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Pour que les horreurs du carnage de Gaza soient les derniers, purger l’État d’Israël de ses fondements sionistes !
L'enfer sur terre ! Les semaines et les mois passent et le martyre des Palestiniens de Gaza, mais aussi de ceux de Cisjordanie, continue et atteint, jour après jour, de nouveaux sommets d'horreur ! Et c'est d'autant plus infâme et intolérable que le massacre se déroule devant les yeux de tout le monde, en direct sur nos écrans de télé, jour et nuit, sans interruption. Et avec la complicité active (États-Unis, UE) ou passive (Chine, Russie, Inde) des « grands » de ce monde, qui se contentent de jouer aux spectateurs, tout en prédisant que le pire est à venir ! L'horreur mêlé d'insoutenable émotion, de rage, mais aussi du plus profond dégoût…
Novembe 2023 | tiré d'Inprecor
https://inprecor.fr/articles/article-2717.html
Dégoût pour nos dirigeants occidentaux qui, ne craignent pas le ridicule le plus macabre, quand ils n'arrêtent pas d'appeler Israël à...protéger les civils Palestiniens, au moment précis où ce même Israël ne fait que les exterminer méthodiquement ! Et comble de ce ridicule macabre, le gouvernement américain qui... félicite Israël, constatant que l'armée israélienne se conforme aux souhaits américains de protéger la vie des civils palestiniens pendant que les hécatombes des ces civils Palestiniens s'accumulent et dépassent tout précédent !
Dégoût aussi pour -presque tous- nos médias et leurs journalistes qui persistent à nous parler d'une certaine « guerre entre le Hamas et Israël », quand en réalité il n'y a qu'une guerre d'extermination bien planifiée menée par Israël contre le peuple palestinien sous prétexte d'opérations militaires visant à la liquidation du Hamas, dont le crime est exactement qu'il a offert à Israël ce prétexte avec ses actions terroristes du 7 Octobre. Ces médias et leurs journalistes qui passent sous un silence assourdissant le martyre des Palestiniens au point de ne rien dire même de leurs propres collègues, ces 72 journalistes ciblés en priorité et tués à Gaza par l'armée israélienne, depuis le début de cette barbarie. Ces médias et leurs journalistes qui ne ressentent pas le besoin de protester même par solidarité professionnelle, contre les autorités israéliennes qui menacent de représailles qui vont de l'asphyxie économique à la fermeture, les quelques médias qui osent rapporter les faits bruts et donner la parole aux victimes du génocide en cours. Ces quelques médias que nous ressentons le devoir de nommer par leur nom, le quotidien israélien Haaretz, et les chaînes télé qui font honneur au journalisme, comme la britannique BBC, et encore plus l'americaine CNN, et surtout l'arabe Al Jazeera dont les journalistes payent avec leurs vies et leur sang et le sang de leurs familles, le fait qu'ils font ce que refuse de faire l'écrasante majorité de leurs collègues des médias occidentaux, médias français en tête : rapporter fidèlement ce qui se passe sur le terrain, en donnant la parole aux victimes mais aussi a leurs bourreaux.
Dégoût donc et répulsion pour ces mêmes médias, qui donnent de plus en plus l'impression d'être en mission commandée, et qui cachent habilement derrière des phrases prétendument « neutres » faisant état des « frappes » israéliennes, la réalité quotidienne qui consiste en ces véritables exercices de tir de l'armée israélienne contre les civils Palestiniens sans défense, terrorisés, ensanglantés, affamés, assoiffés, et déjà décimés, qui errent même à pied ou à dos d'âne (!) sous une avalanche d'obus, de missiles et de bombes de 900 kilos, du nord au sud, et du sud au nord de cette minuscule Bande de Gaza, au gré du sadisme de leurs bourreaux armés jusqu'aux dents. D'un sadisme qui n'est pas du tout gratuit, mais qui fait partie intégrante de l'arrogance suprémaciste qui caractérise non seulement les actuels dirigeants mais aussi leur État, et malheureusement même la majeure partie de la société israélienne !
Nous voici donc au cœur de l'interminable tragédie palestinienne : la nature ou plutôt la raison d'être coloniale de l'État israélien lequel, faute de constitution du pays, n'est autre que celle définie par ce qui est son projet fondateur, le projet sioniste. Un projet sioniste qui ne préconise et n'admet ni la cohabitation, ni encore moins la coexistence pacifique des peuples juif et palestinien dans un État qui doit être exclusivement juif, l'État hébreu. (1) Vu sous l'angle de ce projet sioniste, tout devient plus clair et compréhensible. Comme par exemple le refus persistant des dirigeants israéliens de tenir compte des avertissements de leurs alliés occidentaux que trop massacrer les Palestiniens ferait naître les terroristes de demain. Ici, il ne s'agit pas d'une prétendue incapacité des dirigeants israéliens de comprendre quel est leur vrai intérêt. En réalité, c'est exactement parce que les dirigeants israéliens savent très bien quel est leur intérêt, qu'ils font tout leur possible pour créer en toute conscience et entretenir en permanence la menace terroriste ! Et ils le font en humiliant, torturant, emprisonnant et en tuant les Palestiniens dès leur plus jeune age, car ils savent très bien que quand on traite quelqu'un comme un animal, on le contraint de réagir comme un animal ! Car sans ennemi et psychose de la menace extérieure qui pousse la population apeurée a s'unir derrière ses chefs, « oubliant » leurs méfaits et ses propres problèmes, il serait impossible p.ex. à Netanyahou de se maintenir au pouvoir parce que c'est bien connu que, une fois les actuelles opérations militaires terminées, il sera jugé et condamné pour sa corruption, et ira probablement terminer ses jours en prison. Mais, attention : il ne s'agit pas seulement de Netanyahou mais de l'État d'Israël lui-même lequel, plus que tout autre, a un besoin vital de la menace extérieure permanente afin de maintenir sa population, ainsi que la diaspora, unies autour de son projet sioniste.
De même, c'est seulement en l'examinant sous l'angle du projet colonial fondateur, qu'on comprend le pourquoi de l'actuelle fureur meurtrière et destructrice de l'armée israélienne à Gaza mais aussi en Cisjordanie. Encore une fois, on n'assiste pas du tout à des « erreurs » techniques et de jugement des chefs israéliens qui seraient prétendument aveuglés pas leur rage vindicative contre le Hamas et ses crimes. En réalité, le massacre méthodique et le nettoyage ethnique des Palestiniens qui a commencé avec la liquidation de ce qui est ce véritable ghetto de Gaza, se font en toute conscience car ils correspondent aux objectifs historiques du projet sioniste : la création, par l'extermination, l'expulsion et la soumission des indigènes, d'un État exclusivement juif sur l'ensemble des terres du Grand Israël !
La conclusion est évidente : un tel État est par nature monstrueux, inhumain et... irréformable. Monstrueux non seulement pour les indigènes qu'il opprime et détruit, mais aussi pour ses propres citoyens juifs auxquels il a promis la sécurité qui leur manquait cruellement et... qu'ils n'ont jamais trouvé en Israël. Et irréformable car sa logique interne a fait que ses illusions égalitaristes et démocratiques initiales soient progressivement remplacées par des glissements successifs vers une extrême droite de plus en plus raciste et antidémocratique, pour aboutir à l'actuelle extrême droite religieuse, pogromiste, obscurantiste et fascisante sinon fasciste, au discours fanatique et messianique d'un autre age.
Alors, la solution qui s'impose crève les yeux : il faut changer cet État de fond en comble, afin de le rendre au moins « normal »,« comme les autres ». En somme, il faut le de-sioniser. Ce qui ouvrirait la voie au dépassement définitif de la « solution », d'ailleurs illusoire et irréalisable, « à deux états », par la création d'un État multiethnique où pourraient cohabiter pacifiquement partageant les mêmes droits, les populations juives et palestiniennes. Cependant, la réalisation d'un tel projet n'est pas du tout facile. La dénazification de l'Allemagne à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale a été imposée par les puissances qui l'ont vaincu sur le champ de bataille. L'Apartheid sud-africain, la « purification » et la « normalisation » de l'État s'est faite de l'intérieur, à l'initiative de deux populations jusqu'alors ennemies. Sur la base de ces précédents, on peut déjà exclure l'application à Israël du modèle de la dénazification allemande parce qu'il présupposerait la défaite militaire d'Israël, ce qui conduirait très probablement à un terrible bain de sang de sa population juive.
Alors, reste la variante sud-africaine qui suppose que la dé-sionistisation d'Israël vienne de son intérieur, à l'initiative de ses propres citoyens. Cette perspective n'est pas seulement plus réalisable. Elle est aussi bien plus réaliste et effective car elle serait faite sans contrainte extérieure, et donc elle aurait toutes les chances de s'enraciner et de durer dans la conscience des premiers intéressés, ses propres citoyens. Ceci étant dit, l'état actuel de la société israélienne qui fait bloc autour de ses dirigeants et de son armée refusant de se soucier du sort des Palestiniens, ne signifie pas du tout qu'il n'y pas des Juifs déjà décidés d'entreprendre la tache historique et si lourde de conséquences de dé-sioniser leur pays. Ils existent bel et bien tant dans la diaspora qu'en Israël, au grand désarroi tant des sionistes que des antisémites qui, de commun accord, s'interdisent d'accepter l'existence des juifs qui ne sont pas sionistes. Ils existent et leur militantisme humaniste et internationaliste porte déjà des résultats qui se font sentir en Israël et de par le monde. Ce sont ces admirables jeunes Juifs et Juives des mouvements antisionistes et pacifistes comme If Not Now ou encore Jewish Voice for Peace, qui, en l'espace de quelques annnées, ont pu démultiplier leur influence au-delà de toute prévision, au point de pouvoir mobiliser ces deux derniers mois, des milliers d'autres juifs dans des manifestations et autres actions coup de poing pratiquement quotidiennes en solidarité avec les Palestiniens de Gaza, aux États-Unis et ailleurs. Ce sont aussi ces héroïques citoyens israéliens comme Sasha Povolotsky et ses camarades, qui vivent jour et nuit chez les paysans palestiniens du village Al Farisiya pour les protéger des bandes de colons israéliens, et qui n'hésitent pas de se battre contre ces commandos fascistes et de verser leur sang à coté de leurs frères Palestiniens, comme il l'ont fait il y a encore quelques jours, le 4 décembre 2023 !(2)
Oui, il faudrait sans doute qu'ils soient aujourd'hui plus nombreux, mais il faut se souvenir que les militants sud-africains quand ils ont commencé à lutter contre l'apartheid étaient aussi peu nombreux. Oui, on aimerait qu'ils soient plus nombreux mais...raison de plus pour les aider avec toutes nos forces, pour populariser leur combat et leurs idées, pour construire des mouvements de solidarité avec eux et avec ceux des Palestiniens qui mènent le même combat dans des conditions encore plus difficiles. D'ailleurs, comme le dit si bien le nom qu'ils ont choisi de donner à leur mouvement If Not Now, si ce n'est pas maintenant, alors quand ?
1. Voir l'excellent texte de Gilbert Achcar « La dualité du projet sioniste » : https://www.monde-diplomatique.fr/mav/157/ACHCAR/58306
2. Haaretz, Left-wing Israeli Activists Attacked While Protecting Settler-targeted West Bank Village : https://www.haaretz.com/israel-news/2023-12-04/ty-article/.premium/left-wing-israeli-activists-attacked-while-protecting-settler-targeted-west-bank-village/0000018c-35c4-d5f2-a5cc-77d471c10000
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« Nakba », le mot de l’année 2023
À l'occasion de la journée internationale de la langue arabe célébrée par les Nations unies le 18 décembre, nous nous arrêtons sur le mot arabe le plus mondialisé de l'année 2023 : « Nakba ». Il désigne le nettoyage ethnique subi par les Palestiniens entre 1947 et 1949, et est souvent utilisé sans traduction, avec la majuscule des noms propres, dans toutes les autres langues. Son occurrence revient massivement à l'heure où un génocide et un déplacement massif de la population sont toujours en cours à Gaza.
Tiré d'Orient XXI.
Automne 2023, le mot Nakba revient avec insistance, avec l'offensive « Glaive de fer » lancée par Israël sur Gaza, qui aura déplacé plus du double des réfugiés palestiniens de 1948, la plupart étant déjà réfugiés ou descendants de réfugiés. Quelques mois auparavant, Le 15 mai 2023, l'ONU commémorait « pour la première fois de son histoire, le déplacement massif de Palestiniens de la terre qui allait devenir Israël, il y a 75 ans, et qui a transformé du jour au lendemain 700 000 Palestiniens en réfugiés ».
Le mot « Nakba » aura fait le tour du monde, pénétré les médias, interpellé les esprits les plus indifférents. Avec sa prononciation originelle, souvent sans traduction, le mot est transcrit non seulement dans les autres langues officielles de l'ONU — français, anglais, espagnol, chinois et russe —, mais également en hindi, urdu, allemand, hébreu, japonais, ukrainien, comme en témoigne la lettre de 100 intellectuels ukrainiens solidaires (1), voire en basque et en corse.
Que signifie l'ampleur d'un tel phénomène linguistique ? Est-il lié au retour en force d'une question palestinienne que l'on croyait, ces derniers temps, définitivement enterrée ?
De « Fedayin » à « Intifada »
D'autres mots arabes liés au conflit israélo-palestinien avaient déjà accédé à la mondialisation : fedayin, dans les années 1970, désignait les premiers militants de la résistance palestinienne ayant opté pour la lutte armée, « prêts à se sacrifier » pour la cause, selon le sens du mot en arabe. Le terme intifada, avec le soulèvement palestinien pacifique de 1987, accompagnait dans la presse des photos d'enfants palestiniens affrontant des chars israéliens, soulèvement réprimé alors sans mesure par Yitzhak Rabin. La forme réflexive du verbe arabe intafada (dont le substantif est intifada, avec une troisième voyelle longue) a en réalité une signification plus dynamique que le simple fait de « se soulever ». Elle a davantage le sens de « secouer le joug ».
Un autre terme quasi identique à « Nakba », à une lettre près, avait émergé dans les médias à la suite de la guerre israélo-arabe de 1967 : « Naksa », qui peut signifier « revers, échec, défaite, débâcle », mais aussi dans certains contextes, « rechute » comme pour la résurgence d'une maladie. Cette dernière signification est intéressante. Elle correspond en quelque sorte à un syndrome d'hémorragie territoriale, couplé à un sentiment d'abattement. Le verbe dont le substantif Naksa est tiré peut, dans sa forme intensive nakkasa, signifier « baisser la tête », si l'on y adjoint le mot tête, ou « mettre un drapeau en berne », si l'on ajoute cet autre complément d'objet direct. Ce terme reste cependant confiné plutôt aux médias arabes.
Dans l'imaginaire collectif arabe, Naksa évoque ainsi à la fois une date, celle de juin 1967, et une conséquence : la perte de nouveaux territoires arabes au profit d'Israël, après ceux qui avaient été cédés à l'issue de la guerre de 1948, et qui venaient eux-mêmes s'ajouter aux territoires déjà octroyés par le plan de partage considéré comme foncièrement inique (2). En 1967, c'était au tour du Golan syrien, annexé unilatéralement en 1981, du Sinaï égyptien, restitué à l'Égypte par les accords bilatéraux de Camp David en 1979, et de nouveaux territoires palestiniens : la Cisjordanie, Gaza — dont Israël s'est retiré unilatéralement en 2005, mais qui demeure « occupé » pour les Nations unies, dans le sens où il dépend totalement d'Israël qui a instauré un blocus — et Jérusalem-Est (3). Ce nouvel épisode devait provoquer un nouvel exode, de 200 000 à 300 000 Palestiniens.
« Mina Nakba ila Naksa » (de la Nakba à la Naksa) est ainsi le titre de nombreux articles d'intellectuels arabes parus depuis, notamment celui du sociologue et historien palestinien Ibrahim Abou-Loghd. Mais le terme Nakba ne signifie pas simplement le « déplacement massif de Palestiniens », dans la foulée d'une perte territoriale.
La mère des catastrophes
A l'origine, le mot Nakba signifie selon les cas : catastrophe, désastre, calamité, fléau, sinistre. Si un même mot peut recevoir des sens différents selon le contexte, c'est définitivement le sens palestinien qui a investi le mot pour tous les locuteurs arabes. La Nakba ce n'est pas une catastrophe, c'est la catastrophe entre toutes, la mère des catastrophes. Celui qui a donné au mot cette force évocatrice suprême est l'intellectuel syrien Constantin Zoureiq en 1948, dans un opuscule intitulé Ma'ana al Nakba (Le sens de la catastrophe). Dès lors, le mot devenait un concept, dont le journal Le Monde a fait en 2018 une analyse pertinente (4), celle d'un catalyseur du nationalisme arabe, détourné à leur profit par certains régimes de la région. Un nationalisme que l'on voit se réveiller aujourd'hui parmi les peuples, contrariant la tentation d'une normalisation des régimes avec Israël, qui liquiderait la question palestinienne.
La lecture critique pénétrante qu'a pu faire l'écrivain libanais Elias Khoury en 2011 du texte de Zoureiq a ensuite donné un sens supplémentaire au terme historique. Il ne s'agit plus simplement d'un événement daté, fini, mais d'une « Nakba continue ». L'actualité de la guerre contre Gaza lui donne aujourd'hui un retentissement international, les articles de presse évoquant une « nouvelle Nakba », une « seconde Nakba ». C'est désormais un mot-image, celui de Palestiniens cherchant les leurs dans les décombres, dans la grisaille d'un paysage lunaire.
Des massacres commis par de futurs premiers ministres israéliens
La première Nakba était-elle aussi cataclysmique ? Le journal libanais L'Orient-Le jour revenait tout récemment sur des faits qui semblaient avoir disparu de nos mémoires, à savoir que le terrorisme, dont on a voulu faire une spécialité arabe, était au fondement même du futur État d'Israël : « L'Irgoun, le groupe Stern, la Haganah et la Palmach sont responsables de dizaines de massacres de civils arabes […]. Ces groupes militaires sont les cellules embryonnaires qui constituent l'actuelle armée israélienne » (5). Menahem Begin, fondateur de l'Irgoun et Yitzhak Shamir, membre de cette milice, puis cadre d'une autre, le Lehi, sont devenus par la suite premiers ministres d'Israël. L'un de ces massacres est emblématique de l'effroi suscité alors à l'international : Deir Yassine, dénoncé par Hanna Arendt et Albert Einstein dans une lettre de protestation de dignitaires juifs parue dans le New York Times le 4 décembre 1948. Un autre massacre, révélateur de la tentative d'étouffer les faits, est celui de Tantoura, longtemps nié, récemment attesté par le documentaire du cinéaste Alon Schwartz, assisté de l'historien Adam Raz, prenant à témoin plusieurs membres de la brigande Alexandroni.
La violence fondatrice de l'État d'Israël a été évoquée par Charles Enderlin dans son livre Par le feu et le sang (Albin Michel, 2008). Une formule lapidaire plus cinglante a été utilisée en 2009 par Sir Gérald Kaufmann, ancien député et ministre travailliste, élevé dans le sionisme, proche des dirigeants historiques d'Israël, dans une intervention pourtant très posée devant le parlement britannique : « Israël est né du terrorisme juif » avait-il déclaré solennellement. Le 28 novembre 2023, le Dr Gabor Maté, psychologue spécialiste des traumas, rescapé de la Shoah, déclarait dans une émission sur la chaîne de télévision britannique Talk TV, face au journaliste Piers Morgan, qu'il avait cessé d'être sioniste en découvrant que l'État d'Israël était né de « l'extirpation, l'expulsion et les multiples massacres de la population locale ».
Une épuration planifiée
De ce fait, le sens véritable de la Nakba n'est plus celui d'un simple « déplacement massif de Palestiniens », déplacement qu'Israël a longtemps tenté de présenter comme volontaire, encouragé par les armées et les radios arabes. Il est celui d'une politique de transfert qui ne recule devant rien, une épuration ethnique délibérée, réfléchie, méthodique, qui se poursuit aujourd'hui à Gaza et parallèlement en Cisjordanie. Ilan Pappé, figure de proue des « nouveaux historiens israéliens » qui avaient émergé dans les années 1980 après l'ouverture en 1978 des archives israéliennes sur cette période de l'histoire, lui a consacré un livre au titre éloquent : Le Nettoyage ethnique de la Palestine (Fayard, 2008) (6).
Cette épuration ethnique vise à accréditer par la force la légende « d'une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Elle a pour corollaire une colonisation de peuplement menée sans la moindre interruption en Cisjordanie, y compris pendant les accords d'Oslo, protégée par l'armée comme par l'exécutif, validée par toutes les institutions de l'État, jusqu'à la Cour suprême. Elle s'accompagne d'une négation des droits du peuple palestinien à l'autodétermination. La loi fondamentale israélienne de 2018 sur l'État-nation n'a fait qu'entériner un déni de facto qui était en place dès la conception du projet sioniste. En effet, le peuple palestinien n'est pas mentionné dans les écrits de Theodor Herzl, pas plus que dans la déclaration Balfour, qui évoque « les collectivités non juives existant en Palestine ». Cette loi entraîne une indispensable déshumanisation des Palestiniens, ravalés au rang d'animaux, une métaphore filée à travers les déclarations des leaders sionistes historiques. La population civile de Gaza est aujourd'hui considérée, au pire, comme étant « terroriste » (selon le président israélien, « il n'y a pas de civils à Gaza »), ou au mieux comme « boucliers humains » ou « dommages collatéraux », des chiffres sans nom, sans visage, sans histoire, sans projets.
L'épuration en marche voudrait aujourd'hui pousser les Gazaouis vers le désert égyptien du Sinaï, en rendant définitivement inhabitable leur territoire, portant à son comble un blocus installé depuis 2007, bannissant les moyens de subsistance les plus élémentaires d'une population désormais sans abri : nourriture, eau, fuel, électricité, internet, démolissant systématiquement habitations, hôpitaux, écoles, sanctuaires religieux, et terrains agricoles. Elle s'en prend également aux forces de l'esprit, en ciblant les journalistes et les intellectuels, comme le poète Refaat Alareer. Sa dernière innovation est le recours glaçant à l'intelligence artificielle (7) pour générer des centaines de cibles de bombardements, principalement civiles, prenant pour prétexte le moindre lien, le plus ténu, le plus lointain, avec un membre du Hamas.
De nombreux historiens palestiniens, comme Walid Al-Khalidi et Nour Massalha ont largement traité la question de l'épuration ethnique. À l'instar de Rachid Al-Khalidi dans son dernier ouvrage The hundred years war on Palestine (Metropolitan Books, 2020), tous soulignent le fait que cette épuration est « inhérente » au projet sioniste.
C'est tout cela que signifie désormais le mot Nakba aux yeux de l'opinion publique mondiale, avec le recours croissant au terme « génocide ». Si la Nakba est actuellement occultée par l'opinion publique israélienne, prisonnière de son propre traumatisme après l'attaque violente du 7 octobre, elle est revendiquée sans la moindre retenue par certains officiels israéliens, comme Ariel Kallner, membre du Parlement israélien, ou le ministre de l'agriculture et ancien dirigeant du Shin Bet, Avi Dichter, qui se réjouit de « dérouler une nouvelle Nakba » contre les Palestiniens.
La consécration à l'échelle internationale du mot « Nakba » témoigne surtout du dévoilement, au grand jour, de la continuité de l'entreprise sioniste, une entreprise de plus en plus désavouée par de nombreuses voix juives à travers le monde.
Notes
1- « Une lettre ukrainienne de solidarité avec le peuple palestinien », Contretemps, 3 novembre 2023.
2- Le plan de partage de 1947 de l'ONU attribuait en effet à la minorité juive la plus grande partie des territoires de la Palestine mandataire.
3- Jérusalem-Ouest avait déjà été acquis par Israël le 30 novembre 1948 en vertu d'un accord de cessez-le feu avec le royaume hachémite de Transjordanie, alors dirigé par le roi Abdallah 1er, confirmé le 3 avril 1949 par les accords d'armistice. Cette acquisition n'est pas reconnue juridiquement par la communauté internationale, à l'exception des États-Unis et de quatre pays d'Amérique latine, mais est acceptée de facto depuis, alors que Jérusalem devait, selon le plan de partage, être un corpus separatum administré par l'ONU. Israël avait d'ailleurs acquis à l'issue de la guerre israélo-arabe 50 % des territoires attribués à l'État arabe par le plan de partage.
4- Benjamin Barthe, « La Nakba, « catastrophe » en arabe, un concept forgé il y a 70 ans », Le Monde, 15 mai 2018.
5- Stéphanie Khouri, « Quand les milices juives faisaient régner la terreur en Palestine », L'Orient – Le jour, 2 novembre 2023.
6- NDLR. Ce livre a été retiré de la vente par l'éditeur en décembre 2023.
7- Yuval Abraham, « ‘A mass assassination factory' : Inside Israel's calculated bombing of Gaza », +972, 30 novembre 2023.
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Les États-Unis pourraient-ils être impliqués dans une guerre entre le Venezuela et le Guyana ?
Les États-Unis ont fait les premiers pas dans ce qui pourrait devenir leur implication dans une guerre entre le Venezuela et le Guyana. Le Guyana est l'ancienne Guyanne britannique.
Hebdo L'Anticapitaliste - 687 (14/12/2023)
Par Dan La Botz
Crédit Photo
Wikimedia commons
Le président vénézuélien Nicolás Maduro revendique la région d'Essequibo, voisine du territoire vénézuelien et a organisé un référendum à l'appui de cette revendication. Maduro a ensuite produit une nouvelle carte vénézuélienne qui inclut l'Essequibo. Un accord conclu en 1996 entre les deux pays donne à la Cour internationale de justice des Nations unies le pouvoir de résoudre ces différends, mais Maduro a rejeté sa participation. Tout cela est perçu comme un prélude à une action militaire visant à s'emparer de la province et de ses richesses pétrolières.
Le président du Guyana, Irfaan Ali, a déclaré : « L'Essequibo est à nous, chaque centimètre carré », et a envoyé des troupes pour renforcer la frontière du pays avec le Venezuela. Le Brésil, voisin des deux pays, a également envoyé des forces armées dans la région. Le président brésilien Luiz Inacio « Lula » da Silva s'est dit préoccupé par la situation : « Nous allons la traiter avec beaucoup de prudence, car ce que nous ne voulons pas ici en Amérique du Sud, c'est la guerre ».
Le Venezuela, un pays en crise
Pourquoi Maduro revendique-t-il l'Essequibo en ce moment ? Maduro, un quasi-dictateur, sera confronté à une élection en 2024 et il n'est pas certain qu'il puisse remporter un scrutin libre et équitable. Le pays est en proie à une crise économique, entravé par les sanctions américaines et confronté à une émigration massive. Le Venezuela, qui comptait 30 millions d'habitants en 2015, a vu 7,7 millions de ses habitants émigrer, principalement vers d'autres pays d'Amérique du Sud, bien que près d'un quart de million d'entre eux aient migré vers les États-Unis.
Lors des précédentes élections de 2018, Maduro n'a remporté le scrutin qu'après que la plupart des partis et candidats de l'opposition ont été déclarés inéligibles, dans le cadre d'un processus entaché d'irrégularités, et alors que relativement peu d'électeurs se sont rendus aux urnes. En 2019, l'opposant conservateur Juan Guidó s'est proclamé président par intérim et a été reconnu par plus de 60 pays, dont les États-Unis, plongeant le pays dans une crise qui a duré des années, bien que Guidó n'ait pas réussi à prendre le pouvoir.
Par ailleurs, d'importants gisements de pétrole ont été découverts en 2015 dans l'Essequibo. Revendiquer l'Essequibo permet à Maduro de faire miroiter une amélioration de la situation économique et il peut se draper dans le drapeau. En cas de guerre, il pourrait déclarer une urgence nationale et reporter les élections. Mais il pourrait se retrouver en guerre non seulement avec le Guyana, mais peut-être aussi avec les États-Unis.
La politique étrangère des États-Unis et les lobbys du pétrole
Le commandement sud des États-Unis, qui supervise l'Amérique centrale, l'Amérique du Sud et les Caraïbes, mène déjà des opérations aériennes conjointes avec les forces de défense du Guyana. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken s'est entretenu avec le président Ali pour réaffirmer le soutien de Washington « à la souveraineté du Guyana et à notre solide coopération en matière de sécurité et d'économie ». M. Maduro a critiqué le Guyana pour avoir impliqué les États-Unis.
Depuis l'élection du gouvernement de gauche du président Hugo Chávez en 1999, les États-Unis sont un adversaire du Venezuela. En 2006, le président George W. Bush a imposé des sanctions au Venezuela pour son manque de coopération dans la lutte contre le terrorisme et la drogue. Le président Barack Obama a imposé de nouvelles sanctions en 2014 en raison des violations des droits humains au Venezuela. L'administration de Donald Trump a élargi les sanctions, bien que le président Joseph Biden les ait ensuite modérées, autorisant la vente de pétrole. Avec la reconnaissance de Guidó en tant que président par intérim, les USA ont tenté de renverser Maduro.
Déjà impliquée dans le soutien à l'Ukraine et à Israël, l'administration Biden souhaiterait sans doute éviter une nouvelle guerre. Mais des compagnies pétrolières américaines et étrangères, telles qu'Esso Exploration & Production Guyana, un descendant d'ExxonMobil et de Standard Oil, ont déjà des activités dans l'Essequibo. Les compagnies pétrolières ont toujours joué un rôle important dans la politique étrangère des États-Unis.
La guerre ? Pas encore. Mais nous serons attentifs et prêts à nous opposer à l'implication des États-Unis.
Traduction Henri Wilno
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L’Ukraine et la Palestine ou comment « les Américains sont plus prompts à aider Israël que l’Ukraine »
Le 7 décembre, le Congrès américain a de nouveau refusé de voter le projet de Joe Biden d'une enveloppe financière comprenant une aide de 14,3 milliards, qu'on oublie parfois de mentionner, à Israël et de 61,4 milliards à l'Ukraine. Celle-ci devra se contenter, en compensation dérisoire, de 175 millions de dollars ponctionnés sur les réserves de l'exécutif.
14 décembre 2023 | tiré de l'Hebdo L'Anticapitaliste 687
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/lukraine-et-la-palestine-ou-comment-les-americains-sont-plus-prompts-aider
La symétrie de deux destinataires n'est qu'apparente – à la fois sur le fond et quant aux volumes globaux des aides rapportés à la taille des populations. Cela étant posé, nous n'en avons pas fini avec les trompe-l'œil que cette affaire recèle.
Dissymétrie politico-militaire
On peut noter d'abord la dissymétrie politico-militaire sous-jacente à ces propositions d'aides rejetées.
D'une part, l'Ukraine n'était et n'est toujours pas une priorité stratégique pour les États-Unis qui ne lui ont jamais fourni les moyens nécessaires1 pour mener jusqu'au bout, en profitant de la déroute russe, l'offensive victorieuse de septembre-novembre 2022 (prise de Kharkiv et de Kherson). Le choix et le droit de résister est venu du pouvoir massivement soutenu par la population ukrainienne (38 millions de personnes) contre une Fédération de Russie de 143 millions. L'insuffisance d'armes pour se défendre et terminer au plus tôt cette guerre, face au défi d'un impérialisme néofasciste particulièrement prédateur, explique, en grande partie, les chiffres, estimés d'août, du lourd bilan de deux ans de guerre : 500 000 morts et blessés, soit 300 000 chez les militaires russes et 170 000 à 190 000 chez les militaires ukrainienNEs. Sans parler des civilEs, exclusivement ukrainienNEs, que l'armée russe considère comme des cibles militaires.
D'autre part, l'État israélien de 9 millions d'habitantEs a reçu des divers gouvernements étasuniens une aide militaire exponentielle et stratégique depuis sa création pour un total de 124 milliards de dollars, et 3,8 milliards par an ces dernières années2, pour soutenir une occupation coloniale dans le cadre d'une tout aussi exponentielle disproportion de force en faveur d'Israël, face à ce que la résistance palestinienne est en mesure de lui opposer depuis des décennies.
Voilà pour bien soupeser ce que signifie le rapport, biaisé si l'on n'y prend pas garde, des projets mis en échec de 61,4 milliards pour l'Ukraine et « seulement » 14,3 milliards pour Israël !
Aide à la résistance ukrainienne
L'actuel carnage auquel se livre l'armée israélienne à Gaza, dans une logique de destruction absolue des vies humaines palestiniennes et d'une nouvelle Nakhba, devrait au demeurant finir de mettre les pendules à l'heure quant à ce que signifient les sommes en jeu dans les débats et les votes du Congrès américain. Pour aller vite, disons que l'aide à la résistance ukrainienne lui est vitale non seulement pour conserver la perspective (à plus ou moins long terme) – que les esprits pressés et/ou intéressés jugent évidemment impossible – de vaincre l'ennemi mais surtout de préserver, malgré l'extrême pénurie en armement, les lignes défensives du front face aux actuelles violentes offensives russes. En revanche, les quelque 14 milliards que Biden voulait destiner à Israël ne modifieraient pas la supériorité militaire écrasante d'Israël face au peuple palestinien. Mais, il serait politiquement essentiel de retirer toute aide militaire à Israël pour exiger l'arrêt du massacre tendanciellement génocidaire de PalestinienNEs qui a malheureusement tous les moyens de se réaliser à Gaza, avec ou sans apport supplémentaire grâce aux aides massives américaines du passé.
Déroute politique de certains secteurs de la gauche
Alors, si l'on comprend bien qu'un démocrate positionné à gauche comme Bernie Sanders considère fort justement qu'aucune aide ne doit par principe être accordée à l'État criminel d'Israël, on peut déplorer son positionnement du 7 décembre : il a ajouté sa voix au Sénat à celles des 49 Républicains intégristement pro-Israéliens dans leur immonde chantage à Biden conditionnant « nos voix pour l'Ukraine si vous augmentez le budget pour la chasse aux migrantEs, à la frontière sud ».
L'aveuglement dont vient de faire preuve cette personnalité progressiste, pourtant critique de la guerre menée par Poutine contre l'Ukraine, soutenue par une gauche américaine si généreusement engagée dans le soutien à la Palestine, ajoute symptomatiquement à la déroute politique de certains secteurs de la gauche internationale s'opposant depuis le début à l'armement des UkrainienNEs au nom de la nécessité de la paix – une « paix » sans justice et imposant de se soumettre – alors qu'à juste titre est soutenu le droit des PalestinienNEs de résister. Et une paix instable qui, si elle consacrait la victoire du dictateur russe, le conforterait dans la perspective de remettre cela (voir les précédents en Géorgie ou en Ukraine, même en Crimée) à la première occasion : possible cap sur la Moldavie, via la Transnistrie, comme l'avait avoué le ministre russe des Affaires étrangères, et du côté des pays baltes, voire de la Pologne. Cette « paix » renforcerait aussi son emprise totalitaire sur le peuple russe après le terrible prix du sang qu'il lui aura fait payer dans cette guerre d'Ukraine. Logique infernale d'une paix qui appelle implacablement les guerres.
Refuser ces positionnements à courte vue qui oublient de se placer sous l'égide de la défense des peuples agressés et opprimés et soutenir leurs choix de lutte, souvent dans des conditions de survie, participent de ce qui doit aider à reconstruire des gauches à l'échelle internationale en mesure d'ouvrir des perspectives d'émancipation aujourd'hui brouillées. En commençant par se solidariser plus qu'il n'est fait avec une gauche laïque palestinienne pénalisée par un manque de soutien et d'aide internationale militaire comme politique et les gauches ukrainiennes engagées dans la résistance militaire, sans s'aligner politiquement ni sur Zelensky et ses politiques antisociales et son soutien à Israël contre les PalestinienNEs ou ses complaisances envers le nouveau président d'extrême droite argentin ni sur les impérialismes fournisseurs d'armes.
1.« Le soutien à Kiev a déjà baissé de 90 % en un an, selon un rapport de l'Institut Kiel » (https://www.lemonde.fr/l…)
2.Les Américains plus prompts à aider Israël que l'Ukraine. (https://www.lesechos.fr/…)
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La question des services essentiels en droit international (Texte 7)
Dans le texte qui suit[1], il sera rapidement question des principes fondamentaux de la
liberté d'association syndicale tels qu'ils sont reconnus en droit international.
La liberté d'association en droit international
C'est dans la foulée du Traité de Versailles que l'Organisation Internationale du Travail (OIT) a été créée en 1919 pour établir des normes internationales relatives aux conditions de travail. En 1944, les délégués qui participent à la vingt-sixième Conférence Générale de l'OIT adoptent la Déclaration de Philadelphie . Cette déclaration met de l'avant certains principes fondamentaux qui orientent les travaux de l'organisation. Cette déclaration affirme à l'article 1 que : « a) le travail n'est pas une marchandise ; b) la liberté d'expression et d'association est une condition indispensable d'un progrès soutenu ». Elle affirme aussi à l'article 2 que « a) tous les êtres humains [...] ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ».
En 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme énonce à l'article 20 que « 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d'association pacifiques » et à l'article 23.4 il est précisé que « (t)oute personne a le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ».
La Convention (C87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (Convention no 87) a pour effet de préciser le contenu du droit d'association. Elle stipule à l'article 2 que : « Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières » et qu'ils ont également « [...] le droit d'élaborer leurs statuts et règlements [...] et de formuler leur programme d'action » (article 3.1) à l'abri de toute intervention des autorités publiques (article 3.2). Elle prévoit également que les organisations de travailleurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations ainsi que celui de s'y affilier (article 5).
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (le « PIRDESC ») et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le « PIRDCP ») ont pour effet de reconnaître le droit de toute personne de former avec d'autres des syndicats et de s'y affilier en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux.
Les dispositions du PIRDESC prévoient aussi « que le droit de constituer des organisations syndicales et de s'y affilier ne peut pas faire l'objet de limitations autres que celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d'autrui » .
À ce sujet l'article 8 1. stipule que :
« Article 8 1. Les États parties au présent Pacte s'engagent à assurer :
a) Le droit qu'a toute personne de former avec d'autres des syndicats et de s'affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l'organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d'autrui.
b) Le droit qu'ont les syndicats de former des fédérations ou des confédérations nationales et le droit qu'ont celles-ci de former des organisations syndicales internationales ou de s'y affilier.
c) Le droit qu'ont les syndicats d'exercer librement leur activité, sans limitations autres que celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d'autrui.
d) Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays. »
Le « PIRDCP » affirme à l'article 22 1. que :
« Article 22 1. Toute personne a le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses intérêts. 2. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d'autrui. Le présent article n'empêche pas de soumettre à des restrictions légales l'exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux États parties à la Convention de 1948 de l'Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte — ou d'appliquer la loi de façon à porter atteinte — aux garanties prévues dans ladite convention. »
Les organismes de l'OIT chargés d'interpréter la Convention no 87 ont affirmé que le droit des travailleurs de constituer des organisations de leur choix s'étend aux salariés du secteur privé, aux fonctionnaires et aux agents de services publics en général .
1.2 La négociation collective en droit international
Depuis 1998, du seul fait de son appartenance à l'OIT, le Canada est tenu de donner suite à la Déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi . Les instances étatiques fédérale et provinciales ont maintenant l'obligation de respecter, de promouvoir et de réaliser les principes concernant les droits fondamentaux associés à la liberté d'association et à la reconnaissance effective du droit de négociation collective.
Les organes de contrôle de l'OIT considèrent également que le droit de négociation collective est un droit fondamental que les États ont le devoir de respecter et de promouvoir dans les secteurs privé et public. Le CLS donne la définition suivante de ce que signifie « négocier librement » :
« Le comité souligne tout d'abord l'importance fondamentale qu'il attache au droit de négociation collective. Le comité rappelle, de manière générale, que le droit de négocier librement avec les employeurs au sujet des conditions de travail constitue un élément essentiel de la liberté syndicale, et les syndicats devraient avoir le droit, par le moyen de négociations collectives ou par tout autre moyen légal, de chercher à améliorer les conditions de vie et de travail de ceux qu'ils représentent, et les autorités publiques devraient s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal. »
Les interventions des Parlements ou des assemblées législatives qui ont pour effet d'annuler ou de modifier unilatéralement le contenu des conventions collectives librement conclues, « contreviennent au principe de la négociation collective volontaire ». Les limitations imposées par les autorités politiques au sujet de la rémunération sont tolérées en autant qu'elles résultent de véritables consultations avec les représentants des organisations des salariés. Ces mesures doivent s'appliquer à titre exceptionnel, pour une durée limitée. Elles doivent aussi comporter des garanties de protection du niveau de vie des salariés .
1.3 Le droit de grève en droit international
Le droit de grève ne fait l'objet d'aucune convention ou recommandation provenant de l'OIT . Seul le PIRDESC comporte une disposition reconnaissant explicitement « le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays ». C'est à partir des dispositions de l'article 3 de la Convention no 87 que la CE et le CLS ont élaboré une jurisprudence qui affirme le caractère fondamental du droit de grève et qui présente les principes qui régissent son exercice.
Pour la CE et le CLS, la grève est un des moyens légitimes et essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux . Il s'agit donc d'un droit fondamental et de rien de moins que d'un corollaire du droit de liberté syndicale . Pour l'essentiel, l'interdiction générale du droit de grève est jugée incompatible avec les principes de liberté syndicale . Mais, les organes de contrôle de l'OIT reconnaissent que son exercice peut faire l'objet de restriction, ou d'interdiction totale, pour certaines catégories de personnel (les membres des forces armées, de la police ainsi que les fonctionnaires qui exercent des fonctions d'autorité au nom de l'État) . Pour éviter une limitation déraisonnable à l'exercice du droit de grève, le CLS insiste sur le caractère forcément limité des personnes salariées susceptibles de se voir restreindre ou retirer complètement l'exercice de ce droit . Le droit de grève peut être interdit aux salariés à l'emploi d'entreprises qui fournissent des services jugés essentiels à la population[2] . Dans tous les cas, les salariés privés du droit de grève devraient bénéficier de garanties compensatoires de manière à pallier aux restrictions qui sont imposées à leur liberté d'action syndicale.
Le CLS résumait comme suit l'état du droit international sur cette question :
« S'agissant du processus de règlement des différends et des moyens de pression reconnus aux travailleurs, le comité rappelle que le droit de grève peut être restreint, voire interdit, dans les services essentiels, à savoir ceux dont l'interruption mettrait en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans tout ou partie de la population, et que le secteur hospitalier et le secteur de la santé sont des services essentiels. Même dans les services essentiels cependant, certaines catégories d'employés ne devraient pas être privées de ce droit lorsque, précisément, l'interruption éventuelle de leurs fonctions est sans incidence sur la vie, la sécurité ou la santé de la personne. Parallèlement, le comité a considéré que les travailleurs privés du droit de faire la grève devraient bénéficier d'une protection adéquate de manière à compenser les restrictions ainsi imposées à leur liberté d'action dans les différends survenant dans lesdits services ; ces restrictions devraient ainsi s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer et dans lesquelles les sentences rendues devraient être appliquées entièrement et rapidement. »
Conclusion
Voici rapidement présenté un certain nombre de préalables dont il faut tenir compte quand vient le temps de réclamer l'ajout de certains services publics dans la rubrique des « services essentiels » en période de conflit de travail.
Yvan Perrier
18 décembre 2023
10h30
yvan_perrier@hotmail.com
[1] Le présent texte est en grande partie un extrait de l'article suivant : Perrier, Yvan. 2009. « Lutte syndicale et contestation juridique à l'ère de la Charte canadienne des droits et libertés : du conflit ouvert à la plaidoirie feutrée… ». Lex electronica, vol. 14 no 2 (Automne / Fall 2009). https://www.lex-electronica.org/files/sites/103/14-2_perrier.pdf. Consulté le 18 décembre 2023.
[2] Au fil des ans, le CLS a précisé ce qu'il entend par « services essentiels ». « Peuvent être ainsi considérés comme services essentiels : la police, les forces armées, les services de lutte contre l'incendie, les services pénitentiaires, le secteur hospitalier, les services d'électricité, les services d'approvisionnement en eau, les services téléphoniques, le contrôle du trafic aérien et la fourniture d'aliments pour les élèves en âge scolaire [...]. Toutefois, dans les services essentiels, certaines catégories d'employés, par exemple les ouvriers et les jardiniers des hôpitaux, ne devraient pas être privés du droit de grève (...) En revanche, le comité considère au contraire, de façon générale, que ne sont pas des services essentiels au sens strict : la radiotélévision, les installations pétrolières, les banques, les ports (docks), les transports en général, les pilotes de ligne, le transport et la distribution de combustibles, le service de ramassage des ordures ménagères, l'Office de la monnaie, les services des imprimeries de l'État, les monopoles d'État des alcools, du sel et du tabac, l'enseignement et les services postaux. Le service de ramassage des ordures ménagères est un cas limite et peut devenir essentiel si la grève qui l'affecte dépasse une certaine durée ou prend une certaine ampleur » dans Bernard GERNIGON, « Relations de travail dans le secteur public : Document de travail no2 », (2007), Genève, Bureau international du travail, 22-23.
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La murale pro-palestinienne d’Alternatives vandalisée

Party des fêtes et lancement du numéro 98
Le collectif de rédaction de la revue À bâbord ! vous invite au lancement de son numéro 98 ayant pour titre de dossier « Démasquer la réaction » qui se déroulera au Bar Milton Parc (3714 Avenue du Parc, Montréal).
Il y aura une présentation du dossier par les coordonnateurs-rices du numéro : Philippe de Grosbois, Nathalie Garceau, Samuel-Élie Lesage, et Alex Ross.
S'ensuivra la prise de parole de plusieurs des auteurs-rices du dossier.
Nourriture et breuvage sur place.
Entrée libre, bienvenue à toutes et à tous !
Événement Mobilizon ici.

Cauchemar républicain. Guerres culturelles et culture de l’annulation
Le 6 janvier 2021, devant le spectacle de l'assaut du Capitole par les partisans radicalisés du président défait Donald Trump, on pouvait espérer un « recentrage » du Parti républicain. Le trumpisme a toutefois laissé une marque profonde sur le parti.
Si plusieurs ténors républicains ont condamné Trump pour avoir encouragé cette attaque et pour avoir violé la norme démocratique fondamentale de la transition pacifique du pouvoir, ils ont depuis compris que leur avantage se trouvait du côté du cauchemar trumpiste. Ces ténors décrivent désormais cet assaut, orchestré par des républicains et des milices d'extrême droite, comme une manifestation citoyenne pacifique, qui aurait été noyautée par des provocateurs antifascistes.
La base républicaine vit désormais dans le cauchemar où les chambres à écho la maintiennent, et les élus antitrumpistes ont été victimes de la « culture de l'annulation » républicaine. En fin de compte, le parti ne s'est détaché ni de Trump ni de sa politique autoritaire basée sur la peur, la division et la violence envers les minorités de genre, racisées et sexuelles.
La fin du conservatisme républicain
Pour bien comprendre le virage, il faut se rappeler que le programme républicain, avant l'arrivée de Trump, était basé sur le respect de la loi et l'ordre, la sacralité de la Constitution et des libertés, le libre marché et un certain conservatisme moral, qui demeurait en phase avec la société. L'idéologie était bien de droite et avait une teneur raciste, sans toutefois être décomplexée. Le parti cherchait encore à courtiser un électorat centriste et à paraître respectable. Il ne niait pas les faits et aspirait à être rassembleur, à ne voir qu'un peuple américain. En outre, pendant longtemps, le bipartisme n'était pas qu'une vue de l'esprit. Il y existait bien une collaboration et un appui authentiques des membres des deux partis sur de multiples projets de loi. D'ailleurs, c'est une délégation républicaine qui a poussé le président Richard Nixon à démissionner, lui faisant comprendre qu'il avait le choix entre la démission et une pénible procédure de destitution qu'il allait perdre. Enfin, jusqu'à Mitt Romney en 2012, tous les candidats républicains défaits ont reconnu la victoire de leur adversaire légitime, et non pas d'un ennemi existentiel. Après la défaite de Romney, un rapport officiel du Parti suggérait même un virage inclusif pour attirer le vote minoritaire afin de reconquérir la Maison-Blanche.
Or, sous Trump, le Parti a cessé d'être conservateur. C'est désormais un parti néofasciste décomplexé, autoritaire, polarisant, chantre des dictateurs, complotiste, bassement cynique et anti-réalité. Il est ouvertement suprémaciste blanc et défend des mesures brutales visant les minorités. Il écarte aussi une réelle démocratie délibérative interne et exclut les élu·es qui osent critiquer Trump. En outre, pour plaire à la base trumpisée, plusieurs républicains se font les porte-paroles d'idées complotistes et dangereuses, comme la théorie du grand remplacement de la majorité blanche et chrétienne ou le complot des élites progressistes pédophiles (Q-Anon).
Le programme politique est devenu essentiellement ce que Trump ou Fox News disent, quitte à se contredire le lendemain. Le parti appelle aussi à une lutte existentielle du peuple contre les élites ennemies de l'Amérique, soit les démocrates, les universitaires et les organisations militantes (Black Lives Matter, LGBTQ+, etc.). Leur populisme toxique refuse l'existence d'un seul peuple américain uni dans la diversité (E pluribus unum), et peint le portrait d'une Amérique en guerre, dont seule la faction blanche et chrétienne constituerait le peuple légitime. Bref, plutôt que de répondre aux problèmes réels vécus par les Américain·es en proposant un programme gouvernemental, les républicains proposent des écrans de fumée.
Les élections de mi-mandat et les guerres culturelles
Malgré cette absence de programme, les républicains ont de bonnes chances de reprendre le contrôle du Congrès à l'automne 2022. Ils ont en effet changé à leur faveur les lois et les cartes électorales dans plusieurs États. En outre, le président démocrate Joe Biden vivote dans les sondages. Il fait face à une inflation galopante et à cause de l'obstruction républicaine, il peine à concrétiser plusieurs de ses promesses, comme une meilleure protection du droit de vote (John Lewis Voting Rights Advancement Act), des dispositions antidiscriminatoires plus robustes (Equality Act) et des investissements massifs en infrastructures (Build Back Better Act).
La stratégie du parti se résumera ainsi à dénoncer « l'inflation démocrate » et à continuer de mettre en œuvre la politique trumpiste, qui consiste à effrayer l'électorat républicain pour le garder mobilisé, en dénonçant plusieurs épouvantails, notamment les pro-choix, les personnes trans ou les adeptes de la Critical Race Theory.
Pour les républicains et pour Fox News, cette théorie universitaire – visant à comprendre la façon dont des lois apparemment neutres reproduisent et reflètent le pouvoir de la majorité blanche – est devenue synonyme d'une attaque de la gauche antiraciste envers les valeurs traditionnelles. Elle serait aussi une tentative de culpabiliser la majorité blanche. Dans les faits, lorsque la droite évoque cette théorie, cela renvoie aux livres et aux cours qui présentent aussi le côté plus sombre des États-Unis, comme l'esclavage et ses ramifications dans le présent. Plusieurs commissions scolaires sous contrôle républicain ont d'ailleurs lancé une opération de censure des bibliothèques, pour y retirer les livres qui « corrompent » la jeunesse, comme ceux de la romancière afro-américaine Toni Morrison.
Les ultraconservateurs à la Cour suprême
À cet égard, la nomination par Biden de la première femme noire à la Cour suprême des États-Unis, la juge Ketanji Brown Jackson, pourtant une modérée, nourrit la propagande républicaine, qui la décrit comme un cheval de Troie pour des idées « dangereuses ». Lors des audiences pour sa confirmation, les questions biaisées des sénateurs républicains visaient notamment à peindre la juge Jackson comme une adepte de la Critical Race Theory, une radicale remettant en question l'existence même du concept de « femme » et une juriste hostile à la position antiavortement.
La Cour suprême est centrale pour les républicains. Puisque leur poids démographique diminue, le contrôle idéologique de la Cour permet de valider leurs manœuvres anti-majoritaires pour se maintenir au pouvoir. S'ils devaient laisser chaque citoyen·ne voter, simplifier l'identification de l'électorat [1] et arrêter le redécoupage électoral partisan, les stratèges républicains savent bien que les jours de leur parti seraient comptés.
Mais le risque demeure que le vote démocrate soit plus fort que prévu, comme en novembre 2020, ce qui signifierait que la majorité conservatrice à la Cour suprême (6 contre 3) serait le dernier rempart pour éviter que des lois fédérales ne soient adoptées pour défendre le droit à l'avortement, les droits des personnes trans et le droit de vote des minorités racisées dans les 50 États américains.
Lors de leur audience devant le Sénat, les trois juges nommés par l'ex-président Trump ont affirmé être favorables au conservatisme judiciaire, soit la déférence envers la volonté législative et le respect pour la jurisprudence. Or, dans leurs décisions, ces trois juges pratiquent bien un activisme judiciaire ultraconservateur. Par exemple, la majorité conservatrice a rédigé un jugement [2] qui, lorsqu'il sera officiellement rendu à l'été 2022, renversera complètement la jurisprudence bien établie sur l'accès à l'avortement depuis Roe v. Wade (1973). De plus, cette majorité a contrecarré la volonté du législateur, qui a cherché à protéger le droit de vote des minorités avec le Voting Rights Act (1965).
Par contre, la majorité conservatrice de la Cour suprême redevient respectueuse du législateur lorsqu'il s'agit de laisser les États légiférer pour restreindre l'accès à l'avortement, pour cibler les personnes trans et pour limiter les droits démocratiques des minorités.
La minorité républicaine au Sénat bloque d'ailleurs l'adoption de l'Equality Act, qui modifierait le Civil Rights Act de 1964, afin d'y intégrer la discrimination basée sur l'orientation sexuelle, le genre et le sexe. L'Equality Act, s'il est adopté, permettrait d'inverser la tendance actuelle, alors que pas moins de 33 États, sous contrôle républicain, ont déposé près de 130 projets de loi pour restreindre les droits des personnes trans.
La peur, la division et la violence
Faute d'avoir un véritable programme de gouvernement, les républicains ont recours aux guerres culturelles. Ils mettent en pratique l'adage « diviser pour mieux régner ». Ils minent ainsi la confiance publique envers les institutions (les médias, l'administration fédérale, etc.) et diffusent la peur envers les nombreux « ennemis » de l'Amérique traditionnelle. Ce faisant, ils mettent en danger les minorités ainsi ciblées et affaiblissent la démocratie, déchirée par cette polarisation toxique.
Le Grand Old Party d'Abraham Lincoln a sombré bien bas. Par croyance ou par vils calculs politiques, ses ténors ont opté pour le cauchemar fasciste plutôt que la réalité.
[1] Dans les États contrôlés par les républicains, 36 lois ont été adoptées afin d'exiger des pièces d'identité officielles avec photo pour pouvoir voter. Ces pièces d'identité coûtent une centaine de dollars et les personnes racisées ont tendance à ne pas les détenir. Au nom de la lutte contre la fraude électorale, les républicains ciblent ainsi un électorat qui vote généralement démocrate.
[2] Cette version a été fuitée dans les médias : www.politico.com/news/2022/05/02/supreme-court-abortion-draft-opinion-00029473.
David Sanschagrin est politologue. Photo : Brett Davis (CC BY-NC 2.0)
Chili. La révolution intersectionnelle
Le 11 mars 2022, Gabriel Boric est assermenté comme Président de la République du Chili avec un agenda politique modéré mais néanmoins féministe, plurinational, écologiste et de défense des droits humains et sociaux. Sans appuis suffisants au Congrès, son gouvernement devra compter sur la Convention constituante et, paradoxalement, sur la pression populaire pour mener à bien les réformes nécessaires à la « dénéolibéralisation » du pays. Entre la rue et les urnes, la révolution chilienne avance à pas lents mais fermes.
Parler de révolution pour référer aux changements politiques qui ont lieu au Chili depuis le soulèvement populaire du 18 octobre 2019 (18-O) peut paraître exagéré. Malgré un processus constitutionnel qui mettra sans doute un terme à la Constitution dictatoriale et néolibérale de 1980 et l'élection d'un président issu du Printemps chilien (2011) [1] et d'une gauche parlementaire relativement radicale, peut-on réellement parler d'une révolution en cours au Chili ? Oui, si l'on prend en considération les principales actrices et acteurs de cette révolution, soit les mouvements sociaux – appuyés par une mobilisation massive de plus de 50% de la population dans des manifestations en tout genre – qui ont réussi à promouvoir des changements politiques et culturels beaucoup plus profonds que tout ce que pourra faire le nouveau gouvernement ou l'Assemblée constituante.
« Le néolibéralisme naît et meurt au Chili »
La consigne issue du soulèvement a beau prétendre que « le néolibéralisme naît et meurt au Chili », le gouvernement Boric n'a pas une majorité suffisante au Congrès (des deux chambres législatives) pour faire adopter les réformes nécessaires à un tel démantèlement du néolibéralisme enchâssé dans la Constitution de 1980. En attendant la fin de travaux de la Convention constitutionnelle en juillet, puis leur ratification par plébiscite le 4 septembre 2022, le gouvernement aura beaucoup de difficulté à faire approuver des réformes substantielles. Il continuera à faire face aux attaques incessantes de la droite et du centre ainsi que des médias traditionnels qui, craignant la perte de leurs privilèges, critiquent systématiquement toute initiative du gouvernement autant que de la Constituante.
Néanmoins, après seulement un mois au pouvoir, le gouvernement a déjà abandonné les 139 accusations portées au nom la Loi de sécurité de l'État et a accéléré le processus d'une Loi d'amnistie pour l'ensemble des détenu·es politiques du soulèvement, en plus d'ouvrir une table de discussion pour la réparation des victimes de la répression. Il a également mis un terme à l'état d'exception dans le WallMapu (le territoire du peuple autochtone mapuche) ; a signé l'Accord international environnemental d'Escazú ; a signé la nouvelle loi des eaux, accordant la priorité à la consommation humaine (au-dessus de l'agriculture ou des mines) ; a présenté un projet de loi pour éliminer la dette étudiante et réformer le système de crédit étudiant ; a ouvert les discussions pour une augmentation du salaire minimum et une diminution de la semaine de travail (de 45 h à 40 h !) ; etc.
La Convention constitutionnelle
Pièce maîtresse de la dénéolibéralisation du Chili, la Convention constitutionnelle est également un acquis direct du soulèvement du 18-O. Le 25 novembre 2019, pour sauver sa peau après un mois de manifestations nationales massives et quotidiennes demandant sa destitution, le gouvernement Piñera signe l'Accord pour la Paix sociale et la Nouvelle Constitution avec la plupart des partis d'opposition. Les manifestations se sont poursuivies avec autant sinon plus d'intensité, méfiantes d'un « accord » signé « entre quatre murs », « dos au peuple », par « les mêmes qui nous ont trahis pendant plus de 30 ans », comme le disent les manifestant·es interviewé·es en décembre 2019 et janvier 2020. Toutefois, Piñera est parvenu à terminer son mandat grâce à l'appui des partis politiques qui ont fini par perdre pratiquement toute légitimité, avec des taux de confiance de 2% en décembre 2019, selon une étude du Centre d'études publiques (CEP).
La pandémie a finalement contraint le mouvement de contestation à se réarticuler, notamment dans des initiatives pour pallier la faim due au confinement, sans aide étatique regroupées sous la devise « seul le peuple aide le peuple » et autour desquelles s'organisaient des Assemblées populaires délibérant autour de la nouvelle Constitution. La grande majorité (44 %) des 155 délégué·es à la Convention constituante viennent d'ailleurs de mouvements sociaux et se regroupent sous des bannières qui évoquent le mouvement de protestation comme Assemblée populaire pour la dignité, La liste du peuple ou Approbation-Dignité [2].
Lors du référendum sur le processus constitutionnel du 25 octobre 2020, 80 % des suffrages ont approuvé la mise sur pied d'une Convention constituante sans participation des partis politiques. Une majorité presque aussi grande de délégué·es de gauche et d'indépendant·es s'est dessinée lors des élections des délégué·es à la Convention constitutionnelle, les 15 et 16 mai 2021. Cette Assemblée constituante se distingue, entre autres, par sa parité hommes/femmes, par des places réservées aux Premières Nations et par des mécanismes participatifs qui ont permis à près de deux millions de citoyen·nes de promouvoir des projets d'articles constitutionnels. Très tôt, la Convention a affiché ses couleurs en élisant à sa présidence la professeure de linguistique et militante mapuche pour les droits linguistiques des Premières Nations Elisa Loncón, puis la chercheure en santé environnementale, féministe et déléguée de la liste Assemblée populaire pour la dignité Maria Elisa Quinteros.
Parmi les premiers articles déjà approuvés, on remarque la fin de « l'État subsidiaire » (néolibéral), subordonné à la « liberté » du marché, qui se voit remplacé par un « État social et démocratique […] plurinational, interculturel et écologique […] solidaire [et] paritaire [reconnaissant] comme valeurs intrinsèques et inaliénables la dignité, la liberté, l'égalité substantive des êtres humains et sa relation indissoluble avec la nature. La protection et garantie des droits humains, individuels et collectifs sont le fondement de l'État et orientent toute son activité ». Parmi ces droits fondamentaux, on remarque également l'apparition de nouveaux droits, sexuels et reproductifs, le droit à l'identité de genre et les droits de la nature, reconnue comme « sujet de droits », engageant entre autres l'État dans une lutte contre les changements climatiques et la dégradation environnementale.
Sur le plan de la structure de l'État, la nouvelle constitution abolirait le Sénat pour le remplacer par une Chambre territoriale chargée d'assurer une représentation territoriale décentralisée (État régional). Les travaux se poursuivent quant aux détails des droits socio-économiques comme l'éducation, la santé, le travail, le logement, la sécurité sociale ou l'eau, qui sont actuellement subordonnés aux « droits » des entreprises privées. De même, pour les droits humains, on parle de la création d'un Bureau de la défense du peuple (Defensoría del Pueblo), de la pleine intégration des engagements internationaux dans la constitution et de la réforme en profondeur de la police (carabiniers), responsable d'une violation systématique des droits humains [3] notamment durant la répression du soulèvement du 18-O.
« La révolution sera féministe ou ne sera pas »
Ces changements constitutionnels ne seront que de nobles intentions s'ils ne se traduisent pas en lois et politiques concrètes. Devant faire face à la réaction des anciens pouvoirs et cherchant à gouverner de manière « pragmatique », le gouvernement Boric ne pourra pas et ne cherchera pas à faire une révolution. Comme le disait Boric dans son discours de victoire du 19 décembre 2021, « …nous allons avancer à petits pas, mais de pied ferme ». Toutefois, la révolution a déjà eu lieu. Elle a été fomentée par toutes les luttes qui ont précédé le 18 octobre 2019 et par toutes les actions et nouvelles luttes qui l'ont suivi.
D'abord il y a eu les luttes pour les droits humains qui n'ont jamais cessé de se battre pour la justice et contre l'impunité que la postdictature chilienne a voulu imposer comme gage d'une « démocratie stable ». Ensuite, les luttes étudiantes qui, en 2011, sont parvenues à engendrer le plus grand mouvement de contestation globale depuis la fin de la dictature. Les luttes des Mapuches, également, contre l'occupation de leurs terres par des compagnies extractivistes et un état colonial et dont le drapeau est devenu l'un des symboles de la révolte, comme on peut le voir dans l'image ci-contre. Et ainsi de suite, les luttes écoterritoriales se sont jointes à celles pour le logement, en faveur des droits des migrants, pour la diversité, contre les pensions privées (No+ AFP), et à un ras-le-bol généralisé qui ne se battait plus pour une cause particulière, mais contre le système autoritaire, classiste, raciste, machiste, colonial, extractiviste et néolibéral.
On pourrait dire, à la suite de cette consigne de la révolte, que « la révolution sera féministe ou ne sera pas ». Cette révolution est non seulement féministe, mais surtout intersectionnelle. Elle s'inscrit dans la nouvelle vague féministe latino-américaine qui, tout en luttant pour le droit à l'avortement, dénonce toutes les violences et toutes les formes de domination. Après le « Pañuelazo » de février 2018, il y a eu le Mai féministe, une longue grève étudiante féministe entre avril et juin 2018, puis la journée de Grève féministe du 8 mars 2019 qui a regroupé plus de 200 000 personnes à Santiago, comme un prélude du soulèvement. La Grève féministe du 8 mars 2020, en pleine révolte, a regroupé deux millions de personnes à Santiago seulement, marquant la reprise du soulèvement après une trêve d'été.
On se souviendra aussi de la chorégraphie féministe « Un violeur sur ton chemin » qui a fait le tour du monde après avoir été créée dans des manifestations féministes de la révolte chilienne. Les féministes chiliennes, organisées notamment autour du Collectif 8 mars, ont déjà réussi à imposer des changements sociaux d'une ampleur révolutionnaire. Le postulat d'égalité à l'origine de leurs luttes et réflexions s'articule à l'ensemble des autres luttes dans un féminisme intersectionnel, éco-territorial, décolonial, queer, pour la défense des droits de toustes, etc.
Le discours féministe, plurinational, écologiste et de défense des droits humains du gouvernement et les symboles comme la parité et la représentation autochtone à la Constituante ne sont que le reflet de cette révolution intersectionnelle qui continuera à s'étendre dans l'espace politique en reconstruction autant que dans le social.
[1] Voir à ce sujet le texte du même auteur dans À bâbord ! : « Le printemps en hiver », no 43, 2012. Disponible en ligne.
[2] La dignité est l'un des principaux symboles du soulèvement dont le principal lieu de rassemblement a été renommé « Place Dignité » (Plaza Dignidad).
[3] Selon le rapport de la Mission québécoise et canadienne d'observation des droits humains au Chili ayant eu lieu du 18 au 27 janvier 2020 et à laquelle l'auteur a participé. Crise sociale et politique au Chili 2019-2020. Des atteintes systématiques et généralisées aux droits humains, Montréal, Centre international de solidarité ouvrière (CISO), 2020. Disponible en ligne.
Ricardo Peñafiel est professeur associé au département de science politique de l'UQAM et directeur du GRIPAL.

Devant le laid
Et si la laideur de notre monde n'était pas le fruit du hasard, mais plutôt d'un système économique qui, dans sa quête d'efficacité et sa réduction de toutes choses à sa valeur marchande, piétine la créativité et le souci de la beauté ? Il nous faudrait alors imaginer une politique du beau.
Le Québec bâti est laid, cet état de fait n'est pas né d'hier. La destruction systématique et sans appel d'un patrimoine naturel splendide est un trait de notre caractère national, une part de ce qui fait de nous un peuple. En phase avec l'air du temps, depuis 1950 nous avons accéléré la spoliation, détruisant au passage une bonne partie des quelques éléments architecturaux à peu près intéressants que nous avaient légué les précédentes générations.
Le Québec a aussi une longue tradition critique de ce saccage. Marie-Hélène Voyer la parcourt dans L'habitude des ruines, croisant les écrits de Jacques Ferron, Fernand Dumont, Serge Bouchard, Jean-François Nadeau et les photos d'Isabelle Hayeur. Voyer contribue à ce courant par un état des lieux sensible et ancré dans notre rapport au territoire. L'écriture de Voyer fait du constat de la laideur une affaire intime. Une proximité qui permet d'en mesurer l'étendue. Elle regrette la généralisation d'un fonctionnalisme bête et cheap qui va de la construction d'autoroutes à l'abandon de l'art public, en passant par l'érection de McMansions sur des terres agricoles. La laideur révèle ici l'irresponsabilité, et là, la médiocrité.
Politique de la laideur
Tous les jours, le laid nous saute au visage. On reste étonné qu'il ne suscite pas plus de réactions, de mobilisation politique. L'exposé de Marie-Hélène Voyer, comme ceux de ses prédécesseur·es, convainc sans peine. Pourtant, personne ne s'organise pour combattre la monstruosité ambiante. Bien sûr, il y a des luttes ciblées devant une horreur spécifique et particulièrement odieuse – on peut penser à RoyalMount ou au troisième lien – ou pour protéger un bâtiment historique en voie d'être remplacé par un stationnement. Cependant, personne ne se rassemble ou ne se mobilise pour s'attaquer au laid en général. Face à un problème si concret et si étendu, on peut quand même être étonné d'un tel vide politique.
Simon-Pierre Beaudet a peut-être été membre de ce qui s'est rapproché le plus d'une organisation contre le laid quand il faisait partie de La conspiration dépressionniste. Le ton sans compromis et mordant de cette revue, l'exposition froide et documentée de la banalité de la laideur de nos vies, le lien avec le capitalisme : tout y était. Malgré un succès d'estime, ce que ses fans (j'en étais) ont appelé la Consdep est demeuré une revue confidentielle. Les pleines pages de textes denses, les références érudites et le mépris affiché face à la bêtise plaisaient bien à quelques gauchistes en manque d'écriture baveuse, mais les clients du Maxi n'en discutaient pas pour autant en attendant à la caisse.
Le récent recueil d'articles et de chroniques de Beaudet, Ils mangent dans leurs chars, reprend les thèmes qu'on lui connaît désormais. Le dépressionnisme de la ville de Québec en prend pour son rhume, tout comme ses nombreux promoteurs. De toute évidence, son sujet de prédilection n'est pas épuisé et Beaudet montre bien que la dynamique politique propre à la ville de Québec le renouvelle sans cesse. Pour lui, le moteur de cette dynamique, c'est la propagande des radios-poubelles. Ces dernières sont au cœur de l'adhésion militante d'une partie de la population au dépressionnisme. Elles l'ont transformé en projet politique, créant de toutes pièces les organisations et les personnalités pour le soutenir. La démarche entreprise par Simon-Pierre Beaudet nous permet de comprendre comment la laideur a bel et bien été politisée, mais dans le but d'en faire la promotion et d'étendre son emprise.
Dégradation du travail et production du laid
Pourrait-on construire des mouvements à l'inverse ? Est-il possible de bâtir une option politique contre le glauque ? John Bellamy Foster retrace méticuleusement le lien entre socialisme et écologie dans The Return of Nature. Il consacre trois chapitres de cet exercice imposant à William Morris. Ce socialiste du 19e siècle, considéré aujourd'hui comme le père du design, défendait que l'un des plus grands maux du capitalisme était d'avoir détruit l'art. Pas l'art des grands artistes (qu'il nomme l'art intellectuel), mais celui fait par les artisan·es et les travailleur·euses (l'art décoratif). Comme le monde est le produit du travail, sa beauté ou sa laideur résulte de l'attention qu'on met à produire des belles choses pour peupler notre quotidien.
Pour Morris, l'industrialisation et la recherche du profit ont détruit l'art décoratif, laissant nos vies chargées d'objets hideux pensés d'abord pour être vendus. Figure immensément populaire de son époque, Morris défend que la production du laid est pénible et dégradante pour les travailleur·euses. Elle les prive de leur capacité de création, d'offrir leur propre contribution au monde qui les entoure.
Morris réussissait alors à établir une connexion importante : le moche n'était plus un monde donné et déjà-là qu'il nous faudrait adopter ou rejeter, mais le produit de notre activité. Cette activité, la production du laid, pouvait être l'objet d'une critique, d'une mobilisation et d'un changement.
Dépourvue de cette connexion, la critique actuelle des disgrâces de nos quotidiens passe pour snob et méprisante ou pour un souci bourgeois sans lien avec la vie des gens. Si on dit que les banlieues sont hideuses, on nous reproche de blâmer ceux et celles qui y vivent. De même, si on soutient que la logique du char transforme l'espace commun en immondice, on nous accuse d'être des esthètes qui n'ont pas de souci pour les obligations du quotidien. Rendre visible la connexion entre notre activité et l'horreur ambiante, est-ce encore possible aujourd'hui ? Probablement pas sous la forme que Morris proposait il y a plus d'un siècle. Les artisan·es en deuil de leur inventivité parce que poussé·es vers les chaînes de montage sont mort·es depuis longtemps dans les pays du Nord global…
Laideur pressée
L'impression de faire un travail vide de sens n'est pas partie avec eux pour autant. On a qu'à penser à ces bullshit jobs, notion qu'a popularisée le regretté David Graeber dans son essai choc, dont la traduction française a récemment été rééditée en format poche par Les liens qui libèrent. Occuper un emploi qui ne change rien et dont personne n'a vraiment besoin, brasser des papiers dans un bureau ou occuper une fonction de stricte surveillance ou d'approbation, c'est la manufacture de l'Occident d'aujourd'hui. Est-ce pour autant producteur de laideur ?
La fonction première du boulot inutile, c'est de prendre du temps, d'occuper la journée, nous dit Graeber. Le temps libre est trop dangereux pour l'ordre social dominant. Avec le travail qui bouffe le temps sans offrir de sens en retour, on veut pouvoir régler toutes les autres obligations rapidement pour trouver le sens perdu dans le loisir. Le transport, l'épicerie, la visite chez le dentiste ou le cours de danse des enfants : tout doit se faire vite. Cette volonté de gagner du temps parce qu'on perd une vaste part de nos vies dans une job inutile génère le désir d'autoroutes et de troisième lien.
Si on considère que le dépressionnisme est d'abord un mode de vie, alors la lutte contre le laid dépasse résolument la superficialité bourgeoise qui lève le nez sur les choses qui lui déplaisent. On nourrit cependant la critique mentionnée plus haut selon laquelle en attaquant le laid, on attaque les gens qui y vivent. En fait, on le fait d'autant plus quand on critique un certain « style de vie », la responsabilité de chacun étant mise en jeu, qu'on le veuille ou non.
* * *
Une voie de sortie serait probablement de répondre à la laideur par la beauté, de proposer plutôt que de critiquer. Il est bien possible, d'ailleurs, que nous ayons, à gauche, oublié de dire que le monde d'après le capitalisme générera de beaux lieux où vivre. Peut-être avons-nous de la difficulté à nous-mêmes les imaginer, ces lieux ? William Morris proposait une esthétique du socialisme, en avons-nous encore une ?
Illustration : Ramon Vitesse

Les temps sauvages
On pourrait dire de Mario Vargas Llosa ce que l'on a déjà fait remarquer à propos de Balzac. L'écrivain, chez lui, écrit contre l'homme politique, son idéologie et ses convictions. Démocrate libéral, partisan du libre marché, il écrit des romans inspirés par une vision du monde critique qui fait voir le vrai visage des dictatures. En cela, ils s'avèrent objectivement progressistes, ce qui constitue un étonnant paradoxe.
C'était déjà le cas dans La fête au Bouc, portrait impitoyable du dictateur Trujillo et de son règne de terreur sur la République dominicaine. C'est aussi éminemment le cas de son dernier roman, Temps sauvages, axé sur l'épisode du renversement en 1954 du président du Guatemala Jacobo Arbenz sous la double pression de la CIA et de la United Fruit.
La partie proprement fictionnelle du roman est encadrée par un prologue, intitulé « avant », et suivie par une sorte de témoignage, intitulé pour sa part « après ». Dans l'avant, Llosa rappelle les circonstances historiques de l'affaire Arbenz, dans l'après, les leçons que l'on peut en tirer.
La « Pieuvre »
Le Guatemala est jusqu'en 1944 une dictature typique de l'Amérique latine. Elle est la propriété de caciques qui la dominent et l'exploitent au profit de l'oligarchie qu'ils incarnent. En octobre 1944, une junte militaire progressiste renverse la dictature et organise des élections qui installent un régime démocratique sous la présidence de Juan José Arévalo qui se réclame d'un « socialisme spirituel » et dont le ministre de la guerre est Jacobo Arbenz. Ce dernier deviendra par la suite président dans le tournant des années 1950 au terme d'élections démocratiques qui le portent au pouvoir.
Ce processus de révolution démocratique ne fait guère l'affaire des partis de droite, des oligarques locaux et de leurs alliés et protecteurs américains, dont la toute puissante United Fruit, surnommée la « Pieuvre », qui contrôle le commerce des fruits et légumes à sa guise, sans régulation d'aucune sorte de l'État.
Elle est dirigée par un habile affairiste, Sam Zemurray, assisté d'un spécialiste des relations publiques, Edward L. Bernays, un idéologue et auteur d'un ouvrage célèbre, Propaganda, publié en 1928, qui a fait de ce type d'information falsifiée la clef du pouvoir moderne. L'association de cet intellectuel et de cet homme d'action assurera l'assise de la multinationale qui sévit alors dans une large partie de l'Amérique latine. Bernays, particulièrement futé, a bien compris que le véritable pouvoir ne réside pas dans les institutions visibles de la démocratie mais se retrouve dans les mains d'une élite souterraine qui contrôle les moyens d'information modernes.
Au cœur du processus démocratique activé par Arbenz, on trouve un ambitieux projet de réforme agraire, élaboré en 1952, visant entre autres à assurer le droit de syndicalisation aux paysan·nes salarié·es et à favoriser leur accès à la propriété. Le projet est toutefois modéré, prudent, il tient compte de la présence et de l'omnipotence de la Pieuvre qu'il ne vise pas à nationaliser et dont il ne menace pas directement les intérêts, se contentant de la placer dans une situation de concurrence qu'elle considère comme une dépossession et qui la rend furieuse.
Pour Arbenz et son régime, il s'agit donc d'une mesure démocratique, qui vise à rendre les citoyen·nes du Guatemala davantage prospères dans le cadre d'une société juste et libre. Pour la Pieuvre, il s'agit au contraire d'une menace communiste, cet épouvantail qui énerve les Américains et les élites locales et que brandissent avec démagogie les journaux tant américains que guatemaltèques, dans une intense campagne politique contre un projet qui était pour ses promoteurs la clef indispensable pour assurer un développement social et politique harmonieux du pays. Sous couvert d'une lutte contre le communisme, on livre alors au régime une lutte contre la démocratie qui serait contraire aux intérêts bien compris de la Pieuvre. La loi agraire sera finalement adoptée en juin 1952, mais elle marque du coup le début d'une lutte à finir contre Arbenz et mènera au coup d'État qui le forcera à démissionner en 1954.
De l'Histoire à la fiction
Ce prologue constitue la face officielle, extérieure, visible d'un conflit qui cache l'envers souterrain, la petite histoire, celle des irrégulier·ères qui en activent les ficelles en coulisse et qui la déterminent en secret. C'est le domaine propre du romanesque qui se profile derrière le canevas officiel.
On peut ainsi distinguer deux lignes principales dans le récit. La première, intimiste, s'organise autour d'une figure de femme, Martita, fille d'une famille bourgeoise qui connaîtra, après un mariage forcé avec un ami de son père, une ascension qui la conduira jusqu'au pouvoir suprême en tant que maîtresse de Castillo Armas, président de la République et chef de junte militaire ayant remplacé Arbenz au pouvoir. La seconde, secrète, est celle des hommes de main, policiers, agents troubles qui s'agitent dans l'ombre et infléchissent, parfois pour une part non négligeable, l'Histoire officielle. Ces deux lignes se recoupent à l'occasion comme elles croisent les événements du monde visible.
L'histoire qui s'organise autour de Martita n'est pas très développée. Elle est greffée sur le destin d'un ami de sa famille, Efren Ardiles, un médecin des pauvres, un réfractaire, opposant aux régimes militaires et par la suite au nouveau régime démocratique qui se met en place : c'est lui qui incarne une certaine gauche dans le pays, moraliste et guère efficace. Comme amant, il ne comble pas Martita, qui le quitte et, après quelques aventures sans lendemain, devient la maîtresse quasi officielle de Castillo Armas avant de finir sa vie aux USA comme journaliste de droite très connue et populaire.
L'histoire des irréguliers se structure autour de deux personnages louches : le colonel Enrique et un mystérieux individu surnommé « le dominicain » dont on apprendra, en cours de récit, qu'il s'agit de l'homme de main de Trujillo, Johnny Abbès Garcia. Chef de la sécurité intérieure dominicaine, personnage très haut en couleurs dans le roman et acteur important dans la vie réelle, il terminera sa carrière d'intrigant en Haïti où il sera selon toute vraisemblance assassiné. Ce récit, qui est constitué de nombreux courts chapitres, le plus souvent en forme de dialogues, de conciliabules de malfaiteurs, interfère régulièrement avec les autres lignes du roman auxquelles il sert en quelque sorte de contrepoint. Il est axé sur un projet de complot contre Castillo Armas, dont il s'agit maintenant de se débarrasser en se servant de Martita comme intermédiaire à circonvenir.
Ce projet, par ailleurs, prend place après la chute d'Arbenz, Mario Vargas Llosa semblant trouver plaisir à brouiller la temporalité du récit tout en montrant comment la réalité évolue après cet épisode décisif tant pour le Guatemala que pour l'Amérique latine dans son ensemble.
Leçons de l'Histoire
Dans sa postface, ou ce qui en tient lieu, l'écrivain conclut de l'échec d'Arbenz : 1 – que Cuba a décidé, au vu de l'expérience du président quatemaltèque, qu'il fallait liquider l'armée pour s'assurer du contrôle de la Révolution ; 2 – qu'il fallait, pour que cette Révolution cubaine s'établisse et résiste aux interférences américaine, tisser une alliance avec l'Union soviétique ; 3 – que l'histoire de Cuba aurait pu être différente si les États-Unis avaient accepté l'expérience d'Arévalo et d'Arbenz ; 4 – et que « tout compte fait, l'intervention américaine au Guatemala a retardé la démocratisation du continent pour des dizaines d'années et a provoqué des milliers de morts en contribuant à populariser le mythe de la révolution armée et le socialisme dans toute l'Amérique latine. Les jeunes d'au moins trois générations tuèrent et se firent tuer pour un autre rêve impossible, plus radical et tragique encore que celui de Jacobo Arbenz. »
C'est la dernière phrase du roman, dans laquelle on voit se pointer le nez de l'idéologue, le démocrate libéral qui s'oppose au socialisme perçu comme une chimère et à la lutte armée comprise comme une stratégie suicidaire. Mais cette leçon explicite n'invalide pas l'implicite, le jugement porté sur les idéologues et forces réactionnaires responsables de la liquidation du « rêve » d'Arbenz et des siens, rêve aussi beau que peut-être impossible, mais qu'il fallait tenter, et que Vargas Llosa célèbre comme écrivain derrière ses dénégations d'homme politique.
Temps sauvages, Mario Vargas Llosa, Gallimard, 2021, 382 p.

Illusions perdues, le journalisme au goût du jour
Le film Illusions perdues de Xavier Giannoli aborde de front la question du journalisme. Dans son adaptation du grand roman de Balzac, le cinéaste cherche à faire le pont entre les préoccupations d'hier et celles d'aujourd'hui.
Ce film est incontestablement un beau spectacle. Il offre tout ce qu'il faut pour séduire les personnes qui aiment le genre : reconstitution historique réussie, jeu convaincant des acteurs et actrices, scénario bien ficelé, décors et costumes éblouissants. Avec en prime une critique bien appuyée du milieu journalistique qui trouve des échos aujourd'hui.
Adapter au cinéma ce chef-d'œuvre de Balzac est bien sûr un défi considérable. Le roman foisonne de personnages. Son histoire s'inscrit dans un contexte social et politique complexe. Comme toujours, Balzac s'impose en tant que narrateur à la fois moraliste et cynique. Une adaptation d'un tel roman, ainsi que celle de toute œuvre volumineuse et marquante, exige au départ de faire des choix déchirants.
Ceux de Giannoli ont le mérite d'être clairs : le réalisateur a décidé de rendre Balzac actuel, de montrer comment les observations de l'auteur sont toujours justes aujourd'hui et nous aident à comprendre le monde moderne. Une sorte de Devoir de philo à grand déploiement. Quitte à tordre un peu le cou à l'œuvre originale et à détourner le propos pour le mettre au goût du jour.
Les scénaristes se sont permis une réécriture du roman, qui n'est plus celui de Balzac, mais celui d'un de ses personnages, Nathan, le narrateur dans le film (joué par Xavier Dolan). Ce personnage tisse des liens entre l'époque de Balzac et la nôtre en utilisant un vocabulaire parfois anachronique ; il nous explique certaines réalités de l'époque, comme s'il était un historien plutôt qu'un contemporain : il nous décrit, en de courtes parenthèses, le fonctionnement du journalisme, le chaos au Palais-Royal, grand lieu de débauche, la rivalité entre les théâtres du Boulevard du crime.
C'est le métier de journaliste qui obtient la plus grande attention du réalisateur. Celui-ci est expliqué en des termes qui résonnent clairement auprès des spectateurs d'aujourd'hui, mais qui sont absents de l'œuvre de Balzac. On nous parle de « fausses nouvelles », d'« actionnaires » en quête de profits, de vente de publicité dans les journaux.
Le portrait reste très négatif. Alors que dans le roman, la charge contre ce milieu est contrebalancée par un groupe de personnages aux aspirations élevées, le Cénacle, mené par l'écrivain d'Arthez, le film n'a rien pour atténuer ses attaques qui visent, dans un défoulement jouissif, tant le journalisme d'hier que celui d'aujourd'hui. Certes, les critiques de Balzac revues par Giannoli ont le mérite d'être parfois justes, dans une certaine mesure. Elles montrent comment le capitalisme (naissant à l'époque et persistant aujourd'hui), la cupidité et l'ambition rendent obsolète la recherche de vérité.
À ce portrait taillé grossièrement s'ajoutent quelques anachronismes volontaires conçus pour ajouter au plaisir : une citation d'Oscar Wilde ; une allusion à Emmanuel Macron (un personnage déplore qu'un banquier puisse devenir chef d'État) ; une situation improbable pour l'époque – le personnage principal, Lucien, un ambitieux fauché, devenant serveur dans un restaurant comme n'importe quel étudiant aujourd'hui.
Alors que le cinéaste ne craint pas d'ajouter quelques petites doses de cynisme, il choisit cependant de transformer en personnage romantique la première amante de Lucien, une aristocrate sérieusement écorchée par Balzac. Étrange choix.
À vouloir à tout prix rendre digeste cette histoire pour le public d'aujourd'hui, c'est la substance même de la pensée de Balzac qu'on perd en grande partie : une vision plus subtile des tiraillements entre le bien et le mal, une critique sociale plus incisive. Mais aussi sa verve, sa vision verticale de la société qui nous permet d'en saisir le plein foisonnement dans la confrontation des classes sociales et des intérêts politiques. Peut-être fallait-il assumer que le journalisme de l'époque ait de bonnes différences avec celui d'aujourd'hui, que ses pratiques et sa corruption, décrites par Balzac, échappent à la volonté de modernisation. S'en tenir de façon plus serrée à l'univers de l'écrivain, sans prendre le public par la main, aurait permis à celui-ci de tisser ses propres liens avec notre réalité, d'en tirer ses conclusions.
Cela dit, voyez tout de même Illusions perdues ! Le film de Giannoli reste d'une grande intelligence, un spectacle superbe, disais-je. Mais faites encore mieux, si vous avez le temps : abandonnez-vous à la lecture du roman.

Comment tout peut changer
Naomi Klein (avec Rebecca Steffof), Comment tout peut changer. Outils à l'usage de la jeunesse mobilisée pour la justice climatique et sociale, Lux, 2021, 318 pages. Traduit de l'anglais par Nicolas Calvé
La militante et intellectuelle Naomi Klein nous fait une belle proposition avec son essai Comment tout peut changer, dédié à « la jeunesse mobilisée pour la justice climatique et sociale ». L'autrice précise d'ailleurs en avant-propos qu'elle a écrit « ce livre pour montrer qu'un changement pour le mieux est bel et bien possible ». Ce double désir de saluer la force d'engagement des jeunes tout en les instruisant des réalités du réchauffement planétaire traverse tout l'ouvrage. Ainsi, même si elle décrit sans détours les désastres naturels frappant désormais la planète, Klein met de l'avant des idées et des « outils » pour permettre un avenir légitime à toutes celles et à tous ceux qui sont préoccupé·es par les conséquences des changements climatiques. Même si l'autrice s'adresse ouvertement aux jeunes, tout le monde appréciera la clarté et la rigueur du propos, porté par une écriture limpide et inspirée (qu'on doit aussi au travail de son traducteur, Nicolas Calvé).
On peut y voir l'influence de sa collaboratrice Rebecca Steffof, connue aux États-Unis pour ses albums jeunesse sur la science, l'histoire et la géographie, à qui l'on doit la plupart des portraits inspirants de jeunes militant·es de tout horizon qui parsèment l'écrit.
Ainsi, dans la première partie de l'essai, intitulée « Où en sommes-nous ? », Klein donne d'emblée la parole aux jeunes : à Greta Thunberg bien entendu, mais aussi à certain·e·s des seize militant·e·s pour la justice climatique âgé·es de 8 à 17 ans et issu·e·s des cinq continents, qui ont intenté en 2019 une action en justice auprès des Nations Unies. Klein brosse ensuite un portrait détaillé et sans concession des conséquences du réchauffement climatique. Comme bien des crises, celle du climat affecte davantage les populations moins favorisées : le mouvement contre le réchauffement climatique s'avère donc un mouvement pour la justice sociale.
La deuxième partie de l'essai, « Comment en sommes-nous arrivés là ? », retrace les origines du charbon et des autres combustibles, en s'intéressant à la révolution industrielle et à ses conséquences sur le marché du travail jusqu'au consumérisme actuel. Klein en profite pour faire le récit du mouvement écologique et déploie un véritable talent de conteuse pour présenter Henry David Thoreau, Aldo Léopold ou Rachel Carson. Des exemples de résistances récentes bouclent cette section, dont celui de Bella Bella en Colombie-Britannique, où les 1500 habitant·es de la nation Heiltsuk se sont mobilisé·es, à l'initiative des jeunes de la communauté, pour empêcher avec succès la mise en branle du projet d'oléoduc Northern Gateway, qui menaçait les eaux dont dépend le village pour sa subsistance.
La dernière partie, « Et ensuite ? », critique les mesures popularisées récemment en réaction au réchauffement climatique (captage et stockage du carbone, bricolage planétaire, plantation d'arbres, etc.) en leur préférant un « green new deal ». Les revendications des jeunes, celles des peuples autochtones et celles des groupes organisés peuvent servir un programme de transition pour passer à une économie sans émissions, plus équitable, plus profitable pour tous et toutes.
COP 28 : fourberies à Dubai
Les fonds de retraite canadiens exploités pour financer les violences en Palestine
Lettre ouverte à une ministre qui devrait se mettre en quête de son humanité
Le furoshiki : emballer sans polluer
« Legault et tous les autres sont en train de détruire le Québec tel qu’on le connaît »
Les travailleurs affrontent les ambitions de profits de Rogers Sugar
La Cour supérieure bafoue le droit de grève des enseignants

La lutte pour l’indépendance du Québec dans une perspective cosmopolitique
Québec solidaire a un certain nombre d'acquis sur la question nationale. Mais depuis l'adoption de sa position sur cette question, des bouleversements importants se sont produits, sur la scène internationale et au Québec, qui ont transformé radicalement la situation. Les conditions de la lutte pour l'indépendance doivent être de nouveau explicitées et la démarche de souveraineté populaire reconsidérée. Ce texte cherche à amorcer une réflexion face à ces problématiques. Il s'inscrit dans la démarche des débats que nous pensons devoir mener à l'intérieur de Québec solidaire.
1. Retour sur l'histoire nationale au Québec et au Canada
A. Qu'est-ce qu'une nation ?
« Une nation est une construction sociopolitique, un bloc social, c'est-à-dire un système d'alliances entre différentes classes, fractions, couches sociales, généralement sous hégémonie bourgeoise ; alliances nouées autour du projet de conquérir, de maintenir ou de renforcer des avantages relatifs au sein de l'espace mondial de l'accumulation du capital ou si l'on préfère, au sein de la division internationale du travail, sur la base d'un développement plus ou moins autonome du capital mondial ; alliances précisément structurées par l'appareil d'État et prenant appui sur lui. » … Si la nation se construit, n'est construite que dans et par l'érection de l'État, il existe à la fois des états sans nation (exemple type : les états précapitalistes) et des nations sans état propre, soit qu'elles se trouvent englobées dans une structure politique étrangère de type impérial (cas des peuples colonisés ou assujettis) ou de type fédéral (cas des nations serbe, croate, slovène avant l'éclatement de l'État yougoslave), soit qu'elles se trouvent dispersées entre plusieurs États (cas des nations basque ou kurde encore aujourd'hui.) [1] « La nation est l'ensemble des êtres humains liés par la communauté de destin en communauté de caractère… À aucun moment l'histoire d'une nation n'est achevée. Le sort, en se transformant, soumet ce caractère, qui n'est évidemment rien d'autre qu'une condensation du destin passé, à des changements continuels… Par là le caractère national perd aussi son prétendu caractère substantiel, c'est-à-dire l'illusion que c'est lui l'élément durable dans la fuite des événements… Placé au milieu du flux universel, il n'est plus un être persistant, mais un devenir et une disparition continuels. » [2]2 C'est à partir de cette double perspective que va être abordée la question nationale au Québec et dans l'État canadien.
B. De la nation canadienne-française à la nation québécoise
La première nation canadienne (les habitants des rives du fleuve St-Laurent se nommaient Canadiens) a connu une fin tragique. Ce fut la défaite de la révolte des Patriotes en 1838. Cette révolte a été le moment culminant d'un vaste mouvement démocratique où la perspective de l'indépendance comme concrétisation de ces luttes trouvait à s'exprimer. La défaite sous la répression, puis la capitulation de la majorité des élites aux autorités canadiennes-anglaises, leur intégration dans les institutions de l'Union puis de la fédération, l'entrée dans une époque de survivance ont bel et bien installé une impuissance politique pour plus d'un siècle dans laquelle était engoncée la nation qui se décrivait désormais comme canadienne-française.
La nation canadienne-française, dirigée par des élites intégrées dans l'État canadien oppresseur et des élites plus nationalistes défendant un discours autonomiste et libéral, se caractérisa d'abord dans sa volonté de survivance par un retour à la terre pour se protéger contre le développement de l'économie capitaliste, fit de l'agriculturisme, de l'antiétatisme et de sa mission évangélisatrice les axes de son identité. [3] Cette collaboration avec la bourgeoisie canadienne fonda une impuissance qui déboucha sur l'effondrement de la nation canadienne-française suite à une accumulation de défaites : une fédération fondée contre toute volonté populaire, l'assimilation rapide des Canadiens français de l'Ouest canadien qui voient imposer la fermeture des écoles françaises, la conscription forcée en 1917, la nouvelle conscription forcée durant la Deuxième Guerre mondiale,... Cette nation canadienne-française (bloc de classe dirigé par la moyenne bourgeoisie francophone s'appuyant sur la paysannerie, soudé par une alliance avec les cadres de l'Église catholique ) dont le foyer principal était le Québec, mais dont le territoire était le Canada va disparaître et laisser des minorités francophones dans différentes provinces du Canada comme des lambeaux de la nation d'hier.
Au Québec, l'industrialisation capitaliste et l'urbanisation rapide qui vont s'accélérer avec la Deuxième Guerre mondiale, vont créer une nouvelle société, une société dont la majorité est formée de travailleurs et de travailleuses. La part de la population paysanne va être réduite à la portion congrue. La petite bourgeoisie traditionnelle devient une fraction minoritaire alors que de nouvelles couches techniciennes occupent une place de plus en plus importante parmi les couches moyennes. De nouveaux secteurs d'une bourgeoisie québécoise liée au développement d'entreprises de l'État québécois vont prendre une place plus importante dans la société. Le territoire de cette nouvelle nation sera désormais non pas l'État canadien, mais le territoire du Québec. La Révolution tranquille va effectuer un renouvellement des structures étatiques, une rupture avec un libéralisme économique qui plaçait le Québec en retard, par rapport à la politique keynésienne qui s'était imposée au niveau du gouvernement fédéral. Cette révolution tranquille met fin à la définition de la nation majoritaire au Québec comme Canadienne française. Elle se définira désormais de plus en plus comme québécoise.
2. La société québécoise, une société scindée sur une base nationale
La nation québécoise était caractérisée par une structure de classe spécifique, des aspirations nouvelles, par sa sécularisation (l'affaiblissement de l'influence de l'Église catholique) et la nouvelle place faite aux femmes dans cette nation.
La société québécoise est donc d'emblée une société scindée au niveau de la perspective de son destin national entre un bloc fédéraliste et un bloc souverainiste. La société québécoise est composée d'un bloc social multiclassiste fédéraliste (nation canadienne) dirigé par des élites, parties prenantes de la gestion de l'État canadien, la communauté anglophone et un secteur de la population francophone attaché à l'appartenance à l'État canadien ainsi que d'un bloc social (alliant la classe des cadres et experts et la majorité de la classe laborieuse organisée) qui aspire comme destin à faire du Québec un État indépendant. La société québécoise comprend également les nations autochtones soumises à un véritable joug colonial tant par le gouvernement fédéral que par le gouvernement du Québec. Ce sont les couches sociales des expert-es de la culture (enseignant-es, étudiant-es, artistes) qui furent les premières à porter le mouvement indépendantiste.
S'il y avait une sortie possible vers l'indépendance, le secteur nationaliste des nouvelles élites bourgeoises et cadristes, allait rapidement asseoir la direction sur le mouvement indépendantiste, le dévoyer et l'engoncer dans le confédérationnisme, puis dans le provincialisme. La possibilité d'une définition de la nation sous hégémonie de la classe laborieuse aurait pu ouvrir une autre perspective, mais la classe laborieuse du Québec ne parvint pas à s'organiser sur une base politique autonome et à reprendre sur de nouvelles bases le combat indépendantiste.
Tassant les partis indépendantistes issus des couches petites-bourgeoises radicalisées, les secteurs nationalistes de la bourgeoisie d'état et des cadres remplacèrent l'indépendance par la souveraineté-association comme perspective stratégique du mouvement nationalitaire québécois. Ce fut le rôle essentiel du Parti québécois. La stratégie référendaire divisant l'accession au pouvoir provincial de la démarche souverainiste offrit une légitimité à ce qui devait s'avérer un détournement de la perspective indépendantiste. Le maintien de l'association avec la bourgeoisie canadienne et ses institutions était dorénavant réclamé par la direction du mouvement souverainiste-association lui-même.
Durant toute la période où la gestion keynésienne dominait les politiques économiques de la bourgeoisie et où la construction de l'État social était à l'ordre du jour, le renforcement de l'État québécois pouvait apparaître comme la concrétisation de l'affirmation nationale et laisser espérer le transfert des pouvoirs comme l'aboutissement possible d'une politique de la souveraineté-association.
Mais avec le recul de la concentration des richesses vers la fin des années 70 et la chute des taux de profits, l'heure de la fin du keynésianisme avait sonné. Les années 80 furent marquées par la contre-offensive néolibérale : contrôle des salaires, blocage des ouvertures à la syndicalisation, chute des taux de progression des investissements publics et privatisation rampante des services publics, ouverture au libre-échange, etc.
Après avoir embarqué dans l'aventure des négociations constitutionnelles et de la réforme du fédéralisme canadien, après avoir attaqué ses bases sociales par des politiques de coupure des salaires dans les services publics, après avoir joué le jeu qui aurait permis la réintégration du Québec dans le cadre de la fédération canadienne, après l'échec de 1982, le gouvernement péquiste est chassé du pouvoir en 1985 par le bloc social fédéraliste qui voulut se donner comme tâche d'en finir avec le modèle québécois caractérisé par une intervention de l'État dans l'économie dans la perspective du développement du Québec Inc. En 1994, le retour au pouvoir du PQ donna l'occasion d'expérimenter, une nouvelle fois, la stratégie référendaire basée sur la défense de la souveraineté-partenariat et sur des stratégies de communication alors que la majorité populaire ne se voyait pas confier un rôle important dans le processus référendaire lui-même. D'autant, que le PQ s'était fait le héraut du libre-échange et des politiques néolibérales. Le fédéral profita de sa victoire pour délégitimer la tenue d'un autre référendum en adoptant la loi sur la clarté, qui donnait au parlement canadien la possibilité de définir la nature d'un référendum qui pourrait déboucher sur d'éventuelles négociations (référendum sur l'indépendance, restant ouverte la possibilité d'exiger un taux d'acceptation supérieur à 50%+1).
Après leur défaite au référendum de 1995, les leaders nationalistes de la classe des cadres qui dirigeaient de fait le PQ se sont éloignés définitivement de tout projet confédérationniste, jusqu'à rompre pour beaucoup avec le soutien au PQ et à la souveraineté-association. Des secteurs nationalistes de la petite bourgeoisie sont revenus à une version québécoise de l'autonomisme national sous l'étiquette trompeuse de gouvernance souverainiste.
L'échec non seulement provoqua une grande démobilisation, mais le PQ sous la direction de Bouchard, puis de Landry fit de la défense de politiques néolibérales le centre de leur politique. La lutte contre le déficit devint la priorité des gouvernements péquistes. Le bloc social qu'il formait avec les organisations syndicales s'effrita et il fut chassé de nouveau du pouvoir. La prise du pouvoir par Le PLQ de Jean Charest a permis à ce parti de s'imposer sur le Québec pendant plus d'une décennie et de mener des politiques néolibérales et autoritaires, faisant du sous-financement du secteur public et de sa privatisation le centre de son orientation.
Le Parti québécois comme appareil oligarchique nationaliste s'est survécu, par un effet d'autonomie et d'inertie du champ politique, essayant de se proclamer encore porteur du projet de souveraineté-association tout en cherchant à consacrer toutes ses énergies à la gouvernance provinciale.
3. La reconstruction du PQ se fera dans le cadre du nationalisme identitaire et conservateur
Au lendemain de la défaite, le discours de Parizeau sur la responsabilité du vote ethnique dans cette défaite reflétait la division de la société québécoise et révélait la réalité ambiguë du nationalisme québécois. La logique du bouc émissaire s'imposant, les immigrant-es et les communautés culturelles furent présentés comme un danger mortel pour la défense de la nation, de la langue française. Le discours de la CAQ et du PQ incorpora de plus en plus une dimension xénophobe sinon raciste. Le camp nationaliste conservateur rejeta la réalité du racisme systémique.
La défaite du PQ comme alliance de classe dirigée par la classe des cadres et des experts (qui ont rejoint la CAQ) a permis que le PQ fasse de la lutte pour l'indépendance le centre de son combat politique. On pourrait attribuer ce recentrage sur l'indépendance comme une pure manœuvre liée essentiellement au fait que la perspective de la prise du pouvoir et la formation d'un gouvernement demeure pour le moment fort éloignée. Mais en fait, pour le PQ, l'accession du Québec au statut d'État indépendant vise de plus en plus à faire coïncider parfaitement les frontières politiques et culturelles et la défense de la nation québécoise francophone en Amérique du Nord. Pour ce faire, il est nécessaire de baisser les quotas d'immigration, de mener le combat pour l'homogénéité culturelle, de s'opposer au multiculturalisme, de défendre une intégration-assimilation de toute la population migrante au français (et n'accepter en conséquence comme migrant-es) que les seules personnes parlant français avant leur arrivée au Québec. Il ne s'agit pas seulement de faire du français une langue publique commune, mais les nationalistes conservateurs insistent sur le fait que la défense de la nation québécoise et de son intégrité passe par l'utilisation de la langue française à la maison par les minorités culturelles. Tout ceci constitue un ralliement de ce parti à une politique clairement assimilationniste. Le nationalisme québécois, qui a été pendant toute une période un nationalisme civique reprend une dimension ethnique, non qu'il fasse des Québécois-es français-es de souche les seuls membres authentiques de la nation québécoise, mais que le ralliement-intégration-assimilation au tronc commun constitue désormais les voies d'une véritable intégration nationale.
Pour le PQ, l'État québécois actuel doit donc amener la société québécoise à élargir la domination de ce tronc commun du Québec francophone tout en cherchant à vivre harmonieusement avec les minorités nationales anglophones et avec les peuples autochtones, pourvu que ces dernières respectent l'intégrité du territoire national dans un Québec indépendant et ne remettent pas en question l'oppression coloniale encore existante. Telle est la voie choisie par le PQ pour se reconstruire, ce qui exercera une pression constante nourrissant une dérive droitiste.
Le refus de reconnaître la réalité du racisme systémique, contre les Noir-es et les peuples autochtones notamment, et de l'islamophobie, en solidarité avec le positionnement de la CAQ, démontre que le PQ refuse de comprendre les voies de la construction du Québec comme société multinationale et pluriculturelle. En ce sens, la majorité indépendantiste d'émancipation ne passe nullement par une alliance avec ce parti, mais par une lutte conséquente contre ces conceptions étroites et conservatrices de la lutte nationale et par la bataille pour faire de la classe laborieuse et des mouvements antisystémiques les porteurs de la définition d'un nouveau destin national…
4. La politique de Québec solidaire sur la question nationale
Québec solidaire a connu, durant ses premières années, un certain nombre de débats qui lui ont permis de définir sa position sur la question nationale sur un certain nombre de points. Il s'est démarqué de la perspective de souveraineté-association et s'est consacré à définir l'indépendance (ou la souveraineté nationale) comme son objectif stratégique. Il a posé la nécessité d'articuler cette dernière à un projet de société égalitaire, féministe, démocratique et internationaliste afin que l'indépendance soit un projet mobilisateur capable de rallier une majorité populaire. Il a développé une stratégie faisant de la mobilisation autour d'une démarche de souveraineté populaire, la constituante, comme la voie démocratique du ralliement d'une majorité de la population québécoise autour du projet en faisant de cette majorité le sujet de la définition des institutions devant concrétiser le projet de société et d'indépendance que le parti voulait mettre de l'avant. Québec solidaire a compris que les Premières Nations étaient une composante essentielle de la société québécoise. Il a défendu son droit à l'autodétermination et a fait de la lutte contre le racisme systémique qui frappe les Premières Nations un axe de son combat. Il se dit ouvert à les intégrer, sur une base volontaire de leur part, à sa démarche de souveraineté populaire. Récemment, il a fait de la lutte aux changements climatiques et de la rupture avec l'État pétrolier canadien une dimension de son projet national.
Pourtant, Québec solidaire n'a pas replacé la lutte pour l'indépendance dans le cadre de l'État canadien. Il n'a pas compris que l'indépendance avait une dimension clairement anti-impérialiste, car l'indépendance constitue une remise en cause de l'intégrité territoriale d'un important pays impérialiste et d'un allié indéfectible de l'impérialisme américain. Il n'a pas voulu questionner le soutien des États-Unis à l'intégrité de l'État canadien comme cela s'est révélé clairement, particulièrement durant le référendum de 1995. Il découle de la méconnaissance de cette réalité que Québec solidaire n'a jamais posé la nécessité d'une alliance avec les forces ouvrières et populaires du Canada anglais et les mouvements antisystémiques (féministes, antiracistes, écologistes…) du reste du Canada pour qu'ils adoptent une position claire sur le droit à l'autodétermination du Québec et pour faciliter la remise en question de l'État canadien et sa dénégation de son caractère multinational.
Québec solidaire, dans son ensemble et dans toutes ses composantes, n‘a pas rompu avec l'idée de la famille souverainiste, et avec l'idéologie nationaliste. Ceci s'est clairement exprimé par les débats sur les alliances électorales avec le Parti québécois où des secteurs importants de la direction ont défendu, à plusieurs reprises, cette perspective. Cela se reflète également par un refus de clarifier la différence entre l'opposition à toutes les formes d'oppression nationale et la lutte contre l'idéologie nationaliste qui fait prévaloir la solidarité nationale sur la solidarité de classe et avec l'ensemble des opprimé-es dans la société.
Sa politique sur l'immigration et sa défense d'une logique de quotas durant la dernière campagne électorale, a affaibli la solidarité avec le camp populaire et la clarté de la reconnaissance de la réalité de la société québécoise comme société multinationale et tiré toutes les conséquences de cette prise de position. »
Mais c'est sans doute la conception des conditions de l'avènement d'une constituante débouchant sur l'indépendance qui reste marquée par une approche purement institutionnelle qui peut se résumer ainsi : Québec solidaire prend le pouvoir, il adopte une loi sur l'élection d'une assemblée constituante qui a pour mandat d'élaborer une institution d'un Québec indépendant, constitution qui est enfin soumise à un référendum de ratification. En fait, ce qu'il faut questionner maintenant c'est le processus de construction de la volonté de faire prévaloir la souveraineté populaire dans la majorité de la population. L'affirmation de cette souveraineté populaire ne peut être que le produit du renversement du rapport de force des classes subalternes remettant en question le contrôle des gouvernants et le développement de pratiques d'autogouvernement dans différents secteurs de la société. La constituante ne peut donc être réduite à un projet de transformation des institutions politiques découlant de l'élection, mais sera le résultat de l'affirmation du pouvoir de la majorité populaire dans la société.
5. Nouvelle époque, les axes et fondements d'une stratégie indépendantiste
A. La nouvelle période marquée par la convergence des crises économiques, sociales, politiques et climatiques
L'impérialisme a divisé le monde entre nations dominantes et nations dominées (restées précaires et inachevées dans la plupart des régions du monde). Appuyées par les États impérialistes et les institutions internationales à leur service, les multinationales s'accordent le droit de s'emparer des énergies fossiles et des richesses minières partout sur la planète, de détruire l'agriculture d'autosubsistance et de produire à moindre coût en exploitant la main-d'œuvre du Sud en délocalisant ses entreprises manufacturières. Au nom du libre-échange et des ajustements structurels, les institutions comme la Banque mondiale et le FMI contraignent les États du Sud à renoncer à des dépenses vitales en matière de santé, de logement, et d'éducation, ce qui provoque la détérioration radicale de la qualité de vie de vastes secteurs de la population. À cela s'ajoutent les effets du développement de la crise climatique, qui tend à rendre certaines parties du monde de moins en moins habitables. L'immigration (Sud – Sud dans un premier temps, puis Sud – Nord) deviendra de plus en plus importante, stimulée par la recherche de meilleures conditions de vie, ou plus radicalement de conditions de survie. [4]
Les gouvernements des pays capitalistes avancés ont de plus en plus tendance à vouloir bloquer ces migrations en durcissant les règles permettant l'immigration, en dressant des murs physiques ou virtuels, en refusant de plus de reconnaître les droits des réfugié-es, en instrumentalisant des pays pour servir de frontières avancées dans le contrôle des personnes migrantes. Mais les frontières et les murs ne parviennent pas à contrer les flux migratoires.
La fermeture des frontières trouve sa justification dans le développement du racisme et de la xénophobie et le repli des populations du Nord vers une position fermée et défensive, ce qui est un fait majeur de ce début du XXIe siècle. Avec l'intrusion de la périphérie dans le centre se met en place un processus de multiculturalisation qui est à la base d'une réaction défensive et du développement d'un absolutisme ethnique. Cela est vrai tant en Europe qu'en Amérique du Nord. Cette prolifération des diasporas racisées perturbe la conception stable qu'avaient les cultures d'elles-mêmes. La perception de l'étranger comme un danger favorise la montée d'un nationalisme xénophobe et raciste. Si ce phénomène est un phénomène international, il prend des formes particulières dans un contexte canadien et québécois compte tenu de l'histoire récente de la lutte pour l'indépendance dans l'État canadien.
Au Québec, le racisme systémique frappe bien sûr les nations autochtones, mais aussi de nombreuses personnes appartenant à des communautés ethnoculturelles minoritaires et aux secteurs racisés de la population. Ce racisme se manifeste par des discriminations à l'embauche, à la promotion, au logement, mais également dans les rapports aux services publics (santé, éducation, protection de l'enfance) ainsi que dans les rapports au système judiciaire et à la police. Le gouvernement Legault, le PQ et le Bloc québécois refusent de reconnaître la réalité du racisme systémique. Il ne s'agit pas seulement d'une guerre de mots, sinon elle serait surmontée rapidement.
Ces prises de position du nationalisme conservateur se nourrissent du déni enragé de toutes les crises qui nous frappent. « Le refus d'envisager la remise en question de ce qui « nous » fait et qui est la seule chose que nous connaissons, d'envisager quelque deuil que ce soit à l'égard de ce que « nous sommes », et le désir forcené d'identifier des responsables , des coupables et des boucs émissaires, est au cœur de cette montée réactive qui manifeste sur les surfaces politiques massifiées du premier monde. » [5]
B. Pour la construction d'un bloc national populaire, instrument d'une véritable lutte d'émancipation
L'indépendance du peuple québécois, de toutes les personnes qui y vivent et qui y travaillent, doit reprendre et préciser la perspective mise de l'avant par Sol Zanetti dans le livre Ce qui nous lie. « Faire avancer l'humanité en commençant ici. Ce regard nouveau est plurinational. En effet, le pays du Québec auquel nous aspirons sera le fruit d'une quête de souveraineté pour l'ensemble des peuples qui l'habitent : le premier pays fondé, dès le départ, avec les peuples autochtones et non à leurs dépens. Ce pays, nous le voulons affranchi des relations néocoloniales, un pays de peuples souverains travaillant ensemble pour s'épanouir sur un terrain confié à leur protection. »
Dans un tel contexte, l'indépendance conçue dans un sens cosmopolitique signifie que l'indépendance vise à faire du territoire québécois libéré un centre de solidarité avec la lutte des peuples du monde pour leur émancipation et pour faire face ensemble à ces multiples problèmes.
La construction d'un bloc national populaire regroupant la majorité populaire d'une société plurinationale et pluriculturelle qu'est le Québec passera : a) par le rejet d'une vision ethniquement homogène de la nation et par le rejet du projet nationaliste d'homogénéisation culturelle ; b) par une politique de rejet des discriminations et par le refus de l'existence de secteurs de la société privés de droits, et par l'union de toutes les composantes de la majorité populaire dans ce combat ; c) par la liberté de circulation et d'installation de toustes les migrant-es. d) par l'éradication du racisme systémique qui touche tant les nations autochtones que les autres secteurs racisés de la population ; e) par le rejet des discours qui font des minorités les seuls porteuses de l'inégalité des femmes. f) par une politique linguistique qui refuse de faire des personnes immigrantes la cause du manque d'attractivité de la langue française et enfin g) par le rejet d'une laïcité identitaire qui essentialise la réalité de la nation.
a) par le rejet d'une vision ethniquement homogène de la nation, et par le rejet du projet nationaliste d'homogénéisation culturelle
Il faut éviter de diviser le Québec entre un "nous" défini sur une base généalogique et culturelle et un "eux" qui en serait exclus. Partir sur cette base, c'est créer les conditions de l'approfondissement des divisions ethniques au sein de la société québécoise. Plus : c'est jeter ces divisions en pâture aux forces fédéralistes qui sauront bien les instrumentaliser. La société québécoise doit se définir non pas comme un "nous" dont la substance se construit autour de certaines valeurs partagées. Elle se construit par l'apport de tous et de toutes dans un processus reflétant le nouveau contexte dans lequel toutes les personnes de la société sont appelées à vivre.
Cette vision d'une nation ethnique présente les personnes immigrantes et les communautés ethnoculturelles non seulement comme différentes du "nous" québécois, mais comme étant dangereuses, car porteuses d'une possible régression sociale.
Tous les peuples ont dans leurs traditions des acquis qui leur permettent d'élargir la richesse de leur expérience du monde : musique, littérature, architecture, expériences de luttes. La culture que nous serons amené-es à construire doit se baser sur tous ces acquis. Ce que nous sommes aujourd'hui , ce que nous serons demain, est en grande partie lié au processus de métissage culturel que notre ouverture sur le monde nous permet de réaliser. Les principes de solidarité, de coopération, de partage, d'égalité sociale et de genre et de démocratie se définissent par leur opposition aux attitudes de cupidité, de thésaurisation, de prédation et d'accaparement de tous les pouvoirs qui sont le propre des classes exploiteuses des différentes nations. La vaste majorité de la nation québécoise est formée par les classes subalternes.
Il ne s'agit pas non plus d'affirmer que toutes les personnes qui habitent le Québec sont des Québécois-es en niant la réalité plurinationale du Québec. Au Québec, il y a des minorités nationales (grecque, italienne, algérienne, chilienne, etc.) et il y a également les nations autochtones. Ces nations et minorités nationales peuvent se définir comme membres de la nation québécoise, mais ce n'est pas nécessairement le cas. Mais tous les habitant-es du Québec sont des citoyen-nes du Québec (ou du moins devraient l'être et en partager tous les droits) et constituent le peuple québécois. Il faut donc découpler le statut de citoyen de l'appartenance nationale dans un Québec indépendant et lutter pour ce découplage dès maintenant dans l'État canadien. Nous luttons pour l'indépendance du peuple québécois de l'État canadien.
b) par une politique de rejets des discriminations et par le refus de l'existence de secteurs de la société privés de droits et par l'union de toutes les composantes de la majorité populaire dans ce combat
Toutes les personnes vivant au Québec, toutes celles qui y œuvrent et qui participent à la création de la richesse commune font partie de la société et contribuent à son destin national. Pour assurer une véritable inclusion des personnes migrantes « on ne peut accepter que des personnes se trouvant sur un même territoire, dans un même ordre juridique, soient traitées différemment ou discriminées. Le principe d'égalité des droits implique donc la libre circulation, mais aussi une série d'autres droits, dont notamment : le droit de s'installer durablement, le droit au travail, le droit de recevoir un salaire égal, le droit d'acquérir la nationalité, le droit de vivre en famille, le droit de vote, le droit à la sécurité sociale », le droit d'avoir accès aux différents services publics, etc. La lutte pour l'égalité des droits doit être la tâche de tous les mouvements sociaux qui visent l'égalité sociale et la fin des discriminations (mouvement syndical, mouvement des femmes, des jeunes, mouvements populaires, mouvement antiraciste…). Le combat contre les discriminations et pour l'égalité des droits est à la base de la convergence des différentes composantes de la majorité populaire.
c) S'opposer pied à pied à la dynamique anti-migratoire et à la fermeture des frontières
La libre circulation, le droit d'installation et l'égalité dans l'accès aux droits sociaux pour les immigré-es sont des droits fondamentaux pour l'humanité. Les indépendantistes doivent défendre ces droits.
Contrairement à l'approche du nationalisme régressif de Legault, du PQ et cie, les indépendantistes internationalistes doivent en finir avec le nationalisme étroit. Cela ne sera possible qu'en s'engageant avec détermination aux côtés de ceux et celles qui, en franchissant les frontières, revendiquent le droit de mieux vivre, de fuir les situations de survie auxquelles ils et elles sont acculé-es. Il faut savoir accueillir les personnes réfugiées et refuser de limiter l'immigration à la seule utilité économique pour les entreprises capitalistes et en faire des citoyen-nes aussitôt l'installation confirmée.
Il s'agit de mettre fin à l'extension des situations d‘exclusion et de non-droit que recouvre la notion de dualisation de société entre nationaux ayant des droits et étrangers dépourvus de ces droits. Sans cela, on laissera se développer la masse des citoyen-nes de seconde zone, voire l'existence d'individus privés réellement sinon formellement de toute citoyenneté et sans cesse menacés d'exclusion. Cela va se concrétiser par la lutte pour la régulation immédiate de l'ensemble des personnes migrantes du pays sans limite concernant le nombre de personnes admissibles, et sans critères liés au travail. [6] Il ne s'agit pas de défendre les droits des nationalistes conservateurs à avoir des droits que n'ont pas les personnes migrantes, mais d'assurer leur égalité en tant que citoyen-es du pays. Il faut donc mettre fin immédiatement aux déportations et aux détentions.
d) par l'éradication du racisme systémique qui touche tant les Premières Nations que les secteurs racisés de la population
Le gouvernement Legault, le PQ, le Bloc et l'ensemble des nationalistes conservateurs osent prétendre qu'il n'y a pas de racisme systémique au Québec. Les nationalistes conservateurs refusent des mots choisis par ceux et celles qui les ont choisis pour parler de la réalité de ce qu'ils vivent. Et c'est précisément ce refus d'écouter, de croire, auquel il est temps de mettre fin. [7]
C'est une négation du colonialisme qu'ont subi et subissent encore les nations autochtones. « En réalité, une grande portion des territoires sur lesquels les gouvernements québécois ont exercé leur pouvoir au profit explicite de la majorité francophone n'a jamais été cédée au sens entendu par le régime néocolonial british canadian. L'accès au territoire au nord du 49e parallèle, son occupation par les populations nécessaires pour la colonisation, l‘exploitation et l'accaparement des ressources aquifères, hydro-électriques, forestières, minières, marines, touristiques, ont été défendus tant par les tribunaux canadiens que par les gouvernements québécois successifs comme relevant, selon le langage juridique canadien, « d'objectifs publics réels et impérieux. » [8] Un projet internationaliste d'indépendance du Québec doit s'articuler à la dynamique panamérindienne. Il faut éviter de sous-estimer la signification politique des aspirations autochtones et leur portée continentale. [9]
Mais ce racisme systémique ne vise pas seulement les peuples autochtones, il vise également les minorités raciales et ethnoculturelles. La lutte contre le racisme ne peut, on le saisit encore plus aujourd'hui que par le passé, se bâtir sur une base morale et sur le seul champ idéologique. Elle ne peut prendre toute l'ampleur nécessaire que sur la base d'un antiracisme politique s'attaquant au racisme en acte constitué par les discriminations raciales. [10] C'est à partir de l'auto-organisation du mouvement antiraciste que le combat contre les discriminations racistes pourra s'organiser et ainsi faire reculer le racisme systémique.
e) par le rejet des discours qui font des minorités les seuls porteuses de l'inégalité des femmes.
Au Québec, le fémonationalisme est porté par l'organisation Pour le droit des femmes. Elle détourne la mobilisation des idées féministes par les partis nationalistes dans la guerre contre l'islam ou les migrant-es venu-es du tiers-monde. Ce fémonationalisme s'exprime particulièrement par la lutte pour le projet de loi 21 et défend l'idée que l'émancipation des femmes passerait nécessairement par l'absence de foulard. Ce courant refuse de comprendre que le combat pour la liberté de porter le voile dans les pays démocratiques s'accompagne toujours du combat pour la liberté dans les pays non démocratiques où il est imposé. [11] L'alliance du mouvement féministe avec une indépendance dans une optique cosmopolitique implique une rupture avec le fémonationalisme.
f) par une politique linguistique qui fait du français la langue publique commune, mais qui rejette la perspective de défense de la nation par une politique d'assimilation.
Malgré la loi 101 qui a forcé la fréquentation des enfants des communautés culturelles des écoles françaises du primaire et du secondaire, l'anglais demeure la langue la plus attractive au Québec. Le français n'est pas la langue commune de travail dans les grandes entreprises dont les plus importantes sont, pour la plupart, gérées en anglais. Les immigrant-es, comme les francophones, se voient exiger la connaissance de l'anglais pour trouver un emploi. Au lieu de partir d'une analyse matérialiste de la situation de la langue française, les nationalistes identitaires attribuent la situation du français dans la région métropolitaine de Montréal à l'existence d'une immigration trop importante ne connaissant pas le français. C'est à partir d'une telle analyse que le Parti québécois a mis dans son programme la nécessité de la connaissance du français pour avoir accès à l'immigration au Québec. Plus, au lieu de définir le français comme la langue publique commune facilitant la formation de la communauté politique, les nationalistes conservateurs, adoptant un modèle assimilationniste, présentent le fait de ne pas parler français à la maison pour les membres des communautés culturelles comme un recul du français.
La loi 96 ne part pas d'une analyse des fondements économiques, sociaux et culturels de la précarité du français au Québec, mais d'une certaine marginalisation que feraient peser sur elle l'immigration et les communautés culturelles. Tant que le Québec restera subordonné à cet État canadien, comme le propose le gouvernement Legault, les droits nationaux du Québec et le caractère du français comme langue commune de la société québécoise seront constamment remis en question. La volonté majoritaire de la population de vivre dans un Québec français sera constamment frustrée par les attaques de l'État fédéral et du grand capital anglophone, qui ne renoncera pas à imposer sa domination sur le Québec. C'est pourquoi la défense de la langue française passera par l'indépendance du Québec.
Québec solidaire doit s'opposer à la loi 96. Ce n'est certainement pas en ciblant les populations immigrantes ni en forçant la main des populations autochtones qu'on peut voir une possible solution. Au contraire, c'est en construisant la solidarité. En faisant du Québec une société inclusive où toutes les communautés trouvent leur place, où le Québec est une terre qui appartient à ceux et celles qui l'habitent, que les communautés issues de l'immigration seront attirées à parler français. Les autochtones ont le strict droit de décider de leur langue d'usage et notre position doit être celle de respecter leurs décisions. L'inclusion dans la société québécoise ne nécessite aucunement le reniement de leur appartenance nationale d'origine et de leur culture de la part des minorités ethnoculturelles.
g) En finir avec la laïcité identitaire qui essentialise la réalité de la nation
Quelle est donc la place de la laïcité dans cette problématique complexe ? La laïcité est un héritage important. Pour limiter la fermeture communautaire et favoriser l'inclusion et le métissage, s'attaquer à quelques signes vestimentaires distinctifs risque de produire le contraire de l'effet escompté. Comme l'écrit Poulat, la laïcité est une “politique de pacification par le droit”. [12] Elle permet d'assurer la liberté de conscience par la séparation et la neutralité de l'État. Mais la laïcité ne se définit jamais sur un mode qui nie son inscription dans l'histoire d'une société donnée. Et la définition que nous lui donnons aujourd'hui doit favoriser cette unité citoyenne et non exacerber les divisions existantes. Le combat laïque est une dimension du combat pour l'unité citoyenne. Lorsque la laïcité devient un instrument de démarcation identitaire et d'approfondissement des divisions, elle se transforme en son contraire, c'est pourquoi il faut juger la laïcité à ses fins avant de la juger sur ses moyens. [13]
B. mise en place d'une véritable démarche de souveraineté populaire
Le pouvoir constituant ne peut être que le moment final d'une délibération confiée à des représentant-es du peuple sur la réalité que devraient prendre les institutions économiques et politiques de la société. Il se construit par une série de luttes économiques, sociales et politiques pour élargir le contrôle populaire sur les différents éléments de sa vie : la démocratie économique et la représentation de la majorité populaire dans la direction des entreprises ; la place des citoyens, des travailleurs et des travailleuses sur la politique de l'énergie qui tient compte d'une transition véritable ; la démocratisation des contrôles de la majorité populaire sur la production réelle ; la capacité des producteurs et productrices agricoles de faire les choix permettant de concrétiser notre souveraineté alimentaire ; la capacité des travailleuses et des travailleurs de la santé de bloquer la privatisation de la santé ; le poids du contrôle citoyen sur les institutions locales et régionales.
C'est dans la mesure où on aura une convergence de ces mouvements visant à assurer une réelle souveraineté populaire sur les différentes composantes de la société qu'une assemblée constituante, pouvant assurer la convergence des acquis, pourra déboucher sur l'institutionnalisation d'une véritable assemblée constituante.
Si ce n'est la réforme du mode de scrutin et l'introduction du scrutin proportionnel, Québec solidaire n'a jamais mené campagne contre les limites de la démocratie parlementaire et contre la formation d'une oligarchie politique au service de la classe dominante. Ce sont l'ensemble des combats partiels pour développer concrètement la souveraineté populaire, une véritable démocratie qui va au-delà des limites actuelles du parlementarisme, qui pourront réellement préparer concrètement la tenue d'une constituante permettant l'expression de la souveraineté populaire. Si Québec solidaire doit clairement présenter les contours des institutions qu'il veut défendre dans la constituante, il doit maintenant mener des combats qui renforcent la volonté de la majorité populaire d'imposer un véritable contrôle démocratique sur la société.
Voici des revendications pouvant être défendues dès maintenant, qui vont dans le sens du renforcement de la souveraineté populaire et qui visent à bloquer les voies par lesquelles les représentants-es échappent au contrôle des personnes représentées. Ces revendications préparent la mise en place d'une véritable république sociale. Il s'agit :
a) d'imposer un contrôle populaire des représentant-es dans le cadre de la démocratie représentative ;
• en donnant des mandats impératifs aux élu-es par les assemblées devant lesquelles ces élu-es sont redevables ;
• en interdisant la circulation des élu-es entre les responsabilités politiques et les responsabilités économiques dans le secteur privé ;
• en implantant des mécanismes pour en finir avec les sous-représentations des catégories modestes (travailleurs et travailleuses manuelles) ;
• en introduisant une procédure de révocation des élu-es par les circonscriptions ou par les autres instances où il y a des élections.
b) de mettre fin à la consolidation d'une oligarchie politique
• en imposant la parité de genre (hommes/femmes) dans la représentation politique ;
• en abolissant les mandats consécutifs au parlement et dans les municipalités (limiter à deux au maximum) ;
• en introduisant un niveau de rémunération qui place les élu-es au niveau du salaire médian de la population.
c) d'introduire des mécanismes de démocratie participative à tous les niveaux dans les institutions de l'État et de généraliser le principe d'éligibilité
• en introduisant les principes d'éligibilité et de révocabilité des chefs administratifs ;
• en instaurant des budgets participatifs laissant à des assemblées locales (municipalités et MRC) de citoyen-nes de larges pouvoirs de participation et de décision sur la détermination des priorités budgétaires dans les villes et les régions ;
• en introduisant un processus d'autogestion démocratique dans les entreprises et les services publics ;
• en mettant en place des référendums d'initiatives populaires et particulièrement des référendums abrogatifs (abrogation de lois rejetées par la majorité citoyenne) [14].
C. La lutte pour l'indépendance, une lutte pour la destruction de l'État canadien
Québec solidaire n'a pas jusqu'ici intégré dans sa stratégie de lutte pour l'indépendance, la signification de l'indépendance comme une remise en question radicale de l'intégrité de l'État canadienne, de son existence même.
L'État canadien retient les fonctions les plus fondamentales d'un État bourgeois "souverain" : le contrôle militaire, le contrôle de la politique monétaire, le monopole de la représentation du capitalisme canadien vis-à-vis les autres États, le contrôle du Code criminel, et le contrôle sur une série de fonctions juridiques et régulatrices touchant l'économie. Il est absolument clair que l'État central est l'ultime instrument de défense des rapports de production contre toute menace qui pourrait remettre en question cette domination. Ce rapport de force et cette domination se sont construits en mettant au rencart les Métis et les nations autochtones, de même qu'en subordonnant la nation québécoise. L'État fédéral constitue le garant de l'unité canadienne et a utilisé tous les moyens possibles pour affaiblir le mouvement indépendantiste.
Aujourd'hui la lutte de libération nationale au Québec pose toute la question du changement de société et par voie de conséquence des rapports avec la population du reste du Canada. La population québécoise et les forces sociales, syndicales et populaires ne pourront trouver une issue viable qu'en dépassant le cadre uniquement québécois de sa lutte et en construisant des alliances stratégiques avec les Premières Nations et avec la classe ouvrière du reste du Canada. Cela permettra aussi d'asseoir concrètement la lutte de libération nationale de la population du Québec sur des bases de changement social du Québec, mais aussi du reste du Canada.
La lutte pour l'indépendance n'est donc pas une lutte confinée au territoire du Québec. En s'insérant dans une lutte contre l'État fédéral central, elle pose objectivement le problème du pouvoir à l'échelle de tout l'État canadien. Il ne s'agit pas de l'indépendance d'une colonie lointaine, mais d'un État souverain au cœur même du Canada. L'indépendance du Québec diviserait le pays entre un Canada Ouest et un Canada Est faisant de l'État canadien un État tronqué. L'intransigeance de la bourgeoisie canadienne et de son personnel politique découle de cette réalité. Les projets de souveraineté-association ou de souveraineté-partenariat remettaient en question l'unité canadienne et correspondaient à un important transfert des pouvoirs vers la bourgeoisie québécoise. Toutes ces remises en question de l'intégrité du territoire canadien ont donc toujours été rejetées. Même la perspective d'un fédéralisme asymétrique qui accorderait plus de pouvoirs au Québec qu'à d'autres provinces a été repoussée au moment où la centralisation de l'État canadien s'est imposée pour renforcer le pouvoir concurrentiel de l'économie canadienne sur le terrain international.
Le rapport à l'indépendance dans le Reste du Canada (ROC), le soutien au droit à l'autodétermination du Québec signifie pour la gauche et les différents mouvements sociaux du ROC de faire le choix soit d'appuyer leur propre bourgeoisie contre la lutte d'émancipation sociale au Québec, soit d'appuyer la lutte sociale au Québec pour son émancipation. C'est une nécessité objective pour elle-même, mais également pour le succès de la lutte au Québec. Un choix du soutien au droit à l'autodétermination c'est le choix de rompre avec le nationalisme canadien, de l'État qui serait brisé par l'indépendance du Québec. La remise en question d'une forme de l'État bourgeois, l'État fédéral ouvre la voie à la remise en question d'un bloc de classes sous la direction de la bourgeoisie qui forme la nation canadienne. La question des intérêts de classe est donc fondamentale pour le mouvement ouvrier canadien dans la compréhension de la nécessité de son appui à la lutte de la population du Québec pour s'affranchir de la domination de l'État canadien.
C'est cette compréhension mutuelle (basée sur l'autonomie politique de chaque nation de leur direction bourgeoise) qui permettra l'unification dans des dynamiques différentes des forces vives du Québec et du Reste du Canada avec celles des peuples autochtones vers la création d'une nouvelle société égalitaire, une Confédération libre des républiques et des peuples autochtones.
La lutte pour l'indépendance doit dépasser le cadre provincialiste et s'inscrire résolument dans une stratégie pancanadienne. Cette lutte doit sortir du carcan nationaliste bourgeois – l'idée selon laquelle nos intérêts sont plus près des capitalistes d'ici que de ceux des travailleuses et travailleurs d'autres nations. Il n'est pas question non plus d'opposer, comme le font vulgairement les nationalistes identitaires, la nation québécoise aux minorités, mais de rassembler les classes travailleuses, les sans-travail, groupes subalternes et peuples autochtones au sein d'un projet de libération plurinational. Un projet indépendantiste émancipateur doit donner un contenu socialiste, féministe, antiraciste et décolonial à la question nationale, ce qui implique le rejet de tout projet d'alliance avec le Parti Québécois, qui promeut maintenant une conception identitaire de la nation qui a nourri le racisme, l'islamophobie et la xénophobie.
La gauche indépendantiste doit au contraire lier sa lutte à un projet de société socialiste tout en appuyant l'autodétermination des nations autochtones et en développant des solidarités avec les mobilisations populaires partout au Canada. Ainsi, la lutte de la nation québécoise pour l'indépendance et celle des peuples autochtones pour leur autodétermination pourra et devra encourager les travailleuses et travailleurs du Reste du Canada à rompre avec le nationalisme majoritaire qui participe de leur exploitation. Nous appuyons toute démarche visant, d'une part, la décolonisation immédiate des institutions canadiennes et québécoises actuelles, et d'autre part, la constitution d'institutions nouvelles fondées sur le principe d'autodétermination des peuples ainsi que la démocratisation de la vie politique et économique sur le territoire occupé par le Canada. Ainsi, nous voulons contribuer à l'établissement d'un bloc social entre les différentes forces à l'œuvre pour mettre en place des mesures concrètes telles que les réparations envers les peuples autochtones, les assemblées constituantes populaires, l'abolition des paradis fiscaux pour les entreprises minières ainsi que le démantèlement du complexe militaro-industriel canadien. [15]
D. Inscrire l'indépendance dans une démarche cosmopolitique
Tous les problèmes qui sont en cours (crise climatique, montée du militarisme et dangers de guerre, santé humaine face aux épidémies, crise alimentaire, racisme, domination patriarcale, migrations, contraintes, oppression nationale…) doivent être affrontés dans une perspective planétaire où se rejoignent la vision cosmopolitique des intérêts de l'humanité considérée comme un tout et une praxis de mobilisation collective qui traverse les frontières.
On ne peut plus définir les orientations politiques stratégiques à partir du seul niveau national. Car les défis qui sont devant nous sont des problèmes mondiaux. Il est nécessaire de dépasser l'espace national, même si celui-ci demeure un espace stratégique incontournable pour contrer le nationalisme qui réduit les horizons sur un territoire limité. La convergence des résistances aux problèmes posés à l'humanité et à la vie sur la planète doit reposer sur une conscience d'appartenir à une communauté politique universelle. Capable d'exercer un véritable pouvoir sur les plans économiques, écologiques et démocratiques. [16]
La définition de la nation est un enjeu de la lutte des classes. Soit la nation, sa configuration et son idéologie sont le produit de la bourgeoisie et de la place que cette dernière veut occuper dans le système mondial, soit elle est définie par les classes populaires comme une communauté qui vise la déconnexion du système impérialiste et aspire à construire un nouvel internationalisme reposant sur une solidarité de classe internationale.
Une nation déconnectée du système mondial et refusant toute solidarité avec les puissances capitalistes, c'est une nation qui veut assurer la fusion entre la tradition classiste, socialiste et anti-impérialiste et les dimensions féministe, écologique et démocratique des mouvements des nations dominées, et particulièrement, des Nations autochtones. C'est dans une telle nation que la souveraineté populaire peut réellement s'exprimer jusqu'au bout et que l'indépendance peut se réaliser sur une base émancipatrice.
Une nation, dont la majorité populaire a su prendre la direction de sa libération, rejette tout nationalisme identitaire. Une telle nation fait de l'ouverture des frontières et de la liberté d'installation le centre de son combat internationaliste. Il définit son indépendance comme la liberté de nouer des liens avec les peuples du monde qui sont en lutte pour se soustraire à la domination des puissances capitalistes.
[1] Alain Bihr, Le crépuscule des États-nations, transnationalisation et crispations nationalistes, Les Éditions Page deux, 2000.
[2] Otto Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie, cité par Michael Lowy, Patries ou planète, Nationalismes et internationalisme de Marx à nos jours, Editions page 2, 1997
[3] Michel Brunet, Histoire du Canada par les textes, Fides, 1963
[4] Stuart Hall, Race, Ethnicité, nation, Le triangle fatal, Éditions Amsterdam 2019
[5] Dalie Giroux, Une civilisation de feu, Mémoire d'encrier, 2023
[6] 28 organisations exigent la régularisation des migrants sans papiers, IWC-CTI, 6 juin 2023
[7] Alain Policar, La haine de l'antiracisme, Textuel, 2023
[8] Dalie Giroux, Les peuples autochtones et le Québec, repenser la décolonisation, NCS, no 24, Automne 2020
[9] On reprend ici la formulation de Rémi Savard, Destins d'Amérique. Les autochtones et nous, Montréal, L'Hexagone, 1978.
[10] Saïd Bouamama, Les discriminations racistes et la construction des frontières intérieures, Presse-toi à gauche !, août 2019
[11] Alain Policar, op.cit.
[12] Émile Poulat, Notre laïcité ou les religions dans l'espace public, Éditions françaises, 2024 Édition Français de ÉMILE POULAT (Author)
[13] Jean Baubérot, Laïcités sans frontières, Seuil 2011, p.308
[14] Ernest Mandel, Libertés démocratiques et institutions de l'État démocratique bourgeois, in Critique de l'eurocommunisme, Maspéro, 1978
[15] Gauche socialiste, Stratégie révolutionnaire dans l'État canadien, Revue Gauche socialiste, 1989
[16] Bernard Rioux, La lutte pour l'émancipation au temps de la crise écologique, NCS, no 24, 2020
Violences extrêmes à Gaza – La LDL et la FIDH appellent le Canada à respecter ses obligations
Opposants russes en liberté sous condition
La neutralité scientifique
Il faut détruire le soldat « capital fossile »

Sommaire du numéro 98
Le numéro 98 (et son dossier « Démasquer la réaction ») peut être commandé via le site des Libraires.
Travail
Syndiquer Amazon : la nouvelle frontière ? / Thomas Collombat
Pour des négociations permanentes / Sébastien Adam
Culture numérique
Internet et la raison d'État / Entretien avec Félix Tréguer
Médias
Couverture médiatique à l'international au Québec : Le parent pauvre de l'information / Fonds québécois en journalisme international
Mémoire des luttes
La grève des fros, Abitibi 1934 / Alexis Lafleur-Paiement
Environnement
Rouyn-Noranda vs. Glencore : « Ça concerne tout le monde » / Gabrielle I. Falardeau
Pour la défense de nos espaces verts / Valérie Beauchamp
Plan fédéral de décarbonation de l'économie : Un échec annoncé / Colin Pratte
Politique municipale
Bruno Marchand et le piège de l'extrême centre / Jackie Smith
Regards féministes
Les œillères des Célèbres cinq / Kharoll-Ann Souffrant
Santé
COVID-19 : Individualisme et solidarité, une fausse opposition / Josiane Cossette et Julien Simard
Analyse du discours
L'anti-wokisme et ses intellectuel·les : Le cas de Nathalie Heinich / Samuel Vallée
Lobby : Halte aux dérapages / ATTAC-Québec
Mini-dossier : les justices transformatrice et réparatrice
Coordonné par Isabelle Bouchard, Arianne Des Rochers et Louise Nachet
La guérison par la justice transformatrice / Johanne Wendy Bariteau
Réparer le tissu social / Entretien avec Estelle Drouvin
Justice réparatrice et privilège de la blanchité / Jade Almeida
Justice hoodistique : Justice réparatrice par et pour les communautés noires / Nancy Zagbayou
Responsabilité, guérison et transformation / Will V. Bourgeois
Dossier : Démasquer la réaction
Coordonné par Nathalie Garceau, Philippe de Grosbois, Samuel-Élie Lesage et Claire Ross
Illustré par Alex Fatta
Les ruses de la réaction / Jean-Pierre Couture
Nation-anxiété / Samuel-Élie Lesage
Comment répondre au tweet de Kevin / Anne Archet
Il n'y a pas de discours anti-réactionnaire / Maxime Fortin-Archambault et Gabriel Lévesque-Toupin
Centre et réaction : Un tango funeste / Philippe de Grosbois
De la diversité libérale à la réaction anti-antiraciste / Entrevue avec Philippe Néméh-Nombré
La gauche transphobe, fer de lance de l'extrême droite / Judith Lefebvre
Les nouvelles tribunes du masculinisme / Nathalie Garceau
Usurpations identitaires : Autochtones à la place des Autochtones / Miriam Hatabi
De la Labatt bleue, pour tout le monde / Élisabeth Béfort-Doucet
L'antifascisme comme pratique quotidienne / Montréal Antifasciste
International
Université des mouvements sociaux à Paris : Le point sur les luttes sociales / Alice Galle et Ronald Cameron
Culture
Chevalier, Barbie… et Richelieu : Le cinéma des bonnes intentions / Claude Vaillancourt
Recensions
À tout prendre ! / Ramon Vitesse
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Couverture : Alex Fatta

Démasquer la réaction
Le numéro 98 (et son dossier « Démasquer la réaction ») peut être commandé via le site des Libraires.
Quand les drag queens dans les bibliothèques et l'éducation à la sexualité dans les écoles sont attaquées par des « familles inquiètes » ; quand des mobilisations antiracistes historiques subissent la riposte de politiciens et de commentateurs soucieux de préserver l'ordre et la culture ; quand la généralisation du discours féministe dans l'espace public a pour corollaire une remontée du masculinisme le plus crasse ; quand les luttes autochtones rencontrent l'obstination de ceux qui s'affirment plus résolument que jamais chez eux – alors il semble tout indiqué de parler d'un backlash, d'une véritable vague réactionnaire qui se dresse devant des mouvements sociaux gagnant en confiance et en visibilité.
La réaction n'est pas n'importe quelle droite : c'en est une qui répond – par la négative et avec violence – aux exigences croissantes de justice qui émergent en période de crise. Pour la saisir, il faut donc voir ce qui la rapproche et ce qui la distingue du simple conservatisme, du néolibéralisme ordinaire ou du fascisme abouti. Il faut aussi s'atteler à comprendre la conjoncture d'instabilité et de tensions qui appelle ce durcissement des rappels à l'ordre : notre système économique et politique n'allant plus de soi, il devient nécessaire d'identifier des boucs émissaires pour détourner l'attention. Enfin, on ne saurait comprendre le moindrement la réaction sans reconnaître qu'elle est aussi le versant négatif d'une montée en puissance, même minime, de celleux qui luttent pour leurs droits.
Reste que sous ses multiples visages, la réaction demeure fuyante : il est parfois pénible de convaincre les sceptiques qu'on fait bel et bien face à une menace dramatique pour toutes les personnes qui croient un tant soit peu en l'égalité. C'est que les réactionnaires sont passés maîtres dans l'art du demi-mot, du double sens et de la langue de bois. Ils aiment se faire passer pour de simples modérés « qui soulèvent des questions légitimes », voire pour les authentiques héritier·ères de la subversion et des combats historiques d'une gauche aujourd'hui dégénérée. Mais c'est justement là qu'il devient impératif d'appeler un chat un chat.
De là, cependant, le plus dur reste à faire. Il s'agit de faire face à la tempête pour espérer non seulement lui résister, mais plus encore renverser la vapeur et faire que la justice et l'égalité ressortent plus fortes. Après tout, l'ordre fragilisé que la réaction veut préserver par la crispation peut aussi offrir des occasions uniques de bouleversements favorables. Encore faut-il savoir les saisir, ce qui exige une capacité d'organisation et une intelligence stratégique. Or, force est d'admettre que si les remous de nos mouvements de libération peuvent susciter l'inquiétude de la réaction, celle-ci peut compter sur une redoutable force de frappe, tandis que nous n'avons sans doute pas encore la solidité qui permettrait d'en triompher. Nous devons affiner nos discours et nos méthodes, observer l'adversaire pour comprendre ses ruses, mais sans nous laisser imposer un terrain et des règles qui nous seraient défavorables.
Ce dossier veut, modestement, contribuer à cette lutte qui ne peut que continuer. Encore une fois
Dossier coordonné par Nathalie Garceau, Philippe de Grosbois, Samuel-Élie Lesage et Claire Ross
Illustré par Alex Fatta
Avec des contributions de Anne Archet, Élisabeth Béfort-Doucet, Jean-Pierre Couture, Philippe de Grosbois, Maxime Fortin-Archambault, Nathalie Garceau, Miriam Hatabi, Judith Lefebvre, Samuel-Élie Lesage, Gabriel Lévesque-Toupin, Montréal antifasciste et Philippe Néméh-Nombré.
Illustration : Alex Fatta
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Pour la survie des services publics
Les difficiles négociations entre le gouvernement et les travailleurs et travailleuses des secteurs public et parapublic du Québec révèlent des enjeux qui vont bien au-delà de relations de travail entre patrons et salarié·es. Ces négociations se font alors que les services publics subissent une importante dégradation, notamment dans le domaine de la santé et de l'éducation.
Les médias le mentionnent régulièrement, nos services publics font face à des problèmes multiples : rareté de main-d'œuvre, manque d'attractivité, conditions de travail difficiles, tâches épuisantes, salaires insuffisants, managérialisation de l'administration des services, incapacité de fournir des services minimaux dont la population a grandement besoin. Tout cela crée un mouvement de spirale vers le bas. Devant le peu d'attention qu'on leur accorde, les services offerts ne peuvent que devenir moins efficaces.
Pourtant, ceux-ci nous semblent plus importants que jamais. Les années d'austérité budgétaire ont montré à quel point leur affaiblissement affecte la population dans ce qui lui est le plus indispensable : la capacité de bien se soigner, de recevoir une éducation de qualité, de répondre aux besoins des personnes marginalisées. La pandémie de COVID-19 a révélé que sans les employé·es de l'État qui ont tenu le fort envers et contre tout, nous n'aurions peut-être pas tenu le coup, en tant que société.
L'attitude du gouvernement du Québec est carrément méprisante pour celles et ceux qui accomplissent ce travail primordial. La CAQ semble très bien intégrer l'idée que tous les individus n'ont pas la même valeur et que certains doivent recevoir de très hauts salaires. Les député·es (avec leur hausse de 30 %), les médecins spécialistes, les entrepreneurs méritent, semble-t-il, ces revenus exceptionnels qui séparent de plus en plus le 1 % des plus riches du reste de la population. Mais celles et ceux qui tiennent en main ce que l'État offre de mieux, qui donnent des services essentiels, peuvent toujours se contenter de beaucoup moins et se débrouiller avec des conditions de travail insatisfaisantes.
Tout cela alors qu'il est de plus en plus difficile de bien gagner sa vie, avec une forte inflation, des loyers de plus en plus inabordables, de fins de mois particulièrement difficiles à boucler. Certes, le gouvernement Legault nous a offert de belles baisses d'impôts, pour lutter contre l'inflation, dit-il. Mais ces dernières ont surtout comme conséquence de réduire le budget de l'État et de rendre encore plus difficile le bon coup de pouce financier dont toute la fonction publique a grandement besoin. En outre, elles ne « profiteront » qu'aux contribuables les plus fortuné·es.
L'extraordinaire mobilisation des syndiqué·es montre bien à quel point leur lutte est essentielle. La grande manifestation du 23 septembre, les votes massifs en faveur de la grève et la solidarité entre les centrales et fédérations syndicales sont des signes évidents d'un attachement à un modèle social qui a fait ses preuves. Le gouvernement semble prêt à le sacrifier, ce modèle, par économies de bouts de chandelle, par ignorance, par son grand attachement à la classe des plus riches.
À À bâbord !, nous soutenons sans réserve le mouvement syndical des salarié·es des secteurs public et parapublic ainsi que le modèle social que celui-ci défend. Nos services publics peuvent et doivent être améliorés : meilleur financement, amélioration des conditions de travail, démocratisation et décentralisation de leur gestion, et les revendications des syndiqué·es s'inscrivent dans cette optique. Mais les négliger, comme le fait actuellement le gouvernement Legault, revient à agir comme un pompier pyromane et à développer considérablement les inégalités sociales.
Dans son immense lucidité, François Legault a attribué sa défaite électorale dans le comté de Jean-Talon à son reniement de la promesse d'un troisième lien à Québec. Aveuglement volontaire, stratégie de diversion ou étroitesse d'esprit ? Peu importe, le propos était offensant. Son refus clair de bien comprendre la situation que vivent tant de Québécois·es révèle à quel point cette administration est de plus en plus inapte à gouverner pour l'ensemble de la population.
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Qui aura droit à une « augmentation salariale différenciée » selon la nouvelle offre gouvernementale du 6 décembre 2023 ? (Texte 6)
Les deux premières offres du gouvernement à ses salarié.es syndiqué.es (décembre 2022 et octobre 2023) prévoyaient une disposition en faveur d'une centaine de milliers de salarié.es syndiqué.es en début de carrière ou dans des emplois payés à moins de 52 000 $ par année. Ces salariés.es se voyaient offrir des majorations en lien avec la structure salariale. Cette bonification à la structure salariale représentait un peu moins de 0,5 % de la masse salariale globale (188 M$). Dans la nouvelle offre du gouvernement Legault (offre du 6 décembre 2023) ce montant est intégré aux augmentations paramétrées qui s'élèvent maintenant à 12,7%.
Pour le moment, la principale augmentation différenciée est la bonification des quarts défavorables qui toucheront pour sa part un maximum de 30 % des infirmièr.es Rappelons que la rémunération des quarts de fin de semaine à 200 % est offerte en échange de l'abandon du calcul du temps supplémentaire à la journée qui est actuellement garanti dans les conventions collectives. C'est donc la totalité des infirmièr.es qui sont susceptibles de voir leurs conditions diminuer en échange d'une bonification pour certain.es
Pour leur part, les psychologues qui acceptent de travailler 2,5 heures de plus par semaine - semaine de 37,5 heures au lieu de la semaine normale de 35 heures - constitueront une bonification de leur rémunération de 7,5 % et une prime de 7,5 %. Cette bonification remplacera la prime de 9,6 % qui est versée à celles qui font 35 heures. Selon des données auxquelles nous avons eu accès pour les fins du présent texte, c'est moins de 2 000 personnes qui pourront profiter de cette nouvelle prime.
Une augmentation salariale différenciée pour uniquement…
La nouvelle offre gouvernementale du 6 décembre vise uniquement à augmenter les revenus d'une infime minorité de salarié.es, environ 5%.
Conclusion
Il ne faut surtout pas confondre, comme le font allègrement François Legault et Sonia Lebel, « augmentation de la masse salariale » avec « augmentation de salaire ». Il ne faut pas non plus généraliser à l'ensemble ce qui est susceptible de s'appliquer à une infime minorité de salarié.es syndiqué.es
Yvan Perrier
12 septembre 2023
9h30
yvan_perrier@hotmail.com
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Négociation dans les secteurs public et parapublic : 3e offre et nouvelles journées de grève en vue
Nous saurons au cours des prochains jours si nous nous dirigeons vers un règlement négocié ou si le face-à-face actuel débordera le temps des fêtes, moment à partir duquel chacune des parties négociantes sera en mesure de déployer ses moyens ultimes de résistance ou de coercition en vue d'imposer sa volonté à l'autre via le recours à la grève générale illimitée ou par l'adoption d'une loi spéciale décrétant les conditions de travail et de rémunération. D'ici là, jetons sur papier, d'une manière un peu pêle-mêle, ce qui mérite minimalement d'être mentionné ou commenté.
1.0 La FAE
Sans fonds de défense professionnel, les 66 000 membres de la FAE poursuivent - avec une courageuse détermination qui mérite toute notre admiration - leur grève générale illimitée, et ce depuis le 23 novembre dernier. Des avancées auraient été enregistrées à la table de négociation. Pas en assez grand nombre et surtout pas suffisamment « marquantes », selon la partie syndicale, pour permettre la finalisation d'une entente de principe ([1]). Le gouvernement du Québec, lire l'État employeur caquiste, réclame de manière persistante des gains en matière d'organisation du travail afin supposément « d'améliorer les services à la population ». (Le Devoir, 4 décembre page A2). Nous reviendrons sur cette formule qui ne cesse d'être présente dans la bouche des ténors gouvernementaux.
Nous laissons aux spécialistes du droit le soin de commenter la décision de la juge de la Cour supérieure, madame Dominique Poulin, qui ordonne aux grévistes membres de l'Alliance des professeur.e.s de Montréal de cesser de faire du piquetage sur les terrains des établissements du Centre de services scolaires de Montréal (CSSDM). Devant un tel jugement se pose au moins deux questions : jusqu'à quel point le droit de grève jouit-il d'une authentique protection constitutionnelle ? Et surtout, que veut dire « faire cesser les activités d'une entreprise » lors d'un conflit de travail ? Ne pas empêcher l'accès des cadres et de certain.e.s salarié.e.s syndiqué.e.s dont la présence est jugée « essentielle » à l'entretien de l'entreprise est une chose, mais permettre la poursuite de certains travaux de construction dans un édifice où les salarié.e.s syndiqué.e.s sont en grève légale en est une autre, selon nous. Il s'agit là de questions pour lesquelles l'auteur des présentes lignes reconnaît ne disposer d'aucune compétence minimalement requise en sciences juridiques pour y répondre.
2.0 La FIQ
Du côté de la FIQ, d'autres journées de grève sont prévues cette semaine. Il n'y a pas vraiment d'avancées à la table de négociation. Avant de déclencher un nouveau débrayage, dans le respect des services essentiels, la FIQ a décidé de déposer, vendredi le 8 décembre, une contre-offre qui comporte minimalement des demandes salariales de 20% étalées sur une période de quatre ans (d'abord un rattrapage de 6% pour 2022 ; ensuite les augmentations procentuelles suivantes : 4% pour 2023 ; 4% pour 2024 ; 3% pour 2025 et 3% pour 2026). Le rythme aux tables de négociation de la FIQ semble à la fois ouvert à la négociation sans être accompagné de véritables avancées significatives ([2]).
3.0 La nouvelle offre « bonifiée » du gouvernement
Plus d'un mois après son offre du 29 octobre dernier, le gouvernement Legault est revenu à la charge, mercredi le 6 décembre, en proposant à ses salarié.e.s syndiqué.e.s une offre salariale de 12,7% sur cinq ans. On se rappellera que le gouvernement Legault a d'abord proposé à ses 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s, en décembre 2022, une augmentation salariale de 9% sur 5 ans. Cette première offre est passée ensuite, en octobre 2023, à 10,3% sur 5 ans. Cette deuxième offre avait été jugée « insultante » par les porte-parole du Front commun intersyndical CSN-CSQ-FTQ-APTS.
Très brièvement et très succinctement, mentionnons ici que le gouvernement du Québec prétend ajouter un milliard en vue d'arriver à une entente avec les organisations syndicales. Son offre dite globale passerait à « 16,7% ». Au total, le gouvernement parle même d'une offre globale de 9 milliards récurrents. Comment s'y retrouver ici ? Pour connaître le détail de cette nouvelle offre, nous avons écrit aux personnes qui accompagnent madame Sonia Lebel dans le cadre de la présente ronde de négociation. Voici le courriel que nous avons acheminé, le 6 décembre dernier, au Secrétariat du Conseil du trésor :
« Bonsoir ou Bonjour,
Dans le communiqué publié par le cabinet de la ministre responsable de l'Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor il est écrit ceci :
« Le gouvernement du Québec annonce le dépôt d'une nouvelle offre aux tables centrales qui hausse les paramètres salariaux à 12,7 %, sur cinq ans. L'offre globale, quant à elle, passe à 16,7%.
C'est donc plus d'un milliard supplémentaire de l'argent des contribuables que le gouvernement ajoute sur la table, l'offre globale actuelle représentant ainsi plus de 9 milliards récurrents, à terme. »
J'aimerais connaître les données qui ont été utilisées pour arriver aux deux résultats mentionnés dans le dernier paragraphe cité (1 milliard et 9 milliards).
Au plaisir de vous lire,
Cordialement,
Yvan Perrier
Presse-toi à gauche ! »
Voici la réponse obtenue de la Direction des communications du Conseil du trésor :
« Considérant les négociations en cours et par respect pour les parties impliquées, le gouvernement du Québec ne commentera pas, ni ne détaillera, le cadre financier de l'offre actuelle. »
7 décembre 2023, 13h50.
Nous nous proposons de décortiquer cette nouvelle proposition dans un autre article.
4.0 Négocier ou gagner du temps ?
Étonnamment, immédiatement après la présentation de la 3e offre du gouvernement aux syndicats – qui l'ont sur le champ rejetée – François Legault a annoncé qu'il disposait encore d'une certaine marge en vue de la bonifier. En retour de cette bonification, il demande toujours, avec une obsession fatigante à la longue, « des concessions sur l'organisation du travail ».
La nouvelle offre déposée par le gouvernement Legault et surtout le changement de ton du premier ministre à l'endroit de ses vis-à-vis syndicaux peuvent donner l'impression que le premier ministre caquiste souhaite arriver à un règlement négocié dans les délais préalablement annoncés par lui et par la présidente du Conseil du trésor, madame Sonia Lebel, c'est-à-dire d'ici le temps des fêtes. La présente semaine nous donnera la preuve si tel est vraiment le cas. Le gouvernement du Québec négocie-t-il réellement avec les huit organisations syndicales ou cherche-t-il uniquement à gagner du temps en vue de coincer les porte-parole syndicaux dans une situation qui ne leur donnera comme choix que d'accepter ou de refuser ce qui leur sera ultimement présenté comme « une offre globale et finale » ?
5.0 Le nouveau mouvement de grève dans les secteurs public et parapublic
Quoi qu'il en soit, les membres du Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS sont et seront en grève du 8 au 14 décembre (420 000 membres). Pour ce qui est des membres de la FIQ (80 000 membres), elles le seront du 11 au 14 décembre. Ce sera ensuite au tour du personnel professionnel des cégeps qui adhèrent au SPGQ d'exercer leur droit de grève (760 membres). Les membres de la FAE seront toujours, à moins d'une entente avec le gouvernement, en grève générale illimitée (66 000 membres). Ce qui donne au total plus d'un demi-million de salarié.e.s en grève. Il s'agit là d'un très beau record pour François Legault, l'homme qui n'a jamais réellement démontré une véritable attitude d'ouverture à l'endroit des syndicats des secteurs public et parapublic.
6.0 Nouvelle offre du gouvernement, protection du pouvoir d'achat, rattrapage et durée du contrat de travail
La nouvelle récente offre gouvernementale est très loin des demandes syndicales. Le Front commun demande une hausse salariale d'environ 23% sur trois ans pour couvrir l'inflation et permettre aussi un rattrapage avec d'autres secteurs comparables. Le gouvernement propose une offre de 12,7% qui est très en deçà des prévisions de l'inflation qui, pour la même période, s'élèverait à 18,1%. Est-il nécessaire de rappeler que cette troisième offre du gouvernement à ses salarié.e.s syndiqué.e.s est largement inférieure à ce qui a été accordé aux député.e.s de l'Assemblée nationale (30% plus les paramètres des secteurs public et parapublic) et au 21 % sur 5 ans proposé (et rejeté) par le gouvernement du Québec aux policières et aux policiers de la Sûreté du Québec. Que dire maintenant du 49,7% accordé aux juges de paix et magistrats ? Nous sommes réellement en présence ici d'une logique qui se résume dans la formule de deux poids deux mesures. Pourquoi ? Assurément parce que les 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s sont à 75% des femmes.
Depuis le début de la présente ronde de négociation avec le gouvernement, les dirigeant.e.s du Front commun ne cessent de rappeler que sans une clause garantissant la protection du pouvoir d'achat et des dispositions permettant un rattrapage salarial « il ne sera pas possible d'en arriver à une entente ». À quoi ressemblera la nouvelle offre que François Legault annonce comme imminente à venir ? Nous le saurons sous peu. D'ici là les dirigeant.e.s du Front commun se montrent ouvert.e.s à un contrat de travail d'une durée plus longue que 3 ans. Pour celles et ceux qui suivent la présente ronde de négociation depuis le début, il ne s'agit pas là d'une étonnante surprise.
7.0 Eux / nous
En politique, il n'y a pas toujours de la place pour les nuances. Le monde se divise rapidement en deux. Il y a « Eux » et « Nous ». De plus, il doit y avoir un coupable des difficultés du moment. Cela arrive souvent que le gouvernement en place accuse ses prédécesseurs pour les difficultés auxquelles il est confronté. Quand il est impossible de blâmer le précédent gouvernement il lui faut impérativement trouver un nouveau bouc émissaire, bref identifier un groupe ciblé sur qui faire porter la faute et l'odieux des difficultés passagères. Dans la bouche de François Legault, les syndicats servent justement de bouc émissaire. Mais cela fait maintenant plus de cinq ans que François Legault est au pouvoir et qu'il démontre que les solutions prônées par son parti n'ont pas pour effet de redresser quoi que ce soit. Déterminer un bouc émissaire ne suffit pas. Le gouvernement de François Legault commence à être perçu par la population comme n'ayant pas les solutions adéquates aux problèmes et aux difficultés actuelles et aussi de l'avenir.
8.0 Les déclarations de François Legault
La politique occupe un espace important dans les médias. Les médias parviennent à être achetés, lus ou écoutés dans la mesure où ils peuvent tirer de gros titres ou de grosses manchettes avec l'actualité politique. Il ne fait aucun doute que la politique est un jeu parfois sérieux ou (et) parfois distrayant pour les mass media et les réseaux sociaux. François Legault y est allé, au cours de la semaine dernière, d'un certain nombre de sorties dont certaines personnes se sont demandé s'il s'agissait de déclarations improvisées ou planifiées ? N'étant pas dans l'entourage immédiat du premier ministre et n'ayant aucune ressource pour accéder à la pensée intérieure de celui qui occupe provisoirement le poste de premier ministre nous ne nous demanderons pas quand il dit vrai ou quand il dit faux. Observons qu'il est passé d'un ton frondeur et provocateur à un ton plus conciliateur. Il s'est même dit ouvert à bonifier la 3e offre salariale de son gouvernement rejetée unanimement sur le champ en raison du fait qu'elle ne permet pas une pleine protection du pouvoir d'achat ni non plus un rattrapage salarial certain et qu'elle implique un appauvrissement des salarié.e.s syndiqué.e.s. Ces récentes déclarations du premier ministre sont-elles sincères ou s'inscrivent-elles dans une dynamique qui relève de l'hypocrisie et du mensonge ? Nous le saurons sous peu. En attendant, c'est sa popularité auprès de l'opinion publique qui est en chute libre.
9.0 L'appui de la population
Selon les sondages effectués auprès de l'opinion publique, les revendications des salarié.e.s syndiqué.e.s présentement en négociation avec le gouvernement Legault semble largement appuyées par la population. Les promesses électorales de la CAQ lors des deux dernières élections générales n'ont pas été porteuses d'une amélioration palpable et significative de la qualité et de la quantité des services en santé et en éducation. Voilà un peu pourquoi cet appui dans les sondages en faveur des revendications syndicales des enseignant.e.s et du personnel de la santé, persistent toujours. Les exagérations de François Legault en vertu desquelles les réseaux de la santé et de l'éducation seraient sous la coupe d'une dictature syndicale abusive ne parviennent plus à convaincre qui que ce soit, sauf peut-être certain.e.s de ses inconditionnel.le.s électeurs ou électrices. Pendant que l'appui à la cause syndicale gagne des supporteurs et des supportrices, c'est la cote de popularité de François Legault qui en prend pour son rhume. Le premier ministre caquiste ne caracole plus au sommet dans les sondages. La chute de son parti est également spectaculaire. Modeste, François Legault encaisse le coup et prend toute la responsabilité de cette dégringolade et du désenchantement de la population envers son gouvernement. Pense-t-il à sa retraite de la vie politique ?
10. Inflation et projection de la Banque du Canada
Depuis quelques rondes de négociation le gouvernement du Québec appuie et justifie ses offres à ses salarié.e.s syndiqué.e.s à l'aide des projections à long terme de l'Indice des prix à la consommation selon la Banque du Canada. Pire, si ces projections sont en dessous de l'inflation réelle, le gouvernement du Québec ne prévoit aucun mécanisme d'ajustement salarial et c'est ainsi que nous assistons, depuis des décennies, à une dévalorisation de la prestation du travail effectué par les salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic. Prédire l'avenir avec exactitude est une tâche au départ risquée, surtout lorsqu'il est question d'un phénomène économique complexe comme la détermination de la valeur des biens en circulation sur le marché de la consommation. Sans clause de protection de la rémunération en lien avec l'indice des prix à la consommation il ne peut y avoir qu'un perdant : la ou le salarié.e. et un gagnant : en l'occurrence ici le gouvernement. Fixé les hausses salariales paramétriques uniquement en fonction des prévisions de l'inflation, sans aucune garantie face à un taux d'inflation supérieur à l'augmentation négociée ou accordée constitue un marché de dupes pour les salarié.e.s syndiqué.e.s et il commence à y avoir de plus en plus de personnes dans les rangs des syndiqué.e.s qui le comprennent.
11. La sacro-sainte flexibilité dogmatique qui découle du néolibéralisme
Que ce soit en santé ou en éducation le gouvernement Legault est en croisade en vue d'obtenir plus de « flexibilité » et de « souplesse » de la part de ses salarié.e.s syndiqué.e.s. En clair, il souhaite réduire les droits des salarié.e.s en cherchant à amenuiser les droits syndicaux face aux administrateurs locaux pour qui le gouvernement veut accroître leur droit de gérance. Le gouvernement désire une main-d'œuvre salariée plus malléable dans les secteurs public et parapublic. Bref, le gouvernement caquiste dirigé par François Legault entend donner aux gestionnaires des services publics et parapublics les mêmes pouvoirs de gestion que ce qui existe dans les entreprises privées. Et François Legault ne cache même pas qu'il s'agit là de l'objectif qu'il entend atteindre dans le cadre de la présente négociation.
12. Conclusion
Les paroles sont parfois vérités ou parfois mensonges. Elles servent souvent chez certaines personnes à camoufler les intentions véritables et les buts poursuivis. La fin de l'année approche. Le gouvernement Legault a toujours avancé qu'il souhaitait des ententes avant la fin de la présente année. Il ne reste que quelques jours pour conclure sur de nombreux enjeux qui n'ont toujours pas fait l'objet de négociation au cours des douze derniers mois. La preuve : certaines organisations syndicales ont demandé à ce moment-ci la présence de conciliateurs en vue de faire progresser les choses. Si la volonté du gouvernement d'aboutir à un règlement négocié avec les organisations syndicales est réelle, la présente semaine devrait être celle des dénouements aux tables sectorielles et centrale. Sinon, elle sera celle où les masques tomberont et où le gouvernement arrivera avec la version finale de ce qu'il entend offrir (depuis le début du présent processus) à et obtenir de ses salarié.e.s syndiqué.e.s. Ce sera son offre finale et globale. Mais arrêtons ici nos extrapolations et vivons les événements au fur et à mesure qu'ils se produiront. Terminons en mentionnant que nous aurons à examiner éventuellement la portée et les conséquences sur le plan de l'organisation du travail des projets de lois 15 et 23 en santé et en éducation. Il s'agit peut-être là d'un véritable cheval de Troie pour mieux contourner les obligations qui découlent d'une convention collective…
Yvan Perrier
10 décembre 2023
18h
yvan_perrier@hotmail.com
[1] Les revendications syndicales de la FAE portent sur sept sujets : une meilleure reconnaissance sur le plan de la rémunération ; une meilleure conciliation famille-travail-vie personnelle ; une meilleure composition de la classe ; un allègement de la charge de travail ; de nouvelles dispositions concernant les griefs et l'arbitrage ; une amélioration du traitement des enseignantes à statut précaire ; et finalement, un milieu de travail sain.
[2] La FIQ revendique aussi une loi sur les ratios sécuritaires en soins de santé et diverses mesures pour améliorer la conciliation travail-vie personnelle.
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