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Créer le territoire

Située à Tête-à-la-Baleine, la résidence d'artistes Glaise Bleue est un organisme de médiation culturelle lié au territoire et à son infini potentiel de création. Nous invitons les artistes et la population à y puiser. La matière première est là, tout est là, en fait, inscrit dans le territoire. Il faut simplement le faire ressortir.
Des ateliers de poésie, un projet rassembleur, quelques belles rencontres, de nouveaux liens tissés avec des Bas-Côtiers, Bas-Côtières et des gens d'Anticosti. Ancrée dans le territoire, inspirée de la beauté des lieux, ou dans les expressions locales. J'accepte cette invitation à créer de la poésie.
Écrire le paysage
Une première rencontre sous le thème des expressions et dictons locaux. Je me prépare, partir pour le large, revenir en d'dans, ma fille, my girl, touer, va ti vient. Tour à tour, à différents moments du processus de création, j'ose prendre la parole pour partager mes écrits. Je reçois des commentaires qui me motivent, me rendent fière aussi. Je révise, mais pas trop, l'objectif est d'avoir du plaisir, ici et maintenant et je découvre que j'aime ça.
J'ai le goût de recommencer, j'ai déjà hâte aux prochaines rencontres. J'inscris les dates à mon calendrier : le 10 et 24 février 2022, poésie sous le thème des paysages et du mode de vie locaux. Habiter notre territoire et s'en inspirer c'est notre façon d'être dans le monde. Sortir avec mon appareil photo, faire de la vidéo, décrire ce que je vois, ce que je ressens au moment où je suis touchée par les paysages, les couleurs, les odeurs, les sons. Dire pour ensuite écrire, laisser sa trace :
D'où je viens
Je viens des souvenirs de mon enfance,
Je viens d'un matin d'été, d'un vent du Nord, d'une mer calme,
Je viens d'un espace libre et immense,
Je viens du chant des huards au lever du jour, de l'odeur du lichen, de la froideur du noroît,
Je viens du bleu et du orangé du crépuscule,
Je viens de l'onde qui suit ton onde,
Je viens des départs et des arrivées,
Je viens de ce territoire que j'ai reconnu comme le lieu
D'où je viens.
Stéphanie Fournier, 24 février 2022, projet Poésie
Le velours des tourbières
Insérer dans la navette une petite bobine de fil de velours orange brûlé. Avec un élan initié par ma main, faire traverser la navette de bord en bord du métier, puis rabattre le peigne du métier à tisser pour tasser le fil de trame qui s'entrelace sur les fils de chaîne. Changer mon pied de pédale. Recommencer, cette fois-ci je change la bobine de fil orange brûlé pour un fil de laine vert tendre, sauge. Puis ce sera le tour d'un rouge rouille. Parfois, j'insère à la main quelques rangées de fils bleu profond entre les fils de chaîne, pour imiter des flaques d'eau.
Assise sur le banc du métier à tisser, dans la bibliothèque de l'école du village, je tisse une tourbière. C'est le territoire que j'ai choisi d'exprimer, après que d'autres femmes du village aient plutôt choisi de représenter leur chalet sur les îles de l'archipel face à Tête-à-la-Baleine, ou encore le ciel gris qui se confond à l'eau brillante. Pour d'autres femmes encore, le territoire qui se tisse est celui de la famille. L'héritage, les racines, l'attachement. Certaines intégreront à leur tissage des bouts de filets de pêche, des coquillages, de la fourrure de lièvre. Tous nos territoires tissés sur les mêmes fils de chaînes seront mis bout à bout, suspendus sur un mur de l'église du village, au cœur de la communauté. Nos territoires qui se suivent et se rassemblent.
Se baser sur le déjà-là
À travers la médiation culturelle, la création devient un prétexte pour parler de soi. Se montrer créatif et créative, c'est aussi se montrer vulnérable : il faut aller dans son intimité, sortir de sa zone de confort, cibler ce qui nous touche, nous inspire, et accepter de le partager aux autres. Il ne s'agit pas là d'un lieu commun dans la région, où les espaces de rassemblement sont majoritairement les maisons, où les relations sont principalement familiales et où les sujets de conversations pratiques dominent. Cependant, lorsqu'on ouvre la porte aux souvenirs, aux liens intimes avec la nature, au sentiment d'appartenance à travers la créativité, on laisse place à la sensibilité artistique des habitants et habitantes des communautés bas-nord-côtières, une sensibilité artistique qui est bien présente et souvent très ancrée au territoire et au patrimoine culturel et immatériel.

Glaise Bleue n'invente rien : la valeur de l'art pour générer d'autres types de discussions et des liens sociaux est déjà bien connue dans la région, notamment à Tête-à-la-Baleine. En effet, dans les années 1990, le regroupement de femmes Les Cousines d'Adéline écrit une pièce de théâtre qui souligne le cinquantième de l'obtention du droit de vote des femmes après de nombreuses luttes. Instigatrice de plaisirs et de rires à travers une écriture émancipatrice et communautaire, la pièce de théâtre a aussi été le véhicule de discussions politiques sur les droits des femmes et a pu servir d'outil éducatif pour certains et certaines. Utiliser le théâtre aura aussi inclus dans la boucle les hommes du village, qui étaient là lors de la présentation de la pièce, mais qui autrement ne participaient pas aux activités des regroupements de femmes puisqu'elles étaient volontairement non mixtes.
Notre organisme se base donc sur le déjà-là. Dans la douceur et de la manière qui se veut la plus organique possible, en partant des besoins exprimés et ressentis, nous nous percevons comme un levier d'action, des facilitatrices (notre équipe est actuellement entièrement féminine) et créatrices de moments et de lien social. À travers l'art, nous souhaitons mettre en valeur la beauté unique de la Basse-Côte-Nord, qui s'enracine à Tête-à-la-Baleine, ce village qui nous a vues naître. Le terme « glaise bleue » est d'ailleurs avant tout territorial. Tête-à-la-Baleine est ainsi bâti sur la glaise, qui se compose de différentes strates et couleurs, mais dont la bleue est la plus solide ; « presque dure comme le roc », diront certaines personnes.
À l'image de cette glaise bleue assez typique de Tête-à-la-Baleine, chacun des villages et chacune des communautés possède son unicité ; la Basse-Côte-Nord n'est pas un tout homogène. Chacun et chacune, à sa manière, fera ressortir le plus beau de « son » territoire. Le lien à ce territoire, cet « entre terre et mer » et la dépendance avec lui qu'ont encore les Bas-Nord-Côtiers et les Bas-Nord-Côtières est cependant un bon fil conducteur entre toutes les communautés du littoral.
Jusqu'où ce territoire et notre lien avec lui peuvent-ils nous mener ?
Jusqu'à la prochaine île en vue. Dans cette région nommée « Toutes isles » par le fameux documentariste Pierre Perreault, nous ne serons pas en peine.
Stéphanie Fournier est co-fondatrice de la résidence d'artiste Glaise bleue, conceptrice et réalisatrice de projets. Frédérique Lévesque est co-fondatrice et directrice à la Glaise bleue.
Photos : Stéphanie Fournier ; Samuel Bellefleur

Nourritures nordiques

Le Grenier boréal est une coopérative agricole et alimentaire située à Longue-Pointe-de-Mingan, un peu au nord du 50e parallèle. À bâbord ! est allé sur place en avril dernier pour discuter du projet, voir les installations et constater que les défis, tout comme la neige, abondent.
C'est en 2013 que le Grenier boréal est mis sur pied par Claude Lussier et Josée Bélanger. Le projet initial était de fournir du travail aux membres travailleur·euses des communautés locales à travers la production maraîchère et l'éducation dans les écoles, notamment sur les enjeux de l'alimentation locale. La mission avait aussi une part sociale et engagée, avec la volonté d'offrir et de faire découvrir une alimentation saine et locale aux habitant·es de la Minganie, région éloignée où les légumes frais ne sont pas souvent disponibles et coûtent beaucoup plus cher qu'au sud du Québec. Depuis, le projet a grandi et a développé de nouveaux volets, dont la cueillette et la transformation des produits forestiers non ligneux (PFNL), c'est-à-dire les plantes sauvages, les petits fruits et les champignons.
Rose-Aimée Auclair, directrice générale depuis janvier 2022, souligne que dans une entreprise traditionnelle, les employé·es ne développeront pas nécessairement de sentiment d'appartenance. Le modèle coopératif permet aux travailleur·euses qui ont une vue d'ensemble sur le terrain de participer plus activement au développement du projet, d'avoir leur mot à dire et d'ainsi se sentir plus impliqué·es. Pour elle, ce travail collaboratif mettant à profit « l'intelligence collective », avec un fonctionnement horizontal, est beaucoup plus souhaitable que le modèle vertical conventionnel. Le Grenier boréal permet ainsi de « pousser cette idéologie » coopérative en Minganie, avec toutes les valeurs de gauche qui l'accompagnent – solidaires, environnementales, etc.
Agriculture boréale
Cultiver des légumes au nord du 50e parallèle comporte son lot de défis et d'enjeux. Par exemple, le type de sol présent à cet endroit sur la Côte-Nord, très sableux, retient moins l'eau et les engrais. Aussi, parce que la saison est tellement courte – la période sans gel ne s'étend que de la mi-juin au tout début d'octobre ! –, la période d'activité biologique l'est également, freinée quand le sol est trop froid. Rendre les sols propices à la production maraîchère est donc un travail de longue haleine.

La fertilisation est en fait un enjeu majeur sur la Côte-Nord, et encore plus en Minganie, en raison du transport et des coûts. Tout sera plus cher et moins facilement accessible. Faire venir un « douze roues » de fumier, par exemple, coûtera environ 800 $, comparativement à moins de 200 $ dans les régions plus au sud. Pour cette raison, plusieurs stratégies sont déployées pour amender les sols avec ce qui est disponible localement – et gratuit. Parmi ces alternatives, il y a l'usage des algues, qui sont ramenées sur la ferme, puis laissées en décomposition pendant l'été afin de pouvoir en faire un fertilisant à épandre à l'automne. De même, le capelan, un petit poisson qui vient s'échouer sur les berges, est ramassé au mois de juin et enfoui dans les sols. Ce genre de savoir provient souvent des aîné·es des communautés locales, qui maintiennent que c'est « le meilleur engrais ».
Des moyens plus techniques pour allonger la saison de maraîchage dans le climat nordique deviennent aussi nécessaires, comme la culture en serre, les « tunnels chenilles » (qui ne sont pas chauffés, mais qui permettent de protéger les légumes) ainsi que l'usage de bâches thermiques. Tout cela amène des coûts de production qui sont beaucoup plus grands qu'ailleurs. Malgré tout, sur ses 0,6 hectare, le Grenier boréal réussit à produire bien plus que les traditionnels « choux, carottes, navets, patates » auxquels les gens des villages nord-côtiers étaient habitués.
Cueillir ce qui est à portée de main
Ce climat boréal de la Minganie représente toutefois un avantage pour d'autres types de cultures. Traditionnellement, c'est la cueillette forestière qui est pratiquée sur le territoire. L'exploitation des ressources non ligneuses permet alors de mettre en valeur ce qui pousse localement, soit les petits fruits nordiques (l'airelle vigne d'Ida – ce que les Innu·es appellent les « graines rouges » –, la camarine, la ronce arctique et la chicoutai). C'est une « escouade » d'environ 80 cueilleur·euses qui sont engagé·es chaque été sur 400 km de long, de Kegaska à Sheldrake.

Ce volet est beaucoup développé en partenariat avec la communauté innue d'Ekuanitshit. Comme le souligne Alex Beaudin : « les aîné·es des communautés allochtones cueillent depuis toujours et les aîné·e·s des communautés autochtones… c'est encore pire, y cueillent des affaires qu'on ne connaît même pas ! »
L'esprit collaboratif de la coopérative prend forme aussi à travers différents projets de recherche menés avec le Centre d'expérimentation et de développement en forêt boréale (CEDFOB) situé à Baie-Comeau, pour mettre en place des essais de culture des petits fruits nordiques et des procédures de cueillettes responsables, avec des objectifs de protection des ressources.

Semer du changement
À travers ces partenariats, le Grenier boréal entend élargir ses sphères d'activités, en misant de plus en plus sur la formation et l'éducation, non seulement de ses membres, mais aussi des habitant·es de la région. Le volet éducatif se lie à l'agrotourisme, avec l'organisation de visites de la ferme ou encore l'accueil de bénévoles pour travailler aux champs – près de 40 000 heures de bénévolat ont d'ailleurs été offertes au Grenier boréal jusqu'à maintenant, par une centaine de personnes !

L'aspect alimentaire est aussi en développement, en vue d'initier des jeunes de la région à manger des légumes différents. Une collaboration avec l'école primaire de la communauté innue de Nutashkuan, qui souhaite introduire des aliments locaux dans sa cafétéria, prendrait ainsi forme.
Le Grenier boréal apparaît ainsi comme un terreau fertile en innovations, apprentissages et collaborations qui permettent de cultiver, au-delà des légumes et des petits fruits nordiques, des liens de solidarité dans les communautés.
Rose-Aimée Auclair est directrice générale du Grenier boréal ; Alex Beaudin est vice-président et coordonnateur volet forestible du Grenier boréal.
Photos : Adèle Clapperton-Richard

Accès difficile à l’avortement

Au Québec, l'accessibilité des services d'avortement semble acquise sur l'ensemble du territoire. Or, des disparités régionales briment le droit de plusieurs femmes à mettre un terme à une grossesse, ce qui porte atteinte à leur droit de contrôler leur corps. Propos recueillis par Mat Michaud.
À bâbord ! : Comment décririez-vous l'accessibilité à l'avortement, tout particulièrement dans une région éloignée comme la Côte-Nord ?
Valérie Tremblay : Je dirais que l'avortement est en fait loin d'être une chose acquise. On a décriminalisé l'avortement au Canada, mais l'accès à ce droit est constamment remis en question et n'est pas protégé adéquatement par la loi. À chaque élection fédérale, c'est un sujet qui revient sur la table. Ça nous fait sentir la précarité de l'accès à l'avortement. Au Québec, dans plusieurs régions, c'est un service très difficile d'accès et on doit encore se battre pour faire prévaloir ce droit-là.
ÀB ! : Quelles sont les principales embûches auxquelles font face les personnes qui souhaitent avoir accès à l'avortement sur la Côte-Nord ?
V. T. : Quand on parle d'avortement sur la Côte-Nord, il est très important de prendre en considération les grandes variations dans l'accès. La Côte-Nord comprend six MRC (soit Caniapiscau, la Haute-Côte-Nord, Manicouagan, la Minganie, Sept-Rivières et Le Golfe-du-Saint-Laurent) et des services d'avortement sont seulement offerts dans deux d'entre elles. On peut aller à l'Hôpital de Baie-Comeau et à celui de Sept-Îles.
Encore là, les interruptions de grossesse se font jusqu'à douze semaines à Baie-Comeau et jusqu'à quinze semaines à Sept-Îles. Après, il faut sortir de la Côte-Nord et se rendre à Québec ou à Montréal. Non seulement deux points de services, c'est loin d'être suffisant pour répondre à la demande, mais aussi, pour nous qui opérons sur le territoire de la Haute-Côte-Nord, on n'a accès à aucun service dans notre MRC.
Sylvie O'Connor : Une des difficultés reliées à l'accessibilité vient du déplacement. Le CISSS rembourse les frais de déplacement après 200 km, mais cette distance n'est pas atteinte pour les femmes de Forestville qui doivent se rendre à Baie-Comeau ou encore celles des Escoumins qui se déplacent vers Chicoutimi. Les frais de déplacement ne sont donc pas couverts. Avec l'augmentation des coûts de l'essence, entre autres, les coûts montent très rapidement.
Pendant un certain temps, le transport scolaire était utilisé pour avoir accès aux services des CLSC en Haute-Côte-Nord, mais le processus d'inscription à ce service était complexe, les horaires ne fonctionnaient pas toujours pour une population adulte, et le contact des adultes avec les enfants utilisant le transport scolaire donnait lieu à des situations inconfortables. D'autres services existent, mais ils s'adressent souvent à des populations très précises, comme les personnes âgées ou les personnes avec une déficience intellectuelle. Ça laisse un trou de service très important.
À cela, on doit ajouter que les transports en commun privés (comme Intercar) ont diminué leur offre de services depuis le début de la pandémie. On est rendu à un trajet par jour, ce qui veut dire qu'une personne qui utilise Intercar pour se rendre à Baie-Comeau devra probablement y passer la nuit. Ça implique des frais d'hébergement, de restaurant, etc. De plus, la personne sera probablement seule, surtout si elle n'a pas de réseau social à Baie-Comeau ou Sept-Îles.
V. T. : Aux frais de déplacement, on peut aussi ajouter la perte de journées de travail payées, donc de revenus. Même si le rendez-vous peut durer seulement une vingtaine de minutes, c'est la journée au complet qui passe dans le transport.
On peut ajouter à tout ça le manque d'information sur des méthodes de contraception efficaces. La pauvreté et les préjugés, ça veut non seulement dire un frein économique et social à l'accès à la contraception, mais aussi un frein à l'accès à l'éducation et l'information.
S. O. : Qui plus est, sur la Côte-Nord tout particulièrement, l'accès à un médecin de famille est particulièrement difficile. À l'exception de Montréal, c'est ici qu'on a le plus bas taux d'inscription au programme, avec seulement 77 % de la population desservie. Si on compare à d'autres régions éloignées comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean (93 %) ou encore la Gaspésie (91 %), c'est beaucoup plus bas. Ce que ça implique, c'est que si tu n'as pas accès à un médecin de famille, il faut que tu te présentes à l'urgence pour avoir accès à un examen et à une référence dans un des deux hôpitaux, pour la pilule abortive ou pour l'avortement chirurgical.
V. T. : Finalement, je dirais que l'autre problématique rencontrée sur la Côte-Nord, c'est la confidentialité. C'est-à-dire que les soins de santé sont souvent prodigués par des personnes connues. Par exemple, la pharmacienne, c'est peut-être ta tante, l'infirmière de l'école, ta cousine… Ça devient difficile de maintenir la confidentialité et certaines personnes préfèrent aller chercher de l'aide à l'extérieur de leur village ou de la région pour cette raison. C'est un facteur qui joue particulièrement sur l'accès aux services pour les adolescentes, puisqu'elles sont beaucoup moins autonomes sur le plan financier et du transport.
ÀB ! : Est-ce qu'il y a des enjeux socioculturels qui freinent l'accès à l'interruption de grossesse ?
V. T. : À ce niveau-là, il y a plusieurs barrières ! La plus importante, je dirais, c'est la pression familiale qui découle, entre autres, de valeurs religieuses. La religion prend encore beaucoup de place sur la Côte-Nord et ça peut se faire sentir quand il est question d'avortement. En effet, l'avortement est encore très mal vu sur le territoire. Souvent, les familles vont pousser pour que la naissance ait lieu, quitte à ce que la mère, la grand-mère ou toute autre personne prenne la charge de l'enfant. Trop souvent, les personnes qui vivent une grossesse non désirée vont manquer d'information, s'isoler et ne seront pas conscientes du choix qui s'offre à elles.
ÀB ! : Quels sont les grands changements qui devraient être mis en place afin de généraliser l'accès à l'avortement et à l'autonomie corporelle sur la Côte-Nord ? Quelles sont les demandes du milieu communautaire et féministe ?
S. O. : À court terme, on souhaiterait que le CISSS reconnaisse l'expertise des Centres de femmes comme ressource vers laquelle diriger les personnes venant pour un avortement. Autrement, bien évidemment, on aimerait que les MRC et les centres de santé trouvent une solution au problème de transport.
À plus long terme, c'est bien beau d'avoir décriminalisé l'avortement, mais on ne doit pas s'arrêter là. Il faut travailler pour pérenniser ce droit qui n'est toujours pas encadré par une loi. Sans ça, à chaque élection, ça reviendra sur la table. Il faut se battre pour que le terrain gagné par les féministes dans la bataille pour l'accès à l'avortement ne soit pas perdu.
ÀB ! : Quelles sont les initiatives en place sur la Côte-Nord afin de pallier ces problèmes ?
V. T. : Sur la Côte-Nord, le programme des Passeuses (voir autre article du dossier) vise à outiller les personnes qui font la demande de services en avortement. On fait autant de l'éducation que de l'accompagnement, avant, pendant et après l'avortement. On oublie souvent le « après ». Il n'existait pas de service pour supporter les personnes ayant reçu un avortement. Dans le cas des adolescentes, c'est rare qu'elles se sentent à l'aise d'en parler à un parent, c'est donc important qu'elles aient quelqu'un à qui parler. Cela dit, notre approche est pro-choix, ce qui veut dire que si la personne souhaite être accompagnée, elle peut en faire la demande, mais si elle veut juste de l'information, on lui en donne sans pression. On va respecter son choix et ses besoins.
S. O. : Le programme des Passeuses, c'est une première en matière d'éducation à l'autonomie corporelle. Quatre centres de femmes de la région (ceux de Sacré-Cœur, de Forestville, de Baie-Comeau et de Sept-Îles) ont été formés et ça nous permet maintenant d'augmenter significativement l'offre de services.
Valérie Tremblay et Sylvie O'Connor sont intervenantes au Centre des Femmes de Forestville.
Photo : Raphaëlle Ainsley-Vincent
POUR AVOIR ACCÈS À DES SERVICES EN AVORTEMENT SUR LA CÔTE−NORD :
Hôpital Le Royer 635, boul. Joliet, Baie-Comeau
RDV : 418 589-3701 # 302546
Hôpital de Sept-Îles 45, rue du Père-Divet, Sept-Îles
RDV : 418 962-9761 # 452752

Aire protégée d’initiative autochtone au Pipmuakan

Atiku, le caribou forestier, est une espèce sacrée pour les Innu·es. Il connait un déclin tragique sur le territoire dit du Québec depuis plusieurs décennies. La communauté de Pessamit propose un plan de protection de l'espèce afin de sauver les populations menacées d'extinctions et préserver l'innu-aitun, leur culture.
En 2020, le Conseil des Innus de Pessamit dépose le projet d'aire protégée Pipmuakan auprès du ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) pour contribuer à l'atteinte de la cible de 17 % d'aires protégées terrestres. Notre proposition de 2761 km2, soit 0,18 % de la superficie terrestre du Québec, est localisée près du réservoir du même nom, à environ 150 km au nord-est de la ville de Saguenay, sur notre terre ancestrale, le Nitassinan.
Grâce au statut de réserve de biodiversité, ou encore à celui d'aire protégée d'initiative autochtone (pour en savoir plus à ce sujet, voir le texte suivant), le projet du Pipmuakan vise à protéger les derniers massifs de forêts intacts dans le secteur afin d'y préserver notre patrimoine culturel ainsi que l'habitat du caribou forestier, qui sont tous deux menacés. Le projet inclut aussi la rivière Betsiamites (Pessamiu Shipu), une rivière patrimoniale qui a joué un rôle crucial dans l'histoire de notre communauté.
Bien qu'au même moment, le Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) déclare dans son rapport d'inventaire que le caribou du Pipmuakan « est dans un état extrêmement précaire », notre projet d'aire protégée n'est pas retenu.
En février 2021, le MELCC modifie sa Loi sur la conservation du patrimoine naturel pour y introduire le nouveau statut d'aire protégée d'initiative autochtone. Dix-huit mois plus tard, aucune nouvelle du gouvernement, mis à part un accusé de réception qui nous indique que l'analyse des projets d'aires protégées se poursuivra dans le cadre des nouveaux objectifs à atteindre d'ici 2030.
Pour le Pipmuakan, c'est aujourd'hui qu'il faut agir. Les taux de perturbation dans l'habitat essentiel du caribou forestier ne cessent de s'accroître, réduisant de jour en jour nos probabilités de maintenir l'espèce, ainsi que le lien fondamental qui nous unit à Atiku (caribou, en innu-aimun).
Culture en péril
Devant la dégradation de notre terre ancestrale, le déclin de sa biodiversité et de notre culture qui y est intimement associée, puis devant le non-respect du gouvernement envers nos droits ancestraux et ses obligations constitutionnelles de consultation et d'accommodement, nous devons agir. Agir pour nous réapproprier notre terre et notre culture afin d'éviter notre propre disparition.
Le projet d'aire protégée Pipmuakan a donc été créé par et pour les Pessamiulnuat (Innu·es de Pessamit), pour assurer notre survie culturelle et la vitalité de notre communauté. Rappelons que nos membres ont été durement éprouvé·es au cours du dernier siècle et qu'ils et elles le sont encore avec les impacts cumulatifs du développement continu dans notre territoire, mené sans égard à nos préoccupations. Un développement dont notre communauté ne tire aucun bénéfice.
Rétablissement et réconciliation
Le Pipmuakan est un refuge pour Atiku. Il est aussi un lieu névralgique pour la transmission et le partage de notre culture, un lieu de ressourcement et de guérison pour nos membres, un lieu de développement de notre savoir et de notre expertise. Il permet aussi un lien d'éducation, de recherche et d'alliance entre les savoirs innus et scientifiques.
Depuis plusieurs années, nous y déployons des efforts considérables pour y maintenir et y préserver notre culture. Nous y avons développé notre propre programme de suivi pour le caribou. Nous travaillons en collaboration avec les équipes de suivi du MFFP ainsi qu'avec de nombreux chercheur·es afin d'accroître nos connaissances sur l'espèce, la biodiversité qui y est associée et les mesures d'interventions optimales pour les protéger. À travers toutes ces démarches, nous développons nos capacités afin d'assurer la gestion et la gouvernance de cette future aire protégée. De plus, nous travaillons à mettre en valeur ce territoire afin d'assurer des retombées pour notre communauté, des retombées qui seront bénéfiques pour l'ensemble de la société.
Le projet d'aire protégée Pipmuakan constitue une solution clés en main pour contribuer au rétablissement du caribou au Québec, ainsi qu'à la réconciliation entre nos peuples.
Marie-Hélène Rousseau est ingénieure forestière, M. Sc. et conseillère en gestion intégrée des ressources forestières au Secteur Territoire et Ressources, Conseil des Innus de Pessamit.
Illustration : Emilie Pedneault

Protégeons la terre et les sites naturels sacrés innus

UAPASHKUSS – qui signifie ourson blanc en innu-aimun – est un groupe autochtone basé à Uashat mak Mani-Utenam. Composé de guides spirituel·les et d'aîné·es, le collectif œuvre avec des ressources et savoirs innus à la protection de sites sacrés sur le territoire ancestral, mais aussi à la transmission du patrimoine culturel [1].
Les peuples et communautés autochtones entretiennent depuis longtemps des relations avec la nature, fondées sur des systèmes de connaissances et des pratiques qui reconnaissent et respectent l'environnement spirituel dans lequel ils vivent. Ils ont attribué une signification particulière à des zones naturelles spécifiques comme les montagnes, les rivières, les lacs et les forêts, conformément à leurs croyances [2]. Les « zones de terre ou d'eau ayant une profonde importance spirituelle pour les peuples et les sociétés » sont définies comme des sites naturels sacrés par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) [3]. Ces sites naturels sacrés ainsi que les droits et les responsabilités des peuples autochtones à l'égard de ces lieux sont reconnus tant au Canada qu'à l'international, avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) et la Convention sur la diversité biologique (CDB).
Patrimoine naturel et culturel
Depuis neuf ans, les membres de UAPASHKUSS, tous·tes gardien·nes de sites naturels sacrés, ont travaillé à identifier, documenter et cartographier huit de ces sites. Cinq sont situés sur la Côte-Nord et trois au Labrador. Pour ce faire, UAPASHKUSS a consulté des aîné·es, des membres des communautés innues de Uashat mak Mani-utenam et de Matimekush-Lac John, des chefs et conseillers de la Nation innue, des acteur·trices du milieu environnemental, des organisations autochtones et allochtones ainsi que des membres des gouvernements locaux et régionaux.
Cette série de sites naturels sacrés fait partie du Chemin des Innus, qui a permis à notre peuple d'aller vers ses territoires de chasse en passant par des rivières, des portages, des montagnes et des lacs. Le but ultime de ce long voyage, qui suivait les saisons, était de rencontrer le caribou afin d'assurer l'existence de notre peuple nomade. Pour se rendre de la côte vers le nord, jusqu'à nos terres ancestrales, il fallait passer par de nombreux pakatakan – le mot innu pour portages. Les portages sont des routes profondes tracées par nos ancêtres innu·es à pied, en canot, en raquettes ou en toboggan. Nous considérons les portages et les sites qu'ils relient comme sacrés. Ils reflètent notre identité et notre culture. Puisqu'ils ont été parcourus par nos ancêtres, ils sont des témoignages de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de notre lien intégral à la nature. Les légendes, les récits de vies, les souvenirs, les cérémonies et les connaissances liés à ces sites et aux portages qui les relient sont transmis à nos jeunes [4] et confirment que les modes de connaissance et de vie innus sont vivants aujourd'hui.
Les huit sites naturels sacrés identifiés par UAPASHKUSS sont situés dans la forêt boréale et la toundra arctique, dans des habitats écologiquement intacts qui sont le résultat des pratiques millénaires de gestion traditionnelle de ces terres par les Premières Nations innues. Avec les bassins des rivières Moisie et George – deux des plus grands milieux aquatiques protégés du Québec –, ces sites sacrés font également partie d'un corridor biologique ininterrompu. Ils méritent d'être reconnus et protégés afin d'assurer la pérennité de notre patrimoine bioculturel et spirituel associé à la Terre, au caribou et au mode de vie circulaire des Innus, afin d'ainsi renforcer notre identité.
Pour cela, UAPASHKUSS a entamé une étroite collaboration avec la Société pour la nature et les parcs (SNAP-Québec). Ensemble, ils ont créé le projet Pakatatan, visant la reconnaissance et la protection des huit sites naturels sacrés innus identifiés par UAPASHKUSS, y compris les sentiers de portage qui les relient.
Aires protégées d'initiative autochtone
Depuis 2019, cette collaboration entre UAPASHKUSS et SNAP-Québec s'est poursuivie à travers l'organisation d'une série de consultations et d'activités pour développer des relations avec des représentant·es d'organisations autochtones, d'organismes gouvernementaux et d'autres acteur·trices aux niveaux local, régional, national et international, afin de promouvoir l'importance de la protection des sites naturels sacrés innus.
En 2020, un processus de consultations spéciales a été organisé au Québec dans le cadre de la révision de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel par le gouvernement du Québec. Cette révision représentait une occasion unique d'ajouter un statut d'aires protégées qui reconnaîtrait les particularités de la conservation menée par les peuples autochtones. Nous considérions qu'un tel statut permettrait de reconnaître les sites naturels sacrés innus comme des aires protégées. La SNAP-Québec et UAPASHKUSS ont donc travaillé ensemble pour soumettre un mémoire et mobiliser d'autres organisations autour de la question d'une nouvelle catégorie d'aire protégée d'initiative autochtone, visant les sites naturels sacrés [5]. Un statut d'aire protégée d'initiative autochtone (APIA) a finalement été inclus dans la révision de la loi. L'APIA permet donc la reconnaissance des savoirs autochtones dans la conservation et la protection des sites naturels sacrés.
UAPASHKUSS et la SNAP-Québec ont par la suite fait un pas de plus dans leur collaboration en s'associant aussi avec l'Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam (ITUM) afin de coordonner leurs efforts vers la mise en place d'une aire protégée innue sur le territoire.
Le gouvernement provincial annonçait aussi la désignation en 2020 d'un territoire de 30 000 km2 au Nunavik comme réserve de territoire aux fins d'aire protégée, dans laquelle était inclus un site sacré identifié par UAPASHKUSS. Depuis, trois des cinq sites sacrés situés sur la Côte-Nord sont légalement protégés. Les futurs travaux de UAPASHKUSS consisteront maintenant à demander la désignation d'aire protégée d'initiative autochtone (APIA) pour les sites sacrés restants. Pour y parvenir, l'équipe de UAPASHKUSS et ses partenaires se concentreront sur la poursuite des concertations, le lancement de campagnes de sensibilisation, puis la mise en œuvre des actions proposées suite aux consultations tenues avec les membres et leaders autochtones locaux ainsi que les autres gouvernements locaux et régionaux. D'autres actions seront aussi menées : visites des sites, documentation et finalement rédaction d'une proposition pour l'obtention du statut d'aire protégée d'initiative autochtone (APIA) pour tous les sites naturels sacrés innus identifiés afin qu'ils puissent obtenir un statut légal au Québec.
Collaborations internationales
UAPASHKUSS s'est impliqué dès 2013 dans des initiatives autochtones de conservation des sites sacrés. Avec des représentant·es de douze pays différents, le groupe a participé, à Rovaniemi et à Pyhätunturi en Finlande, à la rédaction d'une déclaration sur La reconnaissance et la sauvegarde des sites sacrés des peuples autochtones dans les régions septentrionales et arctiques. Cette déclaration est une initiative importante qui démontre la nécessité d'une action commune centrée sur les savoirs autochtones pour identifier, protéger, promouvoir, et reconnaître les sites sacrés, et assurer la transmission de la culture et de l'identité autochtones à travers ces lieux.
En mai 2019, UAPASHKUSS a également participé activement à l'élaboration de la Déclaration régionale nord-américaine sur la diversité bioculturelle lors d'une conférence tenue à Montréal et réunissant plusieurs organisations d'Amérique du Nord. Cette déclaration rassemble des recommandations adressées à la Convention sur la diversité biologique (CDB) des Nations Unies.
Conservation de la biodiversité et transmission des savoirs
Tous ces outils et actions mis en place par UAPASHKUSS contribueront à préserver notre patrimoine culturel, spirituel et naturel, et à le protéger des multiples impacts qui affectent les sites sacrés et leur diversité bioculturelle. Selon la Déclaration régionale nord-américaine sur la diversité bioculturelle, ces impacts incluent entre autres les changements environnementaux et climatiques, le tourisme, les industries extractivistes, ainsi que les politiques coloniales. La protection des sites sacrés innus nécessite de reconnaître la transmission de notre histoire et de notre savoir innu pour le maintien de notre identité culturelle et la conservation de la biodiversité de ces lieux.
Le travail d'UAPASHKUSS en collaboration avec ses partenaires souligne l'importance des systèmes de gouvernance et de conservation dirigés par les autochtones ainsi que de la reconnaissance de nos savoirs pour la préservation des sites naturels sacrés. Il est essentiel d'avancer ensemble dans la conservation bioculturelle de notre environnement pour les générations actuelles et futures, et pour honorer nos ancêtres.
[1] Ce texte s'appuie sur une version antérieure publiée en anglais dans la revue Nordicum-Mediterraneum, vol. 17, no 3, 2022. En ligne : https://nome.unak.is
[2] Liljeblad, J., & Verschuuren, B. (2019). Indigenous Perspectives on Sacred Natural Sites. Culture, Governance and Conservation. Routledge.
[3] Wild, R. and McLeod, C. (2008). Sacred Natural Sites : Guidelines for Protected Area Managers, Best Practice Protected Area Guidelines Series, p. 7.
[4] Vollant, T. (2011). Ka Kushpian- Mon voyage. Short film, 3'40'', produced by Wapikoni Mobile. https://vimeo.com/154909234
[5] Société pour la nature et les parcs du Canada – Section Québec (SNAP Québec) (2020). Mémoire présenté à la Commission des Transports et environnement dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi no 46 : Loi modifiant la Loi sur la conservation du patrimoine naturel. 70 p. et Innu Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam (ITUM) (2020). Mémoire quant au projet de loi 46. Mémoire déposé par Innu Takuaikan Uashat mak.
Dolorès André est membre du groupe UAPASHKUSS.
Photo : Dolorès André
1 000 enfants ont subi des amputations sans anesthésie à Gaza

Guerre en Ukraine. La grande régression

Comprendre la guerre en Ukraine ne devrait pas poser de problème : il y a un agresseur et un agressé, une brute et une victime, voilà tout. Malgré cela, on constate qu'il s'agit en vérité d'une histoire très compliquée, entrainant des explications innombrables et contradictoires.
De nombreuses questions laissent perplexe. Comment arrêter les massacres et la destruction en Ukraine sans entrer dans une surenchère guerrière ? Vladimir Poutine porte-t-il à lui seul l'entière responsabilité de cette invasion ? Aurait-il été possible de le stopper ? Comment entrevoir la paix ?
Une invasion plus prévisible qu'on le croyait
Le seul sujet de l'OTAN a soulevé une importante controverse : en faisant toujours planer la possibilité d'une adhésion de l'Ukraine à cette alliance militaire, n'a-t-on pas provoqué l'ours, de façon imprudente, voire désinvolte ? C'est l'avis de David Mandel, professeur de sciences politiques retraité, qui reconnaît une responsabilité à l'OTAN et à tous les pays qui le soutiennent, dont le Canada, pour avoir refusé de proposer à l'Ukraine une neutralité à l'autrichienne (empêchant les alliances militaires et la présence de bases militaires étrangères sur son sol). Selon lui, dans son article « La guerre en Ukraine : la vérité est le tout », publié par plusieurs médias indépendants, « ni l'OTAN ni Kiev n'ont voulu prononcer les mots qui auraient certainement évité la guerre : l'Ukraine ne deviendra pas membre de l'OTAN ».
Cette idée est réfutée, entre autres, par deux biographes de Poutine selon lesquels le président russe chercherait, d'abord et avant tout, à reconstruire l'espace géographique de l'empire soviétique, sous le contrôle de la Russie. Ainsi, la seule existence d'un régime pro-européen et démocratique à sa frontière — avec toutes les failles que ce système peut avoir, en Ukraine particulièrement, ou ailleurs — serait un mal qu'il fallait éradiquer, avec ou sans l'OTAN dans le portrait.
Selon Vladimir Fédorovski, auteur de Poutine, l'itinéraire secret, « Vladimir Poutine se prend pour le continuateur de la grandeur russe, celle des grands tsars de Saint-Pétersbourg et celle de l'URSS forgée dans la lutte contre les nazis ». Ainsi, sans qu'il soit question de l'OTAN, l'auteur entrevoyait déjà en 2014 (l'année de la publication de l'ouvrage) la menace d'une confrontation avec ses conséquences, des réfugié·es qui déferleront « en Russie, mais aussi au moins en Pologne ».
Michel Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, publié dans une nouvelle édition après le début de la guerre, abonde dans le même sens, avec plus de précision. Selon lui, l'invasion de l'Ukraine « était inscrite depuis de nombreuses années » dans les discours et les déclarations de Poutine, dont il retrace minutieusement le parcours. Évoquer l'OTAN est un « piège » et pour le président russe, un « simple prétexte » pour envahir l'Ukraine. L'invasion de ce pays était en fait un projet qui mijotait depuis longtemps et qui a été retardé à cause des contraintes imposées par la COVID-19.
Toujours selon Elchaninoff : « Vladimir Poutine ne raisonne plus (l'a-t-il jamais fait ?) en termes utilitaristes, étudiant les conséquences de ses actes pour sa population. Il sait que son pays va être confronté à la réprobation mondiale et à des sanctions massives qui plongeront les Russes, enfermés derrière un nouveau rideau de fer, dans la misère et l'effroi. Mais dans son esprit, dire c'est faire : il se veut conséquent par rapport à sa vision patiemment forgée de l'histoire du monde, de la Russie, de l'Ukraine. L'entrée en guerre a été préparée, sans doute depuis des années. »
Négocier, mais comment ?
Si la guerre en Ukraine était une catastrophe annoncée, comme le prétendent ces auteurs, et qu'on n'a rien accompli de sérieux pour l'empêcher, il faut maintenant trouver le moyen d'y mettre fin sans avoir recours à une logique guerrière qui viendrait empirer la situation. Le contact diplomatique avec Poutine, même si ce dernier semble toujours aussi obstiné dans son entreprise, est un fil qu'on ne doit pas rompre, aussi ténu soit-il.
Mais que faut-il négocier, au juste, si un jour Poutine se montre enfin prêt à entendre une autre position que la sienne ? L'intellectuel Noam Chomsky, dans une entrevue avec le journaliste Jeremy Scahill sur le site de The Intercept, propose une neutralité non pas comme celle de l'Autriche, mais comme celle du Mexique devant les États-Unis : une souveraineté avec comme seule limite l'adhésion à de grandes alliances militaires. Il suggère de remettre à plus tard la question délicate de la Crimée. Et dans la région du Donbass, il défend l'organisation d'un référendum, supervisé par des représentants de plusieurs pays, afin que la population puisse décider de son adhésion soit à la Russie soit à l'Ukraine. Chomsky en profite pour blâmer les États-Unis et leur refus net de négocier, parce que cette guerre est entièrement à leur avantage, puisqu'elle affaiblira de beaucoup un adversaire coriace.
Le défi n'est pas seulement d'asseoir Poutine à la table des négociations, mais de lui faire entendre raison. Cet homme semble penser de façon différente, comme un individu d'un autre siècle, rêvant d'expansion territoriale, alors que beaucoup d'autres pays savent que la véritable guerre du 21e siècle est celle du soft power, de la domination économique et culturelle, beaucoup plus rentable à tous les points de vue, ce que les États-Unis ont bien compris, malgré certaines défaillances — qui semblent en fait superficielles. La façon anachronique de considérer la puissance étatique dans l'esprit de Poutine est bien exprimée par l'écrivain Jonathan Littell, dans une entrevue au journal Le Monde, début mars : « son pouvoir est entièrement fondé sur la violence : pas juste sa menace, mais son usage systématique. C'est la seule façon dont il sait se comporter. » Comment répondre autrement que par le langage de la violence à un homme qui ne comprend que celui-ci ? Voilà un des plus grands défis posés par Poutine.
Un appui très discret
Si les pays occidentaux se sont rapidement unis contre la Russie, il en va autrement des pays du Sud et de la Chine, plus hésitants. Tant Chomsky, que le journaliste Alain Gresh dans Le Monde diplomatique du mois de mai, que le philosophe Slavoj Žižek en donnent des explications : ces pays refusent d'appuyer le bloc occidental qui leur a tant fait subir les effets de la colonisation ; ils n'apprécient pas l'attitude « deux poids deux mesures » des États-Unis, prêts à accuser les autres de crimes de guerre, mais incapables de reconnaître ceux qu'ils ont commis ; ils voient les démonstrations d'un racisme non avoué qui rend acceptables en Occident les réfugié·es d'origine européenne, mais beaucoup moins ceux et celles d'autres pays. Žižek, dans un article publié dans L'Obs, affirme ressentir de la honte devant l'attitude ségrégationniste de ses compatriotes slovènes.
Pour se sortir d'un lourd passé de domination et d'exploitation, et recueillir l'appui d'un nombre beaucoup plus grand de pays contre la Russie, Žižek propose de repenser en profondeur les rapports Nord-Sud : « Notre véritable tâche est de convaincre les pays du tiers-monde que, face à nos problèmes mondiaux, nous pouvons leur offrir un meilleur choix que la Russie ou la Chine. Et la seule façon d'y parvenir est de nous changer nous-mêmes bien au-delà du politiquement correct post-colonialiste, d'extirper impitoyablement de nous toutes formes de néocolonialisme, même celles qui sont masquées en aide humanitaire. »
En attendant, il est particulièrement douloureux d'observer les conséquences de la guerre en Ukraine. Les pays se réarment dans une logique de dissuasion guerrière et l'OTAN s'attire de nouvelles candidatures. Une véritable catastrophe environnementale a cours, un monumental gaspillage d'énergie, alors qu'il faut combattre le réchauffement climatique. Et surtout, les morts s'accumulent, les massacres, la destruction… Le plus difficile est de rester impuissant·e devant cette guerre, devant les autres guerres qui ont cours actuellement, mais dont on parle trop peu.
DES INTERVENTIONS IMPÉRIALES BRUTALES
La lecture du dernier roman de Mario Vargas Llosa, Temps sauvage, permet de faire des liens troublants entre la situation du Guatemala pendant les années 1950 et celle de l'Ukraine aujourd'hui. Dans les deux cas, une superpuissance s'est attaquée à un pays démocratique, a justifié son intervention par une propagande grotesque (l'invention pure et simple d'une menace communiste dans le cas du Guatemala) et a créé le chaos, avec de la violence, de la grande misère et un mépris total pour les droits humains. Les États-Unis ont toutefois eu la possibilité de sous-traiter leur contre-révolution et de laisser aux brutes locales la tâche de réprimer dans la violence. Ils ont aussi eu le sombre mérite d'avoir remporté une victoire totale, soumettant les Guatémaltèques à une instabilité tragique dont le pays ne se s'est jamais remis. Tout cela pour satisfaire la volonté d'une grande compagnie étatsunienne, la United Fruit, qui n'acceptait pas qu'elle soit soumise à des lois, qu'elle paie des impôts, que ses employé·es se syndiquent.
Illustration : Le bon, la brute et le truand (Alan, CC BY-NC-SA 2.0)
États-Unis : ampleur et conséquences des ententes 2023 dans l’automobile

Michel Gauthier (1949-2023)

Michel Gauthier n'est plus.
Ma première rencontre avec Michel remonte en 1961. C'était à Ville La Salle, à l'École Sainte-Catherine Labourée plus précisément. Michel était en 7ième année et moi en 3ième. Entre lui et moi il y avait une grande différence d'âge. Michel faisait partie des « grands » de l'école et moi, j'appartenais à la catégorie des « petits ». Nos heures de récréation du matin et de l'après-midi n'étaient pas les mêmes. Je me rappelle de mon premier souvenir qui me rapporte à lui. Du haut de ma salle de classe, je voyais à travers la fenêtre ouverte, les « grands » jouer au basketball dans la cour d'école. Je l'ai ensuite revu, quelques années plus tard, quand il travaillait à la Kruger. Je savais, grâce au frère d'un de mes amis qui oeuvrait également dans cette entreprise, que Michel était très impliqué dans le syndicat ouvrier de la boîte. Je l'ai ensuite recroisé par hasard au célèbre 1001 Saint-Denis. Michel était, si je ne m'abuse, conseiller syndical à la Fédération des travailleurs du papier (FTPF) et moi, étudiant en science politique à l'UQAM, je militais au Mouvement d'action chômage. Michel Chartrand, président à l'époque du Conseil central de Montréal, nous offrait gratuitement un immense local pour accompagner les chômeuses et les chômeurs dans leur démarche auprès de la Commission d'assurance-chômage. Michel Chartrand exigeait une seule chose en retour de notre part. Que nous acceptions les sans-emploi sans égard pour leur appartenance syndicale. J'ai revu par la suite Michel Gauthier quand il était président du Syndicat des travailleuses et des travailleurs de la CSN. C'est lors du congrès de la CSN de 1982, le premier congrès auquel j'ai assisté en tant que délégué officiel du Syndicat des professeurs du Cégep du Vieux Montréal, que j'ai renoué contact avec lui.
Michel a eu une longue carrière à la CSN, qui va de militant dans son syndicat d'entreprise, à délégué dans les instances de sa fédération, à conseiller syndical, à président du STT-CSN et last but not least, rien de moins que secrétaire-général de la centrale.
Michel est issu du système du Rank and file. Il a gravi chacun des échelons qui vont de son syndicat d'appartenance jusqu'au poste d'officier de la centrale. Pour un gars de La Salle, c'est un parcours remarquable.
Repose en paix maintenant Michel.
Yvan Perrier
23 décembre 2023
21h
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8e Conférence mondiale de LVC : Sous le signe de la souveraineté alimentaire et de la diversité
Envoi massif de cartes postales au bureau de l’Immigration
La famille milliardaire Lalji menace ses travailleurs qui espèrent obtenir un salaire décent

Contrer la banalisation et l’instrumentalisation des droits humains
Éditorial
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024
Alexandra Pierre, Présidente de la Ligue des droits et libertés Le 10 décembre 2023, la Déclaration universelle des droits de l’homme (sic) (DUDH) célèbre ses 75 ans. Ce document majeur, référence incontournable quand il s’agit de droits humains, affirme la dignité intrinsèque de chaque être humain et l’égalité en droits de tous et toutes. Dans les divers instruments relatifs aux droits humains, on souligne le fait que d’énoncer formellement ces droits n’est certainement pas suffisant. Il est nécessaire que les États honorent leurs obligations de les respecter, les protéger et de les mettre en oeuvre. En bref, que les États soient non seulement imputables, mais responsables des droits humains. [caption id="attachment_18681" align="alignright" width="448"]
[1] Ligue des droits et libertés, Déclaration, La Ligue des droits et libertés préoccupée par la montée de la transphobie, 21 septembre 2023. En ligne : https://liguedesdroits.ca/la-ligue-des-droits-et-libertes-preoccupee-par-la-montee-de-la-transphobie/
L’article Contrer la banalisation et l’instrumentalisation des droits humains est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.
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L’inclusion sociale, c’est aussi pouvoir prendre l’autobus

L'automne a été marqué par une crise du financement des transports collectifs au Québec. Les maires et mairesses des grandes villes, aux prises avec les déficits importants de leurs Sociétés de transport en commun, ont réclamé une aide financière conséquente au gouvernement du Québec. Et pour cause ! Faute d'investissements suffisants,
des coupes et des bris de services sont à craindre.
* Par le comité sur l'accès au transport collectif du Collectif pour un Québec sans pauvreté
Les problèmes de financement frappent aussi les plus petits milieux. Dans certaines municipalités et MRC, des trajets ont disparu ou ont vu la fréquence de leurs départs diminuer. Dans d'autres, les services ont été carrément démantelés (par exemple à Memphrémagog, dans la Matawinie et Les Etchemins).
À cela s'ajoutent des réductions drastiques et des bris de service dans le transport adapté, en milieu rural comme bain. Et pour couronner le tout, l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS) révélait récemment qu'il y a aujourd'hui sept fois moins de départs hebdomadaires d'autocars interurbains au Québec qu'il y a quarante ans !
Le comité sur l'accès au transport collectif
Lors de la tournée de consultation [R]ASSEMBLONS menée par le Collectif, l'importance du transport collectif pour l'inclusion sociale et la sortie de pauvreté est ressortie à plusieurs reprises. L'hiver passé, le Collectif a formé un comité pour travailler sur la question. Ce comité est composé de personnes en situation de pauvreté et de salarié.es de regroupements régionaux et nationaux. À la suite d'une première analyse collective, le comité a conclu qu'un problème important du transport collectif est le manque d'engagement financier de l'État. Le comité a alors effectué des recherches pour mieux comprendre le financement des services, qu'il a ensuite décortiqué pour identifier ce qui cloche. Voici donc un résumé des recherches du comité.
Un besoin essentiel
Le transport est l'un des besoins essentiels que retient Statistique Canada pour son calcul de la Mesure du panier de consommation. La difficulté à se déplacer complique l'accès aux biens et services de la vie courante. C'est un obstacle majeur à la réalisation de plusieurs droits, comme le droit à la santé, le droit à l'éducation et le droit au travail. Combien de personnes en situation de pauvreté manquent un rendez-vous important ou s'empêchent de réaliser un projet faute de transport ? Beaucoup ! Le manque de transport limite aussi les rencontres avec la famille et les ami.es de même que l'implication sociale.
Pour les personnes en situation de pauvreté, les options de déplacement sont souvent plus limitées et compliquées. L'accès à du transport collectif qui répond à leurs besoins est donc un élément important de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Désengagement du gouvernement
Puisque le transport est un besoin essentiel, on pourrait s'attendre à ce que l'État assume la responsabilité de financer les services de transport en commun. Pourtant, le gouvernement du Québec se décharge de cette responsabilité sur les municipalités ! Résultat : les services varient au gré des choix politiques des municipalités et leur financement repose, souvent, sur des tarifs très élevés.
Cette situation crée des inégalités importantes à travers le Québec. En ville, les secteurs plus pauvres et plus excentrés sont souvent moins bien desservis. Dans les petits milieux, l'offre de services (quand elle existe !) est généralement insuffisante et mal connectée. Il est alors difficile de se déplacer d'une municipalité à l'autre pour prendre part à des activités ou pour avoir accès à des services.
Dans le contexte actuel de forte inflation, l'augmentation des coûts (entretien, essence, ressources humaines, etc.) est difficile à absorber pour les municipalités. Ce qui entraîne une diminution généralisée des services (élimination de trajets, réduction des horaires, etc.), souvent accompagnée par des hausses de tarifs.
Alors que, d'un côté, le gouvernement se dédouane de sa responsabilité en matière de transport collectif, de l'autre, il continue de financer le développement des autoroutes. Les municipalités ont par conséquent tendance à s'étendre autour des grandes routes (qu'elles n'ont pas à payer !) et à maintenir leurs services de transport en commun dans un état de sous-développement.
Ce qui fait en sorte que, à l'heure de la crise climatique, le nombre de véhicules sur les routes continue d'augmenter, ainsi que les émissions des gaz à effet de serre et la pollution de l'air.
Responsabiliser l'État
Ce qui se dégage à travers la crise des transports collectifs, c'est le refus du gouvernement du Québec de s'engager à long terme dans ce qu'il s'entête à présenter comme une responsabilité municipale.
Le temps presse pour sauver les services existants, ainsi que pour assurer le développement continu du transport collectif.
Dans le contexte actuel de crise climatique, d'augmentation du coût de la vie et d'accroissement des inégalités, les services de transport collectif constituent un moyen incontournable pour lutter à la fois contre la pauvreté et contre la dégradation environnementale. C'est pourquoi le Collectif vient d'adopter une revendication visant la reconnaissance de l'accès au transport collectif comme un droit, ce qui obligerait l'État à financer des services publics de transport collectif à travers le Québec.
* Les membres du comité sur l'accès au transport collectif sont :
Michel Bellemare (RDDS Shawinigan)
Chantal Bisson (Table nationale des CDC)
Michel Dubé (Action Populaire Rimouski-Neigette)
Rosalie Dupont (TACAE)
Émilie Frémont-Cloutier (TRAAQ)
Ghislain Hudon (CLAP-03)
Jessica Lambert (MÉPAL)
Marise Proulx (GRAP Chaudière-Appalaches)
Simon Pouliot et Laurence Simard (équipe de travail du Collectif)
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Résister au fascisme qui vient

Tout récemment, plusieurs politiciens du Rassemblement National ont parlé de victoire idéologique pour leur propre camp. Ils observent qu'il y a aujourd'hui un alignement sur le programme de Marine Le Pen.
La présidente du RN à l'Assemblée Nationale prend également acte de la situation, et bien entendu s'en réjouit. L'ostracisme du second tour de la présidentielle était de forme ; sur le fond, on les rejoint, on les approuve. Comme un miroir, le Rassemblement National s'observe dans la loi Asile Immigration reconnaissant dans les mesures, ses propres phobies.
Cette cogestion avec l'extrême droite est là depuis longtemps. Ils ont mis leur énergie et leur vote pour que la politique austéritaire du gouvernement voit le jour.
A la rescousse de la minorité présidentielle à l'Assemblée Nationale, le RN a systématiquement voté contre le rétablissement de l'ISF, la taxe sur les supers profits, l'augmentation du SMIC, l'indexation des salaires sur l'inflation, le gel des loyers, la garanti d'autonomie pour les jeunes, la revalorisation des minima sociaux, la revalorisation du salaire des fonctionnaires. Même chose pour le projet de loi visant à renforcer l'accès des femmes aux responsabilités publiques. Autant dire que le féminisme, le partage des richesses, ce n'est pas leur truc. D'ailleurs, l'écologie et la défense de la biodiversité, ce n'est pas leur truc non plus. Tout récemment, Le RN s'est allié à la droite et à la droite macroniste pour faire adopter des amendements de suppression de l'article unique de la proposition de loi de la France Insoumise. Cette stratégie leur a permis de rejeter un moratoire sur les mégas bassines. Voilà qui aurait été utile : on met sur pause et on réfléchit encore un peu. Ce fut rejeté. L'Agrobusiness a encore de beaux jours devant lui.
Aujourd'hui, un autre cap est franchi. Alors qu'il y avait divergence sur l'intensité de la sanction, l'extrême droite voulant toujours être plus dur et plus sévère à l'égard des étranger.ères, il y avait au moins consensus sur la philosophie. Oui, il faut une loi, et oui il faut rajouter des obstacles à la régularisation des sans papiers, au regroupement familial, et faciliter les expulsions. Alors que la première version de la loi a subi une motion de rejet de la part de la majorité des députés, les 14 membres de la commission mixte paritaire étaient chargés de réécrire un texte afin de sortir de l'impasse. Parce que la nouvelle version est plus violente, l'extrême droite est satisfaite car on recycle encore son programme. Encore une fois, on porte atteinte à un droit qu'on croyait universel, celui de la liberté de circulation. On s'attaque aux étranger.ères, à l'humain, à nous. En revanche, on ne légifère pas sur la libre circulation du Capital qui fait des ravages sur la planète, mettant en péril la survie même de l'espèce humaine. On laisse faire. Les macronistes ont mis le doigt dans l'engrenage et certains s'étonnent que le bras parte avec. Cécile Rilhac, député du camp présidentiel à tweeté : “le texte reprend clairement les idées du RN et je n'ai pas été élu sur mon territoire pour voter des mesures d'extrêmes droites.”
Les mensonges de l'extrême droite se sont largement répandus dans l'espace médiatique et politique. Nous sommes pris dans ce filet. Contraint d'avoir un avis mais ne sachant rien. Les préjugés prennent le dessus et les peurs commandent. En se refilant le discours, les personnalités politiques et médiatiques se transforment en Rhinocéros, comme dans l'œuvre de Ionesco qui traite par métaphore de la grégarisation et de la conversion au fascisme. Dans l'espace médiatique télévisuel on reprend les termes, on parle “d'appel d'air”, de vague migratoire, on laisse courir les amalgames, on entretient les mensonges, les peurs. Bref, on est pas vigilant, pas rigoureux, pas scientifique. On survole, et par là, on met la vie d'autrui en danger. Cela explique en partie que “le débat public français sur l'immigrarion soit en décalage complet par rapport aux réalités de bases”, comme le souligne François Héran, professeur au Collège de France. Le mensonge s'installe, les équations se gravent dans les têtes (immigration-délinquance) et la grande cabale se prépare contre les migrant(es), les étranger.ères, jusqu'à ce que le cercle se restreigne et qu'on soit tous inclus dans ce cercle ; dans cette spirale basée sur la suspicion, la surveillance et l'enfermement. En reprenant la phrase du Talmud « Quiconque sauve une vie sauve l'Univers tout entier » on peut dire : “quiconque menace une vie, les menace toutes.” Par conséquent, il est temps de se solidariser avec son prochain, avec ou sans papiers, et d'engager un rapport de force contre l'Etat et le Capital.
Un sondage récent (réalisé par Viavoice) nous apprend que 59 % des français(e)s se disent mal informé(e)s sur l'immigration. Pourtant, plus la connaissance est faible nous dit Paloma Moritz, journaliste à Blast, et plus l'avis rendu est en défaveur de l'immigration. Rappelons cependant qu'en 2021 la population étrangère dans son ensemble s'élevait à 7,7 % de la population totale française (source : INSEE), un chiffre en-deçà de la moyenne européenne. Par ailleurs, les sans papiers en France représente environ 0,89 à 1,19% de la population totale. De la même manière, à l'échelle européenne, en 2021, un peu moins de 200 000 personnes sans papiers auraient rejoint l'Europe, ce qui représente 0,04 % de la population européenne.
Il faut le dire, encore, encore, rien ne justifie qu'on fasse la guerre aux étrangers. Rien ne justifie de bailloner et d'attacher des sans papiers pour assurer leur expulsion. Rien ne justifie de porter atteinte à l'unité familiale à travers des mesures hostiles au regroupement familial. Rien ne justifie les discriminations, les intimidations et les enfermements systématiques dont les étranger.ères sont victimes. On n'est pas égaux face à la prison et face à la violence de l'Etat. Il est temps de s'organiser par le bas et de défendre l'héritage de nos aînés résistant(e)s et anticolonialistes ; il est temps de construire une riposte unitaire et révolutionnaire pour désarmer l'État Policier, et le mettre hors d'état de nuire.
Maxime Motard, membre de la Cimade et militant écosocialiste
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COP28 : utile pour les générations futures ?
Encensée par les pays producteurs de pétrole, mais décriée par les environnementalistes, la COP28 pourrait avoir comme utilité d'être un témoin pour les générations futures de ce qu'ont fait leurs ancêtres pour tenter de combattre la plus grande crise climatique planétaire qu'ils avaient à gérer. Avec quelque 110 000 participants accrédités, dont près de 2500 lobbyistes des énergies fossiles, la COP28 a été la plus importante jamais organisée.
Une réussite pour certains
Cette COP28 est considérée comme un succès par de nombreux pays en raison de l'opérationnalisation du fonds sur les pertes et préjudices. Les pays participants s'y sont aussi engagés à tripler les capacités d'énergies renouvelables dans le monde d'ici à 2030. De plus, le 28e paragraphe du texte final appelle à sortir des énergies fossiles d'une manière équitable, juste et ordonnée pour atteindre la neutralité carbone en 2050. L'accord présenté à la fin de la conférence a été considéré comme « historique » par plusieurs pays et organismes, dont de nombreux producteurs de pétrole.
L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) y voit d'ailleurs des résultats consensuels et positifs. TotalEnergies estime pour sa part que le compromis conforte sa stratégie. Un acteur important des hydrocarbures, l'italien ENI, trouve le texte final comme ayant « beaucoup de pragmatisme » et exprime la nécessité d'équilibrer l'accès à l'énergie, le développement compétitif, les objectifs d'émission et la sécurité énergétique.
Pour le président et fondateur de la Fondation Solar Impulse, Bertrand Piccard, la COP28 a eu le plus grand succès possible dans le « monde réel. »
Un échec pour d'autres
De très nombreux groupes de la société civile considèrent que la nomination du Sultan al-Jaber est un exemple de mainmise des entreprises sur le sommet. « On n'est pas du tout dans une transition », affirme le coordonnateur en France du Global Carbon Project, le physicien Philippe Ciais. Ce sont les énergies fossiles qui gagnent disent aussi plusieurs climatologues.
Pour ceux qui le dénoncent, cet accord ne contient aucune clause contraignante pour une sortie des énergies fossiles et n'est qu'un appel à la sensibilisation sans engagement, reconnaissant implicitement le gaz comme un des carburants de transition pour assurer une sécurité énergétique.
Le climatologue spécialiste de l'analyse du rôle du changement climatique sur certains phénomènes météorologiques extrêmes, Friederike Otto, considère que les intérêts financiers à court terme de quelques-uns l'ont à nouveau emporté sur la santé, la vie et les moyens de subsistance de la plupart des habitants de cette planète. « Avec tous ces verbes vagues, ces promesses vides dans le texte final, des millions de personnes de plus se retrouveront en première ligne du changement climatique. »
Pour le professeur Kevin Anderson, qui enseigne le changement climatique à l'Université de Manchester, le compromis de la COP28 « sonne le glas » de l'objectif +1,5 °C, de l'accord de Paris à la COP21. Greta Thunberg, considère pour sa part cette entente comme un coup de poignard dans le dos des plus vulnérables comme les habitants d'îles qui commencent déjà à être submergées par la hausse du niveau de la mer.
Et pour le futur ?
Madeleine Diouf Sarr, présidente du groupe des pays les moins avancés, considère que le texte final de la COP28 ne fixe pas d'agenda précis, si ce n'est de parvenir à zéro émission nette en 2050. La directrice du programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), Inger Andersen affirme donc que le monde n'est pas sur la bonne voie, puisque la planète s'est déjà réchauffée de 1,2 degré depuis l'ère industrielle, qu'il y a déjà des inondations catastrophiques, de la chaleur extrême, de grandes sécheresses, des incendies et que si rien ne change, la Terre se dirige vers un réchauffement allant de 2,5 à 2,9 °C d'ici 2100.
Les actions de l'industrie pétrolière semblent lui donner raison. Selon l'OPEP, le pétrole et le gaz représentent 55 % du marché énergétique et devraient conserver une part majoritaire pendant les décennies à venir. L'organisme ne prévoit pas réduire sa production et considère que la demande mondiale de pétrole devrait même connaître une croissance de 2,2 millions de barils par jour en 2024. Il n'est donc pas du tout certain que la COP28 ait réussi à réduire substantiellement les émissions de CO2 sur le long terme.
Mais comme elle a occupé les premières pages de plusieurs grands journaux et médias de la planète pendant une dizaine de jours, elle a cependant eu l'avantage de fixer dans l'Histoire les paroles et promesses des personnes qui y ont participé. Elle a donc le potentiel de permettre aux historiens des générations futures de départager parmi leurs ancêtres ceux qui ont aidé ou nuit à régler ce qui a toutes les chances d'être le plus important problème planétaire qu'eux et leurs enfants devront continuer à affronter.
Michel Gourd
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Négociation dans les secteurs public et parapublic
Ajout
24 décembre
Minuit 30
Le gouvernement Legault et le Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS semblent se diriger vers la finalisation de nombreuses propositions de " règlements " ou " d'ententes " portant sur les conditions de travail avec une majorité des 420 000 salarié.e.s syndiqué.e.s. Des négociations intensives sont toujours en cours entre le Secrétariat du Conseil du trésor et le front commun à la table centrale au sujet des augmentations salariales, de la retraite, des assurances, etc..
23 décembre
23h30
L'Alliance des syndicats de professeures et professeurs de cégep (ASPPC) a annoncé ce soir à 22h30 être parvenue à un projet de règlement global avec le Comité patronal de négociation des collèges (CPNC) sur les matières sectorielles touchant les conditions de travail du personnel enseignant du réseau collégial public.
21h40
D'autres hypothèses ou propositions de règlement ou d'entente selon Vincent Larin, Tommy Chouinard et Léa Carrier du quotidien La Presse.
Je cite un extrait de l'article :
« Après plusieurs jours d'intensification des pourparlers à sa table sectorielle, la Fédération des professionnelles et professionnels de l'éducation du Québec (FPPE-CSQ), qui regroupe 12 400 membres, est arrivée samedi à une proposition de règlement global avec l'employeur. Idem pour la FPPC-CSQ, qui regroupe la majorité du personnel professionnel des cégeps. »
« Le comité de négociation du Secteur scolaire de la FEESP-CSN, qui représente 35 000 employés de soutien scolaire dans toute la province, vient aussi de s'entendre sur une hypothèse d'entente de principe. »
Source : Vincent Larin, Tommy Chouinard et Léa Carrier. « Entente avec le plus important syndicat de la santé, d'autres en éducation. » La Presse, 23 décembre 2023.
18h55
Les choses commencent à débouler.
Hypothèse d'entente de principe dans le secteur de la santé entre le Secrétariat du Conseil du trésor et la FSSS-CSN .
Dans un communiqué émis par le Secrétariat du Conseil du trésor il est écrit ceci : « les mesures convenues dans l'hypothèse d'entente permettront une meilleure conciliation du travail et de la vie personnelle, d'améliorer l'offre de service pendant les quarts de travail défavorables avec de meilleures conditions de travail et d'assurer une organisation du travail plus souple. »
16h30
« Projet de règlement » versus « Entente de principe »
Le conseil fédéral de la FSE-CSQ a convenu que le « Projet de règlement sectoriel » conservera cette appellation jusqu'à ce que les membres se soient prononcés pour ou contre. C'est uniquement dans l'éventualité d'une acceptation majoritaire par les membres qu'il sera possible de parler d'une « Entente de principe ». D'ici là, nous sommes devant un « Projet de règlement sectoriel » et non une « Entente de principe.
Il s'agit ici d'une nouvelle façon de dire qu'il appartient aux membres - et à eux et à elles seule - de décider si la négociation est terminée ou non.
FAE : Intensification des négociations entre le Secrétariat du Conseil du trésor et la FAE.
20h50
Nous venons d'apprendre que le Conseil fédéral de la FSE-CSQ et l'APEQ ont entériné la proposition de règlement sectoriel. La proposition sera soumise aux membres des deux organisations. Selon les porte-parole de la FSE-CSQ, Josée Scalabrini, et de l'APEQ, Steven Le Sueur, la proposition de règlement comporte des éléments qui s'accompagnent des gains en lien avec les trois priorités syndicales suivantes : « la composition de la classe, l'allègement de la tâche et la rémunération ».
Il reste pour ces deux organisations syndicales à régler les enjeux de la table centrale (le salaire, la retraite, les assurances, etc.).
17h15
Le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) confirme « avoir convenu d'une proposition de règlement sectorielle avec la FSE-CSQ/APEQ ».
Sans dévoiler quoi que ce soit sur la teneur de cette proposition de règlement, le communiqué émis par le SCT précise ceci :
« Les diverses mesures dans la proposition permettront d'offrir de meilleurs services aux élèves et de favoriser leur réussite scolaire ; notamment avec des améliorations à l'organisation du travail, la charge de travail, la composition de la classe, l'autonomie professionnelle et l'échelle salariale. »
À suivre.
15h
La FAE annonce que le Conseil fédératif de négociation accepte à l'unanimité d'entrer en blitz de négociation avec le Secrétariat du Conseil du trésor.
9h50
Nous venons d'apprendre qu'il y a un blitz de négociation du côté de la table sectorielle des cégeps et que les pourparlers avancent en santé.
22 décembre
9h35
La FSE-CSQ va présenter en début d'après-midi à son Conseil fédéral " une proposition de règlement sectoriel convenue avec le gouvernement". Le salaire et les clauses en lien, entre autres choses, avec les assurances et le régime de retraite sont toujours en négociation à la table centrale du Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS.
4h10
Un blitz de négociation serait en cours entre le Secrétariat du Conseil du trésor et la FSE-CSQ. Les pourparlers se sont intensifiés entre l'État-patron et la FAE. Ce changement de rythme se produit au moment où une rencontre au sommet se serait apparemment déroulée entre le premier ministre François Legault, la présidente du Conseil du trésor Sonia Lebel et le ministre de l'Éducation Bernard Drainville.
Se pose une question : cette fois sera-t-elle la bonne ou l'État-patron va-t-il se traîner les pieds jusqu'au 8 janvier ?
Ajout
21 décembre 2023
9h45
Manifestement, la FAE a décidé, après plus de onze moins de négociation infructueuse avec le Conseil du trésor, d'intensifier ses moyens de pression. Des enseignant.e.s syndiqué.e.s, en grève générale illimitée depuis vingt et un jours, ont bloqué ce matin l'accès aux ports de Québec et de Montréal dans l'espoir que ces deux cibles économiques essentielles à la circulation des marchandises aient pour effet de sortir de son immobilisme le gouvernement Legault qui fait la sourde oreille aux revendications syndicales. L'objectif est d'amener le premier ministre à « prendre ses responsabilités et d'agir en chef d'État soucieux d'en arriver à une entente de principe satisfaisante, qui répondra aux besoins criants des profs, mais aussi de leurs élèves, jeunes et adultes ». (Extrait du communiqué de presse émis par la FAE).
Devant ce sursaut de combativité et cette nouvelle orientation dans la lutte d'opposition et de résistance des membres de la FAE, la présidente du Conseil du trésor, madame Sonia Lebel, a décidé de se réfugier dans le silence et de ne pas commenter le rejet de sa plus récente proposition d'offre soumise mardi dernier à la FAE et à la FSE-CSQ.
Madame Lebel doit sûrement se demander, à ce moment-ci, comment elle va parvenir à conclure une entente satisfaisante avec au moins une des deux organisations syndicales de l'enseignement élémentaire et secondaire. De deux choses l'une, la présidente du Conseil du trésor va défendre jusqu'au bout les choix préalables du gouvernement dans la présente négociation ou l'autre, elle multiplie les démarches auprès de certains de ses collègues en vue de dégager une nouvelle marge de manœuvre susceptible de déboucher sur un compromis négocié avec une organisation syndicale.
Des enseignant.e.s syndiqué.e.s découvrent que la lutte qu'elles et qu'ils mènent en ce moment s'inscrit dans un processus qui porte sur le traitement réservé aux enseignant.e.s précaires et qui concerne également l'organisation d'un service public qui doit répondre aux besoins de la population.
Ajout
Mercredi 20 décembre 2023
16 h.
Du côté du Front commun
Les porte-parole du Front commun intersyndical CSN-CSQ-FTQ-APTS ont tenu un point de presse ce matin. Événement médiatique durant lequel il a été annoncé ce qui suit :
un règlement est possible dans les secteurs public et parapublic d'ici la fin de l'année 2023 ;
les négociatrices et les négociateurs syndicaux sont disponibles pour négocier d'ici là ;
à défaut d'une entente négociée, il y aura le déclenchement d'une grève générale illimitée (GGI) de la part des 420 000 salarié.e.s syndiqué.e.s du Front commun en janvier 2024 ;
la date du déclenchement de la GGI n'a pas été annoncée.
Du côté de la FAE
La FAE a réuni son les délégué.e.s de son instance fédérative qui accompagne le comité de négociation de l'organisation syndicale indépendante. À l'ordre du jour : l'étude de la plus récente offre du gouvernement qui a été sur le champ rejetée par la FSE-CSQ.
Du côté de la FSE-CSQ
La FSE-CSQ a annoncé avoir déposé une contre-proposition ce matin même (mercredi 20 décembre 2023). L'objectif poursuivi est d'arriver à une entente avec le gouvernement avant les fêtes. Cette contre-proposition se veut fidèle aux discussions entre les parties et conforme aux priorités des enseignant.e.s en regard de la composition de la classe et de l'allègement de la tâche. »
Dans les échanges avec certaines organisations syndicales, il semble que le gouvernement ne tient pas compte ni des demandes syndicales ni des discussions entre les parties.
Il semble y avoir du côté gouvernemental de la distorsion entre ce qui est convenu aux tables entre les parties et les nouvelles versions des offres gouvernementales.
https://www.ledevoir.com/politique/quebec/804146/front-commun-reitere-menace-greve-generale-illimitee-debut-2024?. Consulté le 20 décembre 2023.
https://www.ledevoir.com/politique/quebec/804151/fse-csq-depose-contre-offre-quebec-fae-reunie-instance?. Consulté le 20 décembre 2023.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2036332/negociation-impasse-front-commun-legault. Consulté le 20 décembre 2023.
Questions ou réflexion en marge des développements récents :
Pourquoi les différents comités de négociation de la partie patronale soumettent-ils à la partie syndicale des textes non conformes au contenu des discussions ou des avancées dans la négociation ? Il y a sûrement du côté du Conseil du trésor une personne ou un comité qui coordonne la négociation et qui dicte les conduites à suivre.
Y aurait-il des tensions au sommet de l'État en ce moment entre la présidente du Conseil du trésor, le ministre des Finances et le premier ministre au sujet des propositions finales à présenter aux organisations syndicales ?
Selon Magalie Picard (présidente de la FTQ) et François Enault (1er vice-président de la CSN) la négociation peut se conclure dans les 24 à 72 prochaines heures. Ce qui est fort possible. Mais pourquoi y a-t-il de la résistance, du côté du gouvernement, à conclure une entente négociée à court terme ?
La présente ronde de négociation aurait dû être la négociation du secteur de la santé (voir à ce sujet les priorités du gouvernement dans la présente ronde de négociation aux paragraphes consacrés à l'Équipe soins et l'Équipe santé mentale). La grève générale illimitée de la FAE a peut-être pris de court les stratèges gouvernementaux. Le processus de consultation des instances de la FAE y est peut-être pour quelque chose dans le mouvement de yo-yo que le gouvernement impose à la table centrale et aux tables sectorielles. Il s'agit ici de réflexions ad lib qui ont uniquement une valeur hypothétique.
Le premier ministre Legault s'est réfugié dans un mutisme et il n'accorderait pas, apparemment, d'entrevues bilans de son année politique. S'agit-il là d'un précédent ?
Le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, dit vraiment n'importe quoi. Il est à se demander s'il prend connaissance des documents que les négociateurs gouvernementaux soumettent à la partie syndicale ?
La ministre de l'Enseignement supérieur est particulièrement silencieuse dans le cadre de la présente ronde de négociation. Étrange ?
Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, considère que l'adoption du projet de loi 15 a eu pour effet d'améliorer la qualité des soins au Québec. Quelques jours plus tard, devant le débordement dans les urgences, il a été obligé de remettre sur pied la cellule de crise de son ministère. Plus ça change…
17h.
La FAE rejette la nouvelle offre gouvernementale. Dans le communiqué de la fédération syndicale qui regroupe 66 000 enseigna.e.s il est précisé que cette nouvelle offre, contrairement aux affirmations de la présidente du conseil du trésor, Sonia LeBel, et du ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, contient "des reculs".
Mardi 19 décembre 2023. Il ya du mouvement du côté des négociations dans les secteurs public et parapublic. La situation n'est plus stationnaire. Voici une liste des principaux événements qui se sont produits aujourd'hui :
10h15 : le SFPQ (section personnel Ouvrier) se dit « prêt pour la grève ». La date du déclenchement des arrêts de travail n'est pas précisée dans le communiqué.
11h57 : le SPGQ annonce qu'il vient de soumettre une contre-offre au Secrétariat du Conseil du trésor. Le communiqué ne précise pas le contenu de cette contre-offre. Le paragraphe suivant est probablement le plus significatif quant aux objectifs poursuivis à ce moment-ci par le SPGQ dans le cadre de la présente ronde de négociation :
« Sa volonté est de parvenir à un règlement satisfaisant, reflétant les aspirations et les besoins de ses membres. Malgré les défis actuels, le SPGQ reste optimiste quant à la possibilité de trouver des solutions équitables et constructives pour toutes les parties impliquées. »
14h : après plus de 75 séances de négociation avec le Conseil du trésor, la FIQ demande l'intervention d'un conciliateur. Le ministre du travail, monsieur Boulet, donne rapidement suite à la demande de la FIQ et procède à la nomination d'un conciliateur en vue de « faciliter l'atteinte d'une entente le plus rapidement possible ».
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2036113/offre-syndicats-enseignants-greve-quebec . Consulté le 19 décembre 2023.
Milieu de l'après-midi : annonce surprise. Le Secrétariat du Conseil du trésor vient d'annoncer qu'il présentera au cours des prochaines heures une offre sectorielle à la FAE et à la FSE-CSQ en vue de mettre fin à la grève en cours dans certaines écoles du Québec.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2036113/offre-syndicats-enseignants-greve-quebec . Consulté le 19 décembre 2023.
https://www.ledevoir.com/societe/education/804090/front-commun-analyse-situation-instance ?. Consulté le 19 décembre 2023.
Fin de l'après-midi : le Secrétariat du Conseil du trésor a présenté une nouvelle offre aux enseignantes et aux enseignants de la FAE et de la FSE-CSQ.
https://www.ledevoir.com/societe/education/804090/front-commun-analyse-situation-instance ?. Consulté le 19 décembre 2023.
19 décembre 2023 : les organisations membres du Front commun intersyndical CSN-CSQ-FTQ-APTS sont réunies séparément à Québec. Elles doivent faire le point sur leur cadre stratégique le mercredi 20 décembre.
Yvan Perrier
19 décembre 2023
17h30
Ajout 18h30
18h30 : Communiqué émis par le Front commun intersyndical CSN-CSQ-FTQ-APTS
À défaut d'une entente satisfaisante, le front commun annonce qu'il déclenchera la grève générale illimitée « au moment opportun » en début d'année 2024.
Voici un extrait significatif du communiqué :
« Plusieurs messages contradictoires ont circulé dans les médias. À cet effet, nous tenons à préciser que nous avons signalé à la partie patronale que nous étions ouverts à discuter d'une convention collective pouvant aller jusqu'à une durée de cinq ans, pour autant que celle-ci réponde à nos demandes d'enrichissement et de rattrapage. Par ailleurs, nous n'avons pas chiffré ces demandes, nous avons plutôt indiqué au gouvernement que notre ouverture était liée à deux conditions, soit :
1- Qu'elle garantisse la protection du pouvoir d'achat ;
2- Qu'elle amène un enrichissement. Celui-ci n'a pas été chiffré afin de laisser un espace de négociation à la table. »
Ajout
19h45
Réaction de la FSE-CSQ et APEQ au dépôt patronal du 19 décembre
Intervention sur les réseaux sociaux de la présidente de la FSE-CSQ, madame Josée Scalabrini au sujet de la nouvelle proposition formelle du Secrétariat du conseil du trésor présentée plus tôt en fin d'après-midi à la FAE et à la FSE-CSQ :
« Malgré le show de boucane du gouvernement dans les médias aujourd'hui, la nouvelle proposition « formelle » du gouvernement représente un recul dans les pourparlers par rapport aux séances de négociation de la fin de semaine. On se retrousse les manches et on continue. »
Il n'y a aucune proposition gouvernementale en lien avec la composition de la classe et l'allègement de la tâche.
Ajout
20h30
Commentaire de fin de journée
Tout se passe comme si, le gouvernement Legault, en avançant et en reculant cherche uniquement à gagner du temps en feignant la négociation. Il attend son moment opportun pour dévoiler son offre finale possiblement déjà rédigée.
Ajout
20h45
Je me permets de porter à votre connaissance un fait digne de mention : la prise de position publique de la mairesse de Montréal, madame Valérie Plante, en faveur des femmes salariées syndiqués en santé et en éducation.
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Chili. Rejet de la Constitution d’extrême droite, mais maintien de celle de Pinochet

Le « non » l'a emporté lors du plébiscite organisé au Chili, au cours duquel les citoyens et citoyennes devaient exprimer leur accord ou leur désaccord avec le nouveau projet de constitution élaboré par le Conseil constitutionnel [élu le 7 mai 2023 et composé de 50 membres], un organe composé principalement de représentants de la droite et du Parti républicain d'extrême droite, un secteur dirigé par l'ancien candidat à l'élection présidentielle José Antonio Kast.
Tiré d'À l'encontre.
Selon les données fournies par le Service électoral chilien (Servel), après dépouillement de plus de 99,86% des bureaux de vote, le « non » a obtenu 55,76% des voix [6'890'826] contre 44,24% [5'457'264] pour le « oui ».
Ainsi, comme cela s'était produit en septembre 2022 [le « non » avait réuni 61,89% des votes, le « oui » 38,11%] – alors que, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui, le projet de nouvelle constitution avait été élaboré par une Convention constitutionnelle majoritairement de gauche –, la majorité des Chiliens et Chiliennes s'est prononcée contre la modification de la Magna Carta. Il en découle que la Constitution rédigée en 1980, sous la dictature d'Augusto Pinochet, continue d'être en vigueur [1].
Une fois les résultats connus, l'ultra-droitier José Antonio Kast, l'un des principaux promoteurs de l'acceptation, a émis un message dans lequel il critique l'ensemble du processus entamé après la flambée sociale de 2019, qu'il a qualifiée de « flambée criminelle ». Il continue ainsi selon Radio Bio Bio : « Nous sommes peut-être tristes, mais nous sommes heureux, parce que nous avons fait le job, parce que nous avons été cohérents, parce que nous pouvons regarder n'importe qui dans les yeux et dire que nous avons fait ce qu'il fallait, et c'est quelque chose qui nous remplit de fierté. Nous, les Républicains, sommes différents. Quand nous gagnons, nous gagnons, et quand nous perdons, nous perdons. Et ce soir, une grande majorité de Chiliens a rejeté le projet de Constitution que nous avons soutenu au Conseil constitutionnel. Nous reconnaissons cette défaite avec une grande clarté, mais aussi avec beaucoup d'humilité. »
José Antonio Kast a déclaré que les Républicains avaient échoué « dans leur tentative de convaincre les Chiliens qu'il s'agissait d'une meilleure Constitution que l'actuelle et du dispositif le plus sûr pour mettre fin à une situation d'incertitude politique, économique et sociale ».
Il a également déclaré qu'il n'y avait pas lieu de se féliciter. « Ni pour la gauche, ni pour le gouvernement, ni pour la droite, parce qu'au cours de ces quatre dernières années le pays a subi des dégâts considérables qu'il faudra des décennies pour réparer. Mon espoir est qu'aujourd'hui marque la fin d'une triste étape de notre histoire, qui a commencé par une flambée de criminalité […] et qui se termine ce soir par une manifestation démocratique massive qui clôt ce cycle de débat constitutionnel. »
***
Plus tard, c'est le président chilien, Gabriel Boric [en fonction depuis le 11 mars 2022], qui a pris la parole depuis le Palais de la Moneda, indiquant clairement que le cycle de tentatives d'élaboration d'une nouvelle constitution ne se poursuivrait pas sous son gouvernement. « Pendant notre mandat, le processus constitutionnel sera interrompu, les urgences sont autres. Le processus a suscité de la déception et même de la lassitude », a déploré le président de gauche âgé de 37 ans. Il a reconnu que, suite aux deux processus constitutionnels infructueux, « le pays s'est polarisé et divisé, et malgré ce résultat marquant [le « non » du dimanche 17 décembre] les deux processus n'ont pas réussi à concrétiser les espoirs d'avoir une nouvelle constitution rédigée pour tous », ce qui a eu pour conséquence de « laisser la politique en situation de dette à l'égard du peuple chilien ».
Selon le quotidien El Mercurio, Gabriel Boric a déclaré que ces référendums devraient servir de leçon pour l'ensemble de la société. « Nous ne pouvons pas commettre la même erreur que lors des référendums précédents, le pays est fait par nous tous, et ceux qui triomphent lors d'une votation ne peuvent pas ignorer ceux qui sont conjoncturellement défaits. »
Faisant référence aux deux projets constitutionnels, le chef de l'Etat a souligné que « ni l'une ni l'autre n'ont réussi à représenter ou à unir le Chili dans sa belle diversité ». Gabriel Boric a déclaré qu'à ce stade, après les résultats, il n'y avait de place « ni pour la célébration ni pour l'arrogance. Le ballon doit être remis au centre, il faut de l'humilité et du travail, beaucoup de travail », a-t-il déclaré. (Article publié dans le quotidien uruguayen La Diaria, le 18 décembre 2023 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Les forces politiques se prononçant en faveur du « oui » le 17 décembre étaient : le Parti républicain, le Renouveau national (RN), l'Union démocratique indépendante (UDI) et Evópoli (créé par Andrés Molina en fin 2012, lors du deuxième tour des présidentielles de 2021 le parti a appuyé José Antonio Kast). Le « non » était soutenu par le parti au pouvoir, Convergence sociale, et une coalition composée par le Parti socialiste, Parti pour la démocratie, le Parti radical et le Parti libéral, le Frente Amplio qui réunit Convergence sociale, Révolution démocratique et Communes, ainsi que le Parti communiste. (Réd.)

En Pologne, la fronde des camionneurs menace d’asphyxier l’Ukraine

11 décembre 2023 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69009
Les routiers polonais bloquent depuis un mois plusieurs passages à la frontière ukrainienne, dénonçant la « concurrence déloyale » des chauffeurs ukrainiens. Le mouvement s'est étendu à la Slovaquie et à la Hongrie, pendant qu'en Ukraine le spectre d'une pénurie plane jusqu'au front.
Korczowa (Pologne), Kyiv (Ukraine) – Dossard réfléchissant sur le dos, Kamil Gorzkowski lève le cordon qui empêche les camions de quitter la Pologne pour l'Ukraine, au passage frontalier de Korczowa, dans le sud-est de la Pologne, jeudi 7 décembre. Encadrés par la police, sept véhicules immatriculés en Ukraine défilent les uns après les autres.
« Vous avez vu ce que j'ai vu ?, interpelle le routier polonais de 37 ans, le conducteur m'a fait ça. » Et le routier de faire le geste de se trancher la gorge avec le pouce. « On ne laisse passer que sept camions de l'heure, et on est sans cesse menacés par les chauffeurs ukrainiens, qui nous traitent d'hommes de Poutine. »
À la tête d'une compagnie de transport polonaise, ce patron a rejoint le mouvement de protestation du Comité de défense des transporteurs et des employeurs du secteur du transport (Kopipt), un collectif formé en septembre 2023. À tour de rôle, Kamil Gorzkowski et ses collègues bloquent nuit et jour quatre des huit passages frontaliers routiers polonais où transitent les marchandises en provenance et en direction de l'Ukraine. Soit ceux de Korczowa, Hrebrenne, Dorohusk depuis le 6 novembre, mais également celui de Medyka depuis le 27 novembre, avec l'aide d'agriculteurs polonais s'estimant lésés par l'afflux de céréales ukrainiennes en Pologne.
Le blocus, qui vise à dénoncer une « concurrence déloyale » des camionneurs ukrainiens, ne concerne toutefois pas l'aide humanitaire, militaire, ni les vivres périssables, assurent les routiers frondeurs. Selon les gardes-frontières ukrainiens, au 10 décembre, 3 500 véhicules étaient bloqués à la frontière polonaise, dont 1 200 attendraient au passage de Shehyni, en Ukraine, en face de Medyka, en Pologne.
La gronde a déjà fait tache d'huile en Slovaquie, où l'Union des transporteurs routiers de Slovaquie (Unas) a obstrué à plusieurs reprises le passage frontalier de Vyšné Nemecké, face à Oujhorod en Ukraine, et reprendra son blocus lundi après-midi, protestant contre le « diktat de l'UE ». La contestation s'étend désormais aussi à la Hongrie, où des files d'attente de plusieurs kilomètres de poids lourds s'étaient déjà formées début décembre.
De surcroît, l'association des transporteurs hongrois (MKFE) s'apprête à bloquer lundi le passage des camions au poste frontalier de Záhony, face à Čop en Ukraine, où deux camions par heure franchiront la frontière dans chacun des deux sens.
Bonnet au logo Ferrari sur les oreilles et cigarette à la main, Kamil Gorzkowski a déjà dû congédier dix de ses treize employés ces derniers mois. « Je n'avais pas le choix : qu'un camion roule ou pas, il me coûte 450 euros par mois avec les assurances et le reste », confie le trentenaire dont l'entreprise se dédiait au transport à l'est de l'Europe, de la Pologne à Vladivostok (Russie), en passant par le Bélarus ou l'Ukraine. Soit autant de marchés secoués par la guerre en Ukraine et les sanctions imposées à ses deux voisins agresseurs.
À l'intérieur d'un conteneur qui fait office de QG aux protestataires polonais de Korczowa, son collègue Andrzej* sera bientôt dans le rouge : « J'ai épuisé la réserve que je gardais pour les accidents ou autres imprévus. Et encore, je n'ai pas de leasing sur les quatre camions que je possède... » Ce routier aux traits juvéniles accuse une rentabilité en berne de 20 %. Kamil Gorzkowski affirme, lui, que sa boîte n'aura procédé qu'à 250 transports en 2023, contre 1 000 annuellement avant la guerre en Ukraine.
« Nous exigeons le retour du système de permis que l'Union européenne accordait aux transporteurs ukrainiens avant la guerre, argumente ce chauffeur polonais, bien déterminé à rester jusqu'en janvier, voire au-delà s'il le faut. Avant la guerre, nous étions à égalité avec les Ukrainiens sur le marché du transport polono-ukrainien. Ils disposaient de 160 000 permis à l'année pour des transports vers l'UE, et nous de 160 000 permis vers l'Ukraine. Sauf que cette année, ils en sont déjà à 880 000 permis vers l'UE. Et puis, nous devons respecter le paquet de mobilité [soit la réglementation européenne en matière de transport ou de repos des routiers – ndlr], eux en sont dispensés. Pour nous, c'est une énorme concurrence. »
Les transporteurs polonais pointent aussi du doigt les salaires, impôts et charges bien moins élevés en Ukraine qu'en Pologne, conférant aux Ukrainiens un avantage comparatif démesuré sur leurs homologues polonais.
Dans la foulée de la guerre en Ukraine, l'Union européenne a effectivement mis en place des corridors de solidarité avec le pays envahi par l'armée russe, pour permettre à ses marchandises de transiter sans restriction sur le territoire européen. Dès juin 2022, la Commission européenne abolit les « permis » qu'elle exigeait jusque-là des chauffeurs ukrainiens. Cet accord avec l'Ukraine, reconduit en mars 2023, devrait être en place jusqu'en juin 2024.
« À l'époque, l'Union européenne a dû réagir rapidement : il est donc possible que la Commission européenne ait fait quelques erreurs, qu'elle pourrait corriger avec toutes les parties, mais je doute qu'elle revienne sur l'accord conclu avec l'Ukraine », estime Mateusz Fornowski, analyste spécialisé dans le transport au sein du think tank Polityka Insight.
Il faut dire que les négociations entre l'Ukraine, la Pologne et l'Union européenne restent dans l'impasse. Adina-Ioana Vălean, commissaire européenne au transport, a estimé que le blocus polonais était « inacceptable » et que l'« Ukraine ne [pouvait] pas être tenue en otage ». Après être resté longtemps passif, le premier ministre Mateusz Morawiecki – dont le nouveau gouvernement devrait tomber lundi en faveur du libéral et pro-européen Donald Tusk – a exigé le retour des permis, une demande que la Commission ne souhaite pas honorer.
Seule maigre avancée, Polonais et Ukrainiens sont parvenus à ouvrir le 4 décembre une file réservée aux camions vides entre Uhryniv en Ukraine et Dołhobyczów en Pologne. Le système de queue électronique ukrainien, très décrié par les chauffeurs polonais, ne s'y applique pas. Le ministre des transports ukrainien, Serhiy Derkach, s'est dit disposé à ouvrir davantage de dispositifs de la sorte.
Un gouvernement volontiers passif en Pologne
« Ni le premier ministre [sortant] ni le président n'ont eu l'envie de s'impliquer dans ce différend, pour mieux le laisser au prochain gouvernement, étant donné que le problème est compliqué et ne sera pas réglé en un jour », regrette Jan Buczek, président de la plus grande association de représentants des transporteurs en Pologne, l'Association des transporteurs internationaux (ZMPD).
Kamil Gorzkowski est à la tête d'une petite entreprise de transport basée dans l'est de la Pologne. Il souligne la difficulté des transporteurs polonais spécialisés dans les transports à l'est. « Quand les Polonais se sont rabattus sur les transports en Ukraine, à la suite des difficultés connues sur les transports plus à l'est, l'État ukrainien s'est mis à introduire un système de file d'attente électronique qui bloque les Polonais au retour pour plus de deux semaines, et c'est surtout ça qui a généré la protestation des chauffeurs polonais, car rien n'a été fait côté ukrainien pour améliorer le système. »
À l'image de Kamil Gorzkowski et de ses acolytes en colère, nombre des protestataires sont implantés à l'est de la Pologne. « Ce sont surtout les petites et moyennes entreprises de l'est et du sud de la Pologne, impliquées dans le transport en Ukraine et en ex-URSS, qui ont pâti de l'assouplissement du système des permis européen », signale Mateusz Fornowski.
« Leurs coûts d'exploitation sont assez élevés, car il faut payer pour la flotte et la maintenir. Mais ce secteur ne représente que quelques pourcents de l'industrie de la logistique et du transport en Pologne, surtout orientée vers l'ouest de l'Europe, du fait d'un avantage comparatif polonais », ajoute l'expert, pour qui « la baisse de revenus des entreprises polonaises concernées est aussi la résultante du ralentissement de l'économie européenne en général ».
Accusations de « cabotage »
Les protestataires dont fait partie Kamil Gorzkowski dénoncent aussi l'implantation « massive » sur le sol polonais d'entreprises de transport « issues des capitaux de l'Est dont on ignore tout ». Ils avancent également des camions estampillés humanitaires livrant du transport commercial, une information difficilement vérifiable. Les autorités chargée du transport routier en Pologne ont communiqué qu'un cinquième des contrôles effectués se sont achevés par une amende. Le ministre des transports slovaque, Jozef Ráž, a quant à lui déclaré que « deux tiers des transporteurs ukrainiens inspectés [le 1er décembre] effectuaient des transports publics non autorisés ».
« Sous prétexte d'humanitaire et de guerre, les Ukrainiens se font de l'argent, s'emporte Adam Izbeski, à la tête d'une entreprise polonaise de transport, également rencontré à Korczowa. Depuis que l'UE a levé les permis, les Ukrainiens se sont mis à faire du cabotage, du transport aux quatre coins de l'Europe. Ce n'est pas légal. » Son collègue Marcin, au bonnet noir, abonde : « Quand la guerre a éclaté, on a transporté du matériel humanitaire bénévolement, on a hébergé des Ukrainiens chez nous, et depuis, sans aucune reconnaissance, ils nous ont évincés du marché. »
Des arguments irrecevables pour les chauffeurs ukrainiens coincés à Korczowa, sur des parkings, qui doivent patienter dans leurs cabines des jours durant. « On ne s'amuse aucunement à prendre des chargements en route, on se rend juste du point A au point B », rétorque Andreï, dont la cargaison de poissons surgelés en direction de Jytomyr attend depuis sept jours à Korczowa. « Qui va acheter nos mandarines et nos bananes après des jours d'attente ici ? », s'inquiète Pavel, qui se rend à Lviv avec son chargement.
Les Polonais affirment pourtant que les vivres périssables franchissent la frontière sans entrave. « Et tout ce carburant que vous voyez là, ils en ont besoin au front », s'insurge cet Ukrainien, qui lance : « Quand les chauffeurs polonais sont arrivés dans l'Union européenne, les routiers allemands et français ne se pas sont mis à bloquer les routes pour autant ! »
En Ukraine, alors que les marchandises transitant par la Pologne représentent environ 50 % des exportations routières de l'Ukraine, les conséquences du blocage commencent à se faire sentir sur l'économie. « Les importations ont déjà été réduites d'un cinquième en novembre, ce qui pourrait coûter un point de PIB à Kyiv », a déclaré à Reuters Taras Kachka, vice-ministre de l'économie.
La baisse des approvisionnements due à l'enlisement des marchandises à la frontière a fait grimper les prix de certains produits importés, notamment le gaz de pétrole liquéfié (GPL) – utilisé par environ un million d'automobilistes ukrainien·nes –, qui a augmenté de 30 %.
La frontière occidentale de l'Ukraine constitue une bouée de sauvetage majeure pour les entreprises ukrainiennes dans le contexte de l'invasion russe et du blocus quasi total des ports ukrainiens de la mer Noire. Et les entreprises préviennent que si la situation persiste, le blocage pourrait causer des pénuries et une augmentation des prix pour les consommateurs et consommatrices.
Le transport de vivres périssables et d'aide humanitaire entravé
Les organisations caritatives et non gouvernementales qui fournissent une aide militaire aux forces armées ukrainiennes sont confrontées à plusieurs semaines de retard dans leurs livraisons critiques de drones, d'appareils électroniques et de voitures en raison du blocus. Le gouvernement polonais rejette toutefois ces accusations. Et si les chauffeurs polonais garantissent que l'aide humanitaire transite sans restriction, il semble que ce ne soit pas toujours le cas des biens à double usage destinés à soutenir l'effort de guerre.
« Notre bataillon a plusieurs camions d'aide humanitaire bloqués à la frontière, dont on a besoin ici et maintenant. Ce sont des réchauffeurs de sang et de perfusions, des garrots et d'autres matériels médicaux. Pour les fournitures classiques, nous avons des réserves, mais pour les réchauffeurs, c'est du matériel très cher, dont nous ne disposons pas », déplore Kateryna Haloushka, bénévole au bataillon médical Hospitaliery, une fondation de bénévoles extérieure à l'armée ukrainienne.
Helene Bienvenu
Clara Marchaud

Presse-toi à gauche prend une pause

Presse-toi à gauche prend une pause de quelques jours, question de reprendre des forces et relever le défi de vous tenir informé.e.s au début de la prochaine année. La lutte du Front commun et des autres syndicats du secteur public, les suites de la COP 28 et la nécessaire lutte contre les changements climatiques ainsi que la poursuite de la construction d'une alternative politique indépendantiste et féministe à gauche sera de nouveau à l'ordre du jour.
De même, la bataille pour le développement d'une presse alternative au Québec et au Canada franchit une nouvelle étape avec la mise en place d'un carrefour des médias de gauche. Autant de mandats que Presse-toi à gauche souhaite relever au cours des prochains mois. Nous vous invitons à renouveler votre appui à PTAG, que ce soit par une lecture assidue, un appui financier, collaborer avec l'équipe de production ou une contribution.
Seule la section des communiqués sera mise à jour régulièrement. Nous serons de retour le 16 janvier 2024. D'ici là, nous vous souhaitons un repos bien mérité, une indignation renouvelée contre cette société des inégalités et de la régression sociale et écologique ainsi qu'une mobilisation à la hauteur des défis que nous lance le gouvernement caquiste et ses sbires.
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Services essentiels et « la boule de cristal » de François Legault

Dans le présent conflit de travail dans les secteurs public et parapublic la question des services essentiels a indiscutablement refait surface dans l'actualité. Il y a eu également la célèbre déclaration de François Legault annonçant le retour en classe pour lundi le 18 décembre 2023. Effectuons un retour sur ces deux moments particuliers de la dernière semaine.
1.0 Services essentiels et éducation
Certaines personnes semblent rêver d'une société bien ordonnée, exempte de conflictualité sociale. Hélas, une telle société n'existe pas chez les humains.
Dans les sociétés qui reconnaissent le conflit comme étant à la source de la vie sociale, le droit - c'est-à-dire le système de justice - a pour rôle de réguler les moments où la discorde entre acteurs sociaux surgit au grand jour. Nous vivons au Québec dans une société dite de droits. Que cela nous plaise ou non, la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne (Québec) stipulent à l'alinéa 2 d) pour la première et à l'article 3 pour la deuxième que chaque personne est titulaire de « la liberté d'association ». Qu'est-ce à dire ? Cela signifie, selon un certain nombre de décisions rendues par les tribunaux, qu'en matière de travail, le droit de former un syndicat, le droit de négociation et le droit de grève jouissent, depuis un certain nombre d'années au Canada et au Québec, d'une protection constitutionnelle. Il peut être intéressant de parler de « services essentiels » dans les services publics, mais il ne faut pas perdre de vue que tout ce qui semble apparenté aux « services publics » ne tombe pas sous le couvert des « services essentiels ». Cette mise au point étant faite, poursuivons au sujet des espoirs provoqués - et le désenchantement qui a suivi – par la déclaration faite la semaine dernière par le premier ministre du Québec, monsieur François Legault. Mais avant, un petit retour sur le mouvement gréviste actuel.
2.0 La grève dans le secteur parapublic (éducation et santé)
Il y a présentement au Québec une situation dans le secteur parapublic qui a pour effet de déranger. Les 66 000 enseignant.e.s de la FAE sont toujours en grève générale illimitée depuis le 23 novembre 2023. Cela fait donc plus de quatre semaines que certaines écoles du Québec sont désertes. Les écoles primaires et secondaires, où nous retrouvons des enseignan.e.s syndiqué.e.s à la FSE-CSQ ont été en grève du 8 au 14 décembre. Idem pour les journées d'interruption de service dans les cégeps et pour l'ensemble des syndiqué.e.s qui adhèrent au front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS. Il s'agissait du côté des 420 000 membres du Front commun d'une troisième séquence d'interruption de services. Les professionnel.le.s des cégeps, affilié.e.s au SPGQ, ont été en grève les 23 et 24 novembre ainsi que le 14 décembre. Le personnel de la santé, affilié à la FIQ (environ 80 000 membres), a été en arrêt de travail les 8, 9, 23, 24 novembre et du 11 au 14 décembre. Les grèves de la FIQ et du Front commun ont été effectuées dans le respect des services essentiels.
Manifestement, il y a des problèmes majeurs au Québec en éducation et en santé. Le premier ministre du Québec, François Légault, réclame de la part du personnel syndiqué de ces deux secteurs importants de notre qualité de vie en société encore et toujours plus de « souplesse » et de « flexibilité ». De plus, il joue à celui qui peut prédire l'avenir. Il se permet d'annoncer, durant la semaine de la troisième séquence de l'arrêt de travail du Front commun et en pleine troisième semaine de grève générale illimitée de la FAE, la réouverture des écoles pour lundi le 18 décembre 2023. De plus, il n'entrevoit pas la fin de la négociation en santé avant le mois de janvier 2024. Au moment d'écrire les présentes lignes, il n'y a toujours pas de reprise du travail dans les écoles élémentaires et secondaires où le personnel enseignant est affilié à la FAE.
3.0 Néolibéralisme, flexibilité et souplesse dans les secteurs public et parapublic
Les salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic ont été particulièrement malmené.e.s depuis que le néolibéralisme triomphant et arrogant est devenu, à la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt du siècle dernier, le principe idéologique de référence de la classe politique dirigeante québécoise qui a suivi la classe dirigeante canadienne et celle des autres démocraties dites libérales. Cette idéologie se caractérise par quatre grands principes régulateurs de la vie économique, politique et sociale :
1) La libre circulation des capitaux et des marchandises à l'échelle internationale via la multiplication des traités de libre-échange ;
2) La lutte prioritaire à l'inflation au détriment du chômage ;
3) La réduction des programmes à caractère sociaux de l'État ;
4) L'affaiblissement du mouvement syndical.
C'est dans ce contexte où les organisations syndicales se sont retrouvées sur la défensive qu'ont été tantôt négociées ou tantôt décrétées les conditions de travail et de rémunération des salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic du début des années quatre-vingt à aujourd'hui. Avec pour résultat que la rémunération et les conditions de travail dans ces deux secteurs n'ont cessé de se détériorer et de se dégrader.
Les secteurs public et parapublic comptent une main-d'œuvre majoritairement féminine à environ 75%. Une main-d'œuvre qui travaille sous pression et dont la lourdeur de la tâche n'est plus à démontrer. Une main-d'œuvre à qui les négociateurs gouvernementaux et les administrateurs locaux n'ont cessé de réclamer depuis plus de quatre décennies de la souplesse et de la flexibilité. Devant ces exigences nous pouvons minimalement nous poser les questions suivantes : qu'en est-il de la reconnaissance du travail des femmes qui se dévouent dans les secteurs public et parapublic ? N'y a-t-il que les députées féminines de l'Assemblée nationale et les femmes qui oeuvrent dans les emplois fortement rémunérés de la haute fonction publique ou de la magistrature qui ont droit à un traitement égal ou équitable avec leurs collègues masculins ?
4.0 La notion de « temps » chez François Legault et sur les effets dramatiques de la stratégie gouvernementale
Nous ignorons combien de temps le présent conflit en lien avec le renouvellement des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic durera. Après nous avoir dit, en duo avec la présidente du Conseil du trésor, madame Sonia Lebel, que cela se réglerait lundi le 18 décembre ou d'ici les fêtes, ensuite d'ici la fin de l'année… le premier ministre parle maintenant du mois de janvier dans le cas des infirmières de la FIQ. Le premier ministre se mouille. Il joue au « Liseur de bonne aventure » et, à l'instar de son personnage, il nous illusionne et il nous trompe. Il nous charrie d'une date à l'autre et compte probablement sur l'épuisement des personnes qui lui résistent pour voir la fin des arrêts de travail en éducation et ailleurs. Il espère peut-être une longue grève avec la FAE qui aurait pour effet de mettre en péril l'année scolaire. Ce qui pourrait lui servir de prétexte pour justifier le recours à une loi spéciale. Qui sait même si Sonia Lebel partage ou non le même cadre stratégique que le premier ministre…
Par ses déclarations et ses fausses promesses que la fin du conflit en milieu scolaire est proche, le premier ministre joue sur les nerfs des grévistes, des parents et des enfants qui n'ont pas accès à leurs cours. Il joue également sur les nerfs des personnes en attente d'une chirurgie ou d'un rendez-vous majeur dans le réseau de la santé et des services sociaux. Pour le moment, le premier ministre se dit peut-être qu'il ne sera pas jugé sur les moyens qu'il a utilisés pour venir à bout du présent conflit, mais sur la fin qui sera tôt ou tard atteinte. Quoi qu'il en soit, en laissant perdurer le conflit de travail dans les secteurs public et parapublic, le nombre d'électrices et d'électeurs favorables à sa formation politique ne peut qu'aller en diminuant. Il en est ainsi en raison du fait que des personnes vont inévitablement finir par se dire : « Il nous prive de notre gagne-pain. » « Il nous prive de l'accès à l'école ou au cégep. » « Il nous prive de l'accès aux services de santé ou des services sociaux. » « Cet homme et sa formation politique ne méritent plus notre appui ». En agissant comme il le fait, le premier ministre va également provoquer des démissions chez certaines et certains salarié.e.s syndiqué.e.s en santé et en éducation toutes catégories confondues.
5.0 Sur la nature du présent conflit
La lutte actuelle, conduite par les dirigeant.e.s des huit organisations syndicales, n'est pas un simple conflit syndical de portée corporatiste. Il s'agit de la définition même qui sera accordée aux conditions de travail et de rémunération de plus de 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s, dont 75% sont des femmes, qui ont été ballottées et dont les conditions de travail et le salaire se sont dégradés au cours des quarante dernières années. Il y a présentement en jeu la rémunération bien entendu, mais aussi les conditions de travail et l'accès aux soins et aux services, les statuts à l'emploi, le nombre d'années à attendre l'obtention d'un poste menant à la permanence, le respect de l'autonomie professionnelle, etc..
6.0 Conclusion
La semaine se termine donc sur deux constats : dans un premier temps la demande de considérer l'école comme un service essentiel et ce au mépris des conventions internationales auxquelles le Canada et les provinces souscrivent et au mépris également de la jurisprudence des tribunaux du Canada et, dans un deuxième temps, celui des faux espoirs suscités par la déclaration de François Legault annonçant précocement ou mensongèrement le retour en classe des élèves dès lundi le 18 décembre.
À défaut de conclure une entente avec les organisations syndicales en négociation avec son gouvernement, il reste au premier ministre du Québec encore deux semaines au calendrier de l'année 2023 pour trouver ou inventer de nouveaux subterfuges visant à accuser la partie syndicale d'être à l'origine de la présente impasse. Celles et ceux qui pratiquent la négociation savent que la plupart du temps c'est la partie patronale qui a le contrôle du calendrier de négociation et non la partie syndicale. Cette dernière reste en tout temps une partie subordonnée qui peut disposer, selon la conjoncture, d'un rapport de force ou d'opinion tantôt favorable ou tantôt défavorable.
Le temps des fêtes sera donc celui où on parlera dans les chaumières du présent conflit de travail en santé et en éducation.
Joyeuses fêtes quand même !
Yvan Perrier
18 décembre 2023
15h45
yvan_perrier@hotmail.com
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Politiques d’immigration à deux vitesses : les petites phrases réactivant les frontières qui divisent

Le coup d'éclat de Paul St-Pierre Plamondon, déclarant le 5 novembre dernier qu'une « crise sociale sans précédent » menace le Québec à cause du nombre d'immigrants, a fait long feu. Cependant, de petites phrases en petites phrases, les dirigeants politiques sur le spectre de droite construisent lentement mais sûrement une figure du bouc-émissaire en la personne de « l'immigrant ». Ainsi, la déclaration de St-Pierre Plamondon surenchérissait sur celle du ministre Jean Boulet qui avait lancé une fake news à l'automne 2022, en disant que « 80% des immigrants ne travaillent pas, ne parlent pas français, ou n'adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ». Il avait dû se rétracter, mais il est resté ministre, passant de l'Immigration au Travail. Après tout, lui-même ne faisait que s'inscrire dans les pas de son Premier ministre, François Legault, qui avait déclaré au printemps 2022 que l'on se dirigeait vers une « louisianisation » du Québec à cause des immigrants allophones.
Par Carole Yerochewski et Cheolki Yoon, membres du Centre des travailleuses et travailleurs immigrants (CTTI), respectivement sociologue et professeur adjoint à l'Université St-Paul
Cette politique du bouc-émissaire que ne dément pas le gouvernement Trudeau – celui-ci a aussi rendu l'immigration responsable de la pression sur les capacités d'accueil et la crise du logement –, n'est peut-être pas destinée à fermer les portes du Canada comme les États-Unis l'avaient fait en 1921, plongeant dans le désespoir les européens et notamment les Allemands étranglés par leurs dettes de guerre. C'est à présent l'attitude de l'Union européenne, qui laisse périr en Méditerranée des milliers et milliers de migrants, aggravant dans les pays du Sud global les crises sociales et humanitaires qui résultent d'économies défaillantes et de la multiplication des conflits – des conflits qui sont souvent alimentés par les puissances occidentales. Mais le Canada peut-il se passer de l'immigration ?
Cependant, on ne peut pas ne pas s'inquiéter de voir se multiplier les petites phrases. Non qu'il faille croire que le « peuple » va se laisser berner et venir gonfler l'extrême-droite : il n'est pas si ignorant des ressorts de la pénurie de logements sociaux ou de celle de l'inflation ou des raisons du déclin du français, délaissé par de jeunes francophones abonnés aux diffuseurs d'images, de musiques et de jeux plus souvent anglophones. Il n'est en outre pas prouvé que la montée de l'extrême-droite en Europe repose sur les classes populaires ; celles-ci ont plutôt tendance à s'abstenir massivement faute de se sentir représentées.
En revanche, les classes aisées et dirigeantes, qui vont chercher des appuis partout, ne rechignent pas à passer des compromis avec ces personnages politiques peu ragoutants que sont les Giorgia Meloni, Rikka Purra, Geert Wilders conduisant des gouvernements ou y siégeant en Italie, Finlande, Pays-Bas, ou à accepter comme le ministre Darmanin en France des amendements d'extrême-droite dans un énième projet de loi sur l'immigration (trente en trente ans !). Car ni les unes ni les autres ne sont prêtes à perdre la main sur les politiques d'immigration : le contrôle des flux de main d'œuvre est au cœur du capitalisme, au risque sinon de déstabiliser les rapports de force entre les travailleurs et travailleuses et le Capital, comme Marx l'avait déjà bien souligné, en parlant de surpopulation et d'armée de réserve industrielle parmi un prolétariat n'ayant plus d'autre possibilité pour survivre que de vendre sa force de travail.
Ce que Marx n'avait pu anticiper, c'est que, compte tenu du colonialisme et des rapports de domination entre le Nord et le Sud, qui se sont approfondis au cours du 20ème siècle, l'armée industrielle de réserve s'est surtout concentrée dans ces pays du Sud global. Si bien que sa circulation de plus en plus importante vers les pays du Nord, en particulier vers le Canada, bouscule les fondements des politiques d'immigration construites au cours du 20ème siècle.
Grosso modo, au Canada, ces politiques reposent d'un côté sur une voie d'accès vers la résidence permanente et donc une forme de citoyenneté, surtout utilisée jusqu'il y a trente à quarante ans par des européens ou des francophones recherchés par le Québec (comme le montrent les données des recensements de Statistiques Canada) et, d'un autre côté, sur des programmes de permis temporaires qui se divisent en deux principaux volets : le Programme de mobilité internationale qui inclut différents cas de figure dont le déplacement de salariés entre filiales, les jeunes de certains pays signataires d'accords avec le Canada ou des situations spécifiques qui sont utilisées, dans bien des cas, pour des emplois considérés hautement qualifiés et principalement pourvus par des travailleurs du Nord ; le programme des travailleurs étrangers temporaires (TET) incluant les programmes restrictifs de permis temporaires qui s'adressent essentiellement aux populations du Sud global, car dépendants d'accords bilatéraux entre le Canada et certains pays comme les Philippines, le Mexique et le Guatemala. Les permis sont particulièrement restrictifs, ou dits « fermés », parce qu'ils sont émis pour un employeur unique, qui a le pouvoir de le rompre unilatéralement et donc de faire perdre le statut migratoire, ce qui mène en conséquence au renvoi dans leur pays des travailleuses et travailleurs qui demandent le respect de leurs droits. Jusqu'en 2002, ces programmes restrictifs de travail temporaire étaient principalement destinés à apporter de la main d'œuvre saisonnière dans l'agriculture, ou à fournir des aides familiales ; celles-ci, car il s'agit majoritairement de femmes, étaient les seules à avoir accès à la résidence permanente, mais devaient cependant attendre avant de pouvoir faire la demande et se faisaient (se font) entretemps durement exploiter (et d'autant plus que jusqu'en 2014, elles étaient obligées de vivre chez le particulier employeur qui abusait fréquemment de la situation).
Ce système de migration peut être qualifié d'héritage colonial. Il s'est perpétué au Canada avec notamment la création en 1966 d'un programme pilote destiné à faire venir de la main-d'œuvre jamaïcaine de Porto Rico en Ontario, pour répondre aux besoins des fermiers, tout en s'assurant que ces personnes ne resteraient pas au pays. Il n'est pas spécifique au Canada. D'autres pays du Nord recourent à la main d'œuvre du Sud selon le même schéma. Ces programmes bilatéraux ont été dénoncés à maintes reprises à l'issue de travaux de recherche pour leur sexisme et racisme car ils servent à mettre à la disposition des employeurs une force de travail (physique, émotionnel, etc.) choisie selon son sexe et sa nationalité, ces critères servant à attribuer des « compétences » auxquelles la main d'œuvre doit se conformer. Au Canada, cette forme d'exploitation genrée et racisée a connu un essor particulièrement important à partir de 2002, lorsqu'a été élargi aux emplois dits peu spécialisés le volet programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) d'abord réservé aux emplois qualifiés ou à certains emplois marqués par la rareté de la main-d'œuvre. En 2008, en incluant les étudiants étrangers qui sont aussi de plus en plus nombreux à venir des pays du Sud global, mais qui appartiennent dès lors à des classes sociales ayant les moyens de payer les frais d'inscription, le nombre d'entrées au Canada de personnes migrantes ayant un statut temporaire a dépassé le nombre d'entrées par la résidence permanente.
Depuis, la croissance des entrées de travailleuses et travailleurs temporaires ne s'est pas démentie, et ce malgré différentes interventions dont celle au Québec de la Commission des Droits de la Personne et des Droits de la Jeunesse, qui a clairement exprimé dès 2012 que ces programmes entretiennent la discrimination systémique à l'égard des populations migrantes en raison de leur sexe, de leur langue, de leur condition sociale, de leur origine et de leur « race » – la majorité des personnes occupant des emplois dits peu spécialisés proviennent du Guatemala, du Mexique et des Philippines. Même, le recours à ces programmes destinés à exploiter mais aussi à contrôler les flux de main-d'œuvre venant des pays du Sud global, a encore été facilité depuis le gouvernement Harper, en simplifiant les démarches des employeurs pour obtenir des autorisations à procéder à de tels recrutement ou en les en dispensant dans certaines conditions. Parallèlement, alors que les personnes issues des pays du Sud global constituent depuis plusieurs décennies la majorité des candidats empruntant la voie de la résidence permanente, les raisons d'être de cette politique ont a été en quelque sorte dénaturées à la fin des années 2010, tant par le gouvernement Trudeau que celui du Québec, puisque l'accès n'est plus ouvert à toutes et tous citoyens, mais a été restreint aux personnes dont l'intérêt pour travailler au Canada correspond aux besoins prioritaires de secteurs d'activité dans l'année où s'effectue la demande.
Ainsi, que l'on considère l'une ou l'autre des voies d'accès au Canada, on ne peut que constater qu'elles réduisent les personnes migrantes à leur utilité économique, qui est le plus souvent de combler à moindre coût les postes délaissés pour leur salaire insuffisant et leurs difficiles conditions de travail. A ainsi été franchie la ligne qui sépare les personnes considérées comme des êtres humains et comme des citoyen-ne-s à part entière, des autres, dont la vie compte moins.
Nombre d'organisations communautaires et syndicales ne s'y trompent pas, qui réclament à présent l'abolition de ce système d'immigration à deux vitesses, source d'abus, de sous-salaires et d'heures supplémentaires non payées, de violences et harcèlements psychologiques et sexuels, et d'accidents du travail. Un rapporteur spécial de l'ONU, Tomoya Obokata, venu au Canada en septembre dernier pour enquêter à ce sujet a clairement conclu que le « permis fermé » ouvrait la porte à des formes d'« esclavage moderne ». Et pour cause : le statut migratoire dégradé agit auprès des employeurs, qu'on le veuille ou pas, comme un signal stigmatisant celles et ceux qui les occupent, les épinglant comme des sous-citoyennes et sous-citoyens.
Depuis la visite du rapporteur de l'ONU, le Comité permanent sur la Citoyenneté et l'Immigration de la Chambre des Communes s'est saisi de ce sujet ainsi que de celui des personnes sans papier, très nombreuses au Canada (estimé entre 500 000 et 600 000) en raison de ces politiques. Car ce système d'immigration produit à grande échelle des pertes de statut. Si la vie des employeurs a été simplifiée, celle des détenteurs de permis temporaires fermés ne l'a été en aucun cas, malgré l'ouverture, formellement, de l'accès à la résidence permanente. En pratique, les obstacles sont nombreux, si bien que très peu de personnes titulaires du permis fermé arrivent à obtenir le statut de résident permanent (1 sur 14 entre 2015 et 2022). Cette proportion n'est qu'une moyenne : au Québec, les personnes occupant des emplois peu spécialisés continuent à quelques exceptions de se voir interdire l'accès à la résidence permanente – même les aides familiales ont vu la porte se refermer de ce fait – et se heurtent à l'insuffisance des moyens disponibles pour la francisation et à la difficulté des tests de français, ce que le gouvernement québécois a fini par reconnaître. Par ailleurs, nombre de personnes fuyant des employeurs abusifs ne réussissent pas à obtenir ce « permis ouvert pour personnes vulnérables » prévu par Ottawa dans les cas d'abus, car les démarches sont extrêmement lourdes, ou elles n'arrivent pas à obtenir de nouveau un permis « fermé » à l'issue de la durée d'un an accordé avec ce permis ouvert.
Outre la perte de statut, en raison de la nature même des politiques d'immigration qui institutionnalisent la précarité comme moyen de gérer les flux de main d'œuvre en provenance du Sud global, on peut aussi se retrouver sans-papiers, quoique dans une moindre mesure malgré ce que laisse croire la large couverture médiatique du « chemin Roxham », à cause de l'ineffectivité ou de l'insuffisance des politiques humanitaires, qui accordent trop souvent au compte-goutte la résidence permanente et la refusent pour des raisons aberrantes (voir le documentaire l'Audience, où le juge refuse le statut de réfugié à un couple avec enfants considérant qu'il « magasine » le pays dans lequel il veut vivre !). Et c'est sans compter les restrictions apportées à des programmes comme le parrainage collectif, victime de son engouement auprès d'une population prête à accompagner financièrement pendant un an des demandeurs d'asile une fois arrivés au Canada. Il faut aussi rajouter au tableau les quotas annuels imposés par Québec, qui restreint même les entrées par regroupement familial, retardant du coup la réunion des familles des années durant – des conséquences guère différentes de celles résultant de la politique « tolérance zéro » édictée par Trump envers les réfugiés provenant du Mexique et qui avait abouti à séparer près de 4 000 enfants de leurs parents.
Les annonces début novembre des gouvernements fédéral et québécois sur la planification de l'immigration n'ont pas montré de volonté de corriger ces politiques perpétuant la domination des travailleuses et travailleurs du Sud global. Les seuils d'entrées de résidents permanents sont comme « gelés » pour des raisons évoquées par les « petites phrases » mentionnées au début de cet article, soit le fait que l'immigration serait responsable des tensions sur les capacités d'accueil, de la crise du logement et, au Québec, du déclin du français. Dans le débat public, le seuil d'entrée avec le statut de résident permanent fait cependant fonction de l'arbre qui cache la forêt des personnes au statut temporaire, qui habitent ici et se débrouillent pour parler l'anglais ou le français afin de s'intégrer – rêve de toutes et tous les immigrants. Or, les annonces ont été totalement muettes sur cet enjeu majeur que constitue le devenir des personnes sans-papiers et de celles ayant un statut temporaire.
Pourtant, ces dernières représentent aujourd'hui près de 1,8 millions de personnes au Canada, dont environ 470 000 au Québec seulement, car la croissance des entrées de travailleuses et travailleurs temporaires est de loin la plus importante par rapport au reste du Canada, grâce aux encouragements du gouvernement qui en a facilité le recours. D'ailleurs la ministre de l'Immigration n'a pu éviter de parler de ces travailleurs temporaires dont l'ampleur avait été révélée par des médias quelques semaines avant l'annonce de la planification. Elle a ainsi indiqué vouloir mettre une condition de maîtrise minimale du français à l'oral pour obtenir un renouvellement au bout de trois ans d'un permis temporaire, ce qui a paru totalement indécent aux yeux des organisations syndicales et communautaires œuvrant avec les personnes migrantes, ou pour faire respecter leurs droits humains, puisqu'on ne leur donne même pas la possibilité de s'installer au Québec avec un statut permanent ! Cela semble aussi ingérable par les employeurs, qui devraient assurer des heures de français sur le temps de présence au travail alors que bon nombre d'entre eux ne respectent même pas les droits du travail.
Il est vrai que le 14 décembre dernier, Marc Miller a donné une interview au Globe and Mail rappelant la promesse faite par Trudeau, il y a déjà deux ans, concernant l'adoption d'un programme de régularisation de grande ampleur. Cependant, l'interview montre que les objectifs sont restreints là encore aux secteurs d'activité pour lesquels les immigrants sont économiquement utiles, comme la construction et la santé, où ils sont jugés « indispensables », et le processus serait très long (s'étirant jusqu'en 2026) pour des raisons explicitées dans l'interview, qui se réfèrent à la montée d'un sentiment anti-immigrant parmi la population – un sentiment que les dirigeants politiques sont en réalité en train d'amplifier. Tout se passe donc comme si cette annonce visait surtout à rassurer des employeurs confrontés à des pénuries de main-d'œuvre en raison des mauvaises conditions de travail qu'ils offrent et qui ont besoin de conserver une main-d'œuvre qu'ils auront formée. Car les organisations communautaires ou syndicales qui se mobilisent pour obtenir la régularisation des personnes sans papier demandent de leur côté un programme véritablement inclusif.
Longtemps, face aux politiques discriminatoires d'immigration et à leurs conséquences parfois lourdes sur l'état physique et mental des personnes, des organismes tels que le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants et le Réseau d'aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec, ont œuvré de façon assez isolée dans leurs premières années, ne recevant un soutien que de la part d'autres organismes communautaires, puis, petit à petit, d'organisations syndicales. Mais avec la pandémie, qui a jeté une lumière crue sur toutes ces personnes migrantes, précaires ou sans-papier, qui ont dû continuer à travailler en s'exposant à l'épidémie, perdant parfois la vie, ces organisations de travailleuses et travailleurs migrants ont acquis une visibilité ou une reconnaissance indéniable, tandis que le sort de ces personnes alors qualifiées d'essentielles n'a pu rester dans l'ombre, et ce d'autant moins qu'elles ont été les premières à se mobiliser pour faire reconnaître leurs droits.
À présent, au Québec en particulier, les organisations syndicales sont impliquées dans la campagne pour la régularisation des personnes sans-papier, qui rassemble une trentaine d'organismes communautaires d'envergure provinciale et même internationale (voir comme exemple la lettre ouverte parue dans La Presse du 18 décembre 2023). En outre, le contenu de la campagne a commencé à s'élargir pour prendre en compte la situation des travailleuses et travailleurs temporaires et réclamer l'abolition du permis fermé au profit d'un permis ouvert et d'un statut permanent. Les organisations syndicales, qui ont décidé de se coordonner sur ces sujets, ont publié un communiqué après la présentation de la planification des seuils d'entrée de résidents permanents par Québec, dénonçant clairement l'absence de ces mesures et le silence radio sur ces personnes migrantes.
Un bras de fer s'est véritablement engagé entre ceux et celles – personnes migrantes, organismes qu'elles ont créés ou œuvrant à leurs côtés, organisations syndicales - qui réclament la fin de ce système d'immigration discriminatoire et raciste, et les classes dirigeantes qui cherchent sans pudeur à travers les responsables politiques des appuis ou des voix jusqu'à l'extrême-droite. Bien sûr, une partie du patronat qui est en panne de main d'œuvre est aussi prête à soutenir l'accord d'un statut permanent aux personnes migrantes. Certains, dans les petites et moyennes entreprises, ont tout de même des valeurs humanistes. Mais en tant que classe, ils n'ont aucun intérêt à ce que les travailleurs et leurs organisations gagnent ce bras de fer qui remet en cause leur contrôle des flux de main-d'œuvre provenant des pays du Sud global. Car c'est tout un modèle économique qu'il s'agit de préserver et qui repose sur une main-d'œuvre flexible et à bas salaires, permettant de vendre les fruits et légumes cultivés au Québec moins chers, de faire de la province un espace d'entreprises logistiques à moindre coût, entre autres exemples.
Aussi, on peut faire l'hypothèse que toutes ces « petites phrases » qui se multiplient depuis la fin de la pandémie sont une réponse à la montée des contestations de ces politiques d'immigration qui reposent sur la colonialité du pouvoir et qui entretient le racisme systémique. Ce n'est pas un hasard si, pour gagner ce bras de fer, les élus politiques n'hésitent pas à faire implicitement référence aux représentations racistes latentes en faisant de « l'immigrant » la figure du bouc-émissaire face aux différents défis que traversent le Canada et tant d'autres pays occidentaux qui ont tant et si bien joué ce jeu dangereux que certains se retrouvent avec des partis d'extrême-droite au gouvernement. En tout cas, si tant le gouvernement fédéral que celui du Québec se défendaient de poursuivre des objectifs racistes ou inconsidérés, il n'en reste pas moins que transformer les personnes migrantes en bouc-émissaire est un moyen de tenter de les isoler, de leur faire perdre un pouvoir de négociation qu'elles ont durement acquis ces dernières années.
L'issue du bras de fer dépendra des mobilisations en cours et donc aussi de l'engagement des syndicats, notamment au Québec (mais pas seulement). Feront-ils de ces enjeux une campagne prioritaire, en formant leurs conseillers et leurs syndicats locaux à connaître et faire valoir les droits des travailleuses et travailleurs migrants, en en expliquant les enjeux et en les appelant à se mobiliser sur ces sujets ? Car les syndicats côtoient de plus en plus souvent ces travailleuses et travailleurs temporaires, telle cette préposée aux bénéficiaires dans une résidence privée syndiquée où pourtant elle ne touche que le salaire minimum et non celui de la convention collective…
De tels exemples prolifèrent. Aussi, on aurait tort de considérer anodines ces « petites phrases » qui échappent des interventions médiatiques des responsables politiques. Elles parsèment le paysage d'appels au resserrement « des citoyens de souche » contre « l'autre ». Elles jouent sur le racisme systémique qui nourrit des représentations sociales par définition inconscientes, non intentionnelles, qui ne conduisent pas nécessairement à voter consciemment pour l'extrême-droite, mais peuvent aboutir à faire passer le respect des droits des « immigrants » au second plan. C'est cela qui ne doit pas se produire.
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