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L’équipe de Donald Trump présage des relations orageuses avec Pékin

21 janvier, par Pierre-Antoine Donnet — , ,
Donald Trump, élu 47ème président des États-Unis, a nommé une équipe qui laisse présager le retour du tumulte dans les relations sino-américaines. En particulier avec celui (…)

Donald Trump, élu 47ème président des États-Unis, a nommé une équipe qui laisse présager le retour du tumulte dans les relations sino-américaines. En particulier avec celui qu'il a choisi comme chef de la diplomatie : Marco Rubio, sénateur de Floride et « faucon » connu pour ses positions radicales à l'égard du régime communiste chinois.

Tiré de Asialyst
22 novembre 2024

Par Pierre-Antoine Donnet

Donald Trump et Marco Rubio lors d'un meeting du candidat républicain à la Maison Blanche, à Raleigh en Caroline du Nord, le 4 novembre 2024, veille du scrutin présidentiel. (Source : ABC)

Macro Rubio sera « un défenseur ardent de [la] nation [américaine], un véritable ami pour [les] alliés [du pays] et un guerrier intrépide qui ne reculera jamais face [aux] adversaires » des États-Unis, a déclaré le président élu dans un communiqué le 13 novembre. S'il s'est fait connaître pour sa défense de la souveraineté de Taïwan, le sénateur de 53 ans, fils d'immigrés cubains, est ouvertement partisan d'une ligne dure envers la Chine. « Je pense que l'avenir du XXIème siècle sera défini par ce qui se passe dans l'Indo-Pacifique », avait-il affirmé sur le plateau de la chaîne catholique américaine EWTN après la victoire de Donald Trump le 5 novembre.

Tandis que le milliardaire new-yorkais avait, pendant sa campagne électorale, laissé entendre que l'île devrait payer les États-Unis pour sa défense, Marco Rubio a, lui, insisté sur le fait qu'une nouvelle administration Trump soutiendrait Taipei face à Pékin. Au Sénat, il avait également appelé à armer Taïwan, en passant par des livraisons directes d'équipements militaires américains plutôt que par la vente d'armes classique.
Né en 1971 en Floride, un État du Sud où habitent de nombreux immigrés cubains, Marco Rubio a grandi dans un environnement de grande hostilité à l'égard des régimes communistes – qu'il a clairement fait sienne. « C'est un élément très important, tant les origines comptent en politique américaine, car il fait de lui un anticommuniste viscéral », souligne Lauric Henneton, maître de conférences à l'Université de Versailles-Saint-Quentin, cité par Le Figaro.

« Il s'oppose frontalement à une réconciliation avec Cuba, à un accord sur le nucléaire iranien, et se dit même favorable à une intervention militaire en Iran. Des positions jamais vues depuis les néoconservateurs sous Georges Bush ! », souligne Romuald Sciora, directeur de l'observatoire politique et géopolitique des États-Unis de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

Marco Rubio a également soutenu l'idée d'une nouvelle politique industrielle américaine adaptée pour concurrencer l'économie chinoise. Sous le mandat de Joe Biden qui s'achève, il avait parrainé un projet de loi visant à bloquer l'importation de produits chinois fabriqués par le travail forcé des Ouïghours, cette minorité ethnique de confession musulmane en Chine victime d'une répression brutale. Marco Rubio avait aussi évoqué la « menace substantielle pour la sécurité nationale du pays » que représente TikTok, le réseau social de conception chinoise accusée d'espionnage aux États-Unis.

Si le sénateur de Floride milite toutefois, comme Donald Trump, pour que l'Ukraine accepte de négocier avec la Russie pour mettre rapidement un terme à la guerre avec la Russie, il défend, à la différence du président élu, l'importance d'alliances comme celle de l'OTAN.

Marco Rubio fait l'objet de sanctions décrétées par les autorités chinoises pour « s'être mal comporté sur les questions liées à Hong Kong ». Lors de la répression qui s'était abattue sur les contestataires dans l'ancienne colonie britannique, il avait pris des positions claires en faveur des mouvements hongkongais pro-démocratie. Mais, comme le souligne un commentateur de CNN, après sa nomination à la tête de la diplomatie américaine, la Chine pourrait bien être contrainte de lever ses sanctions pour pouvoir traiter avec lui.

Faucons et protectionnistes

Autre nomination qui n'est pas pour plaire à Pékin, celle de Mike Waltz, élu de Floride lui aussi mais à la chambre des Représentants. Waltz enfilera les habits très stratégiques de conseiller à la Sécurité nationale de la Maison Blanche. Cet officier des forces spéciales à la retraite est lui aussi en faveur d'une politique étrangère interventionniste, une opinion clairement inverse de l'isolationnisme de Donald Trump pendant son premier mandat et de son slogan « America First » encore brandi tout au long de sa campagne électorale.

« Monsieur Waltz est un faucon déclaré contre la Chine mais il est aussi d'avis que l'Amérique a pris des décisions erronées en Afghanistan et en Irak et devrait de ce fait en tirer les leçons, souligne The Economist. À propos de la Chine, Waltz s'est parfois fait l'écho de la rhétorique propre à la guerre froide : « Je vais combattre jusqu'à la fin cette fois-ci pour m'assurer que les États-Unis et le monde libre ne se mettront jamais à genou devant le Parti communiste chinois », a-t-il écrit sur X (ex-Twitter) en 2021. »

Autre nomination qui symbolise la volonté déjà clairement affirmée du président élu pendant sa campagne d'en découdre avec la Chine sur le plan des échanges commerciaux, celle de Robert Lighthizer. À 77 ans, cet ancien représentant américain au commerce lors du premier mandat de Trump, est lui aussi un fidèle adepte du protectionnisme, y compris avec Pékin. Il avait été à la Maison Blanche l'une des figures de proue de la guerre commerciale que les États-Unis avaient livrée à la Chine. Il voit dans la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et surtout de l'adhésion de la Chine à cette institution en 2001 la source de tous les maux. Il est allé jusqu'à qualifier l'OMC de « gâchis » qui a « trahi l'Amérique » et attribue au libre-échange la perte d'emplois dans le secteur manufacturier américain.

Robert Lightsizer a ainsi appelé à la mise en place d'un « nouveau système américain » de politique commerciale qui fasse appel aux droits de douane pour compenser le déficit commercial des États-Unis. Des prises de position qui sont donc dans la droite ligne des intentions affichées par Donald Trump d'imposer des taxes douanières uniformes de 60 % pour toutes les importations de produits chinois. Même si Lighthizer aurait toutefois expliqué qu'il ne fallait pas s'attendre à de telles taxes dans l'immédiat, cette menace étant plutôt un moyen de conclure des accords.

Mais l'artisan du nouveau protectionnisme américain pendant le premier mandat de Donald Trump, pourrait bien être à nouveau appelé à modifier en profondeur l'équation des échanges commerciaux des États-Unis avec le reste du monde. Ceci en particulier avec la Chine au moment où son économie traverse de fortes turbulences et affiche une fragilité inédite depuis plusieurs décennies avec un recul marqué de la croissance du PIB qui a chuté à moins de 5 % l'an et une hausse sans précédent du chômage, en particulier celui des jeunes.

Un autre choix de Donald Trump risque de renforcer les craintes à Pékin de fortes tensions à venir avec Washington : celui de nommer le commentateur de la chaîne de télévision Fox News Pete Hegseth secrétaire à la Défense. Ce dernier ne ménage pas ses critiques contre Pékin. En juin dernier, il avait à l'antenne prévenu du « danger immédiat » que poseraient les Chinois aux Américains : « La Chine échafaude une puissance militaire pour vaincre les États-Unis. » Lors de cette interview, Hegseth avait accusé Pékin de poursuivre une stratégie de « guerre ouverte » contre Washington, notamment en stationnant « des dizaines de milliers de citoyens chinois » à ses frontières sud.

Xi Jinping mieux préparé à Trump qu'en 2016 ?

Dans un message de félicitations envoyé à Donald Trump après sa victoire électorale, le président chinois Xi Jinping a souligné que « l'histoire nous enseigne que la Chine tout comme les États-Unis profitent de la coopération et perdent de la confrontation ». Pékin pourrait certes tirer parti sur le plan géopolitique d'un nouvel isolationnisme américain pendant le second mandat de Donald Trump, ce qui permettrait à la Chine d'avancer ses pions en Asie où elle espère chasser l'Amérique. La composition de la nouvelle administration Trump risque toutefois de contrecarrer ses plans dans ce domaine. Reste cependant le caractère hautement imprévisible du milliardaire de Manhattan qui rend toute prédiction hasardeuse.

« L'opinion répandue est que la politique chinoise de Trump qui a infligé un choc économique sérieux à la Chine était à mettre au compte du découplage [économique] sino-américain, écrit Katsuji Nakazawa, ancien correspondant à Pékin et éditorialiste du Nikkei Asia dans un commentaire publié le 14 novembre. Mais la vérité est que ce découplage avait été suscité par la Chine bien avant la première présidence de Trump. La politique haute en couleurs de Trump n'a fait que le rendre visible et l'accélérer. »

« Lorsqu'il reprendra la présidence [des États-Unis] dans deux mois, poursuit Katsuji Nakazawa, Trump trouvera une économie chinoise plongée dans des courants contraires, très différente de la forte puissance qui régnait en 2017, lorsque son mandat de quatre ans avait commencé. Cependant, en dépit de la menace de taxes douanières brandie par Trump, abandonner la [politique] d'autosuffisance de la Chine n'est pas une option pour Xi. » Pourquoi cela ? En réalité, « Xi n'a pas le choix sinon de continuer à plein régime vers son objectif de 2035. S'il échoue dans la réalisation de son projet de « Rêve chinois », des questions seront posées sur ses capacités à maintenir son règne au-delà de 2027, lorsque le Parti [communiste chinois] réunira son 21ème Congrès. »

Dans cette atmosphère où les deux dirigeants vont probablement l'un et l'autre camper sur leurs positions, le risque est fort de voir les relations entre les deux premières économies du monde, déjà très tumultueuses, se tendre encore davantage. Le quotidien britannique Financial Times souligne dans un article paru le 13 novembre que la Chine s'est déjà préparée à répliquer fortement à l'éventualité d'une nouvelle guerre commerciale avec le retour de Donald Trump au pouvoir.

Si Xi Jinping avait été pris par surprise en 2016 par la victoire de Trump, il a cette fois-ci déjà préparé des « contre-mesures fortes » pour permettre à l'économie chinoise de résister à une nouvelle guerre commerciale, affirme le quotidien des affaires britannique qui cite des conseillers et des analystes à Pékin. Les autorités chinoises ont ainsi déjà adopté un arsenal législatif permettant à la Chine d'inscrire des entreprises étrangères sur une liste noire et d'imposer des sanctions revenant à interdire l'accès aux États-Unis à certaines chaînes d'approvisionnement cruciales.

« Il s'agit d'un processus double, explique Wang Dong, directeur général du Institute for Global Cooperation and Understanding de l'Université de Pékin, cité par le Financial Times. La Chine va évidemment tenter d'engager le dialogue avec le président Trump pour, d'une façon ou d'une autre, essayer de négocier. Mais si, comme ce fut le cas en 2018, la négociation n'apporte rien et si nous devons lutter, nous allons défendre de façon résolue les droits et les intérêts de la Chine. »

Parmi les contre-mesures chinoises figure la possibilité pour Pékin d'imposer un contrôle strict des exportations de produits stratégiques tels que les métaux rares et le lithium qui sont des matériaux clés utilisés dans les hautes technologies à la fois civiles et militaires. La Chine « ferait de la sorte un usage de nature militaire de sa domination globale » dans ce secteur où ses ressources excèdent largement celles du reste du monde, analyse le Financial Times.

Pour Andrew Gilholm, directeur Chine au cabinet de conseil Control Risks, nombreux sont ceux aux États-Unis qui ont minimisé les dégâts que pourrait causer de telles mesures sur les intérêts américains. Des « coups de semonce » ont déjà été tirés par Pékin ces derniers mois, révèle Guilhom, dont des sanctions décrétées par la Chine contre Skydio, le plus grand fabricant américain de drones livrés par les États-Unis à l'armée ukrainienne, lequel n'a plus accès à des composants chinois critiques pour leur fabrication.

Pékin a également brandi la menace de sanctions contre PVH, un groupe dont fait partie Calvin Klein qui pourraient être écarté du marché chinois, capital pour son chiffre d'affaires. « Ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, estime Andrew Gilhom. Je ne cesse de dire à nos clients : « Vous pensez que vous avez correctement évalué le risque géopolitique lié à une guerre commerciale sino-américaine, mais ce n'est pas le cas car la Chine n'a pas encore réellement contre-attaqué pour le moment ». » Or tout serait déjà prêt à Pékin dans ce registre. « Tout le monde [en Chine] s'attendait déjà au pire et il n'y aura donc pas de surprise. Tout le monde est prêt », assure Wang Chong, un expert en relations internationale de la Zhejiang International Studies University, que cite le Financial Times.

L'Amérique pénalisée par une nouvelle guerre commerciale avec la Chine ?

Il reste que si Donald Trump met à exécution sa menace de droits de douanes à 60 % ou plus sur toutes les importations chinoises, les conséquences sur l'économie de la Chine pourraient bien se révéler gravissimes compte tenu de ses difficultés actuelles. Mais des mesures protectionnistes décidées contre la Chine pourraient également avoir un effet négatif sur les États-Unis.

Aux yeux de Joe Mazur, analyste basé à Pékin, expert des relations commerciales sino-américaines pour le groupe de consultants Trivium, une telle politique pourrait même se retourner contre l'Amérique. À la lumière d'un regain du protectionnisme américain, « si d'autres grandes économies commençaient à considérer les États-Unis comme un partenaire commercial non fiable, elles pourraient rechercher des liens commerciaux plus forts avec la Chine dans le but de trouver des marchés plus favorables à leurs exportations ».
Mais de l'avis prépondérant des analystes occidentaux, des représailles chinoises massives contre les États-Unis ne manqueraient pas d'avoir un impact majeur à long terme sur l'économie chinoise et les entreprises de ce pays. James Zimmerman, un responsable du cabinet d'avocats Loeb & Loeb à Pékin, juge que le gouvernement chinois pourrait en réalité être « totalement impréparé » au second mandat de Donald Trump, en particulier au « chaos et au manque de diplomatie qui va avec ». Or, dit-il, « la probabilité d'une guerre commerciale étendue pendant le second mandat du président élu des États-Unis est élevée. »

Pour le média américain Politico, la présence à la tête de l'administration Trump de « responsables hostiles à la Chine augure mal des relations sino-américaines dans les quatre prochaines années ». « La réponse de Pékin pourrait être de doubler la mise dans ses politiques belliqueuses dans le détroit de Taïwan ainsi qu'en mer de Chine du Sud », estime Lyle Goldstein, fondateur du China Maritime Studies Institute de l'Académie maritime américaine et actuellement analyste expert de l'Asie au think tank américain Defense Priorities basé à Washington.

Pour d'autres observateurs, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait néanmoins être à terme bénéfique à la Chine. « Je m'attends en effet à ce que les relations économiques entre les États-Unis et la Chine deviennent plus volatiles avec Trump mais je pense que, globalement, ceci pourrait se révéler mieux pour la Chine », relève Chen Zhiwu, professeur d'économie à l'Université de Hong Kong, cité par la chaîne de télévision américaine CBS. En effet, si Donald Trump met à exécution ses menaces de taxes douanières, ceci « pourrait forcer la direction à Pékin à n'avoir plus comme choix que de se concentrer sur l'économie parce que l'économie chinoise rencontre actuellement de grands problèmes ».

Quoi qu'il en soit, le maître de la Chine communiste connaît suffisamment Donald Trump pour ne pas se faire d'illusion. « Quelle que sera la rhétorique de Trump, Pékin a probablement déjà conclu qu'après sa première présidence, Trump a l'intention d'installer une rivalité féroce avec la Chine, quoi qu'il dise », estime le New York Times.

« Xi Jinping est un dirigeant dénué de sentiment et doté d'une interprétation sombre des intentions de l'Amérique à l'égard de la Chine, note Ryan Hass, directeur du John L. Thornton China Center de la Brookings Institution, cité par le quotidien new-yorkais. Il pourrait se montrer ouvert à une relation plus amicale avec Trump, mais il ne s'attend pas à une relation personnelle plus chaleureuse qui puisse le conduire à mettre de l'eau dans son vin dans son désir de compétition avec la Chine. »

En définitive, les incertitudes sur l'avenir des relations entre les deux grandes puissances de la planète sont d'autant plus grandes que, bénéficiant désormais de la majorité dans les deux chambres du Congrès américain, Donald Trump ne se sentira plus guère d'obstacles dans les décisions qu'il pourra prendre concernant la Chine.

« Personne ne sait ce que l'avenir réserve aux relations américano-chinoises, peut-être même pas Donald Trump lui-même, écrit ainsi Evan Medeiros, professeur à l'université Georgetown et ancien membre du National Security Council américain dans les colonnes du Financial Times. Les opinions du président élu sur la Chine sont si nombreuses et si contradictoires. »

Par Pierre-Antoine Donnet

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Notes politiques sur les leçons de la victoire populaire contre le régime d’Assad

21 janvier, par Vincent Presumey — , ,
L'effondrement du régime baathiste syrien, avec la fuite de Bachar el Assad à Moscou et la disparition du « boucher » Maher el Assad [NB : il serait en Russie], est un (…)

L'effondrement du régime baathiste syrien, avec la fuite de Bachar el Assad à Moscou et la disparition du « boucher » Maher el Assad [NB : il serait en Russie], est un évènement mondial de tout premier plan, qui vient bousculer toutes les représentations « géopolitiques » convenues et dominantes.

Tiré du blogue de l'auteur.

I. Une victoire populaire.

L'effondrement du régime baathiste syrien, avec la fuite de Bachar el Assad à Moscou et la disparition du « boucher » Maher el Assad [NB : il serait en Russie], est un évènement mondial de tout premier plan, qui vient bousculer toutes les représentations « géopolitiques » convenues et dominantes.

Celles-ci tentent de se protéger en commençant par nier le fait que cet effondrement constitue une victoire populaire, donc une victoire démocratique et prolétarienne.

Le principal argument en ce sens invoque bien entendu la nature de l'organisation armée qui a déclenché le processus d'effondrement en effectuant une percée d'Idlib vers Alep au matin du vendredi 28 novembre 2024, percée rapidement suivie de la libération d'Alep et du retour des réfugiés avec ou sans armes.

Sous l'effet de cet ébranlement absolu que fut la libération d'Alep, ville dont la destruction et la prise par les forces russes et iraniennes en 2015 avait signifié la défaite de la révolution syrienne et dont la libération inversait cet ordre établi alors, tout le pays est entré en mouvement et, quelques jours plus tard, la même organisation s'autoproclamait détentrice du pouvoir à Damas.

Celle-ci, le HTS ou HTC (Hayat Tahir al-Cham, Front de Libération du Levant) est d'origine djihadiste, issue de la branche syrienne d'al-Qaïda, al-Nosra. Elle n'est plus djihadiste au sens où elle a renoncé, depuis 2016, au « djihad mondial » pour se définir comme syrienne avant tout, mais elle est toujours islamiste, considérant la sharia comme le fondement nécessaire de l'ordre social, programme parfaitement réactionnaire.

Mais sa sortie de l'enclave d'Idlib répondait aux contradictions qu'elle y a rencontrées : impossibilité et finalement renonciation à imposer la sharia, poussée populaire exigeant la rupture du statu quo, nourrie de plus par les bombardements russes. A partir d'Alep, HTS a été porté, de gré ou de force, par le flot populaire qui a vu aussi l'irruption de plusieurs autres forces armées non islamistes : Armée Syrienne Libre, tribus arabes du Sud-Est, mouvements druzes et organisations démocratiques armées venues du Sud du pays, et c'est leur convergence seule qui a assuré la libération de Damas, à laquelle la population soulevée de la grande banlieue de Damas a activement participé.

La libération d'Alep a suscité l'onde de choc de l'effondrement de l'Etat et de l'armée des Assad, vermoulus par la corruption et incapable d'administrer de la manière la plus élémentaire le pays – l'administration était « meilleure » dans l'enclave pleine de réfugiés d'Idlib. L'appareil d'Etat d'Assad, tenu à bout de bras par la Russie et l'Iran et vivant de l'économie de la drogue (le captagon), s'est disloqué devant la combinaison de soulèvements généralisés et de la percée militaire de ces différents groupes dont le HTS fut le plus en pointe. Dans cet élan, la direction islamiste du HTS a ordonné à ses hommes de « respecter les minorités » (chrétiens, alaouites, chiites, druzes, ismaéliens, et aussi les habitants kurdes sunnites d'Alep) qui sont allées partout à leur rencontre, et en fait les forces du HTS par elles-mêmes avaient déjà pris ce parti, le seul efficace pour briser la division communautaire qui était le fait du régime Assad.

Il est évident que la nature politique d'al-Julani et de la direction du HTS est un obstacle potentiel au développement de la révolution, on y reviendra. Mais ceci ne devrait en aucun cas servir d'argument pour nier qu'il y a révolution. L'héritage de l'insurrection démocratique, non islamiste, de 2011, revit massivement dans le mouvement des populations, dans leur union contre l'ancien régime, dans le retour des réfugiés à l'intérieur du pays et depuis le Liban, la Turquie et l'Europe, qui a commencé.

Toute préparation de l'avenir immédiat et plus lointain, et toute opposition aux obstacles et dangers qui peuvent menacer la démocratisation, ne peut que s'appuyer sur la reconnaissance entière de ce qui s'est produit : une victoire populaire, à potentiel révolutionnaire. Toute négation ou escamotage de celle-ci ne peut que faire le jeu des forces qu'elle prétendrait combattre, islamistes et autres, en leur reconnaissant le mérite d'avoir par elles-mêmes et à elles seules renversé Bachar el Assad, ce qui est faux.

II. Prendre la mesure de ce qui a été renversé.

Il ne s'agit pas seulement du renversement d'un pouvoir présidentiel et de la dislocation commencée d'un appareil d'Etat, comme cela s'est produit en Tunisie, en Libye et en Egypte en 2011, dans plusieurs pays d'Amérique latine depuis le début de ce siècle, en Ukraine avec le Maidan. C'est cela mais c'est bien plus.

L'ouverture des prisons immenses du régime a affiché à la face du monde ce que l'on savait déjà en en soupçonnant seulement l'échelle : un système total de terreur, de torture et de mensonges. Le régime des Assad, dans un pays capitaliste à l'économie à la fois étatique et mafieuse, est l'héritier du nazisme et du stalinisme, par des liens directs : la police politique syrienne avait été formée par le nazi Aloïs Brunner, et les organes du KGB-FSB l'ont systématiquement formée et soutenue. Elle était l'épine dorsale de l'Etat totalitaire et de l'économie mafieuse.

Le peuple syrien connait une combinaison terrible de liesse et de deuil. L'immense foule qui a escorté le cercueil du martyr de l'humanité Mazen al Hamada dont le corps horriblement torturé est mort quelques jours avant la libération, exprime la force de ce sentiment. C'est un système totalitaire absolu qui s'effondre, et spécifique : les spectres de Sednaya comme ceux d'Auschwitz reviendront hanter les esprits après une, puis deux, puis trois générations. Ce système pour s'autoreproduire était engagé dans la destruction de ce qui est humain, la destruction du sens commun, la destruction physique et morale de ce qui fait les liens humains. Il a perdu.

Si le monde était démocratique, il offrirait son soutien en médecins, en psychologues, en infirmiers, en gynécologues, en pompiers, en techniciens, au peuple syrien dont le deuil et la liesse vont se combiner aux prochains combats immédiats pour la démocratie et la liberté.

III. Une révolution-guerre du XXI° siècle.

Les courants politiques qui comprennent quelque chose au réel et n'annonent pas de pauvres catéchismes ont commencé à saisir qu'en Ukraine, la levée populaire en masse de février-mars 2022 avait stoppé l'attaque impérialiste russe et que c'est la guerre qui nourrit le besoin de transformation sociale, contre la gabegie, y compris du point de vue militaire, du régime en place. Et qui nourrit aussi le besoin d'émancipation féminine, notamment. Nous avons commencé à reparler de « révolution-guerre » avec l'Ukraine.

Ce terme porte l'histoire des malentendus du XX° siècle, car il fut introduit de manière trompeuse au début des années 1950 dans le mouvement trotskyste pour appeler à l'alignement sur le camp « soviétique », en fait stalinien, dans la guerre froide. Ce qui, au fond, compensait le fait de n'avoir pas compris que la seconde guerre mondiale s'était développée, en tant que guerre, dans les insurrections nationales et les révolutions d'Europe et d'Asie.

Les questions militaires doivent cesser d'être le monde du silence des révolutionnaires, car si l'émancipation n'est absolument pas à la pointe du fusil, l'émancipation passera par l'emploi organisé des armes, et l'emploi organisé des armes s'appelle une armée. La Syrie s'inscrit totalement dans cette affirmation terrible qu'il faut regarder en face.

De même que c'est le début de formation d'un peuple en armes qui a stoppé Poutine en 2022, c'est le début de la formation d'un peuple en arme qui a renversé Bachar el Assad en 2024.

Pas de politique révolutionnaire et écologique pour sauver l'humanité sans l'exigence de démocratie absolue et jusqu'au bout : cela passe par les armes, cela va se concentrer dans des politiques militaires démocratiques, prolétariennes, et d'émancipations nationales.

Toute guerre n'est évidemment pas une révolution ou ne porte pas par elle-même la révolution. Elle la porte, dans la mesure où la défense populaire parvient à l'imposer ou dans la mesure où la guerre porte à l'insupportable, par la mort et les souffrances, l'ordre social capitaliste. Bien des guerres actuelles, même quand un peuple opprimé en est l'un des objets, ne sont pas des guerres-révolutions en train de se développer, mais le caractère de l'époque actuelle rend inévitable ce type de processus révolutionnaires, partout.

Ainsi, les Palestiniens ne sont pas un peuple en arme : les armes sont confisquées, et même les souterrains pour se protéger du massacre perpétré par l'armée israélienne à Gaza sont confisqués, par le Hamas, organisation dont la nature fondamentale est de confisquer tout droit à la démocratie et tout droit aux armes pour le peuple. La révolution syrienne, surtout si elle s'approfondit, montre donc la voie aux Palestiniens : les armes au peuple et la démocratie.

L'un des « récits dominants » sur ce qui vient de se passer tend à en faire un sous-produit du 7 octobre 2023, à travers le fait, incontestable, que les coups portés à l'Iran et surtout au Hezbollah par Israël ont donné une « fenêtre de tir » à la percée du HTS vers Alep, à partir de laquelle se sont enclenchés l'effondrement du régime et l'irruption des masses.

Il est en réalité tout à fait classique de voir une guerre nullement progressiste produire, involontairement, par la défaite de l'un de ses protagonistes étatiques, une poussée révolutionnaire. C'est ainsi que le fait que la révolution russe de 1905 ait eu pour déclencheur la défaite russe face au Japon ne rend pas le Japon d'alors révolutionnaire, pas plus que la révolution russe de 1917, liée à l'effondrement militaire en cours face à l'Allemagne impériale, ne fait de celle-ci un pays démocratique. De même, Israël n'est pas rendu progressiste et non-colonial du fait que ses coups sur le Hezbollah ont à l'évidence favorisé l'initiative initiale du HTS. Mais les causes de celle-ci sont internes. Et ses conséquences, nous allons y revenir, sont perçues comme terriblement menaçantes par Netanyahou.

IV. L'impact international de la révolution syrienne.

Cette formidable victoire populaire est donc une victoire pour tous les peuples. Elle fait contrefeu à toute la dynamique réactionnaire et fascisante mondiale que portent Trump, Poutine et Netanyahou.

Elle constitue la plus importante aide à l'Ukraine qui se soit produite, précisément au moment où la pression militaire russe dans le Donbass et la pression internationale contre l'armement de l'Ukraine et pour qu'elle cède s'intensifient avec Trump. Sur ce point, la déclaration du Comité français du RESU du 11 décembre 2024 sur la Syrie dit l'essentiel.

Mais c'est aussi le premier soutien réel apporté de l'extérieur au peuple palestinien depuis l'offensive, à dynamique génocidaire, engagée par l'armée israélienne depuis le 8 octobre 2023, au lendemain des pogroms du Hamas. Ce soutien réel ne sera donc pas venu du « mouvement propalestinien » que les organisations de la gauche et de l'extrême-gauche campistes et néocampistes influencent de manière décisive.

Car, disons-le : si l'effondrement du régime syrien, avec le puissant élan qu'il va imprimer aux aspirations populaires libanaises, porte un coup mortel au prétendu « axe de la résistance » allant de Téhéran au Hamas, ceci RENFORCE et n'affaiblit pas, la lutte du peuple palestinien dont le premier besoin, pour pouvoir résister efficacement au massacre à Gaza et à l'épuration ethnique en Cisjordanie, est de s'émanciper du dit « axe de la résistance ».

Le camp des droits démocratiques et nationaux des Palestiniens n'est pas le camp de Khamenei et compagnie. L'émancipation des Palestiniens ne peut qu'être l'œuvre des Palestiniens eux-mêmes, et une Syrie démocratique serait une impulsion formidable à l'exigence d'un Etat palestinien souverain, démocratique et laïque, déstabilisant les fondements du colonialisme à étiquette sioniste qui se nourrit de la menace existentielle que l' « axe de la résistance », sans servir de rien pour les Palestiniens, fait peser sur les Juifs.

Israël, après des années de collaboration avec l' « antisioniste » Assad, n'a jamais autant bombardé la Syrie que dans les quelques jours ayant suivi sa chute ! Etrangement, jamais Tsahal n'avait bombardé tous ces sites militaires quand ils étaient aux mains d'Assad.

Une offensive militaire occupe la zone frontière libano-syrienne du mont Hermon. Netanyahou vient de proclamer que le Golan resterait toujours israélien, ce qu'il n'aurait jamais dit au temps d'Assad.

Le rôle actif des druzes dans la prise de Damas, depuis Souieda, Kuneitra, Deraa, inquiète Tel-Aviv au plus haut point. Le fait que les druzes israéliens et ceux du Golan occupé depuis 1967 soient souvent assez bien intégrés dans la vie sociale et politique israélienne ne contredit nullement cette réalité : les druzes pourraient justement constituer un pont entre Israël, le Liban et la Syrie.

Netanyahou n'en veut pas car cela irait dans le sens de la démocratie, qui passe par un Etat palestinien et par le fait que les judéo-israéliens s'assument comme nation proche-orientale parmi ses voisines, et non comme peuple colonial.

Cette politique de fuite en avant a besoin du mensonge : faire croire qu'un nouveau danger islamiste va faire irruption en est la clef de voute. Mais la révolution syrienne porte en elle sa grande sœur, la révolution iranienne des femmes, des travailleurs et des peuples pour mettre à mort la République islamique. Rien ne pourrait arriver de meilleur pour les Palestiniens !

V. Le Rojava, un mythe qui va tomber.

Depuis des années, un mythe circule en Europe : une « commune libre », féministe et libertaire, existerait au Rojava. La réalité était la suivante : lorsque l'Etat d'Assad a commencé à reculer, ce territoire a été concédé par Bachar au PYD et à ses forces armées, les YPG. Avec son appareil d'Etat, prisons, chambres de tortures et statues de Bachar comprises.

C'est ainsi que les statues de Bachar, dans tout le Rojava, n'ont été renversées que le jour même de la chute d'Assad, comme à Séré Kaniye, au cœur du Rojava. Cet Etat, issu non d'une révolution, mais de la tentative de préserver l'Etat existant d'une révolution, a évolué en roues plus ou moins libres, entre les attaques turques visant toute émancipation nationale kurde, et l'aide des deux impérialismes, le russe et, surtout, l'américain (oubliant qu'il avait qualifié de « terroristes » ces « marxistes-léninistes »). En luttant contre Daesh, les YPG ont sauvé des populations, notamment les Yézidis, et promu la place des femmes à l'encontre des islamistes. Ces faits incontestables ne changent rien à la nature fondamentale de cet Etat, comme on le voit ces derniers jours.

Le Rojava est en effet le dernier secteur de la Syrie dans lequel l'appareil d'Etat avec sa police et son armée est resté en place, et il tire sur les manifestants notamment à Rakka. Des révolutionnaires sérieux ne peuvent qu'être avec les masses contre la police. Deir Ezzor est libéré et la question de la libération de toute la partie arabe du « grand Rojava » est posée.

Le PYD tente en même temps de s'adapter et dit se féliciter de la chute d'Assad dans laquelle il n'est pour rien. Mais les rassemblements convoqués et encadrés lui échappent, y compris en zone kurde, et tournent en affrontements.

Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont sous-traité au PYD et aux FDS (Forces Démocratiques Syriennes) qu'il domine, la gestion des camps de prisonniers issus des forces de Daesh, aujourd'hui très affaiblies. Le principal d'entre eux est à Hassaké, où des affrontements entre population et appareil d'Etat ont également commencé. Il s'agirait d'environ 7000 prisonniers et prisonnières, souvent des familles, les chefs véritables de l'Etat Islamique (Daesh), riches personnages issus des polices politiques irakienne et syrienne, ayant échappé à l'arrestation. L'issue démocratique à cette situation ne peut que consister dans leur exfiltration sous contrôle de comités démocratiques formés par les Syriens eux-mêmes. Daesh ne saurait être le prétexte à la contre-révolution, au Rojava ou ailleurs.

Dans la zone occidentale prolongeant le Rojava, à El Manbij, la situation doit être analysée différemment car il y a ingérence turque, à travers l'ANS (Armée Nationale Syrienne, qui a concentré de fait les secteurs, islamistes ou non, d'Idlib, qui n'ont pas suivi l'avancée du HTS vers le Sud et sont passés ou sont restés sous contrôle turc ; ces forces contiennent une forte proportion de minorités nationales turcomanes). La menace envers les Kurdes, en tant que peuple, est certaine, et des exactions se produisent.

Mais quelle serait la seule protection efficace pour les Kurdes ? Ce serait leur alliance totale avec la révolution syrienne. Ceci n'est pas possible sous l'égide d'un appareil autoritaire qui a été, depuis 1978, l'allié du totalitarisme assadiste.

VI. Des mots d'ordre clairs contre des Etats hostiles.

Comme on le voit, la révolution syrienne a des ennemis puissants qui semblent surgir de partout. Ce sont les Etats, ce sont les forces représentant l'ordre établi. Ses alliés potentiels sont les opprimés et les peuples.

Il y a attaque turque contre les FDS et menaçant les Kurdes, au Nord ; attaque israélienne au Golan ; les troupes russes sont en débandade mais ne sont pas parties ; bombardements américains théoriquement sur « l'Etat islamique » ; bombardements israéliens jusque sur Damas.

Al-Julani, le terrible « djihadiste » (en fait islamiste) n'a protesté contre rien de tout cela : il tend la main à toutes les puissances. Bien plus que la sharia qui n'est à l'ordre-du-jour nulle part en Syrie, sa politique de conciliation avec l'ordre établi est ainsi tangible, ainsi que l'affirmation de vouloir construire une Syrie fondée sur « la libre entreprise ».

Alors que pratiquement toutes les forces politiques existantes essaient de ne pas tenir compte, de refouler, de minimiser, l'irruption des masses et donc du nouveau qui vient de se produire, la défense immédiate de la révolution, de la démocratie et de la souveraineté syrienne requiert, elle, des mots d'ordre clairs :

Libération de tout le territoire syrien !

Les troupes israéliennes et turques : DEHORS !

Les bases russes : DEHORS !

Daesh et l'aviation américaine : DEHORS !

Dans le territoire kurde, basta l'Etat YPG : le pouvoir au peuple !

Le Golan n'est pas israélien !

Elections libres, égalité des droits, respect des confessions, sur tout le territoire ! Une Syrie démocratique serait le noyau de la reconstruction démocratique de toute la région et le premier point d'appui pour un Etat palestinien et un Etat israéliens démocratiques et laïques.

VII. Perspectives syriennes.

Les prochains affrontements en Syrie n'auront sans doute pas pour objet la sharia, mais la démocratie. Al-Julani cherche à intégrer des pans entiers de l'ancien appareil d'Etat et veut donc préserver, et même réaliser pleinement, une « économie de marché ». C'est dans la réalité, non dans des formules tirées de livres, que les chocs se produisent.

Ainsi, il a dû renoncer à l'amnistie générale sous la pression populaire. Un « comité révolutionnaire » à Hama a organisé la pendaison publique d'un assassin de masse. Les lynchages de tortionnaires ont commencé partout. Al-Julani a alors pris acte de l'action des masses en proclamant la non-amnistie des tortionnaires.

Ainsi, l' « économie de marché » est en train de prendre un grand coup à Damas : la forme de production capitaliste la plus lucrative, les labos de captagon, ont commencé à être épurés, les stocks détruits, par des groupes armées autoconstitués.

Le mouvement de la révolution démocratique voit sans doute déjà, notamment pour organiser la vie quotidienne immédiate toute police ayant disparu, des comités populaires se former partout, et il y a une expérience en la matière depuis 2011.

L'extension de la révolution au Rojava, dernière zone où l'Etat ancien résiste vraiment, va s'imposer : les Kurdes y ont toute leur place et il est possible que des secteurs du PYD tournent, sous la pression.

La libération de Damas a été un acte démocratique constituant, au sens national du mot « constituant », car des forces de tout le pays ont convergé sur Damas – à l'exception du grand Rojava, par la faute du PYD.

L'idée d'une période de transition est généralement acceptée en raison de ce mélange de liesse et de deuil dont il a été question. Comme l'écrit le militant démocratique Firas Kontar, bien plus clairvoyant que tous les « marxistes » auto-étiquetés, les Syriennes et les Syriens en ont grand besoin. En ce sens, il y a un mandat tacite à al-Julani, qui est aussi une forme de contrôle. Il ne durera pas longtemps.

La suite du processus appelle des élections, libres et démocratiques, dans tout le pays, reposant à la fois sur l'égalité civique de tous les Syriens et sur la reconnaissance des droits culturels propres à chaque groupe. Elections à une assemblée constituante souveraine, ce que al-Julani menace déjà en disant vouloir former un groupe de juristes et de docteurs chargés d' « amender » la constitution bidon d'Assad.

Ce processus réel est celui d'une révolution démocratique et donc prolétarienne, car le « prolétariat », masse humaine n'ayant que sa force de travail pour vivre, est ici aussi l'immense majorité.

VIII. Conclusion : perspectives internationalistes

La plupart des « marxistes » fonctionnent de la manière suivante face aux événements : ils vérifient que ces événements sont conformes à ce qu'ils pensent savoir, ce qui conduit à les tordre et à en dénier le contenu réel. La vraie méthode ne doit pas consister à faire la leçon aux événements, à dire aux révolutions qu'elles sont mal barrées, à vérifier que les forces ennemies sont en place et les vaches bien gardées afin de pouvoir se prémunir de toute expulsion de sa zone de confort. Elle doit consister à saisir le réel, à appréhender le nouveau. Il survient dans un cadre déjà connu, qui a été analysé, mais il le modifie. Le vrai « marxisme » consiste à apprendre des faits, pas à faire la leçon aux faits. Il conduit donc à l'enrichissement, pas à la répétition. Car la répétition finit immanquablement par devenir … contre-révolution.

Le 24 février 2022 a inauguré une nouvelle période de guerres et de révolutions et de révolutions-guerre. Le 7 octobre 2023 a servi aux partisans de la répétition à tenter de tout ramener dans leur ancien monde campiste, alors que la nouveauté y était, elle aussi, inscrite. Le 28 novembre 2024 (jour de la libération d'Alep) jusqu'au 8 décembre (fuite d'Assad) viennent à nouveau retourner la période, marquée entretemps d'un autre évènement majeur, contre-révolutionnaire lui : le 5 novembre 2024, élection de Trump n°2.

Il est remarquable de voir à quel point l'irruption syrienne heurte tous les schémas qui, par conséquent, lui résistent de toute leur énergie – et cette énergie fait aussi partie du réel où se déterminent les rapports de force : notre compréhension de la Syrie est un élément du rapport de force mondial.

Désormais, contre l'ordre impérialiste multipolaire de Trump, de Poutine et de Netanyahou qui nous mènent à la destruction climatique, économique et militaire, les internationalistes conséquents ont deux points d'ancrage et de référence centraux (pas les seuls bien sûrs mais les plus puissants) : l'Ukraine et la Syrie. Toute la question palestinienne notamment ne pourra qu'être rebattue en fonction de la Syrie.

Le présent texte ne vise qu'à commencer à intégrer cette dimension nouvelle, premier devoir de tout révolutionnaire du monde réel.

Vincent Présumey, le 13/12/24.

Pour une couverture médiatique rigoureuse de l’actualité syrienne

21 janvier, par Élise Daniaud Oudeh, Firas Kontar — , ,
Depuis que la Syrie suscite à nouveau l'intérêt des médias français, certaines analyses diffusées sur les grandes chaînes de télévision ou de radio nous préoccupent, de par (…)

Depuis que la Syrie suscite à nouveau l'intérêt des médias français, certaines analyses diffusées sur les grandes chaînes de télévision ou de radio nous préoccupent, de par leur présentation parfois inexacte et partiale des faits. Ces discours, loin d'être anodins, ont eu des répercussions profondes.

Tiré du blogues des auteurs.

A Paris, le 15 janvier 2025

Le 8 Décembre 2024, une offensive éclair partie d'Alep a mis fin à 54 ans de règne de la sanglante dynastie Assad en seulement onze jours. Ce tournant historique constitue un événement majeur et inattendu dans l'histoire de la Syrie, meurtrie par des décennies de souffrance, de terreur et d'oppression.

Depuis que la Syrie suscite à nouveau l'intérêt des médias français, certaines analyses diffusées sur les grandes chaînes de télévision ou de radio nous préoccupent, de par leur présentation parfois inexacte et partiale des faits. Au fil des jours, une évolution favorable semble se dessiner, grâce à la ténacité des défenseurs des droits des Syriens et des Syriennes, des chercheurs spécialisés, et au travail des journalistes engagés sur le terrain, qui s'efforcent de faire entendre une lecture plus respectueuse des faits.

Toutefois, le traitement médiatique français de la libération de la Syrie reste encore affecté par des approches d'experts généralistes qui se refusent à prendre en compte les spécificités du pays, et marginalisent les voix et l'expertise des Syriens eux-mêmes, tout en reléguant la question des droits humains au second plan. Au cœur du problème, nous retrouvons notamment des comparaisons récurrentes avec les destins libyens, irakiens et afghans qui ne sont pas ancrées dans des faits concrets.

Ces discours, loin d'être anodins, ont eu des répercussions profondes. Depuis plusieurs années, des analyses géopolitiques justifiant l'application de la “realpolitik” ont causé des dégâts considérables. Elles ont contribué à déformer la perception de la Syrie en France, en Europe et aux États Unis, tant dans l'opinion publique qu'au sein des institutions politiques, menant à des décisions politiques dangereuses. Elles ont notamment favorisé l'émergence d'une solide tendance plaidant en faveur de la normalisation des relations diplomatiques avec le régime Assad, ainsi que de sa réhabilitation, notamment via des projets de reconstruction financés par l'ONU et l'UE, et ce malgré l'existence d'une documentation exhaustive des crimes commis par al-Assad depuis 2011.

Présentés comme la seule solution pragmatique, ces objectifs étaient pourtant des plus irréalistes, et leur mise en œuvre était concrètement impossible ; ceux qui connaissent la Syrie le savaient. Alors que la Syrie se dirige vers une transition où les Syriens appellent avant tout à obtenir justice et réparation, ces voix-là doivent se dissiper des ondes. De même, vouloir dévoiler la diversité des opinions propres aux Syriens est essentiel, mais ne doit pas servir ceux qui ont fait le choix d'être des soutiens du régime Assad, en France comme en Syrie. L'abattoir humain de Sednaya illustre la nature génocidaire de ce régime, que beaucoup ont voulu minimiser : leur donner aujourd'hui la parole est une insulte à la souffrance de ses victimes et de tous les Syriens.

Nous observons également une autre tendance inquiétante, consistant à projeter des prismes de lecture sensationnalistes sur des points complexes, telle que la nature et lesobjectifs du groupe islamiste “Hayat Tahrir al-Sham”, ou encore la problématique des minorités ethniques et religieuses. Ces interprétations essentialisent les citoyens syriens et leur révolution, et relèguent au second plan la diversité d'opinion du peuple, ainsi que son agentivité. Plus grave, elles reprennent également certains éléments de langage de Bachar al-Assad.

Les inquiétudes concernant l'avenir sont légitimes. Elles le sont d'autant plus que les Syriens, qui ne sont pas naïfs, seront les premiers à en pâtir. Elles ne doivent cependant pas occulter le présent en évinçant le bilan 13 ans de massacre et de 54 de tyrannie absolue sur la scène médiatique. Elles ne doivent pas non plus minimiser l'extraordinaire résilience et richesse du peuple syrien, dont nombreux sont prêts à s'investir pour reconstruire et rebâtir ce qui leur a été arraché.

Le poids d'HTS au cœur des médias, mais aussi des événements en Syrie, est notamment à reconsidérer : le principal événement de ces dernières semaines reste avant tout l'effondrement total et rapide du régime par une base loyaliste à l'agonie. Pendant qu'Assad criait victoire, le quotidien d'une grande majorité était celui d'une vie de misère et d'un État délabré qui ne répondait plus à leurs besoins, alimentant un sentiment de trahison ainsi que le ressentiment de ceux qu'on lui croyait fidèle.

Suite à ces 54 années de souffrances et à l'échec de la communauté internationale de tenir Bashar al-Assad responsable de ses crimes dès 2011, la Syrie et son peuple méritent désormais d'être considérés avec rigueur, intégrité intellectuelle et respect. Ce pays ne saurait être réduit ni à un simple objet d'enjeux géopolitiques régionaux, ni à des questions religieuses, ni au terrain de jeux de factions armées. Il s'agit avant tout d'une nation porteuse d'une histoire singulière et d'un peuple souverain, seul maître de sa libération et de son destin. C'est pourquoi nous demandons aux acteurs du monde médiatique français de donner la parole aux Syriennes et aux Syriens avant tout, ainsi qu'aux spécialistes du pays, et de porter leur voix. La Syrie traverse également des événements extraordinaires qu'il faut décrire avec justesse et précaution : sa perception actuelle par les peuples et les acteurs de la politique occidentale jouera également un rôle décisif dans son avenir.


Elise Daniaud Oudeh & Firas Kontar

Élise Daniaud Oudeh est doctorante en sciences politiques sur le discours officiel syrien et russe en Syrie à l'université LUISS « Guido Carli » et chercheuse associée à la « Mediterranean Platform » (SoG LUISS).

Firas Kontar est un militant des droits de l'homme franco-syrien, il a récemment publié Syrie, la révolution impossible (Editions Aldeia, 2023).

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Syrie : « {Nous ne pouvons pas rendre nos armes tant que les attaques contre les femmes et nos territoires se poursuivent} »

21 janvier, par Rohilat Afrin — , ,
Entretien avec la commandante en cheffe du YPJ, Rohilat Afrin Tiré de Entre les lignes et les mots https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/14/syrie-nous-ne-po

Entretien avec la commandante en cheffe du YPJ, Rohilat Afrin

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/14/syrie-nous-ne-pouvons-pas-rendre-nos-armes-tant-que-les-attaques-contre-les-femmes-et-nos-territoires-se-poursuivent/?jetpack_skip_subscription_popup

Alors que tous les regards étaient tournés vers les forces dirigées par Hayʼat Tahrir al-Sham (HTS) balayant la Syrie d'Assad en ruines, l'Armée nationale syrienne (ANS) soutenue par la Turquie a lancé une attaque sur le nord et l'est de la Syrie (NES), s'emparant de Shehba et de Manbij aux Forces démocratiques syriennes (FDS). Aujourd'hui, la Turquie menace d'envahir la ville kurde de Kobané. Pendant ce temps, l'ANS tente de traverser l'Euphrate et d'empiéter davantage sur le NES, avec des affrontements féroces en cours dans la campagne de Manbij. Les unités féminines des YPJ – qui se sont fait connaître lors de leur combat contre ISIS à Kobané en 2014 – sont sur la ligne de front dans le cadre des FDS.

La commandante en cheffe des YPJ, Rohilat Afrin, a parlé au Rojava Information Center (RIC) de l'état de la guerre à Manbij, du cessez-le-feu qui n'a jamais existé, de la possibilité d'une invasion turque à Kobané, des relations entre le HTS et les FDS et de la possibilité pour les YPJ d'être intégrées dans l'armée syrienne.

La situation actuelle sur la ligne de front semble être restée plus ou moins inchangée ces derniers jours. Pouvez-vous expliquer brièvement l'état des combats ?

Il est évident qu'une guerre est menée contre notre région, comme en témoignent les combats qui se déroulent ici, notamment au barrage de Tishreen et au pont de Qereqozak. Cette situation de guerre est constante depuis l'effondrement du régime Baas et l'arrivée au pouvoir du gouvernement al-Jolani. La Turquie et l'ANS, soutenue par la Turquie, ont cherché à exploiter la vacance du pouvoir et à lancer une attaque contre notre région. Cela va à l'encontre des résultats que nous y avions obtenus. Ces attaques ne sont pas simplement des actions militaires, mais une tentative délibérée de détruire ce que nous avons construit ici. La Turquie et ses mercenaires poursuivent une politique de destruction et d'assujettissement par le biais de ces attaques.

Tishreen et Qereqozak sont les deux principales portes d'entrée de la NES. Elles sont stratégiquement importantes pour protéger Kobané, Tabqa, Raqqa et le reste de la NES en général. Cibler ces villes est lié à l'objectif de la Turquie de viser nos réalisations dans la région où les personnes ont été rassemblées. Une conscience collective a uni la population. Des années de travail ont été investies dans la construction de cette conscience au sein de la population. Ils sont déterminés à l'anéantir. Cette guerre vise à démanteler les valeurs établies dans cette région.

Nos combattantes sont actuellement engagées dans des combats avec l'ANS et se battent avec force. Ce que les gens devraient vraiment remarquer, c'est que la Turquie utilise sans cesse des drones et des avions de guerre, encourageant l'ANS à attaquer. La résistance de nos combattantes n'a pas été découragée. Sans la puissance aérienne de la Turquie, l'ANS serait facilement vaincue. En fait, le nombre de morts et de blessés dans leurs rangs est déjà élevé. Ils se sont retirés de certains points. Dans ces conditions, une confrontation majeure est en cours.

Un cessez-le-feu aurait été décrété à Manbij il y a quelques semaines. Cependant, des combats ont lieu tous les jours. N'y a-t-il donc jamais eu de cessez-le-feu ?

On ne peut pas parler de cessez-le-feu. En paroles, il y a eu un cessez-le-feu. En pratique, nous n'avons rien vu de tel. Lorsque le cessez-le-feu a été annoncé à Manbij, c'était sur la base de l'évacuation des personnes souhaitant fuir, des corps de nos combattantes tombées au combat et de nos blessées qui étaient entre leurs mains. Cependant, ce cessez-le-feu ne s'est pas concrétisé en raison des attaques lancées par l'ANS. Le cessez-le-feu n'a rien donné sur le terrain. Ce n'était que des paroles en l'air.

Ensuite, en tant que YPJ, YPG et SDF, nous voulions avancer à partir du barrage de Tishreen et de Qereqozak, pour progresser un peu, parce que nous étions sous un feu nourri. Il y a eu beaucoup d'attaques à la fois sur Tishreen et depuis l'axe de Deir Hafir. Nous avons donc repris quelques villages. Nous voulions en effet protéger le barrage et le pont. Dans ces conditions, on ne peut pas parler de cessez-le-feu.

L'ANS était ivre de succès en Syrie, puisqu'il a participé à l'avancée d'Idlib vers Damas. Les villes tombaient les unes après les autres. Ils pensaient qu'il en serait de même avec le pont de Qereqozak et le barrage de Tishreen. Aujourd'hui, ils sont psychologiquement et matériellement confrontés à des pertes, car ils ont dû faire face à la résistance de nos combattant·es. Sur les deux fronts, nos combattantes ont été fermes.

Quelle est la menace actuelle pour Kobané ?

Ce que j'ai dit précédemment est lié à la question de Kobané. De nombreuses menaces pèsent sur Kobané. En tant que ville, Kobané ne concerne pas seulement la NES. C'est une ville du monde entier, comme le montre la création de la « Journée mondiale de Kobané » en solidarité. La lutte qui s'est déroulée à Kobané a permis de vaincre une force telle qu'ISIS. Cette victoire massive remonte à une dizaine d'années. À l'époque, Erdogan observait la situation jour après jour, disant « Kobané tombera aujourd'hui » ou « Kobané tombera demain ». Mais Kobané a été libérée à force de volonté, de résistance et de détermination. C'est ainsi que Kobané est devenue célèbre dans le monde entier.

Kobané est confrontée à un grave danger. Lorsque nous disons cela, cela signifie qu'il y a un danger pour l'ensemble de la NES. La Turquie considère que Kobané est à l'origine de ce qui a été réalisé dans la région. La Turquie veut étendre son influence en Syrie. Dans ce contexte, elle menace la ville et veut l'occuper. En réalité, le danger qui pèse sur Kobané n'a jamais cessé. Il y a toujours eu des menaces. Ces menaces ont à leur tour suscité des réactions de solidarité : des femmes et des hommes politiques, des militant·es des droits des êtres humains et l'opinion publique mondiale, voire la Coalition, ont fait des déclarations s'opposant à la guerre contre la ville.

Si la Turquie devait s'emparer du barrage de Tishreen et du pont de Qereqozak, Tabqa, Raqqa, Kobane et toutes les régions de la NES seraient menacées. La politique – la guerre et la victoire – à Kobané concerne le monde entier, et pas seulement le NES. Nous sommes convaincu·es que Kobané bénéficiera d'un soutien et d'une solidarité extérieurs. Nous serons en mesure de la protéger. Mais la Turquie est déterminée à atteindre ses objectifs. Les FDS et les YPJ s'y opposent. Le combat qu'ils ont mené à Kobané [en 2014] a bouleversé le monde. Dans la période actuelle, nous adopterons la même position face à la Turquie et à l'ANS.

Comment appréciez-vous l'effervescence diplomatique autour de Damas, avec de nombreuses délégations venues rencontrer al-Jolani, y compris de Turquie ?

De nombreux États ont cherché à établir des relations avec le HTS depuis l'émergence du nouveau gouvernement d'al-Jolani. Des officiels turcs sont également venus à Damas, comme Hakan Fidan. Son objectif premier est d'anéantir l'administration autonome. La Turquie veut organiser la Syrie comme sa propre province, la contrôler, avoir une influence sur la Syrie. L'arrivée de Hakan Fidan à Damas l'a clairement montré. Il veut influencer le HTS.

Les etatsuniens sont-ils toujours à Kobané ? Et si la Turquie attaque Kobané, vous attendez-vous à une aide des Etats-Unis ?

Tout au long de la dernière phase, jusqu'au début des derniers développements, les Russes étaient présents à Manbij, Ayn Issa et Kobané. Les Etatsuniens n'y étaient pas présents. Avec le retrait récent des Russes, des patrouilles étasuniennes ont commencé à avoir lieu, mais elles n'ont de bases là-bas. Par ces patrouilles, les Etats-Unis disait « ous sommes là, nous aiderons à protéger la ville », envoyant ainsi le message de sa présence. Notre coopération avec la coalition a commencé avec la lutte contre ISIS. Si la Coalition dirigée par les États-Unis ne remplit pas son rôle, elle sera accusée de faire deux poids deux mesures. Si la Turquie attaque Kobané, peut-on s'attendre à ce que les États-Unis l'aident ? Matériellement, non. Mais d'une manière générale, par le soutien qu'ils affichent et par leur rencontre avec la Turquie, ils ont montré que leur position est que la question doit être résolue pacifiquement.

Même s'ils ne font que suivre leurs propres intérêts, ils ont empêché l'ouverture des portes à une invasion turque à Kobané. Une partie de leurs efforts diplomatiques montrent clairement qu'ils ont tenté de nous aider. Cependant, nous considérons que la Coalition a la responsabilité de mettre un terme aux combats et aux attaques aériennes actuels. D'une manière générale, nous ne nous attendons donc pas à un blocage concret d'une invasion terrestre, mais dans le contexte diplomatique, des efforts sont déployés pour l'empêcher, même s'ils ne sont pas suffisants.

Qu'en est-il de l'aide internationale de manière plus générale, en dehors de l'Amérique ? La dernière fois que Kobané a connu la guerre, c'était en 2014, lors de l'attaque d'ISIS. À l'époque, la solidarité internationale était importante. Cette fois-ci, la menace vient de la Turquie plutôt que d'ISIS. Vous attendez-vous à un soutien mondial similaire ?

Pendant le siège de Kobané par ISIS, les actions de YPJ en tant que force féminine ont eu une résonance mondiale. Grâce à Kobané – et à la révolution du 19 juillet ici – des femmes silencieuses et sans défense ont trouvé leur voix, leur force et sont devenues des leaders. L'attitude du YPJ en 2014 en a fait un exemple à suivre dans le monde. Nous avons appris de toutes les expériences et de tous les défis que nous avons traversés pendant des années, en termes de renforcement des tactiques et des méthodes. Nous sommes convaincus que le YPJ – ainsi que les YPG et les FDS – seront en mesure de faire face à tout ce qui pourrait survenir. En tant qu'unités féminines, nous y croyons. Nous avons été victorieuses à Kobané. Cela a également démontré aux femmes du monde entier qu'une armée de femmes est nécessaire pour protéger les femmes. Grâce à cette protection, nous sommes en mesure de nous organiser. La lutte pour protéger nos territoires s'est poursuivie de la sorte. Comme je l'ai déjà dit, nous pensons que la guerre de Kobané était une guerre pour l'humanité, une guerre pour protéger toutes les femmes et toutes les terres. Nous sommes convaincues qu'un état d'alerte publique à l'échelle mondiale sera déclenché et que la solidarité sera assurée si Kobané est à nouveau attaquée.

Certains disent maintenant que les FDS devraient remettre leurs armes à une armée syrienne centrale et s'intégrer. Qu'est-ce que cela signifie pour le YPJ ?

L'intention du nouveau gouvernement – je ne parle pas de la population en général, mais du gouvernement en particulier – de faire cela est démontrée par le contenu de son approche envers les FDS. Ils veulent un Etat centralisé basé sur l'unification de l'armée, des institutions et aussi des mentalités. Ce qu'ils font circuler dans la presse et les médias, ainsi que les interviews qu'ils donnent, suggèrent que les FDS ne seront pas accepté dans sa forme actuelle et tel qu'il est.

Nous sommes attaquées. Il nous est donc impossible de déposer les armes. Les FDS sont une force qui a dix ans d'expérience dans la lutte contre ISIS. Au niveau international, elle est soutenue par la Coalition.

La Turquie refuse d'accepter l'administration autonome en tant que modèle et idée. La Turquie n'accepte pas non plus les FDS en tant qu'armée. Elle veut l'imposer au nouveau gouvernement. Cela signifie également que le YPJ n'est pas accepté – le YPJ, qui a combattu ISIS, a réalisé des gains significatifs, et est au cœur de l'Administration autonome.

Avec le nouveau gouvernement, les femmes devront intensifier leur lutte pour se défendre. Nous ne pouvons pas rendre nos armes alors que les attaques contre nous et nos territoires se poursuivent. Une telle chose ne peut se produire que par le biais d'accords et de pourparlers qui formalisent une Syrie démocratique dans laquelle les droits de toutes les femmes, de toutes les nationalités et de tous les peuples sont garantis et réalisés. Si ces conditions sont remplies, nous pourrons alors discuter de la question des armes.

L'état d'esprit qui règne au sein du nouveau gouvernement montre clairement qu'il n'y a pas de place pour les femmes – ou seulement une place où les femmes doivent accepter de se couvrir la tête et d'adopter un état d'esprit patriarcal. Pour éviter ce qui précède, il faudra beaucoup d'organisation et de lutte. Il s'agit là d'un grave danger que nous devons reconnaître. Les normes du nouveau gouvernement pour les femmes sont une menace pour l'existence, le rôle et la culture des femmes.

Au niveau mondial, pour la première fois, des femmes forment une armée, se protègent et se battent. Cette force armée indépendante a inspiré de nombreuses femmes – arabes, kurdes, assyriennes et internationales.

Le YPJ accepterait-il de faire partie de l'armée syrienne ?

À ce stade, on ne sait pas encore quelle sera l'issue de la situation. Il existe une multitude de facteurs qui ne sont pas encore clairs. La situation est complexe. Le nouveau gouvernement est en plein chaos, tant au niveau de ses institutions que de sa capacité à gouverner l'ensemble du pays. L'avenir reste incertain. Si – comme le souhaite la population et comme nous le souhaitons – la Syrie devient réellement une Syrie démocratique, politiquement, socialement, légalement ; si tous les efforts fournis et les réalisations obtenues au sein du SNE au cours des 12 dernières années sont reconnus, alors bien sûr, le YPJ peut faire partie de cette armée [l'armée syrienne]. En fait, YPJ peut servir de modèle aux femmes syriennes, en donnant l'exemple de l'autonomie et de l'autodéfense des femmes. Toutefois, comme indiqué précédemment, la nature précise de la situation reste incertaine. Il est impératif de comprendre que le champ d'application de cette question est vaste. Nos objectifs, nos positions et notre approche seront formulés sur cette base que j'ai expliquée. Ne pas suivre le mode de pensée actuel des HTS, selon lequel tout doit être centralisé. Si l'on adopte une approche qui englobe la diversité et qui est démocratique, alors le rôle du YPJ peut être discuté. La composition d'une armée de femmes syriennes peut être façonnée par le YPJ. Voilà ce que je peux dire à ce stade.

Rohilat Afrin & Rojava Information Centre
https://links.org.au/syria-we-cannot-hand-over-our-weapons-while-attacks-women-and-our-territories-continue-interview
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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La lutte des Kurdes est au cœur de l’avenir de la Syrie

21 janvier, par Joseph Daher — , ,
Joseph Daher estime que les progressistes doivent construire une Syrie pluraliste qui reconnaisse les libertés des Kurdes Ces dernières semaines, l'armée nationale syrienne (…)

Joseph Daher estime que les progressistes doivent construire une Syrie pluraliste qui reconnaisse les libertés des Kurdes

Ces dernières semaines, l'armée nationale syrienne (ANS), avec le soutien des forces turques, a lancé des attaques meurtrières contre les zones contrôlées par l'Administration autonome du nord-est de la Syrie (AANES), dirigée par les Kurdes, et les Forces démocratiques syriennes (FDS). En effet, depuis sa création en 2017, l'ANS joue le rôle de supplétif de la Turquie en Syrie et bénéficie d'un financement, d'un entraînement et d'un soutien militaire de la part d'Ankara. Toutefois, le 23 décembre, les FDS ont mené une contre-offensive qui a contraint l'ANS à se retirer de plusieurs zones.

L'offensive militaire menée par l'ANS contre certaines zones habitées par les Kurdes et contrôlées par les FDS a commencé presque en même temps que l'offensive militaire qui a conduit à la chute du régime d'Assad. Les forces de l'ANS ont pris le contrôle des villes de Tell Rifat et de Manbej dans le nord de la Syrie, ce qui a entraîné le déplacement de plus de 150 000 civils et de nombreuses violations des droits de l'homme.

Suite à ces attaques, l'Armée nationale syrienne a poursuivi ses opérations militaires contre les FDS autour du barrage de Tishrin. Ce barrage fournit de l'électricité à une grande partie du nord-est de la Syrie qui se trouve sous l'autorité de l'AANES. Les FDS contrôlent ces installations depuis 2015, après en avoir éliminé Daëch avec l'aide des troupes américaines.

En outre, l'armée turque a bombardé la zone autour de Kobané, ce qui a entraîné des pertes civiles ; elle a notamment pris pour cible un entrepôt de céréales et gâté ainsi les 300 tonnes de blé qui y étaient stockées.

Les États-Unis ont tenté de négocier une trêve entre les FDS et la Turquie, mais Ankara a refusé denégocier un cessez-le-feu avec une « organisation terroriste ». La Turquie considère les Unités de protection du peuple (YPG) – qui constituent l'épine dorsale des FDS – comme le front syrien du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu'elle considère comme un groupe terroriste.

Plusieurs manifestations ont été organisées dans les zones contrôlées par les FDS pour dénoncer les attaques menées par la Turquie. La population craint une répétition de l'invasion puis de l'occupation d'Afrin en 2018, qui a entraîné le déplacement forcé de centaines de civils (300 000 selon certaines estimations ), dont une grande majorité de Kurdes.

La dernière offensive soutenue par la Turquie est donc perçue par beaucoup comme une menace existentielle pour les Kurdes.

Le rôle destructeur de la Turquie en Syrie

Après la chute du régime Assad, la Turquie est devenue la principale puissance régionale active dans le pays. En apportant son soutien à Hayat Tahrir al-Cham (HTC), Ankara a consolidé son emprise sur la Syrie. Le principal objectif de la Turquie, outre le fait de procéder au retour forcé des réfugiés syriens et de retirer des avantages économiques de la phase de reconstruction, est de nier les aspirations des Kurdes à l'autonomie, et plus particulièrement de fragiliser l'AANES. Une telle évolution aurait un impact négatif sur les aspirations des Kurdes à l'autonomie en Turquie.

Le ministre turc des affaires étrangères, Hakan Fidan, a déclaré lors d'une conférence de presse conjointe avec le chef du HTC, Ahmed al-Charaa, que l'intégrité territoriale de la Syrie n'était « pas négociable » et que le PKK « n'avait pas sa place » dans le pays. Quelques jours plus tard, le président Erdogan a déclaré que les FDS « feront leurs adieux aux armes ou seront enterrées sur les terres syriennes ». L'armée turque n'a par ailleurs cessé de bombarder les civils et les infrastructures névralgiques du nord-est de la Syrie depuis la fin de l'année 2023.

Si HTC n'a participé à aucun affrontement militaire contre les FDS ces dernières semaines, l'organisation n'a pas pour autant exprimé son opposition aux attaques menées par la Turquie, bien au contraire. Mourhaf Abou Qasra, commandant de haut rang du HTC et ministre de la Défense nouvellement mis en place au sein du gouvernement de transition, a déclaré que« la Syrie ne sera pas divisée et il n'y aura pas de fédéralisme inch'Allah. Si Dieu le veut, toutes ces régions seront placées sous l'autorité de la Syrie ».

En outre, al-Charaa a déclaré à un journal turc que la Syrie établirait une relation stratégique avec la Turquie à l'avenir, ajoutant que « nous ne pouvons pas accepter que des territoires syriens soient utilisés pour menacer et déstabiliser aussi bien la Turquie que d'autres ».

Il a également déclaré que toutes les armes devaient passer sous le contrôle de l'État, y compris celles qui se trouvent dans les zones tenues par les FDS.

Par le passé, HTC a à maintes reprises apporté son soutien aux offensives turques contre les FDS.

Tout cela malgré le fait que les responsables des FDS aient déclaré vouloir négocier avec HTC. Le commandant des FDS, Mazloum Abdi, a fait savoir qu'il était favorable à la décentralisation de l'État et à l'auto-administration, mais pas au fédéralisme, tout en indiquant qu'il était ouvert à l'idée d'intégrer une future armée nationale syrienne (moyennant des garanties). Il a déclaré que les FDS n'étaient pas une extension du PKK et qu'elles étaient prêtes à renvoyer les combattants non syriens immédiatement après la conclusion d'une trêve.

Dans son dernier discours, al-Charaa a déclaréque des négociations étaient en cours avec les FDS pour trouver une solution à la crise dans le nord-est du pays et que le ministère syrien de la défense intégrerait les forces kurdes dans ses rangs.

La présence militaire américaine dans le nord-est est actuellement le principal obstacle à l'élimination totale par la Turquie des FDS dans cette zone. Cependant, l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait éventuellement conduire à un accord avec Ankara qui entraînerait le retrait des États-Unis. Cela donnerait le feu vert à une invasion turque aux conséquences désastreuses pour les civils, en particulier les Kurdes, et ce serait mettre fin à l'existence de l'Administration autonome du Nord et de l'Est de la Syrie (AANES).

Faiblesse de la solidarité

Il est peu probable que HTC soit disposé à répondre aux exigences des FDS et de l'AANES, surtout en ce qui concerne les droits nationaux des Kurdes. C'est que les régions du nord-est sont riches en ressources naturelles, en particulier le pétrole et l'agriculture, et qu'elles sont donc stratégiquement et symboliquement importantes.

En fin de compte, HTC n'est pas différent du Conseil national syrien et de la Coalition nationale des forces de l'opposition et de la révolution – les représentants officiels de l'opposition en exil, qui sont hostiles aux droits nationaux des Kurdes.

Plus généralement, tout comme pour Afrin en 2018, le principal problème est l'absence de toute manifestations organisées de solidarité, ou d'opposition, à l'offensive militaire menée par la Turquie contre les zones des FDS, et aux menaces qui pèsent sur les civils kurdes. C'est un enjeu considérable car il s'agit d'une nécessité politique pour l'avenir démocratique, progressiste et pluraliste de la Syrie.

La modification d'e cette situation serait un pas en avant dans la lutte contre la division ethnique entre Arabes et Kurdes. Il appartient aux forces progressistes et démocratiques de lutter contre le chauvinisme arabe afin que se crée une solidarité entre ces deux populations. Ce défi a été posé dès le début de la révolution syrienne en 2011 et devra être relevé si l'on veut que le peuple syrien puisse véritablement être libéré.

Il y a un besoin impérieux de revenir aux aspirations initiales du soulèvement pour la démocratie, la justice sociale et l'égalité-ce qui inclut le maintien de l'autodétermination kurde. Car si les FDS ou les YPG peuvent être critiquées pour leurs erreurs et leurs mesures de répression, ce ne sont pas elles qui constituent le principal obstacle à la solidarité entre Kurdes et Arabes. Au contraire, aujourd'hui, c'est le positionnement agressif des forces de l'opposition arabe en Syrie, ainsi que du HTC et de l'ANS .

La population kurde de Syrie fait l'objet de discriminations depuis la création de l'État en 1946. Les Kurdes ont souffert de l'interdiction de leur langue et de leurs manifestations culturelles, ont subi les politiques de colonisation arabe, ont été privés de leur nationalité et de leurs droits sociaux fondamentaux, et ont dû endurer le sous-développement dans les régions où ils étaient majoritaires.

Dans ce contexte, les forces progressistes doivent rechercher la collaboration entre les Arabes syriens et les Kurdes, y compris l'AANES. Car tout compte fait, l'AANES et ses institutions politiques représentent de larges pans de la population kurde et l'ont protégée contre des menaces locales et extérieures de toutes sortes.

Le soulèvement de 2011 a permis de faire émerger une dynamique nationale kurde de grande ampleur, sans précédent dans l'histoire de la Syrie. La question kurde soulève de nombreuses autres questions sur l'avenir du pays, notamment le possible développement d'une identité plurielle ne reposant pas uniquement sur l'arabité ou l'islam, ainsi que la nature de l'État et son modèle social. En définitive, ce sont autant de défis intrinsèquement associés à la recherche d'une véritable émancipation des classes populaires syriennes.

Joseph Daher
Source – New Arabs, 29 décembre 2024 :
https://www.newarab.com/opinion/kurdish-struggle-central-syrias-future
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article73326

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Le peuple syrien s’est libéré des Assad mais leurs chantres campistes feignent de l’ignorer...*

21 janvier, par Yorgos Mitralias — , ,
*par Yorgos Mitralias* * Des milliers et des milliers des Syriens de tout âge qui dansent et qui s'embrassent, qui pleurent et qui chantent, qui brandissent le nouveau (…)

*par Yorgos Mitralias*

* Des milliers et des milliers des Syriens de tout âge qui dansent et qui
s'embrassent, qui pleurent et qui chantent, qui brandissent le nouveau
drapeau du pays et qui célèbrent la fin de la tyrannie, au centre des
villes syriennes mais aussi à Paris, à Istanbul et à Moscou, à Berlin ou à
Stockholm, partout de par le monde où se sont réfugiés, les presque 7
millions de Syriens chassés de leur pays depuis 2011. Et des milliers des
Syriens qui franchissent les frontières même à pied, et retournent dans
leur pays après un très long exil forcé. Mais aussi, des milliers de
Syriens qui cherchent leurs proches emprisonnés, torturés ou disparus dans
les geôles et dans les innombrables fosses communes du régime ! *

Ces terribles scènes de joie mais aussi d'indicible douleur humaine qui ne
peuvent que bouleverser et émouvoir profondément tout être humain tant soit
peu sensible, laissent pourtant de marbre ceux de par le monde -de droite
et d'extrême droite comme de gauche - qui ont peur et haïssent les révoltes
populaires et ne voient en elles que des « complots » des puissances plus
ou moins occultes. Faisant preuve d'une totale insensibilité, ceux-là
préfèrent ne rien dire de ces scènes de joie et de douleur du peuple syrien
en chair et en os. Pas un mot. Rien que des théories complotistes qui les
amènent à inventer actuellement une Syrie sans Syriens, où s'affrontent
uniquement des... intérêts géostratégiques étrangers. Exactement comme ils
avaient inventé et défendu hier une Syrie de rêve où le clan des Assad ne
massacrait pas ses sujets mais jouissait de leur soutien enthousiaste ! Et
ce faisant, ils se posent en négationnistes, *dignes successeurs et clones
de leurs si tristement célèbres ancêtres qui n'ont rien vu, les uns des
camps d'extermination nazis, et les autres des goulags staliniens !…*

Évidemment, ils ne voient rien parce qu'ils ne veulent pas voir ce qui
infirme leur vision du monde. Alors, ils remplacent la lutte de classes par
la lutte des camps impérialistes adverses, allant même jusqu'à découvrir
des vertus progressistes et...anti-impérialistes à l'un de ces camps non
moins barbare et impérialiste que l'autre ! Et comme ils veulent que leurs
actes soient conformes à leurs théories, ils deviennent les adorateurs et
les propagandistes de ces barbares et obscurantistes dictateurs
« anti-impérialistes » et n'hésitent pas à se mettre à leur service en
défendant leurs élucubrations réactionnaires et leurs crimes !

Alors ce n'est pas du tout surprenant qu'à la racine de leur dérive qui
fait d'eux des auxiliaires des dictateurs sanguinaires et réactionnaires,
se trouve le fait qu'ils ne croient pas en la capacité de ceux d'en bas de
se révolter et de faire des révolutions. C'est pourquoi *ils ne voient dans
les insurrections populaires que des « complots » et des manipulations des
masses ignares par les puissants* ! Comme par exemple dans le cas des
révoltes populaires du « *Printemps Arabe * », qu'ils réduisent à un...
« complot » des services américains. Ce qui les amène à proclamer que les
masses des opprimé*E*s ne sont, et ne peuvent être, que des simples
figurants de l'histoire. Et aussi et surtout, que seuls les tout puissants
services secrets impérialistes sont capables de faire l'histoire !
Manifestement, une telle profession de foi conspirationniste se situe aux
antipodes de l'affirmation de Marx que « *les hommes font leur propre
histoire* »...

Ce n'est donc pas un hasard que ce qui caractérise leur façon de penser le
monde actuel et d'agir en conséquence c'est* leur conception policière de
l'histoire.* C'est pourquoi leur première réaction face à un quelconque
mouvement populaire, c'est de se demander... « *qui est derrière lui ?* ».
Car il leur est impossible d'admettre que ceux d'en bas, les travailleurs,
les femmes, les jeunes ou les peuples opprimés puissent se révolter pour
prendre leur sort entre leurs mains, sans être manipulés par personne.
Voici d'ailleurs la raison qui explique -au moins en partie- leur aversion
pour les mouvements sociaux et altermondialistes qu'ils regardent toujours
avec suspicion, étant dans l'impossibilité de déceler... « qui est derrière
eux »…

Toutefois, force est de constater que leur conception policière de
l'histoire et leur insensibilité sont bien sélectives. Par exemple, ceux
qui d'habitude se disent antifascistes et n'hésitent pas de taxer de
« fascistes » ceux qui n'aiment pas (par exemple, le président Ukrainien
Zelensky), « oublient » et passent sous silence le fait -nullement
insignifiant- que l'organisateur du terrible appareil de répression du
régime des Assad a été *Aloïs Brunner,* le dirigeant nazi le plus recherché
après la chute du Troisième Reich. Bras droit d'*Adolf Eichman**n* et
qualifié -à juste titre- de “*boucher de Salonique*” par les très rares
survivants (seulement 4 % du total !) de la grande communauté juive de cette
ville appelée aussi “*J**érusalem des Balkans*”, Brunner qui a trouvé asile
à Damas auprès de *Hafez Assad* lequel l'a protégé bec et ongles jusqu'à sa
mort en 2010, a été un monstre sadique qui aimait torturer avec ses mains,
et a “enseigné” personnellement les pires tortures aux tortionnaires
syriens…

Les voilà donc maintenant, tous ces « amnésiques » complotistes et autres
compagnons de route du très sanguinaire et corrompu régime des Assad dont
ils « oubliaient » systématiquement les horreurs, qui font la fine bouche
devant les célébrations de peuple syrien enfin libéré de ses bourreaux.
Sans doute, c'est le comble de l'hypocrisie.(1) Oui, le peuple martyrisé de
Syrie aura un calvaire à surmonter. Mais, qui oserait prétendre que ceux,
la Russie de Poutine en tête, qui ont maintenu ce régime en vie en rasant
les villes syriennes et en massacrant par centaines de milliers leurs
habitants, ne soient pas les premiers et plus grands responsables de ses
malheurs d'hier et d'aujourd'hui ?

*Note*

*1.* Il a suffi que Deutsche Welle dénonce, preuves a l'appui, la diffusion
par Tik Tok de quelques photos et vidéos truqués des prisons de régime
syrien, pour que la plupart des grands médias grecs titrent que tout ce
qu'on raconte et montre sur les geôles-« boucheries » des Assad sont des
mensonges. Évidemment, ces médias grecs qui sympathisent depuis longtemps
avec Trump, Netanyahou et surtout avec M. Poutine, ont « oublié » de citer
la conclusion de l'enquête de DW. Le lecteur attentif comprendra le
pourquoi de cet « oubli » en lisant cette conclusion très instructive : « *La
diffusion de fausses informations sur les **atrocités **font
seulement les efforts visant à les documenter et à enquêter sur celles-ci,
mais elle entrave **également** que **leurs** auteurs **en * *soient tenus
pour responsables**. Une telle désinformation peut conduire à un phénomène
connu **sous le nom de déni des atrocités, où la crédibilité des
véritables violations des droits de l'homme est remise en question,
affaiblissant ainsi les efforts de justice et obscurcissant
la vérité".*Détail plus que éloquent qui montre que cette
« désinformation » fait, malheureusement, un tabac en Grèce* :* selon un
dernier sondage, les dirigeants étrangers les plus populaires en Grèce,
sont d'abord M. Poutine et ensuite M. Trump...

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L’Autorité palestinienne et l’achèvement du siège

21 janvier, par Gilbert Achcar — , ,
L'AP de Ramallah a décidé de compléter l'assaut lancé par les forces armées sionistes en Cisjordanie parallèlement à leur invasion de la bande de Gaza... Gilbert Achcar (…)

L'AP de Ramallah a décidé de compléter l'assaut lancé par les forces armées sionistes en Cisjordanie parallèlement à leur invasion de la bande de Gaza...

Gilbert Achcar
Professeur, SOAS, Université de Londres

Il était tout naturel que la guerre génocidaire lancée par Israël dans la bande de Gaza, à la suite de l'opération Déluge d'Al-Aqsa menée par le Hamas le 7 octobre 2023, s'accompagne d'un assaut contre la Cisjordanie. En effet, l'État sioniste vit dans l'opération du Hamas une occasion en or de s'en prendre au peuple palestinien dans les territoires qu'il a occupés en 1967, et ce afin d'achever la Nakba de 1948. Car, lorsqu'Israël occupa en 1967 les parties restantes de la Palestine sous mandat britannique entre le fleuve et la mer, il fut surpris par la résilience de la plupart des habitants et leur refus obstiné de fuir le champ de bataille, contrairement à ce qui s'était passé en 1948 lorsque les habitants des terres saisies par les forces sionistes avaient fui en grande majorité sans jamais être autorisés à revenir, devenant ainsi des réfugiés. Les habitants de Cisjordanie avaient tiré la leçon de cette expérience historique amère, tout comme les habitants de Gaza (en plus du fait que les conditions géographiques font de la fuite vers le Sinaï une aventure dangereuse).

C'est pourquoi Israël s'est abstenu jusqu'ici d'annexer les territoires occupés en 1967, à l'exception de Jérusalem-Est. Les gouvernements sionistes successifs ont discuté de divers plans pour déloger la population de Gaza et de la Cisjordanie dans le but d'achever leur mainmise sur toute la Palestine, entre le fleuve et la mer, en annexant les territoires de 1967 sans avoir à faire face au dilemme du sort des habitants autochtones. Comme il était hors de question pour l'État sioniste de leur accorder la citoyenneté israélienne comme il l'avait accordée à la minorité palestinienne restée dans les territoires saisis en 1948 – un geste qui lui permit d'afficher une prétention démocratique – le gouvernement sioniste qui supervisa la guerre de 1967 prépara également un plan B, connu sous le nom du ministre qui l'avait élaboré, Yigal Allon. Ce plan prévoyait le contrôle permanent des zones stratégiques dans les territoires nouvellement occupés, y compris la vallée du Jourdain, par le déploiement de bases militaires et de colonies de peuplement, et la restitution des zones à forte densité de population palestinienne à la tutelle du Royaume hachémite de Jordanie.

La glorieuse Intifada de 1988 mit fin à ce projet, le royaume hachémite ayant renoncé à la responsabilité de l'administration de la Cisjordanie, et ayant même abandonné la revendication de la récupérer en tant que territoire annexé au royaume en 1949. Cette décision était ostensiblement une concession au souhait des Palestiniens de jouir de leur propre autogouvernement, confirmé par le Conseil national palestinien tenu à Alger la même année, mais en réalité, elle était la conséquence de la conviction à laquelle était parvenue le royaume que l'exercice d'un contrôle sur le peuple palestinien dans les territoires de 1967 était devenu difficile et périlleux. C'est cette séquence d'événements qui convainquit les sionistes travaillistes, qui avaient agi conformément au plan Allon lorsqu'ils étaient au pouvoir, de remplacer le royaume hachémite par la direction d'Arafat de l'Organisation de libération de la Palestine après leur retour au gouvernement sous la direction de Yitzhak Rabin à l'été 1992.

Ce fut le préambule des négociations secrètes d'Oslo, auxquelles Yasser Arafat et Mahmoud Abbas participèrent derrière le dos d'autres membres de la direction palestinienne, et qui aboutirent aux fameux accords signés à la Maison Blanche, à Washington, en septembre 1993. Quant à l'objectif de ces accords, il était clair pour tous ceux qui ne se laissèrent pas berner par l'illusion que des miracles allaient se produire conduisant à « l'État palestinien indépendant » qu'Arafat avait promis. Le gouvernement sioniste s'était immédiatement appliqué à intensifier la colonisation dans les territoires de 1967, tout en confiant à ce qui fut appelé « Autorité nationale palestinienne » la tâche de réprimer toute tentative de rébellion ou de résistance au sein du peuple palestinien. C'est pour l'accomplissement de cette mission qu'Israël autorisa l'entrée de l'Armée de libération de la Palestine (composée de réfugiés palestiniens) dans les territoires de 1967 et sa mutation en force de police équipée d'armes légères, chargée de contrôler la population locale.

Lorsque les accords d'Oslo commencèrent à être mis en œuvre avec la cession de Gaza et de Jéricho à la nouvelle Autorité palestinienne (AP) à l'été 1994, cette dernière décida de prouver à l'occupant sa capacité à maîtriser son peuple en réprimant dans le sang une manifestation menée par le Hamas à Gaza à l'automne de la même année – un événement connu sous le nom de « massacre de la Mosquée de Palestine », qui fut l'inauguration la plus importante d'une série d'actions répressives menées par les forces de sécurité affiliées à l'AP, contre les mouvements islamiques en particulier. En vérité, il ne saurait y avoir d'Autorité « nationale » palestinienne aux côtés de l'État sioniste et avec son consentement, mais seulement une autorité affiliée à l'occupant, semblable au gouvernement de Vichy qui avait pris en charge l'administration de la partie du territoire français que l'Allemagne nazie n'avait pas directement occupée en 1940. Cette comparaison qu'Edward Saïd avait faite, dans sa critique des accords d'Oslo, avait provoqué la colère de la direction d'Arafat au point d'interdire les écrits du plus célèbre des intellectuels palestiniens dans les territoires sous sa supervision.

L'analogie de Saïd se trouva confirmée dans les faits, à la différence près que Yasser Arafat refusa de continuer à jouer le rôle du Maréchal Pétain à la tête du gouvernement de Vichy, après avoir réalisé que son rêve d'un « État indépendant » n'était rien d'autre qu'une illusion, et avoir compris la réalité des objectifs sionistes, bien qu'avec beaucoup de retard. Arafat dirigea l'Intifada d'Al-Aqsa qui commença à l'automne 2000, une attitude qui entraîna son décès quatre ans plus tard. Alors que la majorité du peuple palestinien s'était faite des illusions lorsque les accords d'Oslo furent annoncés et commencèrent à être mis en œuvre, en particulier en raison du prestige personnel dont jouissait Yasser Arafat, ces illusions s'étaient complètement dissipées lorsque Mahmoud Abbas lui succéda. Ce dernier est devenu un symbole de la corruption et de l'oppression inhérentes à l'AP de Ramallah au point que, sous sa direction, le Fatah, principale fraction de l'OLP, perdit les élections du Conseil législatif palestinien en 2006. La suite est connue : le Hamas remporta ces élections ; puis Mohammed Dahlan orchestra dans la bande de Gaza une tentative de subjugation du mouvement islamique en 2007 ; elle échoua, mais conduisit à la division des territoires de 1967 entre deux autorités palestiniennes rivales, celle de Mahmoud Abbas en Cisjordanie et celle du Hamas dans la bande de Gaza.

Depuis octobre dernier et la fin de la première année de la guerre génocidaire sioniste en cours contre Gaza, un spectacle ignominieux se déroule sous nos yeux en Cisjordanie. L'AP de Ramallah a décidé de compléter l'assaut lancé par les forces armées sionistes en Cisjordanie parallèlement à leur invasion de la bande de Gaza – l'assaut israélien le plus violent mené en Cisjordanie, avec utilisation de la force aérienne, depuis la répression de l'Intifada d'Al-Aqsa il y a plus de vingt ans. Comme à l'automne 1994, l'AP a lancé une attaque sanglante contre des groupes de jeunes armés, commençant dans la ville de Tubas puis culminant avec l'attaque en cours contre le camp de réfugiés de Jénine, où se trouve le Bataillon de Jénine, un groupe de jeunes combattants de la résistance contre l'occupation israélienne.

Dans son désir de convaincre les États-Unis et Israël de sa capacité de réprimer le peuple palestinien, ce qui implique nécessairement une imitation de ce que fait l'État sioniste, l'AP de Ramallah, tout en attaquant le camp de Jénine en même temps que les forces sionistes attaquaient le camp de Jabaliya dans la bande de Gaza, a jugé bon d'interdire la chaîne de télévision Al Jazeera sur son territoire, de la même manière qu'Israël l'avait interdite quelques mois auparavant. Face à ce spectacle ignominieux, nous sommes partagés entre le ressentiment envers une AP qui a sombré encore plus bas, et le mépris pour son illusion de parvenir à convaincre Donald Trump et Benjamin Netanyahu de sa capacité de jouer le rôle de gardienne de la grande prison dans laquelle ils veulent enfermer les habitants restants de Cisjordanie et de Gaza.

Traduit du texte original de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 7 janvier. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Le retour au statu quo ante bellum : la paix, vraiment ?

Le récent cessez-le-feu conclu entre Israël et Gaza prélude-t-il à une paix durable, c'est-à-dire à la fin du conflit israélo-palestinien ou ne constitue-t-il qu'une trêve (…)

Le récent cessez-le-feu conclu entre Israël et Gaza prélude-t-il à une paix durable, c'est-à-dire à la fin du conflit israélo-palestinien ou ne constitue-t-il qu'une trêve entre les deux peuples ennemis ? Sa fragilité et sa complexité sont de mauvais augure pour la suite des choses.

photo Serge d'Ignazio

Tout d'abord, il ne concerne que les Gazaouis et les Israéliens. Il ne s'agit pas d'une traité de paix en bonne et due forme entre Israéliens et Palestiniens dans l'ensemble. La Cisjordanie et Jérusalem-Est n'entrent pas dans cet accord. Ces endroits constituent aux aussi une bombe à retardement étant donné l'expansionnisme israélien qui y sévit et l'occupation militaire qu'elle entraîne. La tension y monte chaque jour. Une insurrection palestinienne n'y est donc pas improbable, loin de là. Le front pourrait donc se déplacer de Gaza à la Cisjordanie.

En effet, les causes du conflit perdurent : tant que le gouvernement israélien, peu importe sa couleur politique considérera la Palestine comme la "Judée-Samarie" et continuera d'y multiplier les colonies de peuplement, illégales au regard du droit international, sauf les 20% du territoire contrôlé par la faiblarde "Autorité palestinienne" aux pouvoirs très limités de Mahmoud Abbas, il se heurtera inévitablement à une forte résistance de la population occupée.

Avec la récente trêve, on est loin du compte. Si la Cisjordanie s'embrase, l'accord de cessez-le-feu actuel à Gaza ne risque-t-il pas de s'effondrer ? Après tout, les Gazaouis sont des Palestiniens eux aussi ; certains vivent dans des camps de réfugiés au coeur de l'enclave. Leurs grands-parents et arrière grands-parents avaient fui les attaques sionistes en 1947-1948. La direction du Hamas céderait sans doute aussi à la tentation d'appuyer les frères et soeurs cisjordaniens.

Tant que les gouvernements occidentaux ne reconnaîtront pas sans ambiguïté le droit à l'autodétermination des Palestiniens et Palestiniennes, qu'ils soumettront ce droit à des négociations hasardeuses entre les deux parties concernées, la plus forte (Israël) et la la plus faible (les Palestiniens) sans supervision de l'ONU qu'ils n'adopteront pas des mesures de rétorsion sur Tel-Aviv pour que son gouvernement rende la Cisjordanie et Jérusalem-Est aux Palestiniens, le conflit va perdurer. Dans cette optique, le sionisme intraitable de la plupart des classes politiques occidentales, surtout l'américaine, fait partie du problème et non de la solution. Le noeud de ce problème réside précisément dans la tentative obstinée d'imposer aux Palestiniens une paix à rabais.

La résolution du conflit israélo-palestinien représente un point de départ vers une paix durable au Proche-Orient et non un aboutissement.

Jean-François Delisle

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Notre revue de presse sur le Moyen-Orient : le Hamas encore debout, Trump à la manoeuvre !!!

Le Hamas est « affaibli, isolé mais toujours debout », remarque le New York Times, le 16 janvier, au lendemain de l'annonce d'un prochain accord de cessez le feu entre Israël (…)

Le Hamas est « affaibli, isolé mais toujours debout », remarque le New York Times, le 16 janvier, au lendemain de l'annonce d'un prochain accord de cessez le feu entre Israël et le mouvement islamiste palestinien.

Tiré de MondAfrique.

Le quotidien new Yorkais estime en effet que, en dépit de l'assassinat de ses principaux dirigeants ainsi que ceux de la branche armée du mouvement et la mort de milliers de ses combattants sous les bombardements israéliens, le Hamas reste « la force palestinienne dominante à Gaza, continue à régner en maître dans les camps de personnes déplacées et n'a pas été contraint à la reddition ». Le Hamas n'a pas « hissé le drapeau blanc », souligne le journal.

Le New York Times précise que, même si de nombreux Palestiniens ont critiqué la décision du mouvement de lancer l'attaque du 7 octobre 2022 qui a provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes et a réduit Gaza à un champ de ruines, le Hamas » a fait face à relativement peu d'agitations populaires ».

La réponse disproportionnée d'Israël aux attaques du 7 octobre aurait-elle donc été menée en vain ? « Si l'accord à plusieurs niveaux [entre le mouvement islamiste palestinien et l'Etat Hébreu] porte ses fruits, le Hamas pourrait bien être en mesure de réimposer sa poigne de fer sur Gaza, ou tout au moins de maintenir un rôle décisif sur ce territoire », analyse le New York Times, qui donne du poids à cette prédiction en citant l'analyste Ibrahim Madhoun, considéré comme proche du mouvement : ce dernier estime en effet que « le Hamas va rester partout présent dans Gaza et ignorer son influence reviendrait à enterrer sa tête dans le sable »…

« Si le Hamas a perdu beaucoup d'hommes, il en a aussi recruté beaucoup durant cette année et demi durant ces quinze mois de conflit… » Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken

Les Palestiniens se réjouissent du cessez le feu entre Israël et le Hamas … jusqu'à un certain point

Le Washington Post relativise la bonne nouvelle, citant un Gazaoui éploré : « La joie de certains me brise le coeur car, au fond, que nous reste-t-il ? », s'interroge Mohammed Abu Alkas, un responsable marketing de 32 ans vivant avec 33 autres personnes dans un immeuble en partie effondrée de la ville de Nuseirat, au centre de Gaza (1)

Interviewé sur son lieu de résidence, Mohammed Abu Alkas porte toujours la même paire de jeans troué qu'il avait lors du début des bombardements et a été blessé une fois avec sa mère lors d'une explosion. Jeudi dernier, une bombe qui a pulvérisé un immeuble voisin du sien a projeté des lambeaux de corps humains chez lui, « une jambe et des morceaux de visage », détaille le quotidien de la capitale des Etats-Unis. Et de citer encore Abu Alkas : « Jusqu'au bout la mort aura frappé ».

Le Financial Times de Londres s'avère, pour sa part, un peu plus positif que son collègue américain, préférant insister sur les raisons de se réjouir à la veille de l'application du cessez le feu.

« Les gens sont très heureux », confie ainsi Shifa Al Ghazali, une mère de quatre enfants résidente de Gaza ville, qui a perdu son mari, sa mère et deux oncles depuis le début de la guerre.

« En dépit de ma douleur et de ma peine, je suis optimiste », ose pour sa part la femme d'affaires gazaouie Nida Aita, qui ajoute : » Même si on a tout perdu, je pense qu'il est temps que ce torrent de sang se tarisse « . Celle qui vit sous une tente dans un camp de déplacés et qui a dû déménager 14 fois parvient à se réjouir de pouvoir bientôt rentrer chez elle et « vivre dans les ruines » de son immeuble.

Haaretz, le grand quotidien de la gauche libérale israélienne, affirme que l'accord entre le Hamas et l'état hébreu n'aurait pas pu être signé sans Steve Witkoff, l'envoyé spécial de Donald Trump au Proche Orient

» Une grande partie des raisons de la percée [diplomatique] de la semaine dernière est à mettre au crédit de Witkoff », écrit Haaretz, soulignant » l'habileté démontré par Witkoff qui est parvenu à faire pression sur le premier ministre Benjamin Netanyahou, amenant ce dernier à accepter des compromis qu'aucun envoyé du président américain Joseph Biden n'avait réussi à lui arracher ces quinzes derniers mois ».

Le quotidien israélien prend certes la précaution de rappeler que les négociations avec les intermédiaires qataris et Israël ont été, côté américain, l'œuvre conjointe de l'envoyé de Trump et de son homologue pour les affaires moyen orientales de l'administration Biden, Brett Mac Gurk. Mais, en dépit de l'auto satisfaction affichée sur ce tournant diplomatique au Proche orient par le président américain sortant dans son allocution de départ, jeudi, Haaretz s'interroge tout de même sur cette incapacité de Biden à faire plier le premier ministre israélien : le fait que Witkoff ait réussi, en un seul meeting avec Netanyahou, début janvier. « ce que les officiels envoyés par Biden se sont montrés incapables de faire en plus d'un an pose de sérieuses questions, celle de savoir si l'administration américaine sortante a bien fait tout ce qu'elle pouvait pour pousser Israël [ au compromis], remarque non sans une certaine perfidie ce journal qui est l'honneur de la presse israélienne.

Le Financial Times met lui aussi l'accent sur l'incapacité de Joe Biden à forcer Netanyahu au compromis pour parvenir à un cessez le feu à Gaza

Dans un éditorial de son édition du vendredi 17 janvier, le grand quotidien britannique souligne que c'est bien grâce à Donald Trump qu'un « deal a pu être trouvé », une réussite qui met du même coup en lumière l'impuissance de l'administration américaine sortante « : « Tout cela pose la question de savoir pourquoi les Etats-Unis n'ont pas pu trouver un accord vers un cessez le feu plus tôt »… Certes, ajoute le « FT », « cet accord en plusieurs temps est basé sur les propositions que Joe Biden avait approuvées en mai 2024. Mais son administration n'a jamais réussi à convaincre le premier ministre israélien de prendre les mesures nécessaires [vers la conclusion d'un accord] « ; et le quotidien de regretter que le président Biden ait toujours préféré » d'accuser le Hamas d'être le responsable de l'impasse » dans laquelle se sont fourvoyées durant des mois les négociations.

The Washington Post évoque le fait qu'un « deal » secret a bien été passé entre l'Italie et l'Iran pour assurer la libération de la journaliste italienne Cecilia Sala

Rome a en effet relâché, dimanche 12 janvier, un ingénieur iranien recherché par les Etats-Unis et arrêté un plus tôt à Milan, une libération qui est intervenue trois jours après la libération de Mlle Sala, qui avait, elle, été appréhendée le 13 décembre sous un prétexte fallacieux par le régime des Mollahs alors qu'elle faisait un reportage en Iran avec un visa en règle.

Si l'Iran nie tout lien entre ces deux affaires, le quotidien américain remarque que tout cela ne relève pas de la coïncidence : la première ministre italienne Giorgia Meloni était « sous pression pour obtenir la libération de la journaliste » et a reconnu » que l'élargissement de Cécilia Sala a été obtenu grâce à des efforts diplomatiques intenses » entre Rome, Téhéran et Washington.

L'ingénieur iranien, Mohammed Abidini, était accusé par les Etats-Unis d'avoir fourni des composants à des drones iraniens qui, lors d'une frappe en Jordanie en janvier 2024, avaient occasionné la mort de plusieurs soldats américains.


(1) Selon les autorités sanitaires du Hamas, 46 600 Gazaouis ont été tués depuis le 7 octobre 2022, tandis que, au terme de l'accord qui devrait entrer en vigueur dimanche 19 janvier, 33 otages israéliens et plus d'un millier de prisonniers palestiniens en Israël devraient être libérés.

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90 prisonnières palestiniennes libérées dans le cadre de l’accord de cessez-le feu

L'armée israélienne a libéré tôt ce matin 90 prisonnier·es palestinien·nes, en échange des 3 prisonnières israéliennes libérées quelques heures plus tôt par le Hamas. Tiré (…)

L'armée israélienne a libéré tôt ce matin 90 prisonnier·es palestinien·nes, en échange des 3 prisonnières israéliennes libérées quelques heures plus tôt par le Hamas.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Il s'agit des premier·es prisonnier·es libéré·es dans le cadre de la première phase de l'accord de cessez-le-feu entré en vigueur dimanche. Sept heures après la libération par le Hamas de trois prisonnières israéliennes, les autorités israéliennes ont libéré 69 femmes et 21 adolescents (dont certains n'avaient que 12 ans) tous et toutes originaires de Cisjordanie et de Jérusalem occupées.

Plus tôt dimanche, la police israélienne avait perquisitionné plusieurs domiciles appartenant aux familles des détenu·es allant être libéré·es, et avertit leurs proches d'éviter les rassemblements et de ne pas brandir de drapeaux palestiniens, menaçant d'annuler leur libération.

Les médias locaux affirmaient également pendant la journée que la police interdirait les rassemblements, mais cela n'a pas empêcher des centaines de personnes de se rassembler pour venir accueillir les ancien·nes détenu·es.

« Nous sommes venu·es ici pour être témoins et ressentir les émotions, tout comme les familles des prisonnier·es qui sont libéré·es aujourd'hui », explique Amanda Abu Sharkh, 23 ans, originaire de Ramallah. « Tous·tes les prisonnier·es aujourd'hui font partie de notre famille. Ils et elles font partie de nous, même si ce ne sont pas des parents de sang. »

Khalida Jarrar, méconnaissable, parmi les libéré·es

Parmi les détenues libérées se trouve Khalida Jarrar, militante des droits humains et figure emblématique du féminisme palestinien. Arrêtée en décembre 2023 et incarcérée au titre de la « détention administrative », elle était emprisonnée sans chef d'accusation ni procès. De nombreux·ses acteur·ices des droits humains avaient dénoncé un emprisonnement politique, car la militante venait de publier un rapport accablant sur les conditions de détention dans les prisons israéliennes, et l'agravation de celles-ci depuis le 7 octobre 2023.

Universitaire et chercheuse à l'Université de Birzeit, élue au Conseil Législatif Palestinien lors des élections de 2006, Khalida Jarrar avait déjà été emprisonnée à trois reprises, pour une durée totale de près de 6 ans.

Depuis le mois d'août dernier, Khalida Jarrar était placée à l'isolement, soit dans une cellule de 1,5 sur 2 mètres, sans aération ni fenêtre. Sa cellule comprenait une très petite salle d'eau avec des toilettes et une douche. La militante détenue manquait cruellement de produits d'hygiène personnelle et de vêtements, et n'a accès qu'à des quantités très limitées d'eau. En outre, la nourriture fournie était de mauvaise qualité et en très petites quantités.

Des photographies montrent son visage transformé par ces derniers mois d'incarcération, démontrant la brutalité des conditions d'enfermement. Il faut noter que Jarrar, agée de 62 ans, souffre de problèmes de santé et qu'elle a besoin d'un régime alimentaire spécial, que l'administration pénitentiaire israélienne a refusé de prendre en compte.

La négligence médicale fait partie des nombreux traitements abusifs dénoncés par les organismes de défenses des droits humains et des droits des prisonniers. La semaine dernière, la mort du prisonnier Moataz Mahmoud Abu Zneid, 35 ans, qui souffrait de graves problèmes de santé mais n'avait pas reçu de soins médicaux jusqu'à ce qu'il tombe dans le coma le 6 janvier, était annoncée.

Son décès portait le nombre connu de prisonniers morts en détention à 55 depuis le début de la campagne génocidaire d'Israël à Gaza. Les prisonnier·es libéré·es au cours des derniers mois témoignent de conditions dégradantes et de traitements violents. Plusieurs rapports ont dénoncé des cas de sous-alimentation, d'insalubrité, de violences physiques et verbales, de torture, d'agressions sexuelles et de viol.

La rapporteuse spéciale des nations unies sur la torture a salué dans un communiqué l'accord de cessez-le-feu à Gaza. Elle a ensuite souligné les préoccupations concernant le traitement des Palestinien·nes détenu·es par Israël, appelant à un traitement humain, à la libération des personnes détenues arbitrairement et à l'ouverture d'enquêtes sur les allégations de torture : « Toutes les allégations doivent faire l'objet d'une enquête approfondie, les responsables doivent rendre des comptes et toutes les victimes de la torture doivent bénéficier de la justice et d'une aide à la réadaptation. »

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