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La croisade de St Déni

6 février 2024, par Barbara Cardin — , ,
Bonne année à tous ! J'espère que vos fêtes se sont bien passées, ici en France l'actualité a comme toujours été étouffée sous la dinde aux marrons et noyée dans le champagne. (…)

Bonne année à tous ! J'espère que vos fêtes se sont bien passées, ici en France l'actualité a comme toujours été étouffée sous la dinde aux marrons et noyée dans le champagne. Enfin pour ceux qui peuvent encore se le permettre, de moins en moins nombreux …

Fini la guerre en Ukraine, exit le génocide des palestiniens, plus un mot sur ceux qui meurent de froid dans nos rues, il faut de la gaîté, des paillettes, des milliers d'ampoules clignotantes ! Cette année 2024 sera celle de la France car c'est l'année des Jeux Olympiques, prétexte idéal pour lancer un grand nettoyage du pays. Dehors les immigrés qui font peur, dehors les bouquinistes des quais de Seine qui font désordre, on va pouvoir augmenter tous les prix, faire exploser le marché locatif, doubler les tarifs des transports en commun ! C'est la fête !!! On pourrait même aller jusqu'à réquisitionner les logements des étudiants boursiers durant les jeux pour les louer à prix d'or aux touristes naïfs, tant qu'à faire … Où iront les étudiants ? À la soupe populaire ça ne les changera pas de leur quotidien, plusieurs milliers y vont déjà.

De nouveaux menteurs à l'Elysée

Cette rentrée a aussi été celle d'un « changement de gouvernement ». Je mets des guillemets parce que finalement peu de choses ont changé … notre ministre de l'économie ultra libéral reste le même, notre ministre de l'intérieur qui échange des logements sociaux contre des faveurs sexuelles reste le même … notre ministre de la justice jugé pour conflit d'intérêt en plein mandat reste le même... Ce qui change c'est le premier ministre, exit Elisabeth Borne, usée par ses 23 recours à l'article 49.3, et bienvenue au nouvel enfant prodige de la Macronie, Gabriel Attal.

Attal est un pur produit de l'entre soi parisien, sa vie tient sur un rayon de 6km, jamais il n'aura à mettre un pied en dehors des beaux quartiers. Père riche producteur de cinéma, mère héritière d'une longue lignée d'hommes politiques datant du 18ème siècle, il fait sa scolarité à la prestigieuse école Alsacienne puis intègre l'Institut d'études Politiques de Paris. Il entre dans la vie politique sans jamais avoir travaillé un seul jour dans sa vie, il gravit les échelons avec une rapidité déconcertante jusqu'à devenir le petit chouchou d'Emmanuel Macron, qui le nomme en 2023 ministre de l'éducation nationale alors qu'il n'a jamais été à l'école publique républicaine. À seulement 34 ans il devient le plus jeune premier ministre français.

On pourrait se dire qu'un jeune dirigeant apportera un peu de fraîcheur … ça serait mal connaître le conservatisme de nos élites parisiennes ! Attal compose un gouvernement digne de la plus coincée des droites et confirme officiellement ce que tout le monde savait déjà ; la Macronie a basculé à droite toute. Il va jusqu'à nommer Rachida Dati, Sarkosiste de la première heure et impératrice de la vulgarité, ministre de la culture !!! Rappelons que notre nouvelle ministre botoxée est mise en examen pour corruption et abus de pouvoir …
Mais le petit bijou de ce nouveau gouvernement, celle dont je veux vous parler aujourd'hui c'est Amélie Oudéa Castera. Ancienne ministre des sports, elle devient par un coup de baguette magique ministre de (accrochez vous bien...) l'Éducation Nationale, de la Jeunesse, des Sports, des Jeux Olympiques et Paralympiques (et des tondeuses à gazons et rasoirs jetables) !

Je ne sais pas vous, mais de mon point de vue l'Éducation me paraît être un sujet majeur, si ce n'est LE sujet principal qui devrait concerner les politiques publiques. Fourrer l'éducation dans un ministère du tout et du rien, sous la même responsabilité que les JO qui vont demander énormément d'investissement, cela montre bien le peu d'intérêt que nos dirigeants accordent aux générations futures.

Mais cela nous fait assez de nouvelles déprimantes, passons aux réjouissances ! Car vous allez voir qu' Amélie Oudéa Castera (AOC pour les intimes, une AOC à la française loin de son homonyme américaine) est un véritable cadeau offert aux oppositions et à la presse indépendante. Depuis sa nomination elle nous régale avec un enchaînement de gaffes que même Mister Bean n'aurait pas osé.

Le dénigrement de l'école publique

Prenons les faits chronologiquement : le 11 janvier, cette ancienne directrice du CAC 40 (elle a dirigé Axa puis Carrefour), nièce de deux de nos journalistes les plus installés, épouse de celui qui fut directeur de la Société Générale pendant la crise financière (banque à l'origine de l'affaire Kerviel et croulant sous les condamnations judiciaires) et actuel dirigeant de la très controversée entreprise pharmaceutique Sanofi … rien que ça, est nommée ministre de l'éducation (et de plein d'autres trucs …).

Une heure après sa nomination, Médiapart l'interroge sur l'école Stanislas où elle a choisi de scolariser ses trois enfants. En effet, ce qui fait tache d'huile c'est que l'école Stanislas est une prestigieuse école privée parisienne, ultra catholique, sous contrat avec l'état et recevant plus d'un millions d'euros de fonds publics. Une école privée accusée par plusieurs médias de sérieuses dérives racistes, misogynes, homophobes et dans le viseur de l'inspection. Prise de cours par ses nouvelles responsabilités, la ministre botte en touche et promets de répondre plus tard.

Le lendemain, elle fait son premier déplacement officiel, accompagnée du premier ministre, qui est aussi son prédécesseur au ministère de l'éducation, dans un collège des Yvelines. Mediapart l'attend de pied ferme, le matin même ils ont publié un article révélant les choix très réactionnaires de la ministre. Quand ils la questionnent devant les caméras, elle ne tente pas d'esquiver comme avaient l'habitude de faire ces prédécesseurs (dont la plupart mettaient eux aussi leurs rejetons dans le privé). Au contraire, elle déclare dans une prestation Actor Studio : « Vous êtes totalement dans le procès d'intention ! Je n'esquiverai pas votre question … je voudrais relever que si on commence dès le premier jour sur des attaques personnelles c'est parce que ce que j'ai pu exprimer ce matin était inattaquable sur le fond. Alors très bien ! Allons sur le champ du personnel, allons y ! »

Elle dit qu'elle va nous raconter « une histoire », celle de son aîné qui aurait commencé sa scolarisation à l'école publique, dans une école publique qu'elle cite nommément. Elle nous parle ensuite, des trémolos dans la voix, de « la frustration de ses parents qui avons vu des paquets d'heures qui n'étaient pas sérieusement remplacées. Et à un moment on en a eu marre, comme des centaines de milliers de familles qui ont fait le choix d'une solution différente. » Elle prétend que Stanislas était un choix de proximité et que « désormais nous nous assurons que nos enfants sont non seulement bien formés, avec de l'exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux et qu'ils sont heureux, épanouis, qu'ils ont des amis, qu'ils se sentent en sécurité, en confiance. » Elle ajoute, comme si ça n'était pas suffisant : « Avant de stigmatiser les choix des parents d'élèves, il est important de rappeler que l'école, c'est celle de la république, et que la république travaille avec tout le monde dès lors qu'on est au rdv ».

Bon … l'équipe de communication derrière elle est en panique, le premier ministre est livide et Médiapart se frotte les mains ! La ministre de l'éducation nationale vient de critiquer sans ménagement son propre ministère, responsabilisant par là son prédécesseur, Gabriel Attal ! Mais ça va bien au delà de ça, elle suggère avec peu de subtilité que tout bon parent soucieux de l'éducation de ses enfants devrait les mettre dans le privé car dans le public ils ne sont pas heureux, pas en sécurité et mal formés !!! La privatisation de l'éducation est en marche … C'est évidemment un scandale immédiat. Les syndicats de professeurs et de parents d'élèves sont révoltés, la ministre est raillée pour son ton factice et condescendant, et notre presse indépendante ne compte pas en rester là.

Trois jours plus tard, c'est le journal Libération qui révèle le témoignage de l'ancienne institutrice des enfants de la ministre. Outrée, elle assure n'avoir jamais été absente durant la brève scolarisation du fils aîné d'AOC dans le public, qui n'a en vérité duré que six mois. Le garçon a été scolarisé en cours d'année alors qu'il n'avait pas encore l'age d'entrer en maternelle, mais ses parents ont insisté et l'école leur a fait cette faveur. Il n'était présent en classe que le matin. Selon l'institutrice, c'est le refus de le faire passer en niveau supérieur qui a motivé son retrait de l'école. AOC voulait que son fils ait une année d'avance, l'équipe enseignante estime que ça n'est pas dans l'intérêt de l'enfant, alors la ministre le retire de l'école publique pour le mettre dans une école privée qui accepte ses exigences.

Mise face à ce témoignage corroboré par les collègues et les parents d'élèves, la ministre bafouille, parle « d'éléments à coté de la vérité », dit comprendre « le ressenti » des professeurs mais maintient le fait que ce sont les heures non remplacées qui ont motivé son choix. Seulement voilà … les registres de l'école et les très nombreux témoignages de membres de l'équipe enseignante et de parents d'élèves lui donnent tort. Alors elle s'empêtre dans ses mensonges, prétendant ne pas se souvenir des dates de scolarisation de son aîné (oui oui, cette maman exemplaire qui nous dit que ses priorités sont le bien être de ses enfants ne se souvient pas de la première rentrée scolaire de son premier enfant … normal !). Les syndicats enragent, tout comme les communicants du gouvernement qui s'arrachent les cheveux, et elle est obligée de se rendre à l'école en question pour faire ses excuses. En digne macroniste elle refuse pourtant d'assumer pleinement ses mensonges et ose se victimiser, se disant « malheureuse d'avoir blessé l'équipe enseignante », mettant en avant son « expérience de maman », se plaignant de « harcèlement » de la part des médias et demandant à ce que ce chapitre « des attaques personnelles » soit clos. Culottée !!! Elle reçoit en réponse des huées virulentes et toujours plus de reproches.

Que ce soit durant ses déplacements ou à l'assemblée nationale, la ministre ne parvient pas à prendre dignement ses fonctions, et l'opposition la renomme ironiquement « la ministre de l'éducation, de la jeunesse, des sports et du mensonge. » Elle a perdu toute crédibilité avant même de se mettre au travail.

Mais la descente aux enfers d'AOC ne s'arrête pas là … Médiapart la questionne sur son choix d'école privée : le prestigieux établissement Stanislas. En effet, huit mois plus tôt, le média indépendant avait publié des révélations faisant état de cas de racisme et d'homophobie à Stanislas. Des révélations suffisamment sérieuses pour déclencher une inspection dont les conclusions (accablantes) ont été remises au ministère de l'éducation cet été. Pourtant, Mme la ministre du mensonge prétend que ce rapport n'est pas sur son bureau, et semble vouloir nous faire croire qu'il n'existe pas. Qu'à cela ne tienne, Médiapart publie ce fameux rapport. Et là … accrochez vous !

Un enseignement sectaire

Pour commencer en beauté, Stanislas ne respecte tout simplement pas la loi en imposant des cours de catéchisme à tous ses élèves de la maternelle à la classe prépa. La France est un état laïque, il est par conséquent inconcevable qu'un établissement recevant 1,3 millions d'euros de financements publics annuels puisse obliger les étudiants à suivre un enseignement religieux. Mais cela va plus loin car, selon le rapport, le contenu de ces cours est également problématique : « Certains catéchistes expriment des convictions personnelles qui outrepassent les positions de l'Église catholique, par exemple sur l'IVG en tenant des propos remettant en cause la loi, ou susceptibles d'être qualifiés pénalement sur l'homosexualité »

Il existe de nombreux témoignages d'élèves qui rapportent des propos totalement délirants proférés par des intervenants en cours de catéchèse. L'une d'elle par exemple aurait déclaré que « l'avortement était encouragé parce que les fœtus étaient utilisés pour des médicaments, le Doliprane notamment ». Un autre que « Francois Hollande était un danger pour la République puisqu'il défendait la théorie du genre ».
Je vous laisse une seconde pour imaginer le scandale si ces propos avaient été tenus dans une école musulmane !

Le rapport révèle également un discours révoltant sur l'homosexualité, comme ce que rapporte ce témoin sur un des intervenants : « Il nous a parlé de l'homosexualité comme d'une maladie, et que si l'on se sentait homosexuel, il fallait se faire soigner dans une structure religieuse au Canada, que l'homosexualité venait du fait que quand la mère enceinte trompe son mari ou que son mari trompe sa femme, le bébé ressent tout et a le cœur brisé ; il nous a parlé de sodomie également. Il nous a parlé de viol, en disant qu'il fallait pardonner au violeur et que c'était difficile. »

Ou encore cet enregistrement de l'intervenant star de Stanislas, Philippe Ariño (célèbre auteur homosexuel catholique prônant l'abstinence), dans lequel on l'entend déclarer à une classe d'adolescents : « On peut ne pas être d'accord avec ce que vivent les homo (…) la bible condamne les actes (…) les personnes homosexuelles dans le milieu se détestent. En général l'amitié est très difficile (…) ça dit quelque chose de la nature idolâtre du désir homosexuel. » Charmant …

Mais ça ne sont pas seulement les enseignements religieux qui posent problème, les programmes de Sciences et Vie de la Terre et d'Enseignement Moral et Civique ne sont pas respectés et les cours d'éducation à la sexualité (normalement obligatoires) sont remplacés par des séances « d'éducation affective ». Dénoncées par les élèves, ces séances sont non mixtes et mettent volontairement à distance la sexualité, nous dit le rapport d'inspection. À propos de l'une des dernières intervenantes un témoin déclare aux inspecteurs avoir entendu « des choses aberrantes, par exemple que les hommes ont des pulsions que les femmes n'ont pas et qu'elles doivent subir… ».

Le rapport va jusqu'à affirmer : « Le parti pris de certains professeurs de SVT de ne pas parler des infections sexuellement transmissibles (IST), les propos tenus lors des conférences d'éducation à la sexualité sur les dangers de la contraception chimique, et enfin les dérives relevées en catéchèse sont susceptibles pour la mission de porter atteinte à la santé des élèves ».

Interrogé par la presse, le directeur affirme avoir mis de l'ordre dans tout ceci … tout comme il l'avait déjà affirmé quelques années auparavant quand d'autres articles avaient déjà soulevé ces problèmes.

Au delà de ça, le personnel encadrant, notamment les préfets, sont mis en cause pour des méthodes brutales et humiliantes, particulièrement en ce qui concerne les tenues et les coiffures des jeunes filles (moins nombreuses et clairement mises à part et négligées). Le rapport parle notamment d'une jeune fille ayant subi une agression sexuelle en dehors de l'établissement. « Elle évoque un rendez-vous fixé avec ses parents au cours duquel elle a été contrainte de les informer de cette agression, “sinon ce n'était pas vrai ou sérieux”, la menace d'exclusion, les remarques humiliantes à répétition », relèvent les inspecteurs. « La pédagogie de Stan est violente. Leur but est que les élèves donnent le meilleur d'eux-mêmes, non pas en les encourageant, mais en les rabaissant »

Et le comble, Mediapart révèle que le ministre de l'éducation nationale (à l'époque notre actuel premier ministre Gabriel Attal) avait été alerté par un parent d'élève qui dénonçait l'exclusion injuste de sa fille. Les inspecteurs confirment l'intégralité de ces accusations et montrent que la direction de Stanislas a « dissimulé la vérité » et même « monté dans la précipitation » un dossier à charge pour tenter de justifier l'exclusion de la jeune fille et travestir ses motifs. Ils accusent à tort cette élève d'avoir harcelé des camarades. « Il ressort des pièces transmises que le problème posé par cette élève se situe ailleurs, dans un conflit personnel entre le préfet et elle, relayé par le censeur – directeur du lycée, en raison en réalité de ses prises de position assimilées à du militantisme(…) cette affaire témoigne de la méthode brutale employée par l'établissement pour écarter une élève brillante qui ne correspond plus à “l'esprit Stan” et qui pourrait influencer d'autres jeunes », relèvent-ils.
L'un des préfets de l'établissement reprochait à cette jeune fille de porter « un pull LGBT » et était, selon plusieurs témoignages, « familier de propos homophobes et d'insultes envers les filles qu'il ne trouve pas assez féminines ». Cette exclusion arbitraire a été décidée sans passage en conseil de discipline, sans consulter les professeurs de l'élève en question et sans aucun accompagnement pour aider l'élève à trouver un autre lycée.

A Stanislas, le sexisme est omniprésent, par exemple l'internat de classe prépa a une capacité d'accueil de 473 places pour les garçons contre 98 pour les filles. Les classes de garçons sont situées dans le bâtiment central alors que les classes mixtes et de filles sont dans un bâtiment à part, excentré de la vie du campus.

Dans un livret remis aux élèves masculins de seconde (15 ans) intitulé « Tu seras un homme », on explique aux adolescents que les hommes sont soumis à des passions violentes, c'est pourquoi les filles ne doivent pas les exciter avec des tenues provocantes. On peut également y lire que « les héroïnes n'existent pas » ! Dans l'esprit tordu des auteurs, seuls les héros peuvent exister … au premier rang de ces héros figurent je suppose les inquisiteurs de la belle époque.

Le rapport d'inspection, qui se conclut

par une bonne dizaine de recommandations pour se conformer aux lois, est clair « La mission relève sur vingt ans une préoccupation constante de l'apparence du corps féminin, qu'il faut cacher : vêtements opaques, épaules (couvertes), ventre (hauts sur le bas des hanches), cuisses (longueur des jupes et des robes), poitrine (pas de décolletés). Ce niveau de détails relève du sexisme. Il renvoie la jeune fille à une image sexuelle de son corps qui attire et perturbe les garçons. »


Les règles ne sont pas faites pour les élites

La publication de ce rapport a mis le gouvernement très mal à l'aise et il leur a fallu redoubler de langue de bois pour esquiver les questions. Non seulement notre ministre de l'éducation a mis ce rapport scandaleux au placard, mais elle a surtout fait des choix en totale contradiction avec sa mission ministérielle pour ses propres enfants. En effet, quand elle fait le choix de placer ses enfants dans des classes non mixtes, la mission de son ministère est quand à elle de « favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes » dans tous les établissements. C'est gênant …

Promettant qu'elle va se pencher sur l'affaire, que les révélations de Médiapart concernent des habitudes passées et que Stanislas a changé, la défense de la ministre se concentre avant tout sur ce qu'elle prétend être des attaques personnelles et met en avant le libre choix de tout parent pour l'éducation de ses enfants. Même le choix de ne pas respecter nos lois ???

Quelques jours plus tard, Mediapart, qui n'en a pas fini avec AOC, sort de nouvelles révélations dont elle se serait bien passée : l'un de ses fils a bénéficié d'un contournement de Parcoursup.

Parcoursup est une des premières et des pires réformes de Macron sur l'éducation. Le principe est catastrophique : les élèves en fin de lycée doivent formuler dix choix maximum pour leur avenir et envoyer leur dossier dans ces dix établissements via une plate-forme numérique en bug permanent (évidemment il existe certaines filières d'exception dites « sélectives » menant à des métiers plus valorisés que les autres et pour lesquels les frais de dossier sont payants … histoire de faire un premier tri …). Puis les étudiants attendent le verdict dans un stress inimaginable. Le concept fonctionnant uniquement par une plate-forme web est très vivement critiqué pour son caractère anxiogène, son opacité et surtout sa lenteur. Nous connaissons tous des étudiants qui, à une semaine de la rentrée universitaire, sont toujours sur liste d'attente et ne savent pas encore quelle filière ils pourront emprunter, quel sera leur avenir … avec tous les problèmes logistiques que cela cause, notamment au niveau des logements.

Bref, Parcoursup c'est la plaie de tous les étudiants ! Sauf des privilégiés de Stanislas qui, selon l'aveu même du gouvernement, bénéficient d'un contournement du processus. Il est évident pour tout le monde que si la fraude est tolérée pour Stanislas, elle l'est aussi pour d'autres établissements « d'élites », ceux qui mettent le mérite au dessus de tout mais refusent de jouer avec les règles de la concurrence qu'ils ont eux même imposées.

Car on ne va pas se mentir, le vrai problème ça n'est pas Stanislas en particulier, ce sont tous ces établissements privilégiés qui s'affranchissent des règles communes. Et notre ministre, aussi méprisable soit-elle, n'a fait que révéler le plus révoltant des scandales. Nous lui en sommes reconnaissants ! Louée soit sa bêtise ! Loué soit St Déni !

Selon une récente enquête PISA (confirmée par de nombreuses autres études), la France est parmi les pays de l'OCDE où les résultats scolaires sont le plus liés au milieu social. Nous sommes aussi un des pays développé qui paye le moins ses professeurs (comparé au salaire moyen national), sans parler du peu de respect auquel ils ont droit. Ces 20 dernières années la situation n'a fait que s'aggraver et, depuis le couronnement de Macron, c'est une accélération vertigineuse vers une éducation de plus en plus élitiste et un démembrement méthodique de l'enseignement public. La déchéance de notre éducation nationale n'est pas due au hasard, selon la cours des comptes les trois quart du financement de l'école privée vient des caisses de l'état, plus de 10 milliards de nos impôts qui sponsorisent l'éducation de nos chères élites, sans la moindre contrepartie, sans le moindre critère de mixité sociale en échange ! Pendant ce temps, nos écoles publiques sont délabrées, on parle de classes où il fait 10 degrés en hiver et 30 en été ; on recrute des professeurs en speed dating pour les jeter dans une administration cannibale qui les broiera en quelques mois ; on dépèce les programmes afin de s'assurer que la réussite ne puisse être conditionnée qu'à des cours privés … Il faut les comprendre, le marché de l'éducation vaut des milliers de milliards, ça fait forcément fantasmer ceux qui ne savent rêver que d'argent.

Si ça a été plutôt amusant de regarder en spectateurs la descente aux enfers de notre ministre, qui se tirait une balle dans le pied à chaque pas, force est de constater qu'elle est toujours en poste. Malgré une communication désastreuse qui revient à insulter les professionnels sous sa tutelle et à dénigrer son propre ministère, malgré des mensonges flagrants, malgré qu'elle ne puisse pas exercer ses fonctions correctement tant elle est haïe, le gouvernement et notre leader suprême continuent de la soutenir. Démontrant une fois de plus que nos élites ne sont pas soumises aux règles du commun.

Malgré des manquements à la loi avérés, malgré des attitudes homophobes et sexistes révoltantes, malgré des mensonges et des fraudes, l'école Stanislas est toujours sous contrat avec l'état. À titre de comparaison, le lycée musulman d'Avéroès a lui aussi fait l'objet d'une inspection pour des suppositions de communautarisme. Le rapport, que le préfet a refusé de communiquer à la direction du lycée, ne fait état d'aucune recommandation (contrairement à celui sur Stanislas qui se voit infliger 15 rappels aux règles). Pourtant la subvention publique du lycée a immédiatement été suspendue pour cause de danger communautariste.

Évidemment, l'intégrisme catholique qui défend les violeurs, condamne les homosexuels aux flammes de l'enfer et viole les lois républicaines ne représente aucun danger … ça n'est pas comme si nos principales chaînes de télévision étaient possédées par des ultra catholiques, pas comme si nos dirigeants étaient formés dans ses écoles avant de se distribuer entre eux tous les postes de pouvoir. Ça ça n'est pas du communautarisme, c'est de l'excellence !

Malgré tous ces scandales qui s'amoncellent, l'ambition de notre gouvernement pour l'école reste inchangée : imposer à nos jeunes le service national, l'uniforme (apparemment ça devrait gommer les inégalités … petit clin d'œil à ceux qui pensaient que le but était de les supprimer), des cours de théâtre (ben oui, notre leader suprême a toujours aimé le théâtre alors il semble logique de l'imposer à tous …) et réduire les budgets, encore et toujours. Pendant ce temps nos sénateurs s'augmentent de 700 euros mensuels et nos députés de 300 euros … ceux qui ont voté contre l'indexation des salaires s'appuient sur l'inflation pour justifier ce nouveau racket. Gonflé !

En France, ces vingt dernières années, les inégalités sociales étaient grandissantes, perceptibles, elles étaient dénoncées par certains et supposées par beaucoup. Avec l'avènement du macronisme, elles sont désormais officialisées, assumées, revendiquées dans le plus grand des mépris.

Ceux qui nous parlent de perpétrer les coutumes, de respecter la grande culture française et prônent la méritocratie tout en la contournant semblent avoir oublié que chez nous, quand le faussé des inégalités se creuse, quand les élites font sécession et que la naissance l'emporte sur les compétences, des têtes finissent toujours par tomber. Le peuple français aussi semble l'avoir oublié, mais il n'a jamais été de ceux qui courbent l'échine … Puissions nous nous remémorer nos grandes traditions avant que les dégâts soient irréversibles.

L'autrice tient à remercier Médiapart pour toutes les informations mentionnées dans l'article.

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Position et appel des Soulèvements de la terre sur le mouvement agricole en cours (+ Communiqué Confédération paysanne)

6 février 2024, par Soulèvement de la terre — , ,
Voilà une semaine que le monde agricole exprime sa colère au grand jour et en acte : celui d'un métier devenu quasiment impraticable, croulant sous la brutalité des (…)

Voilà une semaine que le monde agricole exprime sa colère au grand jour et en acte : celui d'un métier devenu quasiment impraticable, croulant sous la brutalité des dérèglements écologiques qui s'annoncent et sous des contraintes économiques, normatives, administratives et technologiques asphyxiantes.

Alors que les blocages se poursuivent un peu partout, nous soumettons quelques mises au point sur la situation depuis le mouvement des Soulèvements de la terre.

01 février 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/01/position-et-appel-des-soulevements-de-la-terre-sur-le-mouvement-agricole-en-cours/

Nous sommes un mouvement, d'habitant·es des villes et des campagnes, d'écologistes et de paysan·nes, installé·es ou en installation. Nous refusons la polarisation que certains essaient de susciter entre ces mondes. Nous avons fait de la défense de la terre et de l'eau notre point d'entrée et d'ancrage. Ce sont les outils de travail des paysans et des milieux nourriciers. Nous nous mobilisons depuis des années contre les grands projets d'artificialisation qui les ravagent, les complexes industriels qui les empoisonnent et les accaparent. Soyons clair·es, le mouvement actuel dans son hétérogénéité même, a été cette fois initié et largement porté par d'autres forces que les nôtres. Avec des objectifs affichés parfois différents, et d'autres dans lesquels nous nous retrouvons absolument. Quoi qu'il en soit, lorsque que les premiers blocages ont commencé, nous avons, depuis différents comités locaux, rejoint certains barrages et certaines actions. Nous sommes allé·es à la rencontre de paysan.nes et d'agriculteurs.rices mobilisé·es. Nous avons échangé avec nos camarades de différentes organisations paysannes pour comprendre leurs analyses de la situation. Nous nous sommes retrouvé·es nous-mêmes dans la digne colère de celles et ceux qui refusent de se résigner à leur extinction.

Nous ne pouvons que nous réjouir que la majorité des agriculteurs.rices bloquent le pays aujourd'hui. Qu'ils et elles soient représenté·es par la FNSEA et des patrons de l'agrobusiness dans les instances de négociation avec le gouvernement est consternant, à l'heure où les cadres du syndicat majoritaire sont copieusement sifflé·es sur certains blocages et où ce dernier ne peut plus retenir ses bases. De nombreuses personnes sur les barrages ne sont pas syndiquées et ne se sentent pas représentées par la FNSEA.

« Les deux tiers des entreprises agricoles n'ont pas, en termes économiques, de raison d'être. Nous sommes d'accord pour réduire le nombre d'agriculteurs »Michel Debatisse, secrétaire général de la FNSEA, 1968

Fondé après guerre, ce syndicat hégémonique a accompagné le développement du système agro-industriel depuis des décennies, en co-gestion avec l'État. C'est ce système qui met la corde au cou des paysan·nes, qui les exploitent pour nourrir ses profits et qui finalement les poussent à s'endetter pour s'agrandir afin de rester compétitif·ves ou disparaître. En 1968, Michel Debatisse, alors secrétaire général de la FNSEA avant d'en devenir le président, déclarait [1] : « Les deux tiers des entreprises agricoles n'ont pas, en termes économiques, de raison d'être. Nous sommes d'accord pour réduire le nombre d'agriculteurs ». Mission plus que réussie : le nombre de paysan.nes et de salarié.es agricoles est passé de 6,3 millions en 1946, à 750 000 au dernier recensement de 2020. Tandis que le nombre de tracteurs dans nos campagnes augmentait d'environ 1000%, le nombre de fermes chutait lui de 70% et celui des actifs agricoles de 82% : autrement dit, ce sont plus de 4 actifs sur 5 qui ont quitté le travail agricole en seulement quatre décennies, entre 1954 et 1997. Et la lente hémorragie se poursuit aujourd'hui…

Alors que la taille moyenne d'une exploitation en France en 2020 est de 69 hectares, celle d'Arnaud Rousseau, actuel dirigeant de la FNSEA, ancien courtier et négociant tout droit sorti d'une business school, s'élève à 700 hectares et il est à la tête d'une quinzaine d'entreprises, de holdings et de fermes, président du conseil d'administration du groupe industriel et financier Avril (Isio4, Lesieur, Matines, Puget, etc.), directeur général de Biogaz du Multien, une entreprise de méthanisation, administrateur de Saipol, leader français de la transformation de graines en huile, président du conseil d'administration de Sofiprotéol…

Les cadres de la FNSEA tout comme les dirigeants des plus grosses coopératives agricoles – abondamment représentés par la « Fédé » et ses satellites – se gavent [1] : le revenu moyen mensuel des dix personnes les mieux payées en 2020 au sein de la coopérative Eureden est de 11 500 €.

Les revenus moyens des agriculteurs brandis sur les plateaux et le mythe de l'unité organique du monde agricole masquent une disparité de revenus effarante et de violentes inégalités socio-économiques qui ne passent plus : les marges des petits producteurs ne cessent de s'éroder tandis que les bénéfices du complexe agro-industriel explosent.

Dans le monde, le pourcentage du prix de vente qui revient aux agriculteurs est passé de 40% en 1910 à 7% en 1997, selon l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO). De 2001 à 2022, les distributeurs et les entreprises agroalimentaires de la filière lait ont vu leur marge brute s'envoler de respectivement 188% et 64%, alors même que celle des producteurs stagne quand elle n'est pas simplement négative.

Une des raisons qui poussent le monde agricole à bloquer les autoroutes, à ouvrir des bouteilles de lait à Carrefour (Epinal-Jeuxey) ou à bloquer les usines Lactalis (Domfront, Saint-Florent-le-Vieil, etc.), à labourer un parking (Clermont-l'Hérault), à bloquer le port de la Rochelle, à vider des camions venus de l'étranger, à asperger de lisier une préfecture (Agen), à retourner un Macdo (Agens), à sortir c'est que les industriels intermédiaires de l'amont (fournisseurs, vendeurs d'agroéquipements, semenciers industriels, vendeurs d'intrants et d'aliments) et de l'aval des filières (les coopératives de collecte-distribution comme Lactalis, les industriels de la grande distribution et de l'agroalimentaire comme Leclerc) qui structurent le complexe agroindustriel les dépossèdent des produits de leur travail.

C'est ce pillage de la valeur ajoutée organisé par les filières qui explique, aujourd'hui, que sans les subventions qui jouent un rôle pervers de béquilles du système (en plus de profiter essentiellement aux plus gros) 50% des exploitant·es auraient un résultat courant avant impôts négatif : en bovins lait, la marge hors subvention qui était de 396€/ha en moyenne entre 1993 et 1997 est devenue négative à la fin des années 2010 (-16€/ha en moyenne), tandis que le nombre de paysans pris en compte par le Réseau d'information comptable agricole dans cette filière passe sur cette période de 134 000 à 74 000 [2]…

Les accords de libre échange internationaux (que dénoncent et la Confédération paysanne, et la Coordination rurale) mettent en concurrence les paysanneries du monde entier et ont accéléré ces déprédations économiques. Nous savons bien que, aujourd'hui, lorsque l'on parle de « libéralisation », de « gains de compétivité », de « modernisation » des structures, c'est que des fermes vont disparaître, que la polyculture élevage va régresser (elle ne représente plus que 11% des exploitations actuellement), ne laissant plus qu'un désert vert de monocultures industrielles menées par des exploitant-es à la tête de structures toujours plus endettées de moins en moins maîtres d'un outil de travail et d'un compte en banque qui finit par n'appartenir plus qu'à ses créanciers.

Le constat est sans appel : moins il y a de paysan·nes, moins ils et elles peuvent gagner leur vie, sauf à agrandir toujours et encore leur surface d'exploitation, en dévorant au passage les voisin·es. Dans ces conditions, ‘devenir chef d'entreprise' comme le promet la FNSEA, c'est en réalité se trouver dans la même situation qu'un chauffeur Uber qui s'est endetté jusqu'au cou pour acheter son véhicule alors qu'il dépend d'un donneur d'ordres unique pour réaliser son activité… Ajoutons à cela la brutalité du changement climatique (évènements climatiques extrêmes, sécheresses, incendies, inondations…) et les dérèglements écologiques entraînant dans leur sillage la multiplication de maladies émergentes et autres épizooties, et le métier devient presque impossible, invivable, tant l'instabilité est grande.

Si nous nous soulevons, c'est en grande partie contre les ravages de ce complexe agro-industriel, avec le vif souvenir des fermes de nos familles que nous avons vu disparaître et la conscience aiguë des abîmes de difficultés que nous rencontrons dans nos propres parcours d'installation. Ce sont ces industries et les méga-sociétés cumulardes qui les accompagnent, avalant les terres et les fermes autour d'elles, accélérant le devenir firme de la production agricole, et qui ainsi tuent à bas bruit le monde paysan. Ce sont ces industries que nous ciblons dans nos actions depuis le début de notre mouvement – et non la classe paysanne.

Si nous clamons que la liquidation sociale et économique de la paysannerie et la destruction des milieux de vie sont étroitement corrélées – les fermes disparaissant au même rythme que les oiseaux des champs et le complexe agro-industriel resserrant son emprise tandis que le réchauffement climatique s'accélère – nous ne sommes pas dupes des effet délétères d'une certaine écologie industrielle, gestionnaire et technocratique. La gestion par les normes environnementales-sanitaires de l'agriculture est à ce titre absolument ambigüe. À défaut de réellement protéger la santé des populations et des milieux de vie, elle a, derrière de belles intentions, surtout constitué un nouveau vecteur d'industrialisation des exploitations. Les investissements colossaux exigés par les mises aux normes depuis des années ont accéléré, partout, la concentration des structures, leur bureaucratisation sous contrôles permanents et la perte du sens du métier.

Nous refusons de séparer la question écologique de la question sociale, ou d'en faire une affaire de consom'acteurs citoyens responsables, de changement de pratiques individuelles ou de « transitions personnelles » : il est impossible de réclamer d'un éleveur piégé dans une filière hyperintégré qu'il bifurque et sorte d'un mode de production industriel, comme il est honteux d'exiger que des millions de personnes qui dépendent structurellement de l'aide alimentaire se mettent à « consommer bio et local ». Pas plus que nous ne voulons réduire la nécessaire écologisation du travail de la terre à une question de « réglementations » ou de « jeu de normes » : le salut ne viendra pas en renforçant l'emprise des bureaucraties sur les pratiques paysannes. Aucun changement structurel n'adviendra tant que nous ne déserrerons pas l'étau des contraintes économiques et technocratiques qui pèsent sur nos vies : et nous ne pourrons nous en libérer que par la lutte.

Si nous n'avons pas de leçons à donner aux agriculteur·rices ni de fausses promesses à leur adresser, l'expérience de nos combats aux côtés des paysan·nes — que ce soit contre des grands projets inutiles et imposés, contre les méga-bassines, ou pour se réapproprier les fruits de l'accaparement des terres – nous a offert quelques certitudes, qui guident nos paris stratégiques.

L'écologie sera paysanne et populaire ou ne sera pas. La paysannerie disparaîtra en même temps que la sécurité alimentaire des populations et nos dernières marges d'autonomie face aux complexes industriels si ne se lève pas un vaste mouvement social de reprise des terres face à leur accaparement et leur destruction. Si nous ne faisons pas sauter les verrous (traités de libre-échange, dérégulation des prix, emprise monopolistique de l'agro-alimentaire et des hypermarchés sur la consommation des ménages) qui scellent l'emprise du marché sur nos vies et l'agriculture. Si n'est pas bloquée la fuite en avant techno-solutionniste (le tryptique biotechnologies génétiques – robotisation – numérisation). Si ne sont pas neutralisés les méga-projets clés de la restructuration du modèle agro-industriel. Si nous ne trouvons pas les leviers adéquats de socialisation de l'alimentation qui permettent de sécuriser les revenus des producteurs et de garantir le droit universel à l'alimentation.

Nous croyons aussi à la fécondité et à la puissance des alliances impromptues. A l'heure où la FNSEA cherche à reprendre la main sur le mouvement – notamment en chassant de certains des points de blocage qu'elle contrôle tout ce qui ne ressemble pas à un agriculteur « syndiqué fédé » – nous croyons que le basculement peut venir de la rencontre entre les agriculteur·ices mobilisé·es et les autres franges du mouvement social et écologique qui se sont élevées ces dernières années contre les politiques économiques prédatrices du gouvernement. Le « corporatisme » a toujours fait le lit de l'impuissance paysanne. Comme la séparation d'avec les moyens de subsistance agricoles a souvent scellé la défaite des travailleur-ses.

Peut-être est-il temps de faire céder quelques murs. En continuant à renforcer certains points de blocage. En allant à la rencontre du mouvement pour celles et ceux qui n'y ont pas encore mis les pieds. En poursuivant ces prochains mois les combats communs entre habitant·es des territoires et travailleur·euses de la terre.

Les Soulèvements de la Terre – le 30 janvier 2024

[1] https://basta.media/enquete-Salaires-dirigeants-cooperatives-triskalia-coop-de-France-inegalites-agriculteurs-adherents#:~:text=11%20500%20euros%20%3A%20c'est,dans%20le%20Finist%C3%A8re%2C%20en%20Bretagne ;
https://www.latribune.fr/economie/france/mediapart-revele-les-salaires-des-dirigeants-de-la-fnsea-payes-par-les-cotisations-des-agriculteurs-840217.html
[2] Voir : Atelier paysan, Observations sur les technologies agricoles, « Une production agricole ne valorisant quasiment plus le travail »

https://lessoulevementsdelaterre.org/fr-fr/blog/mouvement-agricole-communique-soulevements

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La Confédération paysanne appelle à bloquer les centrales d'achat et à cibler les prédateurs du revenu paysan

Le discours de politique générale du Premier ministre n'a offert aucune perspective de long terme alors que des milliers d'agriculteur·trices sont toujours mobilisé·es. L'agriculture a besoin d'actes concrets, et pas d'être réduite à l'image d'Épinal du travailleur acharné : « force, fierté, effort, identité ! ». L'agriculture est d'abord une activité économique ancrée sur les territoires qui doit rémunérer le travail agricole.

Nous devons avoir la garantie de pouvoir vivre de notre travail. Or il n'y a encore aucun engagement de la part du gouvernement pour ouvrir un chantier sur l'interdiction d'achat en-dessous du prix de revient de nos produits agricoles. L'agriculture est le seul secteur où il y a structurellement de la vente à perte et la loi EGALIM ne l'empêche pas. La valeur du travail de celles et ceux qui nourrissent la population ne doit plus être la variable d'ajustement des filières alimentaires.

C'est pourquoi, la Confédération paysanne appelle à orienter les mobilisations en bloquant les lieux où s'exercent cette pression sur nos prix : centrales d'achats (plateforme logistique de la grande distribution), marchés de gros, industries agroalimentaires et autres prédateurs de la valeur.

Depuis ce matin, nous bloquons déjà des points stratégiques [1] de l'économie réelle de nos filières alimentaires pour engager un rapport de forces sur le sujet de fond : notre rémunération piétinée par cette économie libérale. D'autres actions vont démarrer dans les prochaines heures.

L'État va-t-il enfin interdire l'achat de nos produits agricoles en-dessous du prix de revient ou continuer à protéger les profits des dirigeants et actionnaires de l'agro-industrie et de la grande distribution ?

C'est la réponse première attendue pour répondre à la colère paysanne. Et nous l'exigerons à nouveau demain matin lors de notre entretien avec le Premier ministre à 10h.

Pour beaucoup de fermes, l'avenir est en jeu. Nous continuerons donc à nous battre pour des paysannes et paysans nombreux et rémunérés.

[1] Blocage de la centrale d'achat de ELeclerc SCA Ouest à Saint-Etienne de Montluc (Loire-Atlantique). Blocage depuis lundi matin de l'entrepôt logistique d'ALDI à Cavaillon (Vaucluse). Blocage du péage de Saint-Quentin Fallavier, le parc international de Chesnes, 1ère plateforme logistique de France (Isère).

30.01.2024

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De la colère des agriculteurs

6 février 2024, par Hendrik Davi — , ,
Nous faisons face à un mouvement européen de colère des agriculteurs, qui touche maintenant la France. De quoi cette colère est-elle le nom ? Quels sont les enjeux auxquels (…)

Nous faisons face à un mouvement européen de colère des agriculteurs, qui touche maintenant la France. De quoi cette colère est-elle le nom ? Quels sont les enjeux auxquels fait face l'agriculture française ? Quelles sont les solutions ? Je fais le point dans cette note de blog.

24 janvier 2024 | tiré du blogue d'Hendrik Davi

Nous faisons face à un mouvement européen de colère des agriculteurs, qui touche maintenant la France. De quoi cette colère est-elle le nom ? Quels sont les enjeux auxquels fait face l'agriculture française ? Quelles sont les solutions ? Je fais le point dans cette note de blog.

En France, la contestation s'est d'abord traduite par le retournement de panneaux routiers par des agriculteurs, pour protester contre la politique agricole de l'Union européenne. Depuis le 16 janvier, il y a des manifestations notamment en Occitanie pour des raisons multiples : crise sanitaire pour les éleveurs de bovins et retour de la grippe aviaire, viticulteurs confrontés à une surproduction et à une baisse de la consommation, sécheresses récurrentes et crainte face à la concurrence déloyale du fait de la multiplication des accords de libre-échange et des discussions concernant l'entrée de l'Ukraine dans l'UE. Hier, la mobilisation a tourné au drame avec la mort d'une agricultrice et de sa fille en Ariège.

La FNSEA critique surtout les mesures écologiques concernant les pesticides. Dans les autres pays c'est la hausse du gazole qui a déclenché le mouvement.

Mais derrière ce mouvement, il y a un vrai malaise et une vraie crise de notre modèle agricole, sur lequel nous devons nous pencher.

Le monde agricole est au croisement de trois types d'évolution et d'enjeux difficilement conciliables : une transformation du modèle familial de l'agriculture, des besoins alimentaires qui changent et une nécessaire préservation des écosystèmes. Il est nécessaire de bien comprendre ce tableau avant de proposer des solutions.

Une agriculture sans agriculteurs

Le premier constat est que l'agriculture a subi de profondes transformations qui ont fragilisé notre modèle agricole. Le nombre de chefs d'exploitations a drastiquement diminué. Ils sont aujourd'hui 400 000 et représentent 1.5% de l'emploi total contre 7.1% il y a 40 ans[1]. Le nombre d'exploitations est lui passé de 1.5 millions en 1970 à 389 000 en 2020. La population est faiblement féminisée avec 73% d'hommes et très vieillissante, plus de la moitié des exploitants ayant plus de 50 ans.

Enfin, nous avons souvent une vision monolithique du monde agricole qui masque d'immenses disparités. D'abord, les chefs d'exploitations ne sont pas les seuls travailleurs agricoles. Il y a près de 731 000 actifs (CDI, DD, contrats saisonniers) qui sont embauchés directement par les exploitants et 185 700 par l'intermédiaire de sociétés spécialisées. La colère des exploitants ne doit pas faire oublier l'immense silence des salariés, dont certains souvent étrangers sont exploités dans des conditions inadmissibles[2].

Ensuite, si 18% des ménages agricoles vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 13 000 euros par an, le patrimoine médian net (après déduction des emprunts) des agriculteurs n'a cessé de progresser atteignant 510 500 €. Si le revenu moyen, lissé sur 10 ans est de 29 500 euros, l'éventail des revenus est très large : 10% des exploitations ont un revenu négatif, alors que les revenus les plus élevés atteignent 70 000 € pour les 10% les plus riches[3]. Certaines filières comme l'élevage sont bien plus touchées par la baisse du nombre d'exploitations et des revenus plus faibles qui sont de 18 600 euros en moyenne pour l'élevage bovin, contre 50 700 pour les grandes cultures.

Mais surtout, c'est le modèle familial qui est en crise. La présence de parents ou d'enfants renforce le célibat des agriculteurs, qui est souvent mal vécu. Aujourd'hui 80% des conjoints ont une autre activité. De nombreuses exploitations ne trouvent ainsi pas de repreneurs. Même dans le cas des grandes exploitations, la succession n'est jamais simple en dépit d'un capital élevé. L'augmentation de la taille des exploitations ne permet plus aux nouvelles générations attirées par l'agriculture de s'installer en raison du cout exorbitant de la reprise des exploitations, devenues gigantesques. Il est donc urgent de repenser la taille et la nature des exploitations agricoles et de transformer en profondeur le modèle social agricole.

Une épidémie de pauvreté, d'obésité et de profits…

Nous ne devons jamais oublier le sens de la production agricole, c'est ce qui donne sens au travail des agriculteurs. Or la perte de sens dans leur travail et le relatif divorce entre les consommateurs des zones urbaines et les agriculteurs des milieux ruraux sont des composantes du malaise actuel. L'objectif de la production agricole est de produire une alimentation saine et abordable. Dans ce contexte, la société française fait face à deux enjeux majeurs, l'insécurité alimentaire d'une part et l'obésité d'autre part.

En mars 2023, la hausse des prix s'élevait à 5,7 % sur un an pour l'ensemble des produits, et à 16 % pour les produits alimentaires. Cette inflation a accru une insécurité alimentaire qui touche maintenant près de 16% des français, alors qu'ils n'étaient que 9% en 2016 à devoir sauter des repas, selon une étude du CREDOC[4]. Pire 45% des français ne mangent pas les aliments qu'ils souhaitent selon la même étude et 41% restreignent leurs dépenses d'alimentation.

L'autre facette de la crise est l'augmentation rapide du nombre de citoyens en situation d'obésité. Leur nombre est ainsi passé dans la population globale de 8,5 % en 1997 à 17 % en 2020. Cette augmentation est encore plus rapide chez les moins de 25 ans passant de 2.1% à 9.2%[5]. Cette épidémie d'obésité est notamment la conséquence d'une alimentation de plus en plus industrielle dopée par une publicité agressive, qui propose des aliments très caloriques riches en lipides et en sucres, notamment à nos enfants[6]. L'obésité est également la conséquence de la paupérisation des ménages, 25% des personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs à 900 euros sont obèses, contre 7% de celles dont les revenus dépassent 5 300 euros[7]. Les produits ultra-transformés et les plats préparés présentent malheureusement des alternatives moins couteuses et plus adaptées lorsque ces mêmes ménages sont mal-logés, sans espace pour cuisiner ou avec des horaires décalés. Une partie de la population ne peut pas se nourrir du fait de prix trop élevés et d'autres sont addictes à la malbouffe

Cette insécurité alimentaire et cette épidémie d'obésité permettent l'enrichissement de grands groupes. L'industrialisation de la production agricole va de pair avec la captation de la valeur ajoutée par les multinationales de la transformation comme Nestlé, Danone, Lactalis et de la consommation comme Carrefour, Auchan ou Leclerc, qui accroissent la malbouffe et organisent la faible rémunération de certains agriculteurs. Le groupe Lactalis est le 10ème groupe agro-alimentaire mondial avec 28,3 milliards de chiffre d'affaires, devant Danone avec 27,7 milliards de chiffre d'affaires[8]. Le groupe Carrefour a lui pleinement profité de l'inflation avec un bénéfice net en hausse de 26% en 2022, à 1,35 milliard d'euros contre 1,07 en 2021[9].

Cette captation de valeur s'accompagne d'enrichissement personnel. Emmanuel Besnier le PDG de Lactalis est devenu la 6ème fortune de France, passant de 3 Md€ en 2007 à 13,5 Md€ en 2023[10]. La fortune de Gérard Mulliez, fondateur du groupe Auchan atteignait 22 milliards d'euros en 2022.

Comme le rapporte le MODEF, la loi EGALIM 2 n'a pas tenu ses promesses, l'inflation se poursuit alors que dans le même temps les prix agricoles sont en baisse (-31,3 % en céréales, -8,4 % en vins, -8,5 % en volailles, - 4,3% en gros bovins, - 11,2 % en œufs), quand les coûts de production sont à des niveaux très élevés.

L'agriculture est aussi percutée par des changements de pratiques alimentaires avec une baisse de la consommation de vins et de viandes bovines[11]. Un autre facteur important est la baisse des dépenses d'alimentation des ménages qui sont passés de 38% en 1950 à 18% en 2021, au détriment des communications et du logement dont la part est passée de 16% à 20%[12]. La crise immobilière et le coût du logement ont donc par ricochet évidemment un effet sur le modèle agricole.

Nous le voyons, il est très urgent de refonder globalement notre modèle économique, pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur travail et les citoyens accéder à une nourriture saine et à un prix raisonnable.

Des agroécosystèmes mis en danger par notre modèle agricole

Notre modèle agricole héritée de la révolution verte initiée à la sortie de la seconde guerre mondiale a permis une augmentation historique de la production. Entre 1945 et 1995, le rendement moyen des blés français a connu près d'un demi-siècle de hausse continue, passant de 14-15 q/ha à 70 q/ha[13].

Mais cette augmentation historique de la production s'est faite au détriment de la résilience des cultures aux évènements climatiques et au prix d'une mécanisation et d'un usage croissant d'engrais et de pesticides, qui alimentent le changement climatique et l'extinction des espèces.

La France utilise toujours plus de pesticides. Leur vente s'est accrue de près de 10% entre 2009 et 2018, passant de 64 000 tonnes à 85 000 tonnes[14]. Cet usage massif des pesticides est la première cause de l'extinction massive des populations d'insectes et d'oiseaux[15]. Les pesticides sont aussi la cause du déclin des populations d'abeille. L'agriculture est aussi le second poste d'émissions de GES de la France (19 % du total national et 85 MtCO2 eq. émis en 2019) et il diminue très peu (il était de 90 MtCO2 eq en 1991). Dans un autre registre, la surpêche touche quant à elle encore 23% des volumes pêchés[16].

Il est donc urgent de diminuer drastiquement l'usage des pesticides et des engrais et d'adapter notre agriculture en favorisant les espèces, variétés et pratiques agricoles résilientes aux sécheresses et aux attaques d'insectes. Il faut donc des normes et il faut les faire respecter pour notre environnement, mais aussi pour la santé des paysans. L'expertise de l'INSERM de 2021 confirme la forte présomption de lien entre l'exposition aux pesticides et six pathologies graves : lymphomes non hodgkiniens (LNH), myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique. Il existe aussi une présomption forte de lien entre l'exposition aux pesticides de la mère pendant la grossesse ou chez l'enfant et le risque de certains cancers chez les enfants, en particulier les leucémies et les tumeurs du système nerveux central…[17]

La nécessaire bifurcation de notre modèle agricole

Comme le dit François Ruffin « les injonctions lancées aux agriculteurs sont schizophréniques.

D'un côté on leur demande de monter en gamme, de diminuer les phytosanitaires. Et de l'autre on leur demande d'être compétitifs avec les fermes-usines au Brésil et bientôt en Ukraine ! ».

Les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement de leur travail, nous devons tendre vers la souveraineté alimentaire, et en même temps nous devons respecter l'environnement !

Pour ça, ils doivent être protégés de la concurrence sauvage et des multinationales. Le groupe LFI-NUPES a fait un certain nombre de propositions en ce sens.

Il faut en finir avec l'augmentation des échanges internationaux, qui mettent en concurrence les agriculteurs du monde entier. Nous n'avons jamais autant importé et exporté de matières agricoles. Nous sommes par exemple importateurs de fruits et légumes. Nous avons déposé une proposition de résolution européenne, pour un moratoire sur les accords de libre-échange. Plus largement, nous demandons au gouvernement d'appliquer en urgence la clause de sauvegarde pour empêcher toute importation agricole ne respectant pas ces règles, qui mettent en danger notre santé et représentent une concurrence déloyale.

Il faut améliorer la situation sociale des salariés et des exploitants agricoles. Nous proposons de relever les retraites agricoles au niveau du SMIC revalorisé (1600€ net par mois) pour une carrière complète, y compris pour les retraités actuels. Nous devons aider au désendettement des agriculteurs, en créant une caisse de défaisance pour reprendre la dette agricole de celles et ceux qui s'engagent au travers d'un contrat de transition à passer au 100 % bio.

Il faut améliorer la situation des agriculteurs. Nous proposons de mettre en place un mécanisme d'entraide et de remplacement afin de reconnaître le droit à des congés.

Il faut accroitre les débouchés locaux en appliquant des critères locaux à la commande publique, par exemple en s'approvisionnant à 100% en produits bio et locaux dans les cantines scolaires. C'est la meilleure façon de lutter contre l'épidémie d'obésité. Nous proposons aussi d'augmenter le SMIC, tous les salaires, les retraites, et les minimas sociaux pour permettre à tous de se fournir en produits locaux et de qualité. De meilleurs salaires, c'est plus de débouchés pour nos paysans. C'est la meilleure façon de lutter contre l'insécurité alimentaire.

Il faut redistribuer la valeur ajoutée captée par l'industrie aux agriculteurs. Nous redéposons notre proposition de loi pour des prix planchers rémunérateurs pour les agriculteurs. Nous devons nous attaquer aux profits des multinationales qui enrichissent indument leurs actionnaires.

Enfin, pour bifurquer de modèle agricole, il faut changer de modèle européen. La concurrence libre et non faussée ne doit plus être l'alpha et l'oméga de nos politiques. Nous demandons la refonte du Plan stratégique national de la PAC avec des aides à l'actif plutôt qu'à l'hectare, le doublement des aides aux petites et moyennes exploitations, le triplement des mesures agroenvironnementales et climatiques et des aides à l'installation, et le doublement des aides à la conversion à l'agriculture biologique…

Pour bifurquer de modèle agricole, nous devrons créer au moins 300 000 nouveaux emplois agricoles, ce qui nécessite de mieux subventionner l'enseignement technique agricole et éviter que les programmes ne soient dictés par les grands groupes.

Il est urgent de mettre en œuvre ces solutions pour sauver à la fois nos agriculteurs et nos agroécosystèmes.

Notes

[1] Hervieu, Bertrand, et François Purseigle. Une agriculture sans agriculteurs : La révolution indicible. Paris : Les Presses de Sciences Po, 2022.

[2] https://www.laprovence.com/article/region/42790245401193/ouvriers-agricoles-exploites-a-malemort-du-comtat-lemployeur-place-sous-controle-judiciaire

[3] https://www.cairn.info/revue-economie-rurale-2021-4-page-57.htm

[4] https://www.credoc.fr/publications/en-forte-hausse-la-precarite-alimentaire-sajoute-a-dautres-fragilites

[5] https://presse.inserm.fr/obesite-et-surpoids-pres-dun-francais-sur-deux-concerne-etat-des-lieux-prevention-et-solutions-therapeutiques/66542/

[6] L'autre phénomène majeur est le manque d'activité physique qui est favorisé par le rôle croissant des écrans et du numérique.

[7] https://www.lemonde.fr/sante/article/2012/10/16/obesite-un-facteur-social-de-plus-en-plus-marque_1775992_1651302.html#:~:text=La%20progression%20de%20l%27obésité,dans%20la%20prévalence%20du%20surpoids.

[8] https://www.lsa-conso.fr/croissance-record-pour-lactalis-en-2022,435549

[9] https://www.capital.fr/entreprises-marches/carrefour-ses-ventes-ont-augmente-de-16-en-2022-son-benefice-grimpe-de-26-1460264

[10] https://www.challenges.fr/classements/fortune/emmanuel-besnier-et-sa-famille_26542

[11] https://www.franceagrimer.fr/content/download/71709/document/SYN-VIA-Conso%20viande%20Fce2022.pdf

[12] https://www.economie.gouv.fr/facileco/50-ans-consommation#

[13] https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/reperes/0102r02-evolution-du-rendement-moyen-annuel-du-ble-france-entiere

[14] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/media/5399/download?inline

[15] https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2216573120

[16] https://www.ifremer.fr/fr/actualites/bilan-2022-en-france-hexagonale-la-moitie-des-volumes-de-poissons-peches-provient-de

[17] https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/

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En Grèce, malgré les menaces, le mouvement étudiant se renforce !

6 février 2024, par Andreas Sartzekis — , ,
Le mouvement des étudiantEs mais aussi des personnels des universités contre le projet obsessionnel de la droite grecque de créer des facs privées (voir l'Anticapitaliste du 18 (…)

Le mouvement des étudiantEs mais aussi des personnels des universités contre le projet obsessionnel de la droite grecque de créer des facs privées (voir l'Anticapitaliste du 18 janvier) semble avoir pris au dépourvu le gouvernement de Mitsotakis qui s'illusionne après sa victoire électorale de juin sur sa capacité à faire passer toutes ses mesures désastreuses contre le camp des travailleurEs et des jeunes.

Tiré de Gauche anticapitaliste
4 février 2024

Par Andreas Sartzekis

Ses réactions, après trois semaines de très grosses mobilisations, prouvent avant tout sa peur des mauvaises idées que le mouvement pourrait donner à toute une série de secteurs – des mobilisations paysannes ont commencé, et les paysans de la région de Larissa, sinistrée après les inondations de l'automne, ont eu droit aux charges des Mat [l'équivalent des CRS].

Disqualification et répression du mouvement

La réaction du gouvernement est de deux ordres. D'abord, il tente de faire passer la mobilisation pour un mouvement minoritaire et violent. Quitte à faire s'embrouiller ses piliers : pour la manif du 18 janvier à Athènes, la police indiquait 5 000 manifestantEs, mais la chaîne de télé Skaï, chien de garde de la droite, osait n'en voir qu'à peine 1 000 ! Du coup, la police a pris les devants pour la manif du 25, en annonçant pour Athènes 1 000 manifestantEs pour un cortège bien plus gros que les deux semaines précédentes : au moins 8 000 dans la rue ! Ces derniers jours, les journaux de la droite titrent sur les « Assemblées générales de la terreur » ou sur les « Occupations par quelques-uns » opposées aux « Examens voulus par la majorité ».

Ensuite, le gouvernement lance le chantage aux examens qui de fait s'inscrit dans une ligne répressive croissante : le ministre de l'Éducation veut contourner le mouvement d'occupations en obligeant les directions des universités à organiser les examens semestriels, si nécessaire en distanciel (ce qui avait été catastrophique pendant la période de la pandémie !). Et comme bien sûr un certain nombre d'administrations rechignent (elles savent elles aussi le danger de la création de facs privées), les menaces sur des baisses de financement sont proférées.

Face à cela, les présidents d'université viennent d'affirmer que les examens doivent être passés « d'une manière ou d'une autre », mais la réponse sur cette passation, qui n'est pas une mince question dans une période de chômage jeune restant très fort, viendra certainement des équipes enseignantes et des AG. En dernier lieu, la répression vise avant tout les jeunes : présence policière suffocante, intervention policière ou judiciaire contre telle ou telle occupation, et même convocation à la police de collégienNEs dénoncéEs par leur directrice pour participation à l'occupation de leur collège en Crète. Sans oublier les agressions fascistes : une lycéenne membre de l'organisation des jeunes de nos camarades de NAR a été agressée au Pirée, ce qui a entraîné une manif de riposte antifasciste.

Une mobilisation qui fragilise le « gouvernement des 41% »

Début janvier, le porte-parole du gouvernement affirmait que le projet de loi « Université libre » (!!) serait déposé pour être voté fin janvier. En cette fin janvier, le gouvernement n'a toujours pas déposé ce projet, ce qui est déjà une première victoire. Cela tient sûrement à deux raisons. Tout d'abord, même si depuis deux ans, la droite a pu avancer dans son projet de privatisation/marchandisation, elle bute sur l'obstacle de l'article 16 de la Constitution, qui est formel : l'enseignement supérieur est public et gratuit. Elle tente donc de le contourner en s'appuyant sur un autre article, mais personne n'est dupe, et plus le gouvernement qui voulait passer en force tarde à déposer son projet, plus la fragilité constitutionnelle de son bricolage sera connue et risque de faire désordre. Le porte-parole parle désormais de fin février pour le vote, et la mobilisation, dont les manifs athéniennes s'achèvent de manière spectaculaire devant le parlement, vise à empêcher le dépôt du projet.

L'autre raison renvoie à une évidente difficulté de Mitsotakis dans la période. Montré du doigt y compris au sein des instances européennes pour ses atteintes aux droits (scandales des écoutes, attaques contre la liberté de la presse, comme vient de l'illustrer un procès mené par son neveu, ex-numéro 2 du gouvernement, contre le journal Efimerida ton Syntakton et d'autres médias), il a besoin, sur fond de mécontentement croissant contre la vie chère (en un an, la bouteille d'huile d'olive, base de la cuisine grecque, a plus que doublé son prix), de soigner sa prétention à se faire passer pour moderniste libéral.

L'un de ses actuels projets, annoncé lors de sa campagne électorale, est de faire voter le mariage homosexuel. Or, la droite grecque, liée très fortement à une église orthodoxe (religion d'État) très réactionnaire, se divise, avec une fronde interne très forte – le tiers de ses députéEs ne voteraient pas une telle loi – et on assiste à des coups tordus étonnants. Alors que l'un des ministres issus de l'extrême droite, Voridis, ex-dirigeant des jeunesses de la junte militaire (1967-74) a fait savoir qu'il ne voterait pas un tel droit, un autre ministre d'extrême droite, Georgiadis, connu pour avoir publié des textes bêtes et odieux contre l'homosexualité, tente quant à lui de convaincre la partie réticente de la droite de voter le projet… Mitsotakis pensait peut-être faire passer son projet de facs privées comme un élément de sa politique « moderniste », mais vu la grave tension que provoque ces jours-ci le projet de mariage homosexuel, il est peut-être plus prudent pour lui d'attendre un tout petit peu pour éviter l'extension à une grave crise politique. Même si la gauche reste non crédible dans les sondages, ce sont 58 % des sondéEs qui se déclarent aujourd'hui mécontents de la politique de ce gouvernement…

Consolidation du mouvement

Les étudiantEs en sont bien conscientEs : la situation est difficile, face à un gouvernement disposant de tous les moyens pour salir et réprimer le mouvement, et d'autant plus dangereux qu'il se sait actuellement en difficulté. Mais fort de mobilisations répétées depuis 2019, fort aussi de l'affaiblissement de la droite étudiante (qui était première aux élections étudiantes jusqu'à peu), le mouvement s'est bien préparé à s'opposer à un projet de loi qui rendrait encore plus fragiles le droit et les possibilités de poursuivre des études.

Même chose du côté des personnels enseignants et administratifs : dans la manif athénienne du 25 janvier, ils et elles étaient plusieurs centaines dans la rue, renforcés par l'arrêt de travail déposé par les deux fédérations du primaire et du secondaire, DOE et OLME. Les enseignantEs du supérieur multiplient d'ailleurs les réunions et textes d'information sur ce que signifierait pour la Grèce l'introduction des universités privées. Et dans le secondaire, ce sont non seulement les enseignantEs mais aussi les élèves qui se mobilisent, et contre le projet de loi universitaire, et contre l'état déplorable et dangereux de nombreux établissements publics. Le 25, ils et elles étaient en nombre à Athènes, dans un cortège très décidé et très animé !

Ce qui fait la force de la mobilisation actuelle, ce sont trois éléments : d'abord, la participation aux AG. Prin, le journal de NAR, donnait des chiffres : dans de nombreux endroits, on a eu des AG de 600 à 900 étudiantEs. Et ce n'est pas la « terreur » dénoncée par la presse de droite qui y règne, mais la volonté de s'informer et de décider. Même la droite vient parfois y participer, ce qui se conclut par un rejet de ses propositions. Mais l'autre atout du mouvement, dans la grande tradition des mobilisations jeunes en Grèce, ce sont les occupations : ce sont bien plus de la moitié des départements universitaires qui sont aujourd'hui occupés, et dans ce contexte, le chantage aux examens perd en efficacité face à la priorité : « Non à la dévalorisation de nos diplômes, gratuité des études ! Les étudiantEs ne sont pas des clientEs ! ». Et bien sûr, les trois journées nationales de manifestations ont été des temps forts, d'autant qu'à côté des grandes manifs à Athènes, Salonique ou Patras, les étudiantEs sont descenduEs dans la rue dans toute une série de villes moyennes dotées de départements universitaires. Enfin, même s'il y a des obstacles, la tendance est à la coordination du mouvement, gage d'efficacité.

La prochaine journée nationale de mobilisation aura lieu ce jeudi 1er février, a priori sous les mêmes formes. Étendre le mouvement, peut-être déjà à toute l'Éducation (nouvelle tentative de la droite d'imposer aux enseignantEs du primaire et du secondaire des évaluations sanctions), lier cette lutte à d'autres secteurs, font partie des discussions sur la suite de cette lutte difficile mais massive et porteuse d'espoirs sur la dynamique qu'elle contribue à créer.

Solidarité avec la mobilisation des étudiantEs contre la marchandisation de l'éducation !

*

Article initialement publié sur l'Anticapitaliste, le 1er février 2024.

Image : Manifestant·e·s contre le nouveau projet de loi du gouvernement sur l'éducation défilant jusqu'au Parlement grec à Athènes le 9 juin. (source : 902.gr)

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« Des tensions s’accumulent dans la société ukrainienne en raison des politiques néolibérales imposées par le gouvernement »

6 février 2024, par Oksana Dutchak — , ,
Oksana Dutchak membre de la rédaction de Commons Après 2 ans de guerre, comment voyez-vous la situation en Ukraine ? Après deux ans de guerre, la situation est à la fois (…)

Oksana Dutchak membre de la rédaction de Commons

Après 2 ans de guerre, comment voyez-vous la situation en Ukraine ?

Après deux ans de guerre, la situation est à la fois la même et différente. La guerre continue, mais il y a des changements dus au contexte – tant interne qu'externe. Tous ces changements étaient prévisibles dès le début dans un scénario très probable d'une guerre prolongée (ce qui ne veut pas dire que beaucoup, moi y compris, n'espéraient pas des scénarios plus positifs mais moins probables).

Nous avons été témoins des diverses tensions qui s'accumulent dans la société ukrainienne – la plupart d'entre elles sont causées par les politiques néolibérales prévisibles, imposées par le gouvernement sous prétexte de temps de guerre. Utilisant la justification des difficultés économiques et l'idéologie du capitalisme de « libre marché », au lieu de soutenir les droits sociaux universels, endommagés par la crise économique, le gouvernement défend les intérêts des entreprises au détriment des droits des travailleurs, du soutien social de l'existant et des nouveaux groupes défavorisés émergents. Ces mesures vont totalement à l'encontre de la logique de toutes les politiques centralisées et (dans une certaine mesure) à orientation sociale relativement efficace, mises en œuvre ailleurs pendant des guerres.

En raison de ces politiques, qui sont la continuation idéologique des années précédentes, la mobilisation générale des efforts de la population et l'unité relative de la société ukrainienne sont en constante érosion. Après les premiers mois de mobilisation pour défendre leurs communautés, de nombreuses personnes hésitent désormais (et certaines s'y opposent) à l'idée de risquer leur vie. Il y a de nombreuses raisons à cela, par exemple la relative localisation de la menace russe, l'attente irréaliste d'une « victoire » rapide (promue par une partie de l'establishment politique et certains faiseurs d'opinion dominants) et la déception qui en résulte, et de nombreuses contradictions d'intérêts et les situations et les choix des individus dans le chaos structuré d'une guerre prolongée. Cependant, le sentiment d'injustice joue un rôle prépondérant. D'un côté, il y a le sentiment d'injustice par rapport au processus de mobilisation, où les questions de la richesse et/ou de la corruption conduisent à mobiliser majoritairement (mais pas exclusivement) des classes populaires, ce qui va à l'encontre de l'image idéale de la « guerre populaire » à laquelle participe toute la société. Et de plus quelques cas d'injustice au sein de l'armée s'ajoutent à cela. D'un autre côté, l'absence d'une réalité et de perspectives d'avenir relativement attractives et socialement justes joue un rôle important dans les choix individuels de toutes sortes.

Bien sûr, cela ne signifie pas que l'ensemble de la société a décidé de s'abstenir de lutter contre l'agression russe, bien au contraire : la plupart comprennent les sombres perspectives qu'imposeraient une occupation ou un conflit gelé, qui pourraient s'intensifier avec les efforts renouvelés [de la Russie]. Alors que la majorité s'oppose à de nombreuses actions du gouvernement et peut même le détester (une attitude traditionnelle dans la réalité politique de l'Ukraine depuis des décennies), l'opposition à l'invasion russe et la méfiance à l'égard de tout éventuel accord de « paix » avec le gouvernement russe (qui a violé et continue de violer tout, depuis les accords bilatéraux jusqu'au droit international et au droit international humanitaire) sont plus fortes et il est très peu probable que cette situation change à l'avenir. Cependant, une vision socialement juste des politiques menées pendant la guerre et de la reconstruction d'après-guerre est une condition préalable pour canaliser les luttes individuelles pour la survie vers un effort conscient de lutte communautaire et sociale – contre l'invasion, pour la justice socio-économique.

Le contexte externe a également changé régulièrement. Il y a eu de nouvelles escalades dans différentes parties du globe, qui sont, comme l'invasion russe, des symptômes supplémentaires de la périphérie « en feu » provoquée par le déclin de l'hégémonie et qui résulte d'une nouvelle course à la lutte pour les « sphères d'influence », ainsi dans des conflits régionaux et internationaux tant pour l'hégémonie régionale que mondiale. Ces escalades, ainsi que certains échecs majeurs de la diplomatie ukrainienne (par exemple, la rhétorique sur la « civilisation », qui aliène, en fait, les gens au-delà du monde occidental) et les tendances populistes de droite dans de nombreux pays, ont un impact négatif sur le soutien international à la société ukrainienne.

À la lumière de cette dynamique, il est extrêmement important de développer intérieurement et de soutenir extérieurement le mouvement ouvrier et les autres forces progressistes en Ukraine. Il est également important pour le mouvement progressiste ukrainien d'établir des liens et des solidarités mutuelles avec les luttes de libération, les mouvements ouvriers et autres luttes progressistes dans d'autres parties du monde. Je ne crois pas qu'il soit possible d'inverser la vague de la renaissance impérialiste et néocoloniale mondiale ou du populisme de droite dans un avenir proche. Mais nous devons développer une infrastructure de gauche pour les luttes à venir. Nous sommes arrivés à cette sombre étape sans y être préparés et nous devons faire de notre mieux pour éviter qu'un tel scénario ne se reproduise à l'avenir.

Quelle est la situation de Commons et quels sont vos projets ?

Nous continuons à travailler malgré toutes ces circonstances, y compris la plus douloureuse : la perte d'un éminent économiste, notre rédacteur en chef et ami Oleksandr Kravchuk, la perte d'un éminent gonzo-anthropologue, notre auteur et ami Evheny Osievsky et quelques autres amis, collègues, camarades, dont certains ont été tués au combat. De plus, certains de nos rédacteurs et auteurs se sont portés volontaires dans l'armée, d'autres sont très occupés par les collectes de fonds et de fournitures pour les besoins humanitaires et de soutien aux volontaires de gauche et antiautoritaires. D'autres encore sont dispersées à travers le pays et au-delà des frontières en tant que personnes déplacées à l'intérieur du pays ou réfugiées, gérant leur survie individuelle et étant ou devenant parfois des mères célibataires en raison des déplacements de population et de la guerre.

Au cours de la première année de l'invasion à grande échelle, nous avons considéré trois tâches importantes pour nous en tant que média de gauche : s'engager dans des débats de gauche sur l'invasion impérialiste russe, raconter les réalités de la guerre et son impact sur la population ukrainienne et les réfugiés ukrainiens à l'étranger, intervenir avec une perspective critique sur les politiques et réformes en cours et prévues par le gouvernement ukrainien. Au fil du temps, à la fin de 2022, nous avons estimé que la plupart des gens avaient fait leur choix et que peu pouvaient être convaincus de changer de position – même si nous sommes reconnaissants à ceux qui continuent d'intervenir dans ce débat de gauche en solidarité avec peuple ukrainien. De notre côté, nous avons résumé nos positions dans un numéro, disponible en ligne et en version imprimée (les revenus de la vente vont à Solidarity Collectives) : un recueil des textes de notre site Internet, que nous considérons comme les plus importants.

Nous avons repensé le déroulement de ces débats et trouvé la direction sur laquelle nous avons décidé de concentrer nos efforts. Nous avons estimé que trop peu de ponts directs étaient établis entre l'expérience ukrainienne et les expériences d'autres pays périphériques confrontés à des guerres, à des dépendances à l'égard de la dette, à des austérités et à des luttes contre celles-ci. C'est ainsi qu'est né le projet « Dialogues des périphéries » et une partie de nos rédacteurs le considèrent comme notre objectif principal dans un avenir proche. Bien sûr, d'autres sujets demeurent et nous continuons à écrire sur les problèmes et les luttes en Ukraine, sur l'histoire, la culture, l'écologie et sur différentes questions importantes. Nous continuons à parler de l'auto-organisation du peuple en Ukraine – soit sous forme d'initiatives bénévoles, soit sous forme de syndicats. En 2023, nous avons réussi à le faire dans une série de reportages vidéo « Regardez ça ! » et avons même réalisé un court documentaire sur le mouvement des infirmières en Ukraine.

Je dois souligner que tout cela serait impossible sans notre rédaction et nos auteurs, ainsi que sans le soutien de nombreuses organisations de gauche, d'initiatives et de personnes étrangères.

Qu'espérez-vous pour l'année 2024 ?

Il existe différents niveaux d'espoir. J'ai mes espoirs personnels. J'ai également un rêve que je partage avec la plupart des Ukrainiens : que la guerre se termine d'une manière qui soit favorable à un avenir démocratique et socialement juste en Ukraine, ou du moins d'une certaine manière qui n'empêche pas de fortes luttes pour un tel avenir. Mes espoirs personnels et mes rêves généraux sont bien sûr liés. À l'été 2023, je suis revenue d'Allemagne à Kyiv, que je considère comme ma ville depuis déjà quelques années et je ne veux plus aller nulle part. Je ne suis pas naïve et je comprends que notre rêve d'une fin favorable de la guerre en 2024 n'est probablement qu'un rêve. Mais il faut un rêve pour fonder ses espoirs dessus.

Quant à Commons/Spilne, nous espérons poursuivre notre travail, écrire et raconter ce qui est important pour nous et être utile aux luttes progressistes en Ukraine. Nous espérons poursuivre les Dialogues des périphéries, pour informer les lecteurs ukrainiens sur les contextes, les problèmes et les luttes dans d'autres pays ; établir des liens et une compréhension avec des personnes vivant dans d'autres réalités périphériques, dans l'espoir de contribuer à la solidarité mutuelle dans les luttes progressistes.

Oksana Dutchak membre de la rédaction de Commons
3 février 2024
Propos recueillis par Patrick Le Tréhondat

1 Voir « Commons : un intellectuel collectif de gauche ukrainien »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/05/16/commons-un-intellectuel-collectif-de-gauche-ukrainien/

Illustration : https://commons.com.ua/en/

Mouvement social (Sotsialnyi Rukh - Ukraine) : De l’Ukraine à la Palestine - L’occupation est un crime

6 février 2024, par Sotsialnyi Rukh — , ,
La guerre dans la bande de Gaza dure depuis plus de deux mois. Le Mouvement Social (Ukraine) s'engage pour une paix juste au Proche-Orient, pour laquelle il est nécessaire (…)

La guerre dans la bande de Gaza dure depuis plus de deux mois.
Le Mouvement Social (Ukraine) s'engage pour une paix juste au Proche-Orient, pour laquelle il est nécessaire d'éliminer l'oppression structurelle des Palestiniens et la violence systématique à l'encontre de la population civile. Notre organisation condamne l'attaque sanglante menée le 7 octobre 2023 contre la population civile dans le cadre de l'attaque du mouvement islamiste militarisé Hamas contre Israël. Les massacres brutaux de femmes des kibboutzim, de travailleurs étrangers, de Bédouins et d'autres civils, qui ont coûté la vie à plus d'un millier de personnes, ainsi que l'enlèvement de civils en tant qu'otages, ne peuvent avoir aucune justification.

Cependant, nous condamnons l'opération "Glaive de fer" lancée par le gouvernement d'extrême droite de Netanyahou en réponse à l'attaque du 7 octobre, ainsi que les crimes de guerre commis dans le cadre de cette opération. Les actions de l'armée israélienne dans la bande de Gaza sont punitives à l'égard de l'ensemble de sa population, dont près de la moitié sont des enfants. Israël a imposé un siège total à la bande de Gaza, qui fait l'objet d'un blocus illégal israélo-égyptien depuis 2007, empêchant l'approvisionnement en eau, en électricité, en nourriture et en médicaments des plus de 2 millions d'habitants de Gaza, transformant la bande de Gaza en "la plus grande prison à ciel ouvert du monde".

Selon diverses données fournies par des organisations internationales, quelques semaines après cette opération, jusqu'à 18 000 civils, dont 7 800 enfants, ont été tués et 50 000 autres personnes ont été blessées ; 85 % des quelque 2 millions d'habitants de la bande de Gaza ont été contraints de fuir leur domicile. Plus de 200 travailleurs médicaux et plus de 100 employés de l'ONU figurent parmi les morts. Les Nations unies confirment qu'au moins la moitié de la population de Gaza est réduite à la famine. Il semble inacceptable de justifier l'imposition d'une catastrophe humanitaire et la terreur d'une puissante machine militaire contre la population civile sous le prétexte d'une "guerre contre le terrorisme", comme l'ont fait les Russes en Ichkérie/Tchétchénie ou les Américains en Irak.

La prochaine opération militaire d'Israël dans la bande de Gaza est tout le contraire d'une résolution efficace du conflit. Cette politique dure depuis des décennies, depuis que l'État d'Israël, après une confrontation avec les pays arabes voisins, renforcée par les politiques coloniales britanniques, a déplacé des centaines de milliers de Palestiniens de leur terre, après quoi des millions de leurs descendants ont été condamnés à fuir (événements connus sous le nom de Nakba - "catastrophe" en arabe). Les autorités israéliennes continuent d'ignorer les nombreuses résolutions de l'ONU, dont la dernière, adoptée le 27 octobre par 120 des 193 États membres de l'Assemblée générale, appelait à un cessez-le-feu. Les rapports des Nations unies et des organisations de défense des droits de l'homme ont à maintes reprises comparé la ségrégation des Palestiniens pratiquée par Israël au régime d'apartheid d'Afrique du Sud.

Les colons israéliens, dont beaucoup sont des fanatiques militants, poursuivent leur politique de colonisation et de violence à l'encontre de la population palestinienne de Cisjordanie avec la connivence des autorités israéliennes, qui humilient, détiennent arbitrairement et tuent quotidiennement des hommes, des femmes et des enfants palestiniens. Avant même les événements de cette année, selon les calculs de l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme Bezelem, les Israéliens ont tué plus de 10 000 Palestiniens et Palestiniennes depuis 2000.

En outre, la règle générale est la disproportion de la violence de la part d'Israël, avec laquelle il répond même à des manifestations exclusivement pacifiques. Par exemple, lors de la répression de la [Grande Marche du Retour] des Palestiniens vers le mur qui bloque Gaza, les forces de sécurité israéliennes ont tué 195 Palestiniens, dont 41 mineurs [en un an depuis mars 2018] (données du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU). Et en ce qui concerne le nombre de Palestiniens tués en Cisjordanie, 2023 est devenue une année record depuis que l'ONU tient des statistiques (et ce, depuis octobre, lorsque les forces de sécurité israéliennes ont tué plus d'une centaine de personnes dans cette partie de la Palestine, qui ne compte aucune base du Hamas). La réaction indifférente de la communauté mondiale, qui s'est contentée d'exprimer sa "profonde inquiétude", a renforcé le désespoir des habitants de la région quant à la possibilité de résoudre le conflit par des moyens pacifiques, ce que les forces fondamentalistes utilisent.

L'actuel gouvernement Netanyahou, lui aussi rempli de réactionnaires et de fanatiques religieux qui déshumanisent ouvertement les Palestiniens et appellent à leur meurtre et à leur génocide, est allé encore plus loin que ses prédécesseurs. À un moment donné, Israël lui-même a joué un rôle non négligeable en supplantant la résistance à l'occupation, principalement laïque et non violente, des Palestiniens à l'époque de la première Intifada, par une variété plus à droite, plus violente et plus fondamentaliste. Netanyahou et ses fonctionnaires ont admis avoir encouragé les réactionnaires et les fanatiques religieux du Hamas, parce que cela a affaibli l'Autorité palestinienne, introduit une discorde supplémentaire dans la condition des Palestiniens et saboté les perspectives de construction d'un État souverain pour eux.

Cette politique imprudente n'a pas changé, même après que les services de renseignement égyptiens, mais aussi israéliens, ainsi que des militaires en activité ou à la retraite, aient mis en garde contre une éventuelle escalade résultant du blocus et de la politique coloniale. Ainsi, l'ancien chef de la marine israélienne et des services secrets Shabak, Ami Ayalon, a averti que "lorsque les Palestiniens nous voient détruire leurs maisons, la peur, la frustration et la haine augmentent. Ce sont ces raisons qui poussent les gens vers les organisations terroristes".

Netanyahou, comme d'autres conservateurs, a constamment utilisé la rhétorique de la "défense contre les menaces" pour justifier ses attaques contre les libertés démocratiques et la poursuite du renforcement de l'appareil de sécurité, qui n'a toutefois pas empêché les attaques du Hamas depuis Gaza, mais qui s'est plutôt préoccupé de terroriser les Palestiniens en Cisjordanie. Après tout, la spirale sans fin de la violence n'a pas amélioré et n'améliorera pas la sécurité de quiconque, à l'exception des forces conservatrices et nationalistes extrêmes. Une telle atmosphère a déjà conduit à la Knesset et au gouvernement les plus à droite de l'histoire d'Israël. Et la guerre actuelle a fourni une indulgence au cabinet Netanyahu contre lequel des manifestations de masse se sont poursuivies pendant la majeure partie de l'année 2023 (de manière caractéristique, un sondage réalisé à la veille de l'escalade a montré que la majorité de la population de Gaza ne faisait pas confiance au mouvement Hamas, qui, il y a plus d'une décennie et demie, après un conflit civil avec le Fatah, a mis en place un gouvernement autoritaire à parti unique dans la région).

Dans le même temps, le courant dominant des deux principaux partis du principal mécène d'Israël - les États-Unis - s'est montré immédiatement prêt à apporter un soutien militaire et diplomatique inconditionnel à la quasi-totalité des actions du gouvernement israélien. Ici, tant le contraste avec les hésitations concernant les livraisons d'armes à l'Ukraine que le désir des cercles les plus réactionnaires de la classe dirigeante américaine - l'aile droite du Parti républicain - de financer le nettoyage ethnique et les aventures du gouvernement Netanyahou aux dépens de la privation de l'aide aux Ukrainiens sont notables. En cela, les Trumpistes sont semblables à beaucoup d'autres forces d'extrême droite en Occident : comptant de nombreux antisémites dans leurs rangs, ces partis protègent en même temps la capacité des forces de sécurité israéliennes et russes à tuer en toute impunité des habitants de la Palestine et de l'Ukraine.

Qui plus est, Washington a lui-même contribué à la montée actuelle des tensions, en soutenant exclusivement depuis l'administration Trump l'empiètement d'Israël sur Jérusalem en tant que capitale. Aujourd'hui, les États-Unis opposent leur veto aux initiatives du Conseil de sécurité de l'ONU, telles que la proposition brésilienne de corridors humanitaires ou la dernière résolution sur le cessez-le-feu du 8 décembre, qui a été votée par 13 des 15 membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Comme dans le cas de l'invasion russe de l'Ukraine, cela prouve une fois de plus que les membres permanents de l'ONU devraient être privés de leur droit de veto qui paralyse la capacité de la communauté internationale à mettre fin au carnage.

L'agression massive de la Russie contre l'Ukraine a accru le climat de tension internationale et d'impunité, permettant l'escalade d'une série de conflits qui mettent des communautés entières au bord de la survie, comme cela s'est déjà produit avec la population arménienne du Haut-Karabakh à la suite des actions agressives du régime d'Aliyev en septembre de cette année. Le cycle actuel de confrontation au Moyen-Orient est du même ordre et a entraîné des tendances inquiétantes dans le reste du monde, en particulier une montée en flèche de l'antisémitisme et de l'islamophobie (jusqu'à des tentatives de pogroms juifs, comme dans le Caucase du Nord contrôlé par la Russie de Poutine, des attaques armées contre des Palestiniens comme les étudiants du Vermont, ou le meurtre de personnes comme le garçon palestinien à Chicago ou la fusillade par la police de touristes juifs et d'un guide local en Égypte).

Malheureusement, la réaction des autorités ukrainiennes révèle également une approche extrêmement partiale et unilatérale : condamnant à juste titre les attaques contre les civils en Israël et honorant les morts, elle préfère en même temps ignorer les civils morts en Palestine. Bien que la diplomatie ukrainienne aux Nations unies ait toujours condamné l'occupation illégale des terres palestiniennes et les autres violations commises par Israël dans presque tous les cas, les autorités ukrainiennes adoptent une position ambivalente sur l'occupation russe et fournissent les derniers précédents à suivre. Au lieu de cela, la rhétorique honteuse de diabolisation des Palestiniens, les déclarant tous, des nourrissons aux personnes âgées, comme des "terroristes", prévaut dans les médias ukrainiens.

Oui, il faut être conscient que pour de nombreux "amis" autoproclamés de la Palestine, qu'il s'agisse de partenaires et de sponsors bien connus du Hamas, comme les autorités autoritaires du Qatar, de la Turquie, de l'Iran, de l'Arabie saoudite ou de la Russie (qui a entretenu des relations amicales avec le gouvernement Netanyahou et le Hamas), la tragédie du peuple palestinien n'est qu'une monnaie d'échange. Mais réduire les Palestiniens à des "mandataires de Téhéran et du Kremlin" dans l'espace d'information national est une caricature aussi analphabète et scandaleuse que la justification par "mandataire" de l'agression russe contre l'Ukraine.

C'est plutôt en Ukraine qu'il faut comprendre la souffrance du peuple palestinien : là aussi, l'occupation par un État qui possède des armes nucléaires et une supériorité dans les forces armées se poursuit, au mépris des résolutions de l'ONU et du droit international, en niant les droits à la subjectivité et à la résistance. La tragédie que nous vivons actuellement devrait aiguiser notre sensibilité aux expériences humaines similaires dans tous les coins du monde. La lettre ukrainienne de solidarité avec le peuple palestinien, publiée sur la plateforme du site web du magazine "Spilne", témoigne de ces voix alternatives à la voix officielle, qui affirment le droit universel à l'autodétermination et à la résistance à l'occupation.

Dans son poème, l'écrivaine arabe Hiba Kamal Abu Nada demande : "Comme vous êtes seuls, notre solitude, quand ils gagnent leurs guerres", quand "votre terre est vendue aux enchères et que le monde est un marché libre... C'est l'âge de l'ignorance, quand personne n'intercédera pour nous". La poétesse de 32 ans est devenue l'une des milliers de victimes civiles des frappes aériennes israéliennes de cette année. Le devoir du monde est de ne pas laisser les opprimés seuls, surtout lorsqu'ils sont menacés d'extermination physique. De ne pas supporter les bombes et les roquettes qui volent sur leurs têtes. Ni en Ukraine, ni en Palestine.

C'est pourquoi le "Mouvement social" appelle à un cessez-le-feu immédiat et à l'admission de l'aide humanitaire dans la région, et exprime également son soutien au peuple palestinien dans son désir légitime d'une paix juste et durable.

First published at Sotsialnyi Rukh. 31 janvier 2024
https://ukraine-solidarity.eu/manifestomembers/get-involved/news-and-analysis/news-and-analyses/social-movement-ukraine-from-ukraine-to-palestine-occupation-is-a-crime

First published at Sotsialnyi Rukh.
(Traduction : Deepl.com)

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Ukraine : 2 ans de guerre, un point de vue féministe ukrainien

6 février 2024, par Patrick Trehondat — , ,
Après 2 ans de guerre, comment voyez-vous la situation en Ukraine ? Au cours des deux dernières années, la société ukrainienne a connu des changements spectaculaires dans son (…)

Après 2 ans de guerre, comment voyez-vous la situation en Ukraine ?
Au cours des deux dernières années, la société ukrainienne a connu des changements spectaculaires dans son mode de vie et ses visions. Cette transformation est également évidente parmi les militantes féministes et les femmes* en général.

La guerre a suscité un débat sur la question de savoir si les mouvements féministes devaient être clairement antimilitaristes. À une époque où les Ukrainiens sont confrontés à la menace d'anéantissement physique, la position antimilitariste de certaines féministes occidentales apparaît comme un privilège, aveugle aux menaces et aux dangers réels auxquels les femmes ukrainiennes sont confrontées quotidiennement. Les féministes ukrainiennes ont adopté un message clé en ces temps difficiles : l'Ukraine a besoin d'armes. Elle a besoin d'armes défensives, comme des systèmes de défense aérienne pour protéger son ciel des attaques constantes de missiles russes qui dévastent les villes ukrainiennes et tuent des civils, ainsi que d'armes offensives pour reprendre les territoires occupés à l'agresseur.

La guerre a touché tout le monde en Ukraine. Alors que certaines régions semblent « normales » et exemptes d'hostilités directes, les attaques à la roquette et les menaces constantes de la Russie persistent. Presque tout le monde a un proche qui sert dans l'armée ou a perdu quelqu'un au cours de ces années. Les Ukrainiens sont contraints de surmonter les traumatismes personnels et collectifs, l'incertitude quant à l'avenir, les menaces militaires quotidiennes et les difficultés quotidiennes tout en faisant preuve de résilience et en appelant au soutien et à l'assistance internationaux.

Malheureusement, au cours des deux dernières années, l'intérêt général pour l'Ukraine a décliné, alors que les défis auxquels est confrontée la société ukrainienne n'ont pas diminué. Ces défis continuent d'exister ou évoluent vers de nouvelles formes. Les problèmes vont de la réponse aux besoins de milliers de personnes déplacées des villes de première ligne à la manière de fournir de l'électricité aux villes pendant les bombardements des infrastructures énergétiques. Les Ukrainiens doivent constamment faire preuve de flexibilité, de créativité et de résilience pour faire face aux nouveaux défis posés par la guerre.

Les féministes, comme tous les Ukrainiens, ont été contraintes de s'adapter aux nouveaux rôles et aux nouveaux défis provoqués par la guerre à grande échelle. De nombreuses féministes servent dans l'armée ou se portent volontaires pour répondre aux besoins des premières lignes. Les organisations féministes en Ukraine poursuivent leur travail, répondant désormais également aux besoins nés de la guerre, comme l'aide aux personnes déplacées à l'intérieur du pays et la résolution d'autres défis. Les besoins des femmes dans la société ukrainienne ont considérablement augmenté. L'insécurité économique et sociale augmente, parallèlement aux pertes d'emplois. De nombreuses femmes ont perdu leur maison et leur emploi et se sont retrouvées seules face à la situation lorsque leurs maris ont été mobilisés au front.

L'Ukraine n'a toujours pas de voix reconnue dans de nombreuses discussions internationales. Elle est souvent privée de moyens d'agir par la communauté internationale et elle est considérée comme une zone d'influence pour l'OTAN ou la Russie. Les Ukrainiens doivent se battre non seulement pour leur survie physique, mais aussi pour le droit de se représenter eux-mêmes et de défendre leurs intérêts, en préservant continuellement leur liberté d'action. Ces questions concernent également les féministes ukrainiennes, qui doivent non seulement penser à leur survie et apporter leur aide dans le pays, mais aussi faire face aux malentendus et aux attitudes parfois paternalistes des féministes occidentales.

Cependant, des changements positifs ont également eu lieu pour la société féministe ukrainienne. En juin 2022, le gouvernement ukrainien a ratifié la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. C'était l'une des principales revendications des féministes ukrainiennes depuis plusieurs années et une étape vers une plus grande intégration de l'Ukraine dans l'UE. De plus, les femmes soldates ukrainiennes défendent activement leurs droits dans l'armée, ce qui a entraîné des changements dans l'organisation militaire et des adaptations pour mieux répondre aux besoins des femmes. La perception du féminisme en Ukraine est en train de changer. La société commencent à ne plus le considérer à travers des stéréotypes sur les femmes militantes. Une représentation collective des femmes militaires activistes, des militantes qui ouvrent des refuges et aident à résoudre des problèmes humanitaires et de femmes bénévoles, entre autres apparaît. Ce changement contribue à créer de nouveaux liens avec les partenaires et à changer la perception globale du féminisme.

Quelle est la situation de votre association et de vos projets ?

Avec le début de l'invasion russe à grande échelle, l'Atelier féministe été contraint d'élargir son champ d'activités. La guerre à grande échelle a non seulement amplifié les problèmes sociaux existants, mais a également créé de nouveaux défis, qui nous ont poussés à mettre en œuvre de nouvelles orientations. Notre équipe a ouvert Réponse à la crise, dont la tâche principale est d'aider les femmes* et les enfants touchés par la guerre. L'un des publics cibles est celui des personnes déplacées à l'intérieur du pays. Nous avons vu que les personnes contraintes de quitter leur foyer avaient besoin de sécurité, de soutien, de communication, de loisirs, de réalisation de soi et de développement. Ces besoins sont fondamentaux et essentiels à la vie humaine. C'est pourquoi nous avons créé des refuges – des espaces sûrs qui contribuent à renforcer la confiance dans la communauté, à accroître la cohésion sociale et à impliquer les personnes déplacées dans la vie communautaire. Depuis leur création, les refuges accueillent 80 personnes, certaines avec leurs animaux de compagnie (trois chats, deux rats, deux chiens). Au départ, nous avons créé trois refuges, et aujourd'hui l'un d'eux fonctionne toujours activement. Nous avons rapidement réalisé que les femmes et les enfants touchés par la guerre avaient non seulement besoin d'un logement, mais également d'un soutien complexe pour surmonter leurs expériences traumatisantes et vivre pleinement leur vie. Nous apportons également une assistance individuelle pour résoudre les problèmes quotidiens rencontrés par les résidents du refuge. Un autre aspect important de notre soutien a été l'organisation de groupes pour les enfants de femmes déplacées à l'intérieur du pays, un programme d'aide aux femmes âgées à faible revenu, des cours d'alphabétisation numérique et un soutien psychologique à la communauté. Et cette liste n'est pas complète.

Malgré les efforts actifs de notre organisation pour faire face aux défis d'une invasion à grande échelle, de nouveaux défis entraînent des dépenses imprévues, par exemple l'achat de générateurs pour faire fonctionner le bureau pendant les attaques contre les infrastructures énergétiques du pays. La recherche de financement pour nos activités existantes et nouvelles n'est pas de plus en plus facile. L'imprévisibilité et la complexité de la planification de nos activités, la difficulté de répondre aux demandes des partenaires occidentaux lors d'une invasion à grande échelle et l'épuisement général contribuent tous à faire de la collecte de fonds un défi supplémentaire.

Qu'espérez-vous pour l'année 2024 ?

L'espoir est un privilège que nous ne pouvons nous permettre lors d'une invasion à grande échelle. Il y a des actions et un soutien concrets dont nous avons besoin et que nous réclamons. En tant qu'organisations féministes ukrainiennes œuvrant pour défendre les droits humains et aider les femmes* à surmonter les conséquences du conflit armé, nous possédons une compréhension approfondie du contexte et des besoins actuels de notre public, ainsi que des meilleurs moyens de fournir cette assistance. Sans soutien financier, informationnel et humanitaire , nous ne pourrons pas travailler systématiquement et créer du changement. Nous n'espérons pas seulement que l'Atelier Féministe poursuive ses activités et dispose de suffisamment de ressources financières et humaines : nous nous battons constamment pour cela. Nous en avons également assez d'être exclues des discussions sur les moyens possibles d'aider les femmes ukrainiennes. Cette année est cruciale pour nous afin de faire entendre la voix des féministes ukrainiennes sur les plateformes internationales, en défendant leurs besoins et en réclamant leur droit de parole dans les discussions mondiales. En général, nous voulons simplement survivre en 2024, dans tous les sens du terme. Et comme tous les Ukrainiens, nous croyons dans notre objectif principal et luttons chaque jour pour l'atteindre : la victoire de l'Ukraine et la fin de l'agression russe.

1er févier 2024
Propos recueillis par Patrick Le Tréhondat

1 Voir La parole à L'atelier féministe
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/07/13/la-parole-a-latelier-feministe-feministytchna-maisternia

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En Indonésie, l’âge d’or du nickel est terminé

6 février 2024, par Courrier international — , , ,
L'exploitation du nickel en Indonésie, premier producteur mondial, a provoqué de nombreux dégâts : dépendance économique à la Chine, saccage de l'environnement, accidents (…)

L'exploitation du nickel en Indonésie, premier producteur mondial, a provoqué de nombreux dégâts : dépendance économique à la Chine, saccage de l'environnement, accidents mortels… Or depuis la chute drastique de son prix en 2023, due à une nouvelle génération de batteries à base de lithium et d'indium, l'appétit mondial pour ce minerai s'est calmé. Exposant l'archipel à de graves difficultés financières.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Un ouvrier place du minerai de nickel dans le haut-fourneau de l'usine de Vale Indonesia, dans la province de Sulawesi du sud, en Indonésie, en mars 2023. Photo Basri Marzuki / Nurphoto / AFP.

En 2020, Jakarta avait annoncé “l'âge d'or de l'Indonésie” en 2045 et interdit l'exportation de minerai de nickel brut afin de développer des industries de batteries électriques dans l'archipel. À l'époque déjà, certains économistes estimaient que “cette ‘fièvre du nickel' n'était pas durable, car elle n'entraînait pas l'effet multiplicateur attendu et rendait l'Indonésie vulnérable au choc économique chinois”, rappelle sur son site BBC News Indonesia.

La conjoncture actuelle semble leur donner raison. Les prix mondiaux du nickel se sont effondrés de plus de 40 % en 2023. Selon les données du ministère de l'Énergie et des Ressources minérales indonésien, citées par Koran Tempo, “sa valeur est passée de 27 482 dollars [environ 25 300 euros] par tonne sèche en janvier 2023 à 16 383 dollars [environ 15 090 euros] en janvier 2024”.

Surproduction mondiale

La Banque mondiale estime que cette tendance se poursuivra cette année. Une des causes de cet effondrement est la surproduction. L'Indonésie, en tant que plus grand producteur de minerai de nickel, a contribué à augmenter les stocks mondiaux. “Selon l'International Nickel Study Group, l'excédent pourrait atteindre 223 000 tonnes en 2023”, précise Koran Tempo.

Économiste et directeur exécutif du Centre d'études économiques et juridiques indonésien (Celios), Bhima Yudhistira apporte des explications à BBC News Indonesia sur ce phénomène de “ruée vers le nickel” :

  • “De nombreuses entreprises chinoises se sont précipitées en Indonésie, et, en effet, la porte du secteur s'est ouverte après que le gouvernement a interdit l'exportation de minerai de nickel brut. Les investissements ont donc augmenté de manière assez brusque.”

Le groupe chinois qui domine le secteur est le producteur d'acier inoxydable Tsingshan Holding Group, qui est arrivé en Indonésie le 3 octobre 2013, lors de la visite du président Xi Jinping, pour construire la zone industrielle de Morowali, dans le centre de Sulawesi. Cela s'inscrivait dans le cadre de l'initiative de la Belt and Road Initiative (BRI), les nouvelles routes de la soie chinoises, lancée par le dirigeant chinois à peine un mois plus tôt. En dix ans, le site de Morowali s'est développé sur 4 000 hectares, attirant 20,9 milliards de dollars d'investissement.

Ralentissement économique chinois

Mais, en 2022, la croissance économique de la Chine a ralenti à 3 %, contre 8,4 % en 2021. Même si ce chiffre a atteint 5,2 % en 2023, la Banque mondiale prévoit que la croissance de la Chine ne sera que d'environ 4 % au cours des deux prochaines années.

“De plus, la Chine est confrontée à une crise immobilière. De ce fait, ses activités d'investissement à l'étranger sont entravées, et cela ébranle la dépendance de Jakarta à ces investissements”, a déclaré à BBC News Indonesia Mohammad Faisal, économiste et directeur exécutif du Centre de réforme de l'économie (Core).

Coordinateur du Mining Advocacy Network, Melky Nahar accuse le président Joko Widodo d'avoir déroulé le “tapis rouge” aux investissements chinois sans prêter attention aux nombreux problèmes sur le terrain, notamment les conflits fonciers, les problèmes de santé et les dommages environnementaux, explique-t-il à BBC News Indonesia. “La fièvre du nickel a fait perdre la tête au gouvernement.”

Selon une analyse des ONG Satya Bumi et Walhi, les opérations d'extraction de nickel en Indonésie ont entraîné une déforestation qui s'élève à 78 948 hectares depuis 2014. L'objectif officiel de Jakarta en matière de développement de l'industrie du nickel était d'encourager l'utilisation de véhicules électriques pour lutter contre le dérèglement climatique.

Dégâts environnementaux et sociaux

“En réalité, ces industries ont contribué à l'aggravation du réchauffement climatique, à l'augmentation de la pollution de l'air et à la perte de la biodiversité”, écrivent Satya Bumi et Walhi dans leur rapport “Neo-Extractivism in Indonesia's Nickel Epicenter”, publié en octobre 2023.

BBC News Indonesia rappelle aussi la violation de la protection des travailleurs, notamment après l'explosion de l'un des fours d'une fonderie de la zone industrielle de Morowali, le 24 décembre 2023. L'accident a tué au moins 21 personnes et en a blessé 38 autres.

Désormais, les industriels s'intéressent davantage aux batteries à base de lithium ou de lithium-fer-phosphate (LFP), qui ont l'avantage d'être moins chères que celles en nickel. “Et plus récemment, souligne Kompas, les ingénieurs de l'université Cornell ont créé une nouvelle batterie utilisant de l'indium, un métal mou, actuellement très utilisé pour les écrans tactiles et les panneaux solaires.” Une innovation qui permettrait de recharger une batterie de voiture en moins de cinq minutes.

Ce qui fait dire au militant écologiste Melky Nahar, dans BBC News Indonesia : “Ainsi, je pense que 2045 ne sera pas l'‘âge d'or' de l'Indonésie mais son ‘âge de mort'.”

Courrier international

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Au Pakistan, l’intelligence artificielle bouscule la campagne des législatives

6 février 2024, par Ramsha Jahangir — , ,
À l'approche des élections générales du 8 février, les partis politiques investissent le champ des possibles ouvert par l'arrivée des dernières techniques d'intelligence (…)

À l'approche des élections générales du 8 février, les partis politiques investissent le champ des possibles ouvert par l'arrivée des dernières techniques d'intelligence artificielle. Mais la perception de ces contenus par les électeurs reste la grande inconnue de cette campagne “dématérialisée”, souligne cette analyse publiée dans “Dawn”, le quotidien pakistanais de référence.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Dessin d'Arcadio paru dans la Prensa libre, San Jose (Costa Rica). Article paru à l'origine dans Dawn.

C'est une nouvelle règle du jeu dans l'univers de la politique à l'ère numérique : un flot continu de contenus générés artificiellement caractérise désormais les campagnes électorales, avec l'essor d'outils gratuits, comme le clonage des voix ou l'édition d'images.

Au Pakistan, les dernières législatives [en 2018] témoignaient déjà d'une sophistication croissante des campagnes numériques : création de faux comptes, bombardements coordonnés de hashtags, applis mobiles personnalisées, organisation de grands événements à partir des réseaux sociaux… Et, en février 2024, le pays va vivre sa plus grande élection dématérialisée. Les partis politiques sont naturellement tentés de franchir un nouveau cap avec l'intelligence artificielle [IA].

“On s'est servis de l'IA pour créer des contenus de campagne pour le retour de [l'ex-Premier ministre] Nawaz Sharif [après ses quatre ans d'exil à Londres], en octobre dernier”, explique Muzakir Ijaz, un consultant chargé de la stratégie numérique de la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz [LMP-N, droite].

“L'IA permet de générer des contenus visuels, mais elle a encore du mal à intégrer l'ourdou [la langue officielle du Pakistan], ce qui limite l'usage qu'on peut en faire”, poursuit le spécialiste, qui, précise-t-il, a recruté trente professionnels du numérique pour la campagne de la LMP-N.

Effritement de la confiance

Pour ce genre d'équipe, l'IA revêt un intérêt financier certain, en leur évitant de faire appel à de coûteux experts pour analyser les données et lancer des campagnes personnalisées. Mais les dérives potentielles n'en sont pas moins inquiétantes.

L'année dernière, une vidéo contrefaite d'Imran Khan [Premier ministre de 2018 à 2022] le montrait les yeux fermés, faisant naître la crainte de mauvais traitements qu'il aurait subis alors qu'il était maintenu en prison. Ce clip de vingt-six secondes avait été posté sur X, où il a été partagé plus de 500 fois. Les vérifications de l'AFP ont permis d'établir que les auteurs de la vidéo avaient simplement appliqué un filtre donnant l'illusion qu'Imran Khan avait les yeux fermés.

“Les partis politiques se servent de l'IA pour influencer plus spécifiquement les électeurs qui maîtrisent mal l'outil numérique ou qui ne sont pas politisés”, indique Nighat Dad, qui dirige une ONG, la Fondation pour les droits numériques :

  • “Comment feront-ils la distinction entre un contenu authentique et un contenu ‘synthétique' ? L'utilisation de l'IA peut entraîner un effritement de la confiance du public dans l'authenticité de l'information qu'il consomme.”

“Heureusement, on voit encore la différence entre la réalité et les contenus générés par l'IA, tempère Jibran Ilyas, responsable des réseaux sociaux au sein du Mouvement du Pakistan pour la justice [PTI, le parti d'Imran Khan]. On a dû tester 36 versions différentes en ourdou avant d'atteindre un niveau de précision de 65 % dans la diction. Les gens voient bien que ce n'est pas vrai.”

Considérations éthiques

Jibran Ilyas soutient que le PTI fait un usage réfléchi de l'IA et a clairement annoncé la couleur lors d'un meeting audio d'Imran Khan, prévenant les auditeurs que “sa voix [était] générée par l'intelligence artificielle, et le texte rédigé sur la base de ses notes”.

  • “On expérimente en ce moment diverses manières d'utiliser l'IA tout en tenant compte des considérations éthiques. On diffusera peut-être un autre discours [contrefait] d'Imran Khan la veille de l'élection.”

Le parti, poursuit le spécialiste, se focalisera surtout sur TikTok à l'approche du jour J, au vu de la popularité du réseau social chez les jeunes et dans les zones rurales. Il faut dire que le nombre d'internautes a explosé au Pakistan depuis les dernières législatives, passant de 58 millions en 2018 à 129 millions aujourd'hui.

Or une étude récente sur la perception de la désinformation chez les étudiants de l'enseignement supérieur révèle que 63 % des jeunes interrogés estiment être exposés de façon quotidienne à la désinformation sur Internet. Et quasiment la même proportion (62 %) pense que celle-ci représente une menace pour la démocratie et les élections.

“La valeur de la vérité s'effrite clairement, regrette Amber Rahim Shamsi, la directrice du Centre d'excellence journalistique [à Karachi, dans le sud du pays]. On a organisé des ateliers d'initiation au numérique dans 13 universités regroupant 800 étudiants pakistanais. Parmi eux, beaucoup n'étaient toujours pas capables de faire la différence entre les faits et la propagande.”

Amber Shamsi et son équipe viennent de lancer un outil de fact-checking non partisan, iVerify, dont le but est de faire progresser l'information impartiale et indépendante dans le paysage journalistique du pays. “Depuis 2018, les médias ont fait des progrès sur la vérification des faits. Pour autant, aucun des étudiants avec lesquels nous nous sommes entretenus n'était conscient des efforts consentis dans ce sens. Il y a encore beaucoup à faire.”

Ramsha Jahangir

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Evergrande en liquidation : la peur d’un effet domino pour l’immobilier en Chine

6 février 2024, par Pierre-Antoine Donnet — , , ,
Un tribunal de Hong Kong a ordonné le 29 janvier la mise en liquidation du géant de l'immobilier chinois Evergrande. L'annonce a plongé des milliers de créanciers dans (…)

Un tribunal de Hong Kong a ordonné le 29 janvier la mise en liquidation du géant de l'immobilier chinois Evergrande. L'annonce a plongé des milliers de créanciers dans l'incertitude sur la possibilité pour eux de retrouver leur argent. Elle symbolise la déroute de l'immobilier dans une Chine déjà en plein marasme économique inquiétant.

Tiré de The asialyst.

Fondé en 1996, Evergrande (恒大集团, Hengda en chinois) avait tiré parti de l'urbanisation accélérée du pays pour s'imposer. Symbole de la crise immobilière chinoise, le promoteur est endetté de quelque 328 milliards de dollars. Il avait échoué à présenter un plan de restructuration convaincant. C'en était trop pour ses créanciers internationaux qui, l'an dernier, avaient déposé une requête en liquidation contre le groupe devant ce tribunal hongkongais. La procédure a traîné en longueur car les parties tentaient de négocier un accord.

« [Considérant] l'absence évidente de progrès de la part de l'entreprise dans la présentation d'un plan de restructuration viable […], j'estime qu'il est approprié que le tribunal rende un jugement de liquidation de l'entreprise, et c'est ce que j'ordonne », a déclaré la juge Linda Chan. « La décision de justice d'aujourd'hui est contraire à notre intention première […]. C'est extrêmement regrettable », a réagi le directeur général d'Evergrande, Shawn Siu, au média économique chinois 21st Century Business Herald.

Après l'ajournement de la séance du matin, Fergus Saurin, un avocat représentant un groupe de créanciers, a déclaré aux journalistes qu'Evergrande n'avait pas « engagé le dialogue » avec eux. « Il y a eu des velléités de dialogue à la dernière minute qui n'ont abouti à rien, a-t-il affirmé. L'entreprise ne peut s'en prendre qu'à elle-même pour avoir été liquidée. »

Si les conséquences administratives restent floues, les conséquences économiques sont d'ores et déjà visibles. Après l'annonce de la mise en liquidation, l'action d'Evergrande a dévissé de plus de 20 % à la Bourse de Hong Kong, qui a suspendu la cotation du titre. Cette dernière a également suspendu la cotation de la filiale de véhicules électriques du groupe, Evergrande NEV. L'action du groupe avait connu une première suspension en septembre à la Bourse de Hong Kong, au lendemain d'une information de la presse selon laquelle son patron se trouvait en résidence surveillée après avoir été interpellé au début du mois.

Défaut de paiement et faillite américaine

La dégringolade d'Evergrande, en défaut de paiement pour la première fois en 2021 et déclaré en faillite aux États-Unis, avait été étroitement suivie par les autorités chinoises, le groupe étant un pilier de l'économie du pays. Le secteur de la construction et de l'immobilier représente en effet plus d'un quart du PIB chinois. Durant des décennies, les nouveaux logements en Chine étaient payés avant même leur construction par les propriétaires, et les groupes finançaient leurs nouveaux chantiers à crédit. Mais l'endettement massif du secteur était perçu ces dernières années par le pouvoir comme un risque majeur pour l'économie et le système financier du pays.

Pékin avait progressivement durci à partir de 2020 les conditions d'accès au crédit des promoteurs immobiliers. Conséquence : les sources de financement de groupes déjà endettés se sont taries. Le gouvernement avait plusieurs fois annoncé des mesures pour tenter de sauver son secteur immobilier, en vain. En décembre, selon les chiffres officiels, soixante grandes villes chinoises ont de nouveau enregistré une baisse des prix de l'immobilier sur un mois. Evergrande, qui emploie 200 000 personnes, était la plus grande société immobilière de Chine et régnait sur un secteur qui a explosé quand l'immobilier est devenu le fondement de la richesse croissante d'une classe moyenne en plein essor.

Mais les difficultés financières d'Evergrande ont entraîné l'arrêt de chantiers, tandis que des propriétaires lésés se sont retrouvés avec des logements inachevés sur fond de ralentissement économique et de baisse des prix. Incapable de rembourser les intérêts de ses emprunts, Evergrande a fait défaut sur des paiements en décembre 2021. En août, le groupe s'est déclaré en faillite aux États-Unis, une mesure destinée à protéger ses actifs américains.

Un créancier, Top Shine Global, avait déposé une requête en liquidation à Hong Kong contre China Evergrande Group en 2022 et l'affaire avait alors traîné pendant que les parties tentaient de négocier un accord. Lors d'une audience en octobre, le taux de recouvrement des créanciers d'Evergrande avait été estimé à moins de 3 %. La juge doit nommer un liquidateur pour les actifs d'Evergrande dont le siège est à Hong Kong. Elle a précisé que cette décision signifierait que le patron du groupe Xu Jiayin (aussi connu sous son nom cantonais Hui Ka Yan) ne contrôlait plus l'entreprise.

Pas de crise financière « à la Lehman Brothers » ?

Le groupe avait à la fin juin une ardoise colossale estimée à 328 milliards de dollars, selon les chiffres les plus récents de l'entreprise. Il affiche 236,6 milliards de dollars d'actifs en Chine continentale et ailleurs. Certains d'entre eux ont déjà été vendus ces derniers mois pour obtenir des liquidités, pour un montant d'environ 7 milliards de dollars à fin novembre, selon les médias chinois. Mais on ne sait pas encore dans quelle mesure les actifs de l'entreprise pourront être récupérés par ses créanciers à l'étranger.

Étant donné que le jugement de mise en liquidation a été pris à Hong Kong, toute saisie des actifs de l'entreprise sur le continent pourrait nécessiter une décision judiciaire distincte dans ce pays. « Les tribunaux [du continent] peuvent refuser de reconnaître ou d'assister les liquidateurs de Hong Kong, a indiqué Jonathan Leitch, du cabinet d'avocats Hogan Lovells. Comme la grande majorité des actifs se trouvent [en Chine continentale], les liquidateurs devront examiner si ces actifs auront une quelconque valeur une fois que les créanciers prioritaires auront été satisfaits. » Pour Zerlina Zeng, analyste crédit chez Creditsights Singapore, citée par l'agence Bloomberg, il est permis de « douter que les créanciers à l'étranger reçoivent des montants substantiels de recouvrement grâce au jugement de liquidation ».

La Chine avait lancé plusieurs séries de sauvetages de son secteur immobilier en péril. Pékin avait annoncé la semaine dernière que ses banques avaient accordé près de 10 000 milliards de yuans (1 400 milliards de dollars) de prêts au secteur l'année dernière. Mais les autorités n'ont pas réussi à empêcher les ventes des biens immobiliers et les prix de continuer à baisser dans de nombreuses villes.

L'État chinois devrait veiller à ce que la décision ne fasse pas boule de neige, estiment les analystes. Il « gérera probablement cette liquidation de manière à ne pas provoquer d'effet de contagion majeur à d'autres secteurs de l'économie », prévoit Shane Oliver, économiste en chef de la société de services financiers AMP. « Pour ceux qui lisent avec anxiété les gros titres d'aujourd'hui […] et s'affolent : la chute d'Evergrande en 2021 n'a pas conduit en Chine à un moment similaire à [la crise financière déclenchée par] Lehman Brothers et la désintégration de sa coquille déjà morte en 2024 ne l'y mènera pas non plus », tempère le cabinet d'analyse China Beige Book dans un message sur X, ex-Twitter.

La descente aux enfers du promoteur chinois depuis 2021 illustre la face cachée d'une spéculation effrénée partagée tant par des investisseurs publics que par des milliers de Chinois, parmi lesquels de nombreuses personnes âgées qui espéraient ainsi préparer leur retraite et qui se retrouvent aujourd'hui flouées et désespérées.

La grande question qui se pose désormais est la possible contagion aux autres promoteurs immobiliers. Certains d'entre eux sont aussi en grande difficulté financière et proches de la faillite. « La mise en liquidation d'Evergrande pourrait accélérer le processus de négociation d'autre promoteurs pour la restructuration de leur dette », souligne John Lam, chef de la China and Hong Kong Property Research dans une note à ses clients. « Les créances sont distribuées de millions de façons différentes à travers l'ensemble du marché financier chinois, rappelle quant à lui Leland Miller, directeur général de la société d'analyse financière China Beige Book, cité par Reuters. La Chine possède un système financier non commercial, ce qui veut dire qu'il n'y aura pas de crise du type de Lehman. »

Quelles conséquences sur les actifs en Chine ?

Il reste que la confiance dans le secteur immobilier chinois est désormais durablement bousculée. Les dommages subis par les investisseurs sont en effet considérables. « La grande question [que se posent] les investisseurs est qu'ils ne savent rien de ce qui se passera avec les logements invendus », avertit Thomas Rupf, chef économiste pour les investissements en Asie de la VP Bank, cité par l'agence de presse britannique.

Par ailleurs, comment et quels seront les actifs qui seront vendus ? Le tribunal de Hong Kong a nommé le 29 janvier la société de consultants Alvarez & Marsal (A&M) liquidateur officiel d'Evergrande. Sa première mission sera d'étudier avec l'administration du promoteur quelles pourraient être « les propositions de restructuration viables », explique Tiffany Wong, l'une des responsables de A&M, citée le 30 janvier par le Nikkei Asia. « Notre priorité est de voir combien d'activités pourraient être conservées, restructurées et demeurer opérationnelles. »

Le jour de l'annonce à Hong Kong, Le directeur général d'Evergrande Xiao En, aussi connu sous le nom de Shawn Siu, a déclaré au média chinois Caijing que cette mise en liquidation n'empêcherait pas la poursuite des opérations du groupe en Chine et à l'étranger, tout en assurant que les constructions de logements en cours seraient toutes menées à bien. Mais la taille et la complexité d'Evergrande sont telles que sa liquidation pourrait prendre des années. Résoudre la question de la dette du groupe sera à elle seule « un processus très long et ardu », prévient Karl Choi, chef de la China property research de la Bank of America Securities.

Une autre question sera la manière dont la liquidation prononcée à Hong Kong sera mise en œuvre par les autorités de Pékin. En effet, la grande majorité des actifs d'Evergrande se trouvent sur le continent chinois où le système judiciaire est très différent de celui de Hong Kong. Quel sera également l'impact à venir de la liquidation du géant de l'immobilier sur les autres promoteurs ? « Le fait qu'Evergrande a maintenant été mis en liquidation constitue un précédent pour les créanciers étrangers qui recherchent une décision de justice pour la liquidation de promoteurs chinois dont les dettes cumulées qui dépassent 100 milliards de dollars arrivent à échéance cette année », remarque Brock Silvers, directeur général de Kaiyuan Capital, une société de courtage privée basée à Hong Kong.

Mais la seule complexité des problèmes d'Evergrande suscite des doutes sur la suite. « Avec la liquidation d'Evergrande, nous entrons dans des eaux inconnues », craint Kher Sheng Lee, un avocat de Hong Kong, directeur général de l'Asia Pacific et responsable à l'Alternative Investment Management Association, cité par le média japonais. Un liquidateur pourrait prendre le contrôle d'une partie des actifs à l'étranger, mais les conséquences [en Chine] sont tout sauf claires. Ce sera un processus compliqué qui prendra des années et qui laisse de nombreuses questions sans réponse. »

Il reste que l'effondrement de ce géant de l'immobilier, qui assure vouloir poursuivre ses activités en Chine, pourrait avoir des répercussions sur l'économie du pays. Cette décision de justice, prise dans la région chinoise semi-autonome de Hong Kong, peut-elle se concrétiser en Chine continentale, où le groupe est basé ? Non, assure la direction du géant immobilier. Shawn Siu l'affirme : dans la mesure où la filiale hongkongaise est indépendante des activités du groupe en Chine, il fera donc « tout son possible pour sauvegarder la stabilité de ses activités et opérations nationales ». Mais rien n'est moins sûr. Pour Lance Jiang, partenaire en restructuration au sein du cabinet d'avocats Ashurst, cité par Bloomberg, « le marché va être très attentif à ce que les liquidateurs désignés pourront faire et surtout à la question de savoir s'ils seront reconnus par l'une des trois cours suprêmes de Chine ».

Et pour cause : Hong Kong et la Chine continentale ont signé un accord en 2021, permettant la réciprocité des décisions de justice prises dans le territoire, notamment concernant les affaires commerciales. « Sans cette reconnaissance, les liquidateurs n'auront que peu de pouvoirs sur les actifs détenus [par Evergrande] en Chine continentale », insiste Lance Jiang.

C'est en Chine que se trouvent 90 % de ces actifs. Pour tenter de remettre en marche les chantiers alors que des centaines de particuliers attendent toujours que l'appartement qu'ils ont acheté soit terminé, le gouvernement chinois a mis la pression sur les acteurs du BTP, explique le New York Times. « Les gens vont surveiller si oui ou non les droits des créanciers sont respectés », estime Dan Anderson, de la firme Freshfields Bruckhaus Deringer, auprès du Financial Times. « Cela aura des implications à long terme pour l'investissement en Chine », ajoute-t-il, alors que Pékin a toujours besoin des investissements étrangers, déjà mis à mal par les tensions diplomatiques avec Washington.

« Je doute que les créanciers à l'étranger reçoivent un montant de recouvrement substantiel » de cette liquidation, juge pour sa part Zerlina Zeng, analyste crédit chez Creditsights Singapore, citée par l'agence Bloomberg. Si « l'impact macroéconomique peut être contenu », les investisseurs du monde entier surveillent « un effet boule de neige » susceptible de miner durablement leur confiance en Pékin, prévient Gary Ng, économiste chez Natixis SA, interrogé aussi par Bloomberg.

Les inconnues de la justice chinoise

La liquidation prononcée d'Evergrande intervient dans un contexte déjà très tendu ces derniers mois pour le secteur de l'immobilier chinois. Un autre géant local, Country Garden, s'est retrouvé lui aussi en défaut de paiement fin octobre, tandis qu'un troisième grand promoteur, Sunac, a dû trouver un accord pour une restructuration de sa dette.

Selon Shane Oliver, analyste de la société de services financiers AMP, cité par l'AFP, la décision de la justice hongkongaise est « une nouvelle étape » dans la crise de l'immobilier en Chine. Dans un secteur qui ne parvient pas à sortir la tête de l'eau depuis 2021, « la liquidation d'Evergrande est un signe que la Chine est prête à prendre des mesures radicales pour percer la bulle immobilière », analyse un autre spécialiste, Andrew Collier, d'Orient Capital Research, cité par CNN. C'est une bonne chose pour l'économie à long terme. Mais à court terme, ce sera très difficile. »

« Personne ne croit que la situation économique va s'améliorer » après cette liquidation, avertit Garcia Herrero, chef économiste pour l'Asie-Pacifique de la banque d'investissement Natixis, cité par le Washington Post. Evergrande démontre aux investisseurs étrangers combien il est risqué d'investir dans des entités chinoises à Hong Kong. Ceci était clair déjà avant, mais avec cette liquidation qui ne permet aucun accès aux avoir, ce sera d'autant plus clair maintenant. »

En décembre, les principales villes de Chine ont de nouveau enregistré une baisse des prix de l'immobilier sur un mois, selon les chiffres officiels, et ce malgré de nombreux plans des autorités visant à soutenir le secteur. Sur les 70 villes qui composent l'indicateur officiel de référence, 62 étaient ainsi concernées, contre 33 en janvier 2023, signe de la dégradation de la situation. Au total, les banques chinoises ont accordé l'an dernier pour près de 10 000 milliards de yuans (1 186 milliards de dollars) de prêts au secteur immobilier, selon des données récentes fournies par les autorités du pays.

La faillite spectaculaire d'Evergrande a ruiné les économies de milliers de petits épargnants. Mais elle signe en même temps la fin de l'argent facile en Chine. Un signe aussi de la fin probable d'une ère de prospérité dans ce pays désormais englué dans une crise économique inédite depuis plus de quarante ans. Cette mise en liquidation a pour contexte la fin du miracle économique chinois et de l'hypercroissance que la Chine a connu pendant presque quarante ans. L'immobilier en Chine a généré une dette publique et privée colossale qui se chiffre en milliers de milliards de dollars. Une bulle qui menace depuis longtemps d'éclater.

Reste que la liquidation d'Evergrande est l'une des conséquences d'une spéculation déclenchée par la hausse considérable du prix des terrains qui avait généré une vague de constructions démesurée. Aujourd'hui, les logements vides sont tellement nombreux dans le pays qu'ils pourraient héberger des centaines de millions de personnes, avait récemment indiqué un responsable chinois du secteur.

Plus de 90 % des actifs du géant sont situés sur le continent. Or, compte tenu du système légal en Chine, la liquidation peut être entravée aussi longtemps que le voudront les autorités de Pékin. Les tribunaux chinois étant tous contrôlés par le Parti communiste, c'est lui qui décidera seul de l'agenda. Or le moment de la décision n'est pas encore venu, car la Chine commémore à partir du 10 février le Nouvel an lunaire, une fête pendant laquelle des centaines de millions de Chinois retournent dans leurs villes et villages d'origine.

L'impact de cette tragédie sera particulièrement rude pour les travailleurs migrants car le secteur de la construction employait quelque 50 millions de Chinois dont beaucoup se retrouvent aujourd'hui au chômage. « Le contrôle gouvernemental exercé sur le bâtiment peut augmenter encore les doutes et entraver la confiance des consommateurs puisque personne ne peut croire les chiffres, estime mardi James Palmer, rédacteur en chef adjoint de Foreign Policy. Quel que soit le sort d'Evergrande, les investisseurs peuvent entendre les cloches sonner la fin de partie. »

Avec le naufrage d'Evergrande, c'est l'image et le lustre de la Chine dans le monde qui s'effritent encore davantage. Une Chine dont la toute-puissance longtemps incontestée est aujourd'hui remise en cause dans les milieux économiques et financiers en Occident, à l'heure où nombreux sont les investisseurs qui font leurs valises au profit d'autres pays plus sûrs tels que le Vietnam, la Malaisie ou surtout l'Inde.

Par Pierre-Antoine Donnet

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