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Quelles hypocrisie, immoralité et même sadisme !

Dès qu'Israël allègue que douze membres de l'UNRWA auraient participé dans l'attaque menée par le Hamas le 7 octobre, Washington suspend immédiatement son financement de cette (…)

Dès qu'Israël allègue que douze membres de l'UNRWA auraient participé dans l'attaque menée par le Hamas le 7 octobre, Washington suspend immédiatement son financement de cette organisation humanitaire de l'ONU. Et le Canada, ainsi que plusieurs autres pays, emboitent le pas.

Ovide Bastien, auteur de Chili : le coup divin, Éditions du Jour, 1974

Cette allégation apparait le 26 janvier. Le jour même, assez étrangement, où la Cour internationale de justice rend public son jugement, on ne peut plus dévastateur, pour Israël.
L'accusation de génocide que l'Afrique du Sud porte contre Israël est recevable, affirme la Cour. La preuve présentée démontre clairement que c'est possible qu'Israël soit en train de commettre un génocide.

• La Cour énumère en détail les nombreuses déclarations où de leaders israéliens incitent au génocide.
• Elle montre comment le grand nombre de morts et de blessés à Gaza ainsi que la destruction massive d'infrastructure reflètent ces déclarations.
• Elle annonce qu'elle déclenche une enquête et somme Israël de s'abstenir de détruire toute preuve pouvant servir à celle-ci.
• Elle demande à Israël de punir tout leader tenant de futurs propos génocidaires et de s'abstenir de toute action future ayant un caractère génocidaire.
• Elle demande à Israël de mettre immédiatement fin à son blocage de l'aide humanitaire à Gaza.
• Elle somme Israël de faire rapport à la Cour d'ici un mois au sujet du respect de ces mesures.

En apprenant que Washington, mon pays le Canada, ainsi que plusieurs autres pays suspendent leur financement de l'UNRWA, je suis estomaqué.

Comment se fait-il qu'Israël sorte soudainement de son chapeau, en ce moment précis, cette petite bombe médiatique ?

Et pourquoi cet empressement de suspendre le financement de la seule organisation ayant une capacité réelle de venir en aide à une population plongée dans une catastrophe humanitaire incommensurable ?

Remonte en moi, comme un volcan en éruption, une grande émotion de colère et de révolte...

La même que je ressentais au Chili en septembre 1973 lorsqu'Augusto Pinochet renversait le gouvernement de Salvador Allende et écrasait dans le sang, la torture, et les camps de concentration de milliers d'adeptes de l'Unité populaire.

Pinochet décrivait sa prise de pouvoir brutale comme une œuvre sacrée, une intervention divine. Comme Israël aujourd'hui, il cherchait à contrôler le récit, surtout dans les médias. L'exécution sommaire de personnes résistant à son putsch était présentée dans les médias comme l'action de militaires se défendant contre de simples délinquants et terroristes.
La douleur de millions de Chiliens et Chiliennes était énorme. Le coup d'État produisait 3 000 morts... Au moins 40 000 personnes furent soumises à la torture. Entendre, au jour le jour, la description des méthodes de torture utilisées m'était insupportable...

Profondément ému et bouleversé, je tentais de faire entrer dans diverses ambassades des personnes cherchant désespérément à échapper à la terreur. Et je collaborais avec de nombreux journalistes, qui arrivaient à Santiago, afin que le monde sache ce qui se passait au Chili.

Je n'oublierai jamais la fois que l'ambassadeur canadien à Santiago, Andrew Ross, refusait de nous ouvrir la porte.

J'étais avec un médecin chilien, qui occupait un haut poste dans le gouvernement de Salvador Allende, sa femme, et leur nouveau-né de six mois. Nous avions beau expliquer à M. Ross que ce médecin risquait emprisonnement, torture, et même exécution, et le supplier de faire preuve d'un peu d'humanité, il n'y avait rien à faire.

« Les gens ne s'énervent pour rien. Le gouvernement ne fait que sévir contre les malfaiteurs », insistait-il, en refusant de donner refuge à cette famille.

Cette froideur et hypocrisie devant autant de souffrance humaine me scandalisaient et me révoltaient.

Notre ambassadeur canadien, je le savais, appuyait le coup d'État et s'en réjouissait. Comme d'ailleurs Washington qui avait tout fait, financièrement et diplomatiquement, et ce, depuis longtemps, pour assurer son succès. La CIA offrait même aux militaires chiliens des instructions au sujet des méthodes de torture les plus efficaces.

Lorsque nous écoutions la radio internationale de Washington, Voice of America, ce poste ne faisait que répéter comme un perroquet la version que diffusait quotidiennement les militaires chiliens. Une version incroyablement falsifiée des faits.

Mes amis étatsuniens me racontaient que lorsque certains d'entre eux se présentaient à l'ambassade des États-Unis à Santiago, on leur disait, pour calmer leur désarroi et peur, « Take a bufferin ! »

Lorsque l'Afrique du Sud, décembre dernier, accusait Israël de génocide et demandait à la Cour internationale de justice d'adopter des mesures provisoires, le président Joe Biden et son secrétaire d'État Antony Blinken firent immédiatement une déclaration en conférence de presse. Cette accusation « ne repose sur aucune base factuelle », ont-ils affirmé.
Et le président israélien Benjamin Nétanyahou a fait de même.

« Nous vivons dans un monde à l'envers », affirma-t-il. « C'est le Hamas terroriste qui commet un génocide contre le peuple juif ».

Le jour même où la Cour internationale de justice rend son jugement discréditant complètement, et Washington et Israël, apparaît soudainement, comme par magie, cette allégation au sujet de douze employés de l'UNRWA. Washington suspend immédiatement son financement à cette organisation, et, dans l'espace de quelques minutes, ce qui fait la une dans les journaux des principales puissances occidentales, ce n'est plus l'arrêt de la Cour internationale de justice, mais l'affaire UNRWA et la suspension immédiate du financement de cette organisation, d'abord par les États-Unis et bientôt par toute une série de pays, dont le Canada !

La très réputé BBC, par exemple, consacre huit minutes à présenter les allégations non prouvées d'Israël au sujet de douze employés de l'UNRWA et beaucoup moins de minutes à présenter l'arrêt tout à fait historique de la Cour internationale de justice. La chaîne de télévision CNN, rapporte le Guardian du 5 février, est confrontée à une levée de boucliers de la part de son propre personnel en raison de politiques éditoriales qui ont conduit à une régurgitation de la propagande israélienne et à la censure des points de vue palestiniens dans la couverture de la guerre à Gaza.

Pourquoi le Canada refuse-t-il d'appuyer, comme l'ont fait plusieurs autres pays, l'arrêt de la Cour internationale de justice ? Pourquoi accorde-t-il spontanément crédibilité, par ailleurs, aux allégations non-prouvées d'Israël ? Des allégations possiblement fondées sur des confessions obtenues de prisonniers palestiniens soumis à la torture, ou sur des textos et courriels inventés de toute pièce ? Des allégations, en plus, faites par un pays fort connu pour sa maltraitance des prisonniers palestiniens, incluant la torture, et pour sa production d'affirmations fausses, surtout en temps de guerre, qui s'effondrent par la suite ?

Quelles hypocrisie, immoralité, et même sadisme que de couper les vivres à l'UNRWA ! La principale agence onusienne fournissant de l'aide humanitaire à 6 millions de Palestiniens et qui a 13 000 employés à Gaza, cette bande pas plus grande que la moitié de la ville de New York, et qui se trouve en plein milieu d'une catastrophe humanitaire qui arrache le cœur ?
On peut difficilement se réjouir du fait que le Canada, après avoir suspendu son financement de l'UNRWA, décide d'accorder $40 millions à d'autres organisations qui viennent en aide aux Gazaouis.

« Il est inacceptable de suspendre le financement humanitaire en pleine crise de la seule organisation capable de fournir un soutien humanitaire efficace à ceux qui en ont besoin, » affirme la députée libérale à la Chambre des communes Salma Zahid. « Ternir l'ensemble de l'UNRWA à cause d'allégations concernant quelques employés équivaut à une punition collective des Palestiniens. »

Aussi encourageant que cela puisse paraître, on peut difficilement se réjouir non plus du fait que Joe Biden décide, le 1 février, d'imposer des sanctions aux colons israéliens accusés d'actes violents en Cisjordanie et que le Canada songe à imiter ce geste.

On doit se rappeler que Washington n'a jamais remis en question la légalité des colonies juives dans les territoires occupés. Ni le système d'apartheid imposé depuis fort longtemps à de millions de Palestiniens dans ces territoires. Depuis 1973, Washington offre à Israël un soutien sans équivoque, utilisant au moins 53 fois son droit de véto à l'ONU pour rejeter des résolutions – pourtant toujours acceptées par une écrasante majorité de pays - condamnant la violence contre les manifestants palestiniens et les colonies israéliennes illégales en Cisjordanie occupée. Sous le gouvernement d'extrême droite de Nétanyahou, et surtout depuis les attaques du Hamas du 7 octobre, cette violence en Cisjordanie n'a fait qu'augmenter. Le bureau humanitaire de l'ONU recensait 494 attaques jusqu'au 31 janvier, attaques souvent faites avec la complicité grossière des militaires israéliens, lors desquels 1 000 Palestiniens furent expulsés de leurs maisons et leur terre.

À cause des nombreuses colonies illégales, les terres palestiniennes de Cisjordanie se trouvent présentement découpées en 165 enclaves distinctes.

Comment, dans un tel contexte, penser à la création d'un État palestinien viable et d'un seul tenant ?

Joe Biden impose des sanctions à certains colons israéliens, mais pas aux principaux auteurs intellectuels de leur violence, les ministres israéliens Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich. Il n'impose pas de sanctions à Benjamin Nétanyahou. Ni aux généraux qui larguent des bombes de 2 000 lb, gracieuseté de Washington, à Gaza. Il ne s'engage pas à ne point utiliser son veto à une possible résolution du Conseil de sécurité pressant Israël de se conformer aux mesures provisoires de la Cour internationale de justice afin d'éviter de contribuer à un génocide plausible.

Lorsque je vois Joe Biden demander au Congrès d'approuver une aide de $17 milliards pour Israël, sans exiger que cette aide soit conditionnelle au respect des droits fondamentaux du peuple palestinien... Lorsque je l'entends, dans une conférence de presse où il apparaît envahi d'émotion, s'apitoyer sur le sort des 130 otages toujours détenus par le Hamas à Gaza, en omettant d'exprimer si ce n'est qu'un iota de compassion au sujet des 27 000 Gazaouis tués - la plupart enfants et femmes, des 66 000 blessés, des 25 000 enfants devenus orphelins et des centaines de milliers traumatisés à vie, des dix enfants par jour qui se font amputer un membre sans être anesthésiés, de la démolition par bombe de 70% de l'infrastructure à Gaza, du déplacement forcé de 85% de la population, d'une catastrophe humanitaire d'épidémie et de famine...

Lorsque je vois tout cela, c'est comme si je me retrouvais encore une fois devant Andrew Ross en septembre 1973 au Chili, avec le médecin chilien, Roberto Bellemare et sa famille. J'entends notre ambassadeur dire à Roberto :

« Ta peur d'être détenu, torturé, et peut-être exécuté n'a aucune base factuelle. It is meritless ! »

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Des cohabitations contre la pénurie de logement pour ne pas compter que sur de la construction

30 janvier 2024, par Jean Pellerin — , ,
– Jean Pellerin - Montréal Le gouvernement veut-il générer 72 000 cohabitations contre la pénurie ? 1. Il faut demander aux politiciens de faire faire des publicités (…)

Jean Pellerin - Montréal

Le gouvernement veut-il générer 72 000 cohabitations contre la pénurie ?

1. Il faut demander aux politiciens de faire faire des publicités sociétales pour inciter (incitation gentille non contraignante) des citoyens à cohabiter plutôt qu'à habiter en mode solo un logement (logement entier, étage ou chambre).

2. Le gouvernement pourrait aussi se servir d'Hydro-Québec pour donner un rabais de tarif aux personnes passant d'une occupation solo vers une cohabitation d'au moins 2 adultes, avec ou sans enfant. Une personne locataire en solo "splitterait" sa facture en 2 si elle prenait un.e coloc, et EN PLUS, Hydro-Québec diminuerait d'au moins 50% la facture à partager pour le logement.

3. Le gouvernement pourrait subventionner un organisme communautaire oeuvrant à "matcher" des gens en solo qui voudraient habiter en cohabitation, soit pour le logement au complet ou soit pour une chambre.

4. L'Assemblée Nationale du Québec pourrait voter une modification au Code Civil, donnant un nouveau droit au locataire qui passe d'une occupation solo à une occupation avec au moins un autre adulte. La cession de bail ?

5. Le gouvernement pourrait taxer un proprio qui a un local vacant mais occupable comme logement, ou qui a un logement occupé partiellement ou en permanence en AirBnb ou même qui est occupé par une personne adulte sans enfant en mode de vie en solo.

6. Les gouvernements des 2 paliers pourraient transformer le crédit d'impôt existant pour personne seule, en le remplaçant par un crédit du type : Crédit d'impôt pour personne seule dans un logement occupé en COHABITATION comprenant plus d'un adulte.

7. Le gouvernement pourrait payer une partie des frais de déménagement pour la personne qui accepte de passer d'une occupation en mode solo vers une cohabitation d'au moins 2 adultes, avec ou sans enfant.

8. Le gouvernement pourrait, pendant un temps X, payer des mensualités de loyer à des colocs, dont au moins un était auparavant dans un mode de vie en solo en logement.

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Assange et la mauvaise conscience des médias


30 janvier 2024, par Edition Agone — ,
Entre autres étonnements qui doivent saisir toute personne normalement constituée quand elle découvre la situation où se trouve le fondateur de WikiLeaks : une fois digéré le (…)

Entre autres étonnements qui doivent saisir toute personne normalement constituée quand elle découvre la situation où se trouve le fondateur de WikiLeaks : une fois digéré le paradoxe d'un journaliste emprisonné pour avoir rendu public des crimes dont les responsables sont, eux, toujours en liberté, ne nous reste plus qu'à constater l'indignité des médias dominants, notamment français.

29 janvier 2024 | Agone.org - [LettrInfo 24-IV]

Sans remonter aux trois années de rappel quotidien, par les journaux télévisés, au milieu de la décennie 1980, que les journalistes Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat étaient retenus en otage au Liban. On se souvient, vingt ans plus tard, des gigantesques affiches pour la libération de la journaliste Florence Aubenas enlevée à Bagdad. Ou encore des messages diffusés quotidiennement sur France Inter pour la libération des journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, enlevés en Irak un an plus tôt. Et en 2023, l'État français a bien sûr “appris avec un immense soulagement” le retour d'Olivier Dubois, journaliste retenu en otage au Mali depuis 2021. Le corporatisme journalistique est-il lui aussi soumis chez nous à la préférence nationale ?

Pas seulement. Parce que le traitement venimeux d'un journaliste qui n'est “pas des nôtres” est tout aussi répandu dans les autres médias occidentaux. Variation sur le thème “Deux poids, deux mesures”. Qu'il suffit d'illustrer en comparant les statuts de Julian Assange et d'Alexeï Navalny. Certains lanceurs d'alerte méritent plus que d'autres l'attention bienveillante de nos médias : selon que vous serez du côté des puissants ou contre eux, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Mercredi dernier à la Bourse du travail de Paris, aux abords de la place de la République, avait lieu un débat autour du livre de la journaliste italienne Stefania Maurizi : synthèse de sa collaboration avec WikiLeaks et de quinze ans d'enquête sur les médias indépendants, la censure et les crimes d'État. Organisée par le Comité de soutien Assange, cette rencontre rassemblait les plus actifs de cette cause, soit Acrimed, Le Monde diplomatique, Anticor, Blast, la Ligue des droits de l'homme, Les Mutins, Le Mouvement de la paix et Le Vent se lève. Une liste de l'ensemble des soutiens de WikiLeaks réunit royalement une cinquantaine de structures, listées dans l'“Appel de Paris [sic] pour Julian Assange”, où les médias sont pour le moins minoritaires — même avec L'Humanité, AuPoste, la Fédération internationale des journalistes, Là-bas si j'y suis, Siné Mensuel et le Syndicat national des journalistes, la corporation ne pèse pas bien lourd. Et en ajoutant quelques figures politiques (dont le mathématicien et ancien élu LREM Cédric Villani et Arnaud Le Gall au nom de LFI) plus quelques notables intellectuels ou artistes ayant demandé que la France accorde à Assange l'asile politique (dont Jacques Audiard, Éric Cantona, Costa-Gavras, Mathieu Kassovitz, Edgar Morin, Thomas Piketty et Ludivine Sagnier), on a convoqué le ban et l'arrière-ban des soutiens d'Assange.

Mais le plus remarquable reste l'absence éclatante des médias dominants. En cherchant bien, on trouve évidemment dans leurs colonnes et programmes quelques articles ou émissions, sinon des brèves, ici et là, consacrées aux mésaventures d'Assange – dont un projet d'enlèvement et d'assassinat par la CIA. Mais sans insister, comme en passant. Sinon en étant plus ou moins malveillants, avec des papiers truffés d'erreurs (comme dans L'Obs) ou ambigus — comme Pierre Haski sur France Inter, Edwy Plenel dans Mediapart, les éditoriaux du Monde, etc.

Il semble en outre que, plus on monte en classe et en importance sociales, plus on est informé, plus on s'aligne sur la propagande officielle, aussi grossière soit-elle. Intervenant mercredi dernier aux côtés de Stefania Maurizi, la journaliste au Monde diplomatique Anne-Cécile Robert racontait qu'invitée en 2022 avec François Hollande à l'université d'été de l'École du Centre-Ouest des avocats, elle avait demandé à l'ancien président les raisons pour lesquelles la France n'avait pas, à l'instar d'autres pays — dont la Bolivie, le Honduras, Cuba, l'Argentine, le Brésil, le Mexique, le Venezuela, le Nicaragua et la Colombie —, soutenu la libération d'Assange en lui offrant asile. Tressautant, l'ex-président invoqua un “vol de documents”… Cette défausse dérisoire ne vaut pas celle de Gérald Darmanin face aux “coups de sang légitimes de ceux qui souffrent et qui gagnent pas beaucoup d'argent” — élévation du culot politique au meilleur de l'art dramatique. Mais elle thahit l'habitude du mensonge et l'impunité des vilaines petites lâchetés.

Pour autant, la meilleure information ne manque pas sur L'Affaire WikiLeaks : en plus d'un autre livre important, L'Affaire Assange. Histoire d'une persécution politique, par Nils Melzer, ancien rapporteur sur la torture de la Commission des droits de l'homme des Nations unies (du même auteur, lire aussi “Cajoler Pinochet, briser Assange”), signalons deux documentaires : Hacking Justice et Ithaka.

Mais, on l'a compris, on ne peut pas compter sur grand-monde pour leur diffusion — qu'il s'agisse de médias, d'édition, de librairie ou de cinéma… Pourtant, cette affaire ne se réduit pas à ce que vit un individu, aussi remarquable soit-il, juste sa cause et injuste le traitement qu'il subit. Le message adressé par les maîtres du monde au travers de l'“affaire WikiLeaks” concerne toute personne soucieuse de sa liberté d'expression : voilà ce qui vous attend si vous bravez l'ordre dominant.

Hacking Justice
Ithaka
L'affaire Assange
L'affaire Wikileaks

Sur L'Affaire WikiLeaks, en attendant deux interviews de Stefania Maurizi (dans Blast et Elucid), lire en ligne :


— “Un jeu inégal. Préface à L'Affaire WikiLeaks”, Serge Halimi (Au jour le jour, janvier 2024)


— “‘À l'heure où j'écris ces lignes…' Avant-propos à L'Affaire WikiLeaks”, Ken Loach (Au jour le jour, janvier 2024)

Également :

— “‘Stefania Maurizi : ‘Si Julian Assange est extradé, ce sera sa mort morale et la mort éthique du journalisme'”, propos recueillis par Meriem Laribi, Marianne, 24 janvier 2024

— “L'Affaire Wikileaks, de Stefania Maurizi, leçons d'investigation”, France Culture, 20 janvier 2024


— “Là où Julian Assange a des amis”, Meriem Laribi (Le Monde diplomatique, février 2023)

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Le Canada face à Gaza et aux demandeurs d’asile palestiniens : deux poids, deux mesures

30 janvier 2024, par Ken Theobald — , ,
Confronté à la crise en Ukraine, le gouvernement Trudeau a agi de manière rapide et ouverte, mais son traitement du cas de Gaza a été marqué par le retenue et le manque de (…)

Confronté à la crise en Ukraine, le gouvernement Trudeau a agi de manière rapide et ouverte, mais son traitement du cas de Gaza a été marqué par le retenue et le manque de conviction.

24 janvier 2024 / KEN THEOBALD/traduction Johan Wallegren

Près de 50 000 Palestiniens vivent au Canada. La plupart d'entre eux sont arrivés ici en tant que réfugiés. Cette communauté ne représente qu'une petite partie de la diaspora palestinienne mondiale, qui se chiffre à 7 millions de personnes. Assister de loin à la guerre est source d'impuissance et d'angoisse pour ceux qui font partie de cette diaspora.
Les Palestiniens sont un peuple apatride : 80 % d'entre eux ont été déplacés et 50 % vivent en dehors des frontières de leur patrie historique. Le droit au retour leur semble de plus en plus hors de portée. De nombreuses personnes faisant partie de la diaspora ont des membres de leur famille élargie ou des amis actuellement piégés à Gaza.

Lima Al-Azzeh, une jeune Palestinienne vivant à Vancouver, a récemment rédigé une chronique pour l'émission First Person de la CBC. Elle y parle de son sentiment d'impuissance et de la souffrance qu'elle éprouve en silence alors qu'elle attend des nouvelles des membres de sa famille à Gaza :

Et puis il y a les autres silences à affronter. Ceux que l'on sent comme étant plus personnels. On voit qui a protesté et qui ne l'a pas fait. On voit qui s'est manifesté avec un mot de soutien ou de réconfort et qui ne l'a pas fait. On voit qui, au fil des ans, s'est soucié de nous poser des questions sincères sur ce que cela signifie que d'être Palestinien. Il y a ce qu'on ressent quand on a le mal du pays et qu'on est confronté jour après jour à l'impossibilité d'y retourner.

Il s'agit du sixième conflit sur la période des quinze dernières années où les Palestiniens de Gaza ont été victimes de massacres perpétrés par l'armée israélienne. La guerre actuelle est certainement la plus dévastatrice, les Israéliens ayant exprimé leur intention d'éradiquer la vie palestinienne. Les dirigeants israéliens d'extrême droite qualifient d'« animaux humains » les Palestiniens qui ne font qu'essayer de survivre face aux déplacements massifs, aux bombardements incessants, au nettoyage ethnique, à la destruction de leurs maisons, au manque de soins médicaux, à la quasi-inexistence d'installations sanitaires et à la faim.
Il est difficile de ne pas croire que ce dont le monde est témoin à Gaza constitue la définition même du génocide – une tentative délibérée de « détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » en « infligeant délibérément au groupe des conditions d'existence calculées pour entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».

Les Palestiniens peuvent trouver un certain réconfort dans le mouvement mondial de solidarité qui a émergé, y compris l'extraordinaire solidarité manifestée par l'Afrique du Sud. La diaspora palestinienne joue un rôle important en contribuant à la mobilisation, à la prise de parole et à l'appel à un cessez-le-feu permanent et en aidant des membres de familles élargies et d'autres palestiniens à demander l'asile.

En 2019, Jihan Qunoo, qui œuvrait alors comme travailleuse humanitaire à Gaza, a été la cible de menaces de la part des autorités locales. Elle s'est enfuie au Canada où elle a été accueillie comme réfugiée, contrainte de prendre la déchirante décision de laisser derrière elle son mari et ses trois filles en bas âge. Il lui a fallu deux ans et une campagne publique très médiatisée pendant la pandémie pour réussir à réunir sa famille autour d'elle. Madame Qunoo a bénéficié du soutien de Jenny Kwan, députée néo-démocrate de Vancouver-Est, et du Rural Refugee Rights Network (réseau rural pour les droits des demandeurs d'asile) de la région d'Ottawa, une organisation qui a aidé 14 autres familles palestiniennes.

En octobre 2023, Mme Qunoo a repris son rôle de militante et d'organisatrice, cette fois au nom des frères et des sœurs restés au pays, en vue de leur donner une chance d'échapper aux horreurs de la guerre à Gaza. Il y a aussi des gens comme Osama Ebid, qui est arrivé au Canada en 1994 et dont tous les frères et sœurs sont restés à Gaza. Il est aujourd'hui l'organisateur d'un groupe de mille Canadiens d'origine palestinienne qui cherchent à sauver des membres de leur famille élargie.

Au Canada, les gens comme Jihan et Osama se comptent par centaines et reçoivent le soutien de groupes ad hoc d'avocats, de travailleurs juridiques, de défenseurs des demandeurs d'asile et de responsables communautaires. Ces personnes plaident pour le regroupement familial et parallèlement, elles lancent des appels au cessez-le-feu et réclament plus d'aide humanitaire.

Les Canadiens d'origine palestinienne ont initialement été portés par l'espoir engendré par le soutien que le gouvernement Trudeau a offert aux Ukrainiens en 2022. Moins d'un mois après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, M. Trudeau avait annoncé toute une série de programmes destinés à aider les Ukrainiens déplacés et leurs familles. Ceux-ci se sont vu offrir un statut temporaire prolongé au Canada assorti du droit de travailler, d'étudier et de rester jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer chez eux en toute sécurité, cela sans contingentement. Finalement, plus d'un million d'Ukrainiens se sont vu offrir des visas, sans qu'aucun lien familial avec le Canada ne soit exigé.

En décembre, le Gaza Family Reunification Project (projet de réunification familiale pour Gaza, un collectif ad hoc d'avocats spécialisés dans l'immigration et les demandes d'asile), la Canadian Association of Refugee Lawyers (association canadienne des avocats spécialisés dans les questions d'asile), le Conseil canadien pour les réfugiés et plus de 550 familles canado-palestiniennes ont demandé au gouvernement fédéral d'adopter un plan d'immigration similaire en réponse à la situation urgente à Gaza.

Le 21 décembre, après des mois de plaidoirie de la part de Canadiens d'origine palestinienne et de défenseurs des droits de l'homme, le ministre de l'immigration Marc Miller a finalement annoncé un dispositif d'immigration spécial pour les habitants de la bande de Gaza demandeurs d'asile. Ceux-ci se verront offrir des visas temporaires de trois ans s'ils remplissent certaines conditions d'admissibilité et de sécurité. Avoir des membres de sa famille au Canada est une condition sine qua non.

Une nouvelle choquante a suivi une semaine plus tard, le 28 décembre : Monsieur Miller a annoncé que les mesures spéciales d'immigration pour les Palestiniens ne pourraient s'appliquer qu'à un total de mille personnes. Les familles et les organisateurs avaient alors déjà bien plus que ce nombre de noms à soumettre. Cette décision a été rapidement dénoncée par les défenseurs des droits de l'homme et décriée comme étant raciste et relevant d'une politique de deux poids, deux mesures.

Ce plafond signifie que les candidats seront en concurrence les uns avec les autres, ce que la députée Kwan a comparé à des « Hunger Games » pour demandeurs d'asile.
La différence de traitement entre les demandeurs d'asile ukrainiens et palestiniens est une injustice flagrante. La réaction du gouvernement Trudeau à la situation en Ukraine a été rapide et ouverte. Aucun plafond n'a été fixé pour le nombre de demandes et les candidats n'étaient pas tenus d'avoir des proches au Canada. Ottawa a finalement reçu 1 189 320 demandes de la part d'Ukrainiens et en a approuvé 936 293, avec des arrivées au Canada se chiffrant à 210 178.

En octobre, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a décrit Gaza comme étant « l'un des pires endroits au monde où se trouver en ce moment ». M. Miller a qualifié l'état de la situation sur place d'« invivable ». Bien que le gouvernement Trudeau reconnaisse qu'il n'y a pas de lieu sûr à Gaza, il a réagi avec retenue et manque de conviction tant à l'appel au cessez-le-feu qu'à la crise des réfugiés, faisant primer les préoccupations de sécurité.
Lors d'une entrevue accordée à l'émission du matin de la CBC, Ottawa Morning, le 11 janvier, M. Miller a parlé du programme spécial en déclarant : « nous avons des préoccupations extrêmes en matière de sécurité », répétant les mots « sécurité » et « terrorisme » à plusieurs reprises.

La procédure de demande d'asile pour les ressortissants de Gaza exige de fournir des renseignements personnels d'un niveau de détail sans précédent. On demande aux candidats de dévoiler leurs comptes de médias sociaux, tous leurs anciens numéros de téléphone et adresses électroniques, de présenter tous les passeports qu'ils ont eus et de détailler « toutes blessures ayant nécessité des points de suture ou une attention médicale ».

Le formulaire de candidature doit être rempli avec « un historique complet et détaillé des emplois occupés depuis l'âge de 16 ans, y compris les dates exactes, une description détaillée des rôles et responsabilités, le(s) nom(s) des superviseur(s), la raison du départ et tout problème disciplinaire ».

Le Canada réserve un traitement similaire à tous les demandeurs d'asile du Moyen-Orient – y compris ceux de Syrie, d'Afghanistan, d'Irak et maintenant de Gaza – qui sont souvent considérés comme des menaces potentielles et un risque de sécurité.

Dans une récente tribune publiée dans le journal étudiant The Tribune de l'université McGill, Dima Kiwan a écrit : « La politique inéquitable du Canada à l'égard des demandeurs d'asile ne reflète pas seulement la paresse du gouvernement, mais aussi le poids d'une rhétorique raciste, malheureusement courante, qui circule dans les médias grand public, selon laquelle les réfugiés ukrainiens, dont la majorité sont des Européens blancs et chrétiens, s'intégreront mieux à la société canadienne ».

Pour ne pas risquer de penser qu'il s'agit d'une aberration, il faut savoir que le Canada n'a jamais adopté de mesures spéciales en matière d'immigration à l'égard d'un peuple ou d'un pays d'Afrique.

Ce type de traitement différentiel et ce genre de manifestations de racisme peu subtiles remontent loin dans le temps au Canada, où l'immigration et la politique étrangère ont souvent été alignées sur les intérêts des grandes entreprises et des États-Unis.

Le Conseil national des musulmans canadiens, ainsi que de nombreuses autres organisations, demandent au gouvernement fédéral de supprimer le plafond de mille personnes fixé pour le nombre de Palestiniens pouvant demander l'asile au Canada.
Il est impératif de soutenir ces appels à la levée du plafond et à l'élargissement des critères d'admissibilité pour les Palestiniens. On demande aussi au gouvernement de renoncer à tous frais de demande et de faciliter l'évacuation des demandeurs d'asile de Gaza. Par-dessus tout, les gens de conscience doivent continuer de réclamer un cessez-le-feu permanent, la fin de cette guerre génocidaire et un recentrage sur l'aide humanitaire pour Gaza.

Ken Theobald est un travailleur communautaire et un militant anti-pauvreté basé dans la banlieue nord-ouest de Toronto.

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Northvolt sans BAPE, c’est NON : Mobilisation marche funèbre

30 janvier 2024, par Comité Action Citoyenne-Projet Northvolt —
Évènement de Comité Action Citoyenne-Projet Northvolt Gare de McMasterville, rue du Purvis-Club, McMasterville À tous les citoyens de la Vallée du Richelieu et de de (…)

Évènement de Comité Action Citoyenne-Projet Northvolt

Gare de McMasterville, rue du Purvis-Club, McMasterville

À tous les citoyens de la Vallée du Richelieu et de de partout ailleurs, groupes environnementaux, communautaires et syndicaux !

Venez participer à ce GRAND RASSEMBLEMENT FAMILIAL ET PACIFIQUE afin d'exiger la tenue d'un BAPE au sujet de Northvolt.

Dimanche le 4 février 2024, de 13 h à 15 h30

Départ : Stationnement de la gare de McMasterville, 399 rue du Purvis Club, McMasterville.

Arrivée : 255 Boul. Constable, (les personnes à mobilité réduite pourront s'y stationner)
Arrivée prévue 13 h 45..

Pour cette marche funèbre, nous réclamons la tenue d'une enquête du BAPE (Bureau d'audiences publiques en environnement) AVANT la construction de l'usine de Northvolt. Les normes sociales, environnementales et économiques ainsi que les lois doivent être respectées, pas enterrées vivantes !

Les gouvernements fédéral et provincial autorisent Northvolt à construire une giga-usine de batterie en Montérégie et leur octroient 7,3 milliards $ de nos impôts, SANS
AUCUNE ÉTUDE ENVIRONNEMENTALE OU SOCIALE.

Northvolt sans BAPE, c'est non !

Événement Facebook

Privatisation de la vente d’électricité : une opération à haut risque pour les ménages québécois

30 janvier 2024, par Collectif — ,
Nous, associations de défense des droits des consommateurs présentes à travers le Québec, exprimons notre profonde préoccupation face au projet de privatisation et de fin du (…)

Nous, associations de défense des droits des consommateurs présentes à travers le Québec, exprimons notre profonde préoccupation face au projet de privatisation et de fin du monopole d'Hydro-Québec sur la vente d'électricité.

Joanie Ouellette, analyste des enjeux économiques et énergétiques, Union des consommateurs
Émilie Laurin-Dansereau, Conseillère budgétaire, ACEF du Nord de Montréal

Alors que de nombreux ménages luttent déjà pour payer leur facture d'électricité, cette privatisation risque de se traduire par une hausse des tarifs pour les consommateurs, et ainsi, d'exacerber la crise actuelle de hausse du coût de la vie.

Impact sur les consommateurs résidentiels

La libéralisation du marché de l'électricité, loin d'être une solution anodine, présente des risques significatifs. Nous pouvons déjà prévoir que la compétition pour les ressources entre Hydro-Québec et les entreprises privées augmentera les coûts de production. En effet, les gisements disponibles pour l'éolien et les cours d'eau pouvant générer de l'hydroélectricité sont limités. Selon son Plan d'action 2035, Hydro-Québec a besoin de 8 000 à 9 000 MW supplémentaires. Si les entreprises privées s'accaparent les meilleurs gisements, Hydro-Québec devra développer cette nouvelle capacité sur des sites moins rentables, ce qui augmentera considérablement les tarifs.

Plusieurs pays ont déjà mis en place un processus de libéralisation de leur secteur de l'électricité. Bien que chaque modèle de marché d'électricité privé soit différent, une tendance ressort : la libéralisation mène à une augmentation drastique des tarifs, en plus de nécessiter des interventions étatiques coûteuses.

En Californie, la libéralisation du secteur de l'électricité a mené à une crise énergétique majeure, marquée par une hausse fulgurante des prix et de longues pénuries. En France, les tarifs d'électricité ont augmenté de 60 %, alors que l'inflation n'était que de 15 %. En Ontario, l'ouverture au privé du marché de l'électricité, dans les années 2000, a, là aussi, conduit à une hausse significative et rapide des prix. Le gouvernement de l'Ontario a été forcé de réagir en réintégrant progressivement des mesures de réglementation et de contrôle des prix de l'électricité.

La hausse des tarifs, un vrai problème

Certains défendent l'idée que les tarifs sont trop bas au Québec. Selon cette logique, il ne serait donc pas grave – voire souhaitable – que les tarifs augmentent afin d'envoyer des signaux-prix incitant les Québécois à réduire leur consommation d'énergie.
Or, cet argument néglige un aspect crucial : l'électricité est un bien à faible élasticité de la demande. En effet, les variations de prix entraînent peu de changements dans la consommation en raison de la dépendance des consommateurs à ce service essentiel. L'électricité répond à des besoins fondamentaux comme le chauffage, l'eau chaude, la cuisson et la conservation des aliments, l'éclairage, etc., limitant ainsi la capacité des individus à ajuster leur consommation. De plus, cette consommation dépend largement de facteurs indépendants de la volonté individuelle, comme les conditions météorologiques ou la performance énergétique des bâtiments et des appareils électroménagers, affectant particulièrement les ménages à faible revenu.

Un ménage sur sept éprouve déjà de la difficulté à payer sa facture d'électricité ou doit effectuer des sacrifices pour y parvenir. En 2023, environ 178 000 ménages ont dû conclure une entente de paiement avec Hydro-Québec pour éviter un débranchement.

Il est donc peu probable que la seule augmentation des tarifs puisse permettre de réduire la consommation d'électricité des Québécois. La conséquence la plus immédiate d'une hausse des tarifs sera d'alourdir une fois de plus le fardeau économique des ménages à faible revenu.

Le gouvernement devrait plutôt envisager l'octroi d'aides pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, en ciblant d'abord les logements locatifs. Cette option gagnant-gagnant permettrait de réduire la pression exercée sur Hydro-Québec pour développer sa capacité électrique tout en améliorant la situation des ménages, notamment les plus défavorisés.

De quoi avons-nous réellement besoin ?

Bien qu'une privatisation directe d'Hydro-Québec, par la vente de ses actifs à des acteurs privés, semble peu probable, il y a toutefois un réel risque de libéralisation du secteur de l'électricité, transformant un service public essentiel en une industrie soumise aux fluctuations du marché. Cela met en péril la mission fondamentale d'Hydro-Québec, qui est de fournir aux Québécois l'accès à de l'électricité abordable.

Entreprendre une privatisation sans l'analyse approfondie des conséquences pour les ménages québécois est imprudent. Les associations de défense des droits des consommateurs du Québec se désolent de l'approche actuelle, caractérisée par un manque de transparence et par l'absence de planification intégrée. Nous appelons le gouvernement à ouvrir le dialogue afin de s'assurer de prendre la pleine mesure des risques encourus pour les ménages québécois et de planifier le développement énergétique du Québec avec la communauté civile, non pas pour les industries, mais bien en fonction de l'intérêt des Québécois avant toute autre considération.

Signataires :
ACEF des Bois-Francs
ACEF de l'Est de Montréal
ACEF Estrie
ACEF de Lanaudière
ACEF de Laval
ACEF de la Péninsule
ACEF de Québec
Centre de recherche et d'information en consommation
Coalition des associations de consommateurs
Service d'aide au consommateur de la Mauricie
Service budgétaire Lac-Saint-Jean-Est
Service budgétaire de St-Félicien
Solutions Budget Plus, Sherbrooke
Union des consommateurs

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Un œil critique sur le « documentaire » de Poilievre sur le logement

30 janvier 2024, par Alex Grant — ,
Le chef conservateur propose des mesures qui enrichiront encore davantage les promoteurs et les investisseurs qui ont déjà une mainmise sur l'immobilier au pays. « L'enfer du (…)

Le chef conservateur propose des mesures qui enrichiront encore davantage les promoteurs et les investisseurs qui ont déjà une mainmise sur l'immobilier au pays. « L'enfer du logement », le mini-documentaire de Pierre Poilievre sur la crise du logement, a été visionné des millions de fois sur X (anciennement Twitter) et YouTube.

Tiré de Canadian Dimension

28 décembre 2023 / DE : Alex Grant / Traduction Johan Wallengren

S'étalant sur une quinzaine de minutes, cette vidéo léchée énonce un certain nombre de données statistiques non sans intérêt. La vision de la crise sous un angle capitaliste, libertaire et axé sur l'économie de marché pourrait avoir un attrait pour les segments de la classe ouvrière qui cherchent à comprendre « comment nous en sommes arrivés là et ce que nous pouvons faire pour nous en sortir », selon la formule de Poilievre.

Cependant, même si la vidéo fait le constat du problème, la seule solution proposée est de donner plus de pouvoir aux sociétés du secteur privé et aux promoteurs qui ont profité de la crise du logement (c'est-à-dire du manque de logements) au Canada. Elle s'en prend aussi aux municipalités qui envisagent des solutions de rechange, comme le développement du logement social en particulier. Il importe de battre en brèche les mythes qui émaillent la narration de Poilievre afin de créer un élan en faveur de mécanismes qui peuvent réellement résoudre la crise du logement tout en venant en aide aux travailleurs canadiens ordinaires et aux communautés marginalisées.

Après tout, la question du logement vient seulement d'émerger sur la scène politique canadienne comme un dossier d'importance vitale. Selon un sondage réalisé par Nanos Research, 14 % des Canadiens mettent le logement en tête de leurs préoccupations (seule l'inflation va chercher plus, avec 18 %). En tant que parti au pouvoir aux prises avec cette crise, les libéraux de Trudeau n'ont la confiance que de 16 % des Canadiens qui les voient comme les mieux outillés pour trouver des solutions. Les conservateurs n'ont pas tardé à se saisir de ce dossier en prévision des prochaines élections, qui pourraient se tenir dès l'an prochain.

La thèse de Poilievre

Poilievre, qui est le narrateur de la vidéo « L'enfer du logement », commence par lancer un appel aux jeunes qui font mine d'avoir abandonné l'idée d'être propriétaires d'une maison. Cette rhétorique s'est avérée efficace pour le leader conservateur, qui a fait souffler un « vent de jeunesse » dans les rangs de ses sympathisants, grâce aux gains réalisés parmi les milléniaux et les Canadiens plus jeunes. Par exemple, aux élections de 2015, 45 % des personnes âgées de 18 à 25 ans ont voté pour les libéraux et seulement 20 % pour les conservateurs. Les proportions se sont depuis inversées, puisqu'un sondage réalisé auprès des moins de 30 ans crédite Poilievre de 39 % des intentions de vote, contre 16 % pour Trudeau.

Une donnée statistique s'affiche au début de la vidéo : « 66 % DU REVENU MENSUEL MOYEN POUR LES PAIEMENTS D'UN LOGEMENT MOYEN ». Elle est suivie de commentaires de Poilievre selon lesquels il faut environ 25 ans pour économiser la mise de fonds nécessaire pour l'achat d'une maison à Toronto, la plus grande ville du Canada, alors que le loyer moyen à l'échelle du pays a doublé depuis 2015.

Le fait que Poilievre prenne 2015 comme année de référence n'a rien d'anodin, puisque cette année marque le début du règne de Justin Trudeau en tant que premier ministre.
Il y a huit ans, le loyer moyen d'un appartement à une chambre à coucher était de 973 $, contre 1 871 $ en 2023. Durant la même période, les paiements hypothécaires moyens sont passés de 1 418 $ à 3 562 $ et les mises de fonds minimales, de 22 635 $ à 51 060 $.
Poilievre enfonce le clou avec ces statistiques choquantes, qu'il met en contraste avec les coûts du logement de 2015, qui ne représentaient que 40 % du revenu médian [rappelons cependant que cette proportion de 40 % est nettement supérieure aux 30 % recommandés par la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL)].

Déficits, planche à billets et inflation

Après avoir rapidement exposé les faits saillants concernant la crise de l'accessibilité aux logements (et le manque de disponibilité de ceux-ci) au Canada, la vidéo avance une explication quant à la façon dont nous en sommes arrivés là. Or, c'est là que le bât blesse. La première cible de Poilievre est la tendance du gouvernement Trudeau à creuser le déficit public et sa propension à recourir à l'« assouplissement quantitatif », un moyen de créer de la monnaie. Selon les conservateurs, ces techniques ont permis une augmentation de la masse monétaire huit fois plus rapide que la croissance du PIB au cours des trois dernières années, alimentant ainsi l'inflation. Poilievre affiche ensuite ses couleurs de populiste en montrant comment les rachats d'obligations aux fins d'assouplissement quantitatif par la Banque du Canada garantissent de gros bénéfices aux « riches investisseurs dont les relations bancaires leur permettent d'être les premiers servis ».

Le chef conservateur n'a pas tort sur le fond. La croissance de la masse monétaire sans augmentation des biens et services dans l'économie dilue la valeur de la monnaie, ce qui est générateur d'inflation. Mais il se garde bien d'évoquer les autres ressorts de l'inflation, comme le gonflement artificiel des prix. Selon une étude, les bénéfices des sociétés, exprimés en pourcentage du PIB, ont augmenté de 25 % en 2022 par rapport aux sommets atteints avant la pandémie. En termes monétaires, lit-on dans une analyse publiée par Canadiens pour une fiscalité équitable, les bénéfices de 2022 étaient supérieurs de 275 milliards de dollars à ceux de 2019.

D'autres études ont montré que la financiarisation (le processus par lequel les élites économiques acquièrent un plus grand contrôle sur la politique économique) est un moteur particulièrement important de l'augmentation des prix de l'immobilier. En 2020, en Ontario et en Colombie-Britannique, près de 40 % du parc immobilier était détenu par des sociétés ou des investisseurs et spéculateurs possédant plusieurs logements. Poilievre cite des données de la Banque du Canada montrant que les achats de logements par des investisseurs ont doublé en 2021. Toutefois, bien qu'il souligne le rôle des investisseurs dans l'augmentation artificielle du coût du logement, « L'enfer du logement » finit par proposer des mesures qui enrichiront davantage les promoteurs immobiliers et les investisseurs qui possèdent déjà une grande partie du parc immobilier au Canada. Nous y reviendrons.

Ensuite, Poilievre fustige la décision de la Banque du Canada d'augmenter les taux d'intérêt pour brider l'inflation, affirmant que cela ne serait pas nécessaire s'il n'y avait pas de « déficits inflationnistes ». Ce faisant, il simplifie les choses à l'extrême en prétendant que l'équilibre budgétaire ferait baisser l'inflation, ce qui, par ricochet, tempérerait les taux d'intérêt élevés qui font grimper les paiements hypothécaires. Or, un programme d'austérité qui passe par l'atteinte de l'équilibre budgétaire ne permettra en rien de lutter contre l'inflation induite par l'appât du gain. Ajoutons qu'il faudrait attendre longtemps pour voir des effets perceptibles d'une telle manœuvre et que cela reviendrait à ignorer la raison première des déficits.

L'explosion de la dette fédérale du Canada a en grande partie été générée par les programmes d'aide publique de la période de la pandémie, qui ont été largement soutenus par les conservateurs. Les conservateurs ont même réclamé des aides au paiement des loyers et des prêts aux entreprises plus généreux. L'Institut Fraser, avec ses idées très à droite, chiffre le coût des programmes COVID du Canada à 359,7 milliards de dollars. De ce montant, environ 110 milliards de dollars sont allés aux travailleurs au titre de la prestation canadienne d'intervention d'urgence (CERB) et de programmes connexes. Le reste, qui représente l'écrasante majorité de la dette dont Poilievre se plaint, a été distribué sous forme de subventions salariales, de prêts préférentiels et d'autres formes d'aide sociale aux entreprises pour lesquels les conservateurs ont également voté. Si Poilievre voulait être cohérent, il exigerait que les entreprises, en particulier celles qui étaient rentables et qui n'avaient pas besoin d'aide, remboursent les largesses du gouvernement dont elles ont bénéficié pendant la pandémie.

Distorsion des données sur le logement

Poilievre se met ensuite à scruter le retard pris par le Canada en matière de construction de logements. On voit qu'en 1972, alors que le Canada comptait 22 millions d'habitants, 230 000 logements étaient construits chaque année. En 2022, avec une population proche d'atteindre 40 millions d'habitants, nous n'avons construit que 220 000 logements.
La SCHL estime qu'à ce rythme, il manquera 3,5 millions de logements au Canada d'ici 2030. « L'enfer du logement » blâme les taux d'intérêt élevés et la « paperasserie », ces deux facteurs étant amalgamés sous la désignation de « gouvernement ».

Poilievre poursuit en citant une étude de l'Institut C.D. Howe selon laquelle, pour une maison moyenne de Vancouver, il faut ajouter 1,3 million de dollars de dépenses aux coûts de construction. Selon ses termes, ces surcoûts viennent des « barrières administratives », sous-entendu la paperasserie et la bureaucratie gouvernementale.

Or, à la lecture de cette étude, on se rend compte que Poilievre déforme les faits. Selon l'Institut C.D. Howe, « ce qui est mesuré, c'est intrinsèquement l'écart entre les coûts de construction des logements et le coût final pour les acheteurs. On mesure certes un écart, mais on n'analyse pas les dynamiques en jeu. La différence pourrait tout aussi bien s'expliquer par les profits amassés par les entreprises de construction ou les spéculateurs fonciers. Il ressort même de cette étude que certains droits municipaux prélevés pour la construction d'infrastructures locales peuvent en fait redonner de la valeur aux propriétés.

Accusations voilées et attaques contre les municipalités

Les médias de l'extrême droite se plaignent du fait que Poilievre n'a pas adopté l'argumentaire ouvertement raciste consistant à imputer la crise du logement aux immigrés et au « programme d'ouverture des frontières et d'immigration de masse de Trudeau ». Les stratèges conservateurs font sciemment l'impasse sur cette question, car ils se voient gagner du terrain auprès des communautés d'immigrés qui votaient auparavant pour les libéraux. Dans les passages de la vidéo où l'on s'en prend à la bureaucratie et aux barrières administratives, on voit apparaître à deux reprises la mairesse sino-canadienne de Toronto, Olivia Chow. Il est injuste, et pas rien qu'un peu, de s'en prendre à Madame Chow dans un contexte où l'on dénonce la crise du logement, sachant que celle-ci n'est en poste que depuis à peine six mois. On peut raisonnablement supposer qu'elle est ciblée à cause de ses origines ethniques et son appartenance au NPD, qui sont des caractéristiques susceptibles de réveiller l'hostilité de la droite. Si l'on voulait mettre un visage sur l'échec de la construction de logements abordables en Ontario, c'est plutôt Doug Ford qu'il faudrait mettre en exergue.

L'argumentaire de base des conservateurs est que la crise du logement peut être résolue en supprimant les subventions accordées aux « administrations municipales qui bloquent la construction de logements » - subventions qui va selon eux créer une nouvelle couche de bureaucratie.

Des réglementations municipales restrictives en matière de zonage ont certes joué un rôle dans le ralentissement du développement de projets immobiliers, mais les propositions de Poilievre aboutiraient à la suppression d'un grand nombre de programmes mis en place pour rénover et construire des logements sociaux.

Poilievre prévoit prendre en otage 4,5 milliards de dollars de subventions fédérales destinées aux municipalités et ne débloquer les fonds qu'à partir du moment où celles-ci construisent 15 % de logements de plus que l'année précédente. La question de savoir comment les villes et les régions sont censées atteindre cet objectif, alors même qu'elles sont privées des fonds censés les aider à construire des logements et des infrastructures connexes, n'est jamais abordée. Pour ne rien arranger, l'aide fédérale serait suspendue jusqu'à ce que les logements soient prêts à livrer, privant ainsi les municipalités de fonds essentiels pendant des années.
Or, à notre époque, les sociétés immobilières privées au Canada se portent mieux que jamais. Le secteur de la construction résidentielle au pays a en 2021 accru sa rentabilité, qui a progressé de 13,2 % sur l'année, comparativement à 12,5 % en 2020. Le volume du marché de l'immobilier résidentiel a augmenté d'environ 29 % au cours des cinq dernières années, pour atteindre 5,93 billions de dollars américains en 2023, et devrait selon les projections croître à un taux annuel supérieur à 4 % au cours des cinq prochaines années.

Les FPI, ou fiducies de placement immobilier, sont un autre ressort de la crise du logement qui n'est jamais mentionné par Poilievre. Ces fonds privés bénéficient d'un statut fiscal préférentiel et ont généré un rendement moyen de 9,7 % depuis qu'ils sont entrés à la Bourse de Toronto en 1997. Plus de 340 000 logements, soit entre 20 et 30 % de ceux construits spécifiquement aux fins de location, sont détenus par des FPI. L'univers des FPI comprend des logements dont les locataires à faibles revenus ont été évincés pour en reconstruire de nouveaux (« démoviction ») et on y dénote une tendance générale à pousser les loyers à la hausse pour maximiser les bénéfices des investisseurs. Aux côtés des grands fonds de pension et des sociétés de capital-investissement, les FPI se sont emparés de l'immobilier canadien à un rythme alarmant.

Le secteur du logement au Canada est largement dominé par des intérêts privés, ce dont on peut faire le constat sans passer pour un radical. Nonobstant la rhétorique de Poilievre, il importe de comprendre que la crise actuelle est un échec du capitalisme non réglementé. Il est démontrable que la recherche du profit ne s'accommode pas avec le besoin humain fondamental de se loger.

Public ou privé

Le programme des conservateurs en matière de logement, tel qu'il est présenté dans le documentaire vidéo de Poilievre, se concentre principalement sur la maximisation des profits des promoteurs, ignore la domination rampante des conglomérats immobiliers et néglige le besoin urgent d'ajouter davantage d'options abordables ou publiques à l'éventail de logements offerts. Il suffit de regarder ce que voulait faire le gouvernement Ford en Ontario. Celui-ci était prêt à céder une partie des terres protégées autour de Toronto à ses amis promoteurs. Une immense vague de mécontentement dans l'opinion publique a forcé l'abandon de ces plans, mais cela donne une idée de ce qui peut se passer lorsque les garde-corps sont abaissés et que les promoteurs sont autorisés à « construire, construire, construire ».

Une autre proposition de « l'enfer du logement » est la privatisation de 15 % des bâtiments du gouvernement fédéral et de milliers d'hectares de terres fédérales. Le passé nous enseigne que le fait de multiplier les possibilités de profit sans poser de conditions n'entraîne pas la construction de logements bon marché ni de qualité. Au lieu de cela, les spéculateurs vont soit construire des logements de luxe qui rapportent plus, soit garder des terrains en réserve dans l'attente d'un meilleur rendement.

La seule façon dont le régime d'austérité de Poilievre, qui prévoit un budget obligatoirement équilibré, pourrait faire baisser l'inflation et les taux d'intérêt serait un scénario où les réductions de services (qui s'accompagneraient de licenciements) déclencheraient une récession, comme cela s'est produit dans d'autres pays. Le remède serait alors sans nul doute pire que le mal et produirait une hausse du chômage et une baisse des recettes publiques qui feraient augmenter le ratio dette/PIB. Le fait de priver les villes d'un soutien financier essentiel, en particulier à un moment où l'immigration atteint des sommets, ne ferait qu'aggraver les choses.

Doper le capitalisme et les profits des entreprises qui ont présidé à la présente crise n'est pas la solution ; l'histoire nous montre par contre que l'intervention directe de l'État peut être porteuse de solutions clés. Avant les coupes opérées par les libéraux de Chrétien et Martin dans les années 1990, le Canada construisait chaque année environ 16 000 logements sans but lucratif ou coopératives d'habitation. En 1970, plus de 40 000 logements ont été construits par le gouvernement fédéral.

Le logement public et social constitue également un levier permettant d'exercer une pression à la baisse sur les prix du marché privé en agissant comme un concurrent qui tire les prix des logements vers le bas et réduit la pression sur la demande en incitant les gens à se tourner vers le secteur non lucratif. En s'attaquant à de tels programmes, les conservateurs montrent leur propension à permettre aux promoteurs privés d'augmenter les coûts des logements sans craindre une quelconque concurrence publique.

Lors des élections de 2004, Jack Layton, alors chef du NPD, s'est illustré en accusant Paul Martin d'être responsable de la mort de sans-abri à la suite des coupes dans les logements sociaux qu'il a supervisées dans les années 1990 (il a même écrit un livre à ce sujet). Au moment de cette sortie publique, Jack Layton a subi un retour de bâton médiatique, mais l'histoire lui a donné raison. Trente années de déréglementation de l'utilisation des sols, d'accès sans restriction et de subventions aux promoteurs et de marginalisation du secteur public nous ont conduits à la situation critique que nous connaissons aujourd'hui.

Toronto espère construire 65 000 logements à loyer contrôlé d'ici 2030 et la déclaration économique d'automne du gouvernement fédéral prévoit mettre de côté 1 milliard de dollars pour construire 7 000 nouveaux logements abordables. Or, c'est l'équivalent d'une goutte d'eau dans l'océan par rapport aux 3,5 millions de logements que la SCHL estime nécessaire de construire. Et sous un gouvernement Poilievre, même ces modestes mesures pourraient être déclarées « bureaucratiques » et être abolies sans crier gare.

Les conservateurs ont de bonnes chances de remporter les prochaines élections fédérales et à moins d'un revirement, ils pourront alors mettre en pratique leur politique du logement fondée sur le libre marché et le capitalisme libertaire. Mais les cadeaux et incitatifs offerts aux promoteurs privés, quelle que soit leur ampleur, ne sauraient les inciter à construire des logements de qualité décente et à bas prix dont le besoin est si criant. Si les sociétés immobilières peuvent gagner plus d'argent en spéculant, en reportant l'offre et en construisant des logements de luxe, c'est ce qu'elles vont faire. En l'état des choses actuel, on dénombre déjà au Canada 1,3 million de logements vacants utilisés comme des instruments d'investissement spéculatif plutôt que de servir à répondre aux besoins en matière de logement.

Nous ne pouvons pas permettre à Pierre Poilievre de s'approprier la question du logement. Il est essentiel d'accumuler des appuis en faveur de solutions réelles, loin des dogmes du libre marché, pour venir à bout de la crise. C'est la seule façon de mettre fin à l'enfer du logement qui afflige les familles canadiennes.

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“Punition collective” : la suspension des aides à l’UNRWA menace les Gazaouis de “famine”

30 janvier 2024, par Courrier international — , , ,
L'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) est dans la tourmente. Neuf pays ont annoncé suspendre leurs aides à l'agence dont le rôle social et humanitaire est (…)

L'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) est dans la tourmente. Neuf pays ont annoncé suspendre leurs aides à l'agence dont le rôle social et humanitaire est central dans la bande de Gaza. Au cœur de la polémique : des accusations concernant douze employés, soupçonnés d'avoir pris part aux attaques du Hamas le 7 octobre. Si certains journaux soutiennent la décision de suspension des ressources financières, d'autres, notamment dans la presse palestinienne, se montrent très critiques.

Tiré de Courrier international.

Le Japon a emboîté le pas à huit autres pays, dont les États-Unis et la France, en suspendant lui aussi son aide à l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), pilier de l'aide humanitaire à Gaza, prise dans la tourmente d'une polémique sur le possible rôle de certains de ses employés dans l'attaque du Hamas, le 7 octobre dernier, en Israël.

Vendredi 26 janvier, l'agence onusienne a déclaré, par la voix de son commissaire général, Philippe Lazzarini, avoir reçu des informations de l'État hébreu sur l'implication supposée de plusieurs de ses employés – douze, selon la presse – dans les attaques du groupe islamiste qui ont fait plus de 1 100 morts israéliens il y a près de quatre mois.

Dans la foulée, plusieurs pays ont annoncé la suspension de toute aide additionnelle à l'UNRWA. Les premiers à prendre cette décision ont été les États-Unis. Puis le Canada, l'Australie et l'Italie ont suivi, et, enfin, le Royaume-Uni, la Finlande, l'Allemagne, la France et le Japon.

“L'UNRWA est aux prises avec le Hamas”

Longtemps dans le viseur d'Israël, l'UNRWA – fondée en 1949 et au service aujourd'hui de 5,9 millions de personnes au Proche-Orient (Liban, Jordanie, Syrie…) – emploie 13 000 personnes à Gaza et constitue l'un des principaux acteurs sociaux et employeurs de l'enclave palestinienne (écoles, structures médicales, ramassage d'ordures, etc.), dont deux tiers des habitants sont des réfugiés.

Dans l'espoir de désamorcer la bombe, Philippe Lazzarini a affirmé le jour même avoir pris la décision “de mettre fin immédiatement aux contrats de ces membres du personnel et de lancer une enquête afin d'établir la vérité sans délai”.

Mais cela n'a pas empêché les suspensions des aides et, dans la presse israélienne et occidentale, même centriste, les soupçons de proximité avec le Hamas et les critiques à l'égard de l'agence se multiplient depuis.

“Le Hamas est le plus grand mouvement politico-socio-religieux et domine tous les aspects de la vie dans l'enclave côtière depuis près de dix-sept ans. L'UNRWA est aux prises avec le Hamas ; il ne pouvait en être autrement”, écrit ainsi Anshel Pleffer dans le quotidien israélien de centre gauche Ha'Aretz.

“Cette agence est la seule qui ne s'occupe que d'un peuple, et dans la bande de Gaza, elle n'a que très peu de personnel international […] Et l'on a souvent raconté que des enfants étaient éduqués à devenir des martyrs”, abonde de son côté le quotidien italien Corriere della Sera.

Selon des fuites des renseignements israéliens, relayées par The Financial Times, l'un des douze employés suspects aurait “kidnappé une femme, un autre saisi le corps d'un soldat tué, tandis qu'un troisième aurait participé aux combats près du kibboutz de Be'eri” entre le Hamas et les Israéliens.

“Neuf d'entre eux travaillaient comme enseignants dans des écoles gérées par l'UNRWA, selon une source proche des renseignements israéliens” citée par le quotidien britannique.

“La famine est désormais inévitable”

Mais au sein de l'ONU, parmi les pays arabes et dans la presse palestinienne, la décision de suspendre le financement est violemment critiquée. Certains médias y voient un complot israélo-américain pour démanteler une agence qui assure, selon eux, non seulement un rôle humanitaire capital mais préserve, de par son existence même, le droit rejeté par Israël au retour des réfugiés Palestiniens.

Il est “extrêmement irresponsable de sanctionner une agence et une communauté entière qu'elle sert en raison d'allégations d'actes criminels contre certains individus”, a réagi le directeur de l'UNRWA qui s'est dit choqué par la suspension des aides des neuf pays. “La plus haute autorité d'enquête du système des Nations unies a déjà été saisie de cette affaire très grave”, a assuré Philippe Lazzarini.

“​​La vie des habitants de Gaza dépend de ce soutien, tout comme la stabilité régionale”, a-t-il souligné, rapporte le site propalestinien situé aux États-Unis Electronic Intifada.

De son côté, Michael Fakhri, rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation, a fustigé la décision, affirmant que “la famine était déjà imminente” à Gaza. Mais avec cette “punition collective” infligée aux Gazaouis pour “les actions présumées d'un petit nombre d'employés”, a-t-il ajouté, “la famine est désormais inévitable”.

Parmi les pays arabes, l'Arabie saoudite, poids lourd régional, a de son côté exhorté “tous les donateurs de l'UNRWA à assumer leurs responsabilités […] humanitaires envers les réfugiés palestiniens à l'intérieur de la bande de Gaza assiégée”, rapporte le journal Asharq Al-Awsat.

“Armes de guerre”

Pour le site Electronic Intifada, il ne fait aucun doute : “Israël utilise plus que jamais la nourriture et d'autres produits de première nécessité comme armes de guerre.”

Même son de cloche du côté du journal palestinien Al-Quds, qui déplore, lui, une stratégie israélienne visant à démanteler l'UNRWA pour des raisons surtout politiques et à visée stratégique. “Il est impossible de séparer la décision rendue [le 26 janvier] par la Cour internationale de justice [qui n'a pas réclamé à Israël l'arrêt immédiat de l'opération militaire à Gaza] et l'offensive orchestrée par Israël et les États-Unis contre l'UNRWA, dont le but est de tenter de […] liquider l'agence onusienne et avec elle la question des réfugiés” palestiniens et de leur droit au retour, écrit le quotidien.

En effet, pour les Palestiniens, l'existence même de l'UNRWA atteste officiellement que leur déplacement reste une question en attente d'être résolue. De son côté, Israël estime qu'autoriser les réfugiés à entrer sur son territoire reviendrait à détruire l'État hébreu et accuse l'UNRWA de laisser croire aux Palestiniens qu'il s'agit d'une possibilité.

En juin dernier devant le Conseil de sécurité des Nations unies, l'ambassadeur d'Israël auprès de l'ONU, Guilad Erdan, a qualifié l'UNRWA d'“agence destructrice”. Et avait martelé : “L'UNRWA entretient chez les Palestiniens le mensonge selon lequel le monde soutient leur droit au retour. Que ce soit clair, il n'y a pas de droit au retour.”

Courrier international

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La démocratie interne est nécessaire pour ancrer et structurer la gauche

30 janvier 2024, par Hendrik Davi — , ,
Hendrik Davi, député de la France Insoumise et militant de la Gauche écosocialiste, a publié en septembre 2023 un livre intitulé Le capital c'est nous. Manifeste pour une (…)

Hendrik Davi, député de la France Insoumise et militant de la Gauche écosocialiste, a publié en septembre 2023 un livre intitulé Le capital c'est nous. Manifeste pour une justice sociale et écologique, aux éditions Hors d'atteinte. Contretemps en publie quelques bonnes feuilles issues de la dernière partie, « Que faire en France au XXIe siècle ? », dans lesquelles l'auteur soulève les principaux défis organisationnels pour la gauche, à commencer par la question de la démocratie interne à la France Insoumise.

24 janvier 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/gauche-france-insoumise-democratie-interne-hendrik-davi/

Ce débat a évidemment ressurgi après la campagne présidentielle de 2022. Clémentine Autain, mais aussi François Ruffin, puis Raquel Garido, Alexis Corbière ou Éric Coquerel ont pris position pour une démocratisation de la FI.

Résumons les grandes critiques qui ont été adressées au mode d'organisation de la France insoumise. D'abord, les groupes d'action (GA) locaux avaient certes toute latitude pour définir leurs modalités d'action, mais ils ne disposaient d'aucune autonomie de moyens. Il leur était impossible de produire leur propre matériel militant et de le faire financer par la FI. Il n'y avait pas de représentations officielles de la FI aux différents échelons municipaux, départementaux ou régionaux : par conséquent, la préparation des élections intermédiaires a toujours été chaotique et les instances qui ont décidé des investitures étaient créées de façon ad hoc par en haut. Le tirage au sort était la seule façon de représenter « la base » dans ces différentes instances.

Il n'y avait donc par conséquent pas de représentation légitime de la FI dans des instances unitaires avec des syndicats, des associations ou des partis politiques. Enfin, des décisions stratégiques nationales ont été prises, comme le changement de ligne pour les européennes ou l'expérience de la Nupes, sans qu'elles n'émanent d'aucune instance nationale. Une dernière critique est revenue régulièrement : il n'y avait pas de travail sur la formation des militants, ce qui aboutissait in fine à un manque de cadres.

Des avancées ont été obtenues d'abord en 2019. Une coordination des espaces a été mise en place, le fonctionnement des différents espaces s'est amélioré, notamment celui de l'espace « programme », et un début d'autonomie financière des GA a été gagné. Mais, globalement, le caractère administratif du fonctionnement de la FI n'a pas évolué, même après la nouvelle réforme de 2022. La coordination des espaces tire vaguement sa légitimité d'une assemblée représentative, mais sans aucune élection.

Dans la FI perdure l'illusion d'une administration tournée vers l'action au service du peuple[1], tandis que la question de la direction, donc de la manière dont on choisit entre différentes options stratégiques possibles, est éludée. Il semble choquant de se satisfaire de ce mode de fonctionnement alors que nous nous battons contre le rabougrissement de la démocratie sociale dans la fonction publique et au sein des entreprises à travers les lois « travail » et, pire, que nous revendiquons un approfondissement radical de la démocratie à travers une VIe République.

À l'origine, la nécessité d'une organisation de type administratif et non démocratique est en fait théorisée implicitement par Jean-Luc Mélenchon à travers l'exigence d'une guerre de mouvement pour prendre le pouvoir et organiser directement le peuple en limitant le recours aux médiations. Je pense qu'il y a dans ce raisonnement une erreur fondamentale : une sous-estimation de la nécessaire dialectique entre la guerre de position et la guerre de mouvement. Un gouvernement dirigé par la FI issu d'une victoire obtenue lors d'une élection générale, s'apparentant à une guerre de mouvement réussie, n'aura pas les mêmes opportunités s'il peut s'appuyer ou non sur un parti de masse organisé démocratiquement, indépendamment des élus et des positions institutionnelles dans différentes collectivités territoriales.

J'y reviendrai dans le chapitre suivant, mais le déroulement du « jour d'après » une victoire électorale nationale dépend du niveau d'auto-organisation et de conscience de la fraction la plus avancée de ceux qui partagent notre horizon anticapitaliste et écosocialiste. Cela dépend aussi de l'indépendance des associations et des syndicats qui pourront maintenir cette auto-activité des masses, nécessaire dans la lutte des classes et qui a souvent fait défaut quand la gauche était au pouvoir, notamment entre 1981 et 1995 et entre 1997 et 2002.

L'absence de démocratie et le refus de reconnaître le pluralisme au sein de la FI sont, selon moi, des freins pour que la France insoumise devienne un instrument durable permettant d'organiser les masses dans la lutte contre le capitalisme et pour l'écosocialisme. Nous avons besoin, dans la durée, de formations politiques qui fonctionnent démocratiquement. J'en énumère ici quelques raisons essentielles.

Premièrement, le fonctionnement démocratique est, in fine, le plus efficace pour élaborer dans la durée des orientations justes et gagnantes. C'est le pari démocratique que j'ai déjà largement décrit. Je ne vois aucune raison à faire ce pari pour la société tout en imaginant qu'il serait invalide pour le parti ou le mouvement politique qui devrait être le moyen de faire gagner la VIe République. Pire, nous pouvons craindre que le manque de démocratie interne préfigure un manque de démocratie une fois au pouvoir. L'histoire des révolutions passées en Russie, en Chine ou à Cuba démontre que la prise de pouvoir sans exercice permanent de la démocratie, y compris interne, conduit à des échecs. Ceci est d'autant plus vrai que tout processus révolutionnaire mène à une lutte sans merci, qui tend de toute façon à rabougrir les traditions démocratiques. La vitesse avec laquelle Staline a réussi à étouffer la sève démocratique au sein du Parti bolchévique puis de la Troisième Internationale doit nous interpeller.

Deuxièmement, le fonctionnement démocratique est celui qui permet la constitution d'un collectif vivant d'intellectuels et de former dans la lutte politique des générations de cadres aptes à jouer par la suite le rôle de dirigeants. C'est dans les débats internes à la LCR, au NPA ou à la CGT, autour d'orientations parfois contradictoires, que j'ai appris à affirmer mes propres convictions. C'est en participant à ce mouvement démocratique conflictuel qu'on devient un cadre militant. La formation intellectuelle est nécessaire, mais elle ne peut se substituer à la formation par l'action militante et le débat démocratique.

La direction révolutionnaire formée par ces cadres militants joue un rôle important dans le processus révolutionnaire, car il faut des hommes et des femmes à la pointe du combat pour proposer des orientations. Celles-ci sont évidemment le fruit d'une réflexion collective et d'un aller-retour dialectique permanent entre la théorie et la pratique d'une part et entre la base et la direction d'autre part. Et ces propositions deviennent des orientations effectives des organisations si elles sont validées démocratiquement par l'ensemble de leurs adhérents. Éluder la question du pouvoir de proposition des directions est dangereux car en l'absence de localisation du pouvoir, tout le pouvoir est, sans contre-pouvoir, au pouvoir existant. Dans le cadre de la FI, ce pouvoir constitué est Jean-Luc Mélenchon lui-même et les cadres avec qui il élabore les grandes orientations stratégiques de façon informelle.

Au moment où j'écris ces lignes, la FI est donc à l'heure des choix. Soit nous arrivons collectivement à faire le pari de la démocratie interne et la FI pourrait devenir cet outil du XXIe siècle au service d'une révolution écosocialiste, soit les voies de la refondation trouveront d'autres chemins. La seule chose qui transcende le temps dans un processus révolutionnaire, ce sont les organisations. Toutes les solutions populistes qui trouvent des raccourcis autour de dirigeants charismatiques sont vouées à l'échec.

Nous le voyons sur ce sujet, un des principaux verrous à la refondation politique, qui est aussi prégnant dans la rénovation syndicale, est l'obsession de contrôle des dirigeants. La lutte contre toutes les captations de pouvoir par une minorité doit devenir une marque de fabrique du camp écosocialiste. Ce point névralgique recouvre la lutte contre le patriarcat et la culture de la prédation : nos organisations doivent donc organiser méthodiquement la déprédation. Nous devons nous doter de statuts qui protègent les femmes de la domination masculine, les personnes racisées des réflexes racistes, les jeunes de l'omniprésence des plus vieux et les ouvriers de la domination des intellectuels. Pour cela, la rotation des mandats électifs et de direction au sein du parti et le strict non-cumul des mandats sont des principes cardinaux que nous devons absolument respecter.

Mais même si nous arrivons sur le long terme à refonder une force radicale écosocialiste qui fonctionne démocratiquement, elle ne pourra à elle seul permettre aujourd'hui une victoire électorale à des élections générales. C'est la conséquence de l'analyse de la situation politique française : il existe durablement une tripartition du champ politique français avec l'extrême droite, le centre droit et la gauche. Sans unité, la gauche peut difficilement gagner des élections générales ; mais la forme de l'unité et le périmètre du front sont des éléments importants. Nous devons penser les différents fronts électoraux, capables de mobiliser l'électorat populaire pour permettre des victoires ou, au moins, d'avoir des élus dans les différentes collectivités territoriales et au niveau de l'État central.

Nous devons évidemment viser une victoire à des élections générales pour entamer un affrontement avec les classes dominantes et une bifurcation de notre modèle économique. Mais il ne faut pas sous-estimer l'importance de l'ancrage local, donc de victoires plus locales. C'est un autre impensé de l'extrême gauche, partagé par la France insoumise de 2017 à 2022. L'absence de structuration locale pérenne de la FI avait comme autre corollaire une faible capacité à s'ancrer dans les collectivités territoriales. Or, une des grandes réussites du PS et du PCF a été précisément de s'ancrer durablement dans les territoires grâce au socialisme et au communisme municipal, puis à la gestion de départements et de régions. Ces étapes sont absolument indispensables dans la reconstitution d'un rapport de force global et ne peuvent pas être négligées. L'ancrage local charrie néanmoins aussi son lot de risques et de limites que nous ne devons pas non plus sous-estimer.

D'abord, la géographie du capital tend de plus en plus à affaiblir les collectivités territoriales : elles ont de nombreuses prérogatives, mais de moins en moins de moyens propres. De plus, le processus de métropolisation et la montée en puissance du rôle des régions ont progressivement dépouillé les acteurs historiques des territoires qu'étaient les départements et les communes. Cette dynamique de dessaisissement démocratique des collectivités territoriales a pour conséquence qu'elles disposent de moins en moins de moyens réels pour freiner la dynamique néolibérale. Pire, cette dernière passe par une mise en concurrence réglée des collectivités territoriales.

La participation de révolutionnaires à des exécutifs de ce type doit être bien réfléchie et dépend du rapport de force. En revanche, nous avons toujours intérêt à y avoir des élus au moins dans l'opposition pour exercer un contrôle démocratique et accumuler une connaissance des dossiers. La condition pour participer à des exécutifs est, selon moi, la même que pour un gouvernement : nous devons participer à des coalitions larges rassemblant toute la gauche et les écologistes, mais dont le centre de gravité reste la gauche radicale, incarnée en France par la FI ou le FDG dans la période récente.

C'est cette approche que j'ai tenté de mettre en œuvre avec d'autres au sein du Printemps marseillais. Nous avons partiellement échoué : il est donc intéressant de revenir sur cet épisode. Le Printemps marseillais est un mouvement initié en 2019, avant la campagne des municipales à Marseille, par des personnalités venant du PS (Benoît Payan), d'EELV (Michèle Rubirola), du PCF (Jean-Marc Coppola, ancien candidat du FDG à la mairie de Marseille), de la FI (Sophie Camard, la suppléante de Jean-Luc Mélenchon), de syndicalistes (Pierre-Marie Ganozzi) et de collectifs de citoyens situés au au centre gauche comme Mad Mars (autour d'Olivia Fortin). Ce mouvement a pris corps autour d'une tribune et s'est ensuite constitué avec notamment un exécutif, le parlement du Printemps marseillais, qui rassemblait les différentes composantes et auquel j'ai participé de juillet à décembre 2019.

Au cours de l'été 2019, nous avons réussi à rassembler la FI autour d'une participation au Printemps marseillais sous deux conditions : d'une part, le Printemps marseillais devait inclure les collectifs des quartiers populaires qui allaient durablement ancrer sa dynamique à gauche ; d'autre part, le ou la candidate à la mairie ne devait pas être issu du Parti socialiste, pour incarner une alternative. Hélas, nous avons échoué sur ces deux conditions, raison pour laquelle j'ai fait le choix de quitter le mouvement. Benoît Payan a finalement renoncé à être candidat et Michèle Rubirola a été élue. La victoire s'est faite avec les secteurs de droite du 6/8, mais sans les quartiers populaires des XIII et XIVe arrondissements où deux candidatures de gauche se sont maintenues au premier tour (dont une portée par la FI), division qui a été fatale dans ce secteur. Enfin, Michèle Rubirola a rapidement été contrainte de quitter sa fonction et Benoît Payan est devenu maire de Marseille.

Notons au passage que les maux dont souffrent la France insoumise en tant que mouvement gazeux se sont retrouvés dans le Printemps marseillais, dirigé d'en haut par un petit groupe de personnes qui ont ainsi préempté l'espace de l'union de la gauche. Par ailleurs, une partie d'EELV est restée en dehors du mouvement et a soutenu la candidature alternative de Sébastien Barles.

Cette histoire est emblématique des batailles, ici perdues, que nous devons mener pour que les victoires de la gauche soient ancrées du côté anti-libéral. Même si la mairie mène une politique globalement de gauche, une de ses premières mesures a consisté à restreindre le droit de grève des personnels assurant la pause du midi dans les écoles. Sur ce sujet, comme sur d'autres, la mairie de Marseille mène des politiques qui s'affrontent directement aux revendications du mouvement social et notamment des syndicats de transformation sociale que sont la CGT, FSU et Solidaires. Le risque est grand que la seconde ville de France voie s'opérer un divorce entre le mouvement social et une mairie de gauche, qui risque d'aggraver l'éloignement du peuple de gauche et de la gauche institutionnelle.

Ce divorce a souvent eu par le passé des conséquences durables. Le peuple de gauche est ainsi resté longtemps marqué par les renoncements de Mitterrand après le tournant de la rigueur de 1983, ceux de la gauche plurielle de 1997 à 2002 qui ont conduit à l'échec de Lionel Jospin en 2002 ou ceux de Hollande qui ont mené la gauche à ses scores les plus faibles. Ces échecs de la gauche au pouvoir ont aussi eu des conséquences dans les collectivités territoriales : c'est le cas de la région Paca, longtemps dirigée par la gauche avec Michel Vauzelle, gauche qui n'arrive même plus à se maintenir au second tour depuis 2014 ! Quand nous arrivons dans des exécutifs, il est donc absolument essentiel que le centre de gravité soit une gauche d'affrontement avec la logique de prédation du capital et du productivisme.

C'est pour cela que l'expérience de la Nupes est si importante. Elle nous a permis de construire une unité dans un temps record autour d'un programme de plus de six cents mesures qui vise à transformer radicalement la société. Nous avons là un cadre d'alliance électorale rêvé. Il est d'abord extrêmement large, puisqu'il rassemble la gauche modérée du PS, l'écologie politique réformiste d'EELV, le PCF, mais aussi la FI et qu'il inclut l'extrême gauche avec notamment le Parti ouvrier indépendant, un élargissement à une partie du Nouveau parti anticapitaliste semblant possible. D'autre part, le centre de gravité est bien à gauche puisque la FI est la force principale du regroupement et dispose du plus grand nombre de députés.

Cette initiative a réussi grâce à un rapport de force construit pendant l'élection présidentielle : il aura fallu la division à l'élection présidentielle, l'échec de candidatures plus modérés et le succès de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Se battre uniquement pour l'unité de la gauche conduit en général à la subordonner à sa fraction la moins radicale. La stratégie de la FI a été la bonne : il fallait d'abord remobiliser les classes populaires autour d'un programme de rupture et d'affrontement avec la logique du capital ; puis, la force venant à la force, les citoyens plus sensibles à la gauche modérée ont fini par voter Jean-Luc Mélenchon. Nous avons ainsi subordonné le comportement électoral des franges modérées de la gauche aux intérêts de classe des couches les plus populaires232. C'est la voie que nous devons continuer à suivre. En revanche, ne nous illusionnons pas : le score à la présidentielle de 2017 et de 2022 ne représente pas le vrai rapport de force au sein de la société entre les différentes composantes de la gauche et de l'écologie politique.

Quelles sont nos tâches pour que la Nupes gagne les prochaines élections générales, soit à la suite d'une dissolution de l'Assemblée nationale, soit lors de la prochaine élection[2] présidentielle en 2027 ? D'abord, la Nupes doit être renforcée sur tout le territoire avec des assemblées de militants, de circonscriptions ou de villes, partout où c'est possible. Ces assemblées doivent toujours impliquer au mieux toutes les composantes de la Nupes. Le patient travail unitaire doit se poursuivre localement en prenant appui sur les campagnes nationales initiées par les forces politiques ou l'inter-groupe parlementaire. Hélas, à l'heure où j'écris ces lignes, c'est plutôt la division que semblent choisir les différents appareils politiques qui composent la Nupes. Quand bien même cette division l'emporterait, dans des institutions favorisant le fait majoritaire, l'unité demeurera nécessaire à cause de la tripartition du champ politique français et du risque néofasciste.

Ensuite, en tant que parlementaires, il est de notre responsabilité de faire vivre la Nupes au parlement et de parler d'une seule voix à chaque fois que c'est possible. Mais, pour gagner aux prochaines élections, la Nupes doit encore convaincre différentes franges de la population que nous disposons de solutions pour surmonter les crises sociales, économiques et écologiques. Différentes catégories de populations doivent être visées par notre discours. D'abord, il nous faut continuer notre travail de mobilisation des classes populaires notamment à travers un programme social ambitieux attaché à l'universalisation des droits. Il nous faut traduire ce programme en une série de mesures de transition simples et compréhensibles par toutes et tous. Par exemple, nous devons défendre l'indexation des salaires et de tous les revenus sur l'inflation, en expliquant que ce n'est pas aux salariés de payer la spéculation actuelle sur les matières premières et sur l'énergie. De façon complémentaire, le blocage des prix alimentaires et de l'énergie ainsi que l'encadrement des loyers doivent être mis en avant : voilà une autre facette de la lutte des classes pour une plus juste répartition de la valeur ajoutée.

Sur le long terme, un service public du logement doit être fondé pour construire massivement des logements sociaux et organiser la rénovation globale de tous les logements afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de limiter notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et des pays du Golfe. Un véritable service public unifié de l'énergie et des transports doit également permettre la bifurcation de notre modèle énergétique vers 100 % d'énergies renouvelables et des transports en commun plus fréquents, gratuits pour toutes et tous.

Bien sûr la mise en œuvre d'un tel programme d'urgence requiert une plus juste répartition des richesses, donc une décapitalisation des multinationales françaises. Nous devons assumer ce nécessaire affrontement. Bernard Arnault est devenu la première fortune mondiale avec 213 milliards d'€ : s'il redistribuait cette somme à chacun des 157 000 salariés de son groupe qui ont travaillé pour qu'il puisse amasser cette fortune, chacun d'eux recevrait 1,35 millions d'€. Il est possible de faire prendre conscience au plus grand nombre que la redistribution des richesses ouvre des possibilités gigantesques pour nos sociétés en matière de justice sociale et de bifurcation écologique.

Cependant, le risque de victoire du fascisme en France avec le Rassemblement national et Reconquête devient de plus en plus sérieux. Des puissances d'argent soutiennent désormais activement cette possibilité : c'est le cas notamment de Vincent Bolloré, devenu entre autres patron de CNews, d'Europe 1, du Journal du dimanche et de Paris Match. Le risque d'une union des droites est réel avec l'évolution actuelle des Républicains, écartelés entre le pouvoir macroniste qui se droitise et la menace RN.

Face à ces dynamiques de droitisation de la société française, la Nupes doit être capable elle aussi de reconquérir les classes moyennes supérieures qui votaient François Hollande et sont parties durablement chez Emmanuel Macron. Elle doit aussi pouvoir s'adresser à l'ancienne petite bourgeoisie commerçante et industrielle en partie polarisée par l'extrême droite, mais qui pourrait vouloir faire barrage au second tour à un président des riches qui ne représente pas ses intérêts.

Dans ce contexte, il est difficile de parler à tous les électorats. Mais je pense que, maintenant que nous sommes en position de reconquête globale à gauche avec la Nupes et que la FI y tient la position dominante, nous avons moins besoin du bruit et de la fureur, stratégie revendiquée par Jean- Luc Mélenchon pour nous faire entendre. Comme l'avance François Ruffin, il faut se « soc-démiser » sur la forme et rassurer les électorats qui pourraient se détourner de nous du fait du bruit et de la fureur. Pour parler aux couches populaires, nous avons surtout besoin d'un discours simple et efficace, radical sur le fond mais sobre sur la forme. Enfin, il n'existe pas de raccourcis médiatiques qui nous permettraient de convaincre les masses par des interventions radicales dans les médias car, nous l'avons vu, les espaces médiatiques nous sont défavorables. Nous devons surtout retrouver massivement le contact du terrain, ce qui passe par un déploiement le plus large possible sur tous les territoires.

Or ce déploiement n'est pas possible sans une structuration démocratique de la FI d'une part et sans une unité sans faille au sein de la Nupes d'autre part. La FI et la Nupes doivent donc réinventer des moyens de faire de la politique ensemble en faisant participer activement le plus grand nombre. Si nous y parvenons, je reste persuadé qu'une victoire électorale de la gauche sur une base de transformation radicale de la société est possible.

Notes

[1] Manuel Cervera-Marzal, Le Populisme de gauche, La Découverte, 2021.

[2] Avec une double limite tout de même : d'abord, la gauche n'a pas été présente au second tour de l'élection présidentielle ; ensuite, cette unité a avant tout été électorale.

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Plus d’immigration, moins de problèmes… si on les accueille et intègre

30 janvier 2024, par Marc Bonhomme — , ,
La CAQ casse du sucre sur le dos de l'immigration depuis qu'elle existe. C'est dans ses gênes venant de l'ADQ. Elle vient de gagner le parti Libéral du Canada à son idéologie (…)

La CAQ casse du sucre sur le dos de l'immigration depuis qu'elle existe. C'est dans ses gênes venant de l'ADQ. Elle vient de gagner le parti Libéral du Canada à son idéologie identitaire pour les besoins de la cause soit l'incapacité du gouvernement fédéral (et du Québec) de faire face à l'aigue crise du logement en tête du palmarès inflationniste.

Le gouvernement canadien et québécois, pour résoudre la pénurie de main-d'œuvre à la satisfaction du patronat malgré un relativementhaut taux d'emploi tel que jaugé depuis l'an 2000, ont ouvert comme jamais les vannes de l'immigration, cette armée de réserve jadis surtout interne, particulièrement l'immigration temporaire :

Notons l'hypocrisie discoureuse de l'un et l'autre gouvernement. Pendant qu'ils accéléraient l'immigration temporaire, ils débattaient publiquement de seuils d'immigration permanente, Ottawa à la hausse et Québec à la baisse. Si la servilité d'Ottawa vis-à-vis le patronat était totale, la CAQ trébuchait sur son nativisme tout en donnant satisfaction au patronat par la porte arrière. La CAQ s'est finalement rajusté. Ottawa, tout en confirmant son haut seuil d'un demimillion d'immigration permanente l'an sous prétexte de le stabiliser pour cause de crise du logement, a corrigé certaines passoires hors Québec pour de faux étudiants alors qu'il bloquait de vrais étudiants francophones pour le Québec et qu'il donne raison au Québec sur le dos des demandeurs d'asile surtout mexicains.

La réponse de gauche serait-elle celle du PQ, seul contre tous, qui prône une baisse drastique de l'immigration permanente, et sans doute temporaire, afin de soulager la pression sur le logement et surtout pour protéger le français en particulier à Montréal ? La Banque Nationale, représentative des PME québécoises, par un rapport très médiatisé ajoute au prix du logement comme prétexte de restriction l'écart du niveau de vie canadien par rapport aux ÉU et rien de moins qu'un début de tiersmondisation au visage d'une baisse de stock de capital réel par personne.

Effectivement, depuis au moins une dizaine d'années, la croissance de la productivité canadienne est parmi les plus basses des pays de l'OCDE mais sur cette période elle est quand même plus élevée que la moyenne des 28 pays de l'Union européenne. Quant à celle québécoise, mesurée en PIB par habitant, elle rattrape celle de l'Ontario à petit pas depuis une quarantaine d'années.

Il n'en est pas moins exact que le tsunami de personnes résidentes non permanentes (RNP) qui commande de bas salaires et de mauvaises conditions de travail est un substitut aux investissements productifs élevant la productivité du travail par la hausse du ratio capital / travail… mais non son élévation par la hausse de l'intensité du travail ou même par l'allongement des heures de travail si on mesure la productivité par travailleur et non par heure de travail… en autant que ces heures soient statistiquement comptabilisées. Côté logement, les RNP sont beaucoup plus locataires que le reste de la population et leur arrivée massive en peu de temps n'a pas pu faire autrement que de contribuer à la hausse des loyers. Mais comme le dit justement le Conseil du patronat(CPQ), « les chiffres révèlent que les villes du Québec ayant le plus faible taux d'inoccupation se trouvent en région, là où le pourcentage de population immigrante est le plus bas. » Si l'immigration peut mettre en évidence la crise du logement à Montréal, et peut-être le recul du français, elle n'en est en rien la cause fondamentale.

Pour le CPQ, cette cause est le retard de la productivité de l'industrie de la construction au Québec par rapport à celle de l'Ontario. La CAQ est pleinement d'accord et compte y remédier dès la présente session par une loi exigeant plus de « flexibilité » et de « mobilité » à distinguer d'une politique gouvernementale de formation, de féminisation et de pluralisation qui, il est vrai, peut être un défi pour les syndicats de la construction. On se dit que la meilleure parade contre l'antisyndicalisme de la CAQ serait une contre-offensive des travailleurs contre le corporatisme moyenâgeux de cette industrie sans remettre en question niveau salarial et conditions de travail. Autrement, on pourrait voir la CAQ jouer la carte de travailleurs temporaires à rabais tant pour la rémunération que pour la formation. À noter que la cause des travailleurs de la construction s'en trouverait renforcé par un rebondissement de la lutte du secteur public justement à l'encontre de la « flexibilité » et de la « mobilité ».

La solution Solidaire, faute de l'encadrer dans l'alternative pro-climat, rate la cible

On compte sur Québec solidaire pour incarner une politique d'immigration de gauche. Son député-expert y est allé d'une longue prise de position écrite (et deux entrevues-choc) les 22 et 23 janvier. Après avoir renvoyé dos-à-dos les positions « radicales » tant du PQ que des Libéraux fédéraux mais en ne critiquant fort pertinemment que celle du PQ des « petites phrases », il affirme que « l'immigration temporaire […] dépasse sa capacité d'accueil en ce moment… » tout en ajoutant qu'elle a « une importance considérable pour la vitalité économique du Québec et de ses régions » et qu'en même temps elle fait « plaisir aux entreprises » ce qui explique que la CAQ n'a pas exercé la totalité des pouvoirs du gouvernement du Québec pour la restreindre. Après cette tape amicale dans le dos du PQ, le député-expert en donne une dans le dos de la CAQ en précisant qu'« [i]l faut toutefois que le Québec respecte sa capacité d'accueil en prenant en charge une part juste des demandeurs d'asile qui arrivent au Canada ». On comprendra que la tergiversation Solidaire alimente la critique de la presse Libéral.

Quelle est la solution Solidaire ? Pour la capacité d'accueil, faut-il s'en étonner, le député-expert botte en touche en demandant « un comité d'experts pour répondre à la question. » Pourtant la réponse a peu à voir avec la science, comme il le prétend, mais beaucoup avec la politique d'accueil… ou de fermeture. Une telle politique d'accueil a, elle, beaucoup à voir avec la science, celle à la base des rapports du GIEC-ONU, qui commande une politique de plein emploi écologique basée sur le « prendre soin » des terre-mères et des gens. On en trouvera les lignes directrices en annexe.

Côté logement, il y faudra certes une corvée-habitation comme le réclame Québec solidaire. Mais pourquoi, diable, passer sous silence la revendication-phare, pourtant minimaliste, de la dernière campagne électorale de la construction de 5 000 logements sociaux écologiques par année. (Pour faire baisser les loyers privés il en faudrait 25 000 l'an soit 50% de la construction annuelle comme jadis en Suède.) La construction de logements sociaux, dont le loyer est basé sur la capacité de payer, est au cœur de la solution à la crise du logement due non pas seulement à la spéculation mais structurellement à la financiarisation du droit au logement. Il serait alors possible non pas de restreindre l'immigration temporaire mais plutôt de lui substituer celle permanente ce qui lui permettrait, en toute égalité citoyenne indispensable à la démocratie, de se syndiquer pour lutter contre le patronat et son gouvernement tous et toutes ensemble.

Marc Bonhomme, 27 janvier 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

Annexe : Lignes directrices d'un plan climat pour le Québec

La contradiction fondamentale écologique à résoudre n'est pas celle entre extractivisme ancien et bien connu des hydrocarbures versus celui en émergence rapide du tout-électrique. Dans un contexte de croissance, inhérente au capitalisme, le nouvel extractivisme se superpose à l'ancien. La contradiction fondamentale à résoudre est celle entre l'extractivisme croissanciste et la sobriété décroissanciste. En termes pratiques,

• Non pas un Canada financier, pétrolier et rejetant le Québec même « autonome » mais un Québec indépendant socialisant finance, énergie, transport et ressources naturelles ;
• Non pas une énergie fossile ou celle dite propre mais une réduction drastique d'énergie par personne à bien-être égal avec une transition d'efficacité énergétique et d'énergie propre ;
• Non pas entre véhicules à essence et ceux électriques mais entre véhicules privés et transport actif et en commun avec une transition de véhicules communautaires ;
• Non pas entre maisons passoires et celles écoénergétiques mais entre maisons et habitation collective écoénergétique et une transition de bâtiments existants rendus écoénergétiques ;
• Non pas entre ville tentaculaire hydrocarbonée et une tout-électrique mais entre ville tentaculaire et ville de quartiers 15 minutes avec agriculture urbaine et parcs nature ;
• Non pas une agro-industrie-foresterie ou une « nouvelle agriculture » carnée mais une souveraineté alimentaire biologique, végétarienne captant du carbone et à circuit court ;
• Non pas une consommation de masse, même circulaire, mais une durable sans mode ni publicité et avec garantie de réparation ou de remplacement accessible et bon marché ;
• Non pas un transport lourd de marchandises par camions, à essence ou électrique, mais par trains électriques, par navires à énergie renouvelable et un transport léger électrique ;
• Non pas une politique financière internationale néolibérale mais une de remboursement de la dette écologique telle qu'établie par une commission pluraliste ;
• Non pas une politique d'immigration restreinte mais une de frontières ouvertes combinée à une politique d'accueil, de francisation et de plein emploi priorisant le « prendre soin ».

Un plan climat guidé par ces lignes directrices permet de passer d'une société assise sur la marchandise (ou la valeur d'échange) à une assise sur l'utilité sociale et durable (ou valeur d'usage) des produits et services. Guidée non pas par le profit mais par la planification démocratique combinée à l'autogestion, cette société peut muer en 10 ans comme le Québec capitaliste de la « révolution tranquille » a mué d'une société traditionnelle à une moderne.

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