée structurante : 1) les projets sont temporaires; 2) ils sont déconnectés d’une visée globale de satisfaction des besoins de la population; et 3) ils sont surtout orientés vers la réponse à une demande de marché. Le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) réagit ici aux attentes de son propre électorat plutôt que d’agir en fonction d’une vision à long terme.
  • Cette vision se manifeste dans le projet de refonte du réseau de la santé et des services sociaux avancé par le ministre Dubé comme mentionné plus haut : décentralisation, fluidité de l’information, optimisation comptable des ressources de la première ligne. Il s’agit d’une posture qui vise à satisfaire les consommatrices et les consommateurs de soins de santé en avançant des réformes basées sur leur insatisfaction; il prend appui pour son action sur le sentiment « je suis tanné de ne pas en avoir pour mon argent ».

Chacun de ces éléments s’emboîte l’un l’autre bien entendu. Nous sommes dans une sortie de crise néolibérale, et cette sortie trouve sa structure dans l’approfondissement de notre rapport consumériste aux institutions publiques.

Notre réponse

A contrario, pourtant, d’autres lignes de faille pourraient être exploitées pour suivre au plus près les enjeux qu’ouvre la question de l’après-pandémie. Dans l’après-pandémie, quelle place peut incomber aux services publics pour penser et se projeter au-delà de la forclusion néolibérale ? Dans les derniers mois, j’ai eu la chance de mener différentes enquêtes d’opinion publique afin de tester certaines lignes programmatiques allant en ce sens. En voici une brève synthèse.

L’accès aux services

Débutons par l’enjeu de l’accès aux services. Lorsqu’on interroge les gens sur le genre de services qu’ils souhaitent, un fait saute aux yeux : il n’existe pas de préjugé favorable au caractère public ou privé des services offerts. Tout ce qui compte, c’est de pouvoir obtenir au moment opportun le service requis. Sur cette base, le recours au privé se voit grandement facilité et pose le défi de la construction d’une l’adhésion politique au principe de services publics gratuits et universellement accessibles. Sur cet aspect, il semble qu’une manière de procéder serait d’insister davantage sur :

  • Le privé, c’est qui ? Dans nos dénonciations, tenter autant que possible d’incarner notre propos sur le privé : nommer les entreprises impliquées, identifier les personnes qui tirent profit de la maladie et celles laissées de côté par l’approche marchande. Il faut être concret et clair et ne pas penser que la seule mention de l’épouvantail de la privatisation suffit pour convaincre.
  • Les gens veulent avoir accès aux services dont ils ont besoin. Toujours insister sur cela et non sur une défense désincarnée de la structure publique. Il ne faut pas oublier une vérité essentielle : dans la tête des gens, le réseau public n’est pas une fin, mais un instrument.
  • Considérant l’état actuel des services publics et leurs ratés, rompre avec la posture conservatrice de défense du statu quo et reprendre l’initiative avec des propositions de réformes.

La démocratie dans les services

Ensuite vient la démocratie comme seconde ligne programmatique. Il y a, sur le plan du positionnement tactique, des points à marquer en opposant des propositions d’élargissement du pouvoir citoyen et ouvrier aux normes bureaucratiques qui président actuellement aux destinées des différents réseaux qui ont la charge des services à la population. Ici, il y a certainement un peu de judo à faire avec l’esprit du temps : nos adversaires néolibéraux ont construit la crédibilité de leur programme sur la notion d’efficience et d’efficacité. Pourtant, les réformes réelles apportées (en santé, pensons à la loi 10[6] et à la loi 30[7]) ont toutes diminué et l’efficience et l’efficacité des services sur lesquels elles se sont appliquées. Sur ce point, la table est mise pour adopter un ton résolument offensif : la participation démocratique est assurément le meilleur rempart contre l’improductivité des structures déshumanisantes que nous avons devant nous.

L’entraide et la sobriété carbone

Justement, comme dernière ligne programmatique, l’humanisation des services publics, l’affirmation décomplexée de la primauté normative des rapports sociaux non marchands qu’ils établissent devrait être davantage mise de l’avant dans le contexte de notre lutte aux changements climatiques. Pour le dire sommairement, s’il y existe un lien de causalité entre le développement sans frein du capitalisme et la crise environnementale, nous gagnerions collectivement à situer les services publics démocratisés comme des espaces institutionnels aptes à incarner l’idée de transition. Au cœur des services publics se trouve une idée toute simple d’entraide mutuelle que la domination capitaliste, qui a en son centre l’accumulation comme unique visée sociale valide, n’arrive pas à évacuer. Cette entraide ne se construit pas autour ou au service de la croissance économique; elle est même ontologiquement étrangère à cette idée. Le défi, il me semble, est d’être en mesure de présenter et de construire des rapports institutionnels basés sur ce principe comme la fondation d’un monde sobre en carbone. En quelque sorte, nous avons avec les services publics un embryon du monde que nous devons construire.

Tout ceci n’est qu’un rapide tour d’horizon. Il y aurait bien entendu beaucoup plus à dire. L’important est de se rappeler du caractère dynamique de l’espace politique et d’œuvrer, avec toute la force et la détermination qui nous caractérisent, à devenir un pôle actif et non seulement réactif.

Par Philippe Hurteau, chercheur à l’IRIS.


NOTES

  1. Ce texte s’inspire d’une présentation au colloque Après la pandémie : austérité, relance ou transition ?, colloque en ligne organisé par l’École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère de l’Université Saint-Paul (Ottawa) les 16 et 17 février 2022.
  2. Miguel Abensour, « Utopie et démocratie », dans Pour une philosophie politique critique, Paris, Sens et Tonka, 2009, p. 349-362.
  3. Pierre Dardot, Haud Guéguen, Christian Laval et Pierre Sauvêtre, Le choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme, Montréal, Lux, 2021.
  4. Grégoire Chamayou, La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La Fabrique, 2018.
  5. Référence au « convoi de la liberté » qui a occupé pendant trois semaines le centre-ville d’Ottawa à la fin de janvier 2022.
  6. La loi 10 a modifié l’organisation de la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales et la création de centres intégrés de santé et de services sociaux.
  7. La loi 30 a ordonné la fusion des unités d’accréditation dans tous les établissements de santé tout en limitant à quatre le nombre d’accréditations dans chaque établissement. Elle a imposé également la négociation locale obligatoire sur 26 matières sans droit de grève.

Les violations des droits de l’homme continuent aux Philippines sous Ferdinand Marcos Jr.

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Peut-on être en sécurité en faisant fi des droits ?

26 octobre 2023, par Revue Droits et libertés
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Peut-on être en sécurité en faisant fi des droits?

Diane Lamoureux, professeure émérite, Université Laval et membre du CA de la LDL Lynda Khelil, responsable de la mobilisation de la LDL

Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2023


Au cours des dernières années, le profilage social et racial, l’usage systématique de la force dans les manifestations, la judiciarisation des problèmes sociaux ou l’usage de la violence lors des interventions policières nous ont amenés à réfléchir plus avant sur le rôle de la police dans une société démocratique et sur les limites de l’impunité de facto dont jouissent les membres des divers corps policiers dans l’exercice de leurs fonctions.

Une police imputable

La Ligue des droits et libertés (LDL) souligne depuis plusieurs années l’absurdité et l’insuffisance des mécanismes de contrôle démocratique sur les corps policiers. Un exemple central, c’est l’absence de mécanismes d’enquête indépendants en cas d’abus de pouvoir présumé de membres des forces policières. Actuellement, c’est au Bureau des enquêtes indépendantes d’investiguer sur les cas de bavures policières. Or, ce bureau porte bien mal son nom puisqu’il peut être composé d’un grand nombre d’anciens policiers, ce qui ne lui garantit que peu d’indépendance face à une institution où l’esprit de corps est fort développé et entretenu à la fois par les hiérarchies policières et les syndicats policiers. Ensuite, c’est aux individus ou aux groupes qui portent plainte de porter le fardeau de la preuve en cas d’abus de pouvoir policier. La médiatisation de certains cas d’interception routière sans motif ou d’interpellation policière abusive montre bien que le système est loin d’être équitable : d’un côté une institution, de l’autre des individus. Lorsque ces derniers réussissent à faire reconnaître les abus policiers, comme dans l’affaire Luamba, les mécanismes d’appel font traîner l’affaire en longueur et épuisent la patience des citoyen-ne-s et les ressources temporelles et financières qu’elles et ils doivent y consacrer. Enfin, même le contrôle des élu-e-s, que ce soit au niveau municipal ou national, sur les agissements des policiers et sur l’utilisation des crédits accordés à la police à même les fonds publics est très aléatoire et se transforme trop souvent en opération de relations publiques pour les corps policiers. À quand des séances publiques de reddition de compte, où les citoyen-ne-s et même les élu-e-s pourraient exiger que l’on réponde véritablement à leurs questions? Tout ceci pose la question de la déontologie policière. Quelle place est faite, dans la formation policière, à la primauté et à l’interdépendance des droits? Quelle est l’attitude de la hiérarchie face aux bavures? Comment s’assurer que tous les membres des corps policiers comprennent ce que sont le sexisme, le racisme ou l’homophobie comme systèmes sociaux et s’abstiennent d’en faire preuve, à tout le moins dans l’exercice de leur fonction? Cela soulève également la question de qui doit enquêter et la manière de le faire lorsqu’il y a décès au cours d’une intervention policière.

Définancer la police?

Dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, on a vu s’élever des voix pour réclamer un définancement de la police ou questionner ses méthodes d’intervention. En fait, deux questions sont sous-jacentes à ce mouvement de définancement : la première concerne la judiciarisation des problèmes sociaux et la seconde la militarisation des forces policières et de leur armement. Les coupes dans les services publics au cours des trente dernières années ont produit des effets délétères non seulement dans les domaines de la santé et de l’éducation, mais également en ce qui concerne la santé mentale, l’itinérance ou la consommation de drogues. Plutôt que de s’attaquer aux causes réelles de ces problèmes, la tendance a été à la répression des populations et à la judiciarisation des problèmes dont l’aspect le plus pathétique est probablement l’imposition d’amendes à des personnes sans abri au moment du couvre-feu durant la pandémie. Cette façon de procéder a indirectement été la cause de la mort de Rafael André. Et qui dit répression et judiciarisation confère un rôle central à la police dans la gestion de ces enjeux, ce qui entraîne trop souvent des morts évitables, comme nous avons pu le voir dans les cas d’Alain Magloire ou de Jean-René Junior Olivier, entre autres. Toutes les recherches nous montrent que les forces policières ne sont pas formées et souvent incompétentes pour faire face à ces situations et qu’elles contribuent à les envenimer plutôt qu’à les désamorcer. Pourquoi ne pas mieux utiliser les fonds publics en les remettant à des organismes communautaires ou à des services publics de santé et de services sociaux, ce qui serait plus susceptible de garantir la dignité des personnes inscrite dans la Charte? Ne pourrait-on pas proscrire l’envoi de forces policières pour traiter les personnes présentant des problèmes de santé mentale? Il est par ailleurs fort probable que les interventions de groupes communautaires comme le Café multiculturel de Montréal-Nord sont plus efficaces pour prévenir la violence que les patrouilles policières. En effet, ce groupe, comme les  autres  groupes  communautaires engagés dans des pratiques similaires, permet d’établir des liens avec des jeunes que les rapports sociaux inégalitaires marginalisent, les aident à accéder aux ressources disponibles et à exercer leurs droits pour en revendiquer d’autres. Bref, elles favorisent un apprentissage citoyen plutôt que d’engendrer le profilage. Par ailleurs, une part importante des budgets de la police est consacrée à l’achat d’équipements qui devraient être prohibés pour la gestion de manifestations dans une société démocratique. Les robocops des manifestations altermondialistes ou de celles du printemps érable ont blessé grièvement des personnes qui exerçaient un droit démocratique fondamental à coup d’armes non létales comme les gaz lacrymogènes, les balles en caoutchouc ou les bombes assourdissantes.

Conclusion

Il n’y a pas de solution miracle aux problèmes posés par l’institution policière, mais il y a de nombreuses pistes de réflexion porteuses de changement auxquelles il faudrait prêter l’oreille et qu’on devrait mettre en pratique. Il est également nécessaire de se questionner sur les enjeux sociaux sous-jacents aux problèmes que l’on qualifie d’insécurités ou d’incivilités et de voir que la répression n’est pas le moyen à privilégier pour assurer la sécurité de toutes et tous dans notre société. L’institution policière a besoin de réformes sérieuses dès maintenant, comme l’arrêt des pratiques porteuses de profilage social, racial et politique, une plus grande imputabilité quant à ses pratiques et un contrôle démocratique sur les fonds qui y sont affectés. Cela ne concerne pas seulement les personnes qui en sont les principales victimes, mais l’ensemble de la population. Plus profondément, il serait fallacieux de voir dans la répression et la judiciarisation une solution garantissant la sécurité des citoyen-ne-s. Diminuer les inégalités sociales, assurer le droit à une éducation de qualité, garantir des ressources suffisantes dans le domaine de la santé et des services sociaux, mettre fin à la marginalisation des populations autochtones et des populations racisées sont des mesures beaucoup plus porteuses de sécurité.

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Une police en porte-à-faux avec les droits

26 octobre 2023, par Revue Droits et libertés
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Une police en porte-à-faux avec les droits

Lynda Khelil, Responsable de la mobilisation de la LDL

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Dès les premières années d’existence de la Ligue des droits et libertés (LDL), les événements mettant en cause des violences policières se succèdent. La LDL réclame la tenue d’enquêtes indépendantes à plusieurs occasions; que l’on pense au Samedi de la matraque en 1964 lors de la visite de la reine Elizabeth II, aux interventions policières lors de la fête de la Saint-Jean-Baptiste en 1971, et aux descentes policières dans les bars gais, dont celle au Truxx en 1977. Les revendications pour des mécanismes d’enquêtes indépendantes sur la police demeurent un champ d’intervention tout au long de l’histoire de la LDL, pour la protection des droits civils et politiques et du droit à l’égalité. [caption id="attachment_18290" align="alignright" width="257"] LDL et le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) ont réuni, les 10 et 11 juin 2010, dans le cadre d’un colloque, des expert-e-s, des intervenant-e-s et des victimes de différentes formes de profilage (racial, social et politique), les invitant à mettre en commun leurs analyses et leurs expériences et à proposer des pistes d’interventions communes. Nous souhaitions ainsi contribuer à unir les efforts entrepris pour mettre fin aux diverses pratiques de profilage discriminatoire dans l’espace public.[/caption] En 1978, les agissements de la police secrète au Québec sont sous la loupe, alors que la LDL lance l’Opération liberté. Cette campagne d’envergure vise à sensibiliser la population au sujet des actes illégaux commis par la Gendarmerie royale du Canada, la Sûreté du Québec et le Service de police de la Communauté urbaine de Montréal – en particulier l’infiltration des syndicats et des groupes de gauche – au nom de la sécurité nationale. Cette même année, un colloque réunissant 400 participant-e-s conduit à la création d’une coalition de citoyen-ne-s et d’organisations, regroupés autour d’une déclaration de principes que l’on retrouve dans le livre La police secrète au Québec. La tyrannie occulte de la police (1978). La brutalité policière à l’égard des citoyen-ne-s préoccupe tout autant la LDL, qui met sur pied en 1979 le Comité contre la brutalité policière. Son mandat est d’informer les citoyen-ne-s sur leurs droits, d’aider les victimes de brutalité et de contrecarrer ce type de pratiques. La LDL publie d’ailleurs plusieurs brochures au fil des ans : Arrestation et Détention (1970) et Le citoyen face à la police (1982), pour informer les citoyen-ne-s sur leurs droits, et Les jeunes face à la police (1985), pour dénoncer le harcèlement policier et les fouilles abusives dans la rue, dans les parcs et à l’école. Cette dernière réalité est toujours présente à ce jour, particulièrement pour les jeunes racisés ou en situation de marginalité dans l’espace public.

Racisme policier

Cette période est aussi marquée par un racisme policier décomplexé. Parmi les événements marquants, celui du 20 juin 1979 retient l’attention, alors que des policiers donnent arbitrairement l’ordre de quitter les lieux à de jeunes Haïtiens jouant au soccer dans un parc du quartier Rosemont à Montréal. Ils tabassent, matraquent et arrêtent les jeunes, et profèrent des insultes racistes. L’événement suscite l’indignation et un débat sur le racisme policier. Le Comité du 20 juin est mis sur pied, regroupant des organisations de la communauté haïtienne et de défense des droits, dont la LDL, pour exiger des actions fermes – qui ne seront pas au rendez-vous. La violence policière à l’égard des personnes noires à Montréal est persistante. Plusieurs hommes noirs sont tués par la police dans les années suivantes : Anthony Griffin en 1987, Preslie Leslie en 1990 et Marcelus François en 1991. Toutes ces violences policières posent la question incontournable des mécanismes  d’enquêtes  et  de  plaintes concernant la police. À cet égard, la LDL intervient à plusieurs reprises devant des instances politiques. En 1979, par exemple, elle présente un mémoire en commission parlementaire sur un projet de loi modifiant la Loi de police, dont le titre est évocateur : « Limiter les pouvoirs policiers : une exigence démocratique ». La LDL critique vivement la Commission de police du Québec créée en 1968, et dénonce l’exonération systématique de policiers faisant l’objet d’une enquête. Elle réclame du même souffle que le pouvoir d’enquêter sur leurs actions soit confié à un organisme indépendant et civil. La Commission sera abolie près de 10 ans plus tard, à la suite de l’adoption de la Loi sur l’organisation policière, en 1988, qui mène aussi à l’instauration d’un système de déontologie policière basé sur un Code de déontologie applicable à l’ensemble des corps policiers. Or, la réforme est minée dès le départ et ne répond pas aux attentes et aux besoins des victimes d’abus policiers – et c’est encore le cas aujourd’hui.

Luttes à poursuivre

Au cours des deux dernières décennies, la LDL poursuit les dénonciations de violations de droits par la police, en l’articulant comme un phénomène systémique, et non le fait d’incidents isolés commis par quelques policiers. Les décès de citoyen-ne-s aux mains de la police demeurent nombreux au Québec. En août 2008, le décès de Fredy Villanueva, abattu à l’âge de 18 ans lors d’une intervention policière à Montréal-Nord, suscite la colère. Le rapport de l’enquête publique du coroner qui s’ensuit met en lumière le manque flagrant d’impartialité de l’enquête menée par la Sûreté du Québec. La pression est grande pour mettre fin aux enquêtes de la police sur la police. La LDL est très active dans cette lutte, aux côtés de militant-e-s antiracistes et de groupes dénonçant la brutalité policière. Après plusieurs années de mobilisation, le gouvernement crée en 2013 le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI). Cet organisme porte toutefois mal son nom : il n’est pas indépendant du milieu policier, d’anciens policiers pouvant y être désignés. En 2020, la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) et la LDL publient un rapport d’envergure faisant le bilan des trois premières années d’activités du BEI, depuis son entrée en activité en 2016. En s’appuyant sur un travail de recherche et les expériences de plusieurs familles de personnes tuées par la police, le rapport établit un constat clair : le BEI n’est pas l’organisme indépendant, impartial et transparent qu’il prétend être. Une réforme en profondeur est nécessaire et la mobilisation se poursuit pour obtenir un vrai BEI. Entre 2009 et 2011, la LDL dénonce aussi le fait que l’État ne soutient pas financièrement les familles de Fredy Villanueva et de Mohamed Anas Bennis, tué en 2005 à Montréal, qui souhaitent participer à l’enquête publique du coroner. Cette revendication est remise à l’avant-plan par la LDL entre 2019 et 2022, alors que plusieurs enquêtes sont annoncées sur les décès, à Montréal, de Pierre Coriolan et de Koray Kevin Celik en 2017, et celui du jeune Riley Fairholm en 2018 à Lac-Brome. Cette lutte mène à l’adoption en 2022 d’un règlement basé sur le régime de l’aide juridique… une autre demi-mesure, qui donne l’apparence d’avoir agi, sans assurer pleinement la représentation juridique des familles. En 2019, une demande de consultation publique initiée par la LDL et appuyée par 24 organisations est transmise à la Ville de Montréal afin d’examiner les méthodes d’intervention de la police, incluant l’utilisation d’armes et l’usage de la force, en tenant compte du fait que les personnes tuées par la police ont souvent des enjeux de santé mentale et/ou sont racisées. L’administration municipale rejette la demande, préférant tenir plusieurs séances publiques de la Commission de la sécurité publique, un exercice sans vision globale et sans remise en question des pratiques policières. La question des armes policières est pourtant cruciale et légitime : par exemple, depuis le Sommet des Amériques en 2001 à Québec, la LDL demande le retrait des balles de plastique en contexte de contrôle de foule, et depuis 2009, le retrait de l’arme à impulsion électrique (Taser), suites aux décès de Quilem Registre et Claudio Castagnetta en 2007. La LDL est aussi active dans la lutte contre les profilages discriminatoires. En 2010, elle co-organise un colloque sur les profilages racial, social et politique avec le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM). La même année, elle participe à une consultation publique de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) sur le profilage racial, une dimension du racisme systémique. Parmi les revendications exprimées, la LDL appelle à tenir compte des liens entre le profilage racial et l’exclusion sociale des communautés racisées. En clair, le droit à l’égalité implique aussi d’agir pour la réalisation des droits économiques et sociaux.
La pression est grande pour mettre fin aux enquêtes de la police sur la police. La LDL est très active dans cette lutte, aux côtés de militant-e-s antiracistes et de groupes dénonçant la brutalité policière.
Depuis 2019, la LDL porte une attention plus soutenue à la pratique de l’interpellation policière, alors qu’un rapport1 confirme que les personnes autochtones, noires et arabes sont sur-interpellées à Montréal. En février 2023, la LDL lance une campagne, appuyée par 85 organisations, pour exiger l’interdiction des interpellations par le gouvernement du Québec, car cette pratique viole les droits et libertés, est source de profilage racial et social et n’a pas de fondement juridique. Cette campagne s’inscrit dans un contexte où le pouvoir d’interception routière sans motif est aussi contesté devant les tribunaux, parce qu’il mène à du profilage racial. Le 22 octobre 2022, dans une décision historique, Luamba c. Procureur général du Québec, la Cour supérieure invalide ce pouvoir en vigueur depuis 1990 – une décision portée en appel par le gouvernement.

Conclusion

Aujourd’hui, la LDL poursuit les luttes pour accroître le contrôle civil sur la police, obtenir des mécanismes d’enquêtes indépendantes, réduire le pouvoir discrétionnaire des policiers et leurs moyens de répression, ainsi que pour faire reconnaître la responsabilité des autorités politiques et retirer le fardeau de la preuve aux victimes d’entorses à leurs droits. Ce combat nécessite une mobilisation constante et sans relâche de toutes les organisations et les personnes préoccupées par la défense des droits humains.
  1. Armony, Hassaoui et Mulone, Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées. Analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs de suivi en matière de profilage racial.,

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