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Rassemblement pour dénoncer le jugement Leclerc

23 janvier 2024, par Centre Femmes d'Aujourd'hui — , ,
Lundi dernier, le 15 janvier, on apprenait que le juge Bruno Leclerc a acquitté 3 hommes d'une accusation de viol collectif à l'encontre de deux adolescentes. Québec, le 18 (…)

Lundi dernier, le 15 janvier, on apprenait que le juge Bruno Leclerc a acquitté 3 hommes d'une accusation de viol collectif à l'encontre de deux adolescentes.

Québec, le 18 janvier 2024 - Des groupes de femmes, des citoyennes et des citoyens se sont rassemblés jeudi en fin de journée au Palais de justice de Québec à l'initiative du Centre Femmes d'aujourd'hui. Les militantes y dénonçaient le jugement rendu plus tôt cette semaine par le juge Bruno Leclerc, qui a acquitté trois hommes d'une accusation de viol collectif à l'encontre de deux adolescentes. Les manifestantes dénonçaient aussi le système de justice, qui selon elles, protège les agresseurs en étant inadaptés aux procès pour agressions sexuelles.

Incompréhension

Pour les organisatrices du rassemblement, le jugement est incompréhensible. Selon les informations rendues publiques, les victimes étaient intoxiquées, et des vidéos déposées en preuves le démontreraient. Les deux adolescentes ont aussi témoigné de perte de mémoire et de perte de conscience. Malheureusement, comme les victimes étaient intoxiquées, le juge Leclerc a estimé que leurs témoignages manquaient de fiabilité et qu'ils étaient
« insuffisants » pour prouver hors de tout doute raisonnable de leur incapacité à consentir. Pour les organisatrices, c'est la goutte qui fait déborder le vase. « Comment les victimes peuvent-elles être à la fois trop intoxiquées pour que leur témoignage soit crédible, mais suffisamment sobres pour consentir à des relations sexuelles ? » s'indigne Audrée Houle, du Centre Femmes d'aujourd'hui. Sa collègue, Alice Marcoux poursuit : « Le juge a fait bénéficier les accusés du doute raisonnable, soutenant qu'il ne pouvait affirmer que les victimes étaient incapables de consentir. Or, non seulement le consentement tacite n'existe pas en droit canadien, mais de plus, une intoxication sévère, comme celle décrite par les victimes, rend le consentement invalide. L'absence de consentement c'est un refus ! »

Doute DÉraisonnable ?

Pour les manifestantes, le doute invoqué est déraisonnable. Le juge qui a acquitté les accusés a pourtant soutenu que les faits se sont « probablement produits » et qu'un des accusés était « prêt à dire tout et n'importe quoi pour se justifier ». « Partout, on encourage les victimes à porter plainte, à dénoncer. Et on croit sincèrement qu'il faut le faire. Mais un tel jugement mine la confiance des victimes envers le système de justice. Ça envoie le message que, peu importe les preuves, ça ne sera jamais suffisant », croit Andréane Chabot, aussi du Centre Femmes d'aujourd'hui. Bien qu'elle provoque la colère, cette nouvelle n'est pourtant pas une surprise pour l'organisme organisateur. Madame Chabot poursuit en ce sens : « ce jugement s'ajoute à une liste déjà longue de jugements
en faveur des agresseurs. En 2022, le Tribunal ne croyait pas la version des faits de Gilbert Rozon, mais il a tout de même été acquitté. La même année, Simon Houle bénéficiait d'une absolution conditionnelle après avoir plaidé coupable à des accusations d'agression sexuelle. La même histoire se répète constamment, notre système judiciaire est complètement inadapté aux procès pour agressions sexuelles
». Josée Turbis, sa collègue, explique en ce sens :
« Exiger des victimes de livrer des témoignages parfaits, c'est complètement irréaliste. Comment se rappeler de tous les détails alors qu'on vivait un événement traumatique, qu'on était dans un état d'intoxication ou alors qu'on était inconsciente ? C'est un lourd fardeau à faire porter aux victimes et ça démontre bien à quel point les agressions sexuelles sont mal comprises ».
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Northvolt : des groupes environnementaux demandent une évaluation environnementale indépendante

23 janvier 2024, par Collectif — , ,
Les travaux d'abattage d'arbres et de remblaiement de milieux humides ont commencé hier matin sur le site de Northvolt sans que Québec n'ait tenu une véritable évaluation (…)

Les travaux d'abattage d'arbres et de remblaiement de milieux humides ont commencé hier matin sur le site de Northvolt sans que Québec n'ait tenu une véritable évaluation environnementale. Pourtant, plusieurs groupes environnementaux et groupes citoyens ont demandé la tenue d'une évaluation environnementale indépendante depuis l'annonce de l'implantation de l'usine de Northvolt à McMasterville et Saint-Basile-le-Grand en octobre 2023.

Une évaluation environnementale indépendante et des audiences publiques sont essentielles pour protéger les citoyens et l'environnement. Elles sont également nécessaires pour protéger de lui-même un gouvernement devenu juge et partie. Pour ce faire, il a à sa disposition le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), que ce soit par une évaluation de ce projet particulier ou par une évaluation environnementale stratégique de l'ensemble de la filière batterie.

Sans évaluation environnementale indépendante, le gouvernement deviendra prisonnier des concessions successives qu'il a faites jusqu'à maintenant et qui sait jusqu'où il devra aller face aux nombreux autres obstacles qui se dresseront assurément à l'avenir, tels que le pompage d'eau dans l'habitat du chevalier cuivré ou le dérangement du petit blongios durant la période de nidification.

Les critiques légitimes à l'égard de ce projet proviennent notamment d'un grand manque de transparence de la part des parties impliquées, et ce, depuis les premiers balbutiements. Les groupes environnementaux et citoyens et les médias se voient privés de documents ou en reçoivent de lourdement caviardés et ils obtiennent, au mieux, des informations incomplètes. La perception que le règlement relatif à l'évaluation environnementale des projets a été changé spécifiquement pour Northvolt nuit également grandement à l'acceptabilité sociale du projet. Ceci est renforcé par la tendance du gouvernement actuel à modifier les règles entourant les évaluations environnementales pour accélérer certains projets, ce qui mine la confiance du public.

Une évaluation environnementale indépendante est le meilleur moyen de s'assurer de la protection de l'environnement et de la pertinence des projets, et advenant qu'ils soient autorisés, de réaliser des projets qui respectent les normes et d'identifier s'il existe des solutions réalistes pour minimiser leurs impacts sur l'environnement. S'obstiner à vouloir en faire l'économie d'une évaluation environnementale indépendante pourrait s'avérer un pari coûteux.

Groupes signataires

Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE)

Eau Secours

ENvironnement JEUnesse

Équiterre

Fondation Rivières

Fondation David Suzuki

Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED)

Greenpeace Canada

Nature Québec

Projet de la réalité climatique Canada

Réseau québécois des groupes écologistes – RQGE

SNAP Québec

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Demande d’injonction contre Northvolt

23 janvier 2024, par Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) — , ,
Montréal, le 18 janvier 2024 – Le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) et trois citoyennes ont déposé aujourd'hui une demande d'injonction devant la Cour (…)

Montréal, le 18 janvier 2024 – Le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) et trois citoyennes ont déposé aujourd'hui une demande d'injonction devant la Cour supérieure pour demander la suspension immédiate des travaux du projet d'usine de batteries Northvolt, qui ont démarré ce début de semaine en Montérégie. L'audience sur ce recours devrait avoir lieu ce vendredi matin au Palais de Justice de Montréal.

18 janvier 2024 | tiré du site du Centre québécois du droit de l'environnement

Alors que l'abattage d'arbres a été observé et que la destruction de milieux humides abritant des habitats d'espèces en situation précaire est imminente, le CQDE demande la suspension de ces travaux inquiétants pour la biodiversité.

Il y a quelques mois, la destruction de milieux humides au même endroit a été refusée dans le cadre d'un projet antérieur. Les experts du ministère évoquaient l'importance de ces milieux pour la région et pour la biodiversité. Le CQDE déplore qu'il semble y avoir deux poids, deux mesures et souhaite donc faire la lumière sur cette apparente incohérence.

« La situation nécessitant une réponse urgente pour la protection de l'environnement, nous nous adressons maintenant aux tribunaux. Nous regrettons d'avoir à se rendre jusque-là, mais la destruction en cours, sans réponse adéquate aux inquiétudes du public, nous contraint d'agir rapidement », indique Marc Bishai, avocat au CQDE.

L'organisme espère que la décision de la Cour mènera à une suspension des travaux dès cette semaine.

Ce dossier illustre parfaitement l'importance du registre public environnemental, prévu par la loi depuis six ans. Si ce registre était déjà disponible, le CQDE et le public auraient déjà accès en un seul clic aux documents décrivant le projet autorisé et les conditions qui lui ont été imposées par le ministre de l'Environnement. Actuellement, il faut attendre la réponse à une demande d'accès à l'information, ce qui peut prendre des semaines, alors que des travaux sont déjà en cours sur le terrain et qu'il n'y a eu aucune évaluation environnementale indépendante permettant une participation significative du public.

« C'est inacceptable que le registre public se fasse toujours attendre pendant que la destruction de milieux sensibles se fait dans l'opacité. L'accès efficace à l'information est un pilier incontournable du droit de l'environnement, et le cas de Northvolt est un exemple flagrant de ce besoin de transparence. Cet accès à l'information est d'autant plus important dans le contexte où ce projet n'a pas été assujetti, malgré toutes les demandes en ce sens, à la procédure d'examen et d'évaluation des impacts sur l'environnement, incluant des audiences publiques devant le BAPE », ajoute Me Bishai.

Le CQDE est reconnaissant du soutien du cabinet d'avocates Lapointe Légale, qui représente l'organisme devant la Cour supérieure dans ce dossier. Le CQDE souligne l'engagement et la mobilisation des trois citoyennes co-demanderesses du recours, Jacinthe Villeneuve et Sabrina Guilbert, co-porte-paroles du Comité Action Citoyenne : projet Northvolt, ainsi que Vanessa Bevilacqua, membre de Mères au front Rive-Sud.https://www.facebook.com/MeresAuFrontRiveSud/

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SÉRIE | Le transport collectif, pilier de la transition écologique

23 janvier 2024, par Guillaume Hébert, Joanie Ouellette, Nicolas Viens — , ,
L'adoption du Plan pour une économie verte doit engager le Québec sur la voie de la transition écologique. Le principal secteur d'émission de carbone, le transport, s'est tout (…)

L'adoption du Plan pour une économie verte doit engager le Québec sur la voie de la transition écologique. Le principal secteur d'émission de carbone, le transport, s'est tout naturellement retrouvé au cœur des débats sur la manière d'opérer cette transition. À cet égard, la stratégie gouvernementale actuelle repose largement sur l'électrification pour atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre du Québec. Or, c'est plutôt l'entièreté du système de transport, axé sur le recours à l'automobile individuelle, qui doit être repensée.

16 janvier 2024 | tiré du site de l'IRIS

Table des matières

Fiche no 1. L'enjeu budgétaire
Fiche no 2. Le modèle de développement
Fiche no 3. Automobiles et inégalités
Fiche no 4. La question du genre

Fiche no 1. L'enjeu budgétaire

Cette première fiche se penche sur la question du financement du transport collectif et met en lumière le fait que les choix budgétaires du gouvernement québécois ne sont pas à la hauteur de la transformation du transport dont le Québec a besoin à l'heure des changements climatiques.

Fiche no 2. Le modèle de développement

Une plongée dans l'histoire de l'automobile permet de constater que ce n'est pas son efficacité globale qui a permis son développement au XXe siècle, mais plutôt l'immense profitabilité qu'elle offrait à des entreprises capitalistes. Le défi climatique requiert aujourd'hui que ce modèle en matière de mobilité soit remplacé.

Fiche no 3. Automobiles et inégalités

La primauté de l'automobile dans notre système de transport contribue à reproduire les inégalités économiques entre les citoyen·ne·s. Dans cette fiche, nous montrons que pour bien des ménages, elle constitue un fardeau financier important qui nuit à l'accumulation de patrimoine.

Fiche no 4. La question du genre

Cette fiche explore le transport à travers le prisme du genre. Alors que la mobilité des femmes est compromise par la complexité des déplacements qu'elles doivent effectuer pour exécuter les tâches domestiques plus nombreuses qu'elles accomplissent, les contraintes en matière de mobilité se traduisent par de moins bonnes opportunités professionnelles pour les femmes.

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De quoi l’homosexualité de Gabriel Attal est-elle le nom ?

23 janvier 2024, par Trung Nguyên Quang — , ,
Le texte qui suit de Trung Nguyên Quang est un développement à partir d'un fil publié sur X dont la suppression partielle a été requise par la modération du réseau à la suite (…)

Le texte qui suit de Trung Nguyên Quang est un développement à partir d'un fil publié sur X dont la suppression partielle a été requise par la modération du réseau à la suite de signalements pour insultes et harcèlement. Le fil réagissait à un édito de Têtu Magazine qui se félicitait de la nomination de Gabriel Attal à Matignon au motif qu'il est gay, tout en s'étonnant que cette réjouissance ne soit pas unanimement partagée parmi les personnes LGBTI.

Tiré du site de la revue Contretemps
17 janvier 2024

Par Trung Nguyên Quang

Si le fil prenait un texte de Têtu pour point d'appui, les logiques qu'il essaye de décrire dépassent très largement le magazine. Tout comme il est permis de s'interroger sur l'identité de celles et ceux qui ont signalé le fil et demandé sa suppression, il est aussi permis de se satisfaire que le fil en question s'est vu confirmer par les jours qui ont suivi sa publication : Têtu, qui n'en tarissait plus d'articles réjouis, a même été contraint de titrer : « Gabriel Attal pond le gouvernement le plus LMPT depuis la manif pour tous ».

Depuis, c'est aussi Le Point, par un article de la main de Nora Bussigny, autrice d'une « enquête » à charge contre le « wokisme », qui est venu au secours de Têtu contre la critique portée par ce fameux fil sur X, au motif qu'il serait « homophobe ». À bon entendeur·se…

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C'est d'un émoi particulier que la presse et les médias français de tous bords ont été saisis, la semaine dernière, lorsque Gabriel Attal a été annoncé comme successeur d'Elisabeth Borne : en le nommant à Matignon, Emmanuel Macron donnait à la Ve République son plus jeune premier ministre, et à la France son premier Premier ministre gay. Si la jeunesse de Gabriel Attal a bien suscité quelques réflexions admiratives, les plateaux de télévisions et les colonnes de presse ont surtout été occupés par son homosexualité, cette vieille obsession française dont la dépénalisation n'est survenue qu'en 1982, et contre laquelle les rues de France étaient noires encore de manifestant·es il y a 10 ans à peine.

Mais comme pour conjurer un passé peu glorieux et trop proche encore, la presse et les médias généralistes ne se sont pas autorisés un seul commentaire frontalement homophobe. Au contraire, tous et toutes se sont félicité·es, et ont félicité la France, qu'un homme homosexuel puisse, en 2024, devenir premier ministre, ou puisse le devenir sans que son homosexualité ne soit un sujet. Même la presse généraliste de droite et réactionnaire, d'ordinaire si prompt à cracher sur le fantasmatique lobby LGBT, a observé un silence discipliné quand elle se trouvait incapable de commenter la sexualité de Gabriel Attal sans en proposer un remède.

Que la presse généraliste de gauche, cette presse hétérosexuelle tièdement progressiste, tombe en irrémédiable pâmoison face à l'homosexualité de Gabriel Attal, on peut davantage le regretter, tout en le comprenant : sans doute n'a-t-elle pas, et c'est un problème, ni les compétences, ni les journalistes légitimes pour commenter l'homosexualité de Gabriel Attal autrement qu'en disant : « qu'il a changé, notre beau pays ! Bravo à nous ! ». Ainsi de Libération, qui titrait : « Gabriel Attal, premier Premier ministre gay : le signe d'une France qui progresse[1] ». Au demeurant, toutes les occasions ne sont-elles pas bonnes, et même nécessaires à saisir, pour faire savoir que l'on n'est surtout pas homophobe, tout le contraire ?

Confronté à ce choix binaire entre le silence et les éloges, les attentes étaient donc légitimement grandes à l'égard de la presse communautaire LGBTI, celle qui n'a pas à faire les preuves de sa gayfriendliness, celle où l'homosexualité est suffisamment banale pour ne plus s'émerveiller ni se satisfaire de la trouver chez les pires personnes, et peut-être même, au contraire, celle qui peut le regretter quand c'en est le cas – cette presse communautaire, donc, qui dans cette situation particulière portait une responsabilité particulière. C'est à ce titre que la réaction de la presse LGBTI a surpris, et même mis en colère, au premier rang desquelles réactions celle de Têtu, magasine LGBTI de référence qui s'inscrit dans l'héritage du Gai Pied dont il a pris la relève.

Dans un édito du 9 janvier dernier[2], Thomas Vampouille, directeur de rédaction manifestement outré que tou·tes les LGBTI de France, et d'ailleurs du monde entier, ne se réjouissaient pas, comme lui, de la nomination de Gabriel Attal à Matignon, nous exhortaient ainsi à nous ressaisir :

« Quand une personnalité issue d'une minorité accède à une fonction sociale jusqu'ici inaccessible, c'est une bonne nouvelle en soi », écrit-il, proposant également une analyse politique acérée s'il en est des critiques partisanes de l'homosexualité de Gabriel Attal : « Ceux qui regrettent, car là est bien le reproche, que le premier gay out chef d'un gouvernement français ne soit pas de gauche – ou ne le soit plus – négligent deux choses. D'abord, qu'il est permis d'être homo sans être de gauche, c'est de facto très répandu. Et si historiquement, la plupart des progrès réalisés sur le plan des droits LGBTQI+ l'ont été grâce à l'action de la gauche, il est arrivé à la droite de prendre des initiatives salutaires pour la communauté ». Et Vampouille de conclure : « Une première, dans l'histoire d'une minorité, ça ne change rien et tout à la fois. »

Outre qu'un tel édito n'est que la répétition de ce qui se lit dans la presse généraliste, et questionne de ce fait sur l'utilité (et l'identité) d'un magazine communautaire dont la seule fonction semble ici se réduire à répéter ce qui est déjà dit ailleurs, ce sont cinq lettres employées par Vampouille qui sont le cœur du problème, pas juste de cet édito, pas juste de Têtu, ni même de l'ensemble des articles et des interventions sur Attal et sa nomination mais, de manière générale, le problème d'une certaine façon de considérer l'homosexualité, ici celle d'Attal : « en soi ».

L'exhortation à la réjouissance qui nous est ici faite, comme l'élogieuse complaisance dont Attal a été l'objet en raison de sa sexualité, reposent sur une vision « en soi » de son homosexualité, c'est-à-dire une vision qui considère que l'homosexualité de Gabriel Attal peut et doit être envisagée de manière insulaire, indépendamment de ce que Gabriel Attal est par ailleurs, de ce que Gabriel Attal a fait comme responsable politique, et du contexte socio-politique spécifique au sein duquel Gabriel Attal accède à la fonction de premier ministre. Parce qu'il est difficile, aujourd'hui encore, d'être homosexuel·le, et souvent même dangereux, il faudrait célébrer toute personne qui, lestée de son homosexualité, parviendrait toutefois à se hisser à une position sociale sélective, et s'en satisfaire au nom de la visibilité d'une communauté tout entière…

Or, on n'est jamais que homosexuel·le ou que hétérosexuel·le, comme on n'est jamais que un homme ou que une femme, que une personne blanche ou que une personne non-blanche, que une personne cis ou que une personne trans, que une personne de classe populaire ou que une personne de classe supérieure… Tout comme, d'ailleurs, on n'est jamais homosexuel·le seul·e sur une île déserte paisiblement ensoleillée, mais toujours homosexuel·les dans un monde façonné de part en part par l'hétérosexualité, cette norme qui nous rappelle, à chaque instant, à nous TPG, que notre place dans ce monde est à gagner en permanence, et qu'être homosexuel·le a toujours un coût, pour celles et ceux qui le sont, et celles et ceux que l'homosexualité concerne plus indirectement.

Dès lors, parce que le cishétérosexisme augmente et se transforme, en France comme partout, et que l'homosexualité continue d'être une disqualification sociale, la question est moins celle des réjouissances suscitées ou non par la nomination d'un homme gay à un poste de pouvoir, qu'elle est celle de savoir pourquoi, et dans quelles conditions, un gouvernement déjà fragilisé, comptant par ailleurs plusieurs membres de la Manif pour tous dans ses rangs, a choisi pour Premier Ministre non pas juste un homme gay, mais cet homme gay.

Cet homme gay, c'est un homme cis, de classe supérieure, blanc, qui compte parmi ses derniers faits d'armes d'avoir défendu et voté une réforme des retraites dont l'impact sur les minorités de genre et de sexualité sera particulièrement néfaste ; d'avoir défendu et voté la loi immigration, une des lois les plus racistes de la Ve République, directement inspirée du programme du RN ; d'avoir dévoyé la laïcité pour traquer les élèves musulmanes à l'école, et les en exclure si leurs vêtements ne correspondaient pas à des normes racistes ; d'avoir négligé le suicide d'un jeune homosexuel de 13 ans, victime de harcèlement homophobe, et d'avoir ignoré par la suite les questions qui lui étaient posées au sujet de cette négligence…

Cet homme gay, c'est donc le type du gay que l'hétérosexualité dominante veut bien accepter : celui qui lui ressemble le plus, et qui, parce qu'il en partage les intérêts, se comporte en faveur de l'hétérosexualité blanche de classe supérieure, en votant, par exemple, des lois qui lui sont favorables. Cet homme gay, c'est donc le gay dont l'hétérosexualité veut bien s'accommoder pour mieux justifier de stigmatiser les autres gays qui ne lui ressemblent pas. C'est une acceptation de certain·es, qui est un contrôle de tou·tes, comme lorsque la droite vote ou soutient des lois favorables aux minorités de genre et de sexualité, pour se défendre ensuite d'être homophobe lorsqu'elle s'érige contre le mariage et l'adoption pour les couples de même sexe. En un mot, cet homme gay, c'est celui qui a pris sa part, et pas des moindres, au maintien et à la réactivation des hiérarchies sociales les plus excluantes et les plus meurtrières.

Ce sont donc ces deux réalités, dont on voudrait nous faire croire qu'elles sont incompatibles et qu'il faudrait choisir, que l'on doit absolument tenir et penser ensemble, en n'oubliant pas que Gabriel Attal a été le bras armé de politiques abjectes, et en n'oubliant pas non plus que Gabriel Attal est, entre autres choses et malgré tout, gay : non seulement a-t-il sans aucun doute déjà vécu des violences homophobes et en vivra encore d'autres, mais son homosexualité a aussi un coût pour quiconque s'y associe. Pour cela, sa nomination à la tête du gouvernement, par un président qui n'a jamais hésité à élever des homophobes notoires à des postes de pouvoir, interroge, et n'interroge pas tant pour les coûts qu'elle implique, mais aussi et surtout pour les profits qu'elle occasionne. Car si elle est coûteuse, la nomination de Gabriel Attal comme premier ministre est sans doute plus profitable encore.

Elle est profitable car les gages que donnent ses positions de genre, de classe et de race, en plus de ce qu'il a déjà accompli en volant au RN ses idées, compensent les coûts électoraux de son homosexualité qui, surtout, a l'avantage d'une plus-value. Cette plus-value de l'homosexualité vient de la respectabilité que confère toute revendication, aussi creuse soit-elle, d'un attachement à l'égalité des sexualités : si les formes que prend l'acceptation des minorités de genre et de sexualité sont encore très variables et limitées, se dire ouvertement homophobe, en revanche, est de moins en moins respectable, là où se dire gayfriendly l'est de plus en plus.

C'est jusque dans les rangs du Rassemblement National que la respectabilité conférée par les manifestations de gayfriendliness est recherchée, l'homophobie structurante et toujours actuelle du parti étant aujourd'hui cachée derrière un vernis d'acceptation et de tolérance[3]. Car, effectivement, si l'homosexualité est aujourd'hui acceptée, tant par celles et ceux qui la rejetaient violemment que par ceux et celles qu'elle laissait indifférent·es, c'est parce qu'elle offre un très avantageux retour sur investissement : les profits retirés de l'acceptation de l'homosexualité – valeur morale, autorité politique, mérite social, etc. – en excèdent bien suffisamment les coûts pour que la transaction soit lucrative. Autrement dit, si l'hétérosexualité accepte sélectivement l'homosexualité, ce n'est en rien une marque de son affaiblissement, mais bien une opération de capitalisation qui lui permet de maintenir sa domination en se drapant de respectabilité.

Par conséquent, un gouvernement dirigé par un homme gay est donc nécessairement un gouvernement respectable, et comment pourrait-on décemment critiquer l'action d'un gouvernement respectable au point d'avoir fait, en plus de l'égalité femme/homme sa grande cause, d'un homme homosexuel le premier Premier ministre gay ? La profitabilité de l'homosexualité et de son acceptation est bien là, de protéger non seulement Gabriel Attal, mais également le gouvernement qu'il dirige et le président qu'il sert, de toute critique, cela contre la réalité des faits s'il le faut.

Le gouvernement a voté une loi raciste ? Impossible, il est dirigé par un homme gay. Le gouvernement a voté une loi sexiste ? Impossible, il est dirigé par un homme gay. Le gouvernement a voté une loi homophobe ? Impossible, il est dirigé par un homme gay. Et ainsi de suite, pour toutes les critiques qui lui seraient adressées…

Le gouvernement Attal est vieux d'à peine quelques jours que déjà cette rhétorique est déployée : en déplacement au CHU de Dijon le 13 janvier, flanqué de Catherine Vautrin, sa ministre du Travail, de la Santé et de la Solidarité, membre fervente de la Manif pour tous dont la nomination a inquiété l'ensemble des associations de défense des droits LGBTI, Gabriel Attal est interrogé sur les prises de positions homophobes de sa ministre. Il répond :

« Catherine Vautrin est membre d'un gouvernement dont je suis à la tête. Chacun me connaît, chacun sait quelle est ma vie, et donc je le dis de manière très claire, Catherine Vautrin fait partie d'un gouvernement, appartient à une majorité résolument engagée contre les discriminations. »

CQFD. Comment oublier, par ailleurs, le coming out si opportun d'Olivier Dussopt, en plein 49.3 anti-démocratique sur la réforme des retraites… dans les colonnes si hospitalières de ce même Têtu Magazine, ce même Têtu Magazine qui a publié le 11 janvier un article dans lequel il affirmait, par la bouche de Annise Parker, ancienne maire de Houston, que « les démocraties sont plus fortes lorsque les personnes LGBTQ+ peuvent participer à tous les niveaux de gouvernement[4] »… ?

Les personnes LGBTI, garantes inconditionnelles d'égalité et de démocratie, voilà le récit fallacieux qui est écrit en collusion avec ces homosexuel·les qui « participent à tous les niveaux de gouvernement », un récit auquel contribuent toutes les célébrations de la nomination de Gabriel Attal qui envisagent son homosexualité « en soi », un récit qui a pour seule fonction de légitimer l'action d'un gouvernement chaque jour délégitimé car il piétine les dominé·es et foule aux pieds les principes les plus élémentaires d'une démocratie.

Pour ces raisons, se réjouir de la nomination de Gabriel Attal comme premier ministre, c'est échouer de (ou feindre de ne pas) voir le cynisme du calcul politique qui monnaie l'homosexualité, pour participer, consciemment ou pas, à faire de cette homosexualité un blanc-seing, à plus forte raison encore lorsque l'on est une publication LGBTI de référence. Pour le dire plus clairement encore : se réjouir de la nomination de Gabriel Attal, c'est se rendre complice de toutes les horreurs racistes, sexistes, classistes et homophobes que son homosexualité a déjà rendu possibles, et rendra encore possibles.

Peut-être était-ce naïf d'attendre d'un magazine qui s'évertue à pinkwasher Attal et Dussopt car ils s'appellent Gabriel et Olivier, tandis qu'il refusait farouchement de le faire pour Médine car il s'appelle Médine[5], qu'il questionne ce à quoi Gabriel Attal donne de la visibilité plutôt que de se réjouir si hâtivement de cette visibilité. Penser que ce Premier ministre visibilise l'homosexualité, ce n'est pas juste considérer qu'il existe une seule homosexualité, homogène et universelle, en l'occurrence blanche, bourgeoise et discrète – autrement dit, qu'il y a une seule bonne manière d'être homosexuel·le, là où le magazine exigeait justement de nos esprits qu'ils n'oublient pas qu'il existe des gays de droite.

C'est aussi refuser de voir que Gabriel Attal incarne une homosexualité très spécifique, non pas tant par ce qu'il est, mais surtout par ce qu'il fait. Car il n'est pas reproché à Gabriel Attal d'être gay, d'être de classe supérieure, d'être perçu comme blanc, ni d'ailleurs d'être quoi que ce soit, mais d'agir en faveur de la blanchité, de la bourgeoisie et de l'hétérosexualité, et par là de rendre disponible son homosexualité à ces systèmes de domination pour qu'ils s'en servent comme d'un pilier.

Que Le Point et Nora Bussigny, entre deux papiers sur les dérives de l'idéologie transgenre, le wokisme des miliant·es féministes et LGBTI, ou l'islamogauchisme des mobilisations antiracistes (ou les trois à la fois), volent au secours non seulement de Gabriel Attal mais aussi de Têtu en taxant le tweet à l'origine du présent texte d'homophobie, dit tout des coalitions réactionnaires qui se forment, volontairement ou pas, à partir de la défense d'une forme très spécifique, et excluante, de l'homosexualité[6].

Et c'est sans doute cela, le plus tragique : qu'une partie des personnes LGBTI se soit laissée si domestiquer et si approprier par les hétéros que la nomination d'un Premier ministre gay est bien davantage une victoire pour l'hétérosexualité et les dominations auxquelles elle prend part qu'elle n'en est une pour les TPG. Et les victoires, par les temps qui courent, sont rares pour le camp minoritaire, et le réflexe de célébrer la moindre des lueurs d'espérance se comprend, à condition qu'il ne fasse pas, justement, changer de camp.

Malgré les violences multiples et insoupçonnées auxquelles être pédé expose, les raisons existent non seulement d'être fier, mais également – soyons honnêtes, même si l'auteur de ces lignes a lui-même pris du temps avant d'en être convaincu – soulagé, de ne pas être hétérosexuel. Que Gabriel Attal soit nommé premier ministre, malheureusement, n'en est pas une.

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Illustration : Photothèque rouge / Martin Noda / Hans Lucas.

Notes

[1] « Gabriel Attal, premier Premier ministre gay : le signe d'une France qui progresse », Quentin Girard, 9 janvier 2024, Libération : https://www.liberation.fr/politique/gabriel-attal-premier-premier-ministre-gay-le-signe-dune-france-qui-progresse-20240109_APVTB6PIJBHYHO75QJQR6FG27M/

[2] « Un Premier ministre gay, ça change quoi ? Rien, et tout à la fois », Thomas Vampouille, 9 janvier 2024, Têtu Magazine,https://tetu.com/2024/01/09/remaniement-gouvernement-gabriel-attal-premier-ministre-gay-cause-lgbt/

[3] « Entre homophobie et façade gay-friendly, le double jeu du RN », Youmni Kezzouf et David Perrotin, Mediaart, 14 janvier 2024 : https://www.mediapart.fr/journal/politique/140124/entre-homophobie-et-facade-gay-friendly-le-double-jeu-du-rn

[4] « Les médias LGBT étrangers commentent la nomination du ‘millenial gay' Gabriel Attal », par Têtu, 10 janvier 2024, Têtu Magazine : https://tetu.com/2024/01/10/gabriel-attal-premier-ministre-millennial-gay-reactions-medias-lgbt-monde/

[5] « Médine, engagé courageux contre l'homophobie ? En voilà un joli pinkwashing ! », Nicolas Scheffer, 23 août 2023, Têtu Magazine : https://tetu.com/2023/08/23/medine-rappeur-polemique-antisemitisme-tarlouzes-mariage-homophobie-pinkwashing-eelv-lfi/

[6] « Quand la nomination d'Attal déchaîne l'homophobie de militants… LGBT », Nora Bussigny, 16 janvier 2024, Le Point : https://www.lepoint.fr/societe/quand-la-nomination-d-attal-dechaine-l-homophobie-de-militants-lgbt-16-01-2024-2549823_23.php

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Dans la rue - Une histoire du FRAPRU | Livre à paraître le 30 janvier

23 janvier 2024, par Les Éditions Écosociété — ,
Le FRAPRU célèbre ses 45 ans d'existence ! Cette plongée dans son histoire nous fait redécouvrir un des organismes les plus effervescents que le Québec ait connu, tout en nous (…)

Le FRAPRU célèbre ses 45 ans d'existence ! Cette plongée dans son histoire nous fait redécouvrir un des organismes les plus effervescents que le Québec ait connu, tout en nous permettant de mesurer l'impact des décisions politiques passées sur la crise actuelle du logement.

Le livre Dans la rue - Une histoire du FRAPRU et des luttes pour le logement au Québec, de l'ex-porte-parole du FRAPRU François Saillant, va paraître en librairie le 30 janvier 2024.

En bref : François Saillant, qui a été porte-parole du FRAPRU pendant près de 38 ans, raconte ici l'histoire de ce regroupement qui est parvenu, malgré des moyens modestes, à influencer certaines politiques publiques au bénéfice de tous et de toutes, à commencer par les plus vulnérables.

À propos du livre

La crise du logement frappe durement la population du Québec. Dès qu'il est question de cet enjeu, le nom du FRAPRU vient immédiatement en tête. Et pour cause. Depuis 45 ans, le Front d'action populaire en réaménagement urbain est un acteur incontournable des luttes citoyennes. Nous lui devons notamment, en grande partie, la construction de plus de 43 000 logements sociaux suite à la fondation d'AccèsLogis ou encore le blocage des hausses de loyer dans les HLM. C'est également un des organismes communautaires les plus effervescents que le Québec ait connu : entre la construction d'un bidonville devant l'Assemblée nationale, un campement d'hiver sur la rivière des Outaouais, les jeûnes à relais, manifestations, chorales, occupations et spectacles, ses actions n'ont jamais laissé indifférents.

Le FRAPRU est issu des premiers comités citoyens nés dans les années 1960 – 1970 en réaction aux projets de rénovation urbaine qui éventraient les centres-villes et en chassaient les classes populaires au nom du progrès. Aujourd'hui, il est actif sur le front du logement et de la défense des droits sociaux (lutte contre la pauvreté, financement des services publics). François Saillant, qui en a été le porte-parole pendant près de 38 ans, raconte ici l'histoire de ce regroupement qui est parvenu, malgré des moyens modestes, à influencer certaines politiques publiques afin d'éviter des reculs majeurs en matière de droit au logement et de justice sociale.

Cette plongée historique permet aussi de mesurer l'impact des décisions politiques passées sur la crise actuelle du logement. Pensons notamment au désengagement fédéral de 1994 (manque à gagner d'environ 80 000 logements sociaux aujourd'hui), au fait qu'aucun nouveau HLM n'a été bâti en 30 ans ou encore à la promesse brisée du gouvernement Legault de construire les logements sociaux promis par les gouvernements précédents.

Récit d'une aventure collective, Dans la rue est l'histoire de « tant et tant de personnes qui, au fil des ans, se sont impliquées dans leurs groupes locaux […] pour poursuivre sans relâche la lutte pour le droit au logement et la justice sociale ». À la fois témoignage de l'intérieur et exercice de mémoire militante, ce livre leur est dédié.

À propos de l'auteur

François Saillant a été coordonnateur et porte-parole du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) de 1979 à 2016. Animateur du Regroupement de solidarité avec les Autochtones puis membre fondateur de Québec solidaire, il en a été candidat à trois reprises (2007, 2008 et 2012). Il est l'auteur de Le radical de velours (M éditeur, 2012) et de Lutter pour un toit (Écosociété, 2018).

« Telk Qadeya », l’hymne d’une rupture avec le monde occidental

La chanson « Telk Qadeya » (« Ceci est une cause ») du groupe égyptien Cairokee connaît un succès exceptionnel depuis sa sortie fin novembre 2023. En dénonçant l'indignation (…)

La chanson « Telk Qadeya » (« Ceci est une cause ») du groupe égyptien Cairokee connaît un succès exceptionnel depuis sa sortie fin novembre 2023. En dénonçant l'indignation sélective du discours occidental qui se prétend à la pointe des combats progressistes mais n'a aucune considération pour le génocide en cours à Gaza, le titre traduit un ressentiment largement partagé dans le monde arabe.

Tiré d'Orient XXI.

C'est l'histoire d'une valse à trois temps qui est en train de devenir l'hymne d'une jeunesse arabe. « Telk Qadeya » (« Ceci est une cause ») est le dernier single de Cairokee, groupe de rock égyptien « avec une touche de fantaisie » (« with a twist »), selon leur propre expression. La chanson est sortie le 30 novembre 2023, presque deux mois après le début de la guerre génocidaire sur Gaza. L'annonce en a été faite sur les comptes officiels du groupe sans fioriture ni discours grandiloquent. Mais la chanson a fait plus d'un million de vues sur la seule chaîne YouTube du groupe, et a été reprise fin décembre par la chaîne libanaise Al-Mayadeen, illustrée par des vidéos de bombardements à Gaza. Si les mots « Gaza » ou « Palestine » ne figurent nulle part dans le texte, tout le monde sait bien de quoi il est question, et quel ordre mondial — mis à nu par la situation dans les territoires occupés — cette chanson vient pointer du doigt.

Largement partagé depuis sa sortie, le titre se retrouve sur les comptes des réseaux sociaux des Palestiniens de Gaza, adopté par ceux-là même dont il souhaitait porter la voix. Le groupe a d'ailleurs été invité à l'interpréter sur scène durant la cérémonie de clôture du festival égyptien du film d'El-Gouna, le 21 décembre 2023, où, contrairement au Red Sea Film Festival de Djeddah programmé quelques jours plus tôt, l'actualité palestinienne était fortement présente.

De la révolution égyptienne à la Palestine

À travers son nouveau titre « Telk Qadeya », Cairokee renoue ainsi avec sa tradition de chanson politique. Formé en 2003 au Caire, le groupe a commencé à connaître un large succès en 2011, en signant la chanson qui deviendra la bande originale de la révolution du 25 janvier 2011, « Sout Al Horeya » (« La voix de la liberté »), en collaboration avec l'acteur et chanteur Hany Adel, à l'époque membre du groupe Wust El Balad. Le clip a été filmé sur la place Tahrir au lendemain du départ de Hosni Moubarak.

Depuis, Cairokee a connu de nombreux succès sans cependant échapper à la censure, notamment pour son album No'ta Beeda (« Point blanc ») en 2017 qui n'a pas été commercialisé en Égypte. Car contrairement à d'autres, le groupe a refusé toute compromission avec le régime du président Abdel Fattah Al-Sissi. Et c'est dans la fidélité à ses premiers engagements que sort aujourd'hui la chanson « Telk Qadeya », dont les paroles sont signées Mostafa Ibrahim, le « poète mélancolique de la révolution égyptienne ».

Exclus de l'espèce humaine

Au fil des vers, la chanson dresse un état des lieux cru de la situation politique pour souligner l'étendue du fossé qui s'est creusé depuis le 7 octobre :

Être un ange de blanc vêtu
Avec une moitié de conscience
Faire cas du mouvement des libertés
Faire fi des mouvements de libération
Aux morts prodiguer son affection
Selon leur nationalité
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Les paroles ne se contentent pas de relever l'indignation sélective et les doubles standards d'un monde occidental qui a exclu les Palestiniens de l'espèce humaine, « comme si la terre qui les revêt/Ne venait pas de la planète terre ». Elles pointent également la logique inhérente à cette partie du monde qui se gargarise de combats sociétaux devenus les marqueurs d'une évolution morale dont l'Occident aurait l'exclusivité, tout en restant insensible au sort d'êtres humains en dehors de sa sphère culturelle. « Ça c'est une chose/Et ça c'en est une autre », martèle la chanson face à celui qui va « secourir des tortues marines/Et tuer des animaux humains » (1), ou à cet autre qui appelle « son concierge "gardien" Aux côtés d'une armée qui abat des écoles » (2).

Rupture consommée

La bande originale de ce constat est servie par la voix grave et posée du leader du groupe Amir Eid qui, pendant la première partie du morceau, interpelle l'Autre. Mais à mesure que la musique va crescendo, qu'un rythme oriental vient se mêler à celui de la valse et que les violons entrent en scène, la voix du chanteur monte dans les aigus. Son interlocuteur change d'identité : il ne s'adresse plus à celui qui « renvoie dos à dos/La victime et le bourreau/En tout honneur, intégrité/Et en toute neutralité » — référence sarcastique au discours médiatique qui se drape d'objectivité pour justifier l'invisibilisation des massacres en cours —, il parle avec celui qui « surgit des décombres » et lui dit :

Tu rassembles tes restes et tu te bats
Et tu montres à ce monde hypocrite
Comment fonctionne la loi de la jungle
Par où passe le chemin de la liberté
Et par où on attaque un char

En faisant explicitement référence à la lutte armée, la chanson interroge les normes légales que l'Occident a lui-même mises en place, et qu'il est le premier à contester. Elle entérine le refus de dépendre des détenteurs d'un discours creux n'ayant que de piètres condamnations à présenter « pour arrêter le carnage ».

Il n'est nullement question ici d'appeler à la démission. Juste ne plus rien attendre du camp d'en face : « Qu'importe que le monde se taise/Tu mourras libre et sans te rendre ». Deux paradigmes s'opposent, « Car ça c'est une chose/Et là c'est un combat », conclut la voix du chanteur, avant de s'évanouir dans un solo à la guitare électrique empreint de notes de blues.

Dès la sortie de « Telk Qadeya », la traduction anglaise du poème a été diffusée par Cairokee avec la chanson. L'image illustrant le single montre un buste de la statue de la Liberté à deux têtes, dénotant le double discours, au milieu d'un tableau rouge sang. Un message on ne peut plus limpide pour qui veut bien l'entendre.

Traduction du texte de la chanson par Nada Yafi.

Secourir des tortues de mer
Tuer des animaux humains
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Être un ange de blanc vêtu
Avec une moitié de conscience
Faire cas du mouvement des libertés
Faire fi des mouvements de libération
Aux morts prodiguer son affection
Selon leur nationalité
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Comment être civilisé
Satisfaire à tous les critères
Avoir un langage mesuré
Se plaire à embrasser les arbres
Appeler son concierge « gardien »
Aux côtés d'une armée qui abat des écoles
Se voir éclaboussé de sang
Et dire que tout le monde est victime
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Comment puis-je croire en ce monde
Qui vous parle d'humanité
Quand une mère pleure son enfant
Mort de faim
Ou sous les bombes
Un monde qui renvoie dos à dos
La victime et le bourreau
En tout honneur, intégrité
Et en toute neutralité
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Comment pourrais-je dormir en paix
Comment me boucher les oreilles
Lorsqu'une famille entière
Est enterrée dans sa maison
Et qu'on empêche les secours
Comme si la terre qui les revêt
Ne venait pas de la planète terre
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Habiter une vaste prison
Aux cellules de feu et de cendres
Et pouvoir surgir des décombres
En s'arrachant à ses blessures
Pour rendre gorge à l'assaillant
Pour dire à ce monde hypocrite
C'est là votre loi de la jungle
Trouver la voie de la liberté
Savoir pulvériser un char
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Qu'importe que le monde se taise
Tu mourras libre et sans te rendre
Pour que des générations à venir
Apprennent à défendre une cause

À quoi bon adjurer le monde
Pour qu'il dénonce et qu'il condamne
Il peut condamner à sa guise
Mais pour arrêter le carnage
Réduire la poudre et le fracas
Ramener la lumière du matin
Condamner ne suffira pas

Car ça c'est une chose
Et là c'est un combat

Notes

1- L'expression est une référence au ministre de la défense israélien Yoav Galant qui a qualifié les Palestiniens d' « animaux humains ».

2- Le terme « gardien » étant plus politiquement correct que celui de « concierge ».

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Un siècle après, pourquoi relire Lénine

23 janvier 2024, par Juan Dal Maso, Marina Garrisi — , ,
Après des décennies d'anti-léninisme écrasant, le climat idéologique français est-il en train de changer au point d'autoriser, enfin, un "retour à Lénine" ? Et cela peut-il (…)

Après des décennies d'anti-léninisme écrasant, le climat idéologique français est-il en train de changer au point d'autoriser, enfin, un "retour à Lénine" ? Et cela peut-il être utile aux militant-es, cent ans après sa mort ? Juan Dal Maso s'entretient avec Marina Garrisi, autrice d'un Découvrir Lénine qui vient de sortir en librairie.

Tiré de Révolution permanente.

Marina Garrisi, Découvrir Lénine, Paris, Les éditions sociales, 2024.

Juan Dal Maso : La France est un pays où il y a eu de grands lecteurs de Lénine (je pense à Henri Lefebvre, Louis Althusser ou encore Daniel Bensaïd). Quel est aujourd'hui l'état des débats sur Lénine dans la gauche française ?

Marina Garrisi : La situation sur laquelle s'ouvre le centenaire de Lénine est contradictoire. La tendance lourde reste celle d'un effacement tenace de la référence à Lénine, tant dans les milieux intellectuels que militants. On hérite de de la séquence précédente, celle de la chute du Bloc soviétique, de la victoire idéologique du néolibéralisme et de l'anti-marxisme qui, des Nouveaux philosophes au Livre noir du communisme, ont rendu presque impossible de se dire marxiste et encore moins léniniste. Cette situation idéologique n'est pas spécifiquement française, mais il est possible que la configuration spécifique du marxisme en France au XXe siècle, porté essentiellement par des organisations politiques (le PCF, et à une autre échelle les organisations trotskystes françaises) et peu implanté à l'université, l'ait renforcée une fois ces appareils déclinants. Bien sûr, Lénine a pâti de cette situation, au même titre que d'autres figures du mouvement ouvrier.

Mais il y a plus. L'effacement de Lénine est redoublé parce qu'à la différence d'autres révolutionnaires, il n'est pas mort en martyr de la révolution (Rosa Luxemburg, Léon Trotsky) ou en théoricien révolutionnaire (Karl Marx, Friedrich Engels) mais en révolutionnaire victorieux. Lénine incarne la révolution d'Octobre, le marxisme qui ne se contente pas d'interpréter le monde mais qui cherche, résolument et impitoyablement, à le transformer, et c'est à ce titre qu'il fait l'objet d'un acharnement spécifique. Au point que des « historiens » (en fait : des idéologues) en font l'« inventeur du totalitarisme », comme le martèle Stéphane Courtois, éditeur en 1997 du Livre noir du communisme, qui fait depuis figure de « spécialiste de Lénine », ce qui ne l'empêche pas d'être l'antiléniniste le plus décomplexé et le moins intéressant. Bref, tout cela n'a pas manqué de mettre les forces de gauche sur la défensive, au point que le PCF lui-même s'est fait de plus en plus silencieux sur Lénine à partir des années 1980. Et on ne peut pas dire non plus que Lénine ait été une référence pour les « nouvelles théories critiques » qui se sont développées au cours des années 1990. Même le « retour à Marx », perceptible et encouragé par la crise de 2008, n'a pas autorisé de véritable « retour à Lénine ». A part des réseaux militants extrêmement ténus (essentiellement issus du trotskysme français), Lénine n'est pas convoqué dans les débats politiques et ses textes ne font pas l'objet de nouvelles recherches.

Dans cette situation franchement désespérante je vois aussi des signes nettement plus encourageants. Je veux parler des propositions pour un « néo-léninisme » qui ont émergé dans le débat politique ces dernières années, porté par deux figures de la gauche radicale, Andreas Malm et Frédéric Lordon. En dépit de la singularité de leurs approches respectives, le néo-léninisme de Lordon et de Malm converge sur un certain nombre de points. De ce que j'en retiens, néo-léninisme est le nom qu'ils donnent à une proposition politique qui tient ensemble 1) l'urgence d'une rupture radicale avec le capitalisme écocidaire, 2) une proposition à vocation majoritaire (une « visée » ou « position directionnelle » » dit Lordon), 3) une stratégie qui ne fait pas l'impasse sur la prise du pouvoir. Leurs interventions me semblent particulièrement précieuses, non seulement parce qu'elles contribuent à refaire de Lénine une référence désirable pour une partie de la gauche radicale – et on partait de loin ! –, mais surtout parce qu'elles sont utiles aux décantations politiques et aux recompositions dans la gauche radicale française. Cela est particulièrement vrai dans le cas de Lordon, qui, contrairement à Malm, intervient directement dans la situation française. Comme il l'a dit lui-même, néo-léninisme est une manière de s'inscrire en faux contre « les politiques de l'intransitivité », incarnées en France par les courants autonome. Je suis entièrement d'accord avec lui lorsqu'il affirme que nous sortons d'une époque de résignation, où, pour reprendre un adage célèbre, la fin du monde était plus facile à imaginer que la fin du capitalisme. La situation politique dans laquelle nous sommes est extrêmement difficile et les défis sont devant nous mais néo-léninisme est le nom de cette nouvelle disposition.

Juan Dal Maso : Quels sont pour toi, dans le contexte contradictoire que tu viens de rappeler, les enjeux de ce centenaire en France ?

Marina Garrisi : D'abord, j'espère que le centenaire sera l'occasion de redécouvrir Lénine lui-même, sa vie et surtout son œuvre, les batailles politiques qu'il a menées, les arguments qu'il a développés, etc. Mais, plus important encore, qu'il redevienne un « objet chaud », à l'opposé du corps froid et embaumé qu'en ont fait les staliniens. Il s'agit moins d'exhumer ce qui serait « la quintessence » ou « les principes » du léninisme que d'en faire à nouveau un objet de débats, de controverses, de polémiques, en y retournant à partir des questions qui sont les nôtres aujourd'hui.

De ce point de vue, en un sens, le centenaire de Lénine arrive à point nommé. Ces dernières années, la France a été à la pointe des tendances à la crise et au durcissement de la lutte des classes en Europe. Cela ne s'est pas traduit en victoires décisives, mais favorise les clarifications. Par exemple, que la stratégie des directions des organisations du mouvement ouvrier et social sont incapables de mettre en œuvre les moyens d'une telle victoire. Un débat stratégique doit donc s'ouvrir. Cette situation est propice à réinvestir Lénine, pas uniquement pour adopter une disposition volontariste et rompre avec l'état de résignation, comme on vient de le voir, mais parce que le marxisme peut servir de « guide pour l'action » et que Lénine peut être utile dans cette voie.

Juan Dal Maso : L'œuvre de Lénine est immense, quels sont les points de sa pensée que vous avez choisi de mettre en avant et pourquoi ? Comment se présente plus généralement la collection « Découvrir » des éditions sociales ?

Marina Garrisi : En effet, le corpus léninien est imposant et peut en dissuader plus d'un. Les 45 tomes de l'édition française de ses Œuvres compte plusieurs dizaines de milliers de pages. Il existe des portes d'entrées plus faciles sur son œuvre (certaines de ses brochures les plus importantes sont disponibles en librairie et on peut encore trouver quelques anthologies thématiques) mais bien souvent ces ouvrages ne sont pas accompagnés des outils nécessaires faciliter leur lecture. Et ils ne permettent pas non plus d'avoir une vue large sur sa trajectoire théorique et politique, c'est-à-dire aussi sur ses flottements, ses évolutions, etc. Je ne suis pas étonnée quand des camarades font état de leur difficulté à lire Lénine – même quand la volonté est là, ça n'est pas toujours évident. Et c'est pourquoi un Découvrir Lénine semblait bienvenu. Son objectif est modeste : ce n'est pas un essai sur Lénine mais un ouvrage de pédagogie, qui déplie un certains nombre de concepts, d'arguments et de propositions politiques à partir d'un choix de textes de Lénine commentés.

Il n'a pas été facile de sélectionner onze extraits dans une œuvre aussi grande que celle de Lénine. Il fallait d'emblée assumer qu'une vision d'ensemble serait impossible (à cause de la quantité de ses écrits mais aussi des thématiques qui sont les siennes, des situations auxquelles il est confronté, des registres qui sont les siens, etc.). Rapidement, il m'est apparu que ce qui donnait une cohérence à ce que je voulais présenter de Lénine c'était la question du pouvoir. Durant toute sa vie, Lénine est tendu vers cette question du pouvoir. Pas parce qu'il verse dans l'obsession autoritaire ou dans la mégalomanie mais parce qu'il est convaincu que la question du pouvoir est « le problème fondamental de toute révolution ». Je me suis donc concentrée sur des textes qui offraient différentes portes d'entrée sur son scénario stratégique : la lutte politique, le rôle du parti révolutionnaire et son rapport aux masses, l'hégémonie du prolétariat dans la révolution, la question des alliances, la participation électorale, les luttes nationales, la guerre impérialiste, les racines de l'opportunisme du mouvement ouvrier, l'Etat et la dictature du prolétariat, les soviets, la bureaucratie, entre autres, sont étudiées dans le livre. Les textes de Lénine d'avant 1917 occupent une large place dans mon Découvrir parce que les problématiques qui sont les siennes dans ces années résonnent davantage avec les nôtres – non pas parce que le contexte historique serait le même, mais parce qu'on y lit le Lénine des taches préparatoires à la révolution.

Finalement, ce que je voulais montrer, c'est autant la richesse et la souplesse de ses réflexions tactiques que la cohérence de sa stratégie. Ces dernières décennies, on a eu tendance à présenter Lénine comme le penseur de la conjoncture, du moment opportun et du bon mot d'ordre. C'est vrai, et c'est là une des forces de Lénine, qui explique par exemple le rôle absolument décisif qu'il a pu jouer dans la révolution de 1917. Insister sur Lénine-homme-d'opportunités est aussi une façon de lutter contre l'image d'un homme intransigeant et raide qu'en a fait la caricature stalinienne après sa mort. Mais remplacer le mythe du Lénine-intransigeant par celui du Lénine-opportuniste (au sens premier du terme : sachant saisir les opportunités) n'est pas une bonne manière de renverser le problème. La force de Lénine c'est précisément sa capacité à relier une multitude de tactiques à une visée stratégique cohérente : une révolution socialiste où le prolétariat joue un rôle dirigeant en alliance avec les masses opprimées.

Juan Dal Maso : Dans le marxisme anglophone, on assiste à une relecture de Lénine qui le réduit presque à Kautsky. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que c'est une tendance qui existe en France aussi ?

Marina Garrisi : Le travail de Lars Lih demeure presqu'inconnu en France, à l'exception de quelques historiens. Cette situation pourrait changer puisque les éditions sociales viennent justement de publier un livre de Lars Lih, Lénine, une enquête historique. Le message des bolcheviks, à l'occasion du centenaire. Dans le monde anglophone, Lars Lih tient une place particulière dans les débats sur Lénine. Sebastian Budgen, éditeur de Lih en anglais et préfacier du livre publié par les éditions sociales, dit de lui que c'est un « objet intellectuel non identifié » : ni historien anticommuniste, ni partisan de l'histoire sociale et culturelle, ni issu d'une tradition militante. Cela lui donne une certaine liberté pour intervenir dans des débats souvent extrêmement polarisés et figés.

Dans l'ensemble, ses travaux plaident pour une « non-exceptionnalité » du bolchevisme et de Lénine au sein du marxisme. La trajectoire de ce dernier est inscrite dans la continuité de ce que Lih appelle la « social-démocratie révolutionnaire » (terme qui lui permet de mettre dans le même sac Luxemburg, Lénine, mais aussi le Kautsky d'avant-1914). Dans Lénine, une enquête historique, Lars Lih propose de renverser quatre « paradigmes » sur la trajectoire de Lénine (sur la question du parti ; sur la rupture avec la Deuxième Internationale, sur les « Thèses d'avril » et la politique de Lénine en 1917 ; sur le « communisme de guerre »).

Il serait intéressant de discuter spécifiquement chacun des « paradigmes » visé par Lih. Dans l'ensemble, mon impression est que Lars Lih exhume des pièces de l'histoire qui nous permettent de saisir plus correctement Lénine. En particulier sur Que faire ?, et sans partager les conclusions auxquelles il arrive, Lars Lih met le doigt sur des éléments neufs (notamment lorsqu'il montre que Lénine était loin d'être hostile ou méfiant des masses mais qu'il avait au contraire confiance dans leur capacité révolutionnaire) qui sont parfois utiles à la compréhension du projet léninien. Mais Lih a tendance à « tordre le bâton » (pour reprendre une formule chère à Lénine) et sa thèse selon laquelle Lénine est le parfait continuateur de Kautsky après la trahison de ce dernier en 1914 ne me convainc pas. Je me sens beaucoup plus proche de la thèse selon laquelle la rupture qui s'opère alors avec la Deuxième Internationale n'est pas seulement organisationnelle et politique mais aussi théorique, au sens fort du terme. C'est la thèse que défend, entre autres, Stathis Kouvélakis dans un article passionnant sur les enjeux de la redécouverte de Hegel par Lénine en 1914 et que je recommande chaudement.

Quoi qu'il en soit, il me semble qu'en dépit des conclusions auxquelles il parvient, et qu'on peut ne pas partager (c'est mon cas), le travail de Lars Lih joue un rôle progressiste en ce qu'il contribue à refaire de Lénine et de l'histoire de la Russie révolutionnaire des objets de débats. Pour ceux que ça intéresse, je renvoie à Marxisme, stratégie et art militaire, un ouvrage publié par les éditions Communard.es dans lequel Emilio Albamonte et Matias Maiello discutent de près certaines des thèses de Lars Lih. J'espère que la publication de Lars Lih en France va stimuler d'autres débats.

Juan Dal Maso : Quels sont les points de Lénine qui vous semblent les plus actuels ?

Marina Garrisi : Il y aurait beaucoup à dire et surtout à mettre en travail pour se réapproprier Lénine dans la configuration historique qui est la nôtre. Je voudrais insister sur trois problématiques qui ouvrent je crois des pistes intéressantes pour intervenir dans des débats contemporains.

1) Sur la stratégie

J'ai insisté sur le fait que Lénine était un théoricien et stratège du pouvoir et du pouvoir politique, c'est-à-dire aussi du pouvoir d'État. Mais il faut ajouter d'emblée que le problème de la conquête du pouvoir politique ne s'apparente pas à une conquête électorale ou à une conquête de l'Etat dans sa forme institutionnelle actuelle, c'est-à-dire bourgeoise. Sur ce point, je suis en désaccord avec la façon dont Malm a posé le problème. La lutte pour le pouvoir politique, chez Lénine, se pense de façon révolutionnaire, dans et par la lutte des classes, avec la conviction que ce sont les masses qui détiennent la force de renverser le système — ce qui le distingue aujourd'hui d'une grande majorité de la gauche, même celle qui se dit « radicale ». Bien sûr, en un sens, Lénine est aussi un penseur des institutions : le parti révolutionnaire, les syndicats, les soviets, pour ne nommer qu'eux, ce sont aussi des institutions. Mais ce sont des institutions de classe. Et Lénine lutte pour leur indépendance vis-à-vis de l'hégémonie bourgeoise, dans le cadre d'une stratégie pour le renversement révolutionnaire de l'Etat bourgeois.

Sur cette question, j'en profite pour faire une petite digression. A chaque élection, on voit fleurir les citations de Lénine tirées du même chapitre de sa brochure de 1920, La maladie infantile du communisme, pour justifier tel ou tel vote et taxer de gauchiste quiconque, à gauche, qui a une vue différente sur la question. C'est tout de même surprenant qu'aujourd'hui Lénine ne soit plus convoqué que pour justifier de voter pour un candidat bourgeois l'esprit tranquille ! Je crois vraiment qu'il faut en finir avec cet usage de la citation politique comme argument d'autorité. C'est une pratique feignante, stérile, et dans le cas de Lénine elle prend un tour carrément macabre puisqu'elle renvoie à la façon dont sa pensée a été réduite à un ensemble de dogmes par les staliniens.

Dans mon Découvrir, j'ai volontairement choisi un texte différent pour donner à voir l'attitude de Lénine face à la question électorale. Ce qu'il y a d'essentiel à comprendre, c'est que pour Lénine, participer aux élections pour construire une opposition communiste dans les institutions bourgeoises et même réactionnaires, c'est une politique qui peut s'avérer utile et même indispensable mais il s'agit toujours de tactiques parmi d'autres, jamais d'une stratégie. Cette distinction est importante. Les élections sont utiles pour amplifier la politique et la stratégie du parti, pas dans l'espoir de prendre le pouvoir ou de changer radicalement la vie des masses, dit Lénine, mais parce qu'elles servent de tribune pour l'agitation et la propagande socialiste, à condition de les utiliser pour développer la conscience de classe des masses et leur confiance dans leurs forces propres. Autrement dit il ne s'agit pas d'investir le terrain électoral pour reconduire la fable électorale mais d'utiliser les brèches laissées par les institutions bourgeoises pour renforcer une stratégie révolutionnaire.

Chez Lénine, la prise du pouvoir reste toujours une affaire de masses, et de masses en lutte de façon indépendante des institutions du pouvoir bourgeois. Donc oui, Lénine combat ceux qui, sur sa gauche, refusent de participer aux élections avec des arguments de principe et de pureté révolutionnaire, mais il lutte toujours aussi (et d'abord) contre ceux qui, à sa droite, trompent les masses en reconduisant la fable qui voudrait que ces institutions valent en elles-mêmes pour la prise du pouvoir.

2) Sur la classe ouvrière comme acteur politique

Parmi les nombreuses polémiques menées par Lénine en son temps, celle contre l'économisme me semble particulièrement utile pour éclairer certains débats contemporains. A son époque, les économistes refusent d'éveiller la classe ouvrière russe à la lutte politique contre le tsarisme, sous prétexte que cela la détournerait de ses « vrais » intérêts professionnels ou économiques. Lénine s'inscrit radicalement en faux contre cette conception de l'activité révolutionnaires. Il y voit un enjeu de taille : ne pas réduire l'activité du mouvement ouvrier à une activité « corporatiste », c'est-à-dire bourgeoise. Pour Lénine, la classe ouvrière ne peut être révolutionnaire qu'à condition de s'élever de ses intérêts corporatistes et de donner une direction à l'ensemble des mouvements démocratiques. C'est-à-dire à condition de devenir pleinement politique. On a là, en germes, la conception léniniste de l'hégémonie.

En quoi tout ça nous concerne-t-il ? Nous aussi, nous sommes confrontés à des acteurs ou à des courants à l'intérieur du mouvement ouvrier qui cherchent à restreindre l'activité de ce dernier à des questions purement économiques ou corporatistes, en établissant par exemple une frontière étanche entre le syndical et le politique. Cette logique existe jusque dans des secteurs de l'extrême-gauche, avec une façon de concevoir la centralité de la classe ouvrière qui est in fine ouvriériste. Or, seule une stratégie fondée sur une conception inverse peut permettre de construire une alternative aux politiques des bureaucraties syndicales, qui justifient à partir d'un tel logiciel leur politique conciliatrice, qui les a conduites au silence pendant le soulèvement des quartiers populaires, alors même qu'elle avait mis des millions de personnes dans les rues quelques semaines auparavant contre la réforme de retraites, et de passer un cap dans les mobilisations. La capacité de la classe ouvrière à émerger comme un véritable acteur politique dépend de sa capacité à se saisir de tous les combats qui traversent la société, qu'il s'agisse des luttes contre les oppressions ou des enjeux qui dépassent le terrain économico-syndical, comme l'autoritarisme croissant du régime. Comme tu l'as souligné à raison à l'occasion de plusieurs articles, dans une période de fragmentation de la classe ouvrière cet enjeu est relié à deux enjeux stratégiques centraux, l'unification du prolétariat et la conquête d'alliés qui permettent de construire un rapport de force à même de faire plier un pouvoir toujours plus radicalisé.

Dans un pays comme la France qui repose sur un pacte impérialiste, cela revêt une importance encore plus grande. Il est à la fois impossible de lutter pour l'unité des rangs des travailleurs et pour que ces derniers émergent comme un véritable acteur politique sans défendre un programme anti-impérialiste conséquent. Le pacte plus ou moins implicite entretenu avec l'impérialisme et le corporatisme du mouvement ouvrier sont des piliers de l'hégémonie bourgeoise républicaine française avec lesquels il faut rompre.

3) Sur le parti

Dans les débats contemporains, du côté de la gauche, le « parti d'avant-garde léniniste » est fréquemment présenté comme bon à remiser à la cave. Les principaux partis ou mouvements de ladite « gauche radicale » se présentent implicitement ou explicitement en rupture avec ce qu'ils qualifient de façon dédaigneuse les « avant-garde autoproclamées ». C'est le cas de Mélenchon mais aussi d'une partie de l'extrême gauche (par exemple le NPA B). L'opération est un peu grosse puisqu'il s'agit de se délimiter d'une conception qui n'était pas celle de Lénine (le parti comme « avant-garde autoproclamée »), dans un contexte de désorientation et de confusion idéologique générale, elle réussit en partie à s'imposer.

Je m'inscris en faux contre ces conceptions. Il me semble au contraire qu'une certaine conception léniniste du parti révolutionnaire est utile et même essentielle aujourd'hui. A condition de se mettre d'accord sur ce que ça veut dire, ce qui n'est pas chose aisée tant le sujet a été emmêlé par des dizaines d'années de querelle d'interprétations, de mythes et de falsifications. Pour ma part, j'identifie trois idées-forces importantes. 1) Un parti qui cherche à intervenir dans les luttes de classe et de masses, avec la conviction que des grands affrontements de classe et des explosions révolutionnaires ne manqueront pas d'arriver mais qu'ils ne suffiront pas à résoudre la question du pouvoir. Cette conception n'oppose pas le parti aux masses, mais au contraire voit la victoire comme résultant d'une articulation judicieuse entre l'action des deux ; 2) un parti politique centralisé, parce que l'ennemi qu'on affronte est lui-même ultra-centralisé. Le parti s'articule autour d'une vision commune de la situation et des tâches et donne une direction politique unifiée à des expériences locales qui sinon reste disparates et dispersées, il doit être suffisamment organisé pour être capable d'opérer des tournants brusques si la situation le commande ; 3) un parti de militants formés, aguerris, capables d'intervenir dans des situations diverses, de peser sur l'orientation du parti. Trois idées-forces que récapitule bien, il me semble, l'idée de parti comme « opérateur stratégique », selon une formule de Daniel Bensaïd.

On est à l'opposé des conceptions qui sous-tendent le mouvement gazeux. En fait, la forme organisationnelle est bien souvent cohérente avec le contenu de la stratégie. Un mouvement gazeux, avec une structuration faible (assez pour enrégimenter des équipes locales et faire rayonner la politique du mouvement mais pas trop importante pour empêcher la formation de courants internes) c'est une forme relativement cohérente pour développer une machine électorale. C'est une des raisons pour lesquelles je suis toujours assez sceptique des critiques de LFI qui se concentrent sur une critique du mouvement gazeux sans mettre en cause sa stratégie électoraliste, centrée sur un projet de réforme des institutions. En un sens, Mélenchon est plutôt cohérent. Je ne partage pas son projet mais il sait ce qu'il fait.

De mon point de vue, ce dont nous avons besoin ce n'est pas d'un mouvement gazeux ni d'une machine électorale mais d'un parti implanté dans notre classe, capable d'intervenir et de peser dans les affrontements de lutte de classes qui ne manqueront pas de se reproduire et de s'approfondir. Depuis 2016, la France ne cesse de connaitre des épisodes de ce genre. On a besoin d'une organisation politique qui fasse de l'intervention dans ces processus son centre de gravité. Aujourd'hui, il est clair que ce parti n'existe pas. C'est la proposition politique que nous défendons à Révolution Permanente mais l'émergence d'un véritable parti révolutionnaire ne dépend pas que de nous. Ce dont je suis convaincue, c'est qu'avancer dans cette perspective ne se fera pas sans un bilan critique du rôle joué par l'extrême gauche dans les dernières grandes batailles sociales.

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Dossier : Lénine vivant. Actualité d’un stratège communiste

23 janvier 2024, par Contretemps — ,
À l'occasion des 100 ans de la mort de Lénine, le 21 janvier 1924, nous vous invitons à lire ou relire ce dossier sur l'un des principaux dirigeants révolutionnaires du 20e (…)

À l'occasion des 100 ans de la mort de Lénine, le 21 janvier 1924, nous vous invitons à lire ou relire ce dossier sur l'un des principaux dirigeants révolutionnaires du 20e siècle.

Tiré de la revue Contretemps
22 avril 2020

Contretemps et Lénine 22 avril 2020

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Lénine est né le 22 avril 1870 et il fut, avec Léon Trotsky, le principal dirigeant de la Révolution d'Octobre. Nous proposons également une série de textes de Lénine lui-même, seule manière de mettre à distance les innombrables poncifs qui entourent le révolutionnaire russe et de comprendre ce que fut sa méthode. À cela il est impératif d'associer la lecture d'articles ou d'ouvrages historiques, au premier rang desquels on peut placer le livre d'Alexander Rabinowitch, dont on trouvera une présentation et un extrait ici, qui restitue en détail ce que fut l'action de Lénine en 1917. Comme le note Terry Eagleton, aucune tradition politique ne fut sans doute aussi caricaturée que la tradition léniniste, et cela de tous côtés : évidemment en premier lieu les anticommunistes forcenés de la droite libérale ou conservatrice et de l'extrême droite fasciste, mais aussi les sociaux-démocrates et socialistes de même que les anarchistes ; rappelons toutefois que partout dans le monde on trouva, parmi les fondateurs des partis communistes, d'assez nombreux anarchistes et syndicalistes révolutionnaires.

Au passage, il faut rappeler que la « violence » ou le « fanatisme » sans cesse reprochés à Lénine, se situent plutôt dans la guerre impérialiste de 1914, à laquelle la gauche réformiste apporta son soutien. La social-démocratie allemande, face aux insurgés de 1918-1919, mobilisa les corps-francs – ce noyau des futures milices nazies – pour massacrer les révolutionnaires (dont Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht). Les socialistes français ne furent pas en reste pendant la guerre d'Algérie, lorsque Guy Mollet – alors principal dirigeant de la SFIO – fut nommé Président du Conseil et intensifia la guerre coloniale. Mais on ne saurait renvoyer les deux traditions dos à dos ; car Lénine et les bolcheviks, quand ils assumèrent l'exercice de la violence, le firent en vue de mettre fin au règne de la bourgeoisie et d'abattre l'impérialisme, là où les sociaux-démocrates au pouvoir, lorsqu'ils usèrent de la violence, le firent toujours au service du maintien de l'ordre bourgeois et impérialiste.

On ne peut se tromper en affirmant la chose suivante : Lénine ne sera jamais pardonné. Il restera dans l'esprit des libéraux, conservateurs, réactionnaires et anti-communistes de tout poil comme l'un des inventeurs – sinon l'inventeur – du « totalitarisme », le défenseur halluciné d'un dogme absurde ou encore l'apôtre criminel d'une violence sans limites ; c'est encore ainsi qu'il était présenté dans une récente émission sur France culture qui lui était consacrée. Il n'y a pas lieu de se laisser intimider par cette litanie d'injures aussi vieille que la Révolution russe : ceux et celles qui instruisent le procès en totalitarisme de Lénine n'ont en effet généralement aucun mal à taire voire à justifier les crimes de masse commis par les puissances occidentales dans le cadre de la colonisation ; à élever au rang de héros nationaux le tyran Napoléon, le massacreur de la Commune Thiers ou quelque général tortionnaire d'Algériens ou de Malgaches ; ou encore à oublier – donc à absoudre – les dirigeants politiques qui envoyèrent en 1914 des millions d'hommes se faire massacrer pour le partage impérialiste du monde.

Si Lénine ne sera jamais pardonné, ce n'est donc pas parce qu'il aurait méprisé la démocratie (libérale), refusé le libre échange des opinions, ou commis des violences politiques en tant que principal dirigeant de l'URSS après la Révolution d'Octobre. Nombre de dirigeants politiques bourgeois n'ont eu aucun scrupule à étouffer la démocratie lorsque leurs intérêts fondamentaux étaient en jeu, à se jeter dans les bras des mouvements fascistes, et à réprimer de la manière la plus brutale et criminelle les mouvements de contestation, afin de perpétuer le pouvoir bourgeois. Lénine ne sera jamais pardonné parce qu'il incarne une révolution victorieuse qui a non seulement débarrassé la Russie du tsarisme (ce à quoi auraient pu opiner les bourgeoisies française et britannique si elles n'avaient été alliées militairement à ce qui constituait alors l'une des puissances les plus réactionnaires au monde), mais qui a aussi soustrait la Russie – alors un important champ d'investissements pour le capital occidental (notamment français) – à la domination capitaliste ; en somme une révolution démocratique, mais aussi une révolution socialiste et anti-impérialiste.

À la violence inouïe déclenchée par les bourgeoisies, que ce soit pour soumettre des nations entières au joug colonial (puis les maintenir sous ce joug), pour mater des insurrections populaires sur leurs sols (qu'on pense en France à juin 1848 ou à la Commune de Paris), pour asseoir leur domination sur le monde (Première Guerre mondiale) ou pour abattre la Révolution russe (une dizaine de pays, dont la France et la Grande-Bretagne, envoyèrent des armées en Russie entre 1917 et 1920), Lénine et les bolcheviks ont effectivement opposé, non les habituels vœux pieux du pacifisme, mais la violence révolutionnaire ; ils ont considéré qu'il fallait à tout prix assurer la défense de la Révolution. Les premiers ne manquent jamais de réjouir ceux et celles qui apprécient les opprimé·e·s héroïques mais impuissant·e·s, et qui ne tolèrent les révolutionnaires que vaincu·e·s. La seconde vaut immanquablement à ceux et celles qui en formulent la nécessité – et encore davantage à ceux et celles qui l'ont pratiquée – l'opprobre des belles âmes qui, à défaut de politique révolutionnaire, font des leçons de morale à un siècle de distance et voudraient – selon le vieux mot de Robespierre – « une révolution sans révolution », c'est-à-dire sans affrontement.

Puisqu'on a beaucoup accusé les bolcheviks, et Lénine en particulier, de n'avoir été que les adeptes sectaires et sanguinaires d'idées utopiques, il faut ici dire quelques mots de cette question de la violence. De quoi parle-t-on quand on évoque la violence révolutionnaire sinon d'une auto-défense exercée par ceux d'en bas, en réaction à la violence séculaire inhérente aux rapports d'exploitation et d'oppression ou de la terreur invariablement déchaînée par les classes possédantes quand se soulèvent les damnés de la terre ? Pour autant, cette violence ne fait jamais l'objet chez Lénine d'une fascination pathologique ; elle est « régulée stratégiquement » au sens où elle se trouve conditionnée (donc limitée) par un objectif stratégique – briser les appareils de domination construits par les classes possédantes pour préserver leurs privilèges, mais aussi la résistance farouche et inévitable que ces dernières ne manquent d'opposer à toute menace révolutionnaire –, autant qu'elle est tendue vers un horizon politique : celui d'une société sans exploitation ni oppression, pleinement démocratique, et où se trouverait ainsi minimisée l'exercice de la violence (y compris interpersonnelle) ? Rappelons à ce titre les mots de Trotsky dans son exil mexicain, quelques mois avant son assassinat par un agent de Staline : « La vie est belle. Que les générations futures la nettoient de tout mal, de toute oppression et de toute violence, et en jouissent pleinement ».

Il vaut la peine, à ce titre, de rappeler le train de mesures révolutionnaires prises par le gouvernement communiste, mesures généralement oubliées parce que recouvertes par le sempiternel débat autour de la violence : contrôle ouvrier sur la production expropriée, journée de travail de huit heures, deux semaines de congés payés, interdiction du travail de nuit pour les femmes et les enfants de moins de seize ans, formation d'une inspection du travail, suppression des discriminations entre travailleurs russes et étrangers, nationalisation des banques, interdiction des châtiments corporels pour les écoliers, séparation de l'Église et de l'État, registres d'état civil qui donnent aux femmes les mêmes droits qu'aux hommes, instauration du mariage civil, droit au divorce, liberté d'avortement, abrogation du Code pénal tsariste qui condamnait au bagne les homosexuels, dépénalisation de l'homosexualité, création de maisons d'enfants, de foyers pour les gamins des rues et les nécessiteux, système de santé public et gratuit, etc.

Lénine ne peut être traité autrement par nos ennemis de classe que comme un « chien crevé », précisément parce qu'il a défendu – avec la vigueur et la constance qui lui sont propres – une politique visant à faire du prolétariat et de tous les groupes opprimés une puissance à même d'abattre le règne de la bourgeoisie, un sujet politique indépendant capable de supprimer une fois pour toutes les rapports d'exploitation et d'oppression. Il est sans doute celui qui, tirant un bilan à la fois enthousiaste, admiratif et froid du destin de la Commune de Paris, a pris le plus au sérieux l'intensité de la lutte politique que suppose l'objectif de la destruction du pouvoir bourgeois : la lutte pour le socialisme est une lutte à mort, non parce que les opprimé·e·s seraient avides de violence expiatrice (au contraire, nombre d'épisodes historiques ont donné à voir leur clémence vis-à-vis des oppresseurs), mais parce que la classe dominante ne saurait se laisser déposséder sans combattre, et sans menacer des pires châtiments les peuples insurgés. Lénine est ainsi le nom qu'a pris, au 20e siècle, la volonté ardente et obstinée, impatiente mais organisée, de rompre avec le capitalisme, toute forme d'oppression, et de bâtir une tout autre société. Outrage suprême : pour Lénine, cette lutte devait se mener sur tous les terrains, y compris ceux d'ordinaire réservés aux professionnels de l'exercice du pouvoir, fussent-ils « de gauche », « pour les battre tous par une attaque décisive du prolétariat et conquérir le pouvoir politique ».

Affirmer tout cela n'implique nullement de faire de Lénine un être infaillible, l'adoration stérile ne valant pas mieux que la détestation morbide. Il est nécessaire de critiquer la (trop) tardive préoccupation qu'il manifesta pour la bureaucratisation de la Révolution d'Octobre, de même que son rapport instrumental vis-à-vis des libertés publiques (d'expression, de réunion, de manifestation, etc.), qui fut critiqué très tôt par Rosa Luxemburg. Si l'on oublie généralement de rappeler qu'elle célébra la Révolution d'Octobre et insista sur le rôle central des bolcheviks, elle mit très tôt en garde ces derniers : la suspension des libertés publiques destine le prolétariat à la passivité, loin du rôle historique que lui accordait Marx (« l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes ! »). Ce qui pouvait être compréhensible dans le contexte épouvantable de la guerre civile ne l'était plus une fois celle-ci terminée : sans une renaissance des soviets (conseils), qui n'ont existé véritablement qu'en 1917, sans démocratie interne au Parti communiste mais aussi sans pluralisme politique et sans liberté de discussion dans la société russe, la sclérose bureaucratique issue de la période du « communisme de guerre » ne pouvait que s'amplifier, jusqu'à engloutir la Révolution. La contre-révolution avait paru venir uniquement de la vieille classe dominante russe et des puissances impérialistes ; elle vint finalement de la dégénérescence bureaucratique du Parti communiste, et fut fatale à la Révolution.

L'impasse de l'adoration, évoquée plus haut, permet enfin de dire quelques mots, beaucoup trop rapides à l'évidence, concernant le rapport entre léninisme et stalinisme. On sait l'usage que Staline et la bureaucratie triomphante firent de la figure de Lénine après sa mort, le ramenant au rang de pur fétiche. Cette stratégie d'appropriation (et de stérilisation) fut manifeste à travers sa momification dans le cadre du « mausolée de Lénine », qui fut d'ailleurs vivement contestée par la veuve de Lénine, Nadjedja Kroupskaïa, au nom des convictions mêmes du révolutionnaire russe ; une telle initiative l'aurait assurément révulsé. En proclamant (absurdement) la continuité avec Lénine, cette entreprise de sanctification servit en fait à justifier l'abolition de toute forme de démocratie interne, puis la purge des opposants à la ligne de Staline et enfin l'assassinat de la quasi-totalité des militants bolcheviks qui avaient animé et dirigé le parti en 1917 et durant les effroyables années de la guerre civile (1918-1921). Ce qui fut ainsi enseveli, au nom d'un « léninisme » imaginaire, ce fut bien le léninisme comme pratique révolutionnaire vivante, ce « léninisme sous Lénine » dont Marcel Liebman a fait un livre classique (enfin réédité récemment).

Trois exemples suffiront pour donner à voir cette rupture totale :

– Là où Lénine n'avait cessé, en particulier en 1917, de critiquer les « vieux-bolcheviks » qui s'accrochaient aux vieilles formules périmées et refusaient de modifier leurs conceptions stratégiques au regard de la nouvelle réalité, la bureaucratie codifia le « léninisme » pour en faire un nouveau dogme, intangible et incontestable, au nom duquel furent exclu·e·s puis éliminé·e·s les opposant·e·s.

– Là où la fraction bolchevik puis le parti communiste s'étaient caractérisés, au moins jusqu'à la terrible guerre civile, par une remarquable vitalité démocratique, en particulier une grande liberté de discussion malgré la répression tsariste et les contraintes de la clandestinité, Staline et sa clique inventèrent le mythe du « monolithisme » du parti, afin d'asseoir leur pouvoir illimité.

– Enfin, là où Lénine ne cessa d'insister sur la dimension internationaliste du projet communiste et de la Révolution russe, Staline inventa la thèse du « socialisme dans un seul pays » et soumit à ce titre les luttes des peuples opprimés et des prolétariats des pays capitalistes aux intérêts de la bureaucratie russe, c'est-à-dire au maintien d'une dictature, non du prolétariat, mais sur le prolétariat.

Les textes qui suivent, sur Lénine et le léninisme, permettront d'aller beaucoup plus loin dans ce sens, en insistant fortement sur la dimension stratégique de la pensée de Lénine, qui saisit la politique comme lieu spécifique de condensation des contradictions et le parti comme levier d'intervention au sein de celles-ci. Un parti conçu comme « opérateur stratégique » ou comme « boîte de vitesse » (pour reprendre les formulations de Daniel Bensaïd), capable d'analyser collectivement les flux et reflux de la combativité populaire et d'intervenir ainsi de la manière la plus efficace dans des situations politiques changeantes et contradictoires. 1917 donne une idée de la grande souplesse tactique de Lénine, sa « ligne » évoluant au gré des rapports de force entre les classes et entre les forces politiques mais aussi en fonction des objectifs atteignables en tel ou tel moment : préconisant une offensive politique ou suggérant une retraite tactique, œuvrant à un front d'organisations (face à la menace d'un coup d'État militaire) ou se séparant complètement des autres forces de gauche ; recommandant de gagner pacifiquement de l'influence dans le cadre des soviets ou appelant à l'insurrection militaire.

C'est pour l'essentiel à partir de la pensée de Lénine, élaborée au fil de l'expérience pratique du mouvement révolutionnaire russe de la fin du 19e siècle à la guerre civile, que se construit le langage stratégique du mouvement communiste au 20e siècle : parti révolutionnaire, hégémonie, front unique, gouvernement des travailleurs, objectifs transitoires, etc. Contre une certaine lecture « populiste de gauche », il faut d'ailleurs rappeler à quel point Gramsci s'inscrit de ce point de vue dans la continuité de la Révolution russe mais plus spécifiquement de Lénine. Ainsi chercha-t-il dans ses Cahiers de prison, donc dans les conditions extrêmement difficiles de son emprisonnement par le régime fasciste, à prolonger, développer et élaborer les intuitions développées par ce dernier concernant non seulement le rôle du parti communiste (le « Prince moderne » dans le langage des Cahiers de prison), sur la nécessité et les formes de l'alliance entre classes (prolétariat industriel et paysannerie dans le contexte d'alors), mais aussi sur les spécificités de la révolution socialiste en Occident, c'est-à-dire dans les vieux pays capitalistes ayant notamment une plus longue tradition de démocratie parlementaire.

De même doit-on insister sur l'importance qu'accorda Lénine à la question de l'impérialisme (et de la guerre), qu'il théorisa comme phénomène économico-politique bouleversant les coordonnées de l'action des masses à l'échelle mondiale. On doit se souvenir au passage des dures (et légitimes) critiques qu'il adressa aux jeunes partis communistes des puissances impérialistes, et rappeler que, dans les conditions d'intégration à l'Internationale communiste, figurait celle-ci :

« Tout Parti appartenant à la IIIe Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de ”ses” impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies, d'exiger l'expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés et d'entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux ».

Aujourd'hui, alors que les mots « catastrophe », « effondrement », voire « fin du monde », sont sur toutes les lèvres, comment oublier que Lénine fut aussi un stratège de « la catastrophe imminente » et des « moyens de la conjurer », qui sut saisir dans la tragique expérience de la guerre une occasion de réaliser un front décisif entre une classe ouvrière minoritaire et une paysannerie radicalisée par la violence des combats et de la famine ? Il importe enfin de rappeler, contre toute lecture économiciste, à quel point Lénine ne cessa de souligner la nécessité de mener la lutte politique sur tous les terrains, non simplement celui des lieux de travail (évidemment crucial pour toute politique communiste), mais partout où les antagonismes sociaux pouvaient s'exprimer et les contradictions se cristalliser, allumant ainsi l'étincelle de la révolte.

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À PROPOS ET À PARTIR DE LÉNINE

« Eisenstein lisant Lénine lisant Hegel », par François Albera

L'héritage de Vladimir Lénine. Entretien avec Tariq Ali

« Le moment philosophique déterminé par la guerre dans la politique : Lénine 1914-1916 », par Étienne Balibar [Revue Période]

« Relire Lénine ? », par Pierre Beaudet

« Les sauts ! Les sauts ! Les sauts ! », par Daniel Bensaïd

« Lénine ou la politique du temps brisé », par Daniel Bensaïd

Lénine : 1893-1914. Construire le parti, par Tony Cliff

« Lénine à l'époque postmoderne », par Terry Eagleton

Lénine : La politique comme organisation, par Guillaume Fondu

Lénine, la révolution, l'insurrection, par Marina Garrisi

« Vladimir Ilitch Lénine : parti, presse, culture & révolution », par Fabien Granjon

« Lénine, lecteur de Hegel », par Stathis Kouvélakis [Revue Période]

« De l'impérialisme à la mondialisation », par Georges Labica

« Lénine et le parti », par Sylvain Lazarus

Lénine, une biographie. Introduction du livre de Lars T. Lih (Prairies ordinaires)

Lénine, Que faire ? et l'énergie révolutionnaire de la classe travailleuse, par Lars Lih

Lénine, Trotsky, et la transition au socialisme, par Ernest Mandel

« L'État et la révolution » de Lénine, de Ralph Miliband

« Le fantôme de Lénine. Sartre, l'État et la révolution », par Hervé Oulc'hen

La politique de Lénine en 17. Extrait du livre d'Alexander Rabinowitch

Lénine et l'Orient. Extrait du livre de Matthieu Renault L'empire de la révolution (Syllepse)

« Partialité, initiative, organisation : les usages de Lénine par Tronti », par Daria Saburova

« Les trop brèves convergences de la Révolution russe et de l'écologie scientifique », par Daniel Tanuro

Lénine mort, Lénine vivant, par Paul Vaillant-Couturier

« Le léninisme aujourd'hui : comment commencer par le commencement », par Slavoj Žižek

QUELQUES TEXTES DE LÉNINE

Le journal comme organisateur collectif (1902)

« Les ouvriers transforment la théorie grise en une réalité vivante »(1905)

Les marxistes et la religion (1905)

Les trois sources du marxisme (1913)

La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes (1916)

Face à la guerre (1915)

Il n'y a pas de révolution pure (1916)

Contre les vieilles formules, la souplesse tactique (1917)

De l'État (1919)

Gagner les masses (1920)

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Le PQ et la louisianisation du Québec.

23 janvier 2024, par Pierre Jasmin — ,
Lors de la première conférence de presse de l'année 2024 par le Parti Québécois, son chef Paul St-Pierre-Plamondon a accusé la CAQ d'avoir atténué les mesures fortes de (…)

Lors de la première conférence de presse de l'année 2024 par le Parti Québécois, son chef Paul St-Pierre-Plamondon a accusé la CAQ d'avoir atténué les mesures fortes de francisation promises, ce qui met en danger la primauté du français à Montréal : nous sommes d'accord.

Mais il reproche aussi au gouvernement Legault d'avoir renié sa promesse de récupérer d'Ottawa la gestion des immigrants temporaires dont les rangs semblent avoir gonflé à plus de cinq cent mille. Comme l'avaient fait la veille au niveau fédéral le chef de l'opposition Pierre Poilievre et le Premier ministre Justin Trudeau, le chef du PQ lance un cri d'alarme sur la situation particulière du Québec, où les mises en chantier de nouveaux logements ont chuté de 37% en 2023, à l'inverse de la demande en forte hausse des immigrants et aussi des sans-logis qui se multiplient hors des grandes villes, phénomène nouveau.

M. Saint-Pierre Plamondon s'est bien défendu dans son entrevue à Patrick Roy de Radio-Canada que lier l'immigration et la non-disponibilité des logements procède d'un raccourci intellectuel de droite. Pour nous, un effort d'imagination de plus est nécessaire pour constater que l'immigration massive se pressant aux portes du Canada est fonction de deux variables principales sur lesquelles nos gouvernements peuvent et doivent agir :

1- Les 112 millions de réfugiés dans le monde selon le Haut-Commissariat des
Réfugiés (Nations-unies) représentent une augmentation épousant le cycle ascendant des tensions guerrières américaines et canadiennesi vs le Moyen-Orient en entier jusqu'en Afghanistan et Libye (invasion 2011 par le général Bouchard à la tête des bombardiers de l'OTAN), menaçant aujourd'hui l'Iran et le Yémen, sans parler que le Venezuela, Cuba et neuf pays africains sont victimes de nos graves sanctions économiques illégales, dénoncées par le secrétaire général des Nations-Unies Antonio Guterres. Une mobilisation commune au fédéral du Bloc québécois, du NPD et du Parti vert pourrait sans doute arrêter ou du moins freiner cette spirale guerrière, en définançant les acquisitions à caractère principalement offensif du ministère de la Défense : F-35, frégates Irving-Lockheed Martin, drones, avions-ravitailleurs, sous-marins, hélicoptères ch-146 Gryffonii etc. On diminuerait aussi leurs dépenses pétrolières ainsi que leurs pollutions émettrices de gaz à effet de serres qui font aussi gonfler le nombre des réfugiés climatiques.

2- Quant au logement, ne pourrait-on pas envisager une taxe considérable qui
viserait les chalets, en appliquant en sus un coefficient sur les chalets hivérisés énergivores et un autre sur le nombre de kilomètres les séparant de la résidence principale (accessible par un VUS ou un camion à essence) : une telle taxe composée (appliquée en double sur un deuxième chalet et en triple sur un troisième ou sur une propriété secondaire en Floride, par exemple) amènerait des rentrées d'argent soutirées aux plus riches (une fois n'est pas coutume) et le gouvernement aurait ainsi les moyens d'augmenter ses subventions aux logements sociaux, aux CLSC, aux maisons Gilles-Carle et aux RPAs. Cela permettrait aux aînés d'évacuer les hôpitaux où ils monopolisent nombre d'infirmières qui seront plus utiles aux vrais malades. Et les chalets libérés deviendraient des logis disponibles pour des immigrants ou de jeunes couples débrouillards et leurs enfants découvrant la nature.

Une idée à développer de Pierre Jasmin, secrétaire des Artistes pour la Paix.

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Le Fatah de Yasser Arafat à Mahmoud Abbas : le déclin

23 janvier 2024, par Jean-François Delisle — , , ,
Joe Biden évoque de plus en plus la nécessité d'établir enfin un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza. Il exhorte Benyamin Netanyahou à accepter cette éventualité tout en (…)

Joe Biden évoque de plus en plus la nécessité d'établir enfin un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza. Il exhorte Benyamin Netanyahou à accepter cette éventualité tout en le priant de diminuer l'intensité de sa contre-offensive militaire à Gaza. En passant, il faut rappeler ici que les États-Unis au Conseil de sécurité de l'Onu ont opposé leur véto à une résolution le 8 décembre 2023 ordonnant un cessez-le-feu là-bas. Dans la foulée de cette logique de soutien quasi-inconditionnel à l'État hébreu, pas question pour la Maison-Blanche d'adopter des mesures de rétorsion contre Israël pour faire entendre raison au gouvernement du Likoud dominé par Netanyahou et sa clique. Elle s'en tient à des exhortations verbales tout en continuant à fournir au gouvernement israélien tout l'équipement militaire nécessaire pour pilonner Gaza.

Elle se contente de belles paroles.

La Maison-Blanche insiste sur la nécessité d'éliminer le Hamas avec lequel il n'est pas question d'entamer la moindre négociation. Elle veut plutôt le remplacer par le Fatah de Mahmoud Abbas qui contrôle une zone semi-autonome en Cisjordanie. Il est facile de discerner les ligne de force de la stratégie américaine : une fois le Hamas écarté de Gaza, le Fatah de Mahmoud Abbas le remplacerait et administrerait la petite bande côtière dans des conditions similaires à celles de la zone cisjordanienne sous son contrôle : ce bon Mahmoud Abbas, pacifique, bon-ententiste et collaborateur avec les autorités israéliennes pour les questions de sécurité prendrait la place d'Ismaël Haniyeh qui se trouve à la tête du bureau politique du Hamas et de Yahya Sinwar, chef du Hamas à Gaza et représentant de l'aile dure du mouvement. Bref, le Fatah de Mahmoud Abbas serait mis en selle à Gaza une fois le Hamas balayé de la bande côtière.

Ce plan a-t-il des chances de réussir ? On peut en douter.

Tout d'abord, le Fatah sous la férule d'Abbas est largement discrédité en Cisjordanie même vu sa coopération sécuritaire avec Tel-Aviv, à tel point qu'un nombre croissant de membres et de partisans du Fatah rejoignent maintenant la résistance armée qui s'intensifie en Cisjordanie. La lutte pour la libération nationale en Cisjordanie et à Jérusalem-Est risque de se doubler d'une guerre civile ente les partisans résolus de la résistance et les bon-ententistes du courant Abbas, que Tel-Aviv soutiendrait bien entendu en cas de besoin. De plus, il est loin d'être certain que la population gazaouie pour sa part accepterait une administration autonome, inévitablement très limitée, du Fatah.

Même si, sous l'impulsion des classes politiques occidentales des négociations s'amorçaient entre le Fatah et la droite israélienne au pouvoir, on peut se demander à quoi elles aboutiraient dans l'état actuel des choses. Elles seraient nécessairement inégales, vu le rapport de forces entre les deux camps ; d'ailleurs, tout un pan de la société israélienne est fanatiquement opposé à l'établissement d'un État palestinien en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

On peut prévoir qu'au nom du "réalisme" et de la "souplesse" qui lui est associée, la Maison-Blanche, qui joue un rôle-clé dans la région, exhorterait la direction palestinienne à consentir aux concessions nécessaires à l'obtention de la paix, celle-ci dût-elle se solder par une entente à rabais dont Palestiniens et Palestiniennes feraient les frais. Si le passé est garant de l'avenir, ce scénario est le plus vraisemblable.

À moins que les gouvernements occidentaux, du moins les plus influents d'entre eux, ne se décident à contraindre Israël à faire de substantielles concessions aux Palestiniens, ce qui paraît peu vraisemblable.

Les Gazaouis risquent donc de se retrouver dans la situations des Cisjordaniens, les colons israéliens en moins, il est vrai. Mais ils devront se contenter d'une administration du Fatah, en tout cas pour un avenir prévisible. Rien d'enthousiasmant pour eux, donc.
Si Yasser Arafat (décédé en 2004), figure historique de la résistance palestinienne, voyait ce que le mouvement de libération dans la fondation duquel (en 1959) il a joué un rôle central est devenu, il se retournerait dans sa tombe...

Jean-François Delisle

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Coups de fouets sur le corps d’une femme se promenant en blouse rouge

23 janvier 2024, par Roya Heshmati — , ,
Roya Heshmati, d'origine kurde, arrêtée la nuit du 21 avril 2023, après avoir publiée sa photo sans voile sur les réseaux sociaux et détenue pendant 11 jours. Elle fut d'abord (…)

Roya Heshmati, d'origine kurde, arrêtée la nuit du 21 avril 2023, après avoir publiée sa photo sans voile sur les réseaux sociaux et détenue pendant 11 jours. Elle fut d'abord condamnée à 13 ans et 9 mois d'emprisonnement, une amende et 74 coups de fouets, pour « atteinte aux mœurs publiques » et « non-port du voile ».

Tiré de Entre les lignes et les mots

La peine d'emprisonnement fut annulée par la cour d'appel, mais l'amende et le châtiment corporel maintenus. Fouettée le 3 janvier, elle publia une note décrivant son expérience de façon détaillée. Cette note fut largement relayée sur les réseaux sociaux et repris par d'autres prisonniers de consciences tels que Sepideh Roshnou et Hossein Ronaghi.

« A propos de l'exécution de ma peine de 74 coups de fouet »

J'ai contacté mon avocat et nous nous sommes présentés au procureur du 7e district.

Lorsque nous avons traversé le portail, j'ai retiré mon voile. Nous sommes entrés dans la salle. Les cris et hurlements d'une femme nous parvenaient du couloir. Ils étaient en train de la faire descendre pour l'application de sa peine.

Mon avocat m'a dit : penses-y une dernière fois, le fouet va te marquer pour longtemps.

Nous nous sommes présentés devant le bureau N°1 de l'exécution des peines. L'employé m'a dit : remets ton voile pour éviter les problèmes. Je lui ai dit calmement : c'est précisément pour cela que je vais être fouettée, je ne le porterai pas.

Ils ont prévenu le bourreau. Il est monté et m'a dit : mets ton voile et suis-moi. J'ai répondu : je ne le ferai pas. Il m'a dit : tu ne le feras pas ? Je vais te fouetter si fort, pour que tu comprennes où tu es. Et on t'offrira 74 coups de fouets supplémentaires. Je n'ai pas mis mon foulard.

Nous sommes descendus. Plusieurs hommes avaient été arrêtés pour consommation d'alcool. Le bourreau m'a dit sur un ton autoritaire : je te dis, mets-le ! Je ne l'ai pas fait.

Deux femmes en tchador sont venues me mettre le voile sur la tête. Je l'ai enlevé. Cela s'est répété à plusieurs reprises. Elles m'ont menottée les mains dans le dos et m'ont remis le voile.

Nous sommes descendus par le même escalier par où ils avaient emmené la femme au sous-sol. C'était une petite pièce au bout du parking. Le juge, le bourreau et la femme en tchador se tenaient à mes côtés. La femme était clairement émue. Elle a soupiré plusieurs fois en disant, je comprends… je comprends… Le juge enturbanné m'a ri en face. Il m'a fait penser au vieux fripier de la Chouette Aveugle (Ndlr : Personnage du roman culte de Sadegh Hedayat). J'ai détourné le regard.

Ils ont ouvert la porte métallique. Les murs de la pièce étaient en béton nu. Un lit se trouvait au fond de la pièce, auquel on avait soudé des menottes à la tête et au pied. Un autre objet, comme un grand chevalet métallique rouillé, avec des menottes qui pendouillaient, gisait au milieu de la pièce. Plus une chaise et une petite table couverte de fouets. D'autres fouets pendaient du mur, derrière la porte.

On aurait dit une chambre de torture médiévale.

Le juge m'a demandé : Vous allez bien ? Pas de problème de santé ?

Je l'ai ignoré.

Il m'a dit : je vous parle !

Je n'ai pas répondu.

Le bourreau m'a dit : enlève ton manteau et allonge-toi sur le lit. J'ai accroché le manteau et le voile au chevalet de torture. Il a dit : mets ton voile. J'ai dit : je ne le ferai pas, mets ton Coran sous le bras et frappe. Et je me suis allongée sur le lit.

La femme s'est approchée et m'a dit : ne t'entêtes pas, s'il te plaît. Elle m'a couvert la tête avec mon châle. Le bourreau a choisi un fouet en cuir noir parmi les fouets accrochés derrière la porte, l'a tourné deux fois autour de sa main et s'est avancé vers le lit.

Le juge a dit, ne frappe pas trop fort. L'homme a commencé à frapper.

Sur mes épaules, mes omoplates, mon dos, mes fesses, mes cuisses, les mollets, et a recommencé ce cycle. Je n'ai pas compté les coups.

Je chantais tout bas : au nom de la femme, de la vie… le voile de la soumission sera arraché… notre nuit se transformera en aube et les fouets deviendront des haches.

Puis c'était fini. Nous sommes sortis. Je n'ai même pas voulu montrer que j'avais eu mal. Ils sont plus insignifiants que ça. On est remonté chez le juge d'exécution des peines. La femme me suivait au pas et faisait attention pour que mon foulard ne glisse pas. Devant le bureau du juge, j'ai jeté le foulard. La femme m'a supplié de le remettre. Je n'ai pas voulu. De nouveau, c'est elle qui me l'a mis sur la tête.

Dans le bureau, le juge m'a dit : nous ne sommes pas contents de ces faits, mais c'est une condamnation et la peine doit être exécutée. Je n'ai pas répondu.

Il a dit : si vous voulez vivre autrement, vous pouvez vivre à l'étranger. J'ai dit ce pays nous appartient à tous.

Il a dit : oui, mais il faut respecter la loi. J'ai dit : que la loi fasse son travail, et nous, continuerons à résister.

On a quitté la pièce. J'ai retiré mon voile.

Merci cher Monsieur Tâtâie. Si vous ne m'aviez pas accompagné, il aurait été beaucoup plus difficile de traverser cette période. Et désolée de ne pas avoir été une cliente facile. Je suis certaine que quelqu'un de votre magnanimité me comprendra. Je vous remercie pour tout.

Jin, Jiyan, Azâdi (Femme, vie, liberté)

Roya Heshmati

https://blogs.mediapart.fr/moineau-persan/blog/080124/coups-de-fouets-sur-le-corps-d-une-femme-se-promenant-en-blouse-rouge

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Tribune de l’Observatoire de la liberté de création « Quand des femmes prennent la parole pour dénoncer Depardieu, ce n’est pas l’art qu’elles attaquent, c’est un homme »

23 janvier 2024, par Tribune de l'Observatoire de la liberté de création — , ,
A l'occasion des Biennales internationales du spectacle qui se tiennent à Nantes depuis le 17 janvier, les membres de l'Observatoire de la liberté de création (OLC) – qui vient (…)

A l'occasion des Biennales internationales du spectacle qui se tiennent à Nantes depuis le 17 janvier, les membres de l'Observatoire de la liberté de création (OLC) – qui vient de se constituer en association – rappellent que la liberté artistique peut et doit s'articuler avec le respect de l'égalité et la lutte contre toute forme de violence.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/01/20/tribune-de-lobservatoire-de-la-liberte-de-creation-quand-des-femmes-prennent-la-parole-pour-denoncer-depardieu-ce-nest-pas-lart-quelles-attaquent-c/

Fin décembre 2023, le Figaro publie une tribune pour soutenir Gérard Depardieu. Rappelons ce qui la motive (que cette tribune désigne comme un « lynchage ») : l'acteur fait l'objet de diverses accusations et plaintes pour viols et agressions sexuelle et il est mis en examen dans le cadre de la procédure engagée par la comédienne Charlotte Arnould depuis le 16 décembre 2020. En avril 2023, Médiapart révèle le témoignage de 13 femmes qui accusent Gérard Depardieu de gestes ou propos obscènes lors des tournages de onze films entre 2004 et 2022. En juillet 2023, une autre femme dénonce une agression sexuelle sur un tournage en 2015. Le 10 septembre 2023, l'actrice Hélène Darras dépose une plainte pour agression sexuelle à l'encontre de Gérard Depardieu. Elle l'accuse de l'avoir « pelotée » en 2007 sur un tournage de film. Le 19 décembre enfin, une journaliste espagnole se plaint d'une agression sexuelle en 1995 alors qu'elle venait interviewer le comédien.

Ce dont attestent ces 17 femmes, c'est d'abord du caractère répété du comportement répréhensible du comédien, au vu et au su de toute une profession, sans que personne n'en tire de conséquence, au nom du talent de l'acteur. Or le talent ne peut en aucun cas être une excuse exonératoire. Ce dont attestent aussi ces femmes, c'est de la difficulté d'être entendues sur les tournages lorsqu'elles tentent de se plaindre, de l'attitude vindicative de Depardieu si elles osent parler à la production, de la peur d'être blacklistées et des propos les décourageant de porter plainte, leur assurant qu'elles ne seront pas entendues. D'ailleurs, peu ont franchi le cap de la plainte judiciaire. Ce qu'elles disent enfin, c'est leur solitude face à des violences qu'elles dénoncent comme systémiques dans ce métier.

Nous dénonçons la censure des œuvres et nous opposons à une confusion systématique entre les œuvres et leurs auteurs. Ce que dit un personnage dans une œuvre n'est pas nécessairement, la pensée de l'auteur. Nous réfléchissons au cas par cas aux conflits entre les différents droits et libertés qui composent le grand ensemble des droits humains. Nous invitons à réfléchir aux distinctions entre ce qui peut se passer à l'occasion de rapports sociaux hors de l'œuvre, dans le cadre de sa préparation, de sa réalisation ainsi que de sa diffusion.

Nous considérons que l'on doit faire la différence entre les œuvres et la conduite de ceux qui la créent, ou les incarnent, sans que ceci soit pour autant un dogme absolu. Par exemple, nul ne peut s'abriter derrière la liberté de création pour tenir des propos antisémites et révisionnistes, comme l'a fait Dieudonné à de multiples reprises dans ses spectacles. De même, un réalisateur qui filmerait une violence sexuelle non consentie par une comédienne, ou un plasticien maltraitant physiquement son modèle pour obtenir l'image voulue ne serait pas recevable à se prévaloir de la liberté de création et serait pénalement responsable, comme le comédien se livrant à cette violence. La Convention européenne des droits de l'Homme, qui protège la liberté d'expression (et donc de création, avec ses spécificités) dans son article 10, comporte une disposition que l'on oublie trop souvent et qui est pourtant très éclairante, son article 17 : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ».

Abus de pouvoir

Il est arrivé plusieurs fois à la cour de Strasbourg de considérer que celui qui mésuse de la liberté d'expression pour tenir des propos discriminatoires ou révisionnistes ne peut invoquer la liberté d'expression car son but est de détruire la société démocratique égalitaire telle que la promeut la Convention. Forts de notre connaissance du droit, de notre expérience, de nos riches débats internes et de nos prises de position publiques, nous souhaitons dire très fermement que ceux qui invoquent l'Art avec une majuscule comme un « totem d'impunité » pour les prédateurs sexuels mettent la liberté qu'ils prétendent défendre en danger. Si Depardieu était menacé de censure, ou si les œuvres dans lesquelles il a joué l'étaient, l'Observatoire de la liberté de création (OLC) s'y opposerait comme il l'a toujours fait pour d'autres artistes (Polanski, Cantat…). Dans une société démocratique, il revient aux spectateurs de juger les œuvres qu'ils sont libres de voir, ou de ne pas voir, et à la justice de juger les hommes.

Pour autant, le fait d'être un auteur, un artiste, un artiste-interprète, ne confère aucun statut exceptionnel qui permettrait de ne pas assumer la responsabilité relative aux actes délictueux commis envers des personnes à l'occasion de la préparation ou de l'élaboration d'œuvres. Un tournage, un spectacle, ne sont pas des lieux de non-droit et les professions concernées sont d'ailleurs en voie d'en prendre conscience. Ce sont des lieux de travail qui, comme tous les lieux de travail, doivent permettre à toutes et tous de remplir ses tâches sans être exposé(e), comme victime ou comme témoin, à des violences.

Quand des femmes osent finalement prendre la parole pour dénoncer un comportement délictueux, ce n'est pas l'art qu'elles attaquent, c'est un homme. Avec tout le courage que cela suppose, et tous les risques que cela leur fait encourir. Un homme qui semble avoir abusé de sa position iconique de « monstre sacré », ce que dira la justice, dont le travail est utilement complété par la presse que l'on ne saurait faire taire à coups de tribunes. Car ce que ne dira pas la justice, c'est tout le contexte social et historique qui a permis à une profession dans son ensemble de couvrir, voire de contribuer à produire ce type d'actes auxquels ont été exposées tant de femmes se taisant de peur de perdre leur emploi et de renoncer à leurs rêves. A ces femmes, l'Observatoire de la liberté de création (OLC) adresse son plein et entier soutien.

Tribune parue initialement dans Libération
https://www.ldh-france.org/18-janvier-2024-tribune-de-lobservatoire-de-la-liberte-de-creation-quand-des-femmes-prennent-la-parole-pour-denoncer-depardieu-ce-nest-pas-lart-quelles-attaquent-c/

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Davos : qui sont les cinq milliardaires dont la fortune a enflé de 14 millions de dollars par heure ?

23 janvier 2024, par Cyprien Boganda — , ,
Alors que débute, lundi 15 janvier, le forum de Davos, l'ONG Oxfam publie un nouveau rapport pointant l'accroissement des inégalités et la concentration des richesses au cours (…)

Alors que débute, lundi 15 janvier, le forum de Davos, l'ONG Oxfam publie un nouveau rapport pointant l'accroissement des inégalités et la concentration des richesses au cours des trois dernières années.

16 janvier 2024 | tiré de l'Humanité

Depuis 1971, d'éminents représentants de l'oligarchie économique et politique se réunissent à Davos, une station de sports d'hiver perchée au cœur des Alpes suisses, pour méditer sur les désordres du monde. Cette année, ils plancheront notamment sur la meilleure manière de « coopérer dans un univers fracturé », mais il y a fort à parier que le dernier rapport d'Oxfam ne fera pas partie des thèmes de discussion. C'est dommage : l'ONG a compilé un nombre impressionnant de données, qui illustrent la concentration des richesses et ses effets dévastateurs sur la planète.

Les super-riches au sommet, dans un océan d'inégalités

Si l'immense majorité de la population mondiale a été frappée de plein fouet par les trois crises majeures qui ont marqué ces trois dernières années – pandémie de Covid, guerre en Ukraine et flambée inflationniste –, les milliardaires ont vu leur compte en banque s'étoffer.
La richesse cumulée d'Elon Musk (Tesla), Bernard Arnault (LVHM), Jeff Bezos (Amazon), Larry Ellison (Oracle) et Warren Buffet (Berkshire Hathaway), les cinq plus riches d'entre eux, a grimpé de 114 % entre mars 2020 et novembre 2023, pour atteindre 869 milliards de dollars. Pour le dire autrement, cela signifie que leur fortune a enflé de 14 millions de dollars par heure…

Au-delà de ces « têtes d'affiche », l'ensemble des milliardaires de la planète ont vu leur fortune augmenter de 3 300 milliards de dollars sur la période, soit 34 % de hausse. En dépit de la croissance fulgurante de l'économie chinoise, le monde appartient toujours aux pays du Nord, selon les calculs d'Oxfam, puisque ces derniers ne concentrent que 20,6 % de la population mondiale mais près de 70 % des richesses.

En France, nos 42 milliardaires ont gagné 230 milliards d'euros en trois ans. Dans l'Hexagone, les 1 % les plus riches détiennent 36 % du patrimoine financier total, alors que plus de 80 % des Français déclarent ne posséder ni assurances-vie, ni actions directement.
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Au pays du président des riches, les millionnaires sont rois

Dans le même temps, le reste de l'humanité a fait les frais des crises produites par le capitalisme. « Partout dans le monde, l'inflation est plus rapide que la hausse des salaires, si bien que des centaines de millions de personnes ont de plus en plus de mal à finir le mois avec leurs revenus », note l'ONG, qui constate que les inégalités mondiales ont atteint un niveau « comparable à celui observé en Afrique du Sud », le pays le plus inégalitaire du monde.
En trois ans, la fortune cumulée de 4,7 milliards de personnes (60 % de l'humanité) a baissé de 0,2 %. Saisissante statistique : Oxfam a calculé qu'il faudrait 1 200 ans de labeur à une travailleuse du secteur sanitaire et social pour gagner ce qu'un PDG d'une des 100 premières entreprises américaines empoche en une année…

Les multinationales grandes gagnantes de la période

Si les milliardaires se sont enrichis, ils le doivent aux multinationales qu'ils dirigent. L'ONG s'est penchée sur la structure de propriété des 50 plus grosses entreprises de la planète. Bilan : plus d'un tiers d'entre elles comptent un milliardaire comme actionnaire principal ou comme PDG. La proportion grimpe à 70 % pour les 10 plus grosses. Jeff Bezos, fondateur d'Amazon, détient par exemple 83 % de sa fortune en actions de l'entreprise.

Robert Kuok, l'homme le plus riche de Malaisie, détient, avec sa famille, 51 % du capital du conglomérat PPB Group, dont les activités s'étendent du secteur agricole à l'immobilier. « Il en ressort que les super-riches du monde entier ne sont pas simplement les bénéficiaires passifs des profits faramineux réalisés par les entreprises, note Oxfam. Le fait qu'ils possèdent de grandes entreprises leur donne le pouvoir de les contrôler activement. »

Cela tombe bien, les multinationales ont profité à plein des crises de ces trois dernières années, quand elles ne les ont pas alimentées. Les rapports du FMI ont ainsi montré comment les profits des entreprises étaient devenus, dès le troisième trimestre 2022, le premier moteur de l'inflation en zone euro. Sans surprise, les grands gagnants se trouvent dans quatre secteurs : l'énergie, le luxe, la finance et la santé.

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Fiscalité : le maigre impôt sur les multinationales arrive en 2024

Oxfam a, par exemple, calculé que 14 compagnies pétrogazières ont dégagé 190 milliards de dollars de superprofits en 2023 et que leurs bénéfices sont supérieurs de 278 % à la moyenne de la période 2018-2021. Plus généralement, 148 multinationales ont réalisé près de 1 800 milliards de dollars de bénéfices au cours des douze mois précédant juin 2023, parmi lesquelles une dizaine de françaises, comme Total, Hermès, Sanofi, LVMH ou Air liquide.

Le coût exorbitant des monopoles

Ces bénéfices sont extraordinairement concentrés, tous secteurs confondus : au niveau mondial, les 0,001 % d'entreprises les plus importantes empochent à elles seules environ un tiers de tous les bénéfices. « Un petit nombre de grandes entreprises dont la croissance semble sans limite exercent une influence vertigineuse sur les économies et les gouvernements, dénonce Oxfam, qui rappelle que les monopoles privés n'ont rien d'abstrait : ils impactent directement la vie de milliards de personnes en influant sur les salaires que nous touchons, sur la nourriture que nous avons les moyens d'acheter, les médicaments auxquels nous avons accès… »

L'ONG donne quelques exemples saillants de ces monopoles. Quatre multinationales se partagent 62 % du marché mondial des pesticides ; les trois quarts des dépenses publicitaires en ligne profitent à Meta, Alphabet et Amazon ; plus de 90 % des recherches en ligne s'effectuent via Google.

Les profits réalisés ne « ruissellent » pas sur le reste de l'économie, contrairement à ce que prétend la vulgate libérale, mais profitent avant tout à un petit nombre d'individus : pour chaque tranche de 100 dollars de bénéfices réalisés par 96 grandes entreprises entre juillet 2022 et juin 2023, 83 dollars ont été reversés aux actionnaires sous forme de rachats d'actions et de dividendes. Autant d'argent qui aurait pu être investi dans les travailleurs, en augmentant les salaires ou dans de nouveaux modes d'exploitation susceptibles de réduire les émissions de carbone, conclut l'ONG.

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En Jordanie, ils plantent des citronniers contre la sécheresse

23 janvier 2024, par Philippe Pernot — , ,
L'agriculture jordanienne souffre des politiques néolibérales et du détournement d'eau par Israël. Face à la crise, activistes et travailleurs agricoles se mobilisent pour (…)

L'agriculture jordanienne souffre des politiques néolibérales et du détournement d'eau par Israël. Face à la crise, activistes et travailleurs agricoles se mobilisent pour lutter contre la désertification et la précarité.

Tiré de Reporterre

Chaque voiture qui passe soulève un nuage de sable et de poussière. Sur la route qui longe la vallée du Jourdain, il est difficile de croire qu'il s'agit du lieu le plus fertile de toute la Jordanie. Des serres et des fermes y côtoient des terrains vagues de terre craquelée, asséchée.

La Jordanie est l'un des pays les plus arides de la planète et la désertification est galopante : 88 % des surfaces agricolessont abandonnées et se transforment en désert. Les petits agriculteurs luttent pour survivre. « Le plus difficile est vraiment le manque d'eau. J'ai une bassine de 2 000 m3, mais en été il me faudrait le double », dit Soleiman, 26 ans, qui a repris les terres de son père à Dayr'Allah, dans la partie moyenne de la vallée.

« En été, nous n'avons que six heures d'eau courante, deux jours par semaine », raconte le jeune homme au visage fin, qui a étudié l'agronomie en master à l'université. Ses champs de fruits et légumes s'étendent sur 8,5 dunums (soit 8 500 m2), à quelques centaines de mètres du Jourdain. Rivière sacrée des trois monothéismes, elle est réduite à un ruisseau boueux et pollué depuis les années 1960, son eau inutilisable pour l'agriculture. À sa place, un canal irrigue la vallée avec de l'eau recyclée venue d'ailleurs en Jordanie, mais seulement au compte-goutte.

Aujourd'hui, Soleiman n'est pas seul dans sa lutte contre la sécheresse. Deux membres du Arab Group for the Protection of Nature (APN) l'aident à planter 350 jeunes citronniers, orangers et autres agrumes au milieu d'un champ de salades.

« Nous aidons les agriculteurs à diversifier leurs cultures et à augmenter leurs maigres revenus afin qu'ils puissent envoyer leurs enfants à l'université et ne plus vivre au jour le jour, explique Mohammad Qteishat, responsable de projets auprès de l'organisation jordano-palestinienne. Nous leur vendons les arbres pour 25 piastres au lieu de 5 dinars [1 dinar = 100 piastres = 1,3 euro] sur le marché, comme ça on n'est pas dans une relation de dépendance. Au bout de trois ans, 100 arbres plantés peuvent apporter 500 dinars par mois [635 euros] », affirme-t-il.

La vallée du Jourdain en souffrance

Le choix de planter des agrumes est économique, mais aussi très symbolique. « Autrefois, cette région était extrêmement riche en biodiversité, très verte, recouverte de citronniers et d'orangers. Mais cela fait des années qu'ils sont morts, tant l'eau que nous recevons est polluée, explique Mohammad Qteishat. Maintenant, les arbres ont disparu, il ne pousse plus que des légumes. Même les oiseaux et les autres animaux ont changé. »

En 1964, Israël a construit des barrages en amont sur le Jourdain,le détournant vers ses propres terres agricoles, puis y rejetant des eaux usées industrielles et agricoles. La rivière aurait ainsi perdu jusqu'à 98 % de son flux historique, et serait polluée aux métaux lourds, affirme l'ONG EcoPeace. La Jordanie a ainsi dû construire des barrages sur les rivières Yarmouk et Zarqa, en amont, qui apportent l'eau nécessaire à la vallée via des canaux d'irrigation. Mais elle aussi est saline et souvent polluée.

D'après l'accord de paix entre la Jordanie et Israël de 1994, l'État hébreu doit donner 50 millions de m3 d'eauau Royaume hachémite chaque année. « Ils nous envoient parfois de l'eau usée : quand cela arrive, les arbres meurent en deux jours », affirme Mohammad Qteishat.

Résultat : une perte nette en matière de biodiversité et de revenus pour les agriculteurs de la vallée. Un accord qui prévoyait d'échanger de l'eau israélienne contre de l'électricité jordanienne a finalement été annulé par le gouvernement jordanien sous la pression d'énormes manifestations propalestiniennes.

« Je refuse de recevoir de l'eau d'Israël »

C'est que la majorité des Jordaniens, d'origine palestinienne, sont extrêmement critiques d'Israël et de son opération militaire à Gaza, qui a fait plus de 21 000 morts palestiniens en trois mois. Alors que des ONG internationales et agences de l'Organisation des Nations unies (ONU) dénoncent des crimes de guerre et craignent un génocide, les opérations militaires et les violences des colons se succèdent aussi en Cisjordanie occupée, faisant 300 morts palestiniens.

« Mon père est de Jordanie, ma mère de Jénine [en Cisjordanie]. Cela m'attriste énormément de voir ce qui se passe là-bas, confie Soleiman. Les Palestiniens et Jordaniens sont un seul peuple, bien sûr que moi, en tant qu'agriculteur, je refuse de recevoir de l'eau d'Israël, même si je dois vivre dans la sécheresse. » Des champs de Soleiman, on aperçoit la Cisjordanie occupée au-delà du Jourdain, qui délimite la frontière entre les deux pays.

L'agriculture jordanienne est très sensible aux crises qui embrasent la région : son alliance avec les États-Unis l'a vite rendue dépendante à l'aide internationale. Si, dans les années 1960, elle produisait encore70 % de l'orge et du blé consommés, la Jordanie doit aujourd'hui importer 90 % de ses céréales et de son énergie.

L'agriculture a vécu une spirale infernale : de secteur économique majeur comptant pour 40 % du PIB, elle est devenue un nain mal-aimé (6 % du PIB). Et ce, alors qu'elle consomme la moitié de toute l'eau disponible : un déséquilibre dangereux alors que le changement climatique va affecter le Moyen-Orient avec un réchauffement de plus de 5 °C, rendant de nombreux endroits invivables, selon des rapports alarmants.
La résistance s'organise sur les terres agricoles

En 2001, face à cette crise, l'APN a lancé la Caravane verte, une initiative pour planter des arbres devenus rares dans des régions menacées de désertification et de précarité. À ce jour, elle aurait fait pousser 166 000 arbres fruitiers chez 10 000 petits agriculteurs.

« Après plusieurs essais, nous avons vite compris qu'il faut planter des arbres qui sont utiles aux agriculteurs, résistants à la sécheresse, et qui rendent de la biodiversité aux sols, explique Mariam Al Jaajaa, présidente de l'organisation en Jordanie. Mais il ne s'agit pas d'une fausse biodiversité telle qu'elle est souvent présentée dans les projets des grandes ONG internationales, qui nient les dimensions sociales et politiques de l'agriculture. »

C'est que l'agrobusiness concentre les investissements étrangers depuis les grandes réformeséconomiques néolibérales des années 1990 et 2010. En réduisant les subventions et le filet de sécurité sociale, les programmes menés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont fait grimper le taux de chômage à plus de 45 % chez les jeunes, et plongé 25 % de la population dans la pauvreté. « La Jordanie a souffert de cinquante années de mauvaise gestion néolibérale, qui nous a laissés dépendants des aides et des importations : le pire, ce n'est pas le réchauffement climatique, mais les politiques », dit-elle.

Environ un quart des personnes les plus précaires de Jordanie, dont un grand nombre de réfugiés syriens et de migrants égyptiens, tirent leurs revenus de l'agriculture journalière. Mais pour les 210 000 travailleurs agricoles, les conditions de travail sont catastrophiques.

« Les problèmes des agriculteurs et des travailleurs agricoles sont sans fin, affirme Moqthal Zinat, secrétaire du Syndicat des travailleurs agricoles (UAW). La plupart sont journaliers, ils travaillent pour 1-2 dinars de l'heure, sans droits du travail, sans protection sociale, sans couverture médicale pour les accidents de travail, sans équipement de protection contre les pesticides et les insectes, souvent même sans accès à des toilettes — ce qui est un grand problème pour les travailleuses. »

Le Royaume jordanien ne reconnaît pas son syndicat légalement. Mais après deux ans de campagne et des sit-in, l'UAW a obtenu une réforme du droit du travail avec certaines avancées sociales. « Personne ne peut mieux aider les agriculteurs et travailleurs qu'eux-mêmes, surtout s'ils unissent avec les étudiants, les médecins, les autres travailleurs pour réclamer des droits. » Dans la vallée du Jourdain comme dans les rues d'Amman, les luttes s'organisent autour de la cause palestinienne, avec en trame de fond, l'espoir de tracer une voie indépendante.

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« Ils nous volent notre eau » : en Jordanie, la colère monte contre Israël

En Jordanie, des dizaines de milliers de personnes manifestent contre la guerre qu'Israël mène à Gaza et l'accusent de voler l'eau du Jourdain. Le fleuve sacré est devenu un (…)

En Jordanie, des dizaines de milliers de personnes manifestent contre la guerre qu'Israël mène à Gaza et l'accusent de voler l'eau du Jourdain. Le fleuve sacré est devenu un ruisseau pollué, dans un pays qui se désertifie.

Tiré de Reporterre

photo : Des soldats jordaniens observent des touristes et pèlerins juste en face du côté israélien, nommé « Qasr al-Yahoud » (« Forteresse des Juifs ») où flotte un drapeau israélien. Site de baptisme de Maghtas (« Béthanie-au-delà-du-Jourdain »), en Jordanie, le 26 novembre 2023. - © Philippe Pernot / Reporterre

« Israël et l'Amérique sont les vrais terroristes », « Nous choisissons la résistance », « Cessez le génocide », proclament les panneaux tenus par les dizaines de milliers de manifestants en colère, chaque vendredi depuis l'offensive israélienne à Gaza, qui a fait au moins 18 000 morts côté palestinien.

Ce sont les plus grands cortèges depuis le Printemps arabe de 2011 et un véritable séisme politique pour la Jordanie, réputée être le pays le plus calme et le plus stable de tout le Moyen-Orient. L'une des sources de leur mécontentement : l'eau.
Des dizaines de milliers de Jordaniens manifestent chaque vendredi dans le centre-ville d'Amman en soutien à Gaza, et parfois devant l'ambassade israélienne à Amman.

« Nous ne voulons pas l'eau d'Israël, nous ne voulons pas vivre dans la dépendance et l'humiliation », affirme Amani Younes, une Jordano-Palestinienne de 38 ans, qui manifeste avec sa fille. « Israël peut décider de nous couper l'eau comme à Gaza du jour au lendemain, et nous envoie parfois de l'eau contaminée qui nous fait tomber malade. Ne plus dépendre d'eux, c'est une question de survie », dit-elle avec colère.
Deux fois moins d'eau qu'en France

La Jordanie est l'un des pays les plus pauvres en eau au monde, avec une moyenne de 70 litres par personne et par jour, loin des quasi 150 litres en France, par exemple. Depuis l'accord de paix adopté entre la Jordanie et Israël en 1994 sous parrainage américain, l'État hébreu fournit entre 25 et 50 millions de m³ d'eau(MCM) au royaume hachémite chaque année.

Un nouvel accord entre les deux pays devait être ratifié le mois dernier pour échanger de l'eau potable israélienne contre de l'électricité jordanienne afin d'augmenter les réserves d'eau du pays frappé par la désertification.

Face à la brutalité de l'attaque israélienne à Gaza et sous la pression des manifestants, le gouvernement jordanien a toutefois claqué la porte des négociations. « Pouvez-vous imaginer un ministre jordanien assis à côté d'un ministre israélien pour signer un accord sur l'eau et l'électricité, alors qu'Israël continue de tuer des enfants à Gaza ? » a déclaré à la presse Ayman Safadi, ministre jordanien des Affaires étrangères, le 16 novembre.

L'eau se retrouve ainsi au cœur d'un séisme géopolitique. La Jordanie n'avait jamais exprimé ses désaccords avec autant de véhémence depuis la paix de 1994. Certes le ton montaitdepuis qu'Israël a intensifié la colonisation de la Cisjordanie en 2017, mais le royaume hachémite continuait de prévoir des accords avec son voisin.

Outre l'échange d'eau contre l'électricité, la Jordanie va acheter du gaz naturel israélien dans le cadre d'un accord secret — et vivement décrié par la population jordanienne.
Des serres agricoles dans la vallée du Jourdain. Elles sont irriguées par l'eau de rivières en amont via le canal du Roi Abdallah, terminé dans les années 2000, pour contrebalancer le flux endigué du Jourdain. © Philippe Pernot / Reporterre

« La paix entre Israël et la Jordanie échoue parce qu'elle n'était pas viable et qu'elle a été rejetée par la population, qui est totalement affectée par la question palestinienne », explique Amer Sebeileh, expert en géopolitique à Amman.

« La majorité palestinienne refuse la normalisation avec Israël »

« La Jordanie est confrontée à une crise profonde, poursuit-il, car la majorité palestinienne de la population continue de refuser la normalisation avec Israël, y compris la consommation de son eau, alors que la Jordanie reçoit déjà une grande partie de son eau auprès d'Israël. »
À Amman, lors de la grande manifestation hebdomadaire à Gaza. En arrière-plan, des pancartes lisent « La résistance est notre choix
» et critiquent le président étasunien, Joe Biden, pour son soutien à Israël.

Signe de l'escalade, la Jordanie a placé des tanks à la frontière pour décourager Israël d'expulser des Palestiniens de Cisjordanie, mais aussi pour empêcher des Jordaniens de se rendre en Palestine pour se battre. Sur 251 km, les eaux du Jourdain sont tout ce qui sépare Israël de la Jordanie : ses rives entièrement militarisées sont inaccessibles au public.

Sacré pour les trois religions monothéistes, le Jourdain a vu le baptême de Jésus par saint Jean-Baptiste, l'ascension de saint Élie sur un chariot de feu, et de nombreux autres miracles relatés dans la Torah, la Bible et le Coran. Ses eaux sont troubles, brunâtres, réduites à une petite rivière, voire à un ruisseau : l'ancien fleuve puissant, et source de vie en Palestine historique, est devenu l'ombre de lui-même.
Les rives asséchées du Jourdain témoignent de la décrue de la rivière sainte.

À certains endroits, le Jourdain aurait perdu jusqu'à 98 % de son flux historique,affirme l'ONG jordano-israélo-palestinienne EcoPeace. De plus, la rivière sainte est polluée par les industries chimiques et agricoles et par les colonies israéliennes.

En 2010, plusieurs sites saints sur le Jourdain avaient failli fermer à cause de la pollution. « Les pèlerins sont baptisés dans l'eau des égouts ! » affirme Myriam al-Jaajaa, présidente de l'ONG environnementale Arab Group for the Protection of Nature (APN).
Le Jourdain vu du côté jordanien : la rivière sacrée des trois monothéismes est devenue un ruisseau boueux et souvent pollué.

Approvisionné par plusieurs rivières et le lac Tibériade en amont, le flux du Jourdain était de 1,3 milliard de m³ dans les années 1930. Depuis la création d'Israël en 1948 et la première guerre israélo-arabe, les États de la région s'en disputent les ressources en eau.
Barrages en pagaille

La Syrie, le Liban, la Jordanie et Israël se sont accordés en 1955 : la Jordanie devait recevoir 740 MCM et Israël, 400 MCM. Mais l'État hébreu a construit deux barrages sur le Jourdainen 1964 et en a détourné l'eau vers ses terres agricoles. La Syrie a construit elle aussi des barrages sur le fleuve Yarmouk en amont.
Le désert au sud de la mer morte. La Jordanie est l'un des pays les plus désertiques du monde, avec une propension d'eau par personne bien inférieure à la moyenne mondiale.

En conséquence, le débit du fleuve sacré estpassé à moins de 200 MCM, laissant la Jordanie avec un ruisseau pollué incapable d'irriguer son agriculture. L'accord de paix de 1994 prévoit qu'Israël donne 50 MCM par an d'eau propre à la Jordanie et fixe des normes de qualité, « mais de facto, elle en reçoit la moitié », critique al-Jaajaa.

« Et il ne respecte pas ses engagements de qualité, poursuit-elle : Beaucoup de Jordaniens sont tombés malades dans les années 1990 et 2000 car nous recevions de l'eau contaminée, avant de construire nos propres canaux. »

« Israël a institutionnalisé le vol d'eau à grande échelle »

Au sud, la mer Morte ne reçoit presque plus aucune goutte, et disparaît au rythme inquiétant d'un mètre par an — de sorte qu'elle sera totalement asséchée d'ici 2100.

« Israël a institutionnalisé le vol d'eau à grande échelle », affirme Mme al-Jaajaa, selon qui « tous les Jordaniens se sentent dépossédés de leurs propres ressources et humiliés par les accords ». Contactés à plusieurs reprises, différents ministères du gouvernement israélien n'ont pas répondu aux questions de Reporterre.
Un camion-citerne apporte de l'eau à des particuliers dans le nord de la vallée du Jourdain, car l'eau de la rivière est impropre à la consommation. La plupart des Jordaniens ne reçoivent de l'eau dans leurs citernes personnelles qu'une fois par semaine, ou moins.

L'eau est devenue une arme lors des conflits du Proche-Orient. « Avant la création d'Israël, le mouvement sioniste réclamait déjà des frontières plus larges afin d'y intégrer toutes les ressources en eau de la région », dit Myriam al-Jaajaa.

Au fil de ses campagnes militaires, Israël a conquis plusieurs territoires riches en eau : le Jourdain à l'est, le lac Tibériade et le plateau du Golan au nord. Au sud,il transforme le désert du Néguev en zone agricole grâce à l'eau détournée d'ailleurs.
Une plage sur la mer morte, qui va disparaître d'ici la fin du siècle si sa décrue d'un mètre par an continue. Espace aqueux le plus salé du monde, de nombreux touristes s'y baignent pour flotter à sa surface et profiter des vertus des sels et minéraux qu'elle contient.

Tout ceci explique la colère des manifestants jordaniens : plus de la moitié des ressources d'eau israéliennes proviendraient aujourd'hui de territoires conquis,selon une étude. Les Palestiniens subiraient même une « occupation de l'eau », selon Amnesty International.
Forcés d'acheter l'eau vendue par Israël

Ils sont privés par l'armée israélienne de leur accès au Jourdain, de leurs puits et sources, et sont contraintsd'acheter de l'eau à la société israélienne Mekorot, au prix fort. 85 % des ressources en eau palestiniennes seraient sous contrôle israélien, affirment des chercheurs.
Un pan de frontière entre la Jordanie et Israël dans le désert au sud de la mer morte. Les pays ont signé un accord de paix depuis 1994, mais elle reste militarisée, inaccessible au public, et dotée de centaines de tours d'observation.

Les Israéliens disposent ainsi de250 litres par jour par personne, et même 300 pour les colons, alors que les Palestiniens de Cisjordanie ne bénéficient que de 20 à 70 litres par jour. À Gaza, 97 % de l'eau était déjà impropre à la consommation avant la guerre actuelle, à cause du siège imposé depuis des années par Israël, a constaté l'Organisation mondiale de la santé.

Depuis l'offensive israélienne, les Gazaouis disposent même de moins de 3 litres par jour, sont réduits à boire l'eau de pluie, et les conditions sanitaires mènent à des épidémies de maladies gastro-intestinales. L'hypothèse d'un tel scénario fait peur à de nombreux Jordaniens.

« Le conflit armé exacerbe le manque d'accès à l'eau des Palestiniens », dit Zafar Adeel, professeur et directeur exécutif du Pacific Water Research Center la Simon Fraser University au Canada, auteur denombreux livres et articles, et ancien président de UN Water. « Pendant que les yeux du monde sont rivés sur le conflit armé à Gaza, nous devons penser au jour d'après, à la paix. Partager l'eau pourrait être ce qui réunit tout le monde, en commençant par réduire les inégalités », espère-t-il.

En Jordanie, les avis sont moins optimistes. « Je ne pense pas que la diplomatie de l'eau puisse apporter la paix dans ces conditions », dit Myriam al-Jaajaa. Alors que de nombreuses ONG et agences onusiennes dénoncent un apartheid et des crimes de guerre israéliens contre les Palestiniens — voire un risque de génocide—, seul l'avenir dira si l'eau peut devenir un vecteur de paix durable, ou si elle restera une arme.

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Désamorcer les bombes carbone

23 janvier 2024, par Dominique Plihon — ,
Aux quatre coins de la planète, 422 « bombes carbone » menacent les chances pour l'humanité de contenir le dérèglement climatique dans des limites vivables. Ces sites (…)

Aux quatre coins de la planète, 422 « bombes carbone » menacent les chances pour l'humanité de contenir le dérèglement climatique dans des limites vivables. Ces sites d'exploitation d'énergies fossiles contiennent les plus grosses réserves de charbon, de pétrole et de gaz connues à l'échelle mondiale. Les 294 bombes carbone actuellement en exploitation ont un potentiel d'émissions conjoint de 880 gigatonnes de CO2 : de quoi épuiser le « budget carbone » restant à l'humanité pour contenir la hausse des températures mondiales sous la barre de 1,5 °C. Mais la situation pourrait encore empirer, car 128 autres bombes carbone sont à l'état de projet.

tiré de Politis, numéro 1793 | 1793_Politis_Abo_OGM.pdf

Les grandes banques internationales financent massivement l'exploitation et la prospection de ces installations fossiles. En 2022, elles ont alloué plus de 151 milliards d'euros aux entreprises – dont TotalEnergies est l'une des plus importantes – développant ces sites d'extraction de ressources fossiles [1].

Les banques françaises figurent parmi les principaux financeurs internationaux. D'après Oxfam, en un an, les émissions de gaz à effet de serre issues des activités de financement des six principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale, BPCE, La Banque postale et Crédit mutuel – ont ainsi atteint plus de 3,3 milliards de tonnes équivalent CO2, soit 7,9 fois les émissions de la France [2].

Face à ces bombes carbone, les États ont une double responsabilité. D'abord, en délivrant les licences d'exploitation des gisements fossiles et en subventionnant les entreprises qui portent les projets d'extraction. En second lieu, en ne jouant pas leur rôle de régulation des banques pour les amener à stopper le financement des bombes carbone. Le 1er octobre 2020, Bruno Le Maire lui-même, ministre de l'Économie et des Finances, actait les limites de sa propre politique basée sur les engagements volontaires des banques :

« Sur la question de la finance verte, je ne suis pas satisfait des résultats, je pense que les banques doivent pouvoir faire mieux. » La régulation du système financier doit reposer sur des règles contraignantes et non sur la bonne volonté des banques. Parmi les mesures urgentes à prendre, les banques devraient être astreintes à mettre en œuvre un plan pluriannuel de décarbonation de leurs activités de financement, sous peine de sanction financière.

L'action citoyenne a un rôle stratégique à jouer pour faire pression sur les banques et les autorités publiques. On doit saluer à cet égard l'initiative des 1 240 étudiants français de plusieurs universités et grandes écoles qui ont écrit, en novembre 2023, une lettre ouverte où ils expliquent ne plus vouloir travailler pour BNP Paribas tant que celle-ci continuera de financer les énergies fossiles.

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[1] (1) Rapport « Banking on Climate Chaos 2023 ».

[2] Rapport « Banques : des engagements à prendre au 4e degré », Oxfam, octobre 2020

2023 : les géants de l’énergie fossile choisissent leurs actionnaires au lieu de la planète

23 janvier 2024, par Alter-Québec — ,
« La crise mondiale de l'énergie s'est avérée un gigantesque pactole pour les firmes exploitant les combustibles fossiles. Au lieu d'investir leurs bénéfices record dans les (…)

« La crise mondiale de l'énergie s'est avérée un gigantesque pactole pour les firmes exploitant les combustibles fossiles. Au lieu d'investir leurs bénéfices record dans les énergies propres, ces compagnies les redirigent vers le pétrole et le gaz et vers la dotation des détenteurs de leurs titres ».
Entendu en marge de la COP 28

9 janvier 2024 | tiré d'Alter-Québec | Photo : Manifestation à Melbourne contre les énergies fossiles - @Takver from Australie CC BY-SA 2-0 via Wikimedia Commons -Julia Conley, Common Dreams

L'année 2023 a été marquée par des événements météorologiques signalant de plus en plus clairement que la Terre est entrée dans ce que le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé l'« ère de l'ébullition », avec ses incendies de forêt et vagues de chaleur prolongées qui font souffrir des millions de personnes. Et la communauté scientifique confirme que l'extraction des combustibles fossiles et le réchauffement de la planète sont des sources directes de tels maux.

Mais pour les cinq plus grandes compagnies pétrolières au monde, l'année a été marquée par des bénéfices record et par l'approbation de plusieurs nouveaux projets majeurs d'exploitation de combustibles fossiles -à tel point que, selon les prévisions, ces compagnies devraient pouvoir distribuer aux détenteurs de leurs titres une manne supérieure à 100 milliards de dollars américains, signe que leurs dirigeants ne craignent guère une baisse de la demande de leurs produits, a noté un économiste.

Les compagnies en question – BP, Shell, Chevron, ExxonMobil et TotalEnergies – ont rémunéré les détenteurs de leurs titres à hauteur de 104 milliards de dollars américains en 2022, et devraient selon le Guardian récompenser les investisseurs avec des rachats de titres et des versements de dividendes encore plus impressionnants en 2023.

Shell a annoncé en novembre avoir des plans pour verser aux détenteurs de ses titres au moins 23 milliards de dollars américains, soit plus de six fois le montant qu'elle prévoyait consacrer à des projets d'énergie renouvelable. BP a promis aux détenteurs de ses titres une augmentation de 10 % de ses dividendes. Chevron a en début d'année dernière fait savoir qu'elle entendait racheter ses actions pour un montant de 75 milliards de dollars américains, et ses efforts en ce sens pourraient bien dépasser ce montant.

Alice Harrison, militante au sein de l'ONG Global Witness, a dénoncé le fait que les détenteurs de titres des compagnies du secteur des énergies fossiles vont faire de bonnes affaires tandis que beaucoup de foyers aux quatre coins de l'Europe souffrent de la pénurie de carburants et que le monde est confronté à la menace croissante de catastrophes climatiques imputables à l'industrie.

« La crise mondiale de l'énergie s'est avérée un gigantesque pactole pour les sociétés exploitant les combustibles fossiles, a déclaré Madame Harrison au Guardian. Et au lieu d'investir leurs bénéfices record dans les énergies propres, ces compagnies les redirigent vers le pétrole et le gaz et vers la dotation des détenteurs de leurs titres. Cette année encore, des millions de familles seront à court de moyens pour chauffer leur maison pendant l'hiver et les pays du monde entier continueront de subir les effets des phénomènes météorologiques extrêmes dus à l'effondrement climatique. Ainsi va l'économie des combustibles fossiles, avec ses dés pipés en faveur des riches ».

En 2023, les militants ont intensifié leurs démarches pour placer les industries du pétrole, du gaz et du charbon devant leurs responsabilités et il appert qu'en date du mois dernier, ils ont obtenu des résultats en faisant pression sur plus de 1 600 universités, fonds de pension et autres institutions en vue de les dissuader d'investir dans les combustibles fossiles. Aux États-Unis, les dispositions de la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act), présentée en grande pompe comme le « plus grand investissement dans le climat et l'énergie de l'histoire américaine », sont entrées en vigueur.

Mais Dieter Helm, professeur de politique économique à l'université d'Oxford, a déclaré au Guardian que si l'on craignait vraiment dans l'industrie que les décideurs politiques mettent un terme à l'extraction des combustibles fossiles et accélèrent la transition vers les sources d'énergie renouvelables, les compagnies du secteur dépenseraient beaucoup moins pour lancer de nouveaux projets et rémunérer les détenteurs de leurs titres.

« On n'en serait pas là si on était convaincu que la transition énergétique est en voie de se concrétiser et que la demande de combustibles fossiles va diminuer », a confié Monsieur Helm au Guardian.

En 2023, le président américain Joe Biden a exaspéré les défenseurs du climat en approuvant le projet de forage pétrolier Willow en Alaska, qui risque d'entraîner l'émission d'environ 280 millions de tonnes de dioxyde de carbone contribuant à l'emprisonnement de chaleur dans l'atmosphère. L'administration Biden a par ailleurs inclus dans un accord sur la limite de la dette des dispositions visant à aller plus rapidement de l'avant avec l'approbation du pipeline Mountain Valley, un projet qui pourrait conduire à l'émission de l'équivalent de plus de 89 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Parallèlement, le gouvernement britannique a donné le feu vert à un énorme réseau de forage pétrolier en mer du Nord et la société française TotalEnergies a poursuivi la construction de l'oléoduc de pétrole brut d'Afrique de l'Est, long de 1450 kilomètres, dans la perspective de transporter jusqu'à 230 000 barils de brut par jour.

« Ces compagnies investissent des sommes considérables dans de nouveaux projets et distribuent des dividendes de plus en plus juteux parce qu'elles sont convaincues de pouvoir obtenir des rendements élevés, a souligné M. Helm. Et si l'on considère l'état actuel de nos progrès en matière climatique, qui peut dire qu'elles se fourvoient ? »

Vanessa Nakate, militante pour le climat, a mis le doigt sur l'expectative de voir se matérialiser une grasse rémunération des détenteurs de titres de ces compagnies après l'entente intervenue à la 28e conférence annuelle des Nations unies sur le changement climatique pour instaurer un fonds « pertes et dommages » visant à aider les pays en développement à lutter contre l'urgence climatique. Ce fonds a été qualifié d'« historique », et il est prévu que les pays riches le dotent de 700 millions de dollars américains, une somme qui devrait être éclipsée par les gains des investisseurs dans les combustibles fossiles.

Prem Sikka, membre de la Chambre des Lords du Royaume-Uni et cofondateur du Tax Justice Network (réseau de justice fiscale) a fait ce commentaire au sujet des géants du secteur pétrolier : « Ils se sont servis dans le portefeuille des gens, ils ont alimenté l'inflation et ils ont aggravé la pollution et la pauvreté. Les gouvernements ne font rien pour mettre fin à leur mainmise monopolistique. C'est un cartel à démanteler. »

Traduit de l'anglais par Johan Wallengren

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S’opposer au viol et à la violence de genre à l’échelle internationale

23 janvier 2024, par Frieda Afary — , , ,
Nous pouvons apprendre de la façon dont Narges Mohammadi en Iran et nos sœurs afghanes qui luttent sous le régime brutal des talibans, [déclarent leur opposition à la fois à (…)

Nous pouvons apprendre de la façon dont Narges Mohammadi en Iran et nos sœurs afghanes qui luttent sous le régime brutal des talibans, [déclarent leur opposition à la fois à l'invasion brutale de Gaza par Israël et à la misogynie et à l'autoritarisme du Hamas->S'opposer au viol et à la violence de genre à l'échelle internationale

Tiré de socialistfeminism.org

Nous pouvons apprendre de la façon dont Narges Mohammadi en Iran et nos sœurs afghanes qui luttent sous le régime brutal des talibans, déclarent leur opposition à la fois à l'invasion brutale de Gaza par Israël et à la misogynie et à l'autoritarisme du Hamas. Frieda Afary 11 décembre 2023 En tant que féministe irano-américaine qui s'est engagée dans la solidarité avec le mouvement Femme, Vie, Liberté en Iran, j'ai eu les larmes aux yeux après avoir lu le rapport publié par Amnesty Internationalsur l'utilisation du viol et de la violence sexuelle par le gouvernement iranien pendant le soulèvement « Femme, Vie, Liberté ». En plus d'avoir violé de nombreuses femmes, filles et hommes qui ont été arrêtés pour avoir participé à ce soulèvement, les forces de sécurité gouvernementales iraniennes ont tiré sur des manifestantes dans les parties génitales et dans les yeux. Des milliers d'écolières ont été empoisonnées à cause de leur soutien direct ou indirect au mouvement Femme, Vie, Liberté.

La question de la solidarité avec les femmes iraniennes a fait l'objet d'une grande attention l'année dernière lorsque le soulèvement a fait la une des journaux. Il fait également l'objet d'un regain d'attention à la lumière de l'attribution du prix Nobel de la paix à Narges Mohammadi, féministe iranienne emprisonnée et militante des droits de l'homme.

Cependant, malgré le fait que les femmes iraniennes continuent de se battre et que des milliers de militantes sont toujours en prison et/ou souffrent de traumatismes et attendent leur procès, la solidarité des féministes internationales s'estompe alors que l'attention se tourne vers la guerre israélo-palestinienne au Moyen-Orient. Nous devons continuer à trouver des moyens de soutenir nos sœurs iraniennes dans la lutte contre le fondamentalisme religieux, la violence sexiste et l'autoritarisme alors que nous exprimons notre opposition aux crimes de guerre commis au Moyen-Orient. Le mois dernier, Narges Mohammadi apublié une déclaration depuis sa prison concernant la Palestine et Israël et a condamné « les agressions contre les sans-abri, le massacre d'enfants, de femmes et de civils, les prises d'otages, le bombardement d'hôpitaux, d'écoles et de zones résidentielles ».

Elle a appelé à « un cessez-le-feu immédiat, à la fin de la guerre [...] le respect des droits de l'homme et la création des conditions d'une coexistence pacifique des peuples. Nous pouvons également apprendre de la façon dont Narges Mohammadi et nos sœurs afghanes luttent sous le régime brutal des talibans, déclarent leur opposition à la fois à l'invasion brutale de Gaza par Israël et à la misogynie et à l'autoritarisme du Hamas. Dans leurs déclarations, ils expriment un esprit de solidarité avec les Palestiniens et les Juifs, et reconnaissent les droits de l'homme des deux.

C'est cet esprit de solidarité et de sororité que j'ai trouvé manquant chez certaines féministes aux États-Unis alors qu'elles s'opposent à juste titre à l'invasion brutale de Gaza par Israël.

Bien qu'il y ait suffisamment de preuves pour prouver que le Hamas était responsable du viol et de la mutilation de plusieurs femmes et filles lors de son assaut à l'intérieur d'Israël le 7 octobre, il y a eu un silence de la part de nombreuses féministes de gauche qui refusent de condamner le Hamas. Ce silence est dans certains cas enraciné dans la crainte que dénoncer ces viols ne mette les féministes du côté de l'invasion de Gaza par Israël. Dans certains cas, le silence est enraciné dans l'idée que le Hamas, une organisation fondamentaliste religieuse, misogyne et autoritaire, fait partie de la résistance légitime du peuple palestinien.

En tant que féministe socialiste, je me sens obligée d'établir quelques points :

Reconnaître la brutalité des viols et des mutilations commis par le Hamas n'enlève rien à notre condamnation du meurtre de plus de 17 000 civils palestiniens par l'invasion brutale de Gaza par Israël. Au contraire, cette reconnaissance met l'accent sur la responsabilité des féministes de ne pas être sélectives dans leur condamnation de la violence sexiste.

Condamner le Hamas n'enlève rien à la légitimité de la lutte palestinienne pour l'autodétermination. Au contraire, condamner le Hamas met l'accent sur la nécessité d'établir une distinction entre la juste cause des Palestiniens et l'idéologie, la tactique et la stratégie du Hamas.

Ignorer la brutalité et l'idéologie réactionnaire du Hamas ne fera que fournir au Hamas un soutien dans son étouffement des voix dissidentes, féministes et queer palestiniennes qui recherchent une véritable démocratie, la justice sociale, la libération du genre et la coexistence pacifique avec les Juifs.

Il est de la responsabilité des féministes socialistes de faire face à l'intersection de l'oppression de classe, de race et de genre dans toutes les sociétés et d'aider nos sœurs palestiniennes et israéliennes à s'unir pour s'opposer au fondamentalisme religieux, à la misogynie, au racisme et au capitalisme autoritaire en Israël et en Palestine.

Compte tenu des réalités au Moyen-Orient et de l'imbrication mondiale de la violence sexiste et de la violence d'État, de l'invasion de l'Ukraine par la Russie à l'emprisonnement par la Chine de la population musulmane ouïghoure du Xinjiang, en passant par l'assaut du gouvernement militaire du Soudan contre sa population et la régression aux États-Unis sur le droit à l'avortement, le genre et les droits civils, les féministes doivent offrir une approche globale et une vision intersectionnelle de l'émancipation et non une focalisation sélective et unique. Frieda Afary 11 décembre 2023].

Frieda Afary

11 décembre 2023

En tant que féministe irano-américaine qui s'est engagée dans la solidarité avec le mouvement Femme, Vie, Liberté en Iran, j'ai eu les larmes aux yeux après avoir lu le rapport publié par Amnesty International sur l'utilisation du viol et de la violence sexuelle par le gouvernement iranien pendant le soulèvement « Femme, Vie, Liberté ». En plus d'avoir violé de nombreuses femmes, filles et hommes qui ont été arrêtés pour avoir participé à ce soulèvement, les forces de sécurité gouvernementales iraniennes ont tiré sur des manifestantes dans les parties génitales et dans les yeux. Des milliers d'écolières ont été empoisonnées à cause de leur soutien direct ou indirect au mouvement Femme, Vie, Liberté.

La question de la solidarité avec les femmes iraniennes a fait l'objet d'une grande attention l'année dernière lorsque le soulèvement a fait la une des journaux. Il fait également l'objet d'un regain d'attention à la lumière de l'attribution du prix Nobel de la paix à Narges Mohammadi, féministe iranienne emprisonnée et militante des droits de l'homme. Cependant, malgré le fait que les femmes iraniennes continuent de se battre et que des milliers de militantes sont toujours en prison et/ou souffrent de traumatismes et attendent leur procès, la solidarité des féministes internationales s'estompe alors que l'attention se tourne vers la guerre israélo-palestinienne au Moyen-Orient.

Nous devons continuer à trouver des moyens de soutenir nos sœurs iraniennes dans la lutte contre le fondamentalisme religieux, la violence sexiste et l'autoritarisme alors que nous exprimons notre opposition aux crimes de guerre commis au Moyen-Orient. Le mois dernier, Narges Mohammadi a publié une déclaration depuis sa prison concernant la Palestine et Israël et a condamné « les agressions contre les sans-abri, le massacre d'enfants, de femmes et de civils, les prises d'otages, le bombardement d'hôpitaux, d'écoles et de zones résidentielles ». Elle a appelé à « un cessez-le-feu immédiat, à la fin de la guerre [...] le respect des droits de l'homme et la création des conditions d'une coexistence pacifique des peuples.

Nous pouvons également apprendre de la façon dont Narges Mohammadi et nos sœurs afghanes luttent sous le régime brutal des talibans, déclarent leur opposition à la fois à l'invasion brutale de Gaza par Israël et à la misogynie et à l'autoritarisme du Hamas. Dans leurs déclarations, ils expriment un esprit de solidarité avec les Palestiniens et les Juifs, et reconnaissent les droits de l'homme des deux.

C'est cet esprit de solidarité et de sororité que j'ai trouvé manquant chez certaines féministes aux États-Unis alors qu'elles s'opposent à juste titre à l'invasion brutale de Gaza par Israël.

Bien qu'il y ait suffisamment de preuves pour prouver que le Hamas était responsable du viol et de la mutilation de plusieurs femmes et filles lors de son assaut à l'intérieur d'Israël le 7 octobre, il y a eu un silence de la part de nombreuses féministes de gauche qui refusent de condamner le Hamas. Ce silence est dans certains cas enraciné dans la crainte que dénoncer ces viols ne mette les féministes du côté de l'invasion de Gaza par Israël. Dans certains cas, le silence est enraciné dans l'idée que le Hamas, une organisation fondamentaliste religieuse, misogyne et autoritaire, fait partie de la résistance légitime du peuple palestinien.

En tant que féministe socialiste, je me sens obligée d'établir quelques points :

Reconnaître la brutalité des viols et des mutilations commis par le Hamas n'enlève rien à notre condamnation du meurtre de plus de 17 000 civils palestiniens par l'invasion brutale de Gaza par Israël. Au contraire, cette reconnaissance met l'accent sur la responsabilité des féministes de ne pas être sélectives dans leur condamnation de la violence sexiste.
Condamner le Hamas n'enlève rien à la légitimité de la lutte palestinienne pour l'autodétermination. Au contraire, condamner le Hamas met l'accent sur la nécessité d'établir une distinction entre la juste cause des Palestiniens et l'idéologie, la tactique et la stratégie du Hamas.
Ignorer la brutalité et l'idéologie réactionnaire du Hamas ne fera que fournir au Hamas un soutien dans son étouffement des voix dissidentes, féministes et queer palestiniennes qui recherchent une véritable démocratie, la justice sociale, la libération du genre et la coexistence pacifique avec les Juifs.
Il est de la responsabilité des féministes socialistes de faire face à l'intersection de l'oppression de classe, de race et de genre dans toutes les sociétés et d'aider nos sœurs palestiniennes et israéliennes à s'unir pour s'opposer au fondamentalisme religieux, à la misogynie, au racisme et au capitalisme autoritaire en Israël et en Palestine.
Compte tenu des réalités au Moyen-Orient et de l'imbrication mondiale de la violence sexiste et de la violence d'État, de l'invasion de l'Ukraine par la Russie à l'emprisonnement par la Chine de la population musulmane ouïghoure du Xinjiang, en passant par l'assaut du gouvernement militaire du Soudan contre sa population et la régression aux États-Unis sur le droit à l'avortement, le genre et les droits civils, les féministes doivent offrir une approche globale et une vision intersectionnelle de l'émancipation et non une focalisation sélective et unique.

Frieda Afary

11 décembre 2023

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De part et d’autre des Pyrénées : l’IVG dans la Constitution ou devant un tribunal !

23 janvier 2024, par collectif « Avortement Europe : les femmes décident » — , ,
Comme prévu Emmanuel Macron a présenté ce jour en Conseil des Ministres le projet de loi inscrivant le droit à l'IVG dans la Constitution. Et comme prévu, il a retenu la (…)

Comme prévu Emmanuel Macron a présenté ce jour en Conseil des Ministres le projet de loi inscrivant le droit à l'IVG dans la Constitution. Et comme prévu, il a retenu la formulation votée au Sénat en février dernier qui stipule : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/20/de-part-et-dautre-des-pyrenees-livg-dans-la-constitution-ou-devant-un-tribunal/#

Collectif « Avortement en Europe, les Femmes décident ! » – 11/11/2023

Ce projet de loi n'assure en rien contre d'éventuelles régressions sur les dites « conditions » type par exemple supprimer le remboursement de l'IVG ou interdire l'IVG aux mineures sans autorisation parentale. L'ajout du mot « garantie » ne change en l'occurrence rien à l'affaire. Nous réclamons un droit comme l'a voté l'Assemblée nationale, notre revendication est constante.

Quasiment au même moment, c'est à dire le 4 décembre, Vanessa Mendoza Cortés était jugée par le tribunal de justice d'Andorre pour le délit « d'atteinte au prestige des institutions ». Elle risque six mille euros d'amende et l'interdiction d'exercer des fonctions publiques pendant six mois. La décision de justice sera rendue le 17 anvier 2024.

Elle était poursuivie par les autorités andorranes pour avoir dénoncé, en 2019, l'interdiction de l'avortement dans son pays, dans une session de l'ONU contre les discriminations de genre.

En 2021, grâce aux mobilisations féministes internationales, deux des chefs d'accusation, passibles de peines de prison « diffamation avec publicité », « diffamation contre les co-princes » ont été abandonnés.

Cependant le harcèlement judiciaire, les mesures d'intimidation visant à limiter son droit d'expression et d'action pour les droits des femmes n'ont pas cessé. C'est intolérable !

La Principauté d'Andorre et Malte sont les deux pays d'Europe où l'avortement est totalement interdit. De ce fait les personnes souhaitant avorter sont contraintes de se rendre à l'étranger pour avoir les soins auxquels elles ont droit, ce qui ajoute une discrimination par l'argent.

La principauté d'Andorre est régie par une législation moyenâgeuse, deux co-princes participent de ses décisions : l'évêque d'Urgel, farouchement opposé au droit à l'avortement et Emmanuel Macron, soi-disant donc défenseur des droits des femmes et du droit à l'avortement , mais qui face à ce déni de justice et de démocratie ne dit mot.

Nous demandons la relaxe totale de Vanessa Mendoza Cortés, la dépénalisation de l'avortement en Andorre.

Nous soutenons la lutte des femmes d'Andorre pour un droit effectif et sécure à l'avortement sur leur territoire !

La défense du droit à un avortement sécure ne doit pas être considéré comme un délit aujourd'hui en Europe et dans le monde, et certainement pas de la part d'un co prince qui se veut le premier au monde à inscrire le droit à l'avortement dans la constitution.

https://marchemondialedesfemmesfrance.org/2023/12/14/de-part-et-dautre-des-pyrenees-livg-dans-la-constitution-ou-devant-un-tribunal/#more-4035

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30 ans de luttes collectives pour la justice, la paix, la vie et la dignité !

23 janvier 2024, par Vía Campesina — ,
(Bogota, 2 décembre 2023) Au cours de ces trois décennies d'organisation, de lutte et de mobilisation de La Via Campesina, les femmes autochtones, paysannes, noires, sans (…)

(Bogota, 2 décembre 2023) Au cours de ces trois décennies d'organisation, de lutte et de mobilisation de La Via Campesina, les femmes autochtones, paysannes, noires, sans terre, migrantes, pêcheuses, bergères, saisonnières et salariées agricoles ont joué un rôle fondamental.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Elles ont mis en œuvre des stratégies politiques et organisationnelles garantissant la vie, l'avenir de l'humanité et de notre planète. Elles luttent quotidiennement pour la défense de la Terre mère, la Souveraineté Alimentaire et une alimentation saine dans les campagnes et les villes. Elles s'opposent au pillage, à la dévastation, à la mort et à l'oppression causés par le capitalisme et l'agrobusiness dans nos territoires.

La Via Campesina, en cette année 2023, commémore 30 ans de « globalisation de la lutte et de l'espoir » des peuples du monde, avec la certitude que la solidarité et l'unité sont vitales pour vaincre le capitalisme et l'impérialisme sauvage entretenus par le racisme, le patriarcat et le colonialisme. Nous nous unissons à la résistance des femmes en Palestine, au Kurdistan, au Niger, en Haïti, à Cuba, en Colombie, au Nicaragua, en Ukraine et dans tous les territoires. En tant que femmes rurales, nous avons été exclues et soumises pendant des siècles. C'est pourquoi, depuis nos territoires, avec sagesse et courage, nous construisons une vision commune, aujourd'hui appelée le Féminisme Paysan et Populaire.

Au cours de ces 30 années, les conditions de vie des femmes rurales du monde entier ont connu d'importants changements. Aujourd'hui, les processus d'exploitation, de violence et de barbarie continuent de s'imposer aux communautés, aux peuples, ainsi qu'aux corps et aux vies de ceux d'entre nous qui se rebellent, en particulier les femmes, les enfants et la diversité. Cependant, nos rêves et nos défis s'élargissent également, et l'organisation sociale, la solidarité, la résistance et la lutte populaire se développent et se renforcent.

Aujourd'hui, nous participons activement au mouvement, menant des processus et des débats, mais de nombreux défis internes et externes subsistent. Les vagues fascistes et néo-fascistes dans nos territoires s'accompagnent d'une perte de droits historiques et fondamentaux qui garantissent une vie digne et pleine aux femmes et à nos communautés.

Nous vivons un processus de crise où les droits sont remis en question, en particulier les droits des femmes, et l'un des droits fondamentaux est la participation politique des femmes rurales. Tant au sein du mouvement et des organisations que dans les sociétés. Tout au long de l'histoire de La Via Campesina, la participation politique des femmes a énormément progressé, nous avons construit et conquis différents espaces, avec sagesse et audace. La parité de genre dans la coordination politique du mouvement marque une étape historique dans un mouvement agraire, mais ce n'est pas notre seule exigence.

Les Assemblées des femmes de La Via Campesina ne sont pas seulement un moyen de formation et d'échange, mais aussi de construction d'agenda, de légitimation de nos actions et de validation du rôle fondamental que nous avons dans la construction de la Souveraineté Alimentaire, de notre mouvement et de sociétés de paix avec justice sociale. Garantir les droits des paysan·nes, c'est garantir les droits des femmes dans les campagnes !

La lutte et l'organisation de La Via Campesina au cours des 30 dernières années nous ont appris que le présent ne peut être construit sans connaître le passé. Dans cet exercice de mémoire, nous reconnaissons toutes les semences que les femmes rebelles nous ont laissées, invisibles mais organisées, pour la justice et la dignité. Nous saluons le feu allumé par les femmes qui nous ont précédées, nos ancêtres et nos sœurs qui nous ont ouvert le chemin de la lutte.

Notre histoire a été marquée par la marginalisation et l'exclusion des espaces publics. C'est pourquoi, lors de cette 6e Assemblée, nous nous écoutons les unes les autres, nous nous parlons dans un espace sûr et confiant, afin de comprendre nos contextes, de revoir notre structure organisationnelle, de nous souvenir et de commémorer nos réalisations collectives au cours de cette période, telles que la Déclaration sur les Droits des paysan·nes.

C'est avec conviction que nous réaffirmons notre lutte :
* Anti-capitaliste, anti-patriarcale et anti-raciale.
* À travers d'anciens processus de résistance et d'organisation contre toutes les violences qui persistent dans le monde à l'encontre des femmes, de la diversité de genres, de la classe ouvrière et de nos peuples.
* Avec des processus de formation, d'étude et d'échanges.
* Pour le renforcement de la participation et de l'intégration des jeunes et des diversités.
* Contre la criminalisation de nos luttes et pour des espaces de protection sûrs pour les femmes victimes de violence et pour les enfants.

Comme nous l'avons déclaré lors de notre première Assemblée, nous réaffirmons aujourd'hui : nous continuerons à nous organiser, à renforcer nos luttes, et la pratique de la solidarité et de l'indignation face à toutes les injustices et inégalités.

* Pour de nouvelles sociétés et organisations dont les relations sont fondées sur la justice et la dignité humaine.

C'est avec conviction que nous nous engageons à poursuivre la lutte :
* Pour une société dépatriarcalisée, anticapitaliste et antiraciale.
* Pour une réforme agraire populaire qui garantisse la terre aux femmes.
* Pour des politiques publiques qui tiennent compte de la dimension de genre.
* Pour une participation politique sans exclusion des femmes rurales.
* Pour une production agroécologique, avec des semences autochtones et créoles, avec des marchés locaux.
* Stop à la violence contre les femmes, les féminicides, l'exploitation sexuelle, la violence contre la dissidence de genre.
* Stop aux guerres qui détruisent les rêves, les peuples et les constructions sociales.
* Le fascisme ne passera pas.

C'est pourquoi nous disons : « C'est avec conviction que nous ouvrons la voie au Féminisme Paysan et Populaire, que nous construisons la Souveraineté Alimentaire et que nous luttons contre les crises et les violences ».

https://viacampesina.org/fr/declaration-de-la-6e-assemblee-des-femmes-de-la-via-campesina/
Declaration of the 6th International Women's Assembly of La Via Campesina
https://viacampesina.org/en/declaration-of-the-6th-international-womens-assembly-of-la-via-campesina/

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Comment les femmes ukrainiennes supportent le poids de la vie sur la ligne de front

23 janvier 2024, par Kateryna Farbar — , ,
Alors que les hommes sont appelés sous les drapeaux ou se cachent pour échapper à la conscription, les femmes doivent jongler entre travail et soins sous la menace des (…)

Alors que les hommes sont appelés sous les drapeaux ou se cachent pour échapper à la conscription, les femmes doivent jongler entre travail et soins sous la menace des bombardements.

photo : Le village de Hroza où un missile russe a tué 59 personnes le 5 octobre 2023. Photo de Kateryna Farbar

tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/01/13/comment-les-femmes-ukrainiennes-supportent-le-poids-de-la-vie-sur-la-ligne-de-front/

Plus d'un an s'est écoulé depuis que l'Ukraine a repris une grande partie de sa région orientale de Kharkiv.

Mais si les premières étapes de la reprise ont été franchies, les communautés de la région sont aujourd'hui confrontées à de nouvelles réalités, en plus des bombardements russes : des villages et des villes en pleine reconstruction, des institutions publiques fermées, un manque d'emplois et un nombre croissant de femmes par rapport aux hommes.

« En parlant aux femmes, nous avons compris qu'elles sont avec leurs enfants 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 : les jardins d'enfants sont fermés, les écoles sont fermées, beaucoup ont également perdu leur emploi », explique Inna Avramenko, fondatrice de l'organisation Greenland, qui soutient les femmes à Kharkiv et dans la région. « Elles sont prises au piège : elles doivent enseigner aux enfants, les élever, nettoyer la maison ; elles n'ont nulle part où aller, sauf dans la plaine de jeux ».

Les localités les plus éloignées de la ligne de front, comme celles de Savyntsi, ont réussi à restaurer leurs infrastructures et commencent déjà à penser à la transformation et à l'attraction d'investissements. Mais pour les localités les plus proches de la ligne de front, comme celles de Dvorichna, la vie se résume encore à compter les pertes et les victimes, à évacuer et à maintenir des provisions minimales pour les personnes qui restent dans leurs maisons sous les bombardements.

Le fardeau des femmes

L'état des villes et des villages de Kharkiv varie également en fonction de l'occupation russe et de leur proximité avec la ligne de front, aujourd'hui et par le passé.

La zone entourant la ville de Kupyansk, un important centre stratégique à l'est de la région de Kharkiv, est l'une des zones les plus dangereuses du front.

La collectivité territoriale (hromada) de Shevchenkove, dirigée par Serhiy Starikov, a été libérée de l'occupation le 10 septembre 2022. La ligne de front se trouve à 50 kilomètres de là, ce qui explique que Shevchenkove soit souvent la cible de tirs.

Selon M. Starikov, les principales tâches à accomplir à Shevchenkove sont la restauration des logements et des infrastructures essentielles, la construction d'abris anti-bombes pour les établissements d'enseignement et la fourniture d'une aide humanitaire aux habitants.

Shevchenkove elle-même a été lourdement endommagée par les bombardements russes l'année qui a suivi sa libération par l'armée ukrainienne. À ce jour, seules trois écoles sur les onze que compte la collectivité sont intactes.

Le nombre d'emplois dans la région a considérablement diminué. Les grandes entreprises ont fermé leurs portes en raison de la guerre, ont transféré leurs capitaux à l'étranger ou se sont installées dans des régions plus sûres de l'Ukraine. Au cours des années qui ont suivi la libération de la région, de nombreuses personnes déplacées et réfugiées sont retournées dans leurs maisons, souvent détruites. Avec la mobilisation d'un grand nombre d'hommes, la visibilité accrue des femmes dans la vie publique et sur les lieux de travail est palpable.

Avant la guerre, Shevchenkove comptait 12 500 habitants. Aujourd'hui, le nombre de personnes qui reçoivent une aide humanitaire dans la ville, y compris les personnes déplacées, est de 12 000, dont près de 6 000 femmes, 4 000 hommes et 1 700 enfants. Plus de 5 000 personnes sont âgées. M. Starikov indique que 250 hommes ont été mobilisés au sein de la collectivité.

En effet, les hommes sont difficiles à dénombrer car beaucoup d'entre eux ne demandent pas d'aide humanitaire de peur d'être mobilisés. « Certains hommes se cachent », explique M. Starikov.

Pour éviter d'être appelés, ces hommes évitent d'occuper un emploi afin que leur nom n'apparaisse pas dans les registres officiels de l'État. Cela signifie que les femmes et leurs partenaires se retrouvent souvent à la maison ensemble. Certaines subissent des violences domestiques, tandis que beaucoup s'occupent des enfants qui ne suivent que des cours en ligne. Ces charges supplémentaires rendent la vie des femmes plus difficile.

Tout est détruit

Au milieu des bombardements et de la lourde charge que représentent les soins, l'état psychologique des femmes s'en ressent. Les femmes cherchent des moyens de passer du temps en dehors de la maison mais, dans les territoires de la ligne de front, ces possibilités sont limitées.

Les organisations publiques qui proposent des conseils psychologiques gratuits ou des cours collectifs tels que l'art ou la thérapie vocale sont utiles à cet égard.

L'une de ces organisations de Kharkiv, Greenland, créée en juin de cette année, est devenue un lieu où les femmes de la région se rétablissent et trouvent un soutien psychologique et juridique.

« Quand je viens ici, je reviens à la vie », dit Victoria, 53 ans, qui suit une thérapie par le chant à Greenland.

Originaire de Volnovakha, près de Mariupol, Victoria a quitté la Crimée pour s'installer à Kharkiv il y a trois ans. Elle souffre de stress dû à la guerre et aux bombardements constants, et pleure encore la mort de ses parents dans la ville de Volnovakha occupée par les Russes en mars 2022.

Tetyana Honcharova, 46 ans, qui travaille au centre culturel de Shevchenkove depuis plus de 20 ans, est membre du conseil du district de Kupyansk. Elle est également l'un des membres les plus actifs du centre humanitaire informel de Shevchenkove, qui s'est formé spontanément lorsque des camions remplis d'aide humanitaire ont commencé à arriver du gouvernement ukrainien et des partenaires internationaux.

Mme Honcharova explique que de nombreuses personnes qui demandent de l'aide au centre humanitaire n'ont pas d'argent pour acheter de la nourriture. Les habitants de Shevchenkove n'ont souvent pas de salaire, font leur propre pain et ne peuvent s'offrir que du lait. Pour tout le reste, comme les serviettes hygiéniques, les vêtements, les poussettes et les médicaments, ils comptent sur le centre, qui compte dix volontaires permanents.

Les femmes bénévoles préparent la nourriture pour les militaires et collectent d'autres articles pour eux, tels que des petits sacs, un ordinateur tablette pour piloter un drone et des vêtements chauds. D'autres bénévoles qui se rendent sur la ligne de front les donnent aux militaires ukrainiens qui se battent aux environs de Kupyansk.

Lors de notre entretien avec la bénévole Tetyana Pchelnyk, 61 ans, l'ancien café, déjà rempli de vêtements et de cartons, s'est rempli de monde. Mme Pchelnyk, enseignante dans un orphelinat pour enfants handicapés, vit avec sa famille dans une zone constamment exposée aux bombardements.

« Quand je viens ici, je prépare quelque chose pour les garçons [les soldats] et je me sens tellement soulagée. J'ai l'impression d'avoir aidé un peu », a déclaré Mme Pchelnyk.

Elle vit avec sa fille, son gendre et leur fils de huit ans. Depuis que les enfants ont été évacués de l'orphelinat où elle travaille, Mme Pchelnyk est en congé et reçoit les deux tiers de son salaire. L'argent est à peine suffisant. Mais ce n'est pas pour cela qu'elle a les larmes aux yeux : c'est à cause du stress psychologique lié à la vie près de la ligne de front.

« Avant la guerre, nous avions l'habitude d'aller nous promener à Kharkiv le week-end, mais aujourd'hui, nous sommes psychologiquement attachés à un seul endroit », explique-t-elle. « C'est très déprimant. On a peur de ne plus avoir de maison quand on revient, et c'est dangereux à Kharkiv ».

Lydia Shelyuh, 56 ans, une autre volontaire du centre humanitaire qui travaille comme agent de sécurité dans le dortoir local de l'école, fond en larmes dès qu'elle commence à parler de la vie dans le village, qui est souvent la cible de tirs.

« Les enfants ont peur de rester seuls à la maison », dit-elle.

Une autre difficulté pour Shelyuh est la facture des services publics, en particulier le chauffage au gaz, qui absorbe la quasi-totalité de son petit salaire.

Des personnes comme Pchelnyk, Shelyuh et Honcharova vivent très près de la guerre et estiment qu'elles ont le devoir d'aider l'armée ukrainienne. Ils pensent que leurs actions hâtent le jour où la paix reviendra dans leur communauté.

Le petit-fils de Shelyugh, Danyil, âgé de dix ans, a vu son père échapper de justesse à la détention par les soldats russes pendant l'occupation de Shevchenkove.

Daniyil adore le football. Un jour, après être revenu de l'ouest de l'Ukraine, où la situation est relativement paisible, il s'est inquiété de l'état de sa propre communauté.

Mon petit-fils, à son retour, a dit : « Ba, c'est là que les gens vivent », se souvient Shelyuh, en pleurant. « C'est un petit joueur de football. Il dit qu'il aimerait jouer au football là-bas, s'entraîner. Et ici, il n'y a rien, tout est détruit ».

La communauté de Savyntsi a été libérée en avril 2022 et a subi moins de dégâts que les autres communautés de l'oblast de Kharkiv. Elle se trouve à environ 90 kilomètres de la ligne de front et n'a pas subi de bombardements russes depuis septembre de l'année dernière.

Oksana Suprun, chef de l'administration militaire de Savyntsi, explique que sa priorité absolue est de faire revenir les habitants dans la communauté et de reconstruire les logements. Elle ajoute qu'il est particulièrement difficile d'achever la construction de logements privés.

Avant la guerre, Savyntsi comptait 10 200 habitants. Aujourd'hui, elle en compte environ 7 000 ; depuis septembre de l'année dernière, plus de 5 000 personnes ont regagné leur domicile. La majorité de la population est âgée, car les jeunes locaux en âge de travailler sont partis, explique Suprun, malgré le fait qu'il y ait des emplois disponibles.

Suprun explique qu'elle cherche de nouveaux moyens de développer la communauté.

« Mon objectif est d'attirer les investisseurs, car nous disposons de ressources minérales qui pourraient les intéresser et leur permettre de créer de nouvelles entreprises ici », a-t-elle déclaré.

Valentina Mazurik, 67 ans, de Savyntsi, responsable de l'union local de bénévoles Berehynia, participe à des activités bénévoles depuis 2014. Aujourd'hui, son union compte plus de 80 femmes âgées qui tissent des filets de camouflage pour les militaires, leur préparent de la nourriture et collectent des produits de première nécessité.

Pour les femmes de Savyntsi et de Shevchenkove, l'activisme, le bénévolat et l'aide aux militaires sont parmi les seuls moyens de s'engager dans des activités en dehors de la maison, d'établir des liens humains et de se sentir utiles à leur communauté.

Dvorichna, quant à elle, est constamment bombardée. Elle a été en grande partie évacuée, mais il reste 3 500 habitants sur les 16 500 d'avant-guerre, à quelques kilomètres seulement des combats.

Halyna Turbaba, 64 ans, élue à la tête de la hromada de Dvorichna depuis 2020, dirige l'autorité locale principalement depuis Kharkiv, après avoir été blessée lors d'une attaque à la roquette russe contre le bâtiment administratif de Dvorichna.

Pendant l'occupation russe, Turbaba a passé près de trois mois au poste de police du district de Kupyansk pour avoir refusé de coopérer avec les envahisseurs.

Turbaba est une femme de petite taille et de corpulence légère, aujourd'hui incapable de marcher rapidement. Elle a perdu sa maison et de nombreux amis et parents, mais doit continuer à travailler à son poste. Alors que d'autres collectivités ont déjà pu restaurer les infrastructures de base et ont même parfois reçu des fonds de programmes internationaux pour les moderniser, certaines communes commencent à peine à se relever. La principale préoccupation de Mme Turbaba est que sa communauté ne soit pas laissée pour compte.

« Nous voulons rester sur la carte pour ne pas être oubliés », a-t-elle déclaré.

Kateryna Farbar, 20 décembre 2023
publié en anglais par OpenDemocracy
https://solidarity-ukraine-belgium.com/comment-les-femmes-ukrainiennes-supportent-le-poids-de-la-vie-sur-la-ligne-de-front/

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Belarus : Femmes syndicalistes en prison

Depuis près de trois décennies, le Bélarus est le champion du monde des violations des droits humains fondamentaux, notamment du droit des travailleur·euses à la liberté (…)

Depuis près de trois décennies, le Bélarus est le champion du monde des violations des droits humains fondamentaux, notamment du droit des travailleur·euses à la liberté d'association.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le Bélarus est cité parmi les 10 pires pays pour les travailleur·euses. Lors du soulèvement massif des Bélarus contre Loukachenko et son régime en 2020, les travailleur·euses ont défié la dictature en brandissant la menace d'une grève générale. Le régime a déployé des répressions exceptionnelles contre la société civile, les travailleur·euses et leurs syndicats. De plus, Loukachenko a entraîné le Bélarus dans la guerre en soutenant un autre dictateur, Poutine, contre le peuple ukrainien. Et c'est l'organisation démocratique des travailleurs, le Congrès bélarus des syndicats démocratiques, qui a exprimé la ferme position anti-guerre des travailleur·euses bélarus. Les conséquences ont été des arrestations massives et des accusations criminelles à l'encontre des dirigeants des syndicats et des travailleur·euses en avril 2022. En outre, le Bélarus est devenu un pays sans syndicats depuis juillet 2022, date à laquelle tous les syndicats démocratiques ont été liquidés. La dictature au Bélarus, où toute activité est qualifiée d'extrémisme et de terrorisme, connait une répression sans limites contre la société civile.

Syndicalistes en prison

47 de nos camarades bélarus se trouvent dans des prisons et des colonies pénitentiaires, condamné·es pour haute trahison, diffamation de l'État, participation et soutien à des activités extrémistes, avec des peines allant jusqu'à 15 ans d'emprisonnement. Parmi eux se trouvent des figures syndicales bien connues, comme Aliaksandr Yarashuk, président du BKDP, vice-président de la CSI et membre du conseil d'administration de l'Organisation internationale du travail.

Parmi les personnes emprisonnées, on trouve des femmes syndicalistes et des personnes âgées. Nombre d'entre elles sont qualifiées d'extrémistes, voire de terroristes. Les robes des prisonnières politiques sont également étiquetées : avec des étiquettes jaunes. Les prisonnières politiques subissent constamment des tortures, des punitions sévères en restant à l'isolement dans des cellules glaciales. Le travail forcé des prisonnières politiques, sans égard quant à leur santé et la sécurité au travail, souvent dans l'industrie du bois et du textile, est largement utilisé dans les colonies pénitentiaires pour convertir les prisonnières en citoyennes obéissantes à la loi, selon l'État.

Femmes syndicalistes, prisonnières politiques

Selon l'organisation de défense des droits humains Viasna, au 25 décembre 2023, il y avait 1 496 prisonnier·es politiques en Bélarus, dont 174 femmes. Depuis 2020, au moins 895 femmes ont été poursuivies pour des raisons politiques.

Aujourd'hui, parmi ces prisonnières politiques, au moins huit militantes et dirigeantes de syndicats indépendants sont détenues dans des prisons et des colonies pénitentiaires : Hanna Ablab, Zinaida Mikhniuk, Volha Brytsikava, Volha Barushka, Hanna Karneyenka, Sviatlana Sakovich, Palina Sharenda-Panasiuk et Halina Smirnova.

Elles ont perdu leur liberté à cause de leurs activités. Comme beaucoup de femmes bélarus, elles se sont rebellées contre l'injustice et la dictature. En 2020, de nombreuses femmes ont manifesté au premier rang après les élections truquées, lors des manifestations contre la fraude électorale, dans la lutte contre le dictateur, dans la lutte pour la liberté. Elles ne réclamaient pas seulement des élections libres, mais aussi l'abolition des structures autoritaires, la fin d'un virilisme répressif qui fait partie de l'idéologie et de la base du pouvoir de Loukashenko. Leur protestation portait sur l'égalité, le respect et l'autodétermination.

Elles ont été condamnées à des peines de prison allant de 2 à 11 ans pour leur protestation. Notre solidarité et notre soutien mondial les aident, ainsi que leurs familles, dans cette période difficile, alors que le régime les enferme en prison et ne veut rien de moins que le monde les oublie, elles et leurs noms.

Nous partageons ici les histoires de nos sœurs

Palina Sharenda-Panasiuk
Palina est une militante syndicale de Brest, qui a été détenue le 3 janvier 2021. Cette mère de deux fils mineurs a été condamnée en vertu de plusieurs articles du code pénal. Fin février 2022, une procédure pénale a été ouverte à son encontre en vertu de la partie 2 de l'article 411 du code pénal (désobéissance malveillante à l'administration de la colonie). Le 9 octobre 2023, le tribunal a déclaré Palina coupable en vertu de la partie 2 de l'article 411 du code pénal et l'a condamnée à une année supplémentaire de colonie pénitentiaire en plus des trois ans en 2021. Lors de la première audience du tribunal, elle a déclaré avoir été battue dans la colonie pénitentiaire de Zarečanskaya : son visage et ses organes internes ont été gravement endommagés.

La famille de Palina a dû quitter le Bélarus et s'est réfugiée en Lituanie. Elle se bat pour que son cas soit connu du public et pour qu'elle soit libérée plus rapidement.

Il est prouvé que les prisonnières politiques sont périodiquement placées dans un pénitencier – dans une cellule à basse température où elles sont privées de correspondance, de colis de la famille ou d'objets personnels, de vêtements chauds et de draps de lit. Bien que les détails exacts ne soient pas toujours connus, et qu'il ne soit parfois pas possible d'en parler publiquement, ces informations parviennent à l'extérieur de la prison.

Le statut que Paline s'est vue infligé – celui de « malveillante » – impose des restrictions supplémentaires, dont la principale est la réduction des « achats en prison » à deux valeurs de base (74 roubles ou 20 euros par mois). Comme le font remarquer les prisonnières, il est très difficile de survivre sans argent, sans salaire et avec la privation de colis de la famille.

Hanna Karneyenka
Hanna est membre du syndicat libre des travailleur·euses de la métallurgie et ancienne comptable de l'usine électrotechnique de Minsk, qui porte le nom de Vavilov. Elle a été licenciée à la suite de manifestations sur son lieu de travail en 2020 et son syndicat a intenté un procès à l'entreprise pour licenciement illégal. Hanna a été condamnée à cinq ans de colonie pénitentiaire pour avoir divulgué des données personnelles concernant des agents de l'État. Elle a été placée en détention alors que son nouveau-né avait trois mois. Son mari fait de son mieux pour s'occuper seul de leurs deux enfants. Hanna figure sur la liste des terroristes.

Volha Brytsikava

Volha est la présidente du syndicat indépendant bélarus des mineurs et des travailleur·euses de l'industrie chimique d'une raffinerie de pétrole, Naftan. En 2022, au début de la guerre en Ukraine, Volha a été arrêtée pour sa position anti-guerre et mise en prison. Pendant son incarcération, elle a été condamnée 5 fois à 15 jours de prison à chaque fois.

Après sa libération, elle a continué à aider ses camarades. Lors de la liquidation de tous les syndicats indépendants, elle a été l'un·e des rares dirigeant·es syndicaux à ne pas quitter le pays. En août 2023, le régime l'a arrêtée, ainsi que quelques autres camarades. Aujourd'hui, elle fait l'objet d'une enquête criminelle dans une prison du KGB à Minsk et risque au moins 6 ans de prison. Depuis, il n'y a pas beaucoup d'informations sur elle. Les arrestations de travailleur·euses de Naftan se poursuivent et les camarades de Volha font le lien avec son cas.

Hanna Ablab
Parmi nos camarades, Hanna est celle qui a été condamnée le plus durement – 11 ans pour haute trahison et diffamation de l'État. Elle travaillait pour les chemins de fer bélarus et faisait partie de l'Initiative des travailleur·euses Rabochy Rukh. Hanna a nié sa culpabilité lors de l'audience. Mère de trois enfants, elle a récemment été transférée de la prison préventive à l'une des colonies pénitentiaires pour femmes.

Colonies pénales ou camps de travail forcé
Les lieux où sont détenues les prisonnières politiques sont des colonies pénitentiaires où elles sont censées travailler. Le travail des prisonnières politiques ne devrait être qualifié de rien d'autre que de travail forcé, sans règles sanitaires et de sécurité, sans rémunération appropriée (souvent moins d'un euro par mois), le plus souvent dans l'industrie textile. Dans le cas des femmes détenues, il s'agit d'un travail de huit heures dans un atelier de couture fabriquant des uniformes pour l'armée, très probablement l'armée russe, ou pour la police bélarus.

Syndicat en exil

De nombreux syndicalistes ont dû fuir le régime dictatorial et poursuivre leur travail en exil. Ainsi, dans la ville libre de Brême en Allemagne, ils et elles ont fondé une association, appelée Salidarnast (solidarité en bélarus), pour soutenir les syndicalistes arrêté·es et condamné·es par le régime de Loukachenko. Leur slogan est « Le militantisme syndical n'est pas de l'extrémisme ». Ils et elles font campagne pour la libération de leurs camarades, diffusent les nouvelles sur le Bélarus, collectent des dons pour un fonds de solidarité destiné à aider les familles et les enfants des camarades bélarus, entretiennent des réseaux et commencent à dispenser une formation syndicale.

La liberté n'est pas une chose acquise une fois pour toutes. Nous devons constamment nous battre pour elle. Il en va de même pour la liberté d'association. C'est un grand défi pour les Bélarus et le mouvement international des travailleur·euses d'agir ensemble avec les employeurs et leurs gouvernements respectifs pour faire pression sur le régime au Bélarus. La libération de tous les prisonniers politiques devrait être la condition préalable à tout dialogue avec Loukachenko.

Salidarnast – Trad. Patrick Le Trehondat, 12 janvier 2024
L'association Salidarnast a été fondée par des dirigeant·es et des militant·es syndicaux du Bélarus, qui ont été contraint·es de quitter le pays après la liquidation et la répression des syndicats démocratiques. Cette association est en Allemagne et basée à Brême.
https://laboursolidarity.org/fr/n/3019/femmes-syndicalistes-en-prison

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Votre vieux monde ? Dans nos syndicats, on n’en veut pas non plus !

23 janvier 2024, par Resyfem – un réseau de syndicalistes féministes de Sud, CGT, FO, FSU. — , ,
Resyfem salue la décision du 18 décembre 2023 rendue par le Tribunal correctionnel de Brest condamnant Marc Hébert pour harcèlement sexuel aggravé, par personne abusant de (…)

Resyfem salue la décision du 18 décembre 2023 rendue par le Tribunal correctionnel de Brest condamnant Marc Hébert pour harcèlement sexuel aggravé, par personne abusant de l'autorité que lui confère ses fonctions : c'est une victoire pour les victimes qui ont dû se battre seules face à une procédure très dure pendant 3 ans, sans soutien de leur syndicat.

Resyfem salue la décision du 18 décembre 2023 rendue par le Tribunal correctionnel de Brest condamnant Marc Hébert pour harcèlement sexuel aggravé, par personne abusant de l'autorité que lui confère ses fonctions [1].

L'ex-secrétaire général de l'UD FO du Finistère pendant 30 ans (jusqu'en 2017) a pris 18 mois de prison dont 6 mois fermes, l'interdiction de toute fonction publique et inéligibilité pendant 5 ans, son inscription au fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles, l'obligation d'indemniser les 3 victimes et l'interdiction d'entrer en contact avec elles.

Plusieurs autres femmes de FO Brest ont témoigné dans l'enquête pénale de violences à caractère sexuel et certaines étaient présentes en soutien à l'audience du 20 novembre 2023.

C'est une victoire pour les victimes qui ont dû se battre seules [2] face à une procédure très dure pendant 3 ans, sans soutien de leur syndicat : FO. Comme elles nous le rappellent : « Personne ne nous croyait ; s'il y avait eu un soutien dans l'organisation, on n'aurait pas eu besoin d'aller jusque-là ».

Elles ont également dû faire face à une défense caractéristique des agresseurs sexuels dans un cadre militant ou politique : elles ont été taxées de menteuses, à la tête d'une « cabale syndicale » (la théorie du complot est quasiment une constante quand les victimes sont plusieurs) ; une d'entre elles a même été qualifiée de « lesbienne militante partisane de l'émasculation des mâles » !

C'est une victoire face à une autre parade de l'avocate de l'agresseur : soutenir que ce n'était pas possible qu'elles aient pu être victimes de violences sexuelles car ces femmes étaient des militantes, informées de leurs droits contre le harcèlement sexuel et capables de parler puisqu'elles prenaient le mégaphone en manif !

Comme nous le rappelait l'une des ex camarades de FO Brest : « en tant que militantes on est souvent socialisées à un truc un peu sacrificiel, à se dire que ce qu'on fait collectivement, c'est plus important que nos existences individuelles. On apprend à minimiser des choses qu'on ne tolérerait pas dans un autre contexte, parce que c'est pour la cause, qu'on est entre camarades, qu'on ne veut pas détruire tout le boulot collectif, renoncer à ce qu'on a construit dans l'organisation… ». C'est en effet bien souvent ce qui contribue à l'omerta dans nos organisations.

C'est une victoire face aux 54 attestations produites à l'audience par Marc Hébert, écrites par des adhérents ou militants FO pour la plupart, disant que c'était un super militant, un syndicaliste très efficace, un « combattant », etc. et qu'ils n'avaient jamais subi ni constaté de comportements « déplacés » de sa part.

D'ailleurs, les soutiens de Marc Hébert sont pas les seuls à ne pas nommer les faits pour ce qu'ils sont : l'avocate des syndicalistes victimes demandait, sans succès, que les faits qualifiés de harcèlement sexuel par le procureur soient requalifiés en agressions sexuelles car il s'agissait pour la plupart d'attouchements non-désirés.

Nous témoignons tout notre soutien sorore aux victimes de violences sexuelles au sein de FO Brest, celles qui ont enfin été reconnues comme tel et toutes les autres qui n'ont pu aller jusque-là. Elles ont enduré le harcèlement et les agressions sexuelles pendant des années, ont été licenciées par l'UD FO, ont été longuement en arrêt-maladie mais aussi mises à l'écart dans la sphère militante brestoise.

Quand est-ce que les syndicats répareront toutes ces conséquences (santé, précarité économique) dont ils sont en partie responsables, en tant qu'organisation collective ? Les agresseurs n'ont rien à faire dans nos organisations syndicales. Les syndicats qui signent des tribunes comme FO pour mobiliser les troupes les 25 novembre doivent au minimum apporter tout le soutien nécessaire dans leurs rangs aux victimes de violences. La bataille menée par nos camarades devrait pousser FO à se doter enfin de démarches de prévention et de réparation des violences sexistes et sexuelles en son sein.

La force de ces militantes syndicales a permis que le système mis en place par Marc Hébert, qui était une figure locale, n'existe plus. Enfin. Mais le combat n'est pas terminé puisqu'il a fait appel de sa condamnation. Les camarades de Brest ont dépensé en tout 32 000€ d'honoraires d'avocat.es depuis le début des procédures.

Pour soutenir leur combat qui continue, contribuons à leur cagnotte :
https://www.leetchi.com/fr/c/contre-les-violences-sexistes-et-sexuelles-a-fo-1602922.
Nous espérons qu'elles recevront une contribution massive de FO.

C'est notre force collective qui permettra de mettre hors-jeu les agresseurs et une politique de prévention et de réparation à la hauteur des préjudices quelque soit nos syndicats.

Pourvu que cette première victoire soit un appel à bien d'autres pour l'année qui commence. On est prêtes !

Résyfem – Réseau de Syndicalistes Féministes CGT, FO, Sud, Fsu, syndicat de la magistrature… 19/01/2024

[1] https://www.mediapart.fr/journal/france/191223/violences-sexuelles-force-ouvriere-un-ancien-dirigeant-brestois-condamne [2] https://www.mediapart.fr/journal/france/250721/force-ouvriere-brest-parler-de-violences-sexuelles-c-est-s-exposer

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Déclaration du comité national de l’Union syndicale Solidaires (17 et 18 janvier 2024)

23 janvier 2024, par Union syndicale Solidaires — , ,
Les déclarations du gouvernement Attal comme du président Macron sont claires : les politiques antisociales et autoritaires vont s'accentuer. Tiré de Entre les lignes et (…)

Les déclarations du gouvernement Attal comme du président Macron sont claires : les politiques antisociales et autoritaires vont s'accentuer.

Tiré de Entre les lignes et les mots

photo Serge d'Ignascio

Mise au pas et militarisation de la jeunesse avec le SNU, réformes réactionnaires de l'éducation, augmentation des franchises médicales, affaiblissement des services publics, destruction de la fonction publique, deux nouvelles lois « travail », vision sécuritaire des quartiers populaires, écologie et lutte contre les discriminations absentes… tout cela sur fond d'une vision passéiste et rétrograde de notre société sans amélioration de notre démocratie, de vocabulaire guerrier (« réarmement » à tout va).

Ces annonces arrivent après une année 2023 marquée par le passage en force de la régression sociale sur nos retraites, les attaques contre les chômeuses et chômeurs et les allocataires du RSA, la création de France Travail, le vote d'une loi sur l'immigration xénophobe et raciste reprenant les idées d'extrême-droite, des violences policières qui ont culminé avec le meurtre de Nahel et enfin une fuite en avant productiviste et anti-écologique alors que 2023 est l'année la plus chaude de l'histoire de l'humanité. C'est dans ce contexte que vont se tenir les Jeux olympiques qui serviront de laboratoire contre les libertés publiques et de contournements au code du travail par le recours massif aux bénévoles pour travailler.

Cette politique est présentée comme une réponse à la montée du Rassemblement national. C'est un leurre. Faire la course à l'extrême-droite ne fait que la renforcer. Continuer d'accentuer la paupérisation et la précarité de plus en plus de travailleur-euses, de détruire les services publics, fait porter une responsabilité particulière de ce gouvernement dans la montée de l'extrême droite. D'autant qu'on assiste depuis plusieurs années à l'explosion du nombre de millionnaires, à la hausse fulgurante des richesses accumulées par les milliardaires, du versement record de presque 100 milliards de dividendes par le CAC 40 en 2023…

La progression de l'extrême-droite en France, en Europe et dans le monde est alarmante. Partout elle est climatosceptique, raciste et l'ennemie sociale des travailleurs et des travailleuses. Le mouvement syndical doit être un rempart clair sur le sujet, nous y participerons pleinement.

Agir contre l'extrême-droite, c'est aussi refuser le glissement vers la peur et la haine, c'est agir contre la xénophobie et le racisme. C'est se battre pour la régularisation des sans-papiers et contre l'Europe forteresse qui tue chaque jour. Dans ce cadre nous appelons à manifester massivement le dimanche 21 janvier contre la loi asile-immigration pour gagner la non-promulgation de cette loi comme nous avons manifesté dans plus de 40 villes le 14 janvier. Les suites de la mobilisation se préparent pour le 25 janvier et le 3 février pour le retrait complet de la loi.

Le contexte international est marqué par un retour alarmant des guerres. L'Union syndicale Solidaires continue de soutenir les syndicats et la population ukrainienne contre l'invasion russe. Nous demandons à la France et à la communauté internationale de faire pression sur Israël pour un cessez le feu immédiat à Gaza, où un génocide est en cours, pour obtenir la libération immédiate des otages et des prisonnier.res et plus généralement établir une paix durable qui ne peut passer que par la fin de l'occupation coloniale et de l'apartheid en Palestine.

Aujourd'hui, la priorité est de gagner un autre partage des richesses. Des luttes sectorielles ou dans des entreprises pour les salaires sont partout en cours sur le territoire, nous appelons à les amplifier, et à les renforcer dans l'unité syndicale là où c'est possible ! Pour Solidaires il faut une hausse générale des salaires avec une augmentation de 400 euros par mois et le SMIC à 1700 euros net, l'indexation des salaires sur l'inflation, l'égalité des salaires femmes/hommes. Pour favoriser le partage et la prise en compte de l'écologie, nous revendiquons une limitation de l'échelle des salaires de 1 à 5 dans les entreprises et les administrations. Solidaires va proposer aux autres organisations syndicales d'agir unitairement dans ce sens.

L'urgence écologique qui touche en premier lieu les plus pauvres, impose des économies d'énergies massives, des investissements dans l'isolation et les transports publics, des changements majeurs dans les modes de production et de consommation. L'Alliance Écologique et Sociale à laquelle participe activement Solidaires se mobilise en ce sens et se bat notamment pour le fret ferroviaire.

Solidaires exige l'arrêt des poursuites et l'amnistie pour les réprimé.es des mouvements sociaux et des quartiers populaires. Elle apporte son soutien aux condamnés suite à la lutte contre les méga bassines, en particulier à Sainte-Soline. Leur répression ne stoppera pas nos luttes !

Pour gagner la lutte pour l'égalité femmes hommes au travail et dans la société, pour en finir avec l'impunité et les violences sexistes et sexuelles, nous construisons dans l'unité la grève féministe du 8 mars, qui doit s'amplifier dans tous les secteurs !

La lutte contre le racisme est un aspect central de notre syndicalisme et, ces derniers mois, la question du racisme systémique a été remise en avant. Toute une partie de l'échiquier politique et médiatique tient aujourd'hui ouvertement des propos et des projets racistes et xénophobes. La situation internationale est aussi instrumentalisée, provoquant une forte augmentation du racisme contre les personnes musulman.es ou considérées comme telles, et de l'antisémitisme. Nous devons combattre toutes ces formes de racisme sur nos lieux de travail et dans toute la société.

Nous invitons les travailleuses et travailleurs à défendre leurs droits et à s'organiser pour agir et créer le rapport de force pour gagner de nouveaux droits et imposer un autre avenir : nos syndicats sont les outils pour y parvenir.

Le 9e congrès de l'Union syndicale Solidaires à Toulouse-Labège se tiendra du 22 au 25 avril 2024. Il sera l'occasion de fêter nos 25 ans et de discuter de nos orientations, de notre fonctionnement et de déterminer nos priorités pour les 3 ans à venir.

https://solidaires.org/sinformer-et-agir/actualites-et-mobilisations/communiques/declaration-du-comite-national-de-lunion-syndicale-solidaires-17-et-18-janvier-2023/

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Une année record d’élections vidées de leur sens en Afrique en 2024

23 janvier 2024, par Mateo Gomez — ,
L'année 2024 sera une année record pour les élections autour du monde. Plus de 4 milliards d'individus sont appelés à voter sur tous les continents. L'Afrique ne fait pas (…)

L'année 2024 sera une année record pour les élections autour du monde. Plus de 4 milliards d'individus sont appelés à voter sur tous les continents. L'Afrique ne fait pas exception : vingt pays concernant 346 millions de citoyens organisent des scrutins cette année, du Maghreb au Cap de Bonne Espérance.

Tiré de MondAfrique.
16 janvier 2024

Par Afriques en lutte

Nous vous présentons les perspectives de ces scrutins à venir. Pour la plupart, ces élections n'ont aucun contenu démocratique et pervertissent l'image même de la démocratie. Et cela au profit d'autres formes d'organisations politiques. La prise de pouvoir par l'armée dans plusieurs pays (Mali, Niger, Guinée…etc), la force des structures tribales traditionnelles, la poussée des valeurs islamiques privilégiant la tradition sur la loi ou enfin l'image positive de Vladimir Poutine chez beaucoup de chefs d'état africains témoignent de la désaffection à l'égard des valeurs occidentales.

Les élections en Afrique qui seront vidées de leur sens de 2024 devraient favoriser une vague de fond populiste et anti occidentale dans tout le continent africain.

Mateo Gomez

Maghreb, des élections jouées d'avance

L'Algérie réalise son deuxième scrutin présidentiel depuis la fin de la longue ère Bouteflika, en 2019. Le Président Tebboune ne s'est pas encore représenté officiellement à l'élection, mais s'il venait à le faire, il gagnerait le scrutin de décembre sans trop de surprises, grâce au musèlement de l'opposition, une abstention massive et à la fraude massive que les autorités algériennes maitrisent parfaitement. Sous réserve que les guerres entre les clans s'opposant au sein de l'institution militaire ne bousculent pas le processus annoncé de la reconduction du président algérien.

En Tunisie, des élections locales et régionales précéderont les présidentielles d'octobre. Le Président sortant Kaïs Saïed, malgré les difficultés économiques et diplomatiques que traverse la Tunisie, gagnera probablement le scrutin dans ce qui se présente de plus en plus une « algérianisation » de la Tunisie. La nouvelle Constitution de 2019 lui confère des pouvoirs immenses, l'opposition est réduite au silence.

Le discours anti occidental du Président et les subventions qu'il a créées, notamment celle en faveur de l'essence, lui ont donné une certaine popularité dans la population.

Sahel, les juntes militaires à la manoeuvre

En Mauritanie, des élections présidentielles sans suspens promettent la reconduite au pouvoir du Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani le 24 juin. Il bénéficie d'un bilan de réformes ambitieuses dans plusieurs domaines, mais aussi d'une opposition qui brille par son absence, la plupart des partis s'étant ralliés au pouvoir au cours du mandat 2019-2024, à l'exception des mouvements anti esclavagistes, les seuls à porter encore des valeurs progressistes dans ce pays marqué l'esclavage considéré comme un délit voici seulement une quinzaine d'années.

Au Mali, la fin du régime de transition et le transfert du pouvoir aux civils, prévus initialement pour le 4 février 2024, ont été finalement reportés sine die en septembre 2023 pour des “raisons techniques”, selon la junte. Et le budget alloué au scrutin n'apparaît nulle part dans le budget de l'année de 2024… Tenues ou pas, les élections n'auraient de toute façon pas été des plus libres. Cela fait presque un an maintenant que les putschistes préparent le terrain juridiquement pour se maintenir au pouvoir.

Au Burkina Faso, un scénario similaire semble se dessiner : les élections de fin de transition, prévues pour juillet de cette année, sont repoussées indéfiniment, le gouvernement citant la lutte contre les groupes jihadistes comme raison. Cependant, le capitaine Ibrahim Traoré, dit IB, putschiste au pouvoir, voit son emprise sur le pays faiblir et son isolement grandir…

Au Tchad, le Président Mahamat Déby, qui a hérité du poste de son père décédé brutalement en 2021, est certain de se succéder à lui-même dans un improbable régime militaire à coloration familiale. Et cela à l'issue d'un prétendu processus de transition prévu pour octobre prochain. En prenant pour la première fois une initiative politique, Mahamat Déby a nommé son grand opposant Succès Masra comme Premier ministre. Ce qui retire à ce dernier sa crédibilité dans l'opinion publique. Bien joué ! Sauf pour la vitalité de la démocratie tchadienne qui déjà n'avait guère d'existence

Afrique de l'Ouest, l'élection test au Sénégal

La démocratie sénégalaise, pourtant montrée en exemple, semble en danger. Le refus du Président sortant, Macky Sall, de se représenter pour le scrutin du 24 février ne fut finalement qu'une fausse bonne nouvelle : il semble vouloir imposer à tout prix son dauphin, Amadou Ba. Son principal opposant, Ousmane Sonko, est en prison, et une grande confusion juridique règne depuis des mois sur sa capacité à faire campagne et à se présenter.

En Guinée-Bissau, les élections présidentielles, sans date définie pour l'instant, s'annoncent incertaines : le Président actuel, Umaro Sissico, a illégalement dissous le parlement début décembre et barré l'entrée aux députés, dirigeant par décret. Il semble tenté par un scénario à la Sénégalaise pour empêcher toute candidature de son principal adversaire, Domingos Simões Pereira, le président du parlement.

Au Ghana, l'élection présidentielle du 7 septembre sera tout aussi libre que disputée : avec trois candidats majeurs en lice et un Président qui ne peut pas se représenter, la lutte pour le pouvoir s'annonce rude entre Mahamudu Bawumia, actuel vice-président et candidat du parti au pouvoir, John Dramani Mahama, ancien Président, et Alan John Kyerematen, ancien ministre du Commerce. Au cœur de la campagne, l'économie : le pays n'arrive pas à se tirer de la crise du COVID, avec notamment 40% d'inflation.

Le Togo est une démocratie d'opérette : le Président Faure Gnassingbé se fait réélire tranquillement depuis 2005, comme son père avant lui. Les élections parlementaires prévues pour début 2024 interviennent après un report qui a commodément repoussé les législatives au-delà des mandats parlementaires (fin 2023), laissant Gnassingbé seul au pouvoir. Ces élections promettent d'être à son goût.

À l'Est de l'Afrique, rien de nouveau

L'Etat non-reconnu du Somaliland, sur la corne de l'Afrique, tiendra des élections présidentielles en novembre. Le scrutin précédent, en 2017, avait été le premier du pays à être salué pour sa transparence, consacrant l'alternance. Mais initialement prévues pour septembre 2022, elles viennent d'être repoussées par la commission électorale de deux ans, faute de moyens. Le scénario de 2017 se reproduira-t-il ? Il est pour l'instant trop tôt pour le savoir.

Au Rwanda, le Président Paul Kagamé, au pouvoir depuis 1994, est sûr de se faire réélire le 15 juillet. L'opposition est systématiquement empêchée de présenter des candidats. Seuls des partis mineurs peuvent en pratique présenter des candidatures, pour la bonne forme.

Aux Comores, les présidentielles pour le 14 de ce mois seront boycottées par les oppositions. Le Président sortant, Azali Assoumani, brigue un troisième mandat après avoir modifié la Constitution pour se le permettre. Il est accusé de museler l'opposition.

Il n'y a jamais eu d'élections au Soudan du Sud depuis la création du pays en 2011. Initialement prévues pour 2015, elles furent progressivement reportées jusqu'à… 2024 par le pouvoir. Aucune date n'est encore fixée et un énième report n'est pas à exclure.

Afrique Australe, les élections les plus libres

En Ile Maurice, des élections parlementaires qui sont traditionnellement libres mais plombées par l'argent et la corruption, décideront du nouveau premier ministre le 30 novembre, dans un pays ou les trois partis dominants sont tous de gauche. Il est impossible de prédire, pour l'instant, lequel sortira gagnant.

A Madagascar, où la Présidentielle aura été une farce électorale, les élections législatives prévues pour le premier trimestre 2024 suivent des élections présidentielles boycottées et contestées en novembre 2023 où le Président sortant, Andry Rajoelina, fut réélu. La liberté du scrutin à venir est douteuse.

Au Mozambique, le Président Filipe Nyusi, au pouvoir depuis 2015, ne peut plus se représenter aux élections générales prévues pour le 9 octobre. Mais peu importe l'identité de son dauphin, il gagnera très probablement : le parti FRELIMO, héritier de la guérilla, dirige le pays depuis l'indépendance en 1975. De plus, chaque scrutin passé a été marqué par les fraudes et l'intimidation.

En Namibie, une situation quelque peu similaire se reproduit, à l'exception du fait que les élections dans ce pays sont libres et équitables. Le Président Hage Geingob ne peut plus se représenter, mais sa dauphine, Netumbo Nandi-Ndaitwah, est sûre de remporter le scrutin (dont la date n'est pas encore fixée) sous l'égide de la SWAPO, ancien mouvement d'indépendance très populaire dans le pays.

Idem au Botswana, où le Parti Démocratique du Botswana (BDP) règne sans partage depuis les premières élections en 1965, depuis 57 ans. Pourtant, les élections sont globalement considérées comme libres. Le Président actuel, Mokgweetsi Masisi, élu en 2019, brigue un second mandat face à une opposition divisée.

Finalement, en Afrique du Sud, poids lourd de la région, le Congrès National Africain (ANC), au pouvoir depuis la fin de l'apartheid en 1994, tremble sur ses assises. Il est quasiment certain que l'ANC perdra la majorité absolue qu'il détient au parlement depuis 20 ans lors des élections générales prévues pour mai, les obligeant à envisager pour la première fois un gouvernement de coalition avec l'EFF (Combattants pour la Liberté Economique).

Avec quelle marge le parti va-t-il perdre ? Suffisamment pour que l'opposition centriste de l'Alliance Démocratique puisse elle-même former un gouvernement de coalition ? Probablement pas, la barre semble trop haute. Mais qui sait… Entre criminalité et crise énergétique, le parti au pouvoir n'a jamais été aussi déstabilisé.

Enfin une bonne nouvelle où un scrutin démocratique peut faire vaciller un pouvoir africain.

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La révolte des Libyens contre l’accaparement de la rente pétrolière

23 janvier 2024, par Nicolas Beau — , ,
Des manifestants ont forcé la fermeture du champ pétrolier d'El Sharara, l'un des plus important de Libye situé dans le sud ouest du pays. Les manifestants évoquent des (…)

Des manifestants ont forcé la fermeture du champ pétrolier d'El Sharara, l'un des plus important de Libye situé dans le sud ouest du pays. Les manifestants évoquent des problèmes sociaux et revendiquent une meilleure redistributions des revenus du pétrole issue de ce champ pétrolier.

Tiré de MondAfrique.

Des manifestants ont forcé la fermeture du champ pétrolier d'El Sharara, l'un des plus important de Libye situé dans le sud ouest du pays. Les manifestants évoquent des problèmes sociaux et revendiquent une meilleure redistributions des revenus du pétrole issue de ce champ pétrolier.

Des manifestants réclamant le développement social et économique de la région de Fezzan, située dans le sud-ouest de la Libye, ont contraint la fermeture du champ pétrolier d'El Sharara, dans le cadre d'un mouvement de protestation visant à attirer l'attention du gouvernement sur la situation difficile de la population locale.

La manifestation, organisée par des tribus berbères appauvries et négligées, a éclaté le 1er janvier 2024, forçant une semaine plus tard la National Oil Company (NOC) à fermer le site alors que des pourparlers avec les leaders de la protestation sont en cours.

La protestation coûte à la Libye plus de 20 millions de dollars par jour en revenus perdus, le pays étant incapable de produire environ 300 000 barils de pétrole par jour. Les problèmes qui préoccupent la population locale incluent la disponibilité des produits pétroliers sur les marchés locaux, l'infrastructure, l'accroissement de la pauvreté, etc.

Pour rappel sur le 1,9 million barils de pétrole que la Libye produit par jour, le champ d'al-Sharara en produit 300 000.

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La France et le génocide des Tutsis « Désolé, on ne peut rien pour vous »

23 janvier 2024, par Michaël Pauron — , , ,
L'abandon des employé⸱es rwandais⸱es de la chancellerie française durant le génocide de 1994 demeure une tâche indélébile pour la France. Parmi les personnalités mises en (…)

L'abandon des employé⸱es rwandais⸱es de la chancellerie française durant le génocide de 1994 demeure une tâche indélébile pour la France. Parmi les personnalités mises en cause, l'ancien ambassadeur à Kigali, Jean-Michel Marlaud, est confronté à de nouveaux témoignages accablants recueillis par Afrique XXI.

Tiré d'Afrique XXI. Cet article est le deuxième d'une série.

Dans le salon de son appartement de la région parisienne, Béatrice Kabuguza gribouille sur un post-it. Après plus d'une heure de discussion, elle conclut, avec ce petit dessin, le récit de près de deux mois de traque dans les rues de Kigali, pendant le génocide des Tutsi⸱es, qui a fait plus de 800 000 mort⸱es entre avril et juillet 1994. Le 30 mai 1994, « avec d'autres Tutsi⸱es, nous avions rejoint l'ambassade de Tanzanie, explique-t-elle tout en traçant des rues bien parallèles. Le gardien avait été payé pour nous cacher et nous faire passer pour des Tanzanien⸱nes. Nous n'étions plus qu'à trois ou quatre rues de l'hôtel des Milles-Collines (1). C'était notre dernière chance de profiter des évacuations, le lendemain, le 31 mai, vers le camp de Kabuga, tenu par le FPR [Front patriotique rwandais, groupe armé essentiellement constitué de Tutsi⸱es exilé⸱es et qui a mis fin au génocide, NDLR]. Je savais que si je ne rejoignais pas l'hôtel, c'était la mort assurée. »

Après avoir passé plusieurs clôtures, Béatrice et ses compagnons d'infortune doivent terminer leur course à découvert sur la grande avenue qui longe l'établissement de luxe. « Un convoi des FAR [Forces armées rwandaises, qui participaient au génocide, NDLR] nous a repéré·es, arrêté·es et mis·es à genoux, se rappelle-t-elle. Heureusement, un Casque bleu des Nations unies a vu la scène depuis l'entrée de l'hôtel. Il est venu vers ces militaires avec son arme brandie et j'en ai profité pour crier aux autres de courir vers l'hôtel… Voilà comment je m'en suis sortie. J'ai dormi dans un couloir de l'hôtel et, le lendemain, j'ai pu partir à Kabuga avec un convoi de la Minuar. »

Béatrice Kabuguza est une témoin clé. Si son récit de rescapée est tout aussi terrifiant que ceux des autres survivant⸱es, son histoire aurait dû être bien différente : en 1994, elle a 35 ans et est employée par la France depuis treize ans en tant que secrétaire du chef de la mission de coopération et d'action culturelle – Michel Cuingnet, à l'époque des faits. Comme les autres employé⸱es rwandais⸱es, elle a pourtant été abandonnée à son sort. D'origine tutsie, elle a miraculeusement échappé à la mort, contrairement à dix-sept de ses collègues. Certains d'entre eux étaient des ami⸱es très proches.

Un diplomate inexpérimenté et un récit remis en cause

Depuis trente ans, les raisons qui ont poussé la France à ne pas évacuer les employés locaux durant le génocide restent incertaines. Cette négligence est soulignée dans un recours contre l'État français déposé devant le Tribunal administratif, en avril 2023, par des associations, des rescapé⸱es et des familles de victimes, dont des ancien⸱nes employé⸱es du réseau diplomatique français. Des critiques visent aussi l'ancien ambassadeur de France Jean-Michel Marlaud. Ce dernier a publié un livre en décembre 2022, Dire l'indicible (L'Harmattan). Sur le sort des employé⸱es, qu'il balaye en deux pages, il réitère son argumentaire livré en 1998 devant la mission d'information parlementaire sur le Rwanda (2), qui a enquêté sur la responsabilité de la France dans le génocide. Selon lui, les employés locaux étaient injoignables, il n'y avait pas de plans d'évacuation les concernant et il était dangereux de circuler dans Kigali pour les rechercher...

Le diplomate est nommé à Kigali le 29 mars 1993. À 38 ans, après seulement deux courtes expériences à l'étranger, il s'agit de son premier poste d'ambassadeur – un âge exceptionnellement jeune pour occuper de telles responsabilités. Surtout, l'énarque ne connaît rien à l'Afrique et encore moins au Rwanda, alors que la France est en première ligne dans les négociations de paix – qui aboutiront aux accords d'Arusha, le 4 août 1993 – entre le régime du président Juvénal Habyarimana et les rebelles du FPR. Il remplace Georges Martres, qui fait alors valoir ses droits à la retraite. Issu de la coopération, ce vieux routier de la diplomatie française en Afrique est passé par le Mali, le Niger, le Sénégal et le Cameroun. Cette nomination surprenante est-elle un signal de rupture envoyé au pouvoir rwandais ? Pas vraiment. Avant de s'envoler pour le pays des Milles Collines, Marlaud est reçu par le directeur des Affaires africaines et malgaches, Jean-Marc de La Sablière, en présence de Martres. Sa consigne, que relate l'ancien ambassadeur dans son livre (p. 23) : « Continuez la politique de votre prédécesseur. »

Béatrice ne s'est jamais exprimée sur l'abandon des employé⸱es de la chancellerie française. Aujourd'hui, elle brise le silence et confie avoir été « choquée par les propos des diplomates français, notamment lors de la commission Quilès de 1998 ». Pour elle, il n'a jamais été question d'évacuer les agents locaux. Pour appuyer son sentiment, elle va se remémorer durant cet entretien les « mensonges » distillés depuis trente ans, et va leur opposer les faits dont elle a été témoin.

Ses informations viennent corroborer celles qui ont déjà été avancées par d'autres survivant⸱es, comme l'ancien employé du Centre d'échanges culturels franco-rwandais (CECFR, désormais Institut français), Vénuste Kayimahe, dans son livre France-Rwanda : les coulisses du génocide. Témoignage d'un rescapé (Dagorno, 2001). Celui-ci a régulièrement été décrédibilisé par des militaires ou des diplomates français : certes, certains de ses souvenirs sont peut-être imprécis (des dates, des noms...), malmenés par la douleur d'avoir perdu une de ses filles, sa mère, ses frères et ses sœurs ainsi que leurs familles, et le sentiment d'avoir été abandonné par le pays pour lequel il travaillait depuis vingt ans. Mais son témoignage reste puissant et mérite attention. Il y a aussi les souvenirs d'Étienne Nsanzimana, le fils de Pierre Nsanzimana – le seul employé rwandais évacué par la France (décédé en 2023), qu'Afrique XXI a rencontré pour le premier épisode de cette série consacré à Gaudence Mukamurenzi, une de ses tantes, qui était secrétaire de l'ambassade, assassinée le 19 avril 1994.

« La question ne s'est pas posée »

Le 7 avril 1994, au lendemain de l'attentat contre l'avion du président rwandais, Juvénal Habyarimana, dont la mort servira de prétexte au déclenchement du génocide, les employé⸱es tutsi⸱es de l'ambassade sont menacé⸱es à plusieurs endroits de la ville. Dans le quartier de Muhima, où elle a emménagé six mois plus tôt, Béatrice se terre chez elle : « Je suis restée chez moi parce que les sorties étaient interdites, raconte-t-elle. Sinon, j'aurais essayé de rejoindre l'ambassade ou les églises. Je pensais aussi que ça passerait… Les tueries avaient commencé. Je n'avais aucun contact, je me cachais et j'écoutais la radio, c'était le seul moyen de s'informer. Les voisins ne me connaissaient pas encore et je dois ma vie à ça, je pense. »

D'autres ont en effet dû fuir leur domicile, pourchassé⸱es par leurs voisin⸱es excité⸱es par les appels au meurtre diffusés par la Radio-télévision des Milles Collines (RTLM) qui, dès le 6 avril au soir, a appelé à exterminer les « inyenzi » (les « cafards »). Les noms de certain⸱es Tutsi⸱es étaient même cités. Parmi eux, plusieurs employé⸱es de l'ambassade, dont Pierre Nsanzimana, du service des états civils. Il vit dans le quartier de Nyakabanda quand, le 7 avril, il doit mettre à l'abri sa famille chez un voisin hutu, sa maison ayant été attaquée par des miliciens Interahamwe. À une centaine de mètres de chez lui, la petite sœur de sa femme, Gaudence Mukamurenzi, a aussi été attaquée le lendemain de l'attentat. Son mari a été assassiné, et le fils aîné de celui-ci (issu d'une première union) a disparu. Elle et ses enfants vont trouver refuge dans le débarras d'un voisin.

Immaculée Mukamuligo, la collègue et amie de Béatrice, a dû faire de même. Vénuste Kayimahe, à qui la directrice du CECFR, Anne Cros, avait demandé de quitter les locaux quelques jours plus tôt, a dû y rester caché avec sa femme et certains de ses enfants. Il y a aussi les employé⸱es des résidences, comme Déo Twagirayezu, le maître d'hôtel du chef de mission de la coopération, qui sont resté⸱es chez leur employeur français, dans l'incapacité de rentrer chez eux.

Le 8 avril, la nouvelle de l'assassinat de deux gendarmes français et de l'épouse de l'un d'eux (3) décide Paris à évacuer ses ressortissant⸱es. À cette fin, débute dans la nuit du 8 au 9 avril l'opération Amaryllis, qui se poursuivra jusqu'au 14 avril. La mission des 460 militaires français⸱es est facilitée par l'existence de plans de sécurité, qui permettent de localiser les expatrié⸱es dans Kigali. Les quartiers sont organisés en « îlots », coordonnés par des « chefs d'îlot ». « Après l'attentat, nous avons joint les chefs d'îlot », précise Jean-Michel Marlaud, rencontré à Paris par Afrique XXI le 8 janvier 2024. Les Français⸱es sont ensuite regroupé⸱es à l'École francophone Antoine-de-Saint-Exupéry en attendant leur départ pour l'aéroport. En revanche, le sort des employé⸱es rwandais⸱es de la chancellerie n'est pas évoqué. « La question ne s'est pas posée, [la mission d'Amaryllis] consistait à évacuer les ressortissants français », explique Jean-Michel Marlaud.

« Il me semble que je me sois trompé »

Le premier télégramme qui autorise l'évacuation des employés locaux arrive à l'ambassade le 11 avril en milieu de journée, puis à Amaryllis dans la soirée (4). « Nous ne savions pas où habitaient les Rwandais qui travaillaient à l'ambassade », affirme Jean-Michel Marlaud dans son livre (p. 123). « Dans tous les pays, ces plans [de sécurité] concernaient les seuls Français. D'ailleurs, lors de la précédente évacuation au Rwanda, en 1990, nul n'avait soulevé la question des recrutés locaux », poursuit-il (p. 124). Selon lui, à cette absence de plans d'évacuation des employés locaux s'ajoutait le fait que « les quartiers ou les rues n'ayant pas de nom et les maisons pas de numéro, il était tout aussi difficile de se rendre au domicile des membres du personnel local » (5).

Deux survivant⸱es infirment pourtant ces allégations. Vénuste Kayimahe écrit dans son livre que, « deux ans auparavant […], le personnel rwandais de la Mission [de coopération], de la chancellerie et du Centre d'échanges culturels franco-rwandais a également fourni toutes les informations sur la façon de les atteindre, en vue d'une évacuation en cas de besoin. […] Nous avons rempli des fiches et fait des croquis de notre lieu d'habitation » (6). « J'ai moi-même travaillé sur ces documents, confirme Béatrice Kabuguza. On avait fait les plans précis des quartiers et des résidences. C'était facile à trouver. Ils étaient déposés avec les plans d'évacuation des expatrié⸱es, dont je me suis aussi occupée avec un militaire français. On a réalisé ce travail au lendemain des événements d'octobre 1990 (7). »

Face à ces témoignages, Jean-Michel Marlaud, qui s'en tient à la même version depuis trois décennies, est étonné : « Je ne le savais pas. Le plan de sécurité était tenu par le consulat, donc par William Bunel [décédé depuis, NDLR]. Certes, il n'était pas à Kigali au moment de l'attentat, mais il est revenu 24 ou 48 heures après… Je ne comprends pas, il semble que je me sois trompé. » « Ces plans étaient connus des services de l'ambassade », lance Béatrice Kabuguza. Concernant la présence de Vénuste Kamyimahe et de sa famille au CECFR (ils étaient facilement localisables, donc), le diplomate assure ne jamais avoir été mis au courant de cette information, contrairement à ce qu'affirme dans son livre l'ancien employé du Centre culturel. Selon lui, sa responsable avait prévenu l'ambassadeur (p. 147). Sa présence au Centre culturel était également connue des journalistes : il est interrogé le 12 avril 1994, et son témoignage, déchirant, est diffusé dans le journal de 20 heures de France 2 (8) :

  • On est dans une situation presque d'assiégés parce qu'il y a dehors les miliciens, les militaires, tous ceux qui peuvent nous tuer. Ils viennent de massacrer tout ce monde dans la ville de Kigali. On est condamnés. On est résignés. On attend un miracle ou alors la mort tout simplement.

« Immaculée a crié au secours au téléphone »

Vénuste Kayimahe assure par ailleurs avoir tenté de joindre l'ambassade par deux fois avec le téléphone du CECFR. Il écrit que de nombreux autres employés ont appelé le Centre culturel pour être secourus (p. 155) : « Parfois je réponds et on discute un peu, d'autres fois je n'en ai pas le courage et je raccroche sans rien dire. […] J'ai du mal à convaincre [mon interlocuteur] de mon impuissance et de la peine que je partage. Car, moi-même, l'ambassade, que j'ai appelée par deux fois, refuse de m'écouter. » Devant la mission parlementaire de 1998, Jean-Michel Marlaud a déclaré que « dans leur très grande majorité, [les recrutés locaux] n'avaient pas le téléphone. Il était très difficile de trouver un téléphone pour appeler l'ambassade ».

Outre les déclarations de Vénuste Kayimahe, beaucoup de témoignages viennent contredire cette affirmation. Plusieurs salarié⸱es rwandais⸱es se sont arrangé⸱es pour trouver un téléphone. Le récit du chef de la mission de coopération française, Michel Cuingnet, va dans ce sens. Dans un rapport rédigé à Paris le 15 avril 1994, à son retour de Kigali, voici ce qu'il écrit : « Samedi 9 avril. [...] Les secrétaires tutsis [sic] de la Mission nous font connaître qu'elles sont attaquées. Appels téléphoniques hallucinants... de personnes agressées (plantons, secrétaires, chauffeur de la Mission) cris et plus rien... » Dans le documentaire Retour à Kigali : une affaire française, de Jean-Christophe Klotz (2019), Cuingnet explique avoir « eu un appel [qu'il a] encore en mémoire, d'une secrétaire qui s'appelait Immaculée, qui a crié au secours au téléphone. J'ai prévenu l'ambassadeur et je lui ai dit : “Qu'est-ce qu'on fait avec le personnel tutsi ?” Il m'a fait répondre par je ne sais plus qui : “Ah mais les militaires vont venir les défendre”. » Michel Cuingnet n'a pu être joint avant la publication de cet article.

« Immaculée a bien joint Michel Cuingnet, confirme Béatrice Kabuguza. Ce sont les voisins qui la cachaient qui me l'ont dit… Selon eux, il lui a répondu qu'il ne pouvait rien faire pour elle. C'est à cette occasion que j'ai appris qu'elle avait été trouvée par les Interahamwe et tuée par balles. » Ce jour-là, « peut-être autour du 10 avril, se remémore-t-elle, j'ai pu aller chez des voisins qui avaient le téléphone. J'ai appelé mes parents, les gens qui cachaient Immaculée, puis l'ambassade de France. Je suis tombée sur une dame et je me suis présentée : “Je suis Béatrice, de la coopération française, j'ai besoin de votre aide”, et elle m'a répondu : “Désolé, on ne peut rien pour vous.” J'ai demandé si elle pouvait transmettre un message à monsieur Cuingnet, elle a répondu à nouveau qu'elle ne pouvait rien pour moi et a raccroché. » Qui répondait au téléphone ? « Je ne sais pas », répond Jean-Michel Marlaud.

« Désormais, nous sommes quittes »

Le 11 avril, Pierre Nsanzimana, l'employé du consulat qui s'est réfugié chez un voisin avec sa famille quatre jours plus tôt, a lui aussi pu utiliser le téléphone de son hôte pour joindre l'ambassade. Son fils Étienne, qui avait 18 ans à l'époque, s'en souvient parfaitement. Il raconte cet épisode en détail dans le livre de Laurent Larcher, Papa, qu'est-ce qu'on a fait au Rwanda ? (Seuil, 2024).

  • […] Papa a entendu le téléphone sonner dans la maison principale. Il pensait que les lignes téléphoniques étaient hors d'usage. Il a demandé la permission de passer un coup de fil à l'ambassade de France. Hussein a accepté. Une secrétaire a décroché, elle a été très surprise d'apprendre que nous étions encore en vie, l'ambassade pensait que tous les Tutsis de notre quartier avaient été tués. Un gradé est passé à côté d'elle, il a pris le combiné, il connaissait mon père, qui lui avait facilité la tâche dans une procédure d'adoption. Ce militaire a d'abord été stupéfait d'apprendre que nous étions toujours vivants, puis il lui a dit que des militaires allaient venir nous chercher.

Pierre sera le seul employé de l'ambassade a être évacué par la France. Ce cas particulier a d'ailleurs été mis en avant par Jean-Michel Marlaud lors de ses divers témoignages pour démontrer qu'il n'y avait pas eu de volonté de ne pas sauver les recrutés locaux (alors que dans le même temps, la France évacuait des génocidaires), affirmant que Pierre avait été le « seul » à avoir « réussi à joindre l'ambassade ». Pierre Nsanzimana « a pu nous indiquer où il se cachait et j'ai demandé aux militaires d'aller le chercher, écrit-il dans son livre (p. 123). Lorsqu'ils sont revenus en m'indiquant ne pas l'avoir trouvé, j'ai répondu que je ne partirais pas tant qu'il n'aurait pas été récupéré. La deuxième tentative a été la bonne. »

Sauf que, selon Pierre Nsanzimana, l'ambassadeur n'est pas à l'origine de son évacuation. Selon plusieurs personnes à qui Pierre a confié son histoire, celui-ci a d'abord eu une secrétaire qui lui a répondu qu'elle ne pouvait rien pour lui. Mais un officier, qu'il connaissait pour l'avoir aidé dans ses démarches d'adoption, a pris le téléphone et s'est chargé d'organiser son évacuation. Lors de son départ, à l'aéroport, le 12 avril, ce même militaire lui aurait d'ailleurs lancé : « Tu m'as rendu service, je t'ai rendu service, désormais nous sommes quittes. » Selon eux, à aucun moment Pierre n'a évoqué une quelconque intervention de l'ambassadeur.

« Évacuer veut-il dire "rechercher" ? »

Qui est cet officier ? Selon nos informations, il s'agirait du lieutenant-colonel Erwan de Gouvello, du Détachement d'assistance militaire et d'instruction (Dami). Dans Rwanda, ils parlent. Témoignages pour l'histoire (Laurent Larcher, Seuil, 2019), un Père blanc fait référence à cet officier et à sa démarche d'adoption d'une « petite Rwandaise » (p. 231). Erwan de Gouvello n'a pas pu être joint avant la publication de ces lignes. « Erwan de Gouvello est le militaire qui est allé cherché Pierre », admet Jean-Michel Marlaud. Mais est-ce cet officier qui a eu Pierre au téléphone ? « Je ne sais pas, honnêtement je ne me rappelle plus… Ça fait trente ans. Mais c'est lui qui est allé le chercher, ça c'est sûr. Je me souviens de Gouvello qui me dit : “On y est allés, on ne l'a pas trouvé”, et moi de lui dire : “C'est pas possible, on ne part pas sans lui.” »

Lors de cette évacuation, Pierre a tenté de convaincre les militaires d'aller chercher la sœur de sa femme, une employée de l'ambassade, qui habitait à une centaine de mètres. Ils ont refusé, expliquant que leur mission était d'évacuer Pierre et sa famille… « Je n'étais pas dans la Jeep... Je ne savais pas qu'elle habitait à côté », répond le diplomate à la retraite.

Jean-Michel Marlaud a également toujours mis en avant les ordres reçus depuis Paris, dès la mi-journée du 11 avril, élargissant l'évacuation aux employés locaux qui en feraient la demande. Cet ordre est, selon lui, la preuve que la chancellerie n'avait aucune intention d'abandonner les employé⸱es rwandais⸱es. En fin de journée, l'ordre est très clair : « Le Département vous confirme qu'il convient d'offrir aux ressortissants rwandais faisant partie du personnel de l'ambassade (recrutés locaux), pouvant être joints, la possibilité de quitter Kigali. » (9) Alors comment explique-t-il le fait de ne pas avoir cherché à récupérer celles et ceux qui étaient facilement localisables et joignables, comme les employé⸱es de la résidence de Michel Cuingnet, Béatrice Kabuguza, Gaudence Mukamurenzi ou encore Vénuste Kayimahe ? « “Il faut les évacuer”, ça veut dire : “Vous ne partez pas en les laissant”, mais est-ce que ça veut dire : “Il faut les chercher” ? Je n'ai pas la réponse… », se contente-t-il de déclarer ce 8 janvier.

« Les militaires français circulaient comme ils voulaient »

Jean-Michel Marlaud argue dans son livre que « les déplacements en ville [étaient] dangereux » (p. 123). Pourtant, il demande aux militaires de repartir chercher Pierre Nsanzimana après une première tentative infructueuse. « Enfin ! S'ils m'avaient dit “non”, je ne sais pas ce que j'aurais fait. Loin de moi l'idée de vouloir dire que c'est grâce à moi et que Gouvello n'a fait qu'exécuter mes ordres… » Kigali était certes plongée dans le chaos, mais de nombreux travaux (journalistiques, universitaires...) ont démontré que les militaires français n'avaient aucune difficulté à se déplacer. Ils étaient même plutôt bien accueillis par les génocidaires, qui pensaient que l'armée française venait les aider à repousser l'offensive du FPR.

Trente ans après le génocide, Béatrice ne décolère pas et n'arrive toujours pas à comprendre les arguments du diplomate. « Les militaires français circulaient comme ils voulaient. Jean, le chauffeur de l'ambassade, était hutu. Il pouvait très bien accompagner des convois, il ne risquait rien… En plus, il savait où habitaient la plupart d'entre nous (10). »

Si Jean-Michel Marlaud se défend avec force d'avoir sciemment abandonné les employé⸱es de la chancellerie, il n'a jamais cherché à connaître leur sort, y compris celui des trois employé⸱es de sa résidence. Caché pendant plusieurs jours au Centre culturel, où des éléments de l'opération Amaryllis s'étaient installés, Vénuste Kayimahe n'a dû son salut qu'à l'intervention de soldats belges (11) qui l'ont évacué avec sa famille, le 14 avril, après le départ du Rwanda des derniers militaires français de l'opération Amaryllis. Durant près d'un mois, Béatrice Kabuguza est, elle, restée cachée dans la résidence de Michel Cuingnet, qu'elle a rejointe fin avril après avoir dû fuir son appartement. « Le téléphone fonctionnait très bien, certains amis français m'ont appelée. Mais jamais Michel Cuingnet ou l'ambassadeur… Quand je suis partie, pour rejoindre l'hôtel des Milles Collines, j'ai laissé Déo [Twagirayezu, le maître d'hôtel, NDLR], qui n'a pas voulu nous suivre. Il disait que sa mission était d'assurer la sécurité des biens de l'ambassade... Il a été assassiné peu de temps après mon départ. »

Lire le premier article de cette série consacré à Gaudence Mukamurenzi :« La France nous a abandonnés, les bourreaux nous ont exécutés »

Notes

1- Lieu protégé par les Casques bleus de la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda, Minuar, où de nombreux Rwandais ont trouvé refuge.

2- Paul Quilès, Pierre Brana, Bernard Cazeneuve, « Rapport d'information par la Mission d'information de la Commission de la Défense nationale et des forces armées et de la Commission des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d'autres pays et l'ONU au Rwanda entre 1990 et 1994 », 1998.

3- René Maïer, Alain Didot et l'épouse de celui-ci, Gilda, ainsi que leur jardinier, Jean-Damascène Murasira, ont été assassiné⸱es le 8 avril 1994 et retrouvé⸱es sommairement enterré⸱es le 11 avril, dans le jardin de leur villa kigaloise. Lire l'enquête de Pierre Lepidi, « Le mystère des gendarmes français assassinés à Kigali », Le Monde, 5 janvier 2022.

4- Dans Rwanda, ils parlent. Témoignages pour l'histoire, de Laurent Larcher (Seuil, 2019), l'ancien ministre des Affaires étrangères Alain Juppé explique (p. 769) : « Je sais que, dans la question Amaryllis, il y a la question des dix-neufs collaborateurs tutsis de l'ambassade qui n'ont pas été évacués. [...] Des instructions avaient été données à l'ambassadeur pour les traiter comme les autres. Ces instructions n'ont pas abouti parce qu'on était là sous le commandement militaire, donc il y a peut-être eu un défaut de transmission. »

5- Audition de Jean-Michel Marlaud le 13 mai 1998 dans le cadre de la Mission d'information parlementaire sur le Rwanda. Son audition est téléchargeable ici

6- Vénuste Kayimahe, France-Rwanda, les coulisses du génocide. Témoignage d'un rescapé, Dagorno, 2001, p. 178.

7- Le 1er octobre 1990, le FPR lance une offensive depuis l'Ouganda voisin. Il sera repoussé in extremis grâce à l'aide de la France, qui va déployer à cette occasion l'opération d'assistance militaire Noroît (officiellement jusqu'aux accords d'Arusha d'août 1993) et évacuer près de 300 Français⸱es. Dans les jours qui ont suivi cette attaque, le régime rwandais va traquer les « infiltré⸱es » du FPR dans la population et prendre systématiquement pour cible tou·tes les Tutsi⸱es.

8- À voir, le journal de 20 heures de France 2 du 12 avril 1994, ici.

9- Commission de recherche sur les archives françaises relative au Rwanda et au génocide des Tutsi, « La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994) », rapport remis au président de la République le 26 mars 2021, p. 368.

10- Jean Rwabahizi a été jugé par les tribunaux gacaca, « reconnu coupable d'avoir joué un rôle dans les massacres de Tutsis qui avaient cherché refuge à l'église de la Sainte-Famille, à Kigali, et à l'ambassade de France », et condamné à trente ans de prison. Lire « L'ancien chauffeur de l'ambassadeur de France arrêté pour génocide à Kigali », AFP dans Jeune Afrique, 15 janvier 2010.

11- Les militaires belges étaient présents à Kigali du 10 au 14 avril dans le cadre de l'opération d'évacuation Sylver Back.

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« Le peuple a gagné » : le Guatemala inaugure le président anti-corruption Bernardo Arévalo malgré le sabotage

23 janvier 2024, par Democracy now ! — , ,
L'émission d'aujourd'hui commence au Guatemala. Plusieurs y voient une renaissance de l'espoir malgré le long délai pour l'assermentation du nouveau Président, M. Bernardo (…)

L'émission d'aujourd'hui commence au Guatemala. Plusieurs y voient une renaissance de l'espoir malgré le long délai pour l'assermentation du nouveau Président, M. Bernardo Arévalo. Il a été assermenté aux côtés de la vice-présidente, Mme Karin Herrera un peu passé minuit lundi (le 15 janvier). Mais ce n'était pas le moment prévu. Les avocats de l'opposition ont fait reporter la cérémonie plus de neuf heures dans une tentative de dernière minute de la part de l'élite corrompue du pays de bloquer la transition vers le pouvoir.

Democracy Now, 16 janvier 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Amy Goodman : Cette manœuvre a suscité une vague de protestations alors que la population de tous les coins du pays se précipitait vers la Guatemala Ciudad pour assister à ce moment historique. Les dirigeants.es indigènes ont tenu des cérémonies et des ralliements pendant que la Place constitutionnelle de la ville et son centre historique étaient remplis de gens qui célébraient. Le

Président Arévalo a pris la parole après qu'il ait finalement été assermenté : « ce qui peut sembler un simple résultat du processus politique de changements formels dans les institutions, est en réalité le début d'une transformation qui a commencé en chacun et chacune de nous. Nous partageons un horizon où nous sommes unis.es pour construire le pays auquel nous aspirons tous et toutes qui s'épanoui et prospère. Nous ne pouvons-nous habituer aux peines quotidiennes ou tourner le regard des pénibles réalités. Nous ne pouvons, nous limiter à rêver à l'avenir ou à nous réfugier dans le passé. Nous devons prendre nos responsabilités en ce moment présent pour ce moment présent. Le Guatemala se présente à nous avec d'énormes de défis que nous ne pouvons ignorer ».

Après son assermentation le nouveau Président a posté un message sur les réseaux sociaux : « Le Guatemala va de l'avant ». Dans ses premières remarques il a remercié la jeunesse guatémaltèque et les communautés indigènes qui se sont opposées devant le Bureau de la Procureure générale.

La victoire du Président Arévalo a choqué l'extrême droite politique du pays de même que l'élite d'affaire qui contrôlent le Guatemala depuis des décennies. Depuis sa victoire en août dernier, la Procureure générale, Mme Consuelo Porras a lancé une campagne pour l'empêcher de prendre le pouvoir. Elle a aussi visé d'autres membres du Parti Semilla (semence) avec des accusations non fondées de fraudes et autres motifs.

Bernardo Arévalo est le fils de l'ancien Président Juan José Arévalo premier à être élu démocratiquement qui a mis de l'avant des politiques révolutionnaires durant ses mandats de 1945 à 1951. Trois ans plus tard, en 1954, la CIA a soutenu un coup d'État qui a mis fin à la démocratie dans le pays. Pour ses supporters, l'élection du Président Arévalo est un nouveau printemps.

Pour en savoir plus, nous nous tournons vers trois invités.es : à Ciudad Guatemala, Andrea Villagrán membre du Congrès guatémaltèque faisant parti du Parti Movimiento Semilla, le Mouvement semence.

Bienvenue à Democracy Now et félicitations. Ça été un vrai suspense jusqu'à la fin dimanche dernier. Je vous ai suivi d'heure en heure. Je pense que M. Arévalo a posté un message disant : « Tenez bon ; ça va vraiment arriver ». Ça aura pris presque neuf heures. Chez-nous il était une heure du matin, lundi matin. Donnez-nous la signification de cette victoire, de toutes vos victoires alors que la Procureure générale vous avait visés.es tous et toutes tant que vous êtes.

Andrea Villagrán : bonjour, merci pour l'invitation.

Ici, au Guatemala nous vivons des moments d'espoir très joyeux maintenant que nous avons un Président qui nous représente et qui combat la corruption, ce qui nous change de ce que nous avons vu durant les dernières décennies. C'est le passage d'un régime reposant sur un système de corruption, autoritaire, à un régime démocratique. Le peuple a élu Semilla parce qu'il rejette toutes les pratiques traditionnelles de corruption. Avec l'administration Arévalo, nous allons mettre le peuple au centre de nos préoccupations, et lui donner ce que nous demandons depuis bien longtemps. Nous allons nous attaquer à la corruption et mettre l'accent sur le rétablissement démocratique des institutions. Nous allons essayer de récupérer les services publics, la santé, l'éducation et les services de base dont les Guatémaltèques ont besoin.

Juan González : Pouvez-vous aussi nous parler de la situation au Congrès avec ces élus.es conservateurs.trices qui ont tenté d'empêcher le nouveau Président d'arriver avec son programme ? Dans ce Congrès, comment Semilla pourra-t-il faire voter ses lois ?

A.V. : Fondamentalement, il y a au Congrès un groupe de corrompus qui a tenté de maintenir ses privilèges à l'impunité et à la corruption. Il essaie …le 14 janvier, il a même tout tenté pour retarder une session du Congrès en introduisant toutes sortes d'actions illégales pour empêcher la passation des pouvoirs. Mais nous avons gagné au Congrès ; nous sommes 160 contre 92 élus.es pour défendre la démocratie. Donc, nous avons été capables d'assurer la passation des pouvoirs durant la nuit du 14 janvier. C'était une session très dure, très intense. Mais finalement le peuple a gagné. La volonté du peuple d'élire Bernardo Arévalo et Karin Herrera a prévalu. Nous avons donc été capables d'assurer le transfert des pouvoirs à minuit le 14 janvier.

J.G. : Pouvez-vous nous parler de l'histoire de Semilla, comment il s'est développé et comment il est arrivé (à cette victoire) ?

A.V. : Le Movimiento Semilla est issu des protestations de 2015. Nous avions tout un lot de preuves de cas de corruption montrant comment les élus.es, les politiciens.nes abusaient et ainsi affectaient nos vies en matière de santé et par l'augmentation terrible du coût de la vie. Nous voyions beaucoup de migration à cause du manque d'opportunités. Donc, le mouvement s'est transformé en parti politique avec des gens qui voulaient du changement. Après deux cycles électoraux, nous avons fait élire sept députés.es ; nous sommes maintenant 23.

Avec les résultats du premier tour, le 25 juin dernier, Bernardo Arévalo a pu se présenter au deuxième tour le 20 août et il a été élu. Nous avons été attaqués pendant plus de six mois, je dirais depuis juin. Nous en avons subi tout un flot qui visaient à l'empêcher de prendre le pouvoir. Nous avons été défendu par le peuple. Tout était contre nous : le système de justice et le Congrès. L'ancien Président, M. Alejandro Giammattei nous attaquait. Nous nous sommes défendus mais c'est la population qui est descendu dans les rues pour protester, pour défendre son vote, sa victoire dans les urnes. Un grand nombre des leaders indigènes ont défendu le mouvement non pas parce que nous étions un parti politique qui pouvait représenter leurs intérêts mais surtout pour défendre la démocratie.

Résultat : toutes ces attaques ont abouti à une unité renforcée entre les jeunes, les leaders indigènes et les secteurs privés. Je dirais aussi avec ceux et celles qui voulaient un nouveau chapitre de la vie politique au Guatemala, une avancée vers un système démocratique. C'est ainsi que nous avons pu nous rendre où nous sommes aujourd'hui, que nous avons pu avoir le transfert des pouvoirs le 14 janvier. Nous avons fait face à beaucoup d'obstacles mais nous avons pu aller de l'avant parce que nous avons l'appui de la population qui nous a choisi.

A.G. : Merci beaucoup Andrea Villagrán d'avoir été avec nous. Nous restons à Ciudad Guatemala pour parler à Frank LaRue, avocat et militant des droits humains dans le pays. Lucía Ixchíu nous rejoint également. Elle est une dirigeant indigène K'iche en exil. Elle nous parle depuis Bibao en Espagne.

Lucía, je voudrais commencer avec vous. La victoire du Président Arévalo est due en bonne partie à l'incroyable mobilisation des indigènes guatémaltèques. Pouvez-vous nous parler de cette mobilisation ? En 2015, vous étiez une des dirigeantes étudiantes qui a aidé à diriger le Movimiento Semilla vers le Parti Semilla et vers ce que nous voyons aujourd'hui dans votre pays.

LuÍa IxchÍu : Bonjour tous et toutes. Pour moi, voir les autorités indigènes de 48 cantons, 48 cantones, (agir de la sorte) est un honneur. Je n'avais jamais imaginé voir nos autorités indigènes envahir Ciudad Guatemala et prendre le pouvoir. Pour moi, il ne s'agit pas vraiment (du résultat d'une élection). Ce n'est pas exactement ce qui se passe en ce moment dans le pays. Nous nous opposons au colonialisme, à 531 ans d'esclavage. Le Guatemala est un des pays le plus pauvre du monde où la condition d'esclavage règne encore aujourd'hui. Le peuple est entré dans un processus libre. Pour moi, c'est un moment radical. Je n'ai jamais imaginé cela. Je n'ai jamais imaginé les indigènes envahissant la capitale ; nos manifestations se sont toujours tenues sur nos hauts plateaux. Nous avons toujours défendu notre terre mère. Nous avons toujours défendu nos territoires. Nous nous sommes toujours battu. Nous avons combattu le colonialisme et ses pratiques extractives depuis 550 ans.

Mais maintenant, nous savons que la réalité doit changer parce que le pays est sous dictature d'extrême droite depuis 17 ans. Ce n'est pas nouveau. Nous ne pouvions voter que pour des partis d'extrême droite. Donc, c'est pourquoi le peuple voulait ce changement. Pour nous, c'est une inspiration. Je suis tellement fière de faire partie du peuple K'iche de ces 48 cantones, avec Totonicapán, qui est un des leaders à qui le Guatemala doit être reconnaissant comme aux autorités indigènes de tout le pays. À cause de cette action, de cette grève, de ces manifestations, nous avons maintenant un pays où nous pouvons récupérer toutes les petites parts de démocratie en ce moment même.

J.G. : LucÍa vous êtes maintenant en Espagne. Vous y avez reçu le statut de réfugiée après avoir fui le Guatemala. Pouvez-vous nous parler un peu de votre expérience, des menaces et des problèmes que vous et votre sœur avez eu au Guatemala ?

L.I. : Nous avons subi trois tentatives de meurtre dans notre pays. Il y a deux causes contre moi pour criminalisation et pour être une leader indigène qui veut changer la réalité au Guatemala. Même chose pour ma sœur. Elle a subi une tentative de meurtre elle aussi. La situation des indigènes, des journalistes et des militants.es comme nous empire toujours. Durant la crise de la COVID !9 sous la dictature, c'était vraiment horrible pour les défenseurs des droits humains et de la terre au Guatemala. Les meurtres ont augmenté. La situation était vraiment épouvantable.

C'est pour cela que nous n'avons rien du tout. Les conditions ne nous permettent pas de nous défendre au tribunal à cause de la dictature ; au Guatemala, le bureau du/de la Procureur.re général.e fait partie de la dictature. Je le répète : au Guatemala, il y a une dictature judiciaire en ce moment. Pour moi, le plus grand changement (qu'introduit) l'arrivée du nouveau gouvernement Arévalo, c'est de sortir Mme Porras, la procureure la plus importante parce que nous savons qu'elle est responsable de l'exil d'un grand nombre de leaders indigènes avec beaucoup de membres de ce bureau et de juges également. Ils et elles sont responsables. Alejandro Giammattei et Jimmy Morales, anciens présidents, sont responsables. Maintenant, nous pouvons envisager un retour au pays mais selon certaines conditions ; en ce moment nous ne sommes pas certaines de pouvouir le faire.

A.G. : Je veux traiter de ce sujet avec Frank LaRue. Quelles sont ces conditions ? Est-ce que l'arrivée du nouveau Président signifie la fin de la lutte contre ce qui est connu comme le « pacto de corruptos », le pacte des militaires, des gouvernants.es et de l'élite d'affaire en faveur de la corruption ? Frank, vous êtes un militant de longue date, un avocat, vous avez vu ce qui est arrivé en 1954 quand le Président américain a aidé au renversement du Président guatémaltèque en soutient à United Fruit. N'était-ce pas les frères Dulles ? John Foster Dulles secrétaire d'État à l'époque avait déjà représenté la compagnie, il était son avocat. Mais cela a signifié l'assassinat de centaines de milliers de guatémaltèques au fil du temps. Comment cela a-t-il affecté les événements jusqu'à ceux de dimanche quand il a fallu attendre des heures pour l'assermentation à cause des manœuvres de dernières minute des membres conservateurs et conservatrices du Congrès et de la procureure générale ? Pensez-vous que le Président Arévalo est en sécurité ?

Frank LaRue : Merci de m'avoir invité Amy.

Ma réponse est oui. Comme l'ont dit les deux personnes qui m'ont précédé, la transition est vraie. Je suis très heureux que vous l'ayez mentionné aux deux autres invités.es aussi. Un des précédents historique (de l'actuelle situation), est que le père du Président Arévalo faisait partie de ce qui est considéré comme le premier printemps qui a pris fin avec le coup d'État de 1954. Il est important de mentionner que durant cette période nous avons vécu sous dictature, régimes militaires et que nous avons connu une période de génocide. Il y a eu plus de 200,000 victimes qui ont donné leur vie en luttant pour un processus de paix. Aujourd'hui, 27 ans après le processus de paix, nous commençons à voir du changement au pays. Et je pense que cette fois il s'agit de réels changements.

Il y a deux enjeux sur lesquels il faut mettre l'accent à mon sens. Bernardo Arévalo est tout-à–fait fiable. Ceux et celles qui ont voté pour lui, sans nécessairement le connaître personnellement, ont confiance dans son honnêteté, ont confiance dans Semilla, le Parti. Je suis d'accord avec la députée Villagrán : nous sommes enthousiastes de pouvoir faire cesser le passé de la corruption. Mais l'autre enjeu sur lequel il faut insister, est ce que Lucía Uxchíu a mentionné très clairement, c'est-à-dire la possibilité pour le leadership indigène et ancestral comme je les appelle, d'apporter sa force, de montrer au monde et à l'élite dominante du pays qui les a dominés.es et abusés.es, que les temps changent. Le Guatemala est un pays avec des enjeux importants d'exclusion, de différence, de différences économiques. Il y a un fossé entre les communautés indigènes et non indigènes. Il est temps que cela change. Et je pense que le changement est irréversible.

Honnêtement, je crois que l'administration Arévalo-Herrera sera capable d'introduire ce changement. Mais je pense que cela va demander un travail énorme. Ils héritent d'une Chambre en désordre, d'un pays en désordre avec d'énormes problèmes sociaux et d'inégalités, d'un État ravagé qui ne donne pas de garanties de sécurité, de santé, d'éducation ni de services de base. Donc le défi est énorme. Mais je crois qu'ils sont à la hauteur.

Mais le facteur le plus important sans doute est le niveau de conscience du peuple guatémaltèque. Les gens ont voté, les jeunes dans les villes mais, comme le mentionnait Lucia, (il y a eu) l'implication des peuples indigènes. C'était une preuve de leur force. Je pense que ceux et celles qui ont exercé le pouvoir dans le passé ne peuvent pas les battre ; cette fois les peuples indigènes ont dit : « Nous ne nous battons pas pour une élection. Nous ne nous battons pas pour une seule victoire. Nous nous battons pour sauver la démocratie et pour les obliger à respecter notre vote ».

De toute évidence, ceux et celles qui sont contre Bernardo et la transition vers la démocratie sont allés.es au bout de tout avec cette longue session de neuf heures au Congrès. Tout a été fait pour tenter d'empêcher la transition mais nous avons réussi. Je pense que c'est un moment de véritable espoir dans le pays. Espoir à cause de la transition, parce que c'est la première fois que nous avons un bon gouvernement honnête, mais aussi parce que la population est mobilisée. C'est la victoire du peuple guatémaltèque spécialement les indigènes.

J.G. : Frank, je voulais vous demander ce que vous anticipez du gouvernement américain ? Les gouvernements antérieurs ont toujours supporté l'élite corrompue pour qu'elle se maintienne au pouvoir au Guatemala. Qu'attendez-vous de votre nouvelle administration et de celle du Président Biden à Washington ?

F.LR. : Nous attendons un soutien solide. En fait, les États-Unis, la communauté internationale dont l'OAS qui n'a pas un passé très convaincant et l'Union européenne ont tous soutenu la transition. Je pense que nous étions à un point ou tous et toutes reconnaissaient que le Guatemala était au bord de l'effondrement, de l'implosion s'il persistait dans (sa situation politique) et que la seule façon de s'en sortir était de restaurer la démocratie. C'est, selon moi ce qui a fait que ces instances internationales ont offert leur appui à Bernardo Arévalo, Karim Herrera et au Parti Semilla pour former le gouvernement. Et je pense que c'est important.

Maintenant il faut que cet appui dure. Dans son discours, Bernardo a dit : « Nous remercions la communauté internationale mais s'il vous plait, ne nous oublié pas. Arriver au pouvoir n'est qu'un premier pas, en réalité un pas originel de ce qui sera un long processus. S'il vous plait, soyez avec nous tout au long de ce long processus ».

Évidemment nous sommes liés à différentes politiques. L'actuelle administration à Washington a fait les bonnes déclarations, pris les bonnes positions. Mais nous nous rappelons que lors de l'administration antérieure avec le Président Trump, la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala, une expérience positive en matière de justice, a été attaquée par les élites et cette administration qui s'en sont détaché et l'ont laissée s'effondrer. Ce fut tragique. Donc, il est crucial de comprendre que les politiques à Washington ont un effet direct sur la capacité des élites à obtenir ce qu'elles veulent.

A.G. : Finalement, Lucía Ixchíu en Espagne, aimeriez-vous être au Guatemala en y étant en sécurité ? Quelle est votre demande finale à la nouvelle administration Arévalo, maintenant que la transition est en place, ?

L.I. : En ce moment, nous sommes organisées à titre de migrantes, d'exilées en Europe. Nous sommes en contact avec des réseaux de migrants.es aux États-Unis aussi. Nous avons nos propres demandes. Nous existons, nous sommes essentielles pour le pays même si l'État nous a forcées à quitter pour toutes sortes de raisons. Nous avons nos propres demandes et nous voulons parler au gouvernement Arévalo-Herrera. Nous voulons leur parler, leur faire savoir ce que nous voulons. Nous voulons des droits, que nous soyons reconnues comme personnes même comme communautés de migrants.es et exilés.es hors du pays car nous lui sommes essentielles. Nous avons travaillé avec intensité, nous nous sommes activés.es et avons fait campagne auprès des représentants.es internationaux en Europe et aux États-Unis. Notre travail a été essentiel pour le retour de la démocratie dans le pays.

A.G. : Je vous remercie tous les deux. (…) Je voudrais vous demander de demeurer en ligne après l'émission pour que nous puissions avoir une entrevue en Espagnol pour Demacracy Now ! en Espagnol et la mettre en ligne.

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Soutien à la grève générale du 24 janvier en Argentine

23 janvier 2024, par Bureau de la Quatrième Internationale — , ,
Nous exprimons notre ferme soutien à la grève générale convoquée pour le 24 janvier en Argentine, en rejet du Décret de Nécessité et d'Urgence (DNU), du projet de loi omnibus (…)

Nous exprimons notre ferme soutien à la grève générale convoquée pour le 24 janvier en Argentine, en rejet du Décret de Nécessité et d'Urgence (DNU), du projet de loi omnibus et du protocole limitant la protestation sociale, que le gouvernement Milei entend imposer. Ces mesures représentent une offensive claire contre la classe ouvrière et le peuple dans son ensemble.

Quatrième internationale
22 janvier 2024

Par Bureau de la Quatrième Internationale

Ils cherchent à profiter aux grands groupes économiques et au Fonds monétaire international, au prix d'une violation des droits humains et des droits du travail les plus élémentaires du peuple argentin. Une dévaluation de 115 % du peso argentin a été décrétée, ce qui a provoqué une inflation galopante et une hausse des prix des transports, des denrées alimentaires et des services de base, entraînant une réduction brutale des salaires des travailleurs et des retraités et des milliers de licenciements dans le secteur public.

Avec ces mesures, le président Milei entend également s'arroger des pouvoirs extraordinaires, en contournant le pouvoir législatif. Il modifie des centaines de lois existantes, fait progresser la privatisation des entreprises publiques, établit un cadre réglementaire qui renforce l'extractivisme et la destruction des biens communs, et restreint les droits fondamentaux des travailleurs tels que le droit de grève, l'organisation syndicale et la mobilisation.

Le peuple argentin est descendu dans la rue, défiant les mesures répressives visant à empêcher les mobilisations, montrant son indignation et sa volonté de défendre les droits acquis au cours d'années de lutte.

Pour mettre en échec le plan de Milei et du FMI, il est nécessaire de construire l'unité la plus large, pour défendre les salaires, les pensions, les plans sociaux, la liberté d'organisation, de manifestation et d'expression, ainsi que pour exiger le non-paiement de la dette publique frauduleuse et odieuse. Il est essentiel de renforcer les espaces d'organisation et de délibération en assemblée dans les quartiers et les lieux de travail qui permettent une participation démocratique afin de générer un protagonisme populaire dans ce processus.

L'Argentine est aujourd'hui un laboratoire de l'extrême-droite internationale, qui suit de près le processus d'offensive contre la classe ouvrière et le peuple dans son ensemble.

Promouvons la solidarité internationale pour soutenir la grève générale.

Contre le décret de nécessité et d'urgence et la loi Omnibus du gouvernement de Milei !

Unité, pour l'organisation et la lutte pour faire échouer l'ajustement et le paquet de réformes !

Solidarité internationaliste avec le peuple argentin.

Bureau de la Quatrième Internationale, Paris, 22 janvier 2024

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