Presse-toi à gauche !
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Ne pas répéter les erreurs des années ‘30* *Prendre très au sérieux les menaces de Trump et Musk !

Tandis que Trump multiplie les déclarations belliqueuses contre le Panama,le Groenland, le Canada ou les Palestiniens, les chancelleries et les médias internationaux se limitent à parler des...manœuvres tactiques du nouveau président américain.
**
*Par Yorgos Mitralias*
* Et pire, une partie de la gauche
internationale continue à célébrer Trump le pacificateur (!), celui qui
mettra fin aux conflits en cours en Ukraine et en Palestine. Et en même
temps, tandis que son second (?) Elon Musk multiplie les initiatives de
tout genre en faveur de l'extrême droite dure, néofasciste ou pas, de par
le monde, les médias et les gouvernants occidentaux se contentent de parler
de son...populisme tout en se demandant « pour qui se prend Elon Musk »…*
Manifestement, rien de nouveau sous le ciel de nos bien pensants libéraux
et autres inconditionnels de l'économie de marché : toutes ces réactions
rappellent fortement les réactions de la plupart des médias et gouvernants
occidentaux face à Mussolini et à Hitler dans les années ‘20 et ‘30. Même
aveuglement devant la catastrophe qui se prépare et pire, mêmes conversions
miraculeuses aux solutions ultra-radicales proposées par ces « populistes »
et « souverainistes » charismatiques. Comme par exemple, quand la fine
fleur de la presse économique internationale qui se moquait de
l'inénarrable nouveau président argentin il a seulement un an, lui fait
actuellement un éloge délirant, le présentant même comme un modèle aux
dirigeants occidentaux ! Et tout ça tandis que plusieurs de nos gouvernants
bien néolibéraux, se découvrent actuellement...libertariens en un temps
record !
Alors, loin de nous l'idée que Trump ou Musk ne veulent pas dire exactement
ce qu'ils disent. Ou qu'ils vont « s'assagir » une fois aux commandes et
face à la « complexité » des problèmes de notre temps. Tous ces vœux pieux,
proposés actuellement en guise d' « analyses » de la situation par nos
experts et autres « politologues », sont les mêmes, parfois mot à mot (!),
à ceux que prononçaient nos dirigeants et nos médias dans les années ‘30.
Et ils ne font que semer la confusion, laissant désarmés et impuissants
ceux d'en bas face à la catastrophe qui se prépare contre eux…
Oui, *Musk et Trump sont pleinement conscients de ce qu'ils **promettent**
de faire, parce que leurs **projets et leurs **actes correspondent **à**
leurs désirs **et surtout **à** des **réalités** bien materielles.* C'est
ainsi que la prédilection de Musk -mais aussi de Trump dans une certaine
mesure- pour l'extrême droite dure et les néofascistes s'explique par le
fait que la précondition pour le triomphe de son *libertarianisme * (qui
abhorre même les trop timides limites que met l'Union Européenne à
l'avidité capitaliste) est d'*écraser tout mouvement syndical et d'atomiser
les travailleurs et les travailleuses.* D'ailleurs, ni Trump ni Musk ne
cachent leur désir de casser de l'ouvrier. Par exemple, en août dernier au
cours de leur « débat » retransmis en direct sur X, ils se sont amusés à
célébrer les cas des ouvriers qui avaient été licencies par Musk aussitôt
qu'ils se mettaient en greve. Et c'est exactement contre leurs prises de
position en faveur de la criminalisation du droit de grève, que le puissant
syndicat des travailleurs de l'automobile *(UAW)* a porté plainte contre
eux les accusant de "*tentative d'intimidation et de menace*" des
travailleurs. Comme a déclaré le leader de ce syndicat *Shawn Fain*, *« Trump
et Musk veulent que les gens de la classe ouvrière restent tranquilles et
se taisent, et ils en rient ouvertement. C'est dégoûtant, illégal et
totalement prévisible de la part de ces deux clowns * »...
Alors, pour briser le mouvement ouvrier, rien de plus expérimenté, de plus
déterminé et de plus organisé que cette extrême droite qui d'ailleurs est
en train de monter en flèche. Ici on ne peut pas parler seulement
d'affinités électives. En réalité on assiste déjà à la convergence qui
pourrait très bien conduire bientôt à la jonction de l'extrême droite dure
de par le monde avec les libertariens new look que représentent Musk, Milei
et peut être Trump lui-même s'il parachève son abandon du néolibéralisme.
Une telle évolution serait pourtant catastrophique pour l'humanité car elle
aboutirait à donner des ailes à une extrême droite désormais décomplexée,
encore plus agressive et ouvertement nostalgique de ses ancêtres fascistes,
au moment même où elle est en train de devenir la première force politique
presque partout en Europe et au monde.
D'ailleurs, force est de constater que cette jonction des libertariens avec
l'extrême droite dure et autres nostalgiques du fascisme est grandement
facilité par l'abandon par les libertariens nouvelle mouture Musk, Milei et
leurs amis, tant de l'anti-étatisme viscéral que de la défense des droits
individuels qui caractérisaient le libertarianisme traditionnel. C'est
ainsi qu'on voit Musk et ses acolytes libertariens de par monde, non
seulement adopter sans états d'âme mais même devenir les champions des
traditionnelles théories et préjugés racistes, réactionnaires et
obscurantistes de l'extrême droite dure et néofasciste !(1) Le résultat est
qu'une partie toujours plus grande de l'extrême droite mondiale abandonne
maintenant son étatisme traditionnel pour adhérer au libertarianisme à la
Musk, tandis que le dernier abandonne sa traditionnelle défense des droits
individuels pour adopter les théories et les comportements violemment
anti-socialistes, bellicistes, complotistes, racistes, misogynes,
anti-LGBT, anti-migrants, anti-jeunes, anti-écologiques, et
climato-negationistes de l'extreme droite dure et néofasciste.* C'est donc
sur cette base bien solide de leurs « valeurs » et intérêts convergents
sinon communs que pourrait s'opérer la fusion de l'extrême droite mondiale
avec le libertarianisme triomphant de Musk et Milei,*(2) suivis désormais
de près par Trump. Une fusion qui donnerait alors naissance à un monstre
dont la puissance destructrice pourrait bien dépasser tout ce qu'on a connu
au siècle passé...
Voici donc la réponse à une question qui semble travailler énormément
dernièrement les medias et les experts en fascisme : Oui, Musk est bel et
bien fasciste, même si son fascisme est d'un genre nouveau. Comme
d'ailleurs était fasciste pur sang son très illustre ancêtre Henry Ford,
lui aussi constructeur de voitures, grand novateur du capitalisme en son
temps, milliardaire et figure emblématique du capitalisme triomphant
américain. *Ce Henry Ford qui partage avec Elon Musk la même admiration
pour deux très sulfureux politiciens Allemands : le premier pour Adolphe
Hitler et le deuxième pour la présidente de l'AFD néofasciste Alice Weide*l.
Ce Henry Ford dont le portrait trônait toujours au-dessus du fauteuil de
Hitler dans son bureau, car Ford avait « découvert » et financé Hitler
avant tous les autres, et son antisémitisme radical (quatre volumes
d'écrits de sa propre main !) l'avait inspiré et guidé comme aucun autre.
D'ailleurs, Musk ne fait actuellement que suivre l'exemple du nazi Henry
Ford quand il brise des gréves et attaque les syndicats ouvriers. Seule
différence entre les deux : Ford avait sa propre armée de 3.000 nervis
briseurs de gréve, tandis que Musk n'en a pas (encore ?) et a recours à des
milices privées…
Notre conclusion ne peut être que provisoire car on n'est encore qu'au tout
début de cette histoire cauchemardesque. Cependant, on peut déjà affirmer
qu'il ne faut pas répéter l'erreur de nos ancêtres des années ‘30 et qu'il
faut prendre très au sérieux les dires et les menaces de Trump et de Musk,
et se préparer de toute urgence pour leur faire barrage D'ailleurs, les
besoins de défense nationale qu'invoque actuellement Trump quand il
n'exclut pas l'usage de la force pour attaquer le Panama, le Groenland ou
le Canada rappelle imperceptiblement les besoins du « *l**ebensraum* »
(espace vital) qu'invoquait à son temps Hitler quand il mettait à feu et à
sang l'Europe et le monde entier…
*Note*
*1. *La prédilection de Trump et Musk pour l'extrême droite très très dure
et carrément néofasciste est illustré aussi par le choix des invités à la
cérémonie d'investiture de Trump le 20 janvier à Washington. Par exemple,
il n'y aura qu'un invité Français, qui ne sera évidemment pas le président
Macron, ni même Marine Le Pen, considérée manifestement trop modérée.
L'unique invité est ...Eric Zemmour ! Tout un programme...
*2**.* Voir aussi *La menace fasciste se précise d'autant que Milei appelle
à la création de l'Internationale brune ! : **https://inprecor.fr/node/4480*
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L’internationale réactionnaire sur les amphétamines avec Musk

Une structure politique qui ne cesse de croitre vient, avec l'appui de Musk, de prendre une ampleur qui lui était inconnue au XXI siècle.
Les recherches pour une « internationale réactionnaire » ne sont pas récentes. Dans un texte signé par Éric Aeschimann publié dans l'édition du 9 octobre 2009 du journal Libération, il considérait comme faisant partie de cette internationale, des néoconservateurs Américains et Italiens, mais aussi des ex-maoïstes français, des penseurs nationalistes chinois et le pape Benoît XVI. Selon lui, le ressort profond de cette internationale était une haine des Lumières.
Un texte de Ludovic Lamant publié le 16 décembre 2016 dans Mediapart dénonçant la poussée des forces « préfascistes », anticipait que les élections qui allaient venir en Allemagne et en France, pouvaient consacrer cette internationale réactionnaire, qui monopolisait déjà, selon lui, le rôle d'opposition à « l'establishment ».
L'Obs du 26 septembre 2019 plantait définitivement le drapeau avec un texte de Xavier de la Porte titrant « Il y a aujourd'hui une Internationale réactionnaire » faisant référence au livre « l'Esprit de réaction » de l'historien américain Mark Lilla, qui considérait les réactionnaires non comme des conservateurs, dont les combats tournent autour de la relation entre l'individu et la société, mais étant plutôt des gens voulant contrer les révolutionnaires.
Il y aurait deux types de réaction, celle de rupture permet de revenir en arrière et de reconstruire le monde tel qu'il était, l'autre est de passer au-dessus du présent et de créer une nouvelle société inspirée du passé. Les réactionnaires voudraient essentiellement contrôler l'Histoire. Ceux-ci seraient en pleine mythologie et idolâtrie du passé sans chercher à apprendre de lui. « Il faut se méfier des réactionnaires parce qu'ils ont réponse à tout », affirmait Mark Lilla.
Selon d'autres articles de journaux de l'époque, cette internationale était présente dans le gouvernement du président du Brésil Jair Bolsonaro, en Italie, en Hongrie, en Pologne et durant le premier mandat de Donald Trump.
Le Monde diplomatique intégrait, dans son édition de septembre 2020, l'expansion de l'évangélisme dans cette internationale réactionnaire, alors que quatre décennies d'une dynamique ultraconservatrice du monde protestant influaient sur les questions sociales, économiques et diplomatiques au Mexico à Séoul, Lagos et de nombreuses autres régions du monde.
Les réactionnaires sur leur X avec Musk et Trump
L'internationale réactionnaire a atteint ces derniers jours une visibilité mondiale. Le président français, Emmanuel Macron, regrettait récemment de voir l'homme le plus riche de la planète soutenir « une internationale réactionnaire » en Europe. Il a affirmé devant des ambassadeurs français : « Voilà dix ans, si on nous avait dit que le propriétaire d'un des plus grands réseaux sociaux du monde soutiendrait une nouvelle internationale réactionnaire et interviendrait directement dans les élections, y compris en Allemagne, qui l'aurait imaginé ? » Il faisait référence au soutien d'Elon Musk au parti d'extrême droite allemand AfD dans le journal Die Welt, et ce, en pleine campagne pour les élections anticipées. Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a aussi parlé d'internationale réactionnaire pour qualifier les soutiens d'Elon Musk.
De nombreux commentateurs politiques voient dans les propos d'Elon Musk et de Donald Trump une volonté de changer les règles internationales pour faire émerger un nouvel ordre mondial. Le directeur de l'Institut français des relations internationales (Ifri), Thomas Gomart, considère que ce qu'ils disent doit être pris au sérieux, affirmant qu'il ne fallait surtout pas sous-estimer la volonté de la deuxième administration Trump de changer les règles puisqu'il aurait attiré à lui une partie de l'« establishment tec ». Les démocraties seraient menacées non seulement par les déclarations expansionnistes et l'imprévisibilité de Trump, mais aussi la puissance médiatique d'Elon Musk, l'homme le plus riche du monde.
Comment réagir ?
L'Europe est loin d'une réponse cohérente. Si la Commission européenne retient son souffle avant le retour de Donald Trump, elle met cependant en place de nouveaux règlements tels le Digital Services Act (DSA) pour encadrer les activités numériques des « Big Tech ».
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, veut que la Commission agisse avec la plus grande fermeté contre ce qui pourrait être des violations flagrantes de ce DSA par la plateforme X. Forte de 150 spécialistes du numérique, la Commission enquêterait déjà depuis plus d'un an sur X, visant entre autres un problème de tromperie sur les comptes certifiés et le manque de transparence sur les publicités. D'éventuelles manipulations de l'algorithme de X pour promouvoir certains contenus semblent aussi dans le collimateur. Avec le DSA, l'Union européenne pourrait condamner X à une amende allant jusqu'à 6 % de son chiffre d'affaires mondial. Il y aurait cependant un choix politique de ne pas faire de vague pour l'instant. La délégation des socialistes français a écrit à la Commission pour lui demander d'expliquer sa stratégie. L'eurodéputée PS Chloé Ridel affirme que « Tout le monde est pris comme des lapins dans les phares d'une voiture ».
Curieusement, cette vision antitrust des Européens contre les Big Tech se retrouve aussi dans les pages du « Projet 2025 » de la fondation Heritage, un groupe de réflexion national-conservateur, qui a aidé Trump à gagner ses élections. Certains des membres de ce groupe devraient faire partie de la nouvelle administration américaine.
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Libérez, délivrez, régularisez nos places handicapées !

Aller et venir est un plaisir, c'est aussi une liberté reconnue parmi les droits fondamentaux. L'État et les collectivités publiques ont donc l'obligation de réaliser tous les travaux et aménagements favorisant la libre circulation.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/27/liberez-delivrez-regularisez-nos-places-handicapees/?jetpack_skip_subscription_popup
En ville, des millions de personnes en fauteuil, appuyées sur des cannes, béquilles, déambulateurs… se heurtent à des difficultés majeures. Car des municipalités compliquent sciemment le quotidien de leurs administrés handicapés.
Aller et venir, se déplacer librement est un plaisir, c'est aussi une liberté reconnue parmi les droits fondamentaux. L'État et les collectivités publiques ont donc l'obligation de réaliser tous les travaux et aménagements favorisant la libre circulation. Pour des millions de personnes en situation de handicap, moteur notamment, la voiture est indispensable pour aller d'un point à un autre. On connaît les difficultés majeures auxquelles se heurtent, en ville, ces personnes en fauteuil, appuyées sur des cannes, béquilles, déambulateurs… Les politiques nous ont habitués à leurs discours contrits et leurs promesses de fumée. Mais des municipalités compliquent sciemment le quotidien de leurs administrés handicapés. Par cette tribune, Droit Pluriel veut rendre publiques ces pratiques qui nuisent à des contribuables qui ne savent plus vers qui se tourner.
Tout d'abord, il y a le handi-washing entretenu par ces villes qui affichent leur prétendue volonté de faciliter le déplacement des personnes en situation de handicap. Ainsi, Hazebrouck se vante de ses 15% de places réservées aux personnes à mobilité réduite au lieu des 2% réglementaires. De son côté, Toulon fanfaronne avec 181 nouvelles places PMR. Formidable ! les rues de ces communes sont notoirement colorées d'emplacements bleus marqués du personnage en fauteuil roulant. Voilà une ville inclusive, serait-on tenté de penser. Voilà d'ailleurs ce que veulent laisser croire des équipes municipales peu scrupuleuses car il ne s'agit là que d'un cynique jeu de trompe-l'œil. Notre enquête nous a montré que de très nombreuses municipalités usent du même procédé : elles conçoivent des places inférieures à la taille nécessaire pour le véhicule d'une personne en fauteuil. Ou encore, elles omettent volontairement de planter sur ces places bleues le panneau signalétique imposé par la loi. Résultat : n'importe qui peut s'y garer sans être verbalisé. Les habitants le savent. Il s'agit de fausses « places handicapés », pure démagogie à visée électorale. Si on peut se faire quelques voix sur le dos des handicapés…
Autre bâton dans les roues : le système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI). Ce dispositif remplace progressivement les pervenches traditionnelles qui verbalisaient manuellement. De quoi s'agit-il ? Des voitures équipées de caméras sillonnent la ville et photographient les plaques d'immatriculation des personnes mal garées, et l'amende est automatiquement envoyée au propriétaire du véhicule. Sauf que la Carte mobilité inclusion (reconnaissance administrative du handicap) permet de se garer gratuitement sur toutes les places dès lors qu'elle porte la mention « stationnement ». Il suffisait naguère de mettre en évidence la carte sur le tableau de bord pour que l'agent ne verbalise pas. Ce système que certaines villes ont conservé n'était pas sans faille puisque des amendes tombaient malgré tout, mais la démarche répondait à l'objectif : ne pas créer d'obstacle supplémentaire pour des personnes déjà bien entravées par le handicap. Dorénavant, avec le système LAPI, les titulaires de la CMI doivent s'enregistrer sur le logiciel dédié avant de venir. Il ne suffit pas de le faire une fois pour toutes : chaque mairie a son propre logiciel, parfois il y a un délai d'inscription, il faut se réinscrire régulièrement… Adieu l'impro ! Parfois, seule une voiture peut être enregistrée, tant pis pour les parents d'enfants handicapés qui ont chacun leur véhicule. Tant pis aussi pour les personnes empêchées par le handicap d'accéder au numérique. Et dans les cas où la municipalité a conservé le système du bon vieux ticket, tant pis pour celles et ceux qui n'accèdent pas aux horodateurs trop hauts, trop loin ou à l'écran illisible… La loi oblige à faciliter le déplacement : on voudrait enfermer chez elles ces milliers de personnes qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
Enfin, dernier obstacle : le forfait post-stationnement (FPS). Habituellement, les amendes sont des contraventions de droit pénal qui s'inscrivent dans un cadre strict pour ne pas punir à la légère. Mais en matière de stationnement payant, les amendes ont une nature administrative, et les conséquences sont importantes. Auparavant, il fallait obligatoirement payer la somme réclamée pour pouvoir contester devant la Commission du contentieux du stationnement payant, une juridiction… qui ne siège qu'à Limoges. En 2020, le Conseil constitutionnel a abrogé cette règle injuste. Cependant, aucune nouvelle loi n'est venue se substituer à l'ancien système, si bien que certaines municipalités comme Arles continuent d'envoyer des FPS aux personnes en situation de handicap. Et, ultime aberration, les amendes peuvent se cumuler, jusqu'à plus de mille euros… Est-ce acceptable pour une personne qui a acquis ce droit de stationner gratuitement et reçoit une Allocation aux adultes handicapés de 1016 euros par mois ? Le Conseil d'État a rendu une décision complètement lunaire arguant qu'il ne s'agissait que de « litiges portant, la plupart du temps, sur de faibles sommes ».
Il n'est pas possible de battre des mains devant les athlètes paralympiques et empêcher ces mêmes personnes, dès lors qu'elles ont laissé leur maillot au vestiaire, de se rendre au travail, chercher leurs enfants à la sortie de l'école ou aller au supermarché… Stationnement ou pas, quand accepterez-vous de nous laisser une place ? La France ne peut pas aimer que les handicapés médaillés !
Anne-Sarah Kertudo et Romain Dubos
Droit Pluriel
Association nationale de défense des droits des personnes en situation de handicap
https://blogs.mediapart.fr/droit-pluriel/blog/171224/liberez-delivrez-regularisez-nos-places-handicapees
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La bataille navale et la lutte pour l’Arctique entre les États-Unis et la Chine

L'avancée chinoise en Arctique dans la construction de la Route de la soie polaire, ainsi que le développement accéléré de son industrie navale, mettent le futur président américain sous pression. La faiblesse des Etats-Unis dans le secteur stratégique de la construction navale, couplée au rapide développement chinois, crée une situation explosive qui explique les menaces de Trump sur le Groenland.
15 janvier 2025 | tiré du site de Révolution permanente | Cet article est paru dans La Izquierda Diario le 13 janvier 2025.
https://www.revolutionpermanente.fr/La-bataille-navale-et-la-lutte-pour-l-Arctique-entre-les-Etats-Unis-et-la-Chine
À une semaine de l'investiture de Trump, un rapport demandé par l'administration Biden donne au nouveau président l'occasion de mettre en avant sa politique agressive vis-à-vis de la construction navale et de la bataille pour l'Arctique. Un sujet très sensible, comme en témoignent les déclarations de Trump sur un éventuel achat du Groenland.
Ce lundi, le Bureau de la Représentante américaine du commerce (USTR, United States Trade Representative), dirigé par la démocrate Katherine Tai, a présenté les résultats d'une enquête entamée en avril 2024. Elle concerne la section 301 du Trade Act de 1974 - qui permet aux États-Unis de pénaliser les pays étrangers qui se livreraient à des actes « injustifiables » ou « déraisonnables », ou qui porteraient atteinte au commerce des Etats-Unis.
L'étude a montré que la Chine a développé sa construction navale et son industrie maritime pour dominer le secteur au niveau mondial en « utilisant le soutien financier de l'État, les barrières pour les entreprises étrangères, le transfert forcé de technologie et le vol de propriété intellectuelle, ainsi que les politiques d'approvisionnement » pour donner un avantage à ses industries.
Cette pratique n'est pas nouvelle, car la Chine y a eu recours dans des secteurs industriels clés pour accélérer son développement au cours des dernières décennies. Cependant, l'industrie navale (tout comme les micropuces), qui comprend la construction navale commerciale et militaire, représente un secteur stratégique dans la lutte pour le pouvoir et un domaine dans lequel les États-Unis se sont particulièrement affaiblis.
L'enquête montre que la part de la Chine dans l'industrie mondiale de la construction navale, qui s'élève aujourd'hui à 150 milliards de dollars, est passée de 5 % en 2000 à plus de 50 % en 2023, tandis que les constructeurs navals américains, autrefois les plus importants, ont vu leur part chuter en dessous de 1 %.
Aux États-Unis, il ne reste plus que 20 chantiers navals publics et privés, contre plus de 300 au début des années 1980. Selon certains experts, la reconstruction de l'industrie navale et maritime des Etats-Unis prendrait des décennies et coûterait des dizaines de milliards de dollars. Trump lui-même a laissé entendre que les États-Unis pourraient devoir se tourner vers leurs alliés pour construire les navires de guerre dont l'armée américaine aurait besoin. On peut alors penser à la Corée du Sud et au Japon, qui sont les deuxième et troisième constructeurs après la Chine.
Trump a déjà utilisé les mêmes dispositions de la Section 301 pour imposer des tarifs sur des centaines de milliards de dollars d'importations chinoises lors de son premier mandat, des tarifs qui ont été maintenus et même renforcés sous l'administration Biden.
Ce nouveau rapport permettra à Trump d'avoir dans son jeu un « motif valable » pour menacer de nouveaux droits de douane, comme lorsqu'il a déclaré pendant sa campagne électorale qu'il appliquerait des taux allant jusqu'à 60 % sur les importations de certains produits, bien qu'il y ait de nombreux doutes sur la faisabilité d'une telle mesure, qui impliquerait un saut inflationniste sur les matières premières et les produits fabriqués à l'intérieur des États-Unis. Mais l'industrie de la construction navale n'est pas la même et implique une menace directe pour la sécurité américaine dans le contexte du déclin hégémonique des États-Unis.
C'est pourquoi le nouveau conseiller à la sécurité nationale de Trump, Mike Waltz, a également participé à la rédaction accélérée d'un projet de loi bipartisan avec le sénateur démocrate Mark Kelly pour revitaliser l'industrie de la construction navale américaine avant de démissionner du Congrès.
La lutte pour l'Arctique fait partie de ce combat géopolitique, que Trump a poursuivi la semaine dernière en suggérant qu'il avait l'intention d'acheter le Groenland et qu'il n'excluait pas une action militaire pour s'emparer de ce territoire stratégique.
La route de la soie polaire
La Chine a acquis un avantage inégalé sur les États-Unis dans l'Arctique et mène une stratégie propre dans la région. La Route maritime du Nord, également connue sous le nom de Route de la soie polaire, est depuis des années en cours de construction par la Chine, avec l'aide de la Russie.
En janvier 2018, le gouvernement chinois a publié la “Politique arctique de la Chine”, décrivant son plan pour « utiliser les ressources de l'Arctique » et « participer activement à la gouvernance de l'Arctique et à la coopération internationale ». Parmi les points centraux figurent : 1) la participation de la Chine au développement des routes maritimes arctiques ; 2) participer à l'exploration des sols et à l'exploitation du pétrole, du gaz, des minéraux et d'autres ressources non vivantes ; 3) participer à la conservation et à l'utilisation de la pêche et d'autres ressources vivantes ;
4) participer au développement du tourisme.
Dans la section « Participation active à la gouvernance de l'Arctique », on peut lire que « la Chine soutient le système actuel de gouvernance de l'Arctique fondé sur la Charte des Nations unies et la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, et joue un rôle constructif dans l'élaboration, l'interprétation, la mise en œuvre et le développement des normes internationales liées à l'Arctique, et sauvegarde les intérêts communs de toutes les nations et de la communauté internationale ». En d'autres termes, alors que Trump menace d'une action militaire pour s'emparer du Groenland, la Chine se positionne comme puissance hégémonique afin de « sauvegarder les intérêts communs », tout en avançant dans le développement d'une flotte maritime capable de représenter un danger pour Washington.
Comme le note Yong Jian dans Asia Times, « au cours des sept dernières années, la Chine a fait des progrès significatifs dans la mise en œuvre de ses politiques en Arctique. Par exemple, lors de la seconde moitié de 2023, NewNew Shipping Line, une société chinoise qui s'est associée à la Russie, a effectué sept voyages en porte-conteneurs entre l'Asie et l'Europe via l'océan Arctique. En juillet dernier, elle a inauguré une nouvelle route arctique reliant Shanghai à Saint-Pétersbourg ».
Cette route peut raccourcir d'un tiers l'itinéraire traditionnel entre l'Asie et l'Europe qui passe par le détroit de Malacca et le canal de Suez, et revêt une importance stratégique pour Pékin.
Le détroit de Malacca, situé entre la Malaisie et l'île indonésienne de Sumatra, est la principale voie de navigation entre l'océan Pacifique et l'océan Indien. Environ un quart du commerce mondial de marchandises, comme le pétrole et les produits manufacturés chinois, passe par ce détroit. Environ un quart de tout le pétrole transporté par voie maritime passe par ce détroit, principalement en provenance des fournisseurs du golfe Persique vers les marchés asiatiques chinois, japonais et sud-coréens.
En d'autres termes, si les États-Unis tentaient de bloquer le détroit de Malacca par des moyens militaires, l'approvisionnement en pétrole de la Chine serait immédiatement confronté à un grave problème. C'est pourquoi le développement de la route maritime du Nord permet non seulement de gagner du temps et de réduire les coûts, mais surtout d'ouvrir une autre voie pour sécuriser l'approvisionnement énergétique de la Chine.
L'acquisition du Groenland par les États-Unis, qui pour l'instant n'est envisagée que dans les discours de Trump, pourrait aider l'impérialisme américain à retarder les projets de la Chine dans la région et à rendre la navigation dans ces eaux beaucoup plus coûteuse grâce à une augmentation disproportionnée de l'assurance maritime dans une région qui serait considérée comme une zone de guerre.
Plus largement, les fanfaronnades de Trump s'inscrivent dans le contexte de déclin de l'hégémonie du principal pays impérialiste. Dans un monde, où s'accentuent de plus en plus les tendances à la guerre, où les grandes puissances augmentent leurs budgets militaires, une politique plus agressive de la part du nouveau président américain ne peut que jeter de l'huile sur le feu.
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Entre l’effroi et la folie, l’Argentine à l’heure de Milei

Nous assistons probablement à une crise organique du capital à l'échelle mondiale. Le système impérialiste d'après-guerre, vainqueur de la guerre froide, se trouve aujourd'hui fragilisé et contesté dans de nombreuses régions du monde. L'émergence de courants d'extrême droite qui soutiennent le néolibéralisme et son ethos autoritaire s'installe dans les pays du noyau impérialiste et, avec des déclinaisons différentes, dans des pays de la périphérie ou de la semi-périphérie, comme le Brésil et l'Argentine de Milei.
Tiré de Inprecor 728 - Janvier 2025
9 janvier 2025
Par Nicolas Menna
« Entre l'effroi et la tendresse, l'heure matinale,
l'homme travaille, dans la folie,
pour demain, pour demain. »
— Silvio Rodríguez
Le gouvernement de Javier Milei a mis en œuvre une série de mesures qui ont profondément transformé l'économie argentine, avec le démantèlement du secteur public, la dérégulation des marchés pour favoriser les grandes entreprises et les investisseurs étrangers, la dévaluation de la monnaie en vue d'une éventuelle dollarisation, et la promotion d'un capitalisme sans restrictions comme solution à la crise économique. Ces initiatives incluent des réductions drastiques des subventions à l'énergie et aux transports, des licenciements massifs dans le secteur public, le gel des projets d'infrastructure et le plafonnement des salaires et des retraites en dessous du niveau de l'inflation.
Les effets de ces politiques ne se sont pas fait attendre. En 2024, l'économie argentine a enregistré une contraction de 3,5 %, soit la plus forte baisse parmi les économies du G20, dépassée uniquement par Haïti et le Soudan du Sud. Bien que l'inflation mensuelle ait ralenti, les prix restent 190 % plus élevés qu'un an auparavant. Les dépenses publiques ont été réduites de 30 % en termes réels, touchant profondément des secteurs clés tels que les infrastructures (– 74 %), l'éducation (– 52 %), le développement social (– 60 %), la santé (– 28 %) et l'aide fédérale aux provinces (– 68 %).
Les conséquences sociales ont été sévères, avec une augmentation significative des taux de pauvreté et de chômage, touchant particulièrement les secteurs les plus vulnérables. L'effondrement de la production industrielle et la fermeture d'entreprises, à un rythme moyen de 40 par jour, ont provoqué plus de 600 000 suppressions d'emplois. Cette situation ne peut que s'aggraver, exacerbée par une hausse du coût de la vie alimentée par un décalage du taux de change peso/dollar, qui affaiblit la compétitivité face à une vague imminente d'importations.
Les données économiques de l'Institut national de statistiques (INDEC) sont préoccupantes. Sur une base annuelle, la contraction a atteint 3,3 %, accumulant un recul de 3,1 % depuis le début de l'année, selon l'Estimation mensuelle de l'activité économique (EMAE). Douze secteurs clés ont enregistré des baisses significatives, notamment la pêche (– 25,2 %), la construction (– 16,6 %), le commerce (– 8,3 %) et l'industrie manufacturière (– 6,2 %), reflétant un affaiblissement du marché intérieur, qui représente 80 % de l'économie. En revanche, l'exploitation des mines et des carrières (+ 7,6 %) et le secteur énergétique, avec une croissance de 23,4 % des exportations de combustibles et d'énergie, offrent un peu d'optimisme en termes de revenus en devises.
Dans le même temps, les réformes mises en place, telles que la « Loi des Bases » et les mesures fiscales, ont engendré une crise sociale de grande ampleur. Bien que certains progrès macroéconomiques soient considérés positivement d'un point de vue néolibéral, les contradictions persistent (1).
Malgré ce panorama complexe, un an après son investiture, il n'y a pas eu le débordement social que beaucoup espéraient.
Au contraire, on peut dire que le gouvernement traverse une phase de stabilisation. Dans la rue, une relative passivité prévaut, obtenue notamment grâce à la forte répression des premiers jours : application du protocole anti-blocages, persécutions et chantage envers les mouvements de chômeurs, etc. Une manifestation sur trois a été réprimée par la police. Au Parlement, l'opposition aux lois sur les super-pouvoirs ou « les bases » a été contournée par l'adoption de décrets d'urgence (DNU) ou de lois soutenues par des alliances avec le Pro (2), les radicaux et une partie du péronisme. De plus, tous les projets de loi visant à détendre la situation, comme le budget pour les universités ou l'augmentation des retraites, ont été rejetés par le veto présidentiel.
Pour tenter d'identifier les raisons de cette relative stabilité, nous nous efforçons de comprendre la situation de la classe ouvrière, d'analyser la pénétration de l'idéologie libertarienne et sa relation avec les forces sociales existantes.
Une nouvelle structure économique et sociale
Dans l'imaginaire d'une grosse partie de la population, il existe une représentation atemporelle de la société argentine, héritée des processus d'industrialisation de la première moitié du siècle dernier, où les projets péronistes et « desarrollistas » (3) ont contribué à l'émergence d'une société « capitaliste avancée » avec une capacité industrielle, et par conséquent, une classe ouvrière et des « classes moyennes » très étendues. Ces deux classes se réfèrent à deux cultures politiques bien différenciées : les masses populaires s'identifient essentiellement au péronisme comme expression de « l'être national », tandis que les couches moyennes, par opposition ou par peur du déclassement, se sont réfugiées dans un anti-péronisme qui atteint des degrés de violence très élevés.
La dictature militaire de 1976-1983 a apporté un projet nouveau : celui du néolibéralisme comme réponse à la crise du capitalisme des années 1970. Ce programme a été adopté par la bourgeoisie argentine avec une grande clarté idéologique et stratégique : briser la classe ouvrière, considérée comme un problème majeur en raison de son haut niveau de combativité et de résistance. La dictature n'ayant pas réussi à se débarrasser des mouvements ouvriers, c'est paradoxalement le péronisme lui-même, s'étant pourtant érigé en défenseur de la classe ouvrière, qui lui a infligé une défaite. Le gouvernement de Carlos Menem (1989-1998) a en effet mis en pratique ce que la dictature n'avait fait qu'esquisser : une modification radicale du pays, confirmant le retrait de l'intervention de l'État, la re-primarisation de l'économie et la réduction de fait de la capacité d'organisation de la classe. La désarticulation des masses populaires, la précarité croissante et la rupture de leurs formes d'organisation ont concrétisé un changement structurel dans leur composition.
Les mouvements populaires comme celui des piqueteros et des travailleurs sans emploi ont développé des organisations de soutien à l'échelle des quartiers et ils ont récupéré le répertoire du mouvement ouvrier avec les « soupes populaires » et les piquets de grève, tout en leur donnant un caractère permanent, À la fin des années 1990, ils ont été protagonistes des luttes ayant provoqué la chute du gouvernement de Fernando De la Rúa.
Le gouvernement péroniste qui lui a succédé (le « kirchnérisme ») a mis entre parenthèses cette stratégie, mais n'a pas réussi à inverser le processus de restructuration sociale en cours. Les gouvernements de diverses tendances qui ont suivi ont eu comme effet de confirmer la crise de ce modèle. Le fait qu'aucun des présidents suivants n'ait réussi à se faire réélire illustre le refus et la défaite de ces politiques, mais confirme également la modification structurelle de la classe.
Un chiffre rend compte à lui seul de ce changement, celui sur l'évolution du travail informel : quasiment inexistant dans les années 1970, il a connu une croissance constante pour atteindre 32,6 % dans les années 1990, grimper à 49,5 % avant la crise de 2001 et se situer aujourd'hui autour de 36 % (4). Une organisation structurelle du travail informel s'est donc installée dans le pays depuis plus de 30 ans.
Le projet de Milei bénéficie donc du soutien de la fraction de la bourgeoisie la plus étroitement liée au système impérialiste, et cela en raison de la promesse d'infliger une défaite définitive à la classe ouvrière.
En particulier, ce soutien se manifeste de manière très palpable dans les médias, qui fonctionnent presque comme des organes de propagande.
Le rôle des médias
Dans les Documents de Santa Fe I et II (5), les États-Unis ont esquissé leur stratégie de domination pour l'Amérique latine dans l'ère post-dictatoriale. Ces documents rédigés à la fin des années 1980 mettent en avant deux axes fondamentaux pour assurer leur influence : le contrôle des structures permanentes de l'État (comme le pouvoir judiciaire, l'appareil policier et l'armée) et celui des médias, devenus un outil clé pour consolider leur hégémonie culturelle et politique tout en étouffant les voix dissidentes. Ces textes préfigurent ce que l'on appelle aujourd'hui le lawfare, mais leur portée dépasse ce cadre : ils révèlent les relations intimes entre les classes dirigeantes locales, les structures étatiques et le système impérialiste.
Sous le gouvernement de Menem, un processus accéléré de concentration médiatique s'est opéré, facilité par la dérégulation de l'État et la privatisation des entreprises de télécommunications (téléphonie et services informatiques naissants à l'époque). Le principal bénéficiaire de ce processus – bien qu'il ne soit pas le seul – a été le groupe Clarín. Aujourd'hui, ce dernier domine une grande partie de la production audiovisuelle (via ses chaînes et le contrôle des grilles de ses distributeurs de câble), des télécommunications (fournisseurs d'accès à Internet), ainsi que les principales chaînes d'information (TN, Canal 13) et de retransmission sportive, notamment le football (TyC) (6).
Dans ce contexte, les réseaux sociaux ont amplifié l'idéologie de la classe dominante propagée par les médias traditionnels. L'adoption initiale de l'idéologie libertarienne par un groupe social disposant d'un fort accès aux réseaux sociaux et d'une capacité d'influence importante grâce à elles ne doit pas être ignorée. Les liens entre ces plateformes numériques et les médias « classiques » sont étroits, et ensemble ils fonctionnent selon une logique de saturation de l'opinion publique.
Ce rôle des médias ne doit pas être sous-estimé, en particulier lorsque leur monopole accompagne le processus de désarticulation de la classe ouvrière décrit précédemment. Privés de soutien social et politique, isolés par l'individualisme néolibéral, les membres de cette classe se trouvent désarmés face au bombardement constant des messages médiatiques. Ces derniers recourent à des stratégies de guerre psychologique – journalisme de guerre (7) – pour imposer non seulement leur agenda immédiat, mais également une vision du monde à long terme.
L'effondrement du péronisme et la marginalité de la gauche
Le péronisme a longtemps servi de canal pour les aspirations des majorités populaires, intégrant l'idée de Nation et la dignité des travailleurs. Cette identification a laissé peu de marge à la gauche marxiste, malgré son rôle fondateur dans l'émergence du mouvement ouvrier, initialement porté par des vagues d'immigrant·es européen·nes ayant importé leurs organisations et idéologies. Certaines de ces tendances, comme le syndicalisme et des éléments de socialisme, ont contribué à la genèse du péronisme.
Cependant, la dynamique de concurrence a engendré une hostilité mutuelle entre les deux mouvements (8). Le Parti communiste argentin (PCA), alors majoritaire dans la classe ouvrière, a pris des positions qui l'ont progressivement isolé, amorçant un déclin qui l'a relégué dans les classes moyennes. Dans ce vide, des organisations trotskistes ont émergé, gagnant en importance, notamment dans les années 1970. Leur fusion avec le guévarisme, à cette époque, a permis de porter le marxisme révolutionnaire à son apogée. Parallèlement, grâce à l'influence de la Révolution cubaine, le guévarisme a également influencé le péronisme, l'orientant brièvement vers la gauche.
Cet élan de la lutte des classes a été brisé par le coup d'État de 1976, marquant le début de la transformation néolibérale (9).
Paradoxalement, avec la fin de la dictature, le péronisme s'est consolidé comme une identité populaire. Pourtant, cette identification symbolique contrastait avec les réalités pratiques des gouvernements péronistes, à commencer par celui de Carlos Menem (1989-1998), qui a adopté le programme du Consensus de Washington (10) et concrétisé la restructuration néolibérale.
Ce modèle menemiste a implosé lors de la crise de 2001, résorbée, non sans contradictions, par le péronisme lui-même à travers les gouvernements kirchnéristes. Ces gouvernements ont tenté de mettre en œuvre un programme « néo-desarrollista », centré sur une redistribution des revenus (mais pas de la richesse ni de sa concentration) et une relative autonomie face à l'impérialisme.
Politiquement, ils ont instauré une alliance inédite entre les masses populaires et une partie de la classe moyenne « progressiste » (11). Cette période a vu l'adoption de nombreuses mesures progressistes, dont la plus emblématique est le « mariage pour tous ».
Toutefois, le « modèle kirchnériste » est devenu insoutenable dès 2008, après la défaite face à la rébellion fiscale du « campo » (les secteurs concentrés de l'agriculture). Les années suivantes ont été marquées par une stagnation économique accompagnée d'une érosion progressive, notamment alimentée par l'offensive médiatique.
Le gouvernement péroniste suivant n'a pas amélioré les conditions de vie de la classe ouvrière ni établi un rapport de forces favorable à un projet de redistribution. Cela a renforcé le désenchantement de larges segments des classes populaires, confirmant l'effondrement progressif de sa représentation traditionnelle.
Le syndicalisme absorbé par le système
Le péronisme et ses modes d'articulation avec la société ont profondément évolué sous l'effet de la transformation néolibérale. D'un côté, il s'est enraciné en renforçant une structure clientéliste et, de l'autre, il a intégré un agenda libéral, principalement sur le plan économique, mais aussi, dans certains cas, politique, lorsque l'équilibre interne s'est déplacé en faveur des secteurs les plus progressistes.
Cependant, les mutations structurelles du pouvoir ont eu des impacts très importants non seulement sur le Parti justicialiste mais également sur les organisations syndicales. La Confédération générale du travail (CGT), organisation phare du mouvement ouvrier et longtemps considérée comme « la colonne vertébrale du péronisme », a également vu son rôle décliner de façon marquée depuis le retour à la démocratie.
Plusieurs facteurs expliquent cette perte d'influence. L'expansion de l'économie informelle et la réduction du nombre total d'emplois industriels – passés de 25 % de la population économiquement active dans les années 1980 à environ 15 % aujourd'hui – ont affaibli sa capacité de pression. Par ailleurs, l'assimilation progressive de ses dirigeants à la classe bourgeoise a accentué ce déclin. D'abord par la gestion des « Obras Sociales » (des mutuelles de santé, qui constituent une source de revenus clé pour les syndicats), puis par leur transformation en entrepreneurs via la sous-traitance.
Aujourd'hui, leurs principales préoccupations sont la défense de leurs ressources financières (« la caisse ») et le maintien de leur part de pouvoir. Ce glissement des priorités de la CGT n'aurait pas été possible sans le soutien implicite d'une partie des travailleurs, qui adoptent également une attitude défensive face à la précarisation croissante.
Cette fracture de la classe ouvrière a engendré une rupture entre les secteurs les plus précarisés et les travailleurs organisés. Cette division s'accompagne d'une méfiance mutuelle : les syndicats perçoivent les travailleur·ses précaires avec crainte, redoutant de sombrer dans leur situation, tandis que ces derniers considèrent les salarié·es syndiqué·es comme des privilégié·es.
La gauche, incapable de dépasser ses limites
Tandis que le péronisme et son artère syndicale perdaient du terrain, la gauche a donné vie à différents courants (guévaristes, national-populaires, PCA et ses satellites…) avec des degrés d'implantation variables. Certaines ont su s'enraciner dans les classes populaires au cours des années 1990 et au début du siècle mais, aujourd'hui, la plupart ont été absorbées par le kirchnérisme en raison de l'attrait suscité par les politiques néo-keynésiennes et néo-desarrollistas dans les milieux de gauche.
Les courants trotskistes regroupés au sein du FIT-U conservent une certaine pertinence. Bien que leurs principales composantes, le Parti ouvrier et le PTS, aient réussi à occuper une place importante dans des fronts sociaux (12, 13) elles peinent à s'implanter durablement dans les masses populaires (14). Celles-ci rejettent majoritairement leur discours et leurs pratiques militantes souvent perçues comme maximalistes, « déconnectées de la réalité » et faisant abstraction du rapport de forces existant. Avec leur posture anti-nationaliste, jugée « anti-populaire », ces courants sont marginalisés et accusés d'ignorer la question de la dépendence à l'imperialisme.
Disponibilité hégémonique (et contre-hégémonique ?)
Les transformations structurelles de la société argentine, marquées par l'essor du précariat et de l'économie informelle, l'affaiblissement des acteurs politiques traditionnels comme le péronisme, l'érosion des réseaux de solidarité et l'omniprésence de l'idéologie de l'individualisme, ont engendré une situation de disponibilité hégémonique (15) au sein des masses populaires. Cette dynamique se manifeste particulièrement dans le sous-prolétariat (16), désormais perméable à de nouvelles influences politiques.
Toutefois, des signes de résistance commencent à émerger. Les grandes mobilisations ouvrières et la grève générale, le mouvement universitaire, les manifestations féministes, ainsi que les assemblées multisectorielles liées aux syndicats ou aux secteurs auto-organisés (autoconvocados), montrent une structuration progressive.
Ces dynamiques, bien que prometteuses, peinent encore à construire une force politique capable d'organiser la résistance et de défier réellement la continuité de ce projet néolibéral. Le péronisme, divisé et en proie à des conflits internes, n'a pas encore clarifié quelle faction prendra l'ascendant. Mais même une fois ces querelles tranchées, rien ne garantit une rupture avec le statu quo. Quant à la gauche, elle n'a pas su formuler une stratégie capable d'embrasser les aspirations des masses populaires et de leur offrir une véritable orientation révolutionnaire.
L'enjeu ne se limite pas à vaincre Milei – bien que cela soit crucial – mais à défaire un projet néolibéral-autoritaire qui aspire à l'hégémonie. Une contre-hégémonie ne se décrète pas : elle se construit dans la praxis, à travers l'élaboration d'un projet alternatif, culturel et politique, capable de transcender le cadre actuel et d'incarner les aspirations collectives d'indépendance et d'émancipation des masses populaires.
Le 14 décembre 2024
Nicolas Menna est militant argentin au sein du NPA-L'Anticapitaliste et membre de la IVe Internationale.
Notes
2. Unión - Pro est une coalition électorale argentine conservatrice et libérale, fondée en 2007, et composée du Parti fédéral, de l'Union du centre démocratique, de Recréer pour la croissance de l'ex-ministre Ricardo López Murphy, de Proposition républicaine (ex-Compromiso para el Cambio), d'Unión Celeste y Blanco de l'homme d'affaires Francisco De Narváez, du Parti populaire chrétien bonaerense et du Parti Nouveau Buenos Aires.
3. Le « desarrollismo » (développementisme) est un courant politico-économique né en Argentine afin de garantir un niveau de prospérité économique proche des pays les plus « développés » à travers une stratégie de contrôle national de l'économie de marché qui se différencie de la doctrine libérale. Il prônait le développement interne par le remplacement des importations, l'ouverture aux investissements étrangers et un rôle actif de l'État dans la planification économique. Un de ses objectifs (jamais atteint) était le progrès social par la réduction des inégalités, sans toutefois modifier la structure capitaliste impérialisée du pays.
4. Chiffres tirés d'études du Conicet et de l'UBA et de l'UCA.
6. Dans un pays comme l'Argentine, le contrôle de la diffusion du football est un outil fondamental pour contrôler le reste, car aucun Argentin ne souscrira à un service de câble qui n'inclut pas la retransmission du football. Cela permet à celui qui le contrôle d'imposer ses conditions aux autres. Cette stratégie a servi de base pour imposer, surtout en dehors de la capitale, l'entreprise de câble de ce groupe, au détriment des options coopératives qui existaient auparavant.
7. Cela a été formulé par le journaliste Julio Blanck lorsque le Parti Justicialiste (PJ) a été battu par Mauricio Macri en 2015.
8. Le péronisme au pouvoir a également fortement réprimé le communisme, en particulier sa branche syndicale.
9. Essentiellement, cela avait commencé un peu plus tôt, avec Isabel Perón et son ministre de l'Économie, Rodrigo, mais c'est à ce moment-là que le processus parvint réellement à s'imposer, grâce à la répression.
10. Le consensus de Washington est un corpus de mesures d'inspiration libérale, datant de la « période Reagan » aux États-Unis, concernant les moyens de relancer la croissance économique, notamment dans les économies en difficulté du fait de leur endettement comme en Amérique latine. Ce consensus s'est établi entre les grandes institutions financières internationales siégeant à Washington (Banque mondiale et Fonds monétaire international) et le département du Trésor américain.
11. Réalisation (temporaire également) de l'« alliance plébéienne » (mais hégémonisée par la classe moyenne et non par le prolétariat) esquissée par Spilimbergo et le Parti Socialiste de la Gauche Nationale. Voir les thèses de son IIIe congrès : « Classe ouvrière et pouvoir ».
12. Réalisation (temporaire également) de l'« alliance plébéienne » (mais hégémonisée par la classe moyenne et non par le prolétariat) esquissée par Spilimbergo et le Parti Socialiste de la Gauche Nationale. Voir les thèses de son IIIe congrès : « Classe ouvrière et pouvoir ».
13. En particulier, le Parti ouvrier, à travers le Polo Obrero, un courant de travailleurs sans emploi, et le PTS, grâce à son influence dans le mouvement étudiant et dans certains secteurs de travailleurs, comme celui qui a donné naissance au mouvement des usines récupérées en 2001 (dont les céramiques Zanon sont le principal référent).
14. Bien que des avancées non négligeables aient été réalisées, il ne faut pas confondre opportunité et conviction. Par exemple, le fameux « succès » à Jujuy, où le FIT-U a obtenu 21 % des votes, s'explique par l'interdiction faite à la principale représentante péroniste de la région, Milagro Sala, de se présenter, ainsi que par l'appel explicite de cette dernière à voter pour l'option de gauche.
15. Voir « L'œuf et le serpent. Le cauchemar officiel », Miguel Mazzeo 19 novembre 2023, Contra hegemonia.
16. La catégorie « sous-prolétariat » englobe la situation de précarité, d'instabilité économique, d'absence de droits du travail et de manque d'intégration sociale.
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Près de 100 000 Nicaraguayens ont émigré en 2024

J'ai passé un mois chaque année au Nicaragua de 1995 à 2018, la plupart du temps accompagnant un groupe d'étudiants du Collège Dawson. Nous vivions, chacun de nous, dans une famille d'accueil. En décembre 2001, je vivais dans la famille de Don Paco Mondragón, l'ex-leader dans la région de la campagne d'alphabétisation du FSLN en 1980.
Dans la photo qui sert de logo de cet article, on voit sa fille, Ena, et sa conjointe, Inesita. Plusieurs des Nicaraguayens avec lesquels j'ai développé un profond lien affectif se trouvent présentement aux Etats-Unis comme réfugiés. Le fondateur et directeur de la revue Confidencial, Carlos Chamorro, que je connais depuis 1977, a dû fuir au Costa Rica parce qu'il craignait pour sa vie. Les directeurs de deux écoles secondaires régionales – une dans la ville de Santo Tomas del Norte et l'autre dans le village Las Pozas – ainsi que le responsable du cours d'informatique de l'école secondaire régionale située dans le village Paso Hondo, trois individus que je connaissais très bien, se trouvent aux Etats-Unis, sans leur conjointe et leurs enfants. Une situation humaine extrêmement éprouvante...
Ovide Bastien
Aujourd'hui, 1,5 million de Nicaraguayens vivent à l'extérieur du pays, la plupart d'entre eux - environ 800 000 - ayant émigré aux États-Unis.
Le 27 décembre 2024, Confidencial
Traduit de l'espagnol par Ovide Bastien, auteur de Racines de la crise : Nicaragua 2018
Quelque 95 000 Nicaraguayens ont émigré en 2024 vers différents pays, la grande majorité - 58 000 - vers les États-Unis et dans le cadre du programme de migration régulière connu sous le nom de liberté conditionnelle humanitaire.
Six ans après le déclenchement de la crise sociopolitique en 2018, la migration est l'une des conséquences majeures de la répression , explique le spécialiste des migrations et chercheur au Dialogue interaméricain Manuel Orozco, qui ajoute que le nombre de personnes quittant le Nicaragua a triplé : près de sept ménages sur dix ont un membre de leur famille à l'extérieur du pays.
En 2017, il y avait 658 203 migrants nicaraguayens, dont 280 000 aux États-Unis. Aujourd'hui, ils sont 1 519 043, dont 839 620 aux États-Unis, selon les données du chercheur basées sur des sources officielles et ses propres calculs, ce qui impliquerait que quelque 850 000 Nicaraguayens ont émigré au cours des six dernières années.
Plus de 70 000 Nicaraguayens sont arrivés aux États-Unis en 2024
Les États-Unis sont la principale destination de l'immigration nicaraguayenne. En 2024, quelque 72 000 Nicaraguayens sont arrivés aux États-Unis, y compris ceux qui sont entrés grâce à la liberté conditionnelle humanitaire, selon les données du gouvernement américain.
Traditionnellement, le transport de l'eau tous les jours revenaient aux femmes. Photo prise par Ovide Bastien à Las Pozas, décembre 2001
La liberté conditionnelle humanitaire a été l'une des questions prédominantes de l'actualité cette année pour trois raisons : la suspension temporaire du programme pendant un mois en août ; la promesse de Donald Trump, alors candidat à la présidence, de l'éliminer s'il redevenait président ; et l'annonce par le gouvernement actuel qu'il ne renouvellerait pas le séjour de ceux qui sont arrivés dans le cadre du programme, qui est valable pour deux ans.
La liberté conditionnelle humanitaire ou le programme CHNV est un mécanisme de migration régulière pour les Cubains, les Haïtiens, les Nicaraguayens et les Vénézuéliens qui leur permet de demander à vivre et à travailler aux États-Unis pendant deux ans, à condition qu'ils aient un parrain pour les soutenir et que les autorités approuvent la demande.
Maintenant que Trump s'est assuré quatre années supplémentaires à la présidence des États-Unis, on s'attend à ce qu'il tienne sa promesse et que le programme CHNV soit définitivement annulé, de sorte qu'il ne sera plus une option pour ceux qui veulent migrer légalement. En outre, les personnes qui se trouvent déjà aux États-Unis en vertu de ce mécanisme devront, si elles souhaitent y rester régulièrement, demander un autre statut d'immigration avant l'expiration de leur statut actuel, comme l'ont prévenu les spécialistes de l'immigration.
La suppression de la liberté conditionnelle affecterait les pays les plus touchés politiquement par les dictatures et n'apporterait aucun soulagement à ces personnes. On ne sait pas quelles alternatives l'administration entrante prévoit pour ces quatre pays, en particulier en ce qui concerne les trois dictatures (Cuba, Venezuela et Nicaragua), souligne M. Orozco.
Trump va-t-il mettre à exécution ses menaces anti-immigration ?
Le mandat de Trump à partir du 20 janvier 2025 s'accompagne également de la menace d'expulsions massives de migrants - une autre de ses principales promesses de campagne -, y compris de Nicaraguayens.
Les migrants qui seraient les plus vulnérables à un plan agressif d'expulsion des étrangers des États-Unis seraient : ceux qui ont déjà un ordre d'expulsion en place ; ceux dont l'asile politique a été refusé et qui n'ont pas d'autre option à demander ; les migrants sous statut tels que TPS (Temporary Protected Status) et DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals) - s'ils ne sont pas renouvelés - et ceux qui bénéficient d'une liberté conditionnelle pour raisons humanitaires.
Orozco ajoute un autre facteur à prendre en compte concernant le risque d'expulsion : les personnes les plus susceptibles d'être expulsées seraient celles qui sont arrivées au cours des cinq dernières années, car ce sont celles qui peuvent être plus facilement suivies par les autorités, puisqu'il existe une sorte d'information à leur sujet dans les bases de données du gouvernement. Ces personnes viennent principalement de Cuba, du Nicaragua, du Venezuela et d'Haïti , souligne-t-il.
Le chercheur affirme qu'il y a actuellement 80 000 Nicaraguayens sous le coup d'un arrêté d'expulsion et prévoit que 10 % d'entre eux, soit environ 8 000, pourraient être expulsés dans le cadre d'une première grande tentative de l'administration Trump de tenir sa promesse électorale au cours des premiers mois de l'année 2025.
Le Costa Rica a reçu plus de 21 000 demandes d'asile de la part de Nicaraguayens en 2024
Le Costa Rica est resté la deuxième destination des migrants nicaraguayens, bien que le nombre de demandes d'asile ait chuté de plus de 28 000 en 2023 à 21 710 entre janvier et novembre 2024, selon les données de la Direction générale des migrations et des étrangers (DGME) du Costa Rica.
Un changement significatif dans les conditions pour les migrants et ceux qui ont l'intention de migrer au Costa Rica est intervenu en juin 2024, lorsque les autorités ont rétabli un certain nombre de droits pour les demandeurs d'asile. Le délai d'arrivée pour déposer une demande d'asile a été supprimé et la possibilité de recevoir un permis de travail lors de la demande du statut de réfugié a été rétablie.
En septembre, octobre et novembre, les demandes d'asile des Nicaraguayens au Costa Rica ont augmenté de manière significative, ce qui pourrait indiquer le début d'une reprise de la migration vers le voisin du sud.
L'augmentation des envois de fonds du Costa Rica vers le Nicaragua coïncide avec l'augmentation des demandes, explique M. Orozco. Les demandes sont passées de 1 000 à 3 000, et le montant moyen des envois de fonds passe de 26 à 30 millions de dollars par mois , précise-t-il.
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𝗥𝗲́𝘀𝘂𝗺𝗲́ 𝗱𝘂 𝗥𝗮𝗽𝗽𝗼𝗿𝘁 𝗱𝗲 𝗹’𝗢𝗿𝗴𝗮𝗻𝗶𝘀𝗺𝗲 𝗱𝗲 𝗗𝗲́𝗳𝗲𝗻𝘀𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝗗𝗿𝗼𝗶𝘁𝘀 𝗛𝘂𝗺𝗮𝗶𝗻𝘀 𝗘𝗖𝗖𝗥𝗘𝗗𝗛𝗛 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗮 𝘀𝗶𝘁𝘂𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲𝘀 𝗱𝗿𝗼𝗶𝘁𝘀 𝗵𝘂𝗺𝗮𝗶𝗻𝘀 𝗲𝗻 𝗛𝗮𝗶̈𝘁𝗶 (𝗗𝗲́𝗰𝗲𝗺𝗯𝗿𝗲 𝟮𝟬𝟮𝟰)

La situation en matière de respect des droits humains est à son plus bas niveau, c'est-à-dire sans précédent. Malgré l'existence de toutes les règles de Droits, des Conventions, des traités, des accords et les lois nationales, les droits de l'homme sont violés systématiquement de manière flagrante et ceci sous les yeux passifs des autorités de l'état. Il est un fait que dans un pays où les droits de l'homme ne sont pas respectés, on ne peut pas parler de régime démocratique.
A un tel point, la famine ronge les familles, un chômage sans précédent, des assassinats récurrents, l'impunité, des massacres à répétition, des viols Collectifs, promiscuité, l'injustice, la corruption, la mauvaise gouvernance a tous les niveaux et une insécurité généralisée qui emporte des vies et des biens de manière quotidienne.
⚫ 01 août au 04 septembre 2024, indique la présence de 702 973 personnes
déplacées internes en Haïti.
⚫ Entre le 6 et le 11 décembre, au moins 207 personnes dont 134 hommes et
73 femmes ont été exécutées par les membres de Gang de Wharf Jérémie.
⚫ Des attaques dans les quartiers de Poste Marchand, Fort National et Christ Roi, entre le 7 et 8 décembre ont provoqué le déplacement de quelque 4 726 personnes.
⚫ 10 décembre dans la commune de la Petite rivière de l'Artibonite, précisément dans la section communale de Bas Coursin. Un total de 10 606 personnes (2 406 ménages) se sont déplacées dont la plupart (64%) ont fui vers la commune des Verrettes.
Il faut noter que plus de 1,379 personnes tuées et blessées, 428 autres kidnappées entre avril à juillet 2024 en Haiti, 77% des victimes sont des hommes, 20% sont des femmes et 3% les enfants durant le deuxième trimestre de l'année.
⚫ 128 personnes ont été tuées ou blessées à Delmas 24 et Solino, dans des attaques de gangs armés, au cours des mois d'avril, mai et juin 2024.
⚫ 233 personnes ont été également tuées et blessées, au cours du deuxième trimestre 2024, à Carrefour et Gressier (sud de la capitale), où ces violences armées ont forcé 14 mille personnes à se déplacer, en raison des gangs armés à Carrefour et Gressier. Entre avril et juin 2024, au moins 11 personnes ont été tuées par les gangs de Gran Ravin et Ti Bwa (sur les hauteurs de Martissant, périphérie sud de Port-au-Prince).
Les gangs armés continuent leurs offensives meurtrières dans diverses zones de la capitale et dans le département de l'Artibonite, malgré la présence dans le pays d'une force, d'une Mission multinationale d'appui à la sécurité (Mmas) pour aider la police haïtienne à les combattre.
⚫ Augmentation des actes de kidnapping, avec 428 personnes enlevées d'avril
à juin 2024. Mais ces 428 cas documentés dénotent une augmentation dans la
quantité d'enlèvements au cours du deuxième trimestre de l'année 2024, après une relative accalmie pendant les mois de février et de mars 2024, au cours desquels 129 cas ont été enregistrés.
⚫ Au moins 73% des 428 enlèvements documentés ont été signalés dans le département de l'Artibonite.
𝗖𝗿𝗶𝘀𝗲 𝗮𝗹𝗶𝗺𝗲𝗻𝘁𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗮𝗶𝗴𝘂𝗲̈ 𝗲𝗻 𝗛𝗮𝗶̈𝘁𝗶
Haiti compte environ 11 millions d'habitants, et selon la plus récente analyse de la sécurité alimentaire dans le pays, appuyée par l'ONU, environ 5.4 millions d'haïtiens qui se battent quotidiennement pour se nourrir et nourrir leur famille. Ce qui représente l'une des proportions les plus élevées de personnes en situation d'insécurité alimentaire aiguë parmi
toutes les crises que le monde ai connu. Environ 1,64 million d'entre eux sont confrontés à des niveaux d'insécurité alimentaire aiguë d'urgence. Et leS enfants sont particulièrement touchés, avec une augmentation alarmante de 19% du nombre d'enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère.
C'est une situation grave qui n'interpelle personne au plus niveau de l'état. Aucune mesure n'est prise pour adresser la problématique du droit à l'alimentation de la population ; mais tout cela s'est considérablement aggravé dans le pays en particulier par la violence sanglante des groupes armés qui contrôle particulièrement 90% de la capitale Haïtienne ; mais aussi en raison des crises politiques et économiques du pays
Mais , il faut préciser que 88% plus grand nombre de meurtres et de blessures ont été enregistrés dans la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, « notamment en raison d'attaques indiscriminées des gangs contre certains quartiers, mais aussi d'exécutions, par les gangs, d'individus soupçonnés de collaborer avec la police ou des groupes d'autodéfense ».
𝗡𝗼𝗺𝗯𝗿𝗲𝘀 𝗱𝗲𝘀 𝗣𝗼𝗹𝗶𝗰𝗶𝗲𝗿𝘀 𝗮𝘀𝘀𝗮𝘀𝘀𝗶𝗻𝗲́𝘀 𝗲𝘁 𝗦𝗶𝘁𝘂𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲𝘀 𝗱𝗲́𝘁𝗲𝗻𝘂𝘀
En dépit des moyens engagés, 20 policières ou policiers ont été tués entre janvier et juin 2024. Vingt-huit attaques armées contre des postes de police ou des patrouilles ont été dénombrées. L'une des plus marquantes a touché la ville de Gressier en mai 2024 dans les faubourgs de Port-au-Prince
Au cours du deuxième trimestre, 78 détenus sont décédés (29 au cours du premier trimestre), la plupart en raison d'un manque de soins, de l'insalubrité, d'une alimentation insuffisante et du manque d'accès à l'eau potable. Vingt-huit attaques armées contre des postes de police ou des patrouilles ont été dénombrées. L'une des plus marquantes a touché la ville de Gressier en mai 2024 dans les faubourgs de Port-au-Prince.
Organisme de Défense des Droits de l'Homme en Haïti ECCREDHH continue à exprimer sa préoccupation face aux violations systématiques des droits fondamentaux en Haiti. Ces droits sont violés au jour le jour sous les yeux des autorités en place. Ce qui implique qu'Haiti est devenue un État de non droit. Ces droits constituent un ensemble de droits et libertés ayant un aspect important pour l'être humain. Mais, l'état de droit et la démocratie
sont en fait les conditions indispensables pour une pleine et entière jouissance de ces droits.
En effet, L'Organisme de Défense des Droits de l'Homme en Haiti ECCREDHH constate que les droits fondamentaux en Haïti ne veulent rien dire, notamment le droit à la santé qui est gravement piétiné, galvaudé et ignoré par l'État dans ses différentes politiques publiques. C'est-à-dire, aucune priorité en termes de gouvernance politique n'est mise en place pour
aborder la question de santé publique dans le pays. Dans un contexte complexe et compliqué que le pays est plongé le nombre de personnes touchées par balle ou blessées se sont multipliées et presque pas de centre hospitalier disponible pour apprécier la situation sans compter les cas existants laisser pour contre.
En outre, pratiquement à Port-au-Prince et ses zones périphériques 80 % des hôpitaux publics et/ou centre hospitalier seraient fermés ou dysfonctionnels. Le seul Hôpital de la Paix qui essaie de répondre, mais dépassé par les affluences des personnes blessées et aussi d'autres cas. Il faut rappeler à l'hôpital la paix des accouchements qui se font à même le sol sur les céramiques froides. C'est extrêmement grave d'énoncer cela en
plein 21e siècle. Mais c'est un fait pour démontrer qu'aucune priorité n'est en aucun cas accordée au droit à la santé dans le pays ainsi que les autres droits sociaux, économique et culturels. À cause de ces actes de violences, plus de 18 institutions sanitaires ne
sont pas fonctionnelles dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince.
En fait, malgré l'existence des traités internationaux, des accords, des conventions signées et ratifiées par Haïti et les lois nationales relatives en la matière, le droit à la santé et les autres droits fondamentaux sont piétinés par les dirigeants de l'État appelés à faire appliquer les lois de la République. Donc, il est inacceptable voire inconcevable qu'Haiti
devienne une république dirigée par des nuls qui ne comprennent même pas le
sens de l'État et de la gouvernance publique.
ECCREDHH lance un appel vibrant aux organisations de la société civile haïtienne, la situation du pays est bien plus grave que vous ne l'imaginez.
Défendre des intérêts de clans à la place de l'intérêt général de la nation, engendre plus de crise et affecte le quotidien de tout un chacun.
Par conséquent, l'Ensemble des Citoyens Compétents à la Recherche de l'Egalité des Droits de l'Homme en Haïti (ECCREDHH) fait appel à votre conscience et votre responsabilité, mettez de côté tout ce qui nous divise et unissons-nous pour sauver ce pays.
Vive la Démocratie !
Vive le Respect des Droits Humains !
Vive une société juste !
Pour authentification :
Me Louimann MACEUS, av,
Secrétaire Général ECCREDHH.
Me Gesnel PIERRE, av.
Coordonnateur Général ECCREDHH
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Ce que nous sommes tous en train de perdre

Alors que la Californie brûle comme jamais, que Donald Trump, avant même son intronisation à la présidence des États-Unis, joue au RISK avec le monde en compagnie de son acolyte Elon Musk, pour le plus grand plaisir de leur classe d'oligarques, que les propriétaires des médias et plateformes d'information invoquent la « liberté d'expression »
pour ouvrir leurs portes à la « liberté de mentir » à grande échelle, Michel Jetté fait un bilan de 2024 et des actions/inactions de l'humanité. Dernier coup de gueule de 2024, en ce début de 2025…
Tiré du PressMob édition écrite de GMob
https://www.groupmobilisation.com/_files/ugd/bf4f35_d7037ff684ae40dc8ab93e71c4c69cac.pdf
PressMob édition écrite
Vol. 6, no 1, 10 janvier 2025
Dans le contexte de l'urgence face à la crise planétaire, de tragiques échecs se sont déroulés en 2024, particulièrement lors du sommet sur la pollution plastique, de la COP 16 sur la biodiversité, de la COP 29 sur les changements climatiques et de la conférence de l'ONU contre la désertification. Pour nous aider à comprendre, commençons par un flashback.
Lors de l'émission de Tout le monde en parle du 4 décembre 2022 (3 jours avant la COP 15 à Montréal), le ministre de l'Environnement et Changement climatique Canada Steven Guilbeault nous apprenait, après avoir lu une étude récente (sans mentionner sa provenance), que le réchauffement global annoncé n'était pas si alarmant. Une augmentation, par rapport à l'ère préindustrielle, de « seulement » 1,7 à 2,4 degrés, plutôt que les 5 degrés Celsius annoncés d'ici 2100, avait de quoi nous rassurer.
Ce que Guilbeault ne nous avait pas dit, c'est que ces hypothèses font partie des scénarios les plus optimistes. En fait, l'Agence internationale de l'énergie, qui avançait l'optimiste 1,8 degré, se basait sur l'hypothèse selon laquelle toutes les promesses à court terme (grosso modo, les cibles de réduction fixées pour 2030) et toutes les promesses de neutralité carbone (dans la plupart des cas, en 2050) seraient respectées. Cette étude prenait aussi en compte les promesses de réduction du méthane, cet autre gaz à effet de serre (GES) plus puissant que le CO2 dont on parle moins souvent. Pour ce qui est du 2,4 degrés, le Climate Action Tracker (CAT), un organisme allemand à but non lucratif, arrivait à ce résultat parce qu'il ne se basait que sur les cibles de 2030, considérant que celles de 2050 étaient trop lointaines. Autrement dit, Guilbeault nous exposait les scénarios les plus optimistes.
Force est de constater qu'aucune de ces prévisions n'est en train de se réaliser. Pire, nous venons de traverser une première fois le 1,5 degré de réchauffement global dont l'atteinte était prévue entre 2030-35.
Mais revenons à notre flashback : d'aucune façon, Steven Guilbeault n'a osé aborder l'autre scénario sur lequel l'humanité est alignée, celui que l'on nommait il n'y a pas si longtemps : B.A.U. (Business as Usual).
En affirmant que : « oui ça va se réchauffer, mais pas aussi vite qu'on le pensait », il occultait qu'en 2022, avec seulement une augmentation de 1,1 degré Celsius, ce sont des segments de continents qui partaient en fumée et que des sécheresses historiques tuaient des populations fragilisées autour de la planète. Le Stockholm Resilience Centre affirmait que 6 des 9 limites planétaires considérées comme critiques sont atteintes, ce qui a le potentiel de résulter en un emballement irréversible du climat dans les prochaines années. Et, bien sûr, ce réchauffement amplifie la destruction des habitats naturels que nous avons déjà massacrés. Pour citer l'astrophysicien Aurélien Barreau : nous avons perdu 65% des forêts depuis mille ans, 65% des grands mammifères depuis 30 ans, et 65% des insectes depuis 10 ans… et ça va en empirant.
Reconnaître qu'il y a une crise climatique qui accentue et accélère la destruction de la biodiversité ne suffit pas. Si on ne reconnaît pas l'ampleur et la vitesse de la crise, des mesures inadaptées seront mises en place qui contribueront aux risques d'effondrement de nos écosystèmes, de la biodiversité et des conditions essentielles au maintien de la vie. Nous ne pourrons revenir en arrière une fois que des systèmes naturels complexes auront changé d'état. Le droit à l'erreur n'existe tout simplement pas… Et ça, l'écologiste Steven Guilbeault le sait très bien.
Aussi, c'est avec le regard ébahi et la mâchoire décrochée que nous avons vu la COP 15 sur la biodiversité se terminer avec des « hourras » et la conclusion du ministre Guilbeault qu'il s'agissait d'une entente historique pour protéger la biodiversité : on va protéger 30% des terres, des océans, et on va saupoudrer des milliards aux pays les plus pauvres qui sont plus lourdement impactés par la crise de la biodiversité.
Encore une fois, c'est le modèle comptable qui gagne, les forces du marché prévalent. Que signifient 30% ? De quels habitats parle-t-on ? Et veut-on nous faire croire que continuer à exploiter 70% des terres et des océans avec le modèle business as usual n'affectera pas le 30% des espèces « chanceuses » protégées, comme si tous ces processus biologiques complexes n'étaient pas interreliés ?
Rappelons-nous que nos émissions mondiales de CO2 atteignent toujours des niveaux record pratiquement chaque année, car, entre autres, les signataires de l'accord de Paris sont loin d'avoir respecté leurs engagements de réduction des GES. Vous voyez le rafistolage débridé qu'on nous sert afin de nous rassurer ?
Voici maintenant l'un des pires résultats du déni morbide de la crise systémique globale de la part de nos leaders : étant le plus grand puits de carbone de la planète, les océans subissent un choc écosystémique qui met en danger un nombre effarant d'espèces. Sans parler du fait que certaines études mentionnent que leur capacité à capter notre CO2 s'amenuise dangereusement au point où certains endroits deviennent des émetteurs de CO2 qui s'ajoutent aux émissions que nous continuons à cracher massivement dans l'atmosphère. N'oublions jamais que si les océans meurent, nous mourons, et actuellement la vie périclite dans le grand bleu à une vitesse que les scientifiques n'ont jamais vue. Mais soyez rassurés : Steven Guilbeault nous a dit qu'avec le niveau actuel de CO2 dans l'atmosphère, nous allons nous limiter à une augmentation de 1,7 °C et sauver 30% de nos océans…
N'êtes-vous pas tannés qu'on vous prenne pour des valises vertes ?
Fin du flashback.
La COP sur la biodiversité de 2024 est tout aussi pathétique, tout comme la COP 29, le sommet sur la pollution plastique et la conférence de l'ONU contre la désertification qui sont tous annoncés comme des échecs.
Cela confirme que la réelle tragédie en marche provient des hautes sphères de notre civilisation ; de puissances économiques qui maintiennent les blocages tant économiques, informationnels, politiques et sociétaux qui entraînent non seulement nos sociétés, mais le vivant au complet dans l'abîme de la catastrophe planétaire.
Les COP
Les nations s'entêtent toujours à régler un problème d'envergure existentielle avec les mêmes outils économiques qui provoquent justement ce problème qui se nomme aussi effondrement du vivant.
Les COP nous indiquent aussi que le vivant est toujours perçu avant tout comme une externalité ou une ressource que l'économie-monde a besoin pour que son modèle business as usual puisse subsister.
Comme nous l'avons déjà rapporté, l'article 3, alinéa 5 de la convention-cadre régissant les COP nous dévoile de façon spectaculaire le processus de blocage mortifère qui empêche toute transformation urgente afin de sauver le vivant. Il mentionne que les accords ne peuvent prendre aucune mesure, même unilatérale à l'échelle d'un pays, en faveur du climat qui pourrait contrarier le développement du commerce international, donc contrarier la poursuite de l'objectif de croissance économique (les profits à tout prix). Vous avez bien lu : les ententes finales prises lors des COP n'ont pas le droit de s'attaquer aux causes du problème, car leurs règlements l'interdisent tout simplement.
Pas étonnant de voir ces dernières années les puissants de ce monde organiser ces COP, et d'entendre lors de la COP 29, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, qui est aussi un magnat du pétrole, dire que le pétrole est « un cadeau de Dieu ».
N'ayons pas peur de regarder les choses telles qu'elles sont : les acteurs les plus puissants de l'économie-monde, donc de l'histoire de l'humanité, feront tout en leur pouvoir afin de continuer à avoir un accès sans restrictions aux ressources de la planète dans le but de maintenir leur modèle d'affaires suicidaire. Et les politiciens tels que Guilbeault exposent lamentablement leur impuissance face aux menaces financières, leur impuissance ou… leur adhésion au modèle. Vous comprenez maintenant pourquoi ce pouvoir économique tyrannique doit être stoppé maintenant : ce n'est rien de moins qu'une question de vie ou de mort.
Vouloir stopper le déclin massif des espèces, la 6ᵉ grande extinction de la vie sur Terre, exige des transformations radicales de notre rapport à la vie. Ce qui signifie que l'économie va devoir être mise en phase avec le vivant, que tout projet, tant micro que macroéconomique, devra tenir compte de l'équilibre des systèmes, des habitats qui soutiennent ce vivant, incluant nous-mêmes.
Cela peut se faire, mais à une condition : abolir en premier lieu cette règle destructrice qui mentionne que l'objectif fondamental d'une entreprise est de réaliser des profits, peu importe le prix à payer, et la remplacer par une valeur cardinale sociétale universelle : la vie au-dessus de tout considérant. Donc, l'économique au service du vivant, et que l'argent retrouve sa fonction originale comme flux d'échange et non d'accumulation à l'infini.
Actuellement, les forces économiques et politiques sont des processus suicidaires. Nous devons donc reconnaître que nous avons affaire à des groupes d'individus, des groupes d'actionnaires privés ainsi que des États et leurs alliés politiques (dont beaucoup proviennent de ces sphères économiques) qui sont devenus des experts à justifier le modèle d'affaires dominant afin de continuer à faire tourner l'économie dans le but d'engranger profits et fortunes encore un certain temps, à la manière d'une roulette russe qui n'a pas encore craché sa balle fatale.
Représentant moins de 1% de la population globale, ces milliardaires, qui détiennent pratiquement tous les leviers de pouvoir en train de nous faire plonger dans l'abysse de l'effondrement, croient (tels des fanatiques) que les données les plus rassurantes justifient leurs activités morbides, bien que les faits démontrent qu'ils sont en train d'exterminer la vie à un rythme jamais vu sur la planète.
Nous devons réaliser, de toute urgence, qu'il y a dans notre espèce une masse critique de sapiens, d'humains, qui ont développé un comportement déviant à travers l'idéologie de l'accumulation à l'infini. Étant aux commandes de l'économie-monde, c'est l'espèce humaine et tout le vivant au complet qu'ils mettent en danger. Ils sont présentement hors de contrôle et entraînent le vivant dans son entier dans leur folie destructrice.
Nous sommes passés d'une guerre des classes à une guerre contre le vivant qui n'est rien de moins qu'une guerre d'extermination menée par cette petite minorité obsédée par l'accumulation de richesses et pouvoirs, des comportements dignes des pires diagnostics de trouble obsessionnel compulsif.
Le plus terrifiant, c'est que ces « banquiers-actionnaires-spéculateurs-PDG », ces économistes fous de la secte du libre marché, ces prédateurs du vivant, croient en leurs lubies rassurantes grâce à des pirouettes psychologiques que certains nomment, entre autres, « biais cognitifs ».
Comme le mentionne l'économiste Jacques Généreux, parlant de la stupidité de nos élites : « Plus on a une éducation élevée, un entraînement à la réflexion et à la
discussion qui créent des habiletés intellectuelles, plus on est capable de s'ancrer dans l'erreur et la bêtise parce qu'on est capable de développer toutes les capacités de notre cerveau pour apporter les justifications à nos erreurs et aux démentis qui nous sont adressés afin de confirmer ce que nous voulons entendre ». Autrement dit : on ne retient que ce qui va dans la direction de nos intérêts et profits.
Pensez juste aux pétrolières qui ont bâti leurs argumentaires pour nier le réchauffement planétaire, nous faisant perdre les 30 dernières années les plus cruciales pour l'humanité pour contrer la catastrophe climatique. Pensez à Guilbeault, utilisant, lui, le biais de confirmation afin d'accréditer son message d'un scénario rassurant, en ne tenant que partiellement compte des données scientifiques disponibles, malgré la possibilité de conséquences terribles. Voilà une partie de la nature humaine que nous ne pouvons plus occulter.
Le système économique prédateur a fini par justifier et croire en ses propres fantasmes qui engendrent cette extermination du vivant. Nous avons deux siècles de preuves accumulées devant nos yeux ! Impossible de nier particulièrement les 30 dernières années qui ont vu disparaître tant d'espèces animales ainsi que l'état stable de notre climat au point où les scientifiques parlent d'annihilation du vivant.
Alors, réalisons que l'économie sous sa forme actuelle nous tue. Que pour changer quoi que ce soit, nous devons nous attaquer directement aux processus de verrouillage, c'est-à-dire briser le lien qui cimente les hautes sphères de nos gouvernements avec les acteurs économiques les plus dangereux qui gangrènent toute transformation urgente.
Tant que les institutions internationales n'auront pas sonné le tocsin de l'urgence planétaire actuelle, tant que les nations de ce monde ne se mobiliseront pas définitivement face aux puissances économiques prédatrices, la Vie sur Terre va continuer à s'effondrer sous la forme d'une extinction massive qui a déjà débuté.
Face à l'horreur qui se développe à l'horizon, face au peu de temps qui reste, nous devons prendre acte qu'il faut regarder le monstre dans les yeux.
Rappelons que nous sommes face à des forces qui, à l'échelle de la planète, détruisent en ce moment même les conditions qui nous maintiennent en vie. Face au défi mondial titanesque, il ne nous reste que peu d'outils. Pourtant, un de ces leviers a le potentiel de déclencher à la vitesse requise les actions si urgentes, si cruciales : nous devons pousser, contraindre nos gouvernements à sauver non seulement le Vivant, mais aussi notre société et toutes nos institutions qui ont créé ces filets de protections sociales garantissant bien-être, sécurité et protection aux générations présentes et futures, c.-à-d. nos services publics.
Ce sont ces institutions qui peuvent être les remparts face aux chocs sociétaux inévitables qui sont en marche. Il faut les sortir de la logique du marché et de la recherche du profit. Leur renforcement doit être démocratique et se faire maintenant, et non passer sous la houlette de « top guns » ou de nominations intéressées qui ne rendent de compte à personne.
Cet acte de conscience va au-delà de nos considérations quotidiennes. Il nous ramène au concept de citoyenneté et de protection de notre communauté tant locale que globale. Il annonce que toutes les mesures, même contraignantes, mêmes douloureuses pour certains, mesures qui sauront éliminer le système économique prédateur actuel tout en protégeant les populations, seront activées par une nouvelle architecture sociale, un renforcement radical de nos institutions qui, j'insiste sur ce point, sont seules à avoir la capacité (pour l'instant) à répondre à la crise planétaire avec le peu de temps qu'il nous reste. Nous savons comment faire cette révolution et l'appliquer de toute urgence.
Si la vraie révolution est celle de nos valeurs fondamentales, alors nous savons que la nouvelle économie sera celle du vivant. En réalité, ceci n'est pas quelque chose de nouveau ni de si révolutionnaire : ce qui est révolutionnaire, c'est la vitesse à laquelle nous sommes à exterminer la vie. Nous rendons révolu ce qui nous maintient nous-mêmes en vie : une authentique révolution suicidaire engendrée par un cerveau humain dont nous n'avons pas encore pris toute la mesure de son potentiel d'illusion et de destruction. La maxime « Connais-toi toi-même » inscrite sur le temple d'Apollon à Delphes nous avertit que cette prochaine révolution, la plus cruciale, ne pourra se faire que si nous prenons conscience de ces mécanismes destructeurs qui habitent chaque être humain, peu importe la classe sociale à laquelle il appartient ; ce qui signifie que l'on doit agir maintenant pour réguler ces comportements malgré les perturbations profondes qui seront engendrées.
Cette mobilisation n'aura de sens que si elle est guidée par une autre révolution : celle de nos valeurs les plus fondamentales qui reconnaît que toute action humaine doit être assujettie à l'équilibre du vivant.
Alors, vous dites-vous, très bien, mais la population ne suivra pas. Je vous dis qu'il y aura toujours une partie de la population qui aura des comportements irrationnels, et que cela est certainement la composante la plus complexe de la crise… et que nous aurons donc à renouer, qu'on le veuille ou non, avec la beauté de la contrainte ! C'est notre lot en tant qu'humanité. Et pourtant…
Si la toute première action, le tout premier acte, était de ne rien faire…
Bien sûr, il n'est pas question d'indifférence ou de léthargie, mais bien d'action passive, c'est-à-dire de refuser, en tant qu'individu ou collectivité, de continuer sur la voie qui nous mène au précipice : le business as usual. Par un acte de conscience, devenir sobre. Réduire nos activités, notre consommation, révolutionner notre rapport au travail et à la vie afin de laisser le moins d'empreinte possible. Une forme de discipline joyeuse, un stoïcisme entendu qui mettra de l'avant une toute nouvelle relation avec le vivant et donc avec le social. S'occuper avant tout de ce qui vit, éradiquer cette souffrance que nous infligeons tant aux êtres humains que non-humains. Cela serait une première étape qui ébranlerait les colonnes du temple de l'économie-monde. Cela enverrait le signal qu'il n'est pas seulement question d'un changement cosmétique, mais bien d'une révolution, d'un changement de paradigme profond qui dicterait la suite.
Ces changements radicaux doivent s'appliquer de toute urgence. Ils nous amènent à refuser cette vie d'obscène consommation. Commencer par se sevrer de la futilité de ce monde laid et clinquant, infantilisé, débilitant avec son cortège d'objets et de travail insignifiant, de burnout et de souffrances sociales sans fin. Comprendre ce qui a fait de nous des êtres apitoyés, frustrés, qui se soulagent par une consommation morbide, une déconnexion du monde réel qui mène à des violences génocidaires. Briser à grands coups cette cage de verre de l'individualisme, cet individualisme qui est le maillon que les dominants ont tenté de souder définitivement, mais qui demeure fragile, car il se brise par un acte de volonté. Vivre avec peu, en harmonie avec le vivant. Retrouver la dignité de la sobriété du partage qui est la manifestation d'un amour pour la vie… de toute vie.
Voilà les conditions pour déclencher cette unique révolution.
Nous n'avons plus le choix, car nous sommes en train de tout perdre.
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Éradiquer la faim en 2030 : une chimère ?

Chaque vendredi pendant plusieurs mois, nous publierons un article qui se trouve dans le nouvel AVP « Dette et souveraineté alimentaire ». Au programme ce vendredi, un article d'Amaury Ghijselings. Pour commander l'AVP, c'est ici.
20 décembre 2024 | tiré du site du CADTM
https://www.cadtm.org/Eradiquer-la-faim-en-2030-une-chimere
Les Objectifs de développement durable ont été adoptés en 2015 et prévoient, entre autres, d'éradiquer la faim d'ici 2030. À plus de mi-chemin de la course à l'objectif « faim zéro » de cet agenda, force est de constater que la promesse ne sera pas tenue. Pourtant, les causes de la faim ne sont pas toujours celles que l'on croit. En creusant un peu, il apparaît que la faim est un problème politique et non pas technique.
Les chiffres de l'insécurité alimentaire sont en constante augmentation depuis 2015, année de lancement des Objectifs de développement durable (ODD). Pour être sur la trajectoire de sa deuxième cible – éradiquer la faim d'ici 2030 – le nombre de personnes sous-alimentées aurait dû baisser de 290 millions. Or, il a augmenté de 240 millions. Ainsi, l'objectif d'un monde sans faim semble plus que jamais hors d'atteinte.
La production mondiale suffit actuellement pour nourrir la population entière
Ainsi, aujourd'hui, entre 691 et 783 millions de personnes souffrent de la faim (derniers chiffres officiels de 2022) et la FAO prévoit une augmentation d'encore 600 millions d'ici 2030 [1]. Depuis 2019, les chiffres connaissent une hausse particulièrement importante à cause de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Cependant, ces deux évènements ne sont pas à l'origine de cette crise de la faim, mais plutôt des facteurs aggravants une crise alimentaire structurelle.
La malnutrition n'est pourtant pas une fatalité. La production mondiale suffit actuellement pour nourrir la population entière. La faim n'est donc pas fonction de la production ou de la disponibilité – contrairement à ce que tente de faire croire les lobbies de l'agriculture industrielle. Chaque année, et ce depuis les années 60, les chiffres de la FAO établissent qu'il y a suffisamment de calories alimentaires par personne, que ce soit via la production ou les stocks [2]. La faim résulte en réalité d'un problème d'accessibilité. Les personnes en situation d'insécurité alimentaire n'ont pas les ressources économiques pour se nourrir. Qui plus est, la majorité d'entre eux sont des paysannes et des paysans. C'est ce que nous appelons le paradoxe de la faim. Ainsi, pour vivre dignement et s'alimenter de façon adéquate, ces derniers doivent réussir à vendre leurs produits à des prix justes. Or, cela dépend de politiques qui dépassent le cadre des politiques agricoles.
Les personnes en situation d'insécurité alimentaire n'ont pas les ressources économiques pour se nourrir. Qui plus est, la majorité d'entre eux sont des paysannes et des paysans.
En effet, l'insécurité alimentaire est aussi le résultat d'un système alimentaire défaillant et de politiques publiques qui semblent incapables de gérer ses dégâts dans l'urgence et encore moins de réformes en profondeur pour faire respecter le droit à l'alimentation. Les causes structurelles de la faim sont nombreuses. Certaines, comme les conflits, les chocs économiques, la pauvreté et les chocs climatiques, sont visibles tandis que d'autres le sont moins, tels que le résultat de l'histoire coloniale et la crise de la dette, les politiques commerciales du libre-échange à tout prix, la spéculation des denrées alimentaires, les incohérences des politiques agroalimentaires dans les pays riches.
Les causes visibles de la faim
Les agences internationales, comme la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) ou le Programme alimentaire mondial, pointent les conflits, les chocs économiques, les inégalités et les chocs climatiques, comme les causes de la faim. Elles nous alertent sur le fait que ces facteurs sont de plus en plus interreliés, ce qui complique encore l'atteinte de l'ODD 2. Le continent le plus concerné est l'Afrique, dont de nombreux pays cumulent des situations de conflits, de chocs économiques et de chocs climatiques. D'un point de vue géographique, c'est l'Asie qui compte le plus de personnes en situation de sous-alimentation, mais c'est l'Afrique qui abrite le plus grand pourcentage de personnes sous-alimentées et le plus de pays nécessitant une aide alimentaire extérieure.
Colonisation et dettes
Les pays colonisateurs ont orienté les agricultures des pays du Sud pour répondre à leurs besoins en produits alimentaires de base et exotiques
Impossible de comprendre les inégalités des systèmes alimentaires sans revenir sur la période de colonisation. Les pays colonisateurs ont orienté les agricultures des pays du Sud pour répondre à leurs besoins en produits alimentaires de base et exotiques. Cette spécialisation laisse encore des traces aujourd'hui sur le modèle agricole des pays du Sud qui dédient d'immense surface de terres agricoles à l'exportation au lieu d'une production vivrière [3].
C'est sur le principe de l'avantage comparatif que les institutions financières internationales se sont basées pour justifier d'imposer aux pays du Sud de poursuivre cette spécialisation dans les monocultures intensives de produits alimentaires dédiés à l'exportation, et ce, en vue de rembourser leurs dettes extérieures. Ces dettes empêchent d'investir dans la transition des systèmes alimentaires durables, et empêchent le développement économique des pays.
Le libre-échange à tout prix
Les accords de libre-échange bilatéraux et régionaux contraignent les agriculteurs à vendre leurs denrées alimentaires à des prix si bas qu'ils se retrouvent à vivre sous le seuil de pauvreté
Bien sûr que la faim précède le capitalisme et le néolibéralisme. Depuis la fin de la guerre froide, le système néolibéral s'est imposé à une époque où, plus que jamais, il est possible techniquement de nourrir toute la population mondiale. Mais ce qui est problématique, c'est de poursuivre l'objectif de la sécurité alimentaire en se fondant, de façon dogmatique et sans limite, sur les principes du libre-échange.
En 1995, l'accord sur l'agriculture au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) instaure la libéralisation du commerce agricole, c'est-à-dire que les États doivent, d'une part, diminuer drastiquement leurs barrières douanières et, d'autre part, limiter leurs subventions publiques au secteur agricole. Malgré le traitement spécial et différencié prévu pour les pays en développement, le système demeure inéquitable : les pays industrialisés continuent de pouvoir subsidier davantage leur agriculture que les pays en développement et mettent en place des barrières autres que tarifaires [4]. En parallèle de l'OMC, les accords de libre-échange bilatéraux et régionaux détruisent les systèmes alimentaires territoriaux. Ils empêchent les secteurs agricoles locaux de se développer à l'abri d'une concurrence déloyale d'exportateurs issus d'autres régions, de niveaux de productivité tout à fait différents et parfois subsidiés. Ils contraignent les agriculteur·ices à vendre leurs denrées alimentaires à des prix si bas qu'ils et elles se retrouvent à vivre sous le seuil de pauvreté [5].
Plus récemment, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont démontré que fonder la sécurité alimentaire sur des longues chaînes de valeurs spécialisées était un pari risqué. Dès qu'une crise survient, ce système se grippe et les conséquences sont dramatiques pour des millions de personnes.
Dérégulation des marchés
Les crises alimentaires les plus fortes riment le plus souvent avec une hausse spectaculaire des prix – rendant le prix des intrants ou des denrées alimentaires hors de portée pour toute une partie de la population. Les causes de l'inflation alimentaire sont toujours multiples et la part de chacune d'elles, complexe à déterminer. Mais que ce soit dans le cas de la crise de 2008, ou la crise alimentaire actuelle exacerbée par la guerre en Ukraine, la spéculation est pointée du doigt. Cette dernière a explosé depuis les politiques de libéralisation et de dérégulation des marchés agricoles, entreprises dans les années 1990 [6]. Une étude du CNCD-11.11.11, sortie en 2013, démontrait le lien entre la spéculation alimentaire et la hausse exceptionnelle des prix en 2007-2008 [7]. À la suite de l'invasion russe en Ukraine, une enquête journalistique de LightHouse Reports a révélé que les deux fonds d'investissement les plus importants dans le secteur des denrées agricoles avaient déjà atteint un total d'investissements de 1,2 milliard de dollars en mars 2022, alors que l'année 2021 s'était clôturée avec un total de 197 millions de dollars investis sur l'année entière [8]. Spécifions que cette spéculation a été rendue d'autant plus possible depuis l'accord de l'OMC, qui balise lourdement les politiques publiques de stockage, considérées comme vecteur de distorsions commerciales. Or le stockage public de denrées alimentaires permet d'une part de réagir en cas de manque mais aussi d'éviter la spéculation en rendant transparente la disponibilité de réserves. Ce que le stockage privé ne permet pas.
Impacts des systèmes alimentaires européens
L'agroécologie, car elle est une réponse systémique à des enjeux de plus en plus interreliés : malnutrition, climat, inégalités de genre, etc
Au niveau européen, la Politique agricole commune (PAC) continue de faire des dégâts sur les systèmes alimentaires des pays du Sud. Bien que les aides à l'exportation aient disparu avec la réforme de 2014, les subventions européennes continuent de permettre aux pays européens d'exporter les surplus alimentaires à bas prix. Aussi, le budget de la PAC, qui est d'environ 55 milliards d'euros par an [9], doit assurer que le système alimentaire européen fasse sa part en matière de réduction de gaz à effet de serre, dont les impacts se font sentir en premier lieu dans les pays du Sud [10]. Enfin, la PAC doit permettre la construction d'un système alimentaire européen moins dépendant des importations de protéines végétales des pays du Sud, afin de relâcher la pression sur les terres de ces pays – qui elle-même contribue à l'insécurité alimentaire. Le projet de législation européenne « pour des systèmes alimentaires durables », qui devrait aboutir en 2025, peut être le tremplin d'une future PAC qui contribue aux objectifs du pacte vert européen [11].
Le scénario de transition pour « une Europe agroécologique en 2050 », de l'Institut du développement durable et des relations internationales, stipule que, malgré une baisse de la production alimentaire de 35 % par rapport à 2010 (en Kcal), l'Europe serait capable de nourrir sainement sa population. Par ailleurs, ce scénario permettrait de conserver une capacité d'exportation (surtout pour répondre aux enjeux d'insécurité alimentaire), de réduire l'empreinte alimentaire mondiale de l'Europe et de diminuer les émissions de GES du secteur agricole de 40 % [12]. Cette transition réduira les accaparements de terres, la déforestation et les impacts du réchauffement climatique dans les pays du Sud.
Quelles solutions ?
Des solutions existent. Elles sont portées tant par des organisations du Sud que par des agences onusiennes spécialisées, comme le Groupe d'experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE).
Des réformes doivent être mises en place pour remettre le commerce à sa juste place. Une réforme en profondeur de l'OMC est indispensable pour que le droit à l'alimentation soit respecté tant dans les pays du Sud que du Nord. Mais cette réforme de l'OMC doit aller de pair avec celles de la fiscalité et des Institutions financières internationales [13]. Les programmes de l'OMC et des institutions financières internationales sont l'antithèse du principe de souveraineté alimentaire porté par le plus grand syndicat paysan du monde, la Via Campesina. La souveraineté alimentaire est une alternative politique partant du principe que l'alimentation n'est pas une marchandise comme les autres. La meilleure façon de garantir le droit à l'alimentation est de garantir le droit des peuples à déterminer eux-mêmes leurs politiques agricoles et alimentaires.
D'autres actions peuvent être menées à court et moyen terme pour tendre vers cette souveraineté alimentaire. Les gouvernements des pays riches doivent respecter leurs engagements en matière de financement de la solidarité internationale et réorienter leurs programmes de sécurité alimentaire vers l'agroécologie, car elle est une réponse systémique à des enjeux de plus en plus interreliés : malnutrition, climat, inégalités de genre, etc. En parallèle, d'autres politiques européennes doivent être revues pour ne pas détricoter ce que la solidarité tente de construire. En premier lieu, l'UE doit assurer la transition de son système alimentaire afin qu'il soit moins dépendant des terres des pays du Sud et afin de limiter sa contribution au réchauffement de l'atmosphère.
Source : CNCD
Notes
[1] FAO, L'état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, 2023
[2] FAO, Situation alimentaire mondiale, https://www.fao.org/worldfoodsituation/csdb/fr
[3] Matern Maetz, Les causes de la faim : l'héritage de la colonisation, septembre 2012
[4] Gérard Choplin et Karin Ulmer, Agriculture et commerce international, Coalition contre la faim (2023)
[5] Ibidem
[6] Arnaud Zacharie, « Spéculation alimentaire versus droit à l'alimentation », RTBF, 4 septembre 2013
[7] CNCD-11.11.11, « La complicité des banques belges dans la spéculation sur l'alimentation », juin 2013
[8] LightHouse reports, « Pension funds : Gambling with savings and fuelling hunger », octobre 2022
[9] Esther Snippe, « Parlons argent : quel budget pour la prochaine PAC ? », Euractiv, 30 mars 2022
[10] Amaury Ghijselings, « Fumée blanche pour la nouvelle PAC. Une politique plus verte et plus équitable ? », CNCD-11.11.11, juillet 2021
[11] Amaury Ghijselings, « Rendre les systèmes alimentaires européens plus durables », CNCD-11.11.11, 19 avril 2023
[12] IDDRI, Une Europe agroécologie en 2050 (2018), p.5
[13] Cette position n'engage que l'auteur. Le CADTM est pour le remplacement de la Banque mondiale, du FMI et de l'OMC par des institutions démocratiques qui mettent la priorité sur la satisfaction des droits humains fondamentaux dans les domaines du financement du développement, du crédit et du commerce international.
Auteur.e
Amaury Ghijselings Amaury Ghijselings : Chargé de recherche et de plaidoyer sur la souveraineté alimentaire au CNCD-
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Le modèle allemand est en passe de devenir l’anti-modèle.

Depuis quelques mois, les médias français se plaisent à souligner les difficultés qui s'accumulent en Allemagne, parfois avec cette joie maligne que l'on appelle en allemand Schadenfreude (joie éprouvée au malheur d'autrui), comme si plus rien ne fonctionnait correctement dans un pays longtemps présenté comme modèle à suivre.
Tiré de :La chronique de Recherches internationales Janvier 2025
Alain Rouy
Germaniste, professeur de classe supérieure
Rappelons-nous le programme électoral du chancelier Schmidt à la fin des années 70 intitulé avec arrogance « Modell Deutschland », rappelons-nous l'« Agenda 2020 » du Chancelier Gerhard Schröder au tournant du siècle, loué comme l'exemple à suivre dans la manière de réformer l'économie et la société avec des réformes ultralibérales concernant le marché du travail et les assurances sociales. La mise en pièces du « Sozialstaat » allemand nous était présentée comme la clef des succès économiques de l'Allemagne dont la rigueur budgétaire est devenue le critère sur lequel l'UE devait s'aligner. En France, les présidents Sarkozy et Hollande n'ont eu de cesse de célébrer le modèle allemand : ainsi en janvier 2012 à la télévision, Nicolas Sarkozy se réfère à l'Allemagne pour justifier ses choix et chante les louanges de l'Allemagne qui est "le seul pays d'Europe qui, non seulement a gardé ses emplois industriels mais les a développés" ; ainsi François Hollande, invité en mai 2013 pour le 150e anniversaire du SPD, fait l'éloge du modèle allemand en présence de la chancelière Angela Merkel, et déclare : « Le progrès, c'est aussi de faire des réformes courageuses pour préserver l'emploi et anticiper les mutations sociales et culturelles, comme l'a montré Gerhard Schröder. Elles ont permis à votre pays d'être aujourd'hui en avance sur d'autres ».
Tout cela semble bien lointain aujourd'hui alors que l'Allemagne est confrontée à de multiples crises : la crise de son modèle économique, la crise sociale avec les destructions industrielles et le phénomène des salariés pauvres, la crise du modèle énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique, la crise du système politique, lui aussi présenté pendant des décennies comme exemplaire et gage de stabilité.
Crise du modèle économique, crise sociale, crise énergétique
Le retour à la compétitivité préconisé par le Chancelier Schröder avait pour but d'adapter l'économie allemande à la mondialisation et d'assurer les succès économiques de l'Allemagne. Alors qu'en 2010, l'Allemagne affichait un taux de croissance de près de 5 %, elle découvre avec stupéfaction un PIB négatif, d'abord en 2020, en raison de la crise de Covid, puis en 2023 et sans doute 2024, pour des raisons multiples et plus complexes, dont la guerre en Ukraine et l'inflation. L'Allemagne est donc en récession : incroyable pour la première économie de l'Union Européenne et le troisième plus grand exportateur de biens derrière les États-Unis et la Chine avec un excédent commercial de plus de 200 milliards d'euros en 2023. Sauf que l'inflation, les hausses du prix du logement et de l'énergie, l'augmentation du nombre de « travailleurs pauvres » en raison de la précarité de l'emploi sont autant de facteurs qui nuisent à la consommation intérieure qui ne progresse pas alors que la politique du tout à l'exportation connaît aujourd'hui ses limites, en raison de la guerre en Ukraine d'une part, des menaces agitées par Donald Trump sur l'importation de biens européens d'autre part. Le secteur industriel, et notamment la construction automobile qui fournit 40 % des exportations allemandes, est touché de plein fouet, alors qu'un salarié sur sept travaille dans le secteur automobile.
Nous assistons actuellement à l'aggravation de la crise industrielle en Allemagne avec des plans massifs de suppressions d'emplois annoncés par les plus grands groupes. Au-delà de l'industrie automobile (Volkswagen annonce trois fermetures d'usines en Allemagne même, une première historique), toutes les branches sont concernées, de la chimie à la sidérurgie, ce qui touchera plusieurs dizaines de milliers de salariés. Les syndicats, dont IG Metall, se préparent à déclencher des mouvements de grève « comme le pays n'en a pas connu depuis longtemps » pour exiger « un maintien de toutes les usines ». Le modèle tant vanté du « partenariat social » (Sozialpartnerschaft) et de la cogestion à l'allemande (Mitbestimmung) est bien mort sous les coups de boutoir de l'ultralibéralisme et l'on peut s'attendre à des conflits sociaux majeurs dans les premiers mois de 2025.
Les catastrophes économiques se doublent d'un problème d'approvisionnement énergétique : depuis la guerre en Ukraine, l'Allemagne a renoncé au gaz russe pour lequel de gros investissements (les gazoducs Nord Stream) avaient été entrepris sous Angela Merkel. Comme l'Allemagne a par ailleurs renoncé à l'énergie nucléaire, elle se retrouve être le deuxième plus gros consommateur de charbon de l'UE après la Pologne, ce qui la met en contradiction avec sa volonté proclamée de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre : ainsi, en 2019, plus de 35 % de l'électricité produite provenait de centrales à charbon, ce qui nourrit les accusations de remise en cause des objectifs fixés par la communauté internationale.
La crise politique
Le régime politique actuel de l'Allemagne est celui de l'ancienne République Fédérale, repris intégralement au moment de la réunification : il s'agit d'une démocratie parlementaire, avec un parlement (Bundestag) élu à la proportionnelle, les partis devant obtenir plus de 5 % pour y être représentés. Le gouvernement est responsable devant le Bundestag où il dispose d'une majorité ; il ne peut être renversé que par un renversement d'alliance et l'émergence d'une nouvelle majorité présentant un candidat à la chancellerie (procédure du « vote de défiance constructif ». Ces institutions consacrées dans la Loi Fondamentale (Grundgesetz) de 1949 ont de fait assuré une grande stabilité de l'exécutif pendant des décennies : depuis 1949, la RFA puis l'Allemagne réunifiée n'ont connu que neuf chanceliers en 75 ans. Le système a parfaitement fonctionné jusqu'aux années 80 tant que seuls trois courants politiques étaient représentés au Bundestag : les chrétiens-démocrates (CDU-CSU), les sociaux-démocrates (SPD) et les libéraux (FDP), avec entre 30 et 40 % pour CDU et SPD, les deux grands Volksparteien (partis populaires réunissant de larges couches de la population) totalisant toujours plus de 75 %. Deux des trois partis formaient une coalition gouvernementale, soit CDU-FDP, soit SPD-FDP ou encore les deux grands ensemble (« grandes coalitions » CDU-SPD ou SPD-CDU).
L'entrée des Verts au Bundestag en 1983, puis la réunification et l'arrivée en 1990 du PDS issu de la RDA et devenu Die Linke et enfin l'irruption tonitruante de l'AfD d'extrême droite en 2017 a fait disparaître le système à trois forces politiques, deux qui gouvernent ensemble et la troisième dans l'opposition. D'une part, de nouvelles coalitions de gouvernement sont devenues possibles, telle la coalition « rouge-verte » SPD-Verts entre 1998 et 2005, d'autre part le recul des deux forces principales les a amenées à devoir gouverner ensemble faute de trouver un partenaire suffisamment puissant pour former une majorité. Les gouvernements à deux partis ont été pendant trois mandatures sur quatre de Angela Merkel des « grandes coalitions » CDU-SPD (2005-2009 et 2013-2021), ce qui a eu pour conséquence d'étouffer l'idée d'alternative possible et de favoriser le rejet des partis « traditionnels » et du monde politique, au profit de l'extrême droite populiste. Pour sortir de cette situation, le Chancelier Scholz (SPD) a tenté une coalition à trois partis, pour la première fois de l'histoire de l'Allemagne fédérale : cette coalition tricolore « rouge-verte-orange » SPD-Verts-Libéraux n'a jamais surmonté ses contradictions intrinsèques et a battu des records d'impopularité, jusqu'à exploser avant la fin de la mandature.
Conséquence : à l'initiative du chancelier, le Bundestag a engagé le processus de sa dissolution prononcée par le Président fédéral le 27 décembre 2024, avec des élections législatives fixées au 23 février 2025.
L'absence dramatique d'alternative à gauche due à l'impossibilité de trouver suffisamment de convergences entre le SPD, les Verts et Die Linke à la fin de l'ère Merkel, puis à la scission au sein de Die Linke de BSW (Alliance Sarah Wagenknecht) sur une ligne populiste fait craindre une nouvelle avancée de l'AfD pour les élections à venir, même si la CDU est donnée gagnante par les sondages. L'Afd (Alternative pour l'Allemagne) joue à la fois sur le rejet de la classe politique, la crise sociale et le rejet des immigrés, le discours anti migrants faisant feu de tout bois, comme récemment à propos de la tuerie qui a endeuillé le marché de Noël de Magdebourg. En fait, les électeurs n'attendent rien de ces élections législatives, le système politique semble dans l'impasse, incapable de présenter des alternatives, si ce n'est la tentation de l'extrême droite.
Ce phénomène se retrouve dans d'autres pays d'Europe mais qu'il affecte aujourd'hui l'Allemagne lui donne une dimension nouvelle et inquiétante pour l'ensemble de l'Union Européenne. La Commission Européenne, présidée par une personnalité politique de la droite conservatrice allemande, Ursula von der Leyen, nous montre qu'elle n'hésite pas à verser du côté du pire, qu'il s'agisse de la militarisation forcenée de l'UE, de son soutien inconditionnel à la guerre, de la dérégulation des marchés dans un sens ultralibéral (Mercosur), et de la tolérance bienveillante de l'extrême droite au sein des institutions de l'Union. Si l'Allemagne devait s'engager encore plus nettement dans la même direction, les crises ne pourront que s'aggraver jusqu'à mettre en péril l'avenir de l'UE rejetée par les peuples.
Le modèle allemand est en passe de devenir l'anti-modèle.
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d'analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd'hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
Site : http://www.recherches-internationales.fr/
https://shs.cairn.info/revue-recherches-internationales?lang=fr
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