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Sahel : le coup d’éclat des militaires

13 février 2024, par Paul Martial — , ,
Victimes des sanctions économiques de la CEDEAO, les trois pays sahéliens quittent cette union économique en critiquant son rôle néfaste pour les populations. Hebdo (…)

Victimes des sanctions économiques de la CEDEAO, les trois pays sahéliens quittent cette union économique en critiquant son rôle néfaste pour les populations.

Hebdo L'Anticapitaliste - 694 (08/02/2024)

Par Paul Martial

Crédit Photo
Capture d'écran France 24

La mise en scène était parfaite. Le dimanche 28 janvier à la même heure, les juntes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso ont lu une déclaration identique à leur télévision nationale annonçant leur départ de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).

Sanctions et menaces

Fondée en 1975, la CEDEAO avait comme objectif initial la constitution d'un marché unique de la région. Ses prérogatives se sont peu à peu étendues aux domaines politique et juridique. Parmi les 15 pays membres, les pays francophones, à l'exception de la Guinée, sont aussi membres de l'Union économique et monétaire des États d'Afrique de l'Ouest (UEMOA) à laquelle s'ajoute la Guinée-Bissau (ancienne colonie portugaise). Cette structure regroupe les pays ayant comme monnaie le franc CFA.

Les ressortissants des pays de la CEDEAO peuvent circuler et s'installer librement et les marchandises ne sont pas assujetties à des droits de douanes.

Lors des coups d'États au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la CEDEAO a adopté des sanctions économiques particulièrement sévères, notamment vis-à-vis du Niger. Pour celui-ci, elle avait même évoqué la possibilité d'une intervention militaire pour rétablir l'ordre constitutionnel selon la formule consacrée.

Une structure discréditée

Pour justifier leur départ de la CEDEAO, les juntes ont critiqué l'absence de solidarité et d'aide à leur pays confronté aux graves attaques terroristes. Elles lui reprochent de fouler la souveraineté de leur nation en agissant pour le compte de puissances étrangères et enfin, d'avoir abandonné le panafricanisme prêté aux pères fondateurs. Il est certain que les sanctions économiques ont été très mal vécues par les populations qui en sont les premières victimes. D'autant que les chefs d'État de la CEDEAO ayant pris ces décisions sont pour la plupart, soit élus grâce à des fraudes électorales massives, soit par des manipulations constitutionnelles leur permettant de briguer un troisième mandat. Ainsi au Togo, la dynastie Gnassingbé règne depuis plus d'une cinquantaine d'années. Ouattara en Côte d'Ivoire est au pouvoir avec l'aide de l'intervention armée de la France et s'y maintient par un changement de constitution. Quant au Sénégal, Macky Sall a écarté de la course électorale pour les présidentielles les deux principaux concurrents et vient d'ailleurs de reporter l'élection présidentielle à décembre, suscitant la colère de la rue. Les dirigeants de la CEDAO sont loin d'être les parangons de la démocratie.

Évidemment le soutien affiché d'Emmanuel Macron à une éventuelle opération armée de la CEDEAO contre le Niger n'a fait que conforter ce que pense une grande partie de la rue au Sahel, à savoir que cette structure est manipulée par la France.

Vers une sortie du franc CFA

Bien que le départ de la CEDEAO soit annoncé avec effet immédiat, l'article 91 de cette organisation prévoit un délai d'une année. Ainsi les dirigeants se sont dit ouverts à des négociations avec les trois pays qui ont formé quelques mois auparavant une Alliance des États du Sahel (AES). Les inquiétudes sont grandes car les trois pays sont enclavés et le débouché sur la mer reste un impératif. Si pour le Mali, la Guinée, qui elle aussi est sous sanction de la CEDEAO pour coup d'État, est une option, pour le Burkina et le Niger l'accès à la mer via le Togo ou le Bénin est compromis.

Avec le départ de la CEDEAO, la libre circulation sera cependant toujours garantie dans l'espace de l'UEMOA. Mais il n'est pas sûr que les pays de l'AES s'arrêtent en si bon chemin. En effet, la question de la sortie du franc CFA se pose aussi au profit d'une monnaie commune des trois États.

Ces décisions peuvent être considérées comme salutaires et symbolisant la conquête de souveraineté. Cela aurait été recevable si les populations avaient été consultées et donc partie prenante de cette décision. Ce n'est évidemment pas le cas au vu des attaques répétées contre les libertés démocratiques qui ont lieu dans ces trois pays sahéliens.

Paul Martial

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Le Niger redevient une “plaque tournante de la migration”

13 février 2024, par Courrier international — , , ,
Deux mois après l'abrogation de la loi qui criminalisait le trafic de migrants au Niger, les activités de transport de migrants reprennent dans ce pays de transit vers la Libye (…)

Deux mois après l'abrogation de la loi qui criminalisait le trafic de migrants au Niger, les activités de transport de migrants reprennent dans ce pays de transit vers la Libye et l'Algérie. Des afflux de migrants sont également observés dans le nord du Mali.

Tiré de Courrier international.

“L'enthousiasme.” C'est le premier sentiment que décèle Studio Kalangou à Agadez deux mois après l'abrogation, le 25 novembre 2023, d'une loi de 2015 qui pénalisait le trafic illicite de migrants.

Dans cette ville carrefour entre le nord et le sud du Sahara, à 900 kilomètres au nord-est de Niamey, devenue à partir des années 1990 une “plaque tournante de la migration”, la criminalisation des individus liés à cette activité avait porté un coup dur à l'économie locale.

Désormais, c'en est fini. “Les routes migratoires [sont] rouvertes au Niger”, titre le média nigérien. Une conséquence immédiate de la décision des autorités de transition, au pouvoir depuis le coup d'État du 26 juillet 2023, d'enterrer ce texte qui s'inscrivait dans l'architecture migratoire et sécuritaire de l'Union européenne, soucieuse d'externaliser ses frontières en scellant, à l'époque, un partenariat avec le Niger.

“Une semaine après l'abrogation de cette loi, le maire [d'Agadez, Abdourahamane Tourawa] rapporte que sa ville a enregistré entre 60 et 80 départs de véhicules vers le site aurifère du Djado [non loin de la frontière libyenne]. Sachant qu'une partie des passagers continueront leur route vers le Maghreb et l'Europe”, écrit Studio Kalangou.

Destination Libye

L'édile semble savourer l'effervescence ambiante dans cette commune “qui vit et respire migration”. “La migration a toujours été un quotidien de la population agadézienne”, ajoute-t-il en énumérant les emplois directs ou indirects créés (transporteurs, hébergeurs, intermédiaires, vendeurs de bidons d'eau, restaurateurs, etc.).

L'enthousiasme “se lit également sur les visages des nombreux migrants que nous croisons à la gare de la ville dans la matinée du 2 janvier 2024. Tous sont en partance pour la Libye. On y voit des pick-up de la marque Toyota de type Hilux, surchargés de dizaines de migrants”, poursuit le reporter.

Dans ce “ballet de véhicules” et ce “brouhaha constant”, le Nigérien Sanoussi, “la trentaine entamée”, doudoune grise et bonnet, raconte qu'il se rend en Libye pour la troisième fois. C'est son terminus : “Une fois que j'aurai mis de l'argent de côté, je compte retourner dans mon pays.”

Illa, un Nigérien de 19 ans, est plus anxieux. C'est sa quatrième traversée vers le Maghreb, mais la première à destination de la Libye.

“Nul ne s'éloigne de sa terre sans raison”

Dans un autre article coécrit avec le site burkinabè Studio Yafa et intitulé “Au Sahel, mille raisons de partir”, Studio Kalangou examine les facteurs qui poussent à l'exil.

“Nul ne s'éloigne de sa terre sans raison”, confie Adama Kafando, un Burkinabè de 26 ans qui a échoué dans un “ghetto” [lieu d'hébergement pour les migrants] d'Arlit, cité uranifère aux confins de l'Algérie. Deux ans qu'il rêve d'Europe. Il connaît les dangers.

Sauvé d'un naufrage par des gardes maritimes algériens lors d'une tentative de traversée de la Méditerranée, puis “largué avec d'autres migrants à quelques kilomètres de la frontière algérienne”, il refuse pourtant de renoncer. “Mon pays est menacé par les groupes armés terroristes et c'est l'instabilité”, argue-t-il.

Nouveaux afflux de migrants au Mali

À l'insécurité s'ajoutent la dégradation du milieu naturel – notamment en raison du réchauffement climatique – qui affecte l'agriculture et l'élevage dont dépendent majoritairement ces populations, et la pauvreté.

“Mille raisons de partir”, et des routes multiples qui se reconfigurent. Dans un autre reportage de ce dossier consacré aux migrations, Studio Kalangou indique que Tombouctou, dans le nord du Mali, “devient un point de départ significatif” vers l'Algérie.

Et de préciser : “Depuis l'abrogation de la loi criminalisant le trafic illicite des migrants au Niger, la Maison des migrants de Gao [ville du Nord malien à mi-chemin entre Niamey et Tombouctou] enregistre plus de 400 migrants par semaine”, qui mettent ensuite le cap vers Tamanrasset, dans le Sud algérien, voire la Tunisie.

Courrier international

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Le Chili d’Allende à Boric : des questions de fond qui continuent à hanter le présent

13 février 2024, par Patrick Guillaudat et Pierre Mouterde — , ,
Ce texte constitue la nouvelle préface (sous une forme raccourcie pour Contretemps) de la réédition du livre des sociologues Patrick Guillaudat et de Pierre Mouterde : Les (…)

Ce texte constitue la nouvelle préface (sous une forme raccourcie pour Contretemps) de la réédition du livre des sociologues Patrick Guillaudat et de Pierre Mouterde : Les mouvements sociaux au Chili, 1973-1993. La deuxième édition en espagnol a été publiée en mai 2023 au Chili (éditions Tiempo Robado) et sort en français en novembre 2023 chez L'Harmattan. Pour les auteurs, il s'agit de « montrer ce qui, envers et contre tout, n'a pas été réglé en termes d'égalité, de justice et d'impunité, ce sur quoi continue à bégayer l'histoire, les mille et une contradictions qui continuent à la hanter et contre lesquelles les générations d'autrefois n'ont jamais manqué de se dresser ».

Tiré de la revue Contretemps
9 février 2024

Par Patrick Guillaudat et Pierre Mouterde

Déchiffrer l'histoire des vainqueurs

C'est au début des années 1990 que nous avons écrit Les mouvements sociaux au Chili 1973-1993 ; bilan de vingt ans d'histoire chilienne interprété à l'aune des intérêts et aspirations des classes populaires de ce pays. Il y a donc de cela presque 30 ans, et depuis bien de l'eau a coulé sous les ponts, pouvant donner à penser que nombre des analyses qu'on a menées à l'époque ont perdu de leur intérêt ou de leur acuité, pour ne pas dire de leur actualité, se trouvant à 100 lieux de nous éclairer sur les problèmes et les défis auxquels se trouve confronté le Chili contemporain.

Après tout, lorsqu'on observe, en termes socio-politiques, la société chilienne d'aujourd'hui, c'est un pays apparemment bien différent que l'on ne manquera pas de découvrir. Qu'on songe à l'émergence ces dernières années de formations politiques a-typiques (post-chute du mur de Berlin pourrait-on dire !) comme par exemple celle du « Frente Amplio », ou même au surgissement d'un puissant mouvement féministe jouant désormais un rôle central dans les revendications avancées par la société civile chilienne. Ou plus près de nous, encore, qu'on pense à la cascade d'événements prometteurs qui ont remis en mouvement la société chilienne entière : depuis l'embrasement social qui, à partir du 18 octobre 2019 a vu des millions de Chiliens descendre dans la rue (et obtenir, après moult péripéties, un plébiscite autorisant la formation d'une convention constitutionnelle), jusqu'à l'élection du jeune et ex-leader étudiant de gauche Gabriel Boric à la présidence de la République chilienne, en passant par l'élection de 155 constituants élus et dont près des 2/3 étaient situés politiquement à gauche. Sans parler bien sûr de ce plébiscite de sortie perdu et destiné initialement à entériner le travail des constituants, le 4 septembre 2022. (…).

Pourtant en dépit de ces évidentes nouveautés et des promesses qui y sont rattachées, le Chili se retrouve -c'est ce que nous tenterons de montrer ici- face à des dilemmes de fond, butant sur certaines limitations de base, donnant l'impression que l'histoire récente, au-delà de changements pourtant non négligeables, ne cesse de se répéter, de bégayer autour de quelques fractures souterraines sur lesquelles il revient invariablement buter. C'est tout au moins ce que l'on aurait envie d'affirmer en gardant en mémoire ce que nous avons écrit à l'époque, et en choisissant de regarder les choses depuis la perspective de l'histoire et celle du temps long. C'est là l'intérêt de cette réédition : non seulement rappeler de quoi fut fait le passé (de manière à ne pas en répéter les possibles erreurs), mais aussi et surtout se donner les moyens, comme le disait Walter Benjamin [1], de déchiffrer et démystifier cette histoire des vainqueurs qui s'est, plus souvent qu'autrement, imposée au Chili ; mais point pour la magnifier ou en accepter les diktats, tout au contraire pour s'ouvrir à la possibilité d'en inverser le cours en redonnant aux vaincus la place qui leur revient et qu'on n'a cessé pourtant par tous les moyens possibles de mettre à la marge et d'oublier.

Car c'est précisément ce à quoi à l'époque nous nous sommes employés quand, il y a 30 ans, nous avons travaillé sur cette tranche d'histoire si décisive du Chili des années 1973-1993 : faire apercevoir d'un même mouvement, l'ampleur des ruptures et transformations sociales, politiques et économiques qui se sont opérées à l'époque sous l'impact de la dictature de sécurité nationale du général Pinochet, mais en même temps sans rien omettre des inlassables efforts des classes populaires pour résister, s'y opposer, puis se donner les moyens à partir des grandes protestas de 1983-1984 d'accélérer inéluctablement le départ du dictateur. (…) Et d'avoir cherché dans cet ouvrage à faire apercevoir la globalité de ce projet, tout comme la vaste perspective historique dans lequel il s'insérait ainsi que les inéluctables luttes de résistance collective qu'il soulevait, n'a pas été pour rien dans son aptitude à compter encore, à résister au temps. En effet, en faisant le choix –non pas de s'attarder à telle ou telle demande sociale particulière, ou encore aux seules garanties formelles contenues dans les promesses de la transition démocratique– mais de privilégier au contraire les enjeux socio-économiques des luttes populaires de l'époque, il devenait possible de mettre à jour une grille socio-historique explicative particulièrement féconde, susceptible non seulement de rendre compte des affres de la transition des années 1990, mais encore d'expliquer bien des obstacles institutionnels et juridiques rencontrés jusqu'à aujourd'hui. (…)

Les dimensions internationales de la répression : l'opération Condor

Mais dire cela, ne signifie pas pour autant que cet ouvrage ne recèle pas des manques, des omissions que le recul du temps et la découverte d'archives alors inaccessibles permettent aujourd'hui de mieux mesurer. Ainsi en va-t-il de l'opération Condor dont il n'est pas question dans notre ouvrage et qui pourtant a été l'expression même de cette internationalisation de la répression déployée par les militaires du sous-continent. Il vaut la peine d'y revenir un instant, puisqu'elle donne la mesure de son ampleur comme des complicités mises en jeu à l'époque et qui vont bien au-delà de ce qu'on pourrait imaginer. (…) Car, comme on le sait désormais, l'opération Condor (Operación Cóndor) est le nom donné à une campagne d'assassinats et de luttes anti-guérillas coordonnées avec le soutien des USA et menées conjointement entre les années 1975 et 1982 par les services secrets des dictatures militaires alors en place en Amérique latine. Son but premier étant, par le biais d'une coopération resserrée entre divers services secrets, de lutter contre « l'ennemi intérieur », terme suffisamment vague pour rester extensible et autoriser tous les arbitraires et abus possibles ainsi que mettre au pas, en les torturant et assassinant, ceux et celles qui en étaient la véritable cible : les militants des classes populaires.

La chasse aux opposants du général Pinochet ne s'est donc pas arrêtée aux frontières du Chili, et a trouvé son correspondant dans l'Argentine de Jorge Rafaël Videla, l'Uruguay de Juan Bordaberry, le Brésil d'Ernesto Geisel, le Paraguay d'Alfredo Stroessner et la Bolivie d'Hugo Banzer ; tous dictateurs de leur état et sous la gouverne desquels étaient pourchassés avec la même efficacité macabre non seulement d'autres militants anti-dictature, mais aussi des proches d'Allende et des militants de la gauche chilienne assassinés en Europe, en Argentine, aux USA. (…) Or pour monter de telles opérations et bénéficier d'une impunité quasiment planétaire, il fallait disposer non seulement d'importants moyens matériels et financiers mais aussi d'une étroite coopération entre services secrets. Les preuves de cette organisation de haut niveau vont surgir par hasard en décembre 1992, à la suite de la chute de la dictature Stroessner du Paraguay, une des plus stables du continent puisqu'elle a duré de 1954 à 1989. Près de 600 000 pages d'archives ont ainsi été découvertes dans un commissariat (…)

Cette opération Condor ne représente qu'une partie de l'étendue de la répression qui s'exerçait à l'encontre des militants latino-américains de l'époque. Marie-Monique Robin [2] explique dans un ouvrage paru en 2004 que la torture, la création d'escadrons de la mort, la répression camouflée, les opérations clandestines n'ont pas pour seule origine les Amériques, mais avaient été enseignées, en particulier en Argentine, depuis les années 1960 par des spécialistes français qui avaient acquis leur « expertise » pendant la Guerre d'Algérie [3]. En ce sens, ces collaborations officieuses et de longue date, cautionnées par les pouvoirs politiques, doivent être mises en rapport avec la coopération très officielle qui a pu s'établir par exemple entre le général Pinochet et le président français Valéry Giscard d'Estaing de 1974 à 1981, et qui a eu pour effet notamment de faire remplacer l'ambassadeur de France au Chili, Pierre de Menthon, bien connu pour avoir sauvé des griffes de la dictature, des centaines de militants de l'Unité populaire en leur offrant l'asile de son ambassade. (…)

En fait ce que révèlent aussi bien l'opération Condor que le livre-enquête de Marie-Monique Robin, c'est l'implication directe de certaines des grandes démocraties occidentales dans ces politiques d'élimination physique des opposants aux dictatures. Que ce soit par l'intermédiaire d'une aide directe (avec des conseillers militaires ou policiers), ou par le biais d'un échange de services, ou encore à travers l'offre d'une formation commune, la complicité institutionnelle reste patente et explique très largement le fait que les crimes de ces escadrons de la mort soient restés trop souvent impunis, notamment quand ils étaient commis dans des pays européens ou aux USA. Comment oublier, par-delà le langage diplomatique de circonstance, le ferme soutien d'Henri Kissinger apporté à Pinochet le 8 juin 1976 : « Aux États-Unis, comme vous le savez, nous sommes de tout cœur avec vous (…). Je vous souhaite de réussir » [4] ?

L'affaire de l'arrestation de Pinochet à Londres le 16 octobre 1998, est en ce sens des plus éclairantes. Elle est en tous cas l'illustration, tout autant des nets partis-pris des démocraties occidentales en sa faveur que des difficultés rencontrées au Chili pour obliger le dictateur à rendre des comptes à la justice ; expression même des puissants verrous qui ne cesseront de peser sur la transition démocratique chilienne. (…) De son côté, le gouvernement de Tony Blair, prenant appui sur l'état de santé supposé déficient du dictateur, après cinq cent trois jours de détention et moult péripéties juridiques, le renverra finalement le 2 mars 2000 au Chili… dans un fauteuil roulant. A son arrivée à Santiago, il aura pourtant l'outrecuidance de s'en extraire avec facilité et d'aller saluer ses partisans rassemblés pour célébrer son retour. Et si 2 ans plus tard, le 26 août 2004, la Cour suprême du Chili lèvera quand même son immunité quant à son implication dans l'opération Condor, la justice chilienne le relaxera en juin 2005 (sous le motif que les recours déposés par les familles des victimes étaient irrecevables) ; décision confirmée le 15 septembre 2005 par la Cour suprême. Il continuera pourtant à être poursuivi pour d'autres faits, comme pour l'opération Colombo (dans laquelle il aurait couvert l'exécution de 119 membres du MIR dont les cadavres ont été retrouvés en Argentine et au Brésil en 1975), mais aussi pour fraude fiscale et détournement de fonds. Sa mort le 10 décembre 2006 mettra néanmoins un terme à ces poursuites et permettra à sa famille de conserver le gros des biens qu'il avait frauduleusement acquis pendant ces années de dictature. (…)

Déstructurations socio-économiques et crise du politique

Jusqu'au début des années 90, les habitants des poblaciones chiliennes —le cœur de la lutte contre la dictature– étaient organisés pour leur survie dans maints comités ou associations de luttes et d'entraide qui structuraient la vie collective de ces quartiers, et les militants politiques de gauche aux côtés des prêtres ou religieux proches de la Théologie de la Libération, avaient fait en sorte que la solidarité sociale et politique irrigue la vie quotidienne de ces hauts lieux de lutte et de résistance qu'ont été par exemple La Victoria, Yungay, Lo Hermida, ou encore tant d'autres quartiers populaires de la périphérie de Santiago et des grandes villes chiliennes.

La transition démocratique va cependant rapidement mettre fin à ces dynamiques solidaires. Et cela, non seulement parce que les intérêts des classes populaires vont être sacrifiées sur l'autel de la concorde nationale et que se multiplieront les déceptions vis-à-vis des compromis politiques jalonnant les négociations préparant la transition, mais aussi parce que vont rapidement s'effondrer les collectifs et associations qui quadrillaient et structuraient l'espace social et politique des quartiers populaires. En outre, le fait de voir s'éloigner l'espérance d'un changement radical d'ordre politique va rapidement déboucher sur la recherche de solutions individuelles, avec à la clef le retour de la « débrouille individuelle » mais aussi de la petite violence qui s'exprimera désormais dans les quartiers populaires par le biais de trafics en tout genre et de marchés parallèles ou clandestins ; expression même de ce « néolibéralisme des pauvres » au sein duquel –stimulées par les politiques gouvernementales de développement de micro-entreprises- vont primer sur tout autre genre de relation, des relations de type entrepreneurial. […]

Avec la montée en puissance du néolibéralisme –elle-même combinée à la crise des alternatives socio-politiques anti-systémiques (communiste, social-démocrate et national-populaire) ayant suivi l'implosion des pays socialistes– nous sommes entrés dans une ère radicalement nouvelle. Et ce qui, avec le néolibéralisme, apparaît en premier lieu comme un simple mode de régulation économique (prônant privatisations libéralisation des échanges et dérèglementation des contraintes publiques), véhicule en fait un projet de société très large, et qui plus est aux prétentions totalitaires, dans la mesure où il se présente désormais non seulement comme un projet globalisant (touchant autant au rôle du libre marché qu'à celui de l'État et à la fonction de l'individu en société), mais aussi et surtout comme un projet qui n'a devant lui plus aucun rival susceptible d'entrer sérieusement en concurrence avec lui. C'est ainsi qu'en mode de régulation néolibéral du capitalisme, on va chercher non seulement à faire disparaître les attributs de l'État keynésien, mais encore on s'emploiera à dissoudre le statut de citoyen (d'une société démocratique) dans celui de simple consommateur de biens marchands, tout en ne cessant autoritairement de le responsabiliser sur le seul mode individuel [5]. Le tout, alors que semble disparaître à l'horizon la possibilité de tout autre modèle de société alternatif, et que désormais ce mode de régulation se présente comme l'aboutissement d'une science dite « exacte » ayant mis à jour des lois présentées comme « naturelles », faisant que les principes de l'économie néolibérale ne se discutent plus, qu'ils vont de soi et s'imposent comme des évidences.

Dans le contexte contemporain, le néolibéralisme a donc fini par prendre la forme d'un nouveau fondamentalisme, au fond bien plus dangereux que celui, si classique de l'univers religieux traditionnel. Des « hommes en gris » -complet veston-cravate- prédicateurs et techniciens experts en économie, parcourent la planète pour mettre en œuvre le même type de politique, de l'Amazonie à l'Inde en passant par le Canada, le Congo et l'Amérique latine ou tout autre territoire où des êtres humains ont l'heur de vivre. Ils portent les prestigieux insignes du FMI, de la Banque Mondiale, ou se revendiquent de grands cabinets conseils, et ne se trompent jamais, tout en ne rendant jamais de comptes et en faisant appliquer de mêmes et implacables diktats dont les conséquences funestes ne manqueront pas de se faire sentir pour des millions d'individus. Avec à terme, au-delà des inévitables remontées de inégalités sociales, toujours le même résultat : la mise en place d'un nouveau type d'État qui finit par s'imposer partout et dont justement la constitution de 1980 de Pinochet -rédigé par l'avocat et constitutionnaliste d'extrême droite Jaime Guzman – a tenté d'installer à tout jamais les principes.

De quoi s'agit-il ? D'un État dit « subsidiaire » (c'est-à-dire considéré comme « secondaire ») qui a cependant pour fonction de protéger –en le mettant à l'abri de toute contestation substantielle– le droit de propriété, de commercer et de faire des affaires, tout en cherchant à maintenir une séparation radicale entre le monde de la politique (considéré comme l'affaire d'experts ou de techniciens neutres nécessairement fortement rémunérés [6]) et les aspirations sociales de la société civile d'en bas. Résultats : tout geste citoyen qui va s'apparenter à une remise en cause de ces principes, ne relèvera plus de la contestation légitime mais sera aussitôt associé à de la délinquance et de la subversion, ou encore à une pathologie maladive, tendant ainsi à donner à ce nouvel État néolibéral un tour essentiellement répressif, puisque dans le nouvel État néolibéral, le conflit social n'a plus vraiment de place. Et en contrepartie, s'imposera la figure d'un État gestionnaire qui aura besoin pour fonctionner de professionnels s'exerçant en politique comme pour n'importe quel métier. À ce titre, on apprendra la politique de la même manière que la physique ou la chimie, en n'hésitant pas à confier son sort à des élus professant que l'État est neutre, flottant au-dessus de tous les clivages sociaux existants. Même dans les grands partis de gauche, l'État n'est plus questionnable, sauf à la marge, et plus personne n'imagine, comme par exemple à l'époque des communards parisiens de 1871, qu'il puisse s'éteindre ou pour le moins être transformé de part en part [7]. Tout au plus peut-on en améliorer quelques rouages. Après tout, comment s'aventurerait-on à contester un État qui a su donner l'illusion de sa neutralité vis-à-vis de tout conflit social, tout en ayant réussi à propager l'idée que les règles du jeu économique sont désormais « naturelles » et par conséquent intouchables ?

C'est sans doute ce qui a fondamentalement changé : dans les années 1980, le capitalisme néolibéral chilien était avant tout perçu comme une simple affaire de politique économique. Il faudra attendre des années pour qu'on puisse saisir comment, dans le contexte contemporain, il a pu devenir beaucoup plus que cela : une conception globale et cohérente de l'État, de l'individu et des rapports sociaux se légitimant d'une vision « naturaliste » des lois économiques. Une conception que les partis de la Concertation, co-organisateurs avec les militaires de la transition au Chili, ont eu vite fait cependant d'intérioriser et d'intégrer à toutes leurs interventions politiques.

L'exemple le plus frappant que l'on puisse trouver à cet égard, fait écho à la façon dont la Concertation, lorsqu'elle est arrivée au gouvernement au début des années 90 a réglé le problème de la presse écrite et de la nécessité en régime démocratique qu'elle puisse rester, libre, critique et plurielle. Elle a décidé d'en laisser la régulation au libre-marché capitaliste, provoquant à très court terme la faillite de pratiquement tous les médias critiques qui faute de subventions publiques ont dû disparaître, eux qui pourtant en pleine période dictatoriale avaient pu maintenir à bout de bras –grâce aux luttes, courage et abnégation de nombreux journalistes– les exigences d'un certain pluralisme à travers l'existence de revues ou journaux comme par exemple Analisis, Hoy, Apsi, La Época. [8] (…)

Mais quoiqu'il en soit du parcours singulier de chacun des courants politiques de gauche qui ont participé de près ou de loin à la Concertation, cette dernière n'a cependant jamais manqué de reprendre à son compte le gros des dogmes néolibéraux, se pliant à la vision globale du monde qu'ils impliquaient, transformant profondément le Chili jusqu'à ne le voir plus qu'à travers les yeux d'une société de consommateurs dépolitisés. Et il faudra attendre la deuxième moitié des années 2010 et la relance des mobilisations portées par une jeunesse n'acceptant plus ce discours du renoncement pour que soit questionnée à une échelle de masse la légitimité même du néolibéralisme et que naissent au passage de nouvelles formes de luttes et de préoccupations revendicatives.

Des grandes protestas de 1983-1984 à l'insurrection populaire et citoyenne de 2019

Et c'est là où peut-être, ce sur quoi nous avions tant insisté dans Les mouvements sociaux au Chili (1973-1993), pourrait nous être utile : une sorte de clef interprétative toujours féconde, ou plutôt une méthodologie socio-politique prometteuse susceptible d'aider autant à décrypter le passé qu'à comprendre les temps présents. Car c'est ce qui nous avait frappé à l'époque : comment avait-il été possible que les grandes protestas de 1983-1984, qui avaient littéralement sonné le glas de la dictature chilienne par l'ampleur et la force des mobilisations populaires qu'elles avaient suscitées, n'aient pas pu déboucher en 1989-1990 sur autre chose qu'un gouvernement de la Concertation dirigé par une Démocratie chrétienne qui pourtant avait ouvert sans vergogne la porte aux militaires en 1973 ?

Certes, pour répondre à une telle question, tout le monde évoquera d'emblée les rapports de force politiques en présence, la toute-puissance des forces armées toujours en alerte, ou encore le rôle des USA si prégnant, et bien sûr la répression du corps des carabiniers invariablement cruelle et omniprésente. Et avec raison ! Néanmoins, ce furent des mobilisations populaires massives, au cœur des « poblaciones » chiliennes, qui déclenchèrent les prémisses de ce processus de changement, et qui justement purent bousculer les rapports de force socio-politiques que tout le monde croyait alors institutionnellement inébranlables, installés tout comme à jamais. Et ce fut grâce au courage de ces militants et militantes des quartiers populaires, grâce à leur colère et leur abnégation, à leur sens de l'organisation et de la lutte –et notamment grâce aux près des 500 morts, victimes à ce moment-là de la répression militaire et policière– qu'au Chili a pu s'ouvrir une véritable fenêtre sur la démocratie et à la liberté.

Il y a donc toujours, à travers les décisions politiques qui sont prises et les interventions collectives qui en découlent, d'indéniables marges de manœuvre qui peuvent se dessiner, d'indéniables espaces de liberté qui peuvent s'ouvrir, ce que l'on pourrait appeler « la part non fatale du devenir » et sur lesquels il reste toujours possible d'agir pour les vivants que nous sommes. C'est la raison pour laquelle nous avions à l'époque suivi avec beaucoup d'attention les choix politiques qui avaient été entérinés par les différents courants des forces de gauche du Chili. Qu'il s'agisse par exemple de ceux du Parti communiste, si partagé entre son discret soutien au Frente Patriotico Manuel Rodriguez et ses alliances opportunistes avec la Démocratie chrétienne. Ou encore de ceux du Parti socialiste, divisé en plusieurs courants concurrents et surtout déjà miné par des orientations sociales-libérales chaque fois plus hégémoniques. Ou même de ceux du mouvement syndical chilien en pleine période de recomposition et encore lourdement handicapé par les lois néolibérales pesant sur le travail. Et nous n'avions pas manqué de noter l'influence qu'ils avaient pu avoir, chacun à leur manière sur la suite des événements.

Car même si on ne peut jamais refaire l'histoire, cette dernière se présente pour les humains que nous sommes, toujours sous forme de bifurcation que l'on peut, aux temps présents, choisir de prendre ou ne pas prendre. (…)

Comment aurait-il été possible d'éviter une telle voie de sortie, ou d'en proposer une qui lui soit véritablement alternative ? C'était là, à l'époque la grande question de tous ceux et celles qui persistaient à militer à gauche en gardant au cœur l'héritage émancipateur de l'Unité populaire. Et s'il fallait, du côté des obstacles à prendre en compte, bien sûr jeter dans la balance les faiblesses d'une gauche désarticulée par la répression et qui plus est désorientée par les aléas d'une conjoncture historique difficile, il sautait néanmoins aux yeux qu'existait, au cœur de la société chilienne -expression même de conflits de classes fondamentaux- une vive tension sociale et politique jamais complètement résolue et qui ne cessait de tarauder la société entière. Une tension entre, d'une part la permanence de fortes mobilisations sociales et populaires interpellant les équilibres politiques en vigueur, et d'autre part la capacité des classes possédantes chiliennes à leur trouver –vaille que vaille- une sortie ou traduction institutionnelle conforme à leurs seuls et étroits intérêts. Faisant voir comme jamais ce qui manquait : une authentique et puissante alternative socio-politique provenant des classes populaires et susceptible de se faire pleinement l'écho de leurs intérêts et aspirations du moment. Faute d'avoir pu, ou eu le temps de (?) la bâtir, ce fut la Démocratie chrétienne qui prit politiquement le leadership de la transition, avec non seulement toutes les formidables limitations que nous avons pu noter depuis, mais aussi cette intériorisation en profondeur des valeurs néolibérales dont la société chilienne fait si douloureusement les frais aujourd'hui.

Et si nous nous permettons de revenir ainsi sur le passé, c'est que nous pensons qu'il existe –de par les intrinsèques limitations qu'a connues la transition démocratique chilienne- d'indéniables parentés entre cette période des années 1990 ouverte par les grandes protestas de 1983-1984 et celle que le Chili est en train de vivre aujourd'hui, entrouverte, elle aussi par une rébellion populaire, le 18 octobre 2019.

Les faits les plus marquants de cette dernière sont sans doute encore dans la mémoire de beaucoup, et le slogan répété à satiété « ce n'est pas 30 pesos, mais trente ans » d'abus avec lesquels il faut en finir, nous en rappelle justement le sens profond. À la faveur d'une augmentation de 30 cents du billet de métro décrété par le gouvernement néolibéral du président Piñera et dans le sillage des manifestations lycéennes qui s'en sont suivies, violemment réprimées par les carabiniers, se sont finalement réunis en une seul et même cause politique, tous les mouvements sociaux les plus actifs qui depuis 2006 s'étaient régulièrement, mais séparément, opposés aux politiques néolibérales promues par la Concertation.

Qu'il s'agisse des mouvements étudiant et lycéen (qui s'étaient déjà fait massivement entendre en 2006 et 2011 en exigeant notamment la gratuité scolaire), ou du mouvement féministe (dont les rassemblements à l'occasion du 8 mars ne cessaient de prendre de l'ampleur au fil des ans en dénonçant avec force les inégalités hommes/femmes comme les discriminations frappant la dissidence sexuelle). Qu'il s'agisse aussi des divers mouvements mapuches et autochtones (luttant contre les mesures d'exception héritées de la dictature qui ne cessaient de peser sur eux), ou même du mouvement anti AFP (qui menait une lutte massive contre la privatisation du système de retraites) et du mouvement écologique alors en pleine essor : tous ont à cette occasion –aguerris par leurs difficultés et échecs passés– fait cause commune politique, entraînant dans leur sillage des millions de chiliens exaspérés puis donnant corps à un soulèvement populaire et citoyen inattendu, prenant la forme de manifestations gigantesques et de concerts de casseroles (cacerolazos) à travers le pays entier, accompagnées dans les premiers jours d'incendies de stations du métro (dont on ne connaît toujours pas les protagonistes), de pillages et de destructions de commerces. Ce qui ne manqua de pousser le 23 octobre, le Président Piñera [9] à recourir à la Loi de sécurité intérieure de l'État, puis le 28 octobre après la plus grande manifestation alors enregistrée dans l'histoire du Chili (1,5 millions de personnes à Santiago), à déclarer l'État d'urgence pour 15 jours, décrétant des couvre-feux à Santiago comme dans plusieurs villes du pays et envoyant l'armée dans la rue. Point de départ d'une spirale de violence répressive qui, dès le 23 octobre, avait déjà engendré 18 morts, 269 blessés et plus 1 900 personnes arrêtées.

Comment avait-on pu arriver là ?

En fait cette hausse annoncée du prix du métro fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase, le détonateur révélant l'ampleur des frustrations collectives vécues depuis au moins trois décennies par de larges secteurs de la population chilienne. Car après le départ du général Pinochet en 1990 et la mise en place de la transition démocratique, se sont creusées au Chili de profondes inégalités sociales, contribuant à faire de ce dernier, le pays le plus inégalitaire de l'OCDE [10]. Et il s'est installé un régime –largement cautionné par la Concertation– où, pour le bénéfice des plus riches, les systèmes de santé, d'éducation, de retraites et de gestion de l'eau, ont été complètement ou en grande partie privatisés, objets de profits et d'enrichissement démesurés. Conduisant par exemple l'eau (des fleuves et des rivières) à devenir une ressource qu'on peut vendre, mettre à l'encan et monopoliser pour son seul profit privé ; ou encore, laissant la santé et l'éducation publiques exsangues et créant un système de retraite par capitalisation particulièrement injuste, n'offrant qu'une rente de misère à l'immense majorité des personnes âgées de plus de 65 ans [11]). Le tout garanti –il faut le souligner– par une constitution mise en place en 1980 par le général Pinochet et dont aucun des principes essentiels n'avaient pu être modifiés depuis par les cinq gouvernements de la concertation. Institutionnalisant comme nous l'avons vu précédemment l'existence d'un État dit subsidiaire, et par conséquent autoritaire ainsi qu'un fossé infranchissable entre la classe politique et la société civile ; laissant ainsi la société entière à la merci d'une série de verrous constitutionnels anti-démocratiques particulièrement efficaces, en particulier par le biais d'une mécanique de vote complexe incluant des votes au 2/3 et offrant un droit de veto de facto aux forces conservatrices de droite.

Or c'est justement par l'intermédiaire de cet ensemble de verrous que nombre des demandes sociales des 30 dernières années avaient pu être systématiquement renvoyées aux calendes grecques. D'où le fait que la constitution soit devenue soudainement pour tous et toutes une question politique clef. D'où le fait aussi qu'au milieu d'une contestation sociale grandissante, elle ait donné lieu un mois plus tard, le 15 novembre 2019, à un compromis politique chaudement discuté au sein d'une classe politique par ailleurs grandement délégitimée [12]. D'où le fait qu'enfin un « Accord pour la paix sociale et la nouvelle constitution » ait été entériné et signé derrière des portes closes, entre le gouvernement et les forces politiques de droite et de gauche, ouvrant cependant la voie –non pas à une constituante– mais à une convention constitutionnelle dont l'élection comme les prérogatives étaient soumises à une série de garde fous, permettant à la droite d'imaginer que le processus resterait étroitement encadré, sans risque de remise en cause par trop radicale. (…)

La suite, tout le monde la connaît(…). Non seulement la tenue d'une convention constitutionnelle a été plébiscitée majoritairement le 25 octobre 2020 par les électeurs, mais encore les 155 constituants et constituantes (élues de manière paritaire les 15 et 16 mai 2021) l'ont été à plus de 2\3 sur des positions clairement marquées à gauche [13]. Et, parallèlement à la victoire du candidat de gauche Gabriel Boric à l'élection présidentielle du 11 mars 2022 (après une chaude lutte avec le représentant d'extrême droite Antonio Kast [14]), ces constituants sont parvenus à élaborer une constitution en tous points différente de la précédente : institutionnalisant la parité homme/femme et reconnaissant le droit à l'avortement, formalisant le retour de l'État social (gratuité de la santé et de l'éducation) comme le principe de la pluri-nationalité ou encore de l'autonomie des régions, intégrant au passage non seulement de nettes préoccupations écologiques, mais encore plusieurs notables mécanismes de démocratie participative. Faisant même miroiter les promesses d'une incontestable révolution constitutionnelle ! Tout en somme pour – jusqu'à la nette victoire du « rechazo », le 4 septembre 2022– donner à penser que le peuple chilien était en train de faire un véritable bond en avant, ouvrant même à nouveau et dans la liberté, ainsi que l'avait pronostiqué Salvador Allende, les grandes avenues de l'histoire.

Or justement le parallèle historique que nous avons essayé de tracer entre la période de transition des années 1990 et celle d'aujourd'hui, a précisément cette vertu là : celle de nous aider à être plus lucide et circonspect en la matière. Et partant de mieux comprendre peut-être quelques-unes des limitations de ce processus, et notamment celles touchant au cuisant échec du plébiscite de sortie. Et cela, d'autant plus si l'on garde en mémoire les transformations si pernicieuses que le Chili a connues sous l'emprise du néolibéralisme à partir des années 1990, renforçant d'autant la puissance des forces économiques de droite et avec elles, le vaste consensus idéologique autour duquel s'est enraciné le néolibéralisme.

Des leçons à tirer ?

Il est vrai que de la même manière que les grandes protestas avaient réanimé les dynamiques de la lutte politique au cœur de la dictature des années 80, de la même manière, la rébellion de 2019 a forcé le personnel politique chilien –qu'il soit de gauche ou de droite– à ne plus pouvoir se satisfaire facilement des postulats de l'ordre néolibéral, tels qu'ils avaient été implantés par Pinochet et peu ou prou intériorisés (et naturalisés) par les représentants de la Concertation. […].

En somme, restaient dans les faits inchangée les dynamiques socio-politiques de fond à travers lesquelles la droite économique et financière chilienne disposait non seulement d'un soutien toujours actif de l'armée, mais aussi du contrôle de pans entiers de l'économie, tout comme du monopole d'un domaine névralgique en période électorale, celui du secteur médiatique. Alors qu'en face, la gauche avançait en ordre dispersé, certes stimulée, réveillée par l'élan de la rébellion de 2019 et de ses promesses, mais en même temps, sans véritable boussole ou gouvernail politique, partagée entre son allégeance à une poignée de représentants politiques et gouvernementaux toujours suspectés et peu légitimés, et des mouvements sociaux très dynamiques, mais profondément fragmentés ; les uns et les autres divergeant profondément sur la voie à suivre et les façons de faire. Or quand on s'attaque de plein fouet, comme ont voulu le faire les 155 constituants, à un ordre constitutionnel comme celui de Pinochet, on ne peut que faire resurgir aux yeux de tous et toutes, d'importants enjeux politiques, avec tous les implacables conflits que la droite ne manquera pas raviver à ce propos. […]

On le voit ici –quand on touche à l'ordre néolibéral– les défis qui se présentent sont immenses, et la voie pour les relever particulièrement étroite. Car, ce à quoi s'est attaqué la rébellion d'octobre 2019, c'est en fait à un système global, renvoyant non seulement à un mode de gestion de l'économie capitaliste, mais aussi de manière plus large à une conception autoritaire de l'État et des liens sociaux qu'on prétend dorénavant tisser entre individus (à la responsabilité individuelle surdimensionnée), tendant à écarter a priori toute remise en cause du système pris dans son ensemble ainsi qu'à réduire à peau de chagrin les espaces démocratiques existants. C'est d'ailleurs ce qui explique cette impression que beaucoup ont eue au soir du 4 septembre 2022 : l'impression d'un pays profondément divisé, coupé en deux, partagé entre les aspirations d'une gauche stimulée par sa jeunesse à se remettre en mouvement, et les volontés revanchardes d'une droite plus puissante que jamais et prête à tous les mensonges pour défendre ses privilèges. C'est aussi ce qui explique –au fil des dérèglements imposés par les diktats du libre marché– le surgissement au Chili d'une série de nouveaux problème aigus qui restent particulièrement préoccupants : depuis l'implantation de puissants groupes mafieux dans le sud du Chili compliquant toute la question des autonomies à accorder au peuple mapuche, jusqu'à la fuite en avant incontrôlée dans l'extractivisme minier se heurtant pourtant aux conséquences dramatiques du stress hydrique produit par les changements climatiques, en passant par les difficultés de gérer sur le mode de l'hospitalité démocratique des flux migratoires stimulés par le tout au marché et la « continentalisation » néolibérale de l'économie latino-américaine.

Certes, la convergence démocratique –cet ensemble de forces plurielles de gauche à travers lequel Gabriel Boric, est arrivé au gouvernement à la faveur des élections présidentielles– ne peut pas être comparée stricto sensu à la Concertation des années 1990. Plus marquée à gauche, plus sensible aux exigences démocratiques tout comme aux oppressions plurielles (de genre, de races, de classes, etc.) dont le souci traverse désormais toute la gauche chilienne ; plus attentive aussi, dans la vie privée aux dimensions existentielles que ces oppressions impliquent au quotidien, elle n'en reste pas moins, profondément marquée par une approche social-démocrate classique, avec tout ce que cela peut impliquer de prudences, ou de concessions et d'orientations politiques clairement réformistes, en particulier en termes de modèle économique [15].Et en cela, elle n'aura pas grand mal à se rallier à cette stratégie d'institutionnalisation des conflits, d'apaisement de ces tensions sociales de fond dont nous avons parlé précédemment. Stratégie d'institutionnalisation dont l'accord du 15 novembre 2019 –vaille que vaille entérinée au fil du temps par tous et toutes– pourrait être l'exemple par excellence ; et dont le rejet du projet de constitution (proposé par les 155 constituants), lors du plébiscite de sortie du 4 septembre 2022, pourrait bien accélérer la mise en œuvre définitive. Et même si la plupart des membres du premier gouvernement de Gabriel Boric provenaient des luttes étudiantes des années 2011 et offraient à tous une image de jeunesse et d'énergie stimulante et en prime d'indéniables volontés de changement, il n'en demeure pas moins qu'après la défaite du 4 septembre, en se défaisant de certaines de ses figures les plus marquantes et en les remplaçant par des éléments beaucoup plus modérés, l'actuel président du Chili risque bien d'avaliser –que ce soit à son corps défendant ou non– une telle voie.

Et cela d'autant plus qu'à l'inverse, les mouvements sociaux en lutte depuis lors ainsi que les forces radicales de gauche qui y sont associées (anarchistes de diverses obédiences, ex-miristes, militants mapuches autonomistes, militantes féministes de différents courants, etc.), s'ils ont joué un rôle central dans la dénonciation du néolibéralisme ou de la répression menée sans discrimination par le corps des carabiniers (et de l'impunité qu'elle appelait), s'ils ont été le moteur des changements en cours, ne disposent pas de leur côté d'une stratégie politique alternative et globale pouvant pallier aux insuffisances et ambiguïtés des perspectives institutionnelles mises de l'avant par les partis actuellement au gouvernement. (…)

C'est là, aux delà des indéniables avancées et victoires acquises (on peut penser à ce propos au formidable appel d'air vivifiant et contestataire qu'a représenté pour le Chili le mouvement féministe) un des points aveugles de cette rébellion populaire et des forces sociales et politiques qui l'ont animée. Car aucune des percées qui y ont été faites, ne pourront s'élargir et perdurer dans le temps si on ne s'attaque aussi et en même temps au système qui ne cesse d'en refaçonner toutes les dimensions : le capitalisme néolibéral. Et si ainsi, les mouvements sociaux depuis leurs préoccupations sociales particulières et les luttes spécifiques qu'ils mènent, peuvent pointer du doigt avec beaucoup de force, sinon les trahisons du moins les possibles complicités des membres de la classe politique participant à la perpétuation d'un système marqué au coin par l'héritage dictatorial, ils se trouvent néanmoins –il faut ici le souligner– incapables de leur côté de proposer en échange un projet politique alternatif qui pèserait dans la balance.

Or de la même manière qu'il a manqué aux grandes protestas des classes populaires des années 1980 un débouché politique qui soit véritablement en syntonie avec les aspirations les plus profondes de ces dernières, de la même manière il n'existe pas à l'heure actuelle au Chili un projet politique de gauche dans lequel pourrait se reconnaître l'ensemble des classes populaires et de leurs forces vives ; un projet qui autour d'une lutte intransigeante au capitalisme néolibéral et à ses effets délétères, serait capable non seulement d'en finir avec la coupure classe politique/mouvements sociaux, mais aussi de rassembler et de coordonner, au sein d'une même stratégie d'intervention pensée sur le moyen et le long terme, la mosaïque des aspirations si diversifiées dont il serait l'écho : sociales, féministes, écologistes, antiracistes, décoloniales, etc. C'est dans ce contexte qu'on peut saisir la portée du « rechazo « du 4 septembre 2022. Car si, au Chili des premiers mois de la présidence de Gabriel Boric, rien ne paraît définitivement jouer tant l'élan du 18 octobre 2019 est encore vivace, il reste que cet échec référendaire renforce d'autant la possibilité d'une autre phase de récupération institutionnelle, permettant aux classes possédantes –comme elles l'ont fait tant de fois dans l'histoire– de sauver la mise en bloquant toute transformation substantielle du modèle capitaliste et néolibéral.

Sans doute à l'heure où nous écrivons ces lignes et où partout en Amérique latine ne cessent de se confronter durement et au fil de milles retournements, forces de droite et forces de gauche, il serait bien présomptueux de prétendre prévoir ce qui se passera au Chili dans les prochains mois. Tout quelque part reste encore possible : autant une chaotique récupération institutionnelle en tous points conforme aux intérêts des classes dominantes, que le retour en force – sous le coup d'un nouveau cycle de mobilisations d'une nouvelle « constituante populaire élue », ainsi d'ailleurs que les manifestants le demandaient dans la rue, le 11 septembre 2022. Peut-être ainsi voit-on mieux se dessiner en contre-point une autre histoire (celle-là, avec un grand H !) qu'il resterait à faire advenir : celle des classes populaires et de tous les oubliés et sans-voix qu'elles comportent en leur sein et dont les luttes d'aujourd'hui, féministes, écologistes, antiracistes, syndicales, décoloniales, pour les droits humains, en sont l'indéniable écho. Des luttes en lien direct avec celles de ces générations de militants et militantes de l'époque de l'Unité populaire de Salvador Allende qui cherchaient dans l'égalité à se faire entendre, en devenant enfin les véritables protagonistes de leur histoire.

À la manière de Walter Benjamin, c'est peut-être ce sur quoi nous pourrions ici conclure. Car tel est l'utilité intrinsèque d'un retour au passé comme nous avons tenté de le mener : montrer ce qui, envers et contre tout, n'a pas été réglé en termes d'égalité, de justice et d'impunité, ce sur quoi continue à bégayer l'histoire, les mille et une contradictions qui continuent à la hanter et contre lesquelles les générations d'autrefois n'ont jamais manqué de se dresser. Et n'est-ce pas elles qui aujourd'hui, depuis les profondeurs du passé s'adressent à nous, les vivants des temps présents, pour que nous en changions définitivement le cours ?

Notes

[1] Homme de lettre et philosophe proche de l'école de Francfort décédé en 1940. Il est notamment connu pour ses Thèses sur le concept d'histoire dans lesquelles il élabore une nouvelle conception de l'histoire, d'une grande actualité, s'en prenant aux conceptions historicistes par trop optimistes de son temps qui présentaient l'histoire comme synonyme d'un inéluctable progrès.

[2] Voir Escadrons de la mort, l'école française, Paris, La Découverte, 2004. Elle a aussi réalisé un documentaire (portant le même titre) qui, projeté en Argentine, a fait l'effet d'une bombe et permis la poursuite de généraux devant les tribunaux.

[3] Il faut dire que la France a tenu un rôle central dans l'élaboration de l'idée de « guerre contre-révolutionnaire », théorisée par les officiers français David Galula, Roger Trinquier et Charles Lacheroy dans les années 1950 et 1960, sous la forme d'une lutte anti-communiste prenant la dimension d'une guerre politique menée à l'échelle internationale. Elle a été améliorée et expérimentée lors des guerres coloniales menées par l'armée française, et le niveau d'expertise en la matière était tel que les méthodes utilisées en Algérie ont été enseignées à Fort Bragg (aux USA) et au Centre d'instruction de la guerre dans la jungle amazonienne près de Manaus (Brésil) aussi bien pour aider à lutter contre « le communisme » au Viêt-Nam que contre la « subversion » en Amérique latine.

[4] Dires textuels que l'on retrouve dans un document déclassifié cité par El Pais du 28 février 1998 et repris dans le Monde diplomatique de mai 2001 (voir l'article de Pierre Abramovici : Opération Condor, cauchemar de l'Amérique latine).

[5] Nous reprenons ici à notre compte, en les combinant aux effets de la crise des grands systèmes socio-politiques anti-systémiques, certains éléments des thèses de Dardot et Laval, (La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale, 2009) (insistant sur l'existence de nouvelles formes de gouvernementalité centrées autour du personnage de l'individu entrepreneur), tout comme de Grégoire Chamayou (La société ingouvernable, une généalogie du libéralisme autoritaire, 2018) touchant à ce qu'il appelle le libéralisme éthique.

[6] Les salaires des députés chiliens sont parmi les plus élevés d'Amérique latine : l'équivalent de 9,349,851 pesos chiliens brut par mois, et cela sans compter toutes les dépenses encourues par leurs activités qu'ils peuvent se faire rembourser. Voir : https://www.latercera.com/politica/noticia/cuanto-ganan-los-parlamentarios-chile-2/876423/). Ils participent à ce sentiment largement partagé par les Chiliens qu'ils font partie d'une élite totalement déconnectée des préoccupations du Chilien moyen.

[7] Voir à ce propos dans, Karl Marx et Friedrich Engels, Sur la commune de Paris, textes et controverses, (précédé de Événement et stratégie révolutionnaire par Stathis Kouvélakis), le texte de Fredrich Engels, Introduction à l'édition allemande de 1891 de la guerre civile en France (P. 227, 228). : « La Commune dut reconnaître d'emblée que la classe ouvrière, une fois au pouvoir, ne pouvait continuer à se servir de l'ancien appareil d'État ; pour ne pas perdre à nouveau la domination qu'elle venait à peine de conquérir, cette classe ouvrière devait, d'une part, éliminer le vieil appareil d'oppression jusqu'alors employé contre elle-même, mais, d'autre part, prendre des assurances contre ses propres mandataires et fonctionnaires en les proclamant, en tout temps et sans exception, révocables (…) Pour éviter cette transformation, inévitable dans tous les régimes antérieurs, de l'État et des organes de l'État, à l'origine serviteurs de la société, en maîtres de celle-ci, la Commune employa deux moyens infaillibles. Premièrement, elle soumit toutes les places de l'administration, de la justice et de l'enseignement au choix des intéressés par élection au suffrage universel, et, bien entendu, à la révocation à tout moment par ces mêmes intéressés. Et, deuxièmement, elle ne rétribua tous les services, des plus bas aux plus élevés, que par le salaire que recevaient les autres ouvriers. Le plus haut traitement qu'elle payât était de 6 000 francs. Ainsi on mettait le holà à la chasse aux places et à l'arrivisme, sans parler de la décision supplémentaire d'imposer des mandats impératifs aux délégués aux corps représentatifs. Engels fait remarquer aussi, et nous l'observons aujourd'hui au sein des partis de gauche, que « la superstition de l'État est passée (…) dans la conscience commune de la bourgeoisie et même dans celle de beaucoup d'ouvriers. (…) Et l'on croit déjà avoir fait un pas d'une hardiesse prodigieuse, quand on s'est affranchi de la foi en la monarchie héréditaire et qu'on jure par la république démocratique. Mais, en réalité, l'État n'est rien d'autre qu'un appareil pour opprimer une classe par un autre, et cela, tout autant dans la république démocratique que dans la monarchie ».

[8] Voir à ce propos dans Le Chili actuel, gouverner et résister dans une société néolibérale (coord. Franck Gaudichaud et al), Paris, L'Harmattan, 2016, les commentaires de Jorge Magasich Airola (p. 252) : « (…) En effet durant les premiers gouvernements de la concertation, presque toute la presse écrite non complaisante a disparu faute d'aide publique ; les gouvernements de la concertation ayant même refusé l'aide au travers d'une juste répartition des annonces publicitaires. Ces mêmes gouvernements, avec l'appui unanime de la droite, ont versé des millions à des équipes d'avocats pour empêcher que Victor Pey, propriétaire du journal El Clarin en 1973, ne reçoive une indemnisation qui lui aurait permis, comme il le souhaitait, de rééditer un journal pluraliste et progressiste ».

[9] « Nous sommes en guerre contre un ennemi implacable », déclarera-t-il à cette occasion, en signalant que l'objectif de l'État d'urgence est de « récupérer la normalité institutionnelle »

[10] D'après les chiffres de la Commission économique pour l'Amérique latine de l'ONU (CEPAL) (cités aussi dans le rapport de Rapport de la mission québécoise et canadienne d'observation des droits humains), en 2017 les 50% des ménages les plus pauvres ont accédé à 2,1% de la richesse nette du pays, tandis que le 1% le plus riche en détenait les 26, 5%. Ce qui signifie qu'en moyenne les 50% les plus pauvres (un foyer sur deux !) sont 631 fois moins riches que les 1% les plus privilégiés. De quoi donner le vertige sur l'ampleur des inégalités. (…).

[11] Il est à noter que les régimes de pension des forces armées et des carabiniers disposent de revenus spécifiques beaucoup plus avantageux.

[12] Les sondages effectués fin 2019/début 2020 confirment cette donnée qui si elle touche en premier lieu le Président (seulement 6% d'appui) n'épargne pas pour autant complètement les représentants de la gauche (C. Vallejos (Parti communiste du Chili, 13% d'appui) ; G. Boric (Frente Amplio, 19% d'appui). Voir La Tercera du 17 janvier 2020.

[13] Il s'agit de 78 hommes et 77 femmes, avec 17 sièges réservés pour les peuples autochtones (7 pour le peuple mapuche, 2 pour le peuple Aymara et un pour chacun des autres peuples originaires.

[14] Au deuxième tour des élections présidentielles organisé le 19 décembre 2021, il est élu avec 55,8% des voix, contre le candidat d'extrême droite Antonio Kast qui au premier tout l'avait emporté avec 27,9% des voix (contre 25,8% pour Gabriel Boric).

[15] On en trouve la confirmation avec la nomination par Gabriel Boric de Mario Marcel Cullell en tant que ministre des Finances, alors qu'il a été ancien directeur du Budget sous Frei et Lagos, puis président de la Banque centrale du Chili nommé par Bachelet mais surtout reconduit par Piñera (qui en avait approuvé la gestion précédente).

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Capitalisme et Narcotrafic en Équateur

13 février 2024, par Andrés Madrid Tamayo, Andrés Tapia — , ,
La prolifération du trafic de drogue en Équateur est une manifestation agressive de la dégradation du capitalisme néolibéral dont l'élite équatorienne elle-même est la (…)

La prolifération du trafic de drogue en Équateur est une manifestation agressive de la dégradation du capitalisme néolibéral dont l'élite équatorienne elle-même est la principale responsable. Mais, sans surprise, la « guerre contre la drogue » cache un ensemble de mesures régressives contre les secteurs populaires.

Tiré de Inprecor 717 - février 2024
9 février 2024

Par Andrés Madrid Tamayo, Andrés Tapia

Des militaires fouillent des vendeurs de rue à Quito (Photo : AFP).

L'Équateur connaît une vague de violence liée au crime organisé qui fait la une de tous les journaux. Cependant, ces événements ne peuvent être compris sans aborder les problèmes structurels. La situation équatorienne de ces dernières années est complexe : l'augmentation de la pauvreté, les nouvelles routes mondiales de la drogue et l'émergence d'une narco-bourgeoisie locale avancent dans le contexte d'une crise mondiale du capitalisme dans sa version néolibérale, entraînant la décomposition et la rupture du pacte social entre les classes, les peuples et les blocs hégémoniques.

Dans ce scénario, le gouvernement de droite de Daniel Noboa a décidé de « faire face » à la vague de délinquance liée au trafic de drogue qui submerge l'Equateur en déclarant un état de « conflit armé interne ». En d'autres termes, une guerre contre les pauvres, financée de force par le peuple lui-même, soutenue par la classe moyenne et certains secteurs subalternes piégés par le discours punitif du gouvernement. Le principe qui guide les actions du gouvernement semble être que « la violence se résout par plus de violence », ce qui témoigne de la volonté de l'élite de discipliner la société par la mort.

L'expérience mondiale de plus de 40 ans de guerre contre la drogue s'est révélée être un échec retentissant : l'industrie des psychotropes s'est développée, tout comme la population de consommateurs, le blanchiment d'argent et la fragmentation sociale. La Colombie, le Mexique et le Pérou sont des exemples notables du naufrage de cette stratégie menée par le premier consommateur mondial de cocaïne de l'époque, les États-Unis (selon un rapport de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime datant de 2023, les États-Unis se classent désormais au troisième rang, derrière l'Australie et le Royaume-Uni).

Mais le véritable contexte de la déclaration belliciste annoncée par l'exécutif n'a pas pour origine la narco-économie débordante de l'Équateur ou la « prise de contrôle inattendue » – et mondialement médiatisée – de la chaîne TC Televisión. L'analyse de la procédure opérationnelle et l'assassinat ultérieur du procureur César Suarez, chargé d'enquêter sur « l'attaque armée » de la chaîne TC Televisión, permettent de conclure qu'il s'agit d'une opération montée ou au moins tolérée par l'appareil de sécurité dans le but de responsabiliser le « terrorisme » et de justifier la déclaration d'un conflit armé interne.

Les élites économiques, notamment sous les administrations de Correa, Moreno et Lasso, ont peu à peu – surtout après les rébellions plurinationales d'octobre 2019 et de juin 2022 – mitonné un complot visant à anéantir le seul acteur de l'opposition de gauche doté d'une réelle capacité de mobilisation sociale : le Mouvement indigène équatorien (Movimiento Indígena Ecuatoriano).

Cocaïne, géopolitique et spectacle

Au-delà du spectacle de la violence qui affecte depuis longtemps la situation équatorienne, le cœur du problème est que la cocaïne continue de circuler dans les principaux ports. Pourquoi ? La réponse est simple (et dans une certaine mesure évidente) : les élites économiques exportatrices continuent d'en tirer profit et l'argent continue d'être blanchi. Le problème n'est pas seulement "Fito" - l'un des plus importants trafiquants de drogue locaux - mais aussi la participation de la bourgeoisie en tant que classe au commerce de la drogue depuis plusieurs décennies.

Pour s'en convaincre, il suffit de lire les enquêtes de presse qui mettent en évidence les flottes d'exportation de la famille du président Noboa, par lesquelles des bananes et de la cocaïne sont expédiées vers l'Europe. Comment blanchir des milliards de dollars si ce n'est par le biais du système financier et de l'économie réelle (immobilier, agro-industrie, mines, commerce) ? En bref, les factions vivant à Samborondón ou Cumbayá (les quartiers chics de Guayaquil et Quito) deviennent de plus en plus puissantes, en collusion avec les gangs locaux et les cartels transnationaux tels que le Sinaloa, le Cartel de Jalisco - Nouvelle Génération et les "Albanais", entre autres.

En déclarant le "conflit armé interne", le gouvernement Noboa a éludé le problème central : l'économie bourgeoise de la drogue. Sans s'attaquer à la racine du problème, cette déclaration grandiloquente se traduit, dans la pratique, par une guerre contre les pauvres, et non contre le trafic de drogue. Personne en Équateur n'a jamais vu un seul membre de la bourgeoisie trafiquante des quartiers riches arrêté ou maltraité. En revanche, la militarisation et l'humiliation des secteurs populaires sont monnaie courante.

Dans cette tragédie, les jeunes pauvres et racisés – en grand nombre Afro-Équatoriens - des bidonvilles des villes où les écarts entre riches et pauvres sont grotesques (comme Guayaquil, Durán, Portoviejo, Santo Domingo, Esmeraldas, Machala, Quevedo ou Babahoyo, entre autres) ont été les principales victimes. La vulgaire dichotomie entre "méchants" et "bons" est exacerbée à chaque instant : les premiers, les "terroristes", sont les pauvres, les noirs, les cholos [originaires], les montubios [métis], les délinquants, les travailleurs précaires, les jeunes hommes, les femmes objectivées et le peuple organisé en général ; en bref, la subalternité. Les seconds, le pouvoir réellement existant, qui profite de l'idée d'"unité nationale" équatorienne pour couvrir ses intérêts.

Pour les ceux d'en bas, il n'y a que l'humiliation publique, les mauvais traitements, les coups, la torture, les vexations et la mort (cette dernière étant souvent exprimée par l'euphémisme macabre de "dar de baja [canceler]"), le tout méticuleusement transmis par les corporations médiatiques. En revanche, le pouvoir en place s'attaque violemment à une partie de la chaîne économique du trafic de drogue, celle qui opère dans les secteurs pauvres, et rend invisible l'autre partie de la narco-économie - la principale - qui agit comme une bourgeoisie lumpenisée et dirige la majeure partie du marché de la drogue.

Cette opération assimile les pauvres à des "criminels" ou à des "terroristes" et, ce faisant, cherche à dynamiter le concept de droits de l'homme dans l'opinion publique. Elle néglige intentionnellement le fait que les secteurs populaires sont les victimes de la violence de la drogue - et non sa cause - et que les gens sont pris entre les feux de la narco-bourgeoisie, qui monte les gangs les uns contre les autres et contre le gouvernement (où les gangs sont également présents, comme le prouve la dénonciation de l'ambassadeur américain en Équateur, Michael Fitzpatrick, qui a déclaré il y a quelques années sur CNN qu'il était très préoccupé "par la pénétration du trafic de drogue en Équateur et dans les forces de la loi et de l'ordre").

Ce scénario témoigne d'un double triomphe du pouvoir réellement en place. D'une part, il a réussi à discipliner la société par la peur et le récit officiel unipolaire de la situation du pays. L'État se légitime en tant qu'acteur politique et justifie le train de réformes antipopulaires en normalisant le recours à la violence contre le soi-disant "terrorisme" au sein de la population et en trouvant un écho parmi les secteurs subalternes effrayés. Toute autre position en dehors de ce schéma est considérée comme un soutien au trafic de drogue, ce que facilite la mise en œuvre du paquet de mesures néolibérales parce qu'il ne trouve pas d'opposition dans la société terrorisée (et, s'il en trouve une, il l'élimine par la violence de la guerre).

D'autre part, l'exportation de technologies militaires permet de viabiliser la présence militaire des États-Unis et du sionisme israélien dans le pays. Cet objectif, justifié à partir des explosions sociales de 2019 et 2022, vise à donner un aspect anticommuniste à la stratégie de stabilisation du gouvernement. Il permet de comprendre les coulisses de l'opération : l'enjeu géopolitique et stratégique sous-jacent est l'intérêt des Etats-Unis, en conflit avec l'axe Pékin-Moscou, Téhéran, de gagner des positions dans l'hémisphère sud.

D'autres aspects jouent également un rôle dans la configuration la plus récente de la carte chaotique du trafic de drogue en Équateur. En premier lieu, la "paix" en Colombie, qui a déstabilisé la frontière nord en affaiblissant considérablement l'une des références idéologiques du conflit (les anciennes FARC-EP, aujourd'hui des dissidents atomisés et affaiblis), ce qui a conduit à l'émergence de multiples gangs narco-paramilitaires. Deuxièmement, l'assassinat de "Rasquiña" (chef de Los Choneros) en décembre 2020 a fragmenté la carte des gangs en de multiples groupes (Tiguerones, Chonekillers, Los Fatales, Águilas, etc.), ouvrant une dispute de territoire contre des groupes d'autres origines (tels que Los Lobos).

L'arrivée des cartels mexicains pour étendre le marché de l'exportation de cocaïne vers l'Europe - étant donné qu'il est plus commode de la transporter depuis l'Équateur dollarisé que depuis le Pérou ou la Colombie - est un troisième facteur. L'émergence du marché des drogues de synthèse, comme le fentanyl, a remodelé la géographie de la drogue, devenant l'un des éléments déclencheurs de l'escalade de la violence en Équateur. Comme l'affirme le gouvernement colombien, l'augmentation de la consommation de cette drogue aux États-Unis a réduit la demande de cocaïne, renforçant ainsi d'autres marchés de la coca en Europe, en Asie et en Océanie.

A l'itinéraire traditionnel de la côte pacifique s'est ajouté l'itinéraire du bassin amazonien vers l'Atlantique et le Pacifique Sud. Cela a entraîné un changement important de l'épicentre de la production de cocaïne : historiquement situé sur la côte pacifique colombienne, il s'est déplacé vers la marge nord-est de l'Équateur (province de Sucumbíos), une région qui est actuellement le principal centre de production de cocaïne dans le monde. A cette occasion, le savoir-faire du trafic de drogue, la pédagogie de la terreur et la formation à la violence professionnelle, comme les écoles de tueurs à gages de la mafia albanaise, ont également fait leur entrée en Équateur.

Un dernier facteur à prendre en compte est bien sûr la pauvreté et le désespoir qui touche particulièrement les quartiers de la côte équatorienne. Là, la brutalité des inégalités du capitalisme pousse les jeunes à s'enrôler dans les gangs de la drogue. Face à l'absence quasi-totale d'opportunités dans la légalité, les gangs apparaissent comme la seule option viable, car ils leur offrent au moins un salaire minimum et une certaine espérance de vie (même si elle est éphémère, c'est mieux que rien).

Narco-bourgeoisie

Comme dans tout autre domaine de l'économie capitaliste, les groupes économiques investissent dans certaines branches de production et dans des marchés rentables (qu'ils soient licites ou immoraux), diversifiant les rendements et, dans ce cas, blanchissant des milliards de dollars provenant d'activités criminelles. Le trafic de stupéfiants a pénétré l'économie d'un pays dollarisé, une situation qui se reflète dans le secteur minier.

Les données sur la présence intensive de l'exploitation minière dans les zones subtropicales du sud du pays montrent le niveau de pénétration de l'un des gangs locaux (Los Lobos) allié à un cartel transnational, le Cartel Jalisco - Nouvelle Génération (Cartel Jalisco Nueva Generación). Ils contrôlent directement 20 concessions minières, tandis que dans 30 autres, ils exercent leur pouvoir en facturant des "vacunas" (extorsion en échange de la "sécurité" dans les zones où opèrent les concessionnaires). Rien que dans cette partie du pays, Los Lobos sont liés à au moins 40 mafias minières locales, ce qui représente 3,6 millions de dollars par mois. De leur côté, les Choneros blanchissent leurs ressources par le biais de la gestion immobilière et des travaux publics, et la mafia albanaise par le biais du système financier national (coopératives et banques).

Comme dans d'autres pays de la région, tels que le Mexique, la déclaration de « guerre contre le trafic de drogue » par les gouvernements implique de favoriser dans ce conflit un des cartels de la drogue. En d'autres termes, il s'agit d'une alliance de « pacification » qui emploie l'acteur – ou les acteurs – dominant de la drogue dans le but d'encadrer ou d'éliminer les autres cartels, dont les relations avec le pouvoir en place sont de moindre importance.

En d'autres termes, les conflits liés au trafic de drogue présentent les caractéristiques des luttes interbourgeoises locales, régionales et mondiales. Il s'agit d'un conflit entre des entreprises pharmaceutiques et des hommes d'affaires qui entretiennent des relations plus ou moins étroites avec le gouvernement et l'État. À titre d'illustration, il convient de noter que Genaro García Luna, secrétaire à la sécurité et idéologue de la guerre contre la drogue sous le gouvernement de Felipe Calderón au Mexique, travaillait directement pour le cartel de Sinaloa. Cette stratégie a fonctionné comme un modèle d'affaire, sinon comme une forme de continuité de la politique de contre-insurrection qui, appliquée au cas équatorien, se traduirait par une radicalisation du principe gouvernemental de criminalisation de la lutte sociale.

Pourquoi la persécution des Choneros et de la mafia albanaise n'est-elle pas aussi intense que celle des Lobos et des Tigüerones ? Les gouvernements ont-ils été permissifs à l'égard des bandes de trafiquants de drogue ? Ces questions ne sont pas seulement des questions fondamentales, mais des hypothèses vérifiables. Voir, par exemple, l'assassinat de Rubén Chérrez, un ami proche de Danilo Carrera - beau-frère de Guillermo Lasso - lié au trafic de drogue, à la corruption et au trafic d'influence, et acteur clé dans le procès en destitution de l'ancien président.

La mise en scène de massacres dans les prisons en 2021, 2022 et 2023, l'infiltration par les narcos du Service national de prise en charge intégrale des adultes privés de liberté et des adolescents délinquants (SNAI), dans les ports, les douanes et les frontières, bref, la politisation du narcotrafic, font partie de la stratégie de démobilisation. L'argument, avancé tant par Moreno que par Lasso, selon lequel les grèves de 2019 et 2022 ont été financées par des groupes liés au trafic de drogue est un signe clair en ce sens.

L'entrée du secteur de la drogue dans la politique équatorienne est un phénomène qui remonte au moins aux cinq derniers gouvernements (certains témoignages suggèrent que l'entrée possible du cartel de Sinaloa s'est produite sous l'administration de Lucio Gutiérrez). La lumpenisation qui en découle est principalement associée à la dégradation du capitalisme néolibéral qui, aggravée ces dernières années, a conduit à un démantèlement systématique de l'État, à des coupes budgétaires et à la perte des droits acquis.

En l'absence d'un projet de classe commun, les élites dominantes se sont enfermées dans des conflits qui ont lacéré le tissu de la sécurité publique. En conséquence, la pauvreté s'est accrue. Tout cela a créé un terrain propice à la croissance des phénomènes associés à l'économie du trafic de drogue. Sur la base de la capacité d'adaptation du capital (Marx) ou du besoin du capitalisme de codifier des flux déterritorialisés (Deleuze), l'activité du trafic de drogue s'est progressivement articulée avec les besoins du capitalisme équatorien du point de vue de l'accumulation économique, de la domination de l'État et de la construction du consentement de la population à l'égard de la stratégie répressive élargie.

Dans ce maelström, le gouvernement a saisi l'opportunité de se légitimer en vue de sa réélection en 2025, que ce soit par la victimisation (« la violence des narcos est un héritage des gouvernements précédents »), par la réalisation d'attentats aux revendications biaisées (comme la simulacre de i) ou par l'approfondissement de la violence (utilisation de groupes rivaux, terrorisme comme ressource politique, etc.) L'idée s'est installée dans la société équatorienne que le problème est l'absence de l'État et qu'il doit être résolu par la construction d'un appareil centré sur la militarisation interne et la répression. Cela anticipe quelques scénarios possibles pour l'action du gouvernement dans les mois à venir :

1) Promouvoir des réformes du Code pénal intégral pour durcir les peines pour terrorisme, intensifier la répression à la Bukele [le dictateur salvadorien] et légitimer l'état d'urgence, dispositifs qui, le moment venu, ne feront pas de distinction entre un combattant social et un lumpen.

2) Impulser à partir de l'Assemblée et l'Exécutif des trains de réformes et d'actions antipopulaires : déréglementation du travail, augmentation de la TVA, accord de libre-échange avec la Chine, élimination des subventions, etc.

3) Légitimer les accords conclus par le gouvernement de Guillermo Lasso pour permettre la présence de personnel militaire et de contractants américains en Équateur, dans le cadre du « Plan Équateur » – la version locale du Plan Colombie – un pas de plus dans le projet de militarisation de la société et de perte de souveraineté.

4) Donner libre cours à l'exploitation minière à grande échelle, à la répression et à la libéralisation de l'économie en tant que mécanismes de génération de profits pour les bourgeoisies locales, sur la base des besoins du capitalisme des pays centraux.

Réponses possibles de la base

Dans ce contexte, il est naturel que le scénario équatorien pose des problèmes complexes aux organisations populaires. Mais dans ce panorama, il y a des éléments fondamentaux qui doivent guider nos actions. Le premier, bien sûr, est que l'escalade du trafic de drogue ne vient pas des secteurs populaires. Les responsables sont bien ancrés dans la bourgeoisie de la drogue.

La lacune de la gauche, qui n'a pas saisi à temps cette situation, réside dans le fait qu'elle n'a pas rassemblé les secteurs pauvres les plus susceptibles d'être recrutés par les gangs dans une proposition organisationnelle capable de proposer une alternative aux transformations de l'économie capitaliste (qui incluent le trafic de drogue). La seconde, malgré ce qui précède, tourne autour de la nécessité de continuer à insister sur les processus d'unité par le bas afin d'accumuler des forces et de faire face à un projet global d'offensive par le haut. Le récit de "l'unité nationale" promu par le gouvernement est un emballage puant, et les secteurs populaires doivent prendre leurs distances avec ce discours.

La politique populaire – et c'est le troisième élément directeur – doit se présenter comme la véritable opposition à l'entreprise du trafic de drogue, une entreprise construite par des groupes économiques en articulation avec les cartels internationaux et les gangs criminels locaux et qui a la bénédiction du gouvernement en place. La stratégie de dérégulation du travail et les réformes antipopulaires que le gouvernement Noboa entend imposer sous le prétexte de « financer la guerre » doivent rencontrer l'opposition la plus farouche. Ceux qui ont provoqué (et profité) du débordement de la narco sont les riches : ce sont eux qui sont à blâmer et qui doivent en assumer les conséquences.

Nous devons exiger un changement de stratégie de l'État en matière de lutte contre la drogue. Premièrement, en dénonçant les pratiques racistes et la criminalisation de la pauvreté qui humilient les secteurs populaires et tentent de cacher les conditions de misère dans lesquelles vit la majorité du peuple équatorien. D'autre part, en dénonçant la concentration de dispositifs coercitifs qui ne font qu'encourager la corruption dans les institutions publiques et privées, rendent invisibles les conditions sociales précaires de la majorité de la population concernée et augmentent la violence non résolue.

La défense des territoires des nationalités et des peuples, et de toute terre où il existe un tissu social organisé à travers des gardes communautaires, indigènes et populaires, doit également faire partie de nos priorités. Parallèlement, nous devons rejeter toute construction de prisons dans les territoires où il existe des structures d'organisation sociale (comme les provinces de Pastaza et de Santa Elena).

En résumé, la prolifération du trafic de drogue en Équateur est une manifestation agressive de la dégradation du capitalisme néolibéral et marque un point de non-retour entre la barbarie et une transformation profonde de notre pays. Elle met face à face la narco-bourgeoisie et les secteurs d'en bas, dont la principale référence organisationnelle est le mouvement indigène. Les déclarations du Président de la République, ignorant l'instrumentalisation évidente du scénario pour accentuer les mesures antipopulaires, illustrent clairement que l'objectif de la « guerre » n'est pas et ne sera pas les narcos, mais ceux d'en bas. Nous devons comprendre cette bataille pour ce qu'elle est réellement et nous unir et nous organiser en conséquence.

Le 29 janvier 2024. Traduit par Luc Mineto.

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En Guyane, les autochtones réclament la vérité sur les pensionnats de la honte

13 février 2024, par Tristan Dereuddre — , ,
Dans les années 1930, l'Église catholique, avec le soutien de la République française, a implanté plusieurs « homes indiens » sur le territoire guyanais. Au total, environ 2000 (…)

Dans les années 1930, l'Église catholique, avec le soutien de la République française, a implanté plusieurs « homes indiens » sur le territoire guyanais. Au total, environ 2000 enfants issus des peuples amérindiens et bushinengués ont été arrachés à leurs familles pour être placés dans ces pensionnats, entre 1935 et 2023, dans le but d'être évangélisés et assimilés.

8 février 2024 | tiré de Politis.fr | Photo : L'Organisation guyanaise des peuples autochtones a revendiqué « une reconnaissance de leurs droits sur ce territoire » en août 2018. © Jody Amiet / AFP
https://www.politis.fr/articles/2024/02/en-guyane-les-autochtones-reclament-la-verite-sur-les-pensionnats-de-la-honte/

C'est une partie de l'histoire de la République qui, pendant longtemps, fut volontairement dissimulée. Une histoire appartenant aux peuples autochtones, dont ils ont été dépossédés pendant près d'un siècle. Entre 1935 et la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Église catholique crée les premiers « homes indiens », des pensionnats religieux qui soutiennent un double objectif : évangéliser (pour l'Église) et assimiler (pour la République) les populations autochtones. Après 1946 et la départementalisation de la Guyane, l'initiative religieuse s'accompagne d'un soutien institutionnel de l'État français, qui va financer en grande partie les homes.

À Mana, Iracoubo, Saint-Laurent-du-Maroni, Sinnamary, Maripasoula puis Saint-Georges-de-l'Oyapock, neuf pensionnats sont successivement créés entre 1935 et 2012 sur le territoire guyanais. De nombreux enfants bushinengués et amérindiens sont arrachés à leurs familles par les religieux, parfois avec l'aide de la gendarmerie, pour être placés dans ces instituts. Une pratique qui a perduré, puisque la fermeture du dernier home, situé à Saint-Georges-de-l'Oyapock, remonte à la fin de l'année scolaire 2023.

Face à l'histoire coloniale, la création d'une commission vérité ?

Par ces mécanismes d'assimilation et d'évangélisation forcées, les homes sont un pur produit de l'histoire coloniale française. Cette dynamique s'observe aussi dans la contrainte exercée sur les locaux à avoir des pratiques sociales en rupture avec les leurs. Cet héritage, longtemps passé sous silence, obtient un écho différent lorsque la journaliste Hélène Ferrarini publie son livre Allons enfants de la Guyane (Anacharsis, 2022). À travers de nombreux témoignages et une étude minutieuse d'archives, elle participe à réhabiliter la question mémorielle des homes indiens.

Son ouvrage retrace une partie de l'histoire des autochtones victimes de ces pensionnats. Cette mise en lumière conduit l'Institut Louis Joinet (IFJD pour Institut français de la justice et de la démocratie) à mener un rapport pour la création d'une commission vérité et réconciliation. Cette juridiction est une composante de la justice transitionnelle, principe qui regroupe un ensemble de mesures judiciaires ou non, et qui permet de remédier au lourd héritage des abus de droits humains.

Jeudi 1er février, un colloque destiné à la présentation du rapport s'est tenu à l'Assemblée nationale. Pour Jean-Victor Castor, député Mouvement de décolonisation et d'émancipation sociale (MDES/NUPES) de la 1ère circonscription de Guyane, le rapport est « un premier pas vers la vérité, la réconciliation et peut-être la réparation ». Une réparation attendue et réclamée par les enfants amérindiens et bushinengués victimes des violences des homes.

Violences psychologiques, physiques et sexuelles

Ces violences, documentées grâce au travail d'Hélène Ferrarini, prennent des formes diverses. D'abord d'ordre psychologiques, avec des punitions collectives, une tension sur la nourriture, ou encore un éloignement entraînant des coupures importantes avec la famille. Le rapport de l'IFJD indique aussi que l'usage des violences physiques est régulièrement dénoncé au sein des homes. « Qu'il s'agisse de postures épuisantes imposées pendant des heures, (« à genoux, avec du sable sur le carrelage, les bras en croix une bible dans chaque main devant les autres pensionnaires pour demander pardon. Les autres rigolent, c'était une humiliation », indique l'un des nombreux témoignages) ou de coups de poings, de bâtons, de pieds ou de baguettes et ceintures, parfois sans raisons apparentes. »

Il fallait tuer l'Amérindien pour le faire devenir autre chose

Une victime des homes indiens

À ces violences, s'ajoutent des dénonciations d'ordre sexuel. « Lors de deux entretiens réalisés par l'IFJD, plusieurs formes de violences sexuelles ont été décrites, les anciens pensionnaires indiquant qu'elles n'étaient pas exceptionnelles », révèle le rapport. On y trouve par exemple le témoignage d'un ancien pensionnaire, qui indique avoir été violé à plusieurs reprises par les gardiens du home. « Je me dis que mon enfance a été bafouée ici, humiliée ici, anéantie », déclare-t-il.

Plusieurs témoignages diffusés lors du colloque montrent par ailleurs que les homes portaient un objectif de dénaturation de l'identité autochtone : « Il y avait une totale déconsidération de l'enfant, il fallait tuer l'Amérindien pour le faire devenir autre chose », dénonce l'un d'eux. « Le but était de faire perdre notre langue Kali'na (une des ethnies autochtones de Guyane) », témoigne un autre.

Ciblage ethnique et création de main d'œuvre

Car pour Hélène Ferrarini, en plus de révéler des liens encore forts entre l'Église et l'État au mépris de la loi de 1901, la politique des homes est le fruit d'un ciblage ethnique : « Les homes indiens visent précisément deux populations : les amérindiens et les bushinengués, deux peuples définis comme “primitifs” par l'administration préfectorale. Il existait jusqu'en 1952 un service des populations primitives. J'ai pu par moi-même consulter des archives où le terme “primitif” était encore d'usage en 1975 (dans des comptes rendus de réunion par exemple) », explique-t-elle.

Pendant longtemps, l'existence des homes a été justifiée par l'éloignement géographique des enfants pour leur permettre d'accéder aux écoles. Une notion que la journaliste tente de déconstruire : « D'autres populations vivaient loin des écoles, comme les orpailleurs. Mais ces derniers n'ont pas été ciblés par les homes, alors que de nombreux autochtones vivaient à Saint-Laurent-du-Maroni et ont été placés dans les pensionnats. J'ai recueilli le témoignage de deux sœurs qui avaient un père européen et une mère Kali'na. Quarante-huit heures seulement après le décès de leur père, l'institution home est venue les chercher pour les placer. Cette histoire témoigne que lorsqu'on bascule dans une famille 100 % amérindienne, on pouvait être la cible des homes. »

La commission verra le jour avec ou sans l'État, avec ou sans l'Église
Jean-Victor Castor, député de Guyane

Au-delà des objectifs d'évangélisation et d'assimilation, les homes indiens ont également servi à former une main-d'œuvre, dès les années 1960. Plusieurs enfants sortis des pensionnats ont œuvré à la construction de la base spatiale de Kourou, à l'exploitation forestière, à la pêche en mer, ou la pêche crevettière. Plusieurs témoignages indiquent que certaines femmes sont devenues domestiques après leur passage dans les instituts. « La mise en place des homes touchait des populations autonomes, vivant de la forêt et étant peu intégrées aux circuits économiques, poursuit Hélène Ferrarini. On ne sait pas encore ce que sont devenus les anciens pensionnaires pour la plupart. Ce qui est certain, c'est que le home a joué un rôle sous-estimé dans ce qui est arrivé aux peuples autochtones, on ne le prenait pas forcément en compte auparavant. »

Faire la lumière sur les conséquences des homes indiens, c'est bien là tout l'enjeu de la potentielle création d'une commission vérité et réconciliation. Le grand conseil coutumier, financé par la préfecture de Guyane, après avoir soutenu la mise en œuvre de cette commission, s'est finalement rétracté. Pas de quoi refroidir Jean-Victor Castor pour qui « la commission verra le jour avec ou sans l'État, avec ou sans l'Église ». De son côté, le président de l'IFJD Jean-Pierre Massias affirme « qu'il y a un besoin d'enquêter », pour permettre aux autochtones de se réapproprier une partie de leur histoire.

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Gifle pour Milei en Argentine : l’extrême-droite recule sur sa loi Omnibus

13 février 2024, par Rédaction internationale — , ,
En Argentine, l'examen de la Loi Omnibus, violente attaque contre les travailleurs, a connu un coup d'arrêt. Face au rejet de certains articles, le gouvernement a choisi de la (…)

En Argentine, l'examen de la Loi Omnibus, violente attaque contre les travailleurs, a connu un coup d'arrêt. Face au rejet de certains articles, le gouvernement a choisi de la renvoyer en commission. Une première crise politique pour le président d'extrême-droite Milei.

7 février 2024 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Gifle-pour-Milei-en-Argentine-l-extreme-droite-recule-sur-sa-loi-Omnibus

Ce mardi soir en Argentine, la plupart des députés du nouveau président ultra-libéral et d'extrême droite argentine essayaient encore de comprendre le naufrage de la loi Omnibus, renvoyée en commission et à la case départ. Quelques mètres plus loin, les casserolades et klaxons des manifestants venus braver la répression (comme les jours qui ont précédé) et se rassembler sur la place du Congrès se faisaient entendre. « Maintenant : on va faire retirer le DNU » scandaient-ils.

Hier, le gouvernement a en effet fait face à une première défaite et crise politique d'ampleur. La journée devait être consacrée au vote, article par article, du méga projet de loi Omnibus. Alors qu'en début de journée, le gouvernement avait commencé par obtenir de premières victoires, en faisant voter le principe de la délégation des pouvoirs (dans six domaines : économique, financier, administratif, énergétique, tarifaire et sécuritaire) dans le cadre d'un état d'urgence d'un an renouvelable, des premières fractures se sont faites jour dans le bloc des députés « dialoguistes » (PRO, UCR, HCF), indispensables pour voter la loi.

Par la suite, l'examen s'est progressivement transformé en cauchemar pour La Libertad Avanza (le parti de Milei). Chaque vote s'est en effet accompagné de la perte croissante de voix. Notamment, le vote sur le contenu des domaines concernés par la délégation de pouvoirs a finalement conduit à écarter l'énergie, l'administration et la sécurité. Face à la crainte d'un camouflet sur la suite du texte, qui compte plus de 300 articles, le parti gouvernemental a demandé une suspension de séance juste avant le vote sur les privatisations puis annoncé le renvoi de la loi en commission en mobilisant l'article 155 du réglement du Parlement.

Cette décision constitue une tentative d'arrêter les frais, alors que malgré les semaines de négociations avec l'opposition dialoguiste, des sujets de discorde se maintiennent sur des questions liées au partage de revenus fiscaux et sur les privatisations. Des désaccords amplifiés par la politique erratique de Milei, à l'image de la décision lundi de remplacer par décret les dirigeants des médias publics nationaux, mais aussi par la contestation de ces derniers jours devant le Congrès et sa violente répression, en application du « protocole de sécurité, critiqué par les Nations Unies.

Ce renvoi de la loi en commission constitue une énorme défaite pour Milei, et une démonstration supplémentaire d'amateurisme pour le gouvernement. En relançant le processus législatif de zéro, Milei acte l'échec de sa tentative de blitzkrieg avec l'appui de forces du régime. Au passage, des personnalités clés du cabinet présidentiel sortent affaiblies : Guillermo Francos, ministre de l'Intérieur désavoué à de nombreuses reprises par la pouvoir exécutif lors des négociations de la loi ; Patricia Bullrich, dont le protocole répressif a été sévèrement remis en cause, jusque dans les rangs « collaborationnistes » ; Luis Caputo, ministre de l'Économie, qui s'est effacé des négociations et n'est intervenu qu'une seule fois pour annoncer le retrait du chapitre fiscal du texte puis le retrait du texte.

La décision a été célébrée à l'extérieur du Parlement par les manifestants réunis, insistant sur le rôle de la pression des mobilisations des derniers jours, qui ont appuyé sur les contradictions du gouvernement et révélé ses faiblesses. Face au revers, le gouvernement et Milei ont dénoncé violemment l'attitude de l'opposition dialoguiste, expliquant que « la caste s'opposait au changement pour lequel les Argentins ont voté », que « les gouverneurs ont pris la décision de détruire la [loi Omnibus] article par article, quelques heures après avoir accepté de l'accompagner » et promettant « de continuer à appliquer notre programme avec ou sans le soutien des dirigeants politiques qui ont détruit notre pays. » Les marges de manœuvre de Milei restent cependant limitées, alors que le scénario d'un référendum est affiché comme une possibilité par certains représentants de la La Libertad Avanza. Une option qui serait l'occasion pour le parti d'extrême droite de chercher à opposer la « caste contre le peuple », mais qui serait aussi très risquée.

Alors que les conditions de vie continuent de se détériorer et qu'une mobilisation massive aux offensives de Milei a pris la rue le 24 janvier dernier, tandis que des manifestations d'avant-garde déterminées se sont tenues devant Congrès à l'initiative de l'extrême gauche argentine et des assemblées de quartier, le nouveau président d'argentin pourrait connaître une nouvelle déroute. En ce sens, le PTS argentin insiste sur la nécessité de tirer profit de la brèche ouverte par la crise politique pour lancer la riposte. Comme l'a exprimé la députée Myriam Bregman : « aujourd'hui commence la lutte pour mettre fin à tout vestige de la loi et pour vaincre le DNU ». Un gouvernement affaibli par sa première défaite au Congrès, une inflation qui n'en finit pas de grimper (bientôt +250% selon des estimations de l'OCDE) et de premières ripostes dans la rue : voilà un cocktail qui pourrait se révéler explosif dans les mois à venir.

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2023 : Annus horribilis pour les migrant-e-s, les réfugié-e-s, les sans-papiers

13 février 2024, par François Houart — ,
Le 19 décembre dernier, une Loi Migration quasiment lepéniste a été votée en France et le lendemain, le 20 décembre, c'est l'accord européen « Pacte sur la Migration et l'Asile (…)

Le 19 décembre dernier, une Loi Migration quasiment lepéniste a été votée en France et le lendemain, le 20 décembre, c'est l'accord européen « Pacte sur la Migration et l'Asile » qui verrouille la forteresse Europe à double tour qui a été signé entre les États membres. Ces deux réformes d'un système migratoire, national et européen, sont pires que tout ce qu'on pouvait imaginer.

24 janvier 2024 | tiré du site de la Gauche anticapitaliste

Aucun lien entre les deux, si ce n'est qu'elles s'inscrivent dans les obsessions actuelles autour de l'immigration qui accompagnent la dérive droitière généralisée de nos politiques gouvernementales. Chez nous le projet de loi présenté par Nicole De Moor, secrétaire d'État à l'asile et à la migration s'apprête à durcir les politiques de retour, là aussi on s'inscrit dans l'air du temps ? (1)

L'EUROPE FORTERESSE, PLUS QUE JAMAIS UNE RÉALITÉ

Notre dégoût est immense. Comme si ne suffisaient pas les milliers de mort·e·s en Méditerranée, les entraves récurrentes de Meloni aux sauvetage des rafiots en perdition par l'Ocean Viking, les kilomètres de barbelés depuis la Finlande jusqu'à Chypre en passant par la mer Egée, l'instrumentalisation des migrant·e·s et des réfugié·e·s ballotté·e·s par des pays tiers (comme la Turquie, la Tunisie ou la Russie) qui n'hésitent pas à les utiliser comme une arme visant à déstabiliser leurs rivaux, l'externalisation des frontières et les milliards d'euros déversés ces dernières années pour développer l'hydre Frontex qui collabore aux politiques de push back dans la plus parfaite opacité, sans compter ces États (Grande-Bretagne et Danemark) qui s'apprêtent sans vergogne à faire voter des lois pour transférer leurs demandeurs d'asile au Rwanda…

Voilà l'Europe forteresse qu'ont choisie et achevée de bâtir les négociateurs des 27 États membres et du Parlement européen ce 20 décembre 2023. Les ONG de défense des droits humains ne s'y sont pas trompées : elles dénoncent « …un système mal conçu, coûteux et cruel » qui va limiter « l'accès à l'asile et les droits de ceux qui sont en quête de protection ». L'eurodéputé Damien Carême a dénoncé un pacte de la honte : « On ressort avec un texte qui est pire que la situation actuelle […] On va financer des murs, des barbelés, des systèmes de protection partout en Europe ».

Et pendant que l'UE et ses États membres violent systématiquement les libertés et les droits fondamentaux en matière de politique d'immigration et d'asile, malgré les innombrables condamnations de certains de leurs pays, il a fallu en décembre 2023 se farcir la petite musique à deux voix libérale-démocrate : celle d'un Ministre de l'Intérieur (Gérald Darmanin) qui susurre – malgré une condamnation de la France par la Cour européenne des Droits de l'Homme – « qu'aucune question n'est tabou quand il s'agit de protéger les citoyens français » répondant à celle de notre inénarrable Charles Michel, président du Conseil européen, qui continue sans sourciller à nous rebattre les oreilles d'une « Union qui défend ses valeurs ». Est-il fou ou cynique ? Mais de quelles valeurs parle-t-il ?

ON S'HABITUE À TOUT ?

Cela fait maintenant plusieurs années que si on repousse des frontières, ce sont bien celles de l'insupportable. Rappelez-vous : en 2008, l'UE inaugure les premières patrouilles conjointes avec les garde-côtes Libyens. On découvre alors avec horreur le sort qui est réservé aux malheureux ramenés dans les camps libyens ; tortures, viols, esclavage… Ces révélations ont-elles jamais servi de leçon ?

Lors de ladite « crise migratoire » de 2015, lorsque la Turquie a « laissé passer » plus d'un million de personnes migrantes, Budapest s'était opposé manu militari à leur passage, n'hésitant pas à dérouler des barbelés à ses frontières. À l'époque, des images insoutenables avaient circulé au JT, la méthode avait choqué. Pourtant ce n'est plus le cas aujourd'hui, elle s'est même généralisée et est subsidiée !

Depuis 2016, la « méthode Orban » a donc prospéré, comme le montre la construction de plus de 1 200 kilomètres de murs physiques (béton et barbelé) qui courent de l'Estonie à la Grèce, le renforcement et développement exponentiel de Frontex, ce corps européen de gardes-frontières de 10 000 femmes et hommes qui prêtent main-forte aux États pour leur sale boulot ou l'explosion du budget communautaire consacré au contrôle des frontières extérieures.

CHARLES LE TARTUFFE ET LES « VALEURS DE L'UNION »

Surtout, n'en déplaise à Charles Michel, l'UE, contre espèces sonnantes et trébuchantes, a négocié ces dernières années, avec des pays qui n'ont pas précisément le respect des droits humains chevillé au corps, comme la Turquie, la Libye ou la Tunisie, un renforcement des contrôles à leurs frontières extérieures. Comment notre ex Premier ministre arrive-t-il encore à concilier ses « valeurs européennes » avec celles du président Tunisien raciste Kaïs Saïed par exemple ?

Depuis, cette sous-traitance pudiquement nommée « externalisation » des demandeurs d'asile et des réfugiés se multiplie, ainsi que des accords bilatéraux soigneusement traités sous forme d'aides commerciales, financières, etc. De même, l'aide au développement destinée aux pays africains est désormais conditionnée à une lutte effective contre les départs de leurs ressortissant·e·s ou de celles et ceux des pays voisins.

De la droitisation à la fascisation des politiques migratoires nationales, deux exemples récents qui interrogent.

En attribuant en priorité les prestations sociales aux Françai·e·s et en pénalisant les étrangers/ères – même présent·e·s régulièrement en France – Emmanuel Macron (le même qui, au soir de sa réélection en 2022, s'adressait aux électeur·ices qui avaient voté pour lui au second tour « pour faire barrage [aux idées] de l'extrême droite »)vient de faire entrer, sans le nommer, le concept immonde de « préférence nationale », cheval de bataille du FN puis du RN dans sa « Loi Migration ». La droite (LR) exulte, Marine Le Pen parle à juste titre de « victoire idéologique » pour son parti, quant à la gauche, elle hurle à la trahison des valeurs de la République. Dans un pays où on annonce que Jordan Bardella et sa liste RN caracolent dans les sondages, ça laisse perplexe…

Dans la même rubrique, aux Pays-Bas un « mauvais choix tactique » de la droite a ouvert un boulevard à l'extrême droite avec un puant calcul électoral du VVD (parti du Premier ministre Mark Rutte) à l'effet boomerang. En juillet dernier, Mark Rutte avait provoqué une crise au sein de son gouvernement en proposant de nouvelles restrictions aux droits des demandeur·euses d'asile. M. Rutte avait délibérément franchi une ligne rouge fixée par l'un des partenaires de la coalition du VVD, provoquant la chute de son propre gouvernement et de nouvelles élections. En plaçant la question des réfugié·e·s et de l'immigration au cœur de la campagne électorale, il pensait couper l'herbe sous le pied de son rival d'extrême droite. Bien mal lui en a pris : à force de jouer sur la perception d'une « crise des réfugiés » et sur la restriction de l'immigration c'est le PVV de Geert Wilders, parti raciste qui, depuis sa création en 2006, a fait de la fermeture des frontières et des mosquées, de l'islamophobie et de l'hostilité à l'égard de toutes les personnes migrantes sa priorité absolue qui a gagné !

Dans les deux cas, des hommes politiques de droite ont joué avec le feu et ils ont perdu. Auraient-ils oublié la tirade de Jean-Marie Le Pen peu avant les élections de 2007 ? Raillant la stratégie du candidat Sarkozy, il avait déclaré : « Il essaye de labourer mon terrain mais c'est moi qui sème et c'est moi qui récolterai. Les gens préféreront toujours l'original à la copie. Plus il en fait dans ce domaine-là, mieux je m'en porte ! »

2024 ANNÉE DE LA VAGUE BRUNE ?

Du 6 au 9 juin, 400 millions d'électeur·ices seront invité·e·s à élire 720 eurodéputé·e·s du Parlement européen, c'est la plus grande élection transnationale au monde. Avec la montée des populismes d'extrême droite ou des néo-fascismes, en tête ou au pouvoir désormais aux Pays-Bas (Geert Wilders), en Italie (Giorgia Meloni), en Slovaquie (Robert Fico), en Finlande (Petteri Orpo) et toujours aussi solidement en Hongrie (Viktor Orbán), ces élections ont de fortes chances de se jouer sur la défense des « valeurs traditionnelles » et contre l'immigration.

En France, la liste du Rassemblement National conduite par Jordan Bardella est en tête des sondages. Chez nos voisins allemands, l'AfD a le vent en poupe, même si le gouvernement vient de tourner la page de sa période de relative ouverture aux migrant·e·s et s'engage à durcir sa politique migratoire et à œuvrer lui aussi pour une « réduction significative et durable de l'immigration clandestine ». En Espagne le parti Vox (néo-franquiste, climato-négationniste, raciste, antiféministe, LGBT+ phobe…) gagne de plus en plus de terrain et flirte avec le grand parti de droite PP à chaque élection. Idem pour le Parti de la Liberté (FPÖ) en Autriche. Partout les cordons sanitaires se rompent quand droite et extrême-droite pactisent et se donnent en public le « baiser du diable », quand les alliances post-électorales contre nature se concluent dans la plus grande indifférence. Même en Pologne, malgré sa défaite aux élections législatives, le parti Droit et Justice (PiS) gardera un poids considérable sur la campagne.

Prenons garde à la contagion, les idées rances de l'extrême-droite ont désormais pignon sur rue partout en Europe. Non contentes de tirer insensiblement, au sein de chaque pays, le débat politique toujours plus à droite et d'y dicter un agenda pourri à travers le prisme des obsessions racistes et des fantasmes de grand remplacement, c'est leur banalisation qui est à l'œuvre. De là à percoler jusque dans l'inconscient collectif des populations… Comme disait Bertolt Brecht : « Le ventre est encore fécond d'où est sorti la bête immonde » !

François Houart est membre de la commission antiraciste de la Gauche anticapitaliste.

Notes
1 Cfr. l'article de France Arets sur notre site : « Il faut s'opposer à une politique migratoire belge et européenne qui s'aligne de plus en plus sur les positions de l'extrême-droite ! »

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France : ciblages et persécutions

13 février 2024, par Mustapha Saha — , ,
Paris. Lundi, 5 février 2024. Délations. Intimidations. Chantages. Dénonciations. Les sionistes français ne se donnent aucune limite. Photo Mahmoud Darwich (1941 – 2008). (…)

Paris. Lundi, 5 février 2024. Délations. Intimidations. Chantages. Dénonciations. Les sionistes français ne se donnent aucune limite.

Photo Mahmoud Darwich (1941 – 2008). Par Mustapha Saha.
Peinture sur toile. Dimensions : 65 x 50 cm.

PAR MUSTAPHA SAHA.

Le moindre signe d'indignation face au génocide israélien fait l'objet d'une stigmatisation en règle. Des commandos anonymes ratissent les réseaux sociaux, publient les coordonnés personnelles des journalistes, des politiques, des intellectuels soutenant la cause palestinienne, incitent au harcèlement téléphonique, webique. Ciblage, doxage, trollage, le langage des persécuteurs internétiques s'enrichit régulièrement de nouvelles sémantiques. Les appels comminatoires, les messages délétères submergent les portables des victimes. Les propagandistes sionistes, soutenus par des rhétoriques officielles, mènent les offensives tous azimuts. Des rafales d'appels se déclenchent de l'étranger. Diffusion de photos familiales. Rumeurs malfaisantes. Canulars toxiques. Menaces de mort. Les militants propalestiniens sont fichés, pistés, cafardés. En dehors des attaques ad hominem, des actions coordonnées, dissuasives, contre des avocats remettent en cause le principe même de la défense pénale.

Les autorités françaises apportent une assistance inconditionnelle au régime génocidaire, arment et financent le pire massacre de l'époque contemporaine. Toute critique des pratiques ségrégationnistes, ethnocidaires, génocidaires du gouvernement israélien est systématiquement censurée sur les médias de masse français, qui diffusent en continu les éléments de langage de l'armée coloniale. Le dessin animé Wardi, racontant la vie d'une fillette de Gaza, est retiré des projets scolaires par le rectorat de Paris. Les recherches universitaires sur la question palestinienne sont administrativement découragées, sinon interdites. L'acharnement étatique et civil prend des proportions hallucinantes. Le 10 novembre 2023, Mariam Abou Daqqa, militante du Front Populaire de Libération, de passage sur le territoire français pour donner une série de conférences, est arrêtée, enfermée dans un centre de rétention administrative, éloignée sans égards, interdite de séjour. La préfecture d'Ille-et-Vilaine annonce l'expulsion d'une famille palestienne établie depuis plusieurs années à Rennes, avec trois enfants de sept, cinq et trois ans, après le refus de leur demande d'asile. Leurs proches, déportés militairement vers le sud de Gaza, survivent sous les étoiles, sans nourriture, sans eau, sans soins, risquent à chaque instant la mort sous les bombardements incessants. Un seul quotidien breton évoque l'affaire. Se décrit ailleurs, froidement, cyniquement, l'enclave palestinienne comme un champ de ruines, un cimetière à ciel ouvert. Une horrible fascination pour l'enfer.

Mercredi, 10 janvier 2024, Émilie Gomis, franco-sénégalaise, quarante ans, basketteuse émérite, comparaît devant le Comité d'organisation des Jeux Olympiques pour être révoquée de son titre d'ambassadrice de Paris 2024. Le comité d'éthique lui reproche d'avoir exprimé, sur Instagram, sa compassion pour les palestiniens. La Charte olympique est brandie comme un carton rouge. Le Conseil représentatif des institutions juives de France exige de la ministre des Sports la révocation d'Émilie Gomis. La sportive est accusée d'antisémitisme. Les sionistes s'arrogent le monopole du sémitisme. Les palestiniens, les arabes, sont également des sémites. Quand le racisme les frappe, ils sont aussi victimes d'antisémitisme. Émilie Gomis, sous pression, a beau s'excuser : « En ces moments difficiles, mes pensées vont à toutes les innocentes victimes touchées par les guerres et actes barbares qui se multiplient dans le monde », elle est dans le collimateur.

L'avis du Comité d'éthique olympique vaut la peine d'être cité. Le parti pris occidental n'admet aucun argument contradictoire. « Madame Émilie Gomis est membre du conseil d'administration de Paris 2024 en qualité de personnalité qualifiée. Elle est également membre du programme Terre des Jeux 2024. Le Comité d'éthique considère que la publication Madame Émilie Gomis, par la justification implicite qu'elle apporte à des actes de terrorisme, constitue un manquement grave de l'intéressée aux obligations éthiques. Pour ces motifs, le comité estime que les stipulations relatives à la résiliation du contrat de Madame Émilie Gomis peuvent être mises en œuvre. Paris le 11 décembre 2023 ». Toute expression propalestinienne aujourd'hui, sur le territoire français, est présumée potentiellement terroriste. Vendredi, 8 décembre 2023, le Bureau national de vigilence contre l'antisémitisme dépose une plainte contre Émilie Gomis. Vendredi, 2 février 2024, une enquête pour apologie du terrorisme. Le sport n'est jamais neutre. Il s'instrumentalise toujours à des fins politiques. Des politiques, des intellectuels justificateurs du monstrueux génocide sont accueillis avec les honneurs sur les plateaux de télévision. Les Jeux Olympiques 2024 sont une machine de guerre technocratique, liquidatrice de la liberté d'expression, des bouquinistes des quais de Seine, de la culture.

Rima Hassan Mobarak, juriste franco-palestinienne, trente-deux ans, née dans le camp de réfugiés de Neyrab en Syrie, arrivée en France à l'âge de dix ans, subit des campagnes diffamatoires violentes sur les réseaux sociaux. Elle est une cible privilégiée des racistes et des suprémacistes. Les sionistes ont fait annuler une cérémonie du magazine Forbes, prévue en mars 2024, qui la consacre parmi quarante femmes exceptionnelles ayant fait rayonner la société française dans le monde. Rima Hassan Mobarak, fondatrice de l'Observatoire des camps de réfugiés, incarnation de la colère palestinienne, menacée de mort, finit par quitter la France en janvier 2024 pour se réinstaller en Syrie. Elle déclare : « Dans cette période horrible, je ressens le besoin d'être proche de mon peuple. Le génocide de Gaza est une deuxième Nakda. J'en veux aux responsables français de n'avoir pas créé des espaces d'empathie collective à l'égard des victimes des deux camps. Il est moralement inacceptable de se réjouir de la mort de civils ».

Passants parmi des paroles passagères.
Par Mahmoud Darwich.

1.
Vous qui passez parmi les paroles passagères
portez vos noms et partez
Retirez vos heures de notre temps, partez
Extorquez ce que vous voulez
du bleu du ciel et du sable de la mémoire
Prenez les photos que vous voulez, pour savoir
que vous ne saurez pas
comment les pierres de notre terre
bâtissent le toit du ciel

2.
Vous qui passez parmi les paroles passagères
Vous fournissez l'épée, nous fournissons le sang
vous fournissez l'acier et le feu, nous fournissons la chair
vous fournissez un autre char, nous fournissons les pierres
vous fournissez la bombe lacrymogène, nous fournissons la pluie
Mais le ciel et l'air
sont les mêmes pour vous et pour nous
Alors prenez votre lot de notre sang, et partez
allez dîner, festoyer et danser, puis partez
A nous de garder les roses des martyrs
à nous de vivre comme nous le voulons.

3.
Vous qui passez parmi les paroles passagères
comme la poussière amère, passez où vous voulez
mais ne passez pas parmi nous comme les insectes volants
Nous avons à faire dans notre terre
nous avons à cultiver le blé
à l'abreuver de la rosée de nos corps
Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici
pierres et perdrix
Alors, portez le passé, si vous le voulez
au marché des antiquités
et restituez le squelette à la huppe
sur un plateau de porcelaine
Nous avons ce qui ne vous agrée pas
nous avons l'avenir
et nous avons à faire dans notre pays

4.
Vous qui passez parmi les paroles passagères
entassez vos illusions dans une fosse abandonnée, et partez
rendez les aiguilles du temps à la légitimité du veau d'or
ou au battement musical du revolver
Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici, partez
Nous avons ce qui n'est pas à vous :
une patrie qui saigne, un peuple qui saigne
une patrie utile à l'oubli et au souvenir

5.
Vous qui passez parmi les paroles passagères
il est temps que vous partiez
et que vous vous fixiez où bon vous semble
mais ne vous fixez pas parmi nous
Il est temps que vous partiez
que vous mouriez où bon vous semble
mais ne mourez pas parmi nous
Nous avons à faire dans notre terre
ici, nous avons le passé
la voix inaugurale de la vie
et nous y avons le présent, le présent et l'avenir
nous y avons l'ici-bas et l'au-delà
Alors, sortez de notre terre
de notre terre ferme, de notre mer
de notre blé, de notre sel, de notre blessure
de toute chose, sortez
des souvenirs de la mémoire

Mahmoud Darwich.

Combien de philosophes, de poètes, d'écrivains, d'artistes, de savants palestiniens gisent sous les décombres de Gaza ? Le jeudi 28 avril 1988, quatre mois après le déclenchement de la Révolution des pierres, un premier ministre israélien d'extrême droite, monte à la tribune pour incriminer le poème de Mahmoud Darwich : « L'expression exacte des objectifs recherchés par les bandes d'assassins organisés vient d'être donnée par l'un de leurs poètes, Mahmoud Darwich. J'aurai pu lire ce poème devant le Parlement, mais je ne veux pas lui accorder l'honneur de figurer dans les archives israéliennes »*. Le poème inébranlable, inaltérable, indestructible se dresse pour l'éternité devant les armées assassines. Les palestiniens n'aiment ni la colonisation, ni les colonisateurs. L'amour n'est pas au bout du fusil. Le poème, indomptable, insaisissable, inexpugnable, puise sa sève dans la liberté.
Mustapha Saha
Sociologue

* Mahmoud Darwich, Palestine, mon pays. L'Affaire du poème, avec la participation de Simone Bitton, Ouri Avnéri, Matitiahu Peled, éditions de Minuit, Paris, 1988.

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Crise du milieu agricole : rien n’est réglé !Laurence Lyonnais 5 février 2024Crise du milieu agricole : rien n’est réglé

13 février 2024, par Laurence Lyonnais — , ,
Tandis que les mobilisations des agriculteurs et agricultrices se situe à un tournant, Laurence Lyonnais, éleveuse dans le Doubs et militante syndicale à la Confédération (…)

Tandis que les mobilisations des agriculteurs et agricultrices se situe à un tournant, Laurence Lyonnais, éleveuse dans le Doubs et militante syndicale à la Confédération Paysanne revient sur les enjeux structurels de la colère paysanne que les mesurettes gouvernementales ne seront pas susceptibles de calmer durablement.

8 février 2024 | tiré de contretemps
https://www.contretemps.eu/crise-milieu-agricole-mobilisation-entretien/

***

Contretemps – Peux-tu revenir sur les enjeux de la mobilisation des agriculteurs et des agricultrices ?

Laurence Lyonnais – En réalité, la colère couve depuis longtemps. On ne pouvait prédire quand ça allait éclater mais ce n'est pas une surprise : tous les ingrédients de la situation de crise s'empilent depuis un certain temps. Le prétexte, ça été la fin de défiscalisation du gazole non routier qui est utilisé par les engins agricoles, un peu comme les Gilets jaunes. Vu de France dans les médias mainstream, c'étaient les mêmes raisons qu'en Allemagne mais en fait, ce n'était qu'une gouttelette et rien n'est réglé. En réalité, revenir sur cette mesure de refiscalisation a été vite fait, et rapidement, il n'en a plus été question. Et il faut par ailleurs ajouter la sortie progressive de la défiscalisation du gazole non routier avait été négociée par la FNSEA avec le gouvernement, ce qui questionne la représentativité de cette organisation notamment pour les petites et moyennes exploitations.

Le fait que le mouvement soit parti du Sud-Ouest n'est pas anecdotique : cette région a accumulé des épisodes de canicule et une sècheresse historique, qui touchent la France et la Catalogne, notamment. Les épisodes de grippe aviaire ont conduit à des abatages massifs de volaille ; s'est ajoutée la MHE – maladie hémorragique épizootique – qui touche surtout les ruminants et dont la propagation est facilitée par le réchauffement climatique. Et puis, il y avait des fermes qui avaient engagé des conversions en agriculture biologique. Or celle-ci s'est effondrée du fait de l'inflation et de la concurrence mondialisée, sans soutien public véritable. En d'autres termes, les agriculteurs et agricultrices du Sud-Ouest n'avaient plus rien à perdre. Quand des mesures d'urgence sont annoncées, il faut savoir que cela se traduit par un dossier de demande d'aides, avec toute une série de critères pour y avoir droit, ce qui se révèle tout d'abord excluant et finalement, ça met des mois à arriver dans la trésorerie des fermes. Cela reste des mesures ponctuelles sans réponse structurelle. Cet empilement de raisons se cumule sur fond de continuation de l'extinction du nombre d'agriculteurs et d'agricultrices. Une extinction économique parce que les gens mettent la clé sous la porte ou encore, une extinction due à l'âge car la moitié des agriculteurs partiront à la retraite d'ici 10 ans. Et à tout cela s'ajoute un taux de suicide très important : le malaise est profond et les raisons de la crise sont structurelles.

Parmi les revendications qui ont été portées, il y a un refus d'envisager les effets du changement climatique et les changements que ça suppose dans les pratiques. Et c'est d'autant plus criant que les politiques publiques mises en œuvre et le projet de loi d'orientation agricole dont l'adoption est maintenant repoussée, ne traitent pas ensemble la question sociale et la question climatique. Pour que les producteurs et les productrices soient en mesure de conduire des adaptations du fait du changement climatique, il leur faut un accompagnement, un volet de sécurité économique : on leur demande de s'adapter mais on continue à mettre les gens en concurrence au niveau mondial et on ne vous donne aucune garantie sur les volumes à produire ni sur la manière dont ces volumes sont susceptibles d'être rémunérés : tous les rapports d'experts indiquent que la transition est possible et nécessaire, mais qu'elle suppose une protection sociale et des dispositifs d'accompagnement sociaux, au niveau du revenu et au niveau des conditions de reprise des fermes.

Et finalement, ce qui a été obtenu ne résout aucun des problèmes de fond – c'est un saupoudrage sans cohérence. Résoudre les problèmes de fond impliquerait de s'attaquer au monopole de l'agro-industrie, à des grosses entreprises comme Lactalis, qui annoncent des profits record et qui se fichent des lois qui ne sont pas assez contraignantes. Cela signifie s'en prendre aux marges de la grande distribution qui ne sont absolument pas encadrées. Encadrer les volumes et garantir les prix, cela signifie revenir à une situation antérieure à l'entrée de l'agriculture dans l'OMC en 1995. A l'époque, cette entrée des produits agricoles dans les accords de libre-échange avait été dénoncée par le mouvement altermondialiste et les mouvements paysans y avaient pris une grande part.

Contretemps – Tu peux revenir sur l'aspect européen de la mobilisation ?

Laurence Lyonnais – Les ingrédients du mécontentement sont très partagés, de l'Espagne à l'Angleterre. Au niveau de la Via Campesina, nous avons organisé une mobilisation à Bruxelles avec les organisations sœurs de la Confédération Paysanne le 1er février : la réalité du changement climatique et de la mise en concurrence est notre lot commun au niveau européen et nous sommes toustes confronté·es au risque d'une agriculture qui peut polluer comme elle veut sans résoudre ni les questions sociales ni les questions environnementales.

Contretemps -Dans les revendications qui ont émergé, il y avait également le ras-le-bol des procédures administratives, peux-tu revenir un peu là-dessus ?

Laurence Lyonnais – On fait face à un empilement de procédures, de contrôles qui sont ineptes, absurdes, visant à justifier qu'on va moins payer les gens – c'est d'ailleurs le cas dans d'autres professions. D'autant que cette paperasse, cet emballement bureaucratique du système visant à contrôler les gens et les abrutir par une somme de procédures est alimenté par des injonctions contradictoires : il faut faire mieux pour le bien-être animal ou pour des enjeux environnementaux, tout en étant mis en concurrence sur le marché mondial, ça nous rend dingue. Pour toucher la moindre aide, il faut la justifier, cocher la case, ce qui nécessite souvent la rémunération de différents intermédiaires qui contrôlent chacun des aspects et s'enrichissent par la même occasion. Le contrôle est de plus en plus puissant. Avec la PAC 2023, tandis que c'est la surface agricole qui détermine les aides, elle est vérifiée par une IA via un satellite et si ça ne concorde pas, tu reçois une annonce sur ton smartphone et tu dois te justifier en renvoyant une photo géolocalisée via une application dédiée. Pour ce qui me concerne, dans l'élevage de cochons plein air, je dois respecter des règles valables pour l'élevage industriel hors sol, comme la création d'un sas de désinfection, ce qui n'a aucun sens, et finalement des agent·es dont le travail consister à effectuer ces contrôles choisissent de démissionner.

Contretemps – Peux-tu revenir sur la manière dont le gouvernement a répondu à cette mobilisation ?

Laurence Lyonnais – Je crois qu'on peut établir une continuité entre la loi immigration et la manière dont les agriculteurs et agricultrices ont été traités : le gouvernement a apporté des solutions clivantes, emboitant le pas de l'extrême-droitisation de la société, via de la démagogie et des discours visant à mettre en cause par exemple les contrôles effectués par la police de l'environnement. Pour l'heure, on ne peut pas affirmer que l'extrême droite en tant que telle serait parvenue à récupérer le mouvement : Bardella n'a même pas évoqué le revenu des paysan·es dans son discours, et le fait que leurs élus ne s'opposent pas aux accords de libre-échange au niveau européen a sans doute compté.

Pourtant, dans les deux cas (loi immigration et question agricole), il s'est agi de pointer l'étranger ou l'agent de service public et les règles environnementales comme étant coupables. Alors que finalement tout cela va conduire à des affaiblissements des droits pour tous et toutes : par exemple, le fait de ne plus être tenus de protéger les haies, prairies et bosquets, cela finit par contrevenir à toute la stratégie bas-carbone et ça ne va rien régler : le foncier et les bâtiments coûtent de plus en plus chers et tout le capital qui est immobilisé appartient de fait aux banques.

Il y a un véritable enjeu à annuler la dette, à valoriser les exploitations à taille humaine. Mais ce n'est pas du tout la politique mise en œuvre avec le soutien de la FNSEA qui a soutenu le fait que pour avoir le statut d'agricole actifs, il suffisait de détenir seulement 5% de la ferme, ce qui signifie finalement que les exploitations passent aux mains des banques et à l'agro-industrie : on peut toucher des aides de la PAC même si on ne travaille pas réellement sur une ferme.

Au contraire, il faudrait prendre exemple sur la réglementation laitière à Comté : pour être considéré-e comme producteurs ou productrices, il faut être propriétaire de 50% de l'outil de travail, ce qui est une manière d'empêcher l'existence de chefs d'exploitation qui ne soient pas des agriculteurs : ça dérange beaucoup parce qu'économiquement, c'est mettre un coin dans la manière dont le modèle agricole est promu par les libéraux, selon les règles de la « liberté d'entreprendre ».

Contretemps – Comment la FNSEA a-t-elle accompagné le mouvement ?

Laurence Lyonnais – La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont l'habitude de gérer les questions agricoles avec le ministère. De son côté, la Confédération Paysanne a lancé un appel unitaire aux autres organisations syndicales pour porter deux grandes revendications : l'une portant sur le revenu et l'encadrement des prix plancher et l'encadrement des marges des distributeurs, et l'autre portant sur la sortie des accords de libre-échange. Nous n'avons pas eu de réponses de la FNSEA qui bénéficie encore d'une certaine hégémonie, même s'ils sont contestés et qu'il a fallu trois séries d'annonces pour qu'ils appellent à la fin du mouvement qui a duré beaucoup plus longtemps que d'habitude : généralement ils rassurent leur base et négocient, mais là, ça ne suffisait pas. Sur le terrain, le sentiment de trahison est assez fort ; le problème, c'est que le ressentiment ne construit pas toujours un ressort politisant pour la suite de la lutte. En tous cas, ils ne savaient pas comment s'en sortir tandis qu'ils n'ont même pas obtenu d'intervention de Macron.

Contretemps – On a beaucoup parler des agriculteurs dans la lutte mais que peux-tu dire sur l'implication des agricultrices ?

Laurence Lyonnais – Du côté des organisations paysannes minoritaires, on ne souhaitait pas adopter les mêmes modes de mobilisation, se fondre dans la masse des tracteurs et gros engins qui conduisaient à voir surtout beaucoup de têtes masculines. Et il faut souligner que les deux victimes mortelles ont été deux femmes.

Elles ont pourtant été très présentes mais moins visibles alors qu'elles représentent 25% des chef·fes d'exploitations et une part importante des salarié·es du monde agricole. Malgré tout, elles restent minoritaires dans l'accès au foncier et sont souvent très désavantagées par rapport aux hommes : aujourd'hui, quand une femme veut s'installer on se demande encore si son mari est présent ou si son frère va l'aider et ce d'autant que tout ce qui concerne l'accès à des droits tels que le niveau des allocations du congé maternité ou parental, n'est toujours pas totalement acquis. Des droits conquis pour le reste de la société arrivent toujours avec retard pour les agricultrices. Dans le monde agricole, il subsiste un impensé et une invisibilisation du travail des femmes, des enfants et des retraités alors même qu'il y a peu de fermes qui peuvent tourner sans ça. Mais elles sont présentes dans la mobilisation, d'autant que ce sont les femmes qui restent assignées à la paperasse, à l'empilement administratif. Autrefois les hommes seraient sortis tandis que les femmes auraient géré l'exploitation, mais ça n'a pas été le cas cette fois, elles étaient bien présentes même si moins « en avant ». A noter d'ailleurs que ce sont les syndicats minoritaires qui ont le plus de femmes porte-parole en leur sein.

Contretemps – Quelles sont les perspectives du mouvement à ce stade ?

Laurence Lyonnais – Pour celleux qui soutiennent une agriculture paysanne, agroécologique et internationale, c'est un échec. Mais en réalité, rien n'est réglé sur les questions de fond : il y a un espace pour les revendications et les discours autour de cette question de la mainmise des grands groupes, les revenus paysans, et les conditions dans lesquelles on assure cette vocation alimentaire. C'est sur ce point précis que résident des ferments puissants d'unification et de massification d'un mouvement qui dépasserait les seuls agriculteurs-trices.

Le mouvement a été marqué une véritable adhésion populaire : nous, on a organisé un marché paysan sur un parking de grande surface et plein de gens sont venus nous voir, se sont intéressé à notre lutte. On peut également s'appuyer sur la proposition de La France Insoumise d'annulation partielle ou totale de la dette, ce qui peut constituer un point d'appui pour les mobilisations à venir : en tous cas, c'est ce qui me donne des raisons de penser que ça va continuer et que peut-être on va réussir à poser les vrais problèmes, d'autant qu'on n'a pas encore eu de documents écrits rendant compte des annonces d'Attal et que les textes existants n'évoquent les aménagements obtenus pour seulement un an, ces aménagements étant pour un certain nombre contraires au droit français ou européen.

L'ensemble des résultats de la mobilisation ne devrait être calé qu'au moment du salon de l'agriculture ou encore en juin, quand les agriculteurs et les agricultrices ne seront plus mobilisables car occupés par leurs récoltes. Mais au-delà, on a constitué des liens avec des étudiant·es et les autres syndicats : on a évoqué de la précarité alimentaire des étudiant·es, ainsi que des mesures structurelles qui n'opposent pas le social et l'écologie.

Attal a jeté des ferments de conflits ultérieurs : on ne peut pas dire aux gens, vous allez recevoir des pesticides mais on va vous interdire de le dénoncer : cela va monter les gens les uns contre les autres.

Par ailleurs, on est en année électorale dans la profession agricole avec un mode de scrutin, des financements publics ou encore une base électorale qui favorisent le syndicat majoritaire : on va donc également porter l'enjeu démocratique qui est très important. Donc, de toutes façons, ça va rebondir : on va voir ce qui se passera au salon de l'agriculture fin février, et ensuite au moment des élections aux chambres d'agriculture en janvier prochain.

*

Propos recueillis par Fanny Gallot.

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Agriculteurs, une colère européenne

13 février 2024, par Claire Carrard — , ,
Chaque semaine, “Courrier international” explique ses choix éditoriaux. Dans ce numéro, nous revenons sur la crise agricole. Si le calme est (provisoirement ?) revenu en (…)

Chaque semaine, “Courrier international” explique ses choix éditoriaux. Dans ce numéro, nous revenons sur la crise agricole. Si le calme est (provisoirement ?) revenu en France, tout n'est pas réglé pour autant. Ailleurs dans l'UE, la mobilisation se poursuit avec pour cible notamment le pacte vert. À quatre mois des élections européennes, la presse étrangère revient très largement sur les raisons du malaise exprimé dans les campagnes. Reportage et analyses.

Publié le 07 février 2024 à 10h02 Lecture 2 min.
À quatre mois des élections européennes, la presse étrangère revient très largement sur les raisons du malaise exprimé dans les campagnes. COURRIER INTERNATIONAL
Est-ce le calme avant une nouvelle tempête ? Si en France, les concessions, nombreuses, du gouvernement ont suffi à éviter le blocus de Paris et à arrêter (provisoirement) le mouvement de protestation des agriculteurs, la situation est loin d'être apaisée ailleurs en Europe. Et si certains agriculteurs français, la FNSEA en tête, semblent avoir gagné une bataille, rien n'est réglé pour autant, comme l'explique très justement John Lichfield, installé en France de longue date, dans The Local.

“Les agriculteurs français ne forment pas un bloc monolithique, écrit-il. Les satisfaire tous est impossible – et sans doute peu souhaitable. Car les paysans français ne sont pas tous égaux. Les uns ont de grosses difficultés, les autres gagnent des fortunes.” C'est bien le problème et cela rend plus complexe la lecture des événements récents.

LIRE AUSSI : Reportage. Sur l'A13 avec des agriculteurs : “Nous avons perdu la passion”

Tous les agriculteurs ne sont pas logés à la même enseigne et tous n'ont pas réagi de la même façon aux annonces du gouvernement. “La Confédération paysanne estime que l'assouplissement des réglementations environnementales est une régression et non un progrès”, insiste le journaliste britannique. C'est aussi l'avis de la presse étrangère dans son ensemble, qui estime que l'écologie – et la filière bio, qui appelait à une journée de mobilisation le 7 février – est la grande perdante de la crise en France.

Pour éteindre la colère des campagnes, le gouvernement n'a en effet pas lésiné : il a débloqué 150 millions d'euros en soutien aux éleveurs, il a aussi lancé un plan de contrôle des industriels et des distributeurs, inscrit la souveraineté alimentaire dans la loi mais surtout mis en pause le plan Écophyto, qui fixe des objectifs de réduction des pesticides. “En France, les agriculteurs rentrent, les écolos pestent”, titre le quotidien belge Le Soir. Au Royaume-Uni, The Guardian craint, lui, un “retour de bâton contre le pacte vert [européen]”.

LIRE AUSSI : Vu de Belgique. Les importations “déloyales” plombent-elles l'agriculture européenne ?

À quatre mois des élections européennes, “la géographie du pouvoir continental pourrait bien être chambardée par les électeurs des campagnes”, explique l'hebdomadaire conservateur italien Panorama. Car la colère exprimée par les agriculteurs français se retrouve un peu partout en Europe. De la Pologne à l'Espagne, en passant par l'Allemagne, les Pays-Bas, la Grèce, l'Irlande, la Belgique, la Roumanie, la révolution des tracteurs est loin d'être terminée.

Cette semaine, nous tentons de décrypter les raisons de ce malaise. Aux revendications communes des exploitants agricoles, s'ajoutent des spécificités nationales. Mais la crise est profonde et on le comprend bien à lire le reportage de la Süddeutsche Zeitung que nous publions en ouverture de ce dossier.

LIRE AUSSI : Reportage. La révolte des paysans allemands contre Berlin : “Où en sera-t-on dans dix ans ?”

Elisa Schwarz et Josef Wirnshofer sont allés interroger en Bavière la responsable d'une ligne d'écoute téléphonique pour agriculteurs en difficulté. “Elle écoute les agricultrices qui lui disent qu'elles n'y arrivent plus, entre la traite des vaches, les devoirs des enfants et les beaux-parents malades, expliquent-ils. Elle écoute aussi les agriculteurs qui travaillent dans les champs, s'occupent de leurs bêtes, répondent aux demandes de l'administration. Des couples qui ne parlent plus que de leur exploitation et des enfants. Des hommes et des femmes épuisés.”

Dans le reportage, il est question des petites exploitations, “qui sont le plus à la peine”, de l'enchevêtrement des sphères professionnelle et personnelle, impossible à gérer, de transmission aussi.

“Transmettre leur affaire, ce n'est pas seulement signer un bout de papier, c'est aussi dire adieu à toute une vie.”

LIRE AUSSI : Opinion. Macron contre le Mercosur, et c'est “l'autonomie stratégique” qui trinque

Ces problématiques, elles traversent notre dossier. Dans un article traduit sur notre site, le site Politico estime que le pacte vert européen est “une révolution” et, que, “comme toutes les révolutions industrielles précédentes, celle-ci aussi a ses perdants”. Et ils “ne vont pas se taire”. Pour le site installé à Bruxelles, l'UE devra apprendre à les écouter.

Il est temps d'ouvrir enfin un véritable débat sur l'agriculture, avance de son côté The Local : “La crise va passer, mais le casse-tête fondamental va demeurer : comment les agriculteurs peuvent-ils respecter de nouvelles contraintes écologiques, produire de la nourriture en abondance et bon marché pour satisfaire les consommateurs, tout en survivant malgré des prix bas et des subventions de l'UE plus faibles ?” Bonne lecture.

Claire Carrard

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La frontière entre les États-Unis et le Mexique au centre de l’élection présidentielle

13 février 2024, par Dan La Botz — , ,
La frontière entre les États-Unis et le Mexique et l'immigration sont aujourd'hui au cœur de la campagne présidentielle américaine. Le candidat républicain à la présidence, (…)

La frontière entre les États-Unis et le Mexique et l'immigration sont aujourd'hui au cœur de la campagne présidentielle américaine. Le candidat républicain à la présidence, Donald Trump, et le Parti républicain affirment – comme ils l'ont fait en 2016 et en 2020 – que des meurtriers, des violeurs et des trafiquants de drogue mènent une « invasion » des États-Unis qui met en péril l'identité nationale et le pays lui-même.

Hebdo L'Anticapitaliste - 694 (08/02/2024)

Par Dan La Botz

Crédit Photo
Tony Webster/ Wikimedia commons

Trump affirme, à la manière d'Hitler, que les immigrantEs « détruisent le sang de notre pays ». Il accuse le président Joe Biden et les démocrates de ne pas avoir défendu le pays et son héritage.

En réponse, Joe Biden, qui avait promis en 2020 une politique plus humaine à la frontière, déclare au contraire aujourd'hui que si le Congrès lui en donne l'autorisation, il fermera la frontière et exercera un contrôle plus strict, ce qui consterne certains de ses partisans.

Selon un sondage PEW réalisé l'été dernier, environ 75 % des Américains estiment que le gouvernement américain ne fait pas un bon travail à la frontière et près de la moitié d'entre eux pensent que l'immigration clandestine est un problème majeur. Les deux partis, républicain et démocrate, s'accordent également pour dire qu'il existe une crise à la frontière sud des États-Unis qui entraîne des problèmes dans le maintien de la politique d'immigration.

Plus de 3 200 000 personnes par an

L'année dernière, les États-Unis ont accueilli 1,8 million d'immigrantEs légaux, soit un peu plus que la moyenne, mais beaucoup plus de personnes sont sans papiers. En décembre 2023, les autorités américaines ont placé en détention 225 000 immigrantEs sans papiers qui ont franchi la frontière en dehors des points d'entrée officiels et, chaque mois, elles traitent les cas de 50 000 autres personnes qui se présentent aux points d'entrée officiels. Cela représente plus de 3 200 000 personnes par an. Environ 430 000 d'entre elles ont demandé l'asile parce qu'ils craignaient des violences dans leur pays. Il s'agit de plus en plus souvent de familles avec enfants originaires du Venezuela et d'Amérique centrale.

Les tribunaux américains de l'immigration sont débordés, avec plus de deux millions d'affaires en cours. Le nombre considérable d'immigrantEs le long des frontières crée parfois des conditions chaotiques dans les villes et villages frontaliers, où les gouvernements locaux et les organisations d'aide aux migrantEs dépassent leurs capacités.

Les gouverneurs républicains défient la Cour suprême

Le gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, a mené le combat sur la question des migrantEs, en transportant plus de 100 000 immigrants vers des villes du nord comme Washington, D.C., New York, Chicago et Philadelphie, qui sont gouvernées par des démocrates, ce qui a entraîné des crises dans les domaines du logement, de l'éducation et de l'aide sociale dans ces endroits. Depuis 2021, Abbott a ordonné à la Garde nationale du Texas de placer des barbelés le long de la frontière, bien que le contrôle de la frontière relève de la compétence fédérale et non de celle de l'État. L'administration de Joe Biden a ordonné l'enlèvement des barbelés, ce qui a été confirmé par la Cour suprême des États-Unis dans une décision partagée (5 contre 4). Le Texas a défié la Cour, ce qui a provoqué des tensions entre la Garde nationale et les autorités américaines chargées de l'immigration.

Ron DeSantis, gouverneur républicain de Floride, a déclaré qu'il enverrait 1 000 soldats de la Garde nationale de Floride au Texas pour soutenir les forces d'Abbott. Quelque 25 des 26 gouverneurs d'État républicains soutiennent M. Abbott.

La majorité républicaine de la Chambre des représentants s'apprête à mettre en accusation Alejandro Mayorkas, le chef de la sécurité intérieure, qui est responsable de la frontière. Le Sénat, contrôlé par les démocrates, ne le condamnerait certainement pas. Il s'agit d'un coup d'éclat visant à gagner des électeurs à Trump.

Les suprémacistes blancs veulent « reprendre la frontière »

Pendant ce temps, les nationalistes chrétiens blancs d'extrême droite ont organisé la semaine dernière une caravane baptisée « Armée de Dieu », qui s'est rendue de la Virginie à la frontière du Texas – soit environ 1 400 miles, 2 250 km – pour « reprendre la frontière ». Avec des bannières arborant le visage de Jésus et le drapeau américain, les organisateurs avaient promis de conduire 40 000 personnes à la frontière, mais seules quelques centaines d'entre elles ont finalement fait le voyage. Les dirigeants des communautés frontalières du Texas, qui sont en grande partie des Américains d'ascendance mexicaine, se sont élevés contre le convoi raciste.

La modification de la législation sur la frontière et l'immigration est bloquée au Congrès parce que les Républicains veulent que le problème reste irrésolu, ce qui est bon pour la campagne de Trump !

Dan La Botz, traduction Henri Wilno

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Le cadeau empoisonné de Carlson à Poutine

13 février 2024, par Michel Gourd — , , ,
Alors que Vladimir Poutine a tenté de présenter sa vision d'une Russie provoquée par Kiev lors de son entrevue avec Tucker Carlson, il a révélé son manque de connaissance des (…)

Alors que Vladimir Poutine a tenté de présenter sa vision d'une Russie provoquée par Kiev lors de son entrevue avec Tucker Carlson, il a révélé son manque de connaissance des codes des médias occidentaux et les importants trous dans son argumentaire, ce qui pourrait compromettre sa victoire en Ukraine.

La rencontre avec le président russe était diffusée en accès libre en soirée du 6 février sur le média social X et la chaîne YouTube de Tucker Carlson, qui compte plus d'un million d'abonnés. C'était la première entrevue de Vladimir Poutine avec un journaliste occidental depuis l'invasion de l'Ukraine. Elle a permis de montrer d'importants défauts dans la cuirasse du président et des incohérences dans les raisons motivant son « opération spéciale ». Si le chef du Kremlin voulait s'adresser aux républicains hostiles au soutien à l'Ukraine, il a fait beaucoup plus que çà.

Poutine passe son message

Les éditorialistes occidentaux sont unanimes à décrire l'entrevue de Carlson comme ayant été complaisante à l'extrême pour le dirigeant russe. Il faut rappeler que dans son ancien talk-show, « Tucker Carlson Tonight », il avait affirmé sans preuve que l'Ukraine abritait des laboratoires secrets de mise au point d'armes biologiques, argument utilisé pour justifier l'« opération spéciale ». C'est donc en toute connivence qu'il a laissé Vladimir Poutine résumer pendant deux heures les grandes lignes de sa propagande. Pour le magazine américain, Rolling Stone « Poutine a utilisé Tucker Carlson pour essuyer le sol du Kremlin » dans cette entrevue. Une intervenante de la chaîne de télévision américaine CNN, Clarissa Ward, considère que le président russe a eu « une victoire de propagande ». Comme plusieurs personnes publiques américaines, Hillary Clinton, ancienne secrétaire d'État, a qualifié Tucker Carlson « d'idiot utile ». Pour sa part, le député républicain Adam Kinzinger a été un peu plus loin et l'a qualifié de « traître ». Le Washington Post considère pour sa part que Poutine « pontifiait » Tucker Carlson l'empêchant de s'exprimer.

Poutine perd gros sur la forme

Si au niveau du contenu, Poutine a pu présenter une Histoire alternative russe niant l'existence de l'Ukraine, au niveau de l'image, Tucker Carlson dominait tellement le président que cela en était pénible à voir. Poutine brusquait, insultait presque son vis-à-vis, enchaînant l'un après l'autre d'un ton monotone des éléments de propagande préfabriquée déjà connus. L'importante différence de niveau de la connaissance des codes médiatiques entre les deux participants était tellement évidente qu'après l'enregistrement, l'Américain a dit dans une vidéo qu'il n'était pas sûr de quoi penser de l'entrevue puisque le président, n'en ayant pas fait beaucoup, s'expliquait mal. Pendant un peu plus de deux heures, Tucker Carlson était comme un gros chat ayant apporté une souris à ses chatons républicains. Les yeux rivés sur le président russe, il donnait de temps en temps des coups de patte pour le ramener sur le terrain de jeu afin que ceux-ci puissent bien s'amuser.

Une certaine rigueur

Complaisante, cette entrevue n'en a pas moins été faite avec une certaine rigueur, Carlson prenant de cours Poutine avec sa première question qui était : « Le 26 février 2022, vous avez dit aux citoyens de votre pays, quand le conflit en Ukraine a commencé, que vous agissiez ainsi parce que vous étiez arrivé a la conclusion que les États-Unis, en utilisant l'OTAN, pourraient initier une attaque-surprise sur la Russie. Pour des oreilles américaines, cela semble paranoïaque. Dites-moi pourquoi vous croyez que les États-Unis pourraient frapper la Russie sans provocation. »

Surpris par cette question directe qui mettait en jeu toute sa stratégie en Ukraine et menaçait dans les premières secondes toute l'opération de relation publique avec la droite Américaine qu'était cette entrevue, Poutine a commencé par nier qu'il avait dit cela, une erreur évidente puisque Carlson avait les extraits pertinents en main. Alors que celui-ci allait les présenter au président, ce dernier, coincé, s'est alors lancé dans un long résumé de l'histoire son pays, remontant jusqu'en l'an 862, énonçant pendant près d'une demi-heure des dates qu'il considérait clé pour prouver que l'Ukraine a toujours été une partie de la Russie, la mentionnant comme sa partie sud.

Des trous dans l'argumentaire

Dans cette présentation toute subjective, Poutine affirme qu'à l'époque la Première Guerre mondiale la population du territoire ukrainien s'est inventé une nationalité pour des raisons de protection. Lors de son exposé, il mentionne cependant que la révolution bolchevique avait avalisé la nationalité ukrainienne, pointant que l'actuel territoire ukrainien était la résultante de décisions faites « pour des raisons inconnues » par Staline. Lénine aurait aussi transféré à l'Ukraine des terres russes. Ce territoire qui n'existe pas a donc eu l'aide de deux des plus grandes figures de l'URSS.
Devant ce manque de cohérence dans l'argumentaire, Carlson lui demande alors si la Pologne et les autres pays comme la Hongrie et la Roumanie, dont des territoires ont été inclus dans l'Ukraine actuelle, ont le droit de les récupérer. Esquivant la question, Poutine refuse une autre fois de répondre à Carlson au sujet de son affirmation que c'était la peur d'une attaque des États-Unis qui l'avait amenée à envahir l'Ukraine. Bref, le dirigeant russe affirme que cette guerre est pour chasser les nazis, mais du même souffle justifie l'invasion par ce qu'il appelle le coup de 2014 en Ukraine et l'attaque du Donbass par Kiev. L'expansion de l'OTAN serait aussi en toile de fond de la situation.

Carlson ramène l'attention mondiale sur l'Ukraine

La réaction mondiale à cette entrevue a été forte et rapide, le responsable de la Défense nationale polonaise, Wladyslaw Kosiniak-Kamysz affirmant que les propos de Poutine concernant le fait qu'il n'a pas d'intérêts en Pologne, en Lettonie ou ailleurs n'ont aucune crédibilité. De son côté, le président du parlement polonais Szymon Holownia a dénoncé « les divagations historico-littéraires » de Vladimir Poutine sur l'histoire de la Pologne, de l'Ukraine et de l'Allemagne. Selon lui, le dirigeant russe est un danger mortel pour les États baltes, la Pologne, l'Europe et la liberté.

Si l'entrevue donne un levier à la Russie pour influencer le scrutin américain, ce pays est maintenant de retour au premier plan des intérêts des électeurs américains, ce qui est une très mauvaise nouvelle pour Moscou. Les médias américains commencent donc à fouiller des informations au sujet de la campagne de Trump de 2016, s'intéressent aux actions des services de renseignements russes sur les serveurs du Parti démocrate, aux contacts de Donald Junior et de plusieurs de ses collaborateurs. La menace russe revient par la grande porte dans les enjeux électoraux américains. Si Biden arrive à faire passer son aide de 60 milliards pour l'Ukraine, Poutine pourra en attribuer une partie de la raison à cette entrevue.

Michel Gourd

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Selon Daniel Levy, seuls les États-Unis peuvent mettre suffisamment de pression sur Israël pour qu’il mette fin à l’attaque contre Gaza et arriver à une trêve

13 février 2024, par Amy Goodman, Daniel Levy, Nermeen Shaikh — , , ,
"Cela illustre d'abord la naïveté (américaine). Il y a eu la normalisation avec les Émirats arabes unis dans le passé. Ça n'a fait qu'encourager les extrémistes israéliens.nes. (…)

"Cela illustre d'abord la naïveté (américaine). Il y a eu la normalisation avec les Émirats arabes unis dans le passé. Ça n'a fait qu'encourager les extrémistes israéliens.nes. Couches après couches, on tente de faire croire qu'il pourrait y avoir des leaders technocrates palestiniens.nes, assignés.es par les Occidentaux, capables de diriger la partie palestinienne sans avoir aucune crédibilité auprès de leur propre peuple. L'administration (Biden) a pris des mesures limitées contre les colons israéliens alors que le problème est bien au-delà. Le problème c'est la structure étatique de la colonisation."

Democracy Now, 7 février 2024
Traduction et organisation de texte, Alexandra Cyr

Nermeen Shaikh (DN) : Le Hamas a présenté un plan de cessez-le-feu détaillé afin mettre fin à l'attaque d'Israël sur Gaza. Ce plan est en réponse à une proposition présentée il y a 15 jours par les États-Unis, Israël, le Qatar et l'Égypte. La contreproposition du Hamas présentée mardi soir prévoit trois phases de 45 jours chacune.

Durant la première phase le Hamas libérerait toutes les femmes, les hommes de moins de 19 ans et les personnes malades qu'il détient en otage. En contrepartie il demande la libération des Palestiniennes et des enfants palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. Il demande aussi qu'Israël se retire des parties peuplées de Gaza, cesse ses opérations aériennes, permette à plus d'aide humanitaire de pénétrer (dans le territoire) et permette aux Palestiniens.nes de retourner chez eux et chez elles, y compris dans la partie nord de l'enclave.

La seconde phase serait négociée durant la première et devrait comprendre la libération des otages encore détenus.es composés principalement de militaires en échange de plus de prisonniers.ères palestiniens.nes. Israël devrait aussi se retirer complètement de Gaza.

Au cours de la troisième phase, les deux parties complèteraient les échanges d'otages contre prisonniers.ères.

Mardi, commentant cette contreproposition, le Président Biden la qualifiée de « un peu exagérée ».

(…)

N.S. : Le Secrétaire d'État américain est arrivé en Israël après avoir eu des rencontres en Égypte et au Qatar. Il va rencontrer le Premier ministre B. Nétanyahou, le Président Herzog et d'autres personnes pour discuter de la réponse du Hamas à l'entente proposée. Il va aussi rencontrer le Président de l'Autorité palestinienne M. Mahmoud Abbas plus tard aujourd'hui.

L'assaut de Gaza par Israël entre dans son cinquième mois pendant que les négociations se poursuivent. Plus de 27,500 Palestiniens.nes ont été tués.es et presque 67,000 blessés.es depuis le 7 octobre. La vaste majorité de la population a été chassée de chez elle, la plus grande partie du territoire a été détruite et un quart des habitants.es font face à la famine.

Pour poursuivre à propos des négociations de cessez-le-feu, nous rejoignons Daniel Levy, président du US/Middle East Project. Il est un ancien négociateur de paix sous les gouvernements des Premiers ministres Ehud Barak et Yitzhak Rabin. Soyez le bienvenu sur Democracy Now. Pouvez-vous commencer par nous faire part de votre opinion sur les négociations, sur leur processus jusqu'à maintenant et nous dire ce que vous pensez de ce que sera la réponse d'Israël à la contreproposition du Hamas ?

Daniel Levy : Donc, nous avons maintenant une position détaillée qui a été rendue publique. C'est à cela que vous référez. Je pense que le plus important à dire à ce sujet, est que ce que le Hamas a dit : nous ne pouvons pas passer de la phase un à la deux ou la trois sans qu'il y ait une entente préalable pour arriver à un cessez-le-feu à la fin.

La contreproposition non détaillée d'Israël est connue mais nous n'avons pas de détails. Nous avons entendu le Premier ministre Nétanyahou dire clairement qu'il n'acceptera pas de cessez-le-feu permanent, qu'il ne retirera pas ses troupes de Gaza et aussi qu'il est dubitatif à propos des échanges de prisonniers.ères israéliens.nes, que ça sera soumis à discussion. Cela laisse entendre que les parties sont encore éloignées l'une de l'autre ; c'est un jeu de blâme, à ne pas se voir attribuer le blâme. Et il y a aussi le jeu de savoir ce qu'on pourrait retirer de plus avec ces négociations.

Nermeen, je pense que cela repose sur trois facteurs : 1- l'état des forces sur le champ de bataille. La guerre ne se passe pas comme Israël l'anticipait, comme il l'espérait, comme les va-t-en guerre les plus ardents.es (le pensaient) comme les prétentions l'avait annoncé. Oui, Israël est à l'action à Gaza. Nous avons vu la terrible destruction. Nous avons suivi tout cela, le nombre de morts, de morts civiles, d'enfants, les maladies et la famine maintenant. Mais nous ne voyons pas la résilience du Hamas faiblir. Donc, sur le champ de bataille c'est pour ainsi dire l'impasse.

2- Les pressions internes. Celle des familles israéliennes. Et il y en a à l'intérieur du cabinet de guerre, certains.es ont déclaré qu'il fallait changer de cap.

3- Voici où nous arrivons à la visite d'A. Blinken. C'est la dynamique de pressions de l'extérieur qui constitue le troisième facteur. Nous avons l'Afrique du sud qui a porté plainte (contre Israël) à la Cour internationale de justice. C'est très significatif. Ce que nous n'avons pas, c'est un Secrétaire d'État américain suffisamment puissant pour se servir de son influence et imposer des éléments dissuasifs, un prix à payer par Israël, pour la poursuite de sa politique. Donc, nous sommes bloqués. Au lieu de cela, curieusement peut-être avons- nous presque une tentative d'aller jusqu'au bout et de lier un plan d'après-guerre au cessez-le-feu. Peut-être serait-ce une bonne chose, n'est-ce–pas ? Tout ça n'a pas commencé le 7 octobre, il y a quatre mois. Il y a des causes fondamentales qu'il faut absolument prendre en compte pour que les Palestiniens.nes ou les Israéliens.nes puissent vivre en sécurité à l'avenir. Mais A. Blinken semble se présenter avec sa pensée magique à la table de négociation. Tom Friedman et David Ignatius l'ont partiellement démontré dans leurs articles. Je pense que cela va causer plus de problèmes. Peut-être pourrons-nous en parler plus tard.

Amy Goodman : Daniel Levy, pouvez-vous nous parler du rôle du Qatar et de celui de l'Égypte dans ces négociations ? En ce moment, A. Blinken rencontre B. Nétayahou. Comme négociateur, vous connaissez la signification de cet exercice, idéalement, que devrait dire A. Blinken à B. Nétayahou ? Il répète à satiété qu'il a le cœur brisé et l'estomac noué devant les pertes de vies à Gaza mais il continue de fournir des armes à Israël. À deux reprises, il a pris des moyens détournés auprès du Congrès pour s'assurer que les munitions lui soient livrées. Donc, qu'importe ce qu'il ressent ou dit de ses sentiments, il est clair que les États-Unis soutiennent Nétanyahou.

D.N. : Amy, c'est capital ; on a entendu le Président (BIDEN), dire que la position du Hamas est un peu exagérée. Peut-on penser que la livraison (à Israël) de bombes de 2,000 livres par les États-Unis, après tout ce dont nous avons été témoin, est un peu exagéré ? On peut aussi considérer que quand un cas de génocide est plausible devant la CIJ et que les mesures provisoires ne sont pas appliquées, c'est aussi un peu exagéré.

L'implication du Qatar et de l'Égypte est nécessaire parce que Israël et le Hamas ne négocient pas directement. Donc il faut des médiateurs de la région qui parlent au Hamas. Ils peuvent forcer la main au Hamas. Si le Hamas pense qu'il devra faire trop de concession plus tard, il résistera. Vous avez posé la bonne question : Est-ce que les États-Unis vont faire pression sur Israël ? Il semble bien en ce moment, qu'au lieu d'arriver en disant : « il y aura un coût si vous continuez ainsi », le Secrétaire Blinken dise : « Vous savez quoi ? Je vais vous récompenser. Savez-vous ce que j'ai dans ma petite poche ? J'ai la promesse de la normalisation (de vos rapports) avec l'Arabie saoudite ». Bon, les Saoudiens, dans un communiqué publié ce soir, contredisent des déclarations du porte-parole du Conseil national de sécurité américain, M. John Kiby. Cela a eu l'effet d'une douche froide. Mais A. Blinken pense qu'il pourra encore arriver à présenter une entente en fin de compte.

Je pense que cela illustre d'abord la naïveté (américaine). Il y a eu la normalisation avec les Émirats arabes unis dans le passé. Ça n'a fait qu'encourager les extrémistes israéliens.nes. Couches après couches, on tente de faire croire qu'il pourrait y avoir des leaders technocrates palestiniens.nes, assignés.es par les Occidentaux, capables de diriger la partie palestinienne sans avoir aucune crédibilité auprès de leur propre peuple. L'administration (Biden) a pris des mesures limitées contre les colons israéliens alors que le problème est bien au-delà. Le problème c'est la structure étatique de la colonisation.

Il semble que l'administration (Biden) fasse des efforts pour dire : « Nous pouvons arrêter le nettoyage ethnique. Nous pouvons arrêter les déplacements (forcés) ». Mais, et c'est un problème majeur je pense, ce qu'on offre aux Palestiniens.nes ce n'est pas un État. Personne ne dit : « Israël va se retirer (de Gaza, des territoires occupés). L'armée va se retirer. Il y aura la reconnaissance d'un État viable qui existera vraiment avec Jérusalem comme capitale. À ce moment-là, nous pourrons nous occuper (du sort) des réfugiés.es et d'autres choses ». Le reste c'est du bla-bla présenté en échange de la normalisation (des rapports israéliens) avec l'Arabie saoudite.

Qu'en est-il exactement, Amy ? Cette démarche est une tentative de retranchement, de fixation de bantoustans et de l'usage de la division comme arme de violence pour installer un futur apartheid. Je pense qu'il est vraiment pernicieux de proposer cela aux Palestiniens.nes, c'est-à-dire : vous avez le nettoyage ethnique ou l'apartheid. Ce qui n'est pas sur la table (de négociation), c'est la justice ou une paix véritable. Et pour être tout-à-fait honnête, si l'administration américaine veut faire un accord avec les Saoudiens afin d'exporter plus d'armes, peut-être pour que certaines entreprises réussissent à avoir leur part dans le programme civil d'énergie ou pour introduire un changement géopolitique qui ralentirait la lente chute du dollar, qu'elle ne prétende pas que c'est un pas vers la paix, vers la fin des horreurs à Gaza. C'est une manœuvre géopolitique, pas un moyen d'empêcher un génocide.

A.G. : Quel sera le rôle du Qatar et de l'Égypte dans tout ça. Comment pensez-vous que ça va se passer au beau milieu des négociations qui s'annoncent. (Hier, 7 février, le Premier ministre Nétanyahou a annoncé qu'il rejetait la proposition du Hamas. N.d.t.). Le Secrétaire Blinken n'emploie pas le terme « cesses-le-feu » mais parle de pause. La menace d'une invasion terrestre de Rafah pour des centaines de milliers de Palestiniens.nes qui ont dû s'y réfugier ? Environ deux millions de Palestiniens.nes sont là, à la pointe de Gaza à la frontière égyptienne.

D.L. : Comme vous le dites, les Palestiniens.nes ont été obligés.es de se déplacer d'un endroit à l'autre et à chaque fois qu'on leur en assigne un dit sécuritaire, ont les bombardent. Ce fut le cas à Khan Younes et ce sera le cas à Rafah demain.

Le Qatar peut … (il a réussi) lors de la première pause, nous avons vu des libérations. Penser que les otages, dont malheureusement le nombre diminue, puissent être libérés.es sans négociations relève de la pensée magique.. Il y a place à la négociation. Mais le Qatar et l'Égypte ne peuvent travailler qu'avec ce qu'Israël leur donne. S'ils se retrouvent avec quelque chose qui n'est pas à la hauteur, ils ne réussiront pas. (N'oublions pas) que la partie israélienne est divisée et qu'il s'y trouve un manque de volonté de prendre de dures décisions.

Quelque chose d'autre préoccupe l'Égypte. C'est le plan israélien de déplacer massivement les Gazaouis sur son territoire. Les conditions sont terribles là. La prise de la frontière de Gaza avec l'Égypte par Israël, ne fera qu'exacerber ces préoccupations. Dans une déclaration publique, elle assure qu'elle ne permettrait jamais cela.

Il y a donc le rôle de médiation. Peut-être que B. Nétanyahou pense que quelques otages pourraient être libérés.es étant donné les pressions (à cet effet) sans rien concéder sur le reste. Peut-être qu'il espère l'ouverture de la première phase. Je ne pense pas que cela puisse arriver à si bas prix. Les Américains semblent espérer pouvoir introduire une division entre B. Nétayahou et les ministres Smotrich et Ben-Gvir et qu'ainsi B. Nétayahou, mis devant une occasion, par exemple un accord avec l'Arabie Saoudite, ne pourrait plus résister aux pressions publiques. Je pense que cela fait partie de la naïveté américaine, de son incapacité à apprendre les leçons de l'histoire. Je pense que B.Nétanyahou se retournera pour dire : « Je peux avoir un meilleur accord, peut-être pas maintenant, peut-être pas avec l'actuel Président (américain). J'ai arraché les accords d'Abraham en ne donnant rien. Cette fois je vais gagner quelque chose ».

Donc, à quoi cela nous mène-t-il ? Cela nous mène à savoir si cette administration, l'actuel Président Biden, veut faire en sorte qu'Israël fasse des choix difficiles, en y mettant suffisamment de pression à la table de négociation. Sinon, nous allons être à la merci de la dynamique sur le champ de bataille qui ne va pas très bien et de la pression interne sur le gouvernement israélien. Le risque d'escalade dans la région qui s'est élevé durant les dernières semaines, est bien présent. Il semble que les États-Unis soient d'accord pour prendre le risque supplémentaire d'être captifs d'autres guerres au Proche Orient parce qu'ils refusent de regarder dans le blanc des yeux un leader israélien dont la propre survie politique est en cause, (peut-être est-ce le cas du Président américain aussi) qui insiste pour maintenir le régime d'apartheid.

N.S. : Daniel Levy, je veux revenir à un commentaire que vous avez fait à propos de l'Arabie saoudite, de la normalisation de ses rapports avec Israël comme principal incitatif offert (dans ces négociations). Mais des doutes ont été soulevés, dont les Saoudiens sont au courant, j'en suis sûre, à l'effet que le Congrès américain n'était pas prêt à accepter cette entente même si elle va de l'avant tout comme avec le support technique à l'Arabie saoudite pour le développement de l'industrie nucléaire. On a aussi rapporté que B. Nétanyahou ne considérait pas la normalisation avec l'Arabie saoudite et le soutien des États-Unis essentiels à sa survie. Croyez-vous que ce soit vrai ? Car il semble bien que le premier objectif de B. Nétanyahou, pour des raisons que nous avons présentées dans nos émissions, soit de se maintenir au pouvoir, non ?

D.L. : Le Premier ministre Nétanyahou est un leader qui porte l'héritage du 7 octobre sur ses épaules. (…). Il fait face à des accusations criminelles devant les tribunaux. Donc, il se livre à des calculs pour savoir comment avancer. En ce moment même, il est plus important pour lui de maintenir sa coalition que d'entreprendre les démarches de normalisation avec l'Arabie saoudite. Il le veut mais pas à n'importe quel prix. Comme il l'a dit, il peut se tourner vers le public israélien et lui dire : « Ne craignez rien, les Américains veulent que je cède plus qu'Israël ne le veut. L'opposition parlementaire est prête à céder, pas moi. Je vais avoir un meilleur accord ». C'est donc sa position. Il ne se sent pas encore coincé.

Pour ce qui est de l'Arabie saoudite, pourquoi ne pas dire, si vous êtes dans sa position : « Voyons ce que nous pouvons avoir de plus des Américains. Voyons ce qu'ils mettront de plus sur la table. Et si c'est assez, peut-être y a-t-il des circonstances qui feront que nous serons d'accord. Sinon, au moins nous aurons eu une offre américaine que nous pourrons utiliser dans le futur et voir jusqu'où cela pourra aller ». Donc, il y a Israël plutôt habile à faire jouer la carte de l'administration (américaine) et de même pour l'Arabie saoudite. Je ne me réjouis pas à dire cela, mais (nous avons) un très faible, très inefficace gouvernement qui se tire dans le pied à Washington.

A.G. : Daniel Levy, je veux retourner à quelque chose que vous avez dit. Vous avez fait référence au gouvernement israélien comme à un régime d'apartheid. Vous avez aussi parlé de bantoustan. C'est très significatif venant d'un ancien négociateur de paix dans les gouvernements d'Ehud Barak et d'Yitzhak Rabin. Rappelons aux auditeurs.trices, que ce dernier a été assassiné par un extrémiste Juif. Expliquez-nous ce que veut dire « bantoustan » et dites-nous comment vous voyez les choses se dérouler (…).

D.L. : (…) J'imagine, et mon évaluation serait la suivante : (Aux États-Unis), cette communauté de gens, une communauté plutôt importante, qui considère de la plus grande importance que le résultat des élections ne renvoie pas D. Trump au pouvoir verra qu'il est critique que tout soit fait pour que l'alternative à D. Trump soit un Président soutenu par la plus large coalition possible pour lequel elle puisse voter, surtout ceux et celles qui ont déjà voté pour lui. J'espère donc que ces autres groupes qui ont autant d'intérêt à ce que D. Trump ne réussisse pas, feront suffisamment pression sur l'administration pour qu'elle change de politique quand à l'aide accordée, à l'encouragement et à l'armement (de la partie) que le plus haut tribunal dans le monde, la CIJ, a désignée auteur de plausibles actes de génocide. Au lieu de s'attaquer aux gens du Michigan et d'ailleurs qui déclarent : « Je ne peux pas. Je ne peux pas voter pour ce candidat ». Les Américains détiennent la clé.

Avec mon expérience de négociateur, j'examine la réalité de l'apartheid et l'offre de bantoustans. Il y a eu une option (de solution) à deux États. C'était une offre incroyablement positive pour Israël. Non pas le plan de partage des Nations Unies voté en 1947 qui permettait à l'État juif d'exister. Il lui donnait 53 ou 54% du territoire. Aujourd'hui il en détient 78%. Il a été voté virtuellement sans aucun des États décolonisés. Pas d'Africains, d'Asiatiques, pas de Sud global comme nous pourrions le dire, présents aux Nations Unies pour la création de l'État juif. (…) C'est sur cette base que les négociations pour la solution des deux États s'est constituée.

Plutôt que de prendre cela à bras le corps et se dire : « Bonté divine, comment allons-nous franchir l'espace qui nous mènera à un accord remarquable », plutôt que de faire cela, alors que le leadership palestinien, le PLO, était prêt à accepter la proposition, la position de négociation israélienne a toujours été, à travers le temps, de vider de sa substance l'État palestinien : non seulement ne rien prévoir pour les réfugiés.es, ne rien prévoir en matière de vérité et de réconciliation, demander que toutes les revendications s'arrêtent, que (les Palestiniens.nes) désarment, que des ilots de colonies soient installés sur le territoire et que le sort de Jérusalem, le statut des passages aux frontières etc. etc. soient laissés au hasard. Les ilots de colonies n'ont fait que s'agrandir à chaque révision de la carte.

Nous voilà donc un quart de siècle après la date butoir pour terminer ces négociations qui, dans les faits, légalement, visiblement, (donne un résultat qui) ressemble aux bantoustans qui existaient sous le régime d'apartheid (en Afrique du sud, n.d.t.). Comparaison n'est pas raison, mais les rapports sérieux des organisations qui défendent les droits humains ont largement prouvé que la définition légale de l'apartheid (s'appliquait ici).

Il y a une différence entre Joe Biden et Bibi Nétanyahou (dans ces circonstances). Le propos de Nétanyahou est : « Je ne leur donne pas un État, je leur donne des bantoustans ». J. Biden dit : « Pour l'amour du ciel appelez ça un État ». Nous savons tous et toutes que ce n'est pas un État parce que la partition a créé ces petits ilots palestiniens à gouvernance limitée dont le contrôle est exercé par le régime israélien qui assure que les Palestiniens.nes ne peuvent avoir de droits égaux, de sécurité et d'avenir. Ce sera toujours un contrat pour l'insécurité et l'explosion que cela affectent les Israéliens ou les Palestiniens. Je pense que de tenter de sortir de la crise en cours en reprenant cette démarche hyper restrictive est criminel.

N.S. : Daniel Levy, il ne nous reste qu'une minute, pouvez-vous nous parler de la signification de ce que vous avez mentionné plus tôt soit, la division dans le cabinet de guerre israélien même si ce n'est pas très important et de l'opposition populaire à la poursuite de la guerre qui augmente. Jusqu'à quel point cela pourrait influer sur les négociations et sur ce qu'Israël est prêt à concéder ?

D.L. : C'est très important Nermeen. D'abord il y a un camp en Israël qui est contre l'apartheid, contre l'occupation. Ces Juifs israéliens, ces Juives israéliennes, envisagent un avenir différent parce qu'en fin de compte ils et elles veulent avoir un endroit où avoir un avenir, un foyer mais pas aux dépends des Palestiniens.nes.

Il y a un autre camp, un camp différent ; une aile parlementaire et une population importante qui était contre Nétanayhou, qui protestaient durement avant le 7 octobre. Ce groupe persiste à ne pas faire confiance à Nétanyahou, est convaincu que la libération des otages devrait être prioritaire. Et qui est aussi convaincu que l'objectif de décimer complètement le Hamas est irréalisable, comme l'a exprimé un des ministres, M. Gadi Eisenkot qui a perdu un fils à la guerre. Il ne l'a pas dit ainsi, mais je vais le faire : Israël devrait faire cesser ces pertes.

Il y a donc une importante pression interne. Mais, malheureusement, ce n'est pas encore suffisant pour mettre fin à cette guerre et la pression extérieure que nous devrions avoir de la part des États-Unis, ne s'y ajoute pas.

N.S. : Merci Daniel Levy (…)

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Un tribunal américain exhorte Biden à examiner son « soutien indéfectible » à Israël

13 février 2024, par Olga Rodríguez — ,
Le juge note que « le siège militaire actuel à Gaza vise à éradiquer tout un peuple » et soutient la décision de la Cour internationale de Justice en considérant qu'il est (…)

Le juge note que « le siège militaire actuel à Gaza vise à éradiquer tout un peuple » et soutient la décision de la Cour internationale de Justice en considérant qu'il est probable « que la conduite d'Israël équivaut à un génocide »

7 février 2024 | tiré du site Rebelion.org
https://rebelion.org/un-tribunal-de-eeuu-insta-a-biden-a-que-examine-su-apoyo-inquebrantable-a-israel/

Vendredi dernier, le juge Jeffrey White a statué qu'il n'avait pas d'ordonner au gouvernement de Washington de faire ce que les demanderesses avaient demandé : qu'il se conforme « à son obligation de prévenir, et pour ne pas promouvoir, le génocide qui se déroule contre le peuple Palestiniens à Gaza. Mais il a avoué qu'il avait devant lui « la décision judiciaire la plus difficile qu'il n'ai jamais eu à prendre et qu'il a choisi d'y passer plus de temps qu'il n'ait jamais prix pour l'audition des victimes et leurs proches.

Sa conclusion est que « les preuves incontestables dont dispose notre Cour sont conformes à la conclusion de la Cour internationale de Justice et qu'elles indiquent que le traitement actuel des Palestiniens de Gaza par l'armée israélienne peut vraisemblablement déboucher sur un éventuel génocide, en violation du droit international ».

En outre, il souligne que « tant les témoignages incontestables des plaignants » que « l'expertise d'expert » en matière de génocide, ainsi que « des déclarations faites par divers responsables gouvernementaux sur le siège militaire en cours à Gaza a pour objectif d'éradiquer tout un peuple et tombe donc de manière plausible dans le cadre de l'interdiction internationale du génocide ».

La plainte a été déposée en Californie le mois dernier. par le Center for Constitutional Rights de New York – un U.S. Lawyers' Group with Movement Focused Of Human Rights – Contre le président Biden, le secrétaire d'État Anthony Blinken et le secrétaire à la Défense Lloyd Austin, et elle a eu plus de répercussions que certains médias américains avient prévu. Un certain nombre d'organisations de défense des droits de l'homme étaient présentes ainsi que des Palestiniens, dont plusieurs appartenaient à des familles des victimes à Gaza.

La plainte spécifique accusait les défenseurs de « ne pas avoir empêché et d'avoir été complices du génocide perpétré par le gouvernement israélien contre eux, leurs familles et les 2,2 millions de Palestiniens de Gaza », et a exhorté la Maison Blanche à cesser son aide militaire à Israël et à entraver les tentatives de la communauté internationale d'appeler un cessez-le-feu à Gaza.

Washington a fourni à Israël une plus grande aide militaire dans par le passé : un peu plus de 3,8 milliards de dollars par année. Plus, depuis le 7 octobre, les convois d'armes et de munitions ont été plus importants. De plus, il offre une forte couverture politique et un soutien diplomatique à Tel-Aviv, au point qu'au Conseil de sécurité il a opposé son veto à plusieurs reprises à la demande de la majorité d'imposer un cessez-le-feu iommédiat à gaza.

Les États-Unis choisissent d'éviter leurs obligations légales »

Dans sa conclusion, le juge Jeffrey White fait part de sa frustration de ne pas être en mesure d'émettre une ordonnance du tribunal, admettant qu'« il y a de rares cas dans lequel l'issue souhaitée est inaccessible à la Cour. C'est l'un de ces cas ». Il entend par là ce qu'il considère comme une l'absence de compétence en raison de précédents constitutionnels, ce qui ont été interrogés par les avocats des plaignants.

Le juge souligne dans ses directives que la jurisprudence l'empêche de faire une ingérence dans les affaires de la politique étrangère des États-Unis. Les avocats qui ont porté plainte affirment que la loi américaine autorise et exige la poursuite d'éventuelles accusations de génocide. « Ici les États-Unis choisissent de se soustraire à leurs obligations légales « Nous n'allons pas être en mesure de faire une différence », a déclaré Katherine Gallagher, avocate au Center for Constitutional Rights.

Jean Lin, avocate au ministère de la Justice des États-Unis a fait valoir au cours de l'audience que le tribunal n'avait pas juridiction compétence de traiter cette poursuite. L'Assemblée Générale de la L'ONU a le pouvoir de suspendre Israël de ses activités – telles que : dans le passé avec l'Afrique du Sud de l'apartheid – de demander à leurs membres à faire pression en faveur de sanctions ou d'admettre la Palestine en tant que un État membre à part entière.

Parmi les plaignants figurent les organisations palestiniennes Défense des Enfants International, basée à Ramallah, Cisjordanie, Al-Haq et plusieurs Palestiniens de Gaza et des États-Unis. L'un des témoins présents dans la salle d'audience était la journaliste Laila El-Haddad, mère de quatre enfants, journaliste et un écrivain de l'État du Maryland, dont quatre-vingt-neuf membres de sa famille sont morts à Gaza à cause des attaques israéliennes. Les survivants – oncles et cousins de Leila – ont dû déménager à plusieurs reprises à l'intérieur de la Bande de Gaza :

« L'armée israélienne a tué ma tante, mes deux cousins, blessé sérieusement d'autres cousins. Mon oncle n'a pas pu récupérer leurs corps. Ils sont toujours sous les décombres. Les membres de ma famille qui sont encore en vie souffrent de la faim, ils n'ont pas accès à l'eau potable, ils essaient de survivre comme ils le peuvent », a-t-il déclaré au juge.

« Comment cela affecte-t-il votre vie ? », a demandé l'un des avocats. « Cela absorbe tous les aspects de ma vie quotidienne. C'est un cauchemar. Mon quartier a été détruit par les bombardements israéliens le second le jour de l'offensive. J'avais l'habitude de m'y promener tous les étés. Je suis allé rendre visite à ma famille, j'ai acheté des glaces avec ma mère et des pistaches, Nous allions regarder le coucher de soleil sur la plage, puis écouter de la musique sur la plage. Tout a été rasé », a répondu El-Haddad.

« Nous vivons quelque chose de dévastateur et d'accablant. L'argent des impôts que je paie dans ce pays sont utilisés par mon gouvernement, qui est complice de cette destruction et du massacre de ma famille. Cela fait que je me sens invisible, non entendu, discriminé et déshumanisé. Biden pourrait rendre une décision et mettre fin à cela, mais il n'a pas décidé d'aider activement », a poursuivi cet
américain d'origine palestinienne.

Un autre plaignant est le poète et journaliste Ahmed Abu Artema, qui a été blessé lors d'une attaque israélienne en novembre contre son quartier à Gaza, où son fils Abboud, âgé de douze ans, une nièce de dix ans, la femme de son père, deux tantes et une cousine ont été touchéEs. Abu Artema a été la force motrice de la Grande Marche du Retour en 2018, une Manifestation non-violente qui s'est terminée avec plus de deux cents Palestiniens tués et par des milliers de blessés par l'armée israélienne. Une enquête sur circonstances par les Nations Unies a alors conclu que « les soldats israéliens ont commis des violations du droit international humanitaire et des droits de l'homme. De telles violations peuvent constituer des crimes de guerre ou des crimes contre les l'humanité.

Le Dr Omar Al-Najjar, 24 ans, s'est également adressé au tribunal . Il l'a fait via Internet depuis Rafah, au sud de Gaza, à partir d'un hôpital dans lequel plus de deux mille nouveaux patients par jour ont besoin d'être traités d'une blessure ou d'une maladie grave et alors qu'il y a une pénurie de médicaments. « J'ai tout perdu dans cette guerre », a déploré Al-Najjar. « Je n'ai rien d'autre que mon chagrin. C'est ce que les Israëliens et ses partisans nous ont faits.

Avocate du plaignant pour le Center for Constitutional Rights, Katherine Gallagher, a souligné que « le soutien indéfectible des États-Unis Unis à Israël permet le massacre de dizaines de milliers de personnes. La population palestinienne, des millions de personnes, est confrontéerontés à la famine. Pendant que nous sommes fortement en désaccord avec la décision finale de la Cour en matière de compétence, nous exhortons l'administration Biden à répondre à l'appel du juge d'examiner et de mettre fin à l'appui de cette actuelle action meurtrière. De concert avec nos plaignants, nous poursuivrons toutes les voies possibles pour arrêter le génocide et sauver des vies palestiniennes.

Mohammed Monadel Herzallah a déclaré qu'il avait perdu sept membres de sa famille victimes d'attaques israéliennes, dont une jeune fille de quatre ans. « Je me sens déshumanisé... Et le monde est paralysé à ce sujet », dit-il lors d'une conversation avec El Diario. « À l'heure actuelle, ma famille manque de nourriture, de médicaments et des produits de première nécessité pour survivre. Nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver la vie de notre peuple.

Une autre avocate, Diana Shamas, a souligné que « c'est un précédent et accablant qu'une cour fédérale ait été pratiquement jusqu'à déclarer qu'Israël commet un génocide et qu'elle critique le soutien « inlassable » de Blinken et Austin pour des actes qui constituent ce génocide », a-t-elle déclaré.

Khaled Quzmar, directeur général de la défense Children International, a déclaré lors d'une réunion avec El Diario.es que e visage du juge White « changeait à mesure qu'il entendait les témoignages des victimes et de leurs familles.

Parmi les témoignages entendus devant le tribunal, il y a eu celui de professeur d'histoire juive et spécialiste du génocide et de l'Holocauste Barry Trachtenberg, qui a souligné que l'attaque d'Israël contre Gaza « a été financé par le peuple américain, combattu avec des armes à feu fourni par les États-Unis et encouragé par une Maison-Blanche complice. Contrairement aux génocides passés, ils ont été condamnés longtemps après qu'ils aient pris fin, nous avons la possibilité d'arrêter ce dernier maintenant. Ce qui rend cette situation si unique, c'est que nous regardons le génocide se dérouler au moment où nous parlons...

Malgré le fait qu'elle ait été déclarée incompétente, la décision de la Cour fédérale américaine est sans précédent et marque une nouvelle étape dans le consensus croissant autour de la nécessité de mettre fin aux attaques israéliennes contre Gaza et d'enquêter sur Israël et le pour génocide en cours.

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Comment le chef de guerre Narendra Modi instrumentalise l’armée indienne

13 février 2024, par Courrier international — , ,
Quatrième puissance militaire dans le monde, l'Inde poursuit une modernisation tous azimuts de son armement. Mais ce développement à marche forcée cache un changement plus (…)

Quatrième puissance militaire dans le monde, l'Inde poursuit une modernisation tous azimuts de son armement. Mais ce développement à marche forcée cache un changement plus fondamental de la vocation de l'institution militaire : elle devient une arme politique, voire religieuse. Explications.

Tiré de Courrier international.

Le Premier ministre indien, Narendra Modi, au sommet d'un char d'assaut, a enfilé un treillis, des lunettes de soleil et un chapeau du plus bel effet – délaissant son habituel ensemble “kurta et churidar”, la veste ample et le pantalon resserré traditionnels dont il ne se départ jamais. “L'armée sous Modi”, titre sobrement le mensuel de New Delhi The Caravan, qui annonce un dossier sur l'“instrumentalisation politique des forces militaires”. Un phénomène double, explique le magazine :

  • “Narendra Modi a su exploiter l'image des forces armées pour propager sa propre communication.”

Quand bien même l'armée indienne “se trouve dans une position précaire avec la Chine”, qu'elle est contestée par le Pakistan, qui “continue de semer le trouble au Cachemire”, qu'elle est “impuissante face au nettoyage ethnique qui a lieu depuis neuf mois au Manipur”, dans le nord-est du pays, Modi parvient à tirer bénéfice d'une image publique de chef militaire et d'“homme fort qui maîtrise toutes les questions de sécurité”.

Détourner l'attention

Cela lui permet, grâce à des discours ultranationalistes, de “détourner l'attention lors de décisions politiques désastreuses” et de “se présenter comme un adversaire coriace aux yeux des ennemis de l'Inde”. Mais The Caravan met en lumière une dynamique inverse : “À bien des égards, l'armée est devenue un complice volontaire du projet politique de Modi.”

  • “Les forces armées bénéficient d'un nationalisme propagé dans sa forme la plus agressive et la plus directe.”

En cela, le Premier ministre a réussi, à force de limoger les officiers qui lui déplaisent, à forger une armée qui suit un nationalisme tout à fait différent de celui, anticolonial et laïque, qui avait perduré jusqu'à son arrivée au pouvoir en 2014. La plupart des généraux indiens épousent désormais le plan de Modi en faveur d'un Hindu Rashtra, une nation indienne fondée exclusivement sur la religion hindoue – et tant pis pour les citoyens non hindous.

Cela ne va pas sans créer quelques remous, poursuit The Caravan, qui cite le récent discours d'un gradé récalcitrant, le lieutenant-général Manoj Kumar Katiyar, chef du Commandement ouest des forces armées : “Ce qui distingue l'armée indienne, c'est qu'elle adhère strictement à deux principes importants : le premier est notre approche laïque ; le second, notre caractère apolitique.” Publiée sur le site du Commandement ouest, la vidéo de ce discours a été censurée quelques minutes plus tard. Serrez les rangs !

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Présidentielle en Indonésie : le favori Prabowo, une menace pour la démocratie ?

13 février 2024, par Erwin Ramedhan, Hubert Testard — , ,
Le 14 février prochain, les Indonésiens éliront leur président. Après deux mandats, le sortant, Joko Widodo, ne peut se représenter. Il s'est posé néanmoins en faiseur de roi, (…)

Le 14 février prochain, les Indonésiens éliront leur président. Après deux mandats, le sortant, Joko Widodo, ne peut se représenter. Il s'est posé néanmoins en faiseur de roi, soutenant son ministre de la Défense, Prabowo Subianto. Le grand favori des sondages, connu pour son style autoritaire et son passé sanglant dans l'armée, a fait du fils de l'actuel chef de l'État son candidat à la vice-présidence, donnant un goût de transmission dynastique du pouvoir dans l'archipel aux 17 000 îles. Quels sont les enjeux de cette élection ? Hubert Testard a posé la question à Edwin Ramedhan, professeur et ancien conseiller du gouvernement indonésien.

Tiré de The asialyst.

Entretien

Erwin Ramedhan était maître de conférences en journalisme et communication de l'Université Binus (Bina Nusantara) de Jakarta jusqu'à fin 2022. Il est titulaire d'un doctorat en économie politique de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et d'un DEA en commerce international de l'Université Paris I. Après un début de carrière dans le journalisme, Erwin Ramedhan a été conseiller au ministère de l'Industrie du Québec de 1992 à 2000, tout en exerçant différentes responsabilités au sein du World Trade Center de Jakarta jusqu'en 2003. Il est ensuite pendant deux ans conseiller auprès du ministre de la Coordination économique du gouvernement indonésien, avant de se consacrer à une carrière académique dans le domaine du commerce international en Indonésie.

Quels sont pour vous les principaux enjeux des prochaines élections présidentielles en Indonésie le 14 février prochain ?

Erwin Ramedhan : Je voudrais donner une perspective de long terme. En 2045, l'Indonésie fêtera le centenaire de son indépendance. Elle doit d'ici là rester une République une et indivisible, ou mourir. L'Indonésie est un vaste archipel de 17 000 îles (18 000 à marée basse), dont l'étendue Est-Ouest correspond à la distance de Paris à New York, et Nord-Sud d'Athènes à Moscou. Il y a plus de 300 ethnies et des centaines de dialectes. Il faut tenir tout cela ensemble, avec un projet de société national pour cent ans. Nous avons une langue commune qui est l'indonésien et un système administratif assez structuré, avec un cadre légal fondé sur le code Napoléon hérité de la colonisation néerlandaise. La plupart des Indonésiens ont confiance dans l'avenir de la nation, mais je ne suis pas entièrement rassuré.

L'un des problèmes majeurs à résoudre est celui de la corruption. C'est un problème qu'on trouve aussi ailleurs en Asie, comme en Chine, au Vietnam ou ailleurs. Mais en Indonésie, la corruption est tellement répandue que cela devient un obstacle structurel, qui provoque beaucoup de dégâts. C'est pour moi un des enjeux essentiels des années à venir. Il est évoqué dans la campagne présidentielle, mais à fleurets mouchetés car tout le monde est concerné dans le monde politique. Plus généralement, cette campagne aborde peu les sujets de fond. Elle porte essentiellement sur les mérites ou les démérites des trois candidats [Prabowo Subianto, Anies Baswedan et Ganjar Pranowo, NDLR]. Il n'y a pas vraiment de plateformes politiques, c'est un débat sur les personnalités. Les électeurs qui n'ont pas encore fait leur choix de candidat se demandent comment choisir le moins pire…

Justement, qu'est ce qui distingue les trois candidats ?

Prabowo et Ganjar ont une vision laïque de l'État, alors qu'Anies est plus sectaire. Il est proche des fondamentalistes musulmans, et c'est avec les votes de ces mouvements radicaux qu'il avait été élu gouverneur de Jakarta. Les sondages donnent Anies en deuxième position derrière Prabowo, ou en troisième position, mais je ne fais pas entièrement confiance à ces sondages qui sont parfois manipulés. Anies est un beau parleur et sa campagne électorale est efficace. La question centrale est par ailleurs de savoir si Prabowo passera dès le premier tour, ce qui suppose qu'il ait plus de 50 % des voix, alors que les sondages lui attribuent de 40 à 45 % des intentions de vote. Si un second tour a lieu, une surprise est possible car les deux autres candidats pourraient s'unir contre Prabowo.

Il existe, semble-t-il, un débat sur la nécessité ou non de poursuivre le projet de nouvelle capitale, Nusantara…

Oui, Anies est le moins favorable au projet. Cette nouvelle capitale se situe dans l'île de Kalimantan, qu'on appelle aussi Borneo. On peut faire une comparaison avec Brasilia, car dans les deux cas, on se situe à proximité d'une grande forêt tropicale. Nusantara est par ailleurs à 1 500 kilomètres à l'est de Jakarta. On risque d'avoir le même résultat qu'avec Brasilia : quel est son poids économique en comparaison de Sao Paulo et combien de temps a-t-il fallu pour réussir ce projet ?

Il est vrai cependant que le nord de Jakarta est en voie de submersion. Certains quartiers se situent maintenant deux mètres en dessous du niveau de la mer, et il faut organiser le développement urbain ailleurs. La question est de savoir si un tel déplacement aussi loin à l'est du pays est envisageable. L'Indonésie est organisée en provinces au sens romain du terme, provinciae – c'est-à-dire des territoires gouvernés par des représentants de Rome. C'est Java à l'Ouest qui exploite les richesses de l'ensemble du pays et qui abrite les élites dirigeantes.

Quels sont les enjeux internationaux de la campagne électorale ?

Les Indonésiens s'intéressent à la guerre Israël-Hamas car nous sommes le plus grand pays à majorité musulmane au monde, et beaucoup d'Indonésiens sont par ailleurs plutôt pro-russes depuis le début de la guerre en Ukraine. S'agissant de la Palestine, c'était au départ la solidarité religieuse qui primait. Mais aujourd'hui, c'est plutôt la solidarité anticoloniale. L'Autorité palestinienne elle-même réclame une solidarité nationale plutôt que religieuse, et pousse l'Indonésie à s'impliquer davantage dans la résolution politique du conflit.

Au plan militaire, Prabowo, qui est l'actuel ministre de la Défense, a organisé un rapprochement avec les Occidentaux. Au départ, en 2021, l'armée de l'air indonésienne voulait s'équiper de Soukhoïs russes. Les Américains ont fait pression sur l'Indonésie et menacé le pays de sanctions économiques. Prabowo a opté en définitive pour l'achat de Rafales français et de F-15 américains. Pour autant, la doctrine militaire du pays n'a pas fait l'objet d'une réelle mise à jour et la campagne électorale ne l'évoque pas.

Dans la relation avec la Chine, Prabowo a une approche pragmatique. Il prend en compte son poids économique en Asie et le rôle qu'elle peut jouer pour le développement de l'Indonésie. L'hostilité à l'égard des Chinois touche plutôt la diaspora chinoise en Indonésie. Par exemple, les investissements dans la filière de transformation du nickel associent des entreprises publiques chinoises et indonésiennes, mais ignorent les sociétés privées de la diaspora chinoise.

Pour ce qui concerne la relation avec la France, il ne faut pas oublier que la famille de Prabowo a des liens avec votre pays. Prabowo parle français. Son père Sumitro, ancien ministre et économiste distingué, était une proche connaissance de Pierre Messmer, ancien ministre de la Défense sous De Gaulle.

Le fils aîné de l'actuel président Jokowi, qui s'appelle Gibran, est candidat à la vice-présidence en partenariat avec Prabowo. Quel sera son rôle si Prabowo gagne les élections ?

La participation de Gibran Rakabuming Raka aux élections a soulevé un débat constitutionnel, car il n'a que 37 ans et l'âge requis pour une candidature à ce niveau est de 40 ans. Il a fallu une décision ad hoc de la Cour constitutionnelle en octobre dernier pour lui accorder une dérogation. Or cette cour était présidée par son oncle Anwar Usman [le beau-frère de Jokowi, NDLR], ce qui pose un sérieux problème de conflit d'intérêt. Le Conseil d'Honneur de la Cour constitutionnelle [qui traite les problèmes d'éthique, NDLR] a par la suite été saisi pour statuer sur ce problème de conflit d'intérêt. Il a démis Anwar Usman de sa fonction de président de la Cour constitutionnelle, mais il en reste membre et la dérogation accordée à Gibran n'a pas été annulée.

La candidature de Gibran est donc entachée d'un parfum d'illégalité. Il a par ailleurs une image d'immaturité et d'arrogance, d'autant plus préoccupante que des rumeurs circulent sur la santé de Prabowo. Si ce dernier n'était plus en mesure de diriger le pays un jour, la perspective de Gibran comme président inquiète, et ceci peut faire perdre quelques points à Prabowo lors du premier tour des élections.

Prabowo s'inscrit-il entièrement dans la continuité de Jokowi ? Présente-t-il une menace pour la démocratie en Indonésie ?

Son passé de général orchestrant en 1998 la répression contre l'opposition démocratique, et menant des actions de commandos sanglantes au Timor et en Papouasie de l'Ouest n'est plus un enjeu majeur aujourd'hui. Une partie des militants des droits de l'homme de l'époque l'ont rejoint, et l'interdiction de séjour dont il a longtemps fait l'objet aux États-Unis n'est plus de mise.

Au plan politique, il devrait effectivement s'inscrire dans la continuité de Jokowi, mais probablement dans un style plus autoritaire et clivant. Jokowi a fait pratiquement un parcours sans faute pour assurer la cohésion du pays, avec des niveaux d'approbation très élevés dans l'opinion. C'est seulement ces derniers mois qu'il a soulevé pas mal d'hostilité avec son approche « dynastique » de la succession. Prabowo pourrait pratiquer l'intimidation et se montrer beaucoup moins tolérant à l'égard de l'opposition. Il ne sera sans doute pas en mesure de museler la presse indonésienne, qui est très diverse, avec beaucoup de chaînes de télévision, de journaux et de médias sociaux, avec quand même un contrôle capitalistique assuré par l'oligarchie du pays.

Propos recueillis par Hubert Testard

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Pour le droit à l’autodétermination des Palestinien·nes, pour le retrait des forces impérialistes du Moyen-Orient

13 février 2024, par Gilbert Achcar — , ,
La guerre à Gaza se poursuit, avec son cortège d'horreurs, mais aussi avec des mobilisations de solidarité importantes et une résistance significative en Palestine. Gilbert (…)

La guerre à Gaza se poursuit, avec son cortège d'horreurs, mais aussi avec des mobilisations de solidarité importantes et une résistance significative en Palestine. Gilbert Achcar aborde cette situation et les pistes pour construire une résistance face à Israël et ses complices, l'extrême droite et l'impérialisme.

Tiré de Inprecor 717 - février 2024
8 février 2024

Par Gilbert Achcar

Pochoir sur un mur de Rome (Italie). © echiner1 — https://www.flickr.com/photos/decadence/3249209282/, CC BY-SA 2.0

Dans quelle phase de l'intervention Israélienne sommes-nous maintenant ?

Les choses sont relativement claires à la lumière des rapports militaires des forces d'occupation. La phase de bombardement la plus intensive est terminée pour le nord et elle est en cours d'achèvement pour la partie sud. Dans la moitié nord et au centre, les forces d'occupation sont passées à la phase ultérieure, celle d'une guerre dite de basse intensité. En réalité ils organisent un quadrillage complet des zones qu'ils ont occupées afin de détruire le réseau de tunnels et rechercher les combattants du Hamas et d'autres organisations qui sont toujours embusqués et peuvent surgir à tout moment, tant que les tunnels existent.

Les forces israéliennes sont de plus sous pression internationale, américaine notamment, pour passer à cette phase de combat dite de basse intensité. Mais ce nom est trompeur parce qu'en réalité la basse intensité se limite aux bombardements. Le nombre de missiles et de bombardements par avions et drones va diminuer puisqu'il n'y a plus grand-chose à détruire à Gaza. Ils vont passer à des interventions ponctuelles contre les groupes de combattants qui émergent ici ou là.

Ce qui a suivi le 7 octobre était une campagne absolument ravageuse de bombardement, qui a pris des proportions génocidaires : la destruction de fond en comble d'une vaste zone urbaine aboutit inévitablement à l'extermination d'un nombre incroyable de civils. Plus de 1 % de la population de Gaza a été tuée. Cela correspondrait pour la France au chiffre effrayant de 680.000 morts !

À cela s'ajoute l'expulsion de 90 % de la population de ses lieux de résidence. Une bonne partie de la droite israélienne – qui est une extrême droite, dans un pays où la gauche sioniste a été laminée – voudrait les expulser du territoire de Gaza vers l'Égypte ou ailleurs. Israël veut s'assurer du contrôle militaire total du territoire, mais c'est une vue de l'esprit : ils n'y arriveront jamais à moins précisément de mettre tout le monde dehors. Tant qu'il y aura une population à Gaza, il y aura une résistance à l'occupation.

La baisse en intensité des bombardements sur Gaza permet d'autre part à Israël de hausser le ton face au Liban, face au Hezbollah. Les dirigeants sionistes misent sur le fait qu'une partie du pays peut être détachée du Hezbollah pour des raisons confessionnelles et politiques. Les menaces s'accroissent de jour en jour avec une forte pression pour que le Hezbollah se retire au nord, à une distance de la frontière qu'Israël jugerait acceptable. Faute de quoi, Israël menace de faire subir le sort de Gaza à une partie du Liban, autrement dit de raser les régions où le Hezbollah est en position de force dans la banlieue sud de la capitale, au sud du pays, et également à l'est dans la Bekaa.

Quel est l'état de la résistance militaire en Palestine ?

À Gaza, une résistance peut continuer dans les zones dévastées tant qu'il y a les tunnels. Une sorte de ville souterraine a été construite pour les combattants. C'est comme un réseau de métro, mais la population gazaouie ne peut pas s'y réfugier, contrairement à ce qu'on a pu voir en Europe durant la Seconde Guerre mondiale ou comme on le voit aujourd'hui à Kiev, en Ukraine. Les tunnels creusés par le Hamas sont à l'usage exclusif des combattants.

Des roquettes continuent à être lancées de Gaza sur les agglomérations israéliennes, le Hamas et d'autres groupes essayant de montrer ainsi qu'ils sont toujours actifs. Éradiquer le Hamas et toute forme de résistance à Gaza est un objectif impossible à atteindre.

C'est ce qui amène l'extrême droite israélienne à dire qu'il faut vider le territoire de sa population, l'annexer, réaliser le Grand Israël du Jourdain jusqu'à la mer et vider tout ce territoire des Palestinien·nes. L'extrême droite israélienne, Likoud y compris, aspire à cela. Netanyahou affiche un positionnement officiel plus ambigu du fait de sa position de Premier ministre, mais il n'arrête pas de faire des clins d'œil à cette perspective extrémiste.

En Cisjordanie, la différence avec Gaza est que l'autorité palestinienne – qui est en charge des zones de peuplement palestinien en Cisjordanie – est exactement dans la position de Vichy par rapport à l'occupation allemande. Mahmoud Abbas est le Pétain des Palestiniens. Il existe en Cisjordanie des organisations prônant la lutte armée telles que le Hamas ou d'autres, mais ce qui a le plus attiré l'attention au cours de la dernière année, c'est l'émergence de nouveaux groupes de jeunes qui ne sont affiliés ni au Fatah, ni au Hamas, ni à aucune des organisations traditionnelles. Dans certains camps de réfugiés ou certaines villes, comme à Jénine et à Naplouse, ils se sont constitués en groupes armés et ont mené des opérations ponctuelles contre les troupes d'occupation, ce qui a entraîné des représailles massives.

Depuis le 7 octobre, les troupes d'occupation se sont engagées en Cisjordanie dans une campagne de ratissage, un remake de la « bataille d'Alger », avec en plus le recours à l'aviation pour la première fois depuis 2001. À cela s'ajoute l'action des colons sionistes qui harcèlent et tuent. À l'heure où nous parlons, il y a eu environ 300 morts en Cisjordanie. Ce n'est pas comparable à l'hécatombe, absolument terrible, perpétrée à Gaza, mais l'extrême droite israélienne souhaite répéter celle-ci en Cisjordanie à la première occasion. Cela dit, contrairement à ce que le Hamas espérait, il n'y a pas eu d'embrasement généralisé avec un soulèvement de la population palestinienne en Cisjordanie et à l'intérieur de l'État d'Israël en réponse à l'appel du mouvement islamique. La raison en est que la population de Cisjordanie est consciente de la disproportion du rapport de force militaire. Contrairement aux militaires du Hamas à Gaza, où il n'y a plus de force d'occupation directe depuis 2005, la population de Cisjordanie côtoie quotidiennement les forces d'occupation et est directement confrontée à l'extrême droite et aux colons. Elle sait que ceux-ci n'attendent qu'une occasion pour refaire ce qui a été fait en 1948, c'est-à-dire terroriser les gens et les forcer à fuir hors du territoire. C'est ce qui explique que la Cisjordanie n'a manifesté que modérément sa solidarité avec Gaza.

Quel est l'état des mobilisations en Israël ?

Le 7 octobre a été un choc très fort, comme l'a été le 11 septembre 2001 aux États-Unis. Puis il y a eu une utilisation en boucle dans les médias. L'événement n'arrête pas d'être exploité, avec une série sans fin de témoignages afin d'entretenir une mobilisation revancharde de la population. C'est ce type de campagnes, aux États-Unis, qui a permis à l'équipe Bush de se lancer dans les guerres d'Afghanistan et d'Irak. Pour l'instant en Israël, cela fonctionne aussi, et la grande majorité de l'opinion judéo-israélienne soutient la guerre.

Une petite minorité antiguerre dénonce le génocide. Il faut saluer son courage, car elle se heurte à un rejet complet par son milieu social. Mais ce qui est frappant, c'est la quasi-absence de mobilisation des citoyen·es palestinien·es d'Israël, contrairement à 2021, quand il y avait eu une forte mobilisation en solidarité avec le début d'Intifada en Cisjordanie. Cela avait entraîné des réactions violentes de l'extrême droite sioniste à l'intérieur. Au vu de la haine qui s'est emparée de la population judéo-israélienne après le 7 octobre, si les citoyen·es palestinien·es avaient tenté de reproduire une telle mobilisation, les conséquences auraient été terribles.

Cette population subit un climat très intimidant, avec brimades, répression et censure qui s'abattent sur elle, aggravant leur statut de citoyens de seconde zone. Ce sont maintenant des parias aux yeux d'une grande partie de la société israélienne.

Qu'est ce qui fait que selon toi il n'y a pas plus d'action dans les pays arabes ?

J'appartiens à une génération qui a vécu la défaite de 1967 et ses lendemains, puis les années 1970 qui ont connu de très fortes mobilisations. Cette fois, il y a eu quelques grandes manifestations dans des pays arabes, mais pas plus qu'en Indonésie ou au Pakistan par exemple. En Jordanie ou au Maroc, il y a eu de grandes manifestations, mais ces pays n'ont même pas mis fin à leurs relations diplomatiques avec l'État d'Israël.

La faiblesse relative des mobilisations ne peut s'expliquer que par le poids des défaites accumulées. La cause palestinienne s'est trouvée affaiblie, notamment du fait des divisions et de l'action de l'autorité palestinienne de type vichyste, ce qui a permis à un certain nombre d'États arabes d'établir des relations diplomatiques avec Israël.

Mais il y a aussi les défaites des deux ondes de choc révolutionnaires qu'a connues la région jusqu'ici, en 2011 et 2019. Quand on observe la région aujourd'hui, le constat est triste : il ne reste presque rien des conquêtes de ces deux vagues.

Les deux derniers pays où il existait toujours des gains du mouvement populaire sont la Tunisie et le Soudan. La Tunisie est passée de la dictature de Ben Ali à celle de Kaïs Saïed, avec peut-être un aspect de « farce » venant après la tragédie. Au Soudan, les comités de résistance avaient marqué des points jusqu'à l'année dernière, lorsque les deux fractions de l'ancien régime ont entamé en avril une guerre civile impitoyable. On en parle peu dans les médias mondiaux et notamment occidentaux malgré les dizaines de milliers de morts et les millions de déplacé·es, les violences sexuelles et tout le reste : plus la couleur de peau des gens est foncée, moins on en parle. C'est une immense tragédie, à laquelle les comités de résistance n'étaient pas préparés. Ils n'ont pas de branches armées qui leur auraient permis de jouer un rôle dans une situation de ce type.

On voit concrètement l'impact des défaites depuis le « printemps arabe » : la Syrie, le Yémen la Libye, et maintenant le Soudan, sont dans des situations de guerre civile ; en Égypte, Sissi a mis en place une dictature plus brutale que celle de Moubarak dont la population s'était débarrassée en 2011, et en Algérie les militaires ont rétabli l'ordre en se saisissant de l'occasion offerte par le Covid, puis ce fut le tour de la Tunisie…

Tout ça ne crée pas un climat propice à de grandes mobilisations qui, au Caire ou dans d'autres capitales, s'en prendraient aux représentations diplomatiques d'Israël et forceraient les gouvernements à rompre leurs liens avec l'État sioniste.

Est-ce pertinent d'en conclure que si le projet de l'extrême droite sioniste se réalise, Israël va augmenter son poids dans la région ?

L'extrême droite israélienne sait que les gouvernements de la région font très peu de cas de la question palestinienne, qu'une grande partie d'entre eux a déjà noué des relations officielles avec Israël, et qu'ils s'entendent bien entre gouvernements réactionnaires. Israël n'éprouve donc pas le besoin de faire des concessions de ce côté. Ils savent que le gouvernement saoudien est hypocrite, qu'il est sur la voie d'établir des relations avec eux comme les Émirats l'ont fait. Il y a coopération sécuritaire et militaire entre eux contre leur ennemi commun, l'Iran.

L'extrême droite israélienne attire dans son giron, avec l'effet du 7 octobre, une partie de ce qui était considéré comme le centre-droit. Elle table aujourd'hui sur le fait que l'administration américaine, qui s'est fourvoyée dans un soutien inconditionnel à son entreprise contre Gaza, s'est mise dans une position d'où elle ne peut plus reculer. En effet, les États-Unis sont entrés en période électorale, les Démocrates sont donc en concurrence avec les Républicains, et Trump ne manquera pas de saisir le moindre désaccord qui pourrait surgir entre Israël et Washington pour taper sur l'administration Biden. Cette dernière est en position de faiblesse, elle s'est mise dans une position d'où elle n'est plus en mesure d'exercer une forte pression sur l'entreprise génocidaire d'Israël. Il y a beaucoup d'hypocrisie dans les discours de Blinken exhortant Israël à faire preuve d'un plus grand souci « humanitaire » : il se moque du monde, sachant que les destructions et massacres génocidaires à Gaza n'ont été possibles que grâce à l'appui américain.

Cette guerre est la première guerre conjointe israélo-américaine, la première guerre où les États-Unis sont entièrement, depuis le début, partie prenante de l'opération, de ses buts déclarés, de son armement et de son financement.

En outre, l'extrême droite israélienne et Netanyahou misent sur un retour de Trump à la présidence américaine, qui leur faciliterait grandement la tâche pour leur projet de Grand Israël.

C'est pour cela qu'ils annoncent sans cesse que la guerre va continuer durant toute l'année 2024. C'est inséparable du fait que cette année 2024 est une année électorale aux États-Unis. Ils vont exploiter cette occasion pour continuer sur leur lancée militaire. La menace est donc très sérieuse pour le Liban et pour la Cisjordanie, les deux cibles potentielles d'une prochaine campagne militaire sioniste de grande envergure. La guerre « contre-insurrectionnelle » de « basse intensité » qui est en cours en Cisjordanie peut s'amplifier et, au Liban, les échanges limités de bombardements de part et d'autre de la frontière risquent de se transformer en opération de grande envergure.

À la lumière de l'expérience des mobilisations historiques sur la guerre, que ce soit le Vietnam, l'Irak ou la première Intifada, quels sont les mots d'ordre les plus efficaces pour contrer l'offensive israélienne ? Beaucoup de gens se posent la question de comment agir puisqu'on paraît être face à un ennemi indestructible.

L'effet 7 octobre a été exploité à fond en tablant sur ce que j'avais appelé, après le 11 Septembre, la « compassion narcissique », cette compassion qui ne s'exerce que vis-à-vis des semblables. En France, le parallèle a été fait d'emblée entre la rave party de ce 7 octobre et le Bataclan, de sorte que les gens s'identifient aux Israélien·nes et mettent le Hamas dans la même catégorie que l'État islamique.

Malgré cela, on a vu dans les pays occidentaux une montée de la mobilisation de solidarité avec Gaza, qui est cependant en grande partie celle des communautés d'origine immigrée en provenance de la région arabe ou de régions en sympathie avec la cause palestinienne. Malgré la disproportion absolue de la présentation des évènements dans les médias – pour lesquels une mort palestinienne est bien moins importante qu'une mort israélienne – les gens se rendent compte de l'ampleur du génocide en cours. Mais, avec l'effet 7 octobre, l'indignation est d'une moindre ampleur que ce qu'elle devrait être face à une guerre génocidaire de ce type, qui se déroule sous les yeux du monde entier.

Cependant, l'indignation gagne du terrain et a commencé à renverser la vague du 7 octobre pendant laquelle les voix de solidarité avec la Palestine ont été étouffées par une campagne qualifiant d'antisémitisme, de nazisme, etc., la moindre expression de cette solidarité. Il faut maintenant construire dans la durée en s'appuyant sur l'indignation face au génocide. Ce qui se passe à Gaza permet de montrer la réalité de l'État d'Israël, gouverné par l'extrême droite depuis de nombreuses années, une extrême droite de plus en plus radicale qui est passée à l'action en saisissant l'occasion du 7 octobre comme l'administration de George W. Bush avait utilisé le 11 Septembre pour mener des actions que ses membres projetaient depuis longtemps.

En termes de type d'action, la campagne BDS est éprouvée et efficace. Il faut la continuer et l'amplifier. Sur le plan politique, il faut mettre l'accent sur la complicité des gouvernements occidentaux – à des degrés divers. On peut comprendre les raisons historiques de l'attitude de la classe dirigeante allemande, mais les leçons de la catastrophe du nazisme qu'ils ont tirées sont bien mauvaises si elles les conduisent à soutenir un État qui, bien que se prétendant juif, se comporte de plus en plus comme les nazis.

En France, Macron a dû sentir qu'il était allé trop loin quand il a offert de participer à la guerre israélienne contre Gaza, et la France s'est maintenant distinguée d'autres gouvernements européens en soutenant l'appel au cessez-le-feu. La procédure enclenchée par l'Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice sur la question du génocide est également un point d'appui pour la pression sur les gouvernements.

Il faut aussi s'opposer aux livraisons d'armes à Israël, notamment aux États-Unis, et souligner l'hypocrisie et le « deux poids deux mesures » des gouvernements occidentaux sur la question de l'Ukraine et sur celle de la Palestine. Leur discours humanitaire et juridique sur l'Ukraine s'est effondré comme un jeu de cartes, surtout vu depuis le Sud mondial. Certes peu de gens se faisaient des illusions, mais maintenant le double discours est tout à fait flagrant. Cela comprend la qualification de génocide : elle a vite été utilisée pour l'Ukraine alors que ce qu'y a fait la Russie jusqu'ici est de bien moindre intensité destructrice et meurtrière que ce qu'a fait Israël à Gaza en trois mois.

Un éventail de thèmes politiques permet aujourd'hui de rebâtir une conscience internationaliste et anti-impérialiste, réellement conséquente. Le jumelage de l'Ukraine et de Gaza permet de montrer qu'on est contre toute invasion, qu'elle soit russe, israélienne ou américaine, et qu'en tant qu'internationalistes nous sommes conséquents dans la défense de valeurs universelles comme la paix, le droit des peuples, l'autodétermination, etc.

Il y a aujourd'hui matière à de nombreuses batailles d'éducation politique face aux médias, face à l'hypocrisie régnante, face à tous les partisans d'Israël ou de Moscou. Cette guerre des récits est facilitée par l'évidence de la sympathie de l'extrême droite pour Netanyahou et Poutine. Cela permet aussi de montrer comment antisémitisme et sionisme se complètent. Il faut retourner l'accusation assimilant l'antisionisme à l'antisémitisme en montrant que, s'il est vrai que certains discours antisémites se déguisent en antisionisme, cela est loin d'établir une égalité permanente entre antisionisme et antisémitisme. Il faut souligner en revanche la convergence entre antisémitisme et sionisme : l'extrême droite antisémite d'Europe et des États-Unis, qui souhaite se débarrasser des juifs, soutient le sionisme parce que celui-ci prône également le fait que les juifs doivent se rendre en Israël plutôt que de vivre en Europe ou en Amérique du Nord.

En ce qui concerne les mots d'ordre pour la solidarité avec Gaza, il faut aujourd'hui articuler les différentes questions qu'on a évoquées et qui sont d'abord de nature défensive : c'est-à-dire la nécessité d'arrêter le massacre, qui est la priorité absolue, donc l'appel à un cessez-le-feu immédiat. Mais cela ne suffit pas, parce que l'arrêt des combats en présence d'une occupation armée sur tout le territoire pose évidemment un problème. Il faut donc exiger aussi le retrait immédiat, et surtout inconditionnel, des troupes d'occupation. Il faut d'ailleurs exiger le retrait immédiat et inconditionnel d'Israël de l'ensemble des territoires occupés depuis 1967.

C'est un mot d'ordre qui est conforme à une optique que la grande majorité des gens peut comprendre puisque le droit international considère ces territoires comme occupés et donc exige la fin de leur occupation et de toute colonisation mise en place par l'occupant. De même, le droit international reconnaît aux réfugié·es palestinien·es un droit au retour ou à la compensation.

Après, c'est aux Palestiniens de décider ce qu'elles et ils veulent : le débat au sein du mouvement de solidarité sur un État ou deux États est souvent déplacé à mon sens, parce que ce n'est pas à Paris, à Londres ou à New York que doit être décidé ce qu'il faut pour les Palestiniens. Le mouvement de solidarité doit se battre pour le droit à l'autodétermination du peuple palestinien dans toutes ses composantes. C'est aux Palestinien·nes de décider ce qu'ils et elles souhaitent. Pour l'instant, il y un consensus palestinien sur les revendications de retrait d'Israël des territoires occupés en 1967, démantèlement des colonies en Cisjordanie, destruction du mur de séparation, droit au retour des réfugié·es et égalité réelle pour les citoyen·nes palestinien·nes d'Israël. Autant de revendications démocratiques, qui sont compréhensibles par tout le monde, et doivent être au centre de la campagne de solidarité avec le peuple palestinien.

Au-delà, dans le domaine de l'utopie, il y a matière à réflexion et débat, bien sûr, mais ce n'est pas là-dessus que se construisent les campagnes de masse, notamment dans l'urgence d'un génocide en cours.

Propos recueillis par Antoine Larrache le 19 janvier 2024.

Gilbert Achcar est professeur à SOAS, Université de Londres. Contributeur régulier et historique d'Inprecor et de la presse de la IVe Internationale, il est l'auteur notamment du Choc des barbaries (2002, 2004, troisième édition : Syllepse, Paris, 2017), Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (Sindbad, Actes Sud, Arles, 2009), Le Peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe (Sindbad, Actes Sud, Arles, 2013). Son livre le plus récent – La Nouvelle Guerre froide. États-Unis, Russie et Chine, du Kosovo à l'Ukraine – vient tout juste de paraître en français aux éditions du Croquant.

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Dans l’enfer de Gaza, Raphaël Pitti clame : « Je n’ai jamais vu ça »

Une équipe française de santé, des médecins et une infirmière, vient de passer deux semaines dans la bande de Gaza. À l'hôpital européen, entre Khan Younès et Rafah, ils ont (…)

Une équipe française de santé, des médecins et une infirmière, vient de passer deux semaines dans la bande de Gaza. À l'hôpital européen, entre Khan Younès et Rafah, ils ont tenté d'aider une population civile directement touchée par les bombardements et les tirs de snipers. Ils racontent les réanimations à même le sol, les amputations d'enfants et le calvaire des femmes enceintes.

Tiré d'À l'encontre.

« Je n'ai jamais vu ça. » Médecin humanitaire, professeur de médecine d'urgence et des catastrophes, anesthésiste-réanimateur, Raphaël Pitti vient de sortir de la bande de Gaza, où il a passé deux semaines avec plusieurs confrères français. La colère supplante la fatigue lorsqu'il parle.

Cet ancien militaire, membre de l'Union des organisations de secours et de soins médicaux (UOSSM), s'est déplacé sur de nombreux conflits, que ce soit en Syrie, en Ukraine, au Tchad, en ex-Yougoslavie ou ailleurs. C'est dire son expérience de la guerre et des souffrances des populations civiles. Et pourtant, en mesurant ces mots, il assène à nouveau : « Je n'ai jamais vu ça ! »

Fort de son expérience, il entendait partir soigner les populations du territoire palestinien dès les premiers jours du conflit. Il lui aura fallu des démarches incessantes et frapper enfin à la bonne porte pour entrer à Gaza avec l'aide de l'association de médecins palestiniens Palmed et de l'UOSSM.

Avec quatre autres Français, il est finalement passé le 22 janvier, grâce à ce qu'on appelle une « coordination » avec l'association américaine Rahma. Celle-ci s'est chargée d'obtenir les autorisations nécessaires, tant du côté égyptien que du côté israélien. Ce n'est pas le moindre des paradoxes. Le franchissement de la frontière entre l'Égypte et la bande de Gaza dépend du bon vouloir d'Israël. Pourquoi Le Caire accepte-t-il d'abdiquer sa souveraineté ? La question reste posée.

Avec son équipe, Raphaël Pitti se trouvait à l'hôpital européen de Khan Younès, à la lisière de Rafah, la dernière ville palestinienne de la bande de Gaza avant l'Égypte. Là où plus d'un million de Gazaouis tentent de trouver refuge, de se protéger des bombardements incessants de l'armée israélienne, en vain [1].

La cité de 250 000 habitants est surpeuplée de plus d'un million de personnes pratiquement sans abri. « Les gens ont tout perdu, ils essaient de se construire des abris à même la rue, en utilisant des sacs en plastique et des tapis », témoigne-t-il. Même pas de tentes, donc, sur le sol boueux inondé par la pluie. Une eau qui stagne, propice à l'humidité et aux maladies [2].

Il parle de ces petits métiers qui ont fait leur réapparition, comme le réparateur de briquets normalement jetables, le rechargeur de téléphones. Et ceux qui ont une machine à coudre s'improvisent couturiers. Des files d'attente se forment, les familles viennent faire recoudre leurs chaussures et raccommoder leurs vêtements rapiécés, souvent les derniers qui leur restent. « Il n'y a pas un espace de libre. Nous sommes face à une population dans la misère à laquelle on a enlevé toute dignité », décrit le médecin.

Dans la bande de Gaza, tout s'est effondré sous les coups de boutoir israéliens, les immeubles aussi bien que le système de santé. Conséquences du stress permanent et des déplacements des femmes enceintes forcées de marché sur des dizaines de kilomètres pour échapper aux explosions, le nombre de césariennes a triplé.

Elles sont en moyenne de 30 par jour, contre 10 avant la guerre. Le médecin français évoque cette jeune femme de 24 ans, diabétique depuis l'âge de 12 ans, enceinte de sept mois. « Elle ne mangeait pas assez, son taux d'insuline a considérablement baissé. Elle est tombée dans le coma. Elle a accouché spontanément d'un bébé mort. C'est inacceptable, dans des conditions normales, on aurait pu sauver l'enfant. » Il finit par lâcher : « Il faudra bien faire le bilan de toutes ces horreurs. »

À Khan Younès, l'hôpital européen dans lequel officiaient les praticiens français demeure le seul à rester fonctionnel. Outre les malades et les blessés, 25 000 personnes s'y sont installées. Ils seraient le même nombre à camper autour de l'établissement sanitaire [3]. Chaque espace de couloir a été « privatisé ». Raphaël Pitti nous montre les photos. Aux faux plafonds ont été accrochées des bâches. De quoi préserver un peu d'intimité dans une promiscuité insoutenable.

Les enfants, désireux de vivre dans un environnement qu'ils ne comprennent pas toujours, jouent au ballon alors que leurs parents entrent dans les services pour trouver un drap, de quoi enterrer un des leurs. De « saturé », l'hôpital devient « sursaturé ». Après 22 heures, c'est pire. Tous ceux qui n'ont pas d'abri se ruent dans l'établissement pour dormir non pas dans un lit, mais sous un toit, là où il fait un peu plus chaud et où l'on est censé être protégé par les lois de la guerre. Ce qui est malheureusement un leurre. Tous les médecins décrivent un « désordre indescriptible ; les gens arrivent en criant parce que dehors les bombardements reprennent ». Un véritable terreau pour toutes les infections, d'autant qu'il est impossible de laver les sols du bâtiment.

« L'hôpital est ciblé, les personnels de santé sont ciblés », dénonce Khaled Benboutrif, médecin urgentiste qui s'est rendu lui aussi dans la bande de Gaza. Umane Maarifu, infirmière qui a passé quinze jours à Gaza, précise : « Ma démarche n'avait rien de religieux, ni de politique. Peu m'importe le Hamas ou Israël. Je pensais m'être préparée. En fait, j'étais préparée par rapport à la souffrance des patients, pas à celle de mes collègues. Ils étaient là 24 heures sur 24. Tous avaient perdu au moins un membre de leur famille, et pourtant, ils continuaient. » La plupart sont eux-mêmes des déplacés et ne perçoivent que 30% de leur salaire depuis des mois.

Un hôpital qui ne remplit presque plus les conditions d'une structure médicale de campagne tant l'hygiène y est absente. Quant à l'asepsie… « On réanime par terre », déplore Chemseddine Bouchakour, anesthésiste-réanimateur qui faisait partie de l'équipe française.

Pendant deux semaines, il s'est totalement investi, cherchant des solutions pour remédier au manque de morphine. L'orthopédiste Mamoun Albarkani, déjà présent à Gaza lors de la guerre en 2008-2009, estime qu'il n'y a aucune comparaison avec ce qui se passe actuellement : « Cette fois, tout est visé, les immeubles d'habitation, les écoles, les universités, les mosquées et même les hôpitaux. On voit qu'ils veulent raser tout Gaza. » La plupart des structures, exsangues et sans moyens, recevaient des blessés graves.

Les seuls soins possibles étaient les pansements et les cautérisations. C'est ainsi que le docteur Mamoun Albarkani a traité des patients dont on n'avait pas pu changer le pansement pendant un, deux, voire trois mois, à qui il fallait couper un membre. « J'ai vraiment été marqué par les enfants. J'ai dû en amputer un qui n'avait que 2 ans », dit-il.

Khaled Benboutrif estime que « la plupart des blessés ne parviennent même pas jusqu'à nous. Lorsque nous sommes arrivés, nous subissions des bombardements des avions de chasse israéliens. Puis, ils ont encerclé les hôpitaux ». L'hôpital Nasser de Khan Younès, la plus grande structure médicale de la ville, a été assiégé pendant onze jours. Personne ne pouvait ni entrer ni sortir.

La plupart des structures sont maintenant hors d'état de fonctionner, comme l'a dénoncé Médecins sans frontières (MSF). « Les bombardements étaient si rapprochés que les murs de l'hôpital recevaient des éclats et que les faux plafonds s'écroulaient », ajoute Raphaël Pitti. Il évoque aussi les snipers israéliens « qui visent des civils à la tête en utilisant des balles à basse énergie [plus lentes et plus légères] qui blessent plutôt qu'elles ne tuent ».

Aux blessés de la guerre, il convient d'ajouter les pathologies chroniques ou les traitements longs qui ne sont plus assurés. C'est le cas des chimiothérapies, interrompues. Les temps de dialyse sont passés de 4 heures à 2 heures par jour. Ce qui pose la question de la perpétuation du travail de l'Office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), menacé de stopper ses activités par manque de financement après la décision d'un certain nombre de pays, dont les États-Unis et la France, de suspendre leur contribution financière.

« Actuellement, toutes les ONG engagées à Gaza pour venir en aide à la population peuvent intervenir grâce à la coordination de l'UNRWA, souligne le docteur Pitti. Si vous arrêtez le seul système qui les aide, vous condamnez à mort ces populations. On est dans une volonté de génocide. » [4]

Chemseddine Bouchakour se dit « marqué par le regard des patients. Un regard de détresse à travers leurs pleurs ». Khaled Benboutrif garde en mémoire la peur, présente partout. Umane Maarifu ne cachait pas son émotion, lundi 5 février au soir, au Caire, en parlant de « la dignité de ces hommes et de ces femmes malgré la honte dans laquelle on veut les maintenir ». (Article publié dans le quotidien français L'Humanité, le 7 février 2024)

Notes

[1] Le 6 février, selon diverses sources, les attaques aériennes sur la ville de Rafah et les environs se sont multipliées. Les blessés se multiplient, comme les personnes tuées par ces attaques. L'ONU rappelle que sont concentrés actuellement dans le sud 1,9 millions de Palestiniens déplacés cherchant désespérément de « se protéger ». L'intention des forces armées israéliennes de les contraindre à fuir Rafah – qui borde de très près l'Egypte –, c'est-à-dire à trouver « un moyen de sortir », semble se confirmer. Une nouvelle facette d'une Nakba à répétition. (Réd.)

[2] Ce 7 février, les partenaires de l'UNRWA, un ensemble d'organisations comprenant des ONG locales travaillant avec l'agence des Nations unies, indiquent que seulement quatre de leurs 22 centres de santé restent opérationnels dans la bande de Gaza. (Réd.)

[3] Selon un journaliste d'Al Jazeera, le 4 février, « des combats acharnés, des attaques aériennes et des bombardements ont été signalés à Khan Younès, y compris à proximité de l'hôpital européen de Gaza ». (Réd.)

[4] L'UNRWA, selon ses termes, a toujours réfuté son « implication supposée » dans les massacres du 7 octobre commis par des membres de l'aile militaire du Hamas. Le dirigeant de l'UNRWA, Philippe Lazzarini, a réfuté à plusieurs reprises les accusions israéliennes de collusion de l'UNRWA avec le Hamas. Deux commissions indépendantes doivent enquêter à ce propos, y compris sur la véracité des accusations portant sur « 12 membres » [sur 13'000 à Gaza] qui auraient été impliqués dans l'attaque du 7 octobre. Dans un article publié sur le site du Monde le 7 février, Philippe Ricard et Laure Stephan font le constant factuel élémentaire : « Si ce comité [mis en place le 5 février par Antonio Guterres] va scruter leur profil [des employés de l'UNRWA], celui-ci n'a rien de très secret : les listes du personnel à Gaza sont partagées depuis des années avec les autorités israéliennes, qui ont pu les passer au crible. »

Bien que bien informé par ses services « d'intelligence », le gouvernement israélien répète aujourd'hui une attaque contre l'UNRWA. Elle s'inscrit dans une tradition. Toutefois, dans la conjoncture présente, cette offensive permet de dévier les projecteurs qui étaient braqués sur le gouvernement Netanyahou et les modalités de conduite de sa guerre à Gaza, aux accents génocidaires, interrogées par la Cour internationale de justice. (Réd.)

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Quand l’Occident cloue le cercueil israélien du peuple palestinien !

D'abord les faits : L'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) fait vivre près de 4 millions de réfugiés (…)

D'abord les faits : L'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) fait vivre près de 4 millions de réfugiés palestiniens, gèrant leurs écoles et leurs hôpitaux, tout en leur fournissant de l'eau potable et de la nourriture. Rien qu'à Gaza, l'UNRWA emploie 13 000 personnes. Israël accuse 12 d'entre eux d'être impliqués dans l'attaque du Hamas du 7 octobre. La direction de l'UNRWA licencie 9 d'entre eux, et un dixième est décédé. Immédiatement après, 11 pays occidentaux annoncent qu'ils cessent de financer l'UNRWA, ce qui signifie la fin automatique de l'UNRWA et peut-être des réfugiés palestiniens eux-mêmes, puisque ces 11 pays sont les principaux bailleurs de fonds de l'organisation des Nations Unies qui a - en fait - maintenu en vie des générations de réfugiés palestiniens depuis 1949…

Tiré du site du CADTM.

Les mots sont évidemment superflus pour commenter cette décision monstrueuse des 11 grands et moyens pays occidentaux, alors que le génocide du peuple palestinien bat son plein. La brutalité de cette décision devient encore plus monstrueuse quand on sait que la plupart de ces 11 pays - et les plus riches d'eux - ont un passé génocidaire incroyablement « riche ». Et le pire, c'est qu'au moins certains d'entre eux « trouvent difficile », voire refusent de le reconnaître et même de s'excuser auprès de leurs victimes !

Nous ne reviendrons pas sur le cas du Japon, dont les autorités, Premier ministre en tête, rendent encore hommage, une fois par an, à leurs compatriotes criminels de guerre qui ont commis ce qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un génocide du peuple chinois dans les années 1930 ! Mais nous dirons encore quelques mots sur les cas très instructifs mais aussi odieux de deux autres de ces 11 pays si « vertueux », les pays européens beaucoup plus proches de nous, que sont la Suisse et l'Allemagne. Car le lien entre le passé coupable de cette dernière et le génocide de Gaza a été évoqué publiquement à l'initiative du président de la Namibie, donc du pays qui a été la victime de la - chronologiquement - première opération génocidaire allemande.

Réagissant à ce qu'il a qualifié de décision « choquante » de l'Allemagne de cesser de financer l'UNRWA et de soutenir Israël dans l'affaire qui l'oppose à l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice de La Haye, le président namibien Hage Geingob a dénoncé « l'incapacité de l'Allemagne à tirer les leçons de sa cruelle histoire » et a ajouté : “L'Allemagne ne peut pas moralement exprimer son engagement envers la Convention des Nations unies contre le génocide, y compris l'expiation du génocide en Namibie, tout en soutenant l'équivalent d'un holocauste et d'un génocide à Gaza« Et voici de quoi il s'agit : »Entre 1904 et 1908, environ 80% du peuple herero et 50% du peuple nama vivant sur le territoire de l'actuelle Namibie ont été exterminés par les forces du Deuxième Reich, soit environ 65 000 Herero et 10 000 Nama...ce crime de l'histoire coloniale africaine est aujourd'hui considéré comme le premier génocide du XXe siècle”. Ce n'est peut-être pas un hasard si la citation ci-dessus, comme la plupart des autres informations sur ce « premier génocide du XXe siècle », est tirée du... Memorial de la SHOAH, l'extraordinaire « musée et centre de documentation » de Paris consacré à l'Holocauste du peuple juif par le Troisième Reich nazi. Mais nous continuons : le 2 octobre 1904, le chef du corps expéditionnaire allemand, le général Lothar von Trotha, signa un « ordre d'extermination » (Vernichtungsbefehl) ordonnant : « Tous les Herero doivent quitter le pays. S'ils ne le font pas, je les forcerai à partir avec mes grosses pièces d'artillerie, les canons. Tout Herero trouvé sur le sol allemand... armé ou non armé, avec ou sans animaux, sera exécuté. Je n'accepte ni femmes ni enfants. Ils doivent partir ou mourir. Telle est ma décision pour le peuple Herero [1].

Et c'est ce qui s'est passé. Mais pas seulement par les balles et les obus, mais aussi par la faim et la soif dans le désert du Kalahari où les survivants ont été poussés. Et aussi par l'enfermement dans des camps de travail forcé et d'extermination où ils sont morts comme des mouches. Si tout cela vous rappelle quelque chose qui s'est passé 35-40 ans plus tard, vous en avez raison Et pas seulement parce que le premier gouverneur colonial allemand de la région des Herreros et des Nama s'appelait Göring, et qu'il était... le père du futur maréchal nazi et commandant en second d'Hitler, Hermann Göring. Mais surtout parce que certains des génocidaires de 1904 ont vécu assez longtemps pour jouer un rôle de premier plan dans l'holocauste de la nation juive 30 ans plus tard. Comme, par exemple, Franz Ritter von Epp, bras droit de l'abominable von Trotha et eminence du parti nazi, qui a noyé dans le sang le soulèvement de Spartacus de Rosa Luxemburg et exterminé les Juifs et les Roms de Bavière alors qu'il en était le dirigeant suprême…

Le pire, dans le cas de l'Allemagne, n'est cependant pas tout cela. C'est que ce n'est qu'en 2021, 100 ans plus tard (!), que l'Allemagne s'est autorisée à reconnaître son crime et à s'excuser officiellement ! Et que, malgré les pressions de la Namibie et des descendants des victimes de son génocide, ce n'est qu'en 2011 que l'Allemagne leur a rendu ... les crânes de leurs ancêtres, sur lesquels les anthropologues racistes de Berlin, dirigés par le tristement célèbre Eugen Fischer, mentor et professeur du bourreau d'Auschwitz Josef Mengele, ont fait leurs « études » pseudo-scientifiques !

Mais venons-en à la Suisse, dont le ministre des affaires étrangères a justifié sa décision de supprimer le financement de l'UNRWA par le fait que « La Suisse a une tolérance zéro pour tout soutien au terrorisme et tout appel à la haine ou incitation à la violence ». Tout orait bien si son pays faisait effectivement ce qu'il proclame. Mais le problème est que depuis la Première Guerre mondiale, la Suisse a fait et continue de faire exactement le contraire : elle se distingue par son soutien aux terroristes et aux incitateurs à la haine et à la violence. Et surtout au plus grand d'entre eux, à Hitler, à son régime et à sa guerre !

En réalité, la Suisse des grands banquiers et des marchands d'armes a servi le régime nazi comme aucun autre pays. De quelle manière ? D'abord comme receleur du IIIe Reich, en faisant ce que même l'Espagne de Franco et le Portugal de Salazar ont refusé de faire : elle a accepté de mettre dans ses banques, et de « blanchir », l'or des banques centrales des pays conquis, mais aussi des particuliers - principalement juifs - qui avait été pillé et volé par l'Allemagne nazie ! Et elle l'a fait parce qu'elle est devenue non seulement le véritable coffre-fort du régime nazi, mais aussi le principal financier de sa guerre ! Et de quelle manière ? En « échangeant » l'or volé contre des francs suisses, la seule monnaie convertible que l'Allemagne pouvait se procurer à l'époque, pour acheter les matières premières (pétrole, caoutchouc, etc.) dont elle avait besoin pour lancer et poursuivre sa guerre !

Mais examinons la culpabilité de la Suisse depuis le début. C'est Hitler lui-même qui a garanti la fameuse « neutralité » suisse pour la simple raison qu'une Suisse conquise par l'armée allemande (comme il était prévu à l'origine) ne pouvait pas avoir sa propre monnaie convertible pour répondre aux besoins du régime nazi. Des besoins absolument vitaux puisque ses caisses étaient vides en 1939 en raison du coût astronomique de ses préparatifs de guerre, qui n'avaient été que partiellement couverts par l'or de l'Autriche intégrée au Reich, repoussant d'un an seulement la faillite de l'économie allemande. Et c'est pour toutes ces raisons qu'il est aujourd'hui communément admis par les historiens les plus autorisés que sans la Suisse et ses « services », la Seconde Guerre mondiale serait terminée au moins deux ans plus tôt, d'autant plus c'est en fait l'industrie de guerre suisse qui a équipé la Wehrmacht dans une mesure considérable au cours des deux dernières années de la guerre, alors que les usines allemandes étaient impitoyablement bombardées et réduites à l'état de ruines. D'ailleurs, il est à noter que l'industrie de guerre Bührle-Oerlikon de M. Bührle (la plus grande fortune de Suisse) a livré ses dernières armes à tir rapide à la Wehrmacht quelques jours avant la fin de la guerre, en avril 1945 !

Mais, ce n'est pas seulement que les autorités suisses et leurs banquiers ont même accepté sans états d'âme... 120 kg d'or provenant de dents en or retirées des déportéEs dans les couloirs de la mort des différents camps d'extermination. C'est aussi qu'elles connaissaient très bien, très tôt et même « de première main » les crimes nazis sans précédent puisqu'elles avaient envoyé des équipes de médecins et d'infirmières suisses sur le front de l'Est pour soigner les blessés de la Wehrmacht, et ce sont ces médecins qui ont vu de leurs propres yeux et informé leurs compatriotes des meurtres de masse de dizaines de milliers de civils juifs soviétiques ! Et elles l'ont fait tout a fait consciemment parce que les dirigeants suisses eux-mêmes étaient des antisémites convaincus, ce qui est prouvé par de nombreux documents officiels comme par exemple celui des négociations avec les autorités nazies sur le « contrôle des voyageurs » lequel révèle que ce ne sont pas les nazis allemands mais les vertueux « libéraux » suisses qui ont invente et proposé, en 1939, aux Allemands (qui ont accepté) l'infâme tampon avec la lettre J (comme dans Jude, Jew, Juif) qui « ornait » les passeports des juifs d'Allemagne. Et ils ont fait ça pour... les distinguer des autres voyageurs allemands afin qu'ils ne soient pas acceptés comme réfugiés politiques en Suisse ! [2].

Mais comme dans le cas de l'Allemagne, le pire est que la Suisse officielle a tout fait dans le demi-siècle qui a suivi, pour couvrir et dissimuler sa culpabilité, calomniant voire détruisant ceux qui cherchaient la vérité ou en étaient eux-mêmes les témoins oculaires. Comme, par exemple, le courageux Paul Grüninger, chef de la police du canton de Saint-Gall, qui a délivré de fausses cartes d'identité et de faux papiers à des Juifs persécutés, sauvant littéralement 3 600 d'entre eux. D'ailleurs, c'est parce que Paul Grüninger a défié les ordres et n'a pas fait ce que la Suisse officielle a fait, c'est-à-dire refuser l'asile à des dizaines de milliers de Juifs ou même en livrer plusieurs à la Gestapo, que Paul Grüninger a été jugé, condamné, privé de sa pension, et qu'il est mort pauvre et traité de « traître à la patrie » en 1972. Détail éloquent : sa condamnation n'a été... « annulée » qu'en 1995 !

Nous nous arrêtons ici sans aborder la question toujours brûlante (en 2024 !) des milliers de dépôts juifs de l'entre-deux-guerres “dormants” dans les banques suisses, pour la restitution desquels les banquiers suisses exigent souvent la présentation des reçus (!) que les déposants juifs auraient dû emporter avec eux dans les chambres à gaz des différents camps d'extermination ! Vraiment, quel degré d'arrogance, d'hypocrisie et de cynisme faut-il au ministre suisse des affaires étrangères pour oser déclarer que « La Suisse a une tolérance zéro pour tout soutien au terrorisme et tout appel à la haine ou incitation à la violence » ? Tout comme l'Allemagne, la Suisse de “ceux d'en haut” ne semble pas vouloir tirer les leçons de son histoire récente. Et c'est pourquoi elle renverse la morale et fait du péché une vertu, afin de rester toujours fermement aux côtés de ses capitalistes et des génocidaires qui font ses affaires, remplaçant simplement son antisémitisme traditionnel par son islamophobie actuelle...

Notes

[1] Nous recommandons l' »histoire illustrée« suivante, réalisée par l'artiste et journaliste canadien Danylo Hawaleshka, et intitulée »Israël, Gaza, l'Allemagne et le génocide en Namibie" : https://www.aljazeera.com/gallery/2024/1/23/israel-gaza-germany-and-the-genocide-in-namibia

[2] Pour tout cela et bien plus encore, voir le documentaire « L'honneur perdu de la Suisse », d'abord interdit (1997) par les autorités suisses, puis « libéré » après une décision de la Cour européenne des droits de l'homme à laquelle ses auteurs ont fait appel : https://www.rts.ch/play/tv/histoire-vivante/video/lhonneur-perdu-de-la-suisse?urn=urn:rts:video:8036475

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Si l’armée israélienne envahit Rafah, qu’adviendra-t-il des plus de 1,5 million de Palestinien.es qui s’y abritent ?

Une invasion israélienne de Rafah entraînera un exode massif et paniqué de près d'un million de civils palestinien.nes vers une zone de sécurité désignée de la taille de (…)

Une invasion israélienne de Rafah entraînera un exode massif et paniqué de près d'un million de civils palestinien.nes vers une zone de sécurité désignée de la taille de l'aéroport Ben-Gourion. On ne sait toujours pas comment les FDI comptent concilier cette situation avec la décision de la CIJ selon laquelle Israël doit prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter les actes de génocide.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Yahya Sinwar, ses proches collaborateurs et les soldats du Hamas n'ayant jamais été retrouvés dans la ville de Gaza, ni à Khan Yunis, l'armée israélienne envisage d'étendre son opération terrestre à la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Elle le fait parce qu'elle suppose que Sinwar et ses aides se cachent dans les tunnels situés sous cette région méridionale de la bande de Gaza et qu'ils y gardent probablement les otages israéliens encore en vie.

La plupart des habitant.es de la bande de Gaza, soit 1,4 million de personnes, sont actuellement concentrés à Rafah. Des dizaines de milliers de personnes continuent de fuir vers la ville depuis Khan Yunis, où les combats se poursuivent. L'idée qu'Israël envahisse Rafah et que des combats aient lieu entre et près des civils terrifie les habitant.es de la ville et les personnes déplacées à l'intérieur du territoire. La terreur qu'ils ressentent est renforcée par la conclusion que personne ne peut empêcher Israël de réaliser ses intentions - pas même la décision de la CIJ qui ordonne à Israël de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter les actes de génocide.

Les correspondants militaires en Israël rapportent et supposent que l'armée a l'intention d'ordonner aux résidents de Rafah de se déplacer vers une zone sûre. Depuis le début de la guerre, l'armée brandit cet ordre d'évacuation comme une preuve qu'elle agit pour éviter tout dommage aux « civils non impliqués ».

Cependant, cette zone de sécurité, qui a été bombardée et l'est encore par Israël, se rétrécit peu à peu. La seule zone de sécurité qui reste vraiment, et que les FDI désignent maintenant pour les masses de personnes à Rafah, est Al-Mawasi - une zone côtière du sud de Gaza d'environ 16 kilomètres carrés (environ 6 miles carrés)

On ne sait toujours pas par quelles mesures verbales les FDI et leurs experts juridiques entendent réconcilier cet entassement d'un si grand nombre de civils avec les ordres donnés par la CIJ.

La zone humanitaire désignée par l'armée est à peu près de la taille de l'aéroport international Ben-Gourion (environ 6,3 miles carrés)« , ont conclu les journalistes de Haaretz Yarden Michaeli et Avi Scharf dans leur rapport au début de cette semaine. Le rapport, intitulé »Les habitants de Gaza ont fui leurs maisons. Ils n'ont nulle part où retourner", révèle l'étendue de la dévastation dans la bande de Gaza, telle qu'elle a été capturée par les images satellites.

La comparaison avec l'aéroport international Ben-Gourion invite à imaginer une densité au-delà de tout ce qui est imaginable, mais les commentateurs de la télévision israélienne ne vont pas beaucoup plus loin que l'intuition profonde que l'invasion terrestre de Rafah « ne sera pas si simple ».

Bien que ce soit difficile, nous devons imaginer ce qui attend les Palestiniens à Rafah si le plan de l'armée est mis en œuvre. Nous devons le faire non pas tant pour des considérations humanistes et morales, qui après le 7 octobre ne sont pas si pertinentes pour la majorité du public israélo-juif, mais à cause des enchevêtrements militaires, humanitaires et – finalement – juridiques et politiques qui sont sûrement attendus si nous nous engageons dans cette voie.

La compression

Même si « seulement » environ un million de Palestiniens fuient pour la troisième et la quatrième fois vers Al-Mawasi - une zone qui est déjà pleine de Gazaouis déplacé.es – la densité sera d'environ 62 500 personnes par kilomètre carré (environ 157 000 personnes par mile carré).

Cela se produira dans une zone ouverte, sans gratte-ciel pour loger les réfugiés, sans eau courante, sans intimité, sans moyens de subsistance, sans hôpitaux ni cliniques médicales, sans panneaux solaires pour recharger les téléphones, alors que les organisations d'aide devront traverser des zones de combat ou s'en approcher pour distribuer les petites quantités de nourriture qui parviennent à entrer dans la bande de Gaza.

Il semble que la seule position dans laquelle cette zone étroite pourrait accueillir tout le monde serait qu'ils soient tous debout ou à genoux. Il sera peut-être nécessaire de former des comités spéciaux qui détermineront les modalités de couchage par roulement : quelques milliers de personnes s'allongeront tandis que les autres continueront à rester debout. Le bourdonnement des drones au-dessus et en dessous, les pleurs des bébés nés pendant la guerre et dont les mères n'ont pas de lait ou n'en ont pas assez, voilà qui constituera la bande-son lancinante portant sur les nerfs de tout le monde.

D'après ce que nous avons vu lors des raids terrestres de Tsahal [l'armée israélienne] et des batailles dans la ville de Gaza et à Khan Yunis, il est clair que l'opération terrestre à Rafah, si elle a lieu, durera de nombreuses semaines. Israël croit-il que la CIJ considérera la compression de centaines de milliers ou d'un million de Palestiniens sur un petit morceau de terre comme une « mesure » appropriée qui empêche le génocide ?

La marche de l'évansion

Environ 270 000 Palestiniens vivaient dans le district de Rafah avant la guerre. Le million et demi de Palestiniens qui y vivent actuellement souffrent de la faim et de la malnutrition ; ils souffrent de la soif, du froid, des maladies et des infections qui se propagent, des poux dans les cheveux et des éruptions cutanées ; ils souffrent d'épuisement physique et mental et d'un manque chronique de sommeil. Ils s'entassent dans les écoles, les hôpitaux et les mosquées, dans les quartiers de tentes qui ont vu le jour à Rafah et dans ses environs, et dans les appartements qui abritent des dizaines de familles déplacées.

Des dizaines de milliers d'entre eux sont blessés, y compris ceux dont les membres ont été amputés à la suite des attaques de l'armée ou des opérations chirurgicales qui ont suivi. Tous ont des parents et des amis – enfants, bébés et parents âgés – qui ont été tués au cours des quatre derniers mois.

Les maisons de la plupart d'entre eux ont été détruites ou gravement endommagées. Tous leurs biens ont été perdus. Ils n'ont plus d'argent en raison des prix élevés et exorbitants des denrées alimentaires. Nombre d'entre eux n'ont échappé à la mort que par chance et ont été témoins de l'effroyable spectacle des cadavres. Ils ne pleurent pas encore les morts, car le traumatisme persiste. Les gestes de soutien et de solidarité s'accompagnent de disputes et de bagarres. Certains perdent la mémoire et la raison à cause de toutes ces souffrances.

Comme elle l'a fait dans d'autres zones de la bande de Gaza, l'armée israélienne émettra un avertissement environ deux heures avant une invasion terrestre à Rafah, afin de préserver l'effet de surprise. Les habitants disposeront ainsi d'une fenêtre de quelques heures ce jour-là pour évacuer la ville.

Imaginez ce convoi de réfugiés et la panique générale des habitants fuyant vers Al-Mawasi, à l'ouest. Pensez aux anciens, aux malades, aux handicapés et aux blessés qui auront la « chance » d'être transportés dans des charrettes tirées par des ânes ou des brouettes de fortune et dans des voitures qui roulent à l'huile de cuisine.

Tous les autres, malades ou en bonne santé, devront partir à pied. Ils devront probablement laisser derrière eux le peu qu'ils ont réussi à collecter et à emporter lors des déplacements précédents, comme des couvertures et des bâches en plastique pour s'abriter, des vêtements chauds, un peu de nourriture et des articles de base tels que des petits réchauds.

Cette marche forcée atteindra probablement les ruines de certains des bâtiments qu'Israël a bombardés il y a peu, ou par les cratères créés sur la route par les attaques. Tout le convoi restera alors immobile jusqu'à ce qu'une déviation soit trouvée. Quelqu'un va trébucher, une roue de charrette va s'enliser dans la boue. Et tous, affamés, assoiffés, effrayés par l'imminence de l'attaque ou le bombardement attendu des chars, continueront à avancer. Les enfants pleureront et se perdront. Les gens se sentiront mal. Les équipes médicales auront du mal à atteindre ceux qui ont besoin de soins.

Seuls 4 kilomètres séparent Rafah d'Al-Mawasi, mais il faudra plusieurs heures pour les traverser. Les personnes qui marchent seront coupées de toute communication, ne serait-ce qu'en raison de l'encombrement du convoi et de la surpopulation. Elles se disputeront l'endroit où elles souhaitent planter leur tente. Elles se battront pour savoir qui sera le plus proche d'un bâtiment ou d'un puits. Elles s'évanouiront de soif et de faim.

L'image suivante [photo ci-dessous non reproduite] se répétera plusieurs fois au cours des prochains jours : Un cortège de Palestinien.nes affamé.es et apeuré.es se met à fuir en panique à chaque fois que les FDI annoncent une nouvelle zone dont les habitant.es sont censé.es être évacué.es, tandis que les chars et les troupes d'infanterie avancent vers eux. Les bombardements et les troupes au sol se rapprochent des hôpitaux qui fonctionnent encore. Les chars les encerclent et tous les patients et les équipes médicales doivent être évacués vers la zone surpeuplée d'Al-Mawasi.

L'opération terrestre

Il est difficile de savoir combien d'entre eux décideront de ne pas partir. Comme nous l'avons appris avec ce qui s'est passé dans les districts du nord de Gaza et à Khan Yunis, un grand nombre d'habitant.es préfèrent rester dans une zone destinée à une opération terrestre. Parmi eux, des dizaines de milliers de Gazaouis déplacé.es, malades ou gravement blessé.es qui sont hospitalisés, des femmes enceintes et d'autres personnes décideront de rester dans leurs propres maisons, dans celles de leurs proches ou dans des écoles transformées en abris. Le peu d'informations qu'ils recevront de la zone de concentration d'Al-Mawasi suffira à les décourager de le rejoindre.

Cependant, les soldats et les commandants des FDI interprètent différemment l'ordre d'évacuation : quiconque reste dans une zone désignée pour une invasion terrestre n'est pas considéré comme un civil innocent ; il n'est pas considéré comme « non impliqué ».

Toutes celles et tous ceux qui restent chez eux et sortent pour aller chercher de l'eau dans une installation municipale qui fonctionne encore ou dans un puits privé, les équipes médicales appelées à soigner un patient, une femme enceinte qui se rend à l'hôpital voisin pour accoucher, tous ceux-là, comme nous l'avons vu pendant la guerre et les campagnes militaires passées, sont criminalisés aux yeux des soldats. Les abattre et les tuer est conforme aux règles d'engagement de l'IDF.

Selon l'armée, ces tirs sont effectués en conformité avec le droit international, car ces personnes ont été averties qu'elles devaient partir. Même lorsque les soldats pénètrent dans les maisons pendant les combats, les habitant.es de Gaza, principalement des hommes, risquent d'être tués par des tirs. Un soldat qui tire sur quelqu'un parce qu'il s'est senti menacé ou parce qu'il a obéi à un ordre, cela n'a pas d'importance. C'est arrivé dans la ville de Gaza, et cela pourrait arriver à Rafah.

De même, les équipes d'aide humanitaire ne sont pas autorisées ou incapables d'atteindre le nord de la bande de Gaza pour distribuer de la nourriture, elles ne pourront pas le faire dans les zones de combat de Rafah. Le peu de nourriture que les habitants ont réussi à sauver s'épuisera progressivement.

Ceux qui resteront chez eux seront contraints de choisir le moindre des deux maux : soit sortir et risquer les tirs israéliens, soit mourir de faim chez eux. La plupart d'entre eux souffrent déjà d'un manque cruel de nutriments. Dans de nombreuses familles, les adultes renoncent à la nourriture pour que leurs enfants puissent être nourris. Il y a un réel danger que beaucoup meurent de faim dans leur maison alors que les combats font rage à l'extérieur.

Les bombardements

Depuis le début de la guerre, l'armée a bombardé des bâtiments résidentiels, des espaces ouverts et des voitures dans tous les endroits qu'elle avait définis comme « sûrs » (que ses résidents n'étaient pas tenus de quitter). Peu importe que les attaques visent des installations du Hamas, des responsables du groupe ou d'autres membres qui séjournaient avec leur famille ou qui étaient sortis de leur cachette pour leur rendre visite, les civils sont presque toujours tués.

Les bombardements ne se sont pas arrêtés à Rafah non plus. Dans la nuit de jeudi à vendredi, deux maisons ont été bombardées dans le quartier de Tel al-Sultan, à l'ouest de Rafah. Selon des sources palestiniennes, 14 personnes ont été tuées, dont cinq enfants.

Les sources ont également indiqué qu'une mère et sa fille avaient été tuées lors d'une attaque israélienne contre une maison dans le nord de Rafah le 7 février et qu'un journaliste avait été tué avec sa mère et sa sœur dans l'ouest de Rafah la veille. Le 6 février également, ajoutent les sources, six policiers palestiniens ont été tués lors d'une attaque israélienne alors qu'ils sécurisaient un camion d'aide dans l'est de Rafah.

Ces attaques montrent que les soi-disant calculs des dommages collatéraux approuvés par les experts juridiques des FDI et le bureau du procureur de l'État sont extrêmement permissifs. Le nombre de Palestinien.nes non impliqués qu'il est « permis » de tuer en échange de l'atteinte d'une cible de l'armée est plus élevé que dans n'importe quelle guerre précédente.

Les habitant.es de Rafah craignent que les FDI n'appliquent ces critères permissifs à Al-Mawasi et n''attaquent ici également pour peu qu'une cible se trouve dans la zone, parmi les centaines de milliers de personnes qui s'y abritent. C'est ainsi qu'un refuge annoncé deviendra un piège mortel pour des centaines de milliers de personnes.

Amira Hass


• Traduction pour ESSF de E. (de la version en hébreu) et Pierre Rousset (de la version en anglais) avec l'aide de DeepL pro.

• Source : Haaretz. 10 février 2024

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L’opinion publique israélienne a adopté la « doctrine Smotrich »

13 février 2024, par Orly Noy — , ,
L'acceptation du plan final élaboré par le ministre israélien d'extrême droite est attestée par le soutien populaire au nouvel ultimatum pour Gaza : l'émigration ou (…)

L'acceptation du plan final élaboré par le ministre israélien d'extrême droite est attestée par le soutien populaire au nouvel ultimatum pour Gaza : l'émigration ou l'anéantissement.

3 février 2024 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/israel-palestina-la-opinion-publica-israeli-ha-adoptado-la-doctrina-smotrich/

Il y a six ans, Bezalel Smotrich, alors jeune parlementaire à la Knesset lors de son premier mandat, a publié un Plan final, une sorte de solution au conflit israélo-palestinien. Selon le député d'extrême droite – actuellement ministre des Finances d'Israël et plus haute autorité en Cisjordanie – la contradiction inhérente entre les aspirations nationales juives et palestiniennes ne permet aucune forme de compromis, de réconciliation ou de partition. Au lieu de maintenir la fiction qu'un règlement politique est possible, a-t-il dit, la question devrait être résolue unilatéralement une fois pour toutes.

Le plan ne fait référence à Gaza qu'en passant : Smotrich suppose que le confinement israélien de l'enclave est la solution idéale à ce qu'il appelle le « défi démographique » posé par l'existence même des Palestiniens. Pour la Cisjordanie, en revanche, il s'agit d'une annexion totale.

Dans ce dernier territoire, les préoccupations démographiques seront atténuées en donnant aux 3 millions d'habitants palestiniens le choix : soit renoncer à leurs aspirations nationales et continuer à vivre dans leur pays avec un statut inférieur, soit émigrer à l'étranger. Si, d'un autre côté, ils choisissent de résister à Israël, ils seront identifiés comme des terroristes et l'armée israélienne « tuera ceux qu'elle doit tuer ». Lorsqu'il a présenté son plan à des personnalités sionistes religieuses et qu'on lui a demandé s'il voulait aussi tuer des familles, des femmes et des enfants, Smotrich a répondu : « À la guerre comme à la guerre. »

Le plan final a reçu peu d'attention de la part du public ; Même les commentateurs politiques israéliens les plus éminents l'ont perçu comme délirante et dangereuse depuis sa publication. Mais une analyse actualisée des médias et du discours politique israéliens montre que lorsqu'il s'agit de l'attaque actuelle de l'armée contre Gaza, l'opinion publique dominante a pleinement intériorisé la logique du plan de Smotrich.

En fait, le sentiment de l'opinion publique israélienne à l'égard de Gaza – où le plan de Smotrich est mis en œuvre avec une cruauté qui n'était même pas prévue – est maintenant encore plus extrême que le texte du plan lui-même. Et il en est ainsi parce qu'en pratique, Israël a éliminé de l'ordre du jour la première option proposée – celle d'une existence inférieure, dé-palestinienne – qui, jusqu'au 7 octobre, était préférée par la majorité des Israéliens.

L'émigration ou l'anéantissement

Le choc total de l'attaque brutale du Hamas et le refus de la contextualiser par des décennies d'oppression reflètent une position israélienne qui s'étonne sincèrement que les Palestiniens n'aient pas accepté leur statut de prisonniers à Gaza, qu'ils n'aient pas été reconnaissants de la générosité d'Israël qui a permis à quelques milliers de Palestiniens de travailler pour un salaire dérisoire sur la terre des Gazaouis. que leurs familles ont été expulsées et qu'ils n'ont pas rendu hommage à leurs occupants.

Car combien d'Israéliens se soucient de la situation à Gaza tant que les Palestiniens ne lancent pas de roquettes ou ne franchissent pas les barbelés pour entrer dans leurs communautés ? Qui s'est jamais donné la peine de se demander ce que cela signifie pour l'enclave assiégée d'être calme ? Pour la plupart des Juifs israéliens, les plus de 2 millions de Palestiniens de Gaza auraient dû se taire et accepter leur famine. Mais aujourd'hui, les Israéliens ne se satisfont plus de ce choix et se sont donc unis sous le couvert d'un nouvel ultimatum pour Gaza : l'émigration ou l'anéantissement.

Dans le discours actuel, l'émigration est présentée comme une déférence humanitaire en permettant à la population civile palestinienne de quitter la zone d'hostilités. La réalité est que, depuis le 7 octobre, l'armée israélienne a déplacé de force les trois quarts de la population de Gaza, principalement du nord, et continue de bombarder cette population dans toutes les parties de la bande de Gaza.

Comme alternative, l'émigration est proposée sous la forme de plans de réinstallation généralisée des Palestiniens hors de la bande de Gaza, plans qui sont sérieusement envisagés par les hauts responsables et les décideurs politiques israéliens. Pour une partie très importante de la population israélienne, les Palestiniens sont plus faciles à déplacer que les meubles de salon.

Puisqu'il est tout à fait logique pour la plupart des Israéliens d'expulser la population de Gaza, ils perçoivent le refus palestinien de se soumettre à la puissance du régime israélien comme une menace existentielle et une raison suffisante pour son anéantissement. S'il est vrai que les horribles massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre dans des communautés civiles ont violé ce qui devrait être le domaine de la résistance légitime à l'oppression, la grande majorité de la population israélienne était très heureuse que des tireurs d'élite israéliens aient tué et mutilé des Palestiniens qui manifestaient en masse devant la clôture de barbelés entourant Gaza pendant la Grande Marche du Retour. Pour la grande majorité des Israéliens, aucune forme de protestation contre l'occupation n'est légitime.

Ce n'est pas seulement la logique de Smotrich qui s'est enracinée dans le cœur de l'opinion publique israélienne depuis le 7 octobre, mais aussi sa rhétorique. Dans l'introduction du Plan ultime, Smotrich écrit : « L'affirmation selon laquelle le terrorisme découle du désespoir est un mensonge. Le terrorisme naît de l'espoir : l'espoir de nous affaiblir. De même, l'opinion publique israélienne a accepté la rupture du lien entre le terrorisme, d'une part, et le désespoir et les conflits, d'autre part ; dans le climat actuel, toute tentative de ne serait-ce que mentionner ce lien est immédiatement dénoncée comme une justification des crimes du Hamas.

La smotrichisation alarmante de l'opinion publique israélienne s'incarne dans sa volonté totale de sacrifier chaque vie du dernier Palestinien de Gaza pour la victoire finale que le ministre d'extrême droite a promise dans son plan. Elle s'exprime dans son indifférence obscène face au nombre astronomique de morts parmi les enfants palestiniens et dans son acceptation absolue que toute notion de lutte et de liberté doit être éteinte de l'autre côté des barbelés, quel qu'en soit le coût humain.

Ce processus ne s'arrêtera pas ou ne s'arrêtera pas à la clôture de barbelés à Gaza. La logique de Smotrich est déjà ancrée dans le traitement réservé par l'État à ses propres citoyens palestiniens, qui font face à un degré de persécution et de répression qui rappelle le régime militaire israélien de 1949-1966. Ce n'est pas une coïncidence si, de nos jours, les voix de cette communauté sont presque complètement absentes de la sphère publique ; Ils sont arrêtés et inculpés simplement pour avoir affirmé leur identité nationale.

Dans un pays où poster une vidéo de shakshuka (plat du moyen-orient) à côté d'un drapeau palestinien vous conduit en prison, le processus de smotrichisation et d'intériorisation de sa logique ultime est déjà achevé. Il est difficile d'imaginer les implications pour permettre à la société israélienne malade de se réhabiliter après la guerre et de rétablir les bases de la lutte pour une société partagée.

Orly Noy, une Israélienne d'origine iranienne, est rédactrice en chef de Local Call, activiste et traductrice de poésie et de prose en farsi. Elle est présidente du conseil exécutif de l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem et membre du parti politique arabo-israélien Balad (Assemblée nationale démocratique).

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Ces nouvelles attaques ne font que confirmer l'intention des autorités d'occupation israéliennes de vider cette partie du territoire palestinien de ses occupants. Et par la violence.

Tiré d'Algeria Watch. Article publié à l'origine dans El Watan.

Il n'y a plus d'endroit sûr pour la population palestinienne de Ghaza. Ayant fui les bombardements aveugles et criminels de l'armée de l'occupation israélienne, 1,3 million de Ghazaouis, réfugiés dans la ville de Rafah, au sud de la Bande encerclée, sont désormais directement ciblés.

Une centaine d'entre eux, particulièrement des enfants et des femmes, ont été tués, dans la nuit de vendredi à hier, par l'occupant qui étend ainsi sa guerre abjecte à la partie sud de la Bande de Ghaza. Selon plusieurs agences de presse et des médias, l'Etat hébreu, défiant la Cour internationale de justice (CIJ) et le droit international, a pilonné des maisons à Rafah faisant au moins 100 morts parmi les civils.

De nouvelles victimes qui alourdissent encore le bilan du génocide israélien qui s'élève, selon le ministère palestinien de la Santé à 27 238 personnes tuées, en majorité des femmes, enfants et adolescents, et 66 452 blessés depuis le début de cette nouvelle agression israélienne.
Ces nouvelles attaques ne font, en fait, que confirmer l'intention des autorités de l'occupation de vider cette partie du territoire palestinien de ses occupants.

Et par la violence. En effet, après avoir concentré ses assauts sur la ville de Khan Younès durant les dernières semaines, l'armée de l'occupation israélienne sème désormais la mort y compris à Rafah, où s'entassent les civils chassés de leurs maisons au nord de Ghaza. Selon l'AFP qui cite des témoins, 12 personnes ont été tuées lors d'une frappe aérienne sur une maison appartenant à la famille Hijazi.

« Ils ont bombardé sans aucun avertissement », témoigne Bilal Jad, 45 ans, un voisin dont la maison a été endommagée lors de l'attaque. « Il n'y a aucun endroit sûr. Les frappes aériennes ont lieu partout », précise-t-il. Abdoulkarim Misbah résume le calvaire des civils palestiniens pourchassés par le danger.

Installé dans un centre après avoir fui le camp de réfugiés de Jabaliya dans le Nord, l'homme s'est installé à Khan Younès. Mais il a été à nouveau contraint de quitter les lieux. « Nous avons échappé la semaine dernière à la mort à Khan Younès. Nous sommes partis sans rien emporter avec nous », raconte-t-il.

Antonio Guterres préoccupé

Cette situation fait réagir le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, qui a exprimé vendredi sa « profonde » préoccupation quant à une éventuelle expansion de l'agression israélienne contre la ville de Rafah, dans le sud de la Bande de Ghaza. S'exprimant lors d'une conférence de presse, le porte-parole de l'ONU, Stéphane Dujarric, affirme : « Nous avons déjà vu l'impact des actions à Khan Younès sur les civils, mais aussi l'impact sur nos propres installations lorsque notre complexe a été touché. »

Pour rappel, le 24 janvier, le bombardement par l'armée d'occupation d'un centre de formation de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (Unrwa) dans la ville de Khan Younès a fait 13 martyrs et des dizaines de blessés.

En plus de l'accueil des réfugiés, cette ville constitue également la principale voie d'acheminement des aides humanitaires à environ 2,3 millions de personnes, qui vivent dans des conditions extrêmement précaires avec des besoins des plus urgents. Cette extension de la guerre par l'occupation intervient au moment où des diplomates s'activent pour parvenir à une seconde trêve, plus longue que celle d'une semaine qui avait permis en novembre la libération de prisonniers.

Une seconde trêve

En vue de mettre en place cette seconde trêve, le leader du Hamas, Ismaïl Haniyeh, était attendu hier en Egypte pour discuter d'une proposition élaborée lors d'une réunion, fin janvier à Paris, entre le chef de la CIA, William Burns, et des responsables égyptiens, israéliens et qataris.

Selon une source du Hamas, citée par des agences de presse, la proposition porte sur trois phases, dont la première prévoit une trêve de six semaines. Durant celle-ci, Israël devra libérer 200 à 300 prisonniers palestiniens en échange de 35 à 40 otages détenus à Ghaza, et 200 à 300 camions d'aide humanitaire pourront entrer chaque jour dans le territoire.

Ces derniers jours, le Qatar a fait état de « premiers signes » d'appui à la trêve de la part du Hamas. Pour sa part, la partie israélienne, assure aussi Doha, « approuve la proposition ».

L'affirmation est contradictoire avec les déclarations des responsables de l'Etat hébreu, qui soutiennent « qu'ils ne mettront pas fin définitivement à l'offensive à Ghaza qu'une fois le mouvement islamiste éliminé, les otages libérés et après avoir reçu des garanties sur la sécurité future du territoire ».

Ce projet de trêve doit d'ailleurs être au cœur d'une nouvelle tournée au Proche-Orient du secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, à partir d'aujourd'hui, qui le conduira au Qatar, en Egypte, en Israël, en Cisjordanie occupée et en Arabie Saoudite.

17 000 enfants sans accompagnement

En attendant cette trêve, le cauchemar continue pour les enfants palestiniens. Selon un communiqué de l'Unicef, publié vendredi dernier, au moins 17 000 enfants de la Bande de Ghaza sont non accompagnés ou séparés. « Chacun d'entre eux a une histoire déchirante marquée par le deuil et le désespoir.

Ce chiffre correspond à 1% de l'ensemble de la population déplacée, soit 1,7 million de personnes. Il s'agit bien évidemment d'une estimation, car il est pratiquement impossible de recueillir et de vérifier les informations dans le contexte sécuritaire et humanitaire actuel », relève l'organisation onusienne.

Selon la même source, la santé mentale des enfants est gravement affectée. « Ils présentent des symptômes tels que des niveaux extrêmement élevés d'anxiété persistante, une perte d'appétit, ils ne peuvent pas dormir, ils ont des crises émotionnelles ou de panique à chaque fois qu'ils entendent les bombardements », déplore la même source.

L'Unicef affirme que tous les enfants de Ghaza ont besoin d'une telle aide, soit plus d'un million. « Depuis le début du conflit, l'Unicef et ses partenaires ont apporté un soutien psychosocial et de santé mentale à plus de 40 000 enfants et 10 000 personnes s'occupant d'eux (…). Seul un cessez-le-feu permettra d'apporter ce soutien psychosocial et de santé mentale à grande échelle », indique le même document.

Contre le « diviser pour régner » fascisto-salvino-meloniste ; unifier les luttes des classes laborieuses !

12 février 2024, par Franco Turigliatto — , ,
Sur toutes les questions sociales et politiques, ce gouvernement réactionnaire avance comme un rouleau compresseur contre les conditions de vie et les droits des classes (…)

Sur toutes les questions sociales et politiques, ce gouvernement réactionnaire avance comme un rouleau compresseur contre les conditions de vie et les droits des classes populaires pour les fragmenter et les diviser, assurant ainsi l'exploitation capitaliste et renforçant son pouvoir politique au service de la classe dominante. Nous sommes face au pire ennemi de la classe ouvrière, comme l'ont toujours été les fascistes et l'extrême droite dans les différentes configurations où ils se sont manifestés.

29 janvier 202 | tiré du site europe solidaires sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69711

C'est encore dans ce sens que vont les dernières mesures du gouvernement en faveur des entrepreneurs, petits et grands, et les déclarations de Meloni, qui a réaffirmé sa « conception du monde » par une phrase lapidaire : « Si vous ne voulez pas travailler, vous ne pouvez pas espérer être entretenus avec l'argent de ceux qui travaillent tous les jours ». Dans notre pays, il y a 5 à 6 millions de pauvres.

En d'autres termes, « si vous êtes pauvre, c'est de votre faute ». Il se trouve que c'est ainsi que les patrons ont présenté la pauvreté, produite par leur système économique, depuis la naissance du capitalisme jusqu'à aujourd'hui, afin de se décharger de toute responsabilité et de blâmer ceux qui se trouvent exploités et opprimés en marge de la société et de mettre en opposition ceux qui n'ont pas de travail et ceux qui en ont un, mais avec des salaires de misère.

Ne plus perdre de temps
Contre ce gouvernement, contre les forces politiques fascisantes qui le composent, le seul antidote pour le contrer efficacement est de mettre en œuvre une mobilisation sociale de masse pour défendre les salaires, les pensions, les emplois et tous les droits sociaux et politiques, pour unir cette classe sociale que les capitalistes et les gouvernants veulent diviser et fragmenter.

C'est une tâche qui incombe à toutes les forces politiques et sociales de gauche, mais pour des raisons évidentes de force organisationnelle et de représentation des travailleurs, elle concerne, en premier lieu, les grandes organisations syndicales. Soyons clairs : les syndicats de base font, avec leurs initiatives, un travail important, même s'ils sont parfois affaiblis par leurs divisions, et en organisant des militants combatifs et de classe, mais leur taille ne leur permet pas de peser suffisamment sur l'évolution des rapports de force globaux.

C'est pourquoi un accent particulier doit être mis sur la responsabilité de la CGIL, parce qu'elle est la principale organisation de masse du pays et parce qu'elle se prétend encore un syndicat de classe, capable de porter l'ensemble des revendications de toutes les catégories de travailleurs.

Seulement, ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées l'année dernière ; pendant des mois, les directions des grandes organisations ont adopté une attitude attentiste, d'« observation » de la politique du gouvernement, alors que son caractère anti-ouvrier était parfaitement clair ; ce n'est qu'à la fin de l'automne que la CGIL et l'UIL ont appelé à une mobilisation hésitante et à une grève, qui à ce moment-là n'était pas facile à mettre en œuvre. En fait, il s'agit d'un immobilisme coupable, masqué par des dénonciations propagandistes, dans le but d'arriver à une table de négociation que le gouvernement n'hésite pas à dédaigner.

Et il continue dans la même voie. Encore ces derniers jours, les « cris » contre la loi sur l'autonomie différenciée ont été forts, Landini en tête : « Plus de disparités et d'inégalités, moins de droits pour les travailleurs et les retraités.... nous nous y opposerons avec tous les instruments que la démocratie met à notre disposition, pour empêcher le gouvernement de diviser le pays et d'en compromettre l'avenir ». Le secrétaire de la CGIL, dans une interview à La Repubblica, énumère très précisément tous les méfaits du gouvernement, sur le « salaire équitable » et les cages salariales, sur les contrats, l'inflation, l'emploi et la pauvreté, les politiques industrielles et les privatisations, en invitant péremptoirement le gouvernement à « s'arrêter » (......)

Il est bon de rappeler le vieil adage : « Ils m'en ont beaucoup donné, mais je leur en ai dit tellement ».

Malheureusement, cette situation de dénonciation des politiques gouvernementales sans avoir la force matérielle de construire une résistance efficace affecte l'ensemble des forces politiques et sociales de la gauche et la classe ouvrière dans son ensemble. Mais une responsabilité particulière incombe à la CGIL qui assure encore la représentation et l'organisation de millions de travailleurs.

Le débat à l'Assemblée de la CGIL
La récente Assemblée générale de la CGIL a connu une discussion difficile avec le report de décisions tant politiques que pratiques. D'une certaine manière, elle a dû reconnaître que les mobilisations et les grèves de novembre n'ont pas été d'une grande utilité, notamment parce qu'elles ont été lancées tardivement, mal préparées et dans une perspective politique qui visait davantage la simple démonstration de l'existence du syndicat et de ses structures qu'une véritable continuité dans la lutte. De plus, même ces jours-ci, ce qui ressort le plus est la demande rebattue adressée au gouvernement de répondre aux revendications des syndicats et non une voie cohérente de reconstruction de la force du mouvement de masse.

Lors de l'assemblée, on a surtout discuté de tous les choix de référendum envisageables pour l'abrogation d'une série de lois antisociales et libérales, notamment celles sur le travail précaire. Les thèmes et les formulations proposés étaient nombreux, bien trop nombreux, pour pouvoir concentrer la bataille sur des objectifs qui pourraient être compris à un niveau de masse et donc maîtrisés de manière efficace. De plus, les référendums qui ne sont pas liés à une plate-forme de revendications et de luttes plus immédiates risquent d'avoir lieu en l'absence d'un contexte social stimulant. C'est pourquoi il est nécessaire de définir immédiatement le contenu de la bataille pour les salaires et l'emploi.

Le petit cadeau ponctuel accordé par le gouvernement à la fin de l'année avec le projet de loi de finances n'a certainement pas résolu les problèmes de millions de travailleurs aux prises avec une inflation qui, au cours des deux dernières années, a frôlé les 20 %.

Dans le même temps, les problèmes d'emploi causés par les restructurations et les délocalisations d'entreprises sont bien présents, et le gouvernement « souverainiste », tout autant que ses prédécesseurs, refuse d'utiliser les instruments de l'intervention publique pour les résoudre, préférant à chaque fois se contenter d'attendre qu'une nouvelle entité privée se mette en place. En revanche, il relance le bradage des actifs publics, à commencer par la poste, pour faire rentrer de l'argent. Dans les caisses.

Les grandes crises industrielles. Emploi et salaires
Les grandes crises industrielles ont atteignent leur paroxysme dans le secteur sidérurgique et dans celui de l'automobile, plus précisément chez Stellantis et dans les grandes entreprises qui lui sont liées, mais elles touchent également des centaines d'autres usines. Quelque 300 000 travailleurs et 300 000 familles sont concernés.

La mobilisation combative, militante et engagée de CKN contre les délocalisations et pour l'ouverture d'une nouvelle forme d'intervention publique par la planification de la réorientation de la production vers la transition écologique, aurait pu être l'occasion pour les directions syndicales de mettre en relation toutes les entreprises impliquées dans les restructurations, en dépassant la gestion perdante de la crise au cas par cas, avec l'objectif explicite de relancer l'action publique en lien avec la participation et le contrôle des travailleurs.

Il est clair pour tout le monde que les directions syndicales n'ont pas voulu s'engager dans cette voie. Ce n'est pas leur horizon.

Il n'en reste pas moins que si l'on veut sortir du bourbier dans lequel le mouvement syndical et la classe ouvrière se sont fourvoyés, il faut organiser une bataille sur le renouvellement des contrats de travail arrivés à échéance coordonnée avec la défense de l'emploi, ce qui ne peut que remettre sur la table la question des nationalisations, et même celle de l'échelle mobile des salaires. Personne ne pense que ce sera facile : il faut des discussions importantes dans les assemblées, mais il faut aussi que soit perçue la volonté des directions syndicales, et en particulier de la CGIL, de prendre les choses au sérieux et d'en finir avec la soumission.

Contre toutes les formes d'autonomie différenciée
Telle est la seule voie qui puisse nous conduire, avec une force et une crédibilité suffisantes dans l'opinion publique, à la bataille essentielle, celle contre la loi sur l'autonomie différenciée, une loi qui vise à diviser sous toutes ses formes les classes laborieuses, sur les salaires, sur l'emploi, sur l'accès à l'aide sociale, sur les droits. A ce stade, il semble incontournable de devoir passer par un référendum révocatoire pour l'arrêter et éviter le désastre. Mais pour réussir à gagner, ce qui est absolument nécessaire, il faut dès maintenant une formidable mobilisation sociale sur des questions bien définies.

Meloni et consorts ne le disent pas ouvertement, mais ils savent que la classe ouvrière est leur seul véritable ennemi, le spectre qu'ils craignent, la force qui peut briser leur trajectoire. Travaillons à la relance de la lutte de masse de la classe ouvrière pour chasser ce gouvernement fascisto-salvino-meloniste.

Franco Turigliatto, Sinistra anticapitalista

P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.

Source Sinistra anticapitalista 2024/01/29 :
https://anticapitalista.org/2024/01/29/contro-il-dividi-ed-impera-fascio-leghista-riunire-le-lotte-delle-classi-lavoratrici/

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Lettre aux ministres Legault et Fitzgibbon

12 février 2024, par Martin Bouchard — , ,
Bonjour à vous, Messieurs les Ministres. La présente vise à vous faire part de mon vif désaccord avec votre décision de court-circuiter le BAPE au sujet du projet Northvolt. (…)

Bonjour à vous, Messieurs les Ministres. La présente vise à vous faire part de mon vif désaccord avec votre décision de court-circuiter le BAPE au sujet du projet Northvolt. Cette multinationale a beau se prétendre exemplaire du point de vue écologique, il est absolument impossible qu'un mégaprojet de cette envergure soit sans conséquences négatives pour l'environnement, de surcroît sur le long terme, et dans un milieu humide. C'est pourquoi il serait assurément irresponsable que vous laissiez carte blanche ou que vous fassiez des compromis en matière de précaution dès le départ. L'ensemble de ce projet doit être analysé par des sources indépendantes du promoteur afin d'identifier rigoureusement et objectivement les risques encourus et leurs conséquences éventuelles.

Par ailleurs, autre élément de première importance , qu'en est-il du principe d'acceptabilité sociale, cher aux réelles démocraties, qui semble complètement évacué par votre gouvernement ? Voilà une autre manière infaillible de nourrir le sentiment de trahison que ressent la population à l'égard de la CAQ, et qui s'exprime dans les sondages.

Tout comme une majorité de nos concitoyens, je dis oui à une économie florissante, mais pas au point de reléguer la protection environnementale au second plan. L'ampleur sans précédent de la crise climatique actuelle commande impérativement de faire passer cette nécessité en tête de liste des priorités. Votre gouvernement en aura-t-il le courage ? Vos électeurs souhaitent ardemment que votre parti passe de la parole aux actes, en alignant ses politiques sur les recommandations de la communauté scientifique, auxquelles souscrit le secrétaire général de l'ONU lorsqu'il parle d'effondrement imminent. Et, puisque les médias nous en font la preuve tous les jours, que ce soit à l'écran ou par écrit, quelle évidence faudra-t-il de plus pour « adapter » vos décisions à la situation ? Qu'on se le répète, dégrader davantage l'environnement revient à tirer le tapis sous les pieds de l'économie.

Conséquemment, puisque notre sort collectif repose entre vos mains, ce qui inclut celui des jeunes générations, je vous demande avec insistance de revenir sur votre décision. Messieurs, je vous présente mes salutations avec l'espoir d'avoir été entendu. Pourrons-nous vous faire confiance ?

Martin Bouchard
Un des membres fondateurs du nouveau collectif des « Aîné.e.s dans l'action climat » (ADAC)
St-Anaclet-de-Lessard

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