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En Allemagne, des manifestations contre l’extrême droite d’une ampleur historique

23 janvier 2024, par Huffington Post — , ,
Des dizaines de milliers de personnes ont à nouveau défiler ce dimanche dans les rues du pays, pour protester contre l'AfD, parti d'extrême droite à l'idéologie radicale. (…)

Des dizaines de milliers de personnes ont à nouveau défiler ce dimanche dans les rues du pays, pour protester contre l'AfD, parti d'extrême droite à l'idéologie radicale.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
21 janvier 2024

Par Huffington Post

ALLEMAGNE - Un succès un peu trop important. La manifestation contre l'extrême droite organisée à Munich ce dimanche 21 janvier a été interrompue en raison de la trop forte affluence dans les rues de la capitale bavaroise.

Les organisateurs ont déclaré que 50 000 personnes s'étaient déplacées, soit deux fois plus que le nombre d'inscrits. D'autres estimations font état d'un chiffre plus élevé, jusqu'à 200 000 personnes. La police a pour sa part estimé la foule à 100 000 personnes, selon le quotidien Sueddeutsche Zeitung.

Comme à Munich, des dizaines de milliers de personnes étaient à nouveau dans les rues, ce dimanche en Allemagne, contre l'AfD, parti d'extrême droite à l'idéologie radicale qui suscite depuis une semaine une mobilisation d'une rare ampleur dans le pays.

Des rassemblements avaient été annoncés dans une quarantaine de villes (Berlin, Bonn, Cologne...) mais aussi dans des localités de taille beaucoup plus modeste. À Cologne, les organisateurs ont estimé la foule à 70 000 personnes ce dimanche, tandis qu'à Brême, la police locale a dénombré 45 000 manifestants dans le centre. À Dresde, capitale du Land de Saxe, un bastion du parti anti-migrants et anti-système Alternative pour l'Allemagne (AfD), une manifestation était ainsi aussi prévue.

Plus de 100 000 personnes étaient déjà descendues dans les rues samedi dans des dizaines de villes, la chaîne de télévision publique ARD avançant même le chiffre de 250 000 manifestants à travers le pays.

Le choc après une réunion d'extrémistes à Potsdam

Une mobilisation qui témoigne du choc provoqué par la révélation le 10 janvier par le média d'investigation allemand Correctiv d'une réunion d'extrémistes à Potsdam, près de Berlin, où, en novembre, un projet d'expulsion massive de personnes étrangères ou d'origine étrangère a été discuté.

La ministre de l'Intérieur Nancy Faeser est allée jusqu'à estimer dans la presse que cette réunion rappelait « l'horrible conférence de Wannsee », où les nazis planifièrent en 1942 l'extermination des Juifs européens.

Parmi les participants se trouvaient une figure de la mouvance identitaire radicale, l'Autrichien Martin Sellner, et des membres de l'AfD. Martin Sellner y a présenté un projet pour renvoyer vers l'Afrique du Nord jusqu'à deux millions de personnes − demandeurs d'asile, étrangers et citoyens allemands qui ne seraient pas assimilés −, affirme Correctiv.

Cette révélation a secoué l'Allemagne alors que l'AfD ne cesse de progresser dans les sondages, à quelques mois de trois importantes élections régionales dans l'est du pays où les intentions de vote pour le parti d'extrême droite sont encore plus élevées que dans le reste du pays.

Le HuffPost avec AFP

P.-S.

• Le HuffPost. 21/01/2024 17:23 Actualisé le 21/01/2024 17:25 :
https://www.huffingtonpost.fr/international/video/en-allemagne-des-manifestations-contre-l-extreme-droite-d-une-ampleur-historique_228668.html

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Iran : Mobilisations et grève des salarié.es du Groupe National de l’Aciérie d’Ahwaz

23 janvier 2024, par Syndicat des travailleurs et des travailleuses de la compagnie de bus de Téhéran et sa banlieue — , ,
Le quatrième jour de mobilisation et grève des sidérurgistes du Groupe National de l'Aciérie d'Ahwaz s'est poursuivi avec des slogans tels que « Nous sommes prêt.es à mourir, (…)

Le quatrième jour de mobilisation et grève des sidérurgistes du Groupe National de l'Aciérie d'Ahwaz s'est poursuivi avec des slogans tels que « Nous sommes prêt.es à mourir, plutôt que d'être humilié.es » « les menaces et et la prison, ne nous ferons pas plier ».

Tiré d'Iran-echo.

Selon les rapports du Syndicat des salarié.es du Groupe National de l'Aciérie d'Ahwaz, leurs revendications comprennent :

La levée de l'interdiction d'entrer dans l'entreprise pour les travailleurs/euses suspendu.es et la réintégration des travailleurs/euses précédemment licencié.es ;

L'alignement des salaires sur ceux des autres entreprises sidérurgiques, dont l'aciérie d'Oxin ;

La mise en œuvre complète et immédiate du plan de classification des emplois ;

Un contrat de travail sans paragraphes laissés en blanc pour tous les travailleurs/euses de la filiale Shafaq ;

Le licenciement du PDG corrompu, l'appropriation et l'autogestion de l'entreprise par les travailleurs/euses ;

Les obstacles et les défis auxquels sont confronté.es les grévistes du Groupe National de l'Aciérie d'Ahwaz sont innombrables : menaces, intimidations, présence de vigiles et de membres des services sécuritaires interdisant la présence dans l'entreprise d'environ 40 travailleurs/euses protestataires, suspension et licenciement de travailleurs/euses protestataires, direction d'entreprise incompétente et corrompue menant une politique anti-ouvrière, rôle destructeur de la Banque Nationale, etc. Mais l'unité des travailleurs/euses, leur détermination et leurs organisations indépendantes traceront le chemin pour obtenir la satisfaction de ces revendications.

Nous saluons les grévistes du Groupe National de l'Aciérie d'Ahwaz.

Le chemin des travailleurs/euses vers la victoire passe par leur unité, ainsi que l'existence d'organisations ouvrières indépendantes du patronat, de l'Etat et de toutes les institutions liées aux forces de sécurité et de renseignement, tels le Conseil islamique du travail et la « Maison des travailleurs ».

26 décembre 2023

Syndicat des travailleurs/euses de la compagnie de bus de Téhéran et sa banlieue

Frappes américano-britanniques contre les Houthis : Premier acte d’une escalade régionale ?

23 janvier 2024, par Mourad Slimani, El Watan — , ,
Le conflit au Moyen-Orient prend une nouvelle dimension avec les frappes américano-britanniques menées contre des cibles houthies au Yémen, dans la nuit de jeudi à hier. (…)

Le conflit au Moyen-Orient prend une nouvelle dimension avec les frappes américano-britanniques menées contre des cibles houthies au Yémen, dans la nuit de jeudi à hier. Jusqu'ici, les Etats-Unis et leurs proches alliés, engagés solidairement dans un soutien inconditionnel à Israël dans sa guerre contre la Bande de Ghaza, avaient tout entrepris pour éviter un tel scénario, mais il est évident que la détermination des Houthis, jouissant de l'appui de Téhéran, a compté dans l'équation, brouillé les calculs de l'engagement occidental dans la région et eu raison de la réserve stratégique de Washington et son escorte de partenaires.

Tiré de Algeria-watch.org
17 janvier 2024

Par Mourad Slimani, El Watan

Des sites militaires dans des villes contrôlées par le mouvement Ansar Allah, nom officiel de l'organisation politique des Houthis, et identifiés comme étant les plateformes de lancement des attaques contre des objectifs maritimes en mer Rouge, ont été pris pour cibles par des avions de combat britanniques et des tirs de missiles américains, notamment dans la capitale Sanaa et les gouvernorats d'Al Hodeïda, Taïz, Hajjah et Saada.

Le porte-parole militaire du mouvement yéménite évoque un ensemble de 73 raids ayant fait 5 morts parmi les troupes houthies. « Notre pays fait face à une attaque massive par des navires américains et britanniques, des sous-marins et des avions », a réagi le vice-ministre des Affaires étrangères de l'organisation yéménite, Hussein Al Ezzi. Prenant le relais du chef du mouvement, Abdel Malek El Houthi, qui, jeudi dernier, avait menacé par anticipation de « riposte importante » toute attaque américaine, le ministre ajoute que « les Etats-Unis et la Grande-Bretagne doivent se préparer à payer un prix fort et supporter les lourdes conséquences de cette agression ».

Pour leur part, les coalisés avec Washington (Australie, Bahreïn, Canada, Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Corée du Sud, Royaume-Uni) ont tenu à préciser, dans une déclaration commune, que les attaques se présentaient comme un mal nécessaire, se contentaient d'être défensives et visaient une désescalade de la tension dans la région.

Dans la foulée, Joe Biden, le président américain, a salué le « succès » de l'opération, insistant sur le fait que la riposte intervenait après des mises en garde adressées régulièrement au mouvement houthi et que le seul but de la réaction des coalisés restait la protection du commerce international. « Ces frappes ciblées sont un message clair que les Etats-Unis et nos partenaires ne toléreront pas les attaques sur nos troupes (et) ne permettront pas à des acteurs hostiles de mettre en danger la liberté de navigation », a menacé Joe Biden sur un ton qui tranche avec une certaine retenue observée jusqu'ici et soulignant le caractère délicat des opérations et leur timing problématique.
Le piège Bab el Mandeb

Ne voulant pas compromettre un processus de négociation de paix entre son allié l'Arabie Saoudite et le mouvement rebelle houthi, après des années de guerre sanglante, Washington a plutôt misé sur la dissuasion pour contenir le foyer yéménite. Mais la plus grande hantise consiste en une extension régionale du conflit au-delà du contexte palestinien, que signerait symboliquement et militairement une intervention US en terre yéménite.

La Maison-Blanche déploie en effet un effort diplomatique appuyé pour éviter un débordement du conflit et une implication militaire de mouvements soutenant la résistance du Hamas à Ghaza (Hezbollah au Sud Liban et mouvement Ansar Allah au Yémen, notamment) et pouvant compter sur l'appui de l'Iran. Ce fut au demeurant l'objet principal de la mission diplomatique du secrétaire d'Etat américain la semaine dernière dans la région.
La mise en place d'une coalition internationale, il y a un mois sous impulsion US, pour sécuriser les passages au détroit de Bab El Mandeb, n'a finalement pas eu l'effet dissuasif escompté sur l'audace guerrière houthie. Bien au contraire, la constance des attaques observée depuis près de deux mois, malgré les avertissements occidentaux et onusiens, s'est muée en une recrudescence.

La semaine dernière, un palier supérieur dans les attaques ciblant les navires suspectés de liens avec l'économie israélienne a été enclenché : alors que 18 drones et 3 missiles, lancés à partir des bases yéménites, ont été interceptés par l'armada américano-britannique stationnée dans les eaux de la région, jeudi un missile antinavire portant le sceau houthi a été par ailleurs abattu par le bouclier des coalisés. La nuit de la même journée, Rishi Sunak, le Premier ministre britannique, a réuni d'urgence son gouvernement pour avaliser une participation militaire de son pays aux frappes américaines contre Ansar Allah.
Inquiétudes et condamnations à l'international

Les réactions dans le monde ont suivi les contours qui marquent les degrés et la nature des implications dans la guerre contre Ghaza. Les alliés occidentaux d'Israël ont globalement salué les frappes, l'Union européenne a même choisi le contexte pour annoncer la tenue, à partir de la semaine prochaine, de discussions au niveau de ses instances autour de l'objectif de mettre en place une force navale européenne pour la sécurisation des voix maritimes en appui à la coalition militaire qui vient de frapper au Yémen.

Les deux grandes puissances que sont la Chine et la Fédération de Russie expriment, quant à elles, de grandes réserves ou de franches condamnations. Alors que Pékin se soit dit « préoccupé » par les conséquences des attaques, Moscou accuse le bloc occidental de persister dans son attitude de mépris à l'encontre du droit international. « Les frappes sur le Yémen sont un exemple du dédain total du droit international par les Anglo-Saxons au nom d'une escalade dans la région, de leurs objectifs destructeurs », dénonce la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova.

L'Iran, régulièrement cité comme le commanditaire direct des actions des mouvements de résistance « islamistes » hostiles à Israël, dont les Houthis, a pour sa part condamné les frappes.

Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Nasser Kanani, dénonce une « action arbitraire » et une « atteinte à la souveraineté du Yémen ». Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s'élève, de son côté, contre ce qu'il qualifie de riposte « disproportionnée ». « Toutes ces actions constituent un usage disproportionné de la force (…).

L'Amérique et Israël utilisent cette même force disproportionnée contre les Palestiniens et les Britanniques marchent dans les pas des Etats-Unis. Ils cherchent à créer un bain de sang en mer Rouge », charge-t-il. Enfin le mouvement Hamas prévient, dans un communiqué diffusé hier, que les frappes américano-britanniques vont avoir des « répercussions » inévitables sur la sécurité régionale.

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Attaques à la frontière entre le Pakistan et l’Iran : une mise en perspectives historiques

23 janvier 2024, par Farooq Tariq — , , ,
Après une frappe aérienne de l'armée pakistanaise le 18 janvier dans une ville frontalière iranienne qui a tué au moins 9 personnes en représailles à l'attaque de missiles du (…)

Après une frappe aérienne de l'armée pakistanaise le 18 janvier dans une ville frontalière iranienne qui a tué au moins 9 personnes en représailles à l'attaque de missiles du 16 janvier sur la ville frontalière du Baloutchistan qui, elle, avait tué entre autres deux enfants, les gouvernements pakistanais et iranien ont convenu de désamorcer la menace de guerre et de rétablir des relations diplomatiques à part entière.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
20 janvier 2024

Par Farooq Tariq

Pour l'heure, une accalmie complète règne en ce 20 janvier, les deux Etats semblant se venger de leurs « ennemis » réfugiés dans l'un ou l'autre pays. Tous deux ont réussi à tuer certains de ceux qu'ils considèrent comme appartenant à des groupes terroristes, le Jaish al Adl (Armée de la Justice) au Pakistan et les séparatistes baloutches en Iran.

L'Iran a affirmé avoir pris pour cible deux bases du groupe armé Jaish al Adl au Pakistan. Ce groupe a revendiqué l'attaque d'un poste de police dans la ville iranienne de Rask, dans la province frontalière méridionale du Sistan-Baloutchistan, qui a tué 11 membres du personnel de sécurité iranien. L'attaque a été condamnée par le Pakistan.

Quelles que soient les attaques menées par les uns et les autres, le peuple baloutche est la cible des deux camps. Les uns luttent contre les « atrocités du Pakistan » et les autres contre l'occupation coloniale iranienne d'une partie du Baloutchistan. Après la Première Guerre mondiale, le Baloutchistan occidental a été cédé à l'Iran par l'impérialisme britannique.

L'attaque pakistanaise contre les « camps séparatistes du Baloutchistan » en Iran a eu lieu au moment où plusieurs centaines de militants baloutches campent à Islamabad pour retrouver les militants baloutches disparus et mettre fin aux exécutions extrajudiciaires. Ils sont arrivés à Islamabad depuis le district de Turbat, au Baloutchistan, au cours d'une longue marche qui a attiré l'attention de nombreux observateurs internationaux.

L'escalade des tensions frontalières qui se traduit par des attaques de missiles à l'intérieur du Pakistan et de l'Iran doit être replacée dans le contexte du génocide israélien des Palestiniens. C'est la première fois qu'il y a eu une frappe aérienne et une attaque de missiles par le Pakistan en Iran. L'impérialisme américain serait très heureux si l'Iran était occupé à se défendre contre les attaques du Pakistan au lieu d'aider les Palestiniens, principalement par l'intermédiaire d'organisations que Téhéran patronne.

Il existe une longue histoire de conflits entre les deux pays. Il y a eu une guérilla au Baloutchistan sous le premier gouvernement Bhutto. Elle a eu lieu après que le gouvernement provincial élu du Parti national Awami (NAP), qui s'opposait au gouvernement fédéral du Parti du peuple pakistanais, a été renversé par Bhutto à l'instigation du Shah d'Iran, en 1973. De nombreux jeunes Baloutches sont partis dans les montagnes pour se défendre et beaucoup ont émigré en Afghanistan et en Iran.

Au cours de cette décennie, l'Iran a tenté d'introduire d'autres tribus dans la province voisine de Sestan-Baluchestan afin de transformer la majorité des Baloutches en minorité, comme Israël l'a fait avec les Palestiniens.

Le Shah d'Iran, terrifié par la résistance croissante des Baloutches en Iran, a demandé à Zulfiqar Ali Bhutto de prendre des mesures contre le gouvernement provincial du NAP. Bhutto l'a fait brutalement, pour écraser la résistance baloutche à l'aide d'une opération de l'armée au Baloutchistan. Le Shah d'Iran craignait que si le Baloutchistan oriental devenait indépendant, le Baloutchistan occidental, situé sur le territoire iranien, en ferait partie. Depuis lors, les Baloutches ont été pris pour cible par les deux parties, mais la résistance, sous de nombreuses formes, se poursuit jusqu'à aujourd'hui.

Les deux Etats s'accusent mutuellement d'abriter les « terroristes » dans leur pays, les groupes religieux au Pakistan et les groupes nationalistes en Iran.

Si la guerre s'intensifie, ce qui ne semble pas être le cas actuellement, elle portera atteinte aux économies des deux pays à un niveau jamais atteint auparavant. L'approvisionnement en pétrole du Pakistan pourrait être durement touché par les Iraniens. Le commerce entre les deux pays serait interrompu. L'Iran profite déjà de la « contrebande » de pétrole iranien en vrac vers le Pakistan à l'heure actuelle.

Il est important de noter que les activités commerciales entre le Pakistan et l'Iran se sont poursuivies normalement, les deux pays ayant gardé tous leurs points de passage ouverts malgré la violation de l'espace aérien par les forces iraniennes et la riposte des forces pakistanaises qui s'en est suivie. Les activités commerciales se poursuivent le long des villes frontalières, notamment Taftan, Gwader, Kech, Panjgor et Washuk.

En août 2023, les ministres des affaires étrangères des deux pays se sont réunis à Islamabad pour formuler un plan commercial quinquennal visant à atteindre un objectif commercial de 5 milliards de dollars.

Il semble que la menace d'une guerre totale soit désormais écartée, puisque les ministres des affaires étrangères de l'Iran et du Pakistan se sont parlés et ont mis l'accent sur une relation « fraternelle ». Il ne s'agit que d'une parenthèse entre les deux pays islamiques soi-disant frères, qui attendent un meilleur moment pour frapper à nouveau lorsque leur crise interne s'aggravera.

Le mouvement mené par les femmes contre la République islamique d'Iran au cours des dernières années et la longue marche des activistes baloutches au Pakistan sont le véritable espoir des mouvements progressistes dans les deux pays et au niveau international. Il faut mettre un terme aux enlèvements et aux meurtres de Baloutches par le gouvernement pakistanais et par celui de l'Iran.

Farooq Tariq

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Forum populaire Asie-Europe

Cour Internationale de Justice, Israel accusé de « génocide » : Plaidoyer de l’Afrique du sud

Dans leur plainte, les avocats sud-africains estiment que l'offensive israélienne vise « la destruction des Palestiniens de la bande de Gaza ». Des audiences ont lieu mercredi (…)

Dans leur plainte, les avocats sud-africains estiment que l'offensive israélienne vise « la destruction des Palestiniens de la bande de Gaza ». Des audiences ont lieu mercredi 10 et jeudi 11 janvier, une victoire formelle pour les adversaires de la politique israélienne. Le 28 octobre 2023, Craig Mokhiber, directeur du bureau new-yorkais du Haut-Commissariat des droits de l'homme à l'ONU, a démissionné de son poste. Dans une lettre, il explique les raisons de son geste. Relayée par de grands titres de la presse anglo-saxonne comme le Washington Post ou The Guardian, cette démission a pratiquement été ignorée par les grands médias français.

Tiré d'Afrique en lutte. Publié à l'origine par Al Jazeera English.

Cher monsieur le Haut-Commissaire,

C'est ma dernière communication officielle en tant que directeur du bureau de New-York du Haut-Commissariat aux droits de l'homme. Nous vivons une période très anxiogène et nous sommes inquiets pour la sécurité de beaucoup de nos collègues. Une fois de plus, nous assistons à un génocide qui se déroule sous nos yeux et nous sommes impuissants à l‘arrêter. J'ai enquêté sur les droits humains en Palestine depuis les années 1980. J'ai vécu à Gaza dans les années 1990 ; j'y étais en tant que conseiller des Nations unies pour les droits de l'homme. J'ai effectué encore plusieurs missions, avant et après, toujours pour la défense des droits humains.

Cette situation me touche profondément et m'atteint à titre personnel. J'étais présent, dans nos locaux de l'ONU quand il y a eu les génocides contre les Tutsis, les musulmans bosniaques, les Yezidis et les Rohingyas. Dans chacun de ces cas, alors que la poussière retombe sur les horreurs perpétrées contre des civils sans défense, il devient douloureusement clair que nous avons manqué à notre devoir de répondre aux impératifs de prévention de ces atrocités de masse, à notre devoir de protection des personnes vulnérables et à l'obligation que nous avions que les auteurs de ces crimes répondent de leurs actes. Il en fut ainsi lors des vagues successives de meurtres et de persécution contre les Palestiniens, tout au long de l'existence des Nation unies.

Monsieur le Haut-Commissaire,

Nous vivons encore un échec.

En tant qu'avocat spécialisé dans les droits humains, avec plus de trente ans d'expérience dans ce domaine, je sais bien que ce concept de génocide a souvent été galvaudé politiquement. Mais le massacre actuel du peuple palestinien, ancré dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, après des décennies de persécution et d'épuration systématiques et entièrement fondées sur leur statut d'Arabes, avec des déclarations d'intention explicites de la part des dirigeants du gouvernement israélien et de son armée, tout cela ne laisse aucune place au doute ou au débat.

À Gaza, les maisons d'habitation, les écoles, les églises, les mosquées et les établissements médicaux sont attaqués sans raison, et des milliers de civils sont massacrés. En Cisjordanie, y compris dans Jérusalem occupée, des maisons sont saisies et attribuées à d'autres en fonction de leur race. Des colons qui commettent des pogroms sont accompagnés par des unités militaires israéliennes. Dans tout le pays, c'est l'apartheid !

Il s'agit d'un cas typique de génocide. Le projet européen, ethno-nationaliste, de colonisation en Palestine est entré dans sa phase finale : la destruction accélérée des derniers vestiges de la vie palestinienne autochtone sur leurs terres. En plus, les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni et d'une grande partie de l'Europe sont totalement complices de cet assaut terrible. Non seulement ces gouvernements refusent de remplir leurs obligations au regard des traités pour assurer le respect des conventions de Genève, mais ils fournissent des armes et des renseignements et ils couvrent politiquement et diplomatiquement les atrocités commises par Israël.

Ajoutons à cela que les grands médias occidentaux, de plus en plus proches de l'État et en violation claire de l'article 20 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, déshumanisent continuellement les Palestiniens pour faciliter le génocide. Ils diffusent de la propagande de guerre, appellent à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité et à la violence.

Les entreprises de médias sociaux basées aux États-Unis étouffent les voix des défenseurs des droits humains, tout en amplifiant la propagande pro-israélienne. Les contrôleurs en ligne du lobby israélien, les trolls et les fausses ONG créées par les gouvernements, harcèlent et salissent les défenseurs des droits humains, et les universités et employeurs occidentaux collaborent avec eux pour punir ceux qui osent s'élever contre les atrocités. À la suite de ce génocide, ces acteurs doivent rendre des comptes, comme ce fut le cas pour la radio des Mille collines au Rwanda.

LES PROMESSES ILLUSOIRES D'OSLO

En de telles circonstances, notre organisation doit être efficace et fonder son action sur des principes. Mais nous n'avons pas relevé le défi. En raison de l'intransigeance des États-Unis, le Conseil de sécurité a été de nouveau bloqué. Le Secrétaire général est attaqué pour les protestations les plus bénignes et nos mécanismes de défense des droits humains font l'objet d'attaques calomnieuses et soutenues, venant d'un réseau organisé en ligne pour défendre l'impunité.

Les promesses illusoires et largement fallacieuses d'Oslo ont depuis des décennies distrait, détourné l'organisation de son devoir essentiel de défense du droit international, des droits humains et de la Charte elle-même. Le mantra de la solution à deux États est devenu un sujet de plaisanterie dans les corridors de l'ONU, à la fois pour son impossibilité absolue dans les faits et pour son incapacité totale à tenir compte des droits humains inaliénables du peuple palestinien. Le soi-disant Quartet1 n'est plus qu'une feuille de vigne pour l'inaction et la soumission à un statu quo brutal. Le renvoi (prôné par les États-Unis) aux « accords entre les parties elles-mêmes » au lieu de se référer au droit international a toujours été d'une transparente inconséquence, destiné à renforcer le pouvoir d'Israël sur les droits des Palestiniens occupés et dépossédés de leurs biens.

Monsieur le Haut-Commissaire,

Je suis venu à cette organisation dans les années 1980 parce que j'y ai trouvé une institution fondée sur des principes et des normes résolument du côté des droits humains, y compris dans les cas où les puissants États-Unis, le Royaume-Uni et l'Europe n'étaient pas de notre côté.

Alors que mon propre gouvernement, ses institutions et une grande partie des médias américains soutenaient ou justifiaient encore l'apartheid sud-africain, l'oppression israélienne et les escadrons de la mort en Amérique latine, les Nations unies défendaient les peuples opprimés de ces pays. Nous avions le droit international de notre côté. Les droits humains et les principes étaient aussi de notre côté. Notre autorité était liée à notre intégrité. Mais cela n'est plus le cas. Au cours des dernières décennies, des éléments clés des Nations unies ont cédé au pouvoir des États-Unis et à la peur du lobby israélien, abandonnant ses principes et se retirant du droit international lui-même.

Nous avons beaucoup perdu dans cet abandon, y compris notre propre crédibilité mondiale. Mais c'est le peuple palestinien qui a subi les plus grandes pertes à cause de nos échecs. L'ironie de l'histoire veut que la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) ait été adoptée en 1948, l'année de la Nakba perpétrée contre le peuple palestinien. Alors que nous commémorons le 75e anniversaire de la DUDH, nous ferions bien d'abandonner le vieux cliché selon lequel elle est née des atrocités qui l'ont précédée. On doit admettre qu'elle est née en même temps que l'un des génocides les plus atroces du XXe siècle, celui de la destruction de la Palestine. D'une certaine manière, les auteurs de la déclaration promettaient les droits humains à tout le monde, sauf au peuple palestinien.

N'oublions pas non plus que les Nations unies ont commis le péché originel de faciliter la dépossession du peuple palestinien en ratifiant le projet colonial européen qui s'est emparé des terres palestiniennes et les a remises aux colons.

Nous avons beaucoup de choses à nous faire pardonner.

Mais la voie de l'expiation est claire. Nous avons beaucoup à apprendre de la position de principe adoptée ces jours derniers dans les villes du monde entier où des foules s'élèvent contre le génocide, même au risque d'être battues ou arrêtées. Les Palestiniens et leurs alliés, les défenseurs des droits humains de tous bords, les organisations chrétiennes et musulmanes et les voix juives progressistes qui disent « pas en notre nom », tous nous montrent la voie. Il ne nous reste qu'à les suivre.

Hier, à quelques rues d'ici, la gare centrale de New-York a été complètement envahie par des milliers de défenseurs juifs des droits humains, solidaires du peuple palestinien et exigeant la fin de la tyrannie israélienne (beaucoup d'entre eux risquant d'être arrêtés). Ce faisant, ils ont éliminé en un instant l'argument de propagande (hasbara) israélienne et le vieux trope antisémite selon lequel Israël représente en quelque sorte le peuple juif. Ce n'est pas le cas. En tant que tel, Israël est seul responsable de ses crimes.

Sur ce point, il faut répéter malgré les calomnies du lobby israélien que la critique des violations des droits humains par Israël n'est pas antisémite, pas plus que la critique des violations saoudiennes n'est islamophobe, la critique des violations de Myanmar n'est antibouddhiste ou la critique des violations indiennes n'est antihindouiste. Lorsqu'ils cherchent à vous faire taire par des calomnies, nous devons élever la voix, pas la baisser.

LA RESPONSABILITÉ DES NATIONS UNIES

J'espère que vous conviendrez, monsieur le Haut-Commissaire, que c'est ce que parler vrai veut dire, face au pouvoir. Mais j'ai également espoir dans les parties des Nations unies qui ont refusé de compromettre les principes de l'organisation en matière de droits humains, malgré les énormes pressions exercées en ce sens. Nos rapporteurs spéciaux indépendants, nos commissions d'enquête et nos experts en traités ainsi que la plupart des membres de notre personnel, ont continué à défendre les droits humains du peuple palestinien. Alors que d'autres parties des Nations unies (même au plus haut niveau) ont honteusement courbé l'échine devant le pouvoir.

En tant que gardien des normes et des standards en matière de droits humains, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme a le devoir particulier de défendre ces normes. Notre tâche, je crois, est de faire entendre notre voix, du Secrétaire général à la dernière recrue de l'ONU et dans l'ensemble du système des Nations unies, en insistant sur le fait que les droits humains du peuple palestinien ne peuvent faire l'objet d'aucun débat, négociation ou compromis, où que ce soit sous le drapeau bleu.

À quoi ressemblerait alors une position fondée sur les normes des Nations unies ? À quoi travaillerions-nous, si nous étions fidèles à nos remontrances rhétoriques sur les droits humains et l'égalité pour tous, s'il y avait imputabilité pour les auteurs de crimes et réparations pour les victimes et une protection des personnes vulnérables et l'accès à l'autonomie pour les personnes détentrices de droits, le tout dans le cadre d'un état de droit ? La réponse, je crois, est simple si nous avons la lucidité de voir au-delà des écrans de fumée propagandistes qui déforment la vision de la justice pour laquelle nous avons prêté serment, si nous avons le courage d'abandonner la peur et la déférence à l'égard des États puissants, si nous avons vraiment la volonté d'embrasser la bannière des droits humains et de la paix. Certes, il s'agit d'un objectif et la côte à gravir est raide. Mais nous devons commencer maintenant ou nous abandonner à une horreur indicible.

Dix points essentiels doivent nous guider.

1- Une action légitime. Premièrement, nous devons, au sein des Nations unies, abandonner le processus d'Oslo qui a échoué et qui est en grande partie fallacieux. Sa solution illusoire à deux États, son Quartet impuissant et complice. Et il faut cesser la mise en berne du droit international pour obéir à des diktats de pure convenance politique. Nos politiques doivent être fondées sans équivoque sur les droits humains et le droit international.

2- Une vision claire. Nous devons cesser de prétendre qu'il s'agit simplement d'un conflit territorial ou religieux entre deux parties belligérantes, et admettre la réalité de la situation dans laquelle un État au pouvoir disproportionné colonise, persécute et dépossède une population indigène sur la base de son appartenance ethnique.

3- Un test unique fondé sur les droits humains. Nous devons soutenir l'établissement d'un État unique, démocratique et laïque dans toute la Palestine historique, avec des droits égaux pour les chrétiens, les musulmans et les juifs et, par conséquent, assumer le démantèlement du projet colonialiste profondément raciste et la fin de l'apartheid sur l'ensemble du territoire.

4- Lutte contre l'apartheid. Nous devons rediriger tous les efforts et toutes les ressources des Nations unies vers la lutte contre l'apartheid, comme nous l'avons fait pour l'Afrique du Sud dans les années 1970, 1980 et au début des années 1990.

5- Retour et indemnisation. Nous devons réaffirmer et insister sur le droit au retour et à l'indemnisation complète de tous les Palestiniens et de leurs familles qui vivent actuellement dans les territoires occupés et au Liban, en Jordanie, en Syrie et dans la diaspora à travers le monde.

6- Vérité et justice. Nous devons appeler à un processus de justice transitionnelle, en utilisant pleinement les décennies d'enquêtes, d'investigations et de rapports accumulés par l'ONU, afin de documenter la vérité et de garantir que les coupables répondent de leurs actes, et qu'il y ait réparation pour toutes les victimes et des remèdes aux injustices qui auront été documentées.

7- La protection. Nous devons insister sur le déploiement d'une force de l'ONU dotée de ressources suffisantes et d'un mandat solide pour protéger les civils, du fleuve Jourdain jusqu'à la mer Méditerranée.

8- Désarmement. Nous devons plaider pour le retrait et la destruction des stocks massifs d'armes nucléaires, chimiques et biologiques d'Israël, de peur que le conflit ne mène à la destruction totale de la région et même possiblement au delà.

9- La médiation. Nous devons reconnaître que les États-Unis et les autres puissances occidentales ne sont pas des médiateurs crédibles, mais plutôt des parties au conflit qui sont complices d'Israël dans la violation des droits des Palestiniens, et nous devons les aborder en tant que tels.

10- La solidarité. Nous devons ouvrir grand nos portes (et celles du secrétariat général) à tous les défenseurs des droits humains palestiniens, israéliens, juifs, musulmans et chrétiens qui sont solidaires du peuple de Palestine et de ses droits humains. Et nous devons mettre fin au flux incontrôlé de lobbyistes israéliens qui assaillent les bureaux de l'ONU où ils prônent la poursuite de la guerre, de la persécution, de l'apartheid et de l'impunité, et dénigrent nos défenseurs des droits humains pour leurs positions de principe en faveur des droits des Palestiniens.

Il faudra des années pour y parvenir et les puissances occidentales nous combattront à chaque étape du processus. C'est pourquoi nous devons faire preuve de fermeté.

Tout de suite, nous devons travailler pour un cessez-le-feu immédiat, pour la fin du siège de Gaza et nous opposer au nettoyage ethnique à Gaza, Jérusalem, en Cisjordanie et ailleurs. Nous devons documenter l'assaut génocidaire à Gaza, contribuer à l'acheminement d'une aide humanitaire massive et à la reconstruction pour les Palestiniens. Nous devons prendre soin de nos collègues traumatisés et de leurs familles et nous battre comme des diables pour une approche reposant sur des principes dans les bureaux de l'ONU.

En tant que Haut-Commissariat des droits de l'homme, rejoignons avec audace et fierté le mouvement anti-apartheid qui se développe dans le monde entier, en ajoutant notre logo à la bannière de l'égalité et des droits de l'homme pour le peuple palestinien. Le monde nous observe.

Nous devrons tous rendre compte de notre position à ce moment crucial de l'histoire. Prenons le parti de la justice.

Je vous remercie, monsieur le Haut-Commissaire Volker, d'avoir écouté ce dernier appel. Dans quelques jours, je quitterai nos bureaux pour la dernière fois, après plus de 30 ans de service. Mais n'hésitez pas à me contacter si je peux vous être d'une quelconque assistance à l'avenir.

Je vous prie d'agréer monsieur le Haut-Commissaire, l'expression de mes salutations distinguées.

Craig Mokhiber

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Gaza : La famine comme méthode de guerre

Aujourd'hui, devant la Cour internationale de justice de La Haye, l'Afrique du Sud a accusé Israël de génocide. Au cœur de son argumentation, l'Afrique du Sud affirme qu'Israël (…)

Aujourd'hui, devant la Cour internationale de justice de La Haye, l'Afrique du Sud a accusé Israël de génocide. Au cœur de son argumentation, l'Afrique du Sud affirme qu'Israël détruit la population de Gaza en la privant de nourriture. L'article 2(c) de la Convention sur le génocide interdit la « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ». Israël affirme que ces accusations sont « sans fondement ».

Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Publié à l'origine par la London review of books du 11 janvier 2024. Photo : Des palestiniens reçoivent de la nourriture à un point de distribution à Rafah le 19 décembre 2023 © Mohammed Talatene/dpa/Alamy Live News.

Le système alimentaire de Gaza s'est complètement effondré. Le système de santé s'est effondré. Les infrastructures de base pour l'eau potable et l'assainissement se sont effondrées. Selon le Comité d'évaluation de la famine (FRC), la population de Gaza est confrontée à une réelle perspective de famine : sans action immédiate, une mortalité massive due à la faim ou à des épidémies se profile à l'horizon. Le FRC transmet ses évaluations à un groupe d'organisations humanitaires internationales qui gèrent un système d'alerte précoce connu sous le nom de cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC).

Comme je l'ai écrit dans le LRB à propos de la crise du Tigré, l'IPC identifie cinq phases d'(in)sécurité alimentaire : minimale, sous pression, crise, urgence et catastrophe/famine. On parle de famine dans une région donnée lorsqu'au moins 20 % de la population est touchée, qu'environ un enfant sur trois souffre de malnutrition aiguë et que deux personnes meurent chaque jour pour 10 000 habitants en raison de la famine pure et simple ou de l'interaction de la malnutrition et de la maladie. Les ménages peuvent être en phase 5 de la catastrophe même si la famine n'a pas été déclarée dans la région. Selon l'analyse la plus récente du FRC sur Gaza, datée du 21 décembre 2023, « au moins un ménage sur quatre (plus d'un demi-million de personnes) dans la bande de Gaza est confronté à des conditions d'insécurité alimentaire aiguë catastrophique ».

Une autre façon de diagnostiquer et de définir la famine consiste à déterminer le nombre de décès excédentaires imputables à la faim et à des causes connexes. Une « grande famine » est une famine au cours de laquelle 100 000 personnes ou plus meurent et une « famine majeure » correspond à un seuil de 10 000 décès excédentaires. Cette méthode est utile pour les famines historiques, mais pas pour les crises alimentaires en cours.

Save the Children a prévenu que les décès à Gaza dus à la famine et à d'autres causes pourraient bientôt dépasser les quelque 22 000 décès directement causés par l'assaut militaire. Les familles passent souvent un, deux ou trois jours sans manger. Les maladies infectieuses, qui sont souvent la cause immédiate de la mort des personnes mal nourries, se propagent. On estime que près de 70 % des logements ont été détruits ou endommagés. Peu de personnes ont accès à l'eau potable et encore moins à des toilettes. Le risque d'épidémies de maladies hydriques et d'autres maladies infectieuses est extrêmement élevé.

Si la catastrophe à Gaza se poursuit sur sa trajectoire actuelle, la prédiction d'une mort massive due à la maladie, à la faim et à l'exposition aux dangers se réalisera. Si l'aide humanitaire est fournie rapidement et à grande échelle, les décès dus à la faim et à la maladie se stabiliseront et diminueront, mais il faudra encore du temps pour revenir aux niveaux d'avant la crise. Même en cas de cessation immédiate des hostilités et d'acheminement de l'aide d'urgence, ainsi que d'efforts pour rétablir l'approvisionnement en eau, l'assainissement et les services de santé, la mortalité resterait élevée pendant des semaines ou des mois. Même dans ce cas, il s'agirait d'une « famine majeure », selon la définition de 10 000 décès ou plus. Une « grande famine », avec 100 000 morts ou plus, pourrait être envisagée si les hostilités et les destructions se poursuivent à leur niveau actuel.

Le crime de guerre de famine est défini dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale comme suit :

« Le fait d'affamer délibérément des civils comme méthode de guerre, en les privant de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l'envoi des secours prévus par les Conventions de Genève. »

Les « biens indispensables à la survie » comprennent non seulement la nourriture, mais aussi l'eau, les médicaments et le logement. Il n'est pas nécessaire que les individus meurent de faim pour que le crime soit commis ; il suffit qu'ils aient été privés de « biens indispensables à la survie ». Human Rights Watch et d'autres ont conclu que les actions d'Israël à Gaza constituent le crime de guerre de famine.

Le général Giora Eiland, ancien chef du Conseil national de sécurité israélien, a écrit : « On pourrait nous demander si nous voulons que les habitants de Gaza meurent de faim. Ce n'est pas le cas… Il faut dire à la population qu'elle a deux choix : rester et mourir de faim, ou partir ». Il s'agit toujours d'un crime de famine.

La guerre de siège n'est pas en soi illégale, mais elle peut le devenir si elle prive de manière disproportionnée et systématique les civils de « biens indispensables à la survie ». Le siège de Gaza depuis 2006 est un cas controversé : Israël contrôlait presque totalement l'approvisionnement en nourriture, en eau, en médicaments et en électricité ; il décidait rigoureusement des produits autorisés à entrer dans la bande de Gaza, tout en s'efforçant de ne pas enfreindre le droit humanitaire international. Selon Dov Weisglass, conseiller du Premier ministre israélien de l'époque, Ehud Olmert, « l'idée est de mettre les Palestiniens au régime, mais pas de les faire mourir de faim ».

Au fil des ans, le siège a entraîné de graves privations. « Avant le conflit actuel, selon les conclusions des Nations unies publiées le mois dernier,

« 64 % des ménages de la bande de Gaza étaient en situation d'insécurité alimentaire ou vulnérables à l'insécurité alimentaire, et 124 500 jeunes enfants vivaient en situation de pauvreté alimentaire… » En outre, avant le début des hostilités le 7 octobre, l'UNRWA a signalé que plus de 90 % de l'eau à Gaza avait été jugée impropre à la consommation humaine.

C'est à partir de cette situation que Gaza a rapidement basculé dans la catastrophe. Le gouvernement israélien a agi en pleine connaissance des conditions humanitaires existantes et des effets de toute action qu'il a choisi d'entreprendre. Il en va de même pour le Hamas, mais cela n'est pas pertinent pour déterminer la responsabilité d'Israël. Le 9 octobre, le ministre de la défense, Yoav Gallant, a déclaré : « J'ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n'y aura pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé ». Les minuscules quantités d'aide humanitaire autorisées par la suite à entrer dans Gaza n'atténuent ni la force de cette déclaration ni son impact.

Selon le cadre élaboré par David Marcus, professeur de droit à l'UCLA, il s'agit là d'une indication prima facie d'un « crime de famine » au premier degré. Même si la déclaration de Gallant ne reflète pas la politique de l'État ou la stratégie militaire, le fait que la campagne militaire d'Israël se soit poursuivie sans modification significative de ses méthodes après que les conséquences humanitaires sont devenues évidentes signifie que l'opération à Gaza est également un crime de famine au deuxième degré. Quoi qu'il en soit, réduire Gaza à une situation où la famine menace est non seulement un crime de guerre au sens du Statut de Rome, mais aussi un crime contre l'humanité.

L'IPC a été élaboré en 2004. En se référant à ses procédures et critères, des famines ont été déclarées en Somalie en 2011 et au Soudan du Sud en 2017. Dans d'autres cas, notamment en Éthiopie, au Nigeria et au Yémen, le FRC a identifié des conditions généralisées de la phase 4 de l'IPC (« urgence ») et a mis en garde contre une famine imminente si des mesures humanitaires immédiates n'étaient pas prises. La famine n'a pas été déclarée en Syrie, où l'IPC n'a pas recueilli de données. Dans le catalogue historique des famines et des cas de famine de masse, il est difficile de trouver un parallèle étroit avec la situation à Gaza. Peu de cas combinent un siège d'une telle ampleur avec une destruction aussi complète des « biens indispensables à la survie ». Le nombre absolu de personnes qui meurent à Gaza n'égalera pas celui des famines calamiteuses du XXe siècle, car la population touchée est moins nombreuse, mais le nombre proportionnel de morts pourrait être comparable.

La rigueur, l'ampleur et la rapidité de la destruction des « biens indispensables à la survie » et de l'application du siège dépassent tous les autres cas de famine provoquée par l'homme au cours des 75 dernières années. Le FRC prévient que la famine pourrait être généralisée dès le mois prochain. Des comparaisons peuvent être faites avec la famine forcée du Biafra (1967-70), le siège de Sarajevo (1992-95), la tactique « s'agenouiller ou mourir de faim » utilisée par le gouvernement Assad en Syrie et les crimes de famine perpétrés par les gouvernements de l'Éthiopie et de l'Érythrée dans le Tigré (2020-22).

Dans une typologie historique comparative, Bridget Conley et moi-même avons identifié neuf objectifs de la famine pour les acteurs politiques et militaires qui la perpètrent à grande échelle, dont les cinq premiers sont : l'extermination ou le génocide ; le contrôle par l'affaiblissement d'une population ; la prise de contrôle territorial ; l'élimination d'une population ; la punition. Pour le gouvernement israélien, affamer Gaza correspond sans aucun doute aux quatre dernières catégories. Si certaines déclarations de hauts responsables politiques israéliens doivent être prises au pied de la lettre et si Israël poursuit sa campagne sans relâche, après un avertissement sans équivoque relatif à la famine, les arguments en faveur de l'extermination et du génocide peuvent devenir convaincants. Pour mettre fin au crime de famine, il est essentiel de demander des comptes aux acteurs responsables, et Israël ne fait pas exception à la règle.

Alex de Waal, 11 janvier 2024

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Massacres, destruction généralisée, déportation, famine, répression… : 100 jours d’atrocités à Ghaza

Près de 24 000 Palestiniens ont été tués dans la Bande de Ghaza, en cent jours d'une campagne militaire d'une incommensurable sauvagerie. 35% des infrastructures urbaines de (…)

Près de 24 000 Palestiniens ont été tués dans la Bande de Ghaza, en cent jours d'une campagne militaire d'une incommensurable sauvagerie. 35% des infrastructures urbaines de l'enclave dévastée ont été rasés de la carte.

Tiré d'Algeria Watch.

La guerre féroce déclenchée par Israël contre Ghaza, en représailles à l'opération « Déluge d'Al Aqsa », a bouclé hier son centième jour. Cent jours d'une violence inouïe durant lesquels l'armée sioniste, au prétexte de détruire Hamas, a commis une véritable boucherie dont la majorité écrasante des victimes sont des civils innocents, majoritairement des femmes et des enfants.

En 100 jours de frappes, de pilonnages et de destruction tous azimuts, la cartographie de Ghaza n'est plus que ruines et dévastation. Un incommensurable champ de désolation. L'organisation humanitaire Oxfam indiquait, il y a quelques jours, que le nombre moyen de morts à Ghaza depuis le début des attaques israéliennes dépasse et de loin tous les ratios des derniers conflits, même les plus meurtriers.

« L'armée israélienne tue des Palestiniens à un rythme moyen de 250 personnes par jour, ce qui dépasse largement le nombre de victimes quotidiennes de tout autre conflit majeur de ces dernières années », affirme cette ONG. D'après le dernier bilan communiqué hier par le ministère de la Santé à Ghaza, plus de 23 968 personnes ont perdu la vie dans l'enclave palestinienne durant ces 100 jours apocalyptiques, tandis que 60 582 ont été blessées.

« La mort, la destruction, le déplacement, la faim, la perte et le chagrin massifs de ces 100 derniers jours entachent notre humanité commune », s'est ému le chef de l'Unrwa, Philippe Lazzarini, depuis les entrailles déchiquetées de Ghaza.

Pour le directeur de l'agence onusienne d'aide aux réfugiés palestiniens, une « génération entière » d'enfants à Ghaza vont être « traumatisés » pour la vie. M. Lazzarini a évoqué également les autres fléaux qui accablent la population de l'enclave palestinienne en insistant sur les maladies infectieuses et la famine.

« La famine menace 800 000 Palestiniens »

A propos de ce dernier point, le bureau gouvernemental des médias à Ghaza a alerté samedi, à travers un communiqué, sur le fait que la « famine menace de mort la vie d'environ 800 000 Palestiniens dans la Bande de Ghaza ». Il a expliqué que le territoire encerclé « a besoin de 1300 camions de nourriture par jour », mais l'armée sioniste, dénonce-t-il, empêche l'entrée des aides humanitaires.

La même instance accuse l'occupant de « tirer sur les camions qui tentent d'accéder au territoire, de cibler les conduites d'eau potable et les puits, et de perturber tous les aspects de la vie ». Dans un article bien documenté publié hier, l'agence d'information palestinienne Wafa est revenue sur ces 100 jours épouvantables avec, à la clé, un inventaire exhaustif des atrocités subies par la population civile de Ghaza.

Outre le chiffre de près de 24 000 morts et de plus de 60 000 blessés enregistrés depuis le début de l'opération militaire israélienne, Wafa précise qu'il a été recensé parmi les victimes plus de 7000 femmes et quelque 10 300 enfants. A ceux-là s'ajoutent au moins 8000 disparus ensevelis sous les décombres des bâtisses détruites par les bombardements.

« Sont tombés aussi en martyrs suite à l'agression sans relâche de l'occupant en 100 jours, plus de 109 journalistes, 373 cadres médicaux, 148 fonctionnaires des Nations unies, 4257 élèves et 227 enseignants et administrateurs scolaires », énumère l'agence de presse palestinienne.

La même source cite également un rapport de l'ONG Save the Children qui affirme qu'« au moins 10 enfants perdent chaque jour leurs jambes dans la Bande de Ghaza ». L'ONG déplore le fait que « la plupart des interventions chirurgicales subies par les enfants ont été effectuées sans anesthésie faute de fournitures médicales ».

D'autres chiffres du Bureau central palestinien des statistiques relayés par l'agence Wafa donnent un aperçu de l'ampleur des destructions au niveau du tissu urbain et des infrastructures des villes palestiniennes d'El Qita'. « 290 000 unités d'habitation ont été endommagées dans la Bande de Ghaza du fait des frappes aériennes, terrestres et maritimes de l'armée d'occupation au long de ces 100 jours », rapporte Wafa.

Et de poursuivre : « Les attaques ont lourdement touché 65 000 logements qui sont devenus inhabitables. 25 010 bâtisses ont été totalement détruites. En outre, 145 mosquées et 3 églises ont été ciblées par les frappes. 30 hôpitaux sont hors service et 26 autres sont partiellement paralysés, à quoi s'ajoutent 121 ambulances détruites. »

Concernant les infrastructures pédagogiques, Wafa souligne que « 95 édifices représentant un établissement scolaire ou bien une université ont été entièrement détruits ; 295 écoles et universités ont été partiellement endommagées, et 130 structures de l'Unrwa ont été directement touchées par les frappes ».

« 35% des zones urbaines ont été rasées à Ghaza »

L'agence de presse palestinienne fait savoir par ailleurs que « 35% des zones urbaines ont été rasées de la surface de la terre à Ghaza », chiffre attribué au ministère palestinien des Travaux publics. Le même département assure que « 40% des infrastructures ont été totalement pulvérisées, parmi lesquelles des routes, des réseaux de distribution d'eau potable, d'assainissement, des réseaux de télécommunications et des câbles électriques ».

Concernant les personnes déplacées, « selon certaines estimations, 1,93 million de citoyens, soit 85% de la population de Ghaza, ont été déportés de force, et plusieurs d'entre eux ont changé plus d'une fois de refuge en quête de sécurité ».

« Il a été enregistré près de 1,4 million de déplacés internes répartis sur 155 abris de l'Unrwa », continue Wafa. Et de faire remarquer : « Le gouvernorat de Rafah est devenu la destination principale des déplacés, le territoire ayant reçu plus de 1 million de personnes. Il détient de ce fait la densité démographique la plus élevée. »

Des indications de l'Unrwa complètent le tableau : « 670 000 déplacés sont répartis sur 97 abris de l'Unrwa à Khan Younès et Deir El Balah, et 160 000 autres se sont réfugiés dans 57 abris au nord de la Bande de Ghaza, et ces derniers ne reçoivent pas d'aide humanitaire. »

Depuis plus de trois mois, les Ghazaouis sont ainsi dispersés entre camps de fortune et abris de l'Unrwa surpeuplés, et qui, bien souvent, ne sont pas épargnés par les raids meurtriers. « Avec l'arrivée de l'hiver, de nombreux camps d'hébergement abritant des dizaines de milliers de déplacés, ont été inondés du fait de la pénétration des eaux pluviales mélangées aux eaux usées », note Wafa.

Il convient d'insister sur le volume dérisoire des aides humanitaires qui parviennent à la population de Ghaza, celles-ci entrant au compte-gouttes du fait du blocus implacable imposé à l'enclave dévastée. « 80 à 120 camions transportant l'aide humanitaire seulement entrent quotidiennement à Ghaza, selon les estimations d'organisations caritatives, sachant que les besoins au sein de la Bande de Ghaza sont de 600 camions par jour », informe l'agence Wafa.

A signaler enfin, pour clore ce bilan tout à fait partiel et provisoire, l'ampleur de la répression qui s'abat sur le peuple palestinien, et qui a redoublé de terreur durant ces 100 jours infernaux. Selon l'Association des prisonniers palestiniens, pas moins de 5875 personnes ont été arrêtées en Cisjordanie.

Les campagnes d'arrestation ont touché 200 femmes et 355 mineurs, décompte arrêté à la fin décembre 2023, selon Wafa. L'Association des prisonniers palestiniens souligne par ailleurs que le nombre total de prisonniers dans les geôles israéliennes jusqu'à la fin de l'année 2023 est de 8800 personnes, précisant que le nombre de détenus avant le 7 octobre était de 5250.

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Lassé·es de l’absence de leadership, les Palestinien·nes aspirent à l’unité politique

Cet article, rédigé par Fatima AbdulKarim, une journaliste basée en Cisjordanie, offre des éléments d'information particulièrement éclairants, en partie inédits, et, pour la (…)

Cet article, rédigé par Fatima AbdulKarim, une journaliste basée en Cisjordanie, offre des éléments d'information particulièrement éclairants, en partie inédits, et, pour la plupart, ignorés des médias mainstream, sur les processus politiques en cours au sein du Fatah et de la population palestinienne de Cisjordanie qui traduisent une forte volonté de démocratisation et de dépassement de la fragmentation actuelle du mouvement national palestinien, en particulier de la division entre le Fatah et le Hamas.

Tiré du site de la revue Contretemps.

Il informe également des discussions qui se mènent au niveau diplomatique au sujet de l'avenir du territoire de Gaza et du rôle joué par une Autorité palestinienne démonétisée et impuissante. Il permet également de comprendre les motivations qui ont poussé Israël à assassiner, le 2 janvier dernier, le numéro deux du Hamas, Saleh al-Arouri, puis, le 8 janvier, l'un des chefs militaires du Hezbollah, Wissam Tawil, interrompant ainsi les négociations en cours autour des propositions égyptiennes, qui prévoyaient un cessez-le-feu, l'échange de prisonniers et d'otages et le maintien d'un contrôle palestinien de la bande de Gaza.

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Depuis les attaques du 7 octobre menées par le Hamas contre le sud d'Israël, la Cisjordanie occupée a connu un regain de violence et d'instabilité. Au cours des trois derniers mois, alors que l'attention du monde se portait sur la bande de Gaza et que les bombardements israéliens se poursuivaient, les soldats israéliens et les milices de colons ont tué plus de 300 Palestinien·nes en Cisjordanie, dont plus de 80 enfants, tandis que plus de 4 000 Palestinien·nes ont été arrêté·es.

Les colons ont également intensifié leur harcèlement et leur violence à l'encontre des Palestinien·nes dans une tentative calculée de s'emparer de leurs terres, déplaçant de force au moins 16 communautés isolées au cours des dernières semaines. Le territoire reste soumis à un strict verrouillage, jalonné de points de contrôle militaires qui empêchent les Palestinien·nes de se déplacer entre les villes et les villages.

Pour de nombreux·ses Palestinien·nes, le sentiment d'absence totale et d'inaction de la part de leurs propres dirigeants est tout aussi paralysant que l'étau de l'occupation qui se resserre. L'Autorité palestinienne (AP), dirigée par le président Mahmoud Abbas, s'est contentée de condamner timidement les escalades et les punitions collectives d'Israël, sans avoir la capacité réelle de les affronter.

Cela est devenu particulièrement évident à la suite d'une incursion de deux jours des forces israéliennes dans la ville de Jénine, au nord de la Cisjordanie, le mois dernier, qui a effectivement transformé la ville en un « mini Gaza », comme l'ont rapporté de nombreux habitants. Cette opération a été accompagnée de plusieurs autres raids militaires dans d'autres villes de Cisjordanie au cours des dernières semaines, notamment Tubas et Tulkarem.

Quelques jours avant l'assaut israélien sur Jénine, Mustafa Sheta, directeur du théâtre de la liberté de la ville, a déclaré à +972 magazine que les habitant·es de Jénine se sentent abandonné·es, surtout lorsque tous les regards – y compris les leurs – se tournent vers Gaza. « L'AP est silencieuse. Elle ne nous rassure pas et ne panse pas nos plaies », a-t-il déclaré. Sheta a été arrêté par les forces israéliennes lors de l'opération de Jénine et envoyé à la prison de Megiddo où il passera six mois en détention administrative – c'est-à-dire un emprisonnement sans inculpation ni procès.

Le sentiment exprimé par Mustafa Sheta est confirmé par un récent sondage réalisé par le Centre Palestinien de Recherche et d'Enquêtes Politiques (PCPSR) en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Selon les résultats du sondage, le soutien au Hamas a bondi à 44 % parmi les Palestinien·nes de Cisjordanie, alors qu'il n'était que de 12 % en septembre. Le soutien à Abbas, à son parti, le Fatah, et à l'AP a considérablement diminué : plus de 90 % des personnes interrogées demandent la démission du président, tandis que le soutien à la dissolution de l'AP – près de 60 % en Cisjordanie et à Gaza – n'a jamais été aussi élevé dans un sondage du PCPSR.

Le mécontentement croissant de l'opinion face au silence assourdissant de l'AP face aux bombardements effrontés d'Israël sur Gaza, à l'intensification des raids dans les villes de Cisjordanie et à l'assassinat de hauts dirigeants palestiniens s'ajoute à des années de frustration face aux accusations persistantes de corruption, à l'incapacité de l'Autorité palestinienne à payer ses employés et au sentiment qu'elle est de plus en plus déconnectée de la vie de ses administrés. Plus que jamais, le sentiment que l'AP n'a plus aucune raison d'être est très fort.

Ainsi, pour de nombreux·ses Palestinien·nes, les dirigeants actuels ne sont pas en mesure de représenter les aspirations et les préoccupations de la population, ce qui les empêche de prendre des mesures significatives pour mettre fin à la guerre actuelle contre Gaza et faire progresser leur lutte dans son ensemble. Beaucoup insistent sur le fait qu'il est impératif qu'une nouvelle direction dirige ses actions sur les besoins urgents de la population, et qu'elle affirme l'initiative palestinienne autonome dans la cacophonie des discussions sur le « jour d'après ». L'Autorité palestinienne et ses dirigeants font cependant tout ce qu'ils peuvent pour rester au centre de ces plans élaborés par d'autres.

Fin du statu quo

Depuis le 21 octobre, les raids militaires israéliens à Jénine sont devenus routiniers, avec des incursions quasi toutes les nuits et des affrontements avec les combattants de la résistance basés dans le camp de réfugiés. Sur les quelque 500 Palestinien·nes tué·es en Cisjordanie au cours de l'année 2023 – le nombre annuel le plus élevé depuis la seconde Intifada – au moins 137 étaient originaires de Jénine. Mais à part sa rhétorique de condamnation et ses appels à la protection internationale, la destruction massive de la ville n'a pas poussé l'Autorité palestinienne à prendre des mesures.

Parlant de la situation à Jénine avant le raid de deux jours, Mustafa Sheta a déclaré que « les habitants du camp sont complètement dépassés par les incursions militaires nocturnes » qui laissent les réfugié·es déjà épuisé·es encore plus endeuillé·es et leurs infrastructures dans des conditions de plus en plus difficiles.

  • « Nous ne savons pas quand cela se terminera », déplore-t-il. « L'armée affirme que l'opération vise à déraciner la résistance du camp, mais ce n'est pas un objectif réaliste. Ils ne peuvent pas anéantir la résistance d'un peuple opprimé – les meurtres entraînent des meurtres, et la violence entraîne la violence ».

Au milieu de cette tempête, les Palestinien·nes ressentent le coût du vide de leadership qui affecte leur action politique depuis des années. Ashraf Ajrami, analyste politique et écrivain, a critiqué l'approche actuelle de l'AP, qu'il qualifie d'« impuissante et dépourvue de légitimité populaire ». Il a noté que, lors d'un événement dédié aux prisonnier·ères politiques palestinien·nes libéré·es en échange des otages israélien·es pri·es par le Hamas le 7 octobre, le ministre de l'AP chargé des affaires des prisonniers, Qadura Faris, a été conspué par les participant.es.

Ashraf Ajrami accuse les dirigeant·es de l'AP, en particulier les proches du président Abbas, de faire comme si de rien n'était face à la catastrophe de Gaza. Il a souligné l'absence de mobilisation significative en Cisjordanie pour soutenir Gaza, d'autant plus que l'AP s'est déjà mobilisée à d'autres occasions, notamment en envoyant 40 pompiers et 8 camions pour aider à éteindre les incendies de forêt près de Haïfa en 2016.

Malgré ses critiques à l'égard du Fatah et du Hamas, Ajrami estime qu'il est possible d'aller de l'avant en créant une commission technocratique indépendante qui interviendrait pendant une période de transition, à la fois pour reconstruire Gaza et pour ouvrir la voie à des élections. Il souligne que le moment actuel est une opportunité potentiellement unique, affirmant que le monde est enfin réellement intéressé par la création d'un État palestinien : « La solution des deux États, basée sur les paramètres politiques établis par la communauté internationale, est sérieusement abordée pour la première fois depuis [le président américain Bill] Clinton ». Mais pour saisir cette opportunité, a-t-il souligné, il faut que les dirigeant·es changent radicalement d'approche.

« Nous avons besoin d'une personnalité capable d'unir le peuple »

Le sentiment général est qu'une personnalité politique largement respectée est nécessaire pour sortir de cette paralysie. Dans un petit café rempli de fumée de cigarette à Al-Bireh, une ville proche de Ramallah, Abu Othman, un client palestinien, a exprimé le point de vue de beaucoup : « Nous ne pouvons pas continuer à nous demander quelle est la suite avec les dirigeants actuels. Nous avons besoin d'une figure comme Abou Ammar », a-t-il déclaré en faisant référence à Yasser Arafat, le défunt dirigeant palestinien. « Quelqu'un qui puisse unir les gens malgré leurs différences ».

Le leader le plus en vue est Marwan Barghouti, prisonnier politique et leader historique du Fatah qui, selon le récent sondage du PCPSR, battrait à la fois Abbas et le leader du Hamas Ismail Haniyeh si des élections avaient lieu aujourd'hui. Devenu célèbre en tant qu'étudiant militant pendant la première Intifada, Barghouti a fini par s'impliquer dans la branche armée du Fatah, la Brigade des martyrs d'Al-Aqsa. Il a été arrêté par Israël au cours de la seconde Intifada [en avril 2001] et un tribunal militaire l'a condamné à cinq peines de prison à vie pour sa participation à des attaques contre des Israélien·nes.

Derrière les barreaux, Barghouti est resté actif dans le mouvement des prisonniers·ères et dans la politique palestinienne au sens large, publiant des articles et des déclarations qui soulignent la nécessité d'une réconciliation nationale. Souvent surnommé le « Mandela de la Palestine » [également du fait de la durée exceptionnelle de leurs séjours en prison, 27 ans pour Mandela, près de 23, à ce jour, pour le leader palestinien], Barghouti a conservé un large soutien populaire en tant que futur leader du mouvement national.

En raison de l'emprisonnement de Barghouti, certain·es Palestinien·nes se tournent également vers des personnalités établie·es au sein de l'AP en tant que leaders potentiels. Mahmoud Aloul, vice-président du Fatah depuis 2018, est considéré comme l'un de ces candidats.

Emprisonné et déporté de Cisjordanie en Jordanie après la guerre de 1967, Aloul est revenu en Palestine en 1995 dans le cadre des accords d'Oslo en tant que conseiller clé d'Arafat, qui l'a ensuite nommé gouverneur de Naplouse, poste qu'il a occupé pendant 10 ans et qui lui a valu une réputation d'homme du peuple. Laissant derrière lui son passé militaire, Aloul s'est fait l'avocat de la résistance populaire, notamment en organisant des manifestations et en boycottant les produits israéliens. Il supervise aujourd'hui les branches locales du Fatah en tant que chef de la Commission pour la mobilisation et l'organisation du parti.

Dans un modeste bureau ouvert au public, il est assis autour d'une longue table couverte de cahiers, de stylos, de ses lunettes et de son téléphone portable. Conscient de la gravité des conséquences de la guerre Israël-Gaza, il a déclaré à +972 magazine : « La priorité actuelle n'est pas de défendre l'AP ou de se l'approprier. La priorité est de regagner la confiance du peuple palestinien dans sa lutte pour la liberté. Cette guerre est dirigée contre l'ensemble de la nation palestinienne – le génocide à Gaza et les tueries et destructions quotidiennes en Cisjordanie ».

Tout en reconnaissant l'impact de la division Fatah-Hamas sur le peuple palestinien, il poursuit :

  • « Ce que je ressens personnellement, c'est que nous sommes en train de “tricoter le mauvais panier” lorsque nous parlons de la popularité des factions. La priorité devrait être la vision qui empêche Israël d'assassiner les rêves de notre peuple … de surmonter toutes les menaces qui pèsent sur les décisions palestiniennes indépendantes. Nous déployons de gros efforts pour mettre fin à cette [division] », ajoute-t-il, sans plus de précisions.
  • « C'est pourquoi nous faisons de notre mieux pour renouer le contact avec la population et créer une atmosphère propice aux élections – c'est ce dont nous avons besoin », poursuit-il. « Personne ne prétend que la situation est rose ; il y a beaucoup de choses que nous devons rectifier, en particulier nos relations avec notre peuple ».

Mahmoud Aloul s'est adressé au public palestinien par le biais de messages vocaux enregistrés et publiés sur sa page Facebook officielle le 13 octobre et le 8 novembre, dans lesquels il soulignait que la priorité des dirigeants palestiniens devrait être de mettre fin à l'agression israélienne à Gaza et en Cisjordanie. Dans son deuxième enregistrement, Aloul a exposé la voie à suivre pour les dirigeant·es palestinien·es : une position unifiée de l'OLP [Organisation pour la Libération de la Palestine] incluant le Hamas et le Jihad islamique, tous deux extérieurs à l'organisation. Des plans seraient en cours d'élaboration en vue de discussions sérieuses sur un tel accord d'unité.

Mais de nombreux·ses Palestinien·nes veulent plus qu'un nouvel accord élitiste. Fadi Quran, un militant politique de 35 ans, estime qu'une initiative palestinienne nouvelle et inclusive est nécessaire pour transcender les factions divisées. Pour compléter ces changements politiques au sommet, Fadi Quran envisage un mouvement populaire, semblable à la première Intifada, dans lequel les gens peuvent également participer au travail politique à partir de la base :

  • « L'énergie est là, le soutien public est là et les idées sont là. Il suffit de les organiser. Il y a une décentralisation, les gens commencent à créer leurs propres réseaux d'action. Il faut espérer que cela continue à se développer et puisse donner naissance à quelque chose ».

Les scénarios diplomatiques pour le « jour d'après » à Gaza

Au cours des dernières semaines, des représentant·es des gouvernements des États arabes, notamment des Émirats arabes unis, du Qatar et de l'Égypte, ainsi que des États-Unis, du Royaume-Uni, des membres de l'Union européenne et d'Israël se sont réuni·es à huis clos pour envisager divers scénarios d'après-guerre pour Gaza, selon des sources diplomatiques au fait de ces discussions. On relève l'absence dans ces délibérations de tout engagement direct avec l'Autorité palestinienne ou le Hamas .

Les diplomates qui ont parlé à +972 magazine sous couvert d'anonymat ont expliqué que les scénarios envisagés penchaient vers la création d'une nouvelle entité administrative, excluant expressément le Hamas, qui est désigné comme une organisation terroriste par les États-Unis et l'UE. L'AP, dirigée par le Fatah, a fait l'objet de nombreuses critiques et qualifiée de corrompue et d'antidémocratique.

Les sources diplomatiques ont décrit diverses propositions pour le « jour d'après » qui ont été discutées lors de ces réunions, et qui visent toutes à assurer une transition pacifique vers une direction démocratiquement élue tout en permettant la réhabilitation de Gaza. Il existe un large consensus en faveur d'une période de transition au cours de laquelle une certaine force serait formée pour gouverner le territoire après la fin de la guerre et jusqu'à ce que des élections puissent être organisées. Cette force, selon ces sources, serait principalement composée de membres de l'appareil de sécurité palestinien et de personnalités reconnues de la communauté palestinienne.

Il est également question de réduire la taille de la bande de Gaza en créant une zone tampon militaire israélienne le long du « corridor de Philadelphie » – un territoire qui longe la frontière entre Gaza et l'Égypte – qu'Israël insiste aujourd'hui pour contrôler. L'Égypte ne s'est pas opposée, pour l'instant, à cette idée.

Une proposition égyptienne en trois étapes pour mettre fin à la guerre, connue localement sous le nom d'« initiative égyptienne », gagnait du terrain ces dernières semaines, avant d'être déclarée morte à la suite de l'assassinat du chef adjoint du bureau politique du Hamas, Saleh al-Arouri, à Beyrouth le 2 janvier.

L'initiative, soutenue par les médiateurs qataris, prévoyait la fin progressive des hostilités, en commençant par une trêve temporaire qui permettrait la libération des otages israélien·nes en échange des Palestinien·nes détenu·es dans les prisons israéliennes, et conduisant finalement à un cessez-le-feu permanent. Elle envisageait également un changement de leadership à Gaza, de sorte que le Hamas ne gouverne plus la bande de Gaza, mais ne mentionnait pas l'Autorité palestinienne.

Le comité exécutif de l'OLP, présidé par Mahmoud Abbas, a publiquement rejeté l'initiative, la semaine dernière, dans sa forme initiale. Bassam al-Salhi, membre du comité, a déclaré à +972 magazine que l'instance dirigeante de la centrale palestinienne se concentrait principalement sur « un cessez-le-feu immédiat et un cadre pour une voie politique globale visant à mettre fin à l'occupation, après quoi nous pourrons aborder les questions intérieures, y compris l'unité, les réformes et les élections. Nous n'avons aucune garantie que la communauté internationale reconnaisse les résultats des élections que nous organisons sur la base de ce que nous avons vu en 2006 », a-t-il ajouté.

En coulisse, cependant, l'AP a reçu une bouée de sauvetage : un haut responsable du Fatah a déclaré à +972 magazine que l'Égypte lui avait assuré que le rôle de l'AP dans le processus de transition était admis par toutes les parties sans qu'il soit nécessaire de l'expliciter.

L'AP a alors demandé un amendement à la proposition, que l'Égypte a accepté, pour qu'un gouvernement d'unité nationale soit établi par le biais d'un accord de réconciliation entre les factions palestiniennes, plutôt que par un organe technocratique. Les responsables de l'AP craignaient que ce dernier scénario ne permette le retour d'opposants personnels d'Abbas, tels que Mohammed Dahlan, basé à Abu Dhabi, et l'ancien représentant de l'OLP, Nasser al-Kidwa, le neveu de Yasser Arafat.

Considérant cette initiative comme un moyen de rester dans le jeu, et cherchant ainsi à garder les Etats-Unis de son côté, l'AP a également demandé des ajouts à la proposition en ce qui concerne les réformes de ses mécanismes de gouvernance, de sécurité, de justice et d'administration. Les responsables états-uniens avaient clairement fait savoir à l'AP qu'il s'agissait là de leurs exigences, de même que l'idée de recycler une force de sécurité de l'AP qui serait responsable de la sécurité dans la bande de Gaza après la guerre. L'Égypte semblait être favorable à ces changements, avant que les pourparlers ne soient interrompus après l'assassinat d'al-Arouri.

À la lumière de ces discussions, l'AP a publiquement souligné son attachement aux principes démocratiques, plaidant en faveur d'élections nationales libres et équitables pour déterminer la représentation. Lors de ses rares apparitions publiques – largement critiquées – depuis le 7 octobre, Mahmoud Abbas a réaffirmé que l'AP était prête à prendre en charge la gouvernance de Gaza et a souligné que la reprise des négociations en vue d'une solution à deux États demeurait une priorité.

La position officielle d'Abbas repose sur trois piliers : l'arrêt de l'expulsion des Palestiniens de Gaza hors de l'enclave, la reprise du contrôle total de la Cisjordanie et de la bande de Gaza sous l'égide de l'OLP (à laquelle s'ajouteraient le Hamas et le Jihad islamique), et le lancement d'un processus de paix global. Les observateurs affirment que, dans les conditions actuelles, aucun de ces plans n'est réaliste.

Pour Quran, ces paroles creuses de la part des dirigeants palestiniens, sans légitimité politique ni pouvoir pour les soutenir, démontrent la nécessité d'une approche plus globale pour restaurer l'agence palestinienne. Nous sommes arrivés à un moment où les Palestiniens disent : « Nous voulons être représentés. Nous voulons que notre politique soit inclusive et nous voulons des gens compétents », a-t-il déclaré. « En avançant vers notre libération, nous commencerons à créer l'unité ».

*

Fatima AbdulKarim est une journaliste palestinienne indépendante basée à Ramallah (Cisjordanie). Outre +972 magazine, dont elle une contributrice régulière, elle collabore à plusieurs grands médias internationaux, dont le Wall Street Journal, The Nation et The Guardian.

Cet article a été publié le 4 janvier 2024 sur le site israélien judéo-arabe +972 magazine. Traduction par Contretemps.

Illustration : State Department photo by Ron Przysucha / Domaine public.

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Deuxième Assemblée générale annuelle de Presse-toi à gauche !

22 janvier 2024, par Sacha A. Calixte — ,
Le 13 avril, une quinzaine de personnes de Québec ont participé à la deuxième Assemblée générale annuelle de Presse-toi à gauche ! Après deux ans de travail motivé par la (…)

Le 13 avril, une quinzaine de personnes de Québec ont participé à la deuxième Assemblée générale annuelle de Presse-toi à gauche ! Après deux ans de travail motivé par la volonté enthousiaste d'ouvrir un espace journalistique national de réflexion et discussion pour la gauche québécoise en marche, quel bilan tirer ? Et surtout, vers où aller pour avancer ?

Bilan

Si l'on demeure toujours bien loin du rêve de ce journal national de gauche en format papier dont le Québec progressiste pourrait tant bénéficier, Presse-toi à gauche ! tire néanmoins un bilan positif de ces deux premières années. Car PTAG, c'est tout de même aujourd'hui près de 2000 articles parus sous la plume de plusieurs centaines de collaborateurs et collaboratrices, près de 600 visites quotidiennes sur son site, et plus de 1 200 abonnéEs web qui reçoivent la mise à jour maintenant bi-hebdomadaire de son site. De plus, PTAG peut se targuer d'avoir un impact non négligeable sur les débats en cours au sein de Québec solidaire, ce qui est certainement un apport démocratique bienvenu et salutaire en ces années importantes de formation de ce jeune parti politique. Une bonne tape dans le dos s'impose donc, pour accompagner la volonté renouvelée de poursuivre l'aventure.

Mais pour autant, les difficultés de l'entreprise ne sauraient être éludées. Parmi les défis les plus pressants, on note celui d'augmenter (encore et toujours) la participation trop largement minoritaire des femmes, celui de faire connaître davantage un journal qui peine à trouver notoriété hors du milieu relativement fermé de la gauche progressiste et militante, et aussi, celui de passer d'un journalisme encore trop exclusivement d'opinion, vers un journalisme d'enquête et plus directement informatif. Par ailleurs, est-ce une banalité d'indiquer qu'à PTAG comme ailleurs, on se heurte au même reflux militant que l'on peut observer partout au Québec, à la fin de cette vague qui avait, depuis le Sommet des Amériques, stimulé un renouveau progressiste au Québec culminant notamment en 2006 avec la création de Québec solidaire ? Ici comme ailleurs, les énergies sont rationnées, et l'intérêt public se fait frileux pour les propositions progressistes, ce qui n'aide en rien l'expansion d'un projet exigeant comme celui de PTAG…

Perspectives

Qu'à cela ne tienne, les membres de PTAG ! ont procédé à l'adoption de statuts pour PTAG ! (qui est devenu récemment une OSBL en règle), et renouvelé la composition des comités d'organisation et de rédaction. Une série de mesures, visant à répondre aux défis auxquels PTAG ! fait face, ont également été adoptées. On y retrouve l'adoption d'une plate-forme comme base politique du journal, une proposition d'identification et de mise en réseau des collaborateurs et collaboratrices de PTAG !en fonction de leurs compétences et intérêts, et celle de la mise en branle d'un plan de financement et de visibilité pour Presse-toi à gauche ! L'élargissement de l'équipe de PTAG !, tant en termes numériques qu'en terme d'une participation accrue de gens d'autres régions que celle de Québec, est également dans la ligne de mire.

Au final, il apparaît que la survie et le développement de Presse-toi à gauche ! passera, ici encore, par un travail patient et systématique de construction et d'implication. Ne doit-on pas, comme on le faisait remarquer avec humour, attacher une veste un bouton à la fois ? Gageons qu'en ce dimanche ensoleillé d'avril, les participants et participantes à cette assemblée générale auront tout autant été inspiré-es à retrousser leurs manches, en prévision du travail – et du soleil – qui se pointe à l'horizon !

Définition du genre : lancement d’un débat

22 janvier 2024, par Carole Hooven, Elizabeth Weiss, Kathleen Lowrey, Kathleen Richardson, Michèle Sirois, Silvia Carrasco — ,
Nous sommes déçus que l'American Anthropological Association (AAA) et la Société canadienne d'anthropologie (CASCA) aient choisi d'interdire le dialogue scientifique lors de (…)

Nous sommes déçus que l'American Anthropological Association (AAA) et la Société canadienne d'anthropologie (CASCA) aient choisi d'interdire le dialogue scientifique lors de l'importante conférence conjointe, intitulée « Transitions », qui se tiendra à Toronto en novembre.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Chères Drs. Ramona Pérez and Monica Heller

Notre session, « Let's Talk About Sex Baby : Pourquoi le sexe biologique reste une catégorie analytique nécessaire en anthropologie », a été acceptée le 13 juillet 2023 après que la proposition ait été « examinée par les présidents de programme des sections de l'AAA ou par le Comité scientifique de la CASCA ». Entre le moment de cette acceptation et la réception de votre lettre datée du 25 septembre 2023, personne de l'AAA ou de la CASCA n'a contacté les organisateurs pour leur faire part de ses préoccupations. Ainsi, nous sommes tous choqués que l'AAA et la CASCA aient annulé la session en raison de la fausse accusation selon laquelle « les idées ont été avancées de manière à causer du tort aux membres représentés par les Trans et les LGBTQI de la communauté anthropologique ainsi qu'à la communauté dans son ensemble ». Etant donné la gravité de l'allégation, nous espérons que, plutôt que de la garder secrète, l'AAA et la CASCA partageront avec ses membres et avec nous-mêmes la documentation sur les sources exactes et la nature de ces plaintes, ainsi que la correspondance qui a conduit à cette décision.

Nous sommes perplexes quant au fait que l'AAA / CASCA adopte comme position officielle que conserver l'usage des catégories de sexe biologique (par exemple, mâle et femelle, homme et femme) revient à mettre en péril la sécurité de la communauté LGBTQI. La présentation de notre session, rédigée par Kathleen Lowrey, reconnaît que tous les anthropologues n'ont pas besoin de faire la différence entre le sexe et le genre. L'un des résumés exprime explicitement la crainte que le fait d'ignorer la distinction entre le sexe et l'identité de genre ne porte préjudice aux membres de la communauté LGBTQI. Dans « No bones about it : skeletons are binary ; people may not be » (Il n'y a pas de doute : les squelettes sont binaires ; les gens ne le sont pas forcément), Elizabeth Weiss écrit : « Dans le domaine de la médecine légale, cependant, les anthropologues devraient travailler (et ils le font) sur les moyens de garantir que les squelettes découverts soient identifiés à la fois par leur sexe biologique et leur identité de genre, ce qui est essentiel compte tenu de l'augmentation actuelle du nombre de personnes en transition de genre. »

Kathleen Lowrey a joué un rôle clé dans la constitution du panel des intervenants et dans la définition du thème qui nous rassemblait. Notre équipe réunissait des femmes diverses, dont l'une est lesbienne. En plus de présenter trois domaines de l'anthropologie, elle comprenait également des anthropologues de quatre pays et s'exprimant en trois langues – il s'agissait d'un panel international préoccupé par l'invisibilisation des femmes.

L'anthropologue espagnole Silvia Carrasco avait prévu de présenter des données sur « l'oppression, la violence et l'exploitation fondées sur le sexe » et sur la difficulté d'aborder ces questions lorsqu'on tourne le dos au sexe biologique. Le résumé de l'anthropologue britannique Kathleen Richardson mettait l'accent sur les disparités matérielles entre les sexes dans l'industrie technologique, que l'on gomme en comptant les hommes qui s'identifient comme transgenres comme des femmes, plutôt qu'en faisant entrer davantage de femmes dans le secteur. L'anthropologue canadienne francophone Michèle Sirois devait présenter un compte-rendu ethnographique des manières dont « les féministes québécoises se sont organisées pour documenter, clarifier et s'opposer à l'industrie de la maternité de substitution qui exploite les femmes et qui se cache sous le couvert de l'« équité » et de l'« inclusion » », et dans laquelle les politiques de maternité de substitution qui exploitent les femmes pauvres sont cyniquement présentées comme libératrices.

Votre suggestion selon laquelle notre session compromettrait d'une manière ou d'une autre « l'intégrité scientifique du programme » nous semble particulièrement grave, car la décision de jeter l'anathème sur elle ressemble beaucoup à une réponse anti-scientifique à une campagne de lobbying politisée. Si notre session avait été autorisée à poursuivre ses travaux, nous pouvons vous assurer qu'une contestation animée aurait été accueillie favorablement par les membres du panel et qu'elle aurait même pu survenir entre nous, étant donné que nos propres engagements politiques sont divers. Au lieu de cela, votre lettre exprime l'espoir alarmant que l'AAA et la CASCA deviennent « plus unifiées au sein de chacune de nos associations » afin d'éviter de futurs débats. Plus inquiétant encore, à l'instar d'autres organisations telles que la Society for American Archaeology, l'AAA et la CASCA ont promis qu' « à l'avenir, nous entreprendrons un examen approfondi des processus associés à l'approbation des sessions lors de nos réunions annuelles et nous inclurons nos dirigeants dans cette discussion ». Les anthropologues du monde entier trouveront à juste titre glaçante cette déclaration de guerre contre les divergences et la controverse scientifique. Il s'agit d'une profonde trahison du principe de l'AAA qui consiste à « faire progresser la compréhension humaine et à appliquer cette compréhension aux problèmes les plus urgents du monde ».

Sincèrement

Kathleen Lowrey (Associate Professor at University of Alberta)
Elizabeth Weiss (Professor at San José State University ; Heterodox Academy Faculty Fellow)
Kathleen Richardson (Professor at De Montfort University)
Michèle Sirois (Présidente de PDF Québec)
Silvia Carrasco (Professor at Autonomous University of Barcelona)
Carole Hooven (Associate, Department of Psychology, Harvard University ; Senior Fellow, American Enterprise Institute) – celle-ci devait participer, mais n'a pas pu le faire en raison d'un imprévu

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Définition du genre : un débat

22 janvier 2024, par Agustin Fuentes, Kathryn Clancy, Robin Nelson — ,
Nous écrivons afin de soutenir la décision de l'American Anthropological Association de retirer la session « Let's Talk About Sex, Baby » de la conférence annuelle. La session (…)

Nous écrivons afin de soutenir la décision de l'American Anthropological Association de retirer la session « Let's Talk About Sex, Baby » de la conférence annuelle. La session elle-même émet un certain nombre d'affirmations qui vont à l'encontre d'une grande partie des connaissances scientifiques établies dans le domaine de l'anthropologie biologique et, plus généralement, de la biologie de l'évolution, en lançant de vagues insultes au concept de genre, sans le définir de manière significative.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Examinons quelques-unes d'entre elles :

Bien que certains se soient concentrés sur le titre de la session, ce qui nous intéresse ici porte seulement sur la manière dont le titre assume une position erronée au vu des connaissances scientifiques.

Les participants de la session proposent un concept de « sexe biologique » qui s'oppose à celui de « genre » sans définir l'un ou l'autre terme.

La session suggère que le « genre » est en train de remplacer le « sexe » en anthropologie. C'est faux, car un travail massif s'effectue actuellement sur ces termes, leurs interactions et leurs nuances, à travers l'anthropologie socioculturelle, biologique, archéologique et linguistique.

Dès le premier résumé de présentation, les auteurs utilisent des termes dépassés tels que « identification du sexe » plutôt que celui scientifiquement plus précis d'« estimation du sexe ».

Le résumé de la session, ainsi que plusieurs des résumés individuels partent implicitement du principe que le sexe constitue un concept biologique binaire, une idée rejetée par l'anthropologie biologique et la biologie humaine actuelles, et très contesté par la biologie contemporaine.

La plupart des résumés individuels reflètent des griefs basés sur les hypothèses erronées décrites ci-dessus.

En tant qu'anthropologues travaillant dans le domaine de l'anthropologie biologique et de la biologie humaine, nous sommes conscients que les définitions du sexe peuvent être établies à partir de la forme de la ceinture pelvienne, des dimensions crâniennes, des organes génitaux externes, des gonades, des chromosomes sexuels, etc. Le sexe, en tant que descripteur biologique, n'est binaire dans aucune de ces définitions. Chaque jour, des personnes naissent avec des organes génitaux non binaires – nous avons tendance à appeler intersexes les personnes qui appartiennent à ce groupe. Chaque jour, des personnes naissent avec des chromosomes sexuels qui ne sont pas XX ou XY, mais X, XXY, XXXY et d'autres encore. Il en va de même pour les gonades. De plus, une personne peut avoir des organes génitaux intersexués mais pas de gonades intersexuées, des chromosomes intersexués mais pas d'organes génitaux intersexués. Ces différences corporelles illustrent les variations considérables observées dans la physiologie sexuelle chez les vertébrés. Au-delà de l'homme, l'orang-outan adulte se présente sous trois formes. S'agit-il d'un sexe binaire ? Des pourcentages significatifs de nombreuses espèces de reptiles présentent des organes génitaux intersexués. Sommes-nous encore en train d'essayer de qualifier le sexe de binaire ? Le binaire limite les types de questions que nous pouvons poser et, par conséquent, le champ d'application de notre science.

En tant qu'anthropologues et biologistes humains, nous savons également que la façon dont les gens choisissent de nommer le sexe à travers les organes génitaux, les gonades et les gènes est souvent prescrite par la culture et, comme le démontre ce panel, souvent politisée. De plus en plus, de nombreux chercheurs, y compris dans le domaine des sciences biologiques, cherchent à comprendre ensemble le sexe et le genre, en reconnaissant leur imbrication intrinsèque. Par rapport à l'approche traditionnelle en biologie évolutionnaire humaine, la reconnaissance de l'intrication du sexe et du genre offre une vision plus réaliste, bien que plus complexe, à partir de laquelle il est possible de poser des questions sur l'évolution de l'homme, et potentiellement sur d'autres espèces, et d'y répondre. Comme l'écrit Anne Fausto-Sterling, « peu d'aspects du comportement adulte, des émotions, de la [sexualité] ou de l'identité peuvent être attribués purement au sexe ou purement au genre », parce qu'aucune de ces qualités n'est fixée au cours d'une vie et parce que « les structures sexuées modifient la fonction et la structure biologiques », considérer que le genre et le sexe sont enchevêtrés est une manière productive d'avancer.

Le domaine de l'anthropologie, et de l'anthropologie biologique en particulier, a tendance à résister aux arguments universels en faveur de la compréhension des êtres humains dans toutes leurs variations. Par conséquent, non seulement l'idée d'un binaire biologique pour un phénomène tel que le sexe constitue une affirmation excessive qui ignore les preuves, mais elle va à l'encontre des fondements empiriques les plus élémentaires de notre domaine. Comprendre la variation biologique humaine signifie résister aux normes culturelles autour du sexe, au lieu de les renforcer comme les auteurs de la session l'ont fait ici. Le genre/sexe se noue atour du développement conjoint de l'anatomie, de la physiologie, des hormones et de la génétique dans un contexte socioculturel fluide comprenant l'identité, les rôles et les normes, les relations et le pouvoir. Le genre/sexe reconnaît que la culture s'empare de la variation biologique de base, la façonne et peut l'accroître.

Les personnes non binaires, trans ou queer, et/ou celles qui occupent des catégories sexuelles autres que « mâle » ou « femelle », ont existé dans toutes les sociétés humaines et tout au long de l'évolution de l'humanité. Ce qui caractérise les catégories de sexe et de genre humaines, c'est qu'elles ne sont ni simples, ni binaires, qu'elles sont toujours influencées par les croyances culturelles de leur époque et qu'elles évoluent. Continuer à travailler sur la base de ces hypothèses réfutées revient à travailler dans la pénombre, à passer à côté de la plus grande partie du tableau et à ne pas s'engager dans une anthropologie scientifique rigoureuse, empiriquement fondée et pertinente.

Agustin Fuentes (Princeton University)
Kathryn Clancy (University of Illinois)
Robin Nelson (Arizona State University)

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Du terricide et de la domination

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La vie sociale des droits

22 janvier 2024, par Revue Droits et libertés
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La vie sociale des droits

Diane Lamoureux, Professeure émérite en science politique de l'Université Laval et membre du CA de la LDL

Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2023

Des revendications aux droits

La plupart des droits qui figurent dans nos Chartes ont commencé sous la forme de revendications. Prenons l’exemple du droit de vote. Celui-ci émerge, en Occident, de la remise en cause de la souveraineté absolue des monarques et de la volonté de faire participer, de façon plus ou moins importante, les populations aux décisions qui les concernent. Le cheminement a été long, de l’obligation pour les monarques de consulter les grands barons du royaume sur certains sujets tel qu’énoncé dans la Grande Charte de 1215 en Angleterre, en se poursuivant dans les réflexions des philosophes politiques sur la souveraineté et la citoyenneté entre les XVIe et XVIIIe siècle, en passant par la révolte des colons étasuniens au nom du no taxation without representation ou par la Révolution française et l’énoncé que la souveraineté ne peut résider que dans le peuple. Une fois le principe du vote acquis, restait à savoir qui avait le droit de vote. Cela a donné lieu, en Grande-Bretagne, au mouvement chartiste réclamant le droit de vote pour tous les hommes adultes; aux mouvements suffragistes des femmes un peu partout dans les pays occidentaux; aux mouvements de décolonisation et pour l’instauration d’États indépendants en Afrique et en Asie, au mouvement contre l’apartheid en Afrique du Sud et aux luttes contre les dictatures un peu partout sur la planète. La codification du droit de vote universel pour les adultes dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) en 1948 n’a pas mis un point final à la lutte pour le droit de vote. Face aux dictatures, on a pu voir émerger des mouvements citoyens pour des élections libres. Le mouvement étasunien des droits civiques des années 1950 et 1960 demandait l’inscription des personnes noires sur les listes électorales pour qu’elles aient la possibilité d’exercer le droit de vote. Malgré le Voting Act de 1965, les campagnes pour l’inscription sur les listes électorales, contre le gerrymandering1, et pour un nombre suffisant de bureaux de vote se poursuivent encore aujourd’hui chez nos voisins du sud. La situation n’est guère plus reluisante au Canada et au Québec, puisque les femmes ont longtemps été exclues du droit de vote2 et qu’elles ont dû mener une longue campagne pour enfin obtenir ce droit : à titre d’exemple, au Québec, les suffragistes ont présenté (via un député favorable) des projets de loi en faveur du suffrage féminin sans succès, tous les ans, entre 1922 et 1939.

Des chartes ou des déclarations, pour quoi faire?

Depuis la fin du 18e siècle, il est devenu coutumier de codifier les droits dans un texte solennel. Plus récemment, les Nations Unies, dans la foulée de l’adoption de la DUDH en 1948, se sont dotées d’une panoplie d’instruments de droits humains qui précisent ou complètent cette déclaration3 dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), la Convention pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (1979). Au Québec nous avons une Déclaration des droits de la personne (devenue depuis Charte québécoise des droits et libertés de la personne) depuis 1975 et le Canada a ajouté une Charte des droits lors du rapatriement de la constitution en 1982. Il faut également ajouter des déclarations régionales comme la Déclaration américaine des droits et des devoirs de l’Homme (1948) ou encore locales comme la Charte montréalaise des droits et des responsabilités (2006). On pourrait se demander à quoi servent tous ces instruments de défense des droits humains au regard de l’empressement des divers gouvernements à les bafouer ou à les contourner en adoptant des législations ayant recours à une clause de dérogation comme cela a été le cas récemment au Québec avec les projets de loi 21 et 96 ou en Ontario pour prévenir une grève dans le milieu de l’éducation4. En fait tous ces instruments sont utiles. En codifiant les principes autour desquels devrait s’organiser le vivre-ensemble des sociétés, elles stimulent les luttes pour la mise en œuvre de ces droits là où ils sont bafoués, puisqu’elles permettent aux populations de confronter leurs gouvernements à respecter leurs engagements internationaux en matière de droits humains. Elles permettent également d’en appeler des discriminations de certains gouvernements devant une autre instance, comme c’est le cas dans l’Union européenne en vertu de la Déclaration européenne des droits de l’Homme; ainsi les droits des personnes LGBTQ+ dans beaucoup d’États européens ont été validés par la Cour européenne de justice avant d’être intégrés dans les législations nationales de plusieurs pays de l’Union. Elles permettent aussi d’étendre certains droits à des groupes pour lesquels ils n’étaient pas prévus. Ainsi, la clause d’interdiction de la discrimination de la Charte québécoise a pu s’appliquer à l’orientation sexuelle ou encore au handicap, ce qui n’était pas prévu à l’origine. C’est aussi de cette façon que les femmes ont pu obtenir le droit de vote dans plusieurs pays et, plus récemment, de fragiles droits reproductifs.

De nouvelles générations de droit

On peut également soutenir que les droits appellent de nouveaux droits. Au point de départ, les droits reconnus étaient essentiellement civils ou politiques. Les mobilisations des mouvements ouvriers et des mouvements féministes ont fait en sorte que beaucoup de droits sociaux s’ajoutent à ces droits civils et politiques. Voudrait-on vivre aujourd’hui dans une société où le droit de grève ou le droit à la santé ou à l’éducation ne sont pas reconnus5? La spéculation immobilière et la rareté des logements disponibles nous rappellent par ailleurs l’urgence d’inscrire le droit au logement dans nos Chartes. Les enjeux écologiques alimentent également diverses mobilisations pour des droits qui ne sont pas encore reconnus comme le droit à l’eau potable, à un air respirable, à la protection des territoires ou des paysages. Ils soulèvent également de nouvelles questions concernant les droits. Doit-on conférer des droits aux animaux non humains ou encore à l’ensemble des êtres vivants? Les enjeux liés aux migrations internationales font aussi l’objet de luttes concernant les droits. Certains États européens cherchent actuellement à criminaliser comme passeurs les personnes qui fournissent leur aide aux migrant-e-s irréguliers, par exemple en les recueillant à bord de bateaux en Méditerranée. Quels doivent être les droits à la migration des populations dont l’habitat est détruit du fait des changements climatiques? Doit-on élargir le droit d’asile pour y inclure l’asile lié à des conditions socio-économiques?

Penser en termes de vie sociale des droits

Le fait que les droits naissent dans les revendications sociales et parviennent parfois à être codifiés dans des Chartes, lesquelles nourrissent de nouvelles mobilisations sociales pour en exiger le respect, les étendre à des groupes sociaux pour lesquels ils n’étaient pas prévus ou obtenir de nouveaux droits qui en découlent m’amène à réfléchir en termes de vie sociale des droits. Cette notion, qui a été développée d’abord dans les milieux anthropologiques, présente plusieurs avantages. D’abord, elle permet de dépasser une version ossifiée des droits qui devraient être légalement codifiés pour exister. Ensuite, elle rend possible de prendre en compte l’ensemble des acteurs en cause dans le milieu des droits humains qui sont loin de se limiter aux communautés juridiques. Elle permet également de reconnaître le caractère toujours localisé et ancré dans les luttes sociales des droits humains. Enfin, elle permet d’échapper aux débats universalisme/relativisme culturel en les ancrant à la fois dans les pratiques concrètes des groupes sociaux qui s’en saisissent, mais en les rattachant à des luttes pluriséculaires un peu partout sur la planète.
  1. Découpage partisan de la carte électorale.
  2. Au Canada, les femmes ont obtenu le droit de vote après la Première Guerre mondiale, le droit de vote fédéral, en Les Québécoises n’ont obtenu le droit de vote au provincial qu’en 1940. Les Autochtones (hommes et femmes) vivant dans les réserves n’obtiennent le droit de vote qu’en 1969. Les premières élections municipales montréalaises au suffrage universel ont lieu en 1970. Quant aux personnes détenues, elles devront attendre 1979 pour obtenir le droit de vote au Québec et en 2004 au Canada.
  3. En voici la liste complète selon le site des Nations Unies : la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), la Convention pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (1979), la Convention relative aux droits de l’enfant (1989), la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984), la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leur famille (1990), la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006), la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (2006). La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a été adoptée en 2007, mais ne jouit pas du même statut que les autres textes.
  4. La Charte canadienne est enchâssée dans la Constitution et ne peut être amendée que selon les procédures d’amendement de la Constitution. Par contre, la Charte québécoise peut être modifiée en tout temps par un projet de loi recueillant l’assentiment d’une majorité simple des membres de l’Assemblée nationale.
  5. Même si les droits économiques et sociaux ne sont pas justiciables au même titre que les droits civils et politiques.
 

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La question de l’internationalisme et de la méthode chez Lénine

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Grève du transport en commun en vue à Vancouver

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De dire haut et fort le président du Syndicat de l'enseignement de la région de Laval (SERL-FAE) qui a rejeté à 68 % l'entente de principe conclue avec Québec, que ses membres sont « restés fidèles aux positions qu'ils avaient au moment de la grève générale illimitée. Lorsqu'on se promenait sur les lignes de piquetage, les gens nous parlaient de la composition de la classe, des conditions de travail, des conditions d'apprentissage des élèves, de l'école publique dans son ensemble. […] Le gouvernement a décidé que lorsqu'il ne pouvait pas donner les services nécessaires, il allait donner une prime en argent aux enseignants. Ce n'est pas ça qui va rendre les conditions de travail meilleures… » (Marie-Ève Morasse, Les profs de Laval sont restés « fidèles » à leurs revendications, dit leur syndicat, La Presse, 19/01/24).

Tout est dit. Reste à gagner la bataille du rejet de la ratification ce qui n'est pas une mince affaire quand on considère la course à obstacles qui suivra, le cas échéant. L'acceptation de l'entente de principe par une courte majorité, dont une par la peau des dents, des deux autres syndicats de la FAE ayant voté est certes crève-cœur. Cependant un syndicat de la CSQ (Lanaudière), comme Laval, l'a fortement rejeté alors qu'un autre (Estrie) ne l'a ratifiée que par une majorité moindre que celle de la victoire du ‘non' au référendum de 1995. Malgré certaines ratifications fortes, surtout de la partie salariale quand les votes étaient scindés, rien n'est perdu. Plusieurs militantes de la FSSS-CSN ne sont pas enchantées de la hausse salariale de base qui risque de ne même pas égaler l'inflation. D'autant plus que du côté santé, la FIQ résiste aux demandes de « flexibilité » de la CAQ, ce qui a obligé les représentantes du petit syndicat de la CSQ regroupant les mêmes corps d'emploi à rejeter à la quasi-unanimité l'entente de principe sans même perdre son temps à la soumettre aux membres.

La bureaucratie syndicale, de connivence avec la CAQ, pensait avoir réussi à faire passer l'amère pilule par ses négociations secrètes puis des ententes tenues secrètes jusqu'à la tenue des assemblées générales de ratification — heureusement les médias grâce à de pertinents coulages ont pu casser cette procédure anti-démocratique — et par l'arrêt des grèves justifié par le temps des Fêtes. Comme le chantait Joël Denis en 1971, « c'ta pas encore fait, non non non ». Et si ça passe, il risque d'y avoir pas mal de démissions si ce n'est une crise paroxysmique. Encore plus, si la CAQ se laissait aller à la tentation de la loi spéciale en cas de non-ratification.

Pourrait poindre à l'horizon la défiance de 1972 avec cette fois une série de blocages de la délétère circulation des marchandises comme la FAE l'a fait le 21 décembre dernier (La Presse canadienne, Des enseignants en grève ont bloqué des accès aux ports de Montréal et de Québec, Le Devoir, 21/12/23) durant sa grève générale illimitée (GGI) qui a duré près d'un mois. Cette GGI était la bonne stratégie mais en Front commun que l'a FAE a boudé par corporatisme syndical, même combatif, alors que n'importe quel militant syndical sait que l'union fait la force et bloque les manœuvres patronales en autant qu'il y ait un fonctionnement démocratique. Cette bourde a permis à la CAQ de diviser pour tenter de peinturer dans le coin FAE et FIQ grâce aux tergiversations du Front commun.

Il n'est pas trop tard pour se reprendre si Québec solidaire met cartes sur table

Il n'est pas trop tard pour se reprendre. Si le « top gun » de la santé est payé plus cher les deux premières années pour mettre en place la malencontreuse centralisation à la mode albertaine du système de santé, on ne voit pas pourquoi la CAQ ne pourrait pas dégager un budget supplémentaire, et faire payer les banques et consorts pour ce faire, afin d'attirer par des primes les profs, infirmières, spécialistes et personnel de soutien manquants. Dans cette deuxième ronde, il serait plus facile de mobiliser l'appui populaire tant par une coordination de toutes et tous qu'en mettant l'emphase sur le rehaussement de l'éducation et de la santé publiques comme but explicitement recherché.

Ce brusque tournant est-il possible sans intervention musclée d'une inexistante gauche syndicale organisée ? Le spontanéisme a ses limites. On ne blâmera jamais assez la gauche dite anticapitaliste qui a fait semblant d'organiser une gauche syndicale depuis une dizaine d'années sinon plus, pour laisser dégénérer cette tentative en une série de conférences et table-rondes, parfois utiles, dont la dernière en date invitait une majorité de bureaucrates. L'aile parlementaire Solidaire n'a pas manqué la facilité de se faire prendre en photos sur les lignes de piquetage (Québec solidaire,[[PHOTOS] Les porte-parole de Québec solidaires des enseignantes et des enseignants en grève, 5/12/23). Maintenant, aujourd'hui, sans tarder, son intervention est indispensable pour appeler au rejet de l'entente de principe, pour inviter à des assemblées générales intersyndicales de toutes et tous ensemble, afin d'exiger une reprise des négociations et même au besoin une réouverture de la convention collective. Le parti de gauche de l'Assemblée nationale qui a une audience de masse, qui s'est fait damer le pion par le PQ faute de vision stratégique, saura-t-il rompre son alliance implicite avec la bureaucratie syndicale ?

Marc Bonhomme, 20 janvier 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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Légitimité et pouvoir en place

20 janvier 2024, par Marc Simard
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L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local En septembre 2023, un référendum a eu lieu dans la municipalité de Métis-sur-Mer pour voter le changement de zonage de terrains destinés à accueillir un camping pour véhicules récréatifs. La population, ou plutôt dans ce cas-ci une (...)

Crise climatique : la solution miracle

17 janvier 2024, par Carole Dupuis — , ,
Il se passe rarement une journée sans qu'une ONG, un gouvernement ou une sommité scientifique nous propose des solutions pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. Et (…)

Il se passe rarement une journée sans qu'une ONG, un gouvernement ou une sommité scientifique nous propose des solutions pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. Et chaque 22 avril, nous assistons à un véritable festival des solutions climatiques dans les médias, qui célèbrent ainsi à répétition le Jour de la terre. Or, il n'existe qu'une seule solution miracle au réchauffement climatique : passer de la parole aux actes et mettre en application les solutions que nous connaissons souvent depuis des décennies.

Nous savons toutes et tous comment cesser d'émettre presque tous les gaz à effet de serre dont nous causons le rejet dans l'atmosphère, principalement en lien avec la production et la consommation d'énergies fossiles.

Dans le domaine du transport, il faut rester chez nous en optant pour le télétravail et les vacances locales. Circuler à pied, à vélo ou à vélo électrique chaque fois que cela est possible et organiser nos quartiers, nos villages ainsi que nos vies pour que cela soit presque toujours possible. S'il faut vraiment faire la navette matin et soir, choisir le métro, le bus ou l'auto électrique en mode covoiturage. Se déplacer à quatre personnes dans une voiture électrique émet facilement 90 % moins de GES que se déplacer en solo dans une voiture à essence !

En ce qui concerne le chauffage des bâtiments, il suffit de bannir les systèmes au mazout et au gaz naturel pour faire tomber les émissions de GES à presque zéro. Quant aux déchets, miser simplement sur des pratiques ancestrales aussi banales que la lutte au gaspillage alimentaire, le compostage, le réemploi des contenants et la réparabilité des objets nous fera déjà faire un grand bout de chemin pour venir à bout des GES qu'ils génèrent… en les éliminant à la source.

Rien de sorcier jusqu'ici. Et s'il est vrai que certaines activités sont plus difficiles à décarboner que d'autres, en industrie surtout, la plupart ne posent aucun défi technique digne de ce nom.

En fait, la liste des solutions concrètes d'évitement des GES est longue et archi-connue. Le Front commun pour la transition énergétique en propose des centaines dans sa Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité. Le GIEC en présente une synthèse admirable, pour chaque domaine de la vie quotidienne et chaque pilier de nos économies, dans le troisième et dernier volet de son sixième rapport, publié en avril dernier.

Le hic, c'est la mise en application.

Agir à la bonne échelle

Ni le Canada ni le Québec ne pourront faire leur juste part dans la lutte au réchauffement climatique sans que toutes les personnes qui y occupent des postes décisionnels et tous les ménages qui y vivent sachent comment éviter les émissions de GES et s'engagent dans une démarche radicale en ce sens. Néanmoins, savoir quelles sont les façons de faire à changer et vouloir les changer ne suffit pas. Il faut aussi pouvoir les changer, ce qui dépend très souvent des choix collectifs et non de décisions individuelles.

Comment diminuer les GES liés aux déplacements quand notre gouvernement s'emploie à aggraver le problème en investissant 6,5 milliards $ pour construire le tunnel autoroutier Québec-Lévis et 255 millions $ sur 5 ans dans le transport aérien régional, plutôt que de réserver les fonds à une mobilité beaucoup plus verte ? Comment sortir rapidement le gaz du chauffage des bâtiments quand Québec émet un décret sur la biénergie qui en prolongera l'usage pour au moins 30 ans ? Comment éliminer nos déchets à la source dans une économie dopée à la surconsommation, au gaspillage, au suremballage et au jetable, grisée par des réglementations complaisantes, une fiscalité qui ne joue pas son rôle et de généreuses injections de fonds publics ?

Territorialiser les systèmes

Si les idéologies en place empêchent encore pour l'instant tout progrès significatif de la décarbonation à l'échelle nationale, il existe peut-être tout de même un terreau fertile à l'action climatique efficace : celui des collectivités territoriales.

À cette échelle, il est encore possible d'espérer que les acteurs clés du milieu et la population puissent agir de concert pour briser certains des verrous systémiques qui bloquent le changement. Heureuse convergence, l'action climatique territoriale a le potentiel de non seulement avoir un impact important sur les volumes de GES émis, mais aussi de permettre à la société civile de reprendre une certaine maîtrise sur ses choix collectifs, de faciliter l'inclusion des populations marginalisées dans les démarches de transition socioécologique et d'atténuer la vulnérabilité qui plombe nos collectivités au terme de plusieurs décennies de mondialisation.

À titre d'exemple, le modèle des systèmes agroalimentaires territorialisés peut remplacer avantageusement le modèle industriel mondialisé qui domine. Il permet d'envisager que s'assoient autour d'une même table toutes les parties prenantes du système agroalimentaire d'un territoire donné, y compris la population, afin de créer un système largement autosuffisant, solidaire, carboneutre et zéro déchet, respectueux de la santé des sols et des cours d'eau. Certes, on ne reviendra pas à l'époque de nos ancêtres où tout était produit et transformé à la maison. Rien n'empêche toutefois une collectivité de s'organiser pour que les productions et autoproductions agroécologiques locales occupent la part du lion de son alimentation, que personne ne souffre d'insécurité alimentaire, que le gaspillage alimentaire devienne chose du passé et que la consigne et le compostage remplacent les montagnes de contenants et résidus organiques à trier, enfouir ou méthaniser.

La même logique peut s'appliquer au domaine de l'énergie. Sans surprise, Hydro-Québec affirme dans son plan stratégique 2022-2026 que la transition exigera une hausse de nos capacités de production d'électricité renouvelable. Pourquoi nos collectivités ne se doteraient-elles pas de systèmes énergétiques partiellement territorialisés au lieu de laisser le champ libre aux partenariats d'Hydro-Québec avec des entreprises privées comme Énergir et Boralex ? Conçus en fonction des ressources et des contraintes des territoires, ces systèmes territorialisés pourraient inclure entre autres la géothermie communautaire, la récupération de chaleur industrielle, l'éolien, le solaire et la biomasse. Ils procureraient des revenus aux collectivités et leur assureraient un minimum de résilience énergétique.

Tous les systèmes peuvent être passés au crible territorial. Même si les gouvernements supérieurs détiennent un pouvoir déterminant sur les systèmes de transport, les collectivités peuvent mener des actions structurées ayant un grand impact sur l'empreinte carbone des déplacements de personnes et de marchandises sur leur territoire. Un autre exemple est ce qu'on pourrait appeler le système de production de déchets : en s'unissant entre eux et avec la population, les acteurs clés d'une collectivité (municipalité, institutions, associations de commerçants, industries, entreprises d'économie sociale, médias, etc.) ont le pouvoir de tourner le dos aux emballages, contenants et objets à usage unique, de promouvoir activement l'économie du partage, du réemploi et de la réparation, et ainsi de suite.

Changer le monde en passant par les territoires ?

Par l'ambition de son plan climat, la Ville de Montréal illustre bien les pas décisifs qu'une collectivité peut franchir malgré l'incohérence climatique des gouvernements Trudeau et Legault. Pour sa part, le projet Collectivités ZéN du Front commun pour la transition énergétique mise sur l'union des forces de la société civile sur des territoires circonscrits afin de transformer les milieux.

« À force d'éroder les brèches, on finit par éroder le système. Les acteurs en place arrivent alors à s'engager dans une transformation profonde et porteuse de grands changements », disait le professeur en innovation sociale Philippe Dufort lors d'un forum en ligne organisé par le Front commun pour la transition énergétique le 1er avril dernier. Sans constituer par elle-même une solution miracle, l'action climatique territoriale est assurément un terrain à investir pour effectuer ce nécessaire travail de sape.

Illustration : Ramon Vitesse

Côte-Nord - Nitassinan / Territoires enchevêtrés

17 janvier 2024, par Valérie Beauchamp, Adèle Clapperton-Richard — , , ,
Longer le fleuve, suivre les épinettes, remonter les rivières, marcher les tourbières, respirer la nordicité. Les vastes étendues de la Côte-Nord chamboulent, fascinent, (…)

Longer le fleuve, suivre les épinettes, remonter les rivières, marcher les tourbières, respirer la nordicité. Les vastes étendues de la Côte-Nord chamboulent, fascinent, apaisent. On les associe à l'immensité d'une nature brute, mais elles symbolisent aussi, malheureusement, des espaces accaparés, transformés, pillés. Le territoire nord-côtier fait en effet partie de ce qu'on nomme les « régions ressources », où les arbres, les cours d'eau et les sols ont été perçus comme des marchandises à exploiter, au détriment des écosystèmes et de la biodiversité, et, surtout, des gardien·nes et responsables de ces lieux, les Innus.

Car la Côte-Nord, c'est d'abord le Nitassinan, le territoire ancestral innu – littéralement notre terre en innu-aimun. Ce sont des rivières, des portages, des sentiers empruntés depuis des millénaires ; des relations et des savoirs territoriaux qui se sont développés en harmonie avec la faune et la flore boréales, et qui continuent de se transmettre.

La Côte-Nord est un territoire enchevêtré. Un territoire façonné par les interactions, autant les ententes que les rapports de pouvoir, entre les groupes allochtones et autochtones vis-à-vis l'occupation, l'utilisation et la gestion territoriales. De ces enchevêtrements naissent des relations au territoire où se tissent un enracinement, un sentiment d'appartenance. L'espace nord-côtier n'est pas homogène – on devrait même dire les espaces nord-côtiers – et pourtant il s'en dégage une certaine constance : celle d'un attachement profond, d'une fierté aussi.

Les textes qui composent ce dossier en rendent tout à fait compte. Ce sont des fragments de réalités nord-côtières actuelles, de projets et de préoccupations, où s'expriment des histoires et des émotions. Comment le territoire influence-t-il la création et l'expression artistiques ? Quel héritage laisse la colonisation, entre la dépossession territoriale, la cohabitation et les possibles solidarités ? Comment la nordicité façonne-t-elle les habitant·es et ce qu'on peut cueillir et cultiver ? Quelles difficultés entraînent la distance de cette région, par rapport aux grands centres urbains ? Quelle place occupent la culture et la langue innues ?

Ces questions ont orienté les principales thématiques abordées dans ce dossier : les relations coloniales, l'éloignement, les liens communautaires, la sauvegarde et la protection – non seulement du territoire, mais aussi celles de la culture et de la langue innues. Culture et langage qui sont, comme le montrent plusieurs des textes ici réunis, indissociables de leur ancrage territorial ancestral. Tous ces textes dépeignent les spécificités de la vie nordique. Ils montrent ce qui rend la Côte-Nord unique, ce qui rend le Nitassinan magnifique. Ce n'est pas seulement un vaste espace ; c'est un territoire vécu.

Tshima mińu-tshitapatameku - Bonne lecture.

Dossier coordonné par Adèle Clapperton-Richard et Valérie Beauchamp

Illustrations par Emilie Pedneault et photos par Raphaëlle Ainsley-Vincent

Avec des contributions de Dolorès André, Rose-Aimée Auclair, Alex Beaudin, Charlotte Bellehumeur, Myriam Boivin-Comtois, Isabelle Bouchard, Adèle Clapperton-Richard, Stéphanie Fournier, Frédérique Lévesque, Mat Michaud, Yvette Mollen, Sylvie O'Connor, Camille Robidoux-Daigneault, Marie-Hélène Rousseau et Valérie Tremblay.

Illustration : Adèle Clapperton-Richard

Cohabitation interculturelle. Une recette imparfaite

17 janvier 2024, par Charlotte Bellehumeur — , ,
Le territoire nord-côtier se définit non seulement par ses vastes paysages, mais aussi par les individus qui y vivent. Par des mobilités croissantes, la Côte-Nord se transforme (…)

Le territoire nord-côtier se définit non seulement par ses vastes paysages, mais aussi par les individus qui y vivent. Par des mobilités croissantes, la Côte-Nord se transforme en un espace pour les rencontres et la cohabitation avec l'Autre, notamment dans les milieux de travail.

La cohabitation sur la Côte-Nord a débuté bien avant la colonisation, malgré ce que les récits historiques rédigés par les vainqueur·euses racontent. En effet, les Premiers Peuples présents sur le grand territoire du Nitassinan (le territoire des Innu·es, « notre terre » en innu-aimun) se fréquentent depuis plusieurs centaines d'années.

S'en sont suivis les contacts avec les premier·ères pêcheur·euses européen·nes, même si la rencontre avec les Occidentaux·ales s'est concrétisée dans nos livres d'histoire à l'époque coloniale, entre les colon·nes français·es, les colon·nes anglais·es et les Premières Nations.

Aujourd'hui, ce sont des communautés allochtones francophones et anglophones ainsi que des communautés innues et naskapies qui se côtoient sur un vaste territoire partagé, dont les échanges sont entre autres tissés autour de la division de la gouvernance territoriale, de même qu'autour du partage et de la cogestion des ressources de la région [1]. Ces villes, ces communautés et ces villages sont reliés et communiquent par la voie terrestre (comme la route 138), la voie maritime (le bateau Bella Desgagné) ou la voie aérienne.

La cohabitation comme clé de lecture

Ce long passé de mixité sur la Côte-Nord peut être défini de diverses façons. La cohabitation est d'emblée la « dimension déterminante de l'habiter [2] » et elle implique la coexistence entre les différentes nations et leurs cultures sur un même territoire, qui peut être harmonieuse ou conflictuelle. La cohabitation se caractérise en outre par la mise en commun et le partage qui doivent impérativement se faire dans le plus grand des respects des autres communautés afin de bien fonctionner [3] : c'est un « exercice de consensus [4] », un « vivre-ensemble [5] » à la fois volontaire et obligé. Néanmoins, ces relations interculturelles ne peuvent être complètement détachées de l'héritage colonial et sont teintées des rapports de domination, qui se matérialisent notamment par une distance culturelle. Il est donc primordial que des espaces de création de relations soient mis en place dans l'objectif de construire un espace commun et d'inclusion, vital et durable.

Les relations contemporaines prennent forme au sein de plusieurs sphères personnelles, culturelles, économiques, politiques, artistiques et de loisirs. La première étape de l'établissement d'un réseau social réside dans la rencontre banale et régulière avec l'Autre. Les milieux de travail représentent le noyau embryonnaire où les relations interculturelles prennent souvent naissance, et seront notre lunette pour observer les relations entre les nations, qui peuvent par la suite persister à de plus grandes échelles.

Lieu de travail : pierre angulaire des relations interculturelles

En plus d'être caractérisée par la présence de plusieurs peuples, la cohabitation sur la Côte-Nord est redéfinie par les mobilités et l'arrivée de nouvelles personnes en provenance d'ailleurs ou de l'extérieur du Québec. Cela transforme et bouleverse l'organisation sociospatiale de la cohabitation nord-côtière. L'arrivée de ces individus, le plus souvent pour des raisons professionnelles, entraîne des mouvements de plus en plus marqués au sein de la population nord-côtière.

De cette manière, le milieu de travail devient le point de rencontre initial, le premier contact, où toutes les nations doivent se côtoyer, socialiser et se tolérer et ce, peu importe l'origine ethnoculturelle, le genre, la classe ou la personnalité. Toutefois, les milieux de travail reproduisent eux aussi certaines disparités coloniales, comme les rapports raciaux qui se dessinent dans la prédominance toujours actuelle des pratiques professionnelles allochtones néolibérales qui encouragent un certain racisme systémique.

Toujours est-il que le fait de se fréquenter régulièrement amène une promiscuité ordinaire qui permet de créer, avec le temps, un espace de confiance qui outrepasse cette distance ainsi que ces inégalités. Cette cohabitation permet de travailler de pair et encourage le développement de liens à l'extérieur du travail. Le milieu de travail offre de ce fait un contexte particulier où les rapports majorité/minorité sont revisités, notamment par des pratiques professionnelles qui visent la mise en valeur des manières d'être et de faire nordiques et autochtones. Le lieu de travail est ainsi un espace indispensable aux rencontres diversifiées et à la valorisation des différentes cultures.

Éclatement des frontières

Pour réduire les tensions et accroître l'équilibre dans la rencontre avec l'Autre à l'échelle régionale, les relations doivent surpasser le milieu professionnel pour se traduire dans les pratiques quotidiennes, des communautés, du nutshimit (l'intérieur des terres, en innu-aimun) et du territoire. Cela est grandement facilité lorsque les personnes habitent dans la même communauté que celle où se situe leur lieu de travail, puisqu'elles pourront pleinement participer aux activités et à la vie communautaires. Cela contribue également à réduire le roulement et améliorer la rétention des nouveaux·elles habitant·es sur la Côte-Nord, ce qui augmente le sentiment de familiarité qui se développe à long terme.

En sus, la cohabitation n'est complète que lorsqu'elle se fait aussi avec le territoire et à l'intérieur de celui-ci : la cohabitation est largement définie, ficelée et encouragée par le rapport à l'espace [6]. Bien s'intégrer au territoire permet de mieux comprendre comment celui-ci s'articule, comment les Nord-Côtier·ères, les Innu·es et les Naskapi·es y vivent, et encourage un meilleur respect envers les usager·ères ancestraux·ales et de longue date de ces milieux des régions dites éloignées.

Lorsque la cohabitation dépasse les lieux de rencontres préétablis, c'est à ce moment qu'elle contribue à la décolonisation des relations, au mieux vivre des peuples voisins. En ce sens, la cohabitation nord-côtière contemporaine ne se limite pas aux délimitations territoriales régionales : elle se poursuit en dehors de la Côte-Nord par les mobilités croissantes. En effet, les parcours migratoires ne se font pas seulement de grands centres urbains vers la Côte-Nord, mais tout autant en sens inverse. Par cet éclatement des frontières, les mouvements incessants, les technologies grandissantes et les infrastructures de déplacement de plus en plus accessibles qui permettent une contraction de l'espace-temps et facilitent l'échange culturel, la cohabitation nord-côtière s'ancre dans un réseau d'ouverture à autrui à plusieurs échelles et devient un enjeu qui concerne non seulement les habitant·es du Nitassinan et ses nouveaux·elles arrivant·es, mais également les individus à l'échelle québécoise.


[1] Annie Bourgeois, Les relations interculturelles entre les Autochtones et les allochtones du Québec : étude de cas des communautés de Nutashkuan et Natashquan (mémoire), Université du Québec à Montréal, 2011.

[2] Laurie Guimond, Alexia Desmeules, Caroline Desbiens et Jean-Charles Piétacho, Des ponts interculturels à la rivière Romaine ? : développement nordique et territorialités innues, Québec, Presses de l'Université de Québec, 2019, p. 46.

[3] Justine Gagnon, Mode d'habiter et territorialités autochtones contemporaines : le cas de la natinisga'a en Colombie-Britannique (mémoire), Université du Québec à Montréal, 2013.

[4] Caroline Desbiens et Étienne Rivard, « Relations durables : autochtones, territoires et développement », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 38, no 1, 2010, p. 302.

[5] Laurie Guimond et Alexia Desmeules, « « Les oreilles se sont ouvertes des deux côtés » : développement territoiral et relations entre Innus et non-Innus au chantier Romaine », Recherches sociographiques, vol. 58, no 2, 2017, p. 378.

[6] Naomi Fontaine, Shuni, Montréal, Mémoire d'encrier, 2019.

Charlotte Bellehumeur, département de géographie, UQAM. Cet article a été rédigé par une étudiante allochtone en terres autochtones ancestrales non cédées, notamment sur le territoire Tio'tia:ke de la nation Kanien:keha'ka où se retrouve l'UQAM, et sur le territoire des Innu·es, le Nitassinan.

Photo : Raphaëlle Ainsley-Vincent

L’inuu-aitun en classe de français

17 janvier 2024, par Camille Robidoux-Daigneault — , , ,
La posture de l'enseignant·e de français langue seconde est susceptible de reconduire des rapports de domination chargés. Quelle place est-il possible d'octroyer à la culture (…)

La posture de l'enseignant·e de français langue seconde est susceptible de reconduire des rapports de domination chargés. Quelle place est-il possible d'octroyer à la culture des apprenant·es innu·es dans ce contexte afin d'éviter de reproduire des pratiques hiérarchiques [1] entre la langue maternelle et la langue d'enseignement ?

À l'hiver 2022, le Cégep de Baie-Comeau a accueilli sa première cohorte d'apprenant·es au cheminement Tremplin DEC – Premières Nations. Celui-ci a émergé au terme d'une série de consultations avec le Centre régional en éducation des adultes (CRÉA) de Pessamit et d'étudiant·es innu·es afin de créer une grille adaptée aux besoins de la communauté. Parmi les éléments ciblés, notons l'amélioration des compétences en lecture et en écriture en français, l'accompagnement dans la découverte de l'univers numérique propre au collégial, les compétences organisationnelles et même… la gestion des finances personnelles ! C'est donc avec ce mandat bien précis en tête que s'est développée la grille du cheminement, un cursus qui permet aux étudiant·es de terminer leurs études secondaires à Pessamit tout en découvrant les études collégiales à Baie-Comeau.

Des adaptations pour favoriser la réussite

Il allait de soi pour moi qu'une mise en valeur soutenue de l'innu-aitun (la culture innue) serait au centre de mon cours de Stratégies de lecture et d'écriture [2] afin de favoriser la sécurisation culturelle [3] des apprenant·es. J'ai donc privilégié l'enseignement d'œuvres écrites par des Innuat, soit Michel Jean et Marie-Andrée Gill. Les étudiant·es ont donc été à même de s'identifier à la fois aux personnages et aux auteur·trices, ce qui leur était rarement arrivé, selon leurs témoignages (une évaluation qualitative du cours a été menée auprès des étudiant·es à la fin de la session).

Ils et elles ont d'ailleurs non seulement eu l'opportunité de rencontrer ces deux modèles littéraires, mais également de se familiariser avec les rouages de l'organisation et de l'animation de tables rondes littéraires. Ainsi, la classe s'est approprié les manifestations thématiques de Tio'tia:ke (roman de Michel Jean, Libre Expression, 2021) et de Frayer (recueil de poésie de Marie-Andrée Gill, La Peuplade, 2015) dans un format convivial, tout en consolidant ses compétences numériques et communicationnelles. Les étudiant·es ont participé à tous les aspects de

l'organisation des événements culturels : infographie des affiches promotionnelles, rédaction d'invitations officielles à la communauté du cégep de Baie-Comeau, planification et animation des tables rondes.

À titre d'enseignante, j'ai pu relayer la parole d'auteurs et d'autrices qui problématisent un rapport parfois difficile à l'identité culturelle et proposent des pistes de solution pour s'adapter aux réalités contemporaines tout en préservant un savoir traditionnel. Toujours selon les témoignages recueillis, la présence continuelle de leur culture dans les contenus et la pédagogie employée favorisait la motivation et le sentiment de compétence des étudiant·es. Cette présence faisait contrepoids à une absence systémique au sein de leurs cours de français antérieurs.

L'apprentissage au service de… l'apprentissage

Je me suis sentie privilégiée de côtoyer des étudiant·es animé·es par une vive curiosité à l'égard des arts, de l'histoire et de la politique. En ce sens, la sécurisation culturelle est rapidement devenue un tremplin vers d'autres horizons. La légitimation de notre identité culturelle favoriserait-elle l'empathie et l'ouverture à l'altérité plutôt qu'un repli sur soi ? C'est ce que mon expérience m'invite à penser.

Afin de sortir d'une approche centrée sur une interprétation figée des œuvres, où l'enseignant·e est l'expert·e – ce que je ne saurais prétendre être dans un tel contexte culturel –, j'ai privilégié l'apprentissage coopératif et expérientiel. Je me suis également montrée vulnérable en questionnant les étudiant·es sur la prononciation de quelques mots d'innu-aimun, une langue dont j'amorce l'apprentissage grâce à Yvette Mollen (Université de Montréal) et Monique Verreault (Pekuakamiulnuatsh Takuhikan) [4]. Cela permettait aux étudiant·es de percevoir leur identité culturelle comme un objet riche et résolument actuel. Christopher Moreau, un étudiant de mon cours, l'a d'ailleurs bien thématisé dans un poème rédigé à la suite de la lecture du recueil de Marie-Andrée Gill :

[…] pour sauver ce qu'il reste d'un passé,

il se tourne vers le futur

les braises d'un tipi dans sa poitrine, cendres chaudes

une vie vacillante, sa volonté aussi, arbres sous le vent […]

« Des rivières d'eaux claires et des sentiers de terres » (extrait)

Un lien au-delà des murs de la classe

Outre les stratégies déployées dans les cours du cheminement, l'équipe du Tremplin DEC – Premières Nations souhaite s'affranchir du cadre traditionnel de l'enseignement collégial, notamment en prenant part à des activités pour soutenir la persévérance et l'engagement des étudiant·es. Nous irons d'ailleurs faire une initiation au kayak de mer avec les étudiant·es pour bien clore cette première session et se rappeler que l'apprentissage hors texte est tout aussi riche que celui que l'on fait en classe.

* * *

DES PISTES DE SÉCURISATION CULTURELLE DANS LA CLASSE DE FRANÇAIS

Reconnaître les traumatismes vécus par les étudiant·es, leur famille et leur communauté ;

Être conscient·es des obstacles à la poursuite d'études supérieures des apprenant·es ;

Étudier les particularités linguistiques de la langue maternelle des apprenants afin de favoriser l'efficacité de l'enseignement de la grammaire et de la littérature ;

Reconnaître l'expertise culturelle des apprenant·es ;

Légitimiser la langue maternelle des apprenant·es, ici l'innu-aimun ;

S'autoriser à sortir du cadre rigide de l'enseignement supérieur lorsque possible.


[1] On appelle « diglossie » un bilinguisme où les langues parlées sont soumises à une hiérarchie. Les langues autochtones du Québec, qui ont un statut minoritaire, n'ont que peu de place dans l'espace public, contrairement au français ou à l'anglais, qui elles ont droit de cité ; il s'agit d'une diglossie.

[2] Le cours vise à soutenir la transition entre les études secondaires et les premiers cours de formation générale (Écriture et littérature et Philosophie et rationalité).

[3] Le concept de sécurisation culturelle, apparu dans le système de santé néo-zélandais dans les années 1980, désigne avant tout une « responsabilité » institutionnelle et individuelle et non une « adaptation » de contenus ou de pratiques. Le concept s'impose depuis plusieurs années dans l'enseignement. Je le trouve particulièrement crucial dans un contexte de français langue seconde pour éviter de hiérarchiser des langues qui seront nécessairement amenées à se côtoyer au sein de la classe.

[4] Monique Verreault enseigne des ateliers de nehlueun ouverts à tous et toutes sur Zoom de façon hebdomadaire.

Camille Robidoux-Daigneault est enseignante de littérature au Cégep de Baie-Comeau.

Photo : Raphaëlle Ainsley-Vincent

Protéger et transmettre l’innu-aimun

17 janvier 2024, par Myriam Boivin-Comtois, Isabelle Bouchard, Adèle Clapperton-Richard, Yvette Mollen — , , , , , ,
Yvette Mollen est née dans la communauté innue d'Ekuanitshit. Elle consacre sa carrière à la sauvegarde et la transmission de la langue innue, l'innu-aimun. À bâbord ! a (…)

Yvette Mollen est née dans la communauté innue d'Ekuanitshit. Elle consacre sa carrière à la sauvegarde et la transmission de la langue innue, l'innu-aimun. À bâbord ! a échangé avec elle à propos des enjeux entourant la protection de cette langue et, par le fait même, de la culture innue. Propos recueillis par Adèle Clapperton-Richard, Isabelle Bouchard et Myriam Boivin-Comtois.

À bâbord ! : Quel portrait tracer de l'état actuel de l'innu-aimun sur la Côte-Nord ? Êtes-vous optimiste ?

Yvette Mollen : Je n'ai pas de données vérifiées et récentes pour le nombre de locuteur·trices de la langue innue sur la Côte-Nord. Ce serait le rôle de l'Institut Tshakapesh d'effectuer ce travail d'évaluation de l'état de la langue. Comme cet organisme a un accès direct aux communautés et aux écoles innues, ce serait facile d'engager des personnes qui iraient sur le terrain et évalueraient la situation de la langue : l'utilisation, la transmission, etc.

Ce que je peux vous dire c'est que la situation a évolué depuis la colonisation. Beaucoup d'Innu·es d'une certaine génération et de certaines régions, comme en Minganie ou en Basse-Côte-Nord, n'utilisent que l'innu-aimun pour communiquer. Mais le commerce, les pensionnats et bien sûr les écoles telles qu'on les connaît maintenant ont contribué au bilinguisme des Innu·es. Aujourd'hui, presque tous·tes les Innu·es de moins de 60 ans sont bilingues.

Ensuite, pour expliquer certaines choses, ça me vient en innu d'abord…

Eshpish mishkutshipanit eshinniunanut anite innu-assit, mishta-mishkutshipanu ashit innu-aimun. Ne ua issishueian : ueshkat innu inniuipan anite nutshimit, kushpipan eshku eka shitshimakanit tshetshi apit anite innu-assit. Mishapani aimuna,

mitshenupani kie, tanite innu-aitun an takuanipan eshakumitshishikua, nataunanipan, kussenanipan kie takuanipani aimuna anite nutshimit iapashtakaniti. Anutshish eshpish apinanut anite innu-assit, mishkutshipanua aimuna, passe tutakanipani, passe auiashunanipani anite mishtikushiu-aimunit kie ma akaneshau-aimunit.

Ekue takuak katshishkutamatsheutshuap, ekue takuak mishtikushiu-aimun. Passe innu-auassat ekue eka tshishkutamuakaniht aimuna : nutshimiu-aimuna ushkat kie nenua kutaka aimuna iapatanniti tshetshi nishtuapatahk : pishimuat, atushkan-tshishikua, atshitashuna, atishauiana, eshinikuashuniti aueshisha, namesha…. Anu uetshiuat tshetshi mishtikushiu-uitahk. Apishish anite katshishkutamatsheutshuapit uauitamuakanuat muku apu ishpannit nenu. Tshika ui itutakanuat anite nutshimit, tshika ui nishtutatishuat nenua nutshimiu-aimuna kie tshika ui eshku tapishimakanuat anite innu-aitunit.

(Avec le changement de vie dans les communautés, un changement s'est fait au niveau de la langue. Avant qu'on ne leur impose la sédentarisation, les Innu·es vivaient à l'intérieur des terres et fréquentaient le territoire. Plusieurs mots étaient utilisés aussi parce que la culture était plus vivante tous les jours : on chassait, on pêchait et les mots de l'intérieur des terres étaient utilisés. Depuis que les réserves existent, les mots changent, certains néologismes ont été faits, certains mots sont empruntés au français ou encore à l'anglais.

Et puis, il y a eu l'école. Certains enfants n'ont pas appris les mots de l'intérieur des terres ainsi que ceux utiles dans la vie de tous les jours : les mois de l'année, les jours de la semaine, les chiffres, les couleurs, le nom des animaux, des poissons… Ils ont plus de facilité à les prononcer en français. On leur en parle à l'école, mais ce n'est pas suffisant. Il faudrait les amener à l'intérieur des terres, il faudrait qu'ils et elles comprennent ces mots pour les connecter à la culture innue.)

Malgré tout, je reste optimiste, car de plus en plus de personnes sont conscientes du danger et tentent d'inverser la tendance à la baisse. Un travail immense est à faire, là devant nous, et si tous et toutes s'y mettent, ce sera plus facile de voir des résultats encourageants.

ÀB ! : Dans quelles sphères d'activité les défis de la conservation et du développement de la langue sont-ils les plus grands ?

Y. M. : À Ekuanitshit, la majorité de la communauté parle innu. Mais dans toutes les communautés, le défi est à la maison. À l'école, les enfants reçoivent l'enseignement en français et, avec les nouvelles technologies, ils et elles découvrent aussi d'autres langues : les parents doivent donc prendre le relais et continuer en innu après la journée de classe, pour pallier les manques.

Lorsqu'on entend les parents parler innu à leurs enfants et qu'on entend les enfants qui se parlent innu entre eux et elles, c'est très positif, car on sait que la transmission est assurée. Aussi, la pratique de la culture facilite l'apprentissage de la langue. La génération des grands-parents et celle des parents parlent très bien l'innu. Les grands-parents ont connu ce qu'était le nomadisme, car la communauté d'Ekuanitshit est devenue une « terre réservée » en avril 1963.

ÀB ! : Avec la migration de plusieurs Innu·es vers les villes, quelles sont les stratégies gagnantes pour assurer la pérennité de l'innu-aimun sur le territoire ? Lesquelles sont les mieux adaptées pour les communautés sur la Côte-Nord ?

Y. M. : La majorité des Innu·es habitent encore les communautés et beaucoup de ceux et celles qui s'exilent vont revenir un jour ou l'autre. Cependant, ceux et celles qui sont maintenant à l'extérieur n'ont parfois plus l'innu comme langue maternelle. Il sera difficile de reparler l'innu s'ils ou elles ne l'ont jamais parlé, mais avec de la volonté, on peut s'approprier notre langue sans problème.

La première stratégie est donc la transmission directe des parents à son enfant : parler innu tous les jours à son enfant. Ensuite, s'assurer de pratiquer des activités culturelles, car c'est là que les mots de l'intérieur des terres sont utilisés. Si l'activité est faite avec les enfants à répétition, ce sera facile de continuer à communiquer, à transmettre en innu. Sur la Côte-Nord, il y a la nature, le plein air, les grands espaces. Toutes les activités culturelles sont donc faisables comme nos arrière-grands-parents les faisaient. On peut chasser les gibiers d'eau, aller à la pêche, faire un séjour à l'intérieur des terres, aller camper, manger les produits de la chasse et la pêche.

ÀB ! : Vous enseignez l'innu-aimun à l'Université de Montréal depuis 2017 et êtes professeure invitée de la Faculté des arts et des sciences depuis 2021. Quelles sont les difficultés d'enseigner l'innu-aimun à des étudiant·es non innu·es, et la plupart du temps non autochtones ? Est-ce une langue difficile à enseigner ?

Y. M. : Le plus grand défi a été d'adapter l'enseignement langue maternelle à l'enseignement langue seconde. Les Innu·es qui parlent la langue innue ont ce que les étudiant·es non locuteur·trices n'ont pas, soit « l'instinct ». Les locuteurs·trices connaissent « d'instinct » des éléments puisque ceux et celles-ci ont été exposé·es dès la naissance à la langue. Cependant, une difficulté demeure la même dans les deux cas, puisque les Innu·es n'ont pas eu de cours sur la grammaire de la langue.

C'est difficile pour les étudiant·es qui apprennent. C'est difficile parfois de bien expliquer des choses abstraites qui n'existent pas dans la langue de l'apprenant·e. Il faut leur dire alors qu'ils et elles doivent apprendre par cœur jusqu'à ce que la notion soit intégrée complètement.

ÀB ! : À quel autre endroit aimeriez-vous enseigner l'innu-aimun ?

Y. M. : J'aimerais enseigner dans les communautés innues, à l'intérieur des terres, à des enfants du préscolaire et primaire en même temps qu'à leurs parents avec l'aide d'aîné·es. Ce serait la meilleure école qui unirait la langue et la culture innues. Mais maintenant, j'enseigne l'innu à l'Université de Montréal en ligne. J'aime cet enseignement, cela me permet d'expérimenter cette façon de faire.

ÀB ! : En innu-aimun, y a-t-il des mots ou des concepts qui ont malheureusement dû être inventés pour nommer des phénomènes blancs ?

Y. M. : Je ne dirais pas « malheureusement ». Toutes les langues inventent de nouveaux mots face aux nouvelles réalités. Par exemple, depuis la pandémie et le confinement, les contacts par vidéoconférence ont augmenté : nous avons eu Zoom et des expressions sont apparues, « zoomer » par exemple. Dans notre monde actuel, il faut inventer les mots qui n'existent pas pour ne pas perdre la langue, c'est l'évolution de la langue. Et tant que la langue évolue, elle est en vie.

La façon dont les mots sont créés en innu-aimun tient de l'observation, de la vision de l'objet ou du concept. Beaucoup de nouveaux mots sont créés selon leur utilité chez les Innu·es. Beaucoup d'autres ne sont pas créés parce qu'ils ne sont pas utiles. Quand certains concepts en français n'existent pas en innu, il faut expliquer le concept et traduire la définition.

ÀB ! : La langue innue est-elle genrée ? Quels sont les genres en innu-aimun ?

Y. M. : Le genre, en innu, c'est l'animé et l'inanimé. Cela n'a rien à voir avec ce qui est vivant et non vivant, ce qui bouge ou ce qui ne bouge pas.

C'est une façon de classer les mots qui n'est pas non plus reliée au masculin ou au féminin. Mais nous pouvons différencier un homme d'une femme, d'un mâle ou d'une femelle chez les animaux. Tous·tes seront animé·es : les hommes et les femmes, sans oublier toutes les catégories d'êtres humains. On dira pour l'orignal mâle « nape-mush » (du morphème nape, « mâle ») et pour la femelle « ishkue-mush » (du morphème ishkue, « femelle »).

ÀB ! : Pourriez-vous parler un peu du débat entourant la nécessité ou non de transposer à l'écrit l'innu-aimun ? Et des enjeux de la standardisation de la langue ?

Y. M. : Quand on pense au français, dont l'écriture est standardisée partout dans le monde où la langue est utilisée, la question ne se pose pas. Apprendre le français pour le parler, on appelle ça un moyen de communication. Quand quelqu'un l'écrit ou le lit, là, on appelle ça l'éducation. On protège la langue par des lois, on manifeste pour celle-ci, on brandit le poing quand un directeur d'une quelconque compagnie fait une entrevue dans une autre langue que la langue prescrite par le peuple qui la veut en vie encore longtemps.

Alors, je ne parle pas de débat pour l'innu. Il en faudrait un pourtant, un débat véritable pour la conservation de l'innu par l'écriture standardisée. Les personnes qui ne sont pas en faveur de cette standardisation ne savent souvent pas la lire ni l'écrire. Elles ne connaissent pas encore la richesse de leur langue maternelle.

La première chose que les Innu·es doivent faire pour l'enjeu entourant la langue, c'est de la transmettre oralement à la génération suivante. Il ne faut pas laisser gagner les langues dominantes dans la conversation. Je m'explique : quand mon enfant me répond en français ou en anglais, je continue à parler innu, je réponds en innu. L'important est d'abord de parler la langue. L'écrire viendra ensuite, après avoir eu un bon apprentissage.

Utiliser la bonne orthographe est bon pour les enfants qui apprennent la langue sur les bancs d'école. Il faut qu'ils et elles voient une bonne orthographe exempte de fautes. Ce sera plus facile de lire, de comprendre pour la suite de l'apprentissage. Si nous lisions quelque chose écrit ainsi : « keskia, pourkoi ske t'me parl d'même ? » dans les livres qu'apportent nos enfants de l'école, nous appellerions probablement la direction d'école pour nous plaindre. Nous aurions une discussion quant au sérieux de l'enseignement. La confiance en l'école serait ébranlée.

Dans le cas de l'innu, certains parents n'ont pas eu la chance de connaître l'écriture standardisée. Les enfants l'apprennent à l'école, mais pas encore suffisamment. Si le parent s'intéresse à cette écriture, il ou elle pourra apprendre en même temps que son enfant.

ÀB ! : Est-ce que la toponymie de la Côte-Nord reflète bien la présence de l'innu-aimun ?

Y. M. : Les Innu·es ont toujours nommé les rivières, les lacs, les portages qu'ils et elles fréquentaient depuis des millénaires. Les villages voisins des communautés innues sont nommés en innu, même que les noms de certains d'entre eux sont francisés de l'innu. Par exemple Tshekashkau, qui veut dire « endroit rocheux, sans banc de sable », s'appelle en français Kegaska. Avec la colonisation, certains lacs, rivières ou montagnes ont été renommés. Mais l'Innu·e gardera le nom de l'endroit tel qu'il ou elle l'a appris.

ÀB ! : Quelles seraient les conséquences directes de la disparition de la langue ? Pourquoi son maintien et son développement sont-ils cruciaux ?

Y. M. : La culture est très liée à la langue, les deux sont inséparables. La culture des gens nomades disparaît tranquillement et s'en va vers l'oubli dans certaines communautés. Les jeunes et les enfants ne vivent plus comme leurs ancêtres, n'ont pas la moitié du vocabulaire que ces dernier·ères connaissaient et utilisaient. C'est la sédentarisation et l'éducation obligatoire qui a fragilisé la langue. Si la langue disparaît, la culture aussi disparaît, tout comme notre identité. Les Innu·es auraient de la difficulté à s'identifier réellement, à vivre pleinement, à pratiquer les activités culturelles comme cela se faisait au temps de leurs grands-parents. Ils et elles pourraient pratiquer les activités d'une autre façon, peut-être sans la moindre conviction. Si cela arrive un jour, les Innu·es vont tenter de « baragouiner » une langue lointaine, sans trop savoir ce qu'ils et elles disent et sans comprendre toute l'immensité des subtilités de la langue.

Un jour, en allant dans une communauté innue, nous cherchions notre chemin. Nous nous sommes donc arrêté·es proche d'une maison. Un aîné était assis sur la galerie, sur sa chaise berçante, il me faisait penser à mon père. Un homme basané qui a pris beaucoup de soleil, quelques rides sur le front, les cheveux noirs. Je me suis approchée de lui et lui ai demandé le chemin en innu. Il m'a répondu en français en me disant qu'il ne me comprenait pas. J'ai donc redemandé en français et il m'a indiqué le chemin. J'ai été déboussolée de voir qu'il ne parlait pas innu et qu'il était un Innu.

Je pense à ces nations qui ont vu leur langue s'endormir. Elles tentent de la réveiller, mais ce n'est plus comme avant, elles ne peuvent plus décrire, plus dire. Tout ne résonne plus comme avant. Elles empruntent à d'autres langues, mais ce n'est plus pareil. Que dire des activités traditionnelles ? Nous irions à l'intérieur des terres en nommant tout en français ou en anglais, en ne mangeant pas les produits de la chasse. C'est donc crucial de maintenir la langue, c'est notre identité.

ÀB ! : Tshimishta-nashkumitinan ! (Nous te remercions beaucoup !)

Yvette Mollen est professeure invitée à la Faculté des arts et des sciences, département de littérature et langues du monde à l'Université de Montréal. Les réponses à l'entrevue ont été données à l'écrit.

Photo : Raphaëlle Ainsley-Vincent

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Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2023

Lutter pour le droit à l'égalité effective

Martine Éloy, militante à la LDL et membre du CA de 2002 à 2022

Les années 1963 à 2000

Victoire majeure de la Ligue des droits et libertés (LDL) : en 1975, après une dizaine d’années de pressions et de revendications, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec a finalement été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Pour une première fois au Québec, les droits fondamentaux étaient enchâssés dans un document juridique ! Au cours des premières décennies de son existence, l’intervention de la LDL sur la question du racisme a pris la forme de dénonciations des discriminations et d’appuis à des luttes menées par des groupes victimes de discrimination, notamment celle des chauffeur-euse-s de taxi haïtien-ne-s, et celles de réfugié-e-s et sans-statut, dont Victor Regalado et Mohamed Cherfi. La LDL a aussi été très active en appui aux Autochtones engagé-e-s dans la lutte pour leurs droits, comme dans la guerre du saumon. Dès les années 1980, tout en poursuivant son travail terrain de dénonciations des discriminations, la LDL s’est penchée sur la montée des mouvements d’extrême-droite néonazis et des violences racistes au Québec1, jetant ainsi les bases d’une analyse systémique du racisme.

Les années 2000 et la guerre au terrorisme

Les attentats du 11 septembre 2001 ont donné lieu dans les pays occidentaux à une déferlante d’islamophobie. L’horreur de l’attentat a été instrumentalisée pour réactiver les stéréotypes associés aux mondes musulman et arabe, omniprésents dans la culture occidentale, et les répandre allègrement dans l’espace public. Les manifestations de gestes racistes ne se sont pas fait attendre, avec des conséquences directes, inquiétantes et bouleversantes pour les populations concernées : discrimination en matière d’emploi et de logement, agressions verbales et physiques envers les femmes portant le voile, profilage racial dans l’application des mesures antiterroristes dont les listes d’interdiction de vol et les certificats de sécurité, et de nombreuses autres. La LDL a alors initié un projet d’observatoire pour documenter et dénoncer ce néo-racisme ou racisme culturel. En effet, l’attribution à un groupe, présenté comme homogène, d’une identité culturelle stéréotypée, considérée inférieure et irréconciliable avec la culture dominante, constitue une forme de racisme.

2007 et après : Charte des valeurs et laïcité de l’État

Le climat de peur savamment entretenu par les gouvernements après le 11 septembre a favorisé la montée d’un racisme décomplexé dans le discours public. Cette période du discours du EUX contre NOUS a ouvert grande la porte au discours identitaire construit autour des soi-disant valeurs québécoises aux dépens des personnes musulmanes ou perçues comme telles. Il y a d’abord eu tout le débat public autour des accommodements raisonnables qui a donné lieu à la Commission Bouchard-Taylor en 2007. À cette occasion, la LDL a déposé un mémoire et témoigné aux audiences, rappelant que les mesures d’accommodement ont comme objectif de lutter contre l’exclusion en favorisant l’intégration d’un individu ayant un besoin spécifique (mobilité, santé, religion). La LDL a alors réitéré que tous les droits sont interdépendants et ne peuvent donc pas être hiérarchisés. Les conclusions du rapport Bouchard-Taylor ont été ignorées et, à la suite de ce rapport, nous avons plutôt eu droit à une série de projets de loi discriminatoires visant les minorités religieuses et particulièrement les femmes musulmanes : PL 942, PL 60 (Charte des valeurs)3, PL 624 et le PL 215. Pendant cette période, la LDL a émis nombre de communiqués, lettres ouvertes et mémoires, arguant que la majorité ne peut priver une minorité de droits garantis par les chartes des droits au nom des soi-disant valeurs de la majorité. En fait, le discours sur les valeurs communes est un discours d’exclusion. La LDL a aussi publié Laïcité, un fascicule qui a été réimprimé à quatre reprises entre 2010 et 2019. L’objectif était d’arriver à une compréhension commune du concept de laïcité, qui a été développé pour protéger les groupes de croyances minoritaires et non pour imposer une non-croyance. Tous les projets de loi ci-dessus ont échoué à être adoptés, sauf le PL 216, promulguée par la Coalition avenir Québec (CAQ) sous le bâillon en 2019.

Fredy Villanueva et la lutte contre le profilage racial

L’usage abusif de la force, notamment envers des jeunes racisés, et le profilage qui le sous-tend ont toujours été dans la mire de la LDL. Le 9 août 2008, Fredy Villanueva, un jeune de 18 ans, a été abattu par un policier alors qu’il était avec un groupe de jeunes qui jouaient aux dés dans un parc à Montréal-Nord. Lors de l’intervention policière qui dura moins d’une minute, deux autres jeunes ont aussi été blessés par les tirs du policier. Le sentiment d’injustice ressenti face à cet incident d’une violence inouïe a engendré une importante mobilisation contre les violences policières dont sont particulièrement victimes les personnes racisées. La LDL a participé activement à une coalition qui réclamait une enquête publique pour faire la lumière, non seulement sur les causes et circonstances de cette mort, mais aussi sur l’impunité policière et le traitement que la police réserve aux personnes racisées et marginalisées. Cet évènement a relancé la mobilisation pour dénoncer le profilage racial et les abus policiers.

2016 : Le racisme est systémique

En 2016, à l’initiative de groupes racisés, une vaste coalition s’est constituée pour demander que le gouvernement tienne une consultation publique sur le racisme systémique. Dans ce contexte, les membres de la LDL, réuni-e-s en AGA, ont décidé, sur recommandation du comité Racisme, laïcité et exclusion sociale, de faire de la lutte au racisme une priorité et ont endossé l’approche systémique du racisme.
Au-delà des comportements individuels, des propos vexatoires et des gestes discriminatoires, il y a des facteurs et des pratiques organisationnelles, institutionnelles et sociétales qui ont des effets discriminatoires pérennes pour les personnes racisées.
Pour la LDL, à la suite du constat que le droit formel n’est pas suffisant pour combattre un système, il est devenu apparent qu’il est important de s’attaquer aux causes structurelles du racisme. C’est dans cet esprit que la LDL a déposé un mémoire en 20197 et participé aux audiences de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur le racisme et la discrimination systémiques. Certaines des recommandations de la LDL figurent d’ailleurs dans le rapport final de la Ville de Montréal. La LDL a appuyé l’appel à la création d’une commission sur le racisme systémique au Québec et a produit une brochure en 2016, Le racisme systémique… parlons-en!, permettant de mieux comprendre ce terme souvent galvaudé et mal interprété, y compris par le premier ministre lui-même. Depuis, la LDL a multiplié les occasions pour faire connaître le concept du racisme systémique auprès de publics francophones et anglophones d’abord par la publication d’une brochure qui a circulé à plus de 10 000 exemplaires ; d’un numéro de la revue Droits et libertés ; d’ateliers publics et privés ; de webinaires ; de capsules vidéo en animation ; des carnets des militant-e-s et, en 2022, d’une 2e édition révisée de la brochure.

2020 à 2023 : La pandémie révélatrice des iniquités

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière ce qu’on on savait déjà : nous ne sommes pas tous et toutes égales, même face à la maladie. Pour les personnes racisées notamment dans les quartiers du nord-est de Montréal, l’éloignement des services médicaux, les conditions d’emplois précaires dans des secteurs jugés essentiels, le caractère exigu des logements qui ne permettent pas la distanciation et l’impossibilité de s’absenter pour se faire vacciner sont tous des facteurs qui expliquent un taux de décès supérieur à ceux de la plupart des autres quartiers de Montréal. C’est un exemple éloquent de l’interdépendance des droits : lorsque le droit à l’égalité est bafoué, cela porte à atteinte à d’autres droits, tel le droit à la santé et à la vie. Le traitement subi par Joyce Echaquan au Centre hospitalier De Lanaudière est malheureusement un autre exemple de l’existence du racisme sociétal au Québec et plus largement au Canada. Il est urgent de reconnaître l’existence du racisme systémique, car on ne peut espérer vaincre un problème dont on nie l’existence. Le droit à l’égalité est au cœur de notre mission et la LDL s’engage à poursuivre son intervention dans la poursuite de la lutte pour une société où le droit à l’égalité de tous et toutes sera une réalité.
  1. Ces travaux ont mené à la publication du livre Les Skins Heads et l’extrême droite, VLB Éditeur, 1991.
  2. Gouvernement du Québec, Projet de loi no 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement, 2010.
  3. Gouvernement du Québec, Projet de loi no 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État, 2013.
  4. Gouvernement du Québec, Projet de loi no 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes, 2017.
  5. Gouvernement du Québec, Projet de loi no 21, Loi sur la laïcité de l’État, 2019.
  6. LDL, Le projet de loi 21 : un projet de loi discriminatoire et contraire aux principes fondamentaux d’un État de droit, mai 2019.
  7. Ligue des droits et libertés, Opinion écrite déposée à l’Office de consultation publique de Montréal, 31 octobre 2019, https ://liguedesdroits.ca/la-ville-de-montreal-possede-les-outils-necessaires-pour-contrer-le-racisme-systemique/
 

L’article Lutter pour le droit à l’égalité effective est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Déclaration d’écrivain.e.s francophones : « Nous ne pouvons pas nous taire » - Pour Gaza

« Nous ne pouvons pas nous taire et avons l'obligation morale de dénoncer les massacres en cours contre le peuple palestinien, avec le soutien actif ou la complicité de la (…)

« Nous ne pouvons pas nous taire et avons l'obligation morale de dénoncer les massacres en cours contre le peuple palestinien, avec le soutien actif ou la complicité de la plupart des États occidentaux. » Un ensemble d'écrivaines francophones, en joignant leurs voix à celles des femmes palestiniennes et israéliennes qui œuvrent pour la paix, dénoncent la situation à Gaza et demandent un cessez-le-feu immédiat.

Tiré du blogue des signataires.

« Si vous n'êtes pas atterré.e.s par ce qui se passe à Gaza

Si vous n'êtes pas bouleversé.e.s jusqu'au plus profond de votre être

Alors il y a quelque chose qui ne va pas dans votre humanité »

Révérend Mundher Isaac, pasteur assistant à l'église luthérienne de Bethléem, sermon de Noël, décembre 2023.

Trois mois après les crimes contre l'humanité commis par le Hamas le 7 octobre 2023 lors de son attaque contre le territoire israélien, que nous condamnons sans réserve aucune, la riposte d'Israël s'est avérée être un carnage révélant des buts de guerre allant bien au-delà de « l'élimination du Hamas ».

Le bilan en pertes civiles palestiniennes dans la bande de Gaza s'élève à plus de 30 000 morts, majoritairement des femmes et des mineurs (70%) selon le rapport établi par Euro-Mediterranean Human Rights Monitor (Euro-Med) pour la Cour Pénale Internationale et pour les Nations Unies, daté du 27 décembre 2023, qui tient compte dans ce chiffre d'une estimation du nombre de victimes ensevelies sous les décombres.

Les habitants de Gaza sont soumis, non seulement aux bombardements incessants de l'aviation israélienne et de son armée de terre qui a envahi l'enclave, mais aussi à la privation d'eau, de nourriture et de soins. Le bombardement des hôpitaux et l'implacable blocus qui empêche la quasi-totalité de l'aide de parvenir à sa population, ainsi que le déplacement forcé de plus de 85% des Gazaouis vers le Sud de l'enclave également pilonné sans relâche fait dire à tous les observateurs internationaux qu'un nettoyage ethnique de la bande de Gaza est en cours, accompagné de pratiques relevant clairement d'une intention génocidaire[1].

La gravité extrême de cette situation ainsi que les déclarations de membres du gouvernement Netanyahou préconisant la poursuite de la guerre et un déplacement massif de la population gazaouie hors de son territoire, ont conduit le 29 décembre 2023 l'Afrique du Sud à déposer une plainte devant la Cour Internationale de Justice (CIJ), accusant l'État d'Israël de violer la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide.

Pretoria invoque « les droits et les obligations de l'Afrique du Sud » de prévenir le génocide et « de protéger les Palestiniens de Gaza de la destruction ». La plainte de l'Afrique du Sud ne sera toutefois prise en compte qu'au terme d'une longue procédure. Or pour Gaza chaque jour sans cessez-le-feu, sans eau, sans nourriture, sans aide humanitaire, est une journée de vies perdues, brisées, de souffrance, d'horreur.

Nous ne pouvons pas nous taire et avons l'obligation morale de dénoncer les massacres en cours contre le peuple palestinien, avec le soutien actif ou la complicité de la plupart des États occidentaux. À l'instar de toutes les organisations mondiales de défense des droits humains et en joignant nos voix à celles des femmes palestiniennes et israéliennes qui œuvrent pour la paix, nous exigeons un cessez-le-feu immédiat et sans conditions et l'arrivée de toute urgence d'une aide humanitaire massive à la hauteur des besoins.

Signataires

Abomo-Maurin Marie-Rose (Cameroun)

Achour Amina (Maroc)

Alie Marijosé (Martinique)

Anselmo Marielle (France)

Ba Dicko Safiatou (Mali)

Bel Haj Yahia Emna (Tunisie)

Bessis Sophie (Tunisie)

Bourrel Anne (France)

Bouvet de la Maisonneuve Fatma (Tunisie)

Cadier Florence (France)

Carpenter-Latiri Dora (Tunisie)

Cusset Catherine (France)

Desautels Denise (Canada)

Devi Sort Ananda (Maurice)

Diallo Ba Fatimata (Sénégal)

Dupré Louise (Canada)

El-Masri Maram (Syrie)

Essalmi Nadia (Maroc)

Feki Hella (Tunisie)

Fournier Danielle (Canada)

Fréchette Carole (Canada)

Jacquot Martine (France/Canada)

Gauvin Lise (Canada)

Granjon Elisabeth (France)

Lazlo Viktor (Martinique)

Makhlouf Georgia (Liban)

Catherine Marceline (Martinique)

Masset Marie-Christine (France)

Monette Madeleine (Canada)

Octavia Gael (Martinique)

Oumhani Cécile (France)

Rakotoson Michèle (Madagascar)

Régimbald Diane (Canada)

Serraj Loubna (Maroc)

Tadjo Véronique (Côte d'Ivoire)

Tauil Leila (Maroc)

Wihelmy Audrée (Canada)

Zouari Fawzia (Tunisie)

[1] Les termes de « crime contre l'humanité » et de « génocide » sont définis par la Cour Pénale Internationale (en français : Elements-des-crimes.pdf (icc-cpi.int))

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L’impunité israélienne fait monter les tensions régionales

Depuis le début de la guerre d'Israël contre la bande de Gaza à la suite de l'action armée du Hamas le 7 octobre, les tensions régionales n'ont cessé de s'intensifier sans se (…)

Depuis le début de la guerre d'Israël contre la bande de Gaza à la suite de l'action armée du Hamas le 7 octobre, les tensions régionales n'ont cessé de s'intensifier sans se transformer (encore) en guerre ouverte et directe. Face à la violence de l'armée d'occupation israélienne soutenue par ses alliés impérialistes occidentaux, les risques d'embrasements régionaux beaucoup plus meurtriers ne cessent de croître.

Hebdo L'Anticapitaliste - 689 (04/01/2024)

Par Joseph Daher

Crédit Photo
Tasnim News Agency - Saleh al-Arouri

L'État israélien a notamment intensifié ses bombardements et attaques contre le Liban et en Syrie ces dernières semaines. Le 25 décembre 2023, au sud de Damas, des missiles israéliens ont assassiné le général de brigade Razi Moussavi, un important commandant de la Force Qods, branche des opérations étrangères et unité d'élite des Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique de la République islamique d'Iran. Les dirigeants iraniens ont promis une réponse à cet assassinat.

Des risques d'embrasement du côté du Liban

Néanmoins, les risques les plus importants sont au Liban et en particulier après l'assassinat par l'armée d'occupation israélienne, dans une attaque dans la banlieue sud de Beyrouth le 2 janvier 2024, de Saleh al-Arouri, le numéro 2 du bureau politique du Hamas et l'un des commandants de sa branche militaire, les Brigades al-Qassam. Deux autres responsables du Hamas, Samir Fandi et Azzam al-Akraa, ainsi que quatre autres affiliés au mouvement mais aussi à la Jamaa Islamiya libanaise, ont également été tués dans cette attaque.

Le dirigeant du Hamas Arouri était installé au Liban depuis 2018. Emprisonné à deux reprises, il a passé une douzaine d'années dans les geôles israéliennes avant d'être libéré en avril 2010. Il était l'un des interlocuteurs privilégiés du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Jusqu'à maintenant, le Hezbollah, de même que son soutien iranien, ne souhaitait pas un engagement militaire trop important et coûteux contre Israël. L'organisation libanaise s'est limitée à être un « front de pression » contre Tel-Aviv, comme exprimé à plusieurs reprises par Hassan Nasrallah.

Les attaques israéliennes ont néanmoins déjà causé la mort de 140 membres du Hezbollah entre le 8 octobre 2023 et début janvier 2024. Les frappes aériennes et de drones de l'armée d'occupation israélienne sur les villages du Sud-Liban ont également poussé plus de de 64 000 personnes à se déplacer vers des régions plus « sûres » et endommagé de vastes étendues de terres agricoles, ainsi que des habitations. Cependant cet assassinat du dirigeant palestinien Arouri dans la banlieue sud de Beyrouth risque d'accroître encore davantage de manière dangereuse les tensions entre le Liban et Israël, avec une réaction très probable du Hezbollah dans les prochains jours.

En mer Rouge, les houthis contre les forces armées des États-Unis

De même, du côté du Yémen, les tensions augmentent entre le mouvement politique et armé yéménite des houthis et les forces armées des États-Unis. Depuis le 7 octobre, les houthis ont en effet multiplié les attaques en mer Rouge contre des navires qu'ils estiment « liés à Israël », en solidarité avec les PalestinienNEs. Face à cette situation, au début du mois de décembre, une force navale multinationale a été mis en place par les États-Unis afin de protéger les navires de la mer Rouge, par laquelle transite 12 % du commerce mondial. Le 31 décembre 2023, dix militants houthis ont été tués en mer Rouge après que l'armée américaine a affirmé avoir coulé trois de leurs navires en réponse à des attaques contre un porte-conteneurs d'un transporteur danois. Il s'agit de la première frappe meurtrière contre les houthis depuis que les États-Unis ont annoncé la mise en place de la force navale multinationale. En plus de ces mesures, Washington a imposé des sanctions visant les circuits de financement des houthis, ciblant plusieurs personnes et entités au Yémen et en Turquie qu'ils jugent impliquées dans ces financements.

Tandis que la guerre génocidaire contre la bande de Gaza ne cesse pas, tandis que les dirigeants du gouvernement israélien ont annoncé que la guerre contre la bande de Gaza allait se poursuivre « tout au long » de l'année 2024, l'impunité israélienne est une menace permanente pour les classes populaires régionales et ne cesse d'accroître les dangers d'une guerre régionale.

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Pour le rejet des ententes entre la CAQ et les bureaucraties syndicales

16 janvier 2024, par Marc Bonhomme — ,
Il faut écouter l'entrevue du Midi-Info (15/01/24, 12h43) avec une enseignante du quartier Saint-Michel à Montréal pour comprendre pourquoi elle-même et, selon ses dires, ses (…)

Il faut écouter l'entrevue du Midi-Info (15/01/24, 12h43) avec une enseignante du quartier Saint-Michel à Montréal pour comprendre pourquoi elle-même et, selon ses dires, ses collègues de son école, suite à une réunion tâtant le pouls de chacune et chacun, penchent pour le rejet de l'entente de principe de la FAE à moins de l'accepter « par désespoir » comme elle le dit. Le salaire négocié n'est pas à la hauteur de leur formation universitaire et de leur responsabilité ajoute-elle. Elle aurait pu préciser que s'il compensera peut-être pour l'inflation — la formule compensatrice des trois dernières années est bloquée à seulement 1% de plus — dont celle de 2022 à retardement, il n'y aura rien pour le rattrapage. L'accentuation de la crise climatique et sans doute des guerres n'augurent rien de bon au sujet du contrôle de l'inflation. Et on est encore très loin d'égaler la rémunération globale des personnes salariées des autres secteurs publics qui au départ était supérieure de près de 23%.

Selon l'enseignante, là où le bât blesse ce sont pour les améliorations sectorielles pour lesquelles la FAE attendait beaucoup. Il ne faut pas oublier que dans le Grand Montréal syndiquée à la FAE, les conditions d'enseignement sont généralement plus difficiles qu'ailleurs pour cause de milieux plus pauvres, d'immigration plus importante nécessitant l'apprentissage du français et, last but not least, d'un écrémage plus important qu'ailleurs par les écoles privées. Premièrement, les personnes aidantes dans les classes ne seront pas les spécialistes requises pour lesquelles il n'y a pas d'engagement même au bout de la longue convention collective de cinq ans, pas plus que pour la création de nouvelles classes allégeant le fardeau de celles existantes. Affirmer qu'il est impossible maintenant d'y remédier n'excuse pas le fait de ne pas s'engager concrètement pour les années suivantes et n'est pas effacer par un bonus compensatoire qui ne règle rien de conclure l'enseignante. Sans compter, ajoute l'enseignante, que l'aide escomptée même déficiente nécessite un pointage complexe difficilement atteignable.

Côté santé, c'est moins clair. Mais les négociations avec la FIQ traînent en longueur parce qu'en plus de l'offre salariale inadéquate elle ne veut rien savoir de la « flexibilité » exigée par la CAQ dans la cadre de la prise en mains du secteur santé par les « top guns ». Ce qui laisse entendre que le Front commun a avalé la pilule en retour de compensations monétaires additionnelles pour les quarts difficiles et les types d'emploi où l'écart avec le marché était criant. Faut-il aussi comprendre que côté éducation le Front commun ait aussi fait preuve de flexibilité ce qui serait moins problématique pour la CSQ syndiquant hors les plus difficiles grands centres urbains ? Il faut donc comprendre que la CAQ a su non pas jouer les syndicats hors Front commun contre celui-ci mais l'inverse allant jusqu'à instaurer une politique de retour en classe acceptable pour mieux faire passer l'amère pilule. Réalisant la manœuvre, si elles le réalisent, les syndiquées du Front commun sauront-elles faire preuve de solidarité en rejetant le corporatisme de leurs directions syndicales ? Prendre cinq semaines pour voter l'entente sent à plein nez la volonté manipulatoire de la bureaucratie syndicale qui veut bien encadrer toutes ces assemblées.

Si cette entente de principe passe, cette pseudo victoire féministe, dixit Le Devoir, laissera le même goût amer de statuquo amélioré que la soi-disant victoire du printemps érable de 2012. Le fond de l'air dégagera la même odeur nauséabonde d'occasion ratée sans aucun autre relais qui pointe à l'horizon. Cette défaite stratégique, car c'est bien de cela qu'il s'agit, laissera le peuple québécois, et encore plus son prolétariat, face au grand vide existentiel de la prolifération des guerres sur fond d'un emballement de la crise climatique que se hâtera de combler la montée de l'extrême-droite fascisante qui menace cette année aux États-Unis et peu après au Canada. Plus que jamais, s'impose un nouveau 1972,

Marc Bonhomme, 15 janvier 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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Ne sautons pas trop vite aux conclusions…

16 janvier 2024, par Yvan Perrier — ,
Au moment où nous écrivons les lignes qui suivent, les membres des syndicats affiliés aux quatre organisations syndicales qui forment le Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS ainsi que (…)

Au moment où nous écrivons les lignes qui suivent, les membres des syndicats affiliés aux quatre organisations syndicales qui forment le Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS ainsi que les membres de la FAE amorcent en assemblée générale, à partir du 15 janvier, l'étude des ententes de principe survenues aux tables sectorielles et à la table centrale.

Ce processus s'échelonnera jusqu'au 25 janvier à la FAE et au 19 février 2024 pour le Front commun. Les salarié.e.s syndiqué.e.s qui sont représenté.e.s par la FIQ, le SPGQ et le SFPQ n'ont, de leur côté, rien de concret à présenter à leurs membres. Ce n'est donc pas avant quelques semaines encore qu'il sera possible d'entreprendre un véritable bilan de la présente ronde de négociation et d'identifier qui a réussi à obtenir les concessions souhaitées ou à négocier les compromis recherchés.

Tant et aussi longtemps que la négociation n'est pas terminée, avec la totalité des 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic, il est un peu trop tôt pour parler de « victoire » d'une des deux parties négociantes sur l'autre. Ceci étant dit, il est quand même possible d'identifier un certain nombre d'aspects qui caractérisent l'entente de principe survenue le 28 décembre 2023 à la table centrale du Front commun, principalement sur les enjeux intersectoriels (c'est-à-dire le monétaire et le salarial).

Sur certains aspects de l'entente du 28 décembre 2023

Il y a belle lurette qu'une proposition de contrat de travail comportant minimalement une augmentation salariale de 17,4% sur 5 ans n'a pas été convenue entre le gouvernement du Québec et la grande majorité des salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic. Depuis la ronde des décrets de 1982, ce qui a été imposé unilatéralement par l'État-patron ou négocié entre le gouvernement du Québec et les organisations syndicales dans les secteurs public et parapublic n'a pas servi de modèle dans le secteur privé. L'époque où le secteur public pouvait revendiquer être une locomotive pour le secteur privé s'est interrompue en 1979. À partir de ce moment, les employeurs privés et l'État employeur ont décidé de remettre en question brutalement certains acquis syndicaux. Avec pour résultat que les augmentations salariales obtenues dans les secteurs public et parapublic du Québec, au cours des quarante dernières années, ont, la plupart du temps, été inférieures à l'inflation. Des années 2003 à aujourd'hui, les augmentations paramétriques ont oscillé entre 0 à 2% par année. Il faut donc rappeler ici que le 17,4% d'augmentation salariale minimale pour la période couverte d'avril 2023 à mars 2028 est encore, pour plusieurs personnes, en deçà du 21% (1) d'augmentation offerte aux policières et aux policiers de la SQ et très loin du 30% d'augmentation que les député.e.s se sont accordé.e.s pour l'année 2023 seulement. Pour ce qui est de la clause de protection du pouvoir d'achat, soit 1% pour chacune des trois dernières années d'application de la convention, personne ne peut affirmer quoi que ce soit à son sujet. Qui peut prédire avec exactitude le taux d'inflation en 2026, en 2027 et en 2028 ? Ni vous ni moi. Elle est, par contre, plus généreuse que ce qui était prévu face à l'inflation dans l'entente de principe de 2010. Point à la ligne.

Il est par contre exact d'affirmer qu'il y a, dans l'entente de principe du 28 décembre 2023, des employé.e.s syndiqué.e.s qui auront droit à des augmentations salariales supérieures à 17,4%. Certain.e.s obtiendront des primes allant jusqu'à 15% de plus. D'autres se voient offrir un pourcentage d'augmentation supplémentaire. Pourquoi un tel traitement différencié ? Il faut en effet attirer et recruter de nouvelles et de nouveaux employé.e.s dans les secteurs public et parapublic, mais qu'en est-il de la rétention du personnel expérimenté ? Qui paye pour ces augmentations différenciées ?

L'entente de principe qui circulera dans les assemblées générales au cours des prochaines semaines prévoit également des améliorations au RREGOP, l'obtention d'une 5ième semaine de vacances après 19 années d'ancienneté (plutôt que 25), une bonification des contributions de l'employeur aux assurances. Les ouvriers spécialisés et les psychologues auront droit à une prime de 10 à 15% pour les premiers et une majoration de salaire de 10% pour les seconds. Ce qui est bien, mais il y en a combien qui ne toucheront qu'entre 17,4% ou un maximum de 20,4% sur 5 ans si l'inflation ne parvient pas à être jugulée ?

Ce que les membres auront probablement en tête quand elles et ils participeront à leur assemblée générale

Bref, devant une telle entente de principe en provenance de la table centrale ce sera à tout un.e. et chacun.e. de décider si cela répond à ses attentes et à ses intérêts. Il en ira de même devant le contenu des ententes sectorielles dont les détails de plusieurs n'ont pas encore été dévoilés. La question qui habitera les 420 000 membres du Front commun et les 66 500 membres de la FAE se résume minimalement à ceci : les dispositions des ententes sectorielles et de la table centrale permettent-elles ou non d'améliorer les conditions de travail et de rémunération dans les services publics ?


Conclusion

Il appartient aux salarié.e.s syndiqué.e.s concerné.e.s par ces ententes de décider si celles-ci vont enfin contribuer à améliorer l'état des services publics et si elles vont favoriser le recrutement de nouvelles et de nouveaux salarié.e.s et encourager la rétention du personnel expérimenté. De plus, il appartient à ces personnes de décider si à leurs yeux l'entente de principe va permettre ou non de les protéger adéquatement face à l'inflation et si elle autorise d'envisager un véritable début de rattrapage salarial avec les autres services publics ?

La présente ronde de négociation était une occasion d'amorcer un coup de barre en faveur d'un redressement des services publics. Il est trop tôt pour juger de la portée véritable de ce qui sera soumis aux salarié.e.s syndiqué.e.s. Ce ne sera qu'à terme, c'est-à-dire le 31 mars 2028, qu'il sera possible de dégager l'ensemble des gains ou des pertes qui accompagnent la présente entente de principe. D'ici là, évitons de sauter trop vite aux conclusions.

(1) Selon La Presse et Radio-Canada, l'entente de principe de 21% négociée entre le gouvernement du Québec et l'Association des policiers provinciaux du Québec (APPQ) prévoyait des hausses salariales totales de 5 % en 2022, 3 % en 2023, 7 % en 2024, puis 3 % en 2025 et 2026. Cette entente a été rejetée à un peu moins de 60%.
Ces pourcentages se décortiquaient de la manière suivante :
Pour 2022 : 3% en rattrapage et 2% en augmentation du salaire de base ;
Pour 2023 : 1% en rattrapage et 2% en augmentation du salaire de base ;
Pour 2024 : une prime nationale de l'ordre de 3% plus 2% en rattrapage et 2% en augmentation du salaire de base
Pour 2025 : une prime nationale de l'ordre de 1% plus 2% en augmentation du salaire de base
Pour 2026 : une prime nationale de l'ordre de 1% plus 2% en augmentation du salaire de base

https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2023-09-06/quebec-casse-sa-tirelire-pour-ses-policiers.php.

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2008554/surete-quebec-sq-augmentations-salariales?fbclid=IwAR26oh-76ZYpR0fP4iA-ThCVP1nxJ6tiL3B-YdiZburWpau1GTdAXGz3Pis. Consulté le 16 janvier 2024.

Yvan Perrier

15 janvier 2024

14h40

yvan_perrier@hotmail.com

Aparté : Psychodrame social et droit de grève

Il y a dans l'actualité des personnes qui qualifient la ronde de négociation que nous vivons en ce moment de « psychodrame social » et qui demandent une révision du régime de négociation en ce qui a trait au volet portant particulièrement sur le droit de grève. Pour ces personnes, le nombre de participant.e.s au vote doit être plus élevé. Mieux le vote devrait se tenir électroniquement. Ces pourfendeurs des droits démocratiques des syndiqué.e.s observent, par contre, un silence complice devant le mode de scrutin qui permet au gouvernement présentement en place à Québec d'obtenir une députation majoritaire à l'Assemblée nationale à partir d'une minorité des suffrages. Est-il nécessaire de rappeler que le gouvernement Legault n'a obtenu, le 3 octobre 2022, que 1 685 573 votes sur un nombre d'électeurs et d'électrices inscrit.e.s qui s'élevait à 6 302 789, soit à peine un peu plus qu'un électeur ou électrice sur 4 (26,7%). Avec un tel score, François Legault est parvenu à faire élire 90 député.e.s sur 125 (72%). À quand une véritable réforme du mode de scrutin ?

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Le gouvernement Legault, un modèle d’affaires qui n’a rien à voir avec la lutte aux changements climatiques

16 janvier 2024, par Bernard Rioux — ,
Davantage d'extraction minière, davantage de production d'énergie électrique, éolienne ou solaire, davantage d'investissements industriels gourmands en ressources minières et (…)

Davantage d'extraction minière, davantage de production d'énergie électrique, éolienne ou solaire, davantage d'investissements industriels gourmands en ressources minières et énergétiques dans une filière vouée à la transformation du parc automobile, le tout sous le contrôle de multinationales étrangères. Voilà, en somme, le modèle économique que cherche à imposer le gouvernement Legault. Ce modèle n'a rien à voir avec les objectifs de réduction des gaz à effet de serre (GES) et de réduction des dépenses en ressources et en énergie, nécessaires pour faire face à la crise climatique. Le projet de loi promis par le ministre Pierre Fitzgibbon cherchera sans doute à ouvrir la voie aux entreprises privées non seulement pour la production d'électricité, mais aussi pour donner la possibilité à ces entreprises de vendre leur production à des clients commerciaux et industriels. C'est là un modèle économique écocidaire contre lequel nous devons nous mobiliser.

Avec le développement de la filière batteries, le boom minier risque de conduire à la destruction de territoires

Dans le domaine minier au Québec, l'intervention de l'État a été marquée au coin du laisser-faire économique. Les différents gouvernements se sont donné comme tâche de favoriser et de protéger les entreprises privées d'exploitation minière sans se préoccuper des citoyen.nes et de leur environnement. L'exploitation minière au Québec se distingue par une triple dépossession. La première est une dépossession matérielle des ressources par les entreprises privées. La seconde est une dépossession politico-écologique par la privation d'un pouvoir de décision citoyen et étatique sur le contrôle et les modalités de l'exploitation des ressources minières. La troisième est une dépossession économique par la spoliation des bénéfices fiscaux, les redevances des minières étant restées très petites par rapport aux revenus que ces entreprises ont pu tirer de leurs activités. [1].

Le Québec dispose de minéraux stratégiques (cobalt, coltan, cuivre, graphite, lithium, zinc, nickel) et de terres rares. Depuis quelques mois, on a assisté à la prolifération de demandes de claims miniers sur le territoire du Québec, facilitée par la Loi des mines qui donne tous les droits aux minières et aux spéculateurs. On compte désormais (en 2022) plus de 20 000 titres miniers dans sept régions du sud du Québec, dont 7 674 titres miniers dans trois régions du sud-est du Québec en date de novembre 2022 : Estrie (1 739), Bas-Saint-Laurent (1 242) et Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (4 693). [2].

Les projets d'exploitation minière grugent les terres agricoles et cela ne fait que commencer à cause de la recherche des minerais stratégiques particulièrement le graphite dans le sud du Québec. [3]. La Commission pour la protection des terres agricoles du Québec a accordé 100 % des demandes d'exploration des minières en milieu agricole, 97 % des projets d'infrastructures liés au transport et à la production d'électricité et 99 % des demandes d'implantation des parcs éoliens sur les territoires agricoles. [4]

La multiplication des claims par les minières en territoires citoyens montre que les droits des minières ont préséance sur les plans d'aménagement des territoires des villes et des Municipalités Régionales de Comté (MRC). Le développement des mines et des entreprises par les multinationales risque de se faire aux dépens du contrôle citoyen sur leur territoire. "Laisser libre cours aux principes dévastateurs du free ming fait couler le risque immense de voir se multiplier les cas de contamination des réserves d'eau potable qui en dépendent. Il nous faut écouter davantage la volonté des populations locales et développer de meilleurs mécanismes de protection de nos milieux humides et hydriques avant, ou en dépit de l'émission de titres miniers." (Rébecca Pétrin, directrice générale d'Eau secours. [5] Le cas de Northvolt est exemplaire à cet égard. Alors que cette entreprise a été arrosée par des milliards en argent public, le premier ministre Legault a affirmé que cette compagnie n'aurait pas à passer par une procédure environnementale impliquant un examen du BAPE. [6] Le gouvernement refusait par là d'évaluer les effets d'ordre climatique, l'incidence sur la santé publique et les conséquences sur les milieux naturels et la biodiversité.

Cette montée d'un extractivisme sans balise vise à répondre aux besoins des entreprises multinationales que le gouvernement Legault cherche à attirer par des subventions qui se comptent maintenant en milliards de dollars. Il n'est donc pas question pour ce gouvernement de réduire les demandes en énergie en priorisant l'efficacité énergétique. Dans une démarche de prophétie autoréalisatrice, il crée la perspective d'une pénurie d'énergie électrique, suite à des projets de croissance à tout prix laissés aux mains des multinationales.

Contre la privatisation d'Hydro-Québec

Malgré les dénégations du ministre Fitzgibbon, la perspective d'une privatisation totale ou partielle d'Hydro-Québec est dans les plans du ministre de l'Économie et de l'énergie et du PDG d'Hydro-Québec. Cette privatisation ne prendra sans doute pas la forme de la vente d'une partie d'Hydro-Québec aux entreprises privées, mais le secteur privé est appelée à occuper une place de plus en plus importante dans la production de l'électricité. Déjà la production des énergies renouvelables (éoliennes et solaires) qui est appelée à se développer rapidement se fait par des entreprises privées multinationales. On pouvait lire dans le Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable publié en novembre dernier, cet avertissement : « Nous nous opposons fermement à toute tentative de privatisation d'Hydro-Québec ou de ses actifs. Hydro-Québec est un patrimoine stratégique et doit rester sous contrôle public. Nous rejetons toute forme d'érosion de cette institution, cruciale pour le bien-être collectif, au profit du privé. »

Les syndicats d'Hydro-Québec affiliés au SCFP ont d'ailleurs lancé une campagne publique pour mettre en garde contre toute volonté de privatisation de la société d'État. Le développement de la filière-batteries soutenu par les gouvernements fédéral et provincial exigera beaucoup d'électricité et le ministre Fitzgibbon, a ouvert la perspective d'autoproduction d'électricité par les entreprises privées dont les surplus pourraient être revendus à Hydro-Québec. La porte est grande ouverte aux projets privés de production et de transports d'électricité, comme celui de TEX, en Mauricie. [7]

Le gouvernement du Québec et les entreprises sont engagés dans une véritable course au développement de la filière batteries et du développement de l'extraction de nouvelles richesses minières. Ils sont prêts à procéder et à exclure toute consultation véritable et surtout à refuser de donner un quelconque pouvoir aux citoyennes et citoyens des régions qui sont impactés par leurs décisions et particulièrement aux peuples autochtones. La prétention à décarboner le système énergétique n'est qu'une couverture sur une exploitation encore plus irresponsable des ressources et sur le refus de toute stratégie de sobriété énergétique.

L'augmentation de la production électrique, argumentent les François Legault, Pierre Fitzgibon ou Michel Sabia, est essentielle au nouvel essor de la croissance. Le plan Sabia, ce nouveau plan d'Hydro-Québec prévoit la construction de grands barrages hydro-électriques et l'accélération du développement des industries éoliennes et solaires par les multinationales. Le développement de petites centrales nucléaires est même envisagé par le PDG d'Hydro-Québec.

Le mépris gouvernemental de la consultation et du pouvoir citoyen

Que ce soit pour la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda, pour l'aluminerie d'Arvida, pour le Port de Québec ou enfin pour l'usine de Northvolt, le gouvernement Legault est plus que conciliant sur les dépassements des normes environnementales par les entreprises. C'est plus de 89 entreprises polluantes que le gouvernement autorise à déroger à la loi. [8] Il se heurte ainsi, comme l'a montré un sondage Léger d'août 2022, à la population du Québec dont le consentement est exigé à hauteur de 78 % pour toute nouvelle exploitation minière. 75% de la population voudrait interdire tout projet minier dans les zones touristiques et 89% souhaiterait interdire tout rejet des déchets miniers dans les lacs, rivières et milieux écologiques sensibles. La Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine a demandé au gouvernement d'interdire cette pratique, mais le gouvernement est jusqu'ici resté sourd à ces demandes. Le gouvernement de la CAQ va jusqu'à autoriser des mégas projets en dépit des études du BAPE qui leur identifient des lacunes et va même jusqu'à se passer des études du BAPE.

Le gouvernement du Québec se moque du nécessaire consentement des populations locales qui seront impactées tant par l'exploitation minière que par de grands projets industriels. Il prétend tenir compte des droits des peuples autochtones, mais ce ne sera que notre mobilisation et notre solidarité qui permettront la reconnaissance de ces droits.

Le gouvernement de la CAQ dit avoir l'oreille des pouvoirs et de la finance et avoir une vision d'hommes d'affaires. C'est pourquoi, il refuse de réformer la loi sur les mines, d'écouter les doléances des Nations autochtones et des municipalités et de donner la priorité concernant l'aménagement du territoire au pouvoir citoyen. Appeler à la collaboration avec un tel gouvernement ne peut que déboucher sur un vain attentisme. Ce sont ses intentions écocidaires qu'il faut remettre en cause non seulement en parole, mais dans les luttes concrètes qui seront nécessaires pour bloquer ce gouvernement irresponsable et les profiteurs qu'il soutient. La mobilisation unitaire contre le projet de loi que doit présenter le ministre Pierre Fitzgibbon sera essentielle pour défendre la majorité populaire contre les intentions prédatrices du capital d'ici et d'ailleurs.

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[1] Laura Handal Caravantes, L'histoire d'une triple dépossession, in Dépossession, Mines, L'histoire économique du Québec contemporain, Lux, 2015, pp-107-172

[3] Étienne Leblanc, Les limites d'une économie électrifiée, Radio-Canada, 30 septembre 2023

[4] Thomas Gerbet, La filière batteries menace le territoire agricole, Radio-Canada, 23 septembre 2023

[5] Coalition pour que le Québec ait meilleure mine, 101 idées pour que le Québec ait meilleure mine : La population invitée à se prononcer, 4 juin 2019

[7] Communiqué du SCFP-FTQ, Campagne publique contre la privatisation d'Hydro-Québec, 8 janvier 2024

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