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L’abbé Pierre – combattant pour les sans-abris
Sélection officielle du festival de Cannes 2023, réalisé par Frédéric Tellier, le long métrage L'Abbé Pierre une vie de combats, auquel prêtent vie Bernard Lavernhe et Emmanuelle Bercot (jouant l'assistante dévouée Lucie Coutas), n'a pas trop de ses 138 minutes pour raconter la biographie passionnante d'un grand héros contemporain.
Par Pierre Jasmin, artiste pour la Paix
D'abord actif dans la résistance de la Seconde guerre mondiale qui lui donne son surnom d'abbé Pierre (son vrai nom était Henri Grouès), on le voit accompagner, au péril de sa vie menacée par une mitrailleuse allemande, un groupe de juifs fuyant la France vers la Suisse à travers les montagnes enneigées. C'est une époque qu'on oublie où les curés collabos, en France comme en Ukraine, sermonnent en chaires leurs ouailles pour les inciter à l'obéissance totale envers les nouveaux maîtres nazis de Vichy et de Galicie, en qui ils voient avec enthousiasme des ennemis des Juifs et des communistes.
Élu à la Libération député de la Meurthe-et-Moselle de 1946 à 1951, membre de groupes républicains indépendants de gauche, Grouès n'hésite pas à insulter le gouvernement pour son manque de soutien des pauvres, en particulier les sans-abris, auprès de qui il finira par s'engager corps et âme, pour toute la vie, en fondant le mouvement laïc Emmaüs.
Le film raconte une vie militante édifiante, puisqu'aux nombreux moments de découragement narrés sans ménagements par le scénario fondé sur des faits, c'est sa fidèle assistante qui le « ramasse » par ses solutions de compromis ; ou alors ce sont ces hommes violents qu'il a secourus sans discrimination qui lui suggèrent la solution de chercher leur financement, non plus uniquement par des dons de charité, mais par leurs fouilles dans des décharges publiques comme chiffonniers.
Grouès connaît des moments bouleversants, comme l'hiver 54 aux records de froid, qui le motivent à squatter un poste de radio pour un discours vigoureux qui va essaimer, interpeller la France entière et le rendre célèbre. Célébrité compromise par son action charitable, ouverte aux damnés de la terre, y compris les musulmans d'Algérie et de Tunisie pourchassés par la police dans les tristement célèbres « ratonnades racistes » de 1961, qui provoquèrent une centaine de morts noyés dans la Seine le 17 octobre.
C'est dans un taudis montréalais que je l'ai connu, se partageant à quatre, à la lueur de bougies, un poulet livré dans un logis appartenant aux Chantiers catholiques, auquel l'électricité était coupée pour non-paiement. Rappelons l'intérêt de l'abbé Pierre pour les organismes d'inspiration scoute (son totem était castor méditatif). Mon action auprès des Artistes pour la Paix y a sans doute trouvé son origine, car faisant escale à Montréal depuis l'Amérique du Sud, il m'avait raconté y être intervenu en vain auprès de propriétaires alimentés en eau par des canalisations qui traversaient un bidonville, dont les enfants mouraient de dysenterie faute d'avoir accès à cette eau : il avait quémandé à ces riches de ne changer l'eau de leur piscine qu'une fois par mois au lieu d'une fois par semaine, et d'installer deux robinets pour les miséreux du bidonville, essuyant, malgré sa réputation internationale de saint homme entretenue par les pages couvertures du Paris Match, un refus. Il m'avait dit alors sa tentation de bénir le père d'une victime pour qu'il prenne un fusil et monte là-haut régler le compte d'un de ces salopards, ce que sa foi lui interdisait absolument.
Mais sa célébrité utilisée à faire construire d'innombrables logements sociaux lui pèse, car elle suscite d'intenses jalousies et même des trahisons au sein de son propre conseil d'administration : quoi de neuf, depuis le Christ abandonné au Jardin des oliviers ? De plus, son travail incessant dans des conditions d'inconfort extrême fragilise sa vieillesse narrée sans ménagements, mais n'est-ce pas par ce don total de soi qu'on reconnaît un saint ?
Il est plutôt étonnant de voir le milieu du cinéma français plutôt conservateur créer deux films sociaux remarquables, tel l'incomparable Simone Veil – le voyage du siècle l'an dernieri et exactement un an plus tard, l'Abbé Pierre pour marquer encore une fin d'année d'un sursaut d'idéal humanitaire bienvenu.
Notes
1. https://lautjournal.info/20230106/lengagement-feministe-historique-de-simone-veil
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Lune de miel entre macronie, droite et extrême droite ?
Vent debout contre la Loi Immigration, jugée inique et xénophobe, des rassemblements à l'appel des 400 Collectifs, sur tout le territoire de l'Hexagone, ont eu lieu ce dimanche 14 janvier pour interpeller le Conseil constitutionnel, appelé à statuer sur le texte le 25 janvier 2024.
De Paris, Omar HADDADOU
Un coup violent pour la Gauche sociale !
La France d'Emmanuel Macron telle qu'il se la figure, rayonnante, influente et conquérante, les tares et la misère sociale sous le tapis, se nourrit de ses propres paradoxes. Décidément, le prestige est au chef de l'Etat, ce que le phantasme débridé et la luxure au Roi Soleil. A ces Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, dont l'enveloppe est évaluée à 8,2 milliards d'euros, le Président voue une sacralité impériale.
Il y tient comme à la prunelle de ses yeux, au moment où l'Hôpital public Georges-Pompidou lance un appel aux dons pour l'achat d'un scanner.
L'enjeu du panache et de la puissance sont tels que son Excellence s'éreinte à décréter une trêve planétaire de tous les conflits, dépêchant ses émissaires chez ses ennemis de la veille. Bonne Année à l'Humanité ! La France est plus que jamais la Terre d'Accueil par excellence. L'extrême Droite savoure sa nuit nuptiale de la Méditerranée à la Scandinavie. Le chantier civilisationnel européen achevé, on balance ces va-nus- pieds d'immigrés dans les charters en mal de navigation, en fredonnant « Allons enfants de la Patrie » !
Mais, Monsieur le Ministre ! qui ramassera les sapins de Noël, les poubelles. Qui assurera la viabilité du vital sociétal ? La Loi Asile et Immigration témoigne du braqué opéré par la France, captive du discours infâme de la Droite et l'extrême droite.
Approuvé par le Parlement français le 19 décembre 2023 avec 349 voix pour et 186 contre, le projet accueilli avec euphorie par Gérard Darmanin, suscite de vives indignations et une fracture au sein de la majorité. Le racisme et la chasse à l'étranger ne sont plus à démontrer. Le Conseil constitutionnel se prononcera le 25 janvier, le temps de digérer la suffocation. D'où l'appel des 400 collectifs, associations, syndicats et partis politiques pour le retrait de cette Loi.
Ce dimanche, à l'appel du Collectif des Sans Papiers, Place de la République à Paris, le froid polaire n'a pas eu raison de la mobilisation qui a réuni 25.000 manifestants. Le cortège scandait, entre autres, « Démission Darmanin ! Nous sommes tous des étrangers (es) ! », brandissant des slogans contre une « Loi qui s'attaque aux libertés publiques et bafoue les droits fondamentaux » dans une France où les valeurs d'égalité entre toutes et tous sont censées être respectées.
Des élus (es) avec lesquels on a pu échanger (voir photo) dont Mathilde Panot et ses collègues de la France Insoumise, se disent scandalisés par cette alliance tripartite, Macronie, Droite et extrême Droite anti immigrés, qu'ils envisagent de combattre dans les prochains jours.
Les piliers de la République semblent désormais se lézarder. La notion de la préférence nationale relayée par les médias racistes, gagne du terrain. Le repli du pays sur lui-même risque de signer l'acte de décès de la Démocratie française.
Dans ce bouillonnement politique, le Conseil constitutionnel aura fort à faire dans l'arbitrage dudit texte, porté avec orgueil par le Ministre de l'Intérieur. Il dégage une telle odeur d'Humanisme, à cosigner sur du Papier japonais : Restreindre le versement des prestations sociales pour les étrangers, instauration des quotas migratoires, durcissement du regroupement familial et l'accès à certaines allocations, éloignement facilité dans certains cas, nouvelles mesures sur l'intégration…
Le décor Darmanin planté, les syndicats et les élus appellent à une nouvelle journée d'action le 21 janvier 2024.
Tout sauf les Jeux Olympiques, « Um Gottes willen ! »*
O.H
* Pour l'Amour de Dieu !
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Féminisme populaire et intégration régionale : Publication virtuelle de la Marche Mondiale des Femmes des Amériques
Lire la brochure réalisée par Capire et la Marche Mondiale des Femmes des Amériques
Tiré de Entre lesl ignes et lesm ots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/27/feminisme-populaire-et-integration-regionale-publication-virtuelle-de-la-marche-mondiale-des-femmes-des-ameriques/
Cette publication virtuelle rassemble des élaborations féministes sur la construction de l'internationalisme et sur la participation fondamentale des femmes combattantes aux processus d'intégration des peuples.
Dans les interviews inédites, Alejandra Laprea et Norma Cacho parlent de l'organisation de la Marche Mondiale des Femmes dans les Amériques et des défis internationaux du mouvement ; les textes d'Alejandra Angriman, Elpidia Moreno et Karin Nansen sont des éditions de leurs discours lors du webinaire « Féminisme et intégration régionale », tenu en novembre 2023 ; ceux d'Ana Priscila Alves et Irene León apportent leurs contributions à la 3e conférence Dilemmes de l'humanité dans ses étapes régionale et internationale, en septembre et octobre 2023. Le texte de notre chère compagne Nalu Faria, initialement publié en 2021, a été choisi pour ouvrir notre publication, ravivant sa mémoire, son héritage et sa vision précise sur les stratégies de construction du féminisme populaire.
En particulier en Amérique latine et dans les Caraïbes, nous sommes confrontées à une histoire d'offensives impérialistes qui, depuis plus de cinq siècles, ont imposé la violence sur nos territoires et nos modes de vie. À l'époque actuelle, ces offensives proviennent de campagnes et de forces conservatrices, néolibérales et fascistes, alignées sur des projets de subordination, d'exploitation, d'extractivisme – des projets à la demande des États du Nord global et des sociétés transnationales, qui accumulent un plus grand pouvoir que de nombreux États.
En même temps, nous voyons une profusion de luttes à travers le continent, avec une marque commune : les femmes en première ligne, articulant, dénonçant, soutenant la vie, la communauté et le mouvement. Dans les résistances quotidiennes, elles perçoivent les liens entre patriarcat, racisme et capitalisme néolibéral. Contre ce modèle autoritaire, elles proposent un féminisme populaire, antiraciste, diversifié, profondément enraciné dans les territoires, mais aussi attentif aux expériences des lieux voisins, pratiquant, dans l'internationalisme, le principe d'unité dans la diversité, rejetant la concurrence entre frontières nationales historiquement violentes et coloniales.
Les mouvements populaires latino-américains et caribéens sont des bâtisseurs de possibilités collectives, même face à des contextes de répression, d'autoritarisme et d'austérité. Ils le font avec créativité, pariant sur la construction de vastes processus politiques, sur des transformations anti-systémiques, sur l'approfondissement de la démocratie et d'une souveraineté populaire qui englobe plusieurs dimensions. En ce sens, nous défendons l'intégration régionale en tant que projet qui implique tous les domaines de la vie, tels que la communication, la culture et l'économie, guidés par la souveraineté alimentaire, énergétique et technologique. L'intégration régionale avance avec des gouvernements progressistes, qui sont le fruit de luttes et de mobilisations populaires dans chaque pays, mais se renforce principalement par l'action des peuples.
Pour la Marche Mondiale des Femmes dans les Amériques, l'intégration régionale rappelle des moments clés de la lutte continentale, qui résonnent encore aujourd'hui, comme la victoire populaire contre la ZLEA. Elle indique également les voies futures de renforcement des alliances, d'approfondissement de notre vision stratégique de l'économie féministe et de la durabilité de la vie, et de construction d'un champ féministe international combatif, diversifié et en constante évolution.
Avec cette publication, nous espérons contribuer à la réflexion des compagnes de nos coordinations nationales et organisations alliées. Et, en même temps, nous cherchons à contribuer aux actions fondamentales du calendrier des luttes qui s'ouvre : la Journée latino-américaine et caribéenne d'intégration des peuples, qui aura lieu à Foz do Iguaçu du 22 au 24 février 2024 ; et la 6ème Action internationale de la MMF, qui aura lieu tout au long de 2025, sous la devise « Nous continuerons la marche contre les guerres et le capital, pour la souveraineté populaire et le bien-vivre », qui nous guide en tant que mouvement dans le présent, vers l'avenir.
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Affaire Depardieu : « En France, il existe une immunité spécifique liée au culte du monstre sacré »
La culture du viol n'est pas qu'une culture du déni, c'est aussi une culture de la normalisation de formes de violence des hommes à l'égard des femmes qui vont de formes d'humour humiliantes jusqu'aux féminicides. Toutes les personnes qui travaillent sur les violences de genre utilisent la notion indispensable de continuum sexiste, qui va des faits les plus spectaculaires que sont les féminicides et les viols, jusqu'aux stéréotypes sexistes.
photo et article tirés de NPA 20
Est-ce un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma ?
Bérénice Hamidi : Ce n'est pas du tout un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma. La notoriété et l'accès aux médias des personnes qui ont dit publiquement avoir été victime ont beaucoup participé à la visibilité du hashtag #MeToo. Si les milieux artistiques, et celui du cinéma en particulier, sont surexposés aux violences sexistes et sexuelles, c'est d'abord parce qu'une grande précarité touche les acteurs et actrices qui sont de facto, lorsqu'ils et elles cherchent à être retenus pour un film, dans un rapport de dominé/dominant avec les producteurs et réalisateurs.
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On observe aussi dans ces milieux une forte confusion entre les procédures de sélection et des dynamiques de séduction, et de plus, les connexions physiques et psychiques sont au cœur des processus de travail. Autre facteur de risque, ces milieux se voient peu comme des mondes du travail, et donc les usages habituels du droit de travail peinent à s'appliquer aussi bien du côté des victimes que des personnes qui commettent ces agressions. Tous ces facteurs, qui se cumulent et font système, expliquent que le cinéma, et plus largement les secteurs professionnels artistiques, sont fortement exposés aux violences sexuelles et qu'elles y sont plus impunies qu'ailleurs.
Comment réagissez-vous au statut de « monstre sacré » ? Est-ce qu'en France il y a des personnes intouchables ?
B.H. : Il faut rappeler qu'avant tout, ces « monstres sacrés » sont des hommes de pouvoir qui cumulent un fort capital économique, symbolique, social, culturel et médiatique. Parmi les personnes qui disent ne pas avoir vu leurs actes, qui les minimisent voire qui les défendent, un certain nombre le fait aussi par peur d'être à leur tour blacklistées, exclues, comme les victimes le sont.
.Les artistes auteurs de violence bénéficient également de l'« himpathy », cette empathie pour les hommes qui agressent, que la philosophe australienne Kate Manne a bien analysée. Dans nos sociétés encore largement sexistes, car structurées par des valeurs patriarcales, on autorise les hommes, ou plutôt les hommes qui honorent le « mandat masculin » consistant à conquérir et dominer socialement, à exercer des formes de violence à l'égard des personnes et groupes en position dominée, en particulier les femmes. Cette autorisation sociale, le plus souvent inconsciente, passe par un refus collectif de croire qu'ils puissent commettre des violences et, quand ce n'est plus possible, par une tendance à euphémiser leurs actes et à les excuser au motif qu'ils seraient victimes de leur propre violence. Ces hommes captent donc l'empathie sociale dont les victimes sont pour leur part privées.
Mais, si le cinéma est particulièrement touché par ce phénomène, c'est aussi parce que les acteurs bénéficient d'une empathie spécifique, qui vient renforcer cette culture de l'excuse. Elle tient au fait que règne encore l'idée que la création artistique serait le fruit d'une connexion aux forces obscures de l'âme humaine, que les artistes auraient besoin de souffrance et de violence pour créer, ce qui vient redoubler une croyance encore prédominante dans notre société encore imbibée par la culture du viol, qui voudrait que l'amour fasse mal et que le sexe et le désir aient forcément partie liée avec la violence et la mort. Exemple frappant, les ventes du parfum Sauvage ont augmenté depuis les accusations de violences conjugales à l'encontre de son égérie, Johnny Depp. Les images du poète maudit, du bad boy, sont encore trop souvent glamourisées et représentées comme des figures d'hommes désirables.
En France, il existe enfin une immunité spécifique liée au culte de ces figures de l'artiste maudit et du monstre sacré. L'idée est la même : il faut transgresser pour créer, mais s'ajoute la croyance que les lois ordinaires qui valent pour le commun des mortels ne sauraient s'appliquer aux Grands Hommes, ces hommes extraordinaires. Cette idée s'est exprimée dans l'affaire Depardieu à travers certains témoignages, avec la formule rapportée dans l'article de Médiapart « ça va, c'est Gérard » ou dans le discours du Président de la République : « Depardieu c'est Cyrano […] c'est la fierté française ». L'échelle de valeurs est claire : la vie des femmes ne vaut rien face au talent d'un génie. Mais il y a autre chose, aussi, dans ce discours, presque une forme de transfiguration de ces personnes réelles en personnages hors de la réalité, et selon cette logique, ces êtres de fiction ne sauraient être soumis au système judiciaire qui vaut pour les personnes réelles.
Est-ce que cette reconnaissance des violences sexistes et sexuelles est une question de génération ?
B.H. : Je suis assez nuancée sur cette question. D'abord, parce qu'il y a parmi les dénonciateurs de violences des femmes de plus de cinquante ans, qui payent un lourd tribut, qu'il s'agisse d'anonymes, de victimes ou d'actrices connues.
Ensuite, parmi les personnes qui soutiennent les agresseurs de façon systématique, on retrouve toutes les catégories d'âges. Le dernier rapport sur l'état du sexisme en France en 2023 invite d'ailleurs à un certain pessimisme puisque les hommes qui ont aujourd'hui entre 18 et 25 ans sont plus nombreux que leurs aînés à penser que quand une femme dit « non », elle pense « oui ». Il ne faut donc pas tout attendre des nouvelles générations car le cœur du problème c'est la culture du viol, et tant qu'elle reste la culture hégémonique dans laquelle nous vivons toutes et tous, elle continuera à se transmettre génération après génération.
Justement, comment peut-on définir cette notion de culture du viol ?
Cette notion, élaborée par des chercheuses nord-américaines dès les années 1970 (Noreen Connell et Cassandra Wilson, Rape : the first sourcebook for women, New American Library, 1974), est aujourd'hui mobilisée par des acteurs publics dans différents pays ainsi que par des organisations internationales comme la commission « condition de la femme » de l'ONU.
Elle se caractérise avant tout par un refus de voir le caractère massif et systémique des violences sexuelles, structurellement subies par les femmes et les enfants et structurellement commises par les hommes. Cette phrase choque et parait difficile à croire. Pourtant, quelques chiffres suffisent à la prouver de manière difficilement discutable :
— en 2017, 219 000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année.
« En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d'une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol est estimé à 94 000 femmes. De la même manière que pour les chiffres des violences au sein du couple présentés ci-dessus, il s'agit d'une estimation minimale. Dans 91 % des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 47 % des cas, c'est le conjoint ou l'ex-conjoint qui est l'auteur des faits. »
— S'agissant des enfants, « 60 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d'hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l'impunité des agresseurs et l'absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d'euros chaque année en dépenses publiques.>>
— Du point de vue des auteurs des actes, il s'agit dans l'immense majorité des cas d'hommes : 91 % des personnes mises en cause pour des actes sexistes (allant de l'outrage sexiste jusqu'au viol) sont des hommes.
Il y a donc un décrochage énorme entre nos représentations et la réalité statistique. L'image la plus répandue du viol est celle d'un acte sauvage commis par un individu sanguinaire au fond d'un parking. Cette image est à la fois repoussante et rassurante, parce qu'elle exotise le viol comme un fait extraordinaire qui ne nous regarde pas (on ne connaît ni la victime ni l'agresseur) et qui ne nous concerne pas (on n'a rien fait – de mal – et on ne peut rien faire – donc on n'a pas à se reprocher notre inaction).
La réalité statistique est bien différente : le viol est le plus souvent le fait d'un proche issu du cercle familial, affectif ou social, ce qui fait que nous connaissons tous des victimes mais aussi des agresseurs, autrement dit, nous sommes directement impliqués dans la scène des violences et cela devrait nous impliquer directement dans la lutte contre ces violences.
La culture du viol n'est pas qu'une culture du déni, c'est aussi une culture de la normalisation de formes de violence des hommes à l'égard des femmes qui vont de formes d'humour humiliantes jusqu'aux féminicides. Toutes les personnes qui travaillent sur les violences de genre utilisent la notion indispensable de continuum sexiste, qui va des faits les plus spectaculaires que sont les féminicides et les viols, jusqu'aux stéréotypes sexistes. La culture du viol est une culture de l'euphémisation et de la déformation des faits de violences sexuelles (dire « main baladeuse » pour parler de ce qui est qualifiable par le droit comme une agression sexuelle ou parler de « drague lourde » au lieu d'outrage sexiste, un autre délit).
Le caractère systémique des violences, prouvé par les statistiques, s'explique en grande partie par ces représentations mentales que l'on peut synthétiser via l'expression culture du viol. Or, ces représentations mentales sont largement conditionnées par nos représentations culturelles, et particulièrement par la valorisation de l'asymétrie et des rapports de pouvoir, qui restent au cœur des scénarios de séduction et de relation amoureuses diffusés dans les œuvres, qu'il s'agisse de la pop culture ou du patrimoine classique, littéraire, pictural, cinématographique.
Même les comédies romantiques perpétuent la culture du viol avec le schéma de l'homme qui conquiert et de la femme qui cède du terrain, la résolution de l'intrigue étant qu'elle finit par dire oui après avoir longtemps dit non. Changer nos représentations est donc essentiel, à la fois pour comprendre les défauts de prise en charge institutionnelle des violences sexistes et sexuelles, tant sur le plan juridique que judiciaire, thérapeutique et social, mais aussi pour espérer les améliorer. C'est cette articulation que la juriste Gaëlle Marti et moi avons mise au cœur du programme de recherche-création interdisciplinaire REPAIR « violences sexuelles : changer les représentations, repenser les prises en charge », qui se déploie aussi sous la forme d'un procès fictif sur la culture du viol.
Le théâtre est-il aussi perméable que le cinéma face aux violences sexistes et sexuelles ?
B.H. : Le secteur du théâtre public est tout autant surexposé que celui du cinéma, et il n'existe aucune plus-value éthique ou déontologique au fait qu'il relèved'une économie largement subventionnéeet dont on pourrait attendre que la législation soit d'autant plus rigoureuse puisqu'il s'agit d'argent public, qui n'est pas censé servir des pratiques discriminatoires. On y retrouve exactement les mêmes mécanismes évoqués concernant la surreprésentation des violences sexistes et sexuelles et cette même réticence à leur reconnaissance.
Quelles sont les réponses des institutions culturelles aujourd'hui en France ? Sont-elles suffisantes ?
Les choses sont quand même en train de changer dans les milieux artistiques depuis quelques années, du fait d'un certain volontarisme étatique et de certaines organisations professionnelles, qui aboutit à la mise en place de chartes, de cellules d'écoute, ou encore à la création du métier de coordinateur d'intimité, encore très timide en France, mais qui s'est beaucoup développé aux États-Unis.
Il existe donc désormais toute une série d'outils. Mais ils ne suffisent pas en soi : il faut en utiliser plusieurs à la fois et surtout, il manque encore souvent une volonté sincère de les utiliser. Si je prends l'exemple des chartes et des cellules d'écoute, elles sont mises en place par les directeurs de lieux de production/diffusion ou d'écoles d'art parce qu'elles leur sont imposées, et ils n'y voient comme seul intérêt que la protection juridique de leur institution, parce qu'un élève ou un employé victime d'une agression pourrait se retourner non seulement contre son agresseur mais aussi contre l'institution qui aurait manqué à son devoir de protection.
Les cellules d'écoute servent trop souvent à externaliser le problème. Quant aux chartes, il y a parfois un discours d'invalidation par les instances qui les ont mises en place. Ce paradoxe vient du fait que les personnes qui aujourd'hui dirigent les institutions culturelles et sont donc en position de mettre en place ces outils et de changer les choses ont construit leur carrière dans un contexte où ces violences étaient à la fois normalisées et invisibilisées. Il est donc logique qu'elles aient du mal à accepter ces nouvelles politiques. Ce malaise aboutit d'ailleurs parfois à des formes de violences pédagogiques au sein des écoles.
Le droit du travail offre aussi toute une panoplie d'outils pour lutter contre les violences que les directeurs et directrices d'institutions ignorent souvent avant de suivre des formations spécifiques. On réduit trop souvent le droit au droit pénal, en brandissant le respect de la présomption d'innocence et la nécessité de laisser la justice faire son travail. Mais, pour toutes les accusations liées à des faits qui auraient été commis sur les plateaux, un des leviers de la lutte contre les violences sexuelles est l'obligation de l'employeur d'offrir un cadre de travail sécurisé à ses employés.
De plus, le droit du travail n'obéit pas au même régime de la preuve : le faisceau d'indices concordants suffit, et parmi ces indices, il y a par exemple la multiplicité des accusations et des témoignages, qui peuvent suffire à éloigner une personne des tournages en raison d'un principe de prévention. Certaines expérimentations sont en cours, qui montrent qu'il est possible de combiner l'impératif de sécuriser le cadre de travail et le souci de finaliser un projet artistique déjà entamé sans (trop) pénaliser l'ensemble d'une équipe pour le comportement d'un seul individu.
Où en est le mouvement #MeToo ?
B.H. : Si on considère que #MeToo est une révolution, alors je dirais qu'on est comme au XIXe siècle, dans un moment de conflit entre deux paradigmes qui s'affrontent : le paradigme de l'Ancien Régime qui continue à défendre le droit de cuissage et à légitimer la violence des puissants et un nouveau paradigme qui tente de mettre en place un ordre des choses démocratique et républicain, respectueux de notre devise « liberté, égalité, fraternité ».
8 janvier 2024
Professeure en esthétique et politique des arts vivants, Bérénice Hamidi est enseignante-chercheuse à l'Université Lumière Lyon 2. Elle nous livre aujourd'hui son analyse sur les freins à la reconnaissance des violences sexistes et sexuelles dans le milieu artistique français.
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Appel de la Confédération des syndicats libres d’Ukraine
Alors que la nouvelle année 2024 en Ukraine a commencé avec d'horribles attaques massives de missiles russes, nous publions l'Appel de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine aux syndicats, aux parlements et aux gouvernements des pays démocratiques, aux partenaires internationaux et aux organisations internationales concernant l'attaque massive de la Russie contre l'Ukraine.
3 janvier 2024 | tiré de l'Hebdo L'Anticapitaliste - 689
Appel de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine aux syndicats, parlements et gouvernements des pays démocratiques, aux partenaires internationaux et aux organisations internationales
La nouvelle année 2024 en Ukraine a commencé avec d'horribles attaques massives de missiles russes contre les villes paisibles et endormies d'Ukraine. Au total, uniquement pendant les vacances du 29 décembre 2023 au 2 janvier 2024, les forces russes ont tué 90 civilEs lors d'attaques de missiles. En seulement cinq jours, la Russie a lancé 500 missiles et drones sur des zones résidentielles, des entreprises, des hôpitaux, des établissements d'enseignement et des sites du patrimoine culturel en Ukraine. Chaque jour, des habitants de nos villes paisibles meurent de la main de la Russie, et des centaines de personnes sont blessées et deviennent handicapées. Nous sommes obligéEs de vivre et de travailler dans un état de stress et d'anxiété permanents. Aujourd'hui, les UkrainienNEs paient le prix fort pour la liberté et la paix en Europe.
La Confédération des syndicats libres d'Ukraine, en tant que porte-parole des travailleurs ukrainienNEs – mineurEs, métallurgistes, travailleurEs du secteur de l'énergie, enseignantEs, médecins, entrepreneurEs et autres – attire l'attention sur la nécessité de prendre des mesures décisives pour protéger l'Ukraine et dissuader les intentions du pays agresseur, la Russie, de réécrire le droit international et de redessiner la carte de l'Europe moderne.
Nous appelons les gouvernements des pays et la communauté internationale à accélérer la fourniture d'une aide militaire à notre pays, y compris la fourniture de systèmes de défense aérienne supplémentaires, de missiles à longue portée, de drones, etc. Les partenaires internationaux, en fournissant des armes, sauvent des milliers de personnes et de vies lors d'attaques de missiles par les troupes russes.
Nous faisons également appel à des partenaires internationaux :
– continuer à fournir une aide économique et humanitaire à l'Ukraine ;
– renforcer les sanctions contre le régime terroriste russe, car cela pourrait limiter considérablement les ressources financières et les exportations de technologies nécessaires à la poursuite de la guerre sanglante ;
– garantir la possibilité d'utiliser les avoirs russes gelés pour les diriger vers l'aide à l'Ukraine ;
– isoler et retirer du travail dans les organisations internationales les personnalités politiques, publiques et syndicales russes, en tant que représentants d'un pays qui mène des activités terroristes contre l'Ukraine souveraine et indépendante et ses citoyens ;
Nous appelons les représentants de la communauté syndicale internationale et européenne à appeler les gouvernements de vos pays à continuer de fournir une aide humanitaire et une aide militaire à l'Ukraine.
Nous tenons à remercier tous ceux qui soutiennent et apportent leur aide à l'Ukraine dans cette période difficile pour le peuple ukrainien.
Nous pensons que les efforts conjoints contribueront à mettre fin à l'agression russe, qui non seulement détruit l'Ukraine, mais compromet également la stabilité économique, énergétique, écologique et alimentaire en Europe et dans le monde.
Mykhaïlo Volynets,
président de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine, le 3 janvier 2024, à Kyiv.
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Avec la Palestine et l’Ukraine contre la Russie, l’OTAN et Israël, Greta montre la voie !
Et pourtant, malgré l'actualité lugubre, malgré la barbarie galopante, malgré la déprime qui envahit tout, il y a encore de la lumière et de l'espoir ! Et cette lumière et cet espoir, ce sont les jeunes qui se battent en même temps sur tous les grands fronts où l'humanité se mesure à la mort dans sa lutte finale pour exister : sur les fronts de la catastrophe climatique et de l'injustice, de la Palestine et de l'Ukraine, sur les fronts de la lutte des pauvres, des opprimés et des humiliés de par le monde.
6 janvier 2024 | tiré du site du CADTM
https://www.cadtm.org/Avec-la-Palestine-et-l-Ukraine-contre-la-Russie-l-OTAN-et-Israel-Greta-montre
Et la représentante la plus emblématique de cette nouvelle génération qui résiste et contre-attaque est bien sûr la jeune suédoise citoyenne du monde, Greta Thunberg, qui dénonce et combat à la fois les génocidaires israéliens des Palestiniens et les envahisseurs russes de l'Ukraine, la Russie obscurantiste et impérialiste de Poutine, et l'OTAN militariste et tout aussi impérialiste. Et bien sûr, et surtout, les capitalistes et leurs gouvernements qui détruisent méthodiquement le climat de notre planète, préparant ainsi l'avenir le plus cauchemardesque pour le genre humain. Et tout cela contre le courant dominant, malgré la campagne de dénigrement et d'intimidation contre elle, luttant contre tous les impérialismes sans choisir un impérialisme contre un autre, un bourreau et sa victime plus qu'une autre. Et, surtout, en mettant systématiquement ses paroles en pratique, même si elles la conduisent souvent au commissariat ou en prison, menottes aux mains...
Et pour parler concret, voici ce qu'écrivait Greta il y a quelques semaines, sur les crimes israéliens commis contre le peuple palestinien, provoquant les anathèmes et les menaces ouvertes - même contre sa vie(!) - des génocidaires qui gouvernent Israël, et de leurs complices internationaux :
Plus de 15 000 personnes (au 8 janvier, on dénombre au moins 22 722 palestinien·nes tué·es par les attaques israëliennes, ndlr) dont au moins 6 000 enfants. C'est le nombre de personnes qu'Israël aurait tuées dans la bande de Gaza en quelques semaines – et ces chiffres continuent d'augmenter. Israël a bombardé des infrastructures sociales de base et des cibles civiles telles que des hôpitaux, des écoles, des abris et des camps de réfugiés. Israël a imposé un siège, empêchant aux 2,3 millions de Palestiniens et Palestiniennes piégé.e.s dans la bande de Gaza occupée, l'accès à la nourriture, aux médicaments, à l'eau et au carburant, une situation qui a conduit Oxfam à accuser Israël d'utiliser « la famine comme arme de guerre ».
Des dizaines d'experts des Nations unies ont décrit la situation comme « un génocide en devenir », des centaines d'universitaires internationaux ont mis en garde contre un génocide en cours et l'éminent expert israélien du génocide, Raz Segal, l'a qualifiée de « cas d'école de génocide ». Mais la plupart des pays du monde, en particulier ceux que l'on appelle « le Nord », en détournent le regard.
Malgré l'évidence de ces horreurs, il y en a qui ont choisi de concentrer le débat public sur les tentatives visant à délégitimer les déclarations sur Gaza faites par les jeunes du mouvement pour la justice climatique. Contrairement à ce que beaucoup ont affirmé, Fridays for Future n'a pas été « radicalisé » et n'est point « devenu politique ». Nous avons toujours été politiques parce que nous avons toujours été un mouvement pour la justice. Notre solidarité avec le peuple palestinien et avec tous les civils concernés n'a jamais été en question.
Plaider en faveur de la justice climatique vient fondamentalement du souci des personnes et de leurs droits humains. Cela implique de s'exprimer lorsque des personnes souffrent, sont contraintes de fuir leur foyer ou sont tuées – quelle qu'en soit la cause. Cela procède de la même raison qui nous a amenés à organiser des grèves en solidarité avec des groupes marginalisés – ceux du Sápmi , du Kurdistan , d'Ukraine et de nombreux autres endroits – et avec leurs luttes pour la justice contre l'impérialisme et l'oppression. Notre solidarité avec la Palestine est du même ordre, et nous refusons de laisser l'attention du public se détourner des horribles souffrances humaines auxquelles le peuple palestinien est actuellement confronté.
En raison de l'attention qui ne cesse de se river sur nous, comme du nombre de mauvaises interprétations proposées de notre position , nous souhaitons une fois de plus la clarifier. Tous les groupes Fridays for Future sont autonomes et cet article ne représente le point de vue que de la FFF Suède.
Les horribles meurtres de civils israéliens par le Hamas ne peuvent en aucun cas légitimer les crimes de guerre commis par Israël. Le génocide n'est pas une légitime défense et ne saurait en aucun cas représenter une réponse proportionnée. L'on ne peut en outre ignorer que cela s'inscrit dans un contexte plus large – la population palestinienne vit sous une oppression suffocante depuis des décennies, soumise à ce qu'Amnesty International a défini comme un régime d'apartheid. Tout cela constituerait à lui seul une raison suffisante pour commenter la situation mais, en tant que mouvement suédois, nous nous devons également de nous exprimer en raison de la coopération militaire suédoise avec les sociétés d'armement israéliennes, ce qui rend la Suède complice de l'occupation et des massacres israéliens.
Nous assistons aujourd'hui à une forte augmentation des déclarations, actions et crimes haineux, antisémites et islamophobes, en Suède et dans le monde. Le chef du plus grand parti de la coalition gouvernementale suédoise parle de démolir les mosquées et le drapeau israélien a été brûlé devant une synagogue à Malmö. C'est inacceptable. Nous condamnons sans réserve toutes les formes de discrimination, y compris l'antisémitisme et l'islamophobie. Toutes celles et tous ceux qui s'expriment sur cette crise ont la responsabilité d'opérer une distinction entre le Hamas, les musulmans et le peuple palestinien d'un côté ; et entre l'État d'Israël, le peuple juif et les Israélien.ne.s de l'autre.
Nous déplorons les vies perdues au cours des dernières semaines et nous désolons de voir ces chiffres continuer d'augmenter. Le taux de mortalité dans la bande de Gaza atteint un niveau historique, avec des milliers d'enfants tués en quelques semaines seulement. Une telle souffrance est incompréhensible et ne peut continuer. Lorsque les experts de l'ONU appellent le monde à agir pour prévenir un génocide, en tant qu'êtres humains, nous avons la responsabilité de nous exprimer.
Exiger la fin de cette violence inexcusable est une question d'humanité fondamentale, et nous appelons toutes celles et tous ceux qui le peuvent à le faire. Le silence est complicité. Nul ne peut rester neutre face à un génocide en cours. [1]
Bien sûr, Greta ne dit pas tout ça en privée, mais elle les crie haut et fort, non seulement en participant mais aussi en organisant des manifestations de solidarité avec les Palestiniens partout où elle se trouve. Comme d'ailleurs, elle manifeste partout et à chaque occasion sa solidarité avec le peuple ukrainien qui résiste à l'impérialisme grand-russe de Poutine. C'est ainsi que s'adressant au peuple ukrainien l'année dernière, elle avait déclaré que « tout ce que je peux dire, c'est que nous vous soutenons. Le monde entier a les yeux rivés sur l'Ukraine et sur la Russie en ce moment. Nous n'allons pas rester spectateurs, nous n'allons pas rester silencieux. Restez forts, nous sommes solidaires avec vous ».
Cependant, ce soutien aux Ukrainiens n'a pas empêché, ces jours-ci, la presse russe, entièrement contrôlée par le Kremlin, de faire de Greta... une alliée de la Russie contre l'OTAN. La raison de ce canular propagandiste est que Greta avait approuvée en public une photo de ses jeunes camarades tenant des pancartes avec le mot d'ordre « Non à la Russie - Non à l'OTAN - Non à la guerre ». En isolant le « Non à l'OTAN » des deux autres mots d'ordre contre la Russie de leur patron, les médias russes n'ont fait que ce que font tout le temps leurs collègues occidentaux, et aussi quelques gens de gauche pour le moins malhonnêtes : ils découpent les paroles et les actions de Greta en morceaux, soulignant ce qui convient à leurs intérêts et passant sous silence le reste qui est dirigé contre eux. Ainsi, les Occidentaux ont, par exemple, fait beaucoup de tapage autour de l'échange d'amabilités de Greta avec Poutine en 2019, lorsque celui-ci, réagissant au discours de Greta à l'ONU, a fait preuve d'un paternalisme pitoyable en la traitant de « gentille fillette » mal informée qui ne comprend pas à quel point le monde d'aujourd'hui est complexe !
Cependant, c'est avec le même ton paternaliste de procureur de pacotille, que le célèbre magazine allemand, Der Spiegel, a récemment attaqué Greta, la qualifiant de « naïve ou peut-être antisémite » lorsqu'elle a osé manifester dans les rues d'Amsterdam en solidarité avec les Palestiniens. Apparemment parce que, selon le bon magazine allemand, seules les personnes « naïves » et « antisémites » peuvent se sentir solidaires des civils palestiniens massacrés par l'armée israélienne. Encore plus grave, elle a subi des attaques hystériques, allant jusqu'à l'identifier à... la jeunesse hitlérienne ( !), lorsque Greta a osé scander, avec d'autres manifestants, le mot d'ordre Krossa Sionismen (écrasez le sionisme) devant l'ambassade d'Israël à Stockholm. [2]
Et tout cela sans oublier que des « libéraux » occidentaux sont allés jusqu'à la menacer... d'une « balle entre les yeux » [3] lorsque Greta les a dénoncés avec les mêmes mots que ceux qu'elle utilise contre Poutine et ses acolytes, car tant les uns que les autres s'obstinent à émettre toujours plus de gaz à effet de serre, commettant ainsi le plus grand des crimes contre la planète et ses habitants. D'ailleurs, lorsque Greta déclare que « pour sauver la planète, le monde doit se débarrasser du capitalisme », cette affirmation catégorique ressemble à une déclaration de guerre contre les uns et les autres, sans aucune exception…
Greta est donc emblématique de notre époque aussi pour une autre raison : parce qu'elle rallie contre elle la coalition la plus hétéroclite et sans précédent historique de tyrans sanguinaires, de capitalistes milliardaires, de grands bourgeois cossus et autres dictateurs frustes et démocrates assassins aux bonnes manières, lesquels se battent entre eux mais sont unis par leur commune passion du pouvoir et leur commune avidité pour des profits toujours plus grands. Mais en provoquant cette unanimité sans précédent et en ralliant contre elle tous ces destructeurs de l'humanité, Greta révèle aux yeux de tous l'essence des choses, les auteurs et les responsables de la crise historique généralisée d'aujourd'hui. D'ailleurs, comme elle est entièrement d'accord avec le grand prisonnier palestinien Marwan Barghouti (22 ans dans les prisons israéliennes !) qui se déclare « pacifique mais pas pacifiste », Greta apparaît comme l'ennemie jurée numéro un de « ceux d'en haut », et la principale source d'inspiration militante pour la multitude de « ceux en bas » et leurs avant-gardes révoltées. Quant à la gauche désorientée et confuse d'aujourd'hui, l'esprit clair de Greta pourrait lui être utile pour clarifier une fois pour toutes ses idées, ses priorités et ses orientations…
Notes
[1] Agence Medias Palestine : https://agencemediapalestine.fr/blog/2023/12/06/nous-ne-cesserons-de-denoncer-les-souffrances-a-gaza-il-ny-a-pas-de-justice-climatique-sans-droits-humains/
[2] Voir aussi Pour que les horreurs du carnage de Gaza soient les derniers, Purger l'État d'Israël de ses fondements sionistes !
[3] Voir aussi La haine contre Greta : voici ceux, avec nom et adresse, qui la financent !
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Grande-Bretagne. La campagne syndicale et de grève chez Amazon s’étend
Les travailleurs et travailleuses d'un centre de distribution d'Amazon à Sutton Coldfield (Birmingham) se mettront en grève le 25 janvier, après que les membres du syndicat GMB [syndicat généraliste regroupant quelque 600'000 membres] présents sur le lieu de travail ont voté en faveur d'une mobilisation concernant les salaires et les conditions de travail.
10 janvier 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/societe/syndicats/grande-bretagne-la-campagne-syndicale-et-de-greve-chez-amazon-setend.html
Le centre de distribution d'Amazon, dans lequel le GMB annonce que « jusqu'à 100 » travailleurs feront grève, est le dernier site d'Amazon sur lequel le syndicat a mené campagne. La date du 25 janvier marque le premier anniversaire de la campagne de grève menée par le GMB sur les divers sites d'Amazon, campagne essentiellement centrée sur le site BHX4 de Coventry [employant quelque 1400 salarié·e·s dont beaucoup de migrant·e·s], où les travailleurs et travailleuses ont fait grève à 28 reprises jusqu'à présent. Des grèves ont également eu lieu dans un entrepôt à Rugeley, dans le Staffordshire, où les travailleurs ont récemment renouvelé, lors d'un vote, leur décision d'engager un mouvement de grève.
Bien que les membres du GMB sur le site de Sutton Coldfield ne représentent qu'une minorité de la main-d'œuvre [elle compte au total quelque 2000 salarié·e·s], ce qui signifie que la grève aura peu d'impact économique direct sur les bénéfices d'Amazon, l'extension des grèves au-delà de BHX4 possède une signification symbolique. Les activistes syndicaux affirment depuis longtemps que l'extension des grèves et les décisions propres des travailleurs dans d'autres sites d'Amazon sont essentielles pour obliger l'entreprise à faire des concessions significatives.
Depuis le début des grèves, Amazon a procédé à un certain nombre d'augmentations progressives de ses salaires de base, qui doivent passer à 12,30 livres [14,3 euros] de l'heure, en avril 2024. Le GMB réclame un salaire minimum de 15 livres sterling [17,44 euros]. Il a également mené des campagnes d'organisation dans les entrepôts d'Amazon à Swansea [Pays de Galles], Doncaster [Yorkshire du Sud] et ailleurs. Il est essentiel de créer des bases syndicales solides dans les grands sites, à l'instar des plus de 1000 membres que compte actuellement le syndicat à BHX4. Toutefois, le GMB a raison d'attribuer à de petits regroupements de membres les moyens de passer à l'action avant même qu'une majorité de la main-d'œuvre n'ait adhéré au syndicat. (Article publié dans Workers' Liberty le 10 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
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Prévisions 2024 : stagnation, élections et intelligence artificielle
L'année 2023 s'est terminée avec le marché boursier américain qui a atteint un sommet historique.
Les marchés financiers et les économistes traditionnels ont poussé un soupir de soulagement en constatant que l'économie américaine n'était pas entrée en récession. En d'autres termes, la production intérieure n'a pas enchaîné deux trimestres consécutifs de contraction. Cependant, malgré le relèvement par la Réserve fédérale de son taux d'intérêt à son plus haut niveau depuis une quinzaine d'années (la croissance réelle de la politique monétaire est au plus haut depuis 15 ans), le PIB réel américain a augmenté de 2,0 % à 2,5 %, soit un peu plus qu'en 2022. Dans le même temps, le taux d'inflation pour la consommation est passé de 8 % en 2022 à 4,3 % en 2023, le dernier chiffre n'étant que de 3,1 %. Le taux de chômage s'est établi à 3,6 %, comme en 2022, bien qu'il y ait des signes d'augmentation ces derniers mois.
5 janvier 2024 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/pronostico-para-2024-estancamiento-elecciones-e-inteligencia-artificial/
Indice S&P 500 - États-Unis
Ainsi, le consensus des prévisions économiques au début de l'année 2023 s'est avéré faux. Comme je l'ai écrit dans mes prévisions pour 2023 intitulées The Impending Downturn : « Il semble que la plupart des grandes prévisions s'accordent : une récession est à venir pour 2023, bien qu'elles ne montrent pas sa profondeur et les régions qu'elle affectera. »
Mais comme je l'ai écritdans des articles précédents, le PIB de référence est quelque peu atypique si l'on prend en compte l'activité économique basée sur le revenu national brut. Puisqu'il n'y a pas eu de croissance du revenu national réel (c'est-à-dire les gains plus les salaires). Si l'on tient compte de ces deux taux, la croissance économique américaine a été environ la moitié du taux du PIB et considérablement inférieure à celle de 2022.
PIB moyen et revenu national (pourcentage de croissance annuelle)
Pourquoi une telle différence en 2023 ? La raison principale est que la croissance du PIB ne s'est pas traduite par une augmentation simultanée des ventes et des revenus, mais plutôt par une accumulation des biens produits. En fait, l'industrie manufacturière américaine est embourbée dans la plus longue récession depuis deux décennies. L'activité dans le secteur manufacturier s'affaiblit depuis 13 mois consécutifs ; Il s'agit de la plus longue séquence depuis 2002, selon les enquêtes menées par l'Institute of Supply and Management auprès des directeurs des achats.
Indice des directeurs d'achat (PMI) américain (inférieur à 50 = contraction)
En fait, si l'on tient compte de l'inflation des prix des produits en magasin et en ligne, le volume des ventes au détail aux États-Unis est inférieur à celui de 2022.
Volume des ventes au détail aux États-Unis (variation annuelle en pourcentage)
Et la production manufacturière est également en baisse.
Baisse du nombre d'entreprises (Production manufacturière, variation par rapport à l'année précédente)
Aux États-Unis, seul le grand secteur des services a connu une expansion. Et dans ce secteur, la croissance la plus rapide a été enregistrée dans les domaines de la santé, de l'éducation et, bien sûr, de la technologie. La technologie a explosé en 2023 alors que les subventions gouvernementales à l'industrie technologique se sont multipliées. La loi sur la réduction de l'inflation prévoyait des incitations fiscales pour les fabricants d'équipements d'énergie renouvelable et l'achat de véhicules électriques. La loi sur les puces et la science prévoyait 39 milliards de dollars de subventions pour les fabricants de semi-conducteurs.
Le redressement des géants de la technologie en 2023 Valeur boursière conjointe d'Alphabet, Amazon, Apple, Meta et Microsoft
Les dépenses de construction manufacturière (en particulier dans les technologies de l'information) ont augmenté de près de 40 % en 2022 et ont augmenté de 72 % supplémentaires au cours des 10 premiers mois de 2023 par rapport à la même période l'an dernier.
Boom des usines Dépenses mensuelles pour la construction d'usines
« Nous avons ces facteurs acycliques qui stimulent l'investissement dans ce secteur manufacturier, mais le secteur dans son ensemble est toujours dans la lutte », a déclaré Bernard Yaros, économiste américain de renom chez Oxford Economics. L'investissement dans les usines s'est concentré sur la frange la plus technologique du secteur, tandis que d'autres industries sont confrontées à un surstockage induit par la pandémie et à des taux d'intérêt plus élevés.
Selon le département du Commerce, après ajustement pour tenir compte de l'inflation, la demande commerciale de biens d'équipement, à l'exclusion des avions et des équipements militaires, est en baisse depuis deux ans.
Commandes d'investissement hors défense et aviation par rapport à 2019 (en %)
Ainsi, alors que le secteur de la technologie est en croissance et rentable, le reste des entreprises américaines ne se portent pas aussi bien. Depuis le début de l'année, les bénéfices des entreprises non financières n'ont augmenté que de 3 % par rapport à l'année précédente et sont actuellement en baisse.
Bénéfice annuel du secteur des entreprises non financières aux États-Unis
Et tout cela, aux États-Unis, qui est l'économie la plus forte du G7 depuis la fin de la pandémie.
L'économie américaine a dépassé celle de nombreuses économies européennes
Mais gardez à l'esprit que même aux États-Unis, la tendance à la croissance est inférieure à celle d'avant la Grande Récession de 2008-2009 et pas supérieure à la moyenne des années 2010. L'Europe a à peine relevé la tête depuis la Grande Récession et la situation s'est aggravée depuis la fin de la pandémie. En 2023, l'Europe, la Suède, les Pays-Bas et l'Allemagne sont tous entrés en récession, suivis de près par le Royaume-Uni, l'Italie et la France. Le Canada est en récession et le Japon n'est pas loin d'être en récession.
Mais que se passera-t-il en 2024 ? En ce qui concerne 2024, l'opinion générale est qu'il n'y aura pas de récession aux États-Unis ou dans le monde. Douglas Porter, économiste en chef chez BMO Marchés des capitaux, Services économiques, résume ainsi cette opinion générale : « Je m'attends à ce que la plupart des grandes économies connaissent une croissance plus lente en 2024 qu'en 2023, mais la baisse des taux d'intérêt, le refroidissement des prix de l'énergie et des aliments et la normalisation des chaînes d'approvisionnement permettront d'éviter une récession mondiale. »
Voir. Tout d'abord, l'opinion générale est que la croissance mondiale sera plus faible qu'en 2023. Voici ce qu'a déclaré le FMI en 2023 : « La prévision de base est que la croissance mondiale tombera de 3,5 % à 3 % en 2023 et à 2,9 % en 2024, bien en deçà de la moyenne historique de 2000,2019 % pour la période 3-8. Les économies avancées devraient ralentir, passant de 2,6 % en 2022 à 1,5 % en 2023 et à 1,4 % en 2024, alors que le resserrement de la politique monétaire commence à faire des ravages. Les économies émergentes et en développement devraient connaître une légère baisse de la croissance, qui passera de 4,1 % en 2022 à 4 % en 2023 et 2024.
Ce qui n'a rien à voir avec la croissance d'ici 2024 aux États-Unis et dans le monde.
Mais il semble que les taux d'intérêt officiels des banques centrales aient atteint leur plus haut niveau. Par conséquent, les marchés financiers s'attendent désormais à des baisses de taux importantes à partir de 2024. Les taux d'inflation diminuent dans les grandes économies et le chômage n'augmente pas, comme je l'ai déjà souligné. En fait, ce que l'on appelle l'indice de misère (la somme de l'inflation et du taux de chômage) aux États-Unis et dans d'autres grandes économies a diminué de moitié en 18 mois.
Indice de pauvreté aux États-Unis (taux d'inflation et de chômage ajoutés) en %
Ce qui déconcerte beaucoup de gens, c'est que, apparemment, l'économie américaine est en train de réaliser un atterrissage en douceur après la pandémie, avec une baisse de l'inflation, un faible taux de chômage et des revenus médians réels qui commencent à augmenter et, dans le même temps, l'opinion publique américaine montre des signes de dépression et d'insécurité à l'avenir.
Indice de confiance des consommateurs américains
Le problème, c'est que l'inflation n'a diminué que de moitié et reste bien au-dessus de la période pré-pandémique de moins de 2 %. Et cette réduction est presque entièrement due à la fin du blocage des approvisionnements causé par la pandémie et, à terme, à la chute des prix de l'énergie et des produits alimentaires. Comme beaucoup l'ont expliqué, cela n'a pas grand-chose à voir avec la politique monétaire des banques centrales.
L'indice de misère a peut-être baissé, mais aux États-Unis, au Japon et en Europe, de nombreux ménages souffrent encore des conséquences du ralentissement de la pandémie. Les prix en Europe et aux États-Unis sont de 17 à 20 % plus élevés qu'à la fin de la pandémie. L'emploi est peut-être abondant, mais il est généralement mal rémunéré et à temps partiel ou temporaire. De plus, selon l'indice de la Fed de New York, la guerre en Ukraine et maintenant l'horrible anéantissement de Gaza pourraient entraîner une pression accrue sur la chaîne d'approvisionnement internationale.
Indice de pression sur la chaîne d'approvisionnement mondiale
Et ce qui est absent de toutes les prévisions optimistes, c'est la situation des économies dites émergentes ou en développement des pays du Sud. Si la Chine, l'Inde et l'Indonésie sont exclues de l'équation, le reste de ces économies, en particulier les plus pauvres et souvent les plus peuplées, sont confrontées à une grave crise de la dette qui a entraîné une augmentation des défauts de paiement de la dette des gouvernements et des entreprises des pays pauvres.
J'ai abordé cette question dans de nombreuses autres publications, et bien que les taux d'intérêt puissent éventuellement baisser tout au long de 2024, leur impact sur la capacité de nombreux pays à honorer leurs obligations envers les fonds d'investissement, les banques et les agences internationales des pays riches sera plus faible cette année que l'année dernière.
Tout cela suggère que si l'économie américaine a techniquement évité la récession de 2023, qui aurait pu déclencher une contraction mondiale, le consensus optimiste entendu cette année pourrait à nouveau s'avérer erroné ; cette fois-ci dans la direction opposée à celle de l'année dernière.
Tout cela en ce qui concerne l'économie en 2024. Mais il faut aussi tenir compte de la politique. L'année 2024 est l'année des élections. Il y a 40 élections prévues, qui toucheront 41% de la population mondiale dans des pays qui représentent 42% du PIB mondial.
La plus importante d'entre elles aura lieu aux États-Unis en novembre, et pourrait déstabiliser toutes les économies et tous les marchés financiers. Donald Trump affirme que le marché boursier et l'économie ne restent forts que parce que tout le monde s'attend à ce qu'il gagne en novembre. Si ce n'est pas le cas, « alors nous allons assister à une nouvelle Grande Dépression ». Eh bien, ce pronostic semble peu probable ; L'inverse pourrait même se produire. Mais on ne sait pas qui va gagner ; si Biden se présentera à nouveau ou si Trump ou Biden effectuera un autre mandat complet.
La Russie a également des élections présidentielles, mais il n'y a aucun doute sur le résultat, non seulement parce que les médias, la commission électorale et le contrôle de l'État sont totalement sous les mains de Poutine et que toute opposition est réprimée, mais aussi parce que l'invasion de l'Ukraine par la Russie a augmenté son soutien populaire. D'autre part, l'économie russe a évité la récession et a en fait progressé au cours de l'année écoulée grâce aux dépenses militaires.
En Europe, il y aura des élections au Parlement européen en juin, au cours desquelles une augmentation significative des partis de droite opposés à l'immigration et à l'intégration européenne, tout en s'opposant à l'aide de l'UE à l'Ukraine, est attendue. Mais les partis de centre-droit pro-Israël et pro-Ukraine actuels sont susceptibles de détenir la majorité. Le Portugal, en revanche, organisera des élections dans lesquelles les socialistes seront presque certainement battus, entraînés par des scandales de corruption.
Et au Royaume-Uni, il y aura également des élections générales cette année. Le Parti travailliste d'opposition, désormais contrôlé par une faction de droite pro-entreprises, semble sur le point de gagner le pouvoir d'un gouvernement conservateur incompétent et corrompu qui n'a même plus le soutien des membres de plus en plus fous et vieillissants du parti. Mais ce gouvernement travailliste continuera simplement comme d'habitude, à la fois dans la politique économique intérieure et dans le soutien inconditionnel à l'hégémonie mondiale des États-Unis.
L'autre élection majeure aura lieu en Inde, où l'actuel ex-président fasciste Modi, au pouvoir depuis 2014, semble à nouveau en passe d'arriver en tête des élections, compte tenu de la forte croissance économique de l'Inde et de l'effondrement des partis d'opposition. De l'autre côté de la frontière, au Pakistan, la situation est plus tendue alors que le gouvernement de droite actuel, soutenu par l'armée, vise à vaincre l'ancien Premier ministre Imran Khan, qui s'est opposé à l'armée. Au Bangladesh voisin, c'est l'actuel gouvernement autocratique qui l'emportera, car l'opposition est prête à boycotter les élections.
Les élections en Indonésie et en Corée du Sud sont susceptibles de conduire au statu quo des gouvernements pro-capitalistes. Le Congrès national africain (ANC) devrait se maintenir en Afrique du Sud lors des élections de mai, car l'opposition est divisée, mais l'ANC pourrait passer sous la barre des 50 % des voix pour la première fois depuis la fin de l'apartheid.
Claudia Sheinbaum, la candidate préférée de l'actuel président mexicain Andrés Manuel López Obrador, est largement en tête des sondages. Une autre élection clé est celle du Venezuela. Grâce à l'accord conclu avec les États-Unis, les sanctions ont été assouplies en échange de la tenue d'élections générales. L'objectif des États-Unis est de faire tomber le gouvernement de Maduro par le biais d'un vote populaire.
Il ne reste que quinze jours avant les élections législatives à Taïwan, où le parti indépendantiste au pouvoir semble bien parti pour conserver la présidence face au parti plus pro-chinois. Cela pourrait accroître les tensions entre les États-Unis et la Chine.
2024 pourrait également être l'année où l'impact de l'intelligence artificielle (IA) sur la productivité et l'essor de l'emploi de l'intelligence artificielle (IA) sera le plus évident. Les techno-optimistes comme Goldman Sachs bavent à la perspective d'une forte augmentation de la croissance de la productivité américaine au cours du reste de la décennie en cours, ce qui serait obtenu, de manière cruciale, par des suppressions massives d'emplois dans de nombreux secteurs de services.
D'ici 2024, les dépenses consacrées à l'IA passeront à un peu plus de 20 milliards de dollars. Cela représente 000,0 % du total des dépenses mondiales en IA, selon John David Lovelock, prévisionniste en chef de la société de recherche sur les technologies de l'information (TI) de Gartner. À titre de comparaison, les acheteurs informatiques dépenseront cinq fois plus pour la sécurité, ajoute-t-il. Cependant, Goldman Sachs estime que les investissements dans l'IA augmenteront dans la dernière partie de cette décennie pour dépasser 5,2 % du PIB d'ici 5.
Même si cela se produit, cela peut ne pas se traduire par une augmentation générale de la productivité. La grande révolution Internet de la fin des années 1990 a produit un boom, une bulle et un effondrement du marché boursier, mais elle n'a pratiquement pas entraîné de croissance de la productivité du travail dans les années 2000. Comme l'a commenté Robert Slow, récemment décédé, à propos de l'impact de la technologie sur la productivité : « L'ère de l'informatique est présente partout, sauf dans les statistiques de productivité. » La croissance de la productivité a ralenti à l'échelle mondiale au cours des deux premières décennies de ce siècle.
L'espoir des plus optimistes est que l'intelligence artificielle (IA) et les LLM [grands langages modèles] donneront le coup d'envoi d'une « décennie rugissante des années 20 », similaire à celle qu'ont connue les États-Unis après la fin de l'épidémie de grippe espagnole de 1918-1920 et la récession qui a suivi en 1920-1921. Mais aujourd'hui, nous ne sommes plus dans la même situation. En 1921, ils disposaient d'une puissance manufacturière en plein essor, dépassant l'Europe déchirée par la guerre et la Grande-Bretagne en déclin. À l'heure actuelle, l'économie américaine est en déclin relatif, l'industrie manufacturière stagne et les États-Unis sont confrontés à la menace de la montée en puissance de la Chine, ce qui l'oblige à mener des guerres par procuration pour préserver son hégémonie.
Très probablement, 2024 sera une autre année de ce que l'on a appelé la longue dépression qui a commencé avec la Grande Récession de 2008-2009, similaire à la dépression de la fin du 1873e siècle (1895-<>) dans la plupart des grandes économies de l'époque. À moins que la productivité moyenne n'augmente rapidement, la croissance globale des investissements des entreprises restera stable, même si l'IA stimule la productivité dans certains secteurs. Pour parvenir à un changement radical de la rentabilité globale du capital, il faudrait procéder à un grand assainissement (récession) afin d'éliminer les entreprises faibles (zombies) et d'augmenter le chômage dans les secteurs à faible valeur ajoutée. Jusqu'à présent, une telle politique de liquidation ou de destruction créatrice n'a pas gagné de soutien dans les cercles dominants ou dans les politiciens officiels. Il est préférable de continuer à se débrouiller en passant.
En résumé, 2024 devrait être une année de ralentissement de la croissance économique pour la plupart des pays et probablement avec une baisse plus marquée en Europe, en Amérique latine et en Asie. La crise de la dette sera accentuée dans les pays dits du Sud qui n'ont pas de sources d'énergie ou de minerais à vendre. Ainsi, même si les États-Unis évitent un crash total cette année, la plupart des gens dans le monde ne le percevront pas comme un atterrissage en douceur.
2/01/2024
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Belgique - Appel à la grève féministe ce 8 mars 2024
Depuis 2019 en Belgique, avec Féministes anticapitalistes nous soutenons et défendons la nécessité d'organiser des grèves féministes. Les femmes effectuent au quotidien un travail essentiel pour nos vies : éducation des enfants, tâches ménagères, soins aux personnes âgées ou malades, cuisine, etc. Le système capitaliste s'appuie sur ce travail sur-exploité, souvent gratuit ou dans des secteurs ciblés par des mesures d'austérité comme l'enseignement, la santé et le non-marchand. À l'école, à la maison, au travail, faire grève c'est tirer sur le frein d'urgence face à la machine infernale du capitalisme et des violences faites aux femmes ! Si les femmes s'arrêtent, le monde s'arrête !
Tiré de Gauche anticapitaliste
9 janvier 2024
Par Féministes anticapitalistes
Nous ne pouvons pas compter sur les gouvernements ! À l'aube des élections, le bilan de la Vivaldi est clair, il a renforcé l'oppression des plus précaires : pas d'accueil en suffisance pour les personnes demandeuses d'asile, pas de régularisation, blocage des salaires, sous-financement de la santé, de la culture et du social, réforme des pensions qui précarise majoritairement des femmes, mise au placard d'avancées pour le droit à l'avortement, durcissement des conditions d'accès au crédit-temps, etc.
En politique internationale aussi, le bilan de la Vivaldi est déplorable : aucune sanction contre Israël pour imposer un cessez-le-feu et la fin de l'occupation. Pendant ce temps, Gaza subit des bombardements sans précédent, le nombre de décès de civils ne cesse d'augmenter et la situation humanitaire est de plus en plus catastrophique. Depuis le début de l'occupation, il y a 75 ans, les femmes palestiniennes luttent contre la violence patriarcale et coloniale de l'État d'Israël. Une fois encore la solidarité féministe internationale prend tout son sens.
Nous avons besoin d'une rupture politique franche !
Contre l'exploitation capitaliste et la domination patriarcale, nous devons construire un mouvement féministe unitaire, combatif et indépendant de l'État !
Nous saluons l'appel à la grève féministe publié par le Collecti.e.f 8 mars pour le 8 mars 2024. Nous déplorons cependant vivement que l'appel de cette année ne revendique pas la régularisation des personnes sans-papiers et qu'il revendique des investissements dans les institutions policières. Les meurtres policiers et la répression envers les personnes sans papiers, envers les militant·e·s et dans les quartiers précarisés démontrent que la police n'est pas une institution de protection ! Au contraire, elle perpétue et repose sur les violences sexistes et racistes. Nous ne devons pas donner plus de fonds à l'institution policière mais au contraire la désinvestir et la désarmer. De l'argent pour la lutte contre les violences sexistes et racistes, pas pour la police ! Les femmes sans-papiers sont sur-exploitées dans des secteurs essentiels à la vie comme le nettoyage et l'aide à domicile. La régularisation de toutes les personnes sans-papiers et demandeuses d'asile est une revendication essentielle pour l'amélioration des conditions de vie de toutes les femmes. Nous devons comprendre qu'aucune de nous ne sera libre tant que nous ne serons pas toutes libres.
Nous mobiliserons pour la grève féministe sur base des revendications suivantes :
. Une sécurité financière individuelle pour toutes ! Individualisation des droits, relevé des allocations au-dessus du seuil de pauvreté, augmentation des salaires, pension complète ;
. Le renforcement des services publics ! Crèches, santé, enseignement, culture, services sociaux, transports ;
. Désinvestissement dans les entreprises privées, la police et l'armée ;
. Un financement structurel et conséquent de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux personnes LGBTQI+ : autodéfense, prévention, accompagnement ;
. La régularisation de toutes les personnes sans papiers et en situation de séjour précaire ;
. La fin du délai de réflexion et l'extension de l'accès à l'avortement à 24 semaines !
Photo : Bloc des Féministes anticapitalistes (Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0)
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Capitalisme, dettes et in.ter.dépendances : une perspective féministe (Camille)
Dans la pensée occidentale - autoproclamée universellement désirable - ce terme évoque un rapport plutôt peu enviable. Dépendance à une substance (t'as raté ta vie, t'as pas de volonté, ou t'es « malade »), dépendance affective (faiblesse, manque d'affirmation), économique (incapable, assité·e, flemmard·e, profiteur·euse, parasite.), ou encore physique (vulnérable, dégoûtant·e, fardeau, inutile). Cette condition ôte ainsi la légitimité de faire ses propres choix, qu'il s'agisse d'individu·es ou de peuples entiers. La dépendance, comprise comme opposée à l'indépendance, suggère une relation à sens unique. Quand on y pense, pourtant, tout le monde dépend de quelque chose ou de quelqu'un. Et si on s'y faisait ? Et si on décidait de penser en termes d'interdépendance, d'interconnexions, et de s'organiser socialement et économiquement en reconnaissant ce constat pour le coup (oui oui utilisons le gros mot) universel1 ? Ne serait-ce pas plus en phase avec la réalité ? Plus à même de remplir les besoins de toustes ?
17 décembre 2023 | tiré du site du CADTM
https://www.cadtm.org/Mais-qui-depend-de-qui-in-ter-dependances-et-dette-patriarcale
Interroger la notion d'(in)dépendance n'est pas anodin car s'y dissimulent des rapports de pouvoir, comme au sein du (néo) colonialisme, du patriarcat, des relations intergénérationnelles ou encore du patronat. Un regard critique inspiré notamment des luttes anticoloniales et féministes permet de les décrypter, de se demander « qui dépend de qui ? » et de questionner la notion de dépendance même.
Cet article explore quelques éléments de réponses et s'aventure à allier questions économiques et politiques à l'ontologie, au philosophique, à l'immatériel, à l'affectif. Il propose de voir autrement ce qui compte vraiment dans ce monde désenchanté. Il aborde la question des in·ter·dépendances en proposant une lecture écoféministe de la question des dettes et des futurs désirables.
Construite politiquement par les luttes et pensées anti-impérialistes qui dénoncent l'imposture des indépendances, et celles, écoféministes, qui rendent justice - en les visibilisant - aux personnes, travaux, soins, procédés, éléments nécessaires à la vie sur terre, j'ai été inspirée par ce thème de la « dépendance » : en fait très présent dans notre société... On s'en rend compte notamment à partir de la perspective de la dette2 , formidable outil de transfert de richesses qui maintient les structures de pouvoir en place.J'en ai parlé à Sacha, qui, pour son travail de fin d'études, réfléchissait justement à un nouveau concept : la « dette patriarcale » comme élargissement des propos développés dans le livre Nos vies valent plus que leurs crédits que nous avons coécrit avec Christine Vanden Daelen 3 et d'autres formidables contributrices. On s'est dit que c'était l'occasion de se prêter à l'exercice. Au vu du sujet, il n'est pas inutile de préciser que nous sommes toutes deux des personnes blanches et valides physiquement, assignées femmes et actuellement dépendantes financièrement de revenus sociaux (et menacées de les perdre). Ceci est une exploration incomplète sur un aspect spécifique de la question, sans prétention d'être les mieux placées pour parler de dépendances, ni ambition de relativiser la violence du validisme. On se limite ici aux questions de genre mais on tient à insister sur le fait que le patriarcat est un système de domination intimement lié à d'autres oppressions : le racisme, le classisme, l'hétéronormativité, le spécisme, etc. Quand on utilise le terme « femmes », c'est comme « catégorie analytique » utile pour dresser les grandes lignes des effets genrées de la dette dans un monde organisé autour de dualismes de genre. Ce terme inclut les personnes qui se reconnaissent dans cette réalité sociale et politique, ou y ont été assignées, mais peut également inclure selon le sujet les personnes queer. Son utilisation ne se veut donc pas essentialiste, ni invisibilisante de la pluralité du genre, des sexualités et des oppressions qui en résultent.
Quand on pense à « dépendance », on pense à « indépendance », et on pense souvent à des êtres humains. Autant à des peuples entiers quand il s'agit d'indépendance politique ou économique de territoires qu'à des personnes quand il s'agit d'autonomie, d'émancipation.
Dans la sphère géopolitique comme micropolitique, la dette joue un grand rôle dans l'obtention et le maintien, ou non, de son indépendance. Les dettes dont je vais parler ici sont celles dites « illégitimes », c'est-à-dire qui n'ont pas servi les intérêts des populations4 . Elles sont désormais majoritaires, dans les Nords comme dans les Suds. Contractées soit en contrepartie d'une prétendue « indépendance » (dettes coloniales5 ) ou au nom du « développement », souvent auprès d'institutions multilatérales, comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale, mais aussi de puissances (néo)colonisatrices et de plus en plus souvent sur les marchés financiers, elles sont dans les deux premiers cas systématiquement accompagnées de conditionnalités et de juteux taux d'intérêt. Hier comme aujourd'hui, les mesures imposées au nom du remboursement des dettes permettent de maintenir le flux de matières premières, main-d'ouvre, etc., bon marché, nécessaires pour alimenter la surconsommation mondialisée et maintenir la « croissance économique » des puissances industrielles et les pays occidentaux. Pourtant, si l'on prend en compte la totalité des transferts de richesses et des intérêts, les dettes sont dans bien des cas déjà remboursées.
Outil absolument central à l'accumulation capitaliste, le remboursement des dettes s'est ainsi imposé comme primant sur toute autre préoccupation économique, sociale ou écologique6 . Cette continuité des dynamiques coloniales (néocolonialisme) facilitée par les dettes amène les luttes anticoloniales à revendiquer « qui doit à qui ? » Pour exiger l'annulation, mais aussi comme outil politique qui permet de souligner la violence passée et contemporaine des rapports NordsSuds. Pour ne pas prétendre que ce pillage appartient au passé, il convient peut-être justement de reformuler la question en termes plus actuels : « qui dépend de qui ? »
Depuis la crise financière de 2008 et le sauvetage des banques qui fait exploser la dette publique, les mêmes types de mesures d'austérité sont appliquées aux Nords au nom du remboursement. Ces logiques deviennent, partout, la nouvelle norme néolibérale. Certaines sont spécifiques selon les pays et continents, mais, de manière générale, elles suivent le même mot d'ordre de réduction des dépenses publiques (coupes budgétaires, baisse des allocations et dépenses sociales, gel des salaires, privatisations, hausse de la TVA, etc.). Cela conduit pourtant souvent à une hausse des profits du secteur privé et à un assèchement des finances publiques et des ménages.
La dette accentue les inégalités de toutes sortes. Mais surtout, elle affecte de manière spécifique et disproportionnée les personnes et groupes sociaux déjà marginalisé·es : les personnes précarisées, âgées, immigrées, non blanches, les travailleur·euses précaires, et, parmi elles, particulièrement les femmes et les personnes LGBTQIA+. Ces personnes perdent leurs revenus, s'endettent, augmentent leurs heures de travail de soin gratuit pour faire face à la fermeture des services et la hausse des prix. Les riches deviennent toujours plus riches, et les pauvres toujours plus pauvres. Ce ne sont donc clairement pas les responsables qui paient, et l'accumulation continue du capitalisme en dépend. Encore une fois, qui dépend de qui, au final ?
Par leur obligation de rentabilité, les politiques d'ajustement ne font pas qu'affecter des êtres humains ou perpétuer le pillage colonial, mais contribuent également à la destruction des écosystèmes. L'idée, au centre du dogme néolibéral, selon laquelle chacun·e a à sa disposition les moyens et informations nécessaires pour faire les choix qui vont maximiser ses ressources économiques (« homo economicus ») de manière indépendante ne tient pas compte de la réalité des rapports sociaux et des cycles de régénération des ressources naturelles, et est donc complètement illusoire. Elle n'est par ailleurs pas désirable.
En fait, ce qui est dingue, c'est que le capitalisme semble être construit sur une série de mythes, théories, et idées fausses (imbécillité ou manipulation ?), dont il est complètement dépendant, ce qui donne lieu à une série d'invisibilisations qui ont des effets néfastes : ça ne tient pas la route !! À croire que l'une des caractéristiques du capitalisme est de diminuer au lieu de valoriser, sacraliser, reconnaître, soutenir ce dont on dépend pour (sur)vivre (en gros, le travail de reproduction sociale et un environnement viable). Concrètement, cette tendance peut avoir comme conséquence de détruire les choses desquelles on dépend vitalement, pour les communautés directement concernées particulièrement, mais aussi pour la vie en général.
Ce constat accablant s'inscrit dans le mode de pensée occidental qui est fondé sur la croyance en des dualismes hiérarchisés (hommes/femmes, humain/non-humain, production/reproduction, civilisé/sauvage, blanc/non-blanc, intellectuel/manuel, etc.). Ces séparations sont au centre des rapports de domination (en justifiant ces derniers) et du rapport problématique de nos sociétés au soin et à l'interdépendance. Ce constat est notamment porté par les luttes (éco)féministes.
ÉCONOMIES FÉMINISTES ET AUTRES REGARDS SUR L'AUTONOMIE
Des impacts spécifiques
Notre contexte est également celui du patriarcat, et même de l'hétéropatriarcat : il se fonde sur une « division sexuelle du travail », des normes de genre, et des inégalités professionnelles. Les activités dites de « reproduction sociale » (ou de soin, de care), c'est-à-dire nécessaires à la reproduction de la société (soins aux personnes, éducation des enfants, nettoyage des lieux de travail, de socialisation, de vie, etc.) sont effectuées par une écrasante majorité de femmes, de manière gratuite et de manière (sous) rémunérée. Ces dernières, comme ces activités, sont dévalorisées socialement : elles ne sont clairement pas une priorité politique.
On constate par ailleurs une très grande proportion de personnes (principalement des femmes mais pas que) migrantes dans les secteurs du soin, du nettoyage et de la garde d'enfant. Plus le travail est considéré comme sale (et pourtant souvent d'autant plus important), plus il est dénigré, plutôt que reconnu et célébré. C'est ce que l'on nomme la « chaîne globale du care » : le travail des peuples, notamment des femmes, des Suds, assure le confort des métropoles à moindre coût.
Les femmes, surtout certaines, sont donc cantonnées dans certains types d'emplois (CDDs, temps partiels, échelons bas, etc.), ont des revenus inférieurs et sont pourtant en charge de la majorité des dépenses quotidiennes du ménage. Elles ont aussi de ce fait moins de patrimoine et de capital, sont moins « équipées » pour faire face aux crises et en paient le prix fort.
De fait, les mesures d'austérité mises en place pour le remboursement de la dette publique touchent en premier lieu les secteurs considérés comme « non productifs » : ceux de la santé, de l'enseignement, etc., et donc touchent les femmes spécifiquement, en tant que travailleuses majoritaires et usagères principales (également pour les personnes qu'elles ont à charge, par exemple dans les crèches). Ces secteurs sont pourtant essentiels, comme l'a bien montré la désastreuse gestion de l'épidémie de Covid-19.
La dette du care
Un dénominateur commun aux pratiques féministes est la mise en évidence du travail de soin : aux personnes, de la société, des communs, bref du monde. Dans quelles conditions ce soin est effectué et comment il est réparti en dit long sur les rapports sociaux inégalitaires qui traversent nos sociétés dites « modernes ». Les économies féministes proposent ainsi de remettre le soin au centre de nos préoccupations, de le reconnaître, le valoriser, de le rémunérer, peut-être, ou encore de le célébrer, le collectiviser. Rendre visibles ces activités permet de se rendre compte de leur ampleur, leur importance et de tout ce qu'elles impliquent (tâches, compétences, temps, ressources nécessaires, coûts, engagement affectif et émotionnel) et ainsi le reconnaître comme un « bien sociétal de valeur7 ». Cela signifie que, dans les conditions actuelles, toute une partie de la société (grossièrement, les classes dominantes et les hommes) est redevable et débitrice de ce qu'on appelle la dette du care, une énorme « dette de soin ». Plus précisément, il s'agit d'une dette due par les personnes qui non seulement pourraient prendre soin d'elles-mêmes, comme le dit Amaia Pérez Orozco8 , mais aussi prendre en charge une série de tâches de soin, mais ne le font pas et voient ainsi leur temps, confort et accumulation de capital augmenter, au détriment de celui des autres. « Quand on regarde qui donne et qui reçoit, l'imbrication des oppressions devient évidente tant à l'échelle individuelle que globale : certains groupes sociaux ne remplissant pas leurs propres besoins les délèguent à des personnes venues d'ailleurs, ce qui crée une dette du care aux dimensions non seulement genrées, mais aussi géographiques, raciales et de classe.9 » Les slogans des grèves et luttes féministes « qui doit à qui ? »et « quand les femmes s'arrêtent, le monde s'arrête ! »10 sont l'incarnation du ras-le-bol de ce déséquilibre et résonne avec notre « qui dépend de qui ? »
Vulnérables, et alors ? Critique de l'individu autonome
Le fait que de nombreuses tâches qui constituent cette dette du care soient peu reconnues et souvent effectuées hors des regards11 permet également d'alimenter l'ingratitude qu'elles suscitent et le mythe de l'individu autonome, qui n'aurait besoin de personne.
Cet acharnement à renier sa dépendance envers les autres et à la considérer comme quelque chose de nécessairement péjoratif et déshonorant est typique de la domination masculine12. Cela signifie que ce ne sont pas « les hommes », mais précisément la dévalorisation du soin en tant que tel (et des personnes qui l'effectuent) qu'il faut combattre en tant que socle du patriarcat, mais aussi du capitalisme et d'autres systèmes d'exploitation qui en profitent tout autant.
L'apport d'une perspective féministe est donc « d'enlever le caractère péjoratif de la dépendance et de la vulnérabilité, et donc de s'éloigner des notions d'autonomie et d'indépendance glorifiant la liberté individuelle. Dépendance et vulnérabilité font partie intégrante de la condition humaine, certaines personnes nécessitent plus de soins à des moments donnés de leur vie, d'autres sont plus aptes à les donner. Tout le monde, personnes "autonomes" comprises, a constamment besoin de soins émotionnels13 ».
Une reconnaissance de ce besoin de soins et de nos vulnérabilités permet d'enrichir les implications de la reconnaissance d'une dette du care. Il ne s'agit pas de vouloir la « supprimer » à tout prix en étant « chacun·e pour soi » ou en exigeant compensation ou rémunération et en abolissant la gratuité. En effet, il serait peut-être pertinent, comme d'autres formes de dettes, d'en reconnaître la part illégitime et de plaider pour une société sans dette du care illégitime. Nous voulons continuer à prendre soin des gens que l'on aime, à prendre soin des gens qui en ont besoin, qu'iels puissent « rendre la pareille » ou non. On pourrait dire que c'est une dette, mais est-ce vraiment le bon mot ? Ce que nous ne voulons plus, c'est le faire dans l'invisibilisation et l'ingratitude générale, dans des conditions indignes sans contrepartie. Un monde sans dette du care signifie, au-delà de possibles compensations, de réelles réparations qui ne pourront se matérialiser que dans une nécessaire réorganisation de nos sociétés et avec de nouvelles manières de concevoir, donner et recevoir le soin, conscientes de cette responsabilité collective et de nos interdépendances.
LA DETTE PATRIARCALE : UNE PROPOSITION (SACHA)
La dette du care a été avancée comme un puissant outil politique pour revendiquer le non-paiement de la dette publique et la fin des politiques d'ajustement et d'austérité. Cette dette serait déjà largement compensée par ce travail, fut-il reconnu. Pourquoi reste-t-elle impayée ? Pourquoi est-ce que les « femmes ne s'arrêtent pas » pour « imposer leurs droits » ?
Pour exister, le capitalisme patriarcal dépend d'autres mécanismes rendant possible l'exploitation continuelle du travail du care et pour maintenir une grande partie des prestataires de soins et les femmes dans une situation de précarité économique et d'impuissance politique. Cette immense injustice engendre le sentiment qu'on nous doit encore bien plus qu'une reconnaissance de cette dette du care. C'est ce que nous proposons ici d'appeler la « dette patriarcale ».
La dette patriarcale est une violence, car elle découle de toutes les formes de violences inhérentes au patriarcat et aux rôles et normes de genre strictes : violences économiques, symboliques et institutionnelles qui sont accompagnées de violences physiques, surtout quand on dévie de la norme.
Nous avons identifié quatre dimensions qui composeraient la dette patriarcale et qui nous semblaient indispensables pour mettre encore plus en lumière les déséquilibres engendrés par le capitalisme patriarcal. La première dimension serait tout simplement la dette du care. Celle-ci augmente quand la dette financière augmente, par exemple des personnes compensent par leur travail gratuit la destruction de l'État social. La deuxième dimension, ce sont les inégalités économiques qui découlent des stéréotypes et discriminations de genre et font en sorte que les femmes dépensent plus et/ou gagnent moins. En plus d'occulter les choses dont on dépend vraiment, le capitalisme patriarcal crée des nécessités de dépenses et des illusions de besoins qui sont bien souvent genrées : pour les « hommes », ce seront des articles de sport, des voitures, etc., tandis que pour les « femmes », ce seront des produits cosmétiques ou de ménage. L'impact sur les portefeuilles et les individus est lui aussi genré. En effet, les articles destinés aux hommes sont souvent plus de l'ordre de l'investissement de capital (véhicule), tandis que ceux pour les femmes sont de l'ordre de la consommation courante ou du soin aux autres, elles n'en profitent pas forcément directement, ni à long terme. De nombreuses dépenses sont aussi directement liées à la pression de se conformer aux normes de genre, pression beaucoup moins complexe et coûteuse pour les hommes. Même quand certains besoins semblent partagés, intervient ce qui est connu comme la « taxe rose » : un même objet coûtera plus cher dans sa version destinée aux femmes (un rasoir rose, une coupe de cheveux, un short de sport.). Cette taxe est estimée à une centaine d'euros par mois14. Ces dépenses supplémentaires doivent être effectuées avec un revenu en moyenne inférieur dû aux inégalités professionnelles et patrimoniales. Cela peut être accompagné de conséquences psychologiques (estime de soi, etc.) ou d'un endettement privé. Troisièmement, on peut y inclure les inégalités économiques dues à l'augmentation de la dette publique. En plus des pertes de revenus et de l'usage de services devenus plus chers ou moins accessibles, elles paient le prix fort de l'austérité.
« En effet, via leurs contributions fiscales15, des dépenses quotidiennes sans cesse majorées mais aussi via les dettes privées qu'elles contractent pour parer aux insuffisances de l'État et assurer la (sur)vie de leursproches16, les femmes contribuent de façon disproportionnée au remboursement de la dette publique et augmentent ainsi involontairement les profits des créanciers (banques, fonds spéculatifs, institutions financières internationales) véritables responsables de la crise.17 ». Elles trouvent des solutions concrètes, adaptent leur temps de travail, restent dans un foyer violent. L'effet cumulatif résulte en une usure qui affecte très gravement les personnes déjà situées du « côté perdant » des différents rapports de domination.
La quatrième dimension est celle qui m'a donné l'envie de parler de « dette patriarcale ». C'est son autre dimension « non financière » qui se réfère à l'exploitation de nos corps féminins et marginaux, historiquement domestiqués, hypersexualisés, (dé)possédés, instrumentalisés et violentés. Alors que je me baladais dans la rue et venais de me faire harceler pour la Nième fois, je me suis dit « et si on reconnaissait tout ce harcèlement, les féminicides, les violences conjugales et toutes les violences sexistes et sexuelles comme une dette ? Comme quelque chose qu'on nous a pris (nos vies, nos énergies, nos dignités, nos joies), et qui mériterait réparation ? »
Historiquement, on peut y inclure les professions et possessions des femmes accusées de sorcellerie ou mariées de force, et, hier comme aujourd'hui, la perte de leurs terres agricoles face à l'agriculture productiviste (aujourd'hui justifiée par la pression du remboursement ou du développement). De manière générale, il s'agit de toutes ces violences qui nous gardent « à nos places », qui empêchent tellement d'adelphes de se libérer, de gagner leur vie, toutes ces violences qui sont tellement normalisées qu'on ne les nomme pas ainsi mais qui sont à la base de la domination masculine. Les « hommes », en tant que classe, ne dépendent évidemment pas du harcèlement (contrairement au travail gratuit), mais le patriarcat oui. Il permet le maintien des oppressions et privilèges, car toute oppression a besoin d'un outil pour faire taire les opprimé·es.
En plus des dommages physiques et symboliques, cette violence implique toute une série de dépenses (psychologues, gynécologues, avocats.). Les personnes préservées de la violence n'auront jamais à assumer de tels coûts. Encore une injustice économique historique et structurelle. Enfin, la dette et l'austérité augmentent encore les violences sexistes auxquelles sont confrontées les femmes (sabrage des droits sexuels et reproductifs, expulsions de territoires pour gros projets d'aménagement, fermeture de centres d'accueil, etc.). Les dettes sont liées et usent les femmes dans leurs corps, leur quotidien, leurs ressources, leur temps, leur travail et leurs possibles. Elles les maintiennent en situation de subordination et de précarité, voire de dépendance économique, alors que le monde dépend vitalement de leur travail.
Le fait que cette dette patriarcale reste non reconnue, et donc impayée, constitue un énorme défaut des classes dominantes qui permet de maintenir leurs privilèges et leurs accumulations de capital. Nous avons voulu présenter cette ébauche sur la dette patriarcale pour proposer de s'intéresser à tous les aspects d'une dette (monétaires et non monétaires). C'est utile non seulement pour la cause féministe mais aussi comme méthodologie à appliquer dans le cadre d'autres endettements et dominations systémiques. Par exemple, quand on parle d'endettement Nords/Suds, il est possible de faire rentrer les dommages symboliques, culturels, l'esclavagisme, la suprématie blanche dans l'équation.
Cet article nous a permis aussi de nous rendre compte qu'on pouvait inclure d'autres choses que du « travail » ou des « services » dans le non-monétaire, mais aussi des aspects plus immatériels comme des relations de dépendances, de redevabilité, de culpabilité. Il est donc essentiel de se demander « qui dépend de qui ? » aujourd'hui pour éviter de nouvelles dettes dans le futur, mais, surtout, pour affirmer la valeur de notre place dans le monde et donc de plaider pour des relations solidaires d'interdépendances assumées et non hiérarchiques.
FAIRE PARTIE DU MONDE (CAMILLE & SACHA)
Apports écoféministes
L'ordre dominant enlève toute valeur et invisibilise l'autre pilier de la reproduction de la vie sur terre : les capacités régénératrices de « la nature », elles aussi nécessaires à l'accumulation capitaliste. Ceci est un des postulats de base des écoféminismes, qui proposent donc de remettre en question les principaux piliers économiques et culturels de l'Occident : les dominations violentes de l'humain sur la nature et des hommes sur les femmes. Celles-ci, évidemment, s'imbriquent avec d'autres rapports inégalitaires : de race, de classe, de sexe, de genre, d'espèce.
En effet, cette pensée permet de s'attaquer aux racines de ces exploitations en identifiant les logiques communes et en s'attaquant à la domination et à la hiérarchie en tant que telles, comme mode de fonctionnement du modèle occidental fondé sur une vision pyramidale du monde. C'est-à-dire que les hommes blancs, technocrates seraient en haut, suivi des travailleurs manuels, puis les femmes, les enfants, les animaux, ensuite les plantes, et enfin les cailloux, eaux et autres entités dites « inertes ». Cette hiérarchie donnerait le droit d'exploiter ce qui est classifié comme inférieur (en tant que « ressources exploitables »). Pourtant, si on y réfléchit, plus c'est en bas, plus c'est ce de quoi on dépend. Cela permet, non pas de dire que tous les corps marginalisés vivent les mêmes oppressions, mais que ceux-ci font partie d'un même tout, qui applique des logiques analogues, logiques qui doivent ainsi être combattues conjointement.
Les écoféminismes, en proposant de s'éloigner des hiérarchies et exploitations, portent nos regards sur les procédés qui ensemble font monde et enrichissent encore la question de l'endettement. Ils invitent à se demander ce qui compte vraiment. En d'autres termes, de quoi dépend-on ? En tant qu'individu·es, mais aussi communautés, société, espèces, êtres vivants. Ariel Salleh a par exemple développé la notion de « dette incarnée18 », qui a pour objectif de visibiliser ce que nous devons toustes à tout ce qui prend soin du monde. Il s'agit de tous les procédés (avec interaction humaine ou non) qui permettent la reproduction des conditions de vie : compostage, fertilisation des sols, filtration de l'eau, soin aux enfants, entretien des communs, préservation des savoirs médicinaux et agricoles, dépollution, innovations, photosynthèse, etc. Ces activités sont effectuées par la petite paysannerie, par des peuples indigènes, par des femmes, par des êtres non humains.
Petit à petit, on commence à se dire que la dette financière dont on entend tant parler est la partie visible de l'iceberg. Tout comme, au final, les pratiques « capitalistes » : tant d'autres modes de fonctionnements et pratiques existent, que ce soit dans les écosystèmes (dont nous faisons partie) ou les sociétés inégalitaires hors/non capitalistes ou anticapitalistes, et même dans les quotidiens capitalistes (faire un cadeau, donner un coup de main)19.
Le non-monétaire comme levier politique ?
Le caractère inestimable de la vie fait que l'écologie, tout comme le soin, qui est aussi composée de dimensions émotionnelles qui ne pourront jamais être monétisées, est incompatible avec le capitalisme. Nous avons tenu dans cet article à mettre en avant la dimension non monétaire de la dette et sa portée politique. Dans les mouvements anti-dettes, on parle d'abord d'annulation, mais on parle aussi de réparations matérielles ou symboliques (on peut par exemple rendre des objets volés, restaurer des monuments, mettre en place des processus de réhabilitation, formuler des excuses publiques, ou reconnaître une oppression historique). Tenter de calculer une dette en argent peut être très utile pour calculer des réparations, certes, mais cela sous-entend aussi que, si on a de l'argent pour rembourser, on peut détruire. L'analyse non monétaire des dettes permet de faire un pas de côté en refusant ce principe et en affirmant que l'argent ne suffit pas. Elle permet donc d'envisager des réparations non seulement quantitatives mais aussi qualitatives et axées vers le futur.
La reconnaissance des dettes non monétaires expose l'ampleur de ce qui est dû à certaines populations et groupes sociaux. En effet, en se rendant compte que les personnes marginalisées, particulièrement celles à la croisée de plusieurs oppressions systémiques, sont concernées de manière cumulative par ces oppressions et processus d'extraction qui découlent des différentes dettes, on se rend compte à quel point celles-ci font système et maintiennent les rapports de pouvoir en place.
Partant de ce principe, on peut expliquer la raison d'être de la reconnaissance d'une dette patriarcale : en incarnant les dégâts multiformes de l'hétéropatriarcat capitaliste, cette reconnaissance permet de réclamer des réparations qualitatives. Elle constitue un outil d'analyse politique et encourage à reconnaître ce que le patriarcat doit au monde (aux femmes mais aussi à la société de manière générale). Comme la dette coloniale, écologique, ou du care, elle permet d'inverser les logiques, de donner une justification politique à la mise en place d'autres rapports et nous rappelle que la « dette » n'est pas juste une question économique, mais peut induire de la redevabilité, de l'échange, de la reconnaissance, de la gratitude.
Cela permet de remettre en perspective « qui doit à qui », de reconnaître « qui dépend de qui » afin d'entamer une telle justice économique (réformes fiscales, annulations de dette, identifications et condamnation des responsables.), et de réfléchir à d'autres possibles socialement et écologiquement justes, afin de les mettre en place à nos échelles.
Les humain·es dépendent les un·es des autres, et des écosystèmes, dont nous faisons partie. Ces derniers dépendent aussi de nous et du respect et du soin qu'on leur apporte. « Nous » - ce tout, qui fait monde - dépendons de la durabilité et de la qualité de ces liens.
Rêves d'interdépendances - autres possibles et imaginaires
L'ambition d'un monde centré autour du soin qui prêterait réellement attention aux interdépendances et interconnexions signifie de remettre ainsi la vie au sens large au centre de nos préoccupations, et que la notion de soin doit donc être élargie aux écosystèmes. Contrairement aux économistes mainstream, partons de la réalité : de nombreuses pratiques existent, que ce soit au sein de communautés ancestrales, de populations appauvries ou de mouvements de luttes, qui sont inspirantes et en phase avec la réalité du monde. Inspironsnous de ce qui existe déjà et osons l'imagination.
Parmi les propositions - nombreuses - à explorer, inventer, compléter, figurent la socialisation du soin20, ou encore des ébauches d'économies régénératives. Ariel Salleh fait par exemple le lien entre des « sociétés égalitaires » et le mode de fonctionnement des écosystèmes et procédés naturels qui ne créent ni « pertes » ni « dettes » mais des équilibres21 : les acteur·rices - humain·es et non humain·es - sont considéré·es pleinement, reconnu·es pour le rôle qu'iels jouent.
Yolanda Fernández Vargas22 propose quant à elle de mettre fin à l'austérité et de penser l'attribution des ressources publiques en fonction de la durabilité de la vie, en se basant sur des critères multiples non hiérarchisables, de manière adaptée au contexte et à l'écoute des marges. Il s'agit aussi de se réapproprier et de re-collectiviser les communs, qui sont des choses tangibles (une forêt, un hôpital.) mais aussi immatérielles (reproduction sociale, savoirs.).
Nous ne prétendons pas ici avoir les réponses ni les expériences et vécus suffisants pour les alimenter. Nous aspirons justement, avec d'autres copaines, à mettre en place des ateliers, moments d'échanges, de partage et d'imagination collective autour de la question des économies régénératives et de la socialisation qui pourraient, de manière participative, proposer des ébauches de ces mondes possibles. À vous, à nous, de jouer.
AUTRICES
Sacha (Lisa) Gralinger est active dans des luttes féministes et queer depuis quelques années en côtoyant manifestations, lieux de rencontres, collectifs, ZADs, et squats. Elle termine ses études en coopération internationale, avec un mémoire sur l'utilité politique des dettes non monétaires, après avoir fait son stage au CADTM (Comité pour l'abolition des dettes illégitimes).
Camille Bruneau navigue entre plusieurs mondes et luttes depuis son adolescence où elle côtoie les milieux punks, voyage hors des frontières européennes, et s'inspire d'une maman féministe. Titulaire d'un diplôme en sociologie rurale et « développement international », elle continue à construire son analyse des systèmes de domination nourrie par les écoféminismes et l'anarchisme au sein de diverses occupations, luttes féministes et du CADTM (Comité pour l'abolition des dettes illégitimes).
Elle y coécrit le livre Nos vies valent plus que leurs crédits : face aux dettes, des réponses féministes avec Christine Vanden Daelen et l'aide d'autres ami·es. Souvent nomade, elle se forme désormais à la mécanique poids lourd et à l'herboristerie.
Son intérêt porte de plus en plus sur les questions de soin, et son ambition dans la construction d'autres possibles pluriels et radicaux.
NOTES
1. Nous ne défendons en aucun cas les positionnements universalistes (comme assumés par certaines féministes mainstream), mais voulons dire ici que tout le monde (en tant qu'individu·e ou collectivité), sans exception, dépend de quelque chose ou de quelqu'un. Donc sans occulter les besoins et dépendances spécifiques en fonction de sa situation, son contexte, son vécu, etc.
2. On ne parle pas ici des dettes tout à fait légitimes pour financer de chouettes projets, les systèmes de protection sociale, etc.
3. Camille Bruneau, Christine Vanden Daelen, (2022). Nos vies valent plus que leurs crédits : face aux dettes, des réponses féministes. Le passager clandestin.
4. Commission pour la vérité sur la dette grecque (2015) : « Définition des dettes illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables », https://www.cadtm.org/ Definition-des-dettesillegitimes
5. Les dettes coloniales se réfèrent en général aux dettes que les puissances colonisatrices avaient contractées pour financer l'entreprise coloniale, et qui ont été « transférées » aux pays colonisés lors de leur indépendance : ceux-ci doivent payer pour les crimes qu'on leur a infligés.
6. Voir par exemple Camille Bruneau et Christine Vanden Daelen (2022) ou Éric Toussaint (2017). Système Dette : Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation. Les liens qui libèrent.
7. Camille Bruneau et Christine Vanden Daelen (2022), p. 232.
8. Citée dans Blanca Bayas (2017). Care debt : Patriarchy and capital on the offensive, Feminist economics as a proposal. Observatori del deute en la globalitzacio.
9. Camille Bruneau et Christine Vanden Daelen (2022), p. 231.
10. Voir notamment les divers travaux de Silvia Federici, Verónica Gago et Luci Cavallero.
11. Françoise Vergès (2019), Un féminisme décolonial, La Fabrique.
12. Joël Martine (2017). Le débat sur le care dans le féminisme nord-américain et sa convergence avec l'écoféminisme. Les possibles, n°14.
13. Camille Bruneau et Christine Vanden Daelen (2022), p. 232.
14. Valérie Gillioz (2019). La taxe rose fait débourser aux femmes plus de cent francs par mois, RTS. https://urlz.fr/nYZy
15. Voir par exemple le cas évident de la TVA dans Nos vies valent plus que leurs crédits, p. 159.
16. Certains types de crédits, aux taux d'intérêt généralement indécents, ciblent spécifiquement les femmes, comme « prêts pour femmes » et les crédits à la consommation en Amérique du Sud ou les microcrédits dans de nombreux pays africains ou d'Asie du Sud.
17. Camille Bruneau et Christine Vanden Daelen (2022), p. 225.
18. Ariel Salleh (dir.) (2009). Eco-Sufficiency & Global Justice : Women write political ecology. Pluto.
19. J. K. Gibson-Graham (2008). Diverse economies : performative practices for "other worlds". Progress in human geography, 32(5).
20. Camille Bruneau et Christine Vanden Daelen (2022), p. 233.
21. Camille Bruneau et Christine Vanden Daelen (2022), p. 264.
22.Yolanda Fernandez Vargas (2019). Propositions écoféministes commes alternatives aux coupures budgétaires. https://www.cadtm.org/propositions-ecofeministe-comme-alternatives-aux-coupures-budgétaires.
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Changer les mots, bouger les rapports de force
On s'attendait, après l'intervention d'Emmanuel Macron le 20 décembre puis la publication dans Le Figaro de la tribune en soutien à Gérard Depardieu, à un concert de voix reprenant les arguments bien connus de l'Art et de l'Artiste, de l'Homme et de l'œuvre.
Photos et article tiré de LMSI
par Sylvie Tissot
5 janvier 2024
On pouvait déjà anticiper la défense bien hypocrite de la « présomption d'innocence » et de « la justice qui doit faire son travail », sans « polémique » bien-sûr. On retenait notre envie de vomir en lisant l'obscène dénonciation du « lynchage » de l'« homme à terre » – ou (dixit notre président lui-même) de la « chasse à l'homme », à propos d'un individu se définissant lui-même, dans les abjectes images de son compère Yann Moix, comme « un chasseur », qui « sait », parce qu'il est chasseur, que ce sont « les femmes qui ne veulent pas attirer l'attention » qui « attirent le plus »…
On soupirait à l'avance, fatiguées des attaques contre la cancel culture, les wokes et les « néo-féministes ».
Mais rien de tout cela n'est arrivé. Et nous voici, une semaine plus tard, et un pied dans la nouvelle année, avec deux contre-pétitions, des centaines de signatures, une presse mainstream (Le Monde, Elle, etc) condamnant franchement le président et une débandade quasi généralisée parmi les signataires de la première tribune.
La déconstruction des « totems » (« génie du 7ème art ! », « monstre sacré ! ») brandis depuis des lustres pour défendre les hommes violents est enfin audible.
Des mots qu'on croyait limités à des cercles confidentiels sont enfin prononcés publiquement : « abus de pouvoir » et « rapports de domination ».
Encore plus extraordinaire : plus personne ne vient se poser en résistant face à l'ennemi extérieur quand la télévision publique suisse écarte Depardieu de sa programmation.
Il est vrai que, depuis quelques temps déjà, ledit Depardieu était devenu moins bankable dans le milieu du cinéma, et les « mais c'est Gérard… » sans doute plus rares sur les plateaux de tournage et dans les cabines de maquillage.
Il est vrai que les commentaires dégueulasses enregistrés en Corée ciblent une enfant, et « pas seulement des femmes » – dont on s'offusque peu qu'elles soient la cible de « grossièretés », pour reprendre l'euphémisme d'Elizabeth Lévy. Le fait, par ailleurs, que l'initiateur de la pétition publiée dans Le Figaro se soit avéré grenouiller à l'extrême-droite a également joué un rôle dans ce retournement spectaculaire.
Mais les conditions bien particulières qui permettent les victoires importent finalement peu. La victoire est bien là. L'opération sauvetage de « Gégé » a complètement capoté.
Et avec elle, la vieille rhétorique mascu maquillée en exception française semble s'être effondrée comme un château de carte. Ou plutôt, loin de sa vocation naguère « universelle », elle spécifie désormais non seulement un petit pays et une petite élite, mais aussi un camp politique bien délimité : celui de l'extrême droite. Seul un Emmanuel Macron aux abois, résolument engagé dans le tourbillon de lalepénisation, peut encore y voir une ressource politique.
Il reste maintenant aux féministes à continuer le combat, à dénoncer, à parler haut et fort. Les mentalités changent peut-être. Progressivement, les hommes – ou plutôt des hommes – s'y font et changent aussi. Mais nous le savons : seules les luttes modifient les rapports de pouvoir. Tout en se réjouissant de ce beau cadeau de fin d'année, gardons donc nos forces.
Pensons aussi aux femmes qui, en attendant d'autres victoires, continuent à travailler gratuitement-, à faire à manger aux hommes, à les soigner, à les écouter, et, par-dessus le marché, à se faire taper, humilier, violer, tuer.
Pensons aussi aux milliers de femmes migrantes qui périssent en Méditerranée. Pensons à celles qui meurent sous les bombes et dans les décombres, pensons à toutes les femmes parmi les plus de 20 000 personnes déjà mortes à Gaza.
Et espérons que, là aussi, l'obscénité de certains mots et l'absurdité de certaines expressions ne puissent bientôt plus échapper à personne. Rêvons qu'un jour, parler de la « misère du monde » qui « déferle » à « nos portes », et que « nous » ne « pouvons plus accueillir », apparaisse comme une véritable « sentence de mort », que l'association entre immigration et délinquance – désormais assénée à chaque prise de parole par un Macron comme par un Darmanin – soit un jour perçue majoritairement, comme elle fut naguère, comme un argument raciste.
Rêvons qu'un jour aussi personne ne puisse sans honte parler d' « armée la plus morale du monde » à propos d'Israël.
Parce que c'est seulement à ce prix que la paix sera possible, utilisons les mots qui s'imposent pour désigner, dans l'effroi qui nous envahit, l'occupation, l'apartheid, la colonisation et l'opération en cours d'annihilation des Palestiniens et des Palestiniennes de Gaza.
*****
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Six organisations de femmes arabes, dont Na’am Arab Women in the Center, ont publié une prise de position contre la violence à l’égard de toutes les femmes pendant cette guerre
Les féministes du monde entier ont fait des efforts remarquables pour s'opposer au silence des femmes et à la remise en question de leur voix, en particulier en période de conflit et de guerre, où les femmes subissent souvent les pires conséquences.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/25/notre-feminisme-est-indivisible-les-droits-de-lhomme-sont-indivisibles/
Leurs avancées significatives dans la lutte contre les agressions sexuelles en temps de guerre ont conduit à l'adoption de la résolution 1325 des Nations unies, qui met l'accent sur la participation, la protection et la représentation des femmes pendant les conflits armés. En outre, la résolution 1820 a joué un rôle crucial dans la protection des femmes contre le viol et la violence sexuelle pendant les guerres et les conflits.
Il est essentiel de ne pas douter de la crédibilité des revendications ou des orientations prises par les femmes ou leurs proches lorsqu'ils s'adressent à des organisations spécialisées dans ces questions. Le corps des femmes ne devrait jamais être exploité à des fins politiques.
Les femmes qui ont subi une agression ont le droit de recevoir le soutien médical, psychologique et émotionnel nécessaire. Elles doivent avoir la liberté de choisir avec qui partager leur expérience et quelles informations divulguer. En tant qu'organisations féministes palestiniennes, nous nous opposons à toutes les formes de violence, non seulement pendant les guerres ou au sein des familles, mais dans tous les contextes.
Nous nous opposons avec véhémence à l'occupation, au racisme, à la discrimination, à la domination masculine et à l'extrémisme, quels que soient l'époque ou le lieu. Notre position ferme contre les agressions sexuelles, le harcèlement et le viol reste inébranlable, et nous soutenons toutes les femmes qui s'expriment, indépendamment de leur nationalité, de leur religion ou de leur appartenance ethnique.
Nous ne remettons pas en question les rapports des organisations israéliennes qui luttent contre les agressions sexuelles à l'encontre des femmes israéliennes concernant les événements du 7 octobre et les violences sexuelles qu'elles ont subies.
Dans ce contexte, nous appelons les femmes, les militantes féministes et les personnes actives dans les organisations de femmes en Israël qui ont élevé la voix contre les événements du 7 octobre et les violences sexuelles qu'elles ont subies à s'y opposer et à condamner hardiment toutes les violations, y compris les meurtres, les démolitions et les déplacements qui se produisent dans la guerre implacable contre le peuple palestinien, affectant particulièrement les femmes et les enfants à Gaza. Les intimidations, les menaces et les difficultés rencontrées par les femmes lors des détentions ne doivent pas être négligées.
Enfin, il est essentiel de se rappeler que toute violation, sous quelque forme que ce soit, est un acte d'oppression qui ne peut être justifié. Nos valeurs féministes nous dictent de ne pas accepter d'excuses pour la violation des droits de l'homme.
Organisations de femmes arabes contre le viol
Organisations féministes palestiniennes
Na'am Arab Women in the Center.
3 décembre 2023 :
https://www.awc-naam.com/post/arab-women-s-organizations-against-rape
https://europe-solidaire.org/spip.php?article69109
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La violence contre les femmes est au centre de la campagne dans les régions d’Afrique australe et orientale
Dans le cadre des activités liées à la « Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes », huit organisations LVC d'Afrique australe et orientale ont promu des activités pour réfléchir sur le sujet, du point de vue des paysannes.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/29/la-violence-contre-les-femmes-est-au-centre-de-la-campagne-dans-les-regions-dafrique-australe-et-orientale/#
Le 25 novembre est célébrée la « Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes ». Partout dans le monde, les organisations membres de La Via Campesina ont dénoncé les formes de violence subies par les femmes partout dans le monde, dans le cadre des luttes contre le capitalisme, le patriarcat, le racisme, le colonialisme et l'avancée du fascisme. Sur le chemin de ce mouvement mondial, les régions d'Afrique australe et orientale ont également pu compter sur les actions menées par huit organisations affiliées à Via Campesina. Les impacts du coût de la vie élevé, de l'accumulation de travail à l'intérieur et à l'extérieur du foyer, de la discrimination et des différents types de violence qui affectent la vie quotidienne des paysannes de ces territoires ont été discutés. Les événements comprenaient des marches, des cercles de conversation, des ateliers, des foires et bien plus encore..
Au Kenya, laKenyan Peasants League (KPL) a organisé une réunion publique dans le but de sensibiliser la communauté agricole à l'utilisation de pesticides chimiques interdits dans le pays. Le centre de secours Migori y a également été ouvert, où les femmes confrontées à des violences peuvent désormais rester pendant qu'elles demandent justice, avec le soutien du KPL.
Les organisations sud-africaines ont également encouragé des activités visant à lutter contre la violence à l'égard des femmes. Parmi elles, les actions du Mouvement des Peuples Sans Terre (LPM) ont souligné l'importance pour les hommes de rechercher une aide professionnelle plutôt que d'assassiner les femmes lorsqu'elles sont confrontées à des difficultés dans leur famille. Dans le même thème de sensibilisation masculine, lors d'un événement virtuel le 13 décembre 2023 promu par le LVC Southern Eastern Africa (SEAf) le même ton, Susan Mboniswa, de la Réforme Agraire pour South African Food Sovereignty Campaign (FSC), a déclaré : « nous sommes des épouses, mais pas des esclaves ».
La session virtuelle a conclu la campagne 2023 du LVC SEAf pour éliminer la violence à l'égard des femmes. Au cours du dialogue, des évaluations ont été faites sur le cycle d'actions entreprises par les membres du LVC dans la région entre fin novembre et début décembre 2023. La conversation comprenait également un bref retour sur la participation de certains représentants de ces institutions, au cours du 6ème Assemblée Internationale des Femmes, tenue à Bogota, le 2 décembre. Le groupe a célébré avec enthousiasme l'élection du continent africain pour accueillir la prochaine Conférence Internationale de la Via Campesina, qui aura lieu dans les quatre prochaines années.
Les autres organisations faisant partie du territoire couvert par LVC Seaf, qui constituaient la réunion virtuelle, étaient les suivantes : União Nacional de Camponeses (UNAC) – Mozambique ; Mtandao wa Vikundi vya WakulimaTanzania (MVIWATA) – Tanzanie ; Zimbabwe Smallholder Organic Farmers Forum (ZIMSOFF) – Zimbabwe ; Confédération Paysanne du Congo (COPACO) – Congo ; et Eastern and Southern Africa Small-scale Farmers' Forum (ESAFF) – Ouganda). Cette dernière a même lancé un podcast spécialement pour sensibiliser aux dangers et aux effets des violences faites aux femmes et aux filles.
Pour en savoir plus sur les activités menées par LVC en Afrique orientale et australe, suivez nos pages Instagramet Twitter (X).
https://viacampesina.org/fr/la-violence-contre-les-femmes-est-au-centre-de-la-campagne-dans-les-regions-dafrique-australe-et-orientale/
Ending Violence Against Women in Southern and Eastern Africa
https://viacampesina.org/en/ending-violence-against-women-in-southern-and-eastern-africa/
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Kirghizistan : Des femmes et filles handicapées confrontées à la violence domestique
Le gouvernement devrait renforcer les mesures contre la discrimination, faire appliquer les lois existantes et réviser certaines d'entre elles
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/28/kirghizistan-des-femmes-et-filles-handicapees-confrontees-a-la-violence-domestique/
Au Kirghizistan, de nombreuses femmes et filles handicapées subissent divers abus – passages à tabac, négligence et humiliation– souvent aux mains de leurs proches
Le gouvernement a fait de la lutte contre la violence domestique une priorité, mais les lois ne prennent pas en compte les besoins particuliers des femmes et des filles handicapées, les exposant ainsi au risque de violence de manière continue.
Le Kirghizistan devrait aligner sa législation sur le droit international, faciliter l'éducation et l'indépendance financière des femmes et des filles handicapées, et améliorer la formation des fonctionnaires dans ce domaine.
(Berlin) – AuKirghizistan, de nombreuses femmes et filles handicapées subissent divers abus – passages à tabac, négligence et humiliation – souvent aux mains de leurs proches, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Le gouvernement kirghiz a pris des mesures positives ces dernières années pour lutter contre la violence domestique et défendre les droits des personnes handicapées, et devrait agir dès maintenant pour protéger les femmes handicapées contre ce type de violence.
Le rapport de 63 pages, intitulé « Abused by Relatives, Ignored by the State' : Domestic Violence against and Neglect of Women and Girls with Disabilities in Kyrgyzstan » (« Maltraitées par des proches, ignorées par l'État : Violences domestiques subies par des femmes et filles handicapées au Kirghizistan »), documente comment la violence perpétrée contre les personnes handicapées au Kirghizistan par des proches ou des partenaires reste souvent non signalée et non traitée en raison d'une discrimination généralisée, en particulier envers les femmes et les filles handicapées. Les familles ont souvent honte d'elles, et les tiennent à l'écart de toute vie sociale. Les forces de l'ordre et les organes judiciaires ignorent ou minimisent souvent les cas de violence signalés, et le manque de refuges et d'autres services pour les survivantes de violences domestiques handicapées entrave leur capacité à échapper aux abus.
« La lutte contre la violence domestique est depuis longtemps une priorité pour le gouvernement kirghize et la société civile, mais les lois ne prennent pas en compte les besoins particuliers des femmes et des filles handicapées, ce qui les expose au risque de violences continues », a déclaré Syinat Sultanalieva, chercheuse sur l'Asie centrale à Human Rights Watch et auteure du rapport. « Le Kirghizistan s'est engagé à promouvoir et à protéger les droits humains des femmes et des personnes handicapées et devrait tenir ses promesses. »
Deux lois importantes, visant d'une part à assurer les droits des personnes handicapées, et d'autre part à prévenir la violence domestique, ont été adoptées respectivement en 2008 et en 2017 ; mais elles ne contiennent pas de dispositions spécifiques pour protéger les femmes et les filles handicapées contre la violence domestique. Ces deux lois sont actuellement réexaminées par le Parlement.
Human Rights Watch a mené dans trois provinces du Kirghizistan des entretiens avec 56 personnes : des femmes et filles handicapées ayant subi des violences domestiques, des prestataires de services de soin, des dirigeants communautaires et des experts. Le rapport documente des cas de violences physiques, psychologiques et sexuelles, ainsi que des pressions économiques, infligées par des membres des familles de ces femmes et filles, ou de leurs partenaires ou anciens partenaires. Human Rights Watch a présenté les conclusions du rapport aux ministères concernés du gouvernement kirghize, et a intégré leurs réponses dans son rapport.
Texte complet en anglais :en ligne ici.
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Bilan. 2023 est bien l’année la plus chaude jamais enregistrée
L'année qui se termine est la plus chaude que la Terre ait connue depuis qu'il existe des relevés, et probablement depuis 125 000 ans. Après huit années consécutives de records de chaleur, certains scientifiques y voient la preuve d'une accélération du réchauffement climatique. Même les océans ont connu des canicules.
29 décembre 2023 | tiré de Courrier international
https://www.courrierinternational.com/article/bilan-2023-est-bien-l-annee-la-plus-chaude-jamais-enregistree
C'est officiel, ou presque, l'année qui touche à sa fin est la plus chaude que la Terre ait connue depuis cent soixante-quatorze ans qu'il existe des mesures directes de température. “Bien que les relevés de décembre ne soient pas encore définitifs, les scientifiques de la National Oceanic and Atmospheric Administration [NOAA] estiment qu'il y a plus de 99 % de chance que l'année 2023 soit celle où la température moyenne mondiale enregistrée soit la plus élevée, dépassant le précédent record de 2016”, rapporte, le 28 décembre, le site de la radio publique américaine NPR.
D'après les chercheurs qui reconstituent le paléoclimat et les températures passées à partir, notamment, des cernes d'arbre ou des couches de glace polaire accumulées au fil du temps, il est même probable qu'il n'y ait pas eu d'année plus chaude depuis 125 000 ans.
“Les températures mondiales n'ont pas seulement battu les records des années précédentes, elles leur ont aussi fait mordre la poussière, constate The New York Times. De juin à novembre, le mercure n'a pas cessé de grimper.” Avec une température moyenne de 17,1 °C à la surface du globe, le 7 juillet a été le jour le plus chaud parmi les plus chauds. “Et en décembre, poursuit le quotidien américain, les températures sont restées très au-dessus des normales : une bonne partie du nord-est des États-Unis s'attend à une semaine de fin d'année tout à fait printanière.”
Le problème, c'est que ce phénomène ne s'accompagne pas seulement de bucoliques bourgeons dans les arbres de l'hémisphère Nord en plein hiver, il dérègle aussi le climat mondial.
Il a en particulier alimenté, tout au long de l'année et partout sur la planète, des événements météorologiques d'une violence extrême entraînant des catastrophes pour les humains et la biodiversité : canicules tueuses aux États-Unis, en Inde et en Argentine ; incendies ravageurs au Canada ; inondations particulièrement meurtrières en Libye, mais aussi en Turquie, en Grèce, en Bulgarie ou encore en Autriche ; cyclones dévastateurs au Malawi et en Nouvelle-Zélande. Et cette liste est loin d'être exhaustive.
Les océans ont également atteint des niveaux records de chaleur nocifs pour la vie marine et propices à la prolifération d'espèces invasives.
La faute aux quantités colossales de gaz à effet de serre
Bien entendu, le principal moteur de ce réchauffement global, ce sont les gaz à effet de serre (GES) – au premier rang desquels le CO2 et le méthane –, dont les émissions ont explosé depuis le début de l'ère industrielle et ne cessent de croître d'année en année. Des activités comme la production d'électricité à partir de combustibles fossiles, le transport ou même l'élevage intensif contribuent pour une bonne part à surcharger notre atmosphère en GES.
Auprès de la NPR, Zeke Hausfather, climatologue à Berkeley Earth, une organisation à but non lucratif qui analyse les tendances climatiques, insiste :
“Une année comme celle-ci n'aurait pas eu lieu sans les milliers de milliards de tonnes de dioxyde de carbone que nous avons rejetées dans l'atmosphère au cours du siècle dernier.”
“Aussi extrêmes qu'aient été les températures de cette année, elles n'ont pas pris les chercheurs au dépourvu, assure néanmoins le New York Times. Les modèles des scientifiques présentent une fourchette de températures prévisibles, et la chaleur de 2023 s'y situe encore, bien qu'à l'extrémité supérieure.”
Le plus inquiétant, c'est que 2023 s'inscrit dans une séquence de huit années lors desquelles la température moyenne a battu des records. D'aucuns y voient la preuve que le réchauffement climatique s'accélère. C'est d'ailleurs ce qu'affirme James Hansen, “le scientifique américain qui a été le premier à alerter le monde sur l'effet de serre”,souligne The Guardian.
Dans une étude parue en novembre, le chercheur et ses coauteurs prévoient que le réchauffement climatique dépassera de 1,5 °C la température de la période de référence (l'époque préindustrielle) dès la décennie 2020, et de 2 °C avant 2050. C'est à dire bien plus tôt que prévu et que ce qui est indiqué dans l'accord de Paris sur le climat.
“La vérité est déjà assez moche comme ça”
Tout le monde ne partage cependant pas ce point de vue. Dans un billet de blog commentant l'étude de ses confrères, le chercheur américain Michael Mann estime qu'il n'y a pas d'accélération visible. Il voit davantage une augmentation “stable” et linéaire de la température qu'une accélération. “La vérité est déjà assez moche comme ça”, écrit-il.
Selon The Washington Post, de nombreux autres scientifiques se montrent également sceptiques quant à l'accélération du réchauffement moyen de l'atmosphère terrestre. Si certaines simulations climatiques la prévoient, eux ne la voient pas clairement dans les données “réelles” recueillies sur la planète. “Du moins, pas encore”, note, non sans ironie, le journal américain.
Le Washington Post, le New York Times et d'autres médias rapportent les débats qui animent la communauté scientifique concernant, par exemple, le rôle des particules fines, mauvaises pour la santé humaine mais qui réfléchissent le rayonnement solaire, contrebalançant en partie le piégeage de la chaleur par les gaz à effet de serre.
Le phénomène climatique récurrent El Niño est aussi à prendre en considération. Tant que l'épisode qui a démarré cette année n'est pas terminé, “il est peu probable que nous soyons en mesure de faire des affirmations définitives” quant à l'accélération du réchauffement, déclare au New York Times Reto Knutti, physicien du climat à l'École polytechnique fédérale de Zurich.
Ainsi, la combinaison d'El Niño et du réchauffement d'origine anthropique pourrait conduire à une année 2024 tout aussi chaude, voire plus encore. “Les années [où est actif] El Niño sont généralement plus chaudes, car une grande quantité de chaleur stockée dans l'océan est libérée dans l'atmosphère”, rappelle le site de la radio NPR.
Pour Tessa Hill, scientifique à l'institut des sciences côtières et marines de l'université de Californie, il est encore largement temps d'agir pour limiter le réchauffement en réduisant la quantité de GES envoyée dans l'atmosphère. Mais “si nous ne changeons rien, si nous continuons sur la trajectoire actuelle, nous nous souviendrons de 2023 comme d'une année qui n'aura pas été si terrible que cela”, prévient-elle dans l'article du site de la NPR.
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Comment la dette ruine les luttes climatiques
L'urgence d'un changement de modèle de société gronde de plus en plus lourdement. Malgré un accord présenté comme historique à la COP28, appelant à une transition hors des énergies fossiles, force est de constater que de nombreux blocages fondamentaux persistent. Tous sont entretenus par un mécanisme bien connu, le système dette, outil favori du capitalisme néolibéral.
8 janvier 2024 | tiré du site du CADTM Pablo Laixhay | Photo : Félix Vallotton, The Wind, 1910, CC, National Gallery Of Art, https://www.nga.gov/collection/art-object-page.66439.html
https://www.cadtm.org/Comment-la-dette-ruine-les-luttes-climatiques
Alors que la 28e Conférence des Parties (COP28) s'est achevée le 13 décembre 2023, le moins que l'on puisse dire est que le chemin est manifestement encore long et pavé d'obstacles avant de pouvoir se targuer d'avancées significatives. Conclue sur un accord présenté comme historique car appelant à une transition hors des énergies fossiles, l'accord reste non contraignant et la temporalité de cette sortie bien entendu non définie.
Alors que les combustions de gaz, de charbon et de pétrole sont à l'origine de 90 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) et que leur consommation devrait battre un nouveau record en 2024 [1], l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), dont font partie les Émirats arabes unis, pays hôte de la COP28, a demandé à ses membres de rejeter tout accord réclamant la sortie des énergies fossiles au cours de cette même COP [2]. De la même manière, une récente enquête relayée par The Guardian vient de révéler que l'Arabie saoudite « mène un vaste plan d'investissement mondial visant à créer une demande pour son pétrole et son gaz dans les pays en développement [et a] les rendre accros… » [3]. Le moins que l'on puisse dire est que la pièce n'est pas tombée, en particulier auprès des géants des énergies fossiles dont 2 456 lobbyistes étaient accrédité·es pour la COP.
Suite à la publication de l'accord, Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du GIEC, soulignait au micro de France Inter qu'actuellement au niveau mondial « les promesses [de lutte contre le changement climatique faites par les États], si elles se réalisent toutes, permettent une baisse d'environ 5 % des émissions de GES à horizon 2030, alors que pour limiter le réchauffement sous les 2 °c d'augmentation des températures, une baisse de 25 % est nécessaire. Elle monte à 43 % pour rester sous les 1,5 °c. » [4]
Rappelons que nous avons déjà largement dépassé le 1 degré d'augmentation des températures moyennes depuis l'ère préindustrielle. Tandis que le GIEC insiste sur le fait que 60 % des réserves de pétrole et de gaz connues en 2018 doivent rester dans les sous-sols pour atteindre l'objectif des 1,5 °c, les entreprises pétrolières continuent d'investir massivement dans de nouvelles prospections. Parler aujourd'hui de rester sous le seuil des 1,5 degré est au mieux une illusion naïve, au pire une sinistre farce. Celui-ci sera certainement dépassé avant la fin de la décennie et les conséquences s'en feront inégalement ressentir. Depuis début décembre 2023, cette position est notamment soutenue par le Global Carbon Project [5].
Un autre élément totalement éclipsé dans cet l'accord est la justice fiscale et la prise en compte des capacités des pays du Sud pour faire face aux effets du dérèglement climatique ainsi que pour financer l'adaptation et les réparations des dégâts subis. Pour soutenir les États déjà lourdement impactés, un fonds pour les « pertes et dommages » a en effet été mis en place avec une capacité de… 400 millions de dollars. Quant au volet « adaptation », « la COP28 est parvenue à rassembler à peine 160 millions de dollars de plus pour aider les pays du Sud à s'adapter aux canicules ou aux pluies diluviennes qui deviennent plus intenses et plus fréquentes » [6].
Ces sommes apparaissent complètement dérisoires lorsqu'on sait que :
• « Les coûts d'adaptation actualisés pour les pays en développement sont estimés entre 215 et 387 milliards de dollars par an(estimation revue systématiquement à la hausse) au cours de cette décennie » [7],
• Les transnationales des énergies fossiles ont engrangé plus de 4 000 milliards de dollars en 2022 et assez de bénéfices ces 20 dernières années pour « pour couvrir près de 60 fois les coûts des pertes liées au changement climatique dans 55 des pays les plus vulnérables » [8]
• « Ces 55 économies les plus vulnérables au climat ont déjà subi à elles seules des pertes et des dommages évalués à plus de 500 milliards de dollars au cours des deux dernières décennies » [9]. Il est d'ailleurs important d'insister sur le fait qu'« en termes monétaires absolus, les pertes des pays les plus riches dues aux évènements climatiques ont tendance à être plus élevées, mais les pertes économiques par rapport au PIB, et en particulier, les pertes de vies humaines, de biodiversité, de culture, de patrimoine et de moyens de subsistance, les déplacements humains et animaux, les difficultés personnelles et les menaces existentielles, ont été beaucoup plus répandues dans les pays à revenu faible et intermédiaire » [10],
• Pour les pays du Sud, ces coûts pourraient atteindre 580 milliards de dollars annuels en 2030 et 1 700 milliards de dollars annuels d'ici 2050 [11].
Mais le problème va bien plus loin. Cet énorme manque de financement est profondément aggravé par la problématique de l'endettement des pays du Sud qui mine complètement leurs capacités financières, sert de transfert des richesses des pays du Sud vers les pays du Nord et tue dans l'œuf toute initiative ambitieuse de lutte contre changement climatique. Le présent article vise à rappeler en quoi le système international de la dette représente un verrou redoutable dans la lutte contre le changement climatique ou visant au moins à adapter la société a ses effets. Par souci de concision, trois éléments en particulier sont ici retenus : le surcoût du financement, le paiement de la dette comme priorité et l'extractivisme.
1. Le surcoût du financement
Plus un pays est vulnérable et a besoin de financement, plus le coût de l'emprunt sera élevé et plus il lui sera difficile de rassembler les investissements nécessaires pour lutter contre cette vulnérabilité et pour le bien de sa population
Suite à une série de chocs tels que la pandémie Covid, la guerre en Ukraine (qui a fait exploser les prix des céréales , des engrais chimiques et des combustibles) et l'augmentation des taux d'intérêts par les banques centrales du Nord, les pays du Sud font face à l'explosion du coût de leurs dettes. Les marchés financiers, dont les principaux acteurs (banques, compagnies d'assurance, fonds d'investissements,… ) sont issus du Nord, sont aujourd'hui la principale source de financement des États et imposent aux pays à faibles revenus, aux pays vulnérables et aux pays surendettés [12] des taux d'intérêt exorbitants. La logique est simple : plus un pays est en difficulté économique ou risque de voir son économie impactée par des catastrophes naturelles, plus les agences de notations et les marchés financiers vont considérer qu'il est risqué de lui prêter. Pour pallier ce « risque », ou pour en profiter, ils vont donc imposer des taux d'intérêt faramineux, obligeant les États en question à consacrer une part importante de leurs budgets annuels à payer le service de financement, et ce au détriment du financement de politiques stratégiques telles que des politiques sociales ou en faveur de l'environnement et du climat.
Résultat : Plus un pays est vulnérable et a besoin de financement, plus le coût de l'emprunt sera élevé et plus il lui sera difficile de rassembler les investissements nécessaires pour lutter contre cette vulnérabilité et pour le bien de sa population.
Les taux d'intérêt pour les pays du Sud, souvent supérieurs à 10 %, peuvent grimper jusqu'à 20, voire 30 %, alors que les pays du Nord, ou du moins ceux ayant la confiance des marchés, empruntent aujourd'hui à des taux entre 3 et 6%. Même en Belgique, la banque Degroof Petercam prête à des pays tels que le Ghana à du 25 % [13]. Pour un prêt sur 10 ans, ce pays paie donc à cette banque d'affaires 2,5 fois le montant emprunté (en plus du remboursement intégral) rien que pour les intérêts, alors que celui-ci peine à financer les services de base pour sa population.
Pour en savoir davantage, consultez l'étude d'Entraide et Fraternité sur l'implication des banques dans l'endettement des pays du Sud : Dette du Sud : les banques peuvent-elles s'en laver les mains ?
Cette logique pousse les pays du Sud à consacrer des parts toujours plus importantes de leur budget au service de la dette, voire de s'endetter davantage pour payer les intérêts de la dette, augmentant ainsi la charge des paiements. Un véritable cercle vicieux. Selon le dernier rapport International Debt Report (IDR) de la Banque mondiale [14], les pays dits « en développement » ont consacré en 2022 440 milliards de dollars au paiement du service de la dette, 5 % de plus qu'en 2021. Le même rapport prévoit une augmentation de 10 % pour 2023, pour atteindre 500 milliards de dollars. Un autre rapport commandé par l'ONU estime quant à lui que pour la période 2018-2028, le groupe des 20 pays les plus vulnérables (V20) devrait payer 168 milliards de dollars de surcout en intérêt pour pallier au « risque climatique » [15]. Les impacts du changement climatique déjouant dernièrement toutes les prévisions et estimations de par leur ampleur, ces estimations sont à prendre à minima.
Alors que ces pays ne parviennent pas à subvenir aux besoins de leurs populations, alors qu'ils subissent déjà de plein fouet les conséquences du changement climatique, alors que, comme partout ailleurs, des investissements massifs dans la réorientation de leur économie et de leur industrie pour lutter contre le changement climatique s'imposent, les États vulnérables et surendettés sont donc condamnés à verser des sommes colossales aux créanciers.
2. Le paiement de la dette, priorité des priorités
En 2021, le Ghana prévoyait d'allouer 77 millions de dollars par an pour l'adaptation face au changement climatique. La même année, le pays dépensa 4,8 milliards de dollars en service de la dette
Le paiement de ce service de la dette est systématiquement prioritaire sur les dépenses sociales (éducation et santé publiques, paiement des salaires des fonctionnaires,…). Pour assurer ce paiement, des coupes sur les budgets sont imposées. C'est le cas des budgets pour la santé et pour l'éducation, mais également pour la transition écologique, les politiques de protection de l'environnement ou le financement de l'adaptation et des réparations face aux catastrophes naturelles.
Aujourd'hui, le service de la dette des pays à faible revenu représente en moyenne les deux tiers de leurs budgets cumulés d'éducation et de santé. Pour certains pays, il dépasse même de très loin le budget de la santé. C'est le cas, par exemple, du Kenya où le paiement de la dette absorbe l'équivalent de 5 fois le budget de la santé, en Tunisie 4 fois et au Ghana 3 fois [16].
Il en va donc de même pour le financement des politiques d'adaptation face au changement climatique. Si nous gardons l'exemple du Ghana, en 2021 celui-ci prévoyait d'allouer 77 millions de dollars par an pour l'adaptation [17], c'est-à-dire en systèmes d'irrigation pour faire face aux sècheresses, des systèmes d'alertes pour prévenir les crues, etc. La même année, le pays dépensa 4,8 milliards de dollars en service de la dette, montant qui devrait atteindre 6,4 milliards en 2025. Cet exemple vaut pour une série alarmante de pays.
Même les pays directement touchés par des catastrophes naturelles ne peuvent faire l'impasse sur le paiement du service de la dette. Pamela Kuwali, directrice du ActionAid Malawi déclarait en début d'année 2023 : « Le Malawi [pays frappé par le cyclone Freddy qui a déplacé un demi-million de personnes] a une dette qui représente près des deux tiers de son produit intérieur brut, ce qui signifie qu'au lieu que notre gouvernement soit en mesure de canaliser des fonds vitaux pour la reconstruction et le redressement après le cyclone Freddy, nous sommes contraints de rembourser d'anciens emprunts. Nous avons les mains liées, alors que les catastrophes climatiques deviennent de plus en plus intenses et destructrices. Cela ne peut plus durer, et ce sont les femmes et les jeunes filles qui en souffriront le plus. [18] »
Plus que jamais les États ont besoin de moyens énormes pour les besoins de la population, pour investir prioritairement dans la transition écologique, l'adaptation au changement climatique et les réparations suite aux catastrophes. Ces investissements, passés au second plan, deviennent impossibles ou dérisoires.
3. La dette, moteur de l'extractivisme...
Outre la participation à l'émission de GES et donc à l'accélération des effets du changement climatique, les projets extractivistes ont donc logiquement des répercussions environnementales et écologiques désastreuses
Le troisième élément, peut-être le plus problématique, c'est l'extractivisme, un des rouages les plus essentiels et les plus pervers du système dette.
Comme souligné dans de nombreuses publications du CADTM, la logique de l'endettement des pays du Sud repose notamment sur le fait que les dettes, devant être payées en devises fortes (dollars, euros, yen,…), seront en partie remboursées grâce à l'exploitation et à l'exportation vers les marchés internationaux des ressources naturelles des pays en question, l'exportation étant un des moyens majeurs dont disposent les pays du Sud pour s'approvisionner en devises fortes. Pour rembourser leurs dettes, les États, en particulier les États d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine, n'ont donc souvent d'autres choix que d'étendre les monocultures d'exportation et/ou intensifier les pratiques d'élevages, parfois au prix d'une profonde déforestation, d'exploiter exagérément leurs réserves halieutiques, d'extraire de leur sous-sol un maximum de ressources minières et de ressources fossiles telles que le pétrole, le gaz de schiste, le charbon, etc.
Outre la dépendance vis-à-vis de nombreux facteurs exogènes tels que les cours internationaux, les effets néfastes de cette logique d'exploitation et d'extraction pour l'exportation sont innombrables, d'autant plus que les coûts des dommages causés par les activités des entreprises multinationales ne sont souvent pas prises en charges par ces dernières et sont donc supportées par l'environnement et par les populations locales, en particulier les femmes.
Les exemples ne manquent pas, à commencer par celui de Vaca Muerta en Argentine l'un des plus grands gisements de pétrole et de gaz de schiste au monde. Outre la potentielle libération de 5 milliards de tonnes de CO2, son exploitation par fracturation hydraulique, qui doit permettre de rembourser la dette illégitime de 43 milliards de dollars contractée auprès du FMI en 2018 [19], entraine des déplacements de population, une lourde contamination des eaux, des sols et des sous-sols et de graves problèmes sanitaires. Une multitude d'autres projets extractivistes liés à l'exploitation des ressources fossiles sont aujourd'hui opérationnels, sur le point d'être entrepris ou en cours d'étude alors que les scientifiques tirent la sonnette d'alarme depuis des années sur l'importance de se diriger vers la fin de l'utilisation des énergies fossiles. Plusieurs de ces projets sont d'ailleurs décriés comme de véritables bombes climatiques, parmi lesquels Santos, Buzios, et Lula, trois projets d'extraction de pétrole et de gaz offshore au Brésil, le projet Tannezuft Shale en Algérie ou encore l'EACOP, le fameux pipeline chauffé traversant l'Ouganda et la Tanzanie. Les projets d'extraction de charbon ne manquent pas non plus avec Paardekop et Grootegeluk (grande chance en néerlandais) en Afrique du Sud, Zambezi et Chirodzi au Mozambique, Phulbari au Bangladesh, PTBA en Indonésie, etc [20]. Ces projets se comptent par centaines…
Pour rappel, plusieurs éléments permettent de qualifier une dette comme étant illégitime, illégale ou odieuse.
• La conduite des créanciers : Connaissance des créanciers de l'illégitimité du prêt.
• Les circonstances du contrat : Rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d'accord
• Les termes du contrat : Termes abusifs, taux usuraires...
• La destination des fonds : Utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
Dans le cas de la dette de 43 milliards de dollars contractée par le gouvernement argentin de Mauricio Macri auprès du FMI afin de financer la réélection du président, celle-ci est odieuse, illégale et anticonstitutionnelle car contractée sans l'approbation du parlement argentin, contre l'intérêt de la population et en connaissance de cause de la part du créditeur, ici le FMI.
Les taux d'intérêt usuraires, excessivement élevés, auxquels font face les pays du Sud sont également un élément permettant de contester la légitimer d'une dette.
Plusieurs outils et textes du droit international, tels que la Déclaration sur le droit au développement, les résolutions de l'ONU sur la souveraineté des États sur les ressources naturelles ou encore le Conseil des droits de l'homme de l'ONU soulignent par ailleurs que le remboursement d'une dette qui entraine la violation des droits de l'homme est nul et non avenue. C'est notamment le cas lorsqu'une population voient ses droits remis en question face à l'application de politiques d'ajustement structurels.
Pour retrouver les différentes définitions : https://www.cadtm.org/Definition-des-dettes-illegitimes
Outre la participation à l'émission de GES et donc à l'accélération des effets du changement climatique, les projets extractivistes ont donc logiquement des répercussions environnementales et écologiques désastreuses et exacerbent profondément les limites planétaires [21] de notre biosphère.
Les exploitations minières, et la (non-)gestion des déchets qui y sont liés, symbolisent parfaitement les dégâts de l'extractivisme de par leurs impacts sur l'environnement et sur les populations vivant dans les régions concernées. La question de l'impact du secteur minier est d'autant plus sensible que pour atteindre les objectifs de transition énergétique de l'accord de Paris, la quantité de métaux à extraire et à transformer d'ici à 2050 dépasse la quantité extraite depuis l'antiquité [22]. Or, ces exploitations laissent systématiquement derrière elles des « zones mortes » où les rares réhabilitations des espaces peinent à cacher la perturbation des équilibres chimiques et biologiques. De plus, lorsqu'ils surviennent, les incidents liés à ces exploitations ont des conséquences colossales, à l'image de la rupture du barrage de la société Samarco en 2015 au Brésil qui retenait 40 millions de mètres cubes de déchets toxiques liés à l'exploitation d'une mine de fer. La coulée de boue a progressé sur plus de 500 km et a englouti 39 localités avant de se jeter dans l'Atlantique, faisant une vingtaine de morts [23]. Quatre ans plus tard, un drame similaire se produit avec la rupture de barrage de Brumadinho faisant 270 morts [24]. On estime qu'entre 4 et 6 accidents majeurs liés au secteur minier se produisent chaque année dans le monde.
En plus de jouer un rôle moteur dans le changement climatique, les conséquences de l'extractivisme imposé par la dette sont donc multiples, touchent tous les pans des sociétés des pays du Sud et les enjeux qui en résultent sont tant environnementaux et sociaux que politiques et économiques.
Conclusion
L'annulation de ces dettes est aujourd'hui, comme hier, cruciale, mais la portée vitale de cet enjeu sur les pays du monde entier est plus que jamais manifeste
La dette entraîne ainsi un véritable cercle vicieux et verrouille le statuquo. Afin d'assurer le remboursement des dettes dont la légitimité peut très souvent être contestée, les pays du Sud voient leurs capacités d'investissement complètement plombées et sont incités à exploiter leurs ressources, y compris leurs ressources fossiles. Cela engendre à la fois un immobilisme vis-à-vis de toute initiative sérieuse de lutte contre le changement climatique et une fuite en avant dans l'émission de GES et dans l'exacerbation des activités destructrices pour les écosystèmes du monde entier.
Dès lors, les impacts du changement climatique ne font logiquement que croître avec de lourdes conséquences, en particulier pour les pays du Sud se trouvant en première ligne. Alors que leur vulnérabilité et leurs besoins en investissements vont croissant, les pays touchés voient leurs économies et leurs capacités d'actions s'éroder. L'augmentation des taux d'intérêt et donc des coûts de financement freine lourdement des investissements plus que nécessaires et participe à l'explosion des dettes des pays les plus vulnérables, dettes qui seront à leurs tours remboursées grâce à l'exportation des ressources.
La dette et l'extractivisme tenant des rôles centraux dans la sécurisation de l'approvisionnement des marchés et des multinationales en matières premières et en ressources stratégiques, dans l'extraction des énergies fossiles et dans l'engraissement du commerce international et de la consommation de masse, un simple ralentissement de cette dynamique représente un défi colossal.
En plus de bloquer tout investissement allant contre l'intérêt du système capitaliste et des grands groupes privés, la dette vide les pays du Sud de leurs richesses naturelles et financières, promeut le saccage des écosystèmes et bloque toute perspective de changement et de transition écologique un tant soit peu sérieuse. Celle-ci ne peut être envisagée tant que le cercle vicieux n'est pas brisé.
Il est de plus en plus urgent d'exclure les fausses solutions allant du capitalisme vert aux suspensions de dettes anecdotiques en passant par les « échanges dettes contre nature » [25]. Tous les signaux indiquent aujourd'hui que nous sommes à l'aube d'une nouvelle crise de la dette dans les pays du Sud. Cette crise risque d'affecter davantage les capacités d'investissement des États et de pousser d'autant plus de pays dans la léthargie vis-à-vis des luttes environnementales et climatiques.
Pour en savoir plus sur la nouvelle crise de la dette, consultez : Selon la Banque mondiale, les « pays en développement » sont pris au piège d'une nouvelle crise de la dette : Comment l'expliquer ?
Il est aujourd'hui primordial, que ce soit vis-à-vis de la justice sociale, de la justice climatique, mais aussi de notre intérêt commun à un avenir vivable, de permettre aux peuples des pays du Sud de se libérer du remboursement de dettes dont la légitimité est contestable et d'organiser une transition écologique conséquente. L'annulation de ces dettes est aujourd'hui, comme hier, cruciale, mais la portée vitale de cet enjeu sur les pays du monde entier est plus que jamais manifeste.
Voir carte blanche cosignée par le CNCD, le CADTM et Entraide et Fraternité : Annuler les dettes pour assurer la justice climatique
L'auteur remercie Brigitte Ponet, Maxime Perriot et Eric Toussaint pour leurs relectures.
Notes
[1] COP28 : en parallèle de l'accord « historique », l'Opep annonce un nouveau record de la demande de pétrole en 2024. Par Helene Zelany sur Europe1. Le 13/12/23. Disponible sur : https://www.europe1.fr/international/cop28-en-parallele-de-laccord-historique-lopep-annonce-un-nouveau-record-de-la-demande-de-petrole-en-2024-4219896
[2] L'OPEP déclenche l'indignation de plusieurs États à la COP28 après avoir demandé à ses membres de refuser tout accord ciblant les énergies fossiles. Le 9/12/23. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/09/a-la-cop28-le-chef-de-l-opep-demande-aux-membres-de-refuser-tout-accord-ciblant-les-energies-fossiles_6204825_3244.html#:~:text=Dans%20ce%20contexte%2C%20l'Organisation,courrier%20consult%C3%A9%20vendredi%208%20d%C3%A9cembre
[3] Revealed : Saudi Arabia's grand plan to ‘hook' poor countries on oil. Par Damian Carrington dans The Guardian. Le 27/11/23. Disponible sur : https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/27/revealed-saudi-arabia-plan-poor-countries-oil
[4] Accord à la COP28 : « Ce qu'on acte, c'est quand même la sortie des énergies fossiles ». France Inter. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=A6t4HL-z5lQ&t=1125s
[5] Fossil CO2 emissions at record high in 2023. Disponible sur : https://globalcarbonbudget.org/fossil-co2-emissions-at-record-high-in-2023/
[6] COP28 : Un accord en deca de l'urgence climatique. Par Mickael Correia. Sur Mediapart. Le 13/12/23. Disponible sur : https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/131223/cop28-un-accord-en-deca-de-l-urgence-climatique
[7] Climat : il faut prendre des mesures dès maintenant pour combler le déficit en matière d'adaptation. Le 2/11/23. Disponible sur : https://news.un.org/fr/story/2023/11/1140262
[8] COP28 : Lancement d'une task force sur les taxations par le président macron. Par Guillaume Compain sur CareFrance. Le 2/12/23. Disponible sur : https://www.carefrance.org/actualites/cop-28-task-force-sur-les-taxations-climat-par-macron-ong-care-france/
[9] Idem ONU 2/11/23
[10] Eurodad. L'urgence climatique : Qu'est-ce que la dette a à voir la dedans ?. Septembre 2021. Page 6.
[11] Markandya, A., González-Eguino, M. (2019). Integrated Assessment for Identifying Climate Finance Needs for Loss and Damage : A Critical Review. In : Mechler, R., Bouwer, L., Schinko, T., Surminski, S., Linnerooth-Bayer, J. (eds) Loss and Damage from Climate Change. Climate Risk Management, Policy and Governance. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-319-72026-5_14
[12] 93% des pays les plus vulnérables sont en situation de surendettement
[13] Dette du Sud : les banques peuvent-elles s'en laver les mains ? par Entraide et fraternité. Disponible sur : https://entraide.be/wp-content/uploads/sites/4/2023/11/EtudeDette2023.pdf
[14] International Debt Report 2023. World Bank. Disponible sur : https://openknowledge.worldbank.org/entities/publication/02225002-395f-464a-8e13-2acfca05e8f0
[15] Climate Change and the Cost of Capital in Developing Countries. Imperial College Business School and SOAS University of London. 2018. Disponible sur : https://www.v-20.org/wp-content/uploads/2020/12/Climate_Change_and_the_Cost_of_Capital_in_Developing_Countries.pdf
[16] Idem. Entraide et Fraternité.
[17] Lower income countries spend five times more on debt payments than dealing with climate change. Jubilee Debt Campaign. Octobre 2021. Disponible sur : https://jubileedebt.org.uk/wp-content/uploads/2021/10/Lower-income-countries-spending-on-adaptation_10.21.pdf
[18] 93% of countries most vulnerable to climate disasters are either in or at significant risk of debt distress, new research by ActionAid International shows. USAID. 10/04/23. Disponible sur : https://www.actionaidusa.org/news/93-of-countries-most-vulnerable-to-climate-disasters-are-either-in-or-at-significant-risk-of-debt-distress-new-research-by-actionaid-international-shows/
[19] Voir interview de Esteban Servat dans l'article « La dette se paie, les escroqueries non » : Échanges dette contre nature et Debt for Climate, deux initiatives antinomiques ». https://www.cadtm.org/La-dette-se-paie-les-escroqueries-non-Echanges-dette-contre-nature-et-Debt-for Lire également d'Éric Toussaint par le portal Le Vent se Lève : « L'Argentine face au FMI : les péronistes à la croisée des chemins », https://lvsl.fr/largentine-face-au-fmi-les-peronistes-a-la-croisee-des-chemins/
[20] Carte des bombes carbones. Disponible sur : https://www.carbonbombs.org/map
[21] L'extractivisme exacerbe les neuf limites planétaires, ou frontières planétaires, ces « seuils à l'échelle mondiale à ne pas dépasser pour que l'humanité puisse vivre dans un écosystème sûr, c'est-à-dire évitant les modifications brutales, non-linéaires, potentiellement catastrophiques et difficilement prévisibles de l'environnement ». Rappelons en effet que si le changement climatique est un des phénomènes les plus médiatisés et les plus préoccupants vis-à-vis de l'avenir des écosystèmes sur notre planète, il n'est que l'un des neuf points de bascule qui menacent aujourd'hui. Sur ces neuf seuils, six ont déjà été franchis : le changement climatique, l'intégrité de la biosphère, la perturbation des cycles biochimiques de l'azote et du phosphore, la modification de l'occupation des sols, et plus récemment, la pollution chimique, dépassée début d'année 2023, et le cycle de l'eau douce, dépassée dans le courant du mois de septembre, dans un silence médiatique assourdissant.
Pour plus d'informations : https://reporterre.net/Qu-est-ce-que-les-limites-planetaires#4
[22] Olivier Vidal. Impact de différents scénarios énergétiques sur les matières premières et leur disponibilité future. Annales des mines - Série Responsabilité et environnement, 2020, N°99 (3), pp.19-23. Disponible à : https://hal.science/hal-03426222/document
[24] La rupture du barrage de Brumadinho, qui a fait 270 morts et disparus au Brésil, « aurait pu être évitée ». Sur Le Monde. Le 6/11/2019. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/11/06/au-bresil-la-rupture-du-barrage-de-brumadinho-aurait-pu-etre-evitee_6018181_3244.html
[25] Pour en savoir plus sur les échanges contre nature, voir les analyses de Anne Theisen sur le sujet : Critique de la stratégie globale des échanges dette-nature en Afrique. Disponible sur : https://www.cadtm.org/Critique-de-la-strategie-globale-des-echanges-dette-nature-en-Afrique-22119 et Anguille au vert aux Galapagos. Disponible sur : https://www.cadtm.org/Anguille-au-vert-aux-Galapagos
Pour en savoir plus sur la position du CADTM, consultez « Pourquoi le CADTM n'est pas d'accord avec les échanges « dettes contre action climatique » ». Disponible sur : https://www.cadtm.org/Pourquoi-le-CADTM-n-est-pas-d-accord-avec-les-echanges-dette-contre-action
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Capitalisme fossile : les multinationales du pétrole distribuent 100 milliards de dividendes
Alors que l'inflation, toujours grimpante, a été tirée en 2023 par les prix de l'énergie, les dividendes distribués par les grands groupes pétroliers pour l'année 2023 pourraient atteindre un niveau record. Pourtant, ces actionnaires sont responsables du réchauffement climatique et de la précarité énergétique.
4 janvier | tiré du site de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Capitalisme-fossile-les-multinationales-du-petrole-distribuent-100-milliards-de-dividendes
Le 1er janvier 2024, le journal The Guardian a révélé que les cinq plus grandes entreprises pétrolière (BP, Shell, Chevron, ExxonMobil et TotalÉnergies) sont en voie de distribuer pour l'année 2023 des dividendes plus élevés encore qu'ils ne l'étaient en 2022. Selon Institut d'économie de l'énergie et d'analyse financière (IEEFA), les grands groupes se préparent à dépasser les 104 milliards de dollars dont ils avaient arrosé leurs actionnaires en 2022, et ont d'ores et déjà distribué 100 milliards de dollars (94 milliards d'euros) pour l'année 2023.
Selon The Guardian, les entreprises ont pu faire des promesses de dividendes de plus en en plus élevés au fil de l'année, se reposant sur des prix de l'essence toujours en augmentation depuis le début de la guerre en Ukraine. Pourtant, comme le rappelle Alice Harrison, militante de Global Witness, « une fois de plus, des millions de familles n'auront pas les moyens de chauffer leur maison cet hiver, et des pays du monde entier continueront de subir les phénomènes météorologiques extrêmes liés à l'effondrement climatique ». En effet, en France les prix de l'énergie ont atteint une inflation de 5,6% sur un an en décembre 2023 selon l'INSEE. Prix auxquels les Français devront s'habituer, avec la fin du chèque carburant pour 2024.
Non contents de profiter d'une précarité énergétique grandissante, les grands pétroliers prévoient également ces dividendes records sur le dos de l'année la plus chaude de l'histoire. Les 11 premiers mois de l'année 2023 ont en effet enregistré une moyenne de température 1,46°C plus haute que la moyenne sur la période 1850-1900, l'ère préindustrielle. Alors que les pays membres de la COP28 signaient en décembre un maigre appel à une « transition hors des énergies fossiles », les industries poursuivaient leurs opérations et investissements dans les hydrocarbures.->https://www.theguardian.com/us-news/2024/jan/03/2023-hottest-year-on-record-fossil-fuel-climate-crisis] Dan Cohn, chercheur à l'IEEFA dénonçait ainsi auprès du Guardian en juillet que « elles [les entreprises fossiles, NDLR] n'ont laissé aucun doute que leurs engagements avaient été déployés pour des objectifs politiques cyniques, seulement pour être délaissés lorsqu'ils ne servaient plus la position stratégique de l'industrie ».
La fin de l'année 2023 nous permet de pointer clairement du doigt les responsables de la crise climatique et économique. Les plus de 100 milliards de dividendes distribués pour 2023 et les profits records sont indécents face à la situation de précarité dans laquelle sont plongés de nombreux foyers. Alors que la planète se réchauffe toujours plus, les plans et accords pour limiter ce réchauffement sont inefficaces tant qu'ils reposent sur les entreprises qui font des profits sur l'exploitation de la planète.
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Nous, syndicats, associations, appelons à ne pas promulguer la loi Immigration et à continuer la mobilisation
Nous, associations, syndicats, membres de la société civile, nous sommes réuni·es mercredi 20 décembre au lendemain du vote de la loi pour « contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » face au point de bascule qu'elle constitue pour nos principes républicains comme pour la vie des personnes étrangères et de l'ensemble des habitants de notre pays, salarié·es, travailleuses et travailleurs sociaux, agent·es du service public, bénévoles, universités et entreprises qui seraient confronté·es aux désordres provoqués par cette loi.
tiré de Entre les lignes et les mots
photo : Serge D'Ignazio
Rassemblé·es par nos valeurs communes de solidarité, de fraternité et d'égalité, nous ne pouvons accepter de voir le gouvernement et le Président de la République endosser une part conséquente du programme historique de l'extrême-droite : préférence nationale, remise en cause du droit du sol, déchéance de nationalité, criminalisation des personnes sans-papiers, limitations du droit à vivre en famille… Nous sommes consterné·es qu'une idéologie funeste l'ait emporté sur les faits, que les fantasmes aient triomphé sur la réalité des dynamiques migratoires.
Alors que notre pays est traversé de multiples fractures, nous dénonçons un texte qui tourne le dos aux forces de la société et va remettre en cause la garantie de droits fondamentaux et les libertés publiques, appauvrir des personnes déjà vulnérables, en les privant notamment d'aides au logement, à l'autonomie ou d'allocations familiales, remettre en question l'inconditionnalité de l'hébergement d'urgence, durcir l'accès aux titres de séjour, refuser un cadre clair de régularisation des travailleurs et travailleuses sans papiers et qui contribuera à stigmatiser davantage toute personnes d'origine immigrée et toute personne étrangère.
Nous ne sommes pas dupes des discours qui n'assument pas la réalité du contenu de cette loi et qui visent à en maquiller les conséquences pour les étrangers en France, mais aussi pour toute la population.
C'est bien un tournant que connaît notre République depuis mardi 19 décembre au soir. Mais le Président de la République a encore, entre ses mains, la capacité d'interrompre cette marche funeste. C'est pourquoi nous lui demandons solennellement de prendre la mesure de l'ampleur du désordre et de la crise sociale et démocratique que cette loi viendrait aggraver et de surseoir à sa promulgation.
Nous sommes et resterons déterminés à défendre un autre modèle de société, loin du rejet et de la haine de l'autre. Nous entendons poursuivre cette mobilisation avec toutes les forces de la société qui s'expriment d'ores et déjà dans les collectivités locales, les universités, les entreprises et dans toute la société civile.
Nous nous retrouverons à nouveau dès la rentrée, le 11 janvier, pour poursuivre cette dynamique de rassemblement, demander au Président de la République de surseoir à la promulgation de la loi, intensifier et élargir la mobilisation contre ce texte et son idéologie.
Signatures :
1. ATTAC
2. Anafé
3. ANVITA
4. Bibliothèques Sans Frontières
5. CEMEA France
6. Cimade
7. CFDT
8. CGT
9. CNAJEP
10. Droits d'urgence
11. Emmaüs France
12. Emmaüs Solidarité
13. Fédération des Acteurs de la Solidarité
14. Fédération de l'entraide protestante
15. Femmes de la Terre
16. Femmes Egalité
17. Fondation Abbé Pierre
18. France Terre d'Asile
19. Futbol Mas France
20. FSU
21. Groupe Accueil et Solidarité
22. JRS France
23. Ligue des Droits de l'Homme
24. Ligue de l'Enseignement
25. MADERA
26. Médecins du Monde
27. MRAP
28. Observatoire international des prisons
29. Oxfam France
30. Pantin solidaire
31. Paris d'Exil
32. Polaris 14
33. Samu Social de Paris
34. Secours
35. SINGA
36. Solidarité Laïque
37. Solidaires
38. Solidarités Asie France
39. SOS Racisme
40. Thot
41. Union des Etudiants Exilés
42. UNIR – Universités & Réfugié.e.s
43. UNSA
44. Utopia 56
45. UNIOPSS
*****
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L’extrême droite est l’ennemie des salarié·es !
Les partis d'extrême droite, au premier rang desquels le Rassemblement national, ont toujours tenté de porter un discours social, dans l'espoir d'attirer le vote des travailleuses et des travailleurs.
Tiré du site web https://www.cgtparis.fr/
Dans la même logique, ils cherchent à s'approprier les mouvements de mobilisation du monde du travail dans le but de s'imposer comme le débouché politique de la colère sociale.
Mais le masque tombe dès qu'il s'agit de voter à l'Assemblée nationale, où les députés d'extrême droite votent contre les intérêts du travail.
À côté des votes, il y a aussi les violences sur le terrain. On ne compte plus les agressions de l'extrême droite contre le mouvement social : attaques de manifestations, dégradation de locaux syndicaux, tabassage de syndicalistes…
L'extrême droite est l'ennemie des travailleurs et des travailleuses ; elle sert ceux qui nous exploitent et nous écrasent, en vo- tant dans le sens de leurs intérêts et en essayant d'installer la division parmi les exploités en jouant la carte du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie.
Pour toutes ces raisons, l'extrême droite n'a sa place ni dans nos syndicats, ni dans nos manifestations, ni dans nos réunions publiques !
Pour améliorer nos conditions de travail et de vie, il n'y aura pas de raccourci, seules nos luttes collectives nous permettront de gagner le progrès social et de pré- server et renforcer nos libertés publiques.
Les syndicats et la CGT sont les outils pour construire ces luttes et faire reculer l'autoritarisme libéral de Macron et le nationalisme réactionnaire de l'extrême droite !
Paris, le 19 décembre 2023
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Les cinq hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune depuis 2020 tandis que cinq milliards de personnes se sont appauvries depuis le début de la « décennie des fractures »
Le nouveau rapport d'Oxfam sur les inégalités et le pouvoir mondial des entreprises révèle que la fortune des cinq hommes les plus riches du monde a plus que doublé depuis 2020, passant de 405 milliards de dollars à 869 milliards de dollars (à un rythme de 14 millions de dollars par heure), tandis que cinq milliards de personnes se sont appauvries. La fortune d'un multimilliardaire pourrait dépasser les 1 000 milliards de dollars dans environ dix ans si la tendance actuelle se maintient, tandis que la pauvreté ne sera éradiquée que dans 229 ans.
À l'heure où l'élite économique se réunit à Davos, le rapport « Multinationales et inégalités multiples » publié aujourd'hui, révèle que sept des dix plus grandes entreprises mondiales ont un PDG milliardaire ou un milliardaire comme actionnaire principal. La valeur totale de ces entreprises s'élève à 10 200 milliards de dollars. Elle est supérieure aux PIB combinés de tous les pays d'Afrique et d'Amérique latine.
« Nous assistons à ce qui semble être le début d'une décennie des fractures. Des milliards de personnes subissent les chocs économiques dus à la pandémie, à l'inflation et à l'opposition à la fiscalité, tandis que les milliardaires prospèrent. Ces inégalités ne sont pas le fruit du hasard. La classe des milliardaires veille à ce que les entreprises contribuent avant tout à son propre enrichissement, au détriment du reste de la population », dénonce Amitabh Behar, directeur général par intérim d'Oxfam International.
« Le pouvoir démesuré des grandes entreprises et des monopoles privés est une machine à fabriquer des inégalités : en pressurant les travailleurs et travailleuses, en s'adonnant à l'évasion fiscale, en privatisant l'État et en accélérant les dérèglements climatiques, les entreprises génèrent des richesses inépuisables pour leurs propriétaires ultrariches. Mais elles leur donnent aussi du pouvoir, ce qui mine nos démocraties et nos droits. Aucune entreprise ni individu ne devrait avoir autant de pouvoir sur nos économies et nos vies. À vrai dire, personne ne devrait avoir un milliard de dollars ».
La montée en flèche des richesses extrêmes s'est consolidée ces trois dernières années tandis que le niveau de pauvreté dans le monde est toujours le même qu'avant la pandémie. La fortune des milliardaires a augmenté de 3 300 milliards de dollars depuis 2020, à une vitesse trois fois plus rapide que celle de l'inflation.
– Alors qu'ils ne représentent que 21 % de la population mondiale, les pays riches du Nord détiennent 69 % des richesses mondiales et abritent 74 % des richesses des milliardaires du monde.
– L'actionnariat est particulièrement avantageux pour les plus riches. Les 1 % les plus riches détiennent 43 % de tous les actifs financiers mondiaux. Dans les pays du Moyen-Orient, les 1 % les plus riches détiennent 48 % du patrimoine financier. Cette part est de 50 % en Asie et de 47 % en Europe.
Tout comme les ultra-riches, les grandes entreprises devraient réaliser en 2023 des bénéfices annuels qui pulvériseront tous les records. 148 des plus grandes entreprises mondiales ont engrangé conjointement 1 800 milliards de dollars de bénéfices nets au cours des 12 mois précédant juin 2023, ce qui représente une hausse de 52 % par rapport aux bénéfices nets moyens réalisés pendant la période 2018-2021. Leurs superprofits ont bondi à près de 700 milliards de dollars. D'après le rapport d'Oxfam, pour chaque tranche de 100 dollars de bénéfices générés par 96 grandes entreprises entre juillet 2022 et juin 2023, 82 dollars ont été reversés aux riches actionnaires.
– Bernard Arnault est le deuxième homme le plus riche du monde. Il est à la tête de l'empire du luxe LVMH, qui s'est vu infliger une amende par l'Autorité des marchés financiers. Bernard Arnault détient également certains des plus grands médias français comme Les Échos et Le Parisien.
– Aliko Dangote, l'homme le plus riche d'Afrique, détient un « quasi-monopole » sur le ciment au Nigeria. Il étend actuellement son empire au pétrole, ce qui suscite des inquiétudes quant à l'émergence d'un nouveau monopole privé.
– La fortune de Jeff Bezos, qui s'élève à 167,4 milliards de dollars, a augmenté de 32,7 milliards de dollars depuis le début de la décennie. Le gouvernement des États-Unis a poursuivi en justice la société Amazon, à l'origine de la fortune de Bezos, et l'accuse d'avoir exploité son « pouvoir monopolistique » pour augmenter les prix, dégrader la qualité du service pour les consommateurs et étouffer la concurrence.
- « Les monopoles privés nuisent à l'innovation, écrasent les travailleurs et travailleuses et détruisent les petites entreprises. Le monde n'a pas oublié comment les monopoles pharmaceutiques ont privé des millions de personnes du vaccin contre la COVID-19 et créé un apartheid vaccinal raciste tout en enrichissant un nouveau groupe de milliardaires »
- - Amitabh Behar, Directeur général, Oxfam International
Dans le monde entier, les personnes travaillent plus dur et plus longtemps, souvent pour des salaires de misère dans des emplois précaires et dangereux. Près de 800 millions de travailleurs et travailleuses, dont les salaires n'ont pas suivi l'inflation, ont perdu 1 500 milliards de dollars au cours des deux dernières années, ce qui représente environ un mois (25 jours) de salaires perdus pour chaque travailleur ou travailleuse.
Selon une nouvelle analyse réalisée par Oxfam sur les données de la World Benchmarking Alliance portant sur plus de 1 600 entreprises parmi les plus grandes du monde, à peine 0,4 % d'entre elles s'engagent publiquement à payer un salaire décent à leurs employé·es et soutiennent le paiement d'un salaire décent dans leurs chaînes de valeur. Il faudrait 1 200 ans à une travailleuse du secteur sanitaire et social pour gagner ce qu'un PDG d'une entreprise du classement Fortune 100 gagne en moyenne en un an.
En outre, le rapport d'Oxfam révèle que l'opposition à la fiscalité menée par les entreprises a permis de réduire l'impôt effectif sur les sociétés de près d'un tiers au cours des dernières décennies. Pendant ce temps, les entreprises n'ont eu de cesse de privatiser les services publics et ont notamment ségrégué l'accès à l'éducation et à l'eau.
« Nous avons les preuves. Nous connaissons les faits. Les pouvoirs publics peuvent contenir le pouvoir débridé des entreprises et l'explosion des inégalités pour favoriser un marché plus juste non contrôlé par des milliardaires. Les États doivent intervenir pour démanteler les monopoles privés, autonomiser les travailleurs et travailleuses, taxer les bénéfices colossaux des entreprises et surtout investir dans une nouvelle génération de biens et de services publics », estime Amitabh Behar.
« Chaque entreprise a la responsabilité d'agir, mais très peu le font. Les États doivent intervenir. Les législateurs peuvent s'inspirer de bon nombre d'initiatives, comme la plainte déposée contre Amazon par les autorités américaines chargées de la lutte contre les monopoles privés, la décision de la Commission européenne de contraindre Google à se dessaisir d'une partie de ses activités publicitaires en ligne, ou encore la lutte historique menée par les gouvernements africains pour redéfinir les règles de la fiscalité internationale ».
- « L'énorme concentration du pouvoir des entreprises et des monopoles et de leurs riches actionnaires à l'échelle mondiale et chez nous, accentue non seulement les inégalités économiques, mais aussi climatiques et envers les femmes. Rien pour construire des sociétés stables, et inclusives… Il est impératif de faire connaitre l'impact de ce pouvoir sur le quotidien des gens – nos salaires, notre accès aux médicaments, aux transports, à l'éducation, la gestion de la crise climatique … Et sur notre économie. Les gouvernements doivent jouer un rôle proactif dans l'orientation des économies favorisant les gens et la planète et le renforcement des services publics qui réduisent les inégalités. Nous avons une décennie devant nous pour revitaliser le rôle de l'État, réguler le pouvoir et les devoirs des entreprises et réinventer l'économie et la fiscalité. C'est possible, en s'assurant que les femmes soient incluses. »
- - Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Oxfam-Québec
Oxfam appelle les gouvernements à réduire rapidement et radicalement le fossé entre les ultra-riches et le reste de la société grâce aux mesures suivantes :
Revitaliser l'État. Un État dynamique et efficace est le meilleur rempart contre le pouvoir extrême des entreprises. Les États doivent garantir des services universels de santé et d'éducation, et travailler à la mise en place d'un service public fort dans des secteurs allant de l'énergie au transport pour une transition juste.
Contenir le pouvoir des multinationales, notamment par la mise en place d'une législation qui garantit des salaires décents, le plafonnement de la rémunération totale des PDG, et l'instauration de nouvelles taxes progressives pour les ultra-riches et les multinationales, notamment des impôts permanents sur la fortune et les bénéfices excédentaires*. Oxfam estime qu'un impôt sur la fortune pour les milliardaires du monde entier pourrait rapporter 1 800 milliards de dollars par an dans le monde.
Réinventer le monde des affaires pour des modèles entrepreneuriaux d'économie sociale, basés ente autres sur l'économie du beigne et l'économie circulaire. Les bénéfices pourraient être partagés de manière plus égalitaire dans les entreprises suivant un modèle de gouvernance démocratique avec les employés et les parties prenantes. Si seulement 10 % des entreprises américaines étaient détenues par leurs employé·es, cela permettrait de doubler la part de richesse des 50 % les plus pauvres de la population américaine et la richesse médiane des ménages noirs.
*
En date du 2 janvier, les PDG des plus grandes entreprises québécoises ont gagné l'équivalent du salaire annuel moyen au Québec.
– 84% de la rémunération des PDG de ces grandes entreprises est composée de primes et bonus liés aux profits de leurs compagnies. (Source : Observatoire québécois des inégalités)
– 1/5 des personnes employées au Québec ne peuvent pas se loger dans le grand Montréal. (Source : Observatoire québécois des inégalités)
– La fortune des cinq hommes les plus riches du monde a bondi de 114 % depuis 2020.
– A peine 0,4 % sur plus de 1 600 entreprises parmi les plus grandes du monde, s'engagent publiquement à payer un salaire décent à leurs employé·es.
– Un milliardaire est à la tête ou est actionnaire principal de sept des dix plus grandes entreprises mondiales.
– Au total, 148 des plus grandes entreprises ont réalisé 1 800 milliards de dollars de bénéfices, ce qui représente une hausse de 52 % par rapport aux bénéfices moyens des trois dernières années. Elles ont redistribué des bénéfices records à leurs riches actionnaires, alors que des centaines de millions de personnes sont confrontées à une baisse de leur salaire réel.
– En moyenne, il faudrait 1 200 ans à une femme travaillant dans le secteur de la santé et de l'action sociale pour gagner ce que gagne en un an le PDG moyen des 100 plus grandes entreprises de Fortune.
– Oxfam appelle à une nouvelle ère d'action publique, incluant l'investissement dans les services publics, la régulation des entreprises, le démantèlement des monopoles privés, la valorisation de modèles entrepreneuriaux alternatifs et l'instauration d'impôts permanents sur la fortune et les bénéfices excédentaires.
Notes
Téléchargez le rapport d'Oxfam intitulé « Multinationales et inégalités multiples » ainsi que la note méthodologique.
Il faudrait 229 ans (presque 230) pour garantir qu'aucune personne ne vive en dessous du seuil de pauvreté de 6,85 dollars par jour fixé par la Banque mondiale.
Selon la World Economic Outlook Database du Fonds monétaire international, le PIB combiné de toutes les économies d'Afrique s'élevait à 2 867 milliards de dollars en 2023, tandis que celui des pays d'Amérique latine et des Caraïbes était de 6 517 milliards de dollars, ce qui représente un total de 9 400 milliards de dollars.
*Oxfam définit les superprofits comme ceux qui dépassent de plus de 20 % les bénéfices moyens générés entre 2018 et 2021.
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Quand Israël va chercher sa main-d’œuvre en Afrique
Depuis le 7 octobre, l'État hébreu a vu sa main-d'œuvre étrangère – en premier lieu thaïlandaise – fuir ses exploitations agricoles. Pour faire face à cette pénurie, Tel-Aviv a notamment fait appel aux travailleurs du Malawi, un allié historique sur le continent et le pays d'adoption de Nir Gess, une figure influente de la diplomatie parallèle israélienne.
Tiré d'Afrique XXI.
« Nous suivons avec attention et préoccupation cette arrivée de travailleurs malawites qui se fait hors de tout accord bilatéral et laisse craindre leur exploitation », indique depuis Tel-Aviv Assia Ladizhinskaya, porte-parole de l'ONG israélienne Kav LaOved (KLO), qui défend les droits des travailleurs étrangers présents en Israël.
Le samedi 25 novembre 2023, dans la soirée, un Airbus A321-251 de la compagnie israélienne Arkia décollait du Kamuzu International Airport de Lilongwe, la capitale malawite, avec à son bord un premier groupe de 221 jeunes travailleurs agricoles du Malawi. Direction : l'État hébreu. Selon Michael Lotem, ambassadeur d'Israël dans la sous-région (1), ce vol ouvre la voie à un accord « gagnant-gagnant » entre Tel-Aviv et ce pays d'Afrique australe de 20 millions d'habitants, l'une des quinze nations les plus pauvres de la planète. « Les Malawites, explique le diplomate dans l'hebdomadaire sud-africain Mail & Guardian, gagneront 1 500 dollars par mois et, par dessus tout, acquerront de la connaissance. L'argent, ça va ça vient, mais la connaissance, ça reste. » Les travailleurs malawites, précise-t-il, « n'iront pas à Gaza, ils travailleront en Israël. Nous prendrons soin d'eux autant que nous prenons soin des Israéliens » (2).
Depuis le début des années 1990, Israël attire des travailleurs venus du monde entier – et en premier lieu du Sud-Est asiatique – qui souhaitent se faire embaucher dans divers secteurs : les soins aux personnes âgées et aux personnes handicapées, l'agriculture, la construction, l'hôtellerie ou encore l'industrie.
Avant le 7 octobre 2023, Israël accueillait, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 105 000 étrangers détenteurs d'un permis de travail. Après les attaques du Hamas, puis le lancement par Tel-Aviv de l'opération militaire « Glaive de fer » sur Gaza, qui a fait plus de 21 000 morts, les secteurs du bâtiment et de l'agriculture se sont soudainement retrouvés à cours de bras. Les permis de travail des 18 000 Gazaouis autorisés à se rendre en Israël ont été révoqués et ceux des Palestiniens de la Cisjordanie occupée ont été suspendus. Dans le même temps, certains pays réservoirs de main-d'œuvre tels que la Thaïlande ont rapatrié 10 000 de leurs ressortissants – sur les 30 000 qui se trouvaient sur place –, parmi lesquels ceux qui étaient employés dans les exploitations agricoles (3). Pour répondre aux besoins d'une filière qui connaît aujourd'hui une pénurie de 30 000 travailleurs, selon Avi Dichter, le ministre israélien de l'Agriculture et du Développement rural, il a donc fallu recruter ailleurs. Et notamment au Malawi, qui a été le premier pays du continent africain à répondre à cet intérêt.
Des travailleurs exploités et mis en danger
Mais à lire les témoignages et les derniers rapports publiés par l'ONG Kav LaOved, il semble que cette opportunité n'en soit pas forcément une. En 2021, l'ONG soulignait un manque d'accès des travailleurs étrangers du secteur agricole aux « soins médicaux, à des logements adéquats et à des conditions environnementales, sociales et de travail acceptables ». Elle notait que « les travailleurs [étrangers] sont également exposés à de nombreux risques pour la sécurité et la santé, tels que les pesticides, le travail en hauteur, le travail avec du bétail et le travail avec des véhicules et des outils lourds, souvent sans accès aux protections légalement requises ». Enfin, elle indiquait que « dans les zones ciblées par les tirs de roquettes [...], les employeurs exigent souvent que leurs employés continuent à travailler dans les champs ou à la ferme, sans abri, même lorsque cela est interdit par le commandement du front intérieur israélien. Cela a entraîné de nombreux blessés et décès parmi les travailleurs ». Dans ce rapport, l'ONG exige que « des abris soient mis à disposition de tous les travailleurs situés à proximité des zones de combat ».
En 2019, dans une autre enquête, KLO avait déjà révélé que des étrangers venus se former à l'agronomie dans des centres agricoles israéliens pour une durée de onze mois – programme dont profitent des Malawites – s'étaient retrouvés forcés de travailler au mépris des lois du travail israéliennes.
Lors des attaques du 7 octobre 2023 lancées par le Hamas, 39 ouvriers agricoles thaïlandais ont été tués d'après le quotidien thaïlandais Bangkok Post, et 25 seraient portés disparus. Les terres israéliennes limitrophes de l'enclave palestinienne, au sud du pays, sont un haut lieu de la filière maraîchère israélienne : 75 % des légumes récoltés dans le pays viennent de cette zone, tout comme 20 % des fruits.
Une collaboration ancienne
L'arrivée de centaines de Malawites fin novembre 2023 n'a suscité aucun débat en Israël. En revanche, 6 800 km plus au sud, au Malawi, cette nouvelle a provoqué la bronca de la société civile et de l'opposition. « Aucun parent sain d'esprit ne peut envoyer son fils ou sa fille dans un pays en guerre », a vitupéré Kondwani Nankhumwa, le président du principal parti d'opposition, le Democratic Progressive Party.
Ce n'est pas un hasard si le Malawi a été le premier à répondre aux besoins de Tel-Aviv. Le Malawi, est, avec l'Eswatini (l'ancien Swaziland) et le Lesotho, l'un des rares pays du continent africain à avoir maintenu des relations diplomatiques ininterrompues avec Israël depuis son indépendance, et ce même durant sa mise au ban par le continent africain après la guerre du Kippour en 1973. « C'est aussi le seul pays d'Afrique subsaharienne dont les citoyens peuvent se rendre sur place sans effectuer une demande de visa », expliquait en 2020 Boniface Dulani, enseignant et chercheur en sciences politiques à l'université du Malawi et directeur des études de l'institut Afrobarometer.
Avec l'arrivée au pouvoir en 2020 d'une figure évangélique, Lazarus Chakwera, les relations se sont même renforcées (4). À peine investi, le chef de l'État avait annoncé l'ouverture d'une ambassade à Jérusalem, un choix très controversé qui va à l'encontre de la position de l'ONU, et que la plupart des partenaires de l'État hébreu n'ont pas fait... (5)
Échapper au chômage
Les habitants du Malawi ont rapidement déchanté après l'élection de Chakwera, pourtant saluée comme une victoire de la démocratie. Le pays, qui sortait à peine de la crise socio-économique liée au Covid, a vu les prix de ses produits alimentaires et de l'énergie flamber. Finances publiques dans le rouge, pénurie de devises étrangères et cure d'austérité : fin 2022, le Malawi est devenu la première nation à faible revenu à obtenir un prêt du Fonds monétaire international (FMI) afin de faire face à un choc alimentaire. En novembre 2023, la Banque centrale a annoncé qu'elle allait dévaluer la monnaie nationale, le kwacha, de 44 %.
Pour une large partie des Malawites, l'espoir de partir travailler en Israël est donc considéré comme une chance. Mais l'opposition et la société civile questionnent l'opacité entourant ce programme d'embauches, mené « afin de résoudre le chômage des jeunes », selon la ministre du Travail du Malawi, Agnes Makonda Nyalonje. « Le gouvernement s'était engagé à créer 1 million d'emplois en un an, commentait début décembre Boniface Dulani. Envoyer des jeunes travailler en Israël semble être une démonstration de son incapacité à lutter contre le chômage. »
La confusion règne jusqu'au sommet de l'État. Le ministère du Travail reconnaît, embarrassé, n'avoir eu aucune connaissance d'un quelconque accord officiel entre les deux pays. Les embauches, qui ont été annoncées deux semaines après l'octroi par Israël de 60 millions de dollars d'aide publique au Malawi, n'ont jusqu'alors fait l'objet d'aucun accord bilatéral. Selon nos informations, des sociétés de courtage mandatées par Tel-Aviv auraient mené en novembre 2023 une campagne de recrutement auprès des jeunes âgés de 23 à 34 ans et ayant déjà suivi des programmes de formation agricole en Israël, notamment au Kinneret College. Un prêt bancaire remboursable sur deux ans, permettant en particulier de payer les 600 euros du vol charter organisé pour rejoindre Israël, a été octroyé aux « heureux » élus.
De 6 heures à 15 heures (mais beaucoup semblent faire des heures supplémentaires), ces derniers travaillent en particulier dans la bananeraie du kibboutz Gevim, situé prés de Sderot (dans le sud d'Israël, près de Gaza), et dans les fermes de la vallée d'Arabah (dans le sud, à la frontière avec la Jordanie).
L'ombre du négociant Nir Gess
La conduite de cette opération de recrutement a été menée par une figure de la diplomatie israélienne en Afrique : Nir Gess. Consul honoraire du Malawi en Israël et ambassadeur de bonne volonté en Ouganda, Nir Gess, 65 ans, est un vétéran des affaires israéliennes sur le continent. Il le découvre en 1981, alors qu'il sert de garde du corps personnel (6) d'Ariel Sharon, qui est à cette époque ministre de la Défense. En novembre 1981, dans le cadre de la reprise des relations diplomatiques avec le Zaïre (devenu la République démocratique du Congo) de Mobutu, qui débouchera sur un accord de coopération militaire, Sharon, en visite confidentielle à Kinshasa, prête au dictateur congolais son propre garde du corps. Va alors commencer, comme le raconte le quotidien israélien The Jerusalem Post, « une période de deux ans et demi au cours de laquelle chaque fois que Mobutu se déplaçait en dehors du Congo, Gess était à ses côtés, assurant sa sécurité ». Et allant jusqu'à développer « une relation chaleureuse et personnelle » avec le despote, qui lui ouvrira la porte du négoce de diamants.
Au début des années 1990, alors que la santé de Mobutu commence à se détériorer, Gess va rebondir dans le golfe de Guinée et poursuivre cette activité en Sierra Leone, dont il devient également le premier importateur de riz. La guerre civile force Gess à reprendre la route. Après un court passage au Liberia, cette fois-ci dans le pétrole, Gess est contacté au début des années 2010 par un fabricant de cigarettes ukrainien qui cherche à se fournir en tabac du Malawi. Pour le négociant israélien, c'est le début d'une entente cordiale avec le pays d'Afrique australe et son président d'alors, Joyce Banda. L'idylle se poursuivra avec ses successeurs, Peter Mutharika et Lazarus Chakwera.
Tabac, mais aussi poisson, maraîchage et cannabis thérapeutique : « Skippa », comme le surnomment ses amis, est aujourd'hui, avec son groupe Inosselia, une figure incontournable du monde des affaires du Malawi. Moins flamboyant que le magnat franco-israélien Beny Steinmetz, Gess n'en reste pas moins un acteur de l'ombre du retour d'Israël sur le continent africain, initié en 2016 sous l'impulsion de Benjamin Netanyahou – cette année-là, le Premier ministre israélien avait visité quatre pays africains : l'Ouganda, le Rwanda, le Kenya et l'Éthiopie. Et la relève semble assurée. Le Calcalist, l'un des plus importants médias d'information économique d'Israël, note que le fils de Nir Gess, Or Gouaz, était l'accompagnateur de bord des premiers travailleurs malawites recrutés par l'État hébreu.
Malgré son regain d'activité sur le continent, « l'Afrique reste très secondaire pour la diplomatie israélienne », souligne la chercheuse Sonia le Gouriellec dans Le Grand Continent. L'affaire des ouvriers agricoles marque-t-elle une nouvelle étape dans l'offensive de charme d'Israël vis-à-vis de ses partenaires en Afrique ? Après le Malawi – qui projetait d'envoyer 2 000 autres travailleurs fin 2023 –, le Kenya a annoncé l'envoi de 1 500 de ses ressortissants en Israël. Le Kenya a été l'un des rares pays africains à apporter un soutien inconditionnel à l'État hébreu après le 7 octobre 2023.
Notes
1- Il représente son pays dans les États suivants : Malawi, Kenya, Ouganda et Seychelles.
2- Jack Mcbrams, « Israel is recruiting Malawian workers », Mail & Guardian, 10 décembre 2023.
3- En 2021, le secteur agricole israélien employait 73 500 personnes, dont 44 % d'Israéliens, 33 % d'étrangers, aux 3/4 des Thaïlandais, et 23 % de Palestiniens
4- Élu à l'issue de l'annulation d'un premier scrutin, Chakwera, entre les deux rounds, avait passé trois jours remarqués en Israël.
5- Cette ambassade n'avait toujours pas ouvert en décembre 2023. Selon l'interprétation littéraliste des textes bibliques menée par les milieux évangéliques, et leur eschatologie, Jérusalem est la seule capitale d'Israël et doit jouer un rôle prépondérant à la « fin des temps ».
6- En tant qu'élément de l'unité 730, prestigieux corps du Shin Bet, l'un des services de renseignements israéliens, chargé notamment de protéger les hauts fonctionnaires.
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Le trafic de mercure imprègne les sites aurifères du Burkina Faso
Avec la multiplication des sites d'orpaillage, le mercure, utilisé pour amalgamer l'or, est de plus en plus demandé dans le pays. Ce métal liquide est pourtant interdit en raison de ses effets sur l'environnement et sur la santé humaine. “Sidwaya” a enquêté sur les filières de contrebande, transfrontalières et circulaires, qui approvisionnent les mineurs.
Tiré de Courrier international. Article publié à l'origine dans le sidwaya.info
Mognonré, village situé à cheval entre les frontières du Togo et du Ghana, dans la région du Centre-Est du Burkina Faso, abrite un gisement aurifère, devenu également un lieu de trafic de mercure. Fournisseurs de mercure, grossistes, petits acheteurs, responsables de points de rachat d'or, mineurs artisanaux : voilà les principaux acteurs qui constituent ce réseau. Le circuit d'approvisionnement du métal liquide, selon Ousmane Kéré, un mineur âgé de la cinquantaine, commence par les ravitailleurs.
Ils arrivent du Togo à moto en contournant les services de contrôle de la police et de la douane avec du mercure conditionné dans des bidons et/ou des bouteilles classées dans des caisses en bois. À cette marchandise s'ajoutent du cyanure et des explosifs en bâtonnets. Ensuite, [les ravitailleurs] rallient le gisement aurifère de Mognonré en empruntant différentes pistes.
“Une fois sur le site, ils se dirigent vers des magasins et boutiques de fortune détenus par des grossistes et des gestionnaires de comptoir”, explique Ousmane Kéré.
Avec l'acide, un métal de qualité médiocre
À écouter Abdoul Salam Naaba, le représentant de la coopérative des orpailleurs du site de Gnikpière, dans la province du Ioba (Dano), région du sud-ouest du Burkina, l'usage du mercure dans les gisements aurifères burkinabè remonte au début des années 2000, plus précisément sur le site d'orpaillage du village de Mognonré.
Avant l'introduction du mercure, dit-il, les mineurs recouraient à l'acide pour extraire l'or, un processus laborieux qui donnait une qualité médiocre de métal précieux. Grâce aux mineurs ghanéens, le secret du mercure leur fut révélé, améliorant “significativement” leurs méthodes.
Depuis lors, des intermédiaires assurent l'approvisionnement en mercure provenant du Togo ou du Ghana à partir de ce village. Ces intermédiaires demeurent inconnus. Interrogé sur leur identité, Abdoul Salam Naaba préfère ne pas dévoiler de nom.
Cependant, il ne fait aucun doute que le village de Mognonré constitue le point d'entrée clandestin du mercure en provenance du Togo. Abdoulaye Ouédraogo, gérant d'un comptoir d'achat d'or sur le site, indique que, en plus du Togo, le Nigeria est une source d'approvisionnement.
Le mercure, importé principalement des pays d'Asie et d'Amérique du Sud, transite par le port de Lomé, au Togo, pour arriver sur les sites aurifères du Burkina Faso par des circuits illégaux.
Dès le transbordement des cargaisons
Le Togo, en ratifiant la convention de Minamata en 2017, un traité mondial destiné à protéger la santé humaine et l'environnement contre les effets négatifs du mercure, a interdit officiellement la vente, l'achat et l'usage de ce métal liquide sur son territoire.
Le Burkina Faso, également signataire de la convention la même année, selon l'agent de la Direction de la préservation de l'environnement Serge Alain Nébié, a proscrit l'utilisation des produits chimiques, notamment le mercure, sur les sites d'orpaillage. Officiellement, le Burkina Faso n'importe plus de mercure depuis 2018, sauf en cas d'autorisation spéciale d'importation.
Dans ce cas, le pays de transit (le Togo) qui approuve la demande de l'importateur (le Burkina Faso) garantit la protection de la santé humaine et de l'environnement et le respect du stockage provisoire du produit. Selon l'accord conclu entre les deux pays, la cargaison de mercure bénéficie d'un accompagnement (escorte) spécifique tout au long de son transit terrestre depuis le port de Lomé jusqu'au Burkina Faso. En dépit de ce dispositif, le mercure arrive à se retrouver illégalement sur les sites aurifères.
Selon une source douanière burkinabè, le trafic débute lors des transbordements des cargaisons dans le port de Lomé. À en croire ce douanier, avec la complicité de certaines personnes du port, le mercure, des produits chimiques comme le cyanure et des explosifs en bâtonnets utilisés pour dynamiter la roche sont chargés frauduleusement dans des camions avec d'autres marchandises.
Une fois sortis du port, révèle Barthélemy Kafando, un ancien chauffeur reconverti en mécanicien de camion, ces véhicules de transport de marchandises restent quelques jours à Lomé et ravitaillent discrètement des clients grossistes dans la ville avec une petite quantité. Ces clients, à leur tour, reconditionnent le métal liquide dans des bidons de 5 à 20 litres qui vont être chargés comme des marchandises dans le coffre arrière des voitures d'occasion achetées par des particuliers, pour être acheminés au Burkina Faso.
Au risque de graves incendies
Au cours du trajet, une partie du mercure reste sur le territoire togolais, notamment dans sa partie nord, à Dapaong et à Cinkassé. Depuis ces localités, les trafiquants de mercure parviennent à ravitailler les sites aurifères des villages frontaliers au Burkina Faso comme celui de Mognonré, ajoute Barthélemy Kafando.
Quant à l'autre partie (la plus grande), a confié le mécanicien de camion, elle est acheminée au Burkina Faso en se soustrayant aux contrôles douaniers. C'est à partir des marchés de Pouytenga (région du Centre-Est) et Ouagadougou (région du Centre), au Burkina, que le mercure arrivé du Togo est dispatché dans les différentes exploitations minières artisanales du pays.
“À partir du marché de Pouytenga, le mercure est distribué dans les sites d'orpaillage des régions du Centre-Est, du Sahel et de l'est du Burkina. Quant à la marchandise du marché de Ouagadougou, elle est destinée principalement aux régions du sud-ouest et du nord du pays”, précise l'ancien chauffeur.
Selon les déclarations d'un coursier (dont nous avons préservé l'identité) au marché de Sankar-Yaaré, à Ouagadougou, au Burkina Faso, le métal liquide argenté utilisé pour débarrasser l'or de ses impuretés pendant son extraction est d'abord stocké la nuit dans des entrepôts du marché et à proximité. Au marché de Sankar-Yaaré, des individus se faisant passer pour des vendeurs de céréales, en complicité avec la police municipale et des gardiens du marché, dissimulent ces marchandises illicites.
Plusieurs témoignages recueillis auprès des commerçants de la capitale burkinabè laissent entendre que l'incendie du marché de Sankar-Yaaré en janvier 2023 pourrait être lié au stockage clandestin d'explosifs, de cyanure et de mercure.
Roch Donatien Nagalo, secrétaire général du Syndicat national des commerçants du Burkina, fait remarquer que le stockage de ces substances chimiques dans le marché n'est pas une nouveauté. “Malgré les avertissements adressés à l'ensemble des commerçants avant l'incendie, certains acteurs du système ont continué à participer à ces activités illégales”, affirme M. Nagalo. Il appelle donc les autorités à intervenir pour mettre fin à ces pratiques et à soutenir la reconstruction du marché de Sankar-Yaaré.
78 tonnes de mercure utilisées par an
Actuellement, sur les sites d'orpaillage, indique Serge Alain Nébié, agent de la Direction de la prévention de l'environnement, pour produire 1 gramme d'or, l'artisan minier burkinabè utilise 1,57 gramme de mercure.
S'appuyant sur le plan d'action national “de réduction, voire d'élimination du mercure dans l'extraction minière artisanale et à petite échelle de l'or conformément à la convention de Minamata sur le mercure 2020-2029”, il confie qu'environ 78 tonnes de mercure sont utilisées annuellement sur les sites aurifères.
La demande la plus importante en mercure provient de la région du Sud-Ouest du Burkina, du fait de sa forte production artisanale d'or. La région du Sud-Ouest du Burkina Faso occupe une place prépondérante dans la chaîne de production aurifère à l'échelle nationale, avec 9,5 tonnes d'or par an.
Selon le président de l'Association des artisans miniers de la province de la Bougouriba (Diébougou), dans la région du Sud-Ouest du Burkina Faso, Raphaël Tapsoba, “l'or ne peut être extrait efficacement sans l'utilisation du mercure”. “Malgré son interdiction, nous sommes obligés de l'utiliser, car nous n'avons pas d'alternatives viables”, justifie-t-il. Il explique que l'or gît en profondeur dans le sol sous forme de particules dispersées, nécessitant l'utilisation de mercure pour les amalgamer.
Retour clandestin au Togo
Malgré [les mesures prises par les autorités], le mercure réussit à traverser les mailles. De Ouagadougou, il se fraie clandestinement un chemin inverse vers Lomé par l'intermédiaire des négociants burkinabè.
Kokou Elorm Amegadze, directeur exécutif par intérim de la section togolaise de l'ONG Amis de la terre, évoque le rôle prépondérant des négociants burkinabè dans l'industrie aurifère. Selon lui, ces négociants, étant très impliqués dans l'exploitation de l'or, pourraient apporter clandestinement du mercure au Togo, où il est utilisé à diverses fins.
Il a été établi que le mercure est couramment utilisé dans le processus de refonte par les bijoutiers au Togo. Le trafic de mercure se déroule en parallèle des flux illicites d'or. Les grossistes en or fournissent généralement le mercure aux orpailleurs afin qu'ils puissent traiter le minerai extrait sur-le-champ, en vue de sa future commercialisation.
Cette coordination implique la mise en place d'un système de collecte orchestré par les négociants agissant en tant qu'intermédiaires auprès des orpailleurs. Certains orpailleurs se transforment eux-mêmes en négociants travaillant directement avec les grossistes en or.
L'extraction de l'or à partir du mercure
Les mineurs artisanaux utilisent le mercure, une neurotoxine dangereuse, pour extraire l'or du minerai. Malgré les diverses tentatives en cours pour réduire et éliminer le mercure dans l'extraction artisanale de l'or, cette méthode reste populaire dans les sites aurifères parce qu'ils estiment que la méthode est efficace avec une forte probabilité de récupérer toutes les particules. En effet, après le broyage du minerai sorti des galeries, l'on procède au lavage sur une planche inclinée dont le fond est recouvert d'un tapis épais qui permet de piéger des grains d'or. Après cette étape, le tapis est retiré de la planche et remué dans une bassine contenant de l'eau propre de sorte à obtenir un liquide concentré. On y ajoute en ce moment, une certaine quantité de mercure et on procède à une malaxation (pendant un certain temps) au cours de laquelle le métal liquide piège toutes les particules d'or. L'on obtient ainsi une boule d'amalgame de mercure et d'or. Enfin, l'on procède au brûlage de la boule à l'air libre sur un feu de bois ou à l'aide d'un chalumeau à gaz. Le mercure disparaît progressivement sous l'effet de la chaleur pour ne rester uniquement que l'or. Mais pendant le brûlage, il se dégage une épaisse fumée blanche de mercure qui contamine l'environnement.
Paténéma Oumar Ouédraogo
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Sahel, la France abandonnée par ses alliés occidentaux
L'isolement de la France se durcit au Sahel après la décision de l'Allemagne de rester, comme les Etats-Unis, au Niger, malgré la prise de pouvoir par le Conseil national pour la sauvegarde de la démocratie (CNSP), le 26 juillet 2023. Avant le Niger, la France avait déjà été chassée du Burkina Faso et du Mali.
Tiré de MondAfrique.
Le timing a quelque chose de cruel pour la diplomatie française : le 22 décembre 2023 le dernier des 1500 soldats français présents au Niger a dû embarquer dans l'avion pour Paris. Deux jours plus tôt, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius annonçait à Niamey le maintien des 120 soldats allemands déployés à la base aérienne 101 de la capitale nigérienne. Au-delà de cette annonce, M. Pistorius a assuré que l'Allemagne va poursuivre sa coopération militaire avec le Niger, à travers la formation des forces spéciales nigériennes ; le soutien à une école de formation de sous-officiers nigériens ainsi que l'attribution des bourses de stages en Allemagne.
À la grande satisfaction des autorités militaires qu'il a rencontrées, le ministre allemand a confirmé que son pays entendait soutenir la construction à Niamey d'un hôpital militaire de référence dont le coût est estimé à près de 30 millions d'euros (20 milliards de FCFA). L'Allemagne a très clairement pris le contre-pied de la France dans l'appréciation de la situation créée au Niger par le coup d'Etat qui a renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023.
Précédent américain
Les Américains ont été les premiers, avant les Allemands, à prendre leur distance avec la France dans leur attitude vis-à-vis du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). A l'opposé de la diplomatie française, les Américains n'ont jamais rompu de contacts avec la junte qui a pris le pouvoir à Niamey à travers des échanges directs avec le général Moussa Salaou Barmou, chef d'état-major des FAN, et le colonel-major Maman Sani Kiaou, chef d'état-major de l'armée de terre. Ces deux officiers membres du CNSP ont été formés dans les écoles militaires américaines. Alors que les Français s'épuisaient à exiger le retour à l'ordre constitutionnel au Niger avec le président Bazoum à la tête de l'Etat, les Américains étaient, de leur côté, plus nuancés, prêts à se satisfaire d'une transition courte avec « un agenda crédible ». Sur l'autel du pragmatisme et de la real politique, les Etats-Unis ont dès septembre 2023 repris leurs activités militaires au Niger, faisant décoller leurs drones et leurs avions de surveillance et de reconnaissance. Ils ont officiellement reconnu en octobre 2023 le CNSP comme « autorités de fait » qui dirigent le Niger avant de décider en décembre 2023 que leur nouvelle ambassadrice à Niamey Kathleen Fritzgibbon présente ses lettres de créance à la junte. De passage au Niger, après le sommet de la CEDEAO du 10 décembre 2023 à Abuja, la Secrétaire d'Etat adjointe en charge des Affaires africaines Molly Phee est allée encore plus loin, en déclarant que les Etats-Unis étaient prêts à reprendre l'intégralité de leur coopération avec le Niger, sous réserve de l'annonce d'un calendrier d'une « transition courte avec un contenu crédible ». L'agenda américain au Niger est clairement très différent de celui de la France.
Jusqu'au-boutisme macronien
Adoptant la même posture que les Américains et les Allemands, les Nations unies ont décidé de désigner une nouvelle Coordinatrice résidente de leur système au Niger, qui présentera prochainement ses lettres de créance aux autorités du pays. L'ONU a également décidé que désormais les autorités au pouvoir à Niamey pourront s'exprimer dans toutes ses instances. Même la CEDEAO est à présent dans une démarche nettement différente des positions figées de la France. L'organisation sous-régionale n'exige plus en effet le rétablissement du président Bazoum, après avoir enterré définitivement son projet d'une intervention militaire. Les différents revers subis depuis le 26 juillet n'ont manifestement pas suffi à ouvrir les yeux de la diplomatie française. La France a finalement tout cédé au CNSP sur les conditions de retrait de ses troupes du territoire nigérien. Alors qu'elle défendait un retrait de ses soldats par Cotonou, au Bénin, la diplomatie française à dû accepter un itinéraire via N'Djamena beaucoup plus long. Paris a également dû avaler les grandes déclarations de Macron pour accepter le départ de Niamey de Sylvain Itté, ambassadeur de France au Niger. Enfin, les autorités françaises ont dû se résoudre à laisser partir le Mont Greboun, avion présidentiel nigérien, qu'elles séquestraient à l'aéroport de Fribourg-Mulhouse depuis le coup d'Etat du 26 juillet. Ironie de l'histoire, la France a même dû avancer les frais de parking exigés pour que l'avion puisse repartir à Niamey, condition posée par la junte pour aménager une porte de sortie honorable à Sylvain Itté.
Mort de la politique africaine
Derrière la succession incompréhensible d'erreurs de la diplomatie française, se cache, en réalité, une vraie absence de politique africaine. En effet, à Paris on n'a pas perçu l'évolution du contexte africain caractérisé désormais par l'émergence de sociétés très actives ; l'arrivée de nouveaux compétiteurs pas les Russes et les Chinois seulement ; une jeunesse connectée aux réseaux sociaux et très exigeante. La diplomatie verticale à force de coups de menton aux dirigeants des ex-colonies, ADN de la politique africaine de Macron et son ancien ministre des Affaires étrangères Jean Yves Le Drian, ne peut pas prospérer dans « cette nouvelle Afrique ». Tant le style que le contenu du discours macronien sur l'Afrique et le Sahel ne passent plus à Bamako, Ouagadougou et Niamey. Or, la plupart des décisions françaises sur le Niger, le Mali, le Burkina Faso ont été dictées par l'Elysée, les diplomates français, et leur cheffe Catherine Colonna, n'ont qu'à suivre les desideratas du Château. Ils n'avaient pas la moindre marge de manœuvre face à « Jupiter ».
Il y a, hélas, peu de chance que la France rectifie le tir, tant est ancré ici l'idée que si elle est en mauvaise posture au Sahel, c'est de la faute des « Sahéliens vendus » à la Russie et de la « propagande déloyale » anti-française qui règne dans la région. A ce prix-là, le retour de la France au Sahel n'est pas pour demain.
Francis Sahel
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Crise de la banane et de la cocaïne en Équateur
La professeure Joana das Flores a publié ce texte sur Instagram, que nous avons fait suivre de la déclaration de la Confédération des nationalités indigènes d'Équateur. Ces deux textes permettent de comprendre ce qui se joue sur place.
Tiré de Inprecor 716 - janvier 2024
Par Joana das Flores
Nous assistons à une guerre commerciale pour le marché intérieur et extérieur de la drogue à partir de l'Équateur. Dans ce cas, le conflit ne porte plus seulement sur les itinéraires et l'emplacement historique des entrepôts du pays. Il s'agit de la perte de pouvoir des entrepreneurs locaux dans l'exportation vers le cartel des Balkans (qui comprend les mafias albanaise et serbe).
Cette mafia dispose désormais d'un réseau mondial en partenariat avec les Colombiens et les Mexicains. Ils sont les principaux distributeurs mondiaux et se disputent le plus grand port de l'Équateur. Le port de Guayaquil est responsable des plus grandes expéditions de cocaïne vers l'Europe et l'Asie.
Le groupe Noboa, détenu par la famille de l'actuel président, est le leader de l'exportation de bananes depuis 1916… les plus grosses saisies de drogue dans les ports européens et asiatiques, en provenance de l'Équateur, se font dans des caisses de bananes…
Daniel Noboa est la troisième génération d'Exportadora Bananera Noboa. Le groupe possède des actifs d'une valeur de 1 355 millions de dollars et se compose de 156 entreprises. En 2021, si on l'analyse en fonction de sa taille, Exportadora Bananera occupe la 19e position parmi 295 groupes économiques.
Le groupe est entre les mains d'Álvaro Noboa Pontón, le père du président élu. Selon le Service fédéral des impôts, la plupart des entreprises qui font partie de ce groupe économique sont situées dans les provinces côtières de Guayas et Manabí. En outre, 119 entreprises sont nationales et 15 sont étrangères.
Le groupe Noboa possède une licence pour Quaker, leader sur le marché de l'avoine en Équateur. Avec 156 millions de dollars, elle détient 10 % des actifs du groupe jusqu'en 2020. Mais l'entreprise la plus importante du groupe n'est pas Quaker, mais l'exportateur de bananes Noboa Traiding, qui a réalisé en 2022 un chiffre d'affaires de 177 millions de dollars, selon la Surintendance des entreprises. Le groupe est composé d'autres entreprises qui contrôlent tout, de la culture des bananes à la production de carton pour l'emballage, en passant par les navires sur lesquels elles sont exportées.
Le pays sud-américain est le plus grand exportateur de bananes au monde, transportant environ 6,5 millions de tonnes par an par voie maritime. On estime que plus de 30 % de ce marché est déjà sous le contrôle des cartels.
La banane est le fruit défendu.
Face à la vague de violence causée par le crime organisé en Equateur.
Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur - CONAIE, Quito, 09 janvier 2024
Nous nous trouvons dans une situation de violence sans précédent, provoquée par le crime organisé, le trafic de drogue et les mafias. C'est le résultat d'un problème structurel, causé par la radicalisation des politiques néolibérales qui ont détruit l'État et ses institutions, les rendant incapables de réagir. Ces politiques ont également généré plus d'inégalités et de pauvreté, créant des conditions sociales propices au recrutement des jeunes dans la criminalité.
Les criminels, les trafiquants de drogue et les mafias ont profité de la permissivité accordée par les différentes autorités au cours des dernières années, infiltrant la plupart des entités étatiques et affaiblissant les institutions chargées de la sécurité publique. Les criminels ont utilisé la stratégie de la peur et du chaos pour intimider et soumettre le peuple équatorien, qui n'a pas reçu de garanties suffisantes de la part d'un État défaillant et réduit.
À cette crise s'ajoute le manque de leadership et de projet politique des derniers gouvernements, qui sont arrivés au pouvoir sur la base de mensonges, de faux espoirs et d'attaques contre divers acteurs sociaux. Ces gouvernements ont donné la priorité à leurs agendas particuliers pour favoriser les grands groupes économiques, au détriment de la pauvreté et de la souffrance de la majorité de la population.
Face à cette situation, nous appelons les peuples et les nationalités à maintenir actifs les gardes communautaires, à contrôler l'entrée sur leurs territoires et à protéger la vie et l'intégrité des communautés. Nous appelons également à l'unité nationale, à l'union des forces de tous les secteurs de la société, des organisations sociales, de la société civile, des peuples et des nationalités, pour surmonter cette crise. La peur et les menaces ne doivent pas nous vaincre, car il en va de l'avenir de notre terre et des générations futures.
Le gouvernement national doit agir dans le cadre juridique actuel, respecter les organisations en tant qu'espaces légitimes de défense des citoyens et reconnaître que l'Équateur est fait de nous tous. En outre, nous demandons instamment au gouvernement national et à l'Assemblée nationale de ne pas utiliser cette crise comme excuse pour adopter des lois ou des politiques antipopulaires qui affectent la majorité de la population, car cela ne fera qu'aggraver la situation et provoquer une réaction populaire en défense des droits, dans une situation qui n'a pas été causée par le peuple, mais par des gouvernements qui ont échoué.
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Chili : après le nouveau rejet constitutionnel, vers un nouveau cycle politique ?
Dimanche 17 décembre 2023, pour la deuxième fois en un peu plus d'un an, les Chilien·nes devaient voter par référendum « pour » ou « contre » un projet de nouvelle Constitution, qui mettrait fin à celle promulguée en 1980 sous la dictature d'Augusto Pinochet (et réformée à plusieurs reprises depuis 1989). Contrairement au précédent référendum, ce sont la droite et l'extrême droite qui ont cette fois subi une défaite politique.
Tiré de Contretemps
30 décembre 2023
Pablo Abufom Silva et Franck Gaudichaud
Dans ce texte écrit à chaud pour Jacobin América Latina, Franck Gaudichaud et Pablo Abufom reviennent sur les résultats électoraux, et plus largement les défis stratégiques de la période pour les gauches et les mouvements sociaux.
***
La nouvelle élection nationale du 17 décembre 2023 a lieu quatre ans après la grande révolte sociale de 2019, qui a ébranlé l'hégémonie néolibérale établie dans le pays andin depuis 5 décennies, et deux ans après l'élection de Gabriel Boric, le jeune président de la gauche progressiste (soutenu par une coalition entre le Parti communiste et le Frente Amplio, en alliance avec une partie de l'ancienne Concertación, la coalition sociale-libérale qui a gouverné la transition post-dictature).
Le premier plébiscite constitutionnel (septembre 2022) visait à « approuver » ou « rejeter » la proposition de constitution rédigée par une Convention composée principalement de représentant·es plutôt positionnés à gauche, anti-néolibéraux et marquée par la participation des peuples indigènes, des mouvements sociaux, de militantes féministes. Ce projet reprenait des décennies de luttes sociales et aspirait à un Chili démocratique, fondé sur des droits sociaux étendus, qui pourrait enterrer l'héritage de la dictature.
Au contraire, ce dernier référendum porte sur un texte constitutionnel qui a été rédigé par un Conseil constitutionnel à majorité d'extrême droite, dirigé par le Parti républicain, qui visait à approfondir le régime politique néolibéral de la constitution de 1980 et restreignait encore davantage les droits sociaux et avancées conquises depuis 1990 [1].
Un vote de classe
Une fois de plus, plus de 15 millions de Chiliens et Chiliennes ont été appelés à voter : 55,8% se sont opposés au nouveau texte constitutionnel, bien que 15% des électeurs·rices ne se soient pas rendus aux urnes, malgré le système de vote obligatoire avec inscription automatique (à nouveau en vigueur depuis 2022).
Une fois de plus, un vote de classe s'est exprimé dans la capitale, comme dans le reste du pays : alors que les trois municipalités les plus riches du pays ont voté « pour », les municipalités populaires du sud et de l'ouest de la capitale ont voté à plus de 60 %, voire 70 %, « contre ». Seules deux régions du pays andin ont voté majoritairement en faveur du dernier projet de constitution rédigé par les droites.
Pourtant, le grand capital et ses médias ont investi plus de 130 millions de pesos dans la campagne pour défendre le nouveau texte et une constitution qui empêcherait définitivement toute législation en faveur de l'avortement, qui sauvegarderait le système de retraite par capitalisation, qui consoliderait la marchandisation de l'eau, de l'éducation et de la santé, et qui consacrerait l'interdiction de la négociation collective par branche, tout en protégeant l'un des droits de grève les plus réactionnaires d'Amérique latine.
Une défaite pour le parti d'extrême droite d'Antonio Kast
En septembre 2022, plus de 62% de la population avait déjà rejeté une proposition constitutionnelle, mais il s'agissait alors d'un projet constitutionnel clairement progressiste, paritaire et féministe, qui proclamait un État « plurinational » et reconnaissait de nouveaux droits aux peuples indigènes. Pour de nombreux électeurs.trices, il s'agissait de dépasser – au moins en partie – l'État néolibéral et le modèle de développement extractiviste et écocide hérité de Pinochet et de ses « Chicago Boys » ; mais cette proposition n'avait pas convaincu largement, dans un contexte post-pandémique, d'incertitude politique et de crise économique [2].
En décembre dernier, le rejet s'est à nouveau exprimé, confirmant la dimension « dégagiste » en cours dans le champ politique-électoral ; il s'agit aussi de l'expression d'une population qui tient à dire par tous les moyens son ras-le-bol et sa colère, sa fatigue aussi depuis quatre années de convulsions sans perspectives claires, et quelles que soient finalement les orientations affichées par les un.es ou les autres.
Cette fois le rejet massif s'exprime face à un texte rédigé par l'extrême droite et la droite traditionnelle, dans le cadre d'un processus beaucoup plus « contrôlé » par les partis traditionnels et le Parlement, avec des « comités techniques de recevabilité » et des commissions d' »experts ». Les 50 membres (élu.es en mai 2023) du Conseil constitutionnel ont été conduits par une majorité relative rattachée au Parti républicain de José Antonio Kast, une nouvelle extrême droite qui a émergé fortement ces 3 dernières années, qui s'est imposée comme une force de « retour à l'ordre » face à la rébellion collective d'octobre 2019, face au puissant mouvement féministe et à ses revendications, face au gouvernement Boric et à son » progressisme tardif « , avec un discours ouvertement raciste, anti-immigré.es, patriarcal, ultra-conservateur et chrétien fondamentaliste.
En alliance avec la droite, le Parti républicain a cru pouvoir rédiger une Constitution à son image, celle des « vrais Chiliens » selon les mots de la présidente du Conseil, la très réactionnaire et intégriste luthérienne Beatriz Hevia. Avec le résultat du dernier référendum, le Parti républicain vient de subir sa première défaite claire. D'autant plus que Kast était déjà perçu comme le candidat à la présidence ayant de réelles chances de l'emporter à la fin de l'année 2025. Les couteaux sont également de sortie entre la coalition de droite conservatrice-néolibérale (Chile Vamos), autour de figures comme Evelyn Matthei, et le clan républicain, chacun cherchant à se dédouaner de sa responsabilité dans la débâcle.
Des dissensions apparaissent également au sein de l'extrême droite, certains leaders ou éditocrates comme Axel Kaiser cherchant à créer un « Parti libertaire », encore plus radical que Kast et copié sur le modèle de Javier Milei en Argentine [3]. Ces différenciations et tensions au sein du camp de la droite sont appelées à prendre de l'importance au cours des prochains mois, créant ainsi une fenêtre d'opportunité politique (ténue mais réelle) pour la gauche sociale et politique.
Un gouvernement Boric sans initiative, un progressisme sans réformes
Le soir du résultat, le président Boric a de nouveau parlé de « consensus national », tout en confirmant que la tentative de processus constituant était arrivée à son terme après ces deux échecs, reconnaissant que les « urgences sociales » étaient résolument ailleurs. Le jeune président (37 ans), au lieu de profiter de cette déroute des droites dans les urnes, a répété un discours d'autoflagellation critiquant le supposé « radicalisme » de la première proposition constitutionnelle de 2021-2022, et rejetant toute « polarisation » du pays :
« Il est temps de reconnaître le résultat obtenu par ceux qui ont défendu l'option « contre », mais sans oublier qu'une partie importante de ceux qui se sont rendus aux urnes ont voté pour l'option « pour ». Nous ne pouvons pas commettre la même erreur que lors des plébiscites précédents. Le pays est fait par nous tous et toutes, et ceux qui triomphent lors d'une élection ne peuvent pas ignorer ceux qui ont été battus. Notre pays continuera avec la Constitution actuelle parce qu'après deux propositions constitutionnelles soumises à un plébiscite, aucune n'a réussi à représenter et à unir le Chili dans sa belle diversité. Le pays s'est polarisé et divisé, et malgré ce résultat retentissant, le processus constitutionnel n'a pas réussi à canaliser les espoirs de rédaction d'une nouvelle Constitution pour tous ».
De manière générale, plusieurs responsables gouvernementaux reconnaissent que ce résultat apporte un peu d'air frais à un exécutif caractérisé, depuis ses débuts, par une faible capacité de changement et des réformes timides et contradictoires (avancées sur la gratuité des soins, la réduction du temps de travail et l'augmentation du salaire minimum) [4].
Ce qui marque surtout chez Boric, c'est son manque de volonté, même minimale, d'affronter les secteurs dominants et patronaux et d'essayer de mobiliser les secteurs populaires « par en bas », alors qu'en dehors du PC, il n'a pas de liens réels avec la classe ouvrière et les secteurs subalternes. Minoritaire au Parlement, enfermé dans une logique parlementaire et de gestion de l'appareil d'État, n'ayant pas réussi à imposer sa réforme fiscale, Gabriel Boric est de plus en plus dépendant du Parti socialiste et de ses alliés de « l'extrême-centre » (piliers du néolibéralisme depuis 1990), entrés en force à La Moneda (le palais présidentiel) et incarnés par la ministre de l'Intérieur, Carolina Tohá.
Embourbé dans une affaire de corruption (Caso Convenios) qui touche des proches du président, confronté à un bombardement systématique et terriblement efficace des monopoles médiatiques capitalistes qui ont focalisé les débats publics sur le narcotrafic, l'insécurité et le rejet des migrant.es, le gouvernement subit l'agenda politique dicté par les droites, plutôt qu'il ne l'impulse.
Dans cette lignée, et malgré la protestation de nombreux militant.es de gauche qui le soutiennent ou la critique de dirigeants comme le maire communiste de Recoleta Daniel Jadue, le gouvernement a continué à militariser le territoire mapuche connu sous le nom de Wallmapu, à défendre les carabiniers et la large impunité des responsables de la répression d'octobre 2019 ou encore il a proposé des lois qui criminalisent les luttes pour le droit au logement. La présence de quelques personnalités de gauche comme la ministre et porte-parole de l'exécutif Camila Vallejo (toujours populaire selon les sondages), ne change rien à cette orientation générale, qui génère également une grande démobilisation ou désillusion dans la base du Frente Amplio et du PC.
Un nouveau cycle politique ?
Les élections de dimanche marquent indéniablement la fin d'un moment politico-électoral, mais peut-être plus largement d'un cycle politique. Comme suggéré plus haut, des éléments paradoxaux de continuité peuvent être discernés au cœur de ces deux référendums, et même dans le sillage de la rébellion d'octobre 2019 [5] : clairement, la crise d'hégémonie, le rejet de la « caste » politique et l'insatisfaction massive face à l'absence de solutions aux principales demandes populaires sont toujours d'actualité, sous des formes et avec des orientations stratégiques différentes, et y compris sous des formes contradictoires.
Au-delà de l'impact profond et indéniable des médias dominants et des réseaux sociaux sur les résultats électoraux des deux plébiscites, on constate que le vote « contre quelque chose » l'emporte sur le vote « pour quelque chose ». Cela reflète une situation d'impasse politique nationale, dans laquelle aucun des acteurs en conflit ne parvient à imposer son programme, ou encore à convaincre une majorité de la population que ses propositions pour sortir de la crise sont les bonnes. Ni l'irruption massive du peuple en octobre 2019, ni la majorité anti-néolibérale de la Convention de 2021, ni le progressisme au gouvernement depuis 2022, ni la majorité pinochetiste au sein du Conseil constitutionnel de 2023 : aucune de ces expressions n'a représenté une porte de sortie crédible à l'échelle du pays.
Dans cette situation d'impasse qui pourrait s'avérer catastrophique, la principale menace à court terme pour les classes populaires et la (fragile et partielle) démocratisation du Chili est la consolidation de l'émergence d'une force politique d'extrême droite réactionnaire qui parviendrait à capitaliser sur les défaites de tous les acteurs mentionnés ci-dessus et le mécontentement généralisé. Il va sans dire que le triomphe de Javier Milei en Argentine renforce cette possibilité, au moins pour l'instant. Mais dans un scénario de polarisation politique, alors que le gouvernement de centre-gauche n'a pas été en mesure de réaliser son programme, il n'est pas déraisonnable d'imaginer un prochain gouvernement de droite/extrême droite, ce qui explique pourquoi les principales figures présidentielles dans les sondages sont aujourd'hui Kast et Matthei.
Perspectives pour les mouvements sociaux
Face à cet horizon infâme, les gauches alternatives et les mouvements sociaux, féministes et populaires ont l'obligation de tirer des leçons stratégiques des quatre dernières années.
D'une part, la modération programmatique incarnée par le parti au pouvoir, et particulièrement l'expérience du Front Large, a eu pour effet, à la fois, de décevoir sa base électorale et d'emprunter les voies de la mobilisation collective pour contrer le blocage parlementaire et médiatique de l'opposition. Lorsque face à une opposition obstinée, le gouvernement Boric préfère reculer, abandonner ses prétentions de changement et finit par approuver « avec succès » des projets vidés de leur intention initiale, un message clair est envoyé : en temps de crise, la capitulation programmatique parait inéluctable. Il n'y aurait ainsi pas de place et de forces pour soutenir un programme de transformation, s'appuyant sur des appels à la mobilisation et l'affrontement politique avec les droites. Vu sous cet angle, le gouvernement a renoncé précisément au peu qu'il peut faire en temps de crise et de blocage parlementaire : utiliser sa fraction de pouvoir institutionnel – certes limité – pour forcer une confrontation ouverte sur le programme et clarifier les positions de chaque acteur en conflit. Au contraire, Boric a préféré rééditer la « politique des accords » élitiste, par en haut et sans le peuple, qui a caractérisé le centre-gauche social-libéral de la transition (1990-2010) [6].
D'autre part, les gauches et les mouvements sociaux feraient bien de profiter de ce moment post-plébiscite pour faire une autocritique profonde de la dispersion organisationnelle qu'impliquent les luttes sectorielles actuelles, chacune dans sa propre sphère d'influence ou territoire, sans la construction d'un espace commun de dispute pour le pouvoir autour d'un programme transversal et indépendant de classe. Une exception notable a été le cas du féminisme développé autour de la Grève générale féministe promue par la Coordinadora Feminista 8M, qui a cherché à faire des féminismes une vision globale capable d'affronter programmatiquement et organisationnellement l'ensemble des problèmes nationaux du temps présent.
En termes classiques, ce nouveau cycle confrontera les gauches et les mouvements sociaux au problème de la construction d'une force politique à la fois radicale et unitaire, capable de frapper dans une direction commune avec comme perspective d'élargir les brèches ouvertes par la rébellion d'octobre 2019. Cela exige, en premier lieu, d'identifier les raisons pour lesquelles celle-ci n'a pas réussi à imposer, par ses propres moyens, les termes de la sortie de crise, et pourquoi elle a dû être transmutée en un processus constituant convenu et conçu par et à partir du Congrès.
Plutôt que de blâmer les « traîtres » en place qui auraient perverti la puissance de la révolte sociale, cette clôture du cycle nous oblige à réfléchir à nos propres carences : une dispersion des revendications sociales sans référence au fil rouge stratégique des causes structurelles de la crise du capitalisme néolibéral chilien/mondial, un archipel d'organisations sans activité commune autre que la mobilisation de rue, une déconnexion entre les noyaux militants et la masse mobilisée, et la persistance de modes d'organisation artisanaux qui n'ont pas su tirer parti de l'irruption massive et populaire de la révolte par la création de nouveaux référents politiques alternatifs avec une présence nationale.
Si la principale menace qui pèse aujourd'hui sur le camp populaire est bien la montée de l'extrême droite, il s'agit d'identifier toutes les voies par lesquelles il est possible d'arrêter net ce processus régressif accéléré. Nous pensons que cela passera principalement par la résurgence de revendications unitaires qui puissent sortir la classe travailleuse chilienne de la précarité généralisée qu'elle connaît, et par la constitution d'une force politique large qui relie ces solutions à une histoire de luttes, à 50 ans du coup d'État du 11 septembre 1973.
L'objectif reste de rompre avec le régime politique et économique dominant, hérité de la dictature, tout en tirant des leçons de l'échec du Frente Amplio à le faire. Si Kast et d'autres expressions néo ou post-fascistes représentent une « sortie de crise » avec des caractéristiques conservatrices, autoritaires et nationalistes qui renforceraient le régime, alors la voie pour les gauches et les mouvements sociaux devra être celle du conflit de classe dans une perspective anticapitaliste, féministe et éco-socialiste, visant à démonter les causes profondes de la crise, tout en résolvant ses symptômes les plus immédiats avec des solutions politiques concrètes et matérielles à court terme.
Sans cette combinaison, l'extrême droite et les héritiers du pinochetisme continueront à avoir les coudées franches pour convaincre les secteurs populaires que le progressisme actuel n'est pas de leur côté, et que la seule solution serait de leur confier les rênes de l'État.
*
Publié initialement sur Jacobin América Latina.
Traduit de l'espagnol (chilien) par Contretemps Web.
Illustration : Photographie de Janitoalevic : Un Chilien avec une banderole « contre » le plébiscite constitutionnel de 2023 (WikiCommons)
Notes
[1] Cf. https://www.contretemps.eu/victoire-extreme-droite-chili-kast-boric
[2] Cf. https://www.contretemps.eu/chili-rechazo-nouvelle-constitution-boric-gauche-neoliberalisme/
[3] Cf. https://www.contretemps.eu/de-quoi-milei-est-il-le-nom/
[4] Cf. https://www.contretemps.eu/chili-boric-president-ancien-nouveau/
[5] Cf. https://www.cadtm.org/Franck-Gaudichaud-Regardons-le-Chili-pour-comprendre-dans-quel-monde-on-veut
[6] Antoine Faure, Franck Gaudichaud, María Cosette Godoy H., Fabiola Miranda P., René Jara (dir.), Chili actuel : gouverner et résister dans une société néolibérale, Paris, L'Harmattan, 2016.
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Chiapas : (les) trente ans d(e l)’insurrection !
Le 1er janvier 1994, les puissants de ce monde se réveillèrent sceptiques, incrédules, et peut-être, pour les plus lucides d'entre eux, vaguement inquiets... C'est que la permanence de la révolution venait de leur sauter aux yeux !
Hebdo L'Anticapitaliste - 689 (04/01/2024)
Par Louison Le Guen
Crédit Photo
DR
À zéro heure entrait en vigueur l'ALENA, l'accord de libre-échange nord-américain qui devait aligner le Mexique sur ses puissants voisins du Nord. Le dicton ne dit-il pas « pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des États-Unis d'Amérique ! » ? Ainsi étaient condamnéEs à encore plus de misère les petits paysanEs centro-américainEs, parmi lesquels une grande proportion des communautés indiennes du Chiapas, assignées à l'exil et/ou à l'emploi dans les maquiladoras de la frontière !
À zéro heure trente, alors que tout semblait se passer pour le mieux pour le capital, voilà qu'une armée de gueux investissaient les plus grandes villes des Chiapas, dont la très symbolique San Cristobal de las Casas ! Il fallut bien alors, pour le gouvernement mexicain, se rappeler ce territoire et ses habitantEs, tenter de résoudre la question... et négocier avec l'EZLN (Ejército zapatista de liberación nacional) !
Autonomie, démocratie, bon gouvernement !
Bien entendu, le gouvernement s'abandonna à la tentation militariste, qui provoqua la mort de plus de 500 personnes. Sauf que... investir militairement la forêt chiapanèque, pour en déloger un ennemi invisible, indissociable d'une population indigène très largement acquise à la cause, immédiatement soutenu par tout ce que le Mexique comptait alors de forces progressistes, entouré de la solidarité internationale qui ne demandait qu'à s'enflammer pour ces révolutionnaires arméEs en cagoule, s'avéra un défi hors de portée d'un gouvernement déjà bien fragile.
Il fallut donc négocier : ce furent les accords de San Andrès (1996). Même s'ils ne furent jamais appliqués, il s'agissait d'une victoire éclatante pour ce qui devint le FZLN, qui sut combiner de façon audacieuse des apparitions armées, un ancrage dans la société réelle des indigènes et non indigènes des zones les plus pauvres et des démonstrations de force politiques au cœur même de la capitale.
Puis, face aux atermoiements du gouvernement, à la pression militaire, aux exactions des paramilitaires, le FZLN décida de mettre en œuvre directement ce qu'il ne pouvait faire inscrire dans la loi. Il mit en place dans les zones qu'il contrôlait des structures politiques démocratiques et égalitaires, dont le Monde diplomatique disait en 2017 qu'« à cette échelle et sur cette durée, l'aventure zapatiste est la plus importante expérience d'autogouvernement collectif de l'histoire moderne ».
Une autre mondialisation, celle de la lutte !
Si le mantra des Zapatistas — « Mandar obedeciendo ! » (commander en obéissant) — reste d'actualité, si la volonté de changer le monde sans prendre le pouvoir persiste, l'application à s'entourer du soutien des progressistes du monde entier ne s'est jamais démentie, depuis la première Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme qui réunit, en 1996, 5 000 personnes de 42 pays, jusqu'à la récente tournée européenne d'une délégation zapatiste — notamment présente à Notre-Dame-des-Landes — venue à la rencontre des résistances et des rébellions du continent, afin de tisser le réseau planétaire de luttes auquel les Zapatistas appellent de longue date « afin de défendre la vie ».
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La colère et la mobilisation grandissent au Pérou
La colère et l'indignation grandissent, non seulement à cause de la corruption de la procureure générale Benavides et des accords pourris passés par le Congrès, qui ont aggravé la crise politique, mais aussi en raison de la grâce antidémocratique accordée par la Cour Constitutionnelle au voleur et assassin Alberto Fujimori (1) . Dans ce contexte, les mobilisations et la lutte se développent également et les rues s'enflamment dans les provinces de la Costa, de Sierra et de la Selva (2) .
Tiré de Quatrième internationale
4 janvier 2024
Par Súmate
Copyright
Súmate al Nuevo Perú
L'indignation se conjugue avec la crise économique profonde que subissent des milliers de Péruviens et Péruviennes, conséquence du modèle économique néolibéral défendu par la droite, la CONFIEP [la Confédération des Entreprises Privées) et entériné par la constitution fujimoriste, qui n'a fait qu'engendrer la pauvreté, la pollution et la faim.
Partie prenante du Nuevo perú por el buen vivir [Nouveau Pérou pour Vivre Bien] au niveau national, nous avons participé aux grandes journées nationales de lutte du 7D (3). Tou·te·s les militant·e·s, et en première ligne les dirigeant·e·s, et la camarade Veronika Mendoza étaient dans la mobilisation avec notre peuple. À Lima, la participation a été massive, j'irais jusqu'à dire quelle a dépassé les dix mille personnes, mais le point le plus important est qu'il y a eu des actions dans de nombreuses provinces du Pérou.
Notre organisation Súmate, courant interne de Nuevo Perú por el Buen Vivir, présente dans plusieurs régions du pays, salue l'effort et la combativité des militant·e·s, des travailleur·euses et du peuple, présent·e·s dans les manifestations pour vaincre les responsables de la crise que traverse le pays.
Qu'avons-nous obtenu et que manque-t-il pour « qu'ils s'en aillent tous » ?
La question que beaucoup se posent est : Boluarte va-t-elle tomber, le Congrès va-t-il être fermé ?
Les conditions d'une victoire sont réunies, il y a beaucoup de colère, le peuple se bat, il se mobilise, tout le monde est d'accord pour « qu'ils s'en aillent tous », mais il y a encore un manque d'unité et d'organisation.
Malheureusement, il existe des secteurs avant-gardistes ultra-sectaires qui pensent pouvoir à eux seuls vaincre les tanks, les forces armées, la police, mais tout ce qu'ils font, c'est diviser la lutte, exactement ce que souhaite la droite. Ces politiques sectaires finissent par faire le jeu du gouvernement, du Congrès et de la mafia, et dans ce même secteur se trouvent ceux qui soulèvent la question de la réintégration de Castillo, une illusion encore plus lointaine.
Mais d'autre part, toutes les organisations sociales, les syndicats, les forces de gauche, les citoyens, qui sont regroupés dans la CNUL [Direction unitaire nationale de Lutte], proposent une plus grande unité au niveau national.
Pour que le slogan « qu'ils s'en aillent tous » devienne une réalité, il est nécessaire de se regrouper dans chaque province du Pérou. Les organisations du mouvement social, sans perdre leur indépendance, doivent rejoindre la CNUL. Elles ont des critiques et il existe certainement des contradictions, mais la priorité est de vaincre cette coalition ultra conservatrice dirigée par la mafia du fujimorisme, de lancer un appel uni aux citoyens, aux quartiers organisés, aux femmes et à leurs mouvements, aux jeunes, aux étudiant·e·s, aux travailleur·euses de la campagne et de la ville. Uni·e·s comme un seul poing, organisé·e·s, nous pouvons remporter la victoire, et combattre toutes sortes de sectarismes infantiles. Ce n'est pas le moment de jouer aux « révolutionnaires », c'est le moment de s'unir et de chasser la mafia du pouvoir.
Il nous faut aussi d'un plan de lutte avec des initiatives qui créent les conditions d'une grève nationale, organisée dans chaque structure avec des assemblées pour garantir que la grève sera efficace.
N'attendons pas qu'un sauveur ou une sauveuse vienne nous apporter les solutions, soyons nous-mêmes ceux qui décideront de l'avenir du Pérou en mettant en avant une Assemblée Constituante pour enterrer la constitution fujimori, liquidatrice et corrompue.
8 décembre 2023
Publié initialement sur le site de Súmate al Nuevo Perú, traduit par Fourth.International.
Notes
1. Alberto Fujimori a été président du Pérou du 28 juillet 1990 au 22 novembre 2000. Son mandat a été marqué par une corruption de grande dimension, et par le recours à des violences militaro-policières et des tueries sous prétexte de lutte contre la guérilla du « Sentier Lumineux ».
2. Les péruviens divisent leurs pays en trois régions de l'ouest à l'est, La Costa désigne la région la plus peuplée en bordure du Pacifique ; la Sierra est la région centrale des hauts plateaux et des Andes, et la Selva est la région amazonienne.
3. La destitution du président Pedro Castillo le 7 décembre 2022 et sa substitution par la vice Dina Boluarte à la suite d'un putsch parlementaire a été suivie de manifestations massives et prolongées dans les trois régions du Pérou.
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France. Immigration : Macron chausse les bottes de l’extrême droite
Macron et son gouvernement viennent de franchir un pas spectaculaire dans l'adoption d'une politique discriminatoire, raciste et xénophobe vis-à-vis des étrangers extracommunautaires, et ce avec le soutien de l'extrême droite.
Tiré de A l'Encontre
7 janvier 2024
Par Léon Crémieux
La loi qui vient, en décembre 2023, d'être adoptée en France par un vote commun de l'alliance macroniste, du parti de droite Les Républicains (LR) et de l'extrême droite Rassemblement national (RN) est la plus régressive en France depuis celle votée il y a presque 40 ans, en 1986 (loi Pasqua – alors ministre de l'Intérieur du gouvernement de Jacques Chirac), et elle contient des aspects encore plus réactionnaires. Elle s'adapte totalement aux prémisses de l'extrême droite qui désigne les étrangers et l'immigration comme un danger, une menace pour le pays, agitant le fantasme de « la submersion migratoire », du déséquilibre économique et social créé par les immigré·e·s et amalgamant immigration, insécurité, délinquance et menace terroriste. Ces thèmes sont développés largement en Europe, mais ils le sont en particulier en France par le RN de Marine Le Pen ou par le petit parti Reconquête de Marion Maréchal [tête de liste de Reconquête pour les élections européennes] et Eric Zemmour. Depuis une vingtaine d'années, la droite traditionnelle les a, elle aussi, largement popularisés, reprenant peu à peu la propagande idéologique de Jean-Marie Le Pen et du Front national sur ces questions. Nicolas Sarkozy, au début des années 2000, avait notamment essayé de cliver la société française en introduisant un débat sur « l'identité nationale », intégrant même ce concept dans l'intitulé du ministère de l'Intérieur, désigné comme « Ministère de l'Intérieur et de l'identité nationale », cela selon l'idée d'un de ses conseillers, Patrick Buisson, issu de l'extrême droite « nationaliste révolutionnaire » des années 1970.
Macron et son gouvernement ont donc eux aussi emprunté ces chemins fangeux tout en pensant au départ faire une manœuvre parlementaire pour déstabiliser le parti des Républicains. La manœuvre s'est transformée en boomerang contre le camp présidentiel.
Au début de son second mandat, à l'été 2022, Macron et son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, annonçaient la présentation d'une nouvelle loi sur les conditions d'entrée et de séjour, centrée sur le droit d'asile, trois ans à peine après celle qu'il avait fait voter en 2019. Assimilant explicitement délinquance et demandeurs d'asile, le but annoncé était de lutter pour « prévenir les flux migratoires non européens », « accélérer les procédures pour les demandeurs d'asile » et les « procédures d'expulsion », tout autant de thèmes réactionnaires classiques. Le but essentiel était surtout, alors que les préoccupations essentielles de la population étaient l'inflation, la crise du système de santé et les menaces contre les retraites, d'essayer de polariser le débat public sur cette question en brandissant « l'insupportable menace migratoire » et, une fois de plus, de rendre les immigrés responsables de la situation sociale des classes populaires. Le but affiché par Gérald Darmanin était de « rendre la vie impossible aux migrants ». Son profil affiché avec morgue était même celui d'un « Monsieur plus » se vantant d'être plus dur que l'extrême droite contre les immigrés parlant, avec une pointe de sexisme, de la « mollesse » de Marine Le Pen et de « l'incapacité de Giorgia Meloni à régler les problèmes migratoires ». Ce projet de loi fut combattu dès son origine par le mouvement social et la gauche, avec le collectif Unis contre l'immigration jetable (UCIJ) rassemblant 800 collectifs et associations (notamment des centaines travaillant au jour le jour pour l'accueil et la solidarité avec les sans-papiers et les demandeurs d'asile), avec le soutien des Verts, de LFI et de la gauche radicale, dont le NPA [1].
Depuis les élections de juin 2022 où Macron est sorti sans majorité parlementaire ni d'alliance avec d'autres partis, lui et son gouvernement ont dû négocier texte de loi après texte de loi avec les autres partis, essentiellement le parti de la droite traditionnelle gaulliste, Les Républicains (LR). Ainsi ceux-ci ont voté, au coup par coup, les deux tiers des lois présentées par le gouvernement entre juin 2022 et juin 2023. Darmanin avait donc ouvert la porte à un dialogue avec les LR sur sa loi. La montée en puissance de la mobilisation contre la réforme des retraites au printemps 2023 obligea le gouvernement à mettre de côté le débat sur ce projet de loi. Les LR, de leur côté virent dans le débat sur cette loi l'occasion de reprendre une place dans le débat politique. Les Républicains ont été ramenés à une place de supplétif de Macron par le résultat des élections législatives de juin 2022 – 62 députés sur 577, une perte de 51 sièges –, derrière le Rassemblement national [89 députés] et la France insoumise [75 députés], et ont du mal à exister comme force indépendante, coincés entre Macron et le Rassemblement national. D'ailleurs, de nombreux responsables macronistes sont des transferts des LR et Nicolas Sarkozy a plusieurs fois appelé le parti qu'il a longtemps dirigé à s'allier avec Macron. Dès lors, LR a tenté au printemps 2023 une opération politique en présentant eux-mêmes deux lois d'attaques contre l'immigration et les étrangers vivant en France. Considérant que c'est le seul terrain où ils pouvaient faire entendre une voix différente de Macron, leurs projets de loi reprenaient sans problème les principaux éléments du programme du Rassemblement national, notamment en adoptant la « préférence nationale », la discrimination des droits sociaux pour les étrangers non communautaires avec la diminution des droits aux prestations sociales, en revenant sur « le droit du sol » pour les enfants nés en France, introduisant de nouveaux obstacles à l'adoption de la nationalité française, avec une répression plus forte et des expulsions plus rapides des étrangers sans-papiers. Les LR avaient depuis un an développé une campagne obsessionnelle contre la submersion migratoire, l'invasion des migrants, le coût exorbitant de l'immigration, se faisant largement plus entendre que l'extrême droite sur la question.
La pression idéologique croissante de l'extrême droite
La France si elle a été de longue date un pays d'immigration avec des législations ouvertes a, depuis les années 70 du XXe siècle, fortement durci les droits à l'entrée et au séjour. Encore marqué par l'acquisition de la nationalité par le droit du sol, le pays pratique le grand écart entre un affichage d'accueil et des pratiques de plus en plus fermées. Cela est vrai pour l'immigration, comme pour l'accueil des réfugié·e·s. D'ailleurs, la France avec 7,7% d'étrangers sur son sol, affiche un pourcentage inférieur à la moyenne européenne (8,4%), à côté des 8,7% présents en Italie et en Suède, de 11 à 13% dans l'Etat espagnol, l'Allemagne et la Belgique. On est bien loin de « l'appel d'air », de la « politique trop généreuse » brandis par le gouvernement et ses nouveaux amis.
Concernant les réfugiés, la guerre a mené, notamment en 2014 et en 2015, à l'exode des réfugié·e·s de Syrie. La réalité est que sur les 6,8 millions d'exilé·e·s, la plupart sont restés en Turquie, en Jordanie et au Liban. Seuls 17%, un peu plus de 1 million, ont déposé une demande d'asile dans l'Union européenne, la France a enregistré 2,2% de ces 17%… autour de 25 000 ! Concernant les Afghans, l'effort a été un peu plus important avec, en France 8% des réfugié·e·s afghans présents en Europe. De même, si les réfugiés ukrainiens sont au nombre d'environ 4,6 millions dans l'UE et 120 000 en France, et si personne ne s'est insurgé contre la venue d'une population qui a « la chance » de ne pas être de culture musulmane, là encore le chiffre n'est pas du tout à la mesure du poids économique (17%) et démographique (15%) de la France en Europe. Le discours prétentieux de Macron et autosatisfait sur « la part de la France dans l'accueil des réfugiés » est hors de propos. D'autant plus que, concernant les demandes d'asiles, la France présente un des taux de protection les plus faibles d'Europe. Autour de 70% des demandes d'asiles sont refusées pour l'octroi d'un statut de protection (celui de réfugié ou de protection subsidiaire) amenant les demandeurs d'asile à des situations de séjour irrégulières, précaires et au péril d'une reconduite à la frontière.
Les dirigeants européens comme français vivent dans un déni schizophrénique concernant les migrations internationales. Celles-ci sont un phénomène humain naturel et inéluctable dans l'histoire passée et actuelle de l'humanité, phénomène auquel les Européens eux-mêmes ont participé et participent encore et qui touche beaucoup plus d'ailleurs aujourd'hui l'Afrique et le Moyen-Orient que l'Europe. Mais les réactionnaires cherchent à en faire une question de « guerre des civilisations », « d'invasion barbare », de « submersion démographique ». Il est vrai malheureusement que les guerres et les changements climatiques vont accentuer les phénomènes migratoires, encore une fois sans que l'Union européenne en soit la première destination. Le déni de l'UE est évidemment qu'elle est un des principaux responsables des changements climatiques, directement par la pollution de l'environnement et indirectement par les groupes capitalistes industriels et commerciaux européens. Elle entretient des rapports néocoloniaux avec les pays du Sud amenant une partie de ses ressortissants à quitter leur habitat. Sa politique extérieure est aussi responsable de conflits et de guerres ouvertes avec leurs catastrophes humaines. Mais l'UE veut entraver les courants migratoires faisant courir des dangers extrêmes à des centaines de milliers d'hommes et de femmes, amenant à la mort des dizaines de milliers d'êtres humains sur les chemins des migrations.
L'autre déni est que la France et l'UE dans son ensemble organisent eux-mêmes l'immigration internationale qui est en grande partie légale, car elle est partie prenante du système économique et social européen. Ainsi, en 2022 pour 340 000 entrées de sans-papiers dans l'Union européenne, il y a eu 3 millions et demi d'entrées légales. Et, au-delà de la démagogie réactionnaire purement idéologique, trois réactions en France suite au vote de la loi ont été caractéristiques : celle de 3500 médecins dont des urgentistes, celle des présidences des grandes universités et des directions des grandes écoles et celle du président du MEDEF-Mouvement des entreprises de France, Patrick Martin. Les médecins s'insurgent contre la menace de suppression de l'Aide médicale de l'Etat (AME) et s'engagent publiquement à continuer à soigner gratuitement les sans-papiers si l'AME est supprimée, par respect du « Serment d'Hippocrate » enjoignant de soigner toute personne malade et par un souci de santé publique. Les présidences d'universités et les directions des grandes écoles s'insurgent contre le système de « caution de retour », existant déjà dans d'autres pays européens (une somme que devront consigner les étudiant·e·s étrangers sur leur compte bancaire avant d'arriver en France) et contre la limitation des aides sociales que devront désormais subir les étudiants étrangers, au prétexte du fantasme des « faux étudiants profiteurs des systèmes sociaux ». Il y a aujourd'hui, autour de 400 000 étudiant·e·s étrangers en France, 13% des effectifs. Ils et elles sont un pilier du système universitaire, notamment dans les grandes écoles, et participent de sa vitalité et évidemment aussi d'une internationalisation de la formation universitaire, avec parmi les étudiant·e·s 70 000 doctorant·e·s… bien loin des fantasmes xénophobes des faux étudiants, obsession d'Eric Ciotti, président des LR et de Darmanin.
La dernière réaction est venue de Patrick Martin, disant que « sauf à réinventer notre modèle économique », il faudra, dans les années à venir, 3,9 millions de travailleurs étrangers supplémentaires en France, et une proportion au moins équivalente dans le reste de l'Union européenne. Car, aux antipodes des porte-parole des LR et du RN, le patronat connaît une réalité proclamée depuis longtemps par les économistes de l'OCDE : les populations étrangères, migrantes, loin d'être une charge financière pour les pays d'accueil, présentent, dans tous les pays de l'OCDE, un « bilan net » excédentaire dans les budgets des pays d'accueil. Dans le concert d'inepties des derniers mois, un député du RN a repris un article du quotidien de droite Le Figaro titrant que l'immigration « coûtait plus qu'elle ne rapporte » [article de Jean-Paul Gourévitch, essayiste bavard qui nourrit l'extrême droite] et citant un montant de 53,9 milliards. D'autres chiffres ont été cités, mais avec toujours en point commun l'idée que les étrangers viennent profiter du système social, vivant sur les prestations sociales et l'assurance chômage. La réalité des études exhaustives faites par l'OCDE en 2021, portant sur la période 2006/2018 (Perspectives des migrations internationales 2021, Ana Damas de Matos, OECD i LIBRARY) est que dans les 25 pays étudiés, la contribution budgétaire nette est toujours comprise entre -1% et +1% du PIB, avec un bilan excédentaire moyen de 10 milliards d'euros par an pour la France durant cette période. Au-delà de ces comptes, la réalité évidente est que les étrangers participent évidemment à la vie économique du pays où ils se trouvent, souvent en Europe avec un travail moins bien rémunéré et des conditions de travail plus difficiles. Ces difficultés viennent à la fois des difficultés de régularisation pour certains et du climat de discrimination qui rend l'accès à l'emploi plus difficile, pour les étrangers mais aussi pour les descendants d'étrangers de 2e voire de 3e génération. Entretenir ce climat de racisme est donc évidemment une arme patronale. Mais le patronat des secteurs qui par définition ne peuvent délocaliser leur activité, comme le transport, la logistique, l'hôtellerie, le bâtiment, les métiers du soin, fait très souvent appel à des travailleurs et travailleuses étrangers ou issus de l'immigration.
Et la réalité européenne est aussi que la courbe démographique est sur un trend désormais partout descendant, hors solde migratoire, la France n'échappant pas à cette tendance. Aussi, derrière le discours des droites plus ou moins extrêmes qui servent à diviser les classes populaires et les distraire des véritables responsables des politiques de casse sociale, il y a évidemment une réalité incontournable que non seulement l'immigration n'est pas un coût mais que vouloir l'entraver serait créer un déséquilibre social et économique dans les prochaines décennies. De fait, les processus migratoires et de délocalisations doivent être inscrits et compris en les replaçant dans l'actuelle phase de mondialisation de « l'armée de réserve industrielle », sous ses diverses composantes. L'hypocrisie des classes dominantes est donc de soutenir le plus souvent le discours des droites extrêmes, de le cultiver dans leurs médias écrits et audiovisuels, fantasmant sur « l'appel d'air » que représenterait la moindre régularisation de sans-papiers et, en même temps, de penser le présent et le futur en intégrant la réalité du maintien d'un apport migratoire. Politique utilitariste, hypocrite qui prive des millions d'hommes et de femmes des droits sociaux et des conditions de vie décentes, qui maintient des discriminations et les violences policières dans les quartiers populaires où vivent beaucoup d'enfants issus de l'immigration, mais qui maintient néanmoins les filets d'immigration indispensables à « l'équilibre » économique et social.
Cette politique est encore plus grave concernant les migrants, les sans-papiers qui tentent de joindre l'Europe par la Méditerranée ou les frontières continentales. La droite, l'extrême droite et leurs relais médiatiques parlent de submersion, là où les chiffres donnent une autre réalité : il y a entre 4 et 5 millions de sans-papiers en Europe, à partir des données gouvernementales, soit moins de 1% de la population totale… La moitié vivant en Allemagne et en Grande-Bretagne : autour de 700 000 en France, de 500 000 à 700 000 en Italie. Mais le fantasme de la submersion, la propagande xénophobe et raciste justifient un traitement inhumain pour celles et ceux qui veulent venir en Europe. Des dizaines de milliards sont dépensés pour sécuriser, contrôler les frontières, refouler les arrivants, négocier avec des pays africains ou du Proche-Orient pour bloquer les passages. Ces montants sont à comparer avec les faibles sommes accordées pour l'accueil, le logement et les aides à fournir aux populations migrantes. Les réfugié·e·s d'Ukraine ont été la seule population à bénéficier du « statut de la protection temporaire », accordé par le Conseil de l'Union européenne. Notamment en France, ils ont donc été les seuls à bénéficier de conditions d'accueil correctes : permis de séjour immédiat, accès au marché du travail et au logement, assistance médicale et accès des enfants à l'éducation, droit d'ouvrir un compte bancaire. Ces droits devraient évidemment bénéficier à toute personne demandeur d'asile venant de Syrie, d'Afghanistan ou d'ailleurs.
Darmanin et Macron pris au piège
Donc, concernant la poursuite des débats autour de cette loi au printemps 2023, Les Républicains, dans leurs projets de loi contre l'immigration présentés en mai 2023, voulaient aussi une modification de la Constitution pour que la France puisse déroger au droit européen concernant les obligations vis-à-vis des demandeurs d'asile, et s'opposer à toute régularisation de sans-papiers dans les métiers dits « en tension » (hôtellerie notamment), ce que proposait Darmanin dans son projet de loi. De plus, ils voulaient aussi supprimer l'Aide médicale de l'Etat (AME) qui permet à un étranger sans-papiers de disposer d'un accès aux soins pris en charge par la Sécurité sociale dans le système hospitalier (360 000 personnes en ont bénéficié en 2023). Darmanin et le gouvernement étaient opposés à cette suppression.
LR, bénéficiant toujours d'une majorité au Sénat, pensaient pouvoir faire une forte pression pour obliger Darmanin et Macron à venir sur leur terrain. Darmanin, de son côté, comptait en adoptant quelques-unes des mesures proposées par les LR amener au moins une partie de leurs députés à voter son projet, affaiblissant davantage encore les LR à l'Assemblée. Ce jeu politicien sordide sur le dos des étrangers servait aussi à Darmanin pour essayer de trouver sa place dans la course à la succession présidentielle de Macron en 2027.
Le projet de loi de Darmanin fut donc mis en veilleuse jusqu'à la rentrée de 2023. Là encore, après 6 mois de mobilisations massives sur les retraites, après les révoltes des quartiers populaires durant l'été face aux violences et aux meurtres de jeunes par la police, le gouvernement voulait stigmatiser la population issue de l'émigration et étouffer les préoccupations sociales prépondérantes au sein de la population : pouvoir d'achat, santé, logement, environnement… préoccupations apparues clairement dans les mobilisations sociales, et même dans des sondages récents (institut IPSOS septembre 2023 par exemple où l'immigration n'apparaît comme préoccupation des sondé·e·s qu'en neuvième position). L'hyperbolisation des questions migratoires dans l'arsenal médiatique de la droite extrême et des dirigeants réactionnaires a maintenu un climat nauséabond visant à mêler immigration, insécurité et islamisme et faire de cet amalgame la question politique principale, cela avec l'aide prépondérante du réseau de médias et de presse écrite qui sont aux mains des principaux capitalistes français, en premier lieu la galaxie médiatique aux mains de Bolloré… Cette question a en effet occupé le terrain du débat public de septembre à décembre, mais pas avec l'issue voulue par Macron et son gouvernement.
Espérant manœuvrer comme sur certains autres dossiers, le timing du gouvernement était simple. Le débat commençait par un vote au Sénat début novembre où Les Républicains amendèrent le projet de Darmanin avec toutes leurs mesures empruntées à l'extrême droite. Ensuite la commission des lois de l'Assemblée, où les équilibres donnaient une majorité relative au gouvernement, nettoya, début décembre, le projet de loi, le ramenant à sa version de départ, une version réactionnaire mais écartant de nombreux ajouts du Sénat (par exemple sur la suppression de l'AME, sur des délais de 5 ans de séjour régulier pour obtenir les prestations sociales, sur les régularisations dans les métiers « en tension »). Ensuite, logiquement, le jeu des abstentions aurait dû permette à Elisabeth Borne et à Darmanin de faire passer la loi, article après article, en comptant sur des apports de votes venant des Républicains et des abstentions venant du Parti socialiste, selon les articles de loi.
C'est là que la mécanique s'est grippée. Les écologistes, opposés à la loi avec tous les groupes de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale), déposèrent une motion de rejet permettant de bloquer à l'Assemblée l'examen de la loi. Le 11 décembre, contre toute attente, cette motion fut adoptée majoritairement par le vote de la NUPES, mais aussi des 2/3 des députés LR et du RN : 270 voix pour le rejet et 265 voix contre. Le piège s'est alors refermé sur Darmanin et son gouvernement. Il ne pouvait plus y avoir de vote article par article à l'Assemblée à partir de la version du gouvernement. Macron avait le choix entre le retrait pur et simple de son texte ou une nouvelle tentative de compromis par une écriture commune d'un nouveau texte entre députés et sénateurs (dans une commission mixte paritaire-CMP) avec, ensuite, un vote bloqué de chacune des deux chambres sur le même texte. Après avoir subi un échec cuisant, mis pour la première fois en minorité à l'Assemblée, Macron refusa de reconnaître son échec en retirant la loi. Il préféra mettre la loi dans les mains des Républicains, puisque l'écriture d'un texte commun n'était possible, dans cette CMP de 14 membres (7 députés et 7 sénateurs), que par un accord entre les 5 macronistes et les 5 républicains et centristes de droite. En réalité, le nouveau projet fut négocié directement entre la Première ministre, Elisabeth Borne et la direction des Républicains.
Le texte qui fut, au final, voté par l'Assemblée et le Sénat est donc une copie très proche des positions des LR, inspirés du Rassemblement national. Ces derniers, sans avoir participé à la moindre négociation, et même affiché jusqu'au bout leur hostilité à un projet qu'ils trouvaient trop modéré, saisirent au final l'effet d'aubaine de s'afficher en votant pour un texte largement inspiré de ses positions, créant un tollé général. C'est sans précédent depuis 40 ans que des forces traditionnelles votent le même texte que l'extrême droite concernant l'immigration. De plus la Première ministre Elisabeth Borne s'est engagée formellement à un vote parlementaire de révision de l'Aide médicale de l'Etat. Alors que Macron et Darmanin espéraient que cette loi permettrait un « coup » politique en fracturant Les Républicains et en isolant le RN sur son propre terrain de prédilection, l'issue en a été inverse : le RN apparaît comme le vainqueur politique d'une loi qui reprend ses obsessions xénophobes et adopte la préférence nationale, les discriminations pour les prestations sociales et durcit les conditions de naturalisation. Les LR, grâce à leur contrôle du Sénat, sortent renforcés et, par contre, les macronistes sortent, eux, affaiblis et divisés : seuls 131 députés sur 171 ont voté pour cette loi, 20 ont voté contre et 17 se sont abstenus, les « jeunes avec Macron » ont désavoué cette loi et le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a démissionné de son poste.
L'urgence d'une riposte à gauche
Le faible rapport de force dont disposait Macron après sa deuxième élection avait déjà été battu en brèche par la formidable mobilisation en défense des retraites, puis par les révoltes des quartiers populaires au début de l'été. Le gouvernement apparaît désormais comme le simple otage de la droite et de l'extrême droite.
Du côté de la gauche et de la NUPES, malheureusement, ce glissement vers l'extrême droite a du mal à créer le sursaut nécessaire. Le gouvernement, secondé par une lancinante campagne de presse multiforme, a tout fait depuis un an pour discréditer la NUPES apparue comme la première force d'opposition lors des élections, et en tout premier lieu La France insoumise (LFI), ostracisée et diabolisée par Macron et Borne comme étant « sortie de l'arc républicain » (suite, notamment, à ses positions lors des révoltes des quartiers populaires et sur les meurtres commis par les policiers), alors que le tapis tricolore était déroulé sous les pas du RN. Une pression maximale s'est donc exercée pour pousser à l'éclatement de cette alliance qui n'a jamais su dépasser le statut d'un intergroupe parlementaire. Les composantes de la NUPES, pour diverses raisons ont, elles-mêmes, toujours refusé la construction d'une force politique populaire nationale, structurée dans les villes et les quartiers. Malgré les positions convergentes de ses composantes en soutien à la mobilisation pour les retraites, aucune dynamique politique ne fut créée à cette occasion. Depuis plusieurs mois, c'est la question électorale des européennes de 2024 qui a vu les tendances centrifuges amener la NUPES à la paralysie et à son éclatement de fait, les partis alliés à LFI refusant la présentation d'une liste unitaire, notamment pour ne pas reprendre le programme radical de la NUPES sur l'Union européenne. Malgré de larges convergences unitaires du mouvement syndical et associatif contre les violences policières et plus récemment pour exiger un cessez-le-feu immédiat à Gaza face au massacre perpétré par l'armée israélienne, l'opposition de gauche à Macron apparaît aujourd'hui incapable de construire un réel rapport de force politique et social unitaire. Malgré tout, le vote de décembre a entraîné un haut-le-cœur de dizaines de milliers de militant·e·s voyant l'extrême droite dicter la politique gouvernementale. En avril 2022, les votes pour Macron contre Le Pen venaient pour moitié d'électeurs de gauche voulant faire barrage au Rassemblement national.
Autour des appels de la coalition « Unis contre l'immigration jetable », des milliers de personnes ont défilé dans les rues de plusieurs villes. Mais l'enjeu de ce début d'année 2024 va être de construire une force et des mobilisations populaires unitaires à la hauteur des exigences sociales et de la menace de l'extrême droite. (Article reçu le 31 décembre 2023)
[1] Des dizaines et dizaines de collectifs, organisations, syndicats, etc. appellent à une mobilisation le 14 janvier sur la base de l'appel ci-dessous :
« Retrait de la loi asile immigration ! »
Mobilisation nationale dimanche 14 janvier 2024 contre la loi Darmanin
La loi asile immigration marque un tournant que nos collectifs, associations, syndicats, organisations ne peuvent accepter. Elle reprend de nombreuses idées de l'extrême droite comme la préférence nationale et aura des conséquences terribles sur la vie de centaines de milliers d'habitant·es étranger·es sur le sol français [1]. Il s'agit de la loi la plus régressive depuis 40 ans. Cette loi raciste et xénophobe restreint le droit au séjour, accentue considérablement la répression, s'attaque au droit d'asile, au droit du sol, aux étranger·es malades, aux étudiant·es non européen·nes, au regroupement familial. L'attaque contre l'hébergement d'urgence, le durcissement de l'accès aux prestations sociales dont les allocations familiales et les aides aux logements vont jeter des familles à la rue ou dans les bras de marchands de sommeil, particulièrement les femmes migrantes.
Cette loi va précariser davantage les travailleuses et travailleurs, les lycéen·nes, les étudiant·es avec ou sans-papiers.
L'arbitraire préfectoral est encore renforcé, refoulement aux frontières, délivrance systématique des OQTF [obligation de quitter le territoire français] et IRTF [interdiction de retour sur le territoire français] et allongement de leur durée, notamment pour les travailleuses et les travailleurs. Cette loi s'attaque aux libertés publiques, bafoue les droits fondamentaux tels que le droit d'asile, réinstaure la double peine et fait honte à la France, qui prétend défendre les valeurs d'égalité entre toutes et tous. Nous exigeons donc le retrait de cette loi.
Nous appelons :
. À soutenir toutes les luttes pour la régularisation des sans-papiers, notamment les grèves
. À empêcher l'application de cette loi en multipliant les actions de solidarité et en faisant œuvre de désobéissance civile
. À manifester massivement sur tout le territoire le dimanche 14 janvier, pour empêcher que cette loi soit promulguée, combattre le racisme, la xénophobie et défendre une politique migratoire d'accueil et de solidarité.
Le 3 janvier 2024
[1] Dans Le Monde du 3 janvier 2024, Elvire Guillaud et Michaël Zemmour (tous deux économistes et membres du Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques de Sciences Po), dans la rubrique Débats, écrivent : « Aussi, si la loi était appliquée, des personnes affiliées à la Sécurité sociale par leur travail et à ce titre assujetties à la CSG [contribution sociale généralisée affectée à la protection sociale] et aux cotisations sociales ne pourraient pas bénéficier des prestations comme l'ensemble des assurés… Par-delà les ruptures politiques, la mise en œuvre de la réforme conduirait à appauvrir durablement des dizaines de milliers de familles et d'enfants, français ou non (puisque la loi retient la nationalité des parents, et non des enfants, comme critère d'exclusion). Une mère célibataire de trois enfants, en raison de sa nationalité, pourrait par exemple voir ses revenus mensuels diminuer de 319 euros au titre des allocations familiales et de 516 euros au titre des aides au logement, contrairement à sa voisine ou collègue vivant dans les mêmes conditions et soumise aux mêmes prélèvements. Un couple d'actifs avec un enfant de 6 ans et un enfant de 6 mois se trouverait privé d'allocations familiales (140 euros) et de la prestation d'accueil du jeune enfant (182 euros). » (Réd.)
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Est-il possible de vaincre la Russie ? « L’Occident doit faire face à la réalité en Ukraine » dit Nina Khrushcheva
Democracy Now, 4 janvier 2024
Traduction, Alexandra Cyr
Nermeen Shaikh : Mercredi (le 3 janvier 2024), l'Ukraine et la Russie ont procédé à un échange de 500 prisonniers, le plus important depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie il y a presque deux ans. 230 Ukrainiens ont été échangés contre 248 Russes. Les Émirats arabes unis ont aidé à ce résultat par leur médiation. Cela est intervenu après que le Président ukrainien, V. Zelensky eut déclaré que la Russie avait lancé 500 missiles et drones contre son pays en seulement cinq jours. Il a fait ce discours mardi (le 2 janvier 2024) : « Depuis le début de la journée nous avons reçu presque 100 missiles de tous types. Leur trajectoire avait été spécifiquement programmée pour qu'ils fassent un maximum de dommages. C'est absolument une terreur consciente ». Pendant ce temps, le Président russe V. Poutine annonce une intensification de ses attaques suite à celles de l'Ukraine contre la ville russe de Belgorod qui a fait 25 victimes dont cinq enfants samedi. Il s'est exprimé lors d'une rencontre avec des soldats blessés dans un hôpital de Moscou : « Nous aussi nous voulons la fin de ce conflit et aussitôt que possible, mais selon nos conditions. Nous ne voulons pas combattre indéfiniment mais nous n'allons pas retraiter de nos positions non plus ».
Amy Goodman : Le mois dernier, le New York Times rapportait que le Président Poutine avait informé via ses intermédiaires dans les coulisses, qu'il était ouvert à un cessez-le-feu en Ukraine. Pour discuter plus à fond, nous rejoignons à Moscou, Mme Nina Khrushcheva, professeure d'affaires internationales à la New School. Elle est l'arrière-petite fille de l'ancien dirigeant soviétique, Nikita Kruschev. Elle est l'autrice de : The Lost Khruchev : Journey into the Gulag of Russia Mind, et co-autrice de : In Putin's Footsteps : Searching for the Soul of an Empire Across Russia's Eleven Time Zones. Son plus récent article est intitulé « The West Must Face Reality in Ukraine » et est paru dans Project Syndicate.
Professeure Khrushcheva soyez la bienvenue sur Democracy Now. Commençons par le plus récent. La semaine dernière, V. Poutine a intensifié ses attaques contre l'Ukraine, à un point encore jamais vu depuis le début de cette guerre. Le New York Times rapportait qu'il serait prêt à un cessez-le-feu. Et ensuite nous voyons cet échange de prisonniers, le plus important au cours de cette guerre. Pouvez-vous nous situer tout cela ?
Nina Khrushcheva : Merci et bonjour. Ce ne sont pas des incidents liés entre eux. Les attaques contre l'Ukraine sont les plus importantes depuis le début (de la guerre). En quelque sorte elles suivent celles très importantes de la semaine dernière ou des deux dernières semaines contre le territoire russe. Car les forces ukrainiennes y ont aussi lancé, je pense, 300 missiles en une journée. Donc c'est l'escalade. Et c'est parce que, comme nous l'avons si souvent entendu, la contre-offensive ukrainienne n'a pas donné les résultats escomptés. Puis, l'aide américaine et européenne est ralentie. L'Ukraine devait démontrer qu'il se bat. Et, bien sûr, comme chaque fois, V. Poutine et les Russes ont riposté. C'est ce que nous avons vu.
Comme le New York Times l'a rapporté, il y des signaux pour des négociations. Mais ce n'est pas ainsi que nous voyons les choses ici, qu'il ait donné quelques signaux ou fait des clins d'œil. Depuis le début V. Poutine a été très clair : la Russie va atteindre ses objectifs et maintenant plus que jamais, alors que ses forces occupent encore certains territoires. L'Ukraine a pu en reprendre quelques -uns mais la Russie en détient beaucoup. Il parlait de la réalité du terrain. Oui, il a donné quelques signaux mais en disant : « tant que nous négocions selon mes conditions, je suis d'accord ».
Quant à l'échange de prisonniers, en effet il n'y en avait pas eu depuis un bon moment. C'est un élément particulier de la guerre. Déjà, en 2014, quand la Russie a annexé la Crimée, et qu'il y avait une certaine activité militaire (il y en a eu un). Cette fois ce fut beaucoup mieux. Dans ce cas, ils ont vraiment tenté de suivre les lois de la guerre, les règles de la guerre.
N.S. : Professeure Khrushcheva pouvez-vous nous en dire plus sur l'échange de prisonniers de guerre, qu'elle est son importance ? Je ne sais pas ce qui est connu du nombre de prisonniers russes qui sont en Ukraine, mais selon ce que l'on dit, il y aurait des milliers, plus de 4,000 soldats ukrainiens en captivité en Russie. Pourriez-vous aussi nous dire ce que vous savez de la situation militaire russe en ce moment ? Certains rapports semblent dire qu'un grand nombre des soldats.es, ceux et celles de l'avant-guerre, de l'avant invasion ont été tués.es ou blessés.es et que maintenant, la plupart des membres de l'armée russe qui se battent en Ukraine sont d'anciens.nes concrits.es des gens qui ont été appelés.es et qui ne sont pas très bien entraînés.es. Est-ce exact ?
N.K. : Pas complètement. (…) nous ne savons pas combien de milliers. Il y a des prisonniers des deux côtés en ce moment. Et il y a toujours des échanges de prisonniers. Mais je vous préviens, je ne suis pas une experte (en ces matières). Mais ce que je peux constater, ces échanges de prisonniers sont toujours une manipulation politique. Je vous en donne, vous m'en donnez. Apparemment, selon ce que je lis, il y en a eu 245 et il n'y a jamais eu de négociations pour 75 d'entre eux. D'une certaine façon, les Ukrainiens ne les ont que rendus. C'était une partie du bataillon Azov. Vous devez vous rappeler de ce fameux bataillon lié à une sorte de force ultra nationaliste. Il y a eu de nombreuses discussion à savoir si ses membres devaient être libérés ou non. Donc, apparemment, certains l'ont été libérés par la Russie. C'est ce que nous entendons dire. Et, en décembre, voyant le Nouvel an venir, il y a eu beaucoup de pourparlers ; le moment était important donc il fallait être de bonne foi.
Pour ce qui est de la guerre sur le territoire ukrainien, bien sûr qu'il y a un nombre très important de victimes (dans l'armée russe). Combien ? Mais un très, très grand nombre. Ce que la Russie croit, ce que le Kremlin imagine et dit, c'est que ce ne sont pas des conscrits.es mais bien des combattants.es volontaires. Et plusieurs ont reçu un certain entrainement militaire. Et nous avons aussi parlé de ce Prigogine, de son coup l'été dernier. Il était le chef des milices Wagner. Il a été pardonné puis tué à cause de sa mutinerie en juin. C'est lui qui avait mis en place ce système de recrutement de prisonniers violents qui en combattant gagnaient leur citoyenneté normale pour ainsi dire. Beaucoup d'entre eux sont dans l'armée régulière. Ils sont soumis à un certain entrainement. Les Russes n'aiment pas cela parce que beaucoup reviennent et commettent de nouveaux crimes violents. Mais en même temps, cela permet à une partie de la population normale de ne pas aller à la guerre. C'est de cette façon que V. Poutine a réussi à donner un semblant de normalité dans le pays en guerre sans l'être vraiment.
N.S. : Professeure, pouvez-vous nous parler des conditions qui règnent en Russie ; comment la guerre y est-elle perçue ? Quels sont les effets réels des sanctions ? Quelles en sont les conséquences dans la vie russe de tous les jours ? Et que penser du fait que la majorité de la population soit contre la guerre selon les sondages alors que V. Poutine reçoit encore un taux d'approbation de 80% ? Dans un de vos articles vous parlez d'une division entre les urbains et les ruraux….
N.K. : Exact.
N.S. : Comment la guerre est-elle vue à St-Pétersbourg, à Moscou par rapport à ailleurs dans les campagnes ? Pouvez-vous nous parler de cela ?
N.K. : Oui. C'est vraiment l'histoire de deux Russies. Dans les villes, les gens tentent de se tenir éloignés de cette réalité, ils prétendent qu'il ne se passe rien malgré les babillards et les endroits où, sur une base volontaire, vous pouvez signer (une pétition). (…) Si vous entrez dans une librairie, (les livres) de ceux et celles qui ont été étiqueté « agents.es de l'étranger » sont disponibles. Ces auteurs.trices n'ont pas appuyé la guerre mais leurs ouvrages sont en magasin. Malgré les sanctions, des choses comme les croustilles, les barres Mars sont en étalage donc il devient presque difficile de se penser en guerre. Alors, vous allez plus loin dans les villes. En Sibérie, je suis allée à Omsk. Ce n'est pas loin en Sibérie mais quand même. Dans les petits villages les salons de beauté sont en croissance tout-à-coup parce que les veuves, ou ces femmes qui ont envoyé leurs fils ou leurs maris à la guerre reçoivent beaucoup d'argent. C'est le fonctionnement actuel de l'armée (qui provoque cela). Elle paye les gens, (ça compte) dans les régions pauvres. Soudainement ils nagent dans l'argent. Ils peuvent prendre des vacances. Ils peuvent voyager vers des lieux plus chauds.
Donc c'est le type de division (qui existe). C'est l'effigie de la Russie, son blason. Il y a toujours eu de la division, un trouble de personnalité, de la schizophrénie, mais en ce moment c'est plus visible que jamais. En ville les gens prétendent que c'est loin d'eux parce qu'ils ne peuvent pas l'arrêter mais dans les plus petites villes, de fait les populations approuvent le Président Poutine. Elles ne sont pas pour la guerre mais elles d'accord pour « montrer à l'Occident que nous ne nous rendrons pas ».
Je veux aussi vous dire que ce 80% (d'appuis) n'est pas représentatif ; je parlerais plus de 60%. Et 56% veulent des négociations parce qu'ils et elles ont le sentiment que si la Russie a tenu le coup pendant deux ans face aux sanctions, comment pourra-t-elle poursuivre. Les sanctions ne sont pas très visibles sauf pour ce qui est de l'inflation, de la montée des prix. Mais en dehors de cela, le sentiment est que la Russie peut mettre fin à la guerre avec des conditions plus favorables.
A.G. : (…) Le titre de votre article est « The West Must Face Reality in Ukraine », pouvez-vous nous parler de ce que cela veut dire au juste, qu'est-ce que nous ne comprenons pas particulièrement aux États-Unis ? Quelle influence dans les élections Russes en mars ?
N.K. : En mars, V. Poutine va redevenir président. Nous ne parlons pas d'élections évidemment. Joe Biden a déclaré qu'il allait défaire V. Poutine stratégiquement parce qu'il serait incapable de se maintenir en guerre. Cela s'avère faux, preuves à l'appui. Dans mon article je parle de l'effet Stalingrad. Vous savez, quand le monde entier est sur le dos de la Russie, qu'il peut la mettre à terre, d'une certaine façon elle s'organise pour faire face. Donc, la victoire rapide promise par le Président Biden n'arrivera pas.
Je ne vous vois pas du tout comment la Russie pourrait perdre cette guerre. C'est un pays de onze fuseaux horaires. Mais je pense qu'un beau jour il va y avoir une sorte de retour de la grande idée, de l'emporter sur la Russie, de faire des plans pour en finir avec cette guerre en Ukraine et, pour ainsi dire, punir la Russie mais la guerre ne devrait vraiment pas faire partie du programme stratégique des États-Unis.
A.G. : Merci Nina Khrushcheva d'avoir été avec nous aujourd'hui.
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La guerre en Ukraine : agenda pour les relations entre la gauche ukrainienne et internationale
La situation sur le front militaire est préoccupante. Malgré certains succès tactiques, les grands espoirs placés dans la contre-offensive n'ont pas été comblés. Au contraire, Valeri Zaloujny, le commandant en chef ukrainien, a ouvertement reconnu une impasse. Les sondages nationaux indiquent un début d'épuisement. La « communauté internationale » se désintéresse de la situation, les programmes d'aide sont bloqués, les transports routiers sont bloqués. L'hiver est là, tout comme les frappes de missiles russes sur les infrastructures énergétiques [1].
Tiré de A l'Encontre
10 janvier 2024
Par Oleksandr Kyselov
Kiyv, 2 janvier 2024.
Sur le plan politique, la situation n'est pas meilleure. La gauche ukrainienne, qui ressemble plus à une constellation d'ONG, de groupes d'activistes et de dirigeants syndicaux locaux qu'à un mouvement cohérent, est effectivement mise à l'écart et marginalisée. Le mouvement d'opinion dominant ressemble à un étrange mélange de chauvinisme linguistique [face à la langue et à la culture russes] et de néolibéralisme effréné. L'effet de ralliement autour du drapeau diminue mais persiste : le président, l'armée et les volontaires jouissent du plus haut niveau de confiance. La grande majorité de la population ukrainienne ne veut pas d'élections en raison de leur coût, des limites de la loi martiale, du manque de sécurité et de la non-possibilité pour une grande partie des Ukrainiens et Ukrainiennes de voter.
Pour qui ou pour quoi se battre alors ?
Il serait naïf, bien sûr, d'exiger une solidarité sans réserve de la part de la gauche internationale. Il y a tant d'injustices dans le monde, et il n'est pas toujours très avenant de se ranger aux côtés de l'Ukraine. Après tout, il n'est pas nécessaire de creuser profondément pour trouver des fonctionnaires [ukrainiens] qui instrumentalisent la peur et orientent la détestation ou des lobbyistes liés aux entreprises qui rêvent de détruire tout ce qui est social. De même, il est facile de désigner les aspirants « néo-féodaux » désireux de maintenir les frontières fermées pour que leurs « serfs » ne s'échappent pas ou les xénophobes de la classe moyenne appelant à priver de leurs droits les résidents des territoires occupés [par la Russie]. De manière véritablement orwellienne, le président Zelensky lui-même a soutenu sans équivoque la puissance occupante d'Israël, comme s'il oubliait que son propre pays souffre des prétentions pseudo-historiques de son voisin russe.
Inutile de dire qu'aucune solidarité n'est attendue avec de tels personnages. Mais il faut garder à l'esprit que de nombreux destins contrastés sont aujourd'hui enchevêtrés. La gauche doit agir pour les travailleurs ! Les agriculteurs de Kherson qui labourent le sol chargé de mines. Les conducteurs de train de Kiev qui livrent des fournitures vitales dans des trains délabrés. Les infirmières sous-payées de Lviv qui s'occupent des malades et des blessés. Les mineurs russophones de Kryvyi Rih qui se battent pour protéger leur ville natale. Les ouvriers du bâtiment de Mykolaïv qui déblaient les décombres dangereux pour reconstruire, mais qui luttent pour nourrir leurs familles. Soutenez-la, cette majorité invisible dont la voix est rarement entendue mais qui n'a nulle part où aller. L'establishment, au contraire, doit être surveillé de près.
Comment soutenir ?
De nombreuses initiatives ont déjà vu le jour, chacune étant un exemple de ce qui est possible. Les efforts de plaidoyer international du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine, le soutien résolu de la Gauche verte nordique, la voix unie des syndicats danois, les tournées de conférences des dirigeants syndicaux ukrainiens, le renforcement des capacités de Sotsialnyi Rukh (Mouvement social), l'organisation syndicaliste des travailleurs ukrainiens à Stockholm, sont autant d'exemples de ce qu'il est possible de faire. Le champ d'action potentiel est vaste, mais certains points reviennent régulièrement dans les discussions.
Faites entendre votre voix sur la manière dont l'argent de vos impôts est dépensé ! La dépendance de l'Ukraine à l'égard de l'aide extérieure n'est un secret pour personne. Personne ne souhaite que ses impôts finissent sur le compte bancaire de quelqu'un en Suisse plutôt que de servir ceux qui sont dans le besoin. Il est donc logique de faire pression pour inclure des clauses sociales dans les conditions d'aide et les marchés publics ou de dénoncer les pratiques déloyales lorsqu'elles existent. L'aide à la reconstruction devrait aller de pair avec des emplois verts, un salaire décent, une vigilance syndicale, une responsabilité des entrepreneurs, un emploi protégé et un environnement de travail sain et sûr !
Appel à l'allègement de la dette ! La dette extérieure de l'Ukraine dépasse les 93 milliards de dollars. Au fil des ans, l'emprunt a été un moyen facile pour les gouvernements d'éviter de remettre en question le statu quo et de s'immiscer dans les affaires des oligarques. La plupart des prêts récents sont déjà assortis d'exigences plus strictes visant à contrer la mainmise de l'Etat, et les choses sont en train de changer. Mais le montant de la dette en suspens sert déjà de prétexte pour justifier l'austérité. De plus, elle reproduit la dépendance, où la reconstruction est financée par de nouveaux prêts. Ce que l'on gagne est consacré au remboursement. On peut se demander s'il est juste que les habitants des régions dévastées paient pour les décisions politiques erronées de la classe dirigeante. Mais il est encore plus important de se souvenir de la principale leçon tirée du succès du plan Marshall : les pays déchirés par la guerre ont besoin de dons, pas de prêts.
N'ignorez pas les problèmes de démocratie et de droits de l'homme ! Au début de l'invasion, des citoyens de tous les milieux sociaux ont fait la queue devant les centres de recrutement. Près de deux ans plus tard, ce n'est plus le cas. Le premier outil de recrutement militaire est la mobilisation avec tous ses inconvénients [2]. Mais pour que les gens risquent leur vie, il faut qu'ils soient sûrs que c'est juste et qu'eux ou leur famille seront pris en charge en cas de malheur. Il faut leur offrir la possibilité de participer à la définition de l'avenir du pays. Mais pourquoi le gouvernement s'en soucierait-il s'il existe une solution de contournement ? Sous prétexte de devoir de défense, les rafles en masse dans les rues ou les transports publics continueront à proliférer si l'on n'y prête pas attention.
Il en va de même pour la résolution du problème démographique après la guerre [3] ou la réintégration du Donbass et de la Crimée. Ce n'est pas en fermant les frontières, ni en intensifiant la propagande, mais en offrant des salaires décents, des logements abordables et une sécurité sociale que l'on peut convaincre les gens de rester ou de revenir. Ce ne sont pas les moralisateurs arrogants, les tests de confiance ou les camps de rééducation [The Kyiv Independent du 10 octobre 2023 estimait que le pouvoir russe avait placé des milliers d'enfants dans des camps de rééducation en Crimée], mais le respect mutuel, la reconnaissance de la dignité humaine et le partage des responsabilités en matière de reconstruction qui pourraient permettre la réconciliation.
Soutenez les syndicats ! Ce sont les seules organisations de masse établies qui existent spécifiquement pour les salarié·e·s. Même s'ils ne sont pas les plus militants, mais trop bureaucratiques et faibles, voire seulement à demi vivants, il n'y a rien d'autre. La reconnaissance institutionnelle du rôle particulier des syndicats dans le développement de l'après-guerre pourrait les revitaliser et encourager une dynamique syndicale. Elle permettrait également de créer un acteur crédible pour lutter contre la corruption et le dumping social. Il est évident que certains syndicats seront immédiatement récupérés par des opportunistes. Mais c'est aussi la raison pour laquelle il faut tenir compte de la démocratie interne et de l'autonomie de leurs sections locales ou de leur marge d'activité syndicale indépendante.
Accepter d'être en désaccord ! Certaines choses auxquelles les Ukrainiens croient peuvent vous sembler erronées ou irrationnelles. Vous pourriez avoir raison, mais les mêmes concepts peuvent avoir des significations différentes. Dans l'histoire moderne, l'Ukraine n'a connu que des périodes de paix. Son droit à l'existence est ouvertement remis en question. Les Ukrainiens sont depuis longtemps déçus par leurs dirigeants et n'ont souvent pas d'autre moyen de pression sur eux que de se soulever de temps à autre. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait une plus grande confiance dans l'engagement international. Choisissez vos batailles et concentrez-vous sur ce que nous avons en commun !
Créez des liens : de personne à personne, de ville à ville, d'association à association ! Les mouvements populaires du monde entier ont accumulé une énorme expérience politique que vous pouvez partager. Les récits traditionnels de la gauche sont discrédités dans la société ukrainienne en raison de leur utilisation abusive. Ainsi, les personnes avec lesquelles vous vous connectez peuvent ne pas être politiquement éduquées, mais c'est là que la pratique compte le plus – tendre la main pour lutter ensemble avec le maire d'une petite ville qui se soucie de ses citoyens, avec un dirigeant syndical local qui est exaspéré par l'indifférence et un sentiment d'impuissance, ou avec un immigrant récent qui s'est fait escroquer son salaire. L'engagement de ceux qui vivent actuellement en dehors de l'Ukraine sera particulièrement pertinent pendant des années et peut faire la différence. Qu'ils restent ou qu'ils reviennent, ils seront riches de cette nouvelle expérience.
Des éléments aussi simples n'ont peut-être rien de révolutionnaire. Le calcul, cependant, est que de nombreux petits pas peuvent conduire à un changement progressif en créant les conditions nécessaires et en créant un espace pour un agenda progressiste. Mais pour faciliter cela, la gauche a besoin de crédibilité et de confiance [envers la population ukrainienne], ce qui est pratiquement impossible pour ceux qui s'opposent à l'approvisionnement en armes.
Il ne fait aucun doute que la gauche ne doit pas se satisfaire de l'envoi d'armes, mais c'est un minimum que de ne pas s'y opposer. Le droit de se défendre n'a pas de sens sans les moyens de combattre. Refuser la fourniture d'armes, c'est menacer la survie de l'Ukraine en tant que nation. N'oubliez pas que la disponibilité des armes n'est pas la même chose que leur utilisation. Même si la guerre se termine à la table des négociations, le fait de disposer d'armes ne mettra pas l'Ukraine à la merci de la Russie, et l'Ukraine ne sera pas non plus sans défense si Poutine décide de violer la trêve.
Se battre jusqu'à la victoire ?
L'impasse. En l'état actuel de la situation, il n'y a pas de conditions préalables à une issue rapide. L'armée russe ne contrôle pleinement aucune des régions qu'elle a occupées, à l'exception de la Crimée. Pourtant, toutes ces régions sont désormais mentionnées dans la Constitution russe comme faisant partie inaliénable de la Russie. L'Ukraine est également liée par sa Constitution. Reculer et plier risque de provoquer de graves troubles internes dont seule la droite tirerait profit. Ensuite, si aucune force ne peut l'emporter, le risque existe de glisser vers un conflit prolongé de faible intensité. Cela signifie essentiellement encore plus de destruction et moins d'espoir d'une éventuelle renaissance. La meilleure discussion à avoir dans ce cas serait de sécuriser les vies civiles, d'intégrer les réfugiés et de réduire les conséquences pour le monde en établissant, par exemple, des zones démilitarisées de l'ONU autour des centrales nucléaires.
La défaite de la Russie. La meilleure garantie de la paix future est une Russie démocratique. Si l'impérialisme russe est indubitablement plus faible que ses rivaux, le fait de contester l'hégémonie états-unienne ne le rend pas plus progressiste en soi, ni un moindre mal pour ceux qui vivent à côté. Même avant que la Russie ne se tourne vers l'expansionnisme, la vie en Ukraine était marquée par son ingérence constante dans la vie politique et économique [4], sa lutte pour la domination culturelle et la projection de sa puissance militaire, notamment par le biais de ses bases militaires en Crimée.
L'espoir a toujours été que le fait de forcer la Russie à se retirer catalyserait un changement à l'intérieur du pays. C'est pourquoi l'Ukraine continue de se battre. Mais cela a un coût. Tout d'abord, le nombre non déclaré mais terrible de morts et de blessés. La question est de savoir combien de temps encore la société ukrainienne peut se permettre un tel sacrifice et quelles en seront les conséquences. Dans cette lutte, le soutien consiste à augmenter les coûts pour la Russie, afin qu'elle plie plus tôt, et à les réduire pour l'Ukraine, afin qu'elle survive. C'est pourquoi les gauches ukrainienne et russe ont demandé des sanctions plus strictes, l'arrêt total des importations de pétrole et de gaz et la fourniture rapide d'armes modernes.
Trêve. Les parties pourraient décider d'étudier la possibilité d'un armistice. Mais nous devons garder à l'esprit que l'Ukraine est un Etat plus petit et plus faible, dévasté par cette guerre et confronté à de graves problèmes démographiques. La plus grande crainte découlant d'un cessez-le-feu est de se retrouver oublié et seul. Rien n'empêcherait alors la Russie de lancer une nouvelle attaque lorsqu'elle sera mieux préparée. Pour avoir la moindre chance de résister, l'Ukraine devrait se transformer en camp militaire tout en vivant dans un état d'insécurité permanent. C'est précisément le facteur le plus important du soutien massif à l'adhésion à l'OTAN, en tant que moyen de dissuasion et de garantie de la paix. La seule alternative possible serait un accord contraignant ayant un effet similaire. Plus que jamais, votre voix et votre soutien crédibles seraient nécessaires pour y parvenir.
Espérer le meilleur, se préparer au pire
En fin de compte, la solidarité avec l'Ukraine ne doit pas être un signe de vertu. C'est une réponse rationnelle. Si la légitimité des « sphères d'influence » est reconnue, quel autre choix les petits Etats auraient-ils que de rejoindre l'un des blocs ? Si les puissances nucléaires peuvent dicter leur volonté, qui choisira alors le désarmement ? Si la dépendance aux combustibles fossiles permet à des autocrates enhardis de faire chanter le monde, que reste-t-il de la démocratie ? Si l'Ukraine tombe, qu'est-ce qui empêcherait les employeurs criminels et les réseaux mafieux de votre pays de profiter de millions de personnes traumatisées et dépossédées ?
En fin de compte, si le pire se produit, ce sera un clou de plus dans le cercueil de la paix mondiale, contribuant à l'instabilité croissante. Dans le nouveau monde des petits impérialismes concurrents, qui marque le déclin de l'empire états-unien, nous devrons nous préparer à des temps plus sombres et créer les conditions d'une éventuelle renaissance. Le moins que nous puissions faire est de maintenir des liens et de ne pas nous considérer comme des ennemis, même si nous finissons par nous retrouver dans les camps concurrents. Suivons le conseil de Joe Hill [5] et ne perdons pas de temps à nous lamenter. Organisons-nous ! (Article publié sur le site Commons, le 21 décembre 2023 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Selon The Kyiv School of Economics (octobre 2023), les destructions d'infrastructures, jusqu'au 1er septembre 2023, s'élèvent à 151 milliards de dollars ; 168 000 unités d'habitation ont été détruites ou endommagées, conjointement à 18 aéroports, plus de 300 ponts et 25 000 km de routes. Quelque 1700 écoles secondaires ont été endommagées, ainsi que 1200 centres de soins. (Réd.)
[2] Le 19 décembre, Zelensky a affirmé que l'armée ukrainienne avait besoin « de 450 000 à 500 000 hommes supplémentaires, cette déclaration a suscité un débat. Dans Le Monde du 29 décembre, Florence Aubenas écrit : « Cette fois, le chiffre lancé est phénoménal pour une armée qui compte 1 million de soldats et pourrait mettre le pays dans une situation sociale et politique délicate. » Jusqu'à maintenant, l'engagement reste volontaire et ne « devient obligatoire – pour ceux qui sont aptes – qu'en cas de convocation nominative. Là commence l'inconnu. Comment et à qui sont distribuées ces convocations ?… Comble du hasard, les contrôles se multiplient dans les lieux publics, salles de sport, saunas, centres commerciaux… Dans le pays, jusque-là soudé dans la guerre, apparaissent les premières fissures. Des femmes ou mères de militaires manifestent dans plusieurs villes d'Ukraine pour exiger la démobilisation de leurs proches, souvent au front depuis vingt-deux mois, et réclamer l'enrôlement de nouvelles recrues. « Pourquoi les nôtres et pas les vôtres ? », dénonce une pancarte. » (Réd.)
[3] Avant la guerre, l'Ukraine avait connu une perte importante de population ; de plus, la guerre a suscité un vaste mouvement d'exil : quelque 6 millions, auxquels s'ajoutent 5 millions de déplacés internes. (Réd.)
[4] Dès le milieu des années 1990, dans le contexte d'un démantèlement de la base industrielle ukrainienne, les investissements impérialistes visaient à mettre la main, entre autres, sur les riches terres de l'Ukraine, la ruralisant en quelque sorte dans ses rapports futurs avec l'Union européenne. (Réd.)
[5] Joe Hill était membre de l'Industrial Workers of the World (IWW). Avant son exécution en novembre 1915 – suite à un procès des plus controversés – il a écrit : « Ne perdez pas de temps dans le deuil. Organisez-vous ». (Réd.)
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